Adam de la Halle. Perspective Musicale 9782852031012, 2852031019


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Adam de la Halle. Perspective Musicale
 9782852031012, 2852031019

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Jean Maillard

ADAM DE Lfl

HALLE Perspective musicale

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Librairie Honoré Champion

NUNC COGNOSCO EX PARTE

THOMAS J. BATA LIBRARY TRENT UNIVERSITY

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ADAM DE LA HALLE

JEAN MAILLARD

ADAM DE LA HALLE Perspective musicale

Editions Honoré'Champion 7, quai Malaquais PARIS 1982

© 1982 Librairie Honoré Champion Paris.

A « l’ame me mere », du doux Pays d’Artois.

Avant-propos Nous ne connaissons pratiquement rien de précis concernant Adam de la Halle : ni même sa date de naissance, ni celle de sa mort ne sont assurées, en dépit des renseignements qu’aurait pu fournir le précieux Nécrologe de la Confrérie des Jongleurs et des Bourgeois d’Arras. Mais Maître Adam fut un voyageur et, dans l’état conjectural de nos connaissances, il peut être décédé dans le sud de l’Italie vers 1288, en Angleterre ou dans le Nord de la France une vingtaine d’années plus tard. Paradoxalement, nous sommes bien renseignés, et par lui-même, sur des détails de son existence, sur ses amours avec Marie qui est peut-être la dame qu’il a toujours chantée, encore que le concept courtois et la fictio poétique autorisent une figure féminine imaginaire. Ses relations, parents, protec¬ teurs, amis, « compains » sont présents autour de lui pour préciser les traits de son personnage, qui suscite une réelle sympathie, avec son carac¬ tère jovial, son esprit des plus fins, sa fidélité à l’amitié, sa truculence, sa poésie rêveuse, sa tendresse, son attachement à sa petite patrie contre laquelle il se ne prive pas à l’occasion de pester, son mépris des « losengiers », des « bigots, marmiteux, boursouflés » que dénonceront plus tard ses frères ès Lettres françaises comme Villon ou Rabelais... Mais surtout avec son génie littéraire et musical spécifique, parallèlement à des qualités exceptionnelles de créateur dans le domaine du théâtre français, dont il inaugure le répertoire profane, et dans le répertoire musical, qu’il enrichit des premiers déchants non destinés à l’Eglise, sous la forme de rondeaux qui sont de « délicats bibelots » selon l’expression de Jacques Chailley, mais dont l’éminent musicologue et compositeur reconnaît la place unique de jalons dans l’Histoire de la Musique '. En dépit de ces points obscurs concernant sa chronologie, Adam de la Halle nous apparaît donc comme un témoin essentiel de la vie de son temps, dans cette lumière qu’offre, à travers les vicissitudes de l’Histoire, l’extraordinaire cité médiévale d’Arras au xme siècle. Témoin, Maître Adam l’est précisément par son œuvre imposant et varié : chansons, jeuxpartis, rondeaux, motets, dits, geste, jeux qui totalisent quelques cinq mille vers dont l’originalité est remarquable, principalement dans les Jeux qui proposent tant d’orientations pour l’avenir et dont certaines ne sont pas encore véritablement exploitées. Même si quelques pages, comme les lais,

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semblent perdues irrémédiablement, l’essentiel de l’œuvre de ce trouvère nous est parvenu et constitue l’une des gloires de la création artistique et lit¬ téraire du Moyen Age. On conçoit dès lors qu’un tel personnage et son œuvre aient suscité de très nombreux travaux dont la Bibliographie en fin de volume, n’offre qu’une partie. Chacun des volumes qui y sont recensés précise à nouveau des titres importants pour une information complète sur ce que nous savons actuellement d’Adam de la Halle. Le présent ouvrage a pour but d’offrir à l’amateur non spécialiste — ni musicologue ni philologue — une perspective sur l’ensemble de l’œuvre du trouvère. Le lecteur y trouvera surtout des précisions concernant l’œuvre lyrique : bilan des chansons, jeux-partis, polyphonies avec des tableaux réalisés en vue d’une consulta¬ tion rapide et pratique. Les apparats critiques, indispensables dans les tra¬ vaux d’érudition, sont ici exclus, de manière à ne pas encombrer la lecture, mais afin de permettre une exploitation immédiate de nombreux textes donnés en exemples. Il m’a semblé indispensable de présenter les textes poétiques dans la lan¬ gue même, sans avoir recours à la translittération. La langue, avec ses tour¬ nures spécifiques, ses picardismes, ses effets truculents, ses recherches de sonorités, est trop belle et trop riche pour lui substituer un succédané d’ancien français qui n’aurait pas même la saveur des Contes drolatiques de Balzac et trahirait le grain et la trame poétique de l’expression lyrique. Il suffit de peu d’efforts pour pénétrer cette langue savoureuse. Un Glossaire est proposé pour en faciliter la compréhension, lequel ne fait pas nécessai¬ rement double emploi avec ceux des éditions érudites des Classiques fran¬ çais du Moyen Age ou de la Société des Anciens Textes français. Une Discographie sommaire permettra de jauger la qualité des réalisa¬ tions effectuées depuis trois décennies qu’existe le microsillon : on pourra regretter de ne plus trouver les enregistrements réalisés avant la Seconde Guerre mondiale par Jacques Chailley avec le Groupe des Théophiliens de la Sorbonne ou la Psallette Notre-Dame2. ★ ★



Une tentative de synthèse sur un personnage de l’envergure d’Adam de la Halle, dont l’œuvre sollicite l’historien, le philologue, le sociologue, le psychologue, le littérateur, le musicologue, le musicien, le folkloriste, est une gageure. Toutes ces disciplines exigent une rigueur d’approche et de critique justifiée. Or ce travail est de bonne foi, mais de visée pratique... Je me souviens l’humilité (qui m’avait étonnée de la part d’un Maître alors que je débutais dans la recherche musicologique) avec laquelle Armand

Avant-propos

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Machabey m’avait présenté en 1952, le manuscrit de son Guillaume de Machault. J’éprouve aujourd’hui le même sentiment, d’avoir à susciter l’intérêt de ceux qui aiment la Musique et la Poésie, pour un artiste dont l’œuvre réserve bien des instants privilégiés. Fontainebleau Noël 1980

NOTES

1. Jacques Chailley, Adam de la Halle : Rondeaux à 3 voix, Bibl. n° 165. 2. Disques 78/30 Gramophone D.B.5116 (Collection Les Maîtres français du Moyen Age) et 78/30 Lumen 30.057.

Abréviations Berger Bibl. n° BBSIA BEHE B.N. C CCM CFMA Chailley Coussemaker Frank R.M. Gennrich JF JP Marshall MW P PC R R. RS. RM Sic. VDB Wilkins

R. Berger, Canchons und Partures (Bibl. n° 161). Bibliographie, numéro... (renvoi en fin d’ouvrage). Bulletin Bibliographique de la Société Internationale Arthurienne. Bibliothèque de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes. Bibliothèque Nationale de Paris. Chanson. Cahiers de Civilisation Médiévale, Poitiers. Classiques Français du Moyen Age, Champion, Paris. Chailley (Jacques), édition des Rondeaux (Bibl. n° 165). De Coussemaker, Edition des Œuvres d’Adam de la Halle (Bibl. n° 168). Frank (Istvan), Répertoire métrique (Bibl. n° 65). Gennrich (Friedrich), éd. du Jeu de Robin c£ Marion et des Ron¬ deaux (Bibl. n° 177). Le Jeu de la Feuillée. Le Jeu du Pèlerin. Marshall-Taylor (Jane), éd. des Chansons (Bibl. n° 185). Môlk & Wolfzettel, Répertoire métrique (Bibl. n° 71). Partures (jeux-partis). Pillet & Carstens, Bibliographie (Bibl. n° 72). Rondeau. Raynaud (Gaston), Bibliographie (Bibl. n° 73). Ibid., réédition par Hans Spanke (Bibl. n° 77). Le Jeu de Robin & Marion. Chanson du Roi de Sicile. Van den Boogaard, Rondeaux & refrains (Bibl. n° 78). Wilkins (Nigel), Œuvres d’Adam de la Halle (Bibl. n° 200).

I

Présentation Généralités Le monde des trouveurs était en son plein automne lorsque se révéla Maître Adam. Depuis la fin du xie siècle — époque à laquelle la courtoisie chevaleresque s’était, pour la première fois, exprimée littérairement en Limousin — une multitude de poètes lyriques avait chanté dans le Midi de la France, maniant avec un art subtil le verbe et le son, ourlant de mélodies raffinées les rythmes savoureux de cette langue essentiellement musicale qu’est l’occitan. Le nombre de ces troubadours est impressionnant : plus de 460, que la dispersion des petites cours seigneuriales avait disséminés dans toute l’aire géographique de l’ancienne Provincia romaine, et même au-delà. Le domaine littéraire d’oïl ne connait pas un tel éparpillement et les trou¬ vères, moins nombreux que leurs confrères méridionnaux, étaient générale¬ ment groupés autour de grands centres artistiques comme Reims, Arras, Blois. Un phénomène identique de regroupement se retrouve chez les Minnesànger d’Outre-Rhin. Le trait commun à ces trouveurs est qu’ils pouvaient appartenir à tous les milieux sociaux et que le privilège du trobar invention poétique et musi¬ cale — était pour eux un plaisir et généralement pas une profession comme on le croit aisément. Seuls les ménestrels et quelques jongleurs évolués étaient musiciens professionnels ; parmi eux, quelques-uns avaient une cul¬ ture suffisante pour prétendre faire œuvre de créateur — de poète. Les pre¬ miers étaient attachés à quelque « riche homme », alors que les seconds quémandaient de « biaux dons » de château en château.

Arras, ville d’art1 Parmi les grands centres littéraires et artistiques, Arras occupait une place de choix. Durant le xn* et surtout le xiii« siècle, quelques 180 trouvé-

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rent gravitèrent autour de ce foyer. Leur talent était plus ou moins réel et nombreux furent ceux qui s’affrontèrent ou qui soumirent de loin leurs œuvres au jury de ces fréquentes compétitions appelées puys : S’au Puy d’Arras fut retenu mes chants Conquis avroie eüreuse soldée !2

Auprès des jugeurs du Puy, « la gent jolie » comme l’appelle Mahieu de Gand, il importe de briller et d’obtenir la palme qui procure non seulement honneur et louange, mais encore dons et bienfaits. Arras vivait, au xm« siècle, d’une vie intense. C’était une cité opulente qui devait sa prospérité à une corporation d’actifs banquiers dont de hauts barons, voire des Princes, étaient les débiteurs. Les bourgeois de la Ville étaient loin d’être des frustes et goûtaient suffisamment les Lettres et les Arts pour en tirer une partie de leur prestige. Par exemple, la riche famille des Guyon protégea Adam de la Halle qui salue respectueusement l’un de ses membres dans une chanson : Au Guyonnois d’honorance Va, chanson, et si t’avance ; Aussi a-t-il le mal d’amour senti : Il saura mieux ce que j’en dis ! (Chanson VII, v. 46 ss.)

Faut-il rappeler encore les Poussin, nommés Pouchinois par Adam dans ses Congés ? Ou Robert Sommeillon, dont il est question dans le Jeu de la Feuillée ? Ou Jehan Bretel, homme d’affaires, poète et Prince du Puy, qui fut le principal questionneur d’Adam dans les partures ? On imagine dès lors aisément la réputation du Puy d’Arras, entretenu par de tels mécènes et dont la tradition semble remonter au début du xil siècle, avec les « aca¬ démies » régulièrement organisées par la nouvelle Confrérie de NotreDame, dans les statuts de laquelle il était expressément souligné que « sur jongleur n y a nulle seignourie ». Edmond Faral a noté le caractère insolite et moderne de cette confrérie qui modifiait si profondément la condition habituellement errante du jongleur, lequel obtenait ici droit de cité et se mêlait étroitement à la vie des habitants. Chaque pieuse solennité était pré¬ texte à exercices publics de rhétorique appelés puys Notre-Dame en souve¬ nir de la protection accordée par la Vierge aux jongleurs Norman et Itier, ou puys d’amour, à cause des joies terrestres qu’on y glorifiait. Auprès de tous, Adam de la Halle bénéficiait d’une solide réputation due principalement à ses jeux-partis et à ses chansons. Dans la Panthère d’Amour, Nicole de Margival se fait le porte-parole de ses contemporains et ne tarit point d éloges, louant surtout les chansons courtoises de son

Présentation

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illustre modèle. Il fut clerc d’honneur de toutes vertus plein, dit l’auteur anonyme du Jeu du Pèlerin : il était parfait en chanter et surtout, beaux dicter savait.

Biographie sommaire C’est entre 1240 et 1250 qu’en Artois Maître Adam naquit. Peut-être à Arras même, sans qu’il soit possible de l’affirmer, ou encore à Ayette ou à Boisleux. Il était fils de Maître Henri le Bossu, employé à l’échevinage d’Arras, et surnommé de la Halle pour une raison inconnue : s’agit-il de son quartier ou de ses fonctions ? Maître Henri a été marié à plusieurs reprises ; sa dernière femme mourut en 1283, lui-même en 1290. De la mère d’Adam, nous ne savons rien. Pour ces temps anciens où l’Etat-Civil n’existait point, il faut savoir se contenter de maigres renseignements, et nous ne sommes guère en mesure de faire des révélations sur les diverses péripéties de son existence. Fut-il élève en l’abbaye cistercienne de Vauchelles, dans le Diocèse de Cambrai ? Un de ses contemporains l’a longtemps donné à supposer. La région de Bapaume, Beaumetz semble lui avoir été familière. A Arras, on le surnomme « bossu », comme son père : « Mais je ne l’estois mie ! » dit-il dans l’un de ses poèmes. Il aime sa ville d’adoption tout en soulignant que les études que l’on y entreprend ne permettent pas de devenir grand clerc, c’est-à-dire bien savant. C’est vers 1270 qu’il épouse la jeune et charmante Marie pour l’amour de qui il abandonne provisoire¬ ment des études brillantes. C’est durant les premières années de son mariage qu’il prend part à plusieurs jeux-partis, dans bon nombre desquels son partenaire attitré est Jehan Bretel, qui mourut en 1272 : cet « ancien » vante chaque fois que l’occasion se présente, la science et l’intelligence d’Adam. Baude Fastoul le nomme en 1272 dans ses Congés. Lui-même semble avoir eu un ennui sérieux avec le fisc. Il aurait même été contraint de quit¬ ter Arras durant une période relativement longue et se serait réfugié à Douai. De retour à Arras vers 1274, il entreprend deux années plus tard, son Jeu de la Feuillée, dans lequel, en dépit des mises en garde, il décide d’aller à Paris pour y reprendre et parfaire ses études : Caitis, ki feras-tu ? Onques d’Arras boins clers n’issi Et tu le veus faire de ti : Che seroit grans abusions !

v. 12

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Qu’importe ! c’est avec la ferme intention d’un départ qu’il fait représenter à la Saint-Jean 1276, ce Jeu de la Feuillée dans lequel — avec une verve qui pourrait en certains points préfigurer Shakespeare — il met en scène tout son petit monde arrageois. Ce Jeu présente un intérêt multiple : non seule¬ ment c’est la première pièce de théâtre française. Mais elle renferme une vision lucide et satirique de tout l’entourage d’Adam de la Halle, évoluant dans un climat irréel avec des incursions du fantastique et du burlesque. Les symboles ne manquent pas, et la psychologie trouve son compte dans les oppositions, dans la dualité entre clergie et amour, entre sagesse et folie ou enchantement. Trois fées font chacune un don à Adam : Morgue lui souhaite « d’être le plus amoureux qui soit trouvé en nul pays », mais cela, il l’est déjà ! Arsile lui prédit qu’il sera « joli, et bon faiseur de chansons ». Maglore, à qui Daniel Poirion attribue un rôle comparable à celui d’Atropos parmi les Parques3, accorde quant à elle, un don ambigu : puisqu’on ne lui a pas remis de couteau pour son couvert au banquet de la Feuillée, elle refuse de trancher le lien qui permettra au jeune clerc de partir, déta¬ ché, vers Paris, pour sa nouvelle vie studieuse : toujours restera-t-il soumis au souvenir de Marie qui va lui donner un enfant ; ceci en dépit des prétex¬ tes qu’il imagine pour se donner courage. D’ailleurs, Marie elle-même l’engage à partir. Seul, le père est grognon : cela va coûter bien cher et il n’a pas d’économies pour aider son fils ! Mais l’aide pécuniaire librement consentie par ses concitoyens — notamment Jakemon Pouchin — élimine tout obstacle. Dieu ayant donné à Adam une intelligence valable, il con¬ vient d’aller la cultiver en l’illustre Université de Paris dont le Studium generale avait été officiellement reconnu par le pape et par le roi depuis plus d’un demi-siècle déjà. C’est encore à l’occasion de ce départ que notre trouvère compose son Congé dans lequel il s’adresse familièrement à tous ceux d’Arras qui sont ses amis et qui l’ont aidé. Est-ce en Sorbonne que notre étudiant reçoit son titre de Maître ès Arts par lequel on le saluera désormais ? Il n’est pas possible de l’affirmer : nous sommes dans le domaine de la conjecture. Sans doute l’influence des maîtres de l’Ecole Notre-Dame, dont il n’a pas manqué d’entendre les œuvres, est-elle à l’origine de sa science polyphonique. On sait la réputa¬ tion de ces déchanteurs dont l’enseignement attirait vers la « ville jolie » des étudiants venus de l’Europe entière. Adam de la Halle est le seul trou¬ vère dont on puisse dire avec certitude qu’il a exploité l’écriture polyphoni¬ que. Deux chansons expriment la joie du nouveau Maître à son retour en Artois : Au repairier de la douce contrée et De tant corn plus aproche mon pays. (Chansons XIV et XXXIII.) Il semble que ce soit vers 1280 que notre trouvère entre au service de

Présentation

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Robert II d’Artois, le neveu de saint Louis. Dans la suite de ce prince, il se rend à la Cour de Charles d’Anjou, à Naples. Le frère de saint Louis avait accédé au trône des Deux-Siciles le 4 novembre 1264. Sa Cour napolitaine était de loin la plus cultivée d’Europe et le souverain avait généreusement maintenu la tradition du mécénat instauré par ses prédécesseurs, les Hohenstaufen. D’aucuns prétendent que son action en faveur des trouba¬ dours et trouvères avait pour but essentiel de soigner son propre prestige. On peut en douter, car Charles d’Anjou sacrifiait volontiers lui-même aux muses et son intérêt était sincère. Adam de la Halle dut se sentir parfaitement à l’aise dans cette société brillante qui savait l’apprécier à sa juste valeur. La tension politique devant cependant assombrir cette existence large et facile. L’action de la Maison d’Aragon en Sicile entraîna une révolte sanglante dirigée contre les Fran¬ çais le 30 mars 1282, et connue sous le nom de Vêpres Siciliennes. Pier¬ re III d’Aragon reçut officiellement la couronne de Sicile sans que Charles d’Anjou pût songer à engager une action militaire contre lui, occupé qu’il était à pacifier la Calabre où le parti Gibelin suscitait sans relâche des émeutes tout en évitant soigneusement la bataille rangée. On ne saurait préciser la date à laquelle Adam fit représenter à Naples son petit chef-d’œuvre, le Jeu de Robin et Marion : sans doute avant ces troubles, encore que l’année 1284 ait été avancée sans grandes preuves par quelques historiens. Après une brève maladie, Charles d’Anjou, qui fut l’un des Princes les plus extraordinaires de son temps, disparaissait à Foggia le 7 janvier 1285. Adam avait entrepris de faire son éloge dans une épopée qui rappelle le ton des chansons de geste : Le Roi de Sicile. Quatre années plus tard, Jean Madot, neveu de Maître Adam d’Arras, et copiste d’un des manuscrits du Roman de Troie qu’il achève le 2 février 1289, laisse entendre que son oncle est décédé l’année précédente. Cette assertion semble confirmée par le fait suivant. La même année 1289, le Jeu de Robin et Marion est présenté à Arras, précédé d’un épisode dialogué et de quelques interpolations de faible intérêt littéraire. Le préam¬ bule est connu sous le titre de Jeu du Pèlerin. On y lit, aux vers 20 et sui¬ vants :

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... Je sui moût lassé : esté ai a Luserne, En Terre de Labour, en Toskane, en Sezile ; Par Puille m’en reving ou on tint maint concile D’un clerc net et soustieu, gracieus et nobile, Et le nomper du mont ; nés fu de ceste ville (ARRAS) Maistre Adans li Bochus estoit chi apelés Et la, Adans d’Arras...

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... Chis clers don je vous conte Ert amés et prisiés et honnerés dou Conte D’Artois... Or est mors maistre Adans, Dieus li fâche merchi ! A se tomble ai esté, don Jhesu Crist merchi ; Li Quoins le me moustra, le soie grand merchi, Quant jou i fui l’autre an...

Une controverse est cependant apparue en dépit des deux « actes de décès » qui viennent d’être signalés et que le texte du Pèlerin semble faire entériner par l’autorité du Comte d’Artois auquel il est fait allusion au vers 47. Longtemps après le Traité de Tarascon (1291) qui mettait fin au conflit entre la Maison d’Anjou et le Roi d’Aragon en attribuant à ce dernier la Sicile alors que la tutelle du Royaume de Naples restait aux Français, le nom de Maistre Adam le Boscu figure dans un document daté de 1306. Il s’agit d’un rôle émanant du Cabinet de la Reine d’Angleterre pour les fêtes de l’adoubement du Prince héritier, qui sera couronné l’année suivante sous le nom d’Edouard II. Cet Adam le Boscu a été gratifié d’une somme qui semble peu compatible avec la notoriété dont bénéficiait Adam de la Halle. Cependant, Fabienne Gégou1 2 3 4 infère de ce renseignement, que le trouvère ne serait pas mort à Naples en 1288, mais qu’il serait revenu à Arras où il aurait composé lui-même le Jeu du Pèlerin, se donnant comme mort par manière de plaisanterie, et repartant ainsi poür une nouvelle étape de son existence, marquée par son passage à Westminster en 1306, au milieu de quelques cent soixante-quinze ménestrels accourus pour la fête princière de la Pentecôte. Cette hypothèse a été fort controversée5.

NOTES

1. Cf. P. Feuchère Bibl. n° 16, C. Foulon Bibl. n° 17, A. Guénon Bibl. n° 23, P. Ménard Bibl. n° 34, J.-C. Payen Bibl. n” 38, A.-H. Todd Bibl. n° 46, H. Roussel Bibl. n° 45, M. Ungureanu Bibl. n° 197, P. Le Gentil Bibl. n° 29... 2. Chanson anonyme, R. 282 str. VI. 3. Cf. Daniel Poirion, Bibl. n° 190. 4. Fabienne Gégou, cf. Bibl. n° 175. 5. Cf. Bibl. n° 164.

II

Sources manuscrites Les manuscrits des trouvères, dispersés dans les grandes bibliothèques, portant des cotes souvent difficiles à retenir, ont été dotés de sigles qui per¬ mettent de s’y référer facilement. Une première série de sigles a été propo¬ sée par Gaston Raynaud (c/.Bibl. n° 73) à laquelle est substituée aujourd’hui celle d’Eduard Schwan (cf. Bibl. n° 146). Cependant, certains auteurs, comme Gautier de Coinci ou, précisément Adam de la Halle, ont écrit un grand nombre d’œuvres parfois regroupées dans un manuscrit unique, ou occupant dans un chansonnier déterminé une place prépondérante que ne laisserait pas supposer le sigle de Schwan. D’où une nouvelle classification qui entraîne parfois des confusions. La présente étude fait référence aux sigles traditionnels de Schwan, dont voici la concordance avec ceux de Raynaud et Berger pour Adam de la Halle. Schwan (Marshall)

w T P

Q R a

Berger (Wilkins) (Gégou) A B C D E

F G

I

H I

A

J

V

K

(Suppl. 3)

L M

O



Raynaud Chansonnier

Paris B.N. fr. 25566. Paris B.N. fr. 12615 (Chansonnier de Noailles) Paris B.N. fr. 847 Paris B.N. fr. 1109 Paris B.N. fr. 1591 Rome, Vatican Reine Christine 1490 Paris, Bibl. Arsenal 3101 (copie XVIIIe s. du ms. précéd.) Paris B.N. fr. 846 (Chansonnier Cangé) Pb 5 Oxford, Bodleian Library Ms. Douce 308 O (Chansonnier d’Oxford) Arras, Bibl. municipale 657 (Chansonnier A d’Arras) Paris B.N. fr. 24406 Pb 14 App. IV Paris B.N. fr. 24432 (Pan.) Léningrad, Bibl. de l’Ermitage, Ms. 53 —

Pb 15/16 Pb 11 Pb 6 Pb 7 Pb 8 R 1

•\DAM DE LA HALLE

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Montpellier,

f

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B 2 R 2

R M c (hU) k

S T L V

w

Pb 3 — — —

X Y Z



Bibl.

de l’Ecole de

Médecine,

ms. 236 Paris B.N. fr. 20050 (Chansonnier de SaintGermain) Berne, Stadtbibl. 231 Rome, Vatican, Reg. Christ. 1522 Paris. Bibl. Arsenal 3102 (copie XVIIP s. du précédent) Paris B.N. fr. 844 (Manuscrit du Roi) Bern, Stadtbibl. A 95.1 Cambrai, Bibl. municipale 1328 Paris B.N. fr. 12786 Rome. Vatican, Reg. Christ. 1543 Montpellier, Bibl. de l’Ecole de Médecine ms. H. 196. (Manuscrit de Montpellier) Bamberg, Staatsbibliothek Ed. IV 6 (Manuscrit de Bamberg) Turin, Bibl. reale, vari. 42.

L’ensemble des manuscrits renfermant des œuvres d’Adam de la Halle est indiqué par Schwan sous le sigle général h. Le Manuscrit de la Bibliothèque Méjanes d’Aix-en-Provence qui ren¬ ferme le Jeu de Robin et .\farion ne figure pas dans la liste ci-dessus. Dans son édition diplomatique Die dern Trouvere Adam de la Halle zugeschriebenen Dramen : Li jus du Pelerin, Li gieus de Robin et Marion, Li jus Adam, A. Rambeau désigne ce manuscrit d'Aix par le sigle A. Il affecte le sigle P au manuscrit B.N. fr. 25566 (W/A supr.), le sigle Pa au B.N. fr. 1569, le sigle Pb au B.N. fr. 83" et le sigle Vau Vatican Reg. 1490 (a/F supra).

III

Les chansons 1. Généralités La chanson est l’expression souveraine de la lyrique courtoise. Dante la classait en premier parmi les thèmes dignes du « vulgaire royal : Celle-là est la plus noble qui embras.se l'an tou: entier ; or donc ce que l’on chante en vers étant bien œuvre d’art, et l’art ne se trouvant tout entier que dans la chanson, la chanson est le plus noble des poèmes, et sa figure est ainsi plus noble que toute autre 1.

Apparue en Pays d’oc sous l'archaïque désignation de vers, la canso des troubadours avait une structure parfaitement établie dès la fin du xn= siè¬ cle : c’est alors une composition lyrique de caractère personnel, dont le texte littéraire est inséparable de la mélodie qui lui est propre. Cette mélo¬ die présente une symbiose idéale avec la strophe initiale : mais elle doit ega¬ lement s’adapter à l’expression comme à la dynamique des autres strophes, dont le nombre est variable, non seulement à cause des lacunes des sources manuscrites, mais selon le gré même du créateur. Ces strophes sont, en conséquence, de structure identique (isostrophiquesp Cette structure se nomme cobla. La cobla s’articule en plusieurs éléments : au chef de la strophe, le frons, présentant des incises différentes ou des sections symétriques, avec une cadence suspensive (ouvert), puis conclusive (clos). Ces sections symétri¬ ques se nomment pedes {pes au singulier). La transition ou diesis, introduit la seconde partie nommée cauda ou sirma. La cantio ou canso désigne le complexe poème/mélodie. La mélodie seule est dite sonus, tonus, nota ou melos : une chanson courtoise ne saurait donc être conçue sans son élément vital, la mélodie, qui est comme le sang circulant dans les artères, et cette mélodie lui est propre. L’emprunt d’une mélodie préexistante est admis pour d’autres registres lyriques, comme le jeu-parti ou le sinentes.

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ADAM DE LA HALLE

Le nombre de vers dans la cobla et, par conséquent (du moins dans l’immense majorité des cas) le nombre d’incises mélodiques, n est pas fixe. En général, le frons compte quatre incises pour quatre vers auxquels s’ajoutent ceux, en nombre variable, de la cauda. Lorsque la mélodie pro¬ gresse sans répétition ni retour en arrière, elle constitue une ode continue. C’est ce que définit Dante, faisant référence aux troubadours, les grands instituteurs du chant courtois2. D’autres types de strophes présentent des répétitions après la diesis : la cauda devient alors versus et les répétitions sont des voltes. Dante expose des structures fondamentales de type : a) stantia sine iteratione modulationis et sine diesi (ode continue) b) stantia cum iteratione modulationis et cum diesi 1. frons avec pedes + cauda (sirma) 2. frons avec pedes + versus (volta) 3. frons continu + versus (volta) Le nombre de pieds dans chaque vers est variable : on trouvera même chez un troubadour tardif comme Guilhem de Cervera la virtuosité qui consiste à enchaîner vingt-trois rimes d’un ou deux pieds (une ou deux syllabes). Dans la lyrique d’oïl, la strophe isométrique, constituée de vers d’égale longueur, est plus fréquente que la strophe hétérométrique, compo¬ sée de vers différents. Le nombre de vers dans la strophe n’est pas non plus imposé, mais la structure la plus courante est celle de la strophe décasyllabique de huit vers, avec une élision à la césure de position variable (de type épique, ascendant ou lyrique). L’heptasyllabe réparti sur huit vers est aussi très fréquent3. Dans les strophes hétérométriques, le rythme brisé par un vers de trois ou quatre syllabes est fréquent ; il agit comme une sorte de complément rythmique (et mélodique) au vers précédent et à son incise musicale. Il arrive que frons et cauda soient reliés par un tel vers brisé. Il est aisé d’imaginer toute la virtuosité d’agencement qu’offrent ces élé¬ ments. Lorsqu’ils sont bien maîtrisés, il faut aborder le second élément d’appréciation : l’analyse du melos, qui ne saurait être nécessairement con¬ fondue avec l’analyse strophique et qui, techniquement, éclaire souvent celle-ci. Adam de la Halle, qui compose au temps du plein épanouissement de la chanson « oïlienne », use de tous ces procédés avec un art divers et consommé. La lyrique d’oc va devenir en effet un modèle pour toute la société courtoise médiévale, et les épigones vont se manifester dans le monde galaïco-portugais, toscan et sicilien, puis dans les domaines d’oïl et en moyen-haut-allemand. Les schémas compositionnels des troubadours vont servir de modèles, et certaines de leurs mélodies ou de leurs disposi¬ tions métriques seront, à la fin du xii' et au début du xiii« siècle, servilement copiées4 jusqu’à émancipation des poètes autochtones. Les chefs-d’œuvre de la lyrique d’oïl se situent au xni' siècle, et Adam de la Halle compte

Les chansons

21

parmi les plus illustres chantres de ce style courtois, aux côtés de Conon de Béthune, Gace Brulé, Blondel de Nesles, le Châtelain de Coucy, Moniot d Arras, Colin Muset et Thibaut de Champagne (le Roi de Navarre) entre autres. Le rayonnement de la chanson d’oïl est remarquable dans l’Europe occidentale, dès la décennie 1210-1220 ; en témoins l’intérêt d’un François d’Assise pour la chanson francigena5 et les adaptations d’origines diverses6. Même pris l’essor, l’influence des troubadours restera omniprésente7 avec l’exploitation des divers types de coblas imaginées par eux. Coblas doblas, ternas, quadernas, quintas, c’est-à-dire strophes dont le timbre des rimes (ou carmes) change toutes les deux, trois, quatre, cinq strophes ; coblas unissonans qui conservent toutes la même sonorité de rimes. Les coblas similaires8 ont des strophes de timbres identiques, séparées par une ou plusieurs strophes de timbres différents. Dans les coblas capcaudadas, la dernière rime d’une strophe est reprise comme première rime de la stro¬ phe suivante. Dans les coblas capfinidas, un mot ou plusieurs mots — modifiés ou non — se retrouvent dans le premier vers de la strophe sui¬ vante. Les rimes reparaissent d’une strophe à l’autre, mais dans un ordre différent, dans les coblas redondas, cependant que l’inversion des rimes est spécifique de la cobla retrogradadas. La canso se termine fréquemment par une tornada, qu’on traduit approximativement en français par envoi. La tornada renferme souvent un senhal (signal ou mot-clef énigmatique) dési¬ gnant la ou le dédicataire de la canso : cette subtilité se présente parfois chez les trouvères sans que le terme signal soit retenu. L’envoi (tornada) est régulier lorsqu’il répète la structure strophique et mélodique ainsi que les rimes de la strophe précédente. Il est irrégulier s’il reproduit une autre sec¬ tion de la canso. Hormis la volta, déjà mentionnée et caractéristique de genres comme la ballade ou la rotrouenge, le répertoire de la chanson d’oïl s’enrichit parfois du principe caractéristique du refrain-centon, inconnu des troubadours9. Mais quelle que soit la richesse d’invention qu’à l’instar des trouba¬ dours, les trouvères manifestent dans leurs agencements de strophes lyri¬ ques, il faut insister sur le fait qu’on ne saurait appréhender le processus de création par ce seul biais, et que la symbiose du vers et du son demeure l’essentiel et phénoménal témoignage du génie créateur. En l’occurrence, la lyrique d’oïl offre un terrain d’estimation et d’appré¬ ciation exceptionnel eu égard au nombre de mélodies conservées : environ les 9/10e, à l’encontre de la lyrique d’oc pour laquelle n’est préservée que le dixième environ des mélodies. Une question musicologique importante est celle des leçons différentes, qui ne devrait pas se présenter si l’on se réfère aux normes du De vulgari

22

ADAM DE LA HALLE

eloçuentia de Dante. Par contre, les variantes sont inévitables . elles sont dues aux diverses sources de transmission ou à l’inattention des scribes (ou copistes). Par contre, la transmission de mélodies différentes pour une même poésie demeure une énigme : nous verrons que le cas se produit à cinq reprises pour les chansons d’Adam de la Halle.

2. Les chansons d’Adam de la Halle Trente-six chansons nous ont été transmises10 par divers chansonniers, certains les présentant incomplètement. Elles sont transmises dans une « scripta » picarde mêlée de traits franciens plus ou moins accusés selon l’origine des manuscrits ". Selon la règle courtoise, ce sont toutes des chan¬ sons sur l’amour, plus que des chansons d’amour : Adam de la Halle exprime dans ces textes toute une gamme de sentiments qu’il est difficile de résumer en peu de mots, depuis la supplication du fin amant envers la dame sans merci (Chansons VII, XVII). La sérénité du poète se manifeste parfois (XIV, XV) ou l’espoir du beau don d’amour (XVIII, XIX, XXX). La cruauté de la bien-aimée (XVII) entraîne parfois une certaine truculence dans le ton (XXII), ou parfois même, une tendance à moraliser, comme dans un serventois (XXVI). Les généralités du service amoureux font place souvent aux allusions à une expérience personnelle (IV, XI, XIII, XXIII, XXVII). En fait, remarqua Jane Marshall, beaucoup de chansons de subs¬ tance personnelle débutent par quelques lignes d’observations générales sur l’amour (XXV, XXIX, XXXII, XXXIV). En tout cas, il ne faut jamais oublier que pour l’amateur de cette période courtoise, la chanson est essen¬ tiellement un bel objet poétique et musical, dont la dimension s’élargit sin¬ gulièrement par l’apport du sentiment personnel, d’où la distinction faite entre ceux qui savaient faire de bons mots et de pauvres sons, et vice-versa. Rares sont les maîtres qui parviennent à l’équilibre du fond et de la forme : Adam de la Halle est de ceux-là. La majeure partie des procédés tradition¬ nels du grand chant courtois sont repris, exploités par lui dans le cadre général de l’ornement facile (ornatus facilis), alors que l’hermétisme des troubadours (trobar clus) n’y trouve pas d’écho, tout comme chez les autres trouvères 12. Tous ces procédés, relevés méticuleusement par Roger Dragonetti13 : figures de répétition, interrogation poétique, diction senten¬ cieuse, antithèse s’y rencontrent. Li maus d’amors me plaist mix a sentir K’a maint amant ne fait li dons de joie (Chanson IX)

Présentation

23

L’ornement difficile (difficultas ornata) ou métaphorique, est plus hiérati¬ que, plus conventionnel que chez les troubadours. Il emprunte au vocabu¬ laire féodal : cérémonial de service, fidélité, loyauté, soumission, espoir dans le guerredon (que les troubadours nomment, avec une nuance plus réaliste, lo plus), c’est-à-dire la récompense du service amoureux, ce que, de leur côté, les Minnesânger nommeront Vrouxvendienst14 : Voirs est ch’Amours toute valour ataint Et par li sont furni tout vaselage... (IV, 17-18) Sui el cors trais et férus D’uns vairs ieux ses et agus Rians pour miex assener. A chou ne puet contrester Haubers ne escus ! (XVI, 5-10)

L’exorde (prooemium), l’argumentation (narratio), la réfutation et Y épilo¬ gue constituent les éléments de la rhétorique dans les traités médiévaux. Les exordes courtois exposent traditionnellement soit des topiques de bienveil¬ lance, des aveux de peine amoureuse ou des évocations saisonnières. Les premiers s’adressent à la Dame ou à Amour : Ma douce dame et Amours Me font tant aimer ma vie C’uns ans me samble uns seus jours Et ma souffrance est jolie... (XVIII, 1-4) Puis ke je sui de l’amourouse loi Bien doi Amors en cantant essauchier. (XVI, 1-2)

Le retour du printemps, la reverdie, donne au poète l’occasion de dire que son amour le rend plus heureux que ne saurait le faire la nature même, en fête : Le dous maus me renouviele Avoec le printans Doi je bien estre chantans Pour si joie nouviele... (X, 1-4)

Le retour vers la terre natale, si beau prétexte chez les Gaucelm Faidit, Peire Vidal, est a diverses reprises évoqué par Adam de la Halle, notam-

24

ADAM DE LA HALLE

ment dans la Chanson XXXIII, malheureusement transmise sans notation musicale : De tant com plus aproche mon pais Me renouvelé amours plus et esprent, Et plus me semble en aprochant jolis Et plus liars et plus truis douce gent. (XXXIII, 1-4)

La lucidité du créateur considérant son propre talent s’exprime sans vanité : Merveille est quel talent j’ai De canter... (XIX, 1-2)

L’expression sentencieuse, proverbiale apparaît souvent : Tous jors voit en trais les traïtors (XIII, 31-32) Tant grate kièvre en gravele Qu’ele est mal gisans. (X, 19-20)

Les allusions aux connaissances scientifiques du temps sont évidemment sources d’étonnement et, dans le bestiaire de Maître Adam, les réactions prêtées au tigre dont le chasseur veut dérober la progéniture sont tout à fait inattendues : Si fait li tigre au mirouer quant pris Sont si faon, et cuide proprement En li mirant trouver cels qu’ele a quis ; Endementiers s’en fuit cils qui les prent. (XXXIII, 13-16)

Line seule des trente-six chansons est d’inspiration religieuse : elle s’adresse à la Dame par excellence, la Donne Marie qui protégeait la Confrérie des jongleurs d’Arras : Glorieuse Virge Marie Puis que vos services m’est biax Et je vous ai encoragie, Fais en sera uns cans nouviaus De moi, ki cant com chius ki prie... (XXXVI, 1-5)

L’envoi, de même que la tornade chez les troubadours, n’est pas de règle

Présentation

25

dans la chanson courtoise d’oïl : vingt et une des trente-six chansons sont dotées d’un envoi de quatre vers reprenant le schéma et la mélodie de la seconde demi-strophe précédente. Trois font exception à cette règle en fai¬ sant référence à la mélodie et aux rimes du début de la strophe précédente 15. Une autre chanson possède un envoi de cinq vers, reprenant la disposition de la cauda précédente. Ces envois vont à la Dame ou à un protecteur : A Jakemon Wion soit envoie Qui s’en sara déduire et esbaudir

(II, 43-44) Au Wyonois d’ounerance Va, canchons, et si t’avance ; Aussi a il le mal d’amour senti Si sara miex ke je di...

(VII, 46-49) Cançons, va t’ent u aler n’oseroie : Soies saluans De par mi les iex rians Pour cui mes cuers me renoie.

(IX, 41-44) Sire d’Amiens, dont j’ai bien dire oï, Faic jou savoir u folie Qui me tieng en la baillie D’Amours par mi le mal ke j’ai senti ?

(XXII, 46-49) Pour chu ke miex paire Cis cans c’ai furni, A Robert Nasart l’otri, Car cankes il dist doit plaire.

(XXIV, 41-44) Cançon, je t’envoieroie U ma dame est, se j’osoie, Mais le cuer n’ai si hardi : Amours, donnés li !

(XIV, 46-49) N’est-ce pas du Ronsard avec trois siècles d’avance ?... Il n’est pas interdit de penser que les envois à un destinataire précis aient été ajoutés pour des circonstances déterminées, comme le prix accordé à la chanson à 1 occasion d’un puy16. Comme les chansons qui semblent avoir été couronnées au célèbre Puy d’Arras ne sont pas plus remarquables que les autres, on en peut inférer que ce sont là les premiers fruits de la veine poétique d’Adam de la Halle, distingués chaque année de sa carrière débutante par ses conci-

26

ADAM DE LA HALLE

toyens. Mais il y a autant de raisons pour supposer, selon ces indications supputées d’après Nicolas de Margival17 que la récompense fut accordée au trouvère à des dates variables, en sorte de rappel de sa consécration. Ces huit « chansons couronnées » sont marquées par des astérisques dans le Tableau I. La fréquence des copies de certaines chansons laisse supposer que leur succès auprès du public était grand, bien que certaines n aient pas été « couronnées », comme la Chanson XVI (Puis kejesui de l amourouse loi...). On notera enfin qu’une chanson présente un refrain de rondet en fin de strophe. C’est la Chanson X, qui ressort plus de la chanson à danser, sans doute plus proche de la ballade que de la rotrouenge, en dépit de sa struc¬ ture strophique.

3. Les mélodies et la forme Les chansons sont très généralement notées en plusieurs leçons qui offrent un total de quelques cent-soixante textes musicaux répartis de la façon suivante : Pas de notation Une leçon Deux leçons Trois leçons

Chanson XXXIII Chansons XXV, XXXIV XXIII, XXXI XV, XVII, XXII, XXVI, XXVII, XXVIII, XXXV : IX, XXXVI Quatre leçons : I, VI, VIII, X, XII, XIX, XXI, XXIV, XXIX, Cinq leçons XXXII : XVIII, XX Six leçons : VII, XIII, XXX Sept leçons : II, IV, XI, XIV, XVI Huit leçons Neuf leçons : III, V Ces deux dernières chansons, en dépit de la multiplicité des leçons n’ont rien de caractéristique qui permette d’assurer qu’elles ont été davantage du goût du public arrageois de la fin du xm* siècle, que les autres : par exem¬ ple, la Chanson XXV, transmise par deux sources seulement, a beaucoup plus de souffle lyrique. Les Tableaux I, II et III donnent une vue d’ensemble des grands chants courtois d’Adam de la Halle. Plus que de longues considérations, les deux premiers de ces Tableaux renseignent directement sur la structure mélodi¬ que et la couleur modale de chaque pièce, nonobstant le fait que cinq de ces chansons présentent des leçons mélodiques divergentes. Comme il a été

27

Présentation Tableau I Schémas comparés des mélodies de chansons d’Adam de la Halle N

Référence Raynaud

Frons

Cauda

A A’

B A”

C

D

E

F

A

B

A

B

C

D

E

R. 148 R.1186* R.1237

A A A

B B B

A A A

B C B. c B c

D D D

R. 152 R. 336 R. 888 R.1018 R. 1247* R. 1438 R. 1454* R. 2025

A A A A A A A A

B B B B B B B B

A A A A A A A A

B B B B B B B B

c c c c c c c c

A A A A A

B B B B B

A A A A A

B B B B B

c c c

XII.

R. 500 R. 632 R. 1180* R.1711 R. 1973*

I. XV. XVI. XIII.

R. 833* R. 1273 R. 1661 R. 2024

A A A A

B B B B

A A A A

B B B B

c c

III. XXVIII. XXIX. XI.

R. 248 R. 432 R.1771 R.2128

A A A A

B B B B

A A A A

R. 495

A

B

XX. R. 1458* 2 V. R. 149 VI. II. XXV.

Manuscrits notés

G

P

Q

R

B

A

O

P

E E E

B B B

P A R

Q

D D D D D D D D

E E E E E E E E

F F F F F F F F

A A P P O P P O

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E E E E E

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E E E E

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G G G G

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B B B B

c c c c

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A’

C

D

E

F

G

T

w

a T a

O

Q R W’ W R W’ W P R T

P P

Q Q

V

w

3aIV. XXXII. VIII. XVII. XXX. XXIV. IX. XVIII. XIV. XXVII. XXXVI. VII.

c c

c

I 1 1 I

R T W’ w W a W W’

R W P R T V W Q R W a Q W’ W P Q R w a

Q Q

P P P P P

Q Q Q Q Q

R R’ T V W’ W W a R T W’ W a R W’ W

A R O P

P T P

Q

V W’ W W R R’ T W’ W R T V W’ W

A P O O

O R P P

P W

Q

R

T W’

Q Q

R R

W T

V W’

P

Q

w

P

Q

R W’ W

P P P

Q

R

W

a

w

Q

R

w

a

W

7aXXXV. 7bX. 7c XIX. XXIII. XXI.

R. 612

A

B

A

C

D

E

F

G

H

R. 52* R.1715 R.2038

A A A

B B B

A A A

C C C

D D D

E E E

F F F

G G G

H H H

XXII.

R. 1060

A

B

B’

A

C

D

E

F

G

P

R

XXXI.

R. 658

A

B

B

B1 B2 A

B

B

B1 B2

P

W

R. 1383

A

B

C

D

E

F

G

H

P

R

A B1

C

D B2 E

I I I

9

10XXVI.

3bXXXIV. R. 1599 XXXIII.

R. 1577

A B1

I

non notée -— pas de contrafactum

a

P

W

ADAM DE LA HALLE

28

Tableau II Finales d’incises musicales des chansons



I. IL III. IV. V. VI. VIL VIII. IX. X. XI. XII. XIII. XIV. XV. XVI. XVII. XVIII. XIX. XX. XXL XXII. XXIII. XXIV. XXV. XXVI. XXVII. XXVIII. XXIX. XXX. XXXI. XXXII. XXXIII. XXXIV. XXXV. XXXVI.

Raynaud

1

R. 833 R.1186 R. 248 R. 152 R. 149 R. 148 R.1711

(LA (SOL FA SI RE RE RE FA LA RE FA RE (FA) MI DO SOL SI (RE FA SOL SOL MI RE RE DO LA LA SI RE (FA) DO (MI non DO (SOL (DO

R. 888 R. 1454 R. 612 R.2128 R. 1973 R. 2024 R. 500 R. 1273 R. 1661 R.1018 R. 2025 R. 52 R. 1458 R.2038 R.1060 R.1715 R. 1438 R. 1237 R.1383 R. 632 R. 432 R.1771 R. 1247 R.658/9 R. 336 R. 1577 R. 1599 R. 495 R.1180

2

FA DO FA DO DO DO SOL SOL SOL SOL LA DO RE LA FA DO SOL RE LA FA SOL FA SOL LA LA DO FA RE DO DO SI DO notée LA SI SOL

3

4

FA LA DO SOL FA FA (DO SI DO RE DO RE SOL RE SOL FA SOL LA RE FA LA FA DO RE RE FA LA (MI) FA DO SOL (DO SOL SI RE RE RE FA FA LA FA S.OL FA MI MI (SOL) FA RE FA DO LA ((FA) FA LA SOL SI RE DO (FA) DO FA LA MI DO DO RE DO

FA LA DO

5

LA SOL DO SOL MI MI LA SI LA FA FA MI LA MI DO SOL) DO LA LA SOL SOL DO FA DO DO DO) DO RE LA RE LA DO FA LA RE

6

7

8

9

MI DO (RE) FA DO) SOL RE LA FA SOL RE DO) RE SOL DO RE SI DO RE SI SOL LA FA RE SOL SI FA SOL SI LA (DO) MI SOL MI. FA LA (DO) LA DO RE SI SOL MI SOL RE FA FA) LA (MI RE LA LA MI SOL MI SI RE SOL SOL FA SI FA (SI) (SOL) ) RE SOL RE LA FA MI SOL FA SOL SI SOL SOL FA LA MI SOL SOL MI DO SOL FA (DO) SOL DO FA SOL FA LA DO SI MI DO LA LA LA LA SI DO FA SOL DO FA MI RE DO LA FA DO SI RE DO DO) RE FA SOL

LA LA RE

FA FA) RE

DO)

10

groupe tabl. I

RE)

5

2 RE

6 5a

2 2 4 3a 3a 7b LA

FA

6 4

RE

5 4

FA DO

5 5 3a 3a

LA

7c

FA

7c

FA

7c 3a

1 5

2 10 SOL SOL FA

FA

4 6 6 3a 9 3a 3b 7a 4

Les chansons sont numérotées dans l’ordre de l’édition de Jane H. Marshall-Taylor. Les notes entre parenthèses indiquent l’existence de leçons différentes d’un chansonnier à l’autre. Les ensembles entre parenthèses signalent une divergence mélodique entre deux manuscrits au moins. La colonne de droite renvoie aux dix types principaux de formules strophiques recensées dans le précédent tableau. On notera la prépondérance du schéma mélodique A B A B pour le frons (avec deux pedes) : ensembles 2, 3, 4, 5, 6. Les notes soulignées indiquent que la finale est neumée.

Présentation

29

observé au début de ce chapitre, il est difficile d’admettre la réalité de ces divergences si l’on s’en tient aux règles énoncées par Dante. Trois d’entre elles pourraient néanmoins, sous réserve d’une ou deux incises incompati¬ bles, être considérées comme des erreurs du scribe de la musique (Chansons V et VI et Chanson III). Mais ces erreurs, qui apparaîtraient en cours de strophe, après la diesis, sont cependant suspectes. La Chanson I présente une mélodie particulière dans le ms. V, alors que les autres leçons ne sont que des variantes les unes des autres (A P W W’). Quant à la dernière des cinq, qui se trouve être la Chanson XXXVI et dernière de l’Edition Mars¬ hall, elle présenterait même trois leçons différentes : une semblable avec des erreurs de scribe dans les manuscrits a et Q et deux autres mélodies dans Pet W. La Chanson X, dont il a été mentionné qu’elle faisait appel à un refrain de carole, nous a été transmise en cinq leçons peu différentes, et le refrain est un unicum d’Adam de la Halle. Pour la Chanson XVIII, Ma douce dame et Amours (R. 2025), il est assuré que son succès fut très vif. Nous en connaissons en effet huit leçons et au moins deux contrafacta qui sont des chansons pieuses : R. 1661a, traduction française du Ludus super Anticlaudianum d’Alain de Lille, et R. 1662 de Guillaume de Béthune (Puisque je sui de l'amoureuse loi Que Jhesu...), toutes deux sur la mélodie d’Adam de la Halle. On trouve des responsions (rappels) ou voltes également dans les chan¬ sons du Groupe 2, avec une restriction pour la chanson couronnée II (R. 1186), qui ne présente cette volte que dans le manuscrit O, les sept autres leçons la déplaçant dans le Groupe 3a. L’unicum du manuscrit P ne permet guère de se prononcer quant à la responsion de l’avant-dernière incise : rappel amplifié de B avec ligatures pour compenser le déficit de syllabes. Les mélodies sont notées dans des portées de quatre lignes et avec des clefs d’ut et de fa dont l’éventuel changement n’a pour but que d’éviter l’utilisation de lignes supplémentaires. Les échelles modales utilisées sont celles de fa (15 chansons), d'ut (10 chansons), ré (3 chansons) et la (une chanson). Les repos sur les « bons degrés » du mode, en fin de pes ou avant la diesis, voire à la désinence de chaque incise, orientent la notion de phrase musicale et confortent dans une perspective qui aboutira à la talea des compositions de VArs Nova. Le tableau joint permet de repérer immédiatement les finales de toutes les mélodies d’Adam de la Halle ainsi que leur ambitus19. Les intervalles sont généralement conjoints, avec des exceptions pour les « bons degrés » qui sont d’intonation aisée. La mélodie, sans jamais don¬ ner dans le genre popularisant, reste cependant libre dans son essor et d’un

ADAM DE LA HALLE

30

Tableau III Schémas strophiques des chansons Strophes a 7

b 5’

a 7

b 5’

a 7

C

7

c 7

b 5’

IL

a 10’

b 10

a 10’

b 10

a 10’

b 7

b 7

a 7’

III.

a 7’

b 7

a 7’

b 7

b 4

C

b 7

C

7

a 10

b 10’

a 10

b 10’

b 10’

c 10

C

10

a 8

b 8

a 8

b 8

b 8

c 4’

8’

c 7’

7’

C

C

10

7

I.

IV. V et VI. VII. VIII. IX.

C

C

7

* 4 vers

5

4

b 10’

5

4

b 8

5

4

5

4

7

b 10

b 4

b 10

a 10’

b 10

a 10

b 10’

a 10

b 10’

b 7’

a 10

b 10’

a 10

b 10’

b 10’

C

C

5

7

C

C

7

7

D 4

D 6

C

7

d 7’

d 7’

e 5

b 7

b 10

C

d 7

d 7

d 7

d 5

5

b T

5

b 5

b 7

a 7’

a 7

b 7’

a 7

b 7’

c 5

XII.

a 10

b 10

a 10

b 10

b 5

7

c 7

XIII.

a 10

b 10

a 10

b 10

b 7

c 7’

7’

a 10’

b 10

a 10’

b 10

b 7

c 7’

7’

a 10

b 10

a 10

b 10

b 10

C

C

5’

7’

a 7

a 7

a 10

b 10

a 10

b 10

b 5

c 7

c 7

d 7

d 7

XVII.

a 10’

b 10

a 10’

b 10

a 10’

b 10

b 7

XVIII.

a 7

b 7’

a 7

b 7’

b 7’

c 7

C

XIV. XV. XVI.

C

C

7

C

4

b 7’

a 7’

XI.

b 7

b 7

a 10’

a 7’

X.

6

a 3

5

b 7

C

Envoi

4

4 e 7

d 7’

5

5

5 5

4

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4

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N.B. L’ordre de la colonne gauche suit l’édition de Jane H. Marshall-Taylor. Les lettres romaines indiquent les formules des rimes ; le chiffre arabe indique le nombre de pieds, avec désinence féminine si ce chiffre est suivi de l’indice prime. La troisième colonne indique le nombre de strophes et la quatrième colonne le nombre de vers dans l’envoi : si ce nombre est précédé d’une astérisque, l’envoi est structuré d’après la première partie de la strophe. Autre¬ ment, il adopte le schéma des derniers vers de la strophe.

Présentation

31

Tableau III (suite)

Strophes XIX.

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b 3

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c 7

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XX.

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b 10

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Dans la chanson XXXI, seule la strophe initiale ne présente pas de rime au vers 4. Une modifi¬ cation de l’ordre des vers adoptée par De Coussemaker, a été suivie par Berger, par Wilkins et Van Der Werf. Celui-ci mentionne cette irrégularité dans son apparat critique.

32

ADAM DE LA HALLE

tour original. Même des pièces comme la Chanson XXXI (R. 658), de structure facile, reste d’une intonation recherchée en dépit de son caractère de plainte litanique. La Chanson X, avec le refrain que nous avons évoqué, est typiquement courtoise, mais « boine a baler », avec son clos impératif. Les altérations rencontrées concernent surtout le si bémol et éventuelle¬ ment, 1 efa dièse, l’une et l’autre non systématiques, et dont les indications non rigoureuses laissent indubitablement envisager le principe de la musica ficta. Le si bémol apparaît six fois dans le mode de fa et deux fois dans le mode de sol. Dans la Chanson VIII (R. 888), la leçon du Manuscrit P pro¬ pose le si bémol pour ce mode, alors que W l’ignore au bénéfice du fa dièse. Il y a vocalise ou mélisme lorsque plusieurs notes sont concentrées sur une syllabe. Elles sont alors réunies en un groupe ou ligature, selon la scripta médiévale traditionnelle. La forme de ces ligatures — qui varie fré¬ quemment dans les incises à responsion — ne semble guère avoir de signifi¬ cation mélodique ou rythmique particulière, encore que certains interprètes modernes concentrent sur ces ligatures un potentiel dynamique pas davan¬ tage justifié que l’étirement lourd par lequel les transcrivaient naguère cer¬ tains musicologues20. De même la note pliquée (nota plicata) se mue-t-elle en deux notes distinctes par un intervalle ascendant ou descendant selon le sens de la plique dans une responsion, ce qui ne peut qu’inciter à la plus extrême réserve : on ne saurait donc leur attribuer une quelconque vertu rythmique. Ces groupes de notes conjointes à caractère ornemental consti¬ tuent néanmoins une étape ultime avant la notation mesurée de type modal, telle qu’on la trouvera par exemple dans le Manuscrit 166 Rés. 14 de la Bibliothèque Méjanes d’Aix-en-Provence, qui renferme une leçon du Jeu de Robin et Marion. Ces ligatures varient d’une dizaine à une trentaine de groupes répartis selon la longueur de la strophe. Le diagramme de la Chanson XII (R. 1973), Merci Amours de la douce dolor, dans la leçon du Manuscrit W (cf. diagramme page suivante) permet de relever la présence du climacus (trois notes descendantes), du porrectus, de la clivis. Le torculus est aussi fréquent dans les chansons, bien que n’apparaissant pas ici. Uambitus des chansons est très variable, généralement de l’étendue d’une neuvième, depuis une sensible ou une sous-tonique inférieure jusqu’à la tonique supérieure. Mais la Chanson XIX (R. 52), qui sera examinée spécialement plus loin, exploite un ambitus de onzième, cependant que la mélodie XX (R. 1458), Ki a droit weut Amours servir, ne couvre qu’une sixte mineure. Le registre général est celui d’un ténor (conception non médiévale !), du si 1 au la 3 (exceptionnel) ou, plus généralement, au fa 3.

Présentation

CHANSON

XII

33

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Exemple

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Une très intéressante approche du phénomène « grand chant courtois » par le truchement de diverses pièces d’Adam de la Halle, notamment les chansons XIV (Au repairier de la douce contrée R. 500), XV (Tant me plaist vivre en amour eus dangier R. 1273) et IV (Il ne muet pas de sens chelui kiplaint R. 152) a été opérée par John Stevens. Ce musicologue britan¬ nique constate une relation évidente de ce type de chant profane avec le chant grégorien, ainsi que l’absence de dépendance dans l’imaginaire entre poésie et musique, nonobstant un sens raffiné de l’éthos mélodique. John Stevens conclut : « It is, one might say, the music of a courtly liturgy21 ». Associé à l’immanence de la vassalité amoureuse, force est de reconnaître à quel point le grand chant courtois est donc l’image fidèle du concept amou¬ reux du second âge féodal. Chanson I Mss. A 133, P 211, Q 311, T 226, V 118, W’ 2, W 10, Panthère Suppl. 3, strophe iv. Musique dans A P V W’ W R. 833 et Répertoire métrique M.W. 843, 2 Schéma strophique : 7a 5b’ 7a 5b’ 7a 7c 7c 5b’ 7c 3a Schéma mélodique : ABAB CDEFGH Six coblas unissonans capcaudadas de 10 vers. Le schéma strophique est le même que la Chanson R. 685, A ins ne vi grant hardement de Richart de

ADAM DE LA HALLE

34

CHAN/ON

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Présentation

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36

ADAM DE LA HALLE

Fournival, mais la mélodie diffère. La chanson d’Adam de la Halle est con¬ nue avec deux mélodies différentes : celle du manuscrit V diffère des quatre autres manuscrits qui ne présentent entre eux que des variantes.

I.

4

8

II. 12

16

20 III.

24

28

32

36

D’amourous cuer voel canter Por avoir aïe : N’os autrement reclamer Celi ki m’oblie, Dont ne me porroie oster Comment c’on m’ait assali, Moy voelle ou non a ami, Tant l’ai encierie Et tant m’i sont abieli Li penser. Tant est sage pour blasmer Celui qui folie, Tant biele pour esgarder Ke, cose c’on die, Ne m’en porroit desevrer. Comment metroie en oubli Si grant valor que je di, Male gent haïe Ki a tort m’en volés si Destorner ? Je n’i puis merchi trover : C’est ce qui m’aigrie ; Pour chou le boin espérer Ne perderai mie. Je ne saroie ou torner Car, puis que premiers la vr, M’a tenu le cors joli Li grans baërie Que j’ai d’un resgart en li Recouvrer. Ainchois voit on refuser Celui ki trop prie Ke celui desamonter Ki plus s’umelie. Por che sueffre sans rouver En espoir d’avoir merchi Et bien voel k’il soit ensi -

Présentation

40

44

48

VI. 52

56

60

37

Car a signorie A on maintes fois failli Par haster. Cil me voet bien desnuer De joieuse vie Ki m’enorte a desamer Dame si jolie Et ki tant fait a loer. Mais si voirement li pri C’onkes tex gens ne crei Tant i sai d’envie Qu’ele ait volenté de mi Conforter. Ma chançon voeil présenter Ma dame envoisie : Bien le vaura escouter, Espoirs le m’afie Ki me fait aseürer, Et sa grans valors ausi. De mieudre ains parler n’oÿ Car en cortoisie Sont de li maint enrichi Par anter.

Chanson VII Mss. P 214, Q 312, R 166, T 226, W 5, ( = W’) et 12, a 54. Musique dans P R Q T W W’ a. R. 1711 et Répertoire métrique M.W. 1048 : 8 Schéma strophique : 10a’ 10b 10a’ 10b 7b 7c’ 7c’ 10b 7b Mélodie : A B AB/CDEFG Cinq coblas unissonans de neuf vers plus un envoi de quatre vers (Q seul).

I.

1.

5

On me deffent ke mon cuer pas ne croie, Mais si ferai, car il l’a desiervi : Par lui sui jou en déduit et en joie, Car il a fait Amor venir a mi Par un desirier joli K’il prist en le contenance Et en le douce sanlance

ADAM DE LA HALLE

38

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Présentation

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ADAM DE LA HALLE

40

De l’amoureus viaire de celi Qui jou proi de cuer merchi ! II.

10

15

III.

20

25

IV. 30

35

V.

40

45

Se par mon cuer n’en fuisse mis a voie J’eüse bien ore a joie failli, Mais ne cuid pas que seus espris en soie Et si me doue moût k’ele n’aint aussi ; Jou ne le sai pas de fi, Mais pour oster la doutance Désir, sauve m’esperance, Ke nus ne fust ja mais amés de li, S’en seroient tout onni. De ceste errour aseürés seroie S’un seul resgart d’umelité flouri De ses dous iex en trespassant avoie Ne ja doute n’eüsse eü ensi S’ele m’eüst nis oï Quant jou li dis ma souffrance ; Je ne sai quele cuidance Peüsse avoir quant si dure le vi, Fors chou k’ele eüst ami. He las ! Sa seignorie le desvoie De moi aidier, par mi chou le grassi Avis li est k’en autrui mix s’enploie Et despit a ke j’ai si haut choisi. Toutes voies jou li pri, Par sa très haute vailliance, Ke un poi de souvenance Ait des dolors ke l’autre jor soufri Au point k’ele m’escondi. Douce dame, tenres estre soloie, Mais vous m’avés par souffrir endurchi ; Priés de confort piech’a estre quidoie, Mais quant plus l’ai chacié, plus m’a fui. Vos dous resgars, sans nul si, Me promist bien alegance, Mais vos cuers, par sourcuidanche, Ki por me poverté s’enorgilli, L’en a del tout desmenti ! Au Wyonois d’ounerance Va, canchons, et si t’avance ;

Présentation Aussi a il le mal d’amour senti : Si sara miex ke je di !

Chanson XII Mss. P 217, Q 317, R 152, T 229, W 7 (W’) et 14, Dit de la Panthère 2554-93. Musique dans P Q R W’ W. R. 1973 et Rép. métr. M.W. 1048 : 9. Schéma strophique : 10a 10b 10a 10b 5b 7c 7c 7b 10b Mélodie :ABAB/CDEFG Cinq coblas unissonans de neuf vers.

I.

5

II.

10

15

III. 20

25

Merchi, Amors, de la douce dolor Que vo maistrie au cuer me fait sentir Pour le plus sage et toute le meillor C’ont puist u mont ne amer ne servir ; Ne ja desiervir Jou ne porrai enviers vous Les biaus avantages dous Ke vous me faites venir, En tant sans plus que jou l’aim et désir ! Jou tienc l’espoir, le désir et l’amor A biau déduit, ki s’i set maintenir. Tout soit ensi c’on ne puist par nul tor Ja a l’amor de sa dame venir. Car li souvenir Ki en vienent font courous, Despis, haine et maus tous Laissier, despire et haïr, Et le jovent en joie maintenir. Dame gentix de cuer, noble d’ator, Gente de cors, delitable a veïr, Resplendissans de natural coulor Entor vairs iex, rians a l’entrouvrir, Jou doi bien frémir Et tresbucier au desous Quant en lieu si pressious M’osai d’amer enhardir ! Mais force d’Amors m’i fist enchaïr.

ADAM DE LA HALLE

42

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48

ADAM DE LA HALLE

Les divers tableaux annexes de ce chapitre présentent, dans le corpus général des trente-six chansons d’Adam de la Halle, la morphologie musi¬ cale et littéraire de cette Chanson XIX. Une « auscultation » particulière¬ ment méthodique et qui permet de pénétrer au cœur même de la création poétique de cette chanson courtoise, au cours de laquelle s’exprime la fierté de l’artiste conscient du don que lui a octroyé une bonne fée22, a été entre¬ prise par Paul Zumthor. C’est avec son autorisation que je reproduis ici cette importante étude23. Sur le plan du langage (le seul que nous puissions prendre ici en considération), les sonorités de la chanson XIX ne compor¬ tent aucun éclat. Les rimes (à l’exception de quelques futurs tombant en fin de vers) sont pauvres et communes quoique, dans chaque strophe, un mot-rime constitue une rime bissyllabique avec un mot d’une des strophes suivantes : 1,2 et 11,4 ; 1,5 et III,4 ; 11,1, III,3 et V, 1 ; III,9 et V,8 (a). C’est là le seul trait formel qui établisse un lien de strophe à strophe, lien du reste indépendant de l’ordre des strophes. Identiques dans toutes les strophes, les rimes sont au nombre de quatre, d’où une relative variété, atténuée du fait que trois d’entre elles présentent des timbres apparentés (é, è, wée) : il en résulte un jeu complexe et délicat d’échos assourdis, que prolonge une série de légères alli¬ térations (en 1,6 ; 11,1,3,6,9 ; III,8 ; IV,6 et 8 ; V,3 et 7). Les effets sonores sont à la fois estompés et accumulés : ils conver¬ gent en une sorte de murmure. Celui-ci est cinq fois répété sans que, d’une strophe à l’autre, apparaisse la moindre surprise ; d’où l’impression de parfaite unité phonique que donne cha¬ cune de ces strophes. La discrétion et le léger flottement qui caractérisent ainsi le choix et l’enchaînement des rimes se retrouve dans la forme du vers, de sept, cinq ou trois syllabes, de distribution un peu irré¬ gulière (I, II et V ayant un pentasyllabe au 8e vers ; III et IV un heptasyllabe : distribution attestée par tous les manuscrits) : recherche de l’impair, dont témoigne aussi le nombre des stro¬ phes (cinq, sans envoi) (b) ; mais un impair que le poète a comme inscrit dans un climat général de proportions paires. Cinq strophes de dix vers, soit un total de cinquante ; soixante syllabes par strophes, compte tenu des rimes féminines (un cin¬ quième de l’ensemble, soit une relation de 1 à 4 avec les rimes masculines). Ces considérations numériques n’ont qu’une

(a) Même effet pour les rimes riches, v. Berger op. cit p. 284. (b) Dans les six manuscrits qui nous ont transmis cette chanson ; v. Berger op. cit, p 278 et p. 282.

Présentation

49

importance très secondaire : mais peut-être constituent-elles un procédé d’éclairage de plusieurs aspects de la forme, sur le plan de la pure matérialité sonore : déroulement de la chaîne parlée, phonèmes, syllabes, accents. L’examen de la distribution de ces derniers nous fait passer sur le plan syntaxique, du fait de la prosodie propre de la phrase (c). Je relève les faits essentiels : fin de strophe et fin de phrases coïncident toujours ; mais la fin du vers en revanche ne coïncide pas toujours avec la fin d’un groupe syntaxique rythmique ; on compte douze enjambements, tous situés dans les débuts des strophes, où alternent des vers de 7 et 3 syllabes (d). Il y a donc, ici encore, contraste entre un cadre et ce qu’il embrasse : un noyau instable et dynamique (l’agence¬ ment syntaxique et accentuel de l’énoncé) est enchâssé dans une enveloppe rigide (la strophe, en tant qu’elle forme un tout). Même impression en ce qui concerne l’organisation générale des phrases au sein de chaque strophe : leur répartition (en indé¬ pendantes, principales, subordonnées) et la nature des liens qui attachent leurs parties. La strophe I est formée de deux phrases indépendantes, chacune de structure plus ou moins complexe ; les strophes II et III en comptent chacune trois ; les strophes IV et V, chacune deux. Toutes les strophes diffèrent donc : c’est-àdire que chacune d’elles possède une marque propre et comme une unité incomparable. Mais les différences en cela se ramè¬ nent à de menues discordances dans le battement rythmique, à des variations au sein d’un cercle étroit. C’est de la même manière que les trois premières strophes s’opposent aux deux dernières (e) en ce qu’elles présentent une organisation relativement homogène : de courtes propositions se suivent selon un ordre simple, articulées à l’aide de conjonc¬ tions sans ambiguïté, tandis que, dans les strophes IV et (sur¬ tout) V, une principale de dimensions disproportionnées se pro¬ longe en une cascade de relatives ou complétives au dessin beau¬ coup moins net. A cette nuance près, les outils de liaison

(c) L’examen comparé de la structure du vers et de la prosodie syntaxique constitue une étape de l’analyse : c’est le moment où, dans cette progression du phonique pur au thémati¬ que, apparaissent les premiers effets explicites de sens. Sur l’utilité que peut présenter ce point de vue dans l’ordre historique, je renvoie à ma communication du Xe Congrès de Linguistique et philologie romanes, Actes, Paris, 1965, p. 769-774. (d) C’est ainsi que toutes les strophes commencent par une ou deux unités syntaxiques débordant le cadre du vers : I, 1-2 et 3-4 ; II, 1-2-3 ; III, 1-2 et 3-4 ; IV, (l)-2-3 et 4-5 ; V, 1-2-3-4. (e) Opposition qu’on retrouve au niveau thématique, v. ci-dessous. Il est clair que l’organi¬ sation des phrases touche de très près au sens du poème.

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ADAM DE LA HALLE

employés par le poète dans la constitution de ses phrases pré¬ sentent un caractère commun : ils projettent, par voie de coor¬ dination plus que de subordination, les relations sur un plan sans profondeur : tout est addition (et, si), opposition simple (mais), causalité (car), chronologie (cant). Le seul rapport interne qui s’exprime est conditionnel (se). L’ensemble du dis¬ cours qu’est la chanson offre ainsi (du moins à ce niveau de l’analyse) un aspect descriptif ; les faits y apparaissent dépour¬ vus d’intériorité ; leur articulation, comme extrinsèque. C’est sur ce fond que se détachent deux couches de faits lin¬ guistiques dont la valeur expressive est capitale : d’une part, les modalités verbales, sur lesquelles je n’insiste pas (0 ; d’autre part, l’usage des « personnes ». Sur un total de 60 verbes, 42 sont à la première personne (g) : dans les trois premières stro¬ phes, leur régime, s’ils en ont un, est à la troisième personne ; aux strophes IV et V apparaît la deuxième : on observe ainsi une sorte de glissement, d’un discours où le je prédomine abso¬ lument et seul s’épanouit en actions diverses, à une timide amorce de dialogue (entre IV,7 et V,7) qu’interrompt l’excla¬ mation finale. Inversement, on ne relève que quatre me, moi régimes, dont un seul dépend d’un verbe à la deuxième per¬ sonne : ce dernier apparaît en V,7, juste avant la chute de la chanson, emplacement significatif car c’est au moment où, ainsi, un véritable échange s’établit enfin entre les personnes que le poème y coupe brutalement court. Ce monde « person¬ nel », pour être moins rigoureusement fermé que celui de telle chanson de Thibaut de Champagne, n’en appartient pas moins au même genre (h).

La mélodie de la Chanson XIX Le Tableau I permet de constater que nous sommes en présence de la forme la plus élargie, dans la norme courtoise, parmi les chansons d’Adam de la Halle : un frons de deux pedes, avec un ouvert (AB) et un clos (AC),

(f) Je les ai sommairement analysées dans Langue et technique poétiques, p. 133 (c/. Bibl. n° 50). (g) Je prends pour critère le sens plutôt que la forme : par exemple, dans ne chesserai d’esperer (II, 1-2), je considère que les deux verbes ont un sujet à la première personne. Les 18 autres verbes de la chanson se répartissent en : 6 avec sujet à la deuxième personne, et 12 à la troisième. (h) On peut appliquer à cette chanson d’Adam les remarques de mon article des Mélanges Siciliano, p. 1230-1232. Fin des notes et de l’article de Paul Zumthor. Pour les Mélanges Italo Siciliano cf. Bibl n° 51.

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suivi d’une longue cauda composée de cinq incises sans responsion, c’est-àdire différentes les unes des autres. Le Tableau II offre, en parallèle avec les autres chansons, l’infrastruc¬ ture modale de cette mélodie qui est en mode de la, avec des assises solides en même temps que senties, sur les diverses finales. Le Tableau IV indique précisément que cette Chanson XIX présente le plus large ambitus parmi tout le corpus : une onzième juste, de Y ut 2 au fa 3. Elle requiert une voix d’homme très souple, le registre d’un ténor grave dans la terminologie actuelle, voire d’un baryton. Comment se greffe cette mélodie sur le texte poétique si bien pénétré par Paul Zumthor dans son analyse ? En premier lieu, on note l’équivoque voulue qui fait osciller le chant entre le mode de la et le protus authente ré, son « relatif ». L’apparition du si bémol dans l’incise terminale entraîne une cadence en mode de mi trans¬ posé, le « surmineur ». Cette altération, qui infléchit de façon assez romantique la cadence terminale, n’apparaît pas dans les autres manuscrits (R a Q P) et ne pourrait être en l’occurrence que tolérée dans le cadre de la mus ica ficta. Le frons s’ouvre avec l’incise A sur une intonation magnifiquement affirmée de la dominante supérieure ré, avec une inflexion sur la tonique suivie d’un nouvel élan vers la dominante supérieure. Cette inflexion ini¬ tiale est d’une parfaite solidité dans le cadre du mode, avec le passage par do, combien plus assuré que le passage possible par le second degré (ré si la). C’est par un mélisme que se fait la remontée mélodique mais ici, la dominante n’a plus qu’un rôle de broderie, et l’appui sera sur le do suivant, note pliquée, avec mouvement conjoint jusqu’à la tonique, ornée dans W ou mieux, enchâssée dans un mélisme (si la sol la) qui s’infléchit sur le fa grave à la fin du premier vers, et rebondissement vers la tonique au cours du bref vers 2. L’ossature mélodique est donc parfaitement étayée sur la proposition initiale : Merveille est (dominante aiguë-tonique), mélisme ascendant sur quel, mélisme anticipé de façon très plausible sur le verbe est dans la leçon de P. Ce qui est moins élégant dans ce manuscrit, c’est Tassez plate descente par mouvement descendant uniformément conjoint sur Quel talent avec plique inférieure sur quel, coulé de liaison sur la syllabe initiale de talent, dont la seconde syllabe anticipe fâcheusement le fa, beaucoup moins banal lorsqu’il apparaît (dans toutes les autres leçons) sur la rime masculine, lui conférant une certaine douceur, même dans R, où la des¬ cente mélodique est aussi uniforme. Mais les leçons de a et Q sont, ô com¬ bien, plus séduisantes, avec la légère hésitation occasionnée par la remon¬ tée à la tonique. Cette hésitation est traduite par une plique dans le manus¬ crit W. Ainsi, toutes les syllabes des mots Quel talent sont mises en valeur

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par un triple mélisme à l’exception de la leçon de W, où les première et der¬ nière syllabes portent une vocalise. Tout cet ensemble mélodique coule conjointement, ou quasi conjointe¬ ment, mais capricieusement, donnant une illusion de mode de ré avec ses appuis sur les notes « cardinales » aux première, troisième et septième syllabes, et le magnifique ressort du vers 2, qui repart de cette fausse mais douce médiante jusqu’à la tonique la, ceci sur les mots : de chanter. Les manuscrits a Q et P offrent l’hésitation raffinée d’une plique descendante sur la première syllabe. Les cinq leçons s’accordent sur le « podatus » de la syllabe initiale de chanter, qui met le mot particulièrement en valeur. Des considérations semblables peuvent être faites à l’examen du pes suivant dont l’incise initiale, qui est une reprise de A, présente l’affirmation mélo¬ dique sur Car je me, le mélisme potentiel remontant à la tonique sur puis et un élargissement pliqué suivi d’un coulé de liaison, ou d’un « porrectus » plus original sur ne ne, puis retombée au fa sur le verbe sai. L’incise sui¬ vante présente une formule de clos, avec mélisme ascendant de deux notes sur tant, et « modulation » affirmée par la nouvelle tonique ré précédée d’un mélisme de trois notes descendantes sol fa mi sur le mot penser. Voici donc cerné le chef de notre blason mélodique, avec une double incise au caractère altier sans emphase, sur laquelle on remarque avec quelle aisance se greffe le frons des strophes suivantes. Il faut ouvrir ici une parenthèse : force est de constater que la symbiose mot /son est d’une esthétique raffinée qui met mal à l’aise qui opte pour tel ou tei plan d’étude, littéraire ou musical, tant notre manie du cloisonne¬ ment est devenue atavique. D’une manière, le concept bivalent poésie/musique échappe à l’auditeur. Pour lui doivent exister deux niveaux d’appréciation qui varient selon la nature même du créateur-poète au sens original. Les vidas laissent déjà entendre que certains troubadours étaient plus aptes que d’autres à faire « bons sons e paubres motz » et viceversa"4. Reconnaissant l’honnêteté scrupuleuse avec laquelle certains d’entre eux — Gustave Cohen, Eugène Vinaver par exemple parmi les dis¬ parus — accèdent à cette constatation d’un phénomène de bipolarité dans l’unité créatrice ~5, il faut admettre que pour un littéraire soucieux de la musique verbale, du « jeu subtil » des sonorités parlées ou murmurées, il y a gêne, voire incompatibilité à entendre, traversé par ce souffle de nouvelle dimension qu’est la musique, un texte aimé. On a vu la ferveur avec laquelle Paul Zumthor présente cette poésie, et la juste importance qu’il accorde à l’organisation grammaticale, syntaxique, aux jeux des allitéra¬ tions... Et voici que tout semble remis en cause. Le frons de cette Chanson XIX offre une double proposition cohérente, achevée par une cadence, cependant que la phrase littéraire initiale ne prend véritablement fin que

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deux vers plus loin, avec le vers 6. Pour le musicien de courte vue, il ne fait pas de doute que l’incise C du frons constitue une fin en soi, une cadence de clos, ce qui est parfaitement inexact. Oblitéré par son atavisme harmoni¬ que, par sa théorie rigoureuse à peine étendue, en dépit d’un siècle au moins de coups de boutoir — de Dom Joseph Pothier ou Gabriel Fauré à nos jours en passant par Olivier Messiaen — à seulement un ou deux modes anciens, l’instinct de ce musicien l’entraînera à considérer ce frons comme étant en mode de ré caractérisé, avec les appuis sur « l’accord parfait des¬ cendant » ré-la-fa-ré, alors qu’il s’agit au sens étymologique, d’une modu¬ lation au protus authente, avec véritable cadence sur la tonique principale deux vers après la diesis, c’est-à-dire sur le la qui est à la rime. La quasiresponsion, ou si l’on préfère, l’imitation mélodique entre les incises A et F (vers 1 et 7) est bien la preuve d’un nouveau départ mélodique. Cette trou¬ vaille peut-être qualifiée de géniale : à l’admiration émerveillée du talent qui demeure intact, répond le cri de révolte. Après la « mise en voix », la préparation du mélisme central de l’incise E (vers 6), ce cri de révolte atteint, dès le départ de l’incise F la limite aiguë de l’ambitus (fa 2). Puis c’est une magnifique retombée sur ce qu’on n’a pas le droit de nommer un « déploiement d’harmonie », avec un mélisme expressif sur le verbe avoir (On a) et la sensation désagréable, mais voulue provoquée par l’intervalle de triton (plus précisément son renversement, la quinte diminuée fa-sï) entre la première et la quatrième syllabe, sur le mot-clef fausser. Je dis bien « voulue », car malgré la complaisance du scribe de W à faire appel plus loin à un bémol pour la note si, tous les manuscrits s’accordent, dans le présent cas, sur le si naturel, qui est donc sans équivoque. L’ascension mélodique de sixte de l’incise G (vers 8) est une « imitation contraire » de la désinence de l’incise D (vers 6) : de moi merchi trouve donc son reflet mélodique inversé dans Mais anchois morroie. Ce mouvement ascendant s’infléchit un instant sur la note-pivot la, tonique et dominante à la fois, mettant en relief morroie, que la mélodie semble hésiter à exhaler. Expres¬ sif encore le beau double mélisme sur la syllabe initiale de morroie et sur le e terminal, dont le son assourdi prend un relief mélodique et textuel saisis¬ sant, avec la clef de voûte sur l’accent tonique, la note do. A noter encore l’élégant écho, telle une rime mélodique, entre les incises F et H (vers 7 et 9). La clausule s’élance du seuil inférieur de l’ambitus, ce do 2 qui est la sous-tonique du mode « relatif ». Elan de sixte majeure ascendante avec tremplin sur le mélisme fa-sol (verbe avoir) et conclusion sur la tonique la 2, trois fois répétée, mais avec un mélisme central en forme de broderie mettant en valeur le mot menti. Le si bémol du seul manuscrit W est un emprunt cadentiel au mode de mi. Le si naturel rend moins plaintif cet énoncé du terme honni qu’est le verbe mentir pour ce chantre de l’amour

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courtois qu’est Adam de la Halle. Mais ce si naturel, dans les leçons des manuscrits R a Q P a certes plus d’assurance dans le refus, plus de virilité. Voilà ce que, sans tomber dans le travers dénoncé avec humour par Erik Satie26 le musicien peut offrir comme constatations à l’examen de cette mélodie. On y pourrait ajouter d’autres observations tant est riche cette immatérialité sonore que le graphisme a figé sur le folio manuscrit. Mais il lui faut filtrer maintenant à travers une personnalité, celle de l’interprète. Ceci est une autre histoire dans laquelle de multiples facteurs interviennent, rendus plus cruciaux aujourd’hui qu’à l’époque de leur création27 à cause de la rupture de la tradition et l’accumulation au cours des siècles de strates techniques et concepts esthétiques divers et souvent opposés28.

Chanson XXXVI Mss. P 227, Q 315, T 232, W 20, a 126. Musique dans P Q W a. R. 1180 et Rép. métr. M.W. 645 : 1 Schéma strophique : 8a’ 8b 8a’ 8b 8a’ 8a’ 8b 10b 10a’ Mélodie : ABAB/CDEFG Cinq coblas unissonans e capcaudadas de neuf vers. Chanson pieuse dite « cant ».

I.

5

II.

10

15

Glorieuse Virge Marie Puis que vos services m’est biax Et je vous ai encoragie Fais en sera uns cans nouviaus De moi, ki cant com chius ki prie, De ses faus erremens aïe ; Car cier comperai mes aviaus Quant de jugier sera fais li apiaus, Se d’argumens n’estes pour moi garnie... Ja n’ara nus talent k’il rie Ne s’aseürt li jouvenciaus K’innorance n’escuse mie Les pechiés c’on fait es reviaus : Cascuns i mostera sa vie. He ! Gentius dame aseignourie, Soiiés couvreture et mantiaus De moi, qui sui tant a mesfaire isniaus, Ke j’ai pour vanité m’ame engagie !

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20

25

30

35

40

45

Douce dame en gloire essaucie, De douçour fontaine et ruissiaus, Roïne de roial lignie Bien vos doit sousvenir de chiaus Dont vous devés estre servie, Ke l’anemis par trecerie Ne soit d’aus sire et damoisiaus, K’il a pluisors envenimés quariaus Dont vostre gent pour traire a mort espie. L’orgueil a ja traitié clergie, Et Jacobins de bons morciaus, Car en aus resne gloutrenie. Mais ceus espargne de Cistiaus ! Moines, abbés a trait d’envie Et chevaliers de roberie ! Perdre nous cuide par monciaus : Encore a fait el, li mauvais oisiaus, Car de luxure a toute gent plaie. Proiiés vo doue Fil k’Il ralie Comme bons paistres, ses aigniaus : Pour vous en fera grant partie, Car de Lui fustes nés vaissiaus. De ceus qui vous ont courecie Ki dolant sunt de lor folie, Doit estre vostres li fardiaus Soiiés lor dont fermetés et castiaus Quant anemis fait sor eus s’envaïe !

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Tableau V Index des chansons (ordre alphabétique des incipit)

Amours m’ont si doucement (R. 658 = 659) Chanson dialoguée 3 coblas un iss. cape, de 10 vers. Amours me wet oïr (R. 1438) « Cant » 5 coblas uniss. de 8 vers. Au repairier de la douce contrée (R. 500) « Canchon » 5 coblas uniss. de 8 vers. Dame, vos hom vous estrine (R. 1383) « Canchon » 5 coblas uniss. cape, de 9 vers. D’amourous cuer voel canter (R. 833) « Canchon » 6 coblas uniss. cape, de 10 vers. De canter ai volenté curieuse (R. 1018) « Canchon » 5 coblas tern. cape. / dobl. cape, de 8 vers et envoi 1-4. De cuer pensiu ey désirant (R. 336) « Canchon » 5 coblas uniss. cape, de 8 vers et envoi 1-4. De tant com plus aproche mon pais (R. 1577) Chanson (portées sans notes) 2 coblas uniss. de 12 vers. Dous est li maus ki met la gent en voie (R. 1771) « Cant, canchon » 5 coblas uniss. de 11 vers et envoi 1-4. Glorieuse Virge Marie (R. 1180) « Cant » (chanson mariale) 5 coblas uniss. cape, de 9 vers. Grant déduit a et savoureuse vie (R. 1237) Chanson 5 coblas uniss. de 8 vers. He ! las, il n’est mais nus ki aint (R. 149) Chanson 5 coblas uniss. de 8 vers. He ! las, il n’est mais nus ki n’aint (R. 148) Chanson 5 coblas uniss. de 8 vers.

XXXI

XXIV

XIV

XXVI

I

XVII

XXXII

XXXIII

XXIX

XXXVI

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V

VI

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Il ne muet pas de sens chelui ki plaint (R. 152) Chanson 5 coblas uniss. de 8 vers.

IV

Je ne cant pas reveleu de merchi (R. 1060) Chanson 5 coblas uniss. de 9 vers et envoi 1-4 (début de strophe).

XXII

Jou n’ay autre retenanche (R. 248) « Cant » 5 coblas uniss. capf. (IV-V) de 11 vers et envoi 1-4.

III

Jou sens en moy l’amor renouveler (R. 888) « Cant » 5 coblas uniss. de 8 vers.

VIII

Ki a droit weut Amours servir (R. 1458) « Cant » 6 coblas uniss. de 9 vers.

XX

Ki a pucele u dame amée (R. 495) Chanson pieuse 5 coblas uniss. de 8 vers et envoi 1-4.

XXXV

Li dous maus me renouviele (R. 612) Chanson entée 4 coblas uniss. de 9 vers (avec refrain).

X

Li jolis maus ke jou senc ne doit mie (R. 1186) Chanson 5 coblas uniss. cape, de 8 vers et envoi 1-4 (début strophe).

II

Li maus d’Amors me plaist « Cant » 5 coblas uniss. de 8 vers Ma douce dame et Amours Chanson 5 coblas uniss. de 8 vers

mix a sentir (R. 1454) et envoi 1-4. (R. 2025)

IX

et envoi 1-4.

XVIII

Merchi, Amours, de la douce doulour (R. 1973) Chanson 5 coblas uniss. de 9 vers. Merveille est quel talent j’ai (R. 52) « Canchon » 5 coblas uniss. de 10 vers. Moût plus se paine Amors de moi esprendre (R. 632) Chanson 5 coblas uniss. de 9 vers et envoi 1-5. On demande moût souvent k’est Amors (R. 2024) « Canchon » 5 coblas uniss. de 10 vers et envoi 1-4.

XII

XIX

XXVII

XIII

62

ADAM DE LA HALLE

Onkes nus hom ne fu pris (R. 1599) Chanson 5 coblas uniss. de 8 vers. On me deffent ke mon cuer pas ne croie (R. 1711) « Canchon » 5 coblas uniss. de 9 vers et envoi 1-4. Or voi jou bien k’il souvient (R. 1247) Chanson 5 coblas uniss. de 8 vers et envoi 1-4. Pour chou, se jou n’ai esté (R. 432) Chanson 3 coblas uniss. de 11 vers. Pour koy se plaint d’Amour nus ? (R. 2128) « Canchon » 5 coblas uniss. de 11 vers et envoi 1-5. Puis ke je sui de l’amourouse loi (R. 1661) « Chant » 5 coblas uniss. de 10 vers et envoi 1-4. Sans espoir d’avoir secours (R. 2038) « Cant » 5 coblas uniss. de 10 vers. Se li maus k’Amors envoie (R. 1715) « Cant » 6 coblas uniss. de 8 vers et envoi 2,4-4 (Le même schéma de rimes, avec des rimes différentes, se trouve dans deux poésies de langue d’oc, Frank R.M.585, sans notation musicale) . Tant me plaist vivre en amoureus dangier (R. 1273) « Canchon » 5 coblas uniss. de 10 vers et envoi 1-4.

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XI

XVI

XXI

XXIII

XV

Tableau V : les chiffres romains correspondent au classement de R. Berger et de Jane H. Marshall (cf. Tableau VI). Les références au Catalogue de Raynaud sont entre parenthèses après l’incipit (R. suivi d’un chiffre arabe). Le type de chanson est indiqué sous le vers initial ; l’éventuelle rubrique ou désignation de la pièce dans le texte est entre guillemets. Les abréviations correspondent aux commentaires des généralités de ce même chapitre.

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Tableau VI — Concordances BERGER J.H. MARSHALL Cette étude

DE COUSSEMAKER Fabienne GÉGOU N. WILKINS

I II III IV V VI VII VIII IX X XI XII XIII XIV XV XVI XVII XVIII XIX XX XXI XXII XXIII XXIV XXV XXVI XXVII XXVIII XXIX XXX XXXI XXXII XXXIII XXXIV XXXV XXXVI

I II III IV V VI VII VIII IX X XI XII XIII XIV XXII XXVII XVI XVII XIX XVIII XX XXI XXIX XXXI XXXV 1 XXIII XXIV XXV XXX XXVI XV XXXII XXXIII XXXVI 1 XXXIV XXVIII

1. Omises par De Coussemaker.

RAYNAUD (SPANKE)

833 1186 248 152 149 148 1711 888 1454 612 2128 1973 2024 500 1273 1661 1018 2025 52 1458 2038 1060 1715 1438 1237 1383 632 432 1771 1247 658 = 659 336 1577 1599 495 1180

MOLK & WOLFZETTEL

843,2 776,12 1028,1 1045,5 1045,30 1045,29 1048,8 1045,23 1045,22 1342,5 1236,3 1048,9 1083,4 1079,34 1038,1 1083,6 776,11 1045,37 1083,14 1301,1 1233,36 1342,3 1435,1 1045,41 1209,45 1359,1 1048,5 1078,1 867,1 1045,44 8,1 1335,3 1084,1 1209,87 1303,4 645,1

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ADAM DE LA HALLE

C’est à Paul Zumthor que je me permets, une fois encore, d’emprunter une conclusion pour ce chapitre consacré aux Chansons courtoises d’Adam de la Halle : « Vers 1260, une chanson courtoise de forme traditionnelle plonge, par toutes les racines de l’art poétique dont elle est l’illustration, dans un monde lyrique organisé selon la “musi¬ que”, au sens fort et quasi cosmique que donnait à ce mot la tradition augustinienne ; un monde où la musique possédait comme une transcendance, n’était pas “immanente à des signes” (a), mais constituait la source d’où ceux-ci tiraient leur signification. L’accord entre musique et poésie est d’ordre géné¬ tique, provenant d’une source spirituelle commune. Plus tard, cet accord sera d’ordre final : il marquera le terme d’un dessein d’artiste harmonisant la “musique naturelle” des rythmes lin¬ guistiques à la “musique artificielle” des instruments et des voix. A l’époque d’Adam, on n’en est pas encore là ; du moins la coexistence, dans l’œuvre du poète, des chansons, rondeaux et motets d’une part, du Congé de l’autre, témoigne-t-elle d’une rupture en ce qui concerne l’usage et la finalité des mélodies. En dissociant la poésie “personnelle” (b) en poésie musicale et non-musicale, le xm* siècle (c) préparera la grande transforma¬ tion qui, au xiv% affectera la première : mais cette transforma¬ tion n’a pas encore eu lieu, et la poésie musicale, vers 12501280, relève encore de l’art des trouvères29. »

(a) Cf. Poirion op. cit. (Bibl. n° 190) p. 313-314 ; et R. Dragonetti, dans Fin du Moyen Age et Renaissance (Mélanges Guiette), Anvers, 1961, p. 51-61. Ces auteurs envisagent une époque où, par rapport au XIIIe siècle, l’opposition en question s’est accusée et ses consé¬ quences apparaissent avec une plus grande netteté. Les faits qu’ils décrivent éclairent rétros¬ pectivement la situation antérieure : v. en particulier Dragonetti, p. 55-56. (a-b) R. Dragonetti dans Fin du Moyen Age et Renaissance (Mélanges Guiette), Anvers, 1961, p. 51-61. (Pour cette étude déjà signalée par Paul Zumthor, la référence est particulière ici à la page 52.) (b) Je préfère ce mot à « lyrisme » pour désigner toute espèce de poésie (à l’exception du théâtre) caractérisée par l’usage prédominant de la première et de la deuxième personnes. (c) En fait, en ce qui concerne la poésie de langue française, l’époque qui s’étend entre 1180 et 1300 environ.

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NOTES

1.

Dante,

De vulgari eloquentia Il.iii. - cf. Bibl. n° 8 et n° 41.

2. Ibid. II,x. - A noter que si la canso englobe l’entité poétique et mélodique, Dante désigne la strophe par le mot Stantia, notamment la strophe initiale, c’est parce l’attention est retenue sur Yars et l’ingéniosité qui se concentrent en elle. 3. Cf. Roger Dragonetti, Bibl. n° 10 et Philippe Ménard, Bibl. n° 34. 4. Cf. Ursula Aarburg, Bibl. n° 80. 5. François d’AssiSE, Vitaprima 16,.F/tasecunda 127, Legenda major 11,5. Cf. Bibl. n° 18. 6. Cf. Ursula Aarburg, Bibl. n° 80, Istvan Frank et Wendelin Muller-Blattau, Bibl n° 19. 7. Cf. Pierre Bec, Bibl. n° 1. 8. Cf. Molk et Wolfzettel, Bibl. n° 71. 9. Cf. chapitre Refrains. 10. Editions cf. R. Berger (Bibl. n° 161), De Coussemaker (Bibl. n° 168), Nigel Wilkins (Bibl. n° 200), Fabienne Gégou (Bibl. n° 173), Hendrik Van Der Werf (Bibl. n° 155, II 483-682). La présente étude se réfère à l’édition de Jane H.-M. Marshall-Taylor (Bibl. n° 185). 11. Cf. C.-T. Gossen Bibl. n° 57. 12. Cf. Edmond Faral, Bibl. n° 14. 13. Roger Dragonetti, Bibl. n° 10. 14. Ce Service des Dames (Frauendienst) est précisément le titre d’une œuvre composite et passionnante du Minnesânger Ulrich von Lichtenstein, écrite vers 1255. 15. Cf. Tableau III. 16. Pour une étude détaillée de la chanson et de ses topiques, cf. notamment Dragonetti (Bibl. n° 10), Pierre Bec (Bibl. n° 1), Faral (Bibl. n° 14). Les chansons couronnées au Puy d’Arras sont vraisemblablement les chansons I, II, IX, XII, XIX, XX, XXX, XXXVI de l’Edition de Jane H. Marshall-Taylor. Cela représente le tiers des pièces, ce qui est remarquable. 17. H.-A. Todd, éd. de Nicolas de Margival, cf. Bibl. n° 46. 18. Voir le chapitre consacré aux Rondets de caroles. 19. Pour une comparaison avec d’autres trouvères, cf. Ian Parker, Bibl. n° 132. 20. Par exemple Friedrich Gennrich, entre autres dans Der musikalische Nachlass der Trou¬ badours, 3 vol. Darmstadt - Langen (1958/1960/1965). 21. John Stevens, Bibl. n° 195. 22. La fée Arsile, au vers 665 du Jeu de la Feuillée. 23. Paul Zumthor, Entre deux esthétiques : Adam de la Halle, dans Mélanges Jean Frappier (cf. Bibl. n° 202). L’auteur, professeur à l’université de Montréal, présente entre autres au long de ce travail, une comparaison entre un type de poésie musicale (la chanson) et un type non musical (le congé). Au cours de cette citation, les notes originales de Paul Zum¬ thor seront reprises ici avec des lettres minuscules, au lieu des chiffres arabes tradition¬ nels, la note (a) correspondant à la note (12) de l’article original. Dans cet article, l’auteur fait référence à l’édition ancienne des Chansons d’Adam de la Halle par Rudolf Berger (notre Bibl. n° 161), dont le classement des chansons a été repris par Jane H. MarshallTaylor. 24. Jean Boutiere et collaborateurs, cf. Bibl. n° 5. 25. Jean Maillard, cf. Bibl. n° 127. 26. Erik Satie, cf. Bibl. n° 145. 27. Jean Maillard, cf. Bibl. n° 126.

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28. Julien Skowron, Bibl. n° 148. 29. J’exprime mes vifs remerciements à M. Paul Zumthor pour l’autorisation qu’il a bien voulu m’accorder, ainsi que l’Editeur des Mélanges Jean Frappier (Bibl. n° 202) de publier ces longs extraits de son étude Entre deux esthétiques : Adam de la Halle. J’ajoute aux notes de Paul Zumthor, les éventuels renvois à la bibliographie du présent ouvrage.

IV

Les jeux-partis Connu également sous la désignation de parture ou celle plus vague, de débat, dont il n’est en fait qu’un aspect, le jeu-parti a connu une audience considérable dans la France d’oïl et tout particulièrement dans la zone d’influence littéraire importante du Puy d’Arras. Héritier du conflictus de la tradition scolastique ou du répertoire goliardique, le jeu-parti s’inscrit donc dans une lignée qui puise aux sources clas¬ siques de la rhétorique, par exemple chez Théocrite (Idylles III et IV) ou Virgile (Eglogue III). Cet héritage est divers, le jeu-parti offrant, en ce qui concerne son texte poétique, des divergences conceptuelles assez notables avec la tenso provençale. Comme elle, il appartient au genre de la poésie lyrique, ou plutôt de la poésie personnelle dialoguée. Mais alors que la tenso est un débat au déroulement libre, le jeu-parti, comme le partimen (on dit plus rarement joc-partit) des troubadours est proposé par un poète à un partenaire sous forme d’un thème à controverse traitant généralement de casuistique amoureuse. C’est de là qu’est né le concept erroné de cours d’amour animées par de « gentes dames », Moyen Age de pacotille qu’ont cautionné des André le Chapelain et Jehan de Nostredame. L’équivalent germanique est une variété de Spruch : le « jeu partagé » ou Geteiltez Spîl des Minnesanger. Parmi les maîtres de ces genres dialogués, on relève les noms de Bernard de Ventadour, Aimeric de Peguilhan, Guiraut Riquier, Raimbaut de Vaqueiras, Lanfranc Cigala etc. chez les troubadours. Les partures françaises sont signées notamment du Roi de Navarre (Thibaut de Champagne), Jehan Bretel, Jehan de Grivelier, Guillaume le Vinier, Jehan Cuvelier, Perrin d’Angicourt ou Adam de la Halle. Chez les Minnesanger, on peut retenir les noms d’Hartmann von Aue, de Reinmar von Brennenberg, ou le triumvirat constitué par Frauenlob, Regenbogen et Rumeland, qui débat sur la dualité Femme et Dame (wîp et frouwe). Ce genre survit dans certaines traditions populaires (Corse, Sicile, Andalousie, Portugal notamment pour l’Europe). La parture ou jeu-parti de langue d’oïl est généralement constituée de six

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strophes suivies de deux envois. Ces strophes ont la structure des coblas de grands chants courtois (cf. chapitre précédent) avec un frons suivi d’une cauda d’ampleur variable. La majeure partie de ces structures s’articule en un frons de deux pedes à responsions du type : A B A B x ou A B B A x

(77%) (17%)

ou des variantes diverses (6%). La morphologie poétique est celle de coblas unissonans (91 %), coblas doblas (7%) et coblas singulars (2%). La mélodie répond aux mêmes exigences, et sa structure est générale¬ ment : A B A B x (70%) A B C D ... (ode continue) 26%) avec des variantes possibles (4%). La première de ces structures mélodi¬ ques offre souvent de menues variantes dans la responsion, du genre ouvert et clos (38%). Ces chiffres ont été relevés dans les études minutieuses con¬ sacrées aux jeux-partis français par Michelle F. Stewart30. Sur les 182 jeuxpartis qui nous sont parvenus, 105 sont dotés d’une notation musicale, par¬ fois en plusieurs leçons. Soit un ensemble de quelques 153 mélodies dont 54 sont des unica. Elles se trouvent notamment dans les Chansonniers a A Z M K X W O. Ces mélodies ne sont — en principe — pas originales et empruntent leur timbre à une chanson, dont le texte poétique est également sollicité, au moins pour la sonorité des rimes. Par le jeu des schémas similaires, Michelle F. Stewart estime à 207 le nombre de mélodies concernées. En ce qui regarde ces emprunts de mélodies, Biancamaria Brumana Pascale sug¬ gère que si le grand chant courtois exige une mélodie originale et noble, le jeu-parti ne requiert pas la même originalité musicale, car « il n’exprime pas les sentiments, mais les idées du poète », ce qui explique le nombre important de contrafacta dans ce répertoire31. Toutes les observations faites à propos de la mélodie des chansons peu¬ vent en l’occurrence être reprises : il ne s’agit pas d’une forme spécifique, mais simplement d’un genre poétique à pertinence lyrique. Littérairement, ce genre possède donc sa morphologie de référence indi¬ quée précédemment. Il y faut ajouter la particularité du dialogue entre deux trouvères, l’un proposant son sujet de controverse, l’autre devant défendre la position contraire à celle du questionneur, mais en utilisant le même schéma strophique et la même mélodie. Ainsi, en dépit de la séduc¬ tion offerte par l’idée d’un débat poétique improvisé faut-il sans doute admettre que ces partures étaient préparées, et données en guise de divertis-

Les jeux-partis

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sement rhétorique lors des assises du Puy d’Arras, ou dans le cadre testai de quelque haute Cour du Comte d’Artois ou d’une réception chez un riche bourgeois comme Jehan Bretel, amateur averti de jeux-partis. Les parte¬ naires désignaient ensuite des juges auxquels chacun adressait un envoi. Arthur Langfors éditeur du Recueil général des jeux-partis français32 pense que les juges sollicités n’ont pas toujours prononcé une sentence réelle : « C’était plutôt, écrit-il, une manière d’hommage rendu à des personnages de marque. »

Les jeux-partis d’Adam de la Halle33 Maître Adam a participé à dix-huit jeux-partis. Il n’est questionneur que dans trois d’entre eux ce qui laisse à penser que ses concitoyens avaient grande estime pour son habileté à faire face à une situation inattendue. Plusieurs partenaires vantent d’ailleurs son intelligence et sa vivacité d’esprit, notamment Jehan Bretel, que notre trouvère ne se prive pas de brocarder sans apparente considération pour ses titres : mais le ton des piè¬ ces prouve qu’il s’agit là de joutes oratoires amicales, même entre poètes de générations différentes. Plusieurs de ces jeux sont d’une structure différente du prototype indi¬ qué : le X n’a qu’un seul envoi, le XI, écarté par Langfors dans son édi¬ tion, comporte vingt strophes de huit vers. On y trouve la technique d'amplification d’une structure donnée, qui est l’un des aspects caractéris¬ tiques de l’art d’Adam de la Halle. De même, en moins ample, le XII com¬ porte cinq strophes de 7 vers, le XV, huit strophes de 8 vers. Les numéros XVI et XVIII ne comportent qu’un seul envoi. Dans l’inventaire qui suit, l’ordre adopté est celui de l’édition de De Coussemaker34, c’est-à-dire l’ordre du Manuscrit W dans lequel manquent les jeux-partis XVII et XVIII qui sont des unica du Manuscrit Q. Les sujets de disputatio sont donnés selon le résumé qu’en fournit Langfors (à l’exception du jeu XI). ★ ★



I. Adan, s’il estoit ensi (R. 1026, Langfors CVIII) Manuscrits : Q 320 et W 23 (noté) Texte poétique : 7a b’ a b’ c’ c’ d d Mélodie :ABACDEFG Ce jeu est précédé, dans W, de la rubrique Lespartures Adan. Cette rubri¬ que n’existe pas dans Q, mais le jeu est au milieu des œuvres du poète. Juges : Sire Audefroi et Dragon

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Partenaire : Sire Jehan. Question de Sire Jehan (Bretel) : « Si votre dame vous promettait de vous accorder ses faveurs dix fois seulement dans votre vie, préféreriezvous les prendre tout de suite ou espacer vos plaisirs ? » Réponse d’Adam : « Il vaut mieux se dépêcher. » II. Adan, vaurriés vous manoir / A Arras toute vo vie (R. 1798, Lângfors CIX) Manuscrits : A 149, Q 323, W 24, a 177, c 2 (notation dans A W a) Texte poétique : 7a b’ a b’ c c lOd d Mélodie rABCDEFGH Juges : Grieviler et Cuvelier Partenaire : Sire Jehan (Bretel). Question de Sire Jehan : « Voudriez-vous demeurer à Arras toute votre vie, disposant de toutes les richesses qui s’y trouvent et d’une belle que vous aimeriez bien, s’il vous fallait n’y voir personne qu’elle et ne jamais quitter la ville ? » Réponse d’Adam : « Oui ! » III. Adan, d’amour vous demant (R. 331, Lângfors CX) Manuscrits : Q 321, W 24 (noté) Texte poétique : 7a b b a 10c 10c Mélodie : A B C D E F Juges : Ferri et Grieviler. Partenaire : Sire Jehan (Bretel). Question de Sire Jehan : « L’amour apporte-t-il à un amant loyal plus de bien que de mal ? » Adam : « C’est le mal qui l’emporte sur le bien. » IV. Sire Jehan, aine ne fustespartis (R. 1584 et L.CXI) Manuscrits : A 151 (noté), Q 319, W 25 (noté), a 179 (noté) Texte poétique : 10a 10b 10a 10b 10c’ 7c’ 10b 7b Mélodie :ABABCDEF Juges : Sire Audefroi et Dragon Partenaire : Sire Jehan (Bretel). Question d’Adam : « De deux hommes, lequel aime mieux, celui qui fait sa cour avec entrain, allègrement, ou celui qui se conduit discrètement, en homme réservé ? » Sire Jehan : « Le discret. » N.B. : mélodies différentes. Voir transcription proposée de deux leçons (A et W). L’initiative étant

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prise ici par Adam de la Halle, on constate qu’un musicien tel que lui com¬ pose pour ce texte des mélodies neutres qu’il accepte peut-être lui-même de modifier d’une exécution à l’autre. V. Adan, se vous amiés bien loiaument (R. 703, L. CXII) Manuscrits : Q 325, W 25 (noté) et a 180 (noté). Texte poétique : 10a 7b 10b 7a 10a 10c 10c Mélodie : A B C D E F G Juges : Grieviler et Ferri. Partenaire : Sire (Jehan Bretel ?) Question de Sire (Jehan) : « Si vous aimiez sincèrement, préféreriez-vous avoir pour vous l’Amour sans votre dame, ou votre dame sans l’Amour ? » Adam : « Le premier, car avec l’aide de l’Amour, j’aurai ma dame. » VI. Adan, a moi respondés (R. 950 et L. CXIII) Manuscrits : A 150 (noté), Q 322, W 26 (noté), a 178 (noté) Texte poétique : 7a 7b’ 7b’ 7A 7c 7c lOd lOd 5e’ 7e’ Mélodie :ABCDEFGHIK Juges : Ferri et Grieviler Partenaire : Sire (Jehan Bretel ?) Question : « Qu’est-ce qui est préférable : faire la conquête de sa dame par trahison, ou la servir toute sa vie sans autre récompense que de la voir satisfaite ? » Adam : « Le premier. » VIL Adan, qui aroit amee (R. 494 et L. CXIV) Manuscrits : A 151 (noté), Q 322, W 26 (noté), a 178. Texte poétique : 7a’ 7b 7b 7a’ 5c 7c lOd lOd Mélodie :ABCDEFGH Juges : Ferri et Dragon Partenaire : Sire (Jehan Bretel ?) Question : « Un amant, après avoir fidèlement servi sa dame pendant sept ans, sans en avoir reçu merci, peut-il abandonner et chercher consola¬ tion auprès d’une autre ? » Adam : « Oui ! » VIII. Adan, vous devés savoir (R. 1817 et L. CXV) Manuscrits : Q 324, W 27 (noté), a 181 (noté) Texte poétique : 7a 7b 7a 7b 5c 5c 7d’ 7d’ 7e 7e Mélodie :ABCDEFGB’HI

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Juge : Ferri seulement, qui figure dans le second envoi également, peut-être par erreur. Partenaire : Sire Jehan (Bretel). Question : « Quelle sorte de crainte est pire : celle d’être éconduit par la dame avant d’avoir rien obtenu, ou celle de perdre le bonheur acquis ? » Adam : « C’est l’homme aimé qui a le plus à redouter. » IX. Adan, moût fu Aristotes sachons (R. 277 et L. CXVI) Manuscrits : A 149 (noté), Q 322, W 27 (noté) et a 177 (noté) Texte poétique : 10 a b a b c’ c’ d d Mélodie rABCDEFGH Juges : Evrart et Ferri (A W a) ou Ferri et Dragon (Q). Partenaire : Sire Jehan (Bretel). Question : « Le savant Aristote fut chevauché en selle par une amie qui lui manqua de parole ; voudriez-vous être traité de même par votre dame, à condition qu’elle tint sa promesse ? » Adam : « Oui ! » X. Adan, amis, je vous dis une fois (R. 1833 et L. CXVII) Manuscrit : W 28 (noté) Texte poétique :. 10a 10b 7c’ 7c’ 10b 10a 7c’ Mélodie : A B C D E F G Juge : Dragon. Partenaire : Sire (Jehan Bretel ?). Question : « Lequel fait mieux, celui qui sert sa dame fidèlement un an, ou deux, ou trois, ou celui qui la prie d’amour sans attendre ? » Adam : « Celui qui attend. » XI. Adan, amis, moût savés bien vo roi (R. 1675, manque dans Langfors) Manuscrits : a 175, A 147, Q 323, W 28 ; notation dans A a W (différentes). Cf. présentation de la strophe I infra (leçon de A). Dans son Edition, Nigel Wilkins donne la leçon de W. Texte poétique : 10a 10b 10a 10b 10b 5c’ 7c’ 10b Mélodie rABABCDEF Il ne s’agit pas ici d’un véritable jeu-parti, mais d’une intéressante ampli¬ fication du genre en vingt grandes strophes de huit vers : ce qui justifie de ne pas donner, dans le cadre de cette étude sommaire, le texte intégral qu’on trouvera dans les éditions d’ensemble. Ce type de jeu-parti amplifié est rare : on le classe parmi les dialogues. Il ne comporte pas les deux envois faits par les deux partenaires, en l’occurrence Jehan Bretel (ques¬ tionneur) et Adam de la Halle. Les juges sont nommés dans le corps même

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XI (R. 1675) Leçon du MS. A

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de la pièce pour le premier (Lambert Ferri) et à la fin pour les deux autres (Seigneur Audefroi et la Dame de Danemoi). Cette admirable pièce s’arti¬ cule en plusieurs parties : la première au cours de laquelle Sire Jehan est questionneur, occupe les strophes I à VI. Puisque Adan sait bien servir amour, qu’il conseille Sire Jehan dans la meilleure manière d’accomplir le service amoureux. Adam met en évidence les qualités requises de cœur, de fidélité, d’humilité et de patience. Mais Sire Jehan sait tout cela et attendait meilleure réponse. Il priera Lambert Ferri d’estimer si Adam a répondu suffisamment (strophe VII). La seconde partie du dialogue relève véritable¬ ment de la tenson : les deux partenaires s’invectivent. Mais ici, c’est Adam qui devient questionneur et répond vertement aux attaques de Sire Jehan qui l’accuse d’être trop jeune et inexpérimenté pour parler d’Amour. Adam proteste :

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Sire, autre gent que li jone n’ont loi De servir Amour, ne de parler ent ; Car maint jone escolier, a, chou m’apoi Sont plus agu de faire un argument C’uns anchiens ne soit, que de jouvent L’estude a laissie. Vous devés avoir guerpie Amours : pour chou parlés si rudement !

Sire Jehan accuse son partenaire de répondre à la légère, « bochuement », faisant ici allusion au surnom du père du poète, Maître Henri le Bossu. Adam dénonce le « rude entendement », la grossièreté, de son adversaire. Cette section centrale de type tenson s’étend jusqu’à la strophe XIV et est suivie d’une réconciliation (strophes XV-XVII) au cours de laquelle Sire Jehan reprend l’initiative : il eut souhaité faire d’Adam un Roi (du puy d’Amour), mais il s’est par trop éloigné du sujet : il faudra vraiment demander avis à Lambert Ferri (strophe XVIII). Les deux dernières stro¬ phes sont des envois très amplifiés, le premier par Sire Jehan qui sollicite en second lieu l’avis de Sire Audefroi pour faire une paix complète. Quant à Adam, il sort à son avantage de ce débat en priant sa Dame de Danemoi de se joindre aux deux premiers juges, courtoisie de la part du poète qui lui confère de fait la palme pour la qualité de son service amoureux. XII. Compains Jehan, un gieu vous voelpartir (R. 1443, Lângfors XCVII) Manuscrits : M 155 (noté, attribué à Adam de Givenchi, attribution adop¬ tée par Lângfors), Q 321, T 169 (noté), W 29 (noté). Texte poétique : 10a 10b 10a 10b 10c’ 10c’ 10b Mélodie : A B A B C D E (différentes dans les trois manuscrits)

Les jeux-partis

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Partenaire : Compains ou Sire Jehan. Pas de juge (pas d’envoi). Question d’Adam : « Vous avez le choix entre deux femmes également estimables et également belles. L’une n’a jamais aimé, tandis que l’autre a renoncé avec raison et honorablement à une liaison. Laquelle aimeriezvous de préférence ? » Réponse de Sire Jehan : « Celle qui a de l’expérience en amour. » On note ici l’originalité plus grande de la question posée par Adam en comparaison des questions plus oiseuses des autres questionneurs. Mais la réponse de Sire Jehan eut mérité un rappel à l’ordre du questionneur pour son manque de courtoisie. Certes, lo plus selon la terminologie de la fin-amor, le guerredon sont souhaitables pour ces êtres que sont les trouba¬ dours, trouvères et Minnesânger. Mais la courtoisie eut exigé ici une plus grande discrétion et une réponse plus en accord avec un idéal : la consola¬ tion de l’abandonnée. XIII. Adan, si soit que me feme amés tant (R. 359 et L. CXVIII) Manuscrits : Q 320, W 30 (noté) Texte poétique : 10a 10b 10a 10b 10c 10c 10d’ 10d’ Mélodie :ABABCDEF Schémas identiques à R. 397 et R. 780. Juges : le Sire de La Tieuloie et Ferri. Partenaire : Rogier (?). Question de Rogier : « Je suppose que vous aimiez ma femme et moi la vôtre ; mais nous n’en sommes pas aimés. Voudriez-vous qu’en allant plus avant, je fusse accueilli par la vôtre et vous par la mienne ? » Adam : « Refuse de répondre pour la raison qu’il ne connaît pas la femme de Rogier. » XIV. Adan, li quels doit miex trouver merchi (R. 1066, L. CXIX) Manuscrits : Q 320, W 30 (noté) Texte poétique : 10a 7b 10a 7b 7c 7c lOd lOd Mélodie :ABCDEFGH Juges : Ferri et Dragon Partenaire : Sire Jehan Bretel Question de Sire Jehan : « Lequel doit être le mieux accueilli par sa dame, celui qui n’hésite pas à la courtiser publiquement, ou celui qui aime¬ rait mieux mourir que de laisser voir son amour ? » Adam : « Le premier. » XV. Assignés chi, Griviler, jugement (R. 690 et L. CXXII)

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Manuscrits : O 228 (noté), W 31 (noté), a 180 (noté). Texte poétique : 10a 10b 10b 10a 10a 4b 10a 4b Mélodie .ABCDEFGH Pas de juge : le jugement est rendu par le partenaire. Partenaire : Jehan de Grieviler. Cette pièce composée de huit strophes de huit vers est une variété de jeuparti sans envoi. Le questionneur, Adam de la Halle élargit donc la struc¬ ture conventionnelle, sans toutefois atteindre à l’ampleur de la pièce XI. Il ne propose pas de partir un jeu, mais de rendre un jugement. Adam de la Halle : « Celui qui veut exalter l’amour emploie-t-il mieux son temps en prêchant la persévérance aux amants loyaux ou en essayant de convertir les perfides ? » Jehan de Grieviler : « Il faut essayer de convertir les losengiers. » Voir texte et transcription de la mélodie en fin de chapitre. XVI. Avoir cuidai engané le marchié (R. 1094, L. CXXIII) Manuscrits : A 148 (noté), Q 323, W 31 (noté), a 176 (noté), b 157, c 2. Texte poétique : 10a 10b’ 10a 10b’ 10c 10c 10b’ 10a Mélodie :ABAB’CDEF Juges : Ferri (la pièce ne comporte qu’un envoi, ou elle est incomplète). Partenaire : Sire Jehan (Bretel). Question de Sire Jehan : « J’ai fait la cour à une dame, si bien qu’elle m’a accueilli courtoisement ; mais je m’aperçois qu’elle accueille tout le monde avec la même amabilité. Ai-je perdu ou gagné à la conquérir ? » Adam : « Puisque vous avez ce que vous désiriez, vous avez gagné. » XVII. Sire, assés sage vous voi (R. 1679 et L. CXX) Manuscrit : unicum non noté dans Q 321. Texte poétique : 7a 5b 7b 7a 7c 7c 5a 7c 7c 5a Juges : Sire Audefroi et Robillart de Kainsnoi. Partenaire : Sire (Jehan Bretel). Question d Adam : « Si j’aime une dame, dois-je être plus heureux quand, entraîné par la passion, je lui avoue mon amour ou quand ma prière est exaucée ? » Le sire : « Dans le second cas. » XVIII. Adan, du quel cuidiés vous (R. 2049 et Lângfors CXXI) Manuscrit : unicum non noté dans Q 321. Texte poétique : 7a 7b 7a 7b 7c 7c 10d’ 10d’ Juge . Jehan de Grieviler (un seul envoi : la pièce est peut-être incomplète). Partenaire : un sire (Jehan Bretel ?).

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Question du sire : « De deux amoureux, lequel est plus malheureux, celui qui jouit de toutes les faveurs de sa dame, mais en est jaloux, ou celui qui n’obtient rien, mais n’éprouve aucune jalousie ? » Adam : « C’est celui qui n’obtient rien. »

Jeu-parti IV Mss. A 151, Q 319, W 25, a 179. Notation dans A W a. R. 1584 et Répert. métr. M.W. 1163,7. Schéma strophique : 10a 10b 10a 10b 10c’ 7c’ 10b 7b Mélodie .ABAB/CDEF 6 coblas unissonans de huit vers plus deux envois 4 et 4. Juges : Sire Audefroi et Dragon (pseudonyme apparaissant fréquemment dans les jeux-partis et qui sert de masque à un personnage sans doute important). Partenaires : Adam de la Halle est le questionneur, et c’est Sire Jehan (Bretel) qui répond. Question : « Adam : de deux hommes, lequel aime le mieux, celui qui fait sa cour avec entrain, allègrement, ou celui qui se conduit avec discré¬ tion, en homme réservé ? » Sire Jehan : « Le discret. » (Bibl. n° 180, II, 44). emplacement doc R. 1584 A (p.71)

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15

III.

Sire Jehan, aine ne fustes partis Ne demandés d’amour, si con je croi, D’omme qui ja en alast escondis. Or me sachiés dont a dire : quand doi Ont tant amee une dame proisie Que cascuns d’amer li prie, L’uns en ribant, li autres sans dausnoy, Li quiex aime en meilleur foy ? — Adan, bien sui de respondre garnis ; Nus n’en ira ja escondis de moi Se il me part. Sachiés qu’il m’est avis Que chieus aime trop miex, ensi le voi, Qui cois se tient vers li quant l’a proie, Car Amours veut et otrie Le coi tenir ; chiex en set miex sen roi Qui en pensant se tient coi. — Sire Jehan, de chou ne sui pas fis.

ADAM DE LA HALLE

78

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ADAM DE LA HALLE

20

IV.

25

30

V. 35

40 VI.

45

VII. 50

VIII.

Souvent par fausseté maintient on soi Cou vertement, et pour estre avant mis Mais raison a qui bien aime, par coi Dalés se dame en priant s’esbanie ; Car tés maintiens senefie L’abondanche dou cuer, a chou m’otroi, N’Amours n’a de taisir loi. — Adan, sachiés que j’ai le meilleur pris, Car en amour ne doit avoir desroi. Il n’a si fin amant dusqu’a Paris Qui ne sanlast musars en son riboi, Car Amours het tout outrage et folie. Chiens esragiés, coi c’on die, Ne fera ja lonc fouc ; je vous castoi De trop riber outre moi. — Sire Jehan, au riboi me sui mis Et nepourquant de vous le contraire oi. Chieus qui devant se dame est amuïs Iert comparés, puis que faire le doi, Au clerc couvert de fausse ypocrisie Tant qu’il vient a canesie Et dont est plains d’outrage et de buffoy, Par quoi simpleche renoi. — Adan, amans doit estre si faitis C’on ne le voie onques en mauvais ploi. Uns fins cremans est plus prisiés tous dis Que li parlans : uns en vaut miex que troi. Ja soursalis n’iert de si grant prisie Comme apensés ; a le fie Piert on par chou ; je sai bien et parçoi Simplece vaut miex d’effroi. — Soustenu ai, sire, a droit me partie. A un cuer plain de veulie Pour mains de mal qu’à un çoilart m’apoi. Di je voir, sire Audefroi ? — Dragon, ribers demoustre moquerie ; Li pensans ne se faint mie. Dames sont si batues a le roi Des ribans qu’il i ont poi.

Les jeux-partis

81

Jeu-parti XV Mss. O 228, W 31, a 180. Notation musicale dans les trois manuscrits. R. 690 et Répert. métr. M.W. 1303,1. Schéma strophique : 10a 10b 10b 10a 10a 4b 10a 4b Mélodie :ABCDEFGH Pas de juges. Partenaires : pas de rubrique dans les manuscrits. Adam de la Halle est le questionneur. Il s’adresse à Jehan de Grieviler. Question : « Celui qui veut exalter l’Amour emploie-t-il mieux son temps en prêchant la persévérance aux amants loyaux ou en essayant de convertir les perfides ? » Jean de Grieviler : « Il faut essayer de convertir les “losengiers”. » (Bibl. n° 180, II, 84).

I.

4

8 II.

12

16

III.

20

24

IV.

Assignés chi, Griviler, jugement : Ou quel puet miex chieus se paine emploier Qui Amours veut par parole essauchier ; Ou en chelui qui aime loiaument Pour che qu’il n’ait volenté ne talent De soi cangier... Ou en celui qui aime faussement Pour ravoier ? — Adan, de che vous jugerai briement : En un loial a peu a preechier, Et ensement, qui est en bon sentier, Peu fait qui dist : « Alés seürement ! ». Chieus fait trop miex qui se paine despent Au losengier, Tant qu’il l’ait fait a amer loiaument Acoragier. — Jehan de Griviler, seur fondement Foivle et mauvais fait mal edefier. Laissiés le faus amant a justichier, Si vous tenés à chelui qui ne ment, C’on voit par defaute d’ensengnement Maint desvoier Et mainte tour qui n’a retenement Adamagier. — Adan, sachiés que mal ot qui n’entent,

ADAM DE LA HALLE

Et mal entend c’on ne puet conseillier. Chiex fait trop mains qui loe un bon ouvrier Que ne fait chieus qui a ouvrer l’aprent ; Qui chou ne set ne voit pas clerement, Pour droit jugier, N’il n’est pas plains de bon entendement, Au mien cuidier. — Jehan, chelui resanlés proprement Qui le grant fais prent, si laist le legier. Li hon qui veut le grant fais encarchier Le pïeur prent en son maniement, Et si dist on par tout communément Que de bruhier Ne porroit nus, tant ouvrast soutieument Faire esprevier. — Adan, sera chis estris longement ? Moût savés bien de vostre tort plaidier. Hom soëlés n’a mestier de mengier, Laissiés chelui qui aime fermement, Si conseilliés de son fol errement Le malparlier. On doit vitaille a familleuse gent Appareillier. — Jehan, se vous ne posés autrement, Che c’avés dit vous couvient renoier. On doit anchois l’estavle verillier Que li chevaus soit perdus nichement ; Pour che couvient avoir garnissement ; Mais qui trechier Veut, il ne fait de bon preechement El que moquier. — Adan, tout faus son li vostre argument : On puet moût bien pecheour radrechier Quant on le veut estruire et ensengnier Et faire encor ovrer plus saintement Que ne fait chieus qui vit onnïement Sans folier. Preus est qui fait povre commenchement Monteplier.

Les jeux-partis

83

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• 22. (VDB. 823) Hé, Diex ! quant verrai Cheli que j’aim ? Rondeau 11, Motet 9, Motet 10 (autre source : Roman de la Violette de Gerbert de Montreuil)

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Les rondets de caroles

97

• 23. (VDB. 870) Hé, resveille toi, Robin Car on en maine Marot ! Robin et Marion v.358, Motet 8 (autres sources : pastourelle R. 1700 d’Huitace de Fontaine et Salut d’Amour)

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• 24. (VDB. 871) Hé, Robin, se tu m’aimes, Par amours maine m’ent ! Robin et Marion v. 11

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ADAM DE LA HALLE

98

• 25. (VDB. 893) Il n’est si bonne viande Que matons ! Jeu du Pèlerin v.100 (autre source : Bergerie R. 1374)

• 26. (VDB. 930 a) J’ai encore un tel pasté Qui n’est mie de lasté, Que nous mengerons, Marote, Bec a bec, et moi et vous. Chi me ratendés, Marote, Chi venrai parler a vous. Robin et Marion v.675 (c/. n° 36 bis infra)

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ADAM DE LA HALLE

106

• 39. (VDB. 1759) Tant con je vivrai, N’amerai autrui que vous ! Rondeau 15 ^.v:D3. iy59

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• 40. (VDB. 1804) Trop désir a veoir Che que j’aim ! Rondeau 13

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Les rondets de caroles

107

• 41. (VDB. 1835) Venés après moi, venés le sentele, Le sentele, le sentele lès le bos ! Robin et Marion v.779

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• 42. (VDB. 1842) Vilains, vous demorrés Et je m’en voie o li ! Motet 6

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108

ADAM DE LA HALLE

• 43. (VDB. 1860) Vous l’orrés bien dire, belle ! Vous l’orrés bien dire ! Robin et Marion v. 164 (autre source avec var. du texte dans Renart le Nou¬ vel de Jacquemart Gielée : Ne me mokiés mie bele, Ne me mokiés mie ! et dans un motet du Ms. de Bamberg : Ne vous hastiés mie bele !)

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• 44. (VDB. 1869) Vous perdés vos paine, Sire Aubert, Ja n’amerai autrui que Robert ! Robin et Marion v.83

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109

110

ADAM DE LA HALLE

3. Entures sur refrains de caroles Dans leur aspect le plus courant, ces refrains de caroles comportent donc jusqu’à quatre vers, rarement davantage. Certains sont restreints à un mot ou à une onomatopée. Un « mot-cheville » apparaît parfois en écho entre deux vers, ou deux incises musicales afin de maintenir la dynamique du rythme. Ils sont essentiellement destinés au chant et c’est au départ de ces cellules mélodiques que vont s’édifier le virelai et le rondet de carole39. C’est là le stade initial de Venture : la greffe de vers ajoutés au refrain un peu comme une cristallisation autour d’un noyau originel. Sans entrer dans le détail de la typologie du vireli, du virelai, de la dansa provençale qui a été étudiée avec soin par Pierre le Gentil et Pierre Bec notamment dans les ouvrages de référence, remarquons le premier élargis¬ sement du refrain que constitue le vireli ou virenli. Ainsi, dans le Jeu de Robin et Marion trouve-t-on nombre de refrains — originaux ou non — réduits à deux vers correspondant à deux incises : ce type fondamental est amplifié dès le refrain initial avec un chant de huit incises qui toutes, sont la reprise de la première ou de la seconde :

4

8

Robins m’aime, Robins m’a : Robins m’a demandée, si m’ara !

A B

Robins m’acata cotele D’escarlate boine et bele, Souskanie et chainturele,

a’ a’ b’

A leur i va !

(-)

Robins m’aime, Robins m’a : Robins m’a demandée, si m’ara !

A B

Le refrain encadre une petite strophe de trois vers chantés sur les mêmes incises que le refrain, avec un « mot-cheville » faisant « revirade » pour la reprise du second refrain. Ce mot-intermédiaire, contrairement à l’édition d’Ernest Langlois40 s’insère parfaitement au sein du vers 5 : il est lui-même mot-refrain. D’autres agencements sont possibles. Ainsi, le mot-cheville rythmique peut-il alterner constamment avec le texte : Hé ! Robechon Leure leure va Car vien a moi Leure leure va S’irons jüer

108

Hé ! Marion Leure leure va Je vois a toi Leure leure va S’irons jüer

A B A B A

Les rondets de caroles Du leure leure va Du leure leure va !

111

Du leure leure va Du leure leure va !

B B’

Nous retrouvons le même procédé d’amplification au départ d’un refrain de deux vers dont le second est répété : 176

— Bergeronnete, douche baisselete, Donnés le moi, vostre capelet, Donnés le moi, vostre capelet !

Al B 1 B 2

— Robin, veus tu que je le mete Seur ten kief par amourete ?... M’en iert il mieus se je l’i met ? M’en iert il mieus se je l’i met ?

a a b b

— Oïl ! Vous serés m’amiete Vous aurés ma chainturete M’aumosniere et mon fremaillet !

a 2 a 2 b 2

— Volentiers, men dous amiet !

2 2 1 2

b 3 41

Dans la danse des deux jeunes gens, qui occupe les vers 196 à 225 de l’édi¬ tion d’Ernest Langlois, au cours de laquelle il est question de baler as seriaus, de faire le touret, en sachant bien aler du piét, le procédé d’amplifi¬ cation est identique, avec adjonction de cinq strophes de quatre vers entre chaque retour du refrain. Les deux derniers vers du refrain sont d’ailleurs une clausule terminale répétée avec un « mot-cheville », en l’occurrence le mot bele dont le rythme souple sert bien l’enchaînement. Le schéma de la mélodie est donc ici : A A A A

B B B B

a a a a

b b b b

c c c c

(Bele) (Bele) (Bele) (Bele)

c’ c’ c’ c’

Le rondet de carole est caractérisé par la simple adjonction de trois vers étrangers donnés en alternance avec l’énoncé total ou partiel du refrain. Selon la terminologie de Jean de Grouchy dans son De Musica42, les incises du refrain, données par le chœur, se nomment responsorium ou refractus et les phrases ajoutées, confiées à un soliste, additamentum. Au départ d’un refrain de deux vers, on obtient donc un rondet du structure : Texte : Musique :

ABaAabAB ABAAABAB

112

ADAM DE LA HALLE

On constate que la musique se suffit de deux incises — un ouvert et un clos — habilement alternées, sur lesquelles se greffent des vers calqués sur le schéma de la cellule génératrice ; dans le schéma ci-dessus, le texte littéraire est présenté en majuscules pour les éléments du refrain, en minuscules pour les entures. Le refractus correspond au pivot qu’est le vers 4, et aux deux derniers vers. Poursuivant l’examen du répertoire monodique, nous constatons que le refrain de carole n’apparaît pas dans le jeu-parti. Il est très courant dans le répertoire de la pastourelle dont Adam de la Halle ne nous a pas laissé d’exemples. Mais il s’en rencontre un dans la Chanson 10, Li dous maus me renouvelle (R. 612), laquelle est une reverdie d’amour dont chaque strophe justifie le retour régulier du refrain 34 de l’inventaire dressé plus haut : Or est ensi Que j’atenderai merchi !

Le génie d’Adam de la Halle devait concevoir un élargissement plus impor¬ tant encore du principe de l’enteüre : on le constatera à l’étude des Jeux et à l’étude des œuvres polyphoniques.

NOTES

35. Pierre Bec, Bibl. n° 1. 36. Yvonne Rokseth, Bibl. n° 142 et Marie-Henriette Fernandez, Bibl. n° 15. 37. Cf. Jean Maillard, Bibl. n° 126.

38. Pour un inventaire plus détaillé, cf Van Den Boogaard, Bibl. n° 78 (abréviation VDB). 39. Cf. Friedrich Gennrich (Bibl. n° 109), Pierre Le Gentil (Bibl. n° 28) et Pierre Bec (Bibl. n° 1). 40. Le Jeu de Robin et Marion, éd. Langlois (Bibl. n° 182). 41. Ici encore, les vers 176 et 177 de l’édition de Langlois doivent être réunis en un seul. 42. Cf. Ernst Rohloff, Bibl. n° 141.

VI

Les rondeaux polyphoniques Le rondet de carole peut être exploité monodiquement ou, et c’est un des aspects essentiels du génie d’Adam de la Halle, polyphoniquement43. De telles adaptations peuvent se rencontrer rarissimement chez d’autres auteurs, sans que l’on sache précisément à qui attribuer cette polyphonie. Ainsi du refrain J'ai joie ramenee ci qui figure au vers 2410 du Renart le Nouvel de Jacquemart Gielée44, traité en bicinium, avec un discantus fleuri. Au temps même d’Adam de la Halle, Walter Odington45 définit le rondellus comme une variété de déchant. Il convient de le « réaliser », dit-il, sur un chant « aussi beau que possible » (cantuspulchrior quepossit), dans un des modes rythmiques, en l’organisant avec un double ou un triple en s’appuyant sur les consonances parfaites. Les musiciens des dernières décennies du xme siècle étaient donc tentés par de telles réalisations en style de conduit pour la composition desquelles il fallait « un engien bien enformié » et qui n’étaient guère à la portée de clercs de seconde zone, et assez étrangers aux préoccupations courtoises des trouvères. C’est à Adam de la Halle qu’il appartenait de franchir un pas décisif dans l’évolution des men¬ talités : « Les rondeaux d’Adam sont sans modèles et sans précédents. On avait écrit avant lui des rondeaux à une voix, français ou latins ; on avait écrit des conduits latins à plusieurs voix ; il eut l’idée géniale — et simple comme toutes celles qui méritent cette épithète — d’adapter la forme poly¬ phonique du conduit à des textes français, et en outre de la solidifier en lui adaptant le schéma des formes fixes monodiques46. » C’est sans doute grâce à l’enseignement théorique et pratique reçu lors de son séjour à l’Université de Paris, ou dans l’orbite de la nouvelle cathédrale Notre-Dame, toute bruissante des grandes organa des maîtres déchanteurs comme Léonin, Maître Albert ou Pérotin le grand, responsables d’organa doubles, triples ou quadruples, de motets et de conduits dont l’Europe entière venait puiser la sève féconde, que Maître Adam d’Arras fut en mesure de réaliser toute son œuvre polyphonique, rondeaux et motets.

114

ADAM DE LA HALLE

Nous reviendrons sur ceux-ci, mais il est à peu près assuré que notre trou¬ vère se soit joué de ces bibelots musicaux que sont les rondeaux, réalisés à l’emporte-pièce, « frappés comme des médailles ». Il ne fait aucun doute que pour lui, le grand art demeure la chanson courtoise ; la technique se distille dans les motets, la veine rhétorique dans le Dit d’Amour alors que c’est le souffle épique qui anime la Chanson du Roi de Sicile. Quant aux rondeaux, ce sont de charmants instants de précision mécanique dans les¬ quels, nous le verrons, il a mis toute son ingéniosité avec tout ce que l’art peut ajouter de grâce, d’élégance, de « je ne sais quoi » dans l’inspiration mélodique qui donne vie aux éléments poétiques (qu’ils soient originaux ou empruntés fort à propos) du refrain et de Vadditamentum. Dans ces petits joyaux polyphoniques, un meneur de jeu — fille ou gar¬ çon, reine ou roi — chante avant, comme Eliador, l’héroïne d’Adenet le Roi dans le Roman de Cléomadès ; les autres répondent. On trouve le même principe d’alternance pour ces rondes ouvertes ou fermées, droites ou hochonneuses (en sens unique ou alternées). On retrouve le même con¬ traste soliste-chœur dans Renart le Nouvel. Au départ du refrain de carole monodique, on verra donc s’élaborer tout un répertoire polyphonique à caractère chorégraphique, rondeau avec revirade interne du refrain partiel, vireli, virelai et ballete. Le rondeau de huit vers sera la référence des musi¬ ciens à venir, auteurs des insertions musicales du Roman de Fauvel ou, en pleine Ars Nova, ce grand héritier d’Adam de la Halle qu’est Guillaume de Machaut, qui connaîtra parfaitement l’œuvre de son devancier. ★ ★



L’ensemble connu sous la désignation de Rondeaux d’Adam de la Halle comporte seize compositions de structure poétique et musicale varia¬ ble, consistant en entures sur des refrains de caroles et en polyphonies de style conduit — qui n’en sont pas également moins des entures, mais « contrepointiquement » parlant — sur le timbre même de ces refrains de caro¬ les.

1. Structure poétique et musicale Elle est en premier lieu fonction de l’ampleur du refrain de référence. S’il s’agit d’un refrain simple de deux vers, le rondeau affecte la structure sui¬ vante, déjà présentée comme procédé d’amplification : ABaAabAB

Les rondeaux polyphoniques

115

Cette structure est celle des rondeaux suivants : — Rondeaux 2a et 2b : Li dous regars de me dame inventaire : Refrain 30 ; M.W. 181, 103. Chailley II et II bis ; Wilkins 2a et 2b. — Rondeau 3 : Hareu ! li maus d’amer Inventaire : Refrain 21 ; M.W. 181, 154. Chailley III ; Wilkins 3. cf. exemple musical — Rondeau 6 : Fi, maris, de vostre amour Inventaire : Refrain 18 ; M.W. 181, 134. Chailley X ; Wilkins 6. — Rondeau 8 : Amours et ma dame aussi Inventaire : Refrain 5 ; M.W. 4, 13. Chailley VII ; Wilkins 8. — Rondeau 9 : Or est Baïars en la posture, hure ! Inventaire : Refrain 35 ; M.W. 62, 1. Chailley VIII ; Wilkins 9. On peut arbitrairement compter l’écho de la rime, ce que j’ai nommé « mot-cheville » et dont le but est de maintenir le tonus rythmique, comme un vers isolé. C’est ce qu’ont fait De Coussemaker et Nigel Wilkins, ce qui porte évidemment à douze vers l’ensem¬ ble de la pièce. cf. exemple musical (sup. Refrain 35)

— Rondeau 10 : A jointes mains vous proi Inventaire : Refrain 4 ; M.W. 181, 144 Chailley IX ; Wilkins 10. — Rondeau 11 : Hé, Diex ! Quant verrai Inventaire : Refrain 22 ; M.W. 181, 166 Chailley XI ; Wikins 11. cf. exemple musical — Rondeau 13 : Trop désir a vëoir Inventaire : Refrain 40 ; M.W. 181, 153. Chailley XIII ; Wilkins 13. cf. exemple musical — Rondeau 14 : Bone amourete me tient gai Inventaire : Refrain 10 ; M.W. 181, 171 Chailley XIV ; Wilkins 14. cf. exemple musical

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ADAM DE LA HALLE

— Rondeau 15 : Tant con je vivrai Inventaire : Refrain 39 ; M.W. 181, 155 Chailley XV ; Wilkins 15. Trois rondeaux s’appuient sur ce même principe d’élargissement simple, mais sur un refrain de trois vers, ce qui entraîne des schémas variables : — Rondeau 5 : A Dieu commant amouretes Inventaire : Refrain 1 ; M.W. 807,1 Schéma :ABC ab AB abc ABC Chailley V ; Wilkins 5. — Rondeau 7 : Dame, or sui trais Inventaire : Refrain 13 ; M.W. 184,1 Chailley VI ; Wilkins 7. cf. exemples musicaux — Rondeau 12 : Diex, comment porroie Inventaire : Refrain 15 ; M.W. 175,6 Schéma ABC a A abc ABC Chailley XII ; Wilkins 12. — Rondeau 9 : deux vers au refrain avec mot-cheville en écho entre les deux (cf. sup.) rendent cette structure ambiguë. Le seul rondeau sur un refrain de quatre vers est le premier : — Rondeau 1 : Je muir, je muir d’amourete Inventaire : Refrain 28 ; M.W. 698,7 Schéma :ABCD aA abcd ABCD Chailley I ; Wilkins 1. Dans le corps général des « rondeaux d’Adam de la Halle », deux com¬ positions présentent une structure différente, quoique toujours fondée sur le principe de Tenture : * Pièce 4 : Fines amouretes ai Inventaire : Refrain 19 ; M.W. 224,2. On note la présence d’un mot-cheville (Dieus) entre les deux vers du refrain. Schéma de la teneur : A B a’ a’ a b A B a’ a’ a b A B a’ a’ a b A B Ce schéma est également suivi par la partie d'altus, alors que le superius procède différemment : AB c c a b A B ... On ne peut qu’admirer cette marqueterie musicale de type mixte rondeauvirelai, ou mieux vireli : chanson polyphonique à baler pour les femmes, ou

Les rondeaux polyphoniques

117

à behourder pour les hommes, selon la terminologie consacrée. Le responsorium du chœur intervient à quatre reprises ; le soliste (ou le chanteavant) est entendu trois fois avec, à la teneur et à Valtus, une phrase a’deux fois redite en ouvert et en clos. Chailley IV ; Wilkins 4. • La pièce 16 (Dieus soit en cheste maison) présente une structure encore différente, mais encore fondée sur une importante enture ; schéma de la teneur : AB c b’ c’ b” d e A B c b’ c’ b” d e A B Dans ces pièces 4 et 16, le refractus n’apparaît donc pas au sein de la stro¬ phe, mais le responsorium est donné par le chœur après chaque interven¬ tion du chante-avant. En outre, le procédé de « marqueterie » se retrouve également dans la seconde pièce, avec une unité mélodique extraordinaire entre les diverses parties. Au schéma donné ci-dessus de la partie de teneur s’opposent les schémas des deux autres parties pour le chante-avant : Superius : c d e f c’ h Altus : c d e c’ f g Il y a analogie entre l’incise e de Valtus et l’incise c du superius, entre d du superius et c’ de Valtus : ce sont là des modèles d’économie dans les moyens utilisés et qui ouvriront sans nul doute la voie aux recherches d’un Guillaume de Machaut avec les savantes imbrications du color et de la talea. « Nous avons dans ce texte, écrit Jacques Chailley47, une chanson de quête en temps de Noël (l’un des plus anciens spécimen du genre) analogue à celles que pratiquent les enfants de chœur de nos campagnes, générale¬ ment en Semaine Sainte. On y voit déjà apparaître le personnage populaire du « père Noël » (Nos Sires Noveus). Friedrich Gennrich dans son Formenlehre donne cette pièce 16 comme le type de la ballade. Elle est égale¬ ment classée XVI (16) dans les Editions de Jacques Chailley et de Nigel Wilkins.

2. Le répertoire des Rondeaux Rondeau I Je muir, je muir d’amourete

W 32 hU 3 Musique dans les deux manuscrits. Van den Boogaard (Bibl. n° 78) Rondeau 70 et Refrain 1074.

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ADAM DE LA HALLE

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Nos sires est teus Qu’il prieroit a envis, Mais as frans honteus Nous a en son lieu tramis, Qui sommes de ses nouris Et si enfançon. DIEUS SOIT EN CHESTE MAISON ET BIENS ET GOIE A FUISON !

Chailley XVI ; Wilkins 16.

NOTES

43. 44. 45. 46. 47.

Cf. éditions de Jacques Chailley (Bibl. n° 165), Nigel Wilkins (Bibl. n° 200) etc. Cf. édition par Henri Roussel, cf. Jean Maillard (Bibl. n° 122). Edition Frederick F. Hammond (Bibl. n° 112). Jacques Chailley (Bibl. n° 165), p. V. Jacques Chailley, Bibl. n° 165, p. 31.

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VII

Les motets Selon la définition de Jean de Grouchy vers 1300, le motet est une com¬ position polyphonique qui exploite simultanément plusieurs textes musi¬ caux et littéraires. Chaque partie possède son texte spécifique ; le ténor en est parfois dépourvu et désigné par un seul incipit renvoyant à son origine. Il arrive que certains motets à destination instrumentale soient dépourvus de paroles (sine litéra). Ce type de composition se fait à deux, trois ou quatre voix fondées sur un ténor « cyclique » préexistant. On imagine les servitudes imposées par cette sorte d’« épine dorsale » qui régit toute la composition et dont l’ori¬ gine doit être généralement cherchée dans les antiennes, graduels, répons ou chansons auxquels ce ténor emprunte un fragment mélodique ou mélimastique dont l’identification n’est d’ailleurs pas chose aisée48. Ce ténor, placé à la voix inférieure, reparaît régulièrement sur un rythme constant régi par les principes de la notation mensuraliste définis par des théoriciens comme Jean de Garlande, Maître Lambert et Francon de Cologne. Cette notation a supplanté progressivement, depuis 1225, l’ancienne scansion par modes rythmiques, laquelle se perpétue dans le style d’écriture plus libre du conduit et, en conséquence, du rondeau caractérisé tous deux par un style homophonique qui échappe au motet. Le principe du motet a été établi dès l’époque où des paroles ont été ajoutées, selon le principe du trope, à une seconde voix de déchant greffée sur ce ténor. A l’époque d’Adam de la Halle, ce principe d’adjonction de « mots » était bien entériné et le motet, comme chez Petrus de Cruce, ne se satisfaisait plus d’un commentaire du ténor à la partie de motetus, mais d’un texte poétique souvent étranger à l’esprit du ténor d’origine, ceci en latin ou en langue vernaculaire. Une troi¬ sième voix (superius ou triplum) s’adaptera bientôt au-dessus des deux pré¬ cédentes avec un nouveau texte versifié étranger aux deux premiers. Le motet est régi par une écriture beaucoup plus contraignante que le rondeau. Si les rondeaux sont de petits joyaux polyphoniques destinés à la danse, les motets sont davantage des exercices de style destinés à un public éclairé,

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connaissant les subtilités du jeu et capable donc de jauger les qualités d’invention du musicien dans des normes rigoureuses qui peuvent, en une certaine manière, préfigurer la variation « harmonique ». Les théoriciens médiévaux en ont abondamment traité, expliquant par le menu les modes rythmiques, les théories mensuralistes, « les agencements de consonances et dissonances dont la théorie est fonction même de l’écriture musicale49 ». Les diverses voix sont donc agencées en fonction de la teneur de manière à constituer avec cette voix imposée des consonances parfaites sur les appuis rythmiques, avec latitude de notes « de passage » d’une liberté déconcer¬ tante qui fait de ces polyphonies médiévales d’extraordinaires anticipations sur les libertés prises par l’écriture harmonique ou contrepointique au XXe siècle. Le texte littéraire des diverses voix, tout en étant soumis aux impératifs de la phrase musicale, n’en demeure pas moins intéressant. Il peut être le reflet d’une situation politique (motetus du motet 1), por¬ teur de lieux communs de la rhétorique amoureuse (motetus et triple du motet 2), évoquer les jeux de joyeux drilles (triple du motet 3) ou dessiner tendrement la gracieuse image de Marie, la « douchete », la « roïnete » (,motetus du motet 2 ou triple du motet 7). Cinq motets se trouvent réunis dans le corps d’œuvres d’Adam de la Halle dans les manuscrits W et A. Six autres lui sont également attribua¬ bles, soit qu’ils présentent des éléments musicaux empruntés à des compo¬ sitions d’attribution certaine, ou bien qu’ils soient entés sur des refrains d’Adam. Car dans ce jeu intellectuel du motet apparaît à diverses reprises cette autre contrainte qu’est Yenture, d’un emploi très différent de celui que nous avons trouvé dans les rondeaux. Ici, le trouvère compose par adjonction poétique de vers calqués sur la métrique et les rimes du refrain de carole dont il reprend constamment les incises mélodiques qu’il traite polyphoniquement au gré de sa fantaisie, en les rythmant selon les modes exploités pour ce style. Le résultat est, pour le musicien, une spontanéité, une fraîcheur constamment renouvelés au sein d’une même pièce, ou dans la recomposition d’une pièce déjà traitée polyphoniquement (cas du Rondeau 2 dont nous possédons deux versions). A ce style libre de conduit s’oppose donc le style d’écriture plus intellectuel du motet dont Tenture se fait par longue interpolation ou adjonction. C’est en quelque sorte une conception contraire à celle du rondeau, dans lequel le trouvère ente des vers nouveaux sur le substrat du refrain, alors que dans le motet, le refrain apparaît comme une citation fort à propos, qui sert de prétexte au départ de la pièce, ou bien à sa conclusion, ou bien d’interlude, voire les trois.

Les motets

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Motet 1 : — A Dieu commant amouretes — Aucun se sont loé d’amours — SUPER TE Source : W 34 Le refrain 1 apparaît aux deux vers initiaux de la partie de motetus et se poursuit en citation logique en conclusion du texte, au vers 17. On admet¬ tra donc que dans ce cas, ce ne sont pas quatorze vers qui sont entés, mais bien le refrain-centon. Ce refrain (VDB 12) est celui du Rondeau 5. Voir exemple musical.

Motet 2 : — De ma dame vient — Diex, comment porroie — OMNES Source : W 35 et Manuscrit de Montpellier, Ecole de Médecine H. 196 f° 288. Les entures du refrain sont doubles ici : refrain VDB 477 « éclaté » aux vers 1 et 5, et refrain VDB 765 aux vers 26 et 27 du triplum ; au motetus, citation liminaire puis médiane (vers 22-23 du refrain VDB 496) utilisé par ailleurs dans le rondeau 12. Puis conclusion avec la citation, aux vers 3536, du refrain VDB 1473 connu par six autres sources, notamment le chant des fées dans le Jeu de la Feuillée.

Motet 3 : — Entre Adam et Hanikel — Chiés bien séans — APTATUR Sources : A 36 ; Manuscrit de Montpellier f° 280 ; Manuscrit de Bamberg, Staatsbibliothek. Ed. IV 6 f° 13 et Turin, Biblioteca reale, vari. 42 f° 2. Aucune citation de refrain dans ce motet, l’un des mieux venus, avec son superius plaisant et son charmant motetus où l’on retrouve des évocations sensuelles comparables à celles de la célèbre Note Martinet de Martin le Béguin de Cambrai. Dans Y exemple musical, on notera l’imbrication de formules mélodiques du type ré-fa-mi-ré-do avec deux brèves sur fa et mi : leur fréquence con¬ fère, avec la répétition du ténor, une indéniable unité à la pièce. La périodi¬ cité du ténor se fait sur trois fois vingt-quatre « mesures » (comme une passacaille !). Les schémas métriques des deux textes poétiques sont très peu

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