Affect et pathologie 9782759812097

Toute psychothérapie, qui touche à l’âme et au corps et qui se veut novatrice, doit entraîner une autre vision de la thé

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French Pages 149 [148] Year 2014

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Table of contents :
Introduction - Affect et pathologie
Agir à l’adolescence, une autre façon de penser les émotions ? Affect, émotion et pathologie à l’adolescence
Statut de l’affect dans les pathologies hystériques
Affect et pathologie en relaxation psychosomatique relationnelle
Le trésor de Julie Respects des traditions et souffrance psychique
La fibromyalgie à l’épreuve de l’investigation de la psychosomatique relationnelle
Histoire individuelle, histoire familiale et destin de l’affect
Affect et allergie chez une adolescente
Que viennent chercher les douloureux chroniques ?
Les troubles psycho-affectifs chez l’enfant libanais
Le piège du « pathomorphisme » et ses alternatives
Bibliographie
Table des matières
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Affect et pathologie
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RECHERCHE EN PSYCHOSOMATIQUE

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RECHERCHE EN PSYCHOSOMATIQUE

Affect et pathologie Sami-Ali François Marty Albert Danan Sylvie Cady Lidia Tarantini Daniel Sibony Michèle Chahbazian Leila Al-Husseini Martine Derzelle Nayla Karroum Jérôme Englebert

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Centre International de Psychosomatique Collection Recherche en psychosomatique dirigée par Sylvie Cady Dans la même collection Le cancer – novembre 2000 La dépression – février 2001 La dermatologie – mars 2001 La clinique de l’impasse – octobre 2002 Identité et psychosomatique – octobre 2003 Rythme et pathologie organique – février 2004 Psychosomatique : nouvelles perspectives – avril 2004 Médecine et psychosomatique – septembre 2005 Le lien psychosomatique. De l’affect au rythme corporel – février 2007 Soigner l’enfant psychosomatique – février 2008 Affect refoulé, affect libéré – mars 2008 Entre l’âme et le corps, les pathologies humaines – octobre 2008 Handicap, traumatisme et impasse – janvier 2009 Soigner l’allergie en psychosomatique – octobre 2009 Entre l’âme et le corps, douleur et maladie – août 2011 Psychosomatique de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte – janvier 2012 La psychomotricité relationnelle – mars 2012 Psychosomatique et maladie d’Alzheimer – juin 2012 Sexologie et psychosomatique relationnelle - mars 2013 Cancer et pychosomatique relationnelle – juin 2013 Éditions EDK/Groupe EDP Sciences 25, rue Daviel 75013 Paris, France Tél. : 01 58 10 19 05 Fax : 01 43 29 32 62 [email protected] www.edk.fr © Éditions EDK, 2013 ISBN : 978-2-7598-1140-3 Il est interdit de reproduite intégralement ou partiellement le présent ouvrage – loi du 11 mars 1957 – sans autorisation de l’éditeur ou du Centre Français d’Exploitation du Droit de Copie (CFC), 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.

Recherche en psychosomatique. Affect et pathologie M. Sami-Ali

Introduction Affect et pathologie Professeur M. Sami-Ali Toute psychothérapie, qui touche à l’âme et au corps et qui se veut novatrice, doit entraîner une autre vision de la thérapeutique. Cet ouvrage entend montrer qu’à partir de la relation donnée, il est possible de créer des méthodes psychothérapiques nouvelles pour prendre soin des personnes présentant une pathologie psychosomatique à un moment crucial de leur vie affective. Psychothérapies qui ne s’avèrent efficaces que parce qu’elles constituent avant tout des moyens de faire des découvertes, dans le sens de la connaissance affective de l’autre. Disons-le clairement  il ne s’agit pas ici d’appliquer une méthode, au risque de s’enfermer dans la redondance, mais plutôt de créer pour que chacun, selon ce qu’il fait, ce qu’il est, apporte librement sa contribution. Et il est important que tout cela aboutisse à un ensemble où peuvent se reconnaître l’unité et la diversité d’une seule et même situation relationnelle et affective. Si, d’un bout à l’autre de ces travaux, l’affect et la pathologie psychosomatique constituent le fil conducteur de toute visée thérapeutique, il y a là comme une manière de restituer à la relation affective et à la conscience onirique une place qui doit lui revenir, mais que ne cesse d’occulter une adaptation s’effectuant à l’intérieur d’un contexte socioculturel marqué par le banal.

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Agir à l’adolescence, une autre façon de penser les émotions ?

Affect, émotion et pathologie à l’adolescence François Marty Parler des émotions à l’adolescence, c’est parler de ce qui se manifeste, motive et émeut (met en mouvement) l’adolescent qui accoste aux rivages de la puberté. L’émotion est aussi en ellemême un mouvement : parler de ce qui bouleverse l’adolescent de l’intérieur amène à évoquer ses conduites, ce qui le pousse à agir, mais aussi à penser, pour tenter de se dégager de l’emprise qu’exerce sur lui la force de ses pulsions. Parler de l’adolescence et de ses émotions, c’est assurément envisager les rapports que l’adolescent entretient avec son corps changeant et avec celui de l’autre. Davantage encore qu’un lieu pour ressentir ce qui affecte l’enfant devenant pubère, l’adolescence est un véritable processus dont le travail consiste à nommer, contenir et finalement donner sens à tous ces éprouvés. C’est pourquoi la violence des émotions ressenties (amour, haine, ennui, colère, peur, tristesse, honte, culpabilité, stupeur…) témoigne de la violence des transformations subies par l’adolescent, elles sont comme autant de signes de la profondeur de la métamorphose pubertaire, elles témoignent de l’intensité de sa sensibilité. C’est lorsque l’adolescent est coupé de ses émotions et de son monde interne que survient la pathologie. C’est à ce moment-là qu’il peut être

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amené à agir, à passer à l’acte, pour tenter de lutter contre ce qui le menace du dedans. Le terme de « passage à l’acte » renvoie à l’idée selon laquelle le sujet qui agit ainsi passerait d’un état à un autre, en l’occurrence de la parole à l’action. Cette façon de rendre compte de l’observation oppose l’agir et la pensée, comme deux registres étrangers l’un à l’autre. Peut-être conviendrait-il de s’interroger sur cette différence pour envisager cette clinique de l’acte autrement : l’agir, comme la parole, pourrait être pensé comme un moyen auquel il est fait appel pour tenter de symboliser les émotions, voire d’élaborer des traumatismes insuffisamment travaillés psychiquement.

La place de l’émotion, entre corps et histoire L’agir ne s’opposerait pas à la pensée, mais s’originerait dans des sensations, voire des émotions, insuffisamment intériorisées. L’émotion pourrait être définie comme une expérience subjective se situant entre le perceptif et l’élaboratif, entre l’affect et la représentation. De ce point de vue, on peut envisager l’agir adolescent comme une émotion qui cherche à se nommer, à se représenter, qui cherche à faire sens. Le corps est un lieu d’anticipation et d’expérimentation de la vie émotionnelle1, les mouvements corporels étant des façons d’explorer le champ des émotions. La gestuelle, les attitudes corporelles sont des mises en situations, voire des mises en acte, dans l’espace et le temps, nécessaires à la gestion de la sensibilité. Le corps est le théâtre de l’âme, il met en scène ses mouvements intimes, y compris dans le rêve. Le sens des situations se découvre par le mouvement, aussi imperceptible soit-il, parfois2. De ce point de vue, la mémoire est avant tout mémoire du corps, elle est évolutive et non statique. Elle lie souvenirs et émotions et contribue à créer un univers temporel où affects, souvenirs et fan1.  Dans son ouvrage, A.R., Damasio, L’erreur de Descartes. La raison des émotions, Paris, Odile Jacob, 1995, l’auteur développe l’idée selon laquelle la capacité de ressentir ou d’exprimer des émotions nous aide à prendre certaines décisions et à programmer nos actions. 2.  Par rapport à ce sujet, on peut se référer à A. Berthoz, Le sens du mouvement, Paris, 1997.

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tasmes se mêlent. La mémoire est affective. L’acte est peutêtre, vu sous cet angle, une émotion qui ne se pense pas, qui ne s’inscrit pas dans cette mémoire affective, mais qui n’en constituerait pas moins une tentative du sujet pour qu’elle fasse sens. Prenons l’exemple du cas Emma, cas princeps commenté par Freud comme illustrant sa première théorie du traumatisme et de l’hystérie : l’émotion qu’elle ressent est la peur d’entrer seule dans une boutique. Cette peur obsédante, qui fait symptôme, reste incompréhensible si on ne la relie pas à d’autres éléments, dont leur association fait traumatisme. Ce dont Emma se souvient après sa puberté donne un sens sexuel à une émotion vécue dans l’enfance, émotion liée à un attentat sexuel dont elle avait été victime – occasionnant confusément chez elle plaisir et déplaisir confondus. Le sens sexuel de l’événement n’apparaît clairement qu’après-coup, après le travail psychique du processus d’adolescence (génitalisation du corps et réécriture du sexuel infantile). Ce sont elles (génitalisation et réécriture) qui permettent à Emma d’éprouver (dans son corps) et de qualifier (par cette réécriture) ces émotions. Le traumatisme par séduction ne se dévoile à ses propres yeux qu’au moment où le sens sexuel de cette scène est perceptible par elle, lui révélant du même coup le plaisir associé à l’attentat dont elle a été victime. Freud reviendra sur cette notion de traumatisme vécu par l’enfant et interprété par l’adolescent pour lui préférer une autre théorie qui remplace le traumatisme réel par le fantasme. Finalement, pour Freud, ce qui est traumatique, c’est le sexuel. Le corps occupe dans l’histoire d’Emma une place centrale au niveau de la scène traumatique de l’enfance et de celle de l’adolescence. L’émotion éprouvée par Emma implique le corps d’enfance (être touchée par l’épicier, mais aussi éprouver du plaisir), comme le corps génital (être vue par de jeunes hommes riant qui lui rappellent le déplaisir lié au souvenir de la scène de l’enfance, mais aussi l’éprouvé de plaisir, vécu dans l’attirance sexuelle pour l’un des jeunes vendeurs). L’émotion n’est perçue que dans la mesure où le corps sert de mémoire de l’événement et qu’il a subi une mutation suffisante pour rendre intelligible la scène, ou du moins pour lui donner son sens sexuel. La scène devient traumatique par le rapprochement de deux événements éloignés l’un de l’autre dans le temps, séparés par le seuil pubertaire. L’émotion prend corps et le sens se dessine en lien avec l’histoire, entendue ici comme l’histoire du sexuel en soi.

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L’émotion est ce qui, du point de vue de l’étymologie, met en mouvement3. Cette mise en mouvement est celle du corps, ici génital, qui donne à Emma la trame sensible et sensuelle d’une histoire que l’analyse lui dévoile. Dans son cas, l’angoisse (liée au souvenir du plaisir et déplaisir confondus) s’est transformée en phobie hystérique. Le contexte du symptôme est celui de la sexualité ; l’histoire, une répétition, par souvenir interposé, d’un plaisir éprouvé mêlé à du déplaisir et de la culpabilité. Emma est émue d’être objet du désir d’un autre/pour un autre, cette scène suscitant en elle plaisir et déplaisir. L’émotion lui dévoile la trame du désir dont elle est objet et sujet à la fois. Emma prend la fuite devant son propre désir et le souvenir de la scène chez l’épicier et développe une conduite pathologique de type phobique devant le risque d’une répétition de la scène, en évitant la rencontre avec l’objet phobogène qui se trouve être devenu (depuis l’enfance) un objet génital. Mais l’angoisse peut prendre parfois d’autres tours, s’exprimer selon des scénarios différents et se traduire selon d’autres modalités.

La violence, expression de l’angoisse En effet, l’angoisse est traitée différemment selon la structure psychologique du sujet. Les névrosés déplacent l’angoisse sur le corps par conversion, comme chez l’hystérique, sur les objets (personnes ou situations) chez les phobiques, sur les pensées chez les obsessionnels. Les psychotiques clivent et dénient la part de réalité traumatogène, source d’angoisse qu’ils tentent ainsi de maîtriser en cherchant à transformer la réalité externe, alors que dans la névrose, il s’agit d’une tentative de transformation de la réalité interne4. Chez les adolescents dont la structure de personnalité repose sur

3.  Émotion vient du latin populaire « exmovere » et du latin classique « emovere », qui signifie « mettre en mouvement », in Bloch O., von Wartburg W., Dictionnaire étymologique de la langue française, Paris, PUF, 1986, p. 219. 4.  Sur cette question on peut se référer au texte de S. Freud, 1924, La perte de la réalité dans la névrose et dans la psychose, in Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1978, pp. 299-303 et celui de S. Ferenczi, 1913, Le développement du sens de réalité et ses stades, in Œuvres Complètes, Paris, Payot, 1978, tome II, pp. 51-65.

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des bases narcissiques fragiles5, le traitement de l’angoisse peut se faire par le recours à l’agir. L’angoisse d’être manipulé, que l’adolescent éprouve à l’occasion de l’avènement de la puberté, contribue à développer sa fragilité narcissique. Qu’il traverse ce sentiment en l’éprouvant a minima, et en tentant de contenir l’angoisse qu’il génère par des conduites de réassurance (comme, classiquement, le recours au miroir – stations nombreuses et parfois longues face à la glace), ou bien qu’il éprouve ce sentiment avec une telle intensité qu’il développe pour s’en protéger une problématique hypocondriaque ou paranoïaque, tout adolescent est confronté, d’une façon ou d’une autre, à une relation d’emprise, voire au syndrome d’influence. L’adolescent doit se défendre violemment contre l’emprise de l’objet dont il se sent la victime désignée, comme s’il cherchait ainsi à se dégager de cette relation « négative ». Il lutte contre le sentiment d’être manipulé par l’autre, comme il sent son propre corps manipulé par la puberté. C’est la prégnance de ce sentiment qui rappelle dans son attitude celle des sujets qui se trouvent soumis au syndrome d’influence. Dans cette pathologie, les idées ou pensées semblent répétées en écho ou devancées, les actes commandés. Le malade éprouve de violentes impressions d’emprise, d’envoûtement, comme si ça parlait à l’intérieur de lui, dans son ventre, dans sa gorge. « Le sujet se sent pour ainsi dire tout à la fois dédoublé et doublé par un Autre qui redouble par son action extérieure (influence) et son action intérieure (possession) le pouvoir qu’il exerce sur sa chose, cette chose qu’est devenu le sujet en devenant l’objet de cette contrainte ou de cet asservissement »6. Ces idées délirantes procèdent de mécanismes projectifs par lesquels le sujet se libère d’affects douloureux en les projetant sur l’autre. Dès lors, ils deviennent les affects de l’autre. Si ce syndrome n’apparaît que dans des cas pathologiques rares à l’adolescence, le schéma qui organise ce sentiment (être le jouet de l’autre, voire éprouver la peur de devenir fou, de ne plus contrôler ses pensées), est en 5.  Dans son rapport intitulé « La névrose de l’enfant, l’expérience du psychanalyste chez l’enfant et chez l’adulte devant le modèle de la névrose infantile et de la névrose de transfert », S. Lebovici note : « Les futurs psychopathes souffriraient d’une insuffisance d’apport narcissique primaire maternel, ce qui conforte une autre constatation également mentionnée, l’insuffisance de l’estime de soi et l’idéal du moi paternel dans la configuration œdipienne. Il y aurait ici chez la mère carence en fantasme œdipien concernant son propre père et son mari », in RFP, 1980, XLIV, p. 775. 6.  Ey H., Bernard P., Brisset C., Manuel de psychiatrie, Paris, Masson, 1989.

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revanche beaucoup plus fréquent au moment de l’entrée en puberté. L’emprise physiologique de la puberté semble s’étendre à la vie psychique. Le vécu émotionnel est projeté sur l’autre, dans l’autre.

L’agir transforme la réalité Quelle que soit l’organisation psychique sous-jacente, l’agir transforme la réalité en donnant un autre cours aux choses7. Lorsqu’il est commis, la réalité n’est plus la même qu’avant, les données du problème ont changé. La réalité externe n’est pas déniée : elle est travaillée, modelée par l’agir qui la transforme en l’adaptant aux possibilités internes du sujet. C’est un agir8 qui se met au service des exigences pulsionnelles pour modifier la part de réalité qui n’est pas compatible avec ces exigences, le recours à l’agir contribuant à écouler l’afflux d’excitations dans la décharge motrice9. Cette conception suppose un degré de développement suffisant du moi pour envisager une quelconque visée adaptative, degré de développement du moi qui, dans le cas de la délinquance, par exemple, fait précisément problème. La question de la transformation de la réalité et celle du degré insuffisant de développement du moi peuvent s’illustrer à propos du mensonge et du vol, lorsque l’un et l’autre deviennent des modalités habituelles d’agir. 7.  On pense ici au coup d’épée d’Alexandre le Grand qui trancha ainsi le nœud gordien. Le roi Gordias qui avait fondé la ville de Gordion, en Phrygie, possédait un char dont le timon était attaché avec un nœud si complexe que personne ne parvenait à le défaire. Celui qui réussirait à dénouer le lien serait alors maître du monde (de l’empire d’Asie). Avant Alexandre, personne n’avait réussi à défaire le nœud. En le tranchant d’un coup d’épée, Alexandre résolut la question. Cet épisode de la vie d’Alexandre illustre la façon dont un grand chef militaire et politique doit agir, avec force et détermination, et finalement sans état d’âme. Si trancher ce qui ne se dénoue pas est une nécessité politique, l’indécision étant dans ce cas fatale au bon gouvernement de la Cité ou du pays, le recours à ce mode de résolution d’un problème montre également le risque qu’il fait courir au commun des mortels par son caractère brutal, impulsif, nécessairement violent. Ne risque-t-on pas de voir s’installer à nouveau la loi du plus fort ? 8.  Dans « Personnages psychopathiques à la scène », 1906, in Résultats, Idées, Problèmes, I, Paris, PUF, 1984, pp. 123-129. 9.  C’est la position qu’adopte Freud en 1895 dans « Qu’il est justifié de séparer de la neurasthénie un certain complexe symptomatique sous le nom de « névrose d’angoisse », in Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1978, pp. 15-38.

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La falsification de la vérité constitue peut-être une façon d’ignorer ou de nier une partie de la réalité qui revêt un aspect déplaisant, comme si celui qui ment soumettait la réalité à des déformations qui la rendrait supportable. Cette soumission au principe de plaisir fait apparaître une régression dans le fonctionnement de l’appareil psychique. Ce mode de défense primitif contre le déplaisir menace la distinction entre réalité interne et réalité externe, le menteur pouvant alors, grâce au clivage, se mentir à lui-même et croire davantage à cette néo-réalité qu’aux reproches venant de sa conscience morale ou de l’entourage. C’est également ce principe que l’on retrouve à l’œuvre pour le vol, le voleur agissant sur le mode du principe de plaisir10. Certains adolescents empruntant régressivement un chemin, jadis arpenté dans l’enfance, ont recours à l’agir comme à une modalité particulière qui leur permettrait de traiter leur angoisse en transformant la réalité. Ce schéma trouve son origine dans la mise en acte de la décharge motrice qui emprunte le même mode primitif d’évacuation de la tension, liée à l’apparition de l’angoisse, que celui qui est à l’œuvre chez le nouveau-né. En l’absence d’image mentale (non encore constituée), le bébé répond durant son sommeil par des gestes accompagnant des éprouvés d’origine somatique. Cette agitation motrice, non encore mentalisée, tend à disparaître au fur et à mesure que le travail de représentation et le langage s’installent. Le travail de figuration qui s’élabore au cours du rêve transforme cette voie, dite courte, pour lier l’excitation somatique à des représentations mentales. Mais on peut voir dans ce qui s’ébauche ainsi pour le bébé le lien puissant qui lie acte et pensée, la motricité constituant le support de la représentation. Dans l’acte adolescent, la décharge motrice réinstaure cette voie primitive de résolution des tensions, dans un mouvement régressif, assurant ainsi l’évitement de la douleur de penser. La conflictualité psychique nécessite un certain travail de liaison entre excitations d’origine somatique et représentations mentales, puis entre représentations, les unes entrant au service d’une instance psychique, les autres s’y opposant. Le conflit psychique suppose un certain degré d’élaboration du moi, une capacité à supporter la frustration et le travail de transformation inhérent à la vie psychique elle-même qui se développe en intériorisant des excitations ou des tensions provenant de la réalité externe, somatique. 10.  C’est le pont de vue que développe A. Freud en 1965 dans Le normal et le pathologique chez l’enfant, Paris, Gallimard, 1968.

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Le recours à l’agir comme tentative de régulation des émotions L’agir vise à l’obtention du plaisir par l’évitement du conflit interne, source potentielle de tension et de déplaisir. La magie de l’acte délictueux, par exemple, réside dans le triomphe narcissique qu’occasionne cet acte. L’obtention du plaisir de décharge surpasse, dans ce cas, toute autre considération. L’élaboration psychique, en revanche, tire son plaisir du travail de liaison des affects et des représentations. Penser devient un plaisir à partir du moment où des liens peuvent s’établir entre des éléments épars qui n’avaient pas pu être mis en relation jusque-là, et qui, du fait de leur rapprochement, acquièrent un sens nouveau11. C’est ce que l’on observe en analyse lorsqu’un patient réalise ce type de lien qui éclaire différemment une situation jusque-là énigmatique, ou source d’angoisse. Il s’agit souvent de la levée d’un refoulement qui donne accès à des contenus de pensée rétablissant le cheminement des chaînes associatives qui conduisent à la source d’un conflit. La résolution, même partielle, de ces nœuds d’angoisse et de déplaisir provoque un sentiment de libération chez le patient qui peut profiter de ce gain psychique pour la suite de son travail analytique. Mais ce travail d’élaboration suppose une capacité à contenir psychiquement le conflit, ce qui permet de l’analyser ensuite dans le transfert ; ce qui n’est pas le cas chez les adolescents recourant à l’agir. Le travail de penser suppose aussi la possibilité de lier des représentations actuelles à des traces mnésiques, des vestiges du passé qui resurgissent à l’occasion d’événements récents. Leur signification échappe précisément à la conscience du sujet tant que le présent n’est pas lu à la lumière du passé, tant que l’actuel n’est pas relié d’une façon ou d’une autre à des expériences (infantiles) antérieures. L’accès au sens de ces situations est rendu d’autant plus difficile aux adolescents en général, et aux adolescents « délinquants », en particulier, que le retour du vécu infantile est évité, parce qu’il est source de menace. Se souvenir, à l’adolescence, risque de faire resurgir le lien incestueux et parricide de l’Œdipe infantile, comme si l’adolescent faisait passer dans l’acte un éprouvé qu’il serait dangereux de se remémorer. 11.  On peut penser que ce rapprochement est quasi impossible dans la psychose où de puissants clivages empêchent l’émergence du sens.

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L’acte prendrait-il la place d’une pensée, d’une émotion, d’un souvenir qui ne peut s’élaborer ou est-ce la trace d’un vécu infantile traumatisant qui barre l’accès au souvenir et à l’affect de déplaisir, voire de souffrance qui resurgirait avec lui ? L’acte chez l’adolescent criminel peut avoir cette valeur économique de l’évitement du conflit interne, dans la mesure où l’objet ne semble jamais être à l’intérieur de soi mais dans la réalité externe, dans l’autre. La réalité interne étant source de menace, le souvenir étant fui, la réalité psychique se construit dans un système où la réalité externe sert d’extension à la réalité interne. C’est comme si, pour le criminel, la cause de son angoisse se trouvait dans une extériorité qui lui sert d’exutoire. Détruire cette partie, source d’angoisse, ou agir par un acte qui situe le conflit en dehors de soi dans un espace externe, constituent des modalités fondamentales du fonctionnement psychique d’un grand nombre d’adolescents criminels ; modalités fondamentales qui les protègent contre le risque d’un effondrement. Dans cette économie psychique de l’agir, l’ensemble du théâtre de la vie psychique est expulsé/projeté à l’extérieur. La scène n’est pas à l’intérieur de soi, mais à l’extérieur. La constitution d’une intériorité réfléchie, d’un en soi, ou d’un « moi », n’est pas posée comme une possibilité interne. Le conflit est agi dans le rapport avec les objets externes (externalisation du conflit) ; le sentiment d’exister est atteint au prix de cette expulsion de la conflictualité psychique, ou, du moins, c’est là ce qui est recherché par ces adolescents. On peut se demander, en effet, si l’expulsion de la conflictualité agie sur les objets externes est de nature à leur offrir la possibilité de ressentir l’existence d’une vie psychique, d’un monde et d’un espace internes. L’expulsion traduit ce mouvement propre à la pulsion qui primitivement est une poussée (Drang) qui tend à la recherche de satisfaction. L’accomplissement du travail de la pulsion (sa poussée) est violente, nécessitant pour chacun une élaboration mentale qui lie cette excitation (d’origine somatique) à un objet représentable (élaboration d’ordre psychique). C’est ce même mécanisme de projection qui fait vivre à l’adolescent sa puberté comme une attaque traumatique, comme s’il en était victime, dans un éprouvé de persécution et de haine qui le pousse à se défendre contre ce sentiment. Lorsqu’il n’arrive pas à contenir ces éprouvés persécuteurs, il cherche à l’extérieur de lui un responsable (comme dans le cas d’un traumatisme réel), à se sentir victime d’un préjudice. La violence est alors éprouvée comme venant des objets externes, dans un mécanisme de nature paranoïaque 15

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qui m’a conduit à qualifier ce mécanisme de « paranoïa ordinaire de l’adolescent » : l’adolescent projette sur l’autre des affects de haine, comme dans cette scène du film de M. Kassovitz, La haine, où le héros joue à être haineux ; en mimant ce personnage dans le miroir, il finit par le devenir. Il finit par se prendre pour quelqu’un qui est victime de la haine de l’autre (son image au miroir), ce qui le fonde à éprouver à son tour de la haine. L’adolescent construit sur ce mode un objet paranoïaque, signe que le pubertaire est perçu par lui comme attaque externe. Le traumatisme met en scène une causalité externe qui situe l’objet persécuteur en dehors du sujet traumatisé12. Le montage persécutif innocente le sujet et le place comme objet de la persécution de l’autre. Un tel montage, alimenté par l’identification projective, cherche à se mettre au service du processus de subjectivation, ce mode économique de traitement de la réalité permettant au sujet d’étayer son sentiment d’existence sur les objets externes. Il est vraisemblable que les traces laissées par le traumatisme favorisent le recours à l’agir, cette modalité de résolution des tensions que met en œuvre l’agir, empruntant les mêmes voies que celles du traumatisme. La difficulté dans le travail psychique d’intériorisation que l’on observe chaque fois que l’adolescent a recours à l’agir semble répondre à ce que nous avons mis en évidence dans le travail du traumatisme. Dans les deux cas, recours à l’agir et traumatisme viennent à la place du conflit psychique, soulignant la difficulté rencontrée par ces adolescents à intérioriser, et symboliser, un conflit. Dans les deux cas, le sujet est coupé de ses émotions.

La stratégie de l’araignée Il existe peu d’espèces animales qui, pour survivre, se nourrissent avec leur bouche, mais ne rejettent rien de ce qu’elles ont ingéré. Pourtant, cette espèce existe : il s’agit d’araignées. Elles creusent une cavité dans la terre où elles mettent leurs proies. Dans cette cavité, elles déversent leurs sucs gastriques qui pré-digèrent la nourriture, la dégradent au point de ne laisser que ce qui est ingérable sans 12.  P. Gutton a consacré un texte important sur ce thème du traumatisme à l’adolescence « Le traumatisme à l’adolescence : son expérience, sa source, la vulnérabilité », in Marty F. (dir.), L’illégitime violence. La violence et son dépassement à l’adolescence, Ramonville-Saint-Agne, Érès, 1997, pp. 21-31.

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reste, ce qui est nécessaire et suffisant pour survivre à la dépense d’énergie. Ces animaux ne possèdent pas d’espace interne, de système digestif, qui leur permettait d’accueillir la nourriture, de la digérer en rejetant les produits inassimilables par leur organisme. Ils n’effectuent pas ce processus interne, parce qu’ils accomplissent une opération similaire en l’effectuant en dehors d’eux. Leur fonction digestive est hors de leur espace interne. Les adolescents criminels se comportent comme ces araignées. Ils semblent ne pas avoir d’espace interne qui leur permette de digérer mentalement l’affect menaçant, la tension ou l’angoisse. Ils mettent à l’extérieur d’eux cette tension en la faisant porter à d’autres, ou par d’autres. Le criminel a besoin d’un complice, objectif et souvent involontaire de son incapacité à gérer l’angoisse, qui deviendra sa victime dans la décharge tensionnelle de l’acte. Mais il a aussi besoin d’un autre – qui l’aide à gérer cette angoisse interne – autre qui est parfois celui qui supporte l’intentionnalité du crime, celui au nom de qui se commet le crime.

Fonction prothétique du recours à l’acte L’acte est l’équivalent du processus de pré-digestion de l’araignée, l’autre constituant son réceptacle. Le crime et le recours à l’acte sont des modalités prothétiques. Ce sont des prothèses psychiques qui permettent à ces adolescents de continuer à vivre, à survivre aux attaques internes dont ils se vivent comme étant les victimes. L’acte, dans ce cas, est un opérateur externe qui supplée à une difficulté d’inscrire dans le psychisme des expériences infantiles, souvent vécues comme traumatiques, par ces adolescents criminels. Démunis de ces outils d’élaboration que sont les défenses et les processus de mentalisation, ils construisent leur subjectivité sur ce mode de l’externalisation des objets internes ; ils se construisent une « subjectivité externalisée ». La stratégie de l’araignée est alors l’image de l’identification projective. L’acte est ici prothèse de la pensée, et non seulement son court-circuit13. Mais c’est aussi une voie potentielle d’élaboration, l’autre servant d’appui au travail 13.  Nous avions développé cette idée du court-circuit de la pensée qui fait relier acte et épilepsie dans un même schéma de violence interne non élaborée, dans « Hercule ou la colère des dieux », Adolescence, 1989, 7, 1, pp. 189-195. Nous

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psychique visant au maintien de l’angoisse à son niveau le plus bas. Se sentir vivant face à la menace d’effondrement ou d’anéantissement devient possible par le recours à l’acte. C’est ainsi que l’acte, fut-il délinquant, peut devenir signe d’espoir14, appel à l’autre pour tenter de résoudre une énigme impensable, inimaginable pour l’adolescent lui-même. Dans la clinique de l’agir adolescent, lorsque le recours à l’agir violent vient ainsi se donner comme une défense contre l’angoisse d’anéantissement, il y a souvent quelque pertinence à questionner le contexte familial dans lequel vit, ou à vécu l’enfant, l’adolescent. De fait, une tentative de compréhension du vécu pathologique de certains adolescents (voie de compréhension dans laquelle nous engage, par ailleurs, le schéma du traumatisme) révèle souvent que leur contexte familial est un univers où règne la violence, l’incestuel, voire l’inceste. C’est ce que l’on observe souvent dans les cas d’adolescents violents qui agissent pour lutter contre leur angoisse d’abandon. La puberté devient une circonstance qui permet que se produise la concordance entre la défaillance (carences affectives précoces) du milieu externe et la fragilité narcissique interne liée aux transformations pubertaires. L’adolescent se sent ainsi doublement « abandonné » (au sens exact où A. Aichhorn15 l’entendait). Lorsque des événements traumatiques vécus dans l’enfance entrent en résonance avec l’effraction pubertaire, ils précipitent ces adolescents dans des agirs violents. C’est ce que nous pouvons observer dans les crimes commis contre des pairs. Dans ces cas, le traumatisme pubertaire répète le traumatisme infantile et l’adolescence ne constitue pas un temps possible d’élaboration du « traumatisme par séduction » (traumatisme pubertaire). De fait, les carences précoces qui existent au niveau des processus de symbolisation ne permettent pas de contenir ces excitations et donnent lieu à des agonies primitives, à une détresse sans nom, impensable, avec des réactions d’empiétement liées aux interactions pathologiques avec l’environnement maternel16. Dans ce cas, il y a « traumatisme par carence ». revenons sur cette conception maintenant pour mettre en évidence la tentative d’élaboration du conflit psychique que représente l’acte. 14.  Cf. Winnicott D.W. (1967), La délinquance signe d’espoir, in Conversations ordinaires, Paris, Gallimard, 1988, pp. 1-110. 15.  Aichhorn A. (1925), Jeunesse à l’abandon, Toulouse, Privat, 1973. 16.  Cf. à ce sujet Winnicott D.W. (1964), La peur de l’effondrement, NRF, Paris, Gallimard, 1975, 11, pp. 35-44.

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C’est le cumul de ces deux types de traumatismes (« traumatisme cumulatif ») qui peut conduire l’adolescent à avoir recours à l’agir, envisagé alors comme un mode de traitement du traumatisme et de l’angoisse qui lui est liée. L’adolescence confronte l’enfant devenant pubère à la violence de ses éprouvés. Pour y faire face, il a habituellement recours au processus d’adolescence qui lui permet d’élaborer psychiquement des transformations somatopsychiques qui, sans ce recours, le conduisent à des difficultés psychopathologiques plus ou moins graves. C’est lorsque les émotions qui émaillent ces transformations pubertaires, parce qu’elles sont trop violentes, ne sont pas prises en compte par l’adolescent que les risques sont les plus forts. L’adolescent aux bases narcissiques fragiles a tendance à vivre ce qui se passe en lui comme une source potentielle de menace. Pour s’en défendre, il expulse son monde interne en le projetant sur les objets externes, attribuant à l’autre la violence qu’il ne peut contenir en lui et élaborer. Le recours à l’acte17 constitue une tentative paradoxale d’appropriation subjective de ses propres émotions en les attribuant à l’autre et en attaquant l’autre pour tenter d’en finir avec ces éprouvés menaçants. Coupé de son monde interne, étouffant toute perspective d’accès à son imaginaire, tenant à distance ses émotions, l’adolescent risque de se perdre de vue et de fonctionner au plan psychique sur un mode fonctionnel et adaptatif de surface, mode favorisant l’éclosion de dysfonctionnements d’ordre psychosomatique et de décompensations plus ou moins graves. L’agir pourrait être considéré dans ce contexte comme l’expression d’une difficulté majeure d’élaboration du conflit interne ; mais, en même temps il apparaît comme une tentative de traiter psychiquement la violence interne qui le déborde. Plutôt que d’envisager une coupure radicale qui opposerait acte et pensée, nous proposons ici de considérer l’acte comme une façon, certes étrange, d’apprivoiser un monde interne menaçant. Ainsi, vie psychique et vie corporelle ne sont pas deux registres qui s’ignorent mais au contraire deux 17.  On peut se référer aux travaux de Florian Houssier qui a développé un point de vue très original sur ce sujet, dès sa thèse (1998), « Le recours à l’acte délictueux à l’adolescence. Fonction de la limite entre monde interne et monde externe », et dans plusieurs de ses articles, dont « Transgression et recours à l’acte à l’adolescence : une forme d’appel à l’objet », Annales Médico-psychologiques, 2008, 166, 9, pp. 711-716.

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réalités qui ne peuvent se penser l’une sans l’autre. L’acte sert de trait d’union bruyant, témoignant des risques d’une dérive, d’une difficulté à rapprocher les deux rives de notre vie, celle du corps et celle de la vie psychique, mais constituant aussi un pont entre ces deux pans de la réalité. Une autre façon de dire que l’être est foncièrement psychosomatique.

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Statut de l’affect dans les pathologies hystériques Albert Danan L’hystérie n’est plus la jeune et fraîche viennoise du début du siècle, elle est devenue une respectable vieille dame qui vient tout juste de souffler ses 110 bougies. Il semble qu’elle ait eu du mal à vieillir tranquillement car bien des misères lui ont été causées. Elle a perdu depuis longtemps, outre-Atlantique, ses lettres de noblesse et son droit de séjour dans la sacro-sainte bible qu’ont été les successifs DSM. En plus, pour beaucoup, c’est une entité qui est contestée et est en passe d’être confondue avec d’autres pathologies telles que les troubles bipolaires ou les états limites. Il n’en reste pas moins que, même décriée, l’hystérie a servi de pierre angulaire à l’édifice psychanalytique bâti par Freud et conserve sa prééminence fondatrice dans le champ des psychothérapies. Dans cet ouvrage, ce thème paraît mériter sa place, tant l’affect traverse l’hystérie depuis sa genèse, jusque dans son expression clinique, pour finir par marquer ses limites théoriques. De surcroît, revenir à une lecture psychosomatique de l’hystérie va nous permettre de réviser nos fondamentaux, tant ce chapitre balaye l’ensemble des points clés de la théorie relationnelle.

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Classiquement, c’est bien la mise de coté de l’affect, la représentation séparée sous l’effet du refoulement, qui est à l’origine de la pathologie hystérique ; celle-ci ne va s’exprimer symptomatiquement qu’à l’occasion de l’échec de ce refoulement et de son retour dans le champ de la conscience sous la forme de manifestations conversives. Le symptôme hystérique n’a bien sûr que faire de l’anatomie et son sens est en connexion exclusive avec l’imaginaire : il a une valeur symbolique, et est à interpréter exactement comme un rêve dont on peut considérer qu’il est un équivalent. Le problème est qu’on a longtemps voulu réduire l’hystérie à la seule association d’une personnalité et d’un symptôme conversif. Des questions ont fini par être soulevées car la clinique dévoile très souvent des associations peu académiques, tels que des symptômes hystériques qui côtoient des manifestations psychotiques, ou même des lésions organiques. Du point de vue de nos manuels d’étude, cela reviendrait à vouloir faire cohabiter l’eau et le feu, tant ces entités s’excluent les unes les autres : tel patient est névrotique ou psychotique, il ne peut pas être les deux à la fois ! Notre objectif est, à partir d’une observation clinique, de repérer ces autres pathologies ignorées qui cohabitent à côté des symptômes conversifs classiques. Celles-ci concernent aussi bien des manifestations psychotiques, des atteintes organiques lésionnelles, ou encore des dépressions, c’est-à-dire autant de choses qui ne sont ni repérées, ni intégrées dans la clinique et la théorisation freudienne sur l’hystérie. C’est là que la pensée de Sami-Ali apporte un éclairage essentiel quand il introduit la notion de variabilité symptomatique qui définit toute pathologie comme « un processus psychosomatique soumis à un principe de variabilité tel que le psychique alterne avec le somatique et inversement ». C’est ce principe qui permet d’expliquer la coexistence de toutes ces différentes parties du même tout, dans l’hystérie, et de rendre compte de l’Unité d’un fonctionnement psychique masqué par la diversité de ses expressions.

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Limite clinique de l’hystérie La clinique de l’hystérie reflète bien les statuts contradictoires de l’affect dans cette pathologie. Comment en effet comprendre des symptômes aussi paradoxaux, mais tout aussi caractéristiques, que sont l’hyper-expressivité et le théâtralisme, d’une part et la belle indifférence de l’autre, autrement que par le passage obligé à la question de l’affect, qui, chez l’hystérique, connaît des destins variables, en plus ou en moins. Nous avons tous en tête des descriptions ou des souvenirs de patientes hystériques relatant des faits plutôt dramatiques avec certaine distance émotionnelle et affective, au point qu’il ait pu être question de dissociation hystérique dans les traités sur la question ! Je parle de souvenir tant il est vrai que ces tableaux se sont énormément raréfiés et que la rencontre avec la belle hystérique procède, de plus en plus, de l’exception, dans le champ de nos pratiques occidentales. Aujourd’hui, la clinique a quasiment gommé l’hystérie des manuels de psychiatrie, et ce diagnostic se discute avec d’autres entités tels que les troubles bipolaires et les états limites. L’hyperexpressivité et la séduction hystériques sont-elles cliniquement si éloignées que cela du ludisme hypomaniaque ? L’apparition de phénomènes psychotiques au sein de structures clairement hystériques posait problème ? Qu’à cela ne tienne, on a créé le concept de psychose hystérique pour contourner la difficulté, dont beaucoup se souvienne, mais dont personne ne parle plus. La véritable question est celle de la spécificité du symptôme conversif et de son quasi monopole sur la clinique de l’hystérie

L’affect et limite culturelle de l’hystérie Sauf à devoir traverser la méditerranée, cette pathologie du corps imaginaire a quasiment disparu dans sa richesse expressive ; on retrouve, ça et là, quelques formes remaniées, frustes et le plus souvent intellectualisées. 23

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En revanche, les aspects symptomatiques concernant les pathologies du comportement, mais aussi les pathologies psychosomatiques, au sens d’atteintes lésionnelles du corps réel, connaissent une véritable efflorescence dans nos sociétés. L’Orient, en revanche, conserverait une répartition inverse, de sorte que c’est ce gradient entre Orient et Occident qui mesure tout le chemin qui mène de l’hystérie à la psychosomatique, c’est-à-dire, des pathologies du corps imaginaire, à celles du corps réel. Ceci, en définitive pose la question du statut de l’imaginaire et de l’affect dans ces différents espaces culturels. Nous savons, depuis le Haschisch en Égypte, combien il est incongru sous ces latitudes de demander à un patient s’il rêve, tant le rêve fait partie intégrante du fonctionnement de l’individu, mais appartient également au champ social dans la mesure où les rêves sont partagés et font partis des échanges quotidiens, et où à la limite on rêve pour l’autre. La consommation de cannabis en Orient prend également une polarité très différente de ce que nous observons chez nous, dans le sens où elle s’inscrit dans une dimension culturelle ; celle-ci est mise au service de la socialisation et de l’imaginaire comme témoigne la place de l’humour qui lui est associé. De telle sorte que ce phénomène n’exerce pas le même effet abrasif sur l’affect et le rêve, que sur nos patients toxicophiles. Chez ces derniers, le rêve et l’affect, de façon générale, connaissent un destin plus problématique : ils sont malmenés au point que le retour de l’activité onirique, et surtout la survenue du premier rêve, dans nos thérapies, sont traqués comme de véritables pépites d’or. Tout cela procède, sans doute, d’une pression culturelle et sociale qui tend à ériger la norme en culte, la performance et l’émulation en obligations, le rythme et le temps en une course haletante, ce qui conduit de plus en plus l’individu à faire l’économie de ce qu’on appelle une vie psychique. Or l’hystérie n’est que cela, c’est-à-dire jeu, fantaisie, rêve et imaginaire.

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Ainsi l’homo occidentalis, parce que son imaginaire est malmené au profit d’un surinvestissement de la réalité objective, est en passe de perdre sa subjectivité, et son préconscient de perdre en épaisseur.

Les diversités expressives de l’hystérie : la variabilité symptomatique Revenons sur cette coexistence de différentes plans de pathologies au sein même de la clinique de l’hystérie : celle-ci, non seulement ne se limite plus au symptôme conversif, mais lui associe volontiers des pathologies somatiques lésionnelles, et, ou des manifestations du registre psychotique. Freud avait lui même repéré, non sans perplexité, cette possibilité, sans en donner de réelle explication ; il aurait préféré avancer dans son élaboration théorique sur l’hystérie, et remettre à un plus tard, jamais réellement advenu, la réponse à la question du saut mystérieux du psychique dans le somatique. Tout juste entrevoitil la complaisance somatique comme point d’attache possible au corps réel. Sami-Ali a sans doute apporté une contribution explicative majeure à cette question, quand il a introduit la notion de variabilité symptomatique : celle-ci fait référence à la possibilité d’un refoulement alternant de la fonction de l’imaginaire, de sorte qu’il  définit  toute pathologie « comme un processus psychosomatique soumis à un principe de variabilité tel que le psychique alterne avec le somatique et inversement ».

La fonction de l’imaginaire et ses destins Je crois nécessaire de faire un arrêt-image sur ce point, afin de bien faire préciser pour ceux qui ne seraient pas familiers de ce concept, sans vouloir faire insulte aux autres, que ce refoulement de la fonction de l’imaginaire est spécifique en ce sens qu’il il porte

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sur une « fonction ». La fonction projective, qui est ce qui permet au sujet de rester activement au contact de son imaginaire, ses fantasmes, ses affects, et en gros de sa subjectivité. Son refoulement a pour effet, inversement, d’interrompre cette connexion et d’instaurer un moi désertifié, coupé de sa subjectivité, inscrit dans un fonctionnement caractériel ou dans le banal, qui est proche, tout en étant différent, de la pensée opératoire, ce que nous pourrons peut-être développer dans la discussion. Il se singularise du refoulement décrit par Freud parce que celui-ci ne porte pas sur une fonction mais sur des représentations et contenus qui peuvent être pulsionnels, affectifs. Ce refoulement de la fonction de l’imaginaire, qui est à comprendre comme résultant d’une force active, va connaître différents destins : il peut être totalement et durablement réussi, laissant prévaloir les pathologies désaffectées de l’hyper-normalité, du banal, et de l’adaptation, dans lesquelles l’affect est le neutre, et qui déterminent la somatisation du corps réel, dite du littéral. À lui seul le banal ne suffit pas à expliquer l’émergence d’une pathologie organique : le refoulement de la fonction de l’imaginaire ne devient déterminant que s’il est confronté à une situation d’impasse. Il peut (le refoulement) être totalement mis en échec de sorte que l’imaginaire aura la part belle comme dans les riches pathologies conversives de l’hystérie : ici l’affect est à la fête si je puis dire (hyper-expressivité, séduction), et la somatisation concerne le corps imaginaire et reste dans un registre symbolique. De l’issue de la situation d’impasse dépend l’évolution du sujet vers la santé, la maladie, la névrose ou la psychose : la psychose peut représenter une façon d’aménager la situation en prenant des libertés avec les réalités de l’impasse et s’en échapper, et trouve de cette façon une place dans la clinique de l’hystérie. Enfin, ce refoulement de la fonction de l’imaginaire peut être alternant, c’est-à-dire être par moment présent, puis absent, ou bien l’inverse, laissant le champ tour à tour à des pathologies différentes, ce dont rend parfaitement compte le concept de variabilité symptomatique.

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Ce concept explique combien, dans toutes les observations d’hystérie, notamment celles des cas princeps de Freud – que sont le cas Dora, Miss Lucie, et Anna. O –, on voit cohabiter des symptômes névrotiques conversifs, des symptômes somatiques et des symptômes psychotiques, qui se déclinent en relation étroite avec la disponibilité de l’affect. Dora, Miss Lucy, et Anna. O présentent toutes les trois des manifestations conversives hystériques. Cependant, la question du somatique soulevée par l’asthme de Dora, les troubles de la vision binoculaire d’Anna. O, et enfin la sinusite ethmoïdienne de Miss Lucy, n’est jamais abordée. C’est-à-dire que les manifestations du corps réel sont passées sous silence dans leur rapport possible au fonctionnement psychodynamique de ces patientes. De la même façon, les mouvements psychotiques repérables dans l’observation de Dora, qui, à un moment, présentera une oscillation paranoïaque, et les hallucinations olfactives de Miss Lucy ne sont pas repérées non plus, par Freud, comme des limites possibles à son élaboration. En ce qui concerne les manifestations conversives, son génie a certainement été de pouvoir les corréler à des motions pulsionnelles ou des affects refoulés, portant sur des traumatismes, généralement sexuels, de l’enfance. Chez ces sujets, la confrontation à l’âge adulte, à une situation en correspondance associative avec ces affects refoulés, va être responsable de l’échec du refoulement et du retour sous une forme déguisée des « contenus » affectifs mis de côté. Ainsi le bras qui se paralyse, de façon totalement atypique sur le plan neurologique et anatomique, correspond à la suppression de la fonction motrice pour supprimer l’affect agressif, totalement inacceptable pour la conscience, et qui pourrait pousser à frapper une mère trop intrusive, un père trop autoritaire par exemple, ou encore à supprimer le risque de céder à une tentation libidinale masturbatoire trop coupable, etc. Le symptôme correspond bien à un retour de contenus affectifs refoulés et sa signification n’est pas d’emblée évidente ; elle doit être recherchée et décodée comme un songe. À l’inverse, dans ces mêmes observations, on rencontre des symptômes somatiques lésionnels, et des symptômes psychotiques,

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par lesquels Freud semble peu concerné, et que la seule théorie psychanalytique ne permet pas d’expliquer. Le principe classique, suivant lequel la pathologie du corps réel est en corrélation négative avec l’imaginaire, c’est-à-dire que plus imaginaire et affects sont présents moins la pathologie se fera dans le corps réel et, inversement, reste un principe très utile pour comprendre ces processus. Comme cela a été dit, son association au principe de variabilité symptomatique permet de mieux comprendre la diversité des formes sémiologiques de l’hystérie, qui non seulement ne sont pas contradictoires, mais témoignent au contraire de l’unité du somato-psychique. Ce qui vient d’être dit pourrait se résumer, tout simplement, au fait que, chez un même individu, il peut exister des variations du niveau de disponibilité de l’imaginaire et de l’affect, en fonction des circonstances et du moment ; et ce sont justement ces variations qui vont privilégier l’apparition de tel plan symptomatique plutôt que tel autre.

L’ouverture : penser l’unité La théorie relationnelle nous semble être un outil opérant pour intégrer les contradictions apparentes, contenues dans une clinique contemporaine de l’hystérie. Dans « Penser le somatique », Sami-Ali repère le fait que dans les trois observations princeps précitées, corps réel de la somatisation, corps imaginaire du symptôme conversif, et projections psychotiques cohabitent. Faire le constat de cette cohabitation ne suffit pas, il faut en rendre compte théoriquement. Les fluctuations du niveau de fonctionnement et de disponibilité de l’imaginaire permettent précisément de faire ces liens. Freud rencontre Miss Lucy la première fois au décours d’un processus infectieux ORL qui allait en s’améliorant, précisément au moment où les phénomènes hystériques connaissent une recrudescence. 28

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Inversement, plus tard, l’apparition de la sinusite ethmoïdienne coïncide avec une amélioration des phénomènes hystériques et correspond à une aggravation de la pathologie ORL, qui finira par entraîner un arrêt de la prise en charge. Ainsi, c’est l’équilibre psychosomatique, pourvu d’une temporalité et d’un rythme particulier, qui scande l’évolution de la symptomatologie. Des mouvements psychotiques ont ponctué l’évolution, repérables au travers d’un processus érotomaniaque et d’hallucinations olfactives (odeurs de brûlé). Maladie organique infectieuse, hallucinations olfactives, processus projectifs et processus conversifs sont les différentes facettes d’une seule et même pathologie qui relèvent de l’équilibre psychosomatique. C’est la corrélation négative existant entre imaginaire et somatisation (plus l’imaginaire peut se déployer, et moins grand sera le risque de somatisation), qui permet de saisir le lien entre les différents plans, et d’entrevoir l’unité du fonctionnement psychique. La variabilité symptomatique est constante dans la clinique de l’hystérie ; elle met en jeu des fluctuations incessantes de l’imaginaire, de la projection et de la somatisation unis par une corrélation négative. On peut ainsi entrevoir comment l’équilibre psychosomatique préside à cette variabilité symptomatique et comment l’hystérie, si elle peut être comprise par la psychanalyse, doit être, comme celleci, repositionnée dans un cadre plus large et qui les englobe : « La Psychosomatique ». Dès lors, c’est la disponibilité de l’affect qui conditionne les différentes expressions symptomatiques, non seulement dans l’hystérie, mais dans toute la clinique psychosomatique. Celle-ci, telle qu’elle a été conçue dans la théorie relationnelle, est davantage à comprendre comme une épistémologie de la relation que comme une théorie de la clinique à proprement parler. En effet, la dimension relationnelle est prépondérante au sein de cette épistémologie parce qu’elle conditionne le statut de l’affect et la genèse de l’imaginaire. 29

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Car si l’imaginaire peut être affecté dans sa constitution par un étayage problématique, comme dans le cas d’une relation à une mère dépressive par exemple, sa récupération ultérieure de même que celle de l’affect sont rendues possibles, par exemple, par le biais d’une relation thérapeutique positive. Les différents degrés de disponibilité de l’affect et de l’’imaginaire, ainsi que le concept de variabilité symptomatique, préfigurent la notion d’une unité somato-psychique, dont la qualité conditionne le fonctionnement de chaque individu, ce à quoi nous introduit de façon plus explicite la lecture de « Penser l’Unité » le dernier ouvrage de Sami-Ali dont il nous est ainsi donné de saisir la cohérence et le cheminement de la pensée dans le temps. De cette façon, dans les pathologies addictives, le sujet a perdu cette unité parce qu’il est totalement coupé de lui-même, tant l’accès à l’affect et à l’imaginaire sont grevés par la pathologie de l’objet unique. Nous avons affaire à un sujet dont le moi, désertifié et désaffecté, est incapable de coïncider avec lui-même, corps et âme. Dès lors, l’effort thérapeutique au-delà du simple sevrage, va devoir consister à favoriser cette possibilité pour le sujet de récupérer cette coïncidence et un peu d’unité, en essayant juste de rendre l’affect plus supportable pour lui.

Illustration clinique La rencontre Brigitte, jeune femme de 40 ans, consulte pour un problème de claudication sine materia, dans un climat fortement dépressif correspondant de toute évidence à une névrose hystérique. Cette dépression survenait peu de temps après la visite de sa mère adoptive, décrite comme peu aimante, rigide, sévère et surmoïque. Brigitte avait quitté sa ville natale pour tenter d’échapper à son emprise. Enseignante, Brigitte vit avec une amie plus âgée qu’elle dans une relation symbiotique où l’homosexualité revêt davantage l’allure d’une quête affective maternelle.

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Elle m’explique qu’avant de me consulter, elle avait vu un magnétiseur car elle se pensait ensorcelée, téléguidée par sa mère, faisant entrevoir les prémices d’un possible développement psychotique. L’entretien m’apprendra qu’elle est traitée par lithium depuis une dizaine d’années ; ce traitement avait été instauré à l’occasion d’une première dépression vingt ans plus tôt, à l’âge de 21 ans, au moment du choc de la révélation brutale de son adoption.

Premier rêve, cadre directeur de la thérapie Alors que jusque-là elle n’avait aucun souvenir d’une quelconque activité onirique, au terme de quelques entretiens, elle me rapportera un premier rêve fondamental qui la met en scène en promenade sur un massif montagneux. « À la suite d’un croche-patte, elle fit une chute et se voit tomber dans un ravin ; elle parvient à se raccrocher à un arbre solidement enraciné et, progressivement, en prenant appui sur celui-ci, elle parvient à se rehausser sur la terre ferme… ». L’existence de cette dépression est fondamentalement un repère car elle est le signe d’une impasse véritable à plusieurs niveaux : • Une impasse actuelle puisque la patiente souffre de ne pouvoir véritablement quitter sa mère à cause du sentiment de perte intolérable et en même temps l’impossibilité de continuer à subir sa tyrannie intrusive qui pourrait la conduire à la folie. •  Une impasse originelle à laquelle fait écho la précédente, représentée par son abandon précoce et son adoption sans amour véritable. • Après son adoption, Brigitte connaît déjà une dépression profonde avec anorexie qui signale l’impasse de la relation vécue avec sa mère adoptive ; si elle est présente, elle l’envahit, si elle est absente elle l’abandonne. • Toute sa pathologie infantile est à comprendre dans le cadre de cette impasse relationnelle qui va la conduire jusqu’à l’hospitalisation de trois semaines pour anorexie et qui favorisera l’apparition de troubles somatiques multiples dans l’enfance (constipation, abcès du poumon, allergie, urticaire, otites récidivantes). Ces manifestations somatiques se prolongeront à l’âge adulte (fibrome utérin, syndrome de Raynaud, migraine, colite, zona, hypothyroïdie).

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Fonctionnement psychique de Brigitte À vingt ans, la révélation de son abandon a été un traumatisme. Tout son fonctionnement va dès lors s’organiser dans une coupure par rapport à ce passé, par un refoulement caractériel, et la suppression des rêves qui constituent le lien privilégié entre le présent et le passé. La prescription du lithium par le premier médecin renforce cette tendance au refoulement en agissant sur le sommeil paradoxal et en supprimant les rêves. Deux tentatives pour supprimer ce traitement pharmacologique se sont soldées par un échec, car cela confrontait la patiente à une résurgence traumatique de son passé au travers de l’activité onirique, et était l’équivalent symbolique d’une perte de béquilles psychiques.

Le symptôme conversif chez Brigitte Si la boiterie s’inscrit dans un foisonnement de manifestations somatiques mais également psychotiques (thème de l’ensorcellement par la mère), elle n’en reste pas moins, et avant toute chose, un symptôme hystérique. Ce dernier condense des significations de niveaux différents. L’enracinement dans une signification libidinale hétérosexuelle problématique est largement suggéré par la gestuelle et le rythme de claudication qui, chez elle, pourrait revêtir un aspect lascif. Elle comporte toute la signification névrotique de la problématique hystérique : autour d’une représentation sexuelle traumatique infantile refoulée ; cela se confirmera par l’association qui l’amènera à évoquer les jeux très ambigus avec un prêtre sur les genoux duquel elle avait plaisir à s’ébattre vers l’âge de six ans. Cette même problématique réapparaîtra plus tard dans le cadre d’une relation platonique entretenue avec un autre prêtre qui sera obligé de fuir devant ses assauts épistolaires et sa quête affective incessante. Ce symptôme reflète sa dépendance et son ambivalence à l’égard de sa mère, vis-à-vis de laquelle elle ne sait sur quel pied danser ; la boiterie survient électivement lors de chaque conflit avec celle-ci. Au-delà, l’accès au sens de ce symptôme, la boiterie, nous est donné par le premier rêve. Que dit ce premier rêve ? Celui-ci 32

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s’inscrit bien dans une dynamique transférentielle ; si les racines solidement ancrées de l’arbre suggèrent l’appui trouvé dans la relation thérapeutique, la dimension phallique ne doit pas être oubliée, tout comme celle contenue dans l’immense bâton de berger sur lequel elle prenait appui de façon ostentatoire lors de certains paroxysmes. Ce rêve fait également référence à la chute.

L’évolution et le déroulement de la thérapie On note une amélioration progressive au plan clinique, et le travail psychothérapeutique est orienté sur l’accès à la représentation hétérosexuelle traumatique refoulée ; il se centre également sur la notion d’impasse relationnelle à la mère, la nécessité de l’aider à surmonter la dépression, de permettre un accès au symbolisme du symptôme, de dépasser l’ambivalence et la culpabilité à l’égard de sa mère, d’aborder enfin le problème de sa précarité narcissique et de son angoisse de l’abandon. L’impasse relationnelle à sa mère demeure le centre du problème. L’accès à l’imaginaire, grâce à la thérapie et à une première suppression du lithium, permet de trouver une issue en autorisant l’inscription de ce dilemme, à la fois dans le corps imaginaire de sa claudication hystérique, et également dans le rêve. Son amélioration lui permettra de se sentir suffisamment forte pour rompre avec sa mère. Rupture salvatrice, car elle redira, tout comme quelques mois auparavant, comment elle s’est sentie envahie et influencée par elle. Ces thèmes d’influence montrent comment la psychose a pu être envisagée comme une autre possibilité de sortie de l’impasse. L’évolution sera marquée par la survenue d’une hystérectomie liée à l’aggravation d’un fibrome préexistant. Cet événement la plongera dans une dépression mélancolique, alimentée d’une rage autodestructrice qui l’amènera à évoquer cet utérus pourri en elle, en l’assimilant à l’enfant pourrie qu’elle fut dans le ventre de sa mère ; elle voudrait se détruire pour détruire tout cela en elle : son utérus, l’enfant qu’elle fut, l’utérus de sa mère et enfin sa mère. Ces images d’emboîtements symboliques donnent une illustration intéressante d’un aspect du fonctionnement psychique, que l’on pourrait nommer sous le terme d’« Espace d’inclusions réciproques ». 33

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Cette dépression se soldera par une hospitalisation au cours de laquelle surviendra un virage maniaque de l’humeur, confirmant à ma grande surprise l’hypothèse d’une psychose maniaco-dépressive qui avait justifié la prescription du lithium, et dont elle réclamera la reprise à ce moment. Psychose maniaco-dépressive et névrose hystérique sont pour un psychiatre des entités quasi antinomiques, dont la coexistence est difficile à expliquer par le recours aux références théoriques psychiatriques ou psychanalytiques habituelles. Cette reprise du lithium amènera une stabilité thymique, mais une disparition des rêves ainsi que l’apparition d’une pathologie somatique polymorphe : colite, hyperthyroïdie, syndrome de Raynaud, zona, migraines ; cela en l’espace de quelques mois et à l’occasion de situations délicates, telles que la nécessité d’organiser un placement en maison de retraite pour sa mère devenue trop âgée, alors que son amie s’oppose à la venue de celle-ci, et à ce projet. Cette nouvelle impasse la confronte à son passé, à un moment où elle ne dispose plus d’activité onirique à cause de la reprise du lithium. Dès lors, la seule solution à ce conflit indépassable reste l’inscription dans le corps réel de la maladie organique, du fait de l’indisponibilité de l’imaginaire.

Pour conclure Nous avons affaire en Occident, comme dans cette observation, à des formes remaniées d’hystérie dans lesquelles se juxtaposent plusieurs plans : – un plan psychotique (épisode maniaque, délire) ; – un plan psychonévrotique (personnalité et syndrome conversif : boiterie) ; – un plan somatique (toutes les maladies). La seule possibilité de repérage théorico-clinique satisfaisant nous paraît représenté par la notion du statut de l’imaginaire aux différents moments de l’évolution, et de sa confrontation aux situations d’impasse.

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Nous voyons parfaitement dans cette observation comment l’impasse est représentée par la relation à une mère qui, si elle est présente, envahit la patiente et qui, si elle est absente, la plonge dans les affres d’un abandon déjà vécu. Cette impasse se double d’une impasse thérapeutique (échec de l’abandon du lithium) ; cela entraîne notre patiente dans une quête affective traduite par une pseudo-relation homosexuelle, où ce qui est en jeu est la tentative de retrouver un objet maternel satisfaisant. C’est cela même que pointe de façon originale Escande dans son ouvrage, comme une problématique centrale chez l’hystérique, qui se retrouve à la recherche d’un objet maternel illusoire au travers des multiples avatars relationnels et sexuels, dans lesquels l’hystérique se perd, et qui conduit à une impasse certaine. C’est la corrélation négative existant entre imaginaire et somatisation (plus l’imaginaire et le rêve pourront se déployer, moins grands seront les risques d’atteintes organiques et inversement), qui permet de saisir le lien entre ces plans et d’entrevoir le fonctionnement psychique, dans une unité et une continuité. Ne pas prendre en compte cette variabilité dans la pratique exposerait au risque d’une méconnaissance des problèmes de fond, et, dans la pratique, à adopter une attitude trop stricte, susceptible d’induire des ruptures relationnelles préjudiciables.

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Affect et pathologie en relaxation psychosomatique relationnelle Sylvie Cady Comment permettre à un sujet qui s’abrite derrière sa maladie à reprendre existence puisque tout, y compris la maladie, constitue une manière de ne plus manifester son affect et ses désirs ? L’observation de Mme F. vient y répondre : elle est âgée de 41 ans, diabétique (insulino-dépendante) et atteinte d’un cancer du sein. Un lien dans son histoire entre l’identité du sujet, l’imaginaire et l’affect intervient dans la structuration de la personnalité. Les situations affectives ainsi que les phénomènes biologiques internes vont être abordés dans une reconstruction de son histoire. Toute une thématique autour du stress lié au rythme du corporel, porté par le rythme du temporel, est le support de son évolution. Le point d’ancrage de ses difficultés affectives se situe autour de l’abandon, qui fonctionnent en tant qu’impasse. Mme F. vient de subir un accident somatique dû aux perturbations de son diabète déréglé, entre autres, par différentes chimiothérapies. Elle a été retrouvée dans la rue sans connaissance, puis très vite, c’est le coma avec clonies et perte des urines. Au réveil, elle s’est sentie très mal dans son corps avec des problèmes d’identité, ce qui la pousse à consulter. Depuis trois ans, Mme F. est atteinte d’un cancer du sein, mais initialement il n’est pas nommé. En revanche, rapidement, elle explique qu’elle est très mal dans sa peau, depuis dix ans, date qu’elle

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ne reliera que beaucoup plus tard à l’apparition de son diabète1. Elle associe à ce malaise corporel le fait qu’elle s’est toujours battue dans sa vie : pour étudier, pour trouver du travail pour se marier… car les relations affectives ont toujours été difficiles. « Depuis la mort de ma mère, ma vie est un grand vide, mon corps va mal. Le diabète, le cancer, quand est-ce que cela va s’arrêter », s’exclame-t-elle ? Elle n’a pas besoin de s’étendre sur ses rêves, cela fait longtemps qu’elle ne sait plus ce que c’est (ce qui coïncide avec la mort de sa mère). Avant elle rêvait, mais ce n’était rien d’autre que ses difficultés affectives, qu’elle ruminait toute la journée. « De toute façon, je suis très occupée, je n’ai pas le temps, je me suis affectivement isolée et si je pouvais rêver, je m’arrangerais pour le mettre de côté : l’affection des gens, le rêve, çà ne sert à rien ! ». Cette hyperactivité n’est pas nouvelle, la détente, je n’ai jamais su ce que c’est. Encore moins maintenant où je me sens « coincée » affectivement et corporellement. Mon mari, lui, dit que je suis tendue, mais je ne le ressens pas. On ne peut s’empêcher de penser à la lutte décrite antérieurement. Cette expérience tonique semble soutenir un corps problématique. C’est pourquoi j’engage notre discussion sur la possibilité d’une psychothérapie, alors qu’on lui a conseillé une relaxation, qui peut être, quand elle le désire, une étape successive. Effectivement, le choix de la psychothérapie lui paraît plus judicieux. Cette période durera trois mois  ; elle permettra de préciser les détails de sa vie tant ils sont confus, et difficilement mis en image.

La psychothérapie 1. Dans son enfance, Mme F. se rappelle avoir entendu dire qu’à huit mois elle subit une hémorragie méningée : beaucoup plus tard, elle en fera le lien affectif avec sa mise en nourrice chez les grandsparents, avec son frère de 2 ans son aîné. Le père, à cette époque, accomplit son service militaire à l’étranger. La mère ne peut prendre en charge ses enfants, à cause de son travail. Notons que cet épisode 1.  Le diabète apparu autour de son mariage. Le cancer autour du deuil maternel. C’est pour elle une maladie normale du vieillissement (cf. le cadre adaptatif de l’apparition de cette maladie).

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somatique fait référence à une situation triangulaire doublée de la problématique de quitter. 2. Mme F., après cet incident, retourne vivre au domicile maternel. C’était une enfant gentille et douce, collée à sa mère, qui préférait sa fille et qui était ravie de sa présence autour d’elle. Le retour du père au foyer, alors que le frère reste chez les grands-parents, coïncide avec l’apparition d’un eczéma géant : à cette époque, la mère abandonne sa fille pour s’occuper de son mari. Ces eczémas, par la suite, vont suivre un va-et-vient, ce que Mme F. reliera à ses difficultés relationnelles et affectives tant à la maison qu’à l’extérieur. 3. Son mariage fut affectivement difficile, d’autant plus que la précarité de son identité sexuée, due à cette relation très peu différenciée avec sa mère, et à des identifications autres, impossibles, l’amènent à une activité sexuelle chaotique. « Ceci » dit-elle « mettait la relation affective du couple dans l’impasse ». C’est là qu’apparait le diabète. D’une difficulté quant à la différence que soustend sa période allergique, elle passe à toute une confusion entre soi et non-soi autour de l’apparition du diabète ; ceci rend la sexualité encore plus problématique que la relation. 4. Depuis le deuil maternel, le refoulement de la fonction de l’imaginaire et le registre de banalisation des affects et de l’activité sexuelle ont enlevé à cet acte un plaisir souvent incertain. Actuellement, l’activité sexuelle n’existe plus et elle se dit coincée affectivement. C’est à cette période qu’apparait le cancer. Pendant cette période de psychothérapie, la patiente fonctionne dans l’adaptation. Le plan de l’affectivité est banalisé : tout le monde est vécu de la même manière. Avec l’absence imaginative, la patiente ne vit que dans le présent, le passé est coupé d’elle et le futur n’existe pas. Aussi, pour Mme F., le fil décousu de son histoire qu’elle refait sienne constitue une première étape pour l’imaginaire : la mise en image de la vie affective lui permet une « reidentité ». « J’aime bien venir ici, dit-elle, je vous raconte à vous mes petits ennuis, ce que je faisais avec tout le monde, je le fais maintenant uniquement avec vous ». Cette relation affective unique trouve sa proximité dans l’élaboration de la fonction tonique, une préoccupation attribuée par Mme F. à sa thérapeute. C’est ainsi qu’une discussion autour de ce sujet se poursuit. Depuis quelques temps, dit-elle, « j’ai trop de tonus parce que je n’ai pas assez de tonus ». Ceci doit être compris comme une attitude dépressive inexprimée, « je suis obligée d’emmagasiner de l’effort tout le temps » 39

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ajoute-t-elle. « Depuis la mort de ma mère, je suis comme un puzzle qui se défait et qu’il faut soutenir ». Le tonus se réfère donc également au problème d’identité. La relation affective la pose toniquement, elle le précise, « je me rends compte en parlant avec vous de mes contractions car ma tension est moins importante. Peut-être pourrais-je essayer votre détente ? ». On voit apparaître ici un début de relation imaginaire projective où la thérapeute représente une image unique proche. Ceci est visible dans le rapprochement spatial que la patiente effectue vers la thérapeute, pendant la séance, et dans son discours. Parallèlement, un recouvrement de l’imaginaire, qui se précise dans la relation affective retrouvée, vient nourrir la récupération d’équivalents du rêve, que peuvent être les mots lorsqu’ils sont attachés à une certaine image : « réidentité » ainsi que « puzzle » font partie de cette reconstruction imaginative. Cet affect identitaire de Mme F., perdu lors du deuil maternel, se trouve rehabité dès l’anamnèse par son histoire. Tout ceci permet la découverte de la situation d’impasse, liée au deuil de la mère. L’affect est la base de cette assise personnelle qui la structure. C’est pourquoi un faceà-face qui évite la perte relationnelle est choisi initialement par la patiente pour la relaxation psychosomatique.

La psychothérapie en relaxation psychosomatique L’abord du diabète et de son fonctionnement Des mouvements qu’elle a choisis avec la thérapeute en face à face2 et qui n’utilisent ni la contraction, ni la détente3, mais les articulations que l’on bouge en flexion ou rotation, et qu’elle dynamise autour du domaine latéral4, permettent d’aborder une autre étape : celle de la phase diabétique, autour de son mariage. Là, la différenciation renvoie au deuil. 2.  Pour l’aspect relationnel et affectif (sans différenciation). 3.  Pour l’aspect dépressif et la problématique de la différenciation choisie par elle. 4.  Pour la problématique de la différenciation.

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Le domaine de la différenciation latérale choisi par elle s’inscrit dans une différenciation relative de la relation à la thérapeute : car la différenciation n’est acceptable que si l’autre fonctionne comme double narcissique où elle est l’autre. Et si son côté gauche, paraît plus facile pour agir dans cette relation, c’est qu’il est projectivement celui de la latéralité de l’autre en face et qu’elle le ressent comme plus proche de l’autre. C’est dans cet espace qu’elle se sent bien. Son côté droit s’éloigne de l’autre et est de ce fait tendu. Il existe donc une différenciation problématique mais elle fonctionne en tant que différenciation : c’est ce que l’on retrouve dans le fonctionnement allergique. Or, ici, l’utilisation de la gauche n’est en fait pas aussi simple, car avec la proximité il y a le risque d’être transparent à l’autre et la limite entre soi et l’autre s’efface. On rejoint ici un problème d’identité, celui du soi et du non-soi et de sa confusion, que l’on retrouve dans le fonctionnement du diabétique. Aussi, pendant la relaxation, s’est-elle mise à penser que lorsqu’on parle à une relation amicale ou avec une thérapeute, celle-ci peut lire dans les pensées : « Je suis redevenue transparente » dit-elle. Pour la patiente, en effet, l’autre à l’extérieur détermine une relation qui peut s’ingérer à l’intérieur, on l’admet, en même temps on le refuse, tout cela est en pleine confusion et ceci est lié à l’affect. Plus tard, elle découvre que pour elle cette confusion identitaire affective est amenée par son mariage qui arrangeait le couple parental : à cette époque, elle a été abandonnée par sa mère tout comme lors de sa disparition.

L’abord du fonctionnement de la personnalité de la patiente et de l’abandon Avec le retour de cette pathologie psychosomatique allergique liée à l’affect retrouvé, elle relate une autre période de sa vie, celle qui correspond à ce phénomène allergique. Nous abordons de ce fait cette autre étape de l’évolution psychothérapeutique en relaxation psychosomatique par des mouvements spatiaux choisis par elle qui suscitent chez la patiente l’abord de la différenciation à partir de son corps dans l’espace. Ceci lui permet une analyse de l’affect chez elle qui part d’un repérage affectif maternel, puis d’une évolution depuis le diabète vers un repérage affectif banalisé, adapté à la demande extérieure, en vue d’éviter la relation trop affective et la confusion (le diabète avec son système adaptatif participe à cette élaboration). 41

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En fait, la mère est d’abord décrite comme une relation affective unique pour sa fille. Ce qui pose le problème du père. Le père est apparemment exclu de cette relation affective. La mère est idéalisée par ce dernier. Il la décrit comme une « femme raisonnable » car il n’a jamais eu besoin de la raisonner, puisque les décisions de sa femme sont toujours justes. Or, depuis la mort de cette dernière, rien n’a changé ; car ce sont les pensées et les désirs de son mari qu’elle énonçait : l’un et l’autre vivaient finalement en symbiose. Ainsi, cette position du mari, liée aux idées exprimées par la mère se révèle être un système relationnel construit, qui permet à ce dernier d’avoir sa place, et de lutter contre la prédominance de la relation mère-fille. De toute évidence, le mariage de leur fille arrangeait finalement le couple parental. Là, la séparation fait référence au deuil de la relation parentale, ce qui correspond au fond de l’impasse affective : le diabète, puis le cancer s’inscrivent dans ce phénomène. La compréhension de l’impasse permet à Mme F. de substituer à la banalité de l’affect une relation affective où la thérapeute fonctionne en tant qu’image maternelle. Par la suite, cette impasse affective qui peut aborder la différenciation lui assure une identité. Cette existence personnelle se traduit par une existence dans la différenciation sur le plan de l’imaginaire. On assiste alors à l’émergence d’une « cascade de rêves ». D’abord un espace planté d’arbres, ceux-ci veulent se différencier ou se quitter les uns des autres. Les panneaux de signalisation qui y sont accrochés s’effondrent (pour la patiente, il s’agit de l’affect lié au deuil maternel) ; au loin, une image qui sert de repère apparaît (pour la patiente, il s’agit de la relation affective de la psychothérapie). Dans le deuxième rêve, deux personnes se regardent : l’une sert de miroir à l’autre (pour la patiente, il s’agit de la relation affective et identitaire au thérapeute). Le mouvement régressif se poursuit avec un troisième rêve : elle est étudiante, elle se bat pour obtenir une formation, elle veut en travaillant prendre son indépendance, mais elle ne le peut pas (pour la patiente, il s’agit de l’élaboration de la psychothérapie actuelle). Avec les deux personnes du rêve suivant, on est au cœur du problème de la séparation liée à l’indépendance : deux personnes se quittent, leurs images sont déchirées, elle ressent un grand vide : sa tête est vide, d’autant plus qu’elle se trouve maintenant dans une maison inconnue avec son père. Un visage indifférencié homme-femme se pose sur la figure paternelle, ce qui la rassure. À partir de son analyse, il apparaît que les deux 42

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premiers rêves correspondent à la perte des repères adaptatifs et à la mise en place d’une relation de double narcissique où l’autre s’inscrit dans la relation affective maternelle, restituant la relation allergique de son enfance. Être autonome renvoie à la séparation et à la perte de sa propre image. Aussi, avec le rythme présenceabsence des séances de la psychothérapie, la thérapeute la renvoie à la séparation. En définitive, ces rêves révèlent à notre patiente que le deuil lié à la séparation et à l’autonomie de l’image maternelle constitue le fond de son problème affectif.

Deuil et séparation : l’impasse du cancer C’est ce que Mme F. élabore maintenant en demandant la possibilité de se séparer de la thérapeute, en choisissant son autonomie dans la relation à partir de la rythmicité temporelle : elle décide de l’horaire et du rythme des rendez-vous pour la psychothérapie en relaxation psychosomatique. Par la suite, en séance, la patiente ose « briser le temps » et se relever avant la limite temporelle supposée être déterminée par la thérapeute5. Dans la nuit qui suit cette entrevue, elle rêve qu’elle n’a plus de montre : elle l’a cassée. Cela lui rappelle son enfance, où elle n’en portait jamais : c’est sa mère qui régissait tout. « Avec sa mort, la montre s’est cassée et moi avec le cancer » précise-t-elle maintenant. « Car toute relation n’avait du sens qu’en fonction de la relation affective maternelle. J’ai envie et je ne supporte plus de retourner là dedans ». Ici progression et régression s’entrecroisent ; nous nous décidons ensemble pour un mouvement entièrement personnel. Ceci lui permet d’analyser le fonctionnement du stress face à l’impasse.

La problématique du stress 1. Lorsqu’elle était enfant et allergique, le stress ne lui posait pas de problème, sa mère réglait tout, elle n’avait qu’à se glisser dedans. En grandissant (vers 17 ans), elle ne pouvait plus être câlinée par sa mère, elle a trouvé le temps et son rythme pour remplacer 5.  Le temps de relaxation après l’exécution des mouvements est libre.

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les caresses. Faire en même temps les mêmes activités que sa mère, ou suivre un programme établi par elle, amenait à une extrême détente. Quand cette relation à l’affectif n’existait plus, elle se sentait « défaite » et son malaise se traduisait par l’allergie. 2. Après son mariage (ou période diabétique), un temps confus et stressé s’est mis en place. Pour s’en sortir, elle a dû le faire soutenir par de l’inaffectif adapté au temps social. Avec le deuil, elle tombe dans le stress du vide et c’est la déstabilisation diabétique et celle du cancer. Car la perte de la mère l’a faite glisser dans le chaos de la perte affective identitaire et la maladie. Un stress dû à une contraction considérable le laisse constater : il maintient une dépression inexprimée. Ni tension ni détente ne sont de ce fait possibles. Avec mon aide, elle relie cela au fait qu’elle se situe à un « carrefour de sa vie : aucun des chemins n’a une issue », car avec le deuil maternel, explique-t-elle, elle a demandé à son mari une prise en charge affective totale. Ce dernier, perdant en partie une propre image maternelle avec cette disparition, ne peut tenir ce rôle. Ici l’impasse de la différence se répercute sur le corporel et c’est en cela que le biologique se trouve modifié. L’élaboration plus précise de cette difficulté corporelle et affective, qui joue un rôle d’impasse, permet d’aborder enfin le cœur du problème. Ceci est soutenu par une activité onirique harmonieuse liée à la récupération du rythme corporel dans la différence tensiondétente autour de l’élaboration de l’impasse. Ceci est visible face au temporel qui se différencie en : avant, pendant, après. Dans la nuit qui précède la visite à la thérapeute, Mme F. rêve de sa mère et d’elle-même. Elle raconte : « Toutes deux sont dans deux hôpitaux séparés. Elle ne peut aller voir sa mère, alors que les deux pendules des deux hôpitaux marquent l’identique ou même heure. Rester dans le temps maternel pour conserver ma mère et ne plus pouvoir y être, dans la mesure où mon mari ne peut jouer le rôle maternel, bloque considérablement toute issue ». Ayant pris conscience de cette difficulté lors de la séance, elle continue le rêve de l’hôpital en séance : la pendule de l’hôpital où se trouve la mère donne l’horaire renvoyant à l’époque de la mort maternelle ; l’hôpital de la patiente indique l’hiver : la porte de la chambre s’ouvre vers la relation affective. Dans les semaines qui suivent, elle rêve qu’elle se trouve dans un espace actuel, qui lui semble s’ouvrir vers une relation en profondeur et un vide acceptable, parce qu’il y a une relation affective différente grâce à son autonomie et elle se détend. Ceci correspond à la dissolution de l’impasse, liée au deuil et à la non différenciation dans la relation 44

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affective et corporelle. Autour de cette élaboration qui touche au psychique et au corporel, le biologique se modifie. On assiste à une amélioration de son symptôme cancéreux. En effet, jusqu’à maintenant, le problème du cancer n’a pas été vraiment abordé. Mme F. fait remarquer maintenant qu’elle se sent mieux et que son traitement chimiothérapique est espacé. Puisqu’elle va mieux, elle m’explique qu’elle a désormais besoin de plus d’autonomie, pour que son corps puisse trouver son propre rythme. C’est pourquoi, elle décide de partir seule en voyage, en quête d’une identité. Cette évolution de son autonomie, qui se met progressivement en place, fut un moment essentiel dans la constitution de sa personnalité. Durant ce voyage, elle a même été danser, éprouvant du plaisir lié à la relation affective amicale et au stress qui se libère dans un corps qui n’est plus « coincé ». Mais elle ressent quelque difficulté à la main gauche, où se manifestent de légers tremblements. Pour elle, en effet, la gauche reste liée à la prise de distance, d’où une angoisse corporelle et des hésitations. Nous sommes ici le plus proche possible d’un fonctionnement corporel en rapport avec le corps imaginaire. Ceci lui permet de comprendre la différence entre les relations affectives et amoureuses. Et, à son retour, Mme F. reprenant des relations affectives avec son mari d’une manière différente, car pour elle avec plus d’affect, trouve dans les relations sexuelles un plaisir et une détente tels qu’elle les avait imaginés lors de son voyage auparavant. D’une part, la récupération d’un affect lié à l’imaginaire permet cette situation relationnelle au rythme corporel qui se réharmonise. D’autre part, la chimiothérapie est définitivement arrêtée. Parallèlement, son mode relationnel affectif s’ouvre à l’extérieur : elle recommence à fréquenter ses amis et veille à ce que son mari ne souffre pas trop de son évolution (on est là dans l’intériorisation de la différence affective). Enfin, elle commence à parler de la maladie et de sa peur qu’elle n’osait ni éprouver, ni exprimer. Le deuil possible a fonctionné comme un stress inélaborable. Elle s’est interdit d’y penser. Ce stress traduit par l’hyperactivité a bien enfermé ce phénomène psychique. Psychique et somatique sont donc bien pris dans un même phénomène d’impasse relationnelle. * *   * 45

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Cette observation clinique tourne autour d’une impasse dont le premier moment est constitué par la problématique affective, liée à la différence et à l’identité dans l’allergie. Ici, en effet, le système immunitaire fonctionne par excès, les anticorps agissant contre les éléments non nocifs, sont considérés comme antigènes. La différenciation entre soi et non-soi est difficile, elle crée un problème d’identité. Comme l’a montré M. Sami-Ali, l’impasse dans l’allergie survient du fait que la différence existe et n’existe pas en même temps. Si le diabète touche également le système immunitaire dans un fonctionnement paradoxal, il y a une confusion entre le soi et le non-soi. L’impasse réside dans cette contradiction. Notons à cet effet qu’on retrouve une identité de langage avec les immunologistes. Gachelin dans « Corps et histoire » montre « qu’il suffit d’une diminution d’activité des cellules T suppressives, d’une augmentation des cellules T amplificatrices, pour laisser libre cours à la production d’anticorps aberrants par les cellules B. Une modification de la structure spatiale d’un antigène suffit à le faire prendre pour un étranger, au lieu de l’identifier comme une structure soi ». Avec le cancer, l’impasse continue. Le sujet est alors aux prises avec un corps coincé soutenant un puzzle corporel qui se défait. Pour se maintenir, Mme F. a recours à la tension, et l’adhérence au cadre rigide imposé remplace la relation affective vivante à l’autre. Elle y perd son identité, ce qui évite la différence, et c’est dans cette relation surmoïque désaffectée qu’elle peut trouver un semblant de corporalité. En fait, ce que l’on nomme stress n’est en réalité qu’une situation d’impasse, conditionnant en partie le processus de la pathologie psychosomatique. Un article de Jacques et Maïté Coppey (biologistes travaillant à l’Institut Curie), intitulé « Le cancer, une réalité déroutante », fait le point dans ce domaine. Il montre que les modes d’existence de chacun peuvent comprendre des facteurs de risque. Dans ceux-ci, ils situent « le stress chronique » et « vivre en isolement excessif ». C’est le cas de Mme F. Le stress, ici, fonctionne en tant que situation d’impasse, jouant un rôle face à la pathologie somatique et ceci constitue un autre facteur de l’impasse. En fait, se différencier est assimilé au stress corporel de la séparation et ceci d’autant plus qu’il est vécu comme un deuil. Ceci renvoie à l’impasse initiale, qui s’est constituée très tôt dans l’histoire de la patiente, avec la perte de la relation maternelle lorsqu’elle était âgée de 8 mois. À cet âge, l’expérience 46

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est difficilement représentable, mais il en restera une trace, une cicatrice. Par la suite, une autre situation d’impasse de la différenciation, autour de la séparation avec le retour du père, se traduit par la crise allergique. La relation fusionnelle mère-père fait que cette séparation renvoie à un deuil. L’allergie autant que le diabète constituent une réponse directe à une impasse liée à l’affect et supportée par le stress. Enfin, avec le cancer, l’impasse se resserre de nouveau et un refoulement de la fonction de l’imaginaire et de l’affect est plus prégnant. Mme F. s’isole affectivement. Aussi, sans activité de rêve, sans possibilité représentative, la patiente traduit, par des tensions, un stress indépassable, et elle n’a pas conscience de ce qui se passe dans son corps, ni dans son esprit. D’une part, son ignorance lui permet de se défendre, et elle est à mettre en parallèle avec la non-élaboration du deuil. D’autre part, cet état de tension crée un malaise corporel non reconnaissable, qui l’empêche de maîtriser la situation relationnelle et affective. Impasse et affectivité sont donc les données essentielles de cette approche thérapeutique en psychothérapie et en relaxation psychosomatique. Toute une dynamique, autour de l’affect et du rythme corporel, sous-tend une telle organisation. Au départ, il s’agit de faire le lien entre la relation au vécu telle quelle et le plan de l’affectivité. Tout part d’un affect écrasé, où l’autre et les événements ont réduit la présence de l’objet relationnel affectif. Pour la patiente, en effet, un espace affectif impossible, depuis le deuil maternel, détermine un isolement excessif lié à une dépression inexprimable. Pour pallier cela, la tension bloque le tonus, la temporalité est « coincée ». Sans avant ni après, la mort maternelle engloutit son affectivité et son imaginaire et elle n’est plus capable d’exister dans son histoire. Rendre l’autre présent autrement, et s’ouvrir à l’imaginaire, qui permet la compréhension de l’impasse, c’est par là même rendre le sujet vivant et accessible à la relation affective. La pathologie psychosomatique se trouve prise dans cette relation imaginaire et affective. C’est aussi permettre une élaboration du symptôme corporel. Donc, le travail thérapeutique s’engage ici à libérer l’affect et l’imaginaire. Pour conclure sur le fonctionnement de la psychothérapie relationnelle, j’aimerai reprendre ces propos d’Henri Michaux6 qui 6.  Henri Michaux. L’espace du dedans. Paris, Gallimard, 1989.

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définissent bien le cheminement de la psychothérapie relationnelle : « La difficulté est de trouver l’endroit où l’on souffre. S’étant rassemblé, on se dirige dans cette direction, à tâtons dans sa nuit, cherchant à le circonscrire, puis à mesure qu’on l’entame, le visant avec plus de soin car il devient petit, petit, dix fois plus petit qu’une tête d’épingle, vous veillez cependant sur lui, sans lâcher, avec une attention croissante, lui lançant votre euphorie jusqu’à ce que vous n’ayez plus aucun point de souffrance devant vous, c’est que vous l’avez bien trouvé ».

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Le trésor de Julie Respects des traditions et souffrance psychique Lidia Tarantini Lorsqu’une femme, généralement d’origine africaine, cherche l’aide d’un thérapeute pour de graves problèmes psychiques, elle ne met presque jamais en relation son malaise psychique ou même psychosomatique avec la pratique de MGF (mutilation génitale féminine) subie dans l’enfance. Cet épisode semble représenter le « grand refoulé » et si elle est forcée à en parler, elle le fait plutôt avec le médecin ou avec le gynécologue, mais seulement en cas de complications physiques – les risques de la grossesse et de l’accouchement – qu’elle associe avec difficulté et parfois avec stupeur à cet événement maintenant lointain dans le temps. Ce qui reste entièrement ignoré, c’est en revanche les résonances psychiques profondes que cette expérience traumatique a produit et les signes qu’elle a laissés pas seulement dans le corps, mais aussi dans la psyché. Pour une femme africaine, la pratique de MGF fait partie d’un parcours normal d’acquisition identitaire, pour devenir femme par la manière « juste » et approuvée par la communauté. Pour le thérapeute, la première et la plus difficile des tâches sera de réussir vraiment à faire converger l’attention et le souvenir sur l’aspect traumatique et d’extrême souffrance de ce terrible 49

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moment, plutôt que sur les plaisants souvenirs de la fête, des cadeaux, ou des compliments reçus pour le courage montré. Mais ce que la conscience ne veut pas accueillir et qui est enfoui au fond de la mémoire, capsulé et enkysté, provoque cependant des dommages psychiques et des souffrances, dont la cause semble inexplicable et mystérieuse : dépressions, attaques de panique, véritables psychoses, hallucinations ou encore, plus souvent inexplicables, malaises physiques résistants à n’importe quel médicament. « L’impensable », que le souvenir des souffrances subies représente, devient une sorte d’attracteur énergétique qui capture presque toutes les énergies vitales, en bloquant le développement sain de la personnalité. Cette problématique devient explosive lorsque s’y ajoutent les problèmes liés à l’immigration, ce qui porte les femmes à vivre et à se confronter avec des pays de culture et de traditions très différentes des leurs. Cette acquisition identitaire, payée à prix cher, mais qui dans le pays d’origine de toute façon fonctionnait et avait un sens, risque en revanche de devenir un élément de désorientation ultérieure dans le nouveau contexte. Vivre dans un pays qui ne comprend pas, et qui carrément condamne pénalement une pratique fondamentale pour les valeurs de sa propre culture, met les femmes africaines dans une situation psychique insoutenable. Ne pouvant pas l’ignorer ou la renier, mais non plus penser qu’elle soit compatible avec le « nouveau monde » que, pourtant, elles ont souhaité et cherché, les met dans une situation d’impasse totale, dont la sortie est souvent représentée par la dérive psychiatrique ou psychosomatique. La première étape possible pour les aider à trouver les moyens plus égosyntoniques pour sortir de l’impasse, c’est de faire en sorte qu’elles puissent commencer à se rappeler et à raconter l’expérience vécue de la mutilation dans sa réelle crudité et pas seulement pour la satisfaction d’avoir été fortes et courageuses, en exprimant et en élaborant ces sentiments de trahison vis-à-vis des mères, d’agressivité et même de haine pour ceux qui les ont faites horriblement souffrir. Ne jamais se l’être accordé représente souvent un des obstacles majeur au procédé de la thérapie. Mais il est également essentiel qu’elles soient rassurées sur le fait que les valeurs dont les MGF sont les garants, des valeurs telles que la pureté, la fidélité, le respect du mari, la féminité, soient des valeurs valables et respectées même par la société d’accueil, et que la fidélité peut être un «  fait de tête et pas de 50

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couture », comme disait, à la fin d’un parcours psychothérapeutique, une jeune femme éthiopienne. Même les lois qui interdisent les MGF, et punissent les contrevenants, devraient être vues seulement comme des lois qui veulent protéger les femmes, leur santé et celle de leurs filles et pas seulement comme des lois punitives. C’est pour cela que les respecter ne signifie pas trahir soi-même, ses propres attachements et ses ancêtres, mais cela signifie permettre que même les valeurs de la société dans laquelle on a décidé de vivre trouvent l’espace et le respect dans leur vie et surtout dans celle de leurs filles, qui très probablement continueront à vivre dans cette société, peut-être pour toujours. Ainsi, même les ancêtres ne se sentiront pas trahis et accepteront de continuer à les protéger. Je pense qu’il est important que les femmes immigrées sentent, de la part du thérapeute, un sincère désir et une saine curiosité de connaître et comprendre leur culture et les pratiques qui les caractérisent. Même celles les plus lointaines de sa vision du monde, en remportant une impulsion humaine à stigmatiser, même silencieusement, ce qui a dû sembler irrecevable. Le thérapeute doit être en mesure d’exercer un accueil sincère, en dépit de la différence et aussi dans le caractère inacceptable de ce qu’on lui raconte. Seule cette attitude, si elle est sincère et pas masquée d’hypocrisie charitable, peut porter lentement ces femmes souffrantes à s’ouvrir et avoir confiance, premier pas indispensable pour qu’on instaure une alliance thérapeutique, le seul vrai moyen dont dispose le thérapeute au-delà des diverses théories. L’histoire de Julie pourrait être considérée comme un exemple de ce qui a été exposé jusqu’ici, une sorte de paradigme de comment les choses peuvent aller lorsque, deo concedente, la thérapie fonctionne. Dans ce cas, un élément fondamental a été l’introduction du Jeu de sable, dont je parlerai brièvement plus loin. Cette technique non verbale a permis à Julie de surmonter une situation de stagnation, à partir du moment où la parole ne pouvait plus dire davantage. Ce « davantage indicible » contenait cependant la « vérité » de la souffrance et de la problématique psychique de Julie. Pouvoir le dire, pas avec les mots, mais avec le geste, avec le corps, avec les mains et avec la construction des représentations dans le sable, a permis à Julie de dépasser le blocage, de reprendre le travail avec la parole et, à la fin, d’intégrer ce non-dit enkysté, qui interdisait à l’énergie psychique de Julie de circuler librement et créativement. 51

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L’histoire de Julie Julie vient chez moi sur l’indication d’un collègue psychiatre qui l’avait suivie en hôpital après une tentative de suicide. C’est une jeune femme de vingt ans, très jolie, avec de grands yeux noirs sur un visage intense et souffrant. Elle est accompagnée, la première fois, par ses parents adoptifs, âgés, angoissés et incrédules. Julie, me disent-ils, a toujours été une fille sereine, obéissante, soumise et studieuse. Julie se tait et je comprends qu’il ne sera pas facile réussir à conquérir sa confiance et sa familiarité. Je dis aux parents qu’à partir de cet instant mon rapport sera exclusivement avec Julie, que rien de ce qui se produira en séance ne leur sera référé, et que je ne voudrai plus avoir de contact avec eux, même pas téléphoniquement, étant donner que Julie est majeure. Seule Julie sera libre de raconter, si elle voudra, ce que nous nous dirons. Je perçois le visage de Julie s’illuminer et je comprends avoir posé le premier petit tasseau pour la construction d’une relation entre nous. Les parents, un peu étonnés au début, comprennent que ma requête n’est pas de vouloir les exclure, mais c’est une modalité thérapeutique, et comme telle ils l’acceptent pour le bien de leur fille à laquelle ils sont sincèrement liés. Ainsi débute un parcours intense et participatif qui durera trois ans et dans lequel j’utiliserai le Jeu de sable, au moment où le mot, qui avait aussi permis la prise d’acte des aspects et des problématiques fondamentales dans la vie de Julie, semblait cependant avoir épuisé son pouvoir de transformation. Julie a trois ans lorsqu’elle arrive en Italie avec sa mère. Elles sont originaires d’un petit pays près d’Asmara et sont accueillies par un couple sans enfants auprès duquel la mère est employée comme domestique. Le couple s’affectionne beaucoup à la petite Julie, qui est traitée et éduquée comme leur fille. Chaque été, elle retourne pour un mois au pays d’origine et, en septembre, elle reprend l’école à Rome. C’est une élève studieuse, obéissante, elle a des souvenirs sereins de cette période. Elle a quelques amies, mais elle se rappelle avoir toujours été une enfant, ensuite une adolescente, plutôt réservée et silencieuse. Lorsqu’elle a 13 ans à l’improviste sa mère meurt brusquement d’un infarctus et, sans attendre, le couple entame des démarches pour l’adoption. Depuis, elle ne retourne plus en Érythrée, les rapports avec la famille d’origine se font toujours plus rares, jusqu’à cesser complètement. 52

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Ceci ne semble pas trop la troubler, parce que maintenant elle se sent italienne, même si elle est un peu différente. Et pas seulement pour la couleur de sa peau. Elle poursuit avec succès des études supérieures et obtient son baccalauréat scientifique. Pendant qu’elle fréquente encore le lycée, elle fait la connaissance d’un garçon plus âgé de quelques années, elle tombe amoureuse de lui et lui aussi d’elle. Ils se fréquentent avec le consentement des parents, ils font des projets pour le futur, peut-être un jour le mariage, et même les familles commencent à se fréquenter. Un jour, cependant, à l’improviste, il la quitte. Julie tente de se suicider en se jetant de la fenêtre. Avec beaucoup de délicatesse et avec une grande souffrance partagée, je tente de lui demander si elle s’est faite une idée du motif du geste apparemment incompréhensible de son fiancé… Ce sont des séances difficiles et douloureuses, faites de très longs silences et de réticences. À la fin, elle me dit que la rupture s’était produite lorsqu’elle avait consenti à avoir un rapport physique avec lui et il « avait découvert » avec horreur qu’elle n’était pas comme les autres femmes… C’est seulement alors qu’elle me raconte, pour la première fois, comment pendant ces mois de vacance en Érythrée, lorsque elle avait sept ans, la mère avait organisé une grande fête, tout le village s’était rassemblé et, avec l’approbation des notables, elle avait été « purifiée » et ainsi elle était devenue un membre de la communauté des femmes à laquelle même sa mère appartenait. Elle se souvient du sentiment d’orgueil pour ce qui, dans son pays, était considéré comme un grand honneur. Elle se rappelle de la fête, des cadeaux, des compliments reçus, des choses, dit-elle, qu’ici en Italie sont inimaginables. Découvrir cependant que son fiancé avait fui face à cette révélation lui avait fait perdre complètement le sens de soi : était-elle cette fille « pure » et « honorée », comme disait sa mère, une fille qui possédait un précieux « trésor caché », ou une femme horrible et « différente » qui faisait fuir les hommes ? Quelle était son identité ? Se jeter dans le vide avait représenté pour elle, à cet instant, l’unique solution, parmi deux voies sans issue : ni ici, ni là. Maintenant il fallait avoir le courage d’entrer ensemble, en séance, dans ce vide noir que le geste de se jeter représentait pour elle, et dans lequel peut-être il y avait des choses jamais dites et confessées, même pas à elle-même. Mais pour ceci la parole ne suffisait plus, il fallait essayer une autre route. À travers l’utilisation du Jeu de sable, lentement Julie commence à revivre l’expérience 53

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traumatique de l’infibulation, pas seulement en se rappelant des discours de sa mère avec les autres femmes, qui exaltaient la force, le courage et la pureté des filles érythréennes «  cousues  ». Commencent, en effet, à émerger même les souvenirs des terribles douleurs pendant les menstruations, les difficultés à uriner, les infections, les cystites dont elle ne devait parler à personne, même pas aux nouveaux parents, parce que personne ne devait connaître son « trésor caché ». Seul l’élu, l’époux, aurait su. Après la mort de sa mère et l’issue de ses retours en Érythrée, Julie avait dû faire une sorte de refoulement de sa condition physique, elle n’en avait plus parlé avec personne, même pas avec soi-même. En utilisant une sorte de pensée magique, elle avait réussi à nier le problème, en rendant tout effet inexistant. Même en thérapie, le récit de la cérémonie, qu’elle me racontera seulement après de nombreux mois, n’était pas considéré comme le motif central de son malheur. Seulement, avec le temps, elle commencera à se rendre compte que, depuis toute petite, elle avait vécu entre deux mondes : en Érythrée où elle se sentait une reine, honorée et respectée de tous, une vraie femme, une femme de valeur, et en Italie où elle était, de toute façon, la fille d’une bonne. Elle se souvient que quelquefois s’insinuait en elle le doute dérangeant que son « trésor », pour lequel elle avait tant souffert, pouvait avoir une valeur aussi ici. Une pensée très vite oubliée. Mais ce que surtout Julie avait eu besoin d’éliminer, c’était la véritable expérience vécue pendant cette cérémonie de l’enfance : la douleur terrible, la souffrance, le sentiment d’avoir subi une violence qu’elle, petite, n’imaginait pas aussi grave, le sentiment d’avoir été trahie et dupée même par sa mère. Non, ceci elle ne pouvait pas le supporter, et alors tout le supplice devait être recouvert du souvenir idéalisé des cadeaux, des éloges, des compliments et des promesses d’un futur splendide avec un mari amoureux et fier d’elle. Toutefois, pendant les séances, avec l’aide du Jeu de sable, elle commence à se rappeler de la partie refoulée et à éprouver pour la première fois un sentiment presque de haine pour sa mère. Elle comprend que c’était justement cet inacceptable sentiment qu’il fallait tenir loin de la conscience et avec lui ce qui l’avait provoqué. Toutefois, pendant que, lentement, Julie commençait à confesser à soi-même d’avoir haï sa mère, elle avançait aussi sur un chemin possible de pardon. Le pardon pour cette mère trop immergée et liée à la tradition dont elle n’avait pas réussi à se séparer, en sauvant sa fille, 54

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mais même pour le fiancé, trop jeune et mal préparé pour pouvoir comprendre un monde dont il ne connaissait même pas l’existence. Ce sont des séances terribles. Remplies de larmes, de colères, mais aussi d’authentique commotion et de tendresse pour cette fillette, qui avait été prise entre deux mondes, persuadée de posséder un trésor caché, vis-à-vis du quel, comme une revanche, Julie se promet et me promet qu’elle consacrera sa vie pour qu’aucune autre fille ne subisse ce qu’elle a vécu. L’énergie qu’émane cette promesse est incroyable et elle est capable de donner à sa vie un nouveau sens, la signification forte d’un projet qui implique même les autres. Julie est « guérie ». Guérie du besoin de cacher à soimême et au monde ce qu’un temps elle considérait comme un privilège et qu’aujourd’hui elle considère presque comme une honte. Ce qui s’est passé ne peut pas être changé, mais peut toutefois se transformer en une force et une énergie de vie ; elle est maintenant convaincue qu’elle aura à offrir au futur mari des « valeurs » et des trésors qui n’auront rien à voir avec son corps torturé. Nous décidons de nous dire au-revoir. Je revois Julie lorsqu’elle a trente ans. Elle ne me téléphone pas pour une consultation mais pour me voir et me faire une « surprise ». Dès que j’ouvre la porte de mon cabinet, elle me dit, rayonnante : « Docteur, je vous porte mon trésor ! » Elle tient dans ses bras un splendide bébé de quelques mois avec deux merveilleux yeux noirs. Elle me dit aussi qu’elle s’est inscrite à l’Université et qu’elle veut, après le diplôme, faire la médiatrice culturelle pour les femmes de son pays et pour toutes les femmes victimes de mutilations et de violence.

Qu’est-ce que c’est le Jeu de sable Il est né comme un jeu thérapeutique pour les enfants dans les années 1930 en Angleterre. Cette méthode fut reproposée par Dora Kalff, élève de Jung, mais en l’utilisant dans la thérapie des adultes. Les éléments du jeu sont au nombe de trois : un container de métal, de couleur bleue et de dimensions standard, avec à l’intérieur du sable et des objets miniatures, pierres, coquilles, pièces de bois, etc., qui reproduisent une sorte de vocabulaire incarné dans les objets. Au patient, on explique qu’il peut construire à son gré des représentations, de manière la plus instinctive possible, sans penser, comme s’il faisait un rêve en présence de l’analyste. Après, ils regarderont 55

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ensemble la représentation, en devenant, à l’occasion, le regard de l’analyste, « un regard qui écoute ». Les mains qui construisent des scènes dans le sable mettent en marche un dialogue sans mots avec le monde psychique interne, qui peut ainsi se révéler de manière directe, sans le traditionnel intermédiaire de la parole, souvent trop contrôlé par la censure rationnelle. Le sable se révèle en outre être un matériel doué de grandes potentialités : il active des fantaisies de contact et de fusion avec le corps maternel, il peut être employé, décomposé, tourmenté et pénétré par les mains, en retrouvant toujours sa forme originaire indestructible. Ceci active des fantaisies réparatrices et rassurantes face aux situations de souffrance psychique, chargées souvent de sentiments de culpabilité et d’agressivité. Les objets utilisés pour construire les représentations, bien que conservant leur signification littérale, assument immédiatement la valeur symbolique d’être autre de ce qu’ils semblent être. Exactement comme cela se passe dans les jeux d’enfants dans lesquels, par exemple, le manche à balai devient un magnifique cheval, le Jeu de sable permet aussi à l’adulte de laisser l’imagination et la fantaisie prendre la place de la pensée rationnelle à laquelle il est habitué et avec laquelle il contrôle les émotions. Ainsi libérées, elles peuvent devenir les protagonistes de la scène, surtout les émotions plus anciennes et oubliées qui sont restées pour ainsi dire inscrites de manière inconsciente dans le corps. C’est le corps même du patient qui, en bougeant autour du bac à sable et en touchant réellement les objets, les remet en vie, grâce à ce monde en miniature qui peut recevoir et représenter, de façon visuelle et immédiate, les couches plus obscures et douloureuses de son psyché souffrant.

Les sables de Julie Ces sables ont été construits au cours d’une année et à distance de plusieurs mois l’un de l’autre. Chacun d’eux a représenté la « mise en scène » des moments émotifs importants, caractérisés par des jaillissements de contenus profonds, pour lesquels le mot semblait insuffisant ou trop rationnellement réductif. C’est seulement après la construction du 4° sable que Julie prendra complètement conscience de ce que son inconscient et la mémoire inscrite dans le corps avaient voulu rendre visible dans une façon explicite et surprenante. 56

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Premier sable La séparation est nette entre les deux mondes. Celui de son pays d’origine, plein de dons, de choses colorées, de nourriture et de musique et celui où elle vit, qui est organisé, mais froid, banal, moderne. Au milieu, un fleuve qui divise où il n’y a pas de pont. Entre les deux mondes, il n’existe pas de possibilité de contact et aucun être vivant n’y habite. Ce fleuve rappelle avec évidence l’image d’une coupure.

Deuxième sable On voit clairement encore la séparation entre les deux mondes ; toutefois, il y a certaines variantes significatives. Au centre apparaît une figure féminine, qui fait l’intermédiaire et tente une possible

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intégration. Les deux mondes commencent même à être habités par des figures humaines. On est cependant frappé par l’espace laissé vide en haut à droite. Est-il le lieu du refoulement ?

Troisième sable Julie commence à se souvenir de la scène et des vécus de la « fête ». Auprès des cadeaux, de la nourriture et de la musique, à demi-caché dans le sable, il y a un serpent. Quelque chose de sournois et de dangereux qui pourrait peut-être gâcher la cérémonie. L’espace en haut, cette fois à gauche, continue à être vide.

Quatrième sable C’est le sable du souvenir de la souffrance, accompagné de chaudes larmes libératrices. En haut à gauche apparaissent les

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« femmes noires », figures informes et inquiétantes. Au centre, un objet coupant auprès d’une petite fille étendue à terre. En bas, des animaux féroces, des dents pointues qui mordent et déchirent les chairs. La partie droite de la sablière, laissée libre, semble indiquer un espace possible pour le changement. Est-ce là que Julie voudra, peut-être, construire son possible futur ?

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Recherche en psychosomatique. Affect et pathologie Daniel Sibony

La fibromyalgie à l’épreuve de l’investigation de la psychosomatique relationnelle Dr Daniel Sibony Il est ici question d’une observation effectuée chez une patiente souffrant de fibromyalgie afin d’éclairer le caractère déterminant du processus relationnel à l’œuvre pour le destin psychosomatique de l’individu. L’investigation psychosomatique de la maladie fibromyalgique lors de cette observation a en effet permis de mettre en perspective, durant l’entretien clinique, l’importance de la relation qui se noue avant, pendant et après la naissance. Dans ce cas précis, la situation d’impasse relationnelle a concerné la relation avant la naissance, ne créant ni possibilité de retour en arrière, ni possibilité de se projeter en avant. Cette impasse fige dès le départ le temps et l’espace corporel, obligeant le sujet à s’adapter en créant un pseudo-réel et un imaginaire s’articulant autour de l’affect et de son destin œdipien. En corrélation avec la situation d’impasse, nous retrouvons également des pathologies du corps réel, préférentiellement d’ordre immunitaire, alternant avec la maladie fibromyalgique. Ces pathologies du corps réel – sur lesquelles nous reviendrons ultérieurement – montrent par leur biais toutes les difficultés liées à la 61

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triangulation ou, plus précisément, toutes les difficultés liées aux avatars de la différenciation soi/non soi anté-œdipienne. Dans la présente observation, la vie humaine répète l’impasse de départ avec, au centre, une problématique temporelle traduisant la forme de l’impasse, et où la linéarité du temps, comme la répétition identique du temps (circularité), mènent à l’épuisement. Cet aspect chronique issu du clivage relationnel entre corps réel et corps imaginaire n’est que la redondance d’une situation d’impasse relationnelle précoce créant une opposition entre temporalité linéaire et temporalité circulaire. Ainsi, pour éviter tout affect, on le neutralise en se coupant de la temporalité circulaire, de son histoire subjectivement articulée ; pour cela, on coupe la représentation de l’affect et l’affect de la représentation. L’investigation psychosomatique telle qu’elle est pratiquée dans cet entretien préliminaire met en œuvre une relation médecin-malade optimale et propédeutique afin d’investiguer dans ses aléas – cliniques, événementiels, relationnels – à la fois le corps réel et le corps imaginaire du patient. Cette approche relationnelle va permettre la mise en évidence d’une sémiologie où entrent, à parts égales, le mode de fonctionnement imaginaire ou non imaginaire de l’être humain, en même temps que les situations conflictuelles dépassables ou non dépassables (impasse), auxquelles il a été confronté. Dans ce cas de fibromyalgie, l’imaginaire est caractérisé par une formation symptomatique, ou un équivalent à sens secondaire, qui reflète partout une même problématique régressive et précoce en lien avec la situation d’impasse. Celle-ci gouverne en effet, de façon essentielle, un fonctionnement névrotico-adaptatif travaillant sans relâche avec le refoulement de l’affect. Le trouble fonctionnel dans la fibromyalgie est issu du refoulement de l’affect et de la représentation ; il est comme un compromis répétitif de l’impasse sous l’angle fonctionnel qui permet d’éviter de replacer le fonctionnement du patient dans l’impasse affective de départ. La douleur physique a valeur de reconnaissance et permet de se procurer une identité objectivement acquise ici et maintenant, permettant ainsi d’éviter la souffrance psychique (la souffrance traumatique) en tant qu’expérience subjective. 62

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À travers ce cas clinique, nous verrons que la subjectivité est écartée dès la conception, obligeant la relation à emprunter la voie de l’adaptation et privilégiant ainsi le mode neutre.

La pathologie fibromyalgique La symptomatologie est assez univoque, dominée par des douleurs musculaires diffuses accompagnées d’une fatigue souvent intense et de troubles du sommeil, dans un contexte d’anxiété et de dépression. Elle concerne, dans la majorité des cas, les femmes entre 30 et 50 ans, mais l’homme, l’enfant et l’adolescent peuvent également être touchés. La douleur, toujours étendue et diffuse, peut débuter au cou et aux épaules, pour s’étendre ensuite au reste du corps, notamment, au dos, au thorax, aux bras et aux jambes. Elle est permanente mais aggravée par les efforts, le froid, l’humidité, les émotions et le manque de sommeil, et s’accompagne de raideurs matinales. La distinction entre douleur articulaire et musculaire est d’autant plus difficile que les patients ont l’impression d’un gonflement des zones douloureuses et de paresthésies des extrémités en l’absence de tout signe objectif d’atteinte articulaire ou neurologique. Une fatigue chronique est signalée par plus de 9 patients sur 10, prédominant le matin, peu sensible au repos et en apparence inexpliquée. Les troubles du sommeil sont également quasi constants : dans plus de 90 % des cas, le sommeil est perçu comme léger et non réparateur, quelle que soit sa durée. Il est rare que les patients passent une bonne nuit avec, au réveil, moins de douleur et de fatigue. À ces difficultés peuvent s’ajouter un syndrome des jambes sans repos et des périodes d’apnée. L’enregistrement électroencéphalographique (EEG) confirme l’anomalie du sommeil avec, dans la plupart des cas, l’apparition d’ondes pendant la période de sommeil avec mouvements oculaires lents. D’autres symptômes peuvent compléter cette triade fondamentale (douleurs diffuses – fatigue chronique – troubles du sommeil) : colopathie fonctionnelle, céphalée à type de migraine ou de céphalée de tension, douleurs pelviennes, cystalgie à urines claires, 63

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dystonie temporo-mandibulaire, dysautonomie avec hypotension orthostatique, troubles cognitifs, troubles de la concentration et surtout symptômes d’anxiété et de dépression. La fibromyalgie, définie en 1992 par l’OMS, possède depuis de multiples théories étiologiques contradictoires ; se dégagent essentiellement des arguments en faveur d’une altération des mécanismes centraux de la douleur. Tout se passe comme si les sujets fibromyalgiques présentaient une hyperalgésie généralisée, dont l’étiologie et la nature primaire ou secondaire de la douleur chronique n’ont pu être déterminées. Les différents points de vue sur la fonctionnalité du symptôme répondent soit au trouble somatoforme, soit au syndrome post-traumatique.

Le Cas : Mme S. Mme S. se rend régulièrement au centre anti-douleur pour effectuer des transmissions magnétiques neuro-cérébrales. Adressée par son médecin généraliste, ce dernier a particulièrement insisté, au point de la convaincre, pour la continuation de sa prise en charge psychiatrique – Mme S. Voici ses premiers mots : « j’ai été suivie durant 2 ans par un psychiatre à Angers, c’était pour accepter la maladie, je crois que je l’ai maintenant acceptée, il y a des jours où j’ai 70 ans le matin et des jours où j’ai 10 ans (ce poncif reviendra sans cesse dans le discours de Mme S), je suis actuellement suivie par le docteur B. qui continue à me prescrire le traitement antidépresseur ; cela fait 1 an que je suis arrivée d’Angers à Nice, et je vais régulièrement au centre anti-douleur pour les neuro-transmissions. Cela me faisait du bien au début mais maintenant les douleurs reviennent très rapidement ; on m’a expliqué que c’était un endroit du cerveau qui ne fonctionnait pas bien : le docteur B. m’a dit de venir en parler avec vous, vous auriez compris quelque chose à ces douleurs, alors je viens voir ». Elle n’a, semble-t-il, rien trouvé à voir, en atteste l’annulation de son troisième rendez-vous, juste avant les vacances d’été, et sa « disparition » depuis. 64

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Mme S. est une jeune femme âgée de 48 ans qui se présente à mon cabinet les traits fatigués, épuisée par la douleur. C’est une petite femme blonde, paradoxalement sthénique dans son corps et dans ses expressions de langage. Mme S. ne fournit aucune association directe ou libre. Mais, par l’intermédiaire des miennes, elle porte en revanche un léger intérêt pour l’échange, surtout durant la deuxième partie de la première consultation. Une relation médicale de nature d’emblée didactique, dès le premier entretien, a généré une amélioration de l’élaboratif et de l’échange. Le deuxième entretien et l’ensemble des éléments recueillis témoignent de l’appétence relationnelle de ces patients et de la possibilité d’effectuer des liens autorisant un mouvement transférentiel. Elle rapportera d’ailleurs trois rêves lors du deuxième entretien. Durant la quasi-intégralité des 2 entretiens, le discours de Mme S. reste cependant monocorde, dénué de toute expression affective manifeste. Ses phrases sont brèves, simples et rapides. Elle va énoncer, factuellement, dans une chronologie ordonnée et repérée grâce aux différentes activités professionnelles, les événements de sa vie, en ignorant pour certains les aspects traumatiques – comme par exemple se retrouver SDF au sens strict du terme, durant deux années, à l’âge de 16 ans. Selon Mme S., l’origine de ses troubles vient d’une accumulation qui dure depuis 10 ans, suite à une rupture sentimentale doublée d’une période sans travail ; rupture sentimentale qui se soldera par une dépression sévère avec perte de poids importante nécessitant une hospitalisation à domicile et un arrêt de travail de 5 mois – qui va, selon ses dires, aggraver la dépression elle-même. Cette dépression majeure date de 2005. « J’ai remonté la pente grâce à la reprise du travail ». « C’est le travail aussi qui me sauve de mes douleurs, j’oublie parfois ma douleur grâce au travail ». « C’est que je n’arrive pas à m’arrêter, combien de fois mon responsable me demande de rentrer chez moi, des fois je pleure au travail, mais je n’arrive pas à rester chez moi, alors que je sais qu’il faut que je le fasse ». « J’ai pas le temps de voir le temps passer ». « Même à la plage je ne peux pas tenir en place ». 65

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Nous sommes d’emblée dans la pathologie de la temporalité. En effet, le temps consacré au travail a été le conflit majeur entre sa mère et elle durant toute son enfance. « J’étais pas très douée à l’école, je ne le faisais pas exprès, cela rendait folle ma mère qui me forçait à travailler en m’enfermant dans ma chambre. Si j’avais des mauvaises note, elle me tapait violemment, c’était surtout des claques, elle ne savait pas faire autrement, elle a fait comme on lui a fait, oui ses parents la battaient pour les mêmes raisons ». « C’était sans cesse, ‘‘tu ne feras jamais rien dans ta vie’’, surtout dès l’entrée en sixième : ‘‘T’es nulle, t’es grosse’’. Jusque-là c’était normal pour moi ces coups ! Je ne connaissais que ça, je pensais que c’était comme cela qu’on s’occupait des enfants, elle était très colérique, très brute de pomme ». C’est-à-dire ? « Une femme qui fonce, qui a du mal à parler d’elle ». Pourquoi elle l’était ? « Parce que je lui ai parlé récemment il y a un an, et ça je le lui ai reproché… l’école. Je l’ai bousculée un peu, je lui ai reproché, par exemple quand j’avais une mauvaise note, c’est pas comme cela que l’on fait avec un enfant, on va voir quelqu’un, on va voir un prof, on parle à l’enfant ; là j’ai été virulente, mais c’est normal aussi, on lui a pas appris, pour l’époque cela ne se faisait pas, pas trop d’éducation, je lui ai dit tout ça parce qu’elle ne comprend pas pourquoi j’ai toujours quelque chose qui ne va pas à cause de la fibromyalgie. J’ai pas été très cool même si j’ai été dévalorisée toute mon enfance par elle. En fait, tout ça est parti parce que ma maladie ne se voit pas (verbe voir à nouveau), genre ‘‘tu te plains tout le temps tu dis que tu es tout le temps fatiguée, quand je viens te voir tu es fatiguée’’. Je lui ai dit écoute maman j’aimerais bien ne pas être fatiguée, j’aimerais bien ne pas avoir 70 ans le matin ou me lever en pleurant ; et puis cette journée c’est pas passé, je lui ai dit tout ce que j’avais jamais osé lui dire ». Comment a-t-elle réagi ? 66

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« Elle a pleuré, c’est sorti ‘‘brute de pomme’’, j’y ai été un peu fort, je lui ai dit : maman ça y est maintenant il faut voir les choses autrement, il faut grandir, il faut que maintenant on ait d’autres rapports ». C’est la première fois que vous l’avez vue pleurer ? « Non parfois, quand j’étais petite elle pleurait, tellement elle était énervée contre moi. J’ai compris plus tard qu’elle avait de la peine de ne pas savoir faire autrement ». En fait, ce que vit Mme S., à travers sa maladie, c’est toute sa relation à une mère dépressive, qui elle-même ne savait exprimer ses affects, ses sentiments et qui, chaque fois qu’elle avait ce type de demande, se cachait derrière le travail pour signifier sa reconnaissance ou son intérêt pour sa fille. Mais, en même temps que cette mère était sévère, autoritaire, agressive, elle était capable de partager le même sort que celui de sa fille. Par exemple, elle pouvait pleurer avec elle. Ainsi, de la même manière, elle perdait son rôle de mère, pour devenir une enfant. Ce principe de tout ou rien, de qui est qui, sans distance ou la plus grande distance, va obliger Mme S. enfant à s’adapter en refoulant affect et représentation de façon massive, et générer ainsi l’impossibilité de se constituer un espace et un temps à partir du corps propre. Or, si l’identification à cette mère caractérielle et surmoïque semble l’emporter sur la projection, c’est parce que celle-ci fige la projection autour de l’objet unique qui devient tous les objets ; pour cela, elle n’en fait pas moins partie d’une importante activité de l’idéalisation et de l’imaginaire. En fait, pour Mme S., le but est d’effacer les limites entre son objet et elle, transformant l’autre qui est soi en double. Le double est ici en l’occurrence signifié par le travail et la douleur physique devenant, le plus objectivement possible, le formel du réel maternel. C’est la mise en place d’une attitude caractérielle qui fonctionne par le contre-investissement de l’imaginaire et de l’affect allant de pair avec un surinvestissement du réel, en maintenant un clivage corps réel/corps imaginaire. Corps réel et corps imaginaire coexistent dès lors sans lien. 67

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La problématique propre au « travail » chez Mme S. va, durant l’adolescence, se transformer. Lorsqu’elle s’engagera dans la vie active, là aussi, le tout ou rien la convertira en hyperactive. Son travail actuel dans lequel elle évolue depuis une dizaine d’années est une manufacture de fabrique pour tout ce qui concerne l’enfant. Elle est aujourd’hui directrice adjointe d’un grand magasin. Par ailleurs, toujours dans le domaine professionnel, elle a acquis un brevet d’éducation sportive et un BAFA, des disciplines en grande partie fonctionnelles. Elle dira assez fière d’elle-même : « J’ai fait toute seule comme une grande, ça m’a permis d’être moins sensible ». La maltraitance du corps imaginaire se perpétue ainsi par un rythme de travail assimilable à une cadence effrénée, lui permettant de tout oublier – y compris ses douleurs – jusqu’à aller s’occuper également du travail des autres : suppléer, remplacer, achever, rendre énormément service à tout le personnel. Une reconnaissance largement rattrapée au final à travers le monde du travail où elle reste tout le temps active, autant pour elle que pour les autres. « Je suis une affective », dira-t-elle pour son sacerdoce. C’est au moment de l’adolescence que S. cherche à s’émanciper en dehors de sa mère. S’étant auto-proclamée nulle à l’école à force de se l’entendre dire, à 16 ans, elle partira de la maison d’un commun accord avec sa mère, désespérée de voir sa fille ne rien faire. Cette aventure qui a duré plus d’un an et demi, suite à une décision qui a tout du passage à l’acte, est à l’origine – comme elle le dit – de sa liberté et de sa « débrouille ». Sa vie de clocharde, ignorée par sa mère, l’obligera à lui mentir et à lui raconter, par l’intermédiaire de son père, ce qu’elle voulait. Elle dira que le mensonge (première ébauche d’une différenciation) lui a permis à ce stade d’avoir beaucoup de force et de ruse face à sa mère, avec laquelle à l’époque elle était extrêmement fâchée. Le père servait de lien entre elle et sa mère malgré son côté effacé et soumis : d’après ses dires, il subissait autant que Mme S. le caractère tyrannique de son épouse.

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Elle dira de son père qu’il lui a dit tout au long de sa vie une seule et même vérité : « Je ne t’ai pas élevée, je n’ai pas eu le temps, j’étais toujours au travail ». Cette obligation de travailler va solutionner pour elle le problème de la séparation durant la coupure avec sa mère, en neutralisant l’affect, puisqu’en appliquant sur elle-même la méthode de coercition de la mère à l’égard du temps, elle retrouvera le modèle et le fonctionnement surmoïque corporel maternel – par le travail. C’est aussi ce qui lui permettra de ré-intégrer le domicile familial deux ans plus tard, autorisation acquise par le travail. Car trouver du travail était non seulement une réassurance, mais un gage de stabilité pour la mère ; gage qui deviendra à partir de cette période celui de la patiente. Chez Mme S., en pleine période d’adolescence, au décours de cette séparation, s’opère un processus de répression de l’affect qui échappe à la conscience, destiné à occulter une détresse infantile et une situation œdipienne bloquée. Le double paternel (c’est-à-dire le même que soi) soumis et obtempérant par adaptation à l’épouse, passe sa vie à travailler aussi ; le père est lui-même pris dans le double maternel, lui-même pris dans le double avec l’enfant, et ainsi de suite. Le maintien du semblable est partout dans ce trio. Durant la séparation, à cette époque de l’adolescence, face à l’irruption du refoulé sous forme de cauchemars, le refoulement puis les insomnies et les angoisses intenses (qu’elle imputera à sa condition plus que précaire plutôt qu’à la séparation, selon la modalité du refoulement extérieur) vont former une attitude caractérielle permanente par le contre-investissement de l’imaginaire, allant de pair avec un sur-investissement du temps social – du temps réel pour elle. Mais cette période de maîtrise réussie ne sera qu’une accalmie temporaire entre elle et sa mère. En effet, le choix homosexuel de Mme S. va créer une deuxième scission avec la mère, c’est-à-dire une absence de relation, tout au plus, ou une relation conflictuelle, tout au moins. Cette forme de lien durera jusqu’à cette fameuse

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discussion, l’année précédant les entretiens, à propos de sa maladie et pour laquelle Mme S. se sent à maintes reprises coupable et en même temps rassurée en devenant « brute de pomme » à son tour. Plus tard, sa sexualité sera exclusivement homosexuelle, à l’exception d’une seule et unique expérience hétérosexuelle, pour faire plaisir à sa mère et pour tenter une fois de plus d’améliorer la qualité de la relation. Mais cela ne durera pas très longtemps. Elle vivra sa première expérience de couple homosexuel en 1993 et coupera pour un long moment les liens avec sa mère vis-à-vis de laquelle elle se sentira longtemps coupable d’être homosexuelle. Cette relation va durer 8 à 9 ans et, pour la résumer, on dira qu’elle va revivre au début une relation passionnée à une nouvelle figure maternelle qui deviendra par la suite tout aussi distante, exigeante et insensible aux affects : un double de la relation maternelle. Mais, à travers cette relation, elle constatera et conclura que de toutes les façons elle ne sera jamais entendue : ici elle fera un lien avec la place qu’occupait son père. Elle finira par rencontrer le vide, qu’elle s’efforcera de remplir toujours à l’aide du travail, tout en se sentant fautive de « travailler autant », un cercle vicieux va de nouveau s’installer. Vide d’une mère absente de sa présence ; une mère omniprésente mais absente affectivement, fonctionnant comme un surmoi corporel qui va laisser Mme S. se vider d’elle-même, se débattre jusqu’à l’épuisement. Toute la relation est fondée sur un processus d’indistinction entre soi et l’autre entraînant par là même une confusion des sexes, mobilisée par un rapport de perfection et d’idéalisation jamais atteignable, comme sans limite et où même l’activité de travail ne tiendra plus ses promesses pour servir de cadre et de repère. De cette union homosexuelle naîtra un enfant en 1995 dont elle dira immédiatement à son sujet : « C’est l’enfant que je n’aurai jamais et que j’ai ». Aussitôt elle sourira, surprise par l’ambiguïté de sa propre phrase. 70

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Pour s’expliquer, elle cherchera très vite à conclure en disant que dans le couple elle aurait voulu porter l’enfant mais qu’il n’en a pas été ainsi. Elle n’en dira pas plus malgré mes expressions interrogatrices. Ce couple se sépare en 2002, sans crise, sans heurt, sans conflit : un processus de banalisation avait envahi depuis le quotidien, une sorte de double maternel dans lequel chacune d’entre elles hyperinvestissait l’enfant selon des modes radicalement opposés, et ce jusqu’à ses 16 ans. « Je n’ai pas souffert de cette séparation, nous sommes devenues amies. Ça s’est transformé en amitié, plus d’amour, ça s’est reporté sur Julien (l’enfant) ». Quant à la séparation avec l’enfant, elle n’exprimera aucune manifestation affective, elle répondra que tout s’est bien passé, y compris d’en être éloignée, et que de toute façon aujourd’hui il a dorénavant sa vie indépendante du couple parental. Cette confusion, mère-fille/enfant-adulte/féminin-masculin, va se trouver ébranlée par la rencontre d’une autre femme. Cette dernière, bi-sexuelle, va créer un contexte de jalousie en relation à un homme qu’elle finira par épouser. Cette femme sera à l’origine de toute une série de manifestations pathologiques car, par son intermédiaire, elle introduira le tiers hétéro-sexuel et donc la différence. Elle créera des enjeux où le désir se confronte à une dialectique présence-absence pour laquelle notre patiente reste démunie sur le plan de l’imaginaire. De la rencontre en 2003 jusqu’à la rupture en 2005, de nombreux torticolis chroniques mettant hors-jeux tout l’hémicorps gauche et annonçant par-là, sur le mode fonctionnel, tous les conflits liés à la différenciation, soi-l’autre/féminin-masculin/droite-gauche. À l’occasion d’une expérience relationnelle, les conflits remettent ici en question les limites du corps dans l’espace et dans le temps, générant une problématique fondamentale concernant l’identité corporelle. Il existe un hiatus projectif entre l’instauration d’un espace corporel propre (autonomie) et l’espace de la représentation par la projection de l’espace corporel. Ce hiatus, c’est la rupture 71

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entre l’expérience personnelle de l’espace et du temps et de leur représentation. L’introduction de la Sexualité par cette autre femme, qui sera par ailleurs à la fois initiatrice et révélatrice, sera l’occasion pour notre patiente de se rendre compte qu’elle perdait tout sens de l’orientation : elle oubliait tout, perdait tout – de nombreuses fois ses clés de voiture – « perdait la tête », et les trahisons de sa partenaire par la suite la rendaient folle (dit-elle). La période de rupture sera associée à un psoriasis sévère, principalement sur le visage et le cuir chevelu qui perdure légèrement jusqu’au moment des entretiens thérapeutiques. Cette pathologie auto-immune, dans les mêmes termes, traduit toute la difficulté d’un soi immunitaire face à la différence. Pathologie révélatrice de l’impasse qui consiste à ne pouvoir se poser comme différent par rapport à la mère. Un seul et même conflit existe au départ chez la mère et la fille, et au sein même de la relation biologique immunitaire : occulter la présence du tiers (la pathologie est toute entière relationnelle). La pathologie immunitaire questionne la relation précoce mèreenfant, tant dans la mise en place des horloges internes qu’autour de la circularité des échanges. Une seule et même problématique demeure : elle concerne l’identité personnelle et la difficulté de distinguer le soi du non-soi. La constitution d’une subjectivité à travers l’identité de visage reste primordiale pour le respect de l’altérité (Sami-Ali). En effet, le visage est ce qui nous personnalise, nous définit le plus et qui nous appartient le moins ; tout extérieur le visage nécessite une médiation à travers le miroir ou le visage de la mère. L’enfant acquiert le visage de la mère pendant un premier temps ; il n’existe qu’un seul visage acquis par la circularité d’échange d’affects entre la mère et l’enfant ; puis, progressivement, l’image de soi se dégage de l’image de l’autre en même temps que le regard converge et devient expressif. À huit mois, la possibilité de percevoir un autre visage, celui de l’étranger, crée une angoisse que Spitz a nommé la peur de l’étranger (angoisse du 8e mois), révélant une angoisse de séparation ; ce 72

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que l’expérience contredit car, avec la présence de la mère, l’angoisse est plus forte. L’angoisse de dépersonnalisation est plutôt liée à la perception de la différence, à la reconnaissance d’un autre visage à côté de celui de la mère qui est aussi le sien propre ; sentiment de dédoublement, sentiment d’être différent de soi, sentiment de perte d’identité. La question de l’identité se pose ici non seulement en fonction de la subjectivité du visage, du visage que l’on se reconnaît mais également en termes de sexe et de nom. Elle se pose également en termes biologiques à travers le soi immunologique. Mme S. est fille unique, sa naissance a nécessité une césarienne et une brève séparation, suite à une grossesse difficile. À la question pourquoi unique, elle répondra : « Ma mère très jeune était incapable d’amour, d’aimer les enfants ». « Ma mère ne voulait pas d’enfant, c’est elle qui me l’a dit, elle sautait les escaliers de l’immeuble : ‘‘je voulais que tu te décroches, j’ai essayé plusieurs fois, mais tu t’accrochais’’, je vous le dis elle est brute de pomme ». Elle rajoutera aussitôt que sa mère lui a dit récemment qu’elle était contente maintenant d’avoir une fille. Cette dernière remarque encouragea Mme S. à pardonner, par culpabilité d’être différente. « Il a fallu que, pour elle, ce soit moi qui revienne toujours ; c’est ma mère, c’est mes parents quand même ». La rupture avec sa deuxième partenaire va petit à petit être occultée par un psoriasis sur le cuir chevelu qui l’obligera à se raser. Ainsi, la perte des cheveux entraînera une perte de reconnaissance du visage qui se déroulera en même temps que la perte de l’autre à travers lequel elle se reconnaissait. Cet état d’indétermination, d’absence d’identité, alimente depuis la naissance une angoisse de se perdre dans l’autre et de se perdre sans l’autre. Cette identification qui consiste à faire un avec l’objet perdu va l’entraîner vers une dépression anorexiante : plus la force de 73

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manger, de bouger, une perte de poids associée à une absence de sensation de faim entretenant une relation signifiant à l’autre son refus de vivre. Il faut reconnaître là la forme ultime d’une impasse relationnelle où le symptôme est entièrement somatique et corporel. La récupération de ses facultés physiques et psychiques se fera, comme elle a pu se le dire, un an plus tard : « Un homme averti en vaut deux ». Que l’on peut entendre dans ce cas en faisant référence au double, comme « un corps averti en vaut deux ». Une discipline particulière lui permettra de sortir de sa dépression. En effet, elle reviendra à elle en ayant pris des résolutions tant physiques (sport) que psychiques : elle élèvera le seuil de vigilance en même temps qu’elle essaiera d’apprendre à dire non. Elle s’y prendra également en modifiant le rythme et le tonus musculaire corporel. Tension musculaire qui va subir une surenchère et se généraliser progressivement par l’intermédiaire d’une hyperactivité qui, paradoxalement, deviendra le moyen de se détendre. Un vrai cercle vicieux se met en place pour à la fois éviter et rendre méconnaissable l’affect lié à la perte (perte de soi ou de l’autre qui revient au même). Cette impasse, dont la forme est pernicieuse, double la contradiction de l’origine pour aboutir à l’impensable. Cette tension musculaire va finir par générer une hyperalgésie venant figer l’affect en un événement corporel constitué par la douleur. Le travail qui représente « l’étendard maternel » devient le remède et le poison. La douleur existe maintenant en soi et engage la fonction objectivable tant sur le plan de la reconnaissance (l’identité) que sur celle de la pensée. La fibromyalgie, comme une Migraine du corps chez notre patiente, possède une de ses particularités : les 16 points douloureux sont tous situés sur l’hémicorps gauche (hémicrâne-hémicorps). Trois rêves, restitués au cours du deuxième entretien, vont venir à la fois nous aider à conclure et nous permettre de nous apercevoir 74

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comment les rêves reflètent, à leur manière, les problématiques soulevées lors de ces deux entretiens. À la question de savoir si elle se souvient de ses rêves, elle répondra : « Bizarrement, je ne m’en souviens que si on m’en parle. Je fais surtout des cauchemars, mais les rêves c’est plutôt rare. Je fais moins de cauchemars ces dernières années ». Cette atteinte musculaire globale, hyperalgique, invalidante, s’accompagne aussi d’un trouble du sommeil à type d’insomnie, ne permettant à la patiente qu’un repos partiel la nuit, avec un réveil et un coucher douloureux. Une sorte d’anarchie temporelle (pathologie du rythme), liée à ces insomnies douloureuses, va venir complexifier un rythme déjà peu constitué en dehors du travail qui le structure. Or, ce travail finit par mener à la fatigue, nécessitant un repos qui mène lui-même à la douleur, douleur l’empêchant de dormir : une impasse temporelle d’origine fonctionnelle. Bouger devient impossible, ne pas bouger également.

Premier rêve Pour la patiente, le malaise à se situer dans le temps se double d’un malaise à se situer dans l’espace, l’espace corporel comme le temps corporel n’étant pas constitués, le premier rêve en témoigne : « Je suis avec mon voisin sur mon lieu de travail, mon ancien lieu de travail sur le plan du décor, pas le même décor que là où c’est censé se dérouler, mon employeur est là et me dit ‘‘Tu as mal à ce point’’ ?, je réponds oui d’un signe de tête, j’ai des grimaces de douleur, je pleure, je prends une fourgonnette blanche pour respirer un peu, pour m’échapper du job. J’emprunte des routes dans Rouen que je connais très bien dans la réalité, alors que là je me perds, les rues sont nouvelles, je ne sais plus où je me trouve, dans quelle ville ? Je suis perdue, je me dis que c’est pas bien, je perds du temps, il faut que je retourne au travail, il faut que je retrouve mon job ». Le rêve s’emploie à refléter la confusion des temps et des lieux. La projection absolue œuvre pour mieux nous montrer que le corps est un espace non latéralisé, dont les limites ne sont pas circonscrites 75

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(Mme S. confond la droite et la gauche) ; on tourne en rond pour revenir au point de départ sans l’avoir presque jamais quitté. Les quelques associations d’idées à propos de ce rêve porteront sur la présence du voisin, du moins elle en sera très intriguée (voisin = voir « in », comme le thérapeute), et de la blancheur qui sera également dans le prochain rêve. Quand je lui demande ce qu’évoque pour elle la couleur blanche, elle fera allusion à son ancienne voiture qui était blanche. Cependant, un peu plus tard, devant la ré-apparition dans le deuxième rêve de la couleur blanche, elle rajoutera, après que j’ai pu la stimuler, que cette couleur peut lui inspirer la propreté, l’image propre ou pure de soi, la bonne image sans problème, neutre, immaculée, non ostentatoire (sourire de Mme S. à propos de ses nombreux adjectifs). S’il en va de la neutralisation des affects, il en va également pour la représentation d’être effacée ou absente. Le deuxième rêve reflète de toute évidence.

Deuxième rêve « On me tire dessus, c’est une balle perdue ; je vois quelqu’un qui court dans la rue et puis je me prends une balle perdue au niveau de la cheville – gauche, précise-t-elle à ma demande – ça fait comme un cratère. Je rentre chez moi : y a mon PDG qui regarde la plaie, il est inquiet, il me dit : ‘‘Tu ne peux pas rester comme ça’’. Il manipule la plaie, c’est comme de la pâte à modeler, y a pas de sang, voilà (ici la thématique du visuel réapparaît)… euh, ah oui ! Là, j’ai une amie qui est là, assise sur un fauteuil, sur le coin de la pièce, qui regarde et dit pas un mot et là j’ai une grosse serviette blanche autour de moi ; je suis entourée d’une grosse serviette blanche ». C’est ici que j’effectuerai le rappel de la fourgonnette blanche. Ce refoulement de l’affect et de la représentation dans le rêve (comme dans la réalité), a entraîné la patiente dans un premier temps vers le constat « qu’en effet, il n’y avait pas de sang » puis par associations d’idée sur le fait qu’elle reste impassible, neutre, sans réaction, quasi-stoïque ; faisant écho à son caractère et sa personne. 76

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Ni affect, ni représentation. Et on peut se demander à propos de ce rêve si le travail d’investigation n’opère pas déjà sur des conflits insolubles de type œdipiens et qui ne peuvent se concevoir, privés d’affect et d’imaginaire. Il existe également une autre modalité ou l’affect est coupé de la représentation : elle peut pleurer le matin aussitôt après le réveil, sans savoir pourquoi.

Troisième rêve « Je suis dans un bar, mon ancien travail, cette fois ci c’est le vrai décor (car c’est ce décor qu’elle avait transposé dans son premier rêve). Je me dispute avec mes parents, disant que ce sont eux qui font des réflexions que je ne supporte pas. J’ai qu’une hâte, c’est de partir mais je n’arrive pas à bouger et je me retrouve dans un hôtel en train de ranger des voitures miniatures qui sont dans des boîtes en verre, voilà ça fait bizarre. Je m’énerve dans ce rêve mais je ne réponds pas, sans doute parce que c’est sans cesse, c’est tout le temps, comme dans la réalité. Ma mère est rancunière : par exemple, c’est comme avec ma tante, elle me dit que puisqu’elle ne téléphone pas je ne lui téléphonerai pas, c’est une enfant, parfois une véritable gamine ». Elle m’apprendra qu’elle collectionne les petites voitures les Mini-Austin au 1/49e : « je fais les vide-greniers, les catalogues, à la recherche de vieux modèles qui coûtent le plus cher ». C’est un ami, il y a quelques années, qui lui a transmis cet engouement pour les toutes petites voitures de collection. Cela lui permettra de dire qu’enfant elle avait très peu de jouets. « Pour les parents, les cadeaux c’était une trousse, des cahiers, des chaussures, c’était un monde d’adultes, c’était très strict à la maison, ou alors les jeux étaient éducatifs ». Cette magnifique image d’inclusion réciproque de la petite voiture (image de la mère-image de soi en tant que représentation de la fonction image du corps) emprisonnée dans une boîte de verre, 77

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condense les différents aspects contradictoires de l’impasse que le rêve tente de rendre non contradictoire. – Cet objet ressemblant a priori à un jouet pour enfant est aussi un objet de collection pour adulte (problématique de la différenciation adulte/enfant). – La fonction « locomotion » est représentée par l’objet voiture, prisonnière d’un espace dont les limites sont transparentes (neutres) et propices à toute illusion sur la limite franche de la séparation et sur le déplacement (problématique de l’espace). Aussi doit-on rappeler ici que Mme S. se décrit comme étant elle-même prisonnière d’une inertie dans le rêve. – Le temps figé est lui-même constitutif de l’objet : ce sont les plus vieux modèles qui sont recherchés (problématique du temps). Ici, le modèle de voiture choisi préexiste à la naissance de Mme S. ; sa problématique du temps se caractérise donc tout au moins par le fait d’être hors temps, tout au plus par la négation du temps.

Conclusion La déception amoureuse, à laquelle le corps sexuel fut intimement lié, confère à la manifestation douloureuse et à l’impotence motrice leur dimension historique, restituant un processus de répétition, où le temps circulaire répétitif épuise le fonctionnement. La solution privilégiée par Mme S., face à la culpabilité rendant impossible d’exister, de se séparer ou de se réunir, se négocie à travers une passivité en lien contradictoire avec l’activité, au centre d’un fonctionnement caractériel. La relation intrinsèque comme extrinsèque reste tributaire d’une temporalité contradictoire et les deux temporalités linéaire et circulaire mènent à l’épuisement une fois de plus. Par l’analyse des rêves, comme par l’analyse de son fonctionnement, plusieurs cas de figure mènent à l’impasse ; la contradiction, le cercle vicieux, l’alternative absolue du tout ou rien, et par-delà l’impasse, mènent à la maladie fibromyalgique qui mène à son tour à l’impasse. Ce travail d’investigation vous a été proposé dans le but de déterminer cette pathologie par rapport au mode de fonctionnement relationnel en corrélation positive et négative avec l’imaginaire 78

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face à une situation d’impasse relationnelle qui se joue ici avant la naissance. Dans ce cas clinique, la constitution temporelle médiatisée par la relation précoce mère-enfant, d’emblée contradictoire, instaure un rythme biologique répétitif qui va devenir pathologique, à l’aide d’un temps subjectif et adaptatif fermés sur eux-mêmes, acheminant ainsi l’organisme vers l’épuisement et la douleur musculo-squelettique. Loin d’établir une confirmation chez les patients fibromyalgiques, notre propos est celui de confirmer un matériel relationnel pouvant opérer autant dans la relation transférentielle que dans la relation au réel. NB : Cette quatrième étude montre également l’importance de la relation au sein de la thérapeutique car si Mme S. n’a pas donné suite aux entretiens, c’est que le travail dû à l’investigation l’a sans doute propulsée de trop près vers quelques réactions émotionnelles lui faisant entrevoir son agressivité à l’égard de sa mère et provoquant la peur de vivre une éventuelle séparation avec celle-ci. Ainsi, éviter de revenir en consultation montre tout l’enjeu qu’elle n’est pas en mesure de confronter.

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Recherche en psychosomatique. Affect et pathologie Michèle Chahbazian

Histoire individuelle, histoire familiale et destin de l’affect Michèle Chahbazian Anna Anna est une femme d’une cinquantaine d’années. Mince et fine, plutôt charmante, elle semble pressée, comme impatiente et lasse à la fois. Elle explique qu’elle fait des crises d’angoisses insupportables dont il faut absolument la débarrasser au plus vite. Elle ne comprend pas ce qui lui arrive, dans la mesure où il n’y a rien de grave dans sa vie. En fait, c’est depuis que sa fille unique a quitté la maison pour ses études qu’elle ne va pas bien. Lorsqu’elle est seule, elle se sent déroutée et affolée. Elle n’y comprend rien. Je lui demande de me raconter un peu sa vie pour que je la connaisse mieux. Elle ne sait que me dire : « Il n’y a rien de particulier. Je me suis séparée il y a des années du père de ma fille. Je l’ai élevée sans problème. Sa scolarité est bonne et elle fait actuellement une classe préparatoire, alors je ne lui parle pas trop de mon état, pour ne pas l’inquiéter ». Sur le plan affectif, elle a eu une relation de quelques années avec un homme qu’elle appréciait beaucoup ; cependant, comme elle n’était pas prête à le suivre partout dans son rythme d’activité, il a préféré la quitter. Elle s’en remet difficilement, même si elle a une nouvelle relation, pour ne pas rester seule. Quand je lui demande 81

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si elle travaille, elle me dit avoir arrêté à la suite d’une leucémie chronique développée il y a quelques années. Je lui fais remarquer que tout ne va pas si bien, puisqu’elle a une maladie sérieuse, mais cela lui semble quasi anecdotique. Son inquiétude est toute centrée sur son angoisse actuelle, qu’elle ne parvient pas à comprendre. Le médecin traitant lui a proposé un traitement, mais elle ne veut pas entendre parler de médicaments psychotropes, ça lui fait trop peur, elle pense que si elle en prend elle ne sera plus elle-même. Lors des entretiens ultérieurs, elle se montre assez désespérée, son affolement est pathétique. J’essaie de lui montrer que ce qu’elle vit en ce moment est assez perturbant, avec sa maladie, le départ de sa fille, la relation amoureuse passée dont elle semble ne pas avoir fait le deuil. Pour elle, il n’y a aucun lien entre son état psychique actuel et tout cela. Tout simplement, elle ne se reconnaît pas. Elle n’a jamais été comme ça. Il me semble que son état témoigne d’une totale perte de repères. Et puisqu’elle ne cesse de me réclamer des explications, je me lance dans des approximations théoriques, disant qu’à mon sens, notre construction s’opère dans un équilibre entre mental et corporel, et que c’est le corps qui nous apporte les repères les plus stables qui soient. Je lui propose une hypothèse : si elle n’a pas bien investi son corps propre, peut-être que ses repères se sont construits autour de son activité professionnelle et de son contexte relationnel, selon un fonctionnement, donc, qui est un appui moins solide et permanent que l’étayage corporel. D’après ce qu’elle m’a dit, avec sa fille, elles ont fonctionné en binôme depuis des années, et c’est depuis son départ qu’elle va si mal. Elle reconnaît que le départ de sa fille l’a ébranlée : « Depuis qu’elle n’est plus à la maison, je ne supporte plus d’y rester, alors je sors, je vais voir mon ami, j’essaie de bouger ». Mais elle persiste à répéter que sa réaction n’est pas normale. Je lui confirme qu’il y a quelque chose qui ne va pas, qu’elle s’en est aperçue puisqu’elle est venue me consulter. Mes paroles semblent l’atterrer. C’est comme si elle avait attendu que, d’un geste de la main, je chasse le brouillard dans lequel elle se trouve ; or ce que je dis là est tout simplement une confirmation de son malaise. Et cela lui paraît abominable. Je suis très embarrassée car si je minimisais son ressenti, je ne pourrais pas rester dans la proximité avec son intérieur qu’exige l’établissement d’une bonne relation thérapeutique, mais en 82

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confirmant son malaise, c’est comme si je lui donnais une réalité que jusque-là elle avait tenté de fuir. Sa perte de repères me semble flagrante, aussi j’essaie de la rassurer en lui disant que généralement des symptômes comme l’angoisse qui la tenaille, ont un sens, et viennent exprimer un déséquilibre à rajuster, ce que je vais l’aider à faire. Elle insiste : « Vous allez m’aider n’est-ce pas ? », comme si elle se sentait suspendue à un fil. Je lui précise cependant qu’il va falloir un certain temps pour que nous comprenions précisément ce qui se passe, et qu’en attendant peut-être qu’un léger traitement pourrait l’aider si la souffrance est trop grande. J’ai le sentiment de lui donner à choisir entre la peste et le choléra. Néanmoins j’essaie d’être contenante, et lui propose de la voir très régulièrement. Lors d’un entretien ultérieur, elle reprend ses mêmes plaintes. Pour explorer un peu plus ce qui se passe en elle, je lui demande si elle garde le souvenir de ses rêves, mais elle me répond qu’il y a des années qu’elle ne rêve pas. Et l’affolement reprend le dessus. Je me sens dans l’urgence de répondre à sa demande, car elle me dit que si elle reste comme ça elle va devenir folle. Inquiète, je lui dis que si c’est vraiment intolérable, il est possible d’envisager une hospitalisation. Là elle me regarde comme si je l’avais insultée, me disant que ça n’est absolument pas possible. Il me semble pourtant impératif de lui apporter quelques repères, et ne sachant trop comment, je reprends mes hypothèses explicatives. Je prends soin toutefois, car j’ai bien conscience, que ce que je lui dis sera totalement plaqué, de lui préciser qu’il s’agit de repères théoriques qui me sont très personnels, et qui correspondent à un modèle de fonctionnement possible. Je lui reparle du corps, en des termes que bien sûr elle comprend mal. Pour argumenter mon approche, je propose l’exemple de la latéralité qui nous permet de nous structurer, et se détermine en fonction du corps. Et je souligne que cet investissement corporel se met en place très tôt dans la vie, et qu’il est souvent fonction de la réassurance dont on a bénéficié dans la petite enfance. Je lui demande donc de me raconter son histoire de vie. Elle me dit qu’effectivement, sa mère n’a jamais été maternelle. Jusqu’à aujourd’hui, elle s’est évertuée en vain à établir une relation avec elle. Elle semble triste et désolée en évoquant toutes ses tentatives infructueuses d’être aimée de sa mère. Mais elle ne lui en veut pas. Elle m’explique que sa mère a été enceinte d’elle 83

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très jeune, vers 17 ans, alors qu’elle n’était pas en couple. C’est sa grand-mère maternelle qui s’est occupée d’elle, contre l’avis du grand-père très rejetant, qui ne voulait pas de cet enfant. Mais quand elle a eu 2 ans, la grand-mère est morte, et le grand-père les a mises à la porte. Fort opportunément, sa mère a été recueillie par un grand avocat très humain, qui l’a embauchée comme secrétaire et l’a aidée à s’en sortir. Je ressens en elle comme un très ancien désespoir à ne jamais avoir été capable de gagner l’amour de cette mère, une très grande compassion aussi à son égard. Le rôle important de l’avocat qui les a recueillies me rappelle un magnifique film libanais que j’ai vu peu de temps avant, mettant en scène de façon exceptionnelle les guerres, et la violence fratricide dans ce pays, autour d’une thématique œdipienne terrible. Tiré d’une pièce de théâtre, il s’appelle « Incendies ». L’héroïne du film est victime des horreurs de la guerre, elle a un enfant né de l’amour très jeune, qui sera abandonné et qu’elle passe sa vie à espérer retrouver. Puis elle met au monde des jumeaux issus d’un viol, qu’elle ne pourra jamais aimer, mais qu’elle élèvera avec l’aide d’un vieux notaire bienveillant. Je ne peux m’empêcher de lui citer le titre du film, et comme elle ne le connaît pas, de lui en narrer le thème. Elle m’arrête en me disant qu’elle l’a vu. Je lui dis alors que lorsqu’on a vécu de telles atrocités, on ne peut plus aimer. Et tout à coup, je ressens que quelque chose en elle lâche. Comme si l’immense et pesante digue d’une culpabilité infantile massive s’était brutalement effondrée. Magie de la rencontre des inconscients et des hasards, qui, en une séance, et parce que j’avais écouté l’intuition qui, contre toute éthique, m’avait fait incontournablement associer ces deux histoires, a permis une avancée spectaculaire dans le cours de la thérapie. Ceci dit, peu de temps après, elle me dit que, puisque ses angoisses se sont apaisées, elle préfère ne pas poursuivre plus avant cette thérapie qui, dit-elle, la bouscule trop. Cette histoire ne restera donc qu’une vignette clinique illustrant combien l’histoire familiale oblitère parfois l’histoire individuelle, en pesant très lourdement sur le rapport entretenu à l’affectivité. L’interruption de la prise en charge a conduit à m’interroger sur la pertinence de mon intervention ; cependant, je me sentais moimême prise dans une impasse, et n’ai pas trouvé d’autre manière de répondre à sa demande qui me semblait très urgente, compte tenu de l’évolution en cours d’une pathologie chronique grave, la leucémie. 84

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Pour continuer dans le registre des répercussions affectives de l’histoire familiale, je vais évoquer un autre cas.

Donia J’ai suivi Donia plusieurs années, mais à un rythme tout juste mensuel. Femme très investie professionnellement, mère de 3 enfants, elle vient me voir alors qu’on lui a donné mon nom il y a plus de 10 ans. Elle ne parvient pas à trouver un équilibre : elle est tendue, fatiguée et dort très mal depuis longtemps déjà. Elle dit avoir toujours voulu se différencier de sa mère, même si elle lui a été collée toute l’enfance. Elle s’efforce sans cesse, et évoque tout avec un grand sourire. Elle ne parvient pas à se poser, a peur de ses pensées, s’agite pour les éviter et ne parvient jamais à se détendre. Le diagnostic récent d’une thyroïdite de Hashimoto lui donne à penser que ses problèmes en réalité sont purement organiques. Après plusieurs séances, nos entretiens semblent l’apaiser un peu. Elle décide de faire du yoga et de se remettre à la peinture qu’elle aime beaucoup. Elle me rapporte un rêve vague : il y est question d’une tante maternelle et d’un prénom « Joïa » dont elle me dit qu’il signifie bijoux en espagnol. Lors de notre première entrevue, pour m’expliquer qu’on parlait peu dans la famille, elle m’avait dit qu’elle n’avait pas annoncé la mort de son père à ses enfants, et que lui-même avait enterré des bijoux de famille qu’on n’avait pas retrouvés car il n’avait jamais dit où. Nous évoquons la tension corporelle à maintes occasions car elle présente des dorsalgies fréquentes. Elle a également un passé allergique depuis des années. Je l’encourage à faire des liens, elle les perçoit, puis son raisonnement revient toujours vers la rationalisation et le déni. Elle dit fonctionner avec des tas de modèles en tête, et avoir surtout le souci de ne pas être dans la continuité de l’histoire parentale. Sa mère était une femme immature et dépressive. D’origine juive espagnole, elle avait perdu toute sa famille en déportation. Nos échanges autour de la différence, et le fait qu’elle puisse enfin parler d’elle, l’aident un peu à se détendre et elle retrouve le sommeil. Dès lors, elle n’évoque plus grand-chose de personnel. 85

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La prise en charge se maintient cependant parce que, malgré des avancées, surgissent souvent des moments de mal-être. Alors qu’elle me semble s’autoriser à exister plus, et qu’elle se relâche, il y a une période de vacances. De retour, elle me raconte avoir fait une crise d’angoisse et de quasi-dépersonnalisation qui l’a conduite aux urgences. À l’hospitalisation qu’on lui a proposée, elle a préféré partir à l’étranger dans la famille de son mari. De retour, elle se sent mieux mais encore très perdue, elle fait des rêves répétitifs où elle est dans une vie collective type colonie ou clinique, elle ne sait où aller, ne parvient pas à s’habiller, se fait pipi dessus. Je ressens l’insupportable de la perte. Elle fait un rêve où elle est dans un hôtel de luxe, mais se baigne nue devant tout le monde, sans aucun espace d’intimité. Elle dit avoir le sentiment de vivre des choses à la place de sa mère, alors qu’elle voudrait s’en détacher. Enfant, elle était très timide et très en demande à son égard. « Si elle ne venait pas me dire bonne nuit, je ne m’endormais pas ». J’entends que son corps est resté collé à sa mère, comme pour éviter la séparation, et qu’elle a vécu dans sa tête. Lorsque sa mère a été enceinte d’elle, sa première enfant, elle a vomi pendant 9 mois, a perdu ses cheveux, des dents, et même l’odorat. Même si sa réticence est grande, elle exprime enfin sa plainte. « Ma vie s’est arrêtée à 14-15 ans ». « Depuis toute petite, la tristesse s’est incrustée en moi ». «  Une des choses qui m’a le plus traumatisée est d’être incapable de faire une roulade en sport ». Si elle a toujours du mal à s’écouter, elle en prend à présent douloureusement conscience. En peignant, elle a associé la couleur rouge à une corrida effrayante à laquelle elle avait assisté enfant, accompagnée de son père. La dimension symbolique réapparaît, comme si jusqu’ici elle avait eu interdiction de faire appel à un certain niveau de profondeur en elle. Pendant plusieurs mois, ce qui dominera ses plaintes sera la fatigue. Pour cette femme jusqu’ici hyperactive et peu à l’écoute d’elle-même, cette étape, même si elle est mal vécue, signifie 86

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qu’enfin le corps est présent, et ressenti. Avec cette lourdeur caractéristique de la réappropriation d’un corps réel, alors qu’elle ne fonctionnait depuis l’enfance qu’avec un corps imaginaire. Je vais l’aider à accepter ces sensations, même si elles ne lui conviennent pas du tout a priori, de façon à ce qu’elle accompagne le changement. Elle s’aperçoit qu’elle a toujours eu du mal avec le changement, et plus généralement avec le passage du temps. Plus tard, elle s’étonnera d’avoir acquis du recul, alors même qu’elle est enfin capable d’être spontanée et d’exprimer ce qu’elle ressent. Elle trouve ça paradoxal. Je souligne que si elle se sent mieux exister dans son corps, qui est plus présent et mieux investi, il n’y a pas là de mouvement paradoxal. Le corps étant un peu la maison qui abrite notre intérieur, le fait qu’il soit enfin fonctionnel permet à son intérieur d’avoir un espace propre, de s’y mouvoir à l’aise, et se sentir libre de s’exprimer, tout en s’autorisant, si elle le souhaite, à garder des choses pour elle avec un certain recul donc, et sans qu’elle se sente pour autant coupable ou en danger. Auparavant, se sentant transparente, soit elle luttait contre ses propres ressentis, soit elle les révélait aux autres. Ces deux mouvements étaient douloureux et coûteux en énergie. Elle était dans l’ alternative exclusive du tout ou rien, qui ne laisse pas de place pour l’existence dans un corps réel, mais pose des repères idéalisés qui n’engendrent que frustration ou hyperactivité. Notre travail avance, que je ne peux évoquer en détails faute de temps, mais qui lui permettra peu à peu de lâcher un rythme formel et imposé pour retrouver un rythme propre, avec des sensations nouvelles, au plan sexuel par exemple. Lors de nos derniers entretiens, elle me fait remarquer qu’elle a beaucoup changé, elle se sent vivante à présent, dans son corps, elle parvient à différencier ce qui est de son espace et ce qui concerne autrui, elle peut se positionner et garder pour elle des choses de son intimité, ceci sans culpabilité enfin. Elle me raconte avoir lu des écrits à propos des Anglais qui avaient envoyé leurs enfants loin de chez eux pendant la guerre, pour les protéger des bombardements, et elle associe à un rêve : Elle mettait un bébé qui ressemblait à un fœtus dans une bouteille, hermétiquement fermée, et le confiait à un inconnu, ravie de se dire qu’ainsi elle allait le protéger. Au réveil, elle trouvait ça terrible. Et quand je lui ai demandé ce qu’elle en pensait, elle m’a répondu très émue : « Ça me fait penser 87

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à ma mère, à ce qu’elle a vécu alors qu’adolescente pendant la guerre elle avait été hospitalisée pour une appendicite, et que pendant ce temps-là il y avait eu une rafle à la maison, qui a emporté son père, sa mère et son frère vers des camps de concentration ». Ce cas, dont je n’ai retenu que quelques grandes lignes, montre l’intrication qui se produit entre l’histoire personnelle et l’histoire familiale, portée par la relation affective bien sûr. J’ai évoqué la souffrance maternelle de la perte terrible survenue à l’adolescence, dans une période qui questionne tant la féminité que l’autonomie, et en lien au corps par la maladie, qui a provoqué, chez cette enfant sensible, une difficulté à la séparation et à un investissement corporel harmonieux. Le clivage mental/corporel a permis une construction très adaptée, au détriment du corps propre, selon un rythme conforme, ignorant la dimension affective pourtant toujours présente mais enfouie et coupable. Dans ce contexte, la différence a toujours été problématique, ce qui a participé grandement à ses choix et ses difficultés de vie : mariage avec un homme culturellement très différent, orientation homosexuelle d’un de ses enfants extrêmement mal vécue et déniée, notamment par le père dont l’origine et l’éducation ne pouvaient lui permettre de l’accepter. La sortie de l’impasse est passée par la récupération d’un rythme propre et d’un corps investi, contenant et sensible. Cela a été permis par un travail sur la différence entre intérieur et extérieur, soi et autrui, et la récupération d’une affectivité légitime, dépassant la culpabilité. Dans l’enfance, elle a lutté contre sa propre différence, en niant son corps et en se collant à sa mère. Elle se blessait très vite dès qu’elle avait une quelconque activité, et sa mère avait coutume de lui dire « reste assise sur un banc sinon tu vas encore te casser quelque chose ». Corps et sexualité étaient malvenus. Lorsqu’elle a eu ses règles vers 10 ans, sa mère qui ne l’avait pas informée, lui a passé un livre qui expliquait la chose. Mais, à l’adolescence, période où sa mère s’était elle-même trouvée dans l’impasse compte tenu de son histoire, elle a adhéré à une identité de surface, conforme au modèle social et dans l’hyperactivité. L’impasse pour elle restait transitoire, avec la problématique allergique. Mais l’épuisement du fonctionnement a mené à la thyroïdite et à la dépression. Pour retrouver son identité, elle a dû récupérer son corps propre et ses affects qui étaient restés dans le collage à la 88

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mère. Les phrases qu’elle m’a dites alors font bien plus référence à l’histoire maternelle qu’à la sienne propre. Le dernier rêve, évoqué avec beaucoup d’émotion, résume toute la problématique qui a présidé à sa construction : se refermer hermétiquement, pour se préserver, face à la séparation et à la perte, intolérables, mais en se refermant ainsi, se couper de la relation, et se retrouver perdue et séparée. Les seules relations possibles sont avec des inconnus, dans la différence, et selon la conformité sociale. Le fœtus enfermé et isolé représente autant ce que la mère a mis en place avec elle, que le rapport qu’elle-même a entretenu avec son propre intérieur. Nous voyons ici comment le rapport à soi, à son propre intérieur et à l’affectivité, est souvent transmis de la mère à l’enfant aussi sûrement que l’est la langue maternelle. Le détail de cette prise en charge pourra faire l’objet d’un développement ultérieur pour montrer combien tous ces aspects sont intimement intriqués et doivent donc être traités de façon concomitante pour que la thérapie aboutisse.

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Recherche en psychosomatique. Affect et pathologie Leila Al-Husseini

Affect et allergie chez une adolescente Leila Al-Husseini Cet exposé propose de vous présenter un travail avec une jeune patiente allergique et asthmatique où la problématique de l’identité occupe une position centrale dans la relation thérapeutique. En effet, selon Sami-Ali, si la question de l’identité se pose en termes de différence et de distance dans chaque relation à l’autre, dans le cas de l’allergique cette question se pose en terme de sa difficulté à instaurer une distance avec autrui, à la fois au niveau relationnel et au niveau immunitaire1. C’est donc dans ce terrain que s’enracinent toutes les difficultés de l’allergique. Il s’agit ici d’une situation qui engage la patiente et sa famille dans une impasse relationnelle. La thérapie essaiera de dégager la patiente de cette impasse. Avant de présenter ce travail, je vais vous parler brièvement de l’espace de la relation thérapeutique et de la technique de l’Art-thérapie que j’utilise dans ma pratique. Mon travail clinique se constitue et se développe dans une exigence créatrice qui m’a amenée à privilégier l’atelier comme lieu de mon activité thérapeutique. L’utilisation de la peinture au sein de la relation explore la couleur comme moyen d’accéder au contenu refoulé. Cela est déterminé par l’instantanéité des affects qui peuvent émerger pendant l’acte de mélanger et de superposer les couleurs sur la surface à peindre. 1.  Voir Sami-Ali, L’impasse dans la psychose et l’allergie, Paris, Dunod, 2001/

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La libération de l’activité onirique est un objectif central dans mon travail avec le patient. En effet, d’après Sami-Ali, l’absence de rêve signifie le refoulement de l’imaginaire. L’utilisation de la couleur peut stimuler l’activité onirique et en particulier le souvenir du rêve. Rêve sans lequel le travail thérapeutique ne pourra s’accomplir car il est le lien qui éclaire ce qui se passe dans l’actuel, en résonance avec le passé. Il est important de souligner la différence entre la relation thérapeutique, ici, et celle d’une relation basée uniquement sur l’écoute et la parole. La parole dans l’art-thérapie n’est pas le tremplin de la scène thérapeutique ; elle vient au secours des émotions qui apparaissent pendant la peinture, effectuant ainsi un passage entre le présent et le passé.

Alice Le travail thérapeutique avec cette jeune patiente s’est accompli pendant une période de neuf mois, il y a une dizaine d’années. L’intérêt de ce cas est toujours actuel. Alice est une jeune fille de treize ans, elle est la cadette d’une fratrie de deux enfants dont l’aîné est un garçon de dix-sept ans. Elle est venue me voir accompagnée de sa mère très préoccupée par la situation de sa fille. En effet, Alice souffre depuis longtemps d’un eczéma associé à un asthme et sa maladie est actuellement en pleine crise malgré une médication fortement dosée à base de corticoïdes. Les symptômes persistent et le médecin traitant envisage d’augmenter le traitement afin d’empêcher que les poumons se remplissent d’eau. Les mains d’Alice, ainsi que plusieurs parties de son corps, sont couvertes de lésions accompagnées de démangeaisons intolérables qui perturbent son sommeil. La taille mince et frêle d’Alice lui donne l’air très jeune. Mais la gravité qui se reflète dans ses grands yeux lui confère presque une sorte de vieillesse.

Première rencontre Au cours du premier entretien, la maman d’Alice parle d’elle comme si elle était absente et répond souvent aux questions qui s’adressent à sa fille. La maladie organique est le point focal de son discours. Elle m’en dresse un bilan clinique très précis et très 92

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détaillé, elle décrit l’évolution de la maladie et les symptômes avant et pendant la crise, ainsi que les différents traitements utilisés. En même temps, elle donne l’impression de parler de son propre corps. Alice semble se confiner dans un certain mutisme. Cependant, elle est attentive au moindre échange. Et malgré son silence, elle paraît exercer une sorte de pouvoir sur sa mère. En effet, la mère sollicite, verbalement ou du regard, l’approbation de sa fille, chaque fois qu’elle répond à sa place. Par ailleurs, Alice n’est pas passive. Durant cette première séance, elle emprisonne la main de sa mère dans les siennes et la manipule nerveusement comme s’il s’agissait d’un objet. De cet échange entre Alice et sa mère se dégage une certaine tension, mais la mère ne proteste pas, et ne retire pas sa main. Dès la première séance, je suis en face de cet univers spécifique de l’allergie. La confusion des identités règne sur l’ensemble de cette relation mère-fille et crée un espace brouillé, laissant émerger la difficulté d’être d’une adolescente à la place de laquelle sa mère parle. Le bilan de cette première rencontre met en évidence qu’Alice est allergique depuis qu’elle a un an. Par ailleurs, il existe un terrain allergique familial. En effet, le frère aîné est allergique, la mère et la grand-mère maternelle sont asthmatiques toutes les deux.

La démarche thérapeutique Ma deuxième rencontre avec Alice se fait sans sa mère. Je commence à lui présenter l’atelier de peinture et les différents matériaux et lui signifie sa liberté de choisir. Faire un choix semble l’embarrasser, la déranger. Elle hésite un long moment devant les couleurs exposées dans des godets sur une table. Ensuite, elle prend un papier et un pinceau très fin et commence à peindre très lentement trois fleurs rouges minuscules qui sortent de la même tige et me dit : « Ces fleurs me font penser à notre jardin ». Devant ces fleurs suspendues dans l’espace et d’après sa réponse, me vient à l’esprit l’idée du lien et de l’arrachement. Son attitude envers moi reste distante et réservée, et lorsque je lui demande si elle aime la peinture à l’école, elle répond par une 93

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grimace dédaigneuse que non, elle ajoute aussi que cela l’ennuie plus que tout autre chose et qu’elle déteste l’esprit de compétition qui règne pendant la séance de peinture. J’essaie de la rassurer en lui expliquant la différence qu’il y a entre faire de la peinture à l’école et peindre chez la thérapeute. Elle ne se montre pas très enthousiaste mais je sens qu’elle m’écoute attentivement. Pendant nos premières séances, ses récits me semblent des chroniques racontées avec distance et fatalisme. Deux espaces s’y opposent : l’extérieur étranger, menaçant voire persécuteur, est surtout celui de l’école, et l’intérieur protecteur et rassurant, est celui de la famille. Elle semble souffrir du premier et s’identifier au second. Ce mode de pensée n’est en réalité, chez Alice, que l’indice d’une difficulté à exister et à constituer sa propre identité dans une situation excluant la différence de l’autre, lequel est perçu comme différent de soi. Les parents d’Alice possèdent un bon niveau socioculturel. Ils appartiennent à une bourgeoisie protestante cultivée, pratiquante. Leurs activités dans la paroisse les amènent parfois à imposer à leur fille de participer aux colonies de vacances organisées par l’école. Alice est réticente à le faire et connaît des épisodes de crises aiguës chaque fois qu’elle est éloignée de chez elle contre son gré. Ces crises nécessitent parfois une hospitalisation en urgence. La situation est identique en ce qui concerne la participation d’Alice aux activités sportives de son école. Les parents pensent qu’elle doit assumer comme tout le monde les exigences fixées, en dépit de la situation particulière qu’ils ne peuvent cependant pas ignorer. Cette position paradoxale n’épargne pas la relation avec la thérapeute à qui ils signifient à plusieurs occasions qu’elle ne doit pas contrecarrer leurs valeurs éducatives.

La peinture Au début, Alice préfère les crayons de couleur et résiste à utiliser la gouache. Cela semble l’angoisser. Je ne sous-estime pas sa crainte et j’attends qu’elle se sente plus à l’aise dans la relation avec moi. Je suis persuadée qu’il faut trouver un moyen pour la rassurer, moyen qui respecte son rythme lent et sa sensibilité méfiante. Je lui propose de faire son portrait pendant qu’elle explore les couleurs en faisant des mélanges et des touches libres. Alice s’étonne de ma 94

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demande, mais elle l’accepte avec un sourire. J’ai alors le sentiment que mon regard est devenu pour elle non seulement justifié, mais qu’il peut maintenant se poser sur son visage sans la déranger. Le temps de cette séance s’écoule désormais d’une façon très fluide. J’arrive à observer son visage, ses émotions et ses réactions face à sa propre peinture et à ma présence. Ainsi commence notre relation comme une sorte d’apprivoisement dans la proximité et la distance, dans un espace à la fois réel et imaginaire. Le portrait terminé est assez fidèle à la réalité, mais Alice semble regarder un visage inconnu et me dit : « il est beau ce visage ». Est-ce un compliment pour la thérapeute ou une découverte d’elle-même ? Une ouverture dans notre relation se fait sentir. Alice ne se souvient pas de ses rêves pour le moment. À cause de multiples réveils nocturnes, elle est souvent fatiguée pendant la journée. Mais, malgré sa fatigue, elle est une bonne élève sauf en ce qui concerne les activités sportives : « la séance de sport est un vrai calvaire, je suis la dernière et on se moque de moi tout le temps ». De plus, elle n’a pas d’ami et la seule amie qu’elle ait réussi à avoir vient de partir dans son pays d’origine. Cet événement peut être le déclencheur de sa crise actuelle, aggravant son allergie et son asthme car cette amie était pour elle comme « une sœur jumelle ». Alice ne se souvient pas d’avoir vécu une vie normale, sans maladie. « Ce qui me gêne le plus dans cette maladie, c’est le regard des autres… j’étais et je suis toujours un objet de moquerie à l’école. On m’évite et parfois on me traite de vieille à cause de l’aspect de mes mains ». Son discours résigné semble sans affect, comme si elle parlait de quelqu’un d’autre. Mais sa résignation ne cache pas un désespoir qui lui semble sans issue. Quelques séances plus tard, Alice se souvient d’un épisode allergique grave où son père avait dû l’amener à l’hôpital, le soir, en urgence. Ses mains étaient gravement infectées. Un médecin est venu l’examiner. Il a ensuite appelé trois autres collègues ou étudiants (il s’agissait d’un hôpital universitaire) et tout le monde s’est intéressé à ce phénomène médical en oubliant parfaitement la petite fille qu’elle était et qui avait à peine quatre ans. Alice m’avoue avoir beaucoup perdu de sa confiance envers le monde des adultes à partir de cet événement vécu comme un vrai traumatisme. Elle a le sentiment de ne pas avoir été traitée comme une enfant mais comme un objet bizarre. 95

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Ce souvenir marque un moment important dans la relation thérapeutique. La patiente commence à avoir confiance en cette relation.

Alice et l’écriture Alice est une jeune fille très intelligente et extrêmement sensible, elle lit beaucoup et a une connaissance qui dépasse le niveau scolaire. Elle a un discours allégorique qui l’a probablement coupée de ses camarades de classe qui trouvent qu’elle parle un langage « trop compliqué » ; de son côté, elle les considère « trop bornés et ignorants ». À l’école, si on la surnomme « la vieille » c’est probablement à cause de ses mains desséchées mais aussi à cause de la sagacité propre à son langage. Comme Alice est toujours méfiante face à l’utilisation de la gouache, je décide de faire une séance d’écriture pour valoriser son point fort et favori. Il s’agit d’écrire son prénom et son nom sur un papier, verticalement, en lettres détachées. Il lui faut ensuite trouver cinq mots qui commencent par cette même lettre et les placer horizontalement en regard de chaque lettre. Après cette étape, je demande à Alice d’associer librement une couleur à chacun des mots qu’elle a créé. L’ensemble devient un matériau à partir duquel elle peut créer un texte et plus tard une peinture. Alice va s’appliquer pendant deux séances avec apparemment un seul souci : celui d’intégrer littéralement tous les mots. Son texte devient un simple exercice de style un peu scolaire. Mais Alice semble fière du résultat. Cet exercice met en évidence une richesse de vocabulaire qui évoque la solitude : « seule, perdue, île, lointaine, larmes, immobile, triste, souvenir, automne, temps perdu…, etc. ».

Peinture, affects et rêves Lors de la séance suivante je propose à Alice de faire de la peinture en s’inspirant des couleurs qu’elle a mises à la place des mots dans la séance précédente. Elle peint des feuilles d’automne détachées, semblables les unes aux autres. Une tristesse fugace apparaît dans son regard posé sur les feuilles, et quand je lui demande ce 96

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que ces feuilles représentent pour elle, Alice me dit sur un ton ému: « rien ». Son « rien » résonne chargé de beaucoup d’affect qu’elle ne veut ou ne peut pas communiquer. A t-elle trouvé un lien entre elle et ces feuilles fragiles ? Lors d’une autre séance Alice me raconte, pour la première fois, le souvenir d’un rêve qui s’est répété à plusieurs reprises, rêve d’angoisse qui semble continuer à avoir un impact sur elle.

Rêve 1 « Je suis un personnage d’un livre je ne peux pas y rester car le livre se referme sur moi et je ne peux non plus partir car je n’ai nulle part où aller ». Ce rêve actualise la fragilité et la difficulté d’Alice à trouver sa place dans la réalité. Il y a dans ce rêve la condensation de sa propre image, image d’un personnage fictif – c’est-à-dire qui n’existe pas – et qui renvoie à ce « rien » concernant les feuilles mortes dans sa peinture. L’angoisse d’Alice s’estompe pendant les semaines suivantes mais sa démarche en peinture reste hésitante. En dépit de ses difficultés, Alice fait des touches et des tracés qui semblent surgir du hasard et du vide ; ses gestes sont indécis et ne parviennent pas encore à définir leur autonomie par rapport à l’espace où ils s’inscrivent. C’est sa propre affirmation comme être qui est en cause. Mais les couleurs qu’elle élabore lentement possèdent un degré de cohérence suffisante pour lui permettre de continuer et d’avoir confiance en son travail. Durant cette période, les touches ne quittent pas l’horizontalité pure et l’on est toujours dans un espace bidimensionnel qui domine tout. Plus le temps passe et plus Alice est confiante en notre relation. Une force créatrice s’engendre en elle et les rêves sont de plus en plus présents. Elle accepte de se détendre et de respirer profondément avant chaque séance de peinture. À présent, elle peint avec un engagement visible, elle crée des couleurs en s’appliquant à faire ses propres mélanges et accepte les contrastes qu’elle a rejetés auparavant. Elle constate maintenant qu’elle aime s’exprimer en peinture et ne tarde pas à me dire que c’est différent de ce qu’elle fait en classe où tout le monde copie un objet unique. Et quand je lui demande de me parler un peu plus de la différence entre les deux situations, elle répond qu’en classe elle est obligée de faire vite, ce qui induit du 97

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stress, alors qu’ici elle est libre et découvre un autre monde, à son propre rythme, sans être jugée. Je propose à Alice d’essayer de peindre avec les doigts. Elle me demande si ce n’est pas allergène et je réponds que non. Je cherche par là à obtenir un moment de régression qui la libère un peu de ses contraintes inhibitrices. Elle va peindre directement avec ses mains en une projection sans distance entre elle et la feuille. Son visage s’anime alors d’une joie bouleversante. On dirait, dans ce moment régressif, qu’elle est une enfant de deux ans qui tapote et crée des formes avec les couleurs et laisse les empreintes de ses mains entières. Elle rit et crie de joie. On est loin de la fille sombre, perfectionniste et hésitante. Durant cette séance, Alice a joué et elle a pris plaisir au jeu. À la séance suivante, elle me signale son étonnement à constater la régression de son allergie : « Rien. Rien » ditelle en me montrant très fière l’amélioration visible de l’état de ses mains. Elle m’attribue un rôle magique, une toute-puissance. Elle me suppose un savoir intarissable et me pose parfois des questions qui dépassent mes compétences. « Pourquoi les celtes ont-ils disparu ? ». Elle amène à la séance des hiéroglyphes qu’elle espère me voir déchiffrer. Elle s’intéresse beaucoup à l’histoire de la région d’où je viens. Elle me questionne sur tout ce qui la préoccupe et me communique ses idées sur le monde. Elle m’impressionne avec ses larges connaissances sur beaucoup de sujets mais je m’inquiète de sa vision du monde trop pessimiste et trop sombre pour une adolescente de son âge. Elle développe un sens de l’humour poignant qui montre qu’elle a un imaginaire riche et de plus en plus de rêves occupent la scène de nos séances.

Rêve 2 « Je suis en train d’aller à pieds dans une ville, le voyage est pénible, je suis poursuivie par des créatures féroces et méchantes, mais j’arrive à leur échapper, non sans difficulté, une femme étrangère, mais gentille, m’aide à me sauver de mes ennemis en me tendant sa main avant de tomber dans leur piège ». Alice habite dans une ville, la thérapeute vit et habite dans une autre ville. Dans son rêve, Alice est obligée, pour atteindre sa destination, de passer inévitablement par ma ville. La femme étrangère mais gentille n’est autre que moi. La perspective que 98

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ce rêve entrouvre à Alice lui donne la possibilité d’échapper à ce qui la menace et d’intégrer l’autre comme diffèrent, mais gentil. Contrairement au premier rêve où elle n’est qu’un personnage fictif bloqué dans un espace contrariant et contraignant, ici l’espace s’ouvre, elle est en train d’entreprendre un voyage et de faire face activement à ses angoisses. Plus tard, un autre rêve marque un progrès significatif dans le déroulement de la thérapie. Il fait ressurgir des souvenirs importants et permet à Alice de faire des liens avec son vécu.

Rêve 3 « Je suis dans un jardin avec d’autres jeunes et nous voulons danser. Une jeune fille a les mains bandées et coupées. Personne n’accepte de la prendre par les mains pour danser avec elle sauf moi. La fille me remercie et pleure de joie ». Alice me raconte que cette jeune fille aux mains coupées ressemble beaucoup à une de ses camarades de l’école primaire qui l’avait ridiculisée à cause de ses mains marquées par l’eczéma. Par l’acte agressif de cette camarade de classe, les autres élèves avaient regardé les mains d’Alice avec dégoût et s’étaient éloignés d’elle dans tous les jeux collectifs. Le fait de me raconter ce douloureux souvenir la fait pleurer pour la première fois, et lui permet de me parler de sa souffrance comme étant à l’origine de l’évitement des autres, à seule fin de ne pas s’exposer au rejet. Dans ce rêve, Alice exprime sa colère envers cette fille en lui faisant subir un grand châtiment (les mains coupées) mais, en même temps, en lui tendant ses mains, Alice montre un humanisme et une supériorité d’âme. Avec son sens de l’humour noir, Alice me dit qu’elle est prête à se débarrasser de cette grandeur d’âme si cela lui permettait de ne plus souffrir.

Des problèmes et des angoisses Vers la fin de cette première année, avant les vacances de Noël, Alice me semble tendue et me dit qu’elle n’a pas envie de faire de peinture et peut-être même qu’elle va interrompre la thérapie. À travers ses pleurs très amers, elle a pu me faire comprendre qu’elle vit 99

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un moment très difficile à l’école et en famille. Je propose à Alice de me parler d’abord de ses problèmes avant de décider de la suite de la thérapie. Elle accepte : à l’école elle se trouve acculée à choisir entre deux clans qui divisent la classe. Qui n’adhère à aucun d’entre eux subit les représailles des deux. De plus, elle a des examens de mathématique à préparer et doit également donner un récital de violon. Son professeur de musique lui a imposé un morceau. « Non seulement je n’aime pas ce morceau mais je le joue très mal. Ce qui me rend malade dans cette histoire, c’est l’attitude inexplicable de mon professeur et tout ce que mes parents trouvent à me dire c’est ‘‘travailles bien et tu arriveras’’. Ils ne me comprennent pas et m’imposent toujours leur volonté ». Ces contraintes lui semblent insurmontables et sa culpabilité à vouloir agir autrement l’amène à s’auto-punir en arrêtant la thérapie. Je réalise qu’Alice est en danger de rechuter dans sa maladie, et sa culpabilité peut lui faire perdre ce qu’elle a pu développer avec moi jusqu’à présent. Elle est très déstabilisée sous le poids de ses problèmes. Je lui demande alors comment elle compte s’y prendre pour résoudre ces problèmes. Alice est trop angoissée pour réfléchir, ce qui m’oblige à être plus explicite dans mon rôle pédagogique. Je lui dis alors que je comprends très bien sa détresse, mais que la seule chose qui doit compter pour elle c’est d’essayer de relativiser ses problèmes afin de se protéger et de trouver des solutions possibles. Alice m’écoute attentivement et semble soulagée et décide de poursuivre sa thérapie. Quand ses parents arrivent, ils s’étonnent de la voir si calme et beaucoup moins angoissée. Plus tard, j’ai appris qu’elle avait réussi, sans l’intervention de ses parents, à changer de morceau de musique et à gérer sa situation vis-à-vis des clans à l’école. Lors d’une ultérieure séance Alice me raconte un rêve angoissant sur fond de grande culpabilité. Comme si à chaque fois qu’elle arrive à acquérir une distance et un espace personnel en dehors de l’emprise familiale, sa culpabilité resurgit et sape ses efforts.

Rêve 4 «  Je suis dans une grande cour. Il y a des étudiants avec leurs cartables. J’ai dix-huit ans mais tout le monde m’évite car j’ai la tuberculose et je vais bientôt mourir. Je me réveille très angoissée ». 100

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À partir de ce nouveau rêve, je me rends compte de la difficulté d’Alice à se séparer de sa famille et à devenir autonome. Dans ce rêve, avoir dix-huit ans signifie avoir l’âge où elle ira à l’université dans une autre ville et devra donc quitter ses parents. La maladie mortelle évoquée dans le rêve est une métaphore de son asthme. Ainsi le rêve actualise l’angoisse de la séparation d’avec la mère et la peur de se perdre. Ce rêve lui donne l’occasion de me parler d’un grand-père paternel mort de tuberculose quand elle avait quatre ans, à la période même de sa visite traumatisante à l’hôpital. Le climat de cette séance est extrêmement triste mais Alice semble se libérer des angoisses que ce rêve a pu déclencher.

L’amélioration d’Alice et la fin de la thérapie À présent, la peinture d’Alice prend plus d’espace et évoque la musique. Elle représente des éléments : la mer, le lac, les montagnes et le ciel, la lumière. Alice va beaucoup mieux. Son visage devient rayonnant, elle me semble joyeuse et plus détendue. Elle a quatorze ans ; elle s’intéresse à l’anthropologie et veut devenir écrivain de romans fantastiques. C’est alors que ses parents m’annoncent leur décision de suspendre la thérapie.

Voici le rêve de la dernière séance « Ça concerne un livre… C’est un personnage que j’ai inventé dans ma tête pendant la journée et il est revenu dans le rêve mais autrement :

Rêve 5 « C’est une elfe, ses parents ont été tués par des Nazgûls. Elle a été adoptée par des parents qui ont le secret de guérir les maladies graves, mais ils n’ont le droit de guérir de la mort que trois fois. Elle apprend à guérir et devient plus savante que ses parents adoptifs. La première personne qu’elle fait guérir, c’est Aragorn qui va devenir le roi des elfes. Et puis elle voyage beaucoup. Les elfes l’appellent ‘‘la voyageuse’’ dans leur propre langue. Elle doit partir comme éclaireur dans une forêt qu’on appelle la Lothlorien. Làbas, plus tard, elle va rencontrer des voyageurs et part avec eux à la 101

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recherche de ceux qui savent se battre. Elle rencontre des ennemis et gagne la bataille grâce aux arbres qui parlent, les pires ennemis du peuple qui ont tué ses parents. Elle se fait blesser, mais ses amis les guérisseurs la sauvent encore et elle devient la dirigeante de ce peuple avec une robe blanche ». L’elfe et sa trajectoire combattante symbolisent-ils le désir d’Alice de s’approprier son propre espace et sa propre identité ? La thérapeute apparaît-elle comme un recours sous la forme des parents adoptifs qui peuvent guérir seulement trois fois ? Alice a-t-elle accompli une partie de ses objectifs dans le voyage au sein de la relation thérapeutique ? Mon sentiment est qu’Alice et moi avons déjà parcouru un bon chemin pour essayer de changer les termes de l’impasse qui l’enferme. La décision des parents de mettre prématurément un terme à la thérapie pose la problématique de la prise en charge de l’enfant et de l’adolescent. Durant le travail thérapeutique, Alice a pu très vite récupérer ses rêves, ses souvenirs, et ses affects refoulés. Ils se sont régulièrement actualisés dans la relation. Son état physique s’est visiblement amélioré ! Enfin, par son dernier rêve, Alice semble avoir conquis une certaine autonomie et une certaine conscience de sa culpabilité. L’ensemble du travail me permet de penser qu’Alice a réussi à trouver des armes pour forger sa propre identité et ainsi mieux contrôler sa maladie. Pourra-t-elle les conserver et les développer ?…

Bibliographie Sami-Ali. Le rêve et l’affect, une théorie du somatique. Paris, Dunod, 1997. Sami-Ali. Corps réel Corps imaginaire. Paris, Dunod, 1991. Sami-Ali. L’impasse dans la psychose et l’allergie. Paris, Dunod, 2002.

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Recherche en psychosomatique. Affect et pathologie Martine Derzelle

Que viennent chercher les douloureux chroniques ? Martine Derzelle « Avec les mots qu’ils disaient sans comprendre On leur a fait des linceuls pour s’étendre » Jean-Patrick Capdevielle (« C’est dur d’être un héros »)

En guise d’introduction, un peu d’histoire d’abord… La douleur, toujours très présente en médecine, est restée jusqu’à une période très récente peu ou pas soulagée. Puis, l’anesthésie a fait son apparition pour les actes chirurgicaux, mais les soins ou les examens douloureux continuèrent d’être redoutés des patients jusqu’à ces toutes dernières années. Les « patients douloureux chroniques », dénomination institutionnelle et médicale par quoi il faut entendre, dans la définition «  académique  »,les patients porteurs d’une douleur d’une durée supérieure à 3 à 6 mois, ne bénéficiaient toujours pas de soins particuliers. Ce n’est que beaucoup plus tard que sont apparues des « consultations de la douleur », une des nouvelles formes de la modernité dans son rapport à la douleur, où des plaintes nombreuses et variées ont pu être prises en charge. Certaines de ces douleurs étaient incontestablement somatiques et l’approche médicale a pu enfin les 103

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soulager, totalement ou en grande partie, mais d’autres douleurs, manifestement plus complexes et dont l’étiologie renvoyait à de nombreux facteurs de nature fort différente : médicaux, psychologiques, sociologiques, professionnels, etc., furent mises en évidence. Et dans ces cas particuliers, la réponse médicale classique n’était pas toujours suffisante pour les traiter À cette époque, où seules des structures spécialisées prenaient en charge ce type de pathologie, les douleurs somatiques étaient les plus fréquentes et leur traitement eut, en plus du soulagement des malades, de nombreuses conséquences positives. Cela permit d’éviter les décompensations psychologiques graves dues à l’excès de douleur ainsi que des interventions chirurgicales effectuées dans l’espoir d’un soulagement mais qui, bien souvent, généraient des complications supplémentaires et un soulagement très passager. Ainsi, le début des « centres de la douleur », outre la prise en charge et le soulagement de très nombreux patients douloureux chroniques, a permis de lutter contre une certaine iatrogénie, notamment en évitant des interventions inutiles. Quelques décennies plus tard, ces mêmes centres continuent leurs très utiles missions, mais un certain nombre d’éléments ont varié. Ils sont de plusieurs ordres : –– la proportion de patients ayant des douleurs organiques diminue au profit de patients ayant des douleurs nettement « psychogènes » ou du moins ayant une comorbidité psychopathologique importante. Les modifications sociologiques (chômage, crise économique, transformations du couple et de la famille, etc.) doivent ici être évoquées, ainsi que le fait que, sur le long terme, l’« offre crée la demande » ; –– le nombre très insuffisant de psychiatres et/ou de psychologues dans les structures de la douleur. Cela a pour conséquence que la plupart des patients ne peuvent bénéficier ni d’un bilan psychologique, ni surtout d’un suivi psychothérapeutique ; –– la demande des tutelles de mettre en place des structures de la douleur dans tous les départements, y compris dans des secteurs où peu de médecins se destinaient à prendre en charge ce type de pathologie, entraîne, deux conséquences : • la pluridisciplinarité, qui est une obligation légale, imposant trois médecins de spécialités différentes dont un psychiatre, est peu respectée ; 104

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de nombreux médecins sont amenés à prendre en charge des patients douloureux chroniques sans avoir un intérêt particulier ni pour le fait psychologique ni pour une approche globale des patients, ce qui est problématique avec ce type de malades.

Les conséquences de cette évolution ? Ce problème n’ayant pas été abordé, excepté dans une enquête de 2008 (M. Constantin-Kuntz, M. Dousse), je ferai donc part de mes réflexions à partir de mon expérience clinique, d’un peu plus d’une vingtaine d’années, dans le cadre de la consultation de la douleur du Centre de Lutte contre le Cancer de Reims, où, de concert avec le chef du service d’anesthésie-réanimation, nous recevons de très nombreux patients douloureux chroniques, la plupart en échec thérapeutique. La spécificité de cette consultation tient à la présence systématique et conjointe d’un somaticien et d’une psychanalyste. C’est dire qu’un nombre important de patients, dont la douleur est à forte composante psychologique, n’ont souvent été pris en charge jusque-là que par des médecins organicistes, dont les diagnostics psychologiques sont très approximatifs et dans certains cas, totalement erronés. Pire, la pratique nous enseigne que certains ignorent ou réfutent toute dimension psychologique, dès lors qu’elle est supposée être à l’origine de la douleur et non pas sa conséquence, et on peut lire ainsi, dans certains manuels d’algologie, que les psychalgies sont très peu nombreuses. La réalité est qu’elles sont souvent non diagnostiquées ou confondues avec des douleurs mixtes chez des patients présentant une épine irritative sur laquelle se décharge l’angoisse. L’épine irritative est prise, à tort, pour une organicité vraie et traitée comme telle, la partie psychologique étant ignorée ou sous-estimée. Cela renforce naturellement le patient dans la croyance d’une étiologie organique et soutient ses résistances à aborder la dimension psychologique et émotionnelle. Il est clair, en effet, que, face à des patients douloureux chroniques, bien assurés dans leur conviction d’une cause exclusivement organique à leurs douleurs, négligeant tout ce qui serait de l’ordre de la souffrance morale, bref totalement clivés, les choix, eux-mêmes totalement clivés, de la médecine moderne ne peuvent les accompagner dans un processus thérapeutique 105

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permettant de dépasser les clivages. Il serait plus juste, en pareil cas, de parler de collusion entre le déni de la complexité des variables dans la prise en charge des douloureux chroniques et la préférence de ces derniers pour la sensation plutôt que l’affect.

Le constat de notre quotidien… Qu’elle soit d’expression physique ou psychique, la douleur incite le patient à chercher de l’aide alors que, pour le thérapeute, elle constitue un défi complexe, une mise à l’épreuve de son savoir théorique comme la pratique de son art… À quoi assistons-nous ? Lorsque la douleur se fait rebelle, s’obstine, résiste, ne peut être réduite au silence en dépit d’un « shopping médical » souvent fort impressionnant, alors s’inaugure fréquemment le temps d’une étrange course : celle que j’appellerai de « la vraie cause », qui n’a vraisemblablement pas encore été trouvée, si l’on en croit le caractère infructueux des différentes thérapeutiques successivement proposées C’est que la conception médicale classique repose sur l’hypothèse implicite d’une relation monotone, linéaire entre le désordre physiopathologique initial et le phénomène douloureux proprement dit. Cette « course à la vraie cause » revêt schématiquement trois formes essentielles bien connues : –– le marathon ou activisme exploratoire ; –– le rejet dans la classe inférieure de l’amateurisme ou psychiatrisation ; –– l’envoi sur un autre stade, possiblement olympique quand ses pratiques sont hautement ritualisées, ou adresse à une… consultation de la douleur. • Le marathon ou activisme exploratoire, d’abord. S’il est parfois justifié comme ultime tentative d’identification du mécanisme initiateur d’une douleur aiguë dont on sait par ailleurs que, mal évaluée et/ou mal traitée, elle peut faire le lit de la chronicité, force est toutefois de constater qu’il est le plus souvent un tenant-lieu de réponse à la persistance d’une plainte douloureuse, aveu et déni d’impuissance mêlés mettant à la question les fondements mêmes de l’identité médicale. Escalade sans fin d’examens biologiques 106

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en radiographies multiples et explorations sophistiquées, il est aussi la croyance erronée que le manque est dans la science, pas dans le sujet, la croyance erronée surtout qu’une douleur chronique s’explique nécessairement par l’unique persistance du mécanisme initiateur. Et, à ce sujet, la tendance à valoriser des diagnostics somatiques de facilité, tels qu’arthrose, tendinite, méga-cul-de-sac, etc., ne saurait tromper. L’envoi chez le psychiatre, ensuite. Autre version de la même quête. « C’est psychique ». Lorsque ces mots sont lâchés, entendus généralement comme un démenti d’organicité et un rejet dans la classe inférieure, celle de l’imaginaire et de la subjectivité, bien plutôt que comme un élargissement possible de l’horizon, s’ouvre alors le second acte d’un dialogue parfois tragique dont le protagoniste majeur, prenant le relais du somaticien, n’est autre que le psychiatre. Certes, ce type de diagnostic peut être tout-à-fait correct dans certains cas. Mais, posé avec circonspection, il ne peut l’être que sur la double argumentation d’une absence ou insuffisance de cause organique et de l’existence d’un désordre psychique. Façon de dire que, loin de constituer un diagnostic d’élimination somatique, il doit être « positif », c’est-à-dire étayé sur un faisceau d’arguments incluant des critères de positivité psychologique. Faute de quoi, le dualisme douleur organique/douleur psychogène induit trop souvent des attitudes maladroites, mal interprétées par le patient, qui y voit le reflet d’une incompréhension ou, pire, d’une méfiance de son médecin. Ce dernier, pensera-t-il, estime que sa douleur n’est pas réelle, voire qu’elle est « simulée ». Il n’est nul besoin d’insister sur le préjudice porté à la relation, le patient se trouvant alors renforcé dans son déni des implications psychologiques de sa douleur. Quand on aura de plus précisé qu’une douleur initialement somatique peut fréquemment évoluer vers un tableau de douleur surdéterminée, la prudence s’impose. La consultation de la douleur, enfin. Ou plutôt « les » consultations de la douleur. Pluridisciplinaires, multidisciplinaires, transdisciplinaires, elles ont en partage 107

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un recrutement commun de douloureux chroniques épuisés de leur course en même temps que le recours à un modèle multi-factoriel de la douleur à la valeur heuristique certaine en ce qu’il implique l’analyse objective de chacun des facteurs dans une perspective interactive et évite ainsi l’écueil de l’exclusion réciproque des dimensions. Telle est, en tous les cas, leur déclaration d’intention. Si les deux premières dénominations (pluridisciplinaires, multidisciplinaires) invitent à penser que les différentes facettes seront prises en compte, elles ont en effet le désavantage de redupliquer un saucissonnage que démentent en fait rarement leurs pratiques. À quoi il faut ajouter qu’essentiellement centrées sur l’identification de la cause, soit le mécanisme initiateur, somatique, neurogène ou psychogène , elles ne peuvent échapper à la dichotomie que pourtant elles annoncent vouloir éviter et dont on peut douter qu’elle ait sa pertinence quand il ne s’agit pas de douleur récente. Et si, face au douloureux chronique, plus que l’éventuelle mauvaise identification du mécanisme initiateur, qui supposerait, chose étrange, une régulière incompétence des intervenants qui ont précédé, le véritable problème était celui de l’échec des traitements portant sur la cause ? Si, face au douloureux chronique, plus que la recherche de la vraie cause, souvent convenablement identifiée antérieurement en termes de mécanismes physiopathologiques, le véritable problème était celui des mécanismes d’exacerbation et d’entretien, régulièrement plus déterminants que le mécanisme de constitution de la douleur, le véritable problème était celui de la fonction de la douleur constituée ?

Une autre « logique » pour dépasser l’impasse Cette interrogation, indissociable d’un abandon de la recherche de la causalité du premier temps (pourquoi cette douleur ?),au 108

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bénéfice d’une recherche de sa finalité (pour quoi cette douleur ?) est précisément au centre de la troisième perspective, transdisciplinaire, qui est la nôtre et je la qualifierais volontiers de « perspective économique », reprenant là un terme capital de la terminologie freudienne bien apte à désigner le point de vue qui envisage l’insertion d’un symptôme dans une organisation d’ensemble, sans préjuger de sa cause. Parfois désigné aussi du terme évocateur de « causalité d’après-coup », en totale rupture avec la conception médicale classique, le point de vue économique explique le maintien d’un phénomène par sa finalité plutôt que par sa cause. S’agissant d’une douleur devenue chronique, la question sera donc : de quelle économie d’ensemble participe-t-elle ? Quelle est sa fonction ? À quoi sert-elle ? Tout cela à entendre au plan inconscient, bien entendu. Adopter le point de vue économique pour expliquer la chronicité d’une douleur signifie donc : –– renoncer à la dichotomie organique/psychique et lui préférer la séquence genèse/entretien ; –– renoncer à la causalité linéaire et lui préférer une causalité circulaire ; –– renoncer au point de vue de la constitution de la douleur et lui préférer celui de la fonction de la douleur constituée. « Pourquoi ça dure ? ». La réponse à cette interrogation, qui est en réalité celle de l’articulation du mécanisme initiateur au mécanisme d’entretien dans l’histoire personnelle du patient, passera alors au plan de la clinique par la prise en compte de deux séries d’arguments incluant des critères de positivité et ayant la particularité d’être les deux versants, intrasubjectif et extrasubjectif, du même processus : –– la place de la douleur dans l’économie psychopathologique considérée ou dans le cadre de quels troubles névrotiques ou psychotiques la douleur chronique s’intègre-t-elle ? –– la place de la douleur dans l’économie relationnelle considérée ou à quelle place le thérapeute est-il mis par le patient dans la relation dont la plainte douloureuse est l’apparent enjeu ? • La place de la douleur dans l’économie psychopathologique. En fait, si les symptômes des douleurs corporelles somatiques peuvent être utilisés par la quasi-totalité des entités de la nosologie psychiatrique, c’est le plus souvent dans le cadre de troubles névrotiques que trouvera à s’intégrer la douleur 109

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chronique, les pathologies psychotiques constituant un faible pourcentage parmi les patients consultant pour douleur. Certes, des phénomènes douloureux peuvent parfois s’observer au cours des psychoses paranoïaques comme des psychoses schizophréniques, rattachables à des réinterprétations anxieuses ou délirantes de sensations physiologiques banales, mais seule l’hypocondrie paranoïaque, conviction délirante d’être atteint d’une maladie grave, suscite d’importantes difficultés dans la relation malademédecin, en raison du risque de passage à l’acte médico-légal qu’elle comprend. Les diagnostics psychopathologiques le plus fréquemment associables à celui de la douleur chronique sont en fait ceux de dépression, de conversion hystérique, d’hypocondrie et de fonctionnement psychosomatique. Cette hétérogénéité montre bien qu’il est en réalité plus fructueux de raisonner en termes d’articulation qu’en termes de causalité directe et univoque. En effet, l’expérience clinique met bien en évidence qu’au bout d’un certain temps d’évolution, il se révèle toujours très délicat sinon impossible de discerner ce qui, dans la genèse, revient à des éléments purement somatiques et ce qui doit être imputé à des éléments de « structure ». Des besoins inconscients semblent évidemment chercher une réponse au travers de ces mécanismes d’entretien d’une douleur initialement somatique. La séquence douleur/cri/réconfort est bien connue ; l’association douleur/punition est très fondamentale dans le « choix » d’un symptôme douloureux. Des identifications à des personnes douloureuses de l’entourage peuvent également être mises en jeu. Si la dimension inconsciente reste le domaine du psychanalyste, au plan de sa pratique quotidienne, il sera toutefois utile à tout thérapeute de pouvoir articuler en termes de mécanisme les différentes dimensions auxquelles il a affaire : retentissement-déclenchement-recours-mutation-cercle vicieux, etc. La place de la douleur dans l’économie relationnelle. Autre indicateur d’importance dans l’articulation du mécanisme initiateur au mécanisme d’entretien. 110

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Parce que toute plainte douloureuse est forcément redoublée d’un scénario relationnel au sens où, recours à l’autre soignant, elle lui assigne nécessairement une place spécifique, elle est toujours étroitement liée, quelque hystérique ou réelle que soit sa nature, à une fantasmatique personnelle qu’il conviendra de repérer. On entend par fantasmatique personnelle l’ensemble des images mentales ou scénarios d’un sujet qui le mettent en scène dans l’expression de ses pulsions et qui donnent sens à ce qu’il tente de mettre en acte dans la réalité. S’agissant de la douleur, la relation soignant-soigné aura ainsi régulièrement à être décodée comme la nième répétition par le sujet douloureux d’une mise en position de l’autre comme « bonne » ou « mauvaise mère ». Rien d’étonnant à cela : nos vagissements et nos plaintes, tous informels qu’ils fussent, primaient sur les autres contraintes de la mère, et même sur les privilèges du père. Interprétés comme douleur par la mère, ils constituaient pour le nourrisson un accès privilégié à cette dernière et parfois même son mode d’être aimé le plus intraitable, les douloureux chroniques et les hypocondriaques en particulier le savent bien. Dans la relation duelle soignant-soigné s’impose de la sorte toujours la présence d’un tiers implicite : celui de l’image maternelle qui conditionne le rapport du patient à sa douleur et dont il conviendra donc de débusquer le fantasme sous-jacent. Aux diagnostics psychopathologiques le plus fréquemment associables à celui de douleur chronique seront ainsi régulièrement jointes les dynamiques relationnelles suivantes : dépression et demande d’assistance, hystérie et réduction à l’impuissance, hypocondrie et demande de reconnaissance, fonctionnement psychosomatique et demande d’empathie. Parce qu’elle est le mode d’interpellation initiale de l’autre, on le comprend, la plainte douloureuse a donc forcément une remarquable fonction de lien. C’est pourquoi la nécessité de la laisser être pour que du sujet puisse exister se fait parfois sentir. Dans ces cas, plus qu’un symptôme à éradiquer, comme il est appris aux étudiants en médecine, elle est une « autre allure de la vie »… 111

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La sensation plutôt que l’affect Le patient douloureux chronique, mais l’homme douloureux en général aussi, consulte de préférence un « somaticien » voire un spécialiste de la douleur, mais rarement un spécialiste de la psyché. D’emblée, il ressentirait cet « envoi au psy » comme un refus de prise en compte de son symptôme, et pour tout dire comme une exclusion. S’il veut fréquemment obtenir du praticien un diagnostic et des traitements qui le confortent dans sa conviction d’organicité, sans doute est-ce pour se protéger d’une prise de conscience difficile et douloureuse. Il est donc pertinent d’évoquer une véritable collusion entre cette demande et les nombreuses dérives réductrices de la médecine moderne, bien propres à faire le choix du déni de la complexité des variables dépendantes (psychologiques, sociales et environnementales). Cette « résistance », ce recours défensif au corps et à ses sensations surtout douloureuses a évidemment un « coût » que l’ordinaire de nos consultations ne manque pas de manifester : –– la plupart des patients douloureux chroniques que nous recevons sont en échec thérapeutique depuis des années, la plupart n’ont pas eu de bilan psychologique, la psychopathologie sous-jacente n’a pas été évaluée, les diagnostics manquent de précision : états anxieux et/ou dépressifs, fibromyalgie, etc. ; –– le plus souvent, les traitements psychotropes sont impressionnants et les personnes transformées en « zombies » avec des conséquences qui renforcent l’état de maladie : impossibilité de conduire, difficultés de communication avec l’entourage, problèmes professionnels, voire arrêt de travail… ; –– ce qui est le plus navrant, c’est qu’ils n’ont plus d’espoir. Le message est bien passé : « la médecine ne peut plus rien pour eux », si ce n’est leur apprendre à vivre avec leur douleur, ce qui est un renforcement négatif. Évidemment, certains patients ont des histoires de vie dramatiques, des pathologies complexes qui les installent dans la chronicité, parfois même ils ont des bénéfices secondaires, mais il n’en reste pas moins vrai que, sans diagnostic clairement établi et sans traitement adapté, ils n’ont aucune chance de « s’en sortir » ; –– par ailleurs, certains patients ayant une composante psychologique importante ne sont pas forcément des malades « psychiatriques ». C’est là qu’existe un vrai problème : souvent le médecin essaie de différencier les patients organiques 112

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des patients psychiatriques, mais lorsqu’une personne a une douleur d’étiologie psychique, elle peut tout à fait n’appartenir ni à une catégorie ni à l’autre. Dans ces cas-là, le sujet souffre d’une douleur morale qui n’arrive pas à s’exprimer et qui va s’inscrire dans le corps, donnant le change pour une douleur organique, et cela n’a rien à voir avec la « folie ». Il existe aussi des pathologies psychiatriques pouvant, entre autres, s’exprimer par des douleurs qui peuvent prendre une allure délirante : mélancolie, schizophrénie… Il est très important de différencier ces deux catégories de patients, car les uns relèvent d’une équipe psychiatrique, et les autres relèvent de psychothérapeutes capables d’entendre la souffrance et d’aider les personnes à cheminer sur ce douloureux parcours de la reconnaissance de ce qui les a blessés dans leur histoire. Souvent, la souffrance et l’angoisse du patient ne sont ni abordées ni parlées, mais colmatées et référées à des symptômes ou à des maladies « bouche-trous ». Le fait psychologique n’est ni entendu ni compris et donc non traité. Il est réduit à un symptôme médical de type psychiatrique et, comme le plus souvent en médecine, le symptôme est considéré comme un mauvais objet dont il faut se débarrasser. Alors que ce qui peut aider ces personnes c’est, au contraire, de ne pas renier cette partie d’eux-mêmes et de reconnaître leurs souffrances, leurs blessures, les situations qui les agressent, les gens qui les détruisent, les drames qu’ils n’ont pas pu assumer et dépasser. C’est ce travail qu’ils ont à faire : la souffrance doit être parlée, écoutée et partagée. La voie à parcourir pour diminuer la douleur ressentie dans le corps, par ces patients mais d’origine psychique, c’est de les aider à reconnaître et à affronter leur souffrance. Ce chemin est difficile mais il est incontournable et douloureux. La douleur morale fait souffrir et parfois plus que la douleur physique, et c’est une des raisons qui font que certains patients l’expriment par le corps…

La plainte douloureuse, bouclier devant une excitation psychique Nous avons souvent reçu à la consultation des personnes adressées par des médecins ne sachant plus que faire. Ces personnes, très 113

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inquiètes, nous apportent un syndrome douloureux et une masse de documents médicaux : examens, scanners, IRM, tous négatifs. On apprend assez vite la réalité d’un deuil récent ou ancien, que le patient évoque mais dont il ne parle pas. Il existe une identification touchante avec la personne disparue mais le clivage est tel que l’évocation d’une relation entre la perte et la maladie n’a aucun sens pour le malade crispé sur sa position narcissique vigoureusement défendue : le malade, c’est lui. Et, dans ces cas, le corps, par sa douleur, annule la souffrance psychique, ou la limite, tout en la représentant. Il faut savoir entendre chez ces sujets l’appel muet que contient l’expression répétée de la douleur. Il s’agit d’un appel de consolation. Elle suppose une régression difficile à percevoir derrière l’activité déployée par les patients assaillis de sensations corporelles multiples et erratiques et à l’affût de pathologies sans cesse repoussées par les médecins. Chez eux, la douleur, somme toute « externe », interdit à une souffrance « interne » vécue comme dangereuse ou difficile, de s’exprimer. Le corps aide le psychisme. Dans tous ces cas d’investissement de la douleur du corps, la sensation est préférée à l’affect. A. Green avait dit de l’affect qu’il était un regard sur le corps ému. Regarder suppose une certaine distanciation par rapport à la chose regardée. La sensation « ne se regarde pas », elle se contente d’être un ressenti. C’est d’ailleurs la raison du « choix » préférentiel de la douleur car l’affect, regard, ramènerait des représentations indésirables, relancerait le psychisme. Quand l’investissement de la douleur physique s’est solidement ancré dans le psychisme, la position obtenue est extrêmement solide. Dans le nouveau système qui s’est installé, l’excitation c’est la douleur, et la décharge de l’excitation, c’est aussi la douleur. Ce jeu circulaire est très économique, et maintient automatiquement l’affect à distance. Ce système est solide et rassurant et, de plus, permet cette chose si rassurante chez l’être humain : l’expression de la plainte avec sa double fonction d’appel au secours et d’affirmation du besoin de soin. Mais la nécessité de la plainte n’est pas équivalente à la demande de soins ! C’est pourquoi il est sans doute possible de parler de « solution douloureuse » chez un certain nombre de ces patients pour qui, comme le dit Joyce Mac Dougall : « Le paradoxe de la demande de ces patients est d’être libéré de leur symptôme alors qu’en fait leur solution algique constitue une tentative d’autoguérison ». 114

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À la recherche d’un « avis de réception » maternel… « J’ai vu tel et tel médecin, j’ai vu tous les grands professeurs, j’ai connu telle ou telle institution, j’ai pris toutes les thérapeutiques possibles : ça ne m’a rien fait ! » nous disent beaucoup de patients douloureux chroniques, car il faut se souvenir que nous arrivons en fin de course après un long parcours médical fait de déceptions. L’affirmation de la maladie douloureuse et de son incurabilité semble une « nouvelle valeur » dans la mise en échec de tous les praticiens rencontrés. Le patient se présente comme narcissisé masochiquement par le fait d’être celui qui souffre le plus au monde, qu’il n’est entendu par personne, qu’il est plus fort que ce que le monde médical lui propose. Et on entend clairement, derrière ces affirmations parfois caractérielles, des phrases non prononcées, pourtant explicites, du type : « Tu peux faire ce que tu veux, tu ne me guériras jamais ! ». N’oublions pas, dans ces moments-là, que le modèle qui doit être inscrit en filigrane ou en arrière-fond dans notre écoute est le modèle maternel. Ces violents rappels à l’ordre, que sont ces demandes de réparations de l’impossible mère idéale, doivent être entendus, inscrits dans le psychisme du thérapeute afin de leur conférer un « avis de réception » et pour que la trace qu’ils laissent produise ultérieurement un retour thérapeutique. Le malade a été « reconnu ». Peut-être doit-on faire intervenir ici la notion « d’endurance primaire », qui est, dans ces circonstances, celle du thérapeute. Cette endurance devrait lui permettre en quelque sorte d’encaisser une violence qui laissera sa trace potentiellement utilisable, mais ne donnera lieu à aucune rétorsion. On peut penser aussi à la violence primaire de P. Aulagnier et, à l’écart, qui permet à l’enfant et à la mère de s’adapter et qu’elle appelle l’état de rencontre. Il faut étonner le patient, pas seulement par ce genre de réactions à sa violence mais par une position d’ensemble permettant de créer, dans son psychisme, une différence. Sans doute faut-il savoir écouter les modalités de ce narcissisme douloureux et aussi comment le patient le supporte et ce qu’il en dit. Cela, il n’a souvent pas pu le faire entendre ni avant ni ailleurs. On touche là à l’essentiel : la partie dépressive de son moi. La source pulsionnelle que représentait l’objet perdu a disparu. Cette source a été remplacée par la douleur. Si cet objet pulsionnel était une projection de soi dans le monde par défaut de liaison de libido narcissique, sa disparition est une catastrophe. Elle fait apparaître un vide. 115

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L’objet et le soi ont fait naufrage ensemble. Un joueur de pelote basque qui n’a pas de fronton où lancer sa balle ne peut plus jouer. Accepterons-nous, au milieu de la répétitivité des plaintes, de rétablir ou de réinventer une surface de jeu ? Accepterons-nous la nécessité de la plainte, le besoin de la faire entendre, qui est coextensif de notre deuil à faire de la « furor sanandi » ? Les patients douloureux chroniques veulent nous faire vivre ce qu’ils ont connu, revivre ce qu’ils ont subi, et nous demandent d’être une mère idéale, réparatrice, que souvent ils n’ont pas connue, non pas dispensatrice de soins mais tout simplement « consolante ». Car la « mère s’estompe mais pas sa nécessité »…

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Les troubles psycho-affectifs chez l’enfant libanais Nayla Karroum Cas cliniques de deux enfants libanais qui ont vécu la guerre et qui réagissent par des pathologies fonctionnelles autour d’un travail thérapeutique en relation avec des situations conflictuelles.

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« Les roquettes pleuvent de part et d’autre de la capitale embrasant le ciel de Beyrouth. Le souffle de chaque obus secoue les entrailles des immeubles encore debout, leurs silhouettes branlantes racontent le drame de chaque famille. Celles qui sont ensevelies sous les décombres, celles qui ont fui vers des cieux plus cléments ou encore celles qui croient fermement que nul au monde ne pourra les déraciner de leur chère terre. Dans la rue des enfants jouent avec des éclats d’obus… Ils sont presque contents d’imiter les grands. Tout enfant a besoin d’un espace vital pour évoluer, apprendre à rire, à jouer, à développer sa spontanéité, à assouvir sa curiosité ; or, dans le contexte traumatisant qui lui est imposé, l’abri devient cours de recréation, chambre à coucher, salle à manger et salle de bain. Pas de ventilation propre, mais une pollution écœurante, mêlant l’odeur du tabac aux vomis des peureux, dans une atmosphère exécrable… Les chasses d’eau ont été éventrées et la rouille suinte des tuyauteries dans les caves… La lueur des bougies remplace le beau soleil méditerranéen. La guerre jeta des milliers de petits dans la tornade angoissante de la peur. Ils faisaient souvent pipi au lit. Ils ne voulaient plus manger à des heures précises en raison de l’inconstance des situations : les accalmies puis les rounds, puis les accords, puis les malentendus, puis les séquestrations… Un écheveau surprenant qui déstabilise les plus solides en déroulant son absurdité sur toute l’enfance du pays. Pas plus grand que trois pommes, Mohamed, ramasse méticuleusement ses soldats de plomb pour les enrôler dans l’armée en disant : « Je veux les offrir au commandant en chef de l’armée car tous ses soldats sont entrain de mourir », dit-il à sa mère. Une guerre continue… Les événements traumatiques se succèdent, des émotions s’expriment. La succession des événements tragiques augmentant le traumatisme psychique. Quel futur d’enfants qui grandissent dans des familles meurtries, affectés par le deuil traumatique des morts, le poids des blessés, la violence des adolescents ? Quel futur d’enfants plantés sur les écrans des chaînes télévisées face à des cadavres de mort et des étangs de sang ? Quel futur pour ces enfants qui prennent les salles de classes dans les écoles comme abri et refuge ? 118

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L’école, la guerre, l’imaginaire, les liens affectifs se trouvent mêlés. À travers les générations, les difficultés se multiplient progressivement, la guerre a pris l’autre facette, établissant une relation essentielle où la problématique temporo-spatiale est mise en jeu, où les deux notions d’espace et de temps ont leur origine dans le corps représenté par ses enfants de guerre, où le temps se réduit aux événements souffrants qui ne cessent de se répéter sans projection vers l’avenir et qui permette de minimiser en soi le rythme. Des enfants à souffrances multiples, des enfants phobiques, des enfants à troubles psychotiques, des enfants à troubles de l’humeur, des enfants à troubles du comportement alimentaire, des enfants à troubles névrotiques arrivant aux troubles des apprentissages et aux troubles psycho-affectifs. Les illustrations cliniques articulées englobent un travail projectif de l’affect et des angoisses, une expérience en mouvement, un cœur dont les battements ont créé son sens et les étapes de son élaboration ; son mouvement atteignant la souffrance des enfants. Un fruit de mes années d’expériences cliniques mettant en mots ce que la guerre a réduit en cendres… Enfant de guerre, psychologue des enfants de guerre, une résonance est forte en émotions. Le traumatisme bouleverse l’économie de l’énergie psychique et bouleverse les équilibres des anciens refoulements, des angoisses de castration peuvent être réveillées par la peur d’une blessure physique, il révèle une réaction d’urgence, d’un moi « effectif bloqué et débordé massivement dans toutes les capacités d’adaptation ». Réalité et imaginaire se trouvent mêlés. Pour Lacan (1966), le sujet par défaut du fantasme protecteur se trouve brutalement confronté au réel brut et son rêve devient cauchemar ; le réel traumatique est donc ce qui est impossible à dire, qui fait trou dans le signifiant et ce réel, dans son lien à la pulsion, est ce qui est ramené sans cesse à la même présence par la répétition. Les travaux de Sami-Ali sur la théorie relationnelle se retrouvent dans les deux illustrations allant du fait que toute pathologie fonctionnelle autant qu’organique, se trouve d’emblée prise en relation avec une situation allant du conflit soluble, selon ses modalités qui caractérisent la psychologie freudienne, au conflit insoluble, l’impasse. 119

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Mohamed et ses cauchemars à répétition Un jour, Mohamed m’a dit : « Je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas, Je veux savoir et bien travailler, mais je n’arrive pas. » Les cauchemars de Mohamed, exprimés dans ses dessins, renvoient à son traumatisme vécu suite à la guerre de 2006, le renvoient à l’agi et à la symbolisation de sa phobie projetant à l’extérieur ce qu’il a vécu, son effroi comptabilisent sa vie personnelle, scolaire, familiale et sociale. Mohamed est réintégré dans le cursus ordinaire au cours de l’année 2010-2011 suite à la psychothérapie. Mohamed se sent dans l’incapacité d’avancer en utilisant les mots « je ne sais pas », « je n’arrive pas ». Il est bloqué par son angoisse. Ces cauchemars répétitifs, son instabilité, ses troubles des apprentissages et son comportement agressif envers les autres, ont affecté son rendement scolaire et relationnel. L’illustration clinique de Mohamed qui souffre de ses cauchemars, dénote sa souffrance et son traumatisme. Mohamed, âgé de 6 ans, fils unique d’une famille composée de trois filles et un garçon, il est le cadet entre la fille aînée et les jumelles. Dans son histoire familiale, Mohamed est issu d’une famille musulmane chiite. Les parents analphabètes. Dans l’histoire de la grossesse et de la naissance, Mohamed est un enfant prématuré (8e mois) ; ne présentant aucune complication de naissance. Dans le récit de la mère, Mohamed est traumatisé par les événements successifs de la guerre 2006, l’enfant avait un an. Il répète les mêmes phrases dans les séances : « Je sais tout et je ne veux pas mourir, j’ai peur de la guerre… »

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Mohamed présente des difficultés dans les apprentissages, un déficit de l’attention mais il est autonome avec un bon développement social, une bonne motricité, des troubles articulatoires car la problématique langagière est une manière de prendre distance visà-vis de la situation angoissante vécue chez l’enfant autour de la castration, les cauchemars traduisent une relation collée mais ambivalente à la mère dont la cause se révèlera par la suite. Aussi il ne cesse de répéter : « Je t’aime beaucoup maman ». Une problématique œdipienne où il refuse, attise ce conflit œdipien, dans le cas de Mohamed, l’organisation psychosomatique du langage est marquée par l’absence de la mère pendant la guerre et c’est la période où l’enfant avait le plus besoin d’elle. Depuis la guerre, une relation contradictoire s’établit où il se colle à la mère car elle s’est montrée absente pendant cette période, et une peur se fait sentir. Ce collage le protège d’une séparation, la peur qu’elle s’en aille ne permet pas au langage d’atteindre complètement sa cible relationnelle. Le langage s’inscrit et s’efface, le trouble articulatoire transmet cette hésitation. Ses cauchemars de perte de la relation maternelle vont dans ce sens. Et ceci d’autant plus qu’il aborde la problématique œdipienne avec le rapprochement (si dangereux s’il y a perte) et l’agressivité face au père qui représente tout ce qui est à l’extérieur, c’est-à-dire l’horreur de la possibilité d’une agressivité mortelle avec la guerre dont il a été acteur. Aussi l’articulation de la parole vers l’extérieur est en difficulté. Articuler c’est faire passer le langage par soi. Ne pas articuler c’est ne pas être auteur de cette situation langagière qui est propulsée dans cet extérieur qui fait peur. Tout un imaginaire affectif œdipien sous-tend cette situation relationnelle portée par le langage. Sylvie Cady dans sont livre « Soigner l’enfant psychosomatique » montre que le trouble du langage est un état psychosomatique dominé par le trouble affectif où l’expression de la parole est médiatisée par l’imaginaire dans le corps. « Ces cauchemars ne me laissent pas tranquille dans mon corps » disait Mohamed difficilement. La famille de Mohamed collabore parfaitement avec l’équipe soignante à l’école, mais le père de Mohamed n’a jamais été signalé 121

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ni dans ses dessins ni dans ses discours, renvoyant à la situation collée à la mère, mais conflictuelle, où tout le monde est assimilé à son père. Le père, vécu comme celui qui va à l’extérieur, est l’objet de la phobie. Pour se protéger d’un imaginaire œdipien qui fait peur parce qu’il correspond à l’agressivité réelle dont le père a été auteur, l’enfant assimile son père à sa mère. Mais cette défense n’est pas entièrement possible car l’imaginaire et la réalité communiquent. Son discours au cours de la thérapie est envahi par des paroles imaginatives telles que : « Les avions occupent tout mon rêve, la guerre, les bombardements et un sac noir m’attaque de derrière la porte. »

Être dans le rêve est une manière d’être ailleurs et de se défendre d’une réalité problématique. Mais son imaginaire est effrayant. Il comprend des images, des pensées faisant rappel au traumatisme que Mohamed ne cesse de répéter : « Dans tous mes rêves, je vois ces chars d’assaut qui se dirigent vers moi, des pierres jetées sur moi, un serpent, un fantôme… quand j’ai grandi j’ai su qu’il y avait ce qu’on appelait guerre… »

L’angoisse imaginaire œdipienne se mêle à la réalité de ce qu’il a vu. « Un monstre », « Le cou d’un monstre », « La tête d’un monstre », « Deux monstres qui se serrent. » La répétition du mot « monstre » dans plusieurs plans fut représentée dans son dessin, montrant l’intensité de l’agressivité œdipienne chez Mohamed, pris par les événements de la guerre au Liban, ses paroles envahissent son discours et son quotidien relationnel. Son père est réellement un tueur. Ceci se fait à l’extérieur. La phobie le protège d’une telle situation. 122

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Les dessins de Mohamed au cours des séances témoignent de sa forte angoisse de mort, sa violence s’exprime difficilement vers l’extérieur, il éprouve du mal à sortir les mots avec son langage car tout ce qui est extérieur est vécu comme dangereux. Ceci apparaît dans la description de ses dessins à travers ses paroles. Les couleurs mettent en relief l’insécurité vécue par Mohamed, exprimant son affect, réactivée dans ses rêves et ses cauchemars qui ne le quittent pas. « Ce rêve est un cauchemar qui ne me quitte pas. » dit-il Les cauchemars ont permis à Mohamed de mettre ses angoisses à l’extérieur. Le conflit de ce fait ne se referme pas en impasse. Dans son dessin, il relate une peur inexplicable, une voiture à sa droite qui voulait l’écraser en forme de poisson, un serpent à sa gauche qui venait vers lui et à sa gauche un monstre qui rentrait de la fenêtre vers lui en bleu. Tout ce monde voulait le dévorer. On voit ici que le conflit se pose dans l’espace du langage, un espace sans distance où tout est dévoré et dévorant. Aussi le conflit est lié à l’oralité lieu du langage. « Ce dessin, c’est ce que je ressens de dedans dans le rêve, je suis confus comme ça, comme si j’étais enfilé avec un cordon noir. » c’est-à-dire attaché à sa peur.

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Les dessins permettent à l’enfant de prendre de la distance visà-vis de ses angoisses. Ceci dynamise chez l’enfant un début de défense. Ainsi à propos de ce dessin, il exprime : « Moi je dois être fort ! ». Les cauchemars et les rêves de Mohamed découlent de son traumatisme de guerre qui l’effraye, ceci le place dans une situation conflictuelle. « Le rêve et les dessins représentent le conflit, facteur déterminant d’un trouble instrumental ». Chez d’autres personnes qui ont vécu aussi la guerre et qui n’avaient pas la possibilité d’utiliser les cauchemars par refoulement de la fonction de l’imaginaire, cette même situation se transforme en impasse, facteur incident d’une pathologie qui peut aller de l’allergie au cancer. Il faut noter, chez ces enfants : aucune possibilité d’évacuer des angoisses par l’imaginaire, n’y d’avoir accès à ce qui se passe en lui. Avec cette nouvelle séance, on aborde le fond du problème conflictuel. Très rapidement, l’enfant s’exprime : « Mon père était militaire dans la guerre de juillet 2006 et il a abattu plusieurs hommes… Et moi, si je meurs j’irai au paradis… Maman a avorté plusieurs enfants, on était chez ma grand-mère après la guerre… »

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Et il insista à dessiner ce qui s’est passé avec sa mère. Comment peut-on inscrire dans le temps un événement devenu hors temps, figé dans un temps suspendu, inassimilable, irréel car de l’ordre du cauchemar ? Là où le cauchemar arrête l’évolution de toute pathologie et protège l’enfant de plonger dans l’impasse. Mohamed a présenté le paradis après la mort et a complété les deux dessins précédents par un troisième.

Dans son rêve, il a regroupé dans le paradis l’homme en rouge entre le rose et le marron en haut, la femme qui est sa mère en position d’avortement dans la partie rose à droite et à gauche lui qui est mort et qui monte au paradis. Le père et la mère sont identiques, c’est-à-dire auteurs de mort. Voilà l’explication de cette ambivalence vis-à-vis de sa mère : la relation fusionnelle renvoie à une mort possible de l’enfant. La différenciation renvoie à ce même phénomène. L’existence de l’enfant à l’extérieur à travers le langage s’en trouve bloqué. Une fois ce conflit révélé, l’enfant se risque à se différencier de sa mère car elle devient protectrice. C’est le thème de ce nouveau dessin. 125

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Mohamed y dessine sa propre famille, il met sa mère en avant, décollée de lui au premier plan, tandis que lui, sa sœur et son père sont au deuxième plan. Dans la description de son dessin, Mohamed explique que sa famille est en train de courir à cause des bombardements ; leur maison est située à côté de la mer, la maman a couru la première pour sauver la famille. Elle porte son voile colorié par Mohamed en orange et la couleur rouge sur le corps. L’impression des visages dénote l’effroi, la peur et l’angoisse. Mohamed a choisi de la fratrie, la sœur qu’il aime et qui le rassure (sa famille est formée de trois filles et un garçon). Dans les détails corporels, Mohamed s’identifie à la mère (cf. les détails du visage) et sa sœur au père. La sœur représente son image déplacée. L’absence de la bouche peut dénoter la culpabilité orale et son incapacité de parler du vécu, le manque de la bouche et du nez peut dénoter un fantasme de castration, face à un conflit œdipien. La valorisation du personnage de la mère par Mohamed, par la grandeur et ses couleurs, va dans ce sens, cela dénote un fort attachement sur le plan affectif. Les événements traumatisants peuvent être destructifs dans le fonctionnement habituel de l’être humain et peuvent toucher à l’identité individuelle, à ses convictions inconscientes et aux images de son monde intérieur malgré les structures défensives dont le psychisme se charge.

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Mohamed est très attaché à ses grands-parents paternels aussi bien qu’à sa mère et il a peur qu’elle ne meure. Suite à la guerre, l’enfant développe un trouble sphinctérien (l’énurésie). Ceci s’inscrit dans une pathologie psychosomatique liée à la situation conflictuelle autour de la problématique œdipienne. Cette situation nous renvoie à la référence maternelle avec le problème du père. « Le rythme présence-absence, ponctué par les jeux qui reprennent la problématique de la perte, permet à l’enfant de dépasser cette angoisse. Cette illustration clinique renvoie à un travail psychothérapique. Le symptôme psychosomatique y a une valeur relationnelle. Dans la psychothérapie, le rythme présence-absence confronte l’enfant à la possibilité de quitter sans problème. Par la suite, la possibilité de mettre tout un imaginaire œdipien à l’extérieur grâce au récit des rêves, puis de prendre de la distance par rapport au conflit à travers les dessins, a une valeur élaboratrice. Ceci va permettre au conflit de se résoudre. Parallèlement, langage et énurésie trouvent une issue positive.

Alain et son comportement violent « La guerre c’est le fait de tout casser, des dégâts partout », dit Alain. « Moi j’ai peur de mourir, je n’aime pas faire la guerre. » Les séances thérapeutiques ont commencé par un discours montrant l’angoisse et la peur chez l’enfant suivis par les paroles de la mère qui dit : « Je disais à Alain que ce sont des feux d’artifices, la vie continue normalement. Après la mort de mon frère, c’était un choc, je ne pouvais pas voir des images douloureuses mais tout ira bien… »

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« Même s’il y a la guerre, on va bien, on s’est habitué et la vie continue. » Dans la violence, la peur, l’inquiétude, l’agressivité, l’agitation, la distraction ; une description traduit le vécu émotionnel d’Alain qui s’identifie à la guerre en adoptant ce langage de combattant : casser, dégâts. Rejeter la situation qu’il a vécu dans le plan de l’imaginaire, en jouant cette situation pour s’en défaire, mais elle ne fait qu’attiser son angoisse en tournant en rond. Ces mots se traduisent par des gestes et des paroles au cours de ses entretiens ; Alain cherchait toujours à m’impressionner par les jouets qu’il emmenait avec lui aux entretiens (des jouets de guerre tels que les pistolets de toutes formes) ; il cherche dans mon expression un sourire, une révolte, un apaisement, une sécurité, une continuité ; moi qui ai vécu les moments impressionnants de la guerre au cours des premières années de ma vie ; mon regard croise le regard d’Alain, un croisement de lignée transgénérationnelle, de deux niveaux sociaux culturels différents, mais un croisement d’une vérité commune : la peur de la guerre qui lui a été transmise par son héritage familial transgenérationnel et qu’il continue à vivre. L’héritage transgénérationnel est exprimé par deux émotions décalées dans le temps et dans l’espace pour un événement traumatique. Son discours est dominé par des objets de guerre tels que « bombe, fusée, du sang qui coule sur les gens, etc. », réactivant les souvenirs chez l’enfant qui renvoient à un travail de mémoire. Alain, 6 ans, aîné d’une famille composée d’une sœur cadette et d’un nouveau-né garçon ; dans son histoire familiale, Alain est issu d’une famille catholique. Alain ne présente aucune complication, mais l’enfant était trop fragile avec un problème gastrique (reflux). Après la guerre de 2006, Alain présente des troubles des apprentissages ; il souffre d’un problème oculaire ; il est agité avec un manque d’attention et de concentration et se fait traiter par médicament (Ritaline®). Alain présente un trouble du comportement, un trouble sphinctérien, un problème de succion, des actes de violence 128

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et une phobie ; il est suivi en orthophonie pour son langage oral et écrit. Le problème oculaire de l’enfant et plus précisément son strabisme qui fait référence à quitter ; il se colle à la situation, ce qui génère plus d’inquiétude et ce qui lui fait peur ; reprise dans sa problématique œdipienne avec une relation d’ambivalence vis-à-vis du père, relation œdipienne sexuée, ceci se traduit par une angoisse, facteur déterminant d’une régression qui fait porter ce conflit sur l’organe sexuel avec parallèlement l’énurésie. Il y a une régression à une situation orale, maternelle avec la succion. Le problème visuel peut mettre l’accent sur la relation entre la vision et la constitution de l’espace dedans-dehors. L’énurésie, la succion de son pouce, se rapprocher de sa mère, va dans le sens de la régression, la régression à la mère est une manière de ne pas être dans cette situation affective liée au père qui tourne en rond et qui aurait pu se traduire en impasse.

Le dessin d’Alain dénote son angoisse profonde et son désir. Il schématise la guerre selon l’approche de sa mère en dessinant les lignes jaunes, rouges et oranges comme du feu d’artifices, des 129

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éclairs (adapte le langage de sa mère) car elle lui disait toujours que les bruits des bombardements qu’ils entendaient, ressemblaient à des feux d’artifice. Il me décrit la scène comme s’il la vivait dans l’instant ; l’avion qui brûle, la maison détruite, les cadavres, le sang et son père qui aide les gens. L’événement vécu et décrit par Alain subjectivement et sa rencontre avec le réel de la mort, le pousse à mettre autant de cadavres, autant de morts. La réactivation des scènes de violence chez Alain a crée chez lui des troubles traumatogènes avec l’apparition des troubles comportementaux allant vers la prise de médicaments, une régression au stade oral (succion sans arrêt du pouce), un trouble sphinctérien (énurésie) ; il ronge ses ongles et montre des séquelles qui influencent le cadre scolaire touchant son langage écrit et la nécessité d’une orientation vers des « classes spécialisées ». Le seul personnage vivant dans le dessin d’Alain était son père, l’image paternelle qui représente pour lui la force, le pouvoir du père qui essaie d’aider les gens, Alain veut être comme son père. Le monde adaptatif sur lequel repose la mère d’Alain est vécu comme stressant. Ainsi, l’accent se pose non sur l’événement traumatique, mais sur le vécu par le sujet de l’événement et sa rencontre avec le réel de la mort.

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La défense du pays contre les ennemis est ancrée dans l’éducation des jeunes libanais et Alain représente la force par les trois armes qu’il va utiliser pour se défendre : les couteaux représentent la fratrie, sa fratrie qui est reliée et unie malgré les difficultés ; leur forme symbolise le foyer familial, une tente, le couteau à gauche, c’est Alain ; celui de la droite, c’est sa sœur et celui qui est au milieu c’est son frère. Une représentation des trois objets phalliques symbolisant la force, les lames supérieures des deux couteaux droite et gauche, le petit couteau le pénètre. La clinique du conflit psychique s’accompagne du vécu exposé par des situations traumatogènes comme chez Alain, où l’effroi, la perception, le sentiment d’abandon et le sentiment de culpabilité s’imposent. L’effroi est l’état du sujet au moment du traumatisme ; une néantisation : « Je ne pouvais pas avoir peur, par faute de temps, ma tête s’est subitement arrêtée. » disait Alain qui voyait sortir les cadavres de la région de Beyrouth pendant la guerre de 2006. Cette image correspond à un envahissement du néant avec le réel de la mort ; un moment où l’affect et la représentation sont absents. Avec le couteau du père identique à celui de la mère, on est bien dans un processus de régression où le père est l’équivalent de la mère. Ce qui protège en partie du conflit œdipien. Car le conflit persiste dans la mesure où l’enfant se situe dans la différence. Et c’est sa peur imaginaire maintenant verbalisée face à son père qui pourrait le tuer, qui sert à analyser la situation. Ici le rapport à la réalité d’un fonctionnement paternel de protection devient sensible, ce qui permet à l’enfant de dépasser la situation conflictuelle. Plus tard, ses amis et les autres enfants vont lui montrer le chemin de l’identification. C’est dans ce cheminement qui dépasse le conflit lié à la régression que l’énurésie et le strabisme se récupèrent. En devenant « grand », la succion du pouce disparaît.

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Conclusion À partir d’observations cliniques d’enfants pris en psychothérapie, d’une part, la place d’un conflit d’angoisse chez un sujet au fonctionnement riche sur le plan de l’imaginaire se voit être un facteur déterminant d’une pathologie énurétique. Chez d’autres enfants mis dans une situation similaire, mais dont le fonctionnement de la personnalité est dépourvu de potentialité imaginative, une même situation s’est vue fonctionner en tant qu’impasse, facteur déterminant d’une pathologie organique. D’autre part, dans la deuxième observation, la régression est une manière de régler parfois totalement, ici en partie, le conflit. Les dessins d’enfant sont l’expression de l’affect et de la pathologie. Dans tout dessin, l’importance est grande de la structuration individuelle car elle génère ou modifie une organisation corporelle et spatiale. L’image du corps s’y inscrit dans toute une histoire psycho-affective et somatique. Le sujet se projette à travers des scénarios créés par lui et dont l’histoire fait référence à sa mémoire ou à la problématique spatiale et corporelle du moment. Une lecture d’une certaine représentation corporelle ainsi qu’une spatialisation ont un sens face aux difficultés affectives de l’enfant. Aussi les représentations corporelles, autant que les espaces, sont gérés par une personnalité qui inclut ou non l’imaginaire, l’affect et la pathologie. La feuille de papier fonctionne comme une surface réfléchissante sur le mode spéculaire. Des souvenirs affectifs personnels ajoutés à ceux subtilisés aux autres, toute une histoire se déroule dans un tableau. Elle s’inclut dans le collectif d’une société. Ici la guerre crée un miroir collectif. Chaque sujet le vit en fonction de son histoire affective. Ceci détermine le plan possible de l’expression d’une pathologie.

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Recherche en psychosomatique. Affect et pathologie Jérôme Englebert

Le piège du « pathomorphisme » et ses alternatives Jérôme Englebert Outre le néologisme proposé en titre, cette contribution s’articule autour des concepts d’« adaptation », et de la « pathologie de l’adaptation ». Ces deux derniers ne nécessitent pas, pour qui connaît les travaux de Sami-Ali, d’être expliqués prioritairement. Aussi, dans un premier temps, je vous propose de nous pencher sur ce que je propose d’appeler le « pathomorphisme ». Dès lors, mon propos va se développer en trois étapes : la première va consister à définir ce que l’on peut entendre par pathomorphisme, la seconde discutera des notions d’« adaptation » et de « pathologie d’adaptation  »  ; enfin, le troisième temps de mon développement sera consacré à une discussion de la place des théories de Sami-Ali eu égard au pathomorphisme et en quelque sorte à chercher à unifier les trois termes de mon titre. Nous verrons que c’est dans la dimension anthropologique de la psychosomatique relationnelle que l’on trouvera les ressources qui pourront être convoquées pour déjouer ce piège du pathomorphisme. Pour continuer sur le développement du titre que j’ai annoncé, je peux donner un premier indice sur ce que j’entendrai par les alternatives au piège. C’est la préoccupation anthropologique qui sera la toile de fond de cet écrit et une notion qui agira en quelque sorte en sourdine tout au long de mon propos. Je propose de conserver à l’esprit cette dimension anthropologique sur laquelle je reviendrai lors de ma conclusion.

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Le piège du « pathomorphisme » Le « pathomorphisme » apparaît dans toute préoccupation psychopathologique ; c’est-à-dire lorsqu’il y a une pathologie, un trouble du psychisme, ou, pour citer Jaspers (1913), une « expérience psychique anormale ». Outre le contexte dans lequel on le retrouve, on peut se demander de quoi il s’agit fondamentalement. Le pathomorphisme apparaît donc lorsque nous nous préoccupons de psychopathologie, il s’agirait même de l’obstacle majeur de la démarche psychopathologique. La principale ambigüité qui naît lorsque l’on qualifie sa démarche de psychopathologique consiste à considérer que le sujet que l’on étudie s’inscrit, de façon automatique, dans le giron de la maladie mentale. Ou, dit autrement, on peut se demander si la démarche compréhensive de la psychopathologie peut être adaptée pour tout sujet rencontré dans un dispositif clinique ou s’il doit nécessairement avoir une psychopathologie ; une psychose, une paranoïa, une névrose obsessionnelle, une dépression, etc. Quelle réponse peut-on donner à cette tendance à « pathologiser » le sujet ? On peut répondre que, concrètement, la position du clinicien ne peut pas être différente en fonction de la présence ou l’absence d’une psychopathologie car si nous disions que notre méthode ne s’applique pas à tout sujet (et donc pas à ceux indemnes de maladie mentale), que, par exemple, nous ne travaillons qu’avec des schizophrènes ou des dépressifs, nous rencontrerions une difficulté pratique inhérente à la « sélection » du sujet. Le sujet, quelle que soit la motivation de la rencontre clinique, doit être considéré a priori avec la complexité qui caractérise tout individu et il est impossible anticipativement, je dirais même de façon antéprédicative, de le sélectionner précisément parce qu’il présenterait une pathologie mentale. En effet, on ne peut envisager de sélectionner un sujet sur base d’une donnée qui sera mise en évidence par l’analyse que l’on veut lui porter. Doit-on alors considérer qu’un sujet qui rencontre un psychopathologue devient, subitement, un sujet porteur d’une psychopathologie ? Il est évident que non. Mais nous touchons ici à un problème que l’on rencontre dans toute réflexion psychopathologique, consistant en la possibilité d’une considération du sujet en dehors du pathologique. Voilà ce que nous appelons le piège du pathomorphisme. On décline les déviations anormales des traits de caractère, du vécu émotionnel, de 134

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la dynamique identitaire alors qu’on s’intéresse finalement peu aux dimensions de base de la personne. Cette remarque s’adresse à un bon nombre – sinon à l’ensemble – des considérations psychopathologiques et, peut-être plus spécifiquement encore, des théories de la personnalité. Le pathomorphisme semble inhérent à la possibilité de penser la personnalité. Le DSM-IV et le futur DSM-V donnent l’exemple le plus évident puisqu’à aucun moment ces manuels ne proposent une définition de la personnalité dépourvue de troubles. Implicitement, il semble qu’il y ait une « norme » de personnalité ne présentant pas de trouble, indifférenciée et commune à tout un chacun. En revanche, si trouble de la personnalité il y a (le DSM-IV parle de Critères diagnostiques généraux des troubles de la personnalité), il est entendu qu’il y a des différences et l’on parlera alors de personnalités antisociale, borderline, schizotypique, etc. La personnalité « non-troublée » serait commune à tous, et c’est lorsqu’elle deviendrait pathologique qu’il y aurait un sens à la rendre spécifique. Une impression d’un travail réalisé à l’envers peut s’emparer du clinicien qui a donc les outils pour identifier une situation « anormale » mais n’a pas de points de repère pour déterminer de quelle norme le trouble s’écarte. À y réfléchir de plus près, c’est peut-être de Freud que l’on peut repartir pour comprendre cette difficulté qu’ont la psychologie et la psychopathologie pour comprendre ce que nous pourrions appeler l’« homme normal » ou pour concevoir l’« homme sain » (si tant est que de tels concepts existent). On pourrait probablement même remonter jusqu’à Hippocrate. Mon propos ne cherche pas l’exhaustivité et l’exactitude d’un point de vue historique. Je suggère de repartir de Freud car ses propositions à ce sujet demeurent très actuelles dans de nombreuses pratiques cliniques. L’un des apports les plus fondamentaux de Freud, révélé entre autres dans ses Trois essais sur la théorie sexuelle (1905), est l’abolition de la barrière entre le normal et le pathologique. Avec sa théorie de la névrose, Freud montre pertinemment que le mécanisme fondateur de la pathologie est au cœur de la psychologie de tout un chacun. La névrose devient le modèle de base de compréhension de l’« homme normal ». À partir de cette découverte, le « normal » dans la représentation psychopathologique ne sera plus indemne, il est frappé du pathologique. Si Freud ne donne pas de modèle de l’homme normal, il n’explique pas plus dans ses travaux ce que doit devenir le sujet une fois « guéri » par la psychanalyse. On peut, de 135

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ce point de vue, se référer au texte de Freud, limpide à ce propos, L’analyse avec fin et l’analyse sans fin (1937). Il y a d’ailleurs au niveau de la théorie de la névrose un nœud théorique paradoxal puisque le mal qu’il faut soigner est la névrose, mais il est également ce qui confère les assises de « sujet normal ». L’objet de la pathologie, du trouble, de l’expérience psychique anormale est ce qui est également source de la structure psychique de l’individu, le terreau de sa personnalité. Bien entendu, cet exemple de la névrose vaut aussi pour ce que la psychanalyse appelle la structure psychotique et la structure état-limite. La position freudienne marque ici le début d’une tradition qui sera entretenue, notamment, par le fait que les cliniciens sont généralement confrontés à des sujets présentant un trouble et pas à des sujets indemnes de souffrance psychologique ou de manifestation psychopathologique (dans le langage de la recherche scientifique, on pourrait dire que les cliniciens n’ont pas d’échantillon « contrôle » ou de groupe « témoin »). Le « matériel » clinique, permettant l’élaboration théorique, souffre de ce paradoxe du pathomorphisme. Après le DSM et Freud, on peut observer également que les théories les plus modernes et les plus actuelles de la personnalité souffrent également de ce pathomorphisme qui semble agir comme une sorte de prisme, déformant le regard sur le sujet. On peut prendre comme exemple la théorie « très à la mode » des tempéraments telle que l’a développée Cloninger (1999, 2003 ; Cloninger et al., 2012), et qu’a reprise Akiskal (2001, Akiskal et al., 2006) en la reliant à l’étude des troubles bipolaires. Cette théorie identifie quatre types fondamentaux de tempéraments : « cyclothymique », « hyperthymique », « dysthymique » et « dysphorique », auxquels on ajoute un cinquième tempérament dit « anxieux ». On peut observer, comme pour les propositions freudiennes, que les thèmes utilisés pour désigner ces tempéraments fondamentaux reposent sur ce que l’on pourrait appeler une « matrice pathologique » et indiquent une déviation anormale plutôt que les déclinaisons simples de l’émotivité de base de la personne. C’est l’anormalité, c’est le trouble qui donne les points de repère à la construction de la psychologie non troublée, non pathologique. On pourrait ajouter également les fondements du test de personnalité le plus célèbre et le plus utilisé dans le monde qu’est le MMPI. Ses échelles cliniques reposent toutes sur cette logique du pathomorphisme : échelle de dépression, d’hypocondrie, de psychopathie, d’hystérie, 136

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de paranoïa, etc. Chacune des échelles du test indique un score qui signifie le positionnement du sujet en rapport à ces différentes dimensions pathologiques de la personnalité. *   * * Alors, évidemment, ce constat doit être nuancé. Et on peut, je pense, rencontrer cette nuance avec Minkowski, qui est comme vous le savez un des plus célèbres psychopathologues. Minkowski semble se poser la question dans le sens inverse. Il rappelle, dans son Traité de psychopathologie (1966), qu’une personne normale, indemne de toute problématique, sans trouble, n’est qu’une norme abstraite, sans aspérité, sans adhérences et de laquelle on a extrait toute dimension humaine… Pour Minkowski, il s’agit tout autant d’une entreprise délicate que de chercher à décrire l’homme normal. Il est pour lui d’une certaine façon impossible de définir un psychisme qui serait dépourvu d’éléments troublés. C’est cet argument qui lui permet de prononcer sa formule célèbre : « faire de la psychopathologie c’est faire la psychologie du pathologique et non pas une pathologie du psychologique ». On observe donc qu’il est particulièrement complexe et périlleux de poser cette question du normal et du pathologique, entre un pathomorphisme et un « normomorphisme », appelons-le comme ça, qui serait la tendance inverse qui consiste à croire, de façon tout aussi erronée, qu’il existe un homme normal et qu’il puisse être décrit. On voit donc que pour échapper au piège du pathomorphisme, il conviendra de conserver à l’esprit de se garder de chercher à décrire un homme normal qui ne représente qu’une norme abstraite qui est, pour reprendre les termes de Minkowski, « à peine viable ». Après cette longue introduction que je viens de consacrer à la définition de ce problème épistémologique du pathomorphisme, je voudrais maintenant mettre en évidence que l’on peut trouver dans les travaux de Sami-Ali des éléments susceptibles de déjouer ce que je vous ai proposé d’appeler un piège. Selon moi ces éléments reposent sur les notions d’adaptation, d’imaginaire et de relation qui sont les nœuds d’une véritable réflexion anthropologique consacrée à l’homme. Une anthropologie qui échappe au pathomorphisme mais également, nous allons le voir, qui échappe à la recherche tout aussi fallacieuse de l’homme normal. 137

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Adaptation et pathologie de l’adaptation : de Canguilhem à Sami-Ali Je vous propose de partir de Sartre lorsqu’il observe que « la condition essentielle pour qu’une conscience puisse imager [est] qu’elle ait la possibilité de poser une thèse d’irréalité » (Sartre, 1940, p. 351). En effet, si la condition a priori de l’imaginaire est la possibilité de dépassement du réel, une absence de cette condition inscrit le sujet et son environnement dans le banal et dans un rapport paradoxal au mécanisme d’adaptation. Ce constat réalisé par Sami-Ali dans Le banal (1980) amène à redéfinir le concept d’adaptation, et il semble bien que ce concept ne puisse être compris correctement si on ne lui intègre pas une logique de modification et de transformation de l’environnement. Au fond, il semble que le mécanisme d’adaptation puisse se décliner de deux façons. Nous sommes ici très proches des propositions de Georges Canguilhem dans son essai sur Le normal et le pathologique lorsqu’il précise : «  En fait il y a adaptation et adaptation […]. Il existe une forme d’adaptation qui est spécialisation pour une tâche donnée dans un milieu stable, mais qui est menacée par tout accident modifiant ce milieu. Et il existe une autre forme d’adaptation qui est indépendance à l’égard des contraintes d’un milieu stable et par conséquent pouvoir de surmonter les difficultés de vivre résultant d’une altération du milieu. […]. En matière d’adaptation le parfait ou le fini c’est le commencement de la fin des espèces » (Canguilhem, 1966, p. 197).

Il y a donc deux perspectives en matière d’adaptation. Premièrement, une hyper-adaptation au réel qui a pour conséquence de conserver un environnement strictement identique et inchangé. Dans cette (hyper) réalité, l’organisation de l’espace, du temps et des rythmes vient de l’extérieur et n’est pas modulée par la subjectivité du sujet. Nous avons alors un espace et pas de territoire et l’objectivité prime sur la subjectivité ; c’est le banal tel que le décrit Sami-Ali (1980). La seconde configuration est celle de l’adaptation à un environnement dans lequel le réel est, en partie du moins, manipulable et « territorialisable ». Cette adaptation, « déstabilisée » par l’imaginaire, parvient à intégrer la nouveauté et le changement. L’équilibre dialectique entre les rythmes produits par le sujet 138

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et ceux produits par l’environnement est conservé. L’« adaptation humaine », celle teintée de subjectivité, peut s’exprimer. Le mécanisme d’adaptation précisé, nous pouvons approfondir ce que grâce à Sami-Ali (1980) nous appelons « pathologie de l’adaptation ». Comme le suggère ce dernier, il s’agit d’un fonctionnement psychique dominé par la répétition stéréotypée, l’absence d’imaginaire et l’impossibilité d’investir subjectivement le vécu quotidien : « La pathologie de l’adaptation […] est cette forme particulière de fonctionnement normal dans laquelle les traits de caractère remplacent les symptômes névrotiques ou psychotiques, alors que l’adaptation s’effectue au détriment du rêve et de ses équivalents » (Sami-Ali, 1977, p. 84-85). En ce sens, le banal est une pathologie de l’adaptation qui consiste en une adhésion parfaite du sujet à son environnement. Ce « collage » ne tolère pas la moindre faille, il subsiste, sans le moindre grain de sable qui viendrait perturber cette « machine à objectivité ». Avec le banal, il n’est plus possible de nier le réel car ce dernier est le seul et unique recours à l’organisation d’un quotidien qui ne peut dorénavant plus que se répéter. Nous sommes encore fort proches de Canguilhem qui déjà observait l’existence paradoxale des « maladies de l’adaptation » : « Sous le nom de maladie de l’adaptation, il faut entendre toutes sortes de troubles de la fonction de résistance aux perturbations, les maladies de la fonction de résistance au mal. Entendons par là les réactions qui dépassent leur but, qui courent sur leur lancée et persévèrent alors que l’agression a pris fin. C’est le cas ici de dire, avec F. Dagognet  : « Le malade crée la maladie par l’excès même de sa défense et l’importance d’une réaction qui le protège moins qu’elle ne l’épuise et le déséquilibre. Les remèdes qui nient ou stabilisent prennent alors le pas sur tous ceux qui stimulent, favorisent ou soutiennent » » (Canguilhem, 1966, p. 205).

Nous pouvons préciser que la thèse principale de Canguilhem dans Le normal et le pathologique (1966) est de concevoir le « pathologique » comme une expérience novatrice et positive, qui ne se contente pas de s’écarter de la norme existante mais qui crée une nouvelle norme. Canguilhem récuse le postulat d’Auguste Comte pour qui le pathologique n’est qu’une variante quantitative du normal, mesurable en degrés, en plus ou en moins, par rapport à cette norme. Selon lui, toute situation oscillant entre normal et 139

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pathologique doit être référée à son environnement et être recontextualisée. La vie ne peut être considérée comme étant indifférente aux conditions dans lesquelles elle se développe et doit être envisagée dans une perspective dynamique. Grâce à Canguilhem, nous pouvons comprendre que l’adaptation équivaut à la capacité de changer de milieu sans se mettre en danger, c’est-à-dire d’envisager une modification autant de soi-même que de l’environnement, incluant un certain équilibre. Ainsi, finalement, la pathologie de l’adaptation repose sur un double paradoxe, inscrit au niveau de ses deux termes, car, outre le fait qu’il s’agit d’un ersatz d’adaptation, nous avons également affaire à une pseudo-pathologie, puisqu’il n’y a pas ici de redéfinition d’une norme différente. Le sujet s’adapte au même, c’est là sa dimension pathologique. Nous pourrions dire que dans le banal, même la pathologie semble ne pas appartenir au sujet ; il est, en quelque sorte, hors du processus pathologique qui le façonne. C’est donc bien la totalité de l’expérience du sujet qui est organisée de l’extérieur.

Le projet anthropologique de Sami-Ali : l’imaginaire et le relationnel Reprenons notre thèse sur le « pathomorphisme », brièvement et synthétiquement. Que ce soit Freud, le DSM, les théories actuelles de la personnalité, ou le MMPI, toutes ces théories de la personnalité reposent sur une norme pathologique sous-jacente. Il y a une vision du monde implicite dans toutes ces théories psychologiques qui reposent en réalité sur une incapacité fondamentale à penser l’homme. Au fond, c’est selon nous d’une anthropologie dont nous avons besoin pour penser l’homme. Et c’est précisément le grand apport de la psychosomatique relationnelle de Sami-Ali. Celui-ci résulte dans le fait qu’il s’agit d’une anthropologie. Rappelons qu’une des premières publications de Sami-Ali était de s’intéresser à la prostitution au Caire, ce qui est une préoccupation bien plus anthropologique que psychopathologique. On pourrait avoir une lecture similaire pour l’essentiel de ses livres qui reposent généralement sur ces mêmes préoccupations. À ce sujet, son ouvrage anthropologique par définition est bien Le banal (1980) qui est un essai qui cherche à 140

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inclure le pathologique mais en l’inscrivant dans une anthropologie de l’imaginaire et de l’altérité. Je pense également à ses travaux les plus récents comme Penser l’unité (2011). Sans le développer ici en détail, on retrouve ces préoccupations dans de nombreux courants de la pensée de l’homme. Je pense à Nietzsche qui, pourtant également « maître du soupçon » selon l’expression consacrée de Ricœur, propose une conception de l’homme guéri de ses névroses : le « surhomme », alors que Freud reste embourbé dans cette vision de l’homme sain reposant sur sa névrose qui construit sa normalité. Si Freud échoue à concevoir cet homme guéri, Nietzsche y parvient, tout comme Marx, troisième maître du soupçon qui conçoit les lendemains qui chantent. De ces trois maîtres, on remarquera que c’est celui qui rencontrait des patients, qui se proposait de les soigner qui est celui qui, paradoxalement, ne parviendra jamais à proposer un modèle de la guérison et de l’évolution. On peut également citer Sartre dans ce qui est pour moi un de ses textes les plus essentiels et malheureusement trop méconnu : l’Esquisse d’une théorie des émotions (1939). Dans ce texte, Sartre cherche à « mener à bien une analyse de la « réalité humaine », qui pourra servir de fondement à une anthropologie » (p. 14). Il fait d’ailleurs une hiérarchie claire entre démarches anthropologique et psychologique : « […] avant de débuter en psychologie », il convient de partir de « cette totalité synthétique qu’est l’homme » et d’établir son « essence » (Ibid.). Après Nietzsche, Marx et Sartre, on peut également citer Binswanger et le courant de la psychopathologie phénoménologique. Pour ce dernier, toute psychopathologie doit procéder d’une anthropologie implicite qui assure une sorte de « charpente épistémologique ». Lorsqu’il précise sa méthode d’analyse existentielle, il dit : « Par analyse existentielle nous entendons une recherche anthropologique c’est-à-dire une recherche scientifique dirigée sur l’essence de l’être-homme » (Binswanger, 1970, p. 51). Alors pour terminer, je voudrais répéter que, selon moi, les travaux de Sami-Ali s’inscrivent dans cette perspective de la pensée anthropologique. Échappant au pathomorphisme et à ses pièges, sa théorie présente en outre ce second avantage qui consiste à échapper également au problème que nous avons aussi brièvement détaillé du normomorphisme. Car, grâce à son anthropologie de l’imaginaire et de la relation (que j’aurai finalement peu développée ici puisque vous la connaissez), il pose, comme je l’ai détaillé, la question de 141

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l’adaptation pathologique : c’est-à-dire le « banal » ou « pathologie de l’adaptation ». Mais il pose également l’équation de l’adaptation efficiente, celle qui allie « adaptation à l’environnement » et « préservation des compétences subjectives de l’homme » grâce à l’imaginaire. Dès lors, la théorie de la psychosomatique relationnelle parvient à réaliser cette alliance subtile et délicate qui consiste à penser l’homme en dehors du pathologique mais également en dehors de la normalité ; elle conçoit l’homme à travers toutes ses aspérités, en tenant compte de toute l’adhérence qui en fait un être complexe mais en l’inscrivant dans une anthropologie de l’imaginaire et de la relation qui fait de chaque sujet un individu. Un individu qui est, a priori, à la fois anormal et également non-pathologique.

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Table des matières M. Sami-Ali....................................................................................5 Introduction - Affect et pathologie François Marty..............................................................................7 Agir à l’adolescence, une autre façon de penser les émotions ? Affect, émotion et pathologie à l’adolescence Albert Danan...............................................................................21 Statut de l’affect dans les pathologies hystériques Sylvie Cady..................................................................................37 Affect et pathologie en relaxation psychosomatique relationnelle Lidia Tarantini............................................................................49 Le trésor de Julie : respects des traditions et souffrance psychique Daniel Sibony...............................................................................61 La fibromyalgie à l’épreuve de l’investigation de la psychosomatique relationnelle Michèle Chahbazian...................................................................81 Histoire individuelle, histoire familiale et destin de l’affect Leila Al-Husseini.........................................................................91 Affect et allergie chez une adolescente Martine Derzelle........................................................................103 Que viennent chercher les douloureux chroniques ? Nayla Karroum.........................................................................117 Les troubles psycho-affectifs chez l’enfant libanais Jérôme Englebert......................................................................133 Le piège du « pathomorphisme » et ses alternatives Bibliographie.............................................................................145

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