Action missionnaire en Guinée Equatoriale, 1858º1910. Tome 2: A la reconquête de l'Ancien Régime 2336307693, 9782336307695

L'auteur analyse de quelle manière les missionnaires clarétains, détenteurs du monopole éducatif en échange de leur

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French Pages 366 [359] Year 2014

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Action missionnaire en Guinée Equatoriale, 1858º1910. Tome 2: A la reconquête de l'Ancien Régime
 2336307693, 9782336307695

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Jacint Creus Boixaderas

ACTION MISSIONNAIRE EN GUINÉE ÉQUATORIALE, 1858-1910 À la reconquête de l’Ancien Régime Tome 2

Action missionnaire en Guinée Équatoriale, 1858-1910 À la reconquête de l’Ancien Régime

Collection Guinée Équatoriale dirigée par Valérie de Wulf Guinée Équatoriale est une collection qui a pour objectif de présenter ce pays d’Afrique centrale sous toutes ses facettes : historique, artistique, linguistique, biologique, ou même énergétique. Car qui peut se targuer de connaître cette jeune nation qui a acquis son indépendance en 1968 ? On continue de la confondre avec la Guinée Conakry ou la Guinée Bissau, ou même encore parfois avec la lointaine Nouvelle-Guinée des mers d’Océanie. Sa position centrale dans le golfe de Guinée, la composition même de son territoire, à la fois continental et insulaire, en font un pays stratégique en Afrique. A la fois africaine et ibérique, bantou et créole, la Guinée Équatoriale est aussi riche culturellement que son sous-sol ou sa faune et de sa flore. Elle mérite donc qu’on la découvre et que l’on s’y intéresse de façon approfondie. L’Association France-Guinée Equatoriale (Assofrage) est une association culturelle française indépendante, non subventionnée. Elle est constituée de personnes très diverses, mais toutes attachées d’une manière ou d’une autre à la Guinée Equatoriale pour y avoir vécu, travaillé, en avoir fait un sujet de recherche universitaire ou bien pour y avoir des amis et de la famille. Le comité de lecture du volet éditorial de l’association est assuré par des chercheurs, des universitaires et des enseignants. Déjà parus Valérie de Wulf, Histoire de l’île d’Annobon (Guinée Équatoriale) et de ses habitants du XVe au XIXe siècle, Tome 1, Paris, co-édition association France-Guinée Équatoriale et L’Harmattan, 2014. Valérie de Wulf, Les Annobonais, un peuple africain original (Guinée Équatoriale, XVIIIe au XXe siècle), Tome 2, Paris, co-édition association France-Guinée Équatoriale et L’Harmattan, 2014.

Jacint Creus Boixaderas

Action missionnaire en Guinée Équatoriale, 1858-1910 À la reconquête de l’Ancien Régime

Tome II

Du même auteur Cuentos Bubis de Guinea Ecuatorial, Malabo, Centro cultural hispano-guineano ed., coll. Ensayos n°9, 1992. Exploracions centrafricanes (1887-1901) del P. Joaquim Juanola, Agrupacio Excursionista de Granollers, 1996. Identidad y conficto, aproximación a la tradición oral en Guinea Ecuatorial, Madrid, Los Libros de la Catarata, 1997. Epistolario del P. Juanola, c.m.f. (1890-1905), Vic, CEIBA Ed., coll : documentos de la Colonizacion, n°8, 2002. Curso de litertura oral africana, lecturas comentadas de literatura oral de Guinea y del Africa negra, Vic, CEIBA Ed., 2005.

© L’Harmattan, 2014 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.harmattan.fr [email protected] ISBN : 978-2-336-30769-5 EAN : 9782336307695

Un grand merci à Samuel Denantes, un des chercheurs de notre association, qui m’a aidé à la mise en page des cartes et des tableaux de cette étude.

Préface C'est un honneur pour l'association France-Guinée Équatoriale de publier cette étude rédigée par le professeur Jacint Creus Boixaderas.

Ce grand spécialiste de la culture équato-guinéenne ne s'est pas contenté de ses connaissances, déjà prestigieuses, dans les domaines littéraires et anthropologiques, il s'est aussi penché sur l'histoire de la Guinée Équatoriale. Afin de le faire dans l'excellence, il a relevé un défi que peu de personnes osent relever, celui de préparer cette étude dans un autre pays et dans une autre langue que la sienne : il a rédigé sa deuxième thèse doctorale en français, et il l'a soutenue en France, à l'université Paris VII « Denis Diderot » en 1998, sous la direction du professeur Françoise Raison. Ce travail est peu connu en France et en Guinée : il n'a jamais été publié. Il s’agit du résultat d’une recherche minutieuse et très riche et qui reste donc à découvrir. Seul un article de position de thèse a permis d'en donner un peu la saveur à ceux qui, comme nous à l'association, sommes à la recherche de tout ce qui concerne la Guinée Équatoriale. Cet article est d'ailleurs en libre consultation sur le site internet de notre association. C’est donc pour nous une grande joie de pouvoir mettre à la disposition de ceux que l’histoire de ce pays intéresse, un texte de grande qualité. Il s’agit ici du 2e et dernier tome de cette thèse, nous vous en souhaitons bonne lecture.

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En de nombreux endroits, en tous lieux Et prædicabitur hoc Evangelium regni in universo orbe, in testimonium omnibus gentibus : et tunc veniet consummatio. (Mt, XXIV, 14)

La mission de Santa Isabel « Le mois [de mai] a été vraiment le mois des fleurs naturelles et spirituelles : elles ne tenaient pas sur l'autel et dans le cœur de ces gens qui commencent à aimer Marie et parler d'Elle avec tant de plaisir ; lorsqu'ils font un don à l'église, ils disent : "Père, ayez l'obligeance d'allumer ces deux cierges à la Vierge en mon nom, nous irons ou j’irai en acheter pour la Vierge”. Ce mois de mai on en a offert 130 et ces gens ont fait de leur mieux pour y assister. De son côté, le Père Ayneto et les enfants ont interprété de superbes Ave-Marie et de magnifiques chants du mois lyrique, accompagnés de l'harmonium et de tous les assistants, qui, sans être des canaris, n'ont pas leur pareil dans le chant » 1. La célébration du mois de mai s'inscrit dans le modèle de labeur paroissial que les clarétains copièrent des missionnaires jésuites. C'est à Santa Isabel que leur tâche avait le plus de sens, car non seulement c’est dans ce lieu que se trouvait le plus important contingent européen, mais aussi parce que les quelques catholiques y résidant n’avaient cessé de croître en nombre à chaque nouvel avatar de la colonie, et enfin parce qu’il s’agissait tout simplement de la seule ville de la colonie et donc de la capitale du pays. La conjonction des célébrations liturgiques et des activités scolaires suivait un vieux schéma, maintenu, à Santa Isabel, tout au long de la période. Je veux souligner ici que ce modèle missionnaire de genre paroissial avait lieu dans un endroit considéré par les jésuites et les clarétains comme une « ville pervertie ». C'est justement à Santa Isabel que se concentraient ceux que les missionnaires considéraient comme des adversaires, voire des 1

« Este mes [de mayo], verdaderamente ha sido mes de flores naturales y espirituales : aquéllas no cabían en el altar, y éstas no cabían en el pecho de estas gentes, que ya empiezan a amar a María y hablan de ella con satisfacción ; cuando espontáneamente ofrecen alguna cosa en la iglesia, dicen : “Padre, hace el favor de enciende estas dos velas a Virgen para yo ; yo o nosotros va compra velas para Virgen”. En este mes de mayo le han ofrecido unas 130 velas, y se han esmerado en asistir. Por su parte, el P. Ayneto con los chicos, han ejecutado riquísimas Avemarías y bellísimos cantos del mes lírico, con acompañamiento de armónium y de todos los asistentes, los cuales, aunque no son canarios, sin embargo les ganan en cantar ». Lettre du P. Joaquim Pagès, du 5 juin 1887. In : Boletín Religioso de la Congregación de Missioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María, vol. 4, juillet 1887 - janvier 1888, p. 24 25.

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ennemis : les protestants, les plus riches colons, les administrateurs et les gouverneurs. Ceux-ci, dans leur entourage, représentaient un pouvoir gouvernemental qui s'était fortement engagé sur l'action des missionnaires dans l'organisation coloniale ; et devaient tenir informés leurs supérieurs sur l'efficacité de ce moyen. Enfin, la Mission de Santa Isabel était le point névralgique de l'organisation missionnaire de la colonie. Le centre d'où partaient et où aboutissaient tous les événements autant missionnaires que politiques, économiques ou de correspondance entre les différentes administrations métropolitaines, coloniales et ecclésiastiques. Tout cela nous montre l'importance de la Mission de Santa Isabel. Une Mission siégeant dans le seul endroit vraiment « civilisé » et « contrôlé » de tout l'ensemble de la colonie. Un endroit où la Mission se devait de donner une « image » d’ordre, de qualité et d'efficacité pour réaffirmer sa propre identité face à des anglophones et des protestants ; ainsi que pour renforcer la position des Missions face à des autorités qui, en tant que résidentes à Santa Isabel, évalueraient surtout la qualité du système à partir de la Mission de la capitale. Autrement dit, la Mission de Santa Isabel devait donner le « ton » 2. Elle devait être perçue comme un organisme important, opérationel, puissant, efficace et actif, et comme le symbole du pouvoir des clarétains dans la colonie. C'est la raison pour laquelle les religieux étaient plus nombreux que dans les autres Missions, et c'est également pourquoi elle était le siège de la Préfecture Apostolique. Cette « image » que devait donner la Mission était à la fois une image externe : l'église de Santa Isabel devait être plus grande, plus imposante que les autres et c'est là où devaient avoir lieu les célébrations liturgiques les plus solennelles et de la manière la plus cérémonieuse possible. Il en était de même pour l’école et le presbytère. Il était selon la même logique parmi les plus prestigieux de la ville. Curieusement, les Clarétains voulurent agrandir cette bâtisse qu'ils avaient héritée des jésuites à la suite d'un incendie et avec la complicité du gouverneur. Cet incendie ravagea la maison du consul portugais, située juste à côté du presbytère, mais celui-ci fût épargné grâce à l'aide de toute la localité aidée des militaires et à la faveur d'un opportun changement de la direction du vent : « Il est vrai que toute la localité et notamment les marins travaillèrent sans répit pour éviter que notre maison devienne la proie des flammes. Mais ce qui intervint d'une manière spéciale et très évidente fut surtout la Divine Providence. Les poutres qui soutenaient le plafond commençaient à prendre feu, la teinture des fenêtres fondait, les marins avaient la fumée en face, ce qui les empêchait d'agir librement et de s'approcher suffisamment du feu pour le maîtriser ; tout ceci annonçait l’effondrement imminent du bâtiment, lorsque, tout d'un coup, le vent changea et, poussant les flammes et la fumée vers le côté opposé, il écarta 2

Nanni, 1990, 1997b.

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tout danger. Le magasin fut réduit en cendres. Grand bien nous firent pour jouir des faveurs de la Divine Providence les oraisons des religieuses qui ne cessèrent, tant que dura le feu, de prier à St. Joseph pour qu'il conjure le danger » 3. Le presbytère fut épargné, et cela ne fut pas le seul côté positif de cette expérience désagréable : « J'oubliais de vous souligner le grand bien qu'à l'occasion de l'incendie nous a octroyé le Seigneur. Vu que la maison du consul portugais était en face de la nôtre, elle nous empêchait d'admirer la mer et de recevoir ses brises rafraîchissantes, ce qui représentait un grave inconvénient pour la salubrité et fraîcheur de notre maison. Mais depuis que cet obstacle a disparu, la vue est si belle et les brises si fraîches que nous pouvons vraiment apprécier la tiédeur de ce pays. Il suffirait maintenant que le consul nous cède le terrain, ou qu'il bâtisse sa maison dans des terrains avoisinants pour pouvoir continuer à jouir de tels atouts » 4. Pour les missionnaires clarétains le rapport entre l'emplacement d'une maison et la santé était étroit, étant donné leurs idées sur le paludisme et toutes les autres maladies. Mais le consul portugais mourut peu après ; et son successeur, Nacimiento de Jesús Brusaca da Cunha Lisboa, ne voulut pas accéder aux désirs des clarétains : « Le terrain ne lui appartenait pas non plus, le propriétaire était un tel William Lynslager, á l'époque commerçant au Congo. Comme la Mission Catholique faillit brûler, elle [la maison] nous empêchait de voir la mer et de sentir la brise ; lorsque Nacimiento voulut la reconstruire, le Gouverneur, D. A.Moreno Guerra, ne lui concéda pas

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« Verdad es que toda la población y en particular la marinería trabajó sin descanso para evitar que nuestra casa fuera presa de las llamas. Mas quien vigiló de un modo especial fue la divina Providencia, la cual se vio claramente marcada en este caso. Comenzaban ya a arder las vigas que sostenían el tejado, derretíase la pintura de las ventanas, el humo dando en la cara de los marineros les impedía funcionar con libertad y acercarse al fuego lo necesario para contenerle, todo presagiaba la próxima ruina del edificio, cuando de repente cambió el viento, el cual, dirigiendo las llamas y el humo al lado opuesto, ahuyentó todo peligro, quedando reducida a cenizas la referida tienda. (...) Mucho inclinaron a nuestro favor [a] la divina Providencia las oraciones de las religiosas, las cuales mientras duró el fuego no cesaron en el colegio de rogar a S. José conjurase el peligro ». [Coll, Ermengol] (circa 1908), Crónica de la Casa-Misión de Santa Isabel.AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 6, Carton 1, p. 38. 4 « Olvidábame de hacer notar a V. un gran beneficio que nos ha dispensado el Señor con ocasión del incendio. Como la casa del cónsul portugués estaba delante de la nuestra, nos quitaba toda la vista del mar y sus refrescantes brisas, lo cual era un inconveniente grande para la salubridad y frescura de nuestra casa. Mas ahora que no existe semejante obstáculo, tiene una vista la más deliciosa y unas brisas tan frescas, que casi no echamos de ver lo cálido de este país. Sólo nos resta conseguir del cónsul que nos ceda el solar, o que a lo menos reedifique su casa en terrenos contiguos a la primera, de suerte que no nos prive de tan estimables ventajas ». Lettre du P. Raimon Andreu, non datée. In : Boletín Religioso de la Congregación de Misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María, volume 3, janvier-juin 1887, p. 449-450.

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l'autorisation, lui proposant de la vendre et que le Gouvernement l'achèterait. Nacimiento, furieux, s'y refusa à plusieurs reprises » 5. Le Gouverneur Antonio Moreno Guerra ressentait une certaine amitié pour les clarétains. Devant la réponse négative du consul portugais, il considéra qu'il s'agissait d'une affaire d'utilité publique et déposséda Lynslager du terrain, malgré la position influente de celui-ci6. L'acte d'expropriation notifie qu'il s'agit d'un terrain de 5042 m2, situé à l'est de la Mission et qui a été livré au P.Joaquim Pagès, en l'absence du Préfet Apostolique, le 13 mai 18897. Cette victoire permet aux missionnaires de révérifier leurs idées sur la corrélation entre la localisation du bâtiment et la santé de ses habitants. La Mission, en jouissant d’un plus grand espace, transformé en un vaste jardin, bénéficierait également d’une meilleure aération des bâtiments. Mais, par dessus tout c'est l'autorité de la Mission qui se raffermit (et celle du gouverneur) face à la classe sociale la plus importante de la ville : celle des commerçants protestants anglophones, qui en formaient le noyau initial. L'agrandissement de la maison de la Mission était donc un acte lourd en signification, ce dont le propriétaire saisi a perçu d’emblée toute l’importance : « Plus tard, vint me voir Guillermo Lynslager du Congo, pour réclamer. Lorsqu'il apprit que tout avait été cédé à la Mission il s'exclama : "Tout cela a été donné aux P.P. C'est bien : ça a été donné á Dieu, et je ne veux donc rien réclamer". Ces mots, je les entendis moi-même. Bien que protestant, yankee8, il était un grand ami à nous, et puis, il eut un enfant et... il voulut le baptiser comme catholique, et il organisa une fête magnifique, invitant chez lui, tous les enfants de l'école. Il nous a toujours beaucoup aimés » 9. 5 « El terreno o sitio tampoco era suyo, era de un tal William Linslager, entonces comerciante en el Congo. Como estuvo la Misión Católica en un tris también de quemarse, y nos quitaba toda la brisa y vista del mar, cuando Nacimiento quiso reedificar no le permitió el gobernador, D. A. Moreno Guerra, y le propuso la venta y que el Gobierno la compraría. Nacimiento, hecho una furia, que no y que no... ». Lettre du P. Joaquim Juanola au P. Eusebio Sacristán du 30 avril 1911. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 9, Carton 4. 6 Fils de Charles Lynslager, dernier gouverneur non espagnol de la colonie (10 juin 1854 - 27 mai 1858) William Lynslager possédait plusieurs établissements et était l'associé de John Holt, sans doute le commerçant le plus important de la Guinée espagnole. Il s'agissait donc d'un des personnages les plus significatifs de la société fernandine. 7 Le décret d'expropriation eut lieu deux jours plus tôt. AG.CMF Section F. Série N, Boîte 8, Carton 7 8 W. Lynslager était un Britannique d'origine néerlandaise. 9 « Más tarde vino Guillermo Linslager del Congo, para... reclamar. El hombre, al ver y considerar que todo esto había sido entregado a la Misión, dijo : “Esto ha sido dado a los PP. Está bien : ha sido dado a Dios, y yo no quiero reclamar nada”. Estas palabras, las oí su servidor. Aunque protestante, yankee, era muy amigo nuestro, y después tuvo un crío de... y lo quiso bautizar en católico, e hizo un festival tremendo, haciendo que fuera a su casa todo el colegio, y siempre nos ha querido mucho ». Lettre du P. Joaquim Juanola au P. Eusebio Sacristán, doc. cit.

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Entre l'incendie de la maison du consul portugais et l'expropriation de ce terrain, se déclara, le 12 novembre 1888, un autre incendie : celui de la vieille église des jésuites. Elle brûla à cause d'un feu qui avait pris dans un entrepôt de John Holt, situé justement à côté de la sacristie : « Hier, à huit heures et demie du soir, il se déclara un incendie dans une maison commerciale anglaise attenante à notre église ; comme elle était en bois et qu’elle abritait des matières inflammables, à neuf heures l'incendie s'était répandu dans tout le bâtiment et ses flammes effroyables s'engouffrèrent dans notre église par deux fenêtres latérales, sans qu'on puisse l'en empêcher. À dix heures, il ne restait plus que les murs qui, heureusement, sont en brique. Le clocher, le chœur et le toit, qui étaient en bois, furent vite transformés en cendre. Mais la dite maison était à 4 mètres de l'église et dès le début de l'incendie nous vîmes qu'elle courait une grave danger, si bien que nous nous efforçâmes à sauver tout ce qui était possible ; commençant par la divine Majesté, les vases sacrés, les ornements, le linge, l'harmonium, les instruments à vent, les images et même les bancs » 10. La réponse de la Curie clarétaine mit du temps à arriver. Le P.Xifré, aussi efficace que d'habitude, attendit d'avoir effectué plusieurs actions à Madrid pour s'adresser au Préfet Apostolique de Fernando Póo, lequel, trois semaines après son arrivée, venait de perdre l'église principale des territoires dont il était responsable : « J’ai reçu votre estimable lettre du 12 novembre, où vous m'apprenez le malheureux incendie dont nous avions été informés par câble juste après qu'il eut lieu. Le Gouvernement se dispose à vous envoyer une église en fer et à cet effet il va bientôt contacter une maison belge. Je suis très heureux que vous ayez pu sauver des flammes les ornements et les vases sacrés » 11. Cette idée saugrenue de faire bâtir une église en fer en pleine zone équatoriale n’est pas du P. Xifré. C’est en fait en Guinée qu’elle fit son 10

« Ayer, a las ocho y media de la noche, se declaró un incendio en una casa comercial inglesa contigua a nuestra iglesia ; como era de madera y contenía materias inflamables, a las nueve el voraz incendio ya se había apoderado completamente de todo el edificio, cuyas espantosas llamas, impulsadas por el viento, penetraron muy pronto dentro de nuestra iglesia por dos ventanas laterales, sin poderlo impedir. A las diez ya no quedaban de ésta más que las murallas, que afortunadamente son de ladrillo. El campanario, el coro y la techumbre, que eran de madera, en un momento fueron cenizas. Sin embargo, como desde el momento que se declaró el incendio vimos el peligro que ella corría, porque la citada casa distaba no más de cuatro metros, tratamos de salvar todo lo que se pudiese ; y así, comenzando por la divina Majestad, vasos sagrados, ornamentos, ropa blanca, armónium, instrumentos de viento, imágenes, y hasta los bancos, tuvimos tiempo de salvar ». Lettre du P. Pere Vall-llovera du 13 novembre 1888. In : Anales de la Congregación, volume 1, 1889, p. 17-18. 11 « He recibido su muy apreciada del 19 de noviembre, con la cual veo el desgraciado incendio del cual tuvimos noticia por el cable luego de haber sucedido. El Gobierno está en mandar una [iglesia] de hierro, para cuyo fin contratará pronto con una Casa belga. Me alegro mucho de que pudiesen salvar de las llamas los ornamentos y vasos sagrados ». Lettre au du 7 janvier 1889. APG.CMF-Madrid, document non catalogué.

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apparition. Après l'incendie, le P. Vall-llovera racontait au P. Mata que, provisoirement, l'église était installée dans le bâtiment de l'école, et il manifestait ses craintes ainsi que les solutions proposées : « En toute confiance, je dois ajouter que j'ai bien peur que cette situation soit de longue durée car le Gouverneur veut tout diriger et, vu son caractère plutôt difficile, je crains qu'il ait du mal à trouver qui que soit pour diriger les travaux. Et puis, d'autre part, l'église était très petite, de sorte qu'il aurait fallu l'agrandir, et les travaux de restauration, d'après des personnes versées dans la matière, coûteraient quelque cinq mille duros ; il faudrait en outre envoyer chercher les briques et la chaux à la Péninsule, et encore couper du bois, lequel mettrait du temps à sécher, etc., etc., nous sommes convaincus qu'une église en fer est beaucoup plus avantageuse, pouvant abriter trois ou quatre cents personnes, bien adaptée à ces climats, à condition de pouvoir l'obtenir. C'est ce que l'ingénieur de cette colonie, Sr. Piqueras a proposé à M. le Gouverneur, idée à laquelle nous avons donné notre totale adhésion. Pour l'instant j'ignore ce que deviendra le mémoire, le plan et le devis que M. le Gouverneur a demandé au dit Monsieur, mais je vous en enverrai, si je peux, une copie » 12. Le transport de bâtiments en pièces détachées depuis l'Europe, était une pratique assez répandue en Guinée Équatoriale ; c'était un moyen qui permettait de faire construire des bâtiments élaborés avec des matériaux permanents, lesquels, introuvables dans la colonie, devaient être importés, et apportaient une solution au problème causé parfois par le manque d'ouvriers spécialisés. Comme on le verra par la suite, les premières Missions au delà de Santa Isabel furent bâties selon ce principe. En plus de la nouvelle église de Santa Isabel, il y eût plusieurs envois à destination de la colonie, notamment pour les édifices de la maison de santé et la maison des nonnes de Musola, des bâtiments qui formeraient la Mission de cet endroit de la baie. L'église de Santa Isabel était le signe extérieur le plus représentatif du prestige de la Mission guinéenne. C'est ce qui justifie l'insistance incessante du Préfet : « Les bâtiments de S.Carlos sont toujours sur cette plage. Je me 12 « Hoy debo añadirle en confianza que temo nos quedaremos mucho tiempo en este estado, porque el Sr. Gobernador quiere manejarlo todo ; y, como tiene un carácter que nadie puede darle gusto ni contradecirle, difícilmente encontrará quien le dirija la obra. Y como, por otra parte, la iglesia era muy pequeña, de modo que ya era necesario agrandarla, y la obra de restauración, según cálculo de personas inteligentes en la materia, ha de costar unos cinco mil duros, que los ladrillos y la cal tendrían que pedirse a la Península, que las maderas están todavía en el monte, y que necesitarían su tiempo para secarse, etc., etc., creemos mucho más ventajoso una iglesia de hierro más capaz que la otra, que pueda contener de tres a cuatrocientas personas, bien acondicionada a estos climas, si es que se puede conseguir. Así se lo ha propuesto el ingeniero de esta colonia, Sr. Piquera, al Sr. Gobernador, a cuya idea nos hemos adherido con mucho gusto. Ahora no sé lo que resultará de la memoria, plan y presupuesto que el Sr. Gobernador ha pedido a dicho señor, de la cual, si puedo, le mandaré copia ». Lettre du 20 novembre 1888. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 10, Carton 8.

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demande comment on va faire pour les transporter là où il faut les monter, car ce sont des pièces en fonte, très lourdes, et le chemin est très mauvais. Quand l'assembleur a vu qu'il y en avait encore pour longtemps, il est reparti pour le Congo à bord du même bateau à vapeur et nous n'avons plus eu de ses nouvelles. Le Gouverneur lui a écrit, ainsi qu'à la première autorité du pays, sans avoir encore reçu de réponse. De sorte que, si le Gouverneur n'en demande pas un autre, j'ai l'impression que les bâtiments de San Carlos et notre église ne seront jamais assemblés ; pour ceux de San Carlos, j'ignore quand ils pourront être assemblés, à mon avis peut être dans un an ; quant á l'église, il se pourrait qu'il se présente quelque assembleur. L'église est petite et je crains que, comme elle est en fer, il n'y fasse très chaud, malgré le grand nombre de fenêtres ; mais le fer, lorsqu'il est chaud... C'est comme pour la maison des Mères de San Carlos ; elles se tiendront toujours là, autant de jour que de nuit, et il y fera sûrement très froid la nuit. On verra à quel moment on pourra la monter. Et puis, notre église, d'après le Gouverneur, n'a pas de bois pour recouvrir le sol et pas de vitres pour les fenêtres ; je crois qu'il les a réclamés, mais il parait que tout est déjà payé et j'ai bien peur qu'il n'obtienne rien. Dieu par dessus tout ! De toutes façons, nous souhaitons qu'elle soit montée au plus vite, afin de pouvoir y exercer notre ministère sacré, comme nous le demandent tous les jours les catholiques qui ne peuvent plus aller à l'école, puis qu’elle a été transformée en église provisoire » 13. Seize mois après l'incendie, la nouvelle église était inaugurée : le 19 mars 1890, jour de St. Joseph, patron de la paroisse de Santa Isabel. Le Père Vallllovera sollicita, lors de cette fête, la présence des élèves de la Mission ainsi que ceux des autres Missions de Fernando Póo (Batete et Concepción). Il fallait rendre cet événement aussi solennel que possible, et le programme se 13

« Los edificios de S. Carlos están todavía en aquella playa. No sé cómo los subirán a la altura donde se han de armar, porque son piezas de hierro colado, muy pesadas, y el camino es muy malo. El armador, al ver lo mucho que tenía que esperar, se fue en el mismo vapor para el Congo y no se ha sabido más de él. El Sr. Gobernador le ha escrito algunas cartas, como también a la primera autoridad de aquel lugar, y a ninguna han contestado. Así es que, si el Gobierno no pide otro, creo que los edificios de S. Carlos y nuestra iglesia se quedan sin armar o montar. En cuanto a los de S. Carlos, no sé cuándo se podrán armar ; me parece que no lo estarán en un año más ; para la iglesia de ésta se puede al momento que se presente algún armador. La iglesia es pequeña y temo que, con ser todo hierro, va [a] ser muy calurosa ; aunque tendrá muchas ventanas, pero el hierro, cuando está caldeado... Lo mismo la casa de las Madres para S. Carlos ; y ésta, en la que tendrán que estar de día y de noche, será seguramente muy fría de noche. Allá veremos cuándo se puedan montar. Además, nuestra iglesia, según dice el Sr. Gobernador, ha llegado sin madera para entablar el piso y sin vidrios para las ventanas ; creo que ya las ha reclamado, pero, como ya está pagada, según dicen, temo no se conseguirá nada. Dios sobre todo. De todos modos, deseamos mucho verla armada para poder ejercer en ella, como todos los días nos lo piden los católicos de ésta, que no caben en la provisional, nuestro sagrado ministerio, y tener la escuela en el lugar correspondiente, que es hoy iglesia provisional ». Lettre du P. Pere Vall-llovera au P. José Mata du 21 juillet 1889. AG.CMF, localisation identique.

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voulait éblouissant : « Tous les habitants de la localité revêtirent leurs meilleures tenues ; et une fois la nouvelle église bénie par le Rme. P. Préfet, on y transporta solennellement le St. Sacrément. On fit ensuite la bénédiction des classes, sous le parrainage de M. Ilte. M. Le Gouverneur et Mme de Rogozinski. Le même jour, pour le plus grand plaisir du village il y eut une régate de barques, dont le point d'arrivée était une bouée qu'il fallait entourer. Le Rd. P. Préfet invita les autorités et les habitants du village à participer aux examens qu'ils avaient rédigés pour les enfants des trois écoles ; les résultats obtenus produirent une grande satisfaction chez les concurrents. Le Rd. Pinosa fit un court discours en langue bubi et, après son intervention, le muchuku Ullén, roitelet de Batete très attaché à la Mission, père de Mariano Cristino Pela, le filleul de la reine, en fit un autre dans la même langue. Beaucoup d'enfants furent baptisés et confirmés, de sorte que le nombre de néophytes augmenta et que le christianisme obtint un grand ascendant grâce à la splendeur des fêtes organisées dans l’église récemment construite » 14. Le P. Vall-Llovera, arrivé à Santa Isabel quelques semaines avant l'incendie, mourut à Banapa trois mois après. Tout au long de son mandat, il fut obsédé par la reconstruction de l'église de la capitale guinéenne. Le plus étonnant est que ce travail qu’il n’aura de cesse d’accomplir et le panache qui accompagnera l’inauguration de cette œuvre, n’ont en fait pour but que l’expression du désir des clarétains de s’affirmer vis-à-vis des autres communautés, « le Christianisme obtenant un grand ascendant grâce à la splendeur des fonctions effectuées dans l’église récemment construite ». C'était là la fonction principale de la Mission de Santa Isabel : obtenir le plus grand crédit à la tâche de ses missionnaires. Une nouvelle église, pouvant contenir trois ou quatre cents personnes, devait satisfaire les attentes de tout le monde dans la toute petite ville qu'était Santa Isabel à l'époque15, surtout peuplée de protestants. Malgré cela, les missionnaires la considérerent bientot comme trop petite : « Et puis, on porte au Ministère, envoyé par ce 14

« Toda la población se vistió de gala ; y, bendecida la nueva iglesia por el Rmo. P. Prefecto, se llevó a ella con mucha solemnidad el Stmo. Sacramento. Procedióse luego a la bendición de las campanas, apadrinando el acto el M. Iltre. Sr. Gobernador y la Sra. de Rogozinski. El mismo día, para alegría del pueblo, hubo regata de botes, siendo punto de llegada de botes la boya, a la cual había de dar la vuelta. El Rmo. P. Prefecto convidó a las autoridades y al pueblo a tomar parte en los exámenes que tenían proyectados para los niños de los tres colegios, que dejaron satisfechos a los concurrentes con los resultados obtenidos. El Rdo. P. Pinosa hizo en bubi un breve discurso al que se siguió otro en el mismo dialecto, hecho por el muchuku Ullén, reyezuelo de Batete muy afecto a la Misión y padre de Mariano Cristino Pela, el ahijado de la reina. Se bautizaron y confirmaron muchos niños, aumentándose el número de los neófitos y logrando crédito el cristianismo con el esplendor de las funciones que se hicieron en la nueva iglesia construida ». [Coll, Ermengol] (circa 1908), Crónica de la CasaMisión de Santa Isabel. AG.CMF, doc. cit., p. 53. 15 En 1887, on recensait 161 habitants et 1099 en 1901 (Castro, 1996 : 16), de sorte que la population se maintint toujours vers le millier d'habitants.

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M. le Gouverneur interim, le projet de devis pour agrandir l'église en fer de cette capitale, ainsi que le plan et les frais en détail, afin que rien ne puisse retarder sa prompte réalisation. Père, c'est absolument indispensable, car elle est déjà devenue trop petite et le nombre de fidèles croît de jour en jour. De là, le besoin de l'agrandir » 16. La demande de l'agrandissement de l'église en fer ne reçut aucune réponse de la part du Ministère. Et, au fur et à mesure que la Mission fidélisait la population fernandine, l'idée de construire une plus grande église à Santa Isabel commença à prendre forme : « Je vais faire une proposition à V. Rme. tout en demandant d'ériger une nouvelle église à Santa Isabel. Nous avons maintenant quelque 900$ que l'on nous a donné pour commencer. En outre, l'homme qui est mort - l'un des Cubains de l'autre guerre - a légué pour le culte une maison et une propriété qui, d'après notre estimation doit valoir 5.000$, ceci à moins qu'un des enfants qu'il laissa à Cuba ne vienne les réclamer. Nous avons écrit à M. l'évêque de ce diocèse afin qu'il nous confirme si cet homme avait des enfants. Les gens du village et les commerçants sont tous prêts à collaborer et le Gouverneur nous cède bénévolement le terrain. Nous tiendrons compte de ce qui est stipulé dans les circulaires à propos du travail des Frères comme directeurs des travaux. Le Frère Oller est un grand connaisseur de la construction. Toute la localité attend impatiemment la nouvelle église car, dans l'autre, les jours de forte affluence, la moitié doit rester dehors et ceux qui sont dedans ne supportent pas la chaleur régnante. Nous la construirons à l'aide des aumônes et nous arrêterons les travaux quand les moyens nous feront défaut » 17. Quelques années s'écoulèrent : la transformation de la Préfecture en Vicariat Apostolique permettait d'envisager la construction d'une cathédrale, 16

« Y además va al Ministerio, mandado por este Sr. Gobernador interino, el proyecto de presupuesto sobre alargar la iglesia de hierro de esta capital ; va también el plano y demás especificaciones de gastos, en que se puedan desear a fin de que no se entorpezca el pronto despacho favorable. Padre, es sumamente necesario ; pues se hizo ya pequeña, y cada día va creciendo el número de fieles y, por lo tanto, la necesidad de alargarla ». Lettre du nouveau Préfet Apostolique, P. Coll, au P. Mata, du 20 décembre 1890. AG.CMF, Section F, Série N, Noîte 16, Carton 1. 17 « Una cosa voy a proponer a V. Rma., pidiéndole su aprobación, y es levantar con limosnas una iglesia nueva en Santa Isabel. Tenemos ahora unos 900 $, que nos han dado para comenzar. Además, un hombre que murió, de los cubanos venidos de la otra guerra, ha dejado para el culto una casa y una finca que conceptuamos valdrá unos 5.000 $ entre todo, a no ser que aparezca alguno de sus hijos naturales que dejó en Cuba. Hemos escrito al Sr. obispo de aquella diócesis para que nos certifique si hay algún hijo de este hombre. La gente del pueblo y los comerciantes están también muy animados a cooperar, y el Sr. gobernador cede el solar de balde. Procuraremos tener en cuenta lo que está dispuesto en las circulares sobre trabajar los Hermanos como directores. Tenemos al H. Ollé, que es muy entendido en obras. Toda la población está deseando esta nueva iglesia, porque, en la otra, en días de un poco de concurso no pueden estar, porque caben la mitad y hay un calor insoportable. La haremos de limosna ; y, cuando no tengamos, pararemos la obra ». Lettre du P. Ermengol Coll au P. Xifré du 30 avril 1898. AG.CMF, localisation identique.

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laquelle serait payée, en grande partie, grâce aux contributions populaires. Une cathédrale néogothique en plein Santa Isabel, donnerait assurément un plus grand essor à la supériorité et l’hégémonie catholique dans ce pays. Le projet aboutit et la cathédrale fut inaugurée en 1916, mais cette période est postérieure à celle fixée dans le cadre de cette étude. L'agrandissement de la maison des missionnaires et la construction d'une nouvelle église étaient des symboles externes de prestige qu'il fallait compléter moyennant l'agrandissement du troisième bâtiment que les clarétains avaient reçu en héritage : l'école : « Je viens de demander l'autorisation à M. Le Gouverneur pour la construction d'un étage en bois au dessus de l'école publique de cette ville parce qu’il n'y a plus assez de place pour les enfants dans les dortoirs, et parce que certains blancs nous ont reproché d'encaisser l'argent destiné au matériel scolaire et de la laisser se déteriorer. Au début, j'avais l'intention de le faire construire en bois du pays mais j'ai vite fait de changer d'avis car, vu le manque d'adresse des scieurs, celui-ci devient inutilisable, de sorte que cela revient beaucoup plus cher que de le faire venir de la Péninsule. L'encadrement est fait avec le bois du pays ; c'est pourquoi j'ai chargé le "S. Francisco” de nous apporter un lot de mille briques afin de ne pas déranger le P. Fluvià et de nous épargner la commission » 18. La concentration de toutes ces constructions et leur agrandissement durant le court mandat du P.Vall-Llovera paraît vraiment surprenante. Il faut dire que, cette forme d'action a été induite, en partie, par des événements fortuits19 lesquels ne furent pas provoqués par les clarétains. Il faut 18

« Acabo de pedir permiso al Sr. Gobernador para levantar un piso de madera sobre la escuela pública de esta ciudad, ya porque no nos caben más niños en el dormitorio, ya porque algunos blancos decían que cobrábamos para material de escuela y la teníamos abandonada. En un principio quería hacerla con madera del país, pero en cuanto a la tabla me desengañé luego, porque los serradores no saben aserrar, dejan muchas inservibles y otras difíciles de arreglar, resultando mucho más caras que pedirlas a la Península. Todo el cuadro se hace con madera del país ; por esto encargué al « S. Francisco « que nos trajera una porción con diez mil ladrillos, para no molestar tanto al P. Fluviá y ahorrar la comisión ». Lettre du P. Vallllovera au P. José Mata du 12 avril 1889. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 10 Carton 8. 19 Moins peut être que ce que l'on pourrait croire. Dans la même lettre, le Préfet allait bien audelà de la version officielle : « Je vais vous apprendre, quoique sous le sceau du secret, ce qui arriva la nuit fatale de l'incendie [de l'église] : le propriétaire de l'établissement où commença l'incendie est un anglais protestant et un ami du gouverneur. La maison et son commerce étaient assurés. Il aurait pu sauver des meubles et les marchandises (ne serait-ce qu'en partie) mais il ne laissa entrer personne pour evacuer quoi que ce soit. Il sortit tranquillement muni de la caisse, qu'il déposa chez le gouverneur où il logea et passa la nuit tranquillement et on ne le vit plus tant que dura l'incendie. Le gouverneur fut un des premiers à se rendre sur le lieu du désastre. Dès que nous vîmes le danger, nous nous mimes à l'ouvrage pour sortir la Divine Majesté et puis les objets de valeur, ce dont le gouverneur voulut nous empêcher, et il tenta de nous faire partir sous prétexte qu'il n'y avait aucun danger. Mais nous outrepassames ces ordres. Il menaça le P. Ayneto de le frapper parce que celui-ci ne lui obéissait pas et à moi il me dit je ne sais plus quoi d'un air menaçant, alors que les flammes s'engouffraient déjà par les fenêtres et que quelques employés s'étaient joints à nous afin de nous aider, au péril de leur

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cependant reconnaître qu'ils surent tirer profit de ces coïncidences catastrophiques pour donner un plus grand essor apparent à leur position, d'autant que ce renforcement de l’image prestigieuse de la Mission eut lieu à un moment bien précis : après les deux premières vagues importantes d'expansion missionnaire qui avaient permis à la Mission de couvrir tous les territoires coloniaux et les lieux les plus stratégiques de Fernando Póo. Lorsque le but premier d'expansion parut être atteint, les clarétains parvinrent donc d'une manière opportune à renforcer leur présence à la capitale : c’est ainsi que l’apparence hégémonique de leurs bâtiments correspondait à une image réelle d'hégémonie dans le procès colonisateur. Cette image ne s’est pas limitée aux moments ponctuels d'inaugurations de nouveaux travaux. Elle a persisté et s’est prolongée pour devenir chaque jour plus profonde. Les clarétains mirent en place toute une série d'exercices dans les rues tels que des processions. À Santa Isabel, ils célébraient surtout celle de la Fête Dieu ; et l'assistance des autorités et la participation des troupes étaient considérées dans ce cas comme fondamentales. Jusqu'au point qu'un des principaux reproches à l'égard d'un des gouverneurs « libéraux », José de la Puente, fut le suivant : « C'était en 1894 : à l'occasion de la Fête-Dieu, il fut invité à la procession et il refusa de descendre [de Basilé] » 20. Pourtant la procession de la Fête-Dieu n'était pas la seule parmi celles qui s'effectuaient tout le long de l'année et dont l'objectif était de témoigner publiquement de la position privilégiée que la religion catholique se devait d’avoir dans la ville. Ainsi, par exemple, celles qui avaient lieu lors des principales fêtes de la Mère de Dieu : « Richement habillée, notre Mère bien aimée sortit de l'église, portée sur les épaules des filles de Marie de la capitale, à 5 heures de l'après-midi de ce mois-ci, accompagnée des enfants des écoles (au nombre de 75) et de toute la population. Les autorités honorèrent à qui mieux mieux la patronne des Espagnes, assistant à la procession, en tenue de cérémonie, M. Le vie. Mais malgré lui, nous parvîmes à tout sauver y compris les bancs, comme je vous l’avais écrit dans une autre lettre » : « Voy a decirle con reserva lo que sucedió la noche fatal del incendio. El dueño del establecimiento donde comenzó el incendio es inglés y protestante, amigo del gobernador. Tenía la casa y comercio asegurado. Podía haber salvado muebles y mercancías (parte, no todo) y no quiso que nadie entrase a sacar nada. Él salió muy tranquilo, con la caja del dinero que fue a depositar en la casa del gobernador, donde se alojó y durmió muy tranquilo sin dejarse ver más durante el incendio. El gobernador fue de los primeros que acudió al lugar de la catástrofe. Viendo nosotros el peligro, ya desde el principio comenzamos por sacar la Divina Majestad, y luego los objetos de más valor, lo cual vino a prohibirnos el gobernador, intentando sacarnos fuera, diciendo que no había peligro. Mas no le hicimos caso. Amenazó pegar al P. Ayneto porque no le obedecía, y a mí me dijo no sé qué expresiones algo amenazadoras, cuando ya entraban las llamas por las ventanas y se habían juntado con nosotros algunos empleados, ayudándonos con bastante peligro. Pero a pesar suyo salvamos hasta los bancos, como se lo dije en otra ». 20 « Sucedió después que vino la fiesta del Corpus en 1894. Se le invitó por oficio a la procesión y se excusó de bajar ». [Coll, Ermengol] (circa 1908), Crónica de la Casa-Misión de Santa Isabel .AG.CMF, doc. cit., p. 78.

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Gouverneur, M. le juge de paix, les autres employés de la ville, et aussi le commandant de la croisière et ses officiers, le commandant de la " Ferrolana " et les siens ; et fermant la procession, un peloton de marins, que déposa sa charge d'honneur près de la Ste. Vierge » 21. Une fois de plus, la présence presque obligatoire de « toutes » les autorités à ces actes de la vie religieuse témoigne du soutien du gouvernement pour le travail entrepris par les missionnaires. La solennité - et l'essor définitif - se poursuivaient dans le temple : l'harmonium et les chants (rappelons la concurrence qu'il fallait apporter aux chants des protestants) n'y manquaient pas et prenaient un sens spécial dans les moments les plus importants du calendrier romain : « On interpréta une messe solennelle à plusieurs voix exécutée par le P. Ayneto et les 48 enfants de l’école » 22. Et comme point culminant entre les célébrations dans la rue et les liturgiques, les missionnaires avaient favorisé la création d'une petite fanfare : « Il ne me reste plus qu'à vous annoncer que par ce même courrier, sous l'ordre du Père Préfet, je demande à Ramírez une clarinette, un cornet à pistons et deux flûtes destinés à l'orchestre de cette école qui commence à se distinguer. J'ai vu les brochures des instruments vendus à Londres et ils nous ont parus très bon marché » 23. Le Mémoire que le premier Préfet, P.Ramírez, envoya au Ministère d'Outre-Mer fait le point sur la quantité des fonctions religieuses qui se célébraient, dès les toutes premières années de la mission à Santa Isabel : « Quotidiennes : les messes du matin et le St. chapelet à 6 heures du soir. Hebdomadaires : tous les dimanches, en plus de la Grand-Messe, toujours chantée et comprenant la lecture de l'Evangile, l'après-midi il y a les exercices du Cœur Immaculé de Marie, avec une discussion sur le catéchisme chrétien d’une durée de 20 minutes. Deux associations ont été 21

« Ricamente vestida, pues, nuestra querida Madre salió de la iglesia en hombros de las Hijas de María de esta capital a las cinco de la tarde del corriente, acompañada de ambos colegios de niños y niñas, en número de 75 [alumnos], y de todo el pueblo. Las autoridades también honraron a porfía a la patrona de las Españas, asistiendo a la procesión, en traje de gala, el señor gobernador, el señor juez de primera instancia y demás empleados de esta ciudad, como también el señor comandante del crucero con sus oficiales y el señor comandante de la “Ferrolana” con los suyos también ; cerrando la procesión un piquete de marinería, el cual dejó su correspondiente guardia de honor cerca de la Santísima Virgen ». Lettre du P. Joaquim Pagès du 10 décembre 1889. In : Anales de la Congregación de los Misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María, volume 2, 1890, p. 177. 22 « Se cantó una Misa solemne a voces, ejecutada por el P. Ayneto y los 48 niños de este colegio ». Idem du 31 août 1889. In : Anales de la Congregación, volume 1, 1889, p. 470471. 23 « Sólo me resta advertirle que en este mismo correo, por encargo del P. Prefecto, pido a Ramírez un clarinete, un cornetín y dos flautas para la orquesta de este colegio, que ya comienza a despuntar. He visto los prospectos de los instrumentos que venden en Londres, y nos han parecido muy baratos ». Lettre du P. Raimon Andreu au P. José Mata du 2 mars 1888. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 8, Carton 9.

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fondées, l'une pour les hommes et l'autre pour les femmes, dont le but consiste à promouvoir la culture : elles se tiennent deux fois par semaine, sous la direction d'un Père missionnaire qui leur donne des conférences publiques, et fait que toute sorte de personnes y assistent, qu'ils soient catholiques ou protestants. Mensuelles : la Minerve, c'est à dire, l'exposition du Saint Sacrement le troisième dimanche de chaque mois, tel qu’il a déjà été établi. Annuelles : le mois de mai ; la neuvaine au Cœur Immaculé de Marie, patronne de la Congrégation ; la neuvaine de St. Joseph, patron de l'église ; celle de la Vierge de la Douleur et celle de l'Immaculé Conception, à leurs dates » 24. Le suivi du modèle paroissial est évident. Dans des circonstances plutôt adverses, face aux protestants et en général à tous les Européens, les clarétains rendirent très honorable leur présence à Santa Isabel. Ils eurent l'opportunité de magnifier extérieurement tout ce qui les concernait grâce à la construction et à l’agrandissement de quelques bâtiments qui préfigureront certaines des références architecturales et urbanistiques de la ville. Et ils réaffirmèrent leur préponderance par une présence notoire dans la rue, renforcée par le soutien des autorités et une activité paroissiale remarquable. La reprise du modèle jésuite fut à l'origine d'un résultat discutable : tout au long de cette période la ville demeura anglophone et protestante. Il fallut donc atteindre une évolution encore plus affirmée de l'empreinte colonisatrice pour qu’elle se « normalise ». En fait, cette « normalisation » arriva à partir du moment où la capitale cessa d'être un endroit « isolé », un point exclusif, européen, dans une île de « sauvages », et se vit plongée dans une dynamique coloniale qui recouvrait tout ce territoire. Dans ce domaine les missionnaires du P.Claret jouèrent un rôle décisif.

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« Diarias : las Misas de la mañana y el santo Rosario a las seis de la tarde. Semanales : todos los domingos, además de la Misa mayor, que siempre es cantada y con explicación del Evangelio, se hacen por la tarde los ejercicios del Inmaculado Corazón de María, con una plática de doctrina cristiana que dura unos veinte minutos. También se han establecido en esta ciudad dos asociaciones, una de hombres y otra de mujeres, cuyo objeto es promover la instrucción : reúnense dos veces por semana, bajo la dirección de un Padre Misionero que les da conferencias públicas, y se trabaja porque asistan a ellas toda clase de personas, así católicas como protestantes. Mensuales : la Minerva, o sea la exposición del Santísimo Sacramento en el tercer domingo de cada mes, según estaba ya establecida. Anuales : El mes de mayo ; la novena al Inmaculado Corazón de María, patrona de la Congregación ; la novena de San José, patrón de la iglesia ; la de la Virgen de los Dolores y la de la Inmaculada Concepción, en sus respectivas épocas ». Ramiréz, Ciríaco (s/d), Estado religioso y moral de los habitantes de la isla de Fernando Póo, de su terreno, producciones, arbolado, animales, etc., etc. ASCPF, Scritture riferite nei Congressi : Africa : Angola - Congo - Senegal - Isole dell’Oceano Atlantico, vol. 8, f. 958-976.

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Les bases de l’expansion Dans le dernier document cité, Ramírez faisait un bilan de la situation au delà de Santa Isabel. Et il disait, en parlant des Bubis : « Leur instruction, autant religieuse que littéraire et artistique, est nulle chez les habitants des villages dont il est fait référence. Les Bubis ne connaissent ni art ni métier ; tout leur travail consiste, pour les hommes, soit à monter dans les palmiers pour couper les grappes dont leur femmes tirent l'huile, soit à tirer, au moyen d'entailles dans l'arbre, une sorte de vin qu'ils sont les seuls à boire et qu'ils nomment tupé. Ils cultivent également des plantes, des ignames, des bananes, des malangas, etc., dont les fruits sont leur alimentation principale, ainsi que les écureuils et les rats qu'ils chassent dans la forêt. La religion des Bubis est constituée d'un ensemble de superstitions » 25. Le passage témoigne de l'activité missionnaire face à la culture « autochtone » et de la faible connaissance de la société bubi. En l'occurrence, il faut tout de même signaler que cette situation décrite par le P. Ramírez, la même que les jésuites avaient rencontrée 25 ans auparavant, était un des objectifs qui avaient conformé les « bases » mêmes de la nouvelle Mission (vid. supra) ; dont le deuxième but était de « pénétrer dans le pays dès qu'il sera possible, formant des maisons munies de chapelles et d'écoles, bien que modestes au début, afin d'attirer ces pauvres indigènes moyennant l'aliment corporel, tout en couvrant leurs corps par des vêtements très simples, pour que, une fois après avoir gagné leur cœur, on puisse leur apprendre la religion, l'écriture, la culture et les arts » 26. Ce dessein correspondait à un engagement de la part du Gouvernement d'augmenter le nombre des Missions : « Proportionnellement aux tribus gagnées le nombre de douze missionnaires fixés au départ ira grandissant au fil du temps » 27. Il apparait donc que pour le Préfet Apostolique cette perspective ne pouvait être remise en cause et qu'il n'était pas prêt à essuyer un échec à l’ « intérieur » du pays. Son premier voyage en territoire bubi se produisit assez tôt, en décembre 1883 et il s'y engagea dans le but très précis de se 25

« Su instrucción, así religiosa como literaria y artística, es nula en los habitantes de los referidos pueblos : los bubis no conocen arte ni oficio : todas sus faenas consisten, respecto de los varones, en subir a las palmeras para cortar los racimos, de donde sus mujeres extraen el aceite, o bien para sacar, por medio de incisiones en el árbol, cierta clase de vino que sólo ellos beben, al cual apellidan tupé.También cultivan plantas, ñames, plátanos, malanga, etc., cuyos frutos son su principal alimento, como lo son asimismo las ardillas y ratas que cazan por el bosque. (...) Consiste la religión de los bubis en un conjunto de supersticiones ». 26 « Internarse en el país, tan pronto como se lo permitan las circunstancias, formando Casas con capillas y escuelas, aunque modestas en su principio, a fin de atraer aquellos pobres indígenas por medio del alimento corporal y cubrir su desnudez con vestidos sencillísimos, para que, en ganados sus corazones, se les pueda enseñar la religión, las letras, la cultura y las artes ». Xifré, Josep (1882), Bases de la Misión de Fernando Póo . AG.CMF, doc. cit. 27 « A proporción de que se vayan ganando aquellas tribus, de donde se seguirá que el número de doce misioneros que se fijan irá creciendo con el decurso de los tiempos ». Ibidem.

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mettre d'accord avec les Bubis pour la mise en place d'une Mission dans leur territoire : « Une fois la Mission de Santa Isabel installée et mise en route, le Rd. P. Ciriaco Ramírez se consacra à explorer les autres domaines qui lui avaient été confiés. De sorte que, après avoir pris conscience de l'état des Bubis de Banapa et Basilé, il poursuivit ses excursions jusqu'à San Carlos, ce qui lui fut aisé compte tenu de l'appui et des moyens offerts par le propriétaire foncier Guillermo Vivour, qui, à la suite de son contact avec les Bubis de cette région, connaissait parfaitement les lieux où ceux ci se tenaient, ainsi que leur mode de vie. Il accompagna donc le Rd. P. dans une de ses excursions, à un campement bubi, et ce dernier fut frappé de voir que, bien que l'eau ait été transportée dans une énorme courge, on la lui servit dans un verre en cristal. Il invita les indigènes à baiser son crucifix ; mais ceux ci refusèrent car ils croyaient qu'il s'agissait d'une braise de feu. Il leur demanda alors s'il leur plairait d'avoir les missionnaires parmi eux et ils répondirent que oui » 28. Ceci nous prouve que l'intention de Ramírez, un mois après son arrivée en Guinée, allait déjà bien plus loin de ce qu'avaient entrepris les jésuites : le Préfet clarétain, d'après ce récit, se refusait au projet de s'installer à Banapa et à Basilé, deux endroits assez proches de Santa Isabel et où l'on pouvait accéder à pied (bien que l'accès à Basilé dût être dur, à cause de son altitude). Et en revanche il rapportait son projet à la baie de San Carlos, à l'extrême occidental de l'île, un endroit où jusqu'alors on ne pouvait arriver que par la mer. Et, qui plus est, il faisait confiance à l’un des commerçants protestants de l'île, ce Vivour qui était « un homme métis provenant de Sierra Leone qui par son travail est devenu le premier récolteur de cacao de cette île » 29, stratégie dont s’empareraient plus tard les autres Supérieurs clarétains : profiter de leur relation avec quelques propriétaires protestants, dont certains étaient déjà installés en territoire indigène, pour rencontrer, moyennant ces relations, les chefs bubis de quelque zone que ce soit ; et 28

« Después de instalada en Santa Isabel la Misión y organizado su funcionamiento, el Rmo. P. Ciríaco Ramírez se dedicó a explorar el campo que se le había confiado. Por lo cual, después de haberse hecho cargo del estado de los bubis de Banapa y Basilé, alargó sus excursiones hasta S. Carlos, lo cual le fue relativamente fácil con el apoyo y medios que le prestó el hacendado Guillermo Vivour, que con su trato con los bubis de aquella región había obtenido un perfecto conocimiento de los lugares donde habitaban y de su modo de vivir. Acompañó, pues, Vivour al Rmo. P., en una de sus excursiones, a una ranchería bubi en donde le llamó la atención el que, habiendo ido a buscar agua con una descomunal calabaza, después le presentaran un vaso de cristal. Convidó a los indígenas a besar su crucifijo ; pero ellos se resistieron, creyendo que era una ascua de fuego. Preguntóles si gustarían tener a los misioneros entre ellos, y contestaron que sí ». Coll, Ermengol (circa 1900), Misión de María Cristina, éd. de Jacint Creus, p. 13-14. 29 « Hombre de color natural de Sierra Leona que con su laboriosidad ha llegado a ser el primer cosechero de cacao en esta isla ». [Coll, Ermengol] (circa 1908), Crónica de la CasaMisión de Santa Isabel. AG.CMF, doc. cit., p. 11.

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profiter par la suite de leur maison comme point de repère pour la création et approvisionnement des nouvelles Missions. Ce qui paraît le plus surprenant c’est que le P. Ramírez laissait à l'écart le hameau de Wesbe, situé sur la baie elle même et qui abritait un grand nombre d'Européens et de Fernandins pour aller à un simple « campement bubi », en l'occurrence Batete, situé quelques kilomètres plus loin. En fait, le Préfet Apostolique recherchait un endroit élevé car il voulait prendre soin de la santé des missionnaires. Il cherchait aussi un endroit où le travail missionnaire puisse se centrer exclusivement sur les Bubis. Quoi qu'il en soit, la mission ne s'installa à Batete qu'en 1887. Curieusement, et pourtant ceci deviendrait une procédure habituelle, le chef des missionnaires considéra la parole donnée à la hâte par le chef des Bubis - peut être comme conséquence de leur sens de l’hospitalité - comme une acceptation contractuelle qui lui donnait non seulement le droit de bâtir une maison dans le territoire de Batete mais, étant donné que c'était lui que le lui avait proposé, l'y obligeait même. Autrement dit, en décembre 1883 les clarétains croyaient avoir pris un engagement avec les Bubis de Batete afin d'installer une de leurs Missions sur ce territoire. Mais ce qui prouve, plus que tout autre chose, que les priorités du P. Ramírez étaient fortement établies, c'est son deuxième voyage. Pour la bibliographie clarétaine il ne revêt d'autre importance que son caractère héroïque (Ramírez voyagea à bord d'un bateau anglais, c'est à dire, « ennemi » ; il tomba malade ; les Anglais ne le soignèrent pas ; il parvint à son destin à moitié mort ; et là bas les catholiques le guérirent), pourtant ce fut à mon avis un voyage clé. Deux choses me surprennent dans ce voyage : la date et le but. Il eût lieu en janvier 1884, à peine deux mois après son arrivée à Fernando Póo. Et ce fut à Libreville, où Ramírez voulait voir travailler les missionnaires spiritains de la Mission de Sainte Marie, siège du Vicariat Apostolique des Deux Guinées. J’ajoute que si ce voyage me paraît surprenant, il ne manque pas de logique, bien au contraire : Monseigneur Bessieux avait fondé cette mission stratégique 40 ans auparavant30 et, à l'encontre des jésuites, le nouveau Préfet Apostolique de Fernando Póo voulait tirer profit de la longue expérience africaine des enfants de Libermann31... malgré le litige que les autorités françaises et espagnoles soutenaient à la frontière avec le Muni. Ce litige deviendra aussi par la suite une lutte entre ces deux juridictions ecclésiastiques, mais il est évident que, d'emblée, Monseigneur Le Berre, Vicaire Apostolique des Deux Guinées depuis 1887 et ancien missionnaire 30 31

Roques, 1971. Raponda Walker, s/d.

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de ce territoire, ne voyait pas de manière défavorable le clarétain paludique qui arrivait à sa Mission et qui venait de prendre en charge la Maison des jésuites à Santa Isabel. Et il le salua d’ailleurs avec une phrase prophétique : « Chez moi, ce sera chez toi » 32. Nous pouvons avoir un aperçu de la Mission de Sainte Marie de Libreville à l’époque grâce à une longue lettre33 que le P. Le Berre avait lui même écrite quelques années auparavant au Cardinal Préfet de la Propaganda Fide. Là, le Vicaire Apostolique des Deux Guinées, peu de temps après avoir assumé le poste, dessinait le panorama d'un Vicariat en pleine restructuration et avec un siège très puissant. Tout d'abord, le P. Le Berre évoquait la « séparation » des Vicariats de Sénégambie, Sierra Leone et Dahomey, trois territoires qui auparavant relevaient de la compétence des Deux Guinées. Je tiens à le souligner, car l'expansion de la Préfecture Apostolique de Fernando Póo coïncidera avec une nouvelle scission territoriale, celle de la Préfecture Apostolique du Congo, ce qui nous aidera probablement à mieux comprendre la position belligérante à venir de la part de Monseigneur le Berre et de son successeur vis à vis des territoires du Muni. Cependant, à l'époque les primitives Missions de Saint Joseph (Cap Estérias, juste en face de Corisco), Saint Thomas (Denis) et Saint Jacques (rivière Rhembone), avaient été abandonnées (ces Missions seraient plus tard rouvertes par les missionnaires spiritains) ; alors que, dans la zone proche de Libreville, à l’écart de la Mission centrale de Sainte Marie, il y en avait une autre près de la rivière Monda (entre la capitale gabonaise et la Muni) et enfin une au sud de la ville actuelle, dans le village du roi Rapoutyombo, de l'autre côté de la rivière Pongwe. Pour la prise en charge de ces trois Missions, le P. Le Berre comptait sur un contingent de 12 curés, huit coadjuteurs et dix bonnes Sœurs de la Congrégation de l'Immaculée Conception de Castres, en plus de quelques catéchistes et sous-maîtres indigènes. La solidité et la maturité atteintes par la paroisse de Sainte Marie s’exprimaient entre autre par un très grand établissement et tout un ensemble de bâtiments, faits en pierre. Le Vicaire Apostolique affirmait : « C’est la Mission elle-même qui a construit ces bâtiments, petit à petit, par les mains des Frères et des néophytes indigènes : nous avions du reste le précieux avantage de posséder tous les matériaux sur le terrain même de la Mission. L’établissement des religieuses, distant d’un kilomètre et demi de Ste. Marie, et placé auprès du poste français, a été aussi construit par la Mission ». 32

« Noli timere, fili ; noli timere : veni mecum, et domus mea erit domus tua » : « N'aie pas peur, mon fils ; n'aie pas peur : viens avec moi et chez moi, ce sera chez toi ». Lettre s/d du P. Ramírez (Fernández, Cristóbal, 1962 : 78). 33 Lettre s/d [circa 1878]. ASCPF, Scritture riferite nei Congressi : Africa : Angola, Congo, Senegal, Isole dell’Oceano Atlantico, vol. 8, f. 579-583.

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Pour ce qui est de la tâche menée à bien au siège du Vicariat, il la résumait en quelques mots : « Nous avons à Ste. Marie, en fait des principales œuvres, l’éducation de la jeunesse, comprenant l’école primaire et secondaire et une école professionnelle où l’on forme les plus grands aux métiers les mieux adaptés aux besoins de ce pays. Le nombre de nos élèves entretenus aux frais de la Mission est ordinairement de 250 ». Mais la formation de ces élèves ne visait pas seulement à les rendre utiles à la colonie en tant que travailleurs : « L’un des buts de cette œuvre, c’est d’arriver peu à peu à la formation d’un clergé indigène » ; et il en fut ainsi car il y avait déjà eu trois cas de vocations parmi les jeunes hommes de l'internat, lesquels étaient déjà décédés. Autre travail auquel les spiritains s’étaient attelés, le maintien de deux hôpitaux pour indigènes comprenant une cinquantaine de malades qui « nous offrent le moyen d’envoyer au ciel un grand nombre d’âmes » (sic34). L'activité pastorale de ces missionnaires français, qui recevaient de leur gouvernement la somme de 6000 F par an, qui disposaient d'une propriété pour leur approvisionnement et qui commençaient à recevoir des groupes importants de migration fang, se résumait à environ 200 baptêmes par an. Le principal obstacle rencontré rendant la conversion des indigènes difficile résidait dans « la polygamie qui règne dans toutes ces parties de l’Afrique. La plus grande occasion de chute ou d’infidélité pour nos pauvres néophytes, c’est le scandale donné par les Européens, commerçants ou autres, qui fréquentent ces côtes ». Face au panorama qu'offrait cette Mission en pleine maturité, on comprend aisément l'enthousiasme du P. Ramírez et le fait que, dès son retour, il s'efforça de mettre en usage certaines des actions qu'il avait remarquées à Sainte Marie. J'ai déjà souligné que pour la bibliographie clarétaine ce voyage n'avait guère eu de relief ; ainsi, par exemple, la chronique de la Mission de Santa Isabel le résume de la sorte : « Puis, il apprit la démarche que ces bons missionnaires avaient suivie, les difficultés qu'ils avaient dû endurer, la nature des indigènes, le contact avec les autorités civiles, quels avaient été les moyens les plus expéditifs et efficaces pour engager les indigènes dans la voie du catholicisme, la formation de l'école, leur mode d'agir en épargnant les dépenses, les moyens pour leur faire apprendre facilement la langue de la patrie... En somme, un grand

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Affirmation qui ne surprend guère ; la mort des malades, à Libreville, à Santa Isabel et partout ailleurs, était l'occasion à saisir pour un grand nombre de baptêmes « sub conditione » et/ou « in articulo mortis » ; et donnait lieu à tout une série d'événements édifiants qui remplissaient la littérature missionnaire.

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nombre de particularités s'acheminant à l'exercice du Ministère sacré, qui ne s'apprend qu'à l'issu d'une longue expérience » 35. Ce ne sera pas la seule fois que le P. Ramírez se rendra à Libreville. En 1886, par exemple, à son retour d'Annobon accompagné du P. Joaquim Juanola et le P. Isidre Vila, ils y firent escale. Ce dernier affirmait : « Que de gentillesse chez les Pères et les Frères ! Que de simplicité et d'amabilité dans les conversations ferventes de l'Iltre. M. l'Évêque ! Avec quelle confiance et amour nous voyions accourir des Bengas de toute sorte, âges et sexes confondus à l'encontre de ce vieillard vénérable qui, comme le bon Berger et père aimant, apporte sa consolation et rend si heureux ! Que de silence, de paix et de bonne entente entre les Pères et les Frères ! Et que dire de ces quatre vingt garçons qui se trouvaient à l’école des Pères et des cinquante fillettes que les Sœurs éduquaient dans la leur ? Comme ils se montraient attentifs et sages ! Tout, enfin, était édifiant dans cette maison. Nous allâmes au Mois de Marie, et tout ce que renfermait cette église grandiose me suggérait des idées et des pensées qui m'encourageaient à poursuivre la dure tâche de catéchiser, etc., ces petits nègres » 36. Il s'agit de deux documents qui nous permettent de nous former une petite idée du fonctionnement de Sainte Marie. La surprise et l'enthousiasme ressentis par le P. Ramírez à la suite de ce voyage, peuvent se résumer aisément : la Mission de Libreville était vouée à la « conversion » des Bengas, c'est à dire, des indigènes de leur zone personnelle d'influence. Cette « conversion » visait le double objectif de les convertir au catholicisme et d’en faire des travailleurs utiles à la colonie. Pour y parvenir, ils disposaient d'une école de garçons et d'une de filles accueillant des élèves de la zone. Et ils poursuivaient un certain degré d'autofinancement de la Mission grâce au 35

« Luego se enteró de la marcha que aquellos buenos misioneros habían seguido, de las dificultades con que habían luchado, del natural e índole de los indígenas, del trato con las autoridades civiles, qué medios habían hallado más expeditos y eficaces para hacer entrar en el sendero del catolicismo a los indígenas, de la formación del colegio, del modo de [actuar] con economía, de los medios para hacerles aprender con facilidad la lengua patria... En fin, de mil otras particularidades encaminadas al ejercicio del sagrado ministerio, que sólo pueden saberse por una larga experiencia ». [Coll, Ermengol] (circa 1908), Crónica de la CasaMisión de Santa Isabel. AG.CMF, doc. cit., p. 12. 36 « ¡ Cuánta amabilidad en los Padres y Hermanos ! ¡ Qué sencillez y amabilidad en las fervorosas conversaciones del Ilmo. Sr. Obispo ! ¡ Con cuánta confianza y amor veíamos acudir toda clase, edad y sexos de benga a este venerable anciano, que, como buen Pastor y cariñoso Padre, a todos consuela y deja satisfechos ! ¡ Cuánto silencio, paz y concordia entre los Padres y Hermanos ! ¿ Y qué diré de aquellos ochenta niños que estaban en casa de los Padres, y cincuenta niñas que educaban las monjas en la suya ? ¡ Cuán atentos y silenciosos se mostraban ! Todo, en fin, edificaba en aquella casa. Fuimos al Mes de María, y todo cuanto había en aquella grandiosa iglesia me sugería ideas y pensamientos que me animaban a continuar en la dura tarea de catequizar, etc., a estos negritos ». Lettre du 20 mai 1886. In : Boletín Religioso de la Congregación de Misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María, volume 2, juillet - décembre 1886, p. 36-38.

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travail des coadjuteurs et des élèves eux-mêmes ; lequel incluait l’exploitation d'une propriété au profit de la Mission. Un modèle fort différent de celui qu’avaient suivi les jésuites à Fernando Póo, avec quelques similitudes : ainsi la création d'internats que, bien que ne formant qu’une partie de leur projet, les missionnaires de la Compagnie de Jésus ne purent mener à terme. Un modèle que les clarétains admirèrent au cours de toute la période étudiée ici, malgré les difficultés surgies à la suite des litiges territoriaux. En décembre 1894, le P. Ermengol Coll s'y rendit une fois de plus et constata à nouveau l’efficacité du modèle spiritain : « Les écoles, les dortoirs, les réfectoires, le petit séminaire avec à la tête son préfet, un religieux qui, bien qu'indigène, a mérité la confiance de M. l'Évêque pour sa persévérance dans la vocation du sacerdoce, après avoir vaincu de dures épreuves auquelles il a dû s’affronter. Nous continuâmes à visiter dans le détail les ateliers, la boutique du tailleur, la forge et la menuiserie, le four à chaux, le petit hôpital pour les indigènes, etc. Tout était dans le plus grand ordre et propriété » 37. Le P. Ramírez revenait à Santa Isabel résolu à imiter en bien des aspects la Mission de Sainte Marie ; mais préalablement il eut le temps d'aller visiter l'île de Corisco, très proche de la capitale du Gabon, afin « d'effectuer un sondage sur l'état d'esprit des Bengas quant à recevoir la Mission. (...) Ayant pris connaissance de l'objet de sa visite, les îliens se montrèrent très bien disposés à la recevoir quoique, comme on le verra par la suite, leur désir comprenait un certain égoïsme, sans pour cela le manifester à ce moment » 38. N'oublions pas que nous parlons du mois de janvier 1884. Deux mois après son arrivée, donc, le premier Préfet Apostolique clarétain avait déjà visité deux endroits, Batete et Corisco, où il s'était engagé à construire deux Missions. Et il avait appris, à Libreville, un fonctionnement très réussi qui requérait un changement total de modèle par rapport à celui appliqué auparavant par les jésuites. Il se mit à l'ouvrage aussitôt. La vision dans son ensemble sera complétée par la visite que les P.P. Pagès et Frígola firent à l'île d'Annobon, « au cours de laquelle ils purent constater l'état misérable où se trouvaient, du point de vue matériel, les pauvres indigènes, sujets de notre Espagne, et comment le christianisme 37

« Las escuelas, los dormitorios, los refectorios, el pequeño seminario con su Prefecto al frente, el cual es un minorista que ha merecido, a pesar de ser indígena, la confianza del Sr. Obispo por su perseverancia en la vocación del sacerdocio, vencidas antes pruebas muy duras a que se vio sujeto. Seguimos registrando los talleres, la sastrería, herrería y carpintería, el horno de cal, el pequeño hospital para los indígenas, etc. Todo estaba con el mejor orden y limpieza ». Lettre du 9 janvier 1895. In : Anales de la Congregación de los Misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María, volume 5, 1895-1896, p. 101-106. 38 « Sondear la disposición de ánimo en que se hallaban los bengas para recibir la Misión. (...) Entendido el objeto de su visita, manifestaron los isleños muy buenos deseos de recibir la Misión, si bien, como después se vio, iban mezclados con algo de egoísmo, el cual no dieron a entender por entonces ». [Coll, Ermengol] (circa 1908), Crónica de la Casa-Misión de Santa Isabel. AG.CMF, doc. cit., p. 12-13.

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avait pris racine dans leur esprit, quoiqu'il s'y soit pratiquement desséché à cause des erreurs dues au manque d'arrosage spirituel » 39. Une vision optimiste qui s'accordait à la conception qu'en avaient tirée les jésuites un quart de siècle plus tôt.

Consolidation et expansion de la mission de Santa Isabel « Le Rd. P. Préfet étant au courant de la procédure que les méritants religieux du Saint Esprit et de l’Immaculé Cœur de Marie employaient pour l'évangélisation des Gabonais, et persuadé que l'un des aspects les plus importants lequel pourrait rapporter le meilleur fruit était l'éducation des jeunes, d'après ce dont il avait été témoin dans la superbe pépinière que les PP. nommés possédaient dans leur colonie, il décida de mettre en œuvre ce système à Santa Isabel. Et il était stimulé en cela par le triste état de la jeunesse de cette ville. Mon Dieu ! Que de dangers ! Que de mauvais exemples, provenant de ceux mêmes que devaient les corriger ! Dans les bois, sur les chemins, dans les rues et dans leurs maisons mêmes ils apprenaient le mal ; et on en voyait qui marchaient dans les rues comme de simples serviteurs mais sans la moindre instruction religieuse. De sorte que nos missionnaires se décidèrent à ouvrir un collège d'internes et pour que leur idée soit bien accueillie et pouvoir à la fois procurer à la colonie des ouvriers utiles aux métiers les plus indispensables, grâce à l'aide des FF. coadjuteurs on ouvrit aussi des boutiques de tailleurs, des ateliers de cordonniers et de menuiserie » 40. La transformation de l'école de Santa Isabel en un internat représenta un important progrès qualitatif pour la Mission guinéenne. Grâce à elle, les clarétains renversaient le modèle jésuite et introduisaient dans la capitale le 39

« En la cual pudieron apreciar el estado miserable en que se hallaban en la parte material aquellos pobres indígenas, súbditos de nuestra España, así como las hondas raíces que tenía en ellos el cristianismo, pero casi secas por algunos errores provenientes de la falta de riego espiritual ». Ibidem, p. 22-23. 40 « Enterado el Rmo. P. Prefecto del procedimiento que los beneméritos religiosos del Santo Espíritu e Inmaculado Corazón de María guardaban en la evangelización de los gaboneses, y persuadido de que uno de los puntos más interesantes y de que mayor fruto podía extraerse era la instrucción de la juventud, según había tenido ocasión de presenciarlo en el hermoso plantel que los PP. citados tenían en su colonia, determinó ensayar este medio en Santa Isabel. A esto mismo impelía el estado tristísimo de la juventud de esta ciudad. ¡ Dios mío ! ¡ Cuántos peligros ! ¡ Cuántos malos ejemplos, aun de aquéllos que debían corregirlos ! En los bosques, en los caminos, en las calles y en sus mismas casas aprendían el mal ; y se veía andar en las calles a muchos de ellos sirviendo de simples criadillos, pero sin la menor instrucción religiosa. Con lo cual determinaron nuestros misioneros abrir un colegio de internos y, para que mejor recibida fuese la idea y poder al propio tiempo proporcionar a la colonia operarios útiles para los oficios más perentorios, valiéndose de los HH. coadjutores abriéronse también talleres de sastrería, zapatería y carpintería ». Ibidem, p. 13-14.

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savoir faire des spiritains de Libreville. Il est évident que ce modèle de la Compagnie de Jésus continua à fonctionner dans les aspects les plus « paroissiaux » de la vie quotidienne, tel que je l'ai souligné plus haut. Pourtant, l'école ne serait plus qu'un internat mais son objectif était double : * donner une éducation à des élèves indigènes : au cours de cette année 1884, le collège avait 15 élèves inscrits41, nombre équivalent à celui des meilleures époques des jésuites. Ils étaient internes et originaires de la ville elle même ou des alentours ; la plupart d'entre eux étaient Bubis pour la raison suivante : les Fernandins n'étaient pas intéressés à une école confessionnelle catholique. À l'encontre des jésuites, donc, l'internat n'était pas conçu pour les élèves dont la famille résidait à une grande distance, mais pour les jeunes habitant tout près, ceci afin de les éloigner de l'influence immorale de la « ville pervertie ». Selon les accords passés entre la Mission et l'État, celui-ci s’était engagé à prendre en charge l’alimentation et l’habillement des élèves fréquentant l’internat, ce qui figurait dans le budget correspondant. * transformer ces élèves en ouvriers de la colonie, moyennant l'apprentissage de certains métiers. L'internat des clarétains débutait donc comme école de formation professionnelle, tout au moins pour les élèves les plus âgés. Les missionnaires trouveront plus tard les moyens nécessaires pour que par la suite, en finissant leurs études, ils puissent avoir des outils et du travail. Il faut prendre en considération que la naissance de l'internat eût lieu tout de suite après le voyage du P. Ramirez à Libreville, et avant qu'éclate la « lutte pour l'enseignement » qui se tint entre les clarétains et le Gouverneur Antonio Cano et le maître Antonio Borges, qui s'acheva par un accord mutuel de non belligérance le 5 mai 1884 (vid. supra). L'installation de l'internat avait soulevé une forte opposition dans la ville qui n'était pas prête à perdre l'école laïque obtenue à la suite de l'étape des jésuites ; et, comme je l'ai noté dans le chapitre antérieur, elle reçut avec une série de manœuvres contraires et masquées les nouveaux missionnaires, qui attribuèrent ces machinations à l'art du diable, « effrayé » par la puissance clarétaine. Le P. Ramirez avait donc réussi à introduire un nouveau modèle missionnaire dans la ville ; qui, tout en conservant l'ancienne procédure, allait beaucoup plus loin. La question de l'enseignement avait été résolue de manière « amicale » sinon « officielle ». Les clarétains avaient des difficultés pour encaisser les allocations budgétaires, d’autant plus que les frais s'étaient multipliés à cause de l'internat. Et, enfin, il y avait en jeu la construction de 41 Jutglar, Ramon (1933), Datos principales de la labor evangélico-docente realizada en la Guinea española por los misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María desde 18841930. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 1, Carton 2.

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deux fondations, l'une en territoire bubi et l'autre en territoire benga. De sorte que le Préfet décida de se rendre à la Péninsule pour présenter ses projets au Gouvernement de la congrégation. Le P. Xifré avait eu justement la même idée. Il voulait aller à Fernando Póo pour y porter les divers ordres ministériels qui concernaient la mission (voir chapitre antérieur), afin de tenter de résoudre les problèmes avec les autorités et d'envisager les possibilités d'expansion de cette Mission naissante. Le P. Ramirez et le P. Xifré s'embarquèrent en directions opposées ; et une série de faits permit au P. Ramirez d'apprendre le conflit à Sierra Leone et, de là, de regagner Santa Isabel à temps pour accueillir le P. Xifré qui arrivait le 18 juin. Dans ce que le Supérieur Général écrit à la Chronique de la Mission de Santa Isabel, il ne laisse rien voir de ses gestions, ce qui peut paraître ridicule dans de telles circonstances : « Poussé par le désir ardent que cette communauté ne tombe dans le relâchement et que par son zèle véritable et bon esprit elle obtienne la conversion de ces malheureux, nous prescrivons : 1r. Qu'ils s’en tiennent toujours à l'observance régulière et que, par conséquent, il ne s'établisse ni se formule de dispositions contraires aux constitutions ». L'observance par dessus tout. Et parmi les traits d'obéissance nécessaires il incluait « Qu'on n'entreprenne rien de grave, contraire ou peu fréquente en Elle [la congrégation], qu'on n'effectue aucun frais peu commun, sans l'approbation du Gouvernement général de la congrégation » 42. Le séjour du P. Xifré à Santa Isabel dura un peu plus d'une semaine. Il fut extrêmement utile. « Il apprit que les Bubis fernandins des différents points de l'île désiraient vivement des missions ; il prit également connaissance des besoins des catholiques annobonnais, perdus dans une île solitaire, très éloignés du centre des autres territoires espagnols ; il s'aperçut avec quelle urgence les Bengas de Corisco et du Cap de Saint Jean étaient aussi désireux de devenir chrétiens qu'Espagnols ; et il comprit que leur nationalité espagnole courait un grave danger, vu la convoitise des Français, s’il ne s'y établissait pas une Mission au plus tôt. Il vit l'urgence de fonder des écoles pour engager les enfants dans des labeurs utiles ainsi que dans les vérités et pratiques régénératrices de la Religion ; enfin, il prit conscience de la nécessité péremptoire de faire venir aux Missions des religieuses collaboratrices pour prendre soin de l'instruction et éducation des fillettes ainsi que d'autres besognes que, bien mieux que les 42

« Ardiente deseoso de que jamás se relaje esta comunidad y de que su verdadero celo y buen espíritu consiga la conversión de estos infelices, prescribimos : 1º Que atiendan siempre todos a la observancia regular y, en consecuencia, que nunca se establezca ni se dé disposición alguna contraria a las constituciones. » ; « que sin la aprobación del gobierno general de la Congregación no se emprendan cosas graves, contrarias o desusadas en Ella, ni se hagan gastos extraordinarios ». [Coll, Ermengol] (circa 1908), Crónica de la Casa-Misión de Santa Isabel. AG.CMF, doc. cit., p. 17-18.

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missionnaires, elles sauraient mener à terme » 43. Autrement dit : le P. Xifré accepta l'enthousiasme et les projets du P. Ramirez : il fallait, pour les Missions, une expansion concernant le reste des territoires coloniaux espagnols ; et elles devaient s'organiser à la manière des missionnaires spiritains, prenant comme principal objectif les jeunes indigènes, créant des internats pour eux et leur apprenant à « travailler ». Seule l'impossibilité d'organiser l'hôpital, qui à Santa Isabel était à charge de l'administration, faisait la différence entre le modèle clarétain et celui des spiritains. Suivant ce nouveau modèle, les missionnaires profitèrent de la première occasion pour acheter une propriété près de Santa Isabel, à Banapa : « À l'époque (11 septembre 1884) on entama le défrichage de la propriété modèle de Banapa. Or, il advint que deux chevaliers bienfaiteurs qui voulaient contribuer aux progrès du christianisme, ainsi qu'au développement des produits qui pouvaient représenter une richesse dans cette île, offrirent de leur propre gré à nos Supérieurs tout le nécessaire pour l'ouverture d'une propriété servant de modèle aux jeunes qui recevaient leur éducation à la Mission. Lorsque ces RR. PP. Supérieurs prirent conscience de l'utilité qu'ils pouvaient en tirer et de l’intérêt que produirait chez les indigènes la vue des cultures que ces terres produiraient, ils acceptèrent avec gratitude le sacrifice de ces messieurs » 44. Il faut dire qu’en l'occurrence, la propriété se créait tout en prévoyant « l’intérêt que produirait chez les indigènes la vue des cultures que ces terres produiraient ». Donc, il ne revenait pas encore aux Bubis de la prendre en charge ou que les clarétains leur apprennent à travailler la terre tout comme on le faisait alors en Europe ; il s’agit d'une époque antérieure. 43

« Supo de los deseos de los bubis fernandianos, que en distintos puntos de la isla querían Misiones : conoció la necesidad de los católicos annoboneses, perdidos en una isla solitaria muy alejada del núcleo de los demás territorios españoles : se apercibió de los apremios de los bengas de Corisco y Cabo San Juan, no menos deseosos de ser cristianos que españoles ; y entendió que su nacionalidad de españoles peligraba por las apetencias francesas, si pronto no se establecía allí una Misión. Vio la conveniente urgencia de implantar colegios para iniciar a los niños en útiles labores, al mismo tiempo que en las verdades y prácticas regeneradoras de la Religión : y por último, se convenció de la imprescindible necesidad de llevar a las Misiones religiosas colaboradoras, que se encargasen de la instrucción y educación de las niñas y atendiesen a otros menesteres que ellas, mejor que los Misioneros, sabían y podían desempeñar » (Fernandez, Cristóbal, 1962 : 94). 44 « También se dio principio en esta época (11 de septiembre 1884) a la roturación de la finca modelo de Banapá. Fue el caso que dos caballeros bienhechores, queriendo contribuir a los progresos del cristianismo, así como al desarrollo de los productos que pudiesen formar en esta isla una verdadera riqueza, ofrecieron de muy buena voluntad a nuestros Superiores lo necesario para abrir una finca que pudiese servir de modelo a los jóvenes que se educaban en la Misión. Preveniendo estos RR. PP. Superiores la utilidad que de ello podía resultar y el estímulo que en los indígenas causaría la vista de los productos que en ella se diesen, aceptaron con agradecimiento el sacrificio de aquellos señores ». [Coll, Ermengol] (circa 1908), Crónica de la Casa-Misión de Santa Isabel. AG.CMF, doc. cit., p. 23-24.

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Ce qui nous mène à considérer la présence d'autres individus qui furent toujours présents dans les Missions clarétaines : les Krumen. Ce furent eux, effectivement, qui s'occupèrent de faire progresser la nouvelle propriété de la Mission de Santa Isabel. Et dans toutes les Missions ils seraient engagés y effectuant les travaux les plus durs, presque toujours sous la direction des Frères coadjuteurs et sous la supervision de chaque Supérieur. Ils furent toujours très nombreux à Banapa : ce mois de septembre, il en arriva trois et huit au mois de décembre qui y plantèrent des amandiers et des cacaotiers ; deux ans plus tard le nombre de Krumen affectés à Banapa45 s'éleva à 2246. De sorte que, par conviction, parce qu'il s'agissait de la capitale de la colonie, et en suivant le modèle spiritain, la Mission de Santa Isabel, siège de la Préfecture, devint non seulement la plus forte et la plus soignée, mais aussi la première à développer une expansion dans un endroit proche de celle des jésuites (Banapa) et un nouveau modèle missionnaire :

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Pujadas, 1968 ; 150-151. Le recrutement de Krumen pour les Missions, se faisait parfois de pair avec le gouvernement colonial : « Ayant besoin de travailleurs, en entente avec le gouvernement de la colonie, nous avons embauché en Sierra Leone « ( « Habiendo de necesitar gente trabajadora, encargamos en Sierra Leona, en unión con el gobierno de la colonia ». Lettre du P. Raimon Andreu au P. José Mata, du 14 décembre 1890. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 8, Carton 8). À l'époque du P. Vall-llovera il y en avait une centaine dans les Missions toutes confondues, qui « étaient engagés pour 3 ans, à 3 duros 78 centimes par mois et le riz, et les deux contremaîtres à 5 duros « ( « estaban tratados por tres años, a tres duros 78 centavos al mes y el arroz, y los dos capataces a cinco duros ». Lettre du P. Vall-llovera au P. J. Mata, du 12 avril 1889. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 10, Carton 8). Tout le long du mandat du P. Ermengol Coll ils furent encore plus nombreux et étaient toujours aussi indispensables pour le fonctionnement des Missions. « Nous nous attendions à recevoir beaucoup de Krumen dans le “ Larache ” mais ils ne sont pas arrivés. Pour le prochain vaisseau il y aura 57 Krumen de Banapa qui rentreront, et il n’y aura que 13 restant là-bas. De sorte que l'affaire de San Carlos et Conception n'est qu'un projet « ( « Esperábamos muchos krumanes en el “ Larache ” y no nos ha llegado ninguno. Para el próximo correo cumplen en Banapá 57 y van a quedar con 13. De modo que lo de S. Carlos y Concepción queda por ahora en proyecto ». Lettre du P. Ermengol Coll au P. Josep Xifré du 2 Août 1893. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 8, Carton 8). 46

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Un modèle qui rendrait possible l'expansion vers d'autres endroits du fait d'offrir certaines garanties pour le succès de nouvelles Missions qui, à leur tour, iraient en perfectionnant le nouveau modèle imposé par le P. Ramirez.

La première phase de l’expansion clarétaine « Le plan suivi généralement dans les Missions des infidèles était le seul possible parmi les Bubis fernandins : apprendre la langue du pays, aller à la rencontre des tribus en cherchant à gagner la bienveillance et sympathies de leurs chefs ; leur donner l’assurance que leurs intentions sont pacifistes et humanitaires ; exhorter les pères de famille à ce qu'ils se détachent de leurs enfants afin de leur donner une éducation convenable ; ouvrir des écoles d'enseignement primaire et des ateliers de métiers, etc. etc. En un mot, répandre dans les tribus infidèles de l'intérieur de l'île le système instauré avec succès à Santa Isabel » 47. 47

« El plan que generalmente se sigue en las Misiones de infieles era el único posible entre los bubís fernandianos : aprender la lengua del país, recorrer las tribus procurando ganarse la benevolencia y simpatías de los jefes ; dar a éstos seguridades sobre sus propósitos pacíficos y humanitarios ; exhortar a los padres de familia a que se desprendieran de sus hijos para darles conveniente educación ; abrir colegios de enseñanza primaria y talleres de oficios, etcétera,

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Juste avant d'initier son expansion en territoire guinéen, la Mission clarétaine se limitait à Santa Isabel et sa propriété de Banapa ; une Mission construite, en bonne partie, à la hâte, suivant, de la sorte, le modèle missionnaire des jésuites et auquel on avait superposé celui des spiritains de Libreville. Le fonctionnement de la paroisse et sa consécration à la population de la ville étaient le reflet de la tradition jésuite ; la création de l'internat pour garçons, le début de l'école professionnelle et l'ouverture de la ferme de Banapa - destinée à l'approvisionnement des missionnaires et des élèves internes - révélaient l'importance de la tradition spiritaine, mise en pratique par les missionnaires français dans un territoire très proche de la Guinée espagnole. À son retour à la Péninsule, en juin 1884, le P. Xifré emportait avec lui ce nouveau modèle de fonctionnement et de nettes possibilités d'expansion missionnaires, qui se concrétiseront dans les territoires de la baie de San Carlos (Batete) et les îles de Corisco et Annobon : celui-ci (Annobon) considéré comme chrétien, et les deux autres (Batete et Corisco) comme zones « païennes » où le premier pas avait déjà été fait : « aller à la rencontre des tribus en cherchant à gagner la bienveillance et sympathies de leurs chefs ».

etcétera ; es decir, extender a las tribus infieles del interior de la isla el sistema planteado con buen éxito en Santa Isabel ». P. José Mata, Fernando Póo : civlización de los bubís fernandianos. In : Boletín del Corazón de María, 1889-1890, p. 436-440.

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De son côté, l'Administration avait déplacé l'enjeu, un an auparavant, sur une Mission en Guinée, porte-drapeau de la colonisation espagnole ; elle s'était engagée à permettre et à payer son expansion et craignait que sa faible présence dans ce territoire ne serve de prétexte aux puissances étrangères qui à l'époque s'implantaient dans la zone continentale (l'Allemagne et la France) pour la tenir à l'écart48. La célébration de la Conférencede Berlin décida Cánovas del Castillo, président du Conseil de Ministres, d'augmenter la présence officielle espagnole dans la zone, dans le but de ne pas perdre les droits acquis et de s'efforcer de les élargir, et de demander la création d'une nouvelle Mission sur le promontoire du Cap de Saint Jean. Cánovas et le P. Xifré eurent un entretien en septembre 1884 et ils s’accordèrent sur la création de trois nouvelles missions (Cap de Saint Jean, Corisco et Annobon) ainsi que sur l'incorporation de religieuses à Santa Isabel. Je tiens à souligner que ce premier grand moment d'expansion des clarétains en Guinée eut lieu suivant les exigences de la politique coloniale : aux débuts de l'année 1885 il devait y avoir des missionnaires dans tous les territoires espagnols de la colonie. Et, en même temps, la présence des conceptionnistes à la capitale devait aider à approfondir le nouveau modèle imposé par le P. Ramirez et accepté par le P. Xifré et les autorités :

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Cola & Cordero, 1963 ; Costa, 1886 ; Flores, 1949 ; Garcia, 1947 ; Granados, 1907 ; Miranda, 1963.

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La partie « non paroissiale » de la Mission commençait, donc, à s'alourdir plus que tout autre et ce poids irait en s'accentuant de plus en plus dans les nouvelles Missions qui se créeront par la suite, où « le système instauré avec succès à Santa Isabel » pourrait se délivrer des servitudes bureaucratiques (ecclésiastiques et administratives) de la capitale. La deuxième expédition missionnaire quitta le port de Barcelone le 24 octobre 1884 et arriva à Santa Isabel trois mois plus tard, le 27 janvier 1885. Elle était formée de 19 clarétains et de cinq conceptionnistes. Ces dernières commencèrent leur travail aussitôt et si la présence des clarétains dans la ville n'avait guère soulevé d'enthousiasme dans la localité, et la création de l'internat des garçons - aussi bien que la disparition de l'école laïque - avaient été très mal acceptées, la tâche des religieuses sera encore plus mal perçue : « Alors, on leur donna une chambre dans le style du pays, qui leur plut car elles n'allaient pas à la recherche du confort mais du travail pour l'amour du Christ. (...) Elles attirèrent bientôt le regard de ces pauvres infidèles qui les respectaient et les aimaient, confiant leurs enfants à leur bon soin. On vit très tôt un changement dans la capitale des îles, Santa Isabel, car le fait que leurs filles soient sous les auspices des Filles de l'Immaculée détruisait les projets d'iniquité inspirés par Satan qui, furieux, fit son possible pour éloigner ces épouses de Jésus et détruire s'il pouvait de leur labeur. Malgré ses astuces, Luzbel n'y parvint pas ; et, malgré lui, la Mission des filles de la Mère de la Pureté fut créée ; ces dernières, sous son étendard, travaillaient sans relâche pour que ces malheureuses indigènes deviennent de bonnes mères de famille, la gloire de la religion et l’honneur de notre patrie bien aimée » 49. Le labeur des religieuses s'inscrivait pleinement dans le nouveau modèle : « Elles attirèrent bientôt le regard de ces pauvres infidèles » ; « de bonnes mères de famille, la gloire de la religion et l’honneur de notre patrie bien aimée » : il s'adressait aux jeunes filles bubis, qui demeureraient internes et à qui l’on apprendrait la religion et des choses « utiles » pour l'ensemble de la colonie.

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« Luego se les dio una habitación al estilo del país, en la que se hallaron bien ; pues no iban a caza de comodidades, sino de trabajos por amor de Cristo. (...) Pronto atrajeron sobre sí las miradas de aquellos pobrecitos infieles que las respetaban y amaban, confiando luego sus hijas a sus cuidados. Muy pronto se vio un cambio en la capital de las islas, Santa Isabel, porque con tener sus niñas bajo los auspicios de las Hijas de la Inmaculada quedaban destruidos los planes de iniquidad inspirados por Satán, que, furioso, hizo cuanto pudo para arredrar a aquellas Esposas de Jesús y destruir si pudiera su obra. No lo logró Luzbel con todas sus astucias ; y, a pesar suyo, quedó establecida la Misión de las hijas de la Madre de la Pureza, que, alistadas a su bandera, trabajan sin descanso para hacer de aquellas infelices buenas madres de familia, gloria de la Religión y honor de nuestra amada Patria ». Anonyme (1910), Bodas de plata de las religiosas de la Inmaculada Concepción, misioneras en Fernando Póo . AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 4, Carton 2, document non paginé.

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L'installation de l'internat de filles avait été décidée à Madrid, entre le P. Xifré et Cánovas. Il n'y avait rien à faire. Sauf que l'école et les religieuses furent les victimes constantes de l'hostilité d'une ville qui n'accepta jamais de bon gré leur programme. Et si pour les bonnes soeurs la « pureté » des jeunes filles fut le but le plus important dans cette « ville pervertie », c'est là aussi où elles reçurent les attaques les plus dures. « Il se peut, et c'est presque certain, qu'on aie effacé, tout au moins en grande partie, les traces des mauvais exemples qu'elles ont reçus de leurs propres parents, si ce n'est pour la guerre incessante que les protestants et catholiques non conformes à la civilisation chrétienne des filles ont faite aux pauvres religieuses. Elles ont vu le collège pris d'assaut par des jeunes sans pudeur ; elles ont dû subir toutes sortes de calomnies. Ils ont essayé, dans tout ce qui était possible et sous des prétextes insignifiants, d'arracher les filles à leurs soins. Et si, après être parvenus, par leurs procédés malhonnêtes, à soumettre la constance de certaines d’entre elles, et ils leur ont fait commettre quelque faute, résultat de leur débilité, ils ont accusé cyniquement les religieuses elles mêmes en disant : “ Elles sont plus que des filles lorsqu'elles quittent l'école des religieuses ". Ce qui explique que l’on ne parvint jamais, à cause de cette persécution continuelle, à obtenir le fruit espéré de l'éducation des religieuses » 50. L’expédition de 1885 fut utile pour doter la ferme de Banapa d'une entité propre : elle fut tout de suite renforcée par cinq coadjuteurs incorporés de manière provisoire. Peu après y prendrait place la première communauté définitive, formée de deux curés et de deux coadjuteurs. Tout au long des années qui suivront, Banapa éprouverait les avantages et les inconvénients dûs au fait d'être proche de la capitale : elle fut tour à tour avec Santa Isabel le siège de l'école de formation professionnelle et des ateliers, et la résidence de ses propres élèves et celle de ceux qui étaient en formation professionnelle. Mais elle ne perdit jamais son caractère de ferme modèle avec des exploitations d'huile de palme, de café et de cacao ; avec sur place une presse hydraulique (1884) un séchoir à tabac (1886) une scie mécanique (1892), un dépulpeur automatique (1895) et d'autres machines ; ainsi que des

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« Quizá, y sin duda ninguna, se hubiera logrado borrar, a lo menos en gran parte, las huellas de los malos ejemplos que aun de sus mismos padres habían recibido, a no ser por la guerra continua que los protestantes y católicos mal avenidos con la civilización cristiana de las niñas han hecho continuamente a las pobres religiosas : Han visto asaltado el colegio por jóvenes sin pudor ; han levantado contra ellas todo género de calumnias ; han procurado [en] lo posible, con pretextos fútiles, arrancar las niñas de su cuidado ; y después que han logrado con sus malas artes rendir la constancia de alguna, haciéndola caer en alguna falta aneja a su debilidad, han echado con el mayor cinismo la culpa a las mismas religiosas, diciendo : “ Más que niñas salen del colegio de las religiosas ”. De aquí es que [no] ha podido lograrse, merced a esta persecución continua, el fruto que era de esperar de las enseñanzas de las religiosas ». [Coll, Ermengol] (circa 1908), Crónica de la Casa-Misión de Santa Isabel. AG.CMF, doc. cit., p. 29-30.

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véhicules à traction animale, le premier téléphone (1891), la première voie ferrée (1893), l'imprimerie de la Mission et d'autres installations. La Maison de Banapa se reliait au réseau missionnaire de manière non « officielle ». Mais ceci sera une autre caractéristique tout au long de cette période : les clarétains allèrent toujours au-delà de ce que leur permettait le budget approuvé à chaque fois ; et, en dehors des moments de baisse en nombre de missionnaires disponibles, ils soutinrent en Guinée un surcroît de missionnaires qui, bien sûr, n'étaient pas rémunérés par le gouvernement. Une politique d'usage des moyens mais aussi de faits établis, qui la plupart du temps finissait par être reconnue par l'administration. L'expédition de 1885 avait permis non seulement l'installation de Sœurs à Santa Isabel et l’apport de son propre personnel à Banapa, mais aussi la création de trois nouvelles fondations dans tout ce qui était les territoires coloniaux. Ainsi, le 27 février, c’est dans la goélette « Ferrolana », la même qui avait amené l'expédition depuis Cadix, que s'embarquaient les missionnaires affectés à Corisco et au Cap de Saint Jean. Il y avait là le Préfet Apostolique et le Gouverneur réaffirmant de la sorte, aux yeux de tous, (notamment ceux des indigènes) la suprématie missionnaire. Donc, en quittant le port de Santa Isabel les expéditionnaires « furent acclamés par des coups de canon quand ils prirent le canot qui les emmenait au bateau » 51. La Maison de Corisco commença pourvue de trois curés et trois coadjuteurs : « Ils arrivèrent le 2 mars à la baie occidentale de Corisco, où ils ancrèrent à cause d'une tornade. Là le P. Moratona eut déjà de la fièvre. Le 3 au matin, dit le P. Salvadó, montèrent à bord les principaux personnages de l’île : Ingonge, Domingo Emana et le chef d'Elobey Grande. En s'en allant à 8 heures du matin, le P. Salvadó partit avec eux et mit pied à terre afin de recevoir les paquets et bagages de la Mission pour les déposer chez le chef Ingonge où allaient s'installer les missionnaires de façon provisoire en attendant de les emmener à la maison qu'on était en train de leur construire à Fernando Póo » 52. Un jour plus tard la goélette déposait sur la côte occidentale, au village de Satomé, près du Cap de St. Jean, les missionnaires qui devaient fonder une 51

« Fueron victoreados por cañonazos al saltar en el bote que les trasladaba a la embarcación ». Lettre du P. Joaquim Juanola au P. Jeroni Batlló du 11 mars 1885. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 8, Carton 7. 52 « A 2 de marzo llegaron a la balma occidental de Corisco, donde anclaron a causa de un tornado. Aquí ya tuvo fiebre el P. Moratona. El día 3, dice el P. Salvadó, por la mañana vinieron a bordo los principales de la isla : Ingonge, Domingo Emana y el jefe de Elobey Grande. Al volverse, a las ocho de la mañana, el P. Salvadó salió con ellos y saltó en tierra a fin de recibir los bultos y equipaje de la Misión para depositarlos en casa del jefe Ingonge, donde iban a instalarse los misioneros interinamente hasta llegarles la casa que se les está fabricando en Fernando Póo ». Corisco. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 5, Carton 6, document non paginé.

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autre Mission composée, elle aussi, de trois curés et trois coadjuteurs : « Ils s'établirent dans le hameau où Manuel Andeke tenait sa résidence, celui-ci connu sous le nom de Bonkoro, fils de ce Bonkoro qui exerça sa domination sur la tribu benga et qui établit un pacte avec les Espagnols ; tribu à l'époque assez nombreuse et qui en ce moment était presque réduite au néant à cause des guerres civiles et à l’émergence d’autres races plus puissantes qui furent, à leur tour, vaincues par d'autres plus fortes de l'intérieur, et qui cherchaient leur survie en se réfugiant sur la côte » 53. Il s'agit là d'une donnée qui plus tard ferait tout changer ; car, en effet, il y avait, dans la zone du Muni, maintes disputes et une population en mouvement qu'iraient reléguant les habitants qui y avaient vécu jusqu'à ce moment-là, les Bengas, en faveur des Fangs, qui étaient considérés jusqu'alors, comme des « tribus de l'intérieur ». En outre, et en attente des maisons préfabriqués, les deux nouvelles Missions étaient situées de manière provisoire dans deux endroits plutôt incommodes vu que l'endroit où s'arrêtaient d'habitude les bateaux européens (qui devaient approvisionner les deux maisons) était l'îlot d'Elobei Grande, siège du sous-gouvernement et d'un grand nombre de factoreries. Le dernier document cité reflète les raisons pour lesquelles ces deux nouvelles Missions avaient été fondées : « Il s'était établi dans nos possessions, si je me rappelle bien par négligence de la part de nos gouverneurs, à Camerones, l'État allemand, appuyé par le Traité de Bruxelles qui comprenait les conditions requises pour les nations désirant assurer leurs colonies, fixant les limites de leur possession à la rivière Campo. La France, établie déjà depuis plusieurs années, voulut sa part de butin ; et l'Allemagne, qui veillait, se poussa ensuite du Nord au Sud tandis que la France le faisait du Sud au Nord, se partageant entre elles les possessions du Muni. Afin de mettre un terme à ces incursions infâmes (...), fut établie la Mission comme sauvegarde de nos droits » 54. Des Missions, donc qui devaient se montrer, là où elles étaient installées et dans tous les endroits les plus proches, afin de réaffirmer, au-delà de leur but 53

« Se establecieron en el pequeño poblado residencia de Manuel Andeke, conocido con el nombre de Bonkoro, hijo de aquel Bonkoro que ejerció el dominio sobre la tribu benga y que pactó con los españoles ; tribu entonces bastante numerosa y a la actualidad poco menos que aniquilada del todo, debido a las guerras intestinas y al empuje de otras razas más poderosas que a su vez son vencidas por otras más fuertes del interior y que buscan su salvación refugiándose en el litoral ». Misión de Cabo S. Juan. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 8, Carton 7, document non paginé. 54 « Se había establecido en nuestras posesiones, si mal no recuerdo por incuria de nuestros gobernantes, en Camerones la nación alemana, apoyada en el tratado de Bruselas, en donde se fijaban las condiciones que debían tener las naciones que deseaban asegurar sus colonias, fijando los límites de su posesión en el río Campo. Francia, establecida ya de varios años, quiso repartirse la presa ; y Alemania, que no se dormía, se corrió después de norte a sud mientras que Francia lo hacía de sud a norte, repartiéndose entre ellas las posesiones del Muni. Para poner coto a esas infames correrías (...) se estableció la Misión como salvaguarda de nuestros derechos ». Misión de Cabo S. Juan. AG.CMF, doc. cit.

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évangélisateur, de toute première importance, la souveraineté espagnole. La subordination à la politique coloniale était évidente. Une semaine après la fondation de la Mission de Corisco mourait le P. Antoni Moratona, premier clarétain trépassé en Guinée ; deux mois après, mourait le P. Agustí Soler, de la Mission du Cap de Saint Jean. Étant donné que les maisons préfabriquées étaient encore en Europe, on décida de faire attendre à Santa Isabel les missionnaires destinés à la fondation de la Mission d’Annobon. L'un d'entre eux, le P. Josep Ribas, tomba malade et demeura dans la capitale où il mourut trois jours après la fondation de la Mission d'Annobon. Celle-ci eut lieu le 19 août et elle eut donc à sa tête deux curés et trois coadjuteurs qui en trois mois ne parvinrent pas à monter la maison et qui s'aperçurent que le caractère « chrétien » des Annobonnais en fait n'existait pas, et qui durent endurer un isolement absolu de la part des habitants, habitués à chasser les missionnaires qui s'étaient approchés de l'île dans le but de s'y installer. Leur Supérieur était le P. Joaquim Juanola, lequel au bout de quelques jours après avoir rejoint sa première destination guinéenne écrivait : « Nous allons tous bien, grâce à Dieu, et nous sommes heureux dans cette île dont les habitant nous ont accueillis, ravis d'un côté mais pleins de retenue et de méfiance de l'autre. Les gens ne sont pas du tout tels qu’on nous les avait décrits. Il est certain que pour décrire il ne suffit pas de voir une seule fois et encore à la hâte ! Il n'existe que des envoûtements et des maléfices chez ces gens pauvres et malheureux, et leurs prières et pratiques pieuses qui frôlent le ridicule sont pour la plupart adressées à un seul but, les préserver de ceux-ci » 55. En revanche, la Chronique de la Mission n'est nullement intéressée à perdre son temps sur ces premiers jours, lorsque la froideur des Annobonnais avait été perçue comme un symptôme de peur56, et elle ne fait qu’un récit de la situation postérieure : « Au cours des premiers mois il n'y eut aucun fait d'importance. La communauté dut largement peiner à cause des mauvaises conditions de l'endroit où elle devait loger, de l'église publique, envahie de souris qui accouraient pour se gaver de la chair du grand nombre de cadavres qui y étaient ensevelis, des crabes, des moustiques, etc ; et par 55

« Estamos todos buenos, gracias a Dios, y contentos en esta isla, de cuyos habitantes fuimos recibidos por una parte con gozo, y por otra con grande prevención o recelo. No son estas gentes tales como se las pintaba. ¡ Cuán cierto es que para describir no basta ver solamente una vez y de corrida !... Todos son duendes y maleficios en estas infelices y paupérrimas gentes, y sus oraciones y prácticas, ridículamente piadosas, van casi exclusivamente enderezadas a un fin, el preservarse de aquéllos ». Lettre du 24 septembre 1885. In : Boletín Religioso de la Congregación de Misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María, volume 1, novembre 1885 - juin 1886, p. 199-201. 56 « Al principio los niños y mujeres huían de nuestra vista, sobre todo de la de nuestros Hermanos Coadjutores, a quienes por su sombrero y pantalón blancos tomaban como marineros » : « Au début les enfants et les femmes fuyaient en nous voyant ; surtout devant nos Frères coadjuteurs, qu'ils prenaient pour des marins à cause de leur chapeau et leurs pantalons blancs ». Lettre s/d du P. Isidre Vila. Ibidem, p. 265-266.

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dessus tout des requêtes continues du peuple miséreux qui n'arrêtait pas de leur demander des milliers de choses que l'on ne pouvait pas leur fournir. C'était un malaise incessant d'autant plus lourd que l'envie de les satisfaire et le manque de ressources étaient tels qu'il leur était impossible d'y subvenir » 57. Du fait d'être loin de la capitale, Annobon serait le territoire colonial qui recevrait de manière plus accentuée l'influence missionnaire : les clarétains seraient les seuls Européens ; des Européens investis de pouvoir. Et c'est justement pour cette raison, qu'elle deviendrait la Mission la plus problématique et où la relation avec les gens serait la plus difficile. Cependant, l'objectif colonial de réaffirmer la souveraineté espagnole fut aussitôt effectif : « Quelques mois après l'arrivée comme résidents de nos missionnaires, on put s'apercevoir de l’importance de cette mesure ; car lorsque les Allemands, à l'issu de la conférence de Berlin, mirent le cap sur Annobon, dans l'intention de l'occuper, persuadés que là l’Espagne n'avait aucun représentant, nos Pères hissèrent le drapeau national et le R. P. Juanola invita à la retraite le commandant de bateau " Cyclope ". Ceci évita de graves ennuis à notre Patrie car, comme convint le gouvernement lui même, il se serait élevé des conflits semblables à ceux des îles Carolines » 58.

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« En los primeros meses no ocurrieron hechos de trascendencia. La comunidad tuvo bastante que sufrir por las malas condiciones del lugar que hubo de habitar, que era la iglesia pública, infestada de ratones que acudían a cebarse con la carne de los muchos cadáveres que en ella estaban enterrados, cangrejos, mosquitos, etc., ; y sobre todo por las continuas peticiones del indigente pueblo, que no dejaba de pedir mil cosas que no se podían dar. Eran una incesante molestia, tanto más pesada cuanto que eran mayores los deseos de contentarlos y mayor la falta de recursos, que lo imposibilitaban ». Historia de la fundación de la CasaMisión de Annobón. APG.CMF, document non catalogué ni paginé. 58 « A los pocos meses de residir allí nuestros misioneros pudo palparse la trascendencia de esa medida, pues cuando los alemanes, a raíz de la conferencia de Berlín, hicieron rumbo hacia Annobón, con ánimo de ocuparla, persuadidos de que no tenía allí España representante alguno, izaron nuestros Padres la bandera nacional, y el R.P. Juanola insinuó la retirada al comandante del barco “ Cíclope ”. Este servicio evitó serios disgustos a nuestra Patria, pues, como lo reconoció el mismo Gobierno, se hubieran tal vez suscitado conflictos análogos a los de las Carolinas » (Coll, 1911 : 157).

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En une seule expédition, les missionnaires et l'Administration avaient atteints un des principaux objectifs : relier l'expansion missionnaire à la présence officielle espagnole dans le territoire. Les labeurs d'évangélisation des uns se voyaient récompensés par une Mission qui arriverait à être un point culminant d’un grand nombre de leurs aspirations ; et la métropole espagnole voyait garantie sa souveraineté dans ces endroits éloignés à l'aide de quelques simples contingents de ces personnes qui, en outre, se devaient d'y effectuer un travail important d'hispanisation. C'est sûrement la raison pour laquelle les uns et les autres se dépêchèrent d’élargir davantage le champ de cette action ; et le Ministère d'Outre-mer, juste après la mise en place de ces trois Missions et juste après la Conférence de Berlin, demanda un programme lui permettant de planifier convenablement l'expansion future des Missions. La réponse du P. Xifré59 est datée le 14 avril 1886 et ses propositions « que les possessions espagnoles du Golfe de Guinée soient christianisées, civilisées et deviennent un intérêt matériel pour notre pays » 60. C'étaient les onze propositions cidessous :

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AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 8, Carton 7. « Que las posesiones españolas del golfo de Guinea sean cristianizadas, civilizadas y de interés material para nuestra nación ». 60

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1. Un bateau officiel ( = militaire) avec des parcours fixes et fréquents dans tous les territoires et qui puisse transporter les missionnaires et les victuailles destinées aux Missions. 2. Un bateau à voile, propriété de l'ensemble de la Mission ; et un bateau plus petit pour chacune des Missions. 3. Un dépôt de charbon à la capitale pour le service du bateau officiel. 4. Une nouvelle Mission à Elobei pour approvisionner et mettre en rapport les autres Mission de la Muni (deux PP. + quatre FF.). 5. Une nouvelle Mission sur la baie de San Carlos (deux PP. + six FF.). 6. De nouvelles Maisons de religieuses là où il serait possible. 7. Une maison d'acclimatation à Tenerife (îles Canaries). 8. L'aménagement de chemins (avec des Krumen) et l'envoi de travailleurs des Canaries pour la colonisation. 9. L'augmentation de recours pour l'enseignement. 10. L'obligation de l’enseignement en espagnol et de la religion catholique. 11. Le budget nécessaire pour l'alimentation et les habits des élèves. Comme nous pouvons le constater, le Supérieur général, homme réaliste, donnait une grande importance aux moyens de transports (bateaux, réseau routier... représentent quatre des 11 requêtes). Il est vrai que, étant donné que l'approvisionnement des Missions provenait fondamentalement de Barcelone, la relation entre Santa Isabel et le reste des îles et territoires s'avérait d'autant plus essentielle. De même, le programme d'expansion dénote une philosophie qui, comme on verra, sera surpassée par les missionnaires eux-mêmes : Le P. Xifré était toujours convaincu que la colonisation des territoires devait être effectuée par des étrangers ; c'est pourquoi il cite les Krumen, il demande des colons canariens (habitués à un climat très proche de l'équatorial) et il demande aussi la création d'une Maison à Tenerife, en vue d'acclimater les futurs missionnaires mais aussi pour recruter des colons. Il est important de souligner que le Gouvernement donna son entière approbation aux programme du P. Xifré, hormis le dixième point : les rapports avec la Grande Bretagne conduisant à garder une certaine tolérance vis à vis de la population anglophone et protestante de Santa Isabel et de Wesbe ; ce qui dura - avec plus ou moins de rigueur - tout le long de la période, et ce en quoi les clarétains s'opposèrent de manière constante. Et qui plus est, le Ministère, au début de l'an 1887, envisageait la possibilité de créer une autre Mission à la baie de la Concepción, à l'extrême oriental de Fernando Póo : Santa Isabel - San Carlos - Concepción se devaient de former un triangle permettant l'évangélisation - colonisation de l'ensemble de l'île.

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À l'encontre de ce qui s'était passé avec les jésuites, les circonstances géopolitiques amenèrent le Gouvernement espagnol à accomplir le programme présenté par les missionnaires ; et cette même année 1886, naissait la nouvelle Mission d'Elobei : « Le 22 août j'arrivai à Elobey Chico, destiné par l'obéissance, pour approvisionner les Missions de Corisco et Saint Jean. Une Mission dans cette île serait vraiment utile, et sans aucun doute la plus prospère de ces territoires espagnols. On pourrait y accueillir des enfants pamues [Fangs], qui désirent tant être auprès de nous. Pour le moment, il y en a déjà plus de vingt qui ne cessent de nous déranger pour que nous les admettions. Si je partais à la rivière Muni, je suis sûr que tous les enfants viendraient avec moi (...). Au début, ils logèrent dans une maison en bambou où se trouve actuellement celle d'Anguile. En janvier 1887 on reçut la maison en bois de Santa Isabel (...). Le Frère Puig creusa un puits d'eau potable qui évitât d'aller chercher l'eau sur la côte » 61. Les conditions de ce premier logis, que les clarétains avaient acheté à un commerçant allemand, n'étaient guère satisfaisantes : « Ils achetèrent provisoirement pour y loger une maisonnette qui avait servi d'entrepôt, étroite, sombre et humide, située à l'orée du bois, ce qui les empêchait de jouir de la brise de la mer. Si bien qu'elle était fort insalubre. En guise de chaises, de lits et de tables, ils disposaient de caisses d'emballage, de marchandises laissées par les commerçants, tout leur était utile. Lorsqu'il pleuvait un ruisseau traversait la maison si bien qu'ils devaient soulever les pieds pour ne pas se mouiller. Ils n'avaient pas de travailleurs et ce n'est qu’en payant de fortes sommes d'argent qu'ils obtinrent d'un commerçant anglais 25 hommes pour déboiser la forêt » 62. Au-delà des premiers incidents et de la nécessité constante de main d'œuvre africaine, apparaît le changement d'objectifs qui atteint bientôt cette Mission : L'évangélisation des Fangs. De la sorte, l'action missionnaire se 61

« El día 22 de agosto llegué a Elobey Chico, destinado por la obediencia, para proveer a las Misiones de Corisco y San Juan. Una Misión en esta isla sería de grande utilidad y, sin duda, la más floreciente de estos territorios españoles. En ella podrían ser admitidos niños pamues, que tanto desean estar con nosotros. Por de pronto hay más de 20 que están importunando siempre para que los admitamos. Si fuese al río [Muni], estoy cierto que casi todos los niños me seguirían. (...) Al principio vivieron en una casa de bambú sita donde está ahora la de Anguile. En enero del año 1887 vino la casa de madera de Santa Isabel. (...) El H. Puig hizo un pozo de agua potable para no tener que ir a buscar agua a la costa ». Crónica de la Misión de Elobey. APG.CMF, document non catalogué ni paginé. 62 « Compraron interinamente para habitación una pequeña casa que había servido de almacén, estrecha, oscura y húmeda, situada al lado del bosque que les privaba por completo de la brisa del mar, por todo lo cual era sumamente insalubre. No tenía sillas, ni cama, ni mesa. Cajas de embalar, mercancías tiradas por los factores, les servían de todo. Cuando llovía pasaba un arroyo por dentro de la casa, siendo necesario tener los pies levantados y tomar una posición incómoda para no mojarse. No tenían trabajadores, y con mucho dinero pudieron conseguir que un factor inglés les dejase 25 hombres para desmontar el bosque ». [Coll, Ermengol] (circa 1908), Crónica de la Casa-Misión de Santa Isabel. AG.CMF, doc. cit., p. 49.

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répandait dans la société la plus peuplée de la Guinée tout en complétant les limites initiales d'un objectif évangélisateur, exprimé dans la Chronique (de la Mission d’Elobei) elle-même. « Il est très important qu’il y ait à Elobey une résidence de missionnaires avec maison et chapelle, soit pour que les employés espagnols tout aussi bien que les étrangers résidents puissent accomplir leurs devoirs religieux, soit pour rendre plus aisée la communication avec toutes les Missions du Golfe de Guinée et leur faire parvenir les aides nécessaires. Depuis cette île d'Elobey Chico on pourrait parvenir aisément à catéchiser et à civiliser les habitants de l'île toute proche d'Elobey Grande, manquant de toute ressource morale et matérielle » 63. Nous pouvons donc affirmer qu’à la fin de l'année 1886, trois ans après leur arrivée, les clarétains avaient atteints tous les objectifs auxquels, en leur temps, avaient aspiré les jésuites : une Mission forte à Santa Isabel, une Mission pour chacune des autres îles, et une autre sur la côté du Cap de Saint Jean. Avec de surcroît la présence de religieuses à Santa Isabel et une manière d'agir qui approfondissait les résolutions de la Compagnie de Jésus.

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« Importa mucho una residencia de misioneros con Casa y capilla en Elobey, ya para el cumplimiento de los deberes católicos de los empleados españoles y aun extranjeros existentes en aquel punto, ya también para poner en más fácil comunicación a todas las Misiones del golfo de Guinea y prestarles los auxilios oportunos. Desde dicha isla de Elobey Chico se podría pasar con facilidad a catequizar y civilizar los habitantes de la inmediata isla de Elobey Grande [benga], la cual carece de todo recurso moral y material ».

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À mon avis, c'est à ce moment-là que nous pouvons considérer comme achevée la première phase d'expansion des missionnaires clarétains en Guinée. Il fallait cependant encore renforcer la dernière mission d'Elobey, où, au début, on n'avait nommé qu'un seul curé et un coadjuteur, afin de mener à terme le nouvel objectif fixé. Et passer à une deuxième phase, avec un objectif différent. Si jusqu'alors il s'agissait d'assurer la présence missionnaire dans chacun des différents territoires de la colonie, il fallait désormais entreprendre une plus grande expansion dans l'île de Fernando Póo, où la présence missionnaire se bornait à la capitale et à Banapa.

La deuxième phase de l’expansion clarétaine Cette deuxième phase d'expansion fut possible grâce à une autre grande expédition missionnaire : à la suite de quelques voyages plus modestes dans le seul but de remplir des postes vacants, dus aux maladies ou décès, le 7 janvier 1887, 22 nouveaux missionnaires arrivaient à Santa Isabel. Le premier objectif du P. Ramirez, face à cette « pluie » de personnel qui venait d'arriver, consista à mettre en œuvre un ancien « engagement » : fonder la Mission de la baie de San Carlos, à Batete : « Vivour s'adressa au Mochuku [chef bubi] de cette région, appelé Biebedda, qui, comme il est d'usage chez

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les Mochukus, en outre des maisons destinées à son logement et à celui de sa famille, en possédait deux assez grandes destinées à ses hôtes, et où il reçut, apparemment de bon gré, nos frères missionnaires. Les pauvres avaient bien besoin d'une chambre moyennement confortable pour se reposer après un voyage de deux jours pendant lesquels à peine ils ne purent même pas rester assis confortablement. Mais ce n'étaient pas vraiment des maisons. Imaginez-vous, lecteurs, une cabane dont la façade mesure à peu près 1 mètre de haut, de sorte qu'il est nécessaire de se baisser pour entrer, les murs élaborés avec des troncs de fougères sèches juxtaposés ; sans fenêtre, ni porte, sans lit, ni lumière, ni banc, ni chaise. Sans autres meubles que des courges crasseuses suspendues au toit, et quelques squelettes d'antilopes attachés sur le mur, quelques marmites cassées, et des petites pierres en guise de chaises. Tout le monde y entrait sans demander la permission ; et sans même dire bonjour, ils s'asseyaient sans crier gare ou prenaient des grands airs sans aucun respect pour les étrangers. Rien n'était sûr là dedans car les gens entraient mais les chiens aussi qui, affamés profitaient de la moindre occasion pour s'emparer de leur nourriture » 64. La Maison de Batete fut fondée le 24 janvier 1887. Elle était composée d'une première communauté formée d’un curé et deux coadjuteurs. Peu à peu elle devint une sorte de Mission-modèle des Mission clarétaines de la Guinée : assez loin de Santa Isabel pour ne pas être influencée par l'Administration ni par les vices de la « ville pervertie » ; dans un territoire exclusivement Bubi ; éloignée aussi des protestants et des Européens de Wesbe ; et située à Fernando Póo même. Les clarétains placèrent tous leurs efforts dans un endroit qui serait l'étendard de l'ensemble de la Mission. Batete avait été le premier engagement du P. Ramirez. Il comptait déjà sur la complicité de Vivour et l'acceptation de l'autorité bubi, et les clarétains n'eurent plus d'autre projet en vue malgré les problèmes auxquels ils seront confrontés plus tard, et dont l'idée ne les effleura pas pour un seul moment. 64

« Dirigióse Vivour al mochuku (jefe) de aquel distrito, llamado Biebedda, quien, como suelen los mochukus, además de las casas destinadas a su habitación y la de su familia tenía otras dos bastante capaces para huéspedes, y en ellas recibió (al parecer, de buena [voluntad]) a nuestros hermanos misioneros. (...) Buena necesidad tenían los pobres de una habitación medianamente cómoda para descansar, después de un viaje de dos días en los cuales apenas pudieron estar cómodamente sentados. Pero aquello no eran casas : figúrese el lector una choza cuya fachada es próximamente de un metro de altura, siendo indispensable agacharse para entrar ; las paredes, hechas de troncos de helecho secos yuxtapuestos ; sin ventana ni puerta, sin cama ni mesa, ni luz, ni banco ni silla. Sin otros muebles que unas calabazas mugrientas colgadas del tejado, y algunos esqueletos de antílopes atados a la pared, y algunas ollas rotas, y unas piedras pequeñas que sirven de sillas. Allí entraba todo el mundo sin pedir permiso ; y, sin decir buenos días, se sentaba de rondón o se tiraba largo, sin respeto alguno a los forasteros. No había nada seguro, porque como entraba la gente entraban también los perros que, hambrientos, aprovechaban cualquier ocasión para hacer su presa ». Coll, Ermengol (circa 1900), Misión de María Cristina, éd. de Jacint Creus, p. 17-18.

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L'accord avec le Ministère prévoyait encore une dernière fondation à l'autre bout de l'île, sur la baie de Concepción. Un endroit qu'il fallait encore « jauger », ce qui fut fait par le P. Juanola, l'explorateur : « Nous fîmes en sorte de nous en tenir aux instructions qui émanaient du Rd. Père ; c'est à dire : proximité des villages bubis, endroit élevé et frais, eau douce, un bon embarcadère, etc. Et nos désirs furent comblés. (...) Le lendemain, par centaines ils descendirent pour voir le Père, espérant quelques cadeaux ; parmi eux se trouvait le roi d'une grande contrée appelée Biapa. En langue anglaise, qu’hélas, il parlait, je lui dis ce que désirait le Père : “ Que nous allions nous installer là pour être leurs pères, leurs protecteurs, pour apprendre à lire et à écrire à leurs enfants, pour leur faire quelques menus cadeaux... ” Puis le roi, le menton appuyé sur son bâton bubi, s'adressa aux siens, leur traduit le discours du père, et finalement, comme porte-parole du consentement de tous il me dit. "Eh je"! Jou pa : nous t'aimons beaucoup, toi pour nos enfants, etc, etc.” Par la suite, l'air souriant, ils me tendirent tous la main, comme s’ils voulaient certifier les promesses de leur chef » 65. Le 3 janvier 1888, deux curés et deux coadjuteurs s'installaient dans une maison cédée par Vivour sur la baie de la Concepción, à Biapa. Un début semblable à celui de toutes les autres Missions ; mais avec une importante nouveauté : ils avaient été emmenés depuis la capitale sur le bateau à vapeur « San Francisco » de la Compagnie Transatlantique : « Le capitaine, M. Izaguirre, se montra extrêmement prévenant vis à vis des Missions ; il s'offrit au transport de quelques missionnaires entre les Maisons les plus proches, il conduit le bâtiment destiné à la Mission de la baie de la Concepción et son personnel, à la tête duquel se tient le P. Juanola... » 66. Le Gouvernement espagnol ne mettait pas à la disposition des missionnaires un navire de guerre ainsi que l’avait demandé de P. Xifré ; mais octroyait à cette

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« Procuramos atenernos a las instrucciones que traía del Rmo. Padre ; esto es, proximidad a los pueblos bubis, punto elevado y fresco, agua dulce, buen varadero, etc., y se halló todo como deseábamos. (...) Al día siguiente bajan a centenares a ver al Padre, con esperanza de algún regalo : estaba entre ellos el rey de una gran comarca llamaba Biapa. En lengua inglesa, que él afortunadamente poseía, le dije cuál era el deseo del Padre : “que íbamos a establecernos allí para ser sus padres, sus protectores ; para enseñar a sus hijos a leer y a escribir ; para hacerles regalitos...”. Luego el rey, apoyada la barba en su palo bubí, dirigiéndose a los suyos les tradujo el discurso o palabras del padre y, por último, haciéndose intérprete del general asentimiento me dice : “¡ Eh je ! Jou pa : nosotros te queremos mucho ; tú para nuestros hijos, etc., etc.”. Acto continuo, con risueño semblante me alargan todos la mano, como deseando confirmar las promesas de su jefe ». Lettre du 3 juin 1887. In : Boletín Religioso de la Congregación de Misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María, volume 4, juillet 1887 - janvier 1888, p. 25-28. 66 « El capitán, Sr. Izaguirre, estuvo muy deferente con las Misiones ; se ofreció al traslado o permuta de algunos misioneros entre las Casas más próximas, condujo el edificio y el personal destinado a la Misión de la bahía de la Concepción, a cuyo frente se halla el P. Juanola... ». In : Boletín Religioso de la Congregación de Misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María, volume 4, juillet 1887 - janvier 1888, p. 108-109.

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compagnie la concession d'une ligne régulière en Guinée67 qui irait tous les mois de Cadix à Santa Isabel, San Carlos, Concepcion et Elobey. En revanche, elle ne se rendrait à Annobón au maximum qu’une fois tous les trois mois. Ceci rendait plus facile la communication entre les Missions et leur approvisionnement, vu que les clarétains pouvaient faire usage de ce service à chaque fois qu'ils en avaient besoin pour des raisons officielles approuvées dans le budget.

Le triangle Santa Isabel - Batete - Concepción limitait quasiment le territoire des Bubis par la côte, d'autant plus que, en raison du relief de l'île, la plus grande partie de la zone sud était très peu peuplée. À l'époque, pourtant, c'était dans cette zone volcanique où vivait Moka, tenu comme « roi » de tous les Bubis. Mais, en dehors de cela, nous pouvons remarquer que, depuis 1888, la zone d'influence des diverses Missions clarétaines couvrait presque tout le territoire bubi. Dans la zone continentale, un autre triangle, formé par les Missions de Corisco - Cap de Saint Jean - Elobei assurerait leur influence dans le territoire benga et l'estuaire de la Muni. Les clarétains avaient complété le programme d'expansion qu'ils avaient 67

Costa, 1887.

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tracé en quelques années : ils consacreraient le reste de ce que j'ai appelé la période décisive (1883 - 1900) à développer ces premières Missions ; à approfondir leur façon d'agir qui, comme on a pu constater, était basé sur une superposition entre ceux des jésuites et des spiritains ; et à marquer leur influence sur tout le territoire des Bubis, des Bengas et des Annobonnais ; autrement dit, l'ensemble des indigènes qui, avant la conférence de Berlin, étaient déjà considérés espagnols. Ils auraient encore 18 ans, avant la fin du siècle, pour mettre en œuvre ces objectifs, qui étaient à la fois d'évangélisation et de colonisation. Plus tard, les accords hispano-français de délimitation de frontières multiplieront leurs possibilités en territoire ndowe et fang.

Les autres fondations Les fondations des Missions de Batete et Concepción complétaient le programme d'expansion générale présenté par le P. Xifré, lequel était accepté et subventionné par l'Administration. En fait, il ne s'en créa plus de nouvelles ; cependant, il y eut, avant 1900, deux fondations qui ne répondaient plus à une organisation globale mais qui étaient plutôt destinées à résoudre des situations concrètes. Il faut dire qu'elles furent, autant l'une que l'autre, le résultat d'initiatives proposées par le Gouvernement de Santa Isabel. Les missionnaires présentèrent dès lors ces nouvelles Missions presque comme un « service » rendu au gouvernement. Elles correspondaient, de la part du gouvernement de la colonie, à un projet de niveau « paroissial » au sein du travail missionnaire, niveau que les clarétains avaient déjà dépassé et dont, fidèles à leur nouveau modèle, les missionnaires élargirent les objectifs afin de les adapter à la situation qu'ils avaient créée eux-même : le modèle spiritain ne remplaçait donc pas le modèle jésuite du début ; bien au contraire, il s’y superposait et le complétait. La première de ces deux nouvelles fondations fut créée à Basilé le 1er. octobre 1892. Situé sur le flanc du pic de Santa Isabel (maintenant pic de Basilé), c’était un endroit assez proche de la capitale, jouissant d'un climat plus frais. C’est pourquoi un des premiers gouverneurs espagnols de la colonie, Felipe Canga-Argüelles, avait essayé en 1870 d'y bâtir un sanatorium. L'idée ne fut jamais tout à fait abandonnée, et le Gouverneur José Barrasa avait engagé, avant sa destitution, un projet pour l'installation de colons espagnols ; des colons qui arrivèrent en avril 1892, sous le mandat du Gouverneur Eulogio Merchán. Au début, l'Administration avait prévu une seule paroisse pour s'occuper de ces 54 personnes (14 familles qui quitteraient le nouveau village) et une école pour les « demoiselles européennes » en l'occurrence, les jeunes filles de ces familles) prise en charge par les conceptionnistes.

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La Chronique de la Mission - laquelle fut écrite, comme toutes les autres, quelques années plus tard - nous montre que, dès le début, les clarétains ne refuseront pas l'idée de l'Administration. Toutefois, comme pour les autres Maisons, ils tentèrent, à travers cette démarche paroissiale, d’utiliser leur expérience déjà acquise d’une toute autre manière, afin d’essayer d’en accroître les possibilités. « À 500 m. au dessus du niveau de la mer et à 8 Km. de Santa Isabel, capitale de la Guinée espagnole, se situe la Mission de Basilé, dont l'église est la plus artistique de la colonie et dont les conditions climatologiques feront qu'elle deviendra un jour le sanatorium des Européens. Mais plus que les colons résidents, si peu nombreux que les doigts d'une main sont encore trop nombreux, ce qui rend Basilé vraiment importante ce sont les deux superbes écoles de garçons et de filles de la tribu bubi, originaires de cette île si fertile de Fernando Póo » 68. C'est aussi ce qui arriva à la mission de Musola, qu’ils inaugurèrent en juillet 1896 : il s'agit d'un endroit situé sur la baie de San Carlos, de l'autre côté de Batete. Un endroit plutôt élevé et aux conditions climatologiques si favorables, que le Gouverneur Moreno Guerra voulut aussi l’utiliser comme sanatorium pour les Européens de la colonie. En 1890, on y assembla des bâtiments en fer qui étaient arrivés en Guinée en même temps que la nouvelle église de Santa Isabel (vid. supra), et le Gouverneur se disposait alors à y transférer la Mission de Batete. Les clarétains acceptèrent de mauvaise grâce ce transfert qui aurait représenté l'abandon de leur Missioninsigne et leur obligation de se consacrer davantage aux Européens (un type de modèle missionnaire qui pour les clarétains n’était valable que pour la capitale). En fait, l’Administration coloniale, qui était seule à assumer cela, n'eut ni l'allant nécessaire ni les moyens pour faire avancer le projet, si bien que ces bâtiments restèrent abandonnés jusqu'à ce que, en 1896, le Gouverneur Adolfo de España, en fasse le don au Préfet Apostolique : « Pour voir et préparer, arrivèrent le Rd. P. Préfet, le P. Mallén et le F. Artieda. Les deux bâtiments - dit la Chronique - étaient tellement entourés de broussailles, que les Krumen qui étaient sur les chemins ou sentiers qui y mènent ne les distinguaient que s'ils étaient à une distance de quatre mètres. Ils passèrent quatre jours à déblayer le terrain, et au bout de quatre jours on put voir un bâtiment depuis l'autre. La distance pouvait être d'environ 40 ou 50 mètres. Au début, la communauté s'installa dans le sanatorium. Puis ils

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« A 500 metros de elevación sobre el nivel del mar y distante 8 kms. de la ciudad de Santa Isabel, capital de la Guinea Española, se halla situada la Misión de Basilé, cuya iglesia es la más artística de la colonia y cuyas condiciones climatológicas la harán un día el sanatorio de los europeos. Pero la actual importancia de Basilé no es por los colonos aquí residentes, pues sobran los dedos de la mano para contarlos, sino por los dos florecientes colegios de niños y niñas de la tribu bubi, naturales de esta feracísima isla de Fernando Póo ». Trabajos apostólicos de Basilé y sus reducciones. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 5, Carton 3, document non paginé.

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passèrent à la Maison des Mères. Méfiance chez les Bubis » 69.

La fondation de ces deux Missions ferme le cycle d'expansion des clarétains en Guinée jusqu'à la fin du XIXe siècle. On ne peut pas dire que ces deux Maisons, l'une située très près de Batete et l'autre de Santa Isabel, aient élargi les limites géographiques de l'influence clarétaine à Fernando Póo : autant l'une que l’autre étaient situées dans le triangle dont j'ai parlé plus haut. Par contre, elles intensifièrent leur action dans les limites qui avaient déjà été fixées en 1888, car elles furent intégrées dans la démarche de l'ensemble de la Mission. Et il n'en pouvait être autrement. La fondation suivante eût lieu le 15 novembre 1904, huit ans après, à Wesbe. Une fondation apparemment inattendue : tout d'abord, parce que sur la baie de San Carlos il y avait déjà deux Missions clarétaines ; et ensuite parce que la date est postérieure à l'an 1900, alors que le traité hispano-

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« Para ver y preparar vinieron el Rmo. P. Prefecto, el P. Mallén y el H. Artieda. Estaban, dice la Crónica, tan rodeados de maleza los dos edificios, que los crumanes, que estaban en el camino o sendero que conduce a ellos, no los veían sino a la distancia de unos cuatro metros. Se dedicaron cuatro días a despejar el terreno, costando cuatro días el ver un edificio desde el otro. La distancia podrá ser de unos 40 ó 50 metros. Al principio se fijó la comunidad en el Sanatorio ; después pasaron a Casa-Madres. Desconfianza en los bubis ». Musola. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 6, Carton 3, document non paginé.

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français de délimitation de frontières pouvait permettre d’envisager une expansion plutôt orientée vers le continent. L'installation à Wesbe par les missionnaires (San Carlos, bien que les Missions de Batete et de Musola se sont elles aussi appelées San Carlos) fut menée à terme comme une réaction à de très dures critiques de la part de l'administration et des colons de la zone du fait que les missionnaires n'étaient pas parvenus, malgré l'investissement, à hispaniser les deux noyaux européens de Fernando Póo, soit Santa Isabel et Wesbe. L'attitude du Gouvernement de Madrid fut menaçante au point d'envisager de remplacer les clarétains par un autre ordre missionnaire ; et la réaction des clarétains fut d'autant plus dure, qu'elle comptait sur l'appui d'un important secteur social qui appuyait les missionnaires. Une des conséquences de ce fait fut qu'une maisonnette que les missionnaires possédaient à Wesbe et qui servait d'entrepôt à l'arrivée des bateaux sur l'île, devint une Mission comme les autres. En fait, la première maisonnette ainsi que les terrains qui permirent son élargissement furent acquis auprès des protestants de la localité. Comme d'habitude, la Chronique met l'accent sur l'héroïsme des premiers moments, avec à la tête, cette foisci, deux curés et deux coadjuteurs : « Si dans toutes les fondations il faut endurer tant de travail et de privations, imaginez ce qui adviendra à une fondation dans des pays d'infidèles. En arrivant ici, nous vîmes que le rezde-chaussée de la maison n'était pas fini ; la cuisine était dans un petit hangar fait de six planches en zinc sous les cacaoyers ; la salle faisait fonction d'église, salle à manger, garde manger, chambre d'enfants, etc. etc. La grande place que l'on voit aujourd'hui n'existait pas : toute la maison était entourée de cacaoyers, si bien qu'elle était toujours remplie de bestioles qui nous empêchaient de vivre en paix. Mais les bons soins et la charité de nos F.F. de Batete et de Santa Isabel nous permirent de nous procurer bientôt les choses les plus indispensables » 70. L'expansion dans la zone continentale n'eut lieu que bien plus tard, et ceci pour plusieurs raisons. Fondamentalement, parce que l’État espagnol, considérablement affaibli à l'issu de la défaite antillaise et philippine de

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« Si en todas las fundaciones han de sufrirse muchos trabajos y privaciones, calcúlese lo que pasará en una fundación en países de infieles. Al llegar a ésta nos encontramos con que los bajos de la casa estaban sin terminar, la cocina consistía en un cubiertito con seis planchas de cinc debajo de los cacaos, la sala servía de iglesia, comedor, despensa, dormitorio de niños, etc., etc. No existía la gran plaza que hoy vemos : toda la casa estaba rodeada de cacaos, de suerte que la teníamos siempre llena de bichos que no nos dejaban vivir en paz. Al principio carecíamos de todo, de sillas, colchones, ollas, etc., etc. ; pero gracias a la solicitud y caridad de nuestros HH. de Batete y Santa Isabel, pronto nos hicimos con lo más indispensable ». Historia de la Casa-Misión de S. Carlos. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 7, Carton 6, document non paginé.

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189871, fut dans l'incapacité de répondre à des possibilités certaines de colonisation dans ses territoires africains : Avant 1910, cette colonisation ne releva guère d'importance ; et pendant ce temps, tout resta comme avant. En fait, la « pacification » de l'intérieur de la région continentale ne s'obtint qu'en 1926 ; de sorte que, jusqu'à ce moment-là, l'expansion des Missions n'aurait pu se développer que le long de la côte. Sur la côte, les clarétains avaient déjà établi trois Missions : à Corisco, à Elobey et au Cap de Saint Jean, le triangle qui dominait l'estuaire du Muni. Plus au Nord, une seule Mission paraissait possible : c'était dans la ville de Bata, devenue nouvelle capitale du sous-Gouvernement à la place d’Elobey, puis une autre encore sur l'estuaire de la rivière Uolo (Benito). Mais les accords hispano-français permirent aux missionnaires spiritains de conserver leur Mission de Bata jusqu'en 1919 ; de sorte que le seul endroit où les clarétains purent s'installer, au cours de la période que couvre cette étude fut Rio Benito (l'actuelle Mbini), situé dans une zone ndowe non benga fortement évangélisée par les protestants d'Amérique du Nord : « Le Rd. P. Coll pensa bien entendu à subvenir aux besoins spirituels du grand nombre d'indigènes qui logent sur la côte comprise entre les Missions du Cap de Saint Jean et de Bata, envisageant la fondation d'une autre Mission à proximité de l'importante rivière Benito. Dans ce but, à la fin du mois de juillet de cette année [1904] il a entrepris, accompagné du Rd. Pelayo Rodriguez, un voyage d'exploration, parcourant la côte qui va de Saint Jean à la rivière citée ci-dessus, qu'ils remontèrent jusqu'aux cataractes de Yobe ou Senje. Ils ne choisirent pas un endroit définitif, si bien qu'à leur retour le R. P. demanda aux P.P. du Cap de Saint Jean de faire un deuxième voyage de reconnaissance, ce qu'ils firent à la fin septembre de cette année. Et bien qu'ils remarquèrent deux ou trois endroits qui leur parurent réunir plus ou moins les conditions requises pour une fondation, ils se penchèrent plutôt sur le terrain qu'occupait un noir de Sierra Leone appelé Zozaya, qui leur offrit la vente de ce terrain qu’il avait acheté au gouvernement français » 72. La nouvelle Mission commença son activité le 4 février 1905. 71

Jover, 1979. « El Rmo. P. Coll pensó desde luego en proveer a las necesidades espirituales de los muchos indígenas que pueblan la costa comprendida entre las Misiones de Cabo S. Juan y Bata, acariciando la fundación de otra Misión junto al importante río Benito. Con este fin, a últimos de julio del mismo año [1904] emprendió con el Rdo. P. Pelayo Rodríguez un viaje de exploración, recorriendo toda la costa desde S. Juan hasta el citado río, el que remontaron hasta encontrar las cataratas de Yobe o Senje. Como en este viaje no escogieron lugar definitivo, a su regreso el Rmo. P. dejó encargado a los PP. de C. S. Juan que hiciesen un segundo reconocimiento, que verificaron a fines de septiembre de aquel mismo año ; y si bien se fijaron en dos o tres lugares que parecían más o menos a propósito para una fundación, se inclinaron más a favor del lugar ocupado por un moreno de Sierra Leona llamado Zozaya, el cual se ofreció a vender el terreno que aquí poseía y que había adquirido del gobierno francés ». Río Benito. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 7, Carton 5, document non paginé.

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Plus tard, en 1908, les clarétains ouvraient la dernière Mission de cette période, à Moka, au Sud de Fernando Póo, siège de la plus importante autorité des Bubis. Une Mission d'un développement plutôt réduit et qui ne disposait que d'une maisonnette en bois ; jusqu'à ce que, en 1913, on y transférait la Mission de Musola, de sorte que celle de Moka devint réellement une Mission... mais qui ne dura que deux ans. Mais ceci va au delà de ce travail. À la fin de la période que je suis en train d'étudier, la situation des Missions était la suivante :

La bibliographie missionnaire à ce sujet est abondante73. Aucune de ces Missions n'était située en territoire fang ; bien que, dans toutes celles de la côte de la région continentale leur présence commençait à être importante. Il est évident que les clarétains ressentirent toujours une forte sympathie vis à vis de ce peuple « guerrier » qui, à leurs yeux, était plus noble que celui des Bengas, lequel était atteint par la perversion des protestants et des colons : « Alors que les Bengas repoussent l’évangile, il est reçu de très bon gré par les Pamues. Je crois (et je suis prêt à y parvenir avant qu'ils reçoivent 73

Aguilar, 1901 ; Cien años..., 1982 ; Coll, 1899, 1911, 1912 ; Crespo, 1964 ; Creus, 1997e ; Diaz de Villegas, 1959 ; Evangelizadores..., 1948 ; Fernandez, Cristóbal, 1962 ; Izquierdo, 1975 ; Mata, 1890 ; Miguel, 1955 ; Olangua, 1959 ; Pujadas, 1964, 1968, 1983 ; Quince años..., 1939 ; Sacristan, 1918 ; Vilar, 1977

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l'influence des protestants) que beaucoup d'entre eux se convertiraient sans qu’il y ait d’autres écoles, mais si nous prêchons dans les villages même, si l’on pouvait compter sur des sujets choisis et en veillant à leur fournir tout le nécessaire en matière de nourriture et de vêtement, ce qui, pour l'instant, ne serait pas très coûteux, compte tenu du nombre de canots dont nous sommes équipés. Je crois, en outre, que les Pamues sont appelés à peupler tous ces territoires, y compris Fernando Póo ; quant aux Bengas, vue la voie dans laquelle ils se sont engagés, ils vont disparaître ou s'éparpiller, de sorte qu’il ne s’agira plus d’une tribu unie. Et à mon avis, le changement ne sera pas long à se produire » 74. Les missionnaires collaborèrent à l'arrivée de contingents fangs en territoire Benga et à Fernando Póo ; tout en s'efforçant de préserver les Annobonnais de la contagion corruptrice des autres endroits. Quoi qu'il en soit, le labeur de chaque Mission ne se limitait pas à l'endroit où elle était construite, mais il s'étendait dans tous les environs à l'aide de déplacements continus des missionnaires qui y avaient été nommés. Ainsi donc, les clarétains des Missions continentales visitaient un grand nombre de villages, autant Bengas que Fangs, tout comme le faisaient ceux de Fernando Póo dans une grande quantité de villages Bubis. On arrivait parfois à établir une demeure pour les séjours temporaires de ces missionnaires, et même quelques petites chapelles entretenues par quelques chrétiens locaux possédant une formation minimum de catéchiste. Les clarétains appelaient ces endroits où ils rencontraient ce peu d'infrastructure des réductions. Le travail qu'ils y effectuaient, comme on le verra plus tard, était fort différent (quoique complémentaire) de celui des Missions, et leur nombre alla croissant fortement. Ainsi, dans un document anonyme et sans date (environ 1925) on en compte 18 à l'île de Fernando Póo et 35 dans la région continentale75, à la tête desquelles se trouvent des catéchistes locaux exerçants parfois le métier d’instituteur.

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« Al paso que los bengas rechazan el evangelio, los pamues lo reciben con grande voluntad. Creo (y estoy determinado a procurarlo, antes que les entren los protestantes) que se convertirían muchos sin necesidad de más colegios, sino predicándoles en sus mismos pueblos, si hubiese sujetos escogidos y cuidando de que tuviesen lo necesario en vestido y alimentos ; lo cual por ahora no nos sería costoso, atendido el servicio de botes que tenemos. Me parece, además, que los pamues están llamados a poblar todos estos territorios, incluso Fernando Póo ; y los bengas, con el rumbo que llevan, van a desaparecer o dispersarse, de modo que ya no sea tribu reunida. Y no será cosa larga, a mi parecer, este cambio ». Lettre du P. Ermengol Coll au P. José Mata du 14 juin 1894. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1. 75 Reducciones del Vicariato Apostólico. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 1, Carton 6. N'oublions pas qu'à l'île d'Annobon il n'y avait qu'un seul village.

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La petite expansion des religieuses conceptionnistes À mon avis, la faible expansion que, par rapport aux clarétains, eurent les missionnaires conceptionnistes76, est due principalement à deux facteurs : le rôle complémentaire et subordonné qui était donné à leur labeur, et les énormes résistances qu'offraient les Guinéens au moment de laisser leurs filles dans les internats. Je développerai plus tard ce deuxième point. Le premier se comprend par rapport à leur condition féminine (femme = subordonnée et complémentaire aux yeux des mentalités conservatrices et libérales de l'époque), ce qui explique le peu de documentation que j'ai pu trouver, en comparaison des milliers de documents que l'on conserve des clarétains. J'ai noté plus haut le boycott incessant et dissimulé auquel furent soumises les bonnes Sœurs de Santa Isabel de la part de la population de la capitale. Celui-ci arriva à un point tel qu'en 1898 elles partirent, et s'installèrent à Basilé, et s'intégrèrent dans l'ensemble de cette Mission clarétaine qui s'était dérobée aux projets de fonctionnement du gouvernement. Le peu de bibliographie conceptionniste met tout de même en lumière les raisons de ce changement de destin : « Sous l'ordre du Gouverneur Général cette première école fut transférée à Basilé, endroit plus sain (500 m. d'altitude) et à l'abri des bombardements que, comme châtiment à Santa Isabel, l'escadre yankee pouvait leur envoyer » 77. Il est vrai cependant que ce déplacement était plutôt plié aux projets du gouvernement, et au fait que la plupart des élèves n'appartenaient pas à la ville et que, par conséquent, son emplacement à Santa Isabel (où elles étaient mal considérées) ou à Basilé, ne changeait pas grand chose : « Cette année [1890] il arriva que, comme le gouverneur s'opposait à la Mission, il autorisa à ce que les petites filles nous soient retirées de sorte que celles de la capitale Santa Isabel nous furent toutes retirées ; il ne nous en resta que trois ou quatre provenant de la Mission de Corisco. Peu après, les Rds. PP. missionnaires firent de sorte qu'il en vint quelques-unes de la Mission de San Carlos de façon à ce que l’on put rouvrir l'école, qui connut un nouvel essor, notamment grâce à ce changement des fillettes, lesquelles se montraient bien plus dociles que celles de Santa Isabel à l'égard de

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Canals, 1989 ; Centenario..., 1984 ; Misioneras concepcionistas..., 1985 ; Las misioneras concepcionistas..., 1955 ; Recuerdos..., 1944. 77 « Por orden del gobernador general, este primer colegio fue trasladado a Basilé, lugar más sano (500 m. de altura) y resguardado a la vez de los bombardeos con que se temía que la escuadra yanqui llegase a castigar a Santa Isabel ». Las Misioneras de la Inmaculada Concepción : Guinea Ecuatorial, 1885-1955, p. 32. La peur aux bombardements nordamericains était en rapport avec la guerre de Cuba.

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l'instruction que nous leur donnions dans le but de changer leurs mauvaises habitudes » 78. Le même rapport ajoute que ces jeunes filles étrangères ressentaient fortement le changement de climat et tombaient facilement malades. C'est pourquoi « nous regrettions d'autant plus le fait de ne pas disposer de maison à Basilé. Malgré tout, nous devions nous y rendre parfois et D. Jeronimo López nous rendait le grand service de nous prêter la maison qui se trouve dans la propriété qu'il entretient, et qui appartient à la Compagnie Transatlantique, et nous restions là quelques jours pour nous remettre un peu ; car nous aussi, nous en avions bien besoin ; puis nous faisions venir les petites filles qui en avaient le plus besoin, car on ne pouvait pas les amener toutes. Or, grâce à Dieu plus tard on bâtit la grande Maison de Basilé ; et là, elles purent avoir beaucoup plus de filles, comme chacun sait ; elles en ont cent et quelques » 79. Les conceptionnistes regagneraient la ville en 1906. Mais, cette fois-ci, elles ne seraient plus responsables de l'instruction mais s'occuperaient de l'hôpital. En 1890, cinq ans après leur arrivée, les bonnes Sœurs installèrent une Maison à la Mission de Corisco (qui sera transférée à Elobey en 1912) avec à sa tête trois Sœurs : « Après nous être un peu reposées, nous nous rendîmes à la maison qui nous était destinée. C'était celle où avait vécu auparavant le roi de ce quartier du village. Elle était complètement dégarnie : les souris et mille bestioles entraient, sortaient et se promenaient à leur guise, et il était impossible de les exterminer à cause des mauvaises conditions que réunissait le bâtiment. Mais ni celles-ci, ni la chaleur suffocante cause de leur survivance, ne nous firent peur. À l'aide de la grâce du Seigneur nous la réparâmes de notre mieux ; quant aux lits ils ne nous

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« En este mismo año sucedió que, siendo el Sr. Gobernador contrario a la Misión, permitió nos quitasen todas las niñas, de manera que las que eran de la misma capital de Sta. Isabel nos las quitaron todas ; sólo nos quedaron tres o cuatro que habían venido de la Misión de Corisco. Al poco tiempo procuraron los Rdos. PP. Misioneros que viniesen algunas de la Misión de S. Carlos, y así se pudo formar otra vez el colegio, el que fue prosperando con este cambio de niñas, siendo ellas más dóciles que las de Sta. Isabel a las enseñanzas que les dábamos para ir cambiando sus malas costumbres ». Relación de algunos casos ocurridos en las Misiones de Fernando Póo y Corisco en diferentes tiempos. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 4, Carton 2, document non paginé. 79 « Se nos aumentaba la pena al no tener casa en Basilé. A pesar de esto habíamos de subir algunas veces y D. Jerónimo López nos hacía el favor de prestarnos la casa que hay en la finca que él se cuidaba, siendo de la Compañía Transatlántica, y allá estábamos algunos días para reponernos un poco, que también nosotras lo habíamos bien menester, y entonces hacíamos subir las niñas que tenían más necesidad, pues no podíamos subir todas. Ahora, gracias a Dios que más tarde nos hicieron la grande casa que hay en Basilé y allá sí que pueden tener muchas más niñas, como sabido es que tienen ciento y tantas ».

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manquaient pas car c'était le sol lui même et c'est là où nous plaçâmes les matelas » 80. La fondation suivante n'eût lieu que 15 ans plus tard. L'endroit choisi fut Santa Cristina de Batete, le village que les clarétains avaient créé tout autour de leur Mission la plus charismatique, aidés par le fait (nécessaire pendant de longues années, comme on le verra plus tard) que les filles de cette zone « surpeuplée d’églises » soient obligées de se rendre à la capitale (ensuite, à Basilé) pour recevoir une éducation. La décision de fonder une Maison conceptionniste à Batete fut tout spécialement bien accueillie par les garçons de la Mission : « Il manquait un local pour cela, et il n'y avait rien à faire, si bien que ces jeunes gens voyaient, non sans regret, leurs désirs frustrés. Mais Dieu leur suggéra une idée louable : S'ils offraient, eux, leur bras et un peu de ce qu'ils récoltaient dans leurs petites propriétés, ils réussiraient leur projet. De sorte qu'ils se rendirent à nouveau auprès du Père cité, à l'époque Préfet de Missions, lequel, en voyant la bonne volonté de ces jeunes, accepta leur proposition ; et quelque temps après ils commencèrent à construire le bâtiment. Mais comme les ressources manquaient et qu’il aurait fallu attendre encore longtemps, on remit aux nouvelles missionnaires, de manière intérimaire, une des plus grandes maisons de toutes celles de cette colonie chrétienne, et c'est là où s'installèrent les Filles de l'Immaculée » 81.

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« Luego de un rato de descanso fuimos a la casa que se nos había destinado. Era la que antes habitaba el rey de aquel barrio o pueblo. Estaba enteramente desmantelada. Los ratones y otros mil animalejos entraban, salían y se paseaban a su sabor, siendo imposible exterminarlos a causa de las malas condiciones que el edificio reunía. Pero ni ellas ni el sofocante calor que les daba vida nos acobardaban. Con la gracia del Señor la arreglamos lo mejor que supimos y con camas bien aseguradas, pues de ellas nos servía el piso, donde colocamos los colchones ». Apuntes de nuestras Misiones en el golfo de Guinea. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 4, Carton 2, document non paginé. 81 « Faltaba al efecto local a propósito, y no había medios para ello ; por lo que aquella juventud veía, y no sin mucha pena, frustrados sus intentos. En esto les sugirió Dios una idea laudable : en que si ofrecían ellos sus brazos y un tanto de lo que ya cosechaban en sus pequeñas fincas, quizá lograrían el intento. Con esto acudieron de nuevo al mencionado y Rmo. Padre, entonces Prefecto de las Misiones, quien, viendo la buena voluntad de aquellos jóvenes, les aceptó la propuesta y muy luego dieron comienzo al edificio. Pero como la escasez de fondos suponía muchos años de esperar, ínterin se dio a las nuevas misioneras una casa de las más capaces de entre aquella colonia cristiana, y allí quedaron instaladas las Hijas de la Inmaculada ». Fundación de las Misiones de Fernando Póo aceptadas por las Hijas de la Inmaculada Concepción en 1884. AG.CMF, document non paginé, même localisation.

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L'hôpital, en juin 1906, fut la dernière communauté conceptionniste de cette période, qui s'acheva par une expansion des Mission féminines bien plus modeste que celle des clarétains. Il faut dire que l'insignifiance de cette expansion n'était pas illogique : les missionnaires étaient situées dans la capitale et ses environs ; à la Mission de Batete, la plus importante des trois qui se trouvaient sur la baie de San Carlos (Batete, Musola et San Carlos), très proche aussi de celle de la Concepción ; et à la Mission de Corisco, d'où l'on pouvait servir les quatre Missions de la côte continentale (Corisco, Elobey, Cap de Saint Jean et Rio Benito). Une expansion très limitée donc, mais située de manière stratégique en fonction des nécessités des clarétains, qui disposaient partout, hormis à Annobon, d'une Maison conceptionniste assez proche. Une maison conceptionniste qui s'intégrait pleinement dans l'engrenage et la structure de chaque Mission, tout en s'incorporant dans le nouveau modèle institué par les missionnaires.

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Quand la forêt devient une ferme Quidam quidem et propter invidiam, et contentionem, quidam autem et propter bonam voluntatem Christum prædicant. (Phil, I, 15)

Les limites de l’expansion : les missionnaires français « Le P. Ramírez rendit visite aux PP. missionnaires du Gabon ; et lorsqu'ils apprit, à son retour, que les îles de Corisco et Elobey ainsi qu'une grande partie de la côte nous appartenaient, il le communiqua au Rd. P. Xifré, lequel, de sa part, le porta à la connaissance du Gouvernement de Madrid qui, pour conserver ces domaines, voulut établir des Missions à Corisco, au Cap de Saint Jean et à Annobon, ainsi qu'un poste militaire à Elobey, là où il avait déjà existé » 82. La situation des nouvelles Missions clarétaines était envisagée de manière stratégique afin de renforcer la souveraineté espagnole dans plusieurs territoires. Que la visite du P. Ramírez au Gabon soit la préparation de cette expansion de sens religieux et politique83, qui devait toucher justement des endroits, notamment l'estuaire de la Muni, qui étaient en litige entre la France et l'Espagne, attire l'attention : car le labeur religieux et le labeur colonial -autant en Guinée espagnole qu'à Libreville84 - devaient être inséparables. Nous avons pu constater que quelques années avant sa rencontre avec le P. Ramírez, Monseigneur Le Berre avait réclamé au Saint Siège la juridiction de l'île de Corisco et du territoire du Cap de Saint Jean, vu qu’en l'occurrence personne ne s'en occupait85. Le Vicaire Apostolique des Deux Guinées caressait cette idée depuis longtemps : tous les concepts exprimés au Siège romain apparaissent déjà 82

« Visitó el P. Ramírez a los PP. misioneros de Gabón y, habiéndose enterado a su regreso de que nos pertenecían las islas de Corisco y Elobey y gran parte de la costa, lo comunicó al Rmo. P. Xifré, quien a su vez lo puso en conocimiento del Gobierno de Madrid ; quien, para sostener aquellos dominios, quiso establecer Misiones en Corisco, Cabo San Juan y Annobón y un puesto militar en Elobey, donde antes había ya existido ». [Coll, Ermengol] (vers 1908), Crónica de la Casa-Misión de Santa Isabel. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 6, Carton 1, p. 131. 83 Zarco, 1950 84 Brasseur, 1975 85 Lettre à la Sainte Congrégation de la Propaganda Fide du 4 juillet 1880. ASCPF, Scritture riferite nei Congressi : Africa : Angola, Congo, Senegal, Isole dell’Oceano Atlantico, vol. 8, f. 660.

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dans une lettre datée du mois précedent ; dans laquelle, il affirme, en outre que « dans le temps, les Espagnols ont voulu donner de l’importance à Fernando-Po et se sont occupés accessoirement de Corisco et du Cap St. Jean, ils y ont annexé deux petites îles appelées Elobey, situées entre Corisco et le continent. Ils ont encore annexé à leurs possessions la rivière dite Anger, ou Angra, ou Muni, avec le littoral des deux cotés de son embouchure » 86. Les affirmations de la première citation et celles de la dernière, quoique inexactes présentent largement une partie du problème juridictionnel soutenu par les deux autorités ecclésiastiques. Les désirs territoriaux des missionnaires espagnols et français s'appuyaient sur des « droits » opposés et souvent contradictoires. Les clarétains furent le porte-drapeau de l'ancienne décision du Saint Siège d'agrandir le territoire de la Préfecture Apostolique de Fernando Póo et du Cap de Saint Jean avec cette affirmation : « promotorium illud cum magno interioris terræ tractu ad Hispaniam pertinet » 87. À cela s’ajoutent les explorations de Sorela (1873), Iradier (la deuxième en 1875), Ossorio (1877) et Montes de Oca (1885), entre autres88. En revanche les missionnaires spiritains et le gouvernement français voulaient par dessus tout mettre en relief leur présence incessante dans la zone ; et les explorations de Du Chaillu (1858), Serval (1862), Guiral (1884) et d'autres encore89. Explorations qui, la plupart des fois, avaient débouché sur la signature de « traités » avec quelques chefs indigènes, lesquels en signaient souvent avec les deux puissances, de sorte qu'ils dressaient soit un drapeau soit l'autre selon le bateau qui s'approchait. La prétendue « sympathie » inspirée par les uns et les autres fut aussi un des drapeaux qui fut hissé : « Les Noirs de la Muni n'aiment pas les Français et ceci a l’air de les humilier quelque peu, et ils sont moins tenaces tant du point de vue civil qu'ecclésiastique. En deux mois, nos Pères ont accepté environ 45 garçons, et les Pères du Gabon, qui y sont pourtant allés 86 Lettre au Supérieur Général du 22 octobre 1879. ACSSP, Deux Guinées, Boîte 168, Dossier B, II. 87 « Le promontoire et un grand espace de terre intérieur appartient à l'Espagne ». Lettre du P. Beckx à la Propaganda Fide, du 6 décembre 1869. ASCPF, Scritture riferite nei Congressi : Africa : Isole dell’Oceano Australe e Capo di Buona Speranza, vol. 4, f. 621-622. 88 Almonte, 1908 ; Bonelli, 1888 ; Cordero, 1944 ; Costa, 1887 ; Criado, 1901 ; Diaz de Villegas, 1956, 1959 ; Espinosa, 1903 ; Gallo, 1909 ; Granados, 1907 ; Iradier, 1886a, 1886b, 1887, 1984 ; Janikowski, 1887 ; Labra, 1898 ; Majo, 1954 ; Martinez Salazar, 1993 ; Montaldo, 1902 ; Navarro, 1888 ; Ossorio, 1887 ; Reparaz, 1991 ; Rio, 1915 ; Saavedra, 1910 ; Sierra, 1987 ; Sorela, 1884 ; Valero, 1891a, 1891b, 1892 89 Anonyme [circa 1920], Luttes d’influences et accords de frontières entre la France et l’Espagne : frontières de la Guinée Espagnole. ACSSP, Deux Guinées, Boîte 168, Dossier B, III. Vid. aussi : Du Chaillu, 1863, 1868 ; Le Testu, 1918 ; Marche, 1882 ; Merlet, 1990a, 1990b, 1991 ; Roche, 1904...

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plusieurs fois, n'en ont pas pris un seul. Si les Français ne sont pas aimés dans la Muni c'est parce qu'on sait que dans toutes les colonies ils imposent de lourdes charges » 90. Cela n’est pas le seul témoignage allant dans ce sens : « Je fis une expédition visitant les villages de la côte jusqu'à Benito, où je pus remarquer jusqu'à quel point ils étaient bien disposés à l'égard des Espagnols. Il faisait pitié de les entendre s'exclamer avec des phrases semblables à celles-ci : “ Les Français nous dérangent tout le temps en nous disant : ‘ Quel avantage tirez-vous d'appartenir à l'Espagne, si les Espagnols ne viennent même pas vous voir ? ’. “ Installez une Mission ”, disaient-ils, “ ainsi les Français ne nous dérangeront plus ”. “ Quant à nous ”, manifestait le chef d'un village qui se tient sous le drapeau de notre pays, “ ils ne peuvent pas nous prendre le drapeau : nous l'avons caché pour qu'ils ne nous le volent pas " » 91. Des citations qui prouvent jusqu'à quel point l'expansion missionnaire était étroitement en rapport avec l'expansion coloniale et l'importance que pouvait avoir pour les missionnaires l'objectif patriotique. Du point de vue des spiritains français, il faut prendre en considération le fait que le Muni était un territoire très proche, situé à peine à 60 Km de Libreville et, par conséquent, dans la zone d'influence directe de la capitale du Vicariat. De plus le Gouvernement français conservait, lors de l'arrivée des clarétains en Guinée, des postes militaires, dans le territoire qui deviendrait espagnol à Bombo, Benito, Bata et Campo (c'est-à-dire, tout le long de la côte jusqu'aux possessions allemandes) ; mais où même les missionnaires du Saint Esprit n'avaient pas de Missions, comme je l'ai raconté dans le chapitre antérieur. Cependant, après l'arrivée des clarétains, ils fondèrent celles de Saint Joseph de Venga (au Cap Estérias, du côté du Muni opposé au Cap de Saint Jean), Sipolo (près de Mbini) et Bata. Il faut finalement considérer les séparations successives des territoires du Vicariat 90

« Los negritos del Muni no quieren a los franceses ; y esto parece que los humilla algo, y no son tan pertinaces ni en lo civil ni en lo eclesiástico. En dos meses, nuestros Padres han cogido unos 45 chicos ; y los Padres del Gabón, que también han ido varias veces, no han podido coger uno siquiera. La causa de no ser queridos los franceses en el Muni es porque saben que en todas las colonias imponen fuertes contribuciones ». Lettre du P. Pere Vallllovera au P. Jeroni Batlló du 15 février 1890. AG CMF, Section F, Série P, Boîte 10, Carton 8. 91 « Hice una expedición, visitando los pueblos de la costa hasta Benito, en cuyo lugar pude observar lo bien dispuestos que están para con los españoles. Causaba compasión oírles exclamarnos con éstas y otras parecidas frases : “ Los franceses nos están molestando todos los días, diciendo : ‘¿ qué sacáis de pertenecer a España, si los españoles ni siquiera os visitan ’ Pongan aquí una Misión ”, decían ellos, “ y entonces no nos molestarán los franceses ”. “ En cuanto a nosotros ”, decía el jefe de un pueblo que tiene bandera de nuestra nación, “ la bandera no nos la han de quitar : la tenemos escondida para que no nos la roben ” ». Lettre du P. Joan Pujol, Supérieur de la Mission du Cap de Saint Jean, au P. José Mata, du 26 janvier 1892. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 8, Carton 8.

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qui formaient des unités ecclésiastiques indépendantes. Un Vicariat donc assez puissant pour la mise en marche de Préfectures Apostoliques et de nouveaux Vicariats ; comptant sur une Mission centrale à plein rendement, et avec les forces françaises disposées tout le long de la côte. C'est ce qu'il y avait à Rio Muni à l'arrivée des clarétains, et l'accueil amical de Monseigneur Le Berre au P. Ramírez, en janvier 1884 (les bonnes manières ne se perdront jamais) devait être la réception généreuse au Supérieur d'une Mission mineure. Si on s'en tient à la documentation disponible dont on dispose aux archives de la Propaganda Fide, le fait le plus important, à ce moment-là, était la création de la nouvelle Préfecture Apostolique du Congo, un autre des territoires qui jouirait d'une entité personnelle, et dont la construction provoquerait toute une série de tensions entre la congrégation du P. Libermann et celle du Cardinal Lavigerie. Or, peu après la visite du P. Ramírez le 11 mars 1884, le P. Le Berre présentait à son Supérieur Général les limites de la nouvelle Mission Congolaise et y ajoutait une carte de toute la zone du centre d'Afrique sur laquelle la Préfecture de Fernando Póo ne figurait même pas92. Dans son écrit, l'évêque de Libreville considérait que les délimitations de son Vicariat Apostolique devaient être « les rives gauches du Niger et du Bémé ». Fernando Póo, donc, n'était pas considérée comme une menace territoriale ; et, en fait, à l'époque elle se limitait à la Mission de Santa Isabel, à côté de laquelle « sous le conseil du Vicaire Apostolique du Gabon fut fondée la Mission de Banapa » 93. Mais la petite Mission clarétaine était destinée à devenir plus grande : malgré l’occupation de la zone de la rivière Muni par les militaires français, l’État espagnol saura tirer profit de l’action des missionnaires clarétains, actifs sur ce même territoire, dans le même but. À la suite de l'expédition missionnaire de 1885 étaient créés les Missions de Corisco et du Cap de Saint Jean. Les missionnaires espagnols, peu après, occupèrent une petite maison à Elobey pour l'approvisionnement des deux autres Missions de l'estuaire. Après l'expédition de 1887 il était évident que Elobey deviendrait une pièce importante dans le triangle des Missions qui, dans l'estuaire, consacrèrent leur activité aussi bien aux Fangs qu'aux Bengas : une concurrence à laquelle le P. Le Berre s'opposa dès le début : « La Préfecture espagnole de Fernando-Po a reçu dernièrement 23 missionnaires, Pères et Frères. Ils s’établissent aux îles Elobey : le bruit court (mais je ne suis pas encore assez renseigné) que ces missionnaires s’établissent aussi dans la rivière Muny. Jusqu’à présent, leur juridiction comprenait Fernando-Po, Corisco et le Cap Saint Jean. Toute la côte depuis le Bénoué jusqu’au 92

ASCPF, Scritture riferite nei Congressi : Africa : Angola, Congo, Senegal, Isole dell’Oceano Atlantico, vol. 8, f. 828-831. 93 [Coll, Ermengol] (circa 1908), Crónica de la Casa-Misión de Santa Isabel. AG.CMF, doc. cit., p. 131.

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Vicariat du Congo, appartient au Vicariat des Deux Guinées. En ce moment où une commission franco-espagnole examine la délimitation à établir entre la colonie du Gabon et la colonie espagnole comprenant antécédemment le Cap St. Jean, ne pourriez-vous pas, Mon T. R. Père, y faire exprimer mon désir que ma juridiction soit maintenue dans le Muny ? » 94. En effet, à la suite de la conférence de Berlin95 les chancelleries espagnole et française avaient entamé des pourparlers à Paris, le 22 mars 1886, qui nous aident à comprendre le caractère urgent de l’expansion clarétaine ; des pourparlers qui se prolongeaient, car ce qui préoccupait le plus les deux pays ce n’était pas l’Afrique Équatoriale mais le Magreb ; et ils durent s’arrêter au bout de six ans sans obtenir de résultat. Ces deux pays ne signeraient la Convention de Paris que le 27 juin 1900, un accord sur les limites qui sera fixé par un travail in situ d’une commission de délimitation de frontières (1901)96. Vu la politique du Saint Siège, qui tendait à faire coïncider les frontières ecclésiastiques et les administratives, jusqu’à cette date les discussions entre clarétains et spiritains n’étaient jamais arrivées à leur fin. Une fois établies les positions antagonistes des missionnaires espagnols et français, qui se disputaient le même territoire, il y eut, pendant de longues années, des incidents continus provoqués par des missionnaires provenant des trois Maisons de l'estuaire : située sur l'embouchure de la rivière, la présence dans la zone d'une triple communauté ne pouvait avoir d'autre but que celui d'aller à la quête de possibles fidèles dans les zones intérieures : le 20 juillet 1889, Mgr. Le Berre livrait à sa Maison Mère une liste de griefs juridictionnels en rapport avec le mode d'agir des clarétains : « Les missionnaires espagnols se permettent de faire des excursions apostoliques dans les rivières Muuny et Mondah qui font partie du Vicariat Apostolique des Deux Guinées. La rivière Mondah d’ailleurs appartient à la France, personne ne le conteste. Seuls les missionnaires espagnols prétendent y avoir des droits. C’est ce que nous a dit un des moniteurs de leurs écoles, ancien élève de Ste. Marie : D’après eux, Campo, Batta, Benito, Muuny, Mondah jusqu’à l’embouchure de l’estuaire du Gabon ou la pointe Clara leur appartiendraient. Prétentions absurdes! Jamais les PP. jésuites, qui les ont précédés à Corisco, n’ont eu pareille prétention. Partout, en un mot, où les navires négriers espagnols venaient autrefois aborder pour faire le trafic des esclaves, si fortement réprouvé par l’Église, serait pour eux un titre de 94

Lettre au Supérieur Général du 17 mars 1887. ACSSP, Deux Guinées, Boîte 168, Dossier B, II. 95 Coquery-Vidrovitch, 1987 96 Costa, 1900 ; Mandongo, 1969 ; Negociación..., 1900 ; Politique coloniale..., 1900 ; Posesiones españolas..., 1900

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revendiquer ces pays. (...) Dans plusieurs visites que ces Pères ont faites au Gabon et au Cap Estérias, ils n’ont pas toujours paru bien francs, ils se sont même contredits. (...) Les PP. Gachon et Dissare (...) ont appris d’eux que le Gouvernement espagnol était bien disposé en leur faveur. Leur Supérieur Général venait de leur écrire une lettre circulaire en les exhortant d’étendre de plus en plus leurs Missions même sur le continent, ajoutant que le Gouvernement était tout disposé à les seconder de toute manière. (...) Il est très important de prévenir les fâcheux conflits qui surgiront de la situation anormale que veut créer le Gouvernement espagnol par ses missionnaires »97. Dans le même écrit, Mgr. Le Berre affirmait que, un an auparavant, il avait déjà transmis à son Supérieur Général « un ensemble de notes claires et précises » que sur une question qui, comme on l’a vu, avait commencé à soulever ses inquiétudes depuis 1887, date à laquelle l'installation des clarétains à la Muni a commencé à s'étendre de plus en plus. Et quelques jours après il envoyait à Rome, à la Propaganda Fide, la copie d'une lettre qu'il avait remis en main du P. Vall-llovera : « Je crois, en pareille circonstance, qu’il est très opportun, pour la bonne concorde à maintenir entre la Préfecture Apostolique de Fernando-Po, etc., et le Vicariat Apostolique des Deux Guinées, de faire bien constater et reconnaître que la juridiction de la dite Préfecture s’est toujours bornée aux îles de Fernando Po, Corisco, Annobon et le Cap St. Jean, et que celle du Vicariat des Deux Guinées s’étend sur tout le territoire nord et les îlots adjacents, à partir de l’équateur, jusqu’à la nouvelle Préfecture Apostolique du Niger. (...) Le seul acte que le Vicaire Apostolique a cru autoriser verbalement, a été de promettre au R. P. Ramírez d’établir à Elobey une simple procure pour les services des Missions de Corisco et du Cap St. Jean » 98 ; et par conséquent, il lui demandait de limiter l'activité des missionnaires clarétains sur ces deux sujets. Mgr. Le Berre posait donc, basiquement, une question territoriale qui devait entraîner la limitation draconienne de l'activité clarétaine dans la zone. Et il remarquait que les îles Elobey et tout le territoire continental (hormis le Cap de Saint Jean) étaient soumis à sa juridiction. Le P. Vall-llovera réagit avec inquiétude ; il réunit ses conseillers et exprima ses craintes au gouvernement de la congrégation tout en affirmant que « n'ayant jamais entendu dire que le Vicariat Apostolique des Deux Guinées eût la juridiction 97

« Notes transmises à la Maison-Mère par Mgr. Le Berre au sujet des agissements de la Préfecture de Fernando-Po sur les îles d’Elobey et le continent adjacent. » ACSSP, Deux Guinées, Boîte 168, Dossier B, II. 98 Lettre du 26 juillet 1889. ASCPF, Scritture riferite nei Congressi : Africa : Angola, Congo, Senegal, Isole dell’Oceano Atlantico, vol. 9, f. 209 et 216.

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sur les îles d'Elobey Chico et d'Elobey Grande ; ni que le Rd. P. Ramírez eût obtenu de vive voix la permission pour fonder la Mission d'Elobey, nous devons continuer, comme jusqu'à présent, à exercer notre juridiction sur les deux îles citées » 99 ; et admettait que, dans les termes exposés par Mgr. Le Berre, les Missions d'Elobey et du Cap de Saint Jean deviendraient inutiles. Du même coup, il répondait au Vicaire de Libreville, se contentant de le remercier de ses renseignements et disant désirer « de toute la sincérité de mon cœur que les bonnes relations qui ont toujours existé entre cette Préfecture et ce Vicariat, qui est si dignement administré, se continuent et se resserrent, s’il est possible » 100. Il faut dire que la ferme opposition de Mgr. Le Berre, représentant d'une des plus importantes congrégations missionnaires de l'époque, inquiéta aussi le gouvernement clarétain qui comprit que, cette fois-ci, sa politique de fait accompli serait difficilement applicable et que l'affaire ne serait pas résolue tant que le Saint Siège n'aurait pas rendu son arrêt. Cependant, aussi bien le P. Xifré que ses missionnaires n'étaient prêts à renoncer à quoi que ce soit, et le 17 septembre, le Supérieur Général des clarétains écrivait une lettre au Préfet de Fernando Póo dans laquelle il exigeait une attitude à la fois de fermeté et de prudence : « J'ai reçu votre très chère lettre avec ses documents annexes, à propos desquels je dois dire que sous aucun prétexte il ne convient que vous écriviez quoi que ce soit (des expressions ou des mots) indiquant la reconnaissance des prétentions françaises, autant dans l'ordre civil qu'ecclésiastique. Quels que soient l'invitation, la mise en demeure ou l'intimation qui pourraient être faites, les missionnaires devront répondre que jusqu'à une nouvelle résolution, ils sont du ressort des Gouvernements et du Saint Siège. Cependant, entre-temps, ne donnez pas lieu à des conflits ; et portez sans délai à la connaissance du gouverneur toute mise en demeure qui vous serait faite » 101. Il sommait en même temps son procureur à Rome de présenter le cas au Cardinal Simeoni : « Vue la gravité des nouvelles que j'ai reçues de notre Rd. Vall-llovera, Préfet Apostolique de Fernando Póo, j'ai cru bon de vous les communiquer afin que, de votre côté, vous les présentiez dès que possible à Son Éminence le Cardinal Préfet de la 99

Lettre au P. Xifré, du 3 août 1889. ASCPF, Scritture riferite nei Congressi : Africa : Angola, Congo, Senegal, Isole dell’Oceano Atlantico, vol. 9, f. 211-215. 100 Lettre du 4 août 1889. ACSSP, Deux Guinées, Boîte 168, Dossier B, II. 101 « Recibí su muy apreciada con sus adjuntos documentos, sobre los cuales debo decir a V. que bajo ningún concepto escriban expresión o palabra alguna que denote reconocimiento de las pretensiones francesas, ni en el orden civil ni eclesiástico. A cualquier invitación, requerimiento, intimación que se les haga, deberán responder, hasta nueva disposición, que es cuestión de los Gobiernos y de la Santa Sede. Mas, entre tanto, no den Vds. lugar a conflictos ; y pongan sin demora en conocimiento del gobernador cualquier requerimiento que se les haga ». APG.CMF-Madrid, document non catalogué. Une circulaire adressée à tous les missionnaires destinés en Guinée 4 jours plus tard (APG.CMF-Madrid, idem), cependant, le thème n'est même pas cité.

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Propagande, pour qu'il soit mis au courant et puisse prendre les mesures qu'il croit nécessaire. Ce n'est pas la 1ère fois que ce Vicaire Apostolique du Gabon a agi de la sorte » 102. Nous avons pu constater que Mgr. Le Berre ne se contenta pas d'écrire des lettres défendant ses droits mais que, pour éviter l'expansion clarétaine, il fonda quelques Missions. Cette même année 1889, il avait profité du fait que les militaires français avaient transféré leur poste militaire de l'ancienne Bata (Comandachina) à son emplacement définitif près du port, pour y fonder une nouvelle Mission : « La Mission St. Dominique de Bata fut fondée en 1889. Les premiers missionnaires envoyés par Mgr. Le Berre pour évangéliser cette partie du vaste Vicariat Apostolique des Deux Guinées, eurent à lutter plus de 10 ans, non seulement contre les fièvres, les maladies et les privations de tout genre, mais surtout contre la propagande effrénée des protestants américains, établis sur la côte depuis une trentaine d’années » 103 . De sorte que, au moment de juger la situation, le Saint Siège se heurta non seulement à un conflit de droits légaux mais aussi à des emplacements « bâtis » sur le terrain, autant de la part des uns que des autres. Dans ce contexte la Sainte Congrégation adopta la même philosophie que le P. Xifré : éviter de donner prise à de mauvaises interprétations et tenter de ne pas créer de conflits tant que les deux gouvernements n'arriveraient pas à un accord politique, supramissionnaire. Ainsi donc, lorsque l'année d'après le P. Ermengol Coll fut nommé nouveau Préfet Apostolique, le P. Xifré remarqua quelques carences dans le document pontifical : « On dit que vous avez été élu pour la Préfecture d'Annobon, Corisco et Fernando Póo. Par conséquent, nos importantes résidences d'Elobey et du Cap de Saint Jean, qui appartiennent toujours à l'Espagne, y sont exclues. Nous serons exposés à de fâcheux conflits si les dites parties étaient soumises à la juridiction française » 104. L'arrivée du nouveau Préfet ne régla pas les choses car, en 102

« En vista de la gravedad que revisten las noticias que he recibido de nuestro Rmo. Vallllovera, Prefecto Apostólico de Fernando Póo, he creído trasladarlas a V. para que V. a la vez las presente cuando tenga ocasión al Emno. Cardenal Prefecto de Propaganda, a fin de que esté enterado, y por si cree conveniente tomar alguna medida. No es ésta la primera vez que aquel Vicario Apostólico de Gabón ha obrado de igual modo ». Lettre au P. Jeroni Batlló du 18 septembre 1889. ASCPF, Scritture riferite nei Congressi : Africa : Angola, Congo, Senegal, Isole dell’Oceano Atlantico, vol. 9, f. 213-214. 103 Rapport du P. Dominique Ferré, Supérieur de la Mission, du premier décembre 1907. ACSSP, Deux Guinées, Boîte 168, Dossier B, V. 104 « Se dice que se le elige para la Prefectura de Annobón, Corisco y Fernando Póo. Por consiguiente quedan excluidas nuestras importantes residencias de Elobey y Cabo de San Juan, que todavía continúan en el dominio de España. Quedaríamos en un conflicto gravísimo y peligroso si los referidos puntos quedasen bajo la jurisdicción francesa ». Lettre au P. Jeroni Batlló, du 25 août 1890. ASCPF, Scritture riferite nei Congressi : Africa : Angola, Congo, Senegal, Isole dell’Oceano Atlantico, vol. 9, f. 301-302.

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fait, les clarétains n'avaient d'autre fonction, sur le terrain juridictionnel, que de transmettre la politique territoriale de l'État espagnol. Et Mgr. Le Berre continua instamment à protester. Ainsi, dans une lettre adressée au Préfet de la Propaganda Fide du 28 janvier 1891, trois mois après la prise de possession du P. Coll, il insista sur le thème des Elobeys et de la zone continentale ; tout en y ajoutant une carte des délimitations qui montrait comme appartenant à l'Espagne, seuls le promontoire du Cap de Saint Jean et l'île de Corisco, et où il soulignait que les Elobeys appartenaient au Vicariat des Deux Guinées105. La situation d'incertitude affaiblit les Missions du Muni ; car chaque excursion dans la zone continentale, si elle n'était pas très discrète, pouvait déclencher un conflit. Ceci, à moins d'être faites dans l'intention sousjacente ou explicite de le susciter : « Le Gouverneur français du Gabon alla se plaindre au Gouverneur de Fernando Póo à l'occasion de l'expédition faite au Mooney, et de son côté le Vicaire Apostolique du Gabon s'adressa à notre préfet, sollicitant à son endroit la juridiction ecclésiastique sur le Moony, les deux îles Elobeys, etc., etc. » 106 ; si bien que les missionnaires du Muni étaient dans un état de doute permanent : « Face à la probabilité que les Français, usant des droits du plus fort, arrivent à s'emparer de la rivière Moony, qui aujourd'hui nous appartient, et que cette perte soit suivie par l'abandon de la part du gouvernement espagnol des Missions de Corisco, Elobey et du Cap de Saint Jean, nous écrit inquiet le Rd. P. Oriol, intercédant pour les dites Missions et notamment pour celle de Corisco, dont il est à la tête... À la suite de quoi, il demande, ce qui est de droit : " Et tout ceci doit s'écrouler ? N'y aura-t-il pas d’autre moyen de conserver ces fruits précieux et tant d'autres que sans doute on pourrait récolter ? ” » 107. Pendant quelques années, la situation ne changea pas ; des incursions plus ou moins « prudentes » des clarétains, protestations et remontrances des spiritains, petits conflits diplomatiques, réclamations au Saint Siège, mais aussi, augmentation de la présence française au Muni, autant missionnaire 105

On situait aussi les Missions spiritaines de la zone : Libreville, Cap Estérias, Kongüe (à la confluence de cette rivìere avec le Muni), Río Benito et Bata. ASCPF, Scritture riferite nei Congressi : Africa : Angola, Congo, Senegal, Isole dell’Oceano Atlantico, vol. 9, f. 361-367. 106 « El gobernador francés de Gabón acudió en queja al gobernador de Fernando Póo con motivo de la expedición que se hizo al Moony, y al mismo tiempo el Vicario Apostólico de Gabón se dirigió a nuestro Prefecto, recabando para sí la jurisdicción eclesiástica sobre el Moony, las dos islas Elobey, etc., etc. ». Anales de la Congregación, volume 1, 1889, p. 396. 107 « Ante la probabilidad de que los franceses, valiéndose del derecho del más fuerte, lleguen a apoderarse del río Moony que hoy nos pertenece, y que a esa pérdida se siga el abandono por parte del Gobierno español de las Misiones de Corisco, Elobey y Cabo San Juan, nos escribe alarmado el Rdo. P. Orriols, intercediendo por dichas Misiones y particularmente por la de Corisco, a cuyo frente se halla. (...) Expuesto lo cual, pregunta con sobrada razón : “ ¿ Y todo esto se ha de venir abajo ? ¿ No habrá un medio de conservar estos preciosos frutos y otros muchos que es de esperar se vayan recogiendo ? ” ». Ibidem, p. 531-532.

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que militaire. Alors que, du côté espagnol le projet d'expansion missionnaire avait été considéré comme étant achevé dès 1887. C'est sûrement la raison pour laquelle les plaintes des clarétains se concentrèrent, de plus en plus, en direction du gouvernement espagnol, qui déjà depuis la moitié de la décennie des années 90, était le principal destinataire de la colère missionnaire sur ce sujet : « Toute cette communauté est dans l'attente de savoir ce que va devenir cette Mission, à cause de l'audace des Français qui étendent jour après jour leur champs d'action et réduisent de plus en plus les délimitations de tout ce qui était considéré et reconnu de tous comme territoire espagnol. Si ce n’est que nous travaillons matériellement (j'exhorte mes bons frères à ce que, indépendamment de l'avenir, ils ravivent la foi et s'efforcent de tout faire pour Dieu) nous sentons notre coeur flancher et nous mourons de chagrin, car personne ne peut parvenir à comprendre comment le gouvernement espagnol peut voir avec une telle indifférence la construction de maisons qui, d'après le point de vue avisé des indigènes, seront bientôt des postes militaires situées à environ 20 milles et même à 12 de l'île d'Elobey. Et partout, on voit se déployer le drapeau français, et personne ne souffle mot ; et l'espagnol se voit amené dans notre propre possession sans aucune contrepartie. À droite et à gauche de la Mission et à 5 milles l'une de l'autre, les Français ont construit leurs bâtiments ; et à chaque fois que les Français nous ont rendus visite, nous avons hissé notre drapeau. Cependant, eux, bien que distingués, n'ont jamais dépassé les bornes ; quant à nous, nous nous sommes efforcés de nous aligner sur eux en agissant de la même façon selon les règles que la bonne éducation et la politesse exigent » 108. Le manque d'activité du Gouvernement espagnol irait augmentant : non seulement du fait que la Guinée était encore un endroit peu important dans le réseau d'outre-mer hispanique, mais encore parce que cette même année 1895 reprenait la guerre de Cuba et un an plus tard se produirait le 108

« Toda esta comunidad está en expectación por lo que ha de ser de esta Misión con motivo del atrevimiento de los franceses, que van extendiendo cada día más su esfera de acción y reduciéndose más y más los límites de lo antes por todos considerado y reconocido como territorio español. Si no fuese que en cuanto materialmente trabajamos digo a mis buenos Hermanos que, prescindiendo de lo venidero, aviven la fe y procuren hacerlo todo por Dios, habría, Rmo. Padre, para hacerle caer a uno las alas del corazón y morirse de pena ; pues nadie puede llegar a entender cómo el Gobierno español pueda mirar con indiferencia la construcción de casas que, según el acertado pensar de los indígenas, pronto serán estaciones militares a unas 20 millas y aun a 12 de la isla de Elobey. Y por doquier ondea erguida la bandera francesa, y nadie chista ; y la española se ve derribada en su propia posesión, sin que se oiga decir que se dé satisfacción condigna. A derecha e izquierda de la Misión, y a unas 5 millas de distancia, tienen ya levantados los franceses edificios. Y aunque en distintas ocasiones hemos sido visitados por franceses, hemos izado nuestra bandera ; mas ellos, aunque distinguidos, en nada se han propasado con nosotros, si bien por nuestra parte hemos procurado corresponder con las reglas que la buena educación y urbanidad prescriben ». Lettre du P. Josep Sutrias, Supérieur de la Mission du Cap de Saint Jean, au P. Xifré, du 24 avril 1895. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 8, Carton 8.

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soulèvement général aux Philippines ; événements qui aboutiraient, l'un et l'autre, à la perte de l’ensemble de ce réseau d'outre-mer et qui mettrait en évidence l'impuissance de l'État espagnol dans la continuité de son projet colonial. En revanche, il semble que malgré leurs craintes les clarétains travaillaient avec acharnement. Le successeur de Mgr. Le Berre, Alexandre Le Roy, dénonçait à la Propaganda Fide : « Or, dans ces derniers temps, l’Espagne ayant contesté les droits de la France sur toute la partie nord du Gabon, où cette dernière puissance a fondé de nombreux postes, les prêtres de Fernando Póo, rétribués à cet effet par leur Gouvernement, exercent leur ministère autour et au-delà de nos stations de Campo, Oné, Bata, San Benito, Muni, Monda, Cap Estérias, etc., c’est à dire bien loin du Cap St. Jean. Je dois dire que, d’ailleurs, nous avons avec eux les meilleures relations ; mais cet état de choses est néanmoins regrettable à bien de points de vue » 109. La commission hispano-française avait pris fin trois ans auparavant et Mgr. Le Roy exigeait, dans cette même lettre, la fin du conflit. Il comptait sur l'arbitrage d’un Saint Siège qui, à la suite de l'échec des politiques, pouvait agir librement : « Dans ces conditions, il m’a semblé qu’il était de mon devoir de porter la question auprès de la S. C. de Propagande pour la prier, en réservant toute question de délimitation politique, de donner aux missionnaires de Fernando Póo, et à ceux du Gabon, des limites plus précises autour du Cap St. Jean ou, du moins, de vouloir bien indiquer dans quelles conditions les premiers pourront exercer leur ministère en territoire contesté ». Quelle délicatesse de la part du nouveau Vicaire, qui se vantait d'entretenir avec les clarétains « les meilleures relations » et qui acceptait de séparer le thème de la juridiction ecclésiastique d'un autre bien plus complexe, celui des limites politiques du territoire. En outre, Mgr. Le Roy voulut rassurer directement les missionnaires espagnols à propos de ses intentions : « Ni cette lettre ni les paroles que nous avons dernièrement échangées dans le Noya, où vous vouliez vous établir, ne peuvent signifier que je m’oppose à l’exercice de votre ministère dans le Vicariat Apostolique des Deux Guinées. Plus, au contraire, il y aura de missionnaires au travail, plus il y aura de chrétiens, et plus je serai heureux. Seulement, le Saint Siège nous a donné, au point de vue ecclésiastique -lequel n’a rien à voir avec les contestations politiques de la France et de l’Espagne,-des limites très précises qu’il ne nous appartient pas de modifier » 110. Les paroles de Mgr. Le Roy, apparemment cohérentes, devaient être de compréhension difficile pour des clarétains convaincus de servir à la fois la Religion et la Patrie et qui étaient au service d'une Mission d'État. La lettre au P. Bolados affirmait, 109

Lettre non datée. ACSSP, Deux Guinées, Boîte 168, Dossier B, II. Lettre au P. Alfredo Bolados, Supérieur de la Mission d’Elobey, du janvier 1895. ACSSP, Deux Guinées, Boîte 168, Dossier B, II.

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finalement, que celui-ci avait assuré au Vicaire de Libreville que les clarétains agissaient ainsi « en vertu d'une autorisation écrite que vous tenez du Saint Siège ». Il lui réclamait d'avoir accès à cette communication pontificale qui, si elle existait, serait respectée par lui à la lettre. Il était, tout aussi bien, disposé à limiter l'action clarétaine, au cas où l'opinion de la Propaganda lui serait favorable. Mgr. Le Roy se rendit même à Rome cette année-là, afin de négocier, entre autre, cette question. Face à la prétention des spiritains, l'attitude des clarétains demeura immuable : leur juridiction sur le Cap de Saint Jean, évidente depuis l'époque des jésuites, signifiait la juridiction sur tout le territoire continental où il y avait eu la présence espagnole, justement parce qu'ils considéraient que les juridictions ecclésiastique et politique devaient s'accorder : « Cela dit, ne t'étonne pas si sous le nom du promontoire appelé d'ordinaire Saint Jean nous comprenons les territoires qui vont de la rivière Campo au promontoire nommé Santa Clara ; ni que, à notre avis, un nouveau décret de la Sainte Congrégation pour la juridiction ecclésiastique ne soit pas nécessaire là bas ; car lors qu'en 1860 la partie continentale fut annexée à cette Préfecture Apostolique, tous ces territoire étaient soumis, sans conteste, à la domination espagnole, si bien que, à juste titre, les missionnaires qui y demeuraient à l'époque crurent que la Sainte Congrégation les leur avais remis dans le but d'y exercer la juridiction ecclésiastique ; car l'agissement du Saint Siège en telles circonstances consiste à conférer la juridiction ecclésiastique aux sujets du pouvoir auquel les villages, s’il y en a, sont soumis. C’est pourquoi, il est impensable que le Saint Siège ait voulu conférer la juridiction ecclésiastique sur le promontoire de Saint Jean à l'écart des autres endroits soumis à la domination espagnole, aux Pères jésuites qui y exerçaient à l'époque leur ministère, car rien ne justifiait cette séparation » 111. Pour ce qui est de la communication pontificale, les clarétains se référaient au rescrit du Saint Siège qui le 4 janvier 1860 annexait le Cap de 111 « Cæterum ne mireris quod nomine promontorii vulgo San Juan nuncupati, regiones a flumine Campo usque ad promontorium cui nomen Sta. Clara intelligamus : nec ad Jurisdictionem ecclesiasticam pro his locis novo Decreto S. C. judicio nostro, indigemus. Quum enim anno 1860 pars continentalis huic Prefecturæ Apostolicæ annexa fuit, omnes illæ regiones, absque ulla lite, ditioni Hispaniæ erant subjectæ ; quapropter non perperam judicarunt Missionarii tum illie degentes mentem S. C. fuisse illis tradere jurisdictionem ecclesiasticam super eas ; cum consuetudo agendi S. Sedis in similibus casibus sit, jurisdictionem ecclesiasticam conferre viris ejusdem regni, cujus ditioni populi subsunt, si ibi inveniantur. Quare non putandum est S. Sedem voluisse Patribus S. J. tunc illic ministerio fungentibus, in promontorium S. Joannis separatim a cæteris locis ditioni Hispaniæ subjectis jurisdictionem ecclesiasticam conferre, cum nulla ratio hujus separationis existeret ». Lettre du P. Joaquim Juanola à Mgr. Le Roy, du 9 novembre 1895. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 13, Carton 7.

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Saint Jean à la Préfecture. On en envoya une copie à Mgr. Le Roy lui-même ainsi qu'à d'autres personnes qui, d’après les missionnaires, pouvaient jouir d'une influence auprès du gouvernement espagnol : « Effectivement, aux troisième et quatrième lignesil est dit : " magno interioris terris tractu, quod cum prædicto promontorio ad hispanum gubernum pertinet ", " À propos de la grande étendue de territoire intérieur qui, avec le cap cité, appartient (à présent) au gouvernement espagnol ". Il est donc évident que pour la Sainte Congrégation de la Propaganda, le territoire appartenait indéfectiblement à l'Espagne » 112. Une opinion contestée : « Je vous remercie de cet envoi, mon T. R. Père. Seulement, je regrette de vous dire qu’il ne nous apprend rien de plus que ce que nous savions. Il vous donne le Cap Saint Jean “ cum magno interioris terræ tractu ”. Je ne l’ignorais point, et je ne l’ai jamais contesté ; mais ce qui, à mon avis, reste douteux et ce qui, par là même, atteint la validité du ministère exercé par vos Pères en certains endroits de la côte, c’est l’étendue exagérée que vous donnez au Cap St. Jean. Comme tous les Caps du monde, ce Cap doit avoir des limites... » 113. Il semble que l'écrit de Mgr. Le Roy mit longtemps à parvenir à Santa Isabel car le 14 avril le P. Juanola, dans sa seule lettre rédigée en catalan au cours de ses 27 ans de Mission, s'exprimait encore en manifestant : « Comme si ma grand-mère ne m'avait pas assez parlé des Français, quand j'étais petit!114 Des ruses et rien que des ruses devraient-ils entendre si c'était de juridiction dont on parlait... Comme ça n'a plus dû lui plaire la... à Mr. Le Roy, Vicaire Apostolique des deux Guinées! Il n'a encore répondu à la dernière... Il ne doit pas oser, tellement il a honte. Il n'a qu'à recommencer » 115. Des commentaires plutôt anecdotiques, aussi bien les uns que les autres, mais qui manifestent une tension croissante qu'aucun d'entre eux ne pouvait considérer comme bénéfique. La dernière phrase du Vicaire du Gabon, dans cette ambiance conflictuelle, déplut plutôt au P. Coll, qui avait confiance en 112 « Efectivamente, en las líneas tercera y cuarta dice “ magno interioris terris tractu, quod cum prædicto promontorio ad hispanum gubernum pertinet ”, “ sobre la grande extensión de territorio interior que, juntamente con el predicho cabo, pertenece (en presente) al gobierno español ”. De manera que en esto no había la menor duda para la Sagrada Congregación de Propaganda, de que aquel territorio pertenecía a España ». Lettre du P. Joaquim Juanola à Emilio Bonelli, de la Société Géographique de Madrid, du 20 février 1896. APG CMF, Copiador de cartas y telegramas de la Administración de Santa Isabel, document non catalogué, f. 8. 113 Lettre d’Alexandre Le Roy au P. Ermengol Coll, du 2 mars 1896. APG CMF, Copiador de cartas y telegramas de la Administración de Santa Isabel, document non catalogué, f. 53. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 13, Carton 7. 114 Allusion à l’occupation d’Espagne sous Napoléon. 115 Massa que la meva padrina em va predicar dels francesos, quan era petit ! Truco i més truco, haurien de sentir si de jurisdicció em parléssim. (...) Qué poco bien se le habrá sentat la... a Monseigneur Le Roy, Vicario Apostólico des Deux Guinées ! Encara no ha contestat res a l'última... No deu gosar, deu estar tot ple de vergonya. Que hi torni ». Lettre au P. Jacint Guiu, Supérieur de la Mission de Corisco. APG CMF, Copiador de cartas y telegramas de la Administración de Santa Isabel, document non catalogué, f. 24.

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la résolution qu'adopterait le Saint Siège : « Après avoir reçu le rescrit de la Sainte Congrégation [de 1860] à propos de la juridiction ecclésiastique dans le Muni et tous les autres territoires appartenant à l'autorité espagnole, j'envoyai une copie à M. l'évêque du Gabon. Ci-joint la copie de sa réponse. Je crois, franchement, qu'il n'existe pas de bonne foi chez les Français comme vous le pourrez constater d'après la lettre ci jointe, traduction de celle qu'il m'a envoyée en français. Heureusement pour nous que l'affaire est dans les mains du Saint Siège » 116. Les documents clarétains en main, on a l'impression que cette ambiance conflictuelle ne se manifestait pas seulement parmi les missionnaires mais qu'elle s'était aussi étendue à l'ensemble des Européens, qui estimaient la stratégie d'expansion clarétaine d'une manière justifiée. « Vous n'ignorez pas que notre bateau " Xavier " était parti pour embaucher des travailleurs dans le dit pays qui, nous en sommes convaincus, nous appartient, et un Français répondit que ce territoire était français, et qu'il ne serait jamais consentant au départ des gens ni des enfants pour la Mission Catholique espagnole. À notre connaissance le dit individu n'a pas été destitué ni puni, et notre situation n'a pas l'air de s'améliorer ; bien au contraire elle est devenue pire puisque les Français empêchent ces indigènes de venir vendre des choses à la Mission espagnole et aux dépendances du gouvernement, arrivant au point de les punir s'ils ont acheté des allumettes espagnoles et de tirer sur eux lorsqu'ils se rendent à Elobey » 117. Dans ce contexte qui allait se détériorant, le Saint Siège prit une première décision : le 15 mai 1896, la Sainte Congrégation de la Propaganda Fide envoyait au Préfet Apostolique de Fernando Póo une proposition de résolution sur cette affaire qui, rappelons le, avait été présentée par le P. Jeroni Batlló à l'autorité romaine. La proposition du Cardinal Préfet commençait, comme il est habituel dans les documents du Saint Siège, par 116

« Luego de recibido el rescripto de la Sgda. Congregación sobre la jurisdicción eclesiástica en el Muni y demás territorios pertenecientes al dominio de España, envié copia al Sr. obispo de Gabón. Incluyo copia de la contestación que me ha enviado. Me parece, francamente, que no hay en los misioneros franceses buena fe. V. podrá juzgarlo por la carta que incluyo, que es traducción de la que me ha mandado en francés. Suerte tenemos de estar el asunto en manos de la Sta. Sede ». Lettre au P. José Mata, du 6 mai 1896. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1. 117 « Ya sabría cómo nuestro balandro « Xavier « había ido para contratar trabajadores en dicho terreno, que creemos pertenecernos, y respondió un francés que aquello era de Francia, y que no consentiría que salieran ni gente ni niños para la Misión católica española. No sabemos que dicho individuo haya sido ni depuesto ni castigado, ni que haya mejorado nuestra situación, antes bien empeorado, puesto que los franceses impiden que vengan a vender cosas a la Misión española y dependencias del Gobierno, y llegando el caso de castigar indígenas por comprar fósforos españoles y tirarles tiros en alta mar porque se dirigían a Elobey ». Lettre du P. Miquel Daunis, de la Mission d’Elobey, au P. Climent Serrat, du 27 avril 1896. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 6, Carton 5.

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un résumé de la question exposée ; il mettait en relief le fait que l'Ambassade espagnole n'avait remis aucun des documents qui lui avaient été demandés touchant les droits coloniaux ; et pour ce qui a trait à la région continentale, il concluait que l'action missionnaire se limitait au territoire « quod circumscribitur a mare et fluminibus Adje, Muni et Kongüe lineaque prædictorum fluminorum Adje et Kongüe attingente » 118. Soit, le territoire marqué sur cette carte :

Carte qui accompagnait la lettre d'Ermengol Coll adressée à la Propaganda Fide le 8 septembre 1902

118 « Qui est circonscrit par la mer et les rivières Aye, Muni et Kongüe et le point de relie des sources de l'Aye et le Kongüe ». Transcrit par le P. Ermengol Coll dans une lettre adressée à la Propaganda Fide du 8 septembre 1902. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 13, Carton 7.

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La proposition du cardinal Ledochowski donnait au problème une solution favorable aux thèses des spiritains, sans pour cela mettre au clair la situation dans laquelle se trouvaient les îles Elobey, situées au milieu de l'estuaire ; mais la réduction qu'il faisait des territoires destinés aux clarétains était bien moindre que ce qu'espéraient les Français. Le polygone formé par les rivières Aye, Kongüe et Muni ressortait bien réduit par rapport aux prétentions espagnoles, dans le sens où il leur accordait un bord de côte fort restreint et que, vers l'intérieur, il leur donnait une faible marge de manœuvre. L'aspect positif résidait dans le fait qu'après avoir appris l'intention initiale du Saint Siège, ils pouvaient reprendre leurs excursions apostoliques en territoire fang : « Le 24 février ils partirent pour la première fois à la découverte des rivières, après l'interruption provoquée par l'incertitude sur la juridiction de la Préfecture de Fernando Póo. Pour cette première visite, s'embarquèrent sur notre voilier deux individus de la Maison et le Rd. Père Supérieur de Corisco : Au cours des 10 jours de durée, ils visitèrent la plupart des villages qui contournaient les rivières Otoche, Utamboni et Congüe. À la suite de cette visite, ils en firent plusieurs tous les mois, dans les villages qui vont de la côte à la rivière Munda et à Punta Mosquitos, ainsi qu'à ceux qui sont situés sur la rivière Muni et ses principaux affluents, Noya, Utamboni, Bañe, Otoche, Utongo et Congüe. À tout cela il faut ajouter Elobey Grande » 119. Il paraît, donc, que les clarétains revenaient à leur politique du fait accompli car, ainsi que nous pouvons l’apprécier sur la carte antérieure, une grande partie de la zone décrite dans cette lettre du P. González restait en dehors de la juridiction proposée par la Propaganda et se rapprochait plutôt de celle qu'avaient proposée les missionnaires espagnols eux-mêmes. Il est vrai qu'il ne s'agissait que d'une proposition et non pas d'une résolution. Les clarétains l’interprétèrent dans l’idée que le territoire signalé s'agrandirait dans le décret définitif et qu'il était évident que le Saint Siège accepterait leur expansion vers l'intérieur. De sorte qu'ils profitèrent de ce moment d'accalmie pour réactiver les trois Maisons de l'estuaire, fortement affaiblies à la suite de tant d'années de conflit. Toutefois, les autorités françaises adoptèrent une attitude de fermeté, tout au moins dans des cas poussés à l'extrême. Par exemple, au cours d'une expédition effectuée par le P. Bolados, Supérieur de la Mission du Cap de Saint Jean, accompagné du F. Sin, en août 1897, jusqu'à San Benito même : « Nous fûmes très bien accueillis partout par les indigènes. Les uns nous promirent qu'au retour de l'expédition que nous poursuivions, ils nous céderaient leurs enfants pour l'école ; les autres s'engagèrent à venir 119

Lettre du P. Nicolás González, Supérieur de la Mission d’Elobey, du 1er. janvier 1897. Anales de la Congregación, volume 6, 1897-1898, p. 86-89.

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légitimer leur mariage. Cependant, Rd. P., et nous ne l'aurions jamais cru, nous ne pûmes amener aucun enfant pour l'école parce que le chef de poste de Benito, qui devait être sans doute un juif, envoya des troupes de soldats noirs armés de fusils pour intimider tous les villages, les menaçant de les brûler s'ils nous cédaient leurs enfants. Et nous fûmes nous mêmes sous leur garde lorsque nous étions dans les villages, et nous marchions sur les plages tout comme des prisonniers, les fusils des soldats sur la tête et nos travailleurs honteux de voir que nous étions traités comme des scélérats ou des voleurs » 120. Peu après, le 4 août, le P. Coll envoyait à Rome ses commentaires sur la proposition de la Propaganda Fide. La résolution définitive du Saint Siège, rendue le 10 janvier 1898, était exactement pareille à la proposition signée un an et demi auparavant par le cardinal Ledochowski ; y compris le reproche adressé à l'ambassade espagnole, qui continuait à n’apporter aucune documentation. Les clarétains voyaient donc leurs espoirs se restreindre et les trois Missions du Muni, une fois de plus, comptaient sur un trop petit territoire pour leur activité ordinaire. Leur position était décrite à la perfection dans cette lettre que le P. Juanola écrivît au procureur de la Congrégation à Rome : « Évidemment, nous nous montrons obéissants et sans réplique. Néanmoins, permettez-moi de m'épancher un peu. Les Missions du Cap de Saint Jean et d’Elobey viennent de recevoir un coup mortel, et d'autant plus Elobey. Pour celle du Cap de Saint Jean, c'est tout dire, n'a maintenant que des arbres et des tigres, et plus de villages. Celle d'Elobey, à condition d'en avoir encore la juridiction, est composée dans sa presque totalité par des élèves de la nouvelle juridiction gabonaise. Quid des catéchumènes ? Quid des autres sacrements ? En outre, comme il est dans l'embouchure du Muni, les dimanches il en vient beaucoup de la Côte (et de jurid. franc.) soit à la messe, soit à d'autres sacrements... Et, faudra-til demander des licences au Gabon? Ou les chasser ? En outre, ni dans le décret de 1860, ni dans l'actuel, on ne parle des deux Elobeys, dans l'une desquelles est fondée la Mission. Et puis, une fois de plus la juridiction est douteuse, et peut-être nulle. Enfin, on nous oblige à enseigner à leurs sujets (qui se trouvent déjà dans notre école) en suivant leurs statuts, et le français, 120

« Los indígenas, en todas partes nos recibieron bien. Y unos nos prometieron que, a la vuelta de la expedición que continuábamos, nos dejarían sus niños para la escuela ; otros se comprometieron a venir a legitimar sus matrimonios. Mas, Rmo. P., no nos lo figurábamos, no pudimos traer niño para el colegio porque el puesto de Benito, que sin duda será algún judío, mandó comisiones de soldados negros armados con fusiles para intimidar a todos los pueblos, amenazándolos con quemarlos si nos entregaban a los niños. Y nosotros mismos estuvimos custodiados mientras estábamos en los pueblos, y veníamos por las playas como presos con los fusiles de los soldados sobre nuestras cabezas y con nuestros trabajadores avergonzados de vernos tratados como facinerosos o ladrones ». Lettre du 28 juin. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1.

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car Mgr. Le Roi dit qu’il ne donnerait la juridiction que sous ces conditions. Quid Ne serait-il pas mieux de les chasser ? » 121. La décision du Saint Siège paralysa une bonne partie de l'activité clarétaine dans le Muni. Les limites juridictionnelles avaient été fixées et réduisaient la marge de manœuvre. Mgr. Le Roy tint parole et proposa que les clarétains puissent continuer leur labeur évangélisateur dans le territoire du Vicariat des Deux Guinées sous certaines conditions : 1.- Le solliciter formellement 2.- Instruire les enfants dans leur langue maternelle. 3.- Permettre le contrôle de ces enfants par le Supérieur spiritain responsable de chaque endroit. 4.- Leur apprendre à effectuer les pratiques religieuses dans une quelconque église catholique, indépendamment de leur nationalité. 5.- Ne pas avoir à payer pour garder les garçons et les filles dans les écoles (vid. infra). Ce document122 mettait aussi au point les délimitations du Cap de Saint Jean : il s’agissait des deux caps voisins. Et il offrait aux clarétains la possibilité concrète de prendre en charge les Missions de Kogo, Cap Estérias, Benito, Bata et Campo. C'est une chose curieuse la réticence du P. Juanola face à la condition de s'exprimer en français comme prétendrait le Vicaire du Gabon. Or, dans le document que je viens de citer, Mgr. Le Roy rappelait que « instruits en une langue européenne, ces enfants, rentrés chez eux, oublient tout, langue et religion. De plus, ils sont incapables, ayant appris le catéchisme en français ou en espagnol, de l’expliquer autour d’eux dans une langue indigène : c’est un fait d’expérience ». Des raisonnements auxquels auraient dû se montrer 121

« Claro está, obedecemos y sin réplica. Con todo, déjeme expansionar un poco. Las Misiones de Cabo S. Juan y Elobey han recibido un golpe fatal, y Elobey la más. Cabo S. Juan, con no tener ahora casi más que árboles y tigres, no pueblos, está dicho todo. La de Elobey, si es que en ella tenemos jurisdicción, como diré luego, está compuesta casi toda ella hoy de educandos de la nueva jurisdicción gabonesa. ¿ Quid de los catecúmenos ? ¿ Quid en los demás sacramentos ? Además, como está en la boca del Muni, los domingos vienen muchísimos de la costa (y de jurisd. franc.), ya a Misa, ya a otros sacramentos... Y, ¿ habremos de pedir licencias a Gabón ? ¿ O despedirlos ? Además, ni en el decreto del 60 ni en el de ahora se habla de los dos Elobey, en uno de los cuales está fundada la Misión. Luego otra vez jurisdicción dudosa, y tal vez nula. (...) Finalmente, y si se nos obliga a enseñar a sus súbditos (que se hallan ya en nuestros colegios) según sus estatutos, y el francés, pues ya dijo Mgr. Le Roi que daría jurisdicción con estas condiciones, ¿quid? ¿Será mejor despedirlos ? ». Lettre au P. Jeroni Batlló, du 18 mars 1898. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 13, Carton 7. 122 22 mars 1898, Conditions auxquelles la juridiction pourrait être accordée aux Pères de la Préfecture de Fernando Póo, dans le Vicariat Apostolique du Gabon. ACSSP, Deux Guinées, Boîte 168, Dossier B, II.

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sensibles ces clarétains - la plupart Catalans et Navarrais - qui composaient la majorité du contingent missionnaire de la Préfecture de Fernando Póo. Eux, par contre, éloignés du régionalisme catholique dominant dans leurs diocèses d'origine et en tant que serviteurs d’une Mission d'État, s'efforçaient de tout faire en espagnol, ne se servant des langues du pays que dans la démarche initiale d'approche des populations indigènes. Le rattachement des clarétains à la Mission gabonaise devait représenter un attrait certain : Mgr. Le Roy leur offrait de cette manière une expansion sur toute la côte continentale du territoire réclamé par l'Espagne. Cependant, cela leur était impossible, précisément du fait de la condition d'agents de l'État des missionnaires. On comprend donc qu'ils aient préféré que le triangle du Muni qu’ils avaient mis au point ne fonctionnât qu’en partie et qu’ils continuèrent de réclamer instamment la révision des accords du Saint Siège. Sur ce point, leur atout était la certitude qu'une décision aussi peu favorable avait été provoquée par le manque de documentation de la Propaganda Fide, et ceci à cause de la négligence de l'ambassade espagnole ; et que une fois que la souveraineté espagnole sur le territoire continental serait reconnue, sa juridiction ecclésiastique leur serait attribuée de droit. Il faut dire que dans ce cadre ils eurent beaucoup de chance car à peine deux ans plus tard, le 29 juin 1900, la Convention de Paris reconnaissait comme territoire espagnol tout ce qui était compris entre les rivières Campo et Muni : « Je soussigné, le Préfet Apostolique, au début de l’année 1901 a prié instamment et humblement la Sainte Congrégation, en lui produisant le dit traité, de se prononcer par conséquent sur la juridiction ecclésiastique dans les dits territoires » 123 ; une pétition que le P. Coll avait faite au cardinal Ledochowski lui-même, en janvier 1901, au cours d'une visite à Rome : « Il visita effectivement la ville Sainte. Il parla à ce Cardinal de certaines difficultés auxquelles les Missions se heurtaient ; lesquelles, sous le conseil de celui-ci, il exposa par écrit à la Sainte Congrégation. Il demanda quelques grâces spirituelles et insinua la convenance de l'annexion à la Préfecture Apostolique de Fernando Póo de la partie continentale récemment reconnue par la France dans le traité du 29 juin 1900. La Sainte Congrégation consentit à tout sauf à la dite annexion, lui promettant

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« El Prefecto Apostólico que suscribe, a principios del año 1901 elevó a esa S. Congregación humildes preces manifestando dicho convenio y rogando, por lo tanto, que se había de resolver sobre la jurisdicción eclesiástica en los predichos territorios ». Lettre du P. Ermengol Coll à la Propaganda Fide du 8 septembre 1902. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 13, Carton 7, doc. cit.

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cependant de s'en occuper, et lui disant de reformuler sa demande une fois que l'Espagne aurait pris possession des susdits territoires » 124. La prise de possession, de la part des Espagnols, des territoires continentaux, eut lieu le 19 juillet de cette même année. Le 18 novembre, le gouvernement de Madrid publiait un décret dans lequel il manifestait son dessein de demander la juridiction ecclésiastique des nouveaux territoires en faveur de la Préfecture Apostolique de Fernando Póo, bien qu'il eût l'intention de permettre aux spiritains de rester à Bata. Les clarétains, bien sûr, se virent obligés d'accepter la décision gouvernementale, et commencèrent des entretiens avec les spiritains en vue du transfert des autres Missions. Il était donc, dans une nouvelle impasse, mais cette fois-ci, l'aboutissement serait favorable aux intérêts des missionnaires espagnols : les décisions avaient déjà été prises dans d'autres milieux. Mgr. Le Roy était devenu Supérieur Général des spiritains. Mgr. Adam, son successeur à Libreville, fit de son mieux pour rester dans le territoire continental espagnol, présentant des propositions variées125 : « Partager le territoire espagnol en deux parties dont l’une, partie du sud, serait rattachée à la Préfecture de Fernando Po, et dont l’autre, partie du nord, serait érigée en Préfecture et administrée par la Congrégation du S. Esprit » 126 ; « Mgr. Adam suggère la création d’une Préfecture Apostolique dite de Bata, qui s’étendrait du rio Campo au rio Benito, sur une étendue de 140 kil. de côtes, et qui serait confiée aux missionnaires de la Congrégation du S. Esprit, fondateurs de ces Missions et actuellement présents en ce pays. Ceux-ci sont Français, mais la Congrégation pourrait les remplacer progressivement par d’autres de nationalité espagnole. L’avantage de cette solution serait de maintenir dans la population indigène, très difficile à aborder, des missionnaires qu’elle connaît et qu’elle aime, de résoudre par le fait même la question qui se rattache à la propriété des établissements, et enfin de

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« Visitó en efecto la Ciudad Santa ; habló con aquel purpurado sobre algunas dificultades que se ofrecían en las Misiones, las cuales por consejo del mismo expuso por escrito a la Sagrada Congregación ; pidió algunas gracias espirituales ; e insinuó la conveniencia de que se anexionase a la Prefectura Apostólica de Fernando Póo la parte continental recién reconocida por Francia en el convenio de 29 de junio de 1900. A todo accedió la Sagrada Congregación menos a la anexión referida, prometiendo sin embargo ocuparse de ella, diciendo que repitiese la demanda cuando España hubiese tomado posesión de los territorios susodichos ». [Coll, Ermengol] (circa 1908), Crónica de la Casa-Misión de Santa Isabel. AG.CMF, doc. cit., p. 94. 125 Cela fut fait aussi dans d’autres domaines. Vid. par exemple : Coquery-Vidrovitch, 1963. 126 Lettre de Mgr. J. M. Adam à la Propaganda Fide, du 30 de juillet 1902. ACSSP, Deux Guinées, Boîte 168, Dossier B, II.

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ménager, par la voie du fleuve Campo, la future évangélisation de l’arrièrepays, laissée à la France et dépendant du Vicariat du Gabon » 127. C'étaient les dernières tracasseries. Au début de l'année, le P. Batlló avait mis le Supérieur Général Le Roy au courant du contenu du décret du gouvernement espagnol du mois de novembre 1901, où il était spécifié : « qu’il sera permis aux Pères demeurant à Bata de continuer leur Mission à titre d’essai (...) et dès maintenant ils sont avertis de l’obligation qu’ils prendront de se servir exclusivement de la langue espagnole dans l’enseignement, d’inspirer à leurs élèves le respect et la soumission aux lois et à l’autorité de l’Espagne, et de reconnaître la juridiction ecclésiastique espagnole » 128. Des conditions qui nous apprennent pas mal de choses du modèle clarétain, copié, du point de vue structurel, des spiritains, avec les contenus poussés à l'extrême ; ce qui, d'après ce qu'il paraît, ne plût guère à Rome, où ces conditions provoquèrent un retard dans l'annexion des nouveaux territoires à la Préfecture guinéenne. Le 25 avril 1903 un décret du Saint Siège faisait en sorte que les limites ecclésiastiques correspondent aux politiques. Les missionnaires spiritains avaient estimé la valeur de leurs propriétés en territoire espagnol à 93.100 francs (82.000 pour la Mission de Bata qui possédait un presbytère, une chapelle, une école de garçons et de filles, une Maison de religieuses, ainsi que d’'autres constructions mineures ; le reste correspondait aux Missions de Benito, Oné et Tika)129. Ce n'est pas par hasard que le gouvernement espagnol leur octroya la plus chère, qui ne revint aux clarétains qu'en 1919. La résignation forcée des missionnaires du Saint Esprit trouva un prétexte apparent : « La possession d’une Mission en territoire espagnol est, en effet, pour nous, le moyen d’obtenir du Gouvernement de Madrid l’autorisation de fonder en Espagne une maison de recrutement, chose très désirable, en ce moment surtout » 130. L'annexion des territoires continentaux ne fut pas utile, dans la période étudiée, à l'expansion vers l'intérieur ni sur la côte des missionnaires du P. Claret. De paire avec l’État espagnol et tout en défendant les intérêts politiques de celui-ci, ils étaient parvenus non seulement à donner plus d'essor à leurs Missions du Muni et à en créer une de nouvelle à Rio Benito, mais ils avaient aussi consolidé leur propre position dans la politique 127

Lettre de Mgr. Le Roy à la Propaganda Fide, du 15 décembre 1902. ACSSP, localisation identique. 128 Lettre du 18 mars 1902. ACSSP, localisation identique. 129 16 juillet 1900, Contesté franco-espagnol : État des établissements de Mission de la Congrégation du St. Esprit. ACSSP, Deux Guinées, Boîte 168, Dossier B, III. 130 Décret de la S. C. de la Propagande relatif a la Guinée espagnole. ACSSP, Deux Guinées, Boîte 168, Dossier B, II.

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coloniale. Nul ne tenterait désormais de leur arracher leur monopole ecclésiastique, jusqu'à l'indépendance de la Guinée (1968). Et le Gouvernement espagnol fera même les démarches nécessaires à la conversion de la Préfecture en Vicariat Apostolique, qui sera décrétée le 12 mai 1904. Le 24 de ce même mois, le P. Ermengol Coll en sera nommé titulaire. Il sera consacré à Rome le 29 juin, jour de la Saint Pierre. Le 19 août 1904, faisait son entrée dans la ville de Santa Isabel le premier Vicaire Apostolique de Fernando Póo, le premier évêque de Santa Isabel. La Mission clarétaine atteignait enfin l'éternité.

Le modèle clarétain « (...) les demandes incessantes du peuple indigent, qui n'arrêtait pas de demander des milliers de choses que l'on ne pouvait pas donner. C'était là un dérangement continu, d'autant plus lourd que l'immense désir de les contenter et le manque de ressources le rendaient impossible. C'est à ce moment-là, que l’on commença l'école, on fit un petit jardin potager, on creusa un puits, on prépara le local pour la nouvelle maison, etc. » 131. La politique coloniale espagnole, mise en relief dans l'expansion de la Mission, permit aux clarétains d'atteindre une zone d'influence bien plus large que celle de l'administration elle-même : dans tout le territoire où cela était possible. Cependant, la vie de chaque Mission ne fut pas uniforme ; le processus d'implantation à chaque endroit dut s'adapter aux possibilités de chaque situation, tout en suivant les lignes générales tracées depuis Madrid et Cervera, ainsi que Santa Isabel, et qui surent donner une homogénéité à leur labeur missionnaire. Ce qui marqua peut être la différence entre les Missions fut le rythme d'implantation du modèle imposé lequel, d'autre part, s'imposa peu à peu, à partir des désirs d'emblée exprimés par le P. Ramírez à la suite de son séjour à Libreville. Je voudrais en suivre les constantes que j'ai pu remarquer dans la « construction » en douceur des différentes Missions, afin de tracer le profil du modèle missionnaire mis en place en Guinée. Et tout d'abord je veux affirmer que chacune des Missions, en accord avec le modèle de la congrégation, fut marquée par ce programme d'activité intense et discipline absolue propre aux clarétains. Un programme bien connu par chacun des missionnaires, qui étaient pourtant des nouveaux-venus sur ces terres africaines. Si, d'une part 131

« (...) las continuas peticiones del indigente pueblo, que no dejaba de pedir mil cosas que no se podían dar. Eran una incesante molestia, tanto más pesada cuanto que eran mayores los deseos de contentarlos y mayor la falta de recursos, que lo imposibilitaban. En este tiempo se empezó la escuela, se hizo un pequeño huerto, se abrió un pozo, se preparó el local para la Casa nueva, etc. ». Historia de la fundación de la Casa- Misión de Annobón. APG. CMF, document non catalogué ni paginé.

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(discipline) il aida au maintien de la hiérarchisation et au contrôle des Missions, à leur subordination aux expectatives surgies de milieux supérieurs (de la congrégation et du gouvernement espagnol), et à une uniformité des objectifs et des procédures, d'autre part (activité) il généra aussi une dynamique et une vitalité propres à chacune des Missions de la Préfecture. Nous avons vu ci-dessus que les premiers objectifs de chaque nouvelle fondation reposaient sur le fait d’ « obtenir la bienveillance et la sympathie des chefs » et de « les convaincre de ses propos pacifiques et humanitaires ». C'est pourquoi toutes les Chroniques présentent le début de chaque Maison de la même manière : • le choix de la zone où situer la nouvelle Mission, à la charge des autorités métropolitaines. • le choix de l'endroit, à la charge du Préfet Apostolique. • l'obtention de l' « autorisation « correspondante de la part de l'autorité indigène de chaque endroit. • la fondation, à la charge de la première communauté, et une première résidence provisionnelle, normalement dans une des maisons appartenant au chef du village ou dans une maison désignée par celui-ci. • le début immédiat de l'activité missionnaire, qui devait accomplir une première phase d'approche à la population, leur offrant des petits avantages afin de la convaincre des « intentions pacifiques et humanitaires de la Mission » et d'obtenir leur complicité. C'est pour cette raison que l'on suivait cette politique de « petits cadeaux » recommandée par la plupart des Européens lors de leurs premiers contacts avec les sociétés africaines. Elle avait déjà été suggérée par le deuxième gouverneur espagnol, José de la Gándara, dans son rapport de 1861 : « Dans un but politique, on recommanda, dès notre arrivée, les manières les plus aimables et les relations les plus amicales vis à vis de ces indigènes tout simples ; et, instinctivement, portés par leur caractère, les employés de toute sorte et jusqu'au personnel de la garnison et des bateaux secondèrent admirablement les dessins de l'autorité par des louanges constantes, des manifestations affectueuses et des cadeaux que, bien que de peu de valeur, ils admiraient dans leur ignorance et qu'ils acceptaient avec gratitude, influençant leur esprit de manière favorable » 132. Mais cette 132 « Por política se recomendó desde nuestra llegada el mejor trato y las más amistosas relaciones con estos sencillos indígenas ; y, por instinto y por carácter, los empleados de todas clases y la gente de la guarnición y de los barcos secundaron admirablemente los propósitos de la autoridad con halagos constantes, afectuosas manifestaciones y regalos y dádivas que, aunque de poco valor, admiraban en su ignorancia y agradecían reconocidos, predisponiendo favorablemente su ánimo ». Gandara, José de la (1861), Informe que eleva al Gobierno de S.

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tactique d'approche dont firent usage les clarétains au début de chaque Mission, comme nous avons pu l’apprécier dans la citation initiale de celle d'Annobon, devra être poursuivie tout au long de la période, car « Les indigènes ont acquis de si mauvaises habitudes qu'ils se résistent à se ranger et si un Supérieur ou Père ne donne rien, il n'est pas bon. Vouloir faire des chrétiens en distribuant des dons ne produit aucun bon résultat. Le noir méconnaît la gratitude, et pour le fait d'offrir sans rime ni raison il se croit dans le droit d'exiger qu'on lui donne, autrement... il ne priera pas, etc., etc. » 133. À ce propos, je tiens à souligner que, parmi les « petits cadeaux « offerts par les clarétains, l'eau-de-vie de canne à sucre, d'origine antillaise, tenait une place très importante, ce qui avait provoqué aussi les critiques du P. Juanola : « Je me demande pourquoi, dans ces Missions, nous ne sommes pas plus scrupuleux quant à l'usage de la canne de la part des indigènes... C'est un grave inconvénient que, dans la Mission, ils en consomment à tort et à travers et que plusieurs d'entre eux arrivent même à se soûler » 134. La distribution même de fusils ou d'autres armes sous forme de cadeau ou de vente pour l'entretien de la Mission devint une pratique habituelle : « Lorsque vous en aurez l'occasion, je vous prie de bien vouloir me dire combien il faut payer pour un fusil à pierre, car ici ils ne vous coûtent pas moins de 9$ chacun » 135 ; « Sachez que je possède une caisse remplie de M. el gobernador de Fernando Póo sobre el estado actual de la colonia, éd. de Jacint Creus & Mariano L. de Castro, p. 34. 133 « Acostumbrados aquellos indígenas mal, ahora se resisten a entrar en camino, y ningún Superior o Padre, si no da, es bueno. El querer hacer cristianos a fuerza de dar no produce buenos resultados. El negro no es agradecido, y el regalar sin ton ni son hace que él se crea hasta con derecho a que se le dé, si no... no rezará, etc. etc. ». Lettre du P. Joaquim Juanola au P. Xifré du 18 février 1898. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 9, Carton 1. 134 « No sé por qué en estas Misiones no somos más escrupulosos en el uso de la caña con los indígenas... No deja de tener bastantes inconvenientes el que, en la Misión, por fas o por nefas la tomen, y varios cojan borracheras ». Idem du 18 mars 1897. AG.CMF, localisation identique. Il est évident que la boisson était un cadeau très apprécié. Le plus surprenant c'est que les clarétains en fussent usage pour attirer la population au point de soulever les remontrances du P. Juanola, tout en la présentant comme un vice à combattre : « Les gens des villages ont parfois une tenue très correcte, comme maintenant, car étant donné qu'ils manquent d'argent ils ne sont pas dépendants d'autres vices auxquels ils s'adonnent lorsqu'ils sont dans l'opulence, ceci en pleine époque du cacao. À ce moment-là, ils ne pensent guère à Dieu mais plutôt à eux-mêmes, et la plupart d'entre eux ne pensent qu’à donner du mal à leurs corps par toutes ces beuveries et enivrements » : « Los del pueblo tienen sus épocas en que se portan bien, como ahora que por lo escaso del dinero están libres de otros vicios que acostumbran tener cuando tienen abundancia, como es en la época del cacao. Entonces piensan poco en Dios y mucho en sí mismos : nada más en dar guerra a sus cuerpos con tantas bebidas y embriagueces la mayoría de ellos ». Lettre du P. Norberto Garcia, Supérieur de la Mission de Concepción, du 15 juin 1901. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 6, Carton 9. 135 « Cuando V. tenga ocasión, haga el favor de decirme cuánto pagan por una escopeta de chispa ; pues en ésta no las podemos obtener a menos de 9 $ cada una ». Lettre du P. Joaquim

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fusils à pierre pour VV. Les voulez-vous? Ils sont très forts et très bons quoiqu'ils ne plaisent guère à ces niais de Bubis... » 136. Une pratique qu'un certain nombre de gouverneurs s'efforçèrent de corriger en des moments précis, car ils la considéraient comme un danger en puissance malgré des succès d'ordre uniquement ponctuel : « En date d'aujourd'hui, on a publié dans cette capitale et destiné à l'île entière, un ban formel interdisant sous peine d'une amende sévère toute vente de poudre et de fusils à pierre ou à pompe. De sorte que... gare ! » 137. Nous avons vu, dans le chapitre antérieur, des exemples de citations qui correspondaient aux périodes constitutives de toutes les Maisons. Dans toutes les Chroniques on met en relief le caractère de chacune des premières communautés, les dangers, les privations et les incommodités qu’elles durent endurer au début et le courage avec lequel elles affrontèrent la situation : « Malgré les déterminations prises à Santa Isabel, où ils pensaient qu'on leur avait fourni des denrées pour 2 mois, et lorsque, le jour même, au moment d'aller inspecter les vivres ils s'aperçurent qu'il n’y avait qu'un seul sac de riz et un “canco” de farine. Ils voulurent faire du pain... mais personne ne savait en faire et il en ressortit ce que l’on peut imaginer. L'énorme fatigue qui en résulta (continue le P. Salvadó) sous une chaleur accablante et suffocante de 34 degrés, ce qui est habituel après une forte tempête, les miasmes et les émanations provenant de l'endroit marécageux devant lequel est située la maison, ainsi que la faiblesse résultant du manque de nourriture, contribuèrent sans doute à ce que la fièvre africaine attaqua le P. Salvadó avec une telle violence que, cet après-midi même, il tomba dans un état de prostration et dû s'aliter malgré tous ses efforts pour se relever » 138. Des privations qui se multipliaient dans la Mission d'Annobon, Juanola au P. Pere Sala, Supérieur de la Mission de Batete, du 8 mai 1896. APG.CMF, Copiador de cartas y telegramas de la Administración de Santa Isabel, document non catalogué, f. 59. 136 « Sabe V. que tengo aún un cajón lleno de escopetas de chispa para VV. ¿ Las quieren ? Son de aquéllas tan fuertes y buenas, por más que los zopencos de los bubis no las quieran tanto... ». Idem au P. Norberto García (Concepción) du 13 mai 1896. APG.CMF, ibidem, f. 61. 137 « En la fecha que escribo a V.R., se ha publicado en esta capital, para toda la isla, un bando terminante por el que se prohíbe bajo severa multa toda venta de pólvora y escopetas de chispa y de pistón. Así que... ¡ ojo ! ». Idem au P. Pere Sala du 26 novembre 1896. APG.CMF, ibidem, f.149. 138 « A pesar de las providencias tomadas en Santa Isabel, donde pensaban que les ponían comida para dos meses, cuando el mismo día fueron a registrar los víveres se encontraron sólo con un saco de arroz y un canco de harina. Quisieron hacer pan... pero nadie sabía y salió lo que puede imaginarse. La fatiga extraordinaria de ésta (sigue el P. Salvadó), con el calor excesivo de 34 grados y bochorno sofocante, como suele suceder después de una tempestuosa y extraordinaria lluvia, los miasmos y exalaciones del sitio pantanoso ante el cual está situada la casa, junto con la consiguiente debilidad por falta de alimentos, contribuyó sin duda a que la fiebre africana asaltara al P. Salvadó con violencia tal, aquella misma tarde, que quedó

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où la distance et l'absence de communications provoquèrent, au cours des premières années, des situations de manque de ravitaillement. Quoi qu'il en soit, n'oublions pas que la plupart des Missions de cette période étaient « maritimes » ; et qu'au début, la colonie ne disposait que d'un bateau officiel fixe, si bien que le ravitaillement des Missions dépendait en grande partie du trafic portuaire du moment et elles traversèrent toutes des moments où les produits provenant de la Péninsule arrivaient bien trop tard : « D'autre part, cette Mission s'est toujours caractérisée par son humilité et pauvreté. Et, si j'ose dire, cette Maison était une copie exacte de la demeure de Nazareth. Il y eut des fois, lors de la fondation, où nos Pères durent se nourrir de manioc : cet aliment fade, miséreux et si ingrat, tubercule semblable à un navet à l'écorce ligneuse et dont la chair est presque de la fécule pure » 139. En général, les clarétains considérèrent qu’une des premières actions à entreprendre était la scolarisation des enfants des environs de chaque Mission. Cela ainsi que la visite aux villages voisins, étaient leurs premières activités, qui ensemble faisaient partie de cet effort d' « approche » de la population en échange des avantages que pouvait offrir la Mission : « Faute de bâtiment pour l'école, les classes commencèrent en plein air. On accrocha un alphabet mural à un palmier et ils commencèrent à apprendre à lire à cette foule de gamins à moitié-nus. Certains montrèrent une attitude vraiment remarquable, si bien que nos missionnaires prenaient de plus en plus plaisir à enseigner aux enfants. Il ne manquait pas, bien sûr, des prix d'assistance et d'application sous forme de sucreries et de friandises, de sorte que l'école était toujours très fréquentée ; et comme d'un côté ces petits n'avaient besoin ni de bancs ni de chaises et que le local était suffisamment grand, les missionnaires ne craignaient pas l'énorme affluence » 140 :

postrado y tendido en cama por más esfuerzos que hizo para sobreponerse ». Corisco. AG.CMF. Section F, Série P, Boîte 5, Carton 6, document non paginé. 139 « Por otra parte, esta Misión siempre se ha distinguido por su modestia y pobreza ; y, si me es permitida la expresión, era aquella Casa como un facsímil de la vivienda de Nazaret. Hubo época, en tiempo de la fundación, en que llegaron nuestros Padres a alimentarse con la insulsa, indigente y tan difícil alimento de la yuca, que es un tubérculo semejante a un nabo de corteza leñosa y cuya carne es casi pura fécula ». Misión de Cabo S. Juan. AG.CMF., Section F, Série N, Boîte 8, Carton 7, document non paginé. 140 « A falta de edificio para escuela la comenzaron al aire libre. Colgaron de una palmera un cartel y comenzaron en [a] enseñar a aquella multitud de rapazuelos casi desnudos las primeras letras. Algunos de ellos mostraban una aptitud no despreciable, por lo cual nuestros misioneros se iban aficionando a enseñar y los niños a aprender. No faltaban, por supuesto, premios de asistencia y de aplicación, consistentes en confites y golosinas, lo cual hacía que la escuela fuera siempre muy concurrida ; y como por una parte no hacían falta bancos ni sillas para aquellos pequeñuelos, ni el local resultaba nunca pequeño, no asustaba a los PP. Misioneros la mucha concurrencia ». [Ermengol Coll] (circa 1900), Misión de María Cristina, éd. de Jacint Creus, p. 25.

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• le début de l'activité scolaire. Les écoles fonctionnaient avec des élèves externes, car le manque de locaux appropriés ne permettait pas autre chose. Elles se développèrent en parallèle avec l'Histoire de chaque Mission, qui avançait d'un nouveau pas. • la construction d'une première maison définitive. En ce qui concerne les premières Missions, n'oublions pas que la plupart, lors de leur fondation, étaient dotées d'une première maison démontable fabriquée en Europe : « Parmi d'autres choses, [le P. Ramírez] ordonna à la communauté de se rendre au plus tôt à la nouvelle Maison, ce qui fut fait avant qu'elle fut construite, et qui provoqua pas mal de pénuries et quelques fièvres car on était à l'époque des pluies et des tornades et que si le toit ne manquait pas on n'avait pas encore installé les murs extérieurs. Heureusement, grâce à l'activité du F. Ginestá la maison ne mit pas longtemps à être montée » 141. Parfois, la maison était construite avec du bois du pays et c'étaient les Krumen de la Mission qui faisaient le travail, toujours sous la direction du Préfet Apostolique. En ce qui concerne le P. Ramírez, il contrôlait une bonne partie de la procédure : « Le moment arriva de fonder les Maisons de San Carlos, Concepción et Banapa, et pour les premières il fallait transporter le boisage dans de petits canots encourant mille dangers, ce qui obligeait à refaire dix-huit ou vingt fois un voyage de trente ou quarante milles pour chaque bâtiment. En outre, comme les ouvriers ne savaient pas comment s'y prendre, il fallait toujours qu'un des missionnaires les surveille et prenne la direction en main ; et le Rd. P., qui avait l’œil à tout, allait dans les bois et marquait les arbres qu'il fallait couper ; et "celuici" décidait-il : "servira comme pilier, celui-là pour les chevrons et celui-là encore pour les piquets", après avoir compté une à une toutes les pièces dont était composée la charpente et sachant le nombre fixe de planches dont avait besoin chacune des Maisons » 142. 141

« Entre otras cosas, mandó que la comunidad se trasladara pronto a la nueva Casa ; lo que se efectuó antes que estuviera construida, siendo causa de bastantes sufrimientos y algunas calenturas por estar en tiempo de lluvias y tornados y no estar colocados aún los tabiques exteriores y sí sólo el techo. Sin embargo, gracias a la actividad del H. Ginestá no tardó en estar toda la Casa montada ». Historia de la fundación de la Casa-Misión de Annobón. APG.CMF, doc. cit. 142 « Llegó el tiempo de fundar las Casas de S. Carlos, Concepción y Banapá, y a las primeras había que llevar el maderaje en simples botes, entre mil peligros y habiendo de repetir dieciocho o veinte veces un viaje de treinta o cuarenta millas por cada edificio. Luego los operarios del país, por no saber, necesitaban continuamente la vigilancia y dirección de alguno de los misioneros, y el Rmo. P., que estaba en todo, iba al bosque y señalaba los árboles que se habían de cortar ; y “ éste ”, determinaba, “servirá para puntal, este otro para cabrios y aquél para poste”, teniendo contadas una por una todas las piezas que componían el armazón y sabiendo el número fijo de tablas que debían entrar en cada una de las Casas ». [Coll, Ermengol] (circa 1908), Crónica de la Casa-Misión de Santa Isabel. AG.CMF, doc. cit., p. 47.

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Une construction dont certains détails, comme il était habituel pour les clarétains, avaient une importance, comme nous l’avons souligné pour la fondation de la maison de Concepción (proximité des villages bubis, endroit élevé et frais, eau douce, bon embarcadère, etc.). Mais il en ressortait par dessus tout le fait que l'endroit devait être élevé et jouir d'un air salutaire. Au point que, souvent, ils changeaient l'emplacement du premier hébergement choisi par les missionnaires pour le considérer mauvais : « Vu que l'installation de la Mission fut faite à la hâte, on ne prit pas en considération les conditions climatologiques, ni quelle pouvait être la plage la plus appropriée, on ne se soucia que de considérations soit disant politiques, c'est à dire, de s'installer tout près de là où demeurait celui qui était considéré par le gouvernement comme le roi des Bengas, et c'est là où ils emmenèrent nos premiers Pères tout comme un troupeau de moutons à l'abattoir, les déposant eux et la maison en bois qui devait leur servir de logement sur l'embouchure de la rivière Muni. C'est un coude entrant du côté Nord du Cap de Saint Jean, très insalubre pour les Européens à cause d'une petite butte qui le surplombe empêchant le libre cours des brises » 143. On s’aperçoit qu'il y eut un changement de l'emplacement initial dans la plupart des Missions, qui fut sans doute influencé par les trois morts consécutives (les toutes premières) qui eurent lieu à Corisco, au Cap de Saint Jean et à Annobon ; mais aussi par le fait que, afin de rendre possible la vie communautaire, les missionnaires eussent cherché des endroits quelque peu éloignés du centre des localités. Quoi qu'il en soit, les commentaires joints aux nouvelles installations se référaient surtout aux questions de santé et d'hygiène : « L'endroit où nous sommes installés est magnifique, et on aurait du mal à en trouver un de meilleur dans toute l'île. La maison est plutôt petite, mais le P. Préfet nous a promis qu'il la ferait agrandir de 15 pieds. Le climat est tempéré, les nuits et les matins très frais. Nous avons tous des couvertures de laine pour la nuit, et moi je porte une chemise de laine, une chemise en fil, puis une garibaldienne en laine et la soutane, et je ne transpire que très peu » 144.

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« Debido a la precipitación con que hubo de procederse al instalarse la Misión, no precedió estudio acerca de las condiciones climatológicas, ni siquiera acompañó reconocimiento sobre la playa más adecuada ; y sólo se fijaron en la parte que podríamos llamar política, esto es ponerse junto a la residencia del que consideraba el gobierno rey de los benga, y allí llevaron a nuestros primeros Padres poco menos que como ovejas al matadero, dejándoles a ellos y a la casa de madera que debía albergarles en la desembocadura del río Muni. Es un recodo entrante de la parte norte del cabo S. Juan, muy insalubre para los europeos por estar dominado por un pequeño montecillo que se eleva en el mismo cabo impidiendo la circulación de las brisas ». Misión de Cabo S. Juan. AG.CMF, doc. cit. 144 « El punto en que nos hemos colocado es magnífico, y con dificultad se encontrará otro mejor en toda la isla. La casa es algo pequeña, pero el P. Prefecto nos ha prometido alargarla 15 pies más. El clima es muy templado, las noches y mañanas muy frescas. Todos tenemos mantas de lana en la cama, y yo llevo camisa de lana, camisa de hilo, después una garibaldina

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L'activité missionnaire était centrée sur l'évangélisation. De sorte que dès le moment de la fondation les clarétains se mirent à la tâche : les visites aux villages, les soins apportés aux malades, l'introduction à l'enseignement scolaire, les cadeaux, devaient aboutir à des résultats missionnaires concrets : « Ils ont tous fait plusieurs excursions apostoliques et ont obtenu en échange quelques fruits spirituels, et ont préparé les villages des environs en vue de leur conversion » 145. À Annobon, où la population était considérée comme catholique, ils obtinrent ces résultats dès les tous premiers moments : « Au cours des trois premiers mois de septembre, octobre et novembre il y eut : sept baptêmes, un mariage, sept décès » 146. Pour ce qui est des autres Missions, les résultats ne vinrent que plus tard, entre autres choses du fait que les clarétains étaient plutôt exigeants au moment de les faire devenir des chrétiens : « Je fus appelé par le Rd. Père qui voulait savoir les qualités et les justes aspirations des prétendants aux nouveaux mode de vie et mœurs ; puis, après lui avoir manifesté mon opinion sur chacun d'entre eux, on leur fit subir un examen, à la suite duquel, satisfaisant la volonté du Rd. Père, on leur dit le jour fixé pour recevoir ce baptême si désiré » 147. D'ordinaire, les visites apostoliques étaient un moyen d'aiguillonner les volontés, mais le baptême devait être précédé d'une période d'instruction. Et c'était quelque chose que personne n'ignorait : « Le dimanche 12, après les avoir évangélisés sur les cérémonies du baptême, beaucoup d'entre eux, et parmi d'autres Ingonge, sollicitèrent d’être instruits pour pouvoir le recevoir » 148. De toutes les façons, la description des débuts de chacune des Missions nous mène à une première constatation : l'activité missionnaire suivait encore le modèle jésuite antérieur :

de lana y sotana, y no sudo mucho ». Lettre du P. Jaume Pinosa, Supérieur de Batete, au P. Climent Serrat, du 22 août 1887. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 8, Carton 7. 145 « Todos ellos han hecho varias excursiones apostólicas, obteniendo algunos frutos espirituales de presente, y han dispuesto a los pueblos del entorno para su conversión ». Musola. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 6, Carton 3. 146 « Durante los tres primeros meses de septiembre, octubre y noviembre hubo : 7 bautismos, 1 matrimonio, 7 defunciones ». Historia de la fundación de la Casa-Misión de Annobón. APG.CMF, doc. cit. 147 « Me llamó el Rmo. Padre para saber mejor las cualidades y rectas aspiraciones de los pretendientes al nuevo estado de vida y de costumbres ; y luego de haberle dicho de cada uno de ellos mi parecer, se procedió al examen, tras el cual, satisfaciendo los deseos de su Reverendísima, se les dijo el día que debían recibir el tan suspirado Bautismo ». Lettre du P. Josep Sutrias, de la Mission du Cap de Saint Jean, du 5 décembre 1894. Anales de la Congregación de los Misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María, volume 5, 18951896, p. 75-77. 148 « A 12 domingo, como se les predicó sobre las ceremonias del Bautista, muchos, y entre otros Ingonge, pidieron que se les instruyese para poder recibirlo ». Corisco. AG.CMF, doc. cit.

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Un modèle qui se reflétait du point de vue architectural dans la construction des premières Missions, qui disposaient de la trilogie Presbytère - Chapelle - École et qui rencontrait son expression maximale lorsque les missionnaires parvenaient à obtenir quelques conversions de choix : « Vous devez sans doute savoir qu’au Cap de Saint Jean le roi d’Uloba s'est converti ; qu'il a quitté 9 femmes et n'en a gardé qu'une seule » 149. Ou, plus que de conversions de choix il faudrait parler de personnes de choix, auxquelles les missionnaires attribuaient un effet de prosélytisme spécial. Il convient de remarquer la superposition incessante de valeurs et de modèles effectuée par les clarétains, car l'idée que, par exemple, la conversion d'un chef de village entrainait celle de tout le village qui était sous son pouvoir est un concept de l'époque moderne appliqué à des Missions antérieures où on concédait une grande importance aux conversions de masses ; un concept dont les jésuites avaient fait usage (et aussi le Cardinal Lavigerie). Or, les clarétains développèrent beaucoup plus dans leur modèle de Mission, et comme nous avons pu le constater ils tenaient à faire usage d'une certaine exigence au moment de baptiser leurs néophytes. En revanche, ils mirent toujours l'accent sur les conversions, bien qu'elles fussent très souvent in articulo mortis : « Sur cette rivière ils rendirent visite à celui qu’on nommait le patriarche, qui était le plus vieux et le seul descendant direct de la dynastie des Medikos, la plus ancienne de l'île ; les Anglais l’appelaient

149 « Ya quizás sepa que en Cabo de S. Juan el rey de Uloba se convirtió, dejando 9 mujeres y quedándose con una sola ». Lettre du P. Ermengol Coll au P. José Mata, du 29 décembre 1896. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1.

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Jean ; mais, comme il n'avait pas reçu le baptême, il fut baptisé par le P. Salvadó, ce qui fut d'un grand réconfort pour le patriarche malade » 150. L'usage erroné de concepts européens tels que « roi », « autorité sur le territoire », « successeur direct » et bien d'autres dans les sociétés guinéennes était dû à la fois à l'ignorance et à l'attitude des missionnaires. Car, tout en mettant l'accent sur ces conversions de personnes de choix, ils allaient fonder les nouvelles Missions en compagnie du gouverneur et ils s'installaient, dès le début, chez le chef local. En fait, le modèle suivi par toutes les Missions fut, dans la mesure du possible, celui de Santa Isabel, où l'autorité de l'église recherchait la proximité et la complicité de l'autorité civile. En ces premiers temps des Missions « éloignées », les clarétains cherchèrent cette « identification ». Suivant cette ligne, les nouvelles constructions, bâties dans les bois et au sein de sociétés qui se contentaient de cabanes, rendaient une image écrasante de la supériorité missionnaire, tout comme à la capitale. Et, tout comme à la capitale, les missionnaires de toutes les Maisons donnèrent un nouvel essor, semblable à celui qu'ils avaient donné à Santa Isabel : • la constitution d'un internat de garçons. Une démarche nécessaire, car justement les clarétains apportèrent un style exigeant surgi de leur tradition même : celle des Missions intérieures, d'où procédait la congrégation, lesquelles demandaient, au delà d'une conversion momentanée, un changement des mœurs. Et les missionnaires voulaient que, même en Guinée, les convertis acceptassent un « nouveau mode de vie et de mœurs ». C'est la raison pour laquelle la conversion du « roi » d'Uloba était exemplaire : il avait été baptisé « quittant neuf femmes et n'en gardant qu'une seule ». Et ce changement des mœurs exigeait de s'éloigner d'une société qui, si en Europe elle était déjà le « royaume du péché, de l'ignorance et de la souffrance », en Guinée se voyait surajouter le vice d'être « païenne » et « sauvage », ennemie de « la » civilisation. Cette remarque est importante : les nouveaux missionnaires n'adoptèrent pas le modèle spiritain par hasard ou bien parce que le P. Ramírez, au cours de son bref séjour à Libreville, se rendit compte que ce système-là fonctionnait. Ils l'adoptèrent, à nouveau, afin de le superposer à leur manière d'agir en tant que congrégation : c’était un modèle qui leur convenait. Et la 150

« En este río fueron a visitar al llamado patriarca, que era el más antiguo y único descendiente en línea recta de la dinastía de los Medikos, la más antigua de la isla. Llamábanle Juan los ingleses ; pero, como no estaba bautizado, le bautizó el P. Salvadó con gran consuelo del enfermo patriarca ». 62.- Corisco. AG.CMF, doc. cit.

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fondation d'internats devint un mot d'ordre, à tel point que la vie de toutes les Missions tourna autour des internés : « Je vous prie ardemment que, sans craintes ni respects ou lâchetés, vous réunissiez, habilliez, nourrissiez et acceptiez dans nos Maison et écoles le plus grand nombre d'enfants possible, et que vous fassiez tout votre possible, pour la décence, quant aux vêtements des fillettes et des femmes. Et c’est notre volonté qu'ils soient traités avec le bon sens, l'éducation et l'amabilité que prescrit la loi de Jésus-Christ » 151. La circulaire du Supérieur Général fut écrite après sa première visite en Guinée, ce qui entraîna la ratification du nouveau modèle missionnaire, alors que ses missionnaires ne disposaient encore que de la Maison de Santa Isabel. Mais le P. Xifré prévenait déjà que « C'est ce que nous tentons de faire avec les nouvelles fondations qui se feront plus tard » 152 et étant donné que le gouvernement avait l'intention de réduire son apport pour les « vêtements et nourriture des indigènes », qui figuraient dans les budgets coloniaux dès la fondation de la Mission clarétaine, il ajoutait qu’il fallait être prêt à tout faire pour ces Missions, « même si pour y parvenir nous sommes obligés à mendier ou à faire n'importe quel sacrifice » 153. L'admission des garçons dans les internats était partie intégrante du projet d'évangélisation : « exhorter les pères de familles à se séparer de leurs enfants afin de leur donner une éducation convenable » ; et à partir de cette lettre du P. Xifré il fut l'objectif explicite de toutes les expéditions apostoliques : « Un Père et un Frère s'en allèrent visiter Bongwe. Ils visitèrent dix villages que personne n'avait jamais vus. Le dernier fut Tombo-Yyoko. Ils en ramenèrent 8 enfants » 154 ; et de tout contact avec les autorités indigènes : « [Les deux rois de Kutari] s'engagèrent formellement à leur amener leurs enfants dès que l'école serait finie. Et en fin de compte, ils durent tenir leur promesse, car au dernier moment le P. Puente avait écrit au Rd. P. Préfet : “ Envoyez-moi beaucoup de literie, car on attend une

151 « Le ruego con igual ardor que, sin temores ni respetos o pusilanimidades, reúnan, vistan, alimenten y admitan en nuestras casas y escuelas todos los niños posibles ; y que se haga cuanto se pueda, dentro de la decencia, en orden al vestido de las niñas y mujeres ; a todos los cuales deseamos que se trate con la cordura, educación y amabilidad que prescribe la ley de Jesucristo ». P. Josep Xifré, circulaire adressée au missionnaires du Golfe de Guinée. In : Boletín Religioso de la Congregación de Misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María, volume 1, novembre 1885 - juin 1886, p. 339-343. 152 « Eso mismo intentamos con las nuevas fundaciones que se hagan en adelante ». 153 « Aunque para lograrlo tengamos que mendigar o hacer cualquier otro sacrificio ». 154 « Salieron un Padre y un Hermano a visitar el Bongwe. Visitaron 10 pueblos nunca vistos, siendo el último Tombo-Uyoko. Trajeron 8 niños ». Crónica de la Misión de Elobey. APG.CMF, document non catalogué ni paginé. La citation correspond au 28 janvier 1901, lorsque l'école d'Elobey était composée de 28 élèves.

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grande récolte d'enfants " » 155. De sorte que l'internat agissait aussi comme lien d'union entre les deux versants de l'activité missionnaire qui formaient le nouveau modèle ; de même que le nombre croissant d'élèves obligeait chaque Mission à être munie de petites fermes, de poulaillers, de jardins potagers ou, lorsqu'ils pouvaient compter sur l'aide de Krumen, de propriétés entières destinées à abaisser le coût d'entretien des garçons :

Bien entendu, le but principal des internats était surtout la conversion des élèves, qui se superposait à la tâche paroissiale. Mais, évidemment le déséquilibre en faveur des écoles était de plus en plus évident : « Au cours d'un mois et demi on a administré 15 baptêmes, dont trois in articulo mortis et les douze restants dans notre petite chapelle. Soit : deux adultes, quatre élèves de notre école et six enfants de l'école maternelle. Nous avons maintenant quatorze enfants catéchumènes, auxquels on donne trois instructions de doctrine chrétienne par jour, afin que dès qu'ils serons instruits, ils puissent recevoir les eaux régénératrices du Saint

155 « Empeñaron su real palabra de traerles sus niños luego que hubieran terminado el colegio. Y a la cuenta deben haber cumplido su promesa, toda vez que a última hora escribía dicho P. Puente al Rmo. P. Prefecto que “ le enviara mucha ropa de cama, pues se presentaba gran cosecha de niños ” ». La nouvelle concerne la Mission de Concepción. In : Boletín Religioso de la Congregación de Misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María, volume 4, juillet 1887 - 1888, p. 187-188.

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Baptême » 156. Rappelons également que, tout comme à la Mission de Santa Isabel, dans le reste des Maisons les internats n'étaient pas destinés à accueillir des élèves qui vivaient loin, mais ceux qui vivaient dans l'entourage de la Mission. Le pourquoi de cette décision était très clair pour les missionnaires : la méfiance vis à vis des familles respectives, qui représentaient cette société « païenne » et « sauvage ». Influence de laquelle il fallait éloigner les enfants si on voulait que leur « conversion » fut effective et de longue durée. La création et l’entretien des internats absorba une grande partie de l'énergie des missionnaires, qui devaient « s'occuper de 40 enfants provenant des bois, qui n'ont jamais eu et ne savent même pas porter des vêtement propres, qui ne manifestent aucune inquiétude s'ils sont déchirés ou pas, qu'il faut nourrir, instruire en toute chose ; et dont vous ne pouvez attendre, plus tard, la moindre trace de gratitude ; fainéants au plus haut point pour le travail, auquel ils se rendent, surtout au début, de vive force. Vous ne pouvez pas trop les punir ni les gronder, car ils s'enfuiront facilement » 157. L'internat devint le centre de la Mission ; et cette volonté de maintenir cette position centrale amena les missionnaires à se sentir « responsables » des élèves qu'ils y accueillaient ; responsables notamment de la qualité de leurs conversion ; les clarétains, dont nous avons vu l'exigence avant de conférer le baptême, se montraient aussi exigeants lorsqu'il s'agissait de conserver ses fruits. La question qui s'ensuivait était donc logique : si on gardait les enfants à l'écart de leurs parents, de leur famille et de leurs villages, afin de les protéger de l'influence de la société « païenne » et « sauvage »... les laisser y retourner une fois l'école finie, n'était-ce pas un contresens? Dans toutes les sociétés africaines de la zone, les anthropologues ont remarqué l'opposition symbolique faite entre « le village » et « la forêt » : 156 « En el plazo de mes y medio se han administrado quince bautismos, tres de ellos in articulo mortis y en nuestra pequeña capilla los doce restantes, a saber : dos adultos, cuatro alumnos de nuestro colegio y seis párvulos. Tenemos al presente catorce niños catecúmenos, a los cuales se les dan tres instrucciones de doctrina cristiana diarias, a fin de que, tan pronto como estén suficientemente instruidos, puedan recibir las regeneradoras aguas del Santo Bautismo ». Lettre du P. Salvador Pueyo, de la Mission de Corisco, du 24 octobre 1886. In : Boletín Religioso de la Congregación de Misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María, volume 3, janvier - juin 1887, p. 17. 157 « Cuidar de 40 niños recién salidos del bosque que no han llevado ni saben llevar vestido limpio, ni les importa que se rasgue o esté entero, a quienes se ha de dar de comer, se ha de instruir en todo, y de quienes, para adelante, no puede V. esperar apenas una señal de agradecimiento ; sumamente perezosos para el trabajo, al cual no van, sobre todo al principio, sino a pura fuerza ; no les puede V. castigar ni reñir demasiado, porque se escaparán fácilmente. (...) ». Lettre du P. Ermengol Coll au P. José Mata, du 4 novembre 1893. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1.

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celle-ci serait un endroit non maîtrisé, inconnu et, par conséquent, non soumis à l'ordre et en plus dangereux, menaçant, le lieu où se cachent les animaux sauvages et le siège des esprits et d'autres êtres (evus, par exemple) redoutables et contraires à la société elle-même ; en revanche le village représenterait un espace de signe positif, maîtrisé, soumis à l'ordre, connu, sûr, sans pièges. Drôle d'expression donc que celle de « la forêt », ou « le bois » ( « el bosque » ), dont firent usage en tous moments les clarétains - sans s'en rendre compte - en un sens parallèle : l'espace extérieur à la Mission, non maîtrisé, méconnu, non soumis à l'ordre, dangereux pour le « salut spirituel » des élèves, siège des mœurs « sauvages » et païennes, contaminateurs de l'œuvre d'évangélisation ; en contraste avec la Mission et ses dépendances : espace positif, maîtrisé, soumis à l'ordre chrétien, connu, sûr, sans pièges, donnant impulsion à la civilisation et à l'évangélisation. Le « retour aux bois » serait, tout au long de la période, un des plus grands dangers pour les élèves « rescapés » de l'espace anarchique et « intégrés » à l'espace régularisé. Délivrer les élèves de ce danger provoqua et justifia la plupart des changements introduits par les clarétains dans leur modèle missionnaire, et la Mission toute entière eut une incidence territoriale158. Dans l'esprit missionnaire, l'espace propre, opposé à la forêt, était un genre d'îlot de chrétienté ; tout comme la paroisse d'Ars, dans le diocèse de Bellay, ou comme se devaient d'être les paroisses menées par Claret dans le diocèse de Santiago de Cuba. Au sein d’une société considérée comme corrompue, et dont il fallait réformer les mœurs, l'espace missionnaire s'opposait aussi à l'espace colonial, estimé « corrompu » et « corrupteur » : une fonction intrinsèque, d'après les missionnaires de toutes sortes et de partout ailleurs, chez les blancs qui s'étaient rendus aux tropiques (en Afrique, autant qu'aux Antilles ou à d'autres endroits). Depuis l'espace missionnaire il fallait donc diffuser un courant de régénération vers l'espace colonial « perverti » ainsi que vers l'espace sauvage de « la forêt », doublement corrompu par la férocité des indigènes et par l'action corruptrice des blancs. La conquête de la forêt était envisagée, en outre, comme quelque chose d'essentiel à l'action civilisatrice de l'Église à toutes les époques. En Europe méridionale même, ce furent les abbayes et les monastères la force motrice principale d'une tâche de réorganisation du territoire : le peuple chrétien médiéval, structuré autour d'une église et séparé de la forêt, lieu périlleux et foyer de la magie et de toute sorte de pratiques magiques. La relation était parfois vraiment explicite : « C'est ainsi que, dans nos États barbares, les 158

Creus, 1997e

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grandes abbayes du moyen-âge devinrent, non seulement des centres de Missions, mais encore des places de refuge, autour desquelles se groupèrent les populations, et bientôt des chefs-lieux de principautés. Le monde africain de l'intérieur est précisément dans l'état où notre Europe était au moyenâge. Pourquoi l'Église n'y réaliserait-elle pas les mêmes œuvres et n'y porterait-elle pas les mêmes bienfaits ? » 159. L'idée de lieu de refuge surgit aussi de cette conception d' « îlot de salut » situé en plein milieu du danger. Cette perception n'appartient pas uniquement, loin s'en faut, à la civilisation chrétienne européenne : déjà au XIVe siècle, pour l'historien andalousi Ibn Haldoun, dans ses Muqaddima, les villes (arabes) étaient le pôle positif de la culture musulmane, berceau d'idées et de culture ; et les villages périphériques (berbères), ainsi que les paysans et les nomades, le pôle négatif, destructif, foyer de populations ignorantes, rebelles et indisciplinées. Dans toutes les circonstances, on dirait que l'imposition d'un « ordre nouveau » implique l'imposition d'un aménagement territorial « propre ». La réponse à la question posée, évidente pour les missionnaires, requérait une stratégie permettant de garder le contrôle sur les élèves au-delà de leur période scolaire, ce qui donna lieu à l'innovation la plus importante du modèle missionnaire : • le rattachement à la Mission de propriétés pour les élèves et anciens élèves, destinées à l'exportation de cacao. Cette caractéristique du modèle clarétain répondait dans le fond, et comme d'habitude, à une adaptation de la stratégie qu'on suivait à Santa Isabel : à la capitale, l'enseignement primaire se complétait par une école professionnelle dont l'objectif consistait à instruire les élèves dans un métier « utile » pour la colonie. Dans les autres Missions, ce métier « utile » pouvait être celui de travailleur du cacao ; ce qui, en outre, représentait pour les jeunes - et surtout pour les missionnaires - toute une série d'avantages supplémentaires : ·l'existence d'une demande pour ainsi dire inépuisable, de sorte qu'elle était à la portée de la majorité des élèves. ·la possibilité de commercialiser le cacao à travers la Mission elle-même, qui devenait, de la sorte, l'intermédiaire entre les producteurs et les acheteurs (compagnies européennes siégeant en Guinée ou en Espagne) ce qui augmentait la dépendance des garçons vis à vis des clarétains.

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Charles Lavigerie, Instructions aux missionnaires de l'Afrique Équatoriale, 1859, chapitre VIII, Arch. Lavigerie, B 17/113, cité à Renault, 1971 : 240.

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Cette transformation des élèves en producteurs de cacao commença au cours du mandat du P. Vall-llovera, une fois stabilisées les nouvelles fondations menées par le P. Ramírez ; et on commença à envisager le fait qu'au fur et à mesure que les premiers élèves de la Mission allaient avançant, il fallait « résoudre » leur futur, qui ne pouvait dépendre uniquement de l'école professionnelle de Santa Isabel : « Puisque quand ils vivaient dans les bois ils possédaient une hutte ou une maisonnette et des propriétés, qui leur étaient attribuées, et qu'ils quittèrent tout, y compris leurs parents, et, en échange de la civilisation et de la religion qu'ils ont embrassés ils sont obligés cependant de quitter la Mission au bout de quelques années et n'ont plus ni maison, ni terres à cultiver, ni ressources, à moins de regagner les bois et de vivre comme auparavant. De notre part, nous leur donnons, pour 16 duros, les outils du métier qu'ils ont choisi, grâce auxquels ils peuvent travailler, mais cela ne suffit pas : ils doivent posséder en plus leur propre propriété, car il est impossible qu'il y ait du travail, dans un endroit aussi réduit que celui-ci, pour tous ces ouvriers lorsqu'ils quitteront cette Mission » 160. Le schéma se complétait peu à peu : il y avait la possibilité que la Mission continue à garder cette grande propriété cultivée par les Krumen avec l'aide des élèves ; ceux-ci, de leur côté, possédaient de petites propriétés de cacao avec leur propre production, dans lesquelles ils pourraient poursuivre leur travail, à la fin de leurs études : « Le jour où le P. Préfet passa à Maria Cristina il vit l'école en plein épanouissement, et considérant l'impossibilité, pour la Mission, de continuer à les entretenir au moment de se marier, étant donné les embarras qu'elle devait endurer à cause des frais occasionnés par l'école et le village, il décida de leur assigner une parcelle de terrain à chacun, afin qu'ils la cultivent : " Venez tous " leur dit-il, " chacun avec son coutelas ". Les enfants obéirent comme des agneaux. " Maintenant ", poursuivit le P., " que chacun coupe un pieu et y fasse une marque ". Ce qui fut fait en quatre minutes. Compte tenu de ce qui était arrivé avec les premiers jeunes, il commença à marquer une propriété de 40 m. de large, limitée d'un côté par le chemin menant à la plage et de l'autre non fixé. Aux plus petits, il ne marqua que 20 m. de large, afin qu'ils ne se 160

« Puesto que cuando estaban en el bosque tenían su choza o casita y sus fincas, que siempre les han sido respetadas, todo lo cual abandonaron con sus mismos padres, etc., por la civilización y religión que han abrazado ; y, sin embargo, tienen que salir de la Misión al cabo de algunos años sin tener casa donde ir, ni terreno que cultivar, ni recursos para nada, a no ser que se vuelvan al bosque a vivir como antes. Nosotros les damos las herramientas de su respectivo oficio por valor de 16 duros, con las cuales pueden trabajar ; pero esto no es suficiente : deben tener todos su finca, pues es imposible haber trabajo, en un punto tan reducido como éste, para tantos oficiales como saldrán de esta Misión ». Lettre du P. Pere Vall-llovera au P. José Mata, du 4 février 1890. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 8, Carton 8.

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découragent pas. Malgré tout, il fallait les rassembler de quatre en quatre ou de cinq en cinq, car, au moment de travailler, ils regardaient derrière eux pour voir ce qu'ils avaient fait, et lorsqu'ils s'apercevaient qu'ils n'avaient travaillé que très peu, ils perdaient courage ; tandis que, regroupés, lorsqu'en regardant derrière eux ils voyaient qu'ils avaient désherbé un gros morceau, ils se sentaient ragaillardis » 161 :

Je tiens à souligner que l'innovation clarétaine me paraît très importante : non seulement parce qu'elle permettait une continuation dans l'action évangélisatrice des missionnaires, leur but principal, mais aussi parce qu’elle représentait un essor qualitatif quant à la colonisation du pays : les garçons

161 « Pasando el P. Prefecto por María Cristina, y contemplando el colegio floreciente, y considerando la imposibilidad en que se veía la Misión de poder mantenerlos cuando llegaran al tiempo de tomar estado, puesto que ya entonces se veía apurada por los gastos que había de hacer por el colegio y el pueblo, determinó señalarles a cada uno una parcela de terreno para su cultivo. “ Venid todos ”, les dice, “ cada uno con su machete ”. Obedecieron los niños como corderos. “ Ahora ”, continuó el P., “ corte cada uno una estaca y haga en ella una señal ”. Se cumplió esta orden en cuatro minutos. Teniendo entonces en cuenta lo pasado con los primeros jóvenes, comenzó a señalar a los mayores una finca de 40 metros de anchura, uno de cuyos límites era el camino de la playa y el otro indefinido. A los pequeños señaló solamente 20 metros de ancho, a fin de que no desmayaran. Aún así, hubo necesidad de juntarlos de cuatro en cuatro o de cinco en cinco, porque sucedía que, a la hora de trabajar, volvían la vista atrás para reconocer lo que habían hecho ; y, cuando veían lo poco que habían trabajado, desmayaban ; y, juntándose algunos, cuando, al volver la vista, veían chapeado un buen pedazo, se animaban ». [Ermengol Coll] (circa 1900), Misión de María Cristina, éd. de Jacint Creus, p. 60-61.

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apprenaient à être chrétiens et de bons producteurs162. Le fait que les terres appartiennent à la Mission, ainsi que la commercialisation du cacao, eut comme conséquence que leur dépendance vis à vis des clarétains fut extraordinaire ; d'où l’empressement pour généraliser la situation : « On obtint finalement que l'officier inspecteur de colonisation se rende à Concepción afin d’y mesurer les propriétés de la Mission. Le Rd. P. Préfet considéra que je devais y aller à sa place, ce que je fis avec grand plaisir. Le résultat fut satisfaisant, non seulement parce que nous obtiendrons ainsi le titre de propriété définitif mais pour deux avantages extrêmement intéressants : Le 1er. Si jusqu'à présent nous avions un titre de propriété de 19 hectares seulement, le titre définitif sera de 25, soit 16 hectares de plus. Le 2ème. et principal : que les bâtiments soient compris dans le terrain appartenant à la Mission, telle et comme votre Rv. pourra vérifier sur le plan que j'ai fait sur place ; cela a été une tâche qui a exigé un certain doigté pour éviter que l'officier ne change d'avis. Et puis, il n’y a pas que cela car il semble que, par rapport aux jeunes de la Mission, la Mission devrait obtenir de Madrid la concession, à la Mission même, soit à Concepción, soit à San Carlos, d’environ 100 ou 200 hectares ou plus, et les mettre à la disposition des jeunes sous forme de petites parcelles redevables d'une faible compensation ; et par dessus tout, s'ils ne se conduisent pas comme il faut, la jouissance de ces terres leur sera retirée. L'officier luimême dit que ceci est très convenable pour nous ; d'autant plus que l'expérience nous a appris qu'ils ont encore du mal à se débrouiller. Enfin, je crois qu’à San Carlos on pourrait acheter, lorsqu'il y aura des terrains à vendre, quelques hectares et faire secrètement ce que l'on vient de faire à Concepción » 163. Cette citation fort longue permet de mettre au clair le dessein des clarétains et la situation de dépendance des jeunes gens, qui 162

Oyono, 1985 ; Salazar, 1996 « Al fin se consiguió que fuese a Concepción el oficial inspector de colonización, a medir las fincas de aquella Misión. El Rmo. P. Prefecto fue de parecer que s.s. fuese por él, lo que hice avec beaucoup de plaisir. El resultado, pues, de ello, ha sido satisfactorio. Porque, además de que tendremos título de propiedad definitivo, hay dos ventajas no poco interesantes : 1ª Que si teníamos título provisional de solas 19 hectáreas, ahora el definitivo será de 35, esto es, 16 hectáreas más. 2ª y principal : Que en el terreno propiedad de la Misión se incluyen los edificios, según podrá su Rma. ver por el plano que allí hice ; ha sido esto un trabajo [para el] que ha sido precisa cierta habilidad para que el oficial no se nos virara. Al fin, no sólo esto, sino que es de parecer que, respecto a los jóvenes de la Misión, la Misión debiera procurar recabar de Madrid la concesión, a la Misión misma, ya de Concepción, ya de S. Carlos, unas 100 ó 200 hectáreas o más, y luego entregarlas a los jóvenes en pequeñas parcelas con la obligación de una módica compensación ; y sobre todo de que, si no se portan bien, serán privados de la finca. El mismo oficial dice que esto nos es muy conveniente, y más que la experiencia ya nos enseña que no saben aún manejarse. En fin, me parece que en S. Carlos se podrían comprar, cuando vuelvan a conceder terrenos, unas cuantas hectáreas, y disimuladamente hacer lo que acabamos de hacer en Concepción ». Lettre du P. Joaquim Juanola au P. Martí Alsina du 28 janvier 1901. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 6, Carton 9.

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avaient accès à l'usufruit de la terre sous des conditions très précises : « Et par dessus tout, s'ils ni se conduisent pas comme il faut, la jouissance de ces terres leur sera retirée ». La reconversion des jeunes en producteurs de cacao signifiait aussi leur insertion dans un système de marché qui leur rapportait certains avantages économiques et monétaires ainsi que l'accès à toute une série de biens de consommation. Il est vrai que ceci est la pièce clé de tout le modèle ; et que le fait d’incorporer cette caractéristique força à apporter de nouveaux changements dans la configuration des Missions : • nouvelle étendue des Missions Chaque Mission dût se procurer davantage de terrains, lesquels étaient cédés par le gouvernement, et agrandir ses dépendances. Il fallut même parfois transférer la Mission à un nouvel endroit qui rendait possibles toutes ces activités : « [Cette Mission] fut fondée le 4 mars 1885 à Satome. On transporta la maison en bois près de la rivière Saint Jean, le 16 juillet de cette même année. Le 15 mai 1892, on commença le déboisement du Mont de María. À la fin du mois de février 1893, la Mission fut transportée définitivement au Mont de María. Le 26 avril 1893, on bénit la première pierre de cette nouvelle Maison. Le 1er. octobre 1893, on porta le Saint Sacrement et nous commençâmes à vivre dans cette maison en pierre. Septembre 1893 : quelques écoliers commencèrent à travailler dans les propriétés. Le 16 juillet 94, on bénit les premières graines de cacao, un régime de bananes et un autre de grosses bananes du Mont de María. Le 16 juillet 95 on bénit la voie ferrée qui mène à la plage » 164. Le modèle missionnaire qui s'allait s’établissant devait faire baisser les frais de fonctionnement des internats grâce à la collaboration du travail des internes, tout en entamant une étape de prospérité dans toutes les Missions. Cependant, tout cela était insuffisant pour accomplir l'objectif clarétain, lequel consistait à changer les mœurs des convertis. Autrement dit, les missionnaires ne prétendaient pas transformer les indigènes en producteurs de cacao pour qu'ils puissent gagner un peu d'argent mais pour qu'ils soient de bons chrétiens. Et cela ne pouvait s'obtenir, d’après eux, que sous l'influence de la Mission et à l'écart de leur famille, considérée comme « sauvage ». 164

« Fue fundada el 4 de marzo de 1885 en Satome. Se trasladó a la casa de madera, cerca del río San Juan, el 16 de julio del citado año. Día 15 de mayo de 1892 : se empezó el desbosque del Monte de María. A fines de febrero de 1893 se trasladó del todo la Misión al Monte. Día 26 de abril de 1893 : se bendijo la primera piedra de esta Casa. Día 1º de octubre de 1896 : se trajo el Santísimo y empezamos a habitar esta casa de piedra. Septiembre de 1893 : empezaron a hacer fincas algunos del colegio. En 16 de julio del 94 se bendijeron las primeras piñas de cacao, un racimo de bananas y otro de plátanos de este Monte. El 16 de julio del 95 se bendijo la vía férrea que va a la playa ». Crónica de Cabo S. Juan, 1884-1902. APG.CMF, document non catalogué ni paginé.

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Et de plus : le signe d'une conversion authentique devait être la consécration à un travail « productif », « utile », alors que sa confirmation définitive était sanctionnée par l'éloignement de la famille « traditionnelle » et l'insertion dans une nouvelle forme d'organisation : le vrai objectif, dans ce contexte, ce qui devait garantir la fuite définitive des jeunes hommes de la société « païenne », c’était : • la formation de familles catholiques Il est évident que, dès le début, le travail de préparation des mariages catholiques fut de grande importance pour les clarétains, car cela formait une partie de leur labeur paroissial : « Le 16 novembre eut lieu le premier mariage de Pamues, et le dimanche d'après, jour de la Saint Clément, le P. Pinosa se promit de le solenniser par le baptême de onze adultes et la célébration de deux autres mariages » 165. Cet objectif ne pouvait être atteint sans la participation d'un autre élément corrélatif qui est évoqué dans cet extrait : « Suivi par l'admirable spontanéité avec laquelle les pamues offrent leurs fils jusqu'au point de remplir l'école, et, chose extraordinaire, même leurs filles, dont trois sont à Elobey et reçoivent l'éducation d'une des jeunes filles les plus douées de Santa Isabel. Ce qui peut être le début d'une école de filles qu'on pourrait y établir, ce qui serait vraiment utile et sans aucun inconvénient, à condition que les bonnes Sœurs conceptionnistes aient du personnel en disponibilité étant donné qu'il existe des sommes établies dans le budget pour la création d'écoles de filles dans toutes les possessions où il y a des enfants » 166. C’est-à-dire : • la création d'internats de filles Effectivement, bien qu'il fût possible de marier les convertis et les élèves des écoles des clarétains à des filles externes, baptisées, il était beaucoup plus « sûr »que les mariages aient lieu entre les garçons des internats clarétains et les filles des internats conceptionnistes : « Et quand nous lui fîmes remarquer que par Ordre Royal nous étions autorisés à accueillir dans le village de la Mission les enfants et les personnes des deux sexes disposés 165

« El día 16 de noviembre se celebró el primer matrimonio de pamues ; y el siguiente domingo, día de San Clemente, se prometía el P. Pinosa solemnizarlo bautizando once adultos y asistiendo a otros dos matrimonios ». Elobey. In : Anales de la Congregación de los Misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María, volume 3, 1891-1892, p. 25. 166 « Síguese a esto la admirable espontaneidad con que ofrecen los pamues a sus hijos, de los cuales está repleto el colegio, y hasta a las niñas, cosa inusitada, de las cuales hay tres en Elobey, instruyéndose con una muchacha de las más aventajadas de Santa Isabel ; lo cual será el principio de un colegio de niñas, que podría establecerse allí con gran provecho y sin ningún otro inconveniente si las Hermanas Concepcionistas dispusieran de personal, toda vez que hay cantidades consignadas en el presupuesto para establecer escuelas de niñas en todas las posesiones donde las hay de niños ». Ibidem. Rapport préalable du P. Jeroni Batlló sous forme de lettre à la Propaganda Fide du 27 décembre 1890. ASCPF, Scritture riferite nei Congressi : Africa : Angola, Congo, Senegal, Isole dell’Oceano Atlantico, vol. 9, f. 344-345.

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à s'y établir en vue de devenir chrétiens, il [Francisco Dueñas, gouverneur de Fernando Póo ] nous répliqua : " Mais pas pour les marier de force ”. “ On n'y oblige personne ”, nous lui répondîmes. “ Les fillettes passent de San Carlos à l'école des religieuses et puis elles se marient avec qui elles veulent " » 167. Si bien que, comme les internats de filles étaient moins nombreux et de capacité plus réduite que ceux des garçons, ces derniers jouaient le rôle de centre d'accueil pour les filles de toute la zone qui regagnaient ensuite leur lieu de provenance pour épouser un garçon « approprié » , c’est à dire chrétien et producteur de cacao dans les terres de la Mission :

Les Missions qui pouvaient donc suivre avec le plus d'exactitude le modèle étaient celles qui possédaient une Maison conceptionniste : « Quelles démonstrations de joie! Ils ne se lassaient pas de les regarder, et pendant un moment, elles durent se mettre à la vue de tous pour satisfaire les souhaits de ces pauvres insulaires. Ce jour-là et le lendemain les visites des habitants de l'île, même les plus éloignés, se succédèrent sans interruption. Quelques jours après, la maison où elles vivent était remplie de petites filles et un 167

« Y como le hiciéramos notar que por una R.O. estábamos autorizados para recibir en el pueblo de la Misión los niños y hombres de ambos sexos que quisieran establecerse en ella para hacerse cristianos, nos contestó : “ Pero no para casarlos a la fuerza ”. “ A nadie se obliga a esto ”, le contestamos : “ Las niñas pasan de San Carlos al colegio de las religiosas, y después se casan con quien quieren ” ». [Coll, Ermengol] (circa 1908), Crónica de la CasaMisión de Santa Isabel. AG.CMF, doc. cit., p. 90.

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nombre important de familles avaient promis d'envoyer les leurs dès qu'elles pourraient s’installer dans la nouvelle maison qu'on est en train de leur bâtir. Il existe des espoirs forts et bien fondés de grands progrès de la part du Catholicisme dans l'île de Corisco, qui n'oubliera jamais comme un des actes les plus remarquables est celui que je viens de conter » 168. Néanmoins, les rapports de hiérarchie existant dans l'ensemble de la Mission offraient la garantie que les filles les plus « appropriées » épouseraient les garçons les plus « appropriés » pour former de nouvelles familles catholiques. La démarche suivante fut le point culminant du modèle définitif : • la création de villages catholiques près de la Mission. Il s'agit là d'un élément tout à fait logique dans la mise en œuvre missionnaire. Si les élèves des clarétains devenaient des producteurs de cacao, leur mode d'existence était lié à la Mission, à condition que cette dernière soit la propriétaire des terres. S'ils épousaient les filles des internats conceptionnistes, ils devaient former des familles catholiques « garanties » et « contrôlées » par les missionnaires ; si un certain nombre de ces familles vivaient à l'abri de la Mission, on pouvait envisager de transformer tout l'ensemble en un petit village qui pourrait ainsi et pour toujours assurer le succès définitif de l'activité évangélisatrice clarétaine : « Cette Mission a été fondée il y a sept ans, au cours desquels, grâce à Dieu, on a pu fonder un collège pour des enfants des deux sexes qui doivent vivre, à la faveur de Dieu, toujours auprès de nous et sous la protection de la Mission, malgré tous les obstacles que nous opposaient les parents et les patrons des garçons pour les empêcher de nous rejoindre, ce à quoi nous parvîmes, après la grâce de Dieu notre Seigneur, à l'aide de petits cadeaux, notamment des vêtements, des parures, du tabac, etc. Avec les neuf mariages que nous avons célébrés jusqu’à présent, nous possédons les fondements d'un village chrétien et pieux, aidés par le fait qu'il n'existe ici aucune famille de blancs car ceux qui pourraient donner de bons exemples ne se rencontrent guère dans ce pays » 169. 168 « ¡ Qué muestras de alegría! No se saciaban de mirarlas, y fue preciso que por un rato se colocaran en lugar desde donde pudieran ser vistas de todos para satisfacer los deseos de los pobres isleños. Aquel día y el siguiente fue una continuación no interrumpida de visitas de todos los habitantes de la isla, aun de los más distantes. A los pocos días tuvieron en su compañía tantas niñas como podían caber en la casa que habitan ; y tienen prometido muchas familias que mandarán las suyas tan pronto como residan en la nueva casa que se les está construyendo. Hay muchas y fundadas esperanzas de grandes progresos por parte del catolicismo en la isla de Corisco, la cual recordará como uno de los hechos de más nombre el que acabo de referir ». Lettre du P. Ermengol Coll au P. Diego Gavín, du 21 février 1891. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1. 169 « Esta Misión lleva seis años desde su fundación a esta parte, y en ellos, a Dios gracias, se ha podido fundar un colegio para niños de ambos sexos que han de vivir, con el favor de Dios, perpetuamente al lado y bajo la protección de la Misión, a pesar de que ponen los padres y

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La fondation de villages constituait le dernier échelon de l' « espace » physique de la Mission. Celui-ci qui fut donc évolutif depuis la petite hutte du début jusqu'à des ensembles de plus en plus complexes. Une occupation de l'espace qui symbolisait et réaffirmait, tout simplement, la nouvelle maîtrise. Cette fondation des villages n'était jamais improvisée, mais plutôt le fruit « naturel » du labeur d'évangélisation antérieur : « Voilà comment le village se formait : lorsque les filles étaient restées deux ou trois ans à l'école [celle des bonnes Sœurs de Santa Isabel] elles étaient rappelées à la Mission [de Batete], la plupart du temps engagées préalablement par une promesse de mariage à quelque garçon. Elles retournaient vivre dans leurs familles pendant les deux ou trois mois qui précédaient leur mariage. Entre temps y étaient publiés les bans, on préparait les vêtements, les alliances et le mobilier de la maison : le lit, la batterie de cuisine, l’éclairage, une caisse amos de los muchachos todos los obstáculos que pueden para impedirles el venirse con nosotros, lo que logramos, después de Dios nuestro Señor, por medio de regalitos, principalmente ropas, adornos, tabaco, etc. Con los nueve matrimonios que hay actualmente tenemos los fundamentos de un pueblo cristiano y piadoso, porque a esto le ayudará el no haber en ésta ninguna familia de blancos, que, generalmente, no acostumbran a venir por estas tierras los que dan buenos ejemplos ». Lettre du P. Alfredo Bolados au Vicaire Apostolique de Tarapaca. In : El Iris de Paz, o sea El Inmaculado Corazón de María, 1894, p. 22-23.

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ou un bahut pour ranger le linge, ce que leur fournissait le P. missionnaire, car, à cette époque-là, les pauvres étaient dépourvus de tout. La fête s'approchait et afin que, d'une part, elle soit du plus grand effet possible et, de l'autre, pour tenter de réduire les frais, il [le missionnaire] envoyait pendant une semaine deux ou trois chasseurs dans la forêt qui, pendant ces quelques jours chassaient une douzaine et demie d’antilopes, cerfs, porcs epics, etc., qu'ils fumaient selon la méthode bubi pour éviter qu'ils se corrompent. Le jour du mariage arrivait et, quoique simple, leurs nouveaux habits et un cortège assez fourni conféraient, à leurs yeux, un air de solennité. La cérémonie se tenait dans l'église : ils recevaient dévotement la communion au cours de la messe, conscients qu'il s'agissait vraiment d'une cérémonie sacrée digne du plus grand respect. À la sortie de l'église, ils étaient accompagnés par le P. missionnaire qui bénissait la maison ; ensuite, les nouveaux mariés y entraient et il était servi un peu de thé ou du café à ceux qui les accompagnaient. À partir de ce moment, c'était à la femme de nettoyer et de ranger la maison et de préparer le repas à l'heure convenable. Mais, d'où tirer tout le nécessaire? Du fond commun de la Mission, où elle se rendait tous les jours à 10 heures pour emporter la ration pour toute la journée. Ceci continua jusqu'à la moitié de l'an 1896, quand quelques uns commencèrent à pouvoir vivre grâce à ce qu'ils tiraient du cacao » 170. Il convient de souligner que cette évolution de la Mission concernait uniquement les indigènes, car les clarétains, héritiers des Missions intérieures, considéraient que tous les Européens représentaient un danger : 170

« He aquí cómo se iba formando el pueblo : Después que las niñas habían estado dos o tres años en el colegio [de les monges de Santa Isabel], eran llamadas otra vez a la Misión [de Batete], ordinariamente habiendo ya de antemano prometido su mano a alguno de los jóvenes. Habitaban con sus familias los dos o tres meses que faltaban para celebrarse el matrimonio. Entre tanto, iban las proclamas, se preparaban los vestidos, los anillos y el mueblaje de la casa : cama, batería de cocina, luz, alguna caja o baúl para guardar la ropa, habiendo de procurarlo todo el P. Misionero porque, entonces, los pobres carecían de todo. Se acercaba la fiesta ; y, parte para que fuera lucida y parte para que no fueran tan crecidos los gastos, enviaba durante una semana dos o tres cazadores al bosque, que durante aquellos días siempre recogían una docena y media de antílopes, ciervos, puercoespines, etc., ahumándolos al estilo bubi para que no se corrompiesen. Llegaba el día de la boda, que, aunque fuera sencilla, yendo con vestidos nuevos y un acompañamiento más que regular, resultaba para ellos solemne. Se hacía en la iglesia la ceremonia ; comulgaban en la misa con muestras de verdadera devoción y mirándolo todo como es en realidad, como una ceremonia sagrada digna de todo respeto. Al salir de la iglesia, iba el P. Misionero a acompañarles ; bendecía la casa, y después entraban [en] ella los nuevos desposados, sirviéndose un poco de té o café a los acompañantes. Desde entonces, corría a cargo de la mujer el tener la casa limpia y arreglada y la comida preparada a la hora conveniente. Pero, ¿de dónde sacar lo necesario ? Del fondo común de la Misión, adonde acudía diariamente a las 10 para llevarse la ración para todo el día. Así fue siguiendo la Misión hasta mediados del 1896, en que algunos, pocos, comenzaron a mantenerse con lo que sacaban del cacao ». [Ermengol Coll] (circa 1900), Misión de María Cristina, éd. de Jacint Creus, p. 57-58.

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aussi bien en Europe, où ils étaient les représentants du « royaume du péché, de l'ignorance et de la souffrance », que dans les villages catholiques des Missions, où ils auraient pu être la mauvaise graine. On courait le risque que les nouveaux villages deviennent une réplique de la « ville pervertie » : « Imaginez, Rd., un village entièrement indigène, c'est à dire, Bubi ; entièrement catholique aussi, sans un seul protestant, sans aucun blanc qui les déchristianise, oh ! quel bonheur ! De même entièrement espagnol, sans rien de l'esprit anglais - je le répète : quel bonheur!- et vous aurez Maria Cristina de Batete » 171. C'est ainsi que naquirent les villages « catholiques » de María Cristina de Batete et Corisco (1893), San José de Banapa (1894), San Joaquín (Mission de Concepción, 1895), Santa Teresa de Banapa (1901), San José de Musola (1903)... Ils étaient constitués à partir de familles formées par des mariages d'anciens élèves de missionnaires et de bonnes Sœurs, qui jouissaient des mêmes avantages que dans les internats (nourriture, habits, logement...), qui accomplissaient les mêmes devoirs (culture du cacao, pratiques chrétiennes), et qui étaient censés accepter l'autorité de la Mission, y compris dans leur comportement intime (monogamie, éducation des enfants...)172. Et il s'agissait donc de villages entièrement indigènes, dans lesquels les clarétains se refusaient à la présence d'Européens. Il faut souligner un fait significatif : le village de San José de Banapa fut fondé, aux abords de la Mission, dans le but de n'y accueillir que la population fang provenant de la zone de l'estuaire, et notamment des Fangs élevés et baptisés à la Mission d'Elobey qui, ne l'oublions pas, avait été construite dans cette optique. On conserve justement l'acte de fondation de ce village173, signé par les missionnaires Ermengol Coll, Natalio Barrena, Ramon Tonijuan, Ramon Ginestà et Luis Laplana et par 45 chefs de famille Fangs : « Et en présence de tous les signataires de cet écrit, on procéda à la bénédiction de la première pierre du village dont le nom, par l'approbation unanime des signataires sera San José de Banapa, qui sera leur saint patron et dont ils célébreront la fête avec une solennité spéciale et où tous, à moins d'en être empêchés par une cause raisonnable, ils communieront » 174. Ce qui me 171

« Figúrese Va. Rma. un pueblo enteramente indígena, esto es, bubi ; enteramente también católico, sin un protestante, sin ningún blanco, ¡ oh, dicha !, que nos los descristianice ; enteramente asimismo español, sin nada de espíritu inglés -repito : ¡ qué dicha !, y tendrá V.R. lo que es María Cristina de Batete ». Lettre du P. Joaquim Juanola au P. Climent Serrat, du 27 octobre 1902. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 5, Carton 4. 172 Ondó, 1987 ; Prudhomme, 1990 173 Document du 1er. janvier 1894. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 5, Carton 1. 174 « Y hallándose presentes todos los que firman este escrito, se procedió a la bendición de la primera piedra de este pueblo cuyo nombre, por unánime consentimiento de los firmantes, será S. José de Banapá, al cual santo tendrán por patrón y cuya fiesta celebrará con

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parait le plus intéressant dans cet acte c'est que, à la suite de ces paragraphes de rhétorique, on donnait des règles de fonctionnement qui comprenaient la nomination de conseillers « municipaux » élus par vote : « Les sessions seront toujours présidées par le P. Supérieur de la Mission de la Maison de Banapa, sans le conseil et l’approbation duquel aucune résolution ne sera prise » 175 ; et énumérait quelques-unes des raisons pouvant entraîner l'expulsion de personnes du village : · le non accomplissement des devoirs chrétiens référents aux jours de fêtes et fêtes d'obligation pascale. · le vol d'une somme supérieure à 1 pta. · la vie en commun d'un couple non marié (concubinage ou polygamie). · l'adultère, autant pour le coupable que pour les non délateurs. Le document nous apprend enfin que les habitants devaient promettre de n'appartenir jamais à aucune secte contraire à l'Église Catholique et de solliciter la permission du P. Supérieur pour entrer dans une quelconque association. Tout bien considéré, vivre dans un « village catholique » signifiait être obligé de vivre « comme un bon catholique » ; et remarquons que les missionnaires percevaient fondamentalement ce concept à partir du devoir de fréquenter les pratiques liturgiques et pieuses et de garder une morale sexuelle opposée à la polygamie et en rapport avec la fidélité matrimoniale. La formation des villages était, de manière visible, le point culminant de tout le modèle missionnaire imposé par les clarétains dans « leur » Mission guinéenne : un modèle qui leur permettait à la fois de contrôler dans leur totalité les progrès de la colonie, autant sous l'aspect de la production agricole que sous celui de l'aménagement du territoire. Il va de soi que le conflit avec l'autorité civile devait éclater tôt ou tard : au moment où l'administration déciderait de prendre sous son autorité, comme cela se passait dans la métropole, l'ensemble de la production, de la population et du territoire ; trois aspects que, à l’exception de Santa Isabel, les missionnaires contrôlaient par des zones d'influences qui couvraient, comme nous l’avons vu dans le chapitre antérieur, presque tout. Car, au-delà des Missions proprement dites, sans cesse agrandies et de plus en plus complexes, les clarétains ne s'écartèrent jamais de leur labeur paroissial : un labeur qui rendait possible leur présence dans tous les territoires proches de chaque Mission, avec toujours des desseins solemnidad especial, comulgando en ella todos los que por alguna causa razonable no se hallen impedidos ». 175 « Presidiendo siempre las sesiones el P. Superior de la Misión de la Casa de Banapá, sin cuyo consejo y aprobación no se tomará resolución alguna ».

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évangélisateurs et humanitaires mais augmentant en même temps les possibilités de contrôle. Là où cela leur était possible, leur présence s'institutionnalisait au moyen de la reprise -en plus petit- de la trilogie paroissiale Presbytère - Chapelle - École, celle-ci à la charge de quelque catéchiste (presque toujours un ancien élève) qui « représentait » la Mission et la soumission à celle-ci : « ” Il s'agit de la plus grande nécessité de nos Missions, bien que ce soit ce qui leur coûte le plus ". Profondément imbus de cette idée, nous, les missionnaires, travaillons avec ferveur et acharnement en vue de fonder, sous les ordres de notre pasteur zélé et vigilant, ces dépendances de Missions appelées modèles réduits, " réductions ", dans les endroits qui, par le fait d'être dans le centre des villages très peuplés sont considérés comme les plus appropriés ; et en outre, soutenir, cultiver et faire prospérer celles qui existent déjà » 176. Il s'agit là de la dernière étape du modèle missionnaire clarétain. • la création de réductions Il s’agit d’endroits où on allait prêcher, rendre visite aux malades, administrer les sacrements, organiser des actes liturgiques : « Nous avons besoin d'un autel portable pour Corisco. Dans cette île, la Maison de la Mission est située au bord de la plage, dans le sud-ouest, de sorte que ceux du côté opposé qui veulent assister à la messe, s'instruire ou suivre le catéchisme, ont deux heures de chemin et prient le P. Orriols de faire une petite chapelle près de là où ils sont et alors ils s'efforceront d'y assister autant eux que leurs enfants » 177. Mais, par dessus-tout, il ne faut pas perdre de vue qu'au fur et à mesure que le nouveau modèle avançait, toute l'activité missionnaire y était de plus en plus subordonnée. Les « réductions » étaient une « pépinière » qu’il fallait transférer, au moment opportun, à la Mission : une pépinière d'élèves pour les internats, de filles pour les mariages, de nouveaux chrétiens pour les villages et les propriétés.

176 « ”Es la gran necesidad de nuestras Misiones, aunque sea lo más caro para ellas”. Bien penetrados los misioneros de esta idea, trabajamos con fervor y ahínco en orden a establecer, bajo las instrucciones de nuestro celoso y vigilante Pastor, estas dependencias de Misión llamadas “ reducciones ” en los sitios más a propósito por lo céntricos y poblados ; así como también en sostener y cultivar y hacer que prosperen las ya existentes ». Impresiones al interior del Muni : Visitando una reducción. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 11. 177 « Necesitamos un altar portátil para Corisco. Sucede en esta isla que la Casa-Misión está puesta cerca de la playa, al sud-oeste ; de donde se sigue que los del lado opuesto, si quieren ir a misa o asistir a instruirse o a catequizarse, han de hacer 2 horas de camino ; y ruegan al P. Orriols que haga una pequeña capilla cerca de donde ellos están, y entonces procurarán asistir ellos y sus hijos ». Lettre du P. Ermengol Coll au P. José Mata, du 23 janvier 1891. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1.

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Le modèle s'arrondissait donc en un ensemble permettant une forme d'action globale, unifiée, multidimensionnelle et composée de toute une série d'éléments interdépendants : de même que sans réductions il n'y pouvait y avoir d'élèves, sans les filles il n'y pouvait y avoir de mariages ni de familles chrétiennes, sans les propriétés ces familles ne pouvaient subvenir à leurs besoins, sans la Mission le village n'existait pas... En quelque sorte, pris un à un, aucun de ces éléments ne suffisait. Ainsi, pour faire fonctionner ce système, le mélange d’activité intense et de discipline absolue propre aux clarétains était indispensable. Les missionnaires, bien que superposant la base jésuite et la façon d'agir spiritaine, étaient parvenus à élaborer une manière de faire, un modèle personnel, qui leur donnait une position centrale dans le procès de colonisation et leur offrait la garantie d'une efficacité indestructible. Cette efficacité était réelle lorsque les responsables de chaque Maison parvenaient à faire marcher « l'ensemble du modèle » : « Au cours des mois de mai et juin, nous en avons baptisés plusieurs, parmi lesquels deux femmes et douze garçons de l'école. Nous avons en main la catéchèse de quelques adultes qui se présentent spontanément demandant à être baptisés. Quel aimant entraîne à sa suite ces êtres enfouis dans l'épais brouillard de l'infidélité ? À mon avis, ce ne peut être que celui de la prière. Celui de la prière, dis-je, de tant de chrétiens qui au cours des mois cités de mai et juin ont prié si ardemment les Cœurs de Jésus et de Marie, leur

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demandant des conversions, toujours des conversions, en nombre toujours plus grand. C'est la réflexion que je me fais face à cette spontanéité et celle de tant d'autres qui, à l'heure actuelle, nous demandent, soit à Ebor, soit à Elobey, d'être baptisés et mariés. Les travaux de notre quai sont sur le point de finir et bientôt, Dieu aidant, nous fêterons son inauguration, après huit8 mois de travail. Notre station missionnaire d'Ebor se poursuit et le jour du Carmen je crois que notre catéchiste Marcos Ndchuma pourra s'y installer. La maison aura quatre pièces. Au rez de chaussée, il y a assez d'espace pour aménager une école bien aérée » 178 La citation du P. Casas possède la vertu de relier ces bons résultats des Missions guinéennes au comportement des chrétiens de la métropole ; dont, en vérité, on espérait quelque chose de plus que des prières. Car, si la Mission était devenue progressivement complexe, elle était aussi devenue progressivement plus coûteuse.

Aspects économiques « De ce que nous exposons vous pouvez déduire combien nous avons été affligés par la conduite de ceux qui, de cœur avec les ennemis, ont suspecté la congrégation de s'enrichir avec les intérêts que le gouvernement a attribué aux Missions de Fernando Póo. Cette erreur, tenue pour vraie par certains, a provoqué des mots peu dignes et des demandes exorbitantes » 179.

178

« En los meses de mayo y junio hemos bautizado a varios, entre otros a dos mujeres y doce niños del colegio. Tenemos entre manos la catequesis de varios adultos más, que espontáneamente se presentan pidiendo bautismo. ¿ Qué imán arrastra en pos de sí a estos seres envueltos en la densa niebla de la infidelidad ? Para mí no es otro que el de la oración. El de la oración, digo, de tantos cristianos que en los predichos meses de mayo y junio han hecho santa violencia a los Corazones de Jesús y María, demandando conversiones, siempre más, siempre mayores. Así me explico esta espontaneidad y la de otros varios que actualmente están pidiendo, ya en Ebor, ya en Elobey, bautizarse y casarse. Las obras de nuestro muelle tocan a su fin y pronto, Dios mediante, celebraremos la fiesta de inauguración, después de ocho meses de trabajo. (...) Nuestra estación de Ebor va adelante también, y para el Carmen creo que ya la podrá habitar nuestro catequista Marcos Ndchuma. (...) La casa constará de cuatro habitaciones. (...) En los bajos hay lugar de sobra para hacer una escuela bien ventilada ». Lettre du P. Miguel Casas, de la Mission d'Elobey. In : El Iris de Paz, o sea El Inmaculado Corazón de María, 1892, p. 280. 179 « De aquí podrán inferir cuánto nos ha contristado la conducta de aquellos que, formando coro con los enemigos, han sospechado que la Congregación se enriquecía con los intereses que el Gobierno ha designado para las Misiones de Fernando Póo . Ese error, creído verdad por algunos, ha ocasionado palabras poco dignas y peticiones exhorbitantes ». Josep Xifré, circulaire adressée au missionnaires en Guinée. In : Anales de la Congregación de los Misioneros Hijos del Inmaculñado Corazón de María, volume 2, 1890, p. 465-469.

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L'accusation selon laquelle les clarétains s'enrichissaient grâce à leur Mission guinéenne fut constante tout au long de cette période : les secteurs libéraux de la colonie et la plupart des colons eux-mêmes s'en plaignaient souvent, soulignant que les missionnaires touchaient chaque fois une partie plus substantielle du budget colonial. Il est vrai que cette Mission clarétaine devenait progressivement de plus en plus complexe. Elle avait fait augmenter le mouvement de propriétés et d'argent, ainsi que celui des produits agricoles, des importations et des exportations, et enfin celui des opérations comptables et financières dont il existe très peu de traces, autant dans les archives clarétaines que dans celles de l'État, ce qui rend difficile leur suivi. Mais il est vrai aussi que l'existence des Missions, du point de vue de l'Administration, était due à deux objectifs fort précis : le premier, assurer la présence officielle espagnole dans tous les territoires ; le deuxième, que cette présence ne soit pas coûteuse. Le surcroît de vocation apporté par les curés et coadjuteurs devait servir de palliatif au manque d'investissement de l'État. Et, à mon avis, et malgré ce manque de documentation que j'ai cité, c'est ainsi effectivement que les choses se passèrent. Une étude en détail des budgets officiels paraît difficile. Les revenus administratifs appliqués à la colonie guinéenne provenaient, conformément à la loi, des budgets de Cuba (50%), Puerto Rico (15%), et Philippines (35%), ce qui prouve jusqu'à quel point la colonisation du pays avait été conçue en subordination aux intérêts de l'ensemble de l'Outre-mer espagnol. A ces revenus il fallait ajouter les impôts urbains et commerciaux, qui lors de l'arrivée des clarétains ne représentaient qu'une augmentation de 0,8% par rapport aux apports d'Outre-mer. Quant aux frais, l'approbation des budgets apparaissait dans La Gaceta de Madrid d'une manière très générale et floue ; en revanche, si le budget détaillé n'y était pas publié il faisait l'objet d'un Ordre spécifique du Ministère d'Outre-mer. Je n'ai pu retrouver qu'une partie des budgets, ceux qui correspondent aux années 1883-1884, 1887-1888 et 1893-1894, en ce qui concerne La Gaceta de Madrid180. Quant aux budgets dictés par le Ministère d'Outre-mer, j'ai pu consulter ceux qui correspondent aux années 1885-86, 1886-87, 1888-1889 et 1892-1893181. J’ai trouvé enfin des résumés des budgets de 1895182, de 1899-1900183 et de 1902184. J'ai donc à ma disposition des données qui, bien qu'incomplètes, recouvrent toute la période décisive que j'ai étudiée et qui sont, à mon avis, suffisantes pour nous permettre d'avoir un aperçu sur le déroulement des faits. 180

« La Gaceta de Madrid « du 2 septembre 1883, 29 juillet 1887 et 23 août 1893. AGA, Section África-Guinea, Boîte 284. 182 Fernández, Cristóbal, 1962 : 12. 183 BCD, « Diario de las Sesiones de Cortes : Congreso de los Diputados, sesión del miércoles 24 de enero de 1900 », p. 3777-3797. 184 « Revista de Geografía Colonial y Mercantil », volume 2, numéro 5. 181

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Les budgets étaient valables pour une période de deux ans, et les quantités annuelles étaient quantifiées en pesos185 (ils commencèrent à être publiés en pesetas à la fin du siècle). Lorsque l'administration désirait changer le budget de la deuxième année, elle avançait la publication pour les deux années à venir. Lors de l'élaboration des bases concernant la création de la Mission (vid. supra) on débattit aussi de ses bases économiques, décidant les trois concepts pour lesquels les missionnaires devaient recevoir des paiements de l'État : « Personnel », « Matériel » et « Transferts de la Péninsule à Fernando Póo ». Dans la section de « Personnel », il était clair que chaque missionnaire devait toucher un salaire de l'administration, auquel il fallait ajouter une somme réduite destinée au personnel auxiliaire de l'église (acolyte, sonneur de cloche, sacristain...). Les paiements de « Matériel » étaient divisés en trois sections : « matériel du culte », « matériel de l'école » et « habits et nourriture des indigènes ». Par contre, les frais pour transferts des missionnaires n'apparaissent de manière différenciée que dans les deux premiers budgets (1883-1884 et 1885-1886) et sont par la suite absorbés dans le concept beaucoup plus large de « Transfert du personnel de la colonie ». Je peux donc étudier, avec toute certitude, les deux premières sections ( « Personnel » et « Matériel » ). En 1883 fut établie une paye pour chaque curé missionnaire de 800 pesos annuels, alors que les coadjuteurs n'en recevaient que la moitié : 400 pesos par an. Il s'agit là d'une somme raisonnable pour ce qui concerne les curés mais plutôt modeste en ce qui concerne les coadjuteurs, et que les budgets eux-mêmes nous permettent de comparer : cette année-là, le salaire du gouverneur était de 3.360$ (qui passerait plus tard à 4.000), 2.000 pour le secrétaire, 500 pour l'employé aux écritures, 1.620 pour le médecin militaire, 732 pour un menuiser, 900 pour un aide des machines (d'un navire de guerre), 384 pour un boulanger, 500 pour le maître de l'école primaire, 800 pour le médecin de l'hôpital. Lorsque la Mission des conceptionnistes fut mise en marche, quelques Sœurs touchaient 500$ et d'autres 400. Des sommes qui ne paraissent ni négligeables ni trop importantes. Toutefois, le plus frappant c’est qu'elles ne subirent aucun changement tout au long de la période étudiée, aucune sorte d'augmentation ; d'autant plus que nous pouvons détecter une différence progressive entre le nombre de missionnaires affectés par la congrégation en Guinée et le nombre officiel de missionnaires subventionnés :

185

1 peso = 1 peso fort = 1$ = 1 duro = 5 pesetas. Par rapport à d'autres monnaies, 1 peso = 5 francs français = 1 £. Équivalences de l'époque publiées dans le Boletín Religioso de la Congregación de Misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María, volume 3, janvier juin 1887, p. 426.

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année 1883 1885 1886 1887 1889 1892 1895

Nombre de missionnaires 6 PP. + 6 FF. 15 PP. + 16 FF. 21 PP. + 29 FF. 20 PP. + 27 FF. 22 PP. + 27 FF. 20 PP. + 28 FF. 27 PP. + 34 FF.

Nombre de missionnaires subventionnés 6 PP. + 6 FF. 15 PP. + 15 FF. 20 PP. + 28 FF. 20 PP. + 28 FF. 20 PP. + 25 FF. 20 PP. + 25 FF. 24 PP. + 29 FF.

Diff. 0 1 2 -1 2 3 8

Cette tendance obéissait à la volonté de la congrégation de se vouer à ses Missions les plus importantes, ce qui avait des répercutions négatives non seulement sur les frais du personnel mais sur bien d'autres choses encore : le surplus des missionnaires ne recevait pas de subvention pour son transfert depuis la Péninsule, ni pour les transports interinsulaires, etc. Malgré tout cela, on ne peut manquer de remarquer la volonté de la congrégation de ne pas trop s'écarter du budget établi. Au chapitre du « Personnel » il faut ajouter une somme de 600$ annuels destinée au personnel auxiliaire de l'église ; qui ne subit-elle non plus aucun changement au cours de cette période mais qui se limita à la Mission de Santa Isabel. Aucune des autres Missions, créées par la suite par les clarétains, ne reçut de subvention selon ce concept. Pour ce qui est du chapitre du « Matériel », le premier budget (18831884) destinait 600$ à l'église (celle de Santa Isabel, la seule qui existait à ce moment-là) 200 à l'école et 1.400 aux habits et à la nourriture d'indigènes. Une donnée qui nous aide à comprendre le fait que le P. Ramírez put commencer l'internat de Santa Isabel aussitôt après son voyage à Libreville. Il disposait d'assez d'argent et, qui plus est, il devait justifier l’emploi qu’il en faisait auprès du gouvernement. Quant aux autres Missions qui se créèrent, leur dotation était nettement inférieure : chacune d'entre elles recevait 300$ par an pour le matériel de l'église (300 depuis le budget de 1899-1900) ; mais uniquement 100$ pour les habits et la nourriture des indigènes. Bien que, pour des raisons politiques, le gouvernement de l'État fût intéressé à la présence missionnaire partout ailleurs sur le territoire, il n'apporta que très peu d'aide au nouveau modèle missionnaire et ne collabora guère au développement des internats, ce qui aurait permis une croissance du nombre d'élèves vraiment importante : le tableau ci-dessous, que j’ai élaboré à partir des budgets et des statistiques

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clarétaines186 nous permet de nous faire une idée de ce manque de collaboration au cours de la période décisive de mon étude : il comprend le budget pour les habits et la nourriture des indigènes, le nombre d'élèves internes dans l'ensemble des Missions, ainsi que l'argent en pesetas destiné quotidiennement à chaque élève : année 1885 1888 1892 1894

budget 1700 $ 2.000 $ 2.000 $ 2.000 $

Nombre d'internes 18 64 272 260

Pts/interne/jour 1,29 0,43 0,10 0,10

C'est ainsi que plus les missionnaires s'efforçaient de développer les internats, et plus cela leur revenait cher : « Nous louons votre zèle pour accueillir des enfants indigènes et les amener aux diverses écoles de cette Préfecture ; mais considérez que leur nombre est trop excessif pour que nous puissions les soutenir. Vous, les missionnaires, vous demandez ; mais, d'où allez-vous tirer l’indispensable pour les nourrir et les vêtir ? » 187. Les chiffres, bien que partiels, montrent que les subventions que recevaient les missionnaires étaient au-dessous des nécessités de la Mission ; et que cette tendance s'accentua à mesure que les clarétains développèrent leur modèle. À mon avis, ceci justifie l'agissement clarétain, dans la mesure où ils furent toujours fidèles à ce modèle malgré les frais et la nécessité de chercher d'autres sources de revenus, convaincus qu'il était le plus adéquat pour atteindre leur but définitif, celui de la conversion des indigènes. Je pense aussi que le gouvernement fit preuve, à ce sujet, d'un manque évident de clairvoyance. Nous avons vu, dans le chapitre antérieur, que les initiatives de nouvelles fondations, lorsqu'elles étaient prises en charge par le gouvernement colonial (Basilé-Musola), se bornaient à projeter des Missions de type paroissial prenant pour base la trilogie Presbytère - Externat Chapelle ; et que c'étaient les clarétains qui forçaient leur adaptation à leur propre modèle. En fait, les chiffres nous montrent que l'Administration espagnole ne désirait rien de plus qu’un internat central à la capitale (1400$ pour les habits et nourriture des élèves ≈ 129 pts./élève/jour) et des externats dans le reste des Missions (100$ ≈ 0'10 pts. pour le même concept). La collaboration administrative face au nouveau modèle se limita donc à légaliser en tant que propriétés de la Mission les terres destinées aux 186

Coll, Ermengol, 1911 : 93 « Alabamos vuestro celo en recoger niños indígenas para llevarlos a los diferentes colegios de esa Prefectura ; pero tened en cuenta que son muchos, muchísimos más de los que podemos sostener. Vosotros pedís ; mas, ¿de dónde saldrá lo indispensable para su alimento y vestido? ». Josep Xifré, circulaire adressée aux missionnaires destinés à la Guinée. doc. cit.

187

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propriétés d'élèves et d’anciens élèves (ce qui ne coûtait rien à l'État, étant donné le régime de concessions en vigueur) ; mais les autorités ne s'aperçurent pas de l'importance du labeur missionnaire dans le cadre d'un modèle de colonisation ; car les clarétains non seulement « convertissaient » les jeunes, mais ils les intégraient dans le système économique colonial. Bien que l'Administration, à certains moments de cette période, ait fait preuve de libéralisme, il semblerait qu’elle ait eu du mal, dans les faits, à s'adapter aux changements. Ainsi, alors que les missionnaires réalisaient ce labeur, le budget de Fernando Póo entretenait des chapitres tels que l'aide à l'immigration de colons (soit, 2.500$ dans le budget de 1886-1887 ; 18.000$ dans celui de 1889-89 ; 6.200$ dans celui de 1892-93, etc.), ou à l'introduction de nouvelles cultures, l'embauche de Krumen, etc... À l’inverse, les clarétains, qui semblaient apparemment plus conservateurs, travaillaient à un modèle de colonisation dans lequel s'impliquait la population autochtone. Et ils précisaient : « Je crois qu'il conviendrait que, accompagné de D. Rosendo, vous fassiez en sorte d’obtenir du gouvernement que ce qui est signalé dans le budget, chapitre 7, article 5, favorisant l'émigration dans la colonie, l'aide aux immigrés et aux déportés, soit investi totalement ou en partie en faveur des garçons de cette Mission qui veulent se consacrer à l'agriculture, leur concédant des hectares de terre, qui à mon avis devraient être au nombre de 5, et une somme pour construire leur maisonnette, défricher, etc. pour chacun d'entre eux. Je suis persuadé que c'est le seul moyen de coloniser cette île, vu que les Européens sont incapables de travailler sous ce climat, et que, par conséquent, on ne peut s'attendre à qu'il y ait des colons » 188. Avec le temps, l’attitude de l'Administration s’est encore aggravée car il existait également des Maisons clarétaines (comme celle de Banapa, qui fut toujours considérée comme un prolongement de celle de Santa Isabel) qui ne recevaient aucune sorte de subvention. Le tableau ci-après montre le nombre de Maisons réelles (deuxième colonne) et celle des Maisons subventionnées (troisième colonne) au cours des années centrales de cette période.

188

« Creo sería muy conveniente que con D. Rosendo trabajasen para conseguir del Gobierno que lo que el presupuesto, en el capítulo 7º artículo 5º señala para fomentar la inmigración en la colonia, auxiliar a los emigrados y deportados, se invirtiese en todo o en parte a favor de los chicos de estas Misiones que quieren dedicarse a la agricultura, expresando las hectáreas de tierra, que yo creo deberían ser 5, y una cantidad para hacer su casita, desbastar, etc., para cada uno. Estoy persuadido que éste es el único medio de colonizar esta isla, puesto que los europeos no pueden trabar [trabajar] en estos climas y, por lo mismo, no hay que esperar colonos ». Lettre du P. Pere Vall-Llovera au P. José Mata, du 4 février 1890. AG.CMF, doc. cit.

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année 1883 1885 1886 1887 1888 1889 1892 1893 1894

Maisons réelles 1 4 6 7 8 8 8 8 9

Subventionnées 1 5 5 7 7 7 7 7 7

Les budgets prévoyaient aussi, comme dépense fixe, une somme annuelle de 600$, inchangée pendant toute la période, destinée à la « Maison d'acclimatation des Îles Canaries », que les missionnaires ajoutaient simplement à leurs revenus. Il n'existait pas d'autres sommes fixes pour les Missions auxquelles on ne destina, explicitement, dans les budgets, que des sommes très réduites, à l’exception de : 1.200$ pour le transfert des missionnaires dans les budgets de 1883-84 et 1885-1886, et 998,77$ dans celui de 1888-1889 ; ainsi que quelques appoints pour la construction de bâtiments : 5.000$ dans celui de 1886-1887, 6.000$ dans celui de 18881889, et 2.000$ dans celui de 1892-1893. L'évolution des sommes et des budgets alloués aux clarétains que j’ai pu rencontrer dans mes recherches, est reflétée dans le graphique qui suit (les quantités font référencet à des assignations en milliers de pesos) :

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En pourcentage, par rapport à la totalité du budget colonial, voir cidessous le graphique :

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Deux graphiques plutôt ressemblants qui désavouent les affirmations de certains colons et gouvernants comme quoi la Mission recevait une partie de plus en plus importante du budget : nous pouvons remarquer l'existence de hauts et de bas, et les moments où l'apport de l'État fut le plus important coïncident avec les années où furent fondées de nouvelles Maisons ou versées des rétributions pour les bâtiments (vu que les dépenses fixes étaient immuables) ; tandis que la baisse de 1902 doit sûrement être due au fait de l'absence de détails du budget que j'ai pu consulter. Comme d'habitude, je tiens à souligner que le caractère incomplet des données ne peut nous permettre que de deviner ces tendances, sans plus. En revanche, il ne faut pas oublier que j'ai uniquement tenu compte des crédits que les budgets concédaient explicitement aux clarétains. Il faut considérer, en outre, qu'il y avait d'autres concepts (embauche et transport de Krumen, frais de transport de chargements depuis la Péninsule, constructions officielles, transferts interinsulaires...) qui n'étaient guère détaillés par les budgets ministériels mais qui retournaient, sans doute, partiellement aux missionnaires. Un exemple : parmi le peu de documentation comptable conservée, à l'AHN nous pouvons consulter le livre de caisse du gouvernement colonial correspondant à la période qui va du mois de juillet 1887 au mois de juin 1888189, une année entière dont nous pouvons voir toutes les « lettres de paiement » délivrées par l'administration coloniale190. Or, le total de celles qui furent délivrées à l'ordre du P. José Mata, procureur des clarétains à Madrid, s'élève à 182.120,74 pts. (= 36.424,15$), ce qui est supérieur à la totalité annuelle du budget établi explicitement pour les missionnaires au cours de ces deux années (31.800$). Puisqu'il faut ajouter à cette quantité ce que la Mission touchait en espèces à Santa Isabel, il faut croire que la totalité des sommes finales était nettement supérieure aux frais explicites dans le budget établi. Il y avait encore un autre facteur : les demandes non prévues que les clarétains adressaient sans cesse aux gouverneurs. La correspondance missionnaire en est remplie : « Tertio, après avoir parlé, il y a trois ou quatre semaines, avec le dit Monsieur à propos de l'énorme prix que nous coûteraient un nouvel autel en métal (forme gothique), deux cloches, une horloge, des fonts baptismaux, etc., il décida que, lors du premier conseil 189 Borrador del Diario de la Caja especial de Fernando Póo : año de 1887-88. AHN, Section Outre-mer, liasse 3448, 97 f. 190 Le gouvernement colonial pouvait payer soit en liquide soit sous forme de « lettres de paiement « (documents déclarés réintégrables à Madrid). Les missionnaires encaissaient les quantités établies dans le budget (pour l'ensemble des Missions, y compris les assignations des conceptionnistes) sous forme d'échéances mensuelles identiques : ils demandaient habituellement une partie (normalement réduite) en liquide et le reste sous forme de lettres de paiement au nom du P. José Mata.

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d'Autorités, il demanderait l'autorisation du gouvernement pour acheter ou payer les dits objets » 191. Cette stratégie était, cependant, une arme à double tranchant, car le succès de ce genre de gestion tenait aux bons rapports existant, à tout moment, avec les gouverneurs ; et qui plus est, fournissait aux gouverneurs libéraux (la plupart, au cours de la période étudiée) un instrument facile car, pour gêner le labeur clarétain, il leur suffisait de s'en tenir aux budgets192. L'ensemble des données s'avère donc insuffisant. Le nouveau modèle mis en marche par les clarétains était, évidemment, très coûteux, et la cause principale de ce renchérissement progressif était l'entretien des internats. Face à l'insuffisance des ressources officielles, les missionnaires pouvaient présenter leur propre vocation et la recherche d'autres sources de revenus. La correspondance missionnaire fait sans cesse appel à l'économie et à l'usage plus restreint de l'argent : « Vu les circonstances, je vous propose un plan d'économies qui supprime l'envoi de desserts de toutes sortes et, s'il le faut, de toutes sortes de boîtes de conserve, bien qu'un grand nombre ait du mal à s’y accommoder et ils dureront moins longtemps, tant s’en faut. Ne plus entreprendre de travaux, notamment des nouveaux. Ne plus accepter d'enfants d'autant plus qu'il n'y a plus de places : toutes les Maisons sont remplies, exceptée celle de Concepción. Et, finalement, diminuer le nombre de Krumen » 193 ; « Si le Rd. Père Gral. vient, après son voyage au Mexique et au Chili, j'ai l'intention de lui proposer un plan d'alimentation moins cher et mieux adapté aux nouvelles normes. Je crains cependant que certaines de ces Missions aient quelque mal à s'y accommoder » 194. Les craintes des Préfets Apostoliques devaient être fondées, car de temps en temps il arrivait quelque « rappel » : « Je regrette infiniment les demandes rapportées au P. Fluviá par les Supérieurs de ces Résidences. Elles sont énormes sous tous les points de vue. Ce que j'admire c'est d’y voir 191

« En tercer lugar, habiendo hablado hace tres o cuatro semanas con dicho señor sobre lo mucho que nos costaría un altar nuevo de metal (forma gótica), dos campanas, reloj, pila bautismal, etc., en la primera Junta de Autoridades resolvió solicitar autorización del Gobierno para comprar o pagar dichos objetos ». Lettre du P. Vall-llovera au P. José Mata du 15 novembre 1889. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 10, Carton 8. 192 Pour un contexte plus général, vid. aussi. Prudhomme, 1994a. 193 « En vista de todo propongo a V. un plan de economías, y es suprimir el envío de toda clase de postres y, si se quiere, de toda clase de latas, aunque a muchos les ha de costar mucho conformarse y, ciertamente, durarán menos tiempo. No hacer más obras, especialmente nuevas. No admitir más niños, pues tampoco hay lugar para más : todas las Casas están llenas, menos Concepción. Y, finalmente, disminuir el número de crumanes ». Lettre du P. Pere Vall-llovera au P. José Mata, du 3 février 1890. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 8, Carton 8. 194 « Si viniera el Rmo. P. Gral. después de su viaje a Méjico y Chile, pienso proponerle un plan de alimentación más económico y mejor acomodado a las reglas. Lo que temo es que algunas de estas Misiones tendrán alguna dificultad en avenirse a él ». Lettre du P. Ermengol Coll au P. José Mata, du 3 décembre 1892. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1.

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votre accord. En matière de médicaments on demande tous les trois mois, pour chaque Maison, des choses non indispensables, voire inutiles, en bien plus grand nombre que chez nous, où nous sommes plus de 500. Lors de mon voyage à ces Maisons, je vis de grands dépôts de remèdes spécifiques de grande valeur oubliés et périmés. Il suffisait de trois ou quatre éléments pour chaque Maison et on demande des matériaux dont, même les gens les plus distingués, ne font pas usage. Il en est de même pour les ornements, les images, les ustensiles, les habits et les bâtiments. (...) Je vous prie, en outre, qu'on tienne compte du nombre d'écoliers qu'on est en mesure d'entretenir ; qu'on ne construise pas sans pouvoir payer, si c'est possible ; et que l’on fasse en sorte de ne pas dépenser sans préalablement en savoir le prix. Sachez que parfois on ne dispose pas de ressources pour payer ce qu'on reçoit » 195. Or, l'exigence des missionnaires envers eux-même était normalement très élevée : il s'agissait de communautés où les « sacrifices » jouissaient d'une grande valeur et d’un grand prestige, et l'on trouvait fréquemment à la fois économie et sacrifice dans les repas du personnel : « C'est ce que j'entends dire à beaucoup d'entre eux, est que la communauté se nourrit plutôt mal. C'est ce qui se passe à Corisco : que les Frères mangent peu ou mal, si bien qu'ils tombent malades et ne peuvent que très difficilement se rétablir. Il existe, dans ces Missions quelques six FF. infirmes ou malades, ce qui est peut-être dû au manque de nourriture, car le travail qu'ils réalisent leur nuit bien plus qu'aux Pères. Je suis certain que le Rd. Père Préfet veut chercher une solution concernant la nourriture » 196. Quoi qu'il en soit, les plans incessants d'économie, au-delà de la qualité de la vocation des missionnaires et du dévouement personnel à la Mission, 195

« Siento un pesar no pequeño al ver las peticiones que al P. Fluviá hacen los Superiores de esas Residencias. Son exorbitantes en todos los conceptos. Lo que admiro es ver su Vº Bº. En medicinas se pide para cada Casa, cada trimestre, cosas no necesarias, ni aun útiles, en mayor cantidad que en esta Casa, que somos más de 500. Cuando yo estuve en esas Casas, ví grandes depósitos de específicos de grande valor, descuidados y perdidos. Con tres o cuatro elementos bastaría para cada Casa, y se piden materiales que ni los distinguidos los usan. Lo mismo digo en orden a ornamentos, imágenes, utensilios, ropas y edificios. (...) Ruego, además, que se vea y fije el número de colegiales que pueda mantenerse ; que no se edifique sin atender, si se puede ; y que no se gaste ni pida sin saber lo que cuesta. Sépase que hay envíos para los cuales no se tiene lo suficiente para cubrir lo que valen ». Lettre du P. Xifré du 13 septembre 1897, citée dans une lettre adressée à tous les Supérieurs par le P. Ermengol Coll, du 31 octobre. AG.CMF, localisation identique. Le P. Coll achevait sa Lettre en donnant une liste des médicaments dont pouvait disposer chaque Maison. 196 « Esto oigo decir a muchos, y que la Comunidad come no muy bien. Algo de eso pasa en Corisco (de comer mal o poco los HH.). Después se caen enfermos los HH., y no se pueden rehacer o muy difícilmente. Hay algunos 6 HH. ahora en estas Misiones bastante inútiles o enfermos ; quizás sea falta de alimento, pues que el trabajo les gasta más que a los Padres. Me consta ciertamente que el Rmo. P. Prefecto quiere remediar lo referido acerca de la comida ». Lettre du P. Joaquim Juanola au P. José Mata, du 18 mai 1896. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 9, Carton 1.

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reflétaient aussi une pénurie de ressources que je ne peux m'empêcher d'attribuer à la différence de modèles de colonisation-évangélisation existant entre l'Administration - qui était sensée payer les frais - et la congrégation ; ainsi qu’à la différence d'objectifs entre les uns et les autres : pour le gouvernement, la présence espagnole formée uniquement d'une colonisation faible et importée ; pour les missionnaires, une évangélisation universelle rendue effective grâce à un travail « productif » et le contrôle de la nouvelle organisation sociale. C'est la raison pour laquelle les missionnaires cherchèrent d'autres sources de financement. Et la plus apparente consista à faire appel aux « bienfaiteurs » métropolitains de la congrégation au moyen de leurs publications externes. « El Iris de Paz » rendait compte, dans tous ses exemplaires, du labeur clarétain ; de même qu’à la une de tous les journaux on voyait publié le nom des donateurs correspondant à la quinzaine. La campagne pour les Missions guinéennes était permanente et recherchait autant de l'argent que tout autre don (notamment des vêtements). Les appels à la participation étaient constants ainsi que les articles de reconnaissance signés parfois par le Préfet Apostolique lui-même ou à défaut par les Supérieurs des Missions. Le côté sentimental de cette sorte d'écrits, qui prétendaient émouvoir les lecteurs, avait un défaut : celui de présenter la situation des Guinéens en poussant à l'extrême les éléments négatifs, et l'action clarétaine avec une claire exagération des éléments positifs. Les missionnaires étaient les « sauveurs » d'enfants qui parfois aussi - un autre temoignage de sentimentalisme - s'adressaient aux bienfaiteurs à travers les publications clarétaines : « Pourrez vous nous envoyer des livres tels que “ Maná ”, “ Camino Recto ”, “ El Amante de Jesucristo ”, ainsi que quelques livres de grammaire castillane, de géographie et des rosaires pour prier, et beaucoup de vêtements pour que les enfants soient bien habillés et qu'ils soient contents. Les enfants d'Annobon sont très pauvres et si le missionnaire ne venait pas ici, les enfants n'auraient rien à mettre » 197. Les résultats de la campagne permanente de l' « Iris » devaient être très satisfaisants. C'est pourquoi elle se poursuivit et, dans certaines circonstances (vid. infra), elle eut pour but des actions très précises. Étant 197

« También haría Ud. favor de mandar libros como Manás, Camino recto, el Amante de Jesucristo, y también libro de escuela, como gramáticas castellanas, geografías, y rosario mucho para resar y mucha ropa para vestir para que los chico va bien vestidos para que está muy contento y alegre. Los chico de Annobón son mucho pobre y sino viniese aquí P. Misionero, lo chico no tiene nada para vestir ». Lettre d'Antonio Sebastián Baixá, élève d'Annobon, du 22 mai 1898. In : El Iris de Paz, 1898, p. 326. À remarquer l'accent antillain qu'on voulait donner à la langue employée par le jeune homme, ainsi que la catalanisation de son nom.

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donné la publicité de la revue, ce recours aux bienfaiteurs fut le plus ostensible, le plus « voyant » de tous ceux dont firent usage les clarétains. Cependant il est probable que le plus rentable fût la production de cacao et d'autres produits provenant des propriétés de la Mission. Une fois de plus, sur ce point précis, je me vois contraint de faire allusion au manque de documentation économique conservée en archives ou publiés. D'autant plus que, étant donné le caractère général de cette documentation, on ne donnait pas d'ordinaire les aspects économiques qui ne concernaient pas les rapports entre la Préfecture Apostolique et la curie clarétaine. On a cependant conservé la correspondance du P. Joaquim Juanola de toute l'année 1896, lorsque ce missionnaire s'occupait des affaires économiques des Missions198. Il existe une copie de toutes les lettres adressées à la Maison de Barcelone, où l'on donnait suite à tous les ravitaillements ; de sorte que nous pouvons suivre le mouvement des exportations de cette année-là. À l'époque, seules les Maisons de Banapa et Concepción exportaient du cacao (et du café), ces envois étant consignés dans la correspondance : • lettre s/d (mai) (f. 47) : six sacs de café et de cacao provenant de Concepción (480 Kg.) et huit sacs (520 Kg.) de Banapa. • lettre du 5 août ( f. 123-125) : résume la totalité de l'envoi en 1530 Kg. de cacao et 348 de café, tout en annonçant l'envoi postérieur de 400 sacs de plus (de cacao et de café). • lettre du 5 août (f. 126) : envoi de deux sacs de cacao comme cadeaux. • lettre du 6 août (f. 113) : envoi de deux sacs de cacao de 65 Kg. chacun. • lettre du 4 novembre (f. 140-141) : envoi de 300 sacs de cacao (≈ 20.000 Kg.). Nous pouvons donc en déduire un total d'environ 25 tonnes au cours d'une année où ne fonctionnaient que deux propriétés et où le nouveau modèle venait à peine d'être implanté ; et encore uniquement pour les exportations vers la Péninsule. Il est vrai qu'on ne précise pas non plus quelle partie revenait aux élèves et quelle autre à la Mission (les Missions, au-delà des propriétés cultivées par les élèves, possédaient leurs propres propriétés tenues par les Krumen). Encore une fois, les données incomplètes ne peuvent nous permettre que d’esquisser des tendances sans pouvoir en tirer des conclusions définitives. Il semblerait néanmoins que la production de cacao dans les Missions devait être, quoique très importante, insuffisante pour leur entretien. Si importante d’ailleurs que les colons y voyaient une concurrence 198

Joaquim Juanola, Copiador de cartas y telegramas de la Administración de Santa Isabel, APG.CMF, document non catalogué, 289 f. lisibles.

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déloyale et qu'ils ne cessèrent d'attaquer les clarétains pour ce négoce. En revanche, l'Administration fut toujours tolérante vis à vis de ces propriétés, non pas comme instrument de colonisation mais comme un moyen de faire baisser les frais missionnaires, qui étaient aussi des frais coloniaux. D'autres données complémentaires confirment cette tendance : en 1888, à Banapa, on fabriqua 1852 livres (=741 Kg.) de chocolat et il leur restait encore 762 Kg. de cacao199 ; en 1910, considérée comme une année très mauvaise, la production totale des propriétés s’éleva environ à 3.000 pts.200 ; et le P. Ermengol Coll estima à 600.000 Kg. la production annuelle du cacao au bénéfice des Bubis formés par les Missions201, à la fin de la période étudiée. Il s'agit donc toujours de données incomplètes mais dont le rôle ne consiste pas seulement à permettre un aperçu du fonctionnement de la Mission mais à certifier l'importance missionnaire dans l'ensemble du processus de colonisation. Comme d'habitude, pour les missionnaires, la possibilité pour les indigènes d'avoir accès au marché du cacao était étroitement liée à leur conduite morale ; et ils n’hésitaient pas à envoyer des rapports aux acheteurs péninsulaires : « J'ai reçu votre dernière lettre du mois de septembre à propos de la lettre sans signature. Elle est d'un certain Daniel Kinson. Je crois que, cette fois-ci, il ne vous enverra pas de cacao, étant donné qu'il est criblé de dettes, et je crains bien qu'il ait tous ses créanciers à ses trousses. Et pourtant, il en récoltera quelque 5.000 Kg. C'est un pauvre noir, qui, hélas, comme tant d'autres, est incapable de se débrouiller » 202. Cette vente de cacao ne remplaça jamais, tant s’en faut, la dépendance administrative des Missions guinéennes. Par contre, nous pouvons retrouver le modèle spiritain dans l'économie missionnaire. Les apports de l'État, les aumônes des bienfaiteurs et les ventes de cacao formaient le trépied qui servait de soutien à l'économie missionnaire. Un trépied qui s’avérait encore insuffisant. Les clarétains sollicitèrent, au cours de cette période, l'aide de la Sainte Congrégation de la Propaganda Fide203, qui détourna leur pétition vers l'Œuvre de la Propagation de la Foi de Lyon. 199

Pujadas, 1968 : 154 Fernández, Cristóbal, 1962 : 654 201 Coll, Ermengol, 1911 : 202 202 « Recibí la suya última de septiembre sobre la carta sin firma. Era de un tal Daniel Kinson. Creo que todavía no le mandará nada de cacao, por esta vez ; pues, como tiene muchas deudas, es de temer que los acreedores se le echarán encima, y eso que recolectará unos 5.000 kg. Es un pobre moreno que, lástima, como tantos otros, no sabe manejarse ». Lettre du P. Joaquim Juanola au commerçant de Barcelone Ramon Goula, du 28 octobre 1897. Copiador de cartas y telegramas de la Administración de Santa Isabel, APG.CMF, doc. cit., f. 207. 203 Josep Xifré, sous forme de lettre au Cardinal Smeoni du 10 janvier 1891, lui demandant des vêtements, des tissus et des aumônes. ASCPF, Scritture riferite nei Congressi : Africa : Angola, Congo, Senegal, Isole dell’Oceano Atlantico, vol. 9, f. 355-360. 200

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L'organisation créée par Pauline Jaricot fit des apports à la Mission clarétaine qui quoiqu'importants étaient d'ordre secondaire : 8.000 pts. pour cette même année 1891, et un total de 72.000 jusqu'en 1906, moyennant des apports annuels d'environ 5.000 pts.204. Au-delà de tout cela, chaque Mission pouvait offrir ses propres apports à l'ensemble : comme celle du Cap de Saint Jean, qui créa une fabrique de briques (à la charge du F. Antonio Artieda, vid. infra) et qui la mit, cela va de soi, à la disposition de tous. De même, comme nous l’avons vu, les clarétains vendaient des produits divers aux indigènes, tels que des fusils, de la poudre, du vin et de l'eau-de-vie. Et ils furent les bénéficiaires, tout au long de cette période, de la cession de quelques terres et d'héritages provenant de colons, notamment de ceux qui quittaient définitivement la colonie sans successeurs et qui ne souhaitaient pas que leurs biens reviennent au gouvernement. C'est ce qui arriva, par exemple, au polonais Stephen Rogozinski, dont la femme avait parrainé l'inauguration de la nouvelle église de Santa Isabel et qui légua une propriété que les missionnaires évaluaient à quelques 6.000$, auquel ils demandèrent, vu que le Conseil de Voisins de sa part la réclamait, ce qui suit : « Le document public doit se faire non pas au nom de la Mission catholique en général mais en octroyant des pouvoirs à un individu en particulier ; par exemple, soit au Rd. P. Général P. José Xifré, soit au sous-directeur général P. Clemente Serrat, mais il serait peutêtre encore mieux de transmettre les pourvois au Rd. P. Préfet Armengol Coll ou au soussigné, afin d'éviter des ennuis » 205 ; ou celui de Juan Hernández, un cubain qui leur laissa l'administration de ses terres, ce qui déclencha une dure polémique avec le gouverneur Rodriguez Vera en 1897. Les petites sommes que touchaient les missionnaires pour la célébration de messes et pour la vente de la revue « La Guinea Española » ferment le tour d'horizon économique d'une Mission que les clarétains ne cessèrent de présenter comme hautement déficitaire et coûteuse pour la congrégation, alors que pour les administrateurs et les colons elle fut toujours considérée comme une « bonne affaire » ; ce qu'on aurait pu croire pour Santa Isabel, où se trouvaient concentrés toute sorte d'exportations et d'apports. Quant à moi, 204

D'après Cristobal Fernández (1962 : 655) ; mais on pourrait croire qu'à ces sommes il y ajoute les aumônes provenant de partout ailleurs. Encore une fois, donc, des données incomplètes bien que marquant des tendances à prendre en considération. 205 « El documento público o poderes deben hacerse no a nombre de la Misión católica en general, sino dando poderes a un individuo particular, por ejemplo al Rmo. P. General, P. José Xifré, o al subdirector General, D. Clemente Serrat, y mejor quizás aún hacer los poderes al Rmo. P. Prefecto Armengol Coll, o al que suscribe, pues sólo así evitaremos enredos ». Lettre du P. Joaquim Juanola à Rogozinski, du 20 juin 1896. APG.CMF, Copiador de cartas y telegramas de la Administración de Santa Isabel, doc. cit., f. 85-87.

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je suis convaincu que le financement des internats tous confondus déséquilibrait fortement l'économie missionnaire. La foi des religieux vis-àvis du modèle dans lequel ils s'engagèrent peu à peu, l'efficacité confirmée par le grand nombre de conversions, me paraissent déterminantes. Je doute aussi qu'ils aient agi sans la prudence nécessaire pour n’être pas obligés de cesser leur travail. Ainsi donc, le nouveau modèle d'action fut suivi d'un nouveau modèle économique : une « Mission d'État » qui arrondissait ses recettes moyennant toute sorte de recours : les uns (messes, aumônes, apports de la congrégation, d'organisations catholiques et de fidèles) habituels dans les milieux ecclésiastiques de l'époque ; les autres (exportation de cacao et d'autres produits agricoles) directement en rapport avec leur tâche colonisatrice.

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La nouvelle identité des jeunes Guinéens Ostendam autem vobis quem timeatis : timete eum, qui, postquam occiderit, habet potestatem mittere in gehennam. Ita dico vobis : hunc timete. (Luc, XII, 5)

Le paternalisme culturel des missionnaires clarétains « Les cieux seront témoins du dernier incident de notre voyage. Le monde entier sera émerveillé par ses résultats ; et, quant à nous, tout ce que nous avons vu nous paraîtra un rêve. Le grand butucú fait son apparition, sans se faire attendre. Son air arrogant, sa voix rauque, son aspect formidable et terrifiant nous donnent l'impression que, au lieu d’une personne, il s'agit bien d'un fauve qui vient à notre rencontre ; et que, par conséquent, nous sommes en danger. Depuis ce moment, que d'énigmes découvertes ! Nous vîmes l'invisible ! Nous parvenions à voir couronnés tous nos efforts de courage! Le réconfort qui déborde dans nos cœurs récompense tous nos déboires... Le voile qui rendait invisible le grand roi Moca est levé.Nous avons trouvé la clé permettant de maîtriser aisément l'île au niveau civil et religieux à condition de savoir en faire un bon usage. Le chemin est enfin ouvert au missionnaire » 206. Le 24 novembre 1887 les clarétains étaient sur le point de clore le triangle Santa Isabel - Batete - Concepción, de sorte que la plus grande partie de l'île de Fernando Póo allait être soumise à leur influence. Ce jour-là, une expédition officielle quitta la capitale de la colonie, commandée par l' « explorateur » Luis Sorela, dont la mission consistait à se rendre dans le Sud de l'île pour une entrevue avec l' « invisible » « roi » Moka, considéré comme le chef suprême de tous les Bubis. Outre un proviseur, deux marins, 22 Krumen et deux interprètes, formant partie de cette expédition, il y avait le père Joaquim Juanola qui, un mois et demi plus tard, fermerait le triangle avec la fondation de la Mission de Concepción. L'objectif des clarétains 206

« Los cielos van a presenciar la última peripecia de nuestro viaje. La tierra admirará sus resultados y nosotros creeremos ser una ilusión lo que pasa a nuestra vista. Sale el gran butucú sin hacerse esperar. El aire arrogante, la voz ronca, la figura imponente y aterradora con que se presenta, nos hacen creer que no ya una persona, sino una fiera es la que sale a recibirnos ; y, por lo mismo, que estábamos en peligro... (...) Desde este momento, ¡cuántos enigmas descubiertos! Vimos al invisible! ¡Logramos ver coronados tantos esfuerzos de valor...! El consuelo que inunda nuestro corazón nos indemniza de tantas fatigas... Descorrido queda este velo que hacía invisible al gran rey Moca. Halládose ha la llave para dominar fácilmente la isla civil y religiosamente, si de ello sábese hacer un acertado uso. Abierto está, en fin, el campo al Misionero ». Joaquim Juanola, Una excursión a los pueblos bubis, document du 8 janvier 1888. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1.

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consistait à obtenir du « Roi » la permission d'agir dans tout le territoire insulaire : la ratification, en somme, des accords partiels que les missionnaires avaient obtenus des « Rois » de Batete et de Riaba, et la possibilité d'un accroissement infini de la présence religieuse en territoire bubi. Le récit du P. Juanola est l’un des plus complets que l'on ait conservés207 et prouve à quel point les missionnaires méconnaissaient la société bubi, où pas un seul des chefs de lignage ou de clan (muchuku, butucu) ne possédait de « droits territoriaux » semblables à ceux qui existaient en Europe, et ne représente, tout compte fait, que la continuité d'un comportement lié à l'expansion clarétaine dans le territoire. Les pourparlers aboutirent à un résultat satisfaisant autant pour les intérêts officiels que pour les missionnaires. Ils obtinrent la bienveillance d'un « souverain » qui, en réalité, ne reconnut jamais la souveraineté espagnole et ne s'approcha jamais de Santa Isabel : « La seule chose que je puisse dire c'est que le grand Moka se conduisit tout le temps comme un gentleman, amical vis à vis du gouvernement et encore plus des Pères, en qui il avait entièrement confiance une fois qu’ils se seraient établis dans ces domaines, convaincu que cela était imminent » 208. Cette conduite de gentleman de Moka, qui n'était qu'une caractéristique habituelle de l'hospitalité dans les sociétés centre-africaines, souleva dans l'esprit du sous-Préfet clarétain un enthousiasme manifeste : « Je l'ai vu, et c'est pourquoi je le manifeste. Réveille-toi donc, chère Patrie. Oui, réveilletoi, c'est à toi que je m'adresse. Toi, qui sus si bien faire ondoyer ton drapeau à travers tous ces avatars partout ailleurs dans le monde, réveilletoi et sors de la léthargie. Viens, et tu verras ce que c'est que Fernando Póo et ce que ce sera le jour où grâce à un intérêt tout particulier tu parviendras à le tirer de l'état misérable dans lequel il est plongé : toutefois, n'oublie pas ces anciens jours, au cours desquels, auprès de tes soldats, le missionnaire partait poussé par le même objectif, celui de civiliser ; si bien que c'est pour lui et avec lui que nous vîmes l'invisible [roi Moka] pour le bien fait de la Religion et de la Patrie » 209. Pour cette « Mission d'État » l'évangélisation

207

Creus, 1996d « Sólo diré que el gran Moca se mostró muy caballero en todo, y amigo del Gobierno, y más de los Padres, en quienes depositaba toda su confianza una vez establecidos en estos sus dominios, que sabía él no tardaríamos ». Ibidem. 209 « Lo he visto, y por esto lo digo. Despierta, pues, hermosa patria mía. Sí, despierta, a tí te lo digo. Tú, que supiste hacer ondear tu pabellón a través de tantos azares en tantos sitios del mundo, despierta y sal de tu letargo. Ven, y verás lo que es Fernando Póo y lo que fuera el día que la tomaras con interés para sacarla del mísero estado en que hoy yace todavía. Empero no te olvides de tus antiguos días, en que, al lado de tus valientes, marchaba el Misionero a 208

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de l'Amérique devenait un modèle à suivre, car dans les Missions américaines de l'Ère moderne la croix et l'épée s'associaient ; car le soutien de l'État était fondamental pour le succès d'une Mission qui, à son tour, était utile aux intérêts coloniaux espagnols ; et parce que cette idée de Mission, bien que s'accordant à l'idéologie ultramontaine des clarétains, soulevait la méfiance parmi les autorités civiles et les colons qui ne voulaient nullement se soumettre aux intérêts des missionnaires. L'enthousiasme du P. Juanola était donc une réaffirmation du modèle missionnaire et un appel à une forme d'action organisée, conjointe, dont l'efficacité était prouvée par l'expédition du lieutenant Sorela. Poussé à l’extrême par le succès de ce voyage, le comportement à l'égard du roi Moka était quasiment révérenciel. Quoi qu'il en soit, son autorité de décision vis-à-vis des prétentions des missionnaires était indubitable. Une attitude qui contrastait grandement avec celle enregistrée à son égard quelques années plus tard : « De son côté M.Cheli, commandant du bateau, sut très bien jouer son rôle. Nous étions aux portes mêmes de Moka, moi, pour la 3e fois, et comme il [Moka] se plaignait du fait que les garçons et même les filles allaient à la Mission, le Commandant lui dit ses quatre vérités : " Il dit que si les garçons et les filles vont à la Mission, un garçon veut une fille et puis le Père les marie, et ils sont perdus pour nous ". " Et c'est effectivement comme ça ", lui répondit-il, “ et prends garde à ne pas déranger la Mission ; autrement, les armes que je porte pour ta défense et pourque tu sois respecté de tous les Bubis, serviront à te punir ". Ce qui ne lui plut guère, mais il se vit obligé de se taire. Et c'est ce qui fut fait partout : le respect à l’égard du Gouvernement et de la Mission. Si seulement nous pouvions agir de la sorte plus fréquemment! Quels beaux atouts pour la Religion et la Patrie! Autrement, personne n'est capable de les faire sortir des bois. Si tout au moins ils laissaient venir librement les garçons et les filles !! Mais, il n'y a rien a faire » 210

civilizar también ; siendo así que aún hoy por él y con él vimos al invisible, en provecho de la Religión y de la Patria ». Ibidem. 210 « Por su parte, el Sr. Cheli, comandante del barco, supo muy bien jugar el papel. A las puertas mismas de Moka estuvimos, yo por tercera vez, y, como él [Moka] estuviese quejoso porque los niños y aún niñas iban a la Misión, el Sr. Comandante le cantó la cartilla y le dijo : “ Él dice que si los niños y niñas van a la Misión, luego uno quiere a otra y el Padre los casa y pierdes ”. “ Esto ” - le respondió - “ es lo que debe ser, y cuidado con molestar a la Misión ; si no, estas armas que traigo para defenderte y que te respeten todos los bubis, serán para castigarte ”. Lo que no le gustaba mucho, pero tuvo que callarse. Y así se hizo en todas partes : respeto al Gobierno y a la Misión. ¡ Ojalá se hiciera esto con frecuencia ! ¡ Cuánto ganarían la Religión y la Patria ! Si no, no hay quien los saque de los bosques. ¡ Si al menos dejaran venir libres a los niños y niñas !!! Pero no hay medio... ». Lettre du P. Juanola au P. Mata, du 18 mars 1892. AG CMF, Section F, Série N, Boîte 8, Carton 8.

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À mon avis, ce changement d'attitude qui va de la première visite à Moka à la dernière, résume la conduite clarétaine en Guinée : au début, un respect pour des institutions méconnues qu'il fallait convaincre du caractère positif de la Mission ; une fois celle-ci établie, cependant, ces mêmes institutions étaient rejetées, ou devaient se soumettre aux intérêts missionnaires. Il va sans dire que le dernier passage éveille en nous le soupçon sur un aspect qui sera vu plus tard : l'opposition d'un grand nombre de Bubis vis-à-vis du nouveau modèle des missionnaires, qui de la sorte se voyaient coincés entre le manque de compréhension de la part des autorités coloniales et le rejet d’un grand nombre d'indigènes, notamment de ceux qui possédaient une autorité. Ainsi donc, Moka était-il la victime de sa propre décision ? Certainement, mais en l'occurrence je tiens à faire remarquer cette double tactique dont firent usage les missionnaires dans leurs rapports avec la population africaine : • un effort d'attrait, devenu plus tard soumission au modèle lui même, devenu incontestable. • le profit partiel des institutions indigènes, qui, plus tard, étaient perçues comme non valables au profit du même modèle. Il s'agit d'attitudes incessantes tout au long de l'action missionnaire lors de cette période : un effort d'approche et de respect institutionnel pouvait s’exercer211, notamment au début de chaque Mission et dans le labeur « paroissial » accompli par les clarétains dans les différents villages de chaque zone. En revanche, l’entrée des élèves dans les internats soulignait la rupture définitive de cette attitude de respect et d'approche : les élèves devaient être la graine d'une « nouvelle » société, libérée des anciennes mœurs et liée au système colonial. Ce renversement dans la conduite missionnaire était la conséquence d'une nouvelle conception introduite par les clarétains et qui les éloignait indéfectiblement des conceptions des jésuites. Pour les disciples de Claret, les indigènes étaient le grand objectif, car ils croyaient fermement qu'il était possible de les coloniser. Par contre, pour les jésuites, il ne s'agissait que de les convertir. Si bien que les Pères de la Compagnie de Jésus, faute de ressources, s'efforcèrent seulement de porter à terme un labeur d'évangélisation, les clarétains comprirent que la conversion n'était possible que dans un nouveau cadre de relations, un cadre de relations que les deux visites du P. Juanola à Moka illustrent à la perfection : il fallait passer de « se rendre à leur territoire « à « les faire venir sur son territoire propre », du « respect envers leurs institutions » à la « soumission aux institutions 211

Creus, 1990, 1992

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missionnaires », de la « reconnaissance de leur autorité » à la « sujétion à la nouvelle autorité » représentée par les missionnaires partout où l'Administration espagnole n'avait pas accès (soit, partout ailleurs en dehors de la capitale). Dans ce procès de « rapprochement-détachement » les internats marquaient le point d'inflexion, la rupture nécessaire à l'absorption postérieure : conversion, apprentissage du travail-colonial, formation de familles catholiques, création de villages catholiques-coloniaux. Cette absorption ultérieure était perçue comme définitive par les clarétains ; et représentait leur objectif maximum consistant à assurer et à donner une solidité au labeur d'évangélisation que les jésuites n'avaient pas su conforter : « Notre école, grâce à Dieu, est en plein épanouissement : près de 60 enfants y reçoivent une éducation soignée et ils la quittent instruits sur leurs devoirs de catholiques et d'Espagnols. Dès qu'ils arrivent à la Mission on leur attribue un morceau de terrain à cultiver afin qu'une fois sortis de l'école ils aient de quoi se nourrir. Ceci est pour eux un stimulant qui les encourage tout d'abord à rester dans la Mission ; et c'est grâce à cela que nous avons obtenu que quelques jeunes désireux de rejoindre leurs foyers restent parmi nous. Leurs petites " propriétés " vont de l'avant et le jour où ils se marient ils sont déjà capables de se débrouiller tous seuls ; une fois mariés, ils restent tous dans ce village de María Cristina qui grâce à Dieu et à notre très Sainte Mère comble tous nos espoirs » 212. Tout cela était dû à une conception très précise des rapports à établir entre eux-mêmes, et les indigènes, entre leur culture propre et celle de l'autre. Des rapports concrétisés dans un paternalisme culturel que je tenterai d'expliquer : Le principe qui marque tout le procès est la croyance qu'il existe une culture supérieure (l'européenne, qui dans son état le plus « pur » est représentée par le christianisme) et une autre inférieure (l'africaine) ; et que la supérieure se doit de « sauver » la deuxième moyennant la « civilisation ». Placées qu’elles sont, autant l'une que l'autre, dans cette position de déséquilibre, les rapports établis entre elles sont inégaux : dans leur labeur 212

« Nuestro colegio, gracias a Dios, está en estado floreciente ; en él reciben instrucción esmerada cerca de 60 niños, de donde salen instruidos en los deberes de católicos y de españoles. Luego que llegan a la Misión se les señala una porción de terreno en donde hacen sus faenas, para que llegado el día en que salgan del colegio tengan con qué alimentarse. Esto es para ellos un aliciente que los anima al principio a perseverar en la Misión ; y merced a ello hemos conseguido que algunos jóvenes deseosos de volver a sus hogares se mantuviesen entre nosotros. (...) Sus finquitas van adelante y el día que contraen matrimonio ya pueden ellos valerse por sí solos : contraído el matrimonio todos se establecen en este pueblo de María Cristina que, gracias a Dios y a nuestra Santísima Madre, ofrece las más lisonjeras esperanzas ». Lettre du P. Feliciano Perez, de la Missionde Batet, du 3 octobre 1898. In : Anales de la Congregación, volume 7, 1899-1900, p. 21-22.

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civilisateur, les Européens (= les missionnaires) doivent offrir aux Africains une protection, notamment contre eux-mêmes, et un attachement dans l'exercice de l'autorité ; et ils attendent d'eux gratitude, respect et obéissance, en un mot : la résignation à leur rôle et la soumission à leur autorité. En ce qui concerne la conception des deux cultures, la supérieure est considérée plus convenable, plus appropriée pour « tout le monde » ; tandis que l'inférieure, bien que réelle, se révèle beaucoup moins convenable et, quelles que soient les circonstances, insuffisante pour assumer la « civilisation » à laquelle on prétend pour « eux ». Dans le domaine culturel, il faut donc passer d'une identité mal fondée car elle est superstitieuse et particulariste - à une autre adéquate - car elle est présentée comme le fruit de la logique et comme universelle. Dans ce procès, l'inférieur pouvait soit s'obstiner à garder cette culture mal fondée, soit accepter la substitution. Cette obstination mérite d’être punie, et l'acceptation peut être stimulée par la récompense. Ces deux possibilités se réunissaient en fin de compte en une : la substitution culturelle. Cette substitution comprend la langue, la religion, le système de croyances, l'organisation sociale et familiale... bien que son objectif dernier soit un changement dans la méthode productive : les individus de la culture erronée doivent s'intégrer dans la méthode productive occidentale, ce qui doit leur permettre de se développer. Cependant, au cours de cette intégration ils viennent occuper une position subordonnée dans le système ; ce qui est frustrant ou empêche, en fait, le « développement » auquel ils aspiraient. Deux choses me paraissent spécialement remarquables : en attribuant aux autres peuples une identité culturelle mal fondée, l'Européen (= le missionnaire) peut, à bon escient, ignorer les autres cultures ; et il n'y a pas d'autres issues : autant le retour à la culture originale que le développement espéré ne peuvent avoir lieu. L'effort missionnaire consistera à laisser l'indigène ayant passé par les internats dans une situation soi disant « meilleure » que celle qu'il avait avant, mais « pire » que celle des Européens et toujours subordonnée à eux. La justification première qui permettait aux « modèles cultes » de « civiliser » les « peuples avilis » était qu'elles considéraient l'Africain comme soumis à toute une série de « vices » et de « misères » : « Soumis à la passion de l'avarice, nommée par l'apôtre (I ad Tim., VI, 10) racine de tous les maux, et livrés au vice dégradant de l'ébriété, il est aisé de comprendre

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que la moralité est presque inexistante parmi ces pauvres gens. Ajoutons à tout cela l'habitude fatale et invétérée de la polygamie, que l'on considère comme une loi dans ce pays, et nous avons tracé le portrait parfait d'un peuple sauvage, poussé presque uniquement par ses instincts, à l'encontre de la férocité caractéristique des autres peuples du continent » 213. Des peuples sans moralité, sans lois, sans culture, sans religion, sans capacité de décision, sans... mais accablés de connotations négatives : ivrognes, fainéants, anthropophages et livrés à la sorcellerie : « Pour peu qu'on observe dans ces pays, on s'aperçoit que les hommes de couleur, à cause de leur volubilité naturelle, ne sont guère persévérants dans le travail, lorsqu'ils sont dans leur pays, à moins d'être civilisés : un jour pour aller voir leur famille, le lendemain parce que c'est la fête au village, un autre jour pour la mort d'un parent, etc., et ils quittent tous les mois leur travail et ceci pendant plusieurs jours ; et si on leur fait quelque remontrance, ils rentrent chez eux » 214 ; « Un garçon de l'école raconte en toute simplicité qu'il avait vu un homme, que je vis moi-même, l'autre jour qui, avec d'autres, mangeait la cuisse d'un homme qu'il venait de faire cuire, et comment il chassait le garçon pour l'empêcher de s'approcher. Je me suis laissé dire qu'il a honte lorsque quelqu’un lui rappelle qu'il a mangé des personnes. Quelques jours avant de le voir, il avait manifesté, je ne sais plus très bien si c’est au F. Rodrigo ou au P. Daunis, qu'il voulait être chrétien. Rendez-vous compte, Rd., qu'il suffit qu'ils nous voient pour que Dieu notre Seigneur change leur cœur » 215 ; « À la mi-juillet, il fut commis un crime effroyable de parricide. Il y avait une femme d'environ trente-huit ans, maladive et très 213

« Dominados como están por la pasión de la avaricia, llamada por el Apóstol (I ad Tim., VI, 10) raíz de todos los males, y entregados al degradante vicio de la embriaguez, ya puede suponerse que la moralidad es casi nula entre estas pobres gentes. Agréguese a lo dicho la fatal e inveterada costumbre de la poligamia, que se considera ley del país, y tendremos formado el cuadro perfecto de un pueblo salvaje, que se rige casi totalmente por sus instintos, a excepción de la ferocidad característica de los del continente ». P. Francesc Salvadó, Apuntes histórico-geográficos de la isla de Corisco. In : Boletín Religioso de la Congregación de Misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María, volume 1, novembre 1885 - juin 1886, p. 247-250 et 278-288. 214 « Por poco que se observe en estos países, se nota que los de color, a causa de su volubilidad natural, no son perseverantes en el trabajo estando en su país, a no ser que estén civilizados ; sino que hoy por ir a ver a su familia, mañana porque es fiesta en un pueblo, otro día porque se murió un pariente, etc., quieren dejar el trabajo muchos días al mes, y si se les estrecha se van a su casa ». Anonyme, Carta de Fernando Póo . In : El Iris de Paz, 1897, p. 185-186. 215 « Un hombre ví el otro día del que un chico del colegio cuenta con toda la naturalidad cómo le vio comer, con otros, un muslo de otro hombre después de cocinado, y cómo le espantaba a él para que no se acercase. Dicen que se avergüenza mucho cuando le recuerdan que ha comido gente. Unos días antes de yo verle había dicho, no recuerdo si al H. Rodrigo o al P. Daunis, que quería ser cristiano. Para que V. Rma. vea cómo, con sólo vernos, Dios nuestro Señor le cambió el corazón ». Lettre du P. Juan Roldán, de la Mission du Cap de Saint Jean, au P. Climent Serrat, du 10 novembre 1900. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 5, Carton 7.

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maigre. Tout le monde commença à dire que c'était une sorcière, et qu'elle était coupable de toutes les maladies et morts qui avaient lieu dans le village, tant et si bien qu'ils obligèrent ses parents les plus proches à la faire périr. De sorte qu’une nuit sa propre mère, terrorisée par les menaces proférées par les principaux du village, la prit au collet et l'étouffa aidée par deux de ses filles » 216. Cette perception de l'Africain217, nécessaire pour justifier l' « intervention » missionnaire, allait jusqu'au bout de ses conséquences lorsqu'il s'agissait des croyances religieuses, que les missionnaires qualifiaient de simples « superstitions » inspirées par le diable : « Marcher courbé, voilà la démarche du morimo, autrement il ne pourrait guère se déplacer dans sa maison. Une nuée de chauves-souris voltigeait dans ce trou arrivant à éteindre nos lumières dans leurs déplacements. Nous nous introduisîmes jusqu'au fond [de la grotte] et nous ne pûmes voir que deux casseroles à même le mur. Aucune idole, aucun autel, rien. Pauvres gens, jouets aux mains de leurs féticheurs ! Puis, nous fîmes entrer les enfants qui furent surpris de voir comment ils étaient leurrés par ces prêtres du diable. Et quels commentaires ils faisaient après ! Quelles invectives ! » 218. L'autorité missionnaire se manifestait, entre autres choses, par sa capacité de profanation impunie de lieux sacrés ainsi que par la recherche de la complicité des élèves, pour lesquels ils recherchaient l'éloignement (et la profanation active) de la tradition séculaire : « J'ai pris quatre matos, des petites propriétés qui appartenaient, d'après eux, aux lutins, et où personne ne mettait jamais les pieds. Ils disaient que dans l'une, il y avait une marmite qui bouillait sans feu. Tous étaient sûrs que nous allions être ensorcelés ; mais en voyant qu'il ne nous était rien arrivé, que la marmite n'était pas là et 216 « A mediados de julio se cometió aquí un horrendo crimen de parricidio : Había una mujer de unos treinta y ocho años de edad que vivía enfermiza y estaba muy flaca. Empezó toda la gente a decir que era bruja o hechicera, y que era ella la causa de todas las enfermedades y muertes que ocurrían en el pueblo ; por lo que obligaron a sus parientes más próximos a que ellos mismos la hicieran perecer de un modo u otro. Así es que su propia madre, atemorizada con las amenazas que le hicieron los principales del pueblo, una noche la colgó de un lazo y la ahogó, ayudándola en esta operación otras dos hijas ». Lettre du P. Lluís Aregall, de la Mission d’Annobon, au P. Climent Serrat, du 1er. décembre 1902. AG.CMF, Section F, Série F, Boîte 9, Carton 4. 217 Bestard & Contreras, 1987 ; Bonelli, 1947 ; Creus, 1993 ; Folch i Torres, 1911 ; Gill, 1994 ; Memmi, 1969 218 « Andar agachado debe ser el modo de andar del morimó, porque de otro modo no podría correr mucho por su casa. Una nube de murciélagos revoloteaba por aquel agujero, yendo y viniendo hasta llegar a apagarnos las luces. Penetramos hasta el fondo, y no pudimos descubrir sino dos cazuelas pegadas a la pared : ni ídolo, ni altar ni otra cosa. ¡Pobres gentes, juguete de sus feticheros! Hicimos entrar después a los niños, quienes quedaron admirados de ver cómo les tenían engañados aquellos sacerdotes del diablo. ¡Qué comentarios hacían después! ¡Qué invectivas! ». P. Ermengol Coll, Desde Fernando Póo . In : El Iris de Paz, 1899, p. 373-375.

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que la terre - qui était restée en jachère - produisait bien plus que les autres, ils perdirent peu à peu ces fausses appréhensions et jusqu'aux enfants de la Mission en prirent de bon gré quelques lopins » 219. La raillerie et le mépris des rites et des cultes étaient passibles de persécution ou à défaut de simple répression de la part des missionnaires : « Il y a quelques jours il se produisit un fait qui nous consola au plus haut point : nous leur avons ordonné de rendre les idoles ; et des trois sections qui composaient le village populeux d’Uloba, l’une s'y refusa et les deux qui restaient présentèrent généreusement les crânes de leurs chefsprédécesseurs, auxquels ils rendent le culte dû à la Divinité » 220 ; « Et nous pûmes constater la droiture de la volonté de ces gens-là, et pour un grand nombre il suffirait d'avoir vu comment ils apportèrent spontanément une idole de leur village (j'ignore s'ils en avaient d'autres), pour que nous les brûlions. Il s'agissait de crânes de leurs ancêtres qui s’étaient distingués le plus par leur courage à la guerre, placés dans un panier recouvert de cire » 221. En revanche, l'adaptation de fêtes « païennes » aux cultes catholiques, ne fut introduite, au cours de cette période, que comme un moyen d'attirance éventuel : « Nous avons célébré le mois du Cœur de Marie avec toute la solennité possible. Ainsi la fête de notre Mère bien aimée a été très solennelle. Je fis de mon mieux pour que le roi y participât, ce qu'il fit tant et si bien que toute l'après-midi de la veille, ses femmes portèrent des arbres énormes pour les planter sur la magnifique et grande place située devant la Maison. À un moment donné, il commença à pousser de grands cris et aussitôt accoururent un nombre infini de Bubis pour se mettre à son service. Il leur dit que c'était la fête du grand Buchuku [chef] Ibomospagne, 219

« He tomado cuatro matos, o sea fincas pequeñas que pertenecían, según ellos, a los duendes, y en los cuales nadie metía el pie : en uno de ellos decían que había una olla que hervía sin fuego. Todos creían que íbamos a quedar embrujados ; mas al ver que nada nos ha sucedido, que no se ha visto la olla, y que por estar la tierra muy descansada producen más que los otros, van perdiendo estas falsas aprensiones ; y hasta los niños de la Misión han tomado algunos trozos para sí con mucho gusto ». Lettre du P. Isidre Vila, Supérieur de la Missiond'Annobon, du 27 septembre 1890. In : Anales de la Congregación de los Misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María, volume 2, 1890, p. 593-595. 220 « Días pasados tuvo lugar un acto que nos llenó de consuelo : se les intimó la rendición de los ídolos ; y de tres secciones en que está dividido el numeroso pueblo de Uloba, la una se negó y las dos restantes presentaron con generoso desprendimiento los cráneos de sus jefes antepasados, a quien rinden el culto debido a la Divinidad ». Lettre du P. Manuel Mallén, de la Mission du Cap de Saint Jean, du 8 novembre 1893. In : El Iris de Paz, o sea El Inmaculado Corazón de María, 1894, p. 104-105. 221 « Y que proceda esta gente con una recta intención bien lo vemos, y para muchos bastaría para ello el haber visto cómo trajeron espontáneamente un ídolo de su pueblo (no sé si el único que tendrían) para que nosotros lo quemáramos. Consistía éste en unos cráneos de sus antepasados que más se distinguieron en sus guerras, colocados en un cesto bien embetunado ». Lettre du P. Alfredo Bolados, Supérieur de la Mission d'Elobei, du 27 octobre 1895. In : El Iris de Paz, o sea El Inmaculado Corazón de María, 1896, p. 51-52.

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et qu'il voulait qu'ils la célèbrent tous. Ils se mirent en effet, tous rangs et après avoir évolué tout autour de la maison et devant nous, ils commencèrent à tirer des coups de feu et à chanter à leur façon » 222. La rupture avec leurs propres traditions était, pour les missionnaires, une condition sine qua non pour l'acceptation de la conversion. Et cette conversion marquait une frontière nette entre l'état « sauvage » et l'état « civilisé », qui s'accentuait par le passage des jeunes dans les internats : « L'autre jour, lors de mon voyage à Elobey, et à mon insu, j'eus l'occasion de comparer les Pamues qui étaient venus à Banapa un an auparavant et ceux qui étaient encore dans le village d'Amenchi, le même que commença à catéchiser le jeune Isidro par une causerie sur l'enfer. Par hasard, se mirent ensemble deux d’entre eux qui allaient de Banapa au Muni pour voir leurs parents et quatre qui par la rivière se rendaient à Banapa. Quelle différence! Les deux premiers habillés à l'européenne, propres et décents, les deuxièmes sales, vêtus d'un pagne court et les cheveux en bataille ; les premiers gros et dodus, les autres maigres quoique nerveux ; les premiers déjà chrétiens, et les autres encore païens » 223. La bibliographie clarétaine, en outre, nous fournit une foule de cas de personnages exemplaires, surgis du rang des convertis, ainsi que des faveurs divines destinées à ce même groupe, ou des punitions infligées aux infidèles : « Je promis au saint glorieux et à la Vierge du Carmel, qui se trouve dans cette église, que si cet enfant et aucun d'autre ne mourait, nous chanterions une messe à laquelle assisteraient tous les enfants des écoles. (...) Comme je n'avais pas eu de nouvelles de sa mort pendant la nuit, de bon matin, je me rendis chez lui pour voir comment il allait, et je fus 222

« Hemos celebrado el mes del Corazón de María con la solemnidad posible ; pero la fiesta de nuestra querida Madre ha sido solemnísima. Procuré que tomase parte el rey, y lo hizo tan de veras que toda la tarde de la víspera sus mujeres trajeron enormes árboles para plantarlos en la magnífica y espaciosa plaza que tenemos delante de la casa. A una hora señalada empezó a dar grandes gritos, y al momento acudieron una infinidad de bubis para ponerse a sus disposiciones. Les dijo que era la fiesta del gran Buchuku Ibomospaña, y que quería que todos la solemnizasen. Efectivamente, se pusieron en orden ; y, después de varias evoluciones alrededor de la casa y delante de nosotros, empezaron a echar descargas y a cantar a su manera ». Lettre du P. Jaume Pinosa, Supérieur de la Mission de Batete, au P. Climent Serrat, du 22 août 1887. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 8, Carton 7. 223 « El otro día, en mi viaje a Elobey, sin buscarlo tuve ocasión de comparar los pamues que vinieron a Banapá hace un año con los que todavía están en el mencionado pueblo de Amenchi, el mismo que comenzó a catequizar el joven Isidro con una plática sobre el infierno. Sin pensar, se pusieron juntos dos que iban de Banapá al Muni por sus parientes y cuatro que venían del río para Banapá. ¡Qué diferencia! Los dos primeros vestidos a la europea, bien lavados y decentes, los segundos sucios, con un taparrabos corto y el cabello desgreñado ; los primeros gordos y rollizos, los otros flacos aunque nervudos ; los primeros ya cristianos, y los segundos gentiles todavía ». Lettre du P. Ermengol Coll au P. Mata, du 3 août 1896. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1.

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agréablement surpris de le voir assis sur un banc, parlant avec ses parents qui, pleins de joie, me racontèrent que peu après avoir quitté la maison [le missionnaire], il avait demandé de quoi manger, et on lui avait donné une tête de poisson qu'il avait mangée en entier et qu'il était presque tout à fait guéri. Aucun autre enfant ne mourut, et le 28 avril nous célébrâmes la messe chantée » 224 ; « Après de longs raisonnements et des pétitions réitératives pour qu'il embrassât la religion, il quitta le sermon aussi têtu qu'à son arrivée. Le malheureux ! Le Père lui dit que Dieu pouvait le punir s'il n'écoutait pas son appel ; c'est ce qui arriva pour son malheur. Huit jours après, vers 2 h. de l'après-midi, il vint à notre maison et nous demanda la permission de déménager dans une maisonnette bubi que la Mission avait achetée non loin de là ; mais il ne put faire usage de la concession car, cet après-midi même, quelques heures après, il tomba d'un grand palmier, ce qui provoqua sa mort » 225. Les missionnaires propagèrent donc une image négative des « infidèles » et de leur culture, et une image positive des « convertis » et de leur nouvelle « identité » ; et, d'autre part, ils propagèrent aussi la constatation que l'obstination était punie alors que l'acceptation de cette nouvelle identité était récompensée. Le labeur du missionnaire consistait à être le médiateur entre ces deux réalités : c'était lui qui rendait possible la rédemption de l'état « sauvage », lié à la tradition, à l'autorité des vieillards, au culte aux aïeux et à la polygamie, et l'assomption d'une personnalité « civilisée », assumée notamment par les jeunes des internats et liée à la culture occidentale et à son système de travail et d'organisation familiale et sociale : familles monogames et catholiques consacrées à la culture du cacao226 et groupées dans des villages présidés par l'autorité religieuse catholique. 224 « Prometí al glorioso santo y a la Virgen del Carmen, que está en la misma iglesia, que si no moría dicho niño, ni ningún otro, les cantaríamos una Misa con asistencia de todos los niños y niñas de las escuelas. (...) No habiendo avisado su muerte durante la noche, fuí muy de mañana a ver cómo seguía, y con agradable sorpresa le encontré sentado en el banco hablando con sus padres, quienes me contaron llenos de alegría que al poco tiempo de salir yo de su casa había pedido comida, y se le había dado una cabeza de pescado, que la comió toda y que ya estaba casi curado del todo. No murió ningún otro niño, y el 28 de abril celebramos la Misa cantada ». Lettre du P. Isidre Vila, Supérieur de la Mission d'Annobon, du 22 mai 1892. In : Anales de la Congregación de los Misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María, volume 3, 1891-1892, p. 423-425. 225 « Después de largos razonamientos y reiteradas instancias para que abrazase la Religión, se salió del sermón tan duro como había entrado. ¡Infeliz! El Padre le amenazó con que podía Dios castigarle, si desatendía su llamamiento. Así sucedió para su desdicha. Al cabo de ocho días, a eso de las dos de la tarde, se presentó en nuestra casa pidiendo permiso para trasladarse a una casita de bubis que la Misión había comprado no muy lejos de la misma ; pero no pudo hacer uso de la concesión, pues aquella misma tarde, pocas horas después, cayó de una gran palmera, causándose la muerte ». Lettre du P. Pau Pardina, de la Missionde Concepción. In : El Iris de Paz, o sea El Inmaculado Corazón de María, 1894, p. 372-373. 226 Faure, 1908

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Néanmoins, dans cette situation le missionnaire n'était pas un médiateur neutre et objectif, mais plutôt belligérant en face des uns et fondamentaliste vis à vis des autres. De sorte que les clarétains se devaient de protéger « les leurs » de leurs mœurs dépravés et sauvages : « En six mois, la Mission a réussi à sauver la vie de deux femmes que voulaient tuer les Bengas les accusant de la mort de deux personnes » 227 ; et ils étendaient à la fois leur protection à tous les niveaux de la vie personnelle jusqu'aux aspects les plus intimes : « Comme je regrette ce qui est arrivé à la pauvre Inés ! Je crains aussi que Moriri ne soit tuberculeux. Vous devriez veiller à ce que les mariés ne dorment pas du côté d'où souffle le vent qui vient de la forêt pendant la nuit ; et s'ils pouvaient recouvrir les murs de l'intérieur de tissus ou de sacs et les deux de l'extérieur de bambou, ils tousseraient, j'en suis sûr, beaucoup moins » 228. Une intromission à laquelle ils croyaient avoir droit, vu leur caractère d’ « initiateurs » de cette nouvelle identité qu'ils maîtrisaient et que les indigènes se devaient apprendre. Le « droit » de guider les jeunes et les nouvelles familles dans leur itinéraire « civilisé » comportait, en outre, le fait de les reconvertir en travailleurs au service de la colonie : « Je me suis laissé dire qu'un délégué du gouvernement, ou M. le gouverneur, lui-même va venir à Annobon pour emmener à Fernando Póo des hommes de cette île. Je suis très frappé qu'on ne compte pas du tout sur nous ; bien que, d'autre part, s'ils veulent les prendre comme travailleurs ou marins il vaut mieux qu'ils se débrouillent tous seuls car, autrement, si plus tard ils ne sont pas satisfaits, ce serait notre faute » 229. Mais aussi de transférer les Fangs de certaines Missions du Muni jusqu'à Fernando Póo, tout en apportant leur aide à leur installation en territoire bubi et en essayant de changer l'emplacement du village d'Annobon pour qu'ils quittent la plage et s’installent auprès de la Mission... afin de les 227

« En medio año ha logrado la Misión salvar la vida a dos mujeres a quienes querían matar los bengas por atribuirles la muerte de otras dos personas que fallecieron ». Lettre du P. Jacint Guiu, Supérieur de la Mission de Corisco, du 23 janvier 1895. In : Anales de la Congregación de los Misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María, volume 5, 1895-1896, p. 77-81. 228 « ¡Cuánto siento lo de la pobre Inés! También temo que Moriri esté tísico. Debieran VV. vigilar que los casados no durmieran al lado de donde viene el aire del bosque durante las noches ; y si pudiesen ellos forrar por dentro de ropa o sacos o bambú los dos tabiques exteriores, creo que remediarían tanta tos ». Lettre du P. Joaquim Juanola au P. Norberto Garcia, Supérieur de la Mission de Concepción, du 31 mai 1896. APG CMF, Copiador de cartas y telegramas de la Administración de Santa Isabel, document non catalogué, f. 68. 229 « Ahora me dicen que va a venir un delegado del Gobierno, o Sr. Gobernador, a Annobón, para ver de traer a Fernando Póo hombres de aquella isla. Me llama mucho la atención que para esto prescindan enteramente de nosotros ; aunque, por otra parte, si los quieren para trabajadores o marineros creo es mejor que ellos mismos se lo manejen, pues, de otra suerte, si después no les gusta nos echan la culpa a nosotros ». Lettre du P. Ermengol Coll au P. Mata, du 16 février 1894. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1.

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protéger des miasmes et de tout autre danger dû « au climat » ; en bref, pour les préserver de leur propre « ignorance ». Et incessamment, un paternalisme protecteur qui décidait le chemin adéquat pour ceux qui étaient « naturellement » mal fondés ; un paternalisme qui décida aussi la nouvelle identité des jeunes et des convertis guinéens : « À la suite de la messe solennelle, il y eut le baptême, tout aussi solennel. Les baptisées étaient neuf filles de l'école des Mères conceptionnistes. Quel acte émouvant ! Deux fois, je dus faire un effort pour empêcher mes larmes de couler, notamment lorsqu'au moment de verser l'eau sur la tête de la première baptisée, on entendit la “ Marche Royale ”230 espagnole et le carillonnement des cloches » 231. Les plus « chanceux » de ces « sauvages » devaient devenir catholiques et Espagnols. Voilà la nouvelle identité, la « plus adéquate », que désiraient les missionnaires et les colonisateurs232. Une nouvelle identité qui s'imposa peu à peu, au fur et à mesure que le modèle clarétain devenait plus élaboré et qui fut complété par une conduite parallèle provenant des autres secteurs coloniaux à la fin de cette période233. Face à l'imposition, les sociétés guinéennes réagirent sans « la férocité qui caractérisait ceux du continent » et de manière diverse, avec des conduites d’évitement situées entre deus extrêmes : les uns l'acceptèrent de bon gré, conscients des avantages matériels qu'ils pouvaient tirer de leur accès à une société européenne qui, jusqu'à ce moment là, n'avait jamais envisagé de les assimiler ; les autres s'y opposèrent, car ils se rendaient compte que « être catholique et Espagnol » signifiait aussi « ne plus être Bubi ». À l'aide de la complicité des uns et malgré les autres, le labeur clarétain fut persévérant : « Rien que dans le petit village de María Cristina, situé sur la baie de San Carlos, en moins d'un an (1896) on en baptisa environ 60 et onze couples s'unirent en mariage. Ce qui, pour ceux qui ont eu des contacts avec les Bubis et les connaissent, extrêmement superstitieux, timides et méfiants, ne leur paraîtra pas négligeable » 234.

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L’hymne national de l'État. « A seguida de la misa solemne hubo bautizo, también solemne. Los bautizandos eran nueve niñas del colegio de Madres concepcionistas. ¡ Qué acto tan conmovedor ! Por dos veces tuve que esforzarme para que las lágrimas no saltasen de los ojos ; principalmente cuando, en el instante de derramarse el agua sobre la cabeza de la primera bautizanda, se oyó la “ Marcha Real ” española y el repique de las campanas ». Lettre du P. Josep Huguet, de la Mission de Basilé, au P. Climent Serrat, du 24 août 1903. AG.CMF, Section G, Série H, Boîte 2, Carton 33. 232 Creus, 1994c 233 Álvarez, 1948 234 « Solamente en el pueblecito de María Cristina, sito en la bahía de San Carlos, en menos de un año (el de 1896) recibieron el bautismo unos sesenta próximamente y se unieron en santo matrimonio once parejas. Esto, pues, a quien haya tratado y conozca a los bubis, extremadamente supersticiosos, tímidos y desconfiados, no le parecerá poco ». Lettre du P. 231

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La vie dans les internats « Cela fait déjà trois ans que cette Mission célèbre par un nouvel événement le jour que la Sainte Église consacre à la mémoire du glorieux Saint Joachim [16 août]. La première année on inaugura le petit village de Concepción, formé à l'époque par une seule rue qui reçut le nom de Saint Joachim. Cette même année, le même jour et presque à la même heure où un des nouveaux mariés qui formaient le village entrait en possession de sa nouvelle demeure dans la terre, un autre l'abandonnait le lendemain pour la changer, d'après ce qu'on croit, pour celle des cieux. Enfin, cette année-ci, après que 14 néophytes avaient reçu le signal de soldats du Christ, on procéda, ce même jour, à l'inauguration de la nouvelle école de garçons » 235. Dans le nouveau modèle mis en marche par les clarétains, les internats représentaient le moteur du changement de vitesses, l'accélérateur qui rendait possible tout le reste : rééducation, conversion, travail dans les propriétés, insertion au système productif, formation de familles catholiques, création de villages236. C'était à la fois le mécanisme qui agissait comme diviseur entre la société païenne et la catholique, et le ressort qui devait assurer la continuité des nouvelles idées et la reproduction suivie du modèle237. L'organisation des internats devait donc s'orienter vers une immersion des élèves dans leur présumée nouvelle identité : c'est pourquoi tout se faisait en espagnol ; contrairement à un grand nombre de Missions spiritaines, où, comme on l’a déjà vu, l'usage d'une seule langue européenne était considérée comme négative. Je tiens à faire remarquer ce trait, qui apparemment contrastait avec la manière d'agir de Saint Antoni Mª Claret et avec le fait que la plupart des missionnaires étaient Catalans (ou Navarrais). En fait, je ne crois pas qu'il en fut ainsi : Saint Antoni Mª Claret, comme j'ai remarqué en son temps, prêchait en catalan, et c'est ce que continuèrent à faire les clarétains en Catalogne. Cependant, le système linguistique unitaire Antoni Aymemí, Supérieur de la Mission de Musola, du 25 juillet 1897. In : El Iris de Paz, 1897, p. 296-298. 235 « Tres años ha que esta Misión celebra con un nuevo acontecimiento el día que la Santa Iglesia dedica a la memoria del glorioso San Joaquín [16 d’agost]. En el primero se inauguró este pequeño pueblo de Concepción, formado entonces por una sola calle que recibió el nombre de San Joaquín. En el mismo día y a la misma hora, poco más o menos, en que este año tomaba posesión de su nueva morada en la tierra uno de los casados que formaban el pueblo, la abandonaba en el siguiente el primero para cambiarla, según creemos, por la del cielo. Por fin, en el año que corre, después de recibir catorce neófitos la señal de soldados de Cristo, se verificó en dicho día la inauguración del nuevo colegio de niños ». Lettre du P. Pau Pardina, de la Mission de Concepción, du 23 octobre 1897.In : El Iris de Paz, 1898, p. 21. 236 Negrín, 1993 ; Salanova, 1951 237 Carnoy, 1974

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de l'État ne fut jamais remis en question. Je veux dire qu'il donna un domaine d'usage très concret à une langue, la sienne, qu'il considérait comme « régionale » ou, plus exactement, « propre au peuple » ; mais, en revanche, il se servait du castillan dans ses contacts habituels avec les gens « cultivés » ; ainsi, dans ses rapports épistolaires avec d'autres curés catalans, sur lesquels j'ai rapporté plus haut quelques témoignages. Autrement dit, le Saint prêchait en catalan parce que c'était plus efficace, et non en raison d’une revendication linguistique ou politique, et se servait du castillan dans les domaines plus « élevés ». Son engagement à l'égard de l'État centraliste, bourbonien, fut fort évident, autant au cours de son étape comme archevêque à Cuba que dans son étape postérieure auprès de la première reine d'Espagne. Pour les clarétains déplacés en Guinée, auteurs, pour certains d'entre eux, de grammaires sur les diverses langues du pays, la conduite linguistique obéissait à la même conception : les langues guinéennes - bubi et pidgin english à Fernando Póo ; ndowe (benga) et fang dans la région continentale ; ambu à Annobon - étaient nécessaires à leur labeur pour attirer les indigènes et, d'une manière générale, pour leur labeur paroissial ; mais, en ce qui concerne les internats tout était différent ; là, il s'agissait de « transforme » les élèves, moyennant l'octroi d'une nouvelle identité, en membres d'une société « différente » qui se devait d’être « civilisée » et apte au développement colonial. Une nouvelle société qui devait s'exprimer en espagnol, pour attester cette « transformation ». En outre, les clarétains formaient une congrégation répandue dans tout le territoire de l'État espagnol. Agir en sorte que « tout le monde se comprenne », donc en langue espagnole, était considéré comme une exigence de la charité ; et négliger ce principe était de ce fait une action qui tenait du pêché. Jusqu'ici, j'ai fourni des douzaines de références de lettres écrites par des missionnaires catalans à des destinataires eux aussi catalans (par exemple : deux des trois Préfets Apostoliques de cette période et tous les Supérieurs Généraux et sous-directeurs de la congrégation), toujours rédigées en espagnol ; et c'est aussi dans cette langue qu'ils répondaient aux quelques lettres qui leur étaient adressées en catalan : « J'ai reçu votre bien honorée lettre en catalan, ce qui m'a fait un grand plaisir » 238. Cependant ils prenaient la liberté, entre Catalans, d'utiliser quelques phrases éparses dans notre langue qui visaient à donner un ton de cordialité, de proximité, de « sympathie ». De même qu'ils adoptaient également un air de « sympathie » vis-à-vis des langues guinéennes, qui pourtant étaient interdites systématiquement dans les internats tenus par les clarétains autant que ceux 238

« Recibí la suya atenta y catalana epístola, la que me alegró en extremo ». Lettre du P. Joaquim Juanola à M. Antoni Roldós, capitaine du vaisseau de la Cie Transatlantique, du 5 mai 1896. APG CMF, Copiador de cartas y telegramas de la Administración de Santa Isabel, document non catalogué, f. 44.

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des conceptionnistes : « À ce propos, je me porte garant d'un fait qui m'arriva un jour a Banapa où je rencontrai une fillette qui venait de quitter l'internat où elle était restée trois ans et où elle avait appris à lire des textes écrits à la main, à lire comme l'échantillon ici inclus!, à faire des soustractions et à coudre assez bien : mais je fus surtout frappé de voir comment elle s'exprimait en castillan » 239. La citation antérieure nous montre quel était le contenu de l'enseignement que recevaient les filles (lire et écrire, compter, prier et coudre). Mais, en ce qui se rapporte à la langue, les missionnaires ne revendiquèrent jamais l'utilisation de l'espagnol face aux langues guinéennes : pour eux, il était évident que ceci n'était pas de leur ressort, et pas une seule fois ils ne tentèrent de l'expliciter. Ils le revendiquaient en revanche à l'égard de l'anglais, employé par les Protestants de Santa Isabel et de Wesbe, tout en s'efforçant de jouer de leur influence auprès des autorités coloniales et de celles de Madrid : « Le Conseil d'État répond que si on peut prêcher en anglais, ceci ne doit pas dépasser ce domaine et que l'enseignement ne peut pas être donné en anglais » 240. Il se peut que cette même attitude de coïncidence prétendue entre une langue et un État leur fît redouter l'imposition du français de la part des spiritains, si la décision du Saint Siège, à propos des délimitations territoriales, les avait obligés à se soumettre au Vicariat Apostolique de Libreville. Cette attitude sert à expliquer l'exigence immédiate d'enseigner en espagnol dans la Mission de Bata, la Maison spiritaine qui dût se soumettre à la Préfecture Apostolique de Fernando Póo après la Convention de Paris. Les clarétains échouèrent dans leurs propos d'hispaniser la colonie et ceci justement à Santa Isabel et à Wesbe, où la population - protestante et anglophone - opposa la plus forte résistance au moment d'emmener ses enfants aux internats (Catolicismo y Protestantismo..., 1919). Et je remarque que ceci fut une des raisons qui entraînèrent la fondation de la Mission de San Carlos en 1904. L'échec que représentait cette petite ville contrastait avec le succès des Missions proches de Batete et Musola, situées en territoire bubi. Un échec, dans les deux localités « européennes » de Fernando Póo, 239

« Contra esto yo respondo con el hecho que sin pensar se me presentó, de hallar en Banapá una niña de las recién salidas que ha estado tres años ; y en ellos ha aprendido a leer manuscrito, escribir como la muestra que le incluyo, y restar, y coser con bastante perfección. Sobre todo, me llamó la atención el castellano con que la niña escribe. ». Lettre du P. Ermengol Coll au P. Mata, du 21 avril 1891. AG CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1. 240 « El Consejo de Estado, al contestar que podía verificarse la predicación en inglés, añade que se tenga cuidado en no pasar el permiso de la predicación en inglés a dar la escuela en inglés ». Idem du 12 juillet 1894. AG.CMF, même localisation.

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vraiment « inopportun », étant donné que c'étaient les deux seuls endroits de l'île qui comprenaient une présence administrative espagnole : ce qui nous permet de remarquer une des causes de l'ignorance administrative face au labeur clarétain. Celui-ci était souvent évalué uniquement en fonction de sa conduite dans la capitale. Le labeur d'hispanisation des clarétains doit, finalement, se rattacher au caractère de « Mission d'État » de tout l'ensemble : dans la mentalité centraliste espagnole de l'époque, on ne pouvait concevoir une assimilation qui ne fut linguistique. Les clarétains se vantaient de cet enseignement de l'espagnol dès que quelqu'un mettait leur labeur en question ; cet enseignement qui formait partie déterminante de l'ensemble de leur œuvre de colonisation : « Ils n'établissent pas de rapport entre l'état actuel de la colonie et celui de 1883. À ce moment-là, il n'y avait pas de commerce de cacao car il n'y avait qu'une propriété. Par contre, aujourd’hui le “ Larache ” vient de faire deux voyages de 7.000 et 8.000 sacs. (...) L'espagnol n'etait parlé dans aucune de ces possessions ; par contre, maintenant notre langue est répandue partout ailleurs » 241. En ce qui concerne les contenus des enseignements donnés dans les internats clarétains, nous en avons déjà eu quelques aperçus : tout comme la citation antérieure à propos des élèves des conceptionnistes ou du matériel scolaire que l'élève Antonio Sebastián Baixá demandait aux bienfaiteurs : « Pourriez vous nous envoyer des livres tels que “ Maná ”, “ Camino Recto ”, “ El Amante de Jesucristo ” [des livres écris par Saint Antoni Mª Claret], ainsi que quelques livres de texte de grammaire castillane, de géographie et des rosaires pour prier ». Nous possédons des données plus concrètes : lorsque l'école de Santa Isabel fut transférée de manière provisoire à Banapa à cause des travaux d'agrandissement, le P. Vall-llovera exposait de la sorte le programme scolaire qu'il avait l'intention de suivre : « Nous leur apprendrons l'anglais, et dans ce but j'ai appelé le P. Salvadó qui, poussé par les mêmes sentiments, est disposé à tout enseigner ; en outre, il y a aussi la géographie, l'arithmétique, l'Histoire d'Espagne, l'Histoire Sainte, le dessin, le chant et la musique » 242. Les contenus furent 241 « No hacen comparación del estado actual de la colonia al que tenía en 1883. Entonces no había comercio alguno de cacao, porque sólo había una finca. Ahora se ha llevado el “Larache” dos viajes de 7.000 a 8.000 sacos. (...) No se hablaba español en ninguna de estas posesiones ; ahora está extendida en todas ellas nuestra lengua ». Lettre du P. Ermengol Coll au P. Xifré, du 9 février 1896. AG.CMF, même localisation. L'exportation de cacao concerne l'ensemble de la colonie, ce qui nous permet de quantifier l'exportation clarétaine, cette annéelà, environ 2,5% de la production. Le pourcentage aurait augmenté au cours des années postérieures, au fur et à mesure que le nombre de propriétés clarétaines se multipliait ; mais cela ne justifie nullement les craintes des colons quant à la « concurrence « des missionnaires, ni le triomphalisme de ces derniers vis à vis de leur rôle prépondérant dans l'introduction de cette culture dans l'île. Pour ce qui concerne la langue, vid. aussi : Raison-Jourde, 1977. 242 « Les enseñaremos inglés, a cuyo fin he llamado al P. Salvadó, que, animado de los mismos sentimientos, se presta gustoso para todo ; además, Geografía, Aritmética, Historia de

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exposés à plusieurs reprises : « Les matières que nous enseignons aux élèves de cette école sont : le catéchisme chrétien, la religion et la morale, la lecture et l’écriture, la grammaire castillane, et quelques rudiments de géographie » 243. Voilà, en général, quelle était la constante : le catéchisme, la lecture et l’écriture, et l’arithmétique, ceci comme base ; accompagnés de quelques compléments secondaires : musique, chant, géographie et/ou histoire (d'Espagne)244. À Santa Isabel s’organisaient des examens collectifs sous la présence des autorités qui, de la sorte, pouvaient percevoir les progrès de l'enseignement clarétain, et raffermir l'image extérieure de pouvoir pour la Mission. Quelques lettres nous précisent aussi les horaires suivis : « À peu de différence près, voilà l'emploi du temps que nous suivons : lever au petit jour245 ; exercice du chrétien ; assistance à la Sainte Messe, accompagnée de la prière au chapelet ; puis le travail ; déjeuner composé d'ignames ou de riz ; école, deux heures : lecture, écriture, arithmétique, catéchisme, grammaire castillane ; d'autres, géographie le matin et l'après-midi ; travail ; et le soir le chapelet et tout le reste. Les dimanches, les uns vont pêcher en mer, d'autres à la chasse. Comme vous pouvez le voir, notre vie se déroule agréablement » 246. A la même époque, le P. Coll rapportait les emplois du temps des élèves et des familles catholiques de Concepción, très semblables : « Ils se lèvent le matin vers 5 h 30 et puis se rendent à l'église, où ils effectuent l'exercice du chrétien et écoutent la messe, qui est tout de suite suivie du travail ; les mariés y restent jusqu'à 11 heures et les enfants jusqu'à 8 h, pour pouvoir assister au cours. À 11 h 45 ils ont un quart d'heure pour prier, ce qui consiste en des prières très dévotes et un examen España, Historia Sagrada, Dibujo, Canto y Música ». Lettre au P. Mata, du 1er. mars 1889. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 10, Carton 8. Au Post-Scriptum il ajoutait : « Si vous pouviez nous envoyer une grande mappemonde, et une grande carte d'Espagne, pour l'école, nous vous serions très reconnaissants, parce que celles que nous avons sont très petites » : « Si nos pudiese enviar un mapa-mundi y otro de España, grandes los dos, para la escuela, se lo estimaremos mucho, porque los que tenemos son muy pequeños ». 243 « Las asignaturas que se enseñan en dicha escuela a los concurrentes son : doctrina cristiana, religión y noral, lectura y escritura, gramática castellana, y algunos rudimentos de geografía ». Lettre du P. Joaquim Juanola, à l'époque Supérieur d'Annobon, du 15 octobre 1886. In : Boletín Religioso de la Congregación de Misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María, volume 3, janvier-juin 1887, p.50-51. Or, l'école d'Annobon n'était pas un internat. 244 vid. aussi : González, 1924 245 À la zone équatoriale à 6 h. du matin. 246 « El reglamento que tenemos es el siguiente, a poca diferencia : Levantarnos ; cuando es un poco claro, ejercicio del cristiano ; oír la santa Misa y rezar el Rosario en ella ; después al trabajo ; almuerzo de ñames o arroz ; escuela dos horas : lectura, escritura, aritmética, catecismo, gramática castellana ; otros geografía mañana y tarde ; trabajo ; y por la noche Rosario y demás. En los domingos, unos a pescar al mar, otros a cazar. Ya ve, pues, Ud., cómo pasamos la vida contentos ». Lettre des élèves de la Mission de Batete, du 25 avril 1892. In : El Iris de Paz, o sea El Inmaculado Corazón de María, 1892, p.188-189.

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de conscience sommaire. À midi, ils déjeunent et se reposent jusqu'à 13 h. Alors, au son d'une cloche, ils retournent tous au travail qui dure jusqu'à 18 h, sauf pour les enfants qui arrêtent de 14 à 16 h pour aller à l'école ; à la sortie, munis d'un coutelas d'une main et d'une banane de l'autre, ils se remettent au travail comme les autres. À 18 h 30 commence le saint chapelet suivi d'une demi-heure de catéchisme dans la langue du pays. À 20 h, ils dînent et ils se couchent à 21 h 15 ; ceux qui ont fondé une famille font la prière du soir dans leurs chambres. Le seul travail est, pour l'instant, la culture du café et du cacao » 247. Inutile de souligner l'importance que les clarétains donnaient à l'insertion du travail colonial, à la culture du cacao et du café, qui occupait - d'après cette dernière citation - jusqu’à dix heures par jour, au cours desquelles il s'établissait une exception pour les enfants, qui étudiaient cinq heures durant à l'école. À mon avis, il faut remarquer aussi le traitement unitaire que recevaient autant les enfants que les adultes : rester à la Mission était, tout compte fait, continuer à mener le même rythme de vie et avoir des horaires semblables au cours desquels les heures d'école étaient tout simplement remplacées par des heures de travail supplémentaires. Il existe aussi d'autres détails à mettre en relief : par exemple, que la nourriture des élèves se composait surtout, bien que non exclusivement, de produits du pays ignames et bananes - ; or, Coll affirmait que « Le seul travail est, pour l'instant, la culture du café et du cacao ». Autrement dit, les élèves et anciens élèves de la Mission se consacraient de manière exclusive à la culture de produits pour l'exportation, tandis que c’étaient les Krumen de la Mission - et les Frères coadjuteurs - qui travaillaient dans les propriétés destinées à la production des aliments quotidiens. Et qui plus est : les élèves devaient participer à l'entretien de l'internat et à la production de leur propre alimentation moyennant la chasse et la pêche, auxquelles ils s'adonnaient les jours fériés ; ce qui contraste avec le caractère gratuit et subventionné (peu subventionné) de leur enseignement.

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« Se levantan por la mañana a eso de las cinco y media, y luego acuden todos a la iglesia, en donde hacen el ejercicio del cristiano y oyen Misa. A la Santa Misa se sigue inmediatamente el trabajo, en el cual los casados permanecen hasta las once y los niños hasta las ocho, para asistir a la escuela ; a las doce menos cuarto tienen un cuarto de hora de oración, que consiste en unas preces muy devotas y un sencillo examen. A las doce comen, y descansan hasta la una ; en que, a toque de campana, van todos de nuevo a trabajar. Este trabajo dura hasta las seis ; a excepción de los niños, que lo interrumpen de dos a cuatro para ir a la escuela, después de la cual, con el machete en una mano y un plátano en la otra, se vuelven a trabajar como los demás. A las seis y media comienza el Santo Rosario seguido de media hora de Catecismo en la lengua del país. A las ocho tienen la cena, retirándose a las nueve y cuarto, haciendo en sus habitaciones el ejercicio de la noche los que están constituidos en familia. Los únicos trabajos, por ahora, son el cultivo de café y cacao ». Lettre du 11 juin 1892. In : El Iris de Paz, o sea El Inmaculado Corazón de María, 1892, p. 251252.

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Ceci contraste aussi avec les envois importants provenant de la Maison de Barcelone à chacune des Missions, qui recevaient le « vu et approuvé » du Préfet Apostolique et qui comprenaient autant de vivres que de matériel scolaire248. Des vivres qui ne faisaient pas habituellement partie du régime alimentaire des élèves, et un matériel scolaire rare, concernant les restreints contenus des matières qui étaient enseignées à l'école : tableau, craies, ardoises, cahiers, plumes et encre, en plus de quelques cartes, de livres de grammaire, de géographie et d'Histoire Sainte, et beaucoup de livres de prières. Matériel rare, il est vrai, mais pareil à celui que devaient avoir la plupart des écoles de l'époque, où l'enseignement se limitait à la lecture et à l’écriture, à l'arithmétique et à d'autres matières complémentaires249. 248

On a conservé aussi quelques listes éparses. Par exemple, d'après la « Nota de los géneros mandados a las Misiones del Golfo de Guinea el 25 de mayo de 1889 « (AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 8, Carton 7). Cette fois-ci on envoya à la Mission de Concepción, qui possédait déjà un internat mais pas de familles catholiques, ces données domestiques : du riz, du vin ranciot, du vin de table, de la farine, des pois chiche, des lentilles, du sel de Cardone, du petit salé, du saucisson, du boudin, du jambon du pays, du jambon des États Unis, de la morue, du lait concentré, du fromage, des galettes, du biscuit, des épaules du porc, du xérès, de l’anisette,de l’orgeat en poudre, des épices, du safran, de la noix muscade, des pâtes (macarons, semoule, vermicelle, étoiles et du couscous), des pignons, des amandes, des noisettes, des noix, des olives, de la confiture, des châtaignes, des raisins secs, des figues, de l'eau-de-vie, des dattes, des pommes de terre, des oignons, des ails, de la cire, des bougies, des chandelles, du sel, des conserves de Calahorra, des graines de haricots et d'autres légumes, des allumettes, du pétrole, de la soude caustique, de la cretonne et des plombs de chasse. Des envois très ressemblants à ceux des autres Maisons, auxquels il faut ajouter, dans cette occasion, des essuie-mains pour la sacristie, des vases pour le Saint Sacrement et un essieu pour la cloche. Et, en surplus un grand nombre de matériel pour l'école : 6 exemplaires du « Maná del Cristiano », 1 géographie élémentaire, 3 cartes, 1 dictionnaire latin-espagnol et vice-versa, 1 corrigé des exercices, 3 « Kempis », 1 tableau, 2 boîtes de crayons d'ardoise, de la craie, 12 boîtes de porte-plumes et des plumes, 24 encriers et 38 livres de prières. Certains des produits (pommes de terre, oignons et ails) étaient commandés aux Canaries, et leur montant s'élevait à 656'25 pts. (= 131'25$). La totalité de l'envoi à toutes les Maisons atteint les 29.087'01 pts. (= 5.814'4$) ; à ceci s'ajoutaient quelques produits pour les conceptionnistes (d'une valeur de 471'62 pts. = 94'32$) et quelques paquets de vêtements, de livres etde médicaments envoyés comme une aumône : le tout pesait 31.226 Kg. 249 En 1896, à la suite d'un grand nombre de scandales provoqués par les clarétains, et dont je parlerai plus loin, le gouvernement décida de recréer une école laïque de garçons à Santa Isabel et une de filles à Basilé, avec à leur tête un maître et une maîtresse fonctionnaires. Il va sans dire que les missionnaires firent de leur mieux pour s'y opposer. Ils furent obligés, cependant, sur l'ordre du gouverneur, de leur acheter du matériel. Comme les factures ont été conservées, nous pouvons vérifier l'équipement que les clarétains considéraient nécessaire au bon fonctionnement d'une école. Ainsi, dans la facture qui correspond aux garçons, dont le montant s'élève à 684'82 pts, il y a : « 1 crucifix pour l'école ; 1 dais pour l'école ; 1 tableau de SS.MM. le roi et la reine ; 2 tableaux pour l’emploi du temps ; un bureau en noyer ; 1 garniture de bureau munie de deux encriers ; 1 sous-main ; 2 règles, plate et carrée ; 1 armoire en bois peint vitrée ; 1 chevalet en bois ; 1 tableau couvert de toile cirée ; 1 mappemonde Paluzie ; 1 mappemonde d'Europe, 1 mappemonde d'Afrique, 1 mappemonde d'Espagne ; 1 boulier ; 1 boîte de lecture de méthode intuitive ; 1 livre pour le registre du matériel ; i registre pour le cahier de présence ; 1 livre de visites ; 1 livre de comptabilité scolaire : 1 règle plate ; 1 équerre ; 1 journal de manque de présence ; 1 compas ; 12 grammaires castillanes ; 12 livres

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Les contenus et le matériel nous donnent un aperçu du fonctionnement des internats dans le domaine académique. Mais là n'était pas le plus important : vivre dans les internats signifiait, par dessus tout, mener un certain mode de vie, contrôlé à tous moments par les religieux et compris dans une évangélisation permanente, et des pratiques religieuses incessantes : des prières, des messes, des méditations, la prière du chapelet, etc. C'est à dire que, en accord avec la nouvelle identité acquise, les élèves acceptaient à la fois une immersion autant linguistique que religieuse. Si plus haut je faisais référence au fait que les garçons devenaient profanateurs de leurs propres traditions et des lieux sacrés, je dois aussi souligner la présence persistante et insistante du fait religieux catholique dans les internats : « Le mois de décembre fut plein de réjouissances pour les enfants, autant pour la célébration de la fête de la très pure et Immaculée Conception, laquelle, de d'agriculture ; 12 livres d'arithmétique, 1 bouteille de colle liquide ; 1 boîte d'encre en poudre ; 6 encriers en verre au couvercle pivotant ; 6 baguettes en bois ; 6 chiffons à effacer le tableau ; 1/2 rame de papier tissu ; 1 rame de papier ; 2 tables en bois non peint et des bancs de 3 m. de long x 0'60 de large et 0'75 de haut ; 12 géométries ; 12 livres de bonnes manières ; des livres : 12 de géographie, 12 d'orthographie » : « 1 crucifijo para la escuela ; 1 dosel para id. ; 1 cuadro de SS.MM. el rey y la reina ; 2 id. para distribución del tiempo ; 1 mesa despacho de nogal ; 1 escribanía con 2 tinteros ; 1 cartera escritorio ; 2 reglas, plana y cuadrada ; 1 armario de madera pintada con cristal ; 1 caballete de madera con cremallera ; 1 pizarra hule forrada ; 1 mapamundi Paluzie ; 1 id. Europa ; 1 id. África ; 1 id. España ; 1 tablero contador ; 1 caja método intuitivo de lectura ; 1 libro registro de material ; 1 id. diario de asistencia ; 1 id. visitas ; 1 id. contabilidad escolar ; 1 regla plana ; 1 cartabón ; 1 libro faltas de asistencia ; 1 compás ; 12 gramáticas castellanas ; 12 libros de agricultura ; 12 libros de aritmética ; 1 frasco goma líquida ; 1 cajita tinta polvo ; 6 tinteros cristal con tapa giratoria ; 6 punteros de madera ; 6 borradores de bayeta ; 1/2 resma papel de hilo ; 1 resma papel ; 2 mesas madera sin pintar con bancos 3 mts. larg. x 0'60 lat. y de 0'75 alta ; 12 geometrías ; 12 urbanidad, libros de ; 12 libros geografía ; 12 ortografías » ; et celle qui correspond aux filles, pour une valeur de 235'88 pts. : « 8 mètres de toile pour les tableaux ; 24 tableaux en pierre encadrés de bois de hêtre ; 12 baguettes ; 200 craies ; 12 chiffons pour id. ; 100 crayons d'ardoise fins ; 40 porte-crayons d'ardoise en laiton ; 3 pièces de canevas pour broderie ; 6 douzaines d'écheveaux de coton pour marquer ; du matériel de laine et de cordon ; mille aiguilles à coudre ; 3 douzaines d'aiguilles à tricoter ; 3 douzaines de corbillons pour le tricot ; 3 douzaines de crochets et 3 boîtes d'écheveaux coton ; 1 ensemble d'alphabet mural pour l'école ; 800 serviettes assorties ; 2 boîtes de plumes à 3 pointes ; 2 id. Perry ; 12 douzaines de porte-plumes à double ressort ; mille prix assortis ; 10 livres " Camino Recto " (du P. Claret] ; 12 livres " Maná del Cristiano " ; 100 images pieuses du Cœur de Marie ; 12 livres " Guia de la niñez " ; 25 catéchismes du P. Claret ; 10 livres " El devoto de los Sagrados Corazones " » : « 8 metros tela para pizarras ; 24 pizarras piedra en marcos de haya ; 12 punteros ; 200 barritas yeso ; 12 borradores para id. ; 100 pizarrines finos ; 40 portapizarrines de latón ; 3 piezas cañamazo para bordar ; 6 docenas madejas algodón para marcar ; material de tela y cordón ; 1 millar agujas para coser ; 3 docenas agujas para media ; 3 docenas canastillas para medias ; 3 docenas ganchillos y 3 cajas ovillos algodón ; 1 juego de carteles escuela ; 800 cartipacios surtidos ; 2 cajas plumas de 3 puntas ; 2 id. Perry ; 1 gruesón mangos pluma doble muelle ; 1 millar premios surtidos ; 10 “ Camino recto ” ; 12 “ Maná del cristiano ” ; 100 cromos finos del Corazón de María ; 12 “ Guía de la niñez ” ; 25 Catecismo del P. Claret ; 10 “ El devoto de los Sag. Corazones ” ». APG.CMF, Copiador de cartas y telegramas de la Administración de Santa Isabel, document non catalogué, f. 120-122 i 157.

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même que la fête, est célébrée solennellement, que pour la préparation de la Nativité du Seigneur : ils prièrent, à partir du 30 novembre, 40 Ave Maria tous les jours, ce qui jusqu'au 24 décembre donna un total de mille Ave Maria qui furent, ce jour-là, offerts affectueusement à la Sainte Vierge afin d'obtenir sa protection maternelle, pendant toute la vie et à l'heure de la mort » 250. Une ambiance d'exaltation religieuse flamboyante, qui fut à l'origine de douzaines de « cas exemplaires » et de « morts édifiantes » où tout était possible, y compris les apparitions de la Vierge (rappelons ce qui, à l’époque, se passait en Europe) : « Elle garda ses esprits jusqu'à sa mort ; et paisiblement elle prit congé des religieuses et des filles tout en disant : “ La Vierge Marie est venue vers moi. Je m'en vais au ciel, à Dieu ”. C'est ainsi que périt cette plante qui, transférée du bois de l'idolâtrie au jardin de la religion, nous embauma en si peu de temps de toutes ses vertus. Elle mourut le 24 février 1894 » 251 ; « Il y a trois mois, une fille catholique provenant de Sierra Leone, malade de tuberculose, eut l'air, à l'avis de tous, y compris celui du médecin, de se rétablir. Elle dit à une tante à elle que la Vierge lui avait dit de quitter ce monde et qu'il valait mieux pour elle de mourir au plus tôt. La tante ne l'écouta pas, surtout quand elle vit qu'elle allait de mieux en mieux ; or, un jour dans la nuit, elle appelle sa tante et lui dit calmement : “ Ma tante, je meurs. La Vierge est venue me chercher ” ; et elle expira. Il y a quelques jours que, dans l'école des religieuses, mourrut une néophyte, qui dit aussi que la Vierge et trois amies à elle, mortes depuis deux ans, étaient venues la voir : elle prononça leurs noms. Je ne peux assurer si c'est vrai ; quoi qu'il en soit, les effets furent très bons car elle mourut dans une paix et une ferveur enviables » 252. 250

« Todo el mes de diciembre fue de regocijo para los niños, tanto por celebrar la novena de la purísima e inmaculada Concepción, la cual, juntamente con la fiesta, celebramos solemnemente, como por la preparación que para la Natividad del Señor hicieron, rezando desde el 30 de noviembre 40 Avemarías cada día, las que, continuadas hasta el 24 de diciembre, formaron el número de mil Avemarías, y fueron en dicho día ofrecidas con grande afecto a la santísima Virgen para obtener su maternal protección, así en vida como en la hora de la muerte ». Lettre du P. Josep Sutrias, de la Mission d'Elobei, du 28 avril 1893. In : Anales de la Congregación de los Misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María, volume 4, 1893-1894, p. 115-116. 251 « Conservó el conocimiento hasta momentos antes de morir ; y con mucha paz se despidió de las religiosas y de las niñas, diciendo : “ Ya ha venido por mí la Virgen Santísima. Ya me voy al cielo, a Dios ”. Así acabó aquella planta que, trasladada del bosque de la idolatría al jardín de la religión, tan buen olor dejó de muchas virtudes en tan poco tiempo. Falleció el 26 de febrero de 1894 ». Coll, Ermengol (circa 1900), Misión de María Cristina, éd. de Jacint Creus, p. 52. Il s’agit de Montserrat Mesabó, la première fille interne de la Mission de Batete. 252 « Sucedió, hace unos tres meses, que una muchacha católica venida de Sierra Leona, por estar tísica, parecía, a juicio de todos, incluso el del médico, que se reponía. Ella dijo a una tía suya que la Virgen le había dicho que se desprendiese del mundo y que le valía más morir pronto. La tía no hizo mucho caso, sobre todo viendo que la mejora continuaba, cuando una noche, a deshora, llama a su tía, diciéndole con tranquilidad : “ Tía, yo me muero. La Virgen acaba de venir por mí ”. Y expiró. Hace pocos días que en el colegio de las religiosas acaba de morir una neófita, diciendo también que le había visitado la Virgen y tres niñas conocidas

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Il est vrai que tous les cas « exemplaires », « édifiants », renforçaient, aux yeux des missionnaires, la valeur de leur propre labeur ; et ils étaient publiés dans les revues clarétaines, notamment les externes, afin de réaffirmer le bien fondé de leur travail aux yeux du public et des bienfaiteurs. Bien après la période étudiée dans cette recherche, le P. Coll en faisait le dénombrement : « Décès édifiants : Enfants de l'école de Santa Isabel : Masongo (Luis) : Iris de Paz, année 1894, p.119 Emilio : Iris de Paz, année 1894, p.340 Melan : Iris de Paz, année 1896 Enfants décèdés à Elobey : Trois à mort édifiante : Iris de Paz, année 1893, p.297 Ligorio (Alfonso), Iris de Paz, année 1896, p.37 Filles de l'école de Santa Isabel : Maria : Mesabbo (Montserrat) : Iris de Paz, année 1894, p.119 Carmen Buelá : Iris de Paz, année 1896 Une autre fille de Santa Isabel. D'autres indigènes : Gustavo, d'Elobey Grande : Iris de Paz, année 1894, p.222 Lázaro, de Corisco : Iris de Paz, année 1896, p.245 Le Kruman de Corisco décédé à Elobey : Iris de Paz, année 1896, p.62. Actes héroïques : Gregorio Dung : Iris de Paz, année 1892, p.10 Enfant intrépide : Iris de Paz, année 1896, p.70 Trait édifiant : Iris de Paz, année 1895, p.246 Rosa Mayani : voir la fin de la Lettre » 253. suyas, muertas hace unos dos años : dijo sus nombres. No puedo afirmar si fue verdadera ; el caso es que los efectos fueron muy buenos, muriendo con un fervor y paz envidiables ». Lettre du P. Ermengol Coll au P. Mata, du 8 septembre 1896. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1. 253 « Muertes edificantes : Niños del colegio de Sta. Isabel : Masongo (Luis) : Iris de Paz, año 1894, p. 119 Emilio : Iris de Paz, año 1894, p. 340 Melan : Iris de Paz, año 1896 Niños fallecidos en Elobey : Tres con muerte edificante : Iris, 1893, 297 Ligorio (Alfonso) : Iris de Paz, año 1896, p. 37 Niñas del colegio de Sta. Isabel : María : Mesabbo (Montserrat) : Iris, 1894, p. 119 Carmen Buelá : Iris de Paz, año 1896

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Il s'agit de cas « spécialement réussis » dont les missionnaires se vantaient devant leur public mais qui, comme d'habitude, provoquaient la risée des secteurs libéraux. En principe, ce n'était pas le destin auquel on aspirait pour les garçons et les filles des internats, qui visaient à la formation de familles offrant une garantie. Et au cas où cela ne serait pas possible, à l’accueil de nouveaux élèves et à leur collaboration au labeur paroissial des missionnaires : « Plusieurs des 300 enfants qui ont été éduqués à Elobey et à Saint Jean et qui sont passés par Santa Isabel pour apprendre un métier, sont devenus, une fois rentrés dans leur pays, de petits missionnaires, instruisant quelque peu leur entourage en matière de religion, de sorte qu'ils effectuent environ 60 baptêmes par an in articulo mortis, sur le continent » 254. Cette conception de l'éducation prédominait dans toutes les écoles des clarétains, et pas seulement dans celles de la Guinée : « L'éducation religieuse et morale sera l'âme de nos écoles, et devra se manifester toujours et dans tous ses actes si bien que, en plus des leçons quotidiennes qu'ils en reçoivent habituellement, leurs écoliers devront s'habituer aux pratiques suivantes : Il est désirable que, ne serait-ce que pour les plus grands de leurs élèves, ils assistent tous les jours à la Sainte Messe ; qu'à chaque fois que l'heure sonne ils disent tous l'Ave Marie, qu’au début et à la fin des classes, ils disent avec lenteur et dévotion les prières “ Illuminez, Seigneur ”, etc. etc., et : “ Nous vous remercions, Seigneur ”, etc., que chaque semaine, pendant les jours fériés, ils écoutent tous le Saint Sacrifice de la messe, au cours duquel leur sera explicitée la signification contenue, enfin ils doivent dire le chapelet. Les samedis après-midi (...) Il sera exercé sur les élèves la surveillance la plus stricte, afin que, dans la mesure du possible, ils évitent, au dedans et au dehors de l'école, tout acte immoral et

Otra niña de Sta. Isabel : Otros indígenas : Gustavo, de Elobey Grande : Iris, 1894, p. 222 Lázaro, de Corisco : Iris de Paz, año 1896, p. 245 El krumán de Corisco muerto en Elobey : 1896, 62. Actos heroicos : Gregorio Dung : Iris de Paz, año 1892, p. 10 Niño intrépido : Iris de Paz, año 1896, p. 70 Rasgo edificante : Iris de Paz, año 1895, p. 246 Rosa Mayani : véase al final de la carta ». Idem du 24 mars 1897. AG.CMF, même localisation. 254 « Varios de los 300 niños que en Elobey y S. Juan se han educado y que han pasado a Sta. Isabel para aprender oficio, vueltos a su país se han convertido en pequeños misioneros, instruyendo algo a su gente en materia de religión, de modo que se efectúan por los mismos unos 60 bautismos cada año in articulo mortis, en el continente ». Lettre du P. Miquel Daunis au P. Climent Serrat, du 27 avril 1896. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 6, Carton 5.

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qu’ils s'habituent à l'accomplissement de leurs devoirs » 255. Le même règlement général établissait deux séances par jour de 3 heures chacune vouées à l'enseignement et partageait les élèves en trois classes : dans la classe préparatoire, ils devaient apprendre les rudiments de la religion et de la morale, la lecture, la calligraphie, l'arithmétique et la grammaire castillane ; dans la classe élémentaire, il fallait y ajouter des notions de géographie ; et dans la classe supérieure, en plus d'un travail plus approfondi de ces matières, on y introduisait le dessin, la géométrie et l'Histoire de l'Espagne. Quelques mois auparavant, avait été fixé l'emploi du temps : le matin : à 8h, entrée en classe ; à 8h 15, lecture ; à 9h, écriture ; à 9h 30, doctrine chrétienne ; à 10h, repos ; à 10h 15, arithmétique ; à 11h, fin des activités ; Et l'après-midi : à 2h, entrée en classe ; à 2h 15, lecture ; à 3h, écriture ; à 3h 30, Histoire Sainte ; à 4h, repos ; à 4h 15, grammaire castillane ; à 5h, fin des activités256. Nous pouvons établir une comparaison entre ce que je viens de dire, à propos des écoles guinéennes, et leurs dispositions générales et ce qui se faisait dans d'autres endroits. Ainsi, en 1892 à l'école de Las Palmas : « Les missionnaires Fils du Cœur de Marie (...), outre la Religion, la moralité et l’éducation enseigneront les matières suivantes : la Lecture de caractères imprimés et manuscrits, l'Écriture des caractères espagnols et anglais, l'Arithmétique et un peu de Géométrie, d'Histoire Sainte, Universelle et d'Espagne, la Géographie, la grammaire espagnole, les langues anglaise et française, la gymnastique, le dessin, le solfège, les bonnes manières, le catéchisme chrétien, le commerce, la tenue des livres et l'agriculture » 257. 255

« La educación religiosa y moral será como el alma de nuestras escuelas, y deberá dejarse sentir siempre y en todos sus actos. Así que, además de las lecciones diarias que sobre las mismas acostumbran tenerse, sus escolares se habituarán a las siguientes pràcticas : Es de desear que los mayores al menos de sus alumnos oigan diariamente la Santa Misa ; siempre que suene la hora rezarán todos el Avemaría. Al comenzar las clases y al terminarlas, rezarán respectivamente con pausa y devoción las plegarias : “ Iluminad, Señor ”, etc., y : “ Os damos gracias, Señor ”, etc. Cada semana, en sus días festivos, oirán todos el santo sacrificio de la Misa, durante el cual se leerán los significados que en sí encierra, o se rezará el Rosario. Los sábados por la tarde... (...) Se ejercerá sobre los alumnos la más exquisita vigilancia, para que, a ser posible, dentro y fuera de las escuelas eviten toda inmoralidad y se acostumbren al cumplimiento de sus deberes ». Reglamento para las escuelas dirigidas por los Misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María. In. Boletín Religioso de la Congregación de Misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María, volume 3, janvier-juin1887, p. 60-64. La citation se rapporte aux articles 16-18. 256 Primera enseñanza. In : Boletín Religioso de la Congregación de Misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María, volume 2, juillet-décembre 1886, p. 348-350. L'horaire que j'ai résumé se rapporte à la classe élémentaire. 257 « Los Misioneros Hijos del Corazón de María (...), además de la Religión, Moralidad y educación enseñarán las asignaturas siguientes : Lectura en impresos y en diversos manuscritos. Escritura con caracteres español e inglés. Aritmética y principios de Geometría. Historia Sagrada, Universal y de España. Geografía. Gramática Española. Lengua inglesa y francesa. Gimnasia, Dibujo, Solfeo, Urbanidad, Doctrina Cristiana, Comercio, Teneduría de

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Autrement dit, dans une structure plutôt commune, les écoles se permettaient des adaptations et des retouches en fonction de chaque situation. Or, en Guinée, il existait un trait fondamental qui rendait différents les internats clarétains de cette colonie et ceux de l’Espagne : le fait de partager durant une bonne partie de la journée l'activité éducative au travail agricole, à la production du cacao. Un travail spécifique qui faisait de la compensation économique que cela entraînait, un motif d’accueil d'élèves et d'entretien de la « morale » vis à vis d'un labeur quotidien long et accablant : « Peu à peu, avec l'aide de Ntre. Mère très Sainte qui veille sur nous, ils se sont tous si bien adaptés au nouveau règlement donné par le Rd. Père que pour faire leur travail, qui leur paraissait au début une corvée, ils s'y rendent maintenant avec un tel empressement qu'il est inutile de les appeler et de leur dire quoi que se soit. Bien au contraire, car, dès que l'heure arrive, ils partent en courant pour voir qui sera le premier à arriver au travail. Si bien que si au début il leur fallait trois ou quatre heures pour le réaliser, ils le font à présent en une demi-heure. Comme c'est important de faire les choses de bon cœur! » 258. Quoique le fait de travailler dans les plantations de cacao fût pour les élèves un des signes de leur « transformation » en hommes « civilisés », cela n'était pas du tout l'objectif final envisagé par les missionnaires. Entrer dans un internat signifiait s'engager dans une nouvelle vie sous le contrôle des missionnaires qui en échange exigeaient bien d’autres choses, au delà de leur travail, et qui devenaient les « pères » des élèves ; au point de décider de leur transfert en cas de besoin : « On ne fit que transférer à la propriété [de Banapa] les élèves en apprentissage d'un métier [à Santa Isabel] pour des raisons que je vous avais exposées, ainsi qu'au Rd. Père l'année dernière : en premier, afin d’éviter que les élèves les plus grands sortent de nuit, ce qui avait entraîné quelques événements désagréables. Ensuite, pour les faire travailler davantage, selon le nombre d'heures habituelles dans ce pays. Et enfin, dans le but de favoriser chez eux la piété et pouvoir choisir ceux qui seraient bons comme catéchistes » 259. C'est pourquoi beaucoup d'entre eux Libros y Agricultura ». Crónica de la Casa-Misión de Las Palmas. ALP.CMF, document non catalogué ni paginé. 258 « Poco a poco, ayudados de Ntra. Sma. Madre, que tan admirablemente vela sobre nosotros, se han amoldado tan perfectamente al nuevo reglamento que les dio el Rmo. Padre, que para hacer los trabajos, que al principio parecía iban a buscar la muerte, van actualmente con tanta diligencia que no es necesario llamarles ni decirles nada ; antes bien, ellos mismos, apenas da la hora, echan a correr para ver quién primero podrá llegar al trabajo. Para lo que al principio necesitaban de 3 a 4 horas, hácenlo actualmente en media hora. ¡ Cuánto puede, el hacer las cosas de buena voluntad ! ». Lettre du P. Josep Sutrias, de la Mission de Banapa, du 1er. novembre 1891. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 8, Carton 8. 259 « Lo único que se hizo fue trasladar a la misma finca los niños que aprenden oficio, por razones que expuse a V. y al Rmo. Padre el año pasado, al verificarlo : 1ª evitar las salidas de

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ne voulaient pas rester pendant les trois ans que durait leur préparation : car la « nouvelle » vie que leur offraient les missionnaires avait aussi ses contraintes ; et parce que beaucoup de parents réclamaient, souvent sans succès, le retour de leurs enfants qu'ils voyaient perdus à jamais. Le modèle clarétain était cohérent et efficace, bien qu'il provoquât une rupture dans la société guinéenne ; et il fut la source, tout au long de cette période, d'un grand nombre de conflits.

Le conflit provoqué « Notre Frère, imitant avec zèle - peut être excessif - le Sauveur dans le temple, s'en prit très souvent, non pas muni d'un fouet comme Jésus Christ, mais à coup de pierres, contre ceux qui, si indécemment, se présentaient aux portes de la Mission » 260. Voilà comment se comportait le F. Melitón Huici, un des fondateurs de la Mission d’Annobon et un des premiers qui y mourut, à l'égard des habitants de l'île qui venaient nus à la Mission. Un incident, qui, comme tant d'autres déjà rapportés, nous permettent de voir que la Mission se montrait souvent en opposition face à la société qui l'accueillait et à laquelle elle tentait d'imposer - même à coups de pierres - sa manière particulière de concevoir la moralité. Être nu était inacceptable, car la nudité était associée à l'état « sauvage » et au manque de pudeur sexuelle. La répression de cette nudité dans un pays équatorial, qui était à la base de la collaboration incessante des bienfaiteurs péninsulaires, ne pouvait se faire qu’à partir d’une position de déséquilibre et de pouvoir. De même que tout cela permettait aux missionnaires de contrôler la vie privée de « leurs » fidèles, bien qu'à maintes reprises cette insertion autoritaire provoqua quelque affrontement avec l'autorité civile, qui désirait délimiter leurs domaines de conduites respectives : « Le 12, j’ai appris qu'on veut m'accuser pour un avertissement donné au père d'une fille qui acceptait son fiancé chez elle depuis plus d'un an et demi » 261.

noche de este colegio por los niños mayores, de lo cual se habían dado varios casos desagradables ; 2ª hacerles trabajar mayor número de horas, es decir el tiempo que en estos países se acostumbra ; 3ª fomentar en ellos la piedad y escoger los que fuesen buenos para catequistas ». Lettre du P. Coll au P. Mata, du 17 septembre 1892. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1. 260 « Nuestro Hermano, imitando con celo -tal vez excesivo- el del Salvador en el templo, muchísimas vecs la emprendió, no con látigo como Jesucristo, sino a pedrada limpia, contra los que de modo tan indecente se presentaban a las puertas de la Misión ». Evangelizadores de la Guinea Española, p. 18. 261 « El 12 se me anuncia que se me quiere formar causa por motivo de un aviso dado al padre de una muchacha que admitía el novio en su casa hace más de año y medio ». Lettre du P. Coll au P. Mata, du 20 novembre 1893. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1.

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Nous retrouvons à nouveau cette tradition du contrôle des mœurs privées et publiques présente dans la souche même de la congrégation et dans sa tradition de missions intérieures ; pareillement, l'éloignement entre les élèves des écoles et leurs familles existait partout ailleurs. « Nous ordonnons qu'aucune visite ne soit permise dans nos écoles et noviciats, hormis les jeudis non prohibitifs, au cours desquels on pourra recevoir de 10 à 11 h du matin » 262. La différence en ce qui a trait à la Guinée consiste dans le fait que les internats avaient justement été fondés dans le but principal d'éloigner les élèves de leurs familles qui étaient considérées comme un danger par les missionnaires ; en revanche, à la Péninsule, on tenait pour sûre la bonne volonté des parents qui livraient leurs enfants aux internats : « Étant donné que leurs parents ignorent les avantages que représentent la civilisation et l'instruction, ils espèrent les garder auprès d'eux pour les faire travailler à la culture des ignames. Au cas où les Bubis emporteraient leurs enfants, aussitôt que ceux-ci auraient l'occasion de fuir leurs parents, ils regagneraient la Mission. Mais comme les parents n'ignoraient pas que nous avions le gouvernement contre nous et qu'il était en leur faveur, ils seraient bien capables de brûler nos maisons ou de nous causer tout autre dommage pour nous reprendre les enfants ; de sorte que nous perdrions le fruit de toutes ces années et tous les espoirs que nous avions tous déposés en ces enfants, qui sont vraiment bons. J'espère l'intervention de notre Sainte Mère pour que ceci n'arrive pas » 263. La citation prouve la méfiance des missionnaires à l'égard des parents des élèves ; la séparation entre les parents (= sauvages) et les enfants (= civilisés) organisée par les clarétains ; ainsi que la fragilité de la conduite missionnaire, qui dépendait de l'aide apportée par le gouvernement colonial. Cette fragilité provenait en grande partie par la manière dont les missionnaires recrutaient les enfants indigènes : « L'augmentation était due 262

« Ordenamos y disponemos que en todos nuestros colegios y noviciados no se reciban visitas de ningún género, a excepción de los jueves no impedidos, en cuyos días se podrá recibir de diez a once de la mañana ». Circulaire du P. Xifré à tous les Supérieurs de la Congrégation, du 13 novembre 1886. In : Boletín Religioso de la Congregación de Misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María, volume 2, juillet-décembre 1886., p. 390. 263 « Sus padres, como no aprecian civilización ni instrucción porque no conocen sus ventajas, los quieren para emplearlos en el cultivo de ñames y tenerlos en su compañía. Si se diera el caso de que los bubis se llevaran a sus hijos, tan pronto como podrían éstos escapar de sus padres volverían a la Misión ; pero conociendo aquéllos que el Gobierno estaba contra nosotros y les daba a ellos la razón, serían capaces de incendiarnos las Casas o hacernos algún otro perjuicio para arrancarnos los niños ; y entonces perdemos el fruto de estos años y todas las esperanzas que teníamos, pues las cifrábamos todas en estos chicos, que por cierto son buenos. Confío que no permitirá nuestra Madre Sma. que esto suceda ». Lettre du P. Ermengol Coll au P. Xifré du 12 février 1891. AG.CMF., Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1.

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en grande partie à Ullem qui, par le fait qu’il recevait davantage de cadeaux que les autres de la part de la Mission, était aussi somis à plus de pression de la part du P. Pinosa pour qu'il contribue plus que tout autre à son développement [de la Mission] ; si bien que, parfois, le Père se montrait sévère et renfrogné à son égard, afin qu'il emmenât quelques enfants à la Mission. Car il suffisait que notre homme se relâche quelque peu, pour que plusieurs quittent la Mission pour regagner la forêt » 264. Comme je l'ai déjà souligné, quelques chefs de famille, tel que ce fameux Ullem que je viens de citer, amenaient leurs enfants à la Mission de leur propre gré ; bien que, comme nous avons pu le voir, la politique des « petits cadeaux » renforça ce caractère de fragilité des séjours des garçons dans la Mission. En revanche, beaucoup d’entre eux allèrent dans les internats malgré l’opposition de leurs parents. Le travail des missionnaires consista à les accueillir et à leur donner une « protection » face à des progéniteurs qui « ne comprenaient pas », à cause de leur « état primitif », les avantages de l'éducation que recevaient les élèves des internats, ni l'importance de leur incorporation au système productif colonial. Dans ces cas-là, la Mission s'attribuait le rôle de « refuge » des futurs chrétiens : « Nous avons déjà neuf garçons bubis internes et désirant ardemment recevoir le baptême et ne jamais revenir chez eux. Tous, à l'exception de deux, se sont enfuis de chez eux poussés par leur désir d'être parmi nous. La loi entre les Bubis est basée sur le fait qu'un fils peut quitter ses parents sans que ceux-ci aient le droit de le réclamer »265 ; « Comme pour s'amuser, il commença à travailler un morceau de bois, il le traîna comme il le put sur la plage, et après avoir creusé un trou dedans pour qu'il flotte mieux et pour avoir de la place où se mettre, quoique sans beaucoup de confort, à minuit, pour éviter que les habitants de son village le poursuivent et qu'il soit sévèrement puni, il jeta son frêle esquif à la mer, monta à bord, et, dans cette si dangereuse embarcation, muni d'une petite pelle qui lui servait à la fois de gouvernail et de rame, il entreprit le voyage de deux ou trois lieux. (...) L'intrépide et courageux navigateur parvint sain et sauf à Elobey, où se tient notre Mission. Il raconta au P. Supérieur, à l'aide de tous les détails, les recours qu'il avait employés pour obtenir ce que son cœur désirait depuis si 264

« Contribuía algo al aumento Ullem, quien, porque recibía más regalos de la Misión que otros, quería el P. Pinosa que contribuyera más que los otros a su desarrollo. Así, sucedía a veces que, durante algunas temporadas, se le mostraba el Padre serio y ceñudo, a fin de que le trajese algún niño a la Misión ; pues bastaba que nuestro hombre se hubiera pasivamente, para que algunos escaparan del bosque a la Misión ». Coll, Ermengol (circa 1900), Misión de María Cristina, éd. de Jacint Creus, p. 28. 265 « Tenemos ya nueve niños bubis internos y con muchos deseos de recibir el bautismo y de no volver jamás a sus casas. Todos menos dos se han escapado de sus casas por los grandes deseos que tienen de estar con nosotros. Es ley entre los bubis que el hijo se puede marchar de sus padres sin que puedan reclamarlo ». Lettre du P. Jaume Pinosa, Supérieur de la Mission de Batete, au P. Climent Serrat, du 1er. octobre 1887. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 7, Carton 6.

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longtemps : être instruit dans les mystères de notre Sainte Religion. Il lui exposa aussi ses péripéties maritimes et, à la fin de son intéressant récit, il dit : “ Maintenant je suis heureux et je désire vivre dans la Mission jusqu'à ma mort ” » 266. C'est cette dichotomie qui surprend le plus et qui supposait une rupture dans les sociétés guinéennes : d'après les écrits des missionnaires, l'entrée des élèves dans les internats se faisait très souvent contre la volonté de leurs parents, et dépendait de la ferme décision des enfants. On ne donnait jamais, dans ces écrits, ni de statistiques ni de détails sur la situation familiale des nouveaux élèves ; en revanche, on mettait l'accent sur leur volonté de devenir chrétiens, malgré l'opposition familiale. Les jeunes (certains d’entre eux) contre les vieux (pas tous) : c'est une dichotomie qui nous fait penser à des individus peu intégrés dans l'organisation familiale guinéenne. L'absence de données ne nous permet pas d'aller plus loin, mais ne nous permet pas d’oublier pour autant un aspect qui me paraît fondamental au moment d'essayer de comprendre ce phénomène : Une des causes du « succès » des missionnaires se trouve dans le fait que le recours le plus important dont ils firent usage - la création d'internats s'adressait directement au secteur le plus instable des sociétés guinéennes : les jeunes. Comme dans la plupart des sociétés centre-africaines, les jeunes étaient assujetis à un grand nombre d'obligations et ne bénéficiaient que de très peu de droits dans une organisation sociale où toute l'autorité reposait sur les plus anciens de la population. Les femmes se trouvaient aussi dans une situation sociale de dépendance par rapport aux hommes. Les jeunes et les femmes donc, notamment les premiers (car les femmes maintenaient des liens de parentés immédiats, avec soit le père, soit l'époux ou le fiancé) pouvaient être les bénéficiaires immédiats d'une offre, celle des clarétains, qui ne les intéressa pas tous mais un grand nombre d’entre eux : car cela leur donnait accès au système de production européen, potentiellement bien plus « riche » en possibilités d'accès à de nombreuses « propriétés », et des gains 266

« Como por vía de entretenimiento comenzó a labrar un tosco leño, lo arrastró a la playa como pudo, y así que hubo hecho en él una concavidad para que flotara más y tuviera lugar donde colocarse, aunque incómodamente, a medianoche, para los que de su mismo pueblo no le persiguieran y severamente castigaran, echó la navecilla al mar, pasó a bordo, y en tan peligrosa embarcación, con una paleta de madera que le servía de remo y timón a la vez, emprendió el viaje de dos o tres leguas. (...) Llegó el intrépido y valeroso marinero sin novedad a Elobey, en donde tenemos establecida la Misión. Refirió con todos sus pormenores al Padre Superior los medios de que se había valido para conseguir lo que tantos días hacía deseaba su corazón, que no era sino el de ser instruido en los misterios de nuestra Religión Santa ; expúsole asimismo sus peripecias marítimas, y terminó su interesante relato diciendo : “ Ahora ya estoy contento ; deseo vivir en la Misión hasta la muerte ” ». Lettre du P. Josep Sutrias, Supérieur de la Mission du Cap de Saint Jean. In : El Iris de Paz - El Inmaculado Corazón de María, 1896, p. 69-70.

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immédiats qu'il ne fallait pas « partager » avec un large réseau de parenté. Bien au contraire, ils devaient être au service d'une accumulation individuelle de richesses comptant sur une organisation familiale bien plus restreinte (la famille monogame), et dans une nouvelle société où l'accent était mis sur des valeurs telles que l'individualisme, l'épargne et l'investissement ; soit le contraire de la distribution immédiate des biens. À mon avis donc, un grand nombre de jeunes qui entrèrent dans les internats avaient un profil très précis : des jeunes séduits par une culture éblouissante et/ou avec une attitude de solidarité vis à vis de leur propre groupe plutôt distendue. Ceci nous permet de comprendre leur participation constante à des actes de moquerie concernant les croyances africaines, et le fait d'accepter non seulement les 3 ans d'études parmi les clarétains, mais en plus de prolonger leur séjour dans la Mission au-delà de leur période de scolarisation, afin de pouvoir continuer à cultiver les propriétés de cacao ; et par dessus tout, leur mariage avec des filles des écoles conceptionnistes, ce qui représentait une rupture définitive avec l'autorité familiale et le rejet d'une institution indispensable pour la cohésion du groupe et l'établissement d'alliances dans le groupe. C'est pourquoi, à la suite d'une première étape pacifique, au fur et à mesure que le modèle clarétain se développait dans les différentes Missions les indigènes devinrent de plus en plus hostiles à l'égard des internats, qui représentaient la désintégration progressive et la déstructuration des systèmes d'organisations traditionnels : « Les Bubis acceptaient de mauvais gré la fréquentation toujours plus importante de l'école mais pas pour la raison que c'étaient leurs enfants qui y assistaient, car leur loi exige que le garçon (mais non la fille) s'émancipe une fois atteint l'âge de raison, mais parce qu'un grand nombre d’entre eux étaient très attachés à leurs traditions, et ils voyaient que leurs enfants apprenaient des choses très différentes et suivaient un mode de vie très dissemblable du leur » 267. Tout consiste à savoir ce que trouvaient les garçons dans les internats au point de vouloir y rester : la Mission s'engageait à leur donner trois repas par jour, des vêtements et un enseignement ; à leur apprendre à travailler ; à leur donner des outils, une maison et un terrain à la fin de leurs études ; à les aider dans la vente de leurs produits ; et à leur trouver une femme pour se marier ; dans ce cas-là, on leur livrait une partie de la nourriture avant les premières récoltes. Une aide matérielle importante mais qui ne suffit pas 267

« Llevaban muy mal los bubis el aumento del colegio, no precisamente porque fueran sus hijos los que iban a él, pues es ley entre ellos que el niño (no la niña) queda emancipado luego que llega al uso de razón ; sino porque los había muy aferrados a sus tradiciones, y veían a los niños aprender cosas distintas y seguir un modo de vivir muy diferente del suyo ». Coll, Ermengol (circa 1900), Misión de María Cristina, éd. de Jacint Creus, p. 28.

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pour justifier la fidélité que vouaient les jeunes aux missionnaires. Les difficultés rencontrées dans le sein de leur propre famille peuvent être une des raisons qui amenaient un nombre croissant de jeunes à se rendre aux collèges de la Mission. Il existe donc un rapport entre leur persistance et la rupture familiale, ainsi qu'aux gains immédiats et tangibles ; et, très souvent, ils étaient poussés par la sincérité d'une conversion sans cesse renouvelée dans une ambiance d'immersion religieuse. La bibliographie missionnaire est peu objective, tant s’en faut ; mais, tout comme les exemples d'opposition de la part des anciens y prolifèrent, on y trouve aussi des exemples de fidélité aux missionnaires : « Il s'agit d'un jeune homme d’environ vingt et un ans, originaire de San Carlos [Batete], appelé Pedro ; un des premiers qui se réfugia dans cette Maison de la Mission peu après sa fondation ; et malgré les insultes, menaces et moqueries des autres Bubis, il garda une attitude de fermeté. Il a toujours été un modèle de docilité et, bien que marié, il est toujours suspendu à la voix des Pères missionnaires comme le plus jeune de l'école. Sa femme, appelée Antonia, du même âge à peu de différence près, dégourdie et avec un grand cœur, partage les mêmes sentiments religieux que lui » 268. J'ai cependant remarqué que les missionnaires utilisaient des expressions telles que « la loi parmi les Bubis dicte que le fils peut quitter ses parents sans que ceux-ci aient le droit de le réclamer », ou encore « leur loi exige que le garçon (mais pas la fille) s'émancipe une fois atteint l'âge de raison ». Un anthropologue clarétain actuel269 met au clair le cycle vital traditionnel des jeunes bubis qui, somme toute, vivaient seuls avec leur mère pendant toute la période d'allaitement ; puis allaient vivre dans la famille de la mère (dans le village de la tante ou de l'oncle maternel) ; et arrivés à l'âge de la puberté, revenaient au village du père pour s'engager dans leur vie d’adulte indépendant. Cette indépendance se manifestait par le fait qu'ils vivaient seuls jusqu'au mariage ; mais au cours de cette période, ils recevaient toutes sortes d'enseignements autant matériels que moraux et spirituels (la chasse, la production du vin de palme, la construction de la maison et de la chapelle

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« Es éste un joven de unos veintiún años, natural de San Carlos, llamado Pedro, de los primeros que se refugiaron en aquella Casa-Misión luego de fundada ; y a pesar de los dicterios, amenazas y burlas de los demás bubis, permaneció firme en su propósito. Ha sido siempre, y es aún ahora, un modelo de docilidad, y aunque casado, está pendiente de la voz de los Padres Misioneros como el menor de la escuela. Su mujer, llamada Antonia, de su edad a corta diferencia, lista y de buen corazón, le acompaña en los mismos sentimientos religiosos ». [P. Ermengol Coll], lettre de la Mission de Santa Isabel, du 14 avril 1894. In : Anales de la Congregación de los Misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María, volume 4, 1893-1894, p. 452-453. 269 Martín del Molino, 1989 : 436-451

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vouée à l’esprit personnel, le culte aux ancêtres...) guidés par leur père et un initiateur ( « obetyi » )270. À nouveau donc, un fait institutionnel indigène dont les missionnaires surent tirer profit à la suite d'une interprétation euro-centrique du phénomène271 : cette « entrée dans la société humaine » qui représentait pour les Bubis le retour au village paternel était conçue par les clarétains comme une « majorité d'âge » ou comme une « émancipation », deux concepts juridiques européens, du fait que le jeune homme allait vivre seul et construisait sa propre maison. L'insistance des missionnaires à ce sujet ne partait donc pas d'une étude approfondie de la culture indigène, mais de leur besoin de légitimer la situation de ces garçons qui, « évadés » de leur maison et « réfugiés » à la Mission, méritaient la « protection » des religieux et des autorités face aux possibles « réclamations »de leurs parents ou de quelqu'un de leur famille qui, d'après cette version, ne posséderaient aucun « droit » sur les élèves. Comme on le verra plus tard, le profit tiré d'une institution locale n'exploitait que partiellement les possibilités, car si les missionnaires réclamaient pour leurs internes le « droit » traditionnel de vivre éloignés de leur famille, ils n'acceptaient pas, en revanche, le reste de l'institution, qui impliquait bien d'autres choses : que le jeune homme devait continuer à être éduqué par son père et par un « obetyi » (soit « Prêtre des idoles », soit « Prêtre du diable », pour les clarétains), qu'il devait maintenir les liens familiaux, et qu'il devait se marier selon les intérêts de l'ensemble de la famille et du groupe. J'ai parlé plus haut de la perception qu’avaient les clarétains des Africains. Nous pouvons maintenant parler du phénomène inverse : pour les Africains, un bon rapport avec les Européens pouvait toujours leur rapporter quelques bénéfices. Ce qui était aussi le cas pour les missionnaires. Mais, au fur et à mesure que le modèle clarétain s’enracinait plus profondément, l’image du missionnaire, pour une bonne partie de la société guinéenne, devint négative : c'était celui qui essayait de détruire leur modèle de famille ; celui qui voulait s'emparer des jeunes pour les éloigner de la société où ils étaient nés. L'équivalence de cette perception avec celles d'autres constructions symboliques appartenant aux sociétés de cette zone africaine a

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D’autres études sur les cultures guinéennes en général : Baguena, 1957 ; Bonelli, 1944 ; Castillo, 1966 ; Ceruti, 1928 ; Gonzalez Conesa, s/d ; Gonzalez Echegaray, 1959 ; Granda, 1984. Pour une compréhension de la culture des Bubis, vid. aussi : Aymemi, 1942 ; Bonelli, 1934 ; Crespo Gil-Delgado, 1949 ; M Martín del Molino, 1956 ; Manfredi, 1950. Pour les Fangs : Alexandre & Binet, 1951 ; Nguema, 1989 ; Ocha’a, 1981 ; Panyella, 1959 ; Trajeda, 1946 ; entre d’autres. Pour les Ndowe (y compris les Bengas) : Fons, 1997 ; Iyanga, 1992 ; Mangado, 1925. 271 vid. aussi : Monnier, 1995

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déjà été décrite par d'autres auteurs272. Ajoutons que tout cela se déroulait dans le contexte colonial espagnol, lorsque pour les lois péninsulaires la majorité d'âge légal pour les jeunes ne s'obtenait qu'à l'âge de 25 ans ; et que, au delà de la période de mon étude, une fois la plupart des indigènes incorporés au système colonial, ils furent soumis à des « lois d'émancipation » 273 où la jouissance et l'exercice de la majorité ne dépendaient pas de leur âge mais de la reconnaissance de la part de certains organismes officiels formés, entre autres, par des représentants des missionnaires. Tirer profit de cette institution africaine, était donc quelque chose de partiel et d’occasionnel. Le changement d'attitude de certaines autorités indigènes se reflète dans la bibliographie : « Nous avons fait six expéditions aux villages bubis, dont deux auprès du roi Moka, premier botuco de l'île : l'une, dans le but de faire sa connaissance, de lui demander des enfants pour l'école et de lui remettre un costume militaire offert par l’Espagne et d'autres menus cadeaux provenant de la Mission (...). À la demande qu'on lui fit pour qu'il cédât des enfants à la Mission, il répondit que cela n'était pas possible, parce qu'il n’en avait que très peu et en outre parce que le démon se vengerait sur eux. On eût beau faire tout ce qu’on pouvait, mais on ne parvint pas à détruire ses craintes relevant du fanatisme et de la superstition » 274. L'allusion de Moka au « diable », un autre témoignage de la méconnaissance de la culture bubi et de l'interprétation euro-centrique que les missionnaires attribuaient aux faits culturels africains, nous permet de comprendre que les Guinéens développèrent des mécanismes symboliques de défense face à la conduite clarétaine275 : j'en ai étudié quelques uns, comme les changements introduits dans la littérature orale276. La bibliographie clarétaine ne fait pas la lumière sur ce mécanisme : l'opposition de la population s'avérait incompréhensible pour des missionnaires convaincus de leur supériorité culturelle et religieuse ; et elle était donc soit ignorée, soit seulement suggérée, hormis quelques faits spécifiques qui mettaient en relief l' « héroïsme » missionnaire 272

Baczko, 1984 ; Mallart, 1995 Yglesias, 1947 ; Martos, 1944 ; Miranda, 1945 274 « Hemos hecho seis expediciones a los pueblos bubís ; dos de ellas al rey Moka, primer botuco de la isla ; la una con motivo de conocerle, pedirle niños para la escuela y entregarle un traje militar que le regalaron en España, y otros regalitos por parte de la Misión. (...) A la petición que se le hizo de que diese niños a la Misión contestó que no podía ser, porque tenía pocos, y además porque el demonio se vengaría de ellos. No hubo razones capaces de destruir su fanático y supersticioso temor ». Lettre du P. Luis Sáenz, Supérieur de la Mission de Conceción, du 28 juin 1891. In : Anales de la Congregación de los Misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María, volume 3, 1891-1892, p. 218-220. 275 En général, face à la conduite coloniale : un phénomène concernant beaucoup de domaines et dont la bibliographie n’est pas rare : Bureau, 1972 ; Evita, 1953 ; Fernández, James, 1982 ; Gonzalez de Pablo, 1944 ; Mary, 1983 ; Veciana, 1958 ; etc. 276 Creus, 1994b ; 1997c 273

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ou la cruauté de ces « sauvages »: « Ils marchaient sans se douter de rien, tout en parlant, lorsque tout d'un coup ils virent passer au dessus de leurs têtes une pluie de dards ou de lances en bois appelés “ mochika ” par les Bubis, capables de causer la mort. Au début, comme ils ne voyaient rien, ils ignoraient ce qui se passait ; mais, lorsqu'ils se rendirent compte du danger qu'ils couraient, ils rebroussèrent chemin à la hâte et furent épargnés. Ils n’arrivèrent pas à savoir qui leur avait tendu ce guet-apens, mais ils comprirent que désormais ils ne pouvaient plus s'éloigner de la maison sans être convenablement accompagnés » 277 ; « Lorsque les Bubis, pleins de ressentiment, apprirent qu'il était destiné à devenir Supérieur à Batete, ils envoyèrent de Concepción deux messagers pour dire aux Bubis les plus importants : “ Le Père qu’on vous envoie est très méchant. Il a coupé nos palmiers, etc. ”. Ceci, que l'on n'apprit que quelques années plus tard, marqua de façon telle les vieux Bubis qu'ils se détournèrent de la Mission et n'eurent jamais confiance en son Supérieur. Celui-ci, poussé par son zèle, ne se méfia jamais d'eux, les croyant incapables de lui faire le moindre mal ; mais, il est presque sûr que, vu la maladie étrange qui causa sa mort, ils lui administrèrent du poison » 278 ; « Un jour qu’il avait recueilli un enfant à l'école, un Pamue fut sur le point de tirer sur lui presque à bout portant » 279 ; « Le 15 au matin, le F. Vilamasana de San Carlos [Batete] arriva portant une lettre du P. Sala, en disant que les Bubi n'arrêtaient pas de les menacer et qu'ils voulaient retirer les femmes et les enfants de la Mission » 280. Des citations qui prouvent l'existence de l'indisposition d'une partie de la population vis-à-vis de la conduite des missionnaires. Ce sont de petits éclats dans une situation tendue qui à plusieurs reprises impliqua une intervention 277

« Andaban bien descuidados, conversando, cuando, de repente, ven pasar sobre sus cabezas una lluvia de dardos o lanzas de madera llamados por los bubis mochika, capaces cada uno de ellos de causar la muerte. Al principio, como no veían a nadie, no sabían lo que era aquello ; pero, entendiendo luego el peligro en que estaban, retrocedieron a toda prisa sin que les hubiese alcanzado ninguna. No pudieron saber quiénes habían sido los que se ocultaban en aquella emboscada ; pero fue un aviso serio para alejarse de casa sino bien acompañados ». Coll, Ermengol (circa 1900), Misión de María Cristina, éd. de Jacint Creus, p. 23-24. 278 « Resentidos los bubis de esto, al saber que era destinado de Superior a Batete enviaron desde Concepción dos comisionados a decir a los bubis principales : “Ahí os va un Padre muy malo. A nosotros nos ha cortado las palmeras, etc.”. Esto, que se supo algunos años más tarde, quedó entonces entre los bubis viejos, que se retrajeron de la Misión y para nada se fiaron del Superior. Éste, en su celo, no recelaba de ellos ni creía que fuesen capaces de hacerle daño ; pero, por la enfermedad rara de que murió, probablemente le propinaron veneno ». Ibidem, p. 32-33. 279 « En otra ocasión, por haber recogido un niño para el colegio, faltó poco para que un pamue le disparase un tiro casi a boca de jarro ». [Coll, Ermengol] (circa 1908), Crónica de la Casa-Misión de Sta. Isabel. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 6, Carton 1, p. 56. Concerne le P. Tomàs Casassas. 280 « El 15 por la mañana viene el H. Vilamasana de S. Carlos [Batete] con una carta del P. Sala, diciendo que los bubis les están amenazando a cada paso y quieren llevarse de la Misión a las mujeres y niños ». Lettre du P. Coll au P. Mata du 20 novembre 1893, doc. cit.

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menaçante de la part de l'Administration, ainsi que nous l’avons vu au début de ce chapitre (concernant la visite du P. Juanola et du Commandant Cheli au roi Moka) et dans toutes sortes d’occasions : « Il s'efforce avec acharnement de faire travailler les Bubis et de les rapprocher des Européens ; et s’il n’y parvient pas avec la bienveillance, il utilisera des méthodes bien plus dures. Mais, tout compte fait, je crois que nous allons être obligés d'exiger de chaque Muchuku qu'il donne 5 enfants soit à la Mission pour s'instruire, soit aux colons pour travailler dans les propriétés » 281 : desseins qui ne furent jamais accomplis, mais qui nous aident à comprendre la façon d'agir des missionnaires et l’opposition de la population. Cette résistance, à son tour, provoquait une indisposition de la part des missionnaires à l’encontre des plus âgés, à l'opposé de la considération qu’ils éprouvaient envers ceux qui leur étaient favorables : « Il existe une opposition extrême de la part des Muchukus, qui veulent qu'on leur donne du tabac et de l'alcool de canne, voilà en quoi consiste leur religion et civilisation. Les garçons, de leur côté, leur catéchiste à la tête, ont tous commencé à travailler dans leur propriété de cacao. Dieu veuille qu'on n'ait pas d'autre empêchement » 282. Une prévention indiscutable mais qui n'émpêchait pas les missionnaires de tirer de toutes leurs forces pour les « convertir » : « Bien que ces indigènes, notamment les adultes et bien plus encore les vieux, ressentent une prévention contre le baptême, nous en baptisons quand même quelques uns in articulo mortis dans leurs villages mêmes ; d'autres dans nos maisons, ce qui nous permet d'exercer la charité en les soignant de notre mieux, vu que chez eux ils sont dans l'abandon » 283. Tout cela conduisit les missionnaires à acquérir parmi les indigènes une « image » qu'ils avaient d'une part bien méritée, et qui d'autre part était 281

« Ahora ha tomado con gran empeño hacer trabajar a los bubis y acercarlos a los europeos ; y si no puede salir con medios suaves, pondrá otros más fuertes ; pero, en último término, creo que vendremos a parar en obligar a cada muchuku a dar cinco niños a la Missión para instruirse, o a los amos de las fincas para trabajar ». Lettre du P. Ermengol Coll, du 11 juillet 1892. In : Anales de la Congregación de los Misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María, volume 3, 1891-1892, p. 487. Concerne le Gouverneur Eulogio Merchán. 282 « Hay una oposición extrema por parte de los muchukus, los cuales desean se les dé tabaco y caña, y ésta es toda su religión y civilización. Los muchachos, por su parte, con el catequista al frente, han comenzado todos su finca de cacao. Quiera el Señor que no hallemos otro tropiezo ». Lettre du P. Coll au P. Mata, du 18 juin 1893. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1. 283 « Aunque estos indígenas, sobre todo los adultos y más todavía los viejos, tienen mucha prevención al bautismo, no obstante vamos bautizando varios in articulo mortis en sus mismos pueblos ; otros en nuestra casa, teniendo ocasión de ejercitar la caridad cuidándolos mejor, pues en la suya se hallaban desamparados ». Lettre du P. Natalio Barrena, Supérieur de la Mission du Cap de Saint Jean, du 8 juin 1900. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 5, Carton 7.

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renforcée par les anciens et les personnes qui avaient le plus d’autorité comme arme de défense face à la nouvelle situation subie : « La Mission en territoire bubi est très difficile, car comme fruit de notre travail nous ne récoltons que des calomnies, ce qui n'est pas rien. Ils disent que nous tuons les enfants et que nous les mangeons ; que nous les prenons pour les envoyer en Espagne, et que là-bas on les tuera et qu'on leur fera subir mille méchancetés. La peur qu'ils ont insufflée aux enfants est telle qu'ils fuient à la vue d'une soutane comme s'il s'agissait d'une bête féroce. Au plus on les appelle au plus ils s'éloignent. Que Dieu ait pitié des malheureux !, car nous pouvons dire qu'ils ne savent pas ce qu'ils font [Lc, XXIII, 34]. Le pouvoir du démon sur eux est infini : et comme c'est notre principal ennemi, il n'est pas étonnant qu'il nous fasse la guerre les rendant réfractaires à la Mission, car ils n'arrêtent pas d'accourir à lui et de faire des sacrifices pour qu'il les aide dans toutes leurs œuvres, et ils sont persuadés de son pouvoir illimité : de sorte que si un missionnaire tombe malade et doit quitter la Mission, ils disent que le démon l'a puni parce qu'il est son ennemi, etc. » 284. Il faut dire que souvent cette sorte de résistance remportait un certain succès : « Lorsque ces malheureux ont quelques ennuis, leur superstition invétérée les amène à consulter le démon dans une grotte qu'ils ne montrent à personne. Le Muchuku de Rebola avait un fils à la réduction qui décéda de mort naturelle, mais le père du mensonge le persuada qu'il était mort parce qu'il était à la Mission ; on peut donc imaginer l'alarme qui souleva le village. Résultat, des 10 enfants de la réduction, il n'en resta que 5 » 285. Or, cette image 284

« La Misión en bubis es espinosísima, pues de nuestros trabajos recogemos calumnias, las cuales nos hacen no pequeño daño. Dicen que matamos los niños y que nos los comemos, que los cogemos para mandarlos a España y allí los matarán y harán mil diabluras con ellos. Tan horroroso es el miedo que les han infundido a los niños, que huyen de las sotanas como de una fiera ; cuanto más se les llama más lejos se retiran. ¡Dios tenga compasión de los infelices!, pues bien podemos decir no saben lo que se hacen. Es muy grande el poder que tiene el demonio entre ellos ; y como es nuestro capital enemigo, no es de extrañar nos haga cruda guerra haciéndoles refractarios a la Misión, pues continuamente le están consultando y haciéndole sacrificios para que les sea propicio en todas sus obras ; y están persuadidos de su poder ilimitado, de modo que si un misionero enferma y tiene que ausentarse de la Misión, ya dicen que le castiga el demonio por ser su enemigo, etc. ». Lettre du P. Luis Sáenz, Supérieur de la Mission de Concepción, du 25 octobre 1890. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 6, Carton 9. 285 « Cuando a estas desdichadas gentes les ocurre algún percance, su inveterada superstición les lleva a consultar al demonio en una cueva que ellos no quieren enseñar a nadie. El muchuku de Rebola tenía un hijo en la preceptoría y murió de enfermedad natural, pero el padre de la mentira le persuadió que había muerto por estar en la Misión ; con lo cual ya puede suponerse qué alarma se levantaría en el pueblo. Resultado, que de diez niños que había en la preceptoría quedaron reducidos a cinco ». Lettre du P. Ramon Albanell, de la Mission de Santa Isabel, du 30 avril 1893. In : El Iris de Paz, o sea El Inmaculado Corazón de María, 1893, p. 230-233. Par contre, dans une autre lettre du même jour et auteur, éditée dans les Anales de la Congregación de los Misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María, volume 4, 1893-1894, p. 96-101, il affirme que tous les garçons quittèrent la Mission et les adultes les propriétés.

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négative ne se répandit pas seulement parmi la population guinéenne mais elle fut présente, accompagnée d'autres formulations et raisonnements, parmi la population européenne et l'administration coloniale. Rappelons la citation du chapitre antérieur qui reflétait l'opinion généralisée que les clarétains obligeaient les garçons à épouser de force les filles des internats conceptionnistes. Face à tous ces obstacles, les missionnaires réclamaient instamment la « protection » administrative : « Ce qui contribuerait grandement à ce qu'on puisse obtenir un fruit plus abondant et soulagerait notre labeur (ce qu'avait déjà sollicité le Rd. Père Général au sous-gouverneur lui-même sans que celui-ci ait fait quoi que ce soit) serait : tout d'abord, éditer un décret obligeant tous les garçons et filles à aller à l'école, imposant une petite amende aux insouciants ou aux négligents. Ceci serait facile, étant donné les conditions de l'île ; et, quant à nous, cela nous épargnerait tous ces voyages que, au détriment de notre santé, nous sommes obligés d'effectuer pour obtenir des parents la permission d'amener leurs enfants à l'école. (...) Une autre des choses auxquelles le gouvernement pourrait contribuer pour améliorer la situation, s’il en avait la volonté, serait de défendre aux chrétiens, hommes ou femmes, de se marier selon les mœurs du pays sans suivre les ordres canoniaux. Car, tant qu'ils gardent ce précepte ecclésiastique, ils n'ont aucun mal à observer tous les devoirs d'un bon chrétien ; en revanche, une fois qu’ils ont rompu cet engagement envers Dieu, ils se laissent complètement aller pour s'adonner à nouveau à l'infidélité » 286. Une citation qui nous rappelle que les clarétains, qui cherchaient à rendre l'école obligatoire ainsi que la « protection » du gouvernement face aux prétentions des parents à « récupérer » les élèves des internats, avaient comme but final non pas les écoles et les internats mais le « changement » de la société. Et ils ne cessaient de clamer la bonté de la collaboration administrative, lorsqu'elle existait : « Nos rapports avec le Sous-Gouverneur d'ici, M. Ramón Trujillo, sont très bons. Heureusement, 286

« Las cosas que contribuirían mucho a alcanzar más copioso fruto y nos aliviaría el trabajo notablemente (lo cual ya se lo pidió al mismo Subgobernador el Rmo. P. General y no ha cumplido nada) serían : en primer lugar, dar un bando mandando que todos los niños y niñas acudan a la escuela, imponiendo una pequeña multa a los descuidados o negligentes ; lo cual sería muy fácil de conseguir, atendidas las condiciones de la isla, y nos libraría con esto de tener que dar nosotros tantas vueltas, en detrimento de la salud, para obtener de los padres que permitan a sus hijos venir a la escuela. (...) Otra cosa en que el Gobierno podría hacer un gran bien, si tuviera un poco de buena voluntad, sería en prohibir que los cristianos, sean hombres o mujeres, se casen según las costumbres del país sin hacerlo canónicamente. Porque, mientras guarden este precepto eclesiástico, fácilmente observan todos los demás deberes de buen cristiano ; pero, una vez roto ese compromiso con Dios, ya se abandonan por completo y se entregan de nuevo a las costumbres de la infidelidad ». Lettre du P. Jacint Guiu, Supérieur de la Mission de Corisco, au P. José Mata, du 30 août 1893. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1.

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car je crois qu'autrement autant cette école que celle de Santa Isabel perdraient rapidement tous leurs enfants, pour la raison que vous n'ignorez pas » 287. Ce qui me paraît le plus significatif c'est que là où l'autorité administrative exerçait son autorité, c'est-à-dire à Santa Isabel, il suffisait que celle-ci n'offre pas son support aux clarétains pour que les internats en subissent les conséquences parfois inattendues : ainsi donc, lorsqu'en 1891 le gouverneur Barrasa, qui acceptait de bon gré que les garçons et les filles aillent à l'école sans être pour cela internes si telle était la volonté de leurs parents, ordonna que les jeunes filles, élèves des conceptionnistes, soient livrés aux familles qui les réclamaient, le résultat fut spectaculaire : « Les bonnes Mères n'ont pu garder qu'une fille de cette ville et trois de Corisco » 288. Un résultat qui nous dit tout ; et qui explique le fait que les missionnaires fassent en sorte que ce décret du gouvernement ne parvienne pas aux autres Missions : « Malgré tout cela, il chercha à faire la même chose pour les enfants de San Carlos [Batete] et Concepción, si bien qu'il envoya à cette dernière la canonnière “ Pelícano ” ordonnant péremptoirement à son commandant d'apprendre aux Bubis qu'ils pouvaient retirer leurs enfants de l'école, dès qu'ils le voulaient. Le P. Juanola profita de ce voyage pour s'y rendre à son tour et, une fois arrivé sur la plage, lorsque quelques Bubis se présentèrent pour savoir pourquoi le bateau était là, M. Gutiérrez, le commandant, leur dit très sérieusement : “ Celui qui veut retirer les enfants de l'école, peut le faire aussitôt ”. Comme il s'exprima en espagnol, les indigènes ne le comprirent pas, et quelque peu effrayés de l'entendre parler si fort, ils demandèrent au P. Juanola “ Que dit-il ? ”. À quoi le Père leur répondit en bubi : “ E ibuale boomo ”, “ Il est très fâché ”. Les pauvres Bubis partirent en courant et dirent à ceux qu'ils rencontraient qu'il allait se passer quelque chose de très grave parce que le commandant était très fâché. Il va de soi que personne n'alla chercher les enfants » 289. 287

« Estamos muy bien con el S. Subgobernador de ésta, D. Ramón Trujillo. Gran suerte tenemos ; si no, creo que tanto este colegio como el de S. Isabel quedarían sin niños, por la razón que ya sabe V. ». Lettre du P. Tomàs Casassas, Supérieur de la Mission d’Elobey, au P. Mata, du 9 juin 1891. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 8, Carton 8. 288 « Que las Madres han quedado con sola una niña de esta ciudad y tres de Corisco ». Lettre du P. Coll au P. Mata, du 21 avril 1891. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1. 289 « A pesar de esto intentó hacer lo mismo con los niños de S. Carlos y Concepción, a cuyo fin mandó a este último punto el cañonero “Pelícano” con órdenes terminantes a su comandante de hacer saber a los bubis que podían sacar a sus hijos de la Misión siempre que gustasen. Fue en el mismo viaje el P. Juanola a dicho punto ; y llegado a la playa, como hubiesen venido seis o siete bubis a enterarse de la causa de la venida del barco, el Sr. Gutiérrez, comandante, les dijo con seriedad : “El que quiera sacar a sus hijos de la Misión puede hacerlo enseguida”. Como habló en español no le entendieron aquellos indígenas ; quienes, algo asustados de ver que les hablaba tan fuertemente, preguntaron al Padre : “ ¿ Qué

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Il est vrai aussi que le temps travaillait en faveur des missionnaires : au fur et à mesure que se créaient de nouvelles familles catholiques et des villages chrétiens à l'abri des Missions, l'attitude des indigènes changea. Et à la fin de la période étudiée dans les limites de mon travail les conflits avaient considérablement diminué. Or, si le « refuge » qu'offraient les Missions aux garçons qui s'étaient échappés de chez eux créa des problèmes, le cas des filles fut si conflictuel qu'il fut nécessaire de trouver d'autres solutions, sans que le temps écoulé eut minimisé la capacité de résistance des sociétés guinéennes.

L' « achat des âmes » Pour les filles, les problèmes s'aggravaient : si une partie de la population bubi se montrait réticente au recrutement persistant de garçons pour les internats des clarétains, les jeunes filles étaient davantage engagées dans des rapports de filiation, de fiançailles ou de mariage. Les accepter, leur offrir un refuge, était une invitation non négligeable au conflit. Dans la vision missionnaire du XIXe siècle, néanmoins, ces rapports familiaux féminins étaient comparés, sinon égalés, à l'esclavage : la dot étant un système d' « achat » des femmes pour être intégrées dans une situation matrimoniale polygame associant la servitude et l'immoralité : « Parmi les indigènes de cette île, le mot mariage, proprement dit, n'est qu'une vente que le père fait de sa fille à un homme qui la demande en mariage, moyennant un prix stipulé. (...) Le fait que la femme soit traitée si vilement part d’un principe général existant dans les peuples sauvages, où loin d’être maîtresse d'ellemême, c'est-à-dire, libre, la fille est dès sa naissance soumise à l'esclavage » 290. Dans la mentalité missionnaire de l'époque, on ne voyait la femme africaine que comme une personne soumise à toutes les vilenies et objet de toutes les brutalités : « À la fin décembre un homme vint nous dire qu'une dice ? ”. El Padre les contestó en bubi : “ E ibuale boomo ”, “ Está muy enfadado ”. Echaron a correr los pobres bubis diciendo a cuantos encontraban que iba a suceder algún percance grave porque el comandante subía muy enfadado. Con esto no hay porqué decir que nadie se presentó a buscar a los niños ». [Coll, Ermengol] (circa 1908), Crónica de la Casa-Misión de Sta. Isabel. AG.CMF, doc. cit., p. 64-65. 290 « Entre los indígenas de esta isla, la palabra matrimonio, propiamente hablando, no es más que la venta que el padre hace de su hija a un hombre que la pide por esposa, mediante el precio que se estipule. (...) El que sea la mujer tan vilmente tratada parte del principio general entre los pueblos salvajes de que la hija no es considerada como dueña de sí misma, o sea libre, sino que nace sujeta a la esclavitud ». P. Joaquim Juanola, El matrimonio entre los bubís. In : El Iris de Paz, 1898, p. 163-164.

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femme était sur le point de mourir, et nous demanda d’aller la baptiser : aussitôt, un Père de cette Maison se rendit au village, mais lorsqu'il y arriva la femme était déjà décédée. Deux ou trois jours après le décès, j'entendis la rumeur que, comme il était coutume chez les Bengas, les parents de la défunte attribuaient sa mort à une servante qui, disaient-ils, lui avait administré un médicament (du poison). C'est pourquoi ils l'avaient attachée et brutalement fouettée » 291. En conséquence, les missionnaires n'hésitaient pas à accueillir toutes les filles qui se rendaient à la Mission, et la sûreté de leur protection s'appuyait sur la prétendue invalidité des institutions matrimoniales propres du pays ; ce qui provoquait en plus des problèmes doctrinaux. « Il s'agit d'une difficulté pour laquelle je voulais vous consulter : au cas où un homme aurait plusieurs femmes qu'il ait achetées, et que l'une d'entre elles veuille se convertir ; mais craignant une trop grande difficulté et de graves conséquences au moment de la séparer de son mari, que faire dans ce cas là ? » 292. Vers 1890, les religieuses conceptionnistes, collaboratrices des clarétains, n'avaient que deux écoles - à Santa Isabel et à Corisco - et 48 filles internes. En revanche, les clarétains disposaient de huit écoles et plus de 300 garçons internes. Un décalage éclatant qui ne s'explique pas seulement par la différence des contingents missionnaires mais par une attitude contraire de la part des segments les plus larges de la population bubi : des parents des filles « sauvées » par les missionnaires faisaient appel à tous les moyens possibles pour les récupérer : « [Un chef bubi] prit une chèvre et alla rendre visite au Père Pinosa : " Mon Père, rendez-moi cette fille et je vous donnerai une chèvre ". " Ce n'est pas possible ", lui répondit le Père. " Alors, je vous en donnerai deux ". " Ce n'est pas possible " - lui répondit-il encore - " même si tu m'en donnes beaucoup. Parce que ce n'est pas moi qui suis allé la chercher ; c'est elle qui souhaite être éduquée comme une catholique ”. (...) Trois ou quatre jours après, des espions apprirent [au chef bubi] que 291 « A últimos de diciembre vino un hombre a avisarnos que una mujer estaba próxima a la muerte, para que fuésemos a bautizarla. Enseguida se dirigió a su pueblo un Padre de esta Casa, pero al llegar ya la encontró difunta. Pasados dos o tres días de esta defunción, oí rumores que, según costumbre de los bengas, los parientes de la difunta atribuían su muerte a una criada, quien, según ellos decían, la había propinado medicina (veneno). Por este motivo la tenían atada y la habían azotado bárbaramente ». Lettre du P. Jacint Guiu, Supérieur de la Mission de Corisco, du 23 janvier 1895. In : Anales de la Congregación de los Misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María, volume 5, 1895-1896. p. 77-81. À propos de la situation de la femme, vid. aussi : Knibiehler & Goutalier, 1985. 292 « Una dificultad quería consultar a V. Emna. : Si un hombre tiene varias mujeres a las cuales ha comprado, y una de ellas quiere convertirse ; pero se prevé grandísima dificultad y graves consecuencias en separarla de su marido, ¿ qué hacemos en este caso ? ». Lettre du P. Ermengol Coll au Cardinal Simeoni, du 2 mai 1891. ASCPF, Scritture riferite nei Congressi : Africa : Angola, Congo, Senegal, Isole dell’Oceano Atlantico, vol. 9, f. 392-395. Vid. aussi : Prudhomme, 1990.

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quelques filles se rendraient sur la plage pour y chercher du riz débarqué. Il s'y rendit aussi, accompagné de trois hommes armés de coutelas. Ils se cachèrent près du chemin et, alors qu’elles étaient occupées, ils prirent la fille et la ramenèrent dans les bois. (...) [Le chef bubi] sut qu'on avait emmené sa fille à Santa Isabel et il alla à pied, de San Carlos, se présenter devant Mr. le Gouverneur, et lui expliqua que la Mission avait enlevé la jeune fille » 293. Les trois citations ci-dessus concernent le même cas, celui de la jeune fille Montserrat Mesabó, première élève de la Mission de María Cristina, qui eut une mort édifiante. L'affaire prit fin à la suite des attaques armées des Bubis contre la Mission - qui produisirent des morts et des blessés - et d'une expédition punitive, ordonnée par le gouverneur, qui parvint à la « pacification » des Bubis de la région et assura le retour de la jeune fille dans l'internat féminin de la capitale. Au début des années 90 ce problème commençait déjà à apparaître, et coïncidait avec la fin des études des premières promotions d’élèves filles des conceptionnistes. Puisqu'on avait trouvé un débouché pour les garçons grâce à la création des propriétés productrices de cacao, il fallait trouver une solution pour les filles, qui, en principe, devaient rejoindre leurs familles dans le cadre des rapports familiaux établis : « Je dois exposer à Votre Rd. une difficulté à laquelle nous nous heurtons dans ces Missions, et qui risque de rendre stérile une partie de nos tâches, à moins de trouver un remède rapide et efficace. Votre R. n'ignore pas que je me rendis tantôt à Elobey et que, quand j'étais là, le P. Casassas m'exprima avec quel ardent désir demandaient d'être baptisées les 17 filles éduquées par une jeune indigène, élève appliquée des religieuses conceptionnistes de Santa Isabel. Nous nous heurtâmes à la difficulté suivante : certaines d'entre elles avaient été achetées par ceux qu'elles appellent leurs maris, dont tous, sauf un, ont déjà d'autres femmes. Si nous ne les rendons pas à leurs maris présumés, qui nous les envoyèrent pour les éduquer, nous créerions un mauvais précédent et il se peut que, par la suite, ils ne nous en envoient jamais plus ; et au cas où nous serions obligés de les leur rendre, comment faire pour complaire à leurs désirs d'être baptisées, obligées comme elles le seront de vivre avec 293

« Tomando una cabra, se fue al Padre Pinosa y le dijo : “ Padre, entrégueme la niña y le daré una cabra ”. “ No puede ser ”, le contestó el Padre. “ Le daré dos ”, replicó él. “ Aunque me dieses muchas ”, repuso el P. “ Yo no he ido a buscar la niña. Ella quiere instruirse para hacerse católica ”. (...) A los tres o cuatro días de haberse presentado al P. Pinosa ofreciendo dos cabras por la niña, supo por los espías que tenía apostados que algunas niñas, entre las cuales estaba Mesabó, habían ido por arroz a la playa. Va con tres hombres armados de machete, se esconden cerca del camino, y, cuando más descuidadas estaban las pobres niñas y dos niños que las acompañaban, salen de su escondite y echan mano de la niña, y a toda prisa se la llevan al bosque. (...) Supo que había sido llevada a Sta. Isabel ; y, emprendiendo el camino a pie desde S. Carlos, se fue a la capital de la Colonia y se presentó al Sr. Gobernador, diciendo cómo la Misión le había robado violentamente la niña ». Coll, Ermengol (circa 1900), Misión de María Cristina, éd. de Jacint Creus, p. 47-50.

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des païens et qui plus est en concubinage ? D'autant plus qu'il se peut très bien qu'elles ne veuillent pas revenir auprès de ceux qui considèrent être leurs maîtres » 294. Il y avait donc opposition au recrutement de filles pour les internats, et conflits graves en cas de recrutement sans le consentement familial ; un nombre réduit de filles dans les internats des religieuses, et un décalage dangereux - entre le nombre de garçons et le nombre de filles - qui risquait de mettre en péril l'objectif missionnaire. Il fallait absolument trouver une solution qui garantisse à la fois la tâche clarétaine d'intégration et la paix sociale. Le Préfet Apostolique lui-même avait envisagé une possibilité : « Comment emmener des filles aux garçons de San Carlos [Batete] et de Concepción : étant donné que le seul moyen d'obtenir les filles des Bubis c'est de les acheter, peut-être pourrions-nous faire usage de ce système en faisant de sorte que les garçons puissent gagner l'argent qu'on leur demande pour elles ? » 295. Un an plus tard, le P. Coll se rendait à la Péninsule dans le but de parler d'un sujet qui était devenu de plus en plus complexe et qui était fondamental pour l'accomplissement du modèle clarétain ; il était donc nécessaire que les missionnaires et l'Administration arrivent à un accord : « Afin d'obtenir de la part du gouvernement de Madrid une protection pour le développement des Missions de San Carlos et de Concepción, qui du fait de l'arrivée des filles des Muchukus s'étant enfuies de chez elles, devaient affronter de nouvelles difficultés. À moins de compter avec le soutien du gouvernement suprême, ces démarches auraient abouti à des résultats contraires à la Mission. Le P. Préfet demanda donc et obtint du Rd. Général et du gouvernement de Madrid la permission de passer à la Péninsule le 5 février 1892, en commission d'office. Là, après un long entretien avec le Rd. P. Gral. et avec le Procureur de ces Missions (le Rd. P. José Mata), il 294

« Tengo que exponer a Su Rma. una dificultad con que tropezamos en estas Misiones, y que amenaza esterilizar parte de nuestros trabajos, de no poner pronto y eficaz remedio. Ya sabe Vuestra Rma. que fuí no ha mucho tiempo a Elobey. Estando en esta isla, el P. Casassas me manifestó las vivas ansias con que le pedían el bautismo las 17 niñas que allí educa una joven indígena, discípula aprovechada de las Religiosas Concepcionistas de Santa Isabel. Tocamos con la dificultad de estar algunas de aquéllas compradas por los que se llaman sus maridos, todos los cuales, excepto uno, tienen ya otras mujeres. Si no las devolvemos a sus presuntos maridos, que nos las entregaron para educarlas, sentaríamos un mal precedente para que en adelante se nos confíe ninguna otra ; y supuesta la necesidad de entregarlas, ¿ cómo podemos acceder a sus deseos de ser bautizadas, habiendo de vivir con gentiles, y con gentiles concubinarios ? A esto se añade que ellas no quisieran volver a los que se consideran sus dueños ». Lettre du P. Ermengol Coll, du 25 septembre 1891. In : El Inmaculado Corazón de María, 1891, p. 363-364. 295 « Modo de procurar niñas a los niños de S. Carlos [Batete] y Concepción : Como entre los bubis no hay modo de tenerlas sino comprándolas, ¿podríamos usar de este medio haciendo que los niños ganaran el precio que por ellas les pidieran ? ». Lettre du P. Coll au P. Xifré, du 30 janvier 1891. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1.

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présenta une sollicitude au Gouvernement de Sa Majesté pour l'obtention du point exprimé plus haut. M. le Ministre, Romero Robledo, consentit à tout ; et au moyen d'un O.R. il donna l'ordre que l'on protège les filles qui, ayant fui leurs vieux polygames, désiraient être instruites et baptisées - afin qu'elles puissent, sans subir un quelconque ennui - être reçues dans l'école des religieuses de Santa Isabel, en qualité d’internes, et qu'elles la quittent pour former des familles chrétiennes, épousant des jeunes hommes éduqués dans nos écoles » 296. Cette disposition gouvernementale297 assurait la protection des jeunes filles accueillies par les internats féminins, sous certaines conditions : • indemniser le mari ou la famille de la dite jeune fille. • payer ces indemnisations sans compter sur le budget colonial. • rassembler toutes les jeunes filles dans un seul internat (celui de Santa Isabel). Cet Ordre Royal, en définitive, consacrait l'efficacité de la tâche missionnaire et ouvrait une porte à la solution de nombreux conflits. Les clarétains en profitèrent, jusqu'à la fin du siècle, pour engager leur « campagne de rachat de jeunes filles captives » 298 : La base de la campagne reposerait sur les apports financiers des bienfaiteurs métropolitains, persuadés par « El Iris de Paz ». Voilà deux éléments qui, sans être nouveaux, ont formé l'axe de la campagne. Il faut dire que la présentation de « cas exemplaires » était une constante dans une littérature missionnaire qui cherchait aussi bien l' « édification » des lecteurs que leur connivence morale et pécuniaire. En fait, nous avons déjà constaté que la tâche des clarétains provoquait un renchérissement continu des frais

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« Para obtener del Gobierno de Madrid protección para el desarrollo de las Misiones de San Carlos y Concepción, que con la venida de niñas escapadas de los muchukus iban a encontrar nuevas dificultades que sin apoyo del Gobierno supremo fácilmente hubieran podido solucionarse en contra de la Misión, el P. Prefecto pidió y obtuvo del Rmo. P. Gral. y del Gobierno de Madrid permiso para pasar a la Península en 5 de febrero de 1892, en comisión de oficio. Allí, después de conferenciar largamente con el Rmo. P. Gral. y con el P. Procurador de estas Misiones (Rdo. P. José Mata), elevó una solicitud al Gobierno de S. Majestad para obtener el objeto arriba mencionado. El Sr. Ministro, que lo era Romero Robledo, lo otorgó todo ; y por medio de una R. O. mandó que se protegiera a las muchachas que, escapadas de sus viejos polígamos, desearan instruirse y bautizarse, a fin de que pudieran -sin molestia de nadie- ser colocadas por una temporada en el colegio de religiosas de Sta. Isabel en calidad de internas, y de allí salieran para formar familias cristianas, enlazándose con jóvenes educados en nuestros colegios ». [Coll, Ermengol] (vers 1908), Crónica de la Casa-Misión de Sta. Isabel. AG.CMF, doc. cit., p. 69-70. 297 Ordre Royal du 9 avril 1892. Publié dans : El Iris de Paz, o sea El Inmaculado Corazón de María, 1892, p. 154-155. 298 Creus, 1996e, 1997d

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missionnaires ; l'Ordre Royal qui allait permettre le « rachat des jeunes filles captives » s'engageait à ne pas les augmenter davantage. À partir de ce moment-là, « El Iris de Paz » attirera l'attention des lecteurs sur des cas posés par des jeunes filles indigènes désireuses d'entrer dans les internats missionnaires. La présentation des cas suivra toujours un schéma semblable : • l'accentuation des caractéristiques les plus effrayantes de la situation des jeunes filles par rapport aux éléments masculins de leur cercle familial : la condition polygame du mari, le paiement de la dot pour l' « achat » de la fille, le manque de conformité de la dite jeune fille aux conditions du mariage ou des fiançailles, sa situation de dépendance, etc. • en revanche, le désir de la jeune fille de devenir chrétienne : élève des religieuses, puis mère de famille catholique, enfin femme au foyer ; le modèle occidental du rôle féminin étant envisagé comme « libérateur » pour la femme africaine. • la mise en place, par le mari et la famille de la jeune fille, de nombreux obstacles pour empêcher son désir, taxé d'illégitime ; et la réaction courageuse de la fille, dans le but de prouver sa conviction, sa persévérance, la solidité de ses idées. • par conséquent, la nécessité d'aider la jeune fille, moyennant un apport économique qui la délivrât de ses liens familiaux. Voici, par exemple, l'histoire de Filomena Mapula, une femme benga de l'île de Corisco, la première des filles « rescapées » : « Quand elle était toute petite, elle fût baptisée par les missionnaires jésuites, selon le désir, il faut le supposer, de sa mère. Mais, étant donné que son père n'était pas chrétien, celui-ci a disposé de sa fille comme pour les autres de ses enfants, la livrant à un des protestants les plus importants de l'île, qui a, actuellement, environ quatorze femmes. Dieu seul sait les souffrances qu'elle a endurées et les larmes qu'elle a versées. (...) Nous avons négocié avec lui pour son rachat, et nous lui avons demandé combien il avait payé pour elle. Le lendemain, il est venu portant un cahier où il avait écrit une longue liste de pagnes, carabines, bouteilles, assiettes, fers et d'autres marchandises, dont le total remontait à environ 150 duros. La jeune fille et d'autres indigènes dignes de foi nous ont assuré que le prix était moins élevé : on ne paie ici ce prix-là pour aucune femme. Mais ils ne pouvaient pas le prouver, et voilà une nouvelle difficulté. Nous lui avons proposé de lui donner 300 ptas en argent et de les lui verser aussitôt, parce que nous croyions que s'il les voyait il s'en contenterait ; mais il n'a pas accepté, se justifiant par le fait que, parmi les Bengas, il y avait l'habitude de payer en espèces les mêmes marchandises délivrées auparavant. Nous avons accepté de lui donner la somme qu'il

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demandait, assurés que nous pourrions en libérer d'autres à un prix plus basé » 299. La question, en définitive. se posait de la façon suivante : il fallait rembourser à la famille de l'homme les marchandises qu'il avait payées comme dot pour le mariage ou les fiançailles, dans l'intention de le faire renoncer à ses droits sur la jeune fille ; étant bien entendu que, sans être formellement exprimée, telle prérogative revenait aux missionnaires. C'était alors que les clarétains pouvaient décider de l'avenir de la femme « rachetée », qui suivait toujours un même parcours : elle entrait dans l'internat féminin des religieuses, où elle recevait une éducation catholique pour devenir une bonne épouse et une mère de famille ; après son baptême, les garçons des internats pouvaient la choisir comme épouse ; finalement, elle s'installait comme membre d’une famille catholique dans les villages des Missions. Le succès de ces rachats paraissait assuré : « Les seuls fruits, R.P. qui nous apportent quelque réconfort, sont ceux que l'on a obtenus grâce à l'aide de ces charitables bienfaiteurs, en rachetant quelque fille. Une fois mariées et reconnaissantes du bienfait qu'elles ont reçu, elles se sentent obligées de vivre près de la Mission où elles sont surveillées et corrigées, et leur comportement est vraiment satisfaisant » 300. Effectivement, le mariage des filles atteignait le point culminant du projet missionnaire des clarétains, qui avaient l'air d'ignorer qu'ils ne faisaient, en fait, qu' « acheter » les « droits » des filles ; et que, pour elles, les missionnaires étaient devenus les 299

« Siendo aún muy niña, fue bautizada en Corisco por los Padres Jesuítas, a instancia sin duda de la madre ; mas como el padre no era cristiano, dispuso de su hija como de las demás, entregándola a uno de los primeros protestantes de la isla, que actualmente tiene unas catorce mujeres. Lo que ha sufrido la pobre y las lágrimas que ha derramado sólo Dios lo sabe. (...) Entramos luego en tratos con él para su redención, y le preguntamos cuánto había dado por ella. Al día siguiente se presenta con un cuaderno en que tenía escrita una larga lista de taparrabos, escopetas, botellas, platos, hierros y otros géneros, que ascendían, según el precio que aquí se compran, al valor de unos 150 duros. Asegurónos la muchacha y algunos otros indígenas fidedignos que no era tan subido el precio que habían dado a su padre, pues nunca se da tanto aquí por mujer alguna ; pero no lo podían probar, y hénos aquí en otra dificultad. Propusimos darle 300 pesetas en plata y pagárselas sobre la marcha, confiando que, viéndolas al ojo, se conformaría ; mas no quiso, alegando que era costumbre entre bengas devolver en especie lo mismo qie se había dado. Al fin determinamos entregarle lo que pidió, confiando que podremos redimir algunas otras por menos precio ». Lettre du P. Ermengol Coll, du 17 octobre 1892. In : El Iris de Paz, o sea El Inmaculado Corazón de María, 1892, p. 360-362. 300 « Los únicos frutos, R.P., que nos dan algún consuelo, son los que hemos conseguido con los auxilios de esos caritativos bienhechores, rescatando alguna niña ; porque como éstas, después de casadas, por el favor recibido se ven obligadas a vivir al lado de la Misión, en donde son vigiladas, avisadas y corregidas, se portan de una manera más satisfactoria ». Lettre du P. Jacint Guiu, Supérieur de la Mission de Corisco, au P. José Mata, du 30 août 1893. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1.

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nouveaux détenteurs de ces « droits » et que, par conséquent, ils pouvaient décider qui elles devaient épouser. Le prix payé pour « récupérer » Filomena Mapula étant considéré comme excessif, les clarétains établirent une somme de référence de 150 pesetas par fille, qui permettait, par exemple, l'achat de « quarante pièces de fer d'un mètre par pièce (monnaie fang), quatre carabines, trente coutelas, dix pièces de toile de cinq mètres par pièce, trois pesos de rhum, un peso de tabac, trois vestes et dix marmites en fer » 301. La réception des marchandises ne réglait pas l'affaire : l'ex-mari devait encore signer un contrat pour confirmer sa renonciation aux droits qu'il avait sur la jeune fille. En cas de conflit, l'administration considérerait le contrat pour les intérêts missionnaires suffisant. Les listes de donations et de jeunes filles « rescapées » étaient régulièrement publiées dans « El Iris de Paz ». Les aumônes prenaient une destination concrète, de manière telle que chaque donateur pouvait connaître le nom de la jeune fille qu'il allait « rédimer », sa provenance et son histoire. En général, il avait aussi le droit de choisir son nouveau nom chrétien et de recevoir une copie du contrat signé par l'ex-mari. Exception faite du contrat, ce sont les données contenues dans le journal, qui arrivait même à diffuser des photos des jeunes filles. À tout cela, il faut ajouter des bienfaiteurs habituellement en contact avec les clarétains, qui utilisaient une voie directe pour atteindre l'objectif de devenir « protecteurs-parrains » des jeunes filles : « Désormais, nous travaillerons avec acharnement pour satisfaire les désirs de Mme. Josefa Rosell. Ses désirs sont nobles et saints. L'affaire est déjà à demi-réglée. J'espère que je pourrai vous écrire de nouveau le 18 mai, et que l'affaire sera réglée. Nous lui avons déjà cherché une jeune fille » 302. À mesure que la campagne avançait, la disposition des collaborateurs grandit ; si bien que, souvent, l' « Iris » devait avouer ses difficultés à placer l'argent reçu. C'est pourquoi, petit à petit, la campagne de rachat élargit ses 301 « Cuarenta barras de hierro de un metro cada una (dinero pamue), cuatro escopetas, treinta machetes, diez paños de cinco metros uno, tres pesos en rom, un peso de tabaco, tres chaquetas y diez ollas de hierro ». Lettre du P. Manuel Mallén, de la Mission de Santa Isabel, s/d. In : El Iris de Paz, 1898, p. 197-199. 302 « Desde este momento trabajaremos con empeño para complacer a Doña Josefa Rosell en sus tan nobles y santos deseos. Con el Rdo P. Prefecto tenemos ya medio hilvanado el asunto. Confío que para el 18 de este mayo le volveré a escribir, arreglado ya el asunto. La niña, la tenemos buscada ». Lettre du P. Joaquim Juanola au P. Ramon Homs, Supérieur de la Maison de Barcelone, du 5 mai 1896. APG CMF, Copiador de cartas y telegramas de la Administración de Santa Isabel, doc. cit., f. 48.

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objectifs : les aumônes furent utilisées aussi pour le « rachat » de garçons ; et pour payer des dots aux élèves des internats ; ainsi que pour payer des dots propres : « Le Père Bolados venait de donner à la famille de la fille, âgée seulement de sept ans, une somme suffisante pour renoncer à tous leurs droits sur elle, afin que ses parents ne puissent empêcher son mariage, une fois parvenue à l'âge nubile » 303. Cet élargissement n'obéit pas seulement au bon succès de la campagne chez les fidèles métropolitains. Il y avait encore une grande opposition de la part de la population bubi au recrutement des filles pour les internats, malgré le paiement des dots. Ainsi, par exemple, les clarétains avouent 90 possibilités de rachat de jeunes filles disposées à accéder aux internats, jusqu'à la fin de 1893 seulement. Or, ils n'ont pu résoudre que 25 cas. Tandis que, pendant toute cette période, les lettres des missionnaires ne cessaient de proclamer le grand problème : « Nous nous heurtons à un obstacle énorme : il nous est impossible de trouver aisément des compagnes pour nos garçons à marier, souhaitant vivre saintement et s'installer près de la Mission » 304.

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« Acababa el Rdo. Padre Bolados de dar a la familia de la niña, que sólo contaba siete años, la cantidad suficiente para que en adelante renunciasen sobre ella todo derecho, con el propósito de que no le pusiesen ningún impedimento para casarse al llegar a la edad núbil ». Lettre du P. Manuel Mallén, de la Mission de Santa Isabel, du 7 novembre 1899. In : El Iris de Paz, 1899, p. 19-21. 304 « Tenemos también el extraordinario inconveniente de no poder fácilmente encontrarse compañera algunos jóvenes ya casaderos, en circunstancias en que desean vivamente ser buenos y estar al lado de la Misión ». Lettre du P. Josep Sutrias, de la Mission du Cap de Saint Jean, au P. Climent Serrat, du 11 octobre 1895. AG CMF, Section F, Série N, Boîte 8, Carton 8.

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La campagne ne fut donc pas une solution définitive, ni pour les jeunes filles désireuses d'entrer dans les internats ni pour les espoirs des missionnaires. Quoiqu’il en soit, ce fut un des éléments importants dans la construction de l'idéal clarétain : 25 filles « rescapées » jusqu'à la fin de 1893, ce qui répresente un accroissement considérable des effectifs féminins, 52% de l'ensemble initial. Et, au cours de la période 1892-1900, le nombre total de jeunes-filles rachetées est de 66, d'après les renseignements de l' « Iris » avec un vide étrange entre 1894 et 1896, difficile à évaluer). C'est pourquoi ils ont toujours insisté sur le maintien des lois permettant le « rachat » ; et, en général, au maintien de toutes les lois « protectrices » des jeunes filles réfugiées dans les Missions catholiques : « Je viens de lire qu'on va constituer un abrégé de législation civile, pénale et processale applicable à Fernando Póo. À l'égard de cette possibilité, je crois qu'il faudrait veiller aux mœurs des Bubis : pour les garçons, ils ont l'habitude, une fois atteint l'âge de raison, d'aller là où ils veulent, parce qu'ils sont considérés comme émancipés. Mais, les filles, ils les vendent, souvent à leur insu ; si elles parviennent à échapper, soit parce qu'elles n'aiment pas leur mari soit pour tout autre raison, s'ils arrivent à les rattraper, il est fréquent, pour les punir, de les attacher à un arbre et de les frapper pendant une ou deux heures, pour satisfaire le mari qu'elles ont fui. C'est pourquoi, je crois qu'il faudrait maintenir les Ordres Royaux actuellement en vigueur, qui permettent à la fille librement réfugiée dans la Mission de ne pas être réclamée par ses parents ou par son mari. Si on ne peut pas faire consigner

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ceci, nous serions exposés à laisser partir vers les bois beaucoup de filles éduquées grâces à nos sacrifices, parce que les Bubis les reclameraient de nouveau au gouvernement » 305. La pénétration missionnaire n'était pas seulement territoriale. Elle cherchait aussi à changer les mentalités, l'intérieur des personnes, leur conviction personnelle. À mesure que le temps avançait, une partie des habitants adoucirent leur position : « Les pauvres vieux restent seuls. Ils disent qu'il leur faudra aussi se réfugier à la Mission. Il n'y a pas longtemps que, à peu de distance dans le temps, trois filles se sont échappées pour aller à la Mission, dont deux appartenaient à deux rois importants et la troisième au prêtre des idoles. Le P. Sala craignait quelques troubles et il est allé leur rendre visite. Il les a vus assemblés pour décider la manière de récupérer les filles. Ils ont discuté tranquillement et le Père a pu les apaiser. L'un a dit : « Moi, la seule chose que je regrette c'est d'avoir perdu ce qu’elle [la fille] m'a coûté ». « La Mission va t'indemniser », lui a répondu le P. Sala ; « Combien est-ce qu'elle t'a coûtée ? » Babela (c'est le nom de ce roi-là) a pris des petit bâtonnets qui signifiaient : les uns, des carabines ; les autres, du gibier ; les autres, des poules, etc. On l'a indemnisé, à peu près de 210 pesetas. Mais, le plus drôle, ce sont les imprécations que tout le monde lui a adressées, y compris ses domestiques, parce qu'il avait demandé cette somme-là à la Mission. Si bien que les deux autres n'ont pas eu envie de suivre son exemple » 306.

305 « Acabo de leer en un suelto que van a dar algún compendio de legislación civil, penal y procesal aplicable a Fernando Póo . Sobre esto creo habría que tener presentes las costumbres de los bubis, quienes, respecto de los niños, tienen por ley que llegados al uso de razón pueden ir donde quieran, o sea se consideran emancipados. Las niñas las venden, a veces sin saber ellas nada, y si, por no gustarles el marido, u otro motivo, se escapan y pueden cogerlas, es frecuente entre ellos el castigarlas colgándolas de un árbol por los brazos o muñecas, y así apalearlas una hora, dos horas, hasta que queda satisfecho el enfado del marido de quien se escapó. Por cuyo motivo creo sería conveniente dejar vigentes las RR.OO. dadas hasta aquí por las cuales no pueda ser reclamada por sus padres o marido la mujer o niña que libremente se refugiare en la Misión. Si no se consignara esto, estaríamos expuestos a que por las autoridades se nos obligara a enviar de nuevo al bosque estas criaturas educadas a costa de nuestros sacrificios, porque los bubis las pedirían de nuevo al Gobierno ». Lettre du P. Coll au P. Mata, du 1er. octobre 1896. AG CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1. 306 « Los pobres viejos van quedándose solos, y dicen que al fin también habrán de refugiarse a la Misión. Hace pocos días se escaparon casi a un tiempo tres muchachas a la Misión : dos eran de dos reyes principales, y la otra era del sacerdote de los ídolos. Temía el P. Sala algún disturbio, y fue a visitarlos, y los halló reunidos, tratando de cómo las cogerían de nuevo. El Padre, con buenas palabras, fue introduciéndose y calmándolos, hasta que uno de ellos dijo : “ Yo no siento sino perder lo que me costó ”. “ Ya te indemnizará la Misión”, le contestó el P. Sala ; “ ¿ Cuánto te costó ? ”. Sacó Babela (reyezuelo aludido) un fajo de palitos de diversas clases, los cuales significaban : unos escopetas, otros piezas de caza, otros gallinas, etc. Se le indemnizó, unas 210 pesetas entre todo. Pero lo bonito fue después, las increpaciones que tuvo que sufrir de todos, hasta de sus mismos criados, porque había exigido aquella suma de

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Cette position coexistera avec son opposé. Ainsi, quinze ans plus tard, quand le gouverneur Ángel Barrera voudra convaincre les Fangs de la région continentale de s'installer à Fernando Póo, il leur assurera que « les Pères ne pourront rendre visite ni à leurs familles ni à leurs villages, pour qu'ils ne puissent pas leur enlever leurs femmes »307. L'attitude des indigènes face à celle des missionnaires était, donc, comme autrefois, diversifiée. Le soutien d'une partie de la population et le développement des « villages catholiques » feront décliner la campagne, qui disparaîtra de « El Iris de Paz » (et des lettres des missionnaires) à partir de 1901. Néanmoins, tout au long de la campagne, il y eût une grave contradiction, un paradoxe essentiel à souligner : Les missionnaires clarétains croyaient ne pas pouvoir accepter la validité des institutions familiales et matrimoniales des Bubis : ils concevaient les dots comme des « achats » qui entachaient la condition féminine et rapprochaient cette institution de l'esclavage et de la soumission immorale des femmes. Mais, pour les « sauver », en fait, ils utilisaient les institutions bubis, ils « rachetaient » les droits sur les jeunes filles indigènes pour en tirer un profit, un avantage : remplir les internats féminins et pouvoir « offrir » des compagnes, des « femmes catholiques », aux garçons qu'ils avaient élevés. Un objectif partiel qui acquit son sens dans le cadre plus général d’une évangélisation interprétée en même temps comme une adhésion religieuse et une reconversion sociale, lorsque « catholicité » signifiait « uniformisation ». Comment justifier cette contradiction, ce paradoxe? On découvre une argumentation bien simple, un paralogisme sournois : les clarétains, et leurs bienfaiteurs, n'achetaient pas des filles, ils achetaient des âmes : « L'achat des âmes ! Voilà l'objectif de vos aumônes charitables. Depuis le commencement de cette quête pour " sauver des jeunes filles africaines ", beaucoup de cœurs charitables ont su apprécier la situation des êtres malheureux qui gémissent sous l'oppression et la tyrannie des polygames bestiaux, dont l'avarice fait échouer le zèle du pauvre missionnaire. Grâce à vos aumônes, beaucoup de filles ont déjà conquis leur liberté ; si autrefois elles étaient des esclaves, aujourd'hui elles sont devenues libres, mères chrétiennes d'enfants chrétiens ; et les uns et les autres bénissent Jésus Christ et la main généreuse dont elles se reconnaîssent débitrices »308. la Misión. De modo que los otros dos no tuvieron ganas de seguir su ejemplo ». Lettre du P. Coll au P. Mata, du 4 février 1896. AG.CMF, même localisation. 307 « Ni los Padres visitarán sus familias o poblados donde se establezcan para que no les quiten sus mujeres... ». Lettre du P. Joaquim Juanola au P. Eusebio Sacristán, clarétain du Collège de Segovia, du 1er. septembre 1911. AG CMF, Section F, Série P, Boîte 10, Carton 9. 308 « ¡ La compra de almas ! He aquí el destino sublime de vuestras caritativas limosnas. Desde que se inició en estas columnas la suscripción para el " rescate de niñas africanas ", muchos han sido los corazones bondadosos que han sabido sentir la situación de aquellos

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J'ai cherché à analyser, dans ces chapitres, la conduite des clarétains en Guinée, leur idéologie et les ressorts dont ils firent usage dans leurs débuts. Je tiens à faire remarquer que cette conduite, qui suivait un modèle et un itinéraire très précis que j'espère avoir décrit avec force détails, mena à des résultats précis ; mais elle fut à l'origine à la fois d'une « image » négative des missionnaires face aux autres secteurs coloniaux et à la société guinéenne en général : des religieux gênants, accapareurs et monopolisateurs qui tenaient leurs élèves presque « séquestrés », les éloignaient de leur famille et les mariaient aux filles des bonnes Sœurs. Interpréter la réalité est autant plus difficile, si nous voulons garder une position objective et du recul. Il va de soi que, du point de vue de la pensée actuelle, l'attitude clarétaine fut, au cours de cette période, fortement censurable, quoiqu’elle représentât, à mon avis, la manière courante d'envisager toute chose dans un secteur de la société spécialement conservateur. Il existait cependant d'autres secteurs dont l'attitude tendait à être plus « moderne » : je rappelle ici la manière d'agir du gouverneur Barrasa, qui était pour le caractère obligatoire de l'assistance à l'école mais pas pour garder les élèves dans l'internat si les parents n'étaient pas d'accord ; ou bien le fait que d'autres gouverneurs firent en sorte d' « ignorer » le contenu de cet Ordre Royal du 9 avril 1892. Cependant cette attitude du gouvernement ne fut pas toujours due à des raisons « progressistes », bien que la plupart des militaires dirigeant la colonie se considérent comme des « libéraux » : « Le jour de Noël de cette année 1899, une femme païenne, qui était allée passer ce jour solennel au village de la Mission de San Carlos, sous la demande persuasive d'un frère à elle voulut rester soit à la Mission, soit chez son frère pour s'instruire et devenir chrétienne : elle appartenait à un homme qui possédait déjà deux femmes, et elle était la troisième. (...) M. le Gouverneur y envoya la canonnière “ Concha ” et demanda à son commandant d'établir un dossier sur ce qui s'était passé et de le lui envoyer. (...) “ De toutes façons ” dit-il, “ personne ne doit être dépouillé de son bien acquis ”, signifiant par là que l'homme dont j'ai parlé plus haut avait un droit sur la femme qui avait voulu rester à la Mission. “ M. le Gouverneur ”, suggéra le P. Juanola “ ceci va contre le droit naturel ”. À quoi répliqua notre homme : “ Il ne s'agit pas ici

seres desgraciados que gimen bajo la opresión y tiranía de bestiales polígamos, ante cuya avaricia se estrella el celo del pobre misionero. Y, gracias a sus limosnas, han conquistado ya su ansiada libertad multitud de niñas, que antes eran viles esclavas y hoy libres, y madres cristianas de hijos también cristianos, bendiciendo unos y otras a Jesucristo y a la mano generosa a quien se reconocen deudores de tanto bien ». Lettre du P. Manuel Mallén, de la Mission de Santa Isabel, du 7 de novembre 1899. In : El Iris de Paz, 1899, p. 19-21 (doc. cit.). Pour ce qui fait l’éducation féminine en Guinée, vid. aussi : Negrin, 1992.

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de suivre le droit naturel, mais la loi. La femme est partout ailleurs soumise ” »309. Je crois que tous les faits historiques peuvent avoir une lecture positive. Peut être bien que la « campagne de rachat des filles africaines » menée à terme par les clarétains prouve leur habilité politique, ce qui n'empêche que leurs images négatives sont indubitables. Dans un contexte où un comportement égalitaire était impensable et où l'essor de la colonisation avait trouvé chez les missionnaires un appui fondé sur leur dévouement personnel au labeur visé, le profit, bien que partiel, tiré des institutions matrimoniales bubis, évita un grand nombre de conflits. Ou, plutôt, évita l'aggravation de beaucoup de conflits, tous provoqués par l'implantation d'un modèle de conversion « totale »310 et par le suivi ardent et intransigeant de ce modèle de la part des missionnaires. C'est donc le moment de rappeler que cette conduite fut mise sur pied en 1884, à l'issue de l'expérience des Pères spiritains de Libreville. C'est là que le P. Ramírez avait rencontré des internats de garçons et de filles ; et dans toute l'Afrique centrale, et même au-delà, les internats religieux de filles cherchaient, parmi d'autres objectifs, à « sauver » les filles, les épouses et les veuves des polygames pour les « éduquer » selon des valeurs « appropriées » et les convaincre de former des familles monogames et catholiques qui devaient être l'embryon de « nouvelles » sociétés chrétiennes. Les caractéristiques des « sikses » et celles des internats conceptionnistes de Guinée coïncidèrent très fortement car, dans le fond, l'efficacité du modèle clarétain n'était que le reflet de l'efficacité des modèles missionnaires voisins, plus contrastés et plus expérimentés. Ce qui peut-être séparait le plus un modèle de l'autre était la « réputation » que se firent les clarétains et qu'ils obtinrent à la suite de cette « campagne de rachat ». Nous avons vu, que, en somme, le pourcentage des filles rachetées, quoiqu'important, n'était pas majoritaire parmi les élèves des 309

« El día de Navidad del mismo año 1899, una mujer gentil que había ido al pueblo de la Misión de San Carlos a pasar aquel solemne día, por persuasión de un hermano suyo quiso quedarse en la Misión, o sea en casa de un hermano, para instruirse y hacerse cristiana. Pertenecía a un hombre que tenía otras dos mujeres, y ella era la tercera. (...) El Sr. Gobernador ordenó pasar allá el cañonero “ Concha ”, encargando a su comandante que formara expediente sobre lo que había pasado y se lo remitiese. (...) “De todas maneras”, dijo, “ a nadie se debe despojar de su derecho adquirido ”. Decía esto para significar que el hombre arriba mencionado tenía derecho sobre la mujer que había querido quedarse en la Misión. “ Señor Gobernador ”, insinuó el P, Juanola, “ esto es contra el derecho natural ”. Aquí replicó nuestro hombre : “ No es el derecho natural el que debe seguirse, sino la ley. La mujer, en todas partes está sujeta ” ». [Coll, Ermengol] (vers 1908), Crónica de la CasaMisión de Sta. Isabel. AG.CMF, doc. cit., p. 87-91. 310 Elphick, 1991

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internats ; en revanche, la conviction que les missionnaires « achetaient » les garçons et les filles des écoles pour les marier entre eux devait être très répandue. Ainsi, M. Le Roy, Vicaire Apostolique de Libreville, vers qui il faut remonter pour la recherche des origines du modèle clarétain, au moment où on aurait pu croire que la dispute des territoires du Muni s'achèverait avec l'incorporation de quelques clarétains à son Vicariat, leur posa comme 5e condition : « Qu’ils évitent, pour recruter des enfants, de les payer, de les acheter, en donnant aux parents une sorte de prime plus ou moins élevée en tissus ou marchandises quelconques. C’est ce qu’ils font. Le gouvernement espagnol leur donne au reste, pour cette propagande, des fonds considérables (4.000 francs par prêtre, 3.000 francs par frère). Mais la position devient par la même difficile pour nous, car nous ne payons rien et ne voulons rien payer aux parents pour instruire leurs enfants. L’argent de la Ste. Enfance n’est pas fait pour cela, et c’est du reste favoriser étrangement les exigences et la corruption des mœurs et des caractères »311. Deux comportements différents dans la manière d'obtenir des élèves, aussi ignorants l'un que l'autre mais portés par un même objectif immédiat : la « protection » de la femme dans des sociétés avilies par la polygamie et d'autres institutions « diaboliques ». L'emploi de mots tels que « rachat » ou « captif » nous mène à considérer les rapports entre l'activité missionnaire et la répression de l'esclavage. Comme je l'ai déjà rapporté, et vu qu'elles étaient nées d'une idéologie philanthropique, l'ensemble de toutes les Missions chrétiennes en Afrique du XIXe siècle peut se considérer comme antiesclavagiste. La volonté de délivrer les Africains de ce triste sort était à la source même de la tâche missionnaire et de là s’ensuivirent toutes les pratiques qui, bien que ne formant pas partie du commerce triangulaire, aparaissaient comme une grave contrainte à la liberté personnelle. Il faut dire cependant que l'activité clarétaine en Guinée commença lorsque la traite d'esclaves avait pour ainsi dire disparu de la zone, sous l'effet des traités internationaux mais aussi, ne nous méprenons pas, parce que cette pratique commerciale tendait à devenir peu intéressante pour les métropoles européennes : pour ce qui est de l'Espagne, certains événements émeutes et guerres - à Cuba rapprochaient les colonies antillaises de la fin de l'esclavage et, au cours de cette même période (1898), de l'indépendance. Cependant, en Afrique, loin d'avoir disparu, la traite s'était déplacée en force, par exemple, sur la Côte Orientale312 ; ce qui est démontré par les 311

22 mars 1898, Conditions auxquelles la juridiction pourrait être accordée aux Pères de la Préfecture de Fernando Póo, dans le Vicariat Apostolique du Gabon. ACSSP, Deux Guinées, Boîte 168, Dossier B, II. 312 Creus, 1994a

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accords de la Conférence de Bruxelles de 1889 (insistance dans la capture des bateaux négriers, surveillance des ports, des rivières et des autres routes empruntées par les traiteurs d'esclaves, contrôle du personnel et des marchandises) qui, pendant encore très longtemps, s'avérèrent insuffisants. Le commerce d'esclaves qui persistait sur les côtes orientales ; la continuité de pratiques sociales restrictives de la liberté personnelle ; la tradition antiesclavagiste de l'ensemble de l'action missionnaire... situent la « campagne de rachat de jeunes filles captives » dans toute une autre perspective. Le rachat des esclaves, par exemple, s’enracinait dans une longue tradition en Catalogne, pays qui avait vu naître l'ordre de la Merci (1218). Inutile d'aller chercher si loin : les Missions catholiques, notamment celles des spiritains, réalisèrent - tout au long de la deuxième moitié du XIXe siècle - une importante tâche de rachat, autant dans les villes de liberté que dans l'achat réel d'esclaves. Des villes de liberté où les missionnaires français avaient créé des hôpitaux, des hospices, des dispensaires, des écoles, des ateliers, des écoles de filles, des séminaires mineurs, des noviciats, des paroisses... suivant les modèles et la manière d'agir que j'ai décrits. Pour ce qui est de l'achat des esclaves, il eut lieu tout le long de la période qui va de 1860 à 1900 et se nourrissait non seulement des apports pécuniaires des fidèles de la métropole moyennant les Œuvres de la Sainte Enfance et de la Propagation de la Foi, mais aussi par des apports directs réclamés depuis les publications de propagande missionnaire. Les principaux favorisés des rachats missionnaires étaient les enfants achetés directement aux marchés d'esclaves. À cette époque, et de manière logique, cette activité spiritaine se déroula tout spécialement sur la côte orientale, la principale protagoniste étant la Mission de Zanzibar, où furent créés de la sorte tout un ensemble de communautés, comme celle de Bagamoyo313 : les garçons « rescapés » étaient inscrits dans des internats missionnaires dans le but qu'ils deviennent chrétiens et pour que, plus tard, ils puissent former des foyers catholiques et des villages chrétiens. Des internats où les garçons se consacraient, outre leurs études, à l'agriculture (cocotiers et plantations de café, tout particulièrement), ainsi qu'à l'apprentissage de menus métiers ; tandis que les filles complétaient leur éducation avec la couture, le blanchissage et quelques travaux champêtres. Le parallélisme entre la tâche clarétaine (y compris le « rachat » de filles) et cette pratique spiritaine est fort évident ; d'autant plus si on considère que les missionnaires français avaient aussi envisagé, grâce à cette action, de lutter contre la polygamie et l'usage de la dot. Comment interpréter donc, l'attitude tout à fait opposée à celle du « rachat de filles » de la part des missionnaires de Libreville ? 313

Yacouba, 1980

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Serait-ce par le fait que le « rachat de filles » pour les clarétains n'était pas strictement appliqué à de vrais esclaves, victimes du commerce triangulaire? Peut être bien. Quoi qu'il en soit, il faut ne pas oublier que cette pratique de rachat avait été considérée à maintes reprises comme fort limitée. Ainsi, le P. Lejeune, Supérieur de la Mission gabonaise de Lambaréné et auteur d'un dictionnaire français-fang (1892), affirmait durant l'époque du « rachat » clarétain (1896) : « Jamais les ressources de la France ne suffiraient à délivrer la dixième partie [des esclaves] et jamais les rachats quels que nombreux qu'ils fussent ne guériraient la plaie. Les missionnaires d'ailleurs ne rachètent jamais ceux qui sont vendus par les marchands d'esclaves, car ce serait favoriser la traite, mais seulement ceux qui sont exposés à être immolés ou ceux qui se trouvent sous la dépendance d'un maître et demandent leur liberté »314. En général, cette sorte d'actions fut un échec partout ailleurs : « racheter » un esclave pour le pousser à devenir un chrétien et un « bon » père de famille n'était pas garant du résultat. Cependant : « Ce ne sont ni les difficultés pratiques ni les dangers des rachats, ni les déceptions causées par leurs pupilles qui ont motivé le changement d'attitude des missionnaires à l'égard des esclaves et de l'esclavage, mais quelque chose de beaucoup plus grave : une action électivement tournée vers les esclaves risque de bloquer tout progrès du christianisme en Afrique, le mépris des hommes libres pour les esclaves rejaillissant sur tous les chrétiens, et la qualité de chrétien devenant une présomption d'origine servile »315.

314 315

Bouche, 1968 : 238-239 Yacouba, 1980 : 88

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La ville et la campagne Sufficit tibi gratia mea : nam virtus in infirmitate perficitur. Libenter igitur gloriabor in infirmitatibus meis, ut inhabitet in me virtus Christi. (2 Cor., XII, 9)

Protecteurs des faibles, porteurs de la paix « À plusieurs reprises nous achetâmes à un chef indigène de Corisco quelques hectares de terre. La cause de notre achat fut celle qui suit : à l'époque du P. Orriols et quelque temps plus tard du P. Sorinas, lorsque celui-ci occupait le poste de Supérieur, quelques femmes chrétiennes très pauvres vinrent se plaindre à la Mission du fait que, quoiqu'ayant obtenu la permission du propriétaire de cultiver du manioc dans une terre qui lui appartenait, une fois qu’elles l'avaient plantée, celui-ci les rabrouait pour avoir planté du manioc dans une terre à lui ; notamment les jours où il était à moitié ivre et proférait des mots et des phrases qu'elles ne pouvaient supporter. Si bien que nous décidâmes d'acheter à ce chef quelques hectares de terre et puis de les laisser aux pauvres femmes pour qu'elles puissent y planter du manioc »316. Dans la mentalité paternaliste des missionnaires du siècle dernier, un de leurs objectifs était la « protection » des sociétés « sauvages » ; protection qui du point de vue idéologique se basait sur l'incapacité de ces sociétés à prendre soin d'elles mêmes ; et qui formait partie de leur image personnelle, dans la mesure où les missionnaires avaient une vision « héroïque » du labeur qu'ils effectuaient auprès des différents peuples, conçu en termes humanitaires et bienveillants. La « campagne de rachat des filles africaines » fut due en grande partie à cette prédisposition missionnaire à l'égard des secteurs les plus faibles des sociétés qu'ils voulaient servir ; de sorte que, en toutes circonstances, on voit que l'évangélisation du secteur 316 « En distintas fechas compramos en Corisco a un jefe indígena algunas hectáreas de terreno. La causa de comprarlas fue la siguiente : en tiempo del P. Orriols y también después, más tarde, en tiempo del P. Sorinas, o sea mientras ha desempeñado el cargo de Superior, algunas mujeres cristianas muy pobres venían a la Misión a quejarse de que, habiendo obtenido permiso del jefe para hacer una finca de yuca, después de plantada les iba el aludido jefe a reñir porque habían plantado yuca en terreno suyo. Sobre todo los días que había bebido algo les decía palabras y frases que ellas no podían aguantar. De esto determinamos comprar al mismo jefe algunas hectáreas de terreno, y luego dejar que en ellas hiciesen las fincas de yuca las pobres ». Lettre du P. Ermengol Coll au P. Domènec Solà, du 11 mars 1902. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 14, Carton 2.

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féminin de la société était accompagnée de toutes sortes de mesures qui prétendaient garantir la condition de la femme, présentée d'une manière systématique comme une victime de la société traditionnelle. Victimes des hommes de leur société, détenteurs de l'autorité. Les rares connaissances que possédaient les clarétains de cette première époque des sociétés guinéennes, renforcées par ce paternalisme culturel dont ils se vantaient, les menaient à des interprétations peu rigoureuses sur les rapports qui s'établissaient dans le sein de ces sociétés. Il faut dire que ce que les missionnaires cherchèrent par dessus-tout fut la correspondance biunivoque entre les institutions sociales africaines et les européennes : par exemple, la majorité d'âge dont j'ai parlé dans le chapitre antérieur ; ou bien l'assimilation, au cours de toute la période sujet de mon étude, entre ce qu'on pourrait appeler la « servitude traditionnelle » et l'esclavage tel qu'il était compris dans le monde européen. Au nom du même humanisme qui les menait à vouloir « libérer » les épouses des maris polygames, ou à garder les garçons dans les internats contre la volonté de leurs parents, les religieux catholiques s'opposèrent à cet « esclavage » et firent de leur mieux pour le réprimer, à l'aide des autorités administratives qui, en raison de leur caractère libéral, n'étaient pas prêtes non plus à l'accepter : « Le Roi q.D.g. et à son nom la Reine Régente du Règne, mise au courant de la lettre de V.E. du 18 octobre dernier, rapportant le bon résultat de l'expédition effectuée par le sous-gouverneur à Elobey en persécution de l'esclavage encore existant dans les possessions espagnoles de l'île de Corisco.(...) Évaluant tout d'abord l'importante collaboration apportée par les missionnaires pour en finir avec l'esclavage, j'ai l'honneur de faire parvenir à V.R., l'O.R. qui précède, vous priant de la faire arriver à toutes les Maisons de cette colonie, et de le communiquer au Rd. Père Général de l'Ordre, au cas où vous le croiriez pertinent »317. Justement parce que les femmes et les serviteurs étaient considérés « faibles », ils méritaient plus que tout autre la « protection » missionnaire et, ceci à travers les clarétains, de l'administration coloniale. Je remarque ce fait qui représente un autre aspect du labeur missionnaire et qui contribuera à aggraver les affrontements entre les missionnaires et les dirigeants indigènes, 317

« El Rey q.D.g. y en su nombre la Reina Regente del Reino, impuesta de la carta de V.S. de 12 de octubre último, dando cuenta del buen resultado de la expedición llevada a cabo por el subgobernador de Elobey en persecución de la esclavitud que aún existía en las posesiones españolas de la isla de Corisco. (...) Apreciando en primer término la importante cooperación de los misioneros en acabar con la esclavitud, me honro en trasladar a V.R. la R.O. que antecede, suplicándole la circule a todas las Casas de esta colonia y lo participe al Rmo. Padre General de la Orden, si lo cree conveniente ». O.R. du 18 janvier 1889, comprise dans la lettre du P. Pere Vall-llovera au P. Xifré, du 3 février 1889. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 13, Carton 9.

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dont les rapports étaient suffisamment détériorés par l'ensemble de l'action évangélisatrice. Quoi qu'il en soit les missionnaires étaient convaincus qu'ils devaient aider les sociétés et orientaient leur action, logiquement, en accord avec un concept de l'aide très personnel et qui ne coïncidait pas avec la manière dont cette « aide » était comprise par les « autres ». Dans la philosophie missionnaire, la lutte pour la « rédemption » féminine, par exemple, équivalait au soin que les missionnaires apportaient aux malades lors de leurs visites « paroissiales » dans les villages de chaque zone : « Au cours de ces visites, je me rendis à un village, situé à une lieue de la Mission, et quand je demandai s'il y avait des malades, on me dit qu'il y en avait un. Je partis aussitôt chez le malade, un jeune homme d'une vingtaine d'années, instruit dans la Mission, et qui ressemblait à un squelette.(...) Je lui offris les médicaments de la Mission et l'aliment dont il avait besoin, et je chargeai un indigène raisonnable d'être très vigilant et de lui donner quelque chose à manger toutes les trois ou quatre heures. Grâce à ce régime, rigoureusement suivi, sa santé s’améliora de jour en jour et lors de nos visites fréquentes, je me rendis compte que ma présence lui apportait un grand réconfort ; sa convalescence fut longue, mais il fut enfin hors de danger et guérit entièrement »318. Il est vrai que pour les sociétés africaines le pouvoir de guérison était en rapport avec le vécu surnaturel. En revanche, d'autres actions missionnaires étaient directement menées contre leur tradition. Quoi qu'il en soit, les clarétains appliquaient leur concept personnel de « protection », qui s'adressait à des individus concrets qui se trouvaient dans une situation qu'ils considéraient « sans défense », indépendamment de la réaction que cela pouvait soulever dans la société à laquelle appartenait cet individu. Étant donné que très souvent ce « manque de défense » présumé avait sa source dans les structures et dans l'organisation de la société indigène, les missionnaires agirent très souvent « en vue de protéger les Africains d'euxmêmes » : « Insistant [le catéchiste] me dit : “ Mon Père, je dois vous dire quelque chose d'urgent ”. Et prenant du bras l'enfant interprète, il le regarde face à face et me dit, saisi de terreur : “ Cet enfant va être tué, 318 « En una des estas visitas fuí a un pueblo, distante una legua de la Misión, y al preguntar si había enfermos, me dicen que hay uno. Dirigíme al momento hacia la casa en que estaba el enfermo, joven de unos veinte años, instruido en la Misión, el cual parecía un esqueleto. (...) Ofrecíle medicina de la Misión y el alimento que entonces necesitaba, encargando a un sensato indígena tuviese la precaución de darle algo cada tres o cuatro horas. Con este régimen, puntualmente observado, fue mejorando cada día ; y en las frecuentes visitas que le hacía, conocí que mi presencia le infundía grandes ánimos : su convalecencia fue larga, pero al fin salió del peligro y curó perfectamente ». Lettre du P. Josep Sutrias, Supérieur de la Mission du Cap de Saint Jean, du 10 juillet 1895. In : El Iris de Paz, o sea El Inmaculado Corazon de Maria, 1895, p. 314.

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victime d'une vengeance, car les ennemis de sa famille vont arriver tantôt, armés pour exécuter leur méfait ”. La peur s'empara de l'enfant et il resta coi, sans mot dire. Il faut élever son cœur vers Dieu et prendre les mesures que nous conseille la prudence pour ne pas être témoin de cette scène horrible, de voir égorger cet enfant de notre école, pour lequel je me dois comme le plus aimant des pères. Il ne manque que quelques minutes pour cette effroyable tragédie, ne les perdons donc pas et mettons à l'abri mon innocent interprète, dont la seule culpabilité consiste à appartenir à une famille que certains disent ennemie »319. Dans des cas comme celui-ci, on a du mal à comprendre sur quelle base objective était fondée la crainte du missionnaire, ni quelle pouvait être son origine réelle. Les publications clarétaines louent le caractère héroïque de la conduite personnelle, mais les données sur les circonstances de la conduite des sociétés guinéennes sont insuffisantes. Quoi qu'il en soit, ce désir de « protection » face à des « moeurs cruelles » était manifesté en toutes circonstances. La guérison des malades possédait aussi ce caractère, étant donnée le statut « scientifique » de la médecine occidentale, face au caractère « superstitieux » de la médecine traditionnelle. Or, d'une manière générale, toute la conduite missionnaire et coloniale se justifiait et se présentait comme une « protection » des « faibles » : l'évangélisation, la colonisation, se menaient à terme afin de « sauver » ces peuples et de les « libérer » de leur état « primitif ». C'est pourquoi, les missionnaires ne mirent jamais en question la bonté du système colonial et, malgré les affrontements constants avec les gouverneurs, ils se montrèrent presque toujours d'accord lorsque ceux-ci entreprirent des actions punitives contre les guinéens. À condition, bien entendu, qu'il y ait quelque raison de poids ; car n'oublions pas que la « punition » et le « prix » formaient une partie essentielle du labeur « paternel » et « éducateur » des « bons » colonisateurs. La présence missionnaire face à des actions punitives contre la population se donna donc avec une certaine fréquence et la mission « protectrice des faibles » des religieux se centrait, à ces moments-là, sur l'effort de convaincre les 319

« Insistiendo, me dice : “ Padre, voy a hablarle una palabra muy urgente ”. Y tomando del brazo al niño intérprete, se encara con él y me dice sobrecogido de temor : “ Este niño va a ser muerto, víctima de una venganza ; pues los enemigos de su familia van a llegar por momentos, armados para ejecutar su cohecho ”. Apodérase el espanto del niño, y queda inmóvil y sin palabra. Es necesario levantar el corazón a Dios y tomar las medidas que aconseje la prudencia para no tener que presenciar una tan horripilante escena de ver degollar a un niño de nuestro colegio, para quien tengo todas las obligaciones de un amante padre. Unos minutos faltan para tan terrible tragedia, y éstos no los desperdiciamos para poner a salvo a mi inocente intérprete, que no tiene más culpa que la de pertenecer a la familia de uno que dicen estar enemistado ». Lettre du P. Josep Sutrias, s/d. In : El Iris de Paz, 1898, p. 5455.

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indigènes d'accepter les réquisitions de l'autorité coloniale afin d'éviter des maux majeurs : « À Bahou, territoire bubi situé à l'est de l'île, éloigné de la capitale de quelque 28 milles, il y eut quelques “ mots ” comme on dit ici, entre un facteur de la plage et les Bubis indigènes de la montagne, ce qui ne laissa pas d'être considéré comme quelque chose d'assez grave. C'est pourquoi, ce facteur et le propriétaire ainsi que le muchuku ou chef des Bubis du Bahou furent priés de se rendre tous à la capitale. Le chef des Bubis, comme d'habitude et vu la terreur que le gouvernement inspire aux indigènes, s'y refusa. Alors, le gouverneur décida de les punir, engageant à cette fin les deux canonnières. Le gouverneur, poussé par une extrême prudence, compta aussitôt sur la Mission afin de régler l'affaire, si cela était possible, par la voie de la paix plutôt que par celle de la guerre, d'autant plus qu'il ne compte que sur très peu de ressources et de forces. Je soussigné, fus désigné pour accompagner l'expédition ; accompagné de M. le Gouverneur, lui même prêt, d'après ce qu'il répéta à maintes reprises, à empêcher tout désordre (?) tant de l'armée que des Krumen qui venaient aussi. La démarche fut certainement très adroite. En arrivant à la plage du dit endroit, je lui proposai de monter tout seul au village bubi avec la seule compagnie de deux enfants (personne d'autre ne débarqua) afin de convaincre le chef de se plier à l'obéissance, et de se présenter sans crainte au gouverneur car celui-ci désirait la paix et non la guerre »320. C'est à dire que les clarétains ne mettaient jamais en question la validité du système, même pas dans ses actes de représailles ; mais ils faisaient de sorte que cette répression « légitime » fut moins violente, convaincus que c'était là la réaction des « indigènes méchants » ce qui provoquait cette « juste » violence de la part de l'autorité, et que seule la « confiance » que les missionnaires inspiraient chez les indigènes pouvait l'adoucir : « À Arrebola, 320 « En Bahú, distrito bubi al este de la isla, distante de la capital unas 28 millas, hubo una “palabra”, como aquí se dice, entre un factor de la playa y los bubis indígenas del monte, la que revistió desde luego alguna gravedad. El caso fue que, en virtud de ella, fue requerido dicho factor y finquero y, a la vez, el muchuku o jefe de los bubis de Bahú, a que se presentaran ambos a la capital. El jefe de los bubis, como siempre, se negó a ello por el gran miedo que tienen estos indígenas al Gobierno. Entonces, el gobernador determinó castigarle, alistando al efecto las dos cañoneras. El gobernador, llevado de una suma prudencia, contó enseguida con la Misión, a fin de arreglar el asunto, si fuese posible, por la vía de paz antes que por la de la guerra, toda vez que cuenta él aquí con poquísimos recursos y fuerzas. El que suscribe fue el designado para acompañar la expedición. Iba el mismo Sr. gobernador, con el único fin, según él dijo varias veces, de tratar de impedir cualquier desorden o (?), tanto de la tropa como de los krumanes que también iban. Por cierto, estuvo él en esto muy acertado. Al llegar a la playa de dicho punto, me ofrecí yo mismo a subir solo con dos niños al pueblo bubi rebelde (nadie más desembarcó), a ver si podía convencer al jefe a que obedeciese, presentándose al Sr. gobernador sin miedo, ya que dicho Sr. gobernador deseaba la paz, no la guerra ». Lettre du P. Joaquim Juanola au P. José Mata, du 18 mars 1896. APG.CMF, Copiador de cartas y telegramas de la Administración de Santa Isabel, document non catalogué, f. 12-15.

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village bubi de 1300 âmes, il y eut un certain désordre. Évidemment, nous, au bout du compte, contre... la volonté de certains, nous avons dû intervenir. Si M. le Gouverneur nous avait préalablement consultés, les choses ne seraient pas allées si loin, il n'y aurait pas eu besoin de brûler 45 maisons et encore d'en détruire deux, sans compter la peur qu'ils ont dû subir »321. Il s'agit de citations qui nous aident, d'autre part, à mieux situer les faits ; car si jusqu'à présent j'ai analysé la conduite des missionnaires, leur modèle, et la manière dont ils l'imposaient, je tiens maintenant à souligner que la conduite soi disant des gouverneurs partait, tout simplement, de l'usage de la violence. Ainsi, par exemple, bien au-delà de cette période (1913), lorsqu'un chef fang samangon de l'intérieur empêcha - suivant la coutume établie - que les membres d'une autre « tribu » fang passent par leur territoire pour négocier directement avec les Européens de la côte, le gouverneur Ángel Barrera considéra qu'il s'agissait d'une attaque adressée au « libre commerce » et prépara une réponse contondante. Vu qu'on a conservé sur ce point une abondante documentation322, je m'attacherai quelque peu à cet événement qui sert de clair exemple à la conduite administrative espagnole : Ángel Barrera croit que les Samangons doivent subir une punition qui leur serve de châtiment afin d'éviter que dans l'avenir « ne se perdent tous les travaux effectués pour faire parvenir les produits de notre territoire jusqu'à la plage, au lieu de les faire passer par le territoire allemand,comme ils faisaient jusqu'à présent, et pour que les natifs puissent circuler librement dans le pays »323. Vu l'importance de l'opération on réserve le commandement au lieutenant le plus ancien de la colonie, Manuel Risco, détaché à Elobey ; qui devra rejoindre à Bata Francisco Adriá et Jorge Moreno. Pour nous faire une idée de la faible présence administrative espagnole, qui durait encore, il suffit de voir les difficultés qu'ils doivent endurer pour former une expédition de 60 hommes : dans le détachement de Bata, il n'y en a que la moitié ; quant au reste, ils doivent venir de Benito (Mbini), Punta Mbonda, Río Campo, Elobey et Fernando Póo, étant bien entendu que les deux premiers détachements restaient démunis. Et le 321

« En Arrebola, pueblo bubi de 1.300 almas, ha habido un regular desorden. Como es natural, nosotros al fin, contra... la voluntad de algunos, hemos tenido que intervenir. Si antes hubiese el Sr. Gobernador consultado, antes se hubiese arreglado, y sin quemar 45 casas y destrozar otras dos, y otros sustos que han ellos llevado ». Lettre du P. Joaquim Juanola au P. Climent Serrat, du 24 février 1901. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 9, Carton 4. 322 " Sobre une " palabra " habida en el distrito de Bata conlos pamues samangones y detencion del jefe de éstos " : échange de correspondance entre le sous-gouverneur de Bata et le gouverneur de Fernando Póo depuis le 3 mars 1913, gardée sous forme de dossier. AGA, Section África-Guinea, Boìte 212. 323 " Sean perdidos por completo los trabajos realizados para encaminar los productos de nuestro territorio a la playa, en lugar de dirigirlos al territorio alemán como venían haciéndolo, y para que los naturales puedan transitar libremente por el país ".

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gouverneur prend le temps de leur fournir des instructions en détail sur la conduite à tenir : Il faut qu'ils surprennent les Samangons, moyennant une division en trois colonnes qui devront suivre des chemins différents, et il faut encore l'intervention dans la nuit du corps principal. S'ils prenaient le village au dépourvu « l'expédition accomplirait une partie de son objectif en arrêtant le chef Rokobongo et tous les habitants du village, qui seront emmenés à Bata à la fin de l'opération. Au cas où les gens s'enfuiraient dans la forêt, Alun deviendra le centre d'opérations et on cherchera à poursuivre les meneurs jusqu'aux villages des pamues Asok de Ekonon et Azuzok, et ceux qui opposeraient une résistance seront punis »324. Les instructions réservées sont remplies de recommandations de prudence, qui montrent la belligérance et l'absence de résignation des Fangs face à la percée européenne : « Entourez vous de toutes les précautions pour la marche, car, dans la forêt, vous devrez lutter contre un ennemi invisible, profond connaisseur de tous les sentiers qui la traversent et tout prêt à tendre des embuscades, et n'oubliez pas que le pamue, dont les armes ont peu de portée, tire de très près, caché dans les arbres, et une fois qu’il a tiré, il s'enfuit pour charger plus loin son fusil » 325. Le gouverneur a dans la tête une opération de sept ou huit jours de durée, au cours desquels le lieutenant Risco « détruira les villages et plantations des rebelles, après les avoir punis » 326. Mais ceci ne suffit pas cette fois-ci : « Comme l'opération ne doit pas se borner à brûler les villages et à détruire les récoltes, la force devra être planifiée pendant huit jours, au cours desquels on punira de façon exemplaire tous ceux qui refusent d'obéir » 327. On frémit d'effroi en constatant que les ordres ne précisent pas en quoi consistent ces « punitions exemplaires » : le lieutenant Rico, lui, comprendra très bien, il faut « les poursuivre jusque là où ils se seront réfugiés et les détruire en entier à moins qu'ils ne se présentent aussitôt et soumettent le chef Rokobongo afin

324 « La expedición cumpliría parte de su objeto deteniendo al Jefe Rokobongo con todos los habitantes del poblado, los que serán conducidos a Bata al terminar la operación. Si la gente huyese al bosque, se hará de Alun el centro de operaciones y se procurará perseguir a los levantiscos hasta los poblados de pamues Asok de Ekonon y Azuzok, los que si mostrasen resistencia serán castigados ». 325 « Toda cuanta precaución adopte para la marcha será poca, teniendo en cuenta que en el bosque va a luchar con un enemigo invisible, conocedor de todas las veredas que le cruzan y dispuesto a las emboscadas, no olvidando que el pamue, cuyas armas tienen poco alcance, tira a corta distancia, oculto por los árboles, y una vez que dispara huye para volver a cargar más lejos su fusil ». 326 " Destruirá los poblados y plantaciones de los que muestren rebeldes, una vez que les haya castigado ". 327 " Como la operación no debe concretarse a quemar los poblados y destruir las plantaciones, la fuerza ira racionada para ocho días con objeto de operar durante ellos contra los desobedientes hasta lograr castigarlos enérgicamente ".

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que soit éliminé de cette zone ce sauvage qui résiste à adopter les moeurs civilisées » 328. Cette opération que je viens de citer fut un échec : bien qu'Alun, le territoire gouverné par Rokobongo, ne fût situé qu'à 20 Km. de Bata, lorsque ces troupes espagnoles y arrivèrent il était désert : il est évident que le manque d'organisation et de ressources était cause de l’échec : le lieutenant Risco était arrivé une semaine trop tard ; le lieutenant Adriá était soi-disant malade ; une des colonnes entreprit la marche trop tôt ; une autre s'égara ; le commandant de l'expédition fut atteint de paludisme ; et les quelques personnes qu'il rencontra, parmi lesquelles Rokobongo ne figurait pas, « apportèrent des poules, de l’alcool de canne et du yucca, en demandant pardon pour les actions qui avaient eu lieu » 329. L'incursion dura trois jours et demi. Tant qu'elle se prolongea, les Fangs ne tirèrent qu'une seule fois, et les expéditionnaires 400 environ. En revanche, ils parvinrent à confisquer trois fusils, qui furent remis... aux gardes qui n'en avaient pas. Barrera ouvrit un procès attaquant ses subordonnés. Mais ce que je tiens notamment à mettre en relief, y compris dans cet événement, ce n'est pas tant son résultat concret mais plutôt la conduite du gouvernement vis-à-vis de la situation : une conduite qui s'appuyait sur l'usage de la force en vue de soumettre les populations qui ne se comportaient pas de manière « adéquate » . Je renchéris sur le fait que, dans de telles circonstances, le présence missionnaire pouvait avoir un effet d'apaisement des hostilités sans pour cela remettre en question la politique coloniale : la conduite clarétaine réussissait dans la mesure où les missionnaires étaient capables d'atteindre cette même soumission par la voie pacifique ; il est évident que la méthode des gouverneurs et celle des clarétains étaient très différentes ; et je répète qu'à mon avis, celle des missionnaires était bien plus efficace car, contrairement aux militaires qui gouvernaient la colonie, ils visaient à l'insertion des populations indigènes dans le système colonial et, bien que ceci n'empêchât pas certains affrontements avec la population, il leur offrait, en revanche, des avantages et des gains immédiats et perceptibles. Cette « protection des Africains d’eux-mêmes », d'autre part, doit s'intégrer dans le contexte général de la conduite missionnaire, qui cherchait 328

« Que les persigan a donde se refugien hasta que logren destruirlos por completo si no se presentan a hacer inmediatamente actos de sumisión y entreguen al Jefe Rokobongo para eliminar del distrito a ese salvage por el cual no han entrado todavía las costumbres civilizadas ». 329 « Trajeron gallinas, cana y yucca, pidiendo perdon por los actos realizados » .

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des « hommes nouveaux » pour former une « nouvelle société » qu’on voulait fonder sur les principes évangéliques comme ils étaient interprétés à l'époque. La « protection » se dressait face à la société traditionnelle du fait que cette société contenait un grand nombre d'éléments susceptibles de perturber ce processus de « conversion ». La cohérence de l'action clarétaine repose sur le fait qu'ils constituaient aussi des éléments de « protection » face à d'autres aspects de la société coloniale qui pouvaient les gêner pour atteindre leur principal objectif. Ainsi, la vie « dissipée » des colons de cette « ville pervertie » ; une perception que les missionnaires répandirent dans l'ensemble du pays, au fur et à mesure que la colonisation avançait : « Pleins de présomptions, vicieux au-delà de toute expression, immoraux, et qui n'en font ni une ni deux lorsqu'il s'agit de gagner de l’argent par des mauvaises...gaspillé en soûleries, avec des femmes... La justice traîne dans la boue...le sale vice ! Que de choses je n'ose transcrire! Les employés dépensent 40 ou 50 pesos en nourriture, et au moins 30 en bombances. Dieu le sait - et M. le Diable le saura... Et, de la sorte, que restera-t-il du salaire ? Qu’enverront-ils à leurs familles ? Que feront-ils plus tard ? Voilà pourquoi la colonie marche si mal ! C'est impossible à moins d'envoyer : a) de bons employés ; b) et en moins grand nombre, rien que ceux qui sont nécessaires ; c) donner une bonne leçon aux coupables, car après tout, tout est pardonné ; d) que ceux qu'on envoie sachent exercer leur autorité et se faire obéir ; e) que les bons à rien soient chassés notamment ceux qui provoquent des scandales et ceux qui volent l'État ou la Colonie, ce qui revient au même. C'est vrai qu'il y en a d'honnêtes mais rara avis in... En bref : les raisons qui font que cette colonie soit une BABYLONE sont deux : 1. le sixième [commandement]. 2. le septième [commandement], que foulent à leurs pieds les [colons] effrontément » 330. La « protection » par rapport aux représentants de la « ville pervertie » s'appuyait notamment sur la volonté qu'aucun Européen ne puisse s'installer dans les villages des Missions, nés comme couronnement de l'œuvre clarétaine. Une prétention qui se heurtait à nouveau au point de vue des 330

« Llenos de pretensiones, viciosos a lo indecible, inmorales, y que no se paran en barras cuando se trata de hacer los dineros en mala... gastados en borracheras, mujeres... La justicia anda por los suelos... ¡ el vicio sucio...! ¡¡¡ muchas cosas que no oso fiar a la pluma !!! Gastan los empleados 40 y 50 pesos en comer, los menos 30 en francachelas.-Dios lo sabe- en M. lo sabrá el diablo... Y, ¿ qué quedará así del sueldo ? ¿ Qué mandarán a sus familias ? ¿ Qué harán luego ? ¡ De aquí el que no ande bien la Colonia ! Es imposible, si no mandan : a) buenos empleados ; b) menos de los mismos, sólo los necesarios ; c) que se escarmiente a los culpables, pues al fin todo se perdona ; d) que los que mandan sepan mandar y sepan hacerse obedecer ; e) que se echen a los inútiles, más a los escandalosos y siempre a los que roban al Estado o a la Colonia, que es lo mismo. Aunque hay algunos muy honrados, pero rara avis in... En resumen : dos son las causas que hacen a esta Colonia ser UNA BABILONIA : 1. El sexto. 2. El séptimo, que pisan los...descaradamente. ». Lettre du P. Joaquim Juanola au P. Domènec Solà, du 24 octobre 1905. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 9, Carton 2.

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gouverneurs, qui, à leur tour, désiraient des villages « normaux » soumis à l'autorité civile et où tout le monde pouvait réaliser ses affaires : « Les desseins du P. Llambés en construisant la Mission à Elobey Grande consistaient à pouvoir former, peu à peu, une population séparée des Européens, afin qu’ils ne soient pas corrompus » 331 ; « En 1906, Vila chercha à ouvrir un magasin à Batete. Je l'exposai à M. Luis [gouverneur Luis Ramos Izquierdo] et celui-ci dit à Vila que tant qu'il serait gouverneur il ne permettrait l'ouverture d'aucun établissement propriété d’un blanc. Si bien que Vila se désista, dans l'attente d'une occasion plus favorable ; ce qui arriva lorsque fut nommé le gouverneur Centaño, homme honnête et droit s'il y en fut, qui, plein d'honnêteté et de rigueur lui donna son autorisation : autorisation qui a tellement nuit à la Mission de Batete. La permission de Centaño a fait bien plus de mal à la Mission que toutes les colères de Ramos Izquierdo » 332. Dans l'imaginaire clarétaine, le modèle de se complétait - par rapport à celui des jésuites - d'un nouvel élément : les responsables coloniaux : Ville pervertie, royaume du pêché

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« Las miras del P. Llambés en colocar la Misión en Elobey Grande, era para poder con el tiempo formar una poblacion separada delos europeos, para impedir el que los corrompan » . Historia de la Casa de Elobey. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 6, Carton 4, document non paginé. 332 « Al año 1906 Vila intentó levantar una tienda en Batete. Yo se lo expuse a D. Luis y llamó a Vila que mientras fuese Gobernador no permitiría que ningún blanco se estableciese. Por lo cual Vila desistió por entonces esperando que se le presentase mejor oportunidad, como se le presentó siendo Gobernador el honrado y recto Centaño, que con toda su honradez y rectitud se lo permitió ; de cuya permisión han resultado tantos daños a la Misión de Batete ; y más mal ha hecho con su permiso Centaño a la Misión que todas las iras de Ramos Izquierdo ». Lettre du P. Antoni Aymemí au P. Eusebio Sacristán, du 31 octobre 1910. AG.CMF, Section G, Série A, Boîte 12, Carton 16.

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Les jésuites étaient arrivés à la colonie en même temps que le gouverneur Chacón, qui leur avait aplani le chemin à Santa Isabel par ses décrets hispanisateurs et contraires à la Mission protestante ; ils avaient trouvé chez les quelques administrateurs et responsables coloniaux une aide et une harmonie spirituelle pour ce qui était des objectifs communs. Tel ne fut pas le cas des clarétains, dont le modèle missionnaire se heurtait constamment aux intérêts des gouverneurs et administrateurs de la colonie : à la capitale, parce qu'il s'opposait au point de vue « libéral » des militaires espagnols ; en dehors de la capitale, parce qu'il comportait un affrontement permanent avec la société indigène et troublait la « pax » qu'on voulait y imposer ; partout ailleurs, parce que le modèle clarétain allait bien au delà dans sa vision colonisatrice et parce que, en outre, il impliquait des frais considérables que la plupart des gouverneurs n'étaient nullement prêts à assumer (entre autres choses, parce que les bénéficiaires auraient été les missionnaires). Les clarétains percevaient donc ces gouverneurs bien au dessus de tous les éléments négatifs de la « ville pervertie » et, par extension, de toute la colonie : « Et je dis bien fort que si l’efficacité du missionnaire est bien réduite, c'est parce qu'il échoue face à toute cette corruption. Il n'y a pas longtemps un facteur anglais nommé Frank Wilson me disait : “ J'ai parcouru bien des villes de l'Afrique Occidentale mais je n'ai jamais vu dans aucune autant d'immoralité qu'à Santa Isabel de Fernando Póo. Corruption par la boisson, effractions, obscénités et irrégularités, bien plus chez les officiers que dans la reste des blancs. Les facteurs anglais sont ceux qui

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manquent le moins de morale et certains arrivent même à donner de bons exemples » 333. La direction des villages catholiques était une manière de « protéger » les convertis face à l'arbitrage de ces autorités « libérales ». Il est évident que cette conception de l'autorité missionnaire devait se heurter à l'opposition de l'administration, qui tôt ou tard réclamerait la soumission de toute la colonie à l'État. Mais, au-delà des conceptions politiques autant des uns que des autres, la cohérence missionnaire portait les religieux à s'affronter directement aux autorités coloniales dès qu'ils avaient affaire à des « faibles » : par exemple, abusant de leur position pour atteindre les faveurs d'une femme : « Les Bengas et les Pamues de Corisco, Elobey et les alentours de la côte sont extrêmement fâchés avec le sous-gouverneur d'Elobey, pour avoir abusé de leurs femmes d'une manière qui a soulevé un gros scandale, car à Elobey Grande il brûla la maison d'un indigène nommé Unonga, dans le village duquel il se rendit pendant la nuit, parce que celuici n'avait pas voulu lui donner trois ou quatre femmes pour lui et les camarades qui l'accompagnaient : Dans une des factoreries d'Elobey il ordonna qu'on fit un bal de femmes nues et à un de ses menuisiers, appelé Imama, il le mit dans la barre, pendant toute une nuit, parce qu'il n'avait pas voulu lui laisser, pour ce bal, une nièce à lui, que l'on envoya chercher sous l'ordre du sous-gouverneur et qui fut obligée d’y assister. En outre, à Corisco, j'appris que le P. Guiu avait eu accès à une lettre écrite par M. le sous-gouverneur lui-même, dans laquelle il demandait à un homme nommé Odipo une femme appelée Lione » 334 ; « Pour l'heure, nous avons à déplorer 333

« Y digo en alta voz que si el fruto del misionero es poco, es porque se estrella también ante tanta corrupción. Hace poco me decía un factor inglés que se llama Frank Wilson : “ Muchas ciudades del África Occidental he recorrido, pero en ninguna he visto tanta inmoralidad como en Sta. Isabel de Fernando Póo ”. Corrupción en bebidas, atropellos, obscenidades e irregularidades, más en los oficiales que en el resto de los blancos particulares. Los factores ingleses son los menos desmoralizados, y algunos hasta dan ejemplo ». Causas porque no desaparece el espíritu inglés todavía, ni la lengua. In lettre du P. Joaquim Juanola au P. Martí Alsina, du 24 décembre 1903. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 9, Carton 2. 334 « El Subgobernador de Elobey tenía sumamente disgustados a los bengas y pamues de Corisco, Elobey y los contornos de la costa, a causa de haber abusado de sus mujeres de un modo que había producido mucho escándalo ; pues en Elobey Grande quemó la casa de un indígena llamado Unonga, en cuyo pueblecito se presentó de noche, por no haberle querido éste entregar tres o cuatro mujeres para él y los compañeros que le seguían. En una de las factorías de Elobey mandó se hiciese un baile de mujeres desnudas, y a uno de sus carpinteros, llamado Imama, puso en la barra, durante una noche, por no haberle querido entregar para este baile a una sobrina, la cual fue buscada por orden del Subgobr. y forzada a asistir a él. Además, en Corisco me encontré con que había llegado a manos del P. Guiu, Superior, una carta, escrita por el mismo Sr. Subgobernador, en que pedía a un hombre llamado Odipo una mujer llamada Lione ». Lettre du P. Ermengol Coll au P. José Mata, s/d [1892]. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1. La « barre » était un système de torture utilisé contre les esclaves.

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deux de ces cas dégradants et qui nous causent une grande tristesse : l'un, concerne M. le sous-gouverneur, qui prétend, et je crains bien qu'il n'y parvienne, emmener chez lui une femme chrétienne, formée dans l'école des religieuses et mariée par l'église. Il a fixé à son père le jour où il irait la chercher, n’hésitant pas à menacer et à punir sous prétexte de désobéissance à l'autorité si ses désirs n'étaient pas satisfaits. Avant de finir cette lettre, on m'a appris que le dit sous-gouverneur venait d'arriver de Fernando Póo accompagnée d'une jeune femme ; et le scandale incessant que tout cela provoque est connu même des enfants des écoles. L'autre concerne M. le docteur : qui sous forme de promesses et notamment de l'argent, a suborné celle qui est presque la meilleur fille de l'école, l'emmenant chez lui à Elobey. Et il est du domaine public à Corisco, que le médecin qui l'avait précédé vivait avec une jeune fille de Corisco, qui vient d'avoir un enfant métis. Tout ce qui se passe est donc très triste et affligeant » 335. La préservation de la dignité de la femme, dans de tels cas, était également très proche du rôle « protecteur » assumé par les clarétains dans leurs rapports avec les sociétés guinéennes. L’étendue du rôle face aux autorités espagnoles montre la cohérence des missionnaires, qui orientaient leur conduite vers l'imposition et la défense d'une certaine moralité et régénération des mœurs dans l'ensemble de la société coloniale. Toutefois, les comportements « libertins » , tels que celui de ce sous-gouverneur d'Elobey, furent plutôt rares ; tout au moins dans la documentation espagnole, qui en revanche rapporte des cas de ce genre dont les protagonistes étaient des employés, des soldats et des marins sans grade : « Les Bubis de Rebola venaient travailler pour le gouvernement ; quelquefois, les employés leur demandaient leurs femmes ; puis, ils voulurent les prendre en photo tout nus, comme nous rapporta le muchuku, d'où ils se refusèrent à travailler. Et après cela je les ai entendu dire que les Bubis ne veulent pas travailler ! Un jour, un policier, pour commettre un 335

« Al presente tenemos que lamentar dos de esos casos degradantes y que nos causan gran sentimiento : El uno es respecto del Sr. Subgobernador, que pretende, y me temo que desgraciadamente lo conseguirá, llevarse a su casa una mujer cristiana, instruida en el colegio de las religiosas y casada ya por la Iglesia. Ha señalado al padre de ella el día en que se la ha de llevar, no teniendo reparo en amenazar y castigar como desobedientes a la autoridad si no satisfacen sus pretensiones. Antes de concluir la presente se me ha comunicado que el mencionado subgobernador ha llegado de Fernando Póo trayéndose una joven ; con lo que da continuos escándalos, sabidos hasta por los niños de las escuelas. El otro es el Sr. Médico ; que, con promesas, y principalmente con dinero, ha sobornado a la niña casi mejor que teníamos en el colegio, para llevársela a su casa en Elobey. Esto es público y sabido de todo Corisco, que el médico anterior al de ahora tuvo consigo una joven corisqueña, habiéndole nacido poco ha una criatura mulata. De modo que es muy triste y aflictivo lo que va sucediendo ». Lettre du P. Jacint Guiu, Supérieur de la Mission de Corisco, du 30 août 1893. AG.CMF, même localisation.

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pêché donna 6$ à une femme quæ post acceptam pecuniam respuit. Res ad judicem relata est, qui præcepit “policiam” in nomine legis ut in vico rem ageret cum illa muliere coram toto fere populo (100 vel 200 personis). Populus contradixit huic procepto ac per aliquod tempus jurgium fuit populum inter et judicem qui non cesit usque dum quidam homo 6 $ restituit336. Nous aurions besoin d’un prophète Daniel et si au moins nous pouvions en tenir lieu ! Entre-temps, nous ne soufflons mot, et il est très probable que personne ne l'ait dit au gouverneur, et ce n'est pas nous qui allons le faire » 337. En revanche, ce qui persista fut un mode d'agir des gouverneurs que les missionnaires ne cessèrent de blâmer avec acharnement tout au long de la période : les décrets obligeant les indigènes à travailler de force à la construction des chemins et à d'autres travaux publics ; ce que les clarétains, toujours cohérents, en accord avec l'attitude qu'ils maintenaient à l'égard de la servitude traditionnelle, rapprochaient de l'esclavage et combattaient incessamment : « Maintenant [le gouverneur Angel Barrera] s’est obstiné à obliger à travailler les malheureux Bubis au moyen du ban de Ramos Izquierdo, que l’on va tantôt publier dans le Journal officiel imprimé à Banapa » 338. La citation correspond à la fin de la période sujet de mon étude. Cependant, les décrets de travail obligatoire commencèrent à l'époque du gouverneur Eulogio Merchán (1892-1893), qui instaura cette procédure dès qu'il prit possession de son détachament : « Un de ses projets souleva une légère friction : En passant par Sierra Leone il apprit que les enfants et jeunes de la colonie orphelins de père et mère ou de qui ce soit pour les 336

« Après avoir reçu l'argent elle se refusa à lui ; l'affaire fut portée devant le juge qui, au nom de la loi, ordonna au policier de parler de l'affaire à la femme, dans son village, aux yeux de presque tout le village (100 ou 200 personnes). Le village s'opposa à ce mandat, et pendant quelque temps il y eut une querelle entre le village et le juge qui ne céda que lorsque quelqu'un eut rendit les 6$ ». L’utilisation du latin avait pour but d’empêcher la compréhension d’un possible lecteur externe sur un sujet de moralité douteuse. 337 « Venían los bubis de Rebola a trabajar para el Gobierno ; a las pocas veces, algunos empleados les pidieron sus mujeres ; luego quisieron retratarlos sin taparrabos y completamente desnudos, como nos dijo el muchuku, de donde se siguió que se negaron a trabajar. ¡ Después les he oído quejarse de que los bubis no quieren trabajar ! Otro día, un policía, para cometer una falta dio 6 $ a una mujer quæ post acceptam pecuniam respuit. Res ad judicem relata est, qui præcepit “policiam” in nomine legis ut in vico rem ageret cum illa muliere coram toto fere populo (100 vel 200 personis). Populus contradixit huic procepto ac per aliquod tempus jurgium fuit populum inter et judicem qui non cesit usque dum quidam homo 6 $ restituit. ¡ Qué falta hace un profeta Daniel y el no poder nosotros hacer sus veces ! Entretanto nosotros nos callamos, y es muy probable que al Gobr. nadie le haya dicho esto, ni nosotros se lo diremos tampoco ». Lettre du P. Coll au P. Mata du 4 février 1896. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1. 338 « Ahora [el governador Angel Barrera] se ha empenado a obligor a trabajar a los infelices bubis mediante el bando de Ramos Izquierdo, el que esta ya mandado publicar en el Boletin Oficial que se imprime en Banapa » . Lettre du P. Joaquim Juanola au P. Eusebio Sacristan, du 1er. septembre 1911. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 10, Carton 9.

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protéger, étaient pris en charge par le gouvernement de la colonie pour un certain temps en vue de subvenir aux besoins du pays : par exemple, pour le service militaire, dans la construction de ponts, tracés de chemins, etc., etc. Il voulut faire la même chose dans cette colonie, mais l'étendant, en outre à ceux qui sous son ordre étaient confiés à nos soins, à tous ceux qui cherchaient de leur propre gré un réfuge dans la Mission. C'était tout comme si on empêchait l'entrée de nouveaux jeunes dans la Mission, car, si cela signifiait que plus tard ils devaient devenir des conscrits, ils se refuseraient à y entrer, et peu à peu il n'y aurait plus personne à l'école » 339 Il faut dire que Eulogio Merchán fut un des gouverneurs qui se montra favorable à la Mission et qu'il avait été nommé après que les clarétains de Madrid firent tant et si bien que son prédécesseur, José Barrasa, fut destitué ; de sorte qu'il arriva en Guinée avec l'ordre expresse de renouer les rapports avec les religieux. Depuis son mandat, les dispositions obligeant les indigènes au travail obligatoire ne firent pas que se multiplier et elles s'étendirent à la récolte dans les propriétés des particuliers et entreprises particulières, car pour les gouverneurs il s'agissait d'un élément de toute première importance pour l'économie et la survie de la colonie. Si bien que les protestations des Bubis se multiplièrent, car ils furent les premiers à subir ces dispositions dès le moment où Merchán mit en marche ces pressions pour « les faire travailler » : « Il se consacra avec acharnement à parvenir à ce que les Bubis s'engagent comme travailleurs, tant et si bien qu'il interdit qu'il fut vendu du tabac et de l'alcool de canne aux muchukus des villages qui ne fournissaient pas de travailleurs. Au début les Bubis opposèrent une résistance, empêchant les habitants des villages d'aller vendre leurs poules, si bien qu'il s'ensuivit une grave époque de crise à cause du manque de viande. Les critiques proliférèrent parmi les Européens de la colonie, ainsi que les sacrifices des Bubis visant à obtenir de leur morimó la disparition du gouverneur. Certains, cependant, poussés par la nécessité, cédèrent environ une centaine de travailleurs » 340. 339

« Uno de sus planes vino a ocasionar un pequeño roce : Al pasar por Sierra Leona se informó que allí a los niños y jóvenes que no tenían padre ni madre o quien respondiese de ellos, el Gobierno de la colonia los tomaba por su cuenta y, luego de instruidos, los hacía servir por determinado tiempo para las necesidades generales del país, por ejemplo en el servicio militar, en la construcción de puentes, apertura de caminos, etc., etc. Quiso hacer lo mismo en esta colonia, pero extendiéndolo no sólo a los que por orden suya eran colocados bajo nuestro cuidado, sino también a todos los que se acogían a la Misión voluntariamente. Esto, como salta a la vista, era lo mismo que impedir la entrada de nuevos jóvenes en la Misión ; pues, sabiendo que por este mismo hecho más tarde habrían de ser reclutas disponibles, no iban a entrar en ella, y poco a poco hubiéramos quedado con el colegio vacío ». [Coll, Ermengol] (circa 1908), Crónica de la Casa-Misión de Sta. Isabel. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 6, Carton 1, p. 71. 340 « Dedicóse también con ahínco a lograr que los bubis se alquilaran en calidad de trabajadores, para lo cual prohibió que se vendiese tabaco y caña a los muchukus de los

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S'engager pour travailler dans les propriétés ou le faire gratuitement fut la seule alternative pour les Bubis. Le ban du gouverneur par intérim Luis Ramos Izquierdo, publié comme règlement provisoire341, limitait - en fait les procédés arbitraires de l'administration, tout en indiquant (article 24) : « Tous les résidents noirs de l'île de Fernando Póo ne possédant pas de propriété, métier, emploi légal ou connu où ne figurant pas dans les Registres spéciaux établis à cet effet par les Conseils de Voisinage, seront soumis sous la tutelle de la curatelle coloniale et on les obligera à travailler soit sous firme de contrat par des particuliers, soit pour l'État. Exception faite des Bubis, sans que cela soit un empêchement pour autoriser des contrats à chaque fois qu'ils s'y montreront consentants » 342. Le règlement fournissait des arguments aux clarétains pour s'opposer au travail obligatoire ; mais de manière apparente car, en fait, jamais cela ne se produisit. Ainsi, Ángel Barrera lui-même, face aux protestations du juge de Santa Isabel et du Vicaire Apostolique à l'égard du ban cité plus haut écrivait au Ministère : « M. le Juge, appuyé par l'I. M. le Vicaire, insista sur le fait qu'on ne peut obliger quiconque à travailler. Je lui rétorquai que cette théorie était inadmissible, vu que l'insuffisance de manœuvres augmente tous les ans, puisque les colonies qui avant nous les envoyaient ont besoin d'eux pour leurs travaux agricoles qui ont pris un fort essor. Il s'agit de confier à la bonne volonté des Bubis le développement de l'agriculture car, s'ils se refusaient à travailler, nous verrions se perdre la récolte des arbres, ce qui rendrait impossible le progrès qu'exige la civilisation que nous sommes venus implanter » 343. pueblos que no presentaran algunos trabajadores. Los bubis primero se resistieron, impidiendo que desde sus pueblos bajase nadie a vender gallinas. Pasóse una temporada de verdadera crisis por falta de carne. No faltaron murmuraciones entre los europeos de la colonia, ni sacrificios entre los bubis para lograr de su morimó que desapareciera el Sr. Gobernador. Algunos, sin embargo, obligados por la necesidad, ofrecieron trabajadores, llegándose a reunir aproximadamente ciento ». Ibidem, p. 71-72. 341 Reglamento provisional del trabajo indígena en los territorios españoles del golfo de Guinea. O. R. du 6 août 1906. AGA, Section África-Guinea, Boîte G-2. 342 « Todos aquellos residentes morenos en la isla de Fernando Póo que no tengan propiedad, oficio, ocupación legal y conocida o no aparezcan domiciliados en los Registros especiales que a este efecto llevarán los Consejos de Vecinos, estarán sujetos a la tutela de la Curaduría y se les obligará a trabajar, bien contratados por particulares, bien por el Estado. Se exceptúan de esta disposición los bubis, sin perjuicio de autorizar los contratos siempre que se presten a ello ». 343 « Insistió el Sr. Juez, apoyado por el Ilº Sr. Vicario, en que no se podrá obligar a trabajar a nadie. Contestándoles que no podía admitirse esa teoría porque, dada la escasez de braceros, cada año mayor, puesto que las colonias que antes los enviaban los necesitaban para sus faenas agrícolas que iban tomando gran incremento, era poner en mano de la voluntad de los bubis el desarrollo de la agricultura ; pues, negados a trabajar, veríamos perderse las cosechas en los árboles, y que esto haría imposible el progreso que demanda la civilización que aquí

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Mais les protestations des missionnaires ne venaient pas seulement du fait que les Bubis étaient obligés de travailler dans les propriétés à contre-cœur, mais surtout parce que cela provoquait des abus constants de la part des colons et des employés du gouvernement qui suscitaient l'animosité des indigènes, de petites révoltes en spirale et des actes de répression que le gouvernement rapportait dans un O. R. qui ratifiait les décisions prises par Barrera : « Compte tenu de la communication de V.E. rendant compte des dispositions prises pour garantir le récolte des cultures de l'île, réglementant le travail des Bubis, qui parait-il se montrent réfractaires à s'engager pour travailler dans les propriétés, se fondant sur les mauvais traitements reçus de la part des propriétaires dans les propriétés desquels ils ont travaillé, la mauvaise nourriture, le travail excessif qu'on exigeait d’eux, sans même leur payer parfois leurs salaires et, qui plus est, leur infligeant des châtiments corporels ; alléguant, en outre, pour ne pas se rendre au travail, une raison d'une importance politique majeure qui consiste à croire que la terre de l'île leur appartient et que c'est eux qui doivent l'exploiter à leurs risques et périls ; ils tiennent des réunions, où ils prennent des accords collectifs et chantent des chansons plus ou moins enthousiastes qui témoignent de l'esprit général de protestation contre l'élément blanc ; (...) S.M. le Roi (q.D.g.) a eu l'obligeance d'approuver le ban publié par V. E. le 1er. septembre 1911 ainsi que les instructions que pour son exécution il publia en date du 1er. octobre de la même année » 344. Certains détails sont à prendre en considération. Le plus important c'est que les dates de la publication de ces dispositions, entre 1892 et 1912, coïncident avec une époque de forte demande de main d'œuvre que les Krumen (devenus « manœuvres ») ne pouvaient plus satisfaire, à cause de la consolidation de la culture du cacao dans l'île. Ensuite, que cette époque correspond au point culminant du modèle clarétain ; c'est-à-dire, que ces problèmes ne nuisaient plus directement aux Missions mais aux territoires venimos a implantar ». Communication au Ministère d'État, du 13 octobre 1911. AGA. Section África-Guinea, Boîte G-2. 344 « Visto el oficio de V.S. dando cuenta de las disposiciones tomadas para asegurar la recolección de las cosechas de la isla, reglamentando el trabajo de los bubis, que parece que se muestran refractarios a contratarse para trabajar en las fincas, fundándose para ello en los malos tratos recibidos de los dueños de aquéllas en que han prestado sus servicios, en la mala alimentación, en exigirles trabajo excesivo, no pagándoles a veces sus jornales, y hasta infligiéndoles castigos corporales ; alegando, además, para no acudir a trabajar, otra razón de mayor trascendencia política, consistente en creer que el terreno de la isla les pertenece y deben ellos explotarlo por su cuenta y riego, teniendo con este motivo sus reuniones, y tomando acuerdos colectivos, y entonando canciones más o menos entusiastas que demuestran el espíritu general de protesta contra el elemento blanco ; (...) S. M. el Rey (q.D.g.) se ha dignado aprobar el bando publicado por V.S. en 1º de septiembre de 1911 y las instrucciones que para la ejecución de aquél publicó en 1º de octubre del mismo año ». Bando sobre el trabajo de los bubis. O. R. du 26 juillet 1912. AGA, même localisation.

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relevant de leur influence, aux habitants envers lesquels ils devaient s'acquitter de « tous les devoirs d’un père aimant » . Puis, que dans une situation telle - bien que d'une manière plus tardive que les clarétains - les gouverneurs cherchèrent aussi à incorporer les Bubis au système de production colonial, et que cette prétention ne laissa pas de créer aussi des affrontements avec l'ensemble de la société indigène. Et enfin, que le modèle employé par les gouverneurs, dans leur prétention, était bien moins élaboré et dépourvu du doigté des missionnaires, car il se basait sur la contrainte. Face à cette contrainte, la conduite de chaque Mission fut d'obéissance aux dispositions officielles : « Dès que nous reçûmes le Décret de l'Ime. M. le gouverneur concernant le travail des Bubis, je le lis à tous les Bubis de ce village et à ceux de la forêt, tant et si bien que le lendemain tous les sujets de Biabedda (chef bubi de Batete) se présentèrent au travail, à l'exception de deux vieux qui restèrent à Besé (village bubi) » 345. Une attitude logique si on considère la position des clarétains dans le système colonial, bien que nuancée au sein de deux lignes distinctes : tout d'abord, par la « protection » accordée aux élèves et anciens élèves des Missions au cas où le gouvernement voudrait les obliger à travailler, étant donné le caractère « civilisé » , et par conséquent, « travailleur » de « leurs » garçons : « Si les jeunes auxquels la communication de V. E. nº 1240 fait référence sont les mêmes, comme je le crois, qui se présentèrent à moi hier matin, je peux vous affirmer qu'ils sont en effet du village de Zaragoza, autrefois Ytomo, et qu'ils ont été à la Mission et qu'ils possèdent plusieurs métiers ainsi qu'une petite propriété, signalée dans les environs de la dite localité par la Mission, en intelligence avec le gouvernement de la colonie. Il est vrai aussi que trois d'entre eux vont se marier à l'église au cours de cette semaine, si bien que les bans sont faits et que tout est prêt. Ils épousent trois filles éduquées dans l'école des R.R. Mères conceptionnistes à Basilé. Je tiens aussi à ajouter qu'ils ont aidé la Mission dans la construction d'une nouvelle chapelle qui vient d'être bénie et ouverte au culte public. Je crois, enfin, qu'il faut les laisser libres non pas pour une semaine, mais définitivement, et que cela soit extensif à tous les indigènes qui possèdent des propriétés, comme le Décret Royal sur le Régime de Propriété le leur octroie » 346 ; et puis, par la 345

« Tan pronto como llegó el Decreto del Itmo. Sr. Gobernador sobre el trabajo de los bubis lo leí a todos los bubis de este pueblo y a los del bosque, logrando que el día siguiente se presentasen al trabajo todos los súbditos de Biabedda (jefe bubi de Batete) quedándose él solo con dos viejos en este Besé (pueblo bubi) ». Lettre du P. León García, Supérieur de la Mission de Batete, au P. Ramon Albanell. In lettre du P. Ramon Albanell au P. Eusebio Sacristán, du 15 septembre 1910. AG.CMF, Section F, Serie N, Boîte 13, Carton 19. Il s'agit d'un long document de 18 pages qui comprend des épisodes divers et des renseigments concernant les bans de travail obligatoire. 346 « Si estos jóvenes a que se refiere su comunicación de V.S., número 1.240, son los mismos, como creo lo son, que se me presentaron ayer por la mañana, puedo asegurar que en efecto son del nuevo poblado de Zaragoza, antes Ytomo, y que han estado en la Misión y que

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dénonciation incessante des abus que les Bubis devaient subir, laquelle était aussi assumée par la direction de la Mission : « Les indigènes Bubis n'ont pas oublié les actes de violence qu'ils ont du endurer, provenant de propriétaires peu scrupuleux, quelques années auparavant. Ils n'ont pas oublié ceux qui moururent pour ce travail, ni la manière dont ils furent traqués ou peu s'en faut. Ils n'ont pas oublié comment certains eurent du mal à toucher leur salaire, sans compter que d'autres, d'après ce qu'on dit, ne furent même pas payés » 347. La dénonciation des méfaits des colons et des militaires plaçait les missionnaires au-dessus du gouvernement, notamment parce que les clarétains considéraient illégal que l'on fasse travailler les Bubis dans les propriétés des colons alors qu'ils étaient capables d'en créer de particulières : une nuance d'importance et qui résulte de l'application du modèle des religieux au labeur civilisateur. Au point que parfois ils se refusèrent à participer comme curés aux expéditions de représailles organisées dans le but d’étouffer les petites révoltes bubis (ce fut au début, car par la suite leur discordance se pliait aux ordres supérieurs) : « Je m'y rendis, et j'arrivai lorsque la réunion était déjà finie et qu'ils étaient levés. Le P. Juanola me dit ce qui précède ; mais comme, de ma part, j'ignorais ce qui avait été le sujet de la réunion, je demandai : “ Pourquoi faut-il y aller ?. “ Pour administrer les sacrements aux blessés et les secourir s'il le faut ”. Ils devaient décider par décret le départ des forces disponibles de Santa Isabel commandées par le lieutenant de la garde coloniale M. Rodríguez, accompagné du gouverneur. Comme j'étais au courant de ce qu'avait fait D. J. de Salas, et totalement opposé à ce que le décret disposait, je restai perplexe ; puis M. Salas ajouta : “ Le P. veut y réfléchir ”. Moi, à bon escient, et ne voulant pas encourager par ma présence une campagne contre les Bubis, je lui poseen varios oficios y todos su finquita señalada en los alrededores del citado poblado por la Misión, en inteligencia con el Gobierno de la Colonia. Así mismo es cierto que van a celebrar tres matrimonios católicos en esta semana, y tanto es así que ya están hechas las proclamas y todo preparado. Se casan con jóvenes educadas en el Colegio de las Rdas. Madres Concepcionistas en Basilé. Puedo además añadir que ellos mismos han cooperado con la Misión a levantar allí una nueva capilla la cual hace pocos días se ha bendecido y abierto al culto público. Finalmente soy de parecer que no sólo una semana, se les debe dejar libres, sino completamente, comprendiendo todos los indígenas que posean fincas en la forma que el R.D. sobre el Régimen de Propiedad les concede ». Communication du P. Joaquim Juanola au gouverneur Ángel Barrera, du 19 juillet 1910. In lettre du P. Ramon Albanell au P. Eusebio Sacristán, du 15 septembre 1910. AG.CMF, doc. cit. 347 « Los indígenas bubis recuerdan muy bien las tropelías que han sufrido de amos o finqueros sin mucha conciencia en años anteriores. Se acuerdan de que se les obligó a algunos de ellos a contratarse por 3 años en época no lejana, aprovechándose tal vez de su ignorancia. No olvidan los muchos que por estos trabajos murieron, ni el modo como, casi diríamos, fueron cazados. Recuerdan muy bien cómo a algunos les costó cobrar el salario de sus trabajos, si es que otros, según se oye, nada recibieron ». Lettre du P. Ramon Albanell au P. Eusebio Sacristán, du 15 septembre 1910. AG.CMF, doc. cit.

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répliquai : “ Oui, je veux y réfléchir ». En arrivant à la Mission, nous discutâmes de l'affaire avec le R. P. Juanola et le P. Ferrando. Moi, je dis que comme médiateur de la paix j'irais, même à pied, mais jamais pour encourager la guerre ; et je le répétai au P. Ferrando. Finalement, ce fut lui qui y partit et moi, je fus bien déçu. Dieu me récompensera » 348. Tout cela trace une coupure, un partage inégal dans le panoramique missionnaire des clarétains en Guinée Équatoriale : si, dans les Missions concrètes, les clarétains pouvaient appliquer leur modèle, tout au long de cette période, à l'écart des colons et des autorités, à Santa Isabel il en allait autrement : dans la « ville pervertie » ils devaient se soumettre à l'arbitrage de gouverneurs et d'administrateurs qui se situaient au sommet de ce « royaume du péché, de l’ignorance et de la souffrance » dont il fallait protéger les plus faibles. Pour mener à bien cette défense, cette « protection » des faibles, des femmes et des indigènes face aux procédés arbitraires et à l'immoralité des colons et des autorités, la capitale devenait un lieu d'affrontement avec le gouvernement ; tandis qu’au-delà la confrontation était menée avec les sociétés traditionnelles.

Les idées « archi-avancées » des gouverneurs Au cours des 17 ans de la période décisive étudiée (1883-1900), il y eut en Guinée espagnole 28 gouverneurs généraux : 10 en qualité de propriétaires et 18 par intérim. Ci-dessous les dates de leurs mandats349 :

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« Fuí, llegué, cuando estaban ya en pie, después de haber terminado la Junta. Me dijo el P. Juanola lo que antecede ; pero como yo ignoraba lo que en la Junta se trató, pregunté “ en qué sentido había de ir ”. “ Para administrar los sacramentos a los heridos y auxiliarles si era necesario ”. Habían decretado salieran las fuerzas disponibles de Sta. Isabel al mando del teniente de la Guardia Colonial Sr. Rodríguez con el Gobernador. Como yo estaba ya al tanto de lo que hizo D. J. de Salas, y completamente contrario a lo dispuesto por el Bando, me quedé perplejo, y luego el Sr. Salas dijo : “ El P. quiere pensarlo ”. Yo, que pensé acertar y no quería dar calor a una campaña contra los bubis con mi presencia, dije : “ Sí, quiero pensarlo ”. Al llegar a la Misión hablamos del asunto con el R.P. Juanola y el P. Ferrando. Yo dije que como mediador de paz, aunque fuera a pie iría, pero no como dando calor a la guerra. Lo mismo dijo el P. Ferrando. Al fin fue el P. Ferrando, llevándome yo un chasquillo. Dios me lo premiará ». Ibidem. 349 Documents de prise de possession et de cessation conservés aux AGA. Section ÁfricaGuinea, Boîte G-1903. Les propriétaires sont marqués par un astérisque.

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Nom Antonio Cano Waldo Pérez Cossio José Montes de Oca José Ibarra José Barrasa José Montes de Oca Juan de la Rocha

Début 25 janvier 1883 28 décembre 1884 28 janvier 1885 28 avril 1886 3 mai 1886 2 janvier 1887 1 octobre 1887

Cessation 28 décembre 1884 28 janvier 1885 28 avril 1886 3 mai 1886 2 janvier 1887 1 octobre 1887 8 novembre 1887

Luis Navarro José Ibarra Antonio Moreno Guerra José Ibarra José Gómez de Barreda José Barrasa Antonio Martínez

8 novembre 1887 4 février 1888 20 avril 1888

4 février 1888 20 avril 1888 21 avril 1890

21 avril 1890 4 novembre 1890

4 novembre 1890 22 décembre 1890

22 décembre 1890 24 décembre 1891

24 décembre 1891 19 avril 1892

Eulogio Merchán Dionisio Shelly Pío Porcell Dionisio Shelly José de la Puente Agustín Cuesta Adolfo de Espa a

19 avril 1892 12 mai 1893 17 mai 1893 1 juin 1893 29 juin 1893 16 février 1895 21 juillet 1895

12 mai 1893 17 mai 1893 1 juin 1893 29 juin 1893 16 février 1895 21 juillet 1895 19 mai 1897

Amanda Pontes Mateo Manuel Rico José Rodríguez Vera Francisco Guarro Guillermo Lacave Francisco Dueñas

19 mai 1897 19 juin 1897 21 juillet 1897 19 octobre 1897 7 novembre 1899 30 novembre 1899 14 décembre 1899

19 juin 1897 21 juillet 1897 19 octobre 1897 7 novembre 1899 30 novembre 1899 14 décembre 1899 3 mars 1901

La première caractéristique qui s'en détache, et la plus évidente, c'est la courte durée des mandats : une moyenne de 7,7 mois (17,5 pour ce qui fait les propriétaires et 2,3 pour les intérims). Parmi les dix propriétaires de cette période, toujours nommés pour un mandat de deux ans, uniquement trois les

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accomplirent (Antonio Cano, Antonio Moreno Guerra et José Rodríguez Vera) ; en revanche, deux décédèrent à Fernando Póo (Eulogio Merchán et Adolfo de España), deux durent partir pour maladie (José Montes de Oca deux fois - et José Rodríguez Vera), deux furent destitués (José Barrasa et José de la Puente) et un autre fut réclamé à Madrid par le Ministère (Francisco Dueñas). Cette courte durée des mandats et, par conséquent, la mobilité incessante des gouverneurs, empêchaient, en fait, une ligne de continuité dans le sein d'une action coloniale de mince portée. Ce qui contraste avec la stabilité de la hiérarchie missionnaire, que seule la mort de ses titulaires modifiait. La deuxième caractéristique que je tiens à souligner c'est le fait qu'ils étaient tous militaires de la Marine350 ; car Santa Isabel n’était, en fait, pour le gouvernement espagnol, qu'une station navale située dans un endroit privilégié. Les gouverneurs propriétaires étaient toujours des capitaines de frégate. Quand ils cessaient leur mandat, c’était l’officier de plus haut grade et ancienneté, presque toujours un lieutenant de navire, qui occupait le poste de manière intérimaire. La condition militaire des gouverneurs permettait de déployer leur autorité autant dans le milieu civil que militaire et policier et explique, en partie, certaines des différences de conception entre l'autorité coloniale et les missionnaires. Effectivement, lorsque les clarétains arrivèrent en Guinée (1883) la troisième guerre carliste avait pris fin sept ans auparavant, avec la victoire des troupes libérales. L'armée espagnole était donc composée en grande partie d’officiers sympathisant cette idéologie, et c'est la raison pour laquelle la plupart des gouverneurs de Fernando Póo, officiers d'un grade plutôt élevé351, professaient des idées libérales. Ceci n'était pas le cas pour tous, et le fait d'être des libéraux ne voulait pas dire être anti-missionnaires, et qu'il n'y eût parmi eux aucun catholique fervent et pratiquant. Mais cela justifie cependant la distance qu'ils gardaient à l'égard des missionnaires sur des points que ceux-ci considéraient essentiels : ainsi donc, face à l'ultramontanisme clarétain ils voulaient exercer une séparation des pouvoirs ; soit à l'encontre de l'idée missionnaire qui tentait d'imposer les mœurs chrétiennes, adoptant une politique d'apaisement des conflits ; soit, à Santa Isabel, acceptant la liberté de cultes plutôt que de défendre les manifestations religieuses protestantes. Ainsi, par exemple, lorsque les P.P. 350

Sauf le gouverneur intérimaire Francisco Guarro, qui était le secrétaire de la colonie et fut déposé, 23 jours après sa prise de possession, par le militaire de plus haute graduation (un petit coup d’État colonial approuvé par les autres autorités de Fernando Póo, parmi lesquelles il y avait le Préfet Apostolique de la Mission, P. Ermengol Coll). 351 Dans la Marine espagnole, la graduation de capitaine de frégate, immédiatement inférieure à celle de capitaine de vaisseau, correspond à un lieutenant colonel de l’Armée ; celle de lieutenant de navire correspond à un capitaine de l’Armée.

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Coll et Juanola baptisèrent une femme protestante in articulo mortis contre la volonté de la famille, le gouverneur Barrasa réagit de manière fulminante : « Je me rendis à 9 h. chez M. le gouverneur pour assister à une réunion du Conseil de Voisinage, et avant d'entrer, il commence à me réprimander sévèrement, “ parce que nous avions violé la volonté de la morte, la baptisant sans être fixés sur sa volonté ”. S'il m'avait reproché d'avoir voulu l'enterrer en terrain sacré, soulevant le scandale ou le trouble du village, je n'aurais été nullement surpris. Mais, ce n'est pas cela, il n'avait remarqué que le fait que nous avions voulu qu'elle devienne catholique malgré sa volonté et, furieux, il m'adressa des propos quelques peu osés. Je lui répondis que, d'après les règles de la morale, je connaissais suffisamment la volonté de la défunte pour la baptiser ; nous nous disputâmes pendant quelque dix minutes et il conclut en disant qu'il voulait que cette action fut citée en justice. Il appela le juge avocat au conseil d'état et le somma d’engager un procès » 352. Je m'étendrai quelque peu sur ce gouverneur, qui, exceptionnellement, manifestait explicitement des idées anti-missionnaires : « Dans le budget envoyé par M. Barrasa celui-ci insiste, comme il avait fait dans le précedent, pour que le personnel des Missions soit réduit. De sorte que, dans cette Maison, il n'y ait que quatre PP. et quatre bonnes Sœurs ; pour les autres Maisons, deux PP. et deux bonnes Sœurs, hormis celle d'Elobey où, d'après lui, il faut trois PP. et deux bonnes Sœurs. Et nul ne put rétorquer, car il se mit en colère et poussa des cris, et disait (en pleine réunion) qu'il était radical et que, si c'était pour lui, il ne laisserait qu'un seul curé dans toutes les Missions, établissant des écoles laïques, ce qui serait une économie pour le gouvernement ; et toute une suite d'âneries et de démonstrations de fureur » 353. Il s'agit d'un comportement exceptionnel car, normalement, les 352

« Fuí a las nueve a casa del Sr. Gobernador para asistir a una Junta de Vecinos ; y, antes de entrar en Junta, comienza a increparme “ porque habíamos violentado la voluntad de la difunta, bautizándola sin constarnos ciertamente de su voluntad ”. Si él me hubiera hablado de pretender enterrarla en sagrado sólo por el escándalo o turbación del pueblo, no lo hubiera extrañado ; pero no, él se fijó en que habíamos querido hacerla católica contra su voluntad y, enfadado por este motivo, me dirigió frases algo atrevidas. Yo le contesté que, según las reglas de moral, me constaba suficientemente la voluntad de la difunta para bautizarla ; disputamos unos diez minutos, concluyendo él diciendo que quería se formara sumario sobre esto. Llamó al juez letrado y le ordenó que procediera a la formación de una causa ». Lettre du P. Ermengol Coll au P. Josep Xifré, du 10 février 1891. AG.CMF, Section F, Serie N, Boîte 8, Carton 8. 353 « Insiste el Sr. Barrasa, como en el presupuesto anterior, en éste que por este correo manda, en disminuir el personal de las Misiones. Esto es, que en esta Casa sean solos 4 PP. y 4 HH. Las otras, 2 PP. y 2 HH., menos la de Elobey, que pone tres PP. con 2 HH. Y no hay quien le pueda argüir en contra, porque se enfada y grita, y decía (en plena Junta) que era radical y que por él volvería a dejar un solo cura en ésta y demás Misiones, y establecer escuelas laicas, que se ahorraría para el Gobierno ; en fin, desatinos y más desatinos, y saña y

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gouverneurs ne mettaient jamais en cause la situation des missionnaires mais plutôt la conduite concrète de certains de leurs individus ; de même que les missionnaires critiquaient certaines conduites concrètes des gouverneurs et d'autres membres de l'administration tout en étant convaincus de la nécessité d'un gouvernement colonial espagnol pour la Guinée ; qui, tant s'en faut, ne devait nullement gêner leur œuvre, mais collaborer dans leur labeur évangélisateur qui était pour eux le plus important. Barrasa, par contre, toujours d'après la même lettre du P. Juanola, « il disait que « lui, il avait des idées archi-avancées » . C'est la raison pour laquelle ce cas me paraît tout particulier, vu qu'il poussait ses idées à l'extrême ; c'est bien au cours de son mandat que celles-ci furent le plus clairement exprimées. En fait, les clarétains avaient engagé leurs rapports avec les gouverneurs du mauvais pied, entamant cette « lutte pour l’enseignement » dès leur arrivée à Santa Isabel pendant le mandat d'Antonio Cano qui, à son tour, leur causa des problèmes de liquidité économique en leur demandant de suivre la procédure habituelle pour l'encaissement de l'argent public. Les gouverneurs par intérim ne causaient pas en général de problèmes, car leur mandat était de très courte durée et, vu cette situation d'intérim, ils se contentaient de faire un suivi des affaires bureaucratiques. Le deuxième gouverneur propriétaire, José Montes de Oca, reçut l'aide des clarétains lorsqu'il décida d'entreprendre une incursion au Muni, en plein litige avec les Français : « Dans ce but, il entreprit à bord de la goélette “ Ligera ” son voyage pour Elobey ; la Mission lui prêta une aide précieuse apportant une importante somme d'argent sans laquelle l'expédition n'aurait pas pu s'effectuer ou aurait dû être rapportée à plus tard. (...) L'expédition fut couronnée de succès, et Ms. Montes de Oca, Osorio et Espinoza entrèrent par la rivière Muni et sortirent sans encombres au bout de quelque temps par la Benito, tout en faisant des projets sur le territoire parcouru afin de pouvoir témoigner des travaux de qualité qu'ils avaient menés à bout. Arrivés de l'expédition à bord de la “ Ligera ”, ils se rendirent aussitôt à l'église, où fut chanté un Te Deum solennel et une Salve à Ste. Marie en action de grâces » 354 ; en revanche, il entretint de fréquentes discussions avec les más saña ». Lettre du P. Joaquim Juanola au P. José Mata, du mois de novembre 1891. AG.CMF, même localisation. 354 « A este fin emprendió con la goleta “ Ligera ” su viaje hacia Elobey, prestándole la Misión su valiosa ayuda con una respetable cantidad que facilitó al mencionado Sr. Gobernador, sin cuyo auxilio no hubiera podido hacerse la expedición o se hubiera retardado algún tiempo. (...) Llevóse a cabo felizmente la expedición, y los Sres. Montes de Oca, Osorio y Espinoza, entrando por el río Muni salieron sin novedad después de algún tiempo por el Benito, haciendo planos sobre el territorio recorrido a fin de poder mejor atestiguar los trabajos que a gran casta habían llevado a cabo. Venidos de la expedición con la “ Ligera ”, se dirigieron inmediatamente a la iglesia, en donde se cantó un solemne Te Deum i una Salve a la Sma. Virgen en acción de gracias ». [Coll, Ermengol] (circa 1908), Crónica de la CasaMisión de Sta. Isabel. AG.CMF, doc. cit., p. 32-33.

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clarétains à cause de la goélette : pour les missionnaires elle devait être à leur service pour le ravitaillement des Missions les plus éloignées, ce qui était de toute première importance, tandis que le gouverneur croyait que les religieux devaient se restreindre aux déplacements ordinaires (et plutôt rares) qu'elle effectuait. Il en ressortit que les missionnaires se virent obligés très souvent de louer des navires de commerce pour ravitailler leurs Maisons, notamment celle d'Annobon, ce qui renchérit les frais et ne fit qu'augmenter la tension. Le troisième gouverneur propriétaire fut Antonio Moreno Guerra, que les clarétains arrivèrent à accuser de mollesse et de complicité dans l'incendie de l'église de la capitale (vid. supra). Tout compte fait, des relations distantes mais non conflictuelles, avec ça et là des problèmes mineurs provoqués parfois par la politique clarétaine de faits accomplis et par la lenteur et la mollesse de l'Administration. C'est à l'époque du quatrième gouverneur, José Barrasa, que la situation éclata. Celui-ci développa une politique d'obstruction incessante qui peut se résumer en trois caractéristiques, lesquelles seront suivies par les autres gouverneurs, bien qu’avec moins de rigueur : • Au cours de toute la période, la liberté de culte fut respectée à Santa Isabel, à peu d'exceptions près. Cette disposition, nécessaire pour la cohabitation dans une ville à majorité protestante, dérangeait les clarétains qui n'arrêtaient pas de répéter que la religion officielle de l'État était la catholique. Les gouverneurs les plus catholiques dressaient des entraves et des interdictions à certains actes publics des baptistes ; en revanche, les gouverneurs les plus libéraux étaient nettement consentants (rappelons que liberté de cultes, signifiait, en pratique, liberté pour les cultes protestants ; et que cette revendication formait une partie de l'idéologie libérale). Barrasa, par ses idées « archi-avancées », allait bien au-delà, et entretenait une étroite amitié avec les Pasteurs protestants de la capitale : « À Santa Isabel les gouverneurs ou autorités permettent de célébrer des baptêmes, des mariages, des enterrements, avec la plus grande solennité, dans les rues, de la musique, des tambours, etc., etc. ; sans compter que parfois les officiers y assistent aussi, le secrétaire et les autres qui sont au-dessous, mais pas le gouverneur ; hormis la fois où, donnant le bras à la femme du Pasteur protestant, il osa la proposer comme marraine au baptême d'un pont, ce qui, évidemment fut refusé à Barrasa » 355. 355

« En Sta. Isabel dejan celebrar los gobernadores o autoridades bautismos, matrimonios, entierros con la mayor solemnidad, por las calles, músicas, bombos, etc. etc. Y esto cuando no asisten oficiales, desde el secretario para abajo, no el gobernador, menos aquella ocasión en que se llevaba del brazo el gobernador a la señora del Pastor protestante, hasta a atreverse a proponérsela para madrina de la bendición de un puente, lo que, por supuesto, le fue negado a Barrasa ». Causas porque no desaparece el espíritu inglés todavía, ni la lengua. In lettre du P. Juanola au P. Martí Alsina, du 24 décembre 1903. AG.CMF, doc. cit. De même que dans tous

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• L'ostentation de leur amitié avec les protestants, constituait pour les clarétains un " mauvais exemple ". Cependant, ce qui séparait le plus les uns et les autres était tout ce qui concernait l'enseignement, qui pour les missionnaires était devenu l'axe de toute leur conduite : · Tout d'abord, les religieux souhaitaient l'exclusivité de la totalité de l'enseignement de la colonie et, comme nous avons vu, ils y parvinrent quelques mois après leur arrivée. Le problème est que, à Santa Isabel, les protestants refusaient d'emmener leurs enfants aux écoles catholiques et, quand ils disposaient de moyens économiques, ils préféraient les emmener aux écoles protestantes de Sierra Leone. Cette situation se poursuivit tout au long de la période sujet de mon étude. Les gouverneurs les plus libéraux acceptaient que les protestants ouvrissent discrètement leurs écoles sous prétexte de garder un climat pacifique et de tolérance à la capitale, de manière provisoire et pendant qu'ils consultaient l'affaire à Madrid. Quelques mois après, le gouvernement refusait la sollicitude et ordonnait la fermeture de ces écoles. En revanche, les gouverneurs les plus catholiques ne mettaient pas la question en cause et n'apportaient aucun changement à la situation : c'est-à-dire, avec la plupart des enfants des protestants non scolarisés. Barrasa, tant s'en faut, décida de garder ouvertes les écoles protestantes, ceci même après les admonestations du Ministère : « Le gouvernement de Madrid avait en réalité donné l'ordre de fermer les écoles protestantes par O. R. du 18 mars (je ne suis pas très fixé sur la date, car je n'ai pas eu accès à cet O.R.). Loins de le mener à bien, [Barrasa] rendit visite aux écoles et répondit à Madrid qu'il considérait que cette mesure n'était pas sage, alléguant toute une série de raisons maçonniques qui ne favorisaient en rien ni la Religion ni la Mission. Dédaignant ses raisons, Madrid lui envoya un nouveau O.R. qui le sommait d’obéir aux ordres donnés par le premier. Une fois reçu ce deuxième O.R., il convoqua à nouveau une Assemblée des Autorités “ pour une affaire très importante ”. J'ignore si préalablement il en avait dit quelques mots aux employés membres de cette Assemblée. Comme je l'ai déjà rapporté, le P. Juanola y assista ; après la lecture des deux Ordres Royaux, le gouverneur leur demanda quelle était leur opinion insistant sur le fait de laisser l'école protestante à titre provisoire, espérant que tous lui les autres aspects, la conduite de Barrasa fut suivie pas d'autres autorités. Ainsi, dans le même document : « Sans aller plus loin, et tout récemment. Que se passa-t-il à San Carlos, il y a à peine trois mois, lorsque M. Pescador était délégué du gouvernement ? Il y eut un mariage protestant. Et notre délégué, même de toute l'autorité qu'il représente, s'y rendit pour y assister et le présider... Mais, ensuite, il y eut un banquet. Et par qui fut-il préside ? Et bien, par le délégué lui-même, M. Pescador. C'est normal qu'ils se sentent importants ! » : « Para no ir muy lejos, y que es de fecha muy reciente, ¿ qué pasó en S. Carlos, hace escasamente tres meses, siendo allí delegado del Gobierno el Sr. Pescador ? Hubo un matrimonio en la Misión protestante. Pues allí subió a presenciarlo o presidirlo nuestro delegado, con toda la autoridad que representaba... Más. Dióse, luego de celebrado, un banquete. Y, ¿ quién lo presidió, sino el mismo delegado Sr. Pescador ? Claro, con esto se crecen ellos ».

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apporteraient leur appui et que “ le P. Juanola, vu son intelligence, serait sensible au bien fondé de cette mesure ”. À cela le P. répondit : “ En vertu du talent que vous m'octroyez, je suis d'avis que d'après l'esprit des OO.RR, il faut les fermer ; et permettez-moi de faire quelques remarques sur ce que vous avez présenté au gouvernement de Madrid ”. Alors, il réfuta les preuves qui, dans son écrit, il [Barrasa] avait alléguées contre nous et au profit des protestants, ce qui provoqua une polémique non négligeable, dûe au fait qui tous, hormis lui, donnèrent leur voix à M. le gouverneur. C'est un vrai désastre : quel que soit les éléments favorables à la Religion, nous sommes toujours seuls » 356. 356 « El Gobierno de Madrid había en verdad mandado cerrar las escuelas protestantes por R.O. de 18 de marzo (no recuerdo bien esta fecha porque no he visto esta R.O.). En lugar de ejecutarla,fue a ver las escuelas ; y luego contestó a Madrid que no consideraba prudente esta medida por una serie de razones masónicas nada favorables a la Religión ni a la Misión. Desestimadas en Madrid sus razones, le ha venido nueva R.O. mandando se ejecutara la primera. Recibida esta segunda R.O., reunió de nuevo Junta de Autoridades “ para un asunto interesantísimo ”. No sé si antes de ella había hablado algo con los empleados, que son los vocales. Asistió, como he dicho antes, el P. Juanola ; y, leídas las dos Reales OO., dijo que deseaba saber cuáles eran de su parecer, esto es, de dejar la escuela protestante con carácter de interinidad, confiando que todos le apoyarían y que “ el P. Juanola, en su talento, no dejaría tampoco de ver la rectitud de esta medida ”. El P. contestó : “ Haciendo uso del talento que V. me supone, soy de parecer que el espíritu de las RR.OO. es que se cierren ; y permítame hacer algunas observaciones sobre lo que V. ha representado al Gobierno de Madrid ”. Entonces le fue refutando las pruebas que en su escrito había aducido contra nosotros y en favor de los protestantes, con ocasión de lo cual hubo una polémica no pequeña, porque todos, a excepción de él, dieron su voto al Sr. Gobernador. Es una verdadera calamidad : en cualquier asunto que favorezca a la Religión, somos siempre solos ». Lettre du P. Coll au P. Mata, du 5 octobre 1891. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1. Dans une autre lettre, Coll exposait les raisonnements du Barrasa et ses allégations particulières : « Au sujet de l'école protestante : ce monsieur dit que la fermeture de l'école protestante ferait grand mal à la population et à la colonie, car toutes les familles protestantes enverraient leurs enfants à l'extérieur ; et que, une fois examinés les enfants de notre école et ceux de l'école protestante par lui-même, il s'était aperçu que les derniers avaient un niveau plus avancé. Quant au premier raisonnement, à mon avis il exagère quand il dit que toutes les familles protestantes enverraient leurs enfants ailleurs. Et, au cas où certains le feraient, ce serait plutôt portées par leur esprit anglais que non pas pour la crainte de recevoir, dans nos écoles, une éducation insuffisante. Et, même s'ils s'en allaient, qu’est-ce que cela représenterait comme perte pour la colonie ?. Qu'il ait trouvé les enfants des protestants d’un niveau plus élevé n’est pas surprenant, par la simple raison qu’il a un faible pour eux. Le sont-ils vraiment ? J'en doute. La raison que nous donnent tous les parents qui envoient leurs enfants à l'école protestante, c'est parce qu'ils veulent qu'ils apprennent l'anglais » : « Sobre la escuela protestante : Dice este señor que, a cerrarse la escuela protestante, sería grande el mal que sobrevendría a la población y a la colonia porque todas las familias protestantes enviarían fuera sus hijos ; y que, examinados por él los niños de nuestra escuela y los de la protestante, halló a aquéllos más adelantados. Sobre lo primero, es, a mi parecer, exagerado el decir que todas las familias protestantes enviarían fuera sus hijos para instruirse. Y, si algunos lo hicieran, sería por el espíritu inglés que les domina, y no por no poder salir suficientemente instruidos de nuestras escuelas. Y, aunque se marcharan, ¿ qué perdería la colonia ? Que hallara a los niños de los protestantes, a su parecer, más adelantados, me lo explico por la sencilla razón de que los quiere más. Que en realidad lo estén, me parece que no. La razón que ahora nos dan todos los

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· Deuxièmement, Barrasa s'érigea comme « protecteur » des indigènes face aux clarétains, qui se refusaient à rendre les garçons et filles internes des internats missionnaires aux parents qui les réclamaient : « Une des choses que j'oubliais de vous dire, et qui retarde outre mesure la conversion et civilisation de cette colonie, c'est que M. Barrasa ne veut pas que les filles soient internes dans les écoles des religieuses contre la volonté de leurs parents. Il en découle que, ignorant les biens de la religion et de la civilisation, ces gens ne leur attribuent aucun bien et ne s'intéressent nullement à ce que leurs filles soient bonnes ou ne le soient pas, qu'elles sachent ou qu'elles ne sachent pas. Ces hommes sont tout comme des enfants qui ne savent pas ce que c'est que la religion ni la civilisation. Pourtant, les autres gouverneurs (comme, vu la composition de la ville, les filles ne peuvent pas rester bonnes à moins d'être enfermées, car elles voient le manque de zèle et de pudeur de leurs mères) faisaient de sorte qu'elles soient internes et ne leur permettaient pas de quitter les bons soins des religieuses, à moins d'une bonne raison. Ce monsieur ne le supporte pas. Il a l'impression qu'on fait violence à la conscience des parents et des filles, ou je ne sais quoi encore ; si bien que, lorsque les parents ou tuteurs les demandent, il veut qu'on les leur remette aussitôt, bien que par expérience nous sachions qu’elles sont les proies du libertinage. C'est d'ailleurs la raison que je lui exposai la première fois qu'il donna cet ordre. Il souhaite, bien sûr, qu'elles aillent à l'école, qu'elles reçoivent une éducation : mais pas internes, cela non » 357. À la suite de ces mesures, l'école de religieuses de Santa Isabel perdit tous ses élèves ; et si la mesure ne se répandit pas dans d'autres internats c'est parce que les clarétains prirent toutes sortes de précautions pour que les ordres de Barrasa ne puissent se mener à terme.

padres que mandan a sus hijos a la escuela protestante es porque quieren que aprendan inglés ». Lettre au P. Xifré, du 17 décembre 1891. AG.CMF, même localisation. L'affaire ne serait résolue qu'en 1896, lorsque le gouvernement décida de créer une école laïque à la capitale (vid. supra). 357 « Otra cosa del Sr. Barrasa que se me olvidaba y retrasa mucho la conversión y civilización de esta colonia, es el no querer que las niñas estén internas en el colegio de las religiosas contra la voluntad de sus padres. De donde se sigue que, no conociendo esta gente los bienes de la religión y civilización, no lo aprecian nada y tanto se les da que sus hijas sean buenas como no, que sepan como que no sepan. Son los hombres como niños que no saben lo que es religión ni civilización. Pues bien, los otros gobernadores (como, atendida la composición de la ciudad, las niñas, sin estar encerradas, no pueden conservarse buenas, y veían la falta de celo y pudor de las madres) procuraban ponerlas internas, y sin un motivo muy razonable no permitían que saliesen del cuidado de las religiosas. Este señor no puede sufrir esto ; le parece que es violentar la conciencia de los padres y de las niñas, o no sé qué ; y, así, si los padres o tutores las piden, quiere que se las entreguen enseguida, a pesar de la experiencia que tenemos de que la mayor parte las entregan al libertinaje, que fue la razón que le opuse la primera vez que ordenó esto. Quiere, sí, que vayan a la escuela y se instruyan ; internas, no ». Lettre du P. Coll au P. Xifré, du 12 février 1891. AG.CMF, même localisation.

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• Le point culminant de cette « persécution » était d'ordre économique : Barrasa limita les apports aux Missions dans les sommes budgétaires tout en faisant de sorte que les budgets destinés aux missionnaires fussent les plus restreints possible : ainsi, par exemple, ils mit des entraves au financement de la Mission que les missionnaires étaient en train de construire pour les bonnes Sœurs à Corisco : « Je crains fort ne pas pouvoir récupérer ce que nous avons investi dans la construction de la Maison-école. Et si je dis que le je crains c'est parce qu'en fait, ses actes ne correspondent pas à ses paroles. M. le gouverneur me dit, à chaque fois que nous abordons ce sujet, qu'il attend de Madrid que le crédit concernant le chap VIIIe. art. 1er. soit augmenté, car les 6.410$ consignés ont servi au montage, entretien et réparation des bâtiments en fer. Lorsque la dite augmentation sera parvenue, il nous donnera, s'il en reste, les 1.000$ consignés dans le budget. Quant au reste, il s'y refuse pour dépassement sans avoir obtenu l'autorisation préalable » 358. Et il s'opposa à l'agrandissement de l'église de la capitale et à la construction de nouvelles églises à Corisco et à Elobey (territoires en litige avec le gouvernement français). Et il arriva au point de réclamer l'argent que les clarétains touchaient et qui était destiné au « personnel pour l’église » (acolytes, sonneurs de cloches, etc.) depuis longtemps ; parce que ces services étaient réalisés par les élèves et les religieux gardaient cet argent pour la Mission : « Il avait envie depuis longtemps de nous obliger à lui rendre tout ce que nous avions perçu pour le personnel de l'église (dont le montant s'élève à environ 4.000$, depuis l'existence des Missions). Et nous avons eu beau lui dire que cet argent s'était investi au service des enfants, il ne veut rien entendre et il est en train de monter un procès parce que je me refusais sans ambages à le rendre aux parents des enfants, comme il prétendait. Je crois que cette affaire se résoudra à Madrid, parce que ce monsieur est prêt à la mener jusqu'au Tribunal Suprême ne serait ce que pour nous faire passer pour des voleurs » 359. La prétention que nous avons vue au début tendant à réduire le

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« Ya desconfío por completo poder cobrar lo invertido en la construcción de la Casaescuela. Digo desconfío de lograrlo en ésta ; porque, aunque todos tienen ahora muy buenas palabras, las obras no corresponden. El Sr. Gobernador me dice, siempre que tocamos este punto, “ que espera de Madrid ampliación de crédito sobre el cap. VIIIº art. Iº, porque los 6.410$ allí consignados han sido necesarios para el montaje, conservación y reparación de edificios de hierro ”. Cuando venga la referida ampliación, dice que si sobra dará los 1.000$ consignados en el presupuesto ; lo demás dice que no, por habernos excedido sin previa autorización ». Lettre du P. Coll au P. Mata du 24 août 1891. AG.CMF, même localisation. 359 « Hacía tiempo que tenía él deseos de obligarnos a desembolsar todo lo que habíamos percibido en concepto de personal de la iglesia (que, en todo el tiempo que cuentan las Misiones, vienen a resultar unos 4.000$). Y, a pesar de haberle dicho que todo se ha invertido a favor de los mismos niños, no quiere oír nada y nos está instruyendo sumaria porque yo me negué redondamente a reintegrarlo a los padres de los niños, como él pretendía. Este asunto creo se resolverá en Madrid ; porque este señor está resuelto a llevarlo aunque sea al Tribunal

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personnel des Missions, n'était donc qu'une part d’une conduite visant à faire obstacle à la tâche des missionnaires. Tous ces points concrets s'encadraient dans une attitude d'obstruction que les missionnaires interprétèrent comme une « persécution ». Ils dénoncèrent la conduite du gouverneur, autant devant le Ministère que devant le Saint Siège : « Depuis le mois de février l'aspect des choses a changé : nous avons un gouverneur adhérent à la Maçonnerie, d'après ce que me dit notre P. Procureur à Madrid, et par malheur, ses mots et ses actes ne le prouvent que trop. Il considère que la religion catholique tyrannise les consciences, et que, en ce qui nous concerne, nous sommes les ennemis de la liberté humaine. Ses actions ne sont jamais fondées sur un quelconque principe religieux, et il ne se gêne pas de subordonner la Religion aux biens matériels. En février il voulut nous dresser un procès sous prétexte d'avoir baptisé in articulo mortis une femme dont la volonté nous avait été largement prouvée par plusieurs intermédiaires, mais malgré l'opposition de sa famille et de parents protestants. L'école des religieuses est vide parce qu'il a donné l'ordre de rendre les filles à leurs parents et tuteurs malgré les pactes antérieurs qui avaient été établis. Il veut maintenant demander au gouvernement de Madrid de déclarer valables les mariages des protestants et légitimes leurs enfants » 360. La « persécution » se termina lorsque Barrasa fut relevé, ce qui eut lieu la nuit de Noël de l'année 1891 à la grande joie des missionnaires : « Entre temps, est arrivée par télégramme la relève du gouverneur (23 décembre). Quelle peur ! Que Dieu soit loué ! Je crois qu'hormis les Pasteurs, tout le monde va se réjouir de son départ et que personne ne pleurera, même s'il ne revient plus. (...) Comme le télégramme est arrivé le 23 décembre et la remise de pouvoir le 24, nous pourrons passer, Dieu aidant, la Noël avec

Supremo, para quedar, si puede, con la triste gloria de habernos hecho pasar públicamente por ladrones ». Lettre du P. Coll au P.Xifré, du 17 décembre 1891. AG.CMF, doc. cit. 360 « Desde febrero ha cambiado la cosa de aspecto. Tenemos un Sr. Gobernador afiliado a la francmasonería, según me dijo nuestro P. Procurador en Madrid, y por desgracia sus palabras y hechos lo acreditan demasiado. Tiene a la religión Católica por opresora de las conciencias, y a nosotros por enemigos de la libertad humana. No toma jamás ningún principio religioso por base de sus acciones, ni tiene reparo alguno en supeditar la Religión a los bienes materiales. En febrero quiso formarnos causa por haber bautizado in articulo mortis a una mujer cuya voluntad nos constaba por varios conductos, pero se oponía su familia y parientes protestantes. El colegio de las religiosas acaba de quedar vacío por haber él dado orden de que se entregasen las niñas a sus padres y tutores aunque hubiesen mediado pactos anteriores. (...) Ahora quiere pedir al Gobierno de Madrid que declare válidos los matrimonios de los protestantes y legítimos sus hijos ». Lettre du P. Coll au cardinal Simeoni, du 2 mai 1891. ASCPF, Scritture riferite nei Congressi : Africa : Angola, Congo, Senegal, Isole dell’Oceano Atlantico, vol. 9, f. 392-395.

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une certaine tranquillité » 361. Il faut dire que cette relève était la conséquence des démarches faites par le P. Mata auprès du Ministère d'Outre-mer : « La persécution redoublait par moments, et il était à craindre un dénouement fâcheux si on ne parvenait pas au plus tôt à relever du commandement une telle néfaste autorité. On mena à terme les démarches opportunes pour la réussite de la destitution du dit gouverneur, et, grâce à Dieu, elles eurent un effet accompli et rapide : Au bout de trois jours, on apprit par le Ministère d'Outre-mer que le ministre ayant écouté les plaintes justifiés des missionnaires, avait télégraphié au gouverneur de Fernando Póo lui ordonnant de désigner pour occuper ce poste le commandant de la canonnière “ Pelícano ” et qu’il entreprenne le voyage pour la Péninsule. Huit ou dix jours plus tard, on reçut au Ministère un télégramme de ce commandant, où il disait prendre en charge le gouvernement de la colonie. Nous eûmes donc le réconfort de savoir que nos chers missionnaires de Fernando Póo se verraient délivrés d'un adversaire d’une si grande cruauté, et nous espérons qu'ils pourront fêter tranquilles et heureux la Pâque de Noël » 362. Les missionnaires avaient su tirer la leçon : le gouverneur suivant, libéral, José de la Puente, fut aussi renvoyé sous l’effet de la pression exercée par les clarétains auprès du gouvernement de Madrid. Dans les rapports entre clarétains et gouverneurs, Barrasa fixa une frontière : suivant son expérience, les gouverneurs libéraux, poussés par le fait que c'est à cause des missionnaires qu'un de leur « compagnon d’armes » avait été destitué, cherchèrent à suivre une politique d’obstruction vis à vis des missionnaires dans les trois aspects que le gouverneur « radical » avait tracés :

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« Entretanto, por telegrama ha venido el relevo del gobernador (23 de dic.). ¡ Qué susto ! ¡ Alabado sea Dios ! (...) Creo que, exceptuados los Pastores, todo el pueblo va a tener alegría de su partida y no llorará nadie aunque no vuelva. (...) Como la llegada del telegrama ha sido el 23 de diciembre y la entrega del mando el 24, podremos pasar, Dios mediante, las Pascuas con alguna tranquilidad ». Lettre du P. Coll au P. Mata, (commencée le) 21 décembre 1891. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1. 362 « La persecución arreciaba por momentos, y era temible un desenlace fatal si pronto no se conseguía relevar del mando a una autoridad tan funesta. Practicáronse las diligencias oportunas para el logro de la destitución de dicho governador, y, gracias a Dios, surtieron cumplido y rápido efecto : a los dos o tres días se nos dijo en el Ministerio de Ultramar que el ministro, oídas las fundadas quejas de los misioneros, había telegrafiado al gobernador de Fernando Póo ordenándole que resignara el mando en el comandante del cañonero “ Pelícano ” y que se pusiera en marcha para la Península. Ocho o diez días más tarde se recibió en el ministerio un telegrama de dicho comandante, diciendo que se había hecho cargo del gobierno de la colonia. Tuvimos, pues, el consuelo de que nuestros queridos misioneros de Fernando Póo se vieran libres de un adversario cruel, y es de suponer que podrán celebrar tranquilos y gozosos las Pascuas de Navidad ». Destitución del gobernador de Fernando Póo . In : Anales de la Congregacion de los Misioneros Hijos del Inmaculado Corazon de Maria , volume 3, 1891-1892, p. 280-281.

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• une politique d'approche des protestants de Santa Isabel, leur permettant des activités liturgiques publiques et tolérant leurs écoles. • une politique de restrictions économiques consistant en des efforts incessants visant à la limitation du budget et du personnel des Missions et dans le refus d’accepter des frais non établis au budget. • une politique contraire à certaines pratiques clarétaines dans les internats : le fait de retenir des élèves contre la volonté de leurs parents, la vente d'armes aux Bubis, etc. Une politique qui penchait très souvent en faveur des clarétains, et ceci pour des raisons diverses : en raison des changements continus dans le poste de gouverneur ; par l'influence des religieux sur les ministres concernés ; par l'énergie clarétaine dans des affaires que les missionnaires considéraient fondamentales, alors que pour les gouverneurs Fernando Póo n'était qu'un poste isolé dans leur carrière. Il faut remarquer notamment que cette politique adverse ne pouvait être vraiment effective qu'à Santa Isabel, le seul endroit où l'autorité de l'Administration était supérieure à celle des clarétains : À Santa Isabel uniquement (et à Wesbe) il y avait des protestants (premier point) ; les missionnaires possédaient aussi d'autres sources de financement (deuxième point) ; et, en dehors de la capitale, tous les endroits « civilisés » étaient sous le contrôle des missionnaires, y compris les internats et les villages catholiques (troisième point). Il est, par exemple, vraiment significatif que Barrasa ne soit parvenu qu'à « vider » l'école de filles de Santa Isabel. Il y a, cependant, quelque chose de plus important à mettre en relief : ces " points de litige " qui allèrent en se délimitant entre les gouvernants et les missionnaires montrent, au delà d'attitudes personnelles et idéologiques différenciées, une manière différente d'interpréter la colonisation : le modèle clarétain face au modèle « civil » : • car, face à la tolérance administrative, les missionnaires prétendaient à une « conversion globale » de la société, qui ne pouvait comprendre ni les protestants ni les mauvais catholiques : « Si ce n'était pas eux !!! Nous transformerions l'île et nous chasserions les protestants ! Mais l'inviolabilité de leur mauvaise conduite et leurs scandales détruisent tout ce que nous avons eu tant de mal à créer » 363. • car, face à l'avarice du gouvernement, le modèle clarétain n'épargnait pas les moyens pour imposer de nouveaux modes de vie qui exigeaient des frais considérables et une expansion incessante sur tout le territoire, or pour 363

“ Si no por ellos !!!, bien transformaríamos la isla, y tirábamos a los protestantes !!! Mas su mala conducta de inmunidad y escándalos nos destruyen lo que con trabajos edificamos ”. Lettre du P. Joaquim Juanola au P. Mata, du 18 juillet 1893. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 8, Carton 8.

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les responsables de l'Administration il ne n'agissait que d'une Mission d'ordre « paroissial », bon marché et concentrée dans la capitale et d'autres endroits européanisés. • parce que ce modèle clarétain cherchait, presque dès ses débuts, l'intégration des indigènes dans le système de production coloniale ; alors que les gouverneurs voulaient surtout aider les colons, commerçants et propriétaires établis dans la colonie, se bornant à faire de sorte que ces indigènes ne soient pas un « problème ». • parce que, en général, le maintien de la « paix » était pour l'administration l'élément essentiel qui devait rendre possible le « développement » de la colonie, à partir d'éléments externes. Alors que, pour les clarétains, ce « développement » et cette « paix » n'étaient possibles que s'ils pouvaient compter sur le rattachement des indigènes et sur des règles du jeu fondées sur la conduite du modèle catholique. Je crois que ces deux modèles affrontés furent la racine des problèmes. Et je souligne que, de manière surprenante, et peut être fortuite, l'idéologie des gouverneurs, à partir de Barrasa, présenta une certaine alternance : après le libéral Barrasa, il y eut le catholique Eulogio Merchán, suivi du libéral José de la Puente, le libéral modéré Adolfo de España, le conservateur José Rodríguez Vera et le franc-maçon Francisco Dueñas. Et avec tous la Mission eut des problèmes : ~ Eulogio Merchán astreignit les Bubis au travail obligatoire, approuva un renchérissement incessant d'impôts et de tarifs, fit tout son possible pour que les bonnes Sœurs quittent l'école de Santa Isabel pour se consacrer à l'hôpital364, et par dessus tout, se tailla une telle réputation d'avarice qu'il devint un adversaire de la Mission : « Comme si l'économie était de son ressort, il propose au gouvernement supérieur la suppression d'un Père à Concepción et d'un Frère à San Carlos, l'église de Corisco, les 2.000$ du budget, éliminés d'un trait de plume. On lui fit remarquer bien sûr que donner sa voix [à l'Assemblée d'autorités] ne relevait pas de la compétence du Rd. P. Préfet, et bien moins encore revêtir de sa signature de telles affaires, propres au Rd. P. Général ou au Procureur, et au Gouvernement Général ou Ministère ; mais en vain, comme si l’on parlait à un mur, il continue, quoique l’on dise ou que l’on fasse » 365. 364

Je tiens à souligner à nouveau l'incompréhension dont les gouverneurs, voire les plus catholiques, firent preuve à l'égard du modèle clarétain : leur expérience se bornait presque uniquement à Santa Isabel et ils concentraient tous leurs efforts à résoudre les problèmes de la ville et de la population européenne. 365 « Como si a él perteneciese, tan tiempos de economía, propone al Gobierno Superior la supresión de un Padre en Concepción y un Hermano en S. Carlos, la iglesia de Corisco, los 2000$ presupuestados, a fuera todo de una plumada. Por supuesto, se le hizo notar que no era competencia del Rmo. P. Prefecto el dar voto [a la Junta d’Autoritats], ni mucho menos firmar sobre tales asuntos, propios del Rmo. P. General, o sea del Procurador y del Gobierno General

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~ José de la Puente rouvrit l'école des protestants : « Quand il répondit qu'on pouvait prêcher en anglais, le Conseil d'État insista pour que la permission ne dépassât pas ce domaine et que l'école ne puisse être faite en anglais, si bien qu'il recommanda à M. le gouverneur d'être très vigilant à ce sujet, afin que “ sous prétexte de religion, aucune langue en dehors de l'espagnole ne soit employée pour l'enseignement dans les écoles ”. Le brave M. le gouverneur en conclut qu'il fallait consulter le Ministère ou le Conseil d'État (je ne sais plus très bien qui) attendant qu'on donne la permission aux protestants de rouvrir les écoles, “ qui furent fermées par un accord de l'Assemblée des Autorités le 9 juillet 1892 ; parce que lorsqu'ils leur donnerait la copie de la communication [les protestants] en concluraient, par conséquent " (ce qu'ils ont fait : ce sont des mots du gouverneur figurant dans la consultation) “ qu'ils pourraient rouvrir leurs écoles ”. Et c'est ce qu'ils ont fait, à l'Assemblée suivante, avant que nous puissions rétorquer que “ les écoles avaient été fermées, par accord de l'Assemblée, suivant les OO.RR du 24 mars 1891, où on recommandait que l'éducation ne puisse être que catholique ” » 366. En outre, au cours de ses visites dans le reste de la colonie il se heurta à de graves conflits soulevés par les missionnaires à Annobon, Batete et Cap de Saint Jean, auxquels il répliqua par de telles mesures judiciaires que les missionnaires réagirent aussitôt afin de provoquer sa cessation. Nous verrons ces trois cas plus loin. ~ Cependant, la Mission put atteindre des rapports excellents avec le gouverneur Adolfo de España ; un gouverneur qui, auparavant, avait essayé aussi de convaincre les bonnes Sœurs de Santa Isabel de prendre en charge l’hôpital et laisser l’enseignement : « ” Mais ” - disait-il - “ vous ne faites que souffrir, à la capitale. On ne vous envoie plus de filles à éduquer. Et, aussi, vous êtes pauvres. Le Gouvernement vous donne moins d’argent qu’aux Pères missionnaires... et ils sont nombreux !, et ils ne travaillent o Ministerio ; mas como si se dijera a una pared, y él adelante, por más que se diga ni se haga ». Lettre du P. Juanola au P. Mata, du 7 janvier 1893. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 8, Carton 8. 366 « El Consejo de Estado, al contestar que podía verificarse la predicación en inglés, añade que se tenga cuidado en no pasar del permiso de la predicación en inglés a dar la escuela en inglés ; a cuyo fin recomienda al Sr. Gobernador que vigile las escuelas, a fin de que “ so pretexto de religión, no se introduzca en las escuelas la enseñanza en otra lengua que en la española ”. El bueno del Sr. Gobernador sacó de aquí, por consecuencia, que debía consultarse al Ministerio o al Consejo de Estado (no recuerdo a quién) si con esta contestación pretendía que se diese permiso a los protestantes para abrir las escuelas, “ que fueron cerradas por acuerdo de la Junta de Autoridades en 9 de julio de 1892 ; porque, al darles copia de la comunicación, [els protestants] naturalmente sacarían por consecuencia ” (como la han sacado ; todas éstas son palabras del gobernador. puestas en la consulta) “ que podrían abrir las escuelas ”. Así lo han hecho, antes que nosotros, en la Junta siguiente, pudiésemos oponer que “ las escuelas habían sido cerradas por acuerdo de la Junta, obedeciendo a las RR.OO. de 24 de marzo de 1891, en que se manda que la educación sea precisamente católica ” ». Lettre du P. Coll au P. Mata, du 12 juillet 1894. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1.

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guère. S’il y a quelqu’un qui rend visite aux Pères afin de se convertir, il s’agit d’un des ivrognes de la ville ” » 367. ~ José Rodríguez Vera, le plus conservateur des gouverneurs, d'après les clarétains, auquel il durent cependant s'affronter judiciairement pour le leg testamentaire d'une propriété qui les avantageait et que le gouverneur de son côté convoitait aussi : « Mais frôlant presque la fin de son gouvernement, incité par un médecin ami à lui, il tenta de nous déposséder de l'administration des terres de Juan Hernández, par un procès entamé par la soi-disant veuve de Juan Hernández, sous le conseil et avec l’aide du médecin en question. Le procès était d'autant plus fâcheux pour nous que M. le gouverneur et le juge étaient en faveur de la partie contraire, saisissant n'importe quelle planche de salut qui, d'après la loi, leur fusse favorable. On put finalement prouver que la soi-disant veuve avait épousé Juan Hernández, mais que son premier mari était encore au Sierra Leone, si bien que le deuxième mariage avec Hernández avait été nul et effectué de mauvaise foi. De sorte qu'ils ne purent obtenir gain de cause » 368. ~ Francisco Dueñas, un autre libéral aux « idées avancées » , mit en action une politique d’obstruction contre les missionnaires dans tous les domaines, raviva toutes les causes judiciaires en suspens contre eux, et prit le parti des familles des filles dans les Missions : « Au cours de son gouvernement le budget nous fut réduit à moins de la moitié, et il fut très surpris de voir que la moitié des missionnaires ne se réfugiait pas dans la Péninsule. Il nous accusa disant qu'un grand nombre de caisses de poudre et de munitions parvenaient à la Mission et que nous remplissions l'île d'eaude-vie de canne. Il chercha à annuler le paiement des passages de quelques Pères et Frères qui vinrent en temps voulu, alors qu'il croyait qu'ils allaient partir! Il se faisait l'écho de toute accusation ou de toute histoire, si c'était contre la Mission, se joignant à tous leurs détracteurs » 369. 367 « ” VV. ” -les decía- “ ahí en la ciudad no hacen nada más que sufrir. Ni les mandan las niñas a educar. Son, por otra parte, pobres. El Gobierno les pasa muy poco en comparación de a los Padres... Y a fe que ellos ¡ tantos ! y no hacen apenas nada. Si alguno se les va allí para convertirse, es de los borrachos ” ». Lettre du P. Joaquim Juanola au P. José Mata, du 20 septembre 1896. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 9, Carton 1. 368 « Pero tocando ya al fin de su gobierno, instigado por un médico amigo suyo trató de arrancar de nuestras manos la administración de las tierras de Juan Hernández, por pleito que nos entabló la supuesta viuda de Juan Hernández por consejo y ayuda del aludido médico. Este pleito era para nosotros tanto más enojoso cuanto que el Sr. Gobernador y el Juez estaban de la parte contraria, agarrándose de cualquier clavo ardiendo que les favoreciese según la ley. Pero al fin pudo probarse que la supuesta viuda había contraído matrimonio con Juan Hernández viviendo todavía en Sierra Leona su primer marido, por lo cual el segundo matrimonio con Hernández había sido nulo y contraído con mala fe. Con lo cual no pudieron salir con la suya ». [Coll, Ermengol] (vers 1908), Crónica de la Casa-Misión de Sta. Isabel. AG.CMF, doc. cit., p. 85. 369 « Durante su gobierno se nos mermó el presupuesto, quedando reducido a menos de su mitad, quedando él muy extrañado de que no nos retirásemos a la Península la mitad de los misioneros. Nos acusó de que venían para la Misión muchas cajas de pólvora y municiones, y

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Les missionnaires se formèrent, donc, une image négative des gouverneurs et, d'une manière générale, de tous les responsables de l'Administration, dans la mesure où leur conduite ne correspondait nullement à l'interprétation que donnaient les missionnaires de ce que devait être un État espagnol et catholique : « Nous sommes ici incessamment traqués et calomniés quoique nous fassions. Je ne sais pas pourquoi, mais, par malheur, certaines choses je ne les donne que trop ! Si au moins mes prévisions échouaient ! Quand les francs-maçons voient qu'il ne peut y avoir un gouverneur maçon, ils font de leur mieux pour que ceux qui l'entourent le soient et ceux-ci font l'impossible pour que les protestants ne soient pas poursuivis, en sous-main ils médisent de nous et avec du doigté et de belles paroles ils s'efforcent de maintenir la situation. Et étant donné que, en premier lieu, ils appartiennent au même corps de Marine et que les gouverneurs ne veulent pas leur faire de tort ; et en second lieu ils donnent toujours pour prétexte le bien de la colonie, et ceci sans compter que les gouverneurs quittent l'Espagne quelque peu prévenus contre la Mission, de là que, aussi bons soient-ils, pour quelque temps au moins, ils leur sont plus attentionnés qu’à nous. Je suis très frappé que le sous-gouverneur D. Carlos Latorre, aux idées on ne peut plus avancées, soit encore à Elobey de manière si durable et pour si longtemps (bien qu'il soit là depuis deux ans à peine) ; et dans cette ville, dans tous les cas, le chef ou commandant est toujours M. Dionisio Shelly, dont les belles paroles et parfois les belles œuvres ne servent qu'à marquer des projets tout semblables à ceux de Barrasa, menés, toutefois, plus lentement » 370.

de que llenábamos la isla de aguardiente de caña. Intentó hacer inefectivo el pago del pasaje de algunos Padres y Hermanos que vinieron en su tiempo, ¡ cuando él creía que iban a partir ! Se hacía eco de cualquier acusación que se lanzara o cuento que corriera, si era contra la Misión, formando coro con los detractores de ella ». Ibidem, p. 92-93. 370 « Estamos en ésta siempre perseguidos y calumniados de un modo u otro. Yo no sé cómo ; pero, por desgracia, algunas cosas, demasiado que las adivino. ¡ Ojalá me salieran fallidas mis previsiones ! Los masones, no pudiendo lograr que sea masón el gobernador, procuran que lo sean algunos que lo rodean, y éstos impiden lo posible que se persiga a los protestantes, por bajo mano nos murmuran a nosotros, y, con mucha política y buenas palabras, procuran sostener la situación. Y como, en primer lugar, son de un mismo cuerpo de Marina y no quieren los gobernadores hacerles quedar mal ; y, en segundo lugar, llevan siempre por pretexto el bien de la colonia, sin contar en que salen los gobernadores de España algo prevenidos contra la Misión, de ahí que, por buenos que éstos sean, por alguna temporada, a lo menos, les hagan más caso que a nosotros. Me llama mucho la atención que con tanta fijeza y por tanto tiempo (aunque no ha cumplido dos años) esté en Elobey de subgobernador D. Carlos Latorre, cuyas ideas son de lo más avanzado ; y en esta ciudad, de una cosa u otra es siempre jefe o comandante D. Dionisio Shelly, el cual, si tiene buenas palabras y algunas buenas obras, es para encubrir unos proyectos semejantes a los de Barrasa, pero llevados a cabo más despacio ». Lettre du P. Coll au P. Mata s/d. [août 1893]. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 8, Carton 8.

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De la même manière, l'idée que les gouverneurs se faisaient des clarétains n'était nullement positive pour les missionnaires : « La cause occasionnelle par où a commencé la médisance, c'est quand, à mon avis, M. le gouverneur a commencé à se plaindre, et certains l'ont entendu, des énormes frais de la Mission. Il disait que, cette année, seulement en voyages nous avons dépensé 2.500$, et que tout au long de ces années, 500.000$, et que nous n'avons rien fait : Somme toute, 4 garçons élevés avec trop de mollesse, incapables de se fixer nulle part ; le village de Pamues de Banapa, qui ne serait plus qu'un nid de brigands, etc., et des choses de ce genre. Or, un jour, M. le Secrétaire se mit à dire de nous que nous étions des fainéants, des hommes ignorants, que le P. García Julián était l'homme le plus malhonnête, voire un hérétique, d'après ce que leur avait dit M. le curé du “ Larache ”(...) » 371. Enfin, le domaine de la Mission était divisé en deux parties : • À la capitale, les difficultés des missionnaires étaient énormes : ils cherchaient eux mêmes l'affrontement avec les protestants, ils mobilisaient les autorités, les poussant à leur persécution ; et quant à celles-ci, non seulement ils n'en recevaient pas l'appui nécessaire mais elles ne s'étaient pas forgé une bonne opinion des missionnaires ni de la tâche que ceux-ci réalisaient. En partie, parce que c'était là où justement vivaient les gouverneurs et leurs amis, si bien qu'à la capitale et à Wesbe, l'échec des clarétains tout le long de cette période fut fracassant : les protestants, complètement intégrés dans le système colonial et pour la plupart éloignés des écoles missionnaires et de leur influence, restèrent - hormis de rares exceptions - fidèles à leur doctrine. Pendant ce temps, les écoles se remplissaient de garçons et de filles bubis... qui arrêtaient aussitôt, pour peu que l'autorité gouvernementale donnât la moindre liberté à leurs familles. Les colons, les militaires et les autorités étaient considérés comme les ennemis, à l'exception des plus dévoués à la cause catholique. Dans la « ville pervertie », les missionnaires mirent des décades et des décades à être acceptés. 371 « La causa ocasional por donde ha comenzado la murmuración, creo ha sido el haber comenzado el Sr. Gobernador a quejarse, oyéndolo algunos de ellos, de lo mucho que gasta la Misión, diciendo que este año llevamos gastados 2.500$ sólo en viajes, que llevamos gastados, durante los años que aquí está la Misión, 500.000$ sin que hayamos hecho nada : total, cuatro muchachos educados con demasiada dulzura que después no paran con ningún amo, el pueblo de pamues de Banapá, que al fin no será más que un nido de ladrones, etc., y cosas así. Con esto se desató un día el Sr. Secretario, en murmurar de nosotros que somos unos holgazanes, hombres ignorantes de carrera corta, que el P. García Julián era el hombre más deshonesto, y hasta hereje, según les dijo el Sr. capellán del “ Larache ”, (...) ». Lettre du P. Coll au P. Xifré, du 9 février 1896. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1. Noter, à nouveau, que les gouverneurs ne connaissaient que la capitale ; dans cette situation on fait référence au village voisin de Banapa, mais on ignore la reste de villages catholiques de l'île et les travaux réalisés là-bas par les clarétains.

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• Au delà de Santa Isabel, en revanche, l'autorité n'avait aucun pouvoir. Autrement dit, la seule autorité existante était celle des clarétains.

Au-delà de Santa Isabel Si la capitale de la colonie représentait, pour les missionnaires, un « espace en conflit » , au-delà de Santa Isabel ils parvinrent à créer des « espaces propres » qui avaient leur origine dans le développement d'un modèle qui couvrait de manière globale la vie des personnes qu’on accueillait aux Missions : la scolarisation, la vie adulte, le mariage, la nouvelle famille, la vie du travail, les rapports sociaux... tout dépendait de la Mission. Cet « espace propre » se dressait en opposition au reste du territoire « intérieur » , si bien qu'il était aussi un « espace en conflit » , bien qu'avec d'autres compétiteurs. Cette opposition se faisait parfois évidente d'une manière très significative : « Des mariages il y en aura, Dieu aidant, en bien plus grand nombre d'ici peu, au fur et à mesure que nos élèves grandiront en âge ; car plusieurs filles s'enfuient de leurs butucus pour venir à la Mission ; quoiqu'elles doivent être très prudentes et ne pas trop s'en éloigner, car les Bubis sont aux aguets et en l'attente de la moindre occasion pour s'emparer d'elles et les ramener à l'infidélité, ce qui arriva il y a quelques jours quand les Bubis tendirent une embuscade et emportèrent une fille qui s'échappa malgré tout rejoignant la Mission. Cependant, les Bubis sont maintenant beaucoup moins audacieux, car ils redoutent la Mission et les garçons les plus grands qui ont tous une arme à feu pour se défendre » 372. La conception d'un « espace propre » se développa donc en conformité à un espace fermé et opposé à l'extérieur, et elle faisait partie de la base même de la congrégation : l'espace propre ne pouvait être gouverné que par les normes religieuses en tant qu'espace fermé, et ceci dans la mesure où il est dirigé par les missionnaires ; et l'adéquation des conduites de tous les individus qui en faisaient partie à ces normes religieuses était garantie par une « séparation » radicale du reste de la société (ultramontanisme372

« De matrimonios los habrá, Dios mediante, en mayor número dentro de poco, a medida que nuestros alumnos vayan creciendo en edad : pues hay varias muchachas que huyen de sus butucus para venirse a la Misión ; por más que han de ir con cautela en no alejarse mucho de ella, porque los bubis están de acecho esperando una ocasión oportuna para cogerlas y llevárselas otra vez a la infidelidad, como sucedió no ha muchos días, que armaron los bubis una emboscada y cogiendo a una se la llevaron, aunque después escapó otra vez a la Misión. Sin embargo, ahora no son los bubis tan atrevidos como antes, porque temen a la Misión y a los muchachos mayores, que tienen todos su arma de fuego en defensa propia ». Lettre du P. Josep Singla, de la Mission de Batete, du 30 octobre 1892. In : El Iriz de Paz, o sea El Inmaculado Corazon de Maria, 1893, p. 27-28.

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régénérationisme). Évidemment cet « espace propre » doit s'interpréter avec certaines nuances, car l'autorité du gouverneur - ne serait-ce que de manière formelle - recouvrait toute la colonie et il pouvait prendre des mesures économiques et administratives qui atteignaient toutes les Missions : « Que personne ne s'étonne si l'on rapporte les vicissitudes du gouvernement civil de la colonie, car comme la paix des Missions dépend, ordinairement, de la bienveillance de la première autorité, le fait que celle-ci leur soit contraire a été à la source de leurs inquiétudes » 373. L'éloignement géographique, dans des territoires manquant de moyens de communication, se présente à nous comme un élément décisif et le point culminant de l’ « espace propre » qui devint officiel lorsque quelques gouverneurs favorables, tel que José Montes de Oca et Eulogio Merchán, et des sous-gouverneurs d’Elobey tel que Juan Aguilar, firent publier des bans où ils octroyaient l'autorité civile aux missionnaires là où il n'y avait pas de présence administrative espagnole374 ; autrement dit, dans toutes les Missions, hormis celle de Santa Isabel et Elobey. S’il faut reconnaître que le fait d'exercer l'autorité civile fut utile aux missionnaires, elle fut très souvent rejetée dans leurs écrits, tout au moins comme solution modèle. Si bien que le P. Xifré lui-même, dans un écrit du 25 juin 1893, adressé au Ministre d'Outre-mer, proclamait : « Déléguer l'autorité civile aux missionnaires est, d'après le soussigné, indu et peu conforme au caractère sacerdotal. Il serait très raisonnable, comme il a été dit en parlant de Corisco, que les gouverneurs et sous-gouverneurs consultent les missionnaires avant de nommer un délégué pour l’un quelconque de ces territoires, car ils possèdent les conditions requises pour connaître à fond les qualités des indigènes à qui on pourrait déléguer ; mais il ne serait pas convenable de confier à ces missionnaires l'exercice d’une autorité qui par nature est d'ordre très varié et, comme l’on dit communément, incompatible avec celle d’ordre spirituel qu'ils sont en train d’exercer » 375.

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« Nadie extrañe que se anoten aquí las vicisitudes del Gobierno civil de la colonia, porque la paz de las Misiones depende ordinariamente de tener a su favor la primera autoridad, así como las inquietudes han provenido de tenerla contraria ». [Coll, Ermengol] (circa 1908), Crónica de la Casa-Misión de Sta. Isabel. AG.CMF, doc. cit., p. 85-86. 374 Lettre du P. Ermengol Coll au P. José Mata, du 14 février 1895. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1. 375 « El delegar la autoridad civil en los misioneros, a juicio del infrascrito es improcedente e impropio del carácter sacerdotal. Muy acertado sería, como se ha dicho al hablar de Corisco, que los Gobernadores y Subgobernadores consultaran a los Misioneros antes de nombrar un delegado para cualquiera de aquellos territorios, ya que se hallan en condiciones de conocer a fondo las cualidades y dotes de los indígenas en quienes pudiera delegarse ; mas no sería correcto encomendar a dichos Misioneros el ejercicio de una autoridad que por su naturaleza es de orden muy diverso y, comúnmente hablando, incompatible con la espiritual que ellos ejercen ». Observaciones sobre la isla de Fernando Póo y demás posesiones españolas del

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Les clarétains exercèrent cette autorité civile dans leurs Missions, y compris dans quelques unes aussi proches de la capitale que Banapa. Et, généralement, ils choisirent les maires et juges de paix dans les « villages catholiques » à mesure que l'organisation administrative s'affermissait. Certains voulaient même aller plus loin : « Résumé de certains moyens permettant à cette Mission d'obtenir un fruit plus abondant avec plus de douceur et une meilleure observance religieuse : (...) 4e. Un policier placé sous la direction de la Mission ; pourvu qu'il soit un homme sérieux et dépourvu de mauvaises habitudes, il suffirait d'un simple marin ou d'un simple soldat qui ne soient pas du pays » 376. Le fait d'exercer l'autorité civile fournissait aux missionnaires la possibilité, acceptée comme une partie logique de leur tâche, de « punir » les fautes des indigènes. L'énergie plus ou moins grande, dans cet exercice, de la part de chacun des individus, déterminait une peur plus ou moins forte chez les guinéens qui ainsi se comportaient, ne serait-ce qu'extérieurement, selon les dispositions des religieux : « Les indigènes montrent en général de bonnes dispositions à San Carlos, dans la Muni et à Corisco, quoique là ils agissent quelque peu sous l’emprise de la peur, et je crains bien que le jour où le P. Guiu s’en ira, ils retomberont dans les mêmes erreurs » 377. A l’ « intérieur » , le temps a tout un autre rythme : plus patient, plus long, mais à la fois plus actif. Dans une zone « non contrôlée » encore par la colonisation, l'arrivée des missionnaires acquit un caractère d'intrusion progressive et d'occupation systématique, portée jusqu'aux limites géographiques et avec des caractères différents qu'à la capitale : si à Santa Isabel l'élément central qui se devait de démontrer la suprématie missionnaire était l'église, la chapelle, construite de manière telle qu'elle dépassait tous les autres bâtiments de la ville, à l' « intérieur » la Mission se devait de donner une réplique - améliorée - du « village » : un ensemble de bâtiments, tous imposants, tous « supérieurs » - en grandeur, en techniques de construction, en durée des matériaux, en fonctionnalité et en confort - à l'ensemble des bâtiments pouvant former un groupement indigène qui golfo de Guinea. In : Anales de la Congregación de los Misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María, volume 4, 1893-1894, p. 105-110. 376 « Resumen de algunos medios con los que esta Misión podría obtener más copioso fruto con más suavidad y con más observancia religiosa : (...) 4º Un policía que estuviese bajo la dirección de la Misión, para que cuidase del cumplimiento de lo indicado y demás que puede ocurrir ; con tal que fuese un hombre formal y careciera de malas costumbres, bastaría un simple marinero o soldado raso, no siendo del país ». Lettre du P. Jacint Guiu, Supérieur de la Mission de Corisco, au P. Josep Xifré, du 25 octobre 1893. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 5, Carton 6. 377 « Los indígenas continúan en general en buenas disposiciones en S. Carlos, en el Muni y en Corisco, si bien en este último punto obran un poco por miedo y temo que el día que salga de allí el P. Guiu algunos volverán a las andadas» . Lettre du P. Coll au P. Xifré, du 30 juillet 1896. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 9, Carton 1.

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possédait d'habitude un caractère plutôt dispersé. Le rajout progressif de nouvelles constructions arrivait à produire une « unité de vie » indépendante, et en grande partie auto-suffisante. La fondation de nouvelles Missions et leur complexification, lente mais persistante, représenta aussi une colonisation de l'espace et du territoire : la forêt vierge d'autrefois, la brousse « sauvage » remplie d'individus également « sauvages », se couvrit petit à petit de bâtiments imposants, de fermes pour les cultures, de chemins, de nouvelles maisons pour les nouvelles familles, de villages entiers, de cimetières... et la vie de l' « intérieur » en vint à être contrôlée par des éléments symboliques de la Mission venue de la capitale : « La cloche : elle marque le rythme de la vie au sein de la Mission, mais elle est entendue de loin ; elle s'empare de l'espace et - au fur et à mesure que la présence missionnaire se stabilise elle commence à transmettre des signaux, de plus en plus indiscrèts : la cadence de la liturgie, mais aussi la vue d'un fauve, un nuage de criquets ou l'approche d'une tempête. Le “ tempo ” de la cloche s'impose par dessus le “ tempo ” de l'” intérieur ” africain, dirigé par un usage et un symbolisme précis de l'espace » 378. Et aussi par la nouvelle toponymie, la musique de l'harmonium, les prières et les chants liturgiques et les statues et les images pieuses dont se sert la Mission comme outils de catéchisme et d'identification379. J'avais parlé jusqu'à présent de la « conversion » des personnes. Le modèle clarétain d'occupation du territoire, mis en œuvre par l'ensemble des missionnaires et particulièrement dans les réductions, était aussi une « conversion » des mœurs, de l'organisation familiale, du système de production... Et une « conversion » de l'espace boisé qui curieusement peut s'apprécier dans la bibliographie clarétaine sous forme iconographique : voyez l'évolution de l'en-tête dont se servit « El Iris de Paz » pour mettre l'accent sur les articles provenant des Missions de la Guinée : la première gravure sur bois commença à être utilisée en 1897 ; et un an après, en 1898, les missionnaires décidèrent de changer : le deuxième exprimait beaucoup mieux le modèle de Mission que menaient à terme les clarétains, à l'époque où un grand nombre de Missions atteignaient leur point culminant :

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« La campana : scandisce i ritmi della vita all’interno della missione ma si sente di lontano, invade lo spazio e -con lo stabilizzarsi della presenza missionaria- prende a comunicare signali di volta in volta più intrusivi : la scadenza liturgica, ma anche l’avvistamento di un animale feroce, di un nugolo di cavallette, l’avvicinarsi di una tempesta. Il tempo della campana si impone sul tempo dell’” interno ” africano, cadenzato su una precisa utilizzazione e simbologia dello spazio» (Nanni, 1990). 379 Raison-Jourde, 1991

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Bandeau de propagande qui illustrait souvent les pages de la revue des clarétains l' « Iris de Paz »

Ainsi donc, étant donné qu'éloignés de Santa Isabel les missionnaires étaient dans un « espace propre », ce fut dans les Missions de l' « intérieur » qu’ils exercèrent le plus de tyrannie. Cela consistait à tirer profit de leur position d'autorité civile pour imposer leurs critères religieux et moraux à la population. Ce n'est pas donc pas étonnant que la Mission qui subit le plus ce genre d'actions fut celle d'Annobón, très éloignée du contrôle autant du gouvernement que de l'église : Nous avons vu, dans le chapitre antérieur, le Frère Meliton Huici jeter des pierres aux Annobonnais qui s'approchaient tout nus de la Mission. Ajoutons à cela le « sermon sans parole » que le F. Joan Coll « prêcha » contre la polygamie : « Le mariage et la conversion à la vie réglée que mènent les 15 derniers [couples] sont dus à un sermon sui generis du F. Coll. Voilà comment cela se passa : lorsque M. Moreno Guerra, à l'époque gouverneur de Fernando Póo, vint ici, il déposa un ban, écrit et signé de sa propre main, interdisant la polygamie, et il le fit lire en présence d'une nombreuse assistance qui s'était réunie pour toute autre raison dans la Maison de la Mission. Ensuite, et s'adressant à son serviteur [le missionnaire], il ajouta : “ Le décret est émis, c'est maintenant à vous de le faire appliquer ”. Le ban fut affiché sur la porte de l'église, mais nul n'y prêta attention. On prêcha, exhorta, menaça, mais en vain. On se mit à l'ouvrage, démolissant les huttes des deuxièmes, troisièmes, etc. femmes ; mais, à peine en eurent-ils démolis quatre ou cinq, qu'il comparut une délégation formée de plus de 50 hommes demandant pardon au nom des coupables, qui étaient d'ailleurs parmi eux, et qui promirent, en présence de tous ces témoins, de laisser toutes leurs femmes sauf une. Sous cette condition, on arrêta la démolition de ces huttes où tant de pêchés étaient commis. Cependant, une fois qu’ils eurent regagnés leurs maisons, ils

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gardèrent toutes leurs femmes ; c'est pourquoi, encouragés par une nouvelle communication de l'actuel gouverneur où il me nomma délégué de Son Excellence pour accomplir et faire accomplir tous les devoirs prescrits par nos lois, nous décidâmes de fournir un nouvel effort pour en finir avec tous ces scandales. Le F. Coll aménagea une petite prison et, après avoir fixé un nouveau délai, à la suite duquel celui qui continuerait en situation polygame serait incarcéré, ce jour-là, et pour ne pas déranger, accordant mon pardon à tous ceux qui en abusaient tant, je me rendis à la propriété de Pata, près de la lagune, et c'est alors que commença le sermon sans paroles du F. Coll. Accompagné du chef civil, du crieur public, et de deux soldats portant une longue corde et un seau de chaux, il s'en prit aux huttes des coupables. D'un coup de pied, il casse la porte, il entre et il ne voit rien ni personne ; ils étaient partis emportant jusqu'à la dernière marmite. Ils se rendent à la 2e, la 3e, etc., etc. et c'est partout pareil. Dans quelques 20 huttes de polygames, ils ne trouvent, dans une d'entre elles, qu'une pauvre vielle femme malade, à laquelle ils ne disent pas un mot. Ils se bornèrent à marquer sa maison, ainsi que celles des autres, de deux ou trois coups de pinceau de chaux, pour que tout le monde sache que la justice était au courant des crimes qui s'y commettaient. A mon retour de la lagune, et en apprenant ce qui s'était passé, je crus que tout avait été en vain. Mais le lendemain, j'eus le bonheur de rédiger quinze proclamations [de couples] que je mariai avant la fin du mois » : Le 22, dans une messe de bénédiction, je mariai neuf couples ; et le 29 je mariai cinq couples, et il en reste encore quelques uns pour les dimanches à venir » 380. 380

« El casamiento y conversión a la vida arreglada que llevan ahora los 15 últimos se debe a un sermón sui generis del H. Coll. He aquí cómo fue : El Sr. Moreno Guerra, cuando, siendo Gobernador de Fernando Póo, pasó por ésta, dejó un bando, escrito y firmado de su propio puño, prohibiendo la poligamia, el cual hizo leer y traducir delante una numerosa concurrencia que se había juntado por otra causa en la Casa Misión. Después de lo cual, dirigiéndose a su servidor, añadió : Se fijó dicho bando en la puerta de la iglesia, pero nadie hizo caso de él. Se predicó, se exhortó, se amenazó, y todo en vano. Se pasó a la obra, rompiendo las chozas de las segundas, terceras, etc. mujeres ; mas, apenas se habían tirado cuatro o cinco, vino una comisión de más de 50 hombres pidiendo perdón por los culpables, que venían también con ellos, los cuales prometieron, en presencia de tantos testigos, dejar todas las mujeres menos una. Bajo cuya condición se suspendió el derribo de dichas chozas en que tantos pecados se cometían.Vueltos, empero, a sus casas, siguieron con todas sus mujeres ; por cuyo motivo, y estimulados por un nuevo oficio del actual Sr. Gobernador de Fernando Póo en que me nombra delegado directo de Su Excelencia para cumplir y hacer cumplir todas las obligaciones y deberes prescritos por nuestras leyes, determinamos hacer un nuevo esfuerzo para acabar con tantos escándalos. Arregló el H. Coll una pequeña cárcel y, habiendo señalado un nuevo plazo, pasado el cual el que continuara en poligamia sería metido en ella, llegado el día, para no estorbar, concediendo perdón a los que tanto abusaban de él, me fuí a la finca de Pata, cerca la laguna, y aquí comenzó el sermón mudo del H. Coll. Toma al Jefe civil, al pregonero, dos soldados, llevando una grande cuerda y un pozal de cal ; y, puesto él al frente, se dirigen a las chozas de los culpables. De un puntapié rompe la puerta, entra dentro y no encuentra nadie ni nada ; hasta la última olla se habían llevado. Van a la 2ª, 3ª, etc., y en todas pasa lo mismo. De unas 20 casas de polígamos, sólo en una hallan a una

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Une autre longue citation qui illustre parfaitement la position des missionnaires espagnols dans les endroits éloignés de la capitale, où la prise de pouvoir de l'autorité civile pouvait leur permettre, au nom de l'État, de faire usage de menaces, voire de violence. En Guinée, ces menaces ne se bornaient pas, comme dans tant d'autres missions intérieures espagnoles, aux peines de l'enfer, mais elles pouvaient être plus concrètes et plus proches. Partout, en fait, les clarétains ne se considéraient pas comme « des membres quelconques de la communauté » mais les directeurs de la vie des autres : ils pouvaient décider quelles étaient les « bonnes mœurs » et distribuer des prix et des châtiments en fonction de leur perception personnelle de la « bonté ». Cette fonction « directrice » de la société était assumée au point que, à nouveau, l'usage de la punition, de la menace et de la violence n'apparaissait que très rarement dans la bibliographie missionnaire. Elle n'était pas mise en cause, de même qu'on ne mettait pas en cause le fait que la discipline des internats devait inclure le châtiment corporel pour les « mauvais » élèves. Les clarétains étaient des enfants de leur époque. Et ils n’évoquaient les scènes violentes que lorsque celles-ci avaient entraîné quelque réaction de la part des gouverneurs libéraux, toujours empressés à disputer l'espace civil aux missionnaires, ou lorsque le fait d'exercer la menace, l'usage de la force ou de la pression pouvait se présenter comme une réussîte de la tâche exercée envers les indigènes. Ainsi, à Annobon même, si en 1892 les clarétains avaient « résolu » le problème de la polygamie (quoique des conduites missionnaires postérieures, aussi agressives, montrent que le succès du « sermon sans parole » du F. Coll ne fut en fait qu'apparent), l'arrivée d'un nouveau Supérieur, survenu après le décès du P. Isidre Vila, servit à tenter d'en un autre : « Nous poursuivons notre tâche de première importance consistant à transférer tout le village à l'endroit sain de la Mission ; mais comme le démon parmi le désordre et la confusion a gain de cause, on dirait que personne ne veut le déranger car les gens simples d'Annobón qui s'étaient montrés si dociles au moment de quitter leurs femmes et de se marier à l'église, se révèlent tenaces et s'obstinent à ne pas quitter leurs huttes, les préférant aux maisons établies pourtant dans un endroit bien plus convenable et en bon ordre » 381. pobre vieja enferma, a la cual nada dijeron. Sólo se limitaron en señalar su casa, así como las demás, con dos o tres pinceladas de cal, para que se supiera que la justicia era sabedora de los crímenes que allí se cometían. Al volver de la laguna y saber lo ocurrido, creí que habría sido en vano todo cuanto habían hecho. Mas el día siguiente tuve la satisfacción de escribir 15 proclamas que uní en matrimonio antes de finir dicho mes ; el 22, en una misma misa de bendición casé nueve parejas ; y el 29 cinco, quedando aún algunas para las dominicas siguientes ». Lettre du P. Isidre Vila, Supérieur de la Mission d'Annobon, au P. José Mata, du (20?) novembre 1892. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 8, Carton 8. 381 « Continuamos nuestra importante tarea de trasladar todo el pueblo al lugar sano de la Misión ; pero como el demonio en medio del desorden y la confusión tiene sus ganancias, parece que lo quiere estorbar, porque las sencillas gentes de Annobón, que tan obedientes se

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Si les clarétains entendaient que les Annobonnais changent l'emplacement ancestral de leur village, c'était encore une fois en raison de leurs idées concernant la santé : eux, ils avaient bâti les bâtiments qui composaient la Mission dans un endroit élevé et bien aéré, pour éviter, comme d'habitude, les « miasmes » et les effluves nocifs qui contribuaient, d'après eux, à l'appauvrissement de l'île. Mais, pour les Annobonnais, cet endroit était sacré, car, comme pour la plupart des villages bantu, cet emplacement provenait de l'intervention de leurs ancêtres ainsi qu’il est dit dans une légende d'installation qui donne un caractère mythique à un emplacement en rapport direct avec leur origine. Les missionnaires, évidemment, avaient tous les atouts dans leur jeu : ils étaient dans un « espace propre » où ils exerçaient toute l'autorité, et leur idéologie les portait à « punir » l' « obstination » de ces indigènes qui étaient incapables de voir les avantages que contenait la proposition des religieux. La lutte de la « culture » contre l' « ignorance » s'acheva lorsque la population fut installée dans le nouveau village en septembre 1894. Il y avait eu cependant, préalablement, un autre « sermon sans parole » : le P. Serrallonga avait ordonné de brûler le vieux village ! Il faut dire que cet événement s'insérait dans un contexte favorable à cette sorte de comportements violents : « Le frère Coll, promu responsable de l’exécutif, entreprend de policer la population. Il crée une petite milice avec quelques jeunes convertis. Grâce à ce système, il parvient à obliger les enfants à aller à l’école, les convertis à se rendre à l’église pour la messe, les concubins à se marier, et bien sûr les polygames à ne conserver qu’une seule femme. De même, les clarétains s’en prennent aux lieux de culte traditionnels. Ils détruisent, sans être inquiétés, de nombreuses effigies et chapelles dédiées aux croyances annobonaises. En 1887, le Père Supérieur Daunis ordonne même à deux Frères de mettre le feu à l’église principale où oficiait le “ Sacristain Majeur ”, le Supérieur hiérarchique de cette religion traditionnelle. Les clarétains font donc appliquer de force toutes leurs décisions. Les gens sont espionnés, menacés et châtiés s’ils ne respectent pas les directives et les enseignements des religieux » 382. L'incendie du vieux village et l'imposition du nouveau fut l’incident qui mina les rapports entre les Annobonnais et les missionnaires, déjà tendus dès les débuts de la Mission. Les îliens profitèrent de la visite du gouverneur han mostrado en dejar la pluralidad de mujeres y en contraer matrimonio eclesiástico, ahora se muestran tenaces y obstinados en no dejar sus chozas, prefiriéndolas a las casas que se establecen en el lugar indicado y con buen orden ». Lettre du P. Joan Serrallonga, Supérieur de la Mission d'Annobon, du 21 mai 1894. In : Anales de la Congregacion de los Misioneros Hijos del Inmaculado Corazon de Maria, volume 4, 1893-1894, p. 453. 382 Valérie de Wulf, 1997, p.25.

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libéral de la Puente pour lui présenter leurs plaintes ; ils obtinrent gain de cause au cours de son voyage d'inspection, réalisé dans les territoires coloniaux, lorsqu’il s'affronta à trois reprises aux clarétains : • à Batete, où le mari d'une femme « réfugiée », un Kruman, fut battu dans la cour de la Mission. • au Cap de Saint Jean, où, après avoir été battue par le P. Puig-Gros, Supérieur provisionnel de la Mission, la victime succomba. • à Annobon, pour l'incendie du village et le transfert de tout le monde à l'abri de la Mission. Ces trois faits, qui furent durement réprimés par le gouverneur de la Puente, sont attestés par de nombreux documents ; et ils illustrent à la perfection le comportement des clarétains éloignés de Santa Isabel et les idées sur lesquelles il était fondé. J'ai cru important de faire des recherches à ce sujet, notamment en ce qui concerne l'affaire Puig-Gros (chapitre suivant), alors que pour les deux autres je me bornerai à les présenter de façon plus sommaire dans ce même chapitre383. José de la Puente arriva à Annobon le 14 janvier 1895 ; et non seulement il autorisa les Annobonnais à réintégrer leur emplacement ancestral mais il dressa un procès contre le P. Serrallonga et le F. Coll les chassant de la colonie : « Aujourd'hui, le soussigné, conjointement avec le frère Coll, sur un ordre officiel de M. le gouverneur, qui se trouve dans cette île, devons regagner Fernando Póo. La petite communauté que nous laissons est dans un état pitoyable. Vous pouvez voir ci-joint les deux procès qu'il nous a envoyés, ainsi que les instructions auxquelles nous devrons nous en tenir, etc. Je m’en tiens à votre sagesse, et j'ajouterai que ces instructions ont été données après qu'il eut fait lui-même publier que le village était très bien là où les Pères avaient donné l'ordre de le faire construire et que, par conséquent, on ne touchât pas aux maisons. Et que les Pères imposeraient le châtiment mérité et que le Père est lui-même le chef de l'île. C'est aujourd'hui que l'on commence à entrevoir le triomphe du despotisme dans ce village » 384. Je tiens à souligner que le gouverneur remplaça 383

En ce qui fait les événements d'Annobón, en outre, les études de Valérie de Wulf fournissent beaucoup de renseignements et une interprétation plus intéressante. 384 « Hoy, el que suscribe, juntamente con el Hermano Coll, por orden oficial del Sr. Gobernador, que se halla en ésa, hemos de marchar a Fernando Póo. Dejamos a la pequeña comunidad en un estado tristísimo. Como ve, acompañan a la presente copia de los dos oficios que nos ha mandado, y de las instrucciones a que deberán atenerse, etc. Dejo para su acertado juicio la crítica, añadiendo de mi parte que tales instrucciones son dadas después que él mismo había hecho pregonar que el pueblo estaba bien donde los Padres habían mandado levantarlo, y que por lo tanto no se tocasen las casas de su lugar. Luego, que los Padres castigarían según la falta que se cometiera, y el mismo Padre [es] el rey de la isla. Hoy mismo comiénzase a ver el triunfo del despotismo en este pueblo ». Lettre du P. Joan Serrallonga au P. José Mata, du 16 janvier 1895. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 8, Carton 8.

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l' « Assemblée d'Autorités » qui existait depuis l'arrivée des clarétains dans l'île (ceux-ci la présidaient), par un « Conseil de Voisins » qui, bien que comprenant une plus grande assistance d'Annobonnais, était toujours présidée par les missionnaires. Ainsi, bien que de la Puente censurât le comportement des deux responsables de la Mission, au point de les en expulser, il ne mettait pas en question le rôle que la Mission devait continuer à exercer. La réponse « satisfaisante » qu'il donnait aux réclamations des indigènes amendait donc certains abus qui avaient représenté une rupture pour l'équilibre interne de l'île. Quoi qu'il en soit, et bien que ces réclamations manifestassent de manière évidente un malaise généralisé, le gouverneur considérait que ce même organisme ecclésiastique (modéré, tant s'en faut, par une présence supérieure de l'autre partie dans le « Conseil de Voisins »), pourrait rétablir l'équilibre détérioré, éviter une quelconque nouvelle révolte et sauvegarder la souveraineté espagnole. De la Puente exigeait donc fermement une attitude plus pacifique et pacificatrice des missionnaires. Effectivement, ceux-ci changèrent leur tactique et restèrent, pendant quelque temps, au second plan. Les lettres missionnaires de l'époque interprètent cet « hivernage » provisoire de leur « autorité » sous les termes de « retour à l'état sauvage » : « 1er. L'assistance à l'église, y compris à l'occasion des fêtes les plus solennelles, est presque nulle, car outre la communauté [clarétaine] il n'y a que six ou douze adultes et quelques enfants, bien que, d'après le recensement, il y ait plus de 1.400 habitants qui se considèrent tous catholiques. 2e. Les écoles, où il y avait avant plus de trois-cents enfants des deux sexes, sont fermées depuis longtemps. Et pour ce qui est de l'école élémentaire, elle vient d'être fermée, car il y avait encore quelques élèves qui ne restaient là que dans l'espoir d'être récompensés. 3e. Cette jeunesse annobonnaise, comme il semble naturel, aurait dû représenter l'espoir de la régénération sociale de l'île ; mais, hélas, on dirait que maintenant il n'en est rien, car l'expérience quotidienne nous montre tout le contraire. Ici, les vieux sont la pièce maîtresse, les pères de la patrie, les rois de l'île ; ils sont l'oracle de ses habitants, auxquels ceux-ci accordent beaucoup plus de crédit qu'à tous les missionnaires réunis. Les jeunes les respectent, leur obéissent et croient tout ce qu'ils leur disent et ordonnent, comme s'ils étaient, j'allais dire, d'autres dieux. Hier s'accomplirent les dix ans de l'arrivée de la Mission, et dans ses écoles ont été instruits tous les jeunes des deux sexes ayant moins de 20 à 25 ans, et même beaucoup d'autres plus âgés ; et, cependant, en quoi peut-on voir qu'ils sont de bons chrétiens ? En rien, car ils suivent toujours ce que disent les vieux ; laissant de côté, tout comme eux, leurs devoirs religieux, y compris la messe, comme si de rien n'était. De là qu'une fois ils ont quitté l'école, ils sont aussi vicieux que leurs ainés : un grand nombre d'entre eux vivent en concubinage, après que la Mission avait triomphé de cette bête féroce qui régnait sur cette île, et qui de pair avec la polygamie la dévorait

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toute entière ; et ceux qui ne vivent pas en concubinage se vautrent comme des bêtes immondes dans la fange des vices, si bien que ce village devient une sorte de Sodome et Gomorre, dans laquelle on aurait du mal à trouver dix personnes de bien d'où s’ensuit que, chrétiens soient-ils, ils n'écoutent ni les commandements de Dieu ni ceux de l'Église. Il y a en outre des mariés qui, auparavant, ne serait-ce que par la crainte, vivaient convenablement, maintenant ils ont repris la deuxième femme qu'ils avaient quittée grâce au grand effort de la Mission. 4e. On n'avait jamais eu, depuis que la Mission est là, autant de vols qu'au cours de ces trois derniers mois. Ils se volent entre eux presque toutes les nuits, surtout des poules et des cochons, et le lendemain ou la nuit même ils s'aperçoivent qu'il leur manque des poules ou des cochons mais personne ne sait qui a été le voleur. 5e. De sorte qu'il y a beaucoup de disputes dans le village et par conséquent un grand désordre et nul ne peut faire quoi que ce soit pour que l'ordre soit rétabli. Car, que peutil se passer dans un village, un village isolé dans cette île isolée, sans d'autorité et sans justice ? Il ne peut y régner que le désordre et, par conséquent, rien de bon. Et que doivent faire les habitants livrés à leur liberté totale? S'ils n'étaient pas aussi lâches, ils nous dévoreraient vivants, nous les missionnaires, ainsi qu’ils se dévoreraient les uns les autres » 385. 385

« 1º La asistencia a la iglesia, aun en las más solemnes fiestas, es casi nula, pues se reduce a la comunidad con seis o doce adultos más y unos pocos niños, siendo así que, según el último censo, hay más de 1.400 habitantes, los cuales todos se tienen por católicos. 2º Las escuelas, a las que asistían antes más de trescientos niños de ambos sexos, están cerradas por no asistir a ellas nadie. La de párvulos y niñas, tiempo ha que se cerró ; y la elemental o de los mayorcitos hace poco tiempo, por asistir todavía algunos, aunque por esperanza de premios ; pero al fin se reducía a casi ninguno, tarde y de mala gana, por lo que también ha quedado cerrada. 3º Esta juventud annobonense, como parece natural, habría de ser la esperanza de la regeneración social de toda la isla ; pero, por desgracia, ahora no parece ser así, pues la experiencia cotidiana nos está enseñando todo lo contrario. Son aquí los viejos la rueda maestra, los padres de la patria, los reyes de la isla ; son el oráculo de sus habitantes, a los cuales éstos dan más crédito que a todos los misioneros juntos. Los jóvenes al mismo tiempo los respetan, los obedecen y creen en todo lo que dicen y mandan, como si fuesen, iba a decir, otros dioses. Diez años hizo ayer que llegó aquí la Misión ; así es que ha instruido en sus escuelas a todos los jóvenes de ambos sexos de 20 a 25 años abajo, y aun a muchos que pasan de esa edad ; y, sin embargo, ¿qué se conoce de todo eso en cuanto a ser buenos cristianos ? Pues nada, porque van siguiendo en todo a los viejos ; y dejan, como ellos, el precepto de la misa y otros preceptos, como si fuera dejar de beber un vaso de agua sin sal. De aquí es que, después que salen de la escuela, son tan viciosos como sus mayores : pues muchos se amanceban, después que la Misión había triunfado ya de esa bestia feroz de esta isla que, con la poligamia, la devoraba entera ; y los que no se amanceban se revuelcan como los animales inmundos en el fango de los vicios, constituyendo esta población una pequeña Sodoma o Gomorra, en la cual con dificultad se hallarían diez justos ; de donde les nace el ningún caso de los mandamientos de Dios y de la Iglesia, como si no fuesen cristianos. Además hay casados que antes, aunque fuese por temor, vivían bien, mas ahora han vuelto a coger la segunda mujer que antes tenían y que con tanto trabajo de la Misión dejaron. 4º Nunca se había visto, desde que está la Misión, tanto robo como en estos tres meses últimos se van cometiendo. Casi no hay noche que no se roben los unos a los otros todo lo que pueden, pero sobre todo gallinas y cerdos. Y al día siguiente, o en la misma noche, echan de ver que faltan

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Cette lettre raconte encore d’autres « retour en arrière » des objectifs missionnaires. Un siècle plus tard, ces retours à la « liberté totale » nous apprennent la fragilité des réalisations missionnaires obtenues sous l'emprise de la menace et de la force. Jusqu'en 1906, le « Conseil de Voisins » d'Annobon, fut présidé par les missionnaires. À partir de cette année-là, il y eut un délégué du gouvernement. Cependant, et malgré les recommandations de prudence provenant de l'Administration, peu après les incidents mentionnés les clarétains cherchaient à équilibrer une certaine tolérance par la manifestation d'une autorité qui leur fut contestée par le village pendant de longues années : « Il arrivait que, à l'heure de respirer l'air frais du dehors, normalement de 8 heures du soir à minuit, d'après une habitude très ancienne dans ce pays ils chantaient, criaient, se disputaient, etc... ils faisaient parfois tant de bruit, qu'aucun d'entre nous ne pouvait dormir. Aussi, demandèrent-ils au délégué indigène de les faire taire à neuf heures et demie. Et quand certain jour il l'oubliait, ils lui faisaient signe depuis la maison à l'aide d'un cornet et tout le monde se taisait » 386. L'équilibre commençait donc à s'établir : les uns supportaient les habitudes des autres... jusqu'à un certain point. C'est alors qu'on entendait le son du clairon... Je conclurai sur cette affaire en éclairant brièvement le comportement tenu par les clarétains à Santa Isabel. Loin de regretter la violence de leur conduite à l'égard de la population annobonnaise, ils n'y attachèrent aucune importance ; si bien que, lors de l'interrogatoire du P. Serrallonga et le F. Coll : « Le sujet des questions fut : 1er. S’ils avaient battu une femme et encore un homme. Et on ne leur avait fait rien ni à l'un ni à l'autre. On passa sous silence les châtiments pour adultère. 2e. On leur demanda s'ils avaient brûlé le village d'Annobon ou donné à quelqu'un l'ordre de le faire. Non plus. Le F. Coll répondit : “ une seule maison, à cause de la désobéissance de la propriétaire, qui, bien qu'ayant été appelée 4 fois, ne voulut jamais se gallinas y cerdos, y nadie sabe quién ha sido. 5º Así es que hay muchas riñas en el pueblo ; y, como se desprende de aquí, mucho desorden, no habiendo quien apacigüe aquéllas y ponga éste. Porque, ¿ qué otra cosa puede haber en un pueblo, y en un pueblo tan separado como es el de esta isla, sin autoridad y sin justicia ? No puede haber sino desorden y, por consiguiente, nada bueno. Y, ¿qué han de hacer los habitantes, dejados a su libertad omnímoda ? Si no fuesen tan cobardes, comernos vivos a los misioneros, lo mismo que los unos a los otros ». Lettre du P. Natalio Barrena, nouveau Supérieur de la Mission annobonnaise, au P. Xifré, du 19 août 1895. AG.CMF, même localisation. 386 « Sucedía que, durante la hora de tomar el fresco, que suele ser desde las 8 hasta las 12 de la noche según costumbre muy antigua en aquel país, cantaban, gritaban, reñían, etc., algunas veces con tanto ruido que no podían los nuestros dormir. Por lo cual, dijeron al delegado indígena que desde aquella hora, 9 y 1/2, les hiciera callar. Y cuando en algún día no pensaba, le hacían señas desde casa con una corneta y entonces callaban ». Lettre du P. Ermengol Coll au P. Mata, du 16 juin 1896. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1.

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présenter ”. 3e. S'ils avaient brûlé des huttes, soit le village de San Pedro. Ils répondirent qu'il ne s'agissait pas d'un village, mais de simples huttes qui leur servaient de tanière pour cacher leurs crimes, et comme c'était vrai... “ Que pouvaient-elles valoir ? ”. Réponse : “ Presque rien, elles sont faites de branches et en un seul jour ”. “ Au nom de quel pouvoir faisiez-vous ceci ? ”. “ Au nom du pouvoir civil ”. “ Par qui vous fut-il donné ? ”. R. : “ Aguilar, Montes de Oca et Merchán ”. On n'acceptait aucune réponse pouvant être favorable pour nous. “ Pourquoi vous êtes vous obstinés à faire partir les habitants de leur village ? ”. “Pour le bien des indigènes et des missionnaires, et parce que les capitaines [des vaisseaux] nous disaient tout le temps que le village n'était pas bien là où il était. Et puis, les indigènes eux-mêmes, qui maintenant sont en meilleure santé ” (en réalité, il mourait autrefois un tiers des enfants 8 jours après leur naissance, soit 7 ou 8 par mois, alors que maintenant en trois mois il n'en est mort qu'un seul). Ce qui est entre parenthèses n'est pas rapporté dans les déclarations : ce ne fut pas admis et ne fut pas transcrit. “ Est-il vrai qu'à l'heure de la messe vous obligiez les gens à se rendre à l'église et s'ils refusaient vous cassiez leur batterie de cuisine ? ” R. : “ Quelquefois, mais on cassait aux plus récalcitrants un pot qu'ils se font eux-mêmes et qui coûte environ 5 centimes ”. Voilà, en résume, l'interrogatoire » 387. Parfois, un document vaut bien plus que mille explications. Le Préfet Apostolique, P. Ermengol Coll, dans son livre de visites pastorales, rapporte les lignes de défense contre les accusations du gouverneur à propos de ces trois faits. En ce qui concerne Annobon, nous pouvons lire : « L'adultère était puni par des coups de fouet. Ce qu'ils appellent village de San Pedro, 387

« Versaron las preguntas : 1º Sobre si habían dado de palos a una mujer y a otro hombre ; y ni a uno ni a otro se les había hecho nada. Pasaron por alto los castigos dados por adulterio. 2º Les preguntaron si habían quemado el pueblo de Annobón, o dado orden de ello. Tampoco. El H. Coll dijo que una casa, por desobediencia de la dueña, que, llamada cuatro veces, no quiso nunca comparecer. 3º Si habían quemado unas chozas, o sea el pueblo de S. Pedro. Contestaron que no era pueblo, sino unas chozas que les servían de madriguera para ocultar sus crímenes, como en realidad era así.. “ ¿ Qué podían valer ? ”. R. : “ Apenas nada, porque son de ramas y ellos se las hacen en un día ”. “ ¿ En virtud de qué potestad hacían Vds. Esto ? ”. “ Por tener potestad civil ”. “ ¿ Quién se la dio ? ”. R. “ Aguilar, Montes de Oca y Merchán ”. No les admitían explicación que favoreciese a nosotros. “ ¿ Por qué se empeñaron en hacer subir el pueblo arriba ? ”. “ Para bien de los indígenas y de los misioneros ; y porque los capitanes de barco europeos nos decían siempre que el pueblo no estaba bien allí. Además, los mismos indígenas dicen ahora que tienen más salud ”. (En realidad, morían antes una tercera parte de los niños antes de los 8 días de su nacimiento, serían unos 7 u 8 cada mes, y ahora en tres meses sólo ha muerto uno). Lo del paréntesis no está en las declaraciones : no se admitió o no se escribió. “ ¿ Es verdad que a la hora de la misa hacían ir la gente a la iglesia, y si no les rompían la batería de cocina ? ”. R. : “ Alguna que otra vez, pero se les rompía a los más reacios una cazuela que ellos mismos se hacen, que valdrá 5 céntimos de peseta ”. Éste es, en resumen, el interrogatorio ». Lettre du P. Ermengol Coll au P. Mata, du 14 février 1895. AG.CMF, même localisation.

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où ils vivaient lorsqu'ils travaillaient le yucca, n'était en fait que des huttes ou plutôt des tanières qui leur servaient à cacher leur criminalité, en ce qui concerne le mariage.(...) La preuve des progrès qu'ils ont faits en matière d'hygiène c'est qu'autrefois un tiers des enfants mourait 8 jours après la naissance. C'est justement ce jour-là qu'on les baptisait, et au cours des six mois où le village est en haut il ne s'est plus rien passé de tel » 388. C'est-àdire que, depuis la Préfecture Apostolique, les arguments des clarétains concernés se répétaient, ou vice-versa. C'est-à-dire, que la Préfecture Apostolique justifiait les comportements des missionnaires dans l'exercice de leur autorité étant donné que le but de cette « petite » violence était louable. Ce qui nous permet de déduire qu'il ne s'agissait nullement de faits isolés ou individuels mais plutôt d'une attitude générale qui s'accorde fort à tout ce que nous avons vu à propos de l'organisation et du fonctionnement des Missions, pour lesquelles l'argument moral paraissait toujours définitif... : « Il existe certains détails qui justifient la conduite du P. Serrallonga et du Frère Coll [concernant les châtiments aux adultères] : 1er. On peut pardonner à un laïque de cacher les adultères et toute autre faute de ce genre, et faire semblant de ne pas les voir lorsqu'il est au courant, ceci, à mon avis, n'est pas bien pour un missionnaire ; et encore moins à Annobon où, depuis la fondation, les missionnaires comptaient par dessus tout ; et c'est sûr que les Annobonnais se seraient scandalisés si, le P. Supérieur ayant appris une telle faute, il s’était contenté de les confesser et de leur infliger pour pénitence quelques Notre-Père. 2e. Ces gens arrivent à haïr leurs femmes si elles commettent de telles fautes, qui entraînent aisément la séparation des couples » 389. De tels cas, sans pour cela être généralisables, illustrent le mode d'agir des Missions et de leurs composants, et leur réaction lorsque la conduite des indigènes n'était pas « convenable ». Ils agissaient de la sorte « pour leur 388

« Los castigos de algunos azotes eran por causa de adulterio. Lo que ellos llaman pueblo de S. Pedro, o donde ellos habitaban durante el tiempo que trabajaban la yuca, eran unas chozas -o mejor madrigueras- de que se servían para ocultar su criminalidad, sobre todo en lo relativo al matrimonio. (...) Prueba de que ha ganado en higiene es que antes se moría una tercera parte de los niños antes de cumplidos los 8 días después de su nacimiento, que es allí el día que acostumbran bautizarlos, y en los seis meses que ha que el pueblo está arriba no ha habido caso alguno de esta naturaleza ». Visitas Pastorales del P. Armengol Coll, 1890-1918. APG.CMF, cahiers manuscrits non catalogués et non paginés. 389 « Hay algunas cosas que excusan la conducta del P. Serrallonga y H. Coll [respecte dels càstigs als adúlters] : 1º Si a un seglar se le puede perdonar algo que disimule los adulterios y faltas de este género y haga la vista gorda cuando las sabe, no así, a mi parecer, está bien en un misionero ; y menos en Annobón, que desde la fundación fueron allí los misioneros el todo ; y a buen seguro que los annoboneses se hubieran escandalizado si, al descubrir el P. Superior una falta de este género, se hubiese contentado con hacerle confesar y ponerle por penitencia algunos padrenuestros. 2º Esta gente cobran mucho odio contra sus mujeres si cometen una falta de éstas, y con facilidad se dividen los matrimonios ». Lettre du P. Coll au P. Mata, du 4 février 1895. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1.

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bien », cela va de soi, cela faisait partie, en somme, de la mission « protectrice » que la présence religieuse assumait dans l'ensemble de la colonie.

La « Perle » des missions Je redis que la plupart des actions violentes qui eurent lieu dans les Missions seront toujours passées sous silence. Nous sommes parvenus à connaître les trois auxquelles s'affronta le gouverneur de la Puente - et qui provoquèrent son départ à l'issue des démarches effectuées à Madrid par le P. Mata - au moyen du rapport que ce gouverneur envoya au Ministère d'Outre-mer390 et d’un communiqué adressé au Préfet Apostolique391, pour les réactions qu'il entraîna et pour le comportement postérieur de Puente Basabe, au moment où il fut renvoyé (vid. chapitre suivant). Quant aux faits qui se déroulèrent à Batete, le dit communiqué affirme : « À San Carlos, et bien qu’ordonnée par cet ignorant et mal avisé représentant du gouvernement, demeure encore le souvenir de la punition de 800 coups de bâton infligés à la victime dans la cour de la Mission, sous les yeux de son Supérieur et des enfants de l'école qui sont là pour apprendre la mansuétude évangélique et le saint principe “ À ton prochain, comme à toi-même ” » 392. Le gouverneur se plaignait donc du fait que dans une action réalisée par ordre du délégué du gouvernement, le Supérieur de la Mission, P. Pere Sala, n'ait opposé son autorité civile pour éviter un tel châtiment. On dirait que les contradictions se succèdent, peut être bien à cause de l'antipathie mutuelle que se manifestaient le gouverneur et les missionnaires ; mais il faut dire que de la Puente était logique avec un avertissement donné quelques semaines auparavant, et qui montre les rapports existant entre les clarétains et une société indigène perçue, rappelons-le une fois de plus, comme une ennemie de leurs intérêts. Dans le même document nous pouvons lire : « Dans mon communiqué du 12 novembre, je priais V.R. de recommander à toutes les Missions catholiques de votre digne Préfecture de respecter la convenance évitant d'employer des châtiments corporels et de faire en sorte d’attirer les indigènes vers notre très sainte cause catholique par les moyens évangéliques dictés par la doctrine sublime de notre Seigneur Jésus-Christ, laquelle en tous temps a entraîné à sa suite une multitude de prosélytes y 390

Document du 24 janvier 1895. AGA, Section África-Guinea, Boîte 677, Expedient 16. Communication au P. Ermengol Coll, du 15 janvier 1895. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 8, Carton 8. 392 « En San Carlos, latente todavía el castigo de 800 palos que, aunque mandados dar por el ignorante y mal aconsejado representante del Gobierno, se dieron en el patio de la Misión, en presencia del Superior de ella y amarrando a la víctima, [con] los niños de la misma que están en ella para aprender la mansedumbre evangélica y el santo principio de “ a tu prójimo, como a tí mismo ” ». 391

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compris parmi les peuples les plus sacrilèges et sauvages partout où la présence du saint missionnaire s'est fait sentir ; lequel, inspiré et possédé d'un vrai et exclusif esprit chrétien à su endurer toute sorte d'embûches et périls au profit de la conversion » 393. Autrement dit, de la Puente ne s'opposait pas à ce que les missionnaires exercent l'autorité civile au delà de Santa Isabel, mais il s’opposait aux méthodes violentes qu'ils utilisaient parfois et qu'il considérait contraires aux intérêts espagnols à cause du malaise qu'elles pouvaient provoquer parmi la population. Pour les clarétains, la version des faits fut la suivante : « On dit qu'à San Carlos [Batete] une femme, qui avait été battue par l'homme avec qui elle vivait, se réfugia à la Maison de la Mission. L'homme voulait la ramener avec lui, mais elle ne voulut pas le suivre ; c'est alors que l'homme commença à médire de la Mission. Le Père Sala, Supérieur, appela le caporal qui représentait le gouverneur à San Carlos [Luba]. Celui-ci s'empara de cet homme et l'amena à la Maison de la Mission, et là, sous les yeux de la femme, il lui administra, dit-on, 500 coups de bâton ; à la suite desquels, bien sûr, il resta en bien mauvais état. Le fait que ce châtiment ait eut lieu sur la place de la Mission, qu’il fut décidé à cause des critiques contre la Mission, que la Mission n'ait pas intercédé pour arrêter la punition... tout cela est examiné et on médit de la Mission ; et je crois que ceci sera sujet de conversation pour longtemps, l’opinion nous tenant pour méchants. J'attends la réponse d'une lettre que je viens d'écrire au P. Sala, afin de voir s'il y a quelque circonstance atténuante. Je crois que le juge l'appellera à déposer » 394.

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« En mi comunicación de 12 de Noviembre prevenía a V. Rma. recomendase a todas las Misiones Católicas de su digna Prefectura la conveniencia de no emplear castigos corporales y de que procurasen atraer a los indígenas hacia nuestra santa causa Católica por los medios Evangélicos recomendados por la sublime doctrina de nuestro Señor Jesucristo, la cual en todos los tiempos ha arrastrado tras de sí multitud de prosélitos, aun entre los pueblos más impíos y salvajes donde ha dejado sentirse la presencia del Santo Misionero que, inspirado y poseído de verdadero y exclusivo espíritu cristiano, ha sabido arrostrar toda clase de asechanzas y de peligros en pro de la conversión ». 394 « Dicen que en S. Carlos, habiendo recibido una mujer una paliza del hombre con quien vivía, se refugió en la Casa- Misión. Quería el hombre llevársela de nuevo y ella no quería ir, por lo cual comenzó aquel hombre a hablar mal de la Misión. Avisó el P. Sala, Superior, al cabo que el gobernador tenía en S. Carlos para representarle, cuyo cabo, apoderándose del mismo hombre, lo llevó a la Casa-Misión ; y, delante de ella, le dio, dicen, 500 palos, dejándole muy mal parado, como es de suponer. El haberse verificado este castigo en la plaza de la Misión, el haber sido sólo por murmuración contra ella, el no haber intercedido para que el castigo cesara... todo esto se pondera y se murmura ; y creo será materia de conversación mucho tiempo, teniéndonos por malos. Espero la contestación a una carta que acabo de escribir al P. Sala, para ver si hay alguna circunstancia atenuante. Creo le llamará el juez a declaraciones ». Lettre du P. Coll au P. Mata, du 20 septembre 1894. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1.

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Dans cette affaire, il apparaît un deuxième point important : le rôle de « refuge » que la Mission avait assumé pour les femmes, l'un des secteurs « faibles » de la population, à un moment où la « campagne de rachat » était en plein essor, et dans un contexte où les principes de cette campagne ne furent pas appliqués car le mari voulait « récupérer » sa femme. Il faut dire aussi que ce fait avait lieu à Batete, la « perle » des Missions clarétaines. La Maison où le modèle atteint un tel point de maturité qu'elle devint un exemple pour toutes les autres Missions. Soit, dans un endroit que les clarétains considéraient spécialement comme un « espace propre » ; sur un sujet - le rôle de des Missions - que les clarétains considéraient fondamental ; et avec un personnage important - le délégué du gouvernement à Luba - qui était placé non pas dans le milieu juridictionnel des religieux mais dans celui de l'administration. De sorte que, malgré les accusations du gouverneur, le P. Coll ne céda pas et se refusa même à transférer le P. Sala dans une autre Mission afin d'éviter des problèmes ultérieurs : « Je suis très reconnaissant à V. E. de l'intérêt que vous manifestez pour notre sainte cause en m’indiquant la destitution et le changement du Rd. P. Sala pour éviter le scandale que cela représenterait si c’était fait de manière officielle ; mais, M. le gouverneur, après avoir examiné moi-même les faits avec l'intérêt qu’exigent nos statuts, je suis pleinement convaincu qu'il n'existe aucune culpabilité de la part du P.Sala dans ce cas-là, si bien que ma conscience s'oppose à une telle destitution et je ne la peux ordonner. Si, d'après vous, le fait que je l'envoie ne déclencherait aucun scandale, ce serait bien pire encore, car je semblerais le condamner et cela ne servirait qu'à confirmer l'opinion que les malveillants se sont faite sur lui » 395. En revanche, au niveau interne, il reconnaissait l'imprudence de la conduite du P. Sala : « La femme n'était pas dans [notre Maison de] San Carlos, il n'y a là que les missionnaires, et la maison est fermée et clôturée, elle a sa conciergerie, etc. Cette femme, ainsi que d'autres qui par crainte d'attraper les fièvres ne veulent pas rester dans l'école des religieuses de Santa Isabel, était dans une maison particulière, et la fonction des missionnaires se borne à veiller depuis la Maison à ce qu'elles ne reçoivent aucune visite d'enfants ou d'hommes. Et à ce sujet, le P. Sala est très soigneux. Pour ce qui est de l'affaire du Kruman [l’homme battu], le P. Sala se montra, à mon avis, très 395

« Ante todo agradezco mucho a V.S. el celo que manifiesta por nuestra santa causa, al indicarme la destitución y cambio del Rdo. P. Sala para evitar el escándalo que produciría el hacerlo oficialmente. Pero, Sr. Gobernador, después de examinados los hechos por mí mismo con el interés que nuestros estatutos reclaman, estoy convencido hasta lo más íntimo que no hay culpabilidad por parte del P. Sala en los hechos de referencia ; por lo cual es contra mi conciencia tal destitución y no la puedo ordenar. Y, aunque el mandarlo yo es V.S. de opinión que no revestiría escándalo, yo creo. M.I.Sr., que resultaría mayor, porque sería lo mismo que condenarle y confirmar en su opinión a los malévolos que de él la tengan ». Lettre du P. Ermengol Coll au gouverneur José de la Puente, du 10 novembre 1894. AG.CMF, même localisation.

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peu prudent. Mais son discernement n'alla pas si loin et il fut incapable de prévoir les conséquences que cela pourrait entraîner » 396. En fait, cette affaire de Batete prouve, bien plus que toute autre chose, que tous les organismes officiels faisaient usage de la violence selon leur convenance. Dans ce cas-là, le délégué du gouvernement fut le bourreau ; mais, curieusement, son intervention fut un soutien pour la Mission (ce que les clarétains réclamaient !) dans une affaire, celle du des femmes voulant quitter leurs maris, qui pour les gouverneurs était plutôt confuse. Dans cette perspective, nous pouvons comprendre l'indignation du gouverneur : l'intervention du P. Sala s'appuyant sur la complicité du délégué du gouvernement à l'égard des intérêts d'une Mission qui n'épargnait pas ses critiques au sujet de la violence des forces gouvernementales dans d'autres circonstances ; et qui, par contre, dans les affaires où elle se sentait concernée, considérait que « quelques Notre-Père » suffisaient. Les uns autant que les autres étaient cohérents. Et à Batete même, les conflits pour des affaires semblables se répétèrent incessamment. Par exemple, lorsqu'en 1896 le P. Sala parvint à tirer un orphelin de la Mission protestante de Luba au moyen de la réclamation d'un oncle de l'enfant et à l'amener à la Mission catholique. En l'occurrence, le gouverneur, Adolfo de España, n’apprécia pas non plus l'intention du Supérieur de Batete : « L'enfant, bien dressé, disait qu'il ne voulait pas être Espagnol, mais Anglais, et il refusait de partir avec son oncle qu'il ne connaissait pas parce qu'il n'avait que deux ans au moment où il fut arraché à ses parents. Tel est le cas. Et bien, savez-vous que dans toute cette affaire le seul coupable est pour eux le P. Sala ? Car, c'était lui qui commit l'outrage de tirer violemment l'enfant de la Mission protestante : par contre, ils ne considèrent nullement comme coupable le Pasteur, qui s'était refusé à le rendre à ses parents, ni le délégué qui avait décrété la restitution de l'enfant. Le seul coupable était le P. Sala. 1er. Pour avoir profité de l'absence du Pasteur européen, ce qui est faux. 2e. Pour avoir obligé ou exercé une pression sur le délégué, brun ou noir, pour qu'on rendit l'enfant. Et c'est la raison pour laquelle on allait décréter le retrait du P. Sala de la Mission de San Carlos et son transfert à la Péninsule. Et c'est au prix de grands efforts que nous 396

« En S. Carlos no estaba la mujer ni está nadie más que los misioneros en la Casa que habitamos, la cual está cerrada y cercada con su conveniente portería, etc. Aquella mujer, juntamente con algunas otras que, por temor a las fiebres no quieren en manera alguna estar en el colegio de religiosas de Sta. Isabel, estaba en una casa particular, en la cual no tienen intervención alguna los misioneros si no es vigilar desde Casa que no tengan visita alguna de niños ni de hombres. Y en este punto el P. Sala es remiradísimo. En el asunto del krumán, también me parece a mí que tuvo poca prudencia, el P. Sala ; pero es que no llegó a más su talento ni previó las consecuencias ». Lettre du P. Coll au P. Mata, du 4 février 1895. AG.CMF, doc. cit.

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avons évité le conflit. Bien entendu, “ À la moindre plainte concernant le P. Sala, dans les 24 heures ”, me dit M. le gouverneur, “ il devra quitter l'île ” » 397. La dispute pour les prérogatives civiles, cependant, ne commença à prendre forme ouvertement qu’à la fin de l'époque sujet de mon étude, lorsque les autorités administratives tentèrent de soumettre les villages construits par les missionnaires à la législation et au régime général de la colonie. La première Mission où cette affaire se manifesta fut Batete, où le gouverneur Ramos Izquierdo non seulement fit de sorte qu'on nommât un maire, mais ne prit pas en considération le candidat des clarétains, qui jugèrent sa décision comme une grave menace à leur encontre : « Avec tout le mal que nous nous donnons pour former des villages ! Et que les maudits libéraux viennent détruire notre œuvre !... pour seul fait d’avoir des idées opposées ! » 398. En rapportant les faits les clarétains ne pouvaient alléguer nulle illégalité, car la nomination des maires était uniquement attribuée, pour toute la colonie, au gouverneur, au point que celui-ci pouvait très bien passer par-dessus les votes effectués par les chefs de famille ; si bien que les missionnaires insistaient sur le fait qu'il ne s'agissait que d'une stratégie menée par les commerçants de Luba dans le but de s'installer à Batete, et sur les procédés arbitraires du rival politique des missionnaires : « Le nouveau maire fut donc élu ; se croyant invulnérable grâce à la protection des blancs de San Carlos, et incité par eux-mêmes, il commença à sortir des bans ridicules et saugrenus, dressant des contraventions à tort et à travers, et ne donnant jamais les récépissés, et obligeant ceux qui étaient dans l'impossibilité de les payer à travailler dans sa propriété ; et tout comme un perroquet il répétait tout ce que les blancs lui apprenaient, répétant à satiété que le Père n'avait plus rien à faire dans le village, qu'il s'occupe de ses processions, de baptiser, de confesser, de marier, de dire la messe et 397

« El niño, enseñado, decía que él no quería ser español sino inglés ; y se resistía a ir con su tío, a quien no conocía porque tenía sólo dos años cuando lo arrebataron de sus padres. Éste es el caso. Pues bien, ¿creería V. que en todo lo sucedido no hallan culpabilidad más que en el P. Sala? Pues el P. Sala era el que había cometido el atropello de sacar con violencia al niño de la Misión protestante. Y no ven culpabilidad alguna en el Pastor de no haberlo querido entregar a sus padres ; ni en el delegado por haber decretado la devolución del niño. Y sólo el P. Sala tenía culpa : 1º por haberse aprovechado de la ocasión de estar ausente el Pastor europeo, lo cual es una falsedad ; 2º por haber obligado o hecho presión al delegado, moreno o negro, para que entregase el muchacho. Y por esto iba a decretarse la retirada del P. Sala de la Misión de S. Carlos y su envío a la Península ; y a duros trabajos hemos salvado el conflicto, bien entendido que “ otra queja que tengan del P. Sala, a las 24 horas ”, me dijo el Sr. Gobernador, “ estará fuera de la isla ” ». Lettre du P. Coll au P. Mata du 1er. octobre 1896. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1. 398 « Tanto como nos cuesta el formar pueblos, !!! y estos liberalotes que vengan a destruír nuestra obra !!!, no más que porque sus ideas sean otras » . Lettre du P. Joaquim Juanola au P. Máximo Fraile, Supérieur de la Maison de Madrid, du 17 juillet 1907. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 9, Carton 3.

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d'enterrer, etc., etc. que l'une était l'autorité civile et l'autre l'ecclésiastique, et que personne, hormis le représentant du gouvernement espagnol, ne pouvait prendre en main les affaires du village. Il ordonna que les défunts, avant d'être enterrés, soient amenés à San Carlos, afin d'être examinés par le médecin et le délégué399, et bien d'autres sottises du même genre, se montrant en tout l'esclave de la malveillance du Président et d'autres membres du Conseil de Voisins de San Carlos » 400. La diffusion de ces pratiques du maire par les clarétains401 mena le gouverneur à les mettre en accusation. Au cours du procès, la transcription d'une conversation entre le gouverneur et le P. León Garcia éclaire le fond de la question : « En parlant avec le P. García, il [le gouverneur] lui dit : “ Vous êtes une espèce de nourrice qui élève un enfant qui n'est pas à lui et qui, à un certain âge, revient à sa mère véritable ”. Une comparaison tout à fait fausse car qui, sinon le missionnaire, fait naître la civilisation et le christianisme au village de Marie Christine ; et si l'autorité civile s'était comportée comme une mère, avec égards, envers ce village, ni lui, ni les missionnaires ne se seraient plaints » 402. Et le résultat du procès : « Il se 399

Une disposition que, bien sûr, se rattachait aux intérêts du « Conseil de voisins » de San Carlos (Luba), dont le Règlement précisait : « Article 31 : Aucun enterrement ne pourra être effectué dans les cimetières sans l'autorisation du Conseil ; lequel encaissera 10 Pts. pour chacun et 5 Pts. pour l'ouverture de la fosse et le transport du défunt au cimetière. Article 32 : Bien que le transport du défunt et l'enterrement fussent exercés par des particuliers, le Conseil de Voisins continuerait à encaisser les mêmes droits figurant dans l'article antérieur ». Ordenanzas Municipales acordadas por el Consejo de Vecinos de San Carlos, document du 30 avril 1906. AGA, Section África-Guinea, Boîte G-87. Au delà des inconvénients d'ordre pratique que cela représentait pour les familles des défunts, cette disposition subordonnait le village de María Cristina à l'autorité civile de San Carlos. 400 « Elegido, pues, el nuevo alcalde, creyéndose invulnerable por la protección de los blancos de S. Carlos e instigado por los mismos comenzó a dar bandos ridículos y estrafalarios ; imponiendo multas sin ton ni son y no [dando] jamás recibo de las mismas y obligando a los imposibilitados de pagarlas a trabajar en su propia finca ; y haciendo de papagayo repetía lo que los blancos le enseñaban repitiendo hasta la saciedad el que el Padre ya no se debía meter para nada en el pueblo, sino en las procesiones, que el Padre no había de cuidarse ya sino en bautizar, confesar, casar y decir misa y enterrar etc. etc. que una era la autoridad civil y otra la eclesiástica, que ya nadie podía arreglar ninguna cuestión en el pueblo sino el que representaba el Gobierno español. Mandó que los muertos antes de ser enterrados habían de llevarse a S. Carlos para ser reconocidos por el médico y el Delegado y otras majaderías y necedades por el estilo, mostrándose en todo un esclavillo de los mal intencionados del Presidente y otros miembros del Consejo de Vecinos de S. Carlos ». Lettre du P. Antoni Auymemí au P. Eusebio Sacristán, du 31 octobre 1910. AG.CMF, Section G, Série A, Boîte 12, Carton 16. 401 Lo que pasa en María Cristina. In : La Guinea Española, 1907, numéro 65. Impresiones de María Cristina. In : La Guinea Española, 1907, numéros 66 i 67. 402 « Hablando con el P. García le dijo : “ Vds. son como una nodriza, que cría una criatura que no es suya ; la cual, llegada a cierta edad vuelve a su verdadera madre ” : comparación completamente inexacta, pues quien hizo nacer a la civilización y al cristianismo al pueblo de María Cristina fue el misionero ; y si la autoridad civil hubiese tratado como una madre, con

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trouva qu'au lieu d'une seule amende, il y en avait sept qui avaient été payées sans récépissé ; que celui qui l'avait reçue l’avait payée le 6 juillet, ne recevant le récépissé que le 16 (car ils le portaient de San Carlos pour le donner à l’intéressé, un nommé Meile) ; et qu'on n’avait emmené aucun cadavre à San Carlos parce que ces jours-là (depuis que l'ordre fut donné jusqu'à ce qu'il fut édité dans “ La Guinea ”) personne n'était mort ; et qu'à Musola ce n'était pas vrai que le P. Abad ait empêché les Bubis de se rendre au travail » 403. Voilà une autre des clés qui nous permet de mieux comprendre la situation : que les clarétains s'opposaient à l'application que faisait le gouvernement espagnol des décrets sur le travail obligatoire. Une lettre du P. Ermengol Coll adressée au Ministre d'État sur cette affaire404 nous révèle que, presqu'à la fin de la période sujet de mon étude, les missionnaires craignaient encore la fuite des indigènes des Missions : « C'est pour cela que le village est exaspéré et a l'intention de regagner la forêt. (...) Il serait très regrettable, Monsieur, de voir détruits en si peu de temps les fruits qui, à nous, nous ont demandé tant d'efforts et tant de frais à l'État ; et par dessus tout, que l'amour que ces indigènes vouent à notre patrie, qu'ils vénèrent, disparût peu à peu de leurs cœurs ». Et il résumait, évidemment de manière nette, l'origine des différends entre l’une et l’autre autorité : « J’ai été surpris par quelques phrases de ce Monsieur (le gouverneur) qui rvèlent sa conviction que dans cette colonie l’Eglise et l’Etat doivent être séparés » . La lutte pour l’ « espace propre » était donc une lutte pour un pouvoir que détenaient les missionnaires éloignés de Santa Isabel et que convoitaient les gouverneurs. Nous pouvons affirmer que, en général, l'exercice de l'autorité civile permit aux clarétains une grande indépendance dans leur tâche ; mais que, également, un comportement abusif les mena à un discrédit qui persista jusqu'à la « normalisation coloniale » postérieure à cette période. Pour ce qui est des trois cas auxquels dut s'affronter le gouverneur de la Puente, nous pouvons dire que cette « prudence provisoire » décidée à Annobón fut assez générale ; que ces actes amenèrent le P. Général à effectuer un voyage à Fernando Póo ; qu'on engagea une réflexion interne

consideración, a aquel pueblo, ni éste ni los misioneros se hubieran quejado ». [Coll, Ermengol] (vers 1908), Crónica de la Casa-Misión de Sta. Isabel. AG.CMF, doc. cit., p. 124. 403 « Resultó que las multas pagadas sin recibo habían sido 7, en lugar de una sola ; que la cobrada dando resguardo había sido pagada el 6 de julio y dado el recibo el 16 (ellos lo traían entonces de S. Carlos para darlo al interesado, un tal Meile) ; y que no se había llevado cadáver alguno a San Carlos, porque durante aquellos días (desde que se dio la orden hasta que se puso en “ La Guinea ”) no había muerto nadie ; y que en Musola no era verdad que el P. Abad hubiese vedado que los bubis fuesen a trabajar ». Ibidem, p.127. 404 Lettre du 10 juillet 1907. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 13, Carton 9.

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sur la conduite de la congrégation en Guinée405 ; et que, cependant, pour les missionnaires cette « prudence » n'était qu'une régression, étant donné que la perte de leur « autorité » emettait à jour les « vices » de la population : au point qu’ils envisagent (1895) l'abandon de la Mission d'Annobón, et dans l’ignorance que les comportements sociaux qu'ils poursuivaient existaient aussi sous leur autorité (quoique d'une manière plus discrète ou secrète). C'est à cette époque que le P. Ermengol Coll devint plus exigeant quant au choix des missionnaires qui devaient être destinés aux Missions guinéennes : « Tous les sujets affectés aux Missions doivent posséder une vertu largement éprouvée, être exercés à toutes sortes de souffrances, y compris à des mortifications non voulues et provenant des autres. Parce que dans ces terres : 1er. Le malaise presque incessant causé par le climat efface la joie qui provient d'une bonne santé. 2e. L'indolence, la froideur et l'horreur au travail que ressentent les indigènes poussent la patience à bout ; sans compter la facilité avec laquelle ils retombent dans les vices. 3e. Les maladies obligent très souvent à nommer comme Supérieurs intérimaires des sujets complètement nuls pour occuper ce poste (ce qui provoqua au C.St. Jean que...). 4e. Aucune des Maisons ne possède un endroit apte au recueillement et à la retraite propre aux religieux ; et rien ne peut être fait, à cause des frais excessifs. 5e. Tous les individus, quels qu'ils soient, doivent supporter un fardeau jusqu'à n'en plus pouvoir » 406. Vu ce qui s'était passé au Cap de Saint Jean, la revendication du Préfet Apostolique n'avait rien de déraisonnable.

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« Au cours du voyage réalisé par D. AugustinCuesta à la Péninsule, il fut accompagné par la P. Préfet pour assister au Chapitre Général de Cervera, où le Rd. P. Général voulait expédier certains détails sur le traitement qui devait se donner aux indigènes » : « En el mismo correo en que partio D. Augustin Cuesta a la Peninsula fue el P. Prefecto para asistir al Capitulo General de Cervera, en el cual el Rmo. P. General queria se ventilaran algunas cosas sobre el trato que debia darse a los indigenas » [ Coll, Ermengol] (vers 1908), Crónica de la Casa-Misión de Sta. Isabel. AG.CMF, doc. cit., p. 92. Ce voyage eut lieu en août 1895. 406 « Todos los sujetos que se destinan a estas Misiones habrían de ser de virtud muy probada, ejercitados en el sufrimiento de muchas maneras, sobre todo en mortificaciones no buscadas o que vienen de otros. Porque en estas tierras : 1º el malestar casi continuo que causa el clima quita la alegría natural proveniente de la buena salud. 2º la indolencia, frialdad y horror al trabajo de los indígenas son para acabar con la paciencia de un santo ; dejando aparte la gran facilidad con que recaen en los vicios. 3º las enfermedades ponen frecuentemente en la precisión de quedar como Superiores interinos a sujetos ineptos para este cargo (lo que dio ocasión en C. S. Juan a...). 4º no hay Casa alguna que ayude al recogimiento y retiro propio de religiosos ; ni se puede remediar, por los excesivos gastos. 5º todos los individuos, sin exceptuar nadie, llevan más carga de la que buenamente pueden ». Lettre du P. Coll au P. Mata, du 29 avril 1895. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1.

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L’affaire Puig-Gros (Cap de Saint Jean, 1884-1906) Hæc autem lacrymis rigavit pedes meos, et capillis suis tersit. (Lc, VII, 44)

Les faits Dans le rapport que le gouverneur de la Puente présenta au Ministère d'Outremer à la suite des excès des clarétains d'Annobon, on faisait référence à trois actes de violence dans l'exercice de l'autorité civile, réalisés presque simultanément par des missionnaires clarétains désignés dans des Missions éloignées de Santa Isabel : « Nos missionnaires, enfants chéris du gouvernement, qui leur sacrifie une grande partie du budget, bien supérieur à tout ce que rapporte la colonie, perdent leur prestige et deviennent de plus en plus odieux, en se montrant cruels à San Carlos, incendiaires à Annobon, criminels au Cap de Saint Jean et intransigeants partout ailleurs, tout comme s'ils se proposaient de discréditer notre sainte cause catholique ex profeso » 407. L'accusation de criminalité contre les missionnaires du Cap de Saint Jean allait bien au delà d'une argumentation dialectique : Puente se référait à la mort violente d'une femme Benga du village de Satomé survenue dans la Mission, où elle avait été bâtonnée sur l'ordre du Supérieur accidentel, P. Andreu Puig-Gros, et en présence d'un autre missionnaire, le F. Antonio Artieda. La version clarétaine des faits considéra toujours que ce qui déclencha l' « accident » fût la conduite « immorale » de la femme. Si bien que vers 1902, à la fin du procès, un protecteur des religieux, un certain Joan Pla que je ne suis pas parvenu à identifier, écrivait : « Deux d'entre eux, l'un prêtre et l'autre Frère coadjuteur, il y a de cela quelques années, emportés par un élan de colère, attendu qu'une mauvaise femme, réprimandée à plusieurs reprises et ceci depuis fort longtemps, continuait à inciter les enfants de l'école à la débauche, firent bâtonner celle-ci, à la suite de quoi elle mourut. Malgré les sanctions de l'Ordre, qui suspendit et chassa de son corps le prêtre et ensuite le Frère coadjuteur, leur procès est en cours, comme il était à espérer. Comme V. E. peut imaginer, cela porte une tache à 407

« Nuestros misioneros, objeto predilecto de la atención del Gobierno, que sacrifica a ellos una gran parte del presupuesto, muy superior a lo que produce la colonia, van desprestigiándose y haciéndose odiosos de día en día, al presentarse crueles en San Carlos, incendiarios en Annobón, criminales en Cabo San Juan e intransigentes en todas partes, como si de ex profeso se propusieran desprestigiar nuestra santa causa católica ». Document du 24 janvier 1895. AGA, Section África-Guinea, Boîte 677, Expédient 16.

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l'honneur de l'Institut auquel ils appartenaient, à cause de la publicité et des commentaires de la presse » 408. Comme nous verrons par la suite, cette opinion coïncidait avec celle de la congrégation. Et, bien que levant les charges qui pesaient sur l’accusé, elle n’hésitait pas à porter un jugement appréciable : car, parce que s’il est vrai que le P. Puig-Gros avait agi porté par une impulsion entraînée par la conduite « immorale » de la fille, il n'est pas moins vrai qu'il tirait profit de sa position d'autorité civile non pas pour faire accomplir les lois, mais plutôt pour « protéger » la « moralité » de la Mission et l'imposer de gré ou de force. Un récit contemporain et directe concernant tout cela avait dû sûrement paraître dans la Chronique de la Mission du Cap de Saint Jean 409 ; car, dans le chapitre qui correspond au mois de novembre 1894, nous pouvons lire : « À la fin de ce mois-ci et lorsque que le Rd. P. José Sutrías, Supérieur de cette Maison, s'était absenté pour se rendre à Corisco afin de se remettre d'une maladie, et avait été remplacé par le Supérieur intérimaire, le P. Andrés Puig-Gros, eut lieu dans cette Maison du Cap de Saint Jean le malheureux événement que je vais vous rapporter » 410. Malheureusement, les pages qui suivent ont été endommagées ; on peut cependant y lire une note signée par le P. Marcos Costa datant du 27 mai 1925 : « Certaines pages étant inutilisables, on renvoie le lecteur à l'” Histoire de la Congrégation ”, tome 1, chapitre 12, pge. 459, où l'on raconte le fait auquel font référence les lignes antérieures » 411. Il va sans dire que la version de ce livre du P. Mariano Aguilar412 insiste pour présenter des arguments que je narrerai au fur et à mesure. Par bonheur, j'ai pu quand même trouver le témoignage immédiat et direct du Frère 408 « Dos de ellos, el uno sacerdote y el otro lego, hace algunos años, en un arrebato de celo, porque una mala mujer, después de avisada repetidas veces y por mucho tiempo continuaba provocando a los niños del colegio, la mandaron apalear, de cuyas resultas murió. A pesar de los castigos de la Orden, que suspendió y rechazó del Cuerpo al sacerdote y después al lego, se les sigue causa, como es natural. Esto, como V.E. puede comprender, siempre resulta en algo de deshonra para el Instituto a que pertenecían, por la publicidad y comentarios de la prensa ». Brouillon non daté [circa 1902]. APG.CMF-Madrid, document non catalogué. 409 Crónica de Cabo S. Juan, 1884-1902. APG.CMF, document non catalogué et non paginé. 410 « A fines de este mes, siendo Superior de esta Casa el Rdo. P. José Sutrías, y estando ausente por hallarse en Corisco para reponerse de la convalecencia de una enfermedad, y haciendo las veces de Superior suplente o interino el P. Andrés Puiggrós, sucedió en esta Casa de Cabo San Juan el triste hecho que aquí voy ahora a relatar ». 411 « Habiéndose inutilizado algunas hojas, se remite al lector a la “ Historia de la Congregación ”, tomo I, capítulo 12, página 459, donde se relata el suceso a que se refieren las anteriores líneas ». 412 Aguilar, 1901

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Artieda. Un témoignage présenté par écrit non pas à une autorité civile mais au Supérieur Général de la Congrégation, le P. Josep Xifré, auquel il devait sincérité et obéissance. Un texte effroyable pour la cruauté des faits et qui mérite une reproduction: « À la requête de mon Supérieur, je vais une fois de plus raconter en détail la scène qui se déroula à Saint Jean : Le P. Puig-Gros fut présent tout du long, et même au cours de la nuit il lui infligea lui-même deux coups de fouets et donna l'ordre qu'on ne la détachât pas. Le nombre de coups de fouets qui lui furent administrés tout le long de la nuit, en présence du Père, ne dut pas être inférieur à 80 ou cent ; et, lorsque à la nuit on la laissa, elle ne tenait pas debout, si bien que les Krumen se virent obligés de la porter dedans car elle ne pouvait même pas bouger. Et à tout cela, le Père assista. Le matin venu, j'étais accompagné d'un interne et je lui demandai si elle avait eu des relations avec les élèves et dis que, lorsque le Père sortirait, nous la laisserions rentrer chez elle. Sur ces entrefaites, le Père arriva et me dit de cesser de l'interroger, d'arrêter. “ J'ai pensé ”, me dit-il, “ la faire bâtonner par les deux élèves avec lesquels elle avait des relations : ils lui donneront 50 coups chacun ; puis, un Kruman lui en donnera 50 ; et ensuite tous les élèves, à raison de six chacun ”. Il y avait une trentaine de garçons. À cela je répondis : “ me paraît beaucoup, et ce n'était pas la peine de la faire bouger pendant la nuit ; car il paraît qu'elle ne va pas très bien ”. Et il me rétorqua : “ Pourtant, elle parlait cette nuit ”. Et je lui répondis : “ Oui, elle parlait ”. Et je crois que j'ajoutai : “ À mon avis elle délirait, quoiqu'elle ait répondu à tout ce que je lui demandai à propos du garçon ”. À ce qu'il me répondit : “ Elle ne va pas mourir des coups de bâtons, ça non. À San Carlos, quelqu'un en reçut 500 et, qui plus est, avec la queue d'un singe disséqué, et il ne mourut pas, pas du tout. Dès qu'ils le laissèrent partir il fit mine d'avoir un peu de mal à retrouver ses esprits, mais peu après, il s'enfuit ”. “ Bon ”, me dit-il, “ donnez une corde aux Krumen et qu'ils lui lient les pieds et les mains ”. Et il m'indiqua lui-même comment faire. J'appelai alors les deux Krumen qu'il m'avait indiqués, et je partis faire un tour parce qu'elle me faisait vraiment de la peine et je craignais un fâcheux dénouement. Mais, comme il affirmait qu'il avait parfois vu frapper davantage, et que personne n'en mourait, je me tus. J'aurais dû montrer plus de fermeté et parler plus fort. Une fois tous ceux qui devaient la bâtonner furent réunis, les élèves en rang, le premier, à qui tout cela répugnait, commença à la frapper. Mais le Père l'obligea à continuer et comme il vit qu'il ne frappait pas assez fort, il prit lui-même le fouet et lui donna 4 coups particulièrement forts, et dans le dos. Il faut dire qu'il tenait absolument à ce qu'on la frappe aux épaules ; je pus quand même l’en dissuader et que les coups lui soient donnés aux fesses

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et par dessus le pagne qu'elle portait ; car, si on les lui donnait dans les côtes, comme il voulait, je n'ignorais pas quel en serait le dénouement. Une fois attachée, et quand j'étais sur le point de partir pour ne rien voir, le Père m'appela et me dit de rester avec lui, et je restai : ce que je n'aurais jamais dû faire. Lorsque les deux coupables l'eurent frappée, je dis au Père, qui était placé près de la défunte et qui comptait les coups de bâtons [de la laisser], et le Père dit : “ Non, les Krumen, cinquante de plus ”. Et, après cette troisième fois, je répétai : “ Laissez les enfants, mon Père ”, car elle avait la tête penchée en arrière. Alors il dit aux garçons : “ Chacun de vous, six coups ”. Si bien que, lorsqu'ils la détachèrent, elle était sinon morte, du moins sur le point de mourir. Le P. ordonna qu'on la laissât au milieu de la voie publique et ordonna aux Krumen de l'enterrer l'après-midi » 413. 413

« A instancias de mi Superior, voy a manifestar otra vez todos los pormenores de la escena pasada en San Juan. El P. Puig-Gros estuvo presente a todo, y por la noche también el Padre le dio dos latigazos y dispuso que se dejase atada. Los latigazos que se le dieron por la noche, en presencia del Padre, no bajarían de ochenta a ciento ; y, cuando la dejamos a la noche, no se podía tener en pie, pues los mismos krumanes la tuvieron que entrar dentro, porque ella no se podía mover. Todo lo dicho lo presenció el Padre. Por la mañana estaba yo con un chico a mi lado preguntando si había alguna cosa con los chicos ; y que, dicho eso, cuando saliera el P. la dejaríamos ir a casa. En esto sale el P. y me dice dejase de preguntarla ni cosas. “ He pensado ”, me dijo, “ que le den, los dos con quien ella andaba, cincuenta palos cada uno ; y, concluidos éstos, un krumán otros cincuenta ; y después, todos los chicos, cada uno seis ”, que eran unos treinta niños. A lo que yo le contesté : “ Parece que es mucho, y para eso no se había de haber tocado por la noche ; y parece, y si es verdad lo que parece esto, no está ella muy bien ”. Y me contestó : “ Bien hablaba esta noche ”. Y le contesté : “ Hablar, sí que hablaba ”. Y me parece que le añadí : “ A mí me parece que deliraba. No obstante, me ha contestado bien todo lo que le he preguntado con el chico ”. A lo que me contestó : “ Por palos no muere, no. En S. Carlos le dieron a uno 500, y eso con una cola de mono disecada, y no murió, no : nada más cuando le dejaron hizo un poco el dormido ; pero después ya se marchó, ya ”. “ Mire ”, me dijo, “ déles una soga a los krumanes y que la aten de pies y manos ”. Y él mismo me dijo cómo y de qué manera. Y llamé a los dos krumanes que él señaló, y me marché a dar una vuelta porque, en verdad, me hacía compasión y preveía algún desenlace. Pero como él decía que había visto dar más y que no moriría por eso, me callé. En todo esto me faltó entereza por no hablar más fuerte. Reunidos los que le habían de pegar, con los chicos formados, empezó a darle el primero, al cual le repugnaba ; pero el Padre le obligó y, viendo que no le pegaba tan fuerte, el P. cogió el azote y le dio cuatro de aquello que se llama fuerte y en la espalda ; cosa que él estaba empeñado en que le diesen en las espaldas, y eso le pude disuadir y se los dieron en el trasero y nalgas y encima el paño que tenía puesto ; que, de dárselos en las costillas, como quería, veía seguro el desenlace que podía tener. Una vez la ataron, yo me marchaba por no verlo. Pero el P. me llamó y me dijo que estuviese con él, y yo me quedé ; cosa que no debía haber hecho. Cuando le daron los dos culpables, le dije al P. que está junto a la difunta y contando los palos con el P., y él dijo : “ No, a lo krumán otros cincuenta ” ; y, concluido este tercero, le volví a decir : “ Dejar los chicos, P. ”, porque tenía la cabeza muy inclinada hacia atrás. Y él dijo a los chicos : “ Cada uno, seis ”. Y he aquí que, cuando la desataron, estaba, si no muerta, le faltaba casi nada para morir. El P. mandó dejarla en medio del camino público, y mandó que a la tarde se enterrase [por] los krumanes ». Lettre non datée [circa décembre 1894]. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 7, Carton 3.

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De 80 à 100 coups de bâtons la veille, 330 le lendemain, l'intervention directe du prêtre, l'abandon du corps au milieu de la voie publique... La volonté de se disculper du F. Artieda n'est nullement à écarter. Quoi qu'il en soit, ou dirait bien que tout cela alla bien au-delà d'une simple impulsion, d'un aveuglement momentané. Les clarétains eux-mêmes ne cessaient de chercher une explication : « Même tout au long de son séjour ici, on ne remarqua jamais rien chez ce Père qui puisse prouver que le Rd. Père PuigGros souffrît d'un quelconque mal dans la tête au point de perdre tout entendement, mais il se plaignait cependant souvent d'avoir mal, et il lui arrivait parfois de ne pas démordre d'une opinion sans savoir pourquoi, arrivant à pousser des cris furieux. En outre, j'avais remarqué qu'il agissait de même lorsqu'il prêchait » 414.

Les « personnages » Je ne crois pas que le P. Puig-Gros fût fou. Je crois plutôt qu'il était trop jeune et trop inexpérimenté, et qu'on lui confia une autorité qu'il n’était pas en mesure d'exercer. Né à Vergós de Cervera (la Segarra) le 29 juillet 1869, fils d'une famille paysanne, après avoir étudié à Tàrrega il entra, à l'âge de 15 ans, dans la congrégation clarétaine. Il se fit ordonner prêtre le 17 décembre 1892, après une dispense d'âge canonique pour accéder au sacerdoce415. Le 17 avril 1893 il débarquait en port de Santa Isabel formant partie de la 22e expédition missionnaire en Guinée (qui fut accompagnée du Supérieur Général, P. Josep Xifré). Il avait 23 ans et aucune expérience ni préparation spécifique pour mener à terme son labeur, et il en était de même pour ses compagnons. Après un court séjour à la capitale le P. Puig-Gros fut envoyé à la Mission de Batete où, comme nous avons vu, il resta sous les ordres du P. Pere Sala (trois ans d'expérience dans le pays) et où il côtoya le P. Nicolás González (arrivé à la Mission neuf mois plus tard). Je tiens à rappeler que c'est dans cette Maison que s'était déroulé un de ces trois faits violents dénoncés par le gouverneur de la Puente ( « Nos missionnaires (...) perdent 414 « Si bien durante la permanencia de dicho Padre en ésta no se le notó acto alguno en que claramente se demuestre que el Rdo. P. Puiggrós tuviese algún mal en la cabeza que le quitase por completo el conocimiento, sin embargo con alguna frecuencia se quejaba de ella, y también no le era ajeno el aferrarse en alguna cosa sin saber por qué, dando a veces gritos descompasados. A más de esto, había notado también que en la predicación hacía esto mismo ». Lettre du P. Pere Sala, Supérieur de la Mission de Batete, attestée par le P. Nicolás González, adressée au Préfet Apostolique P. Ermengol Coll, datée le 18 janvier 1895. APG.CMF-Madrid, document non catalogué. 415 Rescrit de la Sainte Congrégation du Concile du 5 novembre. AG.CMF, Section G, Série P, Boîte 40, Carton 11.

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leur prestige et deviennent de plus en plus odieux, se montrant cruels à San Carlos (...) » ), confirmé ensuite par la confession du F. Artieda ( « À San Carlos, quelqu'un en reçut 500 et, qui plus est, avec la queue d'un singe disséqué, et il ne mourut pas, pas du tout... ». Aussitôt, le P. Puig-Gros était transféré au Cap de Saint Jean. La bastonnade et la mort de Ndjuke, la fille Benga de Satomé, eut lieu le 25 novembre 1894, un mois après les faits de Batete, lorsque le P. Puig-Gros venait d'arriver à sa nouvelle Mission. Il n'y resterait pas longtemps et la mort de cette « mauvaise femme » changerait sa vie : il était tombé sur le gouverneur qu'il ne fallait pas. De son côté, le F. Artieda était né à Càseda (Navarre) le 13 juin 1868. Il avait presque le même âge que le P. Puig-Gros, mais n'était guère cultivé. Il était arrivé en Guinée le 26 avril 1890 (13e. expédition missionnaire). Maçon, de son état il allait de Maison à Maison en fonction des nécessités en matière de construction ou de réparation existantes. Avant la bastonnade de Ndjuke, il avait été au Cap de Saint Jean : « Avec la fournée de briques que vous avait annoncée le P. Supérieur dans sa lettre, nous venons de réparer au moyen de parois les bas fonds de la Maison de la Mission. Les travaux ont été réalisés par notre bien cher F. Artieda » 416. Il y revint cette année 1894 fatidique, après avoir été désigné aux Missions de Banapa et Batete. Et malgré la confirmation de son expulsion dans la lettre de Joan Pla (vid. supra), nous le retrouvons au Cap de Saint Jean même (1895) et à la fondation de la Mission de Musola (1896). « Afin qu'ils ne se dégradent pas à cause de la rouille, nous fûmes invités à accepter les bâtiments et les chambres tant que le gouvernement n'en aurait pas besoin. Une fois qu'ils se furent mis d'accord, et après avoir décidé de nous y installer le 1er. juillet, nous nous rendîmes à l'endroit désigné pour commencer à le déblayer, le P. Mallén, le F. Artieda et le soussigné.(...) Jusqu’ici notre première excursion à Musola où se fixèrent les PP. Pérez et Rabolleda et le dit F. Artieda, pour continuer les travaux, tandis que je regagnais San Carlos et de là Santa Isabel de paire avec le P. Mallén.(...) Nous partîmes de Santa Isabel avec le F. Peloa, qui devait remplacer le F. Artieda » 417. 416

« Con la hornada de ladrillos que en otra le anunciaba el P. Superior, se [ha] completado arreglar con tabique los bajos de la Casa- Misión. Ha sido obra de nuestro estimado H. Artieda ». Lettre du P. Miquel Daunis, affecté à cette Mission, au P. José Mata, du 22 octobre 1890. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 8, Carton 8. 417 « A fin de que no perecieran por el orín, se nos invitó a que aceptáramos los edificios y las habitaciones mientras el Gobierno no los necesitara. Convenidas las (voces ?) y habiendo determinado tomar posesión el 1º de julio, nos dirigimos al sitio, para comenzar a despejarlo, el P. Mallén, el H. Artieda y el que suscribe. (...) Hasta quí nuestra primera excursión a Musola, en donde se quedaron los PP. Pérez y Rabolleda y el citado H. Artieda, para continuar las obras, mientras yo me volvía con el P. Mallén a S. Carlos y desde allí a Sta. Isabel. [...] Salimos de Sta. Isabel con el H. Peloa, que debía sustituir al H. Artieda ». Lettre

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La documentation nous le montre à nouveau à la Mission de Batete (1898 et 1900). Une situation étrange, qui ne s'accorde que très peu à sa condition de confiné à la Maison de Banapa, décrétée peu après les faits. « Le P. PuigGros et le F. Artieda sont en prison à Banapa, sans caution et sous notre responsabilité » 418.

Les prises de position C'est que le gouverneur de la Puente réagit vite. Comme nous l’avons vu dans le chapitre antérieur, sa visite d'inspection n'était pas encore finie qu'il faisait déjà remarquer au Préfet Apostolique : « Hélas, ma communication citée n'a donné aucun résultat ; et au cours de ma visite à la colonie, je n'ai entendu que des lamentations et des plaintes contre les Missions catholiques. À San Carlos, et bien qu'ordonnée par cet ignorant et mal avisé représentant du gouvernement, demeure toujours le souvenir de la punition de 800 coups de bâton infligés à la victime dans la cour de la Mission, en présence du Supérieur de celle-ci et des élèves de l'école, qui sont là pour apprendre la mansuétude évangélique et le saint principe de “ Fais à ton prochain, comme à toi-même ”. Au Cap de Saint Jean, non seulement la population indigène mais aussi les Européens des environs sont terrifiés par ce crime barbare commis par le P. Puig-Gros, faisant tuer à coups de bâton une fillette de 15 ans dans des circonstances particulièrement aggravantes et avec un rare acharnement » 419. L'âge de la fille, impossible à savoir avec exactitude, souleva une controverse plus tard : pour le gouverneur et pour les colons de la zone de l'estuaire, normalement contraires à la Mission, il s'agissait d'une fille de quinze ans et son âge rendait bien plus grave la conduite du P. Puig-Gros ;

du P. Ermengol Coll au P. Francisco Naval, consulteur général de la congrégation, du 3 juillet 1896. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1. 418 « El P. Puig-Gros y el H. Artieda quedaron presos en Banapá, sin fianza y bajo nuestra responsabilidad ». Lettre du P. Coll au P. Mata, du 2 mars 1895. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1. 419 « Desgraciadamente, mi citada comunicación no ha dado resultado ninguno ; y al girar mi visita por toda la Colonia no he oído más que lamentaciones y quejas contra las Misiones Católicas. En San Carlos, latente todavía el castigo de 800 palos que, aunque mandados dar por el ignorante y mal aconsejado representante del Gobierno, se dieron en el patio de la Misión, en presencia del Superior de ella y amarrando a la víctima, [con] los niños de la misma que están en ella para aprender la mansedumbre evangélica y el santo principio de “ a tu prójimo, como a tí mismo ”. En Cabo de San Juan, aterrorizado el pueblo, no sólo indígena, sino el europeo de los alrededores, del bárbaro crimen cometido por el P. Puiggróss, matando a palos a una niña de 15 años con circunstancias agravantísimas de ensañamiento ». Dépêche au P. Ermengol Coll, du 15 janvier 1895. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 8, Carton 8.

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les missionnaires, en revanche, assurèrent toujours qu'il s'agissait d'une femme bien plus âgée, le double d'après l'appréciation du gouvernement. Mais le gouverneur ne se borna pas à réprimander le P. Coll. Aussitôt qu’il eut appris les faits, il entama un procès légal pour les mettre au clair et les châtier : « Ayant appris le très grave incident qui eut lieu à la Mission du Cap de Saint Jean, où était morte une femme sous force coups de bâton sur l'ordre du R. P. Puig-Gros, que le T.R.P. Préfet, au cours de sa visite effectuée il n'y a pas longtemps, avait destitué et envoyé à Santa Isabel, je pris la décision d'y envoyer le canonnier, emmenant avec lui le médecin du détachement pour pratiquer l'exhumation du cadavre et la possible reconnaissance dans les enquêtes que j'envoyai former au 2e. commandant du bateau ; et, pendant ce temps, je restai à Elobey jusqu'au 10, jour où le “ Salamandra ” revenait du Cap de Saint Jean ; je me rendis à Corisco, puis je partis visiter les Missions, et je m'embarquai à minuit pour l'île d'Annobon. Les conditions climatologiques m'empêchèrent d'aborder l'île avant le 13 » 420. Nous avons vu qu’au moment où les faits eurent lieu, le Supérieur de la Mission du Cap de Saint Jean était le P. Josep Sutrias (il en avait pris possession le 16 février antérieur). Et que le P. Puig-Gros était là comme Supérieur de manière accidentelle, à cause de l'absence du titulaire qui était malade dans l'île voisine de Corisco. Il y avait aussi trois coadjuteurs, les FF. Antonio Artieda (maçon), José Lacunza (cuisinier) et Rodrigo Paramio (cordonnier). La décision prise par le P. Ermengol Coll de destituer le P. Puig-Gros et de l'envoyer à la capitale peut être considérée comme une tentative dans l'espoir de réduire la portée de la possible culpabilité à ce seul membre de la communauté. Cependant, l'intervention du F. Artieda, qu'il avait avouée lui-même, n'était que trop évidente. Le procès judiciaire contre les deux missionnaires commença le 6 décembre 1894, onze jours après la mort de la fille, justement lorsque le gouverneur envoya au Cap de Saint Jean le médecin militaire pour pratiquer l'exhumation du cadavre. Les deux missionnaires durent comparaître devant le tribunal de la capitale, Santa Isabel : « J'espère que votre Révérence donnera bien les ordres pertinents 420

« Enterado del gravísimo incidente ocurrido en la Misión de Cabo de San Juan, donde había muerto una mujer a fuerza de palos mandados aplicar por el R.P. Puiggros, a quien el M.R.P. Prefecto, hace poco, y a su paso por dicho punto, había destituido y enviado a Sta. Isabel, dispuse que el cañonero se dirigiese a dicho punto, conduciendo al médico del destacamento para que practicase la exhumación del cadáver y reconocimiento posible en las diligencias que mandé instruir al 2º comandante del buque ; y, entre tanto, permanecí en Elobey hasta el 10, [en] que, regresando el « Salamandra » de Cabo de San Juan, me dirigí a Corisco y, después de visitar las Misiones de ambos sexos, me hice a la mar a media noche con rumbo a la isla de Annobón. Las circunstancias del tiempo no me permitieron tomar la isla hasta el día 13 ». Rapport du gouverneur au Ministre d'Outre-mer. AGA, doc. cit. En arrivant à Annobón, de la Puente agit de façon pareille (vid. supra).

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pour que comparaissent devant ce tribunal de Santa Isabel, le plus tôt possible et à deux heures de l'après-midi, le Rd. P. Puig-Gros et le Frère qui vient avec lui provenant du Cap de Saint Jean pour recevoir leur déposition pour les procès que j'instruis suite à la mort d'une femme à l'endroit susdit » 421. Comme nous l’avons vu plus haut, le résultat de ces premières actions fut le confinement des deux clarétains à la Mission de Banapa, déclaré par un acte judiciaire du 7 février, sous la garde et la surveillance des missionnaires eux-mêmes. Et c'est là que commença l'imbroglio : le caractère religieux des accusés provoqua un grand nombre de doutes technico-légaux concernant les décisions qui pouvaient se prendre à leur égard ; et notamment pour ce qui était du P. Puig-Gros, qui était prêtre. Un imbroglio aggravé par les premières actions du P. Ermengol Coll, posées au plus vite. Rappelons que la mort de Ndjuke eut lieu le 25 novembre ; et que le 6 décembre, lorsque commença le procès judiciaire, le Préfet Apostolique était déjà passé par la Mission et avait renvoyé le Supérieur intérimaire. La Chronique de la Mission du Cap de Saint Jean continue de la sorte : « Le jour où eut lieu le triste événement, la communauté fut plongée dans la plus grande consternation et décontenancée ; de sorte que les travailleurs erraient comme des âmes en peine, car autour d'eux tout était désolation et tristesse, d'autant qu’ils voyaient l'air renfrogné des indigènes et ils entendaient des propos de menaces proférés par quelques Pamues qui disaient que si la défunte avait appartenu à leur tribu il n'auraient pas hésité à mettre le feu à la Mission. Cette situation fut de courte durée : quelques jours après, vint à la Mission le Très Révérend Père Ermengol Coll, Préfet Apostolique, qui les réconforta, dédommageant les Bengas pour la femme morte avec une somme d'argent assez élevée qu'il leur remit et qui répondait à leur souhait. Disons que, de plus, la femme ne leur importait que très peu : il s'agissait d'une esclave aux mœurs dissolues et rebelle à son propre chef Manuel Ukambala, dont elle ne faisait aucun cas » 422. 421

« Espero merecer de su Reverencia se sirva dar las órdenes oportunas para que comparezca ante este juzgado, a la mayor brevedad posible y a las dos de la tarde, el Rdo. P. Puigros y el Hermano que vino con éste de Cabo de S. Juan, a fin de recibirles declaración en las causas que me hallo instruyendo con motivo de la muerte de una mujer en dicho punto ». Décrets du tribunal de Santa Isabel au P. Ermengol Coll, du 2 janvier 1895. APG.CMF-Madrid, document non catalogué. 422 « El día en que ocurrió el triste suceso, quedó la comunidad en la mayor desolación y desconcierto ; de forma que los trabajadores andaban por las suyas, no hallando más que motivos de tristeza ; sobre todo viendo las malas caras de los naturales y oyendo algunas palabras de amenaza de algunos pamues, que decían que habrían puesto fuego a la Misión si la difunta hubiera pertenecido a su tribu. No duró mucho tiempo esta situación ; pues a los pocos días vino a la Misión el Rmo. P. Armengol Coll, Prefecto Apostólico, que les sirvió de

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Le Préfet Apostolique avait payé pour la mort de la fille 6 fois plus de ce qu'indiquait le prix fixé et qu'il avait établi lui-même en échange du « rachat » de toute autre fille. Cependant cette conduite du P. Coll. loin de s'insérer dans le contexte d' « achat » des droits sur certaines femmes à un moment où sa « campagne de rachat de jeunes filles africaines » était engagée, cherchait à consolider un triple raisonnement qui épargnât à la Mission le moindre ennui postérieur : 1. que l'attitude libidineuse de la fille était à l'origine de l'événement. 2. que le P. Puig-Gros avait déjà été puni. 3. que l'affaire avait été réglée avec les indigènes ; et que, puisqu'il avait donné satisfaction aux Bengas en accord à leurs lois traditionnelles, l'autorité devait s'en tenir. On constate, à nouveau, une conduite missionnaire qui tente de tirer un profit partiel, ne serait-ce que de certaines institutions africaines. Le fait d'établir un parallélisme avec les « rachats » me paraît évident : pour ce qui fait les lois « traditionnelles » une en valait bien une autre. Et l'accord était ratifié par écrit par le chef du village de Satomé, Manuel Bonkoro, qui déclarait : « Quoique j'ai vivement ressenti la mort donnée à la femme Ndjuke, établie dans mon village, son insistance à aller perturber la vie de la Mission, en incitant les élèves internes, les travailleurs, voire les propres Frères convers de cette Mission, à des actes contraires à la décence, et cela nonobstant les avertissement répétés qu'elle reçut des missionnaires et des remontrances que je lui fis moi-même pour le même motif, en tant que chef du village, je déclare pleine et entière la satisfaction que le Très Révérend Père Préfet nous a donnée, à moi-même ainsi qu'à la famille et à la tribu, en punissant, comme il en a le pouvoir, le coupable de la mort en question, et en nous indemnisant nous soussigné, la famille et les parents de la victime avec la somme de 250 duros ; sans qu’il soit nécessaire, à mon avis, et à l'avis de toutes les personnes concernées, de demander une satisfaction autre que celle qui nous a été donnée et qui est conforme à nos coutumes » 423. mucho consuelo, habiendo satisfecho a los bengas, por la mujer difunta, con una suma de dinero bastante regular que les entregó, que era lo que ellos deseaban ; que, por lo demás, poco les importaba la mujer, que era una esclava de muy desordenadas costumbres y rebelde al mismo jefe Manuel Ukambala, de quien no hacía caso ninguno ». APG.CMF, doc. cit. 423 « Que, si bien he sentido vivamente la muerte dada a la mujer Njuke, avecindada en mi pueblo, no obstante, en atención a su insistencia en ir a molestar a la Misión, provocando a los niños internos, a los trabajadores, y aun a los HH. legos de la misma, a acciones contrarias al decoro, a pesar de los avisos repetidos que recibió de los Misioneros y de las reconvenciones que yo le hice por la misma causa, como Jefe del pueblo, tengo por muy cumplida la satisfacción que a mí, a toda la familia y a toda la tribu acaba de dar el Rmo. P. Prefecto, castigando, según sus facultades, al causador de la referida muerte e indemnizando al que suscribe, a la familia y parientes con la suma de doscientos cincuenta duros ; sin que, a mi

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Une déclaration sans doute rédigée par les clarétains eux-même et qui nous aide à comprendre leur comportement du début. Un comportement renforcé par le critère du médecin civil d'Elobey qui, bien que n'ayant pas examiné le cadavre, s'était formé une idée sur les causes du décès : « C'est vrai que le médecin d'Elobey affirme que la cause principale de la mort n'est pas le châtiment corporel, mais plutôt l'impression psychologique et morale de la femme qui n’a pas dormi de la nuit convaincue qu'on allait la tuer »424. Une lettre du P. Gaspar Pérez, désigné à la Mission voisine de Corisco, apporte un dernier élément à la stratégie élaborée par les missionnaires : « Sur les instances du P. Supérieur du Cap de Saint Jean, j'écris la présente lettre portant à la connaissance de Votre Révérendissime quelques détails sur ce que pensent les Bengas de la mort de la femme dans la Mission, au cas où ils pourraient nous être utiles pour la défense de notre cause. Je causais, la veille de mon départ pour Corisco, avec les indigènes, et je leur demandai ce que pensaient et ce que disaient les Bengas sur ce qui s'était produit. À quoi Pedro Guebenamuche me répliqua : “ Quelques uns donnent raison au Père ”. Ce sont là ses propres paroles. Ajouté au fait que, au cours des visites que j'ai réalisées dans les villages bengas, personne ne m'ait parlé de cet événement, quoiqu'ils sachent pousser les hauts cris lorsqu'une puce les pique, cela montre très clairement qu'ils n'ont pas peur, comme dit à tort le gouverneur la Puente ; mais qu'en revanche, et comme avant, ils ont en nous une confiance absolue, et qu'ils gardent pour nous la même amitié et la même bonne opinion ; et qu'il est étonnant que ces gouverneurs aient été si frappés par cette mort et ne disent pas un mot des autres morts qui ont eu lieu, il n'y a pas très longtemps, parmi les noirs. Entre tant d'autres je pourrai mentionner que ceux d'Uloba ont tué un Balengue ; mais que, étant donné qu'ils ne sont pas missionnaires, et que le gouvernement ne se sent nullement concerné, il est tombé dans l'oubli, comme tant d'autres » 425. juicio y al de todos los interesados, sea necesaria otra satisfacción que la que se nos ha dado según nuestras costumbres ». Déposition signée à Satomé le 1er. décembre 1894, avec comme témoins Paulino Mabiam et José Mali. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 7, Carton 3. 424 « Es verdad que el médico de Elobey asegura que la causa predeterminante de la muerte no es el castigo material, sino más bien la impresión psicológica y moral de la mujer que ha pasado en vela la noche con la convicción de que la iban a matar » (Canals, 1993 : 182). 425 « Por insinuación del P. Superior de Cabo S. Juan escribo la presente, comunicando a su Rma. algunos detalles sobre lo que piensan los bengas de la muerte de la mujer en la Misión, por si sirven para la defensa de nuestra causa. Hallándome en conversación, la víspera de partir para Corisco, con los hijos de Benge, les pregunté qué pensaban y decían los bengas sobre el hecho ocurrido. Y me contestó Pedro Guebenamuche : “ Unos dan la razón al Padre ”. Son sus mismas palabras. Eso, y también que, en los paseos que he dado por los pueblos bengas, nadie me habla del suceso, siendo así que bien saben gritar cuando les pica una pulga, manifiesta que no están aterrados, como dijo equivocadamente el gobernador de ésa, la Puente, sino que los bengas nos tienen toda la confianza, amistad y buen concepto de

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La stratégie « pour la défense de notre cause » se complétait donc par deux nouveaux raisonnements : 4. que la cause de la mort de la fille était confuse : qu'elle avait été due, peut-être, à des facteurs psychologiques plutôt qu'aux coups qu'elle avait reçus. 5. que tout cela reflétait, tout compte fait, l'attitude injuste du gouverneur, qui laissait passer de tels cas sans intervenir. En fait, toute la conduite clarétaine prit comme point de repère cette soi disant partialité ; et la stratégie missionnaire tendit à rebattre à tout moment les arguments du militaire libéral : « À la décharge des accusations de M. le gouverneur dans son rapport du 15 janvier 1895 : (...) 2e. Au Cap de Saint Jean, toujours en proie à la terreur, non seulement le peuple indigène, mais aussi l'européen, pour la mort... etc. : 1er. Le village vivait en paix ; et puis, à l'issue des démarches réalisées par... et après avoir dédommagé la famille et la tribu de tout... 2e. La femme avait de 20 à 30 ans, était mariée, et depuis la fondation de la Mission avait poussé à des actes contraires à la décence des Krumen, des enfants, voire des Frères convers » 426. C'est ainsi que se forma une version des faits que les clarétains défendirent sans aucune faille au point d'arriver à y croire. La version que contient le livre du P. Mariano Aguilar, citée au début de ce chapitre, en est un clair témoignage, et fut écrite lorsque l'affaire n'était pas encore tout à fait achevée : « Concernant les coups de bâton reçus par la femme suivis de sa mort, un fait tragique que les Missions ont regretté avec bien plus de fermeté et dignité que M. Puente : Il s'agissait d'une femme mariée, d'une trentaine d'années, répudiée par son mari, et aux mœurs si dépravées qu'elle avait à maintes reprises provoqué des membres de la Mission et des jeunes garçons de l'école. Lorsque ces faits se produisirent elle tentait de pervertir un des élèves et s'y employait tous les jours, malgré les remontrances et menaces du chef de sa tribu. Le malheureux P. Puig-Gros, qui pour cause de maladie du P. Supérieur était à la tête de la Mission, furieux de la voir poursuivre le nosotros como antes ; y que es extraño que [a] esos gobernantes les llame tanto la atención esa muerte y no digan nada de otras muertes ocurridas recientemente por aquí entre negros. Entre otras muchas que se podrían citar, sólo diré la que han hecho últimamente los de Uloba matando a un balengue ; pero que, no siendo misioneros, ya al Gobierno no le toca ni enterarse del caso, relegado al olvido como tantos otros ». Lettre au P. Ermengol Coll, du 19 février 1895. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 5, Carton 6. 426 « Descargos a las acusaciones del Sr. Gobernador en su comunicación de 15 de enero de 1895 : (...) 2º. En C. de S. Juan, aterrorizado todavía el pueblo, no sólo indígena, sino el europeo, de la muerte... etc. : 1º El pueblo estaba en paz y, después de las gestiones practicadas por... y dada satisfacción a la familia y a la tribu de todo... 2º La mujer era de 20 ó 30 años, casada, que desde la fundación de la Misión había solicitado a actos contrarios al decoro a crumanes, niños y aun hh. legos ». Visitas Pastorales del P. Armengol Coll, 18901918. APG.CMF, cahiers manuscrits non catalogués.

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garçon, ordonna qu'elle fut battue, suivant l'habitude de ce pays ; mais ils jouèrent de malchance et la malheureuse mourut peu après, bien que le médecin jugeat que la cause de la mort fut plutôt due à la frayeur que la femme avait ressentie tout le long de la nuit, craignant d'être fusillée. Tout ceci atténue la gravité de ce fait, voire se situe dans les principes d'une saine morale ; mais, malgré tout, la congrégation, soucieuse de sa réputation et de la mansuétude qu'elle souhaite voir rayonner chez tous ses enfants, chassa de son sein celui qui l'avait trahie et accomplit scrupuleusement ce que le chef de tribu avait établi, lequel s'estima satisfait par le départ du coupable de ce malheur et l'indemnisation remise à la famille de la défunte, qui remontait à 250 duros. Ce qui fut fait aussitôt. Mais M. Puente Basabe, qui se faisait gloire de faire éclater le scandale, disant qu'il avait apporté avec lui trois instructions judiciaires ouvertes contre les missionnaires sans s'apercevoir qu'il jouait sa gloire sur un acte puni par le code sous le nom d'usurpation d'attributions, pour donner une tendance romanesque au récit et rendre plus odieux le nom des missionnaires, peignît la femme comme une fillette faible, tendre et affectueuse, dont le seul crime consistait à aimer un Adonis noir comme un pruneau, et puis il décrivit sous les couleurs les plus tragiques la cruauté exercée par le Père missionnaire afin de mêler, dans cette ignominie que ce fait paraissait lui inspirer, l'Institut en entier » 427. D’une manière générale, nous pouvons voir que dès le début l'entourage de la Mission prit des positions favorables ou contraires, et qu’il y eut des intérêts croisés : le gouverneur général, obstiné à mettre au jour le caractère 427

« Refiérese al apaleamiento y muerte de una mujer, trágico suceso que las Misiones han deplorado con mayor entereza y dignidad que el Sr. Puente. Tratábase de una mujer casada, como de unos treinta años de edad, repudiada de su marido, y de tan rotas costumbres que diferentes veces había provocado a individuos de la Misión y a los jóvenes del colegio. Trataba a la sazón de pervertir a uno de éstos, insistiendo en ello diariamente, a pesar de las amonestaciones y amenazas del Jefe de la tribu. El infortunado P. Puigrós, que por enfermedad del P. Superior estaba al frente de la Misión, indignado al sorprenderla persiguiendo al joven, ordenó que fuese apaleada, según la costumbre de aquel país ; mas hiciéronlo con tan mala suerte que la infeliz murió poco después, si bien el médico opinó que la muerte pudo ser efecto del susto que pasó la mujer durante la noche, creyendo que iba a ser fusilada. Todo esto atenúa mucho la gravedad del caso, aun dentro de los principios de sana moral ; pero con todo eso la Congregación, celosa de su buen nombre y de la mansedumbre que desea ver resplandecer en todos sus hijos, echó de su seno al que así había faltado a ella, y cumplió fielmente lo dispuesto por el Jefe de la tribu, quien se dio por satisfecho con que saliera de allí el causante de la desgracia y con que se indemnizara a la familia de la difunta con 250 pesos ; todo lo cual se verificó inmediatamente. Mas el Sr. Puente y Basabe, que se gloriaba de dar escándalo, diciendo que había traído consigo tres sumarias contra los Misioneros, sin advertir que su gloria la cifraba en un acto penado en el código con el nombre de usurpación de atribuciones, para dar tinte novelesco a la narración y hacer más odioso el nombre de los Misioneros, pintó a la mujer como una niña débil, tierna y cariñosa, cuyo único crimen había sido amar a un Adonis negro como el betún, y luego describe con los colores más sombríos la crueldad con ella ejercida por el P. Misionero, pretendiendo envolver, en la odiosidad que este hecho parece inspirarle, a todo el Instituto » (Aguilar, 1901 : 459).

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rétrograde de l'action des missionnaires ; ceux-ci, soucieux de minimiser un fait d'une telle gravité ; et le reste des colons, également mécontents de la prépondérance et du contrôle exercés par les clarétains : « Une fois tout revenu dans l'ordre chez les indigènes, la nouvelle se répandit comme une traînée de poudre parmi certains Européens “ non sanctos ”, qui firent publier l'événement dans la presse espagnole, le déformant au moyen des interprétations les plus criminelles et de fausses suppositions. Pour recueillir la déposition, le “ Pelícano ”428 vint de Fernando Póo ; et ceux qui firent le voyage, croyant que le Père devait avoir forcé la femme et pour en finir devait l'avoir tuée, toutes leurs questions portèrent sur cela ; car, pour eux, le plus important c'était le scandale et non pas la mort de la femme » 429.

Le scandale Le scandale. C'était là une conséquence que les clarétains redoutaient : ils n'ignoraient pas qu'une rumeur basée sur de tels faits pouvait soulever, dans la Péninsule, la méfiance à l'égard de leur œuvre. Si bien que le porte-voix des secteurs libéraux à Madrid fut le gouverneur de la Puente Basabe luimême : qui, « étrangement », avait été rappelé le 16 février 1895, neuf jours après la réclusion des deux accusés à Banapa et peu après que quelques journaux madrilènes aient publié des récits plus ou moins dignes de foi sur ce qui s'était passé. Les relations entre les missionnaires et le gouverneur de la Puente étaient rompues lorsque celui-ci autorisa la réouverture des écoles protestantes (juin-juillet 1894. Vid. supra). Arrivé à Madrid, il écrivit un « Memoria sobre nuestras posesiones del Golfo de Guinea » et le rendit publique à l' « Ateneo » de la capitale de l'État, au cours d'une conférence qui se tint le 16 mai : « À son retour à Madrid, en 1895, il donna, au cours du mois de mai, à l'Ateneo, une conférence où il manifesta toute son hostilité envers les missionnaires : tant et si bien que les assistants s'aperçurent de sa

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En réalité, le “ Salamandra ” ; parce que le “ Pelícano ” était en panne et hors d'usage. Il s'agit de deux canonnières destinées à la colonie. 429 « Calmado todo en cuanto a los indígenas, se levantó gran polvareda entre algunos europeos “ non sanctos ”, que en periódicos de España publicaron el hecho, tergiversándolo con interpretaciones las más criminales y falsas suposiciones. Para tomar declaraciones vino el “Pelícano”de Fernando Póo ; y, creyéndose, los que para este fin vinieron, que el Padre habría forzado a la mujer y por fin la habría matado, todas sus preguntas se dirigieron a eso, pues lo que les importaba era el escándalo y no la muerte de la mujer ». Crónica de Cabo S. Juan, 1884-1902. APG.CMF, doc. cit.

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malveillance envers la Mission et n'attachèrent que très peu d'importance à ce qu'il disait » 430. Le Mémoire, et la conférence pour sa présentation, ne se référaient pas uniquement à l'affaire Puig-Gros, mais il évoquait tout le procès de colonisation qui comprenait aussi l'action clarétaine, notamment les aspects économiques et éducatifs de la Mission431. Parmi les assistants se trouvaient quelques députés libéraux ; ce qui poussa le P. Mata à présenter un contremémoire au Ministère d'Outre-mer, « Misiones de Fernando Póo », où il prenait la défense des résultats de la Mission (sans pour cela aborder les cas de Batete, Annobón et Cap de Saint Jean) et dénonçait le comportement de l'ex-gouverneur : « En revanche, M. Puente Basabe, sans faire le moindre effort de déplacements, hormis celui qu’il fit en tant qu'accusateur des missionnaires, et éloigné de la capitale de la colonie de crainte d'attraper la fièvre, a cru plus opportun de profiter à Basilé, lieu sain et aéré, de ses 6.400 pesos par an, soit l'équivalent à ce que reçoivent tous réunis cinq Pères et 6 coadjuteurs ; tandis que les missionnaires parcourent souvent l'île sous un soleil de plomb et par des voies extrêmement dangereuses ; ne dépensant [le gouverneur] pour l'aménagement des chemins, hormis celui de Santa Isabel où il allait de son intérêt personnel, pas un seul centime des 1.500 pesos prévus à cet effet. Ajoutons à cela le fait d'avoir refusé de donner à nos missionnaires la moindre somme sur ce qui était établi dans le budget et octroyé par les OO.RR. » 432. Le lendemain de la conférence de Puente, le journal madrilène « Iberia » 433 (et d'autres) en avait publié un vaste résumé. De sorte que le P. Mata décida de publier un nouvel article, cette fois-ci dans la revue 430

« Al volver a Madrid el año 1895 dio en el mes de mayo una conferencia en el Ateneo, en que manifestó todo el encono contra los misioneros. Tanto, que los asistentes no pudieron menos de conocer que todo era inquina contra la Misión, por lo cual hicieron poco caso de sus palabras ». [Ermengol Coll] (circa 1908), Crónica de la Casa-Misión de Sta. Isabel.AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 6, Carton 1, p. 79. 431 La citation du livre du P. Mariano Aguilar (vid. supra) correspond à une partie du commentaire de cette conférence. 432 « En cambio, el Sr. Puente y Basabe, sin molestarse en excursiones, fuera de la que hizo como fiscal de los misioneros, y alejado de la capital de la colonia por temor a las fiebres, ha creído ser más oportuno disfrutar en Basilé, punto sano y ventilado, sus 6400 pesos anuales, es decir, un equivalente a lo que perciben por junto cinco Padres y seis Hermanos Coadjutores, mientras los misioneros recorren frecuentemente la isla bajo la acción de un sol abrasador y por senderos peligrosísimos, sin destinar para caminos, fuera del de Santa Isabel, en que estaba interesada su personal conveniencia, un solo centavo de los 15000 pesos destinados a esa atención, a lo cual debe agregarse el hecho de haberse negado a entregar a nuestros misioneros algo de lo que tenían presupuestado y concedido por RR. Órdenes » (Fernández, Cristóbal, 1962 : 700). 433 Organe d'expression des libéraux progressistes, fondé par Calvo Asensio et Práxedes Sagasta.

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clarétaine « El Iris de Paz », qui comprenait la réplique qu'il avait adressée à cette publication : « Nous étions convaincus que cette agression, tant elle était grossière, ne pouvait causer dans l'auditoire d’autre effet que celui de la pitié envers le conférencier, l'imaginant victime d'un grave accès de clérophobie ; mais, étant donné que certains journaux, peut être inconsciemment, s'étaient faits l'écho des invraisemblables injures de M. Puente, nous avons cru opportun de faire appel au bon sens de nos collègues, attirant leur attention sur le rapport suivant : (...) Je déplore qu'ait ainsi procédé quelqu'un qui se dit catholique et qui exerça son autorité au nom d'un gouvernement représentant l'Espagne catholique. Je conserve des éléments concluants pour réfuter une à une toutes les accusations dressées contre les missionnaires par M. Puente ; de ces éléments, il ressortira, au moment et de la façon voulue, quels sont ceux qui à Fernando Póo veillent sur la moralité et la culture, et quels sont ceux qui se sacrifient pour la Religion et la Patrie » 434. « Pour la Religion et la Patrie ». C'était là tout l'enjeu ? Des rapports et des contre-rapports, des répliques et des contre-répliques, des articles, des conférences, des mémoires... L'ex-gouverneur avait parfaitement calculé le moment de son intervention publique car peu de jours après, le 29 mai, devaient être débattus au Congrès des Députés, les budgets de la colonie. Cette session du Congrès435 deviendrait particulièrement intéressante : car, vu la discussion exposée (une loi qui se composait d'un seul article qui octroyait à la colonie la somme de 655.000 Pts. pour l'exercice 1895-1896, sans en donner les détails), il s'établit un débat portant sur la colonisation de ces territoires. L'affaire Puig-Gros et toutes les autres visant les clarétains y furent présentées, bien que la discussion touchât surtout la manière dont avait été menée l'action clarétaine, comment il fallait désormais la revoir, le rôle que devaient y jouer les missionnaires, et le modèle et financement 434 « Estábamos convencidos de que la agresión, por lo burda, no podía causar en el auditorio otro efecto que el de la compasión hacia el conferenciante, suponiéndole víctima de un fuerte acceso de clerofobia ; pero como algunos periódicos, acaso inconscientemente, se han hecho eco de las inverosímiles injurias del Sr. Puente, parécenos oportuno apelar al buen sentido de nuestros colegas, llamando su atención sobre el siguiente comunicado : [...] Deploro que así haya procedido quien se llama católico y ejerció autoridad en nombre de un gobierno representante de la católica España. Conservo datos concluyentes para deshacer una por una todas las acusaciones dirigidas contra los Misioneros por el Sr. Puente : de ellos resultará, en el tiempo y modo debidos, quiénes son los que en Fernando Póo velan por la moralidad y la cultura, y quiénes se sacrifican por la Religión y por la Patria ». P. José Mata, Un furibundo volteriano. In : El Iris de Paz, o sea El Inmaculado Corazón de María, 1895, p. 187. Correspond au 24 mai. 435 Diario de las Sesiones de Cortes, numéro 131 : Congreso de los Diputados : Presidencia del Excmo. Sr. Marqués de la Vega de Armijo : Sesión del miércoles 29 de mayo de 1895, p. 4031-4053. BCD.

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convenables ; bien que plusieurs parlementaires y soient intervenus, les argumentations centrales furent menées par deux personnalités politiques de choix : D'une part, Rafael Mª de Labra (la Havane, 1841 - Madrid 1918), de la minorité républicaine, « si célèbre partout en Espagne pour la propagande autonomiste faite à Cuba et dans la métropole en vue de préparer le terrain à l'indépendance et satisfaire sa vanité et ambition par l'accès à la présidence de la république cubaine, ce qui était le rêve de sa vie » 436, ancien président de la « Société Abolitionniste » espagnole, co-fondateur de l' « Institution Libre de l'Enseignement » (1876), et auteur d'un grand nombre de livres sur l'abolition de l'esclavage, l'autonomie des Antilles et les problèmes éducatifs ; et même sur la colonisation de la Guinée437. Et de l'autre Matías Barrio y Mier (Verdeña, Palencia, 1844 - Madrid, 1909), chef de la minorité carliste, « vaillant champion de la cause catholique, très aguerri aux discussions parlementaires, admiré pour la clarté de son esprit et son éloquence calme, certes, mais provocante et persuasive, respecté et admiré de tous les partis politiques pour sa modération et son amabilité » 438, professeur d'Université à Valladolid, Zaragoza, Oviedo et Madrid, et ancien recteur de l'Université carliste d'Oñate. Ce dernier, avait été prévenu et renseigné par le P. Mata lui-même. Le premier avait assisté à la conférence de Puente Basabe. Cette conférence fut justement un des sujets du débat. Louée par M. Labra, qui assurait avoir en outre consulté d'autres anciens gouverneurs, des civils et des militaires ayant vécu à Fernando Póo, et d'avoir lu les rapports du Ministère d'Outremer et de l'explorateur José Valero439, en revanche le ministre d'Outre-mer, présent à l'hémicycle, s'en était formé une idée très défavorable : « M. CASTELLANO : Je l'ai feuilletée ici même, cet après-midi, car je n'ai pas pu l'avoir à ma disposition plus tôt. Elle est composée de plus de soixante pages dont une quarantaine constituent une vraie diatribe contre les Missions catholiques de Fernando Póo ; elle ne contient rien qui explique le résultat qu'a donné la colonisation des dix familles envoyées là436

« Tan célebre en toda España por la propaganda autonomista hecha en Cuba y en la Metrópoli para preparar el terreno a la independencia y satisfacer su vanidad y ambición con la presidencia de la república cubana, que era su sueño dorado » (Aguilar, 1901 : 465). 437 Labra, 1898 438 « Campeón denodado de la causa católica, muy bien curtido en las lides parlamentarias, admirado de todos por la claridad de su ingenio y por su elocuencia reposada, sí, pero insinuante y persuasiva, respetado y estimado de todos los partidos políticos por su moderación y afabilidad « (Aguilar, 1901 : 466). 439 La Guinea Española, Madrid, Imprenta del Cuerpo Administrativo del Ejército, 1891 ; La Guinea española : en el continente y en las islas Corisco y Elobeyes. In : Boletín de la Real Sociedad Geográfica, vol. 31, 1891 ; La Guinea Española : la isla de Fernando Póo . In : Boletín de la Real Sociedad Geográfica, volume 32, 1892.

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bas440, rien des rapports commerciaux de ce territoire, rien de sa fécondité, de ses productions, rien de sa topographie, rien de tout ce que V.S. a exposé. Rien qu'une haine du début à la fin à l'égard des communautés religieuses ; et un esprit de tolérance, presque d'affection, voire de bienveillance, vis à vis de la secte méthodiste » 441. Le ministre venait de décider le changement de gouverneur. Mais il devait cependant admettre l'existence des causes de procès que celui-ci lui avait livrées. Sa position était nettement favorable aux thèses missionnaires : il s'agissait d'affaires ponctuelles qui ne devaient pas mettre en cause l'action globale des clarétains : « Il est arrivé, effectivement, au Ministère, trois affaires sur des faits dont je ne peux pas parler en ce moment. Il se peut que ces crimes aient été commis, et il se peut qu'ils soient aussi barbares qu'on le dit dans ce mémoire, bien qu'il y ait des phrases d'une telle grossièreté que si on les lisait ici l'auditoire les repousserait, ce qui infirme les affirmations qu'il contient. Il se peut que les faits soient vrais ; je reconnais qu'il y a des criminels dans toutes les catégories, mais je ne reconnais à personne le droit, parce qu'un quelconque individu appartenant à une catégorie aura pu commettre un délit, de jeter l'opprobre sur toute sa catégorie. Ce que je dis (sans pour cela examiner ces faits), c’est qu’il n'existe aucune raison pour blâmer les missionnaires, car quoiqu’hébergeant dans leur communauté quelqu'un d'indigne, ils conduisent l'œuvre de la civilisation et de la foi jusqu'aux derniers confins de l'univers » 442. L'affrontement, en fait, ne venait pas uniquement des événements concrets (que les uns considéraient comme révélant une situation pervertie et 440

Il se réfère à Basilé, qui fut aussi le siège du gouverneur de la Puente. « Sr. CASTELLANO : Yo la he ojeado aquí mismo esta tarde, porque no la he tenido a mi disposición antes ; consta de sesenta y tantas páginas, y cerca de 40 están dedicadas a una verdadera diatriba contra las misiones católicas de Fernando Póo ; no hay nada que explique el resultado que ha dado la colonización de las diez familias que allí se mandaron, nada de las relaciones mercantiles de aquel territorio, nada de su fecundidad y producciones, nada de su topografía, nada de eso que V.S. ha expuesto. No hay más que una inquina desde el principio hasta el fin contra las comunidades religiosas y un espíritu de tolerancia, casi de afecto y hasta benevolencia, hacia la secta metodista ». Diario de las Sesiones de Cortes, numéro 131 : Congreso de los Diputados : Presidencia del Excmo. Sr. Marqués de la Vega de Armijo : Sesión del miércoles 29 de mayo de 1895, p. 4040-4041. 442 « Efectivamente, al Ministerio han venido tres causas sobre hechos de los cuales no puedo en este instante decir ni una sola palabra. Se habrán cometido esos delitos, serán tan negros como en esa Memoria se describen, por más que en esa Memoria hay frases que, si se leyesen aquí, las rechazaría por soeces el auditorio, lo cual quita autoridad a las afirmaciones que contiene ; podrán ser ciertos los hechos ; no niego que haya criminales en todas las clases ; lo que niego es que porque algún individuo de una clase haya podido cometer un delito, pueda echarse la mancha sobre toda la clase ; lo que digo es (sin entrar a examinar esos hechos) que no hay motivo para censurar a los misioneros, que, aun cuando albergaran en sus comunidades alguno que no fuera digno, llevan la obra de la civilización y de la fe a los últimos confines del universo ». Ibidem, p. 4041. 441

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les autres comme de simples exceptions à une action adéquate). Il y avait derrière tout cela des différends sur la manière dont fallait, depuis l'État, mener à terme l'action colonisatrice de ces territoires : « M. LABRA : Par rapport à Fernando Póo, je ne peux m'empêcher de signaler que la propagande exclusivement religieuse menée par les missionnaires contient un certain vice incompatible avec l'entreprise colonisatrice. Quand celle-ci d'ailleurs est une entreprise tout aussi exclusive, je me dois également de dire qu'elle renferme une erreur intrinsèque. La colonisation doit compter sur différents éléments comprenant différents facteurs. Si bien que pas une seule de ces grandes exploitations que je vois partout ailleurs, celles qui donnent des résultats positifs, après l'énorme échec des Missions du Paraguay, pas une seule ne se base et ne repose uniquement sur la cause religieuse. Ne nous égarons pas et reconnaissons que les Missions religieuses à Fernando Póo se réalisent dans des conditions d'une régularité parfaite portée par un zèle exclusif et un amour profond des sujets sur lesquels je n'ose me prononcer, bien que je sois obligé de reconnaître qu'il s'agit d'une matière qui a été l'objet des réserves, des critiques et des censures les plus âpres provenant des deux derniers gouverneurs de cette île443 » 444. « M. CASTELLANO : Nous devons tout mettre un profit, et nous ne nous en sommes pas si mal tirés en nous servant de lui, de l'élément religieux comme élément civilisateur, comme élément qui va apprendre notre langue et notre religion à des races inférieures, aux indigènes de ces colonies, qui leur inculque le sentiment de l'obéissance et la disposition à se soumettre aux mandats de l'autorité » 445. 443

Eulogio Merchán et José de la Puente. L'affirmation de M. Labra apparaît très surprenante, considérant que le gouverneur Merchán était mort deux ans auparavant. Il faut aussi considérer que, entre ces deux gouverneurs titulaires (un mois et demi en état provisoire), il y eut deux intérims : le capitaine de fregate Pío Porcell et le lieutenant de navire Dionisio Shelly. 444 « Sr. LABRA : Respecto de Fernando Póo no puedo menos de decir que la propaganda exclusivamente religiosa hecha por los misioneros entraña cierto vicio de incompatibilidad con el empeño colonizador. Cuando éste es un empeño también exclusivo, igualmente tengo que decir que por sí solo entraña un error. La colonización tiene que contar con diferentes elementos, y en ellos tienen que entrar distintos factores. Así es que ninguna de esas grandes explotaciones que yo veo por todas partes, todas ésas que están dando resultados positivos, después del inmenso fracaso de las misiones del Paraguay, ninguna se asienta y descansa exclusivamente sobre la base religiosa. Esto dando de barato y conviniendo en que las misiones religiosas se realizan en Fernando Póo en condiciones de perfecta regularidad, de celo exclusivo y de amor entrañable, puntos sobre los cuales yo no me permito decir nada, aun cuando debo reconocer que es materia que ha sido objeto de las reservas y de las críticas y censuras más acerbas por parte de los dos últimos gobernadores de aquella isla ». Diario de las Sesiones de Cortes, numéro 131..., p. 4036. 445 « Sr. CASTELLANO : Nosotros tenemos que valernos, y no nos ha ido tan mal valiéndonos de él, del elemento religioso como elemento civilizador, como elemento que va a enseñar nuestra lengua y nuestra religión a razas inferiores, a los elementos indígenas de esas

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« M. LABRA : Je soutiens que la base de la colonisation, puisqu'il s'agit d'une fonction de l'État, est d'un caractère essentiellement politique et, par conséquent, essentiellement civil. Et cela ne signifie pas que l'élément religieux ne puisse pas être une des fonctions qui concourent à la réussite de ces entreprises ; ce qu'il signifie c'est que le caractère fondamental est purement politique, comme le prouvent les colonisations de partout ailleurs. Avoir pour unique but la réalisation des visées religieuses n'a jamais conduit à constituer une quelconque communauté, car cette réalisation n'est qu'une des nombreuses formes de la vie sociale, mais avec cette seule forme on ne peut pas constituer une société » 446. « M. BARRIO Y MIER : Malgré l'antiquité de nos droits, la possession effective des îles du golfe de la Guinée est plutôt récente. C'est en novembre 1883 que s'y rendirent pour la première fois les missionnaires du Sacré Cœur de Marie, et depuis leurs travaux incessants ont été grandement utiles pour la Religion et pour la Patrie, là bas, comme partout ailleurs, inséparablement unies ; de sorte qu'il n'existe aucune raison pour que, soit à l'Athénée soit au Parlement, ils reçoivent des accusations non fondées, parce qu'ils veillent avec zèle à la fois aux intérêts nationaux et aux intérêts moraux et religieux qui leur sont confiés au profit des indigènes et à celui de la mère Patrie » 447 ; « Ce que j'ai affirmé, et j'y ai été poussé par les fausses appréciations de V.S., et abstraction faite de toute pensée politique, c'est que si la colonisation doit être formelle, efficace et de longue durée, vu qu'il s'agit de peuples incultes et demi-sauvages, il est indispensable qu'elle repose et soit fondée sur la religion et la morale ; et j'ajouterai que sans cette base solide il serait impossible d'obtenir aucun résultat positif au profit de la Patrie ou au profit des autochtones de ces régions éloignées, auxquels

colonias, que les infunde el sentimiento de la obediencia y la disposición a someterse a los mandatos de la autoridad ». Ibidem, p. 4042. 446 « Sr. LABRA : Yo sostengo que la base de la colonización, en cuanto es función del Estado, es de un carácter esencialmente político, y, por tanto, esencialmente civil. Y no quiere esto decir que el elemento religioso no pueda ser una de las causas que vienen en concurrencia para el logro de estas empresas : lo que quiere decir es que el carácter fundamental es puramente político, y lo mantengo con el ejemplo de todas las colonizaciones del mundo. Con la vista fija en la consecución del empeño del exclusivismo religioso no se ha llegado a constituir ningún pueblo, porque ésta es una de tantas formas de la vida social, pero con esta sola forma no se constituye la sociedad ». Ibidem, p. 4045. 447 « Sr. BARRIO Y MIER : Aunque nuestros derechos son bastante antiguos, la posesión efectiva de las islas del golfo de Guinea es relativamente reciente. En noviembre de 1883 fueron por primera vez a ellas los misioneros del Sagrado Corazón de María, y desde esa fecha sus incesantes trabajos han sido grandemente beneficiosos para la Religión y para la Patria, allí, como en todas partes, inseparablemente unidas ; de suerte que no hay motivo alguno para que ni en el Ateneo ni en el Parlamento se les dirijan cargos infundados porque cuiden con esmero, a la vez que los intereses nacionales, de los morales y religiosos que les están encomendados en provecho de los indígenas y en el de la madre España ». Ibidem, p. 4049.

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nous devons nous intéresser, cherchant à obtenir le salut de leurs âmes et leur bien-être naturel » 448. « Cette réalisation n'est qu'une des nombreuses formes de la vie sociale, mais avec cette seule forme on ne peut pas constituer une société » (M. Labra). Une affirmation favorable à la colonisation, mais qui s'opposait en tout aux idées des clarétains, qui luttaient depuis longtemps pour constituer une « nouvelle société » fondée, justement, sur la morale religieuse. Le débat atteint donc un niveau intéressant, où apparaissent les allusions à la liberté religieuse et le fait que certaines décisions du gouverneur de la Puente avaient soulevé la colère des missionnaires. Il nous intéresse cependant, par dessus tout, de mettre l'accent sur la présence dans la discussion de l'affaire Puig-Gros : « M. LABRA : Remarquez, Messieurs, qu'une de ces accusations concerne la mort à coups de bâtons d'une pauvre femme noire, sous l'action d'un des missionnaires et d'un de ses collaborateurs sur la côte africaine » 449. « M. BARRIO Y MIER : Il arriva là-bas qu'une femme de 30 ans, mariée et répudiée par son mari à cause de sa mauvaise conduite, incitait de manière impudente et effrontée les élèves de l'école à la débauche. Indigné, le missionnaire qui tenait lieu de Supérieur et qui détenait le pouvoir civil, donna l'ordre, selon les coutumes locales, qu'elle fut battue ; ce qui fut fait, mais, avec une telle malchance, que celle-ci mourut. Il s'agit sans aucun doute d'un cas regrettable, censurable, voire punissable si l'on veut, mais nullement isolé dans toute l'humanité qui a été fréquemment témoin d'actes bien plus graves, plus cruels, plus brutaux, plus atroces et plus répugnants, et que cependant M. Labra condamne avec bien moins d'acharnement. Mais, malgré tout, la congrégation regretta, déplora et condamna le fait énergiquement, suspendant et chassant de son corps celui qui ordonna l'imposition de ce châtiment, réglant l'affaire avec le chef de la tribu et dédommageant en bonne et due forme la famille de la victime. Ce fut fait non à l’initiative d'un missionnaire en tant que tel mais par décision découlant de son investiture de délégué civil et, par conséquent, représentant du principe d'autorité séculière à cet endroit. Quoi qu'il en soit, ce fait isolé ne

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« Lo que yo he afirmado en esta cuestión, estimulado a ello por las falsas y erróneas apreciaciones de V.S. y prescindiendo de todo pensamiento político, es que si la colonización ha de ser seria, eficaz y duradera, sobre todo tratándose de pueblos incultos y semisalvajes, es indispensable que se apoye y fundamente en la religión y en la moral ; añadiendo que sin esta base sólida resulta absolutamente imposible conseguir cosa alguna positiva y permanente en beneficio de la Patria ni en provecho de los naturales de aquellas apartadas regiones, por quienes también nos debemos interesar, procurando la salvación de sus almas y su bienestar natural ». Ibidem, p. 4052. 449 « Sr. LABRA : Observad, señores, que una de estas causas se refiere a una pobre negra muerta a palos mediante la acción de uno de los misioneros y de uno de sus ayudantes en la costa africana ». Ibidem, p. 4038.

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peut nullement entacher l'honneur et la respectabilité de la congrégation, qui, comme j'ai dit, fut la première à le réprouver et à le condamner » 450. « M. LABRA : Quant au procès terrifiant de la jeune indienne... Votre Seigneurie affirme qu'elle avait 30 ans. Or, je me suis laissé dire que cette indigène était jeune, et qu'en effet, elle avait des relations avec celui qu'ils obligèrent à la bâtonner jusqu'à ce que la mort s'en suive, et il a été instruit un procès contre un missionnaire et un collaborateur des missionnaires. À tort ou à raison, le procès est instruit » 451. « M. BARRIO Y MIER : Il ne s’agissait pas d’une fillette candide, comme l’affirmait V.S., mais d’une femme âgée de 30 ans, divorcée, pervertie, qui était en train d’essayer de pervertir quelques uns des jeunes garçons de cette Mission où le fait arriva » 452. La prise de position était évidente. Ce qui porta la discussion au paroxysme fut, à mon avis, qu'il en découla les idées et la manière d'envisager le procès colonial qui se cachait derrière les prises de position idéologiques affrontées. Or, mêrme si celles-ci n'avaient changé en rien, la discussion dans l'hémicycle des États Généraux leur donna un retentissement bien plus large, qui atteint son point culminant lorsque le journal madrilène « El Imparcial » 453 en publia un vaste résumé454 qui comprenait des 450

« Sr. BARRIO Y MIER : Ocurrió allí que una mujer de 30 años de edad, casada y repudiada por su marido a causa de su mala conducta, provocaba sin cesar con impudencia y descaro a los jóvenes del colegio, tratando de pervertirlos. Indignado por ello el misionero que hacía de superior, y en quien radicaba la delegación civil, dispuso, según la costumbre local, que se la apalease, lo cual se hizo con tan desgraciado éxito que la negra falleció. Es ciertamente un suceso lamentable, censurable, y aun punible si se quiere, pero no único en su género en toda la humanidad, que ha presenciado con frecuencia hechos mucho más graves, más crueles, más brutales, más atroces y más repugnantes, que el Sr. Labra no condena con tanta dureza. Aquí realmente no hubo intención de quitar la vida a aquella mujer, que desgraciadamente sucumbió en el castigo ; pero, a pesar de ello, la Congregación lamentó, deploró y condenó el hecho con toda energía, y separó de su seno al individuo que ordenó la imposición de aquella pena, arreglando la cuestión con el jefe de la tribu e indemnizando cumplidamente a la familia de la víctima, que lo fue, no de un acto del misionero como tal, sino de un acuerdo derivado de su investidura de delegado civil, y en tal concepto representante del principio de autoridad secular en aquel punto. De todas suertes, ese hecho aislado en manera alguna puede afectar al buen nombre ni a la respetabilidad de la Congregación, que, como he dicho, fue la primera en reprobarle y anatematizarle ». Ibidem, p. 4050-4051. 451 « Sr. LABRA : Respecto de la causa horrorosa de la joven india... Su señoría supone que tenía treinta años, y yo he oído que era una joven aquella india, que, con efecto, tenía relaciones con aquél a quien obligaron a que la matara a palos, y la causa está incoada contra un misionero y un ayudante de los misioneros. Tendrá o no razón, pero el hecho es que la causa está incoada ». Ibidem, p. 4052. 452 « Sr. BARRIO Y MIER : No se trataba de una niña inocente, como quería afirmar V.S., sino de una mujer de 30 años, casada, divorciada, pervertida, y que trató de pervertir a algunos de los jóvenes que estaban en las Misiones donde los hechos se realizaron ». Ibidem, p. 4053. 453 De tendance libérale modérée, il avait à l'époque un tirage d'environ 80.000 exemplaires.

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paragraphes tout entiers du Mémoire du gouverneur Puente. Un Mémoire qui ne put être publié parce que le Ministère d'Outre-mer l'interdit sous prétexte de garder le secret de l'instruction. Le Congrès approuva le budget colonial de l’année en question sans problèmes : rien que pour l’instruction publique, un domaine réservé aux missionnaires, étaient destinés 38.750 pesos, 29,6% de l’ensemble. Le scandale atteignit une portée nationale, mais ceci ne suffit pas à ébranler le P. Puig-Gros.

Un procès Au delà du rapport des faits et des arguments idéologiques, il y eut dans cette session du Congrès des Députés une longue discussion sur les procédures incertaines que le cas Puig-Gros (et ceux des Missions de Batete et Annobon) appelaient. M. Labra se plaignait que le gouverneur Puente eut porté ces affaires au Ministère faute de législation et pour des défauts dans le Code Pénal et la loi de Procédures. Le Ministre jugeait que ces procès auraient dû être portés directement à l'Audience de Las Palmas, dans les îles Canaries. Le républicain Díaz Moreu n'était pas sûr que ceci fut la meilleure voie, sans pour cela en présenter d'autre. En revanche, M. Labra, tout en accordant que c'était l'Audience de Las Palmas qui devait dire son dernier mot, ne savait pas au juste si à Fernando Póo étaient toujours en vigueur le Code Pénal de 1848455, les lois et procédures de la « Novísima » 456 ou les « lois des Indes », et profitait de l'occasion pour demander une réforme législative concernant les territoires guinéens. Ce à quoi répondit M. Barrio et Mier : « Je ne sais que répondre à V.S. à ce propos, quoique mon désir serait que ce soient les lois des Indes qui s'imposent ; car, à part quelque élément circonstanciel qu’on peut considérer comme dépassé et qui résulte difficile à appliquer de nos jours, dans le fond ces lois étaient bien plus sages, plus humaines, plus prévoyantes et plus utiles que bien des lois modernes de notre Patrie, et bien meilleures que celles qui ont servi à la colonisation des possessions d'Outre-mer appartenant à d'autres puissances qui sont si souvent louées ici et partout ailleurs » 457. Une intervention qui 454

Lo que ocurre en Fernando Póo . Édition du 31 mai 1895, p. 5. À la Péninsule était en vigueur le Code de procédure criminelle de 1882. 456 Recueil du droit espagnol en vigueur de 1805 à 1889 ; cependant, dans les colonies américaines il fut appliqué - en tout ce qui ne s'opposait pas aux « lois des Indes » - jusqu'à l'indépendance de Cuba. 457 « No sé qué contestarle a V.S. sobre este particular, como no sea manifestar mi deseo de que las leyes de Indias sean las que prevalezcan ; porque, aparte de algún elemento circunstancial que ha pasado con el tiempo y hoy resulta de aplicación difícil, en el fondo esas leyes eran más sabias, más humanas, más previsoras y más beneficiosas que muchas de las 455

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ferme le cercle idéologique au moyen de l'exaltation mythifiée de la colonisation de l'Amérique. La confusion légale -aggravée, rappelons-le, par le fait que les coupables fussent des religieux - pouvait être énorme. Cependant, entre cette confusion de procédures et les prises de position contraires, il existait une idée très claire : que le P. Puig-Gros devait être puni. C'est ce qu’exigeaient autant l'attitude progressiste des uns, qui voulaient que la justice soit appliquée indépendamment de l'autorité exercée par l'auteur, que l'attitude conservatrice des autres, qui avaient fait de la punition de Puig-Gros un argument disculpant l'ensemble de la congrégation : « M. BARRIO Y MIER : Pour ce qui fait de l'affaire triste et lamentable du Cap de Saint Jean, auquel V.S. voulait donner une nuance politique et sentimentale, je vous rappelai à l'ordre, bien sûr, soulignant sa portée et signification. Ce fut un acte condamnable et condamné par la congrégation, qui chassa de son corps le religieux qui l'ordonna, et qui fut non un acte du missionnaire en tant que tel mais accompli par lui en tant que représentant du principe d'autorité séculière » 458. Nous avons vu que la première disposition prise par le P. Ermengol Coll à son arrivée à la Mission du Cap de Saint Jean, peu après la mort de Ndjuke, consista à éloigner Puig-Gros de la Mission et à l'envoyer à Santa Isabel ; il resta en qualité de prisonnier à Banapa le 7 février 1895. Entre temps, le Père Supérieur Général, P. Josep Xifré, s'était rendu à Santa Isabel, « pour parler à M. Puente afin de régler à l'amiable les différends qu'il ait pu y avoir lorsque celui-ci était gouverneur. Mais au cours de l'entretien qu'il eut avec le Rd. Père, accompagné du P. Préfet, M. Puente se montra ferme dans ses idées disant qu'” il n’en démordrait pas et qu'il se considérait comme ayant le droit, s'il le fallait, de faire fusiller les missionnaires ” » 459. J'ignore ce que put faire encore le Supérieur Général à leyes modernas de nuestra Patria, y mucho mejores que las que han servido para la colonización de las posesiones ultramarinas de otras Potencias, que frecuentemente se elogian aquí y fuera de aquí ». Diario de las Sesiones de Cortes, numéro 131, p. 4053. Les « lois des Indes », soit les lois coloniales espagnoles appliquées en Amérique, concédaient un privilège spécial aux militaires et aux clercs. Pour ce qui est des missionnaires clarétains, son application se fondait sur le fait que la Guinée était une colonie qui ne possédait pas une législation particulière, de sorte qu'il fallait leur appliquer le Droit colonial. Dans la pratique, en ce qui concerne le cas Puig-Gros, cela aurait représenté un procès à la charge d'un tribunal ecclésiastique. 458 « Sr. Barrio y Mier : Respecto al suceso triste y lamentable del Cabo San Juan, que S.S. quería revestir de cierto tinte poético y sentimental, ya le rectifiqué desde luego, explicando su alcance y significación. Fue un acto condenable y condenado por la Congregación, que separó de su seno al religioso, que lo dispuso, más que en el concepto de tal, en el de delegado de la autoridad civil ». Ibidem, p. 4053. 459 « Quien se había personado en esta isla para hablar al Sr. Puente y arreglar amistosamente las diferencias que hubiese habido durante su gobierno. Pero en una entrevista que con él tuvo el Rmo. Padre, acompañado del P. Prefecto, se manifestó el Sr. Puente muy tieso en la suya,

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l'égard de l'affaire Puig-Gros. Quoi qu'il en soit, dans la lettre adressée par le P. Ermengol Coll au P. José Mata lui communiquant l'emprisonnement des deux clarétains (2 mars, vid.supra) ceux-ci recevaient encore le traitement qui correspondait aux membres de l'Institut. En revanche, il est sûr que le P. Xifré s'adressa au Saint Siège pour demander l'expulsion du P. Puig-Gros. La réponse de Rome ne se fit pas attendre, sous forme d'un écrit daté le 15 mars : « En vertu des facultés spéciales accordées par notre Seigneur très Saint, la Congrégation Sacrée des Très Éminents et Très Révérends Cardinaux de la Sainte Église Romaine, présidant les affaires et consultations des évêques et des clergés réguliers, compte tenu de ce qui a été exposé, accorde bénignement au Supérieur Général, ainsi qu'à son Conseil, la faculté que, tant que ce religieux persévérera dans son attitude, préalablement au procès cameral ou sommaire extra-judiciaire, avec la description des délits ou preuves concluantes, une fois désigné un avocat, procède à son expulsion » 460. Il s'imposa donc la stratégie tracée dès le début par le P. Ermengol Coll : il fallait veiller à ce qu'il n'y ait qu'un seul coupable en guise de bouc émissaire. Le procès canonique et l'expulsion ne concernait que le Père PuigGros ; par contre, comme nous l’avons vu plus haut, le F. Artieda continua comme clarétain, malgré son emprisonnement, tant qu'il fut en Guinée. Cependant, le texte de la Sainte Congrégation comprenait une nette limitation : « quatenus enunciatus religiosus incorregibilis maneat », « tant que ce religieux persévérera dans son attitude ». Si bien que, tout au long du procès civil, le Préfet Apostolique informa de la conduite du religieux, expulsé de manière provisoire : « M. Puig-Gros se conduit plutôt bien.

diciendo que “ él no bajaba de su peana ; que se consideraba con derecho hasta para fusilar a los misioneros ». [Ermengol Coll] (circa 1908), Crónica de la Casa-Misión de Sta. Isabel.AG.CMF, doc. cit., p. 80. 460 « Vigore specialium facultatum a Stmo. Dno. Nro. concessarum, Sacra Congregatio Eminentissimorum ac Reverendissimorum S.R.E. Cardinalium Negotiis et Consultationibus Episcoporum et Regularium præposita, attentis expositis, benigne facultatem tribuit Superiori Generali una cum suo definitorio, quatenus enunciatus religiosus incorregibilis maneat, prævio processu camerali seu summario et extrajudiciali, cum descriptione delictorum et concludente probatione ac deputato defensore, ad ejus expulsionem deveniendi. Contrariis quibuscumque non obstantibus ». Rescrit de la Sainte Congrégation des Évêques et Clergés Réguliers, signé par le cardinal Verga. AG.CMF, Section G, Série P, Boîte 40, Carton 11. Les rescrits du Saint Siège commencent toujours par la copie (non datée) de l'affaire que leur a été adressée. Hélas, le Père Xifré se borna à demander là le procès et expulsion du P. Puig-Gros « ob gravissimas causas separatim allatas » : « en raison de la gravité des procès apportés séparément ».

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Cependant son caractère ne s'est guère amélioré, et il n'a que très peu gagné en humilité : Que Dieu ait pitié de lui » 461. À remarquer le changement dans le traitement donné à un ex-religieux chassé de la congrégation, surveillé à Banapa et empêché de célébrer la messe. Une interdiction contre laquelle le P. Puig-Gros s'éleva avec acharnement malgré l'opposition de ses ex-Supérieurs : « Ci-joint la demande que l'ex P. Puig-Gros adresse au Saint Siège, à propos de la dispense d'irrégularité qu'il attira sur lui à cause de la mort de cette femme indigène. Il se conduit assez bien, et il se sent repentant de cet acte, d'autant plus en raison des amères conséquences qu'il doit endurer. Les juges n'ont pas encore prononcé leur jugement dont le résultat est difficile à prévoir et, à mon avis, il ne serait pas convenable qu'il célèbre la messe tant que nous ne saurons pas à quoi nous en tenir. Cependant, il vit dans l'affliction et c'est pourquoi j'ai cru bon donner suite à sa demande » 462. Une attitude qui ne tendait qu'à le faire partir de la congrégation au plus tôt et qui devint de plus en plus dure. « En réponse aux questions de V. Rd., l'ex- P. Puig-Gros ne célèbre par la messe car il n'a pas encore reçu la dispense d'irrégularité. Il se confesse et reçoit la communion toutes les semaines, il prie et suit en tout ce que fait la communauté. Ce qui lui a causé la plus forte impression c'est le fait d'avoir été chassé de la Congrégation. Malgré tout, je ne vois en lui aucun changement sincère et interne, ni l’humilité du cœur. Il se vexe dès qu'il croit qu'on le tient à l'écart. En un mot, à mon avis, il ne fait pas le moindre effort pour changer » 463.

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« El Sr. Puig-Gros no se porta mal. Sin embargo, ha enmendado muy poco su genio y ha ganado poco en humildad. Dios le tenga compasión ». Lettre du P. Coll au P. Xifré, du 3 février 1896. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1. 462 « Incluyo la petición que el ex-P. Puig-Gros hace a la Santa Sede, de la dispensa de irregularidad en que incurrió por la muerte que causó a aquella mujer indígena. Se porta bastante bien, dicho Sr. Puig-Gros, y está arrepentido del hecho por las consecuencias amargas que le ha acarreado. Todavía no han fallado los jueces su causa, cuyo resultado no es fácil prever, y yo soy de parecer que no convendría celebrase [misa] hasta ver en qué para. No obstante, como vive afligido, he creído prudente dar curso a la predicha petición ». Lettre du P. Coll au P. Jeroni Batlló, procureur de la congrégation à Rome, du 17 avril 1896. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 13, Carton 7. 463 « Contestando ahora a las preguntas de V. Rma., debo decirle que [el] ex-P. Puig-Gros no celebra aún porque no ha recibido todavía la dispensa de la irregularidad. Se confiesa y comulga semanalmente, reza y sigue en lo demás a la comunidad. De todas las cosas, la que más le ha impresionado es el ser expulsado de la Congregación. A pesar de todo, no veo yo en él cambio sincero e interior, ni se humilla de corazón. Enseguida se resiente, si le parece que no le hacen caso. En una palabra, todavía no trata de veras de reprimirse, a mi parecer ». Lettre du P. Coll au P. Xifré, du 4 mai 1896, complémentaire à l'antérieure. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1.

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Dans cette sorte d'informations le Père Artieda n'était même pas nommé. Et elles disparurent de la documentation clarétaine aussitôt que l’instruction judiciaire fut déclarée close. On dirait que la congrégation attendait la résolution de l'autorité judiciaire pour décider si elle devait se pencher dans l'un ou l'autre sens. C'est ce que devait considérer le P. Puig-Gros, qui pendant ce temps chercha à tourner les choses en sa faveur : « Je m'adresse respectueusement à votre très Révérend, implorant de votre bonté que vous vouliez bien me pardonner mon mauvais comportement et la peine que j'ai pu vous causer. Mon plus fervent désir, Rd. P., c'est de vivre et de mourir dans la congrégation, comme véritable fils de l'idolâtré Cœur de Marie. Afin d'obtenir cette grâce, je promets, à l'aide de Dieu, d'accomplir toute pénitence, aussi grave soit-elle ; et je sacrifierai, très volontiers, jusqu'à ma vie dans ces Missions partout où m'amènerait l'obéissance. Voici, Rd. Père, ma seule aspiration et la grâce qu'espère obtenir de la bonté de Votre Rd. le plus indigne de vos sujets » 464. Nous avons vu plus haut que ce qui avait le plus touché notre protagoniste était l'expulsion de la congrégation, qui était, tout compte fait, sa vie. Sa lettre, cependant, ne produisit aucun effet. Pourtant, en ce moment, tout laissait croire que la cause judiciaire se résoudrait à sa faveur, et l'exreligieux mettait l'accent sur ce qui plaisait le plus à l'Institut : le sentimentalisme : « Le cœur affligé par la plus grande tristesse et les larmes aux yeux, je prie à votre Rd. de vouloir lire ces quelques mots. Je n'aurais jamais cru, Rd. Père, que le fait dont je fus l’auteur entraînerait de si fâcheuses conséquences pour la congrégation ; je vous promets cependant, Rd. Père, que telle ne fut jamais mon intention et que pas un seul instant je n'envisageai ces conséquences. Si le bien et l'honneur de la congrégation ont exigé mon expulsion de son corps, j'accepte cette humiliation ainsi que toutes celles qui en découleraient comme pénitence de cette faute. Mais, Rd. Père, je vois que la congrégation est tout pour moi, qu'il n'existe rien au monde qui m'attire et que mon esprit se sent égaré quand j'en suis éloigné. Si bien que je souhaiterais savoir, Rd. Père, si une fois que l'affaire sera réglée avec le gouvernement je pourrai être réadmis dans la congrégation. Je vous implore, Rd. Père, cette grâce, pour l'amour du très pur et Immaculé Cœur de Marie ; et je me plie, d'ores et déjà à toute pénitence que Votre Rd. croit convenable de m'imposer. Dieu seul, Rd. Père, sait tout ce que j'ai souffert 464

« Con el más profundo respeto acudo a su Rma., implorando de su bondadoso corazón se digne perdonarme por esta vez mi mal comportamiento y el disgusto que le he causado con mi mal proceder. Mi único deseo y anhelo, Rmo. P., es el de poder vivir y morir en la Congregación, como verdadero hijo del Ido. Corazón de María. Con tal de poder obtener esta gracia, prometo, con la gracia de Dios, cumplir cualquier penitencia, por grave que sea ; y gustoso sacrificaré hasta mi vida en estas Misiones o dondequiera me ponga la obediencia. Ésta es, Rmo. P., mi sola aspiración y la gracia que espera conseguir de la amabilidad de su Rma. el más indigno de sus súbditos ». Lettre du P. Puig-Gros au P. Xifré du 4 mai 1898. AG.CMF, Section G, Série P, Boîte 40, Carton 11.

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pour ce malheur, le pire du tous ceux qui pouvaient me survenir. Veuillez, Rd. Père, écouter les prières de ce malheureux, qui fait appel à la clémence de votre cœur généreux » 465. Ce que le P. Puig-Gros ignorait c'est que la congrégation faisait de sorte que le résultat de cette affaire fut le meilleur possible... pour l'Institution clarétaine ; mais, ce qui était évident pour les membres de la curie, c'est que ce devait être lui la victime propitiatoire de cette représentation. Et lorsqu'ils s'aperçurent que la décision finale était imminente, ils se pressèrent de donner un air définitif à un châtiment dont la principale caractéristique devait être l'exemplarité et la valeur suffisant aux yeux d'autres autorités et à la hauteur du scandale public. Le rapport des juges ecclésiastiques, tous clarétains, rappelait : « Très peu de cas ont été étalés au grand jour comme celui-ci ; car on en a parlé dans la congrégation des États Généraux, dans un grand nombre de journaux espagnols, et ceci maintes fois, et partout on a considéré qu'il était chassé, et [l'expulsion] a été prise comme argument pour laver la congrégation de la souillure dont l'avilissent nos ennemis. Compte tenu de tout cela, nous prions à V.R. de faire de sorte que le Saint Siège accepte la sentence prononcée, malgré la clause “quatenus enunciatus religiosus incorregibilis maneat”, car le scandale qui intervint à Fernando Póo, aux Canaries, et aux États Généraux, et le cas lui même, n'admettaient pas d'attente » 466. 465 « Con el corazón sumido en la más profunda tristeza y las lágrimas en los ojos, suplico a su Rma. se digne leer estas breves líneas. Nunca, Rmo. P., pensé que el suceso verificado por mi mediación tuviera tan fatales consecuencias para la Congregación. Pero le aseguro, Rmo. P., que jamás tuve tal intención ni preví esas consecuencias. Si el bien y la honra de la Congregación han exigido mi expulsión de la misma, acepto esta humillación y todas las que vinieren en penitencia de aquella falta. Mas, Rmo. P., yo veo que la Congregación es mi centro, que no hay nada en el mundo que me atraiga, y que mi espíritu está violento fuera del lugar de mi vocación. Por lo cual desearía saber, Rmo. P., si después que se haya todo arreglado con el Gobierno podría ser de nuevo admitido en la Congregación. Le pido, Rmo. P., esta gracia, por amor del purísimo e Inmaculado Corazón de María ; y me sujeto de antemano a cualquiera penitencia que su Rma. juzgara conveniente imponerme. Sólo Dios, Rmo. P., sabe cuánto he sufrido por esta desgracia, la mayor que me podría sobrevenir. Dígnese, Rmo. P., escuchar los ruegos de este desgraciado, que se acoge a la clemencia de su bondadoso corazón ». Lettre du 3 novembre 1898. AG.CMF, même localisation. 466 « Pocos casos se habrán dado tan públicos como éste ; porque de él se ha hablado en la congregación de las Cortes, en muchos diarios de España y muchas veces, y en todas partes se ha tenido por expulsado, y [la expulsión] se ha tomado como argumento para lavar a la Congregación de la mancha que por este tristísimo suceso echaban nuestros enemigos sobre ella. [...] En vista de lo dicho, rogamos a V. R. que vea si se podrá obtener de la Sta. Sede que tenga por bien dada la sentencia, a pesar de la cláusula “ quatenus enunciatus religiosus incorregibilis maneat ” ; pues la polvareda que se suscitó en Fernando Póo, en Canarias y en las Cortes de Madrid, y el mismo caso en sí considerado, no daba lugar a esperar ». Document adressé par le P. Martí Alsina, sous-directeur de la congrégation et président du tribunal, au P. Climent Serrat, Supérieur Général, le 28 février 1902. AG.CMF, Section B, Série A, Boîte 5, Carton 8.

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C’est-à-dire : qu'il se pourrait que la congrégation ait « oublié » un grave événement qui contenait, pour eux, un assez grand nombre de raisons pour que tous radoucissent leur attitude. C'est ce qui advint au sujet des deux autres cas dénoncés par le gouverneur Puente et qui, tout compte fait, ne donnèrent lieu à aucun procès criminel. Le P. Puig-Gros devait expier une grosse faute, c'est vrai : il parait néanmoins qu'il paya pour tous. Et une fois de plus, nous nous trouvons face à une rapidité surprenante de la curie vaticane : le 18 mars, presque aussitôt, le Cardinal Gotti, qui à l'époque présidait la Sainte Congrégation des Évêques et du Clergé Régulier, émettait un nouveau rescrit où il annonçait que « Compte-tenu des faits exposés, on considère ratifiée et confirmée l'expulsion de l'Institut d’Andreu Puig-Gros » 467. Dans l'exposé de l'argumentation, le P. Serrat rappelait que Puig-Gros était accusé « De la mort d'une très féroce femme africaine, infidèle, qui voulait séduire un jeune travailleur appartenant à la Maison de la Mission » 468. Comme nouvel élément, on mettait en relief le comportement de la congrégation vis-à-vis de la situation personnelle de ce missionnaire fugace : « Malgré tout, la congrégation fit de son mieux pour alléger la triste situation de l'inculpé, enfermé en prison, et pour atténuer la sentence du tribunal civil qui n'a pas encore été prononcée » 469. Ainsi donc, le P. Puig-Gros ne fut chassé définitivement de la congrégation que huit ans après avoir commis son crime. Il espérait obtenir le pardon une fois que la sentence du tribunal civil serait rendue. Celle de Rome arriva un peu plus tôt et fut négative pour lui : ils avaient répété tant de fois qu'il était déjà chassé... !

L'autre procès D'après la Réglementation en vigueur, les procès soutenus dans les colonies guinéennes devaient être instruits par le secrétaire du gouvernement de Fernando Póo, qui agissait aussi comme juge de paix (non lettré). Dans les cas ordinaires, la sentence pouvait être prononcée par le gouverneur général lui-même ; dans les plus graves, en revanche, il fallait transférer

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« Attentis expositis, expulsionem ab Instituto prædicti alumni Andreæ Puig-Gros ratam habet atque confirmat ». AG.CMF, Section G, Série P, Boîte 40, Carton 11. 468 « De occisione cuiusdam vaferrimæ mulieris africanæ infidelis, quæ tentabat seducere iuvenem operarium addictum domui Missionis ». 469 « Nihilominus Congregatio summopere laboravit ad sublevandam tristissimam conditionem rei in carcere detenti necnon ad mitigandam tribunalis civilis sententiam, quæ nondum probata est ».

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l'instruction judiciaire à l'Audience de Las Palmas470. Rarement le secrétaire du gouvernement, un fonctionnaire du corps administratif, possédait la préparation exigible dans la Péninsule pour un juge instructeur, et ceci fut aussi utilisé à maintes reprises tout au long du procès. Un procès commencé le 6 décembre 1894 et auquel nous n'avons plus accès, car les instructions judiciaires des Audiences espagnoles sont détruites au bout de quelques années : on ne conserve en fait que celles qui, d'après les fonctionnaires, peuvent posséder une valeur historique. Dans l'affaire de Las Palmas, cette documentation « conservée » se garde dans l' « Archivo Histórico Provincial » (AHPLP). Or, parmi, les 17.146 procès conservés dans ces archives, provenant de l'Audience territoriale, et qui vont du XVI e siècle au début du XXe471, celui du Père Puig-Gros n’y figure pas. De même qu'on n'en conserve aucune copie dans les archives clarétaines. Tout cela ne signifie pas que nous n’ignorions rien du procès : celui-ci fut commencé d’office, avec l’exhumation du cadavre et les dépositions (non conservées) des accusés, Puig-Gros et Artieda, qui furent emprisonnés de manière préventive le 7 février 1885. Il y eut aussi un voyage du Supérieur Général, P. Josep Xifré, qui rendit visite, sans résultats positifs, au gouverneur de la Puente. Celui-ci, après sa destitution, revint à la Péninsule dans l’intention de résoudre quelques aspects du procès se rapportant à des problèmes de procédure. Nous avons déjà vu la réaction du P. Mata à Madrid, auprès des journaux et des députés, pour la défense de la cause clarétaine. Il paraît que le P. Mata intervint aussi auprès du secrétaire du gouvernement de Santa Isabel, un certain José Cherequini, instructeur du cas, et que son intervention fut convaincante : « J'ignore si vous avez reçu ma lettre précédente, où je vous communiquai l'attitude du secrétaire lorsqu'il reçut l'O.R. accompagnant votre lettre. Il fut pris d'une telle peur qu'il se refusa d'intervenir dans l'affaire ; car, d'après ce qu'on m'a dit, il va partir à bord du prochain “ Larache ” pour ne pas avoir à y intervenir ; et quoiqu'il se dise malade, c'est bien pour cette raison. Il se pourrait qu'il reçoive à la fin du mois la lettre de D. Francisco López, et qu'il change d'avis. Dans le cas contraire, rien n'aura changé pour nous. Ceci m'oblige à garder Puig-Gros, très inquiet déjà pour le retard d’une résolution définitive. Que Dieu soit loué! » 472. 470

Pour les procès ou l'on demandait, pour l'accusé, une peine supérieure aux six ans de prison. 471 AHPLP, Section Audiencia : Procesos. 472 « No sé si al llegar la presente habrá recibido V. mi anterior, en la que le manifestaba la actitud de este Sr. secretario al recibir la R.O. y la carta de V. Se asustó y temió, y va a dejar el asunto tal como estaba ; pues, según se me asegura, se va a marchar en el próximo

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Les démarches du P. Mata pour arrêter le procès à Santa Isabel coïncidaient, donc, avec le fracas que le gouverneur Puente provoqua par sa conférence à l'Athénée madrilène et la session du Congrès du 29 mai. De cette session, retenons l'attitude - favorable aux missionnaires - du ministre d'Outre-mer. Tout cela nous permettra de comprendre que l'affaire restât, pour l'instant, en suspens. Le nouveau gouverneur, le capitaine de frégate Adolfo de España, avait assisté à la conférence de l'Athénée, mais il avait appris la leçon : « Il arriva à ces plages le 19 juillet 1895 D. Adolfo de España en qualité de gouverneur. Le Rd. P. Général s'était entretenu avec lui pour qu'il protège les Missions, et celui-ci avait promis de nous aider. C'était quelqu'un de grande rectitude. Il avait écouté la conférence de M. Puente à l'Athénée, et quoique la qualifiant d’ « échec », celle-ci lui laissa quelque trace, car pour ce qui fait le traitement ou protection il ne faisait aucune distinction entre missionnaires et Pasteurs protestants, et se faisait l'écho de tout ce qui s'ébruitait contre nous » 473. En un mot, dès le début le gouverneur España décida très prudemment de ne rien faire. Un an plus tard, le calme persistait : « En ce qui concerne l’exP. Puig-Gros, je parlai de lui au gouverneur à mon arrivée. Il me répondit qu’il n’avait rien reçu de Madrid, mais qu’il croyait que le nouveau secrétaire venait ici avec des instructions concrètes. Mais le nouveau secrétaire n’arriva jamais. Le gouverneur ne souhaite aucune responsabilité ; et, au cas où il se déciderait à intervenir, il se contenterait d’envoyer l’accusé aux îles Canaries en qualité de prisonier. Là, on fera autant de bruit que l’année dernière. Nous donc sommes maintenant dans une situation pénible et nous ignorons comment changer tout cela » 474. « Larache », casi sin otro motivo que para no tener que intervenir en este asunto ; y aunque se llamará enfermo, pero la causa verdadera es ésta. Posible sería que a fines del presente mes recibiese la carta de D. Francº López, y así cambiase ; de lo contrario, nos quedamos como antes. Esto me obliga a no poder embarcar a Puig-Gros, el cual está ya inquieto por la tardanza en una resolución definitiva. ¡Bendito sea Dios ! ». Lettre du P. Coll au P. Mata, du 18 juin 1895. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1. 473 « Había llegado a estas playas el 19 de julio de 1895 D. Adolfo de España en calidad de Gobernador. El Rmo. P. General había hablado con él para que protegiera las Misiones, y había prometido ayudarnos. Era un señor muy recto. Y, como había oído la conferencia del Sr. Puente en el Ateneo, aunque la calificó de “ fracaso ”, algo le debió quedar, porque en el trato o protección no hacía distinción entre misioneros y pastores protestantes, y se hacía eco de todo lo que se propalaba contra nosotros ». [Ermengol Coll] (circa 1908), Crónica de la Casa-Misión de Sta. Isabel.AG.CMF, doc. cit., p. 82. 474 « Sobre lo del ex P. Puig-Gros, hablé al Sr. Gobr. a mi llegada. Me contestó que no le habían escrito nada del Ministerio, y que confiaba habían dado instrucciones al nuevo secretario que esperaba. Pero el nuevo secretario no vino. El Gobr. no quiere cargar con responsabilidad alguna, y si ha de obrar será mandando al individuo preso a Canarias con todos los papeles, y allí se va a renovar todo lo del año pasado. De manera que es ciertamente un estado violento, pero que no se ve ahora camino para cambiarlo en mejor ». Lettre du P. Coll au P. Mata, du 14 janvier 1896. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1.

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L'envoi de la cause aux Canaries, voilà justement ce que les clarétains ne voulaient pas : car cela signifiait que le procès suivait son cours ; que le cas était considéré comme quelque chose de grave ; et que, par conséquent, les journaux en parleraient à nouveau : « M. le gouverneur, ne voulant pas assumer la responsabilité et suivant les démarches légales, doit l'envoyer prisonnier aux Canaries muni de tous les documents, etc., et tout sera remis à jour et on publiera des choses qui devraient rester cachées ; et c'est la raison pour laquelle je n'ai pas osé lui demander de faire quoi que ce soit » 475. Ne rien faire équivalait donc, à laisser l'affaire arriver à l'Audience. Il fallait donc que le gouverneur agisse. Ou à la rigueur le secrétaire, qui était l'instructeur du cas. Ce que les clarétains ignoraient, c'est que le nouveau secrétaire qu'attendait le gouverneur espagnol était resté à mi-chemin de peur du climat et des maladies. Le 17 janvier, juste deux jours après la dernière lettre citée, débarquait à Santa Isabel Francisco de Paula Guarro, l'ami personnel de l'ex-gouverneur Puente : « Je me prépare, moyennant la prière, à affronter les épreuves que je vois proches. Que Dieu nous assiste et la Mère Divine. Il vient d'arriver M. le nouveau secrétaire, dont on a dit (ou il l'a dit lui-même) qu'il venait ressusciter deux ou trois morts. En fait, il vient réactiver et donner cours à l'affaire Puig-Gros, et je crois aussi à celle d'Annobon et de San Carlos. Et puisse Dieu faire qu'il ressorte toutes les tueries de l'époque de Barrasa. Il a déclaré qu'il était un ami de M. Puente qui lui avait tout raconté dans le moindre détail. Il n'est pas venu nous voir et je doute qu'il vienne. Or, deux jours après, ou le lendemain de sa prise de possession, en allant lui rendre visite, je ne sais plus très bien pourquoi, je le trouvai plongé dans la lecture de l'instruction judiciaire, et il me déclara très poliment que le procès devait être porté aux Canaries et que c'était là où devaient être transférés le Père et le F. Artieda. Il me dit qu'il se peut qu'on lui renvoie tout pour qu'il l'exécute et rende sentence. Résultat, je crois qu'il va tout réactiver » 476. 475

« El Sr. Gobernador, no queriendo asumir responsabilidad y siguiendo los trámites legales, ha de enviarlo preso a Canarias con todos los papeles, etc., y se volverá a renovar todo y publicar cosas que más valiera que estuviesen ocultas ; y en este sentido no me atreví a invitarle que obrara ». Lettre du P. Coll au P. Mata, du 15 janvier 1896. AG.CMF, même localisation. 476 « Estoy preparándome, por medio de la oración, para las cruces que veo venir. El Señor nos asistirá, y la Divina Madre. Ha llegado el Sr. secretario nuevo, de quien se ha dicho (o ha dicho él mismo) que viene a resucitar dos o tres muertos. Esto es, que viene a remover y dar curso a lo del Sr. Puig-Gros, y, creo, también a lo de Annobón y S. Carlos. Y quiera el Señor no saque lo que se mató en tiempo de Barrasa. Ha dicho él que es amigo del Sr. Puente y que él mismo le ha enterado por menudo de todo. No ha venido a visitarnos, ni creo vendrá, mas, a los dos días o al día siguiente de tomar posesión, fuí a verle, no me acuerdo con qué motivo, y le hallé leyendo el sumario y manifestándome con muy buenas maneras que la causa había de ir a Canarias y habrían de ser trasladados allí el Padre y el H. Artieda. Dice que quizás se lo remitan, facultándole para que aquí lo ultime y dé sentencia. Resultado, que creo se va a remover de nuevo todo ». Lettre du P. Coll au P. Mata, du 4 février 1896. AG.CMF, même localisation.

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Francisco Guarro était un fonctionnaire ambitieux, qui souhaitait tirer profit de son séjour à Santa Isabel pour engager quelques négoces. C'est pourquoi, lorsqu'il fut relevé il fit en sorte de regagner la Guinée. Et jusqu'à la fin du procès, en 1902, il ne cessa d'apparaître et de disparaître en tant que secrétaire du gouvernement colonial ; au point qu'en novembre 1899 il intervint même comme gouverneur intérimaire, le seul qui ne fut pas militaire au cours de toute la période sujet de mon étude. Dès son arrivée il s'appliqua à activer le procès : « Il dit que, jusqu'ici, il a envoyé une commission rogatoire à Cervera et à Navarre (j'ai oublié à quel endroit) afin d'activer le procès » 477. Et, curieusement, bien que s'agissant de quelqu'un qui « ne fréquentait jamais l'église », d'après cette même lettre, dès ce moment même les missionnaires commencèrent à ressentir pour lui une certaine sympathie : le passage du procès par l'Audience était envisagé comme quelque chose d'inéluctable ; mais l'enjeu de Guarro, largement fondé sur l'imbroglio dont j'ai parlé plus haut, consistait à faire que l'Audience renvoyât l'affaire au tribunal de Santa Isabel, et que, tout compte fait, la décision soit négociable entre les autorités coloniales et religieuses. « Je dirai, tout d'abord, que M. le secrétaire, sans doute pour compenser le mauvais effet que ses médisances avaient pu nous causer, et sachant que nous savions tout, nous a rendus visite, la 1ère., très amicale, soutenant son désir de protéger les Missions et traçant la ligne de conduite à suivre quant à l'affaire Puig-Gros afin que son résultat soit considéré le moins criminel possible. Nous l'avons remercié de son offre et nous avons tiré profit de ses conseils qui, quelle que soit la raison qui l'ait poussé à nous les donner, étaient à mon avis aussi bien fondés que sincères » 478. L'acceptation de cette stratégie de la part des clarétains introduit de nouveaux protagonistes dans l'entreprise : les clarétains de la Maison de Las Palmas, avec à leur tête le supérieur P. Joan Melé, qui préparaient le terrain dans la même Audience Territoriale : « J'ai reçu la lettre du P. Melé où il me mettait au courant des démarches qu'il avait engagées à l'Audience de Las Palmas quant à l'affaire Puig-Gros » 479. Enfin, le 2 août 1896 Francisco 477 « Dice que ha enviado hasta ahora exhorto a Cervera y a Navarra (no me acuerdo a qué pueblo) para poder activar las causas ». Lettre du P. Coll au P. Xifré, du 9 février 1896. AG.CMF, même localisation. 478 « Comenzando, diré en primer lugar que el Sr. secretario, tal vez para deshacer el mal efecto que nos pudo causar su murmuración, de la cual sabía teníamos noticia, nos ha hecho una visita, la 1ª, muy amistosa, protestándonos su buen deseo de proteger las Misiones y trazándonos la línea de conducta que debemos seguir en la causa del ex-P. Puig-Gros, a fin de que resulte lo menos criminal que se pueda. Le hemos agradecido su ofrecimiento y nos aprovecharemos de sus consejos, los cuales, sea cual fuere el motivo que le impulsó a dárnoslos, creo eran acertados y, por otra parte, sinceros ». Lettre du P. Coll au P. Mata, du 1er. avril 1896. AG.CMF, même localisation. 479 « Ya me escribió el P. Melé las diligencias practicadas por él en la Audiencia de Las Palmas sobre el asunto Puig-Gros ». Idem du 23 avril 1896. AG.CMF, même localisation.

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Guarro, en tant que juge instructeur et de première instance, dictait un arrêt déclarant conclue l'instruction judiciaire : il envoyait à Las Palmas avec en annexe l’acte d'emprisonnement provisoire, et le notifiait au ministère public car : « On a effectué toutes les diligences du sommaire pouvant mener à l'enquête du délit, ainsi que de ses circonstances et auteur, sans qu'il y ait de démarches ni de pièce à conviction apportant d'autres éléments au procès, au cours de cette première période » 480. Les clarétains étaient prêts : « Le procès de Puig-Gros et Artieda est envoyée par le courrier au Canaries. Or, d'après ce que m'a dit M. le secrétaire, il paraît qu'il sera ramené ici pour sa résolution définitive, de sorte que les accusés ne sont pas partis. J'en ai informé le P. Melé, qui m'a demandé que, pour éviter que la Mission de Canaries voit souillée sa réputation par la présence de ces deux accusés, s’ils doivent aller là bas, il leur cherchera à loger chez l'habitant à nos frais. Cependant, j'ai bien peur que cette condition n'offre guère de garantie à la Justice qui, par ailleurs, n'accepte pas de caution ; donc je me demande ce qui est mieux pour nous tous, car s'ils ne peuvent pas rester dans la Maison de la Mission ils seront obligés d'aller en prison » 481. Par conséquent, la congrégation était convaincue que l'Audience de Las Palmas appellerait les deux accusés à déposer ; et que, face aux doutes de procédures que le cas présentait, l'affaire retournerait plus tard à Santa Isabel. Il n'en fut rien. Malheureusement, et puisque les documents furent supprimés, il est impossible de savoir exactement ce qui se passa à l'Audience. Quoi qu'il en soit, au lieu d'appeler les coupables, le 19 décembre 1896 la Juridiction Criminelle de l’Audience dictait un autre arrêt - qui n'arriverait à Santa Isabel que le 17 avril 1897 - où elle ordonnait que le procès fût renvoyé à Fernando Póo et que tout soit repris : il y avait eu une erreur de procédure : aucun avocat ayant capacité en droit n'y avait intervenu. C'est qu'aux Canaries on ignorait combien l'état de la colonie était précaire. Surpris, Francisco Guarro répliquait : « Dans cette colonie il n'y a aucun avocat, juriste ou pas, pour exercer sa fonction en tant que tel ; par 480 « Se han practicado todas las diligencias propias del sumario que podían conducir a la averiguación del delito, y de sus circunstancias, y de sus autores, sin que reste diligencia, señal ni medio alguno de hacer más elementos de convicción al proceso en este primer período ». APG.CMF-Madrid, document non catalogué. 481 « La causa de Puig-Gros y Artieda va por este correo a Canarias, si bien, según me dice el Sr. secretario, parece que volverá aquí para su resolución definitiva, por cuyo motivo no van ahora todavía los procesados. Se lo he avisado al P. Melé, quien me dice que, para no perder la Misión de Canarias el buen nombre, en caso de ir los aludidos procesados les buscará una casa particular a cuenta nuestra. No sé cómo perderemos o ganaremos más ; porque temo que, a no estar en la Casa- Misión, habrán de ir a la cárcel, porque la Justicia no considerará bastante garantida la seguridad en una casa particular, y, por otra parte, en este caso no se admite fianza ». Lettre du P. Coll au P. Mata, du 3 août 1896. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1.

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conséquent, et à moins de prendre sur moi la responsabilité, il m'est impossible de fournir un quelconque document. (...) Aucun procureur d'office ne figure dans ce tribunal. Il n'existe dans la colonie qu'un ministère public municipal, non juriste, et il est en outre impossible de rencontrer un avocat assesseur » 482. Le juge instructeur concluait en demandant qu'on lui envoie des instructions, tout en affirmant qu'il ne pourrait rien faire tant qu'il ne les aurait pas reçues. Il faisait référence aussi à la situation personnelle des missionnaires emprisonnés à Banapa : « Je me permets d'attirer votre attention au sujet des torts qu'a occasionné chez les inculpés la carence de dispositions de la part de l'Administration de la Justice dans ces îles ; en fait, cette instruction judiciaire peut se considérer virtuellement achevée en février mille huit cents quatre-vingt quinze, or voilà déjà deux ans que le P. Puig-Gros et Artieda sont en détention préventive. Ce qui alourdira la peine qui leur sera imposée en temps voulu » 483. Tout compte fait, il fallait attendre. Le dessein de Francisco Guarro avait été un échec ; et, malgré ce dernier effort, l'ami du capitaine Puente perdait la confiance des clarétains dans une affaire fort délicate. Il faudrait agir au moyen d'avocats et de procureurs : « D'après ce que je vois, il faut qu'un avocat présente à M. le Président de l'Audience de Las Palmas une instance sollicitant que les données recueillies par M. José Cherequini soient considérées nulles, car elles ont été effectuées par quelqu'un de non compétent. Voilà donc quelle doit être la première démarche à suivre. Puis, au cours de la défense, tout en mettant l'accent sur la culpabilité de la femme, prouver que ce qu'on lui fit obéit à un excès de zèle ou à une imprudence ; 3e. qu'ils ne croyaient pas que cela provoquerait la mort ; mais, que 4e. désobéissant aux ordres les Krumen la frappèrent au ventre et à la poitrine, de sorte que le mal qu'on lui infligea fut bien plus grave que ce qu'on prétendait. Enfin, 5e., que les trois ans de détention préventive qu'ils

482 « En esta colonia no existe abogado alguno, ni habilitado ni sin habilitar, para el ejercicio de la carrera ; y, por tanto, a menos de incurrir en responsabilidad, me es absolutamente imposible proveer escrito ninguno. [...] Tampoco en este juzgado existe promotor fiscal, no habiendo en la colonia más que un fiscal municipal, no letrado, y dicho está que tampoco es posible encontrar abogado que le asesore ». Instance de Francisco Guarro au président de l'Audience Territoriale de Las Palmas du 1er. mai 1896. APG.CMF-Madrid, document non catalogué. Dans le même document on racontait la décision antérieure de l’Audience. 483 « Me permitiré llamar la atención de V.E. acerca de los perjuicios que a los procesados se han irrogado por la falta de disposiciones concretas acerca de la administración de justicia en estas islas ; pues este sumario puede considerarse virtualmente terminado en febrero de mil ochocientos noventa y cinco, y van ya más de dos años que lo mismo el P. Puiggros que el Artieda sufren una prisión preventiva que constituirá un agravamiento sobre la pena que en su día se les imponga ».

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ont subi soient pris en considération pour la sentence. Je crains bien que tout cela nous coûte plutôt cher. Dieu nous soit en aide ! » 484 Voilà quels étaient les arguments des clarétains. Et il est presque sûr que leur conduite prit ce sens là. Mais il n'est pas moins vrai que si, jusqu'ici, j'ai pu suivre les traces du procès, à partir de cette date commence un aller et retour de l'instruction judiciaire, entre Fernando Póo et Las Palmas, toujours pour causes de procédures, que je ne peux suivre que de manière générique. Ainsi, par exemple, le P. Martí Alsina, dans son document de conclusions du procès canonique, se plaignait : « Et chaque fois que [le procès] va et vient de Fernando Póo à Las Palmas (et ceci à maintes reprises), la mémoire de toute cette affaire se renouvelle pour certains méchants journaux, soulevant parfois un scandale redoublé » 485. C'est dire que quelques colons et fonctionnaires et certains secteurs libéraux, étaient aux affûts. Ce que les clarétains eux-mêmes soupçonnaient. « L'affaire de M. Puig-Gros, j'ai bien peur que ceux qui peuvent (ou celui qui peut) ne veut pas ou craint de la résoudre dans un sens qui puisse nous être favorable, ou de peur de ce que porraient répandre partout ailleurs les journalistes sous la pression de M. Puente. Je n'y vois pas d'autre explication » 486. Nous verrons plus tard que le souvenir de la mort de Ndjuke, ne serait-ce que comme une arme présentée contre les missionnaires, se prolongea, dans la colonie, notamment parmi les colons de la Muni. Or, le « scandale soutenu » que cette affaire entraîna n'était pas seulement un motif de raillerie pour les missionnaires, mais il les empêchait de clore toute sorte d'accord avec les magistrats de l'Audience, malgré les efforts de P. Melé et le procureur des clarétains. Si bien que la continuation du procès, malgré tout, était due, bon gré, mal gré, à l'attitude « légaliste » de l'Audience. 484 « Según veo, es necesario que un abogado presente al Sr. Presidente de la Audiencia de Las Palmas una instancia pidiendo que, por estar hechos por persona incompetente, no valen nada cuantos datos se recogieron por D. José Cherequini. Éste debe ser el primer paso. Luego, en la defensa, haciendo resaltar la culpabilidad de la mujer, se haga ver que fue un exceso de celo o una imprudencia temeraria lo que se le hizo ; 3º, que no creían que de aquello hubiese de morir ; pero que, 4º, no obedeciendo los krumanes que la azotaban, le pegaron en el vientre y los pechos, con lo cual se le hizo mucho más mal del que se intentaba ; finalmente, 5º, con los tres años que llevan de prisión preventiva, se habrían de tener en cuenta para la sentencia. Temo que nos costará algún dinero, si intentamos que se actúe. Dios nos ayude ». Lettre du P. Coll au P. Mata, du 5 mai 1897. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1. 485 « Y cada vez que lo llevan de Fernando Póo a Las Palmas y de Las Palmas a Fernando Póo (que son varias las veces) se renueva por algunos periódicos malos la memoria de lo acontecido, y a veces aumentando el escándalo ». Document du 28 février 1902. AG.CMF, Section B, Série A, Boîte 5, Carton 8. 486 « El asunto del Sr. Puig-Gros, temo que los que pueden (o el que puede) no quiere o teme resolverlo en sentido favorable a nosotros, por miedo a lo que digan después por ahí los periódicos inspirados por el Sr. Puente. No me lo explico de otra manera ». Lettre du P. Coll au P. Mata, du 22 juillet 1897. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1.

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Bien peu après l'échec du dessein du secrétaire Guarro, le gouverneur « libéral » España mourut à Fernando Póo même († le 19 mai 1897) ; et lorsque les Supérieurs de la congrégation - sans doute désireux de trouver d'autres voies alternatives - s'aperçurent que le nouveau gouverneur, le capitaine de frégate José Rodríguez Vera, qui prit possession de son poste le 19 octobre 1897, était « par dessus tout un bon catholique, peu adonné aux considérations des humains, ennemi des louanges, clair et franc autant dans ses paroles que dans ses actes » 487, ils lui proposèrent, d’après cette même lettre, une voie différente afin que l'affaire se résolve à Santa Isabel : « L'autre jour, lorsque je lisais le Règlement organique, je remarquai qu'un de ses articles manifestait, en substance, que pour les affaires les moins graves, la justice serait administrée par un juge de paix ; et, qu'en revanche, toute affaire considérée “ de gravité ” serait administrée par M. le gouverneur assisté par le secrétaire, homme de loi. Il ajoutait que, selon la sentence, on pourrait recourir soit au Ministère, soit à l'Audience de Las Palmas. Or, il y avait ici les facultés pour résoudre l'affaire. Cependant, à l'issue de ce qui vient de se passer, le sous-secrétaire [du Ministère d'Outremer], pour éviter que M. Puente n'en fit des siennes, lui envoya un ordre impératif lui interdisant d’intervenir ou de résoudre cette affaire. De sorte que le gouverneur m'a demandé “ que V.R. essaie d'obtenir du Ministère qu'il révoque cette interdiction, ou qu’il soit dit tout simplement à ce gouverneur qu’il lui est octroyé la faculté de la résoudre, d'après ce qu'il lui est disposé dans le règlement organique ”. Discrètement, il me dit : “ Je le ferais de la manière la plus bénigne possible ”, ce qui est très en accord avec son esprit catholique » 488. De sorte que le gouverneur avait bien plus confiance en l'influence des clarétains auprès du Ministère qu'en la sienne propre. Ainsi donc Le P. Mata engagea les démarches suggérées par le P. Coll un mois plus tard, le 18 décembre 1897, lorsqu'il adressa une requête au Ministère d'Outre-mer489 487

« Sobre un buen católico, de pocos respetos humanos, enemigo de adulación y muy claro y franco en sus palabras y obras ». Idem du 17 novembre 1897. AG.CMF, même localisation. 488 « El otro día, leyendo el reglamento orgánico, noté que uno de sus artículos decía en sustancia que la administración de justicia se ejecutará en los casos leves por un juez municipal ; y en casos “ de gravedad ”, cualquiera que ella sea, resolverá el Sr. gobernador asesorado por el secretario letrado. Añadía que de la sentencia de éste podía acudirse al Ministerio o a la Audiencia de Las Palmas. Pero resulta que aquí había facultad para resolver el caso. No obstante, a raíz de haber sucedido, el subsecretario [del Ministerio de Ultramar], para evitar que el Sr. Puente hiciese una de las suyas, le mandó una orden terminante prohibiéndole que él entendiese o resolviese este asunto. Por tanto, me ha dicho el Gobr. : “ Vea V. R. si puede conseguir del Ministerio que revoque dicha prohibición, o que le digan sencillamente a este gobernador que se le concede facultad para resolverlo, conforme está dispuesto en el reglamento orgánico ”. En reserva me dijo “ lo haría con toda la benignidad posible ”, lo cual está muy conforme con su espíritu católico ». 489 Copie conservée à l'AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 7, Carton 3.

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tout en lui demandant que « il veuille bien se montrer magnanime dans cette affaire, décrétant que, puisque les lois ne prennent aucune disposition à ce sujet, et que les autorités judiciaires hésitent sur la législation par laquelle ils doivent le juger, le procès soit conclu et la liberté rendue au prisonnier, comptant, s’il mérite une peine, celle qu'il a subie avec ces trois ans de prison et de déchéance. Et, notamment, considérant valide et suffisante la peine imposée par la tribu du Cap de Saint Jean, autorisant, à tel effet, M. le gouverneur général de Fernando Póo, conformément au règlement organique, sous le conseil du secrétaire, homme de loi, ou en l'absence de celui-ci son remplaçant, donnera la sentence définitive, inspiré par la bénignité, par l'absence de législation, et par le fait qu'il a déjà été jugé par les indigènes au Cap de Saint Jean, ainsi qu'il fut fait dans d'autres affaires semblables » 490. La dernière phrase nous sert de repère pour ce qui est des affaires d'Annobon et de Batete. Significativement, la prétention de Mata (qui « oubliait » encore le F. Artieda) allait contre la logique du procès et prévoyait d’imposer l'opinion gouvernementale plutôt que le point de vue de la justice. Ce ne fut pas possible. Mais le plus intéressant dans ce document c'est qu'il y ajouta des « données de la cause à la faveur de M. Puig-Gros », où il répétait tous les arguments que nous connaissons déjà... Et il y en ajouta de nouveaux : « 2e. Personne n'ignore qu'à Fernando Póo la puissance de l'âme s'affaiblit, obnubilant chez les individus la capacité pour le discours et la réflexion.(...) 4e. Qu'il s'agit d'une noire très résistante aux coups de bâtons aussi durs soient-ils, et que seuls de terribles châtiments sont capables de l'amadouer.(...) 10e. Qu'il est très différent de voir ou de lire une telle action dans un pays civilisé et de le lire ou de le voir dans des pays sauvages » 491.

490 « Se digne ejercer en este asunto un acto de magnanimidad ; decretando que, pues las leyes nada disponen para ese caso, y las autoridades judiciales dudan sobre la legislación por la cual han de juzgarlo, se dé por concluso el proceso y la libertad al procesado, computándole, si alguna pena merece, la que ha sufrido con tres años de prisión e inhabilidad. Y, sobre todo, dando por válida y suficiente la pena impuesta por la tribu de Cabo San Juan, autorizando al efecto al M. I. Gobernador Gral. de Fernando Póo para que, con arreglo al reglamento orgánico, asesorado del secretario letrado u otro sustituto en su ausencia, resuelva en definitiva, inspirándose en la benignidad, en la carencia de legislación, y en que ya fue sentenciado por los indígenas en Cabo San Juan, como se ha verificado en otros casos análogos ». 491 « 2º Es cosa averiguada que en Fernando Póo se enervan las potencias del alma y con facilidad los individuos se hacen ineptos para el discurso y la reflexión. [...] 4º Que se trata de una negra que resiste muy bien fuertes y muchas palizas, y que no se reduce a la obediencia sino con castigos terribles. [...] 10º Que es cosa muy distinta presenciar o leer un hecho de esta naturaleza en un país civilizado a leerlo o presenciarlo en países salvajes ».

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Et je crois être arrivé au nœud de l'affaire : les clarétains croyaient qu'en Guinée ils pouvaient agir de manière « autre » que sur la Péninsule ; qu'ils possédaient la légitimité pour imposer l'obéissance à quiconque et que, par conséquent, il était justifiable d'employer des « châtiments terribles ». La mort de Ndjuke avait été, au bout du compte, un accident « fatal » au regard d’une manière d'agir « normale ». Le pire c'est qu'ils n'étaient pas les seuls à le croire, et que d'autres secteurs (rappelons l'affaire de Batete) agissaient de manière semblable lorsque l'affaire leur convenait. Combien de cas de violence, exercée autant par les uns que par les autres, ont dû rester « cachés », pour la raison qu’ils n’avaient pas été entachés d’un « accident » ? Les allées et retours de Fernando Póo à Las Palmas se succédèrent. Au début du mois de mai 1898, par exemple, on constate un retour du procès en Guinée, comme post-scriptum de la première lettre du P. Puig-Gros que j'ai transcrite plus haut. Chaque retour représentait un espoir : l'affaire pouvaitelle se résoudre à Santa Isabel ? Et, au bout du compte, tout se réduisait à la demande de nouveaux aspects de la procédure. À Las Palmas, les clarétains cherchaient à s'entretenir discrètement avec les seuls personnages qui pouvaient se prononcer de manière définitive : les magistrats : « À Las Palmas, exhorté par le P. Forcada, je rendis visite à M. Mariano Cano, magistrat de l'Audience des Canaries, qui m'accueillit, plein de bienveillance. Il me dit qu'il était au courant de l'affaire de Fernando Póo pour y être intervenu ; et il ajouta qu'il allait s'occuper de l’affaire de sorte qu'elle se résolve au plus tôt de la meilleure façon possible ; que je parte sans souci et que je manifeste à V. Rd. qu'aucun mauvais résultat n'est à craindre. Par ailleurs, je rendis visite à l'éminent, avocat ami de V. Rd. : je lui exposai les souhaits de V. Rd. ainsi que le projet du secrétaire de Fernando Póo, avec lequel je m'étais entretenu avant d'embarquer. Celui-ci [le secrétaire] m’avait souligné que le procès se trouvait dans un piteux état ; qu'il se verrait obligé de condamner les prisonniers à la peine capitale ou à l'emprisonnement à vie ; que le seul moyen d'en réchapper c'était de parvenir à ce que l'Audience de Las Palmas déclarât nul le procès, étant donné qu'il avait été mené par un lieutenant de navire qui n'était ni docteur ni possesseur d'une licence en droit. L'avocat de Las Palmas, dont j'ai oublié le nom, me dit qu'il affirmait à V. Rd. de son propre chef qu'une telle peine ne peut être imposée aux accusés ; que l’annulation du procès ne peut être sollicitée pour la raison alléguée par le secrétaire, étant donné qu'il fut plus tard ratifié par un juge licencié en lettres, mais qu'il existe un nombre infini de raisons pour que tout ce qui a été fait soit considéré comme nul ; et qu'il s'agit d'un procès tel, qu'il croit qu'il aboutira à une ordonnance de non-lieu vu qu'il est impossible que les lois soient appliquées. Il croit que le délit a été purgé par les quatre ans passés en prison et leur bannissement de la colonie. Bref, il me dit qu'il travaillerait pour que l'affaire soit reglée au plus

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tôt. Il me chargea tout spécialement d'envoyer le bonjour à V. Rd. tout en rappelant son bon désir de le servir et de lui complaire. A leur égard, je crois avoir fait tout ce qu'il fallait. Ils ne manqueront pas de rapporter tout ce qu'il adviendra. Par ailleurs, l’avocat du Ministère public de S. M. est un grand ami du P. Melé, et il fera tout ce qu'on lui demandera. M. le Magistrat m'affirma, en toute confiance, que l'Audience avait accepté de bonne grâce que le Dossier se fut égaré, pour jeter un voile sur cette affaire. Il m'a presque convaincu que le secrétaire de Fernando Póo n'était guère sincère et qu'il ne ressentait que très peu d'affection à notre égard. Je crains même qu'il n’ait prétendu soutirer quelques centaines de pesetas pour résoudre le procès » 492. Bien longtemps après, les illusions cessèrent : le 22 août 1900, Francisco Guarro, aux instances de l'Audience, adressait un mandat judiciaire au Préfet Apostolique le sommant de livrer les deux accusés, Puig-Gros et Artieda, au chef de la police de la colonie493 : presque six ans après leur crime, les deux accusés n'étaient plus sous la garde de la congrégation, et étaient enfermés dans le ponton ancré sur le port de Santa Isabel et qui servait de caserne aux soldats de Marine envoyés à la colonie. Quelques jours après, ils 492

« En Las Palmas, por recomendación del P. Forcada, visité al Sr. D. Mariano Cano, magistrado de la Audiencia de Canarias, el cual me recibió con particulares benevolencias. Me dijo que tenía conocimiento del asunto de Fernando Póo por haber intervenido en él ; y concluyó por decirme que él se encargaba de agenciarlo todo para que se resuelva pronto en el sentido más favorable posible ; que me viniera tranquilo y manifestara a V. Rma. que no hay motivo para temer mal resultado.Visité también al notable abogado amigo de V. Rma. Le expuse los deseos de V. Rma. y al mismo tiempo el plan del secretario de Fernando Póo, a quien ví en esta corte antes de embarcarme. Éste me indicó que la causa estaba en pésimo estado ; que él se vería en la necesidad de condenar a los reos a pena de muerte o cadena perpetua ; que no quedaba otro medio de salvación que conseguir que la Audiencia de Canarias declarara nulo todo el proceso, por cuanto lo había formado un teniente de navío que no era doctor ni licenciado en Derecho. El abogado de Las Palmas, cuyo apellido no recuerdo en este momento, me dijo que aseguraba a V. Rma. con su cabeza que no puede imponerse tal pena a los acusados ; que no se puede pedir nulidad del proceso por el motivo alegado por el secretario, puesto que fue ratificado después por un juez de letras ; pero que hay más de cien motivos para declarar nulo todo lo obrado ; y que es una causa tan original que le parece ha de concluir por sobreseimiento, por ser imposible aplicar las leyes. Cree que se dará por purgado el delito con los cuatro años que llevan de prisión y en extrañamiento de la colonia. En resumen, me dijo que trabajaría para que pronto se arregle este asunto. Me encargó de un modo especial que saludase a S. Rma. y le reiterase sus ofrecimientos para servirle y complacerle. Con estos dos señores, creí que nada más había que hacer. Ellos darán cuenta de lo que suceda. Además, el fiscal de S. M. es amigo íntimo del P. Melé, y hará lo que se le indique. El Sr. magistrado me aseguró en confianza que la Audiencia había visto con gusto que se extraviase el expediente, para echar un velo de olvido a este asunto. Casi me he convencido que el secretario de Fernando Póo no era muy sincero ni es afecto a nosotros. Hasta temo que lo que pretendía era quitar algunos centenares de pesetas para arreglar el proceso ». Lettre sans signature, du 17 mai 1898, adressée au P. Josep Xifré. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 9, Carton 1. 493 APG.CMF-Madrid, document non catalogué.

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embarquaient à bord du vapeur « San Francisco » en direction des Canaries : « Grâce à la diligence du capitaine du vapeur, M. Juan Pla, qui intervint auprès d'un influent ami à lui des Canaries, la nouvelle du voyage des deux prisonniers ne se propagea pas dans les journaux de la ville, de sorte que le déshonneur qui aurait terni la réputation de la communauté des missionnaires qui y résidaient pu être évité » 494. Or, les prisonniers furent amenés directement en prison. Ils y entraient, aussi, pour la première fois ; et la communauté clarétaine des Canaries, qui prit en charge leur défense, le consigna dans sa Chronique : « Ce Père, emporté par son mauvais caractère, ordonna qu'il fut administré un châtiment d'une extrême sévérité et cruauté à une jeune fille noire du Cap de Saint Jean, laquelle osait provoquer ad turpia495 les jeunes hommes de cette Mission. Mais avec une telle malchance que la malheureuse mourut comme conséquence du châtiment. Il fut fait un procès au Père, qui fut envoyé à Las Palmas, où l’événement fut rendu public dans un journal sous ses aspects les plus sombres, qui, avec les faits antérieurs, a souillé la bonne réputation dont avaient joui les missionnaires en Grande Canarie. Cinq ans plus tard, arrivent à Las Palmas, le 9 septembre 1900, ceux qui en qualité de prisonniers sont conduits en prison dans l'attente du verdict. L'avocat, M. Eduardo Benítez, quelqu'un d'un rare talent et de grandes ressources oratoires, voyant la gravité du procès, fit de son mieux pour que celui-ci fut instruit à Las Palmas, tirant parti de l'influence et du grand prestige dont il jouissait, non seulement auprès du public mais aussi auprès des magistrats, y compris le président de la salle. Et ses démarches aboutirent, au point que les détenus furent ramenés à Fernando Póo au mois de décembre 1899496, après avoir passé trois mois dans la prison de cette ville » 497.

494 [Ermengol Coll] (circa 1908), Crónica de la Casa-Misión de Sta. Isabel.AG.CMF, doc. cit., p. 93. 495 « À des actions malhonnêtes ». 496 La date est erronée dans l'original. C'est 1.900. 497 « Este Padre, llevado de su genio, mandó dar un severísimo y cruel castigo a una joven negra de Cabo de S. Juan, la cual tenía la osadía de provocar ad turpiaa los jóvenes de la referida Misión. Mas con tan pésima suerte que la desdichada murió a consecuencia del castigo. Se formó causa al Padre ; la que se trasladó a Las Palmas, en donde se hizo pública saliendo en un periódico con los más negros ribetes. Con lo cual, y los hechos anteriores, ha quedado muy por el suelo el buen nombre que antes gozaban los misioneros en Gran Canaria. Después de cinco años llegan a Las Palmas, el 9 de septiembre de 1900, quienes en calidad de presos son conducidos a la cárcel, en donde esperan sentencia. El abogado defensor, D. Eduardo Benítez, hombre de talento no común y de grandes recursos oratorios, vio la causa demasiado negra ; y, por lo mismo, trabajó cuanto le fue posible para que no se sustanciara la causa en Las Palmas, aprovechando a este fin las grandes influencias y el gran prestigio de que gozaba, no sólo ante el público sino también ante los magistrados, incluso el presidente de sala. Y no salieron frustradas sus diligencias, en virtud de las cuales los procesados fueron devueltos a Fernando Póo en diciembre de 1899, después de haber estado tres meses en la

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Dans ce même document, les clarétains assuraient avoir compté tout au long de l'audience, sur l'aide de l’avocat du ministère public José Serrano, « qui nous rapportait tout ce qui était dit dans la salle, et nous indiquait le chemin à suivre » 498. Et ils font aussi référence à l'aide qu'ils reçurent du ministère public antérieur, José García Gallego. Le résultat provisoire, ramener les coupables et le procès à Fernando Póo, paraît situer l'histoire à un point précis du procès : la déclaration de perquisition postérieure à l'acte du procès. Quelque chose d'important avait changé : la situation personnelle des deux clarétains, qui, au-delà d'être emprisonnés, à leur retour à Santa Isabel, au lieu d'être confiés à la Maison de Banapa furent enfermés dans le ponton du port, sous la surveillance des militaires. La peine capitale, qui, d'après l'opinion du Ministère fiscal, aurait dû leur être appliquée, décision qui leur avait été sans doute communiquée, devait être décisive dans ce changement. Et dans le changement de leur morale.

L'évasion Le séjour des deux prisonniers à Las Palmas renouvela l'intérêt parmi les gens de Santa Isabel, qui disaient que les clarétains les avaient chassés démunis d’argent et les avaient négligés. C'est sûrement pourquoi la Chronique de la Maison de Las Palmas s'empresse à apporter un démenti à ces affirmations : « Aucun effort ne fut épargné pour adoucir la réclusion des détenus. Il leur fut fourni un lit et du linge, et une nourriture spéciale que le geôlier, M. Antonio Calvo, qui se comporta comme un père envers eux, leur préparait lui-même ; nous allions les voir de temps à autre ; et nous effectuions toutes les démarches nécessaires pour mobiliser tous les ressorts permettant d'obtenir une prompte et favorable résolution. À l'issue de force négociations nous n’obtînmes que le retour à Fernando Póo des inculpés » 499. Cependant, la rumeur répandue que les clarétains n'avaient pas eu un bon comportement à l'égard des deux prisonniers, devait être vraie. Ils s'en cárcel de esta ciudad ». P. Bernabé Marinas, Breve reseña histórica de lo acontecido a los Hijos del Inmaculado Corazón de María en Canarias. ALP.CMF, manuscrit non catalogué. 498 « Quien nos daba cuenta de todo lo que se hablaba en la sala y nos manifestaba el camino que debíamos seguir en este asunto ». 499 « Se hizo cuanto se pudo y cuanto la caridad aconsejaba para suavizar la pena de los procesados. Se les llevó cama y ropa de casa, se les proveyó de comida especial que les arreglaba el mismo alcaide, D. Antonio Calvo, quien se maniofestaba con ellos como un padre ; se les visitaba de cuando en cuando ; y se daban todos los pasos convenientes para mover todos los resortes para obtener una pronta y favorable resolución. Después de muchas negociaciones no se pudo obtener otra cosa que el volver a Fernando Póo los procesados ». ALP.CMF, doc. cit.

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plaignirent eux-mêmes, ce qui entraîna une réaction curieuse et rapide de la part au P. Ermengol Coll, le Préfet Apostolique, qui une fois de plus avait été appelé à déposer devant le juge dans ce procès interminable : « Au bout de quelques mois, les détenus furent ramenés à Fernando Póo et placés à nouveau sous surveillance dans le ponton. Et comme, faute d'argent déjà la première fois ils se virent dans la gêne et écrivirent une lettre très amère à la Maison de Santa Isabel, le P. Préfet, qui fut appelé à déposer sur les faits déroulés au Cap de Saint Jean, croyant qu'ils seraient sans doute ramenés à Las Palmas, leur remit une certaine somme en or à chacun, et ceci en très grand secret, afin que personne ne le leur volât ou que M. le Commandant500 ne s'en empara, car il avait dit qu'il ne voulait pas qu'ils aient de l'argent sur eux » 501. C'était en ce même mois de décembre 1900, juste avant le départ du Préfet Apostolique pour la Péninsule (le 25 décembre) et pour Rome, au cours d’un voyage qui s’avéra décisif pour le futur de la Mission guinéenne : À Rome, le P. Coll entama le procès de conversion de sa Préfecture en Vicariat Apostolique ; et, à Madrid, il commença à projeter, de paire avec le ministre de la partie et avec le même Président Sagasta, libéral, franc-maçon et ancien fondateur du journal « Iberia », la création de nouvelles Maisons dans les territoires continentaux. Rayonnant, il regagna la Guinée à la miavril. Et une des premières choses que lui ordonna le gouverneur fut d'aller présenter sa déposition devant le juge : le P. Coll avait donné de l'argent au F. Artieda, juste avant son départ. Et le F. Artieda, effrayé par la peine que pouvait lui imposer l'Audience de Canaries... s'était évadé : « Où aboutira le tapage produit par l'évasion du... on se le demande. Tout le monde le cherche. Cependant, le plus sûr c'est que le F. a été dévoré par les requins, car l'ex P. Puig-Gros a dit au R. P. Mallén, qu’à 7 h. du soir, il s'était jeté à l'eau, muni d'une lime pour rompre la chaîne qui retenait notre pirogue (embarcation faite du tronc d'un arbre). Quoi qu'il en soit, personne n'a de ses nouvelles. Est-ce vrai que les requins...? C'est quelque chose qu'il faut savoir à tout prix, car le sinistre M. Lacave a dit qu'il dépenserait jusqu'à 20$ pour publier le fait. Il est sans doute persuadé que c'est la Mission qui l’a laissé échapper ; or, il était averti de la part de celle-ci de ne pas laisser 500

Lieutenant de navire Guillermo Lacave, capitaine du port et commandant de la station navale. En décembre 1899 il avait été gouverneur intérinaire de la colonie jusqu'à l'arrivée du successeur du gouverneur España, le capitaine de frégate Francisco Dueñas. 501 « A los pocos meses fueron devueltos los proces[ad]os a Fernando Póo y custodiados de nuevo en el pontón. Y como, a causa de faltarles dinero la primera vez, se vieron apurados y escribieron una carta muy amarga a la Casa de Santa Isabel, el P. Prefecto, a quien se pidieron declaraciones sobre los hechos ocurridos en Cabo San Juan, deduciendo por ellas que probablemente volverían a Las Palmas, les entregó una cantidad en oro a cada uno ; con mucho sigilo, con el fin de que nadie se lo robara ni se lo quitara el Sr. comandante, que había dicho no quería tuvieran dinero ». [Ermengol Coll] (circa 1908), Crónica de la Casa-Misión de Sta. Isabel.AG.CMF, doc. cit., p. 93.

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l'évadé mettre le pied à terre. Serait-il convenable d'opposer un démenti, si un article venait à paraître dans un misérable journal » 502. Un avertissement que le Supérieur Général avait reçu un mois auparavant : « L'affaire de l'évasion de M. Artieda n'est pas encore étouffée, bien qu’ici on s'efforce à la prolonger. Le commandant Lacave est parti pour l'Espagne dans l'intention de faire du bruit. Il ne serait pas étonnant qu'il y ait matière à sujet pour certains de ces méchants journaux. Ses derniers mots (de Lacave) en partant furent : “ Je jurerais que c'est la Mission qui me l'a soustrait... Je vais bien voir, mais il se peut qu'à mon arrivée à Madrid j'adresse une demande au tribunal ”. Je crois qu'il convient d'être sur nos gardes. Ceci n'a pas l'air de trop inquiéter le P. Préfet. Quant à moi, je considère que Lacave est très malin et très vindicatif. Heureusement qu'il n'est guère apprécié parmi ses compagnons. Quoi qu'il en soit, méfions-nous ! » 503. Et encore un mois auparavant, dans une lettre du 23 juin, le Préfet Apostolique se déclarait innocent de l'accusation et exprimait la crainte qu'il ne fut engagé dans un nouveau procès pour cette évasion, tout en se plaignant de l'attitude de Lacave, jusqu'alors ami de la Mission, et qui d'après le P. Coll était le seul responsable de ces faits504. Il est vrai que la coïncidence devait éveiller les soupçons, mais je doute que le Préfet Apostolique ait menti à son Supérieur Général dans une telle affaire, justement lorsqu'on commençait à parler de lui comme du futur Vicaire Apostolique et, par conséquent, évêque de Santa Isabel. Il n'y eut jamais plus 502

« Veremos en qué parará la tempestad ocasionada por la fuga de... En ésta le están buscando ; pero lo más probable es que fue el Hº comido por los tiburones, pues el ex-P.grós dijo al R.P. Mallén que a las 7 de la tarde se tiró nadando al agua, llevándose una lima para romper la cadena que sujetaba nuestro cayuco (embarcación hecha de un tronco de árbol). El caso es que nadie ha sabido responder de él. ¿Será verdad que los tiburones...? Esto conviene saberlo, pues el fatal Sr. Lacave dijo que gastaría algunos 20$ en publicaciones del hecho. Sin duda que él está persuadido que la Misión le ha sustraído el fugado, cuando precisamente se le avisó de parte de la misma que no dejase bajar a tierra, como hizo, al fugado. ¿ Sería conveniente refutar algún artículo que saliera en algún papelucho ? ». Lettre du P. Ramon Albanell au P. Climent Serrat, du 25 août 1901. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 9, Carton 4. 503 « El asunto del escape del Sr. Artieda no está muerto aún. Aquí se trata de alargarlo, pero aquel comandante Lacave se ha ido a España con ánimo de meter bulla. No sería extraño que vieran algo por alguno de esos periódicos malos. Sus últimas palabras (de Lacave) al irse, fueron : “ Juraría que la Misión me lo ha extraído... Veré, cuando llegue a Madrid, si echo una solicitud al Tribunal...”. Creo convendría estar algún tanto alerta. Al P. Prefecto no le hace tanta mella esto como a mi ; pero veo que Lacave es muy listo y muy vengativo. Suerte que no es este señor bien visto entre sus compañeros... De todos modos, ¡ ojo ! ». Lettre du P. Joaquim Juanola, du 16 juillet 1901. AG.CMF, même localisation. 504 Lettre du P. Ermengol Coll au P. Climent Serrat. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 14, Carton 2.

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de nouvelles du F. Artieda, si bien que peu à peu fut acceptée l'idée qu'effectivement il avait été la proie des requins505, et il fut déclaré en situation d'insoumission. Il faut dire que l'évasion d'Artieda était survenue trop tard pour le P. Puig-Gros : avec lui aurait disparu le principal témoin de la mort de Ndjuke ; une mort qu'il n'avait peut-être pas cherchée mais où sa cruauté, sa brutalité, son implacabilité avaient été décisives, et celles-ci avaient justement été rapportées par ce coadjuteur. Il avait déjà fait sa déposition devant l'Audience506. Le fait qu'Artieda fut fait prisonnier par les militaires espagnols aurait sans doute entraîné l'oubli d'un épisode dans lequel, tout au moins apparemment, l'implication du P. Coll aurait été difficilement prouvée. En outre, le 30 juin de cette même année arrivait à Santa Isabel la commission royale qui devait conclure de manière définitive les frontières délimitées par le « Traité de Paris ». Étant donné l'expansion missionnaire partout ailleurs dans le territoire, cette commission fut accompagnée à maintes reprises par le gouverneur et le Préfet : ceux-ci avaient des affaires bien plus importantes à traiter et il leur fallait aplanir les différends. La documentation s'en tient là. Remarquons qu'à la suite de la disparition du F. Artieda et de l'expulsion provisoire du P. Puig-Gros de la congrégation, le procès restait, de manière officielle, sans clarétains. Et, dès lors, on ne trouve pratiquement pas de références sur le procès. Uniquement la persistance de la mémoire des faits, entre colons et fonctionnaires, manifestée en tous moments : « D'où il s'ensuit que l'irruption des laïques dans l'auditoire n'est que trop fréquente. J'en parlai un jour aux consulteurs, qui sont le P. Juanola et le P. Albanell eux-mêmes, et ils considérèrent qu'il ne fallait pas. Notamment vu les circonstances actuelles où, à cause de l'affaire Puig-Gros, les Européens nous ont quelque peu tourné le dos » 507.

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Une supposition qui me paraît douteuse : les distances, dans la baie de Santa Isabel, sont très courtes ; quoique possible, la présence de requins n'est guère probable là haut, au contraire, que dans la baie de Luba. Je croirais plutôt à un usage « juste » de l'argent qu'il reçut de son Supérieur. 506 Cependant, la perte de l'instruction judiciaire nous empêche de savoir s'il maintint sa déposition initiale ou si, au contraire, il la modifia. Je suppose qu'il la maintint, compte tenu sa condition d'ecclésiastique ; mais aussi pour les appréciations extrêmement dures du ministère public, comme nous le verrons plus loin. 507 « De donde se sigue que el introducirse los seglares en la galería es ya demasiado frecuente. Lo hablé un día con los consultores, que son el mismo P. Juanola y el P. Albanell, y los dos fueron de parecer que no convenía, principalmente en las actuales circunstancias en que, por lo de Puiggros, los europeos estaban algo vueltos de nosotros ». Lettre du P. Ermengol Coll au P. Climent Serrat, du 1er. octobre 1901. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 14, Carton 2.

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Et notamment en des moments de tension. Ainsi, parmi les nombreux griefs que faisaient les clarétains à Ramón Cano, sous-gouverneur d’Elobey, il y avait cette remarque que leur avait adressée le fonctionnaire en un moment de tension : « Ils ne mettront plus les pieds dans cette maison du sous-gouverneur, à moins que ce ne soit pour des affaires officielles : ils ont manqué aux principes fondamentaux de la charité qu'ils prêchent, de sorte que je les considère comme les dignes compagnons des assassins du Cap de Saint Jean » 508. Des détails épars, mais qui prouvent combien cette affaire ancienne n'avait pas été oubliée et continuait à être une chose utile pour les uns et une gêne pour les autres. Une gêne qui, bien entendu, s'atténuerait : « Au cours de ce voyage, sous la demande de l'Audience de Las Palmas, le F. Rodrigo doit s'y rendre pour déposer devant le juge sur le procès PuigGros, qui va se résoudre de manière plutôt favorable » 509. N'oublions pas que le F. Rodrigo Paramio formait partie de la communauté du Cap de Saint Jean au moment du crime. En octobre 1902, il y était toujours. Voilà la dernière référence au procès, provenant des clarétains de la Guinée, que j'ai pu trouver. Il faut dire que le Préfet Apostolique voyait juste : l'affaire Puig-Gros, en effet, était sur le point d'être résolue. Le résultat me paraît presque aussi favorable pour les clarétains que ce qu’affirmait le P. Coll.

La sentence La déposition du F. Rodrigo devait sans doute coïncider avec le procès oral, sur lequel je n'ai trouvé aucune référence et qui devait impliquer le retour du P. Puig-Gros aux Canaries pour assister à l'audience. J'ai cependant trouvé le verdict définitif, daté du 22 novembre 1902510. Le procès fut présidé par le magistrat Adolfo Astudillo de Guzmán ; et le tribunal se complétait de quatre magistrats : Leandro Prieto Pereira, Alberto Ripoll de Castro - en qualité de rapporteur -, Tomás de Zárate y Morales et Ignacio 508 « No pisarán más esta Casa Subgobierno sino por asuntos oficiales : han faltado a los principios fundamentales de la caridad que ellos predican, por lo cual los considero dignos compañeros de los asesinos de Cabo S. Juan ». Idem du 28 mai 1902. AG.CMF, même localisation. 509 « En este viaje, por reclamación de la Audiencia de Las Palmas, ha de ir el Hº Rodrigo a declarar sobre la causa Puiggros, la cual se va a resolver en sentido bastante favorable ». Lettre du P. Ermengol Coll au P. Martí Alsina, du 17 octobre 1902. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 14, Carton 2. Cette nouvelle fut confirmée dans une lettre du P. Juan Roldán, Supérieur de la Mission du Cap de Saint Jean, au P. Climent Serrat, du 22 octobre 1902. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 5, Carton 7. L'appréciation du Préfet Apostolique se basait peut-être sur l'action des clarétains de Las Palmas auprès des magistrats. 510 AHPLP, Fonds « Real Audiencia », Section « Sentencias dictadas en juicio oral », Liasse 19, année 1902, Sentence numéro 62.

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Diaz Lorenzo511. Il y avait, à la surprise de tous, cinq accusés : le P. PuigGros, le seul qui en fait fut jugé, représenté par l'homme de loi Matías Vega ; et quatre accusés qui avaient été déclarés en situation d'insoumission : le F. Artieda et les trois Krumen qui avaient participé de manière plus directe au bâtonnage de Ndjuke : Leuseny, Ambaki et Busualo. La justice avait donc été très méticuleuse, au contraire des autorités administratives : un accusé jugé et quatre évadés512. Le verdict considérait que la responsabilité du P. Puig-Gros dans les affaires de la Mission du Cap de Saint Jean avait été suffisamment prouvée, mais aussi que Ndjuke « s'était comporté à maintes reprises très frivolement dans cette Maison de la Mission » 513, malgré les remontrances des missionnaires et de son chef de tribu514 ; que cette nuit fatidique elle se trouvait « chez José Dumas, menuisier de la Mission, avec qui elle entretenait des relations illicites » 515, ce qui entraîna les actions postérieures ; que Puig-Gros la fit battre « comme mesure exemplaire et corrective de l'abus qu'elle commettait contre la religion et les sermons des Pères de la Mission » 516 ; que les auteurs furent trois Krumen, qu’ils la frappèrent avec un bâton sur « les fesses, à l'aide d'une épaisse corde en chanvre pliée » 517 ; que ces coups lui causèrent la mort, ceci à moins que l' « offensée » souffrît d'une quelconque maladie ou « émotion » ; et que lorsque Puig-Gros s'aperçut de cet abus « il ordonna d'arrêter de la frapper et qu'elle fut portée sur le chemin pour que, une fois rétablie, elle put s'en aller ; elle fut trouvée morte deux heures plus tard » 518. Voici donc la version qui fut acceptée par les magistrats. Ils dédaignèrent la déclaration du F. Artieda, rassemblant, en grande partie, les thèses défendues par les clarétains pendant huit ans, et acceptèrent comme légitimes toutes les circonstances atténuantes. 511

La présence de cinq magistrats était obligatoire dans des procès demandant la prison à perpétuité ou la peine de mort. 512 En ce qui fait les krumen, rappelons que, une fois leur contrat achevé, ils regagnaient leur lieu d'origine, presque toujours la Liberia ou Sierra Leone. 513 « Verificaba con frecuencia actos de liviandad en dicha Casa-Misión ». 514 La qualification morale péjorative, sur les actes de la victime, prouve la prédisposition des magistrats à accepter la « provocation » comme un atténuant à la « réaction » des missionnaires, ce qui est surprenant dans un procès où l'on ne jugeait pas la victime, mais l'accusé, et reflète la tendance conservatrice du rapporteur. 515 « En la vivienda de José Dumas, carpintero de la referida Misión, con quien sostenía relaciones ilícitas ». 516 « Para ejemplaridad y corrección del abuso que venía realizando contra la religión y predicaciones de los Padres de la Misión ». 517 « En la región glútea, con una cuerda de cáñamo doblada de medio dedo de grueso ». 518 « Mandó suspender los golpes y dispuso se la llevara al camino para que se marchara, una vez repuesta ; encontrándola muerta dos horas después ».

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Le ministère public, dans ses conclusions définitives, considérait ces faits comme un délit criminel, un assassinat avec traîtrise et un rare acharnement, vu que le prêtre avait « augmenté de propos délibéré et de manière inhumaine la douleur de la victime » 519 ; il tenait compte cependant du fait qu'il n'avait pas eu « le propos de provoquer un tel malheur » 520 ; et achevait en sollicitant la peine de prison à perpétuité, le paiement des frais et l'indemnisation des membres de la famille. Une sollicitude d'une rigueur extrême, qui mettait l'accent sur les circonstances aggravantes, et qui peut même être interprétée, dans son contexte, comme anticléricale ; mais qui comprenait, en réalité, comme nous le verrons plus loin, une grave erreur technique dont les magistrats tirèrent profit pour soutenir les thèses des clarétains. La défense ne voyait là aucun délit. Elle demandait que, au cas où l'opinion du tribunal leur serait contraire, on conclue à un homicide par imprudence, ou, à la limite, à un simple homicide avec des circonstances atténuantes. Dans le premier cas (aucun délit) on demandait l'absolution ; dans le second (homicide par l'imprudence), un an et huit mois de peine correctionnelle avec sursis ; et dans le troisième (homicide avec circonstances atténuantes), 6 ans et 1 jour de prison. Quoi qu'il en soit, la défense réclamait que le temps de détention préventive lui soit pris en compte. Le verdict du tribunal précisait qu'il fallait appliquer à l'accusé le code pénal ordinaire. Et en vertu de celui-ci, il déclara que les faits avaient constitué un délit d'homicide. Ainsi donc, les magistrats ne prirent en considération ni les arguments du ministère public ni ceux de la défense, et surent trouver une solution satisfaisante pour les clarétains sans pour cela leur donner entièrement raison. • Pour ce qui est du ministère public, ses conclusions contenaient une erreur évidente : s’il admettait comme circonstance atténuante qu'il n'y avait pas eu l'intention de causer un tel malheur, il ne pouvait présenter comme argument ni l'assassinat ni les circonstances aggravantes de rare acharnement qui présupposent une intention homicide. Une erreur technique surprenante, propre à un ministère public peu expérimenté. Aussi surprenant que les magistrats, face à cette contradiction manifeste, ne lui en fissent la remarque521. 519

« Aumentado deliberada e inhumanamente el mal de la víctima ». « Intención de causar un mal de tanta gravedad como el producido ». 521 Techniquement, les magistrats auraient du lui faire un « exposé de thèse « pour qu'il se corrigeât dans l'un ou l'autre sens avant les conclusions définitives : si le P. Puig-Gros avait l'intention de tuer, le Ministère public ne pouvait alléguer l'atténuant ; et, s'il n’en avait pas eu l'intention, nul ne pouvait qualifier le délit d'assassinat ni présenter les aggravants de traîtrise 520

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• Pour ce qui est de la défense et du « châtiment de coups de fouets prévu par Puig-Gros, même en admettant qu'il obéit à un mobile moralisateur, ce n'était pas à lui de l'imposer car il s'agissait, au contraire, d'un acte interdit des conséquences duquel il serait toujours responsable » 522. Une déclaration d'ordre légal, mais qui démolissait les thèses du P. Mata : bien que détenteurs de l'autorité civile, les missionnaires ne pouvaient pas agir à leur gré ; ils devaient accomplir et faire accomplir les lois, au moyen de méthodes légales qui ne pouvaient être différentes de celles de la Péninsule. Pour ce qui est du délit d'homicide, considéré comme prouvé, les magistrats admettaient deux circonstances atténuantes : • D'une part, ils acceptaient que le P. Puig-Gros n'ait pas eu l'intention de tuer la femme. D'après les juges, ceci pouvait se déduire « de la partie du corps où fut donné l'ordre d'infliger le châtiment, et du fait qu'il fut suspendu lorsque la femme perdit connaissance » 523. Je demande à nouveau de relire la première déposition du F. Artieda afin de comparer les deux versions. • De l'autre, ils mettaient en relief, chez le missionnaire, le fait d’ « avoir agi avec emportement et aveuglement, poussé par le zèle religieux et l'insistance de Juqué à scandaliser la Mission par sa légèreté, circonstances que le tribunal estime hautement qualifiées » 524. Mi-figue, mi-raisin, donc : le fait d'assumer une autorité n'autorise pas à battre qui que ce soit ; quoique le « zèle religieux » put être considéré comme une circonstance atténuante hautement qualifiée. C'est comme si le tribunal cherchait incessamment, une sorte d'équilibre : ni une chose ni l'autre ; ni le ministère public ni la défense ; ni absence de crime, ni crime épouvantable. Et que sous cet équilibre apparent se cachait une intention d'acquittement. La peine s'en tient à cet équilibre apparent et à cette intention subjacente : en tant qu'auteur d'un délit d'homicide avec les atténuants susdits, le P. Andreu Puig-Gros était finalement condamné à une peine de huit ans et un et acharnement. Par contre, les magistrats profitèrent de la maladresse du ministère public pour ne pas prendre en considération la possibilité d'un assassinat, mais sanctionnèrent l'affaire comme un homicide par imprudence. 522 « El castigo de azotes que dispuso el Puiggrós, aun admitiendo que obedeciera a un móvil recto y moralizador, no estaba en sus facultades el imponerlo, sino que, por el contrario, era un acto prohibido de cuyas consecuencias, mediante imprudencia o sin ella, siempre sería responsable ». 523 « De la parte del cuerpo en donde se mandó aplicar el castigo, y de la suspensión del mismo al sobrevenir el desvanecimiento ». 524 « Haber procedido con arrebato y obcecación, estimulado por el celo religioso y la persistencia de Juqué en escandalizar la Misión con su liviandad, cuyas circunstancias estima el tribunal muy calificadas ».

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jour de prison ferme ; ainsi qu’au paiement des frais, des accessoires et d’une indemnisation de 2.000 Pts. pour la famille de la victime. Quel scandale si on n'eut pas puni un tel crime, connu partout ailleurs, y compris des États Généraux, et proclamé par la presse et par certains secteurs sociaux pendant si longtemps ! À mon avis, l'intention des magistrats était plutôt d'en finir avec ce sujet en accord avec les thèses clarétaines, qui souscrivirent entièrement, à l'exception d'un détail (l'interdiction d'imposer des châtiments corporels) qui, à bon droit, paraît évident. La possibilité d'une sentence trop rigoureuse était écartée, vu l'erreur technique du ministère public - très « opportune» -, ignorée par les magistrats au cours de l'audience, et par le fait, guère habituel, de considérer ces deux circonstances atténuantes comme « pleinement justifiés » 525. Une sentence moins dure n'était pas possible : en fait, le Père Puig-Gros était en prison depuis huit ans déjà ; et toute sentence mineure aurait impliquée un grief et n'aurait fait que prolonger bien plus encore la possibilité de durée du procès. La solution adoptée était à la fois salomonienne et magnanime : on condamnait, à la fin du XIXe s. un curé accompli à 8 ans et un jour de prison. Une sentence dure, à cette époque, pour un prêtre, mais qui suffisait pour satisfaire tous ceux qui ne voyaient là qu'un bon prétexte pour accuser la congrégation et son activité missionnaire en Guinée. Mais, à la fois, « nous comptons au détenu, pour l'accomplissement de la peine, la moitié de sa première année de prison préventive subie et la totalité de l'excédent » 526. Autrement dit, le P. Puig-Gros était condamné à huit ans de prison, car il s'agissait du temps qu'il avait déjà accompli. En 1902, l'Audience de Las Palmas n'avait jugé qu'une seule affaire provenant du tribunal de Santa Isabel527 : le coupable était Antonio Baum, un chasseur fang, d'Elobey, au service du fonctionnaire colonial Ramón Baillo. Il avait été accusé d’avoir tué un Africain, un an auparavant, dans le « village catholique » de San José de Banapa, au cours d'une fête et en état d'ivresse. Le tribunal, dont le magistrat rapporteur fut Alberto Ripoll, le même que celui de l'affaire Puig-Gros, considéra l'accusé coupable d'homicide avec circonstances atténuantes, tout comme pour l'affaire PuigGros et toujours en accord avec le même article de Code Pénal (art. 419). Il fut condamné à une peine de 14 ans de prison, avec le paiement des frais, 525

Cette appréciation rabaissait la peine d'un degré. La peine ordinaire pour un homicide par imprudence impliquait un minimum de 12 ans et un jour d'emprisonnement. 526 « Abonamos a dicho procesado, para el cumplimiento de la condena, la mitad del primer año de prisión preventiva sufrida y la totalidad del exceso ». 527 AHPLP, Fonds « Real Audiencia », Section « Sentencias dictadas en juicio oral », Liasse 19, année 1902, Sentence numéro 19, du 21 mars.

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accessoires et une indemnisation de 2.000 Pts. à la famille de la victime. La différence entre ces deux sentences se base sur une qualification distincte des circonstances atténuantes et peut nous aider à comprendre le caractère de celle qui fut imposée à notre missionnaire. Le P. Puig-Gros était à nouveau un homme libre. Mais il était chassé définitivement de la congrégation depuis huit mois si bien qu'il ne pouvait plus regagner Fernando Póo. Et il rentra chez lui.

Conclusion Puig-Gros insista sur la dispense d'irrégularité auprès du Saint Siège, afin d'être réhabilité comme prêtre. Une dispense qui lui fut concédée le 12 juin 1903 par un rescrit du cardinal Ferrata, « sous la condition que le suppliant vive éloigné de l'endroit où le crime fut commis » 528. Dans son exposé, l'exclarétain argumentait la version définitive des faits : « En 1894, le suppliant, affecté à la Maison de la Mission de Saint Jean, sur le continent africain, dépendant de la Préfecture Apostolique des îles d'Annobon, Fernando Póo, etc., porté par un zèle on ne peut plus indiscret, battit et fit battre à deux reprises une femme non chrétienne, considérée comme une prostituée, qui avait tenté de pervertir un jeune ouvrier appartenant à la susdite Mission ; à la suite de quoi la malheureuse mourut, bien que le suppliant n'ait jamais eu l'intention de la tuer. À cause de ce crime, le suppliant, comme il l'avait mérité, fut chassé de l'Institut et jugé dans un tribunal civil, et comme châtiment il fut emprisonné pendant huit ans dans l'île des Canaries. Cette punition vient d'arriver à terme » 529. En définitive, Andreu Puig-Gros pouvait exercer à nouveau comme prêtre, à condition que ce soit loin de la Guinée. Et il choisit la voie la plus simple : recourir à la bénignité de l'évêque de Solsona, son diocèse d'origine, gouverné à l’époque par le valencien Joan Baptista Benlloch qui le 15 juin 1903, soit trois jours après le rescrit du Saint Siège qui rendait à Puig-Gros l'exercice sacerdotal, s'adressait à la congrégation clarétaine afin de 528 « Dummodo orator ipse longe a loco patrati criminis commoretur ». AG.CMF, Section G, Série P, Boîte 40, Carton 11. 529 « Anno 1894 orator addictus domui Missionis S. Joannis in continente africano, subiectæ Præfecturæ Apostolicæ Insularum Annobon, Fernando Póo, etc., affectus zelo quidem indiscreto flagellavit ac flagellare bis fecit mulierem quandam infidelem, existimatam meretricem, eo quod ipsa tentaverit seducere iuvenem opificem ad præfatam Domum pertinentem ; ex qua punitione infelix mulier e vita decessit, quin tamen oratoris animo fuerit talem mulierem occidendi. Ob hujusmodi facinus orator merito expulsus fuit a præfacto Instituto, et judicatus ante civile tribunal, carcere mulctatus fuit in insula Canariensi per octo annos, quæ punitio nunc finem habuit ».

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demander un rapport réservé530. Il était donc évident que l'incorporation dans cet évêché avait été préparée depuis longtemps, et qu'il existait envers lui une bonne prédisposition. J'ai pu trouver en outre le brouillon de la réponse de la congrégation à l'évêque de Solsona531. Il y figure les études de Puig-Gros et comment il fut affecté aux Missions, où « on ne remarqua jamais en lui quoi que ce soit qui ne fut en accord avec son caractère sacerdotal ; jusqu'à la réalisation, au début de l'année 1895532, de la malheureuse affaire qui se déroula à notre Maison de la Mission du Cap de Saint Jean (continent africain) : des coups de bâton infligés à une indigène (corruptrice des jeunes de l'école) suivis de sa mort, à l'encontre de ce que prétendaient les exécuteurs, et notamment du promoteur, qui fut le P. Puig-Gros » 533. Le document poursuivait en disant que le Préfet Apostolique apprit, par le médecin d'Elobey, que la cause directe de la mort de la jeune fille n'avait pas été due aux coups de bâton, et qu'il arriva à un accord avec la famille et la tribu de la défunte : « Lorsque les faits se produisirent, le gouverneur de Fernando Póo, ennemi acharné des Missions, vit dans ce fait tragique l'occasion propice pour entacher leur honneur, et révoqua l'accord. Il porta le procès à Santa Isabel où eurent lieu des contraintes invraisemblables ; non satisfait, il rédigea un mémoire tragico-romanesque qu'il lut au grand scandale des personnes judicieuses, à l'Athénée de Madrid... » 534. On racontait aussi, dans ce document, les raisons légales qui prolongèrent le procès « des hésitations de la part des autorités à l'égard du code pénal applicable à cette colonie » 535, et la sentence qui en résulta. Et on ajoutait encore : « La congrégation avait beau voir qu'il n'y avait eu de grave faute théologique de la part de M. Puig-Gros dans le cas du délit ; mais, attendu ses effets malheureux et les circonstances de la publicité, elle crut nécessaire de recourir au Saint Siège pour demander l'autorisation de le chasser de son 530

Lettre de dit évêque au P. Antonio Sánchez, Supérieur du Collège de Cervera. AG.CMF, Section G, Série P, Boîte 40, Carton 11. 531 AG.CMF, même localisation. 532 Date erronée. 533 « No se notó en él cosa que desdijera notablemente de su carácter sacerdotal, hasta la realización del tristísimo suceso ocurrido a principios de 1895 en nuestra Casa-Misión de Cabo San Juan (continente africano), del apaleamiento de una indígena (reincidente corruptora de jóvenes del colegio) seguido de muerte, contra la previsión de los ejecutores y sobre todo del mandante, que fue dicho Sr. Puig-grós ». 534 « Pero el entonces gobernador de Fernando Póo, enemigo acérrimo de las Misiones, viendo en aquel trágico suceso un medio muy a propósito para desprestigiarlas, revocó el acuerdo. Llevó la causa a Sta. Isabel, donde se cometieron inverosímiles coacciones ; y, no satisfecho con ello, redactó una Memoria trágico-novelesca que, después de resignado el mando, leyó, con escándalo de los sensatos, en el Ateneo de Madrid... ». 535 « Por vacilaciones de las autoridades acerca del código penal aplicable a esta colonia ».

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corps » 536. Et il conclut en disant que, une fois le procès achevé, Puig-Gros avait regagné son village, Vergós de Cervera, où il était toujours. Les pièces s'emboîtaient. La congrégation établissait une version définitive des faits qui a persisté dans la bibliographie. Elle accourait à l'aide du P. Puig-Gros, qui était aussitôt admis dans l'évêché de Solsona, bien que le procès de légalisation canonique n'arrivât qu'en 1908537. Andreu Puig-Gros Escuder mourut le 8 janvier 1931. Au cours de la dernière étape de sa vie, il est signalé comme régent de la Corriu (1904) et de Guspí (la Segarra, 1910) ; comme vicaire de Verdú (l'Urgell, 1910) ; comme économe d'Ivorra (la Segarra, 1913) et de Preixana (l'Urgell, 1914) ; et comme curé de Mas de Bondia (l'Urgell, 1914), de Greixa (el Berguedà, 1923) et de la Quar (el Berguedà)538. Aucun fait important ne fut jamais souligné. Son cas est le plus grave auquel durent s'affronter les clarétains de la Guinée. Le seul où figurait une mort provoquée par un missionnaire. Il ne sert donc pas comme un exemple généralisable de l'action clarétaine. Mais il me paraît raisonnable d'y avoir consacré tout un chapitre, car, justement à cause de sa gravité, il déclencha un ensemble d'actions qui révèlent et illustrent de manière effective de l'idéologie des uns et des autres : parce que c'est justement quand il faut s'affronter à un cas spécial que ce qu'on pense apparaît manifeste. Tout compte fait, je ne partage pas l'opinion des clarétains : l'affaire Puig-Gros ne fut seulement un accident regrettable. Or, ce qu'il a pour moi de remarquable c'est qu'il mit en relief le caractère de suffisance superbe et de pusillanimité de tous les secteurs coloniaux, et la légitimité que tout et un chacun octroyaient à « leur » propre exercice de la violence, justifiée en tous moments par les raisons les plus nobles. L'affaire Puig-Gros sert non seulement d'indice mais d'exemple poussé à l'extrême. La Chronique de la Mission du Cap de Saint Jean nous fournit en outre une donnée qui me paraît importante pour comprendre la réaction démesurée de ce missionnaire catalan : « Juin 21 [1894] : on bénit les terres propriétés 536

« Esta Congregación, por más que no se veía claramente que hubiera grave culpa teológica de parte del Sr. Puiggrós en el suceso de autos, atendidos sus lamentables efectos y las circunstancias de la publicidad, juzgó necesario recurrir a la Sta. Sede, pidiendo autorización para expulsarle de su seno ». 537 Le 28 juillet de cette année-là, Andreu Puig-Gros écrivait encore une lettre dès la Corriu (Sant Llorenç de Morunys - el Solsonès), sa première destination diocésaine (1904), au Supérieur Général, lui sollicitant une nouvelle attestation d'études pour clore le procès ; et nous savons que peu de temps avant on ne lui avait pas encore établi patrimoine canonique. AG.CMF, Section G, Série P, Boîte 40, Carton 11. 538 Information fournie par Enric Bartrina, archiviste de l'évêché de Solsona.

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des enfants et la chapelle de Saint Louis par la solennité d'une messe chantée. Ces jours là, accoururent quelques Pamues pour s'instruire dans les vérités de notre sainte Religion. Quelques jours après le nombre des catéchumènes grandissait de manière notoire. Et ces derniers pervertirent les premiers et formèrent une tribu à part et ceux-ci regagnèrent la forêt » 539. La crainte de l'échec. Les clarétains fondaient leur labeur sur l'entretien d'internats suivi de la formation de « villages catholiques » comme résultat de l'éducation qu'ils donnaient. Ils commettaient bien, de temps en temps, quelque faux-pas, et celui du Cap de Saint Jean était encore trop proche. Ils ne pouvaient pas accepter de nouvelles « perversions ». L'action de Ndjuke ne pouvait pas être oubliée, ne pouvait pas rester sans un « châtiment » « exemplaire » 540. Ndjuke. Une fille, une femme, qualifiée d'une manière progressivement ignominieuse : « pervertie », « répudiée », « pervertisseuse », « scandaleuse », « infidèle », « corruptrice », « féroce », « malhonnête », « pétasse », « prostituée ». Pour ce qui est de ce travail, j'ai dû consulter un grand nombre de documents clarétains écrits entre 1894 et 1902. Dans aucun d’entre eux ne figure son nom.

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« Junio 21 : Se bendijo el terreno de las fincas de los niños y la capilla de San Luis, solemnizándose con misa cantada. En estos días vinieron algunos pamues para instruirse en las verdades de nuestra santa Religión. Pocos días después crecía notablemente el número de los catecúmenos. Y, pervirtiendo éstos a los primeros, formaron pueblo aparte ; y aquéllos se volvieron al bosque ». Crónica de Cabo S. Juan, 1884-1902. APG.CMF, document non catalogué. 540 Rappelons ici que pour cette Mission, située près de la Muni, une bonne partie des possibilités de recrutement de nouveaux élèves était bloquée à cause du contentieux hispanofrançais qui ne serait achevé qu'en 1900. Un an après l'affaire Puig-Gros, l'internat de la Mission du Cap de Saint Jean était à nouveau vide : lettre du P. Josep Sutrias au P. José Mata, du 17 octobre 1895. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 8, Carton 8. Rappelons enfin que les « tentations » des filles du pays aux élèves des internats furent considérées comme des affaires « du démon » contre la Mission dès le début, depuis la fondation du premier internat clarétain à Santa Isabel (vid. supra).

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Le chemin de Damas Qui seminant in lacrymis, in exultatione metent. (Ps, CXXV, 5)

Les rapports entre les missionnaires Tout le long de ces derniers chapitres, j'ai présenté la congrégation clarétaine, son départ pour la Guinée, et les principales caractéristiques de leur tâche évangélisatrice : l'expansion territoriale, l'implantation d'un nouveau modèle missionnaire, son influence sur la société coloniale, la mise en place d'un espace propre, ses rapports avec les autres secteurs coloniaux et les sociétés guinéennes. Pour compléter ce travail je souhaiterais, dans ce dernier chapitre et avant de chercher à établir certaines conclusions, étudier les relations internes du contingent missionnaire ainsi que les objectifs atteints. Rappelons, tout d'abord, que la communauté clarétaine établie en Guinée était, dans son ensemble, plutôt réduite (au cours de la période sujet de mon travail et à la suite de l'expansion dont elle fut la protagoniste, elle fut réduite à environ 80 éléments) ; et que, de plus, ce contingent se composait de Missions formées par de très petites communautés, d'environ cinq missionnaires. Des groupes réduits contraints à coexister dans le cadre d’une situation d'hostilité externe d'une part, et d'une forte activité interne de l'autre, ce qui déchaînait des conflits incessants. Plus que de graves conflits provoqués par la situation missionnaire et son impact social (des aspects sur lesquels il existait une profonde coïncidence idéologique), il s’agissait de petits problèmes de relations personnelles, de hiérarchie, de contrôle, de camaraderie et de cohabitation. D'autre part, il faut prendre en considération qu'un grand nombre de ces conflits pouvaient « se résoudre » du fait que tous les missionnaires étaient soumis au vœu d'obéissance et à une hiérarchisation d’une clarté parfaite ; ce qui nous permet de supposer que la plupart de ces conflits ne furent jamais assez graves pour figurer dans les écrits missionnaires., et encore moins dans les relations entre les différentes communautés et la curie générale, principale destinataire de la documentation conservée. De même leur absence dans les documents n'implique pas leur non existence : l'obéissance et la discipline obligent, entre autres choses, à dissimuler et à déguiser des problèmes et des conflits... qui restent cachés jusqu'au jour où ils surgissent avec virulence ; c'est sûrement la raison pour laquelle on trouve parfois, dans la documentation, des éclats disproportionnés qui ne peuvent s’interpréter

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qu'à partir d'une hypothétique situation de tension dans les relations interpersonnelles des membres de certaines Missions, qui ne peuvent que difficilement s'illustrer par des témoignages documentés. Réformateurs des mœurs d'autrui, les clarétains étaient censés s'imposer un niveau d'auto-exigence extrêmement élevé qui leur permettait d’être considérés comme dignes de crédibilité. Leur volonté de discipline et d'activité se concrétisait en un grand nombre de dispositions qui contraignaient leur liberté particulière et soumettaient l'individu à l'objectif d'évangélisation de manière inconditionnelle. Le contrôle des Supérieurs couvrait, comme nous avons vu dans le chapitre correspondant, tous les domaines de l'activité quotidienne ; et était à l'origine d'une correspondance hiérarchisée, qui est parvenue jusqu'à nous. Et s’il est vrai qu’il y avait des dispositions, interdictions et devoirs pour tous, il n'est pas moins vrai que dans certains domaines leur accomplissement imposait une sorte de cohabitation où régnait une crainte mutuelle : « À propos des devoirs des confesseurs de nos communautés, elle [la Règle] nous dit541 : “ Ils inspireront à leurs pénitents, de vive voix et par leur exemple, l'esprit de mortification, de dévouement et de soumission absolue : et si quelqu'un, par les actes ou les paroles de n’importe qui, en venait à apprendre qu’il y a dans la communauté quelqu’un de scandaleux, une fausse vocation ou un mécréant, etc., il se verra contraint à le déclarer au Supérieur ” » 542. Étant donné qu'on n'interdit que ce qu'on fait, ou ce que l'on craint qui puisse être fait, la seule existence de certaines dispositions, notamment si elles vont se répétant, nous permet de supposer qu'elles s'adressaient aux « erreurs » les plus courantes ; et, sans l'ombre d'un doute, la fréquence la plus remarquable se trouve dans les dispositions qui blâment les médisances, un fait qui pouvait troubler le calme de la vie quotidienne : « Une autre des choses, sans doute la plus répréhensible, celle qui provoque les pires dégâts et éloigne le plus les bénédictions divines, c'est cet esprit diabolique de celui qui prétend se montrer supérieur, humiliant autrui, critiquant et méprisant autrui, y compris les Supérieurs eux-mêmes » 543. Un autre des grands sujets 541

La Règle 111, première partie, des Constitutions de la Congrégation. « Tratando de los deberes de los confesores de nuestras comunidades, dice así : “ Infundirán a sus penitentes, de palabra y con su ejemplo, el espíritu de mortificación, abnegación y sumisión absoluta : cuando averiguaren, por el dicho o hecho de alguno, que en la Comunidad hay algún escandaloso, sin vocación o mal hablado, etc., le obligarán a declararlo al Superior ” ». Circulaire du P. Xifré. In : Boletín Religioso de la Congregación de Misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María, volume 3, janvier-juin 1887, p. 25. 543 « Otra de las cosas, quizá la más funesta, la que trae y ocasiona mayores perjuicios y aleja más las divinas bendiciones, es ese espíritu luciferino de pretender sobreponerse, de rebajar a los demás, de censurar, criticar y desdeñar a los otros, sin excluir los mismos Superiores ». Circulaire du P. Xifré. In : Boletín Religioso de la Congregación de Misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María, volume 3, janvier-juin 1887, p. 25. 542

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qui faisait l'objet d'une insistance majeure était la nécessité de l' « observance », un autre point qui se rapportait au quotidien : « Dans plusieurs Maisons l'escalier est extérieur, celui-ci donne sur la galerie, comme à Río Benito, Cap de Saint Jean, Annobon, San Carlos ; n’importe qui peut l'emprunter sans que le portier s'en aperçoive. Dans d'autres, comme Musola, Elobey, Conception, ils n'ont qu'une simple grille en guise de porte et celle-ci est presque toujours ouverte. À Banapa les portes sont d'habitude entrouvertes. A Santa Isabel, Corisco, Basilé et María Cristina, ce n'est pas un problème de porte, mais les gens entrent sans frapper par la cour ou par le jardin potager. Cette négligence est quelque peu excusable. Cependant, j'ai recommandé qu'on soit vigilant à ce qu’établissent les Saintes Constitutions à ce sujet et qu'on veille le mieux possible à leur observance » 544. En Guinée, où la plupart des Maisons étaient situées dans des endroits isolés et privés de communications, ces deux dangers - la médisance et le manque d'observance - pouvaient corrompre l'ambiance de chaque communauté au point de la rendre irrespirable : la médisance, parce qu'elle pouvait jeter un froid dans la cohabitation provoquant des inimitiés, des méfiances et des affrontements ; le manque d'observance, parce qu'il s'inscrivait dans la discipline absolue nécessaire à la tâche évangélisatrice et au camouflage des tensions. La petitesse de l'espace a tendance à rendre plus difficiles les relations parmi les personnes obligées de cohabiter très étroitement. La volonté de contrôler la situation obligeait les Supérieurs à s'informer de manière continue de l'état de chaque Maison et des résultats obtenus : « Sur l'ordre du cardinal Simeoni, je m'adresse à Vous vous priant de m’écrire au plus tôt, soit à Madrid, soit à Cervera, et qu’avec force détails et la plus grande exactitude possible vous m’informiez à propos du nombre d'habitants de chaque île, des écoles, du nombre de garçons et de filles qui y assistent, du nombre de catholiques, ainsi que des mariages canoniques effectués, etc., etc. des langues, des caractères » 545. Des 544

« Varias Casas tienen la escalera en el exterior que sale a la galería, como Río Benito, Cabo San Juan, Annobón, San Carlos ; en ellas puede subir y bajar el que quiera, sin que se entere el portero. Otras, como Musola, Elobey, Concepción, tienen por puerta exterior una simple verja, que suele permanecer siempre abierta. En Banapá las puertas suelen estar no más que entornadas. En Sta. Isabel, Corisco, Basilé y María Cristina las puertas están bien, mas la gente entra sin tener que llamar por el patio o huerta. Este abandono puede excusarse algún tanto (...) ; con todo, he recomendado que se tengan a la vista las Stas. Constituciones acerca de este punto y se guarde del mejor modo posible ». Relación de la visita hecha en nombre del Rmo. P. General a las Misiones del golfo de Guinea por el P. Ramón Genover en los meses de octubre y noviembre de 1907. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 17, Carton 12. 545 « Hoy escribo a V. desde ésta, impulsado por el Emmo. Cardenal Simeoni, para que, con la [máxima] urgencia posible, se sirva escribirme, ya a Madrid, ya a Cervera, dándome explicaciones o cuentas más precisas, mejor informadas, o sea más exactas, del nº de habitantes de cada isla, de las escuelas, del nº de] niños y de niñas que asisten a las escuelas,

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informations d'ordre général auxquelles s'ajoutaient les « états de comptes spirituels » que chaque Maison envoyait périodiquement à la Curie : « Nous avons reçu l'état de compte spirituel que, conformément à ce qui est prescrit, nous ont envoyé nos chers Pères et Frères. Nous leur sommes très reconnaissants de leur fidélité tout en espérant que, compte tenu les besognes qui nous occupent, ils sauront nous pardonner de ne pas leur répondre à tous individuellement » 546. Ces informations systématiques étaient complétées par des examens périodiques de Morale, qui devaient confirmer la compétence et la mise à jour de tout le personnel : « M, épouse en premières noces du polygame P, demande instamment le baptême. Elle est instruite. Le polygame P ne met à cela aucune entrave ; la seule chose qu'il ne veut pas c'est laisser les autres femmes. M ne veut pas quitter P, parce qu'elle l'aime beaucoup et puis cela ne lui convient nullement parce que P est gentil avec elle ; il l'entretient et elle ne manque de rien ; la séparation n'est pas aisée, car elle fut achetée et elle s'exposerait à de graves dangers si elle le faisait. Telle est la question : Peut-on baptiser M ? » 547. Tout cela était supervisé par le Préfet Apostolique : « Les Pères ont fait passer les examens de Morale. D'une manière générale, les résultats ont été satisfaisants : Les PP. Sorinas, Albanell, Estebanell, Mallén, González et Roldán mériteraient un très bien ; les autres obtiendraient un passable, exception faite des PP. Sala, Sutrías et García Norberto, dont les résultats ont été plutôt mauvais. Ils ont dû aussi subir un examen sur la manière de célébrer la Sainte Messe. Quelques un tendraient vers la précipitation, ce qui chez certains, à mon avis, n'est pas dû à un manque d'espiritualité, mais ce n'est pas le cas pour le PP. Bolados et Juanola. Ils sont avertis ; mais en ce qui concerne ce dernier, il a beau faire semblant d'écouter, il ne se corrige pas » 548. del nº de católicos, y de los matrimonios efectuados en forma canónica también en cada isla, etc., etc., de los idiomas, de los caracteres ». Lettre du P. Xifré au P. Vall-llovera, du 30 novembre 1889. APG.CMF-Madrid, document non catalogué. 546 « Se han recibido los estados de cuenta espiritual que, en cumplimiento de lo prescrito, nos han mandado nuestros amados Padres y Hermanos. Agradecemos profundamente su fidelidad y esperamos que, en atención a los quehaceres que nos ocupan, nos dispensarán el no contestar a todos individualmente ». Circulaire du P. Xifré. In : Anales de la Congregación, volume 1, 1889, p. 329. 547 « M, primera esposa del polígamo P, pide instanter el bautismo. Está instruida. El polígamo P no le pone ningún estorbo ; lo único que no quiere es dejar las demás mujeres. M no quiere separarse de P, porque lo ama mucho ; no le conviene tampoco, porque P la trata bien, le hace la vida y no le falta nada ; no puede separarse fácilmente, pues fue comprada y se expondría a muchos riesgos y cuestiones si lo hiciera. Se pregunta : ¿Se puede bautizar a M ? ». Caso de moral. AG.CMF, Série F, Section N, Boîte 9, Carton 3. Le document contient la réponse affirmative du P. Busquet, s'opposant à la réponse négative du Synode. 548 « Los Padres han hecho los exámenes de Moral. En general han respondido bien : los PP. Sorinas, Albanell, Estebanell, Mallén, González y Roldán merecerían sobresaliente ; los demás llegarían a buenos, excepto los PP. Sala, Sutrías y García Norberto, que lo hicieron

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De sorte qu'on passait facilement d'un contrôle général, basé sur l'observance des constitutions, de maintien de la discipline et de la préparation personnelle, au jugement personnel et à l'admonestation. Dans la même lettre nous pouvons lire : « J'ai l'impression que la vanité du P. Bolados s'est quelque peu atténuée » 549. Autrement dit, ce même schéma paternaliste que les missionnaires appliquaient aux indigènes, leur était appliqué par leurs Supérieurs, ce qui, une fois de plus, prouve la cohérence maintenue par les clarétains. Les religieux mirent en jeu toute sorte de stratégies pour garantir le contrôle de chaque Mission et pour assurer les liens internes de solidarité. Le plus important était les visites qu'effectuaient le Préfet Apostolique à chacune des Maisons, dont j'ai déjà parlé, et la réalisation périodique d'exercices spirituels, menés parfois par la plus haute autorité ecclésiastique de la colonie : « Malgré tout nous n'avons pas oublié notre sanctification, et faisons usage des moyens ordonnés à cet effet. En septembre, nous réalisâmes les saints Exercices de communauté, pour ramollir notre cœur afin que Dieu notre Seigneur lui imprime la forme qu'il souhaite, car nous serons dociles à suivre l'appel divin » 550 ; « À la fin septembre, le Rd. P. Préfet revint de sa visite à quelques Maisons de ces Missions, et pour se reposer il se rendit à Banapa, où il donna des exercices spirituels à la communauté et, pour mieux satisfaire sa volonté de travailler pour la plus grande gloire de Dieu et le bien des âmes, il donna à la fois des exercices aux enfants de cette école ; mais comme il ne croyait pas convenable que les enfants assistassent à nos méditations et causeries, il les leur donnait à des heures différentes, si bien qu'il avait beaucoup de travail » 551 muy pobre. También se ha hecho el examen sobre el modo de celebrar la Santa Misa. Algunos propenden a precipitarse en ella, lo cual en algunos creo no procede de falta de espíritu ; pero en otros, como en los PP. Bolados y Juanola, me parece que sí. Están avisados ; pero este último, aunque recibe bien el aviso nunca se enmienda ». Lettre du P. Ermengol Coll au P. Xifré, du 4 février 1899. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1. 549 « El P. Bolados, me parece que se ha enmendado algo de su vanidad ». 550 « No nos hemos olvidado por esto de nuestra santificación, valiéndonos de los medios ordenados al efecto. En septiembre hicimos los santos Ejercicios de comunidad, para ablandar nuestro corazón a fin de que Dios nuestro Señor le imprima la forma que quiera, que seremos dóciles en seguir los divinos llamamientos ». Lettre du P. Miquel Daunis, de la Mission du Cap de Saint Jean, au P. José Mata, du 22 octobre 1890. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 8, Carton 8. 551 « A últimos de septiembre vino el Rmo. P. Prefecto de visitar algunas Casas de estas Misiones ; y para descansar trasladóse a Banapá, donde dio ejercicios espirituales a la comunidad ; y, para mejor satisfacer los deseos de trabajar para la mayor gloria de Dios y bien de las almas, al mismo tiempo que a la comunidad dio ejercicios a los niños de este colegio ; y no creyendo S. Rma. conveniente que asistieran los niños a nuestras meditaciones y pláticas, se las daba a ellos en diferente hora, siendo, por lo mismo, el trabajo que tenía, mucho ». Lettre du P. Josep Sutrias, de la Mission de Banapa, au P. Climent Serrat, du 1er. novembre 1891. AG.CMF, même localisation.

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Il s'agit jusqu'ici d'aspects d'ordre général du fonctionnement des Maisons, de la discipline et du concept d'obéissance, qui obligeaient les clarétains à se soumettre à des dispositions, à des règles de conduite et à une organisation de l'activité quotidienne très concrètes. Par ailleurs, la documentation comprend un grand nombre de cas spéciaux qui démontrent, de manière évidente, quoique peu systématique, l'existence de conflits plus ou moins ponctuels la responsabilité desquels les Supérieurs faisaient retomber sur leurs subordonnés : « Je voyais que le F. Parcerisa était devenu plus raisonnable mais, notamment depuis l'arrivée par intérim des FF. Mónter et Mas Miguel, il se comporte comme d'habitude. Je ne sais comment l'avouer à V. Rd. J'en ai déjà parlé au T. R. P. Alsina. On aperçoit en lui, quand il parle, des idées saugrenues. Ainsi, par exemple, lorsque le F. responsable ordonnait aux garçons des choses difficiles ou leur demandait leur collaboration, le F. Parcerisa s'exclama : “ Ce qu'ils sont bêtes, ces garçons! ”. Pourtant, les garçons collaboraient parce qu'on avait besoin d'eux et qu'ils ressentaient un grand amour et respect pour le F. responsable. “ Au cas ou ils ne voudraient pas obéir au F. rien que pour le contrarier, et si celui-ci ne pouvait plus les supporter et les chassait de leur travail, il les recevrait, lui, dans l'atelier de tailleur ”, dit il, dès le début. Il m'accusa de la maladie du F. Mónter, lorsque je l'admonestai pour ce qu'il avait fait : que ce Frère ne tomberait pas malade et ne se fatiguerait pas si on lui laissait faire ce qu'il désirait ; que personne ne prenait soin des garçons de l'atelier de tailleurs, et qu'ils étaient uniquement sous ses ordres. Avant de le prévenir, je me renseignai sur ce qu'il y avait de vrai dans tout cela et puis je le lui dis. Mais il me répondit qu'il n'avait jamais rien dit de tel et qu'il ignorait avoir dit cela. Ce qui ne m'étonne pas outre mesure, car il proférait ces propos après avoir mangé et au cours du repas il boit assez, mais comme il mélange un peu d'eau dans son vin, je ne l'ai pas corrigé ; cependant on s'aperçoit qu'il parle d'une manière plutôt bizarre sans finir ses phrases. Au cours des actes religieux, on sent en lui une froideur, une attitude négligée et indifférente. (...) » 552. 552

« Me parecía que el H. Parcerisa se había vuelto algo formal ; pero, sobre todo desde que vinieron el H. Mónter y el H. Mas Miguel interinamente, va lo mismo. Yo no sé cómo declarárselo a V. Rma. Ya hablé de esto con el M.R.P. Alsina. Se le advierte en el hablar unas ideas muy descabelladas ; como, por ejemplo, cuando el H. encargado mandaba a los chicos algunas cosas difíciles o decía quién se ofrecía, el H. Parcerisa dijo : “ ¡ Qué chicos tan tontos ! ”. Eso que los chicos se ofrecían porque la cosa era necesaria y tienen amor y respeto al H. encargado. “ Que no quisiesen obedecer al H. para hacerle enfadar, se cansase de ellos y los echase de trabajar, y él los recibiría en la sastrería ”, esto lo dijo ya al principio ; que yo tenía la culpa de la enfermedad del H. Mónter, porque le corregí de lo que no debía ; que el H. dicho no se pondría enfermo o se cansaría si le dejasen hacer lo que él quería ; que de los chicos de la sastrería nadie cuidaba ni les mandaba más que él. Antes de avisarle de estas cosas procuré enterarme de la veracidad de esto, y después se lo dije. Pero él respondió que no había dicho tales cosas y que no sabía haberlas dicho. De algunas no me extraña que no se diera cuenta, porque las decía después de comer y en la comida bebe bastante, pero como lo

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En bref, des problèmes de mauvaise entente qui surgissaient parfois parmi les membres de la communauté. De sorte qu'à la longue c'était le Supérieur qui devait s'imposer, car c'était lui qui communiquait avec la Préfecture Apostolique et avec la curie générale. Pour ces mêmes raisons de hiérarchie, les coadjuteurs étaient très souvent sujets à des admonestations ; bien que, dans le style paternaliste des relations internes des clarétains, les Supérieurs avaient tendance à les « protéger », notamment lorsqu'ils parlaient d'une manière générale : « C'est un peu ce qui arrive à Corisco (les FF. mangent mal ou peu). Puis, ceux-ci tombent malades et ils ne peuvent se remettre ou très difficilement. Il y a quelque 6 FF. dans ces Missions assez malades ; peut être à cause du manque de nourriture et par le fait que le travail est plus dur pour eux que pour les Pères. Je suis sûr que le R. P. Préfet veut chercher un remède en ce qui concerne la nourriture » 553. Le premier destinataire des doléances et mésententes était habituellement le Préfet Apostolique. Or il faut croire que si les plaintes arrivaient à Santa Isabel, il va de soi que l'insatisfaction avait dépassé des niveaux fort importants, car les personnes concernées étaient convaincues que ces différences ne pouvaient pas se résoudre dans le sein de leur propre communauté. Ou bien aussi, que le sujet de ces plaintes, quoiqu'individuel, était considéré comme valable à la totalité des missionnaires : « À propos du voyage de ce dernier F., je dois vous dire qu'il ne changea de dessous, depuis son départ de Zafra [Extremadura], qu'à son arrivée à Musola, soit au bout d'un mois, et pourtant sa valise était remplie de linge propre. Sa saleté et la mauvaise odeur qui s’ensuit, dérangent beaucoup les blancs, comme V. Rd. peut supposer, et c'est un des reproches que je me suis le plus souvent entendu dire ; c'est vrai qu'ils ne m'en ont pas parlé personnellement, mais les noirs me l'ont répété plusieurs fois : “ Mon Père, j'ai entendu dire que le gouverneur et les autres blancs disent de vous que vous êtes propre, et que les autres [missionnaires] sont peu soigneux de leur personne et des maisons où ils demeurent ”. (...) Je ne crois pas que cette opinion soit juste pour ce qui est d’un grand nombre de PP. et certains FF ; mais il n'est moins vrai que certains ont du mal à être propres. Cependant, mezcla con un poquito de agua no le he corregido, pero se le nota un modo de hablar algo raro, como dejando la frase a medias. En el modo de portarse en los actos religiosos se nota una frialdad, una postura cómoda e indiferencia. (...) ». Lettre du P. Juan Roldán, Supérieur de la Mission du Cap de Saint Jean, au P. Climent Serrat, du 8 janvier 1902. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 5, Carton 7. 553 « Algo de eso pasa en Corisco (de comer mal o poco los HH.). Después se caen enfermos los HH., y no se pueden rehacer o muy difícilmente. Hay algunos six HH. ahora en estas Misiones bastante inútiles o enfermos ; quizás sea falta de alimento, pues que el trabajo les gasta más que a los Padres. Me consta ciertamente que el Rmo. P. Prefecto quiere remediar lo referido acerca de la comida ». Lettre du P. Joaquim Juanola au P. José Mata, du 18 mai 1896. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 9, Carton 1.

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je crois que d'une manière générale, nous pourrions tous nous corriger » 554. Parfois, tout simplement, le fait de présenter les doléances au Préfet Apostolique, ou à quelqu'un d'un poste plus élevé, ne provenait que du « zèle » de certains missionnaires : « Manquant d'esprit, on dirait que ce Père souhaite que les enfants aient une attitude relâchée. Que de libertés ne prennent-ils pas à son égard ! » 555. La crainte que les membres les plus jeunes des Missions puissent être contaminés par des idées libérales se fit évidente à plusieurs reprises, notamment au moment où d'autres Missions, ainsi celle de Las Palmas, furent abandonnées par des jeunes clarétains : « Quelle mauvaise impression produit le fait qu'on n'ait pas reçu la quittance, et ce bruit qui court que tout cela est à louer ! Et les jeunes PP. de jeter leurs frocs aux orties et de crier “ Vive la liberté ! ”. Les malheureux ! » 556. Or, le contact avec les secteurs libéraux de la Guinée n'avait lieu qu'à la capitale ; et les seuls à en souffrir les conséquences étaient le Préfet et d'autres employés de la Préfecture, provoquant un sentiment de solidarité qui rendait presque impensable toute désertion pour cette raison. La citation antérieure représente donc une exception ; car même si la question pouvait devenir préoccupante pour les 554

« A propósito del viaje de este último H., debo darle cuenta de que dicho H. no se cambió la ropa interior que se vistió en Zafra hasta llegar a Musola, esto es después de un mes entero, habiendo traído sobrada ropa limpia en la maleta. Esta falta de limpieza y el mal olor consiguiente mortifican mucho a los blancos, como supondrá V. Rma., y es la cosa de que más he oído hablar en contra nuestra ; aunque no me lo han dicho a mí personalmente, pero más de una vez me lo han dicho los morenos : “ Padre, yo he oído que el Gobernador y los otros blancos dicen que Vd. es limpio y que los demás son sucios en sus personas y en las casas que habitan ”. (...). No creo yo que esa creencia sea justa respecto a muchos PP. y a algunos HH. ; pero sí hay otros que por sus trabajos les es muy difícil andar aseados. Mas, en general, creo que podríamos enmendarnos algo sobre el particular ». Lettre du P. Alfredo Bolados, Supérieur de la Mission de Musola, du 21 août 1900. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 6, Carton 3. 555 « No teniendo este Padre espíritu, parece le gusta vivan también relajados los niños. ¡ Cuántas libertades les tienen éstos ! ». Lettre du P. Josep Sutrias, Supérieur de la Mission de Banapa, s/d. [circa 1900]. AG.CMF, Série F, Section N, Boîte 9, Carton 1. 556 « ¡ Qué mala cara hace eso de no habernos pagado las cartas de pago, y esotro del run run de que esto se arrienda ! ¡ Y los PP. jóvenes colgando los hábitos y gritando ‘ Viva la libertad ! ¡ Desgraciados ! ». Lettre du P. Ermengol Coll au P. Jaume Pinosa, à l'époque missionnaire à Casablanca, du 29 octobre 1899. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1. L'affaire de Las Palmas devait être spécialement douloureuse, parce que les clarétains qui abandonnèrent la congrégation firent aussi acte d'apostasie ; parce que les faits se produisirent en janvier 1895, lorsque Xifré était à Fernando Póo pour l'affaire Puig-Gros ; et parce qu'il y eut l'impression de ne pas avoir agi d’une manière assez contondante : « Quel grand bien aurions-nous obtenu si on les avait chassés à ce moment-là. Mais, le Rd. P. Général était si soucieux de tout ce qui s'était passé à Fernando Póo concernant le P. PuigGros, qu'il se borna à les blâmer, sans qu'il n'y eut de changement jusqu'au jour où le P. Crespo effectua ce qu'il avait envisagé ». P. Bernabé Marinas, Breve reseña histórica de lo acontecido a los Hijos del Inmaculado Corazón de María en Canarias. ALP.CMF, document non catalogué. Cette affaire ne figure dans aucune des œuvres clarétaines.

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intérêts de l'ensemble de la Mission guinéenne, elle ne l'était pas pour la vie interne de la communauté. En revanche, les petits problèmes de cohabitation étaient souvent vécus d'une manière collective et pouvaient devenir disproportionnés ; et bien que le danger ne pût pas découler du fait que ces missionnaires changeassent les idées qui étaient à l'origine de leur vie, il pouvait cependant provenir du fait que les problèmes de cohabitation et d'observance en arrivent à échapper au contrôle : « Je suis très soucieux pour ce qui est de la communauté de Santa Isabel, si je vais aller vivre à Banapa, tel comme me suggéra le P. Alsina. Il ne restera aucun Supérieur exemplaire [à Santa Isabel] mais, bien au contraire, enclin au relâchement ; et quoiqu’il se soit retenu en ma présence, d'après ce que tous me disent, sa conduite n'est guère édifiante, que fera-t il lorsque je ne serai plus là ? Aucune observance du silence, les choses vont à peu près, et les PP. les plus jeunes l’imitent quelque peu. Je viens d'apprendre que, vexé parce qu'il ne pouvait plus agir selon sa volonté à Banapa, il est en train de former, à l’aide de ses causeries, une sorte de parti où interviennent ceux de Santa Isabel » 557. Cette annotation faisait référence au comportement du P. Juanola qui, effectivement, à cette époque conduisait une sorte de « bande » qui affronta les communautés voisines de Santa Isabel et de Banapa : « Ce que je regrette le plus c'est la séparation qui depuis quelque temps s’observait et s’observe toujours entre Banapa et Santa Isabel ; et que, à mon avis, ceux de cette Maison [de Banapa] voulaient maintenir et pousser en avant à tout prix afin, d'après eux, de ne plus dépendre du P. Juanola. Il y avait longtemps que quiconque provenant des autres Maisons et visitant Banapa, ne serait-ce que pour quelques heures, revenait portant des nouvelles de tout ce qui était dit là-bas à propos de Santa Isabel. Certains, plus prudents, me le disaient à moi, d'autres le disaient aux personnes concernées, d'après ce que j'ai pu savoir par la suite » 558. Remarquez l'ambiguïté de la position du Préfet Apostolique qui, dans l'espace de temps qui va de cette lettre à celle que j'ai 557

« También temo mucho de la comunidad de Sta. Isabel si yo me voy a vivir a Banapá, como me insinuó el P. Alsina. No queda Superior edificante sino, al contrario, inclinado a la relajación ; y si mientras yo estoy, reprimiéndose mucho según me dicen todos, no es edificante, ¿qué será estando yo ausente ? No hay cuidado ninguno del silencio, van las cosas poco más o menos, y los PP. jóvenes le imitan algo. Ahora acabo de saber que, sentido de que le hayan quitado de disponer a su arbitrio de Banapá, va formando con sus conversaciones una especie de partido en el cual entran los de Sta. Isabel ». Lettre du P. Ermengol Coll au P. Climent Serrat, du 26 février 1902. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 14, Carton 2. 558 « Lo que más pena me da es la división que desde un tiempo se venía y viene notando entre Banapá y Sta. Isabel ; y que, a mi parecer, los de aquella Casa querían mantener y llevar adelante a toda costa para ser independientes del P. Juanola, según ellos decían. Hacía una temporada que no podía visitar Banapá ningún individuo de otras Casas, aunque fuese por pocas horas, que al volver no trajera noticias de lo que allí decían de Sta. Isabel. Algunos más prudentes me lo decían a mí, otros se lo decían a los mismos interesados de ésta, según he sabido después ». Idem, du 23 juin 1903. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 14, Carton 3.

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transcrite antérieurement, parait avoir changé de « bande » : si bien en février 1902 il craignait l'influence de son ami le P. Juanola, en juin 1903 il faisait retomber la responsabilité de la séparation sur la Maison de Banapa. Il s'agit, sans aucun doute, de l'affaire la plus grave que j'aie pu trouver dans toute la documentation clarétaine. La division entre la Maison de Banapa et celle de Santa Isabel devait être d'une telle évidence que, pendant deux ans, elle apparut dans la correspondance entre le Préfecture et la Curie. Je crois cependant que le fait qu'on n'ait pas su intervenir à temps est dû à ce que, comme il arrive en un grand nombre de problèmes de cohabitation, il est difficile de savoir exactement quelle en est la cause ; ou bien, pour être plus précis, il devait y avoir un mélange de conflits et de légers malentendus qui, à la longue, compliqua la situation. Dans la même lettre, le P. Coll affirme : « Je crois avoir manifesté à V. Rd. que le P. Albanell était détesté depuis bien longtemps parce que, s’il s'empressait à prendre en photo ceux qui n'appartenaient pas à la Maison, il se montrait bien plus difficile au moment de photographier les musiciens de Banapa. Tout cela contenait quelque chose de vrai, d'après ce que je pus constater, de sorte que je réprimandai avec sévérité le P. Albanell (il y a environ trois mois de cela). Je lui ordonnai que désormais il ne prenne personne en photo sans mon autorisation et qu’en outre la première photo qu'il réaliserait serait celle des musiciens. (...) Malgré tout, je reçus de nouvelles plaintes car pour le portrait qu'il réalisa il n'avait pas fourni le moindre effort, si bien qu'il n'était pas réussi, etc. Si bien que moi, qui croyais avoir apporté un remède à ce mal, je m'aperçus par la suite que je n'avais rien obtenu. (...) Le P. Juanola inspirait et inspire toujours une certaine aversion, car tout le monde croit qu'il veut encore commander en chef à Banapa. Et il n’a pas suffi qu'il se soit abstenu de leur donner des ordres ; une simple suggestion de sa part, si utile leur fut elle, par le seul fait de procéder de lui, ne devait pas être réalisée. En outre, le fait de voir le P. Juanola quelque peu dissipé et peu fervent, les a portés à ne pas l'aimer et à ne pas le considérer avec le respect qu'il mérite pour son âge et son expérience » 559.

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« Ya creo manifesté a V. Rma. que al P. Albanell desde mucho tiempo no podían verle, porque se manifestaba pronto a retratar a los de fuera de Casa y difícil en retratar los músicos de Banapá. Había algo de verdad en esto, según pude cerciorarme, por lo cual dí al Rdo. P. Albanell una reprensión muy seria (esto hace unos tres meses). Le ordené que en adelante no retratara a nadie sin mi permiso, y además que el primer retrato que sacase sería el de los músicos. (...) A pesar de esto, recibí nuevas quejas de que tampoco en el retrato hizo todo lo que supo, que por esta causa salió mal, etc. De modo que, creyendo que había remediado la enfermedad, ví después que no había conseguido nada. (...) Al P. Juanola también le tenían y le tienen aún bastante aversión, porque les parece que aún quiere mandar en Banapá. Y no ha bastado que el P. Juanola se abstuviera de ordenarles cosa alguna ; sino que una insinuación suya, aunque fuera beneficiosa para ellos, si había salido del P. Juanola ya no había de hacerse. Además, el ver al P. Juanola algo disipado y poco fervoroso les ha dado pie para no amarle o mirarle con el repeto que sus años y su experiencia le merecen ».

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Du point de vue du P. Juanola on ne dirait pas non plus qu'il ait existé une cause décisive entraînant cette situation de tension entre les deux Maisons : « Depuis que V. R. est parti d'ici, et même avant, je n'allai plus à Banapa et j'évitai toute conversation possible. Ce n'est pas étonnant que certains l'aient attribué à une division. Je vais vous dire les raisons pour lesquelles je crus prudent ne pas m'y rendre tant que le P. Bolados fut toujours là : 1er. Une fois, en pleine récréation, un F. demanda : “ Pour quelle raison voit-on à peine le P. Juanola ici ? ”. Ce à quoi répondit aussitôt le P. Bolados : “ Chaque Supérieur dans sa Maison ”. 2e. Un autre jour, et toujours à l'heure de la récréation, le même Père déclarait : “ Le P. Juanola a beau écrire en Espagne à propos de Banapa, il en a un pour ses frais... tel est pris... et maintenant il n'a plus rien ”. Et il y avait toujours quelqu'un pour me le répéter, sans que je le cherche. 3e. Un autre Père de cette Maison, le P. Fernández, m'écrivait : “ Mon Père, méfiez-vous, certains donnent une mauvaise interprétation à certaines de vos expressions. Entre autres, le F. Porta, de nature exagérée. 4e. Un autre, le F. Lausín, comme en cachette, vint à Santa Isabel et me dit : “ Il parait que ces jours-ci à Banapa on cause contre vous. Le F. Sans a dit : ‘ Si au moins le P. Juanola était aussi éloigné de nous que d'ici à Annobon, pour qu'il ne se mêle pas de la propriété...’ ”. Et je l'ai envoyé promener lui et ses chamailleries, fussent-elles ou non des commérages » 560. 560

« Desde que V.R. se fue de ésta, y aún antes, yo no iba por Banapá y evitaba todas las conversaciones que podía. Es muy fácil que algunos lo atribuyeran a división. Le voy a decir los motivos porque en el tiempo que estuvo allí el P. Bolados no creí prudente ir : 1º Una vez, en pleno recreo, decía un Hº : “ ¿ Qué es esto, que ahora apenas se le ve al P. Juanola por aquí ? ”. Inmediatamente contestó el P. Bolados : “ Cada Superior a su Casa ”. 2º En otro día, y también en recreo, decía el mismo Padre : “ Que vaya el P. Juanola escribiendo a España sobre Banapá, le han bien aforrado... fue por lana... y ahora se lo han quitado todo ”. No faltaba quien me lo dijera, sin yo buscarlo. 3º Otro Padre de aquella Casa, el P. Fernández, me escribía : “ Padre, tenga cuidado, que algunos en ésta le interpretan mal algunas de sus expresiones. Entre otros el exagerado Hº Porta ”. 4º Otro Hº, Lausín, como con secreto, vino a Sta. Isabel a decirme : “ En Banapá, parece que en estos días se entretienen contra V. El Hº Sans ha dicho : ‘ Ojalá el P. Juanola estuviera lejos como de aquí a Annobón, para que no se metiera para nada en la finca... ’ ”. Y le eché a rodar con sus dímes y diretes, fueran o no chismes ». Lettre du P. Joaquim Juanola au sous-directeur général de la Congrégation, P. Martí Alsina, du 23 avril 1902. AG.CMF, Section G, Série J, Boîte 2, Carton 8. Un an auparavant, le P. Alsina avait fait une visite de deux mois aux Missions de la Guinée, et en arriva à exposer le problème à la curie générale, qui admonesta le P. Juanola (j'ignore s'il fit de même pour l'autre « bande » ). Dans la même lettre : « Le 18 de ce mois-ci, à l'arrivée du “ Larache ” je reçus votre chère lettre. Je vous remercie ex toto corde et spiritu aflicto, des vos avertissements et réprimandes. Il va de soi que je me sentis très peiné et très touché pour ce que je vous raconterai par la suite, mais je ne peux vous cacher ce que je sens, et je me considérerais très mal élevé et très peu respectueux à l'égard de mes Supérieurs si je ne m’étais pas senti repentant. Je remis votre lettre ainsi que celle du Rd. P. Général au Préfet, tout en lui disant : “ Voyez, lisez et faites de moi ce qui bon vous semble ; que, Deo juvante, je me soumettrai ” ». Or, presque aussitôt le Supérieur Général le chargea d'une visite délicate au Président de Liberia dans le but de trouver une alternative au cas où l'Espagne laisserait les

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Je dois dire que cette animosité envers le P. Juanola était très répandue, et ne se bornait pas - loin s'en faut - au P. Bolados : « Je crois que nous manquons de quelque chose qui nous permettrait d’obtenir bien plus de fruits, à savoir l'ordre dans certains aspects, car cette carence entraîne quelques différends et des oppositions. C'est sûrement pour cela qu'il parait que certains faits ne parviennent pas au Rd. Père Préfet. Et il y a aussi la domination que maintient le R. P.Juanola sur le P. Préfet, d'après une rumeur publique répandue parmi nous et que même quelque blanc a retransmise. C'est peut être pour cette raison que, tandis qu'avant c’était le P. Supérieur de Santa Isabel qui s'occupait de la paroisse, c’est maintenant le P. Juanola qui tient lieu de Ministre à l'aide de deux ou trois collaborateurs, et les Missions sont de plus en plus mal servies. En outre, à Santa Isabel on aperçoit peu à peu une baisse dans le catholicisme et même des apostasies publiques, que le P. Juanola, grâce à son ascendant et ses connaissances de l'anglais, pourrait réparer » 561. Il faut dire que Juanola lui-même devait contribuer fortement à cette situation de conflit, car il n'hésitait pas à critiquer d'autres communautés : « Je crois que, maintenant, à San Carlos, on ne dépense que trop, et qu'il manque peut être un peu d'ordre : que l'on donne beaucoup sans que cela soit suffisamment mérité. Je l'ai entendu dire à un grand nombre ; et que la communauté n’est pas très bien nourrie » 562. Et il n'est pas moins vrai qu'il avait été parfois admonesté par le P. Coll, qui pourtant avait pleine confiance en lui : « Je proposai au P. Juanola de deux choses l'une : soit de rejoindre les îles Canaries à bord de ce courrier, soit de s'occuper lui-même d'estomper l'atmosphère qui, par sa faute, se formait contre les Supérieurs. Il choisit le deuxième, et à mon avis il a fait de son mieux ; de sorte que les

territoires guinéens en mains des Allemands (Creus, 1996d, 1998), ce qui prouve la confiance de la curie envers le P. Juanola malgré cette affaire. 561 « Una cosa creo que nos falta, y con la cual haríamos más fruto, y es el orden en algunas cosas ; cuya falta causa algunas diferencias y encuentros. Causa de esto parece ser que algunas cosas de éstas no llegan a noticia del Rmo. P. Prefecto. Otra causa de esto es la preponderancia que el R. P. Juanola tiene sobre el P. Prefecto, según voz pública entre nosotros y aun algún blanco lo ha manifestado así. Quizá por ese motivo, mientras antes el P. Superior de Sta. Isabel se cuidaba de la parroquia, ahora el P. Juanola hace las veces de Ministro con dos o tres ayudantes, y aún están mal servidas las Misiones. En cambio, en Sta. Isabel se va notando baja en el catolicismo y hasta públicas apostasías, lo cual el R. P. Juanola, con su ascendiente y con poseer el inglés, lo podría remediar ». Lettre du P. Eulogio Fernández à la curie générale, du 20 août 1901. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 9, Carton 4. 562 « Creo que, actualmente, en S. Carlos se gasta algo demasiado, y quizás falta algo de orden : que se da mucho sin que se haga ganar bastante. Esto oigo decir a muchos, y que la Comunidad come no muy bien ». Lettre du P. Juanola au P. Mata, du 18 mai 1896. AG.CMF, doc. cit.

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officiers du “ Larache ” purent se convaincre que nous ne négligions pas la santé physique de ce Père » 563. La documentation nous présente, donc, le P. Juanola comme quelqu'un d’enclin à provoquer des conflits et peu porté à une observance rigoureuse ; mais indispensable par son expérience et sa culture, sur toute sorte de sujets délicats et, par conséquent, comme quelqu'un de nécessaire pour la curie missionnaire. Et s’il est vrai qu'à la suite de la visite du P. Martí Alsina à Banapa on lui interdit de s’immiscer dans les affaires de Banapa, il n'est moins vrai que, comme je l'ai montré dans le chapitre correspondant, Juanola avait été nommé par le Saint Siège de paire avec le P. Ermengol Coll ; et hormis le fait qu'il n'était pas le seul missionnaire engagé dans cette guerre de « bandes », il était difficile de s'en prendre à sa position clé dans l'ensemble de la Mission, car pas un seul missionnaire n'aurait osé mettre en cause une résolution provenant de la Sainte Congrégation de la Propaganda. D'autre part, le P. Coll le considérait son bras droit et son homme de confiance. Pas un seul missionnaire n'aurait osé mettre en cause une résolution vaticane. Or, ce qui, à mon avis, montre le mieux le manque de fluidité dans les relations inter-missionnaires, c'est que plusieurs clarétains cherchèrent un biais légal pour se soustraire à l'autorité du P. Juanola. La question-clé à laquelle ils se heurtèrent fut la différence canonique entre les affaires de la Préfecture Apostolique et celles qui appartenaient à la Congrégation : le Préfet Apostolique, puis Vicaire Apostolique, était la plus grande autorité ecclésiastique de la colonie et, en raison de son poste, il pouvait agir tout comme l’aurait fait un évêque de la Péninsule ; en revanche, pour ce qui est des affaires internes de la congrégation (nomination de Supérieurs et d’autres charges, dispositions sur le gouvernement et organisation de chaque Maison, discipline des religieux, transfert de destination...) il ne pouvait agir, étant donné que les Missions ne formaient pas une Province clarétaine, que comme délégué (Visiteur) du Supérieur Général ; et que c'était celui-ci qui devait faire les nominations importantes, tandis que le Visiteur (Préfet) devait subordonner toute sa conduite au Général et aux constitutions. Dès la fin du siècle dernier, il y eut un grand nombre de Supérieurs qui maintinrent cette théorie, qui visait directement le P. Juanola : nul ne pouvait mettre en cause son poste de remplaçant du Préfet Apostolique, provenant du 563 « Propuse al P. Juanola una de dos cosas : o que fuese a Canarias en este correo, o se encargase él mismo de desvanecer la atmósfera que por su causa se iba formando contra los Superiores. Optó por lo segundo, y lo ha hecho en lo posible, a mi parecer ; de modo que los oficiales del “ Larache ” pudieron convencerse de que no teníamos olvidada la salud corporal del mencionado Padre ». Lettre du P. Ermengol Coll au P. Josep Xifré, du 3 février 1896. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1.

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Saint-Siège ; cependant, en tant que collaborateur du P. Coll pour les affaires internes, son autorité n'avait pas de validité, car le Préfet s'était borné à considérer que le fait d'être le « numéro 2 » de la Préfecture le rendait directement le « numéro 2 » de la curie clarétaine de Malabo, sans avoir effectué une nomination « séparée » de celle de conseilleur (consulteur), ce qui aurait exigé un processus d'élection préalable564 : « Permettez-moi de vous exposer mon doute concernant l'élection des consulteurs locaux de ces Missions africaines. Je suppose que le Rd. P. Supérieur Général tient, pour nous, le rôle de Supérieur Provincial. D’après moi, les nominations, vu leur caractère onéreux, doivent se faire selon le texte stricte de la loi. Or, les consulteurs locaux doivent être élus, d'après les Constitutions, par le Provincial et ses consulteurs. Ici, ils sont élus uniquement par le Visiteur, Rd. P. Préfet. Il paraît que les règles n'autorisent pas le Visiteur à organiser les Maisons, car on les suppose déjà organisées et constituées. La seule chose qu'il puisse faire c'est informer le Provincial des personnes aptes. (...) Si, malgré cela, pour d'autres raisons supérieures on délègue au Rd. Père Préfet le soin d'élire les consulteurs locaux, je crois qu'il serait plus conforme et plus proche à l'accomplissement in extenso de la Règle que ce Visiteur eût au moins des consulteurs, soit pour cet effet, soit pour d'autres affaires d'importance, soit pour qu'il jouisse de moins de liberté » 565. Des lettres de ce genre, écrites « dans le seul but de mettre au clair ce qu’il convient de faire, et pour que se formalise dans la mesure du possible et selon les Règles le régime de ces Missions » 566, me font soupçonner que ce à quoi prétendaient, en fait, un grand nombre de missionnaires, ne 564

Jusqu'en 1904, l'élection des consulteurs provinciaux était à la charge de la curie générale ou du Chapitre Général, qui en nommait 2 ; a partir de ce moment-là, les consulteurs provinciaux furent élus par les Supérieurs des différents Maisons de chaque province. 565 « Con su venia me permitirá que exponga a V. Rma. una duda que tengo sobre la elección de los consultores locales de estas Misiones africanas : Supongo que el Rmo. P. Superior General ejerce para con nosotros el oficio de Superior Provincial. Soy también de parecer que los nombramientos, como onerosos, deben hacerse según el sentido estricto de la ley. Ahora bien, los consultores locales deben ser elegidos, según las Constituciones, por el Provincial con sus consultores. Aquí lo son por el Visitador, Rmo. P. Prefecto, exclusivamente. Las Reglas parece que no facultan al Visitador para organizar las Casas, sino supónenlas ya organizadas y constituidas. Lo único que puede hacer es informar al Provincial de los individuos aptos. (...) Si, a pesar de lo insinuado, por otras razones superiores se delega en el Rmo. P. Prefecto para elegir a los consultores locales, parece que sería más conforme y aproximado al cumplimiento literal de la Regla el que este Visitador tuviese a lo menos consultores, ya para este efecto, ya para otros negocios de trascendencia, ya para que no tenga tanta libertad ». Lettre du P. Josep Estebanell, de la Mission de Banapa, au P. Climent Serrat, du 5 octobre 1902. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 9, Carton 4. Le 30 de ce même mois, le P. Florentino Herrero, de la Mission d'Elobey, adressait une autre lettre au P. Ermengol Coll sur ce même sujet (AG.CMF, même localisation) ce qui paraissait suggérer une activité en coordination. 566 « Con la única y sencilla intención de aclarar lo que convenga, y para que se formalice en lo posible y dentro de las Reglas el régimen de estas Misiones ».

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consistait pas seulement à tenter de réduire l’influence du P. Juanola dans la coupole missionnaire, mais plutôt à dissoudre peu à peu le tandem JuanolaColl : attaquer, d'une manière plus ou moins voilée, le premier, était faisable ; et, vu le vide légal qu'ils avaient trouvé, même plausible ; attaquer directement le deuxième, était, en revanche, impensable dans le contexte de l'époque. Il est indubitable que l'ambiance était houleuse : « Le P. Juanola et ceux de son parti sont furieux contre ceux de Banapa, et disent que c'est nous qui avons provoqué la division : Le P. Feliciano Perez, qui est ici depuis quelque temps, dit que cette Maison s'est autonomisée à cause de ceux de Banapa. Le Père Albanell renchérit parlant des “ embrouilleurs de Banapa ”. Et le P. Fernández ajouta : “ tant que le P. Préfet ne sera pas démis de ses fonctions, il y aura des ennuis dans ces Missions ” ; et le P. Pérez répliqua : “ Si ce n'était le P. Juanola, ces Missions n'existeraient pas ” » 567. Partisans et détracteurs des uns et des autres, dont les affrontements pouvaient remettre en question le système hiérarchique dominant : « Lorsque j'étais à Banapa je reçus une lettre du Rd. P. Sanz qui, à Banapa, entendit le P. Mallén proférer ces mots ou de semblables : “ (...) Le P. Préfet ne peut destituer un Supérieur d'une Maison ou Résidence sans avoir formé préalablement un tribunal où soient mises au clair les causes de sa destitution ”. (...) “ Que dans ces Missions les sujets ne sont pas obligés à obéir, car les Supérieurs ne le sont pas vraiment du fait de ne pas avoir été élus par le Chapitre Général de Cervera en 1895 ”. C'est la raison pour laquelle de Basilé je lui écrivis une lettre lui demandant de répondre aux questions suivantes : 1ère. Par qui devraient être élus les Supérieurs des Résidences. 2e. Quelles étaient les attributions des PP. Provinciaux. 3e. Les PP., peuvent-ils destituer un Supérieur, et pour quelles raisons ? (...) 5e. S'il est au courant des fonctions que le Rd. P. Général m'avait octroyées.(...). Il me répondit en s’excusant et en déplorant le fait que les deux individus qu’il avait consultés interprétèrent ses questions comme un signe de non conformité de sa part aux ordres des Supérieurs » 568. 567

« El P. Juanola y los que son de su partido están rabiosos contra los de Banapá, diciendo que hemos puesto la división : El P. Feliciano Pérez, que hace algún tiempo que está en ésta, dijo que había quedado independiente esta Casa por los (?) de Banapá. El P. Albanell dijo “ por los enredadores de Banapá ”. El P. Fernández dijo : “ Hasta que no quiten al P. Prefecto no irán bien estas Misiones ”. El P. Pérez dijo : “ Si no fuera por el P. Juanola no existirían estas Misiones ” ». Lettre du F. José Lausín, de la Mission de Banapa, au P. Martí Alsina, du 22 février 1902. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 9, Carton 4. 568 « Estando yo en Basilé me escribió el Rdo. P. Sanz que en Banapá oyó del P. Mallén estas o parecidas palabras : (...) “ El P. Prefecto no puede destituir a un Superior de una Casa o Residencia sin formar primero un tribunal en el que se ventilen las causas por las cuales le destituye ”. (...). “ Que en estas Misiones los súbditos no están obligados a obedecer, porque los Superiores no son tales por no haber sido elegidos en el Capítulo General de Cervera en 1895 ”. (...). En vista de todo esto yo le escribí desde Basilé una carta pidiendo que contestase a las preguntas siguientes : 1º Por quién debían ser elegidos los Superiores de las Residencias. 2ª Cuáles eran las atribuciones de los PP. Provinciales. 3ª Si pueden los PP. Provinciales

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Des anecdotes et des incidents qui, si de prime abord ils ne faisaient que refléter une mauvaise entente entre des individus concrets, en vinrent à remettre en cause des sujets aussi importants que l'organisation interne de la Mission guinéenne elle-même et l'autorité de ceux qui détenaient le pouvoir de décision. Je ne tiens pas à affirmer par là qu'il y eut une évolution directe : critiques => situations de mauvaise entente => remise en question de la conduite missionnaire. Et si je ne suis pas en mesure de l'affirmer, c'est, entre autres choses, parce que la documentation ne permet que de lire entre les lignes et parce que la plupart des conflits internes ne durent sûrement pas être transcrits. Je suis d’autre part presque sûr que tel ne fut pas le parcours qui suivit cette évolution. En revanche, je crois que cette agitation sourde qui régnait parmi un grand nombre de clarétains contribua à généraliser l'idée que les choses devaient changer, quoique cette idée - logique et prévisible, compte tenu la croissance de la Mission - devait avoir une consistance et effectivité par elle-même. Face à l'idée de changement, la hiérarchie missionnaire livra bataille tout en se cramponnant aux structures en vigueur : face aux théories de « chaque Supérieur dans sa Maison », « il y a aussi la prépondérance que maintient le P. Juanola sur le P. Préfet », ou bien « les nominations doivent se faire selon le sens stricte de la loi », le Père Coll écrivait : « J'ai reçu d'Elobey une lettre du Rd. P. González où il me manifeste les soucis qu'il doit endurer à cause des PP. Herrero et Pardo. Comme autant l'un que l'autre sont quasiment convaincus que les Supérieurs d'ici ne le sont pas vraiment, et que, par conséquent, ils ne sont pas obligés à leur montrer les lettres, et je ne sais encore quelles autres conclusions, je crois qu’il serait convenable pour résoudre cette affaire de demander à Rome l'autorisation d'avoir des consulteurs afin de pouvoir choisir ensemble les Supérieurs, consulteurs, etc... ou d’agir autrement » 569. Il s'agissait de proposer une solution qui, en fait, était un signe de reconnaissance de l'importance qu'avait atteint le contestation interne. Dans la même lettre le Préfet proposait une solution provisionnelle au conflit légal engagé : « Et si le Rd. P. Général, en accord destituir a un Superior y por qué causas. (...) 5ª Si está enterado de las facultades que el Rmo. P. General difunto me concedió. (...). Él me contestó primero excusándose y lamentando que los dos individuos a quienes había hecho algunas preguntas en tono de consulta, las tomaran en sentido de no estar conforme con las órdenes de los Superiores. (...) ». Lettre du P. Ermengol Coll au P. Climent Serrat, du 3 avril 1900. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 14, Carton 2. 569 « Me escribe el Rdo. P. González desde Elobey que le dan mucho que sufrir los PP. Herrero y Pardo. Como ambos estaban también algo tocados de la doctrina de que los Superiores de ésta no son tales, y que por lo mismo no hay obligación de enseñarles las cartas, y qué sé yo qué otras consecuencias sacan, creo conviene resolver esto pidiendo a Roma autorización para tener yo consultores y poder elegir con ellos Superiores, consultores, etc., o resolverlo de otra manera ». Lettre au P. Martí Alsina, du 17 octobre 1902. AG.CMF, même localisation.

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avec ses consulteurs, confirme que les Supérieurs choisis ont été élus canoniquement, selon les Constitutions, ce dont je suis convaincu, je vous prie de m'écrire cette confirmation afin que je puisse dire à ces PP. qu'ils oublient leurs doutes, que moi, je sais que les Supérieurs sont canoniques ; et il faudra faire la même chose vis à vis des consulteurs. Il convient enfin, à mon avis, que nous sortions une fois pour toutes de cette situation, car ils ne veulent nullement se calmer » 570. Tout changer pour ne rien changer, tel était le but de la hiérarchie ; alors que celui de certains des clarétains consistait à tirer profit de cette faille pour forcer le changement. L'opinion du gouvernement général de la congrégation resta immuable pendant de longues années, pour ce qui est de l’origine et de la généralisation du conflit, tout en gardant l’attitude la plus conservatrice : « Un grand nombre considère qu'il conviendrait de séparer les charges de Vicaire Apostolique et de Quasi Provincial. Il ne serait pas étonnant qu’au cours de nouvelles élections une telle séparation se produisit, ce qui ne laisserait pas de provoquer des perturbations et du désordre. Le gouvernement général doit prévenir les inconvénients que cela peut entrainer » 571. Et si le P. Genover était convaincu qu'une modification du statu quo était inadmissible, il n'en était pas de même pour le P. Coll, qui n’était pas sûr de ce qu'il fallait faire pour mettre fin à la division croissante parmi les individus de la Mission : « Je traverse des moments de tourment intérieur au cours desquels je ne peux prendre aucune résolution sans danger de me tromper, et parfois l’affaire est urgente. Ceci m'arrive notamment lorsqu'il existe quelque friction entre deux individus et les deux veulent avoir raison, et l'un d'entre eux ou les deux ne sont nullement disposés à m'écouter, à adopter la situation qui, à mon avis, serait la meilleure. Parfois, je reporte la résolution ; d'autres je coupe net ; quoi qu'il en soit, il est très difficile de les contenter. Je souffre aussi de la difficulté naissant des relations interpersonnelles, et des changements qui s'avèrent nécessaires à cause des maladies et des cas de mauvais caractères, etc. » 572. 570

« Y como si el Rmo. P. General con sus consultores confirma los Superiores elegidos ya están canónicamente elegidos, según las Constituciones, a mi modo de ver, escríbanme esta confirmación y entonces podré decir a los referidos PP. que se dejen de dudas, que yo sé que son canónicos los Superiores ; y lo mismo debería hacerse sobre los consultores. En fin, convendrá, a mi modo de ver, que salgamos de una vez de este estado, porque no quieren aquietarse ». 571 « Muchos están en que convendría separar los cargos de Vicario Apostólico y de Cuasi Provincial. No sería extraño que en nuevas elecciones se diese el caso de tal separación, la cual no dejaría de traer perturbación y desorden. El Gobierno General debe prevenir los inconvenientes que esto puede acarrear ». Relación de la visita hecha en nombre del Rmo. P. General a las Misiones del golfo de Guinea por el P. Ramón Genover en los meses de octubre y noviembre de 1907. AG.CMF, doc. cit. 572 « Paso a ratos tribulación interior durante la cual no puedo resolver nada sin peligro de errar, y a veces urge el resolver. Esto me pasa sobre todo cuando hay algo de roce entre dos

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Les changements étaient cependant inévitables : les Missions de Guinée dépendirent directement du gouvernement général de la Congrégation jusqu'en 1904. C’est peu après qu'il se produisit tout ce mouvement sournois visant à mettre au clair les compétences de tout un chacun. Jusqu'alors, le Préfet Apostolique faisait fonction, pour ce qui est de la congrégation, de délégué du Supérieur Général. Le Chapitre Général de 1904 permit aux Missions guinéennes d'être considérées comme une presque-Province : le P. Coll, élu Supérieur Provincial, pouvait désormais agir à la tête du nouvel organisme de manière autonome. Ce ne fut qu'en 1912, dans le Chapitre Général tenu à Vic, que devint effective la séparation entre la « Visitation » (organisme de la congrégation) et le Vicariat Apostolique (organisme diocésain)573. Le P. Ermengol Coll en présidait l'évêché, tandis que la congrégation passait à dépendre du P. Nicolás González (qui deviendrait Vicaire Apostolique à la mort de Coll). Le P. Juanola était décédé un mois avant le début de ce Chapitre. Tout ceci est en dehors de la période sujet de mon étude, quoique tout se soit préparé déjà depuis une décennie. Le procès d'instabilité interne provoqué par les disputes inter-missionnaires, fut un des éléments, et peutêtre un des plus importants, qui pesa sur la redéfinition de la Mission, jusqu’à ce qu’elle atteigne une constitution juridique propre. Si les décisions des Chapitres Généraux sont claires et connues de tous, les mouvements internes qui les précédèrent restent, pour la plupart, non répertoriés. J'oserais tenir pour sûr l'existence, à maintes reprises, d'une atmosphère raréfiée par l'énergique exigence de l'observance menée par le P. Coll et par le pouvoir omniprésent du tandem Coll-Juanola : deux ingrédients peu conciliables dans une communauté qui, trop petite, trop limitée et trop isolée, pouvait vivre des mésententes insignifiantes avec une intensité démesurée. Ce n'est qu'à la fin de cette période que nous pouvons trouver, de manière isolée, quelques critiques directes contre le Vicaire de Fernando Póo : « Je m'adresse à vous afin de vous communiquer avec toute sincérité et simplicité ce qui m'est arrivé à plusieurs reprises dans mes rapports avec le P. Vicaire, et qui contribue à ce qu'il ne m'ait pas en grande estime ; et les choses en sont arrivées à un point tel que votre très humble serviteur n'ose rien lui exposer ni rien lui demander, parce que ce serait inutile.(...) J'ai remarqué en outre que si cela lui convient, le P. Vicaire sait mentir. Lorsque votre individuos y los dos quieren la razón, y uno de ellos o los dos no están dispuestos a mi parecer a recibir la solución del caso tal como según entiendo debería ser. A veces difiero la resolución ; otras veces corto por lo sano, y de todos modos es muy difícil dejarlos contentos. También me hace sufrir la dificultad que hallo en la combinación de personal, y cambios que son necesarios por causa de enfermedades y malos genios, etc. ». Lettre au P. Climent Serrat, du 23 mars 1903. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 14, Carton 3. 573 Coll, 1917 ; Facultades..., 1920

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serviteur était à Basilé il m'adressa une lettre où il disait qu'il regrettait beaucoup de me muter, que ce n'était pas ma faute, ni la sienne, mais bien par nécessité, parce que le P. Girón avait dû partir pour cause de maladie. Et ici, il me dit qu'il m'avait fait quitter Basilé parce que votre serviteur était mécontent. Qui pouvait savoir le mieux si j'étais mécontent, moi ou lui ? À Santa Isabel non, je n'aimerais guère, car j'avais habituellement mal à la tête et puis, il y a tant de remue-ménage dans ce coin... » 574. Des querelles donc bien insignifiantes mais qui créaient un malaise et qui durèrent tout le long de cette période : « Au moment du transfert d'un individu, il convient que le Supérieur mitente [qui l’envoie] lui rappelle prudemment qu’il ne peut commenter ni raconter, à l’endroit où il se rend, tout ce qui a pu de produire de peu convenable [dans la Maison mitente] se rapportant soit à quelqu'un en particulier, soit à la communauté. Le Supérieur qui reçoit fera de sorte que l'individu n'entretienne pas de conversations privées avec des mécontents et curieux, lui procurant au plus tôt quelque activité, quoiqu'il ne soit là que de passage. Au cas où le Supérieur apprendrait qu'il a ébruité certaines choses qui devaient rester cachées, il faudra qu’il rende compte à son Supérieur de la conduite de ce sujet, afin que celui-ci agisse avec plus de prudence avant de l'envoyer faire des commissions, des achats, ou des affaires quelconques, etc. » 575. C'est à dire, contrôler les individus afin que les mésententes ne soient pas rendues publiques.

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« La presente tiene por objeto decirle con sinceridad y llaneza algunas cosas que me han ocurrido con el P. Vicario, las cuales contribuyen a que él me tenga en un concepto muy miserable ; y ha llegado ya la cosa a tal estado, que su servidor ya no me atrevo a exponerle ni pedirle nada, por ser inútil. (...) También he observado al P. Vicario que si le conviene sabe mentir. Estando su servidor en Basilé escribió que sentía mucho cambiarme, que no era por mi culpa ni por la suya sino por necesidad, porque había tenido que quitar de aquí al H. Girón por enfermo. Y aquí me dijo que me había quitado de Basilé por estar su servidor descontento. ¿ Quién lo sabía más, si estaba descontento, yo o él ? En Santa Isabel no, que no me gustaría mucho, porque de ordinario tenía dolor de cabeza ; y, además, hay tanto barullo por allí... ». Lettre du F. Bonaventura Artigas, de la Mission d'Elobey, au P. Martí Alsina, du 20 février 1908. AG.CMF, Section G, Série A, Boîte 11, Carton 21. 575 « Al ser trasladado un individuo, procure el Superior mitente amonestarle con prudencia sobre la obligación en que está de no tratar ni comunicar al lugar adonde va de lo que hubiese podido ocurrir de desedificación, ya referente a un individuo particular, ya a la comunidad. El Superior recipiente procure también por su parte que el individuo llegado no tenga conversaciones particulares con descontentos y curiosos, procurándole pronto alguna ocupación, aunque no más esté que de paso. Si después averiguase que ha propalado cosas que tenían que mantenerse reservadas, dé cuenta al Superior propio de la conducta de aquel súbdito, para que así proceda después con mayor cautela antes de mandarle a ejecutar encargos, compras, algún negocio, etc. ». Reunión de varios Superiores de la Cuasi-Provincia de la Guinea Española habida en Basilé los días 6, 7, 8 y 9 de marzo de 1908. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 10, Carton 4.

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Réprimandes, expulsions, doutes, désertions Les plaintes des missionnaires adressées à leurs supérieurs étaient peu habituelles. En revanche, celles des Supérieurs envers leurs subordonnées l'étaient sûrement beaucoup plus, mais on n'en gardait le témoignage que lorsqu'elles concernaient le cadre interne de chaque Mission et arrivaient à être examinées par le Préfet Apostolique. C'est pourquoi la plupart des réprimandes adressées à certains religieux étaient signées par le chef de la Mission : « Je me rendis à Corisco, et j'en fis partir le F. Ollé, après qu'il eut donné publiquement réparation à la communauté. C'est ce qu'il fit se refrénant de son mieux. Maintenant, il se veut obéissant et humble, mais nous pouvons lire sur son visage qu'il doit se retenir. Moi, j'agis comme si de rien n'était. J'ignore s'il a écrit ou s'il écrira à V. Rd. » 576. Il faut dire que le P. Coll mettait du temps à prendre des décisions disciplinaires, et que préalablement il cherchait à recevoir des informations abondantes et contrastées. Une fois qu’il était sûr de la décision à prendre, il la menait à terme avec netteté, d'autant plus si le comportement de la personne concernée indiquait un défaut d'obéissance ; et le châtiment le plus habituel était le déplacement. C'est ce qu’il fit en ce cas-là : « Le Frère Ollé, je lui fis la leçon, je le fis partir de Corisco et l'envoyai finir l'église d'Annobon » 577. Un transfert envisagé pour servir de leçon et qui coûta une maladie à ce Frère : « J'ai dû amener, d'Annobon, le F. Ollé avec moi ; et j'espère que grâce aux soins que nous lui avons administrés, il pourra, Dieu aidant, se tirer d'affaire » 578. D'une manière générale, donc, ces changements et transferts se décidaient en accord avec le Supérieur de chaque Maison, et Coll faisait de son mieux pour ce qui est du personnel : « Au P. Bolados, j'ai dû lui changer un P. et un F. dont ils ne pouvaient s'accommoder. Je suis sûr qu'après cela il voudra que j'en change un autre de ceux que je lui ai envoyés » 579. La plupart des fois, cependant, cette sorte de décisions étaient précédées de toute une série de considérations sur la conduite de l'intéressé ; de sorte que 576

« Fuí a Corisco. Saqué de allí al H. Ollé, haciéndole dar públicamente satisfacción a la comunidad. Lo hizo reprimiéndose mucho. Ahora quiere ser obediente y humilde, pero en la cara se ve que se contiene mucho. Yo le trato como si nada hubiera pasado. No sé si ha escrito o escribirá a V. Rma. ». Lettre du P. Coll au P. Xifré, du 31 juillet 1899. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1. 577 « Al H. Oller le canté la cartilla, le saqué de Corisco y le envié a concluir la iglesia de Annobón ». Lettre au P. Climent Serrat, du 4 novembre 1899. AG.CMF, même localisation. 578 « Al H. Ollé me lo he tenido que traer de Annobón ; y, merced a los cuidados que le hemos prodigado, lo podremos, Dios mediante, sacar a flote ». Idem du 30 septembre 1900. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 14, Carton 2. 579 « Al P. Bolados le he tenido que cambiar un P. y un H. con quienes no se podía avenir. Estoy seguro que luego querrá que cambie algún otro de los que le he enviado ». Idem du 25 juin 1900. AG.CMF, même localisation.

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lorsque, plus tard, la décision était prise, il fallait aller chercher très loin sa justification : « Quelques mots sur le P. Albanell : ce petit Père devient de plus en plus insupportable : il est toujours de mauvaise humeur ; il ne nous supporte pas et nous ne le supportons plus non plus. Mon Dieu ! Il n’accepte aucune remarque ; il n'admet de la part des Frères aucune proposition qui s'oppose à ce qu'il ordonne ; il veut que ce qu'il demande soit fait sans délai, autrement il crie après eux ; et, bien sûr, personne n'aime travailler avec lui. Ce qui m’inquiète le plus c'est qu'il n'a pas l'air de s'apercevoir des réponses brusques qu'il adresse à tous ceux de la Maison, car pour ceux de l'extérieur il se comporte tout autrement » 580. Les relations et les décisions passaient donc toujours par la curie générale, qui, de la sorte, était toujours au courant de tout ce qui se passait et de tout ce que faisaient les missionnaires de censurable. Il est évident que, préalablement, les informations étaient passées par un tamis. Tout cela pouvait s'inscrire dans ce haut niveau d'exigence propre à la congrégation. Là, le P. Coll ne faisait que suivre l'exemple de ses prédécesseurs, qui avaient aussi fait usage des changements de personnel comme un moyen pour assurer, dans chaque Maison, autant la bonne harmonie que l'autorité du Supérieur : « Déjà dans cette Maison [Corisco], je pus me convaincre de ce que le P. Orriols m'avait indiqué ; soit, qu'il existait un schisme complet entre le Supérieur et les sujets. Je parlai à chacun d'entre eux et la seule raison qu'ils surent m'apporter justifiant l’éloignement du Supérieur c'était qu'il était tout le temps très pensif et imaginatif ; qu'ils étaient toujours soupçonneux à son égard, ou qu’il les écoutait en cachette ; qu'il faisait une montagne de la moindre des choses ; et que c'est à cause de cela qu'ils avaient peur de lui, craignant qu'il écrive au gouvernement de la Congrégation ou à votre serviteur des choses mensongères. Et c'est vrai qu'en disant cela ils ont quelque peu raison car, effectivement, le P. Orriols souffre de ce défaut, et je lui en ai fait la remarque à maintes reprises ; mais, si on compare les bonnes qualités dont il est doté, cette misère dont on l'accuse n’est qu'une vétille et un prétexte dont se sert le démon pour introduire cette division et faire de sorte que les sujets n'aient pas de guide ou tout au moins qu'ils vivent comme si le Supérieur leur manquait, car ils ne le considèrent plus en représentant de Dieu mais plutôt en homme tout court et l’ennemi qui leur inflige les pires tourments par son imagination et 580 « Dos palabras sobre el P. Albanell : este Padrecito se pone cada día más inaguantable : está siempre de mal humor, no nos puede sufrir a ninguno y se hace insufrible a todos. ¡ Dios mío ! No escucha con calma ninguna observación ; no admite de los hermanos proposición alguna en contra de lo que manda ; quiere que se haga de repente lo que ordena, si no les grita ; y, claro está, no le gusta a nadie trabajar con él. Lo que más miedo me hace en él es que no le parece que falta ni advierte los desvíos y contestaciones bruscas que da a todos los de casa, pues para los de fuera ya tiene otro trato ». Lettre au P. Martí Alsina, du 12 mars 1902. AG.CMF, même localisation.

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craintes vaines. C'est ce que je fis voir à tout un chacun. Je leur fis voir en outre que ce n'était pas que de l'imagination ni de vaines craintes que ressentait le Supérieur, qu'il y avait en tout cela une grande partie de vrai et de positif, car j'observais en eux (ou chez la plupart) une forte dissipation et très peu d'esprit religieux, un grand intérêt pour la jouissance de leur corps et très peu pour la jouissance de leur âme. Grâce à Dieu, autant le Supérieur que les sujets avouèrent leur culpabilité, et me promirent que désormais ils garderaient une autre conduite. Cependant, je crus nécessaire, ou tout au moins très convenable, d'introduire deux déplacements » 581. D’une manière générale les mesures répressives et corrections qui ont été conservées étaient donc signées par le Préfet Apostolique, mais partaient de dénonciations faites par le Supérieur de chaque Mission lorsque la correction au niveau interne n'avait pas rapporté de résultats : « Au cours de ce trimestre j'ai dû administrer des corrections plutôt sévères au FF. Ollé et Peloa. Au premier, pour son manque de subordination aux Supérieurs locaux ; au deuxième, pour son amour excessif de la délectation sous prétexte de maladie. Le F. Peloa accepta sans rechigner l'avertissement, et on dirait qu'il s'est quelque peu corrigé. Quant au F. Ollé, j'ignore comment il se sent dans son intérieur ; il se montre soumis, mais le P. Guiu me dit qu'il boit trop de vin » 582. 581

« Ya en esta Casa, me convencí de lo que ya me había indicado el P. Orriols ; esto es, que había en ella un completo cisma entre el Superior y los súbditos. Los ví a todos, y no me supieron dar otra razón de esa separación del Superior, sino que éste era muy caviloso e imaginativo ; que siempre sospechaba mal de ellos ; que los escuchaba a escondidas ; y que de una pequeña cosa se imaginaba una gran montaña ; que por esto le temblaban, y temían que escribiera al gobierno de la Congregación o a su servidor cosas que no había, &. &. Verdaderamente, en decir esto tienen algo de razón ; porque, efectivamente, el P. Orriols adolece de este defecto, y ya se lo tengo advertido repetidas veces ; pero, en comparación de las buenas cualidades que por otra parte le adornan, esa miseria de que le acusan no pesa nada y sólo es un pretexto de que el demonio se vale para introducir esa división y hacer que los súbditos estén sin guía o que vivan como si no tuvieran Superior, ya que no le consideran como representante de Dios para gobernarlos sino como un simple hombre y ese enemigo suyo que los atormenta con su imaginación o vanos temores. Así se lo hice ver a todos, y a cada uno en particular. También les hice ver que no todo era imaginación y temores vanos en el Superior, sino que había en ello mucho de real y positivo ; pues observaba en todos (o casi todos) mucha disipación y poco espíritu religioso, mucho interés por regalar el cuerpo y muy poco por regalar el alma. Gracias a Dios, tanto el Superior como los súbditos todos se reconocieron culpables, protestándome que en adelante observarían otra conducta. Sin embargo, creí necesario, o por lo menos muy conveniente, hacer dos cambios ». Lettre du P. Ciríaco Ramírez au P. Xifré, du 31 juillet 1888. AG.CMF, Section G, Série R, Boîte 1, Carton 11. 582 « Durante este trimestre he tenido que dar correcciones algo serias a los HH. Ollé y Peloa. Al primero por su poca subordinación a los Superiores locales ; al segundo por su demasiado amor al regalo cubierto con capa de enfermedad. El H. Peloa recibió muy bien el aviso, se conoce algo de enmienda pero no completa. El H. Ollé no sé cómo estará en su interior ; exteriormente es sumiso, pero me dice el P. Guiu que bebe demasiado vino ». Lettre du P. Ermengol Coll au P. Xifré, du 2 novembre 1896. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1.

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Il y avait des circonstances concrètes où on pouvait s'attendre à une certaine résistance de la part du missionnaire exposé aux décisions du Préfet Apostolique. Par exemple, quand celui-ci décidait le changement de Supérieurs entraînant quelque destitution. Dans ces cas-là, on prenait des précautions : « En partant pour la Péninsule, le Rd. P. Préfet laissa la disposition suivante : Qu'une fois le Rd. P. J. Guiu remis de sa maladie, il vînt ici comme Supérieur et que le P. Aymemí passât à celle de Santa Isabel comme intérimaire. Si bien que j'espère que V. R., au moment de l'arrivée du Rd. P. Guiu, lui remettra la charge et tout ce qui s'y rapporte. Vous pouvez continuer ici comme le bras droit du P. Supérieur. Cependant, si tout cela était trop pénible ou trop humiliant (ce que je ne crois pas) écrivez-moi et tout s'arrangera » 583. Tout ce que je viens de rapporter fait référence aux relations internes qu’entretenaient ces missionnaires. Les difficultés que comprennent les relations interpersonnelles sont quelque chose de tout à fait normal et prévisible au sein d'un quelconque groupe, d'autant plus dans des circonstances qui l'obligent à se renfermer sur lui même. Dans le cas des clarétains il existait un isolement complet, produit par leur position idéologique et géographique - dans cette colonie, qui causa de tels problèmes que les Supérieurs, dans l'exercice d'une autorité qu'ils croyaient incontestable, cherchèrent à résoudre au moyen de mesures répressives et de décisions disciplinaires de toute sorte. Il existait cependant bien d’autres problèmes qui devaient à leur tour entraîner toute une série de réprimandes et de châtiments : les relations « perverses » que certains missionnaires entretenaient avec leur entourage. Il faut dire que de tels faits qui maintenant nous paraîtraient évidents, ceux d'Annobon et du Cap de Saint Jean par exemple, reçurent une sanction plutôt ambiguë de la part de la hiérarchie clarétaine. En revanche, ceux que la congrégation considérait comme les plus scandaleux, et qui comportaient, dès qu’ils étaient connus, et selon les règles des religieux, une expulsion immédiate, étaient les relations sexuelles que maintenaient certains missionnaires avec des femmes ou des jeunes filles noires : « Je crois 583

« Al salir para la Península, el Rmo. P. Prefecto dejó determinado lo que sigue : Que, una vez repuesto el Rdo. P. J. Guiu de su enfermedad, pasase a ésa, con el cargo de Superior, y se viniera el Rdo. P. Aymemí a ésta de Santa Isabel interinamente. Así que espero de V.R. que, en llegando a ésa el Rdo. P. Guiu, le entregará el cargo con todo lo referente al mismo. V. puede seguir en ésa como brazo derecho del P. Superior. Sin embargo, si a V. le fuese muy dificultoso o humillante (lo que no creo), escríbame V., que todo se arreglará ». Lettre du P. Joaquim Juanola au P. Pere Sala, jusqu'alors Supérieur de la Maison de Batete, du 7 mars 1897. APG.CMF, Copiador de cartas y telegramas de la Administración de Santa Isabel, document non catalogué, f. 190 et 191.

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convenable de transférer le P. Aineto à la Péninsule, car il a perdu le concept de bon missionnaire propter mulieres584. À l'époque du Rd. P. Ramírez, lapsus est in tactus graves cum infideli, nunc fideli, et juxta puellæ declarationem etiam semel in actum...585 ; et ceci est devenu public parce que c'est elle qui l'a ébruité, si bien que je lui imposai, tant s'en faut, le silence le plus rigoureux. Il avoue sa première faute mais pas la deuxième ; cependant, il m'a assuré que l'affaire avait été réglée avec le P. Ramírez. Il fit trois jours de retraite et me promit que désormais il serait plus prudent. Étant donné que la... est une élève des religieuses et qu'il avait en outre un certain penchant pour une autre fille, je lui interdis de les confesser. Toutefois, comme il a été accusé d'avoir agi de même avec d'autres personnes, et qu'il s’est montré pour le moins très imprudent avec certaines d'entre elles, s'enfermant dans l'école avec une fille, sous prétexte de la réprimander, restant trop souvent à la conciergerie avec d'autres qui veulent avoir les mœurs les plus libres du village, qui se confessaient toutes à lui, et ayant trouvé un papier anonyme destiné à l'une d'entre elles, etc., je me suis vu dans l'obligation de lui retirer de manière provisoire la licence de confesseur et de le laisser aller seul à la conciergerie. En bref, je lui ai coupé toute relation avec ceux de l'extérieur. Or, vu sa faiblesse et son caractère indépendant, il ne peut pas être affecté à une autre Mission, car il les verrait souvent in puris naturalibus586, d'autant plus au cours des expéditions dans les villages, notamment bubis ; c'est pourquoi, je prie à V. Rd. de l'envoyer dans l'autre expédition de la Transatlantique » 587. À la longue on découvrit que le P. Aineto avait « fréquenté » plusieurs filles, ce 584

« À propos des femmes ». « Il eut des attouchements impurs avec une infidèle, qui est maintenant fidèle [qui s'est convertie] et, d'après la déclaration de la fille, une fois même des relations [d'ordre sexuel]... ». 586 « Dans leur état purement naturel ». 587 « Creo muy conveniente trasladar al P. Ayneto a la Península, por haber perdido el concepto de buen misionero propter mulieres. En tiempo del Rmo. P. Ramírez, lapsus est in tactus graves cum infideli, nunc fideli, et juxta puellæ declarationem etiam semel in actum... ; y esto se ha hecho algo público por haberlo divulgado ella, a quien impuse desde luego riguroso silencio. Él confiesa lo primero, mas no lo segundo ; pero me aseguró que todo quedó arreglado con el P. Ramírez. Hizo tres días de retiro y prometió ser más cauto. Como la... es educanda de las religiosas y tenía además alguna inclinación a otra de ellas, le retiré las licencias de confesarlas. Mas, como le han hecho otras acusaciones sobre lo mismo con otras personas, y él ha sido por lo menos muy imprudente con algunas de ellas, como encerrarse en la escuela con una, dice él para reprenderla, y estar demasiado con otras en la portería, y éstas de las más libres del pueblo, que todas se confesaban con él, y haberle encontrado un papel anónimo para una de ellas, etc., me he creído en el deber de retirarle interinamente las licencias de confesar [y] de ir a la portería solo. En una palabra, le he cortado toda relación con los de fuera. Como, por su fragilidad y carácter independiente, no puede ser destinado en otra de estas Misiones, por verlas muchas veces in puris naturalibus, sobre todo en las expediciones a los pueblos, especialmente bubis, por esto propongo a V. Rma. mandarlo en la otra expedición del Transatlántico [la Transatlántica] ». Lettre du P. Pere Vall-llovera au P. Xifré, du 3 mai 1890. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 10, Carton 8. 585

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qui souleva un gros scandale dans la colonie - et c'est ce que les autorités clarétaines détestaient le plus - ; et, bien entendu, il fut expulsé : « Comme il n’arrête pas d'écrire, et que nous ne cessons d’entendre par ci par là le récit de bien d'autres souillures, et qu'il dit qu’il va revenir, nous nous sommes vus obligés de déclarer publiquement, quoique tout le monde l'imaginait déjà, que ce Père n'était plus missionnaire et qu'il avait été séparé de notre corps. Il s'est beaucoup corrigé ; mais le mal fut énorme et nous ne pouvions plus nous taire. Que Dieu nous préserve que quelqu'un puisse croire qu'il a été réadmis parmi nous. Deux de ses filles préférées ont livré leur âme à Dieu, mais elles eurent une mort digne, et je pus les assister jusqu'à leur dernier moment » 588. Un missionnaire maintenant des relations intimes avec plusieurs femmes. Or le contrôle qu'exerçaient les missionnaires sur eux-mêmes et sur les autres devait être efficace, car ce cas est le seul qui soit signalé. Ou, plutôt, le seul cas signalé et prouvé ; car, s’il y eut d'autres cas de clarétains courant le « danger » de pêcher contre le sixième. commandement, on ne parvint jamais à constater rien de concret. Dans le cas du P. Josep Vera, par exemple : « Il y a en outre le P. Vera, pour qui le seul fait de voir une femme est une grave tentation ; de sorte que toute occasion qui pour les autres serait envisagée comme quelque chose d'éloigné, devient très proche pour lui » 589. Ce Père arriva à demander lui-même son transfert ; car, comme je l'ai signalé dans un autre chapitre, la nudité des femmes Bubis causait pas mal de tracas à un grand nombre de missionnaires : « Dans ma lettre antérieure, je manifestais à V. Rd. la possibilité d'envoyer le Rd. P. Vera à la Péninsule, vu sa faiblesse circa sextum590; plus tard, il demanda lui-même son transfert car, à cause de la tenue des gens du pays, quævis mulier est ipsi in scandalum591 »592. Vera finit ses jours dans les Missions d'Argentine. 588 « Como no para de escribir por aquí, y no cesando de tanto en tanto de oírse relatar algunos lunares más, y que va a volver a ésta, nos hemos visto obligados a declarar al público, por más que se suponía ya, que el tal Padre ya no es misionero y que está separado de nuestro cuerpo. Mucho se ha remediado ; mas el mal fue inmenso y no podíamos callar, Dios nos libre, que ni siquiera se pudiese creer que otra vez se le admitió entre nosotros. Dos de las que él quiso más han dado ya cuenta a Dios, pero murieron bien, una y otra, y por fortuna yo las pude asistir hasta su última hora ». Lettre du P. Joaquim Juanola au P. Climent Serrat, du 7 juillet 1891. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 8, Carton 8. 589 « Extat insuper P. Vera cui visus cujuscumque mulieris causa est gravis tentationis, ita ut occasio qua pro aliis remota est ei vertatur in proxima ». Lettre du P. Coll au P. Xifré, du 23 septembre 1898. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1. 590 « Par rapport au sixième [commandement] ». 591 « Toute femme est un scandale pour lui ». L'usage du latin dans ces lettres obéissait à une discretion qu'exigeait le commentaire de sujets de ce genre, et par la crainte des clarétains que leur correspondance ne fut interceptée par les gouverneurs. Ils se servaient donc de la langue sainte comme langage secret. 592 « En mi anterior, manifestaba a V. Rma. la probabilidad de tener que enviar a la Península al Rdo. P. Vera, por su debilidad circa sextum ; posteriormente él mismo pidió su traslado

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Pour ce qui est de cette dernière affaire, les lettres parlent de tentations, de penchants, mais jamais d'actes. Celle du F. José Padillano est plus éclairante : elle montre que, quoiqu'il s'agisse d'une congrégation où étaient dictées six ou sept expulsions par an, il y avait une réticence à appliquer de telles mesures à moins que la conduite du missionnaire mis en question ne se soit répandue publiquement ; et, encore, cette transcendance devait faire référence, de manière claire, à l'acte sexuel et non pas à une quelconque conduite « suspecte » : « Le F. Padillano a montré une telle indiscrétion tout le long du voyage, qu’autant à bord de l'” Alfonso XII ”, qui va de Barcelone à Cadis, que dans le “ Larache ”, de Cadis à Fernando Póo, il a scandalisé les passagers par ses libertés à l'égard des dames et des Sœurs. Avec ces dernières, notamment la plus jeune, il la prenait parfois par la main, et même par la taille, sans se gêner ni penser qu'il portait une soutane ; de sorte qu'y compris M. le gouverneur lui-même, fut vite mis au courant de toutes les critiques que sa conduite avait soulevées. M. le gouverneur me le reprocha aussitôt et ajouta : “ Comment peut-on envoyer aux Missions de tels sujets ? ”. Je me défendis tant bien que mal, en disant qu'ils quittent parfois le noviciat pleins de ferveur, et comptant sur la confiance de leurs Supérieurs principaux qui, du fait qu'ils ne sont plus sous leur responsabilité, continuent à garder une bonne opinion d'eux, bien que certains changent plus tard » 593. Le F. Padillano passa toute sa vie dans la congrégation, bien que sa conduite exposât tout le collectif à la raillerie publique : le topique d'un religieux et une bonne Sœur suffisait à soulever la moquerie et la risée dans une société coloniale qui tournait le dos aux missionnaires et qui était prête à profiter de toute occasion pour les discréditer. Or, nous parlons d'un comportement léger et non pas d'une relation perpétrée... tout au moins c’est ainsi qu’elle apparaît dans la documentation ; et le P. Coll recourut une fois de plus à une politique de transferts pour éviter le pire. Le même paragraphe conclut : « Celui-ci est le troisième des FF. tailleurs que je ne peux pas porque, atendido cómo van vestidos la gente en estas tierras, quævis mulier est ipsi in scandalum ». Lettre du P. Coll au P. Xifré, du 16 octobre 1898. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 16, Carton 1. 593 « El H. Padillano ha sido tan indiscreto durante todo el viaje, que tanto en el “ Alfonso XII ” desde Barcelona a Cádiz como en el “ Larache ” desde Cádiz a Fernando Póo ha escandalizado a los pasajeros con sus libertades con las señoras y con las monjas. A estas últimas, sobre todo a la más joven, a veces la tomaba de la mano, hasta alguna vez de la cintura, sin cautelarse ni pensar que llevaba sotana ; de manera que hasta al Sr. Gobernador enteraron enseguida de lo mucho que había dado que hablar, y el Sr. Gobernador me lo echó en cara enseguida, añadiendo : “ ¿ Cómo mandan a estas Misiones sujetos así ? ”. Me defendí como pude, diciendo que a veces salen del noviciado fervorosos y mereciendo la confianza de los Superiores principales, quienes, no teniéndoles bajo su cuidado inmediato, continúan en su buen concepto aunque algunos después cambien ». Idem du 3 février 1896. AG.CMF, même localisation.

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envoyer dans les villages ou Missions où il y ait une femme. Que Dieu soit bénit ! » 594. De sorte que le mal était plutôt répandu, bien que, comme il fallait s'y attendre, la documentation ne parle que de quelques cas qui concernaient notamment les coadjuteurs (encore eux !), et qui se résolvaient en leur octroyant une destination « adéquate ». Il s’agit là d’affaires que nous pouvons considérer aujourd’hui avec bienveillance. Mais dans le contexte de l'époque, dans un monde catholique qui considérait ces actions comme les pêchés les plus abominables, dans une congrégation consacrée justement à la régénération des mœurs, dans une Mission obstinée à faire changer les valeurs morales autant de la société indigène que de la coloniale, cette sorte de « faux pas » devaient sans doute nuire à la réputation et à la crédibilité des missionnaires. D'autre part, et d'après les exemples contenus dans la documentation incomplète qu'on en a conservé, les colons firent appel, en guise d'arme contre les clarétains, à l'insinuation malveillante, voire à la calomnie en matière de chasteté. Une des victimes, et ce ne fut pas la seule, fut le P. Jaume Pinosa, un des chefs de file de la Mission-insigne de Batete : « Un jour il [le gouverneur José de la Puente] me demanda de me rendre à Basilé en secret, parce qu'il voulait, entre autres choses, passer pour un bon catholique, et au bout d'un moment il me rapporta l'accusation colportée par les protestants contre le P. Pinosa : il avait sollicité deux femmes. Si l'affaire avait été toute autre, je lui aurais demandé de l'examiner légalement ; mais comment un missionnaire pourrait-il aborder un sujet de telle nature sans se sentir gêné ?, d'autant plus que les protestants n'auraient pas manqué de témoins. Je me rendis donc sur place et par ce qui m'arriva à moi, je déduis la vérité sur ce qui était arrivé au P. Pinosa : comme un Kruman avait affirmé très formellement que c'était à Botinos que le Père avait voulu séduire (il ne fut jamais qu'accusé de désirs), je me rendis donc à Botinos avec quelques Krumen de Vivour qui étaient au courant de ce qui était arrivé au P. Pinosa, afin de me renseigner en détail. En arrivant à la plage je leur dis d'appeler les deux femmes présumées complices. Elles se mirent aussitôt à rire, car elles supposaient que je les appelais dans des mauvaises intentions. C'est alors que je compris que le P. Pinosa avait dû appeler les deux femmes pour leur dire quelque chose et elles crurent que c'était dans des mauvaises intentions » 595. L'anecdote peut paraître plus ou moins amusante, ou plus ou 594

« Con éste, son ya tres los HH. sastres que no puedo poner en su oficio en pueblos o Misiones donde haya alguna mujer. ¡Bendito sea Dios! ». 595 « En otra ocasión me llamó a Basilé con mucho secreto, porque quería por otra parte pasar por buen católico, y luego de estar en su compañía me manifestó una acusación hecha por los protestantes contra el P. Pinosa de haber solicitado a dos mujeres. A haber versado el caso sobre otra materia, estaba por haberle pedido que se examinara jurídicamente ; pero tratándose de cosas de esta naturaleza, sólo el menearlas era bochornoso a un misionero, y por otra parte a los protestantes les hubieran sobrado testigos. Fuí a examinar el caso adonde

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moins fondée ; cependant, elle prouve que c'était un domaine propice à l'attaque facile pour ceux qui ne ressentaient aucune sympathie pour la Mission. Quoi qu'il en soit, la conviction de l'innocence du P. Pinosa de la part du P. Coll entraîna une réaction inattendue : « Cependant, et vu que le P. Pinosa leur avait donné quelque broutille, et vu la malice autant de ceux qui auraient dû les juger que des accusateurs, je crus plus prudent, sans faire de bruit, de l'envoyer à la Péninsule » 596. Il est vrai que cet épisode doit s'inscrire dans un moment du mandat du gouverneur Puente, difficile pour les missionnaires ; mais on ne peut qu’être surpris de ce châtiment infligé à un missionnaire tenu pour innocent si on le compare à la réaction du P. Coll dans des cas comme celui du F. Padillano que l'on vient de voir. Parfois, l'arrière-pensée était encore plus maladroite : « À l'issu d'un entretien entre les Pères et Frères et les bonnes Sœurs, M. [Francisco de Paula] Guarro trouva un prétexte pour calomnier le P. [Julián] García auprès de M. le gouverneur, si bien que celui-ci écrivit au Rd. P. Général que le choix de ce Père pour venir ici ne lui paraissait pas très réussi car déjà à bord du bateau il avait soulevé un grand scandale. Nous fîmes nousmême un sondage auprès du P. García, du P. Estebanell et du F. Padillano, qui ne surent rien trouver qui justifiât le scandale qui avait tant frappé M. le Secrétaire. Nous demandâmes ensuite aux Sœurs, qui ne surent non plus nous rapporter aucun acte ou parole ayant pu causer une mauvaise impression à quiconque. Enfin, au bout de quelques mois, nous apprîmes ce à quoi faisait référence ce M. Guarro : au cours d'un repas, et lorsqu'ils prenaient le dessert composé de bananes ce jour-là : “ Comme je les aime ! ”, s'exclama une des Sœurs, “ Je vais en emporter une dans ma cabine pour la manger plus tard ”. “ Vous ignorez ”, répliqua alors le P. García, “ que notre cellule ne peut rien contenir qui nous serve de réconfortant ? ”, faisant référence à ce qu'avait dit le P. Rodríguez à propos de la mortification. Et voilà la phrase scandaleuse qui souleva tant de bruit parmi certains membres de la colonie. Sans que cela enlève l’idée de la

había sucedido, y de lo que a mí me pasó deduje la verdad de lo que al P. Pinosa había pasado : porque habiendo un krumán dicho con mucha formalidad que en Botinós era donde el referido Padre había querido seducir (nunca le acusaron sino de deseos), yo fuí a Botinós con algunos krumanes de Vivour sabedores de lo que había pasado al P. Pinosa, para enterarme menudamente del caso. Al saltar a la playa les dije que llamasen a las dos mujeres presupuestas cómplices ; y enseguida se pusieron a reír, de manera que creían que las llamaba para mal fin. Con esto comprendí que el P. Pinosa llamaría a las dos mujeres para decirles algo, y ellas o ellos creyeron que era con mala intención ». [Coll, Ermengol] (circa 1908), Crónica de la Casa-Misión de Sta. Isabel. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 6, Carton 1, p. 77-78. 596 « Con todo, porque el P. Pinosa les había dado alguna niñería antes, y la malicia de los que hubieran tenido que juzgar era tanta como la de los acusadores, creí más prudente, sin hacer más ruido, enviarlo a la Península ». Ibidem, p. 78.

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“ guarreria ” de ce M. Guarro597, qui ne cessa de manifester sa malice et mauvaise volonté, cette phrase est considérée scandaleuse dans certains endroits de l'Amérique pour sa malice et le double sens que certains pervers et vicieux attribuent au mot “ banane ” » 598. À propos d'innombrables sujets donc, nous pouvons deviner l'existence du problème et du profit que surent en tirer les colons, au-delà des traces qui en sont restées. Dans une communauté formée de 80 missionnaires hommes, il est évident qu'il devait se produire, de temps en temps, quelque « faux pas ». Beaucoup plus que ce que nous apprend la documentation. Bien moins que ceux que les colons auraient souhaités. L’observance de la chasteté était, effectivement, une des obsessions des missionnaires. Un engagement qu’ils prenaient comme signe de leur vocation. Le fait de porter fréquemment atteinte à cet engagement était considéré un signe de faiblesse. Et pour ce qui est des abandons dont plusieurs missionnaires furent les protagonistes tout au long de ces années, les difficultés qui se rapportaient à ce vœu de pureté furent très fréquentes : « Je soussigné juge bon vous solliciter à nouveau, comme je vous l’indiquai dans ma lettre du 9 juillet et 31 octobre, la dispense des trois vœux de pauvreté, chasteté et obéissance, vu l'impossibilité pour moi de les garder, notamment celui de chasteté, depuis déjà plus de 20 ans. (...) Je suis convaincu, mon cher Père, que si je quittais l'Institut et je contractais mariage, je pourrais sans doute assurer le salut de mon âme » 599. 597

Jeu de mots intraduisible : en espagnol, ‘ guarro ’ signifie ‘cochon’ ; ‘ guarrería ’ = ‘ cochonnerie ’. 598 « De una conversación que tuvieron los referidos Padre y Hermano con las Hermanas tomó el Sr. Guarro ocasión de calumniar al P. García ante el Sr. Gobernador, de manera que éste escribió al Rmo. P. General que la elección del referido Padre para venir a estas tierras no le parecía acertada, pues había dado en el barco un grande escándalo. Examinamos nosotros al P. García, al P. Estebanell y al H. Padillano sobre lo ocurrido en el barco, y nada sabían encontrar que hubiese podido dar el escándalo que tanto había afectado al Sr. Secretario. Preguntamos a las Hermanas, las cuales tampoco sabían darnos razón de ninguna obra o palabra que hubiese podido causar mala impresión a nadie. Por fin, al cabo de algunos meses supimos a qué aludía el mencionado Sr. Guarro ; y fue que estando comiendo los postres habían puesto plátanos aquel día. Cuánto me gustan ! ”, dijo una de las Hermanas. “ Voy a llevarme uno al camarote para comérmelo después ”. “ ¿ No sabe V. ”, dijo entonces el P. García, “ que no podemos tener en nuestra celda nada con qué consolarnos ? ”, refiriéndose a lo que dice el P. Rodríguez al tratar de la mortificación. Ésta fue la frase escandalosa que tanto ruido hizo entre algunos de esta colonia. Sin quitar nada de la guarrería de ese Señor Guarro, cuya malicia y pésima voluntad manifestó en mil ocasiones, esa frase pasa plaza de escandalosa en algunos lugares de América por la malicia y doble sentido que algunos perversos y viciosos atribuyen a la palabra banana o plátano ». Ibidem, p. 82-83. 599 « El infrascrito tiene a bien solicitar nuevamente, como ya le indiqué con fecha 9 de julio y 31 de octubre, la dispensa de los tres votos de pobreza, castidad y obediencia, por la imposibilidad que siento de guardar, mayormente el de castidad, desde hace más de veinte años. (...) Estoy convencido, mi amado Padre, que saliendo del Instituto y tomando estado de

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Il est vrai qu'une fois de plus nous devons croire qu'un grand nombre de cas ne fut pas signalé et que, en outre, un grand nombre d'entre eux n'entraîna pas le départ de la pesonne concernée de la congrégation. Or, la documentation clarétaine conservée ne se réfère, à ce sujet, qu'à ces missionnaires qui quittèrent l'Institut ; et la plupart des documents présentent un caractère d'ambiguité. C'est pourquoi il est sans doute difficile de rapporter la chasteté à des affirmations comme celles qui suivent : « Dans une autre lettre, j'exposai à V. Rd. les raisons pour lesquelles il ne convient nullement pour le bien de mon âme de rester en religion : ma répugnance constante et ferme à cet état duquel il découle que je dois mener une triste vie, triste et mélancolique ; et, par conséquent, je n'ai accompli ni n’ai le courage d'accomplir les devoirs essentiels d'un état pour lequel je ne ressens aucun penchant, de sorte que cette voie, qui pour certains mène tout droit au paradis, est devenue pour moi le chemin de l'enfer » 600. On dirait que les « devoirs essentiels » de l'état religieux devaient être les trois vœux majeurs : croire que le P. Mercader parlait de difficultés pour suivre le vœu de chasteté (ce qui ne veut nullement dire que cette qualité lui ait fait défaut) n'est qu'une impression : être en défaut avec le vœu d'obéissance aurait plutôt entraîné une repression de la part des Supérieurs, mais jamais une lettre personnelle de l'intéressé ; quant à la pauvreté personnelle, elle était pratiquement assurée par le fait de vivre au sein d'une communauté. L'usage d'un langage obscur et secret me fait supposer tout cela - « Dans une autre lettre je vous exposai de manière plus explicite ces deux raisons, si bien que je ne crois pas nécessaire d’y revenir » 601 -, et surtout le fait que tout cela, langage et ambiguïté, fut une constante dans les cas d'abandon, tout comme s'il s'agissait d'un sous-entendu : « Je vous prierais de bien vouloir prendre en main l'affaire expos´é dans une des lettres que j'avais adressées au Rd. P. Général et que celui-ci avait envoyé à V.R. au début mars, à savoir : l’obtention immédiate de la dispense de mes vœux religieux, dispense que je me vois forcé à vous demander vu l'impossibilité pour moi de

matrimonio puedo asegurar mejor la salvación de mi alma ». Lettre du F. Antonio Salvador au P. Martí Alsina, du 2 janvier 1914. AG.CMF, Section G, Série S, Boîte 2, Carton 21. 600 « En otra le expuse a su Rma. las razones y motivos por los que no conviene al bien de mi alma seguir en la religión : mi constante y firme repugnancia a este estado, de lo cual se sigue que he de vivir una vida triste, muy triste y melancólica ; y, lo que también es consecuencia de lo anterior, que no he cumplido ni me veo con ánimo de cumplir las obligaciones esenciales de un estado al que no siento inclinación alguna, convirtiéndoseme de este modo en camino del infierno el que a tantos guía al paraíso ». Lettre du P. Joan Mercader au P. Climent Serrat, s/d [circa 1904]. AG.CMF, Section G, Série M, Boîte 9, Carton 7. Tout compte fait, le P. Mercader resta dans la congrégation jusqu'à sa mort. 601 « En otra le expuse más explícitamente estas dos razones, por lo cual no es necesario que lo haga ahora ». Ibidem.

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me plier à l'accomplissement des susdits vœux ou engagements. J'espère ne pas être obligé à donner d’autres détails » 602. À la différence d'autres cas que j'ai cités antérieurement, il ne s'agit plus maintenant d'affaires d’incidence publique, fondées sur une base réelle ou imaginaire, mais plutôt de problèmes de conscience de certains missionnaires qui, soit pour une cause plus humaine comme par exemple la sexualité, soit pour toute autre chose, se virent obligés à communiquer leurs doutes et leurs résolutions à la congrégation afin de pouvoir en sortir. Il ne s'agit pas de cas exceptionnels mais qui se reproduisirent au contraire à intervalles rapprochés : parmi les missionnaires destinés en Guinée au cours de la période sujet de mon étude, il n'y en que 15 de signalés (6,6%) alors qu'il y eut en réalité 28 missionnaires (12,4%) qui abandonnèrent la congrégation pour des raisons le plus souvent non signalées : un chiffre plutôt élevé qui comprenait 11 curés et 17 frères coadjuteurs ; auquel il faudrait ajouter tous ces cas qui n'ont sans doute pas été consignés ou qui ne furent pas considérés comme très graves pour l'Institut. Il est vrai que les conditions du mode de vie des missionnaires de la Guinée devaient avoir une influence dans un si grand nombre de désertions : l'intense activité et la rigueur de la discipline ; le dévouement absolu et le contrôle minutieux ; l'hostilité des colons et l'opposition des indigènes ; les mésententes personnelles et la répression de la hierarchie ; le danger de perdre la vie et les maladies constantes... tant de circonstances sont à considérer au moment de faire l'évoluation des chiffres. Or, on ne peut s'empêcher d'être surpris par le fait que, dans les cas consignés, un nombre très important de missionnaires avouait une absence de vocation qui traînait depuis très longtemps, comme par exemple le F. Salvador, qui lutta pour la chasteté pendant 20 ans. Un drame personnel enduré à contre-cœur pendant de très longues périodes : « L'année que je passai au noviciat fut tragique, car si d'une part j'aurais souhaité repartir et je n'osais pas parce que j'avais honte de regagner mon village, de l'autre je n'étais pas en disposition de professer dans cet état ; si bien que j'avais envisagé, ne serait-ce que pour me tirer de l'embarras, d'effectuer une profession simulée et rien que pour sauver la face. Déjà au noviciat le confesseur me conseilla qu'il serait mieux que je retourne à la vie mondaine, quoique pour les raisons citées je n'en eus 602

« Tenga a bien el poner manos en el asunto que indicaba una carta mía dirigida al Rmo. P. General y que dicho Rmo. P. mandó a V.R. en los primeros días de marzo, a saber : la inmediata consecución de la dispensa de mis votos religiosos, la cual dispensa me veo impulsado a pedirle por la imposibilidad en que me hallo del cumplimiento de los susodichos votos o compromisos (...) Supongo que no tendré necesidad de bajar a más pormenores ». Lettre du F. Esteban Goñi au P. Felipe Maroto, du 12 avril 1918. AG.CMF, Section G, Série G, Boîte 12, Carton 21.

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pas le courage » 603. Des cas de conscience que, je le répète, arrivaient au point de créer des drames personnels aussi bien que des situations embarrassantes. Le Frère Rebollo lui-même affirmait : « J'ai beau avoir de très bons confesseurs, je me vois obligé à ne pas communier bien des fois ; si cela est critiqué les jours ordinaires, cela l'est bien plus les jours fériés. Sans compter qu'on critique aussi le fait que j'aille si souvent me confesser, et ceci pendant un si long moment, d'autant quand ils voient qu'ensuite je pars sans l'absolution et que le lendemain, quoique férié, je ne prends pas la communion » 604. Des frustrations qui duraient la moitié de leur vie. C'est justement un des missionnaires qui resta dans la congrégation, malgré cette absence de vocation qu'il traîna pendant des années, qui nous en fournit l'explication : « Lorsque j'étais postulant j'avais toujours répété que, loin de me sentir poussé vers l'état religieux, je ressentais une profonde répugnance. Au début, mes maîtres me dirent que ceci arrivait à tous. Plus tard, quand j'étais sur le point d'entrer au noviciat, je pleurais en cachette parce que les maîtres me mettaient dans l'alternative de “ soit aller au noviciat, soit être indefectiblement condamné ”. Je ne voulus plus rien entendre et je me rendis au noviciat. Là, la tentation me poursuivit toute l'année ; mais la conviction que si je ne professais pas je me condamnais, et la croyance superstitieuse que le P. Sánchez [le maître des novices] agissait mû par Dieu et inspiré par Lui-même [en lui conseillant de ne pas abandonner], et puis les menaces terribles contre ceux qui quittaient le noviciat, et les effrayants récitspunitions de ceux qui étaient partis, firent que je passai un noviciat affreux. Mais je m'en tirai quand même. Nouveau profès, dans mon premier rapport au P. Carpi, le seul souvenir que je garde de ce que je lui dis c'est la grande tristesse qui m'envahissait pour avoir professé. Quelles tristes journées et quelles tristes promenades quand je pensais qu'il n'y avait plus rien a faire ! “ Il n'y a plus rien à faire ! ” me disais-je, et j'essayais de me consoler en me disant qu'une fois ordonné tout serait différent ; et surtout je me consolais espérant qu'il surviendrait quelque révolution ou une guerre civile, et

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« Mi año de noviciado fue tremendo, pues por una parte deseaba volverme y no me atrevía por la vergüenza que sentía de volver al pueblo, y por otra no estaba en disposición de profesar en este estado ; de tal modo que hasta había pensado, para salir del paso, hacer una profesión fingida y sólo por ceremonia. Y en el mismo noviciado ya se me aconsejó también por el confesor que me sería mejor salir a vivir al mundo, aunque por las razones dichas no me atreví ». Lettre du F. José Rebollo au P. Martí Alsina, du 8 janvier 1914. AG.CMF, Section G, Série R, Boîte 2, Carton 1. 604 « Por buenos confesores que tenga me veo obligado a dejar la comunión muchos días. Esto, aun en días ordinarios, ya es uno muy notado, y el dejarlo en días festivos mucho más. También es uno muy notado y llama la atención el estar con tanta frecuencia y tanto rato confesándose, sobre todo si después de esto ven que uno se levanta sin absolución y que al día siguiente, aunque sea fiesta, no comulga ». Ibidem.

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qu'alors je pourrais briser les chaînes qui m'emprisonnaient » 605. Il s'agit là d'informations qui s'accordent au contrôle strict des individus, et le sentiment paternaliste des Supérieurs envers les étudiants : c'était que ces premiers savaient vraiment ce qui était le plus convenable pour les seconds. En de telles circonstances, envoyer aux Missions guinéennes des individus qui doutaient de leur propre vocation pouvait générer un stimulus, la révélation, parmi tant de doutes, de leur propre voie : « C'est avec un grand plaisir que je reviens de mon plein gré, si ainsi me l’ordonne-t-on, pour passer les quelques jours qui me restent au service de ces pauvres petits noirs. Le seul sentiment qui affligera ma conscience à l'heure de ma mort c'est de ne pas avoir pu me sacrifier de plus près pour le bien de ces malheureux » 606. Dans d'autres cas, en revanche, les déboires endurés aux Missions de Fernando Póo pouvaient s'ajouter à d'autres griefs accumulés et qui, à la fin, faisaient abandonner l'Institut : « Si on savait ce que cela représente d’avoir perdu son temps à Fernando Póo, et que les rares rapatriés reviennent dans un état de dégénérescence psychologique à cause de la dégénérescence organique produite par les fièvres et par d’autres infirmités, il suffirait d’un brin de sain humanitarisme pour dissimuler ce à quoi on ne peut que difficilement porter remède [le caractère amer] et qui est sans malice » 607. Il est vrai qu'il ne se produisit aucun abandon volontaire 605

« Siendo postulante siempre dije que no sentía afición, sino mucha repugnancia al estado religioso ; pero los maestros que tuve, al principio me decían que aquello sucedía a todos. Más tarde, próximo a ir al noviciado, lloraba yo a solas al ver que los maestros me ponían en la alternativa de “ o ir al noviciado o condenarme poco menos que infaliblemente ”. Yo cerré los ojos y fuí al noviciado. Allí me siguió la tentación todo el año ; pero la convicción de que si no profesaba me condenaría, y la supersticiosa creencia de que el P. Sánchez [el mestre de novicis] obraba movido por Dios e inspirado por el mismo [en aconsellar-li que no abandonés], más las terribles amenazas contra los que salían del noviciado, y los espeluznantes cuentos-castigos de los que habían salido, me hicieron pasar un noviciado terrible. Pero pasé adelante. Recién profeso, en mi primera cuenta que dí al P. Carpi me acuerdo sólo de una cosa que le dije, y fue la grande tristeza que tenía por haber profesado. ¡ Qué días, y hasta qué paseos tan tristes, con la idea de que no tenía ya más remedio ! “ ¡ Ya no hay remedio ! ”, me decía, y procuraba consolarme con la idea de que después de ordenado se me pasaría todo ; y sobre todo me consolaba con que sobrevendría alguna revolución o guerra civil, y entonces podría romper las cadenas que me aprisionaban ». Lettre du P. Francisco Onetti au P. Martí Alsina, s/d [circa 1917]. AG.CMF, Section G, Série O, Boîte 2, Carton 2. 606 « Con muchísimo gusto vuelvo de muy buena gana, si me lo mandan, para pasar los pocos días que me quedan de vida en favor de aquellos pobrecitos morenitos. El único sentimiento que mi conciencia tendrá en la hora de la muerte es el no poder haberme sacrificado de cerca en bien de aquellos pobrecitos ». Lettre du F. Antonio Salvador au P. Martí Alsina, du 7 mars 1906. AG.CMF, Section G, Série S, Boîte 2, Carton 21. 607 « Si se conociera lo que supone haberse inutilizado en Fernando Póo, y que los contaditos que, repatriados, sobreviven vuelven degenerados psicológicamente por efecto de la degeneración orgánica consiguiente a las fiebres y demás achaques, bastaría un adarme de sano humanitarismo para disimular lo que no es tan fácil remediar [el caràcter amargat] ni

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lorsque les missionnaires étaient à la Missions, mais plutôt à leur retour de la Guinée. Une seule fois les mésententes régnant dans les Missions africaines furent l'origine fondamentale du détournement de la vie religieuse : « Je ne pourrais jamais faire ici une bonne confession ; et si je me confessais, ce serait sans foi et pour le seul fait de donner l'exemple et non pas avec la foi d'un croyant fervent : Et si après la confession je communiais, je commettrais encore un sacrilège ; car, au moment de me confesser je verrais tout le temps chez le confesseur non pas le ministre du Seigneur, mais ce que je vois ; non pas le Père Missionnaire A, B ou C, mais la Mission toute entière, c'est-à-dire, “ l'ennemi, qui m'a poursuivi et me poursuit avec acharnement, sans être intéressé à la vérité ou à la fausseté de ce qu'il disait et dit contre moi ; celui qui fait le vide le plus absolu autour de moi lorsqu'il s'agit de quelque chose de bon ou d'utile pour la colonie, celui qui par sousentendu dans le journal de la Mission tente de blesser et d'offenser par des mots couverts, s'il croit que telle ou telle chose dont il me rend responsable sans fondement, est censurable ou pourrait l’être ” » 608. Un seul cas, qui nous permet de voir que les conflits internes, au-delà d'être provoqués par des problèmes mineurs, comme nous l’avons vu, mettaient en cause des individus et de structures concrètes, bien plus que la permanence dans l'Institut et le bien fondé de la propre vocation. Un autre des caractères qui se donnaient assez fréquemment, et dont nous avons vu des exemples, est le délai pris par les Supérieurs pour donner leur accord aux sollicitations d'abandon qu'ils recevaient. Face à ces délais, les missionnaires qui voulaient quitter la congrégation ne cessaient d'insister. Curieusement, et ce qui prouve une fois de plus la conviction personnelle des religieux, les solliciteurs de dispense continuaient à travailler dans l'Institut et accomplissaient leurs labeurs et leurs devoirs jusqu'à ce que, après avoir supone malicia alguna ». Lettre du P. Josep Gironès au P. Felipe Maroto, du 14 octobre 1921. AG.CMF, Section G, Série G, Boîte 9, Carton 10. 608 « Aquí jamás podría hacer una buena confesión ; y, si confesase, lo haría sin fe y únicamente para dar ejemplo, y no haciéndolo con la fe que creo debe hacerse y con la que yo lo hago siempre cometería un sacrilegio al tomar después la comunión : pues, al confesar, vería siempre en el confesor no al ministro del Señor, sino lo que veo ; no al Padre Misionero A, B o C, sino a la Misión en general, y es “ al enemigo, al que me ha perseguido y persigue con ensañamiento, sin importarle la verdad o no de lo que decía y dice en contra de mí ; al que procura hacer el vacío absoluto en todo cuanto a mí se refiere, cuando se trata de algo bueno o útil para la Colonia, y al que con reticencias en el periódico de la Misión procura zaherir y molestar encubiertamente, si cree que tal o cual cosa, atribuida a mí gratuitamente, es censurable o puede serlo ” ». Lettre du P. Marià Ferrando au P. Marcos Ajuria, du 19 février 1915. AG.CMF, Section G, Série F, Boîte 5, Carton 28. Le P. Ferrando sollicita la dispense du vœu de permanence dans la congrégation, à cause des mauvais traitements reçus, par une lettre au P. Nicolás González du 28 décembre 1924. (AG.CMF, même localisation). Tout compte fait, il y resta et mourut à la Mission de San Carlos en 1950.

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réitéré leur propos à maintes reprises, ils puissent regagner la vie civile ou diocésaine. Il s'agissait de maintenir le statut de croyant dans la nouvelle vie qu'ils étaient prêts à commencer, et de conserver l’image positive de la congrégation face à toute sorte d'autorités. Ils perdaient rarement patience, cependant cela pouvait aussi arriver : « V. Rd. m'assure que vous avez mes dispenses, mais que vous ne voulez pas me les donner. Mais que vous les ayez ou non, je vous ai déjà manifesté que je voulais m'en aller. La seule chose que je vous demande, c'est que vous me payez le voyage. On dirait que V. Rd. voudriez que je commette quelque crime pour me chasser. On a besoin de beaucoup moins : puisque je veux m'en aller, laissez-moi partir. En outre, vous m'avez empêché de communier, ce qui était inutile, car il y a déjà quelques mois que je ne le fais plus et je n'ai nullement l'intention de le faire » 609. Ce même Frère ne considérait pas ses expériences vécues en Guinée comme responsables de sa sécularisation, ni sa vocation contrariée depuis qu'il était tout jeune : « Je vous suis très reconnaissant de votre proposition visant à que je me réincorpore à la congrégation, et je vous prie de bien vouloir faire de même pour tous. Quant à moi, je ne veux pas y retourner parce que les Frères reçoivent de très mauvais traitements » 610. Le temps qui va d'une lettre à l'autre et la constatation d'une demande de retour du Supérieur Général, nous permet de supposer que le F. Castillo s'en alla pour son compte, las d'attendre. Ce ne fut pas le seul cas : « J'ai demandé conseil et on m'a dit que j'avais mal agi, et qui si vraiment je ne possédais pas la vocation, j'aurais dû solliciter la dispense dès l'intérieur. Je prie à V. Rd. de bien vouloir me pardonner et de me permettre de rester ici, en attendant que vous me procuriez la dispense de Rome » 611. D'autres encore furent bien plus précis : aux cas rapportés, il faut encore y ajouter deux fugues signalées d'anciens missionnaires en Guinée, au-delà de 609

« Me hace creer V. Rma. que tiene las dispensas para mí, sólo que V. no quiere dármelas. Pero, que las tenga o no las tenga, sea lo que fuere ya le he dicho que me quiero marchar. Sólo le pido que me pague el viaje. Parece que V. Rma. quiere que haga algún crimen para echarme. No hay necesidad de tanto : puesto que yo me quiero ir, pues déjeme ir. Además, V. me ha quitado la comunión : pues no tenía necesidad de haberla quitado, pues ya hacía algunos meses que no lo hacía y no pienso hacerlo ». Lettre du F. Benito Castillo au P. Xifré, du 10 décembre 1896. AG.CMF, Section G, Série C, Boîte 5, Carton 28. 610 « Le doy a V. las gracias por la invitación que me ha hecho para volver otra vez a ingresar en la congregación, y le digo haga V. lo mismo con todos. Yo por mi parte le digo que no quiero volver porque tratan pésimamente a los Hermanos ». Idem du 29 janvier 1897. AG.CMF, même localisation. 611 « He consultado y me han dicho que he obrado mal, y que en caso de no tener vocación debía haber solicitado la dispensa desde dentro. Yo suplico a V. Rma. me perdone y permita quedarme aquí, y que entretanto me procure V. Rma. la dispensa de Roma ». Lettre du F. Pere Puig au P. Climent Serrat, du 2 décembre 1904. AG.CMF, Section G, Série P, Boîte 39, Carton 23.

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celle du F. Artieda : « Il est inutile que vous vous dérangiez jusqu’à m'appeler pour que je regagne l'Institut. Je ne reviendrai pas et je ne peux pas revenir, car je préfère vivre dans la misère et mendier un morceau de pain en paix et tranquillité plutôt que de vivre dans un Institut où on porte une telle atteinte à la charité, où règnent l'envie, la critique, la médisance et la mésentente entre Supérieurs et sujets » 612 ; « Une fois la nuit arrivée il se rendit à Jaén, mais pas à la Maison des missionnaires : chez une jeune fille, ce qui souleva un grand nombre de critiques. Il resta caché chez elle, d'après ce qu'on appris plus tard, pendant quelques jours. Cette jeune fille vit seule avec son père, qui, paraît-il, est en combine avec sa fille et le P. Ardoiz pour ce genre d'affaires. D'après ce qu'affirment des témoins, le P. Ardoiz, la fille et son père quittèrent Jaén en auto et on dit qu'ils se rendirent à Madrid, où ils sont toujours, sans qu'on sache leur domicile. Inutile de vous dire la mauvaise impression que tout cela nous causa. Heureusement, jusqu'a présent au moins, la mauvaise presse de Jaén n'a fait aucune allusion à cette affaire » 613. Trois fugues au cours de la période sujet de mon étude. La première, celle du F. Artieda, pour échapper à une peine de prison qu’on prévoyait très dure. Les autres deux, pour deux sortes de circonstances - le désaccord avec le style de relations établi au sein de la communauté, et la sexualité - qui illustrent à la perfection une partie importante du conflit interne de la congrégation. Et encore une dernière constatation : En Guinée, et peut être en raison de cette situation d'isolement, les problèmes se gâtaient et s'embrouillaient ; cependant les missionnaires supportaient tout et ne quittaient la congrégation que lorsqu'ils avaient l'opportunité de regagner la Péninsule. Et même à ce moment-là, ils hésitaient, tout comme les Supérieurs.

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« Es inútil que V. se moleste en llamarme y que vuelva al Instituto. No vuelvo ni puedo volver, y prefiero vivir en la miseria y mendigar un cacho de pan con paz y tranquilidad que no vivir en un Instituto donde se vulnera tanto la caridad, donde reina la envidia, la crítica, la murmuración y la desavenencia entre Superiores y súbditos ». Lettre du P. Feliciano Pérez au P. Martí Alsina, du 3 juin [1911]. AG.CMF, Section G, Série P, Boîte 4, Carton 40. 613 « Por la noche se volvió a Jaén, pero no a Casa de los Missioneros sino a la casa de una joven con la que daba mucho que hablar en mal sentido. Allí se mantuvo oculto, según se supo, durante algunos días. Dicha joven vive sola con su padre, que parece estar en combinación con su hija y con el P. Ardoiz para estas cosas. Según afirman personas que lo vieron, salieron de Jaén en un auto el P. Ardoiz, la joven y el padre de ella ; y dicen que se fueron a Madrid, donde continúan, sin conocerse el domicilio. Ya puede suponerse la impresión penosísima causada en todos. Y menos mal que, hasta ahora, la prensa mala de Jaén no ha hecho relación alguna al caso ». Lettre du P. Félix Gil, Supérieur de la Maison de Jaén, au P. Felipe Maroto, du 29 juillet 1933. AG.CMF, Section G, Série A, Boîte 8, Carton 10. Le P. Jorge Ardoiz fut immédiatement expulsé de la congrégation et dénoncé à Rome.

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Résultats Ces 28 abandons forment une part du bagage négatif de la congrégation dans les Missions guinéennes ; ainsi que les mésententes continuelles et les affrontements avec la société extérieure. Cependant, au moment de les étudier, j'ai pu retrouver trace de la moitié, bien que la documentation conservée ne soit, très souvent, que très peu explicite, et ne permette pas une systématisation des données ni une interprétation indubitable. La logique de l'époque imposait une sorte de silence, à chaque fois qu'il était possible, sur des faits que l'Institut considérait comme négatifs. Et si ce silence était impossible au moment où se produisait un scandale, lorsqu’un missionnaire prenait la décision de quitter la congrégation il fallait aussi engager des démarches bureaucratiques qui ont laissé des traces dans les archives de la curie générale. Dans beaucoup d'autres cas, en revanche, concernant des aspects considérés négatifs, il ne pouvait pas y avoir de publicité ni de référence signalée, lorsque les élèves des internats, par exemple, quittaient l'école ; ou lorsque les parents des garçons et des filles indigènes parvenaient à ce que leurs fils ou leurs filles « regagnent la forêt », ou lorsque quelques convertis reprenaient les relations de polygamie ou, tout simplement, l'ensemble de leur culture traditionnelle ; ou lorsque quelque famille « catholique » quittait sa maison du village de la Mission ; ou quand tous faisaient la vide autour des bonnes Sœurs... Nous n'ignorons pas que tout cela avait lieu, car de temps à autre les missionnaires l'annonçaient : nous en avons déjà vu plusieurs mentions et il y en a encore d’autres : « Il ne s'agit pas du tout d'un peuple ignorant et qui méconnaît les lois de l'Évangile, mais plutôt d'un peuple dont les principaux et les chefs, quoiqu'instruits dans la loi, vivent obstinément dans le mal, autorisant de manière publique les vices que réprouverait tout pays civilisé ; et de la sorte ils maintiennent les gens simples dans leurs vices détruisant en grande partie l'influence des missionnaires dans la moralisation et l'instruction des enfants ; car, lorsque ceux-ci atteignent la majorité d'âge et quittent l'école, ils ont du mal à résister à l'empire que les autres exercent sur eux pour les obliger à abandonner tout ce qu’ils ont appris de bon et les accommoder à tout ce qu’il y a en eux de mauvais. C'est pourquoi nous avons dû regretter plusieurs apostasies de quelques enfants qui, lorsqu'ils étaient à l'école, étaient pleins de bons sentiments religieux et qui, une fois rentrés chez eux, se livrent à la démoralisation la plus effrontée, induits par les leurs et autorisés par l'autorité qui est à la tête de ces colonies » 614 ; « Il est 614

« No es éste un pueblo ignorante ni desconocedor de las leyes del Evangelio, sino un pueblo en el que los principales y cabezas de él, a pesar de estar instruidos en la ley, viven obstinados en el mal, autorizando públicamente los vicios que reprueba todo país civilizado ; y de esta suerte arrastran a los mismos vicios a los sencillos y destruyen también gran parte

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regrettable qu'au cours du premier trimestre de cette année les enfants aient quitté l'école et des trente qu'il y avait il n'en reste que 8. Que Dieu ait pitié de leur âme ! La plupart des garçons étaient devenus des jeunes hommes et étaient restés trois ans de plus de ce qui est normal dans la Mission. Les uns s'enfuirent de nuit, les autres ce furent leurs familles qui vinrent les chercher, il y en eut qui partirent à la recherche d'une femme et très peu s'en allèrent à une autre Mission. De ces enfants, il y en eut qui ont souffert de la faim, pleins de misères, blessés par des armes à feu, prisonniers, lépreux, et les autres sont déjà morts. Seulement deux d’entre eux regagnèrent le lieu saint. Cependant, les autres ne sont pas méchants : ils ressentent une profonde affection pour la Mission et pour le Père, ce qu'ils prouvent bien à chaque fois qu'ils nous rencontrent. Mais ils sont dans un piteux état, car leurs pères, et notamment les roitelets des villages, veulent des jeunes prêts à se battre et leur seul bonheur pour eux c'est d'être assez puissants pour s'imposer aux autres. C'est pourquoi, et bien que la petite propriété soit cultivée et agréable à voir, ils l'ont abandonnée ; et au bout de quelque temps de sejour parmi les leurs, ils deviennent comme eux, tout en gardant plus ou moins les instructions et les sentiments reçus à la Mission » 615. Cependant, de telles informations ne sont guère systématiques : les missionnaires rapportaient les résultats qu'ils considéraient positifs ; pour ce qui est des négatifs, ils n'y faisaient allusion que comme argument venant à l'appui d'autres demandes : la première des citations antérieures, par exemple, se situe dans le contexte de la nécessité de répandre del influjo de los misioneros en la moralización e instrucción de los niños ; porque, cuando llegan a la mayor edad y salen del colegio, difícilmente saben resistir al imperio que sobre ellos ejercen los otros para obligarles a abandonar lo bueno que han aprendido y seguir acomodándose a lo malo de ellos. Por esta causa hemos de lamentar varias apostasías de niños que cuando estaban en el colegio se hallaban animados de buenos sentimientos religiosos, pero una vez puestos en sus casas se entregan a la más descarada desmoralización, inducidos por los suyos y permitido por la autoridad que está al frente de estas colonias ». Lettre du P. Gaspar Pérez, affecté à la Mission de Corisco, au P. José Mata, du 8 mars 1895. AG.CMF, Section F, Série N, Boîte 8, Carton 8. 615 « De sentir es que durante el primer trimestre de este año han ido saliendo niños de este colegio, y de 30 que había quedamos actualmente con 8. ¡El Señor se compadezca de ellos ! La mayor parte de los niños eran ya jóvenes y tenían más de 3 años de Misión, que es lo que ordinariamente están. Y unos escaparon de noche, otros vinieron sus familias a buscarlos, hubo quienes fueron a buscarse mujer, y muy pocos pasaron a otra Misión. De estos niños, los ha habido padeciendo hambre, hartos de miseria, heridos con armas de fuego, prisioneros, leprosos, y otros ya enterrados. Sólo dos volvieron al lugar santo. Sin embargo, no son malos los demás : aprecio tienen a la Misión y al Padre, lo cual demuestran siempre que encuentran a alguno de nosotros. Pero es su estado muy triste, pues sus padres, y principalmente los reyezuelos de los pueblos, quieren jóvenes aptos para las armas y no ven otra felicidad que ser poderosos para sobreponerse a los demás. Por esta causa, aun la finquita, ya plantada y bastante bonita, la han abandonado ; y al hacer algún tiempo que estén con los suyos se hacen semejantes a ellos, si bien conservan más [o] menos las instrucciones y sentimientos recibidos en la Misión ». Lettre du P. Josep Sutrias, Supérieur de la Mission du Cap de Saint Jean, au P. Climent Serrat, du 11 octobre 1895. AG.CMF, même localisation.

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l'évangélisation dans la zone de la Muni, afin d'arrêter la progression française ; quant à la deuxième, le P. Sutrias l'écrivit pour demander la possibilité de mener à terme de nouvelles expéditions de recrutement de garçons pour les internats et de filles pour les mariages ; de sorte qu'elles sont éparses et secondaires. Le genre d'évangélisation mené à terme, impliquant l'éloignement de la plupart des garçons et des filles de leurs familles, leur soumission au système colonial et une nette rupture avec leur propre culture et avec les leurs, était une arme à double tranchant : si, d'une part, et étant donné les gains qu'il offrait, il pouvait se vanter d'efficacité, nous pouvons nous questionner, d'autre part, sur la fragilité d'un grand nombre de conversions obtenues grâce à cette méthode. Cette même efficacité missionnaire provoquait des réactions de prévention dans la population locale616 qui pouvaient se retourner contre les intentions des missionnaires. Ce qui n'empêche qu'un grand nombre de ces conversions ne fussent vraiment consolidées617. À mon avis, l'ensemble de l'analyse que j'ai réalisée dans ce travail est une évaluation de la tâche clarétaine de toute cette époque. Mais lorsque les missionnaires parlaient de résultats, ils ne se référaient qu'au nombre de 616

Je fais à nouveau référence à ma première thèse de doctorat (Creus, 1994b) ; où, au moment d'analyser les changements qui se produisirent dans la littérature orale guinéenne à l'issu de l'influence colonisatrice, je constatai une réactivation des valeurs de la famille traditionnelle et la pression exercée sur ces jeunes afin de les conserver. 617 Certains auteurs opposent une « conversion à proprement parler », qui consiste en un changement religieux délibéré, avec l'abandon d'une foi antérieure, à une autre idée qui serait celle d'une simple « adhésion » consistant à adopter certaines doctrines ou pratiques d'une nouvelle religion dans un mécanisme d'addition plutôt que de rupture. La réduction faite par les clarétains dans le sens d'égaler les résultats de leur labeur à l'administration de certains sacrements (baptêmes, mariages...) paraîtrait une contradiction à l'idéologie missionnaire : parmi l'ensemble du personnel occidental transféré en Afrique, ce furent les missionnaires qui s'engagèrent sciemment à changer le monde africain, tout en recherchant une colonisation « de l'esprit, du cœur, du corps ». Or, il ne faut pas oublier les intentions de prosélytisme et d'édification des publications missionnaires qui nous présentent ces résultats sans une analyse des faits, et la pensée missionnaire et religieuse, qui donne un caractère indélébile à certains sacrements, indépendamment de la conduite du converti. Cette conduite reste cachée dans la bibliographie missionnaire. Il existe deux questions difficiles à répondre : tout d'abord, les raisons qui entraînent la « conversion » ; bien qu’à mon avis un grand nombre des conversions de l'époque répondent aux frustrations sociales des convertis et leur désir de s'incorporer dans la nouvelle économie coloniale, qui à leurs yeux devait paraître éblouissante, et je ne néglige pas pour autant l'existence d'un grand nombre de conversions « à proprement parler », il est évident que les raisons peuvent être multiples et je dirai même contradictoires. Deuxièmement, il est aussi difficile de deviner ce qui se passait dans l' « esprit » des convertis : Comment vivaient-ils ce changement? Et, notamment, comment vivaient-ils la contradiction, que j'ai rapportée, entre leur propre culture et la nouvelle situation? Et une question définitive : dans le cœur des nouveaux chrétiens, le monde « propre » et le « nouveau » monde, étaient-ils vraiment perçus comme des mondes tout à fait séparés ? Arrivés là, à l'absence de documents précis encore faudrait-il y ajouter notre méconnaissance flagrante de la culture « religieuse » africaine (et bubi).

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baptêmes qu'ils avaient administrés, aux élèves qu'ils avaient reçus dans les écoles, aux mariages catholiques qu'ils avaient bénis, aux enterrements effectués dans le cimetière catholique de la localité... Voilà ce qu'ils faisaient figurer dans les rapports annuels envoyés à la Propaganda Fide, dont le résumé se publiait normalement dans les « Anales » et notamment dans « El Iris de Paz ». Les données considérées comme négatives n'étaient, tout simplement, pas prises en considération ; quant à celles qu'ils jugeaient positives, elles se bornaient à une statistique triomphaliste. Le succès de la Mission et du nouveau modèle s'appuyait aussi sur une manière de présenter les résultats qui ne montrait qu'une partie de la réalité : l'échec des Sœurs, celui des missionnaires à la capitale, les mauvaises relations entre les religieux et les sociétés guinéennes, l'animosité des colons, l'opposition des gouverneurs, les désertions des convertis et des élèves, n'étaient que des difficultés complémentaires qui mettaient d'autant plus en valeur les succès obtenus ; les mésententes internes, les scandales et les abandons dont les protagonistes étaient les missionnaires, tout simplement, n’existaient pas. Il faut cependant reconnaître que les résultats - présentés de la sorte étaient spectaculaires. Les clarétains présentaient les données qui leur convenaient (et que d'autre part leur demandait la Sainte Congrégation) sans les fausser pour autant : ils tiraient les statistiques des livres des paroisses (baptêmes, confirmations, mariages, décès...), la plupart déjà disparus, et des registres scolaires. Ainsi, le Deuxième mémoire des Missions618 nous parle de 3.773 baptêmes, 66 filles rescapées et 503 élèves dans les écoles des clarétains et des conceptionnistes, parmi d'autres données. Dans la 2e.édition619 la statistique de résultats ( « fruits spirituels » ) se dissociait par ans et par concepts (nombre de baptêmes, de confirmations, de mariages, de garçons et de filles internes et externes des écoles missionnaires, de catholiques et d'enterrements ecclésiastiques) jusqu'en 1908. Un document inédit du P. Ramon Jutglar620 complète les données, en corrige quelques unes à partir de la documentation conservée, et nous permet de suivre les résultats de ce labeur :

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Coll, Ermengol, 1899 : 209-211 Coll, Ermengol, 1911 : 93 620 Jutglar, Ramon (1933), Datos principales de la labor evangélico-docente realizada en la Guinea española por los misioneros Hijos del Inmaculado Corazón de María desde 18841930. AG.CMF, Section F, Série P, Boîte 1, Carton 2. 619

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Le graphique ci-dessus nous montre l'évolution du nombre de sacrements distribués tout le long de cette période. La répartition en périodes de cinq ans nous permet d'apercevoir un point de départ très bas ; une évolution plutôt régulière pour ce qui est des enterrements chrétiens ; les difficultés pour former des mariages catholiques, bien au-dessous des autres activités missionnaires ; et une importante croissance du nombre de baptêmes et de confirmations vers la fin du siècle, soit lorsque l'expansion des Missions se fut complétée et que le nouveau modèle avait commencé à s'affermir. Le nombre de catholiques augmentait, comme il était espéré d'après les données antérieures. Ce qui nous donne ces résultats, concernant la population globale pour laquelle il n’existe pas de recensements dignes de foi621 :

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Le recensement de Santa Isabel de 1901 parle de 1.432 habitants (Castro, 1996 : 16) ; pour ce qui fait le nombre d'indigènes à la fin de la période, le P. Ermengol Coll prévoyait qu'il y avait entre 5.000 et 10.000 bubis (Coll, 1911 : 19), quelques 600 habitants à Corisco (Coll, 1911 : 48) et une centaine à Elobey (Coll, 1911 : 51), auxquels il faudrait ajouter quelques centaines d'Annobonnais.

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Ainsi donc, à la fin de cette période la population catholique paraissait majoritaire dans les territoires guinéens, quoique le manque de recensements fait que je ne puisse m'exprimer qu'à partir d'une impression personnelle. En admettant que les données provenant du P. Coll fussent exactes, ce qui est impossible de vérifier, il faudrait parler de 60% de population catholique dans les zones plus ou moins proches des Missions clarétaines. Il resterait, cependant, un grand groupe composé de quelques centaines de milliers de Fangs à l'intérieur de la région continentale, qui ne seraient évangélisés que quelques années plus tard ; une bonne partie de la population ndowe située au nord de la Muni ; les divers groupes de Bubis dans des endroits encore inaccessibles (pour les Européens) ; et encore la population protestante de Santa Isabel et de San Carlos. Autrement dit : les îles de Fernando Póo et d'Annobon, vers 1910, étaient déjà fortement christianisées et il se pourrait bien que la proportion de catholiques, exception faite des endroits les plus éloignés, ait commencé à se situer dans une position plus ou moins majoritaire, tout ou moins nominalement. Pour ce qui est de la solidité des conversions, là c'est tout autre chose : certaines d’entre elles, n'oublions pas, s'obtenaient « sub conditione » et/ou « in articulo mortis », alors que d'autres n'avaient pas de continuité (vid. supra, note 914). Dans ce contexte, j'ai cru intéressant de voir aussi l'évolution des garçons et des filles inscrits dans les écoles missionnaires :

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ANNEE 1885 1890 1895 1900 1905 1910

GARCONS 23 312 419 402 773 696

FILLES 22 114 225 211 419 437

INTERNES 36 262 302 330 763 781

EXTERNES 9 164 342 283 429 352

TOTAL 45 426 644 613 1192 1133

Pour les mêmes raisons dont j'ai parlé plus haut, le nombre d'écoliers augmenta au fur et à mesure que se complétait l'expansion des Missions et la consolidation du nouveau modèle, qui prit un fort essor au moment du changement de siècle. Dans cette statistique scolaire, il est utile de comparer le pourcentage de garçons et de filles par rapport à la totalité :

Le graphique nous montre des différences hautement significatives entre l'un et l'autre sexe, à l'exception des premières années (ce qui peut se justifier par le nombre réduit d'élèves). Le plus curieux c'est que les chiffres prirent un essor et se rapprochèrent à partir de l'année 1900 : la « campagne de rachats des jeunes filles africaines » (1890-1900) ne parvint donc pas à résoudre le problème missionnaire du manque de filles, quoique vers la moitié de cette décennie la situation s'améliorât pour les religieux.

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Remarquons, par exemple, que si on divisait le nombre de baptêmes entre les 121 curés clarétains destinés à la Guinée au cours de toute la période, cela nous donnerait en moyenne plus de 100 baptêmes pour chacun d’entre eux ; et onze mariages chrétiens, et encore 50 enterrements en terre sacrée ; et qu’au moment de la clôture de l'époque sujet de mon étude, chaque curé devait subvenir aux besoins spirituels d'environ 93 catholiques, soit une centaine pour chacun d'entre eux, au sein de Missions qui avaient répandu leur action sur presque la totalité du territoire. Présentés de la sorte, sous forme de résultats des efforts concernant les sacrements, les chiffres étaient incontestables : notamment si on les comparait à la situation antérieure et aux premières années de la Mission clarétaine. L'évolution était indubitable : malgré tous les inconvénients qu'on pouvait y opposer, le nouveau modèle missionnaire, implanté au début par le P. Ramírez, s'était fortement enraciné, pouvant se considérer efficace et exécuté avec succès. Et, à la lumière des chiffres fournies par les statistiques, si avant la fin du siècle il se définit et commença à rapporter des fruits, de 1900 à 1910 il atteint un niveau de maturité et d'effectivité qui, en deux mots, « transforma » Fernando Póo en une colonie essentiellement catholique et avec un catholicisme en progression ; et en une colonie essentiellement espagnole et avec un caractère espagnol en croissance. Avec ces dernières données je peux considérer cette étape close.

Épilogue Le 4 octobre 1812 la « Junte de Catalogne » prêtait serment à la Constitution de Cadis. C'était la première fois qu'une institution prêtait serment à cette première Constitution libérale en dehors de la ville andalouse. C'était une époque de guerre contre les troupes napoléoniennes, et cet acte solennel se tînt dans un beau bâtiment de la rue du Cos, à la ville de Sallent, qui avait appartenu à l'évêché de Vic depuis le XIIIe siècle jusqu'en 1811. Non loin de là, et dans la même rue du Cos, vivait un enfant de cinq ans, Antoni Mª Claret. Son père, tisserand, conservateur et profondément religieux, avait à sa charge la perception des tributs de l'évêque. Son saint fils, cette année même, ressentait en lui les premières visions de l'éternité et de l'enfer. Est ce ainsi que tout commença ?

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Le contraste entre les deux trottoirs de la rue de Sallent - celui de la Constitution et celui de la maison natale du fondateur des clarétains pourrait représenter une métaphore de cette histoire : les missionnaires de la Guinée, affrontés à la fois aux Français et aux libéraux, défendant à la fois les territoires espagnols et les institutions de l'ancien Régime. Tout cela en guise de résumé. Mais, dans cette histoire, les missionnaires les plus prochains de l'Ancien Régime furent les jésuites. Dans une Fernando Póo presque ignorée, leur tâche missionnaire se borna à un modèle paroissial qui se contentait de s’installer dans les villes européanisées du continent noir, de s'occuper des paroissiens et de tenter quelque expédition et quelque fondation rudimentaire à l'abri de la capitale. Ce modèle fut le seul possible parce que - entre autres choses - c'était le seul que le gouvernement de Madrid fut prêt à financer622 ; et que la servitude majeure d'une Mission d'État était justement celle que voici : que la dépendance envers une autre autorité subordonne l'activité personnelle aux objectifs de celui qui paie. Ici, un gouvernement espagnol qui ne s'intéressait qu'à maintenir une présence permanente dans des territoires éloignés, manquant d'intérêt immédiat et méconnus. Les contraintes du modèle jésuite furent vite saisies et notamment par les jésuites eux-mêmes, qui tentèrent de prime abord de résoudre le problème par de nouvelles propositions de conduite et d'organisation de la Mission ; et plus tard, lorsqu'ils virent qu'elles ne soulevaient aucune réaction, ils n'hésitèrent pas à admettre leur propre échec et à quitter ces îles inhospitalières. Les clarétains eurent la chance d'arriver au moment le plus opportun : à la veille de la conférence de Berlin, lorsque l'Espagne mettait en jeu son pouvoir colonial, le gouvernement espagnol ne pouvait accepter l'usurpation de territoires qui lui appartenaient par un « droit historique », justement lorsqu'il s'efforçait à assumer un rôle, ne serait-ce que secondaire, dans une Méditerranée qui se devait d'être la pierre de touche de sa politique internationale. D'autre part, si l'occupation de l'Afrique était envisagée comme une possibilité éloignée, il n'est moins vrai qu'il fallait être présent encore une fois à titre secondaire - dans le partage de territoires qui pouvaient arriver à devenir très importants, autant du point de vue stratégique qu'économique. Ainsi donc, l'arrivée des clarétains en Guinée eut lieu au moment le meilleur, lorsque l'État espagnol était prêt à fournir bien plus d’efforts qu'autrefois dans cette Mission qui, tant s'en faut, devait continuer à jouer le même rôle d’humble témoignage de la colonisation. Or, dans le suivi de leur tâche évangélisatrice les clarétains se révélèrent bien plus ambitieux que ce 622

Clarence Smith, 1986

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que le gouvernement avait prévu. À l'encontre de la logique qui jusqu'alors s'était imposée, les missionnaires ne se contentèrent pas du rôle de simples curés de la paroisse de San José, à la capitale, et de s'établir de manière semblable dans ceux des autres endroits revendiqués par l'État dans la zone de la Muni et dans l'île d'Annobon. À l'encontre de la logique qui en ce moment s'imposait, les clarétains puisèrent dans leur propre tradition de missions intérieures - d’activité inlassable, de discipline absolue, d'autoexigence, de recherche de régénération des mœurs - ; et surent l'adapter à une nouvelle tradition de Missions africaines représentée, dans la zone, par les missionnaires du Saint Esprit. Et surent tirer profit du moment politique, institutionnel et international pour adapter le nouveau modèle missionnaire aux exigences politiques du gouvernement et à leurs propres possibilités économiques et de personnel. Voilà comment la Mission changea ses principaux destinataires : ce n'étaient plus les rares catholiques de la ville « perverse » de Santa Isabel, bondée de protestants et de catholiques indignes ; les nouveaux destinataires étaient des indigènes auxquels, considérés comme des êtres inférieurs, les missionnaires appliqueraient une philosophie paternaliste : eux, les « bons », n'ignoraient pas ce qui leur convenait le plus ; les autres, les pauvres, devaient l'apprendre et l'accepter ; moyennant des cadeaux ou des châtiments plus ou moins exemplaires, selon les circonstances. Le rôle des clarétains se consolida lorsqu'ils surent offrir aux Bubis des petits cadeaux qui devaient les convaincre de la bonté de ces missionnaires étranges, et encore l'attrait de toute une vie comblée d'avantages, et la possibilité de gains rapides et tangibles, et la promesse d'une incorporation dans la société coloniale. Le nouveau modèle, fondé sur les internats, accomplirait une bonne partie de ces objectifs dans la mesure où il serait capable de continuer et de tisser toute une série de recours en inter-relation : des peuples bubis à la Mission ; de la Mission à l'internat des garçons ; et à l'internat des filles ; et à la propriété de cacao ; et à la formation de familles catholiques ; et à la création de villages catholiques soumis à l'autorité missionnaire. C'était un changement de perception remarquable et tout nouveau en Guinée : les indigènes pouvaient être l'axe du système de production coloniale sans pour cela faire encourir un danger à ce système, mais plutôt en l'affermissant et en le rendant plus rentable. Ils pouvaient, effectivement, être « civilisés », contrairement à ce que croyaient les Européens lors des époques précoloniales623 : « C’est à cette époque que se place la curieuse histoire d’Epinat. C’était un instituteur d’origine janséniste qui s’efforça de 623

Beato & Vilariño, 1952 ; Bonelli, 1947

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libérer nombre d’esclaves à St-Louis vers 1825. Misanthrope et désespéré par la corruption humaine, il voulut fuir dans la solitude de l’île de Sor, voisine de St-Louis. Ses directeurs jansénistes le lui déconseillèrent et il rentra en France. Il se convertit alors au protestantisme au contact de Henry Pyt, et décida de retourner au Sénégal pour évangéliser. Mais il se vit interdire St-Louis et se rendit dans le Cayor encore non islamisé, semble-t-il. Sa sœur l’accompagnait et ils souffrirent beaucoup de privations. Il se rapprocha de St-Louis, dans le Walo ; mais le gouvernement le fit rapatrier. “ Comme il fallait un prétexte pour le renvoyer en France, on le fit passer pour fou. Peut-être après tout, écrit Villéger qui rapporte cette histoire, croyait-on qu’il était réellement atteint de folie. Un homme raisonnable eûtil pu songer à régénérer ces Noirs que l’on méprisait alors souverainement ? ” » 624. Régénérer les Noirs voulait dire aussi s'affronter à eux, tenter de les éloigner de leur propre culture pour qu'ils embrassent la nôtre. De même que régénérer les Européens signifiait aussi s'affronter à eux. Les clarétains se virent donc mêlés à un discours dialectique à l'égard de tous les secteurs coloniaux et, d'une manière plus connue, à l'égard de l'autorité civile. Or, si les gouverneurs étaient pour la plupart libéraux et les missionnaires d'origine conservatrice, les efforts qu'ils déployèrent tout au long de la période concernèrent des sujets aussi importants que le fonctionnement de la colonisation : les militaires qui gouvernaient la colonie s'obstinèrent à coloniser Fernando Póo à partir de l'arrivée de colons espagnols et cubains et de travailleurs africains du Liberia, du Sierra Leone et d'autres endroits, alors que les clarétains, qui, d'autre part, ne renoncèrent jamais ni au modèle paroissial ni à l'embauche de Krumen, donnèrent le protagonisme de l’ensemble de ce procès à l'intégration des jeunes indigènes. C'est ce qui leur permit de jouer un rôle de précurseurs. Et s’ils l'acceptèrent de bon gré, ce fut uniquement pour des raisons d'apostolat et d'évangélisation. Leur grande réussite dans leur versant colonisateur fut la massification de la culture du cacao, un produit propre à l'agriculture de plantation plutôt rare aux Antilles, mais qui en Guinée fut extrêmement rentable : parce qu'il a besoin de beaucoup moins de main d'œuvre que pour le coton, le café ou le tabac ; parce qu'il complétait ces productions antillaises ; parce que son prix était en l'occurrence très élevé ; parce que l'expérience antérieure de l'île voisine de São Tomé donnait une viabilité à l'exportation ; et parce qu'elle est mieux adaptée aux conditions de la forêt équatoriale625.

624 625

Faure, 1978 : 293 Castro & Calle, 1985 : 31

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Grâce à sa présence en Guinée, et à cette double fonction d'évangélisation et de colonisation, la position du missionnaire était très concrète : il ne s'agissait pas d' « un membre quelconque de la communauté » mais d'un détenteur de la vérité, du prestige social et du pouvoir, d’un détenteur de l'autorité religieuse, et aussi, par une interaction continue entre les éléments de l'Ancien et du Nouveau Régime, d’un détenteur de l'autorité civile, là où l'armée espagnole n'avait pas accédé. Cet exercice de l'autorité administrative est à la source des épisodes les plus navrants dont les missionnaires du P. Claret en Guinée furent les protagonistes. Aussi navrants que tous ceux qui furent effectués par tous les autres secteurs coloniaux de l'époque. Mais eux, les missionnaires, furent assez adroits pour changer leur politique à son moment ; et ils furent les premiers à mettre en œuvre certains aspects -chercher, par exemple, à changer la mentalité des indigènes - d'une manière explicite ; et les seuls qui agirent, pour parvenir à leurs objectifs, d'une manière théorique, systématique et implacable. Le plus courant, dans la plupart des territoires africains colonisés au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, c'est de trouver une Mission adaptée aux tracés de la présence européenne propres à chaque situation626. C'est ce que firent les jésuites et les clarétains au début de leur Mission. Cependant, à la suite d'une période expérimentale de courte durée, les nouveaux missionnaires mirent au clair leur projet et frayèrent la voie, sans douter un seul instant, au système colonial qui finirait par s'imposer dans tout le territoire. Au cours de la phase que j'ai étudiée, nous pouvons constater une totale incompréhension de ce phénomène de la part des autres secteurs et, notamment, de l'administration : une administration obstinée à maintenir une présence périphérique, à rendre plus facile une colonisation progressive réalisée depuis l'extérieur, et à contraindre la fonction de la Mission à une tâche exclusivement paroissiale, tout en considérant le labeur effectué auprès des indigènes comme quelque chose de secondaire et de superflu. Autrement dit, l'administration se borna à conserver son rôle de métropole sans initiative, en accord à des paramètres qui, au cours de l'époque étudiée, s'avéraient déjà anachroniques car ils n'envisageaient pas un seul instant la possibilité d'occuper le territoire et l’exploitation économique du sol ; en revanche, les clarétains dépassèrent rapidement le rôle qui leur était assigné dans une situation telle et assumèrent le rôle intermédiaire entre l'Ancien Régime et le nouveau système colonial. Petit à petit, la tâche des missionnaires en vint à être reconnue par l'Administration et les colons : dès 1910, lorsque ce fut l'administration ellemême qui devint la protagoniste de l'occupation de la totalité du territoire et de sa colonisation ; lorsque la situation des divers secteurs présents en 626

Giodano, 1996 ; Gracelli, 1923 ; Koren, 1982 ; Monnier, 1995 ; Morlang, 1973 ; Ngongo, 1982 ; Picciola, 1987 ; Piolet, 1902 ; Renault, 1992 ; Schnapper, 1961 ; Toso, 1994

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Guinée commença à se normaliser ; lorsque chacun prit la place qui lui correspondait627. Quoique l'occupation de la totalité du territoire ne fut effective qu'en 1926, déjà cinq ans auparavant les mots de Benoît XV, réclamant un nouveau changement, résonnaient dans tout le monde catholique : « Sachant que le Seigneur a dit à chacun d'entre vous : “ Oublie ton village et la maison de ton père ” [psaume 45 : 11], vous n'oublierez pas que vous ne devez pas propager un empire des hommes mais du Christ, et accroitre le nombre de citadins non pas de la Patrie d'ici bas, mais de celle d'en haut. Et il serait misérable que certains des missionnaires oubliassent leur dignité au point de penser bien davantage à la patrie terrestre qu'à la céleste, et s'empressassent à élargir leur pouvoir et à répandre leur gloire par dessus toute chose. (...) Les hommes, aussi barbares soient-ils, savent très bien ce que cherche en eux le missionnaire : ils voient et devinent, doués d'une haute perspicacité, si ce qu'il cherche est un bien différent de leur bien spirituel. Supposons pour exemple que l'un d'entre eux s'occupât, en partie ou moins encore, d'affaires terrestres, et pas assez des affaires apostoliques mais de celles de sa patrie. Aussitot son travail soulèverait les soupçons de la multitude, qui tendrait à penser que la religion catholique s'accorde à une nation externe, et que celui qui a embrassé cette religion a refusé sa propre nationalité et s'est mis sous une tutelle externe » 628. Un changement que très lentement menèrent à bout tous les missionnaires catholiques et que les clarétains vécurent d'une manière spéciale : car, pour eux, il ne s'agissait pas uniquement de se dégager d'une vision patriotarde et peu universelle : presque en même temps, ils durent s'habituer à réduire la portée de leur influence à la faveur d'autres secteurs, politiques et notamment économiques, qui leur prirent de plus en plus leur protagonisme... jusqu'à un 627

Cordero, 1953 ; Espinosa, 1903 ; García, 1947 ; Miranda, 1963 ; Morales, 1988 « Intelligentes igitur vestrum unicuique dictum a Domino : “ obliviscere populum tuum et domum patris tui ”, memineritis non hominum debere vos imperium propagare, sed Christi, nec patriæ quæ hic est, sed patriæ quæ sursum, cives adiicere. Ac miserum sane foret, si qui ex Missionariis ita suæ dignitatis immemores viderentur, ut potius de terrena patria quam de cælesti cogitarent, eiusque plus æquo studerent potentiam dilatare gloriamque super omnia extendere. (...) Homines enim, quantumvis barbari et immanes, satis bene intelligunt quid sibi velit, quid ab eis quærat Missionarius, sagacissimeque odorando perspiciunt, si quid aliud, ac ipsorum spirituale bonum, expetat. Fac vero eum terrenis aliqua ex parte inservire consiliis, nec se virum undique apostolicum gerere, sed suæ quoque patriæ negotia procurare videri : continuo omnis eius opera in suspicionem veniet multitudini : quæ quidem facile adduci poterit in eam opinionem ut christianam religionem putet propriam cuiusdam externæ nationis esse, quam religionem qui amplexus sit, subiecisse se tutelæ imperioque civitatis exteræ, propriæque civitatis ius exuisse videatur », Encyclique « Maximum illud ». In Acta Apostolicae Sedis : commentarium officiale, année XI, volume XI. Rome, Typis Polyglottis Vaticanis, 1919, p. 446-447. 628

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certain point, car, en Guinée, les missionnaires furent toujours un pouvoir de facto jusqu'à l'indépendance et figurèrent dans toute sorte d'organismes du gouvernement de la colonie et de « protection » des Africains. La reprise en main de chacun des secteurs fit décroître le pouvoir directe des missionnaires, par exemple, dans la direction des villages qu'ils avaient euxmêmes créés ; en revanche, elle accentua leur rôle d'éléments bons et pacificateurs dans le procédé paternaliste que le système colonial voulut rendre impérissable. Juste à la fin de la période, le P. Ermengol Coll (l'un de mes plus importants informateurs !) adressait une requête au gouverneur Barrera où il suggérait déjà la nécessité de cette reprise de la situation, et d'une redéfinition de son propre rôle : « Par Décret de la Sainte Congrégation Consistoriale du 8 novembre 1910, qui commence “ Docente Apostolo ”, Sa Sainteté réitère la disposition que les ordonnés in sacris ne peuvent nullement prendre en charge les affaires civiles, à moins de cas exceptionnels et avec l'autorisation du Saint Siège lui-même. C'est aussi ce qu'ordonnent les Constitutions de notre Institut. C'est pourquoi j'ai répété de vive voix à maintes reprises à tous MM. les gouverneurs qui vous ont précédé à la tête d'un poste d'une telle importance de bien vouloir m'exonérer de la Présidence du “ Patronat des Indigènes ”. Effectivement, celui-ci, quoique nommé ‘ Patronat des Indigènes ’, tel qu’il fonctionne présentement est plutôt versé en matière de curatelle coloniale.(...) V. E., vu votre haut discernement, vous ne manquerez pas de voir que tout cela s'écarte de la fonction d'un évêque et Vicaire Apostolique qui n'a que de trop de travail et qui manque de temps pour les œuvres du saint ministère, surtout dans un pays d'infidèles. C'est pourquoi je prie V. E. de bien vouloir me relever de ce poste ou élever à l'autorité supérieure de la métropole cette juste pétition qui se fonde sur les ordonnances du Saint Siège et dans la nécessité de l'accomplissement des devoirs annexes à mon poste » 629. Le 629

« Por Decreto de la Sagrada Congregación Consistorial de 28 de noviembre de 1910, que comienza “ Docente Apostolo ”, Su Santidad reitera la disposición de no encargarse los ordenados in sacris de asuntos civiles, a no ser en casos excepcionales y con la venia de la misma Santa Sede. Las Constituciones de nuestro Instituto ordenan lo mismo. Por este motivo, a todos los Sres. Gobernadores que le han precedido en su elevado cargo les he verbalmente repetido en repetidas ocasiones que tuvieran a bien exonerarme de la Presidencia del “Patronato de Indígenas”. Este centro, en efecto, aunque se llame Patronato de Indígenas, del modo que funciona actualmente en lo que más entiende es en asuntos de Curaduría colonial. (...) No se ocultará a la alta penetración de V.S. que todo es muy ajeno de un Obispo y Vicario Apostólico que tiene bastante que hacer, y le falta tiempo, en las obras del sagrado ministerio, máxime en países de infieles. Por lo cual a V.S. suplico tenga a bien relevarme del cargo antedicho, o elevar a la superior autoridad de la metrópoli esta petición tan justa, basada en las ordenaciones de la Santa Sede y en la necesidad del desempeño de los deberes anejos a mi cargo ». Instance du 10 février 1911. AG.CMF, Série F, Section N, Boîte 9, Carton 4.

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« Patronat », créé en 1904 en vue de « protéger » ce secteur si « faible » de la société guinéenne, avait le souci - parmi d'autres sujets - de l'engagement de Krumen, de leur surveillance et de leur poursuite en cas de fugue, d’engager les indigènes « sans travail »... Plus tard, il résoudrait les demandes d'affranchissement, nécessaires pour que les Africains puissent acquérir la majorité d'âge légale. Les missionnaires en firent toujours partie, mais la proposition du P. Coll de renoncer à le présider (sur un aspect, celui de la « protection », inhérent à son rôle de missionnaire), témoigne d'une attitude qui tendait à changer, d'un renoncement à certains « privilèges » facilement identifiables avec l'exercice de l'autorité civile. J'ai tenu à faire le suivi de cette histoire à partir des documents des clarétains eux-mêmes, quoique pas de manière exclusive. Ainsi que toute méthodologie, celle-ci à ses avantages et ses contraintes. Ce que je voudrais, par dessus tout, c'est que tout ce j'ai écrit ne soit pas interprété comme une évaluation morale réalisée dans l'éloignement historique et idéologique, mais plutôt comme une tentative d'explication et d'interprétation du monde où les missionnaires évoluèrent au cours de cette époque ; un monde qui ne pouvait s'expliquer qu'à partir de la réalité extérieure, mais qui jouissait en même temps d'un fonctionnement intérieur possédant sa propre logique. Et je conclus en évoquant une suggestion de futur : toute cette histoire vise à un seul mobile de la part des clarétains : leur désir d'évangélisation. En leur défense il existe une statistique impressionnante qui prouve leur efficacité, tout au moins dans les termes de l'époque. Les missionnaires convertirent Fernando Póo, et puis toute la Guinée, en un pays catholique. Or, pour ce qui fait la valeur réelle d'un grand nombre des conversions consignées, celle-ci serait parfois fort discutable. Ainsi donc : si la période que j'ai étudiée est un « intervalle colonial » au cours duquel le grand mérite des missionnaires consista à laisser derrière eux l'ancien « modèle paroissial » et à créer un « nouveau modèle » dont le but consistait à incorporer les indigènes à un système d'agriculture de plantation... dans la mesure ou ces indigènes se convertirent, la démarche suivante des clarétains n'aurait-elle pas été un retour à ce vieux « modèle paroissial » ?

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Tableaux chronologiques du tome 2 Chronologie de la présence clarétaine en Guinée 1883 décembre : voyage du P. Ramirez à la baie de San Carlos (Batete) 1884 janvier : voyage du P. Ramirez à Libreville et Corisco. mars-avril : ouverture de l'internat de garçons de Santa Isabel. avril-mai : « lutte pour l'instruction » entre clarétains et gouverneur. juin : visite du P. Xifré à Fernando Póo. septembre : création de la propriété de Banapa. entretien Xifré - Cánovas del Castillo 1885 janvier : arrivée de la 2e expédition missionnaire : 19 clarétains et cinq conceptionnistes. février : création du collège de filles de Santa Isabel fondation de la Maison de Banapa. mars : fondation de la Mission de Corisco. † décès à Corisco du P. Moratona. fondation de la Mission du Cap de Saint Jean. août : fondation de Mission d'Annobon. 1886 avril : document - programme d’expansion du P. Xifré. août : fondation de la Mission d’Elobey. 1887 janvier : arrivée de la 3e grande expédition : 22 Clarétains. fondation de la Mission de Batete. mai : incendie qui permet d'élargir la Maison de Santa Isabel. 1888 janvier : fondation de la Mission de Concepción. novembre : incendie de l'église de Santa Isabel.

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1889 avril : agrandissement de l'école de garçons de Santa Isabel. mai : agrandissement de la Maison de Santa Isabel. 1890 mars : inauguration de la nouvelle église de Santa Isabel. novembre : fondation de la maison conceptionniste de Corisco. 1892 avril : arrivée des colons espagnols affectés à Basilé. octobre : fondation de la Mission de Basilé. 1896 juillet : fondation de la Mission de Musola. 1898 juillet : déménagement des conceptionnistes de Santa Isabel à Basilé. 1904 novembre : fondation de la Mission de San Carlos (Wesbe). 1905 février : fondation de la Mission de Rio Benito. juin : fondation de la Maison conceptionniste de Batete. 1906 juin : installation des conceptionnistes à l'hôpital de Santa Isabel. 1908 fondation de la Mission de Moka. Chronologie du litige territorial avec les spiritains 1880 juillet : Le Berre demande la juridiction sur Corisco et le Cap de Saint Jean. 1884 janvier : visite du P. Ramírez à Libreville. 1885 mars : fondation des Missions de Corisco et du Cap de Saint Jean.

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1886 mars : début des pourparlers franco-espagnols à Paris. août : fondation de la Mission d'Elobey. 1887 mars : premières réclamations officielles de Le Berre en rapport à l'expansion clarétaine. 1889 fondation de la Mission de Bata. juillet : matérialisation des demandes de Le Berre : réduire l'activité clarétaine au continent, au Cap de Saint Jean. septembre : matérialisation de la position clarétaine : fermeté et prudence : que ce soit le Saint Siège qui décide. 1895 Alexandre Le Roy demande une décision au Saint Siège. Voyage à Rome. 1896 mai : proposition de résolution provisionnelle du Saint Siège. 1897 août : allégations du Préfet Apostolique Ermengol Coll à cette proposition. 1898 janvier : résolution provisoire du Saint Siège, défavorable aux intérêts clarétains. mars : conditions de Le Roy pour que les clarétains puissent exercer sous sa juridiction. 1900 juin : convention de Paris 1901 commission de délimitation de frontières janvier : visite du P. Coll au Cardinal Ledochowski ; réclamation de tout le territoire continental annexé à l'Espagne. juillet : prise de possession, de la part de l'Espagne, de son territoire continental. novembre : décret du gouvernement espagnol réclamant la juridiction ecclésiastique de son territoire continental.

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1903 avril : annexion, par le Saint Siège, des territoires continentaux espagnols à la Préfecture Apostolique de Fernando Póo. 1904 mai : Décret pontifical de conversion de la Préfecture Apostolique de Fernando Póo en Vicariat Apostolique. Nomination du P. Ermengol Coll comme premier Vicaire Apostolique de Fernando Póo. 1919 remise de la Mission de Bata aux clarétains. Chronologie sommaire des missions clarétaines 1883 Mission clarétaine de Santa Isabel. 1884 Ecole de Santa Isabel, externat et internat ; école d'arts et métiers. Propriété de Banapa. 1885 Ecole conceptionniste de Santa Isabel. Missions de Banapa, Corisco, Cap de Saint Jean et Annobón. Eglise de Corisco. Externats de Corisco et Annobón. Premier mariage de catholiques à Annobón. 1886 Mission d'Elobey. Internat de Corisco. Eglise et externat du Cap de Saint Jean. Eglise d'Annobón. Ecole du soir pour adultes à Annobón. 1887 Mission et externat de Batete. Internat du Cap de Saint Jean. Eglise et internat pour Fangs à Elobey.

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1888 Mission et internat de Concepción. Premier mariage de catholiques à Corisco. Eglise et internat de Batete. 1890 Ecole conceptionniste de Corisco. 1891 Premier mariage de catholiques au Cap de Saint Jean et à Concepción. 1892 Mission et externat de Basilé. 1893 Village de María Cristina de Batete. 1894 Village fang de San José de Banapa. 1895 Village de San Joaquín, à Concepción. 1896 Mission de Musola. 1897 Premier mariage de catholiques à Musola. 1898 Internat conceptionniste de Basilé. 1901 Village bubi de Santa Teresa de Banapa. 1903 Internat de Basilé. Village de San José de Musola. 1904 Mission de San Carlos (Wesbe).

357

1905 Mission de Río Benito. Internat conceptionniste de Batete. Externat de San Carlos. 1906 Installation des conceptionnistes à l'hôpital de Santa Isabel. Internats de Musola, San Carlos et Río Benito. 1908 Mission et externat de Moka. 1912 Internat conceptionniste d'Elobey. Chronologie de l’affaire Puig-Gros 1894 Novembre : mort de Ndjuke à la Mission du Cap de Saint Jean. Décembre : Paiement de 250 duros au chef du village de Satomé par le P. Coll. Début du procès contre le P. Puig-Gros et le F. Artieda. Aveu écrit du F. Artieda au P. Xifré. 1895 Janvier : Requête du gouverneur Puente au P. Coll. Rapport du gouverneur Puente au Ministère d'Outre-mer. Visite du P. Xifré à Santa Isabel. Février : Acte de prison préventive contre Puig-Gros et Artieda. Destitution du gouverneur Puente. Mars : Rescrit du Sainte Siège décrétant l'expulsion du P. Puig-Gros congrégation « tant qu'il ne sera pas corrigé ». Mai : Conférence du gouverneur Puente à l'Athénée de Madrid. Session des États Généraux : Labra/Barrio y Mier. Parution de divers articles dans plusieurs journaux. Juin : destitution du secrétaire José Cherequini. Juillet : prise de possession du gouverneur Adolfo de España.

358

de la

1896 Janvier : arrivée à Santa Isabel de Francisco Guarro. Avril : Puig-Gros demande la dispense d'irrégularité au Saint Siège. Août : fin de l'Instruction judiciaire à Santa Isabel. Décembre : l'Audience de Las Palmas ordonne que le procès soit repris. 1897 Mai : mort du gouverneur Adolfo de España. Octobre : prise de possession du gouverneur José Rodríguez Vera. Décembre : demande du P. Mata pour la fin de l'affaire. 1898 Mai : Le P. Puig-Gros sollicite sa réincorporation à la congrégation. Entretiens entres des Supérieurs de la Congrégation et des Magistrats de l'Audience. 1900 Août : mandat judiciaire livrant les accusés au ponton de Santa Isabel. Septembre : Arrivée des accusés aux Canaries. Emprisonnement. Première déclaration des inculpés. Accusation formelle et demande initiale de prison à perpétuité. Décembre : Retour des accusés à Santa Isabel. Emprisonnement au ponton. Le P. Coll remait de l'argent aux prisonniers. 1901 Janvier : évasion du F. Artieda. Avril : tentative de procès du P. Coll. 1902 Mars : expulsion définitive du P. Puig-Gros de la congrégation. Octobre : jugement oral. Novembre : publication de la sentence : Huit ans et un jour de réclusion criminelle. Le Père Puig-Gros est mis en liberté. 1903 Juin : Le P. Puig-Gros obtient la dispense d'irrégularité du Saint Siège. L'évêque de Solsona demande des rapports à la congrégation.

359

1904 Le P. Puig-Gros reprend sa carrière sacerdotale.

TABLE DES MATIÈRES RAPPEL DU TOME 1 : Mémoire et naïveté de l'Empire Préface

9

Introduction générale

11

Les débuts de la mission guinéenne Le grand siècle des missions chrétiennes La Guinée Équatoriale, britannique et espagnole La christianisation de l’île d’Annobón La mission baptiste Les pères français du Saint-Esprit Les Bubis de Fernando Póo Le premier missionnaire espagnol en Guinée La deuxième expédition missionnaire espagnole : le premierpréfet apostolique de Fernando Póo

70

Les jésuites en Guinée, 1858-1872 L’État espagnol en Guinée Les jésuites à Fernando Póo L’établissement d’un modèle Au-delà de Santa Isabel La faillite d’une organisation L’apogée et la fin de la mission

85 104 110 128 145 150

Les missionnaires clarétains Saint Vincent Ferrier Les missions intérieures Le P. Claret La Congrégation

159 160 162 175

Les clarétains en Guinée Les préambules Présentation des clarétains destinés à la Guinée Les religieuses conceptionnistes L’impact de la nouvelle mission L’organisation de la mission. Les préfets apostoliques Les premières actions

195 212 226 231 243 250

361

27 34 46 51 55 57 62

Tableaux chronologiques du tome I Chronologie antérieure à 1858 Chronologie politique du XIXe siècle en Espagne Chronologie de la mission des jésuites (1867-1872) Chronologie du P. Claret (1807-1950) Chronologie de la Congrégation (1849-1909) Chronologie générale (1872-1885)

257 261 264 266 268 270

Table des matières

273

TOME 2 : A la conquête de l’Ancien Régime Préface

9

En de nombreux endroits, en tous lieux La mission de Santa Isabel Les bases de l’expansion Consolidation et expansion de la mission de Santa Isabel La première phase de l’expansion clarétaine La deuxième phase de l’expansion clarétaine Les autres fondations La petite expansion des religieuses conceptionnistes

11 24 31 36 49 53 60

Quand la forêt devient une ferme Les limites de l’expansion : les missionnaires français Le modèle clarétain Aspects économiques

65 86 114

La nouvelle identité des jeunes guinéens Le paternalisme culturel des missionnaires clarétains La vie dans les internats Le conflit provoqué L’« achat des âmes »

131 144 157 170

La ville et la campagne Protecteurs des faibles, porteurs de la paix Les idées « archi-avancées » des gouverneurs Au-delà de Santa Isabel La « perle » des missions

187 206 224 238

L’affaire Puig-Gros : Cap de Saint Jean, 1884-1906 Les faits

247

362

Les personnages Les prises de position Le scandale Un procès L’autre procès L’évasion La sentence Conclusion

251 253 260 269 275 288 292 297

Le chemin de Damas Les rapports entre les missionnaires Réprimandes, expulsions, doutes, désertions Résultats Épilogue

301 320 337 344

Chronologies du Tome 2 Chronologie de la présence clarétaine en Guinée ) Chronologie du litige territorial avec les spiritains Chronologie sommaire des missions clarétaines Chronologie de l’affaire Puig-Gros

353 354 356 358

Table des matières

361

L·HARMATTAN ITALIA Via Degli Artisti 15; 10124 Torino L·HARMATTAN HONGRIE Könyvesbolt ; Kossuth L. u. 14-16 1053 Budapest L·HARMATTAN KINSHASA 185, avenue Nyangwe Commune de Lingwala Kinshasa, R.D. Congo

L’HARMATTAN CONGO 67, av. E. P. Lumumba Bât. – Congo Pharmacie (Bib. Nat.) BP2874 Brazzaville [email protected]

(00243) 998697603 ou (00243) 999229662

L’HARMATTAN GUINÉE Almamya Rue KA 028, en face du restaurant Le Cèdre OKB agency BP 3470 Conakry (00224) 60 20 85 08 [email protected] L’HARMATTAN CAMEROUN BP 11486 Face à la SNI, immeuble Don Bosco Yaoundé (00237) 99 76 61 66 [email protected] L’HARMATTAN CÔTE D’IVOIRE Résidence Karl / cité des arts Abidjan-Cocody 03 BP 1588 Abidjan 03 (00225) 05 77 87 31 [email protected] L’HARMATTAN MAURITANIE Espace El Kettab du livre francophone N° 472 avenue du Palais des Congrès BP 316 Nouakchott (00222) 63 25 980

L’HARMATTAN ARMATTAN SÉNÉGAL L’H SÉNÉGAL 10 VDN en face Mermoz, après le pont de Fann « Villa Rose », rue de Diourbel X G, Point E BP 45034 Dakar Fann 45034 33BP825 98 58Dakar / 33 FANN 860 9858 (00221) 33 825 98 58 / 77 242 25 08 [email protected] / [email protected] [email protected] www.harmattansenegal.com



L’HARMATTAN %e1,1 ISOR-BENIN 01 BP 359 COTONOU-RP Quartier Gbèdjromèdé, Rue Agbélenco, Lot 1247 I Tél : 00 229 21 32 53 79 [email protected]

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ACTION MISSIONNAIRE EN GUINÉE ÉQUATORIALE, 1858-1910

À la reconquête de l’Ancien Régime Tome 2 La Guinée Espagnole (aujourd’hui la Guinée Équatoriale) a connu, dès le début de sa colonisation, le rejet des manifestations culturelles originales des peuples qui la composent. Ces manifestations symbolisaient pour les colons une forme de résistance à leur prise de pouvoir. Pour s’en protéger, ils les ont donc déformées afin d’en faire des outils spirituels qui leur ont permis d’asseoir leur pouvoir et de parvenir à leurs fins. Dans ce 2e tome, le professeur Jacint Creus analyse de quelle manière les missionnaires clarétains, détenteurs du monopole éducatif en échange de leur présence qui légitimait la colonisation espagnole dans les territoires espagnols d’Afrique centrale - ont, avec le financement de l’État libéral, créé un modèle de colonisation ancré dans l’Ancien Régime, à la fois paternaliste et autoritaire. C’est d’elle que les autorités coloniales et les suivantes se sont inspirées. L’utilisation de mythes relatifs à l’évangélisation espagnole en Amérique et la tentative d’imposition d’une nouvelle identité pour les différentes sociétés guinéennes ont fait des missionnaires les créateurs d’une société coloniale originale. Celle-ci n’est pas étrangère à la situation actuelle du pays. Jacint Creus Boixaderas est philologue, docteur en anthropologie culturelle (Université de Barcelone) et docteur en histoire et civilisations (Université de Paris VII, Denis Diderot). Il a consacré 30 années de sa vie à la recherche sur les littératures orales équato-guinéennes, et sur l’histoire de la première étape coloniale espagnole de Guinée. Action missionnaire en Guinée Équatoriale, 1858-1910 est basé sur la thèse doctorale rédigée par le professeur Jacint Creus, et soutenue à l’université de Paris VII en 1999. Il se présente en deux tomes.

Illustration de couverture : Le père Joaquin Juanola avec le secrétaire du gouvernement de Santa Isabel D. Juan Montero et D. Juan Pla, le capitaine des navires à vapeur de la compagnie Transatlantica (avant 1913) © archives clarétaines (CMF). ISBN : 978-2-336-30769-5

37,50 €