Vous avez dit : sabbat de sorcières ?: La singulière histoire des premiers Conseils Solvay 9782759824045

Les conférences de physique sont nombreuses aujourd’hui. Avant la deuxième guerre mondiale le débat international se lim

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French Pages 342 [334] Year 2019

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Vous avez dit : sabbat de sorcières ?: La singulière histoire des premiers Conseils Solvay
 9782759824045

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Vous avez dit : sabbat de sorcières ? La singulière histoire des premiers Conseils Solvay Franklin Lambert et Frits Berends Préface de Thibault Damour

17, avenue du Hoggar Parc d’Activité de Courtabœuf, BP 112 91944 Les Ulis Cedex A, France

« Sciences & Histoire » La collection Sciences & Histoire s’adresse à un public curieux de sciences. Sous la forme d’un récit ou d’une biographie, chaque volume propose un bilan des progrès d’un champ scientifique, durant une période donnée. Les sciences sont mises en perspective, à travers l’histoire des avancées théoriques et techniques et l’histoire des personnages qui en sont les initiateurs.

Imprimé en France ISBN (papier) : 978-2-7598-2371-0 – ISBN (ebook) : 978-2-7598-2404-5 Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal. © EDP Sciences 2019

Table des matières Préface

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Avant-propos

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Sigles et abréviations

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LE PREMIER CONSEIL DE PHYSIQUE Chapitre 1. Un « Conseil » improbable 1.1. Une invitation tout à fait surprenante 1.2. Nouveauté du projet 1.3. Ernest Solvay : industriel, mécène et investigateur 1.4. La théorie des quanta 1.5. Nernst découvre le génie d’Einstein 1.6. Le dilemme de Nernst

3 3 6 8 18 25 27

Chapitre 2. Un projet inédit 2.1. L’idée d’un Concile 2.2. Un homme providentiel : Ernest Solvay 2.3. Nernst s’enhardit 2.4. Le dessous des cartes 2.5. Évolution du projet de Concile 2.6. Le projet d’Ostwald 2.7. Préparatifs du Conseil 2.8. Le premier Conseil de physique 2.9. Résultats du Conseil

31 31 33 35 41 45 55 60 66 78

Conséquences inattendues du Conseil Chapitre 3. Jeu de chaises musicales 3.1. Impact du Conseil sur la carrière d’Einstein : de Prague à Zurich 3.2. L’imbroglio de la « succession Lorentz » 3.3. Second impact du Conseil sur la carrière d’Einstein : de Zurich à Berlin Chapitre 4. Fondation de l’Institut international de physique Solvay 4.1. La proposition de Lorentz 4.2. Statuts de l’IIPS

97 97 102 111 117 117 121

ii

Vous avez dit : sabbat de sorcières ?

4.3. Constitution du Comité scientifique international 128 4.4. Naissance de l’Institut international de physique 130 Chapitre 5. Le deuxième Conseil de physique 5.1. Participants et rapports 5.2. Éléments marquants 5.3. Échos et conséquences de Solvay II

147 147 149 154

Chapitre 6. Fondation de l’Institut international de chimie Solvay 6.1. Reprise de contact avec Ostwald 6.2. Intensification des travaux de Solvay 6.3. Les attentes des chimistes 6.4. Les bons offices d’Albin Haller 6.5. Solvay poursuit ses investigations 6.6. Positions de Haller et d’Ostwald 6.7. Impact des observations d’Ostwald 6.8. La dernière carte de Haller 6.9. Un Conseil pour couronner un jubilé

157 157 159 161 163 167 168 170 173 174

Chapitre 7. Les subsides « Solvay » 7.1. Situation globale 7.2. Comment définir l’ordre des priorités ? 7.3. Quelques succès notoires 7.4. Dernière réunion du CSI avant la débâcle

179 179 183 189 195

IMPACT DE LA GRANDE GUERRE Chapitre 8. L’Institut de physique survit à la tempête 199 8.1. Premières réactions à l’invasion de la Belgique 199 8.2. Le Manifeste des 93 202 8.3. Le conflit s’éternise 208 8.4. Une entreprise ingrate : l’édition du volume « Hayez » 214 8.5. Actions et projets de Solvay 217 8.6. Espoirs, satisfactions et difficultés 223 8.7. Reprise d’activité de l’IIPS 230 Chapitre 9. Épilogue : de Solvay III à Solvay V 237 9.1. Solvay III : Atomes et électrons, 1-6 avril 1921 237 9.2. Solvay IV : Conductibilité électrique des métaux et problèmes connexes, 24-28 avril 1924 241 9.3. Solvay V : Électrons et photons, 24-29 octobre 1927 244 9.4. Réflexions finales 256

Table des matières

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ANNEXES Annexe 1. Liste des 52 détenteurs d’un prix Nobel de physique ou de chimie qui ont participé à un (ou à plusieurs) Conseil(s) Solvay de 1911 à 1933, ou qui ont bénéficié d’un subside Solvay

263

Annexe 2. Sources relatives aux travaux d’Ernest Solvay

265

Annexe 3. Le programme « gravito-matérialitique » de Solvay 267 Annexe 4. Le problème du « corps noir »

271

Annexe 5. Le prix Nobel « manqué » de Planck en 1908

273

Annexe 6. Le « coup » d’Agadir et l’affaire Caillaux

275

Annexe 7. La question du patronage royal

277

Annexe 8. La confrontation Rutherford-Thomson 279 Bibliographie

281

Remerciements

285

Notes

287

Index des noms

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Préface Une mystérieuse invitation qui a changé le cours de la physique Le texte de ce passionnant livre, de Franklin Lambert et Frits Berends, sur l’histoire des premiers Conseils Solvay commence comme le roman Dix petits nègres d’Agatha Christie : vingt physiciens éminents de six différents pays reçoivent, en juin 1911, une lettre un peu étrange, signée de quelqu’un qu’ils ne connaissent pas personnellement, les invitant à passer une semaine, en comité restreint, en un lieu improbable (à l’époque) pour discuter des fondements de l’atomistique. Malgré la perplexité initiale que cette invitation a dû causer à certains des destinataires, la plupart trouvèrent, comme Einstein, « l’entreprise extrêmement intéressante » et décidèrent d’accepter l’invitation du grand industriel Belge Ernest Solvay et de passer une semaine à l’hôtel Métropole de Bruxelles pour d’intenses échanges de vue sur la mystérieuse nécessité d’introduire des discontinuités (ou quanta) au cœur des échanges d’énergie et de rayonnement des atomes. Le lecteur qui aura reconnu dans le titre de ce livre une citation d’Einstein (« sabbat de sorcières ») croira peut-être connaître déjà l’essentiel de l’histoire du premier Conseil Solvay de 1911, mais ce livre lui en fera découvrir de multiples aspects peu connus. D’abord, au-delà de son impact, souvent commenté, sur le développement de la physique quantique (à travers l’un des derniers articles de Poincaré montrant la nécessité des quanta, mais surtout via son influence indirecte sur les travaux de Niels Bohr et de Louis de Broglie), ce premier Conseil Solvay a joué un rôle crucial sur la carrière d’Einstein, que le lecteur découvrira avec plaisir. Mais surtout, ce livre nous fait découvrir le contexte entourant la création des Conseils Solvay, ainsi que celle des Instituts Internationaux Solvay de physique et de chimie. C’est une histoire fascinante, pleine de passions humaines, où l’on trouvera pêle-mêle : grandeur d’âme et internationalisme généreux (notamment chez Solvay et Lorentz), ambition professionnelle (notamment chez Nernst) ainsi qu’aveuglement patriotique et petitesse morale chez certains physiciens allemands, bénéficiaires de subsides Solvay. Le lecteur découvrira aussi avec grand intérêt la riche personnalité d’Ernest Solvay : inventeur de génie, industriel à succès, mécène généreux et visionnaire, autodidacte passionné par sa recherche d’une vision unificatrice de la réalité qu’il poursuit avec entêtement mais qu’il expose avec tact aux grands scientifiques qu’il invite et soutient. J’espère que ces brèves remarques liminaires donneront envie au lecteur de découvrir, sous la houlette experte et bienveillante de Frankin Lambert et Frits Berends, les multiples facettes de la singulière histoire des premiers Conseils Solvay. Thibault Damour Professeur à l’Institut des Hautes Etudes Scientifiques Membre de l’Académie des Sciences

Avant-propos Les Instituts internationaux de physique et de chimie fondés par Ernest Solvay – à l’origine l’IIPS et l’IICS1 – sont un concept unique dans le monde de la science. Ces Instituts virent le jour en 1912 et 1913. Ils sont à l’origine des célèbres « Conseils » qui se sont succédé depuis plus d’un siècle. À l’époque de leur fondation, les Congrès internationaux en physique et en chimie étaient beaucoup plus rares qu’aujourd’hui. La première conférence internationale de physique eut lieu à Paris en 19002. Elle ne fut pas suivie, les physiciens n’ayant pas ressenti le besoin de créer une association internationale. Cette situation allait perdurer jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale3. Les « Conseils Solvay » furent ainsi les premiers rendez-vous réguliers de physiciens de toutes nationalités. Chaque Conseil était convoqué dans un but précis. Chargé de répondre à une question d’actualité, il devait identifier les problèmes les plus pressants et ouvrir des voies à leur solution. Ces conférences très spécialisées n’accueillaient qu’un petit nombre de membres – une vingtaine au cours des premières années –, rassemblant, pour chaque sujet traité, l’élite de la profession. Chaque question était éclairée par un rapport, distribué avant le début du Conseil et présenté par un membre spécialement compétent. Les rapports et les discussions étaient rassemblés par les secrétaires du Conseil et publiés par la suite. Les comptes-rendus des premiers Conseils de physique sont un patrimoine d’une valeur exceptionnelle. Ils retracent l’avènement de l’ère quantique, la naissance de la physique de la matière condensée et celle des « fondations » d’un mystérieux édifice : la physique atomique et la physique nucléaire4. La tenue de ces prestigieux Conseils s’est poursuivie jusqu’à ce jour grâce au soutien très actif de cinq générations de la famille Solvay. Réunis en 1970, l’IIPS et l’IICS se sont transformés en « Instituts internationaux de physique et de chimie fondés par Ernest Solvay (IIPCS) ». Des Conseils, organisés à intervalles réguliers, continuent l’œuvre initiée par le fondateur : ils tendent à approfondir les connaissances en physique et en chimie en stimulant les discussions entre les chercheurs les plus compétents et les plus actifs dans ces deux domaines. Leur spécificité – un programme et une liste d’invités établis par un Comité scientifique international – est la clé d’un succès qui s’est manifesté dès le début (le Conseil de physique de 1911) et qui s’est maintenu depuis. Les Comités Solvay, l’un de physique et l’autre de chimie, se trouvent au cœur des IIPCS. Leur mode de renouvellement garantit la permanence d’un lien étroit entre les Conseils et l’état d’avancement de la science. Ce lien explique la présence dans chaque réunion de détenteurs d’un prix Nobel de physique ou de chimie, mais aussi de chercheurs distingués plus tard par l’attribution d’un tel prix5. Il est intéressant de noter le parallèle entre le parcours d’Alfred Nobel (1833-1896) et celui d’Ernest Solvay (1838-1922). Tous deux furent des personnages hors du commun

viii

Vous avez dit : sabbat de sorcières ?

qui surent atteindre une position éminente en chimie industrielle, et mirent leur fortune au service de l’humanité. L’effort de Nobel se situa en aval : création de prix pour couronner des travaux en physique et en chimie « de nature à apporter un réel bénéfice au genre humain ». Solvay décida d’œuvrer en amont : création d’Instituts internationaux destinés à promouvoir la recherche fondamentale en physique et en chimie. L’action de Solvay a été perçue6 comme la marque d’un internationalisme « plus avancé » que celui de Nobel : en privilégiant la concertation entre chercheurs de toutes nationalités, les Conseils Solvay ont favorisé les échanges à l’échelle mondiale et ont ouvert des voies à la recherche collective.

Singularité du Conseil de 1911 À l’origine de l’aventure, il y eut un événement aussi décisif qu’improbable : la convocation par Solvay d’un « Conseil scientifique international pour élucider quelques questions d’actualité des théories moléculaires et cinétiques ». L’événement a été immortalisé par une photo prise à l’hôtel Métropole de Bruxelles. Cette photo a fait le tour du monde. On y voit des personnages célèbres : Marie Curie, Hendrik Antoon Lorentz, Max Planck, Albert Einstein, Henri Poincaré, Jean Perrin, Paul Langevin, Marcel Brillouin, Walther Nernst, Wilhelm Wien, Ernest Rutherford, Heike Kamerlingh Onnes, Arnold Sommerfeld, Martin Knudsen… et Ernest Solvay7. On y découvre également des acteurs moins connus, tels que Robert Goldschmidt, Édouard Herzen et Georges Hostelet, trois scientifiques belges, proches de Solvay, chargés d’organiser cette « manifestation inédite de la science supérieure8 ». En 2015, la Société européenne de physique a reconnu l’importance du Conseil de 1911 en décernant à l’hôtel Métropole9 le label de « site historique pour le développement de la physique ». Cependant, on constate à la lecture des premiers comptes-rendus10 que l’histoire de cet événement légendaire n’a jamais fait l’objet d’un examen approfondi. Cette lacune surprend d’autant plus que la convocation du premier Conseil fut une opération tout à fait singulière. Plusieurs auteurs ont commenté le déroulement du Conseil. Certains ont rappelé son contexte scientifique11 ; d’autres ont souligné son rôle de modèle dans l’histoire des conférences internationales. Mais il semble que personne n’ait pris la mesure de son caractère insolite. En revanche, les savants invités à prendre part à ce « sommet » privé ne manquèrent pas d’être surpris par sa nouveauté. Ce fut le cas de Frederick Lindemann, physicien britannique attaché à l’Institut de chimie physique de l’université de Berlin, qui s’empressa de publier un compte-rendu dans un journal allemand12, sous le titre « Un Congrès bien étrange ». On sait aussi qu’avant de se rendre à Bruxelles, Einstein déclara à son ami Michele Besso13 qu’il était irrité de devoir interrompre ses travaux pour prendre part à un « sabbat de sorcières ».

Avant-propos

ix

En réalité, la convocation à Bruxelles d’un « Conseil de physique » soulève plusieurs questions : −− Pourquoi la première conférence internationale sur les quanta fut-elle organisée dans un pays où personne ne se souciait de leur existence ? −− Comment se fait-il que l’invitation fût lancée par un mécène scientifique, et non par un physicien professionnel ? −− Pourquoi Solvay se sentait-il concerné par un problème qui n’intéressait à l’époque qu’une poignée de physiciens : l’accumulation de faits expérimentaux mettant en péril les théories moléculaires et cinétiques ? D’autres questions, tout aussi pertinentes, ont trait à la conséquence immédiate du Conseil : la fondation par Solvay d’un Institut international de physique. −− Pourquoi Solvay décida-t-il d’accorder une priorité à la physique, alors qu’il s’était déclaré en faveur d’un Institut international de chimie ? −− Pourquoi cet être passionné de physique, auteur d’une « théorie synthétique de l’Univers », accepta-t-il de fonder un Institut de physique dans lequel il n’aurait « rien à dire ni à voir » ? −− Pourquoi Solvay échoua-t-il dans son projet de créer dans un même temps deux Instituts internationaux : l’un de physique (IIPS), l’autre de chimie (IICS) ? Le but du présent ouvrage est de répondre à ces questions en retraçant l’histoire des trois événements qui couronnèrent l’action scientifique d’Ernest Solvay : le Conseil de 1911, la fondation en 1912 de l’IIPS et celle en 1913 de l’IICS. Soulignons d’emblée que le Conseil de 1911 joua un rôle capital dans l’évolution des théories physiques. Intervenant onze ans après l’introduction de l’hypothèse des quanta, ce Conseil facilita son acceptation en montrant qu’elle s’appliquait avec succès dans un autre domaine que celui dans lequel elle avait été introduite14 (exportation de l’hypothèse de Planck du domaine des radiations vers celui de la matière). Le Conseil fut également l’événement qui créa un consensus sur l’échec des théories généralement admises. Il nous permet de tracer une ligne de démarcation – ou ligne de partage des eaux15 – entre deux ères : l’ère classique, ayant pour apogée la théorie électromagnétique de la lumière, et l’ère des quanta. Sur le plan méthodologique, le sommet de Bruxelles inaugura un nouveau mode de travail : celui de « l’atelier scientifique », un colloque réunissant des chercheurs impliqués dans l’étude d’une même question. L’Institut international de physique étonna, quant à lui, par la nouveauté de son action. Jamais auparavant les scientifiques de tous pays n’avaient pu bénéficier de subsides de recherche, octroyés par un Comité international. Le programme de subventions de l’IIPS, imaginé par Solvay et réalisé par Lorentz, fit grand bruit à l’époque. Mis en place au cours de la première année d’existence de l’Institut, il connut un réel succès : 6 bénéficiaires d’un subside « Solvay » virent leurs travaux couronnés par un prix Nobel de physique : Max (von) Laue : subside en 1912, prix Nobel en 1914 ; Charles G. Barkla : subside en 1912, prix Nobel en 1917 ; James Franck et Gustav Hertz : subside en 1913, prix Nobel en 1925 ; William Lawrence Bragg : subside en 1914, prix Nobel en 1915 ; Johannes Stark : subside en 1914, prix Nobel en 1919.

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Vous avez dit : sabbat de sorcières ?

On reste stupéfait de voir des célébrités telles que Lorentz, Marie Curie et Rutherford, apportant leur soutien à un laboratoire en détresse à Moscou, et prêtant leur précieux concours à l’examen des 97 projets de recherche qui affluèrent à l’IIPS entre juin 1912 et juillet 1914. L’engagement international de ces savants est une preuve émouvante de leur foi en l’universalité de la science et en son rôle de facteur de paix – une foi qui allait être ébranlée quelques mois plus tard par le déclenchement du premier conflit mondial. L’histoire que nous voulons conter est composée de plusieurs couches. Elle est faite d’éléments distincts, mais liés par d’étonnants concours de circonstances. Parmi les faits qu’il importe de rappeler, il y a l’impasse dans laquelle se trouve la physique du début du xxe siècle. Il y a aussi la passion de Solvay, et la suite qu’il entend donner aux sollicitations de chimistes réputés qui cherchent à l’entraîner dans des projets divers. Nous montrerons que rien n’eut été possible si Solvay n’avait eu la conviction qu’il était en son pouvoir d’édifier une alternative aux théories généralement admises, mais incapables (selon lui) de satisfaire l’esprit philosophique. Nous verrons qu’aucun Conseil n’aurait vu le jour s’il n’y avait eu adéquation entre les convictions de Solvay et la situation réelle de la physique : le désarroi des physiciens devant le désaccord croissant entre l’expérience et les prédictions des théories classiques. Certains faits sont connus ; ils ont été rapportés par les historiens des sciences qui se sont penchés sur le contexte scientifique des premiers Conseils de physique. D’autres éléments, notamment ceux liés aux objectifs de Solvay, ont échappé pour l’essentiel à l’attention des rapporteurs. En l’absence de ces données, il est difficile de comprendre les motifs qui ont amené l’industriel à convoquer un Conseil en 1911, et à fonder par la suite deux Instituts internationaux. C’est à cette difficulté que nous avons voulu répondre en nous appuyant sur des documents inédits16. Nous allons voir que Solvay était absorbé par ses travaux scientifiques lorsqu’il fut approché par deux autorités du monde académique allemand : Walther Nernst et Wilhelm Ostwald. Le premier sollicitait le concours de l’industriel pour la convocation d’un Concile de physiciens. Le second cherchait à l’entraîner dans un projet visant la création d’un Institut international de chimie. Ces démarches, sans aucun lien entre elles, bénéficiaient d’une circonstance inespérée : elles tombaient au bon moment et semblaient propres à contribuer au succès d’un plan que l’industriel mûrissait depuis longtemps : faire progresser les connaissances en physique et en chimie en agissant dans deux directions. L’une de ces directions répondait à une ambition personnelle : Solvay espérait valider ses conceptions scientifiques en les soumettant au jugement d’un « corps savant autorisé ». L’autre était dictée par sa volonté d’encourager l’étude de tout phénomène susceptible de mettre en défaut les interprétations courantes : il tenait à faire effectuer de nouvelles expériences17 par des chercheurs « de partout », et était prêt à soutenir leurs efforts dans un esprit d’objectivité et d’internationalisme scientifique. Les actions entreprises dans le premier but ne produisirent pas le succès escompté. Celles qui visaient le second but s’avérèrent fructueuses : elles aboutirent à la création des Instituts internationaux de physique et de chimie (IIPCS) et à la tenue des célèbres

Avant-propos

xi

Conseils qui se sont succédé depuis plus de cent ans, perpétuant ainsi l’action du fondateur bien au-delà de ce qu’il avait prévu18. L’IIPS fut créé en quelques mois, grâce aux lumières et au dévouement du président Lorentz, théoricien de grande autorité et homme de tact dont les idées s’accordaient parfaitement avec les buts poursuivis par Solvay. La fondation de l’IICS fut beaucoup plus compliquée, en raison des divergences de vues entre l’industriel et les représentants de l’Association internationale des sociétés chimiques (l’AISC). Le désaccord fut tel que Solvay fut contraint d’abandonner certaines conditions qui lui étaient chères. En contrepartie, il eut la joie de voir son jubilé industriel rehaussé par la tenue à Bruxelles d’un « sommet » de chimistes : le 3e Conseil de l’AISC. Il eut également la satisfaction d’assister à la réalisation du projet qui lui avait coûté le plus d’efforts : la fondation d’un Institut international de chimie. Il eut été difficile de ne pas évoquer l’obstination de Solvay dans son désir de fournir une base gravito-matérialitique à l’ensemble19 de ses conceptions. Cet entêtement, comparable à celui qu’il avait mis dans l’édification de son empire industriel, fut le moteur qui l’incita à accepter la demande de Nernst et à pérenniser le Conseil de physique par la création d’un Institut international. On peut donc dire que le projet irréaliste de Solvay, mais qu’il convient de replacer dans le contexte de l’époque, fut l’élément-clé qui ouvrit la voie aux réalisations qui nous occupent. D’autre part, il nous a semblé qu’en passant l’ambition de Solvay sous silence, nous ferions injure à la mémoire de ce grand visionnaire qui n’hésitait pas à déclarer que l’industrie n’était dans sa pensée qu’un « moyen de se donner l’indépendance nécessaire pour faire de la science20 ». Tout lecteur (toute lectrice) de l’étude préliminaire21 que Solvay fit imprimer en vue du Conseil, et des nombreuses notes22 qu’il rédigea de 1910 à 1912, ne peut qu’être impressionné(e) par les efforts qu’il déploya pour achever son grand œuvre. Cette détermination, qu’il rappela dans ses allocutions d’ouverture et de clôture du Conseil, nous permet de comprendre la position quelque peu ambiguë qu’il fut tenté de conserver à l’égard de l’Institut international de physique. Elle confère un éclat particulier à sa résolution du 20 mai 1912 « qu’il n’aurait rien à dire ni à voir » dans la gestion de l’Institut. En acceptant la proposition de Lorentz de confier la direction scientifique de l’IIPS à un Comité international (dont la composition évoluerait dans le temps), Solvay fit preuve d’une admirable clairvoyance.

Organisation de l’ouvrage Il nous a paru nécessaire d’évoquer les événements scientifiques qui ont conduit au premier Conseil de physique et à la fondation de l’IIPS. Ces rappels, limités aux faits destinés à instruire notre récit, ne devraient pas inquiéter le lecteur (la lectrice) qui aurait choisi de les laisser de côté. Cela ne l’empêchera nullement de suivre le fil de l’histoire qui nous occupe : celle d’une aventure humaine, imprégnée de passions, d’ambitions et de conflits.

xii

Vous avez dit : sabbat de sorcières ?

Nous avons tenu à rappeler l’influence du Conseil de 1911 sur le développement de deux carrières : celles d’Einstein et du président Lorentz. Nous rapportons un fait peu connu qui permit à l’IIPS de voir le jour : l’heureuse coïncidence entre les intentions de Solvay et le souhait de Lorentz de renoncer à sa chaire à l’université de Leiden. Nous consacrons deux chapitres à l’autre action fondatrice de Solvay : la création en 1913 d’un Institut international de chimie (l’IICS) en partenariat avec l’Association internationale des sociétés chimiques. Cette digression, par rapport à notre objectif principal, nous paraît justifiée en raison du fait que la création de l’IICS intervint à la suite d’une initiative qui prit forme au moment où s’ouvrait le Conseil de 1911 et qu’elle répondait au souhait de Solvay de soutenir des recherches en chimie à l’aide d’un Institut calqué sur l’IIPS. À ces éléments s’ajoute le constat que la réalisation du projet de Solvay en faveur de la chimie se fit au prix de renonciations et d’efforts de sa part, qui surpassèrent de loin tout ce qu’il avait consenti pour faire aboutir son projet pour la physique. Nous nous étendons sur certains éléments liés au premier conflit mondial, tels que l’effondrement des relations internationales et la survie « miraculeuse » de l’IIPS. En ce qui concerne l’IICS, on peut même parler d’un bénéfice, dans la mesure où le conflit entraîna la dissolution de l’Association internationale des sociétés chimiques et permit à Solvay de parfaire son projet en transformant l’IICS en un Institut autonome, comparable à l’IIPS. Nous avons divisé notre récit en trois parties. La première, intitulée « Le premier Conseil de physique » concerne l’origine, la convocation, la tenue et les résultats de ce Conseil. Elle comprend deux chapitres, consacrés aux points suivants : −− Singularité de l’invitation de juin 1911 (1.1 et 1.2). −− Personnalité d’Ernest Solvay ; motifs qui l’amenèrent à convoquer un « Concile scientifique » à la demande de Walther Nernst (1.3, 2.2, et 2.3). −− Éléments de la théorie des quanta ; initiative de Nernst (1.4, 1.5 et 1.6). −− Projet de « Concile », évolution et préparatifs (2.1, 2.4, 2.5 et 2.7). −− Le Conseil de 1911. Discours d’ouverture, séances du Conseil, minutes de la réunion, impressions de certains membres, discours de clôture (2.8). −− Résultats du Conseil, impression générale et éléments positifs, réactions de la presse, attitude de Solvay au lendemain du Conseil (2.9). N. B. La section 2.6 est consacrée au projet d’Ostwald, une initiative en faveur de la chimie qui intervint au cours de l’intervalle entre la conception et la réalisation du projet de Nernst. La deuxième partie du livre, intitulée « Conséquences inattendues du Conseil », comporte cinq chapitres (numérotés de 3 à 7) sur les sujets suivants : −− Jeu de chaises musicales : effets du Conseil sur les carrières d’Einstein et de Lorentz (3.1, 3.2 et 3.3). −− Fondation de l’Institut international de physique Solvay (4.1, 4.2, 4.3 et 4.4). −− Le deuxième Conseil de physique (5.1, 5.2 et 5.3). −− Fondation de l’Institut international de chimie Solvay (de 6.1 à 6.9). −− Les subsides « Solvay » (7.1, 7.2, 7.3 et 7.4). Dans la troisième partie du livre, intitulée «  Impact de la Grande Guerre  », nous relatons les années de guerre (1914-1918) et la survie inespérée de l’Institut international

Avant-propos

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de physique. Cette partie comprend deux chapitres. Le premier (chapitre 8) est consacré aux points suivants : −− Les premières réactions à l’invasion de la Belgique (8.1). −− Le Manifeste des 93 intellectuels allemands ; réactions à ce pamphlet (8.2). −− Le comportement des physiciens de différentes nationalités invités aux Conseils d’avant-guerre (ou ayant bénéficié d’un subside « Solvay ») ; les initiatives de Lorentz pour aplanir les tensions entre physiciens des deux camps ; les actions de Nernst et de Sommerfeld (8.3). −− L’épineuse édition du compte-rendu du deuxième Conseil de physique (8.4). −− Le projet de Solvay visant la construction d’une nouvelle société avec l’aide de l’IIPS et de l’IICS ; les réactions de Lorentz, de Haller et de Guye ; le refus de la Suisse d’accorder un visa à Solvay en juillet 1918 (8.5 et 8.6). −− La réorganisation de l’IIPS en vue d’une reprise de ses activités ; la mise en place d’un nouveau comité scientifique (8.7). Le chapitre 9 est un épilogue. Nous évoquons brièvement les trois derniers Conseils présidés par Lorentz : Solvay III (9.1), Solvay IV (9.2), Solvay V (9.3), et rappelons les mesures qui permirent de mettre fin à la rupture du dialogue international. Nous terminons cette section par quelques réflexions (9.4). Un de nos objectifs a été de décrire à l’occasion de ce récit la vie des physiciens et des chimistes au début du xxe siècle, ainsi que les usages qui avaient cours dans le monde académique (certaines pratiques ayant toujours cours). Tout au long de cette narration, nous avons tenté de nous rapprocher des acteurs principaux afin de pénétrer leur façon de penser. C’est dans ce but que nous leur donnons fréquemment la parole, un choix qui explique la présence d’un grand nombre de citations. Les lettres d’Einstein, dont nous citons de nombreux extraits (traduits en français), sont celles que l’on trouve dans « The Collected Papers of Albert Einstein  » (CPAE), vol. 5, The Swiss Years, Correspondence 1902-1914, édité à Caltech, publié en 1995 par Princeton University Press, et accessible aujourd’hui sur Digital Einstein Papers. Certains extraits correspondent aux lettres traduites précédemment en français par F. Balibar, O. Darrigol et B. Jech (nous mentionnons leurs traductions à côté des nôtres, lorsqu’il y a lieu, en renvoyant le lecteur/la lectrice à leur ouvrage23). © Crédits des lettres d’Einstein dont nous citons des extraits : The Hebrew University of Jerusalem. D’autres citations sont tirées de lettres rédigées par des physiciens ou des chimistes qui s’expriment en français, en allemand ou en néerlandais (nous citons nos sources). La volonté de tirer de l’oubli l’activité principale de l’IIPS au cours de la période 1912-1914, l’octroi de subsides de recherche à des expérimentateurs « de partout », nous a amenés à rappeler les mesures qui furent prises à l’époque pour mettre en place un système objectif d’évaluation de projets scientifiques (une première mondiale qui continue d’inspirer les responsables du financement de la recherche en physique et en chimie). Nous espérons que l’évocation de ces mesures (le lecteur ou la lectrice qui ne souhaite pas en connaître le détail est invité(e) à laisser les sections 7.1 et 7.2 de côté) sera bien accueillie et qu’elle sera perçue comme un élément susceptible de conférer une valeur supplémentaire à l’histoire que nous avons choisi de conter.

Sigles et abréviations AEA : The Albert Einstein Archives at the The Hebrew University of Jerusalem. AEG : Allgemeine Elektricitäts-Gesellschaft. AISC : Association internationale des sociétés chimiques. CA : Commission administrative (de l’IIPS). CPAE : The Collected Papers of Albert Einstein (Einstein Papers project, Caltech, volumes publiés par Princeton University Press). CSI : Comité scientifique international (de l’IIPS). ESPCI : École supérieure de physique et de chimie industrielles de la Ville de Paris. ETH (Zurich) : Eidgenössische Technische Hochschule (Zurich). FIS : Fonds des Instituts Solvay. IICS : Institut international de chimie Solvay. IIPCS : Instituts internationaux de physique et de chimie fondés par Ernest Solvay. IIPS : Institut international de physique Solvay. IUPAC : International Union of Pure and Applied Chemistry. IUPAP : International Union of Pure and Applied Physics. KNAW : Koninklijke Nederlandse Akademie van Wetenschappen. KWG : Kaiser-Wilhelm-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften. NHA : Noord-Hollands Archief, Haarlem. PSL : Paris Sciences et Lettres. Pôle de recherche et d’enseignement supérieur. PTR : Physikalisch-Technische-Reichsanstalt. RMB : Rijksmuseum Boerhaave à Leiden. S.a.b.ULB : Service des archives et des bibliothèques de l’Université libre de Bruxelles. SCB : Société chimique de Belgique. Solvay I : Premier Conseil de physique Solvay (1911). Solvay II : Deuxième Conseil de physique Solvay (1913). Solvay III : Troisième Conseil de physique Solvay (1921). Solvay IV : Quatrième Conseil de physique Solvay (1924). Solvay V : Cinquième Conseil de physique Solvay (1927). Solvay VI : Sixième Conseil de physique Solvay (1930). ULB : Université libre de Bruxelles.

LE PREMIER CONSEIL DE PHYSIQUE

Chapitre 1 Un « Conseil » improbable

1.1. Une invitation tout à fait surprenante Le 15 juin 1911, une vingtaine de physiciens reçoivent ce message confidentiel : Invitation à un Conseil scientifique international pour élucider quelques questions d’actualité des théories moléculaires et cinétiques. Très honoré Monsieur, Selon toutes les apparences, nous nous trouvons en ce moment au milieu d’une évolution nouvelle des principes sur lesquels était basée la théorie classique moléculaire et cinétique de la matière. D’une part, cette théorie, en son développement raisonné, conduit à une formule de radiation dont la validité est en désaccord avec tous les résultats de l’expérience ; d’autre part, de cette même théorie découlent des thèses au sujet de la chaleur spécifique (lois sur la chaleur spécifique des gaz poly-atomiques vis-à-vis des variations de la température, validité de la règle de Dulong et Petit jusqu’aux températures les plus basses) qui sont également réfutées par de nombreuses mesures. Ainsi que l’ont démontré notamment MM. Planck et Einstein, ces contradictions disparaissent lorsqu’on oppose certaines limites au mouvement des électrons et des atomes en cas d’oscillations autour d’une position de repos (doctrine des degrés d’énergie) ; mais cette interprétation s’éloigne à son tour si considérablement des équations de mouvement des points matériels employées jusqu’ici, que son acceptation entraînerait nécessairement et incontestablement une vaste réforme de nos théories fondamentales actuelles. Le soussigné, quoiqu’étranger aux questions spéciales de ce genre, mais animé d’un sincère enthousiasme pour tous les problèmes dont l’étude élargit, en la développant, notre connaissance

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de la nature, a pensé qu’un échange de vues écrit et verbal entre des chercheurs s’occupant plus ou moins directement de ces questions, pourrait, sinon amener une décision définitive, du moins frayer la voie, par une critique préparatoire, à la solution de ces problèmes. Un grand pas dans la voie du développement de l’atomistique serait déjà fait si l’on pouvait établir clairement lesquelles de nos interprétations moléculaires et cinétiques sont d’accord avec les résultats de l’observation et lesquelles devront au contraire subir une transformation intégrale. Dans ce but, le soussigné vous propose de participer à un « Conseil scientifique » qui se tiendrait à Bruxelles du dimanche 29 octobre au samedi 4 novembre 1911, en réunissant en Comité restreint quelques professionnels éminents. Ce Conseil serait composé comme suit : Président : M. Lorentz (Hollande) ; Secrétaires : MM. R. Goldschmidt (Belgique), de Broglie (France) ; Membres : MM. Jeans, Larmor, Lord Rayleigh, Rutherford, Schuster, J. J. Thomson (Angleterre) ; Nernst, Planck, Rubens, Sommerfeld, Warburg, W. Wien (Allemagne) ; Brillouin, Mme Curie, Langevin, Perrin, H. Poincaré (France) ; Einstein, Hasenoehrl (Autriche) ; Kamerlingh Onnes, van der Waals (Hollande) ; Knudsen (Danemark). Les sujets traités seraient les suivants : 1. Déduction de la formule de Rayleigh sur la radiation. 2. Comparaison de la théorie cinétique des gaz parfaits avec les résultats de l’expérience. 3. Application de la théorie cinétique aux émulsions. 4. La théorie cinétique de la chaleur spécifique d’après Clausius, Maxwell et Boltzmann. 5. La formule de radiation et la théorie des degrés d’énergie (Quantenhypothese). 6. Chaleur spécifique et théorie des degrés. 7. Application de la théorie des degrés à une série de problèmes de nature physique. 8. Application de la théorie des degrés à une série de problèmes de nature physico-chimique et chimique. Pour chacune de ces questions, nous prierons un membre particulièrement compétent de bien vouloir écrire un rapport préalable. Ces rapports, écrits en français, en allemand ou en anglais, seront imprimés et distribués aux divers membres, si possible avant la fin de septembre ; plus tard, ils seront réunis en un volume, avec le compte-rendu des discussions qu’ils provoqueront. N’étant pas homme de science spécialisée, je ne pourrai traiter des sujets ci-indiqués ; mais, ayant fait de longue date

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une étude générale de la gravité en vue d’en tirer des conséquences sur la constitution de la matière et de l’énergie, je me propose d’en communiquer un résumé à la séance d’ouverture du Conseil, estimant que certains de ces travaux pourraient éventuellement en être influencés. Pour permettre à tous les invités de participer, j’offre à chacun d’eux une indemnité de 1 000 francs pour frais de voyage. Les demandes éventuelles et les réponses doivent être adressées à Monsieur le Prof. Dr W. Nernst, Am Karlsbad 26a, Berlin W. 35. J’espère pouvoir compter sur votre collaboration et vous prie d’agréer, très honoré Monsieur, l’assurance de ma haute considération. Ernest Solvay Que dire de cette invitation ? La convocation d’un congrès international de physique est déjà, en soi, un fait exceptionnel. Le seul précédent est le Congrès de Paris, qui réunit en 1900 plus de 750 physiciens, originaires de 24 pays. Autre point singulier : le Congrès de Paris était organisé par la Société française de physique, or la présente invitation est celle d’un particulier qui agit en son nom personnel. Sur les 23 membres invités, seuls 4 – Nernst, Lorentz, Planck et Knudsen – sont au courant de l’affaire. Les autres ont des raisons d’être surpris par la démarche : −− Peut-on réellement parler d’une crise en physique ? Et si c’est le cas, pourquoi l’alerte est-elle lancée par un industriel belge, alors qu’aucun physicien belge ne figure sur la liste des invités ? −− À quel jeu joue Nernst ? N’est-il pas, de toute évidence, l’auteur des considérations pointues, rapportées dans la lettre de Solvay pour justifier la convocation d’un « Conseil de physique » ? À la perplexité de la plupart des invités s’ajoute la surprise d’être conviés à un Conseil scientifique international par lettre confidentielle… Pourquoi ce souci du secret ? La singularité de l’opération provoque la méfiance de savants réputés, comme Lord Rayleigh, Sir J. J. Thomson et J. D. van der Waals, qui déclinent l’invitation sous divers prétextes. Einstein, qui est invité à présenter un rapport (en même temps que Lorentz, Knudsen, Perrin, Jeans, Planck, Sommerfeld et Nernst) et qui a été contacté

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personnellement par Nernst, n’a aucune peine à comprendre le rôle joué par ce dernier. Il lui répond24 : « Je trouve l’entreprise extrêmement intéressante ; il n’y a aucun doute dans mon esprit que vous en êtes le cœur et l’âme. »

1.2. Nouveauté du projet Si la démarche de Solvay surprend à l’époque, elle continue de soulever des questions aujourd’hui. Nous allons tenter d’y répondre en examinant les faits qui ont conduit à l’idée du Conseil et à sa convocation. Arrêtons-nous d’abord à l’image de l’événement : la photo de groupe, prise à l’hôtel Métropole le 31 octobre 191125 (Fig. 1). Un simple coup d’œil révèle une mise en scène, apparemment voulue par le photographe d’art Benjamin Couprie. En effet, Nernst (premier personnage assis en partant de la gauche), Wien et Rutherford (respectivement assis et debout, en quatrième position en partant de la droite) ont les yeux fixés sur le photographe… En revanche, Poincaré, Marie Curie et Perrin (assis au-devant de la scène en partant de la droite) ont l’air complètement absorbés par une lecture ou par une discussion. Un autre point saute aux yeux : la photo a été retouchée de manière à faire apparaître Solvay, assis en bout de table entre Marcel Brillouin, et le président Lorentz (à sa gauche). Brillouin se trouve en bonne place (il est l’invité personnel de Solvay), mais il paraît soucieux. Nous verrons plus loin qu’il se considère comme un membre peu actif, car il ne comprend ni l’anglais ni l’allemand parlés. Cette difficulté de saisir l’essentiel des déclarations des divers membres prouve à elle seule la nouveauté de l’événement : l’obstacle « linguistique » est d’ailleurs la raison invoquée par Rayleigh26 pour justifier son absence au Conseil… Reconnaissons qu’il est difficile aujourd’hui de mesurer la surprise que devait susciter ce projet tout à fait inédit : un Conseil convoqué pour discuter huit rapports, présentés dans différentes langues (d’où la nécessité de saisir sur le vif les interventions formulées en allemand, en français ou en anglais27). Le défi aurait pu faire échouer l’entreprise. Nous verrons qu’il n’en fut rien, grâce au talent du président Lorentz et à sa parfaite maîtrise des

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trois langues du Conseil (nous aurons l’occasion de souligner son rôle dans la conduite des débats). Intéressonsnous d’abord au signataire de la lettre d’invitation à ce « sommet » légendaire.

Fig. 1 : Photo de groupe réalisée le 31 octobre 1911 à l’hôtel Métropole de Bruxelles. Service des archives et bibliothèques de l’Université libre de Bruxelles (S.a.b.ULB). Courtoisie des Instituts internationaux de physique et de chimie fondés par Ernest Solvay, IIPCS (droits réservés). Assis de gauche à droite : Nernst, Brillouin, Solvay, Lorentz, Warburg, Perrin, Wien, M. Curie, Poincaré. Debout de gauche à droite : Goldschmidt*, Planck, Rubens, Sommerfeld, Lindemann*, M. de Broglie*, Knudsen, Hasenöhrl, Hostelet*, Herzen*, Jeans, Rutherford, Kamerlingh Onnes, Einstein, Langevin. Les étoiles indiquent les personnages qui ne sont pas membres du Conseil, mais qui sont présents en tant que secrétaires ou collaborateurs de Solvay.

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1.3. Ernest Solvay : industriel, mécène et investigateur

Fig. 2 : Ernest Solvay vers 1895. Courtoisie de la famille Solvay.

Fondateur de l’industrie de la soude à l’ammoniaque, Ernest Solvay (Fig. 2) est un inventeur de génie28. Croyant avoir découvert un nouveau procédé de fabrication du carbonate de sodium, à partir de sel marin et d’ammoniaque, il ne baisse pas les bras lorsqu’il apprend que la réaction est connue (elle a été découverte en 1811 par le physicien français Augustin Fresnel) et que certains ont tenté sans succès de l’appliquer. Il se dit, au contraire, que l’idée est bonne (puisqu’elle a déjà été proposée) et se promet de réussir là où d’autres ont échoué. Ainsi, s’appuyant sur sa famille, Solvay parvient – à force de ténacité et avec l’aide de son frère Alfred – à édifier un vaste empire industriel. Ses efforts visant à rendre le procédé rentable seront couronnés de succès, au point de détrôner définitivement le procédé mis au point en 1787 par Nicolas Leblanc. Visionnaire philanthrope et fondateur d’Instituts de recherche, Solvay est bien plus qu’un mécène à l’image d’un Carnegie ou d’un Rockefeller. Autodidacte passionné, il se livre lui-même à l’investigation scientifique. Celle-ci devient sa préoccupation principale dès 1885 (c’est alors qu’il demande à son frère d’assurer la gestion de l’entreprise familiale). On peut donc situer Solvay dans la lignée de Gaius Cilnius Maecenas, l’homme d’État romain qui soutint les poètes tout en pratiquant leur art. Voici comment l’industriel-investigateur se définit29 en 1893 : « Homme de science, je n’ai pas le bonheur de l’être : je n’ai pas reçu l’éducation classique, les problèmes de l’industrie ont absorbé mon temps ; mais il est vrai que je n’ai cessé de poursuivre un but scientifique, parce que j’aime la science et que j’at-tends d’elle le progrès de l’humanité. » Quant à son programme de recherches, il le résume comme suit30 : « J’ai entrevu dans les voies nouvelles de la science trois directions que j’ai suivies, trois problèmes qui, en réalité, n’en forment à mes yeux qu’un seul : c’est d’abord un problème de physique générale : la constitution de la matière dans le temps et dans l’espace – puis un problème de physiologie :

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le mécanisme de la vie depuis ses manifestations les plus humbles jusqu’aux phénomènes de la pensée – enfin, en troisième lieu, un problème complémentaire des deux premiers : l’évolution de l’individu et celle des groupes sociaux. » L’engagement scientifique de Solvay repose sur l’idée que le bien-être général ne peut résulter que d’un développement unifié des sciences physiques, naturelles et sociales, appelées selon lui à se fondre en une « science universelle ». Cherchant à réaliser des avancées dans ces trois directions, qu’il croit pouvoir relier par une approche énergétique, l’industriel-investigateur s’entoure de professionnels et cherche à créer des Instituts spécialisés. Un premier projet vise la fondation d’un Institut qui aurait pour tâche de vérifier ses théories. L’idée est évoquée en avril 1880 dans une note intitulée « Base de recherches pour mon Institut31 ». Abandonné dans un premier temps, le projet refait surface au cours des années 1890. Solvay décide alors d’aller plus loin : il veut créer une « Cité des sciences » au parc Léopold, en partenariat avec la ville de Bruxelles et l’université. C’est dans cet esprit qu’il fonde en 1894 un Institut de physiologie, et qu’il le complète en 1902 par un Institut de sociologie (les bâtiments de ces deux Instituts existent encore aujourd’hui). L’Institut de physiologie est dirigé par le professeur Paul Héger, brillant physiologiste et médecin personnel de Solvay. Le bâtiment (Fig. 3) comprend deux instituts distincts : l’un est consacré à l’enseignement universitaire, l’autre relève directement du fondateur et a pour mission de développer ses vues sur le rôle de l’électricité dans les phénomènes de la vie.

Fig. 3 : L’Institut de physiologie Solvay. Bruxelles, parc Léopold. Digithèque de l’ULB, digithèque des IIPCS, Courtoisie S.a.b.ULB (droits réservés).

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L’Institut de sociologie fait suite à une fondation plus ancienne : celle de l’Institut des sciences sociales, installé en 1894 à l’hôtel Ravenstein. Sénateur libéral, Solvay n’a pas craint de placer cet Institut sous la direction de trois socialistes, Hector Denis, Guillaume De Greef et Émile Vandervelde, dont les idées sont proches des siennes32. Malheureusement, des divergences de vues l’ont amené à se séparer de ses collaborateurs33 et à fonder un Institut de sociologie, dirigé par Émile Waxweiler (Solvay tenait à pouvoir se reposer sur un seul homme). Ce nouvel institut est un « laboratoire » chargé de développer les conceptions sociologiques de Solvay. La proximité des deux Instituts souligne la parenté que le fondateur souhaite établir entre les lois de la physiologie et celles qui régissent les sociétés humaines. Restait à compléter l’ensemble par un Institut de physique, destiné à approfondir les idées de Solvay sur la constitution de la matière dans l’espace et le temps. Or on ne trouve rien de tel au parc Léopold… Une absence qui s’explique aisément : Solvay n’a pas trouvé dans son entourage un homme capable de diriger une fondation de ce type. Contrairement aux Pays-Bas, la Belgique ne compte à l’époque aucun physicien de renom. Pour la chimie, on peut citer Jean Servais Stas, mais il est mort en 1891. Solvay qui connaissait Stas ne manqua pas de lui soumettre ses vues sur l’équivalent matériel de l’énergie, mais il n’en obtint aucun soutien34. En revanche, il reçut un accueil chaleureux de la part d’Ostwald, promoteur en Allemagne de la doctrine35 énergétique. Celui-ci se montra ouvert à ses idées et lui accorda le titre de « fondateur de l’énergétique sociale ». Voici comment Ostwald décrit36 Solvay : « Comme c’est souvent le cas chez les autodidactes de génie, ses résultats étaient un mélange d’idées enrichissantes et d’erreurs maladroites. Étant donné que ce sont surtout ces dernières qui ressortent d’une lecture superficielle, ses tentatives d’intéresser d’autres chercheurs à ses idées ne reçurent qu’un accueil réservé. Soucieux de leur fournir un lieu de développement, il fonda un Institut et l’aménagea richement, grâce aux millions qu’il possédait. Cependant, fidèle à ses principes, il ne se contenta pas de répondre à une passion personnelle : il créa dans les mêmes conditions deux Instituts distincts : l’un pour la physiologie, l’autre pour les études commerciales37… Il prit soin de rétribuer largement les directeurs de ses trois Instituts, et leur permit de vivre

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avec leur famille sans qu’ils n’aient le besoin de recourir à un autre emploi. Il veilla à préserver leur l’indépendance scientifique, en garantissant leur emploi par contrat, quelle que soit leur attitude à l’égard de ses conceptions… »

La passion de Solvay pour la physique Parmi les préoccupations scientifiques de Solvay, les plus persistantes ont trait à la physique, base des diverses sections de son programme. Son besoin de découvrir les lois qui régissent le monde est le fruit d’une curiosité qui l’habite depuis l’enfance. S’adressant en 1897 à sa sœur Aurélie, il lui dit38 : « Il faut que je pénètre le problème de l’Univers39. » Sa détermination est toujours aussi vive en 1913, lorsqu’il déclare à Ostwald40 : « J’ai frémi depuis ma jeunesse en pensant à la possibilité de dévoiler les bases de la science intégrale. » Poussé par sa passion, Solvay se lance dès 1880 dans l’édification d’une théorie « gravito-matérialitique » de l’Univers, fondée sur une conception énergétique de la matière et de la gravitation41. Comment s’explique une telle ambition chez un homme qui n’a pas bénéficié d’une formation en physique, et qui n’en maîtrise pas les fondements ? Solvay fait partie de ces visionnaires qui se sont formés au milieu du xixe siècle et qui se sentent capables de résoudre, par la seule réflexion, les énigmes de l’univers. Comme Julius Mayer, ce médecin qui fut l’un des premiers à énoncer le principe de la conservation de l’énergie42, il a le sentiment de pouvoir découvrir les grandes lois de la physique. Ce qui frappe spécialement chez Solvay, c’est qu’il est conscient de la valeur de ses intuitions. Voilà un homme qui reconnaît son manque de connaissances détaillées en physique et en chimie, mais qui a la conviction de pouvoir concurrencer les scientifiques de profession. Cette étonnante assurance semble remonter au début des années 1860, lorsqu’il apprend que la réaction qu’il a en vue pour la production de la soude a été découverte cinquante ans plus tôt par l’illustre concepteur de la théorie ondulatoire de la lumière. Ce constat apparaît comme la source d’une confiance qui se serait renforcée par la suite, grâce au succès de son combat industriel. Solvay pouvait se dire qu’il avait fourni la preuve qu’il était capable de faire triompher

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ses idées et de surpasser ses prédécesseurs43. Sa confiance inébranlable, qui surprend aujourd’hui, semble trouver un écho dans cette réflexion de Poincaré44 : « Si je me félicite du développement industriel, ce n’est pas seulement parce qu’il fournit un argument facile aux avocats de la science ; c’est surtout parce qu’il donne au savant la foi en lui-même… »

Sa persévérance dans l’investigation La persévérance dont Solvay fait preuve dans son travail d’investigation confine à de l’obstination : un entêtement, c’est sa propre expression, qui le pousse à s’affranchir des interprétations courantes et à chercher dans la gravitation la cause de toutes les manifestations physiques45. Malgré son isolement et le rejet de ses idées, Solvay persiste dans son souhait de réformer la physique. Dès 1886, il fait appel à Émile Tassel, professeur à l’Université libre de Bruxelles. C’est avec lui qu’il rédige sa Gravitique46. À partir du printemps de 1910, il décide de se faire aider par l’ingénieur Edmond Warnant, et par deux scientifiques : le physicien Édouard Herzen (entré au laboratoire de la Société Solvay en 1902) et le physico-chimiste Georges Hostelet47. Soucieux d’éclairer ces derniers sur ses intentions, il consigne ses idées et les résultats de ses calculs dans des notes dactylographiées48. Voici ce qu’il écrit dans une note du 15 septembre 1910, intitulée « Science et Univers objectifs » : « Il y a deux manières nettement tranchées de travailler la science, la méthode exclusivement expérimentale et la méthode exclusivement interprétative. Mais il y a aussi le mélange des deux méthodes. La méthode expérimentale s’adapte à la science applicative avant tout, et comme l’homme a besoin d’incomparablement plus d’utilisations pratiques que de pures conceptions, alors que précisément le progrès en expérimentation est incomparablement plus facile à réaliser que le progrès en conception philosophique, il était à prévoir que cette dernière finirait par demeurer en retard (…). Pour ceux qui ont beaucoup admiré la puissance de conception des anciens philosophes – citons surtout les Grecs – qui, contrairement à nous, n’avaient presque pas de faits expérimentaux pour appuyer leurs théories, il était certain que les choses en arriveraient à

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notre époque à la faillite temporaire de l’interprétation théorique, immobilisée ou noyée par l’expérimentation. Je suis de ceux-là et j’ai prédit depuis environ quarante ans, de la manière la plus affirmative, la situation qui se présente aujourd’hui. Mais en même temps, surtout depuis 1880, et par une étude constante exclusivement interprétative de seulement quelques faits dominants, je cherchais d’avance à combler la lacune de bases qui devait nécessairement, à mon sens, se montrer béante un jour. Je me hâte d’ailleurs de faire remarquer qu’il m’eut été difficile de travailler la science autrement qu’en demeurant – et cela par tempérament – dans l’ordre fondamental des questions, puisque j’ignore la physique et la chimie détaillées… » En dépit de ses lacunes en physique et en chimie, Solvay sait qu’il peut se fier à ses intuitions. Des avancées réalisées par des hommes de science ont démontré plusieurs fois la pertinence de ses idées. Celles-ci ont trait à un ensemble de questions liées à la chaleur : rapports entre la matière et l’énergie, comportement thermique des corps, production de températures extrêmes, problème de la liquéfaction des gaz. Citons à ce propos quelques résultats obtenus par Solvay à partir de raisonnements totalement originaux : −− 1858 : Prédiction de l’existence d’une équivalence matière-énergie ; redécouverte de la loi de Dulong et Petit (selon laquelle tous les corps simples ont une même capacité calorifique). −− 1872 : Découverte du principe de la production mécanique de températures extrêmes ; réalisation d’appareils destinés à la liquéfaction des gaz49. −− 1886 : Formulation d’un théorème sur la constance du froid produit dans les détentes successives (résultat publié en 1895). −− 1896 : Redécouverte d’un théorème de mécanique (théorème du viriel).

Son rôle de pionnier L’originalité des prédictions de Solvay, son rôle de précurseur dans divers domaines (notamment dans la production du froid) ont été reconnus par plusieurs experts50. Nous avons cité son pouvoir d’intuition à propos du rapport d’équivalence entre la matière et l’énergie. La pertinence de cette prédiction fut soulignée par Lorentz.

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Celui-ci tint à rappeler que Solvay avait eu l’idée, dès 1858, d’attribuer une masse à l’énergie et qu’il avait été tenté quelques années plus tard de « donner à cette opinion la certitude d’un fait ». Réagissant au décès de l’industriel (survenu le 26 mai 1922), il rédigea une note sur sa conception du rapport entre l’énergie et la masse, en s’appuyant sur les indications d’un de ses collaborateurs (Herzen). Cette note51 fut présentée le 12 novembre 1923 à l’Académie des sciences de Paris. Lorentz y fait le constat suivant : « Les vues sur lesquelles Solvay basait ses conclusions ne peuvent être comparées à un grand principe fondamental comme celui de la relativité ; mais il n’en est pas moins remarquable qu’une intuition heureuse lui ait permis d’entrevoir, à une époque où rien ne l’exigeait, une relation des plus importantes que la physique moderne est parvenue à établir. » Cette opinion est partagée par Augustin Boutaric, professeur à la Faculté des sciences de Dijon, qui écrit52 : « Nombreux sont ceux qui ont soupçonné l’inertie de l’énergie. Parmi les précurseurs, il faut citer Ernest Solvay qui, dès 1880, entreprit des expériences en vue de la mettre en évidence. Il opéra par voie chimique, sur des corps solides doués de fortes affinités réciproques (oxyde de sodium et anhydride phosphorique) et, par voie physique, en produisant des chocs répétés à l’intérieur de boîtes agitées : il ne put noter aucun changement de masse appréciable. Il en conclut simplement que la masse attachée aux énergies en jeu était au-dessous de la sensibilité expérimentale… » Boutaric s’empresse de citer le commentaire de Solvay au sujet du résultat négatif de ses expériences53 : « Cet insuccès ne put me décourager. En y réfléchissant, les expériences faites prouvaient une fois de plus que l’équivalent matériel de la chaleur n’était pas décelable dans les conditions où l’on avait opéré, rien de plus. D’autre part, des considérations de diverses natures m’amenèrent à penser que cet équivalent devait être tellement minime que le raisonnement seul, aidé du calcul, pouvait permettre de le déterminer, si toutefois il est déterminable. » Nous savons aujourd’hui que Solvay voyait juste : c’est par la théorie, et non par l’expérience, que l’équivalence entre la masse et l’énergie s’est imposée à Einstein en 1905.

Un « Conseil » improbable

Notons à ce propos que Solvay ne se contente pas d’échafauder des théories. Il les soumet au contrôle de l’expérience, et cherche à en tirer des applications. Sa curiosité l’amène à s’intéresser en même temps aux problèmes d’ordre pratique et aux grandes questions de philosophie scientifique. Cette double orientation est une caractéristique de son activité54. S’intéressant au problème de l’aviation, il décide d’y consacrer une étude fondée sur sa « Gravitique des fluides », et déclare en 1891 : « La solution du problème de l’aviation est proche, c’est mon intime conviction. » En effet, Solvay voit plus loin que son ami Robert Goldschmidt, un chimiste aux multiples talents. Celui-ci lui demande en 1910 d’écrire une préface pour son ouvrage sur les aéromobiles55. Voici ce que Solvay écrit : « Je suis assez embarrassé. Mon ami M. Goldschmidt fait un livre sur les dirigeables et me demande une préface. Or, je trouve que de l’avoir aidé à réaliser le premier dirigeable belge n’est pas une raison suffisante pour motiver mon intervention. Car je ne crois pas aux dirigeables (…) Par contre, je crois à l’aviation, M. Goldschmidt le sait… »

Son programme et sa méthode de travail Dans sa note « Science et Univers objectifs  » (dont nous avons déjà cité un extrait), Solvay expose la voie par laquelle il entend réagir à la « faillite des théories généralement admises ». Son point de départ est la troisième loi de Kepler, une donnée qu’il considère comme l’une des plus sûres en physique. C’est à partir d’orbites planétaires, enrichies par la loi gravito-matérialitique universelle, qu’il se propose de construire une théorie « objective » de l’Univers. Comment compte-t-il procéder ? Grand spécialiste de l’organisation, l’industriel choisit une méthode de travail adaptée à sa situation. Celle-ci comprend quatre étapes : « Formuler d’abord les principes fondamentaux ; en tirer toutes les conséquences par voie déductive ; soumettre ses résultats à des collaborateurs qualifiés afin qu’ils les étudient, les complètent et les redressent (s’il y a lieu) ; aborder finalement la question des vérifications expérimentales. » De ces étapes, seules les deux premières sont du ressort de Solvay. Pour la suite, il va devoir s’appuyer sur des physiciens professionnels : théoriciens et expérimentateurs.

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Les premiers sont ses collaborateurs attitrés. Ce sont les scientifiques dont nous avons déjà parlé : Tassel, Herzen et Hostelet. Quant aux expérimentateurs, ils sont à recruter au cas par cas. Que peut-on dire de cette méthode ? Hormis le fait que Solvay doit s’appuyer sur le concours de spécialistes, son système correspond à un schéma bien connu, appelé la « méthode déductive en mécanique ». Voici ce qu’en dit le mathématicien Émile Picard56 : « D’illustres physiciens ont voulu rompre avec les anciennes habitudes. Abandonnant complètement le point de vue historique du développement de la science, ils se placent à un point de vue analogue à celui du géomètre qui construit une géométrie en partant d’un certain nombre d’axiomes ; leur méthode est ainsi toute déductive (…) Les avantages sont que le système est bien enchaîné ; on construit ainsi de toutes pièces et a priori un ensemble de représentations, et l’on en tire toutes les conséquences possibles. C’est seulement quand l’exposition du système est complète que l’on compare les résultats avec l’expérience… » Afin de soumettre ses idées au contrôle de l’expérience (dernière étape de son programme), Solvay prend exemple sur Ludwig Mond57, son partenaire industriel en Grande-Bretagne, et fait installer un laboratoire privé dans sa maison de la rue des Champs-Élysées. Des vérifications y sont entreprises dès 1892. Mais l’industriel doit se rendre à l’évidence : il y a pénurie en Belgique de physiciens qualifiés. N’étant pas en mesure de faire appel à des experts locaux, il imagine une alternative : la mise sur pied d’un système de subventions58 lui permettant d’obtenir le soutien d’expérimentateurs étrangers. Le printemps de 1910 marque le début d’une nouvelle phase dans la réalisation du programme de Solvay. Encouragé par la présence à ses côtés de Herzen et de Hostelet, l’industriel décide de réviser les mémoires qu’il a réservés dans ses archives59. Il s’agit de compléter et de publier sa « gravito-matérialitique » afin de fournir à la science de l’Univers, « une interprétation simple, par voie de déduction, à partir de postulats fermement établis tels que celui qui régit la gravitation universelle60 ».

Un « Conseil » improbable

Reconnaissance internationale de son vivant Plusieurs résultats obtenus par Solvay dans le domaine des basses températures sont reconnus et célébrés de son vivant. C’est le cas de sa découverte d’un principe mécanique permettant d’atteindre de grands froids, et du perfectionnement qu’il a apporté au procédé Coleman pour le refroidissement des gaz61. D’autres résultats, une dizaine entre 1895 et 1906, sont publiés dans les Comptes-rendus de l’Académie des sciences de Paris. À ces succès s’ajoute l’impact de ses libéralités – un mécénat qui s’étend bien au-delà des frontières de la Belgique. On peut donc dire que Solvay n’est pas seulement un mécène scientifique. C’est un visionnaire qui travaille la science, échafaude des théories, cherche à les faire valider (notamment par l’octroi de subsides à des chercheurs « de partout »), et comprend de manière intuitive que la physique est en crise. Ses généreux dons aux facultés et laboratoires de Paris, Nancy, Leiden, Genève et Berlin lui valent le respect et la gratitude des milieux académiques. Ils sont source de nombreuses distinctions : −− 1887 : Solvay est élu membre correspondant de la British Association for the Advancement of Science. −− 1899 : Solvay est élu membre d’honneur de la Royal Institution of Great Britain ; il est invité à prendre part aux célébrations de son centenaire62. −− 1907 : Ostwald propose l’élection de Solvay comme membre de la Société allemande de chimie. −− 1909 : Solvay obtient un doctorat honorifique de l’université de Genève63 « pour les sciences physiques ». −− 1909 : La médaille Leibniz de l’Académie royale de Prusse est décernée à Solvay, sur proposition de Nernst et d’Emil Fischer. −− 1913 : Solvay est élu membre correspondant de l’Académie des sciences de Prusse. −− 1917 : Solvay est élu membre de l’Académie des sciences de Paris.

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1.4. La théorie des quanta Revenons à l’événement inattendu du 15 juin 1911 : la convocation à Bruxelles d’un « Conseil scientifique international ». Pour expliquer la démarche de Solvay, il faut rappeler les événements qui l’ont provoquée et les situer dans un contexte plus large : celui de l’évolution de la physique au cours des années 1900-1910. Nous allons tenter de retracer les grandes lignes de cette évolution – connue sous le nom de « première phase de la révolution des quanta » – en limitant notre exposé aux faits64 qui ont conduit au premier Conseil de physique.

Le problème du « rayonnement noir »

Fig. 4 : Max Planck en 1911, deuxième rang (côté droit de l’image), cf. fig. 1.

Fig. 5 : Wilhelm Wien en 1913, assis (centre de l’image), cf. fig. 30.

On a coutume de dire que les quanta d’énergie firent leur entrée en physique le 14 décembre 1900, lorsque Max Planck (Fig. 4) présenta sa loi du rayonnement noir65 aux membres de la Société allemande de physique. Ce fut une entrée discrète, car Planck ne croyait pas avoir ouvert la voie à un mouvement révolutionnaire. Le rayonnement thermique était un phénomène que l’on connaissait depuis longtemps. On savait que tout corps émet des radiations. On avait observé que la couleur de la lumière émise par un métal chauffé à blanc varie avec la température, passant progressivement du rouge au jaune, puis du jaune au bleu… Mais les caractéristiques de cette variation ne trouvaient pas d’explication dans les théories existantes. Une formule postulée par Wien (Fig. 5) semblait conforme à l’expérience dans la région des petites longueurs d’onde ; malheureusement, elle s’en écartait désespérément à l’autre bout du spectre (région des grandes longueurs d’onde). Lord Rayleigh s’était appuyé sur les théories classiques et en avait tiré une expression très différente de celle de Wien66. Cette expression, connue sous le nom de « loi de Rayleigh-Jeans », semblait acceptable dans la région des grandes longueurs d’onde, mais elle se trouvait totalement en défaut en dehors de cette région… Le problème paraissait insoluble jusqu’à l’arrivée de Planck.

Un « Conseil » improbable

Le coup d’éclat de Planck Reportons-nous à présent à l’annonce par Planck de sa découverte d’une expression postulée d’abord, puis démontrée, capable de représenter les données de l’expérience dans toutes les régions du spectre. L’auteur de l’heureuse expression a des raisons de se montrer satisfait : il sait qu’il vient de réaliser un exploit… Cependant, ce n’est pas le motif principal de sa satisfaction. En effet, cherchant à justifier sa formule, Planck a réussi à l’exprimer à l’aide de deux constantes universelles, dont l’une est originaire de la théorie des gaz67 ; il la désigne par la lettre k. La nouvelle expression permet d’obtenir la valeur de k à partir de données relatives au rayonnement (c’est-à-dire aux ondes de lumière dans l’éther). Ce résultat permet ensuite de déterminer, en vertu des relations habituelles, la valeur de grandeurs moléculaires fondamentales, telles que le nombre d’Avogadro et la charge électrique de l’électron. En un mot, Planck est parvenu à établir un lien inédit entre deux mondes distincts : le monde de la matière et celui du rayonnement. C’est ce tour de force qu’il a soin de souligner en s’adressant à la Société allemande de physique. En revanche, Planck ne s’étend pas sur le prix qu’il a dû payer : l’introduction dans sa démonstration d’une hypothèse inouïe, en contradiction flagrante avec les lois de la mécanique : la quantification de l’énergie d’un ensemble d’oscillateurs68 matériels ! Cette hypothèse « des unités indivisibles d’énergie » (appelées plus tard quanta) l’a conduit à postuler l’existence d’une constante universelle, étrangère à toutes les théories connues : une constante de proportionnalité entre l’énergie d’un oscillateur et sa fréquence d’oscillation ; Planck la désigne par la lettre h. Que faut-il penser de cette nouvelle constante ? Peut-on lui attacher une signification plus profonde ? Planck n’est pas en mesure de le dire, mais il est convaincu que h ne peut appartenir qu’au monde microscopique de la matière, cette terre inconnue dont un élément-clé, l’électron, vient à peine d’être identifié. Ce qu’il admet d’emblée, c’est que son hypothèse n’affecte en rien la propagation de la lumière, la constante h n’intervenant, selon lui, que dans l’émission et l’absorption des radiations par la matière.

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Fermement décidé à sauver ce qui peut l’être, Planck refuse de remettre en question la nature continue et ondulatoire de la lumière – un point qui lui semble définitivement acquis (car attesté par d’innombrables faits d’expérience).

Réactions à l’hypothèse de Planck

Fig. 6 : Hendrik Antoon Lorentz vers 1915, Academisch Historisch Museum Leiden.

Curieusement, la théorie de Planck ne suscite guère d’intérêt. Personne ne songe à l’attaquer. Les physiciens se préoccupent de questions plus brûlantes : la découverte de l’électron, les mystérieux rayons X et les étranges radiations émises par les corps radioactifs. Quelques questions font néanmoins l’objet d’un examen rigoureux : la nécessité (ou non) de l’hypothèse des quanta, et sa signification. Un autre point d’attention est l’éventuelle présence de quanta dans des phénomènes mesurables, distincts de ceux qui se rapportent au rayonnement noir. Une première réaction à la loi de Planck apparaît en 1903. Elle émane de H. A. Lorentz (Fig. 6), auteur d’une célèbre théorie des électrons69. Cet éminent théoricien écrit un article sur l’émission et l’absorption par les métaux de radiations thermiques de grande longueur d’onde, dans lequel il déduit une loi de distribution de l’énergie du rayonnement70. Selon la théorie des électrons, ce rayonnement est dû au mouvement des électrons circulant librement dans le métal. Lorentz remarque que la distribution obtenue pour les radiations de grande longueur d’onde est la même que celle de Planck : un constat surprenant, car les déductions théoriques sont totalement différentes. Il mentionne l’hypothèse des oscillateurs de Planck, dont l’énergie est égale à un multiple d’une quantité finie, et déclare que cette hypothèse doit être vue comme un élément essentiel de la théorie. Mais il ne cherche pas à en saisir la signification… Ce point, et d’autres éléments essentiels de la théorie des quanta seront étudiés de manière approfondie quelques années plus tard, principalement par Einstein71, Ehrenfest72 et Lorentz. L’étude de Lorentz culminera dans la démonstration que la loi de Planck n’a pas de place dans l’édifice des théories classiques : une conclusion présentée à Rome en 1908 à l’occasion d’un Congrès de mathématiciens (son exposé aura des effets imprévus que nous commenterons dans une prochaine section73).

Un « Conseil » improbable

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L’analyse de Lorentz sera publiée dans la Revue générale des sciences ; elle suscitera l’admiration d’Einstein, qui s’en ouvrira à Lorentz dans une lettre datée du 13 avril 1909. Cette lettre74, et la précédente75 (à laquelle Lorentz répondra longuement76), marquent le début d’une correspondance suivie entre les deux hommes et la naissance d’une profonde amitié qui persistera jusqu’au décès de Lorentz. Un autre développement de la théorie de Planck est la recherche et l’identification de nouveaux phénomènes suggestifs d’une quantification de l’énergie, tels que l’effet photoélectrique et le comportement des chaleurs spécifiques aux basses températures. Ce sont ces questions de chaleurs spécifiques qui nous occuperont principalement, en raison de leurs liens avec le Conseil de physique.

La première contribution d’Einstein Un événement capital intervient au mois de mars 1905 : la parution dans le journal Annalen der Physik d’un article77 intitulé « Un point de vue heuristique concernant la production et la transformation de la lumière ». L’article porte la signature d’un fonctionnaire attaché au Bureau des brevets de Bern : Albert Einstein (Fig. 7). L’auteur y défend un point de vue fondé sur une hypothèse hardie : celle des « quanta de lumière ». Cette idée révolutionnaire ne doit rien à la théorie de Planck ; elle résulte de l’analyse d’un fait d’expérience : le comportement du rayonnement thermique dans la région des petites longueurs d’onde. Einstein est frappé par le contraste entre la description usuelle de la matière, fondée sur l’existence d’atomes discrets, et celle de la lumière – une description en termes d’ondes électromagnétiques continues. Troublé par ce manque d’unité, il montre que l’application des conceptions classiques au rayonnement noir conduit à une absurdité : la présence d’une quantité infinie d’énergie rayonnante dans un espace limité ! Ne pouvant s’appuyer sur les théories existantes, Einstein se tourne vers l’expérience. Celle-ci a montré que dans la région des petites longueurs d’onde (autrement dit des hautes fréquences), les radiations obéissent à la loi de distribution découverte par Wien. C’est donc cette loi de Wien qu’il décide de soumettre à un examen approfondi.

Fig. 7 : Albert Einstein en 1911, cf. fig. 1.

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À la lumière de cet examen, Einstein s’aperçoit que dans la région de validité de la formule de Wien, les radiations d’une fréquence donnée se comportent comme un « gaz » de quanta dont l’énergie est proportionnelle à la fréquence. Le constat est clair, mais le mystère demeure entier. Comment concilier la présence de quanta avec la nature ondulatoire de la lumière, une nature continue, si puissamment confirmée par l’expérience ? L’hypothèse des quanta de lumière dérange d’autant plus qu’elle apparaît comme un retour à l’ancienne conception corpusculaire de la lumière, rejetée depuis longtemps. Il faut donc la tester en l’appliquant à des phénomènes de haute fréquence qui ne trouvent pas d’explication simple dans la théorie usuelle. Einstein porte son choix sur l’effet photoélectrique78, un phénomène dans lequel des électrons sont éjectés d’un métal sous l’effet d’un rayonnement ultraviolet. Il montre que l’hypothèse permet d’expliquer les caractéristiques de l’effet, et qu’elle conduit à une équation photoélectrique qui pourrait être vérifiée à l’aide d’expériences. Ce résultat, bien que prometteur, n’apporte pas le succès escompté : les autorités de l’époque – Planck en premier – demeurent fermement opposées aux quanta de lumière. Planck ne manquera d’ailleurs pas de rappeler son sentiment le 13 juin 1913 dans la proposition visant l’élection d’Einstein à l’Académie des sciences de Prusse. Il dira : « Qu’Einstein se soit quelquefois fourvoyé dans des spéculations qui manquèrent leur but, comme dans le cas de l’hypothèse des quanta de lumière, ne devrait pas lui être reproché avec trop de rigueur79… » Cette résistance aux quanta de lumière se prolongera pendant plus de quinze ans. La vérification expérimentale de l’équation photoélectrique d’Einstein n’interviendra qu’en 1914 (expériences de Robert Millikan80). Notons à ce propos que Lorentz voulut se lancer, lui aussi, dans l’étude expérimentale de l’effet photoélectrique, un fait resté longtemps inaperçu81. Cependant, il abandonnera la partie après avoir pris connaissance des premiers résultats de Millikan. On voit ainsi que Lorentz eut à cœur de se démarquer de la position conservatrice de Planck, et qu’il fut l’un des rares physiciens disposés à accorder – dès la parution de

Un « Conseil » improbable

l’article d’Einstein – une réelle attention à l’hypothèse des quanta de lumière82.

Le défi des chaleurs spécifiques Nous voici en 1907. Einstein a pris connaissance des Leçons de Planck « sur le rayonnement thermique », publiées en 1906. Il s’aperçoit qu’il n’y a pas de désaccord entre ses conceptions et celles de Planck, mais que le raisonnement de ce dernier souffre d’une contradiction interne, qui ne peut être levée qu’au prix d’une hypothèse supplémentaire (équivalente à l’hypothèse des quanta de lumière). Ce point étant établi, Einstein décide de tester la « réalité » des oscillateurs quantiques de Planck. Il raisonne comme suit83 : « Si les idées de Planck touchent au cœur du problème, il faut s’attendre à ce que des contradictions entre l’expérience et les prévisions de la théorie cinétique de la chaleur apparaissent dans d’autres domaines (que celui du rayonnement) et à ce qu’elles puissent être levées en procédant de la manière indiquée par Planck. » Or, Einstein sait qu’il y a contradiction entre les prédictions de la théorie cinétique et le comportement thermique de certains solides84. En effet, on a observé qu’aux basses températures, la chaleur spécifique85 de plusieurs corps s’écarte de façon significative de la loi de Dulong et Petit. Il y a donc lieu d’examiner si un accord avec l’expérience peut être rétabli en traitant chaque atome du solide comme un oscillateur de Planck. Einstein se livre à cet examen dans le cas d’un modèle simplifié. Il suppose que tous les atomes du solide oscillent avec la même fréquence et obtient une nouvelle formule de chaleur spécifique. Celle-ci s’accorde avec l’expression classique dans la région des hautes températures, mais s’en écarte dans les autres régions. La formule d’Einstein prédit une chaleur spécifique qui décroit avec la température pour s’annuler à l’approche du zéro absolu : elle semble pouvoir expliquer les écarts observés de la loi classique de Dulong et Petit. Einstein voit plus loin : il sait que les prédictions de sa formule sont vérifiables (en principe) à l’aide de mesures de chaleurs spécifiques aux basses températures, et qu’un accord entre sa formule et les valeurs mesurées apporterait un soutien décisif à l’hypothèse de Planck

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(établissant sa validité dans un domaine différent de celui du rayonnement). Mais Einstein sait aussi que rien n’est joué, car la mesure de chaleurs spécifiques aux basses températures est une affaire délicate qui exige la mise au point de nouvelles techniques. Il est loin de se douter qu’une équipe de chimistes est sur le point de s’engager dans des mesures de ce type, pour des motifs très différents des siens.

Un acteur inattendu

Fig. 8 : Walther Nernst en 1911, assis (côté gauche de l’image), cf. fig. 1.

L’équipe dont il est question est dirigée par Walther Nernst (Fig. 8), directeur de l’Institut de chimie physique de l’université de Berlin. Celui-ci a publié en 1906 un ambitieux « théorème de la chaleur ». Cette proposition, encore très controversée à l’époque, doit permettre le calcul des conditions d’équilibre d’une réaction chimique à partir de données thermiques86. Il s’agirait donc, en cas de confirmation, d’une avancée majeure, digne d’un prix Nobel ! Le théorème prévoit une décroissance des chaleurs spécifiques avec la température et leur convergence vers une même limite à l’approche du zéro absolu. Nernst décide de tout mettre en œuvre pour valider son théorème. Il lance son équipe dans une campagne de mesures de chaleurs spécifiques aux basses températures. N’ayant pas connaissance du travail d’Einstein, il part à la recherche d’éléments qui pourraient fournir une base théorique à son théorème… Existe-t-il une théorie des chaleurs spécifiques, capable d’expliquer les écarts de la loi de Dulong et Petit ? Ce n’est apparemment qu’à la fin de 1908 que Nernst entend parler pour la première fois de la théorie d’Einstein. Deux faits nous font supposer que ce fut à la lecture d’un article de M. Thiesen87. D’une part, il y a l’article de Nernst88, présenté à l’Académie de Berlin le 21 janvier 1909, dans lequel Einstein n’est pas cité, mais où l’on trouve une référence à l’article de Thiesen. Il est dit dans l’article qu’Einstein « pourrait être l’auteur d’une théorie prometteuse des chaleurs spécifiques ». Thiesen y décrit les grandes lignes de cette théorie : il parle du rayonnement noir, mentionne la formule de Planck et souligne l’usage qu’en aurait fait Einstein… Mais il ne dit rien au sujet des quanta !

Un « Conseil » improbable

D’autre part, il y a la sixième édition89 du livre de Nernst,  Theoretische Chemie, qui paraît en 1909 et dans lequel les articles d’Einstein et de Thiesen sont cités conjointement. On y trouve même deux phrases identiques à celles de Thiesen… En revanche, le nom de Planck n’apparaît pas dans le texte de Nernst (nous reviendrons plus loin sur ce curieux silence et sur l’absence dans les écrits de Nernst de références à la théorie des quanta). Une chose est sûre : Nernst examine la formule d’Einstein, se rend compte qu’elle conforte son théorème, et décide de la soumettre au contrôle de l’expérience. C’est dans ce but qu’il entreprend des mesures de chaleurs spécifiques à des températures de plus en plus basses, proches du point d’ébullition de l’air. La tâche est lourde. Les premiers résultats ne sont engrangés qu’à la fin de 1909, mais le succès est au rendez-vous : les valeurs mesurées sont conformes90 aux prédictions d’Einstein !

1.5. Nernst découvre le génie d’Einstein Enthousiasmé par ses résultats, Nernst se rend à Zurich pour y rencontrer l’auteur de l’heureuse formule. La rencontre a lieu la première semaine de mars 1910. Einstein est professeur associé à l’université cantonale de Zurich : c’est son premier poste académique. La visite de Geheimrat Nernst, une autorité de l’université de Berlin, fait grande impression sur ses collègues91. Einstein a tout le loisir d’éclairer son visiteur sur le fondement théorique de sa formule. Nernst apprend ainsi que ses mesures sont en voie d’apporter une preuve de la validité de l’hypothèse des quanta, et qu’il y a lieu de les poursuivre en les poussant toujours plus bas… jusqu’au point d’ébullition de l’hydrogène ! Pour Nernst, l’entrevue de Zurich est une révélation. Vivement frappé par la personnalité d’Einstein, il s’empresse d’écrire à son collègue britannique Arthur Schuster. Voici ce qu’il lui dit dans une lettre92 du 10 mars 1910 : « À l’occasion de mon voyage vers Paris, j’ai visité le Prof. Einstein à Zurich. Ce fut pour moi une expérience pleine d’intérêt et extrêmement stimulante. Je crois qu’en ce qui concerne le développement de la physique, nous pouvons nous estimer heureux d’avoir chez nous un jeune penseur

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d’une telle originalité, un “Boltzmann redivivus” ; même sûreté et rapidité de jugement ; même audace sur le plan théorique, sans que cela ne soit un réel danger, car le contact avec l’expérience n’est jamais rompu. L’hypothèse quantique d’Einstein est probablement la construction conceptuelle la plus remarquable de tous les temps ; si elle est vraie, elle ouvrira des voies entièrement nouvelles, tant en physique “dite” de l’éther – que pour les théories moléculaires ; si elle est fausse, elle restera pour toujours un souvenir magnifique… » Einstein se félicite, lui aussi, de sa rencontre avec Nernst. Il déclare à son ami Jacob Laub93 : « Pour moi, la théorie des quanta est une affaire entendue. Mes prédictions relatives aux chaleurs spécifiques semblent en voie d’être brillamment confirmées. Nernst, qui vient de me rendre visite, et Rubens sont activement engagés dans une vérification expérimentale, de sorte que nous saurons bientôt où nous en sommes. Quant aux quanta, j’ai découvert quelque chose d’intéressant, mais rien de définitif. » En déclarant « Quant aux quanta… rien de définitif », Einstein fait allusion à l’énigme des quanta de lumière, une question dont il a dit dans une lettre précédente « qu’elle est si importante et si difficile à résoudre qu’il faudrait que tout le monde y concentre ses efforts94… » En effet, du point de vue d’Einstein, le seul point encourageant en matière de quanta est le succès remporté par sa formule de chaleurs spécifiques (un succès attesté par les résultats de Nernst). En ce qui concerne le rayonnement, il a récemment obtenu des indications95 suggestives d’une nature « onde-particule » de la lumière, en totale contradiction avec la théorie électromagnétique classique ! Profondément troublé par ce désaccord, Einstein s’est donné pour but de construire une nouvelle théorie électromagnétique, capable d’expliquer l’existence de l’électron et de concilier la nature ondulatoire de la lumière avec ses aspects corpusculaires. Malheureusement, ses efforts demeureront vains : le projet n’aboutira pas, en dépit de nombreuses tentatives (de mars 1909 à mai 1911). Voici les messages d’impuissance qu’il adresse à ses collègues : −− Einstein à Johannes Stark96 le 31 juillet 1909 : « Vous ne pouvez imaginer à quel point je m’efforce de construire

Un « Conseil » improbable

une formulation mathématique satisfaisante de la théorie des quanta. Mais je n’y suis pas parvenu jusqu’ici… » −− Einstein à Sommerfeld97 en juillet 1910 : « Je n’ai pas réussi à proposer quelque chose de partiellement complet au sujet de la constitution de l’énergie radiante. » −− Einstein à Laub98 le 27 août 1910 : « Je n’ai pas enregistré le moindre progrès à propos de la question de la constitution de la lumière. Il y a quelque chose de tout à fait fondamental à la base de cette énigme… » L’énigme perdurera. L’existence des quanta de lumière sera définitivement confirmée en 1923, suite à la découverte et à l’interprétation de l’effet Compton. Mais leur véritable nature (comme celle des photons : une extension du quantum d’énergie au concept d’une « particule » dotée d’une impulsion) continuera de hanter Einstein. En 1951, il confiera à son ami Besso99 : « Cinquante années de méditation ne m’ont pas permis de répondre à cette question : qu’est-ce qu’un quantum de lumière ? »

1.6. Le dilemme de Nernst Revenons à Nernst qui, dans sa lettre à Schuster, fait part de son enthousiasme pour l’hypothèse des quanta. La liberté de ton est surprenante, car Nernst se garde bien d’évoquer le sujet dans ses déclarations publiques. L’extrême discrétion qu’il observe à l’égard des quanta (et de la théorie de Planck) persiste tout au long de l’année 1910. C’est notamment le cas à Paris le 1er avril lorsqu’il s’adresse aux membres de la Société française de physique. Il parle de son théorème, s’étend sur ses mesures de chaleurs spécifiques, mentionne la théorie d’Einstein100, mais ne dit rien au sujet de Planck. Pas un mot sur les quanta ! C’est encore vrai le mois suivant lorsque Nernst est à Giessen, et qu’il fait un exposé devant les membres de la Société Bunsen101 : il évoque à nouveau son théorème, cite la formule de chaleurs spécifiques, précise qu’elle a été établie par Einstein « à partir de la loi de Planck », et annonce qu’un bon accord a pu être obtenu entre la formule et le résultat de ses mesures (moyennant une légère correction d’ordre empirique)… La loi de Planck est à présent citée, mais sa théorie reste dans l’ombre. Toujours rien au sujet des quanta.

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Pourquoi cette étrange retenue ? Ce que Nernst ne dit pas dans sa lettre à Schuster, c’est la perplexité dans laquelle les révélations d’Einstein l’ont plongé. D’une part, il est convaincu102 que son théorème peut être déduit de la théorie des chaleurs spécifiques d’Einstein. D’autre part, il apprend que cette théorie est liée à l’hypothèse des quanta, une idée incongrue à l’égard de laquelle il s’est longtemps montré sceptique, la qualifiant au mieux de « simple formule d’interpolation103 ». Pour Nernst, cette connexion inattendue entre son théorème et l’hypothèse des quanta est porteuse de risques. En effet, tout Berlin se souvient que Planck s’est vu refuser un prix Nobel en 1908, sous prétexte104 que sa loi était fondée sur une hypothèse « totalement nouvelle et à peine plausible, à savoir l’existence d’un quantum élémentaire d’énergie ». L’incident fit grand bruit à l’époque. Il fut orchestré par le mathématicien suédois Gösta Mittag-Leffler. Ce dernier avait eu vent que la proposition du comité Nobel en faveur de Planck émanait de son collègue et rival, le chimiste Svante Arrhenius. Bien décidé à s’y opposer, tout en n’étant pas membre d’un comité Nobel, Mittag-Leffler décida d’agir en tant que membre de l’Académie (celle-ci devait approuver les propositions des comités Nobel : une mesure qui d’ordinaire se réduisait à une simple formalité). Il eut l’idée d’attaquer la théorie de Planck en s’appuyant sur les réserves émises par Lorentz au Congrès de mathématiciens qui s’était tenu à Rome en avril 1908 (un point que nous avons évoqué plus haut). Dans un exposé très remarqué sur la « Distribution de l’énergie entre la matière pondérable et l’éther  », Lorentz avait montré que le principe classique d’équipartition de l’énergie conduisait inexorablement à la loi de Rayleigh-Jeans, et que la loi de Planck ne pouvait être admise qu’au prix d’une réforme radicale des conceptions usuelles. Il avait conclu qu’il fallait espérer que de nouvelles expériences permettraient de trancher entre les deux lois – une déclaration qui avait suscité de vives réactions (notamment de Wien105 et de certains expérimentateurs qui avaient testé la loi de Planck et ne conservaient aucun doute sur sa validité).

Un « Conseil » improbable

Mais les réserves de Lorentz parurent suffisantes à Mittag-Leffler, qui les évoqua au cours de la séance plénière de l’Académie et réussit à faire barrage à la proposition du comité Nobel106. Cet échec fut un réel camouflet, car la nouvelle s’était répandue que Planck aurait le prix. Celui-ci avait accordé des interviews qui avaient paru dans les journaux107. Ironie du calendrier : le 10 décembre 1908, date de remise des prix Nobel, Planck ne se trouvait ni à Stockholm, ni à Berlin ; il était invité à faire un exposé à l’université de Leiden et logeait chez Lorentz.

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Chapitre 2 Un projet inédit

Nous revoici au printemps de 1910. On imagine le désarroi de Nernst et sa crainte de voir le sort de son théorème lié à celui d’une théorie incertaine et contestée… Que faire pour sortir de l’impasse ?

2.1. L’idée d’un Concile Nernst entrevoit une solution dès le mois d’avril 1910 (probablement à la suite de son exposé parisien). Pourquoi n’orienterait-il pas le débat quantique vers le domaine moléculaire, là où l’hypothèse de Planck vient de remporter son plus franc succès ? N’est-il pas temps de porter la théorie d’Einstein (validée par ses mesures de chaleurs spécifiques) à l’attention de l’élite de la profession ? L’idée lui paraît judicieuse, et ce d’autant plus que son assistant britannique Frederick Lindemann a établi un lien108 entre l’unique paramètre de la formule d’Einstein (une fréquence de vibration atomique109, caractéristique du solide) et certaines propriétés mesurables du solide, telles que son point de fusion, sa densité et son poids atomique. Bref, il n’est plus temps de tergiverser : il faut que l’échec de la théorie cinétique classique apparaisse au grand jour et que la pertinence de l’hypothèse de Planck soit reconnue par des physiciens de renom… La seule manière de répondre à la crise est de réunir un « Concile scientifique110 ». Mais où doit se tenir ce Concile ? L’idée naturelle serait de le convoquer à Berlin, berceau de la théorie des quanta et siège de l’Institut de Nernst. Cependant, il est clair que ce lieu ne convient pas pour un sommet international dont la mission serait d’établir la suprématie d’une théorie allemande. Il faut que le

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Concile ait lieu en « terrain neutre », et qu’il soit convoqué par un arbitre impartial, de préférence un patron des sciences indépendant et respecté. À ces considérations s’ajoute le fait que Nernst ne peut apparaître comme un physico-chimiste en quête d’un prix Nobel. Une discrétion particulière lui est imposée par le conflit qui l’oppose à Arrhenius (Fig. 9), un membre influent du comité Nobel de physique et l’un des seuls dont les avis font autorité dans le Comité de chimie111. Conclusion : il faut que le Concile soit convoqué par une personnalité non allemande, étrangère à la sphère professionnelle de Nernst.

Le conflit Nernst-Arrhenius

Fig. 9 : Svante Arrhenius en 1922, premier Conseil de chimie Solvay, cf. fig. 60.

Arrhenius et Nernst ont été proches autrefois. Ils se sont rencontrés à Würzburg chez Friedrich Kohlrausch et ont séjourné à Graz chez Ludwig Boltzmann. Malheureusement, la camaraderie du début a bientôt fait place à une extrême rivalité. Les deux hommes sont ambitieux. Nernst a coutume de dire que la Suède n’est pas propice au développement d’une carrière scientifique et qu’Arrhenius en est la meilleure preuve… Arrhenius reproche à Nernst de s’être enrichi par la vente à la Société AEG d’une ampoule de son invention, et d’avoir offert au monde « un rare exemple d’une transaction commerciale entre un chercheur et une entreprise, dont les effets n’ont pas été à l’avantage de l’entreprise ». En outre, il accuse son collègue d’avoir fait fructifier le produit de la vente112 en l’investissant dans des boîtes de nuit ! Une tentative de réconciliation a eu lieu en 1897, à l’initiative d’un ami commun. Celui-ci a réuni les deux hommes dans un grand hôtel de Stockholm. Nernst a tenu à démontrer l’excellence de son ampoule… et a fait sauter tous les plombs de l’hôtel. Arrhenius a été pris d’un fou-rire qui sonna la fin de la tentative de réconciliation. Une nouvelle épreuve pour Nernst fut l’annonce en 1903 que le prix Nobel de chimie serait décerné à Arrhenius. Sa rancœur redoubla lorsqu’il apprit qu’il était question de créer un Institut Nobel de chimie physique à Stockholm. Cédant à la colère, il accusa Arrhenius d’avoir détourné des fonds de la Fondation Nobel pour devenir le directeur du nouvel Institut « érigé avec de l’argent volé » !

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Arrhenius ne demeura pas en reste. Il usa de son influence auprès des deux comités Nobel pour faire obstacle aux prétentions de Nernst, expliquant à ses collègues que l’Allemagne comptait suffisamment de boîtes de nuit et que la Fondation Nobel ne devait pas servir à en créer davantage113. Nous savons aujourd’hui qu’Arrhenius eut le dernier mot. Chargé d’écrire le rapport final sur les candidatures de Nernst, il parvint à bloquer son prix pendant près de quinze ans, n’hésitant pas à déclarer : « Même au cas où le théorème de la chaleur se trouverait confirmé, il y aurait des raisons morales de ne pas décerner un prix Nobel à son auteur114. »

2.2. Un homme providentiel : Ernest Solvay Conscient des difficultés qui l’attendent à Stockholm, Nernst est résolu à relever le défi. Le « Concile » qu’il appelle de ses vœux doit lui permettre de frapper un grand coup… Mais l’entreprise est délicate : où trouver ce patron des sciences, citoyen d’un pays neutre, disposé à convoquer un « sommet » de physiciens ? C’est alors qu’il se souvient d’Ernest Solvay, le mécène belge auquel il a fait décerner la prestigieuse médaille Leibniz de l’Académie royale de Prusse, et qu’il a reçu (pour le fêter) le 1er juillet 1909 à l’Automobile Club de Berlin. Voilà un homme qui répond à tous les critères et qui devrait se montrer réceptif à l’idée d’un « Concile scientifique » : −− C’est un industriel qui réside à Bruxelles, capitale mondiale de l’internationalisme (sur 112 associations internationales permanentes en 1906, 17 n’ont pas de siège fixe, 15 sont situées en Suisse, 2 aux Pays-Bas, et 42 en Belgique115). Comme l’affirme Ostwald116 : « L’internationalisme est considéré et choyé en Belgique comme une industrie autochtone. » −− Une Exposition universelle vient d’ouvrir ses portes à Bruxelles. Un grand nombre de Congrès internationaux doivent s’y succéder du 23 avril au 1er novembre 1910. On prévoit la tenue en septembre d’un Congrès de radiologie qui accueillera les plus grands experts : Marie Curie et Rutherford.

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Un Concile de physiciens, organisé à Bruxelles, s’inscrirait donc dans la lignée de rendez-vous prestigieux117. À ces considérations qui plaident pour la capitale belge, s’ajoutent des éléments en faveur de Solvay. Nernst connaît l’industriel depuis plus de dix ans (leurs chemins se sont croisés à Londres en 1899, à l’occasion du centenaire de la Royal Institution of Great Britain). Il n’a pas oublié le discours de l’Automobile Club de Berlin : il sait que Solvay fonde des Instituts, se préoccupe de la constitution de la matière, et qu’il se dit « hanté par la Vérité à découvrir ». N’est-ce pas ce mécène internationaliste, passionné de sciences, qui devrait accepter de prêter son concours à une opération destinée à résoudre une crise majeure en physique ? Nernst dispose, en outre, d’un atout décisif : il va pouvoir compter sur le soutien de son assistant belge, Robert Goldschmidt, qu’il a récemment promu directeur adjoint de son laboratoire de thermodynamique expérimentale118. C’est ce chimiste, proche des milieux financiers belges119 et ami de Solvay, qui pourra se charger de l’organisation du Concile !

Un chimiste « touche à tout » : Robert Goldschmidt

Fig. 10 : Robert Goldschmidt en 1911, debout (côté gauche de l’image), cf. fig. 1.

Né de parents émigrés d’Allemagne, Goldschmidt (Fig. 10) est devenu belge en 1896. Il a fait ses études à l’Université libre de Bruxelles et y a obtenu le titre de docteur en sciences naturelles, section chimie. Après un séjour à Göttingen auprès de Nernst, il est revenu à Bruxelles et y a défendu une thèse, Sur les rapports entre la dissociation et la conduction thermique des gaz. L’une des ambitions de Goldschmidt est de populariser les sciences en familiarisant le public avec l’électricité. Poussé par son goût de l’invention, il s’aventure dans divers domaines (conception d’engins à vapeur, chauffés au bois, pour le Congo, développement de la télégraphie sans fil120). En 1906, il rejoint Paul Otlet, concepteur d’une bibliographie internationale, et réalise le Bibliophote121, préfiguration du microfilm. En 1908, il se lance, avec l’aide de Solvay, dans la construction du premier dirigeable belge122. Curieusement, ce chimiste « touche à tout » ne se satisfait pas de son rôle d’inventeur. Cherchant à gravir les

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marches d’une carrière académique, il se rapproche de Nernst, son ancien mentor. Celui-ci se l’attache en 1909 et lui confie la direction d’un de ses laboratoires à l’université de Berlin123. C’est à ce titre que Goldschmidt participe à la campagne de mesures de chaleurs spécifiques. Nernst a soin de signaler ses mérites dans l’exposé qu’il fait le 1er avril 1910 à la Société française de physique. S’exprimant au sujet de ses récents travaux, il déclare124 : « Ces mesures ont été exécutées dans la section thermodynamique de mon laboratoire, dirigée par le Dr Robert Goldschmidt et par moi-même… »

2.3. Nernst s’enhardit Décidé à aller de l’avant, Nernst dévoile son projet à Goldschmidt. Il tente également de renforcer sa position en poursuivant ses mesures de chaleurs spécifiques à des températures extrêmement basses. Cherchant à bénéficier des techniques mises au point par « Monsieur Zéro absolu », alias Kamerlingh Onnes (qui a liquéfié l’hélium en 1908), il se rend dans son laboratoire de l’université de Leiden. Dès le mois de juin 1910, Nernst se sent suffisamment préparé pour lancer l’opération Concile. Il établit une liste des membres à inviter125 et soumet son projet à Planck, à Lorentz (qu’il a pu rencontrer à Leiden) et au physicien danois Martin Knudsen.

Réaction de Planck La réponse de Planck est plutôt décevante126 (le camouflet de 1908 semble avoir laissé des traces) : Cher Collègue, Permettez qu’aux notes marginales qu’avec votre consentement j’ai faites sur votre manuscrit, j’ajoute quelques généralités. Votre idée correspond complètement, en ampleur, au problème dont elle vise la solution et, sous ce rapport, je ne puis que m’y rallier avec la conviction la plus complète. Mais je ne puis pas moins cacher ma grande crainte quant à sa faisabilité. Dans mes notes marginales, j’ai déjà indiqué

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qu’à mon avis le résultat d’un Congrès de ce genre serait plus considérable si vous le remettiez encore quelque peu jusqu’à ce que nous disposions de données plus étendues. Cependant, il existe à mon avis un autre point qui devrait nous engager à attendre encore une année. La convocation du Congrès est, en effet, fondée sur la présomption (que d’ailleurs votre exposé des motifs fait ressortir comme il convient) que l’état de la théorie, engendrée par les lois du rayonnement, par les chaleurs spécifiques, etc. est pleine de lacunes, insupportables pour tout théoricien, et nécessitant par conséquent une action commune pour trouver des remèdes. Or, me basant sur mon expérience, je suis persuadé que la moitié à peine des participants que vous avez en vue se rend assez vivement compte de l’absolue nécessité d’une réforme pour qu’ils se décident à assister au Congrès. En ce qui concerne les anciens (Rayleigh, van der Waals, Schuster, Seeliger), je n’insisterai pas davantage, je ne sais s’ils s’enthousiasmeraient même quelque peu pour la chose. Mais parmi les jeunes aussi l’urgence et l’importance de ces questions sont loin d’être suffisamment reconnues. De tous ceux que vous citez il n’y a, je pense, sauf nous, qu’Einstein, Lorentz, W. Wien et Larmor qui s’intéressent sérieusement à la chose. Mais laissez passer un an ou, mieux encore deux ans, on verra alors combien la lacune qui commence maintenant à s’entrouvrir dans la théorie, s’ouvrira de plus en plus, et finalement ceux qui se tiennent encore loin aujourd’hui y seront forcément entraînés… Inutile d’ajouter, je présume, que quoiqu’il se fasse dans cette direction, j’y prendrai le plus vif intérêt et que, d’avance, je promets ma collaboration à toute entreprise de ce genre. En effet, je puis dire sans exagération que, depuis dix ans, rien ne m’excite et m’attire aussi puissamment en physique que ces quanta d’action… Rassuré par cette dernière déclaration, Nernst décide de ne pas tenir compte des réserves de Planck. Son souci principal est d’obtenir l’adhésion de Solvay. Comment l’industriel réagira-t-il à l’idée du Concile ? Acceptera-t-il d’y prendre une part active ? Le seul moyen de le savoir est de se rendre à Bruxelles et d’y rencontrer Solvay.

Une entrevue décisive Nernst veut aller vite : il charge Goldschmidt d’organiser chez lui une entrevue avec Solvay. Celle-ci a lieu au début du mois de juillet127.

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On ne sait pas ce que les deux hommes se sont dit, mais on suppose que Nernst s’est contenté de sonder Solvay, en évitant de dévoiler son plan. En effet, dès son retour à Berlin, le chimiste rédige deux lettres qu’il envoie à Solvay le 26 juillet 1910. La première est personnelle128 ; elle semble indiquer que Nernst est confiant et qu’il s’attend à une réaction favorable de la part de l’industriel : Très honoré Monsieur Solvay, Par la présente, je me permets de vous soumettre une proposition et je voudrais en même temps vous prier de bien vouloir – au cas où, pour des motifs quelconques, vous ne désirez pas vous occuper de la chose – charger la corbeille à papiers de répondre à la présente et à son annexe. Mais peut-être le projet vous intéresse-t-il quelque peu, et je m’adresse à vous, mon très honoré Monsieur Solvay, surtout parce que je sais combien vous vous intéressez à tous les problèmes généraux importants, mais aussi parce que pour un Concile international, comme je voudrais vous le proposer, la Belgique et plus particulièrement Bruxelles me semble mieux convenir que Berlin, Paris ou Londres. Les détails ressortent du projet d’invitation ci-inclus, et mon ami Goldschmidt, que j’ai déjà souvent entretenu de manière approfondie de ce projet, vous donnera certainement volontiers des renseignements plus circonstanciés. Le Concile ne pourra travailler utilement que si les participants sont exclusivement des chercheurs que ces problèmes touchent de près et qui s’y intéressent vivement. Ci-dessous, je me permets de proposer provisoirement comme : Président d’honneur : Solvay. Président : Lord Rayleigh (Angleterre). Secrétaires : Dr Goldschmidt et une personne plus jeune. Membres : Einstein (Suisse), Knudsen (Danemark), Hasenöhrl (Autriche), Lorentz (Hollande), Langevin, Perrin (France), van der Waals (Hollande), Larmor, Jeans, Schuster, J. J. Thomson, Rutherford (Angleterre), Nernst, Planck, W. Wien, Röntgen, Seeliger (Allemagne). Jusqu’ici, je n’ai parlé du projet que confidentiellement à Lorentz, Knudsen et Planck, sans préciser ni l’époque ni l’endroit. Tous ces Messieurs collaboreraient volontiers129, de sorte qu’à en juger par ces premiers contacts la réussite du Concile n’est guère douteuse…

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Le deuxième document est le brouillon d’une lettre d’invitation que Solvay n’aura qu’à signer en cas d’accord130 (elle porte la mention « confidentiel »). Invitation à un Concile scientifique international pour élucider quelques questions d’actualité de la théorie cinétique. Selon toutes les apparences, nous nous trouvons en ce moment au milieu d’une évolution nouvelle des principes sur lesquels est basée la théorie cinétique actuelle de la matière. D’une part, cette théorie en son développement raisonné conduit, personne ne le conteste, à une formule de radiation dont la validité est en désaccord avec tous les résultats de l’expérience. D’autre part, de cette même théorie découlent des thèses au sujet de la chaleur spécifique (constance de la chaleur spécifique des gaz vis-à-vis des variations de la température, validité de la règle de Dulong et Petit jusqu’aux températures les plus basses) qui sont également réfutées par de nombreuses mesures. Ainsi que l’ont démontré notamment MM. Planck et Einstein, ces contradictions disparaissent lorsqu’on oppose certaines limites (doctrine des degrés d’énergie) au mouvement des électrons et des atomes en cas d’oscillations autour d’une position de repos ; mais cette interprétation s’éloigne à son tour si considérablement des équations de mouvement des points matériels employées jusqu’ici, que son acceptation entraînerait nécessairement et incontestablement une vaste réforme de nos théories fondamentales actuelles. Le soussigné, quoique étranger par suite de ses autres travaux aux questions spéciales de ce genre, mais animé d’un sincère enthousiasme pour tous les problèmes dont l’étude élargit, en la développant, notre connaissance de la nature, a pensé qu’un échange de vues verbal entre des chercheurs s’occupant plus ou moins directement de ces questions pourrait, sinon amener une solution définitive, du moins frayer la voie, par une critique préparatoire, à la solution de ces problèmes. Un grand pas sur la voie du développement continu et sans heurts de l’atomistique serait déjà fait si l’on pouvait établir clairement lesquelles de nos interprétations cinétiques actuelles sont d’accord avec les résultats d’observations et lesquelles devront au contraire subir une transformation intégrale. Dans ce but, le soussigné vous invite, parmi d’autres, à participer à un « Concile scientifique » qui se tiendra vers le…… à Bruxelles en réunissant en Comité restreint quelques professionnels éminents.

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Parmi les membres du Concile seront distribués, après qu’ils auront bien voulu faire part de leur acceptation, les sujets de conférence suivants auxquels se rattachera sans doute chaque fois une discussion approfondie : 1) Déduction de la formule de rayonnement de Rayleigh. 2) Dans quelle mesure la théorie cinétique des gaz parfaits est-elle en accord avec les résultats de l’expérience ? 3) La théorie cinétique de la chaleur spécifique d’après Clausius, Maxwell et Boltzmann. 4) Formule de rayonnement de Planck. 5) Théorie des quantités (degrés) d’énergie. 6) Chaleur spécifique et théorie « des degrés ». 7) Conséquences de la théorie « des degrés » pour une série de problèmes de nature physico-chimique et chimique. On a l’intention de publier par la suite les rapports, ainsi que, sous forme d’extraits, les discussions, le tout réuni en un volume. Signé E. Solvay Ces deux lettres sont intéressantes pour plusieurs raisons. En effet, Nernst y décrit une réunion scientifique d’un type totalement inédit. Ce qu’il propose n’est pas un « Congrès international ». Rien à voir avec le Congrès qui se tint à Paris en 1900, et qui devait établir un rapport sur l’état général de la physique. L’objectif du Concile est tout autre : il s’agit de réunir une vingtaine d’experts, originaires de différents pays, afin qu’ils fassent le point sur une question précise. Cette méthode des « Conseils Solvay » deviendra une référence absolue en physique et en chimie. Elle sera reprise par de grands pionniers, en Europe et en Amérique. La première conférence organisée sur le mode du Conseil de 1911 fut celle qui se tint à Göttingen131 en 1913. En 1947, le Conseil Solvay fut le modèle dont on se servit aux États-Unis pour l’organisation de la première conférence internationale de physique de l’après-guerre132. Un autre point qui mérite d’être souligné est l’intitulé de la conférence : « Concile pour élucider quelques questions d’actualité de la théorie cinétique ». Ce titre n’est pas celui du compte-rendu133 : « La théorie du rayonnement et les quanta ». Nernst a mis l’accent sur la théorie cinétique moléculaire : un choix qui répond à ses priorités… et à celles de

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Solvay. Il est probable, en effet, que l’industriel ait fait part chez Goldschmidt de son rejet de la théorie cinétique (un thème récurrent dans ses déclarations et dans les notes de son registre journalier). Un dernier élément troublant est l’absence dans la lettre de convocation d’une liste des savants invités au Concile : un point qui semble avoir échappé à la sagacité de Nernst134.

Liste des invités au Concile, choix du président Si l’agenda du Concile a été établi en concertation avec Planck, Lorentz et Knudsen, il ressort de la réaction de Planck que la liste des invités n’a pas fait l’objet d’un accord préalable. En examinant les noms proposés par Nernst, on voit que plusieurs membres ont été choisis pour leur notoriété. On compte, en particulier, cinq détenteurs d’un prix Nobel : Röntgen, Lorentz, Rayleigh, J. J. Thomson et Rutherford. Il semble donc que le souhait de s’entourer de physiciens influents ait conduit Nernst à ne pas tenir compte d’une condition formulée dans sa lettre à Solvay, « le Concile ne pourra travailler utilement que si les participants sont exclusivement des chercheurs que ces problèmes touchent de près et qui s’y intéressent vivement135 ». En effet, le chimiste ne pouvait ignorer que Röntgen et l’astronome Seeliger ne répondaient aucunement à ce critère. En revanche, son idée de confier la présidence du Concile à Lord Rayleigh se justifie amplement : −− Ce géant de la physique appartient à l’élite scientifique britannique (il a présidé la Royal Society et a dirigé le laboratoire Cavendish de Cambridge jusqu’en 1884). −− Nous avons vu que Rayleigh s’est signalé par une étude très pertinente du rayonnement noir (dérivation de la formule Rayleigh-Jeans, mentionnée plus haut). −− Rayleigh a été élu le 6 avril 1910 membre correspondant de l’Académie de Berlin, une distinction qui l’a rapproché des milieux scientifiques allemands. Il est également probable que Nernst ait été guidé dans son choix par des motifs personnels. Rappelons que Rayleigh avait présenté l’exposé célébrant le centenaire de la Royal Institution en 1899. Or nous savons que Nernst

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et Solvay assistaient à l’événement et qu’ils avaient fait à cette occasion la connaissance de Rayleigh. Notons aussi que Rayleigh était bien connu des chimistes : il avait découvert (avec William Ramsay) l’argon, ce gaz noble dont l’étude pouvait apporter de nouveaux éléments à l’appui du théorème de la chaleur136.

Réaction de Solvay La réponse de Solvay ne se fait pas attendre. L’industriel marque son accord le 5 août 1910. En revanche, il demande le report du Concile à l’automne de l’année suivante (alors que Nernst espère le réunir dès le printemps de 1911). La réaction de Solvay ne semble pas avoir étonné les historiens qui se sont penchés sur l’origine du premier Conseil de physique. Or sa réponse hâtive, sans examen préalable du dossier, pose question : −− Pourquoi Solvay adhère-t-il au projet de Nernst sans avoir pris l’avis de ses conseillers scientifiques ? −− Pourquoi prend-il le risque de mettre en jeu sa crédibilité en acceptant de signer une lettre dont le préambule ne peut émaner que d’un physicien de profession (il faut noter que le nom de Nernst ne figure pas dans la lettre) ? Il semble qu’en marquant son accord de principe, Solvay ait voulu rassurer Nernst, tout en se donnant du temps pour étudier les détails du projet (nous verrons qu’il attendra le printemps 1911 pour donner sa réponse définitive). Cependant, son adhésion immédiate à l’idée d’un Concile chargé « d’élucider des questions qui n’intéressent qu’une poignée de physiciens » est pour le moins étrange, et contraire à ses habitudes. Il y a donc lieu d’en chercher la raison.

2.4. Le dessous des cartes Intéressons-nous au registre journalier de Solvay. En consultant ses notes137 d’avril et de mai 1910, on s’aperçoit que la proposition de Nernst ne pouvait tomber mieux. Ainsi, dans une note du 16 avril 1910, Solvay fait part de son intention de donner une nouvelle impulsion à l’édification de sa théorie « gravito-matérialitique ».

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Parmi les sujets à examiner, il cite la « grosse question des chaleurs spécifiques » et fait le commentaire suivant : « Il sera très important, au point de vue théorique, de comparer les courbes des chaleurs spécifiques cinétiques aux courbes correspondantes des chaleurs spécifiques pures et simples, pour un corps donné : et aussi voir les différentiations qui existeront entre leurs valeurs pour différents corps. » Or, c’est précisément le comportement des chaleurs spécifiques qui se trouve au centre des préoccupations de Nernst. On peut donc supposer que la question fut abordée au cours de l’entretien chez Goldschmidt et que le chimiste insista sur un point confirmé par le résultat de ses mesures : la nécessité de remettre en question les bases théoriques de la règle de Dulong et Petit138. On imagine l’enthousiasme de Solvay lorsqu’il apprend la déroute de cette théorie cinétique qu’il rejette depuis longtemps. On conçoit également le soulagement de Nernst qui se dit, en quittant Bruxelles, que Solvay se montrera sensible à l’honneur de convoquer une manifestation inédite de la science supérieure, destinée à condamner une théorie « fantaisiste qui ne saurait satisfaire l’esprit philosophique139 ». Voilà qui pourrait expliquer les termes utilisés par Nernst dans sa lettre à Solvay du 26 juillet 1911 (l’allusion à la « corbeille à papiers », suivie des mots « mais peut-être le projet vous intéresse-t-il quelque peu… »), et l’empressement de Solvay à marquer son accord de principe.

Objectifs de Solvay

Fig. 11 : Édouard Herzen en 1921, debout (centre de l’image), cf. fig. 41.

Les notes du registre journalier nous renseignent sur les objectifs de Solvay : son souhait de terminer sa Note synthétique sur la constitution de l’Univers avant la fin de l’été, de manière à réaliser en octobre 1911 l’événement scientifique qu’il a en vue depuis longtemps : la publication de sa Note à Paris. Pressé par ce calendrier (et par le Concile), l’industriel décide de donner un coup d’accélérateur à son investigation personnelle : il met la pression sur ses jeunes collaborateurs : Édouard Herzen et Georges Hostelet. Né à Florence en 1877, Herzen (Fig. 11) est le petit-fils du célèbre écrivain russe Alexandre Ivanovich Herzen, et le fils d’Alexandre Alexandrovich Herzen, créateur du laboratoire de physiologie140 de l’université de Lausanne.

Un projet inédit

C’est un ingénieur-mécanicien qui a défendu une thèse de physique en 1901, et qui a rejoint l’année suivante le laboratoire de la Société Solvay. Hostelet (Fig. 12) est né à Chimay en 1875. Il a étudié la chimie à l’université de Liège et à l’ETH de Zurich. Travaillant à Francfort chez le professeur R. Lorenz, il a participé à l’édition française141 de l’ouvrage de Lorenz Elektrochemisches Praktikum. Étant à Paris en 1900, il a pris part au premier Congrès international de physique. On le retrouve plus tard, collaborant avec des chercheurs du Collège de France et de l’ESPCI. Revenu à Bruxelles en 1907, il est engagé par la Société Solvay (avant de devenir l’assistant personnel d’Ernest Solvay142). Les tâches confiées à Herzen et à Hostelet sont complémentaires : le premier doit s’occuper de gravito-matérialitique pure ; le second est prié d’étendre la théorie à la chimie. Une première version de la note synthétique « Science et Univers objectifs » voit le jour le 15 septembre 1910. Une nouvelle version est complétée dix jours plus tard. Herzen est prié d’analyser les formes cristallographiques associées aux molécules et d’étudier leurs « contacts énergétiques ». Le but de Solvay est de déterminer par le calcul les températures de combinaison des éléments et des composés. De nouvelles notes sont rédigées entre le 10 octobre et le 9 novembre 1910. Solvay insiste auprès de Hostelet pour qu’il lui fournisse des tableaux comparatifs des propriétés des éléments chimiques et des formes cristallographiques associées. Il lui rappelle que son approche est révolutionnaire143 et qu’il tient à achever sa note avant l’automne de 1911. Le travail s’organise selon un schéma qui ne varie guère. Solvay se livre à des calculs et multiplie les notes. Herzen et Hostelet sont chargés de développer ses conceptions et de « redresser les points de la théorie qui n’auraient pas été traités correctement ».

Nernst prend ses précautions Pendant que Solvay s’active en vue du Concile, Nernst songe à définir sa position par rapport à l’événement. Bien décidé à demeurer en retrait, il dit à Solvay144 : « Je voudrais exprimer le désir que dans la convocation vous ne me nommiez pas comme initiateur de l’idée du Concile ;

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Fig. 12 : Georges Hostelet. Le Caire, années 1920. Courtoisie de Monsieur Pierre Verhas, petit-fils de Hostelet.

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je préférerais même que vous ne me citiez pas du tout ou, s’il le fallait, seulement dans votre souhait de bienvenue… » Cherchant à inciter Solvay à prendre une part active au Concile, il ajoute : « Il me serait très agréable aussi d’apprendre quelque chose au sujet de vos idées… Lors du Concile, il y aura certainement toute l’occasion voulue pour les approfondir davantage. » Solvay ne se sent pas prêt à répondre à la demande ; il répond à Nernst145 : « Je travaille, d’une façon indépendante, dans le sens de la recherche de bases physiques objectives. Ma méthode est déductive et vous en connaissez les dangers mieux que moi, vous les avez correctement exprimés ; je pars naturellement d’un phénomène que je considère comme ayant été rigoureusement défini. J’avance, mais ne suis pas encore arrivé au point où il serait admissible que je puisse vous parler de mes résultats – trop éventuels encore. Je vous demande du crédit jusqu’au moment où il faudra songer aux convocations. » Le chimiste doit également s’assurer du concours d’Einstein, l’homme dont dépend le succès de la réunion. Ce dernier a eu la surprise le 1er novembre 1910 de recevoir une lettre signée Emil Fischer146 (prix Nobel de chimie en 1902 et co-auteur avec Nernst de la proposition visant à attribuer à Solvay la médaille Leibniz de l’Académie des sciences de Prusse). Elle lui annonce qu’un patron de l’industrie chimique allemande souhaite promouvoir ses recherches et lui fait don d’une somme de 15 000 marks. Le nom du donateur n’est pas cité dans la lettre, mais on sait147 qu’il s’agit de Franz Oppenheim, directeur de l’Aktiengesellschaft für Anilinfabrikation (Agfa) et initiateur avec Nernst et Fischer de l’Institut Kaiser Wilhelm de chimie. Les termes de la lettre ne laissent guère de doute sur l’origine de l’initiative : « … Vos brillants articles dans le domaine de la thermodynamique ont fait sensation dans le monde des sciences naturelles et sont fréquemment commentés dans notre cercle, surtout depuis que M. Nernst a entrepris de soumettre vos conclusions relatives à la loi de Dulong et Petit au contrôle de l’expérience… »

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2.5. Évolution du projet de Concile La préparation du Concile se poursuit au cours des premiers mois de 1911. Herzen et Goldschmidt sont en première ligne. Rassuré par les échos encourageants qui lui parviennent de tous côtés, Nernst décide de renoncer à la discrétion qu’il s’est imposée jusqu’alors au sujet de la théorie des quanta. Une opportunité se présente en janvier 1911. Nernst est invité à s’exprimer au cours d’une séance publique de l’Académie des sciences de Prusse, à l’occasion de l’anniversaire du Kaiser. Voici ce qu’il dit148 : « La théorie des quanta n’est qu’une règle singulière, voire grotesque, mais qui, entre les mains de Planck en ce qui concerne le rayonnement, et entre celles d’Einstein en ce qui concerne la mécanique moléculaire, a produit des résultats si prometteurs qu’il est du devoir de la science de la soumettre au verdict de l’expérience. » Nernst ne se contente pas de faire l’éloge de Planck et d’Einstein ; il compare à présent le travail de Planck à « l’exploit de Newton pour la mécanique, et à celui de Dalton pour les atomes ». Conformément à sa déclaration de janvier 1911, Nernst s’emploie à soumettre l’hypothèse de Planck « au verdict de l’expérience ». Il pousse ses mesures jusqu’au point d’ébullition de l’hydrogène. C’est alors qu’il s’aperçoit que ses derniers résultats font apparaître un écart systématique entre les valeurs observées et les prédictions de la formule d’Einstein… Confronté à cette situation, Nernst réagit en expérimentateur. Partant de l’expression existante, il la modifie et se met en devoir de tester de nouvelles expressions afin de repérer celle qui reproduit le mieux les valeurs mesurées. Cette recherche, qu’il effectue avec l’aide de Lindemann, le conduit à une formule de type Einstein (plus élaborée que l’expression originale) qui s’accorde de manière convaincante avec l’ensemble des données : c’est la formule Nernst-Lindemann149 du mois de mars 1911. Fort de ce succès, Nernst s’aventure plus loin. Il pense avoir amélioré la théorie d’Einstein et se propose de donner une signification théorique aux deux termes qui apparaissent dans sa formule. Cet effort fait naître en lui le sentiment d’appartenir à un cercle « très fermé » : celui des bâtisseurs d’une véritable théorie des quanta !

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Examen par Solvay du projet de Nernst Ce n’est qu’au cours de ce mois de mars 1911 que Solvay prend le temps d’examiner les propositions qui lui ont été soumises le 26 juillet 1910. Voici le message150 qu’il adresse à Goldschmidt : « J’ai donc réfléchi à la question du “Conseil” depuis dimanche dernier, ainsi que je vous l’avais promis, et je trouve que, dans les conditions que vous avez indiquées, c’est à dire en vous chargeant de tout ce qui concerne les convocations, et plus tard de ce qui concerne la réunion, moi n’ayant qu’à signer, approuver, etc. cela peut aller pour octobre prochain… J’ai une observation à présenter relativement aux convoqués. Il me semble que la France est trop peu représentée par rapport à l’Angleterre, l’Allemagne et l’Autriche, et que l’on pourrait sans doute bien ajouter Marcel Brillouin aux Français, peut-être retrancher un Anglais et un Autrichien si pas un Allemand aussi151. Voyez cela avec M. Nernst, je n’aimerais pas le froisser justement, il faut me mettre très à même de défendre mes choix. J’écrirai un peu plus tard à M. Nernst sur le sens de ce que je voudrais dire moi-même au Concile. »

Fig. 13 : Marcel Brillouin en 1911, assis (côté droit de l’image), cf. fig. 1.

Ce souci de Solvay d’assurer un équilibre entre les représentants des grandes nations sera riche en conséquences. En effet, suite à son intervention, les noms de Brillouin, de Marie Curie et de Poincaré apparaîtront sur la liste des invités ! Mais pourquoi cite-t-il Brillouin ? Pour le comprendre, il faut rappeler que Marcel Brillouin (Fig. 13) est un théoricien, une espèce rare en France, où la physique est dominée par des recherches expérimentales152. Or, nous avons que Solvay aime à déclarer que l’interprétation théorique des faits physiques est « immobilisée ou noyée par l’expérimentation153 ». Nous savons aussi que l’industriel s’intéresse aux travaux de Brillouin154. Celui-ci a réagi en 1895 à un pamphlet intitulé La Déroute de l’atomisme contemporain, dans lequel Ostwald affirme que la matière n’est qu’une « invention » et que l’énergie est la seule réalité physique155. Ce pamphlet et la réponse de Brillouin ont été publiés dans la Revue générale des sciences pures et appliquées, une revue que Solvay a coutume de lire.

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Intervention de Herzen Avant de se prononcer sur les détails du projet de Concile, Solvay tient à consulter Herzen, son nouveau conseiller pour la physique. Celui-ci s’aperçoit que Nernst a omis de mentionner dans sa lettre d’invitation la liste des savants invités. Il rédige deux nouvelles lettres, qu’il envoie à Solvay accompagnées de cette note156 : Cher Monsieur Solvay, Vous trouverez ci-inclus la lettre d’invitation pour le Concile dans le texte que je vous propose. Dans mon esprit, vous pourriez joindre à cette invitation, en quelque sorte officielle, une lettre personnelle dans laquelle vous donneriez la liste des savants sollicités tout en offrant de couvrir vous-même les frais de voyage et de séjour – le Concile devant dans votre esprit durer une semaine – par l’attribution, par exemple, de 500 francs157 à chaque membre… Voici la liste des membres du Concile : Président : Planck (Allemagne) Secrétaire : Goldschmidt (Belgique) Membres : En première ligne : Lord Rayleigh, Larmor, J. J. Thomson, Rutherford (Angleterre) ; Nernst, W. Wien, Röntgen (Allemagne) ; Langevin, Brillouin, Perrin (France) ; Einstein (Autriche) ; van der Waals, Lorentz (Hollande) ; Knudsen (Danemark). En seconde ligne : Jeans, Schuster (Angleterre) ; Seeliger (Allemagne) ; Hasenöhrl (Autriche). Les savants figurant « en seconde ligne » sont ceux de moindre envergure, pouvant être laissés de côté si cela est nécessaire. Il appartient à M. Nernst de prendre l’initiative de vous proposer comme président d’honneur. » Suivent les deux lettres annoncées : i) Une lettre de convocation dont le texte est proche de celui proposé par Nernst (le terme Concile ayant été remplacé par Conseil), mais où l’intitulé et le premier alinéa ont été légèrement modifiés (pour aligner le texte sur celui de la deuxième lettre). ii) Une deuxième lettre qui contient le message (reformulé) que Solvay pourrait adresser à ses invités. La voici : Très honoré Monsieur, Nous nous trouvons manifestement à notre époque devant un tournant dans le développement de nos croyances théoriques

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concernant les théories moléculaires et cinétiques. J’ai pensé qu’un Conseil, réunissant exclusivement des chercheurs que ces problèmes touchent de près et qui s’y intéressent vivement, pourrait influencer favorablement le développement de la physique et de la chimie. C’est pourquoi je vous propose de participer à un Conseil qui se tiendrait à Bruxelles, pendant une semaine environ, à la fin du mois d’octobre prochain et qui serait composé comme suit… (énumération des noms proposés par Herzen en première et en seconde ligne). Pour permettre à tous les invités de participer, j’offre une indemnité de 1 000 marks (1 250 francs158) pour frais de voyage. J’espère pouvoir compter sur votre collaboration et vous exprime ma haute considération, Ernest Solvay Il est à noter que c’est le pays d’affiliation du savant qui est pris en compte, et non sa nationalité. Ainsi, on voit que Herzen présente Einstein comme un membre autrichien (suite à sa récente nomination à l’université allemande de Prague) alors que Nernst le présentait dans sa lettre comme un « membre suisse ». On en conclut que Herzen a pris soin de s’informer sur la situation des savants invités. Quant à la proposition de confier la présidence du Conseil à Planck, plutôt qu’à Lord Rayleigh, elle apparaît comme une preuve que Herzen est conscient de l’importance de la théorie des quanta (ce point apparaîtra clairement dans la notice But et portée du prochain Conseil scientifique de Bruxelles rédigée le 24 octobre 1911 à la demande de Solvay). En outre, nous verrons qu’il indiquera dans la notice biographique de Planck la présence d’une similitude entre l’atomicité de l’énergie, suggérée par l’hypothèse des quanta, et certains aspects de la théorie « gravito-matérialitique » de Solvay (voir la section 2.7).

La présidence « Lorentz » Herzen soumet ses propositions à l’approbation de Solvay. Il veille ensuite à ce qu’elles soient transmises à Nernst. Ce dernier doit annoncer à Planck qu’il est question de lui confier la présidence du Conseil. La réaction de Planck ne nous est pas connue, mais tout semble indiquer qu’il trouva préférable de confier la présidence à Lorentz.

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Cette interprétation est tout à fait plausible : Planck avait des raisons de vouloir demeurer discret (il n’avait pas oublié l’incident de 1908). Il est également probable qu’il ait fait valoir qu’il fallait éviter une présidence allemande. En outre, nous savons que Planck s’était vu contraint de réagir à une critique de Lorentz. Celui-ci avait indiqué en octobre 1910 que l’absorption de l’énergie radiante par quanta était en contradiction avec l’électrodynamique classique (une théorie que Planck voulait préserver159). Considérant que la critique de Lorentz était fondée, Planck n’avait eu d’autre choix que de renoncer à son hypothèse initiale. Il s’était engagé dans la construction d’une nouvelle théorie (dite d’émission), dans laquelle seule l’émission des radiations demeurait quantifiée. Ainsi, ne s’estimant pas en position de présider les débats, Planck ne pouvait faire mieux que de céder sa place à Lorentz – un homme qu’il vénérait, qui maîtrisait les trois langues du Conseil et qui avait l’avantage de ne pas être allemand !

L’affaire Kohnstamm-Ornstein Nernst s’empresse d’accepter la suggestion de Planck (qui tombe à point nommé). Elle lui offre un prétexte pour se mettre en rapport avec Lorentz afin de réagir à un article qui a paru dans les Comptes-rendus de l’Académie des sciences d’Amsterdam. Dans cet article, deux jeunes physiciens, Philip Kohnstamm et Leonard Ornstein, disciples de van der Waals et de Lorentz, ont eu l’audace de mettre en doute la validité du théorème de la chaleur ! Vivement irrité par une attaque « totalement injustifiée », Nernst se lance dans une longue correspondance avec Lorentz, dans l’espoir d’entraîner ce dernier dans sa controverse avec les auteurs de l’article. Son exaspération est telle qu’il aborde dans une même lettre des questions relatives au Conseil et ses griefs à l’encontre de « MM. K & O ». La correspondance débute le 2 mai 1911. Nernst adresse une lettre à Lorentz dans laquelle il se plaint de l’article « purement polémique » de K & O. Il explique que l’article repose sur un malentendu : les auteurs se sont appuyés sur l’équation de van der Waals, dont ils admettent la validité aux températures les plus basses.

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N’ayant pas abouti au théorème de la chaleur, ils se permettent de le déclarer « fini ». Indigné par tant de légèreté, Nernst rétorque : « J’ai indiqué depuis longtemps que mon théorème est lié de la manière la plus étroite aux quanta d’énergie de Planck et d’Einstein. Il s’en suit, bien évidemment, que la formule de van der Waals, dont on sait pertinemment qu’elle est inutilisable aux basses températures, ne peut être en accord avec le théorème de la chaleur. Je viens d’ailleurs de répondre à votre Académie d’une manière forte mais appropriée, en prenant la liberté d’indiquer dans la lettre d’accompagnement que je suis tout à fait disposé à mettre un bémol à mes critiques dans le cas où vous auriez une plus haute opinion de l’article que moi… » Il joint à sa lettre quelques articles qui concernent la théorie des quanta, et rappelle à Lorentz qu’il a l’intention de se rendre à Amsterdam (laissant entendre qu’il pourrait également aller à Leiden pour l’y rencontrer). Le lendemain, 3 mai 1911 : nouvelle lettre de Nernst, qui a appris que Lorentz et van der Waals sont les membres de l’Académie (Koninklijke Nederlandse Akademie van de Wetenschappen, KNAW) qui ont présenté l’article de Kohnstamm et Ornstein. Nernst prie Lorentz de communiquer sa réponse à l’Académie, tout en reconnaissant le caractère musclé de ses déclarations (justifié, selon lui, par le ton inadmissible de l’article de MM. K & O). Il indique que l’opinion de Planck est la même que la sienne : « Il est clair, précise-t-il, que la logique de K & O conduirait, si on l’adoptait, au rejet pur et simple de la théorie des quanta. » Une troisième lettre de Nernst à Lorentz est datée du milieu du mois de mai 1911. Elle contient une version adoucie de la réponse que l’auteur compte adresser à la KNAW par l’intermédiaire de son collègue. Nernst y a joint l’ébauche d’un projet pour le Conseil qui contient la liste provisoire des invités (celle-ci correspond en gros à celle de Herzen : Rayleigh a été oublié, tandis que Sommerfeld a été ajouté). Il termine sa lettre en émettant l’espoir que Lorentz acceptera de présider le Conseil et d’y présenter un rapport. Une quatrième lettre de Nernst, datée du 25 mai 1911, nous apprend que Lorentz a répondu à ses demandes. Le chimiste fait savoir qu’il fera de nouvelles propositions au sujet des invités, et qu’il s’attend à 100 % de réponses positives160. Cependant, il ne peut s’empêcher

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de revenir une nouvelle fois sur l’affaire « K & O », remerciant Lorentz pour l’envoi d’éclaircissements à propos de son théorème161. Dans une dernière lettre datée du 30 juin 1911, Nernst rappelle à Lorentz que sa note a été transmise à l’Académie par le tandem Lorentz – Zeeman, alors que le nom de van der Waals apparaissait sur l’épreuve. Il s’étonne de ce revirement et regrette que van der Waals ait fait le choix « de ne pas s’associer à cette présentation ». Ces nombreuses lettres (les réponses de Lorentz sont malheureusement perdues) nous éclairent sur l’empressement de Nernst de monter au créneau pour répondre à tout détracteur de son théorème. Elles nous apprennent que le concepteur du « Concile » s’attend à une prompte acceptation de la théorie des quanta, et qu’il aurait été heureux de pouvoir s’appuyer à l’avance sur le soutien de van der Waals.

Membres invités et rapporteurs Le 31 mai 1911, Nernst annonce à Goldschmidt que la liste des membres invités au Conseil a été revue et complétée (la liste ne comprenait que trois Français, contre six Allemands et six Anglais). Lorentz a tenu à inviter162 son collègue Kamerlingh Onnes (Fig. 14), une proposition amplement justifiée par la découverte dans son laboratoire du phénomène de supraconductivité (l’effondrement brutal de la résistance électrique de certains métaux à une température située au-dessus du zéro absolu163). Nernst semble avoir tenu compte de certaines recommandations de Planck : −− Röntgen et Seeliger ont été remplacés par Warburg et Rubens, deux expérimentateurs qui ont étudié les propriétés du rayonnement noir. −− Le nom de Planck pour la présidence a fait place à celui de Lorentz. Trois membres français ont été ajoutés à la liste des invités : Henri Poincaré, Marie Curie et Maurice de Broglie (ce dernier en qualité de secrétaire scientifique). L’équilibre souhaité par Solvay a été rétabli : la France, l’Allemagne et l’Angleterre se trouvent à égalité, elles sont représentées par six scientifiques. Deux rapports ont été ajoutés au programme : un rapport de Perrin sur la réalité moléculaire et un rapport de Sommerfeld sur la théorie du quantum d’action.

Fig. 14 : Heike Kamerlingh Onnes en 1911 (à côté d’Einstein), cf. fig. 1.

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L’agenda du Conseil comporte à présent huit sujets164 (les points 4 et 5 du projet initial ont été regroupés en un seul point, sujet du rapport de Planck) : 1. Déduction de la formule de Rayleigh pour le rayonnement (Lorentz). 2. Comparaison de la théorie cinétique des gaz parfaits avec les résultats de l’expérience (Knudsen). 3. Application de la théorie cinétique aux émulsions (Perrin). 4. La théorie de la chaleur spécifique d’après Clausius, Maxwell et Boltzmann (Jeans). 5. Formule du rayonnement et théorie des degrés d’action et d’énergie (Planck). 6. Chaleur spécifique et théorie des degrés (Einstein). 7. Application de la théorie des degrés à une série de problèmes de nature physique (Sommerfeld). 8. Application de la théorie des degrés à une série de problèmes de nature physico-chimique et chimique (Nernst). Détail piquant : Nernst a eu soin de s’attribuer le dernier rapport. L’indemnité de 1 250 francs pour frais de voyage a été réduite à 1 000 francs. Le Conseil aura lieu du lundi 30 octobre au samedi 4 novembre.

Un obstacle imprévu : le départ de Goldschmidt Alors que tout semble réglé, Nernst se trouve confronté à un problème de taille : le départ de Goldschmidt pour le Congo ! La nouvelle est un coup de tonnerre. Nernst en est fort contrarié, mais il ne peut s’opposer à un voyage qui s’effectue dans le cadre d’une mission royale (chargée d’installer la télégraphie sans fil dans la colonie). Le voilà obligé de se charger de la correspondance du Conseil. Sachant que le temps est court, Nernst s’empresse d’écrire à Goldschmidt165 : « Il ne m’est malheureusement pas possible de faire en sorte que d’ici les lettres d’invitation soient prêtes à être signées, ne serait-ce que parce que mes connaissances en français ne sont pas suffisantes. Mais les choses ont maintenant été suffisamment clarifiées pour que les invitations puissent

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être envoyées tout de suite… Je joins le texte français de l’invitation, mais vous prie de me le renvoyer à l’occasion. Pour que la lettre parte ce soir, je ne la laisse pas recopier une fois de plus, en espérant que vous l’aurez demain matin… » Le concepteur du Conseil se voit contraint de proposer un ajout dans les lettres d’invitation (voir la lettre de Solvay du 15 juin 1911, section 1.1) : « Les demandes et réponses devront être adressées à Monsieur le Prof. Dr W. Nernst. » La pilule est amère. Contrairement à ses intentions, Nernst ne peut cacher son rôle dans la mise en route de l’opération. Il ne lui reste qu’une option : veiller à ce que la nouvelle ne se répande pas au-delà du petit cercle d’invités. C’est apparemment pour cette raison que les invitations sont envoyées à titre confidentiel (précaution d’autant plus nécessaire que le succès du Conseil n’est pas garanti et qu’il y a lieu de rassurer le signataire des convocations). Remarquons à ce propos que l’absence de Goldschmidt est également un contretemps pour Solvay, qui doit proposer à Nernst de se faire assister par Herzen et Hostelet, au risque de se priver de leurs services à un moment capital. Voici ce qu’il écrit le 1er juin 1911 dans ses notes166 au sujet de la nature de la « gravité de l’énergie » : « Je compte sur Herzen pour vérifier le tout, car le temps presse, Goldschmidt est sur le point de partir pour le Congo et le Concile doit être convoqué… »

Le mouvement s’accélère Le 3 juin, Herzen annonce à Solvay qu’il est passé chez Goldschmidt prendre les documents relatifs au Conseil167 : « J’ai trouvé M. Goldschmidt en pleins préparatifs de départ pour le Congo. Au triple galop, je vous ai traduit la lettre de M. Nernst et vous envoie le tout pour que vous en preniez connaissance. Vous pourriez ensuite l’envoyer à M. Tassel… Mardi matin, je puis aller m’entendre avec M.  Tassel pour nous mettre directement en rapport avec M. Nernst. »

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Le 6 juin, Solvay adresse ce message à Nernst168 : « Goldschmidt m’a communiqué votre lettre et tout ce qui est envisagé pour le Conseil. Je suis d’accord et dès demain on s’occupera de faire les pièces de convocation. J’espère pouvoir vous en envoyer une demain mercredi soir, et si, à sa réception, vous me télégraphiez que vous êtes d’accord, le tout sera lancé avant la fin de la semaine (…). C’est bien dommage que Goldschmidt parte pour le Congo. Cependant, en son absence, M. Édouard Herzen, qui a beaucoup de liberté et qui s’est mis avec lui au courant de la question, pourra le remplacer. Je le tiens à votre entière disposition, même pour aller vous voir à Berlin le cas échéant… J’inscrirai donc votre adresse dans les lettres de convocation, pour les renseignements qui seraient réclamés. Au besoin, M. Herzen vous aiderait d’ici ou en allant vous voir… » Les lettres d’invitation au Conseil sont envoyées le 9 juin 1911. Les deux documents prévus par Herzen (la convocation officielle et la lettre personnelle) ont été réunis en une seule lettre. Celle-ci comprend la liste définitive des invités, ainsi que les huit sujets à discuter. Solvay a pris soin de préciser son rôle : « N’étant pas homme de science spécialisée, je ne pourrai traiter des sujets ci-indiqués ; mais, ayant fait de longue date une étude générale de la gravité en vue d’en tirer des conséquences sur la constitution de la matière et de l’énergie, je me propose d’en communiquer un résumé à la séance d’ouverture du Conseil, estimant que certains de ces travaux pourraient éventuellement en être influencés. » Les dés sont à présent jetés. Solvay est épuisé. Il écrit dans une note du 17 mai 1911 : « Je réfléchirai à tout cela, mais je termine quand même cette note, parce que Herzen doit être impatient et que je me sens réellement fatigué, étant donné qu’il y a juste un an que je me suis remis à cette question sans la lâcher un seul instant… Il serait temps que je clôture ma gravito-matérialitique fondamentale, je m’y acharne en vue du Concile, pour mon édification propre… » Solvay oublie de mentionner une autre préoccupation, indépendante du Conseil et de ses efforts d’investigation : le projet que lui a soumis Wilhelm Ostwald, détenteur du prix Nobel de chimie de 1909.

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2.6. Le projet d’Ostwald Ostwald (Fig. 15) s’est rendu à Bruxelles le 28 avril 1911. Grand organisateur de sa discipline, il s’est adressé à Solvay pour créer avec lui un Institut international de chimie. Sa visite n’a aucun rapport avec le Conseil de physique (les relations entre Nernst et son ancien mentor se sont sensiblement refroidies : les deux hommes ne communiquent plus depuis 1908, une situation qui perdurera169 jusqu’au lendemain de la Grande Guerre). La démarche d’Ostwald fait suite à un événement qui a eu lieu au mois de mai de 1910, en marge de l’Exposition universelle de Bruxelles : le premier « Congrès mondial des Associations internationales ».

La relation Ostwald-Solvay Internationalistes fervents, Ostwald et Solvay se sont rencontrés à diverses reprises, notamment en 1909 à l’université de Genève, qui leur a décerné les insignes de docteur honoris causa pour les sciences physiques170. Ostwald est l’un des fondateurs de la chimie physique moderne. C’est un pionnier de l’énergétique, un courant de pensée qui a retenu l’attention de Solvay (celui-ci conçoit la société humaine comme un organisme vivant soumis aux lois de la physique et de la chimie). Ayant pris connaissance des écrits de Solvay, Ostwald le reconnaît en 1907 comme le « fondateur de l’énergétique sociale171 ». Il prend une part active à sa nomination comme membre de la Deutsche Chemische Gesellschaft172. Lorsqu’en décembre 1909, Ostwald voit son œuvre couronnée par l’Académie de Stockholm, il a déjà mis fin à sa carrière de chercheur. Sa priorité est l’organisation rationnelle de la chimie, une détermination qui se trouve renforcée en 1910 par les conclusions du Congrès mondial des associations internationales. Ce congrès, présidé par Auguste Beernaert (ministre d’État et prix Nobel de la paix en 1909), a été organisé par Paul Otlet, partenaire de Goldschmidt et neveu du professeur Héger. Tout comme Solvay, Otlet est un visionnaire, qui cherche à constituer une synthèse universelle du savoir. Passionné de bibliographie, il se rapproche de Solvay,

Fig. 15 : Wilhelm Ostwald en 1913, cf. fig. 36.

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« l’ami d’avant la première heure », et crée en 1895 l’Institut international de bibliographie. Au cours de ses investigations, Otlet s’est aperçu que 42 associations internationales ont leur siège en Belgique173. C’est le signe, à ses yeux, que Bruxelles a vocation de devenir la capitale mondiale de l’internationalisme. Afin de donner corps à cette idée, il crée en 1907 l’Office central des associations internationales. Solvay, qui a soutenu l’Institut international de bibliographie, apporte son soutien à ce nouvel organisme. En 1908, il en devient le président. Otlet profite de l’Exposition de 1910 pour convoquer le premier Congrès mondial des Associations internationales. Son objectif est de créer en Belgique une Union des associations internationales. Le Congrès compte six vice-présidents. Parmi ceux-ci : Ernest Solvay et le prince Roland Bonaparte (Solvay fait également partie du comité organisateur du Congrès). Une section est invitée à se pencher sur l’unification des systèmes d’unités. Elle est présidée par le tandem Ostwald-Solvay. Des commissions internationales sont constituées : elles ont pour mission de prolonger l’œuvre du Congrès174. Ostwald préside la commission chargée d’unifier les systèmes d’unités. Solvay est vice-président d’une commission chargée des publications et de la documentation. Poussé par le succès du Congrès mondial, Ostwald projette la création d’un Office international des sciences chimiques. Le projet est ambitieux. Un premier jalon est posé le 25 avril 1911. Ostwald, qui s’est rendu à Paris, s’entend avec Albin Haller, président de la Société chimique de France, et avec Sir William Ramsay, président de la Société chimique de Londres, pour fonder l’Association internationale des sociétés chimiques (l’AISC).

L’Association internationale des sociétés chimiques Les objectifs de l’AISC sont multiples : uniformisation des données chimiques, constitution d’un inventaire de la littérature relative à chaque secteur de la chimie, détermination des poids atomiques et création d’un langage universel, propre à la chimie175. Les sociétés allemandes,

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françaises et britanniques forment le noyau de l’Association. D’autres sociétés chimiques sont invitées à les rejoindre. On a prévu une « présidence tournante » afin que les assemblées annuelles de l’AISC puissent être organisées dans différentes capitales européennes. C’est à Ostwald qu’échoit l’honneur de présider l’Association pendant la première année. Force est de constater que l’AISC ne dispose ni de fonds ni de locaux, et qu’elle ne peut agir efficacement sans un « bureau central » dont le siège est fixe. Ce sont autant de lacunes que le président de l’Association pense pouvoir combler avec l’aide de Solvay.

Le plan d’Ostwald Fraîchement élu, Ostwald se précipite à Bruxelles pour y retrouver son partenaire du Congrès mondial. Il lui expose son plan : créer avec son appui, et en étroite liaison avec l’AISC, un Institut international chargé de répertorier et de centraliser toutes les activités en chimie. Ostwald indique que rien n’a été décidé au sujet du lieu d’implantation de l’Institut, mais il laisse entendre qu’un soutien substantiel de la part de Solvay serait un élément en faveur de Bruxelles. Solvay se déclare favorable au projet, mais il lui faut des précisions. L’idée d’une fondation pour la chimie n’est pas nouvelle : une proposition lui avait été soumise en 1910 par Octave Dony-Hénault, son ancien assistant à l’Institut de physiologie176. Celui-ci suggérait la création par Solvay d’un Institut d’électrochimie et de chimie physique, calqué sur l’Institut Muspratt177 de Liverpool. Dony était intervenu sur le conseil du directeur de l’Institut Muspratt, Frederick Donnan. Celui-ci était d’avis que Solvay était en capacité de soutenir la physico-chimie en Belgique. Il s’était exprimé dans une lettre à Dony, qui avait réagi comme suit (lettre de Dony à Donnan178 du 5 janvier 1910) : Très estimé Collègue, J’ai encore à vous remercier de la très aimable lettre que vous m’avez adressée et dans laquelle vous souhaitez dans l’intérêt de notre pays voir Monsieur Solvay couronner sa carrière par une fondation physico-chimique et électrochimique. Monsieur Solvay est en ce moment en Suisse où il se rétablit d’une indisposition ; je lui communiquerai votre lettre quand il

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rentrera à Bruxelles et je ne doute pas qu’émanant d’un physico-chimiste tel que vous elle n’impressionne favorablement Monsieur Solvay. Votre vœu est du reste partagé par plusieurs de nos compatriotes et j’ai la conviction que l’appui de voix étrangères aussi autorisées et aussi désintéressées que la vôtre est de nature à favoriser la réalisation d’un tel vœu (…). Je vous intéresserai peut-être en vous signalant brièvement quelle est notre situation scientifique. Nous sommes, comme vous le dites, un pays riche, de production industrielle intensive, et notre prospérité devrait être réelle. Il n’en est rien, hélas, parce que notre régime universitaire est gangrené par la politique qui divise, démoralise et décourage. Quoi qu’il en soit, Monsieur Solvay a déjà fondé un Institut de physiologie, où je suis attaché quoique n’étant pas physiologiste, un Institut de sociologie et une École supérieure de commerce ; les deux premiers affectés aux recherches et à l’enseignement, le troisième à l’enseignement seulement. Ces fondations, beaucoup trop luxueuses selon moi, sont malheureusement sans effet sur le développement de la physico-chimie et de l’électrochimie. L’École des mines de Mons est la seule en Belgique à avoir organisé un enseignement régulier de l’électrochimie théorique et industrielle ; j’en suis le titulaire, mais l’insuffisance réelle des appointements professoraux ne me permet pas de me consacrer exclusivement à cet enseignement ; l’intérêt d’élèves ingénieurs pressés d’entrer dans la carrière pour les recherches physico-chimiques est extrêmement limité et c’est à grand-peine que j’ai parfois un chercheur à diriger (…). Les universités belges ont donné peu de développement aux recherches physico-chimiques. D’une manière générale, nos collègues des universités sont accablés sous le triple poids des cours oraux très étendus et très multipliés, d’examens très nombreux et de programmes rigides… Aussi notre production globale est-elle bien inférieure, comme quantité tout au moins, à celle de nos voisins du Nord, les Hollandais, moins nombreux et moins riches que nous pourtant. Il est donc indiscutable qu’un Institut physico-chimique et électrochimique prendrait chez nous une place encore vide et qui doit être comblée… Y aurait-il une indiscrétion à vous demander comment est assuré au Laboratoire Muspratt le contrôle des fondateurs ; comment est géré le fonds d’entretien ; comment sont encouragés les travailleurs, etc. ? Il va de soi que je ne vous demande communication que des clauses générales et des règlements n’ayant pas un caractère privé. Mais j’escompte la possibilité de tirer exemple des suggestions utiles pour une fondation belge…

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On ne connaît pas la réaction de Solvay à la proposition de Dony, mais on peut supposer qu’il se montra intéressé (il était intervenu en 1896 pour faciliter la création d’un Institut d’électrochimie à Nancy179). Or, voilà que l’idée d’une fondation pour la chimie est relancée avec force par Ostwald… Malheureusement, le moment est mal choisi : Solvay est totalement pris par ses travaux et par les préparatifs du Conseil. Pris de court, il demande à Dony de prendre le relais. Dony accepte la mission et s’adresse à Ostwald pour obtenir des précisions. Celui-ci lui répond le 4 mai 1911 par l’envoi d’une esquisse de son projet180 : « Organisation de l’Institut international de chimie ». Dony examine le document. Il explique à Ostwald que Solvay souhaite obtenir la garantie que l’AISC adhère au projet et qu’elle accepte de fixer le siège de l’Institut à Bruxelles ; il lui rappelle qu’il appartient au « fondateur » d’exercer un contrôle sur sa fondation. Ostwald répond qu’il n’a pas osé soulever la question devant ses collègues, mais qu’il espère pouvoir le faire à l’occasion d’une prochaine réunion de l’Association. Il se dit prêt à renoncer à la présidence de l’Institut et s’engage à lui faire don d’une partie de ses collections privées.

Une promesse soumise à condition L’affaire rebondit au cours du mois de juin 1911. Solvay, qui s’apprête à partir en vacances, se rend compte qu’il n’a pas répondu aux attentes de son ami germano-balte. Cherchant à se faire pardonner, il lui envoie ce message181 : « Je pars lundi soir pour Pontresina (Kronenhof) en HauteEngadine (Suisse), pour six semaines environ et je viens vous dire que je serais disposé à consacrer 250 000 francs à l’Institut si les conditions générales de fondation me conviennent. Je ne crois pas que j’accepterais une position quelconque d’activité dans l’Institut… » Ostwald remercie, mais regrette la décision de Solvay de ne pas prendre une part « plus active à une œuvre qui de toutes ses créations pourrait être la plus riche en conséquence pour la science ». Touché par ce commentaire d’Ostwald, Solvay lui adresse un nouveau message182 le 7 juillet 1911 : « L’offre que vous m’avez faite de fonder un Institut international de chimie dans mon pays, à moi qui suis si

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internationaliste, belge, et qui me suis occupé avec succès de chimie appliquée, m’a été au cœur, et c’est pourquoi je veux faire tout ce que je puis pour vous aider dans la réalisation de cette œuvre… » Mais Solvay ne lâche rien au sujet du Conseil de physique. Lié par la confidentialité de l’opération, il se contente de dire que son temps est déjà fort pris : « Je puis donc mettre une somme à votre disposition éventuelle et des hommes, mais je ne puis vous promettre un concours vraiment actif par moi-même, je ne suis pas assez libre pour cela, du moins pour le moment, les directions dans lesquelles je suis déjà engagé primant les nouvelles directions. Allez, avancez, je serai avec vous autant que je le puis et croyez à ma reconnaissance et à mon dévouement. » Ostwald ne cache pas sa déception. Six jours plus tard, il adresse une carte postale à Dony183 : Très honoré Collègue, Par la décision de Monsieur Solvay de donner un quart de million, mais de ne pas collaborer personnellement, notre affaire est quelque peu retardée, car je dois me procurer plus d’argent. Je projette de fonder dans ce but un Comité spécial… Dony réagira le 4 octobre 1911 : il transmettra la carte à Charles Lefébure (secrétaire particulier de Solvay), en l’accompagnant de ces mots : « Paris vaut bien une messe ; 250 000 francs valent bien une carte postale184. »

2.7. Préparatifs du Conseil Ostwald n’est pas le seul à souhaiter une participation active de Solvay. C’est également le cas de Nernst, qui insiste pour que l’industriel prenne part aux discussions du Conseil. Lorentz abonde dans le même sens. S’adressant à Solvay le 3 juillet 1911, il lui dit185 : « Je suis sûr que cette œuvre d’ensemble, à laquelle nous serons bien contents de vous voir prendre part vous-même, sera pour nous de la plus grande utilité. »

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Nernst renchérit186 le 26 août 1911 : « Votre exposé du thème que vous m’avez décrit nous intéressera certainement tous énormément et si, comme vous me l’écrivez, vous pouviez me le communiquer auparavant, je vous serais très obligé… » Mais Solvay n’est pas prêt : ses travaux ont pris du retard. Il fait savoir qu’il compte porter la tenue du Conseil à l’attention du roi. Nernst réagit avec enthousiasme : « En ce qui concerne vos efforts bienveillants pour passer les soirées pendant le Congrès, une réception chez le roi donnerait naturellement un éclat tout particulier à l’ensemble et serait pour tous les participants un souvenir précieux. » Une lettre est adressée au souverain le 27 septembre 1911. Solvay dit au roi : « Ce serait un grand honneur rendu à la science, en même temps, à mon sens, qu’une impulsion élevée imprimée à la pensée du pays, si Votre Majesté pensait pouvoir accorder une certaine attention à cette manifestation entièrement inédite de la science supérieure187. » Le roi répond le 29 septembre : « Je serai particulièrement heureux de m’intéresser à ces importantes assises scientifiques et de suivre avec attention cette manifestation de la science supérieure188… » En réalité, il n’y aura pas de réception chez le roi : le Conseil sera éclipsé par les tensions politiques du moment : une crise locale (l’affaire Schollaert, un rebondissement de la guerre scolaire), à laquelle s’ajoutent les répercussions du coup d’Agadir189, cette crise internationale qui menace la sécurité du Congo.

L’étude préliminaire de Solvay Pressé de toutes parts, Solvay fait imprimer un résumé de sa théorie, qu’il compte distribuer aux membres du Conseil. L’étude, intitulée Sur l’établissement des principes fondamentaux de la gravito-matérialitique, est imprimée le 15 octobre 1911. Solvay l’envoie à Nernst, qui en accuse réception dans une lettre à Goldschmidt190 : « J’ai reçu le travail très intéressant de M. Solvay, au sujet duquel je lui écrirai directement demain soir. »

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Mais Nernst ne se sent pas qualifié pour étudier le document ; il le confie à Planck en le priant de rédiger un rapport. Celui-ci s’exécute et envoie son rapport à Nernst (qui le transmet à Solvay). Voici la réaction de Planck : « Je puis dire en toute sincérité que dès le début de la lecture mon intérêt s’est constamment accru, non seulement parce que l’auteur prouve qu’il connaît les lois physiques, et particulièrement celles du mouvement des planètes, d’une manière qui ferait honneur à un physicien théorique de profession, mais surtout par la description et le mode d’observation absolument indépendants et originaux. Il me semble que l’on pourrait bien caractériser ce mode d’observation en disant que l’auteur définit “l’état” d’un point matériel gravitant par rapport à un centre fixe, non comme c’est le cas dans la mécanique classique, par la manière dont il se comporte à un moment donné, mais en envisageant dès le début tout le trajet et en étudiant ses particularités essentielles191… » Planck poursuit son rapport en indiquant qu’il ne peut « se rallier immédiatement aux façons de voir de Solvay, principalement parce qu’elles ne tiennent pas suffisamment compte des phénomènes électrodynamiques ». Il conclut par ces mots : « Il y a lieu de faire ressortir le rôle fondamental que l’auteur attribue aux surfaces moléculaires et aux actions de contact, rôle sur lequel il base l’hypothèse d’un éther “direct” et d’un éther “inverse”. En partant de ce point de vue, les phénomènes chimiques apparaissent sous un jour nouveau et particulier, et la catalyse acquiert une importance générale et primordiale pour toutes sortes de réactions chimiques. Je serai en tous cas heureux de recevoir bientôt cet ouvrage terminé et de l’étudier plus longuement. » On imagine la satisfaction de Solvay lorsqu’il prend connaissance des commentaires de Planck. Rassuré par ses propos, il décide d’évoquer sa théorie dans son discours de bienvenue au Conseil. Herzen est aussitôt prié de rédiger deux notices. La première, datée du 24 octobre 1911, est destinée à Solvay. Elle doit lui apporter des précisions sur l’agenda de la réunion. But et portée du prochain Conseil scientifique de Bruxelles Les rapports présentés au Conseil peuvent être divisés en deux groupes, dont le premier comporterait les rapports suivants : −− Déduction de la formule de Rayleigh sur la radiation (Lorentz).

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−− Comparaison de la théorie cinétique des gaz parfaits avec les résultats de l’expérience (Knudsen). −− La théorie cinétique de la chaleur spécifique d’après Clausius, Maxwell et Boltzmann (Jeans). Tous ces rapports192 ont pour but de fixer les résultats, en accord ou en désaccord avec l’expérience, auxquels conduit l’ancienne conception mécanique de la matière. Le second groupe, formé par les rapports suivants, a pour but de montrer comment, en substituant à la conception mécanique de la matière une conception nouvelle, reposant sur des bases électromagnétiques et sur une hypothèse hardie due à M.  Planck, on peut édifier une nouvelle théorie qui s’adapte beaucoup mieux à l’expérience que la théorie classique examinée précédemment : −− La formule de radiation et la théorie des degrés d’énergie (Planck). −− Chaleur spécifique et théorie des degrés (Einstein). −− Application de la théorie des degrés à une série de problèmes de nature physique (Sommerfeld). −− Application de la théorie des degrés à une série de problèmes de nature physico-chimique et chimique (Nernst). L’hypothèse de M. Planck, d’après laquelle l’énergie d’un système atomique ou moléculaire ne peut varier que par degrés successifs dépendant de la période de vibration, est ainsi le nœud des questions traitées au Conseil. Cette hypothèse, qui ne peut se déduire de la mécanique newtonienne, ébranle la physique classique dans ses fondements mêmes : elle condamne l’application de la mécanique ordinaire aux domaines moléculaires et rejette l’emploi du calcul différentiel et intégral, sans corrections spéciales, puisque celui-ci implique une continuité parfaite dans les variations. La théorie est plus satisfaisante que la théorie mécanique ancienne, mais est-ce la seule possible ? C’est ce que l’avenir montrera. La seconde notice, datée du 26 octobre 1911, est destinée aux membres du Conseil. Elle doit les informer sur la position de leur hôte : Position de Monsieur Solvay dans le Conseil scientifique de Bruxelles Dès la première moitié de 1910, MM. Nernst et Planck, de Berlin, projetaient la convocation d’un Congrès sanctionnant la nécessité d’une réforme de l’ancienne théorie mécanique de la matière. M. Planck craignait à ce moment que l’appel ne fût pas entendu. Peu à peu, cependant, la nécessité

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de cette réforme devint de plus en plus évidente. Entretemps, M. Nernst, de passage à Bruxelles, avait rencontré M. Solvay chez M. Goldschmidt. L’immense intérêt attaché par M. Solvay à toute discussion concernant la constitution de la matière, ainsi que sa générosité connue, mirent fin aux hésitations de MM. Nernst et Planck : il fut décidé que le Conseil aurait lieu à Bruxelles. M. Nernst se chargea de l’organiser en vue des idées de M. Planck. M. Solvay a été préoccupé de tout temps par le problème de la constitution de la matière. La Gravito-Matérialitique, publiée à l’occasion du Conseil, témoigne de cette préoccupation constante depuis 1887 et même (voir la référence193) depuis 1858. M. Solvay y donne, entre autres choses, une représentation dans l’espace de l’énergie gravifique, représentation comportant les surfaces et les volumes d’atomes universels invariables. Cette conception implique une variation de l’énergie non d’une façon continue, mais par sauts ou par degrés… La notion des degrés d’énergie, apparaissant ainsi dans les idées de M. Solvay, est le seul point de contact avec la théorie de M. Planck que j’aie pu signaler, à la demande expresse de M. Solvay194. Celui-ci entend d’ailleurs rester en dehors des discussions du Conseil, par trop spéciales. Pour compléter le tout, Herzen rédige une notice biographique de chaque invité, et y joint une photo195. Voici ce qu’il écrit au sujet de trois personnages-clés : Lorentz, Planck et Einstein (ses propos donnent une idée de la manière dont leurs mérites sont perçus par un témoin de l’époque). 1. M. Lorentz, membre hollandais, président du Conseil Lorentz, Hendrik Antoon est né à Arnhem en 1853. Il est depuis de nombreuses années professeur de physique mathématique à Leyde, et a publié de nombreux mémoires sur les principaux problèmes de l’électricité, de l’optique et de la chaleur. Mais il est surtout connu pour son admirable théorie électromagnétique des phénomènes physiques dont il étend sans cesse l’application avec de nombreux continuateurs. Ce puissant esprit est souvent comparé à Poincaré ; mais tandis que celui-ci a surtout la critique aiguisée, celui-là est un audacieux constructeur. C’est sa théorie électronique de la lumière qui a conduit Zeeman à découvrir, en 1896, ce phénomène capital que les radiations émises par un corps sont modifiées sous l’action d’un fort électro-aimant. Toujours guidé par les mêmes

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vues théoriques, il retrouva les lois quantitatives d’émission et d’absorption, des phénomènes thermoélectriques, etc. Cette importante théorie, qui permet donc de grouper dans un même ensemble tant de faits d’origines diverses est en voie de renouveler les notions fondamentales de la mécanique. La notion de masse s’évanouit pour se confondre avec celle de l’énergie : c’est l’énergie qui est inerte, la matière ne résiste au changement de vitesse qu’en proportion de l’énergie qu’elle contient. Les notions d’espace, de temps, d’énergie elle-même, perdent leur sens absolu. De telle sorte que les théories de Lorentz obligent les philosophes, comme les physiciens, à reconnaître l’origine empirique de ces notions. On peut dire, sans exagération, que ce physicien-mathématicien a renouvelé l’aspect des problèmes qui tourmentent les métaphysiciens. 2. M. Planck, membre allemand Max Planck, né en 1858, est professeur de physique mathématique à l’université de Berlin. D’une formation étendue et d’une faculté mathématique tout à fait remarquable, il a déployé son activité dans tous les domaines de la physique et de la chimie où il y avait matière à créer des cadres mathématiques. L’importance de ses contributions est particulièrement perçue dans ses ouvrages célèbres : Leçons sur la thermodynamique et Leçons sur le rayonnement calorifique, où il révèle, en même temps, ses qualités didactiques. C’est surtout dans l’étude des radiations qu’il a donné la marque de sa puissance et de son originalité. Sa théorie du rayonnement, dont les premiers fondements remontent à 1901, est une application grandiose de l’atomistique : il tenta de formuler la fonction universelle qui règle la distribution de l’énergie dans le spectre normal. La façon dont Planck traite le problème aboutit à l’atomistique de l’énergie. On trouve un exposé très intéressant de cette théorie dans les « Huit leçons de physique théorique » qu’il a données à New York en 1909. 3. M. Einstein, membre autrichien Albert Einstein, né en 1879, est professeur de physique théorique à l’université de Prague. Il est un brillant continuateur des œuvres de Lorentz et de Planck. On lui doit notamment une étude très claire du principe de relativité dans les conceptions électromagnétiques du premier et des contributions importantes à la théorie du rayonnement que le second a basée sur l’hypothèse d’une structure discontinue de l’énergie. Les résultats de

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ses travaux théoriques ont servi de guide aux belles recherches de Perrin sur les mouvements browniens, comme aussi au développement de la théorie des équilibres chimiques de Nernst.

2.8. Le premier Conseil de physique Le Conseil se déroule, comme prévu, du lundi 30 octobre au vendredi 3 novembre 1911. Les invités sont accueillis le 29 octobre à l’hôtel Métropole, où une salle a été mise à leur disposition (cf. Fig. 1). Petite ombre au tableau : parmi les Anglais, seuls deux des six membres invités ont répondu à l’appel : Rutherford et Jeans. Quatre représentants de l’élite britannique ont décliné l’invitation : Lord Rayleigh196, Sir Joseph John Thomson, Sir Arthur Schuster et Sir Joseph Larmor. Leur refus peut être attribué au fait que Solvay leur apparaît comme un défenseur de la politique de réforme sociale en Angleterre197, une politique portée par les membres de l’Eighty Club (l’industriel était connu pour avoir invité quatre parlementaires et membres de ce Club à l’Institut de sociologie « en vue de faire connaître l’orientation du parti libéral anglais en matière sociale198 »). Quant à Nernst, il est venu en compagnie de Lindemann. Ce dernier a été invité à la dernière minute pour répondre au souhait de Goldschmidt199 de pouvoir s’appuyer sur un « manager adjoint » (on peut supposer que Lorentz approuva ce moyen d’atténuer l’impact des refus britanniques). À la défection des Anglais, il faut ajouter celle (vivement regrettée par Nernst200) du physicien hollandais Johannes D. van der Waals, prix Nobel de physique en 1910.

Les discours d’ouverture Solvay prend la parole en premier. Il remercie ses invités en son nom propre et en celui de Nernst. Puis, en guise d’introduction, il évoque les liens qui pourraient exister entre le thème de la conférence et ses travaux personnels : « Je voudrais maintenant conformément à ma lettre de convocation et avant que vous abordiez l’ordre du jour du Conseil, vous dire un mot de l’étude gravito-matérialitique que j’ai fait imprimer à l’occasion de notre réunion. Vous

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en avez reçu chacun un exemplaire, mais trop tardivement pour en prendre connaissance. Vous verrez, quand ce sera possible, que le fond de mes recherches et celui des vôtres sont communs, en ce sens qu’ils se rapportent l’un et l’autre à la constitution de la matière, de l’espace et de l’énergie ; et cela prouve que si M. Nernst n’avait pas songé tout d’abord à réunir un Conseil sur le sujet, j’aurais peut-être pu, curieuse rencontre de situations, songer à le faire moimême, si j’en avais eu l’audace, pour vous soumettre mon étude ; je pense, en effet avec fermeté, qu’elle conduit à la connaissance exacte, et par conséquent définitive, des éléments finis fondamentaux de l’Univers actif… » Solvay s’étend ensuite sur sa méthode de travail, sur l’état d’avancement de ses recherches et sur sa position philosophique : « La méthode que j’ai suivie a été déductive. Je suis parti initialement d’une conception générale préalable qui pût, à mon sens, satisfaire l’esprit philosophique constructif le plus scrupuleux (…). Certes, mon travail fondamental n’est pas fini, vous le remarquerez bien ; il n’est ni parfait ni complet ; bien des éléments de suite y manquent qui sont déjà presque entièrement établis ; j’ai dû, à mon extrême regret, exposer mes résultats acquis avec précipitation. Dans un an, l’étude atteindra sans doute un degré d’achèvement général admissible, et je regrette à ce point de vue que le “Conseil” n’ait pu être ajourné jusque-là. Vous verrez donc qu’au fond, d’après ce qui précède, cette étude est d’ordre plutôt de philosophie physique que de physique courante. J’émets depuis plus de quarante ans l’opinion que, pour la reconstitution mentale essentielle de l’Univers actif à laquelle nous travaillons tous avec conviction, le dernier mot de suprême éclairement devra être dit par le philosophe plutôt que par l’expérimentateur : dans cette voie, ce ne sera plus, en général, l’expérience qui devra par la suite, continuer à provoquer le calcul, c’est surtout le calcul qui devra dorénavant provoquer l’expérience (…). Cette voie (purement expérimentale) doit être abandonnée à notre époque, telle est ma pensée, car le philosophe moderne, qui veut être précis et correctement curieux, c’est-à-dire exclusivement objectiviste, cherche par le fait à voir l’Univers actif tel qu’il est dans sa réalité et non tel qu’on peut artificiellement se le représenter dans ses multiples phénomènes, souvent avec une grande fantaisie. Ainsi en est-il, à mon sens, de la théorie cinétique de la matière… »

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Cette longue allocution est suivie du discours de Lorentz. Son pronostic est réservé : « Quel sera le résultat de ces réunions ? Je n’ose le prédire, ne sachant pas quelles surprises peuvent nous être réservées. Mais comme il est prudent de ne pas compter sur les surprises, j’admettrai comme très probable que nous contribuerons pour peu de chose au progrès immédiat. En effet, le progrès se fait plutôt par les efforts individuels que par les délibérations de Congrès ou même de Conseils, et il est fort possible que, tandis que nous discutons un problème, un penseur isolé, dans quelque coin reculé du monde en trouve la solution. Heureusement, il n’y a rien en cela qui doive nous décourager. Si nous ne parvenons pas à surmonter les difficultés, nous serons excités et préparés à les attaquer de nouveau, chacun à sa manière, et nous remporterons d’ici des idées et des vues qui nous seront de la plus grande utilité… » Le dernier discours est celui de Nernst, chef d’une équipe de chimistes engagés dans un vaste programme de recherches expérimentales. Ses propos sont très différents de ceux de Lorentz, un physicien théoricien habitué à travailler seul. D’après Nernst, le Conseil se situe dans la lignée d’une réunion historique : le Congrès de chimistes qui se tint à Karlsruhe201 en 1860 pour clarifier la nomenclature chimique et pour trancher la question des poids moléculaires et atomiques. Le concepteur de la réunion se veut optimiste. Il déclare : « Dans le cas présent, les chances de succès sont plus grandes qu’à Karlsruhe, car les délibérations du Conseil auront été éclairées par huit rapports soigneusement préparés. »

Les séances du Conseil Contrairement à ce qui était prévu – le Conseil devait tenir ses assises à l’Institut de physiologie du parc Léopold –, la plupart des séances ont lieu dans une petite salle de l’hôtel Métropole. Lorentz et ses collègues ont trouvé cette solution plus commode : elle permet la poursuite des discussions le soir ou le matin au petit-déjeuner202. Les conférenciers disposent d’un tableau sur pied

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et d’une lampe de projection, éléments jugés suffisants pour la plupart des exposés. Seuls Nernst et Perrin ont fait observer que l’hôtel ne convenait pas pour la présentation de leurs rapports, riches en tableaux de données. On a donc convenu d’organiser une séance dans le grand amphithéâtre de l’Institut de physiologie. Cette mesure a un effet inattendu : Nernst qui comptait parler en dernier se voit contraint de céder sa place à Einstein. Les séances se déroulent comme suit ; voir les notes203 prises sur le vif par Maurice de Broglie (Fig. 16), secrétaire scientifique : Lundi 30 octobre Séance du matin, hôtel Métropole (présidence Poincaré). Rapport de Lorentz, Sur l’application au rayonnement du théorème de l’équipartition de l’énergie, discussion. Séance de l’après-midi, hôtel Métropole (présidence Lorentz). Lettre de Lord Rayleigh, présentée par Lindemann et suivie d’une discussion. Rapport de Jeans sur La théorie cinétique de la chaleur spécifique d’après Clausius, Maxwell et Boltzmann, discussion. Mardi 31 octobre Séance du matin, hôtel Métropole (présidence Lorentz). Rapport de Warburg sur la Vérification expérimentale de la formule de Planck dans la région des hautes fréquences, discussion. Rapport de Rubens sur la Vérification de la formule de rayonnement de Planck dans le domaine des grandes longueurs d’onde, discussion. Séance de l’après-midi, hôtel Métropole (présidée par Lorentz). Rapport de Planck sur La loi du rayonnement noir et l’hypothèse des quantités élémentaires d’action, discussion. Mercredi 1er novembre Séance du matin, hôtel Métropole (présidence Lorentz). Rapport de Knudsen sur La théorie cinétique et les propriétés expérimentales des gaz parfaits, discussion. La séance est interrompue à 11 h 40. Séance de l’après-midi, parc Léopold (présidence Lorentz).

Fig. 16 : Maurice de Broglie en 1911, debout (côté droit de l’image), cf. fig. 1.

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Rapport de Perrin, Les preuves de la réalité moléculaire. La discussion de ce rapport est reportée au lendemain 2 novembre. Première partie du rapport de Nernst : Application de la théorie des quanta à divers problèmes physico-chimiques. Jeudi 2 novembre Séance du matin, hôtel Métropole (présidence Lorentz). Discussion du rapport de Perrin. Poursuite du rapport de Nernst, première discussion. Kamerlingh Onnes expose des courbes de résistance électrique pour divers métaux. Séance de l’après-midi, hôtel Métropole (présidence Lorentz). Poursuite de la discussion du rapport de Nernst. Rapport de Sommerfeld, Application de la théorie de l’élément d’action aux phénomènes moléculaires non périodiques, discussion. Vendredi 3 novembre Séance du matin, hôtel Métropole (présidence Lorentz). Rapport de Langevin sur La théorie cinétique du magnétisme et les magnétons, discussion. Première partie du rapport d’Einstein sur L’état actuel du problème des chaleurs spécifiques. Réunion privée de Solvay avec les membres d’un « Comité restreint », présidé par Lorentz. Séance de l’après-midi, hôtel Métropole (présidence Lorentz). Poursuite du rapport d’Einstein, discussion. Conclusions finales et allocutions de clôture. On note que des modifications ont été apportées au programme : présentation de trois rapports supplémentaires (Langevin, Rubens et Warburg) ; modification du titre de certains exposés. Des onze rapports prévus, seuls ceux de Warburg, de Rubens et de Langevin n’ont pas pu être distribués avant la réunion (Nernst n’en cite que huit dans son allocution) ; sept rapports sont présentés en allemand204 (Warburg, Rubens, Planck, Knudsen, Nernst, Sommerfeld, Einstein), trois en français (Lorentz, Perrin, Langevin), et un en anglais (Jeans205). Les intervenants s’expriment dans la langue de leur choix ; le président Lorentz se charge de

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traduire les questions et les réponses ; il résume les débats à la fin de chaque séance. De Broglie prend note des interventions qui sont faites en français, et recueille les notes manuscrites de celles qui sont faites en allemand ou en anglais. On s’aperçoit à la lecture de ses notes que les rapporteurs sont régulièrement interrompus, à la manière d’un séminaire informel. On voit aussi que les exposés ne sont pas toujours suivis d’une discussion. C’est le cas du rapport de Perrin, dont la longueur provoque l’irritation de Nernst. Celui-ci veut se servir des grands tableaux de l’amphithéâtre pour la présentation de la première partie de son rapport : il demande (et obtient) le report au lendemain de la discussion du rapport de Perrin. Un compte-rendu officiel du Conseil doit être publié en français « par égard pour M. Solvay ». Sa rédaction est confiée à de Broglie et Langevin (ce dernier se chargera des traductions). Le volume paraîtra en 1912 chez Gauthier-Villars sous un titre révélateur : La Théorie du rayonnement et les quanta. Ce titre atteste le déplacement progressif du centre de gravité des débats de la théorie moléculaire vers des questions plus délicates, relatives au rayonnement (une évolution qui semble due à l’influence d’Einstein et du président Lorentz).

Les minutes du Conseil Les notes de de Broglie nous font voir qu’il existe des écarts significatifs entre le déroulement du Conseil et ce qui est rapporté dans le volume Gauthier-Villars. Ainsi, il est question dans ce compte-rendu d’un « rapport Kamerlingh Onnes », alors que rien de tel n’a été programmé. Cependant, on peut lire chez de Broglie que le physicien hollandais intervint longuement au cours de la discussion du rapport de Nernst, et qu’il présenta un graphique206 qui confirmait de façon spectaculaire le phénomène de supraconductivité, observé dans son laboratoire pour la première fois en avril 1911. Il semble que Lorentz ait été frappé par les révélations de Kamerlingh Onnes sur ce phénomène inédit, d’apparence quantique. On comprend son souhait de faire figurer cette contribution au compterendu sous la forme d’un rapport (une légère distorsion qui explique l’absence dans le compte-rendu officiel d’une réelle discussion207 du « rapport Kamerlingh-Onnes »).

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Un élément nettement plus troublant est la disparition dans le volume Gauthier-Villars d’une déclaration capitale de Planck. Celui-ci soupçonnait depuis peu l’existence d’un lien fondamental entre le théorème de la chaleur et le quantum d’action208. Ayant omis de signaler ce lien dans son rapport, il l’évoqua au cours de la discussion du rapport de Nernst : « Il semble, dit Planck, qu’une explication du théorème de M. Nernst puisse être trouvée dans la théorie des quanta. » Voilà qui allait dans le sens souhaité par Nernst… Rapportée par de Broglie, la déclaration de Planck apparaît dans le compte-rendu provisoire, envoyé aux intervenants le 23 décembre 1911. Mais elle n’apparaît plus dans le volume publié à Paris en 1912. On peut s’interroger sur les raisons de cette suppression. Le compte-rendu officiel nous apporte un élément de réponse. En effet, l’idée avancée par Planck qu’une démonstration du théorème de la chaleur pouvait être déduite de l’hypothèse des quanta fut vivement contestée : d’abord par Einstein, puis par Lorentz. Ce dernier expliqua qu’il était prêt à accepter le point de vue de Planck, mais il changea d’avis à la lumière des objections d’Einstein. D’autre part, nous savons qu’au moment de recevoir le premier compte-rendu des discussions, les intervenants furent invités209 à mentionner certaines remarques qu’ils n’auraient pas faites pendant la réunion et qui pourraient être ajoutées au texte (sous forme d’une note de bas de page210). Il semble que Planck ait sauté sur l’occasion et qu’il se soit senti autorisé à demander la suppression de sa déclaration. Les minutes du Conseil nous renseignent également sur un fait d’apparence anodine, mais qui s’avérera capital par la suite : l’interruption le dernier jour du Conseil de l’exposé d’Einstein « pour permettre à Solvay d’avoir une réunion privée avec les membres d’un Comité restreint, présidé par Lorentz et comprenant Marie Curie, Nernst, Brillouin, Warburg, Rutherford, Kamerlingh Onnes et Knudsen ». Il semble que ce Comité ait été constitué par Lorentz à la demande de Solvay. Nous savons, en effet, que l’industriel avait des vues personnelles sur l’origine de la radioactivité et du mouvement brownien, et qu’il comptait les soumettre au contrôle de l’expérience211. Les conversations de la réunion ne sont pas connues, mais il est clair que Solvay fit part de son intention de financer de nouvelles

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expériences et qu’il évoqua son souhait de donner corps à une idée de Goldschmidt : la création d’un Institut international de physique dont l’une des tâches serait d’accorder des subsides à des expérimentateurs de tous pays212.

Impressions des invités Voici les propos de Sommerfeld (Fig. 17) dans une lettre à sa femme du 31 octobre 1911, lendemain du dîner chez Solvay213 : « Nous sommes installés dans un hôtel franchement luxueux. Chacun dispose dans sa chambre d’une baignoire et d’une toilette. Je prends un bain tous les matins. Nous sommes les invités de M. Solvay à tous les repas, midi et soir. Le déjeuner ne comprend pas moins de cinq services. C’est insensé ! M. Solvay est très sympathique. Il nous a fait part de ses découvertes avec beaucoup de tact, mais en veillant à couper court à toute discussion sur le sujet. On compte trois Instituts Solvay à Bruxelles, tous construits et entretenus par ses soins. Ma garde-robe est tout à fait appropriée. Einstein s’est naturellement rendu sans frac au dîner chez la famille Solvay… Il ne possède pas ce genre d’habits… Lorentz a demandé de tes nouvelles, il se souvient du nom de nos enfants… Il remplit sa tâche d’une manière exemplaire… J’ai dormi aujourd’hui jusqu’à 10 h, et compte me rendre à 11 h à la séance du Conseil. Nous nous réunissons chaque jour pendant près de cinq heures. Hier soir, j’avais un Français à ma gauche et un Anglais à ma droite ; j’ai conversé avec eux à tour de rôle… » La convivialité décrite par ce membre allemand prend tout son sens si l’on se souvient que l’Europe était secouée par la crise marocaine, et que les tensions entre la France et l’Allemagne étaient extrêmement vives214 (un conflit armé entre les deux nations avait été évité de justesse, grâce à la médiation de l’Angleterre et de la Russie). Nous savons que l’affaire occupait les esprits215 et qu’elle avait suscité de vives discussions entre les membres du Conseil. Et voici les propos de Lorentz dans une lettre216 à sa fille Geertruida de Haas : « Je suis arrivé à l’hôtel Métropole le dimanche 29 octobre vers 18 h 30, en compagnie d’Onnes. Nous y fumes royalement reçus. Une réunion a eu lieu à 20 h 30.

Fig. 17 : Arnold Sommerfeld en 1911, 2e rangée (centre de l’image), cf. fig. 1.

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La première séance débuta le lendemain à 10 h. Solvay est un “self-made man” ; il a fondé avec son frère une industrie de production de soude, qui s’étend à présent au monde entier. Ce grand industriel est un idéaliste fermement convaincu que les progrès de la science, particulièrement des sciences physiques, rendront l’humanité plus heureuse. D’où ses anciennes fondations, trois superbes instituts (Instituts de physiologie, de sociologie et de commerce), et l’actuelle invitation. C’est un homme d’une grande noblesse. Nous avons, tour à tour, présenté nos rapports (d’abord le mien sur l’ancienne théorie du rayonnement) et les avons discutés avec passion en trois langues (les Allemands et les Anglais préférant s’exprimer dans leur langue). Ce fut très enrichissant, et tout le monde fut fort satisfait, même si aucune des questions n’a été résolue – cela n’est pas possible quand on est vingt. Cependant, les débats nous ont donné ample matière à réflexion. Les discussions se sont prolongées le soir, mais en tant que président je n’en ai guère profité, car je devais m’entretenir régulièrement avec les secrétaires. Le vendredi midi, nous eûmes notre ultime séance ; elle fut suivie d’une courte réunion de clôture. Samedi, j’ai eu ma dernière entrevue avec les secrétaires ; après cela, je me suis rendu avec Onnes au laboratoire de Verschaffelt, puis chez Solvay pour déjeuner. Ensuite, je fis mes adieux à Goldschmidt, qui nous avait offert à dîner. J’eus à peine le temps de prendre le dernier train pour rentrer chez moi. Solvay nous a également reçus à dîner un après-midi. Madame Curie est infatigable et au courant de tout ; Rutherford aimable et blagueur ; Wien très agréable et amical, comme d’ailleurs tout le monde ; Einstein toujours aussi perspicace. Celui-là voit plus loin que tous les autres. Prenant souvent part au débat, il trouve le moyen chaque fois de contredire ses opposants, mais d’une façon si charmante que nul ne songerait à en prendre ombrage. J’avais pour moi une chambre magnifique, avec toilette et salle de bains, à proximité de la salle de réunion (nous avions nos réunions à l’hôtel, où nous étions les invités de Solvay). Je pouvais ainsi me retirer à chaque pause (d’un quart d’heure), et m’installer confortablement pour me rafraîchir les idées. Après mon retour, je me suis repenti d’avoir pris autant part aux discussions, car je devais mettre encore mes remarques par écrit et les envoyer aux secrétaires… »

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Impressions de Brillouin (dans un article217 consacré à Lorentz) : « Quel émerveillement d’entendre un étranger parler notre langue avec une telle perfection de forme et de fond… M. Lorentz parle une langue qui, par sa simplicité et l’aisance de sa syntaxe, par l’exacte propriété des formes, fait invinciblement penser aux meilleurs écrivains du xviiie siècle. Et quelle délicatesse de sentiments, quelle fine expression des nuances ! Par-dessus tout, quelle émanation de bienveillance et de sympathie… Cette impression n’a fait que croître et s’affermir chez ceux, qui, comme moi, ont eu le privilège de voir M. Lorentz à l’œuvre comme organisateur de la première réunion Solvay en 1911 à Bruxelles… La connaissance et la pratique de la langue anglaise et de la langue allemande permettent à M.  Lorentz de saisir, dans tous ses replis, la pensée des interlocuteurs et d’y répondre avec la précision la plus nuancée. Et il semble qu’il soit infatigable, malgré le passage d’une langue à l’autre dans la discussion des théories et des hypothèses les plus éloignées, en apparence, des notions classiques. Pendant ces longues et laborieuses réunions de 1911, dans la petite salle, un peu surchauffée de l’hôtel Métropole, à Bruxelles, M. Jeans, M. Rutherford nous quittaient invariablement à l’heure du thé et prenaient quelques instants de repos. Les autres, quand arrivait six heures, éprouvaient le besoin de prendre l’air sur le boulevard Anspach, de donner un peu de repos à l’esprit, ou de causer en tête à tête des difficultés soulevées en séance. M. Lorentz, lui, devait se précipiter chez M. Solvay, et changeant brusquement de préoccupations, élaborer le programme financier de la fondation trentenaire, par laquelle M. Solvay s’était vite décidé à prolonger dans l’avenir le succès de la passionnante réunion de 1911… »

Les discours de clôture Cinq discours sont prononcés le vendredi 3 novembre 1911. Nous avons choisi d’en reproduire deux : celui de Solvay et celui de Poincaré218 (il semble qu’il s’agisse du dernier discours que Poincaré eut l’occasion de prononcer devant un auditoire international).

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Discours de Solvay : Madame, Messieurs, Je vous remercie plus vivement encore aujourd’hui que je ne l’ai fait lundi à la séance d’ouverture du Conseil, maintenant que je vous ai vu à l’œuvre et que j’ai pu apprécier la somme énorme de travail que vous avez fourni sans trêve, ni repos, ni distraction. J’en suis profondément ému, de même que je le suis d’avoir pu constater la grande supériorité de la présidence de notre éminent M. Lorentz. Vous aurez fixé l’état actuel de la science physique dans une de ses directions fondamentales, en des assises qui occuperont dans son histoire une place remarquable, je n’en doute aucunement. Votre œuvre imprimée sera un monument que les siècles respecteront. Mais malgré cela, Messieurs, et malgré les beaux résultats obtenus par le Conseil, vous n’aurez pas tranché les difficultés de l’heure présente, ni surtout indiqué la voie franche et nette qui conduit à la détermination exacte calculée des éléments primordiaux très simples, en fonctionnement simple, que le philosophe entrevoit comme constituant cet univers actif, également simple en son intégralité, vers lequel est dirigée mon étude personnelle ; aussi mon devoir m’obliget-il à vous dire que je garde intactes les convictions que j’exprimais dans mon allocution d’ouverture du Conseil. Si rien n’y met obstacle, conformément à un vœu général qui existe, je pense, nous pourrons nous réunir à nouveau en 1913 et je me ferai un plaisir de vous y inviter ; et alors, Messieurs, j’espère être moi-même en mesure de défendre ma thèse gravito-matérialitique parallèlement à vos propres thèses, escomptant qu’à ce moment mon étude aura acquis le degré d’achèvement voulu pour ce but ; j’ai agi tout le temps pour qu’elle ne pût influencer vos délibérations préalablement fixées, mais en même temps pour qu’elle fût actée à l’occasion de la réunion du Conseil. En attendant, si je pouvais formuler un désir, ce serait de voir donner suite aux expériences que j’ai en vue sur la recherche de l’origine de l’énergie qui se manifeste dans le mouvement brownien et de l’énergie de la radioactivité, dans la ferme pensée où je continue entièrement à être qu’elle provient du milieu extérieur et non du milieu brownien ou des corps radioactifs eux-mêmes. Vous pourriez facilement, je crois, vous, spécialistes, m’aider à obtenir satisfaction sous ce rapport en résolvant une bonne fois la question dans un

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sens ou dans l’autre sous mon contrôle. Je vous prie d’excuser ma ténacité à cet égard ; demandez-vous, Messieurs, si elle ne vaut pas ou même ne prolonge pas les entêtements industriels de ma jeunesse, que j’aurais tort de ne pas avoir, vous ne l’ignorez peut-être pas ; plus encore aujourd’hui que j’ai suivi vos discussions qu’avant cela. En effet, je suis d’avis que les divers « Neptunes » infimes de divers ordres qu’il vous reste à découvrir pour aboutir à l’accord général et à l’harmonie totale, devront se calculer d’abord à la façon de Le Verrier plutôt que de s’observer à ultra-microscope d’abord. Vous voudrez, Madame, Messieurs, je n’en doute pas, me faire le plaisir que je sollicite de votre bienveillance ; je vous y aiderai de tout mon pouvoir… Discours de Poincaré : Madame, Messieurs, Je crois être l’interprète de tous nos collègues en adressant à notre président, M. Lorentz, tous nos remerciements. Nous avons admiré le tact parfait avec lequel il a dirigé nos discussions, l’élégance avec laquelle il manie les trois langues, comme s’il avait trois langues maternelles, ou même quatre ; j’oubliais le hollandais. Nous avons admiré la limpidité lumineuse avec laquelle il résumait nos débats à la fin de chaque séance, avec laquelle il vient encore de résumer l’ensemble de nos travaux, la bienveillante impartialité avec laquelle il savait, en rendant compte d’opinions opposées et presque contradictoires, faire ressortir ce que chacune pouvait contenir de plausible. La tâche n’était pas aisée, les difficultés qu’il a rencontrées n’étant pas celles qu’ont à surmonter les présidents d’assemblées parlementaires. Nous n’étions pas des bêtes féroces prêtes à s’entredévorer ; mais pour être d’une autre nature, elles n’étaient pas moins grandes. Nous naviguons sur une mer tout à fait inconnue et nous avions besoin d’un capitaine expérimenté. Si nous ne l’avions pas trouvé, nous nous serions sans doute égarés. Je crois devoir rappeler également que si nous avons agité beaucoup d’idées qui semblent nous ouvrir tout un monde à conquérir, l’origine de toutes ces idées se trouve dans les mémoires classiques de M. Lorentz. C’est pour nous une raison de plus d’exprimer à notre président toute notre reconnaissance.

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2.9. Résultats du Conseil De l’avis de plusieurs membres, le Conseil n’a pas apporté les réponses attendues. Aucune question de fond n’a pu être tranchée. Parmi les déçus, il faut citer le concepteur de l’événement. En effet, Nernst n’a pas obtenu ce qu’il désirait le plus : l’adhésion de ses collègues à l’idée que le théorème de la chaleur pouvait être déduit de la théorie des quanta. Sa déception est d’autant plus grande qu’elle lui est infligée par son « champion ». De façon générale, Einstein n’a pas délivré le message rassurant que Nernst espérait entendre. Plutôt que d’insister sur le succès des quanta dans le domaine moléculaire, il a rappelé que (sous sa forme actuelle) la théorie était incapable d’expliquer certains faits, tels que le comportement de la conductibilité thermique de la matière au voisinage du zéro absolu219. Quant aux chaleurs spécifiques des solides, la formule Nernst-Lindemann, présentée comme une amélioration de celle d’Einstein, n’a pas remporté le succès escompté : Nernst n’a pas réussi à faire admettre ses vues sur sa signification théorique. En ce qui concerne les radiations, la situation est tout aussi sombre. Lorentz a ouvert les débats en rappelant que la dynamique newtonienne et le principe d’équipartition de l’énergie conduisent à une loi du rayonnement noir en total désaccord avec l’expérience. Il a conclu qu’il fallait admettre l’existence d’actions étrangères à la mécanique classique, mais en reconnaissant qu’il n’avait aucune idée de la nature de ces actions, et qu’il ne voyait pas comment les prendre en compte. S’exprimant au sujet d’une hypothétique structure du rayonnement, Lorentz a rappelé son opposition à l’idée des quanta de lumière, en indiquant qu’il ne pouvait accepter l’idée d’une énergie radiante « concentrée dans des régions d’une infime extension ». Du point de vue de Planck, le bilan n’est guère plus brillant. Sa tentative visant à concilier sa loi du rayonnement avec l’électrodynamique classique à l’aide d’une nouvelle théorie des quanta (dite d’émission) n’a pas entraîné l’adhésion du Conseil. S’il a pu montrer que sa nouvelle hypothèse conduisait toujours à l’ancienne loi du rayonnement (preuve que cette loi pouvait être

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obtenue de diverses façons), il a dû reconnaître qu’elle introduisait une asymétrie fondamentale entre l’absorption et l’émission des radiations220. On s’est aperçu que l’hypothèse des quanta d’émission modifiait l’énergie des oscillateurs de Planck (apparition d’un nouveau terme, indépendant de la température). Cette prédiction d’une « énergie de point zéro » a donné lieu à de nombreuses spéculations. Mais les critiques ont abondé. Einstein s’est inquiété du fait que Planck persistait à faire usage de probabilités, sans en donner une définition physique. Poincaré a indiqué qu’aucune des deux théories ne pouvait être étendue à des systèmes de plusieurs degrés de liberté… Sommerfeld a décelé des contradictions entre les prédictions de la nouvelle théorie et certaines observations liées aux rayons X. Lorentz et Poincaré ont critiqué l’idée de Planck selon laquelle l’hypothèse des quanta ne devait pas être vue comme une hypothèse d’énergie, mais comme une « hypothèse d’action ». L’autre nouveauté théorique, l’hypothèse h de Sommerfeld, a suscité de vives discussions. Tout le monde a reconnu l’intérêt d’une théorie des quanta plus étendue que celle de Planck et applicable à une variété de phénomènes non périodiques, tels que la production de rayons X, l’émission de rayons gamma et de photo-électrons. Malheureusement, les calculs de Sommerfeld n’ont pas été concluants. Ses résultats ont été longuement commentés, notamment par Marie Curie et Rutherford, qui ont mis en doute leur signification. Einstein et Poincaré ont également signalé quelques difficultés d’ordre théorique. À ces résultats en demi-teinte, il faut ajouter les réserves de Warburg, spécialiste de l’étude expérimentale du rayonnement noir. S’exprimant au sujet de la loi de Planck, le président du PTR a indiqué que la confiance dans les données de 1900 a été remise en question à la lumière des résultats les plus récents. Il a conclu : « Si les recherches effectuées jusqu’ici ne sont pas en désaccord avec la formule de Planck, elles n’en ont pas fourni non plus une vérification complète. » Einstein, l’homme qui d’après Lorentz « voit plus loin que les autres », n’a pas manqué d’exprimer son inquiétude devant la situation. Conscient de l’insuffisance de la théorie de Maxwell, il a étendu son rapport au-delà

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du sujet prévu (la question des chaleurs spécifiques) et a rappelé l’existence d’éléments suggestifs d’une structure discontinue du rayonnement. Tout en reconnaissant son échec – il n’est pas parvenu à construire une théorie électromagnétique satisfaisante, capable d’expliquer les deux aspects contradictoires de la lumière –, il a déclaré221 : « De toute façon, il semble résulter de ces considérations que notre électromagnétisme ne peut, pas plus que notre mécanique, être mise en accord avec les faits222. » Se référant à la loi de Planck, Einstein a insisté sur un point capital223 : « Je n’ai eu d’autre objectif ici que de montrer combien sont fondamentales les difficultés dans lesquelles la formule du rayonnement nous entraîne, même si nous la considérons comme une simple donnée d’expérience. » Puis, s’exprimant au sujet de la théorie des quanta, il a souligné l’ampleur224 du défi : « Ces discontinuités qui rendent la théorie de Planck si difficile à accepter semblent vraiment exister dans la nature. Les difficultés que rencontre une théorie satisfaisante de ces phénomènes fondamentaux paraissent actuellement insurmontables. Pourquoi un électron prend-il dans un métal frappé par les rayons Röntgen la grande énergie cinétique observée pour les rayons cathodiques secondaires ? Tout le métal se trouve dans le champ des rayons Röntgen ; pourquoi seulement une petite partie des électrons prennent-ils cette vitesse des rayons cathodiques ? D’où vient que l’énergie n’est absorbée que dans des points extraordinairement peu nombreux ? En quoi ces points diffèrent-ils des autres ? Nous restons sans réponse devant ces questions et devant beaucoup d’autres… » Dans une lettre à Michele Besso225, Einstein avouera plus tard n’avoir rien appris à Bruxelles qu’il ne savait déjà. Il ira même jusqu’à dire que le Conseil lui rappelait « les lamentations sur les ruines de Jérusalem ». En réalité, le désenchantement d’Einstein à propos des quanta n’était pas nouveau : il s’était manifesté dès le printemps de 1911. Voici ce que le découvreur des quanta de lumière confiait le 13 mai 1911 à son ami Besso226 : « Je ne cherche plus à savoir si ces quanta existent réellement, et ne m’efforce plus de les construire, car je sais à présent que ma cervelle ne me permet pas de progresser

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dans cette direction. En revanche, je continue d’étudier avec soin les conséquences de cette hypothèse afin de déterminer l’étendue de son champ d’application… » Notons que le Conseil permit à Einstein d’approfondir ce dernier point, car il eut tout loisir de consulter des expérimentateurs chevronnés, tels que Rubens et Warburg. Les discussions qu’il eut avec ce dernier furent à l’origine d’une collaboration fructueuse dans le domaine des décompositions photochimiques227 (Warburg entreprit des expériences et confirma la validité d’une « loi d’équivalence photochimique » établie par Einstein228). Wien, membre allemand du Conseil (il obtiendra le prix Nobel de physique en 1911), proposa quelques mois plus tard d’attribuer un prix Nobel conjointement à Lorentz et Einstein pour leurs travaux en théorie de la relativité229. Il semble qu’il faille établir un lien entre cette première nomination d’Einstein et la réunion de Bruxelles. En effet, nous savons que Wien s’intéressait à la question de l’éther230. Nous savons aussi qu’il s’était rendu à Bruxelles en 1910 pour assister au Congrès de radiologie231, et qu’il avait évoqué la théorie de la relativité dans ses conversations avec Rutherford. À la remarque de Wien « qu’aucun Anglo-Saxon n’était capable de comprendre la relativité », Rutherford aurait répondu : « Non, car ils sont bien trop sensés. » Il est donc probable que Wien ait profité du Conseil pour parler de l’éther avec Einstein, qu’il ait été frappé par la profondeur de ses réflexions et qu’il ait résolu de proposer son nom pour un prix Nobel en partenariat avec Lorentz.

Impression générale et éléments positifs Un commentaire de Brillouin est révélateur du climat général à la fin du Conseil. Voici ce qu’il déclara pendant la discussion finale : « Il semble désormais bien certain qu’il faudra introduire dans nos conceptions physiques et chimiques une discontinuité, un élément variant par sauts, dont nous n’avions aucune idée il y a quelques années. Comment faudra-t-il l’introduire ? C’est ce que je vois moins bien. Sera-ce sous la première forme proposée par M. Planck, malgré les difficultés qu’elle soulève, ou sous sa seconde forme ? Sera-ce

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sous la forme de M. Sommerfeld, ou sous quelque autre à chercher ? Je n’en sais rien encore… L’incertitude même où nous restons sur la forme et l’étendue de la transformation à opérer – évolution ou refonte complète – est un puissant stimulant ; et il est sûr que ce souci nous poursuivra pendant de longues semaines, et que chacun de nous va s’attacher passionnément à la solution des difficultés dont nos discussions ont montré le caractère inéluctable et l’importance dans tant de domaines de la physique et de la chimie232… »

Fig. 18 : Henri Poincaré en 1911, assis (côté droit de l’image), cf. fig. 1.

Brillouin ne se trompait pas. Tout imprégné des discussions de Bruxelles, Poincaré se mit au travail et parvint à trancher, en l’espace de quelques semaines, la question qui s’était trouvée au centre des débats : fallait-il considérer l’hypothèse de Planck comme une condition nécessaire ? Le Conseil n’avait pas permis de résoudre ce dilemme. Poincaré (Fig. 18) avait déclaré qu’il était préférable d’envisager une alternative à l’introduction des quanta de manière à sauvegarder un outil essentiel de l’analyse mathématique : l’équation différentielle. De retour à Paris, l’éminent mathématicien s’aperçut de son erreur et démontra que l’hypothèse des quanta s’imposait comme une conséquence de la loi de rayonnement de Planck233. En concluant ainsi, Poincaré apportait un vigoureux démenti à l’idée qu’il avait défendue à Bruxelles. Sa conclusion tardive (communiquée juste à temps pour figurer au compte-rendu dans une note de bas de page) ne pouvait modifier l’opinion d’Einstein. Convaincu de la nécessité de l’hypothèse des quanta, ce dernier eut l’impression que Poincaré n’avait rien compris. Voici le message qu’il adressa le 15 novembre à son ami Zangger234 : « Poinkaré (sic) fut tout bonnement négatif ; malgré sa clairvoyance, il ne se montra pas à la hauteur de la situation. Planck se cramponna obstinément à quelques idées préconçues et indubitablement fausses… Quant aux certitudes, personne n’en a… Toute l’affaire aurait fait les délices de jésuites démoniaques… » En revanche, l’importance du travail de Poincaré n’échappa pas à Brillouin. Celui-ci déclara plus tard dans une lettre à Lorentz235 : « Avez-vous lu la note pénétrante de M. Poincaré ? N’eût-il provoqué que cette note, M. Solvay n’aurait pas perdu son temps ! »

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En effet, l’autorité de Poincaré était telle que sa conclusion s’imposa largement, même auprès de Jeans, ce membre du Conseil qui avait combattu fermement l’hypothèse des quanta, avant d’en devenir l’un des grands défenseurs236. On peut donc affirmer avec Brillouin que Poincaré apporta à lui seul une preuve irréfutable du succès du Conseil. D’autres éléments attestent l’influence des débats de Bruxelles sur le développement de la physique atomique et sur la naissance d’une mécanique des quanta : 1) Malgré l’échec de la théorie d’émission de Planck, on y trouve des éléments qui s’imposeront en 1927 avec l’émergence de la mécanique quantique (présence de processus élémentaires soumis à une loi de probabilité ; existence d’une énergie de point zéro pour un oscillateur). 2) L’exposé de Sommerfeld donna lieu à des discussions animées à propos de la constitution de l’atome. Marie Curie insista sur la distinction qu’il fallait faire entre deux régions atomiques : une région interne et une région périphérique. Elle appuya son constat sur certaines expériences de diffusion des rayons alpha et bêta. Curieusement, Rutherford ne fit aucune allusion aux expériences réalisées à Manchester, dont le résultat suggérait l’existence d’un noyau atomique (en dépit du fait qu’il avait publié ses premières conclusions dans un article237 de mai 1911). Cette discrétion est à mettre au compte d’une grande prudence : il semble que Rutherford ait préféré attendre que l’hypothèse soit confirmée par de nouveaux résultats238). 3) La discussion des rapports de Planck et de Sommerfeld permit d’attirer l’attention des membres du Conseil sur un modèle d’atome fondé sur l’existence du quantum d’action (le modèle de Haas239). 4) On sait que Niels Bohr, l’un des fondateurs de la théorie atomique moderne, bénéficia des délibérations du Conseil. Bohr rencontra Rutherford pour la première fois en novembre 1911. Il fut informé des discussions qui venaient d’avoir lieu à Bruxelles, et reconnut plus tard que la réunion avait été longuement commentée au cours de ses premières conversations avec Rutherford240.

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5) La thèse de Louis de Broglie (1924), une extension des idées d’Einstein relatives à la lumière, peut être considérée comme un développement à long terme du Conseil de 1911. Fasciné par la lecture du compte-rendu du Conseil, ce jeune frère de Maurice de Broglie décida d’entamer une carrière de physicien et d’approfondir la question des quanta241. Sa prédiction des « ondes de matière » sera confirmée en 1927 ; sa théorie de « l’onde pilote », une proposition présentée la même année au cinquième Conseil Solvay, y apparaîtra à côté de la mécanique ondulatoire de Schrödinger et de la mécanique quantique de Born-Heisenberg-Dirac (voir section 9.3). À ces divers points, il convient d’ajouter deux éléments d’ordre général : 6) Les quanta n’avaient suscité jusqu’alors qu’un intérêt très limité. Le Conseil eut le mérite de les porter à l’attention d’une large communauté de physiciens et de physico-chimistes242. 7) Les résultats annoncés par Kamerlingh Onnes marquèrent la naissance d’une nouvelle discipline, étroitement liée à l’ère des quanta : la physique des basses températures.

Réactions de la presse Comme le note Éliane Gubin243, la presse belge ne trouva pas utile de faire écho à la tenue d’une conférence privée, convoquée par Ernest Solvay pour permettre à une poignée d’experts d’échanger leurs vues sur « d’obscures questions de rayonnement thermique et de chaleurs spécifiques ». À Bruxelles, il n’y eut aucune annonce de l’événement (il se peut que l’entourage de Solvay n’ait pas tenu à signaler la tenue d’une réunion strictement confidentielle). Ce fut bien autre chose en Allemagne et aux PaysBas. Le Berliner Tageblatt rapporta l’événement dans son édition du 27 octobre 1911, probablement à l’instigation de Nernst. On s’aperçoit, en effet, que l’article met l’accent sur le rôle de Solvay « en tant qu’initiateur du Conseil » et qu’il cite, assez curieusement, van der Waals et Goldschmidt comme participants (nous avons noté que Nernst souhaitait vivement la présence au Conseil de van der Waals, afin de pouvoir balayer devant lui les critiques

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non fondées de MM. K & O). On peut également supposer qu’en mentionnant le nom de Goldschmidt, Nernst espérait apporter un démenti à un fait embarrassant : l’absence au Conseil de physiciens belges. Dernier point : l’auteur de l’article fait une déclaration qui correspond en tous points à l’état d’esprit de Nernst : « Les générations futures apprendront, grâce au compterendu de la conférence, comment les esprits les plus éclairés de l’époque ont tenté de relever les défis de la mécanique et de l’atomistique. » L’annonce du Berliner Tageblatt fut reprise en Hollande et parut dans le Algemeen Handelsblad. Rien de semblable en Belgique. En revanche, le Conseil bénéficia à Bruxelles d’une publicité non désirée, suite au scandale Curie-Langevin dont les échos atteignirent la capitale belge. Voici ce que l’on peut lire dans le Journal de Paris du 4 novembre 1911 : Une histoire d’amour Mme Curie et le Professeur Langevin Les feux du radium qui rayonnent si mystérieusement sur tout ce qui les environne nous réservaient une surprise : ils viennent d’allumer un incendie dans le cœur des savants qui étudient leur action avec ténacité ; et la femme et les enfants de ce savant sont en larmes… Le 5 novembre, l’affaire est relayée en Allemagne, toujours par le Berliner Tageblatt, d’abord par télégramme, puis en détail le lendemain. Ce ne sera qu’en février 1912, après l’essoufflement de l’affaire, que ce journal publiera la note de Lindemann « Un Congrès bien étrange », que nous avons évoquée dans l’avant-propos. Cette note rend compte de l’importance de la conférence : elle souligne son format inédit, énumère les rapports qui y furent discutés, et cite les noms des participants. Curieusement, le nom de Marie Curie n’est pas cité parmi ceux des membres français ; il apparaît plus loin comme étant celui de la seule femme admise au Conseil. Revenons à Paris. Le 5 novembre, c’est au tour du Petit Journal de titrer : « Un roman dans un laboratoire : l’aventure de Mme Curie et de M. Langevin ». Des journalistes se précipitent au Collège de France et au laboratoire Curie244. Ils cherchent à joindre Mme Curie (et Langevin [Fig. 19]), découvrent qu’ils sont en « congrès » à Bruxelles et alertent leurs correspondants.

Fig. 19 : Paul Langevin en 1911, cf. fig. 1.

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Deux jours plus tard, l’agence Reuter annonce que Marie Curie doit recevoir le prix Nobel de chimie de 1911 pour sa découverte du radium. C’est le premier exemple d’un(e) lauréat(e) deux fois couronné(e) par un prix Nobel (Marie Curie avait partagé en 1903 un prix Nobel de physique avec Pierre Curie et Henri Becquerel pour la découverte de la radioactivité). Mais le scandale occupe tous les esprits, l’affaire prend de l’ampleur. Le 9 novembre, Perrin et le mathématicien Émile Borel sont convoqués par le préfet de police. Marie Curie et ses filles fuient les manifestations qui ont lieu devant leur domicile à Sceaux ; elles se réfugient à Paris au domicile de Borel (celui-ci est le directeur scientifique de l’École normale). Le 23 novembre, on peut lire sur la couverture de l’Œuvre, journal xénophobe et antisémite dirigé par Gustave Téry (ancien condisciple de Langevin) : « La vérité sur le scandale Curie-Langevin ». Téry a choisi de publier l’assignation lancée à Paul Langevin par l’avocat de sa femme, où des lettres de Marie Curie sont abondamment citées. Les familles Perrin et Borel tentent de réhabiliter Marie Curie parmi leurs relations. Langevin provoque Téry en duel et se rend le 25 novembre 1911 au parc des Princes, accompagné par deux témoins : le mathématicien Paul Painlevé et Albin Haller, directeur de l’École municipale de physique et de chimie industrielles (l’un des fondateurs de l’AISC). Le duel n’aura pas lieu : Langevin et Téry baisseront leurs pistolets. À Stockholm, la nouvelle provoque l’inquiétude d’Arrhenius, qui a œuvré pour que le prix de chimie soit attribué à Marie Curie. Le 1er décembre 1911, il lui demande de démentir les accusations portées contre elle et lui conseille de ne pas se présenter à Stockholm pour y recevoir son prix. Heureusement, cette prière restera sans effet. Rassurée par un message confidentiel de MittagLeffler245, Marie Curie décidera de ne pas tenir compte de la mise en garde : elle se rendra en Suède et y recevra son prix le 10 décembre 1911. En Belgique, plusieurs feuilles libérales prennent fait et cause pour Marie Curie, victime d’une droite sectaire, de xénophobie et d’antiféminisme246. L’Étoile belge, un quotidien engagé dans la lutte clérico-libérale, prend sa défense en publiant ces lignes ironiques : « Madame Curie a bien tort d’être à la fois savante et célèbre, de vouloir entrer à l’Institut et de porter ainsi

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ombrage à quelques hommes tout aussi ambitieux qu’elle… Voici qu’une feuille à scandale s’empare aujourd’hui de son nom, de sa vie privée, et nous révèle – détail effroyable – que la compagne idéale, l’élève du grand Curie, n’est peut-être qu’une femme semblable à beaucoup d’autres, sujette à des défaillances… Voici Mme Curie salie à souhait et toute une coterie se frotte les mains : l’incroyante est exclue à tout jamais de l’Institut… » En France, les journaux font écho aux remous qui agitent le monde universitaire. Mais ils ne peuvent rapporter les réactions des membres du Conseil. Voici un message envoyé par Rutherford à Stefan Meyer247, directeur à Vienne de l’Institut pour la recherche sur le radium : « Je ne doute pas que vous avez appris que Madame Curie est souffrante et qu’elle devra prendre un long repos avant de pouvoir se remettre au travail… J’aime à croire que les rumeurs que vous avez entendues au sujet de la cause de la maladie de Mme Curie ne sont pas fondées. Je compatis de tout cœur aux malheurs qui l’ont frappée au cours des dernières années… » Et voici un extrait d’une lettre d’Einstein à son ami Heinrich Zangger, professeur de toxicologie à l’université de Zurich248 : « Je suis revenu la nuit dernière de Bruxelles, où j’ai passé beaucoup de temps avec Perrin, Langevin et Madame Curie. Je suis enchanté (d’avoir fait la connaissance) de ces personnes. Cette dernière a même promis de venir nous voir avec ses filles. L’horrible histoire colportée dans les journaux est un non-sens. On sait depuis longtemps que Langevin veut obtenir le divorce. S’il est épris de Mme Curie, et que celle-ci l’aime, ils n’ont aucun besoin de fuir à l’étranger, car ils ont tout loisir de se voir à Paris. Mais je n’ai pas eu du tout l’impression qu’il pouvait exister une relation particulière entre eux. J’ai plutôt trouvé que les trois étaient liés par une relation aimable et innocente. En outre, je ne crois pas que Mme Curie soit avide de pouvoir ou avide de quoi que ce soit. C’est une personne sans prétention et honnête, qui doit porter plus que sa part de responsabilités et de fardeaux. Elle est douée d’une intelligence étincelante, mais elle n’est pas, en dépit d’une nature passionnée, suffisamment attrayante pour constituer un danger pour quiconque… »

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Einstein doit cependant se rendre à l’évidence. Choqué par le caractère xénophobe des attaques portées contre sa collègue, il lui envoie ce message de soutien249 : Prague, le 23 novembre 1911 Très estimée Madame Curie, Ne vous moquez par de moi si je vous écris sans avoir rien de substantiel à vous dire. Mais je suis tellement enragé par la bassesse avec laquelle le public a l’effronterie de s’intéresser à vous ces jours-ci, que je dois absolument vous faire part de ce sentiment. Cependant, j’ai la conviction que vous méprisez uniformément cette racaille, qu’elle vous prodigue obséquieusement des éloges, ou qu’elle satisfasse son appétit insatiable de sensationnel ! Je tiens à vous dire à quel point j’admire votre intelligence, votre énergie et votre intégrité, et à quel point je me considère heureux d’avoir pu faire votre connaissance à Bruxelles. Quiconque n’appartient pas à cette bande de reptiles ne peut que se réjouir, à l’heure présente comme autrefois, de se sentir proche de personnages tels que vous et Langevin, des êtres vrais avec lesquels tout contact est ressenti comme un privilège. Ne lisez pas ces ordures, au cas où la canaille continuerait de s’occuper de vous ; abandonnez-les plutôt aux reptiles pour lesquels elles ont été fabriquées. Mon souvenir le plus aimable à vous, à Langevin et à Perrin, votre très affectionné A. Einstein Le président Lorentz se trouve, quant à lui, dans un grand embarras. Confronté aux nouvelles qui ont filtré, cet homme plein de tact, partisan de l’émancipation des femmes, a conscience du danger de la situation. C’est lui qui a choisi d’inclure Marie Curie dans le comité provisoire qui s’est réuni le 3 novembre 1911. C’est donc à lui de veiller à ce que le scandale ne rejaillisse pas sur Solvay. Mais que doit-il faire ? Est-il souhaitable de maintenir Marie Curie dans le comité scientifique de l’Institut projeté ? Avant de se prononcer, Lorentz prend l’avis de Brillouin, autre membre français du comité provisoire. Celui-ci lui répond250 le 29 janvier 1912 : Cher Monsieur, Votre lettre touche une des questions les plus angoissantes qui se soient posées à nous depuis longtemps. J’aurais mieux

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aimé que cette lamentable aventure restât ignorée ; mais vous aviez en effet le devoir de vous informer, et puisque vous avez pris connaissance des documents publiés, dont le principal est la lettre malheureusement authentique publiée par l’Œuvre, je ne puis me dispenser de vous dire ce que je pense, et pourquoi M. Solvay mérite que votre décision soit prise en connaissant quel trouble moral agite actuellement notre monde universitaire (…). J’ai connu Langevin comme élève à l’École normale, et j’ai tout de suite inauguré de lui ce que je pense encore : qu’il était destiné à devenir le premier physicien de France ; qu’il fallait l’orienter vers le Collège de France pour que mon beau-père, M. Mascart, le prît comme suppléant. Nous avons connu, ma femme et moi, le jeune ménage Langevin pendant les premières années de mariage ; Langevin était d’un dévouement affectueux, Madame Langevin une mère de famille et une épouse à laquelle il n’y avait aucun reproche à faire. D’origine modeste, comme Langevin lui-même, elle supportait courageusement avec lui les lourdes charges de famille, bilatérales d’ailleurs. Ma femme, qui l’a vue familièrement à cette époque – nous habitions de Pâques à l’automne le même village voisin de Paris pour mettre nos enfants au grand air –, ne lui a jamais entendu dire un mot que ne pût prononcer une femme bien élevée, ni énoncer un sentiment indélicat. On me dit maintenant que dès cette époque, il y avait entre eux des disputes violentes et des propos grossiers de la part de Madame Langevin, et que dès cette époque Langevin était très malheureux. C’est possible, mais il n’en avait pas l’air ; il ne rougissait pas de sa femme ; tous deux étaient accueillis amicalement partout ; et quatre enfants, dont le dernier a environ 3 ans, semblent prouver qu’il n’y avait rien d’irrémédiable dans les désaccords, d’ailleurs ignorés de tous à cette époque. Ceci nous amène jusqu’à l’accident déplorable qui a coûté la vie à Pierre Curie. Tous les amis personnels de Curie ont mis leur dévouement au service de la malheureuse veuve. Elle redoutait l’épreuve de l’enseignement public ; personne n’a été étonné qu’elle recoure aux conseils de Langevin. Par une malheureuse coïncidence, de cette époque date – en apparence au moins – la désaffection de Langevin pour sa femme (…) Que résoudre ? Je suis tout à fait incapable de vous rien dire à ce sujet – Il faut croire que ce n’est pas facile, car les hommes qui sont à la tête de l’université de Paris sont, paraît-il, dans un cruel embarras. Leurs relations avec M. R. Poincaré, avocat de Langevin, actuellement président du Conseil des ministres,

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leur ont certainement permis de savoir le fond des choses, et d’éviter le scandale public du procès, avec lettres, témoins, etc. Qu’ont-ils résolu, je l’ignore. J’ai systématiquement évité toute réunion qui m’eût obligé à manifester publiquement mon sentiment. Je me suis contenté de le faire connaître, et assez vivement, à Perrin. Je n’ai pu éviter les assemblées de notre Collège ; mais Langevin a compris et nous arrivons très facilement à ne pas nous y rencontrer, tout en y assistant tous deux. Le Collège de France est par définition une collection de travailleurs indépendants. Nous pouvons nous ignorer sans que le Collège en souffre ; mais c’est un des plus gros chagrins de ma vie (…). Vous êtes, Monsieur, par votre caractère et votre nationalité, le seul étranger dans l’estime, la sympathie et la droiture duquel j’aie assez confiance pour vous écrire mon sentiment sur ce pénible sujet, sans craindre d’être moi-même mal jugé. Je prends la responsabilité de ce que j’écris, mais il me serait pénible, comme Français, que mon sentiment eût une publicité internationale. Je désire donc que cette lettre reste confidentielle. Nous verrons qu’en dépit des réserves de Brillouin, Lorentz maintiendra Marie Curie dans le comité scientifique de l’Institut, une décision facilitée par les nouvelles rassurantes en provenance de Paris (les rumeurs de scandale s’estomperont à la fin de l’année). Mais l’émotion et les soucis auront miné la santé de Marie. Le 29 décembre, avant d’emménager dans l’appartement qu’elle a loué à Paris, elle est transportée en clinique. Heureusement, elle a bientôt connaissance du jugement de séparation des époux Langevin, et se rend compte que le scandale a été désamorcé par les soins de l’avocat de Langevin251 (Raymond Poincaré, cousin du mathématicien) : le jugement ne contient pas un mot sur Madame Curie.

Attitude de Solvay au lendemain du Conseil Revenons au Conseil. Son succès se mesure aujourd’hui par l’ampleur de ses conséquences en physique et en chimie. Cet impact fut le résultat de la création par Solvay de l’IIPS et de l’IICS. Nous rapporterons le détail de ces fondations dans la deuxième partie de notre récit. Mais quels furent les effets du Conseil sur celui qui l’avait convoqué ? Une chose est sûre. Solvay se rend compte dès la fin de la réunion que ses invités ne sont pas parvenus à résoudre

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la crise (il ne craint pas de le dire dans son discours de clôture). Ces éminents savants ne se sont accordés que sur un seul point, l’incapacité des théories classiques à rendre compte des faits ! Ce constat aurait pu démotiver l’industriel. Or nous savons que sa réaction fut tout autre. Le désarroi des experts renforça sa conviction qu’une approche différente (pour ne pas dire la sienne) pouvait apporter une solution au problème. Souvenons-nous de ses propos du 3 novembre 1911 : « Vous n’aurez pas tranché les difficultés de l’heure présente, ni surtout indiqué la voie franche et nette qui conduit à la détermination exacte calculée des éléments primordiaux très simples, en fonctionnement simple ; que le philosophe entrevoit comme constituant cet univers actif… vers lequel est dirigée mon étude personnelle ; aussi mon devoir m’oblige-t-il à vous dire que je garde intactes les convictions que j’exprimais dans mon allocution d’ouverture du Conseil. Si rien n’y met obstacle… nous pourrons nous réunir à nouveau en 1913… et alors, Messieurs, j’espère être moimême en mesure de défendre ma thèse gravito-matérialitique parallèlement à vos propres thèses, escomptant qu’à ce moment mon étude aura acquis le degré d’achèvement voulu pour ce but… » On peut donc dire que le Conseil eut un effet stimulant sur Solvay, qui y trouva une raison de poursuivre ses recherches et de les pousser à fond. Cependant, il importe de rapporter un élément qui semble avoir pesé sur sa résolution. Il s’agit d’un fait que nous n’avons pas souligné jusqu’ici : l’étonnante absence au Conseil d’Émile Tassel, le plus ancien conseiller de Solvay pour la physique ! Cette absence surprend d’autant plus que c’est Tassel qui a rédigé la Gravitique, cet ouvrage de Solvay252, achevé en 1887 (il ne sera publié qu’en 1929) qui servit de base à la rédaction de son Étude préliminaire, distribuée aux membres du Conseil. Comment faut-il interpréter le retrait de Tassel, et la présence au Conseil de deux nouveau-venus : Herzen et Hostelet ? Une réponse à cette question peut être trouvée dans les notes anonymes « Sur les travaux poursuivis par Ernest Solvay de 1857 à 1914 » que Tassel fit imprimer en 1920.

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Voici ce que l’on peut lire dans l’exemplaire conservé au musée Teyler de Haarlem (pages 65 et 66) : « Deux collaborateurs du laboratoire de recherche de la Société Solvay & Cie, MM. E. Herzen et G. Hostelet, qui depuis 1909 avaient été utilisés déjà à l’étude de certains problèmes se rattachant aux recherches théoriques ou applicatives de M. Solvay, furent appelés par lui à une collaboration plus effective d’abord, et complète ensuite, aux travaux se rapportant à ses théories générales. Jusqu’à ce moment, M. Solvay avait été assisté en ordre principal dans les différentes voies de son activité par un collaborateur dont le concours était devenu insuffisant pour assurer à bref délai l’aboutissement des études poursuivies et des publications projetées. D’autre part, il fallait à M. Solvay une collaboration plus dégagée d’esprit critique et classique, plus souple, plus accessible à la compréhension de ses points de vue, et que de collaborateurs plus jeunes et plus réceptifs pouvaient lui apporter… » On en déduit que Tassel ne se sentait plus concerné par les progrès brusqués que Solvay avait en vue, et qu’il avait décidé de s’effacer avant la tenue du Conseil (cédant sa place à deux physiciens « plus jeunes et plus réceptifs » que lui). D’autre part, tout porte à croire qu’en s’affranchissant des réserves de Tassel, Solvay ait eu le sentiment qu’il se libérait d’un frein et qu’il pourrait désormais donner libre cours à ses idées les plus hardies, comme celle de réformer en profondeur la physique et la chimie à l’aide d’une théorie élargie. Ce qu’on peut affirmer, c’est que Solvay se fit assister dès 1910 par Herzen et par Hostelet, et qu’il obtint ensuite leur collaboration complète. Nous savons en effet qu’il se les attacha dès la fin du Conseil en leur faisant signer un contrat assorti d’importants avantages financiers253. Solvay confirmera ses intentions en 1912 en faisant inscrire aux statuts de l’IIPS une clause l’autorisant à se faire représenter dans les réunions scientifiques par « MM. Herzen et Hostelet, qui ont assisté au Conseil de 1911 » (section 4.2). Signalons toutefois que l’industriel continua d’accorder sa confiance à Tassel et qu’il fit appel à ses services dans d’autres domaines. Nous verrons (section 4.4) que Tassel sera prié en 1912 de se joindre à Héger pour finaliser le projet de fondation

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de l’IIPS, et qu’il sera chargé par Solvay de mener les négociations de 1912-1913 avec les représentants de l’AISC en vue de la création de l’IICS (sections 4.3 et 4.4). Mais l’effacement scientifique de Tassel aura des répercussions sur le programme de Solvay et sur son comportement. Privé de l’influence modératrice de son plus ancien conseiller, l’industriel s’engagera dans des voies peu crédibles et s’éloignera de plus en plus de la physique établie. Nous rendrons compte de cette évolution dans la deuxième partie du livre, en rapportant certains faits qui illustrent l’entêtement de Solvay et l’ampleur de sa passion. Cependant, il y a lieu de souligner dès à présent le contraste saisissant entre les deux effets de cette passion. D’un côté, nous avons l’image d’un immense succès : l’impact durable du Conseil sur le développement de la physique et de la chimie, grâce à la clairvoyance et à la grandeur d’âme du fondateur de l’IIPS (et de l’IICS). De l’autre, nous voyons ce même fondateur emporté par un rêve irréaliste, qui se livre à d’interminables recherches (dont le monde n’a gardé aucune trace) et s’engage dans des voies qui n’ont aucune chance d’aboutir… On reste stupéfait devant l’acharnement de cet homme qui côtoie les plus grands scientifiques de son temps, mais qui s’enferme obstinément dans une recherche personnelle en refusant de prendre l’avis de ces experts qui lui sont proches (et qu’il pourrait aisément consulter). En revanche, nous savons que cet investigateur solitaire, peu enclin à soumettre ses vues à des théoriciens, n’hésite pas à solliciter l’aide de certains expérimentateurs (au rang desquels on compte Marie Curie et Kamerlingh Onnes), et qu’il consent à leur faire part de ses intuitions sur des points précis. Nous aurons l’occasion de nous étendre sur ce trait singulier de Solvay (voir les sections 4.4, 5.2 et 6.5).

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Conséquences inattendues du Conseil

Nous avons vu que le premier Conseil de physique – nous l’appellerons désormais Solvay I – fut le résultat de motivations très diverses et d’un incroyable concours de circonstances. À Walther Nernst, père du 3e principe de la thermodynamique, revient l’honneur d’avoir eu l’idée d’un Concile scientifique, et d’avoir proposé la formule inédite qui deviendrait la marque des célèbres Conseils de physique et de chimie254. À  Ernest Solvay, autodidacte passionné de sciences (qui les pratique d’une manière très personnelle) revient le mérite d’avoir compris intuitivement que la physique était en crise, et d’avoir donné corps à l’idée de Nernst en réunissant une vingtaine de savants à Bruxelles. Nous allons voir dans ce qui suit que Solvay I eut des conséquences multiples. Certaines sont bien connues : c’est le cas de la fondation par Solvay de l’IIPS et de l’IICS. D’autres le sont beaucoup moins. C’est par l’évocation de ces dernières que nous commençons la deuxième partie de notre récit.

Chapitre 3 Jeu de chaises musicales

La réunion de Bruxelles eut un effet immédiat sur le parcours de deux personnages éminents : Lorentz et Einstein. Cet effet se résume, pour une part, à la mise en mouvement d’un véritable « carrousel professionnel ».

3.1. Impact du Conseil sur la carrière d’Einstein : de Prague à Zurich Einstein quitte Bruxelles sans avoir convaincu ses collègues de la nécessité d’une réforme en profondeur de la théorie électromagnétique. Il a constaté que les membres du Conseil ne sont pas disposés à accepter le seul point qui lui semble fermement établi : le fait que dans tout processus périodique l’énergie ne peut s’échanger que par quanta255. En revanche, il est enchanté d’avoir fait la connaissance de physiciens français et britanniques (auparavant, ses contacts étaient limités pour l’essentiel à la sphère scientifique allemande, à l’exception d’invitations qui lui avaient été envoyées de Genève et de Leiden). Les liens qu’il a noués avec Marie Curie et Paul Langevin se renforceront par la suite : ils donneront naissance à une véritable amitié. Ainsi, c’est un message enthousiaste qu’Einstein adresse à Heinrich Zangger256 : « Ce fut très intéressant à Bruxelles. Outre les Français –  Curie, Langevin, Perrin, Brillouin, Poinkaré (sic) – et les Allemands – Nernst, Rubens, Warburg, Sommerfeld – Rutherford et Jeans étaient présents. Et, bien entendu, H. A. Lorentz et Kamerlingh Onnes. H. A. Lorentz est une merveille d’intelligence et de tact. C’est une œuvre d’art vivante. À mon avis, il était le plus intelligent des théoriciens présents… »

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En réalité, Einstein est loin d’imaginer l’impact que sa présence au Conseil va avoir sur le développement de sa carrière académique. Or, ce sont précisément des questions professionnelles qui le préoccupent lorsqu’il prend le train pour Bruxelles.

La chaire d’Utrecht Revenons à la fin du mois d’août 1911. C’est à cette époque qu’Einstein envisage de quitter l’université allemande de Prague, où il occupe une chaire depuis le mois d’avril 1911. L’idée lui est venue suite à l’offre d’une chaire à l’université d’Utrecht. Cependant, cette perspective d’un nouveau poste l’a placé dans une situation compliquée. Essayons de comprendre son dilemme. Le 20 août, Einstein apprend par une lettre de Willem Julius257, son correspondant hollandais, qu’une chaire est vacante à l’université d’Utrecht. Sa première réaction est de ne pas donner suite à cette nouvelle, car il lui semble difficile de quitter Prague après si peu de temps. Cependant, l’idée d’un poste qui le rapprocherait de Lorentz et de Kamerlingh Onnes fait bientôt son chemin. Peu à peu, son désir de quitter Prague se précise. Einstein n’a pas oublié que l’École polytechnique fédérale de Zurich (ETH), où il s’est formé, lui a refusé un poste d’assistant au terme de ses études. Il se dit que l’offre d’Utrecht pourrait faciliter une nomination dans son ancienne école, et lui fournir une revanche à laquelle il aspire depuis longtemps. Mais l’affaire est délicate, car la décision doit être prise à Berne. Einstein discute le coup avec son ami Zangger258, de passage à Prague. Celui-ci est en relation avec Ludwig Forrer, conseiller fédéral. Il propose de mener des négociations avec les autorités de Berne259. Julius revient à la charge le 17 septembre 1911, cette fois au nom de la faculté d’Utrecht. Pressé de donner une réponse, Einstein adresse une lettre à Zangger pour lui demander ce que sont ses chances à Zurich260. Le 22 septembre, il annonce à Julius261 qu’il songe à accepter l’offre d’Utrecht, mais en indiquant qu’il a promis, avant son départ pour Prague, de retourner à Zurich dans le cas où une chaire lui serait offerte à l’ETH. Du 24 au 30 septembre 1911, Einstein prend part au Naturforscher Versammlung qui se tient à Karlsruhe : il y

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retrouve Zangger, en compagnie du directeur de l’Institut de physique de l’ETH, Pierre Weiss. Julius revient aux nouvelles le 11 octobre. Einstein cherche à gagner du temps ; il lui demande un délai de réflexion et explique qu’il ne croit plus au succès de sa candidature à l’ETH. Pourtant, le 22 octobre, il écrit à Zangger262 pour lui dire qu’il se réjouit du soutien de Forrer, tout en insistant pour que ce dernier fasse diligence, car les Hollandais s’impatientent… Irrité par les lenteurs administratives et par l’obligation de tenir ses engagements vis-à-vis de Nernst, Einstein se confie à son grand ami Michele Besso263 : « Je n’ai pas eu un instant à moi. J’ai été absent pendant trois semaines, d’abord à Karlsruhe et ensuite à Zurich où j’ai dû donner huit leçons pour un cours de vacances. Ajoute à cela un grand nombre de discussions professionnelles et d’obligations personnelles. Mais à présent, dès que le sabbat de sorcières à Bruxelles aura pris fin, je serai à nouveau mon propre maître, sauf en ce qui concerne mes cours… » Malheureusement, les choses traînent en longueur. La question de l’ETH est toujours en suspens lorsque débute le Conseil. Einstein s’entretient avec Lorentz264 ; la chaire d’Utrecht est évoquée. Lorentz (qui a rencontré Julius pendant l’été, et une nouvelle fois avant le Conseil) se sent autorisé à donner son avis : il croit pouvoir influencer Einstein et l’inciter à venir en Hollande. Mais le fond de la question n’est pas abordé. Lorentz tient à demeurer discret, car il ne sait pas où en sont les négociations avec Utrecht ; Einstein craint de s’avancer, car il n’a pas connaissance des informations dont dispose Lorentz… Cette absence de clarté sera source de malentendus265. Dès la fin du Conseil, Einstein se rend à Utrecht pour y rencontrer Julius. Il lui dit qu’il ne pourra lui donner une réponse définitive qu’après son retour à Prague, où devrait l’attendre une lettre de Zurich266. Rentré chez lui, il s’aperçoit que ce n’est pas le cas : aucune nouvelle de Zurich ! Excédé par l’attente, Einstein décide qu’il n’ira pas en Hollande. Le 15 novembre, il fait part de sa décision à Julius267 et lui apprend qu’il a écrit à Debije, un physicien hollandais qui occupe son ancien poste à Zurich et qui serait heureux d’être nommé à Utrecht. Le même jour, il s’adresse à Zangger268 pour lui demander de ne plus s’occuper de sa nomination à l’ETH.

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Le lendemain, coup de tonnerre : Einstein reçoit une lettre (apparemment de son ami Marcel Grossmann) qui lui apprend qu’on souhaite le nommer à l’ETH. La nouvelle lui est confirmée par Weiss… Les efforts de Zangger ont payé : l’École polytechnique de Zurich lui offre une chaire de physique théorique ! Einstein annonce aussitôt la nouvelle à Julius269 en lui demandant de ne pas ébruiter la prochaine nomination de Debije à Utrecht (car il importe de maintenir la pression sur les autorités de Berne qui ne se sont décidés que par crainte de le voir s’installer à Utrecht). Le retour d’Einstein à Zurich ne fait plus de doute, mais sa nomination à l’ETH ne sera effective qu’au bout de trois mois. Einstein apprendra le 23 février 1912 que le Conseil fédéral l’a nommé270 professeur de physique théorique à l’Institut polytechnique.

Influence du Conseil Reportons-nous à présent au 3 novembre 1911, dernier jour de la réunion de Bruxelles. Einstein n’a pas la moindre idée de l’appui que le « sabbat de sorcières » est en voie d’apporter à sa candidature de Zurich. Il est loin de se douter qu’un de ses biographes271 écrira un jour : « La présence d’Einstein au Conseil Solvay de 1911 eut des répercussions décisives sur le reste de sa vie. » Or voici qu’une première répercussion se concrétise quelques jours à peine après la fin du Conseil. En effet, suite à l’intervention de Zangger auprès de Pierre Weiss272, ce dernier s’est adressé à deux de ses collègues : Marie Curie et Henri Poincaré. Ceux-ci ont pu apprécier l’éblouissante prestation d’Einstein au Conseil ; ils le recommandent chaudement ! Voici le message273 de Marie Curie à Weiss (17 novembre 1911) : « J’ai une grande admiration pour les travaux que M. Einstein a publiés sur des questions de physique théorique moderne. Je pense que les spécialistes de physique mathématique s’accordent pour considérer son travail comme étant de tout premier rang. À Bruxelles, où j’ai assisté à une conférence scientifique à laquelle M. Einstein a pris part, j’ai pu apprécier la clarté de son esprit, la finesse avec laquelle il interprète les faits, et la profondeur de ses connaissances. Si l’on tient compte du fait que M. Einstein est encore très jeune,

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on a toutes les raisons de fonder des espoirs en lui et de le considérer comme l’un des grands théoriciens de l’avenir. Je pense qu’une institution qui fournirait à M. Einstein les moyens qu’il sollicite, en lui offrant une chaire à la hauteur de ses mérites, s’en trouverait fort honorée et serait assurée de rendre un grand service à la science. » Et voici le commentaire de Poincaré274 : « M. Einstein est un des esprits les plus originaux que j’aie connus ; malgré sa jeunesse, il a déjà pris un rang très honorable parmi les premiers savants de son temps. Ce que nous devons surtout admirer en lui, c’est la facilité avec laquelle il s’adapte aux conceptions nouvelles et sait en tirer toutes les conséquences. Il ne reste pas attaché aux principes classiques, et, en présence d’un problème de physique, est prompt à envisager toutes les possibilités. Cela se traduit immédiatement dans son esprit par la prévision de phénomènes nouveaux, susceptibles d’être un jour vérifiés par l’expérience. Je ne veux pas dire que toutes ces prévisions résisteront au contrôle de l’expérience le jour où ce contrôle deviendra possible. Comme il cherche dans toutes les directions, on doit au contraire s’attendre à ce que la plupart des voies dans lesquelles il s’engage soient des impasses ; mais on doit en même temps espérer que l’une des directions qu’il a indiquées soit la bonne ; et cela suffit. C’est bien ainsi qu’on doit procéder. Le rôle de la physique mathématique est de bien poser les questions, ce n’est que l’expérience qui peut les résoudre. L’avenir montrera de plus en plus quelle est la valeur de M. Einstein, et l’université qui saura s’attacher ce jeune maître est assurée d’en tirer beaucoup d’honneur… » Marie Curie et Poincaré ne sont pas les seuls membres qui ont apprécié les talents d’Einstein. Celui-ci reçoit des offres de diverses institutions. Trois propositions275 sont directement liées au Conseil de physique : i) Lorentz cherche à accueillir Einstein comme son successeur à l’université de Leiden : un projet qui débute en février 1912, et sur lequel nous reviendrons bientôt. ii) Warburg, président du PTR, cherche à attirer Einstein à Charlottenburg pour l’incorporer dans son Institut (juin 1912). iii) Hasenöhrl lui propose un poste à l’université de Vienne (cette offre de juillet 1912 sera éclipsée par les actions entreprises à Berlin ; voir la section 3.3).

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3.2. L’imbroglio de la « succession Lorentz » Lorsque s’ouvre le Conseil, Lorentz se préoccupe, lui aussi, de son avenir professionnel. Titulaire depuis plus de trente ans d’une chaire à l’université de Leiden, il voudrait consacrer du temps à ses recherches, également expérimentales (un souhait constamment reporté en raison de ses lourdes tâches d’enseignement). Or il se fait qu’en 1909 la Fondation Teyler lui a proposé de devenir curateur de son laboratoire de physique. Cette fonction impliquera l’abandon à terme de sa chaire, et son installation à Haarlem. Mais l’idée du changement lui plaît : la nouvelle position devrait lui laisser beaucoup de liberté. Le projet se concrétise en janvier 1910 : Lorentz prend la direction du laboratoire Teyler, en accord avec la faculté, l’université de Leiden et le ministre. Il a été convenu qu’il conserverait sa chaire pendant un certain temps276 – environ quatre ans – et qu’il deviendrait professeur extraordinaire au moment de son départ (il ne donnerait alors qu’un seul cours, un titulaire de la chaire ayant été nommé à sa place). Dès sa nomination à Haarlem, Lorentz s’emploie à réorganiser le laboratoire de la Fondation (un physicien a été engagé pour l’assister dans ses expériences). Il ne sait pas encore qu’un nouvel obstacle va bientôt se dresser sur sa route : l’appel de Solvay pour la création d’un Institut international de physique !

Le poste d’Utrecht En prévision de son changement de statut (de professeur ordinaire à professeur extraordinaire), Lorentz se voit contraint dès l’été de 1911 de songer à sa succession. L’affaire s’annonce sous un jour favorable. Les concurrences ne sont pas à craindre : aucune chaire de physique théorique n’est déclarée vacante aux Pays-Bas. Mais cette situation prend fin le 8 août 1911, suite au décès à Utrecht du professeur Cornelis Wind. Julius est chargé de lui trouver un successeur : il s’adresse aussitôt à Einstein (voir sa lettre confidentielle du 20 août 1911, que nous avons citée plus haut).

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Julius et Lorentz se rencontrent dans le courant du mois d’août ; ils évoquent la chaire d’Utrecht. Peu de temps après, Lorentz reçoit la visite de Debije (que l’on écrit souvent Debye), qui lui fait grande impression (un point que Lorentz s’empresse de communiquer à Julius). Debije donne des nouvelles d’Einstein, qui ne serait allé à Prague qu’en raison du bon salaire, et que certains cherchent déjà à faire revenir à Zurich en faisant miroiter la possibilité d’une nomination à l’ETH. Revenons au Conseil. Lorentz soupçonne Julius d’avoir parlé à Einstein de la chaire d’Utrecht (un soupçon confirmé par Julius avant le Conseil) ; il aborde le sujet dans ses conversations avec Einstein, mais ses propos sont peu clairs : Einstein croit à tort que Lorentz privilégie un candidat hollandais277 (une préférence qui pourrait jouer en faveur de Debije). Tenu par ses engagements vis-à-vis de Julius, Lorentz se garde de dire à Einstein qu’il espère l’accueillir un jour comme son successeur à l’université de Leiden. Rappelons que Lorentz et Einstein se sont rencontrés pour la première fois en février 1911. Lorentz a prié Einstein et sa femme de loger chez lui, une invitation qui n’était pas dans ses habitudes278 ; il leur a fait visiter le musée Teyler et le laboratoire de la Fondation. Il est probable qu’il ait évoqué devant eux son projet de s’installer trois ans plus tard à Haarlem279 (Lorentz ne pouvait prévoir que le calendrier qu’il s’était fixé se trouverait chamboulé par la tenue du Conseil d’octobrenovembre 1911). Revenu de Bruxelles, Lorentz prend des mesures pour accélérer l’ouverture de sa succession. Le 21 novembre, il adresse une lettre à la faculté pour lui demander d’adapter le budget de 1912 en vue d’une réduction de son mandat à celui de professeur extraordinaire. Cette précipitation – Lorentz veut renoncer à son poste dix-huit mois plus tôt que prévu – est le résultat de la mission que Solvay lui a confiée : concevoir un Institut international de physique. Conscient du caractère tardif de sa demande, Lorentz tente de la justifier en invoquant le surplus de travail occasionné par sa présidence de la section de physique de l’Académie d’Amsterdam (une fonction qu’il remplit depuis 1910). Cependant, il a soin d’exposer ses vrais motifs dans une lettre confidentielle qu’il adresse à J. D. van der Waals, curateur de l’université et « membre

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ayant pris part au Conseil, mais sans y assister ». Voici ce qu’il lui dit280 : « À vous personnellement je puis confier que l’un des éléments qui ont contribué à l’augmentation de mes occupations est la conséquence du congrès de Bruxelles. M. Solvay souhaite promouvoir par une fondation les progrès en physique et en chimie (principalement en soutenant des laboratoires). En vertu de ma position de président du Conseil, on m’a prié de mener les discussions avec lui et avec d’autres membres. Je prévois que cela me coûtera bien des efforts. Il s’agit, bien entendu, d’un secret, mais que vous êtes autorisé à connaître, en tant que membre du Conseil… » Deux jours plus tard, Lorentz reçoit des nouvelles d’Einstein, qui lui fait part de son embarras281 : « Je vous écris cette lettre avec le cœur gros, comme une personne qui a commis une injustice envers son père. La décision fut très difficile à prendre. Je dois vous avouer franchement que l’un de mes soucis était de ne pas savoir si vous trouviez convenable pour un étranger de se fixer à Utrecht. Après tout, je ne pouvais pas vous poser la question directement, et personne d’autre n’était capable de me le dire. Ajoutez à cela ma conviction que le jeune Debije – qui est hollandais – est au moins mon égal en ce qui concerne le talent… Vous avez probablement senti que je vous révère au-delà de toute mesure. Si j’avais su que vous souhaitiez que je vienne à Utrecht, j’y serais allé. Mais il est facile de comprendre pourquoi je n’ai pas osé vous le demander. Il ne me reste donc qu’une chose à faire : je vous supplie sincèrement de ne pas m’en vouloir d’avoir agi comme je l’ai fait ! Je suis déjà suffisamment puni par le fait que je n’aurai plus l’occasion de vous rencontrer fréquemment. Mais si vous pensez pouvoir conserver un sentiment d’amitié pour moi, en dépit de ce qui s’est passé, je viendrai de temps en temps en Hollande pour causer avec vous. Je voudrais également vous prier de m’accorder le grand plaisir de vous recevoir en invité, au cas où vous viendriez en Suisse avec votre famille… » À partir de ce moment, il est clair pour Lorentz que son candidat préféré ne viendra pas en Hollande (l’invitation est le signe qu’Einstein a opté pour la Suisse282). Le 6 décembre, Lorentz écrit à Einstein pour lui dire qu’il ne lui en veut nullement « pour l’affaire d’Utrecht »,

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et qu’il se console à l’idée qu’il « accomplira également de grandes choses à Zurich ». En revanche, il s’abstient de toute allusion à sa propre succession, car il ne peut préjuger de la décision des autorités de Leiden (ni de celle du ministre). Le lendemain, Lorentz apprend qu’une proposition ministérielle, conforme à sa demande, a été approuvée par la faculté. Il envoie aussitôt un mot à Einstein pour lui demander s’il est « tout à fait sûr » de s’installer à Zurich283. Mais il ne donne aucune explication (et pour cause : le ministre n’a pas encore donné de réponse définitive), se contentant d’indiquer qu’il attend une prompte réponse. Einstein, qui n’est pas au courant des intentions de Lorentz, est fort surpris. Il associe le message à la question du poste d’Utrecht (une affaire qui ne le concerne plus) et fait savoir à Lorentz284 qu’il a accepté de rejoindre l’ETH et qu’il ne peut faire marche arrière, par égard pour un ami de Zurich (Zangger) qui s’est donné beaucoup de peine pour soutenir sa candidature. La décision du ministre tombe le 15 janvier 1912 : elle va dans le sens souhaité par Lorentz. Sa succession est discutée en faculté un mois plus tard. Voici un extrait du compte-rendu de séance285 : « Monsieur Lorentz fait observer que des circonstances particulières incitent à faire diligence. Il dit qu’il y a une personne, le Professeur A. Einstein de Prague, dont les mérites en tant que physicien théoricien sont à ce point exceptionnels qu’il s’estime obligé de proposer à la faculté de lui attribuer le mandat de professeur ordinaire. Il ajoute qu’aucun Hollandais ne pourra se sentir lésé par ce choix… » Le 13 février 1912, lendemain de la séance, Lorentz se voit en position de faire une offre à Einstein « au nom de la faculté ». Il le lui annonce de manière officielle, en ayant soin d’ajouter ces quelques mots286 : « Sur le plan personnel, je ne puis dire l’attrait qu’aurait pour moi la perspective de pouvoir maintenir au travail un contact permanent avec vous. S’il m’était accordé de vous accueillir ici comme mon successeur, et en même temps comme mon collègue, ce serait la réalisation d’un espoir que j’ai longtemps nourri en privé, mais que je n’ai pas eu la liberté d’exprimer plus tôt. » Einstein réagit287 le 18 février 1912. Il explique à Lorentz que sa lettre l’a mis dans un état d’agitation, mais qu’il ne

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peut quitter la voie dans laquelle il s’est engagé en signant un contrat avec l’ETH. Faisant écho aux déclarations de Lorentz, il s’écrie : « Et voici que l’homme le plus admiré et le plus chéri de notre temps me propose une place auprès de lui, et m’offre la perspective d’une relation personnelle et amicale ! Je ne puis imaginer chose plus belle que d’étudier les problèmes et les développements de notre science mystérieuse en conversation avec vous. Mon sentiment d’infériorité intellectuelle vis-à-vis de vous ne saurait gâter la joie que me procureraient de telles conversations, principalement parce que la bienveillance paternelle dont vous faites preuve envers tout le monde est telle que l’on ne se sent jamais découragé. Cependant, la pensée d’occuper votre fauteuil aurait pour moi quelque chose d’indiciblement accablant. Je ne puis analyser ce sentiment en détail, mais j’ai toujours plaint notre collègue Hasenöhrl d’avoir pris place dans le fauteuil de Boltzmann… » Pour Lorentz, la cause est entendue : il doit se mettre en quête d’un autre successeur. Ce ne peut être Debije, puisqu’on lui offre le poste d’Utrecht (Lorentz n’a aucune intention d’entrer en compétition avec ses collègues). Cependant, un événement inattendu va changer le cours de sa recherche.

L’affaire Lebedew Au début de février 1912, Lorentz reçoit une nouvelle alarmante en provenance de Russie. Elle émane du physicien Piotr Nikolaevich Lebedew288. Celui-ci l’informe de la situation dramatique de son laboratoire, suite aux événements politiques qui ont entraîné la démission d’une centaine de professeurs et d’assistants de l’université de Moscou. Lebedew a dû faire appel à la générosité d’hommes d’affaires moscovites ; il a installé ses chercheurs dans des locaux privés que ces bénévoles ont accepté de mettre à sa disposition. Ayant appris l’existence d’une Fondation internationale de physique, présidée par son éminent collègue, il a cru bon de lui adresser une demande de soutien. La surprise de Lorentz est totale, car l’Institut de physique n’a pas été fondé ; aucune décision n’a encore été prise au sujet de l’octroi de subsides.

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Une conclusion s’impose : la démarche de Lebedew est le résultat d’une indiscrétion de la part d’un membre du Comité restreint qui s’est réuni avec Solvay le dernier jour du Conseil289. Reste à découvrir l’auteur de la fuite. Lorentz soupçonne Sommerfeld. Il lui envoie une lettre (qui s’est perdue) et obtient une réponse290 qui contient l’adresse de Paul Ehrenfest (Fig. 20), un physicien autrichien qui a séjourné à Munich et qui devrait regagner la Russie vers la mi-mars de 1912. Sommerfeld reconnaît qu’il a évoqué le projet d’un Institut Solvay devant Ehrenfest. Il fait l’éloge de ce jeune chercheur et déclare qu’il est « encore plus passionnant dans ses conversations que dans ses écrits291 ». Mais comment Lorentz a-t-il pu deviner que la fuite provenait de Sommerfeld ? Pour le savoir, il suffit d’examiner les faits et gestes d’Ehrenfest. Celui-ci travaille avec son épouse, Tatiana Afanassieva, à Saint-Pétersbourg, mais il s’y trouve sans emploi. Cherchant à décrocher un poste, il a récemment entrepris une tournée européenne292. À Berlin, il a rendu visite à Planck, qui lui a parlé du Conseil. C’est ainsi qu’il a appris que son travail sur l’hypothèse des quanta293, publié peu de temps avant la réunion de Bruxelles, est passé totalement inaperçu… Pire encore, il a pris connaissance d’un article publié après le Conseil, dans lequel Poincaré aboutit au même résultat que lui. Piqué au vif, Ehrenfest décide d’envoyer des tirés-à part de son travail à Poincaré et aux autres membres du Conseil. Lorentz reçoit le document au début du mois de février 1912 ; il s’aperçoit qu’il a été mis à la poste à Munich et suspecte immédiatement l’existence d’un lien entre cet envoi et l’appel à l’aide de Lebedew. Or il n’y a eu au Conseil qu’un seul membre munichois : Sommerfeld. Lorentz en déduit que certains éléments de la discussion privée du 3 novembre 1911 ont été rapportés à Sommerfeld. C’est donc ce dernier qui se trouve à la source des rumeurs de subsides qui se sont propagées de Munich à Moscou… par l’intermédiaire d’Ehrenfest294.

Un successeur providentiel Le mystère étant éclairci, Lorentz décide de se renseigner sur la situation de Lebedew. Il projette de s’informer auprès d’Ehrenfest, qu’il a connu comme étudiant en 1903. Celui-ci poursuit sa tournée européenne. De passage à

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Fig. 20 : Paul Ehrenfest en 1921, debout (côté droit de l’image), cf. fig. 41.

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Prague, il fait la connaissance d’Einstein (point de départ d’une longue amitié). Lorentz préfère attendre le retour d’Ehrenfest en Russie ; il compte utiliser l’adresse qui lui a été transmise par Sommerfeld. Il attend également que soient réglés les derniers points relatifs à la fondation de l’Institut de physique. Après avoir tardé pendant plusieurs semaines, il écrit à Ehrenfest295 le 20 avril 1912. Son sursaut intervient à la suite de deux événements : −− Solvay vient d’indiquer à Lorentz qu’il souhaite accélérer le processus de fondation de l’IIPS (dans une lettre du 19 avril, il l’a prié296 d’obtenir rapidement l’adhésion des membres du Comité restreint au projet de statuts). −− Lorentz a appris le décès de Lebedew, survenu à Moscou au début du mois de mars. Ces nouvelles ont changé la donne. Face à la disparition du physicien russe, Lorentz se voit obligé de sonder Ehrenfest sur les chances de survie du « groupe Lebedew ». Il doit aussi donner suite à la demande de Solvay, un développement qui lui rappelle la question de sa succession. Bien décidé à progresser sur ce point, il profite de sa lettre à Ehrenfest pour lui demander des précisions sur son propre parcours. Sa démarche est prudente : il remercie Ehrenfest pour l’envoi de sa contribution à l’Encyclopédie, lui dit qu’il a lu son article sur l’éther, et qu’il y a reconnu le « monde des idées de Boltzmann297 », un réel hommage de la part de Lorentz. Ehrenfest réagit298 le 24 avril 1912. Il décrit la situation de l’École de physique de Moscou et dénonce l’attitude brutale du régime qui a provoqué la démission d’une centaine de professeurs et de professeurs associés. Lorentz, qui a pris la mesure de la valeur scientifique d’Ehrenfest, est frappé par ses qualités morales (son attachement à son pays d’adoption et l’empathie qu’il manifeste à l’égard des victimes de l’oppression). Mais cette impression positive ne le dispense pas de prendre l’avis de deux collègues : Sommerfeld et Waldemar Voigt (ancien mentor d’Ehrenfest à Göttingen). Sommerfeld répond d’une manière plus étendue que dans sa lettre du 25 février 1912. Il confirme sa bonne opinion d’Ehrenfest et indique que ce sentiment est partagé par Einstein, qui voudrait lui léguer sa chaire à l’université allemande de Prague : un aveu qui aux yeux de Lorentz a valeur de recommandation !

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Un développement décisif intervient le 12 mai 1912. Solvay annonce la création de l’IIPS devant les membres de la Société chimique de Belgique. C’est le signal pour Lorentz qu’il n’est plus temps de tergiverser. Dès le lendemain, il écrit à Ehrenfest pour connaître ses intentions299 ; il évoque sa succession, explique qu’elle n’est pas limitée aux candidats hollandais, et dit : « J’ai pensé à vous parce que j’ai une haute opinion de votre travail, et que j’apprécie la profondeur, la clarté et la perspicacité dont vous faites preuve. » Mais Lorentz n’a pas oublié ses démêlés avec Einstein : il demande à son candidat de le contacter dans l’éventualité d’une offre concurrente (nous savons que Lorentz avait eu vent de la candidature d’Ehrenfest au poste d’Einstein à l’université allemande de Prague300). Ehrenfest fait savoir le 19 mai 1912 qu’il accepte l’offre de Lorentz. Celui-ci prend aussitôt des mesures pour garantir le succès de l’opération. Retardée par des tracasseries administratives, la succession de Lorentz ne sera réglée qu’à l’automne de 1912. Ironie du sort : la nomination d’Ehrenfest à l’université de Leiden incitera Einstein à se rendre régulièrement en Hollande. En 1920, l’université atténuera la déception de Lorentz en conférant à Einstein le titre301 de « professeur visiteur extraordinaire ».

Couronnement d’une carrière Le nouveau statut de Lorentz entre en vigueur au cours de l’été 1912. Devenu professeur extraordinaire, l’ancien titulaire de la chaire de physique théorique ne donne plus qu’un seul cours sur un thème de son choix. À Haarlem, il dispose d’un laboratoire et peut se faire assister par un expérimentateur diplômé. Le voilà libre d’étudier les phénomènes qui l’intéressent, et de consacrer le reste de son temps à l’Institut international de physique. Le 17 mai 1912, Lorentz a écrit à Solvay302 pour marquer son accord sur le choix du 1er mai 1912 comme date de fondation de l’IIPS, et pour lui faire part de sa nouvelle situation professionnelle : « L’Institut international de physique Solvay (j’accepte volontiers cette dénomination) peut donc maintenant être considéré comme fondé. Je l’annoncerai à mes collègues et

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les prierai de me communiquer leurs considérations d’ordre plus ou moins général sur la meilleure manière d’employer les moyens que vous voulez bien mettre à notre disposition (…). Je termine en vous communiquant une chose qui me regarde personnellement. C’est qu’au cours de l’été je quitterai la chaire à notre université que j’occupe actuellement, en devenant professeur extraordinaire. Je demeurerai alors à Haarlem, tout près d’ici, où j’aurai à ma disposition le laboratoire de la Fondation Teyler, dont je suis le curateur. Ce changement me donnera plus de loisir pour mes études personnelles et pour des devoirs tels que celui que m’impose la présidence du Comité international… » La présidence du savant hollandais s’étendra bien audelà de la Grande Guerre. Elle sera l’une des clés du succès des Conseils de physique, et leur conférera un réel éclat. Lorentz bénéficiera, de son côté, d’une notoriété internationale. Mais la médaille aura un revers. Surchargé de travail, le président du Comité scientifique de l’IIPS ne sera pas en mesure de poursuivre ses recherches sur l’effet photoélectrique303. Millikan étudiera le phénomène aux États-Unis ; ses résultats préliminaires seront le signal pour Lorentz qu’il doit abandonner la partie… Ce constat soulève une question. Pourquoi Lorentz sacrifia-t-il ses expériences au profit d’un Institut dont la mission principale serait d’évaluer et de soutenir des projets expérimentaux dans divers pays ? Plusieurs explications peuvent être avancées. Il se peut que Lorentz ait été séduit par une situation qui le mettrait en contact avec l’élite de la profession, lui ferait découvrir les résultats les plus récents et lui permettrait de promouvoir de nouvelles recherches dans des directions prometteuses. Il se peut également qu’il ait souhaité exercer une fonction en harmonie avec son âge, et qu’il ait accepté de diriger un Comité scientifique international sans avoir mesuré la lourdeur de la tâche. Toujours est-il qu’en adhérant au projet de Solvay, Lorentz se trouva en position de faire progresser la physique et de mettre ses talents et son expérience au service d’un Institut ouvert sur le monde, et dont l’action se poursuivrait avec succès jusqu’à nos jours. Nous aurons l’occasion de souligner la fidélité de Lorentz à ses engagements et de rappeler sa conscience du caractère universel de la science. Nous rapporterons

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ses efforts pendant – et après – la Grande Guerre pour réconcilier les physiciens des deux camps, et pour restaurer les relations scientifiques si brutalement interrompues. Nous verrons que sa détermination, et sa parfaite entente avec Solvay permirent à l’IIPS de survivre au premier conflit mondial. L’engagement de Lorentz au service de la science sera reconnu au cours des années 1920 : il deviendra, avec Marie Curie et Einstein, l’un des douze membres de la Commission internationale de coopération intellectuelle mise en place par la Société des Nations (une Commission qu’il présidera en 1924). Il y a lieu de noter que le tournant dans la carrière de Lorentz (l’abandon de sa chaire de physique théorique à l’université de Leiden) fut le résultat de propositions qui lui furent soumises par deux institutions privées : la Fondation Teyler et l’Institut international de physique Solvay. On est en droit de se demander ce qui serait advenu si Lorentz s’était contenté de poursuivre ses expériences, et s’il avait consacré tout son temps à l’étude de l’effet photoélectrique. Il n’est pas impossible que son engagement au service de l’IIPS (il assura sa direction scientifique pendant plus de quinze ans) ait privé le monde d’un événement inespéré : la découverte du photon par le champion de l’éther et de la théorie ondulatoire de la lumière !

3.3. Second impact du Conseil sur la carrière d’Einstein : de Zurich à Berlin Revenons à Einstein et à ses soucis de carrière. Nous avons vu que plusieurs postes lui sont proposés dès l’été 1912, notamment au PTR de Charlottenburg (à la demande de Warburg) et à l’université de Vienne (sur proposition de Hasenöhrl). Ces offres resteront sans effet, Einstein ayant préféré s’établir à Zurich. Cependant, sa présence à l’ETH ne sera que de courte durée : une opération « politico-scientifique », conduite par des scientifiques de premier plan, l’arrachera à la Suisse, et à sa famille, dans le courant du mois d’avril 1914… Einstein s’installera à Berlin et y conservera son poste pendant près de vingt ans.

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Un premier séjour berlinois Reportons-nous au lendemain du Conseil de physique. Einstein a regagné Prague ; il réexamine la question des chaleurs spécifiques et sa position au sujet du théorème de la chaleur. Il sait que celle-ci a été mal reçue par Nernst304, et que sa brouille avec ce dernier s’est amplifiée en raison d’un désaccord avec Rubens sur l’interprétation des données305 qui ont servi de base à la formule Nernst-Lindemann. Désireux de désamorcer le conflit, Einstein décide de se rendre à Berlin. Un séjour dans ce haut-lieu de la science lui semble utile pour plusieurs raisons. D’une part, il tient à poursuivre sa collaboration avec Warburg sur les décompositions photochimiques. D’autre part, il pense qu’un nouveau contact avec Planck et Nernst lui permettra d’aplanir leurs divergences de vues au sujet de la théorie des quanta et de ses conséquences. Einstein compte également rendre visite à Fritz Haber, ce chimiste rencontré à Karlsruhe en septembre 1911, et qui s’apprête à prendre la direction de l’Institut Kaiser Wilhelm de chimie physique et d’électrochimie. Au surplus, ce séjour dans la capitale du Reich lui permettra de faire la connaissance de l’astronome Erwin Freundlich, son correspondant dans l’étude des effets gravitationnels sur la lumière. La visite a lieu en avril 1912, au moment des vacances de Pâques. Haber est enchanté de revoir Einstein et de rencontrer sa femme, Mileva Maric306. Il regrette de ne pouvoir recevoir le couple chez lui et se met en devoir de lui trouver un logement. Le séjour berlinois aura une conséquence imprévue. Einstein reverra sa cousine Elsa Löwenthal : ce sera le début d’une liaison qui sonnera le glas de son premier mariage et le séparera de ses fils. On n’en est pas encore là… De retour à Zurich, Einstein envoie ce message à Elsa : « Je ne puis même pas commencer à te dire combien j’ai appris à t’aimer pendant ces journées… Quel dommage que nous ne vivions pas dans la même ville. Malheureusement, les chances que je reçoive une offre à Berlin m’apparaissent bien minces, quand j’y songe avec clarté307… » Mais Einstein se trompe : il ne se doute pas que deux personnages influents, Haber et Planck, forgent des plans pour l’attirer à Berlin308.

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L’appel de Berlin Haber se mobilise dès le mois de janvier 1913. Frappé par le génie d’Einstein, il pense pouvoir percer avec lui l’énigme des quanta. Ses fonctions à l’Institut Kaiser Wilhelm de Berlin-Dahlem lui permettent de recruter Einstein et de répondre ainsi aux vœux du ministère prussien de l’Éducation. En effet, Haber a été approché peu de temps auparavant par le fonctionnaire Hugo A. Krüss, auteur d’un Mémorandum qui vise le soutien de la recherche scientifique allemande par le biais de fonds publics et privés. Krüss travaille sous la direction du ministre Friedrich Schmidt-Ott. Il fait partie de ceux qui en 1911 ont créé la Société Kaiser-Wilhelm pour la promotion des sciences (KWG). Un objectif de cette Société est la fondation d’instituts de recherche et le recrutement de savants chevronnés, capables de les diriger309. Voici un extrait d’une lettre310 de Haber à Krüss, datée du 13 janvier 1913 : « Au cours d’une conversation que nous avons eue l’an dernier au sujet du Dr Albert Einstein, professeur ordinaire à l’Institut polytechnique de Zurich, vous avez soulevé la question de savoir si un poste pour cet homme extraordinaire pouvait être créé à l’Institut dont j’ai la charge. Après avoir réfléchi un certain temps à l’idée, j’ai acquis la conviction que l’Institut profiterait grandement d’un tel projet, et que – point de vue personnel – sa réalisation pourrait être envisagée avec certaines chances de succès. (…) J’ai discuté l’idée de recruter cet homme avec le conseiller privé Koppel. Vous vous souvenez certainement que le directeur Schmidt a également marqué son intérêt pour cette idée. Le directeur Schmidt a remarqué avec justesse qu’il n’est pas nécessaire de fournir un Institut à Einstein, car ce n’est pas un expérimentateur (…). Je pourrais lui procurer l’espace et de l’équipement nécessaires au dernier étage de l’Institut Kaiser Wilhelm de chimie physique, sans que cela ne compromette le travail régulier de l’Institut. M. le conseiller privé Koppel serait prêt, en principe, à demander le recrutement d’Einstein… » Haber a compris que le Geheimer Kommerzienrat Leopold Koppel311 pourrait avancer des fonds permettant d’offrir un bon salaire à Einstein pendant une dizaine

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d’années. Il dit aussi dans sa lettre à Krüss que Planck est le collègue le plus proche d’Einstein, et qu’il y aurait lieu de le mettre au courant du projet. Or il se trouve que Planck a l’intention, lui aussi, d’attirer Einstein à Berlin et qu’il dispose de sérieux atouts (il est depuis mars 1912 secrétaire de la classe physicomathématique de l’Académie des sciences de Prusse, et sera bientôt président de l’université de Berlin). Planck est conscient de l’attrait que représenterait aux yeux d’Einstein un siège à l’Académie des sciences de Prusse312. Il sait qu’un fauteuil y est vacant depuis le décès de Jacobus van ’t Hoff, le premier lauréat d’un prix Nobel de chimie. Il ne lui reste donc qu’à trouver le complément de salaire nécessaire au succès de l’opération. C’est la mission qu’il confie à Nernst, ce collègue proche des milieux d’affaires et qui a ses entrées auprès du banquier Koppel. La suite est connue : Nernst obtient le soutien de Koppel313. Une proposition visant l’élection d’Einstein à l’Académie y est déposée le 12 juin 1913. Détail révélateur : la proposition porte la signature des quatre membres berlinois du Conseil de 1911 (Planck, Nernst, Warburg et Rubens). Quelques semaines plus tard, Planck et Nernst se rendent à Zurich pour annoncer leur projet à Einstein. Celui-ci hésite un moment, mais finit par accepter la proposition. Le 14 juillet 1913, il informe sa cousine314 : Chère Elsa, Je n’ai pas encore répondu à ta lettre. En revanche, je puis t’annoncer une très bonne nouvelle. Il y a quelques jours, j’ai reçu la visite de Planck et de Nernst, qui sont venus expressément de Berlin pour m’offrir une position à l’Académie. Cela veut dire qu’au plus tard le printemps prochain, je viendrai à Berlin pour de bon. C’est un honneur colossal qu’on me fait en me proposant de devenir le successeur de van ’t Hoff (…). Mais ne parle de cela à personne. Une décision doit encore être prise par l’assemblée plénière de l’Académie, et ce serait mal vu si l’affaire était portée à la connaissance du public… L’annonce officielle tombe le 22 novembre 1913 : Einstein apprend que son élection à l’Académie a été approuvée par décret du Kaiser. On lui fait savoir qu’on a décidé d’augmenter son salaire annuel (900 marks) d’une somme de 12 000 marks ! Haber, qui n’a pas obtenu gain de cause, a néanmoins des raisons de se montrer satisfait : Einstein occupera

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dès son arrivée à Berlin un bureau dans son Institut de Berlin-Dahlem ; il s’installera dans le logement qui lui était réservé à proximité de l’Institut315. Rappelons pour terminer que le « Sabbat de sorcières » de 1911 eut des effets à plus long terme sur la carrière académique d’Einstein. On sait que Lindemann, l’assistant britannique de Nernst qui prit part au Conseil, fut vivement frappé par la personnalité d’Einstein, et qu’il fit part de ses impressions à son père316. Devenu directeur du laboratoire Clarendon en 1919, il fera décerner à Einstein le titre de docteur honoris causa de l’université d’Oxford. Lindemann aura soin de compléter cette distinction par l’octroi du titre de fellow du collège Christchurch, et de l’assortir d’une bourse annuelle de 400 £ pour une période de cinq ans317. Einstein profitera de cet avantage de 1931 à 1933. Notons encore que ce même Lindemann obtiendra le titre de Lord Cherwell, qu’il s’occupera en 1933 du recrutement de physiciens juifs expulsés d’Allemagne, et qu’il deviendra pendant la Deuxième Guerre mondiale l’un des principaux conseillers scientifiques de Winston Churchill.

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Chapitre 4 Fondation de l’Institut international de physique Solvay

Nous avons vu que Solvay était disposé dès la fin du Conseil à fonder un Institut et qu’il comptait faire effectuer des recherches expérimentales sur des sujets qui lui tenaient à cœur. Il est probable que Lorentz l’ait convaincu qu’il y avait lieu d’inscrire le projet dans un cadre élargi et qu’il fallait veiller à ce que les recherches soient menées sous le contrôle d’un corps savant autorisé. On peut également supposer que Lorentz ait fait observer que la mise en œuvre du programme pouvait être confiée aux membres du « Comité restreint » qui avaient pris part à la réunion privée du 3 novembre 1911. Cependant, il convient de souligner que ce fut Solvay qui eut l’idée de promouvoir des recherches partout dans le monde, en accordant des subsides à des expérimentateurs de tous pays. Nous verrons que le projet se concrétisa en l’espace de quelques mois, grâce à la conjonction de trois facteurs : la détermination de Solvay, le zèle et la sagesse du président Lorentz, et la parfaite entente entre ces deux géants issus de mondes complémentaires.

4.1. La proposition de Lorentz Reportons-nous au lendemain de la fin du Conseil. C’est ce 4 novembre 1911 que Solvay reçoit Lorentz à déjeuner. On suppose qu’il rappelle son souhait de faire effectuer des recherches sur les phénomènes radioactifs et le mouvement brownien. Ce dernier point suscite l’intérêt de Lorentz, car c’est le sujet du doctorat de sa fille, G. L. de Haas-Lorentz, dont il est le promoteur (elle

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défendra sa thèse le 24 septembre 1912). On imagine donc qu’il approuve l’idée de Solvay, tout en remarquant qu’il y a lieu de l’étendre aux expériences « dont les discussions du Conseil ont fait ressortir la nécessité318 ». La suite de l’entretien se devine aisément : les deux hommes envisagent la création d’un Institut international qui sera chargé de mettre en œuvre ce programme de recherches expérimentales. Quelques jours plus tard, Solvay est à Leiden pour visiter le laboratoire de Kamerlingh Onnes. Il revoit Lorentz, lui rappelle leur discussion, et précise ses objectifs : i) Favoriser la recherche en physique par l’octroi de subventions à des expérimentateurs de toutes nationalités. ii) Encourager le mouvement scientifique dans son pays en accordant des bourses à de jeunes chercheurs belges, désireux de se perfectionner à l’étranger. Solvay demande à Lorentz d’examiner le mémoire319 d’Ostwald, relatif à la création d’un Institut international de chimie, qu’il n’a pas eu le temps d’étudier (le document lui a été remis au moment de l’ouverture du Conseil). Lorentz accepte la mission et se met au travail. Il consigne le résultat de ses réflexions dans un long rapport320 qu’il envoie à Solvay le 4 janvier 1912. Son premier constat est que le projet d’Ostwald ne répond nullement aux intentions de Solvay : il ne prévoit pas le soutien de recherches exploratoires. L’Institut projeté ne fournirait qu’une série de services321 : la collecte de données chimiques, la standardisation des formules existantes, l’uniformisation de la nomenclature, la création d’une bibliothèque destinée à rassembler l’entièreté de la littérature chimique. Lorentz poursuit son rapport en proposant un Institut international de physique, conçu de manière à répondre aux objectifs de Solvay. Sa direction serait bicéphale : −− Les questions scientifiques seraient du ressort d’un Comité autonome : le Comité scientifique international (CSI), dont la composition évoluerait dans le temps ; ce pourrait être pour commencer le Comité restreint qui s’est réuni avec Solvay le dernier jour du Conseil. −− Les questions administratives et financières seraient du ressort d’une Commission administrative (CA) locale.

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L’action du nouvel Institut serait double : −− Octroi de subsides à des expérimentateurs de toutes nationalités pour des recherches dans des domaines déterminés par le CSI. −− Attribution de bourses à de jeunes chercheurs belges, sur proposition de la CA. Lorentz met l’accent sur un avantage majeur : en cas d’accord de la part de Solvay, il lui suffira d’obtenir l’adhésion des sept membres du Comité restreint : Marie Curie, Brillouin, Nernst, Warburg, Rutherford, Kamerlingh Onnes et Knudsen. Le premier CSI étant ainsi constitué, l’Institut pourra être mis en route dans les plus brefs délais. Lorentz insiste sur ce point et dit à Solvay : « Si vous en convenez que le rôle du Comité scientifique soit d’abord confié au Comité qui existe actuellement, on pourrait se mettre à l’œuvre dès que vous aurez pris votre décision. Je vous dis cela parce que je me rappelle que dans nos entretiens de Bruxelles vous vous êtes exprimé dans ce sens… » Le rapport de Lorentz se termine comme suit : « Voilà, très honoré Monsieur, ce que je crois devoir vous soumettre. Je serai heureux si j’ai réussi à saisir vos intentions et à trouver une forme que vous pouvez approuver… Je n’ai nullement la prétention de dire que ce que je vous propose soit la meilleure chose que vous puissiez faire. Mais je suis fermement convaincu qu’en agissant de la manière indiquée, vous ferez une œuvre très utile. Très utile pour la science, et très utile aussi pour votre patrie, à laquelle votre Fondation fera grand honneur. » Solvay réagit avec enthousiasme. Il sait que le Conseil l’a mis en relation avec un homme providentiel, un théoricien de tout premier rang dont le tact et l’intelligence ont été salués par tout le monde et qui pratique à la perfection les trois langues du Conseil. En outre, il a noté chez ce physicien un engagement internationaliste, fondé sur une conscience aiguë du caractère universel de la science (une disposition qu’il apprécie hautement)… En un mot, Lorentz lui apparaît comme le candidat idéal pour diriger l’Institut qu’il a en vue. Voici ce qu’il lui répond322 : « Comme vous l’avez compris et comme vous le dites dans votre lettre, je ne vise pas seulement le progrès de la science

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en général, mais mon ambition est de donner une impulsion au mouvement scientifique dans mon pays. J’y ai déjà travaillé ardemment, soit en fondant des Instituts, soit par d’autres interventions. Et maintenant, c’est un effort nouveau que je veux faire encore ; je vous remercie de vouloir m’aider de vos conseils : personne n’est à cet égard plus autorisé que vous. Votre projet me plaît parce que dans ses grandes lignes il répond à ce qui fut l’ambition de ma vie… » Mais Solvay sait aussi qu’il ne peut s’engager sans avoir pris l’avis de ses conseillers. Il consulte le professeur Héger qui dirige l’Institut de physiologie et Hostelet, l’un de ses jeunes collaborateurs pour la physique. Héger se déclare très partisan du projet de Lorentz323. Hostelet n’est pas du même avis, et le fait savoir à Solvay324 : « Si j’ai bien compris vos intentions, vous avez en vue d’aider la science classique, par votre fondation, d’une manière plus nouvelle que celle qui a été envisagée par M. Lorentz (…). On ne trouve pas dans le projet de M. Lorentz l’essentiel de l’idée du “Conseil de physique” que vous voulez prolonger et développer325. Je n’y reconnais aucune des dispositions caractéristiques auxquelles son succès est dû, c’est-à-dire une heureuse rencontre d’initiatives individuelles en même temps que l’élimination systématique de toutes les interventions parasites et déviatrices des autorités officielles et académiques. En réalité, ce que vous désirez surtout, c’est intervenir au moment opportun pour donner l’impulsion nécessaire, quitte à vous réserver ensuite en laissant aux autres pleine liberté… » Hostelet met le doigt sur le fait que Lorentz n’a pas prévu la tenue de nouvelles réunions du Conseil de physique, qui seraient organisées sur le modèle de la réunion de 1911. Cette lacune n’échappe pas à l’attention de Solvay, qui se rend compte que l’acceptation de l’intégralité du projet le privera de toute initiative. L’industriel-investigateur réagit également à une disposition selon laquelle les futurs membres du Comité scientifique seraient nommés sur proposition de l’Association internationale des Académies. Cette idée, formulée par Lorentz, fait la part belle aux milieux académiques : ce serait la source d’une ingérence inopportune ! Solvay décide donc de se montrer prudent ; il demande à Héger de se rendre à Leiden et de préparer un avantprojet de statuts en concertation avec Lorentz.

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4.2. Statuts de l’IIPS La rencontre Héger-Lorentz a lieu le 20 janvier 1912. L’émissaire de Solvay a reçu des instructions : il doit veiller au respect des conditions suivantes : −− L’Institut doit avoir son siège à Bruxelles, où un local lui sera réservé à l’Institut de physiologie du parc Léopold. −− L’IIPS sera tenu d’organiser à intervalles réguliers des réunions du Conseil de physique sur le modèle la réunion de 1911. −− Les statuts doivent comporter une clause d’impartialité, destinée à limiter l’influence parasite et déviatrice des milieux académiques326. Lorentz souscrit volontiers aux demandes de Solvay. Il propose d’introduire dans les statuts une clause qu’il formule comme suit327 : « Le fondateur désire avant tout que l’Institut montre dans tous ses actes une parfaite impartialité, qu’il encourage des recherches entreprises dans un vrai esprit scientifique, que ce soit un laboratoire isolé ou un grand centre scientifique où elles se font. Il lui semble désirable que cette tendance se reflète dans la composition d’un Comité scientifique international. Par conséquent, s’il y a des savants qui, sans occuper une haute position officielle, peuvent être considérés pour leurs talents et leur personnalité comme de dignes représentants de la science, ils ne devront pas être oubliés par ceux qui désigneront les candidats pour les places vacantes. » Solvay approuve, mais il demande un ajout328 « de tendance directrice dans le sens de l’interprétation objective des phénomènes ». La clause d’impartialité devient ainsi : « Le fondateur manifeste le désir qu’avant tout l’Institut montre dans tous ses actes une parfaite impartialité ; qu’il encourage les recherches entreprises dans un vrai esprit scientifique, qu’elles proviennent d’un laboratoire isolé ou d’un grand centre scientifique, et d’autant plus que, à valeur égale, elles auront un caractère plus objectif et par conséquent plus satisfaisant. Il lui semble désirable que cette tendance se reflète dans la composition du Comité scientifique international… » Solvay souhaite également être tenu au courant des discussions qui auront lieu à l’occasion des prochains Conseils

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de physique. Il tient à ce que Herzen et Hostelet puissent assister aux réunions organisées par l’IIPS et demande l’ajout d’une clause à cet effet (voir section 2.9, p. 92) : « La Commission administrative se réserve le droit de désigner, parmi les collaborateurs de M. Solvay, deux personnes pouvant assister aux séances. »

Influence de Brillouin La réponse de Lorentz aux demandes de Solvay est datée du 2 février 1912. Elle contient une déclaration qui mérite d’être soulignée : « Il faut que les bénéfices de votre Fondation soient accessibles à tous ceux qui le méritent, et que les talents isolés et peu connus n’en soient pas exclus. » Cette déclaration fait écho aux souhaits de Solvay et à certains propos de Brillouin dans ses lettres à Lorentz. En effet, nous savons que Lorentz écrivit à Brillouin peu de temps auparavant pour avoir son avis sur plusieurs questions relatives à l’IIPS. Sa lettre s’est perdue, mais on connaît les réponses de Brillouin (lettres329 de la fin janvier 1912). Voici sa réponse à Lorentz du 27 janvier : « J’ai besoin de réfléchir à votre lettre. Je vous écrirai d’ici peu à ce sujet. PS : La fondation est une fondation scientifique. La compétence scientifique appartient à vous en particulier, et au Conseil330 réuni en novembre à Bruxelles – et non à M. Solvay. Cela résout la question… » On en déduit que Lorentz a consulté Brillouin au sujet de la direction scientifique de l’Institut. Une autre lettre de Brillouin (du 28 janvier 1912) nous apprend que Lorentz l’a prié de donner son avis sur la composition du CSI : « J’ai naturellement un peu pensé à la Fondation Solvay et à la composition du futur Conseil (Brillouin veut dire le CSI). Le premier résultat de mes réflexions, une fois le plaisir de la réunion passé, a été de me confirmer dans une impression que j’avais déjà, en juin dernier, communiquée à M. Solvay, c’est que je ne puis réellement faire partie de ce Conseil. Dans deux lettres à M. Solvay, je m’excusais de devoir être un membre bien peu actif du Congrès, faute de comprendre l’anglais et l’allemand parlés. La lecture du compte-rendu des séances m’a confirmé dans mon regret.

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Pour un Conseil, qui aurait des résolutions à prendre, c’est une situation impossible ; déjà en novembre à notre petite réunion préparatoire, j’ai constaté que je ne comprenais rien (souligné) de ce qu’avait dit M. Warburg, et aussi M. Nernst ; peu de ce que disait M. Rutherford. Il est tout à fait impossible d’être un membre utile et conscient d’une réunion dans de pareilles conditions ; il faut donc que vous choisissiez un membre français à ma place. J’ajoute que n’étant ni mathématicien, ni expérimentateur, je me sens très mal qualifié pour représenter les expérimentateurs français dans la réunion. Voilà ma première résolution. Ceci posé, je me demande si le comité improvisé en novembre n’est pas un peu restreint. Cela dépend naturellement de la nature de la fondation dont il aura l’administration, ou dont il sera le patron scientifique. Pourtant, il me semble que J. J. Thomson, Lord Rayleigh, et s’il s’agit de chimie physique Ramsay, et peut-être d’autres ne peuvent être tous laissés hors du premier groupement. De même, je me demande si en Allemagne, MM. Warburg et Nernst, tous deux de Berlin, ne devraient pas être accompagnés par un ou deux représentants des autres parties de l’Empire. J’imagine que chez eux aussi existent des rivalités, et qu’il n’est pas dans les intentions de M. Solvay de restreindre ses libéralités à un petit groupe. Chez nous, depuis une dizaine d’années, je perds bien des illusions. Pour être vraiment utile, il faut que la Fondation Solvay ne soit la proie d’aucun groupe exclusif. Voilà où vous allez reconnaître mon esprit chagrin et mon incapacité à trouver des solutions – grâce à quoi je ne fais partie en France d’aucune commission d’aucune sorte. L’Académie est riche, et les prix ou subventions qu’elle distribue sont assez nombreux ; il ne faut pas que la Fondation Solvay en soit une annexe – donc, il ne faut pas prendre les secrétaires perpétuels, et il faut choisir avec soin parmi les membres de la section de physique. Il y en a un, le plus jeune, doué d’une habileté expérimentale rare, d’esprit tout à fait indépendant, qui n’est professeur nulle part (souligné) et travaille au laboratoire de l’École normale en vivant des petits restes que lui ont laissés ses parents, c’est M. Villard331. Les autres enseignent dans des établissements généralement riches, et auxquels vont déjà de nombreuses dotations. Vous savez, d’autre part, quel rôle malheureux joue chez nous la centralisation effroyable de Paris ; il me paraîtrait bien utile de prendre un

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provincial (souligné), par exemple un professeur d’université, M. Fabry332, ancien élève de l’École polytechnique, dont les travaux spectroscopiques, commencés sous l’influence de mon ancien camarade et ami Macé de Lépinay333, ont été poursuivis avec méthode et précision malgré les changements de collaborateurs. S’il faut un chimiste, mon ami Paul Sabatier de Toulouse, qui a refusé de venir à Paris à la mort de Moissan, me paraît tout indiqué334. Mais c’est beaucoup plus qu’il n’en faut, et peut-être vous demandez-vous pourquoi je n’écris pas tels ou tels noms auxquels vous songez. Ma préoccupation est que la Fondation Solvay n’aille pas aux organisations ou établissements déjà relativement riches, mais à ceux auxquels elle rendra service réellement. En outre que les délégués français soient de ceux qui n’ont pas d’égoïsme scientifique, qui ne forment pas une chapelle étroitement close – quelle que soit d’ailleurs l’importance de leurs recherches personnelles, de ceux par lesquels l’ensemble des jeunes physiciens français se sentent bien représentés, et dont l’habileté technique, la finesse d’observation, la précision des mesures n’est contestée par personne. Je crois que l’un ou l’autre des noms que je vous ai cités serait très bien accueilli ; mais je ne veux à aucun titre me mêler de ce qui ne me regarde plus, depuis que j’ai reconnu ma propre incapacité de faire partie de la commission (le CSI). C’est uniquement à titre d’indication et peut-être tout à fait en dehors de la direction que vous vous proposez de donner à la Fondation Solvay. Il est difficile de trouver des solutions qui satisfont l’Europe (scientifique) et son propre pays ; et chez soi, on n’est pas toujours assez exempt de rivalités, jalousies, préjugés, soit d’école, soit de carrière. Aussi, je vous prie de ne regarder toute cette lettre que comme un point de départ à vos réflexions, à vos informations, et de n’en tenir aucun compte si la vue d’ensemble que vous avez du projet de fondation et que vos relations scientifiques européennes vous permettent d’apprécier, vous conduise à des décisions sans aucun rapport avec ma lettre… » Tout semble indiquer que les avis de Brillouin ont pesé dans la balance et qu’ils ont contribué à la prise en compte par Lorentz de la clause « d’impartialité » souhaitée par Solvay. Mais la lettre est intéressante pour d’autres raisons : elle met l’accent sur la difficulté pour certains membres

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de suivre un débat scientifique dans une autre langue et nous éclaire sur la situation de la physique française en 1912. Certaines remarques de Brillouin, notamment celles sur l’existence de « chapelles étroitement closes », semblent viser Marie Curie. Cette impression confirme celle qui se dégage de sa lettre du 29 janvier 1912 (lettre dont nous avons déjà cité un extrait, section 2.9). Ainsi, répondant à une question de Lorentz relative au maintien de Marie Curie dans le Comité scientifique de l’IIPS, Brillouin résume sa façon de voir en deux points : 1° Madame Curie représente la découverte du radium, et l’étude approfondie de plusieurs de ses propriétés ; un travail colossal, supérieur à celui de la plupart des physiciens de ce siècle – de conséquences inappréciables. 2° Elle ne représente pas les physiciens français – peu la prendront comme intermédiaire de leurs demandes à la Fondation Solvay – surtout parmi ceux qui étudient la radioactivité hors de son laboratoire, et ne font pas partie de la chapelle étroite qui l’entoure. Cette opinion, exprimée par le membre français le plus proche de Solvay, nous donne une idée des tensions propres aux milieux académiques et des difficultés rencontrées par Lorentz dans l’exercice de sa présidence. Remarquons que les déclarations de Brillouin sont à prendre avec circonspection. Nous savons, en effet, que Marie Curie essuya un échec dans sa candidature à l’Académie des sciences. Or il se fait que Brillouin était un candidat concurrent, et qu’il fut celui qui remporta le plus petit nombre de suffrages… Sa déception pourrait expliquer l’amertume que l’on décèle dans ses propos, sa méfiance à l’égard de l’Académie, et le jugement qu’il porte sur la représentativité de Marie Curie. Précisons tout de suite que Lorentz ne tint aucun compte des réserves de Brillouin (pas plus qu’il ne donna suite à son souhait de se retirer du Comité scientifique de l’IIPS). Il veilla, au contraire, à ce que Marie Curie y conserve sa place. Elle fera partie du CSI de 1912 à 1932, et prendra une part active aux Conseils organisés de 1913 à 1933. Marie Curie assumera pleinement son rôle en consacrant une partie de son précieux temps à l’examen des nombreux projets de recherche présentés à l’IIPS au cours de ses trois premiers exercices budgétaires335.

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En revanche, il semble que Lorentz ait reconnu le bienfondé de certaines craintes de Brillouin (notamment à propos du rôle dominant de Paris dans la vie scientifique française), et qu’il ait adhéré à l’idée, également chère à Solvay, que l’IIPS devait se garder de privilégier des chercheurs attachés à des centres connus.

Durée de vie de l’Institut Solvay souhaite limiter la durée de vie de sa fondation à vingt ou trente ans. Héger est prié de le dire à Lorentz. Voici un extrait de sa lettre336 : « M. Solvay n’a fait jusqu’ici que des fondations de durée limitée ; vingt-cinq ou trente ans lui paraissent un terme assez long pour permettre aux événements de modifier le milieu, surtout en matière scientifique. M. Solvay estime aussi que c’est le rôle de l’État de subsidier et d’organiser les institutions scientifiques et il espère que l’État remplira ce devoir dans trente ans mieux qu’il ne le fait aujourd’hui. Il consent avec son habituelle générosité à consacrer 1 million au but que résument les statuts ; mais il donnerait ce million à une Banque ou à une Société d’assurances à charge par elle de servir un intérêt annuel à la Fondation. Je crois savoir que 1 million placé à fonds perdu pour vingt ans rapporte au moins 75 000 francs par an. Et M. Solvay demande si vous préféreriez qu’on disposât d’un revenu plus fort pendant un temps moindre – ou d’un revenu moindre pendant un temps plus long, trente ou même quarante ans… Veuillez réfléchir à cette forme originale de fondation et me faire connaître votre sentiment ou en faire part à M. Solvay… » Lorentz, qui privilégie une durée de vie de cinquante ans, répond à Solvay337 : Cher et très honoré Monsieur, M.  Héger m’écrit que vous préférerez peut-être créer une fondation de durée limitée, de vingt-cinq ou trente ans par exemple. C’est un point sur lequel il m’est difficile d’émettre une opinion, vu l’impossibilité de prédire quel sera l’aspect du monde dans une cinquantaine d’années. Cependant, je comprends parfaitement votre pensée. Il est permis, en effet, d’espérer que les gouvernements comprendront de plus en plus l’importance des recherches scientifiques, et qu’on arrivera à

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la longue à une organisation satisfaisante, indépendante des efforts individuels de personnes privées. En somme, il me semble que vous devez prendre dans cette matière la décision qui est la plus conforme à vos idées ; je souhaite beaucoup que la démarche que vous allez faire porte l’empreinte de vos vues personnelles. Seulement, je crois devoir vous prier d’accorder à la Fondation une vie de cinquante ou au moins de quarante ans ; je n’ai pas le moindre doute qu’elle ne puisse rendre de grands services pendant cet espace de temps. D’un autre côté, si après tout vous désiriez la créer à perpétuité, il vaudrait mieux prévenir un accroissement indéfini du capital. Selon l’article 13 de l’avant-projet de statuts, un dixième des revenus annuels sera capitalisé. On pourrait ajouter que cela ne se fera que pour autant que le capital n’excède pas une certaine limite… Je profite de cette occasion pour vous parler d’une nouvelle que j’ai eue dernièrement de Russie, et qui est bien propre à montrer la grande utilité que la nouvelle Fondation pourra avoir. Vous savez probablement qu’il y a environ un an, l’attitude prise par le gouvernement russe envers l’université de Moscou a obligé un nombre considérable de professeurs à donner leur démission. Parmi eux se trouve M. Lebedew338, un des meilleurs physiciens de ce temps, qui dirigeait dans son laboratoire les travaux de dix-huit personnes. Tous ces physiciens ont été obligés de quitter ce laboratoire et M. Lebedew a dû être content de trouver refuge pour lui-même et pour quatorze de ses collaborateurs dans un laboratoire qu’on a installé dans une maison privée et qui appartient à l’université municipale de Moscou (on l’appelle « l’université du Peuple »). Cette solution a pu être trouvée grâce à la libéralité d’un certain nombre d’hommes éclairés, mais les ressources du nouveau laboratoire paraissent être très limitées. M. Lebedew est un expérimentateur fort habile et s’est fait remarquer par des recherches importantes et profondes. C’est ainsi qu’il a réussi (comme Righi à Bologne) à produire des ondes électromagnétiques semblables à celles découvertes par Hertz, mais d’une longueur beaucoup plus petite. M. Lebedew a pu aller jusqu’à moins de 1 centimètre ; cela lui a permis d’observer avec ces rayons, invisibles tous (ou presque tous), les phénomènes que présentent les rayons lumineux, tels que l’interférence, la réfraction, la double réfraction et la polarisation. Ces recherches ont été poursuivies depuis 1895, et il se propose d’entreprendre une étude systématique de l’absorption et de la réfraction de ces rayons électromagnétiques dans des substances

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très variées. Cela sera très important pour notre connaissance de la constitution de la matière, et il serait bien à regretter si l’expérience amassée par M. Lebedew dans ce domaine de la physique fût perdue. Je mentionnerai aussi qu’il a été le premier à démontrer expérimentalement l’existence de la pression exercée par les rayons de lumière, qui avait été prévue par Maxwell et qui joue un rôle considérable dans la théorie du rayonnement et dans celle de certains phénomènes cosmiques. Une autre question que M. Lebedew a abordée est celle de savoir si la rotation d’un corps (sans charge électrique) peut produire des effets magnétiques. Je me suis permis de vous dire tout cela parce que cet exemple montre que la Fondation pourra immédiatement faire quelque chose de très utile. Les difficultés éprouvées par M. Lebedew me font penser aussi qu’il ne faut pas compter sur un progrès rapide. Je suis fermement convaincu que dans la lutte contre l’ignorance et l’obscurité, la vérité et la lumière remporteront la victoire, mais je pense qu’on devrait être bien optimiste pour croire que dans un pays tel que la Russie l’avenir que nous rêvons se réalise dans un demi-siècle… » Cependant, Lorentz doit se rendre à l’évidence : le revenu annuel de 1 million, placé à fonds perdu pour une période de cinquante ans, ne permet pas de couvrir les frais relatifs au fonctionnement de l’Institut et à l’octroi de subsides (première raison d’être de la nouvelle fondation). Contraint de revoir sa position, il dit339 à Solvay : « Comme vous m’avez laissé le choix du nombre d’années pour lequel l’Institut de physique sera fondé, je crois devoir vous proposer de fixer sa durée à trente ans. » À cette durée de vie correspond un budget annuel de l’ordre de 54 000 francs. Un tiers de cette somme (18 000 francs) permettra de financer les subsides, un autre tiers sera consacré aux bourses, un dernier tiers aux frais de fonctionnement (ceux-ci comprendront 1 000 francs d’indemnité annuelle accordée au président et 500 francs accordés au secrétaire340).

4.3. Constitution du Comité scientifique international La mise en route de l’Institut s’accélère brusquement au cours du mois d’avril 1912.

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Comme nous l’avons dit (section 3.2), ce mouvement fait suite à une demande pressante de Solvay. Voici le message341 qu’il adresse à Lorentz le 19 avril 1912 : « La Société chimique de Belgique, qui célèbre son 25e anniversaire le 12 mai, me demande une conférence à cette occasion et, ayant naturellement peu de choses à dire comme chimiste, je penserais, d’accord avec le président, à lui annoncer la fondation de l’Institut international de physique, et cela en signalant peut-être quelques particularités statutaires. Je dois préparer dès maintenant ma conférence… » Pour Lorentz, le message est clair : la fondation de l’IIPS est imminente (c’est ce qui l’autorise, nous l’avons vu, à s’adresser à Ehrenfest). Il répond à Solvay342 : « J’ai envoyé les exemplaires de l’avant-projet de statuts à mes collègues il y a quelques jours et je compte bien recevoir leurs réponses dans le cours de cette semaine. Du reste, je ne doute aucunement qu’ils n’approuvent toutes les idées générales qui sont à la base des statuts. Ce ne sera que dans les détails qu’on proposera peut-être quelque changement, et vous pourrez toujours préparer la conférence que vous devez faire à la Société de chimie. Comme vous, je pense que la réunion de cette Société vous offre une bonne occasion de dire quelque chose du nouvel Institut et pour en faire ressortir la signification. Vous avez sans doute une copie de l’avantprojet sous la dernière forme que nous lui avons donnée… » En prévision de son discours devant les chimistes, Solvay s’empresse de reformuler l’article 2 des statuts de l’IIPS (de manière à susciter leur intérêt). Voici sa nouvelle formulation : Art. 2 Le but de l’Institut est d’encourager des recherches qui soient de nature à étendre et surtout à approfondir la connaissance des phénomènes naturels à laquelle M. Solvay ne cesse de s’intéresser. L’Institut a principalement en vue les progrès de la physique et de la chimie physique, sans exclure cependant les problèmes appartenant à d’autres branches des sciences naturelles, pour autant, bien entendu, que ces problèmes se rattachent à la physique ou à la chimie physique. Lorentz s’active, quant à lui, pour obtenir l’adhésion de ses collègues à l’avant-projet de statuts. Il leur demande d’accepter de prendre place dans le Comité scientifique de l’Institut (Knudsen est prié d’accepter le poste de secrétaire).

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Les résultats de la consultation ne se font guère attendre : le 1er mai 1912, Lorentz peut annoncer l’acceptation de ses collègues à Solvay ; il a soin de transmettre leurs commentaires343 : • Rutherford : « J’apprécie hautement la grande générosité de M. Solvay et l’intérêt qu’il montre pour le progrès des connaissances scientifiques. Je pense que sa Fondation sera très utile pour la science en général si le Conseil international se place à un point de vue élevé. » • Nernst : « Les statuts me semblent fort bien conçus ; la tendance générale et tous les détails y sont exprimés fort heureusement. » • Warburg : « Il me semble excellent que, conformément au désir de M. Solvay, l’Institut ne soit fondé que pour un nombre limité d’années. » • Brillouin : « Je vous transmets avec plaisir mon sentiment d’approbation complète pour l’organisation à laquelle vous avez abouti, et de reconnaissance pour la généreuse initiative de M. Solvay. » • Kamerlingh Onnes : « J’ai le plaisir de vous retourner l’avant-projet de statuts, que je trouve excellent. Je n’ai à proposer aucune modification. »

4.4. Naissance de l’Institut international de physique Solvay ne cache pas sa satisfaction. Il dit344 à Lorentz : « Je suis fort content que le projet de statuts de l’Institut international de physique ait reçu l’approbation de vos collègues du Comité scientifique, Mme Curie toutefois n’ayant pas encore répondu… Il y aura maintenant à se mettre d’accord avec le roi, la ville et l’université de Bruxelles ; mais comme la question du local de l’Institut de physiologie est ici en jeu et qu’il y a des déterminations à prendre au sujet de ce service qui seront fortement retardés, je serais d’avis, si vous êtes d’accord, de considérer l’Institut de physique comme créé dès à présent et fonctionnant provisoirement sans Commission administrative : je mettrais aussitôt les fonds nécessaires à ce but à votre disposition, une annuité ou bien ce que vous m’indiqueriez… » Lorentz a fait diligence : Solvay peut annoncer la naissance de l’IIPS au cours de la réunion de la Société

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chimique de Belgique. L’Institut est une nouveauté par rapport à ses fondations précédentes : il ne comporte ni construction, ni outillage spécial, ni personnel à engagement fixe. Son siège est à Bruxelles, mais les membres du CSI (son Comité directeur) sont dispersés dans le monde. L’IIPS a pour mission de stimuler les progrès en physique et en chimie physique par l’octroi de subsides à des chercheurs isolés. Ceux-ci pourront poursuivre leurs travaux en toute indépendance. Le « Conseil de physique », qui s’est réuni pour la première fois en 1911, est appelé à tenir périodiquement de nouvelles assises. Il aura pour tâche de faire le point sur les dernières avancées, de repérer les problèmes le plus brûlants, et d’ouvrir des voies à leur solution. La neutralité de l’IIPS est exemplaire : sa Commission administrative a son siège à Bruxelles, capitale d’un pays neutre ; le président de son Comité scientifique réside aux Pays-Bas, autre pays neutre ; le secrétaire du CSI réside au Danemark, troisième pays neutre… Du jamais vu !

Évolution de la position de Solvay La liberté d’action de l’IIPS a de quoi surprendre, la physique occupant la première place dans les préoccupations de Solvay. Son souhait de relever certains défis s’est même accru à la suite du Conseil (voir son discours de clôture, ses notes345, et nos commentaires au sujet de l’attitude de Solvay au lendemain du Conseil, section 2.9) : Que faut-il en conclure ? i) Que Solvay n’a nullement renoncé à ses ambitions scientifiques et qu’il compte poursuivre l’édification de sa théorie gravito-matérialitique, indépendamment de l’avis et des conceptions des physiciens de profession. ii) Qu’il souhaite soumettre ses idées346 au contrôle de l’expérience (notamment ses vues sur l’origine de la radioactivité) et qu’il compte soutenir des recherches exploratoires (tâche principale de l’IIPS). iii) Qu’il a l’intention de présenter ses résultats à un «  corps savant autorisé », en premier lieu le CSI de l’Institut, chargé d’organiser les réunions du « Conseil de physique ».

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Pour Solvay, il n’y a pas contradiction entre la poursuite d’un programme personnel et le soutien de projets sélectionnés par un Comité scientifique international (et indépendant). On peut même supposer qu’il envisage de faire appel aux services du CSI pour réaliser certaines expériences. C’est ce qui semble ressortir d’un message qu’il adresse à son ami Héger347 le 27 mars 1912 : « Je compte, à l’aide de subventions, tenter de faire effectuer des recherches vérificatrices de mes principes par des spécialistes de partout, et je crois toujours avec fermeté qu’en faisant, difficilement, le nécessaire, je me trouverai être le théoricien solutionniste (sic) correct de gros problèmes demeurés ouverts. Ce plan à subventions n’est pas nouveau dans mon esprit, vous le savez, et l’Institut de physique l’adopte également, ce qui prouve qu’il est bon. » On en déduit qu’au cours des premiers mois de 1912, Solvay est toujours convaincu qu’il pourra s’appuyer sur le CSI pour effectuer certaines vérifications ponctuelles, susceptibles de faire progresser sa recherche. Ce sera le cas en février 1913, lorsqu’il voudra réagir à un article du chimiste James Dewar sur les Nouveaux phénomènes observés au voisinage du zéro absolu (voir la section 6.5). C’est également ce qu’il semble indiquer dans son allocution de clôture du Conseil : « Vous pourrez facilement, je crois, vous spécialistes, m’aider à obtenir satisfaction sous ce rapport en résolvant une bonne fois la question (de l’origine de la radioactivité et du mouvement brownien) dans un sens ou dans l’autre sous mon contrôle. » Cependant, on s’aperçoit que l’attitude de Solvay évolue brusquement au cours du printemps de 1912. Le 20 mai, il décide de clarifier sa position vis-à-vis de l’IIPS. Voici ce qu’il écrit à Lorentz348 : « Je constate qu’il semble exister une entière communauté de vues entre nous… Je tiens au surplus à déclarer que je ne voudrais pas que l’Institut portât l’empreinte de ma personnalité active… Ici à Bruxelles, mes deux Instituts universitaires (physiologie et École de commerce) ont été nettement séparés de mes Instituts personnels (physiologie et sociologie) ; je n’ai rien à dire ni à voir dans les deux premiers et l’université n’a rien à dire ni à voir dans les deux derniers, je l’ai ainsi désiré. L’Institut international équivaudra à

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peu près aux deux premiers, il a d’ailleurs ses statuts qui le caractérisent… » Mais pourquoi cette soudaine mise au point ? Nous savons que Solvay avait accepté les dispositions garantissant l’indépendance scientifique de l’Institut. Cependant, il semble qu’il ait voulu réaffirmer sa position, suite à l’intervention de deux conseillers spécialement autorisés : Héger et Tassel. En effet, une lettre de Charles Lefébure (adressée le 13 mai 1912 à Lorentz349) nous apprend que Tassel a été invité à prendre part aux discussions relatives à la « phase d’exécution du projet de fondation de l’Institut de physique ». Or il se trouve que Tassel et Héger ont une même vision350 de ce que doit être le fonctionnement de l’IIPS et qu’ils approuvent sans la moindre réserve la liberté accordée à son Comité scientifique. Il semble donc que l’avis de ces professeurs ait pesé sur la décision de Solvay de ne pas intervenir dans l’action de l’Institut. C’est ce qu’on peut déduire d’une remarque de Héger dans sa lettre351 à Tassel du 21 mai 1912 : « La solution approche et elle est entièrement conforme à ce que nous avions espéré. Veuillez dire à M. Solvay combien je l’en félicite… » Quoi qu’il en soit, le fait que le fondateur n’aurait rien à dire ni à voir dans la gestion de l’Institut est un développement significatif, car il apporte l’assurance d’une totale indépendance du CSI dans l’octroi des subsides de recherche : une « première » dans le monde du mécénat scientifique ! La résolution du 20 mai 1912 est d’autant plus louable que Solvay est impatient de faire vérifier ses vues sur l’origine des phénomènes radioactifs. Ainsi, dès la fin du Conseil, il s’empresse d’adresser une demande à Marie Curie352 : Madame Curie, Je suis fort heureux de voir que vous voulez bien accepter d’investiguer (sic) dans le sens que j’ai en vue, en considérant que la chose offre un réel intérêt, ce qui me met relativement à l’aise au sujet du temps qui sera ravi de ce chef à vos études régulières. Il est bien entendu que votre initiative demeure entière en ce qui concerne le choix des expériences à réaliser. Je ne voudrais à aucun prix y porter atteinte, mais plus les expériences seront

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instituées pour obtenir un résultat net et plus je serai content, attendu que mon interprétation du phénomène fondamental de la radioactivité est aussi très nette. Je vois avec plaisir que vous comptez faire usage d’une grande quantité de radium ; cela me paraît désirable en effet, car je crois depuis longtemps que si l’on avait pu disposer au début de 1 kilogramme de radium, jamais l’idée ne fut venue d’interpréter comme on l’a fait l’origine de son énergie ; il se serait comporté à mon sens tout autrement que les petites quantités que l’on manipule couramment. Je suis loin d’être un homme documenté sur les phénomènes de la radioactivité : je propose le plomb pour entourer le mélange éventuel de chlorure d’argent et de radium parce que je me figure (à voir si c’est vrai) qu’il constitue le meilleur écran capable d’empêcher le radium de s’alimenter des rayons radioactifs qui existent toujours épars dans le milieu extérieur et qui vraisemblablement proviennent directement ou indirectement du soleil ; pour bien faire, avant d’être placé autour du mélange de radium et de chlorure d’argent, ce plomb devrait sans doute être débarrassé des rayons radioactifs qui l’imprègnent, par exemple en le plongeant quelque temps dans du chlorure d’argent. Vous devez évidemment avoir des procédés courants pour tout cela, et il est possible que j’exprime ici des naïvetés. Il y aurait une expérience peut-être plus simple que la précédente à instituer à l’aide du plomb, la voici avec le raisonnement qui semble devoir la justifier (…). Quand vous dites : « On peut chercher à constater une différence, si faible qu’elle soit, qui pourrait se produire dans la radioactivité et le dégagement de chaleur du radium par suite de la présence de matières absorbantes », c’est peut-être une expérience de ce genre que vous-même avez en vue. Il va sans dire que ma subvention ne se limiterait pas à la somme que vous avez reçue, s’il le fallait pour aboutir353… On s’aperçoit qu’en acceptant les directives de Lorentz, Solvay s’est conformé à un schéma bien précis. Il entend créer pour la physique une situation qui rappelle celle qu’il avait réalisée pour la physiologie : d’un côté un Institut indépendant, dirigé par des professionnels (autrefois l’Institut dirigé par l’ULB ; dans le cas présent le CSI de l’IIPS), de l’autre une équipe de chercheurs qui ne dépendent que de lui et l’assistent dans ses investigations. Ce « cloisonnement » n’exclut pas, dans l’esprit de Solvay, certaines interventions de sa part auprès des membres du CSI pour faire effectuer des expériences dont il s’engage à supporter le coût.

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Annonce de la création de l’IIPS Reportons-nous au 12 mai 1912. Pour son discours devant les membres de la Société chimique de Belgique, Solvay a choisi un titre inattendu : « Contribution à l’étude de la constitution de la matière, de l’éther et de l’énergie ». « Je me figure, dit l’orateur, qu’en me nommant membre d’honneur de votre Société, vous avez surtout visé l’industriel dont le labeur obstiné contribua au succès d’une industrie à présent prospère, mais dont les débuts ont été hérissés d’obstacles et de décourageantes difficultés. Aussi, en est-il parmi vous qui ont été étonnés d’apprendre que, pour la première fois que j’ai l’honneur d’avoir un entretien avec vous, j’ai pris pour sujet l’étude de la constitution de la matière, de l’éther et de l’énergie… » Solvay rappelle que dès 1858, il a cru découvrir par pure déduction logique une propriété des chaleurs spécifiques connue sous le nom de loi de Dulong et Petit, et que bien avant Linde, il a été absorbé par l’étude du problème de la liquéfaction des gaz et de la production de basses températures. « Mais, poursuit-il, ce ne sont là que des manifestations secondaires de mon action scientifique. Voilà près de trente ans que celle-ci est dominée par une grande préoccupation philosophique, celle de trouver à la science de l’Univers une interprétation simple, par voie de déduction, à partir de postulats parfaitement établis tels que celui qui régit la gravitation universelle… » L’industriel éclaire son action en présentant les grandes lignes de son approche. Puis, en guise de conclusion, il annonce la naissance de l’IIPS : « Fin d’octobre dernier quelques physiciens éminents ont bien voulu répondre à mon appel et se réunir, à Bruxelles, en un Conseil de physique, tenu sous la présidence de M.  Lorentz de Leyde. On m’avait, en effet, signalé qu’on était parvenu à démontrer l’impossibilité de ramener les lois de rayonnement du corps noir aux théories cinétiques et électrodynamiques, et je pensais qu’en réunissant les grands spécialistes, je leur permettrais d’apporter à ces questions quelques éclaircissements. En même temps, le désarroi des théories autrefois en faveur, m’incita à sortir d’une réserve que je m’étais imposée et à

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publier un aperçu sur les vues spéciales que je m’étais formées au sujet de la matière, de l’éther et de l’énergie (…) À la contribution intellectuelle (…) que je viens de vous esquisser, j’ai joint récemment une contribution matérielle. En effet, à la suite du récent Conseil de physique, et avec l’adhésion de ses membres, j’ai résolu de fonder à Bruxelles un Institut international de physique qui sera en quelque sorte la consécration, le prolongement du Conseil qui s’y est tenu, et qui se renouvellera de temps en temps. Cet Institut vise évidemment aussi la chimie physique, et en ce sens, je pense, Messieurs, que vous accueillerez avec satisfaction l’annonce de cette fondation destinée à aider les chercheurs, quelles que soient leur nationalité ou les voies qu’ils entendent suivre dans la poursuite de la vérité354… »

Fig. 21 : Martin Knudsen en 1921, assis (centre de l’image), cf. fig. 41.

Le 2 juin 1912, Knudsen (Fig. 21) annonce la création de l’IIPS aux membres du CSI. Il leur envoie une lettre circulaire, rédigée par Lorentz355, précisant que l’Institut a été fondé pour une période de trente ans (du 1er mai 1912 au 31 avril 1941). Le million versé par le fondateur à une compagnie d’assurances doit produire 29 annuités de 55 332 francs. En plus de ce revenu, l’IIPS bénéficiera d’une annuité supplémentaire pour l’exercice 1912-1913. Il est entendu que l’Institut distribuera un tiers de son revenu annuel en subsides. Lorentz fait observer qu’il y a lieu de limiter le nombre des demandes, et qu’il appartient au CSI de définir les domaines de recherche pouvant entrer en compte pour une subvention. Il suggère de privilégier les études portant sur les phénomènes de rayonnement (rayons X et radiations émises par les corps radioactifs), ou sur des questions liées à la théorie des quanta et aux théories moléculaires. Les membres du Comité sont invités à faire des propositions. Ils sont également priés d’indiquer les noms des Académies et des journaux qui devront être informés de la création de l’IIPS et de ses objectifs (Fig. 22). Une première réunion du CSI est prévue en septembre 1912. Elle fixera le thème du Conseil de 1913 et dressera la liste des membres invités. Ce sera l’occasion de prendre des décisions relatives à l’octroi de subsides. Une question n’a pas été réglée : la mise en place de la Commission administrative de l’Institut (une opération qui prendra du temps, car elle nécessite l’accord du roi, de la ville et de l’université).

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Fig. 22 : Lettre de Marie Curie à Knudsen, 3 novembre 1912. Courtoisie ESPCI-PSL, Paris, Centre de ressources historiques (fonds Langevin).

Le cas « Goldschmidt » Un événement imprévu va compliquer la tâche de Solvay. Le 17 août 1912, Lorentz fait savoir356 qu’il a essuyé de vifs reproches de la part de Robert Goldschmidt, qui n’a pas apprécié d’avoir été tenu à l’écart de la création de l’IIPS (c’est lui qui avait suggéré à Solvay de fonder un Institut international de physique). Lorentz rappelle qu’il a suivi les instructions de Solvay : il s’est concerté avec Héger pour l’élaboration d’un projet de statuts, sans prendre l’avis de Goldschmidt. Cependant, il ne peut accepter l’idée d’avoir manqué de courtoisie à l’égard d’un collègue, et suggère d’offrir une place à Goldschmidt dans la Commission administrative de l’Institut357. Malheureusement, cette idée ne convient pas à Solvay, qui a prévu une Commission de trois membres, dont deux seraient choisis en dehors de sa famille (l’un représentant

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le roi, l’autre l’université). Il propose donc une alternative (lettre à Lorentz358 du 22 août 1912) : « En ce qui concerne votre proposition d’associer M.  Goldschmidt d’une manière ou d’une autre à l’œuvre du Conseil, je ne puis être que d’accord avec vous en principe. J’avais eu connaissance des désirs de M. Goldschmidt à ce sujet et il me paraît résulter d’une lettre qu’il m’a écrite qu’il tiendrait à continuer à s’occuper de l’organisation matérielle des réunions du Conseil ainsi qu’il l’a fait pour la réunion précédente, au cours de laquelle, suivant son expression, il a joué le rôle de “general manager”. Il me paraît difficile pourtant de l’incorporer dans la Commission administrative – à l’organisation de laquelle je commence à repenser – et qui me paraît devoir être appelée à ne s’occuper que des questions d’ordre très général. Peut-être vaudrait-il mieux l’attacher, à un titre quelconque, au Comité scientifique lui-même, de manière à lui permettre d’assister à vos séances et à s’occuper de l’organisation de ses réunions, question qui concerne directement le Comité et non la Commission administrative… » S’exprimant au sujet de cette Commission, Solvay ajoute que Verschaffelt, qui est bien connu à Leiden, lui paraît tout indiqué comme délégué de l’université, et qu’il songe à se faire représenter par Tassel. En ce qui concerne le roi, il déclare qu’il se déterminera après consultation du général Jungbluth, aide de camp de Sa Majesté. Lorentz se range à l’idée de Solvay359, après avoir pris l’avis de ses collègues. Il indique que ceux-ci considèrent légitime l’idée d’accueillir dans le CSI un représentant de la Belgique, et que Goldschmidt leur rendra service en acceptant la proposition de Solvay. Conclusion : les doléances du manager du Conseil de 1911 auront pour effet de rendre permanente la présence d’un Belge dans le Comité scientifique de l’IIPS !

Le patronage royal Fort de l’accord de Lorentz en ce qui concerne Goldschmidt, Solvay peut s’occuper du choix des administrateurs de l’IIPS. Son souhait est de placer le nouvel Institut sous le patronage du roi. Il se dit que le souverain réagira favorablement à l’idée et qu’il acceptera de se faire représenter par le professeur Héger. Il ne lui reste plus qu’à rendre visite au général Jungbluth. L’entrevue a lieu au cours du

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mois d’août 1912. Solvay a soin de souligner trois points : le caractère international de l’IIPS, la présence d’un Belge dans le Comité scientifique et le fait qu’un patronage royal ne créera pas de précédent (la faveur ayant été sollicitée par un éminent savant hollandais). Le roi souscrira à la demande et acceptera de se faire représenter par le professeur Héger360. Solvay proposera à l’Université libre de Bruxelles de se faire représenter par le professeur Jules-Émile Verschaffelt. Il indiquera que Lorentz approuve ce choix, Verschaffelt étant bien connu en Hollande (il y a préparé une thèse sous la direction de Kamerlingh Onnes).

À la rescousse d’un laboratoire de physique à Moscou ! Nous avons vu que Lorentz a évoqué la situation dramatique du laboratoire Lebedew dans sa lettre à Solvay du 6 mars 1912 (afin de justifier l’idée d’accorder à l’IIPS une durée de vie de cinquante ans). Il aurait voulu répondre immédiatement à l’appel de son collègue… Ne pouvant le faire à l’époque, il s’était gardé d’en parler dans sa lettre à Solvay. Mais nous voici au mois de juin : l’IIPS a été fondé. Lorentz peut alerter les membres du CSI sur la situation désastreuse des physiciens de Moscou ; il attache une copie de la lettre de Lebedew à la circulaire de Knudsen et y ajoute une version « épurée » de la lettre d’Ehrenfest du 24 avril 1912 (Lorentz a encerclé de rouge les commentaires les plus véhéments sur la brutalité des autorités russes ; il a demandé à Knudsen de les retirer de la lettre361). Malheureusement, l’affaire s’est compliquée en raison du décès de Lebedew, survenu en mars 1912. En outre, il est apparu que les recherches du laboratoire de Moscou ne répondent pas aux critères du CSI pour l’octroi d’un subside. Qu’à cela ne tienne, Lorentz est déterminé. Il sait qu’il peut compter sur l’appui de Solvay. Celui-ci a déclaré le 20 mai 1912 : « J’ai été très peiné d’apprendre la mort de Lebedew dont vous m’aviez entretenu et qui avait antérieurement attiré mon attention par ses travaux sur la pression de la lumière. C’est fort triste362… » Ne pouvant entamer le budget « subsides », Lorentz propose de prélever 8 000 francs sur le budget « fonctionnement

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Fig. 23 : Ernest Rutherford en 1911, debout (centre de l’image), cf. fig. 1.

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de l’IIPS » pour l’année 1912-1913. Il explique que ce don limité sera perçu à Moscou comme une marque d’estime, et que le fait qu’elle émane d’une organisation internationale incitera les hommes d’affaires moscovites à intensifier leur soutien aux chercheurs du laboratoire Lebedew. Rutherford (Fig. 23) reçoit la circulaire en premier. Il approuve l’idée de limiter les subsides aux recherches qui s’effectuent dans des domaines prédéfinis, et fait savoir qu’il compte proposer de soutenir des travaux sur les rayons de Röntgen et les radiations bêta et gamma émises par les corps radioactifs. Relativement au laboratoire Lebedew, il déplore le décès de son chef, un physicien qu’il connaissait et qui jouissait de sa confiance. Il accepte néanmoins d’aider les physiciens de Moscou, à condition que l’aide soit limitée à l’exercice 1912-1913. Détail piquant : Rutherford profite de sa lettre à Knudsen363 (Fig. 24) pour lui dire : « J’ai ici un de vos compatriotes, le Dr Bohr, qui travaille avec moi en ce moment. Il me paraît très doué… »

Fig. 24 : Lettre de Rutherford à Knudsen, 12 juin 1912 . Courtoisie ESPCI-PSL Paris, Centre de ressources historiques (fonds Langevin).

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La réponse de Knudsen (Fig. 25) mérite également d’être rapportée, car nous savons que ce physicien n’avait aucun goût pour la théorie des quanta (il ne prit pas la peine de lire les articles de Bohr364) : « Veuillez, s’il vous plaît, me rappeler au souvenir de mon jeune ami, le Dr Bohr, lorsque vous le verrez. Je suis heureux d’apprendre que vous le considérez comme un être doué… »

Fig. 25 : Lettre de Knudsen à Rutherford, 14 juin 1912. Courtoisie ESPCI-PSL, Paris, Centre de ressources historiques (fonds Langevin).

Nernst réagit à la circulaire en indiquant qu’il souhaite attendre la réunion du CSI avant d’annoncer le programme de l’Institut. Il se pose des questions au sujet de la valeur des physiciens du groupe Lebedew, mais déclare qu’il est prêt à se rallier à l’avis de Lorentz365.

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La proposition d’accorder 8 000 francs au laboratoire de Moscou est approuvée par les membres du CSI au début du mois d’août366. Elle est transmise à Solvay, qui marque son accord par télégramme367. La subvention est versée au successeur de Lebedew, le Dr Lazarew. Elle a valeur de symbole, illustrant les bienfaits que l’IIPS peut apporter aux hommes de science, sans égard à leur origine ou au lieu de leurs travaux. Le 16 septembre 1912, Lorentz peut ajouter dans sa lettre368 à Solvay : « Il me reste encore à vous dire que M. Lazarew à Moscou a accusé réception de la somme de 8 000 francs qui lui a été envoyée par M. Knudsen. Il exprime les remerciements chaleureux des physiciens qui travaillent dans le laboratoire de Lebedew : “L’encouragement que les travaux qui sont en cours dans le laboratoire de Lebedew viennent de recevoir de la part de l’Institut Solvay a en ce moment non seulement une valeur matérielle colossale, mais aussi une grande valeur morale. Tous les physiciens du laboratoire le sentent profondément…” »

Première réunion du Comité scientifique international Le CSI se réunit le 30 septembre 1912 à l’hôtel Métropole. Sont présents : −− Ernest Solvay, en tant que fondateur de l’IIPS. −− Pour le CSI : Lorentz, Brillouin, Warburg, Nernst, Rutherford, Kamerlingh Onnes, Knudsen et Goldschmidt. −− Pour la Commission administrative : Héger et Tassel. L’ordre du jour comporte les points suivants : 1. Statuts de l’Institut international de physique Solvay. 2. Organisation du travail du Comité scientifique international. 3. Notice sur la fondation et l’organisation de l’Institut (à envoyer aux journaux scientifiques). 4. Attribution de deux subsides. 5. Préparation du prochain Conseil de physique : sujets et liste des membres à inviter.

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Extrait du procès-verbal369 de la réunion (Fig. 26) : « Le président Lorentz ouvre la séance et remercie M. Solvay au nom de l’assemblée pour la création du nouvel Institut. Il rappelle la grande perte pour la science provoquée par la mort de Poincaré, et annonce que M. Tassel a été désigné par M. Solvay pour le représenter à la Commission administrative, tandis que M. Héger a été nommé membre de la même commission par S. M. le roi des Belges (le troisième membre, choisi par l’Université libre de Bruxelles, n’a pas encore été nommé). Le président fait savoir que Mme Curie n’a pas pu être présente pour raisons de santé. Le Comité est d’avis que la Commission administrative devrait être chargée d’élire les membres du CSI, sans intervention des Académies. Cependant, la décision au sujet de ce point est ajournée. Solvay, Héger et Tassel quittent la réunion. Warburg est élu vice-président du CSI. Nernst annonce que les rapports et discussions du Conseil de 1911 seront publiés en allemand par la Bunsen-Gesellschaft. Les membres du CSI proposent l’envoi par la Commission administrative d’une notice aux Académies et aux revues de physique pour annoncer la création de l’IIPS (avec communication des statuts et de la composition du CSI) et la mise en place d’un programme de subsides. Les solliciteurs seront informés qu’ils devront adresser leurs demandes au président Lorentz avant le 1er février 1913. » Les membres du CSI décident de limiter les subsides aux recherches se rapportant aux sujets traités au Conseil de 1911. Ils fixent la procédure à suivre pour l’attribution des subventions (nous verrons qu’elle imposera de lourdes contraintes aux membres du CSI) : −− Le président reçoit les demandes et fait des démarches pour obtenir les renseignements souhaités ; ceux-ci sont joints à la demande et envoyés au secrétaire du CSI, qui envoie une copie aux membres du Comité. −− Chaque membre fait part de son avis au secrétaire, qui le transmet aux autres membres du Comité. −− Les membres du CSI font parvenir leur vote directement au président (ils indiquent l’ordre de priorité qu’ils ont accordé aux demandes).

Fig. 26 : Procès-verbaux, demandes de subsides. Comité scientifique Solvay. Courtoisie ESPCI-PSL, Paris, Centre de ressources historiques (fonds Langevin).

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−− Le président détermine l’ordre de priorité fixé par le CSI (sur base des propositions individuelles qui lui ont été fournies). −− Les propositions du CSI sont soumises à la Commission administrative (CA) qui lui fait part de sa décision (la CA adopte les priorités fixées par le CSI ; elle accorde des subsides aux bénéficiaires jusqu’à épuisement du budget). −− Le CSI répond aux solliciteurs. La CA envoie les sommes convenues aux chercheurs dont le projet a été retenu. Un détail révèle la parfaite indépendance de l’IIPS visà-vis des Académies et des universités : les demandes de subsides doivent être adressées à l’adresse privée du président Lorentz, Zijlweg 76, Haarlem.

Premiers subsides Deux subsides sont accordés au cours de la réunion du CSI, c’est-à-dire avant la mise en route de la procédure d’octroi. Ils font suite à la circulaire de Knudsen, invitant les membres du Comité à faire des propositions. Lorentz a reçu deux demandes pour des projets visant l’étude des rayons X. La première est datée du 17 août 1912. Elle émane de Max Laue370 (Fig. 27), un jeune collègue de Sommerfeld371 qui vient de remporter un éclatant succès : la découverte de la diffraction des rayons X par un réseau cristallin (elle lui vaudra un prix Nobel en 1914). Ce résultat, considéré aujourd’hui comme l’acte de naissance de la physique du solide, a suscité l’admiration d’Einstein, qui en a fait part à Ludwig Hopf : Fig. 27 : Max (von) Laue en 1913, debout (au fond de l’image), cf. fig. 30.

«  Laue m’a envoyé une photographie du phénomène de déflexion obtenu à l’aide de rayons Röntgen. C’est la chose la plus merveilleuse que j’aie jamais vue. Une déflexion provoquée par les molécules individuelles, dont l’arrangement se trouve ainsi révélé ! La photo est nette, chose que l’on n’osait prévoir en raison de l’agitation thermique372… » Laue sollicite un subside de 4 000 marks (environ 6 000 francs) pour continuer son étude ; il s’engage à écrire un rapport sur l’utilisation de cette somme avant le mois de novembre 1913. Lorentz a prié Rutherford d’examiner son projet.

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La deuxième demande émane de Charles Glover Barkla (Fig. 28), professeur à l’université de Londres et spécialiste des rayons X secondaires (il obtiendra un prix Nobel en 1917). Barkla demande 103 £, équivalent de 2 575  francs373) pour l’étude de certains phénomènes de fluorescence. Le Comité examine les deux demandes et décide d’accorder 5 000 francs à Laue et 2 500 francs à Barkla. Lorentz clôture la séance en proposant la tenue en 1913 d’un deuxième Conseil de physique, consacré à l’examen de questions relatives à la constitution de la matière. La proposition est adoptée à l’unanimité. Seront invités : les membres de Solvay I et neuf savants à choisir sur une liste préétablie.

Lancement du deuxième Conseil de physique (février 1913) Suite à la réunion du Comité scientifique, les statuts de l’IIPS (dont le texte final a été arrêté le 9 octobre 1912) sont communiqués à ses membres. La Commission administrative a été constituée le 12 octobre 1912. Tassel, en tant que secrétaire, a fait circuler la notice annonçant la fondation de l’IIPS et ses objectifs. Les lettres d’invitation au deuxième Conseil de physique374 sont envoyées le 12 février 1913. Les savants, invités à rejoindre les membres du premier Conseil, sont : J. J. Thomson, W. C. Röntgen, M. Laue, E. Grüneisen, P. Lenard, W. Voigt, W. H. Bragg, L. Gouy et P. Weiss. La réunion, placée sous la présidence de Lorentz, doit avoir lieu en octobre 1913. L’ordre du jour comprend les sujets suivants : 1. Structure de l’atome (rapport de J. J. Thomson ou de Rutherford). 2. Phénomènes récemment découverts par M. Laue (rapport de Laue). 3. Pyro-et piézo-électricité (rapport de Voigt). 4. Structure moléculaire des solides (rapport d’Einstein, ou de Grüneisen). Les invités sont avertis qu’ils recevront une indemnité de 750 francs et un exemplaire du compte-rendu du premier Conseil, publié chez Gauthier-Villars (la diminution par rapport aux 1 000 francs de 1911 est due au grand nombre de participants).

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Fig. 28 : Charles G. Barkla en 1921, debout (côté gauche de l’image), cf. fig. 41.

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Réaction des invités

Fig. 29 : Robert W. Wood en 1913, assis (centre de l’image), cf. fig. 30.

Le 23 avril 1913, Tassel annonce à Lorentz qu’il a reçu quinze réponses positives. Ont accepté l’invitation : Marie Curie, W. H. Bragg, Brillouin, de Broglie, Gouy, Grüneisen, Hasenöhrl, Knudsen, Laue, Lenard, Lindemann, Rubens, Rutherford, Voigt et Wien (les acceptations de Warburg, Einstein, Jeans, Kamerlingh Onnes, Sommerfeld et Weiss arriveront un peu plus tard, avec celles de Langevin, Nernst et Goldschmidt). J. J. Thomson tarde à répondre, mais il viendra au Conseil et y présentera un rapport. Einstein annonce qu’il ne présentera pas de rapport. Lorentz a lancé une invitation de dernière minute à Robert W. Wood (Fig. 29), un physicien américain qui séjourne à Paris et qui accepte de venir375. Il propose également de prévoir un exposé sur la structure moléculaire des cristaux, considérée du point de vue chimique. Ce rapport serait présenté conjointement par William J. Pope de l’université de Cambridge et par William Barlow, un expert en cristallographie (Pope répondra le 9 juin 1913 qu’il accepte l’invitation). Contrairement à ce qu’il avait annoncé, Lenard fait savoir qu’il ne viendra pas à Bruxelles. Il dira plus tard376 (dans une lettre à Wien, écrite pendant la guerre) qu’il ne se sentait pas capable de forger des liens personnels avec des Anglais, et qu’il lui répugnait de prendre part aux conférences internationales – spécialement au Conseil Solvay de 1913 – pour ne pas se trouver en présence de J. J. Thomson.

Chapitre 5 Le deuxième Conseil de physique

Le deuxième Conseil Solvay se déroule du 27 au 31 octobre 1913. Les séances ont lieu à l’Institut de physiologie du parc Léopold (le bâtiment existe toujours ; il abrite une école, le lycée Émile Jacqmain).

5.1. Participants et rapports Le Conseil compte vingt-huit membres (Fig. 30). Planck et Röntgen n’ont pas pu venir. Voigt a annoncé qu’il arriverait le 29 octobre. Les participants sont logés à l’hôtel de Flandre (aujourd’hui le musée Bellevue, situé à côté du Palais royal). Ils sont invités le mardi 28 octobre à un dîner qui leur est offert par Solvay. Le Conseil prend connaissance de huit rapports377 (quatre en anglais, trois en allemand et un en français), présentés dans l’ordre suivant : 1. The structure of the atom by Sir J. J. Thomson. 2. Die Interferenzerscheinungen an Röntgenstrahlen, hervorgerufen durch das Raumgitter der Kristalle von M. von Laue. 3. The reflection of X-rays and the X-ray spectrometer by W. H. Bragg. 4. The relation between crystalline structure and chemical constitution by W. Barlow and W. H. Pope. 5. Quelques considérations sur la structure des cristaux et l’anisotropie des molécules par M. Brillouin. 6. Über die Abhängigkeit der Pyroelektrizität von der Temperatur von W. Voigt.

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7. Molekulartheorie der festen Körper von E. Grüneisen. 8. Resonance radiation and resonance spectra by Robert W. Wood. Le président demande aux secrétaires scientifiques (de Broglie et Lindemann) de prendre note des interventions afin d’accélérer la publication du compte-rendu des discussions.

Fig. 30 : Membres du 2e Conseil de physique Solvay (1913). Bruxelles, Institut de physiologie du parc Léopold. S.a.b.ULB. Courtoisie des IIPCS (droits réservés).

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5.2. Éléments marquants La confrontation Rutherford-Thomson Un événement d’une portée considérable a lieu au cours de la discussion du rapport de J. J. Thomson (Fig. 31). Celui-ci a mentionné les déviations observées à Manchester dans les expériences de diffusion de particules alpha, mais en indiquant qu’elles ne constituaient pas une preuve de l’existence d’un noyau atomique. Cette prise de position provoque un vif débat. Rutherford, qui dirige le groupe de Manchester, réfute l’argumentation de Thomson378 et défend pour la première fois sa conception d’un atome nucléaire sur une scène internationale (il l’avait évoquée peu de temps auparavant sur une scène britannique, mais n’avait pas eu l’occasion d’exposer les éléments qui l’avaient conduit à cette hypothèse379). Le Conseil devint ainsi le théâtre d’une confrontation historique entre deux personnalités éminentes. Elle nous offre une image saisissante des balbutiements d’une science « en marche » et illustre parfaitement l’objectif de Solvay : ouvrir par des débats contradictoires la voie à la solution d’un problème fondamental (le mystère de la structure de l’atome).

Fig. 31 : Joseph J. Thomson en 1913, cf. fig. 30.

Rapports de Laue et de Bragg Deux exposés font grande impression : celui de Laue sur la diffraction des rayons X par un cristal et celui de Bragg (Fig. 32) sur la structure régulière d’atomes dans les cristaux (dont l’arrangement peut être révélé par des expériences de diffraction de rayons X). Comme le remarque Einstein dans sa lettre à Ludwig Hopf (section 4.4), Laue a réussi à faire d’une pierre deux coups : l’un concerne les radiations (il a montré que les rayons X sont une forme de lumière, d’une longueur d’onde de 5 000 à 10 000 fois plus petite que celle de la lumière visible) ; l’autre concerne la matière (il a ouvert la voie à une détermination de la structure des cristaux380). Quant à l’avancée de Bragg, elle peut se résumer comme suit (déclaration de Bragg et de son fils dans leur ouvrage381 de 1921) : « Nous venons d’acquérir une nouvelle méthode pour l’étude de la structure des cristaux. Au lieu de deviner

Fig. 32 : William Henry Bragg en 1924, assis (centre de l’image), cf. fig .48.

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l’arrangement interne des atomes d’après la forme extérieure du cristal, nous pouvons mesurer les distances réelles d’atomes à atomes, et dessiner un diagramme représentant la structure du cristal, absolument comme si nous faisions le plan d’un édifice. L’idée fondamentale de cette découverte est due au Dr Laue, professeur à l’université de Zurich. »

Le débat Nernst-Einstein Le désaccord entre Nernst et Einstein sur le statut du théorème de la chaleur rebondit au cours de la discussion du rapport de Grüneisen. Nernst mène à nouveau la charge ; il rappelle que son point de vue a été contesté par Einstein en 1911, sur la base d’arguments qui lui paraissaient déjà douteux à l’époque. À présent, c’est par la théorie autant que par l’expérience qu’il entend réfuter l’argumentation d’Einstein. Ainsi, s’appuyant sur un raisonnement thermodynamique, il déclare que « nier la validité de son théorème équivaut au rejet du principe de Carnot ». Lorentz paraît convaincu et dit382 : « La dernière démonstration que M. Nernst a donnée de son théorème, en se basant sur le postulat qu’il doit être impossible d’atteindre le zéro absolu par des changements finis, me semble être à l’abri de toute objection. » Mais ce n’est pas l’avis d’Einstein qui explique que la démonstration ne tient pas et qu’il est préférable d’élever le théorème de la chaleur au rang de « postulat ». Puis, reprenant l’argumentation du chimiste, il conclut383 : « On arrive ainsi à formuler le théorème de Nernst d’une façon très intuitive, mais malheureusement cela conduit de nouveau à des conséquences qui, par leur caractère étrange, éveillent la méfiance. » Nernst accuse le coup, mais ne cache pas son mécontentement.

Impressions d’Einstein et de Sommerfeld Einstein, qui a applaudi à la découverte de Laue, est enthousiasmé par le rapport de Bragg. Voici ce qu’il écrit à Hopf384 : « À Bruxelles, l’exposé de Bragg Sr. fut extrêmement intéressant. C’est incroyable ce que cet homme a déjà découvert sur

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la structure des réseaux cristallins et sur les rayons Röntgen. Il est à présent possible de déterminer avec précision la longueur d’onde des rayons Röntgen. Certains métaux (par exemple le radium) donnent lieu à des émissions tellement fines qu’elles permettent de produire un rayonnement Röntgen monochromatique. On peut dire avec sûreté qu’on a pu expliquer de façon complète les figures de Laue… » Et voici le message qu’il adresse à Elsa385 : « Ce fut très intéressant à Bruxelles. J’ai eu une controverse très animée avec Nernst, qui, curieusement, n’a pas porté atteinte à nos bonnes relations. Au banquet, notre président H. A. Lorentz a trouvé nécessaire de me faire porter un toast à notre hôte. Je m’en suis acquitté, mais d’une façon un peu enfantine, car je n’ai aucune expérience en ce domaine… » Sommerfeld se félicite discrètement de la découverte de Laue, réalisée à Munich dans son Institut de physique théorique. En prévision des compléments qu’il compte apporter à l’exposé de Laue, il fait part de ses impressions du Conseil dans une première lettre (non datée) à sa femme386 (Fig. 33) : « Je suis à l’hôtel, d’où je devrai partir dans dix minutes. Je me sens déjà mieux… Einstein est délicieux, comme toujours… son joyeux rire nous enchante. Cet après-midi, je prendrai la parole pour Laue… Ma belle garde-robe ne me servira à rien : nous n’irons pas dîner chez Solvay, il nous invite au restaurant… »

Fig. 33 : Lettre de Sommerfeld à sa femme, octobre 1913. Courtoisie de Madame Monika Baier, petite-fille de Sommerfeld.

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Puis, dans une seconde lettre (datée du 29 octobre 1913), il ajoute : « Le travail de la journée est à présent terminé : séances de 9 h à 13 h, déjeuner de 13 h à 16 h, suivi d’une excursion en voiture à Laeken pour visiter une station de télégraphie sans fil387. J’ai présenté ce matin ma contribution388 sur le “phénomène Laue” : elle fut bonne dans l’ensemble, mais mal exposée (même si Einstein n’est pas de cet avis) parce que j’avais mal dormi… Désormais, je serai auditeur. Il vaudrait mieux que je renonce à aller voir Debije et que je vienne passer tranquillement le dimanche avec toi (une pensée qui me réjouit). Voigt et sa femme sont arrivés hier soir. Je dois encore rédiger ma contribution aux discussions… Es ist natürlich kolossal interessant!… »

Absence de Solvay Contrairement à ses intentions, Solvay ne prend aucune part au Conseil. Son effacement est surprenant (même s’il n’est plus en première ligne : c’est la Commission administrative de l’IIPS qui a lancé les invitations). En effet, nous savons (grâce aux notes de son registre journalier) qu’il s’est efforcé pendant l’été de faire progresser sa recherche et qu’il n’a pas renoncé à faire vérifier ses vues sur l’origine de l’énergie émise par les corps radioactifs. Voici le message389 qu’il a adressé à Marie Curie le 11 juillet 1913 : Chère Madame Curie, Personne ne souhaite plus vivement que moi le rétablissement de votre santé sous cet aspect de fermeté que j’ai constaté à la réunion de Bruxelles. J’espère donc que la cure et les vacances, annoncées par votre bonne lettre du 5, vous seront entièrement favorables. Ce sera donc en octobre ou après la réunion de Bruxelles que j’aurai le grand plaisir d’aller voir votre installation dans votre nouveau laboratoire, car je compte demeurer ici jusqu’à la fin de ce mois. Il m’intéressera beaucoup d’être admis à voir votre laboratoire ! Un mot, si vous le voulez bien me le permettre, afin que vous puissiez y penser à l’occasion, au sujet des expériences. Je ne suis aucunement familiarisé avec la question du rayonnement et l’usage d’un appareil électrométrique permettant de constater ses variations. Je souhaite donc prendre connaissance de la façon dont on comprend les choses en vue du but à atteindre.

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Ma façon d’interpréter le phénomène radioactif (je me demande quelquefois si je l’ai clairement indiquée) est d’ordre tout à fait général et extrêmement simpliste, elle est une façon de premier jet, elle fut celle des Curie du début, si je suis bien renseigné : les corps radioactifs ne sont pas radioactifs par euxmêmes – comme il est maintenant généralement admis390 – ils puisent leur énergie radioactive, de toutes pièces, et telle qu’ils la possèdent, dans le milieu qui les entoure et qui le possède avant eux, l’ayant lui-même reçu antérieurement du Soleil, directement ou indirectement… Le 15 octobre 1913, c’est Herzen qui s’adresse391 à Marie Curie pour lui apporter des précisions sur les conceptions de Solvay et pour lui proposer une expérience qui serait à réaliser avec 1 gramme de radium. Nous n’avons pas les réponses de Marie Curie, mais nous pouvons imaginer l’existence d’un lien entre l’insistance de Solvay et la réunion du deuxième Conseil de physique. Que s’est-il donc passé au cours des derniers jours d’octobre ? Un douloureux événement mérite d’être rapporté. Dix jours à peine après le Conseil, Solvay est cruellement frappé par une tragédie familiale : le décès de sa petitefille Paule van Parijs (fille de Jeanne Solvay et d’Édouard van Parijs), survenu chez lui au château de La Hulpe le 10 novembre 1913. Il semble que l’état de cette jeune maman (elle n’avait que 28 ans) se soit aggravé vers la fin du mois d’octobre, une situation qui pourrait expliquer l’abattement de Solvay et son peu d’intérêt pour les discussions du Conseil392. Cependant, chez cet homme passionné, les moments d’abattement ne sont jamais longs. Dès le début de l’année suivante, il reprend le travail et rédige une note sur les « masses en self-révolution  ». Le 28 avril 1914, c’est dans une note393 adressée à Marie Curie qu’il propose de réaliser une expérience qui devrait confirmer, selon lui, la capacité du radium de transformer l’énergie ambiante en énergie radioactive. Le 15 mai, il revient à la charge394, poussé par le sentiment que « son rôle devient court » : Chère Madame Curie, Je serais fort heureux, s’il vous était possible de m’aider encore, avec Monsieur Debierne, par expériences et par raisonnement sur la question, à amener dans mon esprit la quiétude entière que je cherche à ce sujet. Si vous ne le pouviez, car je

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sais vos occupations régulières et leur haute valeur, et si vous connaissiez un savant qui voulut bien se charger de ce soin, je vous serais extrêmement reconnaissant de bien vouloir me renseigner. J’affecterai une prime de 25 000 francs, toutes expériences et temps consacré étant en sus à mes frais bien entendu, pour obtenir cette pleine satisfaction de mon vivant…

Réunions du Comité scientifique Les membres du CSI se réunissent à l’hôtel de Flandre les 27, 29, 30 et 31 octobre 1913, principalement pour s’occuper des subsides395 (voir chapitre 7). Sont présents : Lorentz, Marie Curie, Warburg, Brillouin, Nernst, Kamerlingh Onnes, Rutherford et Knudsen, ainsi que Langevin, de Broglie et Lindemann (ces derniers assistent uniquement à la première séance). Les membres abordent la question de la publication des rapports et des discussions du Conseil. Certains sont d’avis qu’il n’y a pas lieu de traduire les textes en français (une courtoisie en 1911 à l’égard de Solvay) et qu’il est préférable d’accélérer leur publication. D’autres défendent l’idée d’un volume Gauthier-Villars, semblable à celui de 1912. Le Comité propose, après discussion, de publier les rapports « tels qu’ils sont » et de rédiger dans les quinze jours un compte-rendu des discussions. Mais la question demeure sensible. Verschaffelt prévoit des difficultés (la publication du volume étant du ressort de la Commission administrative) : il suggère de ne pas faire état de la décision du CSI sur ce point. Dans l’attente d’une résolution, Goldschmidt est prié de faire imprimer un volume en trois langues par la maison Hayez. Nous verrons (section 8.4) que la guerre empêchera la publication de ce volume, une édition unique en son genre (la correction des épreuves sera maintes fois retardée en raison de l’occupation de la Belgique396).

5.3. Échos et conséquences de Solvay II Le 20 novembre 1913, la revue Nature publie un article de Rutherford sur les délibérations du récent Conseil. Il souligne l’intérêt des exposés de Laue et de Bragg et loue le rapport de Pope et Barlow sur la connexion entre la structure des réseaux cristallins et leur composition chimique.

Le deuxième Conseil de physique

Rutherford rend compte des événements qui ont eu lieu en marge du Conseil : le dîner offert par Solvay et la visite d’une station de télégraphie sans fil (c’est l’excursion au domaine royal de Laeken mentionnée par Sommerfeld). «  Cette station, note Rutherford, est capable de transmettre des messages vers le Congo et vers la Birmanie, une véritable performance ! » Un autre article397, toujours dans la revue Nature, paraît le 14 mai 1914. Il est signé Charles Galton Darwin, petit-fils du célèbre naturaliste. L’auteur annonce la parution d’une version allemande des rapports et discussions du premier Conseil, suivie d’un supplément sur les développements intervenus entre l’automne de 1911 et l’été de 1913 (un volume398 édité par Arnold Eucken). Darwin fait état des dernières avancées ; il met l’accent sur les sujets abordés en 1911 et réexaminés en 1913 (travaux de Debije et de Born-von Kàrman dans le domaine des chaleurs spécifiques, démonstration de Poincaré de la nécessité de l’hypothèse des quanta, application de cette hypothèse aux rotations des molécules dans les gaz). Il émet un regret : Eucken a publié son ouvrage trop tôt ; il ne fait aucune référence à la théorie des spectres de Bohr. Ce constat s’applique également au deuxième Conseil Solvay : le débat Rutherford-Thomson a porté, pour l’essentiel, sur des considérations d’ordre expérimental ; Rutherford s’est gardé de mentionner le travail théorique de Bohr (qu’il a pourtant communiqué au Philosophical Magazine399, et qui a paru en juillet 1913).

Les conférences universitaires La bonne marche du premier Conseil organisé par l’IIPS a prouvé l’excellence de la méthode Solvay. Le programme a suscité un vif intérêt. Einstein a fait part d’un réel enthousiasme… Pas moins de trente physiciens (dont sept Britanniques) se sont rendus à Bruxelles pour prendre part au Conseil (J. J. Thomson a même accepté de présenter un rapport). Suite à ce beau succès, la Commission administrative décide de renforcer la visibilité de l’IIPS. S’inspirant des célèbres Friday Evening Discourses (rendez-vous scientifiques et mondains organisés par la Royal Institution of Great Britain et inaugurés en 1826 par Faraday), elle songe à organiser un cycle de « conférences universitaires ».

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L’initiative est lancée dès le mois de décembre 1913. Lorentz est invité à présenter deux conférences. L’une, destinée au grand public, devrait avoir lieu à l’université ; l’autre, destinée à un public de savants et d’étudiants, serait organisée à l’Institut de physiologie du parc Léopold (cette idée de programmer deux exposés sera maintenue par la suite ; elle sera adoptée par l’IICS pour des conférences en chimie). Lorentz propose de consacrer son exposé spécialisé au principe de relativité400. Pour son exposé grand public, il choisit la prévision scientifique401. Cette conférence a lieu le 28 mars 1914 à l’Université libre de Bruxelles devant une centaine de personnalités (membres de l’Académie, professeurs des universités et de l’École militaire, diplomates et responsables politiques). Le succès est au rendez-vous, mais Solvay est absent : il séjourne en France pour se remettre de ses fatigues et du chagrin causé par le décès de sa petite-fille. Tassel a eu soin de prévenir Lorentz402 : « Monsieur Solvay, qui était très fatigué, et qui avait été très éprouvé par la mort de sa petite-fille, est parti il y a quelques jours pour le Midi, où il compte se reposer pendant quelques semaines ; mon collègue Lefébure est allé le rejoindre et je viens de recevoir d’excellentes nouvelles de sa santé. »

Chapitre 6 Fondation de l’Institut international de chimie Solvay

La fatigue de Solvay est liée, nous le savons, à certaines difficultés rencontrées dans sa recherche personnelle. Mais elle est, avant tout, le résultat des innombrables défis qu’il a dû relever pour créer l’IICS. Voyons ce que furent les étapes de ce laborieux processus.

6.1. Reprise de contact avec Ostwald Souvenons-nous de la démarche d’Ostwald. Nous avons vu (section 2.6) que Solvay a répondu à l’appel de son ami germano-balte au cours de l’été 1911, et qu’il lui a promis de consacrer 250 000 francs à l’Institut international de chimie « en cas d’accord sur les conditions de fondation ». Mais le Conseil d’octobre-novembre a changé la donne : la situation a évolué. Reportons-nous au 4 novembre 1911, lorsque Solvay reçoit Lorentz à déjeuner, et qu’il lui fait part de son souhait de créer un Institut international de physique. Ostwald n’est pas au courant des derniers développements. Il est loin de se douter que son projet est en voie d’être éclipsé par les retombées d’une réunion de physiciens. Solvay n’a d’autre choix que de lui ouvrir les yeux. Sept jours plus tard403, il se jette à l’eau : Mon cher Monsieur Ostwald, J’ai bien reçu votre lettre du 29 octobre et le mémoire qu’elle annonçait. J’en attendrai un second exemplaire. Je n’ai pu m’occuper de la question jusqu’ici parce que j’ai été absorbé principalement par des travaux relatifs à un Conseil de physique que j’avais convoqué à Bruxelles. De plus, j’avais à faire paraître

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moi-même une étude gravito-matérialitique à cette occasion. Je vais me permettre de vous en adresser un exemplaire. Tout cela m’a pris du temps. Je me suis fait depuis lors à l’idée d’une fondation internationale de physique qui serait à réaliser sans doute en même temps que celle relative à la chimie. L’examen devra porter sur les deux choses à la fois et je ne pourrai prendre parti pour l’une ou pour l’autre que lorsque tout sera éclairci des deux parts. Il faudra donc bien attendre un peu si vous tenez à mon intervention, d’autant plus que le temps dont je dispose est toujours limité… Le ton n’est plus celui de la lettre du 7 juillet 1911. L’enthousiasme de Solvay a fait place à une « demande d’éclaircissements ». Or, les premiers éclaircissements qui lui sont apportés sont les critiques émises par Lorentz dans sa lettre du 4 janvier 1912. Oswald, qui n’en a pas connaissance, continue sur sa lancée. En tant que président de l’AISC, il convoque sa première Assemblée. Celle-ci a lieu à Berlin le 13 avril 1912. Elle réunit vingt-quatre représentants de douze Sociétés chimiques. Ostwald annonce à ses collègues que Solvay accepte de consacrer 250 000 francs à la création d’un Institut en partenariat avec l’AISC (en omettant de préciser que l’offre est soumise à condition). Réjouis par la bonne nouvelle, les chimistes s’empressent de remercier le généreux donateur ; ils lui adressent une lettre et y joignent une photo de l’Assemblée404. Solvay transmet aussitôt la nouvelle à Lorentz (dans cette même lettre405 du 19 avril 1912) : « Ces Messieurs de l’Internationale Association der Chemischen Gesellschaften (M. Ostwald, ancien président, Sir William Ramsay, nouveau président) reviennent à la charge pour leur Institut international de chimie, et mon intention, avant d’aller plus loin, et si vous n’y voyez pas d’inconvénients, serait de leur communiquer les statuts que nous avons élaborés ensemble, afin de voir si l’on ne créerait pas pour eux une fondation plus ou moins analogue… » Dès le 3 mai 1912, les statuts de l’IIPS sont envoyés à Ramsay (Fig. 34). Solvay y joint le commentaire suivant : Fig. 34 : William Ramsay en 1913, cf. fig. 36.

« Si l’Institut international de chimie que vous avez en vue pouvait être fondé sur le patron de celui-ci, et même ayant des accords avec lui, bien des difficultés à prévoir pourraient être évitées… »

Fondation de l’Institut international de chimie Solvay

Le nouveau président de l’AISC fait savoir qu’il répondra après s’être concerté avec les membres du bureau anglais. Solvay profite de ce moment de répit pour intensifier sa recherche personnelle. Malheureusement, le répit est de courte durée. Le 4 juin 1912, il reçoit ce message de Henri Lafontaine, président du Bureau international de la paix406 : « Il vient de tomber entre nos mains par le plus grand hasard un article publié dans un journal hollandais qui indique les efforts faits par nos voisins pour situer à Amsterdam l’Institut international de chimie dont M. Ostwald nous a entretenu… » Puis, c’est Henri Van Laer, président de la Société chimique de Belgique (SCB), qui sollicite un entretien. Ce dernier est d’avis qu’il y a lieu d’installer l’Institut de chimie à Bruxelles, où des terrains pourraient être mis à disposition par le gouvernement.

6.2. Intensification des travaux de Solvay Solvay reçoit Van Laer, mais il retourne aussitôt à ses travaux. Son objectif est de compléter sa théorie gravitomatérialitique, dont il n’a fourni jusqu’ici qu’un résumé. L’activité dont l’industriel fait preuve est impressionnante (plus de cinquante notes sont rédigées entre juin et décembre 1912). Son ambition ne l’est pas moins… Au cours d’un séjour à Évian, il aborde le « problème quantitatif » de sa théorie, et se livre à des réflexions sur les forces vives et sur les lois de Kepler (dont il cherche à tirer un système d’unités). Sa détermination atteint un sommet au début du mois de juillet. Voici ce qu’il écrit dans une note du 5 juillet 1912 : « Je laisse à Herzen et à Hostelet le soin de corriger euxmêmes en esprit ce qui pourrait être en défaut dans mes considérations. Je compte qu’avec ce qui précède et ce que j’ai fourni à Évian, ils peuvent arriver à exécuter le travail d’ensemble képléro-matérialitique que j’ai en vue, de manière à en faire un tout extrêmement précis, enchaîné, complet de principes. En s’y mettant bien, il me semble qu’un résumé pourrait en être fait pour après les vacances, et alors je serais disposé à

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le présenter, donc en novembre ou en décembre, à la Société française de physique à laquelle mon idée serait d’associer la Société française de chimie, et cela sous les auspices de Henri Poincaré, qui accepterait sans doute si j’en juge par le mot de M. Ch. Moureu407. Nous irions à Paris pour la circonstance (…) Cela n’empêcherait aucunement de préparer pour le Conseil de physique d’octobre-novembre de l’an prochain le travail complet, détaillé – et non plus seulement le résumé dont j’ai parlé avant mon départ de Bruxelles… » Coup du destin : Poincaré décède inopinément le 17 juillet 1912. Un mois plus tard, Lorentz fait part de son émotion à Solvay408 : « La nouvelle de la mort entièrement imprévue de notre éminent Poincaré vous a sans doute frappé bien douloureusement. C’est bien triste qu’un de ceux qui ont pris part à nos travaux de l’année passée – et la part de Poincaré a été des plus importantes – nous ait déjà été enlevé… » Réponse de Solvay409 : « J’étais dans la Haute-Engadine à Pontrésina, lors de la mort de M. Henri Poincaré. J’avais pour lui une admiration sans bornes et j’ai été extrêmement ému de ce triste événement. J’ai télégraphié alors pour le faire savoir à sa famille, et sa fille, qui est venue à Bruxelles au Conseil, m’a écrit pour obtenir une photo spéciale retirée du groupe du Conseil, désir que je suis occupé à réaliser… » Le coup est rude, mais Solvay ne désarme pas. Bien décidé à défendre sa théorie devant les membres de la Société française de physique, il convoque ses collaborateurs (note du 24 août 1912). Herzen est chargé de compléter la « théorie de la matière gravitique » ; Hostelet est prié de l’étendre afin d’en tirer une théorie proprement chimique. Solvay compte établir ainsi les bases de « l’Univers actif ». Les nombreuses notes de Solvay attestent ses efforts pour convaincre Herzen et Hostelet du caractère définitif de ses résultats. Face à leurs objections, il se montre quelquefois irrité et les exhorte à s’imprégner davantage de son « système de raisonnements interprétatifs ». La résistance de ces jeunes physiciens est un réel obstacle, car Tassel, le fidèle conseiller d’autrefois, ne se sent plus capable de réaliser le programme de Solvay (voir nos

Fondation de l’Institut international de chimie Solvay

commentaires à la fin du deuxième chapitre et les Notes sur les travaux poursuivis par Ernest Solvay de 1857 à 1914, imprimées en 1920).

6.3. Les attentes des chimistes Alors qu’il tente désespérément de compléter sa théorie, Solvay subit de nouvelles pressions. Van Laer revient à la charge dès la fin du mois d’août 1912 : « Puis-je vous rappeler la promesse que vous m’avez faite de m’envoyer un exemplaire des statuts de l’IIPS. Je désire m’occuper activement de l’Institut de chimie suivant les vues que vous avez développées lors de notre dernier entretien… » Mais Van Laer va devoir patienter. Ce n’est que le 5 novembre 1912 qu’il reçoit (à titre confidentiel) les statuts de l’IIPS, accompagnés de ce message : « Après en avoir conféré avec mes collègues, et contrairement à ce que j’avais d’abord pensé, je vous prierais de ne pas vous appuyer sur la communication de ces documents si votre intention était d’agir vis-à-vis du Comité de l’Association internationale des sociétés chimiques, désirant n’introduire aucune incitation personnelle dans cette question… Ces Messieurs doivent évidemment avoir leurs raisons de ne pas se presser plus qu’ils ne le font, et je ne voudrais aucunement les déranger. » Quinze jours plus tard, Van Laer annonce à Solvay qu’il est convaincu qu’un Institut calqué sur l’IIPS sera bien plus utile à la chimie que ce qui est proposé par Ostwald. Il rappelle toutefois que la situation de la chimie est différente de celle de la physique : il existe en Belgique une Société chimique. Celle-ci pourrait formuler un avantprojet de statuts, proche de ceux de l’IIPS, qui servirait de base de discussion dans une réunion internationale. Solvay lui répond : « Je ne vois aucun inconvénient, au contraire, à ce que vous vous mettiez en rapport à ce sujet avec Sir William Ramsay, après m’avoir communiqué votre projet, et en agissant avec une certaine discrétion. Vous présidez la Société chimique de Belgique, vous avez déjà antérieurement agi vis-à-vis de M. Ostwald, l’ancien président international. Vous êtes

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donc bien en situation pour agir encore. Le fait qu’il me paraît presque certain que ces Messieurs de l’Association internationale des sociétés chimiques travaillent aussi la question, n’est pas de nature, en y réfléchissant, à devoir contrarier votre intervention du moment que celle-ci se produit dans le sens qui me convient et que vous indiquez ; vraisemblablement même, cela pourrait être une aide pour ces Messieurs. Faites donc ce que vous jugez bon. » Le 5 décembre 1912, Solvay reçoit la réponse tant attendue de Ramsay. Celui-ci fait savoir que le bureau anglais souhaite utiliser les moyens mis à disposition de l’IICS pour constituer une bibliographie complète des différents secteurs de la chimie. Voilà qui n’arrange rien : Solvay s’aperçoit que les idées de Ramsay ne diffèrent guère de celles d’Ostwald. Les objectifs de l’ancien et du nouveau président de l’AISC sont très éloignés des siens ! Tenu de répondre à Ramsay, Solvay prépare une lettre qu’il soumet à Van Laer. Celui-ci a rédigé un avant-projet de statuts qui tient compte des priorités du fondateur tout en empruntant certaines idées à Ostwald. En cas d’accord de la part de Solvay, il se dit prêt à se rendre à Londres pour y défendre son projet… Mais cette idée ne plaît pas à Solvay, qui ne peut accepter que son projet de fondation soit perçu par les Anglais comme une initiative de la Société chimique de Belgique. En outre, il est clair que la négociation avec Ramsay sera délicate et qu’elle devra être menée par un homme de confiance, de préférence Tassel. Ce dernier accepte la mission : il examine le projet de Van Laer et y apporte quelques modifications. Avant de partir pour Londres, il reformule la lettre de Solvay et précise les exigences du fondateur : tenue régulière de Conseils de chimie, octroi de subsides de recherche sur proposition d’un Comité international, présence dans ce Comité d’un représentant de la Société chimique de Belgique. En contrepartie, Solvay s’engage à tenir compte des «  légères modifications qu’il y aurait lieu de faire subir aux statuts de l’IIPS afin de les adapter à la situation de la chimie ». Le 20 décembre 1912 : douche froide ! Tassel, qui est à Londres, annonce à Solvay que Ramsay est hostile à l’organisation de Conseils et qu’il ne croit pas à la nécessité d’encourager les recherches en chimie par l’octroi de subventions…

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Heureusement, tout n’est pas perdu : Ramsay propose de prendre l’avis du « troisième homme » de l’AISC : Albin Haller (Fig. 35). De Paris, où il se trouve, Solvay envoie ce message à son émissaire : Mon cher Tassel, Cela me ferait plaisir que vous veniez voir Haller ici. Je l’ai précisément rencontré samedi soir chez M. Langlois, le directeur de la Revue générale des sciences et le lui ai proposé. Mais auparavant, il devrait prendre connaissance des statuts et règlement de l’Institut de physique ; prière de les lui envoyer à la réception de cette lettre et d’attendre pour venir à Paris jusque lundi. Écrivez-lui un mot de ce que vous a dit Ramsay et proposezlui d’aller le voir lundi en ajoutant que je suis encore à Paris et pourrais au besoin le voir également. Le lendemain : nouvelle lettre de Solvay, qui demande à Tassel de se munir d’une copie de la lettre envoyée à Ostwald le 23 juin 1911 (dans laquelle il est précisé que les 250 000 francs sont à considérer comme une offre soumise à condition). Tassel prend immédiatement contact avec Haller. Il lui dit : « Sir William Ramsay a formulé différentes critiques au sujet de l’organisation projetée et a dû vous écrire… J’ai convenu avec lui que j’irais vous voir, si toutefois il vous convenait d’examiner la question… Peut-être pourrions-nous aboutir à un projet qui permette à M. Solvay de se déterminer… M. Solvay séjournera à Paris jusqu’au 15 janvier… » Haller réagit410 le 2 janvier 1913 : il invite Tassel à déjeuner ou à dîner. Les deux hommes sont faits pour s’entendre ; ils se sont rencontrés autrefois. Une confiance mutuelle s’installe dès la première entrevue.

6.4. Les bons offices d’Albin Haller D’origine alsacienne, Haller jouit de plusieurs avantages. C’est un Français habitué au système allemand (un système qui privilégie tous types d’investigations, de la

Fig. 35 : Albin Haller en 1913. Courtoisie ESPCI-PSL Paris, Centre de ressources historiques.

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recherche pure à l’application industrielle). Avant de monter à Paris, et d’y devenir directeur de l’École municipale de physique et de chimie industrielles, il a séjourné en Lorraine dans une institution que Solvay connaît bien : la faculté des sciences de Nancy. Cette ville est proche de l’usine de Dombasle, première usine Solvay installée à l’étranger. En 1896, la faculté de Nancy a bénéficié de la générosité de la Société Solvay pour la création d’un Institut d’électrochimie411. Haller est donc bien placé pour obtenir des concessions. C’est, selon l’expression de Tassel, un « homme qui sait naviguer ». Ainsi, le futur président de l’AISC ne tarde pas à découvrir les priorités de Solvay : la fixation à Bruxelles d’un Institut international de chimie (l’IICS) et le choix de cet Institut comme siège de l’Association. C’est sur ces deux points qu’il se propose de lui donner satisfaction. En revanche, il compte obtenir l’adhésion de Solvay à un projet de statuts pour l’IICS qui réponde aux besoins de l’Association. La stratégie de Haller peut se résumer en cinq points : i) Obtenir l’abandon du programme « subsides » de l’IICS contre la fixation à Bruxelles du siège de l’AISC. ii) Isoler Ostwald et faire approuver un projet de statuts par une majorité au sein de l’AISC ; s’appuyer pour cela sur Ramsay et sur le Genevois PhilippeAuguste Guye (collègue et ami de Haller). iii) Obtenir le versement à l’AISC des annuités produites par les 250 000 francs promis à Ostwald, contre l’engagement de l’Association à tenir ses assemblées annuelles à Bruxelles. iv) Provoquer le ralliement d’Ostwald en abandonnant l’idée d’un Institut dirigé par un Comité scientifique autonome, et en le remplaçant par une « délégation » de l’AISC. v) Obtenir l’adhésion de Solvay en proposant Bruxelles (au lieu de Londres) comme lieu de la tenue du prochain Conseil de l’AISC. Cette réunion, programmée en septembre 1913, ajoutera de l’éclat au jubilé industriel de Solvay. Haller va devoir procéder par étapes. Ses négociations avec Tassel débutent à Paris le 15 janvier 1913. Solvay profite de son séjour parisien pour travailler à sa « Synthèse de l’Univers ».

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Mais il doit bientôt faire face à un nouveau développement. Ostwald lui annonce le 6 janvier 1913 qu’il a pris connaissance de son « généreux plan pour la chimie » et qu’il profite de cet élan de générosité pour lui demander une nouvelle faveur : « N’est-ce pas la meilleure méthode de vous remercier que de vous demander quelque chose de plus ? » Cette chose est une contribution au financement de la nouvelle fondation d’Ostwald (Die Brücke). « Donc, dit Ostwald, si vous sentez la moindre disposition en faveur du Pont, aidez-nous ; votre nom sera alors attaché à l’une des plus grandes œuvres de l’humanité : l’organisation du cerveau du monde (souligné) ». Puis, en postscriptum, il ajoute : « Je vous écrirai bientôt sur le projet de M. Haller concernant l’Institut international de chimie. Ne serait-il pas bon d’avoir une réunion personnelle à Bruxelles de MM. Ramsay, Haller et moi-même. Je viendrais avec plaisir, car ce serait une occasion de vous revoir… » Le message est clair : l’ancien président de l’Association cherche à reprendre la main. Mais Solvay ne veut pas se trouver seul en face des trois fondateurs de l’AISC, pas plus qu’il n’est disposé à s’engager dans un nouveau projet. Sa réponse à Ostwald est sans ambiguïté412 : « Je ne puis aucunement entrer dans la voie que vous indiquez pour la “Brücke”. Mon plan d’action pour l’avenir est fait, en gros, dans mon esprit ; il est limité et l’organisation sociale de détail que vous poursuivez n’y entre pas… La seule chose que je puisse faire pour vous être agréable, en vous aidant, est de vous allouer 10 000 francs par an et cela pendant cinq ans, si votre organisme continue ; on verrait par la suite. J’affirmerais par là ma pensée vis-à-vis de vous et de l’œuvre que vous avez entreprise. Relativement à l’Institut international de chimie de Bruxelles (souligné) et devant être à ma convenance (souligné), je me suis mis en relation avec votre successeur, Sir William Ramsay, conformément à votre désir ; Sir William m’a mis en relation avec M.  Haller et c’est maintenant ce dernier qui examine la question. Je ne désire m’en occuper que très accessoirement, car je ne suis pas à cela ; je vous l’ai dit maintes fois, je n’ai guère de temps disponible et celui-ci est déjà très appliqué. J’attendrai les propositions de M. Haller.

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Il me faudrait quelque chose de simple, avec des constantes, comme pour l’Institut de physique, sinon je ne puis envisager la chose. Réfléchissez bien à mon cas spécial, mon cher Ostwald, et vous me comprendrez. Je dois me tenir fixé, je deviens vieux. » Tassel s’empresse d’alerter Haller413 : « Je crois bien faire en vous communiquant, confidentiellement, copie d’une lettre que M. Solvay vient de recevoir de M. Ostwald et de la réponse qu’il y a faite, car il est question dans ces lettres de l’Institut international de chimie, à la réalisation duquel vous voulez bien collaborer. Les documents joints à la lettre de M. Ostwald tendaient à l’obtention d’un subside de 1 million pour la Brücke… » Ostwald, qui n’est pas au courant des négociations qui ont lieu à Paris, envoie une nouvelle lettre à Solvay414 pour y faire le procès du projet « Haller » : « Par le projet de M. Haller, l’Institut serait en quelque sorte une copie de l’Institut Carnegie qui fonctionne depuis cinq ou sept ans avec de très grands moyens pour aider les chercheurs individuels… Ma pensée serait de créer quelque chose de tout nouveau, c’est-à-dire l’organisation systématique de toute une science. J’écrirai à Haller quand je trouverai le temps et la force… » Solvay réagit415 avec humeur : « C’est moi qui ai désiré que l’Institut projeté soit calqué sur celui de physique, et cela pour les raisons que je vous donne dans ma précédente lettre. Même je désire que cette question se termine sans beaucoup tarder dans un sens ou dans l’autre, vous comprendrez cela, toujours pour les mêmes raisons… » Haller poursuit, quant à lui, la voie qu’il s’est tracée. Il compte sur l’appui de Ramsay et de Guye et leur soumet son avant-projet de statuts. Le 28 janvier, il écrit à Tassel : « J’attends toujours la réponse de M. Ostwald… J’ai déjà l’opinion de M. Ramsay et de ses collègues qui acceptent l’ensemble du projet. » Tassel (qui est de nouveau à Paris) a pris connaissance du projet « Haller ». Il fait part de ses impressions à Solvay416 : « J’ai réussi ce matin à voir M. Haller (…) MM. Ramsay et Guye ont remanié légèrement son projet. Quant à

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M. Ostwald, il n’a pas donné signe de vie… Quoi qu’il en soit, l’affaire semble en bonne voie et M. Haller me paraît avoir parfaitement navigué pour obtenir l’adhésion de M. Ramsay et du groupe anglais. »

6.5. Solvay poursuit ses investigations Rassuré par les propos de Tassel, Solvay retourne à ses travaux. Il songe à présent à appliquer ses conceptions gravito-matérialitiques au mouvement de rotation et de révolution des planètes (notes sur le « cycle universel »). L’industriel n’a pas oublié les leçons de Claude-Louis Berthollet417, ce chimiste français qui s’est intéressé à la formation naturelle de la soude418. Pour Berthollet, il y a similitude entre les mécanismes qui gouvernent le cosmos et ceux qui régissent les processus moléculaires. Voici ce qu’il écrit dans son Essai de statique chimique : « Les puissances qui produisent les phénomènes chimiques sont toutes dérivées de l’attraction mutuelle des molécules des corps à laquelle on a donné le nom d’affinité pour la distinguer de l’attraction astronomique… Cependant, puisqu’il est très vraisemblable que l’affinité ne diffère pas dans son origine de l’attraction générale, elle doit également être soumise aux lois que la mécanique a déterminées pour les phénomènes dus à l’attraction de la masse, et il est naturel de penser que plus les principes auxquels parviendra la théorie chimique auront de généralité, plus ils auront d’analogies avec la mécanique… » Mais ce n’est pas tout. Solvay veut pénétrer le sens du zéro absolu de température. Il pense pouvoir fournir une base gravito-matérialitique à la « loi des états correspondants » de van der Waals419. Voici ce qu’il dit au sujet de l’article de Dewar, dont une traduction a paru dans Le Moniteur scientifique du Docteur Quesneville sous le titre « Nouveaux phénomènes observés au voisinage du zéro absolu » : « L’article de Dewar du Moniteur scientifique420, où il est fort question du point critique des corps simples, m’amène à exposer de nouveau mon point de vue à cet égard (…). On pourrait dire que tous les corps simples, à leur point critique, sont à leur état correspondant théorique et par conséquent tout à fait comparables entre eux quant à leurs

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propriétés physiques et chimiques (…) Les constatations expérimentales que je suggère ici de chercher à effectuer (avec les autres déjà envisagées) serviraient à affirmer de plus en plus ma gravito-matérialitique, et je me demande s’il ne faudrait pas les signaler à M. Lorentz, qui pourrait peut-être désigner un expérimentateur pour les réaliser. Nernst le ferait sans doute bien421. Les considérations de l’article de Dewar montrent avec force qu’un réexamen de la physique fondamentale s’impose de plus en plus ; or c’est la besogne à laquelle je me suis attaché depuis trente ans, prévoyant expressément la situation qui se présente… »

6.6. Positions de Haller et d’Ostwald Revenons à Haller et à son projet de statuts pour l’Institut de chimie. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, sa position à l’égard des statuts est très proche de celle d’Ostwald. En effet, les priorités des représentants de l’AICS sont semblables et conformes à l’attente des chimistes. Quant au monde des chimistes, il diffère largement de celui des physiciens ! Mais un constat s’impose : Haller est plus fin négociateur qu’Ostwald. Il sait qu’il y a des limites que Solvay ne veut pas franchir : c’est pour cette raison qu’il ne suit pas son collègue dans son souhait de créer un Institut « aux multiples départements ». Sa perspicacité apparaît dans la lettre qu’il adresse à Ostwald le 3 mars 1913 : Mon cher Collègue, Le projet de statuts que j’ai eu l’honneur de vous communiquer a été soumis à MM. Ramsay et Guye qui, à part quelques observations de forme qui ne touchaient pas au fond même du projet, y ont donné leur assentiment. Comme moi, tous deux estiment qu’au point de vue même de notre Association des sociétés chimiques, c’est une bonne fortune que M. Solvay ait l’intention de créer un Institut international de chimie, car notre Association pourra bénéficier, dans une certaine mesure, des crédits qui seront consacrés à la partie administrative de cet Institut. Sans doute, il vaudrait mieux pour nous que la somme de 1 million qu’il veut affecter à cet Institut, avec toutes les modalités qui figurent dans les statuts de l’Institut de physique,

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nous fût attribuée sans autres conditions générales que celles qui régissent les statuts de notre Association. Je suis en particulier d’accord avec vous pour considérer que les subsides qu’on accorde pour quelques milliers de francs à des chercheurs ne produisent souvent pas de résultats en rapport avec les sacrifices consentis. D’autre part, j’estime comme vous que le but de notre Association n’est pas de provoquer des recherches, ni de donner des bourses à de jeunes gens désireux de se perfectionner dans des laboratoires étrangers. Mais il ne faut pas oublier que l’AISC et l’Institut international de chimie sont deux institutions différentes par leur origine et par leur but. La première, formée à la suite de notre initiative à tous deux, est une collectivité pleine de bonne volonté et d’intentions généreuses, mais qui ne dispose ni de fonds ni d’un local. La seconde sera une émanation d’un homme aux larges envolées, d’un grand bienfaiteur qui veut mettre une partie de son immense fortune au service de la science et de la jeunesse destinée à cultiver cette science. N’est-il pas légitime que M. Solvay mette des conditions à cette donation et cherche à en faire bénéficier dans une faible mesure ses nationaux ? C’est en m’inspirant de ses désirs, ainsi que des statuts de l’Institut international de physique Solvay, que j’ai rédigé mon projet. Maintenant, nous sommes tout disposés, M. Ramsay et moi, à faire avec vous une démarche auprès de M. Solvay pour le faire revenir sur sa décision et trouver le moyen de nous abandonner le million sans autre condition que d’être consacré au bien de la science chimique. Mais pour en arriver là, il faudrait que vous préveniez le généreux mécène à cette démarche. Il y aurait lieu de lui faire comprendre le but que nous poursuivons et de ne pas s’écarter de ce but. En effet, je ne crois pas qu’il soit utile et nécessaire de songer à un grand Institut muni de laboratoires et de salles de collections destinées à la recherche. Un local avec salle de réunion, bibliothèque et personnel destiné à ramasser et à classer tous les documents qui nous serviront pour poursuivre notre œuvre suffira. Ce local sera le siège de notre secrétariat et pourra, même devra, se trouver à Bruxelles. Nous pourrons bien faire cette concession à M. Solvay s’il entre dans nos vues. Dans le cas où il maintiendrait les siennes, nous nous y adapterions en lui proposant les statuts tels que je vous les ai soumis. Veuillez, je vous prie, réfléchir à toutes ces questions et nous donner une réponse de façon à ce que nous puissions prendre nos dispositions dans le cas d’un voyage éventuel à Bruxelles.

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Le 12 mars 1913, Haller annonce à Tassel que Ramsay et Guye ont fait connaître leurs dernières observations. Ostwald a consigné les siennes dans une longue lettre adressée à Haller, mais dont les termes font supposer qu’elle est destinée à Solvay (voir le prochain chapitre). Grâce aux efforts de Haller, une majorité s’est dessinée au sein de l’AISC. Celle-ci est disposée à soutenir dès le mois d’avril 1913 un compromis entre les désirs de Solvay et certaines idées défendues par Ostwald. Les membres de cette majorité acceptent la répartition des deux tiers du revenu annuel de l’IICS en bourses et subsides. En contrepartie, ils demandent que le tiers réservé à l’AISC soit augmenté des intérêts des 250 000 francs qui ont été promis à Ostwald. En cas d’accord sur ce dernier point, l’Association pourrait envisager de fixer son siège à Bruxelles. Le texte du projet est envoyé à Tassel422 le 14 avril 1913. Haller y a joint une copie de sa lettre à Ostwald, ainsi qu’une traduction de la réponse de ce dernier (destinée à être lue par Solvay). Reprenant à son compte l’idée d’une démarche auprès de l’industriel, le futur président de l’AISC déclare : « Au cas où l’une ou l’autre des solutions proposées ne satisferait pas M. Solvay, nous sommes tout à fait disposés à nous rendre à Bruxelles. » Tassel envoie un télégramme à Solvay : « Reçu projet Haller et observations Ostwald ; faut-il venir à Paris ou attendre votre retour à Bruxelles ? » Réponse de Solvay : « Attendez mon retour. »

6.7. Impact des observations d’Ostwald Nous voici fin du mois d’avril 1913. Tassel annonce à Haller que son projet de statuts a reçu l’approbation de Solvay. Ce projet prévoit la fixation à Bruxelles du secrétariat de l’AISC pour une période de trente ans (durée de vie de l’IICS), ainsi que la présence d’un membre belge dans le Comité scientifique de l’Institut. Le texte précise que les deux tiers des annuités perçues par l’IICS seront mis à disposition de ce Comité. En revanche, il n’est plus question de subsides de recherche…

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Question : pourquoi Solvay a-t-il accepté de renoncer à cette condition qui lui était spécialement chère ? Pour le comprendre, il faut lire la réponse d’Ostwald à la lettre de Haller du 3 mars 1913 (une lettre dont Solvay a reçu la traduction) : « Aux nombreuses fondations grandioses que M. Ernest Solvay a établies en faveur de la science au moyen de sa fortune personnelle, il en a ajouté une nouvelle comportant 1 million de francs et destinée à un Institut international de chimie. Les personnes de confiance qu’il a consultées au sujet de l’emploi à donner à cette somme ont pris l’engagement d’éclairer sous toutes ses faces, aussi consciencieusement que possible, le problème qui leur est posé, afin de faire rendre un maximum d’effet utile à l’immense outil qui a été mis entre leurs mains et de transformer en un travail utile maximum en faveur de la science chimique l’énorme somme d’énergie représentée par 1 million de francs423. La première idée qui se présente à l’esprit, et que le professeur Haller a exprimée d’une façon absolument rationnelle par son projet de statuts, est basée sur l’hypothèse qu’en vue du développement de la chimie il serait mieux de soutenir financièrement de jeunes chercheurs qui ont des aptitudes spéciales dans cette branche, en analogie avec ce qui a été réalisé en vertu des statuts de la fondation-sœur pour la physique. Or, les deux sciences – physique et chimie – sont très différentes l’une de l’autre au point de vue de leur culture. Alors que le nombre de ceux qui étudient la physique n’est pas grand, et que la possibilité de trouver pour le physicien l’occasion dans la suite de continuer ses recherches n’est nullement variée, la chimie se trouve, sous ce rapport, dans une tout autre situation. Par suite de l’énorme développement de l’industrie chimique, par suite de l’application de la chimie à tous les problèmes possibles de la vie économique et sociale, non seulement le nombre de chimistes de culture scientifique complète est beaucoup plus considérable, hors de toute proportion, que celui des physiciens, mais en outre a créé des occasions bien plus nombreuses, hors proportion également, sous forme de laboratoires et d’instituts dans lesquels on peut se livrer aux travaux scientifiques… Il existe partout des occasions les plus abondantes et les plus variées de mettre en pratique les connaissances en

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chimie et de se livrer à des recherches en chimie, de sorte qu’une nouvelle contribution pour augmenter cette possibilité ne pourra provoquer qu’un très minime changement dans la situation existante et ne constitue dans tous les cas l’équivalent d’une aide fondamentale et essentielle pour la science… Les Académies à Paris et Berlin disposent, par exemple, de sommes très considérables pour soutenir des travaux scientifiques de tous genres. Et ces sommes sont encore surpassées de bien loin par diverses fondations ayant le même but, parmi lesquelles l’Institut Carnegie peut être considéré comme le plus riche et le plus actif… Si même, par conséquent, la dotation de M. Solvay devait être utilisée pour des buts de ce genre, il ne s’agirait que d’une institution parmi bien d’autres… En revanche, précisément pour la chimie comme science, il existe d’autres besoins très urgents que l’Association internationale des sociétés chimiques, fondée il y a deux ans, a en vue de combler… La nécessité, donnée par les prévisions générales de l’Association, de nommer tous les ans un nouveau président, élu tantôt dans un pays, tantôt dans un autre, l’absence d’un bâtiment distinct, d’un capital, d’une bibliothèque et d’archives appartenant en propre à l’Association, empêcheront celle-ci en permanence de fournir toute prestation notable, ou du moins ne le permettront qu’au prix d’efforts considérables. Mais si la somme mise à disposition par M. Ernest Solvay était employée pour créer à Bruxelles un bureau central pour l’Association, qui représente la totalité des chimistes travaillant scientifiquement sur toute la surface de la Terre, et si les moyens étaient employés pour entretenir un corps régulier de collaborateurs approprié pour la solution des différents problèmes dans ce bureau central, ces problèmes avanceraient énormément, et la chimie, en tant que science, acquerrait en peu de temps une situation telle que ne la possède au point de vue de l’organisation aucune autre science. En même temps, le nom de Solvay serait attaché à perpétuité à ces institutions absolument neuves et instaurant une nouvelle époque dans le travail scientifique de l’humanité, distinction que le donateur mériterait d’autant plus que, dans toutes les fondations scientifiques qu’il a faites jusqu’ici, il s’est laissé guider par des idées générales de portée extraordinaire et dépassant considérablement le travail intellectuel de ses contemporains. »

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Il semble, en effet, que Solvay ait été frappé par ce plaidoyer (et par la dernière déclaration d’Ostwald) et qu’il ait résolu de revoir sa position. C’est en tous cas ce qui ressort de la suite des événements : −− 8 mai 1913 : Ostwald annonce à Solvay qu’il accepte la dernière version du projet de statuts élaboré par Haller. −− 15 mai : réponse de Solvay à Ostwald : « Vos observations m’ont paru fondées et j’ai fait ce que j’ai pu à l’effet de m’y rallier. » −− 17 mai : message de Tassel à Haller : « M. Solvay a reçu hier une lettre de M. Ostwald qui semble enchanté, même quelque peu enthousiaste du nouveau projet de statuts que vous lui avez communiqué. » −− 16 juillet : Solvay verse 1 million de francs à une Société d’assurances. Un accord a donc fini par se faire le 8 mai 1913 sur la dernière proposition de Haller. L’accord prévoit qu’en cas d’acceptation par l’AISC des mesures prévues par Haller, Solvay dotera l’Institut de 1 million de francs, de manière à assurer le paiement de vingt-huit annuités à partir du 1er mai 1914, et qu’il remettra 250 000 francs à l’Association (à charge d’utiliser le revenu de cette somme pour couvrir les frais généraux). La stratégie de Haller a payé : le texte des statuts ne prévoit ni octroi de subsides, ni organisation de Conseils de chimie… Il n’est même plus question d’un « Comité autonome » chargé d’assurer la direction scientifique de l’IICS ! L’importance de ces concessions n’a pas échappé à Guye, qui déclare dans une lettre à Haller424 : « Mes félicitations les plus chaleureuses pour le beau succès de vos négociations avec M. Solvay. Jamais je n’aurais cru que vous pourriez obtenir autant… »

6.8. La dernière carte de Haller Ce n’est que le 18 mai 1913 – dix jours après cet éclatant succès – que Haller dévoile dans une lettre à Tassel la mesure qui a provoqué le ralliement d’Ostwald. Il explique que son projet de statuts a reçu l’assentiment complet de Ramsay et de Guye après une ultime modification : le remplacement du Comité scientifique international par

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une « délégation » de l’AISC. Haller minimise la portée de ce remplacement : il ne s’agit, selon lui, que « d’une simplification, d’un rouage de moins » puisqu’il était entendu que les membres du Comité scientifique seraient nommés sur proposition de l’AISC. Puis, abattant sa dernière carte, il ajoute : « Nous sommes donc tous d’accord et pouvons rédiger définitivement notre projet, de façon à pouvoir le présenter à la prochaine réunion de notre Association, que je propose de tenir à Bruxelles en septembre prochain, si M. Solvay n’y voit pas d’inconvénient… » La manœuvre est habile. Le choix de Bruxelles comme lieu du prochain Conseil de l’AISC est un coup de maître : la période retenue pour cette Assemblée de chimistes coïncide avec la célébration des noces d’or de Solvay et du 50e anniversaire de sa société ! Le 25 mai 1913, Haller se rend chez l’industriel qui le reçoit à dîner au château de La Hulpe. Les deux hommes conviennent de la date du « Conseil » : il se tiendra du 19 au 23 septembre 1913 (la fête jubilaire de Solvay étant prévue le 20 septembre). Le 21 juin, Haller demande à Tassel de faire imprimer 100 exemplaires du projet de statuts de l’IICS. Cherchant à exprimer sa gratitude à l’égard de Solvay, il propose de provoquer des manifestations de sympathie à l’occasion de son jubilé. Le jubilaire prie le roi d’accorder son patronage à l’IICS. Le 19 août, il reçoit ce message du souverain : « Je suis fort flatté de ce que vous m’associez au fonctionnement de ces importantes fondations scientifiques par lesquelles vous donnez un magnifique exemple du plus noble usage de la fortune. »

6.9. Un Conseil pour couronner un jubilé Le Conseil de l’AISC réunit les représentants de treize Sociétés chimiques, dont celles de France, de Belgique, d’Allemagne, des Pays-Bas, d’Italie, d’Espagne, d’Amérique, de Russie, de Londres, de Copenhague, de Tokyo et de Christiania (Fig. 36).

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Fig. 36 : Membres du 2e Conseil de l’AISC, Bruxelles, Institut de physiologie du parc Léopold. Archives de la Société chimique de Belgique. S.a.b.ULB (droits réservés).

Les séances ont lieu à l’Institut de physiologie Solvay. Les membres de l’Assemblée sont priés d’approuver les statuts de l’Institut international de chimie et la nomination de Haller comme président de l’Association pour l’année 1913-1914. Ils se penchent sur diverses questions : l’unification des symboles physico-chimiques, la nomenclature chimique et l’adoption des statuts du Comité international des poids atomiques. Le Conseil rehausse les noces d’or de Solvay et son jubilé industriel. Il souligne avec éclat sa fondation d’un Institut international de chimie ! La fête de la société a lieu dans ses bureaux le 20 septembre. Un télégramme du roi accompagne la nomination de Solvay comme grand officier de l’ordre de

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Léopold. Plusieurs adresses sont remises, dont celles de la Société allemande de chimie, des universités de Paris et de Nancy et de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale. Haller a été chargé de remettre à Solvay la médaille d’or de la Société chimique de France, à l’effigie de Nicolas Leblanc, ainsi que la grande médaille de Lavoisier (qui lui est décernée par l’Académie des sciences de Paris425). Les membres du Conseil sont conviés le lendemain à une réception chez Solvay, rue des Champs-Élysées. Le 25 octobre, la revue Nature publie une note intitulée « L’institut international de physique. L’organisation du travail scientifique et les Instituts Solvay ». L’article rend compte des distinctions accordées à Solvay à l’occasion du cinquantenaire de la fondation de sa société. Il ne mentionne pas les 1 250 000 francs destinés à l’Institut international de chimie, mais révèle que le jubilaire a réparti une somme de 5 millions en libéralités, dont 500 000 francs à l’université de Paris pour le développement de l’Institut de chimie appliquée, 500 000 francs à l’université de Nancy pour l’Institut électrotechnique, 500 000 francs pour l’attribution de prix quadriennaux décernés par les Congrès internationaux d’hygiène, 250 000 francs à l’université du Travail de Charleroi, 1 million à des œuvres d’éducation ouvrière et 100 000 francs à la Ligue nationale belge contre la tuberculose. Les nombreuses distinctions et marques de reconnaissance ont vivement ému Solvay. Mais elles n’ont pas dissipé son inquiétude à propos des résolutions de l’AISC. Le 24 septembre 1913, il demande à Tassel de se mettre en rapport avec Haller pour savoir ce qui a été décidé au sujet du lieu des assemblées annuelles de l’Association. Du point de vue de Solvay, ce ne peut être que Bruxelles, siège de l’IICS et donc du « bureau permanent » de l’AISC. Haller fait savoir qu’il a défendu cette idée, mais que certains membres s’y sont opposés. Il a donc proposé que les réunions annuelles se tiennent à Bruxelles « au moins une fois sur deux ». Cette disposition a été approuvée par le Conseil ; elle doit figurer au procèsverbal sous la forme suivante : « Les réunions de l’Association auront lieu, autant que possible, au moins une fois sur deux, à Bruxelles. » Haller précise que c’est un minimum auquel il se tiendra résolument.

Fondation de l’Institut international de chimie Solvay

D’autres questions, comme celle du statut légal de l’AISC, n’ont pas pu être tranchées. Elles seront examinées à l’occasion d’une révision des statuts de l’Association, prévue en 1914. Restent également à régler : le versement à l’AISC du revenu des 250 000 francs, et la mise à disposition de l’IICS du revenu annuel du million déposé par Solvay. Haller souhaite transformer l’AISC en une société de droit belge, domiciliée à Bruxelles. Mais ce projet se heurte à une difficulté : la législation belge ne permet pas d’accorder la personnification civile à une association. Le président devra donc faire des démarches pour que l’AISC obtienne une existence légale en France.

Prudence de Tassel Nous voici en février 1914. Les questions financières relatives à l’IICS sont discutées au cours d’une réunion de la Commission administrative. Tassel, le représentant de Solvay, a rédigé deux lettres. La première est destinée à Haller. C’est une lettre signée Solvay qui rappelle le caractère contractuel des conditions qui ont été posées : la fixation à Bruxelles du secrétariat de l’Association et l’engagement de celle-ci à y tenir ses assemblées annuelles au moins une fois sur deux. La lettre précise qu’aucun versement ne pourra avoir lieu avant que l’AISC ne se soit engagée à respecter ces conditions (une mesure justifiée par la présidence tournante). La seconde lettre est une note de Solvay à son représentant, dans laquelle il est dit que le paiement des annuités est subordonné à l’observation des engagements pris par l’AISC. Tassel a eu la sagesse d’envisager une défaillance de l’Association pendant la durée de vie de l’IICS. Il a introduit une clause statutaire qui prévoit (en cas d’une dissolution de l’AISC) la constitution d’un Comité scientifique international, semblable à celui de l’IIPS. La lettre destinée à Haller lui est remise le 11 mars 1914. Elle précise que le choix de Bruxelles pour les assemblées de l’AISC est à considérer comme une « contrepartie des sacrifices consentis ». Haller fait savoir qu’il veillera à introduire dans les statuts de l’AISC la résolution qu’il a fait adopter426 le 23 septembre 1913 : « L’Association tiendra ses séances à Bruxelles, autant que possible une fois sur deux. »

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Feignant ignorer le recul par rapport à ses déclarations précédentes, il déclare : « Ce vœu figure déjà dans les statuts de l’Institut de chimie Solvay et je tiendrai, en ce qui me concerne, à ce qu’il y ait harmonie entre les deux textes. » Précaution inutile : les résolutions de Haller resteront sans effet ! La révision des statuts de l’AISC, rendue nécessaire par le don de Solvay, n’aura pas lieu : le Conseil de l’AISC prévu en septembre 1914 sera annulé suite au déclenchement du premier conflit mondial.

Chapitre 7 Les subsides « Solvay »

La Grande Guerre aura un impact durable sur l’action de l’IIPS. Il sonnera la fin du programme de subsides pour physiciens de tous pays. Ce programme, première raison d’être de l’Institut, surprend aujourd’hui par sa nouveauté et par la rigueur du mode d’attribution des subsides. Par souci de clarté, nous présentons d’abord l’ensemble des subsides alloués par l’IIPS au cours des trois premiers exercices budgétaires. Nous nous étendons ensuite sur la procédure adoptée par le CSI pour fixer l’ordre des priorités.

7.1. Situation globale On se souvient de la décision du CSI du 30 septembre 1912 : octroi de deux subsides, l’un à Max Laue, l’autre à Charles G. Barkla. Peu de temps auparavant, l’IIPS a accordé un soutien financier au groupe Lebedew, dirigé par le Dr Lazarew. Ces mesures furent prises avant que le monde scientifique n’ait été informé de la possibilité d’introduire des demandes de subsides. Le CSI décida, au cours de sa première réunion, de publier une notice pour annoncer la création de l’IIPS et son programme de subsides. Les candidats furent avertis qu’un concours leur était ouvert et qu’ils pouvaient introduire une demande sur la base d’un projet de recherche. Ils furent priés d’envoyer leur dossier à l’adresse privée du président Lorentz avant le 1er février 1913. L’évaluation des premières demandes se fit par correspondance. Les auteurs des propositions retenues furent informés qu’un subside leur serait versé dans le

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courant du mois d’août 1913. D’autres tournées d’évaluation furent organisées par la suite, principalement à l’occasion des réunions du CSI : quatre réunions eurent lieu à Bruxelles avant la Première Guerre mondiale427. Le CSI prit 97 demandes en considération (Lorentz en reçut davantage, mais il écarta celles qui ne pouvaient entrer en ligne de compte). Ces demandes donnèrent lieu à un total de 40 subsides (52 demandes furent rejetées ; 2 furent renvoyées à leurs auteurs avec des suggestions ; 3 demandes furent reportées ou mises en veilleuse). Il fut convenu que Knudsen, secrétaire du CSI, répondrait aux solliciteurs et que les auteurs des projets retenus seraient informés du montant qui leur serait accordé (des chèques leur seraient envoyés par la Commission administrative). Liste des 40 bénéficiaires d’un subside « Solvay » (les montants sont indiqués en francs belges) : i) Premier exercice budgétaire (1912-1913) − Subsides octroyés en 1912 (avant l’annonce officielle de la création de l’IIPS) ; nous les indiquons par les lettres a, b et c : a) Lebedew, Rapports entre la matière et les ondes de Hertz, 8 000 (Russie). b) Laue, Étude de la diffraction des rayons de Röntgen par les cristaux (phénomène découvert par lui), 5 000 (Suisse). c) Barkla, Étude de certains phénomènes de fluorescence, 2 500 (Royaume-Uni). − Subsides octroyés en 1913, par ordre de priorité (ordre établi par Lorentz à partir de données individuelles qui lui sont fournies par les membres du CSI, et qu’il a annotées à la main) : a) Sommerfeld, Continuation des recherches de M.  Friedrich sur l’interférence et la diffraction des rayons de Röntgen, 4 000 (Allemagne). b) Chéneveau, Détermination du pouvoir réfringent de sels à l’état solide et à l’état dissous, 1 500 (France). c) Hupka et Müller, Construction d’une machine électrique à très haute tension qui devra servir à des recherches sur les rayons cathodiques et autres, 4 000 (Allemagne). d) Von Dechend et Hammer, Recherches sur les rayons canaux, 1 000 (Allemagne). e) Icole, Recherches sur la conductibilité thermique, 450 (France).

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f) Julius Meyer, Recherches sur les propriétés thermodynamiques des gaz, 1 600 (Allemagne). g) Edgar Meyer, Recherches sur la nature des rayons gamma, 3 000 (Allemagne). h) Dember, Recherches sur les rayons canaux et les rayons de Röntgen produits dans l’effet photoélectrique, 1 500 (Allemagne). i) Millochau, Recherches sur la décharge électrique, 1 500 (France). j) Franck et Hertz, Recherches sur le travail d’ionisation et le trajet de libre parcours des électrons dans les gaz, 2 000 (Allemagne). k) Freundlich, Recherches sur la nature chimique des corps radioactifs, 1 250 (Allemagne). l) G. C. Schmidt, Recherches sur la fluorescence du souffre et du sélénium, 750 (Allemagne). m) Gockel, Recherches sur la radiation pénétrante qui existe dans l’atmosphère, 800 (Allemagne). n) Jorissen, Recherches sur l’action chimique des rayons du radium, 500 (Pays-Bas). o) Martin Lowry, Recherches sur la rotation du plan de polarisation des rayons ultraviolets dans le quartz, 1 000 (Royaume-Uni). Total : 40 350 francs pour 18 demandes. Répartition des subsides : Allemagne 10, France 3, Royaume-Uni 2, Suisse 1, Pays-Bas 1, Russie 1. ii) Deuxième exercice budgétaire (1913-1914) − Subsides proposés par le CSI en octobre 1913 (versés en novembre 1913) : a) Koenigsberger, Recherches sur les rayons canaux, 1 000 (Allemagne). b) Salmon, Étude des réactions dans un arc électrique, 500 (France). c) Beatty, Recherches sur les rayons cathodiques et les rayons de Röntgen, 500 (Royaume-Uni). d) Bestelmeyer, Détermination de la charge de l’électron (rayons cathodiques et radiations émises par les corps radioactifs, 3 750 (Allemagne). e) Dunoyer, Étude de la résonance optique, 2 700 (France). f) Fajans, Recherches sur la filiation des éléments, 500 (Allemagne). g) Fournier d’Albe, Recherches sur le rayonnement pour l’examen quantitatif des lignes d’absorption

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dans le domaine de l’ultraviolet et de l’infrarouge, 1 200 (Royaume-Uni). h) Grummach, Recherches sur la capillarité et sur la résistance électrique et sa dépendance des forces magnétiques, 1 000 (Allemagne). i) Hausser, Recherches sur la phosphorescence, 2 300 (Allemagne). j) Lowry, Recherches sur la dispersion rotatoire anomale, 500 (Royaume-Uni). k) Moseley, Recherches sur la déflexion des rayons de Röntgen, 1 000 (Royaume-Uni). l) Rohn, Détermination de la distribution de l’énergie parmi les raies spectrales d’une même série, 1 300 (Allemagne). m) Trautz, Recherches sur la vitesse des réactions, 1 500 (Allemagne). − Subsides versés en février 1914 (sur proposition du CSI) : a) Laue, Continuation de ses recherches sur la dispersion des rayons de Röntgen, 1 000 (Suisse). b) W. L. Bragg, Recherches sur les rayons de Röntgen, 1 250 (Royaume-Uni). c) Stark, Recherches sur la division des lignes spectrales dans un champ électrique, 1 500 (Allemagne). Total : 21 500 francs pour 16 demandes. Répartition des subsides : Allemagne 8, Royaume-Uni 5, France 2, Suisse 1. iii) Troisième exercice budgétaire (1914) − Mai 1914 : Décision du CSI d’accorder un subside supplémentaire à Stark. a) Stark, Continuation de ses recherches, 4 500 (Allemagne). − Juin 1914  : Constat du CSI qu’il dispose de 20 500 francs. Un premier montant de 13 500 francs est réparti somme suit : a) Danysz et Wertenstein, Recherches sur les rayons de recul radioactif et sur le rayonnement bêta de la famille du radium, 4 000 (Pologne). b) Wien, Recherches sur les rayons positifs et sur l’analyse spectrale des rayons de Röntgen polarisés, 4 000 (Allemagne). c) Wood, Continuation de ses recherches sur les radiations, 3 000 (États-Unis).

Les subsides « Solvay »

d) R.  Seeliger, Expériences sur la luminosité des gaz sous l’action de rayons cathodiques, 1 000 (Allemagne). e) Zemplén, Recherches sur la masse longitudinale de l’électron, 1 500 (Hongrie). N. B. Trois demandes sont restées en suspens (le CSI va s’adresser aux demandeurs, ou à des tiers, pour obtenir des informations supplémentaires). Résultat : 7 000 francs sont restés en caisse. Total (en supposant que les montants indiqués ci-dessus ont été versés) : 18 000 francs pour 6 demandes. Répartition : Allemagne 3, Pologne 1, États-Unis 1, Hongrie 1. Résultat des trois exercices budgétaires : 40 subsides pour un montant global de 79 850 francs. Un quart des demandes honorées visent des recherches sur des phénomènes de radiation (rayons de Röntgen et autres radiations). Répartition : Allemagne 21, Royaume-Uni 7, France 5, Suisse 2, Pays-Bas 1, Pologne 1, Hongrie 1, États-Unis 1, Russie 1.

7.2. Comment définir l’ordre des priorités ? L’annonce de l’existence d’un programme de subsides fut très vite suivie d’effets. Lorentz annonça le 29 janvier 1913 qu’il avait reçu vingt-cinq demandes et qu’il y avait parmi elles un grand nombre de projets intéressants, d’où la nécessité d’opérer une sélection. Le 2 mars, Brillouin s’adressa à son tour à Solvay428 pour lui dire que le CSI avait reçu quarante-trois demandes, qu’il en avait examiné sept et qu’aucune d’elles n’était à écarter… Solvay lui répondit429 : « Je vois évidemment avec le plus grand plaisir que le nouvel Institut international de physique attire l’attention des chercheurs. Peut-être, pour le mettre en bonne position la première année, pourrais-je songer à aider le Comité scientifique, je vais voir cela avec la Commission administrative… »

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Alerté par Solvay, Tassel s’empressa d’annoncer la nouvelle à Lorentz430 : « J’ai signalé à M. Solvay, au moment où j’ai reçu votre lettre du 29 janvier 1913, ce que vous disiez au sujet du grand nombre de demandes intéressantes de subsides que vous aviez reçues à la suite de l’avis envoyé par l’Institut. M. Brillouin vient également de lui en dire un mot dans une lettre qu’il lui a adressée il y a quelques jours. M. Solvay, qui avait bien voulu me promettre déjà d’intervenir exceptionnellement cette année dans les frais du Conseil de physique au cas – certain d’ailleurs – où nos ressources seraient insuffisantes pour couvrir intégralement ces frais, paraît disposé à intervenir également de manière à permettre au Comité scientifique d’aller, cette année, un peu plus loin dans l’octroi de subsides que ne lui permettent les ressources disponibles. Bien entendu, ce n’est qu’à titre tout à fait exceptionnel que M. Solvay interviendrait, son désir étant de faciliter au maximum les choses pour la première année de fonctionnement de l’Institut. Je pense que lorsque le Comité scientifique aura examiné les demandes qui lui sont parvenues et séparé celles qui lui paraissent les plus dignes d’appui, vous pourriez utilement grouper en deux catégories les subsides que vous jugeriez utiles de voir accorder, l’une de ces catégories comprenant les subsides à prélever de toute manière sur les 17 500 francs disponibles à cet effet, l’autre des subsides que vous considéreriez comme devant être accordés cette année si les ressources étaient plus étendues. Je pourrais alors, avant de réunir la Commission administrative, soumettre ces propositions à M. Solvay qui verrait dans quelle mesure il pourrait intervenir. La Commission ferait alors l’attribution des subsides en conséquence. » La possibilité de disposer la première année d’un budget étendu431 était, à coup sûr, une bonne nouvelle, mais le CSI se vit confronté à un problème délicat : il devait évaluer les projets de recherche et classer les demandes par ordre de priorité. Une procédure fut mise en place. Chaque demande fut examinée par un membre du CSI, chargé d’écrire un rapport. Les autres membres furent invités à faire des commentaires (oralement ou par lettre). Une liste de priorités fut établie par le CSI à partir de données individuelles, généralement au cours d’une réunion à Bruxelles.

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Classements des demandes L’évaluation de l’intérêt d’un projet requérait la prise en compte des commentaires de chaque membre du CSI. Elle devait se faire dans un souci d’impartialité (une exigence capitale aux yeux de Solvay, mais de nature à compliquer la tâche de Lorentz). En ce qui concerne les classements établis au cours d’une réunion du CSI à Bruxelles, les procès-verbaux ne nous renseignent pas sur la méthode adoptée. En revanche, nous disposons d’informations relatives aux demandes introduites au début de 1913, celles-ci ayant été traitées par lettre. On voit ainsi que Lorentz fut confronté à des opinions divergentes. En 1913, il trouva un allié en la personne de Brillouin, qui lui dit432 : « J’estime qu’il faut d’abord songer aux travailleurs isolés, que de petites subventions peuvent mettre en état de poursuivre des travaux entrepris presque sans ressources ; même quand leurs recherches s’écartent un peu de celles que nous avons plus particulièrement en vue de discuter dans nos réunions. Pour les grosses subventions, au contraire, surtout quand elles sont destinées à un laboratoire officiel, j’estime qu’il faut rester strictement dans les limites de notre programme. C’est ainsi qu’il me semble mieux de réserver pour octobre la subvention demandée par MM. Hupka et Müller… » Mais Lorentz ne pouvait ignorer l’avis de Rutherford. Celui-ci déclara : « J’aimerais dire que je considère que le travail proposé par Hupka et Müller comme étant de première importance (souligné), non seulement du point de vue théorique, mais aussi du point de vue expérimental. J’estime qu’il est impératif en ce moment de mettre au point des machines électriques capables de produire les voltages les plus hauts. J’ai lu un article de Hupka sur la masse de l’électron, qui apporte la preuve qu’il a été écrit par un jeune chercheur extrêmement doué et capable de fournir un travail de tout premier rang… En ce qui concerne les petites subventions, je crois qu’il y a lieu de considérer Gockel et également Lowry. Je constate que le référent a conclu que la demande de Lowry devrait être différée. Je n’ai aucune objection à cela, mais j’aimerais souligner, en faveur de Lowry, qu’il s’agit d’un jeune homme

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qui effectue des expériences de grande importance dans des conditions difficiles, étant obligé d’acquérir son appareillage à l’aide de subventions externes. Son projet s’inscrit certainement dans le cadre prédéfini pour les subsides… En ce qui concerne la demande du professeur Edgar Meyer, je suis d’accord d’une manière générale. J’estime que le travail proposé est important et très difficile, et je comprends la difficulté pour un petit département d’acquérir l’onéreux électromètre et l’équipement photographique requis pour ces investigations… » En comparant ces deux avis, on se rend compte de la complexité de la tâche du CSI (une difficulté que les membres des Commissions scientifiques actuelles connaissent bien). Lorentz décida d’établir un classement objectif des demandes. La procédure qu’il mit en place peut se résumer comme suit : −− Chaque membre du CSI était prié de prendre connaissance des commentaires de ses collègues, de classer les demandes par ordre de priorité et de transmettre son classement à Lorentz. C’est à lui que revenait la tâche de fixer (à partir de ces données) l’ordre de priorité du Comité, une décision qui impliquait certains choix. Ainsi, lorsqu’un projet n’avait pas été évalué par l’un des membres, Lorentz lui accordait la priorité la plus basse : 18. Lorsqu’un même ordre de priorité était proposé par plusieurs membres, cet ordre recevait un poids égal au nombre des membres (l’ordre proposé par le groupe Nernst-Warburg-Goldschmidt obtint le poids 3). Les priorités accordées par les membres du CSI (ou par le groupe Nernst-WarburgGoldschmidt) sont indiquées dans le tableau cidessous (Fig. 37). −− Les priorités individuelles étaient réajustées sur la base de certains critères, tels que la charge financière des recherches envisagées (Lorentz obtint ainsi les cotes indiquées en rouge ; il associa à chaque demande une note : un nombre égal à la somme des priorités individuelles réajustées). −− À partir de ces résultats, le président établissait le classement CSI des demandes, en commençant par celle qui avait obtenu la note la plus basse.

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Fig. 37 : Tableau A de Lorentz, 1913. Classement des 22 demandes de subsides traitées en 1913 (44 demandes ont été introduites, 22 ont été rejetées). Nombres en noir : priorités accordées par les membres du CSI  ; nombres en rouge (c’est-à-dire à la droite de chaque colonne)  : priorités définitives. Un nouveau don de Solvay permit d’honorer 15 demandes au lieu de 8, notamment celle de Franck et Hertz (en position 10) qui obtinrent un subside pour une recherche qui leur valut un prix Nobel de physique en 1925. Courtoisie ESPCI-PSL, Paris, Centre de ressources historiques (fonds Langevin).

C’est ainsi que Lorentz fixa l’ordre de priorité (1-15) des demandes honorées au cours du premier exercice budgétaire de l’IIPS : Sommerfeld (15), Chéneveau (39), Hupka et Müller (47), Von Dechend et Hammer (66), Icole (85), Julius Meyer (87), Edgard Meyer (87), Dember (89), Millochau (89), Franck et Hertz (93), Freundlich (96), G. C. Schmidt (97), Gockel (104), Jorissen (107), Martin Lowry (118).

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Les propositions du CSI furent communiquées à la Commission administrative le 17 juillet 1913. Les 17 500 francs disponibles permirent d’honorer huit demandes, dont une de 4 000 francs, introduite par Sommerfeld pour aider Friedrich433 à poursuivre ses recherches sur les interférences et la diffraction des rayons X (un phénomène qui se trouva au centre des discussions du deuxième Conseil de physique). Lorentz fit remarquer qu’à côté des huit demandes prioritaires, il y en avait sept (classées de 9 à 15) sur lesquels le CSI avait émis un jugement très favorable434. Il dit à Tassel : « Dans ces circonstances, le Comité serait très heureux si M. Solvay voulait envisager la possibilité d’augmenter pour cette fois-ci dans une certaine mesure la somme disponible. Si, après ce qu’il a fait déjà pour l’Institut de physique, M. Solvay voulait avoir cette nouvelle générosité, nous vous recommanderions particulièrement les physiciens 9-15 de la liste pour les sommes indiquées dans le tableau. Nous vous prions de bien vouloir transmettre ce vœu à M. Solvay en y ajoutant que la nature des projets de recherche qui nous ont été adressés a produit chez nous une impression générale très favorable. D’après l’expérience de cette première année, nous sommes convaincus que l’Institut est dans une bonne voie et qu’il aura une influence très salutaire sur le progrès de la Science. » Lorentz joignit à sa lettre deux listes contenant (l’une pour les physiciens 1-8, l’autre pour les physiciens 9-15) les noms et adresses, la nature des recherches envisagées et le montant des subsides proposés. La demande de moyens supplémentaires fut transmise à Solvay, qui répondit immédiatement435 de son lieu de vacances (Fig. 38) : Mon cher Tassel, D’accord pour les 7 800 francs436 de supplément de subsides à allouer cette année à l’Institut international de physique… Tassel communiqua la nouvelle à Lorentz437. Il demanda au CSI d’informer les savants concernés et indiqua que la Société Générale expédierait les fonds dès les premiers jours d’août. Sur les quarante-quatre demandes examinées au cours de cette première tournée (une de plus que ce que pensait Brillouin), quinze furent honorées, neuf furent reportées à la tournée suivante et vingt furent rejetées. Les membres du CSI rédigèrent des rapports sur les demandes des tournées suivantes (examinées au cours d’une réunion). Leur ordre de priorité fut fixé à partir de ces rapports.

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Fig. 38 : Lettre d’Ernest Solvay à Émile Tassel, 21 juillet 1913. S.a.b.ULB. Courtoisie des IIPCS.

7.3. Quelques succès notoires En parcourant la liste des projets qui bénéficièrent d’un soutien de l’IIPS, on s’aperçoit que les choix opérés par le CSI furent plutôt heureux. Dans plusieurs cas, les subsides « Solvay » contribuèrent à l’obtention de résultats qui conduisirent à un prix Nobel (les récipiendaires firent part de leur gratitude dans des articles publiés sur le sujet). i) Les subsides « Laue et Barkla » En tête de la liste figurent les noms de Laue et Barkla, bénéficiaires en 1912 des premiers subsides alloués par l’IIPS. −− Laue remercia l’Institut dans un article sur la diffraction des rayons X, publié en mars 1913 dans Annalen der Physik. Il obtint un prix Nobel de physique en 1914. −− Barkla fit part de sa gratitude dans un article du Philosophical Magazine, paru en juin 1913. Ses travaux lui valurent le prix Nobel de physique de 1917.

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ii) Le subside « Franck et Hertz » Parmi les sept demandes qui furent honorées en 1913 grâce à l’intervention personnelle de Solvay, il y en a une qui mérite d’être soulignée : celle de James Franck et de Gustav Hertz pour des « recherches sur le travail d’ionisation et le trajet de libre parcours des électrons dans les gaz ». Ces chercheurs sollicitaient 2 500 francs. Le CSI classa le projet en dixième position et proposa un subside de 2 000 francs (somme qui leur fut versée438 le 9 août 1913). C’est dans le cadre de ce projet que Franck et Hertz décidèrent d’envoyer un faisceau d’électrons rapides sur de la vapeur de mercure. Leurs mesures des collisions entre ces électrons et les atomes de mercure apportèrent la preuve d’une quantification de l’énergie des électrons dans l’atome, validant le postulat fondamental de la théorie de Bohr. On voit ainsi que la « nouvelle générosité » de Solvay contribua à l’obtention d’un résultat capital. Franck et Hertz firent part de leur gratitude dans un article439 d’avril 1914. Leurs travaux furent couronnés en 1925 par un prix Nobel de physique. L’épisode « Franck et Hertz » démontre l’imprévisibilité d’un succès en physique : les éminents savants du CSI ne pouvaient prévoir que ce projet méritait d’être classé en première position. Ils eurent néanmoins la sagesse de le soutenir (après l’avoir classé en dixième position). iii) Le subside « Bragg » Prix Nobel en 1915 (avec W. H. Bragg) pour des travaux subsidiés en 1914. La technique mise au point par les Bragg se trouvera à la base de la découverte en 1953 de la structure de l’ADN ; voir le bas de la page ix et la note 380. iv) Le subside « Moseley » Un cas exceptionnel est celui du chercheur britannique Henry Moseley. Ce physicien sollicitait 50 £ pour des « recherches sur la déflexion des rayons X ». Le projet fut approuvé par Rutherford et le CSI proposa d’accorder un subside de 1 000 francs à Moseley, un soutien qui lui fut annoncé le 17 novembre 1913. Les historiens des sciences s’accordent pour souligner le rôle décisif des travaux de Moseley dans l’acceptation du modèle atomique de Bohr. Celui-ci déclara plus tard dans une interview440 : « Au début, les idées de Rutherford n’étaient pas prises au sérieux, elles n’étaient mentionnées nulle part… Le grand changement est venu de Moseley. »

Les subsides « Solvay »

Nous savons que Moseley traversait un moment difficile : le subside « Solvay » lui permit de poursuivre ses travaux441. On voit donc qu’en soutenant Moseley, l’IIPS contribua une nouvelle fois à l’édification d’une théorie quantique de l’atome. Rappelons que Moseley fut proposé en 1915 pour un prix Nobel de chimie sur la base d’un rapport d’Arrhenius. Ses recommandations firent impression sur les membres du comité Nobel de chimie, mais ces derniers furent d’avis que Moseley était jeune et que son prix pouvait attendre. Ils n’imaginaient pas que Moseley s’engagerait dans l’armée britannique et qu’il tomberait à Gallipoli le 10 août 1915442. Les archives de l’IIPS contiennent trois documents qui méritent de figurer au dossier de ce chercheur hors pair : −− L’accusé de réception443 d’un chèque de 39,59 £ adressé à la Commission administrative de l’IIPS le 3 décembre 1913. −− Le rapport dans lequel Moseley rend compte de l’usage qu’il a fait de la subvention Solvay444 (23 avril 1914, Figs 39 et 40). −− L’extrait d’un article du Philosophical Magazine445 dans lequel Moseley remercie l’IIPS pour son soutien (Arrhenius s’appuya sur cet article de 1914 dans son rapport en faveur de Moseley). v) Le subside « Stark » L’un des cas les plus saisissants est celui du soutien apporté en 1914 au physicien allemand Johannes Stark. Sa demande est un reflet de l’euphorie que peut éprouver un chercheur convaincu d’avoir fait une découverte majeure… De quoi s’agissait-il ? Contrairement à l’effet Zeeman de 1896 (décomposition d’une ligne spectrale sous l’influence d’un champ magnétique), on n’avait jamais observé un effet similaire sous l’influence d’un champ électrique. Or c’est précisément un tel effet que Stark observa pour la première fois en octobre 1913 dans son laboratoire d’Aix-la-Chapelle. Galvanisé par ce résultat, Stark s’assura de la validité de ses mesures et se précipita à Göttingen et à Berlin pour informer ses collègues446. Ceux-ci se montrèrent très convaincus de l’importance de sa découverte. Au cours de son voyage de retour, Stark passa une nuit à Hanovre et envoya une lettre de quatre pages à Lorentz pour lui demander un subside447. La lettre comportait un dessin

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représentant des décompositions de lignes spectrales ; elle faisait état des réactions très positives des physiciens berlinois. L’auteur indiquait qu’il comptait étendre ses mesures et en augmenter la précision. Pour cela, il lui fallait une somme de 20 000 marks, c’est-à-dire l’entièreté du budget annuel « subsides » de l’IIPS (les divers coûts étant spécifiés). Stark fit valoir qu’il se proposait, en cas de succès, d’ajouter une note dans le compte-rendu de son exposé de Berlin pour remercier Solvay du soutien apporté à ses futures recherches. Sachant qu’il pouvait faire en un jour le voyage aller-retour d’Aix-la-Chapelle à Bruxelles, il se déclara prêt à rendre visite à Solvay pour lui montrer ses spectrogrammes.

Fig. 39 : Lettre de Moseley à la CA de l’IIPS, 23 avril 1914, page 1. Courtoisie ESPCI-PSL, Paris, Centre de ressources historiques (fonds Langevin).

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Fig. 40 : Lettre de Moseley à la CA de l’IIPS, 23 avril 1914, page 2. Courtoisie ESPCI-PSL, Paris, Centre de ressources historiques (ESPCI, fonds Langevin).

Lorentz, qui connaissait Stark depuis 1907, lui répondit sans détour. Après l’avoir félicité, il lui dit que c’était le CSI de l’IIPS qui était chargé d’examiner les demandes de subsides, et qu’il n’obtiendrait rien en s’adressant directement à Solvay. Cette mise en garde eut un effet tranquillisant. Stark indiqua dans une nouvelle lettre à Lorentz qu’il ne souhaitait pas porter ombrage aux projets d’autres solliciteurs, et qu’il renonçait à introduire une demande de subside. Lorentz lui répondit le 16 décembre 1913 qu’il plaiderait en sa faveur auprès des membres du CSI. Il lui annonça qu’il recevrait bientôt, par l’entremise d’Ehrenfest, une lettre des étudiants de l’université de Leiden, l’invitant à présenter sa découverte (Stark apprit par Ehrenfest que son exposé était programmé448 le 18 février 1914).

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Conscient de l’importance du résultat de Stark, Lorentz écrivit à Tassel (lettre449 du 5 février 1914) : « La demande de Stark nous a causé un certain embarras (…). J’ai conseillé à M. Stark, tout en le laissant entièrement libre, de ne pas s’adresser à M. Solvay, ou, dans tous les cas de ne pas le faire avant qu’il n’eût reçu notre réponse. Il m’a écrit alors qu’il avait abandonné son projet d’aller voir M. Solvay. Il s’est avéré que tous les membres du Comité scientifique partagent mon opinion sur l’importance des recherches de M. Stark. Malheureusement, nos ressources étaient presque épuisées. Nous avions déjà résolu de proposer 1 000 francs pour M. Laue s’il en avait besoin (ce qui paraît être le cas) et dans la réunion du dernier Conseil nous avions eu une impression tellement favorable des travaux de M. Bragg fils qu’il nous était impossible de ne pas recommander sa demande qui rentre tout à fait dans le cadre du dernier Conseil et qui du reste est assez modeste. Il ne restait que 1 500 francs pour M. Stark. Or les désirs de ce physicien allaient bien plus loin (…). Il nous a semblé que 6 000 francs serait bien le moins que nous pourrions offrir à M. Stark et c’est pour cela que nous avons résolu maintenant déjà de le recommander au mois de mai pour une nouvelle subvention de 4 500 francs. Vous voyez par cela que pour le service 1914-1915 nous n’aurons aucune difficulté à trouver un emploi très utile pour l’argent disponible… Au mois d’octobre nous avons rejeté un assez grand nombre de demandes qui nous semblaient d’importance secondaire, mais il y en avait d’autres que nous avions ajournées et sur lesquelles nous devrons décider l’été prochain… Madame Curie m’a déjà écrit au sujet de l’Institut de radiologie qui vient d’être fondé à Varsovie et qui, à son avis, mériterait une subvention, l’État ne faisant rien pour lui, et l’Institut dépendant presque entièrement des contributions de personnes privées. Enfin, M. Wien de Würzburg, avec qui j’avais déjà eu une correspondance il y a deux ans, est revenu à la charge. Il m’a exposé combien une subvention, si on pouvait la lui accorder sans nuire à d’autres intérêts, lui serait utile pour la continuation de ses recherches sur les rayons positifs… » Un premier chèque de 1 500 francs fut envoyé à Stark le 9 février 1914, c’est-à-dire quelques jours avant son exposé de Leiden. Lorentz s’empressa de lui annoncer que le CSI avait proposé de lui accorder un supplément de 4 500 francs (à prélever sur le budget 1914-1915).

Les subsides « Solvay »

La Commission administrative approuva la mesure le 26 février 1914. Tassel le fit savoir à Lorentz dès le lendemain450. C’est ainsi qu’un nouveau subside de 4 500 francs fut versé à Stark le 30 mai 1914. Cet épisode nous montre à quel point la totale indépendance du CSI dans l’attribution des subsides était inédite à l’époque. Stark ne pouvait imaginer qu’il n’obtiendrait rien en s’adressant à celui qui finançait l’Institut – ce fondateur dont il cherchait à obtenir un soutien exemplaire (justifié, selon lui, par l’intérêt de ses travaux). D’autres mesures furent prises pour répondre aux demandes qui avaient été reçues au cours des premiers mois de 1914. Tassel en rendit compte à Lorentz451 le 22 mai : « La Commission administrative s’est réunie récemment et a arrêté la répartition du budget pour le troisième exercice de notre Institut. La somme à prélever sur l’annuité et à mettre à disposition du Comité scientifique pour être distribué en subsides a été fixée à 19 000 francs. La Commission a décidé en outre de transférer aux subsides une somme de 5 000 francs qui n’a pas été utilisée en bourses d’études au cours de l’exercice précédent, ainsi qu’une somme de 1 000 francs provenant des intérêts en banque. La somme totale mise à disposition du Comité pour l’exercice 19141915 s’élèvera donc à 25 000 francs… » Lorentz répondit le 24 mai452 qu’il y aurait lieu d’examiner les nouvelles demandes au cours de la prochaine réunion du CSI qui devait se tenir entre le 21 juin et le 11 juillet 1914.

7.4. Dernière réunion du CSI avant la débâcle Le Comité scientifique se réunit le mercredi 24 juin 1914 à l’Institut de physiologie du parc Léopold. Étaient présents : Lorentz, Marie Curie, Brillouin, Warburg, Nernst et Knudsen. Le président rendit compte des rapports qui lui avaient été remis par les bénéficiaires des premiers subsides (le secrétaire fut prié d’adresser un rappel aux retardataires).

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Le CSI décida de publier la liste des bénéficiaires d’un subside, et de faire savoir aux solliciteurs que des demandes pouvaient être envoyées à tout moment au président Lorentz (en précisant qu’un soutien ne serait accordé qu’aux recherches portant sur la théorie moléculaire, les quanta ou les radiations). Lorentz annonça que le CSI disposait de 20 500 francs pour l’exercice 1914-1915. Le Comité décida de soutenir cinq demandes pour un total de 13 500 francs (voir p. 182). Il choisit pour sa prochaine réunion la dernière semaine d’octobre 1915.

Chapitre 8 L’Institut de physique survit à la tempête

8.1. Premières réactions à l’invasion de la Belgique Le 8 août 1914, Lorentz fait part de sa sympathie à Solvay. Quelques jours plus tard, il adresse ce message au docteur Héger453 : « … Aussi deux mots seulement pour vous dire que je pense continuellement à votre pays et à sa vaillante défense contre une attaque pour laquelle elle n’avait pas donné la moindre cause. J’avais espéré que nous ne verrions pas une guerre qu’on attendait de si longtemps, et voilà qu’elle a commencé de la manière la plus atroce qu’on eût pu imaginer, par la violation des droits d’un peuple libre qui était en bons termes avec toutes les nations. Mais il ne sert à rien d’en parler… » Lorentz s’inquiète du sort de son collègue Wladyslaw Natanson, professeur de l’université de Cracovie, qui se trouve coincé sur la côte belge. Il fait appel à la bienveillance de Solvay pour lui venir en aide. Le 12 septembre 1914, Lorentz reçoit une lettre de Brillouin. Celui-ci lui fait part de sa position : « Les procédés politiques du gouvernement allemand que l’opinion anglaise a traités avec le mépris qu’ils méritent, vont rendre bien difficile toute réunion internationale, même purement scientifique, pendant des années. Pour ma part, il me sera impossible de considérer comme des confrères les hommes de science allemands qui n’auront pas protesté contre la violation de la neutralité de la Belgique, garantie par l’Allemagne, et contre le sac de Louvain, dès qu’ils les ont connus, c.-à-d. lorsqu’ils croyaient grâce à cette félonie être victorieux.

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Aucun écho d’une telle protestation des milieux intellectuels allemands ne nous est parvenu ; mais je ne veux pas les juger sans savoir. Peut-être, dans votre pays neutre, avez-vous eu connaissance de quelques protestations, soit des Académies ou des universités en corps, soit de professeurs isolés. Ce serait une consolation pour moi de savoir que quelques-uns ont encore le sens du droit et de l’humanité, malgré l’orgueil allemand. Dans quelques mois, quand leurs armées seront écrasées, il sera trop tard. Ce ne serait plus un sentiment désintéressé qui les ferait parler. Pour protester contre les manquements de son propre pays à l’honneur international, je reconnais qu’il faut un certain courage civique. En France, nous avons le droit de le réclamer des autres. Universitaires et artistes – sans parler des autres citoyens –, nous avons toujours cru que notre culture nous imposait un devoir non seulement envers notre patrie, mais envers l’humanité tout entière, et dans des circonstances diverses, assez récentes pour qu’on s’en souvienne, nous n’avons pas hésité à nous exposer à de violentes représailles pour soutenir le droit – fût-ce en faveur d’un seul homme454. C’est cette soif du droit qui nous est commune, à nous autres Français, quelle que soit notre opinion politique. C’est elle qui nous donne à tous le même sentiment de révolte quand nous le sentons violé au-dehors. Nous n’avons jamais songé à rendre l’Italie responsable du meurtre du président Carnot. Aussi, l’ultimatum de l’Autriche à la Serbie nous a-t-il révoltés ! Et quand nous avons su que la Serbie acceptait presque toutes les conditions, nous étions bien près de mépriser ce petit peuple. Un peuple, comme un homme, doit savoir risquer la mort pour son indépendance ou pour une idée. C’est ce qu’a si admirablement fait la Belgique. Je reviens à l’essentiel de ma lettre. Avez-vous eu connaissance de quelques protestations publiques ou privées des savants allemands que nous connaissons contre la violation de la neutralité de la Belgique et contre l’incendie de Louvain ? Quelque admiration que je conserve pour leur intelligence et leur puissance de travail, j’ai besoin de savoir s’ils sont de même race morale que nous ; s’ils savent se désolidariser des actes d’un gouvernement sans loyauté… » Quelques semaines plus tard, c’est Wien, un représentant de l’autre camp, qui fait connaître son point de vue à Lorentz455. En tant que rédacteur en chef de Annalen der

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Physik, ce bénéficiaire des largesses de l’IIPS déclare qu’il souhaite publier des articles en provenance de pays neutres456 : « Pour ce qui est de la guerre, nous ne pouvons que la déplorer. Je sais qu’il me sera désormais impossible de forger des liens personnels avec cette Angleterre que je tenais en si haute estime. Quant à notre bonne et cordiale famille Solvay, il me semble bien qu’elle ait éclaté à tout jamais. » Lorentz n’a pas attendu la lettre de Brillouin pour s’exprimer publiquement au sujet du conflit. Répondant à la demande de l’hebdomadaire De Amsterdammer, il a réagi au drame de Louvain. Dans un article publié le 13 septembre 1914, il a déclaré qu’il ne pouvait y avoir de guerres civilisées et qu’il était du devoir des historiens de juger sévèrement les responsables des événements après avoir pris connaissance des faits. Puis, abordant une autre question, il a fait part de son sentiment personnel : « Je ressens le besoin ces jours-ci de m’exprimer publiquement au sujet d’un homme que je vénère et que je tiens à honorer comme l’un des plus nobles citoyens belges. » Dans un vibrant hommage à Ernest Solvay, Lorentz a rappelé ses actions en faveur de la science, fondées sur la conviction que la connaissance des lois de la nature et des sociétés finirait par contribuer au bonheur du genre humain. Il s’est étendu sur les Conseils de physique et sur l’IIPS, en soulignant sa stricte impartialité : son souci de ne privilégier aucune nation. Il a indiqué que des subsides ont été accordés de tous côtés, même si une grande partie est allée aux physiciens allemands (du fait de leur grand nombre). Cette situation, a-t-il précisé, « n’a jamais suscité d’animosité chez les savants belges, et n’a en aucune façon affecté leur amitié à l’égard de l’Allemagne ». En tant que président du CSI, empêché par les circonstances de se concerter avec ses collègues, Lorentz a éprouvé le besoin de rendre hommage à Solvay, et d’exprimer sa sympathie à l’égard d’un peuple « si durement touché et si admirablement représenté par ce grand homme ». Il a ajouté : « Un peuple qui me semble destiné à jouer un grand rôle dans la science et la civilisation, et pour lequel j’ose espérer que les catastrophes temporaires ne seront pas un obstacle à l’accomplissement de sa mission. » L’article de Lorentz est publié en France et en Allemagne. La version allemande paraît le 20 novembre

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1914 dans Die Naturwissenschaften (la dernière phrase a été supprimée à la demande de Warburg457). Planck réagit à l’article le 28 novembre ; il déclare dans une lettre à Lorentz : « J’ai beaucoup pensé à Solvay au cours de ces journées critiques de la prise de Bruxelles, et l’inoubliable souvenir de notre premier congrès de physiciens en 1911 m’a fait infiniment de peine. D’après les renseignements que j’ai pu obtenir, la liberté de mouvement de Solvay est à présent rétablie, sans quoi j’aurais insisté pour que l’Académie, dont il est membre correspondant, intervienne en sa faveur ; car le grain qu’il a semé dans son enthousiasme pour la science ne saurait être détruit par la guerre ; pas plus qu’il ne devrait être affecté par notre patriotisme458… » Sommerfeld, au contraire, désapprouve la démarche de Lorentz459 et le fait savoir à Wien460. En réaction à la phrase de Lorentz à propos de l’existence en Belgique de scientifiques prometteurs, il s’écrie : « À qui Lorentz pense-t-il ?… Aurait-il aussi peu le souci de la vérité lorsqu’il prend parti pour les Belges contre les Allemands ? » Berliner, le rédacteur en chef des Naturwissenschaften en prend pour son grade : « À celui-là, dit Sommerfeld, il importe de faire comprendre qu’il ne sied pas à un Allemand de publier un article à la gloire de la Belgique. » Stark pense comme Sommerfeld461, mais il ne le dit pas à Lorentz. En revanche462, il lui reproche son manque d’objectivité et s’étonne du peu de sympathie qu’il manifeste à l’égard des Allemands, après avoir entretenu avec eux de longues relations d’amitié.

8.2. Le Manifeste des 93 Le 4 octobre 1914, un pamphlet allemand est diffusé en dix langues. Il est signé par 93 intellectuels allemands (dont Nernst, Ostwald, Wien et Planck) et s’intitule Appel aux nations civilisées. En voici quelques extraits : « Nous, représentants de la science et de l’art allemands, élevons une protestation devant tout le monde civilisé

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contre les mensonges et calomnies par lesquelles nos ennemis tentent de souiller la cause pure de l’Allemagne dans une lourde lutte pour l’existence qui lui a été imposée… Ce n’est pas vrai que l’Allemagne est coupable de cette guerre. Ni le peuple, ni le gouvernement, ni l’empereur, ne l’ont voulue… Ce n’est que lorsque les puissances, depuis longtemps aux aguets aux frontières, sont tombées de trois côtés sur le peuple, que celui-ci s’est levé comme un seul homme. Ce n’est pas vrai que nous avons violé méchamment la neutralité de la Belgique. Apparemment, l’Angleterre et la France étaient décidées à commettre cette violation, en accord avec la Belgique. C’eut été notre propre anéantissement que de ne pas les prévenir. Ce n’est pas vrai qu’un seul civil belge ait été atteint dans sa vie et ses propriétés par nos soldats sans que la plus amère et légitime défense ne les y ait forcés. Car encore et toujours encore, en dépit de tous les avertissements, la population embusquée a tiré sur eux, a mutilé des blessés, a massacré des médecins. Ce n’est pas vrai que nos troupes se soient mises brutalement en fureur contre Louvain, contre les habitants enragés qui les ont sournoisement attaqués dans leurs baraquements. Ils ont dû, le cœur lourd, exercer des représailles en bombardant une partie de la ville. La plus grande partie de Louvain a été conservée. Le célèbre hôtel de ville est resté complètement intact. Nos soldats l’ont préservé des flammes au péril de leur vie. Ce n’est pas vrai que notre « direction de la guerre » méprise les lois et le droit des gens. Elle ne connaît pas la cruauté indisciplinée… Ceux qui ont le moins de droits de se poser en défenseurs de la civilisation européenne sont ceux qui se sont alliés aux Russes et aux Serbes et qui offrent au monde le spectacle ignominieux de lancer des nègres et des Mongols sur la race blanche. Ce n’est pas vrai que la lutte contre notre soi-disant militarisme ne soit pas une lutte contre notre culture, comme nos ennemis l’affirment hypocritement. Sans le militarisme allemand, la culture allemande aurait été rayée depuis longtemps de la carte… L’armée allemande et le peuple allemand sont un. Cette conscience fait fraterniser aujourd’hui septante millions d’Allemands sans distinction d’éducation, de condition ou de parti.

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Nous ne pouvons pas arracher des mains de nos ennemis les armes empoisonnées du mensonge. Nous ne pouvons que crier dans tout l’univers qu’ils rendent un faux témoignage contre nous. À vous qui nous connaissez, qui jusqu’à présent avez gardé en commun avec nous les plus hautes possessions de l’humanité, à vous, nous clamons : Croyeznous ! Sachez que nous mènerons ce combat jusqu’à sa fin, comme un peuple civilisé à qui les legs d’un Goethe, d’un Beethoven, d’un Kant sont aussi sacrés que son foyer et son lopin de terre. C’est de cela que nous répondons devant vous avec nos noms et notre honneur. » L’appel provoque de vigoureuses réactions, en Belgique et à l’étranger : réponse du dirigeant socialiste Émile Vandervelde, réactions du Journal de Genève, des représentants des universités françaises, des intellectuels anglais et du président de l’Institut Carnegie de Pittsburgh aux États-Unis. Les réactions et contre-réactions sonnent le début d’une « guerre entre intellectuels », connue sous le nom de Krieg der Geister, d’après le titre d’un ouvrage allemand463 paru en 1915. Voici ce que Héger écrit à Lorentz464 le 2 novembre 1914 : Très honoré Collègue, Je m’adresse à vous de préférence à tout autre parce que j’ai une confiance absolue dans la droiture de votre caractère et la sûreté de vos jugements ; pour que je vous écrive aujourd’hui, il y a encore cette autre raison que vous n’appartenez pas à l’une des nations belligérantes ; je viens de voir les routes frontières de votre pays couvertes de fugitifs auxquels la Hollande fait le plus généreux accueil ; j’ai visité hier à Rotterdam les blessés belges et les ai trouvés admirablement soignés par vos compatriotes ; il me paraît naturel de venir abriter ma pénible pensée auprès de vous. Je désire acter devant vous que je proteste contre le manifeste des savants allemands publié le 4 octobre dernier ; je n’en ai eu connaissance que tardivement, car nous sommes à Bruxelles comme des prisonniers dans notre propre pays ; nous ne pouvons ni recevoir de journaux, ni circuler librement, ni correspondre. Je ne doute pas que vous connaissiez ce manifeste et que vous ne l’ayez déjà jugé sévèrement. Les signataires prétendent protester au nom de la science « contre les mensonges et les calomnies » dont les ennemis de l’Allemagne abreuvent leur patrie et, au nom de la science et de leur honneur, ils contresignent

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un document qui est lui-même, au premier chef, calomnieux et mensonger. L’Allemagne, d’après eux, n’aurait pas violé méchamment la neutralité de la Belgique et il ne serait pas vrai qu’un seul bourgeois belge ait été atteint dans sa vie ou dans sa propriété par les soldats allemands, sans que la plus amère défense les y ait poussés. Lorsque le temps viendra où la réalité pourra être connue, lorsque les faits apparaîtront dans leur vrai jour, ces affirmations, malgré qu’elles aient été contresignées par des hommes éminents, seront qualifiées de monstrueuses ; ce que j’ai vu et ce que je sais m’autorisent à vous faire cette déclaration formelle. J’ai pris part à la guerre de 1870, j’ai vu brûler Bazeilles et certes c’était un spectacle affligeant, mais il ne ressemblait pas à celui que nous a offert l’invasion récente des Allemands en Belgique. Le rapport de notre gouvernement sur ce qui s’est passé à Louvain, à Aerschot et ailleurs, aux environs d’Anvers, ne contient qu’une petite portion de la vérité ; parce que l’enquête n’a pu s’étendre qu’à une région très restreinte ; les signataires du manifeste n’ont pas refusé ce rapport, ils ont préféré ignorer un document qui les accable. Sans doute la guerre comporte d’inévitables horreurs, elle est par nécessité sanguinaire et cruelle, mais elle ne nous avait pas offert jusqu’ici l’image de la cruauté méthodique et de la folie d’un peuple tout entier. Lorsque le moment sera venu, vous vous renseignerez : c’est là ce que j’attends de votre équité : vous demanderez à Bordet ce qui s’est passé à Francorchamps le 5 août, à Bruylandts, président de l’Académie de médecine, ce qu’il a vu à Louvain, à Hendrix, professeur à l’École vétérinaire de Bruxelles, ce qu’il a vu à Diest ; à Decraene, professeur à l’université de Liège, ce qu’il a vu à Sonval ; vous apprendrez comment dans de paisibles villages, à Ethe-devant-Virton, à Andenne, à Louveignée, à Montigny-le-Tilleul, à Tamines, on a fusillé, pillé, incendié sans avoir même pitié des enfants et des femmes. Vous ferez cette enquête, vous, au nom de la science qui attend d’être lavée de l’injure que les signataires du manifeste lui ont fait subir. Vous vous prononcerez ensuite. Telle est la prière que je vous adresse au moment où les survivants de notre petite armée belge se font bravement tuer pour défendre le dernier lambeau de notre pays si odieusement envahi, si cruellement saccagé. Vous ferez de ces lignes l’usage que vous voudrez ; je n’ignore pas à quoi je m’expose en les écrivant. Je retourne demain à Bruxelles. Si nous ne devons pas nous revoir, laissez-moi vous

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remercier des joies intellectuelles que vos entretiens scientifiques m’ont souvent procurées et aussi et surtout de votre collaboration si dévouée à la belle œuvre que nous avons poursuivie ensemble conjointement avec M. Solvay. Cette œuvre, vous la continuerez, j’en suis sûr, imperturbablement. L’Appel fait également réagir un petit nombre d’Allemands. Un contre-manifeste circule à Berlin dès le milieu du mois d’octobre 1914. Il a été conçu par le physiologiste Georg Nicolai et porte la signature d’Einstein. Ce nouvel appel cherche à faire réagir les « bons Européens », selon l’expression de Goethe. Mais il ne provoque que fort peu d’adhésions. Une réponse britannique à l’Appel des 93 paraît dans le Times du 21 octobre 1914 sous le titre Reply to German Professors. L’article est signé par 117 scientifiques, dont Lord Rayleigh, W. H. Bragg, J. J. Thomson et Sir William Ramsay. Ces signataires ont du mal à croire que l’Appel représente l’opinion des professeurs allemands. Ils ne doutent pas de leur sincérité dans leur répugnance pour la guerre et dans leur zèle en faveur de la culture, mais ils condamnent la destruction délibérée de trésors culturels par l’armée allemande, tels que Louvain et les cathédrales de Malines et de Reims. D’autre part, ils imputent la responsabilité de la guerre à l’Allemagne, car c’est bien elle qui a violé la neutralité de la Belgique. La GrandeBretagne aspire à la paix, mais ce désir ne saurait entraver le devoir des intellectuels, qui est de constater les faits et d’en rendre compte. L’Académie des sciences de Paris réagit le 3 novembre. Elle tient à rappeler que les civilisations latines et anglosaxonnes ont apporté depuis trois siècles les plus grandes contributions au développement des mathématiques et des sciences physiques. C’est de ces cultures qu’ont « émergé les découvertes les plus importantes ». L’Académie entend protester contre la prétention selon laquelle l’avenir intellectuel de l’Europe serait déterminé par la science allemande ; elle réfute l’affirmation que le salut de la civilisation européenne dépend d’une victoire du militarisme allemand, solidaire de la culture allemande465. Du côté des nations neutres, une initiative pour une «  Europe en paix » est lancée en 1915 par des pacifistes hollandais. Ceux-ci souhaitent adresser une pétition aux dirigeants et aux élus des États européens. Cette pétition,

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signée par des scientifiques (dix par pays), devrait être rendue publique dès la fin de la guerre (que l’on espère encore prochaine), c’est-à-dire au moment où s’entameront les négociations de paix. Lorentz accepte de signer le texte, après quelques modifications. Il fournit avec Zeeman une liste des scientifiques susceptibles de signer la pétition. Celle-ci plaide en faveur d’une réconciliation entre les citoyens des pays belligérants ; elle suggère l’oubli de tout ce qui sépare et divise et recommande le pardon pour les injustices et les exactions commises par les nations en guerre. Le texte appelle les élus « à se montrer dignes de leur mission, qui est de fixer le destin de l’humanité, en usant de leur influence dans un esprit de sincère réconciliation, pour obtenir une paix qui ne contienne aucun germe pouvant conduire à un nouveau conflit, mais qui permette aux nations européennes divisées de s’unir afin de garantir la liberté de chacun et de promouvoir la prospérité de tous dans un souci de parfaite égalité ». La pétition ne recueille qu’un petit nombre de signatures, mais elle suscite une vague de protestations, notamment de la part de Voigt466 et de Brillouin. Voici ce que ce dernier écrit à Lorentz467 le 25 mai 1915 : Cher Monsieur, Je m’empresse de répondre négativement (souligné) à votre circulaire, qui, je vous l’avoue, m’a d’abord mis fort en colère, et ensuite fait quelque peine. Je croyais que le sort de nos malheureux pays méritait plus de sympathie. Nous ne voulons ni pardonner, ni oublier ; nous n’avons rien à nous faire pardonner. Avez-vous compris qu’à cette date de février 1915, la signature d’un citoyen des peuples alliés au bas de votre pétition équivaudrait au geste de se prosterner devant le Kayser, lever les mains au ciel et demander grâce ! C’est un geste qui ne me convient pas, et je ne connais aucun moyen de me le faire faire tant que ma femme et ma fille sont en sûreté. Je doute que vous obteniez une seule signature en France, en Belgique et en Angleterre, sauf peut-être celle du personnage déconsidéré nommé Caillaux468. La Belgique est encore envahie, opprimée, traitée comme pays conquis ; Reims est journellement bombardé ! Un cinquième de la France a été systématiquement brûlé, pillé, dévasté ; … les habitants les plus paisibles pris comme boucliers par les troupes allemandes. Cela a presque cessé de nous étonner, tant sont nombreux les témoignages, mais nous savons maintenant qu’il n’y a de sécurité en face de la nation allemande que si on lui

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met une solide muselière ; nous travaillerons aussi longtemps et aussi énergiquement qu’il le faudra à la fabrication de cet instrument de sécurité internationale ou nous y périrons. Votre pétition avance ou retarde de plusieurs mois. Moi du moins, jusque vers les premières affaires marocaines, j’espérais que la nation germanique n’était pas complice de son militarisme effréné, que peut-être un jour viendrait où la nation se libérerait de ses maîtres, et où sans cesser d’avoir des passions inquiétantes pour nous, elle commencerait à comprendre le mot « fraternité » autrement qu’un certain Caïn. J’ai perdu cette illusion en causant avec M. Wien469. Quant à ne pas mettre dans le traité de paix que nous dicterons, je l’espère, des clauses qui soient des germes de guerre, je le souhaite… Je sais ce que vaut l’intelligence allemande dans les sciences exactes. Je sais depuis peu ce que vaut la moralité internationale ; je n’accepte aucune assimilation de nos compatriotes avec les Allemands. Vous savez depuis plusieurs mois quel mépris hautain j’éprouve à l’égard des signataires de l’Appel aux nations civilisées…

8.3. Le conflit s’éternise La Grande Guerre provoque une désertion dans les universités et dans les centres de recherche. Du côté allemand et autrichien, le Physikalische Zeitschrift fait état en avril 1915 de 150 physiciens appelés sous les drapeaux, dont 119 docteurs et 31 professeurs. Les nécrologies se succèdent. On apprendra quelques mois plus tard que Fritz Hasenöhrl, l’un des membres autrichiens du Conseil de 1911, est tombé sur le front italien en octobre 1915. De retour d’un voyage en Nouvelle-Zélande, Rutherford écrit à Lorentz (lettre du 7 juin 1915) : Mon cher professeur Lorentz, Mon laboratoire a, bien entendu, été pratiquement vidé de ses chercheurs, et le nombre d’étudiants avancés a fortement chuté en raison du service militaire. Certains de mes chargés de cours sont morts. Deux se trouvent en France, cinq sont en formation avant d’être envoyés au front… Rutherford donne des noms, l’un d’eux est celui de Moseley. Les universités, poursuit-il, livrent un grand nombre d’officiers ; 400 pour Manchester. Lindemann a réussi à quitter l’Allemagne juste à temps ; il travaille dans une fabrique

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d’avions… Quelle que soit l’issue du conflit, je crains qu’il sera difficile de reprendre nos réunions Solvay, au moins pendant quelque temps. Malheureusement, les Allemands mènent la guerre d’une manière telle que les Alliés ne voudront plus avoir le moindre contact avec eux pendant bien longtemps. Tout semble indiquer que c’est le cas. Les Allemands considèrent à présent l’assassinat de civils comme l’une des méthodes principales de mener le combat, et l’on s’attend à ce qu’ils utilisent bientôt des techniques encore plus barbares que celle des gaz asphyxiants470… Un nouvel épisode de la Krieg der Geister s’ouvre en 1916, suite à la parution à Paris du livre de l’historien Joseph Bédier Les Crimes allemands d’après des témoignages allemands, basé sur les notes prises par des prisonniers de guerre. Vivement frappé par les conclusions de Bédier, Lorentz les transmet à Planck et à Wien. Il leur demande de trouver un moyen qui permettrait aux savants allemands de se distancier de l’Appel des 93. « Un tel geste, dit Lorentz, pourrait faciliter le rétablissement des relations scientifiques après la guerre. » Wien ne veut rien entendre : la demande lui paraît insensée471. Planck réagit favorablement : il se concerte avec Lorentz et décide de lui envoyer une « lettre ouverte ». En voici l’essentiel : « J’ai constaté à plusieurs reprises et à mon grand regret que l’Appel, en raison de sa formulation, a donné une impression erronée des vues de ceux qui l’ont signé. Mon opinion est partagée par d’autres, notamment par Nernst. L’Appel, qui dans les termes utilisés reflète les premières semaines de la guerre, ne peut être compris que comme un acte de défense : une défense de l’armée contre les graves accusations portées contre elle, et l’affirmation que les scientifiques et les artistes n’entendent pas se dissocier de la cause de l’armée. Nous ne pouvons pas, bien entendu, nous sentir responsables de chaque acte commis par un Allemand, et il est trop tôt pour que l’on ait sur ces faits un jugement autorisé. Aussi longtemps que la guerre se poursuit, nous aurons le devoir de servir notre pays. Je tiens cependant à souligner que je suis fermement convaincu qu’il existe des sphères d’ordre moral et spirituel qui se situent bien au-delà des combats entre les nations, et qu’une honnête coopération pour préserver ces biens culturels universels, ainsi que le respect des droits des citoyens d’un pays ennemi, peut être

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conciliée avec la profonde affection qu’on porte à sa patrie, et avec l’énergie qu’on lui consacre. » Lorentz publie la lettre de Planck (accompagnée de quelques mots d’introduction) dans le journal Algemeen Handelsblad du 11 avril 1916. La lettre paraît également dans la presse internationale. Les réactions sont très diverses. Brillouin déclare472 : «  Planck n’a toujours pas compris.  » Mais pour Lorentz, la lettre de Planck est un premier pas qui le pousse à intervenir auprès de ses collègues allemands pour qu’ils viennent en aide à certains prisonniers belges, notamment Hostelet (condamné à cinq ans de travaux forcés pour avoir aidé des soldats britanniques à s’échapper d’un petit village du Hainaut). Touché par la détresse de l’épouse du physicien, Lorentz s’adresse à Planck et à Warburg473. Ceux-ci obtiennent un assouplissement du régime de détention de Hostelet, qui lui permet de poursuivre des études474. Lorentz se joint à l’appel d’une douzaine d’intellectuels hollandais au chancelier du Reich (janvier 1917) pour réclamer l’arrêt de la déportation en Allemagne de civils belges. Cet appel475 contribua apparemment à la suspension des mesures de déportation de Belges sans emploi. Contrairement aux aides apportées par Planck et Warburg, l’attitude de Sommerfeld pose question476. En effet, cet habitué des Conseils Solvay, bénéficiaire de subsides de l’IIPS, se signale par des actions qui le rendront indésirable en Belgique après la guerre (nous reviendrons sur ce point dans un prochain chapitre). Dès 1916, Sommerfeld consulte Kamerlingh Onnes pour savoir si Willem H. Keesom, un de ses collaborateurs, accepterait un poste de professeur à l’université de Gand que l’occupant entend transformer en une institution néerlandophone. S’étant entretenu avec Lorentz sur ce point, Onnes répond à Sommerfeld qu’il appartient aux Belges de nommer leurs professeurs. Celui-ci s’aperçoit que ses vues ne sont pas partagées par ses collègues hollandais, mais leur opinion ne compte guère. Au début de janvier 1918, il se rend à Tournai et y fait des conférences de physique devant des militaires allemands. Peu après, il décide d’étendre son action à l’université de Gand et y présente une partie de ses exposés de Tournai en leur conférant une dimension politique. L’opération est un succès : on le reçoit à bras ouverts…

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Enchanté par l’accueil, Sommerfeld s’empresse d’afficher son enthousiasme dans des journaux allemands477. Il confirme le soutien qu’il entend apporter au projet qui vise à imposer l’usage du néerlandais à l’université de Gand, et fait cette déclaration : « Je n’ai jamais cru qu’une annexion forcée de la Belgique par l’Allemagne fût possible, ou qu’elle fût souhaitable. Mais les rapports qui semblent à présent sur le point de se former en Flandre, plus précisément dans le berceau de la culture flamande, sont de nature à favoriser une annexion librement consentie par la partie de la Belgique qui a le plus de valeur à nos yeux. Ce serait vraiment dommage si nous devions décevoir les aspirations légitimes des meilleurs éléments de ce peuple. J’ai quitté Gand avec la conviction que les relations entre l’Allemagne et la Flandre connaîtront bientôt la promesse d’un nouvel avenir… » Au mois d’avril 1918, Sommerfeld est à Bruxelles pour y faire cours478. Il apporte des précisions à l’armée allemande sur des questions d’ordre militaire, notamment en balistique479. Dans quel lieu fait-il cours ? Est-ce dans la salle de conférence de l’Institut de sociologie Solvay ? Nous avons des raisons de le supposer. Nous savons, en effet, que l’Institut fut réquisitionné pendant la guerre (en dépit des protestations de Solvay) et qu’il servit de lieu de conférences pour les militaires allemands… Nous savons que Lorentz s’adressa à Planck le 31 janvier 1918 et qu’il le pria d’intervenir pour empêcher l’occupation de l’Institut, mais que sa prière ne fut pas écoutée480. Il est clair, d’autre part481, que Sommerfeld fit cours devant un auditoire restreint (une précision qui s’accorde avec le fait que l’espace dans la salle de lecture de l’Institut était fort limité). Ce qui semble établi, c’est que les agissements de Sommerfeld en Belgique occupée furent jugés suffisamment graves pour motiver son exclusion du Conseil de 1927 (alors que ses travaux sur les spectres justifiaient amplement sa présence aux côtés de Bohr ; voir plus loin la section 9.3).

Les négociations secrètes de Nernst Nous avons évoqué la lettre ouverte de Planck au sujet de l’Appel des 93 intellectuels allemands. Que pouvons-nous dire au sujet de Nernst, autre signataire du Manifeste ?

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On sait que l’initiateur du Conseil de 1911 participa à la fabrication des gaz de combat482, un programme mis au point par Haber (qui en testa l’efficacité à Ypres le 22 avril 1915). Ce que l’on sait moins, c’est que Geheimrat Nernst fut chargé d’une mission secrète, et qu’il se rendit à plusieurs reprises en Belgique pendant la guerre. Cette mission répondait aux liens privilégiés que Nernst entretenait avec le banquier Franz Philippson, beau-père de Goldschmidt. Voici ce qu’écrivent les auteurs d’une récente biographie483 de Franz Philippson : −− Dès le mois de mai 1915, Nernst se rend à Bruxelles pour y rencontrer Philippson. Il est mandaté par le gouvernement allemand ; le but de sa visite est d’entrer en contact avec le roi Albert afin d’obtenir son adhésion à un projet de paix séparée. Les détails du projet ne sont pas connus, mais il est clair que Philippson ne donna aucune suite à la démarche de Nernst. −− Loin de baisser les bras, Nernst retourne à Bruxelles au cours du mois de juin 1916 et y rencontre à nouveau Philippson. La discussion porte à présent sur une paix générale qui serait négociée en terrain neutre entre belligérants du front ouest. Nernst souhaite l’intervention personnelle du banquier : il s’engage à lui procurer des passeports pour se rendre au Havre. Philippson est prié de faire en sorte que les propositions du chancelier allemand soient transmises aux gouvernements alliés par l’entremise du roi des Belges. La Belgique obtiendrait la garantie d’un retour à sa position d’avant le conflit. Le banquier hésite… Doit-il prévenir le gouvernement belge ? Ne risque-t-il pas d’être accusé de collaborer avec l’ennemi ? −− Philippson rédige une lettre pour demander au gouvernement en exil s’il doit aller au Havre afin de transmettre les propositions allemandes, mais il renonce à l’envoyer484 (les suites de l’offensive de la Somme ont exclu toute possibilité d’ouverture de pourparlers). S’adressant à Émile Francqui (un homme d’État belge), Philippson lui fait part des démarches de Nernst. Francqui transmet l’information à Herbert Hoover485, son homologue américain qui se trouve à Londres et y dirige la Commission for relief in Belgium. Ce dernier prend contact avec le gouvernement britannique. Informé à son tour, le

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gouvernement français fait savoir qu’il s’opposera à toute proposition de paix. Résultat : Philippson est prié de ne plus s’occuper de l’affaire ; on lui interdit l’accès au roi ! −− Nernst ne désarme pas. En novembre 1916 il se rend pour la troisième fois chez Philippson. Il fait observer que la population belge est affamée, qu’elle est menacée de déportation et que l’appareil industriel du pays est en voie de démantèlement. Le message est clair : si le gouvernement belge veut éviter la ruine totale de la Belgique, il doit inciter les Alliés à entrer au plus vite dans la voie des négociations. Peine perdue : Philippson a compris la leçon ; il n’interviendra plus ! −− Nernst se rend une dernière fois chez Philippson le 29 décembre 1917 ; il lui dit : « Pourquoi la Belgique s’obstine-t-elle à prolonger une guerre qui ne la concerne pas ? Ne peut-elle pas inciter la GrandeBretagne à se démarquer des thèses jusqu’au-boutistes de la France ? » Prévoyant une issue favorable de la guerre, Philippson lui répond que les Belges n’ont plus confiance dans les promesses allemandes d’une restauration de l’indépendance de leur pays. Il indique les raisons de sa défiance : « Lorsqu’en juin 1916, vous m’affirmiez que le gouvernement allemand était décidé à l’accorder, j’étais tout disposé à donner suite à nos conversations. J’y ai renoncé en lisant, le lendemain de votre départ, le discours du chancelier dans lequel il faisait des réserves expresses à ce sujet. » Décidé à couper court à toute discussion, il ajoute : « L’Angleterre luttera pour la liberté du monde. Comme elle l’a fait il y a deux siècles contre Louis XIV, il y a un siècle contre Napoléon, elle le fera contre Guillaume II, aidée par les États-Unis. » Nernst se le tiendra pour dit et n’insistera plus. Une question demeure ouverte. Pourquoi Philippson accepta-t-il d’accueillir un homme qui s’était compromis en signant le Manifeste des 93 intellectuels allemands ? Nous savons486 que Goldschmidt, ardent patriote belge, se rendit à Paris au début de la guerre et qu’il y demeura en qualité de directeur du service des inventions de l’armée belge. Mais il n’est pas exclu qu’il ait plaidé la cause de son ancien mentor en faisant valoir

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ses bons sentiments à l’égard de la Belgique… Il se peut même qu’il ait dit à son beau-père que Nernst avait signé le Manifeste sans le lire, rassuré par le fait qu’il portait déjà la signature de Planck. Ce qui est sûr, c’est que Nernst fut déçu par l’échec de sa mission. Voici le message qu’il adressa à Lorentz487 le 29 février 1919 : « En Allemagne, les intellectuels et tous ceux qui ont dirigé le pays pendant la guerre peuvent se réclamer de nombreuses démarches, privées et publiques, entreprises pour mettre un terme au conflit. Mais l’Entente ne voulut rien entendre, prolongeant la guerre pendant au moins deux ans. Elle rejeta, la chose est bien connue, la médiation du pape que nous avions acceptée. L’Entente a atteint son but, l’avenir nous apprendra à quel prix… »

8.4. Une entreprise ingrate : l’édition du volume « Hayez » Revenons au mois de juin 1915. C’est à cette époque que Lorentz et les membres de la Commission administrative de l’IIPS sont informés qu’ils ne peuvent correspondre qu’au moyen de cartes postales. Le 25 juin, Tassel envoie ce mot au directeur de l’imprimerie Hayez de Bruxelles488 : « M. le Professeur Lorentz vient de me renvoyer l’épreuve des pages 1 à 64 du compte-rendu du Conseil de physique. En raison du grand nombre de corrections qu’il a dû apporter au rapport de M. J. J. Thomson, il n’est pas encore possible de donner le bon à tirer pour cette partie du travail. Je vous serais donc obligé de faire effectuer les corrections indiquées par M. Lorentz et de lui faire parvenir (M. le Professeur H. A. Lorentz, 76 Zijlweg, à Haarlem, Hollande) une nouvelle épreuve des pages ci-jointes… » Le 27 juin, Lorentz communique à Tassel la page de titre du compte-rendu : « Problèmes concernant la structure de la matière. Rapports et discussions du deuxième Conseil de physique convoqué à Bruxelles du 27 au 31 octobre 1913 par l’Institut international de physique Solvay. Publié par les secrétaires489. »

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Le 2 août 1915 : coup de tonnerre ! Lorentz annonce à Tassel490 : « J’ai bien reçu les nouvelles épreuves (pages 1-64) du compte-rendu et j’ai voulu vous les faire parvenir, mais on me les a renvoyées avec les mots “Zurück unzulässige Sprache”. Comme il y avait encore un certain nombre d’erreurs et qu’il en sera de même pour les feuilles qui devront suivre, je dois vous proposer d’attendre avec l’impression jusqu’à ce que les épreuves puissent être librement échangées. Je m’adresserai à M. Warburg à Berlin, qui désirera sans doute que ce travail scientifique puisse être imprimé… » Le 6 août, c’est l’imprimeur qui avertit491 Lorentz : « Suivant le conseil de M. Tassel, je me suis adressé à la Censure allemande qui m’a suggéré l’idée d’expédier l’envoi avec l’aide du consul allemand le plus proche de votre ville… Comme M. Tassel et moi-même désirons finir sans retard ce travail qui a coûté déjà tant d’immobilisations et de corrections onéreuses, je me permets, Monsieur le Professeur, de vous demander de me retourner à moi-même la plus forte quantité d’épreuves et de manuscrits possible, dont M. Tassel voudra bien surveiller l’impression de manière à réduire le nombre d’envois. Je vous demande surtout avec insistance de ne pas permettre que le travail soit de nouveau suspendu, car un nouvel arrêt serait hautement préjudiciable. Subsidiairement, et pour le cas où l’intervention du consul allemand ne serait pas possible, je vous propose d’écrire à la Censure d’Aix-la-Chapelle en lui faisant connaître la composition du Comité… » Lorentz s’adresse au consulat général impérial allemand pour les Pays-Bas, en précisant la composition du Comité et la nature purement scientifique de l’envoi. Il indique que les conférences et les discussions devraient être imprimées dans la langue originale (c’est-à-dire partiellement en allemand, en français et en anglais) et demande à l’administrateur du consulat de bien vouloir intervenir en tant qu’intermédiaire. Ce dernier lui répond qu’il accepte de faire parvenir les documents à destination. Il joint à sa réponse une copie de la lettre qu’il a envoyée à la division politique auprès du gouverneur général pour la Belgique. Mais rien n’y fait : l’envoi tarde à arriver. Le 12 octobre, Tassel n’a d’autre choix que d’écrire à Lorentz pour lui dire que les épreuves (qui devaient être acheminées par

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le consulat d’Allemagne à Amsterdam) ne sont pas parvenues à l’imprimeur. Le 22 décembre, Tassel adresse ce nouveau message492 au directeur de l’imprimerie : « Comme suite à notre conversation d’hier, je vous serais obligé de bien vouloir, lorsque vous accuserez réception à M. Lorentz des épreuves du Conseil de physique corrigées par lui, lui dire de ma part que je reverrai avec grand soin les épreuves finales que vous m’enverrez afin de m’assurer si les corrections qu’il a indiquées sont bien effectuées. Veuillez également lui dire que lorsque l’impression sera terminée, vous garderez les feuilles achevées en magasin et ajournerez à plus tard le travail de brochage et de parachèvement des volumes, le moment ne me semblant pas particulièrement favorable pour faire l’expédition de ceux-ci… Bien entendu, un exemplaire complet devra être envoyé à M. Lorentz aussitôt le travail achevé… » Dès le début de 1916, des exemplaires du volume sont disponibles. Mais Tassel n’est pas au bout de ses peines : les envois de Belgique vers la Hollande se révèlent tout aussi compliqués. Le 5 mars, il reçoit ce mot493 du directeur de l’imprimerie Hayez : « Je me suis efforcé sans succès de faire parvenir le volume du deuxième Conseil de physique à M. le Professeur Lorentz. À la légation de Hollande, on m’a refusé l’expédition sans autorisation de la Censure ; à la Censure on m’a refusé cette autorisation en me disant que la poste suffirait. Celle-ci a, je pense, donné des preuves suffisantes de son irrégularité pour ne pas tenter encore de lui confier un envoi. Si, plus heureux que moi, vous disposiez d’un mode d’envoi possible, je vous serais reconnaissant de me le signaler. Je profite de l’occasion, Monsieur, pour vous remercier encore de la complaisance dont vous avez bien voulu user pour aider à l’achèvement de cet ouvrage, rendu très laborieux par les circonstances… » Le 17 mars, Tassel lui répond : « Je ne dispose malheureusement d’aucun moyen de faire parvenir directement à M. Lorentz les bonnes feuilles que vous n’avez pu lui envoyer jusqu’ici ; je pense que le mieux serait de risquer de lui en envoyer deux exemplaires simplement par la poste, ainsi qu’on vous l’a dit à la Censure, mais par express-recommandé. Si l’envoi se perd, cela n’a plus aucune importance puisque le travail est achevé… »

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On ne sait pas si ces exemplaires sont arrivés à destination. Mais l’exercice s’avéra vain pour une autre raison. Craignant une mainmise de l’occupant sur l’Institut, la Commission administrative refusa de soumettre le volume à la Censure et demanda à l’imprimeur de ne pas mettre l’ouvrage en circulation. La maison Hayez fut priée de garder les volumes en magasin. Au lendemain de l’armistice, il fut décidé que les publications de l’IIPS se feraient en français (une mesure adoptée en 1919 à l’occasion d’une révision des statuts494). Les exemplaires de l’édition Hayez, réalisés au prix de tant d’efforts, furent mis au pilon495 (l’un d’eux a été conservé ; il peut être consulté au Service des archives et des bibliothèques de l’Université libre de Bruxelles). Un compte-rendu du deuxième Conseil de physique, rédigé en français et édité après la guerre, fut publié en 1921 chez Gauthier-Villars.

8.5. Actions et projets de Solvay Solvay participe dès le début du conflit aux efforts qui sont entrepris pour soulager la population belge, confrontée au blocus économique allié et au refus allemand de contribuer au ravitaillement des territoires occupés. Le 16 octobre 1914, il crée avec l’aide de Dany Heineman, un citoyen américain installé en Belgique496, et Émile Francqui (dont nous avons parlé plus haut), le Comité national de secours et d’alimentation. Mais l’industriel n’a pas renoncé à ses travaux scientifiques. Au cours des premiers mois de 1915, il tente de mettre sur pied un système astronomique. Son idée est de remplacer l’attraction gravitationnelle par une théorie « matérialitique de la transmutation ». Du 20 au 30 mai 1915, il se rend en Hollande, non sans avoir indiqué à Herzen la voie qui devrait conduire à l’établissement d’une « théorie de l’Univers actif absolu » par le biais d’une « géométrie gravito-cinétique absolue ». Herzen se met au travail et s’appuie sur des directives qui lui sont envoyées de Suisse au cours de l’été. De retour à Bruxelles, Solvay prend connaissance du travail accompli. Déçu par les résultats de Herzen, il s’écrie497 : « La gravito-matérialitique tout entière est à reprendre. »

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Puis, faisant le point le 24 décembre 1915, il écrit : « Toutes mes publications, toutes mes institutions qui se sont succédé prouvent au-delà de ce qui est nécessaire que j’ai voulu être le réalisateur de mes conceptions scientifiques comme je l’avais été de mes conceptions industrielles, exactement, soit par moi-même, soit par ceux que je mettais à même de poursuivre et de prolonger éventuellement mon action, et qui voulaient bien accepter cette situation… » Solvay est inquiet : il craint qu’en disparaissant trop tôt, ses collaborateurs ne pourront pas préserver le caractère d’unité de l’œuvre de sa vie : « Il y a intérêt, écrit-il, à ce que l’œuvre soit présentée après moi comme elle l’eut été moi présent, il suffit de se souvenir des exhortations que me fit à cet égard M. Henry Le Chatelier498. » Mais il se rassure à l’idée qu’il détrônera bientôt l’ancienne dynamique. Le 15 décembre, il a écrit dans une note : « La dominante de mon énergétique particulière est qu’elle est gravito-cinétique et non dynamico-cinétique. » Puis, réaffirmant (dans une note du 30 décembre) son adhésion au principe du travail maximum de Berthelot-Thomsen, il expose son principe de la « dégradation de l’énergie ».

Projet visant la construction d’une nouvelle société Confronté au cataclysme européen, Solvay se rend rapidement compte que le plus grand défi est d’ordre social. Au cours du mois de mai 1915, il se dit qu’il est temps de créer une nouvelle société, fondée sur la science. Il décide aussitôt de lancer un mouvement d’opinion, qu’il souhaite conduit par des savants : « Eux seuls, déclare-t-il, ont le pouvoir de restaurer cette harmonie internationale, si durement ébranlée et dont l’humanité a un grand besoin. » Solvay compte s’appuyer sur ses partenaires du monde académique. Au cours d’un séjour en Hollande du 20 au 30 mai, il fait part de son projet à Lorentz. Puis, séjournant en Suisse, il prend contact avec PhilippeAuguste Guye et lui remet des fonds pour que le mouvement d’opinion puisse s’amorcer à Genève499, dès

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la fin des hostilités. Le 19 mai 1916, il est à nouveau en Hollande. Il visite le laboratoire de Kamerlingh Onnes en compagnie de deux collaborateurs (Tassel et Warnant) et s’intéresse aux « conducteurs absolus500 ». Cependant, l’idée d’une réforme sociale, conduite par des physicochimistes, demeure au centre de ses préoccupations. Le projet entre dans une nouvelle phase au cours de l’été 1916. Le 29 juillet, Solvay répond à une demande de son ami Émile Vandervelde, grand socialiste et membre du gouvernement belge en exil501. Celui-ci sollicite des moyens financiers pour venir en aide aux travailleurs belges qui se trouvent à l’étranger. Solvay lui promet un crédit de 15 000 francs. Il évoque son souhait de contribuer à la construction d’une nouvelle société : « Celle-ci aura dorénavant sa science, écrit-il, comme la mécanique ou la physique (…). C’est notre petite patrie glorieuse, vous le verrez mon cher Émile, qui est destinée à instaurer cette nouvelle ère (…). Un grand mouvement productif et démocratique général devra nécessairement succéder au cataclysme actuel : nous nous serons mis prêts, je l’espère, dans notre petite Belgique, à répondre correctement à toutes les questions sociales qui pourront être posées… » Au début du mois d’août, Solvay reçoit une lettre de Haller qui lui annonce le décès de Ramsay (survenu le 23 juillet 1916). Le président de l’AISC s’inquiète de son remplacement et rappelle sa position au sujet de l’épineuse question du lieu des assemblées annuelles de l’Association : « Quant à notre prochaine réunion, je tiens essentiellement qu’elle ait lieu à Bruxelles. Je m’emploierai de toutes mes forces à faire prévaloir cette opinion, car nous voulons ainsi rendre implicitement un hommage discret à la nation qui a si courageusement, et d’une façon si chevaleresque, relevé le défi des Barbares. Dans cette détermination, il y a d’ailleurs une arrière-pensée, c’est que les représentants austro-allemands n’auront plus l’audace et l’effronterie de se rendre dans un pays que les leurs ont si odieusement traité et dévasté… » Mais Haller tient surtout à annoncer qu’il projette (d’accord avec Guye) de faire élire Solvay membre correspondant de l’Académie des sciences de Paris. Touché par cette marque d’estime, l’industriel s’empresse de remercier Haller502, et lui fait part de son nouvel objectif (dont il a parlé à Lorentz et à Guye) : réformer la société en

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s’appuyant sur les Instituts internationaux de physique et de chimie. « Vous verrez cela ensemble, lui dit-il, car cela se rattache à des préoccupations de la fin de votre lettre, tout à fait légitimes (…). Quant à Bruxelles, choix du lieu de la prochaine réunion, absolument d’accord à tous points de vue, et précisément avant tout à celui que j’envisage également (…). Mon cher et bon Haller, il y aura un jour à réaliser une “Concertation internationale entre les représentants des sciences physiques qui envisagent la possibilité du perfectionnement graduel positif de l’organisation sociale” et le droit positif qu’ils dessineront mènera à la condamnation sans merci des sciemment, systématiquement, et de longue haleine fauteurs de crimes, à l’obligation de la rétractation publique pour ceux qui, soumis à une hypnose brusque, auront poussé au crime, et à l’acquittement de ceux qui, dorénavant révolutionnaires, auront frappé sur ordre après avoir été préalablement aveuglés sans le savoir… » On s’aperçoit que Solvay est prêt à faire preuve de clémence à l’égard des savants qui, ayant signé le Manifeste des 93 dans un moment d’aveuglement, se seront amendés et rétractés à temps503 (une attitude conciliante qui le rapproche de Lorentz et l’éloigne des positions radicales de Brillouin et de Haller).

Le Comité d’action sociale Pendant l’été de 1916, Solvay est à nouveau en Suisse. Il recopie les lettres qu’il a reçues de France (ainsi que ses réponses) et envoie le tout à Lorentz : Mon cher et bon Lorentz, Vous trouverez, incluses et confidentielles, quelques lettres et leurs réponses, lesquelles, si vous pouvez les lire par ordre de date, vous mettront au courant de l’action sociale que je cherche à engager, et dont les Instituts internationaux de physique et de chimie que j’ai fondés devraient être, si possible, le point de départ, conformément aux préliminaires dont je me suis déjà ouvert envers vous en mai 1915… Haller, Guye, et mon fils Armand ont copie des mêmes lettres incluses, car j’envisage qu’exclusivement ils font partie d’un premier Comité qui devrait pouvoir, à mon sens, travailler cette action (…). En somme, je trouve quant à moi, et je tiens officiellement à le faire connaître pour me décharger la conscience, que le moment

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extraordinaire qui se présente est absolument et impérativement indiqué, pour les physico-chimistes, sous peine de manquer au plus grave devoir humanitaire qui leur incombe, de prendre position dans le gâchis social actuel, et cela sous forme de vrais représentants de la science positive, en établissant enfin… que l’énergétique physique règle les conditions de la vie individuelle et de la vie sociale aussi bien que toutes les autres conditions, et qu’elle doit dès maintenant être adoptée comme principe de développement de son progrès (…). Telle est, mon cher et bon Lorentz, la pensée que je ne puis pas ne pas avoir en vue de l’action que je ne puis pas ne pas désirer de voir entreprendre, dans ma situation spéciale ; mais cela sans avoir la moindre intention d’influencer votre pensée et votre action à vous trois autrement que par ce que je crois être, quant à moi, d’essence scientifique rigoureuse504 (…). J’ouvre dès maintenant, de toute façon, pour ces buts éventuels, un crédit de 25 000 francs à Genève, un de même somme à Paris et un troisième idem à Rotterdam, auxquels chacun de vous pourra éventuellement puiser505. Solvay ne semble pas tenir compte de deux obstacles de taille : les problèmes de communication entre les membres de son Comité, et la difficulté pour un scientifique de s’engager dans une action totalement séparée de sa sphère de compétence. Du point de vue de Lorentz, il n’existe aucun lien entre le projet social de Solvay et les moyens d’action d’un Comité de physique. À cela s’ajoute la guerre qui l’empêche de se concerter avec ses collègues, autant d’éléments qui expliquent son embarras. Nous verrons que Lorentz attendra l’armistice pour réagir à la demande de Solvay (voir sa lettre du 10 janvier 1919, section 8.6). Haller se montre tout aussi perplexe. Le 24 août 1916, il note dans son journal506 : « Reçu de Talvard lettre m’annonçant que M. Solvay a mis à ma disposition une somme de 25 000 francs destinés à me défrayer des dépenses que m’occasionnerait le concours que je donnerais à H. A. Lorentz de Hollande et à Ph. A. Guye pour la réalisation des idées scientifico-sociologiques du vaillant industriel. Ai écrit tout de suite à Ph. A. Guye pour lui demander quelle action Solvay demande qu’on exerce et sous quelle forme elle doit se manifester. Je sais exactement ce que l’on pourrait et devrait faire à l’Association internationale des sociétés chimiques, mais ne saisis pas bien en quoi les sciences physiques peuvent contribuer à résoudre les questions si complexes qui sont du ressort de la sociologie.

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Guye et Lorentz ont reçu verbalement de M. Solvay ses idées sur ce sujet et c’est à eux de les formuler et de faire un programme. Quant à l’argent mis à notre disposition, je ne sais qu’en faire et n’y toucherai pas pour le moment. » L’industriel ne se contente pas d’alerter de grands savants. Il veut étendre son action au monde universitaire. Dès son retour à Bruxelles il rédige une note qu’il soumet au Conseil d’administration de l’Université libre de Bruxelles (dont il fait partie). Cette note, intitulée « L’université à tendance positive physique objective de demain » est un plaidoyer en faveur de la création d’un cours destiné aux étudiants qui entrent à l’université. Il devrait les éclairer sur la portée sociale de l’enseignement qu’ils vont y recevoir. Le but de Solvay est clair : communiquer à l’université « les impulsions rénovatrices de tous genres que font surgir partout les enseignements du bouleversant cataclysme européen ». Mais son principal souci est de veiller à ce que son projet d’action sociale soit étroitement lié à ses théories scientifiques. L’action qu’il appelle de ses vœux doit apparaître comme le résultat de son investigation (une activité dont il espère récolter bientôt les fruits507). Dernier point. Que veut dire Haller lorsqu’il note dans son journal « Je sais exactement ce que l’on pourrait et devrait faire à l’AISC » ? Il semble qu’il faille y voir un désir de mettre fin à une Association dominée par les Allemands et l’espoir d’adhérer à un nouvel organisme, dont les représentants des empires centraux seraient exclus. En effet, Haller n’aura de cesse508, à partir de 1916, de vouloir dissoudre l’AISC, fondée cinq ans plus tôt avec Ostwald et Ramsay. Son souhait se réalisera après la guerre : la dissolution de l’Association sera proposée le 14 mars 1919 par les membres du bureau français509, en accord avec l’Association interalliée des Académies. La mesure entraînera l’application de la clause prévue par Tassel : « Restitution à M. Ernest Solvay de toutes les sommes et fondations qu’il a mises à la disposition de l’AISC510. » Ainsi, se trouvant libérée de tout engagement envers les Sociétés chimiques, la Commission administrative de l’IICS pourra exaucer le vœu de Solvay : renforcer son action fondatrice en créant un Institut international de chimie calqué sur l’IIPS. Un Comité international de chimie sera constitué en 1920. Il sera présidé par l’un des rapporteurs au deuxième

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Conseil de physique : Sir William J. Pope, professeur à l’université de Cambridge et vice-président de l’Union internationale de chimie pure et appliquée (IUPAC511). Ce Comité se réunira pour la première fois le 24 juin 1921, à la veille de la conférence internationale de IUPAC. Les participants seront reçus par Solvay au château de La Hulpe le 29 juin 1921. Mais les relations du CSI avec l’Union internationale de chimie pure et appliquée s’arrêteront là : cette Union ne prendra pas le relais de l’AISC dans la direction de l’IICS. Un premier Conseil de chimie se tiendra en avril 1922, un mois avant la disparition de Solvay. Il rappellera l’événement fondateur d’octobre-novembre 1911. Bruxelles sera à nouveau le lieu d’un rendez-vous historique512.

8.6. Espoirs, satisfactions et difficultés Les nombreuses notes rédigées par Solvay pendant les années de guerre, et après la fin du conflit (on en compte plus de cent), sont la preuve qu’il poursuit sa recherche et qu’il compte soumettre sa « Synthèse fondamentale de l’Univers » au jugement des représentants de la science officielle. Rappelons que l’industriel vient de fêter ses 80 ans (le 16 avril 1918). Inquiet de ne pas avoir le temps d’achever son œuvre, il adresse des demandes de plus en plus pressantes à ses collaborateurs. C’est en compagnie de Herzen, de Warnant et Tassel qu’il effectue ses deux derniers voyages en Hollande (mai 1916513 et octobre 1917). L’été de 1917 a été bénéfique. Haller a tenu parole : Solvay a été élu membre correspondant de l’Académie des sciences le 18 juin, une distinction qui lui va droit au cœur (il était depuis le 22 mai 1913 membre correspondant de l’Académie royale de Prusse). L’été suivant s’est révélé moins propice. Solvay n’a pas obtenu son passeport pour la Suisse, et a été privé de vacances à la montagne. Lefébure lui communique la raison du refus (lettre514 du 20 août 1918 que Solvay a annotée de sa main) : Cher Monsieur Solvay, Je me suis rendu hier chez M. Deucher, le conseiller de la Légation de Suisse… Il m’a prié de vous dire ses très sincères

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regrets et de bien vouloir vous rappeler le grand espoir qu’il avait de réussir. La raison du refus de passeport vient de Berlin même ; elle est causée non pas par votre refus de mettre votre Institut à la disposition de l’occupant – ce qu’ils pouvaient comprendre, mais parce que vous auriez exprimé à un moment et à une personne que M. Deucher ignore, que « même après la guerre toute collaboration avec les savants allemands était dorénavant impossible515 ». L’autorité de Berlin est allée trouver les savants de l’Académie, leur a affirmé que vous aviez bien tenu ce propos, ces Messieurs l’ont cru, puisqu’officiel, et ils ont été ainsi empêchés d’agir pour vous. M. Deucher m’a répété par trois fois qu’il ne fallait pas incriminer les académiciens de vos amis, puisque la chose leur était affirmée516. J’ai répondu que ce n’était pas la première fois que les savants allemands croyaient sur simple affirmation de supérieurs ; que certains d’entre eux qui vous connaissent bien auraient dû douter517. J’ai dit qu’on aurait pu avec franchise, en juin, vous faire comparaître et l’on aurait constaté une interprétation de propos ou une compréhension erronée. Et l’on aurait évité ainsi des représailles injustifiées pour votre personnalité et votre âge. Que l’on étonnerait le monde savant en lui exposant que d’aussi grands personnages ont agi avec autant de petitesses à l’égard d’un inventeur, d’un savant, d’un homme d’âge auquel cela peut nuire gravement518. Je suis donc chargé de vous dire ces deux faits : votre propos et l’intervention dite des académiciens de Berlin. J’ai émis l’avis à M. Deucher que pour lui fournir des précisions plus agréables pour sa mission, vous lui écririez, peut-être, en une lettre ce que vous jugeriez que l’autorité occupante doit connaître de cet incident519. Lefébure porte l’affaire à la connaissance de Lorentz. Celui-ci lui répondra quelques mois plus tard (le 7 janvier 1919) : « Vous trouverez ci-jointe votre lettre d’août passé, que vous avez eu l’obligeance de m’envoyer, et dans laquelle il s’agit des raisons qui ont fait refuser à M. Solvay son passeport pour la Suisse. À vrai dire, j’ai été très étonné – au moins en ce qui concerne ceux d’entre eux qui ont assisté aux réunions de Bruxelles – du rôle qu’auraient joué les physiciens et chimistes de Berlin. Connaissant M. Solvay, ils pouvaient être sûrs qu’il ne s’associerait pas aux sentiments absolument hostiles envers la science allemande

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qui ont été exprimés par des savants français ; que bien au contraire, il désire et espère pour l’avenir une collaboration intime de toutes les nations. Il me semble tellement naturel qu’ils se soient rendu compte des opinions de M. Solvay que j’incline à croire qu’après tout ils ne méritent pas nos reproches et que M. Deucher peut avoir été inexactement renseigné. Bien entendu, je parle toujours de ceux qui ont été en relation avec M. Solvay. N’oublions pas que les autorités allemandes, qui ont trompé sans scrupules leur peuple jusqu’au dernier moment, ne feraient pas grands cas des conseils d’un savant qui voudrait leur ôter un prétexte pour la vexation mesquine et impardonnable qu’ils avaient en vue. À ce propos, je crois devoir vous dire que, dans ces dernières années, quand j’ai eu à faire quelque démarche dans l’intérêt d’un Belge, j’ai souvent fait appel au secours de M. Warburg et surtout de M. Planck, et qu’ils m’ont toujours prêté ce secours de bon gré et sans aucune objection. J’ai dû écrire plusieurs fois aux autorités allemandes, et j’ai alors prié M. Planck de faire parvenir ma lettre là où elle pouvait avoir le plus d’effet. Il l’a toujours fait et s’est plus d’une fois associé à ma démarche (…). Dans des cas où nous n’avons pas réussi, par exemple dans celui de l’occupation de l’Institut de sociologie, M. Planck m’a envoyé la réponse qu’il avait reçue et m’a témoigné son regret, s’exprimant en termes que je crois absolument sincères. Je lui dois bien de vous dire cela. Je pourrais ajouter d’autres choses, mais je m’en abstiens, ne devant pas abuser de votre temps520. » Le 10 janvier 1919, le président du CSI s’adresse directement à Solvay521. Il lui fait part de sa position au sujet de quatre points : l’avenir de l’IIPS, le concours que l’Institut est prié d’apporter au projet d’action sociale, l’attitude qu’il convient d’adopter à l’égard des scientifiques allemands et la question du renouvellement du Comité scientifique international (Lorentz répond ainsi à la lettre de Solvay du 14 août 1916, que nous avons évoquée dans le chapitre précédent) : Cher Monsieur Solvay, M. Tassel m’a envoyé, il y a quelque temps déjà, la lettre cijointe qui vous avait été adressée par M. Haller. M. Warnant, par l’entremise duquel je l’ai reçue, ajouta que vous désiriez savoir ce que j’en pense. Il a voulu dire sans doute qu’à propos

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de cette lettre vous me demandiez ce que je pense de l’avenir de l’Institut de physique. J’espère que vous m’excuserez de n’avoir pas répondu à cela plus promptement ; la question est importante et mon temps a été très occupé. Cependant, je ne dois pas tarder plus longtemps ; je me permets donc de vous dire mon opinion sur les questions principales qui me semblent se présenter. Mais je dois vous dire d’abord que j’ai été très désolé d’apprendre que les événements des deux derniers mois vous avaient trop fatigué et que Mme Solvay a souffert plus qu’à l’ordinaire. J’espère de tout mon cœur que vous vous porterez mieux maintenant tous les deux et que vous pourrez ainsi pleinement jouir de la liberté reconquise. J’ai lu avec une extrême satisfaction qu’une des premières choses pour lesquelles le roi a profité de cette liberté a été de venir vous voir pour vous remercier de tout ce que vous avez fait, et que le gouvernement vous a accordé le plus grand honneur qu’il fût dans son pouvoir de vous rendre. J’en viens maintenant aux questions dont il s’agit, mais, bien entendu, vous ne devez pas attacher trop d’importance à ce que j’en dirai ; c’est à vous et aux membres de la Commission administrative qu’il appartient de prendre les décisions nécessaires. 1) L’institut de physique pourra-t-il encore faire œuvre utile en continuant dans la voie qui lui a été tracée par les statuts, c’est-à-dire en encourageant les recherches scientifiques dans le domaine de la physique et de la chimie physique, et en convoquant de temps en temps des réunions destinées à une discussion approfondie des grands problèmes actuels ? Je n’hésite pas à répondre affirmativement. Maintenant que le monde va se reconstituer, les sciences physiques devront jouer – j’en suis convaincu – un rôle de plus en plus important ; l’homme ne pourrait vivre sans elles et manquerait à un de ses premiers devoirs s’il ne cherchait pas à pénétrer les secrets de la nature et à découvrir avant tout la vérité. J’ai causé de cela avec M. Kamerlingh Onnes et M. Verschaffelt ; ils sont entièrement de mon avis. Nous sommes sûrs que, continuant comme il a commencé, l’Institut pourra se montrer digne de votre confiance et qu’il pourra réaliser, au moins pour une partie, ce que vous vous êtes proposé en le fondant. 2) En contribuant ainsi au progrès de la science, l’Institut pourra avoir une influence indirecte (souligné) au point de vue moral et social. Mais pourra-t-il agir plus ou moins directement dans cette direction ? C’est une question qui se rattache à ce que vous m’avez écrit de Pontresina en août 1916. Je dois vous dire d’abord que l’action que vous désiriez alors voir entreprendre n’a guère été entamée. J’ai écrit à M. Guye et

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il m’a répondu d’une manière provisoire, mais nous en sommes restés là. Pour aller plus loin, nous aurions dû nous entendre verbalement, M. Guye, M. Haller et moi, et c’est ce que les circonstances n’ont pas permis. Je ne saurais donc vous dire si, peut-être, à nous trois nous aurions trouvé un mode d’action qui répondrait à vos idées, tout en ne s’écartant pas trop du but pour lequel les Instituts ont été fondés. Je ne puis que vous exposer mon opinion personnelle et, à vrai dire, je crains bien que, sur ce sujet, nous ne soyons pas d’accord. Cela provient de la différence même de ce que la vie a exigé de vous et de moi. Les problèmes que vous aviez à résoudre ont développé chez vous les grandes vues d’ensemble ; vos efforts ont eu pour objet en même temps le progrès de la science et la réforme sociale, ou plutôt, ces deux objets se confondent pour vous en un seul but que vous avez poursuivi pendant toute votre vie avec une ardeur croissante. Moi, au contraire, j’ai dû me borner à mes recherches et à mon enseignement ; les problèmes spéciaux de la physique ont exigé toutes mes forces, et je ne puis que m’intéresser, sans y prendre une part active, aux questions d’ordre social ou économique. Je puis admirer ce qu’on fait pour que le développement social conduise autant que possible au bonheur et au bien-être de l’humanité, mais, pour ma part, il faut que je reste simplement physicien pendant les années que j’aurai encore. Vous pouvez proclamer la supériorité de la science physique ; moi, je dois me considérer comme un laboureur qui cherche à défricher son terrain comme d’autres cultivent le leur, avec le sentiment continuellement revivifié de la petitesse de ce terrain et de la grandeur des difficultés qu’on y rencontre. Je ne doute pas que vous compreniez ma manière de voir, qui, du reste, n’exclut aucunement l’influence indirecte dont je viens de parler. 3) Quelle attitude faut-il prendre envers les Allemands ? La misère et les souffrances qu’ils ont répandues sur le monde, les injustices et les atrocités commises par leur gouvernement et leurs armées, et justement abhorrées par tous les honnêtes gens, ont fait sur moi – vous le savez bien – une impression très forte et très douloureuse. Aussi je comprends parfaitement qu’en ce moment les savants belges et français ne désirent plus avoir aucune relation avec eux ; pour les premières années, il ne pourra y avoir de place pour eux dans l’Institut de physique. Ceux qui ont assisté aux Conseils de physique comprendront eux-mêmes qu’ils ne peuvent venir à Bruxelles, et s’il y en avait d’autres qui auraient l’effronterie de le faire, ils nous répugneraient précisément pour cela.

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Toutefois, en parlant des Allemands, nous ne devons pas perdre de vue qu’il y en a de toutes les nuances. Un homme comme Einstein, le grand et profond physicien, n’est pas « allemand » du tout dans le sens qu’on attache souvent à ce mot maintenant ; son jugement sur les événements des années passées ne différera guère du vôtre ou du mien. Il y a aussi plusieurs physiciens qui n’ont pas voulu signer le manifeste scandaleux des 93 ; dans une conversation que j’ai eue avec eux au printemps de 1915, M. Warburg m’en a exprimé vivement sa désapprobation. Certes, un certain nombre des signataires feraient encore la même chose si l’occasion s’en présentait, mais je suis sûr que beaucoup d’autres regrettent au fond de leur cœur la légèreté avec laquelle ils ont prêté leur nom à cette publication. Vous connaissez la lettre que M. Planck m’a écrite et que j’ai publiée sur sa demande. Je dois vous rappeler aussi la question à laquelle se rapporte l’appel adressé aux 93 par M. Massart, le professeur de votre université de Bruxelles. Il a insisté auprès d’eux pour qu’ils prissent l’initiative d’une enquête impartiale sur les faits dont on accusait la population belge. Cet appel est resté presque sans réponse, comme celui des évêques belges et des francs-maçons. Cependant, lors d’un séjour qu’il faisait dans notre pays, j’ai parlé à M. Einstein d’une telle enquête sur tout ce qui s’est passé en Belgique ; il en reconnut aussitôt la nécessité absolue et, après son retour à Berlin, il s’en est entretenu avec plusieurs membres de l’Académie des sciences, e.a. MM. Waldeyer, Nernst et Planck. Ils m’ont déclaré peu après qu’ils désiraient, eux aussi, qu’une telle enquête eût lieu dès que les circonstances le permettraient, c’est-à-dire – telle était leur pensée – après la guerre. Vous savez que maintenant des voies se sont élevées en Allemagne en faveur d’un examen impartial des accusations dont il s’agit et des actes commis par les Allemands. Les savants que je viens de nommer pourront s’y associer, mais il faut bien leur laisser le temps. Pour le moment, l’effondrement total de leur pays et le danger d’une révolution bolchéviste doivent entièrement occuper leurs pensées. Tout bien considéré, je crois devoir vous proposer de ne pas exclure formellement tous les Allemands, c’est-à-dire de ne pas leur fermer la porte à tout jamais. J’espère qu’elle pourra être ouverte à une nouvelle génération, et même que, peut-être, dans le cours des années, on pourra admettre ceux des savants de nos jours, dont on peut croire qu’ils regrettent sincèrement et honnêtement les événements qui ont eu lieu. C’est ainsi que la

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science allemande pourra reprendre la place que, malgré tout, elle mérite par ses antécédents. 4) Dernière question. Comment l’Institut de physique devrait-il être reconstitué et se remettre à l’œuvre ? Des neuf membres du Comité scientifique, quatre auraient dû le quitter le 1er novembre 1916, le mandat des quatre autres expirerait le 1er novembre prochain, tandis que le mien durerait jusqu’en 1922. Comme le renouvellement partiel demandé par les statuts pour 1916 n’a pas eu lieu et que nous ne savons même pas lesquels des membres auraient dû sortir, la composition du Comité ne peut être dite conforme aux statuts. À mon avis, je devrais donc proposer à mes confrères du Comité que nous offrions tous notre démission à la Commission administrative ou que nous la priions de nous considérer tous comme démissionnaires. Pour moi-même, il me semble correct de ne pas faire entrer en ligne de compte ma position exceptionnelle. De concert avec vous, la Commission administrative pourra alors choisir un nouveau Comité scientifique qu’elle composera de la manière qui lui semble être indiquée par les circonstances actuelles. Je vous prie de bien vouloir communiquer cette lettre à MM. Héger et Tassel. Dès que je connaîtrai votre et leur opinion sur les questions que j’ai considérées, je pourrai écrire à mes collègues du Comité scientifique et m’adresser après cela plus ou moins officiellement à la Commission administrative… Solvay fut certainement déçu par le deuxième point de la lettre (qui lui apprit qu’il n’obtiendrait pas d’engagement social de la part de ses partenaires scientifiques). Mais il se consola à la lecture des propos de Lorentz au sujet de l’avenir de l’IIPS. En effet, il eut soin d’ajouter ces quelques mots522 à la lettre de Tassel à Lorentz523 du 21 janvier 1919 : « Toutes mes amitiés, mon bon Monsieur Lorentz. Je me reproche vivement de vous avoir remué au-delà de ce que je pouvais attendre, et de vous avoir donné la besogne que je constate avec peine. Cependant, je vous remercie de tout cœur de ce que vous avez fait et qui servira dans les graves circonstances que nous traversons. Tassel rend bien ma pensée. Je reste fatigué, quoique bien portant. Je devrais pouvoir prendre un mois de vacances. Je ne sais presque plus écrire… »

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8.7. Reprise d’activité de l’IIPS L’attitude conciliante de Lorentz à l’égard de certains Allemands n’est pas partagée par Brillouin, qui déclare dans une lettre524 à Solvay (du 24 novembre 1918) : « Toute réunion internationale exigeant l’estime mutuelle est devenue impossible avec les savants allemands, quelle que soit leur valeur intellectuelle… » Conscient de l’intransigeance du savant français, Solvay charge Tassel de calmer ses inquiétudes. Voici son message525 à Brillouin du 21 janvier 1919 : « M. Solvay est très convaincu que si les relations personnelles entre les savants appartenant aux pays belligérants resteront pour longtemps impossibles, les rapports d’ordre scientifique ne pourront jamais être supprimés. Tel est aussi, j’en suis bien sûr, le sentiment de notre président, M. Lorentz, que je sais avoir ressenti les misères et les souffrances répandues dans le monde par les Allemands ainsi que les injustices et les atrocités commises par leur gouvernement et leur armée, et qui pense comme nous qu’il ne peut y avoir de place pour eux dans l’Institut de physique pendant les années qui viennent. » Et voici la position de Marie Curie au sujet du CSI et des savants allemands : « Puisse un avenir meilleur effacer l’oppression et les horreurs du passé. J’admire bien sincèrement M. Solvay qui malgré son âge, ses fatigues et les souffrances éprouvées vous a manifesté son intérêt pour la reprise de l’activité de l’Institut de physique. Je suis tout à fait d’accord avec vous en ce qui concerne l’impossibilité d’y admettre actuellement des savants allemands. Leur attitude au sujet de l’invasion de la Belgique suffirait seule, à mon avis, pour rendre leur présence dans ce pays inadmissible comme invités de M. Solvay. De plus, vous ne trouveriez pas, je pense, de savants français ou anglais disposés à reprendre des relations avec ceux qui, formant l’élite de leur pays, y ont encouragé non un idéal moral humanitaire élevé, mais le pire esprit de réaction brutale. J’estime que le personnel enseignant allemand, et à sa tête les professeurs d’université, est responsable de l’état d’esprit qui en Allemagne a abouti à déchaîner la guerre. Je vous autorise bien volontiers, pour ce qui me concerne, à offrir à la Commission

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administrative la démission du Comité scientifique. Cette solution me paraît entièrement conforme aux circonstances. Il est désirable que la Commission puisse en toute liberté réorganiser le Comité526… » Warburg et Nernst acceptent à leur tour527 l’idée d’une démission collective des membres du CSI. Rutherford leur emboîte le pas. Dans une lettre à Lorentz du 5 mars 1919, il indique qu’il lui est difficile d’envisager pendant un certain temps une réunion avec les collègues allemands : « Si de telles réunions devaient avoir lieu dans un proche avenir, je prévois que peu de physiciens des pays alliés y participeraient. C’est une conséquence malheureuse mais inévitable des événements… » Le 12 mai 1919, Tassel annonce à Lorentz que la Commission administrative de l’IIPS a accepté la démission collective des membres du Comité scientifique. Il rappelle qu’il y a lieu de modifier les statuts de l’Institut, notamment en ce qui concerne la durée du mandat du président (l’activité de l’IIPS a été suspendue pendant les quatre années de guerre : il y a donc lieu de les considérer comme inexistantes). Tassel propose le réemploi des annuités non utilisées, de manière à prolonger la durée de vie de l’Institut au-delà de ce qui avait été prévu, tout en augmentant le montant de l’annuité. Il précise que la rente annuelle de l’IIPS pourrait être portée à 60 000 francs et qu’elle serait payable le 1er juillet de chaque année à partir de 1919 jusqu’en 1948, ce qui restituerait les trente années prévues pour la durée de l’Institut au moment de sa fondation. Pour ce qui est du renouvellement du CSI, il y a lieu de pourvoir au remplacement de deux membres démissionnaires : Nernst et Warburg, qui sont remplacés par le Britannique W. H. Bragg, membre du Conseil de 1913, et le sénateur italien Augusto Righi, spécialiste des ondes électromagnétiques. Mais ces mesures ne s’arrêtent pas là : Goldschmidt, le représentant de la Belgique, est prié de rejoindre le Comité scientifique de l’IICS et de céder sa place au physicien gantois Edmond van Aubel. Ces propositions sont très mal accueillies par l’intéressé : Goldschmidt se plaindra amèrement d’avoir été écarté pour des motifs qui apparaîtront liés à son origine allemande ou à ses travaux avec Nernst. Il protestera auprès de Lorentz528, lui reprochant

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d’avoir fait peu de cas des services rendus à l’IIPS et de ne pas avoir pas tenu compte de ses mérites en tant que physicien (création d’un vaste laboratoire d’ondes électriques ; mise sur pied d’installations de télégraphie sans fil, participation à la Commission internationale de TSF scientifique529).

Publication du compte-rendu de « Solvay II » La réorganisation du CSI étant réglée, il importe de redéfinir l’action de l’IIPS et de publier le compte-rendu du Conseil de 1913. Tassel aborde ce deuxième point dans une lettre530 à Brillouin du 13 juin 1919 : « Vous vous rappellerez peut-être que sur les instances des membres allemands du Conseil de physique il avait été décidé – alors même que cette décision témoignait d’un sentiment peu déférent pour le fondateur – que le texte des comptesrendus serait imprimé en employant simultanément les langues dans lesquelles les différentes communications avaient été faites (…). Nous nous étions occupés sans le moindre enthousiasme de l’impression de ce baroque assemblage multilingue, et aujourd’hui, il nous paraît vraiment impossible de le publier tel quel après les événements qui viennent de s’accomplir. La Commission a donc proposé à Monsieur Lorentz de faire traduire les parties anglaises et allemandes du compte-rendu et de publier l’ensemble en langue française. Il en sera fait ainsi. Dès à présent, M. Verschaffelt s’occupe des traductions (M. Lorentz demandera à M. v. Laue de Zurich l’autorisation nécessaire pour ce qui concerne son rapport)… Nous avons profité de la révision des statuts pour y spécifier que la langue française sera adoptée désormais pour la publication des comptes-rendus des Conseils de physique, ce qui est conforme au désir du fondateur. Il va sans dire que cela n’exclura pas la présentation de rapports rédigés en langue étrangère, ni l’emploi de ces langues dans les discussions (…). Il n’a rien été publié relativement aux fondations de Monsieur Solvay pendant la guerre ; j’ai soigneusement évité pendant l’occupation toute démarche ou manifestation de nature à attirer l’attention du pouvoir occupant sur nos Instituts internationaux de physique et de chimie, car je craignais leur mise sous séquestre… » Conformément aux décisions de la Commission administrative, la publication du compte-rendu du deuxième

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Conseil de physique est confiée à Gauthier-Villars (le volume intitulé La Structure de la matière paraîtra en 1921). En ce qui concerne les nouvelles priorités de l’IIPS, des dispositions sont prises pour qu’elles soient fixées au cours des réunions du nouveau CSI (qui doivent avoir lieu les 30 et 31 mars 1920).

Première réunion du CSI de l’après-guerre531 D’accord avec Tassel, le président Lorentz fait observer que suite à la dépréciation du franc532, et à l’augmentation du coût des instruments, l’IIPS n’est plus en mesure de subsidier des recherches à l’étranger. Cependant, il souhaite se conformer aux vœux du fondateur et propose de constituer une réserve qui permettra de financer certaines recherches d’un intérêt exceptionnel. L’octroi de subsides n’étant plus à l’ordre du jour, la tâche principale de l’IIPS sera désormais l’organisation périodique de Conseils de physique. Ces réunions auront lieu tous les trois ans ; elles comprendront un maximum de vingt-cinq membres (notamment par souci d’économie). Rutherford et Marie Curie se félicitent de cette décision ; ils sont d’avis qu’un petit nombre de participants est une condition essentielle au succès d’un Conseil. La date du prochain Conseil de physique est fixée au début du mois d’avril 1921. Quel sera son thème ? Le président Lorentz indique que deux collègues absents, W. H. Bragg et A. Righi, se sont exprimés par lettre : −− Righi propose une discussion des bases expérimentales de la théorie de la relativité (en réalité, nous savons533 qu’il espère discréditer la théorie d’Einstein.) ; il souhaite la présence de Levi-Civita. −− Bragg n’est pas favorable à une discussion de la théorie de la relativité. Il souhaite un Conseil sur la structure des molécules, atomes et noyaux atomiques, et propose de discuter l’origine du magnétisme.

Une discussion s’engage sur le sujet −− Marie Curie et Brillouin sont d’avis que la théorie de la relativité ne soulève pas de questions pressantes, alors qu’il y a une quantité de problèmes

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ouverts en théorie moléculaire et que leur discussion devrait conduire à des travaux immédiats. Marie Curie soulève également la question de l’application de la théorie des quanta ; elle insiste sur l’existence d’un gouffre entre cette théorie et la logique. −− Lorentz estime qu’une discussion de la relativité peut attendre ; il indique que la seule question à discuter est celle du déplacement des raies spectrales en théorie de la gravitation. −− Kamerlingh Onnes déclare que la relativité est un problème abstrait qui ne peut être traité dans un Conseil de physique. Il propose de consacrer le prochain Conseil au magnétisme, un sujet dont les Allemands ne se sont guère occupés et qui pourrait être discuté en leur absence. −− Rutherford propose de consacrer le Conseil à la théorie des électrons et à leur rôle dans des domaines aussi divers que le magnétisme et le rayonnement. Marie Curie est du même avis ; elle pense que cela ferait un ensemble cohérent. −− Le président Lorentz clôture la discussion dans le sens souhaité par Rutherford et Marie Curie534 : il propose de concentrer le prochain Conseil sur les électrons. Le CSI décide que le Conseil intitulé « Électrons, atomes, radiations » comprendra quatre rapports : 1. Théorie classique des électrons, application à la théorie du rayonnement (émission et absorption), portée et limites de la théorie (Lorentz). 2. a.  Structure de l’atome, charge et constitution du noyau, isotopes (Rutherford) ; b. Intervention de la théorie des quanta, relation d’Einstein (M. de Broglie). 3. Théorie de Bohr des spectres, méthodes permettant de comprendre l’arrangement des électrons dans l’atome (Bohr). 4. a.  Électrons et magnétisme, effets gyroscopiques (Einstein, Richardson, ou de Haas) ; b. Tentatives d’explication du para- et du diamagnétisme aux très basses températures ; supraconducteurs (Kamerlingh Onnes ou Langevin). Le Comité dresse une liste des physiciens à inviter : −− Royaume-Uni : Rutherford, W. H. Bragg, Richardson, Jeans, J. J. Thomson, Barkla, Larmor ;

L’Institut de physique survit à la tempête

−− France : Marie Curie, Brillouin, Langevin, M. de Broglie, Perrin, P. Weiss ; −− Pays-Bas : Kamerlingh Onnes, Lorentz, W. de Haas, P. Zeeman, Ehrenfest ; −− Scandinavie : Bohr, Knudsen, Vegard ou Siegbahn ; −− Italie : Righi ; −− Suisse : Einstein535 ; −− États-Unis : Millikan ; −− Belgique : van Aubel. Maintenus en réserve : Mc. Lennan, Fabry, Cotton, Keesom, L. Brillouin, W. L. Bragg, Barnett, Nagaoka, Henriot. Le président indique qu’il veillera à ce que les rapports soient brefs (1 heure) et à ce qu’ils soient conçus de manière à mettre en lumière la question traitée et les difficultés qu’elle présente. Marie Curie propose qu’après la lecture d’un rapport on accorde un temps à la discussion et un temps à la réflexion ; que l’on résume ensuite l’idée que le Conseil s’est faite de la question et que l’on en tire des conclusions.

Exclusion temporaire des physiciens allemands et autrichiens Le premier conflit mondial aurait pu sonner la fin de l’IIPS. Le danger d’une dissolution était réel, notamment en raison de l’intransigeance de Brillouin. Si ce danger fut écarté, ce fut grâce à la conjonction de trois facteurs : l’attitude modérée et conciliatrice de Lorentz, la compréhension de Solvay et la prudence de Héger. Les heureuses dispositions statutaires de l’Institut firent qu’aucun membre du CSI ne fut formellement exclu. La Commission administrative constata l’expiration de tous les mandats, à l’exception de celui du président. En conséquence, les membres du CSI furent invités à présenter leur démission collective et les Allemands n’eurent pas sujet de se sentir humiliés. Contrairement aux exclusions prononcées par les sections du Conseil international de recherches536 (création des Alliés pour remplacer l’Association internationale des Académies), l’IIPS se garda de fermer définitivement sa porte aux physiciens issus des empires centraux. Cette sagesse permit à l’Institut de survivre à l’effondrement des relations internationales.

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Nous verrons (section 9.3) que l’IIPS décidera en 1926 d’inviter quatre physiciens allemands, de manière à rétablir la mission universelle des Conseils de physique. Si l’Institut se vit contraint de mettre fin à son programme de subsides (dont les Allemands furent les grands bénéficiaires), ce ne fut pas par principe, mais en réponse à une situation concrète : la dévaluation du franc belge !

Chapitre 9 Épilogue : de Solvay III à Solvay V

Nous n’évoquerons pas le premier Conseil de chimie qui eut lieu en avril 1922 (pas plus que les nombreux Conseils de physique et de chimie qui se sont succédé depuis la Grande Guerre jusqu’à nos jours). Cela nous entraînerait beaucoup trop loin. En revanche, il nous a paru légitime de terminer notre récit par un aperçu des trois derniers Conseils présidés par Lorentz. Nous mettons l’accent sur le Conseil de 1927 qui accueillit à nouveau des physiciens allemands et qui marqua l’avènement d’une nouvelle ère : celle de la mécanique des quanta. Ce rappel nous permet de refermer la boucle ouverte à l’occasion du premier Conseil de physique.

9.1. Solvay III : Atomes et électrons, 1-6 avril 1921 Ce Conseil fut programmé le 31 mars 1920. Ses membres furent logés à l’hôtel Britannique, situé place du Trône, à proximité des jardins du Palais royal (le bâtiment existe encore aujourd’hui). Les séances eurent lieu à l’Institut Solvay de physiologie du parc Léopold (Fig. 41). Extrait du compte-rendu537 de la conférence : Président : H. A. Lorentz. Participants : i) Membres du Comité scientifique international : Marie Curie, H. Kamerlingh Onnes, M. Brillouin, E. Rutherford, P. Langevin538, E. van Aubel, M. Knudsen (secrétaire). ii) Membres invités : C. G. Barkla, N. Bohr, L. Brillouin, W. L. Bragg, M. de Broglie, W. J. de Haas, P. Ehrenfest, J. H. Jeans, J. Larmor, A. A. Michelson, R. A. Millikan, J. Perrin, O. W. Richardson, M. Siegbahn, P. Weiss, P. Zeeman.

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Fig. 41 : Membres du 3e Conseil de physique Solvay (1921). Bruxelles, Institut de physiologie Solvay du parc Léopold. S.a.b.ULB. Courtoisie des IIPCS (droits réservés).

Fig. 42 : William Lawrence Bragg en 1921, debout (fond de l’image), cf. fig. 41.

Rapports : 1. La théorie classique des électrons (portée et limite), par H. A. Lorentz. 2. a)  La structure de l’atome (charge et constitution du noyau, isotopes), par E. Rutherford. b) Intervention de la théorie des quanta (la relation d’Einstein dans les phénomènes photoélectriques), par M. de Broglie. 3. Théorie de Bohr des spectres (la distribution des électrons dans l’atome), par N. Bohr.

Épilogue : de Solvay III à Solvay V

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4. a)  Les électrons et le magnétisme (effet gyroscopique), par A. Einstein ou O. W. Richardson. b) Tentative d’explication du para- et du diamagnétisme ; magnétisme aux très basses températures, par. W. de Haas. Quelques exposés complémentaires furent présentés au Conseil, notamment par Kamerlingh Onnes (sur le paramagnétisme aux basses températures), par L. Brillouin (sur la conductibilité des métaux), par Millikan (sur l’absorption du rayonnement par quanta dans les métaux) et par Weiss (sur les actions mutuelles des molécules aimantées). Commentaires : i) Les deux invités les plus attendus, Einstein et Bohr, n’étaient pas présents. Einstein, invité « suisse », se trouva empêché de se rendre à Bruxelles en raison d’un voyage aux ÉtatsUnis539. Cependant, il prit part au Conseil par personne interposée. Il rédigea la partie théorique du rapport de Wander de Haas, le gendre de Lorentz. Bohr était souffrant, épuisé par la fondation de son Institut de physique théorique. Il participa, lui aussi, au Conseil par personne interposée : son rapport fut présenté par Ehrenfest. ii) Le Conseil réunit les représentants d’une nouvelle génération de physiciens, notamment W. L. Bragg (Fig. 42), fils de W. H. Bragg540, et Léon Brillouin (Fig. 43), fils de M. Brillouin. Il accueillit deux géants de la physique américaine : Albert A. Michelson541 (Fig. 44), prix Nobel en 1907 pour ses travaux en optique, et Robert Millikan (Fig. 45), prix Nobel en 1923 pour ses recherches sur l’unité élémentaire d’électricité et sur l’effet photoélectrique.

Fig. 43 : Léon Brillouin en 1921, debout (centre de l’image), cf. fig. 41.

Fig. 44 : Albert A. Michelson en 1921, assis (centre de l’image), cf. fig. 41.

iii) Lindemann espérait assister au Conseil en tant qu’auditeur542 ; il s’était adressé à Lorentz dès le mois de janvier 1921, et avait fait état de ses services de secrétaire des deux Conseils précédents (il savait que le Conseil n’admettait pas d’auditeurs543). Lorentz tint bon. Soucieux de préserver le caractère confidentiel du Conseil, il fit savoir à Lindemann qu’il ne pouvait accéder à sa demande en raison du refus de Brillouin de se trouver en présence « d’un ancien collaborateur de Nernst544 ». iv) Les délibérations du Conseil portèrent sur deux questions fondamentales. L’une avait trait à la matière : elle concernait l’architecture profonde de l’atome (abandon de

Fig. 45 : Robert A. Millikan en 1921, assis (centre de l’image), cf. fig. 41.

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l’atome de Thomson au profit de l’atome de RutherfordBohr). L’autre concernait la nature duale de la lumière : arguments de W. L. Bragg et de Barkla en faveur de la conception ondulatoire classique ; analyse de M. de Broglie (Fig. 46) des rayons X en forme d’épingle, suggestifs d’une structure corpusculaire du rayonnement545. Dans son rapport très remarqué, de Broglie énuméra une série de phénomènes dans lesquels les quanta semblaient intervenir de manière individuelle546 (effet photoélectrique et phénomène inverse). Ses résultats validaient la relation d’Einstein entre l’énergie d’un quantum de lumière et la fréquence du rayonnement547 ; ils apportaient un soutien décisif aux postulats de la théorie de Bohr. Fig. 46 : Maurice de Broglie en 1921, assis (côté droit de l’image), cf. fig. 41.

Fig. 47 : Manne Siegbahn en 1921, debout (centre de l’image), cf. fig. 41.

v) La réunion fut marquée par deux événements : −− Une déclaration de Rutherford prédisant l’existence du neutron (une prévision qui sera confirmée en 1932 par l’un de ses élèves : James Chadwick). −− La réponse apportée à un problème ouvert depuis plus de dix ans. Ce problème relatif aux quanta (ou aux discontinuités) avait été soulevé par M.  Brillouin au cours de la discussion générale548 du Conseil de 1911 : « Il n’est pas très satisfaisant, avait dit Brillouin, d’être réduit à connaître une discontinuité par des phénomènes d’apparence continue, de l’introduire à l’origine d’une théorie pour la noyer ensuite à l’aide de considérations statistiques… Si l’on pouvait imaginer quelque expérience qui fît saisir la discontinuité sur le vif, ce serait bien plus décisif et instructif… » Or, c’est le résultat de telles expériences, réalisées à l’aide de rayons X, que de Broglie présenta au Conseil. Son exposé fit grande impression sur Manne Siegbahn549 (Fig. 47), premier Suédois invité à un Conseil Solvay. Celui-ci fit part de son enthousiasme à son collègue Carl Oseen. Devenu membre du comité Nobel de physique en 1922, Oseen œuvra pour faire accorder un prix à son ami Bohr. En réalité, il fut l’artisan de deux prix : celui de 1921, attribué à Einstein en 1922 « pour avoir établi un lien entre les quanta et l’effet photoélectrique », et celui de 1922, attribué à Bohr « pour avoir découvert le lien entre les quanta et la structure de l’atome » (Oseen eut de la chance : le prix de 1921 n’ayant pas été attribué, il se trouva en position l’année suivante de proposer l’attribution de deux prix550).

Épilogue : de Solvay III à Solvay V

9.2. Solvay IV : Conductibilité électrique des métaux et problèmes connexes, 24-28 avril 1924 Lorentz présida Solvay IV, le premier Conseil organisé après le décès de Solvay. Il adressa au nom de tous les membres un télégramme à Adèle Solvay, veuve d’Ernest. Celle-ci répondit551 le 2 avril 1924 : « C’est pour moi une profonde satisfaction que de voir se continuer par le zèle dévoué du nouveau Conseil de physique l’œuvre de mon mari. C’est avec émotion que je vous adresse à vous et aux membres du Conseil toute l’expression de ma gratitude pour votre télégramme plein de sympathie. » Son fils, Armand Solvay, invita les membres à dîner552 le 28 avril 1924. Certains invités (notamment Marie Curie) furent logés à l’hôtel de la Fondation universitaire, rue d’Egmont (l’hôtel existe encore aujourd’hui). D’autres prirent quartier dans le Grand Hôtel Britannique. Les séances eurent lieu, comme auparavant, à l’Institut de physiologie du parc Léopold (Fig. 48). Extrait du compte-rendu553 de la conférence : Président : H. A. Lorentz. Participants : i) Membres du Comité scientifique international554 : Marie Curie, M. Brillouin, H. Kamerlingh Onnes, W. H. Bragg, E. Rutherford, P. Langevin, E. van Aubel, M. Knudsen (secrétaire). ii) Membres invités : H. Bauer, P. W. Bridgman, L.  Brillouin, W. Broniewski, P. Debije, E. H. Hall, G. de Hevesy, A. Joffé, H. W. Keesom, F. A. Lindemann, O. W. Richardson, W. Rosenhain, E. Schrödinger. Rapports : 1. Application de la théorie des électrons aux propriétés des métaux (Lorentz). 2. Rapport sur les phénomènes de conductibilité dans les métaux, et leur explication théorique (Bridgman). 3. Une théorie de la conductibilité métallique (Richardson). 4. La structure interne des alliages (Rosenhain). 5. Résistance électrique et dilatation des métaux (Broniewski). 6. La conductibilité électrique des cristaux (Joffé). 7. Nouvelles expériences avec les supraconducteurs (Keesom555).

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Fig. 48 : Membres du 4e Conseil de physique Solvay (1924). Bruxelles, Institut de physiologie S.a.b.ULB. Courtoisie des IIPCS (droits réservés).

8. La conductibilité métallique et les effets transversaux du champ magnétique (Hall). 9. Note sur la propagation des impulsions d’un rayonnement (Joffé et Dobronravoff). Commentaires : i) Lorentz avait choisi un sujet qui pouvait être traité en l’absence de chercheurs allemands. Ce fut apparemment au cours d’un séjour aux États-Unis qu’il décida de consacrer Solvay IV à la « conduction électrique dans les métaux ». Lorentz avait effectué une tournée transatlantique de janvier à avril 1922. Il avait fait la connaissance (entre autres) de trois physiciens américains556 – Edwin Hall, découvreur de l’effet qui porte son nom ; Percy Bridgman,

Épilogue : de Solvay III à Solvay V

spécialiste des hautes pressions (prix Nobel en 1946), Arthur H. Compton, célèbre pour avoir découvert un effet confirmant l’existence du photon (prix Nobel en 1927) – et avait rencontré à Toronto le Canadien John MacLennan, premier réalisateur de froids extrêmes (après Kamerlingh Onnes à Leiden). Le voyage lui avait permis de faire des exposés dans onze centres de physique ; il l’avait amené à Pasadena (où il avait fait cours du 5 janvier au 3 mars), puis de Madison à Toronto pour se terminer sur la côte est par une visite de Washington. À Madison, où il avait passé une semaine, Lorentz avait eu l’occasion de participer à un symposium et d’y jouer le rôle qu’il jouait aux Conseils Solvay (présentation d’un exposé, discussion de rapports présentés par des collègues). Deux orateurs étaient des physiciens qu’il allait retrouver plus tard : Compton, qui était sur le point de faire sa célèbre découverte (il serait l’un des invités au Conseil de 1927), et Bridgman, un chercheur attaché à l’université de Harvard. Pendant son séjour à Harvard, Lorentz avait logé chez Hall ; à Toronto, il s’était installé chez MacLennan (invité au Conseil de 1924, ce dernier avait annoncé à la dernière minute qu’il ne viendrait pas). ii) Einstein ne participa pas à Solvay IV. Refusant d’être à nouveau le seul invité allemand, il déclina l’invitation et pria l’IIPS de ne plus l’inviter. En revanche, le Conseil accueillit Erwin Schrödinger (Fig. 49), un physicien autrichien attaché à l’université de Zurich (prix Nobel en 1933), ainsi que George de Hevesy (Fig. 50), un chercheur hongrois travaillant à Copenhague (prix Nobel en 1943 pour ses travaux de pionnier dans l’utilisation des traceurs radioactifs). Il semble que Lorentz ait eu soin d’inviter ces chercheurs pour atténuer l’impression d’un boycott permanent des physiciens originaires des empires centraux. Cependant, leur présence au Conseil est intéressante pour une autre raison : elle illustre le fait que ces réunions accueillaient des chercheurs prometteurs qui n’avaient pas encore obtenu le résultat qui les rendrait célèbres557 (preuve de la perspicacité des membres du CSI). iii) En dépit de l’absence de physiciens allemands, Solvay IV fut un Conseil ouvert sur le monde : il compta parmi ses membres deux physiciens américains (Bridgman et Hall) et un rapporteur russe, ami d’Ehrenfest : Abram Fedorovich Joffé (Fig. 51), considéré aujourd’hui comme le « père » de la physique soviétique558.

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Fig. 49 : Erwin Schrödinger en 1924, debout (centre de l’image), cf. fig. 48.

Fig. 50 : George de Hevesy en 1924, assis (centre de l’image), cf. fig. 48.

Fig. 51 : Abram F. Joffé en 1924, cf. fig. 48.

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iv) Un fait divers semble indiquer que le public avait pris conscience des dangers du radium559 : un journal bruxellois publia une interview de Marie Curie, enregistrée en marge du Conseil. Elle avait été priée de commenter une annonce qui avait fait sensation : la prétendue découverte d’un nouveau rayonnement « invisible et diabolique » !

9.3. Solvay V : Électrons et photons, 24-29 octobre 1927 Le cinquième Conseil de physique fut programmé au début du mois d’avril 1926, au cours d’une réunion du CSI560. Kamerlingh Onnes était décédé le 21 février 1926. Langevin insista pour que son siège fût attribué à Einstein561. Il adhéra à l’idée de Lorentz qu’il était temps d’inviter quelques chercheurs allemands (au vu de leurs résultats en physique des quanta). L’élection d’Einstein comme membre du Comité se fit à l’unanimité des voix. Le CSI décida d’inviter au Conseil trois physiciens allemands. L’acceptation de ces mesures par la Commission administrative se trouva facilitée par les accords de Locarno du 16 octobre 1925 et par la décision allemande de rejoindre la Société des Nations562. Mais la question demeurait sensible, et il fallait obtenir l’approbation du roi. La réunion du CSI ayant été annoncée le 21 mars 1926, le souverain fit savoir qu’il désirait recevoir les membres à déjeuner, et qu’il souhaitait s’entretenir en particulier avec le président Lorentz563. L’audience eut lieu le 2 avril (à 18 heures). Le roi approuva la nomination d’Einstein et exprima l’opinion que « sept ans après la guerre, les sentiments qu’elle avait provoqués devaient bien s’adoucir peu à peu, qu’une meilleure entente entre les peuples était absolument nécessaire pour l’avenir, et que la science devait contribuer à l’amener ». Il fit observer que « vu ce que les Allemands avaient fait en physique, il était difficile de se passer d’eux ».

Propositions du CSI Il fut convenu que le Conseil de 1927 aurait pour thème « La théorie des quanta et les théories classiques du

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rayonnement » et qu’il réunirait (outre les membres du CSI) les physiciens suivants564 : Bohr (Danemark), Kramers et Ehrenfest (Pays-Bas), Fowler, W. L. Bragg et C. T. R. Wilson (Royaume-Uni), L. de Broglie, L. Brillouin565 et H. A. Deslandres (France), A. H. Compton (États-Unis), E. Schrödinger (Autriche566) ; P. Debije (Suisse), Planck et deux physiciens à choisir parmi M. Born, W. Heisenberg et W. Pauli (Allemagne). Suppléants éventuels : pour Bragg : M. de Broglie ou Thibaut ; pour Brillouin : Dirac ; pour Wilson : Kapitza ; pour Deslandres : Fabry ; pour Fowler : Darwin ou Dirac ; pour Compton : Bergen Davis ; pour Schrödinger : Thirring. On fixa une liste de sept rapports : 1. Nouvelles vérifications de la théorie classique du rayonnement (W. L. Bragg). 2. Effet Compton et ses conséquences (Compton ou Debije). 3. Observations sur les photo-électrons et les électrons de choc par la méthode de condensation (Wilson). 4. Interférences et quanta de lumière (L. de Broglie). 5. Note de M. Kramers sur la théorie de Slater (Kramers, s’il juge que c’est utile). 6. Nouvelles déductions de la loi de Planck ; applications de la statistique à la théorie des quanta (Einstein ou Ehrenfest). 7. Adaptation des fondements de la dynamique à la théorie des quanta (Heisenberg ou Schrödinger). Commentaires : En dépit du succès de la théorie de Bohr-Sommerfeld, aucun rapport ne fut prévu pour souligner le rôle des quanta en physique atomique. Le Conseil devait se pencher sur les problèmes de rayonnement et sur les récents résultats en théorie des quanta. Cependant, on peut s’étonner du fait que le nom de Sommerfeld n’apparaît pas sur la liste des invités567, alors que celui de Bohr y figure en première place. En effet, nous savons que Lorentz avait une haute opinion de Sommerfeld568, et qu’il l’avait félicité en novembre 1924 pour ses « nouveaux grands services rendus à la science569 ». Nous savons aussi que Born fut choqué de ne pas voir le nom de Sommerfeld sur la liste des invités et qu’il lui écrivit570 le 15 juin 1926 pour lui faire part de son étonnement.

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Pour comprendre l’attitude du CSI, il faut remonter à l’année 1918, et aux actions de Sommerfeld en Belgique occupée (dont nous avons déjà parlé, section 8.3). Il est clair qu’aux yeux des membres de la Commission administrative, le physicien munichois s’était rendu indésirable… Pouvait-on recevoir à Bruxelles ce professeur qui avait soutenu des activistes flamands et qui n’avait pas craint de faire cours à des militaires allemands dans un lieu qui, de toute apparence, faisait partie d’un Institut Solvay réquisitionné par le pouvoir occupant (l’Institut de sociologie du parc Léopold) ? Remarquons toutefois que l’exclusion de Sommerfeld fut levée en 1930, et qu’il fut invité à prendre part à Solvay VI, un Conseil consacré au magnétisme et qui eut lieu sous la présidence du successeur de Lorentz : Langevin (il semble que ce dernier ait été sensible aux arguments d’Einstein et d’Auguste Piccard, et qu’il proposa d’inviter Sommerfeld).

Préparatifs du Conseil, évolution de la liste des invités571 Revenons au mois d’avril 1927. À peine rentré des ÉtatsUnis, le président Lorentz annonça à Lefébure, secrétaire de la Commission administrative, que tous les invités avaient répondu à l’appel (à l’exception de l’astronome Deslandres) et qu’il allait demander aux rapporteurs de se mettre à l’ouvrage572. Échaudé par les trente-six mois qui s’étaient écoulés entre la tenue de Solvay IV et la parution du compte-rendu (récemment publié chez GauthierVillars), il décida de réagir et déclara à Lefébure : « La méthode que nous avons suivie jusqu’ici paraît ne pas être la bonne. Je propose de rédiger, avec l’aide de Verschaffelt, les discussions dans les deux premiers mois, sans que les notes originales aient été envoyées aux membres (comme nous l’avons fait jusqu’ici) : ils ne recevraient que les épreuves terminées et on leur demanderait de les retourner avant une date fixée. » Cependant, il se vit bientôt confronté à de nouveaux développements : −− Einstein, qui avait été prié d’exposer son travail sur les gaz parfaits (application d’une nouvelle dérivation de la loi de Planck proposée par le physicien

Épilogue : de Solvay III à Solvay V

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Satyendra N. Bose), annonça le 17 juin qu’il ne souhaitait pas présenter de rapport573. −− W. H. Bragg fit savoir le 27 août qu’il ne viendrait pas à Bruxelles et qu’il souhaitait se retirer du CSI. −− Van Aubel, membre belge du Comité, déclara qu’il refusait de prendre part à un Conseil qui devait accueillir des physiciens allemands. Suite à ces défections, Lorentz décida de lancer de nouvelles invitations. S’appuyant sur les conseils d’Ehrenfest574, il adressa ce message à Lefébure (lettre575 du 27 août 1927) : « Depuis l’année passée, la mécanique des quanta, qui sera notre sujet, s’est développée avec une rapidité inattendue, et des physiciens qui d’abord se trouvaient au second rang, ont fait des contributions extrêmement remarquables. C’est pour cela que je serais heureux d’inviter encore M. Dirac (de Cambridge) et M. Pauli (de Copenhague). » L’idée allait s’avérer capitale : les membres du Conseil bénéficièrent de la présence de Born, Heisenberg, Pauli (Fig. 52), et Dirac (Fig. 53) ; ils purent prendre connaissance de toutes les avancées en mécanique des quanta ! Mais Lorentz n’était pas au bout de ses peines. L’invitation de physiciens allemands continua de provoquer des remous. Les membres de la Commission administrative firent savoir qu’ils redoutaient des manifestations576. Lorentz fut obligé de se rendre à Bruxelles pour se concerter avec Lefébure (l’entrevue eut lieu le 17 octobre 1927 ; il fut décidé que le communiqué aux journaux « ne comporterait pas, à l’arrivée, la liste de tous les participants577 »). Le président dut également opposer un refus à la demande de Charles Manneback, un professeur de l’université de Louvain qu’il avait rencontré en septembre à la conférence de Côme578, et qui souhaitait participer au Conseil en tant qu’observateur. Par contre, il accepta d’accueillir trois professeurs de physique de l’Université libre de Bruxelles, Auguste Piccard, Théophile de Donder et Jacques Errera, et déclara à Lefébure579 : « C’eût été choquant pour eux de nous rencontrer à la réception de l’université et au dîner de M. Solvay, et de ne pas être invités à nos séances. De plus, nous avons maintenant avec l’Université libre des relations que nous n’avons pas avec les autres universités du pays… »

Fig. 52 : Max Born, Werner Heisenberg, Wolfgang Pauli en 1927 : Born, 2e rangée (côté droit de l’image), Pauli, 3e rangée (centre de l’image), Heisenberg, 3e rangée (côté droit de l’image) ; cf. fig. 57.

Fig. 53 : Paul Adrien Maurice Dirac en 1927, 2e rangée (centre de l’image), cf. fig. 57.

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Mais Lorentz alla bien plus loin. Son initiative la plus surprenante fut ce télégramme qu’il envoya à Lefébure580 le 19 octobre 1927 : «  Langmuir, excellent physicien américain maintenant à Paris. Puis-je l’inviter au Conseil ? » La demande était singulière : Irving Langmuir (Fig. 54) était un chimiste attaché à la General Electric de Schenectady qui séjournait en Europe pour y prendre des vacances avec sa femme. S’étant fracturé le pied au cours du voyage, il prenait du repos en Italie. C’est là qu’il reçut l’invitation de Lorentz. Sa surprise apparaît dans ces quelques mots adressés à sa mère581 : Fig. 54 : Irving Langmuir en 1927, assis tenant une canne, cf. fig. 57.

« Cette année, le sujet (du Conseil) est la théorie des quanta, un domaine auquel je n’ai nullement contribué. Je ne vois donc pas pourquoi on m’invite. » Une clé permettant de comprendre la démarche de Lorentz nous est fournie par P. Coffey, auteur de l’ouvrage que nous venons de citer (note 581) et spécialiste des faits et gestes de Gilbert N. Lewis et d’Irving Langmuir. Voici ce qu’il écrit582 (traduit en français) : « Léon Brillouin, un physicien français invité à la conférence, avait été en contact avec Willis Whitney, le patron de Langmuir, afin d’obtenir un contrat de consultant à la General Electric. Whitney lui avait conseillé de se mettre en rapport avec Langmuir et de profiter de la présence de ce dernier en Europe. N’ayant pas réussi à rencontrer Langmuir à la conférence de Côme, Brillouin fit en sorte que Langmuir soit invité au Conseil Solvay. Il laissa entendre à Lorentz que Langmuir se trouverait à Bruxelles au moment du Conseil et lui demanda de l’inviter. Langmuir sauta sur l’occasion, assista à la réunion et envoya ce message à Whitney : “J’avais prévu de quitter Cortina le 23 octobre et de me rendre à Eindhoven (apparemment pour visiter le Philips Research Laboratory), mais le 19 octobre, je reçus un télégramme de Lorentz m’invitant à participer aux discussions du Conseil Solvay qui devaient porter sur la théorie des quanta. Brillouin avait suggéré à Lorentz de m’inviter. J’avais entendu parler du Conseil Solvay à Côme en septembre, et m’étais adressé à Lorentz pour en savoir plus, mais il me fut répondu que seuls étaient admis au Conseil les membres invités, ceux-ci étant choisis parmi les vingt-cinq chercheurs les plus actifs en théorie des quanta. C’est dire à quel point je fus surpris de recevoir une invitation…” »

Épilogue : de Solvay III à Solvay V

Reste une question : pourquoi Lorentz accéda-t-il à la demande de Brillouin (en dépit de la règle selon laquelle on n’admettait pas d’auditeurs aux Conseils) ? On serait tenté de chercher la réponse dans le récent voyage de Lorentz aux États-Unis. Il se peut, en effet, qu’il ait été frappé par certains travaux de Langmuir et par ses relations avec des physiciens de premier plan (nous savons que Langmuir et sa femme poursuivirent leur tour d’Europe après le Conseil583, qu’ils se rendirent à Copenhague, où ils logèrent chez les Bohr, qu’ils séjournèrent en Hollande et qu’ils y rendirent visite à Lorentz584). D’autre part, nous ne pouvons ignorer le qualificatif utilisé par Lorentz dans son télégramme à Lefébure : « Langmuir, excellent physicien américain… » Un point semble confirmer cette appréciation : Langmuir n’eut aucun mal à saisir l’importance des dernières avancées en théorie des quanta, qu’il résuma avec clarté dans sa description585 du Conseil : « Succession de séances éprouvantes (pendant le jour dans un auditoire, et chaque soir à l’hôtel où nous étions tous logés, souvent jusqu’à 1 h du matin), consacrées à la discussion de la théorie des quanta. La mécanique ondulatoire apparaît aujourd’hui comme un mode universel d’expression. Pour la première fois, la théorie des quanta est formulée sous une forme apparemment complète, au point que les désaccords entre la théorie ondulatoire classique et les phénomènes quantiques (c’est-à-dire la théorie du photon) semblent s’estomper… » Cependant, il importe de rapporter un fait qui explique, à lui seul, l’attitude réceptive de Lorentz à l’égard de la demande de Brillouin. Ce fait est lié à un événement qui mérite d’être rappelé pour plusieurs raisons, notamment pour sa signification par rapport aux délicates relations franco-allemandes.

Le centenaire d’Augustin Fresnel Lorentz avait appris le 12 septembre qu’une célébration du centenaire de la mort d’Augustin Fresnel, père de la théorie ondulatoire de la lumière, devait avoir lieu en Sorbonne le 27 octobre 1927 (date choisie par le président de la République). La Société française de physique, organisatrice de l’événement, souhaitait inviter les membres du Conseil ; elle

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Fig. 55 : Pieter Zeeman en 1921, assis (côté gauche de l’image), cf. fig. 41.

Fig. 56 : Louis de Broglie en 1927, assis (centre de l’image), cf. fig. 57.

comptait sur une allocution de Lorentz, et sur des conférences de Zeeman (Fig. 55) et de Louis de Broglie (Fig. 56). La nouvelle était embarrassante, car la célébration tombait au milieu de la réunion de Bruxelles et il était à prévoir que certains membres voudraient assister à la cérémonie. Heureusement, Lorentz trouva la parade : il eut l’idée de suspendre les séances du Conseil prévues l’après-midi du 27 octobre et le matin du 28 octobre, de reprendre les débats l’après-midi du 28 octobre et de les prolonger le matin du samedi 29 octobre. Le 10 octobre, il demanda à Léon Brillouin de lui rendre service. Il le pria de téléphoner à Langevin pour prendre son avis et d’avertir, en cas d’accord, la Société française de physique pour qu’elle envoie des invitations aux membres du Conseil586. Langevin approuva la mesure. Lorentz reçut dès le lendemain une réponse positive du président Louis Lumière587. Une liste des membres du Conseil désireux de se rendre à Paris fut adressée au secrétaire Jean Thibaud : elle comprenait les noms de Lorentz, Bohr, Langevin, Einstein, Richardson, Born, Kramers, Guye, Compton, Heisenberg, Fowler, Wilson, Pauli, de Broglie, Debije, Bragg, de Donder et Verschaffelt. Un détail est révélateur de la générosité de la famille Solvay : les frais de voyage à Paris furent couverts par Adèle Solvay (qui demanda à Lefébure de n’en rien dire et de laisser entendre que les dépenses avaient été payées par l’Institut588). La présence à la Sorbonne de physiciens allemands eut valeur de symbole : ce fut une « première » après la Grande Guerre, même si ces scientifiques s’y trouvaient à titre privé (Thibaut avait signalé à Brillouin qu’il avait invité les Sociétés allemandes, mais qu’il n’avait reçu aucune réponse589). Langevin eut à cœur de rappeler l’événement dans le discours590 qu’il prononça trois mois plus tard aux obsèques de Lorentz : « Ce fut, déclara-t-il, votre dernière visite à Paris… mais particulièrement précieuse puisque vous aviez eu la touchante pensée d’amener avec vous les membres du cinquième Conseil Solvay, premier acte depuis la guerre et heureux présage de la reprise véritable et tant désirée d’une collaboration internationale de tous les physiciens. » Revenant à Langmuir, on peut dire que sa présence au Conseil de 1927 fut heureuse. En effet, cet Américain

Épilogue : de Solvay III à Solvay V

possédait une caméra et s’en servit pour réaliser un document exceptionnel : un court reportage filmé dans lequel on voit les pères de la théorie des quanta déambulant sur la Grand-Place de Bruxelles591 : Bohr, Einstein, Ehrenfest, L. de Broglie, Schrödinger, H. A. Kramers, Born, Pauli, Heisenberg, Dirac et Debije !

Spécificité du Conseil Le journal Le Soir du 23 octobre 1927 publia cette note de Lorentz sur les enjeux de la réunion : « Le sujet dont s’occupe le Conseil actuel se rattache de près à celui d’il y a seize ans. M. Planck avait introduit la notion des discontinuités et des transitions brusques dans le mouvement des atomes et des électrons, et il s’agissait en 1911 de se rendre compte du rôle que ces discontinuités jouent dans les différents phénomènes et d’examiner les lois fondamentales qui les régissent. Cette première exploration d’un nouveau et vaste terrain, dont les années qui se sont écoulées depuis ont révélé toutes les richesses, faisait déjà entrevoir la nécessité qu’il y aurait à remanier les bases mêmes de la mécanique, de manière à faire apparaître les discontinuités en question (dont la grandeur est maintenant désignée sous le nom de “quanta”) non pas comme quelque chose d’additionnel, mais comme un élément fondamental et essentiel. Dans la réunion de cette année, les discussions porteront précisément sur les tentatives qui ont été faites dans ces dernières années pour développer ce qu’on peut appeler la “mécanique des quanta” et auxquelles MM. de Broglie, Heisenberg, Born, Schrödinger, Dirac et d’autres592 ont pris part. Les travaux de ces physiciens constituent encore un ensemble d’un aspect plus au moins disparate, car, malgré l’unité qui existe au fond, il reste de grandes divergences. Aussi le “choc des opinions”, dont on peut attendre un rapprochement vers la vérité, ne fera pas défaut. C’est bien dans de telles circonstances que la méthode “Solvay” est particulièrement applicable et qu’elle peut conduire à éclairer les idées et accélérer le progrès… » Lorentz ne croyait pas si bien dire. Solvay V intervint à un moment-clé dans le développement de la théorie des quanta. De nombreuses avancées avaient été réalisées au cours des derniers mois, apportant la garantie de discussions passionnées. Comme l’écrivait Lorentz, on pouvait

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s’attendre à l’émergence de nouvelles conceptions, susceptibles d’apporter des réponses aux questions qui hantaient les chercheurs depuis plus de quinze ans. Les séances du Conseil eurent lieu à l’Institut de physiologie du parc Léopold (Fig. 57). Voici un extrait du compte-rendu593 : Président : H. A. Lorentz. Membres : Mme Curie, N. Bohr, M. Born, W. L. Bragg, L. Brillouin, A.-H. Compton, L. de Broglie, P. Debije, P. A. M. Dirac, P. Ehrenfest, A. Einstein, R. H. Fowler, Ch.-E. Guye, W. Heisenberg, M. Knudsen, H. A. Kramers, P. Langevin, W. Pauli, M. Planck, O.-W. Richardson, C. T. R. Wilson (Schrödinger a été oublié).

Fig. 57 : Membres du 5e Conseil de physique Solvay (1927). Bruxelles, Institut de physiologie du parc Léopold. S.a.b.ULB. Courtoisie des IIPCS (droits réservés).

Épilogue : de Solvay III à Solvay V

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Secrétaire : J.-É. Verschaffelt. Rapports : 1. L’intensité de réflexion des rayons X, par W. L. Bragg. 2. Discordance entre l’expérience et la théorie électromagnétique du rayonnement, par A. H. Compton. 3. La nouvelle dynamique des quanta, par L. de Broglie. 4. La mécanique des quanta, par M. Born et W. Heisenberg. 5. La mécanique des ondes, par E. Schrödinger. Commentaires : i) Le compte-rendu fait état d’un sixième rapport : « Le postulat des quanta et le nouveau développement de l’atomistique  », par N. Bohr (Fig. 58). Or nous savons que Bohr n’avait pas été invité à présenter un rapport. L’IIPS décida néanmoins d’inclure sous forme de rapport la contribution de Bohr à la conférence de Côme (distorsion des faits qui rappelle l’ajout d’un rapport « Kamerlingh Onnes » dans le compte-rendu du Conseil de 1911). ii) Solvay V fut marqué par un contraste : réconciliation de physiciens séparés par la guerre – affrontement entre représentants d’une nouvelle génération (Pauli, Heisenberg, Dirac) et certains membres plus anciens (Lorentz, Einstein, Schrödinger). Sur le plan scientifique, ce fut le Conseil de la « complémentarité », un principe généralisant le principe d’indétermination de Heisenberg, énoncé par Bohr pour résoudre le paradoxe onde-particule594. Ce principe s’appuyait sur des faits d’expérience : l’effet Compton595 et les récents résultats de Davisson et Germer qui établissaient l’existence des ondes de matière, prédites par Louis de Broglie et confirmées par l’analyse de Walter Elsasser596. Après avoir entendu les éléments en faveur de l’optique classique, rapportés par Bragg, le Conseil prit connaissance des arguments de Compton (Fig. 59) en faveur des photons. Ce fut pour Lorentz l’occasion de prononcer un ultime plaidoyer en faveur de l’éther : il fit observer que ce concept ne contredisait en rien les prédictions de la théorie de la relativité, et qu’il n’empêchait nullement l’existence de photons. Le Conseil examina trois propositions pour une théorie des quanta : la théorie de l’onde-pilote de L. de Broglie, la mécanique ondulatoire de Schrödinger, la mécanique matricielle de Born-Heisenberg (reformulée par Dirac). Il reconnut l’équivalence des deux dernières

Fig. 58 : Niels Bohr en 1927, assis (centre de l’image), cf. fig. 57.

Fig. 59 : Arthur Holly Compton en 1927, assis (derrière Einstein), cf. fig. 57.

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propositions, marquant ainsi la naissance d’une « mécanique des quanta ». iii) À la différence de la conférence de Côme (qui s’était tenue peu de temps auparavant), le Conseil bénéficia de la présence d’Einstein. Tout le monde attendait sa réaction à une mécanique qui, selon l’expression de Heisenberg « était fondée sur un formalisme mathématique qui rendait impossible une description simultanée et parfaitement précise de la position et de la vitesse d’un électron597 ». Mais Einstein resta fort discret ; il n’intervint qu’une seule fois (il analysa une expérience de pensée, dont il conclut que la mécanique des quanta ne pouvait pas être considérée comme une théorie complète).

Le débat Bohr-Einstein On a coutume de citer un fait dont on ne trouve aucune trace dans le compte-rendu de la réunion598 : le débat Bohr-Einstein au sujet du statut de la théorie des quanta et des relations d’indétermination de Heisenberg. Il est clair que des discussions animées eurent lieu entre Bohr et Einstein en marge du Conseil (le matin, au petit-déjeuner, ou le soir à l’hôtel). C’est bien ce qui ressort de plusieurs témoignages599 (notamment d’Ehrenfest et de Bohr, qui font état du malaise d’Einstein devant un abandon définitif de toute description causale des phénomènes microscopiques dans l’espace et le temps). Bohr rendra compte plus tard600 des discussions qu’il avait eues avec Einstein (en présence et sous l’influence d’Ehrenfest). Il précisera l’objet de leur débat au Conseil de 1927 : « Fallait-il considérer que la description fournie par la mécanique quantique épuisait toutes les possibilités de rendre compte des phénomènes observables, ou devait-on, comme le soutenait Einstein, pousser l’analyse plus loin de manière à obtenir une description plus complète de ces phénomènes ? » Bohr rappellera que sa confrontation avec Einstein se poursuivit en 1930 (Solvay VI) et qu’elle prit alors un tour dramatique (ce fut en marge de ce Conseil qu’il trouva, après une nuit agitée, la faille dans le scénario imaginé par Einstein pour mettre en défaut le principe d’indétermination601). Conscient de l’importance des discussions « Solvay », il soulignera leur influence sur l’évolution de

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sa pensée et reconnaîtra que son débat avec Einstein lui permit de saisir la signification et la portée du principe de complémentarité.

Rencontres imprévues d’Einstein Ce fut à l’occasion du Conseil de 1927 que Georges Lemaître fit la connaissance d’Einstein. Voici le souvenir que le « père du Big Bang » garda de l’événement : « J’ai rencontré Einstein pour la première fois il y a vingtneuf ans. Il était venu à Bruxelles assister au Congrès Solvay de 1927. En se promenant dans les allées du parc Léopold, il me parla d’un article, peu remarqué, que j’avais écrit l’année précédente sur l’expansion de l’univers, et qu’un ami lui avait fait lire. Après quelques remarques techniques favorables, il conclut en disant que du point physique cela lui paraissait tout à fait abominable. Comme je cherchais à prolonger la conversation, Auguste Piccard, qui l’accompagnait, m’invita à monter en taxi avec Einstein qui devait visiter son laboratoire à l’université de Bruxelles. Dans le taxi, je parlai des vitesses des nébuleuses et j’eus l’impression qu’Einstein n’était guère au courant des faits astronomiques. À l’université, tout se passa en allemand et j’eus la surprise de m’entendre présenter “Herr Lemaître” ; j’admirai l’interféromètre qui venait de faire une ascension en ballon et signai, après Einstein, le livre d’or de l’université602… » Le 28 octobre, Einstein envoya une lettre à son oncle Caesar Koch, domicilié à Liège, pour l’avertir qu’il lui rendrait visite le lendemain. Il demanda à son oncle de ne pas l’attendre à la gare, car il ne savait pas à quelle heure le Conseil prendrait fin603. En effet, les délibérations se prolongèrent jusqu’à 5 h de l’après-midi. Einstein avait été prié, avec sept autres membres du Conseil, de se rendre au Palais royal pour y déjeuner avec le roi et la reine. Seul Allemand invité à ce déjeuner, il fut placé à la droite de la reine Élisabeth. Ce premier contact fut décisif : une aimable complicité s’installa tout de suite entre ces êtres d’exception, originaires du Sud de l’Allemagne. La rencontre de 1927 fut le début d’une amitié qui perdura jusqu’au décès d’Einstein.

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9.4. Réflexions finales Avant de refermer ce volet consacré aux derniers Conseils Solvay présidés par Lorentz, il y a lieu de souligner une nouvelle fois que l’IIPS eut le privilège inouï de survivre au premier conflit mondial, grâce aux efforts de son directeur scientifique et à l’attitude conciliante de son fondateur. Solvay V eut ainsi la chance d’accueillir des chercheurs allemands et autrichiens au moment où ceux-ci étonnaient le monde par la puissance et la nouveauté de leurs résultats (principe d’exclusion de Pauli, relations d’indétermination de Heisenberg, mécanique matricielle de Born-Heisenberg, mécanique ondulatoire de Schrödinger). Heisenberg rendit hommage à Lorentz en soulignant le rôle décisif604 des débats de 1927 : « Si on raconte le développement de la théorie des quanta, on doit souligner tout spécialement les discussions qui eurent lieu au Conseil Solvay de Bruxelles en 1927, sous la direction de Lorentz. En permettant aux représentants d’approches différentes d’échanger sur le vif, cette conférence contribua de façon extraordinaire à la clarification des fondements physiques de la théorie des quanta ; on peut même dire qu’elle constitua, en quelque sorte, sa complétion. » Rappelons qu’à l’origine de ce succès (et des succès des Conseils suivants, présidés par d’autres personnalités éminentes, telles que Paul Langevin, Sir Lawrence Bragg, Robert Oppenheimer et Edoardo Amaldi), il y eut la volonté passionnée d’un homme, qui eut la chance (ou l’intuition) de se mobiliser au moment où la physique se trouvait confrontée au plus grand défi de son histoire. Il est remarquable, en effet, que Solvay ait repris ses travaux en 1910, qu’il ait répondu immédiatement à l’appel de Nernst et qu’il ait pu compter en 1912 sur le concours de Lorentz. Tout aussi remarquable est l’existence chez Solvay d’un élément-moteur : son désir de valider par de nouvelles expériences sa théorie « gravitomatérialitique » de l’Univers. Cependant, il y a un point qui mérite d’être rappelé. À partir de mai 1912, Solvay se trouva en position de soumettre ses vues aux membres du CSI et de faire appel à

Épilogue : de Solvay III à Solvay V

leurs conseils. Au vu de cette situation, il y a une question qu’on est en droit de se poser : « Pourquoi les membres du CSI, spécialement proches de Solvay (on pense à Lorentz, à Marie Curie, à Kamerlingh Onnes…), ne tentèrent-ils pas de l’éclairer en lui faisant part de leurs réserves à l’égard de ses théories ? » Disons tout de suite qu’il eut fallu pour cela que Solvay les consultât sur le bien-fondé de son approche. Or nous savons qu’il n’en fit rien. Comme nous l’avons déjà noté, Solvay voulait maintenir une « cloison » entre ses travaux et l’action de l’IIPS, reproduisant ainsi la stricte séparation qu’il avait établie entre les deux Instituts de physiologie du parc Léopold (d’un côté un Institut dirigé par l’université dans lequel il n’avait rien à voir ni à dire, de l’autre un Institut personnel dans lequel l’université n’avait rien à voir ni à dire). Souvenons-nous du commentaire de Sommerfeld dans la lettre envoyée à sa femme du 31 octobre 1911 : « M. Solvay nous a fait part de ses découvertes avec beaucoup de tact, mais en veillant à couper court à toute discussion sur le sujet… » En revanche, nous avons vu que Solvay n’hésita pas à s’adresser à Marie Curie pour lui faire part de ses vues sur l’origine des phénomènes radioactifs. Nous savons aussi qu’il rendit quatre fois visite à Kamerlingh Onnes et qu’il eut avec lui des échanges réguliers605. Les deux hommes entretenaient des liens d’amitié, comme en témoigne ce passage d’un article de Kamerlingh Onnes, publié après le décès de Solvay606 : « Comme beaucoup d’autres qui se sont consacrés à la science, j’ai eu le privilège d’être un ami de Solvay. Au départ, nos échanges portaient sur les expériences d’expansion menées par Solvay pour refroidir l’air jusqu’à une température de − 95 °C. Ce résultat, très remarquable à l’époque, fut le sujet d’une de mes publications. Pour Solvay, c’était toujours une grande satisfaction de voir que la science, dans son développement régulier, conduisait à des résultats, ou du moins à des idées, conformes aux conclusions qu’il avait obtenues à partir de raisonnements personnels. On peut dire qu’il existait sur ce point un “parallélisme” entre ses travaux et les miens. Ce fut le cas, bien plus tard, pour la supraconductivité, un phénomène dont il avait entrevu la possibilité. Mais notre véritable lien était cette expérience

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commune qui rapproche le technicien de l’expérimentateur. Que Solvay ait ressenti cela m’apparut clairement à l’occasion de ses visites au laboratoire de cryogénie. Les échecs que je rencontrais dans l’expérimentation évoquaient chez lui l’heureux souvenir des obstacles nettement plus redoutables, qui s’étaient dressés sur sa route et qu’il avait surmontés… » Remarquons que l’hommage de ce grand expérimentateur (prix Nobel de physique en 1913) ne nous apprend rien sur d’éventuelles réserves qu’il aurait formulées au sujet des conceptions très personnelles de Solvay. Par contre, nous pouvons nous appuyer sur le témoignage d’un théoricien. Voici ce que Lorentz confiait à Charles Lefébure dans une lettre confidentielle du 29 septembre 1922 : « On me dira peut-être, pourquoi n’avez-vous pas soumis à M. Solvay, de son vivant, les doutes que ses spéculations soulevaient chez vous ? À cela, je dois répondre qu’il savait parfaitement que ses vues ne s’accordaient pas avec celles de la majorité des physiciens et que, plus d’une fois, je lui ai dit expressément que nous suivions des routes très différentes. Mais nous n’avons pas eu de discussion sur les détails. M. Solvay me semblait ne pas la désirer, et il m’a semblé difficile, et même inutile, de l’entamer de mon côté. Inutile parce que j’avais l’impression que ses convictions étaient inébranlables. Il est très remarquable, et on y voit sa grandeur d’âme, que malgré ses convictions, son “entêtement” comme il l’appelait souvent, il ait tant fait, par la création de l’Institut de physique et d’autres manières, pour encourager les recherches des physiciens et qu’il leur ait laissé une si complète liberté… » Nous savons que le président du CSI faisait déjà part de ces considérations dans un document qui servit de brouillon à sa lettre à Lefébure607, et dans lequel il annonçait son intention de publier avec Herzen une note posthume sur les idées et les travaux de Solvay. Vivement ému par la disparition de l’industriel-investigateur, Lorentz accepta de répondre aux interrogations de ses proches qui se demandaient s’il fallait publier son Essai sur la synthèse fondamentale de l’Univers et ses Mémoires déposés sous pli cacheté à l’Académie royale de Belgique. Ayant pris connaissance de ces documents, il répondit à Lefébure que leur publication n’ajouterait rien à la gloire et aux droits à la reconnaissance universelle que Solvay avait acquis par ses actions et ses travaux en chimie. Cherchant à exprimer son affection pour le fondateur de l’IIPS, il agrémenta sa réponse de cette touchante

Épilogue : de Solvay III à Solvay V

déclaration : « Je puis vous dire que si M. Solvay avait été mon père, je laisserais tomber dans l’oubli ses spéculations. » En revanche, Lorentz décida – nous l’avons vu (section 1.3, note de bas de page 51) – de publier avec Herzen une note dans les Comptes-rendus de l’Académie des Sciences de Paris sur «  Les rapports de l’énergie et de la masse, d’après Ernest Solvay ». Aux attentions de ce géant qui permit à Solvay de contribuer durablement au développement de la physique et de la chimie, nous croyons devoir ajouter ces quelques lignes de Kamerlingh Onnes, un autre physicien hors pair qui s’empressa de rendre hommage à l’ami disparu608 : « Quand des chercheurs du laboratoire lui apportaient leur aide pour la réalisation d’une expérience, il tirait autant de satisfaction des contacts qu’il avait avec eux, que de l’obtention des résultats escomptés. Ces contacts lui apportaient chaque fois l’agréable confirmation que la poursuite de ses expériences sur le mouvement des masses d’air le conduirait au but qu’il s’était fixé. Après avoir indiqué qu’il avait parcouru une fois de plus une partie du chemin, sans atteindre son objectif, il déclarait, comme l’aurait fait un chercheur scientifique : “Je continue.” C’est ainsi qu’il exprimait sa foi inébranlable en l’efficacité d’une recherche menée avec méthode et persévérance. Il avait le sentiment que c’était cela qui lui avait permis d’écrire une page importante de “l’histoire de la chimie au service de l’homme609”. La compréhension de Solvay pour les soucis matériels qui pèsent sur tous ceux qui se livrent à une expérimentation scientifique désintéressée, le conduisit à apporter son soutien chaque fois qu’il en perçut le besoin. C’est avec gratitude que je repense aux importants moyens qu’il mit à disposition du laboratoire de cryogénie de Leiden, pour l’aider dans l’investigation et dans la formation de techniciens chargés de construire les instruments de mesure. Mais Solvay a soutenu beaucoup d’autres chercheurs. “Il serait plus fort que moi, écrivait-il, de ne pas songer à travers une forme d’encouragement au labeur passionné”. Lorsqu’il intervenait, c’était toujours d’une manière discrète et émouvante, qui surprenait par sa cordialité. Tous ceux qui ont bénéficié de ses libéralités se souviendront de son regard, dans lequel brillait la conscience d’avoir fait le bien, et du léger sourire qui ajoutait à ses traits, témoins d’une volonté irréductible et d’une ardeur au travail, le signe révélateur d’une concertation réussie. »

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Fig. 60 : Membres du 1er Conseil de chimie Solvay (1922). Bruxelles, Institut de physiologie du parc Léopold. S.a.b.ULB. Courtoisie des IIPCS (droits réservés). On aperçoit Solvay assis à la première rangée. Ce fut sa dernière apparition. Détail émouvant : son décès survint le 26 mai 1922, un mois – jour pour jour – après le dîner offert aux membres du Conseil.

Annexe 1 Liste des 52 détenteurs d’un prix Nobel de physique ou de chimie qui ont participé à un (ou à plusieurs) Conseil(s) Solvay de 1911 à 1933, ou qui ont bénéficié d’un subside Solvay

Par ordre d’attribution du prix : H. A. Lorentz (1902), P. Zeeman (1902) ; M. Curie (1903), S. Arrhenius (1903) ; Lord Rayleigh (1904) ; J. J. Thomson (1906) ; A. A. Michelson (1907) ; E. Rutherford (1908) ; J. D. van der Waals (1910) ; W. Wien (1911) ; V. Grignard (1912) ; H. Kamerlingh Onnes (1913) ; M. von Laue (1914) ; W. H. Bragg (1915), W. L. Bragg (1915) ; C. G. Barkla (1917) ; M. Planck (1918) ; J. Stark (1919) ; W. Nernst (1920) ; A. Einstein (1921), F. Soddy (1921) ; N. Bohr (1922), F. W. Aston (1922) ; K. M. Siegbahn (1924) ; J. Franck (1925), G. Hertz (1925) ; J. Perrin (1926) ; A. H. Compton (1927), C. T. R. Wilson (1927), H. Wieland (1927) ; O. Richardson (1928) ; L. de Broglie (1929) ; W. Heisenberg (1932), I. Langmuir (1932) ; P. A. M. Dirac (1933), E. Schrödinger (1933) ; J. Chadwick (1935), F. Joliot-Curie (1935), I. Curie (1935) ; W. Debije (1936) ; E. Fermi (1938), R. Kuhn (1938) ; E. Lawrence (1939), L. Ruzicka (1939) ; G. de Hevesy (1943) ; W. Pauli (1945) ; P. Bridgman (1946) ; P. Blackett (1948) ; J. D. Cockcroft (1951), E. T. Walton (1951) ; M. Born (1954), W. Bothe (1954). Pour rappel : Sept Conseils de physique et quatre Conseils de chimie ont eu lieu avant la Deuxième Guerre mondiale.

Annexe 2 Sources relatives aux travaux d’Ernest Solvay

Nous nous sommes appuyés dans ce qui précède sur des ouvrages non diffusés ou partiellement diffusés. A. Source non diffusée, citée dans les notes 16, 22, 45, 48, 137, 143, 153, 166, 345, 497, 500, 507 et 613. Il s’agit de notes dactylographiées rédigées par Ernest Solvay de 1910 à 1921. Ces notes font partie d’un « registre journalier » qui n’a pas vocation à être publié. Solvay y fait le point sur l’état d’avancement de ses investigations et cherche à éclairer ses collaborateurs sur ce qu’il attend d’eux. Les notes auxquelles nous nous référons sont celles qui se rapportent à la période 1910-1914. Elles font partie des Archives de la Société chimique de Belgique, déposées à l’Université libre de Bruxelles, sous les numéros d’inventaire 16 et 17-22. B. Sources partiellement diffusées i) Notes sur les travaux poursuivis par Ernest Solvay de 1857 à 1914, Bruxelles, Imprimerie G. Bothy, 1920. Ce recueil anonyme a été imprimé de manière privée en une cinquantaine d’exemplaires. L’auteur (de toute évidence Émile Tassel) a eu soin d’indiquer qu’il n’était pas destiné à être livré au public. Il est néanmoins cité par Louis D’Or et AnneMarie Wirtz-Cordier dans Ernest Solvay, Académie royale de Belgique, mémoires de la Classe des sciences, 2e série, T. XLIV, Fascicule 2, 1981, 96 ; par Isabelle Stengers dans Ernest Solvay et son temps, édit. A. Despy-Meyer et D. Devriese, Archives de l’Université libre de Bruxelles, 1997, 165, et par Kenneth Bertrams, Nicolas Coupain et Ernst Homburg dans Solvay: History of a Multinational Family Firm, Cambridge, 2013, 580. Cette source, dont un exemplaire fait partie de la collection H. A. Lorentz, conservée au musée Teyler de Haarlem, est citée dans les notes 20, 31, 49 et 54. ii) E. Solvay, Gravitique. De la gravité astronomique de la matière et de ses rapports d’équivalence avec l’énergie. Ce travail terminé en 1887 avec l’aide de Tassel a été imprimé en 1895 et réservé dans les archives. Il a été repris dans un recueil intitulé Notes, lettres et discours d’Ernest Solvay, vol. 1, Gravitique et Physiologie, Bruxelles, Lamertin, 1929. Quelques exemplaires ont été distribués, d’autres sont conservés au siège du Groupe Solvay. Cette source est citée dans les notes 46, 59 et 252. iii) E. Solvay, Sur l’établissement des principes fondamentaux de la gravito-matérialitique. Cette étude de 109 pages fut imprimée en octobre 1911 chez G. Bothy. Elle comprend

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quatre parties : I. Gravitique (suite de l’ouvrage précédent) ; II. Self-Gravitique ; III. GravitoMatérialitique ; IV. Matérialitique. Le volume a été distribué aux membres du premier Conseil de physique. Un exemplaire peut être consulté à la bibliothèque de l’Université libre de Bruxelles. Cette source est citée dans les notes 21 et 193. Peuvent être consultés à la Fondation Teyler de Haarlem : 1. E. Solvay, Sur l’établissement des principes fondamentaux de la gravito-matérialitique, Bruxelles 1911. 2. E. Solvay, Gravitique. De la gravité astronomique de la matière et de ses rapports d’équivalence avec l’énergie, Bruxelles, 1895. 3. Anonyme, Notes sur les travaux poursuivis par Ernest Solvay de 1857 à 1914, Bruxelles, 1920.

Annexe 3 Le programme « gravito-matérialitique » de Solvay

Remarques préliminaires : 1. Nous avons indiqué que Solvay est d’avis que la physiologie et la sociologie (une discipline très récente à l’époque) sont gouvernées par les lois de la physique et de la chimie. En réalité, l’idée directrice qui sous-tend son programme a été défendue par plusieurs auteurs. Condorcet, l’éminent représentant des Lumières, entendait déjà appliquer les sciences exactes aux sciences nouvelles610, celles « dont l’objet est l’homme même ». Cette idée fut reprise par le biologiste et philosophe Ernst Haeckel (dont le portrait figure au Tableau de chevet d’Ernest Solvay611). Voici ce qu’il écrit dans son ouvrage de 1899 Die Welträthsel (traduit en français sous le titre Les Énigmes de l’Univers), chap. XX : « La grande loi abstraite de causalité mécanique… gouverne à présent l’univers tout entier, comme il gouverne le cerveau de l’homme. » 2. Quand Solvay parle du « positif », il se réfère à une physique généralisée qui gouverne l’Univers et qui devrait, selon lui, s’appliquer à tous les domaines de l’activité humaine. C’est dans ce sens qu’il considère que le champ scientifique est « illimité ». 3. Solvay utilise des termes qui n’appartiennent qu’à lui (une habitude qui fait que ses raisonnements sont difficiles à suivre). Éléments de comparaison Nous pouvons tenter de situer l’approche « gravito-matérialitique » de Solvay par rapport aux courants dominants de l’époque. Soulignons en premier lieu le rôle prépondérant qu’il attribue à l’énergie. Cette caractéristique place son projet dans le sillage d’un courant connu sous le nom d’énergétique. Au rang des défenseurs de cette doctrine, on compte de grands maîtres, tels que Georg Helm, Wilhelm Ostwald et Ernst Mach. Pour toute une école de scientifiques, l’énergie – dont la conservation a été érigée en principe quand Solvay avait vingt ans – n’est pas une conception abstraite. Elle a une existence objective, aussi fondamentale que celle de la matière. Les énergéticiens ont adopté le principe de Helm, selon lequel tout phénomène se réduit, en dernière analyse, à des transformations d’énergie. Si Solvay adhère à ce principe, et s’il souhaite avec Helm612 l’émergence d’une physique « objective », dont certains éléments d’ordre métaphysique, tels que matière et mouvement, ont été supprimés, il ne suit pas Ostwald et Mach dans leur rejet inconditionnel de l’hypothèse atomique. Mais ses conceptions relatives à l’atome (il admet que l’atome « d’éther » est cubique, invariable et universel, la molécule seule étant variable

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Vous avez dit : sabbat de sorcières ?

en volume et en forme613) ne sont pas celles des pionniers de l’atomisme moderne. Voici ce qu’il déclare614 en 1907 en réaction à l’annonce du décès de Marcellin Berthelot, grand adversaire de l’atomisme : « J’étais avec lui dans la résistance qu’il manifesta au mouvement atomique moderne, qui avait sa raison d’être, mais qui ne demeurera pas, à mon sens, comme la dernière expression de la réalité. » Cependant, nous disposons d’éléments qui indiquent que les idées de Solvay évoluent dans le temps et qu’il demeure ouvert à l’atomistique (voir sa lettre d’invitation au Conseil dans laquelle il reprend cette déclaration de Nernst : « Un grand pas dans la voie du développement de l’atomistique serait déjà fait si l’on pouvait établir clairement lesquelles de nos interprétations moléculaires et cinétiques sont d’accord avec les résultats de l’observation et lesquelles devront au contraire subir une transformation intégrale. »). Dans sa note du 15 septembre 1910 (Archives de la Société chimique de Belgique, source non diffusée), Solvay fonde sa conception de la matière sur des considérations géométriques relatives à l’éther. D’après Hertz et Kelvin615, ce milieu hypothétique devrait permettre de comprendre les propriétés essentielles de la matière : sa gravité et son inertie. En France, Poincaré est l’un de ceux qui s’interrogent sur la nature de l’éther616 : « Qu’est-ce que l’éther, comment sont disposées ses molécules, s’attirent-elles ou se repoussentelles ? Nous n’en savons rien ; mais nous savons que ce milieu transmet à la fois les perturbations optiques et les perturbations électriques. » Au Royaume-Uni, le physicien Karl Pearson617 a des vues très précises sur le sujet : « L’atome d’éther, dit Pearson, doit être vu comme l’élément premier de l’Univers, l’atome chimique étant formé à partir de ces éléments fondamentaux, réunis en anneaux… » On voit donc que Solvay est en bonne compagnie lorsqu’il se livre à des spéculations sur la structure géométrique de l’éther et sur le rôle de ses atomes. Ce que l’on sait moins, c’est que les idées de Solvay à propos de l’éther ont suscité l’intérêt de Planck (voir ses commentaires sur l’étude de Solvay « Sur l’établissement des principes fondamentaux de la gravito-matérialitique », section 2.7). Ainsi, l’inventeur des quanta n’hésite pas à faire part de son admiration pour « les façons de voir absolument indépendantes et originales » de Solvay (même s’il émet des critiques à l’égard d’une approche exclusivement fondée sur la gravitation). Influence (présumée) de Poincaré Poincaré se pose des questions sur la validité des principes généralement admis (voir ses livres publiés chez Flammarion). Ses propos semblent avoir trouvé un écho chez Solvay. Ce dernier est frappé, comme Poincaré, par la persistance du mouvement brownien et par l’extraordinaire quantité de chaleur émise par le radium. Il est proche de Poincaré, qui s’écrie dans La Valeur de la science (p. 198) : « Ces principes sur lesquels nous avons tout bâti vont-ils s’écrouler à leur tour ? Depuis quelque temps, on peut se le demander. » On peut même supposer qu’il se trouve conforté dans son rejet du second principe de la thermodynamique par l’opinion de Poincaré, qui déclare que le principe de Carnot « lui apparaît comme une concession à l’infirmité de nos sens ».

Le programme « gravito-matérialitique » de Solvay

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On peut donc dire que la démarche de Solvay répond à un questionnement légitime (à l’époque) et que ses préoccupations sont celles que l’on trouve chez plusieurs savants réputés. Ce qui le différencie des scientifiques de profession, c’est qu’il croit pouvoir construire (par la seule réflexion, et sans connaître la physique en détail) une théorie de « l’Univers actif ». Cette idée tout illusoire semble avoir pris chez lui la force d’une conviction, un entêtement qui le pousse à s’engager dans des voies de plus en plus ardues, au risque de s’égarer. Mais peut-on condamner une obstination qui a permis à ce visionnaire de réaliser l’un de ses rêves : contribuer durablement au progrès de la physique et de la chimie ?

Annexe 4 Le problème du « corps noir »

Que faut-il entendre par « problème du rayonnement noir » ? Einstein rappelle dans son discours d’hommage à Planck, publié en 1913 dans Naturwissenschaften618, que tout corps dégage un rayonnement thermique, de sorte qu’une cavité à l’intérieur d’une enceinte matérielle est imprégnée en permanence de ces radiations. Il note ensuite que Kirchhoff a montré vers 1860, à partir de considérations thermodynamiques, que ce rayonnement est uniforme (dans toutes directions) et que ses propriétés ne peuvent dépendre que de la température du corps qui entoure la cavité. Ainsi, pour une fréquence donnée, l’énergie du rayonnement par unité de volume est déterminée par la température de l’enceinte et par la valeur de la fréquence, mais elle ne dépend pas de la nature physique ou chimique des parois de l’enceinte. Cela signifie que la densité d’énergie rayonnante est une fonction universelle de deux variables : la fréquence et la température. Einstein poursuit en rappelant que la détermination de cette fonction était devenue la tâche principale des théoriciens qui travaillaient la question. Il mentionne l’avancée de Boltzmann en 1884 (détermination de la variation de la densité totale de l’énergie rayonnante avec la température), et celle réalisée par Wien en 1893 (formulation d’une loi de déplacement qui permet d’exprimer la densité d’énergie radiante à l’aide d’une fonction f dans laquelle la température n’intervient que par le rapport fréquence/température). Puis il indique que Planck fut le premier physicien qui parvint à déterminer la fonction f, et à saisir sa profonde signification. Il termine son exposé en décrivant les étapes qui permirent à Planck d’exprimer la fonction f en termes de deux constantes universelles, et d’obtenir ainsi sa célèbre « loi du rayonnement noir ».

Annexe 5 Le prix Nobel « manqué » de Planck en 1908

Nous avons vu que la nouvelle s’était répandue que Planck obtiendrait le prix Nobel de physique de 1908. Voici un extrait de l’interview qu’il donna à cette occasion et qui fut publiée le 23 novembre 1908 dans Leipziger Neueste Nachrichten619 : « Je présume que je dois cet honneur à l’intérêt suscité par mes travaux dans le domaine du rayonnement thermique. Pendant un certain temps, j’avais cherché à établir le poids absolu d’un atome ; j’ai réussi à présent à obtenir ce résultat620. On pensait autrefois que le poids absolu d’un atome ne pourrait jamais être déterminé… Nous avons dépassé aujourd’hui l’ère des spéculations et avons atteint le terrain ferme des certitudes… Il est intéressant de noter que Rutherford, dont les recherches se concentrent principalement sur les corps radioactifs, a obtenu par des voies très différentes des miennes une valeur à peu près équivalente621. »

Annexe 6 Le « coup » d’Agadir et l’affaire Caillaux622

Le Maroc suscite depuis le début du xxe siècle la convoitise de plusieurs puissances européennes, notamment de la France et de l’Empire allemand (qui considère qu’il a un retard à rattraper en matière de colonisation). En 1904, la France et la Grande-Bretagne concluent un accord contre l’Allemagne. La France laisse les mains libres à la Grande-Bretagne en Égypte ; en contrepartie, elle peut instaurer un protectorat au Maroc. En mars 1905, Guillaume II débarque à Tanger pour rappeler ses prétentions sur le Maroc. Il rencontre le sultan Moulay Abd al-Aziz. C’est le « coup de Tanger » qui provoque des tensions entre les puissances européennes et conduit en 1906 à la conférence internationale d’Algésiras. En mars 1911, le sultan Moulay ab-Hafid, menacé d’une révolte, demande à la France de lui prêter main-forte. Au mois de mai, les troupes françaises occupent Rabat, Fès et Meknès. L’Allemagne réagit vivement, car elle considère que cette occupation est une violation des accords d’Algésiras qui avaient été durement négociés en 1906. Elle dépêche à partir du 1er juillet 1911 des canonnières qui se relaient dans la baie d’Agadir. C’est le sujet d’une grave crise entre la France et l’Allemagne qui sont au bord du conflit armé. En France, le gouvernement vient de changer. Joseph Caillaux, président du Conseil depuis le 27 juin 1911, veut éviter la guerre. Il tient à négocier avec l’Allemagne la liberté de manœuvre de la France au Maroc contre la cession à l’Allemagne de territoires français en Afrique centrale. Cédant à la pression du Royaume-Uni et de la Russie, la France et l’Allemagne parviennent à un accord le 4 novembre 1911 (négociations franco-britanniques à propos du traité de Fès). L’Allemagne renonce à ses prétentions sur le Maroc en échange de l’abandon par la France de territoires au Gabon, au Moyen-Congo et en Oubangui. Mais cet accord inquiète le roi Albert, car l’accord signifie que le Congo belge va se trouver en face d’établissements allemands. Or on sait que l’Allemagne aime à dire que la Belgique est trop petite pour gouverner cet immense territoire ! L’affaire rebondit en France, car le président Caillaux a écarté son ministre des Affaires étrangères, Justin de Selves, et s’est adressé directement à Alfred von KinderlenWaechter, ministre des Affaires étrangères allemand. Problème : de Selves apprend l’existence de négociations secrètes (le ministère français ayant réussi à intercepter et à déchiffrer les messages cryptés623 envoyés par l’Allemagne). Se sentant humilié, il provoque avec l’aide de Clemenceau, vieil ennemi de Caillaux, un incident lors de la ratification au Sénat de la convention franco-allemande (9 janvier 1912). Raymond Poincaré succèdera à Caillaux et fera accepter l’accord de novembre 1911.

Annexe 7 La question du patronage royal

Le 2 septembre 1912, Solvay adresse ce message624 au général Jungbluth : Mon cher Général, Je me permets de vous adresser un exemplaire des statuts, non encore définitifs, de l’Institut international de physique Solvay que j’ai fondé à Bruxelles, d’accord avec M. le professeur Lorentz, de Leyde, à la suite du Conseil de physique qui a été tenu chez nous, fin octobre dernier, et au sujet duquel j’ai eu, à cette époque, une entrevue avec vous… Vous verrez dans ces statuts qu’il est envisagé qu’un délégué à la Commission administrative sera nommé par le roi ; c’est M. Lorentz qui est l’initiateur de cette proposition et j’aurai à vous demander, dans le cas où vous voudriez bien, à un moment donné, m’accorder audience, si vous croyez que Sa Majesté accepterait d’y donner suite, ce dont tous les membres de l’Institut se sentiraient hautement honorés, votre serviteur en particulier… Suite à la constitution du Comité scientifique, Solvay se trouve en position d’apporter de nouvelles précisions. Le 20 septembre 1912, il adresse ce message625 à Jungbluth : Mon cher Général, Afin de pouvoir vous en servir le cas échéant, je crois devoir vous communiquer l’état de situation de l’Institut international de physique au point de vue de ses deux bureaux. Le Comité scientifique international s’est adjoint M. Robert Goldschmidt, dont on doit encore toutefois réclamer l’adhésion ; et pour ce qui concerne la Commission administrative, je compte suggérer à l’université de choisir pour son délégué M. Verschaffelt, professeur de physique et membre de l’Académie des sciences. Le mien serait M. Tassel, professeur honoraire de l’université et mon très ancien collaborateur. Ceci est encore confidentiel, mais il y a accord général sur les noms. Pour le cas où Sa Majesté voudrait bien accepter la situation que le Comité scientifique international a en vue626, je me demande si, parmi les délégués qu’Elle pourrait viser, je ne pourrais pas vous suggérer de mettre en ligne Monsieur le Professeur Héger, président de l’Académie de médecine et directeur de l’Institut de physiologie ? J’ai la certitude que ce choix serait unanimement apprécié… Jungbluth répond627 le 1er octobre 1912 : « Le roi, qui a pris connaissance de toutes les pièces concernant la création de l’Institut international de physique, me charge de vous féliciter bien vivement de votre généreuse et féconde initiative. Il est heureux de répondre au vœu du Comité scientifique international en

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acceptant la mission de désigner un membre de la Commission administrative de cet Institut. Sa Majesté a arrêté son choix sur Monsieur Héger, votre ancien et dévoué collaborateur dont le savoir et le caractère commandent l’estime de tous… »

Annexe 8 La confrontation Rutherford-Thomson

J. J. Thomson : « De temps en temps, on voit que la direction dans laquelle se meuvent les particules alpha change brusquement, comme si leur trajectoire était déviée d’un angle fini par une seule rencontre avec une molécule. La grandeur de la déviation prouve que si elle est due aux forces électriques exercées sur la particule alpha par un corps chargé avec lequel il entre en collision, à la fois la charge et la masse de ce corps doivent être grandes en comparaison des quantités correspondantes d’une particule alpha. Ceci a conduit le professeur Rutherford à considérer toute la charge positive et pratiquement toute la masse de l’atome comme concentrée en un volume excessivement petit au centre de l’atome, c’est-à-dire que le rayon de la région dans laquelle la masse est supposée concentrée est excessivement petit par rapport au rayon conventionnel de l’atome. La répulsion de cette grande charge sur une particule alpha passant tout près est regardée comme la cause des irrégularités qui se présentent par intervalles dans les trajectoires de ces particules. Si ces irrégularités dans la trajectoire des particules alpha sont dues aux répulsions d’une charge égale à la charge totale de tous les corpuscules (électrons) de l’atome et concentrée en un point, le champ électrique provenant de cette charge doit produire dans la trajectoire d’une particule électrisée négativement un nombre de brisures beaucoup plus grand que dans celle d’une particule chargée positivement, puisque la masse de la particule négative (l’électron) est de beaucoup la plus petite des deux… Mais les photographies que C. T. R. Wilson a faites des trajectoires de particules négatives émises par les molécules d’air, lorsqu’elles sont exposées aux rayons Röntgen, ne présentent aucune trace de changements brusques de direction des corpuscules d’une grandeur approchant de celle indiquée dans ce tableau (Thomson présente un tableau qui reprend les grandeurs d’angles que l’on devrait observer dans ce cas). Ceci me paraît indiquer que les grands changements, qui de temps en temps se produisent brusquement dans la direction du mouvement des particules alpha, ne sont pas produits par des forces dues à des charges électriques… À mon avis, ils doivent plutôt être attribués à des forces spéciales qui entrent en jeu lorsque deux particules alpha se rapprochent l’une de l’autre628 à une distance inférieure à une certaine limite629. Je pense qu’en réalité, lorsque deux particules alpha s’entrechoquent à l’intérieur d’un atome, les forces qui s’exercent entre elles ne sont pas uniquement celles qui seraient exercées entre les particules en vertu des lois ordinaires de l’électrostatique. Outre ces forces-là, il y en a d’autres630 qui se font sentir et ce sont elles qui produisent les irrégularités caractéristiques dans les trajectoires des particules alpha. »

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Rutherford : « Sir J. J. Thomson a attiré l’attention sur le fait important que les traces des particules bêta fixées par voie photographique par C. T. R. Wilson ne présentent pas les nombreuses grandes déviations qu’on atteindrait d’après la théorie du noyau atomique que j’ai mise en avant il y a quelque temps. Je voudrais insister sur la précision de l’évidence expérimentale sur laquelle cette théorie est basée… J’ai supposé que les grandes déviations de particules alpha (de grande vitesse) étaient dues au passage de ces particules à travers le champ électrique intense dans le voisinage immédiat du noyau atomique central. Une comparaison soignée de la théorie et de l’expérience a été faite par Geiger et Marsden et les déductions tirées de la théorie ont été trouvées en accord parfait avec les résultats expérimentaux. On a pu en déduire que la charge du noyau, et par conséquent le nombre des électrons dans l’atome, était environ égale à la moitié du poids atomique de tous les éléments examinés. La force agissant entre la particule alpha et le noyau était supposée suivre la loi ordinaire du carré inverse et l’on trouva que toute autre loi de force était incompatible avec les faits expérimentaux. On s’attendrait évidemment à ce que les électrons à haute vitesse (bêta), ayant à peu près la même énergie que la particule alpha, subissent aussi de grandes déviations brusques en passant tout près du noyau. Je rappellerai toutefois que, alors que l’énergie de la particule bêta considérée par Sir J. J. Thomson est beaucoup plus petite que celle de la particule alpha, elle est supposée passer à travers le champ intense produit par le noyau central. Or je pense qu’il est douteux que la particule bêta à petite vitesse pénètre dans la région considérée, où la particule alpha subit de grandes déflexions ; il me semble plutôt qu’elle restera dans la région de l’atome où le champ produit par le noyau est fort affaibli et où elle subira de petites déviations par suite des chocs contre les électrons associés à l’atome. La question de savoir si une particule bêta à grande vitesse, d’énergie comparable à celle de la particule alpha, subit de grandes déviations brusques a une très grande importance théorique et l’on est en train de l’examiner expérimentalement… À moins que l’on ne suppose que les atomes ont un noyau chargé de petites dimensions, il est impossible d’expliquer les faits expérimentaux de la diffusion des particules alpha, sans admettre que des forces d’attraction et de répulsion nouvelles et insoupçonnées, d’une nature très intense, agissent entre les atomes lorsqu’ils sont très rapprochés. Si l’on considère que la théorie du noyau conduit au même nombre d’électrons dans un atome que la diffusion des rayons X, il me paraît plus simple de supposer qu’un pareil noyau chargé a une existence réelle et est un constituant fondamental de tous les atomes. »

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L. Rosenfeld, « La première phase de l’évolution de la théorie des quanta », Osiris 2, 1936 (11, 64). A.  Schirrmacher, « Who made quantum theory popular with physicists and beyond? », dans « The Early Solvay Councils and the Advent of the Quantum Era », F. Lambert, F. Berends and M. Eckert (Éds.), European Physical Journal EPJST, vol. 224, 10, 2015 (12, 131). E. Solvay, Sur l’établissement des principes fondamentaux de la gravito-matérialitique, Bruxelles, G. Bothy, 1911 (21, 193). E. Solvay, Lettres à Marie Curie, BNF, Gallica, Pierre et Marie Curie, Papiers II, docs. 266-269 et 275279 (352, 353, 389). E. Solvay, « Énergie radioactive de transformation », note envoyée à Marie Curie le 28 avril 1914, BNF, Gallica, Pierre et Marie Curie, Papiers II, doc. 273-274 (353, 393, 394). E. Solvay, Gravitique. De la gravité astronomique de la matière et de ses rapports avec l’énergie. Notes, lettres et discours d’Ernest Solvay, vol. 1, Gravitique et Physiologie, Bruxelles, Lamertin, 1929 (46, 59, 252). L’ouvrage, rédigé par É. Tassel, avait été imprimé en 1887. F.  Stockmans, Goldschmidt (Robert-Benedict), Biographie nationale, t. XLII, Académie royale de Belgique (55, 118, 123, 387, 486, 529). É. Tassel, Notes sur les travaux poursuivis par Ernest Solvay de 1857 à 1914, Bruxelles, Imprimerie G. Bothy, 1920 (20, 31, 49, 54). S. L. Wolff, « Physiker im “Krieg der Geister” », Historical Studies in the Physical and Biological Sciences 33, 2003 (376, 461). P. Zeeman et A. D. Fokker, H. A. Lorentz Collected Papers, Den Haag, 1934-1939, vol. 1-9 (69, 70, 73, 303, 382, 400, 401). II. Ouvrages collectifs, classés par noms d’éditeurs. M. Beller, R. S. Cohen et J. Renn (Éds.), Einstein in Context, Cambridge University Press, 1993 (11). A. Despy-Meyer et D. Devriese (Éds.), Ernest Solvay et son temps, Bruxelles, Archives de l’Université libre de Bruxelles, 1997 (42, 417). A. Eucken (Éd.), Die Theorie der Strahlung und der Quanten. Mit einem Anhänge über die Entwicklung der Quantentheorie vom Herbst 1911 bis zum Sommer 1913, Halle, Wilhelm Knapp, 1914 (398). D. Gross, M. Henneaux et A. Sevrin (Éds.), The Quantum Structure of Space and Time, Proceedings of the 23d Solvay Conference in Physics, World Scientific, 2007 (11). D. Gross, M. Henneaux et A. Sevrin (Éds.), The Theory of the Quantum World, Proceedings of the 25th Solvay Conference in Physics, World Scientific, 2013 (11). A. J. Kox et D. M. Siegel (Éds.), « No Truth Except in the Details », Boston Studies in the Philosophy of Science, Kluwer, 1995 (147). A. J. Kox (Éd.), The Scientific Correspondence of H. A. Lorentz 1, New York, 2008 (290, 455, 458, 462, 466). F. Lambert, F. Berends et M. Eckert (Éds), « The Early Solvay Councils and the Advent of the Quantum Era », European Physical Journal EPJST, vol. 224, 10, 2015 (12, 47, 197). P. Langevin et M. de Broglie (Éds.), La Théorie du rayonnement et les quanta. Rapports et discussions de la réunion qui s’est tenue à Bruxelles du 30 octobre au 3 novembre 1911 sous les auspices de M. E. Solvay, Paris, Gauthier-Villars, 1912 (133, 219, 221, 232, 548). P. Marage et G. Wallenborn (Eds.), Les Conseils Solvay et les débuts de la physique moderne, Éditions de l’Université libre de Bruxelles, 1995 (11, 243).

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Vous avez dit : sabbat de sorcières ?

P.  Marage et G.  Wallenborn (Éds.), The Solvay Councils and the Birth of Modern Physics, Basel, Birkhaüser, 1999 (6). R. Stoops (Éd.), La Théorie des champs (Douzième Conseil de Physique), New York, Interscience, 1962 (240). III. Rapports et discussions des premiers Conseils de physique tenus sous les auspices de l’IIPS (plus notes correspondantes). Solvay II : La Structure de la matière. Rapports et discussions du Conseil de physique tenu à Bruxelles du 27 au 31 octobre 1913 sous les auspices de l’Institut international de physique Solvay, Paris, Gauthier-Villars, 1921 (238, 377, 383). Solvay III : Atomes et électrons. Rapports et discussions du troisième Conseil de physique tenu à Bruxelles du 1er au 6 avril 1921 sous les auspices de l’Institut international de physique Solvay, Paris, Gauthier-Villars, 1923 (537). Solvay IV : Conductibilité électrique des métaux et problèmes connexes. Rapports et discussions du quatrième Conseil de physique tenu à Bruxelles du 24 au 28 avril 1924 sous les auspices de l’Institut international de physique Solvay, Paris, Gauthier-Villars, 1927 (553). Solvay V : Électrons et Photons. Rapports et discussions du cinquième Conseil de physique tenu à Bruxelles du 24 au 29 octobre 1927 sous les auspices de l’Institut international de physique Solvay, Paris, Gauthier-Villars, 1928 (593).

Remerciements

Nous tenons à remercier les Instituts internationaux de physique et de chimie fondés par Ernest Solvay (IIPCS), et tout spécialement Monsieur Jean-Marie Solvay, président des Instituts, et leur directeur, le Professeur Marc Henneaux, pour leur bienveillant soutien. Nos pensées vont également à Madame Marina Solvay dont l’intérêt pour ce travail de mémoire ne s’est jamais démenti. Sa collaboration nous a permis d’approfondir la pensée d’Ernest Solvay et le sens de son action fondatrice. Nous exprimons notre gratitude au Professeur John L. Heilbron, vice-chancelier émérite de l’université de Californie à Berkeley, pour nous avoir incités à écrire ce livre en joignant nos efforts, et en nous appuyant sur les sources complémentaires (belges et hollandaises) qui illustrent le rôle et les mérites des deux héros de l’aventure : H. A. Lorentz et E. Solvay. Nous sommes redevables à Madame Danielle Fauque pour nous avoir fourni des indications qui nous ont permis de retrouver à l’ULB le Registre journalier de Solvay, et à Monsieur Nicolas Coupain pour avoir attiré notre attention sur les Notes sur les travaux poursuivis par Ernest Solvay de 1857 à 1914. Ces éléments peu connus ont contribué à nourrir notre réflexion. Nous remercions Mesdames les directrices et Messieurs les directeurs des centres d’archives, où nous avons toujours rencontré un accueil chaleureux. En particulier : −− Madame Catherine Kounelis qui dirige la bibliothèque et le Centre de ressources historiques de l’École supérieure de physique et de chimie industrielles de la Ville de Paris (l’ESPCI), pour nous avoir donné accès à d’innombrables documents. Sans ses lumières et son soutien, ce livre n’aurait jamais vu le jour ! −− Monsieur Didier Devriese qui dirige les Archives et Collections précieuses de l’Université libre de Bruxelles (ULB), ainsi que Mesdames Carole Masson, Françoise Delloye et Pascale Delbarre du Service des archives et bibliothèques de l’ULB, pour leur soutien dans nos investigations. −− Monsieur Dirk van Delft, ancien directeur du Rijksmuseum Boerhaave à Leiden, pour avoir donné le coup d’envoi à notre collaboration. −− La professeure Diana Kormos Buchwald, co-éditrice de l’édition The Collected Papers of Albert Einstein, pour son aide et pour nous avoir mis en relation avec Dr Vera Enke de l’Archiv der Berlin-Brandenburgischen Akademie der Wissenschaften et Dr Roni Grosz, curateur des « Albert Einstein Archives » à l’université hébraïque de Jérusalem. −− Madame Anne Chevallier, directrice des Archives du Collège de France, pour nous avoir donné accès aux rapports originaux du premier Conseil de physique Solvay et pour nous avoir mis en relation avec Monsieur Christian de Pange, président de la Fondation Louis de Broglie. −− Madame Stéphanie Manfroid, archiviste au « Mundaneum » de Mons et présidente du Comité belge francophone et germanophone de l’Unesco, pour ses bienveillants conseils.

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−− Madame Godelieve Bolten, conservatrice de la Noord-Hollands Archief de Haarlem. Madame Dalila Wallé du Rijksmuseum Boerhaave de Leiden, et Monsieur Marijn van Hoorn, conservateur du musée Teyler de Haarlem, pour leur précieux concours. Nous n’oublions pas les personnes qui nous ont aidés en nous communiquant des documents privés et en nous autorisant à en citer des extraits. Nous sommes spécialement reconnaissants envers : −− Madame Marina Solvay pour les indications qui nous ont permis d’identifier et de dater l’ébauche d’une lettre de Lorentz à la famille Solvay, conservée dans l’Archive H. A. Lorentz, NHA, Haarlem. −− Madame Monika Baier, petite-fille d’Arnold Sommerfeld, pour nous avoir communiqué des lettres écrites par son grand-père à l’occasion des premiers Conseils Solvay. −− La professeure Mary Fowler, master de Darwin College (université de Cambridge) et arrière-petite-fille d’Ernest Rutherford, pour l’envoi d’une biographie de son aïeul dont l’édition est épuisée. −− Madame Nathalie Ferrard et Monsieur Jean Ferrard, petite-fille et petit-fils de la cousine belge d’Albert Einstein, pour nous avoir fourni des documents inédits sur les relations d’affection entre Einstein et son oncle Caesar Koch, domicilié en Belgique. −− Monsieur Hippolyte Bailli, directeur du service des archives de la commune d’Ixelles, pour nous avoir fourni des renseignements sur le parcours de Georges Hostelet et pour nous avoir mis en relation avec Monsieur Pierre Verhas, petit-fils de Hostelet. −− Monsieur Pierre Verhas pour nous avoir apporté des précisions sur la vie de son grand-père, et pour nous avoir permis de reproduire sa photo (prise au Caire). Nous remercions les nombreuses personnes qui nous ont fourni des informations qui nous ont été utiles. En particulier : Mesdames Brigitte Van Tiggelen, Françoise Levie, Yoanna Alexiou, Martha Cecilia Bustamante et Chantal Forget, ainsi que Messieurs Michael Eckert, Dominique Lambert et Erik Langlinay. Nous adressons nos plus vifs remerciements à Mesdames Dominique Bogaerts et Isabelle Vangeet, office manager et project coordinator aux IIPCS, dont le concours et la patiente assistance nous ont été d’un grand secours, ainsi qu’à nos collègues Jacques Bijtebier et Bruno Van Bogaert, qui nous ont aidés à réunir et à formater les illustrations. L’un de nous (F. L.) a une pensée particulière pour Madame Nadine Galland, qui l’a longtemps accompagné dans ses recherches. Il tient à rendre hommage à la mémoire de Monsieur Jacques Solvay, qui a soutenu avec constance et discrétion l’œuvre immortelle de son arrière-grand-père, et à l’aide, ponctuée de délicates attentions, que Madame Mimi Solvay continue d’apporter aux Instituts internationaux de physique et de chimie.

Notes

1. Institut international de physique Solvay et Institut international de chimie Solvay. 2. Ce congrès réunit 750 participants, originaires de 24 pays. Il entendait couvrir tous les domaines de la physique. Beaucoup de participants étaient des enseignants (en 1900, on comptait de 1 200 à 1 500 physiciens attachés aux universités ou aux écoles polytechniques, dont un quart aux ÉtatsUnis ; Helge Kragh, Quantum Generations, Princeton University Press, 1999, 13). 3. Fondée en 1922, l’Union internationale de physique pure et appliquée (IUPAP) ne connut une activité régulière qu’au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. 4. L’étude des particules élémentaires, prévue pour le Conseil de 1939, ne fut abordée qu’en 1948. La cosmologie fut au programme du Conseil de 1958 et bénéficia de la présence d’acteurs de premier plan : le chanoine Georges Lemaître, Fred Hoyle, John Archibald Wheeler et Robert Oppenheimer. 5. Voir annexe 1 : Liste des 52 détenteurs d’un prix Nobel de physique ou de chimie qui ont participé à un (ou à plusieurs) Conseils(s) Solvay entre 1911 et 1933, ou qui ont bénéficié d’un « subside Solvay ». 6. Elisabeth Crawford, « The Solvay Councils and the Nobel Institution », dans P. Marage et G. Wallenborn (Éds.), The Solvay Councils and the Birth of Modern Physics, Basel, Birkhaüser, 1999, 48-54. 7. On suppose que cette photo fut prise le 31 octobre 1911, après la discussion du rapport de Planck (on aperçoit la loi du « rayonnement noir » sur le tableau dans le fond de la salle). Il semble que la photo ait été retouchée afin d’y faire figurer Solvay, celui-ci ayant décidé de ne pas participer aux séances du Conseil. 8. C’est dans ces termes que Solvay annonça la tenue du Conseil au roi Albert (FIS, S.a.b.ULB, doc. 1737). 9. Voir l’article de Stéphane Foucart dans Le Monde du 31 juillet 2015 : « Ces hôtels qui ont changé le monde ». 10. Maurice de Broglie, Les Premiers Congrès de physique Solvay et l’orientation de la physique depuis 1911, Paris, Albin Michel, 1951 ; André Langevin, « Paul Langevin et les congrès de physique Solvay », La Pensée, Revue du rationalisme moderne, 1966 ; Jagdish Mehra, The Solvay Conferences on Physics. Aspects of the Development of Physics since 1911, Dordrecht, D. Reidel, 1975. 11. Léon Rosenfeld, « La première phase de l’évolution de la théorie des quanta », Osiris 2, 1936, 149-196 ; Martin Klein, « Einstein, Specific Heats and the Early Quantum Theory », Science 148, 1965, 173-180 ; Diana Kormos Barkan, « The Witches’ Sabbath: The First International Solvay Congress », dans M. Beller, R. S. Cohen et J. Renn (Éds.), Einstein in Context, Cambridge University Press, 1993, 59-82. Voir aussi : P. Marage et G. Wallenborn (Éds.), Les Conseils Solvay et les débuts de la physique moderne, Éditions de l’Université libre de Bruxelles, 1995 ; Peter Galison, « Solvay Redivivus », dans D. Gross, M. Henneaux et A. Sevrin (Éds.), The Quantum Structure of Space and Time, Proceedings of the 23d Solvay Conference in Physics, World Scientific, 2007, 1-18 ; John. L. Heilbron, « The First Solvay Council. “A sort of Private Conference” », dans D. Gross, M. Henneaux et A. Sevrin (Éds.),

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Vous avez dit : sabbat de sorcières ?

The Theory of the Quantum World, Proceedings of the 25th Solvay Conference in Physics, World Scientific, 2013, 1-16. 12. Frederick Lindemann, « Ein eigenartiger Congress », Berliner Tageblatt, 12 février 1912. Voir l’article d’Arne Schirrmacher, « Who made quantum theory popular with physicists and beyond? », dans F. Lambert, F. Berends et M. Eckert (Éds.), « The Early Solvay Councils and the Advent of the Quantum Era », European Physical Journal Special Topics, vol. 224, no 10, 2015, 2113-2125. 13. Lettre d’Einstein à Besso du 21 octobre 1911, CPAE, vol. 5, doc. 296. 14. Voir Max Jammer, « The Conceptual Development of Quantum Mechanics », The History of Modern Physics 1800-1950, vol. 12, American Institute of Physics, Tomash, 1989, 49. 15. C’est l’expression utilisée dans Heilbron (2013), op. cit., 2. 16. Certaines sources n’ont, à notre connaissance, jamais été exploitées. C’est le cas d’un registre contenant les nombreuses notes rédigées par Ernest Solvay au cours des années 1910-1921. Ce registre, conservé à l’Université libre de Bruxelles, fait partie des Archives de la Société chimique de Belgique (Fonds SCB, S.a.b.ULB). Voir annexe 2 : Sources relatives aux travaux d’Ernest Solvay. 17. Solvay avait un intérêt particulier pour la radioactivité et le mouvement brownien, qui semblaient défier le principe de la conservation de l’énergie. 18. Solvay avait décidé de fonder ses Instituts internationaux pour une période de trente ans. 19. Ce désir répondait à sa conviction qu’une loi fondamentale, liée à la gravitation, régissait les phénomènes dans des domaines aussi variés que la physique, la chimie, la physiologie et la sociologie. Nous reviendrons plus loin sur la nature de son approche gravito-matérialitique. 20. Émile Tassel, Notes sur les travaux poursuivis par Ernest Solvay de 1857 à 1914, Bruxelles, Imprimerie G. Bothy, 1920, 30 (voir annexe 2). L’auteur semble avoir voulu rester anonyme, mais il est clair qu’il s’agit de Tassel. 21. Ernest Solvay, Sur l’établissement des principes fondamentaux de la gravito-matérialitique, Bruxelles, G. Bothy, octobre 1911. 22. Archives de la Société chimique de Belgique, source non diffusée (voir annexe 2). 23. « Albert Einstein, Œuvres choisies 1 », présenté par Françoise Balibar, Olivier Darrigol et Bruno Jech, Quanta, Mécanique statistique et Physique quantique, Paris, Éditions du Seuil, 1989. 24. Lettre d’Einstein à Nernst du 20 juin 1911, CPAE, vol. 5, doc. 270. 25. Il y a lieu de supposer que la photo a été prise le deuxième jour du Conseil, après la discussion du rapport de Planck, car sa loi est inscrite sur le tableau. 26. Lettre de Rayleigh à Nernst du 13 juillet 1911, FIS, S.a.b.ULB, doc. 1731. 27. Certains scientifiques avaient participé à des conférences à l’étranger, mais il s’agissait de savants qui parlaient plusieurs langues. 28. Louis d’Or et Anne-Marie Wirtz-Cordier, Ernest Solvay, Académie royale de Belgique, mémoires de la Classe des sciences, 2e série, T. XLIV, Fascicule 2, 1981, chap. III, « La naissance du procédé Solvay » ; K. Bertrams, N. Coupain et E. Homburg, Solvay: History of a Multinational Family Firm, Cambridge University Press, 2015. 29. L. D’Or et A.-M. Wirtz-Cordier, op. cit., 47. 30. Ibidem, 48. 31. É. Tassel, op. cit., 29.

Notes

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32. Solvay est un « libéral progressiste » : il procure au personnel de ses usines des avantages sociaux qui anticipent de loin les dispositions légales. En 1913, il offre 1 million de francs au parti ouvrier belge pour la création d’un Institut d’éducation ouvrière à la Maison du peuple de Bruxelles, voir L. D’Or et A.-M. Wirtz-Cordier, op. cit., 33 et 40. 33. Jean-François Crombois, L’Univers de la sociologie en Belgique de 1900 à 1940, Bruxelles, Éditions de l’Université libre de Bruxelles, 1994, 32-33. 34. Stas s’opposa avec force aux conceptions énergétiques de Solvay, voir L. D’Or et A.-M. WirtzCordier, op. cit., 48. 35. Cette doctrine, d’essence allemande, était une réaction aux efforts des physiciens visant à développer une vision « mécaniste » de l’univers. 36. Wilhelm Ostwald, Lebenslinien, Berlin, 1927, 322. 37. Solvay avait ajouté à ses fondations du parc Léopold une école de commerce. 38. Jacques Bolle, Solvay, l’invention, l’homme, l’entreprise industrielle, Bruxelles, Weissenbuch, 1963, 196. 39. Voir annexe 3 : Le programme gravito-matérialitique de Solvay. 40. Lettre de Solvay à Ostwald du 17 mai 1913, FIS, S.a.b.ULB. 41. Voir annexe 3 : Le programme gravito-matérialitique de Solvay. 42. Le cartouche de Mayer figure en bonne place à l’Institut Solvay de physiologie. Voir J.-J. Heirwegh et M. Peeters, « Le tableau de chevet d’Ernest Solvay », dans A. Despy-Meyer et D. Devriese (Éds.), Ernest Solvay et son temps, Bruxelles, Archives de l’Université libre de Bruxelles, 1997, 185. 43. Des essais visant à appliquer le procédé de Fresnel avaient été tentés en France et en Angleterre ; ils s’étaient révélés infructueux ; voir L. D’Or et A.-M. Wirtz-Cordier, op. cit., 14. 44. Henri Poincaré, La Valeur de la science, Paris, Flammarion, 1905, 220. 45. Rappelons que Poincaré considère la gravitation comme la « moins imparfaite de toutes les lois connues » (Ibidem, chap. XI), et qu’il annonce une crise en physique mathématique. Plusieurs éléments attestent l’influence de Poincaré sur Solvay, notamment l’importance accordée par l’industriel au radium, ce « grand révolutionnaire », et au mouvement brownien, deux phénomènes cités par Poincaré comme pouvant mettre en danger les principes de la thermodynamique. Voir aussi la lettre de Solvay à Lorentz du 22 août 1912 (FIS, S.a.b.ULB, doc. 149) et sa note du 24 octobre 1912 (source non diffusée, Archives de la Société chimique de Belgique). 46. Ernest Solvay, Gravitique. De la gravité astronomique de la matière et de ses rapports d’équivalence avec l’énergie. Notes, lettres et discours d’Ernest Solvay, vol. 1, Gravitique et Physiologie, Bruxelles, Lamertin, 1929. 47. Nicolas Coupain, « Ernest Solvay’s scientific networks. From personal research to academic patronage », dans F. Lambert et al., op. cit., 2084. 48. Archives de la Société chimique de Belgique, 17-22, source non diffusée (voir annexe 2). 49. É. Tassel, op. cit., 21. 50. Augustin Boutaric, La Lumière et les radiations invisibles, Flammarion, 1925, et John Shipley Rowlinson, Sir James Dewar, 1842-1923. A Ruthless Chemist, London, Routledge, 2016. 51. Hendrik A. Lorentz et Édouard Herzen, Les Rapports de l’énergie et de la masse d’après Ernest Solvay, Comptes-rendus de l’Académie des sciences, séance du 12 novembre 1923, t. 177, 925. 52. A. Boutaric, op. cit., 230.

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Vous avez dit : sabbat de sorcières ?

53. Extrait d’un mémoire de Solvay, déposé sous pli cacheté à l’Académie royale de Belgique le 8 juillet 1896. 54. É. Tassel, op. cit., 47. 55. R. Goldschmidt, Navigation aérienne. Les aéromobiles, Paris, Dunod et Pinat, Bruxelles, Ramlot, 1911. François Stockmans, Goldschmidt (Robert-Benedict), Biographie nationale, Académie royale de Belgique, t. XLII, 309. 56. Émile Picard, La Science moderne et son état actuel, Paris, Flammarion, 1905, 110. 57. N. Coupain, op. cit., 2082 ; J. S. Rowlinson, op. cit., 72. 58. Nous verrons que ce système de subventions sera repris par Lorentz lorsqu’il sera question de préciser les objectifs et le mode d’action de l’IIPS. L’antériorité de Solvay est attestée par cette déclaration dans une lettre à P. Héger du 26 mars 1912, FIS, S.a.b.ULB, doc. 19 : « Ce plan à subventions n’est pas nouveau dans mon esprit, et l’Institut de physique l’adopte également, ce qui prouve qu’il est bon. » 59. C’est le cas de son mémoire Gravitique. De la gravité astronomique de la matière et de ses rapports avec l’énergie, rédigé en 1887 avec Tassel, et de son essai d’une synthèse fondamentale de l’Univers, déposés sous pli cacheté à l’Académie royale de Belgique. 60. C’est en ces termes que Solvay dévoilera son programme le 12 mai 1912 devant les membres de la Société chimique de Belgique. 61. Le théorème de Solvay sur la constance quantitative du froid produit dans des détentes successives est publié en 1895 dans les Comptes-rendus de l’Académie des sciences de Paris. L’amélioration apportée par Solvay au procédé Coleman est mentionnée par J. S. Rowlinson (op. cit., 98). Solvay réussit à atteindre en 1888 une température de −  93  °C, une performance reconnue par Kamerlingh Onnes (H. Kamerlingh Onnes, « Ter herdenking Ernest Solvay  », De Ingenieur 37,1922, 554). 62. Ces célébrations sont décrites dans Proceedings of the Meetings of the Members of the Royal Institution of Great-Britain, vol. 16, 1899, 197-218. Un exposé de Lord Rayleigh fut suivi le 6 juin par la nomination de 26 membres d’honneur, dont Arrhenius, Becquerel, Nernst, Solvay et Ostwald (ce dernier étant absent). Une garden-party fut organisée le lendemain par le Dr Mond et son épouse. 63. Actes du Jubilé de 1909, Université de Genève, 1910, 87. 64. Pour un compte-rendu détaillé de la première phase de la révolution des quanta, voir L. Rosenfeld, op. cit. ou Thomas Samuel Kuhn, Black-Body Theory and the Quantum Discontinuity, 1894-1912, University of Chicago Press, 1978, 114-232. 65. Voir annexe 4, Le problème du « corps noir ». 66. Lord Rayleigh, Philosophical Magazine 49 (1900), 539 et Nature 72 (1905) 54 et 243. Voir aussi l’article de J. H. Jeans, Philosophical Magazine (6) 10 (1905), 91. Après 1905, on fera, dans la plupart des cas, référence à la formule de Rayleigh-Jeans. 67. Cette constante sera appelée plus tard « constante de Boltzmann ». 68. Planck s’était appuyé sur un modèle dans lequel des charges électriques oscillantes étaient supposées réaliser l’équilibre thermique entre le rayonnement et la matière. Il avait dû admettre que l’énergie de ces oscillateurs était égale à un multiple entier d’une unité fondamentale, proportionnelle à leur fréquence d’oscillation. 69. Lorentz avait complété la théorie électromagnétique de Maxwell à l’aide d’une théorie fondée sur l’existence de particules chargées (appelées plus tard électrons) permettant de rendre compte des interactions entre les radiations et la matière. Le développement de la « théorie des électrons »

Notes

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débuta en 1878 avec l’hypothèse de Lorentz selon laquelle la matière se compose de particules qui, au moins en partie, sont porteuses de charges électriques. Une particule chargée en mouvement par rapport à l’éther (supposé parfaitement immobile) est assimilable à un élément de courant ; les actions du champ électromagnétique sur la particule et les réactions de cette dernière sur champ sont les seuls liens entre la matière et l’éther. Voir P. Zeeman et A. D. Fokker, H. A. Lorentz Collected Papers, Den Haag, 1934-1939, vol. 2, 80. 70. P. Zeeman et A. D. Fokker, op. cit., vol. 3, 155. 71. T. Kuhn, op. cit., 182. 72. Ibidem, 138 et 152. Ehrenfest était un étudiant viennois qui séjourna à Leiden en 1903 et assista aux exposés de Lorentz (M. Klein, Paul Ehrenfest. The Making of a Theoretical Physicist, Amsterdam, North Holland, 1970, 217-234). 73. P. Zeeman et A. D. Fokker, op. cit., vol. 7, 317. Nous verrons que la question de la nécessité de l’hypothèse des quanta sera tranchée en 1912 par Poincaré, suite aux discussions du premier Conseil de physique. 74. CPAE, vol. 5, doc. 149. 75. Lettre d’Einstein à Lorentz du 30 mars 1909, CPAE, vol. 5, doc. 146. 76. Lettre de Lorentz à Einstein du 6 mai 1909, CPAE, vol. 5, doc. 153. 77. Cet article de mars 1905 est le premier travail publié par Einstein au cours de son « année miraculeuse ». 78. Ce phénomène, découvert par Hertz en 1887, avait été étudié expérimentalement par Philipp Lenard. 79. Siegfried Grundmann, Einsteins Akte, Berlin, 1998, 25 et 26. 80. Robert Millikan, Physical Review 4, 1914, 73 et Physical Review 7, 1916, 355. 81. Ce projet apparaît dans le programme de recherche de Lorentz à la Fondation Teyler pour l’année 1912-1913, voir les Jaarverslagen van het Teyler Natuurkundig Laboratorium, Archief Teyler Stichting, Haarlem. Nous reviendrons sur ce point dans un prochain chapitre. 82. Voir la première lettre de Lorentz à Einstein (du 6 mai 1909), CPAE, vol. 5, doc. 153. 83. M. Klein (1965), op. cit., 173-180. 84. Un comportement que l’on attribue aux vibrations des atomes du solide autour d’une position d’équilibre. 85. La chaleur spécifique d’un corps est la chaleur qu’on doit lui apporter pour augmenter sa température de 1 °C. 86. Reformulé par Planck en 1911, le théorème de Nernst deviendra connu sous le nom de « troisième principe de la thermodynamique ». 87. M. Thiesen, « Verhandlungen der Deutsche Physikalische Gesellschaft », Deustche Physikalische Gesellschaft, 18 décembre 1908. 88. Walther Nernst, Sitzungsberichte der Preussischen Akademie, 1909, 247. 89. Walther Nernst, Theoretische Chemie vom Standpunkte der Avogadroschen Regel und der Thermodynamik, Stuttgart, 1909, 700. 90. A. Eucken, Physikalische Zeitschrift 10 (1909), p. 586. 91. Voir T. Kuhn, op. cit., 215. 92. D. Kormos Barkan (1993), op. cit., 62. Les auteurs tiennent à exprimer leur gratitude à l’égard de Diana K. Buchwald pour avoir attiré leur attention sur cette lettre et pour leur en avoir fourni

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une copie. Ils remercient également Dr Vera Enke, directrice des Archives de l’Académie des sciences de Berlin-Brandenburg (BBAW), propriétaire de la lettre. 93. Lettre d’Einstein à Laub du 16 mars 1910, CPAE, vol. 5, doc. 199. Voir F. Balibar, O. Darrigol et B. Jech, op. cit., 113 : « La théorie des quanta ne fait guère de doute pour moi. Mes prédictions au sujet des chaleurs spécifiques semblent se confirmer de façon éclatante. Nernst, que je viens de voir, et Rubens, s’occupent activement de la vérification expérimentale… » 94. Voir la lettre d’Einstein à Laub du 17 mai 1909, CPAE, vol. 5, doc. 160 ; voir aussi F. Balibar, O. Darrigol et B. Jech, op. cit., 102 : « Cette question des quanta est d’une importance et d’une difficulté si grandes que tout le monde devrait porter ses efforts là-dessus… » 95. Ce sont ses célèbres « formules de fluctuation » obtenues en 1909 à partir de la loi de Planck, considérée comme un fait d’expérience. 96. Lettre d’Einstein à Stark du 31 juillet 1909, CPAE, vol. 5, doc. 172. 97. Lettre d’Einstein à Sommerfeld du 7 juillet 1910, CPAE, vol. 5, doc. 211. 98. Lettre d’Einstein à Laub du 27 août 1910, CPAE, vol. 5, doc. 224. 99. Abraham Pais, Subtle is the Lord…, Oxford University Press, 1982, 357-359. 100. Walther Nernst, « Sur les chaleurs spécifiques aux basses températures et le développement de la thermodynamique », Journal de physique 4, t. IX, 1910, 721-749. 101. Walther Nernst, Bericht über die 17. Hauptversammlung der Deutschen Bunsen Gesellschaft für angewandte physikalische Chemie, Giessen, 5-8 mai 1910. 102. Walther Nernst, « Sur la détermination des affinités chimiques à partir de données thermiques », Journal de Chimie physique, 8 mars 1910, 267. 103. M. Jammer, op. cit., 47. Nous verrons que son attitude évoluera de manière notable au cours des mois suivants. 104. Elisabeth Crawford, The Beginnings of the Nobel Institution. The Science Prizes, 1901-1915, Cambridge University Press, 1987, 133. 105. Anne J. Kox, « Hendrik Antoon Lorentz’s struggle with quantum theory », Archive for History of Exact Sciences, vol. 67, 2, 2013, 152-157. 106. E. Crawford (1987), op. cit., 120-121. 107. Voir annexe 5 : Le prix Nobel « manqué » de Planck en 1908. 108. F. A. Lindemann, Physikalische Zeitschrift, 11, 1910, 609. 109. Einstein avait indiqué que dans certains cas cette fréquence caractéristique pouvait être déterminée à partir de données optiques ; il avait montré qu’un accord pouvait être obtenu entre la valeur déduite de la chaleur spécifique du solide et celle déduite de données relatives à son spectre d’absorption dans l’infrarouge (technique des « rayons résiduels »). 110. Il semble que Nernst ait vu dans cette crise une situation comparable à celle de la chimie en 1860, et qu’il se soit souvenu du Congrès de Karlsruhe (il en dira un mot dans son allocution d’ouverture du Conseil le 30 octobre 1911). 111. Arrhenius est le seul membre du Comité de physique qui fait des nominations en chimie, voir E. Crawford (1987), op. cit., 99. 112. Diana Kormos Barkan, Walther Nernst and the Transition to Modern Physical Theory, Cambridge University Press, 1999, 220. 113. Voir E. Crawford (1987), op. cit., 127-128 et 257-258.

Notes

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114. Ibidem, 223. 115. Françoise Levie, L’Homme qui voulait classer le monde, Bruxelles, Impressions nouvelles, 2006, 119. 116. W. Ostwald (1927), op. cit., 278. 117. C’est au cours du Congrès de Bruxelles qu’il fut décidé d’honorer Marie Curie en appelant Curie la quantité d’émanations de radium en équilibre avec 1 gramme de radium ; Arthur Eve, Rutherford, Cambridge University Press, 1939, 192. Un des auteurs (F. L.) tient à remercier le professeur Mary Fowler, master de Darwin College à Cambridge et descendante d’Ernest Rutherford, de lui avoir fourni un exemplaire de cet ouvrage. 118. F. Stockmans, op. cit. Cet article contient de nombreuses précisions sur la vie et le parcours de Robert Goldschmidt. 119. Goldschmidt est le gendre du banquier Franz Philippson, partenaire de la Société Solvay. On peut supposer que Philippson s’est trouvé à l’origine des contacts entre Goldschmidt et Ernest Solvay. 120. Il semble que Goldschmidt ait été influencé par l’intérêt du banquier Philippson pour la télégraphie sans fil ; voir à ce propos René Brion et Jean-Louis Moreau, Franz Philippson. Aux origines de la Banque Degroof, Bruxelles, Didier Devillez, 2016, 147. Goldschmidt créera en 1913 la Commission internationale de TSF, la future URSI. 121. F. Levie, op. cit., 107. 122. Cet aéromobile survolant la Grand-Place de Bruxelles sera choisi comme emblème de l’Exposition universelle de 1910 ; Serge Jaumain et Wanda Balcers, Bruxelles 1910. De l’Exposition à l’université, Bruxelles, Éditions Racine, 2010. 123. F. Stockmans, op. cit., 303. 124. W. Nernst (1910), Sur les chaleurs spécifiques aux basses températures…, op. cit., 721. 125. Président d’honneur : Solvay ; président : Lord Rayleigh. Secrétaire : Goldschmidt et une personne plus jeune. Membres : Einstein, Knudsen, Hasenöhrl, Lorentz, Langevin, Perrin, van der Waals, Larmor, Jeans, Schuster, J. J. Thomson, Rutherford, Nernst, Planck, Wien, Röntgen, Seeliger. 126. Lettre de Nernst à Planck du 11 juin 1910 (traduite en français, FIS, S.a.b.ULB, doc. 1720). La lettre s’est perdue, mais elle a été recopiée par Jean Pelseneer dans un manuscrit non publié : Historique des Instituts internationaux de physique et de chimie Solvay, depuis leur fondation jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale. La lettre est reproduite sur microfilm dans Archive for History of Quantum Physics, Library of the American Philosophical Society. Planck y apporte des précisions sur la liste de savants que Nernst comptait inviter au Concile. Un exemplaire de l’Historique de Pelseneer est conservé au Service des archives et des bibliothèques de l’ULB. 127. Nous n’avons pas d’informations précises sur la date de l’entrevue. 128. Nous en donnons la traduction en français, FIS, S.a.b.ULB, doc. 1688a. 129. Notons qu’à la fin de 1910, ni Lorentz dans ses leçons Wolfskehl, ni Planck dans la troisième édition de sa Thermodynamique (parue en 1911), ne font la moindre référence à la théorie des chaleurs spécifiques d’Einstein. 130. FIS, S.a.b.ULB, doc. 1688b. 131. Max Planck et al., Vorträge über die Kinetische Theorie der Materie und der Elektrizität, Leipzig, Teubner, 1914. Voir aussi A. Schirrmacher (2015), op. cit., 2116.

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132. Karl Darrow, secrétaire de la Société américaine de physique, s’adressa à cette occasion à deux habitués des Conseils Solvay : Léon Brillouin et Wolfgang Pauli ; S. S. Schweber, « A short history of Shelter Island I », dans Proceedings of the 1983 Shelter Island Conference on Quantum Field Theory and the Fundamental Problems of Physics, Éds. R. Jackiw, N. N. Khuri, S. Weinberg et E. Witten, 303. 133. P. Langevin et M. de Broglie (Éds.), La Théorie du rayonnement et les quanta. Rapports et discussions de la réunion qui s’est tenue à Bruxelles du 30 octobre au 3 novembre 1911 sous les auspices de M. E. Solvay, Paris, Gauthier-Villars, 1912. 134. La communication de la liste des participants au Concile devait permettre aux invités de se déterminer en connaissance de cause (ce sera le cas de Rutherford, qui fera part de ses hésitations dans sa réponse à l’invitation ; voir sa lettre à Nernst du 17 juin 1911, FIS, S.a.b.ULB, doc. 721). 135. Cette condition apparaîtra sous une forme moins contraignante dans la lettre d’invitation signée par Solvay (voir la section 1.1). 136. D. Kormos Barkan (1999), op. cit., 149 et 157. 137. Archives de la Société chimique de Belgique, source non diffusée (voir annexe 2). 138. Rappelons que Solvay avait obtenu cette règle en 1858. 139. Voir le discours prononcé par Solvay à l’ouverture du Conseil, section 2.8. 140. C’est apparemment en raison des occupations de son père que le jeune Herzen entre en 1902 dans un laboratoire de la Société Solvay, dont il deviendra plus tard le sous-directeur. 141. Cette édition a été publiée avec Lorenz : Georges Hostelet et Richard Lorenz, Traité pratique d’électrochimie, Paris, Gauthier-Villars, 1905. Pour l’édition allemande, voir R. Lorenz, Elektrochemisches Praktikum, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1901. 142. Grand résistant pendant la guerre aux côtés de l’infirmière Edith Cavell, Hostelet sera incarcéré en Allemagne. Il se consacrera plus tard à la sociologie. Les auteurs remercient l’historien Hippolyte Bailly de leur avoir fourni ces informations, tirées de son mémoire de 2013 (Université catholique de Louvain) : Résister dans le réseau Cavell : histoire, mémoire, trajectoires de vie, Georges Hostelet (1875-1960). Ils remercient également Pierre Verhas, petit-fils de Hostelet, de leur avoir permis de citer un extrait d’une lettre de Hostelet à Lorentz et de leur avoir fourni une photo de Hostelet, prise au Caire au début des années 1920. 143. Voir les lettres manuscrites de Solvay à Hostelet de 1910-1911, et la note dactylographiée de Solvay du 5 octobre 1910, Archives de la Société chimique de Belgique, source non diffusée, 16-17 (voir annexe 2). 144. Lettre de Nernst à Solvay du 27 novembre 1910, FIS, S.a.b.ULB, doc. 1689b. 145. Ibidem, doc. 1690a. 146. CPAE, vol. 5, doc. 230. 147. A. J. Kox, « Einstein, Specific Heats and Residual Rays: The History of a Retracted Paper », dans A. J. Kox et D. M. Siegel (Éds.), « No Truth Except in the Details », Boston Studies in the Philosophy of Science, Kluwer, 1995, 249. 148. Compte-rendu de l’Académie des sciences de Prusse du 6 janvier 1911 ; voir aussi T. Kuhn, op. cit., 214. 149. Cette formule contient deux termes similaires à celui d’Einstein : l’un d’eux est celui qui apparaît dans la formule originale (il contient la fréquence propre habituelle) ; l’autre terme contient cette fréquence divisée par deux. Nernst associe la présence de ces deux termes aux travaux de Rubens sur les rayons résiduels ; voir A. J. Kox (1995), op. cit., 250.

Notes

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150. Lettre de Solvay à Goldschmidt du 12 mars 1911, FIS, S.a.b.ULB, doc. 1691. 151. La liste initiale ne comprend que deux Français : Langevin et Perrin (voir la note 125). 152. Martha Cecilia Bustamante, Rayonnement et quanta en France, 1900-1914, Firenze, Leo S. Olschki Édit., 2003, 65. 153. Note du 15 septembre 1910, intitulée « Science et Univers objectifs », Archives de la Société chimique de Belgique, source non diffusée (voir annexe 2). 154. Voir la lettre de Solvay à Brillouin du 5 mars 1913, FIS, S.a.b.ULB, doc. 1123. 155. Patrick Juignet, L’Idée de matière, Philosophie, science et société (en ligne), 2017. 156. Lettre de Herzen à Solvay du 13 mars 1911, FIS, S.a.b.ULB, doc. 1692. 157. Nous avons vu au premier chapitre qu’il fut décidé d’accorder à chaque invité une indemnité de 1 000 francs « pour frais de voyage », étant entendu que les frais de séjour seraient également à la charge de Solvay. 158. Il semble que Herzen se soit aperçu qu’il fallait augmenter l’indemnité « pour frais de voyage » et qu’il ait rectifié la somme indiquée dans la lettre précédente. Nous verrons bientôt que Nernst proposera de réduire cette somme à 1 000 francs. 159. Martin Klein, « Thermodynamics in Planck’s Work. History of Physics », dans S. R. Weart et M. Phillips (Éds.), Readings from Physics Today, The American Institute of Physics, New York 1985, 300. 160. En réalité, seuls Lorentz, Planck et Knudsen ont été approchés et ont répondu de manière positive. L’optimisme affiché par Nernst pourrait être interprété comme une réaction aux réserves de Planck (émises dans sa lettre du 11 juin 1910). 161. L’intérêt de Lorentz pour le théorème de Nernst est attesté par la décision de la faculté de Leiden de mettre au concours la question suivante (1er mai 1911) : « La faculté souhaite un exposé théorique sur les conséquences du théorème de Nernst ; cet exposé comprendra une comparaison des prédictions du théorème avec les données expérimentales ; il examinera la mesure dans laquelle le théorème peut être déduit de principes généraux, et éclairera les liens qui le rattachent aux conceptions actuelles de la théorie de la chaleur. » 162. FIS, S.a.b.ULB, doc. 1695. 163. Nous verrons que Kamerlingh Onnes eut l’occasion de présenter au Conseil des graphiques montrant l’effondrement de la résistance du mercure à une température voisine de 4° Kelvin. 164. Les termes utilisés dans l’invitation officielle seront quelques fois différents de ce qui suit. Des écarts plus importants apparaîtront dans le programme de la réunion : modifications du titre de certains rapports modifiés, prises de parole non prévues. 165. FIS, S.a.b.ULB, doc. 1696b. 166. Archives de la Société chimique de Belgique, source non diffusée (voir annexe 2). 167. FIS, S.a.b.ULB, doc. 1695. 168. Ibidem, doc. 1697. 169. Regine Zott, Wilhelm Ostwald und Walther Nernst in ihren Briefen, Berlin, 1996, 186. 170. Voir la note 63. La faculté des sciences de l’université de Genève avait proposé l’attribution de 20 doctorats honorifiques. La liste des récipiendaires comprend les noms suivants : Einstein, Guillaume, Haller, Ostwald, Schuster, Solvay, Voigt. Marie Curie est citée pour un doctorat en médecine. 171. W. Ostwald, Annalen der Naturphilosophie 6 (1907), p. 480.

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172. Berichte der Deutschen Chemischen Gesellschaft 40 (1907), 4304 et 5031 ; la proposition de nommer Solvay membre honoraire est signée par 41 membres, dont Fischer, Nernst, Ostwald et van ’t Hoff. Nernst est élu président de la Société pour l’année 1908. 173. F. Levie, op. cit., 119. 174. Actes du Congrès mondial des associations internationales : Documents préliminaires, Rapports, Procès-Verbaux, publiés par l’Office des Associations internationales, Bruxelles, Hayez, 1911, 13-18. 175. Il s’agit d’ido, un langage originaire de l’espéranto ; voir Michael D. Gordin, Scientific Babel, Chicago, 2015. 176. Dony avait travaillé à Göttingen sous la direction de Nernst. Il avait obtenu en 1900 le titre de docteur en sciences chimiques. Solvay se l’était attaché en 1901 et lui avait confié la direction d’un laboratoire à l’Institut de physiologie du parc Léopold. 177. Il s’agit de l’Institut créé par Edmund Knowles Muspratt, fils de l’industriel James Muspratt. Cet Institut avait été inauguré en octobre 1906, en présence d’Ostwald et de Sir William Ramsay. 178. Donnan Papers, UCL Special Collections, University College London, GB 0103. La lettre de Donnan semble s’être perdue. 179. Cet Institut d’électrochimie bénéficia d’un don de 100 000 francs de la Société Solvay. Voir Françoise Birck, Des ingénieurs pour la Lorraine, Éditions Serpenoise, 1998, 159. Nous reviendrons sur ce point dans la deuxième partie du livre (rôle d’Albin Haller dans le processus de fondation de l’IICS). 180. Le projet est ambitieux ; il prévoit une étroite liaison entre l’Institut et l’AISC. L’esquisse sera développée en 1912 dans un mémoire intitulé Denkschrift über die Gründung eines internationalen Institutes für Chemie. 181. Lettre de Solvay à Ostwald du 23 juin 1911, FIS, S.a.b.ULB, dossier chimie. 182. Les originaux des deux lettres de Solvay à Ostwald (celle du 23 juin et celle du 7 juillet) sont conservés à la Wilhelm Ostwald Archiv, Berlin Brandeburg Akademie der Wissenschaften. Les auteurs remercient Diana Kormos Buchwald d’avoir attiré leur attention sur ces lettres et de leur en avoir fourni une copie. 183. Message d’Ostwald à Dony du 13 juillet 1911, FIS, S.a.b.ULB, dossier chimie. 184. Ibidem, lettre de Dony à Lefébure du 4 octobre 1911. 185. FIS, S.a.b.ULB, doc 1712. 186. Ibidem, doc. 1736. 187. Ibidem, doc. 1737. 188. Ibidem, doc. 1738. 189. Voir annexe 6 : Le « coup » d’Agadir et l’affaire Caillaux. 190. Lettre de Nernst à Goldschmidt (revenu du Congo), FIS, S.a.b.ULB, doc. 1739. 191. Planck est frappé par le mode adopté par Solvay pour décrire la révolution d’un corps autour d’un centre fixe (un mode qui revient à considérer l’état de ce corps comme étant déterminé par une énergie). On ne peut s’empêcher d’y voir une parenté avec le mode adopté par Niels Bohr pour décrire les états quantifiés de l’atome. 192. Quatre rapports (de Warburg, Rubens, Perrin et Langevin) ne figurent pas dans la liste. Les deux premiers n’ont pas été remis à temps, le dernier n’a pas été prévu. L’importance du lien entre les résultats de Perrin et la théorie de Planck semble avoir échappé à l’attention de Herzen (nous

Notes

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verrons qu’il se contentera d’évoquer, dans sa notice biographique d’Einstein, les « belles recherches de Perrin sur le mouvement brownien »). 193. Herzen renvoie le lecteur à la page 62 de l’étude préliminaire de Solvay, Sur l’établissement des principes fondamentaux de la gravito-matérialitique. 194. Théophile de Donder constatera bien plus tard l’existence d’un lien entre les « petits cubes » imaginés par Solvay et les « cellules » des théories statistiques et quantiques modernes, dont le volume est déterminé par la constante universelle de Planck ; voir sa lettre à Lefébure du 22 septembre 1937, Fonds des Instituts Solvay, S. a.b.ULB, doc. 3470. 195. FIS, S.a.b.ULB, doc. 1758, 1769, 1774. Un cahier contenant les photos individuelles est conservé dans l’archive Kamerlingh Onnes du Rijksmuseum Boerhaave (RMB) de Leiden. 196. Lord Rayleigh fit néanmoins savoir qu’il enverrait une lettre au Conseil, « par égard pour ses collègues ». 197. Voir à ce propos John L. Heilbron, British participation in the First Solvay Councils, dans F. Lambert et al., op. cit., 2041-2055. 198. « Le XXVe anniversaire de l’Institut de sociologie Solvay », Revue de l’Institut de sociologie 4, Bruxelles, Imprimerie scientifique et littéraire, 1927, 13. Un résumé des conférences des parlementaires anglais (qui avaient eu lieu avant 1910) avait été publié dans un volume intitulé La Politique de réforme sociale en Angleterre. Rappelons qu’en 1911, le Royaume-Uni était secoué par les grèves massives du Great Labour Unrest, et que H. H. Asquith, membre de l’Eighty Club, s’était engagé dans une campagne visant à réduire le pouvoir de la Chambre des Lords, contrôlée par le parti conservateur. 199. Goldschmidt avait indiqué à Solvay que le choix de Dony comme manager adjoint ferait plaisir à Nernst (FIS, S.a.b.ULB, doc. 1742). On comprend que Nernst ait profité de l’occasion pour proposer de confier la tâche à Lindemann. 200. Nernst insista pour qu’un rappel soit envoyé à van der Waals, mais celui-ci invoqua des problèmes de santé et persista dans son refus de venir à Bruxelles. 201. Alfred Stock, Internationales Chemiker-Kongres 1860 in Karlsruhe, Berlin, 1933 (contribution au 38e Hauptversammlung der Deutschen Bunsen-Gesellschaft). 202. L’idée de loger tous les membres dans un même hôtel devint la règle pour les Conseils suivants. Nous verrons qu’elle se trouva à l’origine des célèbres débats Bohr-Einstein de 1927 et 1930. Notons cependant que l’hôtel Métropole ne fut pas choisi pour les Conseils suivants (notamment de 1913 à 1927 ; nous indiquerons les hôtels qui accueillirent les membres de ces Conseils). 203. Maurice de Broglie, Registre contenant des pièces manuscrites concernant les premiers Congrès Solvay, offert à l’Académie des sciences en la séance du 19 décembre 1951, 2 volumes, Paris, Archives de l’Institut de France. 204. Titres des rapports présentés en allemand : Experimentelle Prüfung der Planckschen Formel für Hohlraumstrahlung von E. Warburg ; Prüfung der Planckschen Strahlungsgleichung im langwelligen Spectralbereich von H. Rubens ; Die Gesetze der Wärmestrahlung und die Hypothese der elementaren Wirkungsquanten von M. Planck ; Die kinetische Theorie der ideale Gase und die Versuchsresultate von M. Knudsen ; Anwendung der Quantentheorie auf eine Reihe physikalisch-chemischer Probleme von W. Nernst ; Die Bedeutung des Wirkungsquantums für unperiodische Molekularprozesse von A. Sommerfeld ; Zum gegenwärtigen Stande des Problems der spezifischen Wärme von A. Einstein. 205. La lettre de Rayleigh n’est pas à considérer comme un rapport. 206. Kamerlingh Onnes présenta un graphique, obtenu quelques jours à peine avant l’ouverture du Conseil, qui montrait l’effondrement brutal de la résistance électrique du mercure au voisinage de 4° Kelvin.

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207. Le compte-rendu fait état d’une seule question (de Langevin), qui ne donna lieu qu’à une seule réponse (de la part de Kamerlingh Onnes). 208. M. Klein (1985), op. cit., 300-302. 209. Une première version du compte-rendu du Conseil leur fut envoyée par de Broglie le 23 décembre 1911. Voir le dossier « Solvay », Fonds Brillouin, Archives du Collège de France. Les auteurs tiennent à remercier Madame Anne Chatellier de leur avoir donné accès à ce dossier. 210. Cette disposition permit à Poincaré de rectifier la position qu’il avait défendue au Conseil à l’égard des quanta. Voir le prochain chapitre. 211. Voir plus loin son discours de clôture du Conseil. 212. Nous savons que Goldschmidt suggéra à Solvay l’idée d’un Institut international de physique (FIS, S.a.b.ULB, doc. 24a). Nous verrons (section 3.2) qu’une demande de subside fut introduite par le physicien russe Piotr. N. Lebedew, plus de deux mois avant la création de l’IIPS : preuve que la nouvelle relative à l’octroi de subsides Solvay s’était répandue en Russie dès le mois de janvier 1912 (suite à l’indiscrétion d’un membre du Comité restreint qui s’était réuni le 3 novembre 1911). 213. Les auteurs remercient leur collègue Michael Eckert de leur avoir fourni cet extrait de la lettre de Sommerfeld. Ils remercient également Madame Monika Baier, petite-fille du physicien, qui leur a transmis l’original de la lettre. 214. Voir annexe 6 : Le « coup » d’Agadir et l’affaire Caillaux. 215. Voir la lettre de Brillouin à Tassel du 26 décembre 1918, FIS, S.a.b.ULB, doc. 673. 216. Lettre de Lorentz du 28 novembre 1911, Archive Wander de Haas (gendre de H. A. Lorentz), RMB, Leiden, p. 8 et 9. 217. M. Brillouin, « H. A. Lorentz en France et en Belgique », Physica 6, 1925, 30. 218. Seul le discours de Solvay apparaît dans le compte-rendu officiel. Les discours de Lorentz, Rutherford et Goldschmidt sont rapportés par M. de Broglie, Registre contenant des pièces manuscrites concernant les premiers Congrès Solvay (2 volumes) offert à l’Académie des sciences, Archives de l’Institut de France, 1951. 219. Dans sa réponse à l’invitation au Conseil (CPAE, vol. 5, doc. 270), Einstein avait déjà attiré l’attention de Nernst sur le fait que la théorie des quanta ne pourrait être maintenue (sous sa forme actuelle) dans le cas où la conductibilité thermique des isolants simples ne décroîtrait pas de manière exponentielle à l’approche du zéro absolu. Or cette prédiction de la théorie était contredite par les récents résultats de Nernst et d’Eucken, voir P. Langevin et M. de Broglie (Éds.), op. cit., 421. 220. Il importe de noter que la plupart des participants parlent de « quanta d’énergie », alors que dans la nouvelle conception de Planck, il faut faire une distinction entre les processus d’émission et d’absorption du rayonnement. Seul Einstein associe les quanta à des particules de lumière. Pour les autres membres du Conseil, le concept intervient uniquement en connexion avec l’émission et l’absorption des radiations. 221. A. Einstein, « L’état actuel du problème des chaleurs spécifiques », dans Langevin et M. de Broglie (Éds.), op. cit., 428. 222. Einstein faisait référence à la conclusion de sa note du 2 janvier 1911, « Remarque au sujet d’une difficulté fondamentale de la physique théorique », CPAE, vol. 3, The Swiss Years: Writings, 1909-1911, doc. 16. 223. Einstein (1912), op. cit., 429. 224. Ibidem, 431.

Notes

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225. Lettre d’Einstein à Besso du 26 décembre 1911, CPAE, vol. 5, doc. 331. 226. Lettre d’Einstein à Besso du 13 mai 1911 (AEA, 7 56), CPAE, vol. 5, doc. 7. 227. Lettre d’Einstein à Zangger du 20 novembre 1911, CPAE, vol. 5, doc. 308. 228. Lettre d’Einstein à Besso du 4 février 1912, Ibidem, doc. 354. 229. Voir E. Crawford, J. L. Heilbron et R. Ulrich, « The Nobel Population 1901-1937. A Census of the Nominators and Nominees for the Prizes in Physics and Chemistry », Berkeley Papers in History of Science 11, 1987 ; voir aussi A. Pais (1982), op. cit., 153. 230. Wien avait présenté en 1898 (au cours d’une conférence à Düsseldorf) un rapport sur le problème de l’éther. Il semble que ses propos aient été une source d’inspiration pour Einstein ; Walter Isaacson, Einstein, His Life and the Universe, London, 2007, 48. 231. A. Eve, op. cit., 193. 232. P. Langevin et M. de Broglie (Éds.), op. cit., 451. 233. Henri Poincaré, Sur la théorie des quanta, Comptes-rendus de l’Académie des sciences, Paris, 1911, 1103-1108, et Journal de physique théorique et appliquée, Ser. 5, 2, 1912, 5-34. 234. Lettre d’Einstein à Zangger du 15 novembre 1911, CPAE, vol. 5, doc. 305. 235. Lettre de Brillouin à Lorentz du 30 janvier 1912, Haarlem, Noord-Hollands Archief (NHA), Archief H. A. Lorentz (364), inv. no 11. 236. Russell MacCormmach, « Henri Poincaré and Quantum Theory », Isis 58, 1967, 51-53. Jeans avait tenté d’expliquer les données du rayonnement thermique sans faire appel à la théorie des quanta. 237. E. Rutherford, Philosophical Magazine, Series 6, vol. 21, May 1911, 669. 238. Nous verrons qu’il défendra son point de vue en octobre 1913 à l’occasion de la discussion du rapport de J. J. Thomson au deuxième Conseil de physique (section 5.2 et annexe 8). 239. Haas avait imaginé un atome de type « Thomson », dont le rayon serait lié à la constante h de Planck. 240. N.  Bohr, « The Solvay Meetings and the Development of Quantum Physics », dans R. Stoops (Éd.), La Théorie quantique des champs (Douzième Conseil de physique), New York, Interscience, 1962, 17. 241. L. de Broglie, « Vue d’ensemble sur mes travaux scientifiques », dans Louis de Broglie. Physicien et penseur, Paris, Albin Michel, 1953, 458. 242. D. Kormos Barkan (1999), op. cit., 181. 243. É. Gubin, « Dans la presse. Marie Curie et les premiers Conseils Solvay », dans P. Marage et G. Wallenborn (Éds.), op. cit., 57-64. 244. Nous reprenons dans ce qui suit certains passages du livre de Françoise Giroud, Une femme honorable. Marie Curie, une vie, Paris, Fayard, 1981, 213-245. 245. Voir E. Crawford (1987), op. cit., 200 et 267. 246. É. Gubin, op. cit., 59. 247. Lettre de Rutherford à Meyer du 22 janvier 1912, voir A. Eve, op. cit., 211. 248. Lettre d’Einstein à Zangger du 7 novembre 1911, CPAE, vol. 5, doc. 303. 249. Lettre d’Einstein à Marie Curie du 23 novembre 1911, Albert Einstein Archive (AEA, 84162), courtoisie de l’université hébraïque de Jérusalem.

300

Vous avez dit : sabbat de sorcières ?

250. Lettre de Brillouin à Lorentz du 29 janvier 1912, NHA, 364, inv. no 11. Nous reviendrons sur certains éléments de cette lettre dans la deuxième partie du livre, section 4.2. 251. Voir Françoise Giroud, op. cit., 241. 252. E. Solvay, Gravitique. De la gravité astronomique de la matière et de ses rapports d’équivalence avec l’énergie, voir annexe 2. 253. Les auteurs remercient Nicolas Coupain de leur avoir fourni cette information. 254. Il semble que Nernst se soit inspiré des Faraday Discussions, dont l’objectif était d’éclairer des questions précises de chimie physique en accordant une priorité à la discussion de rapports. Les auteurs tiennent à remercier Brigitte Van Tiggelen d’avoir attiré leur attention sur ce point. 255. Einstein (1912), op. cit., 429. 256. Lettre d’Einstein à Zangger du 15 novembre 1911, CPAE, vol. 5, doc. 305. 257. CPAE, vol. 5, doc. 277. Julius a eu l’occasion d’assister à l’exposé d’Einstein qui a eu lieu à Leiden le 11 février 1911. 258. Voir CPAE, vol. 5, doc. 286. 259. Zangger a des contacts à l’ETH. Il a suivi les cours d’Einstein à l’université cantonale de Zurich, ainsi que certains cours de Curie et Langevin à Paris (CPAE, vol. 5, 291). 260. Lettre d’Einstein à Zangger du 20 septembre 1911, CPAE, vol. 5, doc. 286. 261. Lettre d’Einstein à Julius du 22 septembre 1911, CPAE, vol. 5, doc. 288. 262. Ibidem, doc. 297. 263. Lettre d’Einstein à Besso du 21 octobre 1911, CPAE, vol. 5, doc. 296. 264. Einstein s’était rendu à Leiden en février 1911, en compagnie de sa femme. Lorentz avait invité le couple à loger chez lui, une marque de confiance exceptionnelle ! 265. Voir la prochaine section : « L’imbroglio de la succession “Lorentz” ». 266. Voir la lettre d’Einstein à Zangger du 7 novembre 1911, CPAE, vol. 5, doc. 303. 267. Ibidem, doc. 304. 268. Ibidem, doc. 305. 269. Ibidem, doc. 306. 270. Ibidem, doc. 297. 271. Ronald Clark, Albert Einstein. The Life and Times, London, 1973, 167. 272. Ibidem, 152. Rappelons que Weiss est français, qu’il a rencontré Zangger à Karlsruhe en septembre 1911, et qu’il lui a fait part de son estime pour Einstein (voir le document 291, CPAE, vol. 5). 273. Ibidem, 153. 274. Lettre de H. Poincaré à P. Weiss, novembre 1911 ; voir Robert Debever, Einstein et la Belgique, Compte-rendu de l’Exposition du 16 mai au 19 juin 1979, Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique ; voir aussi Michel Paty, « The Scientific Reception of Relativity in France », British Society for the Philosophy of Science, vol. 103, 1987. 275. Voir la lettre d’Einstein à Zangger de juin 1912, CPAE, vol. 5, doc. 406. 276. Lorentz doit préserver ses droits à la retraite ; cela signifie que son départ pour Haarlem ne pourra se faire qu’à partir de l’automne de 1912, au cours d’une période allant jusqu’au printemps de 1914.

Notes

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277. C’est l’une des raisons qu’il invoquera le 15 novembre dans une lettre à Julius pour justifier sa décision de décliner l’offre d’Utrecht. 278. Planck, collègue et ami de Lorentz, était le seul à avoir bénéficié de ce privilège avant Einstein. Il semble qu’en invitant ce dernier à loger chez lui, Lorentz ait cherché à mieux connaître l’homme qui pouvait devenir son successeur. 279. Voir la lettre de Lorentz à Einstein du 13 février 1912, CPAE, vol. 5, doc. 359. 280. NHA, 763, Van der Waals Archief, inv. no 107. Lorentz se garde bien de mentionner le projet de création de l’IIPS dans sa correspondance officielle. 281. Lettre d’Einstein à Lorentz du 23 novembre 1911, CPAE, vol. 5, doc. 313. 282. Cette indication confirme les propos de Debije, qui a repris le poste d’Einstein à l’université cantonale de Zurich et s’est porté candidat à Utrecht (c’est lui qui obtiendra le poste). 283. Lettre de Lorentz à Einstein du 8 décembre 1911, CPAE, vol. 5, doc. 318. 284. Lettre d’Einstein à Lorentz du 12 décembre 1911. Ibidem, doc. 322. 285. Universiteitsbibliotheek Leiden, AFA FA12, notulen faculteit. 286. Lettre de Lorentz à Einstein du 13 février 1912, CPAE, vol. 5, doc. 359. 287. Lettre d’Einstein à Lorentz du 18 février 1912, CPAE, vol. 5, doc. 360. 288. Lettre de Lebedew à Lorentz, ESPCI, Fonds Langevin, doc. L10/232. On peut supposer que la date du 9 février est celle du calendrier grégorien ; Lorentz aurait donc reçu cette lettre avant celle qui lui annonçait la défection d’Einstein. 289. La démarche de Lebedew nous apporte la preuve que l’idée d’un programme de subsides a été avancée au cours de la réunion « privée » du 3 novembre 1911. 290. La réponse de Sommerfeld, datée du 25 février 1912 a été conservée ; voir A. J. Kox (Éd.), The Scientific Correspondence of H. A. Lorentz 1, New York, 2008, 353. 291. Ehrenfest et sa femme Tatiana Afanassieva sont les auteurs d’un brillant article qui a paru dans l’Encyclopédie des sciences mathématiques, un ouvrage édité par Sommerfeld. 292. Voir M. Klein (1970), op. cit. ; voir aussi P. Huynen et A. J. Kox, « Paul Ehrenfest’s Rough Road to Leiden: a Physicist’s Search for a Position 1904-1912 », Physics in Perspective 9, 2007, 186-211. 293. P.  Ehrenfest, « Welche Züge der Lichtquantenhypothese spielen in der Theorie der Wärmestrahlung eine wesentliche Rolle? », Annalen der Physik 341, 1911, 91. 294. Un calepin d’Ehrenfest est conservé au RMB de Leiden ; il contient une note « Lazarew Solvay  » qui semble indiquer qu’Ehrenfest comptait transmettre les informations qu’il avait recueillies au Dr Lazarew, principal collaborateur de Lebedew. 295. Lettre de Lorentz à Ehrenfest, Archive « Ehrenfest », RMB, Leiden. 296. Lettre de Solvay à Lorentz, FIS, S.a.b.ULB, doc. 27. 297. Rappelons que cet éminent théoricien viennois, père de la physique statistique, avait été le directeur de thèse d’Ehrenfest. 298. Lettre de Ehrenfest à Lorentz, ESPCI, Fonds Langevin, L10/231. 299. Lettre de Lorentz à Ehrenfest du 13 mai 1912, Archive « Ehrenfest », RMB, Leiden. 300. Sommerfeld avait fait part à Lorentz du choix d’Einstein pour sa succession ; voir page 108. 301. Einstein conservera ce titre jusqu’au 13 juillet 1946. 302. FIS, S.a.b.ULB, doc. 132.

302

Vous avez dit : sabbat de sorcières ?

303. Voir notre remarque (section 1.4, note 81). Lorentz avait manifesté son intérêt pour le sujet en 1909 à l’occasion d’une conférence à Utrecht, au cours de laquelle il avait mentionné les résultats de P. Lenard, mais en précisant qu’il persistait à considérer la lumière comme un phénomène ondulatoire ; voir P. Zeeman and A. D. Fokker, op. cit., vol. 7, 374. 304. Voir la lettre d’Einstein à Hopf du 20 février 1912, CPAE, vol. 5, doc. 364, et celle à Zangger de la même époque (Ibidem, doc. 366). 305. Voir la lettre d’Einstein à Besso du 26 décembre 1911, CPAE, vol. 5, doc. 331. Pour une étude détaillée de la position d’Einstein vis-à-vis de Nernst et de Rubens, voir A. J. Kox (1995), op. cit., 245-255. 306. Lettre de Haber à Einstein du 8 mars 1912, Ibidem, doc. 368. 307. Lettre d’Einstein à Elsa Löwenthal du 30 avril 1912, CPAE, vol. 5, doc. 389. 308. Voir Siegfried Grundmann, The Einstein Dossiers, Berlin, Springer 2004, section 1.1. 309. Ibidem, 5. 310. CPAE, vol. 5, doc. 428. 311. Koppel était banquier et fondateur de plusieurs firmes industrielles. Il avait consacré en 1905 1 million de marks à une fondation visant la promotion d’échanges entre intellectuels allemands et étrangers, et avait récemment contribué à la création de l’Institut Kaiser Wilhelm de chimie physique et d’électrochimie. Pour plus de détails, voir S. Grundmann (2004), op. cit., 12 et R. Clark, op. cit., 180. 312. Planck est au courant du souhait d’Einstein : être libéré de l’obligation de faire cours afin de pouvoir consacrer tout son temps à la recherche. 313. Celui-ci accepte de verser des fonds à l’Académie, permettant d’apporter un important complément au salaire d’Einstein. 314. Lettre d’Einstein à Elsa Löwenthal du 14 juillet 1913, CPAE, vol. 5, doc. 451. 315. Einstein y vivra séparé de sa femme et de ses fils, restés à Zurich. 316. R. Clark, op. cit., 149. 317. Chris Koenig, « How Einstein fled from the Nazis to an Oxford College », The Oxford Times, March 2012. 318. Ce sont les termes que Lorentz utilisera dans sa lettre à Solvay du 4 janvier 1912. 319. Traduction du mémoire cité dans la note 180 (Denkschrift…), publié par Ostwald en 1912. 320. Lettre de Lorentz à Solvay du 4 janvier 1912, FIS, S.a.b.ULB, doc. 1. 321. Le projet d’Ostwald est très ambitieux : l’Institut préparerait un catalogue de toutes les substances chimiques, ouvert à tout chercheur intéressé ; un registre chimique et une base de données comprenant l’adresse des auteurs de publications en chimie (récentes ou anciennes). Il comprendrait une section expérimentale où serait conservée une collection des diverses substances chimiques sous la forme de préparations fiables ; une section chargée de fournir la traduction de tous les articles et de diffuser une langue universelle, propre à la chimie (« ido », un nouvel espéranto dont Ostwald a jeté les bases)… et des logements pour le personnel de l’Institut ! 322. Lettre de Solvay à Lorentz du 9 janvier 1912, FIS, S.a.b.ULB, doc. 2. 323. Ibidem, 2b. 324. Lettre de Hostelet à Solvay du 7 janvier 1912, FIS, S.a.b.ULB, doc. 4a-b.

Notes

303

325. Hostelet nous apprend que Solvay a parlé de son projet de fondation à ses collaborateurs, et qu’il considère que l’Institut sera chargé de pérenniser le Conseil de physique. 326. Cette demande ne figure pas de manière explicite dans les notes de Héger, mais il est clair qu’il a été chargé d’inclure une clause de ce type dans les statuts. 327. Lettre de Lorentz à Solvay du 2 février 1912, FIS, S.a.b.ULB, doc. 107. 328. Ibidem, doc.14. Cette demande est révélatrice d’un souci que Solvay exprime constamment dans ses écrits : la nécessité de rendre la physique « objective ». 329. Lettres de Brillouin à Lorentz, NHA, 364, inv. no 11. 330. Brillouin appelle « Conseil » le Comité restreint présidé par Lorentz (un terme utilisé pendant un certain temps). 331. Il s’agit apparemment de Paul Villard, découvreur du rayonnement gamma. 332. Charles Fabry, spécialiste des cavités optiques, président de la Société française de physique en 1924 et membre étranger de la Royal Society en 1931. 333. Jules Macé de Lépinay, cofondateur de l’École des ingénieurs de Marseille, fut le directeur de thèse de Fabry. C’est dans son laboratoire que travaillèrent Fabry et Alfred Perot, concepteurs de l’interféromètre optique Fabry-Perot. 334. Paul Sabatier, spécialiste de la catalyse en chimie organique, prix Nobel de chimie en 1912 (avec Victor Grignard). 335. Voir chapitre 7 : Les subsides « Solvay ». 336. Lettre de Héger à Lorentz du 16 février 1912, FIS, S.a.b.ULB, doc. 111. 337. Lettre de Lorentz à Solvay du 6 mars 1912, Ibidem, doc. 115. 338. Lorentz n’est pas au courant du récent décès de Lebedew. 339. Lettre de Lorentz à Solvay du 25 mars 1912, FIS, S.a.b.ULB, doc. 21. 340. Pour information : 1 000 francs de 1912 représentent aujourd’hui 6 000 euros. 341. FIS, S.a.b.ULB, doc. 27a. 342. Lettre de Lorentz à Solvay du 21 avril 1912, Ibidem, doc. 28. 343. Ibidem, doc. 126. 344. Lettre de Solvay à Lorentz du 4 mai 1912, Ibidem, doc. 32. 345. Notes rédigées par Solvay au cours du printemps et de l’été 1912, Archives de la Société chimique de Belgique, source non diffusée (voir annexe 2). 346. Notamment sur l’origine de l’énergie (apparemment inépuisable) qui se manifeste dans les phénomènes radioactifs et le mouvement brownien. 347. FIS, S.a.b.ULB, doc. 19. 348. Ibidem, doc. 27a. 349. Ibidem, doc. 89. 350. Pour rappel : Héger s’était montré favorable au projet de Lorentz dès le mois de janvier 1912. 351. FIS, S.a.b.ULB., doc. 41. 352. Ernest Solvay, Lettre à Marie Curie du 23 novembre 1911, BNF, Gallica, Pierre et Marie Curie, Papiers II, docs. 266-267. Les auteurs remercient Nicolas Coupain de leur avoir fourni une copie de cette lettre.

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Vous avez dit : sabbat de sorcières ?

353. Solvay interviendra plusieurs fois dans le même sens, mais toujours en restant discret et en se montrant généreux. Voir plus loin ses lettres à Marie Curie de juillet 1913, et d’avril et mai 1914. 354. Solvay semble insinuer qu’il compte participer, de son côté, à cette « poursuite de la vérité ». Nous verrons qu’il le fera avec beaucoup d’ardeur. 355. Fonds Langevin, Archives de l’ESPCI, L10/71. Lorentz a prié Knudsen d’envoyer cette circulaire aux membres du Comité, dans l’ordre suivant : Rutherford, Brillouin, Curie, Warburg, Nernst, Kamerlingh Onnes. 356. FIS, S.a.b.ULB, doc. 148. 357. Lettre « confidentielle » de Lorentz à Solvay du 17 août 1912, Ibidem, doc. 41. 358. Ibidem, doc. 149a. 359. Lettre de Lorentz à Solvay du 16 septembre 1912, Ibidem, doc. 154. 360. Voir annexe 7, La question du patronage royal. 361. Exemple : « On doit se rendre compte par l’observation sur place de la situation indescriptible et éminemment triste dans laquelle l’enseignement universitaire russe a été plongé par le vandalisme du ministre de l’Éducation, pour mesurer la signification qu’aurait la sauvegarde du laboratoire Lebedew, et de sa tradition, pour l’avenir de la physique russe. » 362. FIS, S.a.b.ULB, doc. 38c. 363. Correspondance Rutherford-Knudsen du 12 juin 1912, Archives de l’ESPCI, Fonds Langevin, L10/233. 364. Abraham Pais, Niels Bohr’s Times, Oxford, Clarendon Press, 1991, 133. Voir aussi Jens Rud Nielsen, « Memories of Niels Bohr », Physics Today, vol. 16, 10, 1963, qui rappelle qu’il avait tenté en 1921 de mettre un texte de Knudsen en accord avec la physique moderne, et que ce dernier lui avait répondu : « S’il faut utiliser la théorie des quanta pour expliquer ce point, autant ne rien expliquer du tout… » 365. Correspondance Nernst-Knudsen, juin 1912, Archives de l’ESPCI, Fonds Langevin. 366. FIS, S.a.b.ULB, doc. 1161. 367. Ibidem, doc. 1147, télégramme de Solvay du 18 août 1912. Lorentz est conscient que la proposition intervient avant la première réunion du CSI (septembre 1912) ; il a donc pris soin de solliciter l’accord de Solvay. 368. Ibidem, doc. 154c. 369. Les procès-verbaux des réunions du CSI sont conservés à Paris aux Archives de l’ESPCI, Fonds Langevin. 370. Lettre autographe de M. Laue du 17 août 1912, ESPCI, Fonds Langevin. 371. Sommerfeld n’est pas membre du CSI. Mais on peut supposer qu’il a été informé de la possibilité de solliciter un subside pour des recherches sur les rayons Röntgen, et qu’il a transmis l’information à Laue. 372. Lettre d’Einstein à Hopf du 12 juin 1912, CPAE, vol. 5, doc. 408. Einstein a illustré son commentaire à l’aide d’un schéma qui représente l’expérience réalisée à Munich. Ce qu’il appelle photographie est une image obtenue sans l’intervention d’une caméra : elle montre l’interférence des rayons X diffractés par le cristal (Laue parle d’un photogramme). 373. D’après le Baedeker de 1911-1914 : 1 livre vaut 25 francs ou 20 marks. 374. FIS, S.a.b.ULB, doc. 1128.

Notes

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375. Wood, un spécialiste du rayonnement de résonance et des spectres d’absorption, était connu pour avoir dénoncé en 1904 l’erreur du physicien français René Blondlot, qui prétendait avoir découvert un nouveau type de rayons – les rayons N, capables selon lui d’augmenter la luminosité d’une lumière de faible intensité, une annonce qui avait suscité l’intérêt de l’empereur Guillaume II. 376. Voir Stefan L. Wolff, « Physiker im “Krieg der Geister” », Historical Studies in the Physical and Biological Sciences 33, 2003, 337-368. 377. Le compte-rendu du Conseil, publié après la guerre chez Gauthier-Villars, fera mention de dix rapports (inclusion de deux rapports qui n’avaient pas été prévus, l’un de Marie Curie, l’autre de Sommerfeld). 378. Thomson fonde sa critique sur le fait qu’un noyau devrait produire des déviations de particules bêta comparables à celles des particules alpha, or rien de tel n’a été observé. Voir annexe 8, La confrontation Rutherford-Thomson. 379. C’est ce qui ressort du compte-rendu de la réunion de la British Association for the Advancement of Science qui s’était tenue en septembre 1913 à Birmingham (voir la revue Nature, 6 novembre 1913, 304-305). Plusieurs membres du Conseil avaient pris part à cette réunion : Marie Curie, Lorentz, Wood, et quatre Britanniques (Rutherford, J. J. Thomson, Jeans et W. H. Bragg). 380. Cette méthode se trouvera à la base de la découverte en 1953 de la structure de l’ADN par Francis Crick et James Watson. 381. W. H. Bragg et W. L. Bragg, Rayons X et structure cristalline, Paris, Gauthier-Villars, 1921 (traduction de la troisième édition en anglais). 382. Lorentz rappelle ce qu’il a écrit au sujet du théorème de Nernst en juillet 1913. Voir Chemisch Weekblad 10, 1913, 621 ; voir aussi P. Zeeman et A. D. Fokker, op. cit., VI, 318. 383. Déclaration d’Einstein au cours de la discussion du rapport « Grüneisen » dans La structure de la matière. Rapports et discussions du Conseil de physique tenu à Bruxelles du 27 au 31 octobre 1913 sous les auspices de l’Institut international de physique Solvay, Paris, Gauthier-Villars, 1921. 384. Lettre d’Einstein à Hopf du 2 novembre 1913, CPAE, vol. 5, doc. 480. 385. Lettre d’Einstein à Elsa Löwenthal du 7 novembre 1913, CPAE, vol. 5, doc. 482. 386. Les auteurs remercient Madame Monika Baier, petite-fille de Sommerfeld, de leur avoir fourni une copie des deux lettres et de leur avoir permis d’en reproduire deux extraits. 387. Il s’agit de la station intercontinentale édifiée par Goldschmidt dans le domaine royal de Laeken. Voir F. Stockmans, op. cit., 318 : « Cette station était l’une des plus puissantes connues : elle comprenait une antenne de 600 mètres (soutenue par quatre paires de pylônes, l’une de 120 mètres de haut, les trois autres de 65 mètres) et d’une longueur d’onde propre de 3 500 mètres. Sa mise en service avait été laborieuse en raison de la grande quantité d’énergie électrique, formidable pour l’époque, qu’il s’agissait de discipliner. » 388. Complément au rapport de Laue, intitulé Ueber die vierzähligen und dreizähligen Photogramme der Zinkblende und das Spektrum der Röntgen-Strahlung. 389. E. Solvay, Lettre à Marie Curie du 11 juillet 1913, BNF, Gallica, Pierre et Marie Curie Papiers II, docs. 268-269. Les auteurs remercient Nicolas Coupain de leur avoir fourni une copie de cette lettre. 390. Solvay ne semble pas être au courant du fait que Lord Kelvin, qui défendait une idée semblable à la sienne, s’était rallié en 1904 à l’avis de Rutherford (voir A. Eve, op. cit., 109). 391. Lettre de Herzen à Marie Curie du 15 octobre 1913, BNF, Gallica, Pierre et Marie Curie, Papiers II, doc. 270. Les auteurs remercient Nicolas Coupain de leur avoir fourni une copie de cette lettre.

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Vous avez dit : sabbat de sorcières ?

392. On peut supposer que l’absence de résultats sur ce point crucial (la confirmation de ses vues sur l’origine de la radioactivité) ait contribué à la décision de Solvay de ne pas prendre part au Conseil. 393. E. Solvay, « Énergie radioactive de transformation », note envoyée à Marie Curie le 28 avril 1914, BNF, Gallica, Pierre et Marie Curie, Papiers II, doc. 273. Les auteurs remercient Nicolas Coupain de leur avoir fourni une copie de cette note. 394. Ibidem, doc. 276. 395. Les procès-verbaux de ces réunions (et des réunions d’après-guerre) sont conservés aux Archives de l’ESPCI (Fonds Langevin, L008,1-5) dans des cahiers portant le titre « Comité scientifique Solvay ». À la lecture de ces documents, on s’aperçoit que l’octroi de subsides, l’activité la moins connue de l’IIPS, fut celle qui demanda le plus d’efforts. Au cours des quinze premiers mois (de septembre 1912 à juin 1914), le CSI examinera une centaine de projets de recherche et proposera l’octroi de 40 subsides. 396. Lorentz devra surmonter nombre d’obstacles, notamment l’interdiction de communiquer par lettre : les Allemands imposeront à partir de juin 1915 l’usage exclusif de cartes postales. 397. C. G. Darwin, « Recent extensions of the quantum hypothesis », Nature, 14 May 1914. 398. Arnold Eucken (Éd.), Die Theorie der Strahlung und der Quanten. Mit einem Anhänge über die Entwicklung der Quantentheorie von Herbst 1911 bis zum Sommer 1913, Halle, Wilhelm Knapp, 1914. 399. N. Bohr, Philosophical Magazine 26, 1, 1913. Voir A. Pais (1991), op. cit., 146. 400. Tassel insistera pour que le texte de cette conférence soit publié par les soins de l’IIPS dès la fin de la guerre (voir sa lettre à Lorentz du 6 février 1919, FIS, S.a.b.ULB, doc. 685b). Mais ce texte ne lui sera pas communiqué (Lorentz évoquera les tensions politiques de 1919 entre la Belgique et les Pays-Bas ; voir sa lettre à Tassel du 7 mars 1919, Ibidem, doc. 686). Il est à noter qu’un article de Lorentz, intitulé « Considérations élémentaires sur le principe de relativité » avait paru en 1914 dans la Revue générale des Sciences, 25, 179 (voir P. Zeeman et A. D. Fokker, op. cit., vol. 7, 147). 401. Cette conférence sera publiée ; voir P. Zeeman et A. D. Fokker, op. cit., vol. 8, 390. 402. Lettre de Tassel à Lorentz du 17 mars 1914, FIS, S.a.b.ULB, doc. 1326. 403. Lettre de Solvay à Ostwald du 11 novembre 1911, conservée à Berlin, Archiv der BerlinBrandenburgischen Akademie der Wissenschaften. Les auteurs remercient Diana Kormos Buchwald et Frau Vera Enke d’avoir mis à leur disposition des copies des lettres de Solvay à Ostwald du 7 juillet et du 11 novembre 1911. 404. Lettre des représentants des Sociétés chimiques à Solvay du 13 avril 1912, FIS, S.a.b.ULB, dossier chimie. 405. Lettre que nous avons citée plus haut, voir la section 4.3. 406. Lafontaine est sénateur et cofondateur avec Otlet de l’Institut international de bibliographie. Ce spécialiste de la politique internationale est un pacifiste convaincu (il obtiendra en 1913 le prix Nobel de la paix). 407. Chimiste et pharmacien, Charles Moureu est un chercheur acharné. Il est depuis 1907 directeur du journal La Revue scientifique et a fait en 1911 son entrée à l’Institut de France. 408. Lettre de Lorentz à Solvay du 17 août 1912, FIS, S.a.b.ULB. 409. Lettre de Solvay à Lorentz du 22 août 1912, Ibidem, doc. 149. 410. Lettre de Haller à Tassel du 2 janvier 1913, FIS, S.a.b.ULB, dossier chimie. 411. Voir F. Birck, op. cit., 159.

Notes

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412. Lettre de Solvay à Ostwald du 20 janvier 1913, FIS, S.a.b.ULB, dossier chimie. 413. Ibidem, lettre de Tassel à Haller du 20 janvier 1913. 414. Ibidem, lettre d’Ostwald à Solvay du 24 janvier 1913. 415. Ibidem, lettre de Solvay à Ostwald du 27 janvier 1913. 416. Ibidem, lettre de Tassel à Solvay du 6 février 1913. 417. Solvay s’était inspiré des écrits de Berthollet (voir Isabelle Stenger, « La Pensée d’Ernest Solvay et la science de son temps », dans A. Despy et D. Devriese [Éds.], op. cit., 152). 418. Voir J. Dhombres et J.-B. Robert, Fourier créateur de la physique mathématique, Paris, Belin, 1998, 224. 419. C’est cette loi de van der Waals qui servit en guide à Dewar en 1898 pour la liquéfaction de l’hydrogène, et à Kamerlingh Onnes en 1908 pour la liquéfaction de l’hélium. 420. Cinquième série, t. III, 1913, 126-127. 421. Nous voyons que Solvay n’hésite pas à demander au CSI d’intervenir dans le cadre de ses travaux personnels (cf. la position de Solvay par rapport à l’IIPS au cours des premiers mois de 1912, section 4.4). 422. Lettre de Haller à Tassel du 14 avril 1913, FIS, S.a.b.ULB, dossier chimie. 423. Ostwald a coutume d’associer un contenu énergétique à toute action. 424. Lettre de Guye à Haller du 7 mai 1913, Archives de l’ESPCI Paris Tech, Fonds Albin Haller, carton 18. Les auteurs remercient Madame Catherine Kounelis, directrice des Archives, de leur avoir donné accès à ce fonds. 425. Étant intervenu à l’Académie « en Comité secret », Haller espérait faire la surprise à Solvay. Ce ne fut pas possible en raison d’un règlement de l’Académie. Solvay apprit la décision le 13 août 1913 ; il exprima aussitôt sa gratitude à Haller. 426. Proceedings of the Third Session of the Council of the International Association of Chemical Societies, September 19-23, 1913, p. 24. 427. Les procès-verbaux de ces réunions font partie des cahiers Comité scientifique Solvay, Procèsverbaux et Demandes de subsides, conservés aux Archives de l’ESPCI (Fonds Langevin), Fig. 26. 428. FIS, S.a.b.ULB, doc. 1122. 429. Lettre de Solvay à Brillouin du 5 mars 1913, Ibidem, doc. 1123. 430. Ibidem, doc. 1124. 431. Suite au transfert de 6 000 francs prélevés sur le budget des bourses (celles-ci n’étaient qu’au nombre de trois et représentaient un total de 11 000 francs), le budget subsides pour l’année 19121913 s’élevait à 25 000 francs. En tenant compte des 7 500 francs alloués à Laue et Barkla, le CSI disposait en juin 1913 d’un montant de 17 500 francs. 432. Archives de l’ESPCI, Fonds Langevin, L10/129. 433. Walter Friedrich et Paul Knipping travaillaient chez Sommerfeld ; c’est eux qui ont effectué les mesures proposées par Laue pour détecter la déflexion des rayons X par certains cristaux. 434. Lettre de Lorentz à Tassel, FIS, S.a.b.ULB, doc. 28. 435. Lettre de Solvay à Tassel du 21 juillet 1913, FIS, S.a.b.ULB, doc. 1131. 436. En réalité, le CSI avait besoin d’un supplément de 7 350 francs (la somme à débourser pour les demandes 1-8 était de 17 050 francs, restaient donc 450 francs sur les 17 500 francs disponibles ; il suffisait donc d’un ajout de 7 350 francs pour honorer les demandes 9-15).

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437. Lettre de Tassel à Lorentz du 23 juillet 1913, FIS, S.a.b.ULB, doc. 1132. 438. Ibidem, doc. 1140. 439. « Ein Teil der verwandten Apparate, so wie das benutzte Platin is aus Mitteln der Solvay Stiftung angeschaffte wofür wir unseren besten Dank auszusprechen haben », Verhandlungen der deutschen physikalischen Gesellschaft, 16, 1914, 457. 440. Voir John L. Heilbron, Lectures on the History of atomic Physics 1900-1922, Proceedings of the International School of Physics, Course LVII, 1972, New York, Academic Press, 1977, 74-75. 441. John L. Heilbron, H. G. Moseley: The Life and Letters of an English Physicist, Berkeley, 1974, 1887-1915. 442. Il est à noter qu’un autre bénéficiaire d’un subside « Solvay » mourut sur un champ de bataille de la Grande Guerre : le physicien hongrois G. Zemplén. 443. FIS, S.a.b.ULB, doc. 1233. 444. Archives de l’ESPCI, Fonds Langevin, L12/83. 445. H. Moseley, « The High Frequency Spectrum of the Elements. Part II », The Philosophical Magazine 27, 1914, 703-713. 446. J. Stark, Sitzungsberichte der königlich preussischen Akademie der Wissenschaften, Sitzung der 20. Nov. 1913. 447. Lettre de Stark à Lorentz du 20 novembre 1913, NHA, 364, inv. no 75. Certains auteurs ont déclaré (à tort) que cette lettre s’était perdue. 448. Ce type d’exposé avait lieu le soir ; il débutait à 20 h 15 et se poursuivait sans limite de temps (avec pause ou non), selon le souhait du conférencier. L’auditoire comprenait des étudiants de première année, mais aussi des scientifiques de haut vol, tels que Lorentz, Zeeman, Ehrenfest et Debije. 449. FIS, S.a.b.ULB, doc. 1299. 450. Lettre de Tassel à Lorentz du 27 février 1914, FIS, S.a.b.ULB, doc. 1250. 451. Ibidem, doc. 1252. 452. Ibidem, doc. 660. 453. Lettre de Lorentz à Héger du 13 août 1914, FIS, S.a.b.ULB, doc. 327. 454. Brillouin fait référence à l’affaire Dreyfus. 455. Lettre de Wien à Lorentz du 7 octobre 1914, A. J. Kox (2008), op. cit., 395. 456. Lorentz répondra plus tard qu’il publiera désormais dans des journaux hollandais. 457. Warburg s’était entremis pour faciliter la publication de l’article ; il importait selon lui de ménager la susceptibilité du public allemand, car des bruits circulaient sur des exactions commises par des civils belges sur des Allemands blessés (ces bruits furent contredits plus tard par des témoignages apportés par la Croix-Rouge des Pays-Bas ; Lorentz les communiqua à certains collègues allemands qui se déclarèrent convaincus). 458. Lettre de Planck à Lorentz du 28 novembre 1914, A. J. Kox, op. cit., 398. 459. L’attitude de Sommerfeld avait clairement évolué. Le 19 octobre 1914, il pensait (comme beaucoup d’autres) que la guerre ne durerait pas. Voici ce qu’il écrivait à Langevin : « Il faut espérer que toutes les liaisons scientifiques ne seront pas détruites cette année » (propos rapportés par A. Langevin, op. cit., 7). 460. A. Sommerfeld, Wissenschaftlicher Briefwechsel, Band I: 1892-1918, 489, lettre du 25 décembre 1914.

Notes

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461. S. L. Wolff, op. cit., 337. 462. Lettre de Stark à Lorentz du 12 décembre 1914 ; voir A. J. Kox (2008), op. cit., 401. Malgré cet incident, Lorentz et Stark poursuivirent leur correspondance scientifique pendant une année. 463. Hermann Kellermann, Krieg der Geister, Dresden, 1915. 464. FIS, S.a.b.ULB, doc. 836. 465. Des éléments à l’appui des propos de l’Académie ont été réunis en 1916 dans le livre de Gabriel Petit et Maurice Leudet : Les Allemands et la science. Le chimiste britannique Ramsay et vingt-sept savants français y défendent leur conception de la science allemande. Ramsay parle du rôle très moyen joué par les Allemands dans les découvertes scientifiques. Le mathématicien Picard recommande la suspension après la guerre de tout contact intellectuel avec l’Allemagne. « Il est essentiel, écrit-il, de nous libérer du brouillard de la pensée allemande et de l’esprit systématique allemand. Nous tiendrons compte de certains ouvrages allemands, mais nous n’avons pas besoin pour cela de relations personnelles. Nous espérons pouvoir organiser avec nos amis alliés des congrès dont l’Allemagne sera exclue. » 466. Lettres de Voigt à Lorentz de février 1915, A. J. Kox (2008), op. cit., 281. 467. NHA, 364, inv. no 11. 468. Voir annexe 6, Le « coup » d’Agadir et l’affaire Caillaux. 469. Nous avons rappelé plus haut les discussions entre Brillouin et Wien à propos du « coup d’Agadir » qui eurent lieu en marge du Conseil de 1911. 470. Rutherford fait référence à l’utilisation des gaz, expérimentée pour la première fois par Haber en avril 1915 aux environs d’Ypres (les gaz seront également utilisés par les forces britanniques). 471. Le désaccord entre Lorentz et Wien n’empêche pas un respect scientifique de part et d’autre. Wien réitérera en 1918 sa proposition d’attribuer un prix Nobel à Lorentz et Einstein pour leurs travaux en théorie de la relativité. 472. NHA, 364, inv. no 11. 473. Ibidem, inv. no 35, 61. 474. Hostelet abandonnera les sciences physiques pour s’adonner à la sociologie. Il sera libéré en mai 1917, mais demeurera profondément marqué par l’incarcération. 475. Lettre du 24 mars 1917, adressée à Lorentz par la Légation impériale allemande à La Haye, NHA, 364, inv. no 632. 476. Nous avons déjà rapporté sa réaction à la lettre de Lorentz en hommage à Solvay, mais il ne s’agissait à cette occasion que d’une prise de position à l’égard d’un collègue allemand. 477. Kriegshefte der Süddeutsche Monatschefte, avril 1918, 44. 478. Michael Eckert et Karl Märker, Arnold Sommerfeld Wissenschaftlicher Briefwechsel, Band 1, Berlin, 2000, 454. 479. Michael Eckert, Arnold Sommerfeld: Science, Life and Turbulent Times, 1868-1951, Berlin, Springer, 2013, 292. 480. Voir la lettre de Lorentz à Lefébure du 7 janvier 1919, FIS, S.a.b.ULB, doc. 670. 481. Les auteurs remercient Michael Eckert de leur avoir fourni cette indication. 482. Il ne s’agit que d’une des activités de Nernst pendant la guerre. Pour un compte-rendu complet, voir Hans-Georg Bartel et Rudolf Huebener, Walther Nernst: Pioneer of Physics and Chemistry, World Scientific, 2017, 236-257.

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483. Voir R. Brion et J.-L. Moreau, op. cit., 197-200 ; voir aussi H.-G. Bartel et R. Huebener, op. cit., 254-256. 484. R. Brion et J.-L. Moreau, op. cit., 198. 485. Liane Ranieri, Émile Francqui ou l’intelligence créatrice, Bruxelles, Éditions Duculot, 1985. 486. F. Stockmans, op. cit., 323. 487. NHA, 364, inv. no 56. 488. Tassel à Martin, directeur de l’Imprimerie Hayez, FIS, S.a.b.ULB, doc. 1941. 489. Le Dr R. Goldschmidt de Bruxelles, le Dr M. de Broglie de Paris, le Dr F. Lindemann de Berlin. 490. FIS, S.a.b.ULB, doc. 1944. 491. Ibidem, doc. 1947. 492. Ibidem, doc. 1955. 493. Ibidem, doc. 1956. 494. Voir la lettre de Tassel à Brillouin du 13 juin 1919, FIS, S.a.b.ULB, doc. 695b. 495. J. Pelseneer, op. cit., 32. 496. Liane Ranieri, Danny Heineman. Un destin singulier, 1872-1962, Bruxelles, Éditions Racine, 2005. 497. Note du 15 novembre 1915, Archives de la Société chimique de Belgique, source non diffusée (voir annexe 2). 498. Ce chimiste français, connu pour son principe des équilibres chimiques, obtint en 1916 la médaille Davy de la Royal Society. Fils d’un grand industriel, il fut actif au sein de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, l’une des institutions qui rendit hommage à Solvay à l’occasion de son jubilé de 1913. 499. René Purnal, Ernest Solvay. Conscience de ce temps, Édition familiale pour le centenaire de sa naissance, Bruxelles, 1938, 176. 500. Note de Solvay du 25 mai 1916, Archives de la Société chimique de Belgique, source non diffusée (voir annexe 2). 501. Lettre de Solvay à Vandervelde, FIS, S.a.b.ULB, doc. 680. 502. Lettre de Solvay à Haller du 13 août 1916, Ibidem, doc. 681. 503. Solvay reviendra sur son projet de « Concertation internationale » en janvier 1919, lorsqu’il sera question de l’avenir de l’IIPS ; voir sa note « À propos de la lettre de M. Brillouin », Ibidem, doc. 674. 504. Solvay, qui se défend de vouloir influencer ses partenaires, ne craint pas de réaffirmer sa confiance dans le rôle universel de l’énergétique physique. 505. Lettre de Solvay à Lorentz du 14 août 1916, Ibidem, doc. 678. 506. Les auteurs remercient Madame Catherine Kounelis, directrice de la Bibliothèque de l’ESPCI, Paris Tech, et Monsieur Erik Langlinay de l’EHESS, de leur avoir communiqué ce document. 507. Voir la note de Solvay du 8 juin 1916 : « On verra bientôt que l’ancienne physique occulto-métaphysico-dynamique a vécu », Archives de la Société chimique de Belgique, source non diffusée (voir annexe 2). 508. Les auteurs remercient Erik Langlinay de leur avoir fourni cette indication. Voir aussi Brigitte Van Tiggelen et Danielle Fauque, « The Formation of the International Association of Chemical

Notes

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Societies », Chemistry International 34-1, 2012 ; ainsi que Danielle Fauque, « French Chemists and the International Reorganization of Chemistry after WWI », Ambix 58-2, 2011, 116-135. 509. A. Haller, président ; M. Hanriot, vice-président ; A. Béhal, secrétaire général. 510. J. Pelseneer, op. cit., 76. 511. Cette Union internationale de chimie pure et appliquée est un organisme créé en 1919 par le Conseil international de recherches, dont les chimistes des empires centraux sont exclus. L’Allemagne y sera admise en 1929, mais elle en sera exclue pendant la Deuxième Guerre mondiale. 512. Voir Mary Jo Nye, « Chemical Explanation and Physical Dynamics: Two Research Schools at the First Solvay Chemistry Conferences, 1922-1928 », Annals of Science 46, 1989, 461-480. 513. Les signatures de Solvay, Tassel et Warnant figurent sur une carte de menu d’un dîner qui eut lieu le 19 mai 1916 à l’hôtel des Indes de La Haye ; voir Archive « Kamerlingh Onnes », RMB, Leiden. 514. FIS, S.a.b.ULB, doc. 670. 515. Note de Solvay : « Je n’ai jamais dit cela. La science est internationale avant toute autre chose, et certes elle s’universalisera encore après la guerre, s’affirmant de plus en plus comme représentant l’exact. Elle ira même jusqu’à juger les savants qui s’écarteraient de cette ligne directrice dans les actes notoires de leur vie courante. Telle est mon opinion. » 516. Note de Solvay : « Les savants ne doivent admettre que sur preuve d’exactitude quand ils ont à penser autrement que ce qu’on leur dit. » 517. Note de Solvay : « Les 93 intellectuels ». 518. Note de Solvay : « Parfaitement ». 519. Note de Solvay : « Je ne saurais faire cela, c’est plus fort que moi ». 520. FIS, S.a.b.ULB, doc. 670. 521. Lettre de Lorentz à Solvay du 10 janvier 1919, Ibidem, doc. 683. 522. Note manuscrite de Solvay sur la lettre de Tassel à Lorentz (voir NHA, 364, inv. no 78). 523. FIS, S.a.b.ULB, doc. 675. 524. Ibidem, doc. 671. 525. Ibidem, doc. 675. 526. Lettre de Marie Curie à Lorentz du 26 février 1919, NHA, 364, inv. no 16. 527. Ibidem, inv. no 86 (lettre de Warburg à Lorentz du 23 février 1919) et inv. no 56 (lettre de Nernst à Lorentz du 29 février 1919). 528. Il fera part de ses griefs dans une lettre à Lorentz du 31 mars 1920, NHA, 364, inv. no 26. 529. Voir F. Stockmans, op. cit. ; voir aussi https://en.wikipedia.org/wiki/Robert_Goldschmidt. 530. FIS, S.a.b.ULB, doc. 695. 531. Rappelons que les procès-verbaux des premières réunions du CSI de l’après-guerre sont conservés aux Archives de l’ESPCI, Paris ESPCI-PSL, Centre de ressources historiques, Fonds Langevin (Fig. 26). 532. Le salaire annuel moyen d’un maçon belge, 1 500 francs en 1910, est quatre fois plus élevé en 1920 : 5 940 francs. 533. Voir sa lettre à Solvay du 14 avril 1920 (FIS, S.a.b.ULB, doc. 752), dans laquelle il déclare : «  Malheureusement, les relativistes forment désormais un parti organisé, auquel contribuent peut-être

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encore des traces de professions politiques ou de race…, il semble même qu’on ait formé autour de mes recherches une conspiration du silence. » 534. Cette prise de position est révélatrice de l’impartialité de Lorentz et de sa haute conscience en tant que président du CSI. En effet, nous savons que ce précurseur de la théorie « restreinte » s’intéressait de près à la théorie de la relativité générale, dont l’éclatant succès avait propulsé Einstein au-devant de la scène internationale… 535. Le CSI se sentit autorisé à inviter Einstein, fonctionnaire du Reich allemand, en raison de sa citoyenneté suisse (il est possible que Lorentz ait su qu’Einstein avait pris soin de conserver son passeport suisse). 536. L’humiliation des Allemands fut telle qu’ils refusèrent d’adhérer en 1926 à l’Union internationale de physique pure et appliquée (IUPAP), alors que leur boycott avait été levé. L’Allemagne n’en devint membre qu’en 1954, et l’Autriche attendit 1957. 537. Atomes et Électrons. Rapports et discussions du troisième Conseil de physique tenu à Bruxelles du 1er au 6 avril 1921 sous les auspices de l’Institut international de physique Solvay, Paris, GauthierVillars, 1923. 538. C’est au cours de sa réunion du 6 avril 1921 que le CSI décida d’attribuer à Langevin le siège d’Augusto Righi, décédé le 8 juin 1920. 539. Le leader sioniste Chaim Weizmann l’avait prié de l’accompagner pour récolter des fonds pour la création de l’université hébraïque de Jérusalem. 540. Ce dernier, membre du CSI, n’avait pas pu assister au Conseil. 541. Michelson se trouvait à Londres ; il fut invité « en remplacement » d’Einstein. 542. Voir la lettre de Tassel à Brillouin du 23 février 1921, FIS, S.a.b.ULB, doc. 2066. 543. Lindemann avait fait valoir qu’à la différence de Cambridge (qui comptait plusieurs représentants), il était le seul à pouvoir représenter l’université d’Oxford. Il aurait dû savoir que cette considération ne pouvait pas être retenue, les membres du Conseil étant invités à titre personnel. En réalité, les invités de Cambridge étaient au nombre de deux : Rutherford et Sir Joseph Larmor. 544. Pour Brillouin, Lindemann était un « espion » envoyé par Nernst ; voir sa lettre à Tassel du 13 février 1921, FIS, S.a.b.ULB, doc. 2065. 545. De Broglie énonce ce fait fondamental : « Un atome éclairé par une lumière de fréquence v émet un projectile doué d’une énergie hv, bien avant que le rayonnement n’ait pu, sous la forme d’ondes sphériques homogènes, lui apporter les éléments de cette énergie. » 546. Leur analyse apporta une réponse à la question posée par Brillouin au cours de la discussion finale du Conseil de 1911. 547. Relation qui lie l’énergie du quantum de lumière à la fréquence du rayonnement. 548. P. Langevin et M. de Broglie (Éds.), op. cit., 454. 549. Ce physicien obtiendra un prix Nobel en 1924 pour ses travaux en spectroscopie des rayons X. 550. Voir A. Pais (1991), op. cit., 214. 551. Télégramme d’Adèle Solvay à Lorentz, NHA, 364, inv. no 73. 552. Voir le discours qu’il prononça à cette occasion (FIS, S.a.b.ULB, doc. 2407). 553. Conductibilité électrique des métaux et problèmes connexes. Rapports et discussions du quatrième Conseil de physique tenu à Bruxelles du 24 au 28 avril 1924 sous les auspices de l’Institut international de physique Solvay, Paris, Gauthier-Villars, 1927.

Notes

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554. Après la réunion du Conseil, M. Brillouin et E. Rutherford, membres sortants, furent remplacés par Ch.-E. Guye, professeur à l’université de Genève et O. W. Richardson, professeur à l’université de Londres. 555. Kamerlingh Onnes étant tombé malade, il fut remplacé par son collaborateur, Willem Keesom. 556. Rappelons que deux géants de la physique américaine, Millikan et Michelson, avaient pris part à Solvay III. 557. Schrödinger deviendra célèbre en 1926 pour avoir jeté les bases de la mécanique ondulatoire, une nouvelle mécanique fondée sur une idée révolutionnaire de Louis de Broglie (celle des ondes de matière). 558. On peut supposer que Joffé fut invité sur proposition de Langevin qui venait de rejoindre le CSI de l’IIPS et souhaitait soutenir la physique soviétique (voir à ce propos A. Langevin, op. cit., 10-12). 559. Les amputations pratiquées sur des radiologues réputés avaient apparemment frappé les esprits. 560. Étaient présents à Bruxelles : Lorentz, Knudsen, Langevin, Ch.-E. Guye, Richardson (Marie Curie et van Aubel étaient excusés). Afin de pallier l’absence de ce dernier, Lorentz demanda à Verschaffelt de prendre part aux discussions. 561. A. Langevin, op. cit., 11. 562. Voir le télégramme du 2 avril 1926 envoyé à Lorentz par J. Bordet, représentant du roi à la Commission administrative ; FIS, S.a.b.ULB, doc. 825. 563. Voir la lettre de Lefébure au roi du 25 mars 1926, FIS, S. a.b.ULB, doc. 826. 564. Note de Lefébure du 16 avril 1926, FIS, S.a.b.ULB, doc. 2573. 565. Il s’agit de Léon Brillouin, fils de Marcel Brillouin (ce dernier avait quitté le CSI en 1924 ; il ne prit pas part au Conseil de 1927). 566. En 1924, Schrödinger avait été présenté comme un membre suisse (il travaillait à l’époque à Zurich). En 1926, il est présenté comme un membre autrichien (il semble que le CSI ait voulu s’assurer le concours d’un représentant de l’Autriche). 567. Il est à noter qu’à la différence de Planck, Sommerfeld n’avait pas signé l’odieux Manifeste des 93 intellectuels allemands. 568. C’est Lorentz qui signa le 20 mai 1922 la lettre de nomination de Sommerfeld comme membre étranger de la prestigieuse Société hollandaise des sciences. 569. Lettre de Lorentz à Sommerfeld du 23 novembre 1924, NHA, 364, inv. no 74. 570. Lettre de Born à Sommerfeld, voir M. Eckert et K. Märker, Arnold Sommerfeld Wissenschaftlicher Briefwechsel, Band 2, Diepholz-München, 2004. 571. Les détails du Conseil ont été rapportés par Guido Bacciagaluppi et Antony Valentini dans Quantum Theory at the Crossroads: Reconsidering the 1927 Solvay Conference, Cambridge University Press, 2009. Cela nous a permis de nous concentrer sur certains éléments complémentaires, tirés d’autres ouvrages, tels que le livre de Patrick Coffey, Cathedrals of Science. The Personalities and Rivalries that Made Modern Chemistry, Oxford University Press, 2008, et de documents conservés à l’ULB. 572. Lettre de Tassel à Lefébure du 27 avril 1927, FIS, S.a.b.ULB, doc. 2574. 573. Il refuse également de présenter ses résultats (non publiés) qui portent sur les idées de L. de Broglie à propos des ondes de matière ; voir G. Bacciagaluppi et A. Valentini, op. cit., 13.

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574. Lettre d’Ehrenfest à Lorentz du 30 mars 1926, NHA, 364, inv. no 20. 575. FIS, S.a.b.ULB, doc. 2523. 576. Lettre de Lefébure à Lorentz du 14 octobre 1927. Ibidem, doc. 2534. 577. Ibidem, doc. 2536. 578. Cette conférence internationale de physique précéda de peu Solvay V ; elle fut organisée à Côme en septembre 1927 pour célébrer le centenaire de la mort d’Alessandro Volta, inventeur de la pile électrique. 579. Lettre de Lorentz à Lefébure du 9 octobre 1927, FIS, S.a.b.ULB, doc. 2548. 580. Ibidem, doc. 2541. 581. Voir P. Coffey, op. cit., 188. 582. Ibidem, 188-190. 583. Ibidem, 190. 584. Lettre d’Ehrenfest à Lorentz du 8 novembre 1927, NHA, 364, inv. no 20. 585. Lettre de Langmuir à sa mère, citée par P. Coffey, op. cit., 188-190. 586. Voir la lettre de Brillouin à Lorentz du 11 octobre 1927, NHA, 364, inv. no 10. 587. Lettre de Lumière à Lorentz du 11 octobre 1927, FIS, S.a.b.ULB, doc. 2615. 588. Lettre de Lefébure à Lorentz du 10 novembre 1927, FIS, S.a.b.ULB, doc. 2602. 589. Page 2 de la lettre de Brillouin à Lorentz du 11 octobre 1927. 590. Discours de Langevin aux funérailles de Lorentz, FIS, S.a.b.ULB, doc. 4601c. 591. Voir Youtube, FreeScienceLectures.com, The 1927 Solvay Conference. 592. Notamment Pascual Jordan, jeune collaborateur de Born qui ne faisait pas partie des invités au Conseil. 593. Électrons et photons, Rapports et discussions du cinquième Conseil de physique tenu à Bruxelles du 24 au 29 octobre 1927 sous les auspices de l’Institut international de physique Solvay, Paris, GauthierVillars, 1928. Pour plus de détails, voir G. Bacciagaluppi et A. Valentini, op. cit., 18. 594. Selon ce principe, les comportements contradictoires de la lumière et des électrons doivent être considérés comme la manifestation de deux aspects d’une même réalité (déterminée par les conditions d’observation) qui s’excluent mutuellement. 595. Un effet démontrant une variation de la longueur d’onde de rayons X suite à leur diffusion par des électrons. Compton partagea le prix Nobel de physique de 1927 avec C. T. R. Wilson, autre membre du Conseil qui avait inventé la « chambre à brouillard » qui porte son nom. 596. Elsasser fut malchanceux. Ses conclusions, publiées dans Naturwissenschaften, furent mentionnées par Born en 1926. Mais elles ne furent pas reprises par Davisson et Germer dans leur publication de 1927. L’absence d’Elsasser au Conseil rappelle celle (plus problématique) d’Ehrenfest au Conseil de 1911. 597. W. Heisenberg, « Theory, Criticism and a philosophy », dans From a Life of Physics, World Scientific, 1989, 47. 598. Voir l’argumentation de G. Bacciagaluppi et A. Valentini, op. cit., 242-245. 599. Ibidem, 19 et 244. 600. N. Bohr (1962), op. cit., 26-28.

Notes

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601. Ibidem, 30. Einstein avait fait appel à l’équivalence entre la masse et l’énergie, conséquence de la théorie de la relativité restreinte ; Bohr lui fit observer qu’il n’avait pas tenu compte d’une conséquence de la théorie générale : l’effet d’un champ gravitationnel sur la marche d’une horloge. 602. G. Lemaître, « Rencontres avec A. Einstein », Revue des questions scientifiques du 20 janvier 1958 (texte lu à la radio nationale belge le 27 avril 1957 pour célébrer le deuxième anniversaire de la mort d’Einstein). 603. Cet oncle préféré d’Einstein (frère de sa mère Pauline et père de sa seconde épouse, Elsa) était un citoyen suisse établi depuis de longues années en Belgique. Il vivait à l’époque auprès de sa fille Suzanne Koch-Gottschalk. Les auteurs tiennent à remercier les membres de la famille Ferrard, descendants directs de la cousine belge d’Einstein, de leur avoir fourni une copie de la lettre. 604. W. Heisenberg, « Die Entwicklung der Quantentheorie 1918-1928 », Die Naturwissenschaften 14, 1956, 490-496. 605. Solvay apporta à plusieurs reprises un soutien financier au laboratoire de cryogénie de Leiden (Dirk van Delft, Freezing Physics: Heike Kamerlingh Onnes and the Quest for Cold, Amsterdam, Edita, 2007) ; il s’y rendit trois fois pendant la Grande Guerre. 606. H. Kamerlingh Onnes, op. cit., 554. 607. Brouillon d’une lettre de Lorentz à la famille Solvay, NHA, 364, inv. no 73. Les auteurs remercient Madame Marina Solvay pour la communication d’éléments qui leur ont permis de vérifier que ce document est l’ébauche d’une lettre que Lorentz adressa à Lefébure le 22 septembre 1922. 608. H. Kamerlingh Onnes, op. cit., 555. 609. G. Doyer van Cleeff, Scheikunde in dienst van den Mensch, Haarlem, H.D. Tjeenk Willink & Zoon, 1918 (ce livre contient un portrait d’Ernest Solvay). 610. J. Dhombres et J.-B. Robert, op. cit., 365. 611. J. J. Heirwegh et M. Peeters, op. cit., 168. 612. Voir la critique de Helm de l’ouvrage de W. Thomson et P. G. Tait, « Treatise on Natural Philosophy » dans Die Energetik nach ihrer geschichtlichen Entwicklung, Leipzig, Veit & Comp., 1898. 613. Voir la note de Solvay du 15 septembre 1910 : « Science et Univers objectifs », Archives de la Société chimique de Belgique, source non diffusée (voir annexe 2). 614. Lettre de Solvay du 7 mai 1907, adressée au fils de Marcellin Berthelot, Archives du Collège de France. Les auteurs remercient Madame Anne Chatellier de leur avoir fourni une copie de cette lettre. 615. Pour Kelvin, la matière est le lieu où l’éther est « animé de mouvements tourbillonnaires ». 616. H. Poincaré (1905), op. cit., 195. 617. Karl Pearson, The Grammar of Science, London, A. and C. Black, 1900,166. 618. Ce discours, traduit en anglais sous le titre Max Planck as a Scientist a été repris dans CPAE, vol. 4, doc. 23. 619. E. Crawford (1987), op. cit., 135. 620. Planck se réfère au fait que sa théorie permet de déduire la valeur du nombre d’Avogadro de données relatives au rayonnement thermique. 621. Planck rappelle que la valeur de la charge de l’électron (qui peut être déduite du nombre d’Avogadro) est conforme à celle obtenue par Rutherford à partir d’observations liées à la radioactivité.

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622. Les éléments que nous rapportons ont été empruntés à Jean-Claude Allain, Agadir 1911. Une crise impérialiste en Europe pour la conquête du Maroc, Université Paris I, 1976, et à Laurence van Ypersele, Le Roi Albert. Histoire d’un mythe, Quorum, 1995. 623. Cette affaire aura des conséquences. Consciente de la faiblesse de son système de chiffrement, l’Allemagne décidera de le changer. La France sera dans l’incapacité de le déchiffrer avant l’éclatement de la Première Guerre mondiale. 624. Lettre de Solvay à Jungbluth du 2 septembre 1912, FIS, S.a.b.ULB, doc. 151. 625. Ibidem, doc. 158. 626. Solvay sait qu’il doit permettre au roi d’accepter la proposition de nommer un représentant à la Commission administrative, sans créer un précédent susceptible d’être utilisé par d’autres solliciteurs. C’est pour cette raison qu’il indique que la demande du patronage royal de l’IIPS émane d’un Comité international. 627. FIS, S.a.b.ULB, doc. 165. 628. Thomson a rappelé qu’on est en droit de supposer que l’atome d’hélium est un constituant ordinaire des atomes plus massifs (atomes d’un ensemble d’éléments beaucoup plus étendu que celui qui regroupe les éléments radioactifs). 629. Thomson pense qu’il faut admettre, à l’intérieur de l’atome, l’existence de forces qui ne sont pas celles « qui répondent aux lois ordinaires de l’électrostatique ». Il a montré en 1910 que la loi de rayonnement de Planck peut être obtenue à partir d’une dynamique classique dans laquelle est introduite l’hypothèse d’une répulsion des électrons par les molécules en raison inverse du cube de la distance. 630. Cette idée, avancée par Thomson dès 1910, est une préfiguration saisissante des forces agissant entre les nucléons – protons et neutrons – qui constituent le noyau atomique.

Index des noms

A Afanassieva, T. 107, 301 Albert, Roi des Belges 143, 212 Arrhenius, S. 28, 32, 33, 86, 191, 263, 290, 292 Asquith, H. H. 297 Aubel, E. van 231, 235, 237, 241, 247, 313

B Bacciagaluppi, G. 281, 313, 314 Balibar, F. xiii, 288, 292 Barkla, C. G. ix, 145, 179, 180, 189, 234, 237, 240, 263, 307 Barlow, W. 146, 147, 154 Bartel, H.-G. 281, 309, 310 Bauer, H. 241 Beatty, R. T. 181 Becquerel, A. H. 86, 290 Bédier, J. 209 Béhal, A. 311 Beller, M. 282, 283, 287 Berends, F. 281, 283, 288 Berthelot, M. 218, 268, 315 Berthollet, C.-L. 167, 307 Besso, M. viii, 27, 80, 99, 288, 299, 300, 302 Bestelmeyer, A. 181 Birck, F. 281, 296, 306 Bohr, N. 83, 140, 141, 155, 190, 211, 234, 235, 237, 238, 239, 240, 245, 249, 250, 251, 252, 253, 254, 263, 281, 282, 296, 297, 299, 304, 306, 314, 315 Boltzmann, L. 4, 26, 32, 39, 52, 63, 69, 106, 271, 290 Bonaparte, R. 56 Borel, E. 86 Born, M. 84, 155, 245, 247, 250, 251, 252, 253, 256, 263, 313, 314 Bose, S. N. 247

Boutaric, A. 14, 281, 289 Bragg, W. H. 145, 146, 147, 149, 150, 154, 206, 231, 233, 234, 239, 241, 247, 263, 305 Bragg, W. L. ix, 182, 235, 237, 238, 239, 240, 245, 250, 252, 253, 256, 263, 305 Bridgman, P. W. 241, 242, 243, 263 Brillouin, L. 237, 239, 241, 245, 248, 249, 250, 252, 294 Brillouin, M. viii, 4, 6, 7, 46, 47, 72, 75, 81, 82, 83, 88, 90, 97, 119, 122, 124, 125, 126, 130, 142, 146, 147, 154, 183, 184, 185, 188, 195, 199, 201, 207, 210, 220, 230, 232, 233, 235, 237, 239, 240, 241, 298, 299, 300, 303, 304, 307, 308, 309, 310, 312, 313, 314 Brion, R. 281, 293, 310 Broglie, L. de 84, 245, 250, 251, 252, 253, 263, 285, 299, 313 Broglie, M. de 4, 7, 51, 69, 71, 72, 84, 146, 148, 154, 234, 235, 237, 238, 240, 245, 281, 283, 287, 294, 297, 298, 299, 310, 312 Broniewski, W. 241 Bustamante, M. C. 286, 295

C Caillaux, J. 207, 275, 296, 298, 309 Carnegie, A. 8, 166, 172, 204 Chadwick, J. C. 240, 263 Chatelier, H. Le 218 Chéneveau, C. 180, 187 Clark, R. 281, 300, 302 Clausius, R. 4, 39, 52, 63, 69 Coffey, P. 248, 281, 313, 314 Cohen, R. 282, 283, 287 Compton, A. H. 27, 243, 245, 250, 252, 253, 263, 314 Cotton, A. E. 235 Coupain, N. 265, 281, 285, 288, 289, 290, 300, 303, 305, 306

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Couprie, B. 6 Crawford, E. 281, 287, 292, 299, 315 Crick, F. 305 Curie, M. viii, x, 4, 6, 7, 33, 46, 51, 72, 74, 79, 83, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 93, 97, 100, 101, 111, 119, 125, 130, 133, 137, 143, 146, 152, 153, 154, 194, 195, 230, 233, 234, 235, 237, 241, 244, 252, 257, 263, 281, 283, 293, 295, 299, 300, 303, 304, 305, 306, 311, 313 Curie, P. 86, 89

D Danysz, J. 182 Darrigol, O. xiii, 288, 292 Darwin, C. G. 155, 245, 286, 293, 306 Davis, B. 245 Davisson, C. T. 253, 314 Debije (ou Debye), P. 99, 100, 103, 104, 106, 152, 155, 241, 245, 250, 251, 252, 263, 301, 308 Dechend, E. von 180, 187 De Donder, Th. 247, 250, 297 De Greef, G. 10 Delft, D. van 285, 315 Dember, H. 181, 187 Denis, H. 10 Deslandres, H. A. 245, 246 Devriese, D. 265, 282, 283, 285, 289, 307 Dewar, J. 132, 167, 168, 282, 289, 307 Dhombres, J. 281, 307, 315 Dirac, P. A. M. 84, 245, 247, 251, 252, 253, 263 Dobronravoff 242 Donnan, F. 57, 296 Dony-Hénault, O. 57 D’Or, L. 174, 175, 176, 255, 265, 281, 288, 289 Dreyfus, A. 308 Dulong, P. L. 3, 13, 23, 24, 38, 42, 44, 135 Dunoyer, L. 181

E Eckert, M. 281, 283, 286, 288, 298, 309, 313 Ehrenfest, P. 20, 107, 108, 109, 129, 139, 193, 235, 237, 239, 243, 245, 247, 251, 252, 254, 282, 291, 301, 308, 314

Vous avez dit : sabbat de sorcières ?

Einstein, A. viii, xii, xiii, xv, 3, 4, 5, 7, 14, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 31, 36, 37, 38, 44, 45, 47, 48, 50, 51, 52, 63, 64, 65, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 78, 79, 80, 81, 82, 84, 87, 88, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 108, 109, 111, 112, 113, 114, 115, 144, 145, 146, 149, 150, 151, 152, 155, 206, 228, 233, 234, 235, 238, 239, 240, 243, 244, 245, 246, 250, 251, 252, 253, 254, 255, 263, 271, 281, 282, 283, 285, 286, 287, 288, 291, 292, 293, 294, 295, 297, 298, 299, 300, 301, 302, 304, 305, 309, 312, 315 Elsasser, W. 253, 314 Enke, V. 285, 292, 306 Errera, J. 247 Eucken, A. 155, 283, 291, 298, 306 Eve, A. 281, 293, 299, 305

F Fabry, Ch. 124, 235, 245, 303 Fajans, K. 181 Faraday, M. 155, 300 Fauque, D. 285, 310, 311 Fischer, E. 17, 44, 296 Fokker, A. D. 283, 291, 302, 305, 306 Forrer, L. 98, 99 Fournier d’Albe, E. E. 181 Fowler, R. H. 245, 250, 252, 286, 293 Franck, J. ix, 181, 187, 190, 263 Francqui, E. 212, 217, 310 Fresnel, A. 8, 249, 289 Freundlich, E. 112, 181, 187 Friedrich, W. 32, 113, 180, 307

G Germer, L. 253, 314 Giroud, F. 281, 299, 300 Gockel, A. 181, 185, 187 Goldschmidt, R. viii, 4, 7, 15, 34, 35, 36, 37, 40, 42, 45, 46, 47, 51, 52, 53, 54, 55, 61, 64, 66, 73, 74, 84, 85, 137, 138, 142, 146, 154, 186, 212, 213, 231, 277, 283, 290, 293, 295, 296, 297, 298, 305, 310

Index des noms

Grignard, V. 263, 303 Gross, D. 282, 283, 287 Grossmann, M. 100 Grummach, L. 182 Grundmann, S. 281, 291, 302 Grüneisen, E. 145, 146, 148, 150, 305 Gubin, É. 84, 281, 299

H Haas, A. E. 299 Haas, G. de 73 Haas, W. de 235, 237, 239, 298 Haber, F. 112, 113, 114, 212, 302, 309 Hall, E. H. 241, 242, 243 Haller, A. xiii, 56, 86, 163, 164, 165, 166, 167, 168, 170, 171, 173, 174, 175, 176, 177, 178, 219, 220, 221, 222, 223, 225, 227, 295, 296, 306, 307, 310, 311 Hanriot, M. 311 Hasenöhrl, F. 7, 37, 47, 101, 106, 111, 146, 208, 293 Hayez (imprimerie). 154, 214, 216, 217, 296, 310 Héger, P. 9, 55, 92, 120, 121, 126, 132, 133, 137, 138, 142, 143, 204, 229, 235, 277, 278, 290, 303, 308 Heilbron, J. L. 282, 285, 287, 288, 297, 299, 308 Heineman, D. 217, 310 Heirwegh, J.- J. 282, 289, 315 Heisenberg, W. 84, 245, 247, 250, 251, 252, 253, 254, 256, 263, 314, 315 Henneaux, M. 282, 283, 285, 287 Henriot, E. 235 Hertz, G. ix, 127, 180, 181, 187, 190, 263, 268, 291 Herzen, E. viii, 7, 12, 14, 16, 42, 43, 45, 47, 48, 50, 53, 54, 62, 64, 91, 92, 122, 153, 159, 160, 217, 223, 258, 259, 289, 294, 295, 296, 297, 305 Hevesy, G. de 241, 243, 263 Hoff, J. van ’t 114, 296 Hoover, H. 212 Hopf, L. 144, 149, 150, 302, 304, 305 Hostelet, G. viii, 7, 12, 16, 42, 43, 53, 91, 92, 120, 122, 159, 160, 210, 286, 294, 302, 303, 309

319

Huebener, R. P. 281, 309, 310 Hupka, E. 180, 185, 187

I Icole, P. 180, 187

J Jammer, M. 282, 288, 292 Jeans, J. 4, 5, 7, 18, 28, 37, 40, 47, 52, 63, 66, 69, 70, 75, 83, 97, 146, 234, 237, 290, 293, 299, 305 Jech, B. xiii, 288, 292 Joffé, A. 241, 242, 243, 313 Jorissen, W. T. 181, 187 Julius, W. 11, 98, 99, 102, 103, 181, 187, 300, 301 Jungbluth, H. 138, 277, 316

K Kamerlingh Onnes, H. viii, 4, 7, 35, 51, 70, 71, 72, 84, 93, 97, 98, 118, 119, 130, 139, 142, 146, 154, 210, 219, 226, 234, 235, 237, 239, 241, 243, 244, 253, 257, 259, 263, 282, 290, 295, 297, 298, 304, 307, 311, 313, 315 Kapitza, P. 245 Kàrman, Th. von 155 Kelvin, Lord 268, 295, 297, 305, 315 Kepler, J. 15, 159 Klein, M. 282, 287, 291, 295, 298, 301 Knipping, P. 307 Knudsen, M. viii, 4, 5, 7, 35, 37, 40, 47, 52, 63, 69, 70, 72, 119, 129, 136, 137, 139, 140, 141, 142, 144, 146, 154, 180, 195, 235, 237, 241, 252, 293, 295, 297, 304, 313 Koch, C. 255, 286, 315 Koenigsberger, J. 181 Kohlrausch, F. 32 Kohnstamm, Ph. 49, 50 Koppel, L. 113, 114, 302 Kormos Barkan, D. 282, 287, 291, 292, 294, 299 Kox, A J. 282, 283, 292, 294, 301, 302, 308, 309 Kramers, H. 245, 250, 251, 252 Kuhn, Th. 263, 282, 290, 291, 294

320

L Laer, H. Van 159, 161, 162 Lafontaine, H. 159, 306 Lambert, F. 281, 283, 286, 288, 289, 297 Langevin, A. 282, 308, 313 Langevin, P. viii, 4, 7, 37, 47, 70, 71, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 97, 137, 140, 141, 143, 146, 154, 187, 192, 193, 234, 235, 237, 241, 244, 246, 250, 252, 256, 281, 282, 283, 287, 293, 294, 295, 296, 298, 299, 300, 301, 304, 306, 307, 308, 311, 312, 314 Langmuir, E. 248, 249, 250, 263, 314 Larmor, J. 4, 36, 37, 47, 66, 234, 237, 293, 312 Laub, J. 26, 292 Laue, M. von ix, 144, 145, 146, 147, 149, 150, 151, 152, 154, 179, 180, 182, 189, 194, 232, 263, 304, 305, 307 Lazarew, P. 142, 179, 301 Lebedew, P. N. 106, 107, 108, 127, 128, 139, 140, 141, 142, 179, 180, 298, 301, 303, 304 Leblanc, N. 8, 176 Lefébure, Ch. 60, 133, 156, 223, 224, 246, 247, 248, 249, 250, 258, 296, 297, 309, 313, 314, 315 Lemaître, G. 255, 287, 315 Lenard, Ph. 145, 146, 291, 302 Leudet, M. 309 Levi-Civita, T. 233 Levie, F. 282, 286, 293, 296 Lewis, G. 248 Lindemann, F. viii, 7, 31, 45, 66, 69, 78, 85, 112, 115, 146, 148, 154, 208, 239, 241, 288, 292, 297, 310, 312 Lorentz, H. A. viii, ix, x, xi, xii, xiii, 4, 5, 6, 7, 13, 14, 20, 21, 22, 28, 29, 35, 36, 37, 40, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 60, 62, 64, 65, 66, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 75, 76, 77, 78, 79, 81, 88, 90, 97, 98, 99, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 111, 117, 118, 119, 120, 121, 122, 124, 125, 126, 128, 129, 130, 134, 135, 136, 137, 138, 139, 142, 143, 144, 145, 146, 150, 151, 154, 156, 157, 158, 160, 168, 179, 180, 183, 185, 186, 187, 188, 191, 193, 194, 195, 196, 199, 201, 202, 207, 208, 209, 210, 211,

Vous avez dit : sabbat de sorcières ?

214, 215, 216, 218, 219, 220, 225, 229, 230, 231, 232, 233, 238, 239, 241, 242, 243, 244, 248, 249, 250, 251, 252, 253, 259, 263, 265, 277, 283, 285, 291, 292, 293, 294, 295, 298, 302, 303, 304, 305, 306, 307, 311, 312, 313, 314, 315 Lorenz, R. 43, 294 Löwenthal, E. 112, 302, 305 Lowry, J. M. 181, 182, 185, 187

221, 234, 245, 256, 286, 299, 308,

222, 235, 246, 257, 289, 300, 309,

224, 237, 247, 258, 290, 301, 310,

M Macé de Lépinay, J. 124, 303 Maecenas, G. C. 8 Manneback, Ch. 247 Marage, P. 281, 283, 284, 287, 299 Maric, M. 112 Mascart, E. 89 Massart, J. 228 Maxwell, J. Clerk 4, 39, 52, 63, 69, 79, 128, 290 Mayer, J. 11, 289 Mc. Lennan, J. C. 235 Meyer, E. 181, 186, 187 Meyer, J. 181, 187 Meyer, S. 87 Millikan, R. 22, 110, 235, 237, 239, 291, 313 Millochau, G. 181, 187 Mittag-Leffler, G. 28, 29 Moissan, H. 124 Mond, L. 16, 290 Moreau, J. L. 281, 293, 310 Muspratt, E. K. 57, 58, 296

N Nagaoka, H. 235 Natanson, W. 199 Nernst, W. viii, x, xi, xii, xiii, 4, 5, 6, 7, 17, 24, 25, 26, 27, 28, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 55, 60, 61, 62, 63, 64, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 78, 84, 85, 95, 97, 99, 112, 114,

Index des noms

115, 119, 123, 130, 141, 142, 143, 146, 151, 154, 168, 186, 195, 202, 209, 211, 213, 214, 228, 231, 256, 263, 268, 281, 288, 290, 291, 292, 293, 294, 295, 296, 298, 300, 302, 304, 305, 309, 311, 312 Nicolai, G. 206

321

150, 212, 282, 297,

O Oppenheimer, R. 256, 287 Ornstein, L. 49, 50 Oseen, C. 240 Ostwald, W. x, xii, 10, 11, 17, 33, 46, 54, 55, 56, 57, 59, 60, 118, 157, 158, 159, 161, 162, 163, 164, 165, 166, 167, 168, 170, 171, 173, 202, 222, 267, 282, 289, 290, 293, 295, 296, 302, 306, 307 Otlet, P. 34, 55, 56, 306

P Pais, A. 282, 292, 299, 304, 306, 312 Parijs, P. van 153 Pauli, W. 245, 247, 250, 251, 252, 253, 256, 263, 294 Peeters, M. 282, 289, 315 Pelseneer, J. 282, 293, 310, 311 Perrin, J. viii, 4, 5, 6, 7, 37, 47, 51, 52, 66, 69, 70, 71, 86, 87, 88, 90, 97, 235, 237, 263, 293, 295, 296, 297 Philippson, F. 212, 213, 281, 293 Picard, É. 16, 290, 309 Piccard, A. 246, 247, 255 Planck, M. viii, ix, 3, 4, 5, 7, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 27, 28, 29, 31, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 45, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 62, 63, 64, 65, 69, 70, 72, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 107, 112, 114, 147, 202, 209, 210, 211, 214, 225, 228, 245, 246, 251, 252, 263, 268, 271, 273, 282, 287, 288, 290, 291, 292, 293, 295, 296, 297, 298, 299, 301, 302, 308, 313, 315, 316 Poincaré, H. viii, 4, 6, 7, 46, 51, 64, 69, 75, 77, 79, 82, 83, 100, 101, 107, 143, 155, 160, 268, 282, 289, 291, 298, 299, 300, 315

Poincaré, R. 89, 90, 275 Pope, W. J. 146, 147, 154, 223

R Ramsay, W. 41, 56, 123, 158, 161, 162, 163, 164, 165, 166, 167, 168, 169, 170, 173, 206, 219, 222, 296, 309 Ranieri, L. 310 Rayleigh, Lord 4, 5, 6, 18, 28, 36, 37, 39, 40, 41, 47, 48, 50, 52, 62, 66, 69, 123, 206, 263, 288, 290, 293, 297 Renn, J. 282, 283, 287 Richardson, O.W. 234, 237, 239, 241, 250, 252, 263, 313 Righi, A. 127, 231, 233, 235, 312 Robert, J. B. viii, 15, 22, 34, 35, 137, 146, 148, 239, 256, 277, 281, 283, 287, 290, 291, 293, 300, 307, 315 Rockefeller, J. D. 8 Rohn, W. 182 Röntgen, W. C. 37, 40, 47, 51, 80, 140, 144, 145, 147, 151, 180, 181, 182, 183, 279, 293, 304, 305 Rosenfeld, L. 283, 287, 290 Rosenhain, W. 241 Rowlinson, J. S. 282, 289, 290 Rubens, H. 4, 7, 26, 51, 69, 70, 81, 97, 112, 114, 146, 292, 294, 296, 297, 302 Rutherford, E. viii, x, 4, 6, 7, 33, 37, 40, 47, 66, 72, 74, 75, 79, 81, 83, 87, 97, 119, 123, 130, 140, 141, 142, 144, 145, 146, 149, 154, 155, 185, 190, 208, 231, 233, 234, 237, 238, 240, 241, 263, 273, 279, 280, 281, 286, 293, 294, 298, 299, 304, 305, 309, 312, 313, 315

S Sabatier, P. 124, 303 Salmon, Ch. 181 Schirrmacher, A. 283, 288, 293 Schmidt, G. C. 113, 181, 187 Schollaert, F. 61 Schrödinger, E. 84, 241, 243, 245, 251, 253, 256, 263, 313

322

Schuster, A. 4, 25, 27, 28, 36, 37, 47, 66, 293, 295 Seeliger, H. von 36, 37, 40, 47, 51, 183, 293 Siegbahn, M. 235, 237, 240, 263 Siegel, D. 282, 283, 294 Solvay, Adèle 241, 250, 312 Solvay, Armand 241 Solvay, Ernest vii, viii, ix, xii, xv, 5, 7, 8, 14, 33, 43, 48, 56, 84, 91, 95, 142, 161, 171, 172, 189, 201, 222, 259, 265, 266, 267, 281, 282, 283, 285, 288, 289, 290, 293, 303, 307, 310, 315 Sommerfeld, A. viii, xiii, 4, 5, 7, 50, 51, 52, 63, 70, 73, 79, 82, 83, 97, 107, 108, 146, 150, 151, 155, 180, 187, 188, 202, 210, 211, 245, 246, 257, 286, 292, 297, 298, 301, 304, 305, 307, 308, 309, 313 Stark, J. ix, 26, 182, 191, 192, 193, 194, 195, 202, 263, 292, 308, 309 Stas, J. S. 10, 289 Stengers, I. 265 Stockmans, F. 283, 290, 293, 305, 310, 311

T Tassel, E. 12, 16, 53, 91, 92, 93, 133, 138, 142, 143, 145, 146, 156, 160, 162, 163, 164, 166, 167, 170, 173, 174, 176, 177, 184, 188, 189, 194, 195, 214, 215, 216, 219, 222, 223, 225, 229, 230, 231, 232, 233, 265, 277, 283, 288, 289, 290, 298, 306, 307, 308, 310, 311, 312, 313 Téry, G. 86 Thibaut, J. 245, 250 Thiesen, M. 24, 25, 291 Thirring, H. 245 Thomsen, H. P. 218 Thomson, J. J. 4, 5, 37, 40, 47, 66, 123, 145, 146, 147, 149, 155, 206, 214, 234, 240, 263, 279, 280, 293, 299, 305, 316 Tiggelen, B. Van 286, 300, 310 Trautz, M. 182

Vous avez dit : sabbat de sorcières ?

V Vandervelde, E. 10, 204, 219, 310 Verschaffelt, J. E. 74, 138, 139, 154, 226, 232, 246, 250, 253, 277, 313 Villard, P. 123, 303 Voigt, W. 108, 145, 146, 147, 152, 207, 295, 309

W Waals, J. D. van der 4, 5, 36, 37, 47, 49, 50, 51, 66, 84, 103, 167, 263, 293, 297, 301, 307 Wallenborn, G. 281, 283, 284, 287, 299 Warburg, E. 4, 7, 51, 69, 70, 72, 79, 81, 97, 101, 111, 112, 114, 119, 123, 130, 142, 143, 146, 154, 186, 195, 202, 210, 215, 225, 228, 231, 296, 297, 304, 308, 311 Warnant, E. 12, 219, 223, 225, 311 Watson, J. 305 Waxweiler, E. 10 Weiss, P. 99, 100, 145, 146, 235, 237, 239, 300 Weizmann, Ch. 312 Wien, W. viii, 4, 6, 7, 18, 21, 22, 36, 37, 47, 74, 81, 146, 182, 194, 200, 202, 208, 209, 263, 271, 293, 299, 308, 309 Wilson, C. T. R. 245, 250, 252, 263, 279, 280, 314 Wind, C. 102 Wirtz-Cordier, A.- M. 265, 281, 288, 289 Wood, R. W. 146, 148, 182, 305

Z Zangger, H. 87, 97, 98, 99, 100, 105, 299, 300, 302 Zeeman, P. 51, 64, 191, 207, 235, 237, 250, 263, 283, 291, 302, 305, 306, 308 Zemplén, G. 183, 308