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French Pages 200 Year 1996
BEIHEFTE ZUR ZEITSCHRIFT FÜR ROMANISCHE
PHILOLOGIE
BEGRÜNDET VON GUSTAV GRÖBER FORTGEFÜHRT VON WALTHER VON WARTBURG UND KURT BALDINGER HERAUSGEGEBEN VON MAX PFISTER
Band 275
ROBERT DE DARDEL
A la recherche du protoroman
MAX NIEMEYER VERLAG TÜBINGEN 1996
Die Deutsche Bibliothek - CIP-Einheitsaufnahme [Zeitschrift für romanische Philologie /Beihefte] Beihefte zur Zeitschrift für romanische Philologie. - Tübingen : Niemeyer Früher Schriftenreihe Reihe Beihefte zu: Zeitschrift für romanische Philologie ISSN 0084-5396 NE: HST Bd. 275. Dardel, Robert de: A la recherche du protoroman. - 1996 Dardel, Robert de: A la recherche du protoroman / Robert de Dardel. - Tübingen : Niemeyer, 1996 (Beihefte zur Zeitschrift für romanische Philologie ; Bd. 275) ISBN 3-484-52275-5 ISSN 0084-5396 © Max Niemeyer Verlag GmbH & Co. KG, Tübingen 1996 Das Werk einschließlich aller seiner Teile ist urheberrechtlich geschützt. Jede Verwertung außerhalb der engen Grenzen des Urheberrechtsgesetzes ist ohne Zustimmung des Verlages unzulässig und strafbar. Das gilt insbesondere für Vervielfältigungen, Übersetzungen, Mikroverfilmungen und die Einspeicherung und Verarbeitung in elektronischen Systemen. Printed in Germany. Gedruckt auf alterungsbeständigem Papier. Satz und Druck: Allgäuer Zeitungsverlag GmbH, Kempten Einband: Heinr. Koch, Tübingen
Cet ouvrage est dédié à ANNIE, qui insuffle chaque jour à notre vie familiale l'harmonie et la sérénité si nécessaires au travail.
V
Avant-propos
Contrairement à ce que beaucoup pensent, les parlers romans ne descendent que partiellement du latin que nous connaissons par les textes. Ils descendent d'un latin parlé, à certains égards très différent du latin écrit et qu'on peut reconstruire à l'aide de la méthode comparative historique, sous le nom de protoroman. L e romaniste d'aujourd'hui, attiré par les multiples perspectives qui se sont ouvertes au cours des dernières décennies, a quelque peu perdu de vue la bonne vieille grammaire comparée, qui fut pourtant le berceau des études romanes. L e but de ce livre est de donner une idée de ce que cette méthode représente actuellement. En effet, loin d'être un objet empoussiéré, à reléguer au musée des sciences, elle se marie fort bien avec la plupart des aspects de la linguistique générale récente (structuralisme, sociolinguistique, typologie, théorie des traits universels) et conserve, sous une forme renouvelée, sa vitalité d'antan. Grâce à elle, le protoroman émerge peu à peu et se profile, non sans susciter du reste l'étonnement, voire le scepticisme, des romanistes et des latinistes. Le premier chapitre est un exposé sur la méthode en tant qu'appliquée à la reconstruction du protoroman, sur ses possibilités et ses limites, sur la nature des problèmes qu'elle permet de traiter et des solutions qu'elle apporte. Dans les chapitres 2 et 3, nous analysons, selon cette approche, deux aspects de la syntaxe positionnelle. Il ne s'agit encore que d'hypothèses protoromanes brossées à grands traits et provisoires, que d'autres chercheurs pourront ensuite tester sur chacun des parlers romans et, au besoin, corriger ou compléter. Nous tenons à remercier Mme Ans de Kok (Université d'Amsterdam) d'avoir bien voulu examiner et critiquer la version initiale de ce livre, et M. Federico Spiess (ancien rédacteur en chef du Vocabolario dei dialetti della Svizzera italiana) de nous avoir aidé à interpréter certains exemples obscurs. Il va sans dire que la responsabilité de la version définitive n'incombe qu'au signataire de ces lignes. Notre gratitude va enfin à M. Max Pfister, pour avoir accepté ce livre dans la série qu'il dirige.
VII
Table des matieres
Chapitre ι: Le protoroman: état actuel de la méthode et possibilités de la reconstruction
1.1. 1.2. 1.2.1. 1.2.2. 1.2.3. 1.3. 1.3.1. 1.3.1.1. 1.3.1.1.1. 1.3.1.1.2. 1.3.1.1.3. 1.3.1.1.4. 1.3.1.1.5. 1.3.1.2. 1.3.1.2.1. ι .3.1.2.1.1. 1.3.1.2.1.2. 1.3.1.2.1.3. 1.3.1.2.1.4. 1.3.1.2.1.4.1. 1.3.1.2.1.4.2. 1.3.1.2.1.4.3. 1.3.1.2.1.5. 1.3.1.2.1.6. 1.3.1.2.2. 1.3.1.2.3. 1.3.1.3. 1.3.1.3.1. 1.3.1.3.2. 1.3.1.3.2.1.
Introduction Bref historique du comparatisme Postulat de la protolangue Modèles Statut privilégié du protoroman Protoroman: perfectionnement du modèle Modèle bidimensionnel Notes théoriques Romania Rapports entre la langue mère et le protoroman . . Uniformité du protoroman Tradition orale pertinente aux parlers romans (TOP) Analyse spatio-temporelle Reconstruction (schéma 1) Hypothèses minimales au premier degré Traits universels Lois phonétiques Traits anomaux Evolutions parallèles Evolution sémantique Evolution des structures relationnelles Fiabilité Traits prosodiques Faits de parole Hypothèses minimales au second degré Hypothèses maximales Description Description interne Description externe Isoglosses (schémas 2, 3 et 4)
ι 2 2 2 4 4 4 5 5 5 6 6 7 9 10 10 11 12 14 14 15 16 16 17 17 18 19 19 21 21 IX
3·ΐ·3·2.2. 3.1.3-2.3· 3.1.3.3. 3.1.4. 3.1.4.1. 3.1.4.2. 3.1.4.3. 3.1.5. 3.1.5.1. 3.1.5.2. 3.1.5.3. 3.1.6. 3.1.6.1. 3.1.6.2. 3.1.6.3. 3.1.7. 3.1.8. 3.2. 3.2.1. 3.2.2. 3.2.2.1. 3.2.2.2. 3.2.2.3. 3.2.2.4. 3.2.2.5. 3.2.2.6. 3.2.2.7. 3.2.3. 3.2.3.1. 3.2.3.2. 3.2.4. 3.2.5. 3.2.6. 4. 4.1. 4.2. 4.2.1. 4.2.2. 4.3. 4.4. 5.
Chronologie Faits de parole Résultats globaux Dérivation Généralités Parlers romans spécifiques Vue panromane Le protoroman comme langue, abstraction et hypothèse Le protoroman comme langue Le protoroman comme abstraction Le protoroman comme hypothèse Apport du latin écrit Risques que comporte le recours au latin écrit . . . Avantages du latin écrit Conclusion Primauté de la démarche inductive Formalisation et théorisation Modèle tridimensionnel Correspondance entre le latin écrit et le protoroman Ecart entre le latin écrit et le protoroman Aspects chronologiques Aspects quantitatifs Origine Saut Thèse de la diglossie «Les parlers romans sont issus du latin» Variabilité en diachronie Paradoxe latino-roman et substitution de normes . Irruption de la norme classique Irruption de normes non classiques Latin, substrats et superstrats Latin écrit classique et non classique Résultats Protoroman: bilan Vérification des hypothèses relatives au protoroman Degré de réalité du protoroman Aspect qualitatif Aspect quantitatif Visage actuel du protoroman Perspectives d'avenir Conclusion
23 24 24 25 25 26 26 28 28 29 29 30 30 32 33 33 34 35 36 36 36 37 37 38 38 38 39 40 40 41 42 42 43 44 44 45 45 46 47 48 49
Chapitre 2: La place du sujet et du verbe dans les propositions subordonnées 2.1. 2.2. 2.2.1. 2.2.1.1. 2.2.1.2. 2.2.1.2.1. 2.2.1.2.2. 2.2.1.3. 2.2.1.3.ι. 2.2.1.3.2. 2.2.1.3.3. 2.2.1.3.4. 2.2.1.3.5. 2.2.1.3.5.1. 2.2.1.3.5.2. 2.2.1.3.5.3. 2.2.1.3.5.4. 2.2.1.3.5.5. 2.2.1.3.5.6. 2.2.1.3.6. 2.2.1.4. 2.2.2. 2.3. 2.3.1. 2.3.1.1. 2.3.1.2. 2.3.2. 2.3.2.1. 2.3.2.1.ι. 2.3.2.1.1.1. 2.3.2.1.1.2. 2.3.2.1.2. 2.3.2.2. 2.3.2.2.1. 2.3.2.2.2. 2.3.2.2.3. 2.3.2.2.3.1. 2.3.2.2.3.2.
Introduction Terminologie et symboles Terminologie Terminologie relative à l'analyse discursive Terminologie relative à la base Proposition non marquée Base et ordre basique Terminologie relative à la non-base Proposition marquée Non-base et ordre non basique Extension de l'ordre basique Proposition minimalement marquée Non-bases pertinentes à l'ordre des termes Non-base topique Non-base discursive Non-base emphatique Non-base existentielle Non-base interrogative Non-base subordonnée Relations entre non-bases Subordonnant Symboles (en complément des indications des pages XV-XVI) Formulation du problème et état de la question . . Formulation du problème pour le français contemporain Situation dans le français contemporain (schéma 5) Hypothèse de travail Recherches antérieures Linguistique générale Ordre des termes en général Niveaux syntaxique et discursif Base Ordre des termes dans les propositions subordonnées Linguistique romane Ordre des termes en général Bases et non-bases Ordres SV et VS Sources Synchronie
51 51 51 51 53 53 53 53 53 54 54 54 55 55 55 55 56 56 56 56 57 57 58 58 58 61 61 61 61 61 62 63 63 64 65 65 65 66 XI
2.3.2.2.3.2.1. 2.3.2.2.3.2.1.1. 2.3.2.2.3.2.1.2. 2.3.2.2.3.2.1.3. 2.3.2.2.3.2.1.4. 2.3.2.2.3.2.2. 2.3.2.2.3.3. 2.3.2.2.4.
VS non emphatique Description Facteurs Obstacles à la formulation de règles Trait universel? VS avec emphase du verbe Diachronie Ordre des termes dans les propositions subordonnées 2.3.2.2.4.1. Sources 2.3.2.2.4.2. Synchronie 2.3.2.2.4.2.1. Verbe final dans la structure %s(S)OV 2.3.2.2.4.2.2. SV et VS 2.3.2.2.4.2.2.1. Corrélations marginales 2.3.2.2.4.2.2.2. Corrélations centrales 2.3.2.2.4.3. Diachronie 2.3.2.2.4.4. Protoroman 2.3.2.2.5. Bilan 2.3.3. Hypothèses nouvelles sur le protoroman 2.3.3.1. Bases et non-bases 2.3.3.1.1. Bases 2.3.3.1.2. Non-bases 2.3.3.1.3. Filiation 2.3.3.2. Subordonnées 2.3.3.3. Hypothèses 2.3.3.4. Résultats 2.4. Analyse 2.4.1. Corpus d'exemples romans 2.4.1.1. Ordres non-basiques 2.4.1.1.1. Non-base topique 2.4.1.1.2. Non-base emphatique 2.4.1.1.3. Non-base existentielle 2.4.1.2. Ordres basiques 2.4.1.2.1. Ordres basiques réalisés par une structure ternaire 2.4.1.2.1.1. Base =SOV 2.4.1.2.1.2. Base =VSO 2.4.1.2.1.3. Base =OVS 2.4.1.2.1.4. Base =SVO 2.4.1.2.2. Ordres basiques réalisés par une structure binaire 2.4.1.2.2.1. VS (=VS[0], =[0]VS) 2.4.1.2.2.2. OV (=[S]OV, =OV[S]) 2.4.1.2.2.3. SV (=S[0]V, =SV[0]) 2.4.1.2.2.4. VO (=V[S]0, =[S]VO) 2.4.2. Description XII
66 66 69 69 71 71 72 72 72 73 73 74 74 75 77 78 78 78 79 79 80 81 81 81 81 83 84 84 84 86 89 90 90 90 91 92 93 95 95 97 98 100 102
2.4.2.1. 2.4.2.1.ι. 2.4.2.1.2. 2.4.2.1.2.1. 2.4.2.1.2.2. 2.4.2.1.2.3. 2.4.2.1.2.4. 2.4.2.1.2.5. 2.4.3. 2.4.3.1. 2.4.3.2. 2.4.3.3. 2.4.3.4. 2.4.3.5. 2.4.3.6. 2.4.3.7. 2.4.3.8. 2.4.3.9. 2.5. 2.5.1. 2.5.2. 2.5.3.
Evolution du système et des rapports spatio-temporels (schéma 6) Constantes sur l'axe temporel Variables sur l'axe temporel Protoroman-Ai Protoroman-A2 Protoroman-B Protoroman-C Suite de l'évolution Commentaires Origine de la corrélation entre SV/VS et s[m]/s[b] Date de l'avènement de l'ordre basique SVO . . . Arguments pour la non-base discursive Données chiffrées et règles (à propos de Wall 1980) Variable des ordres basiques à structure ternaire / binaire Décalage entre les types de proposition Décalage entre les parlers romans Types romans non inclus dans la description . . . . Caractère provisoire de la présente analyse et problèmes en suspens Conclusion Réponse aux questions formulées au début Variable fonctionnelle Particularité des parlers romans
102 102 104 104 104 106 106 108 109 109 109 110 ni ni ni 112 112 113 113 113 114 114
Chapitre 3: L'ordre des pronoms régimes atones combinés 3·ΐ· 3.2. 3.2.1. 3.2.2. 3.2.3. 3.2.4. 3.2.5. 3.3. 3.3.1. 3.3.1.1. 3.3.1.2. 3.3.1.2.1. 3.3.1.2.2. 3.3.1.3.
But Introduction méthodologique et terminologique . . Système des pronoms en protoroman (schéma 7) . Structure des combinaisons Problèmes de méthode Plan Symboles (en complément des indications des pages XV-XVI) (schéma 8) Etat de la question Niveau des parlers romans Recherches sans perspective protoromane Recherches comportant une perspective protoromane Vue d'ensemble Précisions et références (schéma 9) Autres problèmes
115 115 115 118 119 120 120 121 121 121 122 122 123 124 XIII
3·3· 2 · 3.3.2.1.
125 125
3.4. 3.4.1. 3.4.1.1. 3.4.1.1.1.
Niveau du protoroman Trois types d'hypothèse (schémas 10, 11 et 12) . . . Hypothèses formulées en marge des recherches . . Hypothèses en tant que but des recherches Bilan Règles et tendances du protoroman Pronoms joints de la série ancienne Combinaison a Protoroman-A
3.4.1.1.2.
Protoroman-D
133
3.4.1.2.
Combinaison b
134
3.4.1.2.1.
Protoroman-A
134
3.4.1.2.2.
Parlers romans
135
3.4.1.3.
Combinaison c
136
3.4.1.3.ι.
C o m b i n a i s o n c1
137
3.4.1.3.1.1.
Protoroman-A
137
3.4.1.3.1.2.
Protoroman-B
137
3.4.1.3.2.
C o m b i n a i s o n c2
138
3.4.1.3.2.1. 3.4.1.3.2.2.
Protoroman-A Protoroman-B
138 139
3.4.1.4.
Combinaisons ternaires
140
3.4.2. 3.4.3.
141 141
3.5. 3.5.1. 3.5.1.1.
Pronoms joints de la série nouvelle Pronoms disjoints Commentaires Commentaire descriptif Combinaisons binaires (schéma 13)
142 142 142
3.5.1.2. 3.5.1.3.
Combinaisons ternaires Valeur d e la m a t r i c e
143 143
3.5.1.4.
Rigidité de l'ordre
144
3.5.1.5.
Position d e la c o m b i n a i s o n
144
3.5.1.6.
Indépendance de l'ordre des termes de la combinaison
145
3.5.1.7. 3.5.1.8.
T e n d a n c e à la j o n c t i o n Intégration retardée
145 145
3.5.1.9.
Extension spatiale du second type MIHI ILLUM . . . Aires romanes de MIHI ILLUM et ILLUM MIHI (combinaison a) (schéma 14) Combinaison c Vérification de l'hypothèse par la description . . . . Commentaire explicatif Causes de l'intégration retardée Rôle de la position des objets nominaux Rôle de la position de la combinaison par rapport au verbe
146
3.3.2.2. 3.3.2.3. 3.3.3.
3.5.1.10.
3.5.1.11. 3.5.1.12. 3.5.2.
3.5.2.1. 3.5.2.2. 3.5.2.3.
XIV
126 127 130
131 131 131 131
147 148 148 149
149 149
149
3·5·2·4· 3.5.2.5. 3.5.2.5.1. 3.5.2.5.1.ι. 3.5.2.5.1.2. 3.5.2.5.2. 3.5.2.5.2.1. 3.5.2.5.2.1.ι. 3.5.2.5.2.1.2. 3.5.2.5.2.1.3. 3.5.2.5.2.2 3.5.2.6. 3.5.2.7 3.5.2.8. 3.6. 3.6.1. 3.6.2. 3.7.
Rôle du sens Rôle du rythme Position de la combinaison Combinaison et mot phonique Des pronoms disjoints à la combinaison clitique . . Ordre des termes combinés Synchronie Application à l'ensemble c Application aux ensemble a et b Traits distinctifs (schéma 15) Diachronie Combinaisons ternaires Evolution indépendante des rapports sémantiques Vérification de l'hypothèse par l'explication . . . . Critique des études antérieures Niveau des parlers romans Niveau du protoroman Conclusion
150 151 151 151 152 154 154 154 154 155 156 157 157 158 158 158 159 161
Etudes, atlas et dictionnaires Textes
163 177
Tableau des exemples de 2.4.1 Tableau des exemples de 3.4.1
181 182
Ouvrages cités ι. 2.
Annexes ι. 2.
XV
Symboles et conventions valant pour l'ensemble de l'ouvrage Des listes complémentaires figurent en 2.2.2 et 3.2.5.
Langues et parlers PR
protoroman
PO ES CA OC FR FP SA IT RH DA RO
portugais espagnol catalan occitan français francoprovençal sarde italien rhéto-roman dalmate roumain
Les exemples latins et protoromans sont donnés en capitales. Les exemples protoromans sont donnés sans astérisque.
Termes selon l'analyse syntaxique (..) C O S V X et Y
terme facultatif complément circonstanciel (syntagme verbal) ou complément de nom (syntagme nominal) objet nominal ou pronominal tonique; attribut nominal, adjectival ou pronominal tonique sujet nominal ou pronominal (originairement tonique) verbe conjugué S, O ou C
Termes selon l'analyse discursive R Τ
rhème thème
XVII
Degrés de grammaticalité * ?
énoncé agrammatical énoncé d'une grammaticalité douteuse
Références aux sources ch. col. 1. P· t. V.
chapitre colonne ligne page texte vers
Dans le texte et les exemples, les références non spécifiées renvoient à des paragraphes. La version française moderne des exemples bibliques est tirée de la Traduction oecuménique de la Bible, Paris: Alliance biblique universelle - Le Cerf, 1972.
Schémas Dans les schémas qui figurent l'évolution verticalement (il s'agit des schémas 2, 3, 4, 9, 10, h , 12 et 14), l'évolution part du bas (protoroman) et va vers le haut (parlers romans).
Exemples protoromans Dans les exemples protoromans, les substantifs sont donnés en principe à l'accusatif (par exemple PAULUM), conformément au système acasuel qui domine le protoroman à ses débuts.
XVIII
Chapitre ι Le protoroman: état actuel de la méthode et possibilités de la reconstruction
i . i . Introduction Dans toute science et de tout temps sans doute, il y a un domaine de la recherche ou une méthode que les chercheurs traitent en parent pauvre. Dans la linguistique romane de la seconde moitié de ce siècle, la grammaire comparée historique, négligée et, ce qui va de pair, mal connue, est un de ces parents pauvres. A u cours de notre carrière, nous nous sommes fait l'avocat de cette méthode, moins dans le but de la secourir dans sa faiblesse, que poussé par la conviction qu'elle a encore un rôle important à jouer, pour peu du moins qu'on la perfectionne en lui incorporant les acquis récents de la linguistique générale. A u sujet de la possibilité ou de l'opportunité de reconstruire, à partir des parlers romans, leur langue mère et au sujet de la solidité de ces reconstructions, les opinions régnantes sont des plus contrastées; elles vont du refus pur et simple à la confiance aveugle, en passant par des points de vue mitigés, qui, à notre avis, se rapprochent le plus de la vérité. Une telle divergence de vues, chez des chercheurs réputés sérieux, tient sans doute à ce que, pour des raisons multiples, ce complexe de problèmes est mal perçu par les uns et par les autres. Dans ces conditions, il nous paraît utile de faire le point, en présentant ici les possibilités et les limites du comparatisme historique, telles que nous les voyons actuellement dans le domaine, privilégié entre tous, des parlers romans. Il ne s'agit que d'un survol, où nous nous permettons de renvoyer, chemin faisant, à d'autres études, dont plusieurs de notre main, dans lesquelles le lecteur trouvera au besoin des renseignements plus détaillés, des exemples et des références bibliographiques supplémentaires. Bien que, pour mieux situer notre position, nous abordions çà et là des vues méthodologiques différentes des nôtres, ce chapitre ne se veut ni une histoire ni un traité du comparatisme, pour lesquels nous renvoyons le lecteur aux manuels classiques, à la discussion des modèles chez J. Knobloch (1965) et à l'ouvrage récent de H. H. Hock (1986: ch. 18 et
19)·
ι
1.2.
Bref historique du comparatisme
1.2.1. Postulat de la protolangue Depuis le X I X e siècle, des linguistes pratiquent la méthode dite comparative historique et, à l'aide de cette méthode, reconstruisent des protolangues. Cette méthode se fonde sur le postulat que des langues a priori parentes ont leur origine dans une langue commune, dont, au moins pour la partie grammaticale de leur système - la partie en principe la plus stable - elles sont toutes dérivées. Cette langue commune sera appelée ici langue mère, en tant que langue qui a réellement existé, mais protolangue, en tant que langue que le comparatiste reconstruit à partir des langues filles. L'ensemble constitué par la langue mère ou la protolangue et les langues filles est, au sens génétique du terme, une famille de langues, dans laquelle cependant des influences externes, sans lien génétique donc, sont toujours possibles. Si nous avons dit que l'existence d'une langue mère ou d'une protolangue est un postulat, c'est parce que, dans la plupart des familles de langues, la langue mère et, par conséquent, la protolangue se situent en période préhistorique et ne sont pas attestées. Le principal appui que reçoit ce postulat réside dans le fait que (pour employer une formule courante des comparatistes) «tout se passe, dans les langues attestées supposées parentes, comme si elles avaient un ancêtre commun». La méthode comparative historique a alors pour tâche de trier et d'analyser dans ces langues les éléments qui nous font dire qu'elles sont parentes, puis, par inférence, d'extraire de ces langues et d'extrapoler ce qui paraît remonter à un ancêtre commun (reconstruction) et, finalement, d'examiner le système de cet ancêtre commun en sa qualité de protolangue (description). Une fois la protolangue reconstruite et décrite, le linguiste peut envisager l'évolution dans son ensemble et notamment observer les processus à travers lesquels une langue mère se transforme en langues filles (dérivation). Signalons d'emblée, quitte à y revenir plus tard (1.3.1.5), trois caractéristiques de toute protolangue. (1) La protolangue est une abstraction; (2) sa reconstruction et sa description relèvent d'hypothèses; (3) cellesci, à cause de la manière dont opère la comparaison, ne livrent directement que des faits de langue, point les faits de parole. 1.2.2. Modèles Il est probable que la recherche ne surmontera jamais le handicap qui découle de ce que la protolangue n'est pas attestée. En revanche, on a cherché et on cherche toujours à améliorer la méthode comparative histo2
rique, de manière à ce que la protolangue devienne le reflet le plus fidèle possible de la langue mère et à ce que sa transformation en plusieurs langues filles prenne des contours plus nets et plus réalistes. De nos jours, cette amélioration a moins pour objet les techniques de la reconstruction que la description de la protolangue sur le plan théorique. Et c'est dans cet esprit qu'on en a remanié le modèle, c'est-à-dire la manière dont les chercheurs pensent qu'il faut concevoir, dans l'abstrait et pour toute famille de langues, le rapport de filiation entre la protolangue et les langues filles. Dans cette quête, on est parti du modèle de l'arbre (), qui représente, pour des traits isolés, les langues filles comme les ramifications d'un arbre, dont le tronc figure la protolangue; mais ce modèle ne convient pas à la description de structures où se combinent plusieurs traits, voire d'un système tout entier, en ce que la configuration des embranchements peut y être différente d'un trait à l'autre. Cet inconvénient est levé par le modèle plus réaliste dit des ondes (), selon lequel les innovations qui constituent le passage de la protolangue aux langues filles se propagent comme des ondes successives, en cercles concentriques, mais partant de points différents et s'entrecroisant. Le comparatisme historique a aussi lancé la réflexion dans une direction opposée; on se demande en effet si la langue mère ne serait pas en réalité plutôt le résultat d'une convergence de langues d'origines diverses, mais s'étant mutuellement influencées par une cohabitation prolongée (); et l'on insiste avec raison, à ce propos, sur la difficulté qu'il y a à distinguer, dans le lointain passé reconstruit, le mot hérité de l'emprunt. Il se produit enfin, dans cette quête théorique, le phénomène suivant, propre sans doute à toute recherche: au fur et à mesure que nous pénétrons dans les secrets d'une protolangue et de la manière dont elle évolue et se transforme en langues filles, nous découvrons que les choses sont plus complexes qu'on se le figurait au départ, au point que le modèle des ondes lui-même ne suffit déjà plus à en rendre entièrement compte. Ainsi, la protolangue, souvent conçue, à l'origine, comme un tout plus ou moins uniforme, prend peu à peu l'allure d'un ensemble complexe, non seulement fractionné dans le temps et dans l'espace, comme le prévoit le modèle des ondes, mais aussi reflétant la dimension diastratique de la langue mère. Et puis, la tradition orale qui, de génération en génération, transmet la protolangue en la diversifiant et qui nous apparaissait jadis comme représentant une évolution linéaire et graduelle, réductible essentiellement à des lois d'évolution phonétique et à des remaniements analogiques, se présente aujourd'hui sous un jour nouveau: elle se signale par des changements qui, telle l'inversion de l'évolution attendue, prennent notre expérience traditionnelle de la diachronie à contre-pied; et il s'y manifeste, de manière plutôt surprenante pour l'observateur moderne, des bouleversements précipités et des interférences de normes, aussi bien 3
sur le plan interne (entre les niveaux de la langue mère) que sur le plan externe (entre la langue mère, les substrats et les superstrats). Le traitement de données empiriques nouvelles du genre de celles que nous venons de mentionner requiert des modèles améliorés de la protolangue, voire des modèles totalement différents. 1.2.3. Statut privilégié du protoroman La situation décrite ici donne une idée des obstacles que rencontre le comparatiste, et cela quelle que soit la famille de langues qu'il étudie. Dans la famille des langues romanes, ces obstacles se présentent cependant sous une forme atténuée. La langue mère en est au moins partiellement attestée, et la dérivation des langues filles se situe entièrement en période historique, dans un cadre social, politique et culturel connu, qui, par exemple, nous autorise d'emblée à rejeter la convergence comme modèle exclusif. Et pourtant, même ici, le problème fondamental de toute famille de langues subsiste: le latin des textes ne livre pas la protolangue en entier, tant s'en faut, car le protoroman, dans la mesure où on l'a reconstruit, se révèle sensiblement différent du latin écrit et contraint le comparatiste à ne traiter celui-ci que comme une source de données parmi d'autres. En revanche, la comparaison dans le domaine d'une protolangue historique, comme le protoroman, permet une approche beaucoup plus complète et sûre que ce n'est le cas pour les protolangues préhistoriques (indo-européen, bantou, parlers indiens), au point que le résultat du comparatisme roman pourrait en principe guider, sur le plan théorique, s'entend, la recherche dans d'autres familles linguistiques.
1.3. Protoroman: perfectionnement du modèle Dans l'histoire des recherches sur le protoroman, le modèle des ondes a été perfectionné et complété à deux reprises, d'abord par un modèle que nous appellerons bidimensionnel (1.3.1), puis, récemment, par un modèle plus compréhensif, que nous appellerons tridimensionnel (1.3.2). 1.3.1. Modèle bidimensionnel Dans le modèle bidimensionnel, le comparatiste s'occupe exclusivement du protoroman, c'est-à-dire d'une entité abstraite, mais en tenant compte des deux variables que représentent les dimensions spatiale et temporelle. Le latin écrit n'est utilisé ici qu'occasionnellement, à titre de témoin concret des traits reconstruits.
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ι.3.1.1. Notes théoriques A la base du modèle bidimensionnel se trouvent plusieurs notions et aspects qu'il faut d'abord présenter brièvement: la Romania (1.3.1.i.i), le problème des rapports entre langue mère et protoroman (1.3.1.1.2), le problème de l'uniformité du protoroman (1.3.1.1.3), la tradition orale pertinente aux parlers romans (1.3.1.1.4) et l'analyse spatio-temporelle (1.3.1.1.5). 1.3.1.1.1. Romania La définition que nous donnons ici de la Romania est fonction de la reconstruction du protoroman. Dans l'espace, c'est le domaine du monde romain d'expression latine où des parlers romans existent ou ont existé, donc à l'exclusion par exemple de l'Afrique, province latinisée mais dont le latin n'a pas eu la possibilité de devenir un parler roman. Ce qui se déroule dans la Romania, depuis la latinisation des provinces romaines jusqu'à nos jours, se divise en deux phases d'environ mille ans chacune: la phase antérieure contient le protoroman et la langue mère, et va jusqu'à l'apparition des parlers romans; la phase postérieure commence avec l'apparition des parlers romans. 1.3.1.1.2. Rapports entre la langue mère et le protoroman La langue mère est la langue historique qui doit avoir existé à l'origine des parlers romans, mais que nous ne pouvons pas connaître entièrement, puisqu'elle est avant tout une langue parlée. Ce que nous en connaissons par le protoroman n'en est qu'une partie. Le protoroman est un sousensemble propre de la langue mère, au triple point de vue du système, de l'espace et du temps. En effet, on doit admettre que beaucoup de traits de la langue mère restent en marge du protoroman, tout comme du reste beaucoup de traits du latin classique. Dans l'espace, la langue mère existe dans des aires où il ne se forme pas de parlers romans, c'est-à-dire sur lesquelles le comparatiste n'a pas de prise (par exemple en Afrique). Dans le temps, la langue mère remonte au latin qu'on parle dès la fondation de Rome, mais le protoroman, pour des raisons liées à l'histoire de Rome et à l'isolement de la Sardaigne (1.3.1.1.5), ne remonte probablement pas au-delà du premier siècle avant notre ère. En somme, la langue mère englobe tout, mais sous la forme d'une nébuleuse impénétrable au comparatiste; le protoroman, une fois reconstruit, englobe moins, mais avec des contours précis.
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ι .3.1.1.3· Uniformité du protoroman En synchronie, le protoroman n'est pas une langue strictement uniforme, pas plus que n'importe quelle langue que nous pouvons observer directement (voyez le français standard parlé à Marseille et à Paris). S'il est néanmoins parfois question d'uniformité à propos du protoroman, c'est parce que le comparatiste procède, en première approximation, avec l'uniformité comme hypothèse de travail, et seulement en seconde approximation avec l'hypothèse d'un protoroman non uniforme; s'il procédait dans l'ordre inverse, le comparatiste risquerait de ne pas apercevoir les traits uniformes en tant que tels. Une autre façon de concevoir l'uniformité du protoroman, c'est à partir de considérations historiques. A tout Etat centralisé correspond un champ de communication, où l'information circule librement et où donc, pour que l'intercompréhension soit possible, une langue est relativement uniforme. C'est le cas du français dans la France actuelle. Le champ de communication n'empêche pas l'existence de régionalismes, comme ceux de France. Dans ce sens, c'est-à-dire de manière relative et au sein d'un seul champ de communication, on doit admettre que le protoroman est une langue uniforme (R. de Dardel 1993c). Il va sans dire - toutes les langues observables le montrent - qu'il n'est pas question d'uniformité du protoroman sur l'axe temporel, même si soit la stabilité de la norme classique dans le temps, soit le raccourci qu'est souvent la reconstruction du protoroman ont pu le suggérer.
1.3.1.1.4. Tradition orale pertinente aux parlers romans (TOP) L a reconstruction du protoroman à partir des parlers romans (terme préférable à celui de langues romanes, qui évoque trop exclusivement les langues officielles) suppose que le niveau de la langue mère et celui des parlers romans, éloignés l'un de l'autre dans le temps, soient reliés par une tradition de la langue qui, allant de père en fils (et, bien sûr, aussi de mère en fille!) à travers toutes les générations, soit continue et entièrement fondée sur l'expression orale. Nous appellerons cette tradition la tradition orale pertinente aux parlers romans, ou la T O P (R. de Dardel 1992b). L'existence d'une tradition de ce type est garantie par les lois phonétiques. Le passage du latin PENSARE au protoroman PESARE, puis au français peser, qui se produit conformément à des lois phonétiques échelonnées dans le temps (latin -NS- > protoroman -s-, latin -ARE > français -er, etc.), illustre ce qui se passe dans la TOP. La T O P est une réduction du latin parlé, précisément délimitée selon les critères spatial et diastratique. (1) Selon le critère spatial, la T O P est la norme commune à tous les sujets parlants du champ de communication, lequel est d'étendue variable selon l'époque; dans ce cadre, la T O P
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représente un système homogène. Par exemple, à l'époque où le champ de communication du latin parlé s'étend de l'Atlantique à la mer Noire, le mot pour est MORIRE, dont les dérivés sont attestés pour tous les parlers romans; mais quelques siècles plus tard, alors que la Dacie, à la suite de péripéties militaires et politiques, est isolée de la Métropole, le champ de communication de la Romania se scinde, de sorte que les innovations qui se produisent par exemple dans sa partie occidentale ne pénètrent plus en Dacie et manquent en roumain, ce qu'illustrent les adverbes modaux formés avec le suffixe -MENTE. (2) Selon la dimension diastratique, la TOP ne représente, en synchronie, qu'une seule norme, sans variantes; si de telles variantes s'y manifestent, c'est uniquement par leur succession sur l'axe diachronique, à la suite de l'interférence d'une autre norme; ainsi FORMOSUS et BELLUS, qui coexistent probablement comme quasi-synonymes dans deux normes du latin parlé, se succèdent dans la TOP (R. de Dardel 1993a). De cela découle la constatation importante que le protoroman n'est pas le latin parlé en général, mais seulement du latin parlé (cf. aussi 1.3.1.1.2). Le protoroman et la TOP sont en somme deux faces de la même chose: l'une le système reconstruit, l'autre l'enchaînement des processus qui, sur la foi des lois phonétiques, en assurent la continuité au sein d'une seule norme. 1.3.1.1.5. Analyse spatio-temporelle Une réflexion sur le fonctionnement social du langage en général nous incite à brosser du latin parlé le tableau suivant. Dans la période de plus de mille ans qui va des premières conquêtes romaines aux premiers parlers romans attestés (c'est la phase antérieure), le latin parlé connaît forcément, au début, sur le plan spatial, une uniformité relative (dont il a été question en 1.3.1.1.3), qui n'exclut pas les régionalismes, mais sans laquelle la communication orale au sein de la Métropole (entre soldats, marchands, paysans, etc.) est impensable; puis, à la suite du relâchement de l'unité socio-politique de Rome, le latin parlé subit les effets du morcellement du champ de communication, qui, avec les régionalismes et la multiplication des centres de diffusion, est à l'origine des parlers romans. C'est cet aspect de l'évolution qu'est censé saisir le modèle bidimensionnel du protoroman. Par une analyse spatio-temporelle, ce modèle décrit la distribution des traits dans l'espace et dans le temps, en tirant parti de ce que, selon les normes formulées par la géographie linguistique, la distibution spatiale des traits, dans des aires centrales, latérales ou isolées, permet en principe de dégager la chronologie de ces traits. Le cadre spatial pertinent à cette approche est bien entendu la Romania. Les aspects du latin parlé que nous suggère l'observation du fonctionnement social du langage en général se retrouvent donc, par le biais de 7
la reconstruction tridimensionnelle, dans le protoroman: on a d'une part, pour chaque époque, les indices d'une certaine uniformité à travers l'espace (par exemple des traits qui sont aujourd'hui communs à l'espagnol et au roumain (comme FORMOSUS), mais qui ont à l'origine occupé aussi l'aire intermédiaire, avant d'y faire place à d'autres formes (en l'occurrence BELLUS); il y a d'autre part une fragmentation croissante de cette uniformité, d'abord sous la forme de régionalismes (isoglosses isolées et initialement instables, dont le réseau est à l'origine de nos patois), puis, à la suite de morcellements socio-politiques, sous la forme plus accusée de frontières linguistiques (isoglosses stabilisées en faisceaux) (R. de Dardel 1991a). La mise en perspective diachronique des synchronies du protoroman, par l'analyse spatio-temporelle, livre une chronologie relative; celle-ci est complétée par deux parlers romans, qui, grâce aux données de l'histoire externe, servent de points de repère pour une chronologie absolue: (1) le sarde, parce que la Sardaigne tombe, semble-t-il, dans un certain isolement au premier siècle avant notre ère déjà et que les archaïsmes qu'on y trouve sont par conséquent probablement des témoins de cette époque (R. de Dardel 1985c); (2) le roumain, parce que la Dacie, occupée par Rome aux II e et III e siècles, retient nécessairement des traits du latin parlé de cette époque. En voici deux illustrations. La distribution spatiale du genre masculin et du genre féminin des noms issus de FELEM, LACTEM, SALEM et SANGUEM, analogue pour les quatre noms, est telle que, selon les critères spatiaux, en particulier selon le témoignage du sarde et du roumain, le genre masculin doit être antérieur au genre féminin (R. de Dardel 1976). Dans le cas suivant, la chronologie est plus détaillée: l'analyse des conjonctions de subordination selon la dimension spatio-temporelle, compte tenu de l'évolution sémantique et morphologique la plus plausible, prouve que non seulement le sarde représente une synchronie du protoroman antérieure à celle qu'atteste le roumain, comme le montre l'exemple précédent, mais aussi qu'entre l'isolement linguistique de la Sardaigne et la conquête de la Dacie (autrement dit entre le premier siècle avant notre ère et le deuxième de notre ère) il existe une synchronie intermédiaire distincte, avec son système propre (R. de Dardel 1985b). L'analyse spatio-temporelle permet de dégager des unités spatiales, évidemment différentes pour chaque époque du protoroman et reflétant tantôt les étapes des conquêtes romaines, par exemple l'occupation de la Dacie, tantôt le déclin de Rome, la rupture de son unité socio-politique, la décentralisation de l'administration et la formation d'unités politiques nouvelles, plus réduites. Elle met en évidence, en outre, un fait dont longtemps on n'a pas pris conscience, en bonne partie parce qu'il était invérifiable, à savoir que probablement à aucun moment la Romania dans sa plus grande extension ne constitue un seul champ de communication; en
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effet, grâce à l'analyse chronologique des conjonctions de subordination, dont il a été question ci-dessus, nous savons que la Sardaigne est déjà sortie du champ de communication de la Métropole au moment où la Dacie va être incorporée à l'Empire. Et ceci est une raison pour parler de protoroman (en anglais , en allemand , ) et non, comme nous l'avons fait naguère, de roman commun (équivalent de ), terme qui, pris absolument, suggère un état de choses qui n'a jamais existé. On cite parfois la chute de l'Empire d'Occident (en 476) comme le moment où, faute d'unité politique et sociale, il se produit les premières grandes ruptures dans l'unité de la langue mère. Mais la thèse répandue selon laquelle la rupture est amorcée bien avant cette date est largement confirmée par notre chronologie, puisque nous voyons, dans les particularismes très prononcés du sarde et du roumain, des signes de rupture qui remontent respectivement au premier siècle avant notre ère et au IV e siècle de notre ère. Dans ces conditions, et aussi vu les différences qui opposent les parlers romans dès leur apparition, il nous est évidemment difficile de faire nôtre l'opinion de R. Wright (1993: p. 377), lorsque, à propos de la période qui sépare la chute de l'Empire de l'avènement des parlers romans («Early Romance»), il écrit: «we should avoid making apparently strict diatopic distinctions between different spoken languages in different areas ...». Notre hypothèse de la structure spatio-temporelle du protoroman implique qu'une description censée retracer l'évolution totale doit tenir compte en tout cas des parlers romans les plus pertinents à la chronologie: le sarde et le roumain. Or, bien des études prétendument comparatives ignorent ces parlers. Le lecteur commence à s'en douter: en rapprochant et combinant les traits linguistiques selon l'analyse spatio-temporelle et les données de l'histoire externe, nous essayons de faire en sorte que la description du protoroman soit aussi réaliste que possible. C'est, croyons-nous, dans la mesure où le protoroman d'une part rend compte des parlers romans et de l'autre colle à l'histoire de Rome, qu'on peut lui accorder quelque crédit. 1.3.1.2. Reconstruction Dans le modèle bidimensionnel, la démarche logiquement initiale est la reconstruction du protoroman, c'est-à-dire la démarche qui, en remontant le cours du temps, induit le protoroman des données que les parlers romans mettent à notre disposition. On peut distinguer plusieurs formes de reconstruction (schéma 1). Il y a celle qui relève de l'opposition entre l'hypothèse minimale, fondée uniquement sur les données des parlers romans, selon les principes de la grammaire comparée traditionnelle, et l'hypothèse maximale (1.3.1.2.3), 9
qui se fonde en outre sur des considérations inspirées de la linguistique générale. Dans le cadre de l'hypothèse minimale, on peut distinguer l'hypothèse au premier degré, qui se fonde exclusivement et directement sur les faits romans (1.3.1.2.1), et l'hypothèse au second degré, qui se fonde au moins en partie sur des hypothèses au premier degré, donc seulement indirectement sur les parlers romans (1.3.1.2.2).
hyp. min. I er d. — — hyp. min. 2d d. — donnée romane C
— hyp. maxim.
données de la linguistique générale
Schéma 1: types d'hypothèse
La présentation qui suit tient compte de ce classement. 1.3.1.2.1. Hypothèses minimales au premier degré Dans le cadre de la reconstruction, la fiabilité de l'hypothèse minimale au premier degré dépend avant tout de la nature du trait à reconstruire. Nous énumérons ici les divers procédés de reconstruction dans l'ordre décroissant de leur fiabilité. I.3.I.2.I.I. Traits universels Ce qu'il y a sans doute de mieux assuré dans le protoroman, c'est ce qu'on peut y supposer en vertu d'un trait universel, dans la mesure du moins où ce trait universel est lui-même assuré. Ce n'est alors pas de reconstruction à proprement parler qu'il s'agit. Nous en donnons tout de même un exemple. Un trait universel formulé par J. H. Greenberg, «In conditional statements [par quoi l'auteur entend sans doute les phrases du type si... alors ..., if... then ...], the conditional clause precedes the conclusion as the normal order in all languages» (1978: trait 14), permet de postuler en protoroman la règle proposition subordonnée conditionnelle + proposition principale
Cet ordre se reflète dans les parlers romans; cependant, sans le trait universel, en tant que construction syntaxique romane, il ne se prêterait pas à une hypothèse aussi assurée (1.3.1.2.1.4.2).
ΙΟ
1.3.1.2.1.2. Lois phonétiques Les lois d'évolution phonétique, garantes, comme nous l'avons dit, d'une tradition orale continue, et les correspondances qui les relient de langue fille à langue fille, sont la colonne vertébrale de la reconstruction. Prenons un exemple. L'espagnol, le catalan et l'italien tela et vela, le français toile et voile, etc. présentent une double correspondance: au sein de chaque parler, une correspondance phonique de lexème à lexème, et, de parler roman à parler roman, pour chaque lexème, un sens identique ou plusieurs sens (par exemple l'espagnol tela et le catalan tela ), qu'on a quelque raison de croire dérivés d'un sens identique. Ce fait, appelé règle de correspondance, permet, grâce aux techniques du comparatisme historique, de postuler en protoroman TELAM et VELAM, avec le même sens originel (pour le M final, qui n'est pas reconstruit selon ce procédé, cf. 1.3.1.6.2). Les unités de première articulation, lexèmes et morphèmes, qui se laissent reconstruire de cette façon, à l'aide des lois phonétiques et de considérations sémantiques, bénéficient, dans la protolangue, de reconstructions à peu près assurées. C'est dans ce domaine que l'hypothèse protoromane est le plus fiable. Par la même opération sont mises entre parenthèses les évolutions irrégulières dues à la fréquence (cf. le français monsieur, face à monseigneur) et sont éliminés du protoroman tous les emprunts que se font les parlers romans entre eux, tel l'italien mangiare, dont la dérivation à partir de MANDUCARE passe forcément par les lois phonétiques gallo-romanes. Cette technique comparative vaut aussi, de façon générale, pour les traits prosodiques qui se reflètent dans les lois phonétiques: la place de l'accent dans le mot, manifestée par les alternances du radical verbal (par exemple dans l'ancien français j'aime/nous amons) et dans des mots phoniques, c'est-à-dire les groupes de mots qui, ensemble, sur l'axe syntagmatique, se comportent, du point de vue prosodique, comme un seul mot; la mesure dans laquelle, par exemple, le pronom personnel régime conserve, du point de vue de sa position, la même distribution que les substantifs ou, au contraire, se joint au verbe et forme avec lui un mot phonique reflète la formation des deux séries pronominales, tonique et atone (français moil me). Si les lois phonétiques garantissent le point de départ de l'évolution, sous la forme d'étymons comme TELAM et VELAM, elles ne permettent pas toujours de situer ce point de départ dans le temps. L e phonème, contenu comme il est dans un système simple (par le nombre de traits distinctifs) et réduit (par le nombre d'unités), et soumis à ses contraintes, ne dispose, pour se modifier, que d'une marge de manoeuvre restreinte. En outre, l'évolution phonétique connaît des tendances constantes (vocalisation de consonnes intervocaliques, vélarisation, palatalisation, etc.). D e ces deux données empiriques découle le fait que des phonèmes peuvent évoluer II
de manière parallèle dans des langues différentes, donc dans plusieurs langues filles, et y aboutir, indépendamment, au même résultat. Les normes de l'analyse spatio-temporelle (1.3.1.1.5) sont évidemment inopérantes dans de telles conditions. C'est pourquoi on n'est pas assuré que par exemple le système vocalique du roumain et celui, identique, qu'on a trouvé dans une aire de l'Italie méridionale, la Lucanie orientale, remontent à une seule et même synchronie, à un système unique, comme l'admettent certains manuels (F. B. Agard 1984: 2.2, p. 62-63); l'asymétrie, caractéristique de ce système, s'explique au besoin par l'anatomie des organes phonateurs. Cet aspect de l'évolution phonétique fragilise la datation des étapes de l'évolution phonétique en protoroman (par exemple chez C. S. Leonard 1969/1970) et nous a retenu (R. de Dardel 1985c) de dater l'isolement de la Sardaigne en nous fondant sur le système vocalique sarde. 1.3.1.2.1.3. Traits anomaux Mais la tâche du comparatiste ne consiste pas seulement à reconstruire des lexèmes et des morphèmes. Il y a les structures relationnelles, autrement dit les combinaisons de monèmes, notamment les constructions syntaxiques, qui, en échappant en tant que telles aux lois phonétiques, posent des problèmes d'envergure. Toutefois, comme les évolutions n'en sont en général pas régulières, elles produisent des résidus, communément appelés archaïsmes, grâce auxquels la comparaison reste possible. Ici intervient le critère de l'anomalie. Voici de quoi il s'agit. Une partie des faits romans à décrire, non seulement sont situés entièrement dans la période littéraire d'un parler roman, mais aussi sont explicables dans ce cadre. Par exemple, en français, on peut décrire de cette manière l'évolution du présent de l'indicatif du verbe aimer, irrégulier en ancien français, j'aimelnous amons, mais régulier en français moderne, et on peut expliquer ce changement par la tendance de toute langue à régulariser la morphologie. On peut aussi expliquer un nom composé français comme bonhomme par la règle de position bon + nom, productive en français moderne. Nous appelons nomalie ou trait nomai d'une langue ce dont la genèse ou la présence se laisse expliquer dans cette langue. Le chercheur peut se limiter, dans ce cas, à l'observation du parler roman concerné. Mais il arrive qu'un trait ne trouve pas d'explication au sein du parler roman où on l'observe. Ce cas se présente, parmi beaucoup d'autres, dans une construction portugaise: alors que la tendance générale de cette langue est de joindre le pronom régime atone au verbe et que cette jonction est régulière dans l'usage standard contemporain, on trouve assez souvent, dans les dialectes et en ancien portugais, dans les subordonnées surtout, une disjonction du pronom, par quoi nous entendons le pronom 12
antéposé au verbe et séparé de lui par un terme autre (par exemple une négation, un nom, un pronom tonique, un adverbe); le passage suivant, où le sujet, Deus, s'insère entre le pronom et le verbe, illustre cette structure: Entô stabelecerom anbos que [...] vjvessem è castidade e em sanctidade polo filho que lhes Deus dera [...]. () - Vida de santo Aleixo (J. Huber 1933: t. II. 1,1. 25-27, p. 298).
Cette construction n'est donc pas explicable dans le cadre du portugais attesté; elle en constitue ce qu'on appelle une anomalie. Si l'on fait abstraction de l'éventualité d'un emprunt, la seule conclusion possible est que cette construction remonte à la période prélittéraire du portugais; et, comme d'autres parlers romans présentent isolément la même construction, sans qu'elle y soit explicable dans chaque cas, il s'agit de toute évidence d'un trait qui se situe à la source des parlers romans, en protoroman, où il doit pouvoir être décrit et éventuellement expliqué. Il appert en l'occurrence que la construction anomale des parlers romans est en effet nomale en protoroman; elle y a la forme conjonction de + pronom + Γ négation subordination régime nom atone pronom tonique adverbe
+ verbe fini
et pourrait être illustrée par l'exemple fictif suivant: si
ILLUM ( = pronom régime) PATREM
qui remonte peut-être au protoroman et n'y a probablement pas encore le sens du futur, tous les parlers romans forment leur futur en variant la place respective des deux termes et le choix de l'auxiliaire; les types français chanterai, sarde deppo kantare et roumain voi cìnta «apparaissent alors comme des solutions parallèles appliquées au même problème» (S. Kiss 1993: p. 652).
1.3.1.2.1.4.3. Fiabilité Dans tous ces cas d'évolution parallèle possible, le comparatiste, opérant hors des lois phonétiques et sans l'appui de l'anomalie, ne peut progresser que sous toute réserve (R. de Dardel 1987b). Nous touchons ici à ce qu'il y a de moins sûr en fait de reconstruction protoromane, compte non tenu des critères de vérification, qui sont décrits en 1.4.1.
1.3.1.2.1.5. Traits prosodiques Abstraction faite des traits prosodiques protoromans qui ressortissent au mot ou au mot phonique et que l'on peut saisir à l'aide des lois phonétiques (1.3.1.2.1.2), les traits prosodiques échappent dans une large mesure aux investigations du comparatiste. Partant de l'idée que certains faits prosodiques font partie de la langue et ont une fonction distinctive (cf. les signes suprasegmentaux de A . Martinet, illustrés par la paire minimale Tu viensUTu viens?), nous admettons par hypothèse que le protoroman peut comporter, lui aussi, des traits prosodiques. Mais il est difficile d'aller plus loin, pour la raison évidente que le trait n'est pas observable dans les parlers romans anciens. Le trait le mieux connu - tout étant relatif - est le rythme, dont on admet qu'il est normalement descendant en latin et devient ascendant au cours de la formation des parlers romans. Mais cette opinion se fonde en somme sur un reflet supposé du rythme dans la position des termes, notamment dans la position respective du thème et du rhème, du déterminé et du déterminant, du clitique et de son mot d'appui, de clitiques combinés (3.5.2.5); encore faudrait-il pouvoir s'assurer que d'autres facteurs que le rythme n'interviennent pas. En somme, ce n'est que d'une sorte de reconstruction indirecte qu'il s'agit: d'un renversement de position, en synchronie ou en diachronie, on conclut à un renversement de rythme. Un second exemple illustrera la difficulté que le comparatiste rencontre sur ce terrain. Tous les parlers romans anciens ont en commun un procédé qui consiste à placer en tête de la proposition, probablement avec un accent spécial, un terme chargé d'emphase: ancien français Alt 16
sunt li munt, Mult a grant joie. Il est probable que ce procédé existe déjà en protoroman. Mais nous pensons qu'il n'est reconnaissable qu'au trait directement observable qu'est la position initiale d'un terme susceptible d'assumer une valeur emphatique; l'accent spécial ne peut être postulé que par inférence (2.3.3.1.2).
1.3.1.2.1.6. Faits de parole La reconstruction est impossible ou illusoire, lorsque le comparatiste se trouve, dans les parlers fomans, en présence de faits de parole. On peut dire que la reconstruction fonctionne comme un filtre; elle élimine tout ce qui n'est pas système. Les faits de parole ne passent donc pas. Nous pensons à ce propos aux que décrit H. Frei dans sa Grammaire des fautes (1929) et qui, dans une famille de langues donnée, peuvent se manifester de manière analogue dans chacune des langues filles et à divers moments de leur histoire, sans se codifier dans le système. Prenons, par exemple, comme répondant à un besoin d'économie, l'ellipse du pronom régime atone, que l'on observe si souvent en roman (Paul arrive ce soir. - Je [le] sais.) et qui n'est pas étrangère au latin écrit luimême; bien sûr, il est probable que le latin parlé pratique, lui aussi, cette ellipse; mais, du moment que c'est un fait de parole uniquement, nous ne saurions, sur cette seule base, l'intégrer au protoroman en tant que système. Ces observations s'appliquent aussi au rôle que joue la longueur des termes dans la syntaxe positionnelle, selon le fameux principe de O. Behaghel (1909). Le même sort frappe les données statistiques, dont beaucoup d'études des parlers romans regorgent; la fréquence relative de deux traits romans est sans pertinence pour leur reconstruction éventuelle en protoroman. En somme, les descriptions, synchroniques ou diachroniques, des parlers romans, si sophistiquées soient-elles, n'ont de sens pour la reconstruction du protoroman que dans la mesure où elles mettent au jour des éléments du système; et encore faut-il que ces éléments se prêtent, par exemple comme anomalies, à un traitement comparatif.
1.3.1.2.2. Hypothèses minimales au second degré Les reconstructions présentées jusqu'ici se fondent strictement sur des traits observés dans les parlers romans, dont ils ne sont qu'une projection en arrière, plus ou moins assurée, il est vrai, selon qu'il s'agit d'un lexème ou morphème (TELAM, VELAM), d'une structure abstraite (nom + adjectif épithète qualifiant) ou réalisée, avec des lexèmes ou morphèmes (CAMPUM LONGUM). NOUS avons dit des reconstructions de ce type qu'elles relèvent d'une hypothèse au premier degré (1.3.1.2.1). 17
Il est possible de faire un pas de plus, en formulant des hypothèses au second degré, à partir d'hypothèses au premier degré ou d'hypothèses qui sont trop vagues pour donner lieu à une reconstruction. En voici une illustration. L'observation de ce qu'on appelle l'accusatif prépositionnel, tel qu'il est attesté surtout en ibéro-roman, en sarde et dans des dialectes italiens, c'est-à-dire avec des dérivés de la préposition AD (espagnol veo a mi padre, veo a Pablo), suggère ( ι ) qu'il s'agit d'une construction anomale, qui remonte au protoroman, et (2) qu'elle s'y applique à l'origine aux objets directs en tant qu'ils sont des noms propres [+animé] (VIDEO A D PAULUM, mais VIDEO ILLUM PATREM). Ainsi est née l'hypothèse que, le système casuel ayant disparu dans les noms, l'objet direct est distingué du sujet par la préposition AD en l'absence d'un article, donc avec les noms propres, mais qu'il l'est par l'article défini avec les noms communs; en d'autres mots, l'article marquerait, dans cette phase du protoroman et au sein de la TOP, l'opposition nominatif/accusatif; il le ferait toutefois c'est le propre de cette démarche - par des moyens que nous ne pouvons pas reconstruire: ce peut être une opposition de désinences, ILLE/ILLUM, d'autant plus vraisemblable que ces deux formes sont attestées comme articles romans (thèse de B. Müller 1971; cf. R. de Dardel 1994); mais, en toute orthodoxie, ce peut être théoriquement aussi, par exemple, la position de ce déterminant par rapport au nom commun. Par ce détour, on reconstruit donc, au second degré, une opposition fonctionnelle au sein du système des déterminants, la forme du contenu donc, sans toutefois en reconstruire la forme de l'expression.
1.3.1.2.3. Hypothèses maximales Comme nous l'avons dit (1.3.1.2), il convient de distinguer les hypothèses protoromanes minimales, au premier ou au second degré, qui se fondent strictement sur ce que les parlers romans attestent, et les hypothèses maximales; celles-ci vont plus loin, englobant, par une extrapolation passablement spéculative, qui empiète sur le domaine propre à la langue mère, des traits ou des structures qu'on peut, avec la prudence requise, postuler en vertu de considérations générales sur le fonctionnement et l'économie du langage. Ainsi, comme le protoroman oppose une série vocalique fermée et une série vocalique ouverte pour Ε, I, O et u, et que l'économie des structures pousse souvent à utiliser les traits distinctifs au mieux des possibilités, on peut admettre, dans une hypothèse maximale, que, dans la langue mère, cette opposition existe aussi pour A, bien que les parlers romans n'en aient jusqu'ici révélé aucune trace phonologique; les seules traces sont phonétiques (cf. H. Lausberg 1971: 149.7.a; ι, p. 199).
18
I-3-I-3- Description De la reconstruction d'éléments du protoroman, dont les grandes lignes ont été exposées ci-dessus (1.3.1.2), le comparatiste passe à la description du protoroman en tant que système; cette description doit se faire sur deux plans, celui de la linguistique interne et celui de la linguistique externe.
1.3.1.3.1. Description interne Ce n'est pas tout de reconstruire des traits isolés du protoroman; encore faut-il ordonner ceux-ci en structures, de manière à s'assurer que le protoroman est compatible avec ce que nous savons qu'une langue naturelle peut ou doit être et qu'il admet une description synchronique et diachronique répondant aux acquis de la linguistique actuelle. Pour arriver à une description synchronique, il faut découper le protoroman en périodes, en lui appliquant l'analyse spatio-temporelle (1.3.1.1.5); au niveau de chacune de ces périodes, si la reconstruction est correcte, le comparatiste à des chances de voir se dégager des structures et des rapports synchroniques entre structures; puis, en mettant en regard plusieurs périodes, il a des chances de constater aussi, en diachronie, une évolution plausible, voire explicable, entre étapes successives d'une structure en évolution. Nous illustrons ce fait d'abord par un exemple simple. Dans le protoroman le plus ancien, mis à part SOV, qui n'est plus productif, la base (2.2.1.2.2) est VSO, à côté de quoi existe, parmi d'autres, une non-base à ordre non basique (2.2.1.3.2) OVS, où un objet ou attribut en position initiale assume une fonction emphatique, assortie éventuellement d'un accent spécial; dans ce système, l'adjectif qualifiant épithète est postposé au nom; en résumé, nous avons donc la situation suivante, compte tenu de ce que les noms sont régis par un système acasuel, dont la forme est celle de l'accusatif latin: base VSO non-base.OVS avec O emphatique
ROGAT PAULUM AD DEUM
n o m + adjectif qualifiant
VIAM LONG AM
AD DEUM ROGAT PAULUM
Par la suite, la base VSO est remplacée par une base OVS, où, bien sûr, l'objet ou attribut initial n'est pas emphatique (R. de Dardel 1989); dans ce système, l'adjectif épithète qualifiant est antéposé au nom: base OVS non-base OVS avec O emphatique adjectif qualifiant + nom
PROVERBIUM NARRAT PAULUM AD DEUM ROGAT PAULUM LONGAM VIAM
Le passage de la première base (VSO) à la deuxième (OVS) s'explique probablement le mieux par un affaiblissement du trait [+emphase] de la non-base emphatique; le passage de l'adjectif de la postposition à l'antéposition peut être mis en rapport avec le passage d'une langue VO à une 19
langue OV, en vertu de tendances universelles (ce qu'il reste cependant à vérifier). Nous avons donc, en synchronie, deux structures cohérentes, et, en diachronie, une évolution due à une cause plausible. Et voici l'exemple d'une évolution qui ne s'explique pas dans le modèle bidimensionnel. Pour la période initiale du protoroman (la même que dans l'exemple précédent), dont les meilleurs témoins sont l'ibéroroman et le sarde, nous trouvons les trois traits suivants: ( i ) l'absence de désinences casuelles dans les noms, (2) la base VSO, (3) l'accusatif des noms propres [+animé] construit avec la préposition AD (1.3.1.2.2). Or, ces trois traits, reconstruits en partie séparément et par des chercheurs différents, mais appartenant à la même période du protoroman, semblent être liés, en synchronie, par leurs fonctions également: dans un système linguistique où le nom est acasuel et la base V S O , le sujet et l'objet, en tant que noms [+animé], risquent de se confondre, à moins qu'un de ces termes ne reçoive une marque distinctive, qui est, en l'occurrence, la préposition AD devant l'objet. Dans une période postérieure du protoroman, telle que l'attestent le gallo-roman, l'italo-roman et le roumain, l'accusatif avec AD disparaît, l'ordre basique passe à OVS, puis à SVO, et un nouveau système casuel, à trois cas, s'instaure dans les noms (1.3.1.6.2). On peut provisoirement (ici aussi, les recherches restent à faire) attribuer la disparition de AD devant l'accusatif soit au fait que le sujet et l'objet sont marqués par leur position pré- ou postverbale, soit par la réintroduction, à cette époque, d'un système casuel des noms, soit aux deux facteurs ensemble. Il y a donc, dans cette portion du système protoroman, deux structures successives, dont chacune présente, en termes de fonctionalité, une certaine cohérence; en revanche, leur succession heurte les idées reçues, attendu que l'évolution générale des langues montre que les systèmes casuels se réduisent, mais ne se reforment guère de la façon que l'on observe ici. Nous voici donc en présence d'un problème d'explication; nous le reprendrons à propos du modèle tridimensionnel (1.3.2.3.2). Une analyse quelque peu poussée d'un sous-système protoroman permet d'observer et de distinguer les deux types d'évolution structurale que E. Coseriu appelle remplacement, c'est-à-dire sans changement des rapports structuraux dans un sous-système donné, et modification, c'est-àdire avec un changement des rapports structuraux. Le plus difficile à observer est le remplacement. En voici pourtant un exemple: l'étude des conjonctions de subordination met au jour une surprenante stabilité de la structure dans des systèmes réduits comme celui du groupe de complétives en fonction de discours direct (Il dit que «Je viens»), d'affirmation ou de négation (Il dit que oui) et de complément de nom (l'idée qu'il est en France), tandis que le terme subordonnant y passe, au cours des siècles, de KA (QUIA), attesté en ancien sarde, à KO (QUOD), attesté en roumain, puis finalement à KE, attesté dans la Romania continentale occidentale et centrale (R. de Dardel 1983a: 6.6.13.2). 20
C e sont là quelques échantillons des analyses que comporte la description du protoroman, lorsqu'elle s'inspire de la linguistique structuraliste et de considérations générales sur la linguistique interne. 1.3.1.3.2.
Description externe
1.3.1.3.2.1. Isoglosses E n matière d'isoglosses, l'analyse spatio-temporelle met au jour des faits qui sont comparables à ce qu'on observe directement dans les langues modernes: en premier lieu une accumulation d'isoglosses stabilisées le long de séparations socio-politiques au sein du monde romain, dès le premier siècle avant notre ère en ce qui concerne la Sardaigne, dès le III e ou I V e siècle en ce qui concerne la Dacie (1.3.1.1.5). Mais on trouve aussi, ce qui est moins connu, des isoglosses isolées, qui probablement fragmentent la Romania avant même le morcellement socio-politique de Rome, un peu comme la distinction ou non-distinction des voyelles nasales de Alain et alun, la signification respective de dîner et souper ou l'emploi du passé surcomposé fragmentent le champ de communication du français actuel et y produisent des régionalismes; un exemple protoroman s'en trouve dans la série de remplacements des conjonctions KA > KO > KE citée plus haut (1.3.1.3.1): la conjonction KO se substitue à la conjonction KA grosso modo en italo-roman et en daco-roman, formant à l'ouest une isoglosse isolée antérieure à la fragmentation socio-politique de la Romania dans cette région (R. de Dardel 1991a). L a description de structures positionnelles peut donner lieu à des phénomènes analogues à celui qu'illustre l'isoglosse KA/KO, et cela dans la mesure où ces structures sont complexes. Soit une unité syntaxique de deux termes joints dans la chaîne parlée, Κ et L , dont il s'agit d'analyser l'ordre; il n'y a que deux règles possibles, celle qui fait passer K L à L K et celle qui fait passer L K à K L ; de la sorte, l'évolution se ramène à une suite de règles alternantes, dont chacune caractérise une synchronie, selon le schéma 2, où I, II, III figurent des aires et A , B, C, des synchronies du protoroman
parlers romans
lk
kl
C
règle C: KL
KL
Β
règle B: LK
LK
A
règle A: KL
KL I
II
kl
III
Schéma 2: unité syntaxique à deux termes 21
La distribution spatiale est corrélée à la distribution temporelle, faite de synchronies uniformes, mais sur un espace qui varie avec le temps. La position de l'adjectif épithète qualifiant joint au nom illustre ce type d'évolution: V I A M L O N G A M correspond aux règles A et C, alors que L O N G A M V I A M correspond à la règle Β (R. de Dardel 1987a). Soit maintenant une unité syntaxique de quatre termes joints, K, L, M et N, dont il s'agit également d'analyser l'ordre; ici, il y a plus de deux règles possibles, de sorte que l'évolution peut comporter des ramifications et des jonctions, comme le montre le schéma 3. nklm
parlers romans C
règle C: B - i + B-2
Β
règle Β - ι : Ν initial règle B-2: M devant L
A
règle A : K L M N
nkml
kmln
NKML NKLM
KMLN
KLMN I
II
III
Schéma 3: unité syntaxique à quatre termes La distribution spatiale est corrélée à la distribution temporelle; toutefois, la synchronie Β n'est pas uniforme dans l'espace: le passage de la structure de A à celle de C comporte en effet deux changements, exprimables en deux règles, à savoir le passage de Ν en position initiale, selon B - i , et celui de M devant L, selon B-2; or, il y a des chances pour que ces deux règles, si elles sont mutuellement indépendantes, s'appliquent séparément, dans des aires différentes; dans ce cas, si la règle B - i n'est pas suivie de la règle B-2, on obtient dans les parlers romans la structure de l'aire I (nklm), si la règle B-2 n'est pas suivie de la règle B - i , on obtient dans les parlers romans la structure de l'aire III (kmln); là où les deux règles de Β sont appliquées, quel que soit leur ordre, on aboutit dans les parlers romans de l'aire II à la structure nkml. Les règles pour la position du pronom régime atone offrent un exemple de ce type d'évolution, que nous présentons dans le schéma 4.
C : SEMPER PAULUM ME VIDET Ν
Κ
M L
B - 2 : PAULUM ME VIDET SEMPER
Β - ι : SEMPER PAULUM VIDET ME Ν
Κ
L
Κ
M
A:
PAULUM VIDET ME SEMPER Κ
L
Schéma 4: unité syntaxique à quatre termes 22
M
Ν
M L
Ν
Si nous insistons sur ce second type d'évolution syntaxique, c'est pour montrer qu'ici aussi, dans la synchronie B, avec l'application séparée des deux règles, il faut admettre une isoglosse qui ne correspond pas, ou pas forcément, à une fragmentation socio-politique de la Romania, c'est-àdire une isoglosse isolée, qui délimite donc des régionalismes protoromans. Il est possible que, dans le domaine des constructions syntaxiques complexes, la langue mère soit sillonnée de nombreuses isoglosses de ce type. On se représente en général la substitution d'un trait par un autre, dans la dimension spatiale, comme une isoglosse instable unique, qui progresse à partir d'un seul centre de diffusion et parcourt partiellement ou entièrement le champ de communication. L'exemple de KO/KA, que nous venons de citer, semble illustrer ce type. Compte tenu de ce qu'on peut observer dans les parlers vivants, il est cependant probable qu'il faut compter également, en protoroman, avec le parachutage (): le trait nouveau passe d'un centre de diffusion à d'autres centres, en dehors de l'aire déjà conquise, qui prennent le relais de la diffusion et produisent à leur tour des isoglosses, lesquelles peuvent finalement se rejoindre et effacer toute trace du parachutage. Un indice de ce processus en protoroman nous est fourni, pour autant qu'il ne s'agit pas d'évolutions parallèles, par la succession des types toponymiques VILLAM-NOVAM et NOVAM-VILLAM, qu'on observe indépendamment en gallo-roman et en italo-roman.
1.3.1.3.2.2. Chronologie La projection de la distribution spatiale sur la dimension diachronique selon les critères de la géographie linguistique permet de dater une évolution de façon relative ou, parfois, de façon absolue. Comme nous en avons déjà parlé (1.3.1.1.5), un seul exemple suffira. En protoroman, les adverbes modaux sont probablement (les recherches restent à faire) de trois types: successivement (1) l'adverbe ayant la forme de l'adjectif correspondant non marqué (AMBULARE DIRECTUM, français marcher droit), encore productif en roumain; (2) l'adverbe formé avec un suffixe -MENTER, qui combine -MENTE avec le suffixe -TER du latin classique et dont il reste des vestiges dans des aires périphériques comme l'ancien espagnol, le rhétoroman et, dans un seul adverbe (aimintre), le roumain; (3) l'adverbe formé avec le suffixe -MENTE seul, qui domine en gallo-roman et en italien (français fortement). A cette chronologie relative, on peut ajouter un élément de chronologie absolue: le passage du premier type au deuxième ne saurait guère être antérieur aux II e et III e siècles, puisque le roumain atteste à peine le deuxième et n'atteste point le troisième.
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ΐ·3·ΐ·3·2·3· Faits de parole Nous avons dit qu'en reconstruisant le protoroman nous ne reconstruisons que la langue, point la parole. Cela n'empêche pas que, de certains faits de parole de la langue mère, nous percevions les effets à travers les systèmes des parlers romans. Nous illustrons cet aspect de la reconstruction avec l'évolution de la morphologie verbale. Le parfait irrégulier du protoroman a à l'origine quatre formes fortes, avec le thème du perfectum (par exemple, pour le verbe 'DIKERE: 'DIKSI, 'DIKSIT, 'DIKSIMUS, 'DIKSERUNT), et deux formes faibles, avec le thème de l'infectum (DI'KISTI, DI'KISTIS); mais, déjà en protoroman, la tendance est à la généralisation du thème de l'infectum, donc au remplacement des formes fortes par des formes faibles; cependant, l'analyse spatio-temporelle révèle que cette régularisation touche les différentes formes fortes de façon échelonnée, en fonction de leur fréquence d'emploi croissante, donc d'abord la première personne du pluriel ('DIKSIMUS > DI'KIMUS) et plus tard la troisième personne du pluriel ('DIKSERUNT > DI'KERUNT). Or, la fréquence d'emploi, observée ici de manière indirecte, est un fait de parole (R. de Dardel 1985a).
1.3.1.3.3. Résultats globaux Le lecteur se demande à juste titre quel est en somme, globalement parlant, le résultat de la description du protoroman selon le modèle bidimensionnel. Il n'est pas question, bien sûr, dans le cadre de ce chapitre, de décrire toute la portion connue de la grammaire protoromane. La synthèse de H. Lausberg (1971) et celle de R. A. Hall (1974-) feront l'affaire, bien que la première ne comporte pas de syntaxe et que la seconde exploite trop peu, à notre sens, les ressources de l'analyse spatio-temporelle. Nous nous contentons, pour notre part, de signaler quelques faits remarquables. En premier lieu, on est frappé par la rapidité de l'évolution, la fréquence et le nombre des changements, non pas sans doute en termes absolus, puisqu'il s'agit tout de même d'une évolution qui s'étend sur un millénaire, mais plutôt par rapport à ce qu'on a toujours pensé. Une bonne illustration de cet aspect du protoroman est le changement répété de l'ordre basique, auquel nous avons fait allusion (1.3.1.3.1): SOV > VSO > OVS > SVO. Dans ces conditions, on doit s'attendre à ce qu'une structure évolue en zigzag, c'est-à-dire revienne en apparence à son point de départ. Ce phénomène est d'autant plus probable que les combinaisons des traits sont en nombre minimal, donc deux. Nous en avons donné une description théorique plus haut (1.3.1.3.2.1), à propos des positions KL/LK de deux termes joints; un exemple concret sera fourni en 1.3.1.4, à propos de la position de l'adjectif épithète. On verra aussi au chapi24
tre 3 (3.3.2.2 et 3.6.2) comment l'idée préconçue d'une évolution linguistique forcément linéaire a pu entraver la recherche. Un autre aspect digne d'attention est la simplicité morphologique du protoroman. Un coup d'oeil d'ensemble sur ce que nous savons du protoroman à ses débuts montre une forte réduction morphologique par rapport au latin archaïque ou à l'indo-européen. Cela concerne la flexion nominale (système acasuel du nom), la flexion verbale (disparition du futur et du passif synthétiques), le comparatif synthétique, le système numéral. Cette réduction est compensée en partie par des moyens syntaxiques (futur avec HABEO, passif exprimé par la forme pronominale réfléchie, prépositions pour exprimer les cas, particules PLUS et MAGIS pour exprimer le comparatif). Tout indique cependant, pour certains sous-systèmes du protoroman le plus ancien, des structures morphologiques qu'on pourrait qualifier de minimales et qui, en partie, ne se restructurent que tardivement, par l'explicitation des rapports (R. de Dardel 1994). Enfin, le protoroman se signale par des innovations peu banales. Il y a le remplacement, dans les noms, du système acasuel par un système tricasuel (1.3.1.3.1), la formation d'une base O V S (1.3.1.3.1), que les théoriciens des traits universels estiment rarissime, pour ne pas dire impossible, et la formation d'un ordre de détermination déterminant + déterminé, absolument contraire aux tendances générales des parlers romans.
1.3.1.4.
Dérivation
1.3.1.4.1. Généralités Le protoroman reconstruit, analysé et décrit, en synchronie et en diachronie, sur le plan interne et sur le plan externe, est non seulement l'aboutissement de l'analyse comparative historique des parlers romans (induction), mais aussi, chose non moins importante, le point de départ obligé de la dérivation, c'est-à-dire de toute description historique des parlers romans (déduction); le protoroman est en somme un cadre de référence, qui permet au romaniste de placer les traits romans dans la bonne perspective historique. Il n'y a bien sûr pas de solution de continuité ni de différence linguistique foncière entre la description diachronique du protoroman (traitée en 1.3.1.3) et celle des parlers romans. L a distinction entre ces deux phases de l'évolution totale ne se justifie qu'au point de vue de la méthode, en ce qu'on a dans un cas une évolution reconstruite et hypothétique, dans l'autre une évolution plus ou moins directement observable à travers des textes. Il va sans dire que les traits protoromans obtenus par une reconstruction à partir de traits romans renvoient, en retour, lors de la dérivation, à ces mêmes traits romans. Mais on aborde maintenant les parlers romans
25
armé d'un principe d'ordre (règles, chronologie, distribution spatiale), qui faisait défaut au départ. Dans ce sens, on peut dire que la dérivation est une procédure de découverte et l'occasion de remettre en question, éventuellement de corriger, les recherches antérieures sur les parlers romans et sur leur genèse.
1.3.1.4.2. Parlers romans spécifiques A première vue et d'ailleurs pour beaucoup d'auteurs, la place de l'adjectif grand dans le composé français mère-grand et dans le syntagme un homme grand reflète une seule et même règle. Pourtant, les règles de la position de l'adjectif épithète qualifiant en protoroman (R. de Dardel 1987a) montrent qu'il n'en est rien, car il y a en protoroman successivement trois règles pour les adjectifs de la classe de GRANDEM: nom + adjectif, adjectif + nom, adjectif + nom/nom + adjectif; selon l'analyse spatiotemporelle et le critère de l'anomalie, mère-grand ressortit à la première règle, grand-mère à la seconde, tandis que un homme grand s'explique dans le cadre de la troisième, où cet adjectif connaît les deux positions. Ici donc, la dérivation révèle, dans mère-grand, un trait archaïque, sans lien avec la construction un homme grand. Une hypothèse sur l'origine de O V S non marqué dans le français le plus ancien (C. Marchello-Nizia 1993) recevrait une confirmation éclatante, si elle s'appuyait en outre sur le protoroman.
1.3.1.4.3. Vue panromane La dérivation diffère de parler roman à parler roman, sans quoi il n'y aurait évidemment pas de parlers romans distincts; mais, sur certains points, elle présente de grandes analogies. Le trait protoroman peut être admis à l'origine de tous les parlers romans ressortissant à une synchronie donnée du protoroman. Cependant, certains de ces parlers le perdent, d'autres le façonnent en fonction de leur système propre. Dès lors, par exemple, qu'on sait que le protoroman possède deux non-bases (2.2.1.3.2) X V S sémantiquement et prosodiquement distinctes, l'une emphatique, du type A D DEUM ROGAT PAULUM, l'autre topique, du type sic SCRIBIT PAULUM (2.3.3.1.2; R. de Dardel/R. A . Haadsma 1983), on peut s'attendre à en retrouver dans les parlers romans soit les dérivés directs, ce qui est généralement le cas (par exemple dans l'ancien français alt est li muntila gist li chevaliers), soit leur remplacement (comme, en français moderne, par le présentatif pour l'emphase contrastive: C'est là [et non ailleurs] que repose le chevalier). En d'autre termes, du moment qu'on accepte cette hypothèse, la description de chaque parler doit s'appuyer sur les deux non-bases protoromanes en question, com26
menter leur évolution et rendre compte de leur absence plutôt que de leur présence. Les noms composés, panromans et relativement anciens, du type de l'italien Ponte-Tresa (toponyme, , au Tessin), avec la juxtaposition de deux noms sans traces de désinences casuelles, donnent lieu, de la part des historiens de la langue, à des explications embarrassées (cf. D C E C H , s.v. agua: aguamanos, aguasa/; s.v. punto: puntapié), à moins que les auteurs ne renoncent à une explication (cf. D C E C H , s.v. boca: bocacalle, bocamanga). Nos recherches les plus récentes (R. de Dardel 1994) laissent entrevoir une solution du problème: nous sommes en présence d'une composition nominale par simple juxtaposition et sans marques morphologiques de la fonction, un procédé qui remonte au protoroman le plus ancien, où, comme on l'a vu (1.3.1.3.3), I a morphologie est des plus réduites; cette hypothèse, croyons-nous, en ramenant tous ces cas à une origine commune, en rendrait compte globalement et remplacerait avantageusement quantité d'étymologies peu convaincantes et plus ou moins ad hoc, proposées dans le cadre de chacun des parlers romans. Dans un cas comme celui-ci, l'hypothèse protoromane permet également, au niveau de la dérivation, une sorte de généralisation descriptive et explicative du mécanisme qui se trouve à l'origine des données romanes. Le besoin de révision des recherches antérieures touche aussi, bien sûr, les résultats obtenus par la méthode comparative elle-même, au fur et à mesure que celle-ci se perfectionne. D e tout temps, le futur analytique roman construit avec l'infinitif suivi de l'auxiliaire ( A M A R E - H A B E O ) a été rattaché à l'ordre basique latin SOV, dont effectivement des traces subsistent en roman; cette origine est encore considérée comme envisageable dans R. de Dardel/R. A . Haadsma (1976). Toutefois, des recherches récentes montrent que le protoroman connaît, ultérieurement, la base O V S (1.3.1.3.1), où, vu la distribution spatio-temporelle, il est préférable de faire débuter ce type de futur analytique. Dans un article fort stimulant, L. Renzi (1989b) examine les parlers romans sous l'angle de la typologie génétique, autrement dit de traits répondant à la définition suivante: «Innerhalb einer genetischen Gruppierung X gibt es Sprachen mit charakteristischen Merkmalen so und so» (G. Ineichen 1979: p. 26). Renzi cite, parmi d'autres, l'exemple des pronoms régimes atones romans, qui présentent la particularité (rare dans les langues du monde, d'après lui) d'avoir, selon le type de syntagme verbal, deux positions possibles, tantôt devant le verbe, tantôt derrière (comme en italien lo vedo/vedendolo), et il attribue cette particularité à l'évolution du système, à partir du latin. En effet, dans le cas des pronoms atones, il y a en protoroman une série de règles positionnelles successives (un peu différentes, du reste, de celles qu'invoque Renzi), dont les plus anciennes ont tendance à subsister, à côté des plus récentes, dans les syntagmes formés avec un verbe non fini (tel vedendolo). En d'autres mots, 27
il semble bien que, du moins dans un cas comme celui-ci, il y ait un trait typologique génétique qui reflète les synchronies successives de la protolangue et remonte, en dernière analyse, à l'instabilité à long terme des structures protoromanes (signalée en 1.3.1.3.3). ~ Pour un autre trait typologique génétique, nous renvoyons à 2.5.3. 1.3.1.5. Le protoroman comme langue, abstraction et hypothèse Après ce tour d'horizon méthodologique, revenons aux trois caractéristiques de la protolangue dont nous avons touché un mot en 1.2.1. 1.3.1.5.1. Le protoroman comme langue La méthode comparative dépiste, dans les parlers romans, des traits plus anciens, transmis par la TOP, les projette en arrière, en tant que commun dénominateur des parlers romans, et les assemble en un système protoroman; il s'agit bien d'un système, car seuls les faits de langue - du latin parlé, s'entend - sont susceptibles de se transmettre oralement aux générations successives. Le terme de langue embrasse ici aussi bien le système d'oppositions distinctives (ce que E. Coseriu appelle le système) que le système d'oppositions non distinctives (que E. Coseriu appelle la norme). Illustrons ces deux aspects de la langue par des exemples empruntés à la phonologie; on reconstruit par exemple, au niveau des oppositions distinctives, la corrélation de consonnes non palatales/palatales dans LINUM/LIN'UM (français lin/linge) et SOMNUM/SOMN'UM (français som(me)lsonge), et au niveau des oppositions non distinctives, les variantes combinatoires CARAM/C'ERAM (italien caral cera). Evidemment, le protoroman, dénué comme il est de faits de parole, est un objet dépouillé, schématique, réduisible à des formules; le style, les contraintes métriques, qui ornent les textes romans, s'y trouvent entièrement neutralisés. Aussi sa description ne ressemble-t-elle que de loin à celle d'une langue vivante. Cet aspect du protoroman est encore accentué par l'absence de variantes diastratiques, absence due à la méthode, comme nous l'avons dit (1.3.1.1.4), et qui confère au protoroman une homogénéité que ne connaît évidemment pas, à la même époque, la langue mère des parlers romans, dans laquelle on doit au contraire admettre l'existence d'une hétérogénéité ordonnée («an orderly heterogeneous system»), pour utiliser un terme de U. Weinreich [e.a.] (1968: p. 162), qui ne l'appliquent à vrai dire pas à une langue mère.
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I.3-I-5-2- L E
protoroman comme abstraction
Le protoroman est une abstraction, donc, puisque la langue, sans la parole, est abstraite. Cela vaut non seulement pour les dans le domaine des structures relationnelles, où ils n'ont qu'une fonction pédagogique, mais aussi pour les étymons de lexèmes et de morphèmes, même s'ils sont par ailleurs attestés dans le latin écrit. D e concret, nous n'avons, pour l'époque du protoroman, que le latin écrit, auquel nous revenons plus loin (1.3.1.6). 1.3.1.5.3. Le protoroman comme hypothèse Le protoroman est entièrement hypothétique. Il ne bénéficie donc pas, mis à part une confrontation avec le latin écrit (et encore!), d'une possibilité de vérification par des données concrètes. Sa falsification, en revanche, est toujours possible; une découverte fortuite dans les parlers romans (par exemple celle d'une opposition fonctionnelle de ILLE/ILLUM; 1.3.1.2.2) peut amener le comparatiste à ajuster ses hypothèses, en remaniant la description ou en remplaçant une hypothèse au second degré par une hypothèse au premier degré. Aussi le protoroman doit-il toujours être considéré comme un acquis provisoire. Dans la mesure où des oppositions pertinentes de la langue mère s'effacent avant les premières attestations des parlers romans, elles sont perdues pour le comparatiste et ne peuvent pas être postulées en protoroman sous la forme d'une hypothèse minimale. Ainsi, au phonème /A/ du protoroman correspondent peut-être dans la langue mère deux phonèmes opposés par le degré d'aperture, comme c'est le cas pour les autres voyelles simples; mais le comparatiste n'a de prise sur ce type de donnée que par le biais, très spéculatif, de l'hypothèse maximale (1.3.1.2.3). S'il est sans doute difficile de prouver qu'un trait donné de la langue mère disparaît trop tôt pour être pris en compte par la T O P et observé dans les parlers romans, il est par contre vraisemblable que le fait se produit fréquemment, ne serait-ce que par référence aux nombreux cas de fusion () que nous observons dans les langues attestées. D e ce fait, le protoroman laisse à découvert le système de la langue mère dans une mesure impossible à déterminer, mais peut-être assez importante. Il résulte de ces considérations que les exemples romans illustrant les structures du protoroman ne représentent la langue mère elle-même que très indirectement, comme simples vestiges de son système dans des systèmes postérieurs.
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1.3.1.6. Apport du latin écrit Nous n'avons pas traité jusqu'ici la place ni le rôle du latin écrit, en tant que témoignage concret des traits postulés en protoroman. Dans la première moitié de ce siècle, bien des chercheurs pensaient que, sous ses manifestations dites vulgaires, le latin écrit représente la langue mère des parlers romans (R. de Dardel 1987c: 1.2). Si c'était le cas, on pourrait se dispenser du travail ardu que représente la reconstruction du protoroman à partir des parlers romans. Mais cela n'est pas le cas. Ou, plus précisément, ce n'est le cas qu'en partie. Ce qui revient à dire que la reconstruction du protoroman est une étape obligée de la démarche scientifique, qui permet, mais ensuite seulement, de repérer dans le latin vulgaire les formes qui lui correspondent et qui font par conséquent partie de son système. Le recours au latin écrit n'est donc pas dépourvu de risques, et seule son utilisation prudente peut être profitable à l'étude du protoroman et des parlers romans. 1.3.1.6.1. Risques que comporte le recours au latin écrit Voici les principales raisons pour lesquelles les textes latins ne sauraient être utilisés sans réserve. (1) Ils sont rédigés par des personnes plus ou moins cultivées, soucieuses, pour la plupart, de se conformer au modèle classique; il semble même que les textes tardifs soient en partie l'oeuvre de copistes qui avaient pour tâche de l'original (R. Wright 1993: 4). Dans ces conditions, la structure grammaticale et lexicale des textes latins risque d'être fort différente de celle de la langue parlée du moment. (2) Du point de vue de leur exploitation, les données des textes latins et les reconstructions obtenues par la comparaison des parlers romans ont un statut totalement différent, qui interdit de les insérer sans plus, ensemble, dans une seule et même description. Les textes latins sont des faits de parole, dont nous ne savons a priori pas lesquels sont du latin parlé et correspondent éventuellement au système protoroman, lesquels ne sont en revanche que des maladresses, des barbarismes ou des hypercorrections imputables aux seuls scribes, copistes et graveurs. Le latin écrit étant donc, dans bien des cas, un mauvais conseiller, un témoin trompeur, pour celui qui décrit l'évolution du latin dans sa totalité, c'est par un grand malentendu et, en dernière analyse, par une réflexion insuffisante sur la nature du langage et une surprenante ignorance de plus d'un siècle de comparatisme historique, que des latinistes et des romanistes croient encore pouvoir décrire la genèse des parlers romans exclusivement à partir des textes latins. Seul un malentendu de ce genre explique le tableau de la déclinaison protoromane, étiqueté «Common 30
Romance», chez F. Β. Agard (1984: p. 169), qui comporte pour les noms de la deuxième déclinaison une opposition morphologique bicasuelle (KELUS/KELU, KELI/KELOS), qu'en réalité les parlers romans ne permettent de postuler que pour une partie de la Romania. On peut comprendre à la rigueur que des chercheurs aient voulu mettre à profit plus particulièrement les textes latins tardifs. Ceux-ci passent en effet, mais en partie à tort, pour être moins influencés par la norme classique que les textes plus anciens et pour laisser par conséquent transparaître plus fréquemment la langue vulgaire. C'est là également un piège, où sont tombés et où tombent encore aujourd'hui de nombreux chercheurs. En quête de traits qui permettent de mieux décrire la genèse des parlers romans, P. Aebischer, dans ses nombreux articles (par exemple 1978), s'appuie sur des textes latins tardifs, mais en perdant trop souvent de vue les facteurs perturbateurs mentionnés plus haut, ce qui est de nature à compromettre ses résultats. La description diachronique du latin aux parlers romans que donnent G. De Poerck et L. Mourin (1953/ 1954) est probablement faussée par l'inclusion, dans cette trajectoire, de la situation chez Grégoire de Tours (VI e siècle). Dans un paragraphe intitulé «Tra latino e romanzo», L. Renzi (1994: ch. ι ι . ι , p. 235-239) relève avec raison que les textes latins masquent à nos yeux la formation des parlers romans; mais la seule solution qu'il envisage pour venir à bout de ce problème est l'étude, dans les textes latins, des déviations par rapport à la norme classique, déviations où, selon lui, se manifestent déjà les parlers romans en devenir; il ne souffle mot, en revanche, de l'alternative méthodologique qu'est la comparaison historique des parlers romans; aussi, dans cet ouvrage, les traits romans, privés du principe d'ordre que fourniraient leurs antécédents protoromans, sont-ils çà et là analysés et classés d'une façon superficielle et confuse: nous pensons notamment à la présentation pêle-mêle et sans distinction terminologique des non-bases emphatique et topique héritées du protoroman (ibidem: p. 267-269; cf. 1.3.1.4.3). Cette erreur de perspective suscite parfois l'étonnement de ses propres auteurs; ainsi C. Fahlin (1942: 48) constate «une différence énorme entre le latin gaulois du VIII e siècle et l'ancien français tel que nous le connaissons par les plus anciens textes»; et, tout récemment encore, N. Vincent (1990: p. 53), à propos de IPSE et ILLE en fonction d'article, se montre surpris de ce que les textes latins tardifs présentent une norme si différente de celle des parlers romans anciens; en réalité, la norme des textes latins sur lesquels il s'appuie prolonge, dans ce cas, la norme classique, à un moment où le protoroman a depuis longtemps perdu IPSE. Enfin, une meilleure prise de conscience de ce problème méthodologique aurait évité mainte discussion stérile sur de prétendues incompatibilités entre les observations des latinistes et celles des romanistes, comme en rapporte G. Jochnowitz (1973: 4.133) à propos de la date de la diphtongaison en gallo-roman.
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A l'égard des textes latins, il faut donc s'entourer de mille précautions: ils ne sont valables pour l'étude du protoroman et des langues romanes qu'en tant que textes pouvant refléter des traits des parlers romans naissants, ce qu'ils font de façon contingente, et ils ne suffisent pas, à eux seuls, pour rendre compte des parlers romans. C'est face à cette limitation frappant les textes latins que le protoroman, reflet quasi garanti de la langue mère, manifeste sa supériorité. 1.3.1.6.2. Avantages du latin écrit L e latin écrit fonctionne néanmoins comme une sorte de toile de fond de la langue parlée de l'antiquité et du protoroman. Sans cette donnée, nous ne saurions pas, par exemple, que le protoroman MI (pronom personnel datif) remonte à MIHI, ni que le /A/ protoroman représente la fusion d'un /A/ long et d'un /A/ bref. Et nous n'aurions pas la confirmation de la place de l'accent dans la plupart des mots ni du sens de lexèmes et morphèmes reconstruits, tels que le comparatiste les postule. Il y a, sous ce rapport, pour la description du protoroman, deux écoles: celle qui recourt systématiquement à la forme classique, pour peu qu'elle existe (par exemple DOMINUM, dans le R E W ) , et celle qui ne donne que la forme telle qu'elle peut être postulée sur la base des parlers romans (par exemple DOM(I)NU, chez R. A . Hall 1974-); étant donné la difficulté de dater les changements phonétiques au sein du protoroman, nous pratiquons la première de ces formes de présentation. Il arrive aussi que le latin écrit fournisse des données externes (localisation dans le temps et l'espace), que le comparatiste, vu le caractère schématique de ses reconstructions, n'est pas en mesure de donner ou qu'il n'entrevoit que vaguement. L'apparition tardive des adverbes en -MENTE(R) en protoroman doit être rapprochée de ce que B. Löfstedt (1967) dit des textes latins, savoir que l'emploi de -MENTE dans des locutions authentiquement adverbiales y est rare et asystématique. Pour tenter de récupérer le latin écrit et d'en intégrer les éléments valables au protoroman, on peut recourir à l'hypothèse protoromane maximale, en l'étendant aux données du latin écrit. En voici un exemple. Le protoroman passe, à un moment donné, du système acasuel des noms, déjà mentionné (1.3.1.3.1; 1.3.1.3.3), à un système tricasuel, comportant un nominatif, un accusatif et un génitif-datif. En reconstruisant ce système, l'hypothèse minimale donne pour le génitif-datif du pluriel, qui a la forme du génitif, la seule désinence -ORUM, quels que soient le genre du nom et le type de déclinaison. Selon l'hypothèse maximale, on pourrait, en se référant aux textes latins, postuler dans la langue mère, outre -ORUM, les deux désinences -ARUM et - ( I ) U M , lesquelles, pour une raison à déterminer, ne sont pas parvenues jusqu'aux parlers romans. Naturellement, dans le cas présent, l'hypothèse maximale est assez faible, puis-
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qu'on a un indice de la fusion dans le fait que c'est la désinence à la fois la plus étoffée (par opposition à - ( I ) U M ) et la plus fréquente (par opposition à - A R U M ) qui subsiste. L'hypothèse maximale présente toutefois l'avantage de laisser certaines options ouvertes, en attendant des faits ou des arguments décisifs. 1.3.1.6.3. Conclusion Les considérations auxquelles nous venons de nous livrer, surtout la nécessité de traiter le protoroman comme une norme autonome tout en exploitant les repères écrits, montrent que les latinistes et les romanistes ont tout à gagner d'une comparaison systématique de leurs descriptions et d'une réflexion méthodologique commune sur cette approche (R. de Dardel/P. A . Gaeng 1992). 1.3.1.7. Primauté de la démarche inductive Nous ne nions pas la nécessité de rapports réciproques de la déduction et de l'induction pour les recherches sur le protoroman. Il nous semble pourtant qu'actuellement l'exploration du protoroman doit être avant tout un travail inductif, qui part des données concrètes des parlers romans, éventuellement complétées par du latin écrit. L'élaboration de théories sur la base du système protoroman et l'application au protoroman de théories conçues par la linguistique générale sont encore prématurées ou doivent être entreprises avec circonspection. Les tentatives qu'on observe çà et là achoppent trop souvent à une description insuffisante du protoroman et de son évolution; nous en verrons des exemples au chapitre 3 (3.6.2). Il est notamment un postulat qui est fréquemment démenti par la dérivation à partir du protoroman, savoir celui de la simplicité de l'évolution et, par suite, de l'élégance de la description, de règles découlant les unes des autres de manière plausible. L'existence d'évolutions en zigzag (1.3.1.3.3), Qui contredisent le postulat de la simplicité, ne se révèlent que par une description diachronique très poussée et une approche exempte de préjugés théoriques; quant au passage d'un système acasuel à un système casuel (1.3.1.3.1; 1.3.1.3.3), il constitue un véritable défi au principe que la langue évolue de manière plausible. Un exemple caractéristique de théorie en porte-à-faux nous est offert à propos de la base OVS. Sur le plan des données empiriques, il est connu, et prouvé, que la base O V S est extrêmement rare, rareté du reste bien naturelle, puisque la position du rhème devant le thème dans une proposition non marquée est contraire au principe de l'enchaînement discursif, qui va du terme dont on parle à ce qu'on en dit. Il se trouve néanmoins que l'existence d'une base de cette sorte est à peu près assurée pour une 33
période du protoroman qui se situe entre les systèmes régis par la base V S O et par la base SVO respectivement; et son origine, qu'il est impossible d'attribuer à un emprunt quelconque, paraît être une non-base OVS avec objet emphatique (1.3.1.3.1; R. de Dardel 1989). Sur le plan de la théorie, nous devons d'autre part à B. H. Bichakjian (1988) une hypothèse intéressante: pour des raisons liées à l'apprentissage du langage, les langues auraient tendance, au cours de leur évolution, à passer de la ramification à gauche vers la ramification, plus aisément ou plus tôt acquise, à droite. Nous pensons que cette vue peut être juste dans son principe, mais nous ne pensons pas, avec l'auteur, que le mouvement inverse, le retour à la ramification à gauche donc, provienne nécessairement d'un facteur externe (influence savante, impact d'un autre système) ou que, en tant qu'évolution interne au système, il ne représente que des faits mineurs. Le cas de OVS protoroman, base qui marque fortement le système, mais qui comporte un passage difficilement admis par la typologie, à savoir de V S O à OVS, et qui se produit, à ce qu'il semble, sans influence savante ni effet d'aucun strat, montre bien que la théorie de B. H. Bichakjian est trop rigide et qu'elle appelle un ajustement, de manière à ce qu'une place soit accordée à des mouvements contraires d'origine interne, surtout s'ils sont importants. Somme toute, dans l'exploitation du protoroman, les théories agissent souvent comme un miroir aux alouettes et risquent d'entraver le progrès de la description. 1.3.1.8. Formalisation et théorisation Les pages qui précèdent le montrent suffisamment: la première des trois démarches, la reconstruction, suppose un travail délicat, où, à cause de la multiplicité des critères et de leur combinabilité presque infinie, il est parfois difficile de se prononcer sur l'appartenance d'un trait au protoroman autrement que par un jugement qui soit et nuancé et réservé. C'est la raison pour laquelle il nous paraît impossible, pour le moment du moins, d'en réduire la méthode à une sorte de marche à suivre simple, voire formalisée. Il faut se contenter ici d'un travail plus ou moins intuitif et réserver la formalisation aux étapes suivantes, la description et la dérivation. H. H. Hock (1986: ch. 19.2) résume parfaitement ce constat: «There simply is no single, sure-fire algorithm for the task of reconstruction. Rather, as in other areas of linguistics, preliminary hypotheses often are arrived at by an intuitive which defies description» (p. 592). Comme le protoroman est, en synchronie et abstraction faite des régionalismes, un système homogène minimal, sans même les variantes diastratiques de la langue mère, il se prête en principe à une description formalisée et à une théorisation. Mais, en l'absence de l'intuition du sujet parlant, sur laquelle la G G T est censée fonder son analyse, il ne peut 34
guère s'agir que d'une démarche dans la tradition du structuralisme. En outre, vu les grandes lacunes qui subsistent encore dans la reconstruction du protoroman, une tentative dans ce sens est peut-être prématurée. Pour son évolution, en revanche, on peut faire bénéficier la description de tout l'attirail linguistique qui réduit en règles le passage d'un trait à un autre ou d'une structure à une autre et qui établit des garde-fous en termes de grammaires possibles, d'intercompréhension entre les générations ou d'équilibre entre le besoin de la communication et la loi du moindre effort. Si l'on ramène l'évolution à une suite de règles, on peut décrire les oppositions diatopiques sous la forme d'une application différenciée des règles (1.3.1.3.2.1); en prolongeant cette opération jusqu'aux parlers romans, on peut établir des suites de règles pour la genèse de chacun d'eux; l'intérêt en serait sans doute de mettre en évidence le détail de l'évolution à long terme; l'inconvénient pourrait en être qu'on perde de vue l'existence et l'extension des synchronies protoromanes. Au demeurant, il nous semble, si nous en jugeons par le protoroman, que l'évolution d'une langue parlée se signale non seulement par les processus évolutifs qu'on connaît depuis longtemps, mais aussi par quantité de facteurs qui perturbent l'évolution telle qu'on la conçoit traditionnellement (1.3.1.3.3). On peut donc se demander si se réalisera jamais ce que souhaitent certains formalistes et que E. Closs Traugott (1969) formule ainsi: «Wir sollten uns auch bemühen, schliesslich eine Theorie des Wandels zu begründen, die selbst eine universale Grammatik von Typen von Veränderungen wäre ...». 1.3.2. Modèle tridimensionnel Dans le modèle tridimensionnel, une troisième variable est ajoutée aux dimensions spatiale et temporelle du modèle bidimensionnel, à savoir la dimension diastratique. Ce modèle a pour but de fondre en une description synthétique tous les éléments du latin global: le protoroman, qui est un fait de langue, abstrait, le latin écrit, qui est un fait de parole, concret, ainsi que ce qu'on peut postuler comme étant des traces d'autres normes, indigènes ou importées, qui ne se livrent que de façon indirecte. Le modèle tridimensionnel sert en premier lieu à décrire synchroniquement la structure diastratique du latin global, avant d'en décrire l'évolution. Voyons donc quels sont les niveaux qui entrent en ligne de compte et dans quels rapports ils sont les uns avec les autres. Pour cela, il convient de faire au moins les distinctions suivantes: latin écrit/latin parlé (dont le protoroman), latin écrit classique/latin écrit non classique et latin/substrats et superstrats.
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I.3-2.I. Correspondance entre le latin écrit et le protoroman La correspondance de traits, dans une perspective synchronique, entre le latin écrit et le protoroman, est une réalité établie, celle précisément qui a fait croire qu'on peut en somme se dispenser de reconstruire le protoroman. Elle est particulièrement bien illustrée par la conservation, en roman, du vocabulaire latin central le plus fréquent, où l'on trouve, parmi beaucoup d'autres, des lexèmes comme ANNUS, DARE, FRATER, PLACERE, ROTA, SANGUIS, STARE (voir la liste chez A . Stefenelli 1992: p. 22-32); en effet, ce vocabulaire est probablement commun, dans l'antiquité, à toutes les couches de la population. Le caractère synchronique de la correspondance devrait évidemment être vérifié, dans chaque cas, par une localisation temporelle du trait, aussi bien dans les textes latins qu'en protoroman.
1.3.2.2. Ecart entre le latin écrit et le protoroman Tout aussi réel est cependant l'écart entre le système du latin écrit et celui du protoroman, qu'on caractérise parfois sommairement en disant que, pour certains sous-systèmes, le latin écrit est synthétique, alors que le protoroman est analytique. Mais c'est bien d'un écart considérable qu'il s'agit, dont on peut se faire une idée approximative en confrontant notre caractérisation typologique du protoroman (1.3.1.3.3) avec la norme classique. 1.3.2.2.1. Aspects chronologiques Cet écart existe déjà dans le protoroman le plus ancien, puisque le système du sarde, archaïque entre tous, réunit les principales caractéristiques typologiques romanes. Et il est probable que l'écart est même antérieur à ce que le protoroman peut fournir de plus ancien, car il y apparaît en quelque sorte tout cuit, comme un héritage bien établi, voir lointain. En termes de chronologie absolue, du moment que le sarde représente le protoroman d'approximativement le premier siècle avant notre ère, l'écart pourrait bien remonter aux II e , III e et IV e siècles avant notre ère, autrement dit à l'époque des grandes conquêtes autour du bassin occidental de la Méditerranée; à cette époque-là, antérieure au protoroman, ce n'est donc encore que la langue mère qui s'oppose au latin écrit. L'écart est une constante et rejoint, à l'autre extrémité de l'axe temporel, la formation des parlers romans attestés, au moment où les parlers vulgaires, déjà fortement différenciés, supplantent le latin dans la communication écrite.
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1.3-2.2.2. Aspects quantitatifs Cette continuité n'implique pas que, pendant un millénaire, l'écart entre le latin écrit et le protoroman reste pareil à lui-même. On observe à ce sujet deux tendances opposées: ( i ) une augmentation de l'écart, soit du fait qu'en latin écrit la norme classique ne s'instaure que peu à peu, soit du fait que, face à un latin écrit d'inspiration classique, le protoroman évolue en s'en éloignant (pensons à la réduction graduelle du système verbal, à la formation, également graduelle, d'une double série, morphologiquement distincte, de pronoms personnels, atone et tonique); (2) une diminution de l'écart, par des influences réciproques occasionnelles: emprunts classiques en protoroman, irruption de traits protoromans dans des textes latins, à la faveur soit de certains genres (dialogues, lettres), soit d'une méconnaissance de la norme classique de la part de celui qui manie le caíame ou le ciseau.
1.3.2.2.3. Origine L'existence de cet écart soulève un problème épineux: celui de son origine. Bien sûr, entre toute langue écrite et son pendant oral, il existe un écart de norme; on le constate en français contemporain. Mais, dans le cas du latin global, l'écart est considérable et existe très tôt, avant même le protoroman le plus ancien. Cette situation, marquée par une sorte de rupture ou de substitution linguistique, fait penser à une créolisation incomplète et rejoint une donnée sociolinguistique connue: le fait que, lors des conquêtes de Rome, pour les besoins de la communication, le latin doit être acquis tant bien que mal par les peuples non latinophones (R. de Dardel 1990; R. de Dardel/J. Wiiest 1993; J. Wiiest 1993). Il n'est pas sûr, au demeurant, que l'écart qui se produit au début de l'évolution soit uniquement le fait d'une réduction de la grammaire telle que celle-ci nous apparaît dans les textes latins. Il est probablement des cas où, à l'inverse, la forme protoromane est primordiale et héritée de l'indo-européen et où la forme du latin écrit résulte d'un développement secondaire. C'est ce qu'a soutenu A . Burger (1926) au sujet du parfait: le type AMAVI/AMASTI, que supposent les parlers romans, serait ancien, le type AMAVI/AMAVISTI de nos grammaires latines serait refait avec le souci de régulariser les formes. C'est aussi la filiation que postule prudemment B. Löfstedt (1967) pour l'adjectif neutre en fonction d'adverbe, qui remonte au protoroman ( C L A M A R E FORTE, crier fort) et dont le type en -TER du latin écrit (FORTITER) serait un dérivé.
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1.3.2.2.4· Saut Quoi qu'il en soit, cette situation, caractérisée par la coprésence de deux normes foncièrement différentes, rend compte de ce que, dans notre optique moderne, on perçoit comme des sauts inexplicables qu'aurait faits la langue, du latin au protoroman. L'évolution du passif est un de ces cas. N'est-il pas surprenant qu'en face du passif du latin écrit, ordinairement synthétique, on trouve dès les parlers romans les plus archaïques uniquement un passif analytique (cf. E. Bourciez 1956: 245.a, p. 266-267)? D'un point de vue purement descriptif, il faut sans doute considérer cette opposition comme faisant partie de l'écart originel entre le latin écrit et la langue mère des parlers romans, et cela peut-être même antérieurement au protoroman. On pourrait citer aussi l'hiatus sémantique entre le futur latin et le futur roman, car le remplacement du futur latin, synthétique, par le futur analytique roman, généralement admis, soulève des problèmes de description et d'explication, que signale E. Coseriu (1979). Comment expliquer, en effet, que la forme classique, avec le sens d'un futur, soit remplacée par des périphrases avec HABERE, DEBERE, VOLERE, qui, à l'origine et probablement assez longtemps, expriment non pas le futur, mais un devoir ou une intention? Il nous semble que ce problème est susceptible de se résoudre dès qu'on abandonne l'idée du protoroman comme une continuation du latin et qu'on admet que les deux systèmes existent simultanément, mais dans des normes différentes: le parler de la masse perd de bonne heure le futur synthétique (cela fait partie de la réduction morphologique signalée en 1.3.1.3.1) et, d'autre part, tout à fait indépendamment, use de périphrases, qui finissent, beaucoup plus tard peut-être, par exprimer le futur.
1.3.2.2.5. Thèse de la diglossie L'écart de normes et de types que présente le latin global entre son expression écrite et son expression orale nous invite à mettre sur le tapis le problème de l'intercompréhension. En attendant des recherches détaillées, nous signalons la thèse déjà avancée par d'autres romanistes, selon laquelle nous aurions affaire à une structure diglossique, au sens que C. A . Ferguson (1959) donne à ce mot.
1.3.2.2.6. «Les parlers romans sont issus du latin» Ce qui précède montre combien la conception traditionnelle que résume la phrase du sous-titre demande à être précisée. Si l'on entend par «latin» le latin classique, cette formulation n'est que partiellement correcte, puisque le protoroman, sur certains points, court-
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circuite le latin classique (cf. entre autres le parfait AMAVI/AMASTI, 1.3.2.2.3). Si l'on entend par là le latin en tant que dialecte indo-européen, cette formulation est correcte. Il arrive que des romanistes s'épargnent la peine d'une reconstruction explicite et d'une description systématique du protoroman et qu'ils prennent pour point de départ le latin classique, tenu avec raison pour une norme bien décrite. Cette démarche, pratiquée par exemple par K. Tobegy (1966) et que nous avons choisie nous-même jadis (R. de Dardel 1962), est excellente et économique dans le cas où le latin classique recouvrirait la langue mère, si on la reconstruisait; mais c'est une démarche qui induit en erreur dans le cas contraire. C'est sans doute en empruntant ce raccourci qu'on en est venu à dire, par exemple, que les adverbes romans du type FORTE sont issus du latin moyennant la perte du suffixe classique ( F O R T I - T E R ) , alors qu'ils remontent probablement plus haut que la forme classique (1.3.2.2.3).
1.3.2.2.7. Variabilité en diachronie Une dernière remarque sur l'écart. Pour autant que et le latin écrit et le protoroman nous sont connus, on observe, en diachronie, une variabilité différente de part et d'autre. Autant le latin écrit se montre stable et attaché à une norme traditionnelle, autant le protoroman est affecté par des changements, même indépendamment du fameux saut initial. Il n'est que de songer à l'évolution du système vocalique, du lexique et de la morphologie verbale. Si le latin écrit a tendance à suivre la norme protoromane, ce n'est souvent qu'avec un certain décalage dans le temps, à mesure que des vulgarismes y pénètrent. Nous pensons que cette différence n'est peut-être pas fortuite: le latin écrit, pratiqué par une élite, s'appuie sur un modèle classique, que contrôlent les grammairiens, et ne subit des influences extérieures qu'incidemment, éventuellement à travers des modèles littéraires (emprunts au grec, par exemple); le protoroman, et avec lui la langue mère, du fait sans doute qu'ils sont moins liés à la norme classique, évoluent plus librement, se laissant entraîner par de nombreuses tendances évolutives internes et subissant plus facilement l'impact des substrats et superstrats. Cette distinction, encore trop schématique, mérite pourtant réflexion. Ce qui précède dans ce paragraphe nous incite à révoquer en doute la thèse, formulée récemment par A . Vàrvaro (1991), que la norme du latin écrit et cultivé tient en échec longtemps, jusqu'à la chute de l'Empire d'Occident, la tendance centrifuge du latin de la masse, et que c'est la disparition de cette norme qui ouvre la porte à la fragmentation de la Romania. A ce raisonnement, il y a un obstacle chronologique incontournable (1.3.1.3.2.2). Et puis, nous ne croyons pas que le latin écrit ait jamais 39
suffisamment d'emprise sur la langue de la masse pour empêcher sa fragmentation; ce rôle est dévolu aux exigences de la communication au sein de la Métropole. 1.3.2.3. Paradoxe latino-roman et substitution de normes En marge des problèmes liés aux correspondances et aux écarts entre latin écrit et protoroman, le chercheur se heurte à des situations plus complexes. Attendu que le protoroman, comme sous-ensemble propre du latin parlé, et le latin écrit sont deux aspects d'une seule et même langue, on serait en droit de penser que, dans la mesure où les textes latins attestent des traits que le comparatiste postule par ailleurs en protoroman, la distribution spatiale et temporelle de ces traits correspond plus ou moins de part et d'autre. Et cela est effectivement souvent le cas: ce sont les correspondances dont l'introduction de -MENTE dans la T O P (1.3.1.6.2) est un exemple. Mais il y a aussi des non-correspondances, dont certaines sont si frappantes qu'il n'est pas possible de les attribuer au simple hasard. Il est question alors de ce que nous nommons le paradoxe latino-roman. Une explication possible de tels paradoxes consiste à supposer qu'une norme, classique ou non classique, extérieure à celle de la TOP, véhiculée par divers niveaux de langue que nous ne percevons pas ou pas en entier, fait irruption, à un moment donné dans la norme de la TOP. 1.3.2.3.1. Irruption de la norme classique Le paradoxe latino-roman est le plus facile à observer et, par conséquent, le mieux connu, lorsque c'est la norme classique qui fait irruption dans la TOP. Le cas courant est évidemment celui de l'emprunt lexical, souvent appelé mot savant. C'est ainsi que PENSARE s'insère dans la TOP, après le III e siècle, en conservant donc le groupe phonique -NS- de la tradition écrite, et s'y substitue à COGITARE. Il en résulte entre autres le français penser, doublet du mot dérivé selon les lois phonétiques, peser. Moins courant est l'emprunt d'un outil grammatical. La conjonction de subordination causale et complétive protoromane KO, qui représente le QUOD classique dans les mêmes fonctions, ne fait son apparition dans la T O P qu'assez tard, après le I e r siècle avant notre ère, car le sarde ne l'atteste pas. Elle s'étend dans l'espace à l'Italie et à la Dacie, mais ne pénètre pas, vers l'ouest, en gallo-roman ni en ibéro-roman, où la conjonction antérieure, KA ( = QUIA), également causale et complétive, reste productive. Dans les textes latins, au contraire, QUOD est attesté dès avant notre ère et y est fréquent dans toutes les parties de la Romania 40
continentale (R. de Dardel 1983a: 5.2.4.3, et note). Ce paradoxe devient compréhensible si l'on admet que le niveau de langue qui véhicule QUOD et qui se manifeste dans les textes latins reste longtemps à l'écart de la T O P et qu'il ne s'y impose finalement que dans un espace limité, comme régionalisme (1.3.1.3.2.1). 1.3.2.3.2. Irruption de normes non classiques Plus curieux sont les deux cas suivants, où c'est une norme latine non classique qui interfère avec celle de la TOP. Aux II e et III e siècles, le système acasuel des noms et de certains pronoms, qui caractérise jusqu'alors la TOP, y est remplacé, dans la Romania continentale centrale et orientale, par un système tricasuel, muni de désinences latines et comportant (1) un nominatif pour le sujet et son attribut, (2) un génitif-datif, qui exprime à la fois le complément de possession et l'objet d'attribution et se construit avec le datif au singulier et le génitif en -ORUM au pluriel, et (3), pour toutes les autres fonctions, un accusatif, qui prolonge la forme du système acasuel. Le paradoxe réside ici dans le fait que l'existence du système tricasuel se manifeste dans le latin écrit vulgaire de toutes les parties de la Romania continentale, y compris, mais de façon moins nette, dans l'aire qui correspond au portugais et à l'espagnol, parlers romans qui, eux, n'en portent aucune trace. L'originalité de cet exemple appert des considérations suivantes. En tant que système de valeurs, le système tricasuel ne doit rien à la TOP, dans laquelle il est introduit de l'extérieur, mais il ne doit rien non plus au système classique. En outre, la modification du protoroman, qui va ici dans le sens d'un renforcement des structures morphologiques, avec la réintroduction de désinences classiques, n'a pas son pendant dans le latin classique. La solution de ce problème doit se trouver dans l'existence d'un niveau de langue, disons mi-classique, extérieur à la fois à la T O P et à la tradition classique, mais dont la norme s'impose, à un moment donné, dans la TOP. Ainsi s'explique ce qui à première vue paraissait une évolution peu plausible (1.3.1.3.3). Alors que le système des comparatifs synthétiques s'efface presque entièrement de très bonne heure, pour être remplacé par les comparatifs analytiques avec MAGIS et PLUS, une poignée de formes synthétiques, dont GRANDIOREM, font, beaucoup plus tard, leur apparition dans la T O P de la Gallo-Romania. L'intérêt de cet exemple est que ces intrus d'origine nettement classique passent, à la différence d'emprunts comme PENSARE, par les lois d'évolution phonétique antérieures au moment où ils pénètrent dans la TOP. Il faut donc croire qu'ils représentent une norme classique qui est suffisamment répandue dans l'usage parlé pour en subir les modifications phonétiques, une norme classique orale en somme (R. de Dardel 1992a). 41
Ι.3·2·4· Latin, substrats et superstrats L'influence sur la T O P de mots de normes latines différentes, par exemple celle qui se manifeste dans la forme P E N S A R E empruntée par le protoroman, n'est pas d'une autre nature que l'influence lexicale d'un substrat ou d'un superstrat, tels les mots grecs ( B A S I L I C A ) , gaulois ( C A R R U M ) OU germaniques ( G U E R R A ) . Et rien n'empêche en théorie d'assimiler à ces influences lexicales d'éventuelles influences morphologiques ou syntaxiques (peut-être l'ordre déterminant + déterminé; 1.3.1.3.3). Le mystère qui entoure l'origine du système tricasuel des noms, qui appartient à une norme non classique, serait-il lié à un strat non latin? Nous ne le savons pas, mais devons souligner que ce système apparaît dans la T O P au moment de la romanisation de la Dacie et se conserve le mieux en roumain. Quoi qu'il en soit, on peut appliquer le modèle tridimensionnel également aux phénomènes de bilinguisme latin/langue non latine et décrire dans ce cadre ce qu'on nomme couramment des emprunts à des langues non latines. En fait, une situation paradoxale comme celle décrite en 1.3.2.3, entre normes latines, existe aussi entre le latin et les strats. Comment se fait-il, par exemple, que le mot gaulois C A S S A N U M , évidemment présent en Gaule et en Italie du nord avant la romanisation, ne subsiste ou ne laisse de traces que dans cette aire? Autrement dit, comment se fait-il qu'il n'entre pas, comme par exemple son congénère C A R R U M , dans la norme de la masse, représentée par la T O P et que caractérisent des mots de la famille du latin Q U E R C U S ? Raisonnant en fonction du modèle tridimensionnel et sans exclure d'autres vues, nous suggérons l'explication suivante: en tant que terme non latin, C A S S A N U M est au départ un régionalisme, confiné dans une norme extérieure à la TOP, peut-être même confiné dans l'usage des gallophones; il ne pénètre dans la T O P que tard, à la faveur d'une modification des rapports diastratiques, à une époque où une innovation de la T O P ne peut plus s'étendre aux autres parties de la Romania.
1.3.2.5. Latin écrit classique et non classique Lorsque le latiniste observe des différences de norme dans les textes d'une période donnée, il peut les mettre en rapport avec des différences selon la dimension diastratique, et, éventuellement, établir un lien entre une de ces normes et la situation dans les parlers romans; le latiniste recourt alors au modèle tridimensionnel. C'est ce que fait J. N. Adams (1976): il rend compte d'une inconsistance typologique du latin écrit en matière de syntaxe positionnelle par la présence de deux registres, celui du latin littéraire, qui conserve SOV, et celui du parler courant («colloquiai Latin»), où émerge déjà l'ordre S V O roman; cette description cadre 42
parfaitement avec nos propres observations et nous paraît correcte; aussi pensons-nous que H. Pinkster (1991: p. 73-74), qui rapporte cette thèse, a tort de la rejeter; le fait qu'elle suppose deux ordres basiques découle de l'écart typologique que nous dénonçons nous-mêmes et ne devrait pas être un obstacle à la description, ni même une surprise. 1.3.2.6. Résultats On voit que la correspondance et les écarts, dans une certaine mesure, mais surtout le paradoxe latino-roman, dont les exemples sont légion, soulèvent des problèmes que l'analyse spatio-temporelle ne peut pas résoudre dans le cadre du modèle bidimensionnel et qui demandent l'incorporation au modèle du protoroman d'une troisième dimension, la dimension diastratique. Par ce biais, tous les niveaux, qu'ils s'expriment dans l'écrit ou l'oral, qu'ils soient classiques ou vulgaires, attestés ou non, dans la T O P ou en dehors, sont virtuellement englobés dans l'analyse, sauf à être tous identifiés et localisés, bien sûr. Par là - il convient d'insister sur ce point - le modèle du protoroman sort de ses limites, puisque le recours au latin de tous les niveaux, donc aussi le latin extérieur à la T O P et au protoroman, marginal dans le modèle bidimensionnel, occupe ici une place centrale. Dans ce modèle, romanistes et latinistes sont sur pied d'égalité et peuvent, les uns et les autres, prendre l'initiative de l'analyse. Celle de J. N. Adams (1.3.2.5) est aussi, on l'a vu, une application du modèle tridimensionnel, mais dans la perspective du latiniste. Cette jonction autour d'un seul et même modèle nous paraît aujourd'hui indispensable pour les études tant latines que romanes. Au-delà du domaine du latin proprement dit, le modèle tridimensionnel permet de réinsérer dans le circuit des recherches comparatives les bonnes vieilles théories fondées sur les substrats et les superstrats, de les soumettre à une analyse plus performante que dans le modèle bidimensionnel et d'aboutir, à l'écart de toute stratophobie ou stratomanie, à un tri relativement objectif de celles qui méritent d'être retenues. En somme, dans notre conception, la description du protoroman évolue en conformité avec les tendances de la linguistique diachronique en général, telle qu'elle est décrite par U. Weinreich [e.a.] (1968). Au départ, on observait la langue en tant que système homogène, et c'est ainsi que la voyaient par exemple H. Paul et F. de Saussure; seulement, si, pour eux, l'homogénéité était un préalable théorique, pour le comparatiste, l'homogénéité de la protolangue résulte simplement des limitations imposées par la méthode. Depuis lors, avec des auteurs comme A . Meillet, A . Martinet et C. A . Ferguson, la linguistique diachronique s'achemine vers une conception différente de la langue: un système à variantes, sur fond sociolinguistique; c'est aussi la tendance qui caractérise notre propre conception du protoroman; dans tous ces cas, le renouvellement de la 43
méthode est motivé par le souci d'une description plus appropriée à la réalité linguistique. Il est à peine exagéré de dire que, sans l'injection du structuralisme, puis de la sociolinguistique, pour ne nommer que les courants les plus déterminants, le comparatisme historique roman serait aujourd'hui réduit à l'inertie. L e modèle tridimensionnel met en relief l'écart typologique vraiment frappant qui existe, probablement dès les temps les plus reculés, entre le latin écrit et le protoroman, écart qu'illustre de manière éloquente le système casuel initial: six cas d'un côté, absence de cas nominaux de l'autre. A notre avis, toute la description des niveaux de langue dans le monde latinophone de l'antiquité doit tenir compte de cet écart typologique, et les deux grands problèmes en suspens, la semi-créolisation et la diglossie, doivent être envisagés dans cette perspective.
1.4. Protoroman: bilan 1.4.1. Vérification des hypothèses relatives au protoroman La falsification d'une hypothèse protoromane fait partie de la routine: au fur et à mesure que les données romanes apportent de l'inédit et que l'instrument méthodologique s'affine, le comparatiste ajuste son tir, corrige ou nuance une hypothèse existante. C'est ainsi que, il y a vingt ans, mettant à profit l'analyse spatio-temporelle, il nous a été possible de dégager, d'une description antérieure trop sommaire, la chronologie relative du masculin et du féminin dans les noms de matière FELEM, MELEM, SALEM e t SANGUEM
(I.3.I.I.5).
Pour les hypothèses relatives au protoroman, il n'existe pas de vérification au sens courant du terme, c'est-à-dire par des données concrètes; quant aux données des textes latins écrits qui correspondent aux traits du protoroman, elles ne permettent pas, à notre avis, de vérifier la reconstruction, mais ne font que la confirmer. Il existe en revanche, dans certains cas, une manière indirecte de vérifier les hypothèses protoromanes, à savoir en tirant parti, dans le protoroman reconstruit, de certaines relations, synchroniques ou diachroniques, qui ne paraissent pas pouvoir être fortuites (R. de Dardel 1991b). Ainsi, l'hypothèse de l'ordre nom + adjectif épithète qualifiant dans le protoroman le plus ancien, fondée sur la distribution spatiale de cette construction, trouve une vérification indirecte dans le fait que, selon une autre hypothèse, le protoroman de cette époque possède la base VSO, et que, par ailleurs, en vertu de tendances universelles, une langue V O a de fortes chances d'avoir l'adjectif épithète postposé au nom (1.3.1.3.1). Un autre exemple est fourni par la triple hypothèse selon laquelle, dans le protoroman le plus ancien, (1) les noms sont régis par un système acasuel, 44
(2) la base est V S O et (3) l'objet direct de certaines catégories nominales est introduit par AD (1.3.1.3.1): ces trois faits paraissent fonctionnellement liés, les deux premiers rendant nécessaire le troisième, sans compter que cette corrélation semble répondre à un trait universel (G. Bossong 1991). Voici un cas moins sûr, faute d'un appui suffisant de la part des principes généraux, et bien propre à illustrer les difficultés d'une vérification. Les phrases segmentées (citées en 1.3.1.2.1.4.2) sont solidement ancrées dans le système de l'ibéro-roman, du sarde et du roumain. Remontentelles pour autant au protoroman? Une telle hypothèse butte contre deux obstacles: en premier lieu, l'évolution parallèle n'est pas exclue; mais la difficulté de vérifier ce trait vient aussi de ce que le système protoroman est encore lacuneux; comme le montrent les exemples de l'alinéa précédent, c'est le rapprochement de traits coprésents, interdépendants et postulés séparément, qui permet la vérification; or, la phrase segmentée, dont il est question ici, est encore un trait trop isolé pour que nous puissions le postuler en protoroman par ce biais. A ceux qui doutent de la fiabilité, même relative, du protoroman, il faut faire remarquer que, si le protoroman n'était vraiment pas fiable, on n'arriverait jamais, sauf en forçant les choses, à un système reconstruit comme celui qui commence à se profiler, à savoir un système cohérent et conforme à tout ce que nous savons du fonctionnement d'un système linguistique, en synchronie et en diachronie. Le proverbe biblique ne ditil pas: «C'est au fruit que l'on connaît l'arbre»? 1.4.2. Degré de réalité du protoroman Dans quelle mesure le protoroman, si abstrait qu'il soit, se rapproche-t-il en définitive de la réalité de la langue mère? ι.4.2.1. Aspect qualitatif Nous avons dit que, d'un point de vue qualitatif, le protoroman, n'étant que langue, est une construction très éloignée, par son schématisme, d'une langue que nous pouvons observer à travers la parole, comme les langues vivantes et même le latin écrit. Néanmoins, ceci dit, les règles et formules établies pour le protoroman, en supposant que la reconstruction soit correcte, ont le même statut que celles qu'on établit pour n'importe quelle langue observée directement. Le degré de réalité du protoroman dépend aussi, en synchronie, du degré d'adéquation des structures au fonctionnement du langage, et, en diachronie, les interférences de normes mises à part, du degré de plausibilité de l'évolution et de ses causes. Enfin, la manifestation, toujours indirecte évidemment, de faits de parole sur l'évolution externe du système, tel l'impact de la fréquence d'emploi respective de formes verbales sur 45
leur distribution spatiale (1.3.1.3.2.3), reflète la réalité de la langue mère à travers le protoroman qui la représente. D'aucuns (par exemple D. W. Lightfoot 1979: p. 1 6 5 - 1 6 6 ) pensent que la méthode comparative ne permet d'aboutir qu'à une protolangue idéale, ce qu'on appelle parfois une reconstruction réductionniste (H. H. Hock 1986: ch. 18.7), de peu d'utilité en somme, parce qu'homogène et typologiquement consistante. Il est vrai qu'en raison même de la méthode de reconstruction la protolangue est homogène dans la dimension diastratique; mais, pour le reste, cette objection ne vaut pas, du moins pas pour le protoroman, ni même sans doute pour l'indo-européen (H. H. Hock ibidem): l'homogénéité n'y existe ni dans l'espace ni dans le temps, et le découpage du protoroman en tranches synchroniques pourrait en principe faire apparaître (c'est à vérifier) des inconsistances typologiques caractérisées. Ceci est important, dans la mesure où c'est justement le caractère idéal des protolangues qui, dans l'esprit des chercheurs, fait obstacle à l'élaboration d'une théorie des changements linguistiques. On dit et répète à l'adresse du comparatisme (e.a. H. H. Hock 1986: ch. 18.7), que des traits de la langue mère se perdent en cours de route et ne sont pas récupérés par la reconstruction, que par exemple, en ce qui concerne les langues romanes, le protoroman ne permet pas de remonter aux six cas du latin. Cette constatation est juste et provient de ce que le protoroman ne remonte qu'au premier siècle avant notre ère, période où, apparemment, le latin parlé de la masse a déjà adopté le système acasuel. Cette constatation montre donc les limites de la comparaison historique, mais n'autorise pas à en condamner le principe. N'oublions pas que la description fondée sur le modèle des ondes, voire sur le modèle tridimensionnel, est sensiblement plus réaliste que celles qu'on fonde, aujourd'hui encore, sur le modèle de l'arbre; l'arbre que propose par exemple F. B. Agard (1984: p. 250-251), construit à partir d'un choix de traits phonétiques, est juste dans cette perspective-ci, mais donne du système protoroman dans son ensemble une image non seulement simplifiée, mais aussi, qui pis est, déformée. 1.4.2.2. Aspect quantitatif Il y a un aspect quantitatif de la réalité du protoroman. Le protoroman est, pour ainsi dire de façon systématique, une reproduction lacuneuse de la langue mère, soit parce que la TOP n'englobe pas le latin parlé dans toute sa complexité diastratique, soit parce que des traits de la langue mère s'effacent trop tôt pour être pris en charge par la TOP et apparaître dans des parlers romans. Et puis, le protoroman est lacuneux de façon contingente, en fonction de l'état d'avancement des recherches: plus il y a d'éléments reconstruits et plus il devient possible de reconstruire des sous-systèmes en synchronie 46
et leur succession en diachronie, et plus aussi il devient possible d'en vérifier l'adéquation au fonctionnement et à l'évolution du langage. L'augmentation arithmétique des traits confère au protoroman une progression géométrique. C'est comme dans un puzzle: les premières pièces sont difficiles à placer, parce qu'on ne sait pas encore ce que le puzzle est censé représenter; mais, au fur et à mesure qu'on avance et que l'image visée se précise, les pièces trouvent leur place plus aisément. Vu les degrés divers de fiabilité de la reconstruction (1.3.1.2.1), c'est pour la phonologie, pour la morphologie et le lexique que la reconstruction du protoroman a atteint le niveau d'avancement le plus satisfaisant, bien qu'il reste beaucoup à faire et que les progrès de la méthode comparative nécessitent constamment des ajustements dans les hypothèses existantes. La syntaxe, en revanche, reste actuellement la partie la moins avancée et la plus vulnérable du système. 1.4.3. Visage actuel du protoroman Avec les développements méthodologiques, notre manière de voir le protoroman - et, à travers lui, tout le latin de l'antiquité - est en passe de se compléter et de se préciser, probablement de se compliquer en même temps. Signalons les principaux acquis. Il y a en premier lieu des aspects externes. (1) La profondeur diachronique du protoroman nous reporte à peu près au premier siècle avant notre ère, alors que certains le croient exclusivement postérieur aux textes latins, même tardifs. (2) Il est à présent possible de mettre en évidence, en plus des isoglosses qui se stabilisent en faisceaux le long de divisions socio-politiques, des isoglosses isolées, qui parcourent la Romania antique, par ailleurs uniforme, ou des unités socio-politiques plus récentes, en y délimitant des régionalismes. Parmi les aspects internes, il faut retenir surtout les suivants. (1) Le protoroman se déroule pour l'essentiel en dehors du latin écrit et indépendamment de lui. (2) Il est moins stable que lui: les modifications du système s'y succèdent à un rythme relativement rapide. (3) Au début surtout, le protoroman présente par rapport au latin écrit des écarts saisissants, qui impliquent quelque chose comme une diglossie et qu'il faut peut-être mettre sur le compte d'un processus sociolinguistique, la semicréolisation. (4) Le protoroman présente des exemples remarquables d'évolution à première vue peu plausible, produits en partie par des interférences de normes au sein de la structure diastratique. (5) Les liens que dégage le comparatiste ne sont en fait pas tous génétiques, en ce que des apports étrangers à la famille linguistique se glissent dans l'évolution. Ce qu'il y a de commun à toutes ces constatations, c'est que le visage actuel du protoroman n'est pas différent de celui de parlers attestés, que 47
nous pouvons observer directement sous un angle synchronique, diachronique, diatopique et diastratique. Le point 5 ci-dessus nous amène à une remarque sur l'opposition entre relation historique et relation génétique. Du moment que la reconstruction du protoroman met au jour des traits ou des structures qui proviennent d'une autre souche linguistique que la souche latine, il faut bien admettre que la méthode comparative peut être dite à juste titre historique et que le terme de comparaison génétique, qu'on rencontre parfois, ne saurait s'y appliquer intégralement. Doit-on pour autant envisager que le protoroman serait mieux décrit selon le modèle de la convergence de langues, évoqué en 1.2.2? Nous ne le pensons pas: l'écrasante majorité des traits protoromans remontent par des liens génétiques à une souche unique, latine ou, pour la génération précédente, italique; et les éléments adventices associés au protoroman par des liens historiques seulement sont identifiables comme tels, par référence à l'histoire de Rome. Ici - soit dit en passant - se manifeste de façon particulièrement nette la situation privilégiée du romaniste; car ce que nous observons en protoroman se produit probablement aussi dans d'autres familles linguistiques, mais en période préhistorique, où, l'identification d'un emprunt étant aléatoire, il est très difficile de savoir dans quelle mesure la protolangue est constituée de convergences.
1.4.4. Perspectives d'avenir La langue morte et non écrite qu'est le protoroman commence à sortir des limbes. Il s'agit d'une véritable découverte, graduelle et lente, dont l'importance saute aux yeux et qu'il convient par conséquent de poursuivre. D'un point de vue quantitatif, il faut évidemment explorer les soussystèmes que le comparatisme historique n'a pas encore éclairés et revoir ceux que le comparatisme a pris en considération autrefois, mais que les progrès de la méthode pourraient aujourd'hui placer dans un jour nouveau. D'un point de vue qualitatif, il faudrait surtout brosser un tableau des structures diastratiques du latin, de l'interférence des normes, de la position exacte qu'y occupe le protoroman. Mais on pourrait aussi songer à donner du protoroman une esquisse globale, une sorte d'Evolution et structure du protoroman, où seraient réunis et mis en évidence, pour chacune des périodes, tous les traits grammaticaux disponibles. L'observation d'une langue ancienne attestée est entravée par les faits de parole, dont il est souvent si malaisé de faire abstraction pour dégager le système. L e protoroman, lui, offre une occasion rare d'observer la structure et l'évolution d'une langue en l'absence des faits de parole. En cette qualité, le protoroman, une fois convenablement décrit, peut fonctionner comme pierre de touche pour des théories générales. 48
Tant que le protoroman n'est pas reconstruit ni placé correctement dans le système linguistique et social du latin, cette période - un millénaire - constitue en fait une solution de continuité, préjudiciable à la recherche, entre l'indo-européen et les parlers romans, et toute généralisation diachronique à partir des dialectes italiques demeure illusoire.
1.5. Conclusion Nous croyons avoir montré que, grâce aux circonstances historiques, les parlers romans sont un terrain privilégié pour l'expérimentation de la méthode comparative. L'ironie veut toutefois qu'après le grand essor des travaux comparatifs, au X I X e siècle et au début du X X e , les romanistes aient transformé cet avantage, notamment l'existence du latin écrit, en un oreiller de paresse; persuadés que le latin écrit rend superflue la reconstruction du protoroman, ils ont gravement négligé la méthode comparative et en ont fait un parent pauvre des études romanes; de la sorte, notre connaissance de la genèse des parlers romans ne dépasse que de peu celle atteinte au début du siècle, et, malgré leur avantage théorique, les études romanes sont à maints égards en retard sur des familles linguistiques moins favorisées et ne peuvent guère leur servir de modèle. La méthode telle que nous l'avons décrite ici va relativement loin dans le sens de la reconstruction (reconstructions au second degré), d'une description intégrale (modèle tridimensionnel), d'une approche interdisciplinaire (études romanes et études latines combinées, sociolinguistique, typologie) et de la vérification (vérification indirecte). Elle permet un renouvellement intéressant de la grammaire historique des parlers romans et offre à l'activité scientifique un champ immense. Mais elle reste trop souvent lettre morte: peu nombreux sont en effet les chercheurs qui travaillent à son élaboration théorique, à plus forte raison à l'application de ses principes, et peu nombreux sont ceux qui font profiter la description des parlers romans de ses acquis (R. de Dardel 1993b).
49
Chapitre 2 L a place du sujet et du verbe dans les propositions subordonnées
2.1. Introduction Parmi les problèmes les plus tenaces auxquels se heurte la linguistique historique romane figure la place du sujet et du verbe dans les subordonnées introduites par une conjonction ou par un pronom relatif. Nous donnons pour commencer un aperçu terminologique, auquel nous nous référons par la suite (2.2), puis un état de la question, débouchant sur la formulation du problème (2.3), enfin une analyse du protoroman (2.4) et une conclusion qui synthétise les résultats (2.5).
2.2.
Terminologie et symboles
2.2.1. Terminologie Plusieurs des catégories présentées ici sont non discrètes ou connaissent de nombreuses nuances et appellent par conséquent, en vue du classement, des critères plus ou moins arbitraires; cela vaut en tout cas, comme on verra, pour les notions de marque, de thème et d'emphase. Certaines catégories valent probablement pour toute langue, alors que d'autres sont spécifiques d'un ou plusieurs parlers romans; nous les séparons autant que possible. Il y a des notions qui sont purement synchroniques; leur insertion dans la diachronie est cependant nécessaire, mais doit être faite avec des réserves. Pour la clarté de l'exposé, la terminologie est présentée ici par référence au français. 2.2.I.I. Terminologie relative à l'analyse discursive L'analyse discursive divise l'énoncé, ou une partie de l'énoncé, en un thème et un rhème. Comme cette analyse, d'une part joue un rôle central dans la séquence des termes, d'autre part n'est pas considérée de la même manière par tous les chercheurs, nous devons nous arrêter un instant à sa définition. On considère en général que le thème (à ne pas confondre avec le topique, mentionné plus loin, 2.2.1.3.5.1) représente dans l'énoncé ce qui 51
est connu du récepteur par le contexte ou la situation, qu'il est donc présupposé; le rhème, au contraire, représente ce qui est nouveau pour le récepteur. Il y a ici deux cas à distinguer: lorsque la proposition répond à une interrogation partielle, elle apporte une information partielle; dans ce cas, le thème n'est normalement pas exprimé (Quand est-ce que Pierre part? - Demain (R)), à moins qu'il ne soit exigé par les règles grammaticales (Que fait Pierre? - Il (T) lit un livre (R))·, lorsque la proposition répond à une interrogation totale ou n'est suscitée par aucune question, elle apporte une information globale, où un présupposé éventuel se traduit nécessairement par un thème explicite (Que se passe-t-il actuellement en France? - Mitterand (T) est malade (R)). Il arrive cependant qu'on appelle thème un terme qui ne se rapporte pas à quelque chose que le récepteur connaisse par le contexte ou la situation. C'est le cas, par exemple, lorsque, après la lecture de son journal, quelqu'un vous dit à brûle-pourpoint Un clochard a été assassiné, qui représente une information globale ( chez M. Ulrich 1985), ne répondant, comme ci-dessus, à aucune question ou répondant à une interrogation totale du type Que se passe-t-il? ou Quelles sont les nouvelles? Dans ce cas, en l'absence d'un présupposé, on appelle thème le terme que le rhème commente (d'où la paire terminologique propos/commentaire). Cette définition s'appliquerait aussi au cas précédent. Il existe pourtant un troisième type d'énoncé, qui, sous ce rapport, fait problème. Lorsque, au cours d'un récit, on dit Survient un gendarme, la venue de quelqu'un (survenir) est plus prévisible et apporte par conséquent moins d'information que l'identité de ce quelqu'un (gendarme). Cette différence rappelle celle entre thème et rhème des exemples précédents, sans que les définitions correspondantes s'y appliquent: d'une part, le fait de survenir n'est pas présupposé (selon la première définition), et d'autre part, on ne saurait, à proprement parler, dire d'un substantif sujet (gendarme) qu'il commente (selon la deuxième définition) le verbe auquel il se rapporte. Nous pensons que le critère qui conviendrait ici, et en même temps aux deux cas précédents, est celui de l'information croissante (aussi appelé charge sémantique croissante), en vertu de laquelle le thème, à quelque catégorie grammaticale qu'il appartienne (Un clochard, Survient, etc.), est l'élément le moins informatif, alors que c'est le rhème qui apporte, seul ou en combinaison avec le thème, l'information éventuellement demandée. C'est avec cette définition compréhensive à l'esprit que nous utiliserons, dans ce qui suit, les termes de thème et de rhème. L'analyse discursive ainsi comprise vaut en principe à plusieurs niveaux de la réduction d'une proposition en ses constituants immédiats, comme l'illustre l'exemple que voici: [ T Paul [ R [ T dit [ R (que) [ T Pierre [ R [ T mange [ R une banane]]]]]]]]
52
2.2.1.2.
Terminologie relative à la base
2.2.1.2.1. Proposition non marquée En première approximation, une proposition est dite non marquée, lorsqu'elle est assertive, dénuée d'emphase, construite selon les règles les plus générales et grammaticalement indépendante du contexte et de la situation. L a proposition non marquée ainsi définie ne se réalise que dans les vérités générales, par exemple lorsque, dans certaines circonstances, quelqu'un déclare Noblesse oblige, où le seul lien avec le contexte et la situation est de nature non grammaticale. A la proposition non marquée correspond, au niveau de l'analyse discursive, un énoncé apportant une information globale: Noblesse (T) oblige (R) ne répond pas forcément à une question. Il existe une affinité entre les termes selon l'analyse discursive et les termes selon l'analyse syntaxique: dans une proposition non marquée, le sujet et le verbe, avec ses objets et compléments, tendent à être respectivement le thème et le rhème: Noblesse (S/T) oblige (V/R). En seconde approximation, on peut donc préciser la définition de la proposition non marquée, en stipulant qu'elle comporte un parallélisme des structures discursive et syntaxique tel qu'il est produit par leur affinité.
2.2.1.2.2. Base et ordre basique La base est l'ordre des constituants majeurs toniques du noyau dans une proposition non marquée. Elle se définit à deux niveaux: au niveau de l'analyse syntaxique, par la place respective du sujet, du verbe et de l'objet ou attribut, au niveau de l'analyse discursive, par la place respective du thème et du rhème. En français contemporain, par exemple, la base est SVO/TR. Le complément circonstanciel ne compte pas pour la définition de la base, notamment parce que, faute d'affinité systématique, il est susceptible de se déplacer dans la proposition au gré de la structure discursive: Que fais-tu demain? - Demain (T), je pars (R), Quand pars-tu? - Je pars (T) demain (R). D e la base, qui ne concerne que les propositions non marquées, nous distinguons l'ordre basique, pour décrire les propositions qui ont l'ordre de la base tout en étant marquées.
2.2.1.3.
Terminologie relative à la non-base
2.2.1.3.1. Proposition marquée Sont évidemment dites marquées les propositions que ne recouvre pas la définition ci-dessus. 53
L'absence de marques selon notre définition de 2.2.1.2.1, c'est-à-dire comme elle se manifeste dans les vérités générales, est rare; dans Un clochard a été assassiné, par exemple, le temps verbal a pour point de référence le moment de l'énonciation, donc la situation. D'une manière générale, l'information partielle est marquée par des déictiques (Que fais tu? - Je lis un livre) ou des anaphoriques (Que lit Paul? - Il lit un livre). Est aussi marquée, aux termes de notre définition, une proposition où le parallélisme des deux niveaux d'analyse est rompu, tel que le type Survient un gendarme, si tant est qu'il s'analyse VS/TR. Beaucoup d'autres traits, dont quelques-uns seront énumérés en 2.2.1.3.5, rendent une proposition marquée.
2.2.1.3.2. Non-base et ordre non basique D u point de vue de la place des constituants majeurs toniques du noyau, les propositions marquées sont dites non-bases. Si cet ordre est différent de la base, par exemple dans la proposition emphatique Heureux (sont) les humbles!, avec l'ordre OVS/RT, nous parlerons d'une non-base à ordre non basique. Toute non-base ne se réalise cependant pas par un ordre non basique; on a en effet des non-bases à ordre basique, par exemple dans l'interrogative Paul écrit un livre? (SVO/TR). En d'autres mots, les éléments grammaticaux qui rendent une proposition marquée n'influencent pas tous ipso facto l'ordre des termes. Que le temps verbal soit un présent atemporel ou non, par exemple, n'a pas, en français moderne, d'incidences sur la syntaxe positionnelle.
2.2.1.3.3. Extension de l'ordre basique A u demeurant, il y a, en diachronie, une tendance à remplacer l'ordre non basique par l'ordre basique. A partir de la base, l'ordre basique connaît une extension dans les non-bases à ordre non basique, sans nécessairement s'imposer à toutes. C'est un processus graduel. Ainsi s'explique en français moderne Tu viens quand?, qui n'élimine pourtant pas encore Quand viens-tu?
2.2.1.3.4. Proposition minimalement marquée Par convention et pour ne pas nous écarter trop de l'usage, nous traiterons comme non marquées les propositions minimalement marquées, par quoi nous entendons les propositions pourvues de marques qui restent systématiquement sans effets sur le statut grammatical et l'ordre des termes; tel est le cas par exemple du français Paul lit un livre, malgré le présent actuel et le fait que Paul est connu par le contexte ou la situation. 54
2.2.ι.3.5. Non-bases pertinentes à l'ordre des termes Selon toute apparence, les non-bases pertinentes à l'ordre des termes ne sont pas toutes les mêmes d'une langue à une autre; les marques qui jouent un rôle en français contemporain ne recouvrent par exemple qu'en partie celles du protoroman. C'est pourquoi, dans la liste que nous donnons ci-après, nous nous penchons sur six non-bases qui, sinon en français moderne, du moins en ancien français et en protoroman, exercent une influence sur la position des termes. 2.2.1.3.5.ι. Non-base topique La non-base topique comporte, en position initiale, un terme muni du trait [+topique], décomposable en [+diaphorique] et/ou [+déictique]. Dans [Que fait Paul?] - Il lit un livre, le pronom sujet est topique, puisqu'il se réfère anaphoriquement au contexte. Dans ce cas, s'agissant du français moderne, l'ordre basique est maintenu, moyennant la modification de Paul en II. Mais en ancien français, où l'ordre basique est déjà SVO, la proposition topique pourrait être Ce livre lit Paul, avec, cette fois, un ordre non basique.
2.2.1.3.5.2. Non-base discursive La non-base discursive contrecarre l'affinité liant les termes du niveau syntaxique et ceux du niveau discursif (2.2.1.2.1). Dans fie livre que] Paul (T) lit (R), l'ordre du sujet et du verbe est conforme aux affinités, comme il le serait dans la base, mais, selon les analyses de nombreux grammairiens, dont il sera question plus loin (2.3.2), il serait non conforme aux affinités dans les phrases du type [le livre que] lit (T) Paul (R).
2.2.1.3.5.3. Non-base emphatique La non-base emphatique comporte, en position initiale, un terme à la fois Thématique et emphatique, c'est-à-dire un terme qui, soit en vertu du contexte ou de la situation (emphase contrastive), soit en vertu de son sens intrinsèque (emphase non contrastive), apporte une information du rhème tout en la marquant d'un accent spécial. Dans C'est la clef [non pas le livre], que Paul a perdue, avec la construction de mise en relief C'est ... que..., nous avons une non-base emphatique contrastive, marquée par rapport à Paul a perdu la clef Dans le type français figé Heureux (sont) les humbles!, nous avons affaire au vestige d'une non-base emphatique non contrastive, qu'on trouve fréquemment en ancien français (Alt sunt li munt) et qui repose sur le fait qu'un terme exprimant à un degré extrême la qualité (, , , , , etc.) ou la quan55
tité (, , , et les nombres) peut, s'il ne se trouve pas déjà en position initiale, quitter sa position non marquée après le verbe et se placer en tête, avec un accent spécial. Le caractère non discret du trait emphatique affecte, du moins pour l'observateur moderne, tout particulièrement l'emphase non contrastive de qualité, vu que l'échelle des valeurs dépend de facteurs sociaux ou culturels qui nous échappent en partie. 2.2.1.3.5.4. Non-base existentielle Dans la non-base existentielle, le verbe exprime l'existence ou la nonexistence, l'apparition ou la disparition du référé exprimé par le sujet. L'ordre est VS/TR. Il s'agit soit d'un verbe d'état ([+état]), exprimant l'état stable (, , , etc.) ou changeant (, , etc.), soit d'un verbe de déplacement ([-état, -transitif, +déplacement], , , , etc.). Il ne s'agit pas de la copule, laquelle exprime l'existence d'une relation entre deux référés, représentés par le sujet et l'attribut. Le français moderne recourt à la non-base existentielle, lorsque, dans certains contextes ou certaines situations, on peut dire Survient un gendarme, avec un verbe de déplacement, mais point *Dort un gendarme, avec un verbe [-état, -transitif, -déplacement]. Cette non-base, qui est définie par la catégorie verbale, recouvre en partie la non-base discursive. 2.2.1.3.5.5. Non-base interrogative La non-base interrogative est marquée, parce qu'elle n'est pas une assertive. Ainsi, en français, Vient-il? et II vient? s'opposent à II vient. 2.2.1.3.5.6. Non-base subordonnée La non-base subordonnée est marquée, parce qu'elle est grammaticalement dépendante du contexte. Seule la subordonnée conjonctionnelle ou relative à verbe fini nous concerne ici. Ainsi, la construction [Je ne sais pas quand] parlera Fritz, qui illustre en même temps la non-base discursive, n'est pas admissible dans une proposition principale ou indépendante non marquée: *Parlera Fritz. 2.2.1.3.6. Relations entre non-bases Comme il appert de la liste des non-bases (2.2.1.3.5), l e s marques de diverses non-bases se recouvrent et se confondent en partie. D'autre part, les marques propres aux divers types de non-base peuvent se combiner dans une seule et même proposition et produire un cumul de non-bases;
56
c'est notamment le cas de la non-base subordonnée, qui peut être en même temps non-base topique, emphatique, existentielle, discursive, etc.; c'est aussi un cumul que nous avons, en français, dans C'est lui qui a perdu la clef, dont le sujet, lui, est à la fois topique et emphatique. 2.2.1.4. Subordonnant Le terme de subordonnant recouvre ici l'ensemble formé par les pronoms relatifs et les conjonctions de subordination. Nous appelons bivalent un subordonnant qui a en protoroman un pendant isomorphe complémentaire dans la classe des mots interrogatifs, monovalent un subordonnant qui ne possède pas un tel pendant; ainsi, en protoroman, QUANDO avec un sens temporel est bivalent, subordonnant dans FELICEM SUM, QUANDO VENIT PAULUM et mot interrogatif dans QUANDO VENIT PAULUM? QUARE aussi est bivalent, introduisant la cause () en tant que subordonnant, mais demandant la cause () en tant que mot interrogatif. Le pronom relatif est en général bivalent; KE est par exemple objet direct aussi bien dans les relatives, ILLUM LIBRUM KE PAULUM LEGIT, que dans l'interrogation directe, KE LEGIT PAULUM? En revanche, les subordonnants conjonctionnels KE et si sont monovalents. 2.2.2. Symboles (en complément des indications des pages X V - X V I ) propositions Β NB
base non-base
I... %... +... -... '... V[ed]... Ί...
proposition indépendante N B subordonnée N B topique N B discursive N B emphatique N B existentielle NB interrogative directe totale ou partielle
Β
ordres OB ONB
ordre basique ordre non basique
termes selon l'analyse syntaxique V[e] V[a] V[t] V[i] V[d] s
verbe [+ état (stable ou changeant)] verbe [-état] (= verbe d'action) verbe [-état, + transitif] (= verbe transitif) verbe [-état, - transitif (= intransitif), - déplacement] verbe [-état, - transitif (= intransitif), + déplacement] subordonnant
57
c r r[X] s[m] s[b]
q
conjonction pronom relatif pronom relatif en fonction de X subordonnant monovalent subordonnant bivalent mot interrogatif
Les verbes [+état] et [-état] sont ceux qu'on appelle verbes d'état et verbes d'action respectivement. Traditionnellement, la copule est classée parmi les verbes d'état; cependant, nous assimilons par convention la copule aux verbes [-état, +transitif] et réservons la catégorie [+état] aux verbes qui ne font qu'exprimer l'existence du référé désigné par le sujet. Pour simplifier, nous désignons sous le nom de proposition indépendante aussi la proposition principale, les deux ayant, en ce qui concerne notre problème, le même comportement. La plupart des chercheurs ne distinguent pas systématiquement les subordonnées circonstancielles et relatives d'un côté et les interrogatives partielles indirectes de l'autre; il faut dire à leur décharge que, en ce qui concerne la position du sujet et du verbe, ces deux catégories présentent beaucoup d'analogies. Nous n'avons pas pu nous soustraire à cet amalgame dans nos commentaires, mais avons exclu les interrogatives indirectes du corpus (2.4.1). Dans l'analyse des combinaisons positionnelles, il n'est tenu compte ni des pronoms relatifs et mots interrogatifs, vu que leur position est quasi fixe, ni de la position des pronoms personnels régimes clitiques. Nous négligeons également la particule de négation NON, dont la position est constante: N O N + (clitiques) + verbe. Le complément circonstanciel n'est pris en considération que comme porteur d'une marque (topique ou emphatique).
2.3.
F o r m u l a t i o n d u p r o b l è m e et état d e la question
2.3.1. Formulation du problème pour le français contemporain Dans les études consacrées à la syntaxe positionnelle de la subordonnée romane, un certain nombre de traits et de variables font surface, partout plus ou moins les mêmes. Pour fixer les idées, nous les illustrons ici avec des exemples du français contemporain.
2.3.i.i. Situation dans le français contemporain Le choix entre l'ordre S V et l'ordre VS, selon les règles syntaxiques productives, est lié, semble-t-il, à deux variables, que nous présentons dans le schéma 5: d'une part, sur l'abscisse, la catégorie du verbe: verbe d'état (V[e], exemple mourir), verbe d'action intransitif de déplacement (V[d],
58
exemple venir) ou sans déplacement (V[i], exemple dormir) et verbe transitif (V[t], exemple lire)·, d'autre part, sur l'ordonnée, le type de proposition: indépendante (i), subordonnée avec une conjonction monovalente (2) ou bivalente (3), subordonnée relative avec le pronom relatif en fonction de C (4), O (5) ou S (6). VARIABLES SYNTAXIQUES
V[a] V[e] V[d]
V[i]
V[t] lire
propositions
mourir
venir
dormir
i
SV VS
SV VS
SV
svo
-
-
svo
1...
2
V.c[m]...
SV
SV
SV
3
V.c[b]...
SV VS
SV VS
SV
svo
-
-
SV VS
SV VS
SV VS
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
vo
-
-
-
-
4 5 6
LAC}... '/.r[0]... /.r[S]...
svo SV VS
Schéma 5: situation en français contemporain
Voici des exemples illustrant chacune des constructions, selon la norme parlée: I V[e] V[d] V[i] V[t]
Paul Paul Paul Paul
2 V[e] V[d] V[i] V[t]
Si Si Si Si
3 V[e] V[d] V[i] V[t]
Quand Quand Quand Quand
4 V[e] V[d] V[i] V[t]
[Là] [Là] [Là] [Là]
meurt vient dort lit le livre
Paul Paul Paul Paul
?
Meurt Paul Vient Paul *Dort Paul *Lit Paul le livre
meurt... vient... dort... lit le livre ...
*Si *Si *Si *Si
Paul Paul Paul Paul
meurt ... vient... dort... lit le livre ...
Quand meurt Paul ... Quand vient P a u l . . . *Quand dort P a u l . . *Quand lit Paul le livre
où Paul m e u r t . . . d'où Paul vient ... où Paul d o r t . . . où Paul lit le livre ...
[Là] où meurt P a u l . . . [Là] d'où vient P a u l . . . [Là] où dort P a u l . . . *[Là] où lit Paul le livre
meurt P a u l . . . vient P a u l . . . dort Paul ... lit Paul le livre ...
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5 V[e] V[d] V[i] V[t]
[Le livre] que Paul l i t . . .
[Le livre] que lit P a u l . . .
6 V[e] V[d] V[i] V[t]
[Le fils] qui voit Pierre ...
*[Le fils] qui Pierre voit...
Cette norme peut prêter à discussion sur certains points; mais là n'est pas l'essentiel: elle met en lumière la nature des problèmes qui se présentent. On constate les faits suivants. L'ordre SV est admis avec toutes les catégories verbales et dans tous les types de proposition. L'ordre VS, en revanche, est limité: il est exclu dans les propositions de type 2 et 6 pour toutes les catégories verbales, dans les propositions de type 1 et 3 pour les catégories verbales V[i] et V[t], dans les propositions de type 4 pour la catégorie verbale V[t]. On constate aussi que, pour le choix entre l'ordre SV et l'ordre VS, la proposition indépendante dispose d'une marge de manoeuvre plus limitée que les subordonnées dans leur ensemble. On sait d'autre part que, dans les subordonnées, le choix de l'ordre semble être tantôt absolument libre, du moins en apparence, tantôt dicté par le contexte et la structure discursive. Ces considérations suscitent la série de questions que voici. Question 1
Pourquoi, dans les propositions indépendantes, l'ordre estil parfois VS?
Question 2
Pourquoi, avec certaines catégories verbales, les subordonnées ont-elles une variable SV/VS que les indépendantes correspondantes n'ont pas, et pourquoi cela vaut-il pour certains types de subordonnée plutôt que pour d'autres?
Question 3
Selon quelles règles les deux termes de cette variable se réalisent-ils?
Question 4
En l'absence éventuelle de règles, quel est le statut de cette variable?
Seule une réponse argumentée à chacune de ces questions constituerait une solution descriptive et explicative de la situation observée. On en est loin, cependant, sauf peut-être pour la question 1, sur laquelle un certain consensus s'est déjà formé.
60
2.3.1.2. Hypothèse de travail Si, en vertu de nos préoccupations comparatistes et historiques, nous envisageons ce problème pour l'ensemble de la Romania, nous constatons que la situation décrite pour le français contemporain est typique aussi des autres parlers romans, sans y être identique évidemment. De là vient l'impression, dont nous avons fini par faire une hypothèse de travail, que les observations faites pour le français ressortissent, au moins en partie, à des phénomènes plus généraux: structures anciennes, dont des vestiges se manifestent dans le français de nos jours, et tendances universelles. Pour en avoir le coeur net, il faut remonter, dans le passé, jusqu'au protoroman. Cette opération, en livrant les règles anciennes, communes à l'origine à tous les parlers romans, permet de déterminer, au moins en partie, le statut des règles au niveau des parlers romans et, si tout va bien, d'apporter un début de réponse, dans une optique panromane, aux quatre questions que nous venons de formuler pour le français. 2.3.2. Recherches antérieures Nous présentons ici les vues régnantes sur le problème qui nous occupe, telles qu'on les dégage des études antérieures aux nôtres ou indépendantes des nôtres. 2.3.2.1. Linguistique générale Voici, pour commencer, un très bref rappel des apports de la linguistique générale à notre analyse. 2.3.2.I.I. Ordre des termes en général La contribution de la linguistique générale à notre problème dans son ensemble concerne deux points: le rapport entre niveau syntaxique et niveau discursif et la notion de . 2.3.2.i.i.i. Niveaux syntaxique et discursif Les deux niveaux de l'analyse de la proposition, le niveau syntaxique, en sujet et prédicat, et le niveau discursif, en thème et rhème, ont été reconnus et décrits depuis longtemps et restent, aujourd'hui, au centre de la recherche syntaxique. H. Weil (1879), F. Colagrosso (1909), E. Richter (1911: III, p. 281-283), C. Bally (1950: 3 1 3 - 4 6 1 , p. 199-281, «Séquence progressive»), L. Hjelmslev (1950), G. Bossong (1980), sans compter les représentants de l'école pragoise, tout en admettant un certain degré de 61
parallélisme entre les termes respectifs de ces deux niveaux (l'affinité signalée en 2.2.1.2.1), constatent entre eux des cas de non-parallélisme à valeur fonctionnelle («La marche syntaxique n'est pas la marche des idées», L. Hjelmslev) et décrivent la manière dont ils agissent alors l'un sur l'autre, en synchronie et en diachronie. Ce qui, dans le cadre des recherches récentes sur les traits universels, a été spécialement mis en lumière (G. Bossong 1980: p. 67), c'est la relative constance de l'ordre T R , face à un ordre relativement variable des constituants du niveau syntaxique. De ce type d'analyse, il n'a pas tardé à émerger un cas particulier, celui qui nous occupera ici, à savoir l'ordre VS, tel le type français (Alors) survient un gendarme, qui présente le non-parallélisme des deux niveaux d'analyse, donc VS/TR. On appelle cette construction tantôt une proposition existentielle (cf. 2.2.1.3.5.4), terme utlisé par G. Bossong (1980: p. 62-63), m a i s qu'on trouve déjà chez O. Jespersen (1924: p. 154-156, pour qui le verbe en question affirme ou nie l'existence de quelquechose), tantôt un présentatif (par référence à R. Hetzron 1975). Ses principales caractéristiques sont un verbe intransitif sémantiquement trop vague ou trop peu spécifique pour constituer le rhème, un sujet rhématique, en principe non défini, éventuellement un complément situant le référent de V S dans l'espace ou le temps (Alors, dans l'exemple ci-dessus), enfin un statut possible de construction universelle.
2.3.2.1.1.2. Base L'idée qu'un système donné possède une base, qui se manifeste par un ordre constant des termes de l'articulation syntaxique dans les propositions non marquées, est aussi ancienne que la linguistique, bien qu'évidemment elle n'y apparaisse pas toujours sous ce nom; mais elle s'est beaucoup précisée chez J. H. Greenberg (1978, première édition 1963) et ses nombreux continuateurs, qui ont montré que chacune des six combinaisons de O, S et V n'est pas également probable. C'est dans ce cadre théorique qu'on relève l'extrême rareté de la base =OVS, laquelle comporte la séquence RT, en infraction à la tendance générale. Naturellement, pour rendre compte d'ordres déviants, la base suppose la notion de son contraire, que nous avons appelé non-base (2.2.1.3). La définition de la base en termes de proposition non marquée est courante. Mais on a aussi formulé sa définition en termes de fréquence: la base serait caractérisée par l'ordre le plus fréquent; cette définition ne convient pas, cependant, aux parlers romans, où, par exemple, ce que nous nommons la non-base topique, introduite qu'elle est à l'origine par n'importe quel terme nominal, adjectival ou adverbial, est d'un emploi beaucoup plus fréquent que la base =SVO.
62
2.3-2.1.2. Ordre des termes dans les propositions subordonnées Le phénomène que nous avons appelé l'extension de l'ordre basique à des non-bases (2.2.1.3.3) semble être admis implicitement en ce qui concerne l'évolution de l'ordre dans les propositions subordonnées; mais on en trouve aussi des mentions explicites, par exemple pour le latin de Tacite (P. Perrochat 1926), pour le roman (E. Richter 1903: 1 1 , p. 3 8 - 3 9 ) et pour le français (C. Bally 1950: 352, p. 224). Le corollaire de ces observations est la constatation du décalage chronologique avec lequel, très souvent, sinon toujours, la subordonnée adopte l'ordre des propositions indépendantes. L'exemple par excellence en est évidemment la persistance de l'ordre SOV indo-européen en allemand moderne, en latin et jusque dans les parlers romans anciens. Mais le phénomène du décalage est général et affecte toute la syntaxe; C. Bally, qui consacre un chapitre entier (1950: 3 1 3 - 4 6 1 ) au passage de l'ordre régressif ancien à l'ordre progressif du français moderne, y cite et commente de nombreux cas de propositions ou de syntagmes où l'ancien ordre se conserve, quitte à ce qu'éventuellement la fonction des termes se modifie; il n'est que de songer, pour nous en tenir au français, à l'ordre des termes qu'attestent d'anciens syntagmes participiaux (maintenant, soidisant, clairvoyant), infinitivaux ([Il faut savoir] raison garder) et nominaux {verjus, fausse clef). Plus délicate est l'explication de ce décalage. Pour les uns, il faut la chercher dans le fait que la subordonnée comporte un message relativement moins important (E. Richter 1903: 1 1 , p. 38-39; 1920: 4) ou n'exprime une idée que par rapport à une autre idée, exprimée par la principale (P. Perrochat); pour C. Bally (1950: 351, p. 223-224), la subordonnée, en tant que transposition d'une proposition indépendante en une proposition-terme, est plus «resserrée» que la proposition indépendante correspondante et, de ce fait, résiste mieux aux innovations (ibid.: 3 1 9 323, p. 205-207, avec des précisions sur ce critère); en outre, la proposition relative oppose un obstacle sérieux à l'ordre progressif, parce que le pronom relatif, dont la place est fixe, peut assumer diverses fonctions (C. Bally 1950: 353, p. 224-225). 2.3.2.2. Linguistique romane Au fur et à mesure que les idées se précisent en linguistique générale, les romanistes en prennent connaissance et les appliquent à leur domaine, fût-ce parfois avec du retard. Le romaniste dispose d'une littérature énorme et variée, littérature pourtant lacunaire et, de ce fait, inapte à répondre directement aux questions que nous nous posons. Le survol qui suit donne à ce sujet des précisions, qui ne se veulent pas exhaustives, mais plutôt sélectives et axées spécifiquement sur notre problème. 63
2.3.2.2.1. Ordre des termes en général Pour l'ordre des termes en général, la lacune majeure concerne le protoroman. Sa syntaxe positionnelle, mis à part quelques précieuses pages de T. H. Maurer (1959), n'a pas fait l'objet d'une reconstruction tant soit peu systématique, la syntaxe du latin écrit étant évidemment considérée comme pouvant en tenir lieu. Quant aux vues d'ensemble panromanes, elles sont utiles mais ne comblent pas cette lacune, qu'elles soient conçues dans une optique historique (F. Diez 1882; W. Meyer-Lübke 1890-1906; E. Richter 1 9 0 3 , 1 9 1 1 , 1920), typologique (M. Harris 1978; L. Renzi 1984) ou contrastive bilingue (D. M. Crabb 1955). C'est dans ce sens surtout que, comme on le dit et le répète, la syntaxe est la Cendrillon des études romanes. Il y a cependant aussi, dans les études sur des parlers romans spécifiques, de nettes différences d'accent; la rareté des études pour certains d'entre eux et l'hétérogénéité des méthodes et des points de vue rendent leur comparaison problématique. Le domaine gallo-roman est de loin celui qui a bénéficié des études les plus nombreuses et les meilleures. Pour les parlers contemporains (en synchronie), nous disposons de grammaires (L. de Lavallaz 1935; G. Bjerrome 1957; K. Togeby 1982-1985), de syntaxes (J. Ronjat 1913; C. Bally 1950; C. de Boer 1954; K. Sandfeld 1936; G./R. Le Bidois 1968) et d'études de syntaxe positionnelle (R. Klein 1915 et surtout A . Blinkenberg 1928-1933); pour l'histoire et les états de langue anciens, nous avons aussi des grammaires (J. Ronjat 1 9 3 0 - 1 9 4 1 ; G. Price 1971; C. MarchelloNizia 1979), des syntaxes (L. Foulet 1930; E. Lerch 1925-1934; L. Remaeie 1952-1960; E. Gamillscheg 1957; F.Jensen 1986, 1990), des études spéciales de syntaxe positionnelle (P. Krüger 1876; Β. Völcker 1882; R. Pape 1883; E. Lerch 1922; J. Herman 1954; S. Dees 1982) et des monographies consacrées à un auteur ou à un texte (H. Morf 1878; W. Bartels 1886; A . Haarhoff 1936; E. Siepmann 1937; H. Nissen 1943; Β. Lewinsky 1949; G. Price 1961). Ont bénéficié d'explorations moins nombreuses, mais néanmoins importantes et surtout en partie relativement récentes et méthodologiquement à jour, le portugais (J. Dunn 1930; A . Moreno 1946; M. de Pádua i960; M. Metzeltin 1982), l'espagnol (F. Hanssen 1910; J. Bouzet 1964; V. P. Huber 1973; H. Contreras 1976; V. Garcia de Diego 1970; J. Green 1990), le sarde (M. Jones 1990, 1993) et l'italien (R. Fornaciari 1881; G. Rohlfs 1966-1969; T. Alisova 1972; M. Regula/J. Jernej 1975; U. Wandruszka 1982; G. Salvi 1988; C. Schwarze 1988; L. Renzi 1989a; L. Serianni 1989). Restent quelque peu en retrait, sous ce rapport, le catalan (A. Par 1923; F. de B. Moll 1952; M. W. Wheeler 1990; J. I. Hualde 1992), le rhétoroman (H. Augustin 1903; K. Hutschenreuther 1910; J. Haiman/P Be64
nincà 1992) et le roumain (O. Densusianu 1 9 0 1 - 1 9 3 8 ; S. Pop 1948; Β. I. Pruteanu-Chiçinâu 1956; V. §erban 1974; S. Stati 1989). 2.3.2.2.2. Bases et non-bases La notion de , avant la lettre, est présente dans toute la grammaire historique, sous le nom d'ordre normal, d'ordre usuel ou d'ordre canonique d'une langue, et celle de non-base, sous le nom d'exception ou de variante. On trouve à ce sujet des pages relativement bien documentées dès F.Diez (1882) et W. Meyer-Lübke (1890-1906), plus tard chez E. Lerch (1925-1934) et E. Gamillscheg (1957). Toutefois, jusqu'à présent, les grammaires historiques traditionnelles des parlers romans sont pour la plupart assez peu explicites. C'est plutôt dans les études historiques inspirées des recherches récentes sur les traits universels et la typologie qu'on trouve des descriptions poussées (M. Harris 1978; L. Renzi 1984; D. Wanner 1989); sur ce plan, on a dégagé des éléments très concrets de l'évolution du latin aux parlers romans, sans toutefois faire le détour, à notre avis indispensable, par une reconstruction orthodoxe du protoroman: à partir d'une base =SOV, attestée par le latin, on arrive à la base =SVO, celle de la plupart des parlers romans modernes, en passant par une étape intermédiaire, constituée par une non-base à verbe second et souvent formulée T V X , où Τ (équivalant à +X dans notre système de symboles) représente un terme topique, nominal ou non (Cet homme est intelligent, ancien français Ceste letre escrist Paul). L'évolution consiste en ce que peu à peu Τ se réduit au seul sujet et peut se présenter comme non topique (L'homme/Un homme est intelligent). Très isolément (J. Green 1977; P. Linthorst 1978; L. Renzi 1980: 4), on a supposé, entre les bases =SOV et =SVO, une base =VSO, qui évidemment nous intéresse et à laquelle nous reviendrons, puisqu'elle comporte l'ordre VS. 2.3.2.2.3.
Ordres SV et VS
2.3.2.2.3.1. Sources Avec la place respective du sujet et du verbe dans tous les types de proposition, nous nous rapprochons du coeur de notre problème. Ici aussi, les recherches les plus poussées ont bénéficié surtout aux parlers gallo-romans, que ce soit pour l'époque contemporaine (E Habicht 1882; C. de Boer 1922; L. Clédat 1928; T. Engwer 1933; F. Strohmeyer 1935; E. Lerch 1939; R. Le Bidois 1941, 1952; S. Ullmann 1952a; J. Pinchón 1972; J. C. Atkinson 1973; Β. de Cornulier 1974; B. Jonare 1976; L. Tasmowski/D. Willems 1987) ou pour l'histoire et les états anciens 65
(L. Wespy 1884; W. Koopmann 1910; H. Rabe 1910; R.-L. Wagner 1949; L. Bergh 1952; S. Ullmann 1952b, 1955; F. Baulier 1956; G. Moignet 1971; P. M. Clifford 1973). Les autres parlers romans sont, de nouveau, moins bien partagés. Nous avons sélectionné quelques titres pour le portugais (D. Schellert 1958; J. M. Camara 1972; A . M. Brito/I. S. Duarte 1982), l'espagnol (F. Hanssen 1912; H. Meier 1937; H. Oster 1951; A . G. Hatcher 1956; O. Tichy 1959; J. Dubsky i960; V. Garcia de Diego 1970; J. Green 1977; Ν. Delbecque 1978), l'italien (J. Kollross 1933; C. T. Gossen 1954; G. Herczeg 1955; B. Sciarone 1969; L. Lonzi 1974), le sarde (M. Jones 1993) et le roumain (L. Spitzer 1938; M. Rädulescu 1969; A . Beyrer/K. Bochmann/S. Bonsert 1987). Très exceptionnelles sont les études qui prennent en considération plusieurs langues romanes (L. Spitzer 1941; U. Wandruszka 1981). On trouve de bonnes introductions sur l'état de la question chez J. Dubsky (i960), P. M. Clifford (1973), Β. Jonare (1976), Κ. Wall (1980) et A . M. Brito/I. S. Duarte (1982).
2.3.2.2.3.2. Synchronie Ceci dit, il convient d'évoquer le résultat des analyses synchroniques. Si, éparpillées comme elles sont sur plusieurs parlers romans, elles ne livrent pas forcément la clef de l'origine et laissent par conséquent intacte la lacune du protoroman, du moins procurent-elles des instantanés qui ne sont pas dépourvus d'intérêt, surtout dans la mesure où leur concordance interlinguistique met en évidence certaines constantes, voire un trait universel. Dans cette perspective, on parvient à réunir, parmi les études éparses, les éléments de deux constructions VS: l'une non emphatique (2.3.2.2.3.2.1) et l'autre comportant une emphase du verbe (2.3.2.2.3.2.2).
2.3.2.2.3.2.1.
V S non emphatique
2.3.2.2.3.2.1.ι. Description Partant du principe qu'en roman l'ordre non marqué est ou tend vers SV, on a cherché à circonscrire les constructions déviantes, VS. Quelquesunes, reconnues depuis longtemps (VS dans les interrogatives, les optatives, les citatives), ayant été classées, restait à découvert V S dans les assertives, témoin les types Survient un gendarme, Alors survient un gendarme et Lorsque survient un gendarme..., dont on rencontre des exemples dans tous les parlers romans et à tous les stades de leur évolution, ainsi que dans des types plus marginaux, comme celui qu'illustre le français Rira bien qui rira le dernier.
66
Un classement des constructions V S selon les catégories verbales a conduit à isoler les verbes d'état (V[e]) et de déplacement (V[d]), qui visiblement jouent un rôle majeur dans la formation de VS, tout au moins dans les propositions indépendantes. Avec les autres catégories, intransitive et transitive (V[it]), la distribution de V S ( O ) semble se limiter aux propositions subordonnées (Lorsque dort mon père, ...) et, dans les indépendantes, à des parlers romans anciens ou conservateurs (portugais Virant os meninos um lobo , J. M. Camara 1972: p. 224; sarde At telefonatu su mastru de muru , M. Jones 1993: p. 327). Par le même critère, on a mis entre parenthèses, comme exceptionnelles ou archaïques, des constructions du type qu'illustre le dernier exemple de l'alinéa précédent. A partir de là, pour autant que le sujet fût nominal et rhématique et que la proposition fût indépendante, il était normal qu'on fît intervenir la notion de proposition existentielle introduite par la linguistique générale; A . G. Hatcher (1956), par exemple, se réfère expressément, sur ce point, à O. Jespersen. Un pas supplémentaire est franchi, dans des études plutôt récentes, inspirées de la linguistique textuelle, par la prise en charge d'un éventuel anaphorique ou déictique local ou temporel. Plusieurs auteurs relèvent, pour les parlers qu'ils ont analysés, l'impossibilité où se trouve la proposition existentielle sans complément d'ouvrir un texte. En français contemporain, par exemple, cette construction est exclue de la position initiale et régit, dans un texte narratif, un complément topique sous-entendu, dont la teneur serait SV, V S O > VOS, V final > V non final, non sans y voir en partie une influence des textes originaux. D'une manière générale, on constate, quelles qu'en soient les raisons, une structure beaucoup moins souple et plus portée à l'ordre S V dans certains parlers romans, en français moderne surtout, que dans d'autres, où V S est tout au plus marginalisé. D'autant plus frappant est dès lors V S non emphatique dans certains dialectes gallo-romans, par exemple en francoprovençal (me kôrô i frehlô , G. Bjerrome 1957: p. 129), où, dans une perspective spatio-temporelle, son occurrence suggère que la proposition existentielle est réellement ancienne.
2.3.2.2.4.
Ordre des termes dans les propositions subordonnées
2.3.2.2.4.1. Sources Cendrillon au second degré, pour ainsi dire, la syntaxe positionnelle des subordonnées est presque inconnue au niveau du protoroman et a été extrêmement négligée dans les parlers romans. En fait, les seuls titres expressément consacrés à cet aspect de la syntaxe sont H. Nordahl (1973) et K. Wall (1980), l'un et l'autre traitant, comme par hasard, du français. Heureusement, plusieurs des études citées en 2.3.2.2.3, et non des moindres, comportent une analyse de la subordonnée ou au moins une collection d'exemples, aussi pour des parlers autres que le français (H. Morf 1878; B. Völcker 1882; R. Pape 1883; L. Wespy 1884; W. Meyer-Lübke 1890-1906; W. Koopmann 1910; H. Rabe 1910; E. Lerch 1925-1934; A . Blinkenberg 1928-1933; L. de Lavallaz 1935; H. Nissen 1943; B . L e winsky 1949; S. Ulimann 1952a, 1952b; R. Le Bidois 1952; C. de Boer 1954; G. Bjerrome 1957; G./R. Le Bidois 1968; M. Jones 1993). 72
Il est pourtant significatif que bien des études importantes n'abordent le problème des subordonnées en aucune façon, sinon peut-être par la présence fortuite d'exemples. En affirmant cela, nous ne visons pas seulement des études remontant à une époque où la syntaxe n'était pas encore bien entrée dans les moeurs des romanistes (O. Densusianu 1901-1938; J. Dunn 1930; J. Ronjat 1930-1941; A. Rosetti 1986, première édition 1938-1946), mais aussi des ouvrages généraux récents (J. Bouzet 1964; G. Rohlfs 1966-1969; M. Regula/J. Jernej 1975; C. Schwarze 1988; L. Serianni 1989), voir d'authentiques études de syntaxe (H. Augustin 1903; K. Hutschenreuther 1910; A. Haarhoff 1936; Κ. Sandfeld 1936; V. P. Huber 1973).
2.3.2.2.4.2. Synchronie La description de SV et VS présentée plus haut (2.3.2.2.3), à propos des propositions déclaratives en général, ne s'applique pas sans plus au domaine des propositions subordonnées. Certes, on retrouve ici l'opposition SV/VS avec, pour VS, des verbes [ed]; mais, dans la subordonnée, le verbe de VS peut aussi appartenir aux autres catégories verbales, [it], et, en tant que verbe [t], avoir un objet ou attribut explicite; et puis, en ancien français par exemple, V[it]S n'est précédé d'un terme X obligatoire que dans les indépendantes. Il en résulte, pour les subordonnées, des observations et des descriptions en bonne partie différentes, dont nous résumons les principales. Il y a naturellement, ici aussi, plusieurs facteurs possibles, agissant isolément ou en combinaison (pour des vues d'ensemble utiles, cf. W. Koopmann 1910; R.Klein 1915: 4, p. 4 - 1 2 ; R. Le Bidois 1952: p. 236-238; K. Wall 1980). 2.3.2.2.4.2.1. Verbe final dans la structure %s(S)OV A côté de SV, on trouve, de manière isolée mais diffuse, le verbe placé en fin de proposition, immédiatement après le constituant O, selon la formule %s(S)OV; souvent, on réserve, abusivement, à cette constructions le nom de construction à verbe final. F. Hanssen (1910:37.3, p. 112) signale l'intercalation d'un pronom neutre objet en espagnol archaïque, comme dans quando el ermitaño esto oyó (Juan Manuel). E. Bourciez (1956:314.a, p. 369-370) remarque qu'en ancien français et en ancien occitan l'ordre SOV reste fréquent dans les subordonnées, et C. Marchello-Nizia (1979) signale, pour le moyen français, la construction OV après un pronom relatif sujet, construction que connaît déjà l'ancien français. Pour l'italien ancien, D. Wanner (1989: 4.6 et 5.1) constate que le verbe en position finale après O se maintient mieux 73
dans les subordonnées que dans les indépendantes, et que cette construction ne paraît pas avoir de fonction linguistique propre. 2.3.2.2.4.2.2. S V et V S La majeure partie des observations synchroniques concernent la variable SV/VS. Pour la commodité, nous traitons séparément les corrélations relativement marginales ou épisodiques (2.3.2.2.4.2.2.1) et les corrélations relativement centrales et constantes (2.3.2.2.4.2.2.2). 2.3.2.2.4.2.2.1. Corrélations marginales On constate que VS, quelle que soit la catégorie à laquelle appartient le verbe, est particulièrement bien représenté dans les subordonnées; C. von Reinhardstoettner (1878: p. 390) le signale pour le portugais, J. Green (1990: p. 115) pour l'espagnol et R . K l e i n (1915: 4, p. 1 1 - 1 2 ) pour le français contemporain. Personne, sauf erreur, ne songe ici à faire de rapprochement direct de %sV[ed]S avec la proposition existentielle; V S en subordonnée ne possède en effet de la proposition existentielle que la structure syntaxique et discursive, mais point certaines des particularités contextuelles ou situationnelles, ni surtout son éventuel statut de trait universel. Il est souvent question du rôle d'un sujet long dans le choix de l'ordre V S et, inversement, du rôle d'un verbe long, par exemple à un temps composé, pour le choix de l'ordre SV (C. de Boer 1954: 545, p. 251; H. Nordahl 1973, qui s'appuie sur une étude statistique des relatives). L'ordre V S semble cependant se rencontrer aussi lorsque le sujet n'est pas long; pour l'espagnol moderne, J. Green (1990: p. 115) constate que «... V S order is the norm in many types of subordinate clause even when the subject consists of a single word: no vi lo que leia Juana ) - Quatre Livres des Rois (E. R. Curtius 1911: 1 S 19.13, p. 38). IT
[...;] se tu me l'aduci, [...]. () Liber ystoriarum Romanorum (E. Monaci 1955: t. 65.L, 1. 66, p. 158). [Or fasem si] que la nostra arma sia angelica, [...]. () - Sermoni subalpini (G. Lazzeri 1954: t. I.31.XVII, I . 6 1 - 6 2 , p. 282).
RH
[Maister bun, che bain daia eau fer,] ch'eau hegia ha [sic] uitta aeterna? ( Mt 19.16) - Bifrun: Nouveau Testament (T.Gartner 1913: Mt 19.16, p. 64).
Type %c+OV(Y)
84
PO
[El-rrei,] quando esto ouvio, [...]. - Fernâo Lopes: Crònica de D. Pedro (G. Macchi 1985: ch. VII, 1. 17, p. 50/51).
ES
Quando esto oyo Ihesus, [marauillos ...]. ( Έ η l'entendant, Jésus fut plein d'admiration ...' Mt 8.10) - Bible du XIII e siècle (R. Menéndez Pidal 1971 -1976: t. 76, Mt 8.10; ι, p. 274).
FR
Qant ce sorent e virent li mauvés voisin, [il entrerent ...]. ( J n 3 . i 6 ) - Coresi: Tetraevangelion (F. Dimitrescu 1963: i86r, p. 141) [graphie simplifiée].
Type %c+CV(Y) PO
[E sei certo,] sse o assi fezeres, [que sempre em teus dias viverás em paz e folgança, ...]. - Fernâo Lopes: Crònica de D. Pedro (G. Macchi 1985: ch. III, 1. 37-38, p. 30/31)·
ES
[..., e por essol dizen Valle Lacrimarum] que ally ploro Adam asso fijo Abel luengos tienpos. () Quatre Livres des Rois (E. R. Curtius 1911: 1 S 2.33, p. 8).
IT
[E questa creatura per orgoil] qu'ela of [si chai, ...]. - Sermoni subalpini (G. Lazzeri 1954: t. I.31.IV, 1. 1 8 - 1 9 , p. 209).
RH
[ . . . a quell] ch'eli piglia l'ouwa, [...]. () - Breve di Montieri (E. Monaci 1955: t. 30,1. 5, p. 48).
85
RO
[Erà mai mul{i de patru cjeci cei] ce acesta gïurâmîntu fecerä, [...]. ( - Fernâo Lopes: Crònica de D. Pedro (Macchi 1985: ch. VII, 1. 1 3 - 1 4 , p. 50/51).
FR
[...: de la cite] ki puis fud apeléé Bethléém. () - Quatre Livres des Rois (E. R. Curtius 1911: 1 S 1.1, P· 3)· [... nullu homine carnale,] ki pus nos aet esser, [...]. () - Carta cagliaritana (G. Lazzeri 1954: 1.1.8,1.63-64, p. 37).
SA
2.4.1.1.2. Non-base emphatique Dans la non-base emphatique, le terme chargé d'emphase se place en tête de la proposition, dans les mêmes conditions que le terme topique, soit immédiatement après le subordonnant. L e terme chargé d'emphase peut être non verbal; il est alors placé immédiatement devant le verbe, selon la formule % s ' X V ( Y ) , où X représente S, O ou C. Type % c ' S V ( Y ) PO
[...,] de guisa que todos viviam em paz. - Fernâo Lopes: Crónica de D. Pedro (G. Macchi 1985: ch. VI, 1. 8 - 9 , p. 44/45).
ES
[..., e que ellos te metan en coraçon que me ames] quanto te yo amo; () - Estoria de España (R. Menéndez Pidal 1 9 7 1 1976: t. 64.59,1- 3 1 - 3 2 ; ι, P· 226).
FR
Qant tuit li soudoier furent assemblé [...]. () - Vie de saint Eustace (J. Murray 1929: ch. X X V I , 1. 7, p. 29).
RO
[Cä este zis de Dumnezeu] cä toatä lumê zace în räu. - Physiologus (M. Gaster 1886-1888: ch. X, p. 281/295).
Type % c ' O V ( Y )
86
PO
[..., e Galaaz tam fremosa cousa era,] que maravilha era. () - Almerich: Fazienda de ultra mar (M. Lazar 1965: p. 45).
CA
[... be complire lo vostre manament] si a Deu plau. () - Sitio, toma y destrucción de Jerusalen (P. de Bofarull y Mascaré 1857: p. 12).
OC
[... et a tal gaug, can se ve,] que tota sa dolor pert, [...]. ( - Fernâo Lopes: Crònica de D. Pedro (G. Macchi 1985: ch. VI, 1. 9 - 1 0 , p. 44/45).
ES
[... a la part] que daño oviere recebido. () - Fuero de Baeza (J. Roudil 1962: 232.a, p. 102).
OC
[... lo senhor noi deu metre en la viela aqued homizian] pos hom dit lag aya. ) - Demanda do santo Graal (A. Magne 1944: ch. I, 1; ι , ρ . 3 7 ) . [...: este rrei Vermelho ... fez preitisia com el-rrei dom Pedro que o nom torvasse com el-rrei Mafoma seu inmiigo,] pero que ouvesse el-rrei gram sanha d'elle [porque lhe em tall tempo quisera fazer guerra]. ) - Almerich: Fazienda de ultra mar (M. Lazar 1965: p. 45).
SA
[Et ego iudice Barusone ki fazo ateru bene ad sancta Maria de Bonarcatu pro lucrarellu su regnum d'Arbore] et pro [ka] dedimi Deus fiios et pace in su regnum. () - Leal conselheiro (M. de Pádua i960: p. 157).
CA
[Llexats-la,] que guardador e defendedor té la donzella. ( i R 2.5) - Quatre Livres des Rois (E. R. Curtius 1911: 1 R 2.5, p. 113).
Type %r[C]OVS (sans exemples)
2.4.1.2.1.4. Base =SVO L'ordre de la base =SVO a pour effet que le sujet se place entre le subordonnant et le verbe, selon la formule %sSV(Y). Type %c[m]SVO CA
Et si Bonfilg len vedava potestatem [...]. () - document féodal (P. Russell-Gebbett 1965: 1.15.2, 1. 16, p. 76).
FR
[... e serre ma boche,] que mes cuers ne puist penser ne boche dire chose qui te despleise. () - Carta picena (E. Monaci 1955: t. 2 1 , 1 . 1 8 19, p. 26).
RO
Cä pilul eel mare este Adam; - Physiologus (M. Gaster 1886-1888: ch. V, p. 279/292).
Type %c[b]SVO PO
[...] e quando a enmenda for feyta [a sentença seya logo tolleda]. ( - Fernâo Lopes: Crónica de D. Pedro (G. Macchi 1985: ch. IV, 1. 3 2 - 3 3 , p. 36/37). 93
ES
[E esto es en coto] por que los moros non puedan apremir a los christianos. () - Vie de saint Eustace (J. Murray 1929: ch. IV, 1 . 1 - 2 , p. 6).
IT
[...,] sí cum Deus dist a Adam: [...]. () Sermoni subalpini (G. Lazzeri 1954: t. I.31.IV, 1. 40, p. 210).
RH
Et seo Iesus fût battagio, [schi gnit el bôd sü da l'ouua: ...]. ( Mt 3.16) - Bifrun: Nouveau Testament (T. Gartner 19x3: Mt 3.16, p. 24). Et perche Ioseph ses marid era giüst, [...]. (littéralement ) - Bifrun: Nouveau Testament (T. Gartner 1913: Mt 1.19, p. 21).
Type % r [ 0 ] S V 0 ES
[... ede contiendas,] quelas mugeres suelen hauer en los fornos [...]. () Bible du XIII e siècle (R. Menéndez Pidal 1971-1976: t. 76, Ps 34.16, commentaire; 1, p. 271).
CA
[..., e era η castela un cavaler] que el pare de Corrali avia fet gran be. () - Bernât Desclot (P. Russell-Gebbett 1965: t. 39,1. 2 1 22, p. 122).
FR
[... une cite Sylo, ...,] que Deu out á sun oes saisie é sacréé. () - Breve di Montieri (E. Monaci 1955: t. 30,1. 10, p. 48).
RH
[... paraint da quel,] che Petrus hauaiva agli taglio giù l'uraglia, [...]. ( M t 6.5) - Bible du XIII e siècle (R. Menéndez Pidal 1 9 7 1 - 1 9 7 6 : t. 76, M t 6.5; 1, p. 274).
SA
[...,] pro ca mi la furait Petru Tecas [a nNastasia ...]. - Condaghe di San Pietro di Silki (G. Lazzeri 1954: t. 1.21.a, 1. 3 9 - 4 0 , p. m ) .
RH
[..., per che elg es â ti plii iitel] che s'perda tin da tes nembers, [co che tuot tieu chioerp uigna bittô ilg foe eternel]. ( Mt 1.24) - Tetraevangelion (T. Gaster 1890-1892: M t 1.24, p. 202).
Type %c[b]V[it]S PO
[..., o bispo disse ... que os rrecebera ambos per pallavras de presente] como manda a Sancta Egreja, [...]. - Fernâo Lopes: Crónica de D. Pedro (G. Macchi 1985: ch. X X V I I I , 1. 1 1 - 1 9 , p. 162/163).
ES
[..., no fabledes mucho] assi como fazen los ennicos, [...]. ( M t 6.7) - Bible du XIII e siècle (R. Menéndez Pidal 1 9 7 1 - 1 9 7 6 : t. 76, Mt 6.7; ι , p. 274).
95
CA
[Et ego d i x i . . . que] de quant avia in Mir A m a l i [no m e n jachia re, ...]. () - Griefs de Guitart Isarn, seigneur de Caboet (P. Russell-Gebbett 1965:1.14,1. 1 5 - 1 7 , p. 74)·
OC
[...] aysi con dis lo propheta Ysaias. ( 1 S 6.6) - Quatre Livres des Rois (E. R. Curtius 1911: 1 S 6.6, p. 13). [Icist fiz Deu ad eiid dous muillers,] si cume out Helchana. () - Quatre Livres des Rois (E. R. Curtius 1911: ι S 1.20, p. 5).
SA
[Cantan cussu cathone] comente la cantaían sos antzianos. - moderne (M. Jones 1993: p. 250).
IT
[...,] si cum dit saint Gregoris en son libre [...]. () - Sermoni subalpini (G. Lazzeri 1954: 1.1.31.IV, I.47-48, p. 210). [Et per zo secundus Adam, zo fo Crist, vicit eum per la cam, qui est vil chosa e fragil] sí cum est femena, [...]. () - Sermoni subalpini (G. Lazzeri 1954: t. I.31.IV, 1. 7 4 76, p. 211).
RO
[...; 51] cänd sä face unde-va stärvu, [...]. - Physiologus (M. Gaster 1886-1888: ch. XIII, p. 282/ 297).
Type %r[0]V[it]S PO
[... em aquella batalha] que ouvera o conde dom Henrrique com dom Femando de Castro, [...]. - Fernâo Lopes: Crònica de D. Pedro (G. Macchi 1985: ch. X X V I , 1. 5 - 7 , p. 154/155).
ES
[... aquella ymagen] que alçara el rey Nabucodònosor. ( - Fernäo Lopes: Crònica de D. Pedro (G. Macchi 1985: ch. VI, 1. 11, Ρ· 44^45)· [... ζ yo donna Teresa Ffernandez] por que seyello proprio no he! [fiz hy poner el seyello del Conceyo de Sant Ffagunt]. () - charte léonaise (E. Staaff 1907: t. XV, 1. 45-47, p. 22). / Pues que a fazer lo avernos, [por qué lo irnos tardando]? /. ) Boccaccio: Decamerone (A. Ottolini 1944: 1.4, p. 42).
RH
[... pti bod,] cha l'hura es, [...]. ( Mt 2.2) - Tetraevangelion (M. Gaster 1890-1892: Mt 2.2, p. 202).
Type %r[S]OV PO
ES
[E dos] que revora nô ouverê, [...]. () - Testamento de D. Affonso II (J. Huber 1933: 1.1.3,1. 84, P· 295)· [Maes bestia] que omne firiere e'I plagare, [dé el sennor de la bestia ...]. (littéralement ) - Fuero de Baeza (J. Roudil 1962: 229, p. 101). [... e seyendo la mas cuytada] que seer podrie, [...]. () - Estoria de España (R. Menéndez Pidal 1 9 7 1 - 1 9 7 6 : t. 64.59,1· 4; 1. P· 2 2 5)·
FR
[... des le tens Josué,] ki le pople Deu en terre de promissiun cunduist é guiad. () - Quatre Livres des Rois (E. R. Curtius 1911: ι S 1.2, p. 3).
Type %r[0]0V PO
[... longa criaçom e serviço] que lhe feito aviam [...]. ) - Leyenda del santo Graal (R. Menéndez Pidal 1 9 7 1 - 1 9 7 6 : t. 94,1. 17; ι, p. 347).
2.4.1.2.2.3. S V ( = S [ 0 ] V , = S V [ 0 ] )
Type %c[m]SV
98
PO
[... aveeo] que üa donzela chegou i mui fremosa e mui bem vestida; () - Almerich: Fazienda de ultra mar (M. Lazar 1965: p. 46). CA
[... e la Verge Maria cant viu] que la fembra plorave [...]. () - Sitio, toma y destrucción de Jerusalen (P. de Bofarull y Mascará 1857: p. 14).
FR
[..., si covenoit] que Placidas fust a cele grant feste, [...]. () - Vie de saint Eustace (J. Murray 1929: ch. XII, 1. 9 - 1 0 , p. 15).
RH
[Mu Thomas ... nun era cun els] cura che Iesus uen. () - Tetraevangelion (M. Gaster 18901892: Mt 2.22, p. 203).
Type %c[b]SV ES
[...,] assi como Sant Jheronimo lo testimonia, [...]. () - Almerich: Fazienda de ultra mar (M. Lazar 1965: p. 46).
CA
[De ista ora inante fideles te seré ...,] quomodo omo debet eser a suo seniore [...]. () - serment féodal (P. Russell-Gebbett 1965: t. 9,1. 2 - 3 , p. 66).
FR
Qant Placidas l'oï, [il chaï...]. () - Homélies d'Organyà (M. Molho 1961: p. 202).
FR
[... é del temple] que Ii reis Salemun funda é furni. () - Crònica da tomada de Ceuta (M. de Pádua i960: p. 89).
CA
[... en aquel temps] que Deus vench [...]. () - Sitio, toma y destrucción de Jerusalen (P. de Bofarull y Mascaró 1857: p. 10).
FR
[... en cele cité] ou la dame estoit, [...]. () - Vie de saint Eustace (J. Murray 1929: ch. XVIII, 1 . 1 0 - 1 1 , p. 22).
IT
[... a quella gloria,] dun lo mal angel chai per orgoil. () - Meo Abbracciavacca (E. Monaci 1955: t. 78.II, 1. 1 5 - 1 7 , p. 232).
RH
[Laschols stêr,] che sun guides oruas da d'orphs. () - Sermoni subalpini (G. Lazzeri 1954: t. I.31.IV, 1. 28, p. 209). [Hercules et Telamón se ammissero ad uno monte de reto] ke avea nome Figeus. ( Mt 5.39) - Bifrun: Nouveau Testament (T. Gartner 1913: Mt 5.39, p. 29).
RO
[..., de in tine amu e$i-va jude{ b .] cela ce va pa§te oamenii miei creçtinii. () - Condaghe di San Pietro di Silki (G. Lazzeri 1954: t. I . 2 i . a , 1. 1 7 3 - 1 7 4 , p. 1 1 7 ) .
2.4.2. Description Nous présentons maintenant, comme hypothèse, une analyse descriptive du protoroman. 2.4.2.1. Evolution du système et des rapports spatio-temporels L'évolution des subordonnées se déroule sur deux plans: sur le plan interne, par la succession et la combinaison des ordres basiques et non basiques, et, sur le plan externe, par le fait que, dans le temps, le protoroman se divise en plusieurs synchronies, qui n'ont pas toutes, dans la Romania, une distribution spatiale identique. Sur le plan interne, la syntaxe positionnelle paraît régie par deux ordres de facteurs historiques: d'un côté, des non-bases constantes, d'un autre côté, chacune des bases successives. Ce sont deux aspects que nous allons décrire séparément (en 2.4.2.1.1, respectivement en 2.4.2.1.2), en nous référant au schéma 6. L'annexe 1, en fin de volume, récapitule les exemples du corpus (2.4.1) par catégorie et par parler roman. 2.4.2.i.i. Constantes sur l'axe temporel Les trois non-bases dont nous illustrons les effets sur les propositions subordonnées, les non-bases topique, emphatique et existentielle, sont panromanes et représentent une constante du système protoroman à la fois dans le temps et dans l'espace. Cela a pour conséquence que les ordres non basiques qui filtrent dans les subordonnées ne peuvent guère servir à un classement chronologique. 102
PR-Al ONB top.
PR-A2
PR-B
PR-C
V.s+XV(Y)
emphat.
V.s'XV(Y) Y.s'VX(Y)
exist,
/.sV[ed]S
inter,
?qVX(Y)
r
disc. OB
SOV
'/.sV[ed]S •/.s-V[it]S(Y)
/.sSOV
—>
'/.SSV -Η
•/.sOV-, VSO
7.sV[it]SOV.sV[it]S '/.sV[it]0 •
OYS
/.sOV[it]S - '/.sV[it]SO /.sV[it]S /.sOV[it] L V.sV[it]0
SVO
/.sSV[edit]0 /.sV[edit]SO/.sSV[edit] /.sV[edit]S
J
7.sV[edit]0 Schéma 6: évolution du système
Il existe en outre, également comme constante, une non-base interrogative directe partielle, déjà admise par les romanistes et que nous n'avons pas fait figurer dans le corpus; dans cette non-base, le mot interrogatit qui se trouve en position initiale, est suivi immédiatement du verbe, puis du sujet, de l'objet ou de l'attribut, selon la f o r m u l e ? q V X ( Y ) ( Q U A N D O VENIT PAULUM? Q U A N D O LEGIT PAULUM LIBRUM?).
Les deux premiers ordres non basiques du schéma 6 représentent simplement l'influence des propositions indépendantes sur les subordonnées, c'est-à-dire le cumul de l'ordre d'une non-base topique ou emphatique avec celui d'une non-base subordonnée; nous n'y revenons plus (corpus: 2.4.1.1.1 et 2.4.1.1.2). Les troisième et quatrième ordres non basiques, existentiel et interrogatif, en revanche, interfèrent avec l'ordre basique, ce qui nous amènera à en reparler.
103
2.4.2.1.2. Variables sur l'axe temporel Par contraste avec ce qui précède, l'ordre basique se modifie trois fois au cours de l'évolution du protoroman et, de ce fait, ne recouvre pas à chaque fois forcément le même espace dans la Romania. Il en résulte que la chronologie au sein du protoroman doit se fonder sur les subordonnées en fonction de l'ordre basique qu'elles reflètent. Nous allons essayer d'esquisser l'évolution du protoroman, selon ce principe, synchronie par synchronie, tout en tenant compte des non-bases existentielle et interrogative. 2.4.2.1.2.1. Protoroman-Ai L a plus ancienne des bases, =SOV, attestée en latin écrit, n'est probablement plus productive en protoroman-A (pour les arguments, cf. 2.3.3.1.1). C'est la raison pour laquelle nous la reléguons dans une synchronie à part, le protoroman-Ai, dans un système où la base productive, que nous traitons ci-dessous (2.4.2.1.2.2), est déjà =VSO. Dans ce système, nous avons donc, pour les subordonnées, schématiquement, la situation suivante, compte tenu de la structure ternaire et des structures binaires: OB SOV (non productif) %sSOV %sSV %sOV Vu sa disparition précoce, cet ordre n'est attesté qu'isolément dans les parlers romans (ce que nous symbolisons, dans le schéma 6, par des flèches horizontales en pointillé). La structure ternaire, la seule qu'on puisse identifier sans faute, est rarissime (corpus: 2.4.1.2.1.1). Pour les deux structures binaires, on pourrait à première vue penser qu'elles se reflètent, elles aussi, dans les parlers romans, comme le pensent plusieurs chercheurs (cf. 2.3.2.2.4.4, à propos de E. Bourciez et de M. Harris); cependant, % s O V et % s V S d'une part ne paraissent pas être attestés en ancien sarde, d'autre part peuvent être produits aussi plus tard, dans respectivement le protoroman-B et le protoroman-C (ce que nous symbolisons par les lignes de liaison en pointillé du schéma 6), de sorte que, probablement, les occurrences romanes n'attestent pas les structures binaires du protoroman-Ai.
2.4.2.1.2.2. Protoroman-A2 Dans la partie productive de ce système, que nous étiquetons protoroman-A2, nous constatons l'influence, sur la subordonnée, de l'ordre de la première base productive du protoroman, =VSO, schématiquement comme suit: 104
OB VSO %sV[it]SO %sV[it]S %sV[it]0
Par rapport à l'ordre basique précédent, celui-ci affecte les trois structures: la structure ternaire et les deux structures binaires. Dans ce système, l'ordre basique %sV[it]S(0) est parallèle à l'ordre de la non-base existentielle, %sV[ed]S, lequel a donc l'ordre basique, mais bien entendu au niveau de l'analyse syntaxique uniquement; les différences entre les deux structures sont la répartition, complémentaire, des catégories verbales, respectivement V[it] et V[ed], et probablement l'ordre du thème et du rhème, puisque le verbe est rhème, ou une partie du rhème, dans la base, mais thème dans la non-base existentielle. Ce système comporte aussi, avec le même ordre VS, la non-base interrogative directe partielle, ?qVX(Y), où S occupe la position de X, de sorte que, abstraction faite des non-bases topique et emphatique, le système des non-bases pertinentes à notre analyse peut se résumer dans les formules suivantes: PR-A2 %sV[ed]S ?qV[edit](S)(0) %sV[it](S)(0)
Les formules ci-dessus se laissent décomposer en onze structures, que nous illustrons ci-après, avec référence au corpus: %sV[ed]S
s [m] la
SI VENIT PAULUM . . .
s[b] lia
QUANDO VENIT PAULUM . . .
?pV(S)(0)
-
QUANDO LEGIT (PAULUM) ( L I B R U M ) ?
%sV(S)(0)
V[i] s[m] IVa s[b] Va
SI DORMIT PAULUM .... ( 2 . 4 . I . 2 . 2 . 1 )
V[t] s [m] Via Vila Villa
SI LEGIT PAULUM . . . ( 2 . 4 . I . 2 . 2 . 1 )
Illa
s[b] IXa Xa Xla
(2.4.I.I.3) (2.4.I.I.3)
QUANDO DORMIT PAULUM . . .
SI LEGIT PAULUM LIBRUM . . . SI LEGIT LIBRUM . . .
(2.4.I.2.2.1)
(2.4.1.2.1.2)
(2.4.1.2.2.4)
QUANDO LEGIT PAULUM . . . ( 2 . 4 . I . 2 . 2 . I ) QUANDO LEGIT PAULUM LIBRUM . . . ( 2 . 4 . I . 2 . I . 2 ) QUANDO LEGIT LIBRUM . . . ( 2 . 4 . 1 . 2 . 2 . 4 )
Ce système est attesté dans toute la Romania. Il est le seul système protoroman productif que la Sardaigne semble connaître à l'origine (cf. cependant 2 . 4 . 2 . 1 . 2 . 4 ) .
105
2.4.2.1.2.3. Protoroman-B Dans la synchronie suivante, le protoroman-B, l'ordre des termes des subordonnées est influencé par la base =OVS, schématiquement: OB OVS %sOV[it]S %sV[it]S %sOV[it]
Par rapport à l'ordre basique précédent, l'ordre basique OVS n'affecte que la structure ternaire et la structure binaire comportant O et V; la structure binaire VS reste inchangée. Comme l'ordre %sV[it]S reste, le statut de la non-base existentielle par rapport à lui est le même que dans le système du protoroman-A2.Une particularité du protoroman-B est que l'ordre basique OVS ne s'impose probablement pas au point d'éliminer dans le système l'ordre basique VSO (2.3.3.i.i); les structures des deux systèmes paraissent y exister côte à côte, à savoir %sV[it]SO à côté de %sOV[it]S et %sV[it]0 à côté de %sOV[it]. Ce qui reste obscur, c'est le statut de leur coprésence. Nous doutons qu'il s'agisse déjà, comme ce sera le cas en protoroman-C, d'une opposition selon l'analyse discursive, car si ce système présente %sVS, il ne présente pas son pendant %sSV. Le système des non-bases pertinentes se laisse résumer par les formules suivantes, où la barre oblique sépare des structures coexistantes: PR-B
%sV[ed]S ?qV[edit](S)(0) %sV[it](S)(0)/%s(0)V[it](S)
Les modifications intervenues par rapport au système précédent concernent les structures Vila, Villa, Xa et XIa, qui deviennent respectivement Vllb, VlIIb, Xb et Xlb, qu'illustrent les exemples ci-dessous, avec référence au corpus: Vllb VlIIb
SI LEGIT PAULUM LIBRUM . . ./SI LIBRUM LEGIT PAULUM . . . ( 2 . 4 . 1 . 2 . 1 . 3 )
Xb
QUANDO LEGIT PAULUM LIBRUM .../QUANDO LIBRUM LEGIT PAULUM
SI LEGIT LIBRUM . . ./SI LIBRUM LEGIT . . . ( 2 . 4 . 1 . 2 . 2 . 2 ) ...
(2.4.1.2.1.3) Xlb
QUANDO LEGIT LIBRUM .../QUANDO LIBRUM LEGIT . . . ( 2 . 4 . I . 2 . 2 . 2 )
Ce système n'apparaît pas en sarde.
2.4.2.1.2.4. Protoroman-C En protoroman-C, enfin, les subordonnées subissent l'influence de la base =SVO. Schématiquement, nous avons 106
OB
SVO %sSV[edit]0 %SV[edit] %V[edit]0
Par rapport à l'ordre basique du protoroman-B, OVS, l'ordre basique SVO affecte la structure ternaire et les deux structures binaires. Contrairement à ce qu'on observe dans le système précédent, l'ordre basique concerne ici tous les verbes, y compris donc les verbes [ed], qui, jusque-là, ressortissent à la non-base existentielle. Par ailleurs, il se produit une scission en fonction des deux catégories de subordonnant, les subordonnants monovalents et bivalents: la structure ternaire SVO et la structure binaire SV ne s'imposent entièrement que dans les subordonnées à subordonnant monovalent (s[m]); dans les subordonnées à subordonnant bivalent (s[b]), ces structures sont introduites aussi, sans toutefois éliminer celles qui viennent des deux systèmes précédents, le protoroman-A2 et le protoroman-B, VSO et VS, qui sont parallèles à l'ordre non basique interrogatif. Ici, la coprésence des deux structures, donc SVO/ VSO, SV/VS, est exploitée sémantiquement, selon l'articulation en thème et rhème: l'ordre basique, SV(O), y est adopté lorsque le verbe est rhème; lorsqu'au contraire c'est le sujet qui est rhème, les structures antérieures, VS(O), interviennent, avec le statut d'une nouvelle non-base, discursive: %s-VS(0). Ainsi se réalise en gros la situation que la recherche a pu observer dans les parlers romans et que nous relatons en 2.3.2.2.4.2.2.2. La corrélation que nous décrivons ici permet de comprendre pourquoi, dans les subordonnées des parlers romans régis par la base =SVO, la variable S VA'S existe surtout, comme l'ont remarqué la plupart des auteurs, dans les temporelles avec un dérivé de QUANDO et les comparatives avec un dérivé de QUANTUM OU de QUOMODO, ainsi que dans les relatives, et pourquoi VS a disparu par exemple dans l'interrogation indirecte totale, introduite par si: [Je serai chez moi] quand Paul vient [Je serai chez moi] quand vient Paul [Je serai chez moi] si Paul vient *[Je serai chez moi] si vient Paul
%c[b]SV %c[b]VS %c[m]SV *%c[m]VS
Nous obtenons, schématiquement, le système suivant: PR-C
?q[edit](S)(0) %s[m](S)V[edit](0) (S)V[edit](0) %s[b]
(TR) -V[edit](S)(0)
Les modifications par rapport aux systèmes précédents concernent en partie les structures du protoroman-A2 (la, lia, IVa, Va, Via et IXa, qui deviennent le, Ile, IVc, Ve, VIc et IXc) et en partie celles du protoroman107
Β (Vllb, VlIIb, Xb et Xlb, qui deviennent Vile, Ville, Xc et XIc), ce qu'illustrent les exemples suivants, avec référence au corpus: (2.4.I.2.2.3)
le
SI PAULUM VENIT . . .
IIC
QUANDO VENIT PAULUM . . . / Q U A N D O PAULUM VENIT . . .
IVc VC VIC Vile Ville IXc
SI PAULUM DORMIT . . .
XC
(2.4.I.2.2.3)
(2.4.1.2.2.3)
QUANDO DORMIT PAULUM . . . / Q U A N D O PAULUM DORMIT . . .
(2.4.1.2.2.3)
(2.4.1.2.2.3) PAULUM LEGIT LIBRUM . . . (2.4.I.2.I.4) LEGIT LIBRUM . . . (2.4.I.2.2.4)
SI PAULUM LEGIT . . . SI SI
QUANDO LEGIT PAULUM . . . / Q U A N D O PAULUM LEGIT . . .
(2.4.1.2.2.3)
QUANDO LEGIT PAULUM LIBRUM . . . / Q U A N D O PAULUM LEGIT LIBRUM
...
(2.4.1.2.1.4) XIc
QUANDO LEGIT LIBRUM . . .
(2.4.1.2.2.4)
Ce système se développe massivement dans la Romania continentale, surtout centrale; mais il n'est pas inconnu du sarde, où il peut s'être développé tardivement et indépendamment, à partir de la base =VSO (selon le processus esquissé en 2.3.3.1.3). 2.4.2.1.2.5. Suite de l'évolution Par la suite, l'opposition des ordres SV et VS est partiellement effacée; si les subordonnées à subordonnant bivalent ont tendance à abandonner l'ordre VS, pour l'ordre SV, c'est évidemment sous la pression de l'ordre basique SV(O), qui va s'affermissant au détriment de l'ordre VS. De là sans doute provient un flottement, dont témoignent une partie des exceptions à la règle du protoroman-C dans les parlers romans, à savoir %sVS avec un subordonnant monovalent (s[m]), les autres exceptions de ce type étant attribuables à la persistance de l'ordre basique VS(O). En tout cas, une certaine inconsistance, sur ce plan, est manifeste dans tous les parlers romans où la structure basique SVO s'impose anciennement, inconsistance qui est peut-être à l'origine du que tant de chercheurs observent dans la langue écrite récente. Toutefois, à cette extension de l'ordre basique SVO, il est une construction qui semble résister: il s'agit de la construction %sV[ed]S, que, sous le nom de non-base existentielle, nous avons vu s'amalgamer, en protoroman-C, aux subordonnées introduites par un subordonnant bivalent; cette construction se détache donc du reste du système et reprend son indépendance face aux constructions déclinantes %sV[it](S)(0). En fait, la plupart des exemples romans de l'ordre %sVS fournis par les chercheurs comportent, souvent sans qu'on le signale spécialement, un verbe d'état ou de déplacement. Pour le français contemporain, le schéma 5 (2.3.1.1) montre que la catégorie verbale [ed] admet l'ordre %sVS dans tous les types de proposition subordonnée introduits par un s[b], donc dans les types 3 (Quand meurt Paul..., Quand vient Paul...) et 4 {[Là] où meurt Paul..., [Là] d'où vient Paul...); les catégories verbales [i] et 108
[t], en revanche, ne connaissent cette possiblilité plus que dans un type chacune, respectivement 4 {[Là] où dort Paul...) et 5 {[Le livre] que lit Paul...). 2.4.3.
Commentaires
2.4.3.1. Origine de la corrélation entre SV/VS et s[m]/s[b] Nous avons dit que les interrogations directes partielles, dont la construction est du type ? q V X ( Y ) , où le sujet est X, sont une constante du protoroman. Or, une partie des mots interrogatifs sont formellement et sémantiquement identiques à une partie des subordonnants, ceux que nous appelons bivalents (2.2.1.4). Sont probablement bivalents, en protoromanA , -B et -C, des pronoms relatifs (κι, KE, UBI et U N D E ) et, pour les conjonctions, QUANTUM et QUOMODO comparatifs et Q U A N D O temporel. A u moment où l'ordre basique O V S s'instaure, puis à celui où l'ordre basique S V O commence à supplanter les ordres basiques précédents, leur influence sur les subordonnées à subordonnant bivalent est freinée par l'analogie de la non-base interrogative directe partielle, de sorte que, par exemple, on maintient, en protoroman-B, le type [VENIO] Q U A N D O LEGIT PATREM LIBRUM, par analogie avec l'interrogation directe Q U A N D O LEGIT PATREM LIBRUM?, puis, de manière analogue, en protoroman-C, [VENIO] Q U A N D O VENIT PAULUM, par analogie avec Q U A N D O VENIT PAULUM? En revanche, les ordres basiques O V S et S V O ne rencontrent pas ce type d'obstacle dans les subordonnées dont le subordonnant est monovalent (les conjonctions si, KA, KO et KE, et leurs composés, dans la plupart de leurs fonctions), de sorte que, sous l'influence de l'ordre basique SVO, l'on passe sans plus de par exemple [PARTO] SI VENIT PAULUM à [PARTO] SI PAULUM VENIT.
2.4.3.2. Date de l'avènement de l'ordre basique S V O Nous avons un indice de la prépondérance croissante de l'ordre basique S V O dans le fait suivant. Il est des subordonnants bivalents, tels PRO-KE et QUARE, qui ne régissent pas l'ordre VS. Pour PRO-KE, nous en trouvons un reflet, en français, dans les interrogatives indirectes et directes partielles suivantes (cf. 2.3.2.2.4.2.2.2): [Je me demande]quand travaille Paul [Je me demande] quand Paul travaille *[Je me demande] pourquoi travaille Paul [Je me demande] pourquoi Paul travaille
Quand travaille Paul? Quand Paul travaille-t-il ? *Pourquoi travaille Paul ? Pourquoi Paul travaille-t- il?
Pour QUARE, nous avons la constatation de F. Jensen (2.3.2.2.4.2.2.2) qu'il régit la séquence SV. Cette particularité de PRO-KE et de QUARE, qui a fait couler tellement d'encre, tient sans doute à ce que ces deux subordon109
nants sont de formation relativement tardive (R. de Dardel 1983a: 12, «Tableaux synoptiques»), en tout cas postérieure au protoroman-C, vu leur limitation spatiale à la Romania continentale occidentale et centrale (pour PRO-KE) ou centrale (pour QUARE); dans l'aire et à l'époque de leur avènement, l'influence de l'ordre basique SVO est déjà en train de l'emporter sur celle de l'interrogative directe partielle. De la sorte, il est possible de se faire une idée approximative de la date à laquelle la base =SVO devient productive. Le critère de la particule PRO-KE, solidement attestée dans la Romania continentale du Portugal aux domaines italo- et rhéto-romans, mais absente du roumain, suggère, pour le terminus ante quem, le moment où le daco-roman s'isole, ce qui pourrait être le IVe siècle. Ceci est un début de réponse à la question que se posent, sans beaucoup de succès, les latinistes, à savoir si et à quel moment la base SVO apparaît en latin (H. Pinkster 1990: p. 80). Mais il ne faut pas perdre de vue, dans ce calcul, qui se fonde sur les subordonnées, que celles-ci subissent probablement l'influence en question avec un certain retard, à un moment où =SVO est déjà bien établi dans les propositions non marquées. 2.4.3.3. Arguments pour la non-base discursive On a vu que les deux ordres %sSV[it](0) et %sV[it]S(0) existent de façon prolongée côte à côte dans le système régi par la base =SVO, autrement dit depuis le passage du protoroman-B au protoroman-C, plusieurs siècles déjà avant les premiers témoignages des parlers romans. C'est cela qui nous paraît indiquer que cette différence positionnelle a le statut d'un trait distinctif. Il serait surprenant que la coexistence des deux séquences pendant une période si longue dans des constructions par ailleurs identiques ne soit pas corrélée à une différence sémantique. A tort ou à raison, mais en nous appuyant sur de nombreuses observations d'autres chercheurs, nous avons interprété ce trait distinctif en termes d'analyse discursive. Il est difficile, pour ne pas dire impossible, de vérifier opérationnellement, par des paires minimales, l'existence d'une telle règle pour le passé roman. Néanmoins, lorsqu'on parcourt notre corpus (2.4.1), en laissant de côté la non-base emphatique et en s'en tenant aux structures du protoroman-C, on peut constater à quel point le principe de l'information croissante y joue un rôle, qu'il s'agisse de l'ordre SV(O) ou de l'ordre VS(O). Dans la mesure où il y a ici une opposition sémantique, on constate que deux ordres, issus historiquement de systèmes distincts et successifs, au lieu de se substituer l'un à l'autre, se conservent tous les deux et sont exploités de façon fonctionnelle. Ce ne serait pas là un processus isolé: par exemple, la double position de l'adjectif épithète qualifiant par rapport au nom, avec une spécialisation sémantique, comme nous l'avons 110
dans un grand homme/un homme grand, remonte au protoroman et résulte d'une combinaison de règles historiquement distinctes (R. de Dard e l 1987a).
2.4.3.4. Données chiffrées et règles (à propos de K. Wall 1980) Une bonne partie des recherches antérieures sont basées sur des données chiffrées, par lesquelles les chercheurs tentent de dégager, sinon des règles, du moins des tendances. Pourtant, dans bien des cas, ces données chiffrées sont peu satisfaisantes, parce que trop vagues ou sans corrélation avec certains des critères que nous estimons pertinents. Ce cas se présente à notre avis chez K. Wall (1980), où il frappe d'autant plus qu'il s'agit d'une étude très soignée. L'auteur classe les subordonnées selon divers critères, mais aboutit à une description complexe, pour ne pas dire confuse. Or, en appliquant au corpus de K. Wall la protoromane, à savoir la distinction des catégories verbales et celle des subordonnants monovalents et bivalents (ce que nous n'avons fait que par sondages), on obtient non pas de véritables règles, certes, mais les indices d'anciennes corrélations protoromanes, et, de ce fait, un classement sensiblement plus satisfaisant des exemples. 2.4.3.5. Variable des ordres basiques à structure ternaire/binaire L'ordre % s V S ( 0 ) se conserve nettement mieux dans les structures binaires que dans les structures ternaires, que le verbe soit ou non un verbe d'état ou de déplacement. Cela est très net en gallo-roman; en ce qui concerne le français contemporain, le tableau de 2.3.1.1 montre bien que %sVS(0) n'y existe plus que dans les structures binaires. 2.4.3.6. Décalage entre les types de proposition L'évolution décrite ici met en évidence des décalages entre les types de proposition. Il ne s'agit pas d'un décalage qui soit suffisamment prononcé pour que, actuellement, la distribution spatio-temporelle le révèle. D'une part, comme le souligne C. Bally, les subordonnées tendent à conserver des ordres que les indépendantes n'ont plus; c'est le cas de l'ordre basique latin SOV et aussi de la séquence VS dans les subordonnées modernes. D'autre part, par un processus complémentaire, les subordonnées semblent résister parfois à l'influence de l'ordre basique; ainsi, l'ordre basique OVS, qui s'impose relativement bien, quoique passagèrement, dans les indépendantes et qu'attestent les futurs et les conditionnels du type infinitif + auxiliaire, ne laisse que peu de traces dans les subordonnées. Il y a aussi, dans les subordonnées, un décalage entre les conjonctionnelles et les relatives, ce qui tient sans doute en partie au même principe, III
c'est-à-dire à ce que, dans la relative, à la différence de la conjonctionnelle, le subordonnant bloque un des termes S et O. Comme le montre le schéma 5 (2.3.1.1), en français contemporain, la variable SV/VS se conserve bien mieux dans les relatives (4, V[e], V[d] et V[i]; 5, V[t]) que dans les conjonctionnelles, où seuls les verbes ressortissant à la non-base existentielle et introduits par s[b] (3, V[e] et V[d]) participent de cette variable.
2.4.3.7. Décalage entre les parlers romans L'évolution du protoroman aux parlers romans se déroule, sur le plan interne, selon la succession des ordres basiques, en combinaison avec des ordres non basiques constants; sur le plan externe, l'évolution consiste en une fragmentation graduelle de la Romania, en vertu de laquelle les parlers romans attestent de manière différenciée les systèmes successifs du protoroman. D e ce point de vue, le sarde, le roumain et l'ibéro-roman marquent un retard sur le gallo-roman, où l'évolution décrite va le plus loin. On comprend ainsi que, dans des parlers romans continentaux périphériques, comme le roumain, l'ordre basique S V O se soit moins affirmé et qu'on y trouve encore, même avec les subordonnants monovalents, la séquence %s[m]VS (signalée par S. Pop 1948, cf. 2.3.2.2.4.2.2.2), prolongement de la non-base existentielle ou vestige de l'ordre basique VSO.
2.4.3.8. Types romans non inclus dans la description La description qui précède rend compte d'à peu près 95 % des exemples romans pertinents à cette étude, ensemble qui inclut en tout cas les types les plus fréquents. Dans les exemples restants, on peut distinguer deux ordres de faits. Il y a des cumuls de traits que nous avons illustrés sous leur forme décumulée, telle la coprésence, dans une proposition subordonnée, du trait topique et du trait emphatique; ces cas remontent sans doute au protoroman, mais n'ajoutent rien à la solution du problème que nous avons traité. Il y a d'autre part des constructions, comme celle qui résulte du passage de V S O à V O S (décrit en 2.3.3.1), dont on peut comprendre et décrire le processus de formation, mais qui peuvent se produire parallèlement, dans les parlers romans, aussi bien qu'en protoroman, et dont, pour cette raison, nous n'avons pas fait état. Mentionnons encore, comme relevant de la même catégorie, les propositions subordonnées dont l'attribut est antéposé au subordonnant, tel le type français moderne Beau comme il est, il n'aura pas de peine à se faire accepter (R. de Dardel 1983a: 6.4.2.4, p. 108-109). 112
2·4·3·9· Caractère provisoire de la présente analyse et problèmes en suspens Nous devons à la vérité de dire que, dans le domaine exploré ici, beaucoup reste à découvrir. Il y a le problème de la définition des catégories et des critères de classement. Notamment la distinction entre subordonnants monovalents et bivalents est provisoire. Quel est par exemple le statut de KA, que nous avons considéré comme un c[m], parce que nous n'avons pas trouvé trace d'un KA interrogatif, lequel pourtant a pu exister, sans que les parlers romans l'attestent? Quel ordre régit un subordonnant tel que QUOMODO, lorsqu'il revêt une fonction causale ou temporelle, qu'il ne partage pas avec le QUOMODO interrogatif?
2.5.
Conclusion
2.5.1. Réponse aux questions formulées au début Dans le cadre de la conclusion, nous croyons bien faire en répondant point par point aux questions formulées au début de ce chapitre (2.3.1.1). (1) D'un point de vue historique, l'existence de VS dans les indépendantes est due soit à la présence de propositions existentielles (Survient un gendarme), en tant que trait probablement universel, soit à la persistance de l'ordre basique VSO (Rira bien qui rira le dernier), soit enfin à la persistance de la non-base à verbe emphatique (Plurent Franceis). Actuellement, la première de ces constructions est panromane, les deux autres subsistent mieux dans les parlers romans périphériques ou isolés que dans les parlers centraux. (2) La possibilité systématique d'une variable SV/VS propre à certaines subordonnées, à l'exclusion des indépendantes, est liée directement au parallélisme syntaxique et morphologique entre la non-base interrogative directe partielle (UBI DORMIT PAULUM?) et sa représentation comme subordonnée ([VILLAM] UBI DORMIT PAULUM), parallélisme auquel les indépendantes déclaratives ne participent pas. L'ordre VS de ce type de subordonnée est ensuite complété par l'ordre basique du protoroman-C, SV ([VILLAM] UBI PAULUM DORMIT), ce qui produit la variable SV/VS, où VS est une nouvelle non-base à ordre non basique. Cependant, les subordonnées qui, faute d'un subordonnant [b], ne participent pas au parallélisme avec les interrogatives, adoptent l'ordre basique SV. (3) Les deux ordres, SV et VS, sont choisis, dans le système, en fonction de critères discursifs, à quoi s'ajoutent évidemment de nombreux facteurs liés à la parole, notamment la longueur du sujet ou du verbe. (4) Dans la mesure où la variante SV/VS donne lieu à un , dû à un début d'effacement de règles, elle ressortit au style personnel, et il ne nous appartient pas de fournir une réponse descriptive ou explicative. "3
Voici donc, nous l'espérons, les principales constructions des parlers romans, anciens et modernes, replacées d'une manière correcte dans leur cadre historique. 2.5.2. Variable fonctionnelle Relevons que, par contraste avec ce qui va suivre au chapitre 3, presque tout ici tourne autour des rapports que les diverses structures positionnelles entretiennent, en synchronie, avec des catégories sémantiques au niveau de la proposition ou du texte polypropositionnel. L'ordre des termes est ici très nettement fonctionnel. 2.5.3. Particularité des parlers romans Enfin, pour quiconque regarde au-delà du domaine roman, par exemple du côté de l'anglais, du néerlandais ou de l'allemand, la variable fonctionnelle S V A ' S des parlers romans apparaît comme à la fois panromane et caractéristique du roman. Sans doute est-ce, là encore, un trait qui ressortit à la typologie génétique (1.3.1.4.3).
114
Chapitre 3 L'ordre des pronoms régimes atones combinés
3.1. But Ce chapitre est consacré à l'ordre qu'adoptent plusieurs pronoms régimes atones, lorsqu'ils sont contigus dans la chaîne parlée. Faute d'une analyse suffisante du protoroman, la description diachronique de cet aspect de la syntaxe romane est demeurée jusqu'à ce jour incomplète, voire boiteuse, et l'explication de l'évolution, prématurée. Nous nous proposons de présenter ici une meilleure analyse du protoroman et une reformulation de la description diachronique, puis, à partir de là, un nouvel essai d'explication.
3.2. Introduction méthodologique et terminologique Nous commencerons cette introduction par une analyse sommaire du système pronominal en protoroman (3.2.1), après quoi nous aborderons la théorie et la méthodologie relatives aux combinaisons (3.2.2). 3.2.1. Système des pronoms en protoroman Pour les besoins de cette analyse, nous distinguons en protoroman les catégories suivantes de pronom régime atone (cf. le schéma 7): (1) les pronoms objets, qui désignent le référé comme objet, indirect ou direct; ils comportent (ia) les pronoms personnels, qui se rapportent de manière non réfléchie à chacune des trois personnes grammaticales ou de manière réfléchie au sujet du verbe à la première ou deuxième personne, et (ib) le pronom réfléchi, qui se rapporte de manière réfléchie au sujet du verbe à la troisième personne, (2) les pronoms adverbiaux, qui situent le référé dans l'espace. - Le fait de ne considérer comme pronom réfléchi que celui qui se rapporte au sujet à la troisième personne nous est dicté par les considérations suivantes: il est le seul à se distinguer par la forme des pronoms non réfléchis de la même personne, et, pour ce qui concerne la syntaxe positionnelle, il présente un comportement particulier, distinct de celui des autres personnes lorsqu'elles sont employées de manière réfléchie. "5
Pour rendre compte de l'évolution du système pronominal, il convient de diviser le protoroman provisoirement en quatre synchronies, qui, il faut le souligner, sont établies en fonction du problème à l'étude et ne correspondent pas entièrement ni nécessairement à celles que nous avons établies au chapitre 2. La première synchronie, le protoroman-A, est antérieure à notre ère et a, pour principal témoin dans les parlers romans, le sarde. Les synchronies suivantes ne sont pas également faciles à situer dans le temps en termes absolus. Le protoroman-B est caractérisé par un changement de règle, dont il sera question plus loin (3.4.1.3) et qui touche probablement toute la Romania continentale. En protoroman-C, la série des pronoms anciens, présents dès le protoromanA , est complétée et en partie remplacée par une série nouvelle (cf. plus loin dans ce paragraphe); ce changement étant attesté en roumain, le protoroman-C doit être contemporain de l'occupation de la Dacie (II e et III e siècles). Le protoroman-D, caractérisé par un nouveau changement de règle (3.4.1.1.2), est au contraire postérieur à l'occupation de la Dacie, donc à l'an 300 environ, car la nouvelle règle n'affecte que la Romania continentale centrale. Une partie des pronoms objets de la série ancienne se dédouble, en roman, en deux sous-séries (d'origine protoromane), connues sous les noms de pronoms atones et pronoms toniques, qu'illustre par exemple l'opposition me/moi (< ME) en français; les combinaisons que nous allons examiner ne concernent que les pronoms de la série atone. Le schéma 7 résume ces distinctions et situe chaque pronom dans sa catégorie. Le système, tel que nous le représentons dans le schéma 7, est une hypothèse; il repose sur des reconstructions à partir des parlers romans et, au niveau du protoroman, sur des ajustements inspirés par des considérations structuralistes (cf. 1.3.1.2.3) e t par ce que nous apprennent les textes latins (cf. 1.3.1.6.2). Les pronoms objets de la série ancienne fonctionnent comme tels dès le début du protoroman-A et connaissent encore aujourd'hui une distribution panromane. Parmi les pronoms adverbiaux, IBI et INDE remontent au protoroman-A, mais ont disparu du roman balkanique; HIC se manifeste dans une aire plus limitée, en concurrence d'ailleurs avec IBI (A. Badia Margarit 1947: p. 25-27), à savoir en portugais, en ancien espagnol, en catalan et en occitan. Les pronoms de la série nouvelle qui se rattachent à iLLE, du fait qu'ils n'entrent en scène que des siècles plus tard, en protoroman-C, ont une distribution spatiale réduite; ils ne couvrent que la Romania continentale centrale et orientale; le pronom HOC, quant à lui, n'est attesté qu'en catalan, occitan et français. La distinction des nombres grammaticaux existe partout et reste constante, sauf dans le pronom réfléchi, HOC et les pronoms adverbiaux. La distinction des genres masculin et féminin est constante dans les pro116
noms de la troisième personne; et même, elle se renforce en protoromanprotoroman-A série ancienne datif
accusatif
MIHI
ME
protoroman-C série nouvelle datif
accusatif
PRONOMS OBJETS
pronoms personnels I sg. Pill sg. pl. III sg. masc.
NOBIS
NOS
TIBI
TE
VOBIS
VOS ILLUM
ILLUI
ILLAM
ILLAEI
ILLI
pl.
fém. neutre masc.
ILLUD
(HOC)
ILLOS
ILLORUM
ILLAS
ILLARUM
ILLIS
fém. pronom réfléchi SIBI
SE
PRONOMS ADVERBIAUX HIC IBI INDE
Schéma 7: système des pronoms en protoroman C, puisqu'elle y est introduite pour la première fois au datif. L'hypothèse d'une distinction de genre pour le datif pluriel est un ajustement structural (hypothèse maximale), qui ne se fonde pas sur les parlers romans, lesquels n'attestent que des dérivés du masculin, ILLORUM. L e neutre ILLUD laisse probablement quelques traces (H. Lüdtke 1987), mais se confond finalement avec I L L U M ; c'est HOC qui prend la relève. - L'opposition morphologique des cas, en l'occurrence le datif et l'accusatif, est constante dans les pronoms de la troisième personne; à l'opposition univoque ILLI // I L L U M / I L L A M du protoroman-A fait suite, en protoroman-C, avec le renouvellement de la forme du datif, une opposition bi-univoque, ILLUI/ILLUM // I L L A E I / I L L A M . E n revanche, pour les pronoms de la première et de la deuxième personne et pour le pronom réfléchi, la distinction morphologique fonctionnelle des cas se perd presque entièrement avant l'apparition des parlers romans; il n'est guère que le portugais ancien (J. Huber 1933: 329, p. 150), le sarde ancien (M. L. Wagner 1938-1939: 27, p. 119; 1951: p. 328; E. Blasco Ferrer 1984b: 27.4, p. 96) et le roumain (W. Rothe 1957: p. 7 8 81) qui en conservent des traces; cela n'empêche pas les deux formes, 117
ME et MIHI, etc., d'avoir des dérivés phonétiques dans d'autres parlers romans. On peut présumer que la série nouvelle donne lieu à une différence de tonicité: au moment de leur introduction, les pronoms de cette série sont probablement plus fortement accentués que les pronoms de même fonction de la série ancienne, déjà réduits à des clitiques. Des présomptions du même ordre valent pour les pronoms adverbiaux. Avec le temps, la différence de fonction entre pronoms adverbiaux et pronoms objets s'efface: IBI et I N D E tendent à devenir des pronoms objets (cf. le français populaire J'y ai donné mon livre et les pronoms objets italiens vil ve, de IBI, et ne, de I N D E ) .
3.2.2. Structure des combinaisons Dans les parlers romans, la structure des combinaisons présente des caractéristiques communes, dont nous donnons un bref aperçu. Plusieurs pronoms régimes atones régis par un verbe simple ou un verbe composé constituent une combinaison, et cela indépendamment de leur position respective dans la proposition. Les termes d'une combinaison peuvent être joints, c'est-à-dire contigus dans la chaîne parlée (Il me le dit, il me le voit faire)·, dans le cas contraire, ils sont dits disjoints (Lo dico loro, Il me voit le faire). Toutefois, conformément à l'usage, nous appellerons combinaison tout court les cas qui nous intéressent au premier chef, ceux des pronoms joints, réservant aux autres cas le terme de combinaison de pronoms disjoints. Deux pronoms objets régis par le même verbe se conforment au principe de l'alternance des cas; cela signifie qu'il n'y a ni deux accusatifs ni deux datifs. Ce principe n'est éventuellement enfreint que par le datif d'intérêt, qui marque la possession (espagnol Ramón me le complicó la vida a mi hija ) - Berceo: Milagros de Nuestra Señora (A. García Solalinde 1958: str. 565.0, p. 132). [OC] [...;] e'l Dalfins lo mantenc, si que mais no'/// la rendet. ) - (F. J. M. Raynouard 1 8 1 6 - 1 8 2 1 : 5, p. 370, v.3-4)· SA
naret progitteu li lu levât a scu. Gaviniu a scu. Iuvane. ) - Carta sarda del 1173 (G. Lazzeri 1954: 1.1.20,1. 1 3 - 1 4 , p. 105).
IT
/ Mat è Tom qe no lauda lo ben, quand Dieu ie 7 da; /. () - Bernardo de Bonaval (J. J. Nunes 1970: p. 157). Que te praza [...] de ma leixares acabar. ) - Vie de saint Alexis (C. Storey 1968: v. 108, p. 98). Il le me dunad á sun plaisir [...]. ( Ps 35 (34). 19) - Psaltirea scheianä (I. Bianu 1889: Ps 34.19, p. 105-106). Cum faci, {i se face. ) - charte (J. Jeanjaquet 1894: P· 37)· S' ainu l'hat battidu, s' ainu silu mandigat. ) - Nuovo condaghe di Silki (G. Lazzeri 1954: t. Ι.2ΐ.δ, 1. 1 5 - 1 6 , p. 123). IT
[...;] I ben me par che raxon sea / deverrae/o glorificar, / [...]. () - Biographie de Bertrán de Born (C. Appel 1932: t. 20, p. 47,1. 11). / E co l pot ferir ne naffrar / pos puis lo-i aven a sanar? /. () Vaasco Praga, de Sandin (J. J. Nunes 1970: p. 151). [...,] / ca créçevoj i ondra e tierra e onor. /. )
acus / [...]. () - Passion en ancien bergamasque (J. E. Lorck 1893: t. V, v. 75, P· 79)· [...,] Eneas [...] vennesenne in Ytalia, [...]. () - Lettera in volgare siciliano (E. Monaci 1955: t. 172, 1. 29-30, p. 580).
RH
[...:] uaíten dauend Satana, [...]. ( Mt 4.10) - Bifrun: Nouveau Testament (T. Gartner 1913: Mt 4.10, p. 25).
3.4.1.3.2.2. Protoroman-B En protoroman-B, l'ordre de la règle du protoroman-A est inversé: règle c 2 B = A d v + (I,II,R)
Exemples ζ PO
E Alboazer Alboçadam mandou-lhe dizer que [...] e que fosse a Gaya e hi se vería com el. () - Homélies d'Organyà (M. Molho 1961: p. 207).
OC
[...,] / e près mi a molher, Dieus Ihi o miera, / [...]. (
C'B
ILLUM ' I N D E
C2A
'MIHI INDE
>
C2B
INDE 'MIHI
Si le renversement général du rythme protoroman est bien la cause du renversement de l'ordre dans la combinaison binaire, son influence s'exerce donc de façon échelonnée, sur la combinaison c en protoroman-B, sur la combinaison a en protoroman-D et sur la combinaison b ensuite, dans les parlers romans.
3.5.2.6. Combinaisons ternaires Nous allons essayer de donner une interprétation des combinaisons ternaires, si maigres qu'en soient les attestations, en leur appliquant, au-delà de la description pure et simple (3.5.1.2), les observations faites ici (en 3·5· 2 ·5· 2 )· Les types 1 ((I,II,R) + A d v + III) et 2 (III + A d v + (1,11,R)) se conforment aux deux ordres de tonicité formulés en 3.5.2.5.2.1, l'un descendant, l'autre ascendant. Les types 3 (Adv + O b ( D a + Ac)), 4 (Ob(Da + A c ) + A d v ) et 5 ( O b ( A c + Da) + A d v ) échappent cependant à ce système, puisque le pronom adverbial ne se trouve pas entre les deux pronoms objets, mais leur est soit antéposé, soit postposé. Tout se passe, dans leur cas, comme si les deux pronoms objets tendaient alors à former une unité plus étroite, excluant le pronom adverbial; cette situation nouvelle peut être d'origine sémantique, opposant dans la chaîne parlée les pronoms [+objet] aux pronoms [-objet]; on peut cependant aussi y voir un nouvel équilibre rythmique: les deux pronoms objets réunis, du fait de leur grande fréquence, perdent de leur tonicité et de leur corps, tandis que le pronom adverbial reste, pendant ce temps, relativement tonique; on comprendrait ainsi mieux pourquoi, apparemment, dans ces trois types, l'adverbe est d'abord antéposé (type 3, rythme descendant), ensuite postposé (types 4 et 5, rythme ascendant).
3.5.2.7. Evolution indépendante des rapports sémantiques Par contraste avec ce que nous avons observé au chapitre 2, à propos de la position du sujet nominal et du verbe, la sémantique, au sens le plus large du terme (fonctions syntaxiques, fonctions discursives, signification des lexèmes), ne joue, selon notre hypothèse présente, aucun rôle direct dans l'évolution; les systèmes du protoroman-A, du protoroman-B et du protoroman-D et le passage des uns aux autres sont déterminés par des 157
facteurs rythmiques. Ceux-ci, il est vrai, sont probablement liés à la fréquence relative des combinaisons et des pronoms pris isolément, ce qui nous ramène finalement, par un détour, à certaines données sémantiques. 3.5.2.8. Vérification de l'hypothèse par l'explication Les causes avancées ci-dessus sont-elles réellement celles qui expliquent l'évolution décrite? Nous ne saurions l'affirmer. Tout ce que nous pouvons dire, c'est qu'elles éclairent plusieurs faits qui, dans notre description, sont restés obscurs: l'indépendance de la combinaison en tant qu'entité, par rapport aux données syntaxiques de la proposition, l'invariabilité de l'ordre en synchronie, son inversion systématique en diachronie. Les règles protoromanes établies en 3.4 ne sont pas les seules par lesquelles, en termes descriptifs, on puisse rendre compte des parlers romans. On pourrait en formuler d'autres, par exemple, pour la combinaison c en protoroman-A: règle cA alternative = Ob(Da) + Adv/Adv + Ob(Ac) où donc, conformément à ce que pensent plusieurs chercheurs, l'adverbe occuperait la place qui, dans les combinaisons a et b, revient au cas manquant. Ce qui nous fait pencher cependant pour les règles proposées en 3.4, c'est le fait que, contrairement à d'autres, elles cadrent avec le principe général du rythme protoroman et reçoivent de lui, c'est-à-dire d'une relation causale, une manière de confirmation.
3.6. Critique des études antérieures Retournons à présent aux études antérieures. 3.6.1. Niveau des parlers romans A u niveau des parlers romans, nous nous contentons de signaler trois cas illustrant la manière dont l'hypothèse du protoroman éclaire des faits qu'on a estimés mystérieux (3.3.1.2.2). Lorsque R. Menéndez Pidal manifeste sa surprise de trouver en ancien aragonais l'ordre accusatif + datif, étranger au castillan, il est en présence d'un fait simple, qu'il aurait aperçu sans doute lui-même, s'il avait examiné les parlers catalans et occitans voisins: l'extension spatiale de la règle aD affecte non seulement le catalan et l'occitan, mais aussi, au-delà, des dialectes limitrophes qui se rattachent aujourd'hui au domaine de l'espagnol. L'ordre MIHI ILLUM de l'ancien occitan, pour lequel D. T. Mériz ne trouve pas d'explication satisfaisante, est sans doute le vestige d'une aire
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du premier type MIHI ILLUM, qui relie à l'origine l'ibéro-roman à l'italoroman. Quant à la position anomale de HOC en catalan et en gallo-roman, elle s'éclaire lorsqu'on sait que ce pronom fait partie de la série nouvelle et qu'à ce titre son intégration au système des pronoms atones se trouve retardée ou bloquée.
3.6.2. Niveau du protoroman A u niveau du protoroman, nos devanciers ont abordé le problème sans distinguer systématiquement les diverses combinaisons. Il est évident, maintenant, que cette distinction est justifiée et nécessaire, puisque les règles qui régissent les combinaisons s'appuient sur des critères hétérogènes, appartiennent à des synchronies protoromanes distinctes et se projettent différemment sur la dimension spatiale au niveau des parlers romans. Quant au noyau du problème, l'ordre des pronoms dans les combinaisons a et b, nos devanciers ont proposé, qui une hypothèse à deux types (O. M. Johnston, D. Wanner), qui une hypothèse à un type, avec le type ILLUM MIHI (J. Melander, A . Lombard, S. J. Galambos) ou avec le type MIHI ILLUM (H. Lausberg, A . Santangelo/T. Vellemann). En définitive, de toutes ces hypothèses, c'est celle proposée par H. Lausberg et, pour la partie descriptive, par A . Santangelo et T. Vellemann, qui se rapproche le plus de l'hypothèse à laquelle nous aboutissons nous-même; les résultats de notre étude ne font en somme que la compléter et la préciser. Au sujet de l'hypothèse à un type avec ILLUM MIHI, il faut relever que les chercheurs ont en quelque sorte sous-estimé la profondeur historique de l'évolution: ils ont trop facilement pris ce qu'ils trouvaient dans quelques parlers romans, à savoir la tendance à passer de ILLUM MIHI à MIHI ILLUM, pour une tendance panromane, en partie prélittéraire, et le type ILLUM MIHI pour le type protoroman par excellence, comme si, pendant le millénaire qui sépare les parlers romans de leur antique langue mère, le protoroman n'avait pas pu connaître plusieurs structures et une évolution en zigzag. A la lumière de ces considérations, soit dit en passant, le scepticisme de P. Skârup et de P. Tekavcic, à propos du double changement de l'ordre (3.3.2.2), n'est pas de mise. Arrêtons-nous encore un instant aux études de A . Santangelo/T. Vellemann, de D. Wanner et de S. J. Galambos, dont les thèses, relativement élaborées, appellent une critique plus détaillée. La thèse de A . Santangelo/T. Vennemann, qui vise à une explication et se fonde pour cela sur des principes généraux, est à rejeter; non que ces principes soient faux, mais parce qu'ils sont appliqués à une description de l'évolution qui est beaucoup trop sommaire et qui masque la non159
coïncidence, dans le temps et dans l'espace, des changements du système avec leurs causes supposées. Les vues de D. Wanner sur ce qui s'est passé en protoroman, donc un ordre différencié selon que la combinaison se trouve en position enclitique ou proclitique, puis des généralisations, qui font le lien avec les parlers romans, ne sont pas confirmées par nos recherches, puisque, en tout cas pour la combinaison a, nous n'avons trouvé aucune trace d'une corrélation ancienne entre l'ordre des constituants et la position de la combinaison. A notre avis, cette différence de résultat tient à ce que l'hypothèse protoromane de D. Wanner est insuffisamment fondée sur les principes du comparatisme historique. Nos observations ne confirment pas non plus la thèse de S. J. Galambos que le type I L L U M MIHI en protoroman est le plus ancien. Voici, en ce qui concerne ses résultats, deux points sur lesquels nous sommes en désaccord avec elle, ( i ) Le lien causal que cet auteur établit entre l'apparition du type I L L U M MIHI dans les textes latins du III e siècle et l'ordre de base V S O vaut peut-être pour les textes latins; mais il ne vaut pas pour le latin parlé qui est à l'origine des parlers romans et qu'on reconstruit sous le nom de protoroman. En effet, en protoroman, il y a entre ces deux faits un écart chronologique considérable, qui nous paraît exclure un lien causal: V S O y est le premier ordre de base productif et remonte au moins au premier siècle avant notre ère, comme l'indique sa présence en ancien sarde, tandis que le type I L L U M MIHI n'y est probablement pas antérieur au IV e siècle, puisque le roumain n'en porte aucune trace. (2) La situation originelle que nous postulons, MIHI I L L U M , correspond à celle que S. J. Galambos observe dans les textes de l'époque classique, car le protoroman-A remonte à cette époque-là. C'est, selon nous, cette structure très ancienne, dont S. J. Galambos ne tient pas compte, que nous avons en portugais et en espagnol, et non pas une innovation castillane; dans l'hypothèse de cet auteur, qui pose I L L U M MIHI comme le type protoroman le plus ancien, il faudrait alors également considérer comme des innovations, et par conséquent expliquer, les constructions MIHI I L L U M du sarde ancien et du roumain, ce qui, du point de vue du comparatisme historique, est une gageure. Ces différences entre les résultats de S. J. Galambos et les nôtres sont imputables à trois problèmes de méthode. Elles proviennent en premier lieu de ce que l'auteur ne reconstruit pas systématiquement le protoroman à partir des parlers romans; mesurant mal, évidemment, l'écart qui sépare, dès l'antiquité, la norme écrite de la norme parlée, elle croit pouvoir, pour la préhistoire des parlers romans, s'appuyer sur les seuls textes latins. En second lieu, elle est victime d'une illusion: comme les parlers romans attestent le passage de I L L U M MIHI à MIHI I L L U M , jamais l'inverse, elle en conclut, en admettant sans doute une évolution linéaire, que I L L U M MIHI est la construction d'origine. Une troisième cause du désaccord porte sur l'étendue et la pertinence des sources: 160
S. J. Galambos n'envisage qu'un choix de parlers romans, ceux qui sont le mieux étudiés et le plus intéressants du point de vue de l'évolution tardive; cela l'amène à juger, par exemple, de la situation prélittéraire de toute la péninsule Ibérique sur la foi de quelques parlers de son extrémité orientale, sans chercher à interpréter l'absence de toute trace de I L L U M MIHI dans le reste de la péninsule, ainsi qu'en Sardaigne et en Roumanie.
3.7. C o n c l u s i o n On le voit, notre travail a consisté en partie à écarter des hypothèses qui, pour des raisons méthodologiques surtout, nous paraissent mal fondées, et à leur substituer une autre hypothèse, assortie d'un nouvel essai d'explication. Dans l'immédiat, ce que nous avons proposé - en admettant que ce soit reconnu valable - peut servir de base pour l'analyse des parlers romans dans ce qu'ils ont hérité du protoroman. Il reste donc aux romanistes à isoler et à examiner à part, dans chacun des parlers, ce qui ne fait pas partie de cet héritage, mais résulte d'évolutions tardives et locales. Encore convient-il de se rendre à l'évidence: le problème posé par l'ordre des pronoms n'a été résolu que pour trois combinaisons; il conviendrait, si possible, afin d'achever la description, de reconstruire les combinaisons binaires et ternaires comportant deux pronoms adverbiaux. Il est possible qu'il soit judicieux aussi de pousser plus avant le classement des pronoms, en isolant par exemple, dans la combinaison a, les pronoms I et II, dont le comportement roman manifeste des tendances propres. Il semble surprenant, après coup, que la chronologie des structures positionnelles en protoroman et l'hypothèse d'un type initial MIHI I L L U M n'aient pas été proposées déjà par un comparatiste chevronné comme W. Meyer-Liibke et qu'il ait fallu attendre la morphologie de H. Lausberg pour en avoir une première indication. Ce retard tient sans doute à la place marginale que la syntaxe a longtemps occupée dans le comparatisme roman et à l'éclipsé qu'a subie, au début de notre siècle, la méthode comparative dans les études romanes.
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180
Annexe ι: Tableau des exemples de 2.4.1 PO ES
CA OC FR
+SV(Y) + OV(Y) + CV(Y)
+ + +
+
+
+SV(Y) + OV(Y) + CV(Y)
+
+
Constructions
SA
IT
RH
+
+
RO
PR
Ordres non basiques topiques %c
%r
A
emphatiques %c 'SV(Y) 'OV(Y) 'CV(Y) %r 'SV(Y) 'OV(Y) 'CV(Y) %c 'VX(Y) %r 'VX(Y) existentielles %c V[ed]S % r [ 0 ] V[ed]S %r[C] V[ed]S
+
+ +
+ +
+
+
+ + +
+
+
+
+
+
+
+
A + +
+ +
+ +
+
+
+
+
+
+
+
+
+ +
+
+ + +
+
+
+
+
+
+
A +
+
+
+
+
+
+
+
+
+ +
+
+
+
Ordres basiques Structures ternaires SOV %c %r VSO %c[m] %c[b] %r[0] %r[C] OVS %c %r[0] %r[C] SVO %c[m] %c[b] %r[0] %r[Cl
SOV SOV V[it]SO V[it]SO V[it]SO V[it]SO OVS OVS OVS SVO SVO SVO SVO
+ +
+
+
+
+
Ai
+
A2
+
Β
+
C
+
+
+ +
+
+ +
+
+
+ +
+
+
+
+
+
+
+ +
+
+ +
+
+ + +
181
A n n e x e ι: suite Constructions
PO ES
CA OC FR
SA
IT
+ +
+
RH
RO
PR
+
+
Aa
Ordres basiques Structures binaires VS
OV
sv
vo
%c[m] %c[b] %r[0] %r[C] %c %r[S] %r[0] %r[C] %c[m] %c[b] %r[0] %r[C] %c %r[S] %r[0] %r[C]
V[it]S V[it]S V[it]S V[it]S OV OV OV OV SV SV SV SV VO VO VO VO
+
+
+
+
+
+
+
+
+ +
+
+
+
+ +
+
+
+
+
+
+
+
+
+
AI/B
+
+
Ai/C
+
+ +
+ +
+
+ +
+ +
+ +
+
+ +
+
+
+ + +
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+ +
A2
+ +
+
A n n e x e 2: Tableau des exemples de 3.4.1 Constructions
PO ES
CA o c FR
SA
IT
RH
RO
PR
X
χ χ
[ζ] χ
χ
X X
X
X
y y y ζ ζ
y y y ζ
y
y y y y ζ ζ
A D A E A Β A Β
Combinaisons binaires aA aD bA bE cJA c'B c2A c2B
P(Da + Ac) P(Ac + Da) (P,R) (Da + Ac) (P,R) (Ac + Da) Adv + III III + Adv (I, II, R) + Adv Adv + (I, II, R)
ζ y y ζ ζ
[χ] χ
X
[y] y
y
y ζ ζ
y ζ ζ
y ζ
Combinaisons ternaires type I (I, II, R) + Adv + III type 2 III + Adv + (I, II, R) type 3 Adv + Ob(Da + Ac) type 4 Ob(Da + Ac) + Adv type 5 Ob(Ac + Da) + Adv 182
+
+ +
+ + +
+
+ +
+
X
ζ