ASCENSION D'ISAIE (French Edition)
 2503503047, 9782503503042

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Ascension du prophète Isaïe

APOCRYPHES COLLECTION DE POCHE DE L'AELAC

Direction ALAIN DESREUMAUX ENRICO NORELLl

Ascensio n du prophète Isaïe par Enrico N orelli

BREPOLS

© 1993 Brepols Imprimé en Belgique DII 993 I 009 5/ 32 ISBN 2-503-50304-7 Tous droits de traduction, d'adaptation et de reproduction (intégrale ou partielle) par tous procédés réservés pour tous pays

LA COLLECTIO N DE POCHE APOCRYPHE S

Un fragment de papyrus trouvé dans la tombe d'un moine copte d'Égypte, un fabliau narrant l'histoire de la crèche, une fresque romane sur un mur poitevin, un roman latin à épisodes détaillant les aventures des apôtres ... tous ces documents témoignent à leur manière de l'existence et de la diffusion d' œuvres appelées apocryphes. Tour à tour recherchés et rejetés, exploités et vilipendés, traduits et oubliés, les apocryphes ne gardentils pas un mystérieux pouvoir d'évocation? N'imaginet-on pas, à entendre leur nom, qu'une révélation insoupçonnée, jadis tenue secrète, est enfin amenée à la lumière? À qui se plonge dans la littérature apocryphe, avec l'ardeur parfois frénétique de savoir désormais ce qu'il cherchait depuis longtemps, ces œuvres pourraient réserver une cruelle déception. Certains apocryphes prétendent bien en effet en apprendre au lecteur sur Jésus; l'un rapporte un enseignement ésotérique qu'il aurait confié à un disciple particulier, tel Thomas ; un autre, les Actes de Pilate, transcrit fidèlement le récit que deux ressuscités auraient fait de sa visite aux enfers. D'autres en revanche ont des prétentions beaucoup moins hautaines : la Lettre tombée du ciel a-t-elle d'autres buts que de justifier que l'on paye la dîme et que l'on observe le dimanche? Quant aux récits qui montrent

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un apôtre détournant la femme d'un haut fonctionnaire romain de ses devoirs conjugaux, comme par exemple les Actes de Philippe, ne sont-ils pas avant tout le reflet de choix pratiques de morale sexuelle et un appel à faire acte de chasteté dans le mariage? Pour qui est assoiffé d'éternité, voici des documents de piètre importance! Et pourtant, s'il apprend à ne pas attendre des apocryphes qu'ils lui livrent des secrets ou des révélations cachées sur Jésus et ses disciples, il retirera de sa lecture le plus grand profit. L'intérêt de ces textes est en effet ailleurs : ils transmettent les représentations que les chrétiens de divers lieux et de divers temps se sont faites de la figure de Jésus, du rôle des apôtres, de l'origine de leurs Églises locales ... Ils témoignent également des questions qui les ont agités, et des réponses qu'ils leur ont données : quelle est la nature du Christ, demande !'Ascension d'Isaie, tandis que les Actes de Pilate s'interrogent sur les liens du christianisme avec le judaïsme et la culture romaine. Certains apocryphes sont très anciens et reflètent des traditions contemporaines d'une partie de ce qui est devenu le Nouveau Testament ... Ils constituent pour les historiens comme pour les biblistes une voie d'accès privilégiée, encore peu exploitée, à des traditions chrétiennes des origines. Pas plus que les évangiles canonisés, ils ne nous donnent accès à la vérité historique sur Jésus et sur ses apôtres. Ils nous transmettent bien plutôt des éclairages sur la vie et sur les croyances des premières communautés de chrétiens. L'imaginaire est en effet ici véhicule de création et de réflexion. Ainsi lorsque l'Évangile de l'enfance selon

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Thomas narre au milieu du deuxième siècle tous les méfaits que Jésus a pu faire étant petit, il ne cherche pas à écrire une biographie de Jésus enfant, encore moins à faire preuve d'imaginati on débridée - voire sacrilège - mais il s'interroge sur les modalités de l'Incarnatio n et se demande comment se manifestait dans 1' enfant Jésus la plénitude de la grâce divine; c'est enfin et surtout qu'il essaye d'expliquer ce que l'Évangile de Luc voulait dire en affirmant que « 1' enfant croissait et se fortifiait en esprit». Reflets de questions exégétiques , dogmatique s et morales de la plus haute importance , les apocryphes que la présente collection offre au public dévoileront leurs richesses à qui n'y cherche pas ce qu'ils ne peuvent lui offrir, mais à qui a écouté P. Valéry lorsqu'il écrivit que « toutes les histoires s'approfond issent en fables ... » Loin d'offrir une image unifiée de la religion chrétienne, les apocryphes nous introduisen t à sa diversité doctrinale, mais aussi mythologiq ue et linguistique . Le christianisme, dès ses origines, se présente en effet sous la forme d'un ensemble de communau tés étonnamment diverses. De nombreux apocryphes en témoignent, qui nous sont parvenus en de multiples versions. Ainsi la Doctrine d'Addaï nous a-t-elle été transmise en grec, en syriaque, en copte, en éthiopien, en arabe, en arménien, en géorgien et en slavon. Chacune de ces versions porte la marque du milieu qui a produit cet apocryphe, qui l'a conservé, ou transmis. Chacune d'elle témoigne à sa manière du foisonneme nt doctrinal des premiers siècles du christianisme.

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Voilà pourquoi, à l'heure où, le christianisme devenant religion de l'Empire, les autorités tentaient d'en donner une image unifiée, certains Pères ont vilipendé les apocryphes comme porteurs d'hérésies. En un moment où la recherche redécouvre l'extraordinaire foisonnement des premiers siècles du christianisme, il était urgent de mettre à la portée du public des textes qui en portent si clairement la trace et qui, parfois en quelques lignes, nous éclairent un pan de l'histoire encore méconnu. Au sein de cette diversité, le choix de l'Église ancienne fut difficile. L'Apocalypse dite de Jean a bien failli ne pas être retenue dans le canon. Quant au Pasteur d'Hermas, il a, lui, manqué de peu d'y entrer. Il n'y a aucune différence intrinsèque entre canoniques et apocryphes. Le Nouveau Testament résulte du choix que les autorités ecclésiastiques ont dû opérer parmi des dizaines de textes pour fixer un corpus de référence de la foi chrétienne. D'autres œuvres, non retenues, continuèrent longtemps à alimenter la piété chrétienne, au point qu'elles sont à la source de nombreuses traditions encore vivaces. Qui donc sait que les lectures monastiques pour les fêtes des apôtres puisent dans le Martyrologe des récits édifiants tirés des Actes apocryphes des apôtres? Qui pense apocryphe lorsqu'on évoque Gaspar, Melchior et Balthasar, ces trois mages que la tradition évangélique se garde de nommer mais dont les noms sont déjà sur les peintures coptes dans l'oasis égyptienne de Bawit? ... Oublier les apocryphes équivaudrait à vouer les vitraux de nos cathédrales et les fresques de nos églises

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romanes au silence, à rendre à jamais incompréhensible l'Enfer de Dante ou certaines pages de Flaubert. En un moment où l'on découvre avec inquiétude la méconnaissance que nos contemporains ont de l'histoire religieuse, il devenait urgent de traduire et de diffuser ces textes qui sont partie intégrante de notre mémoire. Les textes originaux sont publiés ou en voie de publication dans la Série des Apocryphes du Corpus Clzristianorum. On en trouvera ici une traduction fidèle mais agréable. Beaucoup seront aussi rassemblées dans deux volumes de la Pléiade par les mêmes chercheurs, membres de l' Association pour l'Étude de la Littérature Apocryphe Chrétienne. Ceux-ci ont voulu les rendre accessibks au plus grand nombre, sous la forme de volumes indépendants, dans la présente collection de poche. Ainsi introduit au texte, aidé par des notes précises mais simples, nul doute que le lecteur de ces œuvres sera amené à en découvrir l'intérêt, au-delà de ses préjugés, et apprendra à goûter le plaisir d'une lecture sereine des apocryphes.

INTRODUCTION

1. Les traditions juives et chrétiennes sur le destin d'Isaïe et des prophètes

Comment définir l' Ascension d'Isaïe? S'il y a un écrit qui peut faire éclater la distinction si fortement enracinée entre «apocryphes (ou pseudépigraphes) de l'Ancien Testament» et «apocryphes du Nouveau Testament», c'est bien !'Ascension d'Isaïe. Elle se présente en effet, dans sa première partie (ch. r-5), comme une histoire de la persécution et du martyre du prophète Isaïe par le roi Manassé, impie et idolâtre, à l'instigation du faux prophète Bechira, animé par le diable lui-même. Le genre littéraire est donc ici celui des récits des ·livres « historiques » de la Bible. En effet, en 2,6 («Et le reste des faits, voici qu'il est écrit dans les livres des rois de Juda et d'Israël») le texte luimême adopte le modèle des « paralipomènes », c'est-àdire des événements « laissés de côté >> et narrés dans un ouvrage second qui veut compléter le précédent; dans la Bible, c'est ce que font les livres des Chroniques (dont le titre grec est Paralipomènes) par rapport aux livres des Rois. La deuxième partie de !'Ascension (ch. 6-rr), rattachée à la première comme une sorte d'appendice, s'inscrit dans le genre de la prophétie biblique : elle raconte une vision du prophète Isaïe, au cours de

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laquelle il a eu accès au septième ciel, la demeure de Dieu. Dans ce cas aussi, le texte se définit lui-même par rapport aux écrits canoniques. D'après 6,rn-r3 et 7,2, en effet, Isaïe était en train de parler dans le SaintEsprit (donc de prononcer l'une de ses prophéties canoniques) lorsqu'il est tombé en extase et a commencé à recevoir des révélations, transmises par un ange plus glorieux que ceux qu'il avait vus jusque-là, c'est-à-dire les anges porteurs des révélations « canoniques ». La deuxième partie de l' Ascension d 'Isaïe se présente donc comme une prophétie plus élevée que celles du livre biblique d'Isaïe, parce qu'elle dérive d'une révélation obtenue au septième ciel. De ce point de vue, l' Ascension d 'Isaïe est donc bien un « pseudépigraphe de l'Ancien Testament», puisque ses deux parties reprennent des formes littéraires vétérotestamentaires. Et pourtant, elle est avant tout un écrit chrétien. En effet, la révélation octroyée au prophète dans la deuxième partie concerne la préexistence du Christ et sa descente future dans le monde pour le libérer de la domination des puissances, qui se sont rebellées contre Dieu. De même, la première partie affirme qu'Isaïe a été persécuté et tué parce que le diable voulait se venger de cette même révélation, qui a fait connaître à l'avance sa propre imposture et sa destruction finale par le Christ. Cette première partie contient aussi une vision d'Isaïe qui prétend se rattacher à celle de la deuxième partie, mais qui, au lieu de reprendre le motif de la montée du prophète au ciel, porte sur l'histoire des derniers temps : corruption de l'Église, activité du diable qui se manifestera comme

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antéchrist, retour du Seigneur et récompense des justes. De plus, les deux parties se réfèrent à la naissance et à la résurrection de Jésus en utilisant des traditions propres à certains écrits chrétiens, canoniques et apocryphes. Faut-il alors faire de notre texte un « apocryphe du Nouveau Testament»? Mais il ne correspond à aucun genre littéraire du Nouveau Testament, même pas à une apocalypse, bien qu'il contienne des parties apocalyptiques. Par ailleurs, en dehors des passages sur Jésus, les personnages appartiennent tous à l'Ancien Testament. En bref, nous avons affaire à un large cadre vétérotestamentair e qui accueille des éléments chrétiens. L'insuffisance des catégories traditionnelles ressort clairement du fait que l' Ascension continue à être traduite aussi bien dans des recueils de pseudépigraphes de l'Ancien Testament que dans des recueils d'apocryphes du Nouveau Testament. On a donc tout intérêt à parler d'un apocryphe chrétien, et à s'interroger à son propos sur les raisons qui ont poussé son auteur ou ses auteurs - à lui donner cette forme. Tel est le chemin qui peut nous mener à une meilleure compréhension de ce livre énigmatique. Mais l'histoire racontée dans notre texte n'est pas née de rien. Elle se fonde sur une tradition, qui est supposée connue des lecteurs. Cette tradition était déjà porteuse d'un sens, dont !'Ascension d'Isaïe s'est servie comme cadre de référence pour communiquer son message. C'est pourquoi, avant d'examiner notre texte, il convient de jeter un regard sur la tradition dont il s'inspire.

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Les traditions juives sur la mort des prophètes

Pendant et après l'exil à Babylone (de 586 à 53 8), le peuple d'Israël - ou plus précisément l'élite sociale et intellectuelle qui avait subi la déportation - s'est efforcé de réfléchir théofogiquement au sens de cette expérience traumatisante. Pourquoi Dieu a-t-il permis que son peuple élu soit si durement éprouvé par des peuples attachés à des faux dieux? Une réponse qui a laissé son empreinte sur la rédaction postexilique du Pentateuque fut celle-ci : l'exil est le châtiment de l'infidélité d'Israël, de son éloignement de Dieu. L'une de ses formulations classiques se trouve dans Ne 9,26 : « Mais ils se sont rebellés et se sont révoltés contre toi; ils ont rejeté ta Loi loin derrière eux, ils ont tué tes prophètes qui les adjuraient de revenir à toi et ils ont été coupables de grandes offenses». Le meurtre des prophètes, envoyés par Dieu pour ramener Israël sur le droit chemin, fait partie intégrante de cette conception. Les premiers chrétiens se sont situés dans cette ligne, lorsqu'ils ont cherché une explication théologique au refus opposé par les juifs à leur prédication et à celle de Jésus. Ils ont placé dans la bouche de ce dernier des invectives, probablement inspirées d'énoncés provenant de mouvements juifs de réveil et attribués à la Sagesse de Dieu personnifiée : « Malheureux, scribes et pharisiens hypocrites, vous qui bâtissez les. sépulcres des prophètes et décorez les tombeaux des justes, et vous dites : "Si nous avions vécu du temps de nos pères, nous n'aurions

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pas été leurs complices pour verser le sang des prophètes". Ainsi vous témoignez contre vous-mêmes : vous êtes les fils de ceux qui ont assassiné les prophètes! (... ) C'est pourquoi, voici que moi, j'envoie vers vous des prophètes, des sages et des scribes. Vous en tuerez et mettrez en croix, vous en flagellerez dans vos synagogues et vous les pourchasserez de ville en ville, pour que retombe sur vous tout le sang des justes répandu sur la terre, depuis le sang d'Abel le juste jusqu'au sang de Zacharie, fils de Barachie, que vous avez assassiné entre le sanctuaire et l'autel. (... ) Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, que de fois j'ai voulu rassembler tes enfants comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous n'avez pas voulu! Eh bien! elle va vous être laissée déserte, votre maison» (Mt 23,29-3r.34-35.37-38). Dans cette perspective, la destruction de Jérusalem par les Romains en 70 de notre ère a été interprétée comme le châtiment provoqué par le rejet de Jésus et de ses envoyés. L'aspect qui nous intéresse particulièrement ici, c'est la mise à mort des prophètes 1. L'énoncé du destin tragique des prophètes reste général : c'est une affirmation théologique au service d'une prédication de conversion, et non le résultat d'une abstraction à partir de cas concrets. En effet, le seul récit relatif au 1

Le sujet a été étudié de façon approfondie par O. H. STEcK, Israel und das gewaltsame Geschick der Propheten (Wissenschaftliche Monographien zum Alten und Neuen Testament, 23), Neukirchen-Vluyn 1967.

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meurtre d'un prophète qui se rencontre dans la Bible est celui que mentionne Jésus: le n1eurtre de Zacharie fils de Y ehoyada, qui est d'ailleurs plutôt présenté comme un prêtre que comme un prophète, même s'il est dit que l'esprit de Dieu s'est emparé de lui 2 .

Des élaborations midrachiques Cette affirmation générale a fini par influencer les récits relatifs à la vie des prophètes. La Bible contient en effet des histoires de prophètes persécutés par des rois idolâtres. Ces histoires s'inscrivent dans le cadre d'une interprétation théologique de l'histoire d'Israël, selon laquelle le schisme de Jéroboam et la fondation du royaume du Nord, ayant Samarie comme capitale, sont la manifestation d'une rébellion contre l'alliance de Dieu avec David et sa descendance (i R 12-13; 2 Ch ro). Pour la tradition qui a donné son empreinte à la Bible juive, c'est surtout le royaume du Nord qui est connoté négativement, même si le schisme est attribué en partie à la mauvaise conduite de Roboam, roi de Juda. Ce royaume, avec ses deux sanctuaires schismatiques à Béthel et à Dan, représente l'idolâtrie; ses prophètes de cour sont de faux prophètes, et ses rois s'attaquent aux vrais prophètes suscités par Dieu. C'est notamment le cas d'Élie, qui s'en prend au roi Achab, Ce fait est raconté en 2 Ch 24,20-22, à la suite d'une formulation de l'énoncé général sur les prophètes envoyés par Dieu et repoussés par Israël.

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influencé par sa femme Jézabel, une Phénicienne qui introduit à Samarie le culte de Baal. Élie doit lutter contre les prophètes de Baal. Le cycle narratif qui le concerne, commencé en 1 R 17, s'achève en 2 R 2 par son ascension au ciel, qui, d'après une tradition postérieure, était destinée à éviter son meurtre par les Israélites qu'il critiquait (1 Hénoch 89,52). C'est aussi au cycle d'Achab qu'appartient l'épisode de Michée fils d'Ymla (1 R 22; 2 Ch 18). Achab discute avec son collègue Josaphat, roi de Juda, de l'opportunité d'une campagne contre le roi d'Aram (la Syrie), pour reprendre Ramoth de Galaad. Consultés, les quatre cents prophètes de la cour prédisent une issue favorable. Comme Josaphat insiste pour qu'on consulte encore un autre prophète, Achab fait venir Michée, qu'il déteste car il ne lui prédit que du mal. Après une première prophétie favorable, mais dont le caractère sarcastique est évident, Michée, pressé par le roi, déclare avoir eu une vision de la cour céleste : c'est Dieu lui-même qui a envoyé un esprit (ou : l'esprit) pour qu'il devienne un esprit de mensonge dans la bouche des quatre cents prophètes, et qu'il séduise Achab et le pousse vers son destin de défaite et de mort. Michée est alors giflé par Sédécias, le porteparole des prophètes de la cour, et jeté en prison par Achab, qui trouvera effectivement la mort à Ramoth de Galaad. Ce récit, à l'origine destiné probablement à aborder le problème épineux des critères permettant l' évaluation des prophéties contradictoires, a donné lieu à des relectures intéressantes. Dans ses Antiquités juives,

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achevées vers 93-94 de notre ère, l'historien juif Flavius Josèphe raconte l'histoire de son peuple, en suivant la Bible mais en intégrant les traditions midrachiques3 qui guidaient à son époque la lecture du texte sacré. Dans sa relecture de l'épisode de Michée d'Ymla4, ce dernier est appelé parce que le roi de Juda, Josaphat, se rend compte que les quatre cents prophètes d' Achab sont de faux prophètes et demande quelqu'un qui puisse les instruire «plus exactement 1>. Michée, quant à lui, se trouve déjà en prison, parce qu'il a prédit au roi non seulement des malheurs, mais sa mort. Josèphe a repris ici une tradition midrachique identifiant Michée avec le prophète anonyme qui prophétise à Achab sa mort en 1 R 20,35-43 5 . Michée est donc, dès le début, un prophète persécuté. L'absence, dans le récit de Josèphe, de la scène du conseil divin, n'est pas due au hasard. Dans le texte biblique, en effet, Dieu envoie un esprit de mensonge pour tromper Achab; chez Josèphe, les faux prophètes n'ont plus rien à voir avec Dieu et son esprit, et leurs paroles ne sont inspirées que « par l'espérance de la vie3

Midrach, substantif du verbe darach, «chercher, interroger», désigne la recherche, l'étude, et, plus techniquement, l'interprétation, !'exégèse de !'Écriture. C'est, dans la tradition rabbinique, l'interprétation du texte sacré, ou l'acte de raconter à nouveau un récit biblique, en ajoutant des détails, en créant des liens entre des événements, des lieux et des personnages divers, et en l'actualisant. 4 Antiquités 8, 40 r-4ro. 5 Antiquités 8,391; Talmud de Babylone, Sanhédrin 89 ab; Seder 'Olam Rabba 20.

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toire » (paragraphe ro6). Quant à Sédécias, qui dans la Bible nie que Michée ait dit la vérité, il apporte chez Josèphe deux preuves à l'appui de son attitude. D'abord, il relève une contradiction avec la prophétie d'Élie d'après laquelle les chiens devaient lécher le sang d'Achab dans la ville d'Izara (1 R 21,19). Michée, qui a prédit la mort d' Achab à Ramoth de Galaad, est donc un faux prophète, puisqu'il contredit un prophète plus grand que lui (paragraphe 408). Ensuite, lorsqu'il gifle Michée (comme en 1 R 22,24), Sédécias ajoute un défi: «Qu'à l'instant même, si je le frappe, il me paralyse la main, ainsi que Jadôn dessécha la droite du roi Jéroboam qui voulait le saisir »6 . Jadôn est le nom que reçoit chez Flavius Josèphe l' « homme de Dieu » qui, en 1 R l 3, vient reprocher à Jéroboam son culte schismatique à BétheF. Lorsque l'autel de Béthel, où Jéroboam était en train de sacrifier, se fend à cause de la parole de l'homme de Dieu, le roi étend la main contre lui pour le saisir, mais sa main se dessèche jusqu'à ce que son opposant ait apaisé le Seigneur (1 R l 3, l-6). Après cela, un vieux prophète réussit par un mensonge à retenir l'homme de Oieu sur le chemin de retour, ce qui provoque la mort de ce dernier, car, en s'arrêtant, il a désobéi à un ordre de Dieu. Dans la Bible, le vieux est en effet un prophète, et il se repent par la suite. Mais chez Josèphe il devient un faux prophète (de même que l'homme de 6

Antiquités 8, 408. Grâce à l'identification avec un prophète nommé en 9,29.

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Dieu devient un prophète envoyé par Dieu) ; non seulement il ne se repent pas, rnais il encourage Jéroboam dans son apostasie et son idolâtrie, en minimisant l'accident de la main desséchée 8 . La tradition midrachique a donc introduit dans l'histoire du schisme de Jéroboam des éléments narratifs impliquant une réflexion sur l'opposition entre vraie et fausse prophétie. La vraie prophétie est liée au royaume de Juda (d'où vient l'homme de Dieu) ; elle s'oppose au mauvais roi et subit un destin tragique dont la responsabilité revient (en tout ou en partie) à de faux prophètes. La fausse prophétie est liée au royaume d'Israël; elle encourage le mauvais roi, s'attaque aux vrais prophètes et l'emporte sur eux. Ces traits relient, chez Josèphe, l'histoire de Jéroboam et celle d'Achab, comme le montrent les paroles de Sédécias évoquant l'épisode antérieur. D'autres documents prouvent qu'il ne s'agit pas là de la seule élaboration personnelle de Josèphe. Citons l'exemple du Targum des Chroniques, une paraphrase araméenne du texte sacré faite pour servir à la liturgie et incorporant des traditions exégétiques palestiniennes ; sa rédaction finale remonte au VIII" siècle de notre ère, mais le texte de base doit être du me au plus tard. Dans le chapitre qui nous concerne 9 , les quatre cents sont constamment appelés des prophètes de mensonge et ils prophétisent toujours « menson8

Antiquités 8, 231-245. Édition et traduction par R. LE DÉAUT-J. ROBERT, Targum des Chroniques (Cod. Vat. Urb. ebr. 1) (Analecta Biblica, 9

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gèrement », alors que Michée est «un prophète qui est juste devant Yahweh» (targum de 2 Ch r8,6). Non seulement Josaphat, roi de Juda, se rend compte que les prophètes royaux sont de faux prophètes, mais il n'a rien à voir avec eux et avec leur maître, le roi d'Israël. Les deux rois occupent chacun la moitié de l'aire, «l'un consultant les prophètes de mensonge, l'autre cherchant l'enseignement de devant Yahweh et priant » (cf. 2 Ch 18,28: développement absent du texte biblique). Dans les Talmud de Jérusalem et de Babylone, le même épisode fournit un modèle de fausse prophétie, représentée par les quatre cents prophètes et par Sédécias 10 . On peut ainsi suivre une longue tradition de relecture de l'épisode de Michée d'Ymla; il devient une structure paradigmatique qui peut être appliquée à toute réflexion sur le conflit entre la vraie et la fausse prophétie. Le témoignage de Flavius Josèphe montre que cette relecture était déjà développée avant l'an roo de notre ère. Si nous nous sommes arrêtés assez longuement à cette tradition midrachique, c'est que, comme nous le verrons, elle est d'une importance décisive pour la compréhension de l'ouvrage traduit dans le présent volume. Pour situer ce dernier, quelques remarques sur la tradition concernant le meurtre des prophètes sont encore nécessaires. 51-52), 2 vol., Rome 1971; voir la traduction du ch. 18 dans le volume I, p. 136-139. 10 Talmud de Jérusalem, Sanhédrin 30 b; Talmud de Babylone, Sanhédrin 89 a.

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INTRODUCTION

Les Vies des prophètes

L'histoire de Michée d'Ymla avait l'avantage d'être dans la Bible, mais son protagoniste n'était pas l'un des grands prophètes écrivains, même s'il est parfois identifié, dans la tradition juive et chrétienne, à son homonyme qui figure parmi les «petits prophètes», Michée de Moreset. Des légendes se développèrent sur la mort de tel prophète écrivain, qui trouvèrent leur systématisation dans le recueil des Vies des prophètes, ou, d'après un titre qui se trouve dans les manuscrits, « Les noms des prophètes, d'où ils étaient, où ils moururent et comment, et où ils gisent». De ce recueil, il existe plusieurs recensions, toutes transmises en milieu chrétien et contenant des éléments chrétiens; mais il y a de bonnes raisons de penser que le recueil était à l'origine une composition juive, plusieurs fois remaniée par la suite 11 . En plus des quatre « grands » prophètes et des douze «petits», on trouve dans ce recueil des notices sur Natan (2 S 7; 12), Ahiyya de Silo (1 R 11,29-39), Joad (1 R 13 : le Jadôn de Flavius Josèphe), Azaryahou (2 Ch 15,1-15; confondu avec le Oded de 2 Ch 28,9), Élie, Élisée, Zacharie fils de Yehoyada. Ces notices mélangent des données bibliques et des données de la tradition. Voici, à titre d'exemple, la courte notice sur 11

Voir la traduction, avec une introduction et d'excellentes notes, de D. R. A. HARE, «The Lives of the Prophets », dans ]. H. CHARLESWORTH, ed., The Old Testame11t Pseudepigrapha, 2 vol., London 1983-1985, II, p. 379-399.

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Michée, que nous traduisons à partir de la recension dite anonyme 12 : «Michée de Morathi était de la tribu d'Éphraïm. Ayant beaucoup agi contre Achab, il fut tué par son fils Joram dans un précipice, car il lui faisait des reproches au sujet des iniquités de ses pères. Et il fut enseveli dans sa terre tout seul, près du cimetière des Aniakim. » Une brève analyse de cet exemple va nous permettre d'illustrer plusieurs traits caractéristiques de ce genre littéraire. D'abord, la confusion entre Michée de Moreset, le prophète écrivain (actif vers 750-700 avant notre ère), et Michée d'Ymla, qui entra en conflit avec Achab (vers 8 50 av. notre ère). Ce télescopage des deux personnages est fréquent dans le midrach. Il se rencontre d'ailleurs déjà dans la Bible hébraïque, en 1 R 22,28 et 2 Ch 18,27, où l'épisode de Michée d'Ymla s'achève par la phrase «et il dit: Écoutez, tous les peuples!», c'est-à-dire par le début du livre de Michée (Mi r,2). Qu'il ait «beaucoup agi contre Achab» s'explique certes par 1 R 22,8, mais surtout par les prophéties précises que la tradition lui attribuait et dont nous avons retrouvé la trace chez Josèphe. La tradition midrachique sur l'iniquité de la lignée des rois d'Israël et sur le conflit qui les a opposés aux vrais prophètes 12 Édition: TH. ScHERMANN, Prophetanm1 vitae fabulosae; indices apostolorum discipulorumque Domini Dorothea, Epiphanio, Hippolyto aliisque vindicata (Bibliotheca scriptorum graecorum et romanorum Teubneriana), Lipsiae '907, p. Sr.

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INTRODUCTION

aide à comprendre le motif du reproche au sujet des iniquités des pères. La mort des deux Michée n'est mentionnée ni dans la Bible, ni dans les autres sources juives. Mais l'Ascension d'Isaïe (2,16) fait allusion au meurtre de Michée par un fils d'Achab, Achazias et non pas Joram, son frère et successeur. Sans support non plus dans la Bible, la notice sur son tombeau est peut-être liée à une tradition locale des alentours d'Eleuthéropolis 13 . En bref, la notice des Vies des prophètes s'intéresse moins à ce que la Bible rapporte sur l'un ou l'autre des deux Michée qu'à des données traditionnelles, concernant en particulier leur mort et leur sépulture. C'est pourquoi on a proposé de situer la composition de ce recueil en Palestine, au début du premier siècle de notre ère, dans le contexte d'un mouvement préconisant la construction de monuments aux prophètes et à d'autres personnages éminents de l'histoire nationale. L'invective de Jésus «vous qui bâtissez les sépulcres des prophètes et décorez les tombeaux des justes» (Mt 23 ,29) paraît faire allusion à cette tendance. La notice des Vies des prophètes sur Isaïe mentionne elle aussi un monument funéraire du prophète. L' Épître aux Hébreux, écrite probablement autour de l'an 80, passe en revue les souffrances des justes de l'antiquité et affirme entre autres : « Ils furent lapidés, ils furent sciés>> (u,37). Comme il s'agit là du destin

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Voir les notes e et Prophets »,p. 391.

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de HARE, «The Lives of the

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assigné par les Vies des prophètes à Jérémie et à Isaïe, et corrnne nous ne connaissons aucun autre personnage de l'histoire biblique qui aurait été scié, il est probable que l'auteur de la lettre a connu des traditions qui associaient la mort de plusieurs prophètes. Traduisons maintenant l'essentiel de la notice des Vies des prophètes sur Isaïe 14 • «Isaïe le prophète, fils d'Amos, était de Jérusalem, de la tribu de Juda: il mourut sous Manassé roi de Juda, scié en deux, et il fut enseveli au-dessous du chêne de Rogel, près du passage de l'aqueduc que le roi Ézéchias détruisit en le comblant. Or Dieu accomplit le signe de Siloam à cause du prophète, car (celui-ci) avant de mourir, méprisant (les souffrances?), demanda de l'eau à boire, et elle lui fut immédiatement envoyée par Dieu. C'est pourquoi on l'appela Siloam, qui signifie "envoyé" 15 • Et au temps du roi Ézéchias, avant qu'il construise les citernes et les bassins, un peu d'eau avait jailli par la prière du prophète Isaïe, car le peuple était assiégé par les étrangers, et afin que le manque d'eau ne provoque pas la ruine de la ville. En effet, les ennemis se demandaient où buvaient (les habitants de Jérusalem), car ils ne le savaient pas. Ayant mis le siège devant la ville, ils campaient près de Siloam. 14

D'après la reconstruction de la forme primitive, proposée par TH. SCHERMANN, Propheten- und Apostellegenden nebst }iingerkatalogen des Dorotheus und verwandter Texte (Texte und Untersuchungen, 3 r, 3), Leipzig r907, p. 74-76. 15 Allusion possible àjn 9,7, qui donne la même explication.

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Lorsque les Juifs venaient puiser, l'eau jaillissait et ils s'approvisionnaient; mais les étrangers n'en trouvaient pas, car l'eau disparaissait. C'est pourquoi, aujourd'hui encore, elle jaillit soudainement, afin que soit manifesté le mystère. Et comme ceci se vérifia par Isaïe, en souvenir de cela le peuple l' ensevelit soigneusement et glorieusement près de ce lieu, afin que par ses prières ils puissent continuer à jamais à jouir de l'eau. Car un oracle leur fut donné à son sujet. Or le tombeau du prophète Isaïe se trouve près du tombeau des rois, derrière le tombeau des prêtres, du côté sud. Car Salomon, édifiant Jérusalem, fit les tombeaux des rois d'après le dessin de David. Il est à l'orient de Sion, du côté où on entre venant de Gabaon, à vingt stades de la ville. Et il fit l'entrée sinueuse, compliquée et insoupçonnée, et elle est restée inconnue de la plupart jusqu'à présent. 16 )) L'intérêt porté au tombeau d'Isaïe paraît avoir catalysé ici des éléments traditionnels. Un court énoncé, affirmant qu'Isaïe mourut sous Manassé, scié en deux, est d'abord mis en rapport avec le chêne de Rogel (inconnu : on connaît une fontaine de Rogel, d'ailleurs éloignée de Siloam d'environ 400 mètres), puis avec la source de Siloam 17 . Au sujet de cette dernière, le texte 16

Pour les problèmes archéologiques que pose le texte, voir les notes de D. R. A. HARE, «The Lives of the Prophets », p. 3 8 5-3 86, et J. JEREMIAS, Heiligengriiber in Je su Umwelt, Güttingen 1958, p. 61-67. 17 Siloam ou Siloé était plutôt, à !'origine, le débouché de l'aqueduc bâti par Ézéchias, qui servait à dévier l'eau de la

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rapporte deux légendes étiologiques, évidemment incompatibles, qui la mettent en rapport avec Isaïe; la deuxième est destinée à en expliquer le caractère intermittent, dû en réalité à un siphon souterrain. Tous les autres énoncés sur le martyre d'Isaïe sont plus récents que les Vies des prophètes. Les récits juifs mettent parfois la mort d'Isaïe en relation avec un arbre, mais il s'agit alors d'un cèdre ou d'un caroubier, et il ne s'agit pas de sa sépulture. Prenons comme exemple le Talmud de Palestine (rédigé au ve siècle, à partir de traditions), traité Sanhédrin ro,2 (fol. 28 c) : « Lorsque Manassé se leva, il courut derrière Isaïe pour le tuer; mais celui-ci s' enfüit de devant lui, s'enfuit vers un cèdre, et le cèdre l'avala, sauf les franges de son manteau. Ils allèrent et (le) dirent devant lui (Manassé). Il leur dit: "Allez et sciez le cèdre". Ils scièrent le cèdre, et l'on vit le sang couler. » Des récits semblables, mais où l'arbre est un caroubier, se trouvent dans un targum à Is 66, r 18 , et dans le midrach Pesikta Rabbati (rédaction au vue siècle au plus tôt) 4,3. Le Talmud de Babylone (rédaction: VIe siècle), traité Yebamot 49 b, contient par contre une histoire différente, qui fait précéder le meurtre par une sorte de procès où Manassé accuse Isaïe d'avoir contredit trois source de Gihon. FLAVIUS JOSÈPHE, Guerre des Ju!fs 5, 140, considère lui aussi Siloam comme une source. IH Le texte en question a été édité par P. GRELOT, «Deux tosephtas targoumiques inédites sur Isaïe LXVI», Revue Biblique 79 (1972), p. sr r-543.

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INTRODUCTION

textes de Moïse: Ex 33,20 19 ; Dt 4,7; Ex 23,26. Dans ce texte aussi, Isaïe se cache dans un cèdre, qui est apporté devant Manassé et scié. Les récits juifs utilisent donc un noyau traditionnel parlant d'Isaïe scié dans un arbre, qu'ils mettent en relation avec des contextes et des passages différents de !'Écriture.

D'où vient la tradition selon laquelle Isaïe a été scié? Ces renseignements peuvent-ils nous expliquer pourquoi on en est venu à croire qu'Isaïe avait été scié en deux? L'hypothèse la plus vraisemblable nous paraît être celle de R. Bernheimer20 : on aurait assigné à Isaïe un rôle bien connu du folklore palestinien, celui du génie protecteur de la source. C'est ainsi la première légende sur l'origine de Siloam qui nous indiquerait la bonne direction. L'explication de l'origine de la source est en rapport avec la mort du prophète, et non avec ses prières pendant le siège de Jérusalem, puisque celles-ci n'auraient pu être prononcées qu'à l'intérieur des murs, alors que le tombeau et le chêne se

La contradiction entre Ex 3 3 ,20 (personne ne peut voir Dieu et rester vivant) et Is 6,I 0'ai vu le Seigneur) est mentionnée comme l'une des causes de la mort d'Isaïe en Ascension 3 ,8-9, ainsi que chez des auteurs ecclésiastiques, voir ci-dessous, p. 81-82, note Sr. 20 «The martyrdom of Isaiah »,Art Bulletin 34 (1952), p. 1919

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trouvaient à l'extérieur. L'association entre Isaïe et Siloam vient probablement du fait que le prophète mentionne la source dans un passage de son livre où il s'oppose aux travaux de canalisation effectués par Ézéchias (Is 8,6-8; 22,9-II) 21 . Quant au genre de mort, on aurait appliqué à Isaïe un motif gardant le souvenir de sacrifices humains. À une époque archaïque, des personnes vivantes auraient été sciées comme on scie des arbres, afin que, par analogie magique, leur force vitale passe dans la végétation proche de la source et protège cette dernière 22 . La tendance des Vies des prophètes a été de voiler ce lien entre la source et le martyre, en lui substituant un autre lien, évidemment secondaire (la soif d'Isaïe). Nous ne croyons pourtant pas - contrairement à Bernheimer - que l'arbre des récits juifs sur le martyre du prophète soit une reprise du motif originaire de l'arbre lié à la source. Ces récits juifs, en effet, mentionnent 21

La Légende grecque d'Isaïe (1,14: voir la traduction en ce volume, Appendice, p. l 5 5) reproduit une tradition ( ?) , inconnue par ailleurs, qui fait remonter à Isaïe les origines de Siloam, sans aucun rapport avec le martyre. Dans la notice des Vies des prophètes sur Isaïe nous avons rencontré deux traditions sur les origines de Siloam, rattachées respectivement au martyre du prophète et à la prière de ce dernier pendant le siège. Cette deuxième notice et Légende l ,14 suggèrent donc l'existence d'un autre type de tradition, qui rattachait Isaïe à Siloam indépendamment de sa mort. 22 Il est aussi possible, d'ailleurs, que l'action sacrificielle évoquée par cette réminiscence archaïque ait été purement mythique.

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INTRODUCTION

d'autres arbres que le chêne; en outre, les attestations chrétiennes du martyre, antérieures aux attestations juives, ne mentionnent jamais des arbres. Il est donc difficile de supposer que le motif de l'arbre s'est simplement conservé depuis la légende ongmaue jusqu'aux élaborations talmudiques. À nos yeux, le développement peut être reconstitué de la manière suivante. La première partie de la notice des Vies des prophètes met en forme un ensemble de traditions, où se conserve encore l'ancien lien entre Isaïe, l'arbre et la source. De ce récit, une personne s'intéressant aux circonstances de la mort du prophète a facilement pu extraire l'affirmation « il mourut sous Manassé (ou: par la main de Manassé), scié en deux», et la faire circuler de façon indépendante. Cette affirmation peut être à la base de la tradition ultérieure, juive et chrétienne : le motif de la scie a dû provoquer la réintroduction secondaire de l'arbre dans une partie de la tradition juive. Pour expliquer la mort par la scie on aura cherché à imaginer dans quelles circonstances Isaïe avait pu être scié, d'où le motif du prophète se cachant dans le creux d'un arbre. En outre, ce même énoncé qui ouvre la notice des Vies des prophètes résulte peut-être lui aussi de la combinaison de deux données indépendantes. D'une part, il existait probablement une tradition selon laquelle Isaïe avait été tué par Manassé; quelques témoignages talmudiques conservent un tel énoncé 23 . D'autre part, nous 23 Talmud de Babylone, Sanhédrin ro3 b; Yebamot 49 b. M. PESCE, Il « Martirio di Isaia » non esiste. L'Ascensione di

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avons suggéré l'existence d'une tradition associant Isaïe et Siloam indépendamment de sa mort 24 • La fusion entre cette tradition et celle relative au meurtre du prophète par Manassé a pu favoriser l'incorporation dans le récit de cette mort d'un élément provenant de souvenirs plus ou moins mythiques liés à Siloam: la scie serait ainsi devenue l'instrument du martyre.

Premiers témoignages chrétiens sur le martyre d'Isaïe, indépendants de l' Ascension Quoi qu'il en soit, toute la tradition sur le martyre d'Isaïe - dans la mesure où elle ne dépend pas de l' Ascension - semble reposer sur un énoncé très simple, comme celui que nous avons extrait des Vies des prophètes. Nous ne nous étenderons pas sur l'histoire de cette tradition, qui a été bien étudiée par A. Acerbi 25 . Nous rappellerons seulement que chaque écrivain l'a utilisée dans le sens de son argumentation. Isaia e le tradizioni giudaiche sul/'1tccisione del projeta, Bologna 1984, avait proposé de ramener toute la tradition juive à deux énoncés parallèles, l'un avec le verbe «tuer» et l'autre avec le verbe «scier». 24 Ci-dessus, note 21. 25 Serra lignea. Studi sulla Jortuna della Ascensione di Isaia, Roma 1984. Cf. aussi D. LûHRMANN, « Alttcstamentliche Pseudepigraphen bei Didymos von Alcxandrien », Zeitschr!ft fiir die alttestamentliche Wissenschaft ro4 (1992), p. 23 1-249; et E. N ORELLI, Studi in mm;gine ail'Ascensione di Isaia ( Origini), Genova 1993, p. 11-23.

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L'auteur de l'Épître aux Hébreux y a vu un témoignage des souffrances endurées par les anciens justes, dont la foi était déjà orientée vers le Christ. La deuxième attestation chrétienne du martyre - à part l' Ascension qui nous soit parvenue est celle de Justin Martyr (vers r6o). Il a dû trouver un énoncé relatif à ce martyre dans un recueil de passages bibliques prétendument éliminés de la Bible par les Juifs, parce qu'ils y auraient reconnu des prophéties christologiques (en réalité, la plupart de ces passages, parmi lesquels le martyre d'Isaïe, n'ont jamais figuré dans la Bible). La forme citée par Justin contenait déjà un détail inconnu de la tradition juive, mais très important pour les chrétiens: la scie était une scie de bois - ce qui paraît dû à une mauvaise compréhension de la tournure sémitique «scie à bois». Le recueil utilisé par Justin devait donc interpréter la mort d'Isaïe par le bois comme une figure de celle du Christ, mort sur le bois de la croix. L'Ascension d'Isaïe présuppose elle aussi une telle interprétation (8,12). Mais Justin met le motif de la scie au service de la polémique antijuive qu'il est en train de développer: « Isaïe, que vous avez scié avec une scie de bois, ce qui était encore un symbole du Christ qui doit partager en deux votre race et déclarer quels sont ceux qui sont dignes d'être avec les saints patriarches et prophètes du royaume éternel »26 . Vers 200-202, Hippolyte, dans son traité Sur l'Antéchrist, utilise peut-être une source chrétienne sur les 26

Dialogue avec Tryphon r 20, 5, trad. G.

1909,

II, p.

219.22r.

ARCHAMBAULT,

Paris

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persécutions des prophètes par les Juifs; d'après lui, Isaïe a été scié parce qu'il avait prédit la destruction de J érusalern. Après avoir reproduit Is r, 7-8, texte traditionnellement exploité dans ce sens par les chrétiens, Hippolyte en constate l' accornplissernent, puis il poursuit: « Mais c'est par haine que les impies te scièrent : car le Christ aussi, ils le crucifièrent. Tu es rnort dans le monde, rnais tu es vivant avec le Christ. Qui parmi vous aimerai-je donc plus que toi? Mais Jérémie, lui aussi, est lapidé. Aimerai-je donc plutôt Jérémie? Mais Daniel, lui aussi, rend témoignage» (L'Antéchrist 30,2-3 r,r). Les motifs, traditionnels, de la scie cornrne figure de la croix, et de la lignée des prophètes persécutés par les J uifs 27 , sont ici liés à celui de la prophétie sur la destruction de J érusalern. L'association des martyres d'Isaïe et de Jérémie par la main des Juifs se retrouve, au III 0 siècle également, dans la partie finale 28 des Paralipomènes de Jérémie. Lors du retour de l'exil et de la restauration de J érusalern, Jérémie prophétise la venue du Christ dans le monde. Les Juifs se mettent en colère et crient: «Ces paroles sont la répétition de celles qu'a prononcées Isaïe, fils d' Arnos, qui disait: J'ai vu Dieu et le Fils de Dieu. 27

Le martyre d'Isaïe est évoqué à côté de ceux de Jérémie et d'Ézéchiel dans différentes versions de !'Apocalypse de Paul (III" siècle) : les texte en A. AcERBI, Serra lignea, p. 71-72. 28 Sans doute chrétienne, alors que l'écrit dans son ensemble paraît une compositionjuive.

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Venez donc, ne le tuons pas de la même mort qu'Isaïe, mais lapidons-le »29 . Rien n'oblige à penser que l'auteur connaissait !'Ascension d'Isaïe; en effet,Jn 12,41 présuppose déjà que la vision d' Is 6 a comme objet le Fils de Dieu, et la tradition chrétienne affirme souvent que les prophètes ont été mis à mort en tant qu' annonciateurs du Christ30 . Vers le milieu du lI!e siècle, en Égypte, Le témoignage de vérité, retrouvé dans la bibliothèque gnostique copte de Nag Hammadi, nous met en présence d'une utilisation gnostique de la tradition sur le martyre d'Isaïe. La scie devient ici la figure de la croix en tant qu'instrument de séparation cosmique. Dans le mythe gnostique, en effet, la croix sépare le monde divin, habité par la vérité et par la plénitude, de celui de l'erreur, créé et gouverné par les puissances angéliques, et dont l'homme gnostique est appelé à se libérer. Le texte, malheureusement mal conservé, est le suivant: « [ ... comme Isaïe, qui fut] scié [avec une scie], (et) il devint deux. [Mais c'est ainsi que le Fils de l'Homme] nous [sépare] par [la parole de la] croix, [qui sépare le jour de] la nuit [et la lumière des] ténèbres et [le corruptible de l]'incorruptible, qui [sépare] les mâles des femelles. Mais [Isaïe] est le type 29

9,20-21; trad.]. RIAUD, dans La Bible. Écrits intertestamentaires, éd. A. DUPONT-SOMMER et M. PHILONENKO, Paris

p. 1762. Pour d'autres témoignages, cf. AcERBI, Serra lignea, p. 79-

1987, 30

86.

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du corps. La scie, elle, est la parole du Fils de l'Hornme, qui nous sépare de l'erreur des anges. 31 » L'Ascension d'Isaïe représente ainsi l'un des développements qui ont leur point de départ dans l'énoncé sur la mort d'Isaïe, scié par Manassé. Étudier l' Ascension signifie aussi s'interroger sur les raisons et les enjeux de ce développem ent.

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Nag Hammadi, Codex IX 3: 40,21-41,4; j'ai smv1 C. G!ANOTTO, La testimonianza veritiera ( Testi del Vicino Oriente antico, 8/r), Brescia 1990, p. 105.

Il. L' Ascension d'Isaïe: tradition et contenu

Le contenu de l' œuvre

L' Ascension a sans doute été composée en grec, mais nous n'en possédons le texte intégral que dans une traduction en ge'ez, c'est-à-dire en éthiopien classique. Elle a en effet été transmise avec la version éthiopienne de l'Ancien Testament, qui a longtemps accueilli des livres exclus par les Juifs et par les autres chrétiens, tels que les livres d' Hénoch et des Jubilés. Sous sa forme actuelle, l'ouvrage se compose de deux parties. La première partie (soit les chapitres r-5 selon la numérotati on moderne) développe la tradition juive sur la mort d'Isaïe, scié en deux par Manassé. Le roi Ézéchias, le père de Manassé, convoque son fils en présence d'Isaïe pour lui remettre le récit d'une vision d'Isaïe (celle qui sera racontée dans la deuxième partie). Mais Isaïe annonce à Ézéchias que Manassé détournera Israël de la vraie foi et qu'il fera mettre à mort le prophète (ch. r). Manassé, devenu roi, poussé par son conseiller Bechira, un faux prophète samaritain, fait arrêter Isaïe et le fait scier en deux (2, r -3, r 3 ; 5, r - r 6). C'est le diable, Béliar, qui suscite l'hostilité de Manassé et de Bechira contre Isaïe. Cette réaction de colère a

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INTRODUCTION

son origine dans le fait que le prophète, par sa vision, avait dévoilé l'imposture du diable, qui a essayé de se faire adorer par les hommes (3, l 3 ; 5, l 5-16; l l ,41-43). Au bref rappel de cette vision, entre les récits de l'arrestation et du martyre d'Isaïe, l'auteur ajoute un développement : après la résurrection et l'ascension du Christ, son Église s'épanouira pendant quelque temps, mais sera ensuite corrompue par les « pasteurs et presbytres iniques » qui refuseront l'Esprit saint et les prophéties, y compris la prophétie d'Isaïe. Alors Béliar viendra comme Antéchrist, il sévira dans le monde contre les croyants et sera finalement défait par le Christ lors de sa seconde venue (3,13-4,18). La deuxième partie (chapitres 6-11, sauf ll,41-43) nous met en présence de la vision à laquelle la première partie se réfère souvent, ce qui entraîne une inversion chronologique. Nous sommes ramenés à la vingtième année du règne du roi Ézéchias. Tandis qu'Isaïe préside une liturgie prophétique dans la maison du roi à Jérusalem, il a une transe (ch. 6) et il est transporté, en vision, à travers le firmament et les sept cieux, jusqu'à la demeure de Dieu au septième ciel (7,2-9,26). Là, il assiste à la liturgie céleste, présidée par le Christ qui existe déjà au ciel, bien avant sa vie terrestre, et par le Saint-Esprit (9,27-10,6). Ensuite, il lui est donné de contempler l'économie future du salut : le Christ, obéissant à un ordre de Dieu (10,7-15), descend à travers les cieux en assumant l'aspect des anges des différents cieux, pour ne pas être reconnu (10,16-3 l). Arrivé sur la terre, il revêt l'aspect d'un homme, en « naissant » à Bethléhem, pour cacher son identité au

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diable. Mais ce dernier, le tenant pour l'un des prophètes, le fait mettre à mort par les Israëlites (11,1-21). Le Christ descend alors aux enfers, et là, dévoilant sa gloire qu'il avait cachée, il détruit l'ange de la mort et lui arrache les justes qu'il gardait 32 . Il remonte alors sur la terre, puis à travers les cieux, et il oblige les puissances du firmament qui s'étaient proclamées maîtres du monde contre Dieu - à lui rendre hommage. Il rétablit ainsi l'ordre de l'univers et peut s'asseoir à la droite de Dieu (11,22-33). Isaïe, renvoyé sur la terre par le Saint-Esprit, raconte sa vision au cercle restreint constitué par le roi et les prophètes, avec l'ordre de la garder secrète jusqu'à la venue du Christ (11,34-40).

Manuscrits et éditions Le premier manuscrit qui fit connaître l' Ascension d'Isaïe à l'Occident moderne fut acheté chez un marchand des environs de Londres par le savant anglais Richard Laurence, qui le publia en 1819 33 . Après l' editio princeps de Laurence, deux autres éditions ont fait époque et sont restées fondamentales jusqu'à

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Cette libération des justes de l'enfer avait été déjà annoncée en 9,16-17. 33 Pour les références aux éditions, voir la Notice bibliographique; pour la connaissance de l' Ascension avant l'édition de Laurence, voir ci-dessous, p. 79-86.

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présent : celle d' August Dillmann, parue à Leipzig en I 877, et celle de Robert Henry Charles, publiée à Londres en 1900. Dillmann et Charles ont utilisé les témoins suivants : trois manuscrits éthiopiens; deux fragments latins publiés en I 828 par le cardinal Angelo Mai d'après un palimpseste 34 de la Bibliothèque Vaticane, le Vat. lat. 5750, où ils figurent dans une anthologie de textes ariens 35 ; une version latine des ch. 6-1 l, dont on ne possède plus aucun manuscrit, mais seulement l'édition publiée à Venise en 1522 par les soins du savant Antoine de Fantis, et demeurée dans l'oubli jusqu'au moment où elle fut rééditée en 1832, à la suite des découvertes de Laurence et de Mai. Charles a également pu tenir compte d'une version vieux-slave de la deuxième partie, dont il a donné une traduction latine réalisée par G. N. Bonwetsch. La version latine éditée par de Fantis et la version vieux-slave témoignent d'une circulation indépendante de la deuxième partie (ch. 6- II), sous une forme retravaillée. Nous savons qu'elle a été lue par les Cathares au moyen-âge 36 . Enfin, Charles a utilisé la Légende grecque, un résumé 34

C'est-à-dire un manuscrit où un texte plus ancien a été effacé afin de réutiliser le parchemin et y copier un nouveau texte. Des procédés spéciaux permettent de lire l'écriture «inférieure». 35 Né à Alexandrie au rvc siècle, l'arianisme (ainsi appelé d'après son initiateur, le prêtre Arius) affirmait l'infériorité du Fils par rapport au Père. 36 Voir ci-dessous, p. 79-80.

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grec de l' Ascension contenu dans un recueil liturgique byzantin et édité en l 878 par Oscar von Gebhardt. Des fragments de deux versions coptes n'ont été retrouvés qu'après l'édition de Charles ; ils ont été édités entre 193 8 et 1946, et ils seront publiés, avec le reste de l' Ascension d 'Isaïe, dans l'édition de la Seri es Apocryphorum. Relevons encore que l'ouvrage d'Eugène Tisserant, publié à Paris en 1909, qui reste aujourd'hui le plus souvent cité, ne contient pas les textes en langue originale (sauf les textes latins), mais une traduction avec introduction et notes. Une nouvelle édition critique de tous les textes connus, avec traduction et commentaire, est actuellement sous presse dans la Series Apocryphorum du Corpus Christianorum : la base manuscrite des éditions du ge'ez et du vieux-slave y est sensiblement augmentée. Dans le présent volume, nous traduisons la version ge'ez, en signalant en note les quelques cas où nous avons préféré une autre version. Des variantes significatives contenues dans les versions parallèles sont également signalées dans les notes. L'édition utilisée pour la traduction est celle de la Series Apocryphorum.

Le problème de la composition Comment notre texte a-t-il été composé? L'analyse littéraire qui a dominé jusqu'à présent remonte à Charles, dans l'introduction à son édition. Il voit dans l' Ascension le résultat de la fusion de trois ouvrages

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originairement autonomes: r. une Vision d'Isaïe, chrétienne, constituée par les ch. 6-1 l ; 2. un écrit juif sur le martyre d'Isaïe, repris dans la première partie; 3. à l'intérieur de ce «Martyre», Charles distingue un troisième écrit préexistant, la vision ecclésiologique et eschatologique de 3,13-4,18 (ou 4,22), qui aurait été à l'origine une Vision d 'Ézéchias. Un rédacteur chrétien aurait réuni les trois écrits. Charles lui-même, et ceux qui l'ont suivi jusqu'à aujourd'hui, c'est-à-dire la quasi-totalité des savants, ne se sont pas intéressés aux intentions qui ont guidé ce rédacteur final. Au siècle dernier déjà, on a proposé de reconnaître dans la source constituée par 3, l 3-4, l 8 une exhortation à affronter le martyre, adressée aux chrétiens persécutés par les autorités romaines. À part cette hypothèse, la seule tentative faite, jusqu'à une époque très récente, pour situer historiquement notre texte ou l'une de ses parties a été la proposition - née à la suite des découvertes des manuscrits de la mer Morte à la fin des années 40 - d'attribuer à la communauté de Qoumran la composition du «Martyre juif d'Isaïe » qui aurait été intégré dans la première partie de l' Ascension. On y a vu un récit chiffré de la destinée du Maître de justice, le mystérieux personnage dont la communauté s'inspirait et que les textes de Qoumran décrivent comme persécuté par ses ennemis. Indépendamment de cette hypothèse, l'existence d'un récit juif du martyre d'Isaïe qui serait à la base d' Ascension l-5 a été presque universellement admise. De nos jours, les historiens sont très attentifs au contexte où les textes sont produits, aux besoins qui les

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suscitent. Deux contributions récentes ont tenté de reconstituer un milieu et une situation qui expliqueraient la composition de l' Ascension. R. G. Hall et A. Acerbi 37 proposent, avec des nuances différentes, de situer notre écrit dans un milieu prophétique du christianisme ancien. Nous pensons qu'il y a là une intuition juste, qui d'ailleurs avait déjà été avancée dans le passé, mais que les méthodes d'analyse appliquées au texte par ces deux savants sont insuffisantes, et qu'il est difficile d'accepter leurs interprétations de la composition littéraire de l' œuvre et de ses intentions 38 . Comme un scholar anglais l'avait autrefois souligné avec humour, les savants qui s'efforcent de disséquer l' Ascension paraissent habités par cette même puissance de Béliar qui avait fait scier en deux le malheureux prophète. Un tel effort n'est pas interdit a priori, mais il ne permet pas vraiment de comprendre ce qu'est l' Ascension d 'Isaïe. Depuis les premières études sur les apocryphes au XVIIIe siècle, on a eu tendance à les considérer comme des textes secondaires par rapport à la littérature canonique, marginaux par rapport à la tradition patristique, inspirés par la fantaisie et par le désir d'édifier ou de divertir. Depuis quelques décennies, la situation est en train de changer: on se rend de mieux en mieux compte que, derrière ces textes, il n'y a pas seulement des auteurs soucieux de faire de la 37

Voir la Notice bibliographique. On peut voir un résumé de leurs points de vue, suivi de nos remarques critiques, dans notre livre Studi in margine all'Ascensione di Isaia, Genova 1993, p. 50-59. 38

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littérature, mais aussi des communautés chrétiennes et des tendances théologiques, qui se distinguent de celles du Nouveau Testament et des textes «patristiques». On voit de plus en plus clairement que le qualificatif d' « apocryphes » appliqué à ces écrits a partie liée avec la marginalisation et l'exclusion, par la « grande Église», des groupes qui les ont produits. C'est dire qu'aujourd'hui l'étude d'un texte apocryphe ne peut pas éviter la question de son enracinement dans l'histoire du christianisme antique, et par là-même la question de sa structure et de sa composition. Un texte est la partie linguistique d'un événement de communication, qui a lieu entre un émetteur et un récepteur, dans une situation donnée et avec une intention déterminée de la part de l'émetteur. Ce dernier se fonde sur un patrimoine de connaissances, de croyances, de traditions, d'attentes, qu'il partage avec ses destinataires. Il y choisit des thèmes, les organise, les met en perspective, engendre des attentes, qu'il modifie ou contredit même par la suite. En un mot, il met en œuvre une stratégie stylistique afin de susciter, chez les destinataires envisagés, une adhésion à sa propre manière de voir et une conduite qui lui corresponde. La signification naît donc de la stratégie stylistique du texte ; sa compréhension suppose une compétence qui permette d'apprécier les opérations constitutives du texte à partir d'un patrimoine donné. Ces considérations concernent aussi le travail de l'historien. Pour situer historiquement un texte, il ne partira pas seulement de quelques allusions ou détails qui y sont contenus, mais il essaiera d'en saisir la stratégie

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d'ensemble et de comprendre à quelle situation elle pouvait répondre. Pour l'Ascension d'Isaïe, le problème méthodologique est délicat. Si on part de l'analyse littéraire dominante depuis Charles, on s'enferme dans une hypothèse établie, qui peut empêcher de saisir la signification d'ensemble du texte, ou de toute façon celle de ses parties au cas où le texte serait à découper autrement. À l'inverse, si on essaie de décrire les thématiques de l'ouvrage comme un tout, on risque d'effacer, dans une synthèse artificielle, des différences et des coupures éventuelles qui pourraient nous renseigner sur l'histoire de la composition du texte. Notre méthode consistera donc à établir, à partir d'observations portant sur la forme et sur le contenu, si l' Ascension d'Isaïe doit être considérée comme un ouvrage unitaire dès l'origine, ou si on doit y distinguer plusieurs phases de composition.

Les deux parties de l' Ascension : le temps, l'espace, le problème du mal La deuxième partie (ch. 6,I-11,40) a un titre propre dans toutes les versions et une tradition textuelle séparée en latin et en vieux slave. De plus, son récit se situe chronologiquement avant celui de la première partie. Le fait que les ch. 6- 11 ne contiennent aucun renvoi aux ch. 1-5, mis à part II,41-43 39 , indique que la 39

8,12

d'Tsaïe.

ne renvoie pas à r-5, mais à la tradition sur la mort

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deuxième partie peut être indépendante de la première. Mais l'inverse, dans la forme actuelle du texte, n'est pas possible à cause des renvois à la deuxième partie qui figurent dans la première (1,5-6a; 2,9; 3,13; 4,13). Ces constats nous mettent devant un étrange dilemme. Si !'Ascension a été composée d'un bout à l'autre par un seul auteur, il faut expliquer pourquoi il situe la vision d'Isaïe à la fin, comme une espèce d'appendice, et pourquoi il éprouve en même temps le besoin d'insérer dans la première partie une vision qui prétend être la même que celle de la deuxième partie (voir 3,13), mais qui en réalité a un caractère très différent. À l'inverse, si !'Ascension est un ouvrage composite, il faut attribuer au rédacteur final les passages de la première partie qui renvoient à la deuxième; mais dans ce cas on ne voit pas pourquoi il n'a pas inséré dans la deuxième partie des renvois à la première. Le problème se complique lorsqu'on passe au contenu. En effet, le message des deux parties s'avère être très différent. Commençons par la deuxième partie, dont nous venons de voir qu'elle pourrait avoir eu une existence indépendante. La dimension temporelle tend à s'effacer: le texte ne vise pas un futur collectif où Dieu reviendra pour instaurer définitivement son royaume, mais un «en haut», grâce auquel l'individu peut échapper à ce monde-ci, envahi par les ténèbres. Les «derniers jours» sont ceux de la vie terrestre du Christ (9,I3); le jugement porté contre les anges rebelles qui dominent le monde d'ici-bas coïncide avec la résurrection et avec l'ascension de Jésus (10,12; cf. 7,12).

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La dimension spatiale est dominante dans les ch. 6I

r. Le texte adopte une vision de la structure de l'uni-

vers largement répandue dans le judaïsme et dans le judéo-christianisme : la terre est entourée de sept cieux, habités par des puissances angéliques 40 . En se fondant sur Gn 1,8 «Dieu appela ciel le firmament», on identifiait le premier ciel, le plus proche de ce monde, avec le firmament, ou bien on situait le firmament au-dessous du premier ciel (comme c'est le cas dans l' Ascension d 'Isaïe). Dans les textes juifs et chrétiens, les anges qui peuplent les cieux sont soumis à Dieu. Mais au deuxième siècle, les théologiens gnostiques attribueront la création de ce monde aux anges des sept cieux, qui ont ignoré Dieu ou se sont révoltés contre lui 41 . Le Dieu de la Bible, créateur du monde, qui demeure dans le septième ciel, devient pour les gnostiques un Dieu inférieur, au-dessus duquel se trouvent les réalités 40

Pour les attestations de cette v1s10n du monde, voir H. BIETENHARD, Die himmlische Welt im Urchristentum und Spiitjudentum (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament, 2), Tübingen 1951, p. 8-18; ]. DANIÉLOU, Théologie du judéo-christianisme, Tournai I958, p. 131-138. Le système des sept cieux, liés aux sept planètes (y compris le soleil), est commun aux astronomies antiques, des Égyptiens aux Babyloniens, des Perses aux Grecs et aux Romains; il joue un rôle important dans la religion mithraïque. 41 ]. DANIÉLOU, «Le mauvais gouvernement du monde d'après le gnosticisme», in U. BIANCHI, éd., Le origini della

gnosticismo. Colloquio di Messina 13-18 aprile 1966. Testi e discussioni, Leiden 1966, p. 448-456.

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vraiment divines 42 . Dans l' Ascension, seules les pmssances du firmament se sont rebellées contre Dieu et se font adorer par les hommes (1,9-12; ro,11-13); les anges des sept cieux louent Dieu. Mais il y a une réserve significative. Si les anges du septième et du sixième ciel participent de la perfection divine, ceux des cinq cieux inférieurs sont imparfaits, comme le prouve la distinction et l'asymmétrie entre ceux de droite et ceux de gauche (1,14-15, etc.); c'est dans ces cieux que la descente du Seigneur doit rester cachée (ro.9.20-27). En d'autres termes, la distinction entre le firmament et les sept cieux paraît se combiner avec une autre, peutêtre inspirée d'un système impliquant trois cieux: firmament (zone des puissances mauvaises) - cinq cieux (zone intermédiaire) - sixième et septième ciel (zone divine). Cette gradation paraît confirmée par la mention de l' « air» qui précède le sixième et le septième ciel (8,1; 9,1), mais qui est absent dans les cieux inférieurs. D'autres éléments de subdivision sont perceptibles. Ainsi, le fait que la distance du troisième au quatrième ciel soit plus grande que la distance entre les cieux précédents (1,28), signale sans doute qu'on est ici au point central (trois cieux plus le firmament au-dessous, quatre cieux au-dessus). Dans Ascension 6- l l, le système des sept cieux revêt une grande importance. Cosmologie, sotériologie et angélologie sont étroitement liées. La doctrine du salut

42

Ainsi les valentiniens, d'après Irénée de Lyon, Contre les

hérésies r, 5 ,2.

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apporté par le Christ exige que soit élucidée une question fondamentale : de quelle façon la Gloire divine peut-elle descendre et demeurer sur une terre éloignée de Dieu, «faible» (7,26), ténébreuse (8,24) et soumise aux puissances du mal (7,9-12; rn,12-13)? L'événement du salut ne passe pas par l'incarnation, mais se joue au niveau des puissances célestes; la fonction du Christ est de vaincre les puissances du firmament qui se sont rebellées contre Dieu (rn,12-13) et qui ont séparé de lui le monde des hommes. Dans cette perspective, la réalité de l'incarnation ne joue pas de rôle; en fait, l'humanité du Christ n'est qu'apparente (9,13-14; rn,9-rn; l l,2-22). En revanche, dans les ch. l-5, l'intérêt cosmologique est absent, si l'on excepte quelques mentions isolées du septième ciel et de la descente du Christ, qui concernent d'ailleurs un mouvement vers cette terre (3,13.18; 4,14.16). L'intérêt pour l'eschatologie domine de bout en bout. C'est l'histoire des hommes qui importe, en particulier celle des prophètes persécutés et de l'Église chrétienne, confrontés à l'hostilité du diable jusqu'à la parousie du Christ. Le principe du mal ne s'identifie pas à une zone de l'univers - le firmament avec ses puissances - comme c'est le cas dans la deuxième partie (7,9-12; lo,29-31; 11,23-24), mais à un personnage individualisé, qui reçoit des noms diaboliques d'origine différente, tels que Béliar, Sammael et Malkira (2,4). En résumé, il est très difficile de considérer !'Ascension comme un texte unitaire. Il faut y distinguer au moins deux parties: les ch. l-5 ·d'un côté, les

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ch. 6,I-II,40 de l'autre 43 . Ces deux parties ne sont pas dues au mên-ie auteur. Mais quelle est leur relation? Peut-on trouver une cohérence dans chacune d'elles, ou bien faut-il encore les subdiviser? Nous montrerons maintenant que cette cohérence existe, et qu'elle permet de comprendre à la fois le rapport entre les deux parties et l'histoire de la composition de l' œuvre.

Une ascension à travers les cieux d'un genre très particulier (7-11) La deuxième partie décrit une ascension du prophète au ciel, qui relève d'un genre littéraire bien connu 44 . Mais la comparaison avec les voyages célestes attestés dans le judaïsme révèle une différence. Dans les six premiers cieux, la vision d'Isaïe ne porte pas sur le contenu de la géographie céleste traditionnelle (qui peut comprendre, par exemple, la demeure des bienheureux et celle des damnés ; les modèles célestes de Jérusalem et du Temple; les êtres qui entourent Dieu d'après la vision d' Ez r), mais seulement sur les chœurs 43

Les versets ll,41-43 ont la même origine que la première partie. Nous expliquerons ce fait plus loin (note 75). 44 A. F. SEGAL, « Hcavenly Ascent in Hellenistic Judaism, Early Christianity and their Environment », dans AiifStieg und Niedergang der romischen Welt II 3 lh, Berlin; New York 1980, p. 1333-1394; M. DEAN-ÜTTING, Heavenly Journeys. A Study of the Motif in Hellenistic Jewish Literature, Frankfurt/M; Bern; New York 1984; C. KAPPLER, éd., Apocalypses et voyages dans l'au-delà, Paris 1987.

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d'anges, de plus en plus glorieux, qui adressent leur louange au septième ciel, où demeure Dieu avec son Bien-Aimé (le Christ préexistant) et le Saint-Esprit. L'inscription du texte dans un genre littéraire déterminé crée donc chez le lecteur - qui est censé connaître d'autres récits de voyage au ciel - une attente, qui va être rapidement déçue. La perception de cette différence éveille l'attention du lecteur, en lui signalant que le texte n'a pas pour fonction de le renseigner sur la géographie céleste et sur ses implications 45 . Par ailleurs, Dieu lui-même n'est pas décrit, et il ne communique pas de révélation au voyant; il ne fait que donner au Christ l'ordre d'accomplir sa mission de salut (ro,7-15). Cette mission, qu'Isaïe voit aussitôt, constitue donc le but de son ascension et de la révélation que le texte veut transmettre, comme le soulignent les paroles de l'ange: «Comprends, Isaïe, et vois» (ro,18 pour la descente; l l ,22 pour l'ascension). Or ces paroles reviennent sous une forme particulièrement solennelle en l l, l : « Comprends, Isaïe fils d' Amos, car c'est pour ceci que j'ai été envoyé par le Seigneur». On peut en conclure que le passage sur la vie « humaine » du Christ (II ,2-21) contient l'essentiel de la révélation 45

À ce sujet, voir I. GRUENWALD, Apocalyptic and Merkavah Mysticism (Arbeiten zur Geschichte des antiken Judentums und des Urchristentums, 14), Leiden; Koln 1980, p. 3-16. Le voyage céleste veut notamment répondre au problème de la théodicée : face à un monde apparemment dominé par le mal, il montre que l'ordre est préservé au ciel, d'où il viendra bientôt sur la terre_

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faite à Isaie - c'est-à-dire du message que l'auteur de la deuxième partie veut faire accepter par ses lecteurs.

Le récit de la conception virginale (11,2-5) Lorsqu'on compare Ascension d'Isaïe II,2-5 et le récit de la conception virginale de Mt l,18-25, on constate immédiatement une ressemblance étroite, qui présuppose un rapport littéraire entre les deux textes. De l'avis unanime des savants, !'Ascension dépend ici de Matthieu : un apocryphe ne peut être que secondaire par rapport à un texte canonique! Notre thèse est différente : nous pensons que l' Ascension et l'évangéliste ont puisé à une même tradition. Les exégètes qui ont étudié ce passage de Matthieu (sans prêter aucune attention à l' Ascension) y ont décelé une source, un récit préexistant que l'évangéliste a retravaillé en fonction de sa propre théologie 4('. Ce qui est frappant, c'est que les mots et les phrases que ces exégètes considèrent comme des adjonctions de Matthieu à sa source - comme des éléments rédactionnels - sont absents dans l' Ascension. L'exemple le plus évident est celui de la citation d'Is 7,14, avec son introduction, en lVIt 1,22-23. Tout le monde admet que cette citation vient de l'évangéliste; or elle est absente dans l' Ascension, ou plutôt elle apparaît dans un autre contexte, en l l ,13, où elle ne peut 46

Pour une discussion détaillée des rapports entre Mt r, r 85 et Ascension d 'Isaïe r r ,2-5, voir mes Studi in margine al!'Ascensione di lsaia, p. r r 6- 14 r.

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pas provenir de Matthieu. Autre exemple : les expressions « son mari » et