Acteurs et chercheurs en suicidologie 9782842542269

L'Union Nationale pour la Prévention du Suicide (UNPS) a été créée il y a bientôt 10 ans, regroupant des associatio

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French Pages 290 Year 2006

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Table of contents :
SOMMAIRE
INTRODUCTION
PARTIE 1 Compréhension des conduites et problématiques de recherche
LE SUICIDE UNE VIOLENCE MÉCONNUE
PLACE DE LA VIOLENCE DANS LA VIE AFFECTIVE HUMAINE
VIOLENCE, SUICIDE : DÉTRUIRE, CONSTRUIRE ACTEURS ET CHERCHEURS
TRANSMISSION DU GESTE SUICIDAIRE
LES QUESTIONS DE SANTÉ PUBLIQUE
INTERVENTION DU PROGRAMME RÉGIONAL DE SANTÉ-SUICIDE
LA PLACE DU CHERCHEUR DANS LA PRÉVENTION
PARTIE 2 Recherches et milieux professionnels de prévention Trois domaines : Recherche - Prévention - Soins
MESURES ET INDICATEURS : QUELLES SONT LES SPÉCIFICITÉS EN SUICIDOLOGIE ?
APPORT DE LA MÉDECINE LÉGALE : LA « SANTÉ » DES SUICIDÉS
MILIEU SCOLAIRE ET RECHERCHE : POUR UNE CULTURE PRÉVENTIVE DE L’ENTRE-DEUX
VERS UNE CONSTRUCTION PROGRESSIVE D’UNE CULTURE DE LA PRÉVENTION EN MILIEU SCOLAIRE
CONCERTATION ENTRE RECHERCHE ET PRATIQUE EN PRÉVENTION DU SUICIDE : TROIS EXEMPLES QUÉBÉCOIS
PARTIE 3 Les lieux d’accueil
L’ENQUÊTE CREDA SUR LES RÉSULTATS OBTENUS PAR LA PRISE EN CHARGE SPÉCIFIQUE DES CENTRES « RECHERCHE ET RENCONTRES »
UN LIEU DE CRISE POUR LES ADOLESCENTS À LA CLINIQUE MÉDICOUNIVERSITAIRE GEORGES-DUMAS
DROITS DE LA FAMILLE APRÈS LE SUICIDE D’UN FILS, D’UNE FILLE, D’UN FRÈRE, D’UNE SOEUR: SYNTHÈSE DES TÉMOIGNAGES
PROJET RELIER : UNE PERSPECTIVE POUR LES SUICIDANTS
UN TEST POUR DÉPISTER LES CONDUITES SUICIDAIRES DES ADOLESCENTS
COMMENT IMPLIQUER LA COMMUNAUTÉ DANS LA PRÉVENTION DU SUICIDE ? PRATIQUES NOVATRICES D’UNE ÉQUIPE HOSPITALIÈRE
PARTIE 4 Besoins de recherche-action et de formation Exemples de recherche-actions à l’UNPS
UN PROGRAMME COMPLET DE PRÉVENTION EN MILIEU PÉNITENTIAIRE: RAPPORT DE MISSION À LA DEMANDE DU GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DU MINISTRE DE LA SANTÉ, DE LA FAMILLE ET DES PERSONNES HANDICAPÉES - DÉCEMBRE 2003
UN CENTRE RÉGIONAL DE RESSOURCES DE PRÉVENTION DES CONDUITES SUICIDAIRES
RECHERCHE-ACTIONS DANS LE TARN TENTATIVES DE SUICIDE: CIRCUITS D’INFORMATION
RECHERCHE-ACTION DANS LES TRANSPORTS PUBLICS : DE L’USAGE DES INFORMATIONS À LA MISE EN PLACE D’ACTIONS
« UN MESSAGE POUR LA VIE »
PERSPECTIVES
ACTEURS ET CHERCHEURS EN SUICIDOLOGIE
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Acteurs et chercheurs en suicidologie
 9782842542269

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ACTEURS ET CHERCHEURS EN SUICIDOLOGIE

Déjà parus dans la même collection LES COMPORTEMENTS À RISQUE DES TOXICOMANES A. Boissonnas, G. Vidal-Trécam, J. Coste, I. Varescon-Pousson, J. Reboul-Marty

TOXICOMANES INCARCÉRÉS F. Facy

TOXICOMANES ET PRESCRIPTION DE MÉTHADONE F. Facy

L’ÉCOUTE TÉLÉPHONIQUE : UN OUTIL DE PRÉVENTION DU RISQUE ALCOOL F. Facy, A. Salles, D. Jouve

ÉPIDÉMIOLOGIE DES POLYCONSOMMATIONS ALCOOL, DROGUE J.M. Delile, F. Facy, S. Dally

LES TOXICOMANIES F. Facy, L. Guyon

LES JEUNES SUICIDANTS À L’HÔPITAL M. Choquet, V. Granboulan

ADDICTIONS AU FÉMININ F. Facy, M. Villez, J.M. Delile, S. Dally

En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans l’autorisation de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie.

© Éditions EDK, Paris, 2006 33, rue Bezout, 75014 Paris, France Téléphone : 01 53 91 06 06 - Fax : 01 53 91 06 07 E-mail : [email protected] Site : www.edk.fr ISBN : 2-84254-109-X

ACTEURS ET CHERCHEURS EN SUICIDOLOGIE Sous la direction de Françoise FACY, Michel DEBOUT

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SOMMAIRE INTRODUCTION F. Facy, M. Debout

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PARTIE 1 - COMPRÉHENSION DES CONDUITES ET PROBLÉMATIQUES DE RECHERCHE

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Le suicide, une violence méconnue J. Vedrinne, J.-P. Soubrier

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Place de la violence dans la vie affective humaine D. Settelen

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Violence, suicide : détruire, construire, acteurs et chercheurs F. Blaise-Kopp

34

Transmission du geste suicidaire J. Guyotat

38

Les questions de santé publique Groupe PRS Rhône-Alpes, C. Dumont

43

Intervention du programme régional de santé-suicide R. Vitale, S. Martin, D. Straub, P. Combes

50

La place du chercheur dans la prévention A. Batt

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PARTIE 2 - RECHERCHES ET MILIEUX PROFESSIONNELS DE PRÉVENTION TROIS DOMAINES : RECHERCHE - PRÉVENTION - SOINS

63

Mesures et indicateurs : quelles sont les spécificités en suicidologie ? F. Facy, M. Debout, C. Le Tessier

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Acteurs et chercheurs en suicidologie

Apport de la médecine légale : la « santé » des suicidés M. Debout, E. Bonne, P. Beck, D. Fasquel, D. Malicier

87

Milieu scolaire et recherche : pour une culture préventive de l’entre-deux D. Cettour

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Vers une construction progressive d’une culture de la prévention en milieu scolaire J.-L. Pilet

120

Concertation entre recherche et pratique en prévention du suicide : trois exemples québécois F. Chagnon, B.L. Mishara

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PARTIE 3 - LES LIEUX D’ACCUEIL

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L’enquête CREDA sur les résultats obtenus par la prise en charge spécifique des centres « Recherche et Rencontres » M.-T. Fachon

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Un lieu de crise pour les adolescents à la clinique médico-universitaire Georges-Dumas T. Vincent

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Droits de la famille après le suicide d’un fils, d’une fille, d’un frère, d’une sœur : synthèses des témoignages Association Nationale Jonathan Pierres Vivantes

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Projet RELIER : une perspective pour les suicidants J. Vazeille

166

Un test pour dépister les conduites suicidaires des adolescents P. Binder

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Comment impliquer la communauté dans la prévention du suicide ? Pratiques novatrices d’une équipe hospitalière K. Yebbal

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Françoise Facy, Michel Debout

PARTIE 4 - Besoins de recherche-action et de formation

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Un programme complet de prévention en milieu pénitentiaire J.-L. Terra

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Un centre régional de ressources de prévention des conduites suicidaires M.-H. Bussac-Garat

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Recherche-actions dans le Tarn - tentatives de suicide : circuits d’information B. Vilamot, F. Facy, J.-P. Soubrier, M. Passamar, M. Debout, G. de la Garoullaye

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Recherche-action dans les transports publics : de l’usage des informations à la mise en place d’actions M. Sohier, B. Guingant, D. Sutton, F. Facy, R. Padieu, P. Carette, J.-Y. Bonnefond, E. Kothe, E. Malis

246

« Un message pour la vie » F. Facy, M. Rabaud, N. Cherkasky, C. Thomas, G. Goualc’h, M. Debout

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PERSPECTIVES Acteurs et chercheurs en suicidologie M. Debout, F. Facy

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Françoise Facy, Michel Debout

INTRODUCTION Françoise Facy1, Michel Debout2 1

Directeur de recherche Inserm 2 Président de l’UNPS

L’Union Nationale pour la Prévention du Suicide (UNPS) a été créée il y a bientôt 10 ans, regroupant des associations de professionnels et de bénévoles œuvrant dans ce champ, à la recherche de réponses médico-psycho-sociales mieux adaptées à la souffrance et au désespoir des personnes suicidaires. L’UNPS, d’emblée, a souhaité développer un axe de recherche, d’une part pour susciter des actions en fonction des résultats acquis sur un plan scientifique et d’autre part pour concourir à l’amélioration des connaissances, à partir des observations cliniques dans les lieux de soins et de prévention. La place donnée à la recherche depuis les premiers colloques ou rencontres organisés par l’UNPS est tout à fait particulière, le questionnement est permanent : • où en est-on des données épidémiologiques qui permettent de mesurer l’ampleur du phénomène et d’en suivre l’évolution dans le temps ? • que font les autres pays en matière de prévention et quelle est l’évaluation des programmes ? • comment sont organisés le repérage et les soins aux suicidants dans les centres hospitaliers ? Quelle est la formation des intervenants ? • existe-t-il des « modèles » pour renforcer le lien social à partir de structures d’aide ? Quel est le rôle de la téléphonie sociale ? Ces thèmes sont aussi abordés par le comité éthique et scientifique de l’UNPS, composé de chercheurs de l’Inserm, de cliniciens, d’universitaires, de philosophes, d’acteurs de prévention, en milieu scolaire notamment. La réflexion commune s’est progressivement structurée dans trois directions principales : - les personnes et les comportements individuels ; - les milieux et les situations de prévention ;

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Acteurs et chercheurs en suicidologie

- les professionnels du soin. À ces niveaux d’observation, chercheurs et acteurs de terrain doivent articuler leurs méthodes et leurs outils de mesure en fonction d’une thématique commune. Cette phase se révèle longue, inhabituelle aux démarches courantes des différentes disciplines rassemblées en suicidologie. L’apprentissage d’un langage commun, pour appréhender les bases de raisonnement de chacune est indispensable, mais long, pour mutualiser et approfondir les connaissances scientifiques et cliniques. L’approche de Santé Publique reste encore peu familière à de nombreux intervenants en prévention et l’opposition avec la clinique individuelle obstrue encore souvent le dialogue. De même, les composantes des relations humaines présentent une telle complexité par leur diversité et leurs interactions systémiques qu’elles rebutent nombre de chercheurs et les mettent au défi de modéliser les situations et les programmes autrement que d’établir des catalogues... Aussi l’UNPS se veut être un espace d’échanges, d’expérimentation et d’évaluation pour faciliter la diffusion des connaissances auprès de publics divers, professionnels ou entourage, pour la formation et la prise de conscience collective, et pour contribuer à l’installation de moyens d’aide et de soins aux personnes en difficulté avec l’existence. La collaboration avec des organismes de recherche s’est faite surtout grâce à quelques chercheurs engagés dans une démarche associative, acceptant un mode de dialogue proche du terrain, sans rejet de la multidisciplinarité, de la limitation naturelle des expériences biologiques et humaines, des hésitations des politiques de santé, des incertitudes de la médecine et de la santé mentale. Ce livre est une synthèse des avancées et des hésitations dans le rapprochement entre chercheurs et acteurs de prévention et soins, souhaité et organisé par l’UNPS, avec un temps fort, lors du colloque de Saint-Étienne, en 2003 sur le thème général : « Violence et suicide : détruire et construire » et soutenu par la DRASS de la région Rhône-Alpes. Cet ouvrage prolonge les réflexions du colloque organisé autour des questions : - Travaux de recherche, transfert de connaissances et actions de terrains, quelle est leur interactivité ? - À l’aune du Programme Régional de Santé (2000-2002) et des

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Françoise Facy, Michel Debout

travaux récents menés, de recherche ou cliniques, comment les professionnels de Santé échangent avec les associations de prévention ? - Les connaissances actuelles sont-elles suffisantes pour l’analyse des besoins et l’évaluation des actions en terme d’efficacité ? Quatre parties structurent les problématiques, la légitimité des chercheurs en santé et les spécificités des milieux d’observation, les acteurs de la prévention du suicide et leurs interventions, les besoins de connaissances et de formation.

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PARTIE 1 Compréhension des conduites et problématiques de recherche

Que l’approche des phénomènes de violence, de suicide, de traumatisme soit individuelle (sur des personnes) ou collective (sur des populations), elle requiert des définitions des sujets d’étude ou d’observation et des méthodologies explicites ; situer la place des chercheurs et des acteurs en suicidologie permet de comprendre leurs rôles dans leurs analyses croisées et d’utiliser leurs avancées dans les choix d’actions pour la prévention. La loi de Santé Publique votée en 2004 précise l’importance des indicateurs pour délimiter les objectifs de santé et suivre l’impact des actions. Parmi les plans prioritaires, le deuxième s’attache à l’ensemble des conduites à risque, pour limiter les conséquences des phénomènes de violence et d’addiction. Les objectifs fixés concernent la diminution de la mortalité par traumatisme et violence, et la facilitation de l’accès aux soins. Pour l’application des politiques de santé, les régions organisent des concertations et élaborent des programmes régionaux de santé. L’exemple du dernier PRS de Rhône-Alpes illustre l’interactivité chercheurs-acteurs de prévention et décideurs de Santé Publique, pour suivre les indicateurs et les besoins et évaluer les interventions.

Acteurs et chercheurs en suicidologie

LE SUICIDE UNE VIOLENCE MÉCONNUE Jacques Vedrinne1, Jean-Pierre Soubrier2 1

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Professeur de médecine légale, Institut de médecine légale, Lyon, France Professeur de psychiatrie, Président de la section de suicidologie de l’association mondiale de psychiatrie, expert OMS

Il pourrait paraître comme allant de soi que les préoccupations du groupe social sur l’envahissement de la violence et le besoin de sécurité maximum impliquent le suicide. En réalité, le suicide est volontiers méconnu dans les travaux portant sur les violences. Cette méconnaissance que l’on va retrouver à tous les niveaux de l’analyse aussi bien psychologique que sociologique est une des clés essentielles de la compréhension du suicide.

Perception de la violence Lorsque l’on demande, dans le cadre de séminaires ou d’interventions diverses auprès de soignants, aux différentes personnes de connoter la notion de violence le plus spontanément possible, les réponses tournent autour de l’homicide, la violence, le viol, le racisme, etc. mais très rarement mentionnent le suicide. C’est qu’en effet la violence est plutôt perçue comme une agression physique, exercée intentionnellement par un individu ou un groupe contre un autre individu ou un autre groupe. C’est d’ailleurs dans cette optique que le dictionnaire Robert mentionne « faire violence : agir sur quelqu’un en employant la force ou l’intimidation ; la violence : force brutale pour soumettre quelqu’un ; une violence : acte par lequel s’exerce cette force (sévices, maltraitance), disposition naturelle à l’expression brutale des sentiments ». La violence est donc plus volontiers associée à la notion de délinquance sous la forme d’une agression menaçant la sécurité et l’intégrité physique de l’autre. Bergeret distingue « la violence » en tant qu’instinct fondamental inné, présent chez tous les humains et

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Françoise Facy, Michel Debout

destiné à assurer la survie et d’autre part, les actions agressives, ce qu’on appelle communément « les violences ». Il distingue donc la violence qui correspond à une attitude mentale assez simpliste beaucoup plus archaïque et beaucoup plus spontanée de l’agressivité correspondant à un mode de fonctionnement mental assez secondarisé et susceptible de bénéficier d’une élaboration structurante pour le développement de la personnalité du sujet aussi bien dans le cadre des relations inter-humaines que tout simplement dans le cadre du fonctionnement intra-psychique. Pour paraphraser un mot célèbre, on pourrait dire que les violences « ce sont les autres » : le fou, le marginal, le délinquant. Le suicide n’est donc pas perçu immédiatement comme une violence et ne semble pas avoir beaucoup intéressé les auteurs des travaux sur la violence. Par exemple, le rapport Peyrrefite « Réponse à la violence » publié en 1977 n’y consacre qu’une demi-page sur 750 et encore s’agit-il de données purement statistiques sans aucune analyse du phénomène. Une exception notable toutefois, celle de l’ouvrage « Histoire de la violence » de Jean-Claude Chesnais paru en 1981, qui accorde à la violence privée suicidaire une place importante (100 pages sur les 400 pages de l’ouvrage). Plus récemment, l’OMS en 2002 a abordé le problème de la violence en tant que défi planétaire en soulignant que la moitié des morts violentes est due au suicide, le tiers aux homicides et un cinquième aux guerres. Le coût humain de la violence totalise 1,6 million de morts par an. Trois types de violences sont reconnus : contre soi par suicide et automutilation, interpersonnel dans la famille et la communauté, et collective lors des guerres et des conflits armés. D’une manière générale, les conduites autodestructrices sont plus volontiers évoquées dans les travaux sur la violence comme le résultat ou l’effet de la violence, que comme une violence en soi. On peut donc s’interroger sur cette réaction sociale telle qu’elle s’exprime dans le discours du public et qui se trouve confirmée par le relatif silence des chercheurs. Cette attitude n’épargne pas non plus l’organisation judiciaire qui parfois, en dépit des obligations réglementaires concernant les certificats de décès par exemple, a tendance à considérer le suicide plus dans le domaine de la mort naturelle que de la violence (surtout s’il s’agit d’un malade chronicisé ou d’une personne très âgée polypathologique). Il est vrai que pendant très longtemps (heureusement les choses commencent à changer de manière significative) pour des raisons tenant à des facteurs individuels mais surtout socioculturels, la censure

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Acteurs et chercheurs en suicidologie

sur tout ce qui touchait au suicide a parfaitement fonctionné. La mort par suicide était une mort dont la cause devait être cachée bien après que le suicide ait été décriminalisé et que la condamnation religieuse ait été abolie. Toutefois, les mentalités évoluent plus lentement que la parution des décrets surtout lorsqu’il s’agit du comportement touchant à des interdits concernant les instincts les plus vitaux, d’où la persistance d’une résistance individuelle et sociale à la levée du tabou, présidant depuis longtemps à tout ce qui touche au suicide.

Apport de la criminologie C’est peut-être particulièrement dans les travaux de criminologie que le suicide trouve sa place dans les conduites violentes. Ainsi Alexandre Lacassagne dans un travail de 1896 « Les suicides à Lyon » introduit son étude par la citation d’un auteur allemand du XVIIIe siècle, Sussmilch, qui faisait cette observation : « nous sortons de cette vie par trois portes : • l’une immense, aux propositions colossales, sous laquelle passe une foule de plus en plus considérable, c’est la porte des maladies et des accidents ; • la seconde d’une moindre grandeur, et qui semble se rétrécir graduellement, c’est la vieillesse ; • la troisième étroite, sombre, d’apparence lugubre, toute maculée de sang et qui s’élargit chaque jour, c’est la porte des morts violentes et notamment celle du suicide ». Dans son chapitre « du suicide » de son précis de médecine légale en 1906, Lacassagne écrit « détruire, c’est écarter les obstacles qui s’opposent à la réalisation d’un désir. L’instinct qui nous y porte et que l’on peut appeler l’instinct de destruction, devient chez l’homme l’instinct du meurtre quand l’obstacle est l’un de ses semblables, le poussant au suicide quand il rencontre l’obstacle en lui-même... ». Plus loin, il rappelle « c’est ce qu’avait admirablement compris Dante lorsqu’il classa les suicidés parmi les violents entre les violents contre le prochain et les violents contre Dieu ». Plus récemment, un auteur anglais Richard Cobb dans son ouvrage « la mort est dans Paris : enquête sur le suicide, le meurtre et autres morts subites à Paris au lendemain de la terreur » souligne « les suicidés ont donc droit à la place d’honneur non seulement du fait de leur nette prééminence numérique par rapport aux victimes d’accidents, de la vieillesse, de la maladie ou d’assassinats, mais aussi par une autre raison : eux seuls posent les problèmes essentiels, que leur geste soit une simple et discrète manifestation de désespoir individuel ou qu’il faille l’interpréter

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comme une protestation sans écho contre l’injustice et la cruauté du monde ». Les liens entre suicide et homicide ont fait l’objet de nombreux travaux au plan sociologique : par exemple il a été montré que l’état de guerre faisait tomber le taux de suicide. En revanche, la thèse selon laquelle il y aurait une inversion de l’agressivité avec antagonisme entre les tendances du suicide et celles de l’homicide doit être sérieusement relativisée. Loin d’être systématiquement opposés, les mouvements des deux sont souvent parallèles. Les suicides collectifs (Jonestown, Vercors, etc.) de même que ceux survenant dans le cadre de situations extrêmes déshumanisantes (camps de la mort) sont aussi l’expression d’une violence terrifiante. Au plan clinique, le suicide post-homicide est un cas de figure bien connu en psychiatrie : suicide de l’agresseur de l’objet aimé dans le registre passionnel, mère se détruisant après avoir tué son enfant, mélancolique retournant contre lui l’arme qui a servi à réaliser parfois une véritable hécatombe familiale. Le suicide et l’homicide sont des actes passionnels dans lesquels les liens qui unissent deux individus ne peuvent être rompus qu’au prix de la mort. Le suicide est aussi meurtre de l’autre, l’homicide également meurtre de soi-même. Sur un plan biologique, il existerait une base commune au niveau de certains neuromédiateurs cérébraux qui serait celle de l’impulsivité évoluant dans le sens de la violence ou du suicide selon certaines circonstances et facteurs. Van Praag qui aborda cette question dans un livre « Violence et suicidalité » déclare par ailleurs : « sans équivoque, il existe une relation entre suicide et violence, mais cette relation n’est pas simple ». Il n’en reste pas moins que la représentation d’une mort « douce » est encore vantée par certains, tels les auteurs de l’ouvrage « Suicide, mode d’emploi » paru il y a une vingtaine d’années dont les aspects les plus contestables de leur conception idéologique tenaient précisément au déni de toute violence dans le suicide qui était tout à fait banalisé. Rappelons que c’est la publication de cet ouvrage qui a abouti à la promulgation de la Loi du 31 décembre 1987 sur la provocation au suicide. Le risque de résurgence d’un mécanisme de défense sociale ou l’occultation de la réalité est à la mesure de l’angoisse qu’elle suscite et ne doit pas être sous-estimé.

Ambiguïtés de la suicidologie Tout discours sur la violence passe obligatoirement par l’analyse de sa propre position vis-à-vis de la violence, de son acceptation ou

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de son refus de la violence. Selon ses convictions, sa position morale, politique ou affective, on jugera un acte comme violent ou non en fonction de ce qu’on estime être légitime ou pas. Le propre de la violence, son malin génie est donc de diviser, d’amener à prendre partie de façon passionnelle, violente précisément... L’évolution des rapports entre le suicide et la violence institutionnelle est tout à fait exemplaire : pendant longtemps la violence a été perçue comme dirigée contre l’institution (d’où l’interdit légal du suicide). Actuellement, c’est plutôt l’inverse : l’institution (milieu carcéral, monde du travail, etc.) est perçue comme favorisant le suicide. Autrement dit, autrefois la société demandait des comptes aux suicidés, maintenant c’est plutôt l’inverse... Le suicide pose également de façon abrupte, incontournable la question de la liberté de tout un chacun d’accepter sa vie ou d’y mettre fin. Le suicide ne serait plus une violence dès lors qu’il est considéré comme l’ultime expression de la liberté du sujet qui n’aurait à répondre que vis-à-vis de lui-même. L’argumentation sous-jacente au suicide assisté illustre bien cette tendance : lorsqu’un individu estime que sa vie n’a plus de sens, ni d’attrait pour lui, qu’au contraire elle est synonyme de prolongement d’une souffrance et d’un désespoir incurable, n’est-il pas en droit de se supprimer dès lors que le fait de vivre ou de survivre est en lui-même une violence ? Un suicide qui soulage souvent son entourage doit-il être considéré comme une violence ? La clinique suicidologique permet d’évoquer un certain nombre de points intéressants : c’est ainsi que le discours du suicidant qui se réveille de son coma toxique est verbalisé fréquemment en une banalisation du geste, une dénégation de la recherche de la mort : il voulait simplement dormir, oublier ses soucis, à la limite, c’est même une annulation totale dont il s’agit : il ne s’est rien passé, c’est un accident. Les résistances peuvent trouver un écho complaisant dans l’entourage, d’autant plus aisément qu’il se sent plus concerné par le suicide. Ce dernier est toujours plus ou moins ressenti par cet entourage comme une dénonciation d’autant plus violente que la mort de l’autre ne permet aucune réplique, comme un legs testamentaire elle le désigne définitivement comme un agent persécuteur et exécuteur. La violence de la découverte du corps, les mises en scène parfois évoquant un meurtre sont toujours très traumatisantes. De toute manière cette violence qui s’exerce à l’encontre de l’entourage est volontiers méconnue et refoulée par le suicidaire lui-même qui dans l’état mégalomaniaque qui est le sien au moment de l’accomplissement de son geste, méconnaît complètement la réalité de l’autre. Soit il n’existe plus, soit il est

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totalement fusionné à lui comme chez le mélancolique qui supprime ses proches avant de se donner la mort. L’entourage se défend de la menace agressive par une dénégation en miroir. Il n’en reste pas moins que cette violence refoulée continue à opérer souterrainement et qu’elle pourra resurgir à l’occasion d’un événement symbolique, d’une circonstance révélatrice.

Violence contre le suicidant Il existe en effet une violence que l’on se garde généralement de reconnaître, c’est celle qui s’exerce contre le suicidant, sous la forme massive de rejet, d’abandon ou plus insidieusement et plus dangereusement masquée derrière une sollicitude apparemment bienveillante, par le refus d’entendre la violence du suicide. Cette perte de sens, cette disqualification du désir et du message de l’autre qui peut être associée à la réprobation est sûrement une des formes de violence les plus destructrices par la dérision qu’elle projette sur l’autre. Il s’agit là de ce qu’on peut appeler une violence sauvage, aveugle car elle est une des meilleures façons de renforcer son désespoir, le renvoyant à son insuffisance, de le vider de toute substance et de tout sens. L’approche psychodynamique permet de mieux comprendre la fonction de cette méconnaissance car elle nous éclaire sur ce qui concerne l’origine profonde de cette conduite suicidaire. Le suicide est une conduite qui a précisément pour effet de méconnaître la violence interne. La conduite suicidaire est surdéterminée en ce sens qu’elle exprime sous forme condensée et déplacée une multitude de désirs inconscients plus ou moins inavouables : se tuer certes mais aussi tuer l’autre, se punir de sa haine tout en infligeant à l’autre, le sentiment de la culpabilité et du remords, avec le bénéfice d’apparaître comme une victime. Cette condensation de statut d’agresseur et de victime est une des caractéristiques de la situation du suicidé. Karl Menninger dès 1938, avait d’ailleurs bien souligné que dans le geste suicidaire trois éléments intervenaient : le désir de la mort, le désir de tuer et le désir d’être tué. D’ailleurs Freud dès 1915 dans « Deuil et mélancolie » avait déjà bien montré que « le moi ne peut se supprimer que quand projetant en lui en quelque sorte l’objet d’amour, il peut se traiter lui-même en objet et diriger contre lui-même l’hostilité qui visait l’objet ». La clinique psychanalytique offre de nombreux exemples où se dévoile cette problématique du symptôme : souvent le suicidant parle directement de son geste comme une alternative à un geste hétéroagressif : se tuer pour ne pas tuer l’autre ou bien tuer en soi la partie

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Acteurs et chercheurs en suicidologie

identique à l’autre. Mais de plus en exhibant sa souffrance, le suicidant se place dans la position d’une victime dont on ne songera ou que l’on n’osera pas suspecter la violence qui est de plus en plus fréquemment déplacée sur un objet extérieur en particulier institutionnel. La plainte du suicidant ressentie par le soignant a volontiers pour effet de recouvrir et de méconnaître complètement la violence pulsionnelle qui est à l’origine du geste. En guise de conclusion, nous reprendrons cette phrase de Richard Cobb, l’auteur que nous avons cité plus haut : « Le suicide, même lorsqu’il est commis en public, demeure l’acte humain le plus intime et le plus insondable ».

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PLACE DE LA VIOLENCE DANS LA VIE AFFECTIVE HUMAINE Daniel Settelen Psychiatre, Psychanalyste (Société psychanalytique de Paris), Lyon, France

L’auteur est criminologue, spécialiste en addictologie, psychanalyste. Élève de Jean Bergeret, il essaie, à travers son œuvre, de montrer que si l’imaginaire humain est organisé sous le primat de l’Œdipe et du génital et constitue l’aboutissement souhaitable de toute élaboration affective, le point de départ de la Psychogenèse humaine est de l’ordre de la violence. Cette violence, authentique force vitale, véritable instinct de survie est présente dès les premiers instants de la vie. Freud fait allusion de nombreuses fois dans son œuvre à un instinct violent défensif qu’il n’a jamais développé. Jean Bergeret a appelé cette énergie la violence fondamentale au sens où elle constitue l’énergie vitale au fondement de toute structure de la personnalité. Elle entre en action en premier et doit logiquement se mettre au service de la libido dont elle constitue la source d’énergie. Jean Bergeret propose une relecture de la tragédie de Sophocle Œdipe-Roi en prenant en compte le premier oracle d’Apollon qui dit à Laïos et Jocaste, parents d’Œdipe, qu’il est dangereux de mettre au monde un enfant car se posera alors un dilemme redoutable : soit l’enfant devra tuer ses parents pour avoir droit à la vie, soit les parents devront tuer l’enfant pour survivre. Jocaste, mère d’Œdipe, mettra en acte cette tentative d’homicide. De même, il montre qu’Œdipe, certes tue son père, mais sans le savoir et essentiellement pour une problématique narcissique de priorité de passage. Freud utilise le troisième oracle pour l’élaboration du complexe d’Œdipe, dont l’universalité est incontestable. À partir de cette théorie, les applications cliniques sont nombreuses, notamment au niveau de la compréhension des organisations structurelles névrotiques, psychotiques et état-limite, mais aussi dans la conduite de la cure psychanalytique, l’analyse du transfert et du contre-transfert.

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Mot-clés : violence fondamentale, libido, vie affective, amour, haine, narcissisme, agressivité. The writer is a criminologist specialized in the addiction syndrome and a psychoanalyst. Former student of Jean Bergert, he tries to point out through his work that if human imagination is dependant from the Œdipus and the genital ideologies primacy, and constitutes the desirable outcome of any affective expression, the root of human Psychogenesis is grounded in violence. Violence, this authentic vital strength and genuine survival instinct, is present from the first moments of life. In his work, Freud has referred many times, without developing it any further, to a violent defensive instinct. Jean Bergert named this energy the primary violence, in the sense that it constitutes the vital energy which is the base of any personality structure. It acts first and in all logic must be at the service of the Libido, of which it constitutes the energy source. Jean Bergert proposes a new approach of Sophocles tragedy « Œdipus-King », taking into account the first Oracle of Apollo who says to Œdipus’ parents, Laios and Jocaste, that it is dangerous to give birth to a child, since it will give rise to a formidable dilemma either the child will have to kill its parents to have the right to live, or the parents will have to kill the child to survive. Jocaste, Œdipus’ mother, does act upon this homicide attempt. In the same manner, he points out that indeed Œdipus kills his father, but that he does it mainly and without realising for a narcissistic priority right problematic. This is the third oracle that Freud will use in his theory of the Œdipus complex, which universality remains indisputable. From this theory, clinical case studies have been numerous, in particular in the understanding of neurotic, psychotic and limit-state structural organisations, but also in the carrying out of psychoanalytic cure and in the transfer and counter-transfer analysis. Key words : primary violence, libido, affective life, love, hatred, narcissism, aggressiveness.

La violence ou plutôt les violences ont toujours, de tout temps et dans tous les pays du monde, fasciné les humains. Elles tiennent une place équivalente à celle de l’amour à laquelle elles sont souvent associées.

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L’intérêt porté à la violence par les médias prend une place quotidienne dominante : • il n’est guère possible d’ouvrir la télévision sans voir chaque jour se multiplier les films où la violence est présente que ce soit pour terroriser, menacer ou faire justice ; • les journaux télévisés, la presse quotidienne, les informations donnent une place prépondérante, presque exclusive, aux crimes, attaques, guerres ou menaces de guerre, actes terroristes ; • les dessins animés, les jeux vidéos mettent en scène des héros du bien combattant des héros du mal ou antihéros ; • de nombreux romans, films à succès ont les mêmes thèmes ; • les médias et tout le monde s’inquiètent et s’effraient devant l’augmentation de la violence, du terrorisme, de la délinquance. Ces violences sont abondamment décrites et utilisées pour vendre les films, les romans et les journaux... ; • un journal ou une revue qui ne parlerait que d’événements heureux, positifs, créatifs et agréables n’existe pas et serait vraisemblablement condamné à l’échec. En regardant de plus près ces violences, il est possible de distinguer deux formes de violence : • l’une est alimentée par la haine, et cherche à nuire et à faire du mal à l’autre, et en tire satisfaction. Cette violence est répréhensible, nocive et condamnable ; • l’autre, nécessaire, protectrice, qui agit comme un instinct de survie, est destinée à protéger la vie du sujet contre la menace extérieure réelle ou vécue. Elle serait innée et présente dès les premiers instants de la vie chez les humains et les animaux. Jean Bergeret a particulièrement étudié et développé ce concept, perçu et éludé par Freud dans trois ouvrages principaux parus en 1984 [1], 1994 [2] et 1995 [3]. Dans les années 70 il introduit ce concept, appelé « violence fondamentale ». C’est aussi à partir de ce concept qu’il nous propose une étude de la dynamique du transfert et du contretransfert dans la cure psychanalytique ; il suggère une technique de la cure en 1996 [4]. Nous allons tenter d’expliciter ce concept et sa place dans la vie affective humaine. Étymologiquement, le mot violence vient du latin violentia lui-même dérivé d’un radical archaïque indo-européen qui a donné naissance à bios en grec et à vita en latin. La violence contient originairement la vie et signifie la force vitale et l’utilisation de cette force vitale.

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Secondairement, le sens a dérivé vers l’utilisation abusive de la Force et vers les actions agressives et de haine.

La violence naturelle et universelle Cette violence est nécessaire à la vie. Présente dès le début de la vie, elle est commune aux humains et aux animaux. Destinée à préserver le sujet et n’a pour seul objectif que de mettre le sujet à l’abri des menaces (réelles ou vécues), considérées comme venant de l’autre et de l’extérieur. Elle ne s’intéresse pas à l’objet. C’est une pure réaction de défense, sans aucune connotation affective. S’il arrive que l’acte violent protecteur mis en œuvre dans un but de préservation mette à mal l’autre, le sujet n’éprouve ni culpabilité, ni satisfaction. Le sort de l’autre, en cette circonstance, devient secondaire. C’est une nécessité primitive présente dès les premiers instants de la vie du sujet. Il s’agit d’une sorte d’impulsion primitive purement défensive sans aucune intégration de la problématique amoureuse, donc, sans capacité d’ambivalence affective. C’est un instinct de survie plus qu’une pulsion, une force vitale. Cette violence constitue l’énergie fondamentale commune aux êtres vivants que Jean Bergeret appelle la violence fondamentale.

La haine ou l’agressivité L’agressivité tient une place importante dans l’œuvre de Freud. L’agressivité suppose l’ambivalence de l’amour et de la haine. Elle est synchrone de la sexualité et source de plaisir libidinal. L’agressivité et la haine interviennent plus tardivement au cours de la maturation affective du petit enfant. Elles apparaissent comme l’effet antagoniste de l’amour. La haine traduit l’amour déçu. L’une et l’autre s’adressent à un objet bien défini. Lorsque la haine ou l’agressivité est mise en acte, elle procure une satisfaction au sujet. Toute agressivité renferme une part de satisfaction, voire une jouissance dans l’acte qui fait souffrir l’autre. Agressivité et haine mettent en œuvre des mécanismes élaborés et correspondent à un fonctionnement mental qui a pris en compte, en partie, la satisfaction libidinale et donc la problématique génitale et œdipienne.

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La violence fondamentale C’est ainsi que Jean Bergeret désigne cette force vitale présente dès les premiers instants de la vie et qui constitue une lutte pour la vie. Cette lutte est fondamentale et se situe au fondement de toute structure de la personnalité [5]. Freud dans son œuvre colossale a fait de nombreuses allusions à l’existence d’un instinct violent défensif proche de l’instinct des animaux. Jamais il ne développera, ni communiquera ses élaborations sur ce point. Il est incontestable que la problématique imaginaire œdipienne, si bien décrite par Freud, représente le fondement et l’aboutissement souhaitable de tout processus élaboratif du fonctionnement mental humain. L’imaginaire est organisé sous le primat de l’œdipe et du génital et constitue le point de départ de la Psychogenèse humaine. Tous les humains n’ont pas la chance de rencontrer au cours de leur maturation affective des conditions relationnelles affectives précoces satisfaisantes et suffisantes pour leur permettre d’accéder au mode d’organisation névrotique de leur personnalité, sous la primauté de l’œdipien et du génital. La clinique le confirme : les structures psychotiques ou les organisations limites [6] ne sont pas organisées sur le modèle œdipien mais en constituent les échecs, même si des éléments génitaux et œdipiens sont présents au sein de leur fonctionnement mental. Le dynamisme violent et la libido n’entrent pas en action simultanément mais successivement et en lien aux stimulations environnementales qui vont progressivement activer les modèles imaginaires présents encore inertes. La haine et l’agressivité sont synchrones de la libido sexuelle et source de satisfaction. La violence fondamentale est en diachronie avec la libido dont elle constitue la source d’énergie. Sur ce point nous retrouvons les positions éthologistes [7] : l’enfant venant au monde apporte dans son équation génétique, d’ordre phylogénétique, des présymboliques, des proto-fantasmes dont l’efficience dépend de l’induction environnementale. Les premiers fantasmes de l’enfant, induits par l’entourage affectif, sont renvoyés sur cet environnement et déclenchent dans les imaginaires des réactions affectives stimulantes. L’environnement ainsi stimulé renvoie à l’enfant de nouveaux modèles inducteurs et intégrateurs de fantasmes. À son tour l’enfant renvoie à son entourage affectif de

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nouvelles inductions imaginaires, et ainsi de suite. Ce sont ces mouvements que les éthologistes ont appelés l’épigenèse inter-actionnelle. Mélanie Klein [8] évoque les mêmes mouvements, en les réduisant à l’attitude maternelle, à propos de l’identification projective. Elle montre que les modèles fantasmatiques érotisés ne sont pas les premiers à fonctionner et que la première réaction d’amour est de l’ordre de la réparation. Les fantasmes initiaux sont d’ordre violent. L’intégration progressive de la violence au sein du courant libidinal permettra l’accession à l’ambivalence. Il y a ainsi mise en action et en articulation progressive de deux niveaux distincts de pulsions, à savoir : • les pulsions violentes, archaïques, instinct de vie, élan vital, énergie violente fondamentale mises en action les premières, ce qu’appelle Jean Bergeret l’étape narcissique violente ; • et les pulsions amoureuses, plus élaborées, secondaires qui constituent le courant libidinal. C’est l’étape objectale libidinale. Ces deux étapes ne se succèdent pas de manière séparée et étanche ; elles s’articulent et s’interpénètrent très tôt entre elles. La première étape constitue l’énergie qui vient se mettre progressivement au service de la seconde. C’est le passage du Soi au Moi, du narcissique à l’objectal, de la relation duelle à la relation triangulaire œdipienne, organisatrice, dans les meilleurs cas, du Génital et du Surmoi.

« Œdipe-roi » revisité Jean Bergeret s’interroge sur l’éviction par Freud du premier oracle explicite d’Apollon à Laïos et à Jocaste avant la naissance d’Œdipe. Apollon prévient Laïos et Jocaste qu’il est dangereux de mettre au monde un enfant car se posera alors pour eux un dilemme redoutable : soit l’enfant devra tuer ses parents pour avoir droit à la vie, soit les parents devront préventivement tuer l’enfant pour survivre. Cet oracle conduira les parents à abandonner l’enfant sur le Mont Cithéron, pendu à un arbre par un pied, pour être dévoré par les bêtes sauvages. Jocaste, la mère, fait exécuter cette tentative d’infanticide. Œdipe, par hasard, sera sauvé ! La problématique violente universelle ainsi mise en acte porte sur la mise à mort de l’enfant par les parents afin qu’il ne mette à mort ses deux parents pour avoir droit à la vie. Ce message de Sophocle concerne, selon Jean Bergeret, l’imaginaire primaire violent, en jeu

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chez le garçon et la fille en terme de « Moi ou Lui », de « Moi ou eux », de « Moi ou l’Autre », de « vie ou mort », avant qu’il s’agisse de libido sexuelle. Le troisième oracle, où il est question de tuer le père pour épouser la mère, servira de base à Freud pour l’élaboration du complexe d’Œdipe dont l’universalité est incontestable. Enfin, Jean Bergeret nous fait remarquer qu’Œdipe certes a tué son père, mais sans le savoir, pour une problématique de rivalité narcissique (de « refus de priorité de passage ») entre un vieillard impétueux et un jeune homme arrogant et non pas seulement par jalousie amoureuse. De même, il propose de relier le mythe de la horde primitive au registre imaginaire violent où le meurtre du père intervient uniquement pour la survie, « sans amour et sans haine ».

La mise en acte de la violence fondamentale Ainsi dès sa conception, le petit humain réactive chez ses parents des fantasmes primitifs d’ordre violent fondamental : « lui ou nous ». Ce sont ces fantasmes que nous retrouvons dans les phobies d’impulsion, appelées à tort psychoses puerpérales des accouchées. Il s’agit de jeunes mères qui, peu après leur accouchement, ont peur d’avoir envie de tuer leur enfant et demandent qu’on les protège en fermant les fenêtres et qu’on leur ôte tout objet coupant ou contondant. Le plus souvent, tout rentre dans l’ordre dès que l’amour a intégré la violence innée universelle ainsi réveillée. Le « baby-blues » dont on parle souvent ne contient-il pas en outre une partie de cette violence mal intégrée et retournée contre le sujet ? C’est sur ces fantasmes parentaux que sont activés les proto-fantasmes fondamentaux. C’est de l’intégration de cette violence par la libido chez les parents que dépend la maturation affective de l’enfant. Cet instinct violent est la source d’énergie mise au service de la libido mais jamais complètement, ni définitivement. Chez tout adulte coexistent des conflits violents fondamentaux où il s’agit bien de Lui ou Moi, et des conflits libidinaux d’amour et de haine. C’est la symbolisation qui va permettre l’intégration de la violence fondamentale. Selon le degré d’intégration de cette violence, sous le primat du génital, dépend l’organisation structurelle ultérieure. Ces pulsions sexuelles présentes originairement ne deviennent efficientes que secondairement quand la libido a pris en compte l’énergie violente.

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• C’est ainsi que « l’amour maternel » tout comme « l’amour filial » n’apparaissent que secondairement à partir du moment où les forces libidinales en action dans la relation parent-enfant auront pris à leur profit la dynamique violente fondamentale. • La loi sur les interruptions volontaires de grossesse et le ton passionnel qui existe encore sur ce sujet, selon que soit considéré le droit de l’embryon à la vie ou le droit des parents (essentiellement la mère) sur cette vie ou cet embryon, expriment le réveil, à cette occasion, de l’instinct violent fondamental. • L’obéissance d’Abraham à Yahvé : il lui demande de sacrifier son fils unique, Isaac, pour obtenir sa Rédemption. Le commencement d’exécution par Abraham ne comporte manifestement aucune satisfaction libidinale, mais demeure l’expression d’une pure violence et d’emprise soumise à Dieu. • Le conflit des générations n’est-il pas une conséquence de la partie mal intégrée de la violence primitive ? • Cas vécu il y a une dizaine d’années sur le Lac d’Annecy où surviennent de temps en temps des tempêtes violentes, brutales : nous nous trouvions en bateau sur ce lac, ballotté par les vagues impressionnantes, essayant de récupérer une mère et ses deux jeunes enfants d’une dizaine d’années, en danger de noyade. Ce bateau s’approche d’eux, ils s’y accrochent. Au moment où nous nous apprêtons à tirer en premier les enfants pour les hisser dans le bateau, la mère, affolée prend appui sur eux, les repoussant dans l’eau pour que nous la sortions en premier. Elle risquait ainsi de noyer ses deux enfants s’ils avaient lâché prise. Heureusement, l’histoire finit bien, nous avons pu hisser rapidement tout le monde. Quelques instants plus tard, la mère est blottie dans le bateau avec un enfant dans chaque bras, qu’elle embrasse tendrement, en pleurant. Il s’agit là d’une réactivation brutale de l’instinct de survie qui a pris le pas, un instant, sur l’amour maternel [9]. Nous pourrions ainsi développer de nombreux exemples, mais il faut simplement retenir deux idées essentielles : • La violence fondamentale est un pur instinct de conservation, une pulsion qui n’est ni bonne ni mauvaise en soi mais un instinct de survie. Si l’autre se trouve mis à mal dans la mise en acte de cet instinct, il n’y a pas l’intention de lui faire du mal, ni haine, ni sadisme. Cette violence ne procure aucun plaisir, le sujet ne se préoccupe que de ses intérêts et ne s’intéresse pas à l’objet. Il n’y a pas de connotation affective. C’est une nécessité vitale qui apparaît dès les premiers

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instants de la vie. Pour Jean Bergeret, « l’objet ne naît pas dans la haine mais il naît dans la violence ». • L’agressivité a pris en compte la satisfaction libidinale. Elle est secondaire et renferme une part de satisfaction dans le fait de faire souffrir l’autre. La haine apparaît comme l’antagonisme de l’amour dans le sens où elle est la résultante de l’amour déçu. La mise en acte de l’agressivité et de la haine engendre les violences. Un exemple illustre particulièrement ces deux idées, celui de la situation de guerre avec deux types de combattants : • le soldat sur le champ de bataille. S’il rencontre un ennemi il va tirer sans réfléchir non pour tuer l’autre qu’il ne connaît pas, ni lui faire du mal mais pour sauver sa vie, pour se préserver. Cette réaction fait intervenir le registre violent fondamental, l’instinct de survie, • les officiers dans les états-majors qui, sur des cartes, élaborent des stratégies, des tactiques à mettre en œuvre pour gagner la bataille et en tirent du plaisir. Il y a mise en jeu de l’agressivité et de la haine de celui qui est désigné comme ennemi, et satisfaction à l’idée de pouvoir gagner la bataille.

Les aléas de l’intégration de la violence fondamentale C’est de la qualité et de la quantité de l’intégration de la violence fondamentale dans le courant libidinal que dépend toute l’organisation psychique du sujet. L’intégration n’est jamais totale ni définitive : • elle peut apparaître directement au niveau de l’individu mais aussi au niveau du groupe à l’occasion de conflits sociaux, de guerres, de révolutions, à chaque fois que se posera le dilemme fondamental : Lui ou Moi, Eux ou Moi ; • l’échec ou l’incapacité d’intégration heureuse au sein desquelles c’est la violence fondamentale qui devient organisatrice et non le primat du génital et de l’œdipe, et prend à son compte et à son profit des quantités plus ou moins grandes de libido. C’est la structure psychotique où la violence est l’élément organisateur de la personnalité et prend en compte les quantités variables de libido à des fins agressives, sadiques ou masochistes ; • dans les cas les plus élaborés où la violence est mise au service de l’amour sous le primat du génital et de l’œdipe au sein du milieu familial affectif et suffisant sur le plan narcissique. Nous sommes au niveau structurel névrotique ; • enfin, et c’est le cas le plus fréquent actuellement, il y a des

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familles mal libinisées où l’affectivité est inhibée, où la violence est parfois exacerbée, mal canalisée par l’environnement. Ce sont des parents souvent eux-mêmes dépressifs, peu représentatifs de modèles identificatoires, peu pare-existants, peu inducteurs d’imaginaire libidinal. Les échanges affectifs sont inexistants ou peu manifestés. Les inductions pulsionnelles ont été peu opératoires. Dans ce cas il y a un affaiblissement des deux courants pulsionnels diachroniques (violence innée et libido) et incapacité d’accéder à une organisation structurelle névrotique ; • c’est l’organisation limite où il y a insuffisance d’induction libidinale et fragilité narcissique. C’est dans ce mode d’organisation que nous rencontrons la majorité des situations dépressives des pathologies du comportement et des addictions. Le Moi et le Surmoi demeurent fragiles et mal organisés ; • dans d’autres cas, la violence fondamentale s’intègre incomplètement à l’amour et donne naissance à la haine et l’agressivité, faisant apparaître la haine comme la résultante de l’amour déçu.

Analyse du transfert et contre-transfert dans la cure analytique En se référant à la notion de violence fondamentale, Jean Bergeret propose d’analyser préalablement, dans toute cure, les conflits ou les carences d’ordre narcissique qui ont perturbé l’imaginaire œdipien de nos patients mais celui du psychanalyste, afin d’éviter l’enfermement analyste-analysant dans une relation narcissique duelle répétitive favorisant les résistances au travail analytique et pouvant conduire aux analyses interminables. Jean Bergeret suggère l’analyse du lien transféro-contre-transférentiel narcissique, inévitable dans toute cure sous la forme d’un « triangle élaboratif » en trois temps : • temps 2 : celui de l’apport en séance par l’analysant d’une pensée, d’un événement, d’un comportement actuel. À partir de ce temps, ce n’est pas le contre-transfert narcissique sur l’analytique qu’il faut interpréter. Il faut faire un détour par le passé ; • temps 1 : ce détour par le passé se fait sous la forme d’un questionnement de l’analyste : « À quoi cela vous fait-il penser de votre enfance ? » ; • temps 3 : sera celui de l’interprétation du transfert analytique, ramenant le patient à un souvenir ancien significatif. L’interprétation étant à formuler non d’une manière affirmative mais sous forme

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interrogative : « voulez-vous dire que ceci voudrait dire cela ?... » afin d’en maintenir la possession à l’analysant. C’est la succession des temps 2 - 1 - 3 sous la forme d’une « spirale » ou d’un « tire-bouchon » qui permettra ainsi l’analyse progressive du transfert narcissique.

Prévention des aléas de l’intégration de la violence fondamentale Jean Bergeret nous rappelle que c’est en fin d’adolescence que s’organise et se structure définitivement, sans possibilité de changement, la personnalité. L’orientation structurelle de l’identité dépend de la richesse libidinale de l’environnement, des inductions imaginaires de cet environnement, de la qualité et de l’efficacité des pare-excitations, des réponses aux mouvements identificatoires, de la différenciation et de la solidité des pôles parentaux et de la qualité des imaginaires parentaux. La violence innée telle que nous venons de l’expliciter n’est ni bonne, ni mauvaise. Elle est fondamentale au sens où elle constitue l’instinct de survie et le quantum énergétique sur lequel s’étaye la libido. La violence fondamentale n’est ni à traiter, ni à prévenir. Mais il y a des cas où elle utilise, à son profit, des éléments affectifs libidinaux et engendre des difficultés individuelles et relationnelles qui se traduisent le plus souvent par des pathologies comportementales et conduisent à des Addictions : alcool, drogue, tabac, addiction au travail, aux jeux d’argent, aux jeux vidéos, au sport, au sexe, à l’Internet, au portable, à la télévision, aux conduites suicidaires, aux troubles des comportements alimentaires, à la psychopathie, etc. Dans tous ces cas, une authentique prévention ne peut être que primaire, c’est-à-dire s’adresser à des sujets non encore dépendants du trouble, soit aux enfants et aux adolescents dont il conviendra de repérer la fragilité. Il conviendra de leur proposer des modèles imaginaires, des buts de vie créatifs. Il faut enfin remarquer que toute violence fondamentale libérée qui s’inscrit dans la durée (comme c’est le cas dans les situations de guerre, de conflits sociaux, etc.) se pervertit, prend à son profit des éléments de libido et se transforme en haine et agressivité source de violences. Au bout d’un certain temps de conduites violentes, on commence inéluctablement à y prendre plaisir et on entre dans l’agressivité et la haine. C’est à partir d’une relation positive avec l’adulte capable

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d’intégrer sa violence innée au sein du courant libidinal que l’enfant peut assumer sa violence naturelle, donc défendre son droit de vivre, son idéal de vie et son plaisir de vivre.

Conclusion Freud nous a montré que la problématique imaginaire œdipienne constitue le fondement de tout le processus élaboratif du fonctionnement mental humain. L’organisation de l’imaginaire humain se ferait sous le primat de l’Œdipe et du génital dans les cas les plus heureux. Freud, dans son œuvre considérable, nous a souvent montré qu’il percevait l’instinct de survie, l’élan vital sans jamais l’avoir élaboré davantage. Jean Bergeret montre tout en restant fidèle à Freud que l’imaginaire œdipien n’est pas le point de départ de la psychogenèse humaine et que ce point de départ est d’ordre violent. Freud, bien qu’ayant perçu et distingué l’instinct violent primitif commun aux hommes et aux animaux de l’agressivité correspondant à l’érotisation de la violence, est demeuré insatisfait dans sa recherche d’un antagonisme à la libido pour expliquer les conflits affectifs qu’il rencontrait en clinique. Jean Bergeret nous propose deux niveaux successifs distincts de pulsions : • un premier niveau primitif inné apparaissant dès le début de la vie et destiné à la préserver, constituant les pulsions violentes archaïques, appelé violence fondamentale ; • un second niveau, plus élaboré, constituant le courant libidinal : les pulsions amoureuses. Ces deux niveaux interviennent et s’interpénètrent progressivement en diachronie. Le premier niveau se met au service du second pour lui apporter son énergie vitale. Les applications d’un tel apport sont multiples et quotidiennes pour les psychanalystes dans leur pratique clinique et analytique.

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BIBLIOGRAPHIE 1. Bergeret J. La violence fondamentale. L’inépuisable Œdipe. Paris : Dunod, 1984. 2. Bergeret J. La violence et la vie. La face cachée de l’Œdipe. Paris : Payot, 1994. 3. Bergeret J, Freud S. La violence et la dépression. Paris : Presses Universitaires de France, 1994. 4. Bergeret J, Charazac P, Geblesco N, Lamothe C, Sali A, Settelen D, et al. La pathologie narcissique. Paris : Dunod, 1996. 5. Seulin C. La violence fondamentale et les pathologies narcissiques. Lyon : Colloque Groupe Lyonnais de Psychanalyse « Au fil de l’œuvre de Jean Bergeret », 2003. 6. Bergeret J. La personnalité normale et pathologique. Paris : Dunod, 1985. 7. Cosnier J. L’éthologie, l’enfant et la communication. Psychiatrie de l’Enfant 1980 ; 23 : 309-18. 8. Klein M. Sur le développement du fonctionnement psychique. Psychanalyse à l’Université 1981 ; 7 (25) : 5-19. 9. Settelen D. Approche psychodynamique des violences à l’adolescence. In : Rey C, ed. Les adolescents face à la violence. Paris : Syros, 1996 : 25-38.

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VIOLENCE, SUICIDE : DÉTRUIRE, CONSTRUIRE ACTEURS ET CHERCHEURS Françoise Blaise-Kopp Psychologue, Centre Interdisciplinaire d’Éthique, Université Catholique de Lyon, France

Lorsqu’il m’a été demandé, au titre de mon appartenance au Comité Éthique de l’UNPS, de venir parler de la dimension éthique de la recherche, j’ai tout de suite pensé que l’on aurait dû demander à quelqu’un d’autre et j’ai réfléchi. M’est alors apparu le visage bienveillant de Ruth Menahem, lors du premier Comité Éthique et Scientifique de l’UNPS. Mon émotion d’alors suscitée par la rencontre de celle qui a écrit « La mort apprivoisée », livre pour lequel ma reconnaissance à son auteure est immense. Et j’ai dit « oui » pour aller avec vous vers « cette connaissance non connaissante » comme le dit Maître Eckhart. Accepter de pouvoir dire que l’on ne sait pas, ou si peu, et oser le dire a été rendu possible grâce à la consolation du temps illustrée par Ruth Menahem. Être marquée par un livre dense, fort, et trente ans plus tard une personne fragile, vulnérable, son auteure, donne ce courage nécessaire pour parler, puis écrire...

La recherche dans ce domaine (l’après-suicide) n’est-elle pas vaine ? Pour ceux qui, proches du disparu, seraient « intéressants », quel intérêt pour eux ? Rien ne sera jamais plus comme avant. La Recherche pour la recherche, quel sens pour eux ? Leur enfant ne reviendra plus jamais. Rechercher comme si on allait trouver (ou re-trouver ?) est évidemment trop tard, incongru, inadéquat, impossible. La mort est inexorable. De plus, la recherche peut être biaisée par l’infinie détresse, quel

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crédit alors apporter à des propos sous l’emprise de la douleur folle ? Quels garde-fous pour la recherche ? Ou encore, « longtemps après, remuer le passé » ; car même si le temps du traumatisme entraîne souvent une hyperlucidité, « longtemps avant » c’était donc une autre époque, une autre génération. Si le lien de filiation est immuable, son mode d’être est toujours différent et l’on sait que l’expérience de l’autre en général sert peu, alors pourquoi celle-ci servirait-elle davantage ? Il y a bien des raisons de penser que la recherche pourrait être problématique mais cependant oser, oser croire, oser dire, « jusqu’à ce qu’aujourd’hui devienne demain, on ne saura pas les bienfaits du présent » (proverbe chinois).

Alors la recherche, pourquoi ? La recherche peut permettre aux parents d’être réinsérés dans la communauté sociale en parlant de leur expérience, atrocement douloureuse, par la médiation et le recul d’une tâche commune impossible à réaliser les uns sans les autres. Les chercheurs ont besoin des parents pour accéder à une meilleure reconnaissance du passage à l’acte suicidaire. La recherche est nécessaire aussi dans ce domaine pour reconnaître et admettre la dignité des vivants et le respect de la mémoire des morts ; quelles que soient les circonstances de leur décès, aucun ne se réduit à ce dernier acte, fût-il tragique. Nul ne peut se définir à travers ce seul moment de vie. La stigmatisation et les clichés sont à cet égard dangereux dans l’appréhension de ces moments extrêmes. Même au nom de l’idée du bien, jamais nous ne pourrons justifier l’acte suicidaire. Séparer l’acte et la personne est un travail réel. L’énigme de celui, de celle qui est parti(e) nous restera ouverture, blessure, question sans réponse, tant que nous vivrons. Que savons-nous réellement du secret de l’autre ? Un constat s’impose : cette souffrance humaine est universelle. Quand simultanément plusieurs générations la vivent, elle sont rendues contemporaines dans cette traversée. De même, l’expérience de ceux qui sont en général dans un écart très grand au plan du quotidien professionnel (par exemple travailler dans une multinationale, passant d’un avion à l’autre ou travailler dans un commerce artisanal d’une petite ville) donne une proximité inattendue et relativise ce qui, en d’autres circonstances, aurait été perçu comme des barrières infranchissables. Que pouvons-nous faire de cela ? Comment « transformer l’essai » ? (comme on le dit au rugby...).

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Alors la recherche, tout de même Le sacro-saint principe de précaution dont on parle tant actuellement, concerne surtout les décisions, les vivants. Alors, après cet « après-coup terrible » ? La sagesse populaire dit « tenez le coup ». Et nous savons bien qu’il n’existe pas de coup plus fort ; c’est un coup qui ébranle, effondre, est effroyable sans les autres proches, ceux qui ne craignent pas la contagion. Aussi, la recherche doit-elle être la plus délicate possible. Les personnes premières sont les vivantes, même avec leurs coups et leurs bleus à l’âme. Avec elles, il est possible de faire quelque chose pour les vivants, plus avec les morts. La recherche ne doit donc pas disséquer les vivants au nom des morts. Les parents peuvent être pensés, s’ils le désirent bien sûr, comme devenant acteurs de prévention. Ils ont été témoins personnellement d’un acte suicidaire qui touche toute la société. Comment la société se positionne-t-elle face à l’acte suicidaire ? Toute recherche-action dans ce domaine dit que « rien n’est plus comme avant », c’est-à-dire que la vie va obliger à une réorganisation foncière, fondamentale pour laquelle nous entendre sera indispensable. En effet, tous les parents souhaitent que personne ne subisse un tel malheur et la société a besoin d’indices, de témoins pour réfléchir à son propre devenir. Chercher, ensemble, sans se lasser.

En guise de conclusion Elle émerge de l’aube grise Miniature japonaise Bleu ardoise Sagement Étagée Pour mieux révéler Le thym Qui sourd du schiste Le rose des cailloux Qui affleure au grès Le mystère à partager De l’entrelacs Du buis de chêne Du cumin De l’eucalyptus enfin

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La colline saisie Dans la quiétude Du petit matin Anne-Lise Blanchard Chemins d’eau et entrelacs Paris : Librairie-Galerie Racine, 2002

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TRANSMISSION DU GESTE SUICIDAIRE Jean Guyotat Professeur de psychiatrie, Comité scientifique UNPS, Centre Hospitalier Le Vinatier, Bron, France

Points de départ de la recherche Le thème de cette recherche a été suggéré par des familles qui ont rencontré l’auteur lors des journées nationales de prévention du suicide organisées à Paris sur la question : « Y-a-t-il une fragilité génétique qui expliquerait la répétition du suicide de génération en génération ? » L’association Jonathan et Pierres Vivantes, présente à ces journées, a accepté de participer à une recherche en commun avec la section lyonnaise de Recherche et Rencontres - Centre de Lutte contre l’Isolement et de Prévention du suicide. La mise en place du cadre de la recherche s’est faite conjointement entre les représentants de la région sud, Jonathan et Pierres Vivantes (Monsieur et Madame Veyre) et l’équipe de Recherche et Rencontres Lyon : • Professeur Guyotat, président de l’association ; • Madame Bigot, directrice administrative. La recherche a été financée par le Comité de Recherches du Centre Hospitalier Le Vinatier sous la responsabilité du Docteur F. Herman, Psychiatre.

Méthodologie L’équipe de recherche est composée de quatre psychologues de Recherches et Rencontres et de deux psychanalystes proposés par Monsieur le Professeur Guyotat.

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Le travail effectué au cours de cette année avait essentiellement pour but l’étude de la faisabilité de cette recherche à partir de dix familles, qu’il est convenu de recevoir : parents d’enfants suicidés, quelques fois accompagnés des frères et sœurs et de leur proposer deux entretiens de deux heures réalisés à un mois d’intervalle en principe. Le premier entretien est semi-directif avec réalisation d’un génogramme ; le second entretien permet de travailler plus particulièrement sur l’histoire familiale. Au terme des deux entretiens, une grille est remplie comportant différents items proposés par l’auteur à partir des travaux sur la psychopathologie, liens de filiation.

Axes directionnels L’issue directionnelle consiste essentiellement à analyser les mécanismes de la transmission psychique du geste suicidaire dans la famille dans un but avant tout thérapeutique. Au préalable, une bibliographie a été analysée sur le thème de la génétique du suicide. Des recherches épidémiologiques, il ressort l’existence d’agrégats familiaux associés soit à des troubles mentaux caractérisés ou à des points particuliers de cette histoire. Troubles bipolaires ou mi-polaires, spectres de la schizophrénie sont enfin des critères précis de personnalité : l’impulsivité. En fait, l’interrogation des familles sur une génétique biologique du geste suicidaire peut être considérée comme une projection de la transmission psychique sur ce que l’on sait de la transmission biologique, considérée comme inéluctable. À titre d’exemple, dans le DSM-IV (manuel des diagnostics des maladies mentales), on trouve dans les critères de l’état dépressif. Le trouble est 1,5 à 3 fois plus fréquent chez les parents biologiques du premier degré que dans la population générale. On est donc bien loin de la reproduction à 100 % que l’angoisse des familles fait imaginer. Il s’agit en fait de l’action de ce mécanisme mental de la reproduction à l’identique qui pour nous joue dans la structure du lien de filiation : axe de la filiation narcissique. Dernière remarque : dans cette recherche, nous avons eu comme premier objectif de tester la faisabilité sur 10 familles avant d’entreprendre une recherche sur un plus grand nombre statistique.

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Acteurs et chercheurs en suicidologie

Analyse des résultats Le critère de faisabilité Il est à 100 % positif : les dix familles ont été vues. Aucune n’a manqué aux entretiens. Dans un seul cas, il y a eu quelques manifestation d’angoisse, vite résorbées. Nous manquons un peu de recul, il n’y a eu que trois réponses à une lettre circulaire envoyée trois mois après les deux entretiens pour recueillir les impressions des familles participantes. Nous avons avec l’accord de l’association Jonathan et Pierres Vivantes réuni au bout de trois mois ces familles pour une discussion et analysé les effets des entretiens à plus long terme. Il semble que, pour cinq d’entre elles, se soit manifesté le désir de participer activement à la vie de l’association.

Tableau I. Les critères de filiation. Items de filiation instituée. Filiation

Non

Oui

6

4

Doute de paternité (père du patient)

10

0

Père inconnu ou abandon avant un an

10

0

Mort père < 15 ans

10

0

Mort mère < 15 ans

10

0

Changement de patronyme dans l’enfance

10

0

Filiation des prénoms (le patient porte le prénom de qui dans la famille ?) (d’un enfant mort ?)

4

6

Hors filiation lors d’un héritage

9

1

Patient enfant de l’Assistance publique

10

0

Patient adopté

10

0

Élevé par des parents nourriciers

8

2

Né après problèmes pathologiques de reproduction

8

2

Mésalliance/Métissage chez les parents

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Françoise Facy, Michel Debout

Tableau II. Items de filiation narcissique. Filiation

Non

Oui

Prédominance des croyances magiques chez le patient et dans la famille (hyper investissement des coïncidences...)

8

2

Atteinte corporelle des patients laissant un handicap physique visible

9

1

Mort périnatale parents 1er degré coïncidence mort/naissance à l’intérieur d’une durée d’un an au maximum

9

1

Enfants mort-nés, enfants morts dans la fratrie et à la génération précédente

6

4

10

0

Atteinte somatique congénitale dans la famille

8

2

Répétition d’affection somatiques ou psychiques similaires dans la famille

3

7

Cas de stérilité chez parents du 1er degré

7

3

Entonnoir (être le dernier et le seul de la lignée)

9

1

10

0

Avortements spontanés chez les parents du 1 degré

3

7

Tentatives de suicide ou suicides dans la famille

2

8

Antécédents de tentatives de suicides personnelles

5

5

Patient enfant posthume

Trop perçu (par ex : gémellité après stérilité) er

Tableau III. Puerpéralité (troubles psychiatriques post-puerpéraux). Items de puerpéralité. Troubles puerpéraux (poussées psychotiques chez le patient après la naissance d’un enfant)

10

0

Troubles puerpéraux lors de la naissance dans la famille proche

10

0

Tableau IV. Incidences lors de la grossesse de la mère du patient. Grossesse difficile

5

5

Traumatisme obstétrical

8

2

Dépression post-partum

7

3

10

0

Psychose puerpérale

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Acteurs et chercheurs en suicidologie

Les critères suivants ont été repérés plus de quatre fois chez les dix familles : • Mésalliance, métissage 4 fois sur 10 • Filiation du prénom 6 fois sur 10 • Enfants morts à la génération précédente 4 sur 10 • Avortement spontané 7 sur 10 • Tentatives de suicide dans la famille 8 sur 10 • Tentatives de suicide personnel 5 fois sur 10 • Grossesse difficile 5 fois sur 10 Il s’agit bien évidemment, d’une statistique ne portant que sur 10 cas. Si la recherche est poursuivie, il faudrait au moins explorer à nouveau les critères suivants :

Tableau V. Hors filiation lors d’un héritage Départ des parents nourriciers Élevé par parents nourriciers Né après problèmes pathologiques de reproduction Prédominance des croyances magiques chez le patient et dans la famille (hyper investissement des coïncidences)... Atteinte corporelle des parents laissant un handicap physique visible Mort périnatale parents 1er degré coïncidence mort/naissance à l’intérieur d’une durée d’un an au maximum Atteinte somatique congénitale dans la famille Cas de stérilité chez les parents du 1er degré Traumatisme obstétrical Dépression post-partum

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LES QUESTIONS DE SANTÉ PUBLIQUE Groupe PRS1 Rhône-Alpes et Chantal Dumont Médecin-Inspecteur régional, DRASS Rhône-Alpes, France

Situation épidémiologique en Rhône-Alpes Données issues de la Conférence régionale de santé 2002. Sources de l’observatoire régional de la santé Rhône-Alpes http://www.ors.ors-rhone-alpes.org.

Les pensées suicidaires En 1999, 7,5 % des femmes et 4,3 % des hommes ont eu des pensées suicidaires dans les douze derniers mois. Ce pourcentage est plus élevé chez les jeunes filles (11,8 % pour les 15-19 ans), alors que pour les hommes le pourcentage est plus stable selon l’âge (Baromètre santé, 2000). En rapportant ces taux à la région Rhône-Alpes, cela ferait 170 000 femmes et 95 000 hommes qui ont pensé au suicide dans l’année.

Les tentatives de suicide Le nombre annuel de tentatives de suicide dans la région Rhône-Alpes peut être estimé entre 13 000 et 18 000. 945 décès par an dont 74 % chez des hommes. Entre 1996 et 1998, le nombre annuel de décès enregistrés comme suicide en Rhône-Alpes est de 945 dont 74 % d’hommes (695). Ces effectifs correspondent à des taux standardisés (voir encadré) de 33 décès pour 100 000 chez les hommes âgés de 15 ans et plus, et de 10 pour les femmes. Ces taux s’élèvent au niveau national à 36 chez les hommes et 12 chez les femmes. La région se caractérise ainsi par une sous-mortalité par suicide pour les deux sexes. Cette 1

Programme Régional de Santé.

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Acteurs et chercheurs en suicidologie

sous-mortalité s’explique en partie par le caractère urbain de la région Rhône-Alpes par rapport aux autres régions de la France, la mortalité par suicide étant moins élevée en milieu urbain qu’en milieu rural. Nombre moyen annuel de décès par suicide en 1996-1998. Rhône-Alpes France

Hommes

Femmes

Total

695

250

945

8 015

2 969

10 984

La Loire est le département le plus concerné en Rhône-Alpes. Les disparités régionales de mortalité par suicide au niveau des départements sont plus marquées chez les hommes que chez les femmes. Chez les hommes, une sous-mortalité, par rapport à la région Rhône-Alpes, est observée uniquement dans le Rhône. Trois départements enregistrent une surmortalité : l’Ardèche, la Drôme et la Loire. L’Ain, l’Isère, la Savoie et la Haute-Savoie sont dans la moyenne régionale. Chez les femmes, la Loire est le seul département qui observe une surmortalité par rapport à la région Rhône-Alpes. Tous les autres départements sont dans la moyenne régionale.

Les années potentielles de vie perdues (APVP) La mortalité prématurée (avant l’âge de 65 ans) peut être analysée par le nombre d’années potentielles de vie perdues. 13 % des années de vie perdues chez les hommes et 10 % chez les femmes sont liées aux décès par suicide. Les décès par suicide représentent en Rhône-Alpes 7 % de l’ensemble des décès avant 65 ans (13 % chez les moins de 35 ans), alors qu’ils ne représentent que 2 % des décès tous âges confondus. Du fait de ce poids dans la mortalité prématurée, le suicide est la troisième cause de décès en termes d’années potentielles de vie perdues (APVP), avec 13 % des années potentielles de vie perdues chez les hommes et près de 10 % chez les femmes. Entre 1996 et 1998, les décès prématurés par suicide totalisent en Rhône-Alpes 49 500 « années-personnes » non vécues par les habitants de la région avant l’âge de 65 ans dont 75 % concernent des hommes. La mortalité prématurée masculine touche moins le Rhône que les autres départements.

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La mortalité prématurée féminine touche plus la Loire que les autres départements. Part (en %) des années potentielles de vie perdues selon les principales causes de décès 1996-1998. Rhône-Alpes

Suicides

France

Hommes

Femmes

Hommes

Femmes

12,5

12,5

11,6

8,7

Les années potentielles de vie perdues (APVP) représentent le nombre d’années qu’un sujet mort prématurément n’a pas vécu avant un âge limite (ici 65 ans). Elles sont présentées ici en pourcentage : ainsi, en France, 11,6 % des APVP sont dues aux décès par suicide chez les hommes, contre 8,7 % chez les femmes.

Une diminution du taux mortalité par suicide de 17 % en 12 ans En Rhône-Alpes, les taux de mortalité par suicide, à structure démographique constante, diminuent depuis 12 ans chez les hommes à l’exception de la période 1991-1994 où le taux était relativement stable. Chez les femmes, le taux a continuellement baissé depuis 1986, malgré une légère hausse en 1991 et 1992. Le taux annuel de mortalité par suicide a baissé.

Programme régional de santé 1998-2003 (extraits) L’ordonnance du 24 avril 1996 relative à la maîtrise médicalisée des dépenses de santé a instauré les Conférences Régionales de Santé, destinées à définir des priorités régionales de santé publique. Ces priorités font l’objet de programmes régionaux de santé (PRS) dont l’élaboration et la mise en œuvre sont coordonnées par le Préfet de Région. En Rhône-Alpes, les Conférences Régionales de Santé ont défini la lutte contre le suicide et les tentatives de suicide comme l’une des deux priorités de Santé Publique de la région. Ainsi, un programme régional de santé sur ce thème a été élaboré en 1998. À partir d’une analyse de la bibliographie, d’une analyse de la situation en Rhône-Alpes effectuée par l’ORS, et de la réflexion basée sur l’expérience professionnelle des membres du groupe de

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Acteurs et chercheurs en suicidologie

programmation, il est possible de porter un diagnostic sur le problème du suicide en Rhône-Alpes. Prétendre lutter contre la souffrance psychique et les conduites suicidaires suppose que les actions envisagées concernent le champ de la prévention, le champ du soin et celui du suivi. Il convient donc de repérer les problèmes qui se posent dans ces différents champs pour tenter d’y porter remède.

La connaissance du problème Qu’il s’agisse des données de mortalité ou de morbidité, le recueil des suicides et des tentatives de suicide reste insuffisant. Le déni et le tabou qui les entourent, contribuent sûrement pour une part à ce défaut de recueil.

Le champ de la prévention Très en amont, la prévention primaire, qui relève de l’éducation pour la santé, de la promotion pour la santé, a pour objet de faire en sorte que chacun soit acteur de sa santé. Chacun s’accorde pour dire que cette prévention primaire doit être plutôt globale que thématique (alcool, tabac, toxicomanie, hygiène alimentaire, éducation sexuelle, Sida...). En particulier, elle doit viser à renforcer les ressources personnelles de l’enfant (estime de soi, compétences relationnelles, connaissances du corps...) pour lui permettre de faire face aux difficultés de la vie. Il existe un très grand nombre d’acteurs de prévention dont les programmes sont insuffisamment coordonnés et parfois mal adaptés aux publics auxquels ils s’adressent, notamment en milieu scolaire. Mais au-delà de cette prévention primaire, la lutte contre la souffrance psychique et les conduites suicidaires passe par des démarches de prévention plus ciblées qui ont pour objectif de repérer la souffrance psychique, de prévenir le risque de passage à l’acte par une prise en charge adaptée : accueil, écoute, aide, orientation. À ce niveau différents problèmes ont été identifiés : • la difficulté à repérer le risque de passage à l’acte, et les facteurs aggravants qui peuvent le faciliter ; • le développement un peu anarchique des lieux d’accueil et d’écoute qui peuvent être des lieux « ressource » et des lieux de coordination intéressant, mais dont on évalue trop peu l’efficacité, et la qualité du service rendu ;

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• un nombre très limité d’action en faveur des adultes et des personnes âgées ; • l’insuffisance des actions de formation, ressenties nécessaires par les professionnels ; • d’une façon globale, l’insuffisance d’évaluation des actions de prévention ne permet pas de repérer les actions les plus efficientes et utilement reproductibles.

Le champ du soin et du suivi L’accent a été mis sur l’insuffisance de prise en charge du patient sur le plan psychique lors de la prise en charge hospitalière même si celle-ci s’améliore avec le renforcement de la médicalisation des services d’urgence. Le suivi du patient est souvent non assuré. Il est noté de façon très importante le manque de prise en charge de l’entourage (famille, mais aussi entourage professionnel, scolaire). Un grand nombre de suicidants ont consulté un praticien dans les jours ou semaines précédant leur passage à l’acte. Cependant les tentatives de suicides occupent une faible part de l’activité des médecins généralistes libéraux. Aussi, quelle que soit l’importance des TS au regard de la signification du geste, elle n’occupe pas une place centrale dans la pratique quotidienne des médecins. Ces difficultés posent la question du lien à établir entre les différents intervenants, et sur les moyens d’assurer la nécessaire coordination entre le réseau d’alerte, le réseau de soins et le réseau de suivi. C’est en réponse aux différents problèmes que nous venons de pointer, que le programme régional dont le but est de tendre vers une diminution du taux de suicide en Rhône-Alpes et une diminution du nombre de récidives se donne quatre objectifs généraux : • Améliorer la connaissance des suicides et des tentatives de suicide ; • Apporter une aide adaptée aux personnes à risque suicidaire ; • Améliorer la prise en charge des suicidants ; • Mieux accompagner l’entourage des suicidants et des suicidés.

Les objectifs généraux du PRS Pour atteindre ces buts et permettre la mesure des résultats du PRS, quatre objectifs généraux sont arrêtés. • Améliorer la connaissance épidémiologique des suicides et des tentatives de suicide ;

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Acteurs et chercheurs en suicidologie

• Apporter une aide adaptée aux personnes à risque suicidaire ; • Améliorer la prise en charge des tentatives de suicide ; • Mieux accompagner l’entourage des suicidants et des suicidés.

Objectif général A Améliorer la connaissance épidémiologique des suicides et des tentatives de suicide. • Améliorer la certification des décès par mort violente ; • Mieux connaître le circuit des déclarations de décès en cas de mort violente ; • Mieux connaître le nombre de tentatives de suicide prises en charge par l’hôpital.

Objectif général B Apporter une aide adaptée aux personnes à risques suicidaires. • Améliorer l’aptitude des professionnels du champ sanitaire et social à repérer les risques suicidaires et à les prendre en charge ; • Promouvoir des actions en faveur de certaines populations : personnes âgées, jeunes en recherche d’emploi, jeunes étudiants, détenus.

Objectif général C Améliorer la prise en charge des suicidants. • Améliorer la prise en charge des suicidants dans les établissements de santé ; • Organiser les relais de la prise en charge.

Objectif général D Mieux accompagner l’entourage du suicidant et du suicidé. • Informer et soutenir le groupe social témoin d’un suicide ; • Initier une réflexion sur la prise en charge souhaitable des familles de suicidants et de suicidés.

Les buts du PRS • Diminuer le nombre de décès par suicide et le nombre de tentatives de suicide. • Diminuer le taux de récidives des tentatives de suicide. • Diminuer la souffrance psychique qui entoure les gestes suicidaires.

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Articulation du PRS Rhône-Alpes avec le Programme National La lutte contre le suicide est une priorité de santé publique. Plusieurs programmes (un programme national et dix programmes régionaux) structurent les actions de prévention sous la coordination de la Direction Générale de la Santé (DGS). Le Programme National de Prévention du Suicide s’appuie en priorité sur les acteurs locaux, rassemblés au sein de Programmes Régionaux de Santé sur la prévention du suicide coordonnés par la DGS.

Objectifs du Programme National de Prévention du Suicide • Mieux connaître les facteurs de risque suicidaires et les actions concernant la prévention du suicide aux niveaux national et international. • Identifier toutes les initiatives prises localement sur ce thème. • Identifier les moments cruciaux en amont de l’acte suicidaire, pour lesquels il n’existe pas d’action répertoriée afin de définir de nouvelles actions à mettre en place. • Évaluer les actions mises en œuvre en matière de lutte contre le suicide pour apprécier leur efficacité et leur pertinence, afin de favoriser le développement des actions les plus efficaces ou ayant le plus d’impact. • Favoriser le dialogue et les échanges d’informations entre tous les acteurs concernés.

Actions Ce programme comporte plusieurs axes : - la modélisation des différentes phases du processus suicidaire ; - l’expérimentation d’actions ; - l’évaluation des actions mises en place. L’évaluation des actions de prévention du suicide est un temps fort du Programme National de Prévention du Suicide. En effet, si la pertinence de ces actions au regard de l’objectif national de diminution du nombre de suicides autorise leur mise en œuvre sur le terrain, leur poursuite et leur diffusion ne pourront être envisagées que si leur efficacité a été objectivée en terme de réduction des tentatives de suicide et de décès par suicide.

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INTERVENTION DU PROGRAMME RÉGIONAL DE SANTÉ-SUICIDE Rémy Vitale, Stéphanie Martin, Dominique Straub, Philippe Combes Service d’Information médicale et de Santé publique, Centre Hospitalier de Roanne, France

En 1998, la Conférence Régionale de Santé Rhône-Alpes retenait deux priorités : le suicide et les pathologies liées à l’abus d’alcool. Du fait du manque de données fiables sur les tentatives de suicide, il a été décidé de créer une base d’Épidémiologie Régionale permettant le suivi de l’incidence du suicide pris en charge par les services d’urgences des établissements hospitaliers. Cette statistique est composée d’une vingtaine de paramètres (données sociodémographiques, pathologies somatiques, comportements addictifs, données psychiatriques, score de Beck, contacts extérieurs, mode de suicide) choisis d’après une bibliographie récente et selon des experts.

Comment sont recueillies les données ? Deux modes de recueil des données sont mis à la disposition des membres du pôle épidémiologique : • le formulaire papier ; • le logiciel, créé sous le système de gestion de base de données ACCESS choisi pour sa convivialité et sa facilité d’emploi. Il permet de saisir les données relatives à une tentative de suicide, de visualiser des états statistiques (analyse univariée et bivariée) et d’exporter des données. Pour l’exportation, il suffit de cliquer sur le bouton « Exporter les données ». Un fichier Excel, contenant les données anonymisées est alors créé. Il faut ensuite l’envoyer au pôle soit par la Poste (sur disquette, peu recommandé) soit par Internet (messagerie).

Comment fonctionne le pôle ? Les centres hospitaliers ayant opté pour le formulaire papier doivent

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retourner les fiches remplies et anonymisées au pôle. Ce dernier leur renvoie ensuite un rapport statistique de leur activité. Ceux qui ont choisi la version logiciel doivent transmettre leurs données au pôle. Ce dernier leur effectue des mises à jour de l’interface. L’ensemble des données recueillies fait ensuite l’objet de traitements statistiques complexes qui aboutissent à un rapport contenant les comparaisons d’un centre avec l’ensemble des membres, des analyses factorielles, des séries chronologiques.

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Qui sont les membres ? Tous les centres hospitaliers de la Loire participent au Programme Régional de Santé (PRS) sur le Suicide. Trois ont choisi le mode papier (Feurs, Saint-Chamond, Saint-Étienne) et trois le mode logiciel (Roanne, Montbrison, Firminy). Mais le PRS Suicide s’étend sur toute la région Rhône-Alpes et comprend les membres tels que Belley, Privas, Aubenas, Montélimar, Valence, Bourgoin-Jallieu, Chambéry, Annecy. À partir d’une centaine de TS recueillies, une première analyse statistique a été effectuée et a permis de réaliser quelques graphiques. À la suite de la présentation des résultats, une discussion a été lancée concernant la mise en place pratique du projet et certaines interrogations vis-à-vis des graphiques eux-mêmes. Ces dernières portaient sur la difficulté du recueil des données, la perception du projet par les médecins, la différence entre situation légale et mode de vie, la répartition selon les professions, etc. Figure 1. Répartition des patients en fonction de leur sexe.

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Acteurs et chercheurs en suicidologie

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Figure 2. Répartition des patients en fonction de leur âge.

Figure 3. Répartition des patients en fonction de la situation légale.

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Françoise Facy, Michel Debout

Figure 4. Répartition des types de ressources.

Figure 5. Répartition des parcours hospitaliers suivis par les patients.

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Acteurs et chercheurs en suicidologie

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Figure 6. Répartition des patients en fonction des caractéristiques de traitement.

Figure 7. Répartition des patients en fonction des comportements addictifs.

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Figure 8. Répartition des patients en fonction du nombre de TS antérieures.

Figure 9. Répartition des modes de suicide.

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Acteurs et chercheurs en suicidologie

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Figure 10. Répartition des affections psychiatriques des scores obtenus.

Figure 11. Répartition des scores obtenus à l’échelle de Beck.

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Françoise Facy, Michel Debout

Figure 12. Répartition des interventions suivant le jour de la semaine.

Figure 13. Répartition des patients selon l’heure d’intervention.

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Acteurs et chercheurs en suicidologie

LA PLACE DU CHERCHEUR DANS LA PRÉVENTION Agnès Batt Chercheur à l’Inserm, Rennes, France

Expertise comme tout autre professionnel En matière de prévention du suicide, les programmes régionaux de santé mettent l’accent sur la nécessaire coopération entre différents acteurs : médecins hospitaliers, généralistes, associations, chercheurs, etc. Chaque acteur intervient avec son expertise. L’expérience du chercheur a une spécificité qui n’apparaît pas toujours clairement : à la fois personne de terrain et bénédictin compilant des données, concentré (perdu ?) sur ses études, mais par la force des choses appelé à communiquer sans cesse (avec ses collègues proches ou plus lointains, dans des conférences internationales), il ne prend pas toujours le temps ou la peine d’expliquer son travail. Mais l’un des problèmes majeurs est que le temps du chercheur n’est pas le temps du clinicien ou de l’administratif : • le clinicien doit guérir, dans un temps que le patient souhaite le plus court possible ; • l’administratif doit répondre à une commande d’une hiérarchie, souvent pressée d’avoir une solution à son problème. D’autre part, ses méthodes sont spécifiques. Dans ces conditions, la place du chercheur est à redéfinir sans cesse. Je prendrai l’exemple de la définition des facteurs de risque et ce que certains interlocuteurs en attendent. Les exemples qui suivent seront extraits de situations récentes, de participation aux groupes d’experts de la Conférence de consensus (octobre 2000) et de différentes recherches et/ou études récentes. Le risque est la probabilité qu’un sujet fasse un geste suicidaire (dans la problématique qui nous préoccupe ici) pendant la période de temps de l’étude. La comparaison d’un grand nombre d’études

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réalisées dans différents pays et avec différents protocoles fait ressortir que certaines caractéristiques des personnes incluses dans les études sont plus fréquemment associées que d’autres au comportement suicidaire, par exemple, le sexe, l’âge voire certaines conditions environnementales. Ces caractéristiques, auxquelles les épidémiologistes donnent le nom de variables, définissent un facteur de risque s’il est associé de manière statistiquement significative à la survenue d’un phénomène. Deux remarques s’imposent : le facteur de risque est calculé au niveau d’une population ; il s’agit d’une mesure d’association qui n’a pas de contenu causal. On n’insistera jamais assez sur le fait que le facteur de risque ne représente pas au niveau individuel, une cause nécessaire. Qui plus est, dans l’étude d’un phénomène aussi complexe que le phénomène suicidaire, il n’est pas envisageable qu’un seul facteur de risque pris individuellement (le sexe, l’âge, l’appartenance géographique ou la religion, etc.) puisse être, à lui seul, explicatif. Ceci est d’autant moins envisageable que les études portent sur des ensembles plus vastes : une région, une religion, les jeunes, les chômeurs, etc. Pour autant, la question est posée régulièrement au chercheur. La mise en corrélation de plusieurs facteurs de risque est souhaitable mais demande des recherches plus longues, portant sur des populations plus grandes, donc des recherches plus coûteuses. C’est ici qu’intervient le rôle de médiateur entre les politiques et le terrain. Il est très intéressant d’être questionné sur un contexte local (région ou département) mais ce niveau peut aussi réserver des surprises. En effet, il est courant que le politique interpelle le chercheur sur la question : • « Pouvez-vous nous expliquer pourquoi dans telle région il y a davantage de suicides que dans celle d’en face » ? • « Pouvez-vous nous monter un réseau de médecins sentinelles pour le suicide dans telle région, en vous appuyant sur ce qui se fait pour la grippe » ? • « Pouvez-vous nous dire, entre ces différents dispositifs d’aide psychologique aux personnes en précarité, lequel est le meilleur » ?, etc. Le tri entre ce qui est de l’ordre du possible, du plausible et ce qui ne peut se comparer nécessite du temps. Parfois, la question est trop « globale » ou les données de la littérature poussent à penser que la question nécessiterait une étude minutieuse, menée par une

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équipe importante, sur un territoire important, alors que la réponse est demandée dans des délais défiant l’imagination et une organisation qui est souvent à inventer. La mise en place d’une équipe représente, en elle-même, toute une méthodologie : • Quelle est l’approche à privilégier (épidémiologique, sociologique, psychologique) ? • Les épidémiologistes vont-ils se faire accepter des autres disciplines car la distinction entre études d’observation, classification internationales, critères d’évaluation et/ou accréditation est très floue, pour beaucoup de décideurs ? Sociologues et psychiatres vont-ils coopérer ? • Quelle sera la place laissée au monde associatif qui revendique de plus en plus une place dans le débat, place d’autant plus méritée qu’elle se situe souvent à la charnière de la population générale, du sanitaire, du social et du monde de la recherche ? L’approche retenue, détermine, dans la majorité des cas celui qui sera le chef du projet. Reste à trouver les « artisans de base », enquêteurs, statisticiens, interlocuteurs de tous ordres. Et ceci n’est pas indépendant... du budget disponible ou espéré... L’analyse de ce que dit la bibliographie, des données locales, des conditions spécifiques au « terrain », tout ce qui est un préalable pour le chercheur, est souvent assimilée à des détours inutilement longs. C’est le rôle du chercheur-médiateur d’expliquer que cela représente le strict minimum pour pouvoir mettre au point une recherche dans les conditions du terrain défini en lien avec la question posée, la définition d’un cahier des charges, d’une méthodologie et si possible, des éléments qui permettront d’évaluer l’action après qu’elle ait été effectuée. Mais voilà lâché, le mot : l’action ! À trop vouloir mettre en place des actions, les institutions et/ou le politique en viennent, même sans s’en rendre compte, à instrumentaliser le chercheur. Il y a un détournement du rôle du chercheur, souvent lié à une confusion des rôles. Le chercheur, c’est « celui qui sait » et cela sert à quoi de savoir, si cela ne s’accompagne pas de la production de solutions, immédiates ? Plus pernicieuse est la croyance, que si le chercheur ne peut pas faire (ou ne peut pas tout faire tout de suite et pour trois-francssix-sous), alors « on fera nous-mêmes, avec les acteurs locaux ». Et ceux-là même qui ont une bonne connaissance du local, qui

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Françoise Facy, Michel Debout

pourraient être des interlocuteurs de choix pour le chercheur, se trouvent « embarqués » dans des bricolages, j’ose dire parfois, surréalistes, pour démontrer que la question qui leur était posée était la bonne. Or, il faut insister sur le fait que la participation à une recherche ne fait pas de tout participant un chercheur. Il ne s’agit ni d’élitisme, ni de sectarisme, simplement d’une constatation. Quelques entretiens, quelques constats cliniques, peuvent apporter un matériau précieux à la problématique posée. Toutefois, il faut savoir rester modeste, et si ces acquisitions se font en dehors d’un contexte de construction intellectuelle, elle-même ancrée dans une bonne connaissance et analyse des différentes théories, hypothèses, démarches, erreurs, contradictions, travaux en cours, publiés dans la littérature scientifique, ceci n’est pas de la recherche. Il y a là une aide technique, qu’il n’est pas question de sous estimer, mais qui reste sujette aux a priori, aux effets de mode. L’hypothèse de départ est prise pour la méthodologie, les biais sont trop longs à prendre en considération (« et puis ça ne concerne que quelques cas ») et la conclusion colle bien à l’hypothèse... Il est clair que le chercheur n’est pas le seul « à savoir » et que la connaissance peut être basée sur une expérience autre que celle de la recherche (clinique, philosophique, expérience de proximité sur le terrain). Mais à trop banaliser les mots et les rôles, on diminue la force de l’ensemble. Ceci n’est pas facile à souligner pour le chercheur qui imagine, sans difficulté, l’ire de certains de ses lecteurs ! Mais ceci explique que dans ces conditions, certaines coopérations, trop décevantes, ne sont pas reconduites. A contrario, il faut souligner le bonheur de découvrir de jeunes étudiants de maîtrise qui, passés l’aridité des premières démarches, intègrent les clefs du métier et deviennent, en quelques années, de véritables associés.

Conclusion La place du chercheur est sans cesse à redéfinir. Le chercheur est tour à tour perçu comme le meilleur ou le pire des interlocuteurs. Le fait que le chercheur revendique son appartenance à un grand organisme de recherche peut être vécu par certains interlocuteurs comme un danger de main mise de son organisme de tutelle sur le « demandeur », mais il peut aussi y avoir la tentation de le réduire au simple rôle d’enquêteur, de producteur de données, en écartant tout ce qui fait sa spécificité (méthode, analyse, prise de décision, connaissance

61

Acteurs et chercheurs en suicidologie

du sujet, évaluation). Quant au chercheur, s’il ne lui est pas facile de rentrer dans la logique de ses interlocuteurs (acteurs, terrain, problématiques), il ne peut faire l’économie de cette étape, car c’est là que se joue la différence entre son territoire et celui avec lequel il cherche une comparaison.

POUR EN SAVOIR PLUS Batt-Moillo A, Jourdain A. Le suicide et sa prévention. Paris : ENSP, 2005 : 272 pages.

62

PARTIE 2 Recherches et milieux professionnels de prévention Trois domaines : Recherche - Prévention - Soins

De nombreuses disciplines de recherche se sont intéressées aux gestes suicidaires, à leur signification dans des sociétés différentes, à leur ampleur et à leurs spécificités de moyens, à partir des travaux d’historiens, de philosophes, de démographes, de médecins, de juristes, d’économistes... Pour les phénomènes de violence, ce sont surtout les criminologues, les psychiatres et les spécialistes de la délinquance dont les travaux récents marquent les avancées, en fonction des politiques publiques, actuellement marquées par des préoccupations de sécurité. La multidisciplinarité semble être la condition de base de toute interrogation sur les liens entre ces comportements de violence, à soi-même et à autrui. La recherche en santé ne mobilise pas seulement des professionnels de la pathologie, elle rassemble aussi des intervenants issus des milieux de vies exposés aux risques de violence. Deux exemples sont pris, dans le milieu scolaire et dans le milieu du travail où le fonctionnement social est caractéristique de moments de vie particuliers. L’analyse des pratiques au Québec est faite avec l’équipe du RISQ à Montréal, engageant aux comparaisons internationales.

Acteurs et chercheurs en suicidologie

MESURES ET INDICATEURS : QUELLES SONT LES SPÉCIFICITÉS EN SUICIDOLOGIE ? Françoise Facy1, Michel Debout2, Chloé Le Tessier3 2

1 Directeur de recherche Inserm, Le Vésinet, France Professeur de Médecine Légale, Service de médecine légale, Hôpital Bellevue, CHU de Saint-Étienne, France 3 Assistante de recherche, INRETS

Méthode de suivi et d’analyse des phénomènes de santé, l’épidémiologie permet aux cliniciens de connaître l’histoire des maladies et leur propagation. Les décideurs de la santé publique l’utilisent aussi pour orienter et planifier l’implantation des services d’aide et de soins. Les représentations collectives et individuelles du suicide sont peu traduites par les statistiques de santé ; les témoignages de familles ou de proches, l’analyse de cas cliniques sont des éléments de compréhension. Les gestes suicidaires restent des phénomènes rares par rapport à l’ensemble des comportements humains et même s’il semble possible - voire facile - de les observer et de les quantifier, leur connaissance et leur qualification rencontrent des difficultés spécifiques pour les méthodologies de recherche appliquées à ce domaine. Plusieurs facteurs déterminent la méthodologie pour l’évaluation en suicidologie. D’abord, le suivi des comportements individuels et de leurs conséquences est soumis aux problèmes de repérage des cas. Par exemple, les lieux sanitaires sont des postes d’observations privilégiés, mais qui sélectionne les sujets hospitalisés ? D’autre part, la nature des interventions étend le champ des indicateurs pertinents. L’évaluation est-elle effectuée en milieu scolaire dans le cadre d’un projet éducatif ou sur les lieux de travail auprès de cellules de crises ? Enfin, les acteurs impliqués dans l’intervention (des bénévoles, des professionnels du champ social ou médical) et les personnes ciblées par des

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Françoise Facy, Michel Debout

actions de prévention (personnes isolées ou groupes) influencent la méthodologie à privilégier. L’évaluation des campagnes de prévention destinée à la population générale s’appuie souvent sur des indicateurs d’impact (vu, lu, entendu) suivant les supports utilisés qu’ils soient imprimés ou électroniques. Dans le domaine de la santé, ce sont plutôt l’analyse épidémiologique populationnelle ou l’observation clinique qui sont appliquées. Comparativement à la plupart des pathologies, les expériences déjà menées en suicidologie révèlent cependant l’existence de limites spécifiques.

Épidémiologie et outils de mesure en santé publique Dans le domaine de la santé publique, l’analyse des besoins de soins et l’évaluation des interventions nécessitent des informations qui reflètent l’état de santé des populations et leur évolution. Plusieurs disciplines contribuent à l’élaboration d’indicateurs pertinents : l’épidémiologie, considérée comme une discipline médicale, observe les pratiques de soins liées aux pathologies et embrasse un champ social vaste, ce qui inclut aujourd’hui les interactions entre les individus et leurs contextes de vie. L’épidémiologie s’intéresse aux effets de ces interactions sur la santé et le comportement humain (Debout, 1993 et Bourgeois, 1997). À partir de symptômes observables de façon rigoureuse et objective, les dimensions de bien-être et d’adaptation sociale ont enrichi les indicateurs de santé. Les travaux internationaux illustrent à la fois les évolutions et les difficultés de ces approches avec la classification internationale des maladies (10e version) et la classification internationale du fonctionnement inspirée de la classification des handicaps. CIM-10 (Chapitre XX) Causes externes de morbidité et de mortalité (V01-Y98) CIM 10 V01-X59 Accidents V01-V99 Accidents de transports W00-X59 Autres causes externes de lésion traumatique accidentelle

65

Acteurs et chercheurs en suicidologie

X60-X84 X85-Y09 Y10-Y34 Y35-Y36 Y40-Y84 Y85-Y89

Lésions auto-infligées Agressions Événements dont l’intention n’est pas déterminée Intervention de la force publique et faits de guerre Complications de soins médicaux et chirurgicaux Séquelles de causes externes de morbidité et de mortalité Y90-Y98 Facteurs supplémentaires se rapportant aux causes de morbidité et de mortalité classées ailleurs Cepidc-Inserm, 2004

Des travaux méthodologiques sont développés pour adapter le raisonnement épidémiologique fondé sur la base des calculs de probabilité (et de risque) à différents domaines de santé et de comportement. En suicidologie, ce raisonnement comporte trois niveaux : • Le schéma purement descriptif des maladies ou événements dans une population ; • La recherche des facteurs de risque dans les comportements individuels et l’environnement ; • L’évaluation de l’efficacité des interventions, mesurée par des critères de santé physique, psychologique et sociale. L’épidémiologie fournit des indicateurs classiques pour les trois niveaux, à la condition de définir, selon la thématique de santé retenue, les cas étudiés, les interventions cliniques et les critères d’évolution individuels ou populationnels le plus exactement possible. Les deux indicateurs-clés sont la morbidité et la mortalité qui rapportent les « cas » à une population généralement décrite de façon précise par les démographes. Les cas retenus sont définis par les experts cliniciens. Dans le domaine de la suicidologie, des états allant de l’expression d’idéation suicidaire jusqu’aux passages à l’acte de violence à soimême, avec des niveaux différents de gravité et de létalité, sont classiquement retenus dans les études. Pour suivre ces indicateurs et les confronter à d’autres sources issues des sciences sociales, les outils sont essentiellement des recueils de données statistiques dont la qualité et la fiabilité varient selon le problème de santé ou de comportement et les organismes qui coordonnent ces études induisent également des effets de sélection des cas ou de définition par rapport à leurs objectifs : activités, épidémiologie...

66

Françoise Facy, Michel Debout

En France et dans la plupart des pays qui disposent de statistiques sanitaires, on se réfère à deux sources d’informations pour faire l’étude épidémiologique des conduites suicidaires : • Pour les suicides, on recueille de façon exhaustive le certificat de décès qui fournit des données sociodémographiques (sexe, âge, statut matrimonial, statut professionnel, profession, lieu d’habitation, nationalité, lieu de décès) et des données médicales (cause initiale et causes associées). Sur le plan social, ces données proposent une description de la population qui se suicide et permettent de comparer l’incidence du suicide dans le temps et dans l’espace (Hatton, 1996) ; • Pour les tentatives de suicide pouvant conduire au décès, les échantillons sont partiels, contingents aux buts des enquêtes généralement menées par des équipes médicales. La description détaillée de la situation sociale et les données médicales concernant les problèmes de santé antérieurs, permettent des analyses qualitatives et cliniques (Diekstra, 1989). Une étude menée par le ministère de la Santé (Badeyan, 2001) fournit des estimations pour quantifier suicides et tentatives à partir des structures sanitaires. Elle révèle que les différents circuits d’information existants entraînent une sous-estimation. Les populations peuvent être considérées de façon distincte selon les analyses de morbidité hospitalière ou selon les statistiques de décès.

Importance du suicide en santé publique Pour situer l’importance du suicide dans les préoccupations actuelles, plusieurs ouvrages font références : L’Atlas de la Santé en France (2000), et les rapports du Haut Comité de la Santé Publique (1996 et 2002), Eurostat (1999). En dehors des statistiques sanitaires, d’autres études établissent l’importance de la problématique du suicide dans la population générale. Un sondage (UNPS, 2000) établi par la Sofres montre qu’un tiers des personnes connaît des cas de suicide dans son entourage, en particulier : • 18 % pour la famille proche, • 8 % un ami proche, • 7 % une relation, • 5 % un collègue de travail. Au total 13 % disent avoir déjà envisagé de se suicider. D’après une autre étude effectuée auprès des élus par l’UNPS (2001), la connaissance du suicide de même que son incidence sur le monde associatif œuvrant en prévention du suicide demeure limitée.

67

Acteurs et chercheurs en suicidologie

Part du suicide dans la mortalité générale Selon les données disponibles ces dernières années, globalement le taux de suicide paraît relativement minime, de l’ordre de deux pour cent des décès parmi toutes les causes. Cependant, le poids des suicides est bien différent si l’on étudie la mortalité générale selon les cohortes d’âges (Tableaux I et II). Près de vingt pour cent des morts sont des suicides chez les hommes de 25 à 29 ans, et plus de quinze pour cent chez les femmes du même âge. Ce pourcentage demeure élevé chez les adultes de 20 à 39 ans pour ensuite diminuer régulièrement. Cette diminution est relative puisqu’elle est liée à l’augmentation des autres causes de décès. Le taux de suicide atteint des valeurs très faibles, inférieures à deux pour cent à partir de 70 ans. Si l’on considère la mortalité générale de 10 à 44 ans, les suicides se situent parmi les toutes premières causes de décès des adolescents et des jeunes adultes. Selon la cohorte d’âges, ils constituent la première cause de mortalité des hommes. Chez les personnes âgées de 15 à 24 ans, ils représentent la deuxième cause de décès après les accidents de la circulation routière. Ces morts volontaires sont la première cause de décès des adultes de 25 à 34 ans et la seconde des personnes âgées entre 35 et 44 ans, après les tumeurs, mais avant le Sida. En 2001, 10 440 suicides sont enregistrés (contre 10 837 en 2000). Aux âges extrêmes de la vie, on n’observe pas de diminution : 253 avant 20 ans et 193 après 90 ans. Les effectifs les plus importants se situent encore entre 40 et 50 ans : 2 327. Deux tendances à la hausse sont observées entre 55 et 60 ans, et entre 80 et 85 ans, pour les deux sexes et restent à surveiller, en fonction des temps de la vie que ces âges représentent : retraite et grand âge. Chez les hommes en particulier, la fréquence du suicide est très liée à la catégorie socioprofessionnelle, comme on le constate en étudiant la population de 25 à 54 ans. Les cadres supérieurs sont les moins touchés. Pour les autres professions, cette fréquence est nettement plus élevée. Des cadres moyens, aux employés et aux ouvriers, elle enregistre une augmentation progressive. Mais la catégorie la plus atteinte est celle des « inactifs », un groupe relativement hétérogène composé de personnes n’ayant jamais eu de profession, ayant perdu leur emploi en raison du taux de chômage élevé ou ayant interrompu toute activité professionnelle assez longtemps avant leur décès parce qu’elles étaient malades. Les différences sont nettement moins marquées chez les femmes pour lesquelles

68

Françoise Facy, Michel Debout

Tableau I. Mortalité - Sexe masculin - France. Taux bruts en 2000. 20-24 40-44 6 0 - 6 4 ans ans ans

80-84 ans

TOTAL (tous âges)

Maladies infectieuses et parasitaires Sida et maladies VIH Hépatites virales

0,6

12,9

23,5

164,4

19,0

0,3 0,1

8,6 1,4

2,9 3,6

0,6 10,7

2,8 1,8

Tumeurs

6,4

78,7

680,5

2 354,5

314,1

Troubles mentaux et comportements Abus alcool (y compris psychose alcool) Pharmacodépendance, toxicomanie Autres

1,5

15,3

26,9

213,6

24,5

0,3

11,9

18,6

14,7

8,0

0,8

0,6

0,0

0,3

0,4

0,4

2,8

8,3

198,7

16,1

Maladies de l’appareil circulatoire

3,6

43,1

291,1

2 940,7

262,7

Maladies de l’appareil digestif Ulcère gastro-duodénal Maladie chronique du foie Autres

0,5 0,0 0,0 0,5

22,5 0,3 16,4 5,8

91,8 2,1 64,6 25,1

289,1 18,4 57,0 213,6

44,0 1,8 20,9 21,3

Symptômes et états mal définis Syndrome de la mort subite du nourrisson Causes inconnues ou non précisées Autres

9,5 0,0

24,6 0,0

56,7 0,0

356,5 0,0

49,2 0,8

8,2

18,8

35,6

132,2

23,3

1,3

5,8

21,1

224,3

25,1

Causes externes Accidents Accidents de transport Chutes accidentelles Intoxications accidentelles Autres accidents Suicides Homicides Événements intention indéterminée Autres

75,6 56,1 44,1 2,0 1,1 8,9 17,1 1,2 1,1

87,0 40,0 18,9 4,5 1,9 14,7 43,1 1,3 1,7

88,6 51,8 16,1 10,4 1,2 24,1 32,9 0,8 0,8

377,8 276,4 33,4 60,5 13,5 169,0 82,3 1,2 2,3

86,5 54,5 19,8 8,7 1,8 24,2 27,9 1,1 1,2

0,1

0,9

2,3

15,5

1,9

TOTAL

110,9

304,4 1 391,0 8 366,0

951,0

Taux bruts pour 100 000 habitants. Source Inserm-Cepidc.

69

Acteurs et chercheurs en suicidologie

Tableau II. Mortalité - Sexe féminin - France. Taux bruts en 2000. 20-24 40-44 6 0 - 6 4 ans ans ans

TOTAL (tous âges)

Maladies infectieuses et parasitaires Sida et maladies VIH Hépatites virales

0,4

2,8

10,6

102,0

17,1

0,1 0,1

1,1 0,5

0,9 2,2

0,3 7,5

0,7 1,3

Tumeurs

3,8

60,4

287,7

1 057,1

197,9

Troubles mentaux et comp. Abus alcool (y compris psychose alcool) Pharmacodépendance, toxicomanie Autres

0,4 0,1

4,8 3,4

8,1 3,3

187,9 2,6

34,1 2,0

0,1

0,2

0,1

0,0

0,1

0,2

1,3

4,7

185,3

32,0

Maladies de l’appareil circulatoire

1,6

13,2

85,4

1 857,7

286,5

Maladies de l’appareil digestif Ulcère gastro-duodénal Maladie chronique du foie Autres

0,2

9,7

35,7

191,2

36,7

0,0 0,1 0,2

0,1 7,5 2,1

0,6 24,2 10,8

10,0 17,9 163,3

1,7 8,4 26,6

4,4

7,7

21,2

267,5

60,9

0,0

0,0

0,0

0,0

0,4

3,9

6,3

13,2

87,3

18,7

0,5

1,4

8,0

180,3

41,8

Causes externes Accidents Accidents de transport Chutes accidentelles Intoxications accidentelles Autres accidents Suicides Homicides Événements intention indéterminée Autres

18,5 13,4 10,3 0,2 0,5 2,4 3,9 0,7 0,4

25,0 10,3 4,7 0,7 1,5 3,4 13,0 0,8 0,6

37,0 20,3 7,5 3,5 1,1 8,2 13,6 1,0 0,3

235,1 207,2 11,9 53,8 10,3 131,2 17,3 0,5 0,3

55,1 42,9 6,6 9,3 1,9 25,1 9,5 0,6 0,3

0,2

0,4

1,8

9,8

1,8

TOTAL

34,0

136,2

556,0

4 919,2

854,5

Symptômes et états mal définis Syndrome de la mort subite du nourrisson Causes inconnues ou non précisées Autres

Taux bruts pour 100 000 habitants. Source Inserm-Cepidc.

70

80-84 ans

Françoise Facy, Michel Debout

on peut surtout noter une fréquence élevée chez les agricultrices et les inactives. Parmi les autres facteurs de risque bien connus figure l’état matrimonial. C’est pour les hommes mariés que le taux de suicide est de loin le plus faible, alors qu’il est maximal chez les veufs. Il en est de même pour les femmes, les différences étant toutefois beaucoup moins marquées.

Tendances évolutives Deux niveaux d’observation à partir des statistiques nationales de mortalité peuvent être retenus : soit par les causes (violence et traumatismes extérieurs), soit par les seuils d’âge (avant 65 ans). Les recoupements sont importants et permettent de définir la mortalité « évitable », une partie de la mortalité prématurée (avant 65 ans) due à des comportements à risque (tabagisme, alcoolisme, prise de risque...), en la distinguant de la mortalité due à des insuffisances des moyens de prévention (Tableaux III et IV).

Tableau III. Causes spécifiques de la mortalité « évitable » chez les hommes < 65 ans, France, 1979-1999. Hommes

Effectifs Taux(1) 1999 1999

Effectifs Taux(1) 1989 1989

Effectifs 1979

Taux(1) 1979

Tumeur du poumonz

8 035

32,5

7 856

33,5

5 702

29,2

Suicidej

5 325

21,3

5 917

24,9

5 053

23,2

Accidents de la circulationx

4 876

20,4

6 412

26,6

6 802

29,9

Psychoses, alcool et cirrhosesx

5 150

20,1

6 001

25,4

7 851

38,3

Tumeur VADS

4 928

19,5

6 976

29,6

7 138

34,4

Chutes accidentellesj

925

3,7

1 007

4,2

950

4,5

Sida

724

2,9

1 649

6,9

(1)

Taux pour 100 000 standardisés par âge (réf. Population française 1990). Source Inserm-Cepidc.

71

Acteurs et chercheurs en suicidologie

Tableau IV. Causes spécifiques de la mortalité « évitable » chez les femmes < 65 ans, France, 1979-1999. Femmes

Effectifs Taux(1) 1999 1999

Effectifs Taux(1) 1989 1989

Effectifs 1979

Tumeur du poumonz

1 526

5,8

874

3,5

543

Suicidex

1 945

7,6

2 235

9,3

1 825

Accidents de la circulationx

1 568

6,5

2 046

8,6

2 199

Psychoses, alcool et cirrhoses

1 857

7,0

2 271

9,3

3 201

2,3

501

2,0

433 345

Tumeur VADS

593

Chutes accidentelles

265

1,1

267

1,1

Sidaj

191

0,8

272

1,1

(1)

Taux pour 100 000 standardisés par âge (réf. Population française 1990). Source Inserm-Cepidc.

Au cours des vingt dernières années, de nettes variations du nombre annuel de suicides ont été observées. En 1985, ce nombre se situait aux environs de 12 500, il a par la suite diminué jusqu’en 1990 (11 400). À partir de 1991, la tendance s’inverse, plus de 12 000 suicides sont enregistrés en 1993 et 1994. À partir de 1995, une baisse est amorcée et cette tendance se maintient par la suite. Au début de la décennie 1990, l’augmentation du suicide est essentiellement observée chez les jeunes adultes. Elle est particulièrement frappante pour les hommes de 30 à 49 ans d’autant plus que ce groupe d’âges n’avait pas montré la même décroissance à la fin des années 1980 (Hatton, 1996). Le mode de suicide reste majoritairement la pendaison, cependant l’utilisation des armes à feu dans les suicides masculins est passée de 22 % en 1973-1977 à 33 % en 1988-1992. Sur un plan géographique, le Sud de la France demeure le plus concerné par les suicides avec armes à feu, alors que l’Ouest et le Nord-Ouest sont les zones les moins touchées.

Comparaison avec les autres pays Pour les pays de niveau de développement semblable, lorsque l’on compare les niveaux de mortalité selon le sexe et l’âge, on constate que

72

Françoise Facy, Michel Debout

la France se distingue par une surmortalité prématurée (avant 65 ans), en particulier chez les hommes (Tableau V). Depuis une vingtaine d’années, ce phénomène s’aggrave (Haut Comité de la Santé Publique, 1996 ; Got, 2003 et BEH, 2003). Les hommes français ont une surmortalité par causes violentes, liées aux comportements à risque, supérieure aux autres européens avec une région particulièrement touchée, le Nord de la France. En ce qui concerne la période la plus récente, comparativement aux autres pays, en France, on observe des niveaux de mortalité élevés pour les accidents de la circulation et les suicides. La France et la Suède enregistrent les taux de mortalité par suicide les plus élevés, surtout chez les hommes. Ces taux sont presque trois fois plus importants qu’en Angleterre. En 1970, pour les suicides, les taux de mortalité étaient plus élevés en Suède et en Allemagne. En 1990, les taux français sont plus importants que dans ces deux pays. La comparaison des taux de décès par suicide entre la France et le Royaume-Uni révèle qu’en France les taux de décès sont plus élevés chez les hommes de moins de 55 ans et chez les femmes de moins de 45 ans (après ces âges, ce sont les taux anglais qui sont les plus hauts). En France, l’analyse des causes démontre que la mortalité prématurée s’explique essentiellement par les morts violentes (accidents, suicides, homicides), l’ensemble des causes liées au tabagisme et à l’alcoolisme (cancer du poumon, cancer VADS...) et le Sida. Ces constats relativisent de façon importante l’interprétation des décès par suicide.

Mode de suicide En France, tous sexes et âges confondus, la pendaison est utilisée comme mode de suicide dans 37 % des cas : c’est le premier mode de suicide. La blessure par arme à feu est présente dans 25 % des suicides (second mode le plus utilisé). L’intoxication volontaire est le troisième mode privilégié par les suicidaires (treize pour cent). Cette répartition varie selon le sexe. Plus de 70 % des morts à la suite de tentatives de suicides masculins sont provoqués par la pendaison ou par la plaie d’une arme à feu. Les pendaisons sont cependant plus nombreuses (40 %). Chez les femmes, trois modes de suicide sont très nettement prédominants : la pendaison, l’intoxication volontaire et la noyade. Cette dernière, un peu moins fréquente, est relativement plus souvent observée chez la femme que chez l’homme. L’âge auquel les sujets passent à l’acte influence le mode de suicide choisi. La pendaison, premier mode de suicide sauf chez les très jeunes

73

Acteurs et chercheurs en suicidologie

Tableau V. Mortalité « prématurée » (décès avant 65 ans) : taux* de décès et sex-ratios dans les 14 pays de l’Union Européenne, 1999. Mortalité toutes causes Taux Taux hommes femmes

Ratio H/F

Mortalité « évitable » Taux Taux hommes femmes

Ratio H/F

Union Européenne**

289,4

144,4

2,0

89,6

25,9

3,5

Espagne

294,5

118,5

2,5

101,0

17,7

5,7

Grèce

336,8

142,2

2,4

81,4

16,3

4,9

Portugal

373,7

161,7

2,3

101,9

21,5

4,7

Italie

246,5

120,8

2,0

76,1

18,5

4,1

France

322,1

139,4

2,3

121,8

31,2

3,9

Finlande

338,2

138,8

2,4

96,0

25,8

3,7

Allemagne

298,3

147,9

2,0

96,4

29,6

3,3

Autriche

291,6

145,2

2,0

103,4

31,7

3,3

Irlande

296,4

169,2

1,8

68,9

25,7

2,7

Luxembourg

278,3

137,5

2,0

110,4

41,7

2,6

Pays-Bas

248,8

160,2

1,6

64,3

27,7

2,3

Royaume-Uni

269,0

165,7

1,6

60,2

26,0

2,3

Danemark

344,1

217,3

1,6

98,1

45,3

2,2

Suède

214,8

130,3

1,6

53,8

24,5

2,2

* Taux/100 000 standardisés selon la population de l’Union Européenne. ** Données détaillées non disponibles pour la Belgique et données de 1996 pour le Danemark et la Grèce. Source Inserm-Lefèvre.

adolescents, est un mode privilégié par les sujets plus âgés. Le choix de recourir à une arme à feu montre une tendance inverse. Les noyades sont rarement utilisées avant 30 ans, leur fréquence augmente pour atteindre un pourcentage maximal de quinze pour cent entre 60 et 74 ans. Le mode de suicide est très influencé par les styles de vie et les traditions culturelles qui diffèrent selon les régions, qu’elles soient industrielles ou rurales.

74

Françoise Facy, Michel Debout

Depuis Durkheim, des travaux en suicidologie rassemblent des observations et analyses, sans proposer toutefois des modèles explicatifs (Terré, 1994 ; Got, 2003 ; Fassin. In : « Les inégalités sociales de santé » - Inserm, 2000).

Comorbidité Dans plus de la moitié des cas de suicide, un médecin mentionne l’état pathologique associé sur le certificat de décès. Le pourcentage de certificats avec mention varie selon l’âge de la victime. Il s’élève régulièrement à 33 % avant 25 ans pour atteindre plus de 60 % à partir de 55 ans. La très grande majorité des pathologies identifiées comme cause associée sont des troubles mentaux : dépression essentiellement, mais aussi psychose et alcoolisme. Les statistiques de mortalité suicidaire ne peuvent toutefois résumer l’épidémiologie de ce comportement. C’est pourquoi certains travaux se fondent sur la réalisation d’« autopsies psychologiques » (Soubrier, 1994 ; Bourgeois, 1996). Appliquée aux États-Unis au tout début des années 1960 (Litman et al., 1963), cette méthode avait un principal objectif : élucider la véritable origine des décès pour lesquels un suicide est suspecté sans pouvoir être affirmé (« suicide équivoque »). Elle consiste à conduire une enquête auprès de survivants (famille, amis, entourage socioprofessionnel, médecins) pour reconstruire à l’aide d’interrogatoires et de certains documents (écrits personnels, dossiers médicaux) la psychologie de la personne décédée, son style de vie, ses relations personnelles, ses traits de personnalité, son histoire médicale et psychiatrique, les événements ayant précédé immédiatement sa mort. Très vite, cependant, l’autopsie psychologique a été utilisée, pour répondre à des questions d’ordre épidémiologique, sur les troubles psychiatriques et/ou physiques des suicidés. En 1996, Kelly et Mann ont confirmé la validité de la méthode qui demeure toutefois très lourde à appliquer. L’expertise de l’Inserm publiée en 2005 illustre les difficultés méthodologiques et éthiques et doit être prolongée pour des recommandations pratiques.

75

Acteurs et chercheurs en suicidologie

Objectifs de santé publique et limites de l’évaluation Les données épidémiologiques résumées précédemment jumelées aux observations cliniques des professionnels intervenant auprès des suicidants ont progressivement constitué un corpus de connaissances. Les décideurs ont exploité ces connaissances pour élaborer une stratégie nationale d’actions face au suicide sur cinq ans (2000-2005) pour dépasser l’objectif précédemment retenu « passer sous la barre des 10 000 morts annuelles ».

Stratégie nationale La circulaire no 2002-271 du 29 avril 2002, du ministère de la Santé, dégage les trois axes principaux de la stratégie nationale d’action face au suicide : Actions de prévention : • promotion de la santé mentale et actions de prévention primaire ou d’éducation pour la santé ; • diminution de l’accès aux moyens de suicide les plus létaux ; • actions relatives à l’amélioration du repérage et de la prise en charge des personnes en crise suicidaire et de celles qui ont fait une tentative de suicide ; • organisation de formations interdisciplinaires locales sur le repérage et la gestion de la crise suicidaire ; • amélioration de la prise en charge hospitalière des personnes ayant fait une tentative de suicide et audits cliniques. Développement des partenariats et réseaux de prise en charge. Pour l’évaluation de cette stratégie, une batterie d’indicateurs est encore à construire. La place de la mortalité est relative, suivant les objectifs retenus. Pour « diminuer l’accès aux moyens mis en œuvre lors des suicides », les données de mortalité fournissent des informations assez précises sur le mode par lequel une personne se suicide (pendaison, noyade, arme à feu...). En revanche, pour la crise suicidaire et les pathologies sous-jacentes (dépression, psychoses...) (3e axe), les données de mortalité ne reflètent que partiellement la nature des troubles morbides associés. La nécessité de développer une batterie d’indicateurs suivant chaque objectif, en fonction des groupes et des milieux visés d’une part, et des moyens mis en œuvre d’autre part,

76

Françoise Facy, Michel Debout

apparaît clairement incontournable pour être complémentaire avec l’épidémiologie et les autres disciplines des sciences sociales.

Sous-estimation de la mortalité et méconnaissance de la morbidité précédant la mortalité Dans un certain nombre de cas, le décès peut être considéré comme « suspect » et soulève un problème médico-légal. Une procédure judiciaire s’impose alors et le magistrat délivre le permis d’inhumer à la suite d’un examen médico-légal du corps et parfois d’une autopsie. Pour des raisons de secret de l’instruction, l’Institut médico-légal ne transfère pas les données dans le registre national des causes de décès. C’est pourquoi, en ce qui concerne certains cas de mort violente (suicides, homicides, accidents), l’Inserm ne possède pas toutes les informations qui lui sont nécessaires. Certains décès sont donc codés à la rubrique « cause inconnue » de la classification internationale des maladies. Leur faible pourcentage pour l’ensemble de la population française (2 %) est en revanche élevé pour les jeunes de 25 à 44 ans (près de 10 %). En 1990, une étude coopérative de l’Institut Médico-Légal de Paris et de l’Inserm a été menée pour attribuer une cause de mort aux décès de cause inconnue. Cette enquête a révélé que la sous-estimation est un peu plus élevée chez les femmes que chez les hommes. Elle varie selon l’âge et s’avère particulièrement importante chez les jeunes de 25 à 34 ans. Par contre, on observe les mêmes proportions pour les autres caractéristiques ce qui valide l’étude des composantes sociales pour les conduites suicidaires (Lecomte, 1995). Une étude plus récente de l’Inserm (Jougla, 2002) analyse les sources de biais entre la certification, la codification et l’analyse des causes inconnues et des causes indéterminées quant à l’intention. Les auteurs concluent que 35 % des causes indéterminées et 25 % des causes inconnues sont en fait des suicides. Ainsi, en 1998, le nombre annuel de suicides augmente d’environ 20 %, cette estimation ne modifie pas la surmortalité masculine (× 3 pour les moins de 65 ans), et le classement des régions : la Bretagne étant la plus touchée, à l’opposé l’Ile-de-France et l’Alsace sont les moins exposées. D’une manière générale, dans de nombreux pays, on considère les statistiques sur le nombre de suicides sous-évaluées. Plusieurs raisons expliquent ce facteur : réticences des médecins ou des coroners à déclarer cet acte, attitudes visant à ne pas déclarer les cas litigieux ou

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Acteurs et chercheurs en suicidologie

absence d’éléments permettant de rattacher à un suicide certaines morts considérées comme accidentelles. Toutefois, selon une étude pilote menée dans un département français en 1999-2000, une meilleure connaissance des interrelations entre les phénomènes de violence et de suicide devrait permettre d’améliorer ces indicateurs.

Recherche sur les suicides et les morts violentes dans la Loire Dans le cadre du dispositif français de Santé Publique, les régions disposent d’une certaine latitude dans le choix des thèmes prioritaires, en fonction des débats tenus lors des conférences régionales de Santé Publique, avec les acteurs principaux : administrateurs, cliniciens et représentants des malades - l’application des programmes se fait sur quatre ans, en cohérence avec le plan national général. Plusieurs régions françaises se sont mobilisées sur le thème de la connaissance épidémiologique du suicide, comme en Rhône-Alpes, où les taux de mortalité par suicide et accident sont pourtant semblables à la moyenne française. Parmi les actions menées en Rhône-Alpes, une recherche réalisée dans le département de la Loire vise à produire un recueil de données concernant les morts violentes, par suicide ou pour des causes indéterminées, à partir de sources d’informations sanitaires ou judiciaires pour améliorer la connaissance épidémiologique (nombre et situations). Les structures hospitalières locales, les médecins d’urgence, les pompiers, la police, la gendarmerie, les services d’état civil, la justice, les services de médecine légale sont associés pour réunir l’ensemble des données pour chaque mort violente (sur dix mois) : un questionnaire est rempli à partir des données sociodémographiques et des circonstances du décès. Le croisement des informations obtenues dans le respect de l’anonymat permet de comparer les informations quantitatives recueillies par chacune des instances et d’apprécier la fiabilité des statistiques disponibles pour chacune d’entre elles. De plus, il est possible d’analyser plus précisément « la chaîne d’informations », qui permet in fine de définir avec précision les causes de mort, de mieux connaître l’incidence de la précarité et des conduites toxicomaniaques (dont l’alcoolisme), sur la mort violente. Après de nombreuses difficultés pour obtenir les autorisations d’accès aux données et pour rassembler les informations détenues dans des services médicaux et judiciaires, il est impossible de parvenir à l’exhaustivité des cas mais les situations examinées permettent

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Françoise Facy, Michel Debout

d’établir des estimations et d’illustrer les interactions entre structures médicales et sociales. L’échantillon analysé compte 383 sujets décédés de mort violente ou jugée suspecte, dont 226 sont décrits par au moins deux sources d’information, ce qui illustre la connaissance multiple des morts « violentes » dans un nombre important de cas (Tableau VI).

Les causes de décès de l’échantillon analysé Tableau VI. Le type de mort. Type de mort

Fréquence

Pourcentage

Naturelle

72

18,8

Accident

95

24,8

Homicide

2

0,5

Suspecte

5

1,3

191

49,9

18

4,7

383

100

Suicide Indéterminée Total

La certification de l’Instance sanitaire ou sociale concernant les indices de suicides ou de morts violentes est observée. Trois causes de mort, les plus fréquentes, sont retenues : suicides, accidents et morts conclues comme naturelles.

Comparaison du groupe des suicidés aux autres morts violentes Au niveau sociodémographique, les caractéristiques des suicidés présentées dans les Tableaux VII et VIII révèlent une surreprésentation des hommes, même s’il existe déjà une surmortalité masculine pour les accidents. Entre les groupes, selon la nature du décès, de grandes différences s’observent : suicides et accidents concernent des groupes de population aux tendances presque opposées : âges plus avancés pour les suicides, âges plus précoces pour les accidentés où étudiants et précaires sont relativement plus nombreux, contrairement aux suicidés, où les retraités sont plus nombreux.

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Acteurs et chercheurs en suicidologie

Tableau VII. Les caractéristiques des suicidés. Suicide (n = 191)

Accident (n = 95)

Naturelle (n = 72)

Sexe Masculin Féminin

140 73 % 47 25 %

62 31

65 % 33 %

54 18

75 % 25 %

Nationalité Française Française de parents étrangers Étrangère

183 96 % 6 3% 2 1%

80 6 4

84 % 6% 4%

45 5 4

63 % 7% 6%

Zone de résidence Urbaine Rurale

92 89

48 % 47 %

37 51

39 % 54 %

59 11

82 % 15 %

Présence d’un entourage familial Oui Non

89 7

47 % 4%

48 0

51 % 0%

45 14

63 % 20 %

Situation matrimoniale Célibataire Marié(e) Concubinage Divorcé(e) Veuf(ve)

42 65 3 15 23

22 % 34 % 2% 8% 12 %

29 23 3 3 5

31 % 24 % 3% 3% 5%

27 15 5 3 8

38 % 21 % 7% 4% 11 %

Nombre d’enfants 0 1 2 Plus de 2

10 7 4 3

5% 4% 2% 2%

4 0 2 2

4% 0% 2% 2%

24 4 0 1

33 % 6% 0% 1%

L’analyse des causes apparentes de la mort relevées dans le Tableau IX, suicides, accidents et le groupe comparatif des morts naturelles présentent des différences importantes. 97 % des accidents apparents sont classés parmi les décès causés par des accidents, mais ils comptent toutefois 12 % de suicides. Pour les suicides, les moyens habituellement utilisés sont : pendaison, armes, intoxication, noyade. Le motif de l’appel (après découverte du corps en général) est dans 75 % relatif à des cas de suicide. Dans une dizaine de cas, les motifs d’appels sont pour effectuer des examens de corps, répondre à des suspicions, étudier les lieux de l’accident. Les lieux où sont retrouvés

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Françoise Facy, Michel Debout

Tableau VIII. Les caractéristiques des suicidés. Suicide (n = 191)

Accident (n = 95)

Naturelle (n = 72)

Logement En famille En institution Seul Autre

17 4 14 2

9% 2% 7% 1%

21 0 2 0

22 % 0% 2% 0%

25 1 24 4

35 % 1% 33 % 6%

Profession Employés Ouvriers Autres

14 21 16

7% 11 % 7%

10 11 13

11 % 12 % 14 %

1 1 0

1% 1% 0%

Statut d’activité Emploi régulier Emploi précaire Retraité Invalide Arrêt maladie Chômeur RMI Étudiant Sans profession

56 0 74 12 1 10 0 6 17

29 % 0% 39 % 6% 1% 5% 0% 3% 9%

35 4 15 0 0 2 0 9 3

37 % 4% 16 % 0% 0% 2% 0% 10 % 3%

5 0 25 10 0 3 3 4 4

7% 0% 35 % 14 % 0% 4% 4% 6% 6%

Classe d’âges De 0 à 9 ans De 10 à 19 ans De 20 à 29 ans De 30 à 39 ans De 40 à 49 ans De 50 à 59 ans De 60 à 69 ans De 70 à 79 ans De 80 à 89 ans 90 ans et plus

1 4 20 25 40 28 21 30 15 3

1% 2% 11 % 13 % 21 % 15 % 11 % 16 % 8% 2%

3 14 17 13 15 8 6 7 4 1

3% 15 % 18 % 14 % 16 % 8% 6% 7% 4% 1%

8 4 2 2 17 9 9 12 4 0

11 % 6% 3% 3% 24 % 13 % 13 % 17 % 6% 0%

les corps sont les suivants, l’hôpital (ou clinique, 37 %), puis un plan d’eau (29 %), ou une maison de retraite (13 %). 183 cas sur 191 sont considérés comme des suicides apparents et classés comme tels. Un message explicite a été retrouvé dans douze cas. Quinze corps ont été découverts d’une manière inopinée. Deux morts sont provoquées par deux accidents de la circulation impliquant une automobile dans un cas et une moto dans l’autre. Dans un cas, le conducteur était seul, dans l’autre il s’agit d’un piéton.

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Acteurs et chercheurs en suicidologie

Tableau IX. Les causes apparentes de la mort. Causes apparentes de la mort

Suicide (n = 191)

Accident apparent

23

12 %

92

97 %

2

3%

Intoxication

26

14 %

0

0%

1

1%

Armes

35

18 %

0

0%

0

0%

Noyade

20

11 %

1

1%

0

0%

3

2%

1

1%

0

0%

77

40 %

0

0%

0

0%

Autres suffocations

0

0%

0

0%

1

1%

Autres causes

7

4%

1

1%

60

83 %

Indéterminée

0

0%

0

0%

7

10 %

Immolation, Gaz Pendaison

Accident (n = 95)

Naturelle (n = 72)

Le tiers des personnes intoxiquées (14 %), avaient consommé de l’alcool. Presque la totalité des intoxications sont provoquées par des médicaments (25 sur 26) : huit par des hypnotiques, trois par des antidépresseurs, un cas par des stupéfiants et un par des produits industriels. Les antécédents sont parfois mentionnés dans les questionnaires analysés. Soixante-dix-neuf personnes sur 191 avaient rencontré des difficultés familiales, 56 avaient éprouvé des problèmes socioprofessionnels et une personne était itinérante. Les antécédents médicaux sont fréquemment notés dont 52 dépressions, 21 tentatives de suicide et 9 conduites addictives. Parmi les enseignements de cette recherche pluridisciplinaire, la mobilisation des professionnels (des secteurs soins et justice) pour déterminer les causes des morts violentes se révèle essentielle, au niveau de la veille pour repérer les cas et au niveau des spécificités des comportements individuels qui permettent de certifier de façon plus exacte la nature du décès. La recherche menée dans la Loire montre ainsi l’importance des comorbidités (psychopathologie, dépendance) pour lesquels il existe d’autres références dans la CIM-10. Dans la mesure où des groupes particuliers sont ciblés, l’évaluation d’actions de prévention du suicide ne peut pas uniquement reposer sur un indicateur global. Des poids relatifs mériteraient d’être recherchés

82

Françoise Facy, Michel Debout

suivant l’exposition de ces groupes à différents risques de morts violentes, y compris le suicide. Drumond (1999) montre que les données de la mortalité sont pertinentes pour analyser la violence, mesurer les tendances et l’impact des interventions pour la réduire. Les certificats de décès sur lesquels la cause de décès (UCD) spécifiée concerne les accidents non spécifiés ou un événement de cause indéterminée (ICD-10 - Y10-Y34) ont été sélectionnés pour une recherche à l’Institut médico-légal. Après avoir consulté les rapports de police, les rapports d’autopsie et autres formulaires officiels ont été analysés et la cause de décès a été recodée. Pour les événements d’intention indéterminée, deux tiers n’ont pas d’explication, et la cause émise, dans un tiers des cas, a été changée : chutes (10,6 %), homicides (7,5 %), accidents de la circulation (6,7 %). L’utilisation d’outils standardisés pour mesurer le fonctionnement social et la qualité de la vie reste encore trop limitée et il faut encourager la recherche pour approfondir les liens entre les disciplines de santé et de société.

Discussion L’épidémiologie est un mode de raisonnement fondé sur l’hypothèse d’un déroulement connu et parfaitement défini d’une maladie. Les indicateurs-clés en sont la morbidité et la mortalité. Toute action de prévention a un impact sur l’un ou l’autre, voire les deux, mais les deux sont rarement appréciés simultanément pour les populations (à travers les taux de prévalences ou d’incidences) ou pour les personnes (survie avec ou sans incapacité). Dans le domaine des comportements individuels ayant des effets sur la santé, l’approche épidémiologique, au risque de demeurer réductrice, ne peut se contenter des mêmes indicateurs car la morbidité ne reflète pas l’ensemble des dommages sur les dimensions psychologiques et sociales (Chagnon et Mishara, 2004) et la mortalité traduit une part relative de la définition des cas suivant les critères par exemple de l’OMS ou des services de justice. À travers des travaux de recherche pluridisciplinaire, le champ de la violence pourrait donner lieu à l’adoption de nouveaux indicateurs particulièrement utiles à la compréhension et au suivi des phénomènes qui y sont rattachés. Ils permettraient de comprendre les interactions entre les personnes et leurs environnements, et limiter les effets réducteurs de certains indices, bâtis le plus souvent selon le modèle de Mac Kinsey, qui suppose la fiabilité des mesures et leur pertinence dans l’évaluation des objectifs.

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Acteurs et chercheurs en suicidologie

Conclusion Comportements revendiqués depuis longtemps parmi les libertés individuelles (Terré, 1994), le suicide est aussi reconnu comme un fait de société. Ses évolutions sont interprétées en parallèle avec les crises économiques et sociales, comme celle du début des années 1990 dont la pire année était sans doute 1993 (Anguis, Cases, Surault, 2002). La France possède l’une des meilleures espérances de vie au monde avec un taux de mortalité brute de 9,01 décès pour 1 000 en l’an 2000 qui est l’un des plus bas enregistrés dans les pays développés. En revanche, au regard de la mortalité prématurée (indicateur qui exprime le risque de décès avant 65 ans), la France se trouve dans une situation critique pour la mortalité des hommes, l’une des plus élevées d’Europe, et 2,5 fois plus élevée que celle des femmes. Les cancers, les accidents et les suicides sont les principales causes de cette mortalité. Ces constats ont justifié des actions sociales plus nombreuses, en particulier de prévention, mais d’autres considérations interviennent puisque la santé n’est pas seule en cause mais aussi, le comportement individuel ou collectif. Sur le modèle des maladies, la prévention peut s’organiser à la fois : • par un meilleur dépistage ; • par une action sur les risques liés aux comorbidités. Sur le modèle des comportements à risques dans d’autres champs (sécurité routière, accidentologie, addictologie), la prévention du suicide peut inclure d’autres actions de réduction des risques (accès aux armes, moyens dangereux...). Sur le modèle de l’éducation à la santé, la globalité de la prévention vis-à-vis de risques multiples, trouve un argumentaire cohérent avec les stades de développement psychomoteur et affectif de l’enfant, puis de l’adolescent et de l’adulte au cours de la vie. Les évolutions des politiques de santé tendent à accroître l’importance donnée à la prévention et renvoient les chercheurs à l’obligation de mesures des résultats. Définir des objectifs, avec le suivi d’indicateurs, implique de s’interroger sur l’adéquation des instruments, leurs effets sur les utilisateurs, et les interprétations des données.

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Françoise Facy, Michel Debout

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Acteurs et chercheurs en suicidologie

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Françoise Facy, Michel Debout

APPORT DE LA MÉDECINE LÉGALE : LA « SANTÉ » DES SUICIDÉS Michel Debout1, Éric Bonne2, Patrick Beck4, Dominique Fasquel4, Danile Malicier3 1

2

4

Professeur de Médecine Légale, Service de médecine légale Docteur en médecine, Hôpital Bellevue, CHU de Saint-Étienne 3 Professeur de médecine légale, Institut Médico-Légal de Lyon Docteur en médecine, Service médical de l’Assurance Maladie

Cette étude est la première de cette ampleur réalisée en France, concernant la connaissance de l’état de santé des personnes suicidées, chez 308 sujets connus des services de Médecine Légale des villes de Saint-Étienne et de Lyon. Les éléments médicaux ont été obtenus à partir des dossiers des services de Médecine légale et des dossiers de l’Assurance Maladie (régime général et Mutuelles associées, uniquement) de ces différentes personnes. Ainsi, tous les renseignements relatifs aux soins, aux hospitalisations, aux prescriptions médicamenteuses et leur évolution dans les 6 mois précédant le geste, mais aussi les types de médications prescrites, sont des données objectives et non des éléments rapportés par des témoins, aussi fiables soient-ils. Par ailleurs, et pour la première fois, nous avons pu faire une étude comparative étayée par les tests de significativité (χ2) avec une population de référence de 1 415 personnes ayant les mêmes caractéristiques d’assurés sociaux que la population des personnes suicidées (sexe, âge, résidence).

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Acteurs et chercheurs en suicidologie

Méthodologie Service de Médecine Légale de Saint-Étienne et Institut Médico-Légal de Lyon Recueil des données médico-légales : suicidé(e)s du 1er mai 2003 au 31 octobre 2004 308 dossiers (212 hommes et 96 femmes) Données recueillies systématiquement : - âge des suicidés ; - sexe ; - mode ; - jour ; - lieu. Données disponibles dans certains dossiers seulement et rendant impossible une véritable étude statistique : - activité professionnelle ; - statut matrimonial ; - antécédents de TS ; - toxicomanies, alcoolisme.

Services Médicaux de l’Assurance Maladie de Saint-Étienne et de Lyon Recueil des données médicales concernant les 6 mois précédant le suicide : Consommation de soins : - consultations chez un médecin ; - délivrance de psychotropes ; - bénéficiaire d’une ALD 301 ; - antécédents d’hospitalisation.

Étude statistique Étude : population des suicidés (308) versus population de référence (1 415 personnes ayant les mêmes caractéristiques d’assurés sociaux que la population des personnes suicidées [sexe, âge, résidence]) - test du χ2.

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Affection Longue Durée donnant droit à l’exonération du ticket modérateur.

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Résultats Figure 1. Suicidé(e)s (%) suivant le sexe.

Figure 2. Suicidé(e)s (%) selon l’âge et le sexe.

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Figure 3. Population des suicidés versus population générale.

Figure 4. Pourcentage et type de consultations chez les suicidés au cours des 6 mois étudiés.

L’astérisque au-dessus de la colonne est un indice de significativité par le test du χ2 entre la population des suicidés et celle des témoins : ainsi dans ce premier tableau les suicidés ont plus consulté les médecins généralistes et les psychiatres que la population de référence, ce qui n’est pas le cas pour la consultation des autres spécialistes.

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Figure 5. Consommation de traitement psychotrope chez les suicidés.

Figure 6. Traitement psychotrope suivant l’âge - Hommes.

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Figure 7. Traitement psychotrope suivant l’âge - Femmes.

Figure 8. Augmentation des posologies de psychotropes le mois précédant le suicide chez les suicidés (hommes et femmes) de 30 à 59 ans.

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Discussion Confirmation de données antérieures La mort par suicide est essentiellement masculine (deux hommes pour une femme), l’âge de prédilection pour les deux sexes se situant dans la tranche des 30 à 59 ans. Pour la très grande majorité de ces suicides, le geste suicidaire s’inscrit dans le cadre d’une pathologie parfois lourde (ALD 232), en tout cas suivie médicalement et avec des symptômes psychiatriques prédominants. En ce qui concerne la consommation de soins, dont les consultations médicales, hospitalisations, prescriptions médicamenteuses et leur type, on note par rapport aux sujets témoins une sur-consommation de consultations chez le médecin généraliste et à un degré moindre chez le psychiatre, chez les hommes et chez les femmes à tous les âges de la vie. Pour les deux sexes et au-delà de 30 ans, on observe une sur-consommation de médicaments psychotropes, antidépresseurs notamment, hypnotiques et tranquillisants et surtout en polythérapie. Enfin, chez l’ensemble des suicidés on retient le recours significatif plus fréquent à une hospitalisation (générale ou psychiatrique) dans les 6 mois qui précédent le geste mortel. De l’ensemble de ces éléments, il ressort que la mortalité suicidaire reste une complication de la psychopathologie suivie médicalement, mais pas toujours par un psychiatre. La prévention du geste passe donc par une meilleure adéquation entre les soins et l’état clinique, mais il faut considérer aussi que dans un grand nombre de cas, le suivi médical ne suffira pas à lui seul à prévenir le passage à l’acte mortel. Les conditions d’environnement (entourage familial, entourage social) auront toute leur importance et la prévention suppose donc la mobilisation et une meilleure coordination entre l’ensemble de ces acteurs.

Données nouvelles 1. L’étude a permis d’attirer l’attention sur la corrélation statistiquement significative entre l’augmentation récente de la prescription des médications psychotropes (moins d’un mois) et le geste suicidaire. Évidemment cela démontre une aggravation de la symptomatologie et donc un risque accru de passage à l’acte, mais en même temps cela doit rendre vigilant tous les praticiens qui sont amenés dans le suivi de leur patient à augmenter de façon significative les doses de 2

ALD 23 : affection liée à une pathologie psychiatrique.

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Acteurs et chercheurs en suicidologie

psychotropes. Le risque suicidaire est alors important et cela suppose de renouveler fréquemment les consultations voire d’inciter le patient à se faire hospitaliser, ou a consulter un spécialiste lorsqu’il ne l’a pas encore fait. 2. Il a été trouvé une différence significative entre les suicidés bénéficiant de l’Exonération du Ticket Modérateur à la suite d’une Affection Longue Durée principalement lorsque celle-ci est d’origine psychiatrique, et les autres. De la sorte, il faut retenir que la mise sous ALD d’un patient, notamment dans les tranches d’âge de 30 à 60 ans doit s’accompagner d’un suivi spécifique pour prévenir un passage à l’acte suicidaire. Il a même été observé que certains de ces patients n’avaient eu aucune consommation de soin dans les 6 mois précédant le passage à l’acte. Il serait donc nécessaire que ces patients soient suivis plus régulièrement sur le plan médical. 3. Les suicidés ayant eu recours aux antidépresseurs sont moins suivis par un psychiatre que les sujets témoins suivant le même traitement. 4. 35 % des hommes et 15 % des femmes n’ont eu aucune consommation de soin dans les 6 mois précédant leur geste. Dans ce cas, la prévention passera : - par un meilleur accès aux soins, notamment pour les hommes : on sait que ceux-ci se soignent globalement moins que les femmes et notamment lorsqu’ils présentent une psychopathologie principalement dans le versant dépressif ; - par une meilleure connaissance de leur situation personnelle et sociale (solitude, rupture conjugale, chômage) de façon à mobiliser autour d’eux un réseau relationnel, notamment associatif pour les soutenir dans un moment de vie difficile. Notre étude, du fait des éléments contenus dans les dossiers ne nous a pas permis par contre de connaître de façon suffisamment précise la situation matrimoniale et professionnelle des personnes suicidées. Il faudra développer d’autres protocoles de recherches de façon à améliorer nos connaissances à ce niveau et ainsi à développer la prévention à partir de données mieux fondées.

Conclusion Les services de médecine légale constituent un lieu d’observation sans équivalent des morts violentes - dans notre cas les morts par suicide - dès lors que leur mission ne se cantonne pas à éclairer la justice mais à s’inscrire dans une démarche de santé publique. Mis en

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réseaux, ils pourraient valablement constituer un véritable observatoire des morts violentes en considérant que l’épidémiologie, l’anthropologie, la toxicologie... font parties intégrantes de la démarche du médecin légiste comme cela devrait déjà être le cas puisque la qualité de légiste n’enlève rien à celle de médecin, qui doit, selon le code de déontologie « accomplir sa mission dans le double intérêt des personnes et de la santé publique ».

BIBLIOGRAPHIE 1. Inserm. Expertise collective. Autopsie psychologique. Paris : Inserm, 2005. 2. Martorana V. Recherche des antécédents médicaux chez les personnes suicidées (à partir des dossiers de sécurité sociale les concernant) - CHU de Saint-Étienne - année 1999. Thèse de Doctorat en médecine, 25 octobre 2001. 3. Bonne E. La santé des suicidés. Thèse de Doctorat en médecine, 8 septembre 2005.

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MILIEU SCOLAIRE ET RECHERCHE : POUR UNE CULTURE PRÉVENTIVE DE L’ENTRE-DEUX Denis Cettour Philosophe, Co-Président du Comité éthique et scientifique UNPS

« Les adolescents n’aiment pas consulter et le morcellement des soins entraîne chez eux un véritable rejet [1] »

Le problème du transfert de connaissances Dégageons le problème essentiel qui nous préoccupe : comment faire valider le discours préventif dans le milieu scolaire - par des collégiens, des lycéens et étudiants - sans que ce discours ne soit disqualifié précisément parce qu’il provient des adultes ? On pourrait nous objecter notre pessimisme ! Pourquoi un tel discours serait-il, a priori, disqualifié ? La transmission d’un savoir facultatif - du moins vécu ainsi par le jeune - dans un lieu en charge de dispenser un savoir obligatoire est une réalité spécifique. Nous ne sommes pas en train de figurer là le problème général de la pédagogie inhérent à toute transmission de savoir ; nous voulons simplement émettre l’hypothèse d’un conflit de génération, conflit souvent contenu, voire absorbé lorsqu’il s’agit de transmettre un savoir didactique (celui qui émane des programmes, quel que soit le niveau concerné), et sur-activé lorsqu’il est question d’un savoir « optionnel ». N’oublions jamais que dans le milieu scolaire général, on donne un savoir sans donner les moyens de répondre à ce don. Le contre-don est différé dans le temps sous forme de reconnaissance. Celle-ci peut être exprimée ainsi : « On m’a appris quelque chose qui m’a fait devenir ce que je suis et ce que je suis, sait maintenant répondre à ce legs ». Mais cette vision synchronique est désuète ! Nous voulons dire par-là qu’elle donne bonne conscience à 10 % d’élèves, à 50 % de parents et à l’ensemble des adultes non concernés... mais laisse intacte les problèmes majeurs ! Que nous

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apprend une vue diachronique ? Le savoir transmis est, pour le jeune, tantôt humiliation, tantôt élévation. Certes, on peut dire que dans l’humiliation il y a de l’élévation et que dans l’élévation il y a de l’humiliation. Mais seuls les élèves très favorisés pressentent la positivité d’une telle dialectique. Un peu comme si l’ombre appelait le soleil, l’humiliation relativisée par la réussite « incarnée » des structures familiales sollicite l’élévation. Cette dialectique - répétons-le - engendre le plus souvent des crises, crises absorbées, tant bien que mal, par le discours du savoir obligé, mais exaltées par le discours préventif, non obligé. Puisque nous évoquons un problème, précisons ses données. Le milieu scolaire est un lieu de suspicion à l’endroit du « savoir-expert » lorsque celui-ci s’aventure dans des domaines extra-scolaires. Il suffit de se rendre compte combien un discours nutritionniste serait lettre morte avant l’heure du déjeuner à la cantine. On sait qu’il s’agit d’une question d’éducation antérieure au fait ponctuel d’un repas mais une autre raison est aussi envisageable. Le symbolique rapport aliment intellectuel et aliment comestible - les fameuses nourritures ! - est une voie plus sûre. L’absence de droit de regard sur « l’ingestion du savoir », génère un droit de refus sur l’aliment. N’a-t-on jamais vu des élèves manifester hautement leur désapprobation pour un repas somme toute convenable et se faire à manger clandestinement dans leurs chambres au moyen de vulgaires boîtes de conserve ! La nourriture ne peut-être bonne dans un établissement scolaire ! L’approche quantitative, objective ne trouvera jamais prise. Ces quelques remarques pour signifier qu’un savoir-expert estampillé « prévention » (et pas seulement la prévention du suicide...) n’a pas plus de chances d’être retenu pour les mêmes raisons. En outre, toute prévention fondée sur l’idée selon laquelle « maintenant on sait, alors qu’auparavant on ne savait pas » (leitmotiv des attitudes préventives), renforce le pouvoir de celui qui sait en le rendant dépositaire d’un savoir tout neuf, assimilable psychologiquement, à un objet secret. Or un tel savoir-secret ne peutêtre partagé, il ne peut être qu’initié. Ce qui suppose des conditions particulières dont on ne s’encombre guère ! La seconde donnée du problème est d’une telle trivialité que nous nous efforcerons malgré tout de l’expliciter eu égard au dédain que certains manifestent à la reconnaître. Les élèves, les étudiants sont en perpétuelle recherche, recherche d’identité et de confiance. Ce rappel, pour banal qu’il puisse être, nous recommande de prendre conscience que, dans l’extrême majorité, les élèves demandent autre chose que ce qu’on leur donne. Il y a là une base dysharmonique - qui fait écho à

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une autre dysharmonie passée - entre le désir scolaire et le désir d’identité, base qui ne peut-être enjambée. On peut combler le besoin - et ce d’autant plus que le jeune ne le vit pas, la plupart du temps, comme un besoin ! - mais le désir « galope » avec furie ! À l’aune de ce rapport dysharmonique, on peut mesurer l’ennui des élèves. Plus le désir d’identité est intense et moins le besoin scolaire est identifié comme un tel par l’élève. Disons de façon scolaire qu’un élève ne se décide pas à faire des mathématiques pour les mathématiques. Le savoir pour le savoir est un idéal pédagogique révolu, laissé dans l’esprit de ceux qui récusent la « massification » de l’enseignement. Les élèves, nos élèves nous apprennent une pédagogie du « comme si » infiniment plus réaliste et plus « rieuse » : comme si c’était pour les mathématiques alors que c’est pour la mèche de cheveu de la voisine ou du voisin, ou encore pour le sourire éclatant du professeur, un matin d’hiver blafard.

Le savoir et le pouvoir Il est une prévention qui ne peut être réduite à une prévoyance raisonnée. La prévention-prévoyance, lorsque le danger est extérieur par exemple, est une prévention objective. La vitesse tue quelque soit le mobile concerné. Le comportement du sujet peut, à l’évidence, influer considérablement la probabilité de ce danger mais il ne remettra jamais en cause le danger objectif. Il serait vain d’aligner la prévention qui nous préoccupe (et pas seulement celle du suicide mais encore celle des conduites à risques des adolescents, celle des addictions) sur ce type de prévention. La raison nous paraît implacable : le mal, le danger que l’on cherche à prévenir est toujours, aux yeux du jeune, vécu comme un moindre mal qui s’apparente à son bien. Aucune donnée objectivée ne peut contredire cet obstacle. L’obstacle auquel nous faisons allusion prend sa source dans ce que nous appelons le déficit d’identité. Un tel déficit s’accompagne d’un pouvoir, d’un pouvoir paradoxal peu - ou jamais - transférable qui fige l’individu au choix d’un mode d’existence unique. C’est le pouvoir de Gribouille [2]. Il choisit l’eau qui tue pour éviter l’eau qui mouille. Il est certain que Gribouille entretient avec l’eau un pouvoir, mais pas un pouvoir de maîtrise : Gribouille est un « spécialiste » qui n’a pas le savoir d’un généraliste et qui ne peut l’avoir. Un tel sujet n’est donc jamais prêt à échanger son pouvoir contre le savoir qu’un expert pourrait lui apporter. Et ceci d’autant plus que dans un milieu scolaire, le savoir est vécu, nous le rappelions plus haut, comme une perte momentanée de pouvoir. On ne réfléchit pas suffisamment à la « psychologie de la

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feuille blanche » ; on identifie trop rapidement cette feuille blanche, lors d’un examen, à un échec. L’élève ou l’étudiant qui rend une feuille blanche est rarement celui qui ne sait pas, qui ne sait rien. C’est plus souvent l’élève qui n’a pas pu réussir, réaliser une partie et qui raye alors la totalité. Le manque ponctuel de savoir est substitué à un excès de pouvoir, la feuille blanche. On ne distingue pas la branche à élaguer, on abat l’arbre avec puissance. L’obstacle est-il insurmontable ? Aucun savoir n’est-il dans ces conditions recevable par le jeune ? Une seule voie semble ouvrir l’horizon : le savoir doit immédiatement avoir comme enjeu non pas la restauration d’un pouvoir passé, mais l’instauration d’un nouveau pouvoir. Nous songeons à la prévention du Sida. Pendant près de dix ans l’idée d’inciter les jeunes à s’abandonner, dans la relation amoureuse, grâce à l’usage du préservatif, heurtait une autre idée, plus avouée, de les préserver du mal qui venait du sexe. Nous pouvons tirer une leçon de ces contradictions : lorsque la prévention est détournée, limitée au bénéfice d’une morale, il s’ensuit une approche instrumentale comme remède mécanique aux atermoiements moraux. Il eût été, assurément, préférable de reconnaître, d’une part la maladie causée par le VIH et d’autre part cette autre « maladie », celle de l’abandon - le pouvoir de s’abandonner sans lequel on se sent abandonné - afin de promouvoir dans l’initiative préventive une authentique érotisation du préservatif. Ne fallait-il pas prendre conscience que les jeunes pouvaient être les initiateurs d’une nouvelle pratique sexuelle du préservatif enfin érotisé, pratique qui aurait renvoyé à la préhistoire la stupide « capote » hygiénique de la génération aînée. Les jeunes se seraient alors peut-être abandonnés, non pas au jeu de la mort avec le VIH mais au jeu de la « mort » d’une génération, de leurs aînés, traditionnellement accapareurs des règles de la sexualité. Les jeunes pouvaient prétendre initier les pères et les mères. On a préféré le primat des lois mécaniques de l’instruction au détriment des règles troubles de l’initiation, on a préféré l’esprit de l’hygiène à celui de la difficile prévention-tentation. Donnons un autre exemple, plus actuel encore, qui nous montrera combien l’accueil d’un discours, d’un discours prohibitif ou préventif doit s’accompagner paradoxalement d’une confirmation du mal que ce discours est sensé débusquer. Pourquoi l’obligation faite aux jeunes propriétaires de chiens dangereux a-t-elle été - contre toute prévision ! - largement plébiscitée, voire anticipée ? Tout simplement parce qu’un chien muselé confirme, affiche de façon encore plus ostentatoire la dangerosité du propriétaire ! L’interdit confirme le désir de violence

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mais atténue considérablement le risque objectif. Un exemple, pour le sujet qui est le nôtre, que l’on voudrait exemplaire ! Notre façon d’insister sur l’articulation du savoir et du pouvoir est assurément au service d’une conviction. Le problème du transfert de connaissances dans un milieu scolaire ne pose pas prioritairement une question de didactisme (savoir ce que l’on fait passer, pour telle ou telle population...) mais une question pédagogique en direction des adultes entre eux. Dans un collège, un lycée par exemple, l’essentiel n’est pas de savoir ce qu’un enseignant doit dire, ce qu’une infirmière doit énoncer - il suffit pour cela de lire les brochures largement diffusées - mais bien de constituer une culture commune pédagogiquement prête à rencontrer la culture commune des élèves. Le problème le plus saillant est celui de l’autorité. Le discours préventif pose le problème de rencontrer l’autorité d’autrui (ou du groupe), la reconnaître tout en faisant autorité mais sans faire de l’autorité. Nous voulons dire que le problème du transfert de connaissances n’est pas une simple opération mécanique : il s’agit d’être en face de sujets qui sont tantôt objets du savoir, savoir qu’il faut alors transmettre, et tantôt sujets d’un savoir qu’il faut alors reconnaître. En termes analytiques, nous inverserons le rapport traditionnel et nous dirons que c’est le contre-transfert qui doit susciter le transfert. On saisit alors combien la situation est singulière, mais paradoxale pour une Institution en charge de dispenser un savoir ! On pourrait nous objecter nos vues trop théorisantes, trop décontextualisées. Appliquons-nous à affiner notre objet de réflexion en partant de la réalité empirique. Dans un établissement scolaire, le médecin scolaire est le représentant institué de la politique de santé. Le domaine de la prévention générale constitue le volet principal de sa mission. Soulignons le caractère idoine de notre objet particulier au regard de notre problème général. D’un côté nous avons le médecin scolaire qui diagnostique, qui conseille - nous dirons qui fait circuler un savoir - tandis que son activité de prescription se limite au cadre général et strict de la prophylaxie ; de l’autre côté, nous avons des partenaires, tous en possession d’un savoir-expert autonome. Au milieu, nous trouvons le jeune en situation scolaire ; le jeune, objet de tous ces savoirs organisés, pratiqués pour lui. Comment est assuré le passage du savoir « académique » vers ses « relais-experts », comment le ricochet est effectué en direction des sujets-objets, les élèves eux-mêmes ? Assurément, la consultation du médecin scolaire est bien une plate-forme d’élection pour notre présente réflexion.

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Enquête vers la médecine scolaire Nous avons réalisé une enquête auprès de huit médecins scolaires1. Quatre Académies ont été concernées par ce travail (Versailles, Rouen, Grenoble et Montpellier). Dans chaque Académie nous avions deux consultants. L’évaluation des pratiques consultatives a été faite sur un échantillon d’une population d’élèves librement choisie par les médecins consultants. L’absence de consigne signifiant pour nous une chance de « brassage » qui pouvait positivement contre-balancer le nombre relativement réduit de consultants. La seule contrainte alors adressée, a été portée par le nombre de consultations qui devait s’élever à 10 par consultant. Ce qui nous donne une matière de 80 consultations. Le questionnaire est composé de 59 items. Celui-ci a été établi à partir de connaissances générales tirées de la pratique que nous avions du terrain scolaire et aussi d’une fiche d’entretien standardisée dont le médecin scolaire use pour ses consultations. Afin d’éviter l’automatisme de certaines réponses et d’en appeler à plus d’attention, nous n’avons pas cru bon de reprendre stricto sensu cette fiche d’entretien. L’architecture générale de notre questionnaire repose sur le parcours d’une information en amont et en aval de la consultation. Ce qui a été 1

Cette enquête, commencée au début de l’année 2003, a fait l’objet d’un travail de DEA préparé au Laboratoire d’éthique médicale et biologique de Necker, sous la direction du professeur Hervé. Nous restituons présentement les principales intuitions de cette étude. Mais l’honnêteté intellectuelle nous commande cette confession : le DEA nous a été refusé lors de sa soutenance - malgré l’avance très confortable que nous avions pris aux épreuves théoriques (« major de promotion », nous a-t-on assuré !). Laissons de côté les querelles de personnes, insignifiantes... Retenons les partis pris théoriques qui posent un problème analogue à celui que nous étudions tout au long de cet article ! Il s’agit de l’éthique, plus précisément de l’éthique des savoirs - sa validité épistémologique, ses règles, ses valeurs. « On » veut ne pas faire de l’éthique une discipline didactique. L’éthicien est alors, a priori, déclassé. L’éthique, dans ces conditions est l’interrogation des pratiques professionnelles à l’aune de quelques valeurs pivotales. Soit ! Mais, dans ces conditions précisément, posons une question candide : qu’est-ce qu’un hématologue par exemple (?), qu’est-ce qu’une professeure de Santé Publique par exemple (?), peuvent entendre, peuvent juger du problème de l’éthique de la pratique de la consultation du médecin scolaire, par exemple (?). En présence de l’absence d’une réflexion éthique extériorisée, ils entendent, ils jugent assurément - et c’est là euphémisme ! - un problème d’hématologie ou un problème de santé publique comme Procustre étendait ses voyageurs sur son lit. En endossant l’habit de l’éthicien, l’éthicien alors improvisé peut gérer sans l’ombre d’un doute méthodologique ses valeurs les plus discordantes (la valeur du « tout évaluable » de la religion du fait scientifique s’accorde alors à merveille avec le « pas discutable » du fait humain... !). Ce qui signifie que l’on se retrouve sur la base la plus dogmatique de l’éthique - alors que celle que l’on prétendait chasser avait au moins pour elle la pertinence d’un universel discutable, universel passé au tamis des critiques des siècles passés -, une éthique qui récuse la confrontation des savoirs pluriels pour entériner la pratique univoque d’un groupe de particuliers, lui-même inféodé à une Institution. La pire éthique est l’anti-éthique qui s’approprie, par impuissance, le pouvoir de ce qu’elle ne veut entendre.

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notre premier centre d’intérêt et en même temps l’occasion de notre première hypothèse. Plus précisément : la question de la circulation de l’information qui transite par la consultation médicale, nous a aussi incliné à repérer, en parallèle au motif de la consultation, l’identité du demandeur de consultation ainsi que celle du « réceptionnaire ». Y a-t-il une adéquation entre les deux pôles, y a-t-il une perte d’information ? Telle a été notre approche hypothétique ? Notre souci d’évaluer le « travail » de la consultation sur le terrain s’est doublé d’une recherche d’information sur le même sujet mais hors pratique consultative. Une enquête-entretien - c’est ainsi que nous l’appellerons dans le présent compte-rendu - enquête constituée de 11 questions (3 questions ouvertes, 5 questions fermées et 3 questions mixtes). Pourquoi l’initiative d’une telle enquête ? Il n’a jamais été question, pour nous, de chercher la contradiction entre les deux registres mais bien davantage de tester l’éventuel écart entre une pratique stricte et la réflexion sur cette pratique. Partant du principe que toute pratique est pratique d’une théorie, nous désirions donner sens à ce qui pouvait demeurer en puissance. Cette « enquête-entretien » suit, dans sa construction, la même trame que « l’enquête-questionnaire ». Mais entre-temps ce qui était notre centre d’intérêt, mentionné plus haut, s’est alors profilé sous une forme plus problématique. Non seulement la question de la circulation transitive de l’information attisait notre intérêt, mais encore une autre hypothèse effleurait notre esprit, celle d’une sur-demande de consultations. Pour retenir ce changement de regard conséquent à l’apport méthodologique dont nous venons de parler, il nous a fallu, à côté de la question de la sur-demande de consultations et à côté de celle de la place médiane occupée par le consultant, inclure un questionnaire moins technique, peut-être plus éthique, celui qui met en scène la double spécificité du médecin scolaire, spécificité médicale et éducative. C’est ainsi que l’on a réaménagé le problème de la circulation de l’information en lui annexant celui du rapport de la déontologie médicale et de la responsabilité éducative. Si un flux de demandes de soins traverse la consultation médicale, si le consultant est celui qui ferme et qui ouvre le passage selon les instances médicales et/ou éducatives, alors il manque à notre problème le « sujet/objet » de cette configuration, il manque l’élève ! Que fait-on de sa demande, existe-t-elle même, est-elle égarée au milieu des autres, est-elle retenue, conservée, partagée ? La pratique de la consultation médicale scolaire, ce lieu où l’information est transmise en vue de prévenir l’élève, n’est-elle pas aussi un lieu de réponse en vue d’une autre chose, de quelque chose de plus interne, de plus secret et de plus personnel ? Comment partager une information médicale et en même temps protéger celui qui en est le « porteur » ? C’est là une

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problématique classique, mais la position originale du médecin scolaire l’a rend très actuelle. La consultation scolaire est celle de l’enfant, du jeune en situation scolaire ! Une pratique originale, conséquente à la spécificité de son « objet » s’en dégage. Dans un établissement scolaire, le médecin consultant est en « bout de chaîne » au regard de tous les « consultants » qui l’ont précédé, mais il est aussi en « début de chaîne » si l’on veut bien observer sa fonction quant au suivi de la consultation. Ce qui veut dire que la consultation médicale scolaire est entourée d’autres pratiques portées par d’autres professionnels (médicaux et non-médicaux). Ces autres pratiques sont faites - comme toute pratique ! - d’éléments plus ou moins cohérents, de traditions, de coutumes, d’habitudes, de mœurs, mais aussi de parti pris théoriques. Or le médecin scolaire est concerné par une double responsabilité, responsabilité bien sûr médicale mais aussi éducative ! Sa responsabilité médicale coordonne sa démarche dans un partenariat avec d’autres pratiques qui - nous le verrons - concourent à inscrire l’élève, le jeune dans un flux d’informations le concernant. L’élève apparaît alors ici comme un centre à la périphérie ! Là réside un problème éthique essentiel : la consultation médicale scolaire, sa pratique, peut-elle se contenter d’une telle réduction, par ailleurs nécessaire, si elle veut prétendre à une action authentiquement préventive ?

La création d’une culture commune en amont de la consultation Médecin généraliste, le médecin scolaire, à l’instar du médecin spécialiste se situe en « bout de chaîne ». Ce qui signifie qu’une kyrielle de professionnels a anticipé, lors de consultations pas toujours spécifiées, une demande de soins pour le futur « patient-élève ». Mais à la différence du médecin spécialiste, le médecin scolaire est informé par des professionnels dont la logique n’est pas nécessairement justiciable de l’autorité médicale. Les Figures 1 et 2 nous montrent même que la causalité non médicale l’emporte très nettement sur la causalité médicale (71,61 % contre 28,35 %). Dans la lignée de ces remarques, attachons-nous à porter notre attention sur les motifs de demandes de consultation adressés par les enseignants. Ce qui frappe, à la lecture de ces motifs (Figure 3), est le caractère pluriel des registres supposés. C’est ainsi que nous passons de la référence éducative ou scolaire - « absentéisme, difficulté

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Figure 1. Source d’information concernant l’élève qui arrive en con-

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sultation (enquête-questionnaire, n = 80).

Figure 2. Qui adresse ? (67 réponses reçues - enquête-questionnaire).

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Figure 3. Professeur.

d’apprentissage » - à la référence médicale - « allergie » - ou encore psychologique - « douleur morale ». Posons naïvement les questions : est-ce bien à l’enseignant de signaler la chronicité d’une plainte en vue d’une consultation médicale, est-ce bien la mission d’un enseignant de suspecter un abus sexuel sur un élève au point d’en faire un motif de consultation médicale ? Contentons-nous, pour l’instant de feindre une réponse en rappelant le leitmotiv du corps enseignant selon lequel « les enseignants ne sont pas formés pour ça ! ». Ne pas être formé pour... c’est là précisément ce qui caractérise, nous semble-t-il, les demandes de consultation qui émanent - rappelons-le - à raison de 71,61 % d’un site non-médical. Ce qui signifie que la consultation du médecin scolaire commence déjà ici. Les demandes de consultation ne sont en aucune façon les substituts d’analyses ou d’examens médicaux ! Ce sont des éléments construits par une raison professionnelle dans lesquels la subjectivité tient une part prépondérante. Est-ce à dire que la seule logique professionnelle, catégorielle dirige ces demandes ? Rien de tel, appliquons-nous à repérer la raison scolaire - dénommée « difficulté d’apprentissage » -, celle-ci représente 21,42 % des motifs. Ce qui nous laisse déduire le fait que d’autres professionnels (non enseignants) s’accordent la causalité scolaire pour proposer un motif de consultation puisque l’ensemble des motifs est de 54,83 % (Figure 4). La consultation du médecin scolaire requiert une aptitude au discernement qui ne signifie pourtant pas une défiance, encore moins une méfiance mais une confiance en soi et envers ses partenaires. Si l’infirmière peut présenter, comme motif de consultation, un échec scolaire ; l’enseignant, une plainte chronique ; le CPE, une TS... c’est que la

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Figure 4. Argument du motif scolaire dans la pratique de la consultation (enquête-questionnaire, total des motifs : 31).

compétence professionnelle n’est pas nécessairement le levier qui préside à ces motifs. Une réalité mosaïcale s’offre au médecin scolaire, réalité dominée par la conscience extra-professionnelle ou tout simplement la bienveillance. L’équipe éducative signale un problème médical ou un problème scolaire dans la même proportion que le fait l’équipe para-médicale. Le médecin scolaire en « bout de chaîne » apparaît donc comme un spécialiste face à des professionnels généralistes dans leurs demandes. Sur quatre-vingts consultations que nous avons pu étudier, une seule attestait la demande stricte d’un élève. Et le motif de cette consultation - une conjonctivite allergique - a toutes les raisons d’être accidentel. Le médecin scolaire a vraisemblablement dû se trouver dans l’établissement au moment de la crise. À l’évidence, la demande de soins de l’élève en consultation scolaire n’est pas inscrite dans « l’ordre des choses ». Mais l’élève est surdéterminé par une demande de soins, voire par une injonction de soins. Toute une organisation - les différents niveaux antécédents à la consultation médicale, la situation du médecin scolaire en « bout de chaîne » - converge vers la dénégation

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de la plainte de l’élève, plainte qui est, en fait, supplantée par une demande de soins extérieure à lui. Cela commence avec raison à la maternelle, cela continue au lycée selon un ordre de raisons que seule l’habitude semble conforter. Une autre direction peut, elle aussi, renforcer cette primauté de la demande impersonnelle sur la plainte personnelle. Le médecin scolaire consultant situé en « bout de chaîne » est aussi simultanément en « début de chaîne ». Il suffit, pour apercevoir cet autre transit, de porter notre regard sur l’aval de la consultation scolaire. Celle-ci est aussi une passerelle qui nous fait aborder la consultation extra-scolaire. Pour des raisons structurelles (le ministère de l’Éducation nationale ne peut être en même temps celui de la Santé) mais encore pour des raisons de pratiques professionnelles, le médecin scolaire, spécialiste du patient scolarisé, est aussi un généraliste qui consulte d’autres spécialités. L’élève qui consulte voit se présenter à lui - à la limite avant même qu’il ait pu dire quelque chose - une succession de consultations. Sa demande est faite par des consultations antérieures et pour des éventuelles consultations à venir.

Le partenariat ou la culture de l’entre-deux Le médecin scolaire est traversé par une culture de l’entre-deux dont le double statut de médecin et de fonctionnaire témoigne. Les missions du médecin scolaire sont encadrées par les circulaires no 91-148 du 24 juin 1991 et du 12 janvier 2001. La Prévention sanitaire et l’implication éducative dans le tissu scolaire sont les maîtres-mots. Les actions du médecin scolaire dans un établissement se divisent en deux grandes directions ; l’une de portée collective et systématique (bilans, visites...), l’autre plus individuelle (selon les demandes urgentes ou non). Entre deux établissements ou trois, ou encore davantage, le médecin scolaire est plus un référent pour un établissement que le représentant continu de la santé à l’intérieur d’un établissement. Le médecin scolaire, ni totalement dehors, ni absolument dedans, « entre-deux », se voit donc en charge d’une double responsabilité, médicale et éducative et c’est assurément là une dimension vécue comme absolue dans la pratique des médecins que nous avons consultés. Le médecin scolaire ne peut être à part entière médecin, il ne peut non plus être totalement éducateur. L’addition stricte des deux missions est une illusion. D’où une sorte de contrat symbolique, contrat bilatéral entre les deux parties du soi du médecin scolaire. L’une des parties

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doit faire un sacrifice pour rencontrer l’autre, pour faire alliance avec l’autre. Nous examinerons plus bas les conditions de ce « contrat intérieur ». Mentionnons pourtant concrètement la traduction de ce phénomène sur le terrain des pratiques. Si nous prenons, le versant médical, le secret professionnel - clé de voûte de la pratique médicale - pourra se métamorphoser en un secret de polichinelle, mais alors entendu de façon tout à fait laudative (le secret partagé). En prenant maintenant le domaine éducatif, scolaire, un élève qui réussit brillamment au prix de quelques risques pour sa santé... est un élève qui ne pose aucun problème à l’enseignant... mais qui en pose un sérieux au médecin scolaire éducateur ! Toutes ces remarques, pour suggérer l’idée que le soi médical du médecin scolaire se rogne les ailes pour donner l’aval au soi éducatif et le soi éducatif pour donner la réplique adéquate au soi médical. Donnons l’idée générale qui ressort des réponses des médecins. Jamais il n’est mention de ce qu’on pourrait appeler la loi du « tout ou rien », jamais il n’est question d’une culture de l’alternative. Par exemple, cette alliance de compromis « médical/éducatif » est plus ou moins résolue par la distinction de « l’individuel-médical » et du « collectiféducatif » (Académie de Grenoble), ou bien de façon plus exigeante, une union des deux versants sur la base d’une santé de l’éducation et d’une éducation à la santé (Académie de Rouen), ou encore la distinction de la cause (médicale) et de l’effet (éducatif) pour l’Académie de Versailles. De la responsabilité comme façon de résoudre les contradictions d’un soi divisé, nous passons naturellement à une réalité plus mosaïcale, la responsabilité avec les partenaires. Alors qu’une hiérarchie décisionnelle - nationale, rectorale et départementale - pourrait figurer cette autorité extérieure « déresponsabilisante », l’indépendance professionnelle du médecin scolaire se fait fort de répondre, d’être responsable au regard des demandeurs de consultations. Rappelons que les demandes des jeunes, des élèves sont très majoritairement portées par d’autres et ce sont là les partenaires immédiats du médecin scolaire. Être le responsable médical et éducatif, c’est alors promouvoir une pédagogie à l’endroit des demandeurs de consultations, de tous les demandeurs mais aussi bien sûr à l’endroit des jeunes. Discernons les deux cas. En quoi consiste cette pédagogie ? La finalité de celle-ci trouvera son sens dans une succession de contrats unilatéraux dans un premier temps et son plein épanouissement, dans un deuxième temps, lorsque le bilatéralisme des contrats (médecin scolaire et équipe éducative) pourra se réaliser. La finalité consiste à travailler sur les

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demandes des partenaires. Ce travail qui réfléchit et reproduit le travail du contrat bilatéral du médecin scolaire avec lui-même, n’a pas pour sens de rendre les demandes adéquates (l’enseignant qui signalerait alors des problèmes strictement scolaires ; l’assistante sociale, strictement sociaux...) nous aurions là une perte d’information. Il s’agit de faire en sorte que les demandes de consultation pour les élèves participent simultanément d’une demande d’information. La consultation du jeune est alors l’occasion d’une formation pour l’enseignant, l’infirmière... Prenons un exemple dans le champ des addictions : il y a quelque temps la demande du corps enseignant était focalisée sur la question « cet élève ne se drogue-t-il pas ? ». La demande de consultation était en réalité une demande de réponse affirmative afin de décharger le demandeur d’une quelconque action auprès de ce jeune et de charger - de façon inavouée - le médecin de médicaliser le problème de ce jeune. Or, si le comportement des partenaires change et a changé, si le comportement évite ces vues simplificatrices, c’est bien sous l’action pédagogique du médecin scolaire, action qui s’effectue dans les termes d’un contrat unilatéral avec les partenaires. S’agit-il là de la réussite d’un contrat qui se nomme par ailleurs travail en réseau ? Nous ne nous contenterons pourtant pas, à la lecture du Tableau I, de voir là seulement la réussite relative d’un travail en réseau. Nous interpréterons ces indications comme la tentative, tentative en marche, de la constitution d’une « culture commune » [3]2, fruit de la liaison de ce que nous appelons la culture de l’entre-deux. Le travail en réseau, fréquemment nommé, est déficitaire au regard de l’implication massive manifestée par les médecins pour les suites de la consultation. Cette implication est davantage une action « militante » de partenariat qu’une démarche strictement médicale. Enfin, insistons sur la place importante conférée à l’activité pédagogique (PPA, PAI : rappelons que lorsque le médecin scolaire rédige un certificat précisant les inaptitudes, précisant les adaptations nécessaires pour un « projet pédagogique adapté » ou un « projet d’accueil individualisé », cela nécessite un travail en amont et en aval de ce certificat, réalisable qu’à partir d’une culture commune). Le Tableau I nous désigne une réalité originale. Il ne s’agit pas de la trace d’une filière de « soins » (il n’est pas question, en effet, de faire déambuler les jeunes de la consultation médicale vers l’infirmière, de l’infirmière vers le CPE...), ni non plus d’un réseau de soins au

2

L’expression est empruntée à M. Pradoura-Duflot [3].

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Tableau I. Méthodologie du réseau (enquête-questionnaire, n = 80). Travail en réseaux pour les consultations récoltés dans l’enquête Implication dans les suites de la consultation scolaire

oui

37,5 %

non

62,5 %

oui

88 %

non

12 %

Répartition de l’implication du médecin scolaire en partenariat : - au titre de médecin scolaire - en partenariat Détail de l’implication/partenariat : - pédagogique (PPA, PAI...) - médicale et para-médicale

24 % 76 % 47,36 % 52,64 %

sens strict. Un réseau suppose un objectif commun a priori. Or l’hétérogénéité des personnes, de leurs activités professionnelles, des partis pris est telle que le dénominateur commun s’avère trop grand pour poser un tel a priori. L’hétérogénéité des personnes, de leurs activités professionnelles, des partis pris inhérents, nous feraient parler davantage d’une hétéro-disciplinarité que d’une interdisciplinarité. Il nous faut alors reprendre un terme, nous pensons évidemment à celui de contrat.

La création d’une culture commune en aval de la consultation Quel besoin, pourrait-on nous objecter, d’une telle notion de contrat en pareil contexte ? Disons-le sans ambages : pour enjamber l’hétérogénéité, l’hétérogénéité des demandes, des formations, des habitudes théoriques, des pratiques cloisonnées. Tout commence, répétons-le, par un contrat du médecin scolaire avec lui-même, contrat bilatéral, puis un contrat unilatéral du médecin scolaire avec les partenaires éducatifs, enfin un contrat bilatéral de ces mêmes partenaires avec le médecin scolaire. Ces contrats sont-ils explicités, verbalisés, écrits ? Nous cherchons davantage, à vrai dire, à mettre en exergue un esprit qu’une réalisation. Nous ne voyons que la pédagogie du contrat apte à homogénéiser cette hétérogénéité sans pour autant la normaliser. Cette homogénéisation nous la mettons au profit d’une pédagogie et non pas d’un processus mécanique qui imposerait un nivellement forcé. Tandis que la pédagogie du réseau fonctionne à partir d’un bien commun posé a priori ; celle du contrat, à partir d’un bien commun construit, visé.

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La culture commune ainsi construite est génératrice de normes, les normes de l’éducation à la santé. L’élève doit, lui aussi, les percevoir de façon contractuelle. La prévention est exactement la réverbération de ce contrat. Mais c’est là le premier pas d’une prévention commençante dont on ne peut, à ce titre, attendre aucun effet positif. Soit le cas de l’élève qui consulte le médecin scolaire pour une conduite addictive. Le médecin scolaire aura apprécié, lors de la consultation, le rapport du jeune avec le produit, il l’aura aussi vraisemblablement orienté vers des structures adaptées (CMP). Mais aucun médecin scolaire ne pourra alors se passer d’une instruction préventive sur les risques. Le jeune - ainsi que ses parents - seront informés explicitement et concrètement d’une procédure possible et d’une remédiation nécessaire. Cette information qui a la forme d’un contrat de soins préventif (et qui s’allie éventuellement à celui d’un soin curatif), signifie que le jeune contractant ne peut pas ne pas faire le sacrifice de quelques bénéfices naguère obtenus. L’obéissance maintenue, exigée au règlement intérieur de l’établissement qui stipule l’interdit en sera la preuve. Sinon les sanctions qu’il encourt sont maintenues au titre d’un autre contrat, celui qui le lie à l’établissement et qui n’engage pas la dimension du soin. Nous insistons sur cette duplicité de contrat car on nous a rapporté maintes fois, dans l’« enquête-entretien », la marque institutionnelle de cette évolution : En 1982, on a créé dans les établissements les « clubs-santé » ; en 1998, on se réfère au Comité d’Éducation à la Santé et à la Citoyenneté. La consultation médicale est un foyer qui irradie une succession de contrats implicites et explicites : contrats verticaux qui engagent le médecin scolaire et l’équipe éducative et qui génèrent des contrats, contrats horizontaux qui obligent le jeune (sa famille) à une alliance de soins préventifs en réponse aux structures créées pour lui. Mais soulignons une conséquence : l’élève à qui le médecin scolaire adresse un avertissement préventif - par exemple que la nicotine contenue dans la cigarette entraîne une dépendance comparable à la dépendance générée par les « drogues dures » - n’est pas l’élève singulier qui transporte avec lui une histoire singulière. Ce n’est pas l’élève singulier et le médecin, dans ce cas, n’est pas non plus un médecin singulier ! Ce que nous voulons signifier par-là est le caractère universel des prescriptions, universel ratifié par des recherches antérieures - épidémiologiques, toxicologiques... Ce qui est dit à l’un des élèves peut l’être pour tous les élèves, ce qui est dit par l’un des consultants peut être dit par tous les consultants, y compris les partenaires non médicaux. C’est bien là le fait de la norme, énonciatrice d’un savoir académique

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de référence et relayée à tous les niveaux dans ce que l’on peut appeler une culture « hygiéniste », fondamentalement insuffisante si on la laisse à elle-même. Nous voyons donc la consultation médicale scolaire - traversée par l’esprit de contrat - achopper devant la dimension préventive au sens où nous voulons l’inscrire. L’information médicale circule afin de protéger la santé de l’individu-élève mais la santé théorique de l’individu est alors une finalité qui l’emporte sur l’individu en besoin concret de prévention !

La culture de l’entre-deux secret Nous avons souligné et analysé, plus haut, le caractère métissé du « soi » du médecin scolaire, une division que la conscience et la pratique se devaient de négocier. Il en est de même pour la question du secret, le médecin occupe une position médiane et il se peut bien que dans la décennie à venir, cette position s’avère paradigmatique. La pratique consultative du médecin scolaire est d’emblée installée dans l’entre-deux secret(s) ! Pour évoquer le partage du secret en ce qui concerne le médecin scolaire, nous préférons l’emploi du terme « relatif » car le secret est alors conditionné à une fin qui peut - comme nous allons le voir - varier en dignité. Retenons un exemple que l’on présentera comme exemplaire, des propos tenus dans notre enquêteentretien. Citons la réponse : « il est parfois difficile de garder le secret professionnel quand la santé, physique ou mentale, du jeune est en jeu. Il faut savoir et pouvoir se dévoiler suffisamment pour que les enseignants, le personnel des établissements interviennent sur certains cas... ». (C’est nous qui soulignons) Le secret, ainsi dévoilé, est selon nous relatif, non pas au sens où il serait moindre mais bien au sens où il est soumis à une condition, fût-elle bonne comme dans le cas relevé. On sacrifie quelque chose pour bénéficier d’une autre chose dans l’échange, grâce à l’échange. « Trahir » un secret pour le bienfait du porteur du secret (l’élève), répétons-le, nous semble être un acte honorable mais évidemment dépourvu de valeur éthique. Une fin extérieure au « sujet-porteur » peut être bonne ou mauvaise, elle est commandée par un principe pragmatique, utilitaire. Seule la rigueur professionnelle du dépositaire est sollicitée. Parfois pour suivre une fin identique, le médecin scolaire utilise le procédé qui consiste à nommer le symptôme, à le faire

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partager à d’autres, sans rien dire du diagnostic. Par exemple, on nomme la fatigabilité d’un élève sans trahir le secret du diagnostic. C’est assurément la fatigabilité, par exemple, qui permettra à l’équipe des enseignants d’accepter certains aménagements pédagogiques. Révéler une information au sujet d’un tiers, pour peu que cette révélation soit le fruit d’une entente contractuelle d’une équipe, c’est là ce qu’il convient d’appeler une diffusion et non pas une divulgation. La diffusion nous semble être l’action même qui préside au partage du secret dont nous venons de parler. Une partie de l’information qui circule lors d’une consultation est le fait du consultant (diagnostic) et ce phénomène est largement amplifié lorsque les demandes de consultation chargent avec elles une quantité d’informations. Notre volonté de « baptiser » le secret alors diffusé, secret relatif et non plus seulement partagé, prend sa source dans ce qui pourrait être l’originalité de la consultation scolaire du médecin. Dégageons l’indice de ce débordement original qui peut signer là les chances d’une authentique prévention. Le médecin scolaire, médecin de l’entre-deux n’est pas identifiable au chirurgien qui, après l’opération, partage le secret en direction, par exemple, du kinésithérapeute. Nous l’avons signalé maintes fois, le médecin scolaire doit homogénéiser l’hétérogénéité des différentes pratiques professionnelles. C’est là le fait de contrats successifs. Or par l’entremise d’un contrat, la volonté des contractants peut décider au besoin de dévoiler un secret (c’est ce que nous venons de voir), mais aussi, au besoin, de transformer une information, anodine en secret, selon l’intérêt du jeune. Cela peut s’appeler un mensonge. Mais un mensonge, appréhendé par l’équipe médicale comme une protection et qui peut heurter la pratique professionnelle d’un partenaire, par exemple de l’assistante sociale scolaire. Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire. Le mensonge que la morale répudie, loin d’être un dysfonctionnement du « travail entre co-contractants », peut être au contraire, à l’intérieur même du contrat, la marque de la pertinence de certains professionnels engagés. Nous disions que la sphère du contrat ne peut relever d’une éthique mais le manque d’attention de la nécessité de certaines alliances spécifiques peut être jugé comme un manquement éthique. Le secret relatif peut-être l’occasion, pour le consultant, d’une relation privilégiée avec le porteur du secret. Une porte est ainsi ouverte afin que le jeune porte sa plainte.

Esquisse d’une plaintologie L’élève, tout jeune scolarisé, devrait pouvoir être « consulté » dans sa singularité, ce qui implique la reconnaissance du « caractère non

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substituable d’une personne à l’autre ». Le « tout évaluable », le « tout contractuel » doivent laisser place à une rencontre dont le « pacte de soin préventif » - ce qu’on pourrait appeler ainsi - contient la trace. Cette trace sera aussi - et de façon essentielle - celle de la plainte au détriment de la demande alors délestée, déchargée du poids de l’appropriation plurielle héritée des contrats multi-professionnels. L’activité du médecin scolaire est une profession : nous entendons ce terme au sens étymologique - « pro-fari » - celui qui met la « parole en avant ». Est-ce qu’il pourrait en être autrement dans un lieu - l’école - où la parole des professeurs fait figure d’autorité ? Mais précisément il ne s’agit pas de la même autorité, ni de la même parole. Notre principal souci, ici-même, est de faire émerger ce que revêt la plainte. L’objet de notre étude nous a fait comprendre combien la demande impersonnelle (celle de l’équipe médico-éducative) est antérieure à l’éventuelle demande du jeune et combien sa plainte peut être diluée, voire absorbée, comme recouverte par cette demande. L’enjeu préventif du pacte de soins du médecin scolaire semble se situer, selon nous, dans la capacité à retrouver, à restaurer la plainte de l’élève en consultation. On ne trouverait alors un meilleur gage pour la réception du discours préventif général dont nous esquissons le transfert. D’une façon générale, toute visite en consultation vise à réinstaller le jeune dans son réseau, dans son réseau endogène - le sujet avec lui-même, dans son réseau exogène - le sujet dans sa capacité relationnelle. Mais pour établir les chances d’un discours préventif, l’erreur serait d’oublier la rencontre singulière. Comme tout être humain, le jeune a l’expérience immédiate de l’événement de ses malaises, de ses douleurs, de ses troubles. Mais il a aussi, lors de sa consultation sauvage ou prévue - une autre expérience, celle qui consiste à relater ces malaises, à les rapporter au consultant dans la conversation. Nous ne voyons pas là deux moments contigus dont l’un serait le prolongement de l’autre dans le temps. Nous avons, en effet, deux façons d’être, deux « scènes » d’existence hétérogène que nous nommerons respectivement « exclamative » et « perfective » [4]3. La façon exclamative désigne l’immédiateté de son expérience et son cortège dionysiaque (absence de mesure, alogisme, hyper-individualité...), alors que la forme perfective signifie son activité sous sa forme achevée, parfaite, forme conséquente à la distanciation du sujet parlant. La plainte est exclamative, la demande est perfective. Or toute l’éducation scolaire, 3

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Pour cet emploi terminologique, nous nous référons aux travaux d’Erwin Strauss mais encore - et surtout - à l’application qu’en a donné Roland Kuhn dans le champ médical. Nous détaillons ce point dans notre article « Pédagogie de la consultation » [4].

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tout le réseau de soins qui s’offre à l’élève, l’inclinent à se faire « entendre » sur la base perfective, sur la base d’un « nous », d’un « on » et à faire taire en lui la dimension exclamative. Ce « nous » est au fondement de tout « co-loque » mais il laisse de côté la rencontre, cette matrice essentielle pour penser la réception de la culture préventive de l’entre-deux. Se comprendre sans se prendre : telle pourrait être la formule qui marque l’échec de la prévention auprès du jeune. La conversation vaine, le malentendu, trop souvent inhérents au discours préventif, consistent à entendre, à comprendre les mots sans pouvoir prendre les choses qui y sont impliquées. On s’explique alors qu’on implique autre chose. Et ce qui est souvent impliqué est le sens de la plainte laissée comme insignifiante. Pour nous, il s’agit alors d’esquisser un plaidoyer pour une authentique « plaintologie ». L’attention que nous portons particulièrement à ce terme trouve déjà sa raison d’être étymologique : la plainte signifie, autant dans le registre grec que latin, « l’action de frapper », au sens plus exactement « d’être frappé par... » - moment où l’on pâtit, où l’on souffre et de « frapper » - moment où l’on exprime cette souffrance à autrui. Nous voyons donc que la plainte n’est pas synonyme de cri inarticulé, sclérosé sur lui-même. La plainte, c’est l’intime de l’intimité qui se réverbère en de multiples expressions. Voilà pourquoi, souvent, un enfant, un jeune qui se plaint porte (sa) plainte pour autrui et vers autrui. Il exprime sa propre souffrance qui contient celle d’un proche qui est, à ses yeux, inexprimée. Dès lors, aucune nécessité extérieure ne doit pouvoir distendre le lien existant entre le porteur et le dépositaire. Nous ne sommes pas ici dans la logique contractuelle de la demande. La confidence est alors absolument confiante car la confiance est absolument confidente, c’est là le premier soin scellé par le pacte de prévention. Vivre n’est pas exister : un élève-adolescent « est » le désir d’exister, nous le disions dans notre préambule. Ce désir se donne comme une suppression de ce que l’adolescent a été. D’une façon générale, vivants, nous subissons les lois du vivant, du biologique, mais aussi - de façon fortement symbolique - les lois de notre identité familiale, culturelle... Nous subissons ce qui nous a été donné comme une appropriation de nous-mêmes, comme une mémoire de l’autre, mémoire aliénante. Or, cette mémoire trouve dans l’institution scolaire (dossiers, bulletins, contacts avec les parents...) des relais et dans le suivi médical contractuel l’impulsion à ces relais qui peuvent s’avérer être des contre-relais pour le transfert de la connaissance préventive. Si « exister », c’est « être hors de soi dans ce qui n’est pas encore soi » alors, le dépassement des limites signe là souvent le

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comportement de l’adolescent. Le jeune dépasse les limites passées, posées autour de lui et se dépasse dans la quête d’une identité à venir, à créer. Si l’on cherche dans ce jeu symbolique sur les limites, une demande du jeune, une demande préventive, on répond en vérité au néant. En revanche, si l’on découvre là une plainte, on découvre en même temps une « parole » qui ne demande qu’à donner un sens. Une attitude médico-pédagogique se doit d’accompagner cette recherche. La difficulté est à souligner : l’adolescent dans cette recherche est d’une extrême fragilité, il est et il n’est pas. Cette duplicité risque d’être prise pour une dépossession de soi, dépossession en proie à toutes les nouvelles appropriations. Le risque est que la notion d’aide se substitue alors à celle d’accompagnement, la notion d’aide à l’éducation à la santé, à celle de l’écoute du malaise. Substitution très équivoque ! La remarque ne vaut pas seulement pour la pratique médico-pédagogique, tous les métiers impulsent leurs réseaux d’aide, la société entière fait de l’aide une éthique. Il conviendrait d’adjoindre à cette éthique une contre-éthique, celle du « sevrage » ! Retrouver la présence plaintive de l’élève, la reconnaître, la conserver et stabiliser ce « matériau » précieux : nous avons là les impératifs préventifs de la consultation scolaire, mais aussi les seuls éléments aptes à repousser tout risque d’appropriation. Un jeune doit pouvoir porter sa plainte au médecin scolaire car il porte aussi plainte contre ce qu’il ressent confusément sans pouvoir le dire de façon perfective. Or, c’est ce qui ne peut être dit que doit taire le médecin ! Nous voulons signifier par là que cette impression, au sens strict, que fait sur le médecin la plainte, doit être discernée fondamentalement de la demande, de la demande de soins, de toute demande. Grâce au Tableau II, nous voudrions, sous une forme synoptique rappeler et récapituler le balancement entre deux pôles que la culture préventive peut - doit (?) - occuper. Les conditions de possibilité de réception d’un discours préventif n’appartiennent guère à la culture de l’alternative, à la culture du « ou bien... ou bien ». Nous préférons, dans ce tableau, nommer la direction du « moins préventif » et du « plus préventif » ; nous préférons en ce domaine la culture de l’entre-deux.

Perspectives Si notre parcours a quelques intérêts, nous voudrions pour le conclure renforcer les points suivants.

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Tableau II. Milieu préventif de la consultation médicale scolaire.

La qualité du savoir préventif ne réside pas en lui-même mais dans sa capacité à subir les métamorphoses des multiples transferts. Or le transfert de connaissances ne pose pas essentiellement le problème des relais puisque dans un lieu scolaire - paradigme des relais « expertisés » ! - le savoir préventif peut rater sa cible. Ce qui signifie

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qu’être en possession d’une demande préventive « estampillée », avoir une population ciblée avec des relais adéquats, être dans un lieu symbolique de transmission du savoir... ce sont là des conditions aussi fondamentalement nécessaires qu’insuffisantes. Le postulat qui consiste à prendre appui sur l’expression de la demande instituée de l’élève, du jeune - comme « s’il n’attendait que ça » - nous a paru être la figure de la pierre d’achoppement du transfert de connaissances. La nécessité de construire une culture commune entre partenaires, premier moment de la culture de l’entre-deux, nous a semblé être une voie salutaire. Mais ce n’est là qu’un premier temps ! Le second temps est, assurément, la reconnaissance de la plainte de l’élève, du jeune, en marge de sa demande souvent trop impersonnelle. Les plus pessimistes d’entre-nous diront alors : que faire de cette plainte, que faire de cette seconde composante de la culture de l’entredeux ? Admettons tout d’abord que les jeunes scolarisés ont une expression du « blues », de l’ennui, de la « déprime », de « l’idée noire »... et ils ont aussi l’intuition de la façon de poser des digues. Mais - et c’est tout le problème que nous avons résumé sous le terme de « plaintologie » - ce pseudo-savoir empirique, trop exclamatif, n’a « jamais de mise en scène ». L’exigence d’une culture préventive de l’entre-deux se doit de l’accueillir afin d’accompagner sa re-présentation. Il ne s’agit pas évidemment de valider dogmatiquement l’exprimé de cette expression. Si nous évoquons « la mise en scène », la « représentation », c’est que notre idée est résolument ancrée dans le domaine de l’expression artistique. Et nous ne sommes pas, pour autant, dans la réplique utopique ! Citons un projet de la Région Nord-Pas de Calais. Ce projet présentait le montage suivant : faire s’exprimer les jeunes lycéens sur leur « déprime » au travers d’un rapide scénario cinématographique ; constituer un jury d’experts (de plusieurs horizons) et enfin récompenser le meilleur scénario d’un court-métrage réalisé par un professionnel reconnu. Nous parlions de réplique, ajoutons celle de Diderot, source inépuisable pour notre sujet. Dans le « Paradoxe sur le comédien », Diderot nous explique [5] comment « les portraits outrés », les « caricatures », les « bouffissures » représentées au théâtre, constituent le passage obligé afin que le comédien, sans jouer sa vraie (?) nature, puisse faire comprendre le rôle qu’il emprunte. Mais en même temps, le philosophe nous affirme que le reflet sur les spectateurs de ce rôle d’emprunt est la meilleure façon d’apprécier « ce qui se passe audedans » ([5], p. 1042) au-dedans de l’acteur. « Le cœur qu’on a »,

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nous dit Diderot, « n’est pas le cœur qu’on se suppose » [5] L’apport du penseur ne demande aucun transfert en direction de notre propos tant la liaison semble proche. La plainte que nous avons définie n’estelle pas cette bouffissure, ce portrait outré, cette caricature ? Jouer cette plainte, au sens diderotien, n’est-ce pas lui donner la forme qui lui manquait en lui ôtant ce qu’elle contenait de trop, son hyper-individualité ? Quant aux spectateurs, ne sont-ils pas les partenaires du discours préventif, partenaires enfin reconnus par les acteurs dans leur capacité à leur donner quelques précieux renseignements ? Dans la culture préventive de l’entre-deux, les acteurs de la prévention ne sont pas toujours ceux que l’on croit.

BIBLIOGRAPHIE 1. Romano MC. L’école permet-elle d’accéder aux soins ? Enfance et Psychiatrie 1999 ; 7 : 78-82. 2. Cettour D. De la prévention de la prévention. Cultures en Mouvement 2002 ; 44 : 34. 3. Pradoura-Duflot M. Perception dans les établissements scolaires. Nervure 2002 ; XV (no 5). 4. Cettour D. Pédagogie de la consultation. Psychiatrie (Revue de recherche et d’échanges) 1999 ; 7-18. 5. Diderot. Paradoxe sur le comédien. La Pléiade. Paris : Gallimard, 2000 : 1041.

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VERS UNE CONSTRUCTION PROGRESSIVE D’UNE CULTURE DE LA PRÉVENTION EN MILIEU SCOLAIRE Jean-Luc Pilet Psychologue, Service de psychologie DDEC44, Nantes, chargé de cours UCO 49

Dans l’Enseignement Catholique de Loire-Atlantique qui scolarise 94 000 élèves, existe un Service de psychologie qui peut intervenir à la demande des parents ou des enseignants, dans les établissements scolaires, pour rencontrer les jeunes qui présentent des difficultés plus ou moins importantes. Les psychologues, appelés psychologues de l’éducation, sont dans leur grande majorité de formation clinique (DESS). Ils se réfèrent à la déontologie de leur profession et peuvent proposer selon les besoins et l’âge des élèves : des bilans, des observations en classe ou des entretiens cliniques. Intervenant d’abord exclusivement en primaire, ils ont, à partir de 1985, étendu leur action aux établissements secondaires. C’est la pratique des entretiens d’écoute clinique qui leur a fait (re)découvrir l’importance des risques suicidaires chez les collégiens et lycéens. Audelà des soins, ils se posaient des interrogations quant à la prévention. À la même période, cette question mobilisait les responsables de l’Éducation comme ceux de la Santé. Grâce aux formations et aux contacts avec d’autres professionnels, une constatation s’est imposée : les permanences d’écoute clinique, en lien avec les infirmeries quand elles existaient, étaient de bons dispositifs « de première ligne » pour le soin et la prévention individuelle. Il fallait cependant les compléter par la formation d’adultes-relais (professeurs, surveillants...) au contact quotidien avec les élèves pour repérer les comportements inquiétants des

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jeunes. Ces adultes-relais constituent en quelque sorte « des sentinelles avancées » si l’on poursuit la métaphore militaire. Sur le modèle de la prévention du suicide, s’est bâtie progressivement, non sans difficultés et insuffisances, une prévention plus globale impliquant notamment les problèmes de maltraitances et de conduites à risque. Une des missions du responsable du Service de psychologie est d’ailleurs maintenant de coordonner ces actions de prévention, au plan départemental. Toute cette évolution qui s’est étalée sur une douzaine d’années va être évoquée maintenant, non sans avoir précisé, au préalable, les notions de prévention. En final, seront évoquées des interrogations plus générales sur les limites des actions de prévention auprès d’un public scolaire, sur la place de chaque catégorie d’intervenants et enfin, sur le temps nécessaire pour intégrer les actions de prévention dans le champ éducatif.

Définition de la prévention On distingue classiquement trois stades de prévention. L’Union Européenne les a récemment formalisés ainsi : « La prévention primaire regroupe les actions visant à réduire l’incidence (l’apparition de nouveaux cas) d’une maladie ou d’un problème de santé dans une population saine, par la diminution des causes ou des facteurs de risques ». Une des formes les plus connues est la vaccination obligatoire contre une maladie. En éducation, une information à tous les élèves de CM2, sur les risques des produits psychotropes, relève de ce même niveau. « La prévention secondaire regroupe les actions visant à la détection et au traitement précoce d’une maladie ou d’un problème de santé ». La prévention secondaire consiste donc à identifier la maladie ou le problème de santé à son stade le plus précoce et à appliquer un traitement rapide et efficace pour en circonscrire les conséquences néfastes. En toxicomanie par exemple, la prévention secondaire fait face à l’usage abusif de drogues. « La prévention tertiaire a pour but de diminuer les séquelles et les rechutes ». Cette forme de prévention est très proche du soin. L’intervention de médecins et de psychologues auprès d’élèves choqués pour avoir assisté à la mort brutale d’un de leurs camarades, en est un exemple.

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Ces trois formes de prévention visent toutes à éviter l’apparition de maladies ou de désordres psychiques voire sociaux. Mais il est important de les distinguer car elles ne relèvent pas d’une méthodologie identique et ne sont pas réalisées nécessairement par les mêmes personnels.

Prise de conscience de la réalité du suicide La mise en place par des psychologues d’une écoute clinique auprès d’élèves de collège ou de lycée au sein même de leur établissement s’est faite très progressivement sur plusieurs années. Dans l’ouvrage collectif « Manuel pratique de psychologie en milieu scolaire » le chapitre VIII « Permanence d’écoute en lycée et collège » (J.L. Pilet, 1997), retrace les faits et réflexions qui ont conduit à cette réalisation. Dès le commencement de cette nouvelle activité, nous avons demandé le soutien d’une psychologue travaillant dans le secteur psychiatrique. Elle était formée à l’écoute et à l’intervention auprès d’adolescents ; elle nous a aidés pendant trois ans dans l’analyse des cas proposés. Cette clinicienne nous a confortés dans notre approche : les adolescents viennent peu consulter en structure hospitalière sauf quand ils sont aux prises avec des problèmes graves (tentative de suicide, abus de drogues, dépression importante...). Il fallait prendre les problèmes en amont, inventer des formules nouvelles d’intervention auprès des adolescents. Cette collègue s’appuyait sur sa pratique professionnelle pour défendre ce point de vue mais aussi sur sa participation à une recherche nationale sur la Prévention. Il fallait que des professionnels spécialisés interviennent dans les établissements scolaires : c’était là qu’on pouvait permettre aux jeunes qui le souhaitaient de rencontrer des professionnels de l’écoute. Une prise en charge de proximité devenait possible, une prévention des troubles plus sérieux pouvait s’organiser à temps. Dans le premier numéro de la revue Adolescence (sur la rencontre avec l’adolescent, 1983 ; 1 (1) : 45-61), Jean-Luc Donnet, le rappelait déjà : « compte tenu des remaniements topiques et économiques de l’adolescence, il nous faut poser l’hypothèse ou soutenir la fiction d’un équivalent dynamique de la cure-type qui se trouverait potentiellement réalisateur dans un certain nombre de psychothérapies brèves ou à séances espacées. C’est qu’il ne s’agit pas de bavarder gentiment ou de se “comprendre” : il s’agit d’utiliser pleinement certains remarquables moments d’insight, qui sont comme l’envers des dénis si massifs à l’adolescence. Voilà donc le problème de la rencontre avec

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l’adolescent ; assez souvent le temps presse : pas seulement parce qu’il y a urgence vitale ; pas seulement à cause du degré de souffrance pour lui et sa famille ; pas seulement parce que la réalité est là qui propose ses seuils et ses échéances irrévocables (examens, orientation/ ruptures) ; mais parce que l’adolescent pose assez souvent sa demande de manière précaire, fugitive, “à saisir” ». Tenir une position « clinique » centrée sur l’écoute des adolescents, dans le cadre d’un établissement scolaire, tel est le défi que les jeunes nous ont conduits à relever et que des responsables pédagogiques et financiers ont accepté de mettre en œuvre. Cette approche s’est construite progressivement en s’appuyant sur des réflexions théoriques et un souci constant de répondre aux besoins du terrain. Dès le début des entretiens cliniques dans les établissements scolaires, nous avons été confrontés aux sentiments dépressifs plus ou moins accentués des jeunes ; nous craignions parfois un passage à l’acte suicidaire mais sans bien savoir, à l’époque, comment aborder cette inquiétude avec eux. La mise en place d’une supervision s’est faite rapidement en raison, entre autres, de notre inquiétude de « débutants » à propos du diagnostic de la dépression et du risque suicidaire chez les adolescents. Dans notre pratique clinique, nous entendions régulièrement des élèves évoquer des idées suicidaires. Dans les établissements arrivaient des drames. Le plus souvent on demandait alors notre aide pour intervenir auprès des autres élèves : nous prenions conscience du désarroi profond des jeunes, de la surprise et de la culpabilité qui agitaient les adultes. Nous étions nous-mêmes en interrogation concernant la meilleure attitude professionnelle à tenir auprès des jeunes, les jours qui suivaient l’annonce du suicide. Nous recherchions également des informations sur les démarches préventives déjà existantes. À cette époque, en France, différents articles ou ouvrages attiraient l’attention des professionnels sur le nombre des suicides et des tentatives chez les adolescents et proposaient des recommandations concernant les soins « post-immédiats » et l’organisation d’une prévention. Tous ces écrits nous ont été fort utiles, notamment le fascicule publié conjointement par l’Éducation Nationale et la Fondation de France en 1997, « Points de repères... ». L’Enseignement Catholique de Loire-Atlantique possède différentes instances de concertation et de décision. L’une d’elle se préoccupe des élèves en difficulté. Elle établit des propositions pour les dirigeants afin d’orienter la politique générale de l’institution. Cette commission réunit des représentants des enseignants et des directeurs, des infirmières, des psychologues, et des représentants des parents d’élèves. Cette année là,

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en 1995, la question du suicide est très vite apparue comme préoccupante et les échanges ont porté sur la prévention qu’il serait utile de mettre en place. De nombreuses interrogations sont apparues : qui pourrait réaliser cette prévention ? Les professeurs, les professionnels de santé, des intervenants extérieurs ? Quel dispositif mettre en place ? Avec quel budget ? Qui en serait le garant... ? Bien sûr la question de fond s’est vite posée : une prévention est-elle utile, pourrait-elle même devenir dangereuse ? Toutes ces discussions ont été fort intéressantes d’autant plus qu’elles se tenaient entre personnes d’horizons différents. Un consensus s’est dégagé au bout de quelque temps : informer était nécessaire, en priorité les adultes exerçant des responsabilités éducatives, mais pas tous les enseignants, de peur de créer des mouvements de panique. La prévention en ce domaine ne pouvait être confiée qu’à des professionnels de santé, à condition qu’ils possèdent une formation et qu’ils obtiennent une habilitation du chef d’établissement. Les responsables ont accueilli favorablement ces recommandations et ont accepté de financer l’édition d’une plaquette à destination des responsables éducatifs. Ce dépliant s’intitulait : « Prévenir le suicide » et le sous-titre comportait les termes suivants : « Adultes : enseignants, éducateurs, parents, soyons attentifs... soyons à l’écoute... ». La quatrième page indiquait qu’en France chez les 12-25 ans, on comptait chaque année 40 000 tentatives de suicides et 1 000 décès par suicide. Il était précisé qu’en Loire-Atlantique, le pourcentage était supérieur à la moyenne nationale. Les numéros téléphoniques d’urgence étaient indiqués. En pages intérieures, les signes précurseurs du suicide étaient évoqués avec précaution, en insistant sur l’attention à porter si plusieurs se trouvaient réunis en même temps. Des conseils étaient également donnés concernant la prévention (dialoguer sans dramatiser), la crise (prendre les mesures adéquates) puis le suivi. La prévention du suicide chez les adolescents qui devenait à l’époque une priorité régionale de Santé, a donc été retenue également comme priorité par l’Enseignement Catholique pour les trois années à venir. La distribution de la plaquette s’accompagnait de mesures complémentaires : formation de personnels (directeurs, cadres éducatifs, personnels de santé), développement des lieux d’écoute...

Mise en place d’une politique de prévention du suicide Les responsables d’établissement prenaient conscience des risques suicidaires chez les adolescents. Ils ont ouvert progressivement des

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lieux d’écoute clinique. L’accroissement des incivilités, des consommations de produits psychotropes a également pesé dans cette décision. Rappelons que la mise en place d’un lieu d’écoute se prépare, sinon elle tombe à plat. La négociation préalable se révèle capitale. Une année est souvent nécessaire, le temps que les gens concernés se rencontrent et précisent leurs souhaits. Il ne suffit pas que le directeur soit favorable au principe pour que le travail d’écoute puisse se mettre en place : les enseignants, les surveillants, doivent entendre le psychologue présenter lui-même son travail et en définir intérêts et limites. Il faut également étudier sérieusement la manière d’annoncer cette présence nouvelle aux élèves. Au fil des années, la nécessité, dans chaque établissement d’un « correspondant » ou « personne-relais » s’est imposée. Sa fonction institutionnelle peut être diverse : chef d’établissement, adjoint, surveillant général, conseiller d’éducation, infirmière... Cet « honorable correspondant » est effectivement une interface nécessaire entre la réalité scolaire et l’approche psychologique. Cette personne possède la copie de notre emploi du temps, peut prendre des rendez-vous dans les plages horaires disponibles, tient compte des devoirs surveillés pour réserver les horaires... Une fonction technique donc, mais qui permet à une autre fonction bien plus indispensable d’exister, celle de maintenir un lien ténu mais essentiel entre le psychologique et le pédagogique. Cette personne nous dit parfois un petit mot sur l’évolution des jeunes que l’on reçoit, sur les points essentiels à connaître à propos d’un « nouveau »... De notre côté, sans trahir de secret, nous pouvons prévenir qu’il est important, à certains moments, d’accorder une attention plus particulière à tel élève... La mise en place de ce lien privilégié de confiance est indispensable sinon le dispositif d’écoute ne fonctionne pas : l’expérience est très claire à ce sujet. Au-delà des nécessités institutionnelles, cette liaison entre le pédagogique et le psychologique est une sécurité pour chacun des partenaires : normalement le lien reste faible, presque inexistant, mais en cas de crise il se renforce immédiatement et permet d’éviter des catastrophes toujours possibles avec les adolescents. Le rappel de l’importance du secret professionnel vient ici nuancer le propos précédent. Si le psychologue retransmettait ce que lui confie le jeune (même pour la bonne cause : aider le professeur à s’adapter au mieux au comportement de l’élève) la réaction serait immédiate : le jeune arrêterait toute relation. Autrement dit, il faut que le

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psychologue soit un contenant sûr, à l’étanchéité parfaite afin que les élèves puissent se confier et reprendre confiance en eux-mêmes. Pour l’enseignant, accepter de ne pas tout savoir, lui permet paradoxalement de trouver un allié (même s’il est discret) et de ne pas affronter seul les problèmes d’un élève difficile. Si le travail psychologique porte ses fruits, il apprécie alors que cet élève devienne plus attentif moins violent ou qu’il ose lever la main et parler devant la classe. Réciproquement, le psychologue doit accepter de ne pas connaître en détail le comportement et travailler en « aveugle » à partir des seuls propos que lui rapporte le jeune. Il faut donc que chaque adulte reste à sa place, en acceptant de ne prendre en charge qu’une partie de la « réalité » de l’élève. Il est même nécessaire qu’une cloison étanche se construise entre des adultes aux fonctions différentes pour que le jeune puisse renforcer ses propres murs intérieurs. Enseignant et psychologue concourent au même objectif terminal : l’épanouissement personnel et la réussite scolaire mais y contribuent par des moyens qu’il faut garder différents. N’oublions pas que le défaut de différenciation, c’est le maintien de l’idéal fusionnel, c’est la prédominance totale ou partielle des émois préœdipiens qui ne sont guère favorables au travail de symbolisation ni à la scolarisation. L’expérience montre que ces espaces d’écoute clinique sont bien utilisés par les jeunes, la file d’attente devenant parfois un peu trop longue. Ces espaces jouent un rôle préventif essentiel (prévention secondaire et tertiaire) soit en réglant sur place une difficulté avant qu’elle ne devienne trop envahissante, soit en repérant, immédiatement, un problème sérieux nécessitant des soins plus appropriés ou intensifs. La collaboration avec les centres thérapeutiques est importante et nécessaire. Tout ne peut évidemment pas se régler au sein de l’institution scolaire. Ainsi nous travaillons régulièrement en lien avec les services d’urgence de l’hôpital lorsque des jeunes présentent des symptômes d’une crise suicidaire ou d’un épisode délirant. Lorsque des comportements, des inquiétudes d’élèves ou de professeurs font craindre un éventuel passage à l’acte suicidaire, nous sommes en relation privilégiée avec les personnes relais et les infirmières (quand le poste existe). C’est avec eux que nous organisons les mesures à prendre, sans minimiser les faits mais sans les amplifier non plus. La prévention du suicide ne peut se faire qu’en collaboration, tant à l’intérieur des institutions scolaires que dans les relations avec les

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centres de soins. Tout ce partenariat ne se construit pas en un jour... mais c’est pourtant un élément essentiel de la prévention. Dans le dispositif global, nous avions prévu de former en priorité les responsables et leurs collaborateurs afin qu’ils puissent à leur tour devenir des personnes référentes auprès des adultes de leur communauté éducative. Des journées animées par des spécialistes ont été organisées avec une très bonne participation des établissements. Depuis sept ou huit ans, un élément essentiel a changé : le sujet n’est plus tabou. Les responsables osent parler des tentatives de suicide faites par leurs élèves, ils ne cherchent plus à minimiser la portée des drames lorsqu’ils se produisent. Un autre changement notable : le repérage des élèves à risque se fait mieux, les interventions peuvent alors se faire en amont de l’acmé de la crise. Les contacts avec les jeunes, avec leurs parents, permettent le plus souvent de calmer l’angoisse et d’organiser plus tranquillement une prise en charge thérapeutique. Nous n’avons été confrontés que dans deux établissements (sur les 80 existants) à une surestimation récurrente du risque suicidaire. Dans ces lycées, un décès de jeune s’était produit chaque année pendant plusieurs périodes scolaires consécutives. Dans nos institutions scolaires, aucune prévention primaire, ciblée uniquement sur le suicide n’a été organisée en direction des élèves. Ce type d’intervention nous a toujours paru risqué, voire dangereux. Des études québécoises et américaines récentes (Real Labelle, « La prévention du suicide en milieu scolaire, constats et avenues de recherche », in Parent et Rheaume, 2004) confirment cette intuition. En revanche, au cours de « Journée Santé », ce thème est abordé régulièrement, parmi d’autres, en insistant sur un message préventif reprenant les idées suivantes : « ne pas rester seul avec des idées noires..., il vaut mieux parler quand on se sent désespéré..., des personnes peuvent aider... ». Les permanences d’écoute clinique, tenues par des psychologues, se sont révélées de bons dispositifs de prévention contre le suicide (prévention secondaire ou tertiaire). Deux raisons contribuent à ce résultat. Tout d’abord, le fait de pouvoir « être entendu » par un professionnel, calme généralement l’angoisse des jeunes et leur permet de trouver une issue non catastrophique à leurs problèmes. À certaines périodes de l’année, les idéations dépressives voire nettement suicidaires sont très fréquentes : la mise en mots de ces idées, le partage

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des émotions, le soutien discret permet aux jeunes de franchir, sans danger majeur, un cap de leur cheminement personnel. Une autre raison de la réussite relative du dispositif réside dans la collaboration entre le psychologue et la personne-relais. Même s’ils ne se rencontrent que toutes les trois semaines (périodicité moyenne) des liens se sont créés, une confiance s’est installée, une connaissance partagée de la notion d’urgence ou de danger s’est construite. En cas de problème, le téléphone fonctionne aussitôt et le psychologue qui sait qu’on ne l’appelle pas pour rien, joint rapidement l’établissement. Les mesures à prendre sont envisagées en commun et dans des délais brefs. Si le psychologue rattaché à l’établissement n’est pas disponible, c’est le responsable du Service de psychologie qui est contacté. Cette réactivité du Service compte pour beaucoup dans la confiance que lui accordent les établissements. En 2002, une formation à la gestion de la crise suicidaire a été proposée par la Direction Régionale des Affaires Sanitaire et Sociale (DRASS) des Pays de Loire. Cette initiative a été prise suite à la conférence de consensus, organisée conjointement en 2000 par l’Agence Nationale d’Accréditation et d’Évaluation de la Santé (ANAES) et la Fédération Française de Psychiatrie (FFP). La plupart des psychologues et des infirmières de l’Enseignement Catholique de Loire-Atlantique se sont portés volontaires. Ils ont appris à utiliser les trois éléments essentiels à l’évaluation du potentiel suicidaire : le repérage des facteurs de risque, l’estimation du degré d’urgence psychologique ressentie par la personne et enfin la dangerosité du moyen envisagé. Cette formation a permis aux professionnels de l’école d’améliorer leur diagnostic et d’être confortés dans leur pratique. Cette formation régionale a également permis de faciliter les contacts en cas d’urgence avec les partenaires hospitaliers. La possession d’un outil commun d’évaluation favorise, pour tous, la collaboration. Pour avoir co-animé avec un médecin psychiatre pendant trois années ces journées, j’ai pu mesurer l’intérêt de former ensemble des personnes de différents champs professionnels et de promouvoir ainsi un travail en réseau.

Des difficultés associées Parmi les facteurs de risque pouvant précipiter le recours au passage à l’acte suicidaire figurent en bonne place, l’existence d’actes de maltraitance, l’instauration de conduites addictives et le goût effréné du risque. Dans notre travail auprès des élèves adolescents, nous avons

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retrouvé ces facteurs de co-morbidité ; nous les évoquerons rapidement car leur présence nous a conduits à mettre en place de nouvelles actions de prévention.

La maltraitance Lors des permanences, nous avons été confrontés dès le départ à cette problématique difficile : l’évocation par les adolescentes de scènes de viols ou d’attouchements. La souffrance était bien réelle chez certaines, les dires véridiques ; chez d’autres, en revanche, les fantasmes paraissaient occuper la première place. Au-delà de cette dimension du problème, on se questionnait beaucoup en tant que professionnel, sur la prise en compte des obligations juridiques. Pendant ces premières années, nous avons beaucoup débattu de ces questions, nous nous sommes formés également auprès de professionnels chevronnés. Par la suite, les textes juridiques puis les consignes du Bulletin Officiel de l’Éducation Nationale (1995, 1997, 2001...) ont bien précisé et fixé les devoirs de chacun. En établissement secondaire, c’est souvent le psychologue qui accompagne l’adolescente dans les premières démarches conduisant au signalement et à la mise en place d’un suivi thérapeutique. L’écoute clinique ne suffit pas pour résoudre ce type de difficultés, elle ne peut en particulier se substituer à l’approche juridique. L’écoute clinique apporte cependant une aide essentielle en soutenant le jeune dans sa parole et dans la reconstruction progressive de son histoire. Si ce travail n’est pas réalisé, par nous ou par d’autres professionnels, le risque suicidaire ne peut que s’accroître. Au-delà du soin ou de l’accompagnement, ce n’est pas la question de la prévention qui nous est apparue prioritaire mais celle de la reconnaissance par les adultes de la réalité de ce problème. Venait ensuite l’application obligatoire des règles administratives ou juridiques. On ne pouvait laisser chacun gérer selon son intuition ou ses interprétations des textes, sinon on aboutissait presque toujours à une action inadaptée, quelquefois illégale, parfois même dangereuse. La commission qui avait travaillé sur la prévention du suicide s’est retrouvée pour élaborer des propositions d’action. Il y a eu tout d’abord la rédaction d’un texte par les représentants des différentes instances (personnels éducatifs, chefs d’établissement, parents d’élèves, administration générale...) afin de préciser les droits et devoirs de chacun. Ce texte, une fois validé par le Tribunal de Nantes et le Conseil Général

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de Loire-Atlantique, a été distribué avec des explications appropriées aux 7 000 personnels des établissements primaires et secondaires. Par la suite, des formations ont été proposées, un fascicule technique rédigé. Ce document résumait les procédures administratives et juridiques nécessaires à tous les chefs d’établissement primaire ou secondaire. Tout ce travail d’information et de formation a été réalisé sur quatre années, sa réalisation a mobilisé une énergie certaine. Par ailleurs, dans un certain nombre d’établissements sensibilisés à ces questions, différentes actions (prévention primaire) ont été lancées par des professeurs et des éducateurs. Le plus souvent ce thème n’était pas abordé seul, mais en lien avec d’autres thèmes touchant l’éducation affective et sexuelle. La prévention secondaire et l’aide en direction des élèves victimes ont été réalisées au cas par cas, le plus souvent en relation avec la personne-relais, comme pour les risques suicidaires. Les chefs d’établissement insistaient beaucoup pour que ces problèmes délicats soient pris en charge par des professionnels formés à ces réalités.

Les conduites addictives et les conduites à risque Excepté pour les troubles alimentaires, nous recevons très peu de jeunes qui viennent parler spontanément de leurs difficultés liées à une consommation trop fréquente de produits psychotropes (alcool, tabac, haschich, ecstasy...). Nous ne voyons personne qui vienne s’interroger sur les risques mortels qu’il peut prendre régulièrement. Il nous arrive parfois de rencontrer les copains et copines de ces jeunes qui s’inquiètent du comportement de leur ami. La prévention en ce domaine est bien difficile. Il est clair que ce n’est pas d’abord l’écoute clinique qui doit être privilégiée. Ces jeunes n’en voient guère l’intérêt et ne se sentent nullement concernés : « Y a pas de problème, je gère » nous disait un jeune qui s’alcoolisait très fortement chaque week-end. Dans les établissements sont surtout organisées des discussions, des réflexions à l’occasion de journée « Santé », de journée « Sécurité routière » ; autant d’occasions pour assurer une prévention primaire auprès de tous les élèves. L’expérience montre bien que beaucoup de jeunes ont envie de vivre selon leurs idées, de braver les interdits et recommandations des adultes, de faire continuellement la fête. L’appropriation par les jeunes des conseils de prudence passe par un temps de maturation personnel et groupal, temps qui, chez certains, tarde à venir. Si l’on veut forcer cette étape, on se heurte le plus souvent à une

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résistance réelle. Il est pourtant essentiel de réaliser cette prévention primaire et de la renouveler régulièrement. La mise en place d’une prévention secondaire, à destination d’adolescents déjà engagés dans des consommations excessives, nécessite le plus souvent la mise en place de dispositifs de groupe. Dans notre organisation de travail, ils restent surtout expérimentaux car coûteux en temps. Ils donnent cependant des résultats encourageants (J.L. Pilet et C. Chaillou, 2003). Pour une intervention individuelle, un déclencheur extérieur est souvent à l’origine de la demande de soin : forte inquiétude parentale, troubles de santé, survenue d’un épisode dangereux... Avoir été victime de maltraitance, « se défoncer » chaque weekend, conduire dangereusement, autant de réalités vécues par certains jeunes, autant de facteurs de risque pouvant précipiter une issue malheureuse. Essayer de prévenir une telle dérive, constitue, ou devrait constituer, un devoir pour les éducateurs et les soignants.

Une prévention globale en milieu scolaire C’était ce devoir de prévention que la ministre déléguée chargée de l’enseignement scolaire, Ségolène Royal, proposait d’organiser par circulaire en juillet 1998. Elle prévoyait la création dans chaque établissement scolaire secondaire d’un Comité d’Éducation à la Santé et à la Citoyenneté (CESC) dont l’action principale portait sur la prévention des conduites à risque. Sept ans plus tard, force est de constater que ce dispositif garde tout son intérêt mais que la mise en place d’une politique préventive est rarement inscrite dans la politique globale des établissements et que, par ailleurs, les actions sur le terrain restent trop disparates. Ce constat est réalisé dans une étude officielle récente, résumée par S. Broussouloux, dans le no 173 de la revue « La Santé de l’Homme », d’octobre 2004. Dans l’Enseignement Catholique de Loire-Atlantique, nous arrivons à la même constatation, en ce qui concerne l’inscription d’une politique de prévention dans le projet des établissements : personne n’y est opposé théoriquement mais peu de responsables la mettent en place concrètement, malgré la réalisation d’actions ponctuelles exemplaires. En fait, dans les établissements scolaires, la prévention ne constitue pas une préoccupation immédiate pour la majorité des acteurs. D’autres réalités concrètes retiennent l’attention des adultes ; des actions obligatoires laissent peu de temps pour la prévention. Le manque de

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moyens financiers et humains freine ainsi la mise en œuvre des « bonnes intentions ». Une enquête interne toute récente (avril 2005) confirme cependant un changement d’attitude : la grande majorité des établissements est préoccupée par ces questions. Par rapport à la même enquête réalisée 6 ans auparavant, on note des avancées significatives : augmentation des heures de psychologues et d’infirmières, mise en place officielle et non plus officieuse, de cellule d’accompagnement pour la gestion des difficultés éducatives graves... En revanche, l’inscription dans le projet d’établissement des objectifs de prévention reste encore balbutiante. Il semble évident également que tous les adultes sont loin d’être à l’aise pour aborder avec les adolescents, les questions concernant la prévention. Construire un projet à destination des jeunes nécessite de se livrer un peu, d’oser affirmer ses opinions. Pas toujours simple à réaliser devant des collègues que l’on ne connaît pas très bien ou à qui on n’accorde qu’une confiance minimale. Face aux jeunes, il est nécessaire de s’impliquer un peu si l’on veut que le message soit réellement entendu. On peut également repérer un autre frein qui retarde le développement des actions de prévention : les problèmes liés à la délimitation des fonctions et des compétences. Conduire des actions de prévention, principalement dans le cadre plus spécialisé de la prévention secondaire, nécessite une coordination minimum de tous les intervenants. Il faut veiller à une bonne précision des fonctions hiérarchiques et bien déterminer les limites à ne pas dépasser lors de chaque intervention. Une réelle détermination s’avère nécessaire pour franchir les obstacles mais également un réel plaisir à collaborer avec des intervenants d’horizons très différents. Depuis quelques décennies, on demande de plus en plus au système scolaire de prendre en charge des actions éducatives et préventives. Réaliser toutes ces recommandations devient tâche impossible pour tout un chacun. Préciser/Repréciser les missions essentielles de l’école constitue une première étape. Si la prévention est retenue comme objectif, il faut ensuite que des enseignants, des cadres éducatifs, des infirmières, des psychologues... se forment et se spécialisent pour consacrer une partie de leur temps à des tâches plus techniques qu’il n’y paraît : les actions de prévention. Si l’on veut enfin que ces actions perdurent, qu’elles s’inscrivent dans un projet global, il devient nécessaire que les chefs d’établissement soient, eux-mêmes, soutenus et que le Comité d’Éducation à la Santé et à la Citoyenneté (CESC) retrouve un second souffle.

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L’expérience du soin et de la prévention en milieu scolaire nous pousse à privilégier une approche globale et non spécifique, au moins en prévention primaire. On ne peut pas réaliser un jour un travail spécifique sur le risque suicidaire, le lendemain sur le risque tabagique et le surlendemain sur les conséquences d’une trop grande consommation d’alcool ou de haschich. Il est d’ailleurs malheureusement probable que le groupe de jeunes auquel on doit passer prioritairement un message de prévention soit toujours le même. Mieux vaut donc s’intéresser au message global de « protection de soi » tout en essayant de prendre en compte les résistances au changement des collégiens ou des lycéens. À la réflexion la prévention primaire trouve naturellement sa place dans les activités éducatives de l’école : conseils et réflexions à propos de l’hygiène bien sûr, mais également apprentissage de certaines compétences protectrices : « savoir dire non », « savoir demander de l’aide »... Ce n’est sans doute pas par hasard, réalisant une condensation inhabituelle des objectifs éducatifs et sanitaires que l’on utilise cette formulation très actuelle : « L’éducation à la santé ». Au collège, l’effort se poursuit : transmission d’informations concernant les dangers entraînés par une mauvaise nutrition, par une trop grande consommation d’alcool ou de tabac. L’enseignement récent du code de la route, la délivrance d’un diplôme spécifique constituent des nouveautés qui vont dans le même sens. On peut s’interroger au passage sur cette évolution sociale qui fait prendre en charge par le système scolaire une partie importante de l’éducation préventive. Ne serait-elle plus, maintenant, suffisamment assurée par la famille ? Au-delà de cette prévention primaire, doivent être mis en place des dispositifs qui permettent de prendre en charge sur place et/ou de relayer vers l’extérieur, des jeunes présentant des troubles plus importants. Les professionnels de santé (infirmières, psychologues...) se retrouvent alors en première ligne pour entreprendre ou coordonner ces actions spécialisées.

Conclusion Douze ans après le début des actions de prévention, quelques conclusions peuvent être tirées. Tout d’abord, l’implantation de lieux d’écoute clinique dans les collèges et lycées se révèle être un bon dispositif généraliste de prévention contre les troubles majeurs, notamment le passage à l’acte suicidaire. Cependant une catégorie de jeunes « prisonniers de difficultés plus ou moins importantes » (conduites

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addictives, conduites à risque) demeurent difficiles à rejoindre. La probabilité d’une évolution négative reste pourtant élevée. Une seconde constatation s’impose. Mettre en place une politique globale de prévention au sein des établissements scolaires se révèle une entreprise de longue haleine. Une volonté politique forte s’avère nécessaire. Prévoir la formation des personnels éducatifs pour les différentes tâches de prévention est indispensable : leur mise en œuvre se révèle bien plus complexe qu’on ne le soupçonne ! Enfin, ouvrir les portes des classes à des non enseignants, collaborer avec des professionnels des associations ou institutions extérieures, reste un défi à relever pour certains établissements. La construction d’une culture de la prévention ne peut, en fait, se bâtir qu’étage après étage, année après année. L’expérience du soin et de la prévention auprès des adolescents fait aussi redécouvrir l’importance de l’écoute. Adopter une « position basse », rester au plus près des inquiétudes et espoirs des jeunes, éviter les injonctions répétées, demeure paradoxalement un des outils les plus efficaces pour induire un changement. S’il se sent entendu, compris, le jeune peut commencer à sortir de la toute-puissance imaginaire dont il se sert comme d’une armure protectrice. Mais une telle cuirasse est bien lourde et encombrante. Elle bloque trop souvent l’affectivité mais aussi l’agilité de la pensée, la capacité de réfléchir aux conséquences de certains comportements. Les risques de maladies de décès, de maladie grave ou de blessure invalidante, n’appartiennent pas qu’au domaine du virtuel. Les prendre en compte dans la réalité se construit au prix d’un travail de maturation personnelle, travail qui prend du temps, tout le temps de l’adolescence... au moins !

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CONCERTATION ENTRE RECHERCHE ET PRATIQUE EN PRÉVENTION DU SUICIDE : TROIS EXEMPLES QUÉBÉCOIS François Chagnon1, Brian L. Mishara2 1

Assistant-directeur au Centre de recherche et d’intervention sur le suicide et l’euthanasie (CRISE), professeur associé à l’Université du Québec, Montréal, Canada 2 Directeur du CRISE, professeur à l’Université du Québec, Montréal, Canada

Les causes du suicide sont complexes et multidéterminées. Elles impliquent des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux et concernent les individus, les familles, les communautés et la société. Malgré l’avancement des connaissances au cours des dernières décennies, dans la majorité des pays industrialisés, les taux de suicide demeurent très élevés. Il apparaît essentiel d’améliorer la collaboration interdisciplinaire et d’encourager un partenariat plus étroit entre chercheurs et milieux de pratique afin de prévenir le suicide et de s’assurer que les connaissances scientifiques enrichissent les interventions. Cet article présente trois exemples de projets de recherche développés au Centre de recherche et d’intervention sur le suicide et l’euthanasie (CRISE). Ces expériences illustrent comment peut s’exercer un partenariat étroit avec les milieux de pratique en prévention du suicide pour développer les connaissances et améliorer les interventions. Créé en 1997, le CRISE, affilié à l’Université du Québec à Montréal, se distingue par la force de son partenariat entre chercheurs et milieux de pratique. Les membres du CRISE partagent la conviction que la prévention du suicide doit s’inscrire dans une approche transdisciplinaire et dans le cadre d’un partenariat étroit avec les personnes et les organismes. Les actions du CRISE témoignent de cette volonté. Les liens de partenariat établis avec les intervenants et les organismes de première ligne sont les moteurs des programmes de recherche,

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d’intervention et de transfert des connaissances : 18 organismes et associations ont conclu des ententes de partenariat et participent aux activités du programme de recherche.

Concertation entre décideurs et chercheurs en prévention du suicide La capacité d’identifier avec précision les populations « cible » visées par les programmes de prévention et le choix de stratégies d’intervention pertinentes sont des éléments essentiels au succès de programmes de prévention (Rossi, Freeman et Lipsey, 1999). Des données récentes1 recueillies pour dresser un portrait des programmes de prévention du suicide au Québec, montrent que bien que plusieurs programmes de prévention du suicide aient été mis en œuvre au cours des dix dernières années, une minorité de ces programmes ciblent les clientèles reconnues à risque élevé de suicide (Chagnon, 2003). Ces constats confirment ceux déjà établis par Breton et ses collègues (2002) dans une étude des programmes canadiens de prévention du suicide chez les jeunes. Étude qui concluait notamment que, de manière générale, ces programmes ne décrivent pas suffisamment leurs objectifs et n’expliquent pas les fondements théoriques et la logique pouvant justifier leurs actions. Selon Breton et al. (2002), les programmes en prévention du suicide devraient s’appuyer sur une explication de leur logique d’action et l’exploitation de connaissances issues des résultats de recherches. Fort de ces constats, le CRISE a développé en 2002, un ambitieux programme de recherche-action afin de consolider la capacité des milieux d’interventions concernés par les populations à risque élevé de suicide d’utiliser les données issues de la recherche dans la planification et la mise en œuvre de leurs interventions. Ce projet intitulé Concertation entre décideurs et chercheurs sur le transfert des connaissances sur le suicide vise essentiellement à améliorer les interventions en prévention du suicide, par la réalisation d’un programme d’activités de transfert des connaissances de pointe, conçu spécifiquement selon les besoins de décideurs d’organismes qui ont un rôle central en prévention du suicide au Québec. Ses objectifs spécifiques sont les suivants : mettre à jour les connaissances scientifiques des milieux qui ont un rôle central dans la prévention du suicide ; faciliter la prise 1

Données présentées aux Journées ateliers France-Québec sur l’évaluation de programmes en suicidologie, Centre de recherche et d’intervention sur le suicide et l’euthanasie, Montréal, novembre 2001.

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de décision pour identifier les actions à mettre en place pour prévenir le suicide au Québec ; bonifier les pratiques des milieux d’intervention. Trois stratégies ont été retenues dans le cadre de ce projet. D’abord le renforcement des relations entre les chercheurs et les décideurs responsables des programmes d’interventions en établissant des contacts directs. Ensuite, l’identification des questions prioritaires en matière de connaissances scientifiques pour ces milieux de pratique ainsi que des modalités privilégiées de transfert des connaissances adaptées à leurs besoins. Enfin, la réalisation d’activités de transfert des connaissances spécifiques. Ce projet comporte deux phases. La première phase consiste à effectuer une large enquête auprès de décideurs des milieux de pratiques et à analyser les données pour dégager les connaissances prioritaires et les mécanismes de transfert de connaissances les plus pertinents. La seconde phase vise à réaliser des activités de transfert des connaissances. Au cours de la première phase, deux groupes de décideurs des milieux concernés par la prévention du suicide ont été ciblés, soit les décideurs des milieux responsables des politiques et de la planification des ressources et les décideurs des milieux d’intervention. Les décideurs des milieux responsables des politiques et de la planification des ressources sont des gestionnaires qui ont un rôle central au sein d’organismes responsables des politiques et de la planification des ressources de prévention du suicide au Québec. Les organismes ciblés sont les seize Régies régionales de la santé et des services sociaux, le ministère de la Santé et des Services sociaux, le ministère de l’Éducation et le ministère de la Sécurité publique. Les décideurs des milieux d’intervention sont des personnes responsables de la planification des interventions dans les organismes qui interviennent auprès des adultes et des jeunes à risque élevé de suicide. Quatre catégories d’organismes sont visées par ce projet : les Centres de prévention du suicide ; les Centres jeunesse du Québec qui desservent les jeunes en difficulté et leur famille dans un contexte de protection ou dans le cadre de la loi sur les jeunes contrevenants ; les Centres locaux de services communautaires (CLSC) qui offrent une intervention de première ligne aux usagers du réseau de la santé et les Centres hospitaliers du Québec. Tous ces milieux jouent un rôle clé dans le développement de nouvelles actions en prévention du suicide. De septembre 2002 à mars 2003, dans toutes les régions du Québec des entrevues ont été réalisées auprès de 81 gestionnaires et planificateurs responsables des programmes de prévention du suicide. Ce groupe représente 90 % de l’échantillon ciblé initialement dans le cadre de cette enquête. Le Tableau I présente le type d’organisme impliqué et

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les caractéristiques des répondants. De manière générale, les répondants avaient une bonne connaissance de la problématique du suicide. Interrogés sur les connaissances prioritaires à développer pour supporter leurs actions de planification des interventions en prévention du suicide, 68 % des répondants ont mentionné le besoin de connaître les meilleures pratiques appuyées par des données probantes en prévention du suicide ; 65 % ont exprimé le désir de mieux comprendre le rôle des psychopathologies et leur lien avec le suicide afin de développer des interventions auprès des personnes souffrant de troubles mentaux ; 57 % estiment prioritaire de développer une meilleure compréhension des facteurs de risque du suicide selon les groupes d’âges des personnes ; 48 % veulent mieux comprendre le phénomène du suicide chez les hommes et 42 % souhaitent développer des connaissances pour améliorer l’évaluation du risque suicidaire et la gestion de la crise. Sans en présenter le détail, l’analyse des données montre que les besoins exprimés varient selon le type d’organisme et la région géographique. Par exemple, 69 % des répondants provenant des hôpitaux ont manifesté un besoin de connaissances afin d’améliorer l’évaluation du risque suicidaire et la gestion de la crise, alors que seulement 20 % des répondants ministériels ont exprimé ces besoins. À l’inverse, 90 % des répondants des milieux ministériels jugent prioritaire de mieux

Tableau I. Caractéristiques des répondants. Organismes • Ministère de la Santé et des Services sociaux • Centres locaux de services communautaires • Centres de prévention du suicide • Hôpitaux • Centres jeunesse Caractéristiques des répondants • Cadres supérieurs • Chefs de service, coordonnateurs • Autres professionnels • Nombre d’années d’expérience dans ce poste • Nombre d’années d’expérience en prévention du suicide • Niveau perçu de connaissance sur la problématique - Limitée - Moyenne - Bonne - Très bonne

n = 20 n = 30 n = 15 n = 13 n=3 35 % 51 % 14 % M = 6,8 ans M = 14,3 ans

0% 24 % 50 % 26 %

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connaître les meilleures pratiques appuyées par des données probantes comparativement à 54 % des répondants en milieux hospitaliers. De même, seulement 13 % des répondants en zone urbaine, estiment prioritaire de mieux connaître le suicide chez les hommes, alors que 77 % des répondants en région éloignée partagent ce besoin. Ces résultats suggèrent qu’une approche efficace de transfert des connaissances doive reposer notamment sur une stratégie de diffusion ciblée selon le type de milieu et la région géographique. En ce qui concerne les modalités privilégiées pour le transfert des connaissances, différentes modalités ont été évoquées. Des ateliers en petit groupe destinés aux acteurs ayant un rôle clé en planification des programmes et des activités éducatives destinées à de plus larges groupes ont été suggérés. Ici encore, selon le type d’utilisateurs, les résultats démontrent l’importance de cibler de façon précise les stratégies de transfert des connaissances. Plusieurs suggestions favorisent la mise en réseau, supposent l’exploitation des technologies de l’information et imposent une utilisation maximale et interactive de site Web. Cette avenue nous semble particulièrement intéressante à explorer. Par ailleurs, cette enquête nous a aussi permis de créer des contacts personnalisés auprès d’un grand nombre de responsables des programmes de prévention du suicide dans toutes les régions du Québec. Il s’agit là d’un effet secondaire particulièrement important qui encourage le rapprochement des chercheurs et des praticiens ce qui est un facteur facilitant le développement et l’application des connaissances. Cette première partie du projet étant complétée, nous amorçons maintenant la deuxième phase visant à développer du matériel informationnel et à réaliser des activités de transfert des connaissances. Ces activités permettront d’établir des échanges directs entre des chercheurs et des planificateurs de programmes en prévention du suicide. Un bilan de l’ensemble du projet sera effectué afin d’en dégager les effets et de déterminer les facteurs facilitant et les obstacles au transfert des connaissances. À ce jour, ce projet soulève l’intérêt des milieux pratiques car il encourage l’utilisation de connaissances scientifiques pour planifier les programmes de prévention du suicide. À moyen terme, ce projet pourrait ainsi s’avérer une étape importante dans la mise en place d’un réseau favorisant le transfert des connaissances entre milieux de recherche et de pratique.

Projet d’intervention concertée en prévention du suicide chez les jeunes Ce deuxième projet illustre l’importance de la collaboration nécessaire des chercheurs et des milieux de pratique pour réaliser un

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important projet de concertation dans des communautés. Au cours des dernières années, au Québec, des incidents dramatiques ont attiré l’attention de l’opinion publique sur la problématique du suicide chez les jeunes en centres jeunesse. Suite aux constats d’un groupe d’experts chargés d’examiner cette problématique du suicide, les Centres jeunesse de Montréal en collaboration avec le département de pédopsychiatrie de l’Hôpital de Sainte-Justine et Suicide-Action Montréal ont initié un projet exigeant une collaboration étroite des intervenants, des décideurs et des chercheurs. Le Centre de recherche et d’intervention sur le suicide et l’euthanasie (CRISE) contribue à la réalisation de ce projet. Son objectif est d’améliorer l’accès aux services et d’assurer la continuité des interventions auprès des jeunes suicidaires. Il s’agit d’un projet innovateur basé sur une étroite collaboration entre la recherche et la pratique. Des recherches récentes montrent que les jeunes en difficulté qui ont des problèmes de comportements ou de santé mentale, les jeunes de la rue ou les victimes de violence et d’abus, forment un groupe à risque très élevé de suicides et de tentatives de suicide : une estimation conservatrice établit que 32 % (57/177) des québécois âgés de moins de 19 ans qui sont décédés par suicide au Québec entre 1995-96 recevaient des services des Centres jeunesse. Au Québec [1], ces centres forment un réseau d’établissements offrant des services d’aide et de protection aux jeunes en difficulté et à leur famille. Ces taux seraient au moins cinq fois plus élevés que ceux observés dans la population générale des jeunes du même groupe d’âge [2]. Dans la littérature, plusieurs facteurs expliquent les taux élevés de tentatives de suicide et de suicides complétés parmi la population des Centres jeunesse [3]. Certaines psychopathologies observées parmi les jeunes des centres jeunesse, à savoir les troubles des conduites et de l’impulsivité, la dépression, les troubles anxieux sont associés au suicide complété. L’abus ou la dépendance à l’alcool et aux drogues est fréquent parmi ces jeunes. L’interaction de ces psychopathologies jumelée à la présence d’un environnement familial souvent dysfonctionnel augmente le risque de problématique suicidaire, que ce soit par la voie de la transmission génétique ou par l’environnement précaire et instable de ces jeunes pendant leur enfance. Les événements de vie, entre autres la violence physique et psychologique, contribuent également à accentuer cette vulnérabilité. Outre ces facteurs de risque du suicide, les difficultés de concertation entre les intervenants et le manque de continuité des interventions posent problèmes. À cet égard, un groupe de travail a examiné

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l’interface entre les services médicaux et sociaux dispensés aux jeunes en difficulté au Québec. Leurs conclusions indiquent que le manque de formation et la difficulté à orchestrer des interventions complémentaires entre les divers groupes qui interviennent auprès des jeunes en difficulté constituent des obstacles majeurs à la prévention du suicide et des tentatives de suicide. La mise sur pied d’interventions efficaces auprès des jeunes qui présentent un risque élevé de suicide exige d’intervenir simultanément à plusieurs niveaux. Une telle stratégie requiert une concertation des différents dispensateurs de services des réseaux psychosocial, de réadaptation, médical et de la communauté. En l’absence d’une perspective globale, la crise suicidaire est souvent traitée comme un événement isolé, ponctuel et détaché de son contexte d’ensemble. Intervenir auprès des jeunes à risque de suicide par des actions isolées est une tentative vouée à l’échec. De la promotion de la santé à l’intervention et à l’intégration dans le milieu de vie des jeunes présentant des difficultés sur le plan de la santé mentale et/ou ayant tenté de se suicider, le projet propose un continuum d’interventions. Il s’intègre de manière complémentaire aux diverses initiatives prises dans les communautés ciblées et assure des interventions efficaces là où les besoins les plus lourds nécessitent des interventions concertées (voir Tableau II). Ce projet prend assise sur le principe d’une prise en charge territoriale de la problématique du suicide chez les jeunes et il implique une collaboration étroite entre les milieux psychosociaux, de réadaptation, médicaux, scolaires et communautaires. Le développement et l’implantation du projet sont appuyés par un cadre de recherche évaluative qui garantit la rigueur et le suivi des activités. Dans ce projet, le rôle des chercheurs est d’une part de soutenir l’adoption des meilleures pratiques reconnues scientifiquement et de décrire et vérifier l’implantation du projet par la recherche évaluative. Une fois, cette implantation effectuée en conformité avec le modèle initial, la recherche aura pour objectif de vérifier les effets du projet de concertation sur la diminution des comportements suicidaires.

Tableau II. Projet d’intervention. Promotion de la Prévention primaire Dépistage, santé mentale détection précoce, traitement

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Suivi des personnes à risque (post-crise) dans leurs milieux de vie

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Déroulement du projet Le projet est en implantation dans cinq communautés de la ville de Montréal. Il implique plus de 70 organismes provenant des Centres jeunesse, des écoles, des CLSC, des hôpitaux et des organismes communautaires. Il se déroule selon quatre phases : évaluation des besoins ; planification de la mise en œuvre ; implantation ; bilan et correctifs.

Évaluation des besoins Au cours de la première phase du projet, les partenaires sont amenés à faire un bilan des ressources existantes sur leur territoire et des difficultés rencontrées dans l’intervention effectuée auprès des jeunes en difficulté et de leur famille. Des études de cas, inspirées des situations critiques rapportées par les participants, permettent d’examiner en profondeur les difficultés vécues au cours de l’intervention auprès des jeunes en difficulté entre les différents dispensateurs de services. Au terme de cet exercice, les besoins prioritaires sont dégagés ainsi que les correctifs nécessaires afin d’assurer des interventions concertées et intersectorielles auprès des jeunes vivant des difficultés sur le plan de la santé mentale et à risque de suicide. Les besoins relatifs à la formation du personnel sont également examinés lors de cette première phase. Cette méthode, éprouvée dans les phases pilotes du projet, permet d’identifier des solutions adaptées sur mesure aux besoins des partenaires, tout en évitant de dédoubler des initiatives ou des services déjà existants sur le territoire. Il s’agit d’une étape cruciale afin de garantir l’appropriation du projet par les participants.

Planification de la mise en œuvre À cette deuxième étape, les participants sont amenés à planifier les solutions nécessaires à l’amélioration des interventions auprès des jeunes en difficulté. Les solutions répondent aux besoins prioritaires et sont validées auprès des gestionnaires concernés avant d’élaborer un plan d’implantation. Les mécanismes de suivi d’implantation sont déterminés et les activités de formation du personnel sont planifiées.

Implantation Cette troisième phase vise à assurer la mise en œuvre des mesures identifiées afin d’améliorer les interventions concertées et continues auprès des jeunes et des familles ciblés par le projet. C’est également au cours de cette phase qu’auront lieu les activités de formation du personnel. Des outils facilitant les observations et la communication, des informations sont proposés aux participants. Des mécanismes de suivi, développés par l’équipe de chercheurs en collaboration avec les

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partenaires du projet, permettent de vérifier l’adoption des correctifs et leur conformité avec la planification initiale.

Bilans et correctifs À partir des bilans et des mesures de suivi des activités, les partenaires concernés effectuent périodiquement des états de situation et identifient les correctifs nécessaires au bon développement du projet. Dans le cadre de la mise en œuvre du projet, les évaluations réalisées révèlent des effets encourageants à plusieurs niveaux notamment en ce qui concerne l’amélioration des outils de dépistage et de transmission des informations, le perfectionnement des connaissances des intervenants en prévention du suicide, la clarification des rôles, la concertation, l’accès aux services, la mise en place d’équipes réseaux interdisciplinaires et le développement des expertises sur la problématique du suicide chez les plus jeunes. En conclusion, ce projet pilote démontre qu’il est possible, moyennant un investissement important, de mettre en place des actions concertées entre la recherche et la pratique qui peuvent permettre d’améliorer la concertation entre les partenaires concernés par le suicide chez les jeunes en difficulté. Les évaluations futures permettront de connaître l’impact de ce projet communautaire sur la prévention du suicide et d’identifier ses conséquences négatives.

Élaboration et évaluation des nouvelles approches auprès des proches des hommes suicidaires Au Québec, le groupe le plus à risque de mourir par suicide est constitué des hommes de 20 à 55 ans qui présentent un problème de santé mentale, de toxicomanie ou d’abus d’alcool. Les hommes de ce groupe d’âges qui ont préalablement fait une tentative de suicide sont également à risque plus élevé de mourir par suicide. Malgré l’importance du risque suicidaire de ce sous-groupe, les hommes appellent moins souvent aux centres de prévention du suicide et aux centres de crise. Ils consultent moins souvent les professionnels de la santé mentale. Même si ces hommes n’utilisent pas souvent les services de prévention du suicide, les membres de leur entourage appellent souvent aux centres de prévention du suicide pour recevoir du soutien et savoir comment ils peuvent aider davantage ces hommes. Par exemple, entre le 1er avril 2002 et le 31 mars 2003, sur les 21 821 appels reçus sur la ligne d’intervention téléphonique de Suicide Action Montréal, 2 343 (10,7 %) provenaient de proches d’hommes suicidaires. Le projet décrit ci-dessous est le résultat d’une collaboration étroite entre les chercheurs

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du CRISE et le centre de prévention du suicide pour la région métropolitaine de Montréal, Suicide Action Montréal (SAM), qui vise à aider les hommes à haut risque suicidaire par l’intermédiaire de leurs proches. La collaboration entre le CRISE et Suicide Action Montréal est de longue date. Le directeur du CRISE, Brian Mishara a été l’un des fondateurs de Suicide Action Montréal et il fut le premier président de son conseil d’administration. Il y a vingt ans, en collaboration avec le personnel de SAM, il a effectué une étude sur les caractéristiques des proches des personnes suicidaires qui appellent la ligne d’urgence. Par la suite, SAM a commencé à offrir des rencontres d’information destinées aux appelants qui n’étaient pas eux-mêmes suicidaires et qui désiraient obtenir des informations sur la manière d’aider une personne suicidaire. Cette conférence sur le suicide et son dépistage était également l’occasion de discuter de leur situation spécifique. Plus récemment, une étude approfondie des appels reçus à Suicide Action Montréal a montré qu’il y avait peu d’appels en provenance du groupe des hommes à risque le plus élevé de suicide, mais que cependant les membres de leur entourage appelaient souvent. Entre le 1er mai 1997 et le 30 avril 1998, parmi les 3 903 appels en provenance des proches, près de 1 400 provenaient de proches d’hommes suicidaires de 20 à 55 ans. Ces appels constituaient 6 % de tous les appels reçus à SAM et il est important de préciser qu’un si grand nombre d’appels a eu lieu en dépit du fait que Suicide Action Montréal n’avait jamais publicisé l’offre de service spécifique pour les membres de l’entourage d’un suicidaire. Le développement des présents projets s’est amorcé par l’étude détaillée de 321 appels effectués par les membres de la famille de personnes suicidaires en 1998. Cette étude menée par un membre du personnel de Suicide Action Montréal, M. Charles Pinard, a révélé que dans 75 % des cas, la personne pour laquelle le membre de l’entourage appelait avait déjà fait au moins une tentative de suicide et un tiers des hommes suicidaires avaient déjà eu un diagnostic de problème de santé mentale, d’alcoolisme ou de toxicomanie. Pour les trois-quarts de ces appels, l’intervenant téléphonique de SAM donnait des informations aux membres de l’entourage sur la manière dont il/elle pourrait aider davantage la personne suicidaire. Pour l’autre 25 % des appels, le besoin d’exprimer des sentiments était plus important que celui d’obtenir de l’information concrète. Afin de mieux comprendre les besoins des membres de la famille et des amis des hommes suicidaires, un échantillon de 116 participants aux rencontres d’information a

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contribué à une enquête portant sur la nature de l’aide qu’ils recherchaient. La plupart désiraient plus d’informations sur les problèmes de santé mentale, d’alcoolisme ou de drogue. De plus, ils cherchaient un appui émotif et des informations concrètes sur l’importance du risque suicidaire. Par la suite, afin de connaître davantage quel type de services offrir, 26 membres de l’entourage ayant participé aux sessions d’informations à SAM ont pris part à des « focus-groups » où pendant lesquels se tenait une discussion détaillée sur leurs besoins et sur la meilleure façon de les combler. Finalement, les employés et bénévoles de SAM ont discuté de la meilleure manière de développer des programmes pour aider les proches des hommes suicidaires. À la suite de ces consultations, Suicide Action Montréal a élaboré quatre nouveaux programmes pour les proches des hommes à haut risque qui appelaient à Suicide Action Montréal en lieu et place des Rencontres d’information traditionnelles. Ces programmes étaient les suivants. 1. Rencontre d’information avec suivi : les participants de ce programme, une semaine après avoir participé à la session d’information traditionnelle, ont reçu un appel téléphonique pour discuter les démarches qu’ils avaient entreprises pour supporter davantage leur proche suicidaire. 2. Accès direct : ce programme visait une référence rapide de l’homme suicidaire vers un organisme approprié, spécialisé dans les problèmes de santé mentale, de dépression, d’alcoolisme ou d’abus de drogue. Suicide Action Montréal a établi des accords préalables avec des organismes spécifiques. Les proches étaient convoqués à deux rencontres avec un travailleur de SAM. D’une durée de deux heures, ces rencontres se déroulaient à une semaine d’intervalle. Dans le cadre de ces rencontres, les intervenants de SAM ont supporté les proches dans leur démarche. Ils ont donné des conseils et ont tenté d’aider les proches à présenter une demande d’aide auprès d’un organisme partenaire avec SAM. 3. Parrainage téléphonique : ce projet propose une intervention téléphonique personnalisée, au cours de laquelle le proche est jumelé à un intervenant bénévole pour une période qui peut s’étendre à huit semaines. La fréquence des contacts téléphoniques est déterminée selon les besoins des proches. Pendant ces contacts, les proches et les bénévoles discutaient de la manière d’interagir avec l’homme suicidaire. 4. Rencontre familiale : ce projet comportait trois ou quatre rencontres animées par un membre du personnel de SAM. Le proche devait

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être accompagné d’au moins un autre membre de l’entourage de l’homme suicidaire et l’homme suicidaire pouvait ou non être présent. Ces quatre nouvelles approches ont été comparées au Rencontre d’information traditionnelle dans le cadre d’une recherche évaluative. Les chercheurs du CRISE ont collaboré avec SAM pour développer un devis d’évaluation des cinq projets. Chaque mois, au hasard, les intervenants téléphoniques de SAM proposaient un des cinq projets aux proches d’un homme suicidaire ayant soit déjà fait une tentative de suicide ou ayant souffert d’un problème de santé mentale, d’alcoolisme ou de toxicomanie. Par la suite, les proches ont été invités à participer à une étude pour évaluer les effets du programme par le biais de trois entrevues effectuées avant de participer au programme, deux mois après et six mois plus tard. Les résultats de la recherche ont indiqué qu’il y avait peu de participation aux rencontres familiales. En fait, ce programme a été éliminé parce que les proches disaient souvent ne pas vouloir impliquer d’autres membres de la famille ou de l’entourage dans les démarches d’aide à la personne suicidaire. En général, les résultats indiquent une diminution significative du nombre de tentatives de suicide chez les hommes suicidaires dans les deux derniers mois après participation aux programmes. De plus, ces hommes ont montré significativement moins de symptômes de dépression. Les membres de l’entourage ayant participé au programme ont montré moins de détresse psychologique à la suite de leur participation. Leur détresse a eu moins d’impacts négatifs sur leur vie familiale, sociale et sur leurs activités professionnelles. Les proches ont aussi utilisé plus de mécanismes d’adaptation (coping) pour faire face au stress lié au fait d’avoir un homme suicidaire dans leur entourage. La communication avec l’homme suicidaire a été jugée comme étant plus aidante et de meilleure qualité. La seule chose qui n’a pas changé significativement est l’utilisation de services externes. En effet, de nombreux proches et hommes suicidaires ont trouvé que l’aide de SAM était suffisante pour combler leurs besoins à ce moment-là, et ils n’ont pas suivi les conseils les enjoignant de prendre contact avec les autres services spécialisés en santé mentale, alcoolisme ou toxicomanie. Malgré le fait qu’une amélioration notable de l’ensemble des programmes se manifeste, c’est le programme de parrainage téléphonique qui a eu plus d’effets bénéfiques. Après avoir obtenu les résultats de la recherche, Suicide Action Montréal, a mis sur pied un nouveau programme de parrainage téléphonique afin de mieux répondre aux besoins des proches d’hommes suicidaires.

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Outre d’identifier quel programme était préférable pour prévenir le suicide des hommes à haut risque, la collaboration entre Suicide Action Montréal et les chercheurs du CRISE, Brian Mishara et Janie Houle, a eu d’autres effets bénéfiques. Ces résultats ont permis à SAM de justifier leurs demandes de subvention supplémentaires et donc d’obtenir d’importants financements pour leur nouveau programme auprès des proches d’un organisme privé.

Conclusion En conclusion, les trois exemples présentés succinctement dans cet article illustrent comment à des niveaux différents, peut se manifester le rapprochement entre la recherche et la pratique en prévention du suicide afin d’améliorer les connaissances et les interventions. Ce rapprochement apparaît incontournable afin d’obtenir des impacts significatifs en prévention du suicide. Il pose cependant des défis importants dont celui de concilier des univers dont les valeurs et les modes de fonctionnement sont très différents. À cette fin, il apparaît très important de mieux comprendre les conditions déterminantes afin de développer des liens de partenariat entre la recherche et la pratique. La détermination de ces conditions devrait permettre de développer un modèle théorique du processus de transfert des connaissances scientifiques dans les milieux concernés par la prévention du suicide afin de guider les actions en ce domaine.

BIBLIOGRAPHIE 1. Le suicide chez les jeunes usagers des centres jeunesse : Il est urgent d’agir. Rapport préparé par le comité formé de représentants de l’Association des Centres jeunesse du Québec, du Collège des médecins du Québec et du Protecteur du citoyen, avril 1999. 2. Farand L, Chagnon F, Renaud J, Rivard M. Completed suicide among Quebec adolescents involved with Juvenile and child welfare services. Suicide and Life-Threatening Behavior, 2001. 3. Chagnon F, Renaud J, Farand L. Suicide et délinquance : phénomènes distincts ou manifestations de la même problématique ? Criminologie 2001 ; 34 (2).

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PARTIE 3 Les lieux d’accueil

Après les premières expérimentations d’écoute téléphonique en Grande-Bretagne, le développement des associations de familles endeuillées ou des associations de rencontres animées par des bénévoles, des programmes d’actions et d’interventions se sont construits. Parallèlement les structures institutionnelles, hospitalières ou de médecine générale, élaborent des protocoles d’accueil et de soins. Sans faire de tableau exhaustif, plusieurs exemples en RhôneAlpes ou dans l’ouest de la France sont présentés pour illustrer des problématiques rencontrées par des équipes différentes dans leur formation, dans leurs lieux d’exercice et dans leur statut. La recherche est implicitement sollicitée avec les questions d’évaluation, rendue complexe par la multiplicité des acteurs et les spécificités locales d’organisation.

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L’ENQUÊTE CREDA SUR LES RÉSULTATS OBTENUS PAR LA PRISE EN CHARGE SPÉCIFIQUE DES CENTRES « RECHERCHE ET RENCONTRES » Marie-Thérèse Fachon Centre « Recherche et Rencontres », 1, place de l’Étoile, 38000 Grenoble, France

Présentation de la prise en charge dans les centres « Recherche et Rencontres » Les personnes qui se présentent au centre expriment toutes un sentiment de solitude et d’isolement social. • Le premier entretien, dit d’accueil, a pour but de cerner la demande de la personne « isolée » et de l’informer sur le type d’aide que peut lui offrir le centre. Selon ses besoins, elle sera soit orientée vers un service correspondant mieux à sa demande, soit elle s’engagera dans une démarche thérapeutique proposée par le centre : elle consiste d’une part en entretiens individuels, d’autre part en groupes d’expression permettant au sujet d’évoluer à son rythme dans des temps de relations individuelles et de groupe. • Les entretiens, conduits par un psychologue ou un psychothérapeute, sont réguliers, souvent hebdomadaires. La thérapie visera essentiellement à re-socialiser le sujet en le restructurant dans sa relation à l’autre. Débutant par un travail sur la demande, la personne est encouragée à entreprendre une réflexion personnelle approfondie sur ses difficultés relationnelles et sur la situation qui l’a conduite à s’adresser à un organisme s’occupant d’isolement social. Le thérapeute accompagne le sujet dans sa réflexion sur les changements à envisager dans sa vie en l’aidant à restaurer son estime de soi, toujours déficiente, et

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en développant sa capacité à entreprendre l’évolution nécessaire pour s’engager dans une vie relationnelle harmonieuse. Afin d’engager une relation à l’autre, à la suggestion et en accord avec le thérapeute, le sujet s’inscrit à un atelier d’expression proposé par le centre. Les difficultés rencontrées ainsi que le vécu en groupe seront repris au cours des entretiens individuels. • Les groupes d’expression thérapeutiques font partie intégrante de la démarche thérapeutique ; ils ont pour objectif : - de développer les capacités d’expression personnelles ; - de faciliter les échanges avec autrui ; - de permettre une meilleure connaissance de soi (son corps, ses pensées, etc.) ; - d’éprouver du plaisir dans la création, le mouvement, les relations ; - de favoriser l’émergence, la reconnaissance et la réalisation de ses désirs. Dans les groupes, différentes activités sont proposées : expression corporelle (danse, yoga, relaxation, etc.), expression picturale (dessin, peinture, etc.), expression théâtrale, vocale et écrite. Les différents groupes sont hebdomadaires et durent une heure et demie. Entretiens et groupes concourent à prévenir la dépression et le suicide : - par la revalorisation narcissique ; - par l’implication dans des relations où le sujet se sent capable de donner et de recevoir.

L’Étude En 1990, une première étude, menée par le Centre de Recherche et d’Études des Dysfonctions de l’Adaptation sur les populations reçues dans les Centres « Recherche et Rencontres », avait montré le degré élevé de pathologie de cette population par rapport à une population française témoin. En 1994, grâce à une subvention accordée par la Direction Générale de la Santé, nous avons pu entreprendre une nouvelle étude dont le but était, cette fois, d’évaluer l’impact de la prise en charge spécifique des Centres « Recherche et Rencontres ». Ses objectifs consistaient à suivre l’évolution dans le temps (six mois et un an) des paramètres psychosociaux suivants :

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- la symptomatologie mentale ; - le support social ; - l’estime de soi ; - la qualité de vie. Cette enquête a été confiée à Madame Anne Badoux, chercheur CNRS, détachée au CREDA.

Les outils utilisés Le Brief Symptom Inventory (BSI) (Derogatis, 1983 ; version française A. Perrudet-Badoux) Le BSI consiste en 53 items choisis pour évaluer la symptomatologie mentale d’un individu dans les dimensions suivantes : • Somatisation - Obsessions-compulsions - Sensibilité à l’autre Dépression - Anxiété ; • Agressivité - Phobie - Idées paranoïdes - Symptômes psychotiques.

L’échelle de Support Social (C. Sherbourne ; A. Stewart, 1991) Cette échelle permet d’évaluer la qualité du support social. Elle explore le type d’aide sur lequel une personne peut compter lorsqu’elle en a besoin. Quatre facteurs représentant des types de support différents en émergent : • Facteur 1 : tangible (quelqu’un pour vous aider dans la vie quotidienne) ; • Facteur 2 : support affectif ; • Facteur 3 : support émotionnel, informationnel ; • Facteur 4 : support interactif, positif. L’échelle de « Bien-être » (A. Perrudet-Badoux ; G. Mendelsohn, 1988) Cette échelle a été construite dans le but de refléter le degré de « bien-être » ou vécu psycho-émotionnel d’un sujet en situation. Elle comprend une série de 17 items explorant différents domaines du fonctionnement psychologique et social d’une personne : • les tensions et pressions ressenties ; • les signes accompagnant généralement la symptomatologie psychiatrique, comme la dépression, le manque de sommeil, la distraction ; • les variations de l’humeur ; • l’importance du contexte social « porteur » ; • la santé perçue par le sujet ; • le degré de satisfaction touchant les activités journalières.

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L’Inventaire d’Estime de Soi (Coopersmith) « L’inventaire a été construit pour mesurer les attitudes évaluatives envers soi-même dans les domaines social, familial, personnel et professionnel ». Selon la conception de l’auteur, le terme « estime de soi » renvoie au jugement que les individus portent sur eux-mêmes, quelles que soient les circonstances. C’est en ce sens, une expression de l’assurance avec laquelle un individu croit en ses capacités de réussite, en sa valeur sociale et personnelle, qui se traduit par les attitudes adoptées face à des situations de la vie courante. Déroulement de l’étude L’étude s’est déroulée de 1994 à 1996, dans sept Centres « Recherche et Rencontres », dispersés dans toute la France. Les sujets entrant dans l’étude devaient avoir au préalable une série d’entretiens et décidé d’adhérer à la démarche des Centres. Les questionnaires et échelles ont été remis par la/le psychologue et remplis sur place. La deuxième passation six mois plus tard et la troisième un an plus tard ont été passées dans les mêmes conditions. L’anonymat a été scrupuleusement respecté. La première page du dossier portait le numéro d’identification du sujet, son sexe, son âge réel, sa profession, son mode de vie et sa situation matrimoniale.

Résultats Nous ne parlerons ici que des résultats d’ensemble. La lecture du rapport d’enquête permettra de voir les différences existant suivant les variables (sexe, âge, mode de vie, etc.)

La symptomatologie mentale - le BSI • La première évaluation

À toutes les échelles et au score global, les sujets « Recherche et Rencontres » ont des scores significativement plus élevés que ceux de la population témoin, qu’ils soient hommes ou femmes. On constate en effet que 70 % des sujets « Recherche et Rencontres » contre 3,5 % pour les témoins manifestent une psychopathologie à des degrés divers (44,3 % se situant au-delà de la moyenne). • Comparaison entre la première et la deuxième évaluations

Les personnes ayant poursuivi leur démarche dans les Centres pendant six mois ont fait l’objet d’une deuxième évaluation. L’évolution

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des scores entre première et deuxième évaluations montre à l’évidence une amélioration générale de la symptomatologie mentale. Cette amélioration est très significative pour les 9 dimensions de l’échelle. Elle est particulièrement importante à la dimension dépression. • Comparaison entre la deuxième et la troisième évaluations

Les personnes ayant poursuivi leur démarche ont été évaluées une troisième fois après un an de suivi à nouveau, et nous avons remarqué une amélioration à toutes les dimensions. Néanmoins c’est toujours à la dimension dépression que l’évolution est la plus significative.

Le support Social : évolution des scores de la première à la troisième évaluation À la première évaluation, les scores des sujets « Recherche et Rencontres » sont nettement déficients par rapport à la population témoin. Après six mois, une amélioration significative s’est produite, et ceci de façon particulièrement importante pour le facteur émotionnel-informationnel. Entre la deuxième et la troisième évaluation, tous les scores s’améliorent.

L’Estime de Soi À l’entrée dans l’étude, l’estime de soi évaluée au sein de la population « Recherche et Rencontres » par le test de Coopersmith a révélé pour les deux sexes, une auto-dévalorisation très grande, allant de pair avec les autres désordres déjà évalués (en référence aux normes des éditions de Psychologie). En revanche, entre la première et la deuxième évaluation, on assiste déjà à une revalorisation importante de l’estime de soi dans les trois domaines : social, familial et professionnel. Cette amélioration est particulièrement importante chez les femmes. Ces dernières semblent avoir trouvé ou retrouvé une meilleure estime de soi dans le domaine professionnel avant tout, mais également dans le domaine familial.

La qualité de vie - L’échelle de « Bien-être » Pour compléter l’évaluation du versant psychosocial obtenue à travers le BSI, l’échelle de l’Estime de Soi et celle du Support Social, nous avons voulu mesurer la qualité de vie d’une population souffrant de solitude, l’émergence de problèmes importants, relevés dans les tests précédents, ne peut qu’avoir une incidence négative sur leur qualité de vie. La comparaison entre la qualité de vie de la population témoin et celle de « Recherche et Rencontres » à la première évaluation reflète de façon évidente la mauvaise qualité de vie de nos usagers.

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Après six mois de suivi dans les Centres, les personnes ont déjà amélioré leur score de « bien-être » en général. Cette évolution positive de la qualité de vie s’est poursuivie, à la troisième évaluation, après un an d’aide thérapeutique dispensé par « Recherche et Rencontres », de nombreux items rejoignaient les scores témoins. Trois items sont particulièrement améliorés pour les deux sexes. L’item 6 « je me sens fréquemment seul » confirme l’impact de l’aide thérapeutique et signe à lui seul une amélioration notoire sur le plan de la re-socialisation des sujets. Un grand plaisir à fonctionner dans ses activités journalières (item 13 « j’aime mes activités journalières ») s’accompagne d’une meilleure estime de soi dans le domaine professionnel. Quant au score de l’item 14 (« j’ai réagi de façon excessive à des contrariétés mineures ces derniers temps »), il implique une meilleure tolérance au stress allant de pair avec une diminution de la symptomatologie mentale.

Conclusion Les résultats de notre étude ont mis en évidence une amélioration indiscutable du fonctionnement psychologique et social perturbé de nos usagers. Après six mois d’aide thérapeutique dispensée par les Centres « Recherche et Rencontres », on assiste à une diminution statistique exemplaire des scores de symptomatologie mentale dans les neuf dimensions du BSI. L’évolution favorable de la symptomatologie mentale s’est accompagnée d’une amélioration du support social, de l’estime de soi et de la qualité de vie en général, dimension qui reflète à elle seule l’état psychique et émotionnel d’une personne. La mise en évidence de corrélations entre différents secteurs psychologiques et sociaux n’est guère surprenante. En effet, il est connu que le syndrome dépressif est souvent accompagné d’une dévalorisation de l’estime de soi et d’un sentiment de solitude, traduisant une perception erronée du support social effectivement à la disposition du sujet. Bien que l’aide thérapeutique dispensée à « Recherche et Rencontres » soit essentiellement un travail de « resocialisation », on assiste effectivement à une amélioration de toutes ses dimensions précitées. Par exemple, une personne présentant moins de symptômes dépressifs a conjointement amélioré son estime de soi, renoué certains contacts sociaux et retrouvé une meilleure qualité de vie.

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UN LIEU DE CRISE POUR LES ADOLESCENTS À LA CLINIQUE MÉDICOUNIVERSITAIRE GEORGES-DUMAS Thierry Vincent Docteur en médecine, Clinique Georges-Dumas, avenue des Maquis de Grésivaudan, 38700 La Tronche, France

En janvier 1997, la clinique Georges-Dumas obtint de la part des pouvoirs publics l’autorisation d’ouvrir cinq lits destinés à accueillir des jeunes entre 15 et 25 ans au décours d’une tentative de suicide ou d’un équivalent suicidaire. Cette modalité d’hospitalisation tranchait sur l’accueil habituel des patients de cet établissement, qui jusque-là, intégraient la clinique à la suite d’une hospitalisation en psychiatrie (après un épisode critique), dans le but de poursuivre des soins et de reprendre ou de continuer une scolarité ; l’établissement dispose d’une équipe d’enseignants détachés par l’Éducation Nationale, assurant une scolarité de lycée et un soutien aux étudiants. Dans ce cas, il s’agit presque toujours de séjours assez longs (neuf à dix mois) conçus avant tout comme un travail de réadaptation. L’opportunité de pouvoir accueillir de jeunes patients dans les heures ou les jours suivant un geste ou une menace suicidaire s’imposait volontiers dans un cadre thérapeutique qui recevait déjà de nombreux adolescents et dans lequel œuvraient des équipes formées depuis de nombreuses années à ce type de pratique. De plus, le contexte scolaire dans lequel nous travaillons (Soins-études) permettait de donner une dimension supplémentaire à une hospitalisation conçue avant tout comme un moment de recul et de réflexion sur les difficultés d’une existence où la tentation suicidaire et les difficultés psychiques étaient devenues, à un moment, prédominantes. C’est ainsi qu’est né le SASPA (Service d’Accueil et de Soins Psychiques pour Adolescents et jeunes Adultes).

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Car si le cadre thérapeutique de l’établissement préexistait, il convenait cependant de mettre en place à l’égard des patients suicidants des modalités de prise en charge différentes et différenciées de celles des autres patients de l’établissement, et ce d’autant plus que les cinq lits hébergeant ces patients ne pouvaient, dans un premier temps du moins, se situer dans un lieu différent de celui des autres. Nous travaillâmes donc d’abord avec les services d’urgence susceptibles de nous envoyer les patients afin de mieux cerner leurs attentes : trouver un lieu d’hospitalisation apte à accueillir rapidement de jeunes patients (dans les 24 à 48 heures) ; simplifier le plus possible les modalités d’entrée : une consultation systématique avant l’entrée dans le premier temps a été secondairement abandonnée au profit d’une entente téléphonique entre le médecin adresseur et un médecin responsable du SASPA. De notre côté, les impératifs d’une hospitalisation en service libre devaient être respectés dans un établissement non agréé à recevoir des patients, selon la loi de 1990, et dans lequel, pour les mineurs, le consentement des intéressés est également souhaité. Puis nous centrâmes notre réflexion sur les modalités thérapeutiques de cette petite structure avec comme principe qu’il s’agissait plus d’initier des soins, d’aider un patient à prendre conscience de ses difficultés que de mettre en œuvre, comme dans le reste de l’établissement, un appareillage et des dispositifs thérapeutiques de soin au long cours. Il importait au contraire de s’articuler pleinement avec le réseau adolescent de l’agglomération grenobloise afin de favoriser le plus possible la poursuite des soins en ambulatoire, et pour cela d’établir une trame de correspondants vers lesquels, en fonction de la pathologie, renvoyer les patients à la sortie. Nous revoyons une fois cependant systématiquement chaque patient un mois après sa sortie. Enfin le séjour hospitalier à proprement parler a été essentiellement conçu comme un moment de bilan : bilan et évaluation psychiatrique ou psychologique bien sûr, mais aussi bilan social, parfois bilan scolaire et surtout évaluation des difficultés familiales. Les familles seront systématiquement rencontrées pendant le temps de l’hospitalisation et parfois à de nombreuses reprises au cours du séjour. Rétrospectivement ce point nous est apparu comme très déterminant de l’évolution ultérieure ; les familles avec lesquelles l’alliance thérapeutique est difficile ou impossible rendent souvent très problématiques les conditions de sortie du jeune.

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Pour préciser ces points, et dès le service d’urgence, une feuille d’information sur le SASPA est remise au patient susceptible d’y séjourner par le médecin qui en pose l’indication. Il est mentionné sur ce document les conditions d’entrée (en particulier le fait de s’abstenir de toute visite pendant les 48 premières heures) et le but attendu du séjour : « ... recevoir des jeunes qui, parce qu’ils traversent un moment difficile sur le plan psychologique, moral ou familial, ont besoin d’un peu de temps d’hospitalisation pour faire le point, réfléchir, essayer de mieux comprendre ce qui leur arrive, et prendre aussi un minimum de distance avec la vie de tous les jours ». À certains points, il est fait référence au règlement intérieur concernant la prise de toxiques, les permissions, etc. Après trois ans de fonctionnement, nous avons été amenés à faire un certain nombre de constats. • Le premier est celui que l’ouverture de ces cinq lits a indéniablement répondu à une grande attente puisque nous avons rempli le service, sans publicité particulière, en trois semaines. Actuellement, les lits sont occupés toute l’année et nous sommes obligés de gérer une file d’attente, ce qui en toute rigueur ne permet plus de répondre à une demande en urgence. Nous sommes en permanence sollicités par des demandes excédant le département de l’Isère. • Nous avons dû naturellement revoir à la hausse nos durées prévisionnelles de séjour. Il n’est pas trop d’un mois pour permettre à un adolescent de réfléchir à ce qui lui arrive et d’envisager sa sortie dans les conditions sensiblement différentes de celles de son entrée. • Nous avons également vérifié ce que chaque psychiatre sait bien, à savoir qu’un geste suicidaire ne préjuge d’aucun diagnostic spécifique : près de 20 % des cas d’hospitalisation ont permis la révélation d’une pathologie grave sous-jacente, qui était plus ou moins restée inaperçue jusque-là. Cette révélation a sans doute été également facilitée par le fait que pour un jeune ou sa famille la clinique représente un lieu acceptable d’hospitalisation, c’est-à-dire sans le stigmate « hôpital psychiatrique ». • De la même manière, nous avons appris à savoir ré-hospitaliser les patients à bon escient : une seule hospitalisation n’est pas toujours suffisante et c’est parfois au cours d’un deuxième séjour qu’une situation jusque-là bloquée se révèle susceptible d’évolution. Dans le même sens, tenir bon quand une sortie est prévue quitte à accepter une nouvelle hospitalisation quelque temps plus tard permet à certains adolescents de vérifier la fiabilité de nos engagements et de notre fermeté.

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Il n’est pas rare que les jeunes très réticents à entrer soient les mêmes qui aient du mal à sortir : la tentation peut être grande de vouloir s’installer dans l’institution et d’éviter ainsi le difficile passage vers la sortie et la confrontation à ce qu’on a pu, un moment, laisser de côté. • Il faut bien entendu souligner la classique prédominance féminine des patients accueillis au SASPA : ce fait est évidemment corrélé avec la prédominance des TS chez les femmes par rapport aux hommes de la même tranche d’âge. • Nous avons constaté enfin l’intérêt de pouvoir accueillir des adolescents dans un lieu conçu pour eux et dans lequel une spécificité de l’approche clinique des difficultés de l’adolescence était sans cesse mise au travail. Ce point a manifestement été bien perçu par nos adresseurs qui, au fil du temps, ne sont plus restés les seuls médecins des urgences. Ce bilan provisoire nous a conduits, dans le cadre du nouveau projet d’établissement à demander l’autonomisation des lits du SASPA au sein d’une unité recentrée sur les soins plus aigus. Jusque-là, en effet, les patients du SASPA étaient accueillis dans une unité de soin accueillant aussi des jeunes en séjour prolongé ; et si cette situation entraînait un accroissement du dynamisme de l’unité concernée, elle ne facilitait pas la mise en place d’un travail thérapeutique concernant un séjour court et une évaluation, d’où l’intérêt d’une unité de plus petite taille susceptible aussi de contenir des malades plus symptomatiques. Il faut insister pour terminer sur l’importance du travail en réseau, avec en particulier les structures et les praticiens capables d’assurer la prolongation des soins en ambulatoires et le suivi. Tout le monde, loin de là, n’a pas la disponibilité nécessaire ni toujours la compétence pour pouvoir accompagner, parfois pendant une longue période, des adolescents. Il faut souligner la nécessité d’une articulation étroite avec d’autres structures hospitalières qui sont aptes à recevoir des patients requérant une importante contention ; elles aussi doivent être susceptibles de nous adresser des patients trouvant mal leur place dans leur propre structure. À ce jour, dans des modalités très proches de celles ci-dessus décrites, la clinique a une unité de crise pour adolescents de douze lits : Il s’agit de l’Unité Post-Aiguë pour Adolescents.

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DROITS DE LA FAMILLE APRÈS LE SUICIDE D’UN FILS, D’UNE FILLE, D’UN FRÈRE, D’UNE SŒUR SYNTHÈSE DES TÉMOIGNAGES Association Nationale Jonathan Pierre Vivantes Place de Valois, 75001 Paris, France

Synthèse Tous les témoignages recueillis sont poignants, souvent insupportables dans leur vérité. Chaque parcours est différent et pourtant nous retrouvons des constantes et un certain nombre d’interrogations identiques. Nous allons tenter de regrouper les idées, les souhaits et les propositions selon la chronologie suivante : Avant / Le drame / Après.

Avant Avant les crises manifestes, on s’aperçoit a posteriori qu’il y a presque toujours eu des signes de trouble, de mal-être, qui n’ont pas été reconnus comme tels. Pourquoi ? • Soit parce que les indices étaient légers et jugés peu dangereux. • Soit parce que bien qu’ils aient été signalés par les parents, il n’en a pas été tenu compte, ni par les enseignants, ni par les médecins généralistes, ceux-ci jugeant les parents alarmistes et peu objectifs, du fait de leur affectivité, donc, incompétents. Ces manifestations ont été minimisées et mises, sans plus de recherches, sur le compte de circonstances spécifiques : adolescence, chocs affectifs, périodes d’examen, problèmes professionnels.

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Comment aider les plus jeunes ? Comment les aider à gérer leurs angoisses, à devenir autonomes ? Comment être là, présents, au bon moment quand ils vivent des difficultés dans la dernière impasse possible à leurs yeux ? Il existe trop peu d’interlocuteurs sur le plan psychologique spécialement formés à l’écoute des enfants mais aussi des parents qui soient un trait d’union, un coordonnateur entre les différents acteurs qui gravitent dans la vie des enfants et de jeunes. Il convient : • De développer les initiatives de points d’écoute, les lieux d’accueil, les groupes de parole en milieu scolaire (collège, lycée), dans les centres de formation et d’apprentissage, dans les classes préparatoires, à l’université, afin de tisser du lien autour des jeunes et avec eux ainsi que d’éviter les ruptures de lien. • De sensibiliser le corps enseignant et tous les membres des communautés éducatives en organisant notamment des débats autour du « mal être » car une bonne scolarité, voire brillante, ne signifie pas forcément qu’on échappe aux problèmes existentiels. • D’informer aussi spécifiquement le milieu associatif, culturel et sportif.

Comment aider les familles ? Les parents sont d’emblée suspectés et trop souvent l’objet d’attitudes ou de discours particulièrement durs, cruels. Au lieu d’écarter les parents et la famille, d’en faire des incompétents, voire des ennemis, pourquoi ne pas les intégrer dans une équipe de réflexion, les associer à un projet constructif ? Des initiatives de ce genre ont déjà été tentées avec de bons résultats. Les parents mis à l’écart et méprisés ou mis en accusation seront plus néfastes que ceux réintégrés, avec de l’aide, dans leur rôle de parents, même dans le cas d’un enfant majeur. Par ailleurs, les parents constatent souvent que leurs enfants n’ont pas conscience ou déguisent la gravité de leur état de souffrance. En effet, au travers des témoignages, certains parents ont pu interpréter la phase de basculement comme l’émergence d’une crise d’adolescence, tardive ou non, et non comme le début significatif d’un parcours dépressif pouvant déboucher sur une crise suicidaire. Nous insistons sur la nécessité de former les personnels de santé

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et du secteur social, les médecins généralistes et spécialistes au dialogue avec les familles.

Comment aider le jeune et son entourage pendant l’état de crise en cas d’hospitalisation et à la sortie de l’hôpital ? Les initiatives pourraient être les suivantes : • Informer le jeune et sa famille sur ce qui va se passer, sur l’effet des médicaments, sur le suivi post-hospitalier, en un mot, expliquer clairement le traitement et ses conséquences probables. • Ouvrir des structures adaptées aux jeunes adultes en nombre suffisant ? • Créer des cellules d’appui aux familles au sein même de l’hôpital psychiatrique. • Assurer une prise en charge spécifique des malades ayant été victimes de viol. • Ne jamais banaliser la première TS : lors de TS, le jeune repart trop souvent, après un lavage d’estomac, sans avoir même été reçu et écouté par un thérapeute. En ce qui concerne les adolescents majeurs, la famille, à partir d’un certain stade de gravité, ne pourrait-elle pas avoir un droit légal de suivi ? D’après les témoignages, il apparaît que la consigne de base que l’on donne aux secouristes à savoir : Protéger, Alerter, Secourir, soit difficile à observer : • Protection insuffisante : défenestration, fugue, comportement de patients ; non prise de médicaments... • Alerter : la famille, même si le blessé de la vie est majeur. • Secourir : par la voie médicamenteuse, si nécessaire certainement, mais sans oublier que le patient est une personne. Les êtres atteints de maladies de l’âme et de l’esprit sont encore plus oubliés et délaissés dans le système hospitalier que les malades atteints de maladies du corps : dans les deux cas, il s’agit pourtant bien d’un combat pour la vie. Il nous apparaît donc souhaitable de définir le réseau qui entourera le jeune, avec l’aide d’un médiateur, bénévole ou rémunéré, compétent en relations humaines, qui serait le lien entre le jeune, le médecin ou le psychiatre et la famille. Et pourquoi ne pas envisager une charte

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relative à la prise en charge des dépressions et traitant notamment du secret médical, concernant le jeune majeur, de l’alerte à la récidive ?

Sur le plan judiciaire, il nous semble essentiel que la justice reconnaisse pleinement le statut de victimes à ceux qui ont subi agressions, violences, viols Il y a une sous-évaluation manifeste de l’angoisse des parents qui alertent les autorités lors de la disparition de leur enfant. Dans le cas d’une agression sexuelle : humiliation publique du plaignant. Pression faite sur le plaignant en minimisant les faits ; harcèlement de la victime.

Le drame / TS ou décès Il nous semblerait important de développer un service d’urgence spécialisé 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 avec une équipe volante se déplaçant à domicile, répartie en France, comme cela existe dans certaines régions (même si elle ne se déplace que sous certaines conditions). Droit pour les deux parents d’être contactés et informés en même temps. Service spécial à l’hôpital : • pour écouter et prendre en charge le suicidaire, • pour automatiquement orienter les parents vers un soutien psychologique professionnalisé ou associatif en cas de TS comme en cas de décès. Aide et assistance morales au niveau médico-légal, policier, judiciaire : une formation pédagogique des différents personnels concernés serait utile pour adoucir au maximum l’annonce traumatisante du suicide (par exemple : CHU de Saint-Étienne).

Après Les parents et la famille perdant un enfant par suicide ont devant eux, pour la plupart, un long parcours dans un grand état de fragilité. Bien que parlant de la postvention, nous retournons à la prévention, car une famille fragilisée peut voir arriver d’autres dépressions et parfois d’autres suicides. Il est donc essentiel d’aider les familles à : • sortir de leur isolement ;

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• se retrouver dignes du regard des autres ; • dans leur désir, pour certaines de comprendre un peu le cheminement de leur enfant. Tout en sachant que ces démarches sont personnelles et différentes pour chacun, les suggestions suivantes sont proposées après analyse et témoignages reçus : • Coopération des médecins avec la famille. • Accompagnement des familles en créant des lieux spécifiques d’aide à ces familles afin de mettre du sens dans leurs préoccupations. • Travail sur la culpabilité ou la responsabilité génératrices de perturbations psychologiques et de transmission intergénérationnelle d’angoisse afin que la famille ne les porte pas seule et en silence devant le regard des autres. Ce travail est à envisager au niveau du couple, de la fratrie, de l’entourage et des amis. Les sessions « postvention » et d’accompagnement des familles endeuillées par le suicide au sein de Jonathan Pierres Vivantes ont déjà fait leurs preuves dans ce domaine. Les services sociaux urbains et ruraux (avec une formation, des informations et des consignes) peuvent également jouer un rôle déterminant dans le repérage et l’assistance psychologique des familles : ainsi, en les accompagnant dans les démarches médicales et juridiques. Certaines administrations sont également concernées et pourraient être plus « diplomates », quand le drame vécu entraîne en outre des difficultés financières. Pour de nombreux adhérents, une information régulière sur la dépression et le suicide à la télévision, à la radio, dans la presse et dans les transports en commun devrait être planifiée. Il y a une réelle demande d’interlocuteurs professionnels pour les parents nouvellement endeuillés : de nombreuses actions sont déjà menées à cet égard mais elles sont encore insuffisantes comme le montrent les témoignages récents.

Conclusion Que ce soit avant, pendant ou après le drame, les familles revendiquent le droit à un partenariat avec le corps médical (généraliste et hospitalier) afin de mettre en place un protocole de conduite (ou charte) régissant les rapports entre le médecin et la famille. Jonathan Pierres Vivantes souhaite collaborer rapidement avec l’UNPS et les médecins à la mise en place du contenu de ce protocole.

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Vu le nombre des suicides dans notre société, vu la somme de souffrances que cela représente, vu le handicap sociétal que cela engendre, la solidarité avec les familles endeuillées doit être une grande cause nationale jointe à la prévention du suicide.

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PROJET RELIER : UNE PERSPECTIVE POUR LES SUICIDANTS Jacques Vazeille Docteur en médecine, ADSEA-Sauvegarde 42, Saint-Étienne, France

Depuis quelque temps maintenant, il est question dans le département de la Loire, d’un dispositif d’accompagnement des suicidants et de leur entourage. Nous avons discuté les modalités avec les services de la DDASS, la CRAM, nos collègues, les chefs de service des différents secteurs de psychiatrie et le plus concerné d’entre eux, le médecin chef des urgences psychiatriques à l’Hôpital Bellevue. De ces divers contacts est né le projet « RELIER » animé par l’Association Loire Prévention Suicide et la Sauvegarde de l’Enfance de la Loire. Depuis, ce projet est une réalité. Notre dispositif fonctionne concrètement, au sein du service des urgences psychiatriques et à partir de celui-ci. De quoi s’agit-il ? Il s’agit tout simplement d’aborder l’événement tentative de suicide en considérant le contexte relationnel du suicidant : au premier chef, sa famille bien entendu, mais aussi les amis, les collègues de travail... bref les divers réseaux qui constituent les appartenances du sujet ou qui leur donnent vie. Chaque année on recense 1 200 tentatives de suicide qui transitent plus ou moins longtemps par le pavillon des urgences et, si besoin, par les urgences psy. Mais qui sont ces gens qui veulent mourir ? Le plus souvent ce sont des gens comme vous et moi ; des gens normaux en somme. Un peu partout les spécialistes de la question travaillent à rechercher les causes de ces passages à l’acte, à élaborer des pratiques qui permettraient de les prévenir. Et c’est le mérite de ces journées d’études et de ce colloque notamment de nous faire connaître les résultats de ces travaux. Malgré tous ces efforts, il n’y a pas aujourd’hui de « profil » de suicidants qui permettrait une réelle prévention. En dehors de quelques

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tableaux cliniques bien connus de tous, il n’y a pas de signal dont la valeur serait suffisamment prédictive d’un passage à l’acte, nous permettant d’affirmer que telle personne court un risque important. Ou plutôt, des signes et des signaux, il y en a tellement que l’on s’y perd. Enfin, pas toujours. Lorsqu’une personne fait une tentative de suicide, que se passe-t-il ensuite ? Bien souvent, trop souvent, elle recommence, ou quelqu’un dans son entourage fait la même chose. La TS est le signe avant coureur le plus probant de la TS. Les enquêtes ont montré que presque toutes les personnes décédées par suicide avaient fait une tentative au cours de l’année précédente. En somme, le but de notre dispositif « RELIER » est de prévenir la récidive après la première tentative qui, le plus souvent, inaugure l’histoire clinique. Ce qui nous anime, c’est une perspective de prévention plutôt que de soin. Pendant près de vingt ans, j’ai exercé des fonctions de psychiatre dans un hôpital général pas très loin de Saint-Étienne. Les gardes, j’ai bien connu. Régulièrement, nous étions appelés, mes collègues ou moimême, pour une tentative de suicide. À chaque fois ou presque se déroulait le même scénario : après un entretien consacré surtout à évaluer les risques d’une récidive immédiate d’une part et l’opportunité d’un abord chimiothérapique d’autre part, il fallait décider du maintien ou non à l’hôpital. À l’exception d’une pathologie mentale mélancolique ou délirante déclarée, nous décidions le plus souvent de temporiser et de revoir le patient le lendemain en sachant bien que celui-ci exigerait de rentrer chez lui, alléguant que c’était juste un coup de folie passager, une crise de colère, une grosse fatigue, ou je ne sais quoi. De toute façon maintenant il va très bien, merci. Et à la prochaine... Parfois il y avait une hospitalisation de quelques jours, et des entretiens proposés en ambulatoire, avec ou sans médicaments. Toujours et en général très vite, nous assistions impuissants à l’évaporation du patient dans la nature. L’entourage familial, quand nous parvenions à rencontrer quelqu’un, s’associait de toutes ses forces aux rationalisations de leur proche. Au fond, soulagé de sa fin heureuse, chacun s’empressait d’oublier l’événement. Et les soignants n’étaient pas les derniers... Si bien que régnait autour des suicidants, considérés un peu comme de faux malades, une sorte de mauvaise humeur, cocktail amer d’impuissance, d’aveuglement et d’insatisfaction. J’ai mis un terme à mes fonctions hospitalières il y a neuf ans. Je

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ne sais pas si les choses ont beaucoup changé. Il y a deux ans, j’ai pu lire la thèse d’une jeune consœur qui avait travaillé sur les effets du protocole de l’hospitalisation systématique de cinq jours. Ce protocole a été recommandé par les instances nationales qui s’étaient penchées sur cette question de la prise en charge des suicidants. Selon elle, cette modalité nouvelle n’apporte pas de changement notable dans les données épidémiologiques. Dans le cadre de mes fonctions à la Sauvegarde de l’Enfance, j’ai été effaré par le nombre de tentatives de suicide survenant chez les jeunes faisant l’objet d’une mesure d’action éducative. Même s’il s’agit, et je veux bien l’admettre, d’une population à risque. Avec mon amie et collègue, Anne Massebeuf, qui est vite devenue ma complice dans cette affaire, nous avons été encore plus effarés par les réactions de nos collaborateurs lorsque nous avons commencé à parler de notre projet d’accompagnement. Selon eux, chez les jeunes dont ils avaient la charge, il n’y avait pratiquement pas de TS. Ni avant la mesure éducative, ni pendant. Bref, Vazeille était un visionnaire, un doux dingue. C’était encore une de ses lubies... Nous avons insisté. Nous avons demandé que l’on regarde de plus près. Et là, stupeur !!! On a retrouvé une ou plusieurs TS chez près de la moitié des jeunes de plus de quinze ans suivis à La Sauvegarde. Plus extraordinaire encore, un grand nombre de ces TS avait eu lieu pendant l’exercice de la mesure éducative... Et elles étaient passées inaperçues, ou bien on les avait oubliées... Il est bien vrai en effet que le meurtre de soi est quelque chose qu’il vaut mieux au plus vite effacer de la conscience. - Donc, depuis ce matin, « RELIER » existe. Au fait « RELIER », comment ça marche ? Bien entendu, il ne s’agit pas de faire autrement ce qui se fait déjà, et encore moins de faire la même chose. Il n’est pas question de prendre la place de nos collègues hospitaliers. Nous entendons plutôt nous occuper de ce qu’ils ne peuvent pas faire, justement parce qu’ils sont nos collègues hospitaliers. Lorsque le trouble psychiatrique est patent. Chacun sait ce qu’il a à faire. Là, on s’est passé jusqu’à présent du dispositif « RELIER ». On doit pouvoir continuer à soigner les gens comme on a l’habitude de le faire. Le plus souvent en fait, l’entretien avec le psychiatre aux urgences aboutit à la mention : « Non Hospitalisé ». Puisqu’il peut sortir, le patient doit sortir. Et vite, parce qu’aux urgences on a besoin du lit

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pour un autre. La possibilité d’un rendez-vous avec un psychiatre, à l’hôpital ou en ville, a été évoquée, sans illusion. Et chacun retourne à ses occupations... Ce sont ces patients que l’on revoit un jour dans des conditions identiques. Et c’est là que « RELIER » peut intervenir, sur l’indication et la proposition du psychiatre des urgences. - Aujourd’hui, « RELIER » qui est-ce ? C’est pour l’instant une équipe minuscule, constituée d’une éducatrice et d’une assistante sociale, chacune à mi-temps. S’y ajoute une secrétaire coordinatrice à temps partiel. Enfin psychiatre et psychologue ont en charge la supervision clinique. En accord avec le responsable des urgences psychiatriques, dans un premier temps, nous limiterons nos interventions à ces patients qui : • sont des primo-suicidants ; • ne présentent pas de pathologie psychiatrique lourde ; • ne sont pas orientés sur une consultation de secteur psychiatrique ; • sont sans proposition précise de suivi psychothérapique ; • sont accessibles à un processus d’élaboration ; • manifestent un sentiment d’isolement. Après la première étape de l’entretien avec le psychiatre des urgences qui propose l’intervention de « RELIER », le travailleur social-intervenant établira dans les plus brefs délais le contact avec le suicidant. De préférence immédiatement. À défaut, c’est l’assistante technique qui servira d’intermédiaire depuis sa permanence. Donc cette première rencontre avec le patient aura lieu si possible à l’hôpital ou à défaut dans son contexte personnel. L’utilité de ce dispositif « RELIER » sera directement liée à sa réactivité. Ce premier contact sera avant tout consacré à recenser avec le patient les personnes de son entourage qui, selon lui, sont concernées par son geste. Un entretien sera dès lors proposé avec le patient et ces personnes. Le suivi proprement dit concerne le suicidant et son entourage. Il se déroule sur une période courte de six semaines. L’expérience nous montrera si cette durée est convenable ou si elle doit être modifiée dans un sens ou un autre. Rencontrer le suicidant et son entourage « signifiant » alors que chacun est encore sous le choc émotif du passage à l’acte constitue le principe actif de « RELIER ». Ces rencontres pourront se faire aussi bien chez le suicidant qu’au « Point Écoute de Loire Prévention

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Suicide ». C’est un aspect important du dispositif de s’exercer selon les principes du milieu ouvert. En somme nous intervenons en « direct » là où se déroule la vie, ses alliances et ses conflits. Il ne s’agit pas de thérapie familiale ; seulement d’entretiens avec le suicidant et les siens, soit les personnes avec lesquelles il échange dans la vie. Les entretiens (trois, quatre, peut être cinq) seront centrés sur l’événement « tentative de suicide » et sur le désir de mourir qu’il exprime. Il sera question du bouleversement qu’entraîne chez chacun ce genre de passage à l’acte. Seront considérés aussi les liens, les réseaux, les appartenances du patient... Quelque chose a-t-il cessé de fonctionner ? Quelqu’un s’en est-il aperçu ? Comment réanimer ce qui s’est éteint ? Ces questions et bien d’autres seront évoquées. Enfin, on vérifiera la capacité du patient à s’appuyer sur son entourage, et réciproquement. Pour que « RELIER » fonctionne, quelques petites choses seront encore indispensables : nous devrons veiller à établir et conserver des liens efficaces avec les différentes équipes soignantes, médecins traitants, secteurs psychiatriques... Avant toute chose une étroite collaboration entre les intervenants de « RELIER » et l’équipe des urgences psychiatriques sera essentielle. Nous limiterons notre expérimentation pour commencer à l’agglomération de Saint-Étienne. Dans un an, nous aurons pu réaliser l’accompagnement d’une petite centaine de suicidants. Le taux de récidive sera un indicateur impitoyable de la pertinence de notre action. Il sera alors aisé d’en déduire la suite à donner. Pour ma part, j’ai toute confiance dans cette perspective. Notes de l’auteur : Ce texte est contemporain de la mise en place du service RELIER au printemps 2003. En 18 mois de fonctionnement, nos modes d’intervention ont constamment évolué et évoluent encore. Un article paru à la fin de l’année 2004 dans la Revue Française de Psychiatrie et de Psychologie Médicale sous le titre « RELIER : une perspective pour les suicidants » donne un aperçu de notre méthode de travail.

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UN TEST POUR DÉPISTER LES CONDUITES SUICIDAIRES DES ADOLESCENTS Philippe Binder Médecin généraliste, Coordinateur du groupe ADOC (Charente-Maritime) composé de : Généralistes Dr Barrier, Dr Caron, Dr Cavaro, Dr Dezeix, Dr Lebigre, Dr Lecroart, Dr Masse, Dr Michonneau, Dr Morillon, Dr Prieur, Dr Rechard, Dr Reynaud, Dr Sorbe, Dr Valette, Dr Vandier Psychiatres Dr Arbitre, Dr Cornuault

Le suicide des jeunes est le problème de santé publique que tout le monde connaît. De nombreuses propositions ont été développées dans la conférence de consensus pour tenter de le prévenir. Parmi ces recommandations, il est réaffirmé qu’« il ne faut pas hésiter à questionner le patient sur ses idées de suicide » demandant à ce que « le praticien puisse utiliser des outils de repérage adaptés », mais en l’orientant de manière plus ciblée : « développer des instruments d’aide à la décision spécifiquement destinés aux généralistes » (ANAES, 2000). En effet, diverses études ont montré la difficulté particulière du praticien à identifier les conduites à risque, à gérer ces rencontres (Appleby, 1996) ou bien à trop rapporter les comportements suicidaires aux états dépressifs (Vegas, 2000). Or, de nombreuses situations à risque n’ont pas les caractéristiques attendues (Lafay, 1998) et la moitié des décès aurait lieu hors d’un état dépressif caractérisé (Martunnen, 1991). Par ailleurs, les généralistes ne semblent pas percevoir les indices de passage à l’acte (Appleby, 1996), alors qu’ils se multiplient dans la période précédant le passage à l’acte (Balchand, 1999). Ainsi, l’abord en médecine

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générale de la question du risque suicidaire se heurte à de nombreuses difficultés dont la première est celle du dépistage. C’est celle-ci que nous avons essayé de résoudre.

La démarche des médecins « ADOC » En 1999, un petit groupe de médecins généralistes, organisé et associé à une équipe départementale de prévention, avait participé activement à la conception et à la réalisation d’une enquête en population générale auprès d’un échantillon représentatif (n = 3 872) d’élèves de troisième et de seconde, toutes orientations confondues, de la Charente-Maritime. Cette enquête, appelée « Lycoll » a été réalisée grâce à un fructueux partenariat associant l’Unité 472 de l’Inserm, l’ORS PC, l’Éducation Nationale et un ensemble de professionnels de terrain (Binder et al., 2001). Le traitement de cette enquête avait mis en évidence l’importance locale du phénomène du suicide et avait retrouvé la grande proportion de suicidants consultant le généraliste pour divers motifs. Il faut dire que le suicide est un motif extrêmement rare en consultation environ : 4 pour 10 000 (URML, 1999). D’une manière générale, la sollicitation du généraliste pour des questions « psy » ne dépasse pas 6 % des consultations des 12-20 ans (Paulus, 2003). Cependant, quand les suicidants - a fait au moins une tentative de suicide) - consultent le généraliste, ils le font plus souvent que les non-suicidants, les filles en particulier (Choquet, 1994). Les tentatives de suicide restent assez peu connues de l’entourage (Rey, 1997) et sont, par ailleurs, très largement sous-médicalisées (Hoyois, 1998, et Binder, 2001). 20 % seulement sont hospitalisées. Il n’en reste pas moins que 87 % des adolescents ayant eu des conduites suicidaires, non pris en charge à ce titre, ont consulté un généraliste pour d’autres motifs (Tableau I). Devant cette situation, un appel fut lancé par courrier à l’ensemble des généralistes et des psychiatres libéraux du département pour imaginer des solutions applicables en médecine de ville. À la suite des réponses, 17 généralistes et 3 psychiatres de ville ont constitué une équipe appelée « groupe ADOC » (ADOlescents et Conduites à risque), décidée sur trois ans à mettre au point et à évaluer des outils aisément transmissibles, particulièrement adaptés au dépistage, à l’accueil, à la prise en charge ou à l’orientation des adolescents à risque suicidaire en médecine libérale. Le groupe s’est organisé en réalisant un constant

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Tableau I. Répartition des types de prises en charge des adolescents suicidants (Enquête Lycoll, échantillon de 3e et de 2de : Binder, 2001). À déjà fait une tentative de suicide n = 404 Recours aux soins pour la TS : 31 % Hôpital : 20 %

Sans recours au soin pour la TS : 69 %

Généraliste Psychiatre A consulté un libéral : 6,5 % libéral : 4,5 % généraliste dans l’année pour un autre motif : 60 %

N’a pas consulté : 9 %

aller-retour entre le savoir, la clinique, la recherche, la communication et l’établissement de relations avec les institutions. Le support financier était assuré par le FAQSV régional.

Construire un outil Un examen assez complet de la bibliographie n’a pas révélé de travaux pertinents et validés concernant les moyens du dépistage simple du risque suicidaire dans le cadre de la médecine générale. Il faut dire que les utilisations d’échelles se sont avérées décevantes (Cremniter, 1999). Les recommandations sont nombreuses mais restent globales et générales (Alvin, 2003 ; Matot, 2002) ou sous forme de questions précises issues de la clinique (Hamilton, 2000) mais non validées. Le dépistage est toujours abordé sous la forme d’un questionnaire de taille plus ou moins importante nécessitant une fiche de rappel ou un dossier plus utile à l’élaboration ou à l’approfondissement d’un profil clinique qu’à mettre en alerte le médecin. On notera une tentative de création de questionnaire plus proche de la pratique généraliste comportant cependant 21 questions mais dont le choix est subjectif et l’application non évaluée (Moula, 2001). On trouve, en revanche, dans d’autres domaines, comme celui de l’alcool, des méthodes plus achevées mais difficilement transposables aux conduites suicidaires (Picard, 2002). Le groupe a donc élaboré un cahier des charge adapté à l’exercice de la médecine générale. Sélectionner trois à six questions suffisamment simples pour ne pas nécessiter de support de rappel, banales pour être posées en toutes circonstances tant aux filles qu’aux garçons, sensibles pour révéler des antécédents suicidaires (et non le risque en cours), et spécifiques pour

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éviter les faux positifs. Nous avons donc pour cela traité l’ensemble des données de l’enquête Lycoll (Binder, 2001), les plus liées aux antécédents d’idée suicidaire et de tentative de suicide déclarés. L’analyse était suivie par le Docteur Chabaud, médecin épidémiologiste pour le traitement des données, et le Professeur Marcelli, pédopsychiatre universitaire pour le contrôle de leur interprétation. De très nombreux items (plus de 100 sur les 273 de l’enquête) différencient statistiquement les non suicidants, des suicidants. On retrouve les éléments cités dans la plupart des publications. Pour leur exploitation, les pôles de la base de données ont été repris : la scolarité, le corps et la santé, les consommations, la famille, les loisirs. Cependant, pour le tri, les items ont été répartis en essayant de croiser du quantitatif et du qualitatif. Sur le plan quantitatif, on a retenu des situations concernant le niveau corporel, psychique et socio-relationnel. Sur le plan qualitatif, il nous a semblé important de dissocier les éléments d’état, ou le sujet est plutôt passif ou contraint, des éléments, ou le sujet est un tant soit peu participatif ou évoquant déjà des choix personnels. Nous avons ainsi progressivement déterminé 6 thèmes aisés à aborder en consultation tout venant (Tableau II). Comme les motifs de consultation sont déjà essentiellement somatiques, nous n’avons pas trouvé l’intérêt de rajouter les plaintes somatiques dans le dépistage systématique. Nous avons donc sélectionné les 5 thèmes restant pour concevoir 5 questions en rapport, pour définir précisément les questions à poser, il est rapidement apparu nécessaire d’établir deux niveaux de préoccupation. Le premier niveau est une mise en alerte : ce sont les questions « d’ouverture ». Le second niveau précise et donne un élément de gravité : ce sont les questions « clés ».

Tableau II. Situation plutôt imposée ou passive

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Situation à niveau plutôt participatif

Niveau « corporel »

Les accidents, les agressions

Les plaintes somatiques

Niveau « psychique »

Le sommeil

La consommation de tabac

Niveau « socio-relationnel »

La famille

L’école, les amis

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Le Test « TSTS » et le « CAFARD » Les questions d’ouverture : « TSTS » On propose donc d’aborder les thèmes sélectionnés en formulant les questions d’ouverture suivantes : • Traumatologie : « As-tu dejà eu des blessures ou un accident (même très anodin) cette année ? » ; • Sommeil : « As-tu des difficultés à t’endormir le soir ? » ; • Tabac : « As-tu déjà fumé ? » (même si tu as arrêté) ; • Stress Scolaire ou Familial : deux investigations en une formulation : « Es-tu stressé (ou tendu) par le travail scolaire, ou par la vie de famille, ou par les deux ? » Ces questions peuvent être abordées en tant que telles, à un moment donné, ou mieux, « distillées » au cours de la consultation pour en atténuer l’éventuel caractère d’interrogatoire intrusif. On s’en rappellera avec l’acronyme TSTS.

Les Clés de gravité : « CAFARD » À chaque réponse positive obtenue, il est alors proposé une question complémentaire introduisant un niveau de gravité à partir de cinq « mots clés » : • Difficultés de Sommeil : Cauchemars : « Fais-tu souvent des cauchemars ? » • Antécédent Traumatiques : Agression : « As-tu été victime d’une Agression physique ? » • À déjà fumé du Tabac : Fumeur : « Fumes-tu tous les jours au moins 5 cigarettes ? » • Travail scolaire avec Stress : Absentéisme : « Es-tu souvent Absent, ou en Retard à l’école ? » • Une vie de famille tendue : Ressenti Désagréable familial « Dirais-tu que ta vie familiale est désagréable ? » On s’en rappellera avec l’acronyme CAFARD. Comme nous disposons des taux de réponses par les suicidants dans l’enquête Lycoll, nous pouvons approcher statistiquement l’augmentation des fréquences d’antécédents d’IS ou de TS selon les réponses (Figure 1). Celui-ci montre le lien progressivement plus fort qui s’établit entre les réponses aux questions et les antécédents suicidaires. Cela est particulièrement net chez les filles.

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Figure 1. Idées ou actes suicidaires.

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Répartition des idées ou actes suicidaires selon les réponses à chaque question d’ouvertures et de clés (en %) • En vert, la fréquence de jeunes ayant eu des idées ou des actes suicidaires ayant répondu négativement à chaque question d’ouvertures TSTS • En jaune ceux qui y ont répondu positivement • En rouge ceux qui ont, en plus, répondu positivement aux questions clés CAFARD

• En trait bleu, écart selon le sexe : filles vers le haut, garçons vers le bas. le graphique est construit à partir des cumuls des réponses aux questions.

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Le graphique de la Figure 2 est construit à partir des cumuls des réponses aux questions. Ce graphique montre que : • la fréquence d’antécédents d’idées ou de tentatives de suicides chez les adolescents de 14-17 ans qui ne sont pas concernés par l’ensemble des situations évoquées par l’acronyme « TSTS » est très faible (< 8 %) ; • elle s’élève de façon significative et atteint la moitié des adolescentes filles concernées par 2 situations d’ouverture ou une situation d’ouverture avec sa clé ; • parmi les jeunes répondant par l’affirmative à trois questions clés du TSTS, 1 sur 2 a déjà fait une TS et plus de 3 sur 4 ont déjà eu des idées suicidaires.

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Validité statistique Le test est particulièrement sensible puisque parmi les 415 jeunes suicidants, seuls 0,7 % répondent négativement à toutes les questions d’ouverture. Parmi les 793 qui n’ont eu que des idées suicidaires, 2,9 % sont dans le même cas. La recherche de fiabilité du test a montré une absence de redondance entre les questions. Aussi, il nous paraît

Figure 2. Idées ou actes suicidaires. Répartition selon le nombre et l’association de réponses positives (en %) • En rouge le taux de suicidaires (idées ou actes suicidaires = ISTS) • En noir le taux de suicidants (tentatives de suicides = TS)

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légitime de proposer aux praticiens de s’enquérir systématiquement d’antécédents d’idées ou d’actes suicidaires chez tout adolescent répondant positivement à au moins deux questions du test (à deux questions du TSTS ou du CAFARD ou à une question à chaque niveau). Mais cette conclusion est-elle applicable en médecine générale ? Il restait à l’expérimenter auprès de confrères n’ayant pas travaillé sur le projet.

L’audit clinique Objectif et hypothèses L’objectif était d’évaluer l’apport de cet outil à la pratique de routine des médecins généralistes. Le suicide étant un motif de consultation exceptionnel, le médecin qui veut l’aborder doit nécessairement s’éloigner du motif initial, le plus souvent somatique. Ce cheminement était la trame même du test. Notre hypothèse principale portait, d’une part sur l’augmentation significative de l’écart moyen entre le motif de consultation et le résultat de la consultation après une information brève, et, d’autre part, sur l’abord plus fréquent des idées ou conduites suicidaires.

La méthode La méthode choisie fut un audit des pratiques cliniques avant et après prise de connaissance par les médecins d’un outil de dépistage des adolescents à risque suicidaire. Les médecins ont été choisis par tirage au sort dans un département voisin (les Deux-Sèvres). L’objectif était de recruter 40 médecins au total, 30 étant un nombre statistiquement suffisant. La pratique évaluée était l’abord clinique des adolescents (12-20 ans) en pratique quotidienne de médecine générale, et son évolution dans le sens d’un meilleur dépistage des antécédents suicidaires, après transmission de l’outil. Un attaché de recherche clinique indépendant (ARC) présentant un profil de professionnel de communication commerciale médicale a été recruté pour réaliser le travail sur le terrain. Son rôle était de proposer le test au médecin dans son cabinet et sur rendez-vous. Le processus de l’opération s’est déroulé en trois temps. • Phase I Parmi les 40 premiers contacts, un seul médecin ayant refusé le rendez-vous, 39 ont pu être obtenus et 38 se sont réellement réalisés.

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L’étude était présentée comme « concernant les consultations avec les adolescents en médecine générale » sans autre forme de précision afin de ne rien modifier à leur mode de travail. Les médecins devaient remplir, après la consultation, un questionnaire indiquant le motif d’entrée et relevant si le résultat de consultation s’était limité à répondre au motif initial exprimé ou bien avait abordé d’autres domaines. Un indice de satisfaction et le relevé du temps de consultation étaient prévus. Le médecin devait inclure et se limiter aux 20 prochaines consultations de jeunes compris entre 12 et 20 ans. • Phase II Après réception des fiches et un début d’exploitation, l’ARC a fait un deuxième passage avec un courrier des organisateurs expliquant que « Les premiers résultats traités montrent que l’anxiété ou les troubles de l’humeur sont des motifs peu fréquents de consultation à l’adolescence et, d’autre part, que la recherche d’antécédents d’idées, d’envies ou d’actes suicidaires est rare voire inexistante... ». Le courrier montrait ensuite tout l’intérêt du dépistage des idées et des actes suicidaires. En conséquence, l’ARC proposait d’utiliser l’outil « TSTS » dont il remettait une plaquette explicative et un mémo de bureau. Le travail consistait alors pour les médecins à remplir un deuxième questionnaire après chacune des 20 premières consultations consécutives de jeunes, compris entre 12 et 20 ans. Il était totalement similaire au premier avec cependant quelques questions supplémentaires concernant l’utilisation du « TSTS » et ses résultats obtenus en terme de dépistage. • Phase III Après réception des fiches de la phase II, l’ARC revoyait une dernière fois chaque médecin pour un entretien semi-directif à propos de l’utilisation du test et des impressions sur l’enquête.

Les résultats L’acceptabilité de l’enquête 38 médecins ayant signé la proposition sur les 40 contactés, le niveau d’acceptabilité spontanée initiale a été de 95 %. Au total, 78 % des 40 médecins initialement contactés ont participé jusqu’au bout à cet essai, ce qui correspondait à l’hypothèse fournie au départ pour le calcul de l’échantillon attendu minimum. La qualité du remplissage des principaux items a été très satisfaisante, le taux de réponse sur la plupart des items oscillant entre 99 et 100 %. Par ailleurs, on note que le critère d’inclusion sur l’âge 12-20 ans a été toujours respecté.

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La situation avant connaissance de l’outil Les résultats de phase I, portant sur un échantillon de 644 consultations ont montré la répartition des motifs de consultations suivante : Motifs somatiques : 74,5 %, motifs administratifs, ou de prévention : 19 %, motifs psy : 6,5 %. Lors de la phase I, le résultat de consultation a été limité au(x) motif(s) invoqués dans 63 % des consultations. Quand il s’est éloigné du motif initial le praticien abordait les problèmes liés à la scolarité et au travail, la nutrition, la fatigue l’anxiété et le stress, les problèmes liés à l’usage de produits toxiques (tabac, alcool, drogues...), le médecin aurait aimé aborder d’autres questions, mais sans l’avoir fait pour 11 % des actes. On note que parmi les « autres motifs » non médicaux n’apparaissaient aucune préoccupation d’ordre suicidaire et que spontanément aucun médecin n’a abordé ce thème. On a remarqué encore que si le motif était d’ordre psy, le médecin élargissait plus souvent le résultat de consultation (46 % contre 37 % pour autre motif) en augmentait sa durée moyenne, mais sans cependant améliorer sa satisfaction, au contraire.

L’acceptabilité de l’outil Tableau III. Prise en compte de l’outil de dépistage dans les consultations des médecins en phase II. 571 consultations de 12-20 ans réalisées 200 sans l’outil

371 ont été réalisées avec l’outil « TSTS » 197 n’ont pas abordé le suicide

174 ont abordé le suicide

126 n’avaient pas d’antécédents

48 avaient des antécédents IS : 37

TS : 11

Tous les médecins ont utilisé le test. Le thème suicidaire a pu être abordé chez 30 % des consultants de phase II, c’est-à-dire pour environ la moitié des consultations avec outil. Notons qu’à chaque fois, l’outil de dépistage avait été utilisé. 87 % des médecins ont déclaré un sentiment global de satisfaction concernant l’amélioration des entretiens cliniques dus à l’outil, lors de

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l’entretien de phase III en fin d’étude. De plus, 74 % ont trouvé qu’il était plus facile d’aborder le sujet des TS avec les jeunes et que cela était utile.

La pertinence de l’outil de dépistage • Sur l’écart motif-résultat

Le critère de jugement principal était fondé sur la variation du taux de réponse à la question : « le résultat de la consultation est-il limité au motif initial exprimé ? » entre la phase I et II après utilisation du test. En phase I, la différence entre les résultats de consultation et de motif était de 36 %. Quand l’outil de dépistage a été utilisé, ce pourcentage est passé à 51,8 % (n = 371). La différence d’avec la phase I est alors hautement significative (p < 10-5). • Sur le dépistage des conduites suicidaires

En phase II, 65 % des jeunes (371) ont été interrogés par les questions « filtre » : traumatologie, sommeil, tabac, stress scolaire et stress familial. 15,4 % d’entre eux ne comportaient aucun de ces symptômes. Parmi les 314 autres jeunes, les problèmes les plus souvent rencontrés étaient le tabagisme et le stress scolaire. Parmi les jeunes ayant au moins un signe positif lors des questions d’ouverture : • 33 % (121) n’avaient pas de signe de gravité ou celui-ci n’a pas été recherché ; • 52 % (193) présentaient au moins une question « filtre » positive et un signe de gravité (agression, cauchemar, fume tous les jours, absentéisme, ambiance familiale) ; • 27 % (99) présentaient au minimum deux signes de gravité et une question « filtre ». Au final, la question du suicide a été abordée chez 174 jeunes adolescents de manière directe. 48 jeunes ont alors déclaré avoir déjà eu des idées suicidaires, dont 11 avaient également au moins un antécédent d’acte suicidaire.

Les modalités d’application de l’outil selon les médecins Si le pourcentage global de dépistage des conduites suicidaires est de 14 %, il varie selon les médecins dans une fourchette allant de 0 à 50 %. Une analyse plus approfondie a mis en évidence que l’acceptation de l’outil reste semblable dans chacune des quatre strates : (médecin homme/femme /moins de 45 ans/plus de 44 ans). En cas de dépistage positif, la durée de consultation augmente à 20 minutes mais avec des différences importantes selon les groupes :

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- moins de 15 minutes chez les hommes juniors, près de 23 minutes chez les femmes seniors. Ce sont surtout les médecins seniors, hommes ou femmes qui évoluent le plus entre la phase I et II pour sortir du motif initial de consultation ; ce qui paraît logique alors qu’ils déclarent des indices de satisfaction plus élevés que les jeunes médecins. Les hommes médecins se dégagent plus facilement que les femmes du motif lors des consultations avec des adolescents garçons. Ils abordent plus volontiers que leurs consœurs le thème du suicide dans leurs entretiens, même si leurs durées moyennes de consultation sont inférieures. Les médecins hommes juniors ont beaucoup plus utilisé le test mais leurs consultations, en général plus brèves que celles des autres, les amènent à élargir moins souvent le champ de leurs entretiens. Le thème du suicide a ainsi été souvent abordé, mais avec un dépistage finalement peu significatif. Les médecins femmes seniors ont des durées de consultation plus longues, mais s’écartent moins souvent du motif et d’ailleurs abordent moins souvent le thème du suicide que les autres médecins. Elles semblent s’en satisfaire car leur indice est le plus élevé.

Discussion Méthode La méthode proposant un délégué médical de santé publique comme ARC appuyé sur un groupe de travail motivé et relié à deux experts a montré ici tout son intérêt. En effet, 72 % des médecins contactés téléphoniquement sont allés jusqu’au bout des deux phases de l’enquête. Ce taux peut être considéré comme particulièrement élevé pour un travail partant d’un échantillon de 40 médecins tirés au sort dans un fichier départemental. Cette qualité de recueil est illustrée par la forte similitude entre les données de motifs initiaux de consultations de cette enquête et les données de référence. En effet, la comparaison avec les données de référence nationale (enquête permanente sur la prescription médicale [EPPM] IMS-Health et Credes, 2001) des motifs de consultation montre, à âge et sexe comparables, des fréquences superposables (exemple, Credes 2001 : motif somatique = 75 %, administratif = 19 %, psy = 6 %) et notre enquête respectivement : 74,5 %, 19 %, 6,5 %. La phase I a mis en évidence le fait que l’écart entre motif et résultat de consultation entraîne un allongement de la durée de l’entretien sans

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toutefois améliorer l’indice de satisfaction. Cela met en lumière la difficulté rencontrée par les médecins pour aborder des thèmes particulièrement délicats et non somatiques chez les adolescents.

Hypothèse principale L’hypothèse principale que l’abord de l’adolescent au cours de la consultation était facilité en phase II grâce à l’utilisation de l’outil de dépistage est vérifiée, mais uniquement sous condition de son usage. L’outil n’a pas eu d’effets de « contagion » sur les autres consultations où il n’était pas utilisé. Un des aspects intéressants de son ergonomie en médecine générale est que son usage n’a pas allongé le temps de consultation sauf en cas de dépistage positif. Par ailleurs, on a pu noter qu’une grande majorité de jeunes (85 %) interrogés ont été concernés par au moins une question d’ouverture avec, pour la moitié d’entre eux, un critère de gravité. Cependant, un tiers des jeunes n’a pas été interrogé. Les médecins ont donc utilisé le test de manière discriminante. Ont-ils fait spontanément une sélection en pensant qu’ils n’étaient sûrement pas concernés par ces problématiques ou bien n’ont-ils pas eu tout simplement le temps ou l’opportunité ? La confrontation avec les données connues sur ces symptômes en population générale fait pencher pour la première hypothèse car les taux sont ici nettement plus élevés dans le TSTS ou dans le CAFARD que ceux observés en population générale de jeunes 12-18 ans (exemple des troubles du sommeil : 45 % versus 32 % en population générale ; cauchemars : 23 % versus 10 % en population générale). L’important est que parmi l’ensemble des consultants 12-20 ans tout venant, et même avec une utilisation partielle du test, la question du suicide a pu être abordée chez plus de 30 % et le dépistage d’antécédents suicidaires réalisé chez 8,5 % d’entre eux. Cependant, les médecins étaient dans un contexte d’étude avec une rémunération à la clé pour le renvoi de leurs données. Si cet aspect ne peut modifier les prévalences des motifs, elle peut majorer la fréquence d’utilisation du TSTS, et donc les résultats. Il serait particulièrement intéressant de réaliser une étude spécifique mesurant l’impact d’une information sans enjeu d’étude ou financier. D’ailleurs, les médecins de cette étude semblent s’être impliqués chacun différemment. Quelques spécificités significatives se dégagent des échantillons stratifiés.

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Il sera certainement utile de prendre en compte ces remarques pour les modes de communication du test aux médecins. Mais il reste deux principales inconnues : ces avancées sur l’attention au mal-être des adolescents et le dépistage des tendances suicidaires tiendront-elles dans le temps, et sont-elles exportables à une communication faite en dehors d’une étude ? Cela devra nécessairement faire l’objet d’un travail complémentaire.

Conclusion Le test « TSTS » proposé dans cette étude, met suffisamment à l’aise le praticien pour qu’il puisse aborder la question du suicide avec les adolescents à partir d’indices simples. L’audit pratiqué sur l’usage de ce test souligne la très bonne acceptabilité par le praticien « naïf » et son efficacité pour dépister les antécédents suicidaires. Son utilisation entraîne une amélioration significative de l’ouverture de la consultation à des préoccupations différentes du motif initial. Cette amélioration est plus accentuée chez les médecins plus âgés. Les hommes abordent plus souvent le thème du suicide que les femmes, et les plus âgés en dépistent davantage, Quant aux jeunes médecins hommes, ils utilisent plus souvent le test mais semblent en tirer moins fréquemment de bénéfice. Ainsi, le dépistage des comportements ou antécédents suicidaires est possible en consultation et ceci quel qu’en soit le motif initial. Il paraît donc particulièrement utile de faire connaître cette méthode aux médecins généralistes. Cependant, son succès ne peut se développer sans proposition d’un référentiel sur l’attitude nécessaire à adopter lors de la mise en évidence d’un problème suicidaire actuel ou ancien. Cette condition est essentielle pour que le médecin généraliste se sente à l’aise dans la prise en compte des difficultés existentielles qu’il met à jour chez l’adolescent. C’est le travail (Binder, 2005) que nous avons développé par ailleurs.

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COMMENT IMPLIQUER LA COMMUNAUTÉ DANS LA PRÉVENTION DU SUICIDE ? PRATIQUES NOVATRICES D’UNE ÉQUIPE HOSPITALIÈRE Kahina Yebbal Psychiatre des Hôpitaux, Responsable de l’unité de Prévention du suicide, Centre hospitalier de Montbert, Les Loges, 44140 Montbert

Nous allons retracer une expérience originale de prévention du suicide menée depuis 3 ans par une équipe hospitalière. Cette expérience vise à implanter la stratégie nationale d’action face au suicide au plus près de la population. Son aspect novateur réside dans la méthodologie et dans la stratégie d’intervention communautaire qui s’appuient sur la conviction que la prévention du suicide est l’affaire de la communauté avant d’être celle des spécialistes. Nous présenterons la vision communautaire de ce travail dans son ensemble, les différents axes développés et nous illustrerons notre propos par une expérience pilote avec des élus et des citoyens vivant en communes rurales du Sud Loire. Mot-clés : expérience communautaire de prévention du suicide. How to imply the community in the suicide prevention We will recall an original experiment of prevention of the suicide carried out for 3 years by a hospital team. This experiment aims at establishing the national strategy of action opposite with the suicide to more close to the population. Its innovative aspect lies in the methodology and the Community strategy of intervention which is based on the conviction that the prevention of the suicide is the business of the community before being that of the specialists. We present the Community vision of this work as a whole, the various developed axes and

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we illustrate our matter by a pilot experiment with elected officials and citizens living in rural communes of the south Loire. Key words : community experiment of prevention of the suicide.

Aspect novateur : un modèle interventionnel de Santé Publique communautaire Nous nous sommes saisis des recommandations de la stratégie nationale d’actions face au suicide pour développer un modèle interventionnel de santé publique communautaire fondé sur une conviction profonde forgée par notre expérience clinique : « La prévention du suicide est l’affaire de la communauté avant d’être celle des spécialistes. » Notre stratégie d’intervention vise à attirer l’attention du corps social sur la complexité du suicide, en sollicitant, en renforçant et en mutualisant les ressources et compétences de chaque acteur de la communauté là où il se trouve, à son niveau et dans son champ d’intervention. Faire de la prévention, surtout dans le domaine du suicide, c’est favoriser le renforcement de la solidarité entre les membres d’une communauté afin que chaque acteur puisse être potentiellement ressource à l’égard d’un de ses membres en souffrance. Notre méthodologie de travail est opératoire avec des objectifs pragmatiques ayant un effet d’ouverture, de faisabilité et de soutien pour les organismes locaux et les personnes ressources ou acteurs sentinelles de la communauté. Concrètement, nous ne sommes jamais les promoteurs d’un projet local mais partenaires dans son élaboration. Nous n’intervenons jamais seuls dans une communauté (par exemple la communauté scolaire) mais toujours en soutien des personnes ressources de la communauté en question. Ainsi chacun à son niveau peut s’approprier une partie du travail de prévention, contribuer à son implantation et à son intégration dans la vie quotidienne. Nous pensons que plus une action passe inaperçue dans une communauté plus elle est efficace, toute une leçon d’humilité !

La méthodologie Avant d’aller plus loin dans le développement de nos objectifs, il semble important de revenir sur certaines définitions et sur le développement de cette méthodologie de travail.

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Tout d’abord le terme de projet est, pour nous, une projection dans l’avenir d’une nouvelle organisation du travail, projection qui s’appuie sur le passé et l’expérience acquise par l’équipe de prévention. La mise en place de ce projet requiert une méthodologie particulière, nécessitant sept étapes dans l’ordre chronologique.

Identification des populations à risque Il est essentiel de bien connaître le phénomène et d’identifier dans un premier temps les populations à risque. Les études épidémiologiques montrent que : chez les jeunes âgés de 15 à 24 ans, le suicide est la deuxième cause de mortalité ; chez les jeunes adultes âgés de 25 à 34 ans, le suicide est la première cause de mortalité et le taux est très élevé chez les hommes en particulier ; et chez les personnes âgées de plus de 75 ans, le taux de suicide est six fois supérieur au taux de suicide des adolescents. Ce phénomène du suicide des personnes âgées est méconnu et souvent banalisé. L’action de prévention doit tenir compte de ces groupes de population.

Identification des professionnels de première ligne Il s’agit de professionnels qui interviennent auprès des populations à risque. Pour les jeunes, nous avons identifié la communauté scolaire qui paraît être un lieu stratégique. Pour les jeunes adultes, nous avons identifié la famille et l’entourage. Enfin pour les personnes âgées, les professionnels d’aide à domicile et les institutions sont les professionnels les plus présents. Les médecins généralistes restent les acteurs privilégiés dans la prévention du suicide pour l’ensemble de la population. La liste n’est pas exhaustive, mais elle permet de visualiser les différents champs d’intervention possibles dans la communauté.

Identification des lieux et des personnes ressources Le suicide est un phénomène complexe et multifactoriel, sa prévention nécessite l’intervention d’acteurs complémentaires. C’est pourquoi nous sommes sollicitées et nous sollicitons différents partenaires dans l’élaboration d’un projet de prévention dans lequel chacun à sa place dans la prise en charge d’une personne en crise suicidaire. Avec chacun de ces partenaires, des actions sont en cours.

La rencontre Le suicide est un sujet délicat et difficile à traiter ; très souvent, lorsque nous rencontrons les interlocuteurs, il y a un temps nécessaire

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à la confrontation des idées et des représentations de chacun sur le sujet, afin de lever les tabous et les idées reçues, avant même de commencer à réfléchir sur un véritable travail de prévention. Cette rencontre va permettre d’identifier les besoins de notre interlocuteur et d’envisager un travail ensemble ou non. Après avoir présenté nos missions, nous échangeons sur des situations de crise auxquelles ils ont pu être confrontés, les difficultés qu’ils ont pu rencontrer. Pouvons-nous apporter notre soutien ? Quel lien possible avec les secteurs de psychiatrie de notre établissement ? À l’issue de la rencontre, nous nous engageons à soumettre un projet écrit et à le réajuster avec eux si besoin.

Élaboration du projet global Un référent de projet est nommé. Le projet s’élabore avec l’équipe pluridisciplinaire. Il doit s’inscrire dans la durée et perdurer après le départ de l’initiateur, c’est pourquoi il s’agit d’impliquer les professionnels du terrain au même titre que nous, pour qu’ils deviennent eux-mêmes des personnes ressources. Le projet est mené en collaboration permanente avec nos interlocuteurs, ce qui fait que chaque projet est singulier. Il est essentiel d’écrire le projet afin de le formaliser ; des objectifs sont fixés et les actions qui en découlent sont envisagées en fonction du public visé. La définition des objectifs de l’action est le pivot du processus et la partie la plus délicate. Les objectifs doivent être nommés avec un effet d’ouverture et de faisabilité. C’est un moment où l’équipe fait l’épreuve de réalité ; un moment où l’équipe se trouve confrontée à son image avec les risques associés, de trop grande illusion ou désillusion. Pour chaque action, l’équipe se doit d’élaborer des outils spécifiques et adaptés au terrain d’intervention.

L’évaluation Chaque action doit être évaluée. Nous avons mis en place des outils d’évaluation simple, cliniques, opératoires, issus de l’expérience de l’équipe. Ces outils sont des indicateurs de suivi qui permettent une évaluation quantitative, en comptabilisant le nombre de rencontres, le nombre de personnes formées et les différentes structures sensibilisées, les différents projets et actions menés, ainsi qu’une évaluation qualitative s’appuyant sur un questionnaire d’évaluation à court terme de chacune de nos interventions et sur une grille d’évaluation à long terme, centrée sur les attentes de nos partenaires et sur l’impact de nos actions

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sur les pratiques. Cette évaluation nous paraît incontournable si nous voulons maintenir un souci permanent de réajustement de nos actions et des interventions de qualité. Cette évaluation nous permet aussi de confronter notre propre pratique à la réalité du terrain et d’apprécier donc l’impact sur les pratiques.

Objectifs, moyens Comment répondre alors aux objectifs fixés par la Stratégie Nationale d’action face au suicide en tenant compte des réalités, des besoins locaux et de nos modestes moyens humains ? Nous proposons un modèle expérimental et novateur qui se décline en trois axes : Comment impliquer la communauté dans la prévention du suicide ?

Mort par suicide 1er axe : intervention directe dans la communauté • Objectif : renforcer les facteurs de protection de la population avant toutes manifestations symptomatiques. • Moyens a. Auprès du public adulte : par l’information et la sensibilisation pour expliquer et partager le savoir sur les questions autour de la souffrance psychique, de la dépression et de la crise suicidaire. Exemple : - lors de soirée débats ; - lors de la journée nationale de prévention. b. Auprès des enfants et des adolescents : par l’implantation dans les écoles de programmes d’éducation à la santé pour développer et renforcer les compétences psychosociales (estime de soi, confiance en soi et en l’autre, aptitude à demander de l’aide et à apporter la sienne, capacité à être en lien, expression des émotions, créativité, solidarité...). Exemple : Projet jeunes et jeunesse en Val-de-Logne.

2e axe : interventions auprès des acteurs sentinelles de la communauté • Objectif : renforcer les compétences de ces acteurs en termes de repérage précoce et de gestion des personnes et des situations de souffrance psychique.

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Figure 1. Modèle expérimental et novateur en prévention du suicide.

• Moyens a. Implantation la plus large possible de la formation au repérage de la crise suicidaire en nous positionnant comme formateurs relayant dans la région la formation nationale « Crise suicidaire : repérer et intervenir » élaborée par M. Seguin et le Pr J.L. Terra (entre 2002 et

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2003, 200 personnes, toutes catégories professionnelles confondues, ont été formées par notre équipe). b. L’aide aux aidants - En nous positionnant comme Partenaires ressources inscrits dans les réseaux locaux pour apporter un soutien méthodologique et un suivi des projets de prévention communautaire. - En soutien à l’entourage, aidants naturels, familles et proches confrontés à une crise suicidaire ou à une tentative de suicide. Ouverture d’un espace de parole et soutien spécifique aux membres de l’entourage volontaire d’une personne suicidaire et/ou suicidante en vue de renforcer leurs capacités à faire face à la crise suicidaire et de fait, à participer à la diminution du risque de récidive (référence aux travaux de B. Mishara). - En soutien aux endeuillés : plusieurs actions sont en phase d’élaboration. - Soutien aux professionnels endeuillés. - Soutien aux proches endeuillés.

3e axe de recherche et d’enseignement • Objectif : maintenir une dynamique de réflexion et des pratiques novatrices, ouvertes, attentives et réactives aux besoins de la communauté. • Moyens : publications, communications, enseignement et évaluation de l’impact sur les pratiques. - Participation à l’audit clinique sur la prise en charge hospitalière des suicidants, audit coordonnée au niveau National par l’ANAES. - Participation à l’évaluation avec la DRASS de la formation au repérage de la crise suicidaire. Actuellement, nous sommes en phase d’expérimentation. En vue de mesurer la pertinence, l’efficacité et l’impact de nos actions, nous avons mis en place des indicateurs de suivi quantitatifs et qualitatifs spécifiques. Après 3 ans d’existence, nous nous sommes intégrées aux réseaux locaux qui ont bien identifié notre spécificité : le soutien et l’accompagnement des aidants. Cela nous permet de développer des axes de travail spécifiques avec des intervenants de l’Éducation Nationale (primaire et collège), avec des personnels de maisons de retraite et des centres de soins infirmiers locaux, avec des médecins généralistes et

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des médecins du travail, avec des membres d’associations, avec des travailleurs sociaux, et avec des municipalités. Pour illustrer nos propos nous exposerons un de nos projets, le plus représentatif puisqu’il retrace l’esprit de cette chaîne de solidarité communautaire. Il s’intitule : « Jeunes et Jeunesse en Val-de-Logne ».

« Jeunes et Jeunesse en Val de Logne » : expérience pilote avec des élus et des citoyens vivant en communes rurales du Sud-Loire Retraçons un bref historique En novembre 2001, des élus du canton de Legé auquel sont associées deux autres communes se réunissent pour évoquer les difficultés qu’ils rencontrent avec certains de leurs jeunes. Ces élus sont confrontés à des actes délictueux. Ils prennent vite conscience qu’il s’agit de jeunes en mal être qui ne s’inscrivent pas dans le tissu associatif existant sur les communes. Ils souhaitent agir pour aider ces jeunes et leurs familles. Plusieurs réunions sont organisées à un rythme soutenu, conviant des gendarmes, des principaux de collèges, des représentants d’associations de parents, d’associations de jeunes et d’activités sportives, le centre d’animation des jeunes. Au fur et à mesure, le groupe s’étoffe jusqu’à cinquante personnes motivées et impliquées à différents niveaux. Toutefois, une question demeure : que peuvent-ils mettre en place ? En mai 2002, ils nous sollicitent en vue d’une aide dans l’élaboration de leur projet d’action de prévention. Mesurant la forte mobilisation de cette communauté, nous avons été attentifs à ne pas nous substituer à elle sur le terrain, ni à nous mettre en position de « détenteur » du savoir. Nous avons veillé à apporter notre soutien méthodologique, en complémentarité, respectant leur cheminement. La première étape fut de « définir » ensemble ce qu’est l’adolescence et ce que recouvre ce processus développemental normal lors d’une soirée-débat organisée par et pour ce groupe de travail. Nous pensons qu’une action de prévention efficace qui vise à changer les comportements se doit d’être pérenne, vécue quotidiennement, et impliquer chaque membre de la communauté. Nous avons donc proposé trois groupes de travail menés conjointement par un élu et un membre de notre équipe avec l’idée que pour réduire le mal être des jeunes, il faut agir en amont auprès des enfants ; en aval, auprès des adultes et intervenir auprès de public cible, en l’occurrence : les adolescents. Nous avons été attentifs à impliquer aussi, les infirmières scolaires, les médecins généralistes, des assistants sociaux et l’intersecteur de psychiatrie infanto-juvénile.

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Figure 2. Étapes du groupe de travail.

1er axe : population générale a. Auprès des adultes : soirées-débats thématiques (adolescence, relations entre générations), théâtre-forum (juillet 2002 à octobre 2003). b. Auprès des enfants (170 élèves de 6 ->10 ans du privé et public) : mise en place du programme d’éducation à la santé pour « le développement des compétences psychosociales des enfants. Ce programe est orchestré par le CREDEPS, sur 4 ans (temps de formation pour les enseignants qui seront amenés à animer des ateliers, temps d’information aux parents, temps d’intervention auprès des enfants (2 ans) et temps d’évaluation) (début de l’action étape 1 : octobre 2003).

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c. Auprès des adolescents (150 élèves de 3e) : distribution d’un agenda « Ado bien dans sa peau » - agenda déjà validé par l’Académie de Rennes - qui aborde via des personnages de BD les droits et devoirs (violences, racket, vol...), le stress, la nutrition, l’aspect physique, la sexualité, le sport (dopage, croissance...), la maltraitance... Y figurent également les coordonnées d’associations d’écoute jeunes, des adresses utiles, les missions d’un médecin généraliste... À la fin de l’année scolaire 2003-2004, un questionnaire auprès des adolescents évaluera sa pertinence et son efficacité en vue de l’étendre ou non à l’ensemble de l’Académie de Nantes jeunes (distribution : septembre 2003).

2e axe : population à risque a. Auprès des adolescents - auprès des 14-17 ans : dans le cadre du Brevet de Sécurité Routière, une auto-école a proposé le BSR + (2 jours de formation) afin de renforcer les notions de danger sur la route, d’améliorer le sens de l’altruisme, de respecter les règles du code de la route et de prendre conscience que les adolescents sont des modèles identificatoires pour les plus jeunes ; - auprès des 15-25 ans : les municipalités ont mis en place un dispositif financier (Plan Delta) pour soutenir l’initiative de jeunes (au moins trois) et leur engagement social dans des projets sociaux, culturels, internationaux... b. Auprès des parents Ouverture d’un espace de paroles et d’échanges pour les parents des communes qui est animé par une psychologue, une fois par mois (repérage, soutien social, orientation ciblée). L’accueil s’effectue par un des participants du groupe de réflexion qui peut être identifié comme ressource (débuté le 15 novembre 2003).

Cette rencontre est, pour nous, riche d’enseignements dans l’élaboration et l’avancement de notre projet d’équipe et tend à confirmer notre postulat initial.

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Conclusion Ce qui ressort de ce travail et qui fait son intérêt réside en : 1. Son aspect novateur du fait de : • Son modèle opérant permettant d’appliquer sur le terrain la Stratégie Nationale d’action face au suicide. • Son ouverture sur la communauté avec des actions au plus près de la population. • Sa méthodologie pragmatique (car issue de l’expérience clinique), rigoureuse et évolutive. • Sa dynamique de recherche créative, réactive et ouverte. 2. Son application transposable vers d’autres thématiques. Au fond, faire de la prévention, c’est bien identifier les attentes et les besoins de la communauté pour créer des modalités d’interventions nouvelles et originales au plus près des populations. Remerciements à mon équipe : Laurence Darcy (psychologue), Brigitte Daniel (secrétaire), Nadine Bosque (infirmière), Martine Boucher (infirmière), Céline Bonnaudet (infirmière) et à tous les citoyens du Sud-Loire pour leur confiance et leur soutien.

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PARTIE 4 Besoins de recherche-action et de formation Exemples de recherche-actions à l’UNPS

Les axes précédemment impulsés par une volonté politique clairement affirmée au ministère de la Santé (2000) concernent essentiellement les formations, avec démultiplication des acteurs formés au repérage de la crise suicidaire et à l’intervention en relais avec les structures de soins. Des expériences de centres ressources en documentation et formation existent à présent. La Loi actuelle de Santé Publique indique des objectifs quantifiables et incite à l’évaluation. Dans la continuité, le plan de Santé mentale donne des possibilités d’actions en suicidologie, le milieu pénitentiaire en est un exemple, avec un rapport officiel, établissant les besoins et des recommandations. La recherche n’a pas eu le même encouragement. L’Union Nationale de prévention du suicide (créée en 1996) développe toutefois des recherches-actions avec des partenariats très divers (entreprise, mutuelle, réseau de soins). Plusieurs actions concernent la population générale, par rapport à un contexte de mobilité ou à un système de protection sociale. Des perspectives de travail avec des instituts de recherche comme l’Inserm, ou des universités, restent à développer.

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UN PROGRAMME COMPLET DE PRÉVENTION EN MILIEU PÉNITENTIAIRE RAPPORT DE MISSION À LA DEMANDE DU GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DU MINISTRE DE LA SANTÉ, DE LA FAMILLE ET DES PERSONNES HANDICAPÉES DÉCEMBRE 2003 Jean-Louis Terra Professeur des universités, praticien-hospitalier, université Lyon 1, Laboratoire de la Psychologie de la Santé et du Développement (EA 3728) universités Lyon 1 et Lyon 2

Synthèse du rapport et liste des recommandations À la suite d’une lettre de mission du garde des Sceaux, ministre de la Justice et du ministre de la Santé, de la Famille et des Personnes Handicapées.

Méthode de travail La mission qui m’a été confiée, le 23 janvier dernier, par le garde des Sceaux, ministre de la Justice et le ministre de la Santé, de la Famille et des Personnes Handicapées porte sur la prévention du suicide dans les établissements pénitentiaires. Ses objectifs sont de faire un bilan des actions engagées et de proposer un programme complet de prévention. Grâce à la collaboration des services concernés, j’ai examiné en détail l’organisation actuelle de la prévention du suicide au travers d’auditions, de l’examen d’un vaste ensemble de documents,

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comprenant les textes réglementaires, et par la visite de 17 établissements pénitentiaires. Ces visites organisées selon le parcours du détenu ont permis de nombreuses rencontres avec les personnels pénitentiaires, sanitaires, les bénévoles et les personnes détenues. Je me suis également documenté sur les expériences des pays qui conduisent une politique de prévention du suicide pour les personnes détenues. Le rapport contient 17 recommandations concrètes pour améliorer la prévention du suicide, notamment pour mieux détecter les personnes en crise suicidaire et pour mieux les protéger. Six facteurs généraux de réussite d’un programme de prévention sont identifiés. L’application de certaines recommandations pourrait être effective dès janvier 2004. La synthèse regroupe les recommandations sous forme de 7 priorités.

Les constats La politique de prévention du suicide de l’Administration pénitentiaire est de plus en plus soutenue par le ministère de la Santé La mission a permis de constater l’engagement continu et de longue date de l’Administration pénitentiaire pour prévenir le suicide. Cette dernière est dotée d’un système de recueil précis des suicides complété par une Commission centrale de suivi des conduites suicidaires qui a pour mission de les analyser et d’améliorer la prévention. Groupes de travail, missions et inspections se sont succédés ces dernières années avec pour résultat un ensemble de textes réglementaires. Cette volonté se retrouve dans les établissements sous forme d’actions, plus ou moins systématiques, et d’expériences « pilote ». Des bilans réguliers de ces actions sont entrepris. Cependant l’absence d’infléchissement du nombre des suicides a conduit, ces dernières années, à une accélération du rythme de production des recommandations. Le ministère de la Santé s’est vu associé de plus en plus à cette politique de prévention du suicide pour les personnes détenues. Les Programmes régionaux de prévention du suicide puis la Stratégie nationale d’action face au suicide depuis 2000 ont permis la construction d’un partenariat dont l’équilibre n’est pas encore trouvé. La Direction générale de la santé a permis l’élaboration de recommandations pour l’intervention de crise suicidaire par la Fédération française de psychiatrie en octobre 2000. Une formation de formateurs est organisée à grande échelle qui inclut progressivement les professionnels exerçant en établissement pénitentiaire.

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Les institutions et les acteurs pouvant agir pour prévenir le suicide sont très nombreux à tous les niveaux : national, régional et local. La cohérence et la synchronisation de leurs contributions respectives sont à rechercher. Des lacunes existent pour évaluer le risque de suicide et surtout pour détecter une crise suicidaire. La prévention du suicide dans les établissements visités montre des lacunes qui sont en accord avec les documents examinés. Ces lacunes expliquent en grande partie l’absence de diminution du suicide. La grille proposée dans la circulaire « santé/justice » du 26 avril 2002, renseignée par les personnels pénitentiaires, est peu utilisée et est rarement un outil de prévention partagé avec les personnels sanitaires. L’identification des facteurs de risque de suicide est insuffisante, en particulier, pour la recherche des antécédents personnels de tentative de suicide et les troubles psychiques dont la dépression. Le repérage des personnes en détresse est très insuffisant pour prévenir le suicide car il ne présente aucun caractère systématique. L’exploration attentive de l’idéation, de l’intentionnalité et de la programmation suicidaires n’est faite que lorsque la personne en parle spontanément. Ainsi, seulement un quart des personnes décédées par suicide avaient été repérées comme suicidaires. Le degré de l’urgence suicidaire n’est pas évalué selon un langage commun. La « chaîne des arrivants » est une organisation favorable à la prévention du suicide. La mise en place de quartiers arrivant est un réel progrès sauf lorsque le flux des incarcérations empêche leur fonctionnement normal. Les visites ont montré à côté de modes de coopération exemplaires, des dysfonctionnements qui font que les intervenants n’arrivent pas à être ensemble, simultanément et successivement, pour gérer et prévenir ce risque. Les informations pertinentes peuvent être disséminées alors que leur synthèse conduirait à une appréciation toute autre de la situation que vit la personne détenue. Les commissions de prévention du suicide constituent un moyen essentiel pour construire la prévention mais elles ne sont pas généralisées.

Le traitement des troubles psychiques et de la dépression est très inégal L’engagement de toutes les équipes de psychiatrie pour traiter les troubles psychiques qui prédisposent au suicide et pour intervenir en cas de crise suicidaire n’est pas totalement acquis. Des écarts dans la conception de leur rôle et dans leurs pratiques ont été mis en évidence au cours des visites. Un entretien systématique avec un psychiatre est

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le fait de rares établissements. La fréquence d’utilisation des antidépresseurs s’étend dans une fourchette de 1 à 10 selon les établissements. Les variations des besoins de soins ne peuvent pas expliquer en totalité ces écarts.

La surveillance spéciale ne peut à elle seule réduire le nombre de suicides Les actions de protection, de soins et de surveillance ne sont pas assez diversifiées et coordonnées entre les personnels travaillant en détention, les travailleurs sociaux et les personnels sanitaires. Le placement en surveillance spéciale est une mesure de protection utile qui ne peut pas à elle seule modifier le processus de la crise suicidaire. Le taux de personnes en surveillance spéciale pour risque de suicide et bénéficiant d’un traitement antidépresseur est faible. Cet indicateur est à rapprocher du fait que la dépression non traitée est la première cause de suicide.

Le risque de placer une personne détenue en crise suicidaire au quartier disciplinaire n’est pas maîtrisé Le placement de personnes détenues au quartier disciplinaire ne fait pas l’objet d’une réflexion suffisante sur l’existence ou non d’une crise suicidaire sous-jacente. La mise en prévention au quartier disciplinaire constitue une menace supplémentaire qui peut accélérer l’évolution suicidaire.

L’intuition des intervenants n’est pas complétée par une évaluation systématique Globalement le suicide est une préoccupation importante des établissements pénitentiaires et sa survenue est toujours un drame pour les familles, les professionnels et les bénévoles. Sa prévention n’intègre pas encore tous les aspects essentiels qui caractérisent la gestion d’un risque. En particulier, la détection des facteurs de risque et le dépistage d’une crise suicidaire ne sont pas systématiques. Les mesures de protection de surveillance et les actions de soins ne sont pas assez articulées autour de concepts et de pratiques partagés.

Les priorités Première priorité Définir un objectif national de réduction du suicide et intégrer celui-ci dans les projets et les actions de l’ensemble des intervenants en milieu pénitentiaire. La prévention du suicide étant classée au deuxième rang des priorités de la loi de santé publique, un soutien

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important doit être apporté à ceux qui ont en charge la surveillance, l’insertion et les soins aux personnes détenues. L’objectif national que je propose est une réduction de 20 % en 5 ans du nombre de suicide des personnes détenues (Recommandation 1).

Deuxième priorité Chaque personne détenue doit avoir la chance, chaque jour, d’être au contact, chaque jour au moins, d’un professionnel ou d’un bénévole capable de détecter sa détresse, de l’évaluer et de susciter une réponse appropriée. Je recommande aussi de sécuriser en amont la trajectoire de la personne qui est successivement gardée à vue, déférée au parquet puis écrouée. À terme, il est nécessaire de former l’ensemble des intervenants pour disposer d’un langage et de critères d’évaluation partagés. La formation doit permettre d’acquérir les compétences pour l’intervention de crise suicidaire. Elle n’est, ni un soin, ni une psychothérapie, mais simplement un ensemble d’attitudes face à une détresse psychologique pour laquelle le suicide devient progressivement une solution puis la seule solution (idées, voire menaces, puis intention et enfin programmation...). La formation nationale mise en place par la Direction générale de la santé (DGS) et les Direction régionales de l’action sanitaire et sociale (DRASS) doit permettre de former, d’ici fin 2005, 2 000 professionnels et bénévoles intervenant auprès des personnes détenues (Recommandation 2). Parmi les 120 formateurs nationaux disponibles en janvier 2004, il y aura trois enseignants de l’École nationale de l’administration pénitentiaire (ENAP) et au moins trois médecins, chefs des Services médicopsychologiques régionaux (SMPR). L’inclusion de ce contenu dans les formations initiales dont l’ENAP, les facultés de médecine et de psychologie, ainsi que les instituts de formation de soins infirmiers est un processus en cours qui est à généraliser. Je propose un projet de document pour évaluer le potentiel suicidaire de la personne de la garde à vue à la détention afin d’éviter au mieux la perte d’informations essentielles. Ce document viendrait se substituer à celui annexé à la circulaire du 26 avril 2002 serait la base du système documentaire pour la prévention du suicide (Recommandation 5). La formation qui insiste sur les facteurs de risque du suicide devrait permette un meilleur dépistage et un meilleur traitement de la dépression (Recommandation 3) et des autres troubles psychiques grâce à

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l’action des médecins généralistes et des psychiatres travaillant dans les Unités de consultation et de soins ambulatoires (UCSA) et les SMPR (Recommandation 13). Je recommande aussi qu’une politique d’amélioration continue des soins, déjà engagée dans quelques établissements, soit généralisée à l’ensemble des UCSA et SMPR (Recommandation 14).

Troisième priorité Je recommande que le placement d’un détenu au quartier disciplinaire soit précédé d’une vérification par un psychiatre qu’il ne s’agit pas d’une crise suicidaire à manifestation agressive. Si c’est le cas, ou en cas de doute, la personne est mise en observation pendant 72 heures dans une cellule sécurisée. Ce temps d’observation, d’évaluation et de surveillance est mis à profit pour rechercher les déterminants de cette crise (Recommandation 4). Si une sanction est prononcée, celle-ci doit être exécutée lorsqu’un équilibre émotionnel est retrouvé.

Quatrième priorité La prévention du suicide consiste à agir sur les facteurs de risque de suicide pour lesquels une intervention est possible. Un plan de prévention est à établir pour chaque personne à risque (Recommandation 6). La surveillance spéciale est à compléter de plans d’intervention gradués selon l’urgence suicidaire. La participation de la personne à sa propre protection est à privilégier par rapport aux mesures passives. Un référent pénitentiaire et un référent sanitaire sont à désigner comme garants du processus de protection. La limitation de l’accès aux moyens du suicide est à poursuivre avec la suppression des potences de télévision et la réduction des points permettant l’arrimage d’un lien (Recommandation 9). Je propose également l’aménagement de cellules sécuritaires et l’étude de leur disposition afin qu’il soit possible d’exercer une surveillance dans certains cas (Recommandation 10).

Cinquième priorité Cette priorité regroupe toutes les actions qui portent sur les conditions de vie des personnes détenues et la promotion de la santé. D’un côté, ce sont les actions positives pour préserver leur dignité, favoriser leur réinsertion par le maintien des liens familiaux, par la formation, le travail et par la construction d’un projet (Recommandation 15).

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D’autre part, ce sont toutes les actions pour prévenir les dysfonctionnements qui peuvent susciter des souffrances inutiles, de la méfiance, de la dévalorisation, de la colère et à terme du désespoir (Recommandation 8). Les possibilités de détection des personnes suicidaires sont dépendantes du climat qui règne en détention et des relations instaurées avec les professionnels et les bénévoles.

Sixième priorité Je recommande d’améliorer les attitudes et les actions après la survenance d’un suicide. Celles-ci entrent dans le cadre de la postvention qui comprend une série d’actions spécifiques auprès de l’entourage de la personne décédée, des personnes qui ont découvert la scène et porté secours, des professionnels, des bénévoles et des détenus qui avaient un lien avec elle. Il s’agit aussi de limiter au mieux le phénomène du suicide par imitation (Recommandation 11). Cette postvention inclut la façon dont on annonce le décès, dont on en parle et dont les médias le relatent. Je rappelle les recommandations que les médias suivent dans d’autres pays et les rôles qu’ils peuvent jouer pour prévenir le suicide (Recommandation 16).

Septième priorité Elle porte sur l’amélioration de l’analyse des décès par suicide aussi bien au niveau local (Recommandation 12) que national (Recommandation 17). Une double perspective sanitaire et pénitentiaire est essentielle pour que cette analyse porte sur l’ensemble des déterminants et permette d’évaluer précisément le potentiel de prévention qui a effectivement été mis en œuvre. Je propose d’étendre cette possibilité d’analyse à l’ensemble des décès par suicide qui surviennent en France, notamment en milieu hospitalier et médico-social. Un système d’analyse, analogue de celui des coroners dans d’autres pays, favoriserait le « retour d’expérience » nécessaire à l’amélioration continue de la prévention

En conclusion Le rapport contient 17 recommandations dont certaines peuvent avoir une application très immédiate. Les annexes contiennent des documents qui viennent enrichir les propositions. Je souligne l’intérêt d’inscrire cette politique dans le plan national de prévention du suicide et l’importance du potentiel de prévention qui n’est pas encore utilisé malgré des efforts continus.

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Les 17 recommandations Un objectif national Un objectif national de réduction du suicide en milieu pénitentiaire doit être fixé. Une réduction de 20 % en 5 ans du nombre de personnes détenues décédées par suicide est proposée. Le projet de loi de santé publique, qui contient dans son deuxième objectif la prévention des morts violentes et des suicides, constitue un cadre adapté pour soutenir cette politique. L’action de l’Administration pénitentiaire, initialisée depuis des années, combinée à la Stratégie nationale d’action face au suicide mise en place depuis 2000 par le ministère de la Santé, représente un cadre opérationnel pour l’atteinte de cet objectif. Les agences de santé, comme l’Institut National de Prévention et d’Éducation pour la Santé (INPES) et l’Agence Nationale d’Accréditation en Santé (ANAES) peuvent assurer un soutien pour atteindre cet objectif.

La formation à l’intervention de crise Le programme national de formation conduit par la Direction générale de la santé est adapté pour former les différents professionnels et bénévoles intervenant auprès des personnes détenues. Ils doivent être capables : - de contribuer à identifier les personnes à risque de suicide élevé ; - de repérer une crise suicidaire sous ses différentes formes et à ses différents stades, notamment lorsque la souffrance psychique prend le masque de l’agressivité et de l’automutilation ; - de conduire une entrevue pour aborder la souffrance de la personne en crise, permettre l’expression des émotions et nouer une relation de confiance ; - d’évaluer l’urgence, c’est dire d’explorer l’idéation suicidaire, l’existence d’un scénario (où, quand, comment, avec quoi ?) et la dangerosité suicidaire ; - d’intervenir, d’alerter et d’orienter selon le degré d’urgence et de dangerosité. Afin de favoriser le repérage et la prise en charge précoce d’une crise suicidaire, il est nécessaire d’envisager aussi cette formation pour les professionnels qui interviennent en amont de l’écrou, lors de la garde à vue et lorsque la personne est déférée au Parquet. Le périmètre des personnes à former inclut les intervenants de la téléphonie sociale qui devrait bénéficier à plus de personnes détenues. La formation de codétenus doit être expérimentée dans des sites pilote selon l’exemple d’autres pays (détenus confidents) pour évaluer l’opportunité d’une extension plus large.

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Améliorer le dépistage et le traitement de la dépression L’objectif est que le taux de personnes détenues traitées pour dépression soit en accord avec l’importance de cette maladie. Un plan national est en cours d’élaboration au ministère de la santé. La dépression est plus fréquente pour les personnes détenues que pour la population générale. La dépression non traitée est la première cause de suicide. Le repérage des symptômes, le diagnostic et le traitement de la dépression doivent être des objectifs prioritaires des UCSA et des SMPR. Les médecins généralistes ont, comme les psychiatres, un rôle déterminant à jouer. Le taux de personnes en surveillance spéciale, pour risque de suicide et recevant un traitement antidépresseur, est un indicateur à suivre. Dès maintenant, la formation à l’intervention de crise, évoquée plus haut, met l’accent sur la dépression comme facteur de risque de suicide et sur le repérage et le traitement de ce trouble. Elle devrait contribuer à atteindre cet objectif rapidement.

Les personnes détenues en crise suicidaire ne doivent pas être placées au quartier disciplinaire Un examen psychiatrique doit vérifier que les troubles qui motivent le placement au quartier disciplinaire ne sont pas dus à une crise suicidaire. Le cas échéant, ou en cas de doute, la personne détenue doit être placée 72 heures dans une cellule sécurisée, facilement accessible à l’équipe sanitaire. Cette période permet une observation, un dialogue, une évaluation et la mise en place de soins, si nécessaire. La mise en prévention au quartier disciplinaire représente une menace qui peut précipiter le geste. Elle doit être évitée, sauf quand aucune autre mesure ne peut mettre fin au trouble, tel que le prévoit le Code de procédure pénale. La recherche d’alternatives au quartier disciplinaire est à développer selon les recommandations des précédents rapports.

Un système documentaire partagé est à mettre en place pour évaluer le potentiel suicidaire et définir les actions à entreprendre Parce que : • les facteurs de risque de suicide se situent dans des domaines très divers ; • histoire personnelle, troubles psychiques, événements de vie ; • tout professionnel ou bénévole peut recevoir des confidences d’une personne en crise suicidaire ; • la personne en crise, souvent tendue et épuisée, risque de ne pas se confier plusieurs fois.

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Un support commun doit servir au recueil des informations pertinentes pour évaluer le degré de risque, d’urgence et de dangerosité suicidaires, et pour définir les actions à entreprendre et les enregistrer une fois réalisées. Ce document devrait être ouvert lors de la garde à vue, et suivre la personne déférée puis écrouée. L’objectif est de diminuer le risque de perdre une information importante et de suivre de façon continue l’état d’esprit de la personne. Une proposition de document est faite. Il est important de considérer qu’il ne s’agit pas de partager toute l’information mais d’aboutir collectivement à la meilleure évaluation pour apporter collectivement la meilleure protection.

La surveillance spéciale pour risque de suicide doit être complétée dans tous les cas d’actions de protection et de soins où le détenu est un acteur de sa protection La participation active de la personne est essentielle pour trouver les causes de sa souffrance, trouver les solutions qui peuvent diminuer sa détresse et lui donner le goût de se protéger. Chaque personne considérée comme à risque élevé de suicide et/ou en crise suicidaire doit bénéficier d’un plan spécifique. Si la personne est à risque, mais n’est pas en crise suicidaire, prévenir consiste à agir sur les déterminants de la souffrance, pour lesquels une action est possible, afin d’éviter une évolution vers une idéation suicidaire. Ce sont, essentiellement : • le traitement des troubles psychiques ; • les actions qui visent à atténuer l’impact des pertes (liens familiaux, insertion sociale, travail...) ; • la protection du détenu des risques qu’il court au sein de l’établissement en raison de la nature du délit ou du crime ; • et la prévention des dysfonctionnements qui pourraient augmenter sa souffrance et son désespoir. Le suivi des demandes faites et des réponses apportées semble essentiel pour éviter une escalade dans la frustration et l’incompréhension. La personne en crise suicidaire doit bénéficier d’une intervention dont la nature et le délai sont adaptés au degré de l’urgence (idées, intention, programmation du scénario). L’évaluation de l’urgence selon une progression en 9 points permet à l’intervenant de première ligne de faire son évaluation et la transmettre. Cet intervenant peut arriver à désamorcer la crise en instaurant une relation de confiance et, le cas échéant, il oriente la personne vers un autre intervenant.

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Les mesures passives de protection, c’est-à-dire sans la participation de la personne, ou les mesures imposées, sont des solutions de dernier recours. Elles peuvent être perçues comme un manque de confiance et comme blessantes et inutiles. De ce fait, elles sont à réserver lorsque les différentes interventions ont été un échec et que rien ne semble dissuader la personne.

La prévention est une œuvre collective où chacun peut et doit jouer des rôles différenciés On peut distinguer les intervenants : - de première ligne, personnes au contact direct des détenus. Les surveillants sont au premier plan, mais chacun peut être, à un moment donné, cet intervenant lors d’un contact direct (un directeur, un travailleur social, un éducateur, un infirmier, un médecin, un co-détenu) ; - de deuxième ligne, ceux auxquels on a habituellement recours pour alerter, signaler, mobiliser lorsque l’intervenant de première ligne est confronté à une situation qui dépasse ce qui est prévu dans son champ de compétence et d’action ; - de troisième ligne, ceux dont la compétence permet de mettre en œuvre des actions après l’intervention d’urgence (évaluation complémentaire, orientation, soins spécialisés, suivi). Plus le degré d’urgence est élevé, plus les actions sont préétablies et accomplies par les personnes présentes. En cas de crise suicidaire, il est important qu’une personne soit désignée comme référent de l’ensemble du processus d’évaluation et de protection. Ce professionnel doit s’assurer de la coordination des différentes actions et de la fiabilité collective. L’objectif est de prévenir les ruptures (matin/après-midi, jour/nuit, semaine/week-end, sanitaire/pénitentiaire) dans la continuité et la cohérence des actions. Il doit avoir une entrevue chaque jour avec la personne en crise. Le dispositif mis en place ne peut être arrêté sans l’aval de ce professionnel référent. Un double référencement, pénitentiaire et sanitaire, serait un mode d’organisation à expérimenter. Chaque établissement doit être doté d’une commission de prévention du suicide. Le cas échéant, cette fonction est intégrée dans une commission existante. Les participants représentent les différents processus de prévention mis en œuvre autour de la trajectoire de la personne détenue. La mise en place des plans de prévention et de protection, ainsi que leur arrêt, est validé par cette commission. La

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participation du professionnel référent évoqué ci-dessus est indispensable.

Mettre en place un cadre de détention qui préserve la dignité du détenu et favorise la détection des personnes suicidaires À l’heure actuelle, l’identification des détenus à risque d’auto agression ou de suicide est très insuffisante puisque la majorité des détenus qui attentent à leurs jours ne sont pas identifiés comme à risque ou comme suicidaires. Un aspect essentiel de tout plan de prévention réside donc dans l’établissement d’un climat propice aux confidences des détenus sur leur souffrance. Une telle atmosphère impose de réduire au maximum le stress et l’anxiété des personnes détenues, notamment grâce à de bonnes relations entre les détenus et le personnel pénitentiaire, à des conditions de vies décentes, à l’assurance de ne pas être brutalisé, au maintien de liens familiaux ainsi qu’à des activités constructives et valorisantes. Le rôle des visiteurs des prisons et de l’ensemble des bénévoles est essentiel pour rappeler la valeur des personnes incarcérées. L’instauration d’un tel climat de confiance représente une véritable gageure que les services pénitentiaires s’efforcent de relever. En son absence, le risque est de ne pas pouvoir mettre en évidence les personnes qui vont mal au sein d’une population carcérale tendue et agitée. De nombreux pays conduisent des actions pour déceler l’existence de brimades et pour conduire, si nécessaire, des actions pour les réduire. Un questionnaire avec des réponses anonymes est un moyen d’évaluation utilisé par ces pays. Des actions similaires, déjà réalisées à l’initiative d’établissements français pour connaître les difficultés éprouvées par les détenus, sont à encourager.

Réduire l’accès aux moyens de suicide Les politiques de réduction de l’accès aux moyens de suicide ayant un impact réel, quelques mesures s’imposent. Les points permettant un arrimage facile d’un lien (drap, vêtement, rallonge électrique...) doivent être progressivement éliminés, notamment les potences des téléviseurs. L’aménagement de cellules sécurisées est à étudier dans les établissements pénitentiaires et en particulier dans la perspective des Unités Hospitalières Spécialement Aménagées.

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Augmenter les possibilités de surveillance Les programmes étrangers incluent un niveau de surveillance constante quand la crise suicidaire ne peut être désamorcée. La surveillance directe est celle qui apporte le plus de protection et d’humanité. Il est important que la personne détenue puisse être vue et puisse voir le surveillant et qu’ils puissent se parler facilement. La vidéosurveillance qui ne peut lui être substituée est un moyen complémentaire à étudier.

La période après suicide : les actions de postvention Après un suicide, un ensemble d’actions est à réaliser pour gérer une cascade de conséquences. Les points sur lesquels une attention particulière est à porter sont : • proposer des rencontres avec la famille endeuillée, aussi bien avec les responsables pénitentiaires que sanitaires et sociaux ; • identifier l’impact du réseau des conséquences liées à cette perte pour la famille ; • identifier si cette famille a besoin d’un soutien immédiat et/ou pour l’accompagnement dans son travail de deuil ; • annoncer la nouvelle aux personnes présentes dans l’établissement (personnels, détenus) simplement même si l’information a déjà diffusé, en évitant de rassembler un grand nombre de personnes au risque d’augmenter les réactions de stress ; • la personne qui annonce doit adopter une attitude calme, compréhensive, rassurante et respectueuse ; elle doit éviter de juger le geste et annoncer clairement le décès ; • distinguer le stress temporaire du stress aigu et du trouble de stress post traumatique pour apporter les réponses adaptées ; • intervenir auprès des personnes suicidaires qui peuvent être déstabilisées encore plus par l’événement ; • identifier les personnes qui avaient une relation d’attachement avec cette personne et qui seront endeuillées en tant que professionnel, bénévole ou ami ; • disposer d’un programme préétabli avec une équipe de postvention ; • aller au devant des professionnels qui ont vu la scène, porté secours ou qui avaient un lien avec la personne décédée pour leur proposer une aide ; • identifier les détenus dans une situation analogue à la personne décédée pour prévenir un phénomène d’imitation.

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Des groupes d’analyse de la morbidité et de la mortalité sont à mettre en place dans les établissements de santé psychiatrique Les auto-lacérations, les tentatives de suicide et les décès par suicide survenant en milieu pénitentiaire et en milieu hospitalier doivent bénéficier d’une analyse causale par les personnels sanitaires pour apprécier si le dispositif de détection/soins/protection a fonctionné normalement. L’objectif est d’en tirer expérience pour améliorer la prévention.

Améliorer le traitement des troubles psychiques L’amélioration du traitement des troubles psychiques est un axe essentiel de tout programme de prévention du suicide. Les personnes détenues doivent pouvoir accéder aux mêmes formes de soins que la population générale. Les personnes, manifestement en détresse et qui ne formulent pas de demande de soins expresse correspondant à leur état de santé, doivent bénéficier de visites des professionnels de santé dans les lieux de détention. Les personnes détenues comme la population générale doivent pouvoir bénéficier de soins psychiatriques sans consentement sous forme d’hospitalisation à la demande d’un tiers.

Introduire une dynamique d’amélioration continue des soins psychiatriques dans les Unités de Consultations et de Soins Ambulatoires (UCSA) et Services Médicopsychologiques régionaux (SMPR) L’amélioration de la prise en charge des troubles psychiques et des conduites addictives, le bon usage des psychotropes et des traitements de substitution, la tenue du dossier du patient sont des thèmes à inclure dans une démarche de progrès. Un effort doit être conduit pour aller vers le dossier unique ; les dossiers multiples, dans le cadre de la prévention d’un risque, représentent par essence un danger. Les cellules « qualité » des hôpitaux de rattachement représentent un support naturel pour cet accompagnement qui peut être encouragé par les DRASS, les ARH et l’ANAES. Cet effort est déjà conduit avec détermination dans plusieurs régions. La deuxième version du manuel d’accréditation devrait intégrer la prévention du suicide dans les risques à prévenir pour les établissements de psychiatrie.

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Développer la promotion de la santé physique et mentale Toutes les actions dont le principe est : - d’accorder de la valeur à la personne détenue ; - de lui donner du contrôle sur sa santé en investissant l’avenir ; - de donner le goût et la compétence de se protéger ; peuvent diminuer la vulnérabilité et faciliter le développement de capacités pour faire face aux difficultés. La formation des détenus aux premiers gestes de secours en cas de détresse vitale est une action qui valorise les détenus. La formation de détenus à l’intervention de crise suicidaire procède de ce même principe et accroît le potentiel de prévention au sein de l’établissement. Ce recours est important pour les détenus qui ont développé une méfiance à l’égard des professionnels.

Le rôle des médias Les médias peuvent jouer un rôle actif dans la prévention du suicide. La crise suicidaire est une succession d’équilibres métastables marquée par la désorganisation psychique. À un moment donné, le nombre de personnes en difficulté est élevé et chacune peut être influencée favorablement ou défavorablement par les messages qu’elle reçoit. Il a été démontré que la façon de rapporter un suicide pouvait influencer le nombre de suicides et de tentatives de suicides. L’influence négative est décrite comme « l’effet Werther » en fonction des facteurs suivants : - suicide d’une personne célèbre ; - suicide d’une personne jeune ; - présenter le suicide comme une solution ; - dire que le suicide est normal ; - dire que cela peut arriver à tout le monde ; - dire que la personne avait tout pour être heureuse ; - dire que la personne a été courageuse ; - parler du moyen de suicide ; - dire qu’elle n’a pas souffert ; - utiliser la première page des journaux ; - glorifier la personne ou en faire un martyr, pouvant faire croire que la société rend honneur au comportement suicidaire. Les médias peuvent jouer un rôle en positif en : - ne donnant pas de détails précis sur la méthode utilisée ; - en publiant dans les pages intérieures ;

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- en informant sur les services d’aide et d’assistance en cas de détresse psychologique ; - en mettant l’accent sur les facteurs de risque et les signes d’alerte ; - en faisant savoir que la dépression non traitée est la première cause de suicide ; - en prenant en considération l’impact du suicide sur la famille et leur deuil ; - en communiquant les coordonnées des groupes de soutien pour les endeuillés par suicide.

Améliorer l’analyse des décès par suicides au niveau des établissements et de la commission centrale de suivi des actes suicidaires en milieu carcéral Actuellement l’Administration pénitentiaire tente de porter un regard courageux sur l’ensemble des décès par suicide avec la Commission centrale de suivi des actes suicidaires. Le ministère de la Santé doit se joindre activement à cette analyse pour apporter un éclairage sur l’adéquation des soins avec les troubles psychiques de la personne. Cette action est essentielle pour comprendre ce qui a pu se passer et entrevoir les pistes d’amélioration. Un classement des décès par suicide selon leur caractère plus ou moins évitable est à utiliser : 1. Suicide totalement imprévisible. 2. Suicide pour lequel il n’existait aucun moyen raisonnable connu pour contrer les facteurs de risque. 3. Suicide qui aurait pu être prévenu avec un accroissement des mesures déjà entreprises. 4. Suicide potentiellement évitable si des mesures avaient été prises compte tenu du risque. 5. Le suicide aurait facilement été prévenu. Cette analyse est la seule capable de démontrer que les variations du suicide sont attribuables aux efforts conduits. Si la France se dotait d’une institution analogue à celle des coroners, la question se poserait différemment pour les administrations sanitaire et pénitentiaire. Elles disposeraient d’une enquête conduite par un enquêteur (officier public au Québec) extérieur, rôdé à l’exploration de la causalité dans tous les milieux. Ce système qui est utilisé pour l’ensemble des décès accidentels, intentionnels et inattendus qui surviennent dans un pays est essentiel pour améliorer la prévention.

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Le rapport est consultable sur les sites internet : www.sante.gouv.fr www.justice.gouv.fr

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UN CENTRE RÉGIONAL DE RESSOURCES DE PRÉVENTION DES CONDUITES SUICIDAIRES Marie-Hélène Bussac-Garat Coordinatrice du Centre Régional de Prévention des Conduites Suicidaires, 9 quai Jean-Moulin, 69001 Lyon, France

Cette présentation concerne une activité de prévention des conduites suicidaires dans le cadre du CNDT (Centre de Prévention des Conduites à Risque), qui constitue lui-même, l’une des quatre associations de L’Espace Régional de Santé Publique. Les partenaires financiers de cet espace sont la DRASS (Direction Régionale de l’Action Sanitaire et Sociale), la Région Rhône-Alpes, et l’URCAM (Union Régionale des Caisses primaires d’Assurance Maladie). Le Centre Régional de Ressources de Prévention des Conduites Suicidaires a vu le jour avec la mise en place des Programmes Régionaux de Santé publique en 1999 ; j’en assure depuis 2002 la coordination. Il s’inscrit dans une approche de prévention de la souffrance psychique et des effets désorganisateurs qu’elle tend à produire. Nous sommes par conséquent dans une écoute des situations de rupture, d’isolement et des effets des états de crise et cela plus particulièrement chez l’adolescent et le jeune adulte. Le Centre de Prévention des Conduites à Risque confirme ainsi son investissement historique de l’ensemble des conduites à risque de l’adolescent et du jeune adulte. La prévention des conduites suicidaires, dans le cadre de notre association se décline selon trois axes, qui sont : - le Centre documentaire ; - le Point écoute-parent ; - le Centre régional de formation.

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Le fonds documentaire du Centre de Prévention des Conduites à Risque Le Centre de Prévention des Conduites à Risque possédait en propre des supports d’information tels que des ouvrages et des revues spécialisées sur les thématiques : suicide, dépression, deuil. Le développement du centre de ressources et de ses activités a permis de s’orienter vers la recherche d’une documentation plus spécifique tel que le soutien de l’entourage familial, les modalités de prise en charge, la prévention primaire. Nous avons effectué une remise à jour des données épidémiologiques en s’appuyant sur les derniers travaux régionaux et nationaux. À ce jour, nous sommes à la recherche d’outils de prévention spécifiques, même si nous avons déjà acquis un certain nombre des supports vidéo.

Centre de prévention et de soutien aux familles endeuillées Le centre a développé une activité spécifique de postvention, et mis en place des espaces d’écoute et d’entraide de l’entourage familial sous forme d’entretiens individuels et de groupes de paroles. Ce travail a pris appui sur des rencontres régulières avec le milieu associatif et des partenaires telle que l’Éducation Nationale. Une collaboration a vu le jour entre le centre de ressources du CNDT et l’Association Jonathan Pierres Vivantes et a permis d’accueillir dans le cadre de ce travail un certain nombre de familles endeuillées.

Le dispositif Régional de formation La formation des professionnels du champ social est l’un des axes prioritaires de la stratégie nationale en matière de prévention du suicide, notre action s’inscrit dans ce cadre. Nous avons participé avec beaucoup d’intérêt au séminaire de formation des formateurs nationaux en mars 2002 à la Baule, animé par Jean-Louis Terra et Monique Seguin (Canada). Dans la suite de cette action, et en collaboration avec l’ADES de la Drôme, nous mettons en place des formations initiales, selon les orientations du comité de suivi. Cette formation s’adresse à des acteurs directement concernés par les situations de crise suicidaire et agissant dans différentes institutions (PJJ, direction des services pénitentiaires, Éducation Nationale, missions locales).

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Nous nous sommes par ailleurs investis dans le repérage et l’identification des réseaux de prise en charge des adolescents suicidants. Il nous est rapidement apparu nécessaire, de mieux appréhender les pratiques institutionnelles et d’échanger avec les acteurs du soin. Cette exploration n’est pas terminée à ce jour. Ces rencontres ont permis de situer les limites et les difficultés des prises en charge, ainsi que les orientations qu’elles prennent à ce jour. De même, nous avons investi les réseaux associatifs et tenté de cerner leurs rôles dans la prévention de la crise suicidaire. Nous avons pu constater la diversité des initiatives et des interlocuteurs. Leur participation au dispositif de prévention a sans doute le mérite de se situer dans la proximité du sujet en crise. À titre d’exemple, nous rappellerons la place occupée par la téléphonie sociale. Ainsi, l’association « SOS Amitiés » a su alerter les institutions, de leurs préoccupations grandissantes à l’égard des étudiants. L’association reçoit de nombreux appels téléphoniques qui témoignent d’un état de malêtre grandissant. Ce signal d’alarme a permis au Pôle universitaire lyonnais de développer des actions de prévention en faveur de ce public et d’introduire des temps de sensibilisation à la prévention des conduites suicidaires, en partenariat avec le CNDT pour les professionnels de l’Université. Nous avons, dans un autre temps, rencontré le dispositif social, à l’origine des demandes de formation et de ces multiples rencontres et échanges, nous avons défini des orientations, des objectifs et une méthodologie. Il nous est notamment apparu important, que certains acteurs du milieu associatif ou du dispositif sanitaire puissent être présents lors de ces rencontres et témoigner de leur activité et de leur complémentarité. Notre action de formation est aussi une action de mise en réseau. Au cours du temps, nos actions de formation ont permis de prendre en compte la dimension sociale, psychologique, médicale voire religieuse de la conduite suicidaire. Autrefois masquée, discréditée, ignorée ou encore banalisée, cette conduite symptomatique n’a pas toujours été prise en compte. Notre action a sans doute consisté à porter une plus grande attention aux situations de crise, à mieux entendre et mieux accompagner les états de mal-être, à favoriser une mise en parole de l’idéation suicidaire, enfin à encourager les prises en charge psychosociales alors même que l’écoute de la souffrance psychique provoque l’urgence à agir ou l’impuissance.

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Acteurs et chercheurs en suicidologie

Ce travail contribue à créer des réseaux de soutien et de veille sur la prévention. Les premières sessions de formation initiales ont abouti en 2002, sur deux sites à la mise en projet d’actions de prévention ciblées. Les projets s’orientent vers la constitution d’un outil de prévention, en lien étroit avec les intervenants locaux et le public adolescent. Un travail plus spécifique sur l’estime de soi et les facteurs de protection est en cours d’élaboration. Par ailleurs, d’année en année plus nombreuses, les actions que nous menons en milieu scolaire, auprès des élèves des collèges et des lycées sont désormais marquées par notre souci d’être plus attentif aux situations de mal-être, à la prégnance des idées suicidaires. Toujours dans cette même préoccupation, nous sommes intervenus dans des établissements scolaires à la suite d’un décès par suicide. Cette intervention s’est toujours réalisée à la demande de la structure, dans le post immédiat. Nous avons aussi élaboré avec le rectorat d’Annecy, et à leur initiative des cadres d’intervention pour prendre en compte les situations de décès traumatique et les actions de prévention spécifiques en direction des publics adolescents et adultes. En collaboration avec les associations de prévention et les soignants, le CNDT a co-organisé une journée d’étude en 2001 et une séance interactive en direction du grand public en 2002, l’une animée par Xavier Pommereau, l’autre sous la forme d’un café débat réunissant les associations lyonnaises de prévention. Les actions de concertation se poursuivent et aboutiront à la diffusion d’une brochure qui vise à mieux faire connaître les missions respectives des intervenants de l’écoute et de la prévention. Enfin, en dernier lieu, nous évoquerons l’intérêt de se situer dans une instance nationale de prévention du suicide, et notre adhésion à l’UNPS (Union Nationale de Prévention du Suicide, dont le président est Michel Debout). Des rencontres plus spécifiques se déroulent et visent à travailler les points suivants : • une meilleure connaissance des structures régionales, des orientations et des initiatives développées par ces différentes instances ; • la volonté d’approfondir la thématique suicide et violence et de rendre compte des travaux actuels relatifs à cette question ; • la participation à la mise en place d’un site info-suicide par le

220

Françoise Facy, Michel Debout

recensement des structures de prévention (document réalisé pour le département du Rhône).

Conclusion Le Centre de Ressources de Prévention des Conduites Suicidaires a un fonctionnement et des missions qui reposent sur la mobilisation de réseaux, la formation, la documentation et l’information. Il appuie son activité sur l’établissement de liens avec les acteurs du soin et de la prévention des conduites suicidaires et une pratique clinique auprès des adolescents et des parents. L’action de mobilisation a été développée jusque-là sur les départements de l’Ain, du Rhône, de l’Isère, de la Loire et de la Drôme. Elle maintiendra son développement en 2003 sur ces départements pour poursuivre les actions engagées.

221

Acteurs et chercheurs en suicidologie

RECHERCHE-ACTIONS DANS LE TARN TENTATIVES DE SUICIDE CIRCUITS D’INFORMATION Bernard Vilamot1, Françoise Facy2, Jean-Pierre Soubrier3, Marc Passamar1, Michel Debout4, Gérald de la Garoullaye5 1

3

Psychiatre au service des Urgences spécialisées, Fondation Bon Sauveur d’Albi, Centre Hospitalier Pierre-Jamet, Albi 2 Directeur de recherche Inserm (Le Vésinet) Président de la section de suicidologie de l’Association mondiale de Psychiatrie, Expert OMS 4 Professeur de Médecine Légale, Service de médecine légale, Hôpital Bellevue, CHU de Saint-Étienne 5 Laboratoire Lundbeck

Dans le champ de la recherche en suicidologie, les indicateurs de mortalité et morbidité demeurent les plus importants pour apprécier les évolutions des comportements à risque par rapport aux pathologies (Atlas de la santé) et proposer des bases scientifiques pour les actions de prévention, générale ou spécifique. Toutefois les difficultés de construction de ces indicateurs, et d’interprétation sont nombreuses. Le nombre de suicides est difficile à évaluer. Plusieurs raisons expliquent ce facteur : réticences des médecins ou des coroners à déclarer cet acte, attitudes visant à ne pas déclarer les cas litigieux, ou absence d’éléments permettant de rattacher à un suicide certaines morts considérées comme accidentelles. À partir d’une étude pilote sur la prévention du suicide (EPPS : groupe de travail UNPS, Inserm, Laboratoires Lundbeck) menée en 2000 dans la région du Tarn Nord, le circuit des informations est analysé, permettant une estimation plus précise et une meilleure compréhension des interrelations des facteurs conduisant au suicide. Ce recueil de données provenant de 1 178 fiches individuelles répertoriant les suicides et tentatives dans le Tarn Nord (Étude pilote) vise à améliorer la connaissance épidémiologique. Un questionnaire est rempli à partir

222

Françoise Facy, Michel Debout

des données sociodémographiques et des circonstances du décès. Le croisement des informations, obtenues dans le respect de l’anonymat, permet de comparer les informations quantitatives recueillies par chacune des instances, et d’apprécier la fiabilité des statistiques disponibles pour chacune d’entre elles. De plus, il est alors possible de mieux connaître les causes de décès et de savoir quelle est l’incidence de la précarité et des conduites toxicomaniaques sur la mort violente.

Analyse descriptive L’échantillon est analysé en fonction de l’instance qui a fourni les informations puis en distinguant suicides et tentatives. 1 178 fiches sur trois ans ont été reçues. Nom de l’instance

Effectif

Pourcentage

Psychiatre

919

78

Forces de l’ordre

91

7,7

Généralistes et médecin du travail

70

5,9

Médecin légiste

34

2,9

Urgences - réanimation

18

1,5

Sapeurs pompiers

15

1,3

Travailleur social

10

0,8

Maison d’arrêt

7

0,6

Collèges - lycées

6

0,5

Identité manquante

6

0,5

Total

1 178

100

L’ensemble des professionnels du département (Tarn Nord) a participé, avec une dominante des psychiatres pour les tentatives de suicide, des forces de l’ordre, des généralistes et des légistes pour les suicides. Sur les trois années de recueil, l’exhaustivité est restée bonne pour les tentatives de suicides. En revanche, elle a diminué la troisième année pour les suicides (le nombre de suicides répertoriés dans l’enquête est inférieur de 15 % à celui répertorié par l’Inserm dans les certificats de décès). Cette troisième année pour les suicides ne sera

223

Acteurs et chercheurs en suicidologie

donc pas incluse dans l’analyse, montrant une certaine perte de motivation des participants à l’étude. Nombre de cas du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2000. Sexe

Suicide

TS

Total

Hommes

Femmes

24

11

35

%

68,6

31,4

100

Effectif

109

196

305

%

35,7

64,3

100

Effectif

Taux de janvier 2000 à décembre 2000 pour 100 000 habitants (bassin de l’enquête Tarn Nord). Suicides TS

Hommes

Femmes

Total

30

12,9

21,2

136,2

229,4

184,4

Nous observons 21 % de sous déclaration du suicide en référence aux certificats de décès en croisant les informations sur les « morts violentes » du Parquet, les certificats de décès adressés à la DDASS (Direction Départementale de l’Action Sanitaire et Sociale) et l’enquête EPPS (Étude Pilote de Prévention du Suicide). L’examen au cas par cas des sujets qui ne sont pas enregistrés comme suicidés au niveau du certificat de décès montre que cette sousdéclaration n’est pas liée : - à la non-déclaration sur le certificat de décès de la mention « suicide » pour des raisons évoquées dans d’autres publications comme en lien avec la religion, ou la crainte de l’information de l’assurance... ; - à la non-cotation de cette mention par le légiste ; - à l’absence d’appel du légiste par les forces de l’ordre confrontées à une mort violente. En revanche, cette sous-déclaration est liée : - à la non-inscription sur le certificat de décès de la mention « suicide », pour les sujets admis dans un centre hospitalier et dont la durée de séjour a été de plusieurs semaines avant leur décès des suites de l’acte suicidaire ;

224

Françoise Facy, Michel Debout

- au défaut d’adressage du certificat médical anonyme et cacheté (bulletin 7) aux DDASS respectives, comme le prévoient les textes de lois. Pour remédier à cet état de fait, il est proposé et mis en œuvre fin 2003, un adressage des bulletins 7 directement à l’Inserm, par le biais des hôpitaux, ainsi que des données sociodémographiques anonymes. Les arguments en faveur de cette méthode sont : les données sociodémographiques codées par l’INSEE (Bulletin 7 bis) et les données sur les causes du décès codées par l’Inserm (bulletin 7) sont fusionnées en un seul fichier contenant les données sociodémographiques non nominatives et les causes médicales de décès. C’est ce fichier définitif qui est utilisé pour produire les statistiques de mortalité. Une transmission directe devrait accélérer le recueil de l’information, mais pas pour tous les décédés. Pour les suicides, la complexité du circuit d’informations et l’absence du contrôle de la DDASS, constituent des freins à la réactivité à la veille sanitaire avec l’utilisation de l’indicateur de décès.

Âge Par rapport au bassin de l’étude.

Pour les hommes La surreprésentation masculine des suicidés par rapport à la population générale est importante dans les âges compris entre 20 et 44 ans. Le taux augmente à nouveau à partir de 80 ans.

Pour les femmes Nous ne retrouvons pas l’augmentation dans les âges élevés constatée chez les hommes, le taux reste stable dans toutes les tranches d’âge ; c’est conforme à la littérature (M. Debout). La moyenne est de 52,8 ans (avec une amplitude de 20 ans), sans différence entre hommes et femmes.

225

Acteurs et chercheurs en suicidologie

Suicide, tentatives de suicide et genres Sexe Homme

Femme

Total

Suicide

TS

Total

Effectif

48

198

246

% dans suicide

66,7

34,3

37,9

Effectif

24

379

403

% dans suicide

33,3

65,7

62,1

Effectif

72

577

649

% dans suicide

100

100

100

Comme dans d’autres études, nous retrouvons cette répartition 1/3-2/3 inverse pour les suicides et tentatives de suicide entre hommes et femmes (conférence de consensus). L’hypothèse d’influence d’une organisation sociale, donnant des rôles asymétriques de masculinité et féminité par rapport au tissu familial, comme en attestent les suicides plus fréquents chez les femmes en Chine, est souvent avancée (P. Bourdieu).

Rural et urbain Zone de résidence (zone). Zone

Fréquence

Pourcentage

Rurale

26

35

Urbaine

48

65

Total

74

100

1 = Urbaine (plus de 1 000 habitants). 2 = Rurale.

Population générale. Tarn Nord Rurale Urbaine

226

Effectif

Pourcentage

42 010

25,4

123 353

74,6

Françoise Facy, Michel Debout

Ici, la valeur de coupure est 1 000 habitants. La comparaison des effectifs montre que la différence est significative. Le risque relatif est à 1,6 et on pourrait dire que le risque de se tuer est presque deux fois plus élevé en milieu rural qu’en milieu urbain. Ceci est conforme à la littérature (C. Branas, M. Debout). Nous ne retrouvons pas de différence significative dans la comparaison des zones rurales/urbaines au niveau du genre, de l’âge et des moyens létaux utilisés.

En cas de mort violente, la conclusion en terme de suicide est une interprétation Pour les 73 suicidés de l’année 1 et 2 (avril 1999 à mars 2000 et avril 2000 à mars 2001), l’examen du motif de l’alerte par le tiers appelant met en évidence que dans un tiers des cas (32 %), la cause du décès résultera d’une interprétation. Ce taux de 1/3 renvoie très vraisemblablement au taux réel de sous déclaration possible. Le recours systématique au légiste, tel qu’il est pratiqué dans le département du Tarn, serait une bonne solution car il affirmera le suicide tel que dans l’échantillon ci-dessous. Motif de l’alerte

Fréquence

Pourcentage

Suicide

45

60,8

Tentative de suicide

4

5,5

Accident

4

5,5

Mort suspecte

2

4,1

Cause indéterminée

5

6,8

Autre

12

16,4

Total

72

100

Un accident de voiture est repéré comme un suicide (projection contre un camion, fracture des poignets).

Les suicides sont des morts évitables Des diagnostics sont associés à la classification des suicides.

227

Acteurs et chercheurs en suicidologie

Diagnostic CIM-10. Fréquence

Pourcentage

Valeur manquante

32

44,4

Alcool

3

4,3

Anxiété

3

4,2

Démence

1

1,4

Autres troubles psy

1

1,4

Dépression névrotique (F43)

2

2,8

Trouble de l’humeur

31

43

Paranoïa

1

1,4

Schizophrénie

4

5,5

Total diagnostics

79

Total patients

72

100

NB : il peut y avoir plusieurs diagnostics pour un même patient.

56 % des suicidés ont un diagnostic psychiatrique (Inserm) ; cela est conforme à la bibliographie (M. Debout). Ceci ne signifie pas que 43 % n’ont pas de diagnostic, l’information est manquante. Malgré l’absence de diagnostic connu, ils prennent des psychotropes dans 74 % des cas, cela est conforme à la bibliographie (M. Debout). Un trouble de l’humeur, affecte au moins 43 % des suicidés, parmi lesquels : - 17 % ne prennent aucun traitement, - 8 % prennent un traitement antidépresseur, - 6 % prennent un thymorégulateur (associé ou non à d’autres psychotropes). Si la prescription d’un traitement antidépresseur avec consultation mensuelle apparaît comme une négligence professionnelle, l’absence de prescription l’est tout autant. Seuls 14 % des déprimés sont traités correctement, ou encore se laissent traiter correctement. Les patients qui présentent un trouble de l’humeur vont généralement bien au décours d’une hospitalisation, qu’elle soit ou non sous contrainte. Si ces sujets qui se sont suicidés avaient été auparavant hospitalisés, éventuellement sous contrainte, leur sort aurait été probablement différent.

228

Françoise Facy, Michel Debout

Nous remarquons que pour quatre schizophrènes suicidés en 2 ans, tous prenaient des neuroleptiques dits antipsychotiques. Une impression clinique nous donne le sentiment que la fréquence des idées de suicide est importante, depuis l’introduction des antipsychotiques. Tout se passe comme si le médicament diminuait tellement la conviction et l’adhésion délirante (du moins pour certains), qu’il laissait le patient confronté au vécu d’une maladie grave et incurable. Cette hypothèse reste à vérifier.

La récidive de la tentative de suicide 33 % des suicides, au moins (item sans réponse dans 25 % des cas) ont déjà fait une tentative de suicide. Pour la moitié d’entre eux, ce sont des multirécidivistes.

Anomie Les travaux des sociologues (J. Baecheler, M. Debout, E. Durkheim) ont mis en avant ce concept, dont les éléments principaux sont socio-démographiques.

Statut familial Statut familial

Homme

Femme

Total

Célibataire

17 34,7 %

2 9,1 %

19 26,8 %

Marié

13 26,5 %

8 36,4 %

21 29,6 %

Divorcé

12 24 %

6 27,3 %

18 23,9 %

En couple

2 4,1 %

1 4,5 %

3 4,2 %

Veuf

6 12,2 %

5 22,7 %

11 15,5 %

Total

50 100 %

22 100 %

72 100 %

Il y a davantage d’hommes célibataires ou divorcés chez les suicidants. Est-ce la solitude qui favorise le suicide, ou la solitude est-elle une variable de confusion, dans laquelle, la problématique personnelle de

229

Acteurs et chercheurs en suicidologie

l’individu et son incapacité chronique à vivre en couple, tiennent une place importante ? Nous verrons plus loin que des événements dramatiques dans l’histoire d’enfance génèrent des difficultés à l’âge adulte, en particulier des difficultés affectives. Cependant, le geste lui-même génère aussi des difficultés affectives pour un nombre réduit de cas. En effet, l’examen des paires discordantes apporte un autre élément. Les paires discordantes résultent du changement de statut familial entre le premier et le dernier passage à l’acte suicidaire : quand il y a une récidive (n = 172) au cours de la durée de l’étude, un changement se fait dans trois quart des cas vers la disparition de la vie en couple initiale (mariage versus divorce ; vie maritale versus vie célibataire).

Soutien familial Soutien familial

Effectif

Pourcentage

Pas de soutien

20

27,8

Soutien

47

65,3

Sans réponse

5

6,9

Total

72

100

Il existe un soutien familial ou un entourage proche dans 2/3 des cas. Cet item ne plaide pas en faveur de la solitude existentielle. Il n’y a pas de différence significative entre les hommes et les femmes.

Nombre d’enfants Davantage d’hommes sont sans enfant (P < 10-3, N = 72) : 34 % des hommes suicidés n’ont pas d’enfant contre 14 % des femmes. Il n’y pas de lien statistique entre le statut matrimonial et l’absence d’enfant.

Mode de logement On note le taux important de SDF (7 %) et de personnes vivant en institution (10 %), essentiellement des hommes. En ce qui concerne les SDF, nous savons que les schizophrènes ont un risque accru d’être dans la rue, du fait des politiques de santé mentale successives. Le plan de santé mentale (2005) reflète le constat des professionnels. La maison de retraite n’est pas un « bon lieu » pour les hommes. Nous avons vu que la prévalence masculine des suicides était liée à la représentation sociale du masculin et du féminin et non à une spécificité

230

Françoise Facy, Michel Debout

de genre. La fin de vie dans laquelle l’homme « ne sert plus à rien » est pourvoyeuse de suicide, ce d’autant que ce sont des sujets nés vers 1920-1930. La DREES (Direction de la Recherche et des Études du ministère de la Santé) avait noté un effet période pour les suicides après les grands événements sociétaux (guerres, crises...) et une surmortalité dans les générations qui avaient connu ces crises. Cette surmortalité dans les maisons de retraites n’est peut-être liée qu’à cet effet période et non à la maison de retraite elle-même. Quoi qu’il en soit, les crises économiques ont peut-être eu un impact sur les générations précédentes, elles n’en auront probablement plus sur les générations actives actuelles, car nous ne retrouvons pas « d’effet chômage » chez les suicidés. En comparaison avec le Tarn, il n’y a pas de surreprésentation des chômeurs chez les suicidés. Tout aussi intéressant, il n’y a pas de différence significative entre la population active du Tarn par sexe et la population active des suicidés par sexe. Le travail n’est pas une variable discriminante pour les suicides. La relation chômage et suicide, mise en évidence il y a une quinzaine d’années est relativisée. La précarité régulière de l’emploi a rendu peut être les individus moins vulnérables face à cet aléa de la vie professionnelle partagé par beaucoup. Ici aussi, l’examen des paires discordantes montre que le geste lui-même a des répercussions importantes sur la vie professionnelle, et le changement se fait vers un arrêt de travail de plusieurs mois, ou bien une perte totale de l’emploi (chômage). Le degré d’anomie est donc important, mais uniquement pour un sous-groupe de suicidés. La problématique est très différente en fonction de l’âge du sujet. Le nombre réduit de sujets limite la puissance du test statistique.

231

Acteurs et chercheurs en suicidologie

L’accès aux moyens létaux

Intoxication

Accident*

Armes à feu

Noyade

Immolation gaz

Pendaison

Autres

Total

Hommes

Femmes

Total

9

6

15

18,8 %

25,0 %

20,8 %

6

5

11

12,5 %

20,8 %

15,3 %

8

3

11

16,7 %

12,5 %

15,3 %

3

7

10

6,3 %

29,2 %

13,9 %

1

1

2

2,1 %

4,2 %

2,8 %

20

1

21

41,7 %

4,2 %

29,2 %

1

1

2

2,1 %

4,2 %

2,8 %

48

24

72

100,0 %

100,0 %

100,0 %

* Collisions, chutes, disparitions.

La réduction de l’accès aux moyens létaux est certainement le moyen de prévention le plus efficace (suivant les recommandations de l’OMS). Il concernerait au maximum 15 % des suicides en ce qui concerne les armes à feu (Circulaire DGS/SD 6 C no 2001-318 du 5 juillet 2001 relative à la Stratégie nationale d’actions face au suicide 2000-2005). Les psychotropes utilisés sont identiques entre les suicides et les tentatives de suicide (benzodiazépines et hypnotiques), les modalités de leur restriction d’accès sont difficiles à envisager, si ce n’est par la délivrance du nombre de comprimés nécessaires à la place du volume fixe d’une boîte.

232

f:\2000\image\88566\vilamot\1

Françoise Facy, Michel Debout

Les moyens par pendaisons et armes à feu (objets phalliques) sont l’apanage des hommes, la noyade celui des femmes. Il n’y a pas de différence au niveau des moyens utilisés en fonction de l’habitation urbaine ou rurale. La prévention différenciée à partir des notions de masculinité et féminité aurait un impact bien plus important autant sur l’auto-agressivité que sur l’hétéro-agressivité. Nous avons vu avec le récent rapport de Marie Julien (Institut de Santé Publique du Québec), l’inadéquation de la prévention lorsque des thèmes ciblés sont abordés en population générale (tentative de suicide, toxicomanie...). L’effet produit est l’inverse du résultat attendu dans la mesure où est observée une aggravation quand des études contrôles ont pu être mises en place. L’OMS propose un schéma de prévention très intéressant, encore faut-il ne pas se tromper de niveau d’intervention sur les thèmes de prévention. Nous rappelons ce modèle écologique (extrait du Rapport mondial sur la violence et la santé).

Pour l’OMS La violence figure parmi les principales causes de décès pour les personnes de 15 à 44 ans. Nous remarquerons que les morts par suicides (13e cause mondiale de décès) sont plus fréquentes que les morts par

233

Acteurs et chercheurs en suicidologie

conflits armés (810 000 suicides en 2000, 849 000 en 2001 [OMS, 2003], contre 365 000 morts dans les conflits armés dans le monde en 2000). Le suicide ne sera déclaré officiellement « priorité absolue » par l’OMS qu’en 2000. L’une des raisons pour laquelle la violence a été longtemps oubliée en tant que problème de santé publique est l’absence de définition claire du phénomène. La définition de la violence selon l’OMS est : « l’usage délibéré ou la menace d’usage délibéré de la force physique ou de la puissance contre soi-même, contre une autre personne, contre un groupe ou une communauté, ce qui entraîne ou risque fort d’entraîner un traumatisme, un décès, un dommage moral, un mauvais développement ou une carence ». À chaque niveau (individu, relations, communauté, société), le modèle détermine des facteurs intervenant dans la violence et l’action contre ces facteurs définit alors les modes de prévention. Au niveau de l’individu, le modèle envisage les facteurs biologiques, les antécédents personnels qui augmentent la probabilité que l’individu agisse avec violence ou en soit victime. Parmi les exemples de facteurs qui peuvent être mesurés figurent les caractéristiques démographiques (âge, sexe, niveau d’éducation, revenus...), des troubles psychologiques ou des troubles de la personnalité, la toxicomanie, les antécédents de comportements agressifs ou de maltraitance subie. Au niveau des relations, le modèle envisage comment les relations avec la famille, les amis, les partenaires et les pairs influencent les comportements violents en tenant compte des facteurs comme les châtiments corporels infligés aux enfants, le manque d’affection, les dysfonctionnements familiaux, la fréquentation de camarades délinquants, les conflits avec le conjoint ou les parents. Le troisième niveau, celui de la communauté dans laquelle s’insèrent les relations sociales (par exemple école, lieu de travail ou quartier), s’efforce de repérer les caractéristiques qui accroissent le risque de violence (par exemple la pauvreté, la densité de population, le changement fréquent de domicile, le capital social limité, l’existence d’un trafic de drogue local, l’absence de moyens de transports). Le quatrième niveau examine les facteurs de société plus larges comme les normes sociales qui créent un climat favorable ou défavorable à la violence. On tient également compte des politiques sanitaires, économiques, éducatives et sociales qui font perdurer les inégalités économiques et sociales entre les groupes sociaux.

234

Françoise Facy, Michel Debout

Nous pouvons ajouter que si cette évaluation est très pertinente et cible les actions de prévention, encore ne faut-il pas confondre les facteurs et leurs niveaux. Ainsi, la tentative de suicide correspond au niveau de l’individu et la prévention doit privilégier les facteurs personnels. Le travail sur les normes ou les règles, dans la mesure où elles se transmettent d’un niveau à l’autre, peuvent représenter les bases de la prévention à chaque niveau. - Au niveau individuel, il convient de travailler sur les sujets à risque. - Au niveau des relations, c’est la place des prises en charge de groupes homogènes (conjoints violents, famille) et les modalités de transmission des valeurs. - Au niveau de la communauté, c’est travailler sur les représentations issues du milieu familial transposées dans le cercle social (masculinité par exemple), ce qui est « normal ou pas normal », sans référence à un diagnostic, ce qui est légal ou non...). Le risque de travailler sur des facteurs qui n’appartiennent pas au niveau est d’aggraver l’état des sujets « récepteurs », Marie Julien a bien montré ce processus dans l’évaluation des actions de prévention en milieu scolaire.

Exemple d’étude partielle et limites de la prévention dans un contexte local À partir de l’étude menée dans le Tarn, plusieurs analyses sont menées sur des sous-groupes. Parmi les préoccupations des psychiatres, les traumatismes consécutifs aux incestes sont recherchés. Les antécédents d’inceste chez les suicidants ont pu être renseignés dans un certain nombre de cas et donnent lieu à une analyse pour les jeunes, en particulier. Le taux d’inceste chez les suicidants, tous âges confondus est de 22 %. Il est déjà bien supérieur à celui qui est évalué en population générale ou ciblée, autour de 6 % (M. Choquet, Haut comité de santé publique, J.Y. Hayez).

235

Acteurs et chercheurs en suicidologie

Tableau croisé INCESTE/ÂGE. Âge

INCESTE

Non

Oui

f:\2000\image\88566\vilamot\2

Inconnu Total

0 à 24

25 à 44

45 à 64

65 et +

Total

Effectif

89

163

90

31

373

%

39,7

43,0

51,7

60,8

45,0

Effectif

73

77

27

5

182

%

32,6

20,3

15,5

9,8

22,0

Effectif

62

139

57

15

273

%

27,7

36,7

32,8

29,4

33,0

Effectif

224

379

174

51

828

%

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

Graphique croisé INCESTE/ÂGE (statistique : % dans TRANCHE).

Le taux d’inceste diminue avec l’âge. Le taux de non réponse ne varie pas. Le taux de réponses négatives reste stable. L’interrogation de cette variable était systématique. La réponse « inconnue » correspond au non interrogatoire ou à la non réponse par

236

Françoise Facy, Michel Debout

le sujet. En effet, certains cotateurs ont « oublié » d’interroger cette variable, ce qui renvoie aux difficultés multiples d’aborder ces problématiques dans les entretiens cliniques, voire même dans les autopsies psychologiques (Inserm, B. Charlot).

Antécédents d’alcoolisme et inceste Tableau croisé INCESTE/ANTEALCO. Antécédents alcooliques

INCESTE

Non

Oui

Inconnu

Total

Total

Non

Oui

Réponse manquante

Effectif

291

71

11

373

% dans INCESTE

78

19

2,9

100,0

% dans ANTEALCO

59,1

36,8

7,7

45

Effectif

97

63

22

182

% dans INCESTE

53,3

34,6

12,1

100,0

% dans ANTEALCO

19,7

32,6

15,4

22

Effectif

104

59

110

273

% dans INCESTE

38,1

21,6

40,3

100,0

% dans ANTEALCO

21,1

30,6

76,9

33

Effectif

492

193

143

828

% dans INCESTE

59,4

23,3

17,3

100,0

% dans ANTEALCO

100,0

100,0

100,0

100,0

Significatif à 10-3.

Plus d’antécédents d’alcoolisme sont notés chez les victimes d’incestes (39 % contre 20 %). Cependant, les conduites d’alcoolisation ne sont plus discriminantes, lorsque le sujet vieillit, puisque le groupe de victimes d’inceste ne se distingue plus du groupe non victime vis-à-vis des comportements actuels au moment de l’enquête, pour l’alcool. C’est donc dans leur histoire qu’ils ont eu une plus grande tendance à utiliser l’alcool. Nous vérifions cela avec l’utilisation régulière de l’alcool en fonction de l’âge (facteur de risque alcool). Ce

237

Acteurs et chercheurs en suicidologie

facteur de risque prédomine chez le sujet jeune victime d’inceste (40 %) puis n’est plus discriminant ensuite après 24 ans. L’alcool tel que défini comme facteur de risque (égal à plus de 4 verres de vin par jour ou équivalent) est fréquemment associé (40 %) à des antécédents d’incestes chez le sujet de moins de 24 ans. Il est très supérieur à celui observé en population générale, autour de 6 % (OFDT, 2002). Après le cas d’incestes, nous remarquons que l’alcool (antécédents et problématique actuelle) est le deuxième facteur précipitant un acte suicidaire (27 % de l’échantillon total des suicidants, n = 828).

Antécédents de toxicomanie et inceste Comme dans d’autres études, cet échantillon montre un petit nombre de toxicomanes chez les suicidants (10 %). Tableau croisé INCESTE/ANTETOXI. Antécédents de toxicomanie

INCESTE

Non

Oui

Inconnu

Total

Significatif à 10-3.

238

Total

Non

Oui

Réponse manquante

Effectif

342

18

13

373

% dans INCESTE

91,7

4,8

3,5

100,0

% dans ANTETOXI

55,2

28,1

9,0

45,0

Effectif

135

29

18

182

% dans INCESTE

74,2

15,9

9,9

100,0

% dans ANTETOXI

21,8

45,3

12,5

22,0

Effectif

143

17

113

273

% dans INCESTE

52,4

6,2

41,4

100,0

% dans ANTETOXI

23,1

26,6

78,5

33,0

Effectif

620

64

144

828

% dans INCESTE

74,9

7,7

17,4

100,0

% dans ANTETOXI

100,0

100,0

100,0

100,0

Françoise Facy, Michel Debout

Il y a plus d’antécédents de toxicomanie chez les victimes d’incestes (16 % contre 5 %), ils représentent 45 % des sujets affectés par une toxicomanie dans le groupe suicidant. Nous notons par ailleurs que le taux de toxicomanes (antécédents et problématique actuelle) dans l’échantillon de suicidants (n = 828) reste faible (7 %) (M. Choquet, Haut Comité de la Santé Publique).

Antécédents de TS et inceste Tableau croisé INCESTE/ANTETS. Antécédents de tentatives de suicide

INCESTE

Non

Oui

Inconnu

Total

Total

Non

Oui

Réponse manquante

Effectif

255

115

3

373

% dans INCESTE

68,0

30,8

0,8

100,0

% dans ANTETS

54,3

37,2

6,1

45,0

Effectif

74

99

9

182

% dans INCESTE

40,7

54,4

4,9

100,0

% dans ANTETS

15,7

32,0

18,4

22,0

Effectif

141

95

37

273

% dans INCESTE

51,6

34,8

13,6

100,0

% dans ANTETS

30,0

30,7

75,5

33,0

Effectif

470

309

49

828

% dans INCESTE

56,8

37,3

5,9

100,0

% dans ANTETS

100,0

100,0

100,0

100,0

Significatif à 10-3.

Les antécédents de TS existent dans 2/3 des cas pour les victimes d’inceste, contre 1/3 des cas pour les non victimes. La gravité des gestes suicidaires est manifeste avec leur répétition (3 fois plus de récidive).

239

Acteurs et chercheurs en suicidologie

Famille Il n’y a pas de différence au niveau de la situation familiale, le statut professionnel ou le fait d’avoir ou non des enfants. Ils ne sont pas plus anomiques que les autres. Les variables sociales ne sont pas des variables validées pour évaluer une résilience. L’explication se trouve dans leurs capacités de sur-adaptation, le plus souvent au prix d’une dépense d’énergie coûteuse ou de mécanismes de défenses rigidifiés. Ceci explique également que les sujets sont « résilients » jusqu’au moment où ils ne le sont plus. L’expérience montre que c’est en général l’accumulation d’événements de vie stressants qui fragilisent progressivement et un facteur précipitant, souvent de type affectif, déclenche le passage à l’acte. Seules les variables psychiatriques sont pertinentes pour évaluer la résilience, en particulier le syndrome psychotraumatique (L. Crocq). Les modifications dans la personnalité sont perceptibles par un tiers proche, le syndrome de répétition et de reviviscence n’est accessible que par l’interrogatoire d’un professionnel formé à cette évaluation et à l’interrogatoire médico-légal (B. Vilamot, S. Ceci, H. Van Gijseghen).

Genre Tableau croisé INCESTE/SEXE. Sexe

INCESTE

Non

Oui

Inconnu

Total

240

Total

Homme

Femme

Effectif

137

228

365

% dans INCESTE

37,5

62,5

100,0

% dans SEXE

47,9

41,8

43,9

Effectif

47

138

185

% dans INCESTE

25,4

74,6

100,0

% dans SEXE

16,4

25,3

22,3

Effectif

102

179

281

% dans INCESTE

36,3

63,7

100,0

% dans SEXE

35,7

32,8

33,8

Effectif

286

545

831

% dans INCESTE

34,4

65,6

100,0

% dans SEXE

100,0

100,0

100,0

Françoise Facy, Michel Debout

Il n’y a pas de différence significative pour les suicidants en fonction du genre chez les victimes d’inceste mais ces données sont très limitées et d’autres recherches seraient importantes à mener pour évaluer l’impact de l’inceste et du type de violence associé suivant le genre, vers les risques suicidaires, les risques de délinquances, les risques de prostitutions.

Soutien familial Tableau croisé INCESTE/SOUTIEN. Soutien familial

INCESTE

Non

Oui

Réponse manquante

Total

Total

Non

Oui

Réponse manquante

Effectif

104

255

14

373

% dans INCESTE

27,9

68,4

3,8

100,0

Effectif

81

98

3

182

% dans INCESTE

44,5

53,8

1,6

100,0

Effectif

56

195

22

273

% dans INCESTE

20,5

71,4

8,1

100,0

Effectif

241

548

39

828

% dans INCESTE

29,1

66,2

4,7

100,0

Significatif à 10-3.

Il n’y a pas de soutien familial pour les victimes d’inceste dans 42 % des cas, contre 27 %. L’appui sur l’entourage du suicidant victime d’inceste est rarement possible. En pratique, l’hospitalisation est à recommander. Malgré les analyses étayant l’importance d’antécédents d’inceste chez les personnes effectuant des tentatives de suicide, il n’y a pas eu de suites à cette démarche pour mettre en œuvre un plan d’actions coordonnées entre les secteurs de protection de l’enfance, de psychiatrie et de prévention du suicide. Même si les politiques publiques s’appuient actuellement plus souvent sur l’argumentation scientifique, on assiste localement à des freins et des retards dans l’application des

241

Acteurs et chercheurs en suicidologie

mesures. Les difficultés de rapprochements des institutions sont importantes, même si la sensibilisation est forte pour le signalement de la maltraitance au niveau national. Dans le Tarn, les acteurs de terrains se sont fortement mobilisés au niveau du département (justice, force de l’ordre, direction de la solidarité, médecins hospitaliers), pour aboutir à un protocole d’intervention départemental dans la prise en charge des mineurs victimes d’agressions sexuelles. Les résultats de l’enquête EPPS ont facilité la mobilisation des urgentistes (somaticiens et psychiatres). Cependant, si le rapprochement des institutions a bien eu lieu au niveau départemental, il n’a pas été relayé au niveau de l’état. Les formations pluridisciplinaires nécessitent des cofinancements simultanés et le découpage administratif des instances publiques ne favorise pas la cohérence des actions.

Conclusion Les taux de mortalité et morbidité demeurent les indicateurs les plus importants pour apprécier les évolutions de comportement à risque et proposer des actions de prévention, leurs limites restent toutefois liées à la complexité des dimensions qui les composent. L’Étude Pilote sur la Prévention du Suicide (étude EPPS) réalisée sur le Tarn Nord de 1999 à 2001, a permis en particulier, de mieux préciser les circuits de l’information. L’ensemble des professionnels du département (secteur social, judiciaire, scolaire, services de secours et de la santé) ont participé au recueil de données. Certains professionnels se sont davantage impliqués : les psychiatres pour les tentatives de suicide, les forces de l’ordre et le médecin légiste pour les suicides. En cohérence avec d’autres études locales, l’étude du Tarn montre un taux de sous-déclaration des suicides de 21 %. La cause essentielle de cette sous-déclaration est d’ordre administrative et se trouve dans le défaut d’adressage aux Directions Départementales de l’Action Sanitaire et Sociale (DDASS) respectives. La deuxième cause de sousdéclaration porte sur l’absence de notification de la notion de suicide (bulletin 7) pour les patients décédés de leur geste suicidaire, au décours d’une hospitalisation prolongée. Les nouvelles mesures adoptées avec l’implication nécessaire des services de médecine légale devraient améliorer le registre des causes de décès.

242

Françoise Facy, Michel Debout

Face à une mort suspecte, l’appel systématique du légiste devrait être pratiqué, à l’image de ce qui est réalisé dans le Tarn. En effet, la qualification de suicide face à une mort violente résulte, la plupart du temps, d’une interprétation, et la compétence requise pour cette évaluation relève du secteur médicolégal. Dans l’étude des facteurs de risque, certaines variables socio-démographiques sont plus souvent associées aux gestes suicidaires. Les hypothèses sociologiques de E. Durkeim sont ici vérifiées en ce qui concerne l’anomie et incitent une fois encore à apporter le nécessaire éclairage au niveau des comportements à risques, des spécialités autres que médicales. L’origine rurale des sujets augmente le risque de suicide, et les organismes mutualistes sont renforcés dans leur engagement de soutien à des actions de prévention. La réduction de l’accès aux moyens létaux impliqués dans la sur-létalité rurale en est un exemple à promouvoir. Le schéma de prévention de la violence de l’OMS ouvre un vaste champ d’opération vis-à-vis de campagnes de prévention pragmatiques, en direction de groupes bien définis. Les difficultés de transfert des connaissances vers les professionnels et d’application des connaissances dans les programmes de prévention sont actuellement mieux connues et limitent l’impact : • d’une bonne connaissance scientifique (exemple du taux très élevé d’inceste chez les sujets qui réalisent des tentatives de suicide) ; • d’une bonne volonté manifeste et active de tous les acteurs de terrain (secteur social, judiciaire, scolaire, associatif et santé). La structuration des moyens à mettre en œuvre et la coordination des acteurs sont indispensables, pour répondre à des besoins de prévention globale, et d’éducation pour la santé.

243

Acteurs et chercheurs en suicidologie

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244

Françoise Facy, Michel Debout

16.

17.

18.

19. 20. 21.

22.

autopsie psychologique, outil de recherche en prévention. Expertise collective Inserm. Paris : Inserm, 2005 : 200 p. Julien M, Laverdure J. Avis scientifique sur la prévention du suicide chez le jeune. Institut National de Santé Publique du Québec, 2004 : 46 p. Direction Générale de la Santé. Ministère de la santé. Circulaire DGS/SD 6 C no 2001-318 du 5 juillet 2001 relative à la Stratégie nationale d’actions face au suicide 2000-2005. Bulletin Officiel 2001 ; no 2001 : 32. Observatoire français des drogues et toxicomanies. Drogues et dépendances : indicateurs et tendances 2002. Paris : OFDT, 2002 : 368 p. Salem G, Rican S, Jougla E. Atlas de la santé en France. Volume 1. Les causes de décès. Paris : John Libbey Eurotext, 1999 : 190 p. Van Gijseghem H. L’enfant mis à nu. Montréal : Éditions du Méridien, 1992 : 286 p. Vilamot B, Facy F, Debout M, De La Garoulaye G, Soubrier JP. Étude pilote pour la prévention du suicide en pays albigeois. 7e Salon international de psychiatrie et système nerveux central, Paris, 23-27 novembre 1999. Vilamot B, Breton JM. L’audition du mineur victime d’abus sexuel. Paris : Centre International de Sciences Criminelles et Pénales, mars 2004.

245

Acteurs et chercheurs en suicidologie

RECHERCHE-ACTION DANS LES TRANSPORTS PUBLICS : DE L’USAGE DES INFORMATIONS À LA MISE EN PLACE D’ACTIONS Muriel Sohier1, Bernard Guingant2, Daniel Sutton3, Françoise Facy4, René Padieu5, Philippe Carette6, Jean-Yves Bonnefond7, Émilie Kothe8, Éliane Malis8 1

Service attention aux voyageurs, RATP Mission Sécurité ferroviaire, Département RER 3 Secrétaire général de l’UNPS 4 Directeur de recherche à l’INSERM 5 Inspecteur général de l’INSEE Directeur du Centre Thérapeutique Spécialisé, Unité intersectorielle d’Île-de-France 7 Ingénieur Conseil en Organisation 8 Étudiantes à Paris IX Dauphine 2

6

Le partenariat entre l’UNPS et la RATP en 2001-2002 avait montré les difficultés pour mettre en place une prévention adaptée et efficace. Il a donc été décidé de poursuivre les études afin d’approfondir les analyses de besoins et les moyens de réponses, notamment en terme de formation des personnels. Les statistiques de la RATP sont comparées aux statistiques de mortalité de la région d’Île-de-France et au niveau national ; les circuits d’information de la RATP relatifs aux suicides et aux tentatives de suicide de voyageurs sont analysés afin d’en proposer une amélioration ; et enfin la faisabilité d’ajouter un complément à la formation des agents en contact avec le public, avec l’aide des formateurs RATP est analysée.

246

Françoise Facy, Michel Debout

Analyse comparative des statistiques nationales et régionales sur le suicide avec celles de la RATP La comparaison des statistiques des décès par suicide est faite grâce au registre des causes de décès de l’INSERM et aux données de l’Observatoire Régional de Santé d’Île-de-France. Pour ce qui est des tentatives de suicide (TS), il n’existe pas de base de données au niveau de l’Île-de-France ; une étude faite de 1999 à 2001 dans le département du Tarn est utilisée à titre de comparaison. Cette première étape montre que : - la population des voyageurs du Métro et du RER n’est pas représentative de la population francilienne ; - la part des suicides dans l’ensemble des suicides et tentatives de suicide est plus importante à la RATP (38 % dans le RER, 20 % dans le métro) qu’au niveau régional (16 %) ; - l’évolution des décès par suicide à la RATP diffère de celles qui apparaissent au niveau national et francilien ; - la proportion des hommes suicidés est moins importante à la RATP (60 %) qu’en Île-de-France et en France entière (74 %) ; - parmi les tentatives de suicide, les hommes sont plus nombreux (56 %) que les femmes à la RATP contrairement aux statistiques sur la France entière (25 %). Ces résultats peuvent s’expliquer car il s’agit d’un mode de suicide violent. Ces comparaisons permettent d’élaborer des estimations des conduites suicidaires prévisibles pour une population comparable aux usagers de la RATP (par sexe et âge, d’après les panels du service commercial). Il en résulte que le nombre de décès par suicide dans le domaine de la RATP pourrait être de 331 sur 10 ans, alors qu’il n’est que de 251 et que le nombre de tentatives de suicide pourrait être de plus de 3 000 alors qu’il n’est que de 550 recensés. Plusieurs facteurs pourraient expliquer ces résultats : - Le panel des voyageurs utilisé pour les comparaisons n’est pas représentatif de la population francilienne, même corrigé pour prendre en compte la composition par âge et par sexe, et les corrections par CSP ne sont pas possibles. De plus, la représentativité n’est probablement pas réalisé par rapport aux personnes qui tentent de se suicider dans le domaine de la RATP et qui ne sont pas toutes des voyageurs. Les personnes fragiles, éventuellement suicidaires, ne figurent

247

Acteurs et chercheurs en suicidologie

probablement pas dans le panel des clients d’un jour ouvrable qui font majoritairement des trajets domicile-travail. - La sous-estimation des tentatives de suicide, supposée de 20 %, n’est pas avérée. - Le taux national de suicides par précipitation sous un train, estimé à 4 %, est peu précis. En Île-de-France, il s’applique à l’ensemble des réseaux ferrés RATP et SNCF et pas à la RATP seule. - Le recueil des données conservées par le Département Juridique de la RATP n’est pas exhaustif.

Analyse des circuits d’information Les données utilisées sont celles du Département Juridique de la RATP de 1991 à 2000 (n = 1 117), mais les lacunes constatées ont conduit à faire un état des lieux des circuits de recueil et de conservation des informations concernant les accidents de voyageurs, et plus spécifiquement les suicides et les tentatives de suicide. Une méthode de recueil d’informations fiable devrait permettre de : - préciser où et comment les informations sont collectées et restituées ; - faire une analyse comparative des deux circuits (département juridique et département sécurité) qui reçoivent des informations différentes avec des objectifs distincts. L’analyse du circuit d’informations établit aussi : • l’absence de visibilité des actions des personnels qui ont évité le passage à l’acte : - Des actes de prévention efficaces sont pratiqués par les agents. - Ces actes de prévention ne sont pas comptabilisés dans l’évaluation des suicides et des tentatives. • le cloisonnement des pratiques des agents des transports : - De nombreux facteurs, personnels et professionnels interviennent : • Certaines conséquences peuvent être lourdes pour la santé des personnels qui sont confrontés au suicide ou aux tentatives, et pour leur responsabilité. • Le positionnement de chacun vis-à-vis de la question du suicide intervient Tous les accidents de voyageurs ne donnent pas lieu à un rapport et le Département Juridique ne détient pas de façon exhaustive, l’ensemble des dossiers d’accidents de voyageurs.

248

Françoise Facy, Michel Debout

En 2003, seulement 41 tentatives de suicide sur 137 font l’objet d’un enregistrement commun aux trois entités (juridique, sécurité et Département d’exploitation) et seules 93 sont connues du Département juridique (68 %). Chaque entité privilégie sa mission, ce qui entraîne l’absence de dossier complet pour appréhender le phénomène du suicide et des tentatives dans le domaine de la RATP. Une politique de prévention efficace exige des informations fiables. Il serait donc nécessaire de créer une base de données unique qui regrouperait les informations relatives à toutes les tentatives de suicide abouties ou non, y compris celles qui ont été enrayées grâce à l’intervention d’agents et de pouvoir compléter ces informations par les renseignements issus de la police, des pompiers, des hôpitaux et de l’Institut Médico-Légal. Des recherches associant des experts en suicidologie pourraient être proposées pour améliorer la connaissance épidémiologique des comportements suicidaires dans les transports publics.

Expérience de prévention Les comparaisons statistiques entre le milieu des transports et la population générale permettent de faire le point sur des moyens de prévention déjà mis en place ou étudiés par d’autres entreprises de transport urbain. À travers des enquêtes de terrain, un certain nombre de témoignages d’expériences vécues, de réactions spontanées et d’opinions sur le suicide des voyageurs et sur sa prévention sont analysés. Les conclusions sont que les conducteurs, agents de station et agents de sécurité peuvent être affectés quand ils sont confrontés à un suicide ou à une tentative grave. Par ailleurs, ils participent efficacement à des actions de prévention du suicide mais ce n’est pas assez connu et reconnu, et de ce fait leur expérience ne peut pas servir à leurs collègues. Il est établi que les agents ont une appréciation inexacte de l’ampleur du phénomène. Le manque de compréhension du phénomène et de modèle d’actions nuit à la mise en place d’une prévention plus coordonnée et soutenue par des professionnels extérieurs.

Sensibilisation des agents de la RATP Début 2004, un formateur de la RATP a suivi une session de formation sur « le repérage et la prise en charge de la crise suicidaire » organisée par la DRASS d’Île-de-France ce qui devrait lui permettre de

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Acteurs et chercheurs en suicidologie

mettre en place, avec l’aide de l’UNPS, une sensibilisation des agents en contact avec le public. Un support pédagogique et informatif devrait être conçu pour les agents ainsi qu’une information visant les voyageurs. L’objectif de cette démarche est double : faire connaître la réalité des faits et apporter aux agents qui se sentent démunis en face de certaines situations une réponse non culpabilisante.

Propositions et réactions des membres du groupe de travail Malgré le nombre relativement faible de suicides et de tentatives dans le domaine de la RATP, plusieurs membres considèrent que l’étude et la prévention du suicide des voyageurs à la RATP présentent un intérêt certain. En effet, la RATP est un lieu défini et une entité bien structurée ce qui va faciliter l’étude, et donc la prévention. De plus, l’étude pourrait servir d’exemple tant au niveau de la mise en place du circuit et de ses conséquences sur la prévention qu’au niveau des actions de même nature dans d’autres domaines. Le travail fait avec la RATP est également un levier intéressant pour promouvoir la prévention du suicide dans d’autres secteurs de la société. Enfin, il ne faut pas oublier que la fréquentation des services de la RATP permet de mener la campagne de prévention sur un tiers des habitants de la région et, indirectement, l’ensemble de la zone urbaine.

Sur la collecte et le traitement des données Les informations recueillies à la RATP sont pertinentes pour étudier le phénomène suicidaire des usagers mais elles sont inégalement réparties entre les différents départements (exploitation, juridique, sécurité). Il est recommandé de constituer une base de données unique dans laquelle les classifications seraient bien identifiées. Cette base de données pourrait se faire à travers une grille de recueil que chacun des acteurs concernés remplirait, notamment pour les informations postérieures et antérieures à l’accident qui ne pourraient être renseignées que par des acteurs extérieurs (police, pompier, hôpitaux, institut médicolégal...). Le concours de tous ces acteurs apporteraient une base de données complète, indispensable pour le suivi épidémiologique, et utile pour adapter une prévention efficace et éviter les répétitions. Cette base ne peut être alimentée, actuellement, que par les informations officielles que peut se procurer la RATP. Ces informations sont factuelles (date, heure, lieu, circonstances, mode de suicide ou de la tentative, etc.) et recueillies lors du passage à l’acte. Les autres

250

Françoise Facy, Michel Debout

informations (compléments sur l’identité, le domicile, le lieu de travail, etc.), notamment celles qui sont postérieures et antérieures à l’accident (handicap, date de décès, antécédents médicaux...) ne pourraient être renseignées que par d’autres acteurs (police, pompiers, hôpitaux, institut médico-légal, etc.). Le concours de ces acteurs externes à la RATP devrait permettre d’améliorer la connaissance et, pour les survivants, de leur assurer une prévention efficace afin d’éviter les répétitions. On pourrait envisager, comme à Montréal, de mettre en place un suivi détaillé des personnes ayant fait une tentative de suicide à la RATP, notamment au moyen d’un entretien dans le contexte de l’urgence hospitalière afin d’essayer de comprendre les raisons qui ont poussé la personne à se rendre au métro ou au RER pour se suicider. Si on se limite à l’amélioration de la connaissance et à l’élaboration d’une politique de prévention, une connaissance statistique suffit et, dans ce cas, l’appariement des données de diverses sources peut se faire avec des identifiants préservant l’anonymat des personnes concernées. À ce sujet, la Direction Générale de la Santé indique que ces travaux pourront être utiles à la réalisation d’enquêtes de trajectoire multipartenariale sur la base de cahiers des charges rigoureux et très précis transmis aux services concernés : Direction des Hôpitaux, ministère de l’Intérieur, Préfecture de Paris, Institut Médico-légal, RATP, etc. Ceci pourrait sans doute être fait, plus facilement, avec le statut d’une étude de durée limitée (2 à 3 ans) dans le cadre des dispositifs existants. Il faut également signaler que le soutien actif du ministère de la santé, du ministère des Transports, et du ministère de l’Intérieur est indispensable pour atteindre l’objectif attendu. Ce nouveau protocole de recueil donnerait des informations plus précises notamment sur le nombre de décédés et de survivants, et sur la nature de leurs présences dans le métro (voyageurs ou non) afin de définir une prévention adaptée à chaque cas. Enfin pour compléter les données, les hôpitaux pourraient être interrogés afin de savoir s’ils ont reçu des personnes ayant tenté de se suicider dans le domaine de la RATP.

Sur la prévention du suicide des usagers de la RATP Ces recueils de données vont permettre de mieux connaître les personnes suicidaires, et donc de pouvoir prévenir cette action. C’est ici

251

Acteurs et chercheurs en suicidologie

qu’entre en action le personnel, qui pourra être mieux formé et plus efficace lorsqu’il sera confronté à cette situation. La prévention peut se faire directement auprès des personnes en détresse, auprès des personnes atteintes de troubles de santé mentale et du personnel soignant, et en amont, notamment par une communication adaptée auprès des usagers. Les acteurs de la prévention sont nombreux : les agents de la RATP, bien sûr, mais aussi toutes les personnes présentes sur les lieux (commerçants, musiciens, les voyageurs eux-mêmes). Très prochainement, l’installation de portes palières sur certains quais sera la concrétisation d’une des mesures de prévention de la RATP.

Sur la sensibilisation du personnel Dans les pratiques courantes en transport public, les agents participent de façon spontanée et informelle à la prévention du suicide des usagers, sans qu’il y ait de connaissance systématique et de prise en compte de leur comportement. Dans une démarche structurée de prévention, la sensibilisation du personnel pourrait se faire à travers des témoignages de certains agents, et s’appuyer également sur un support pédagogique et informatif à concevoir avec des spécialistes (UNPS...). Dans le respect des missions professionnelles et des engagements individuels, les actions de sensibilisation doivent être adaptées aux attentes du personnel, la sensibilisation, comme la formation, est en elle-même une action de prévention (exemple à Montréal).

Sur la communication La communication vers le personnel La communication vers les agents fait suite à la sensibilisation : informations complémentaires notamment sur la réalité du phénomène du suicide des usagers de la RATP. C’est aussi un moyen de reconnaître les actions spontanées dans le domaine de la prévention. Il reste à préciser le contenu et les supports de cette communication, en lien avec l’UNPS, par exemple.

La communication vers le public Des éléments essentiels sont retenus : • Dire que les gens qui se jettent sous un train souffrent. • Dire que se jeter sous un train n’est pas, à la RATP, un moyen radical de se suicider et qu’on peut s’en sortir handicapé à vie.

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Françoise Facy, Michel Debout

• Utiliser la représentation du corps après la mort comme moyen dissuasif. • Dire que la RATP se soucie aussi du bien-être, de la santé et de l’éventuelle détresse de ses voyageurs. • Faire connaître les services et les associations d’aide aux personnes en détresse, en précisant le service qu’elles apportent, leurs coordonnées et leurs horaires. • « Populariser » la prévention du suicide, notamment en soutenant et en participant à l’opération « Un Message pour la Vie » lancée par l’UNPS et la MACIF (Le voyage traduit bien la notion de « lien »). • Demander aux deux principales entreprises de transports publics de la Région Île-de-France, la RATP et la SNCF, d’unir leurs efforts pour communiquer sur le chemin des usagers, par des messages dans les gares et sur les quais, incitant par exemple les gens à réfléchir aux conséquences de leurs actes pour les autres et en les informant de l’existence de dispositifs de téléphonie sociale. • Utiliser comme support les publications de l’entreprise (Journaux de réseau ou de ligne pour la RATP, le Journal TGV pour la SNCF, journaux gratuits). • Utiliser des affiches, des dépliants, des écrans de moniteurs, des messages vocaux, etc.

La communication institutionnelle « Tant qu’on n’acceptera pas de parler du suicide on ne fera pas de progrès de prévention ». Il est important que les directions acceptent de prendre en considération le thème du suicide et prennent part à la prévention en servant de relais au niveau sanitaire et social, dans une logique de politique de santé publique.

Sur le rôle des associations Membres de l’UNPS, les associations d’Île-de-France devraient, ensemble, mettre au point une présentation structurée et lisible des services qu’elles offrent à la population, qui serait facilement comprise par les agents et qui renseignerait les usagers. Les associations pourraient ainsi arriver à une bonne coordination entre elles, et avec les structures sanitaires et médico-sociales.

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Acteurs et chercheurs en suicidologie

Conclusions Recueils de données épidémiologiques À partir de lieux de vie (transport, route), il importe de réaliser des bases de données sur les suicides et les tentatives de suicides des usagers pour mieux comprendre ces comportements violents dans les lieux publics.

Actions à mettre en place par l’UNPS L’UNPS pourrait constituer un groupe de travail avec les associations parisiennes pour élaborer des documentations informatives et des supports pédagogiques pour les agents de transports.

Autres impacts de ces travaux La connaissance de ces travaux pourrait susciter des besoins d’enquêtes de trajectoire multi-partenariales, sur la base de cahiers des charges transmis aux services concernés : Direction générale de la Santé, Direction des Hôpitaux, ministère de l’Intérieur, Préfecture de Paris, Institut Médico-légal, RATP, etc.

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Françoise Facy, Michel Debout

« UN MESSAGE POUR LA VIE » Françoise Facy1, Myriam Rabaud2, Nadia Cherkasky3, Claude Thomas4, Gérard Goualc’h5, Michel Debout6 1

6

Directeur de recherche Inserm (Le Vésinet) 2 Ingénieur de recherche Inserm 3 Psychologue, Courbevoie Écoute Jeunes 4 Journaliste 5 Directeur de MACIF Prévention Professeur de Médecine Légale, Service de médecine légale, Hôpital Bellevue, CHU de Saint-Étienne, France

Historique « MACIF Prévention », le département prévention de la MACIF et les fondateurs de l’UNPS développent depuis plusieurs années et soutiennent un partenariat de réflexions et d’actions entre des professionnels du champ de la suicidologie et des responsables de l’assurance mutualiste auprès d’un public large de sociétaires, répartis dans toute la France. En 2004, la forme de l’opération menée « un message pour la vie » revient au professeur Michel Debout qui a une longue expérience de médecine légale auprès des familles endeuillées après le suicide d’un proche et qui est à l’origine de la Fédération des Associations qui œuvrent dans la prévention du suicide. Tous les sociétaires sont sollicités pour élaborer des messages d’aide et de prévention. L’hypothèse que l’expression par la parole ou l’écrit constitue une aide individualisée - ou générale - pour des personnes en difficulté avec l’existence est retenue comme fondement de l’action. C’est une hypothèse retenue aussi dans les services d’écoute téléphonique où le principe d’écoute est la base de l’aide.

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Acteurs et chercheurs en suicidologie

Objectifs et méthode Une annonce est parue dans le bulletin de la MACIF pour susciter la participation des sociétaires à la construction de messages qui pourraient être adressés à des personnes « tentées » par un geste suicidaire. La proposition leur est faite d’envoyer à l’UNPS un message sous forme de courrier, de message électronique ou par téléphone. Une équipe de psychologues analyse les contenus et retranscrit selon une grille de base élaborée par l’Inserm, permettant de situer : • les répondants (plan socio-démographique), • les formes des messages et leur contenu, • les propositions de réponses et d’aide. Cette grille est conçue pour analyser des éléments a minima, sans exhaustivité de réponse. L’objectif est de construire à l’UNPS des modes d’expression qui soient des supports dans les actions de sensibilisation et de formation des intervenants en prévention du suicide, en particulier pour les écoutants des services téléphoniques. Pour la MACIF, les objectifs généraux sont d’analyser les caractéristiques des liens sociaux souhaités par ses sociétaires, de tester leur intérêt pour une action collective et leur capacité à se mobiliser. Les objectifs de cette action rejoignent les axes d’actions de l’UNPS : - lever le tabou et le silence sur la question du suicide ; - accueillir la solidarité des personnes ayant connu, ou non, l’expérience, de près ou de loin, du suicide ; - favoriser l’élaboration de messages sur support écrit ou vocal afin de libérer la parole et aider l’expression ; - définir des critères pouvant permettre de repérer des situations à risque grâce aux messages provenant de personnes suicidantes ou suicidaires ; - proposer des prises en charge et orienter les personnes vers des structures adaptées. Pour la MACIF, plusieurs perspectives sont envisagées pour favoriser : - les liens avec les sociétaires et leur écoute, - la connaissance des associations de prévention, - le soutien aux personnes en souffrance psychique. La méthode repose sur l’analyse statistique des messages retranscrit selon la grille Inserm, complétée par des analyses cliniques. Il est

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Françoise Facy, Michel Debout

Organigramme de l’étude « MESSAGE POUR LA VIE » (n = 953).

important de signaler que l’analyse est basée sur des hypothèses cliniques. En effet, les éléments apportés par les messages sont insuffisants pour établir avec certitude un tableau clinique. La subjectivité des psychologues a été sollicitée, mais limitée par la définition d’une grille standardisée.

Contenu manifeste et contenu latent À partir de ce qui est dit explicitement dans le message, nous avons dégagé certains éléments implicites tels que la motivation réelle propre aux problématiques personnelles, les informations liées à l’anamnèse, les conflits internes...

Tableau clinique/sémiologie Le tableau clinique nous permet de cerner le fonctionnement psychique de l’auteur du message (à tendance névrotique, psychotique...) et de repérer un type de psychopathologie, s’il y a lieu. Pour ce faire

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Acteurs et chercheurs en suicidologie

nous nous sommes basés sur des éléments « objectifs » : la cohérence du discours, les mécanismes de défense et le rapport à la réalité, la tonalité du message, mais aussi le sens clinique du psychologue...

Synthèse/mots clés La synthèse reprend l’essentiel des problématiques soulevées dans le message, indique s’il faut donner des suites (faire des réponses s’il y a urgence, par exemple). Les mots clés nous guident dans la catégorisation des messages. Ils résument la tendance clinique du message et les problématiques soulevées par l’auteur. Par ailleurs, une des associations UNPS, Courbevoie Écoute Jeunes, a utilisé la grille Inserm dans une action de prévention en milieu scolaire. Pour les élèves la consigne était : - premièrement d’écrire ce qu’ils avaient besoin d’entendre, en tant qu’adolescent, quand ils allaient mal ; - s’ils ne trouvaient pas, d’écrire au moins ce qu’ils détestaient entendre lorsqu’ils allaient mal ; - sinon d’écrire un message de soutien.

Résultats La participation des sociétaires s’est révélée nettement moins importante que certaines prévisions par rapport à d’autres échanges avec des sociétaires de la MACIF. Plusieurs interprétations peuvent être apportées par rapport au sujet et par rapport à la méthode retenue. Le thème du suicide est particulièrement délicat, intime et renvoie les personnes à leur propre vécu, à leur projet de vie et à leurs conditions existentielles. La méthode implique une réflexion, une élaboration et un engagement dans une concrétisation d’écrit ou de prise de parole. Ces trois étapes suscitent des abandons successifs et expliquent le niveau de participation assez faible en nombre. Au total, 953 messages sont analysés par rapport à la situation des répondants et à leurs recommandations. Cette base de presque mille messages est extrêmement importante pour le partenariat MACIF-UNPS, c’est la première opération qui est ainsi menée, dont les éléments adressés à l’UNPS pourront servir à construire des actions de prévention.

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Identification de l’auteur Description générale Les éléments socio-démographiques habituellement utilisés dans les études épidémiologiques ou sociales, sont très souvent repérables dans les messages reçus à l’UNPS. Contrairement à ce qu’on aurait pu imaginer, les auteurs indiquent souvent qui ils sont, où ils se situent en même temps qu’ils s’adressent à une personne, un ensemble de personnes ou de façon générale. Les trois quarts des messages analysés indiquent si l’auteur est un homme ou une femme. La surreprésentation féminine est importante. S’agissant de messages spontanés, de nombreux items retenus dans la grille Inserm restent partiellement sans réponse et les statistiques suivantes se rapportent aux cas où l’item est présent. Parmi ceux qui ont donné leur identification, les femmes sont majoritaires (69 %), deux fois plus nombreuses que les hommes (31 %), quelques rares couples (n = 4) ont aussi adressé simultanément un message. Les personnes de plus de 65 ans sont peu nombreuses à avoir transmis un message (n = 28) comparés aux jeunes de moins de 25 ans (n = 115) et aux personnes d’âge moyen (n = 117). Les personnes vivant en milieu rural sont moins nombreuses que les citadines à avoir adressé un message (178 versus 315 respectivement) (Tableau I). L’analyse de ces caractéristiques est à confronter avec le profil général des sociétaires de la MACIF.

Tableau I. Profil de l’auteur du « message pour la vie » (n = 953). Auteur du message

Nombre

% des exprimés*

Sexe

• féminin

496

69

Habitat

• rural

178

36

Place familiale (citée dans le message)

• parent

91

51

• enfant

76

43

Événement précisé dans le témoignage

• deuil

100

41

73

30

• TS

* Les pourcentages sont calculés par rapport à la totalité des réponses enregistrées pour chacun des items et non sur la totalité des messages reçus.

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Acteurs et chercheurs en suicidologie

Demandes spécifiques d’aide Il est à noter qu’un peu plus de 2 % « appellent à l’aide » mais pour un petit nombre d’entre eux leurs coordonnées n’ont pas été transmises. Cependant pour près de 8 % des messages reçus, une réponse individuelle paraît nécessaire, cette dernière est à la charge de l’UNPS dans la moitié des cas. L’appel à l’aide manifesté dans le message - quel que soit son support - est relativement rare (2 %), mais doit être particulièrement analysé. La nécessité de réponse immédiate est appréciée par les psychologues de l’UNPS. Dans les trois quarts des cas, il y a transmission du message à un intervenant d’une association (UNPS, SOS Amitiés ou autre). - « Ma fille aura bientôt 19 ans, c’est une fille de caractère, volontaire, mais je ne la reconnais plus. Cet été, elle a connu un militaire qui fut sa première expérience sexuelle. Au mois d’octobre, il est parti en mission durant quatre mois, un mois avant son retour il a annoncé à ma fille qu’il la quittait, bien qu’il l’aimait d’après ses dires, mais que c’était pour son métier. Depuis ma fille vit un véritable enfer et moi de même, car je souffre autant qu’elle. Depuis le début de la semaine il est donc revenu en métropole, ma fille l’attendait avec impatience, après une conversation, ils se sont remis ensemble, elle est persuadée que c’est l’homme de sa vie, mais s’aperçoit en même temps, que ce n’est pas comme avant, et qu’il la reprise par pitié. Elle a quitté la fac ; elle n’a plus goût à rien et me dit que plus rien ne la retient sur terre même si elle m’aime beaucoup et qu’elle est désolée de me faire du mal, mais la seule solution pour elle est de mourir, j’essaie de la remonter, de la conseiller et je ne dors plus car j’ai peur, je suis perdue et je ne sais plus quoi faire d’autant que je sais ma fille capable de ce geste car elle est très déterminée. Elle s’est battue depuis qu’elle est née car son père l’a abandonnée elle n’avait pas un an et nous formons une petite famille composée de mes deux enfants et moi-même. Elle n’a plus goût à rien, elle qui était si coquette, si joyeuse. Que puis-je faire ? Merci ». - « Je me suis trompée de numéro parce que moi, je ne veux pas vivre, je veux mourir. Alors je ne peux pas laisser un message d’espoir. Je voudrais qu’on me donne à moi un message pour MOURIR. L’ennui c’est que je suis en bonne santé. J’ai perdu mon mari. La seule chose que j’ai envie, c’est mourir. Alors le message d’espoir, je ne sais ». Parmi les messages reçus, 115 montrent toutefois un intérêt particulier en vue d’une analyse approfondie, en particulier sur un plan psychologique (Tableau II).

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Françoise Facy, Michel Debout

Tableau II. Support du « message pour la vie » (n = 953). Nombre

% des exprimés

• courrier

479

50

• e-mail

381

40

• téléphone

93

10

• oui

16

2

Nécessité de réponse indivi- • oui duelle

63

7

Intérêt à analyser le mes- • oui sage de façon complémentaire

115

12

Support du message

Appel à l’aide

Beaucoup de messages sont écrits par des personnes ayant connu la souffrance liée à l’expérience du suicide. Ces messages, souvent « poignants » auront d’autant plus de résonance et d’impact. En élaborant leur propre histoire, les auteurs permettent de donner des clés de compréhension et d’action pour le futur, notamment en matière de prévention et de prise en charge. Une élaboration importante leur permet de tirer une conclusion de leur propre histoire, et donc de délivrer un message positif d’espoir et de solidarité. Ces personnes, toujours concernées par le problème du suicide, ont une volonté d’aide, qui explique leur démarche d’écriture à l’UNPS. En somme quatre cas de figure sont mis en évidence : • l’idée de catharsis et de rejouer l’expérience douloureuse en se libérant émotionnellement, • le sentiment d’affiliation avec celui qui souffre et une volonté de l’aider, • le désir de réparation qui s’exprime par la sauvegarde de l’autre, • le dépassement du conflit avec une élaboration de l’expérience douloureuse pour y puiser des ressources permettant de tendre vers la vie. Pour la plupart, savoir qu’ils vont être lus, les pousse à un effort de communication. Cela peut avoir une influence sur la manière dont ils élaborent leur expérience. - « Ma femme s’est suicidée il y a deux ans et j’aimerais bien recevoir des messages tels que : je suis là, tu peux compter sur moi.

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J’aimerais qu’on aide un peu plus les personnes qui ont perdu un proche. Pendant une grande partie de ma vie, je n’ai pas su trouver un numéro, quelqu’un, qui puisse m’aider à mieux comprendre ce qu’avait subi ma femme, viol à 14 ans, enfant laissé à l’adoption à 15 ans. Tout ce passé difficile, plus le suicide de ma femme, plus un présent pas vraiment très rose, n’osant pas regarder mes comptes bancaires, n’osant même pas espérer refaire ma vie, n’osant plus rien du tout. Je sais que je dois me remuer mais ma femme me manque horriblement et son geste, gravé dans ma mémoire, m’empêche de gérer ma vie comme il le faudrait, et assurer sereinement l’avenir de mes enfants. Je sais, je ne suis pas le seul à avoir subi un tel drame. Mais où sont les autres ? Où sont les proches des 12 000 victimes de suicide par an ? Ne pensez-vous pas qu’on pourrait se parler sur un site Internet ? De tout et n’importe quoi, en riant même, puisque nous avons la même souffrance à porter, faite de peine, d’incompréhension, de culpabilité, de désespoir. Merci ». Le message a été jugé à analyser de façon particulière - par rapport à l’approche psychologique - pour 15 % des femmes et 14 % des hommes. L’expression du message comporte plus souvent un témoignage pour les hommes. Les femmes sont plus nombreuses à exprimer à la fois un message et un témoignage parfois un ressenti dépressif. - « (...) Ayant moi-même subi et reçu de 1991 à 1997, avec des hauts et beaucoup de bas, la dépression et plusieurs tentatives de suicide. Maintenant avec le recul je peux dire que j’ai eu beaucoup de chance, mes parents, ma sœur, mon beau-frère, mes nièces qui ont su être présents, avoir beaucoup de patience, de disponibilité et de courage. La chance aussi d’avoir eu des amis qui ont su avec douceur m’aider à reprendre goût à la vie. La chance aussi d’être employée à la SNCF où tout le monde a fait beaucoup d’effort (...). La chance aussi d’avoir été soignée en CMP, où je suis et où je resterai toujours ». Pour la moitié de l’échantillon, la zone géographique est connue. Les femmes sont plus nombreuses relativement que les hommes à provenir du monde rural. L’origine des auteurs peut être très diverse, reflétant l’entourage proche de personnes suicidaires mais aussi plus éloigné. - « Message 130 : appel à l’aide concernant une de ses anciennes élèves qui est en détresse : elle a des idées suicidaires. Il s’agit d’Aurore (son numéro de portable a été transmis). Cet appel provient de l’Association d’écoute sur Bordeaux ».

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Support et forme des messages La moitié de ceux qui ont adressé un message l’ont fait par courrier, 4 sur 10 par voie électronique et les autres par téléphone. Si 28 % ne laissent pas leurs coordonnées, 32 % donnent leur e-mail, 22 % leur adresse, 14 % leur adresse et numéro de téléphone, les 4 % restants transmettent plusieurs coordonnées à la fois (Tableau II). Les femmes sont relativement plus nombreuses à utiliser le courrier postal, les hommes utilisent plus le courrier électronique et les jeunes de moins de 25 ans préfèrent adresser leurs messages par voie postale (ou lettre transmise à l’UNPS) (près des 3/4). Les femmes laissent un peu moins souvent leurs coordonnées, mais la majorité des répondants les transmette, ce qui indique une demande très large d’échanges et de correspondances. Deux exemples illustrent l’hétérogénéité des formes d’expression du plus direct au général. - « Ami, Lorsque tu es enfermé dans ton malheur, crie ! Appelle ! Frappe aux portes. Tu trouveras quelqu’un qui t’entendra, qui t’écoutera et qui t’aidera à croire qu’après le passage étroit, difficile, sombre et étouffant dans lequel tu es, il y a l’avenir, libre et de nouveau ensoleillé ». - « La vie est une école où l’amour devrait être notre seul guide. Nous passons bien souvent notre temps à être sourd, aveugle, détruisant tout au lieu de construire. Le bonheur est parfois des petits moments qu’il faut savoir saisir et rechercher. Tout arrive à celui qui sait attendre. La vie est un précieux joyau qui nous permet d’évoluer et que nous devons respecter ». Certains auteurs ont écrit des messages ayant seulement la vocation d’aider les personnes suicidaires à surmonter leur souffrance morale, de les soutenir, de les soulager. Aucun témoignage ni aucune référence à la vie personnelle ne sont évoqués, seulement quelques mots ou quelques phrases de solidarité et d’espoir. Un sens positif et optimiste de la vie est souvent mis en évidence, notamment en faisant référence à l’importance de l’amour, de l’amitié, de la famille. En d’autres termes, ces auteurs suggèrent l’importance du « liant » et du lien, qui sous-tendent la pulsion de vie grâce à l’amour de soi et des autres. Ils mettent l’accent dur des plaisirs simples de la vie, sa préciosité et tentent de redonner le désir de vivre.

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Et surtout la solidarité entre personnes qui se connaissent ou pas, revient très souvent sous la forme « Il y a quelqu’un qui vous aime », et même parfois « Vous n’êtes pas seul, je suis là pour vous aider ». Le rôle de l’Écoute est bien représenté. Plus simplement, le message communiqué aux suicidants est de retrouver l’envie de vivre, un sens à leur vie et, dans une certaine mesure, une vision d’épicurisme.

Contenu des messages Il importe tout d’abord d’insister sur la grande diversité des contenus, du plus synthétique à l’exposé de quelques témoignages détaillés, du plus généraliste au relevé intimiste d’émotions. L’évocation du suicide renvoie aussi à des événements vécus. L’analyse du contenu du message montre que majoritairement le deuil est l’événement le plus souvent précisé dans le témoignage (n = 100), suivi par la TS (n = 73). Les autres problèmes (de santé, de dépression ou d’autres événements) y sont plus rarement cités. - « J’ai côtoyé une personne qui avait des idées suicidaires. C’était au collège, nous étions jeunes, elle était mon amie, je ne savais pas comment l’aider. Je ne sais pas à quel point c’était encré dans son idée, si elle risquait vraiment de passer à l’acte, peut-être ma seule présence à ses cotés l’a aidée. Pour augmenter la prévention du suicide, je pense qu’il faut sensibiliser les gens à réagir et aider une personne en détresse. Car tout le monde peut rencontrer quelqu’un qui a de telles idées, car chacun peut espérer que quelqu’un de proche l’aide dans une telle situation. Parfois la simple présence ne suffit pas, et il faut avoir les mots, les outils aussi pour diriger la personne en souffrance vers un espoir d’amélioration de sa situation. Car il ne faut pas oublier qu’une personne qui pense au suicide croit que c’est la dernière solution efficace pour changer la situation alors qu’il existe toujours des possibilités, des espoirs ». 109 auteurs de message ont eu un vécu suicidaire. - « J’étais une petite fille triste. Qui le savait ? À 20 ans dans les booms, je parlais de suicide. À 27, bouffée de solitude, j’ai fait le nécessaire. Le néant, heureusement, n’a pas ouvert sa porte. Le hasard d’une rencontre m’a entraînée sur un autre chemin, à deux. À croire, qu’il m’attendait, lui aussi. Moi qui voulais mourir, j’ai donné trois fois la vie. Et enfin, j’ai compris. Le miracle d’un petit cœur qui bat, le miracle d’un petit être si fragile qu’il s’en remet à vous. Et puis il y a les premiers sourires, les premiers éclats de rire, les premiers

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éclats de vie. Oui, c’est ça : les rires d’un enfant, voilà le vrai bonheur. Un bonheur à partager, parce qu’il s’offre à tous ceux qui l’entendent. Comme un rayon de soleil qui réchauffe le cœur, intensément. Aujourd’hui, c’est la mort qui me fait peur. J’aime tant la vie que je voudrais le crier à ceux qui n’y croient plus. Et je voudrais leur dire... Un trésor est en vous ; un jour, comme moi, vous pourrez le partager et vous n’en serez que plus riche. Donnez la vie ou faites-la aimer à quelqu’un qui sombre. Pour lui, pour eux, attendez ; attendez cette étincelle qui vous fera aimer la vie. Ne partez pas avant d’avoir compris. Quelqu’un quelque part, aujourd’hui ou demain, a ou aura besoin de vous. Pour lui, pour eux, pour vous, il faut vivre ». Les messages adressés s’orientent majoritairement vers toute personne en général (n = 575), sous forme de lettre (n = 495), de mots (n = 167), de poème (n = 84). - « “La nuit n’est jamais complète. Il y a toujours au bout du chagrin une fenêtre ouverte. Il y a toujours un rêve qui veille, désir à combler, faim à satisfaire, un cœur généreux, une main tendue, une main ouverte, des yeux attentifs. Une vie. La vie à se partager” Paul Éluard. (...). Je pourrais aussi dire aux désespérés d’écouter justement chantée par le groupe Niagara la chanson “La vie est peut-être belle” ». - « “À PETITS PAS” Pas du matin chagrin, pas du soir espoir, Sous tes pas du lendemain, tu es sur le bon chemin, Le chemin de l’amour et du renouveau, Le renouveau que tu vas construire pas à pas, Pas à pas dans les miens du soir au matin, Ensemble nous bâtirons demain, Demain et après demain, toujours un jour nouveau, Avec l’amour qui nous suit le long du chemin, Mes pas dans les tiens, à petits pas nous irons loin ». Quelques messages sont exprimés sous forme de prières, photos, dessins ou autres procédés. - « Trois images avec les titres suivants : “Le rire”, “La confiance en soi” et “L’espérance” ». En cas de recours à un tiers recommandé, il s’oriente vers un proche le plus souvent (n = 212).

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- « Ne reste pas seul face à la vie. Confie-toi aux personnes qui t’entourent ; c’est avec eux que tu pourras affronter les difficultés de la vie. Surtout ne t’enferme pas sur toi-même ». - « Je voulais juste dire qu’il faut se laisser aider. Par les amis, la famille, un médecin. Arrêter de faire croire à l’extérieur que tout va bien. Car il est possible de s’en sortir, de se guérir. C’est long et on reste toujours fragile. Mais un jour on se rend compte qu’on est heureux d’être là, que finalement tout ce qui semblait insurmontable n’est pas si difficile, qu’il reste de belles choses à vivre. J’ai voulu mourir, mes amis m’ont aidée, j’ai même trouvé mon mari parmi eux. Mais je n’ai pas su voir la détresse d’autres personnes, je n’ai pas pu les aider. Il faut se laisser aider. La vie est belle, malgré tout ». - « Je suis une maman de David. Il a voulu partir le 7 août 2002 à 25 ans après plusieurs années de déprime, de souffrance dans ses idées noires. Je veux écrire ce message, qui j’espère de tout mon cœur, pourra aider une personne suicidaire : “Si tu veux, demande à tes parents, tes sœurs ou frères ou tes amis de vous retrouver ensemble afin de parler. Avec ces personnes qui t’aiment tu peux peut-être essayer de dire ce qui ne va pas. Ils sont là et toi tu ne penses pas qu’ils peuvent t’aider. Essaie de parler de tes angoisses, de ta souffrance avec eux. Ils répondront sûrement aux questions qui te font souffrir. Ils t’aideront à avancer sur ce beau chemin de la vie”. Une maman de Jonathan et Pierres Vivantes ». - « Partage tes idées noires avec ta famille, un(e) ami(e), une association plutôt que de penser au suicide. Tu verras comme il est bon de reprendre goût à la vie quand tes problèmes se solutionneront ». Dans le cas de professionnels recommandés le choix se porte sur un psychothérapeute (n = 44), un psychiatre (n = 34), un spécialiste de la prévention (n = 31) ou un médecin (26 fois). - « Je n’ai pas de message mais un témoignage. Après avoir été maniaco-dépressive toute ma vie, je voulais témoigner. Après 9 ans de recherche chez un psychiatre psychanalyste, j’ai enfin pu vivre normalement et je voulais témoigner pour la psychanalyse. C’est ça qui m’a aidée, c’est ça qui m’a sortie de 17 ans de crise où j’ai connu les cliniques, les psychiatres, les médicaments, sans jamais comprendre pourquoi, ce qui m’arrivait. J’ai découvert donc la psychanalyse et je voulais faire ce témoignage, qui m’a sauvée la vie, qui m’a sauvée du suicide, qui m’a sauvée de vivre en clinique toute ma vie. Je vis aujourd’hui normalement, en famille, avec un travail grâce à 9 ans de

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travail en psychanalyse. Je voudrais pouvoir le dire aux autres gens dans la détresse. Je vous remercie. Au revoir ». - « (...) Parle, parle de ton problème, confie-toi à quelqu’un que tu aimes si tu le peux, ton père, ta mère, un frère, un ami, ta copine, mais surtout : parles-en. Ne te réfugie pas dans le mutisme. Si tu n’oses pas parler à un de tes proches, parles-en à un médecin ». - « Et si l’espoir venait d’en haut. Moi, comme toi, j’ai voulu tout arrêter pour rejoindre Dieu, sans pouvoir réagir ni contrôler cette envie, c’était plus fort que moi et mon entourage n’a rien vu, rien compris, plus personne, le vide et même ma fille de trois ans à peine n’arrivait pas à me faire reprendre le dessus, et puis un jour, sûrement le jour avant que tout bascule, je suis allé voir mon médecin et lui a tout compris d’un seul regard, enfin quelqu’un avait compris et là tout s’est enchaîné, je savais au fond de moi que dans la Bible il est interdit de se donner la mort et pourtant je n’y pouvais rien, mais j’ai tenu, une étincelle. Mon médecin me prescrit des anti-dépresseurs puissants qui m’ont redonné petit à petit confiance et je sentais que je repartais alors que ma haine était toujours présente envers ce monde d’incompréhension, sans le vouloir, j’ai repris goût à ma vie en changeant ma perception des choses et en décidant de me battre contre ce qui m’avait poussé là, aujourd’hui, je suis encore sous traitement, cela fait cinq mois et je suis si bien que je n’arrive pas à comprendre comment j’ai pu en arriver là, c’est fou. Laissez vous guider vers cette personne qui saura vous guérir que ce soit avec des mots ou des médicaments, n’abandonnez pas, vous avez près de vous un ami et lui vous entend et vous comprend et si vous lui demandez, il vous aidera, vous guidera vers des joies infinies, pas que je veuille que tu deviennes croyant si tu ne l’es pas. Seulement je l’espère car il y a tant de joies à recevoir que personne sur cette terre ne saura te donner avec une telle ferveur, et moi aussi je suis là et qui que tu sois, je penserai à toi et tout ira mieux et un jour ce sera toi qui le feras pour quelqu’un d’autre, et tu seras heureux, toi et non les autres. Je pense à vous, que Dieu vous protège ». Le contenu et l’évocation du message sont principalement l’affection et la générosité (418 fois), les ressources personnelles (300 fois), le sens de la vie (297 fois), les pensées positives (164 fois), l’estime de soi (145 fois) ou les règles simples de vie (88 fois) (Tableau III). - « Régime du bonheur : Au réveil, se lever du bon pied. Faire une salutation à la vie.

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Acteurs et chercheurs en suicidologie

Au petit déjeuner, un grand bol de confiance. Quelques tartines d’espérance. Au déjeuner, mettre sur la table un bouquet de pensées positives. Salade composée de patience, courage et foi. Plat de consistance l’acceptation. Assaisonner de graines de sagesse, de grosse tranche de certitude. Ce tout arrosé d’un large sourire. Au dîner, un potage de joie. Un grain d’amour. Dégustez-le tout dans l’harmonie et le calme. Une tisane de fleur de paix. Règles simples pour tous les jours : 1. Faire plaisir à autrui. 2. Me faire plaisir. 3. M’acquitter d’une tâche contraignante. 4. Faire un exercice physique. 5. Faire un exercice intellectuel. 6. Composer une prière originale en n’omettant jamais d’énumérer les bienfaits qui me sont accordés ». - « Soyez les poètes de votre vie. Osez chaque jour mettre du bleu dans votre regard, et de l’orange à vos doigts, des rires à votre gorge et surtout, surtout, une tendresse renouvelée à chacun de vos gestes ». - « Comme une cicatrice tu es toujours là mais tu ne fais plus mal... ». Éléonore - « Encouragement : comme tous les êtres humains, je n’ai pas échappé à mon lot de souffrances physiques et morales sur cette terre. La pire est la souffrance psychique. Comment m’en suis-je sortie ? Il faut mettre des mots sur ses maux. Parler, évacuer par la parole (ou l’écriture ou le dessin) est la meilleure thérapie. Un(e) ami(e) attentif(ve) vaut tous les psychiatres du monde. Et puis, se dire, se répéter qu’on n’est jamais aussi malheureux qu’on se l’imagine, qu’il y a des gens bien plus démunis que nous sur la planète, que rien ne vaut la vie, qu’il ne faut jamais baisser les bras, que demain est un nouveau jour, que la vie est pleine de surprises, qu’un coup de fil peut tout changer, qu’il pleut aujourd’hui mais que le soleil sera là dans un instant avec tout l’espoir qu’il représente, qu’il y a plein de gens formidables qui attendent juste qu’on leur sourit et qu’on aille vers eux, qu’aucune situation n’est vraiment désespérée, qu’il faut avoir foi en l’homme, en l’avenir, qu’il faut s’aimer soi-même et être déjà son meilleur ami, et que même si l’on peut en douter dans un monde

268

Françoise Facy, Michel Debout

Tableau III. Forme du « message pour la vie » (n = 953). Forme du message

Nombre

% des exprimés

77

9

411

47

• poème particulier

38

4

• poème personnel

48

5

168

19

• citation d’auteur

53

6

• prière

11

1

• autre

67

8

212

40

6

2

• quartier, voisinage

18

5

• autre

43

11

• médecin

26

7

• psychiatre

34

9

• psychothérapeute

44

11

• spécialiste de la prévention

31

8

• lettre à l’UNPS • lettre

• mot

Recours à un tiers recommandé

Recours à des professionnels recommandés

• proche • aide sociale

qui se durcit, tout n’est qu’amour, qu’échanges, puis-je vous avoir convaincu que nous ne faisons tous qu’un seul cœur ». - « On trouve toujours une personne compréhensive, aimante, attentionnée sur une vie. Il faut se donner le temps. Courage et espoir ».

Étude du contenu des messages en fonction des caractéristiques des auteurs L’analyse globale des messages à partir de la grille synthétique suggère l’existence de sous-groupes homogènes dans leur mode de participation à l’opération « un message pour la vie ».

L’âge a-t-il une influence sur le message transmis ? Le sous-groupe des moins de 25 ans (n = 115) est composé de

269

Acteurs et chercheurs en suicidologie

citadins à 97 %, 9 % sont déjà parents. Ce sous-groupe est formé par des lycéens (n = 69), des élèves de terminale (n = 27) et des étudiants. (Un des exemples vient de l’accompagnement d’une classe par l’équipe de psychologues de N. Cherkasky.) Le support principal de leur message est le courrier (87 %) dans lequel ils transmettent plus aisément que les autres leur adresse et leur numéro de téléphone. 3 sur 9 mentionnent préférentiellement le deuil comme événement précis, le deuil seul ou avec TS ou rupture amoureuse. Plus de huit sur dix ont un vécu suicidaire (83 % versus 52 % chez les plus de 24 ans versus 37 % chez les plus âgés). Majoritairement transmis seul sous forme de lettre, leur message est plutôt destiné à un groupe de personnes (64 %), ils y évoquent plus particulièrement le sens de la vie, les règles simples de vie et la musique. Plus de la moitié donne la préférence à un proche pour un recours à un tiers en cas de tendances suicidaires. - « Aujourd’hui je vais mieux car j’ai fait un travail sur moi. J’ai écouté dans le parc le chant des oiseaux. J’ai apprécié les petits bonheurs de la vie que j’avais jusque là oubliés. Il ne faut pas se laisser abattre et la vie est tellement belle et surprenante. Je pense qu’en s’étonnant des petits trucs de la vie on remonte la pente plus facilement ». - « Pour vivre mieux : Communique avec le monde. Être bien entouré. Conseil : télécharge CS 1.6 (Steam) et si tu vois un mec nommé : C3t@, c’est moi. Et surtout ne reste pas enfermé ». - « N’oubliez jamais : la vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie ». - « La vie est parfois difficile, mais elle mérite vraiment d’être vécue car même si parfois on n’a plus goût à rien, il y a toujours une place pour chacun d’entre nous. Si on est là, c’est pas pour rien... ». Contrairement aux jeunes, les plus âgés sont moins enclins à fournir des réponses. Actifs et parents à 73 %, les plus de 24 ans transmettent leur message par courrier (femmes), par voie électronique ou téléphone (hommes). Ils sont 6 % dans ce sous-groupe a appelé à l’aide. Le deuil est l’événement le plus souvent cité dans leur témoignage. Leur message est plus particulièrement adressé à toute personne en général. Comme les moins de 25 ans ils sont deux sur dix à indiquer un recours à des professionnels (psychothérapeutes, psychiatres) mais ils sont plus nombreux à évoquer le traitement médical, la foi et la pratique religieuse (Tableau IV). La diversité de suggestions d’aides est plus grande que chez les jeunes, reflétant leurs propres expériences probablement.

270

Françoise Facy, Michel Debout

Tableau IV. Comparaison des moins de 25 ans versus 25 ans et plus. Auteur du message

χ2

< 25 ans

> 24 ans

n = 115

n = 145

96 / 99

42 / 72

p < 0,0001

• courrier

100 / 115

65 / 145

p < 0,0001

• e-mail

12 / 115

44 / 145

3 / 115

36 / 145

Appel à l’aide

0 / 115

8 / 144

p = 0,0011

Nécessité de réponse individuelle

1 / 114

21 / 143

p = 0,0010

Intérêt à analyser le message de façon complémentaire

8 / 114

31 / 40

p = 0,0003

• seul

99 / 115

50 / 144

p < 0,0001

• témoignage

4 / 115

34 / 144

12 / 115

60 / 144

• deuil, deuil et TS ou rupture amoureuse

3/9

34 / 87

• TS

2/9

21 / 87

5/6

41 / 79

p = 0,0190

• toute personne

39 / 111

87 / 138

p < 0,0001

• un groupe

71 / 111

37 / 138

• foi, pratique religieuse

3 / 28

16 / 47

p = 0,0314

• sens de la vie

42 / 53

32 / 60

p = 0,0145

• traitement médical

1 / 26

13 / 43

p < 0,0001

• musique

15 / 39

6 / 36

p < 0,0001

• règles simples de vie

28 / 48

12 / 42

p < 0,0001

Habitat

• ville

Support du message

• téléphone

Contenu du message

• les deux Événement précisé dans le témoignage

Vécu suicidaire

p = 0,0001

Message adressé à

Contenu et évocation du message

271

Acteurs et chercheurs en suicidologie

Plusieurs messages ont été recueillis lors d’ateliers de prévention des conduites à risque menés en collège et lycée. Les messages des adolescents avaient la forme définie comme solidarité et non témoignages. La motivation des adolescents à participer à cette opération s’inscrit dans leurs questionnements sur le sens de la vie, de la mort..., questionnements cruciaux à cette période de leur vie. Les choses simples de la vie sont mises en évidence : savoir se faire plaisir, faire du shopping, les loisirs, les soirées, le cinéma, le sport... La musique est également très souvent proposée pour « chasser ses idées noires », pour se sentir mieux. C’est une conduite tout à fait typique de l’adolescence. Étant donné qu’ils se situent dans un devenir adulte, nous retrouvons ce qui est propre à tout adolescent en quête d’identité : une recherche d’originalité, de réalisation de soi, d’affirmation de soi, de sens de la vie. Les rapports amicaux et l’importance de l’amitié sont très souvent évoqués, que ce soit pour se confier ou s’amuser. Le groupe de pairs est donc essentiel à cette période, l’adolescent a besoin de s’affilier à un groupe, par lequel il est reconnu grâce à des codes sociaux. Aussi, dans leurs messages, l’accent est mis sur le regard des autres, de soi et sur soi ; ce qui peut renvoyer à l’image de soi. Nous faisons l’hypothèse que les messages des adolescents sont adressés à des adolescents. L’adolescence est une période de vulnérabilité qui déstabilise l’équilibre individuel. Dans cette mesure, nous pensons qu’ils rédigent leurs messages en s’identifiant à un autre adolescent pouvant les lire. Cette hypothèse est pertinente quant à la prégnance des mécanismes identificatoires de cet âge. Cette hypothèse n’écarte pas l’hypothèse des messages adressés à l’adulte (en pensant à leurs parents, aux grands-parents...)

Le lieu d’habitation a-t-il une influence sur le message transmis ? Un peu moins de la moitié des personnes ayant adressé un message n’ont pas donné leur lieu d’habitation (48,3 %) mais 33,1 % des messages reçus (n = 315) proviennent de personnes demeurant en ville et 18,7 % en milieu rural (n = 178). Les femmes du monde rural sont plus nombreuses à avoir adressé un message que les citadines (76 % versus 65 % pour la ville). Près de 7 ruraux sur 10 ayant exprimé leur âge ont entre 25 et 65 ans alors que les citadins sont plus jeunes (7 sur 10 ont moins de 25 ans). Près

272

Françoise Facy, Michel Debout

de la totalité des ruraux ont adressé un message par courrier (97 %), certains citadins choisissent aussi la voie électronique (10 % versus 88 % pour le courrier). Si les ruraux précisent majoritairement le deuil comme événement dans leur témoignage (53 % des répondants), les citadins se partagent entre deuil (36 %) et TS (31 %). Les gens des villes évoquent plus souvent, le sens de la vie, le rêve, la musique et les règles simples de vie ce qui confirme les observations faites dans le sous-groupe des moins de 25 ans qui sont majoritairement des citadins (Tableau V).

Tableau V. Comparaison d’habitants en milieu rural versus citadin. Auteur du message

χ2

Rural

Ville

n = 178

n = 315

112 / 147

120 / 184

p = 0,0876 p < 0,0001

Sexe

• femme

Âge

• < 25 ans

3 / 33

96 / 138

• 25-65 ans

23 / 33

30 / 138

• > 65 ans

7 / 33

12 / 138

173 / 178

278 / 315

4 / 178

33 / 315

Support du message • courrier • e-mail

p = 0,0027

Événement précisé dans le témoignage • deuil

28 / 53

28 / 77

• TS

10 / 53

24 / 77

3 / 76

12 / 88

p = 0,0318

• sens de la vie

69 / 119

120 / 168

p = 0,0180

• musique

4 / 75

22 / 98

p = 0,0018

15 / 78

44 / 109

p = 0,0022

p = 0,2787

Contenu et évocation du message • rêve

• règles simples de vie

• Rural - « Ami, Je ne vous connais pas cependant je sais que vous êtes unique, donc irremplaçable, vous êtes indispensable là où vous vivez.

273

Acteurs et chercheurs en suicidologie

Je vous en prie, ouvrez les yeux, je suis certaine que près de vous, quelqu’un a besoin d’un sourire de votre part, donnez-le. Ayez espoir. Quand j’étais enfant, on m’a appris à chanter : “Bonjour les p’tits oiseaux, bonjour les copains, si ça va pas tantôt ça ira mieux d’main...” J’ai 74 ans et bien sûr j’ai eu souvent l’occasion de reprendre courage en disant “Ça ira mieux demain” ». - « Pourquoi ? Pourquoi ce CHOIX ? Pourquoi avoir choisi une si belle matinée ? Ce moment là pour anéantir notre destinée ? Nous avions les mêmes désirs, de belles espérances. Me voici aujourd’hui accablé devant ton incohérence. Pourquoi as-tu décidé de couper ce doux lien ? Te trouver là inerte, gisant j’ai crié reviens. Affolée, anéantie, troublée, destituée, délaissée. J’ai hurlé de toutes parts, pourquoi ce geste insensé ? Pourquoi ? Seul le silence répond à mes questions. N’avoir pu saisir ta souffrance désarçonner mes émotions. Ma culpabilité face à ta fuite m’écrase, me désempare. Y avait-il des signes, à cet acte irréversible, ce départ ? Pourquoi cette séparation est si pénible, si désarmante ? Elle ouvre dans l’amour une ornière très déprimante. Pourquoi en te brisant m’as-tu aussi cassée ? Comment vais-je survivre et vivre sans tes baisers ? Pourquoi sur le rivage de notre vie, as-tu choisi ce détour vers ce long voyage qui n’implique aucun retour ? Le mystère de cette cruelle et grave négation, restera à jamais une trop lourde interrogation. Pourquoi sur notre chemin, as-tu banni ce destin ? Pour les enfants, me voilà seule, pour éclairer leurs matins. Nous allons devoir vivre sans toi, en nos cœurs ton souvenir. Essayer de trouver un peu de paix, reformuler l’avenir. Ce message se veut être celui de l’amour, de l’accompagnement et de l’espoir pour redonner goût à la vie de ceux qui sont désespérés et qui veulent aller vers un au-delà inconnu et mystérieux d’où l’on ne revient pas et qui n’ouvre aucune porte, si ce n’est refermer celle de la vie. Qu’ils sachent qu’il y a toujours une main tendue et quelqu’un pour écouter leur souffrance et les aider ». - « Pour une personne en difficulté : Profite de tous les petits plaisirs, simples ou non : fais-toi plaisir, sois “égoïste”, décide toi-même ce que tu as envie, sans en rendre compte à personne. Car tu pourras redécouvrir les petits plaisirs, les petites joies qui conduisent au bonheur ». • Ville - « Élève infirmière à l’IFSI de Saint-Malo, je mène actuellement une action de prévention sur le suicide auprès des lycéens du lycée Pierre Mendès France à Rennes. Afin de pouvoir mener à bien cette action, je souhaiterais de la documentation ainsi que dans la mesure du possible quelques conseils ».

274

Françoise Facy, Michel Debout

- « Je sais, la vie n’est pas toujours rose. Dans les moments difficiles, essaie de penser à toutes les personnes qui ont des problèmes beaucoup plus importants que toi : maladie, handicap... et imagine la vie de certains êtres humains dans les pays sous-développés (la faim, le sida, la guerre, etc.). Et là tu te dis qu’en fin de compte, je ne suis pas si malheureux au point de vouloir en finir avec la vie. Un petit conseil : lorsque tu as des idées noires, si tu en as la possibilité, exerce une activité physique qui puisse en même temps te faire réfléchir à tes problèmes. Pour ma part, j’ai choisi le footing et crois-moi, çà marche ! Il faut également essayer de rencontrer des personnes auxquelles tu puisses te confier. Parler est le meilleur des remèdes ! ».

Le genre a-t-il une influence sur le message transmis ? Les trois quarts des personnes ayant adressé un message ont indiqué leur sexe, parmi elles plus de la moitié sont des femmes (52,1 %). Peu de différences sont observées entre les deux sous-groupes. Les hommes sont un peu plus nombreux à vivre en ville (65 % versus 52 %), ils préfèrent adresser leur message par voie électronique (55 % versus 42 %) alors que les femmes choisissent préférentiellement la voie postale (46 % versus 36 %). Dans leur message, les hommes évoquent plus facilement les règles simples de vie, le comportement alimentaire et parfois la parapsychologie (Tableau VI).

Tableau VI. Comparaison Hommes versus Femmes. Auteur du message

Habitat

χ2

Homme

Femme

n = 222

n = 496

63 / 97

120 / 232

p = 0,0277

• courrier

79 / 222

226 / 496

p = 0,0103

• e-mail

121 / 222

210 / 496

• téléphone

22 / 222

60 / 496

• règles simples de vie

24 / 61

35 / 140

p = 0,0401

• comportement alimentaire

5 / 44

2 / 118

p = 0,0071

• parapsychologie

3 / 47

1 / 119

p = 0,0359

• ville

Support du message

Contenu et évocation du message

275

Acteurs et chercheurs en suicidologie

- « Il faut garder espoir. La vie est imprévisible. Le meilleur est à venir... et puis il y a le soleil, les fleurs, les animaux, beaucoup de beauté. Il y a surtout ton Étoile, elle est là-haut, elle te protège. Une grand-mère qui pense à toi ». - « Pense à toi d’abord (même si ça peut être égoïste) puis aux autres après. Profite de la vie, t’en as qu’une ! Profitez de votre jeunesse, le monde du travail arrive vite ! Pour ceux qui sont défaitistes, je vous conseille un bon film comique ou pensez tout simplement à l’amour ! L’amour peut tout changer ! Partagez vos peines et vos plaisirs et faites confiance à vos proches. Et respectez celle qui vous a mis au monde, c’est une chance et puis un bon verre de coca ou de champ fera du bien ! Ou sortez en boîte ! » (jeune/lycéen).

Le support du message a-t-il une influence ? Plus de la moitié des messages sont arrivés par courrier (n = 479 50,3 %), 4 sur 10 par voie électronique (n = 381 - 39,9 %) et le complément par téléphone (n = 93 - 9,8 %). Le sous-groupe de ceux qui se sont exprimés par courrier montre que 8 personnes sur 10 sont inactives puisque composé à 86 % par des élèves ou des étudiants. Ce sous-groupe de jeunes, communique plus facilement adresse et numéro de téléphone. Il transmet majoritairement et seulement un message dans lequel le deuil se trouve être le principal sujet. - « Ayant vécu l’épreuve du suicide d’un parent, je vous propose un message à l’occasion des Journées Nationales pour la Prévention du Suicide : Tu n’es pas seul(e), nous sommes avec toi, nous avons besoin de toi ». Le sous-groupe des auteurs de messages reçus par voie électronique transmet, lui aussi uniquement un message simple. Ces messages sont adressés plus particulièrement par des citadins déjà parents. Leur message s’adresse sous forme de lettre, à toute personne en général, avec en cas de recours nécessaire une recommandation vers un proche. Les ressources personnelles et les pensées positives sont les principales caractéristiques du contenu du message. - « Une vie c’est tout ! Aujourd’hui je souhaite dire : un sourire, un rayon de soleil, un signe de la main, un compliment, en un mot dire bonjour ! Ces mots je les répète journellement en rencontrant des gens, que je ne connais pas ou presque pas, dans la rue, dans l’ascenseur, dans un magasin, partout où je vais. Cela fait partie de ma vie parce que cela peut montrer aux gens qu’ils ne sont pas seuls. Comme nous

276

Françoise Facy, Michel Debout

l’a si bien dit André Malraux : “la vie ne vaut rien mais rien ne vaut la Vie” ». - « Toi qui souffres, je ne te demande pas qui tu es ni d’où tu viens, je souhaite simplement te respecter, t’amener doucement sans te brusquer un souffle léger pour te rafraîchir et te réchauffer... Je ne suis qu’un être humain avec ses ignorances et ses faiblesses, ses maladresses, ses impuissances : je n’arrêterai pas la tempête, je ne rafraîchirai pas la planète... Mais, qui sait, avec toi ce que nous pourrons faire ? Tu peux te reposer sur moi, frère ou sœur, pour l’instant je suis bien ancré au sol, et nous repartirons probablement chacun de notre côté car nous sommes des êtres de liberté, mais je n’oublierai pas ta souffrance, je n’oublierai pas ton existence ». Le sous-groupe des auteurs de messages reçus par téléphone est le plus âgé. Près de 7 sur 10 ont eu un vécu suicidaire (66 %). Parmi ces trois sous-groupes, c’est celui pour lequel un appel à l’aide est le plus marqué (7 %). - « Je vous remercie d’exister au travers d’un téléphone ; ce qui n’est pas facile toujours parce que parfois on est toujours en contact avec le téléphone et le courrier pour diverses raisons... par exemple une famille éloignée, personnellement j’avais ma mère qui allait mourir, mon père est décédé j’avais 20 ans par exemple - je suis désolée, ce n’est pas un message encourageant - mais j’avais 20 ans et j’étais de garde à l’hôpital, voilà, là ma mère j’étais là. (...) J’ai laissé plusieurs messages, c’est vrai qu’on est vite confronté à l’idée de vouloir mourir, par solitude autour de soi, par non-compréhension et par la solidarité familiale. Ce n’est pas un problème spécialement d’ordre mental, mais parfois tout à fait incompris. C’est un geste qui est rapide. Quand on s’en sort parfois on a une sensibilité qui est autre et on remercie celui qui finalement vous a sauvé, même en ayant été à l’extrême, en ayant subi une intubation, en ayant été à l’extrême par épuisement. Voilà, c’est très dur de parler sur ce téléphone ; je vous remercie d’exister et si cela peut apporter simplement... c’est vrai que parfois un geste, un mot, un sourire... parfois le sourire m’aide, dans la copropriété où je suis, le sourire de la gardienne, du gardien. (...) Voilà merci, au revoir. Je ne peux que dire cela, je suis une ancienne professionnelle de la santé et j’attends aussi que des gens qui ont pu écrire quoi que ce soit puissent peut-être réfléchir un jour car je ne sais pas si c’est bon de juger un suicide, de le traiter tel qu’on a pu le traiter, mais je ne veux pas entrer dans cette polémique. Il y a un dossier, soit, tentative de suicide, c’est important parfois la famille vous rejette mais on ne sait ni pourquoi ni comment ; parfois on est épuisé et puis le suicide des parents le

277

Acteurs et chercheurs en suicidologie

réitérant, et puis pas pour maman mais pour papa je suis arrivée trop tard, pas pour son suicide mais parce que j’étais de garde et qu’il fallait assumer (...) Merci ; au revoir ». Leur message s’exprime le plus souvent sous forme de mots (61 %) ou de citations (16 %), la foi et la pratique religieuse y sont évoquées plus souvent que dans les autres modes de transmission (Tableau VII). - « Quiconque invoquera mon nom sera sauvé (Jésus) ». - « Bon alors c’est Pascale de quarante et quelques. J’ai un message pour une inconnue ou un inconnu qui a fait une tentative de suicide. J’ai eu envie comme toi d’en finir c’était en 95, puis ma petite fille est arrivée l’année suivante c’est devenu mon rayon de soleil. Alors simplement ce que je voudrais te dire, c’est que nous ne sommes que de passage sur cette terre, il y a effectivement des choses horribles ici bas qui nous dégoûtent de l’existence, mais essaye de te raccrocher à quelque chose : la philosophie, la religion, la famille, les animaux, un hobby, que sais-je ; bien cordialement ». Ainsi, le support du message renvoie à des caractéristiques de personnes, comme à des contenus plus orientés pour les aides qui sont suggérées. Ces éléments - qui sont à approfondir par rapport notamment aux habitudes d’échanges et de correspondances de la Macif avec ses sociétaires - sont intéressants pour installer des bases de forum par exemple.

Destination sélective des messages : l’importance de l’entourage Les témoignages de l’entourage sont souvent marqués de souffrance. Ceux qui entourent le suicidaire se sentent souvent désarmés face à la maladie, la dépression et face à la détresse de l’autre. Ils sont partagés entre le fait de ne pas parvenir à aider. L’incompréhension de la détresse morale et du geste suicidaire est très manifeste. Particulièrement lorsqu’il s’agit de jeunes, si l’idée reçue est que les jeunes n’ont pas suffisamment vécu pour ressentir de la souffrance au point de vouloir en finir avec la vie. Vivre après le suicide d’un proche, implique le travail du deuil. Mais quel deuil ? Du proche ? Du geste en lui-même ?... La culpabilité est un poids à porter au point que les personnes cherchent quelqu’un ou quelque chose sur quoi la reporter. Souvent, dans un deuil post-suicide, un sentiment de révolte est exprimé. La souffrance des proches est immense. À ce sujet, nous

278

Françoise Facy, Michel Debout

Tableau VII. Comparaison entre les différents supports de « message pour la vie ». Auteur du message

Sexe

Âge

χ2

Courrier

E-mail

Téléphone

%

%

%

• femme

74

63

73

• homme

26

36

27

• < 25 ans

21

3

3

p < 0,0001

1

1

7

p < 0,0001

• seul

71

70

43

p < 0,0001

• témoignage pers

5

8

16

23

20

32

45 / 132

43 / 92

21 / 32

p = 0,0161

104 / 341

97 / 157

11 / 33

p < 0,0001

19 / 283

16 / 90

8 / 31

p = 0,0002

13 / 261

14 / 87

4 / 26

p = 0,0008

• ressource personnelle

162 / 238

129 / 162

9 / 16

p = 0,0143

• estime de soi

88 / 202

55 / 98

2 / 10

p = 0,0279

• foi, pratique religieuse

55 / 190

31 / 86

11 / 19

p = 0,0286

217 / 297

176 / 207

25 / 32

p = 0,0062

77 / 201

80 / 129

7 / 15

p = 0,0001

Appel à l’aide • oui

p = 0,0461

Contenu du message

• les deux Vécu suicidaire de l’auteur • oui Recours à un tiers recommandé • proche • autre

Recours à des professionnels recommandés • spécialiste de la prévention Contenu et évocation du message

• affection, générosité • pensées positives

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pouvons faire l’hypothèse que ces personnes se trouvent, au moment de la rédaction de leur message, en cours de travail de deuil. La peur d’exprimer visiblement de l’agressivité, suscitée par cette opération, mériterait d’être considérée. En effet, elles souhaitent à tout prix contenir cette agressivité. Tous les messages reçus expriment une souffrance immense. Elle est interne et insoutenable pour la personne en dépression. Pour son entourage, elle est paralysante, bloque les réactions. Ce que nous remarquons souvent, c’est que la personne en souffrance et l’entourage se sentent peu souvent soutenus par les professionnels et parfois même ignorés. Ils déplorent le manque de personnel formé à l’intervention que ce soit en urgence ou en accompagnement. Ce qui interroge sur l’investissement du suicide en politique sociale. Dans un certain nombre de cas, les auteurs de message ont précisé les personnes à qui ils souhaitent apporter une aide. On retrouve les facteurs de risque connus des professionnels de la prévention mais aussi des situations de vie assez générales. • « À ceux qui ont connu la maladie, Soyez entourés mais ayez du recul. La guérison se fait dans le calme. Recherchez la nature, les autres, le bon air pour vous vivifier. Sortez de l’atmosphère pesante des médicaments ou des traitements lourds et battez-vous contre la maladie ». • « À l’homme qui se croit seul, Celui qui se sent seul solitaire et qui lui aussi peut donner de son temps pour être bénévole ou bien trouver une occupation créative ou bien faire de la randonnée. Il faut se forcer à sortir de chez soi ». • « À la jeune fille qui n’arrive pas à surmonter ses problèmes, J’étais comme toi, petite, je me sentais mal parce qu’il n’y avait personne vers qui je pouvais me confier alors je me suis tournée vers l’écriture et je me suis passionnée pour beaucoup de choses, de sujet qui m’ont fait oublier mes malheurs ». • « À ceux qui ont eu le cancer ou qui ont une maladie incurable, Battez-vous toujours contre la maladie et ne la laissez jamais vous envahir. Le suicide vous enlèvera tout le bonheur que vous auriez pu avoir si vous aviez vaincu la maladie. Ne plus ressentir la douleur c’est extraordinaire mais il faut se battre contre la mort ». • « À la personne sans travail, Je suis comme vous sans travail mais ce n’est pas une raison de se suicider. Trouvez-vous une occupation intéressante, écrire, parlez, communiquez. Voir des gens

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simplement. Même à l’ANPE on peut communiquer entre gens de la même situation, il faut espérer. Bonne chance ». • « À la personne qui a subi un choc psychologique, Ne vous suicidez pas, essayez de changer de vie cela ne sert à rien de rester dans un endroit qui vous a rendu malheureux. Pour trouver le bonheur il faut partir ; renouveler les choses, vivre croire et repartir sur le bon chemin, la bonne étoile ». • « À la femme abandonnée, Ne vous suicidez pas parce que vous êtes seule ou abandonnée, je crois qu’il y a tant à faire aujourd’hui en tant que bénévole mais aussi avoir une activité créative, parler à ses voisins, restituer le bonjour même à des gens que l’on ne connaît pas. Engager la communication, parler c’est l’essentiel ». • « À celui ou celle qui se trouve dans un fauteuil roulant, Le fauteuil n’est pas la fin de tout. La vie est difficile pour vous mais vous pouvez encore faire de merveilleuses choses, avoir plein d’amis. Ne jamais se laisser aller ». • « À l’enfant, Ne te suicide pas. Si tu as un problème confie-le à quelqu’un de ton entourage ou même un petit camarade ou une personne âgée qui pourra t’écouter. Ne te suicide pas parce que la vie est bien plus importante que la mort. Elle est source de bonheur ». • « Au gendarme qui veut se suicider, Allez voir un psy, ne restez pas ainsi cela ne sert à rien de ruminer du noir. Le métier de la justice est très difficile et il vous faut beaucoup de courage pour affronter toutes les situations de la société. Confiez-vous à des amis qui n’occupent pas le même emploi que vous ». • « Aux jeunes gens qui ont raté leurs examens, Ne vous suicidez pas pour si peu. Comme quelqu’un me disait : “vous avez perdu une bataille mais pas la guerre”. Il faut se battre pour obtenir quelque chose c’est notre plus belle victoire ». • « À tous les autres gens qui pensent à se suicider quelles que soient leurs différences, Votre vie vous appartient bien sûr, vous êtes seul maître de vos opinions et de votre personne mais dans notre monde, je pense qu’il y a quand même des choses qui doivent nous donner envie de continuer de vivre. Mais lorsque l’on est plein de volonté on surmonte et on vit : la nature, les animaux, les amis, la créativité, les amours, les voyages, le savoir, la gastronomie, le sport... nous donnent envie d’évoluer, de communiquer. Il y a tout à faire, oublier nos petits malheurs et se tourner vers les autres, enfin trouver le bonheur. C’est ça l’essentiel de la vie, la mort laissez-la à ceux qui ont plus de 90 ans ».

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• « À toi qui te sens seul(e) et crois que personne ne t’aime, Je te dis avec ma confiance en toi et mon amitié : “Tu comptes pour moi infiniment” ».

Discussion et propositions Du fait de la répétition de l’opération « un message pour la vie », des analyses complémentaires sont à poursuivre mais d’ores et déjà, plusieurs points sont à souligner, utiles pour les cliniciens et acteurs de prévention : • la diversité des répondants à l’opération est illustrée par des sousgroupes, distincts par rapport à l’âge, au sexe, au lieu d’habitation, montrant combien l’intérêt par rapport à la prévention du suicide mobilise une population large ; • le mode de l’écriture est privilégié en particulier chez les femmes, incitant à orienter certaines actions comme des ateliers d’écriture, des échanges de correspondance, des forums d’expression... ; • le monde rural est particulièrement représenté dans ces messages, avec ses sensibilités, ses risques propres liés aux conditions matérielles d’éloignement ; • les aides suggérées sont diversifiées et évoquent les aspects multidimensionnels du fonctionnement social. Trois directions ressortent : l’axe comportemental, la recherche du sens de la vie, l’importance relative du champ professionnel.

Premières analyses épidémiologiques effectuées Une confrontation avec des professionnels de communication est organisée et suscite différentes « pistes » de communication en direction de deux cibles : les femmes en milieu rural et, par ailleurs, les chercheurs et les acteurs de la prévention du suicide. • Femmes en milieu rural

L’étude de l’Inserm, à partir de l’opération « Un message pour la vie » initiée par la MACIF et l’UNPS, met en évidence une forte participation des femmes vivant en milieu rural. Plus que les urbaines, celles-ci seraient violemment confrontées au suicide des hommes de leur entourage proche. Plusieurs types d’actions de communication sont envisageables et devraient répondre aux objectifs suivants : - rompre l’isolement de ces femmes ; - leur permettre de verbaliser leur mal-être ;

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- créer des réseaux de solidarité ; - les informer ; - les armer pour que, le cas échéant, elles puissent faire face au suicide d’un proche. • Actions – Une newsletter ou un magazine

Cette publication, résolument positive et tournée vers l’avenir, aurait pour objet d’informer, d’offrir des perspectives nouvelles, d’entraîner dans une dynamique positive, de créer de l’empathie. Chaque numéro serait composé de plusieurs rubriques : - Vécu : un reportage ou une enquête auprès de femmes qui ont réussi à se reconstruire après le suicide de leur père ou de leur mari ou de leur fils. - Construire demain : rubrique qui répertorie les perspectives professionnelles. Ces femmes se retrouvent parfois complètement démunies et l’idée est de leur présenter les possibilités de formation, de reconversion ou d’emploi dans leur région. - À qui s’adresser ? Pour les femmes ayant besoin d’un soutien psychologique, cette rubrique présentera, dans chaque numéro, une des différentes thérapies qui peuvent les aider : psychothérapie, thérapie familiale, psychanalyse... Elle s’accompagnera d’un encadré détaillant les modalités pratiques. - Que dit la loi ? Rubrique sur la législation en vigueur, et ses évolutions, concernant l’héritage et les successions. - Qu’en pensez-vous ? C’est un forum de discussion où les lectrices sont invitées à s’exprimer sur un thème donné. Bien sûr, le nombre de rubriques n’est pas limité. On peut envisager de construire un magazine, avec une pagination conséquente, qui apporte des réponses concrètes et positives à toutes les problématiques qui se font jour dans de telles circonstances. – Des ateliers d’écriture

De telles expériences ont déjà été menées dans des cadres très différents : avec des femmes en milieu carcéral ou encore avec les ouvrières licenciées des usines Daewoo (atelier créé par François Bon). Ces ateliers ont permis, dans le premier cas, d’écrire un scénario et de réaliser un film et, dans le second, d’écrire une pièce de théâtre qui a été montée à Avignon en 2004. Un atelier d’écriture avec ces femmes pourrait donner lieu à un

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livre, un film ou une pièce de théâtre. Le projet serait à construire avec elles. Il leur offrirait l’opportunité de mettre des mots sur leur souffrance, de faire acte de création et surtout de rompre l’isolement dans lequel beaucoup d’entre elles se trouvent. – Des clubs de lecture

Ces clubs proposeraient aussi bien des romans de qualité que des ouvrages de vulgarisation qui leur permettraient d’avancer dans leur réflexion ou les amèneraient même à entamer une thérapie. En d’autres termes, grâce aux livres, elles pourraient mieux cerner leur mal-être ou alors s’en évader. Pour intensifier les relations entre les femmes, on pourrait créer, par région, un réseau de lectrices qui échangeraient leurs impressions de lecture et, pourquoi pas, établiraient tous les mois ou tous les trimestres un classement des livres qui leur ont fait le plus de bien. – Des clubs de correspondance

On peut envisager deux types de structures : 1. Un lieu d’échanges entre femmes : elles s’écriraient, s’épauleraient les unes les autres, se donneraient des conseils... 2. Une cellule de soutien à laquelle les femmes s’adresseraient par courrier. Une équipe composée de psychiatres, psychologues, travailleurs sociaux ou de juristes apporteraient des réponses aux questions qu’elles se posent. • Chercheurs et acteurs de la prévention du suicide

Il s’agirait de créer un outil fédérateur qui permettrait aux chercheurs et aux professionnels de la prévention du suicide, d’une part, de communiquer entre eux, d’autre part, de mettre en perspective les recherches des uns et le travail de terrain des autres. Une recherche « suicide » sur Google fait apparaître 980 000 sites ayant un rapport direct - et parfois très indirect - avec le suicide. Au côté du portail généraliste de l’UNPS, www.infosuicide.org, des sites associatifs d’écoute, des sites personnels, de ceux de différents médias, on trouve disséminés un certain nombre de sites scientifiques comme : www.doccismef.chu-rouen.fr (Catalogue et index des sites médicaux francophones) qui répertorie des contributions, articles, actes de congrès, www.med.univ-rennes1.fr/etud/pediatrie/TS.htm où une étude approfondie s’intéresse aux tentatives de suicide des adolescents, le site de l’Inserm qui permet de télécharger les textes de séminaires sur

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la question, celui du ministère de la Santé ou ceux des Comités départementaux d’éducation pour la santé... Il n’existe pas, semble-t-il, un site qui centraliserait l’ensemble des travaux sur le suicide des chercheurs, médecins, psychiatres, sociologues, travailleurs sociaux... Offrant une bibliographie exhaustive, des textes téléchargeables, des statistiques, des études de cas, des fiches de synthèse... un tel site serait un outil de communication précieux pour l’ensemble de ces intervenants. Il pourrait devenir aussi un lieu de dialogue permanent si on y adjoint un forum scientifique.

Conclusion L’opération ayant suscité de nombreux intérêts et questionnements à l’UNPS, après les analyses des messages en perspective socio-épidémiologique et clinique, est reconduite par la MACIF en 2005. Les messages envoyés en 2005 à l’UNPS sont analysés de façon identique aux premiers suivant la même grille Inserm, pour tester la validité des premiers résultats, par rapport aux sous-groupes et par rapport aux supports d’expression choisis. Des modes de correspondances avec les sociétaires seront examinés par les responsables de la prévention à la MACIF et les professionnels de l’UNPS. La première opération montre déjà les attentes importantes en matière de prévention du suicide d’une population très large, en terme de lien social, de partage d’expériences personnelles et d’événements de vie, de recommandations et d’aides se situant dans tous les registres d’activités humaines, bien au-delà de recours aux seuls professionnels de santé. Qu’en est-il de la responsabilité et de l’engagement d’organismes mutualistes, après une telle offre de participation où les suggestions d’actions peuvent se synthétiser par : - un service de courrier et correspondance, avec du personnel ad-hoc pour répondre, et organiser une édition collective, avec comité de lecture garantissant éthique et confidentialité ; - un forum Internet et SMS à structurer ; - une écoute téléphonique, avec orientation si besoin vers un réseau spécialisé comme les associations de l’UNPS et participation éventuelle des sociétaires de la MACIF volontaires et formés, en partenariat avec des structures de téléphonie sociale ; - des rencontres-débats sur les modèles des « universités pour tous » proposés aux sociétaires et organisés en partenariat avec des spécialistes en prévention, éducation pour la santé et suicidologie ;

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- des expositions sur panneau ou affichage (RATP). Une démarche similaire faite par l’UNPS avec une expérimentation en milieu scolaire, ouvre des perspectives complémentaires mais nécessite la validation de la méthode de prévention, pour une application plus répandue dans les établissements scolaires, en lien avec la démarche citoyenne et l’éducation à la santé. Au niveau de la recherche, le partenariat entre la mutuelle et une équipe Inserm est un exemple d’alliance entre « acteurs et chercheurs » pour faire émerger une démarche sociale forte d’écoute et d’expressions, qui puisse influer sur l’organisation de la prévention des conduites suicidaires.

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PERSPECTIVES

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ACTEURS ET CHERCHEURS EN SUICIDOLOGIE Michel Debout, Françoise Facy

Cet ouvrage rassemble des textes et des réflexions présentés à l’UNPS ou suscités à son initiative, qui illustre les questionnements, les essais et les démarches entreprises en commun, entre chercheurs et acteurs en suicidologie, dans les dernières années d’évolution de l’UNPS. Sans prétendre à l’exhaustivité, car d’autres sensibilités existent à l’UNPS, le choix délibéré de cette synthèse à partir du colloque sur « violence et suicide » reprend les thématiques propres à la recherche scientifique, en précisant les définitions et concepts retenus et en détaillant plusieurs recherches-actions menées à l’UNPS, à partir de lieux de vie généraux (comme les transports) ou de milieu de prévention (enseignement secondaire) ou de lieux de soins (hôpitaux et centres spécialisés). Ces exemples ouvrent des perspectives non seulement en terme d’informations mais aussi en terme de partenariat. Le pari d’encourager les interfaces entre acteurs (professionnels écoutants, bénévoles et entourage familial) et chercheurs se révèle plus prometteur qu’attendu, avec une grande diversité des situations et lieux de vie où s’exercent attention et prise en charge des risques suicidaires, sans requérir nécessairement une professionnalisation spécifique (exemple de l’étude avec les sociétaires d’une mutuelle). Mettre les chercheurs en lien avec de nombreuses composantes de la vie sociale donne un rôle d’utilité aux « sciences humaines et sociales », souvent critiquées pour leur éloignement des conditions pratiques des activités humaines, sans pour autant méconnaître les limites des discordances et décalages notamment dans le temps, par rapport aux interventions : l’absence de démonstration scientifique de l’efficacité de certaines actions doit-elle les faire stopper, par exemple ? La transposition de certains modèles peut-elle s’envisager sans évaluation spécifique ?...

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La diversité des milieux de vie sensibilisés aux risques suicidaires montre combien le champ de la santé - noyau principal - est en interrelation avec l’ensemble des activités humaines, tout au long du parcours de vie, de l’éducation à l’exercice professionnel, à la vie affective et relationnelle ; les structures sanitaires et sociales rythment les étapes de vie et sont des partenaires institutionnels pour l’UNPS. Entre sciences humaines et santé, une communauté scientifique est naturellement rassemblée en suicidologie et l’UNPS peut assurer la coordination d’expertises et d’évaluations, à partir de son réseau d’associations et d’intervenants. Devant les acquis et incertitudes de la prévention du suicide, (comme pour d’autres comportements à risque), devant les succès et échecs des traitements en psychopathologie (comme pour d’autres secteurs de santé mentale), la recherche en suicidologie ne peut qu’être pragmatique, en laissant une place importante aux intervenants de différents lieux de vie et de soins, pour construire avec eux des protocoles de recherche rigoureux, cohérents entre les orientations générales de Santé Publique et les sensibilités professionnelles catégorielles. De telles options dépendent de choix politiques et sociaux affirmés pour une véritable recherche publique dans ce domaine, comme elle existe dans d’autres pays. Les hésitations face à la nécessaire restructuration de la recherche (l’organisation actuelle dépend de la loi d’orientation et programmation de 1982) ne favorisent pas l’engagement de projets simultanés venant de disciplines différentes, indispensables en suicidologie. Des pistes de réflexion existent, à l’instar d’autres pays, comme les États-Unis, pour définir des champs de recherche en fonction de la demande sociale. Ainsi, sur le modèle de la recherche cardiovasculaire (American Heart Association), les problématiques de santé pourraient être abordées par trois approches : biologique (Basic Science), clinique (Clinical Science) et populationnelle (Population Science). Pour la France, les acteurs doivent rester mobilisés pour exprimer une attente sociale multiple de recherches simultanées dans différentes disciplines. L’UNPS, de par son expérience de 10 ans, peut contribuer de façon active à la constitution d’un lieu ressource tant documentaire que de recherche et de formation, à la hauteur des enjeux de santé, dans l’ensemble des dimensions définies par l’OMS.

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Achevé d’imprimer par Corlet, Imprimeur, S.A. 14110 Condé-sur-Noireau No d’Imprimeur : 88566 - Dépôt légal : février 2006 Imprimé en France