Villon at Oxford: The drama of the text: Proceedings of the conference held at St. Hilda's College Oxford, March 1996 9042004754, 9789042004757

These proceedings of the colloquium held at Oxford in 1996 bear witness to the vitality of Villon studies across the wor

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English Pages [404] Year 1999

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Villon at Oxford: The drama of the text: Proceedings of the conference held at St. Hilda's College Oxford, March 1996
 9042004754, 9789042004757

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VILLON AT OXFORD

Edited by Michael Freeman & Jane H.M. Taylor

Digitized by the Internet Archive in 2022 with funding from Kahle/Austin Foundation

https://archive.org/details/villonatoxforddr0000unse

VILLON AT OXFORD

FAUX TITRE Etudes de langue et littérature françaises publiées

sous la direction de Keith Busby, M.J. Freeman, Sjef Houppermans, Paul Pelckmans et Co Vet

No. 165

ay Amsterdam - Atlanta, GA 1999

VILLON

AT OXFORD

The Drama of the Text Proceedings of the Conference Held at St. Hilda’s College Oxford March 1996

Edited by

Michael Freeman & Jane H.M. Taylor

PAM Let V5

Le papier sur lequel le présent ouvrage est imprimé remplit les prescriptions de “ISO 9706:1994, Information et documentation - Papier pour documents - Prescriptions pour la permanence”. The paper on which this book is printed meets the requirements of “ISO 9706:1994, Information and documentation - Paper for documents Requirements for permanence”.

ISBN: 90-420-0475-4 ©Editions Rodopi B.V., Amsterdam - Atlanta, GA 1999 Printed in The Netherlands

CONTENTS

MICHAEL Preface

FREEMAN & JANE H. M. TAYLOR iil

DAVID MUS François Villon: le drame du texte

1

JANE H. M. TAYLOR “Ballade des seigneurs du temps jadis”: la poétique de l’incohérence

35

ADRIAN ARMSTRONG François Villon: Rhétoriqueur?

on

RICHARD COOPER Le Codicille Villon: le Testament poétique à la Renaissance

85

JELLE KOOPMANS Groseilles et Vaucelles

129

TONY HUNT Villon’s Last Erection (Testament, vv.1996-2023)

150

ROGER PENSOM “Ars combinatoria” dans le Testament de Villon: huitains I-XLI 159 EVELYN BIRGE VITZ “Bourde jus mise”? Villon, the Liturgy, and Prayer

170

CONTENTS

KENNETH VARTY L’illustration du texte de Villon: le cas A. Paul Weber

195

BARBARA N. SARGENT-BAUR Fortune versus François

225

JEAN-CLAUDE MÜHLETHALER Le drame du poète: quand dire, c’est rêver de faire. Parole subie et parole imposée chez Adam de la Halle, François Villon et Charles d'Orléans 238 NANCY FREEMAN REGALADO Villon’s Legacy from Le Testament of Jean de Meun: Misquotation, Memory, and the Wisdom of Fools

282

GEORG ROELLENBLECK Le Temps dans le Testament de Francois Villon

312

ROBERT PECKHAM “Synom au royaume de France” (T, 784): A Proposal for Villon’s Electronic Future in France and Beyond

331

PAUL VERHUYCK De la Sottie a Villon: comment ferrer une oie

343

SUMMARIES — RESUMES

380

PREFACE

This volume consists of the papers given at a conference, “François Villon: The Drama of the Text”, held at St. Hilda’s College, Oxford,

in March 1996. It was a particularly convivial and stimulating occasion of which the collected papers are, we feel, an accurate reflection. It is especially pleasing to be able to thank here those who helped provide us with the means to stage the conference itself, and publish its proceedings. For their generous financial support, we must thank the Faculty of Modern Languages of the University of Oxford, and the British Academy: their assistance meant that we could, to some extent, subsidize graduate students, and offer travel

grants to some of the scholars travelling from abroad. Without the invaluable help of Carsten Maple in preparing camera-ready copy, our fumbling attempts at advanced technology would never have sufficed to get this volume to Rodopi. Our thanks go once again to those enthusiasts who attended the conference and made it such a memorable occasion. We should also like to thank Professor Malcolm Bowie, of the University of Oxford, who gave a lively and thought-provoking opening paper which epitomized what was to follow, the coming together of the medieval and the modern. The first conference ever devoted entirely to François Villon was held in Paris in 1989 at the Bibliothèque Historique de la Ville de Paris. The pretext — if one was ever really needed — was the fivehundredth anniversary of the oldest extant printed edition of Villon’s

works, namely that produced by Pierre Levet in Paris in 1489. If it was relatively easy to find a reason for celebrating Villon in Paris — he was after all, in the words of Clement Marot, “le meilleur poete Parisien qui se trouve” — it is less clear why we should have chosen to bring him to Oxford. There is an old story, first told by François Rabelais in his Quart Livre, that “Maistre François Villon, banny de France” came to the court of Edward V (presumably he meant Edward IV) and made himself so popular there that the King “rien ne

luy celoit des menues negoces de sa maison”. The anecdote ends, famously, with a scatological joke at the King’s expense. There is, sadly, no evidence to suggest that Villon ever did cross the Channel. It would be nice to imagine him, had he done so, making his way to Oxford. He was, after all, a graduate of the University of Paris and

might have found some kindred souls there.

A number of colleges lil

PREFACE

were already flourishing; Magdalen, which stands just across the bridge from St. Hilda’s, had recently opened its doors to students. However much we might like to fantasize about Villon retreating “sur ses vieulx jours” to Oxford, the chances are that he never did. What is true, though, is that not only did the participants bring him to life during our conference, which illustrated in a variety of ways the “Drama of the Text”, but also made us feel that he was among us. So much so that we can justifiably claim that the title of our volume, Villon at Oxford, while not historically true, has a poetic truth about it.

Michael Freeman

Jane H.M.Taylor

François Villon: le drame du texte David Mus

M’étant retiré de votre confrérie il y a belle lurette, c’est avec quelque surprise et autant de plaisir que je me retrouve parmi vous. Je ne poursuis plus de façon active les recherches qui sont les vôtres; néanmoins je n’ai cessé de m’intéresser à Villon et à son héritage — c’est-à-dire à la pensée poétique sous son aspect le plus alerte, telle qu’elle anime encore nos soucis, que nous soyons chercheurs, pédagogues ou écrivains, que nous soyons simplement de ceux-là, de moins en moins nombreux, pour qui la poésie d’une langue reste le ressort de sa conscience. Depuis que j’ai reçu l’invitation de me joindre à vous pour ces journées d’études, je songe à la meilleure façon d’être utile. Et il m’est apparu que je ne pouvais mieux faire que vous proposer un certain nombre de pistes aptes a porter les études sur Villon vers de nouvelles contrées, en partageant avec vous quelques idées qui me sont venues aux cours de recherches d’un ordre personnel, aux confins de l’histoire, de la philologie et de la poétique; en comparant deux poètes qui, à première vue, sont très éloignés l’un de l’autre; en tâchant de démontrer qu’ils appartiennent au même courant de pensée poétique. A ce préambule je dois en ajouter un autre, car la porte que je me propose d’ouvrir devra être défoncée. Et je commence en jetant un cri d’alarme: Villon est en danger. Son héritage risque de disparaître, sa voix risque de se perdre et sa poésie de sombrer, dans l’oubli non, mais dans ce qu’il faut bien appeler le mépris. Vous vous étonnez, à juste titre; pour vous Villon est au plus haut toujours, son intérêt, son importance, sa gloire semblent des acquis indiscutables. Or le mépris qui investit aujourd’hui la figure et la poésie de Villon n’est pas directement le fait des chercheurs, mais

plutôt de ceux qui s’évertuent à le présenter aux jeunes générations. Les conforte une longue tradition: le mépris dont je parle commence chez Boileau, à peine voilé par la complaisance avec laquelle, dans les vers que nous connaissons tous, il fait allusion à ces “siècles

LE DRAME DU TEXTE

grossiers”.! Au moins Boileau a-t-il comme excuse son ignorance de l’homme et, tout autant, de sa poésie. Tel n’est pas le cas de ceux qui, tirant prétexte de la prétendue déchéance morale et du trajet malheureux de notre poète, ont beau jeu de fustiger sa poésie, s’érigeant en critiques après s’étre arrogé le rôle de censeur. De mon côté, je tiens l’engouement pour la fiction biographique — donc la lecture prosaïque, anecdotique et confessionnelle de la poésie de Villon — pour une manœuvre visant à le réduire à notre taille. Car sa poésie, encore plus que sa personne supposée, nous dérange. Malgré tant d’admiration affichée, prétendre faire revivre l’homme à travers sa poésie, afin d’assommer l’un de son dédain et l’autre de son mépris, n’est qu’une façon détournée de se dérober devant ce que la poésie elle-même — la meilleure s’entend, la plus ambitieuse et la plus probe — peut avoir d’incommode, de difficile, de gênant, voire d’inacceptable. En voici une preuve insigne; je pourrais en alléguer d’autres, car une fracture se fait jour, depuis bientôt trente ans, dans le corps même du phénomène littéraire. Une des gloires du système français d’éducation nationale a été la réjouissante continuité qui soudait, par principe dirais-je, les travaux des chercheurs dans les domaines les plus avancées à l’enseignement secondaire et même primaire. Les dernières découvertes de l’érudit — sous une forme vulgarisée s’entend, quoique anoblie par une langue communautaire, par un souci de clarté et un respect pour la science, qui participent du génie de cette langue — ces découvertes se retrouvaient consacrées sous peu par les manuels scolaires. Tel n’est plus toujours le cas. Un mauvais garçon, un repris de justice, qui écrit quand même de la grande poésie: devant cette navrante perplexité on se

! “Ces vers de Boileau écrits sur le témoignage de son docte ami Patru:

Villon sut le premier, dans ces siècles grossiers, Débrouiller l’art confus de nos vieux romanciers,

montrent la confiance — parfaitement justifiée d’ailleurs — qu’il attachait à ses jugements; car il est à peu près hors de doute que Boileau n’a jamais lu un vers de Villon.” Voir Louis Thuasne, François Villon, Œuvres, 3 tt. (Paris, 1923), i, p. 97, n. 4.

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DAVID MUS

résoud aujourd’hui, semble-t-il, à assommer le garçon et sa gloire avec. Marot, en 1533, mettant en avant le “bon savoir” du poëte, se

bornait à admonester ses jeunes admirateurs d’éviter, en poésie, “de telles choses basses et particulières”. Depuis les recherches d’Auguste Longnon, la mauvaise vie dudit Villon reste le portrait de la vie mauvaise; son exemple invite la jeunesse à ne pas le suivre sur cette pente savonneuse, tout en mettant devant ses yeux la réussite

exemplaire d’une poésie inimitable. Car l’histoire édifiante du nommé Villon — comme du phénomène Rimbaud ou du cas Genet, pour ne pas parler de Verlaine et de Baudelaire — est celle du poète maudit qui se rachète par son art, en atteignant du moins à cette espèce de rédemption qui passe sous la couverture blanche de la Bibliothèque de la Pléiade. Mais ce quiproquo ne passe plus, témoin le manuel d’Enea Balmas et d’Yves Giraud, qui conseillent d’éviter exemple méprisable en suivant leur propre exemple méprisant: Les rares faits attestés de sa biographie montrent que Villon a été un mauvais garçon, voleur, meurtrier sans

envergure, un malfrat, une petite frappe. Un étudiant qui a mal tourné, un licencié encanaillé. On a un cran d’arrêt en poche; on se bagarre pour une fille au Quartier latin, et on décampe en laissant un mort sur le pavé. C’est Villon... De quoi toucher certaines bonnes âmes, promptes à la sympathie pour cet enfant perdu qui trouve le temps de faire des vers, cynique et candide, frappant sa coulpe et se cherchant des excuses. Villon n’est poète que par occasion. Tout le monde connaît la Ballade des pendus ou celle des Dames du temps jadis, mais à lire l’œuvre complète, on déchante vite. Les vers ne restent pas bien longtemps sur les sommets, ils s’embourbent à chaque pas dans l’anecdote et dans l’allusion. C’est de la poésie trop personnelle, avec un contenu souvent dénué d’intérêt, et souvent aussi sans contenu (honnêtement déchiffrable, en tout cas.) (...) Sans doute, tout cela devait être assez clair, peut-être même amusant pour les contemporains, au moins pour les initiés. Cela a perdu à peu près toute dimension poétique et toute valeur... Encore faut-il mesurer l'originalité de Villon par rapport à son temps et se souvenir que la part la plus volumineuse de son ceuvre (les quatre cinquiémes) est insignifiante... A lire ces strophes sans prévention, et sans y chercher ce qu’elles ne sauraient

LE DRAME DU TEXTE

contenir, on ne peut que ressentir de la lassitude devant ce déroulement mécanique d’une insipide platitude... Ni ‘courage’, ni ‘lucidité’ ni ‘tendresse humaine’ qui vaillent d’être relevés; une ‘soif de justice” qui n’est que revendication égoïste, une ‘compassion’ qui ne dépasse guère la complaisance. Dans ce fatras souvent creux, comment voir une ‘initiation au monde des arriére-pensées’\\\\\\V (...) Quelques strophes nous suffisent.2

Et le reste a l’avenant, pendant quinze pages. L’ébahissement est au comble lorsque nous apprenons, en consultant la bibliographie, que cette poésie illisible se passera volontiers des efforts de ceux qui tentent de l’élucider. Ceux qui n’imiteront ni le petit malfrat ni le médiocre versificateur seront dispensés de lire l’œuvre des érudits qui se sont occupés de lui, se contentant de lire les pages vexées de leurs censeurs: On pourra se dispenser de recourir aux ouvrages de D. Kuhn (1967), P. Demarolle (1968 et 1973) ou P. Guiraud (1968 et 1970) et se contenter de lire I. Siciliano, Mésaventures posthumes de Maitre Fr. Villon (1973).3

Au demi-mot nous avons compris que M. Yves Giraud s’est cru dispensé lui-méme de la fatigue en question, mais en outre qu’il s’est senti dispensé de lire attentivement la poésie de Villon. A y regarder de près, il me semble que la méprise de notre méprisant exégète passe à côté de deux perceptions majeures, dont une seule suffirait à expliquer l’intérêt qu’a suscité notre poète à travers les siècles, les deux prises ensemble suffisant à déterminer sa gloire. Je parle, d’une part, de la spécificité de son emprise sur la pensée et sur la poésie de son temps, que je préfère nommer son intelligence, à savoir l’intelligence dans laquelle il aura vécu avec la langue, ses traditions, ses institutions, et la culture qui leur donnait

forme. Une telle intelligence prend pied dans son siècle pour le * Littérature française, Collection littérature française/poche, dirigée par Claude Pichois, t. ii, De Villon à Ronsard par Enea Balmas et Yves Giraud

(Paris, 1986; nouvelle édition 1991), pp. 238 ss. 3 Ibid, p. 399-400.

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DAVID MUS

franchir, en allant vers nous. D’autre part, je parle de ce que l’art de Villon aura rejoint, par une intuition propre à lui, au moyen d’une force dont il hérite: à savoir un courant de pensée et de travail littéraire, une spécificité encore, celle qu’ont partagée une longue lignée de poètes depuis la Chanson de Roland jusqu’à nos jours. Si nous n’avons pu jusqu'ici dégager ces deux spécificités de manière

convaincante,

la faute

est bien

à nous,

chercheurs

et

pédagogues; nous aurons suscité et entretenu le mépris qui va aujourd’hui au poète. Jusqu’au texte de sa poésie qui aura pâti de notre légèreté. En persistant à étudier et à publier celui-ci en modifiant la graphie des sources, en y piquant la ponctuation abusive,

de

faux

titres

et de

titres

faux,

des

majuscules,

le

numérotage arbitraire des vers et des huitains, un commentaire à visées restrictives — tout un ensemble de faux-semblants hérité de la philologie allemande, que nous n’avons su ni améliorer ni dépasser — nous nous sommes refusé le moyen de lire Villon tel que ses contemporains l’auront perçu. “Le drame du texte”, c’est notre incapacité de produire, à côté des fac-similés et des éditions diplomatiques, un Urtext. Si, pour l’étude de nombreux auteurs, un tel instrument de travail serait superflu, pour Villon, où la fluidité du

texte se réfléte jusque dans le menu détail des micro-structures, il me

semblerait indispensable. Est-ce notre face ou celle de Villon que nous avons ainsi volontairement voilée? Grâce aux travaux des historiens tels qu’Etienne Gilson, Erwin Panofsky, Edgar de Bruyne, nous connaissons un peu le contexte de pensée esthétique dans lequel s’est élaboré le texte de Villon. Grace a d’éminents médiévistes tels que Paul Zumthor, Eugéne Vinaver, Charles Singleton, Rosemond

Tuve, Alan Gunn,

nous savons comment cette pensée a été mise en œuvre, notamment dans les multiples voies de ce qui s’est appelé Allégorie. Or jusqu’ ici il nous a été étrangement difficile de situer Villon dans ce courant de pensée; il reste pour nous l’exception, l’original, le hors-la-loi, au

sommet d’un art tout à lui qui hérite des “thèmes” mais non des visées et des pratiques de ses prédécesseurs. Villon ne pratiquait ni l’allégorie de Jean de Mehun ni celle de Christine de Pisan et de Jean Molinet; comment aurait-il pu parler de la Nature ou pour elle, si un personnage “Nature” ne figure pas sur la scène de son théâtre?

LE DRAME DU TEXTE

Si Villon parle de l’amour et de la mort, nous n’avons pas de peine à reconnaître là un souci de pensée, pour banal qu’il soit. Mais lorsque nous rencontrons sur notre chemin un Thibaut d’Aussigny, un Perrenet Marchant, un Robert d’Estouteville ou un Jehan Cotart,

nous ne nous expliquons pas la pleine portée de leur présence. Et pourtant

quand, avec

Dante,

nous

rencontrons

Guido

Cavalcanti,

Ugolino ou saint Dominique, nous ne tardons pas à reconnaître que ces hommes, présents en chair et en os peut-on dire, participent d’un sens et surtout d’une visée générale — et cela, que nous ayons ou non Virgile et Béatrice à nos côtés, pour tout dévoiler. Qu’un personnage s’adresse à nous, en déballant sa pensée, en faisant montre de son

intelligence — que ce soit la Belle Héaulmière ou The Wife of Bath — nous lui accordons une intention réfléchie, et une portée pour sa parole comme pour sa personne, qui dépasse sa simple présence; que ce soit le Pauvre Villon, et pour nous sa parole résume son intention, sans que soient imaginables une ancienne pensée, une pensée neuve, et une nouvelle conscience qui les relie par le truchement d’une poésie. “Villon” et sa pensée se superposent en s’identifiant l’un à l’autre: voilà, semble-t-il, son originalité. De toute évidence, Villon croyait — comme Chaucer et Dante

— que Dieu a proféré le monde comme un dit, et notre dire avec. Notre langage vit dans un rapport d’analogie permanente avec le grand fait d’un univers lisible par les yeux de l’esprit, qui se servent, le cas échéant, de la lecture d’un vrai texte écrit, lors du déchiffrage.

Cette analogie complète et permanente, nous pouvons la mettre en valeur de plusieurs manières, qui s’appellent toutes Allégorie dès que le sens littéral se voit dépassé: par le fait de proférer une figure; en utilisant un mot particulier qui se réfère à un sens général; en mettant un mot a double sens; en posant un paradoxe, en faisant une allusion;

en faisant parler comme

un particulier un personnage qui porte le

nom et les traits d’une vérité générale; en reproduisant, dans la forme

particulière d’un poème, la forme dont se revêt la vérité; en décelant dans un mot singulier sa force d’origine, soit son étymologie; enfin en dévoilant l’analogie formelle qui relie un mot du langage à une chose du monde. Villon a utilisé toutes ces méthodes pour nous parler de manière analogique, quoique avec une maîtrise rarement égalée. Mais là où il déploie sa singularité, c’est dans son choix des choix à faire — dans l’alignement des choix, qui suit le biais de son

6

DAVID MUS

parti pris esthétique. Partout où il nous faut deux sens, l’un particulier et l’un général, pour établir la portée précise de l’analogie, Villon préfère ne nous donner que le côté concret ou littéral de la signification double, en laissant traîner des indices alléchants mais bien allusifs, souvent

sibyllins, susceptibles de mener nos yeux et notre intelligence vers le sens général de sa démarche. Villon se fie à nous: son choix esthétique se trouve explicité dans sa première œuvre, où un fatras d’analogies désormais fades, toute une indigence, se trouve ridiculisé et, au bout du compte, balancé. Villon se fie à sa langue aussi. D’autres avant lui, et notamment Dante, révèlent un talent et un

tempérament qui privilégient la force prégnante du littéral. Pourtant, sur ce biais Villon les dépasse hardiment: la confiance qu’il accorde à la littéralité constitue sa découverte, sa singularité et comme qui dirait son cachet. Etant donné, dès l’origine, l’analogie qui préside à nos destins — deux infinis, dirait Pascal, ou Baudelaire, étroitement

imbriqués — le poète n’est pas obligé de mettre le point sur tous les i. La langue parlera pour elle-même, si l’on a soin de la mettre en exergue, pour ainsi dire — de l’enchâsser dans le contexte formel approprié. Dans ce contexte, Villon se fie à la force analogique: elle saura opérer sans nous, par nous, et en dépit de nos yeux demi-clos, de notre intelligence obtuse. Finalement, Villon se fie à la littéralité du monde et de son langage. La force des choses parle aussi, et les êtres qui la subissent en les maniant. L’analogie tiendra bon, aussi loin que nous poussons nos investigations de son seul côté concret. Le sens en jaillira; et le sens concret est déja double, car il renvoie d’une part vers le choix esthétique, le destin du poète; et de l’autre, vers notre enlisement dans un monde concret de particuliers, d’appâts sensibles, d’aveuglements. Par là même, l’analogie inhérente au monde aveuglé nous poussera vers une prise de conscience de notre état, de notre destin, et de notre impératif de salut: c’est ce que de Bruyne appelle “l’ironie métaphysique”. De fait, en poussant si loin ses propres investigations, Villon a rejoint une ancienne pensée et ouvert une nouvelle voie pour la poésie: elle porte depuis lors son nom, mais je

l’appellerai ici l’esthétique de la littéralité. Elle est une donnée de la poésie française. L’esthétique opposée, celle du sens général explicité, de l’allégorie ouverte et de la figure flagrante, a été 7

LE DRAME DU TEXTE

pratiquée en permanence depuis, et par les plus éminents: je pense à Ronsard, mais aussi à Hugo, à Mallarmé

et, de nos jours, à Yves

Bonnefoy. Mais l’esthétique qui tourne le dos à l’éloquence pour sonder la substance même d’une langue et se plonger dans la particularité d’un vécu, a eu ses adeptes aussi, et non les moindres: je pense à Joachim Du Bellay, à Agrippa d’Aubigné, plus tard à Baudelaire,

à Verlaine,

à Reverdy

et, de nos jours, à André

du

Bouchet. De cette poétique-ci, Villon est la référence. La spécificité de Villon gît dans la foi accordée, justement, au spécifique; elle a déterminé l’un des grands courants de la pensée poétique française. “Le drame du texte”, c’est aussi notre incapacité à remettre en valeur et en mouvement ce double engrenage. La raison en est, je gagerais, que Villon a trop bien réussi son propre pari — que le visage pittoresque, comique, particulier et concret de son poème est si vivant et si émouvant qu’il nous détourne de la tâche qu’il avait lui-même en vue: soit pénétrer l’acharnement de vivre, le dépasser, par un effort suprême d’intelligence et de volonté. Pour cerner cette tâche et cet effort, alors, de quel moyens disposons-nous? Sans crier gare, je suis entré dans le vif de mon sujet: quelles voies nous sont ouvertes pour l’étude de Villon? Déjà je suis en train de vous en proposer une, peu orthodoxe: l’étude de Villon à la lumière de ceux qui l’ont suivi. Mais quelle voie Villon a-t-il suivie, lors de sa propre entrée en matière? Or,

pour

un

poète,

la

face

mouvante,

émouvante

et

infiniment complexe de sa propre langue représente le mieux la face de la nature créée; celui qui veut explorer celle-ci se met naturellement, en premier lieu, à fouiller celle-là. Villon est le plus

grand spécialiste de la langue de son époque, “le meilleur poète Parisien qui se trouve”, dit Marot. Non seulement son métier l’a conduit à examiner, à approfondir et à apprendre pour lui des jargons spécialisés — ceux notamment du badinage obscène, de la procédure, des écoles et même, c’est notoire, de la pègre, qui pimentent son dire et, peut-on imaginer, ouvraient toutes les portes à l’homme — mais en outre Villon s’est plongé dans l’étude de la langue populaire qui sous-tend, en les garantissant, les jargons spécialisés. La langue populaire: ce vaste réservoir d’expressions, de tours, de mots pour rire,

de

formules,

de

brocards,

de

bourdes,

de

comparaisons

proverbiales hautes en couleur — ce bariolage à la fois précis et 8

DAVID MUS

étonnamment varié, qui moire le tissu de toute langue vivante, était particulièrement riche et vivante, avant le grand éclatement du siècle suivant qui allait nous donner une langue littéraire, triomphant loin du parler vulgaire, fondée sur le pouvoir de la métaphore, sur limitation des Anciens et des Italiens. Le style burlesque dans lequel sont rédigés nos testaments satiriques relève en effet d’un seul procédé: c’est le fait d’aligner, dans une suite quasiment ininterrompue, des expressions toutes faites de la langue populaire, dans un contexte qui en relève, en altère, ou en transforme le sens

convenu. Le style burlesque est par excellence celui de Villon — est Villon, pour nous, même dans les passages apparemment les moins cocasses, les plus sincères. Ce qui prouve, en fin de compte, que Pusage d’un tel style n’a rien de frivole ou, si l’on veut, que le rire est le propre de l’homme. Jusqu’aux passages qui parlent sur un ton grave des misères de l’amour ou de la mort, la langue de Villon se révèle à l’examen comme

un enchevêtrement

de formules,

de tours, de bons

mots

rebattus. L’originalité de l’homme, c’est aussi sa virtuosité en fait de lieux communs, la façon ingénieuse et roborative dont il tourne à son profit le dit de l’autre.

Sur ce plan, Villon

n’invente

rien; si à

première vue nous ne recohnaissons pas les tournures qui ont été appropriées et transformées par l’amalgame, c’est que notre connaissance du vieux fonds populaire est encore modeste. La preuve a été administrée une fois pour toutes par Frédéric Deloffre, dans son étude magistrale de la langue de Marivaux.4 Le célèbre “marivaudage” a pu paraître pendant longtemps un badinage inventé par l’auteur de tant de pièces et de romans à succès. L’enquête minutieuse du professeur Deloffre débusque partout les plaisanteries et les tours de phrase traditionnels, qui appartiennent à la langue populaire depuis le haut Moyen Age, et que Marivaux a repris en leur donnant une nouvelle actualité comique. Faudrait-il, pour bien comprendre la langue de Villon, que nous relisions Marivaux? L'époque

même

de Villon,

c’est

entendu,

nous

fournira

nombre de renseignements concernant son parti pris poétique, ses procédés burlesques, les tours qu’il puise dans la langue populaire, et 4 Frédéric Deloffre, Une préciosité nouvelle: Marivaux et le marivaudage (Paris, 1955).

LE DRAME DU TEXTE

les vocables, parfois étranges ou argotiques, dont ces tours sont constitués. Seule l’histoire permet d’éclaircir la nature et les qualités de ses légataires et les faits, les lieux, en somme l’actualité, a laquelle sa langue, braquée sur le particulier, fait allusion: nous en tombons d’accord, si un doute légitime persiste quant à l’utilité de telles recherches. Seule l’étude comparée des textes qui courent en parallèle à celui de Villon nous permet de comprendre l’art du testament satirique, considéré comme un genre, et l’on persiste à croire que les genres, tels que nous les définissons, existent réellement. Aujourd’hui nous commençons à connaître le chefd’œuvre de Martin le Franc, composée vers 1440, dont la première édition date de 1485, ainsi que les poésies pétillantes de Guillaume Coquillart: voici en effet des répertoires où puiser de nouvelles connaissances du vocabulaire de Villon... J’ai dit “l’époque même de Villon”; mais quelle est-elle, cette époque? Et quelle réalité, et quelle utilité, peuvent avoir de tels découpages? Le style burlesque atteint son apogée avec Villon, Pathelin, Coquillart;

mais

il ne meurt

pas avec

eux,

il reste

bien

vivant

jusqu’aux œuvres de Mathurin Régnier, de Scarron et, je viens de le suggérer, jusqu’à Marivaux. De même l’esprit gaulois — la pratique assidue de ce que j’ai appelé le jargon des équivoques obscènes — a la vie dure. En 1572 un curieux esprit bourguignon, Etienne Tabourot, sieur des Accords, collectionneur de mots pour rire, de rébus, de palindromes, d’étymologies et de bourdes de tout genre,

publia son recueil des Bigarrures, suivi en 1585 par un recueil de poèmes spirituels, les Touches. Ces catalogues plus ou moins raisonnés des plaisanteries et des libertés du langage ont eu une fortune qu’on jugera aujourd’hui démesurée, étant donnée la modestie de l’auteur et de ses prétentions; ses recueils se réimprimaient jusqu’au milieu du XVIIe siècle. Or, l’intérêt des recueils

de

Tabourot

pour

le

lecteur

de

Villon,

c’est

qu’ils

témoignent de la survivance, en pleine période pré-classique, de l’esprit libertin, c’est-à-dire de ce curieux mélange de badinerie et de satire cruelle, qui, à l’époque, débordait des rues et des tavernes, entrait même pompeusement dans les salons et les assemblées, les théâtres et jusque dans la cour: je pense à La Fontaine, à Bussy-

Rabutin. La Bruyère rend compte du phénomène à la fin du siècle, 10

DAVID MUS

pour le déplorer, bien entendu; comme, avant lui, Molière s’en moque à plusieurs reprises.° La langue verte, la gauloiserie, et la grivoiserie — ce que Tabourot appelle l’esprit lascif — sont aujourd’hui passées de mode. Et pourtant cette riche veine d’inspiration typiquement française a suscité de l’intérêt et recueilli des suffrages jusqu’au début de notre siècle. Se rappellera-t-on que les esprits les plus absolus du siècle dernier, Stéphane Mallarmé et Victor Hugo en tête, n’ont pas hésité à

contribuer par de vers libertins au Parnasse satyrique du XIXe siècle? Et que ce fut Marcel Schwob, romancier, érudit, bibliophile et critique perspicace, qui a déterré, recueilli et publié les poèmes libres du Parnasse satyrique du XVe siècle? Et que Guillaume Apollinaire a rédigé pour nous le catalogue de l’Enfer de la Bibliothèque nationale? Ce qui frappe à la lecture des catalogues de Tabourot, c’est que l’auteur ne distingue pas l’esprit libre de l’esprit tout court. Les bourdes à portée licencieuse sont disséminées partout dans son recueil, non seulement là où il réunit, par un tour de force saugrenu, les vieilles plaisanteries fondées sur la grande famille de mots qui commencent par la syllabe con. Partout l’on retrouve les tours et les pratiques de l’esprit burlesque que connaissait François Villon. Se peut-il que, pour bien apprécier Villon, il faille avoir lu et médité Tabourot des Accords? Malgré les transformations phonétiques, syntaxiques et lexicales qui allaient bientôt faire naître le français moderne, le moyen français, la langue de Villon, a survécu aux réformes de Guez de Balzac, de Pascal, de Malherbe et de Vauvenargues. Son piquant et ses piquants subsistent dans la langue populaire, quand la langue châtiée, officielle, triomphe sur une littérature en voie de devenir

classique. La langue de la Pléiade et de Versailles était celle d’une élite minuscule avant de devenir l’apanage de tout écrivain; les dialectes et les patois campagnards ont conservé intacts, jusqu’à nos jours, bien des habitudes et le penchant spirituel du moyen français. Dans Le Sonneur de cloches, je raconte comment le hasard m’a permis de m’en convaincre.® Un vers réputé obscur à la fin de la 5 Les Caractères, 1788: “De la société et de la conversation”. Pour Molière, voir Les Femmes savantes, Ill, sc.2; Critique de l'Ecole des Femmes, sc.1. 6 David Mus, Le Sonneur des cloches (Seyssel, 1991), ch. 2.

11

LE DRAME DU TEXTE

strophe 10 du Testament se révèle être la reprise des vœux rituels du nouvel an, “Et le paradis à la fin de vos jours!” qu’on répète encore aujourd’hui, et non parce que l’on se souvient de Villon. Ma bonne voisine Germaine n’avait pas lu une seule page de nos anciens poètes — bien qu’elle sût réciter encore,

à 96 ans, des fables entières de

Florian — mais elle partageait avec François Villon une culture orale, un héritage linguistique perdurable, dont tous deux avaient la jouissance. Des pans entiers du moyen français sont restés debout dans la tourmente de la Renaissance; en témoigne Rabelais, comme

l’on

sait, ainsi que Maurice Scève et jusqu’à Philippe Desportes, pour ne pas parler de Marguerite de Navarre, de Jean Lemaire de Belges, de Melin de Saint-Gelais et d’Antoine Heroët. Les poètes de la Pléiade aussi, malgré leur parti pris et leur recherche stylistique, malgré l'apprentissage du grec et la pratique assidue des auteurs latins, parlaient, quand ils ne l’écrivaient plus, la langue de Villon. En plus, la Pléiade est une constellation; Belleau n’écrit pas la même langue que Ronsard, Joachim Du Bellay prend toute occasion dans les Regrets et ailleurs de distinguer son style satirique, plus proche des “choses basses et particulières”, de la haute gravité de son ami; et la langue de Du Bellay subit une mutation notable lors de son voyage romain. C’est dans la poésie de la première moitié du XVIe siècle aussi que le chercheur soucieux du détail relèvera maints exemples d’emplois proverbiaux, de dictons et de formules de style, qu’il aura déjà rencontrés, souvent dans la perplexité, chez François Villon. Voici quelques exemples. Dans les premières strophes du Testament, Villon prend soin de renier formellement tout engagement féodal envers l’évêque Thibault, dans une suite de vers équivoques. Encore aujourd’hui nous rendons “nos hommages” à une belle femme, en bon style épistolaire, et ces hommages avaient à l’origine le sens d’une “humiliation” féodale en bonne et due forme. Les termes jumelés des trois vers:

12

DAVID MUS soubz luy ne tiens s’il n’est en friche foy ne luy doy n’hommage avecque

je ne suis son serf ne sa biche.? ont à la fois un sens en droit et en amour. Est-ce une surprise de lire, dans les Amours d’Etienne Jodelle, au sujet du dieu d’ Amour, Voyant que ne m’estois sous luy humilié Et que ne luy avois encores fait hommage...8

L’équivoque cruelle de Villon, braquée sur le vécu immédiat, flétrit les mœurs de l’évêque. Un siècle plus tard, chez Jodelle, l’envergure abstraite et prosaïque de l’alexandrin, la puissance d’une métaphore et la nouvelle visée pétrarquiste, fondent sur un souvenir de l’amour courtois et des images du droit féodal ce qu’il faut appeler un concetto.

L’amour

est

la source

d’une

nouvelle

servitude,

la

servitude à l’Idéal est à son tour la source d’un amour nouveau. Plus loin dans le Testament, à la fin des cinq strophes que Villon consacre à la puissance royale, il reprend la même formule de soumission, positive cette fois et sans nuance érotique, à l’égard du roi Louis XI: ... vie me recouvra dont suis tant que mon cuer vivra tenu vers luy m’humilier ce que feray tant qu’il mourra bienfait ne se doit oublier.

(84)

Nous rejoignons ici, hors l’équivoque, la littéralité nette: “tenu vers luy” répond à “sous luy ne tiens”; la littéralité enjoint de distinguer deux sens différents d’une seule expression, “tant que mon cuer vivra” et “tant qu’il mourra”, en stricte parallèle aux deux usages de la strophe VIIL “tant qu’il a de long et de lé” (62) et “vivre autant

7 Je cite les vers de Villon d’après l’édition Longnon-Foulet (4° éd.: Paris, 1932), en supprimant la ponctuation et les majuscules. 8 Je cite la première édition, procurée par Charles de la Mothe: Les Œuvres et Meslanges Poétiques d’Estienne Jodelle sieur du Lymodin,

à Paris chez

Nicolas Chesneau, 1574; p. 3.

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LE DRAME DU TEXTE

que mathusalé” (64), ce qui autrefois causait quelque émoi chez les copistes et les commentateurs. Or Joachim Du Bellay emploie l'expression deux fois un siècle plus tard, dans les Jeux Rustiques et dans les Regrets, au subjonctif, “jusqu’à tant que je meure”, “Jusque à tant qu’il meure”.? Chaque fois l’adjonction du synonyme “jusqu’à” à la formule souligrie la longueur d’une vie de souffrances qui précède la mort, “tant que” pouvant suffir à nommer l’événement futur. La formule raccourcie dont se sert Villon est doublement expressive: “tant que mon cuer vivra” souligne la vie de souffrances qui l’attend, “tant qu’il mourra” évoque l’abrupte disparition soit du cœur soit du roi; Villon sera toujours en train de remémorer les bienfaits du roi, toujours en train de s’humilier, au moment même où la relation entière prend fin. Plus loin le rondeau “Au retour” parle de cette mort abrupte en d’autres termes: Fortune fait méprison, mais se si plaine est de desraison que vueille que du tout devie plaise a dieu que l’ame ravie en soit lassus en sa maison

(1791)

au retour

9 Le contexte, de libération et de servitude, est d’ailleurs semblable chez Du Bellay: Désormais donc à mon col soit permis Jetter le joug, où je l’avois soumis, Et désormais retourne la franchise De père en filz à nostre sang acquise: Franchise, las, que fort mal j’entendy Lors qu’en ce lieu serve je me rendy, Mais qui fera désormais sa demeure Avecques moy, jusq’a tant que je meure.

Joachim Du Bellay, Divers jeux rustiques, éd. Verdun L. Saulnier (Genève, 1947), p. 146. Je cite Les Regrets de Du Bellay, ainsi que le Songe, dans l’édition de J. Jolliffe et M. A. Screech, Textes littéraires français (Genève, 1966). L’un sans se travailler en seureté demeure,

L’autre qui n’a repos jusques à tant qu’il meure, Traverse nuict & jour mille lieux dangereux. (éd. cit. p. 96)

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DAVID MUS

Quel est le sens et quelle la construction de cette expression que tranche l’enjambement, “que l’ame ravie / en soit lassus’”? Le verbe être précédé de en fait partie d’une locution qui exprime ou la cause ou les circonstances d’un nouvel état; nous la retrouvons dans La

Defence et Illustration (“Marsye, qui depuis en feut écorchié”) comme ailleurs chez Villon, “j’en fus batu comme a ru telles” (658). Mais l'âme ravie est également une locution consacrée qui nomme à elle seule la mort. Dans les Regrets nous retrouvons le verbe et non le participe, “Mais devant que la mort ait son ame ravie”, mais dans la Defence et dans /’Olive Du Bellay emploie l’expression non moins de quatre fois, pour désigner soit la mort soit le ravissement mortel de l’extase amoureuse;

et la locution évidemment très courante se

retrouve toujours chez Malherbe.l0 Ne peut-on conclure que, dans le rondeau de Villon, la banalité même de l’expression “l’âme ravie” vient ajouter une touche d’ironie exquise à la méprison de Fortune? Villon subit un sort peu commun, jusqu’au moment où il subira le sort de tous. Les autres lectures possibles de nos vers, où, grâce à l’enjambement hardi, le mot “ravie” se joint à l’expression “en soit lassus” plutôt qu’au mot “ame”, viendraient apporter la surprise d’un salut non mérité, mais accordé gracieusement, par lequel l’âme ravie sera donc “ravie lassus”. La locution banale se délite et révèle, sous

nos yeux, une nouvelle virtualité. Autre exemple: à la première strophe de la ballade que nous

appelons “Les contredis Franc Gontier”, Villon dépeint d’une manière alléchante — puisque selon une hiérarchie ascendante il commence en évoquant les cinq sens et leur monde à eux — les jouissances intimes d’un gras chanoine et sa “dame sidoine”; et il conclut, en bas de ce premier tableau si sensuel, lors je congneus que pour dueil appaisier il n’est tresor que de vivre a son aise

(1481)

Nous saisissons d’emblée l’ironie cuisante de cette révélation: pour nous et a plus forte raison pour un chanoine il y a un trésor qui vaut

10 Joachim Du Bellay, La Deffence et illustration de la langue françoyse, éd. Henri Chamard (Paris, 1970), p. 55, et F. de Malherbe, Œuvres poétiques, éd. René Fromilhague et Raymond Lebégue (Paris, 1968), i, p. 137.

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LE DRAME DU TEXTE

mille fois “vivre a son aise”. Mais en quel sens Villon peut-il dire qu’il connut cette vérité complexe, dont le refrain expose tour à tour les différentes facettes? Or l’expression “lors je connus” est une locution rebattue pour désigner l’appréhension d’un fait nouveau, à portée considérable, avant qu’on ait eu le temps d’en conclure quoi que ce soit. Connaître veut dire ici percevoir et ensuite seulement reconnaître. Nous le retrouverons en ce sens chez Pontus de Tyard (Erreurs amoureuses, VIT) mais aussi chez Du Bellay. Au cours de la

première vision du Songe, imprimé à la suite des Antiquitez de Rome, le visionnaire entend une voix qui lui crie: Voy comme tout n’est rien que vanité. Lors cognoissant la mondaine inconstance, Puis que Dieu seul au temps fait resistence,

N’espére rien qu’en la divinité.!! Aurions-nous tort de conclure que l’ironie chez Villon est corsée par le simple fait que l’expression “lors je cogneus” annonce traditionnellement une révélation de ce genre? Si nous ignorons ce sens et cette association, comment comprendrions-nous la pointe a la fin d’un sonnet que Du Bellay voue, dans les Regrets, a sa divine Princesse: Alors (Forget) alors ceste erreur ancienne Qui n’avait bien cogneu ta Princesse & la mienne, La venant a revoir, se dessilla les yeux:

Alors je m’apperceu qu’ignorant son merite J’avais, sans la cognoistre, admiré Marguerite, Comme, sans les cognoistre, on admire les cieux.!2

On admire, on s’aperçoit, des seuls yeux du corps; la divine beauté de Marguerite ou des cieux requiert une connaissance que seul le verbe connaitre suffit a distinguer de la vision vulgaire. Comme si souvent chez Villon, le tour d’esprit ici consiste 4 omettre 'l Joachim Du Bellay, Les Regrets, éd. cit., p. 307; Pontus de Tyard, Œuvres poétiques, éd. John Lapp (Paris, 1966), p. 14.

12 Joachim Du Bellay, Les Regrets, éd. cit., p. 261. 16

DAVID MUS

de dire de façon servile la locution attendue, fait que l’on remarque en proférant plutôt une expression qui en est la déformation ou la parodie. Du Bellay joue son tour, puis enfonce le clou en disant, “Alorsje m’apperceu...sans la cognoistre.” Se peut-il qu’un rapport souterrain relie la poésie de Villon et celle de l’auteur de la Defence et Illustration? Tous deux ont fait leur école à Paris, ont fait de Paris leur école, quoique dans des conditions fort différentes; se rencontrant, à travers le siècle qui les

sépare, ils se comprendraient. Malgré les bouleversements survenus entre la composition du Testament en 1461 et la mort de Du Bellay. en 1560, malgré l’évolution des mœurs et de la langue, les deux poètes sont de la même époque linguistique et de la même aire culturelle, le moyen français de l’Ile de France. L’humanisme et notamment l’étude du grec avaient élargi les horizons de l’un; une expérience pénétrante de sa propre langue avait raffiné la sensibilité de l’autre et jeté les bases d’une poésie qu’on pourrait appeler polyglotte. Mais, s’ils parlaient la même langue, travaillaient-ils dans le même esprit? Quel parallèle pourrait-on établir entre les huitains d’un testament satirique médiéval, écrit en plein cœur de Paris et de sa vieille culture chrétienne, et les sonnets d’un jeune humaniste vivant à Rome en pleine Renaissance? Notre tâche sera rendue d’autant plus ardue que nous ne possédons aucune édition complète des œuvres de Du Bellay. Les Regrets ont été publiés dans l’édition inachevée procurée par Henri Chamard, puis dans bien d’autres, plus ou moins critiques. Aussi étrange que cela puisse paraître, et au grand mépris des règles philologiques, aucune édition de Du Bellay depuis le XVIe siècle ne nous propose ce recueil dans la forme qu’il lui a donnée. Il était revenu de Rome à l’automne de 1557 avec, dans ses bagages, quatre recueils poétiques, qu’il publia pêle-mêle dans les premiers mois de 1558: les Poemata latins, les Divers jeux rustiques, Le Premier livre

des antiquitez de Rome, enfin Les Regrets et autres œuvres poétiques. Chacun de ces recueils a sa propre forme, donc sa propre structure numérique. Les Divers jeux comportent 39 poèmes plus une prose liminaire, et nous savons l’importance qu’a eu dans notre tradition littéraire le chiffre 40. Les Antiquitez comptent 32 sonnets

plus un sonnet liminaire, et l’importance du chiffre 33 n’est pas à souligner. Qu’en est-il des Regrets? 17

LE DRAME DU TEXTE

Au XVIe siècle les recueils n’étaient pas toujours numérotés; le numérotage, forcément arbitraire et jamais justifié, est le fait des éditeurs. Aujourd’hui, dans toutes nos éditions, le dernier sonnet des

Regrets porte le chiffre 191, mais ce chiffre n’a pas de sens. Quel est son bien-fondé, et quelle importance a ce calcul? Pour des raisons que j’ignore, aucun éditeur ne numérote le poème latin ad Lectorem ni le poème-dédicace à Monsieur d’Avanson, ni le premier sonnet, “A son livre”. Le. numérotage traditionnel commence donc avec le second sonnet, qui est le troisième poème du recueil français. Mais il y a plus grave: toutes nos éditions comportent huit sonnets numérotés 105-112 qui n’ont paru dans aucune édition du XVIe siècle. Ces huit sonnets ont été retrouvés dans un carton, inséré dans

un exemplaire unique de la première édition, conservé à la Réserve de la Bibliothèque nationale sous la cote Rés. Ye 410. Visiblement composés à Rome comme les sonnets satiriques qui les encadrent, ces pièces n’ont pas été jugées dignes, par leur auteur, de figurer dans son recueil; néanmoins ils y figurent aujourd’hui, et cela d’ordinaire sans le moindre commentaire. Une fois retranchés ces huit sonnets, une fois rajoutés les deux poèmes liminaires en français, nous arrivons au chiffre de 185, soit le même nombre de

huitains que comporte le Testament de Villon, écrit un siècle plus tôt. Quelle conclusion en tirer? Aucune dans l’immédiat. Mon dessein d’ailleurs, je vous

l’ai annoncé, n’est ni de conclure ni de

clore, mais d’ouvrir portes, pistes et perspectives. Toute conclusion serait prématurée dans l’état actuel de nos connaissances; il nous manque tout indice permettant de relier a priori les deux auteurs. Du Bellay a-t-il seulement lu, connu, aimé l’œuvre de Villon? Je le crois, et fermement, mais rien ne nous permet de l’affirmer. Villon était selon Rabelais, qui, lui, connaissait bien et aimait cette œuvre, “le poète parisien.” Que je sache, Du Bellay n’en parle point, dans

ses œuvres théoriques, pas plus que Thomas Sebillet ou le contradicteur de Du Bellay, le Quintil Horatien. En ce qui concerne Clément Marot, nous savons jusqu'où l’a conduit son admiration pour l’œuvre de son devancier; mais nous savons aussi quelles réserves ont suscité, chez les élèves de Jean Dorat, les engouements

de l’école marotique. Se peut-il que l’âpre polémique qui divise les deux écoles recouvre un fond d’assentiment qui aujourd’hui nous échappe? Villon est donc republié en 1533, le Roman de la rose et 18

DAVID MUS

l’œuvre de Martin le Franc aussi; quantité de réimpressions et d'œuvres nouvelles témoignent de la survie de notre vieille poésie avant et après le triomphe de la Brigade, fait devant lequel les historiens ont montré une curieuse réticence. Les absents ont tort,

Villon est-il resté absent pendant le règne de Ronsard? Les témoignages nous manquent, en voici peut-être un: allons donc voir de plus près. D’entrée, une mise en garde: la science du nombre ne peut en elle-même servir de guide. Dans notre tradition poétique, il est vrai, chaque auteur de vers compte et chiffre; la poésie s’appelait autrefois “les nombres”. Un intérêt pour les chiffres marque tout poète consciencieux, depuis Dante — on dirait mieux depuis Virgile — jusqu’à Maurice Scéve, dont le Microcosme de 1566 compte trois mille et trois vers, jusqu’à Edmund Spenser, dont la numérologie a été étudiée, et même Baudelaire — je rappelle que la première édition des Fleurs du Mal comporte 100 morceaux — et pourquoi omettre Yves Bonnefoy, qui affectionne les chiffres 19 et 26... Et John Milton, le poète le plus docte de son siècle: sait-on que les “regrets” les plus célèbres en langue anglaise, le Lycidas (1638), compte 185 vers pour la “déploration” du jeune Edward King, plus 8 vers d’épilogue, où une autre voix, celle d’un témoin anonyme, situe pour nous dans son cadre pastoral la plainte du berger dolent? Milton aurait-il connu Du Bellay? Assurément, car Spenser l’avait traduit,

mais Milton connaissait tout. A-t-il donc connu Villon? Ce n’est pas impossible, mais ce qui est certain, c’est qu’ils ont tous deux connu quelque chose que nous ne connaissons plus. Il y a eu plusieurs sortes de passion et de respect pour le nombre et son symbolisme. L’étude du nombre en poésie est une tâche empirique; revenons donc aux faits. Nous savons que Villon a

composé son Zestament selon un schéma dont les éléments sont bibliques et liturgiques; les 20 pièces de son héritage sont enchâssées dans une matière versifiée, les huitains, que règlent les chiffres 5 et

8; chaque huitain lui-même est un échiquier où les 64 cases sont à remplir avec tact et précision, si l’on espère gagner la partie. Les huitains eux-mêmes suivent une disposition qui est ordonnée selon le chiffre

1, c’est l’unité; 40, chiffre de l’exile et de l’épreuve;

84,

chiffre de la pénitence; et 100, l’unité portée à son pouvoir complet et total. Pour Villon, la strophe et non le vers ou la pièce est la base

19

LE DRAME DU TEXTE

de sa comptabilité. Et nous connaissons également l’intérêt du platonicien Du Bellay pour les chiffres, depuis les X//J Sonnets de l’honnéte amour jusqu’aux 40 pièces des Divers jeux et aux 185 du recueil qui nous intéresse maintenant. Comment lire ces 185 poèmes afin d’en dégager l’ordonnance? Qu’est-ce qui nous permet de supposer une parenté quelconque entre les Regrets et le Testament? Le registre d’abord, que tout un chacun reconnaît être “personnel”. Villon et Du Bellay, s’adressant directement à nous, semblent tous deux parler d’euxmêmes; et Du Bellay insiste si souvent sur sa pauvreté — qui n’a d’ailleurs aucun fondement biographique — que nous ne serons pas loin de la vérité si nous désignons le héros de son poème “le Pauvre Du Bellay”, ce “chétif”, ce misérable captif de la “prison” de Rome et de sa servitude “ménagiére”, proche parent du héros burlesque que nous apprenons à nommer “le Pauvre Villon”. Dans les premiers 40 sonnets, Du Bellay ne cesse de se mettre en scène pour se plaindre — les mots d’heureux et de malheureux sont les clefs du recueil — et se jeter ensuite dans la poursuite de sa “vengeance”, au sonnet 42: une bonne centaine de poèmes satiriques qui n’épargnent personne, même le pape — surtout le pape! Or la pièce liminaire des Regrets, adressée à Monsieur d’Avanson, “Conseiller du roy en son privé conseil”, se divise nettement en deux parties inégales. La dédicace propre, 24 vers de louange, fait suite à 84 vers où Du Bellay détaille les conditions de son entreprise et en définit le style, en traduisant librement les Tristia d’Ovide. Tout est dit dans les derniers quatre vers de ce morceau de 84: Et c’est pourquoy d’une doulce satyre Entremeslant les espines aux fleurs,

Pour ne fascher le monde de mes pleurs, J’appreste icy le plus souvent à rire.l3

La satire, comme le mot le dit et comme Horace et Quintilien l’ont définie, est par essence le style mélangé: s’y mélent, précisément, la plainte personnelle, l’anecdote, la critique des mœurs, et l’humour.

13 Jhid., p. 51. 20

DAVID MUS

Par définition la satire est le style “bas”, qui tourne le dos aux discours philosophiques, refuse l’emphase, les hauts genres — Phymne et l’ode par exemple — et l’envolée des grandes ambitions, la flatterie des rois, le beau langage de la cour et des aèdes attitrés. Ce qui n’empêchera nullement d’être docte, de le montrer en en appelant à ses grands devanciers pour se démarquer de ses rivaux. En fait, les Regrets sont émaillés d’allusions, de traductions, de citations des auteurs latins, des Italiens du jour et des Néo-Latins à la mode; le

texte est une mosaïque, habilement réunie et étroitement cimentée au moyen d’adages, de formules classiques et de topoi proverbiaux, que vient relever, ici et là, un roboratif dicton populaire. Tant de références érudites n’empêchent nullement le style bas de prendre pour champ de mire l’actualité crue. Rares sont les références

aux

personnages

de l’antiquité,

Ulysse,

Jason,

Ovide,

Hercule. On traite plutôt d’individus, non de types, et d’individus de surcroit dont la plupart sont inconnus de nous, des particuliers qui se démènent et s’agitent sur la scène de la vie quotidienne à Rome. Les sonnets satiriques se nourissent de la petite chronique qui court les rues et la curia, de la petite histoire, parfois de la grande, vue par un témoin oculaire: ce sont des tranches de vie profane de la ville pontificale, le gros plan de l’actualité; ce sont des “papiers journaux”, dit Du Bellay, “ou bien des commentaires”. Et ces poémes s’adressent tous a des individus que nous ne connaissons pas non plus; chaque sonnet est envoyé a un ami, collègue ou camarade de l’exil, qu’on interpelle, qu’on apostrophie, qu’on interroge. Comme les legs de Villon, ces sonnets ont tous leurs destinataires, la matière en est conforme à l’état et au caractère de ceux qui les reçoivent: Ronsard, bien sûr, le grand ami, mais aussi Morel, Paschal, Magny, Belleau, Carle, Dilliers, Gillebert, Ursin, Viateur, Gordes, Conte — chaque fois le commentateur doit intervenir, pour situer le personnage, s’il peut, pour expliquer la visée du poéme, s’il y arrive, et l’anecdote qu’il raconte, s’il le connaît par ailleurs. Le lecteur, quant à lui, suit à peine ce déballage de noms, d’allusions, de racontars, tout le chien écrasé de la Ville

éternelle. Pourtant, je n’ai pas souvenir qu’un manuel scolaire soit venue accuser Du Bellay d’obscurité, encore moins d’obscurantisme ou de trivialité, bien qu’on possède quelques indices qui laissent

21

LE DRAME DU TEXTE

entendre que les lecteurs les plus avertis, à l’époque, restaient bien perplexes... Le poète qui suit l’actualité du jour-par-jour se doit de rester lui-méme sur ce plan. Les sonnets se succédent sans ordre apparent, dans un renouvellement primesautier et spontané qui laisse entrevoir tantôt un bout de fil conducteur, tantôt le simple coq-a-l’ane. Les poémes semblent se grouper, sans perdre leur élan, mais chaque groupe se fond dans le suivant; des rappels sémantiques, onomastiques ou érudits relient chaque sonnet à son voisin sans qu’on arrive à déceler une argumentation, un récit, un plan défini, une ordonnance stricte et raisonnable. Y a-t-il au recueil entier un plan, une idée? Ce n’est pas étonnant si plusieurs ont été proposés et si aucun ne fait l’unanimité. Le naturel du propos, le vraisemblable du débit, l’aimable incohérence de la suite déjouent nos efforts pour saisir un dessein arrêté. Et ce vivant désordre est bien familier aux lecteurs de Villon. Chez Du Bellay comme chez Villon, le charme et le pittoresque, le concret et le colorié d’un reportage concret absorbent le clair de notre lecture. Et le rire, car Du Bellay veut rire et nous faire rire, à sa façon, là même où ses plaisanteries sont ou trop fines ou trop grossières pour nous chatouiller. Du moins l’on aperçoit à l’étude que le procédé burlesque qu’emploie constamment Du Bellay a quelque chose de déjà-vu, et en même temps une nuance de raffinement exquis qui tient de l’époque: c’est le fait d’utiliser dans des situations franchement incongrues et hors de propos tous les clichés les plus mièvres, les plus rebattus, du pétrarquisme, dernier avatar du vieux jargon d’amour courtois. Si l’on rit, c’est parce que la formule est en soi absurde ou grotesque, ou bien parce que le cliché grave se trouve replacé dans un contexte cocasse. Encore une fois, le lecteur de Villon, et surtout du Lais, se trouve chez lui.

Le drame de libération et de vengeance se clôt, dans le poème de Villon, par la mort attendue de son héros, qui cède la parole à un témoin anonyme de son martyre. De même, après les “regrets” proprement dits — le titre traduit les Tristia d’Ovide mais le mot s’appliquait aussi bien aux “déplorations”, aux poèmes que nous appelerions des “tombeaux” — et après sa vengeance, quelle est notre surprise de voir le héros effectuer dans son propre poéme le “retour” tant souhaité, et les 40 sonnets de plainte se réfléchir dans 45 poémes 2?

DAVID MUS

d’éloges, 20 pour ses collègues et contemporains, 24 pour la Princesse Marguerite, et le dernier pour le roi lui-même, pour son Roy céleste à lui, pour le sire de Du Bellay et pour leur Seigneur commun. Le sonnet 165 fait retour sur l’œuvre antérieure du poète, pour l’inclure dans son œuvre et pour la dépasser d’un nouvel envol, tout comme Villon prend-soin d’inclure son Lais dans son Testament, à la strophe 75: (Villon):

Si me souvient bien dieu mercis

(753)

que je feis a mon partement certains laiz l’an cinquante six...

(Du Bellay):

Muse, qui autrefois chantas la verde olive Empenne tes deux flancs d’une plume nouvelle...

Le contraste

est saisissant,

entre

les deux voix; mais

le procédé

personnel et poétique, qui consiste a se dépasser pour se surpasser, est identique. Du Bellay est aussi loin ici de |’ Olive que Villon l’est de son premier poème; tous deux se resituent pour reprendre haleine, se relancer et s’élancer. Si ces rapprochements n’ont rien de concluant ni peut-être de convaincant, ils ne laissent à mon sens d’être confondants. Se peut-il que le choix d’un style, d’un registre, d’un procédé, d’une matière et donc d’un engagement littéraire se fasse en dehors des cadres culturels et historiques que nous avons définis? Se peut-il que d’autres conditions que celles qui sont au premier plan de la conscience historique soient déterminants pour l’acte poétique? Se

peut-il que nous ayons raté le coche? L’histoire littéraire n’est pas a récrire mais à balancer, pour celui qui entend cerner la spécificité des ouvrages, soit ce qui les rend digne de notre intérêt. Relisons le jugement célèbre de Marot, en 1533, comme s’il parlait non d’un François Villon mais d’un Joachim Du Bellay: Quant à l’industrie des sonnets qu’il fit en ses Regrets, pour suffisamment la connaitre et entendre, il faudrait avoir été de

son temps à Rome et avoir connu les lieux, les choses et les hommes dont il parle; la mémoire desquels tant plus se passera, tant moins se connaitra icelle industrie de ces sonnets.

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LE DRAME DU TEXTE

Pour cette cause, qui voudra faire une œuvre de longue durée ne prenne son sujet sur telles choses basses et particulières.

Qui dit mieux? A notre sens la congruence est parfaite. Y a-t-il des points de repère plus évidents, qui nous permettent de rapprocher les deux ouvrages? Nous savons que la strophe 33 chez Villon est le sommet de drame et d’équivoque éloquente dans le volet sacré de son poème. La passion du Christ y est mise en scène avec un art consommé. Les trois derniers vers citent Ponce Pilate, et le troisième, où la voix du poète rejoint la sagesse proverbiale, guod scripsi scripsi, devenu le dicton rebattu, “Ce que j’ay escript est escript”, boucle le boucle en mettant un point: “je persiste et je signe”, aux vers cinglants qui précèdent. Ainsi la citation devient triplement équivoque, le vers rentre dans la catégorie des mots d’esprit que Tabourot des Accords appellera les “entend-trois”. Aux mots de Pilate, déjà cités par l’évangéliste, cette citation donne un nouveau sens, en les adaptant à une situation — celle de celui qui rédige son testament, se confesse tout en flétrissant ses juges — à la fois burlesque, pathétique et probante. L’écrit que voici écrit est à la fois la peine et la rédemption de son auteur, le chiffre 33 en porte témoignage. Reportons-nous vers les Regrets: quel est donc le sonnet 33 du recueil? Vous l’avez deviné, c’est le justement célèbre, “Heureux

qui comme Ulysse a fait un beau voyage...”. Je n’aurai pas la prétention de donner ici une explication de ce poème remarquable. Du moins puis-je vous assurer qu’il ne faut pas s’attendre à y trouver la passion du Christ, en toutes lettres, bien plutôt une version du

mythe de rédemption qui git derrière cette histoire de souffrances et de guérison. Si ce sonnet court les anthologies avant de passer sur les lévres de tout écolier, ce n’est pas pour sa seule beauté — d’autres sonnets du recueil, et plusieurs des Antiquitez, pourraient remporter la palme — mais parce qu’il résume de façon concise et poignante le drame central des Regrets, supposé être celui de leur auteur et par là de tout exilé nostalgique. Ulysse et Jason, avec Ovide, sont les patrons des voyageurs et des exilés depuis l’antiquité. Mais quelques ironies bien visibles au début du poème nous mettent à un autre diapason. Derrière l’histoire du Pauvre Du Bellay gît, plus qu’une longue lignée de 24

DAVID MUS

voyageurs malheureux, la perspective d’un “retour” autrement lyrique que celui qui attend le poète à son petit Lyré. Demandonsnous, le périple d'Ulysse, son exil et son errance, méritent-ils l’appellation “beau voyage”? Une odyssée, n’est-ce que cela? Demandons-le plutôt au pauvre naufragé, jeté nu, dépouillé, esseulé, sur la plage rocheuse d’Ithaque... Jason, quant à lui, est-il réellement rentré “vivre entre ses parents le reste de son aage”? Demandons son opinion là-dessus à Médée... Dès l’entrée la notion de voyage se scinde; il n’est beau qu’après le retour; n’est heureux que celui qui en revient; la beauté du voyage est un leurre, le retour est un vœu

ardent; si le rescapé est à la fois fortuné et bien-heureux, c’est que tout le monde ne revient pas sain et sauf. Le mot saison se scinde de la même manière: celle où Du Bellay rentrera n’est pas tel hiver, tel printemps, mais la saison du salut. Dans les tercets, les quatre éléments que cite Du Bellay tour à tour se séparent de la même façon, la matière

brute des feux, des collines, des palais et des

rivières restant à Rome, la matière idéale et idéalisée qui “plus me plait” se réfugie au loin dans le rêve du retour, dans la “douceur” angevine, angélique est-on tenté de lire. Pour qui s’obstine à passer outre le sens littéral, ce sonnet est une allégorie par équivoques, qui détaille les errements de l’âme créée dans le long voyage de la matière, et son retour souhaité au doux royaume des biens idéaux. Nous sommes loin apparemment de la strophe 33 du Testament; nous sommes proches en revanche des procédés allégoriques dont se sert Villon. En effet, le drame des errements de toute âme créée, de son aveuglement dans l’ivresse de la chair et de sa rédemption au retour triomphal après la mort, c’est celui que nous

avons

décelé

derrière

la “Ballade

pour

Jehan

Cotart”.!4

Les

égarements et l’errance du bon ivrogne sont le sujet d’une évocation dont la littéralité est presque écrasante. Nous entendons sa voix — “Haro la gorge m’art” — nous le sentons se heurter lourdement contre l’étal d’un boucher et se faire “une bigne”. “On ne luy sut pot des mains arracher”: chaque strophe de réminiscences parfaitement corporelles se heurte au refrain où la ballade devient une “oraison” 14 J’esquisse une analyse de l’allégorie qui sous-tend la Ballade de Villon dans mon livre, La Poétique de François Seyssel, 1992), p. 378 ss.

Villon (Paris, 1967; nouv.

éd.

25

LE DRAME DU TEXTE

pour “L’ame du bon feu maistre Jehan Cotart”. Aux premiers vers Villon jette appel du destin de Cotart à ses saints patrons, comme Du Bellay en appelle aux patrons de tout exilé; car le bonhomme que nous venons de voir trépignant, trébuchant, ivre mort, est réellement

décédé pendant que nous lisions; et Villon supplie les bons buveurs de l’Ancien et du Nouveau Testament de loger son ami à leur enseigne. L’ivresse de Cotart se scinde en un sens littéral et un sens allégorique, l’ivresse de son âme, là même où Villon fait allusion ouvertement aux Noces de Cana, donc à Celui qui sut changer le pinot le meilleur et le plus cher en un breuvage meilleur et plus cher encore. Et voilà que nous nous retrouvons devant le chiffre 33 et son symbolisme. Est-ce dire que le poème de Du Bellay, que son recueil entier, a un rapport comme souterrain au thème de la rédemption? Assurément. Le sonnet 33 n’est que le premier d’une série de poésies éclatantes qui scandent son texte, où Du Bellay s’en réfère au drame central d'Ulysse. Le recueil entier met en scène, souvent au moyen d’une satire féroce, l’aveuglement du monde romain ainsi que celui du poète qui le visite. Pendant trois années difficiles, l’expérience lui aura appris que la notion d’un “retour” rédempteur se scinde et se contredit, tout autant que les quatre éléments et les quatre saisons dans le sonnet 33. Les ironies entrevues dans le sonnet du retour “heureux”

vont s’avérer

autant

de réalités dures

à vivre, et une

nouvelle tâche, un nouveau genre de “retour” va se montrer urgent. Au sonnet 124, le Pauvre Du Bellay aura réellement accompli le retour tant souhaité à Paris; mais la satire reprend de plus belle, car à

sa surprise le monde parisien d’aveuglement au monde romain:

ne

le cède

en

rien

en

fait

Et je pensois aussi ce que pensoit Ulysse Qu'il n’estoit rien plus doulx que voir encore un jour Fumer sa cheminée, & apres long séjour Se retrouver au sein de sa terre nourrice...

En France, au retour, Du Bellay est toujours “Romain”; tous les termes du sonnet 33 — séjour, saison, maison, retour — ont inversé

leur sens, il ne reste qu’à poursuivre la vengeance déjà entreprise.

26

DAVID MUS

Relu à la lumière du sonnet 124, le sonnet 33 se révèle être la poésie de l’aveuglement funeste, ignare et juvénile. Et pourtant, au retour impossible vers l’idéal vécu, une alternative va s’esquisser, s’esquisse déjà ici. Au choix désespérant entre le retour de Rome à Rome et le retour final qui s’appelle la mort, s’opposera, en s’ouvrant, la voie d’une vision plus haute des mêmes réalités douloureuses. Ce poème est celui de la “pensée”; la

vieille

pensée,

nouvelle,

celle

qui, nous

d'Ulysse, l’avons

vu

est dans

désormais le sonnet

impratiquable; 165, “Muse,

la qui

autrefois chantas la verde olive”, passera outre les appâts de la gloire mondaine et de sa poésie, chantera les yeux enfin desillés, ...’esprit divin, le courage indontable, La courtoise doulceur, la bonté charitable

Qui soustient la grandeur, & la gloire de France.!> Dans un nouveau registre, doté d’un regard nouveau, le poète s’envolera loin des contrées où un retour soit heureux soit malheureux serait pensable. A la fin de son recueil, la notion d’un retour possible du voyageur, scindée, se transforme: l’histoire du nommé Du Bellay se résorbe dans une louange magnifique et magnifiante des vertus de Marguerite, de son seigneur et du nôtre, qui rapetisse, qui éclipse même, et les souffrances et les espoirs éphémères du séjour romain. Un salut apparaît, dans une nouvelle littéralité. Un mouvement

semblable, à la fin du Zestament, nous est

déjà familier. Les huit dernières strophes des “Item” amènent un retournement

inattendu,

au

moment

tant attendu

de la mort

du

testateur. La voix de Villon se scinde; le poème se termine par deux ballades. Dans la première le Pauvre Villon doit, comme tout moribond, crier “a toutes gens mercis”; dans la seconde sa voix s’est

tue, dans la fiction c’est un témoin qui reprend la narration en évoquant la fin glorieuse et ignoble du héros. Dans cette fiction véridique qu’est la poésie, on s’en doute, c’est la voix désincarnée du poète qui nous parle d’outre-tombe, pour se situer dans l’au-delà du poème comme dans le vrai Au-delà d’où nous l’entendons parler

15 Jbid., p. 247.

27

LE DRAME DU TEXTE

aujourd’hui. Etonnement sur étonnement, “c’est de quoy nous emerveillons”. Le dénouement du Testament est d’une hardiesse imaginative et d’une force dramatique qui n’a pas d’égal dans notre poésie, si ce n’est la fin étonnante du livre de Baudelaire, les trois

sonnets sur la mort qui amènent, dans la seconde édition, ce coup de maître, Le Voyage. Ici, sur la fin de son entreprise vivante, au choix

désespérant entre la soumission honteuse à la justice des hommes, confiés à la matière brute, et le retour final dans la justice insondable du Seigneur, s’oppose, en s’ouvrant, la voie d’une vision plus haute des mêmes réalités douloureuses. La première des ballades finales est un catalogue tumultueux de toute la gent amoureuse, suivant une rapide hiérarchie descendante, depuis les “chartreux et celestins” jusqu’aux “traistres chiens matins” dénués de l’amour qu’ils s’acharnent à mater. Et ce catalogue des amants présents à l’appel est d’une violence littéralement inouïe. Je pèse mes mots: littéralement inouïe. Villon atteint ici à cette chose si rare en poésie, la littéralité pure, sans trace de signification ultérieure qu’elle soit ironique ou allégorique, sans double-entendre, apparemment sans arrière-pensée, au ras des noms nus et des verbes brutaux. Une liste qui reprend, révise, résume des catalogues précédents; un gros plan; un portrait; le visage même, bosselé, nerveux, trépignant, de notre confraternité.

Littéralité inouïe: car ces noms et ces verbes tourbillonnants touchent à l’inarticulé, et l’accueillent dans leur giron. Toute la ballade,

Villon

le dit, n’est

qu’un

cri, qui embrasse

dans

son

éloquence crue les sifflements, les grognements, les pets et les rots, le bruit des mâchoires qui “rongent dures crottes”, le bruit sec des “claquepatins”, le brouhaha des “riottes”, le vacarme sourd de “Phutin”, jusqu’aux rimes grinçantes d’une poésie en ofte, isse et tin: un tapage énorme, c’est cela que vise en le reproduisant ce seul cri. Et un choc: car, quatre fois, avec une violence accrue, le fracas de l’inarticulé, ici articulé, vient se briser sur un seul vers, le

refrain, totalement équivoque, où la signification de notre langage signifiant éclate jusqu’au plus haut: “Je crie à toutes gens mercis.” “Toutes gens” change de signification selon son niveau, évidemment, s’élargissant progressivement tandis que l’énumération des amoureux s’étend en s’enrichissant. Mais nous n’oublierons pas l’étymologie du mot: “toutes gens” c’est à la fin toute créature, tous 28

DAVID MUS

ceux qui, engendrés, engendront; tous ceux qui sont soumis au ius gentium, la justice des peuples. “Crier mercis” c’est ce qu’un mourant est censé faire en tout dernier lieu: demander pardon à tous des torts non réparés, des injustices commises, des méprises faites et des injures proférées même à son insu. L’expression survit jusqu’au XVIIIe siècle, et se retrouve chez Rousseau, en désignant plutôt Pappel que fait le supplicié de la rigueur de ses juges ou de ses bourreaux. La merci qu’on crie, enfin, c’est aussi — et maintes fois

chez Villon — l’appel au pardon, à la grâce qu’accorde le Juge célèste, c’est la merci du Tout-puissant miséricordieux et en ce sens notre refrain est le doublet d’un autre refrain équivoque: “Mais priez dieu que tous nous veuille absouldre.” Selon le sens qu’on prête à “mercis”, notre refrain dévoile quatre syntaxes possibles, qui s’enchevétrent et se complètent: Je Je Je Je

crie: 12:“à toutes gens mercis” “crie mercis” à toutes gens crie: mercis, à toutes gens crie à toutes gens: Mercis!

C’est la dernière leçon, où le mot prend tout son sens eschatologique, en nommant le jugement final et son salut, qui met à sa juste place tout le vacarme, la littéralité, le visage grimaçant de notre monde créé et de sa parole. Devant ce salut-là, comme Villon le montre à plusieurs reprises, devant “le paradis a la fin”, l’agitation pour le bien comme pour le mal dans le concret d’une vie brève est bien vaine. La vie elle-même n’est qu’une mort, confrontée à la vraie vie qui nous attend. Pourtant, ce n’est pas cette conclusion que Villon tire ici. L’assourdissant vacarme cesse d’un coup, et la voix du testateur avec: dans le silence qui s’installe nous entendons tinter le glas — qui autrefois, rappelons-le, sonnait pendant l’agonie et non après — qui se taît à son tour; bientôt retentira la note autrement réjouissante du “carillon” qui sonne l’enterrement. Le testateur est bien décédé, en cédant la parole à l’autre — à nous. Et cette parole sera celle d’un

salut autre que celui qui nous accueille après la mort. Le Pauvre Villon, nous raconte-t-on, est mort saint, “car en amours mourut martir”. La frénésie de la ballade précédente devait avoir, nous

29

LE DRAME DU TEXTE

apprend-t-on,

un autre

sens;

la littéralité même



qu’elle

siffle,

qu’elle parle, qu’elle crie ou qu’elle hurle — s’achève et se réalise dans une activité amoureuse, procréatrice et volubile, qui rachète à la fois l’individu et l’espèce. “Le testament” qui “icy se clost” est celui de l’être qui a donné tout, qui a tout donné à l’amour. Sa survivance est attestée par la parole généreuse et vibrante qu’il nous aura laissée. Et cette parole même est un appel à la dépense, à la largesse, à l’engagement, à l’acceptation de toute cette frénésie qui s’appelle aussi bien l’amour que la vie devant la mort — qui s’appelle, comme en témoignent ces mêmes vers, poésie. Pour y accéder, au salut de la vigueur amoureuse et poétique, il nous faut une certaine clairvoyance: avoir ouvert les yeux, avoir pris conscience d’une possible prise de conscience, s’y être consacré. Ce faisant, le testateur rachète lui-même ses souffrances de naguère,

exécute sa vengeance, tire sa conclusion et disparaît, en tant qu’individu, dans la foule déchaînée des fervents d’amour. En s’attachant à suivre la voie d’un dévouement vertueux — qui n’a que peu de choses à voir, bien entendu, avec la voie et les vertus que prêche en chaire l’Eglise — une rédemption naturelle par la littéralité et pour l’individualité se fait jour. L’on se perd dans la foule, dans la Nature comme dans leur langue à toutes deux. En fait, ce qui nous reste de la voix de Villon, ou de Du Bellay, c’est cette louange d’une souffrance rachetée, d’une vertu entrevue au cours d’un tumultueux

trajet verbal, d’un aussi minutieux que vigoureux procès-verbal. Les deux poétes ont gagné leur cause et leur pari, en fin de compte, au moyen d’une poésie parvenue jusqu’à nous. Le refrain de la seconde ballade finale est lui aussi d’une ambiguïté puissante: “quand de ce monde voult partir”. L'expression “ce monde” élargit progressivement sa référence, selon les tableaux qu’en brossent les trois strophes et l’envoi, c’est tour à tour ce monde que domine l’amour, la justice cruelle des hommes, l’errance,

la parole et le miracle. Ainsi, le refrain entier en évoque un autre que nous connaissons bien: “En ceste foy je vueil vivre et mourir.” Mais

le verbe, quant à lui, est franchement équivoque: il relie notre refrain à celui qui désigne “L’ame du bon vieux maistre Jehan Cotart”, déjà en train de s’envoler,

comme

l’âme

du Pauvre

Villon

dans

le

rondeau, qui souhaite que son “ame ravie / en soit lassus”. On ne peut guère partir de sans partir vers, partir implique un départ, 30

DAVID MUS

souvent un nouveau départ, et une séparation. L’expression à première vue curieuse, “voult partir”, indique moins un désir ardent qu’une acceptation passive: nous dirions aujourd’hui, “il voulut bien partir” car, c’est entendu, le pauvre martyr en amour n’en peut mais. Quel est au juste le sujet de notre verbe? L’étre composé qu'était le Pauvre

Villon, âme confite en chair, accepta bien son

départ, étant donné surtout le monde d’injustice et de cruauté qu’il délaisse. Celui qui s’en va ainsi, pourtant, ne peut être que l’âme du martyr, délivré enfin de sa parole, de sa servitude aux biens terrestres, à la clairvoyance comme à l’aveuglement comme à la frénétique activité amoureuse. Cette âme se porte garant d’une volonté de dépassement, ardeur autant de la chair que de l’esprit se tendant de toutes leurs forces au salut, à ce que Baudelaire appellera, à la fin du Voyage, le nouveau. Le vrai sujet du verbe “voult partir”, c’est l’âme éternelle de celui qu’on vient de voir mourir dans les souffrances et dans l’indignité de l’échafaud. La puissante monosyllabe voult exprime, plus que la résignation, une volonté de transcendance, une soif de salut. Le “retour de dure prison” dans le rondeau annonce et prépare un retour autrement heureux, que réalise et qu’entérine une œuvre poétique. De même, chez Du Bellay, le retour d'Ulysse à Ithaque et celui du poète a Paris ne font qu’annoncer un autre retour, de la pensée vers les biens idéaux, qui se réalise dans les derniers sonnets lorsque Du Bellay se met à effeuiller sa Marguerite divine. En fin de compte, c’est cette volonté de dépassement, l’effort

verbal tendant au salut dans le corps même d’une poésie, qui réunit le plus étroitement nos poètes. Notre expérience vitale, à leur idée,

est équivoque: c’est le fracas étourdissant de la riotte, c’est la merci du ciel, criée ici, finalement accordée ailleurs, à “toutes gens”; c’est

la haute muraille de pierre, le “front audacieux des palais romains”, gros plan qui bloque la vue — on lève les yeux d’un pouce, un instant, c’est une nuit de juin angevin criblée de scintillements. Notre langue de vivants incarne cette équivoque; l’on n’en sort, la vie durant, que dans la mesure où l’on l’accepte, dans sa langue à elle, par un élan d’intelligence supérieure et de volonté, jusqu’au point où l’on oblige cette langue à se déclarer, en tirant au clair les dilemmes qu’on ne saura résoudre. Le sujet de “voult partir” est de retour à la terre; au même moment précis il fait son retour au ciel étoilé; et il est devant

31

LE DRAME DU TEXTE

nous, sur la page que nous lisons, dans l’oreille et dans le souvenir de tous. Nous suivions, n’est-ce pas, les indices qu’offre le chiffre 33, quant au dessein général des Regrets, par rapport au dessein semblable du Testament. De la même manière nous pourrions suivre les indications d’autres chiffres-clés. J’ai déjà parlé de la strophe 11, par exemple, où Villon rend formellement “foy et hommage” à son suzerain, à la fin des dix strophes qu’il consacre aux institutions de l'Eglise et de l’Etat français. Quel est le sonnet 11 des Regrets? Il commence par le nom du pays natal qui est aussi le titre de son monarque: “France, mere des arts, des armes et des loix...,” appel retentissant qui comporte, après l’apostrophe, ce cri de l’exilé:

“France, France, respons à ma triste querelle”.16 Nous savons qu’à la strophe 12, Villon remonte en arrière pour situer la libération joyeuse qui est à l’origine de son poème et partant de son “humiliation” rituelle: et pour esquisser, de la façon à la fois la plus concrète et la plus allusive — qui passe du “travail” corporel jusqu’à la pensée du Philosophe — l’autre humiliation, autrement pénible, que lui a infligée l’evêque Thibault. Quel est donc le sonnet 12 des Regrets? C’est celui où Du Bellay nomme Ovide pour la première fois et où, s’adressant à Ronsard, il évoque ses propres souffrances corporelles au moyen d’une allusion saisissante: C’est l’ennuy de me voir trois ans & d’avantage Ainsi qu’un Promethé, cloué sur l’Aventin, Où l’espoir miserable & mon cruel destin

Non le joug amoureux, me detient en servage.!7 Le chiffre 12 est proprement celui — 5 pour l’être corporel plus 7, le chiffre du poète — qui relie la souffrance à l’œuvre littéraire qui en naît pour en témoigner. Mais il suffit. Déjà nous sommes en train de lire Du Bellay à la lumière de Villon, Villon à la lumière de Du Bellay. Celui-ci a-t-il connu et médité l’œuvre de celui-la? Je n’en doute pas, mais je pense qu’au fond la question est oiseuse. Les deux poètes ont vécu sous un

16 Ibid., p. 66. 17 Jbid,, p. 68. 32

DAVID MUS

soleil dont nous apercevons encore quelques lueurs, ils ont lu et médité tous deux un même texte sacré. Ce qui me semble certain, c’est que lorsqu'un poète, qu’il soit né avant ou après 1500, s’ingénie à écrire l’apport de son propre vécu, en mettant en scène un souffre-douleur qui porte son nom, fatalement surgissent les grandes lignes du récit qui résume l’histoire de tous. C’est celle du Dieu toutpuissant qui, en personne, a pris forme humaine pour se faire juger et mettre à mort “comme un homme inique”. Pour un clerc de la Sorbonne ou pour un chanoine tonsuré de Notre-Dame — Villon ou Du Bellay — il n’y pas d’autre histoire “personnelle.” Tout, sur la souffrance, comme

sur le rachat, a été dit une fois pour toutes dans

ample testament du Type auquel toute notre expérience de particuliers se rapporte. C’est le drame du texte. Ses grandes lignes et maint détail de ce triomphe sur la mort devraient forcément reparaitre sous la plume d’un poète chrétien, qu’il soit un platonicien selon l’Ecole de Chartres et ses exégètes — notamment Jean de Mehun — qu’il soit un néoplatonicien selon l’Ecole florentine, un cidevant pétrarquiste, élève de Jean Dorat et ami de Jacques Pelletier. Et je rappelle encore qu’une autre voie était ouverte, fastueusement suivie par ceux qui, tournant le dos a leur propre expérience équivoque, ont voué un culte aux vérités acquises, a la beauté pure, au langage, ou bien au Moi. L’époque dont je parle est déjà loin; elle a pris fin au siècle dernier. Son naufrage, Mallarmé l’a évoqué avec perspicacité, déjà Baudelaire en avait vu les prémisses. A travers ce clivage, quelquesuns d’entre nous lisent toujours Villon et Du Bellay, en les aimant et parfois en voulant profiter de leur exemple. Pourrons-nous espérer étendre ce privilège à d’autres? Moins Villon est lu, plus on le méprise; plus on le méprise et moins on le lira. Briser ce cercle vicieux, ce sera sortir Villon de l’isolement dans lequel nous l’avons enfermé, le désenclaver de son Moyen Age, qui est le nôtre, donner à sa spécificité, une fois cernée, un sens plus prégnant. Car le sens même du spécifique, c’est qu’un être l’aura rencontré sur son chemin, l’aura pris en charge, en le saisissant dans ce qu’il apporte de nouveau. N’oublions pas pourtant qu’en poésie ou ailleurs, tout objet ou être ou mot spécifique se porte garant des autres, devient par là même une métaphore pour le niveau de spécificité où il se sera révélé, pour cette révélation en soi, et pour le monde d’êtres 33

LE DRAME DU TEXTE

spécifiques qui l’inclut et lui donne son sens le plus large. Villon nous portera vers le courant de poésie dans lequel il s’est inséré, ce courant qu’il a si singulièrement illustré. En retour, la lecture d’autres poètes appartenant au même courant nous aidera à mieux apprécier la portée de cette œuvre unique. C’est à ce prix seul, je crois, qu’on arrivera à battre en brèche le mépris qui menace Villon. C’est dans cette croyance, et partant cet espoir, que j’ai accepté de venir vous parler aujourd’hui.

34

“Ballade des seigneurs du temps jadis”: La poétique de l’incohérence Jane H. M. Taylor Comment lire l’illisible? La “Ballade des seigneurs”! est un de ces nombreux poèmes de Villon qu’il est à peu près convenu de laisser de côté — comme par exemple la “Ballade de mercy”, ou la “Ballade des

femmes

de Paris”,

ou

la “Ballade

de bonne

doctrine”.

La

“Ballade des seigneurs” a peut-étre souffert de sa proximité a la “Ballade des dames du temps jadis”: autant les lectures de celle-ci foisonnent, autant elle figure dans toutes les anthologies, autant la

“Ballade des seigneurs” paraît plate et inintéressante. Il y a bien sûr des études remarquables pour dire l’unité des trois ballades — je citerai surtout celles de Jean Frappier,? de Kenneth Varty qui y voit un avatar de la Danse macabré,} celle de Kada-Benoist y trouvant un phénoméne de désagrégation* — mais il reste que ce poéme ingrat ne cesse de nous dérouter, et sans doute de nous décevoir. Je ne compte pas révéler les “beautés” de ce poème: nous connaissons tous le topos savant qui consiste à ressusciter un cadavre littéraire en lui trouvant un exquis insoupçonné. Mais il me semble que ce poème a ses mérites et vaut la lecture. Ce que je voudrais proposer, c’est une poétique de la liste — ce que j’ai baptisé une poétique de l’incohérence: le plaisir du texte consiste ici, me semble-t-il, dans la

1 Ce titre — comme d’ailleurs ceux des autres titres de ballade — est, on le sait, l’invention de Marot et ne fait nullement autorité; je m’en sers simplement pour la commodité de la chose. 2“Les trois ballades du temps jadis dans le Testament de Villon”, in Jean Frappier, Du Moyen Age à la Renaissance: Etudes d'histoire et de critique littéraire (Paris, 1976), 197-225. 3 “Villon’s Three Ballades du Temps Jadis and the Danse Macabre”, in D. A. Trotter, éd., Littera et Sensus: Essays on Form and Meaning in Medieval French Literature presented to John Fox (Exeter, 1989), 73-93. 4D. Kada-Benoist, “Le phénoméne de désagrégation dans les trois ballades du temps jadis de Villon”, Le Moyen Age, 80 (1967), 262-75.

35

LA POÉTIQUE DE L’INCOHERENCE recherche de cohérences que soigneusement, systématiquement, le poète va nous refuser. Ecartons d’abord l’image d’un Villon recopiant, à la suite de son chef d’ceuvre, une ballade qui traînait dans un fond de tiroir et qui portait par hasard sur le même sujet: l’insertion de la “Ballade des seigneurs” est aussi travaillée que celle de la “Ballade des dames”. Tout le monde a remarqué que les rimes en — aine et en — is de celle-ci se profilent déjà dans le Paris et Elayne du v. 313; une remarque analogue peut être faite pour la “Ballade des seigneurs” dont une des rimes, dans une ballade qui joue de la rime difficile (rimes en — ixte et en — ion), sort directement d’un huitain significatif et d’un vers dont on ne peut pas ne pas se souvenir: le huitain xxxix qui termine, tonitruant, “Mort saisit sans exception” — vers qui fait pendant au sentencieux “Le monde n’est qu’abusion” de notre ballade. Les deux ballades, des “Dames”

et des “Seigneurs”,

sont

d’ailleurs indissociables — au niveau non seulement du sujet mais du langage: comme l’a montré Jean Frappier,é les rimes des deux ballades, sans être identiques, ont des analogies ( — aine + — aigne, —

is + — iste), et l’existence d’un certain parallélisme syntaxique placé au même vers des deux poèmes relie deux fois les deux poèmes sur les mêmes interrogations: Ou sont 11z, ou, Vierge souveraine? (351) contre

Ou est il? ou est son tayon? (379)

et au niveau — encore plus significatif — du refrain: Mais ou sont les neiges d’antan?

> Je cite d’après le texte qui fait désormais autorité, celui de Jean Rychner et d’Albert Henry, Le Testament Villon: i: Texte; ii: Commentaire (Genève,

1974). 6“Les

trois ballades”,

214-5;

voir aussi

Jean

Dufournet,

“Une

ballade

méconnue de Villon: La ‘Ballade des seigneurs du temps jadis’”, dans Nouvelles recherches sur François Villon (Paris, 1980), 29-46 (p. 34).

36

JANE H. M. TAYLOR contre

Mais ou est le preux Charlemaigne?

Poème travaillé donc et, semble- t-il, conçu en fonction de ce

qu’on pourrait appeler sa #rypticité — car la “Ballade des seigneurs” est indissociable aussi du poème qui la suit: les deux papes, les rois, les princes, le preux Charlemaigne et le preux daulphin,.... Plus important, l’argument: ce Qui plus qui ouvre la “Ballade en vieil langage françois” témoigne d’un premier niveau — dialectique, argumentatif — où situer la lecture des trois ballades. Un lecteur du quinzième siècle ne serait pas surpris de voir se présenter ainsi une suite de poèmes sur le même sujet et dont chacun avance l’argument. Eustache Deschamps, par exemple, s’est régulièrement employé à créer des suites de ballades — souvent avec

le même

refrain, les

mêmes rimes — à des fins démonstratives; citons un groupe de ce genre, de quatre ballades et, dixit Eustache, “Pour rebouter parjurement/ Qui se fait quant parjure ment/ Sont ces. iii. balades

fettes”.? Mais tout ceci ne nous apprendra pas à lire ce poème: en effet, quel peut être le plaisir d’un texte qui consiste au fond en une liste de noms propres qui nous sont désormais inconnus? La question

se pose, bien sûr, avec la même insistance ailleurs dans le Testament: l’opacité du nom propre est une des conditions de notre lecture du poème de Villon. Si les longues recherches de nos prédécesseurs® nous permettent bien d’identifier l’immense majorité des légataires, identification ne nous fait pas mieux comprendre la nature du legs fait à chacun:? si, par exemple, Denis Hesselin reçoit quatorze muys de vin d’Aulnis (h. xcviii), est-ce parce que ce fut un ivrogne notoire, 7 Rondeau cxlviii, dans Œuvres complètes, éd. Le Queux de Saint-Hilaire,

SATF (Paris, 1882), i, 275-8. 8 Notamment les deux tomes de commentaire dus 4 Louis Thuasne (Villon, Œuvres [Paris, 1923]), et les indispensables ouvrages de Jean Dufournet: Recherches sur le ‘Testament’ de Frangois Villon (Paris, 1971- 3), et Nouvelles recherches sur François Villon (Paris, 1980). 9“La fonction poétique des noms propres dans le Testament de François Villon”, Cahiers de l'Association Internationale des Etudes Françaises, 32

(1980), 51-68

37

LA POÉTIQUE DE L’INCOHÉRENCE ou parce que, avec une suffisance agaçante, il s’abstenait de boire, et qu'est-ce que son avocat Maître Guillaume Charüau a pu faire à Villon pour que celui-ci lui offre ce branc et ce fourreau si douteux (h. xcix)? La critique villonienne — depuis un siècle — déblaie ce champ d’énigmes, mais au prix de la multiplication des mystères: Katherine de Vausselles, est-ce un jeu de mots érotique ou une ancienne amour — ou les deux à la fois?!9 Margot est-elle une pute ou une enseigne de taverne?!! La présence de Marthe en acrostiche dans la “Ballade pour s’amie”, est-ce une inadvertance ou une

provocation?!2 Rose est-elle majuscule ou minuscule?!

Et le nom

de Villon lui-même, qui figure avec une insistance ostentatoire et insolente dans la “Ballade finale”: quelle est au vrai sa fonction dans la “Ballade pour prier Nostre Dame”? Faut-il d’ailleurs lire Villon ou Villone dans celle-ci et dans la “Ballade de la Grosse Margot”?!4 Autant de questions auxquelles nous ne risquons pas de pouvoir répondre — mais qui font du déchiffrage un des moteurs de la poétique et de l’humour du Testament. On imagine facilement Villon et ses camarades pouffant de rire devant les équivoques qui remettaient à leur juste place les bons bourgeois et les dignes fonctionnaires parfaitement reconnaissables — plaisir du texte fondé, autrement

dit, sur l’accessibilité

de la référence

et donc

devenu

impossible pour nous. Mais est-ce à bon droit que nous distinguons ainsi une lecture médiévale (fondée sur l’intelligibilité) et une lecture moderne (vouée à des incertitudes)? Villon ne joue-t-il pas universellement de

10 Voir Jean Dufournet, Recherches, i, 75 ss.

11 Que Margot ait été l’enseigne d’une taverne ou d’un bordel fut proposé par A. Longnon, Etude biographique sur François Villon, d'après les documents inédits conservés aux Archives (Paris, 1892), 48. La plupart des spécialistes — dont Rychner et Henry — pencheraient plutôt pour son existence réelle.

12 Voir Dufournet, Recherches, i, 83 ss. 13 Voir Dufournet, Recherches, i. 79 ss. Pour Foulet, par contre, il s’agit probablement d’une Rose prénom: “Notes sur le texte de Villon”, Romania,

42 (1913), 490-516 (p. 506-7). 14 Karl Uitti, “A Note on Villon’s Poetics”, Romance Philology, 30 (1976), 187-92.

38

JANE H. M. TAYLOR

l’opacité du texte, de la création d’un texte que l’on pourrait, à la suite de Barthes,!5 appeler scriptible et qui exige la participation active du lecteur? Nos trois ballades, et peut-être surtout celle des “Seigneurs”, peuvent faire croire qu’une partie tout au moins du plaisir du Testament venait de la quête à laquelle elles obligent: quête de cohérences à laquelle le texte va se montrer systématiquement, ludiquement, rétif. Et pourtant, à la première lecture, on se dit que tout ce qui devrait assurer la lisibilité de notre ballade est en place,!® et avec une précision quelque peu pédantesque: les chiffres (ly riers Calixte qui a été pape quatre ans, Charles septiesme), des localisations précises (Arragon, Bourbon, Bretaigne, Chippre, Espaigne, Behaygne, Auvergne, Alençon), des épithètes identificatrices (gracieux, bon), et même, pour le roi d’Ecosse, un petit portrait d’une exactitude géométrique. Mais n’est-ce pas justement ici que les premiers doutes surgissent? Voilà une ballade où — pince-sansrire — le poète célèbre le nom, par un jeu d’annominatio et par une kyrielle de rimes internes et en fin de vers — la rime b, celle donc qui prime. Célébration mais aussi mise en question. Le pape Calixte est le tiers... de ce nom: mais n’est-ce pas son nom en — ixte qui lui a

valu l’honneur du premier vers?!’ Le roi de Chypre est de renom: et pourtant, comme on le verra, on ne sait pas à coup sûr s’il s’agit de Jean III ou de Pierre I.!8 Villon prétend avoir oublié le nom du roi d’Espagne: ceci n’est-il pas le plus curieux, le plus suspect, des oublis dans un topos qui dépend précisément de la représentativité du nom propre? Plus grave encore: célébration du nom, mais aussi ballade d’où le nom est curieusement absent, où il est curieusement

15 Voir S/Z (Paris, 1970), 9 ss. 16 Pour l’identité des seigneurs, voir surtout Jean Dufournet, “Une ballade méconnue”, et plus récemment Glynnis M. Cropp, “La ‘Ballade des

seigneurs’ de François Villon et les chroniques”, Le Moyen Age, 100 (1994), 221-236. 17 Comme par exemple le fameux — et combien fortuit — ayeul nommé Orrace (v. 276).

18 Voir Dufournet, “Une ballade méconnue”, 40: le renom du premier est indiscutable, mais le second mourut — comme les autres seigneurs — entre 1456 et 1461. Voir aussi Cropp, art.cit., 228-9, qui opte pour le second.

39

LA POÉTIQUE DE L’ INCOHERENCE non-référentiel: quel duc de Bourbon? quel roi de Chyppre? quel comte d’Auvergne? quel duc d’Alengon? Autant de questions que se pose la critique — mais peut-on être certain que ces mêmes questions ne laissaient pas le lecteur médiéval tout aussi perplexe? Lui, naturellement, venait à la ballade muni d’un certain horizon d’attente; les contours de |’ Ubi Sunt lui étaient archi-connus:

“Ou sont, que sont devenus les princes du monde, les puissants de la terre, les femmes célèbres, maintenant qu’ils sont morts?”!9 Il devait déja en avoir maitrisé la syntaxe; revoyons rapidement, par exemple, l’usage qu’en fait le prolifique Eustache Deschamps qui, ici comme ailleurs, démonte les mécanismes poétiques: Force de corps, qu’est devenu Sanson? Ou est Auglas, le bon praticien? Ou est le corps du sage Salemon Ne d’Ypocras, le bon phisicien? Ou est Platon, le grant naturien, Ne Orpheus o sa doulce musique? Tholomeus o son arismetique, Ne Dedalus qui fist le bel ouvrage?....2°

Je souligne l’attaque de la première phrase pour montrer l’indivisibilité du nom propre et de l’attribut, car l’essentiel de l’Ubi sunt est fait de la très haute valeur représentative des noms propres:

chacun est transparent, constituant une allusion synoptique?

— je

veux dire que chaque nom propre, et surtout lorsqu'il est assorti d’un attribut (force, sage, musique, arismetique), est porteur d’une “histoire” latente, comme par exemple, pour sortir du médiéval, le

19 Frappier, “Les trois ballades”, 198. Voir, bien sûr, Etienne Gilson, Les Idées et les lettres (Paris, 1932), 9-38, et surtout, plus récemment, Mariantonia Liborio, “Contributi alla storia dell’ ‘Ubi sunt’”, Cultura Neolatina, 20 (1960), 141-209.

20 Ballade no. cccxcix; voir Œuvres complètes, iii, 182-84.

21 See Allan H. Pasco, Allusion: A Literary Graft (Toronto etc., 1994), 188, note 15: “An allusion activated by one rather than several more or less widely spaced references. Such brief references are capable of inciting allusions of considerable scope”. Voir aussi John Hollander, The Figure of Echo: A Mode of Allusion in Milton and After (Berkeley, 1981).

40

JANE H. M. TAYLOR

sont l’Arcadia de Poussin?? ou l’Ulysse de Du Bellay. Le nom a valeur de signe, et l’Ubi sunt exploite ce qu’on pourrait appeler une sémiotique convenue du nom propre. Partant, les noms propres de l’ Ubi sunt possèdent non seulement une grande valeur représentative, mais aussi un haut degré de prévisibilité — ce qui se manifeste dans la table synoptique qu’on peut s’amuser à construire pour les Ubi sunt d’Eustache Deschamps. Imaginons donc le cheminement d’un lecteur de la “Ballade des seigneurs” à la recherche de sa cohérence, sachant combien celle-ci est axée sur le nom propre. Déjà le pape Calixte devait le dérouter:

ce pontife dont

le seul attribut,

explicite,

semble

être

d’avoir vécu jusqu’à l’âge de 81 ans et d’avoir occupé le siège apostolique pendant quatre ans n’a rien — au contraire! — d’une allusion synoptique. Mais qu’en est-il alors d’Alphonse d’Arragon, ou du gracieux duc de Bourbon (est-ce donc la ‘grace’ qui serait son attribut significatif?)? Et lorsque notre lecteur hypothétique tombe sur un nom — Artus — qui a enfin valeur de signe, voilà que ce nom retentissant s’avère être celui d’un banal duc de Bretaigne. Ce jeu des déceptions et des chutes du sublime au trivial se répétera encore deux fois: le Charles du v. 363 ne promet-il pas Charlemagne, et le Lancellot du v. 378, avant de devenir le jeune roi de Behaygne, n’aura-t-il pas fait naître chez le lecteur des espérances arthuriennes? Le nom propre donc se sera révélé profondément trompeur: peu mémorable, peu spécifique, peu allusif. Mais qu’en est-il des attributs? Prenons par exemple cet inoffensif bon, que Rychner et Henry glosent sans hésiter vaillant. Quatre personnages sont gratifiés de cet adjectif, mais vaillant ne semblerait aller de soi que chez un seul, Bertrand du Guesclin. Charles VII est roi de France, et nous

avons déjà vu un roi de France, Louis IX, ainsi conclure que tout roi est bon? Le roi de Chypre mais anonyme: la logique interne de la ballade Videntifier, et deux candidats se proposent,

désigné; faut-il en lui aussi est bon — ne suffit pas pour Jean III qui fut

effectivement vaillant, et Pierre I, dont Dufournet nous dit qu’il a eu

“un règne fort obscur, marqué par une série de malheurs et de vaines

22 Voir bien sûr Erwin Panofsky, “Et in Arcadia ego...”, in Meaning in the Visual Arts (New York, 1974), 295-320.

41

LA POÉTIQUE DE L’INCOHERENCE tentatives”.23 Le dernier des bons est le “feu duc d'Alençon”, mais là encore on a du mal à dire s’il s’agit d’un guerrier mort à Azincourt en

1415, ou au contraire (et l’allusion aurait sans doute été plus

immédiate

pour

le lecteur

de

1463)

de ce

duc

d’Alençon

qui

languissait en prison depuis 1456 accusé de trahison24 Villon, semble-t-il, se joue de la polysémie d’un mot relativement neutre et qui sert — par automatisme, dirait-on — à désigner toutes sortes de protagonistes: le bon roi Louis XI (celui qui a fait libérer Villon de la prison de Meun: faudrait-il comprendre clément?); Jehanne la bonne Lorraine (ici authentiquement vaillante?); maistre Jehan Cotart (dont la vaillance semble avoir été alcoolique...!); Michault le Bon Fouterre? les bons marchants? les bons sots...? N’est-ce pas abolir d’emblée cette allusivité fondée sur l’attribut qui fait la cohérence d’un Ubi sunt proprement dit? La répétition de cet adjectif déja peu déterminant ne fait-elle pas plutôt penser à un refus de représentativité, à l’annulation du convenu? Si une cohérence qu’on pourrait qualifier de générique manque, il nous faut la chercher ailleurs. Tout discours, on le sait, se

fait comprendre à travers une mise en relation effectuée par l’auditeur (en l’occurrence le lecteur) entre une série d’énoncés.?5 Ce sens se construit de proche en proche; ainsi pour le saisir, Pauditeur doit généralement fournir ou inventer lui-même un certain nombre d’informations qui ne lui sont pas fournies explicitement mais qui sont promises par ce qu’on pourrait appeler un contrat tacite

de compréhensibilité entre poète et lecteur.26 Celui-ci essayera donc

23 “Une ballade méconnue”, 40. 24 Sur l’emprisonnement de Jean II d'Alençon, voir la Chronique de Mathieu d’Escouchy, éd. du Fresne de Beaucourt (Paris, 1863-64), ii, 31824, et Georges Chastellain, Chroniques, éd. Kervyn de Lettenhove (Brussels, 1863-66), iii, 476- 90. Voir à ce sujet Dufournet, “Une ballade méconnue”,

36-7.

25 Pour la notion de cohérence, je suis redevable aux travaux d’Oswald Ducrot: voir Dire et ne pas dire (Paris, 1972).

26 Voir l’intéressant article de H. H. Clark, “Bridging”, in R. C. Schank and B. L. Nash-Webber, éds., Theoretical Issues in Natural Language Processing, réimpr. dans P. N. Johnson-Laird, and P. C. Wason, Thinking. Readings in Cognitive Science (Cambridge, 1977), pp. 411-20.

42

JANE H. M. TAYLOR

de reconstruire les “chainons” comprendre ce qui lui est dit.

manquants

qui

permettent

de

Ainsi, dans un poème comme la “Ballade des seigneurs”, la

lecture sera fondée sur une série d’identifications et de mises en relation,

sur

une

recherche

continuelle

de

chaînons

et

de

cohérences.?7 Cela ressemble à un de ces jeux de société dans lesquels le joueur doit inventer une histoire cohérente à partir d’une liste, disparate, de mots et d’objets. Un chaînon venant à manquer entre Calixte et Alphonse, faudrait-il en chercher un dans le syntagme dernier decedé? En effet, on arrive à identifier pour la plupart des signifiants un signifié effectivement mort très récemment,

entre

1456

et

1460



Calixte

lui-même

en

1458,

Alphonse d’ Aragon en 1458, Charles de Bourbon en 1456, Arthur de Bretagne en 1458, Jacques d’Ecosse en 1460, Jean III de Chypre en 1458, Jean de Castille en 1454, “Lancelot” en 1457.28

S’agit-il donc

d’une cohérence axée sur la temporalité? Ou est-ce — et c’est là une des hypothèses émises par Jean Dufournet — la nature de leur mort qui constitue leur cohésion??? Ici aussi on peut être tenté de le croire, d’autant plus qu’un certain nombre d’entre eux ont eu une fin qu’on pourrait dire mémorable: le roi d’Ecosse tué par un éclat de

canon,29

Charles

VII

se

laissant,

paraît-il, mourir

de faim,?!

27 Cropp a cru déceler par exemple “un système basé sur la date de la mort de chaque seigneur”, un autre “basé sur l’âge des seigneurs au moment de la mort”, un autre où l’on décèle “des traces d’un ordre alphabétique”; elle fait aussi le point sur le rapport entre les seigneurs de Villon et les chroniqueurs.

28Pour

un

résumé

commode

de

ces

faits,

voir

Rychner-Henry,

Commentaire, 57-59.

29 Ce semble, en effet, être le point de vue de Jean Dufournet: voir “Une ballade méconnue”, et Villon: ambiguïté et carnaval (Paris, 1992), 152-3.

30 Selon Jacques du Clercq: “Environ ce temps tenoit le roy d’Escoche ung siege devant ung chastel, et comme il avoit fait affrester une bombarde pour jetter dedans le chastel, laquelle il alla veoir, pour la veoir jetter, le premier coup, et incontinent que le feu feust dans la chambre de ladite bombarde, elle rompist et se despicheat et saillirent les pieches en esclat puis chy puis la, tellement que l’une des pieches alla ferir icelluy roy d’Escoce et le tua”: Mémoires, éd. Baron de Reiffenberg (Bruxelles, 1823), iii, 55. Voir aussi Georges Chastellain, Chronique, éd. Kervyn de Lettenhove (8tt. Bruxelles,

43

LA POETIQUE DE L’INCOHÉRENCE “Lancelot” de Bohème mort tragiquement au moment où il préparait

son mariage avec la fille de Charles VII.32 Mais il me semble que tout ceci ne crée qu’une cohérence provisoire: si certains d’entre eux sont morts de façon retentissante, d’autres meurent — pour autant que nous puissions le savoir — sagement et sans éclat aucun: Charles de

Bourbon, Arthur de Bretagne....33 Ou faut-il situer la cohérence des personnages au niveau des hiérarchies sociales? La belle analyse de Kenneth Varty montre combien les rois, les comtes, les empereurs se suivent péle-méle et sans ordre (“false starts”34 ). En fin de compte, s’il existe

une

seule

raison

totalisante

référentielle,

capable

de

motiver le choix et la séquence de ceux qui figurent dans la “Ballade des seigneurs”, elle nous échappe — comme elle devait peut-étre échapper tout aussi bien au lecteur médiéval. Dans ce que j’ai dit, un absent: Charlemagne, seule allusion synoptique, seul personnage dont la gloire fait corps avec le nom propre. J’y reviendrai — mais je voudrais d’abord dire un mot en-deça et au-delà, de la “Ballade des dames du temps jadis” et de la “Ballade en vieil langage françois”. Les dames d’abord: je laisse de côté, provisoirement, le “halo poétique” qui, selon la jolie formule de

1863-66), iv, 449; Jean Chartier, Chronique de Charles VII, éd. A. Vallet de Viriville (3tt. Paris, 1858), i, 238-39.

31 Voir Jean Chartier, Chronique, iii, 113: Charles craignait tant la poison “qu’il délaissa le mengier par l’espace de huit jours ou environ (...) ne pour chose que ses physiciens lui dissent il ne voulloit menger ne prendre aucune refection”. Voir aussi Chastellain, Chronique, iv, 369.

32 Selon Chastellain, cette mort tragique aurait été présagée par une comète: “Aucuns astronomiens secrètement imputèrent l’influence d’elle tourner sur le roy françois (...) Mais le roy Lancelot, roy de Hongrie, iceluy en demy an après ou environ fut avancié de mort, bien estrangement”; Chronique, iii, 326; voir aussi Jean Chartier, Chronique, iii, 74-77, et Mathieu d’Escouchy, Chronique, ii, 354-57. Voir A. Eckhart, “Villon et l’ambassade hongroise à la cour de France en 1457”, in De Sicambria a Sans-Souci (Paris, 1943),

125-137. 33] est vrai que, comme le dit Cropp (227-8), “les chroniqueurs enregistré [leur] mort” — mais en des termes trés neutres. 34 “Villon’s Three Ballades”, 87.

44

ont

JANE H. M. TAYLOR

Jean Frappier, “nimbe les noms enchâssés des dames”35 et les sonorités que Roger Pensom6 a analysées avec une telle maîtrise, pour m’en tenir à la question, prosaïque, de leur cohérence référentielle. Il me semble que, si on essaie là encore de reconstituer le cheminement d’un lecteur à la recherche de cohérence, on ne peut que

revenir,

ici aussi,

à une

lecture

multi-dimensionnelle,

non-

cohérente. Imaginons celui-ci, par exemple, devant la première strophe de la ballade, et donc devant Flora la belle Romaine. Les patientes recherches des savants proposent deux candidates. La première Flora serait une courtisane romaine citée par Plutarque, par Lactance, par Juvénal;?7 la deuxième (dans le Roman de la Rose,38 par exemple, et chez Jean Molinet??) serait la déesse des fleurs et du printemps. Flora est donc signe — mais signe de quoi? D’une sexualité désordonnée? De fécondité? Mon lecteur hypothétique poursuit et tombe sur Archipiadés. Or celle-ci ne va, me semble-t-il, que le déconcerter davantage. “Elle” aussi figure, il est vrai, dans le Roman de la Rose — mais de façon fugitive, peu claire, pour tout dire

peu

mémorable.4°

Le

désarroi

des

copistes

devant

ce

nom

saugrenu*! en dit long sur son obscurité — et Villon ne joue-t-il pas des incertitudes du lecteur méme averti, Jean de Meun en ayant fait une femme dans le Roman de la Rose pour se raviser dans sa traduction de Boèce?42 Thaÿs est triple: maîtresse d’Alexandre le

35 “Les trois ballades”, 212; voir aussi Leo Spitzer, “Etude a-historique d’un

texte: Ballade des damesdu temps jadis”, Modern Language Quarterly, | (1940), 7-22 (pp. 14-15).

36“La magie de la métrique dans le Testament de Villon”, Romania, 114 (1996), 182-202.

37 Voir à son sujet la note de Louis Thuasne, iii, 625. 38 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, Le Roman de la Rose, éd. Félix Lecoy, CFMA (Paris, 1970), vv. 8381-82.

39 Les Faictz et Dictz, éd. Noël Dupire, 3 vols., SATF (Paris, 1936), i, pp. 36, 100, 162, cité par David Mus, La Poétique, 93, note 4. Pour Flora déesse des fleurs, Mus cite aussi Eustache Deschamps, ballade cccclxxxii, in Œuvres, iii, p. 303.

40 Voir l’étude, exhaustive, de Thuasne, iii, 625-42. 41 Thuasne, iii, 632.

42 Voir Thuasne, iii, 633-35. 45

LA POÉTIQUE DE L’ INCOHERENCE

Grand,# personnage de Térence cité par Cicéron, sainte convertie au christianisme par le moine Paphnuce, signifie-t-elle donc sexualité

ou sainteté?45 Et pour la dernière des dames, Echo, nous revenons au Roman de la Rose où elle figure en tant que femme fatale responsable de la mort de Narcisse.46 Flora, Archipiadés, Thays, Echo, ne sont donc ni univoques ni (a plus forte raison) allusions synoptiques; quelle cohérence peuvent-elles bien avoir? Le lecteur cherchera un terme virtuel,

charnière entre les différents termes.4?

S’agit-il de “prostitution”

(Flora, Thays — mais alors Archipiadés, Echo?), ou du “Roman de la Rose” (Flora, Archipiadés, Echo — mais alors Thaÿs?). Et si on passe a la deuxiéme strophe — que je n’aurai pas le temps d’analyser systématiquement? Temporalités, avec les contemporaines et cette reine anonyme? Femmes fatales? Mais alors dans la troisième strophe, que penser de ce méli-mélo de noms propres, où l’on n’est pas capable de dire si blanche est nom propre ou adjectif? Haremburgis? Aucun témoignage contemporain.*® Berte/Bietris/ Alis? Est-on en droit de parler de la célébrité, de la permanence d’un trio de noms propres qui ne coexistent que dans un seul des manuscrits d’une seule chanson de geste?49 Et la présence, triomphante, de Jeanne d’Arc n’arrange guère les choses: elle, au moins, a valeur de signe, mais on a du mal à savoir de quoi. La troisième ballade, la “Ballade en vieil langage françois”, est significative à cet égard: cette fois, je suis tentée de parler de

43 Voir Rychner-Henry, Commentaire, 53. 44 Voir David Mus, La Poétique, 80. 45 Voir Rychner-Henry, Commentaire, 53, et cf. David Mus, La Poétique,

80.

46 Rose, vv. 1451-64. 47 J’ai trouvé très intéressantes à cet égard les analyses qu’a faites le Groupe u de la métaphore: voir J. Dubois et al., Rhétorique générale (Paris, 1970), 91-122;

48 Voir Gaston Paris, “Villoniana”, Romania, 30 (1901), 352 (note de A. Longnon).

49 Voir Philippe Ménard, “‘Berte au grant pié, Bietris, Alis’ ou la résurgence de la culture épique dans la ‘Ballade des dames du temps jadis’””, Romania, 102 (1981), 114-29.

46

JANE H. M. TAYLOR

significations à la recherche de signifiants... et même de signifiés. En effet, il me semble que dans cette ballade Villon nous laisse entrevoir des histoires auxquelles éventuellement une allusion synoptique ferait allusion. Les Ubi sunt “anonymes” — ceux donc où font défaut les noms propres — s’apparentent à la littérature des estats,5 ne donnant au maximum qu’un attribut conventionnel (soit,

si on veut, le poing dorez de |’Empereur); ils restent sur le plan universalisant. Villon, par contre, systématiquement et par le biais d’une pragmatique de la “biographie”, esquisse des histoires alléchantes, énigmatiques, dont on ne peut pas ne pas essayer de trouver les héros: quel pape, par exemple, a pris le diable par le cou? Ly roy de France qui batist eglises et couvens, fut-ce Saint Louis? Derrière la troisième strophe, ne faut-il pas voir pointer le Dauphin de France et le comte de Charolais — et dans ce cas est-ce à un épisode particulier de leur turbulente histoire que ferait allusion le poète? Ici aussi, dirait-on, Villon nous invite à une quête, à un déchiffrage — nous offre, paradoxalement, le plus ouvert des textes là où on croit avoir entre les mains un texte clos. Ce à quoi on a affaire, dans les trois ballades, c’est un refus

de cohérence qui fait de la recherche de la cohérence une majeure partie du plaisir du texte. C’est ici que je verrais la centralité du refrain de la “Ballade des seigneurs”: “Mais ou est le preux Charlemagne?” — allusion synoptique s’il en est, limpide, univoque. On sait combien les théoriciens de la seconde rhétorique faisaient du refrain le moule à produire un argument.$! Pour Jacques Legrand en 1405 par exemple:

50 Voir Jean Batany, “Une image en négatif du fonctionnalisme social: les Danses Macabré”, in Jane H. M. Taylor, éd., Dies Illa: Death in the Middle

Ages (Liverpool, 1984), 15-27.

51 Voir à ce sujet Daniel Poirion, Le Poète et le prince: l'évolution du lyrisme courtois de Guillaume de Machaut à Charles d'Orléans (Paris, 1965), p. 361. Sur le refrain, voir aussi Michel Zink, “Le lyrisme en rond. Esthétique et séduction des poèmes à forme fixe au moyen âge”, Cahiers de l'Association internationale des études françaises, 32 (1980), 71-90, réimpr.

dans id., Les Voix de la conscience: parole du poète et parole de Dieu dans la littérature médiévale (Caen, 1992), 177-96.

47

LA POETIQUE DE L’INCOHÉRENCE Et finablement on doit fere un refrain, lequel doit estre appartenant et declairé par les vers devant ditz. Et semblablement on doit toujours aprés proceder, en tendant toujours a une fin: c'est assavoir a prouver et demonstrer son refrain, et a parler pertinamment a luy, autrement la ballade

n’est pas bien composee.°2 Ou pour Jean Molinet en 1493: Ballade commune doit avoir refrain et trois couplès et l’envoy. Le refrain est la derreniere ligne desdis couplès et de l’envoy, auquel refrain se tire toute la sustence de la balade,

ainsi que la sayette au signe du bersail.53 Le sens de la ballade provient donc de ce noyau thématique qu’est le refrain: il en sera la conséquence logique, résumant ainsi la pensée du poète. Et si— comme le veulent les rhétoriciens — la vocation de la ballade est le dialogue, ce sera le refrain qui mènera le débat et en créera la cohérence.

Villon

lui-même,

d’ailleurs,

fait souvent

du

refrain le moteur de ses ballades: David Mus fait ressortir combien l’antithèse bordel-estat est fondamentale à la “Ballade de la Grosse Margot”, ou le mot foy à la “Ballade pour prier Nostre Dame”,54 et il n’est qu’à voir la leçon de la “Belle Heaulmiere aux filles de joye” pour comprendre combien les cohérences intra- et trans-textuelles se construisent au niveau du refrain mercantile: “Ne que monnoye qu’on descrit”. Autrement dit, le lecteur de la ballade de Villon a l’habitude de peser l’information pertinente déjà connue, d’y rattacher

l’information

nouvelle

que

véhicule

le refrain,

et de

construire à partir de là l’enchaînement le plus court possible: le processus trouve sa finalité précisément dans le refrain. Nous nous attendons donc à trouver dans le refrain l’unité de mouvement qui fera de la ballade un ensemble cohérent. Voilà sans doute ce qui explique le titre choisi par Marot. Le nom combien transparent de Charlemagne a dû instituer la classique

52 Jacques Legrand, Des rimes, in E. Langlois, éd., Recueil d'arts de seconde rhétorique (Paris, 1902), 1-10 (pp. 8-9).

53 Jean Molinet, L'Art de rhétorique, in Langlois, Recueil, 54 La Poétique, pp. 29-30, 47-50.

48

214-252 (p. 235).

JANE H. M. TAYLOR

démarche de réduction à laquelle la fréquentation d’un Eustache Deschamps, par exemple, nous a nous aussi dressés. Les refrains qu’Eustache choisissait pour la ballade que j’ai citée plus haut: “Tuit y mourront, et li fol et li saige”, ou encore pour une ballade analogue: “Ils sont tous morz, ce monde est chose vaine”,55 proposent en toute banalité un troisième terme à l’intersection des personnages: vanité du monde, ubiquité de la mort. Marot, ayant déjà baptisé (à tort) “Ballade des dames du temps jadis” le poème qui précède, a dû se saisir du nom de Charlemagne sans se rendre compte du fait que la kyrielle de noms propres qui constitue la ballade résiste à ce bouclage de sens. Car le nom de Charlemagne — lui qui est représentativité, prévisibilité par excellence — est profondément trompeur: sa présence, limpide, non-problématique, permet de mesurer combien la “Ballade des seigneurs”, la “Ballade des dames”,

sont en effet basées

sur un refus de la cohérence.

Charlemagne — dont le nom, comme par hasard, est enchâssé dans une question — est en quelque sorte le /ocus de l’interrogation: le point neutre qui prouve 4a la fois la compétence textuelle de Villon dans |’ Ubi sunt rebattu, et l’envergure de son refus. Cette suite de signifiants dont les signifiés manquent de signification regimbe — nous l’avons vu — devant tout effort d’ancrage et d’univocité, et la recherche de la cohérence se révèle être un exercice d’ingéniosité exégétique. Mais n'est-ce pas précisément ce refus, et l’effort de compréhension qu’il impose au lecteur, qui constitue si souvent le plaisir du texte de Villon? Un Deschamps — nous l’avons vu — sollicite la banalité: le refrain est un terrain d’accord avec un auditoire qu’il ne s’agit pas de surprendre. Villon, par contre, ici comme ailleurs, joue de la perplexité de son lecteur: aucune conclusion ne nous est imposée, et le message de la ballade n’est récupérable que par celui ou celle qui serait capable de le fournir pour lui-même. C’est pourquoi l’ambiguïté et la non-cohérence sont fondamentales à l’art de Villon — et c’est lorsque le poète semble le plus innocent, le plus transparent, qu’il est le plus suspect. Ceci déja chez les Dames: sans vouloir contester la validité des constructions de sens faites par mes prédecesseurs, il me semble qu’une identité 55 Œuvres, iii, 113-4: ballade ccclxviii. 49

LA POÉTIQUE DE L’INCOHÉRENCE synecdochique ne se créera entre elles qu’au prix d’un mécanisme de réduction. Le peu d’inspiration poétique qui semble caractériser la “Ballade des seigneurs du temps jadis” fait croire que le recours à l’anecdote suffira pour ancrer le sens de la ballade. Au contraire: le Villon pour qui le nom propre sera jeu de graphismes et de

sonorités°® se profile déjà ici dans les trois ballades; les lira bien qui les lira en quéte non pas d’un seul message, interrogations.

mais de multiples

56 Sur le refus du nom propre, voir Rouben C. Cholakian, “The (Un)naming Process in Villon’s Grand Testament’, The French Review, 66 (1992), 21628.

50

François Villon: Rhétoriqueur? Adrian Armstrong The story of French poetry in the late fifteenth century has traditionally been regarded not as a drama, in the fashion of Villon’s text, but as a kind of melodrama, with the obligatory good guys and bad guys. In the white hat, Villon, poet of lived experience, heroic scourge of convention; in the black hats, the grands rhétoriqueurs, automated production plants for slavish formalist vacuity, the Philistines to Villon’s Samson.! Such post-Romantic evaluations have, of course, changed considerably in recent decades; scholars have revealed the subtle variety and effectiveness of rhétoriqueur poetry,* and the ways in which Villon’s apparently natural persona is artfully constructed? Yet these re-assessments have made little difference to medievalists’ general perception of an irreducible antithesis between Villon and the rhétoriqueurs.4 One reason for 1 Henry Guy’s attitude to the rhétoriqueurs is well-known and symptomatic: “Tart de Villon était aux antipodes de leurs artifices”, Histoire de la poésie française au XVIe siècle, I: L'École des rhétoriqueurs, Bibliothèque littéraire de la Renaissance, Nouvelle série, 4 (Paris, 1910), p. 13.

2 See most notably Paul Zumthor, Le masque et la lumière: La poétique des grands rhétoriqueurs (Paris, 1978), and Cynthia Jane Brown, The Shaping of History and Poetry in Late Medieval France: Propaganda and Artistic Expression in the Works of the Rhétoriqueurs (Birmingham, AL, 1985). 3 See Nancy Freeman Regalado, “La fonction poétique des noms propres dans le Testament de François Villon”, Cahiers de TlAssociation internationale des études frangaises, 32 (1980), 51-68; “Effet de réel, Effet du réel: Representation and Reference in Villon’s Testament’, Yale French Studies, 70 (1986), 63-77; “‘En l’an de mon trentiesme aage’: Date, Deixis, and Moral Vision in Villon’s Testament’, in Le Nombre du temps: En hommage a Paul Zumthor, ed. by Emmanuéle Baumgartner, Giuseppe di Stefano, Francoise Ferrand, Serge Lusignan, Christiane Marchello-Nizia, and Michèle Perret, Nouvelle bibliothèque du Moyen Age, 12 (Paris, 1988), pp. 237-46. 4 For a recent instance, see Gérard Gros, “Villon: le miroir d’un déclin?” in

Apogée et déclin: Actes du Colloque de l’URA 411, Provins, 1991, ed. by

51

VILLON: RHETORIQUEUR?

this may be that readings of Villon are typically readings of the Testament, with his other works cited merely as local illustrations of tendencies manifest in his masterpiece. The Lais and the short poems are relatively neglected, notwithstanding the perennial anthologisation of the “Ballade des Pendus”.$ This tendency may be inevitable in view of the Testament’s elusiveness and intense affective impact, which cannot but suscite ongoing critical debate; nevertheless, we must reflect carefully upon our assumptions regarding Villon’s corpus. In the fifteenth and sixteenth centuries, the Testament was never transmitted alone, in either manuscript or print;6 it is misleading to read it as if it were the only Villon poem that matters. The present study constitutes a strategic move in Villon scholarship, questioning the received wisdom which opposes Villon to the rhétoriqueurs as well as that which occludes his briefer lyrics from general view. I address Villon’s Poésies diverses, first reflecting upon medievalists’ reactions to these pieces, then through them questioning the habit of regarding Villon and the rhétoriqueurs as polar opposites. In several respects, Villon and the rhétoriqueurs may be seen in the same light. Particular poems by Villon and by certain rhétoriqueurs resemble each other in striking ways; whether Claude Thomasset and Michel Zink, Cultures et Civilisations Médiévales, 8 (Paris, 1993), pp. 257-69. Jean-Claude Mühlethaler has indicated the common practices underlying different strands of fifteenth-century poetry, yet even his extremely valuable Poétiques du quinziéme siécle: Situation de François Villon et Michault Taillevent (Paris, 1983) occasionally presents Villon and the rhétoriqueurs as polar opposites (e.g. p. 62).

> See, for example, La Poésie française des origines à nos jours, ed. Claude Bonnefoy (Paris, 1975), p. 31. 6 For manuscript and early printed sources of Villon’s poetry, see Robert D. Peckham, François Villon: A Bibliography, Garland Medieval Bibliographies, 3 (New York, 1990), pp. 7-27, 41-53. Unlike the manuscripts, which are typically multi-author compilations, early Villon editions are usually devoted to that poet’s work alone: see Cynthia J. Brown, “Author, Editor and the Use of Illustrations in the Early Imprints of Villon’s Works: ‘Ung chacun n’est maistre du scien’”, in Chaucer’s French Contemporaries, ed. R. Barton Palmer (forthcoming). Nevertheless, the Testament is always accompanied by other Villon material.

32

ADRIAN ARMSTRONG

due to precise imitation or to a coincidence of techniques, these resemblances illuminate aspects of Villon’s poetic practice too often repressed in critical discourse. More generally, some Villon pieces exhibit a linguistic virtuosity characteristic of much rhétoriqueur verse, while Villon poems are often transmitted alongside rhétoriqueur material. Ultimately, the parallels apparent in the Poésies diverses suggest that various features of the Testament may also be related more closely to rhétoriqueur techniques than has hitherto been the case. It must be acknowledged at the outset that the model of rhétoriqueur poetics implicit in the following analysis — a poetics based on formal and linguistic experimentation, on the expressive exploitation of constraints, and on the foregrounding of artifice — is almost simplistically limited. On the one hand, it does not embrace several important features of rhétoriqueur writing: the public nature of most of their work, the moral vision informing their treatment of history and politics, their sense of importance.’ On the other, it homogenises a disparate body of authors, which in practice is characterised not only by individual poets’ own _ idiosyncratic preoccupations,’ but also by notable differences in the subjectmatter and versification of French and Burgundian rhétoriqueurs.? Yet the imperfect model employed nevertheless has considerable heuristic utility. It focuses attention upon the lexical and syntactic material of texts, rather than upon the insecure biographical assumptions which continue to obtrude upon Villon criticism. It also 7 See Pierre Jodogne, “Les ‘rhétoriqueurs’ et l’humanisme: problème @ histoire littéraire”, in Humanism in France at the End of the Middle Ages and in the Early Renaissance, ed. A.H.T. Levi (Manchester, 1970), pp. 150-

da: 8

Jean

Bouchet,

for instance,

had

relatively

little

interest

in formal

virtuosity, and devoted much of his work to the vernacular popularisation of learned moral and religious material: see Jennifer Britnell, Jean Bouchet (Edinburgh, 1986). 9 See Claude Thiry, “Rhétoriqueurs de Bourgogne, rhétoriqueurs de France: convergences, divergences?”, in Rhetoric — Rhétoriqueurs — Rederijkers, ed. by Jelle Koopmans, Mark A. Meadow, Kees Meerhoff, and Marijke Spies, Koninklijke Nederlandse Akademie van Wetenschappen, Verhandelingen, Afd. Letterkunde, Nieuwe Reeks, 162 (Amsterdam, 1995), pp. 101-16.

ays)

VILLON: RHETORIQUEUR?

privileges the most distinctive element of rhétoriqueur poetry; virtuoso techniques were not exclusive to the rhétoriqueurs, but it was in rhétoriqueur writing that they took on an importance they had not previously enjoyed in the fifteenth century. Even the rhétoriqueurs’ lengthy political allegories contain the like of retrograde and pantogrammatic verses;l0 indeed, it was for their technical skill that these poets praised each other.!! Furthermore, concentrating upon formal virtuosity permits the affinities between Villon and the rhétoriqueurs to be established a fortiori, through the identification in Villon’s work of those aspects of rhétoriqueur poetry commonly seen as least Villonesque. The Poésies diverses, though far less extensively researched

than the Testament, have attracted a number of stimulating studies.!2 10 See, for example, Molinet’s Naufrage de la Pucelle and Chappellet des Dames respectively: Les Faictz et Dictz de Jean Molinet, ed. Noël Dupire, 3 vols. (Paris, 1936-39), I, pp. 77-99 (p. 90, wv. 1-8), 100-26 (p. 115, vv. 1-8). Il The references to Molinet by his contemporaries and successors are a case in point: see Noël Dupire, Jean Molinet: La vie — les œuvres (Paris,

1932), pp. 1-4. Especially significant is the evaluation of Molinet as an “excellent orateur” by Pierre Fabri in the context of his Art de rithmer, that part of his rhetorical manual devoted to the intricacies of versification: Fabri, Le Grand et vray art de pleine rhétorique, ed. by A. Héron, 3 vols. (Rouen, 1890), Il, p. 61. Similarly, it is well-known

that Clément

Marot,

in his

preface to the Adolescence clementine, credits Lemaire with encouraging him to eradicate “les Couppes feminines”: Marot, Œuvres poétiques complètes, ed. Gérard Defaux, 2 vols. (Paris, 1990-93), I, p. 18. 12 See, in particular, André Burger, “L’Épître de Villon à Marie d'Orléans”,

in Mélanges de linguistique et de littérature romanes à la mémoire d’Istvan Frank, Annales Universitatis Saraviensis, 6 (Saarbrücken, 1957), pp. 91-99;

Sergio Cigada, “Studi su Charles d’Orléans e Frangois Villon relativi al ms. B.N. fr. 25458”, Studi Francesi, 4 (1960), 201-19; Sarah V. Spilsbury, “Villon’s Louenge a la Court Reconsidered”, Neophilologus, 59 (1975), 482-93, and “The Imprecatory Ballade: A Fifteenth-Century Poetic Genre”, French Studies, 33 (1979), 385-96; Claude Thiry, “La ballade contre les ennemis de la France: une relecture”, in Etudes de philologie romane et d'histoire littéraire offertes à Jules Horrent, ed. by Jean Marie d’Heur and Nicoletta Cherubini (Liège, 1980), pp. 469-80; Paul Martin, “Réflexions sur

le Débat du cœur et du corps”, in Villon hier et aujourd'hui: Actes du Colloque pour le cing-centiéme anniversaire de l’ impression du ‘Testament’

54

ADRIAN ARMSTRONG

Several recent contributions by Gert Pinkernell represent the most systematic, and in many ways the most symptomatic, treatment of

these poems.l?

Pinkernell has interpreted them referentially, as

encoded reactions to hypothesised episodes in Villon’s life. Thus the “Ballade

des contre-vérités”,

for example, consists of a series of

maxims for Villon’s immediate public of marginals and criminals: “Il n’est soing que quant on a faim” may be coherently interpreted as meaning that only hunger provokes criminals into taking the necessary steps to ensure their survival.'4 These readings are detailed and thought-provoking, but many of the texts provide very little explicit justification for them. Unlike the Testament, the “Ballade des contre-vérités” is not constructed so as to provoke the reader into assuming it must refer to some empirical extratextual reality; rather, it may readily be understood as forming part of the de Villon, Bibliothéque historique de la Ville de Paris, 15-17 décembre 1989, ed. Jean Dérens, Jean Dufournet, and Michael Freeman (Paris, 1993), pp. 191-221.

13 “Une nouvelle date dans la vie et dans l’œuvre de Francois Villon: le 8 octobre 1458”, Romania, 104 (1983), 377-91; “François Villon, La Ballade

des contre-vérités (1456): Aphorismes pour un public criminel”, Zeitschrift fiir romanische Philologie, 101 (1985), 28-44; “La Ballade du concours de Blois de François Villon, ou les affres d’un courtisan marginal”, Le Moyen Francais, 17 (1985), 48-72; “La ballade franco-latine Parfont conseil eximium: une satire peu connue de Villon contre Fredet, favori de Charles d’Orléans”, Zeitschrift fiir romanische Philologie, 103 (1987), 300-18; “I Epitre à ses amis et le Débat du cœur et du corps de Villon: deux ballades de ‘la dure prison de Meung’ (1461) de François Villon”, Romanische Zeitschrift für Literaturgeschichte, 11 (1987), 292-319; “La Ballade contre les ennemis de la France de Francois Villon: Un

remerciement poétique à Louis XI (octobre 1461)”, Romanische Zeitschrift für Literaturgeschichte, 14 (1990), 11-24; François Villon et Charles d'Orléans (1457 à 1461): D’après les ‘Poésies diverses’ de Villon, Studia Romanica, 79 (Heidelberg, 1992); “Le povre escolier Françoys à la

recherche du prince clement”, in Villon hier et aujourd’hui, pp. 43-52.

14 Le Lais Villon et les Poèmes variés, ed. Jean Rychner and Albert Henry, 2 vols., Textes littéraires français, 239-40 (Geneva, 1977), I, p. 56, v. 1.

Subsequent

references to the Poésies diverses will be to this edition,

henceforth identified as LV, and will be provided in the text. See Pinkernell, “Francois Villon, La Ballade des contre-vérités”, p. 33.

2)

VILLON: RHETORIQUEUR?

late-medieval tradition of oxymoronic poems.!> Formalistic pieces of this kind reveal a perhaps constitutive anxiety in Pinkernell’s readings, made explicit in his claim that the “Ballade du concours de Blois” expresses Villon’s alienation at Charles d’Orléans’s court: “Perdant ainsi son apparence d’obscurité maniériste, la pièce se révèlera [...] comme une transposition littéraire saisissante et artistiquement réussie de la réalité vécue par Villon dans un moment

précis”.!6 It is apparently assumed that such texts can only mean something, can only be worth attention, if their relationship to the real Villon can be demonstrated. A similar tendency among scholars is to suppose that these pieces have the earliest possible date, as if they were necessarily exercices d’école, of which a mature Villon would surely have tired.!7 Some scholars have even questioned the attribution of certain poems, as being too unlike their image of what Villon’s work should be.l8 In an important article, Claude Thiry has comprehensively demolished the assumptions on which these doubts tend to rest;!9 however, the tendency towards doubt exemplifies the received ideas about Villon’s artistry. An awkward question raises itself at this point. If a manuscript existed in which the “Ballade contre les ennemis de la France”, or even the “Ballade des proverbes”, were attributed to, say, Meschinot or Molinet, would we

question this attribution with the same rigour as that devoted to questioning Villon’s authorship? 15 A famous example is a list of incongruous national characteristics, which begins: Labour de Piquart, Pitié de Lambart [...]. Numerous versions of this piece survive in manuscripts. See Les Diz et proverbes des sages, ed. by J. Morawski, Université de Paris, Bibliothéque de la Faculté des Lettres, Deuxiéme série, 2 (Paris, 1924), p. 87; Jacques Lemaire, “Meschinot, Molinet, Villon: Témoignages inédits. Etude du Bruxellensis IV 541, suivie de l’édition de quelques ballades”, Archives et Bibliothéques de Belgique, numéro spécial, 20 (1979), p. 100.

16 Pinkernell, “La Ballade du concours de Blois”, p. 54. 17 See, for example, Rychner and Henry, LV, Tp. 51, 18 See, for example, W.H.Rice, “Is the Ballade contre les ennemis de la

France by Villon?”, Symposium, 7 (1953), 140-46.

19 Thiry, “La ballade”. 56

ADRIAN ARMSTRONG In fact, such attributions would

be entirely plausible, for

both these poems, and others besides, bear striking resemblances to particular rhétoriqueur pieces. The analysis of three such cases forms the first part of my study. To acknowledge the similarities between pieces is not to presume that either was necessarily in some way the source of the other; rather, it provides a means of examining the affinities between some of the Poésies diverses and rhétoriqueur verse in a more detailed and judicious fashion than is possible simply by comparing individual techniques. Firstly, Villon’s “Ballade des proverbes” is constructed in similar fashion to a ballade by Jean Meschinot: [Villon, “Ballade des proverbes”] Tant Tant Tant Tant Tant Tant Tant Tant

grate chievre que mau gist; va le pot a l’eaue qu’il brise; chauf on le fer qu’il rougist, le maill’on qu’il se debrise; vault l’omme comme on le prise, s’eslongne il qu’il n’en souvient, mauvais est qu’on le desprise; crie l’on Noël qu’il vient.

Tant Tant Tant Tant Tant Tant Tant Tant

parl’on qu’on se contredit; vault bon bruyt que grace acquise; promest on qu’on se desdit; pri’on que chose est acquise, plus est chere, et plus est quise, la quiert on qu’on y parvient, plus commune, et mains requise; crye l’on Noël qu’il vient.

Tant Tant Tant Tant Tant Tant Tant Tant

ayme on chien qu’on le nourrist; court chanson qu’elle est aprise; gard’on fruit qu’il se pourrist; bat on place qu’elle est prise; tarde on que fault l’entreprise; se haste on que mal advient; embrasse on que chiet la prise; crye l’on Noël qu’il vient.

4

8

: 12

16

20

24

57

VILLON: RHETORIQUEUR? Tant Tant Tant Tant Tant Tant Tant Tant

raille on que plus on n’en rit; despend on qu’on n’a chemise; est on franc que tout s’i frit; vault “tien” que chose promise; ayme on Dieu qu’on suyt l’eglise; donne on qu’emprunter convient; tourne vent qu’il chiet en bise; crye l’on Noël qu’il vient.

28

72

Prince, tant vit fol qu’il s’avise, Tant va il qu’aprés il revient, Tant le mate on qu’il se ravise; Tant crye l’on Noël qu’il vient. (LV, I, pp. 52-53)

36

[Jean Meschinot, “Ballade”]

58

Plus Plus Plus Plus Plus Plus Plus Plus Plus Puys

ne voy riens qui recomfort me donne, dure ung jour que ne me souloit cent, n’est saeson qu’a nul bien m’abandonne, voy plaisir et mains mon cueur s’en scent, qu’oncques mais mon vouloir bas descent, me souvient de vous et plus m’enpire, quier esbas c’est lors que plus soupire, fait beau temps et plus me vient d’ennuys, ne m’atens fors tousjours d’avoir pire, que de vous approcher je ne puys!

Plus Plus Plus Plus Plus Plus Plus Plus Plus Puys

suis dolant que nul autre personne, n’ay espoir d’aucun alegement, ay desir crainte d’autre part sonne, vueill aller verz vous mains scey comment suis espris et plus ay de tourment, pleure et plains et plus pleurer desire, chose n’est qui me saroyt suffire, n’ay repos je hey les jours et nuys, que jamés a douleur me fault duyre, que de vous approcher je ne puys.

10

à

15

20

ADRIAN ARMSTRONG Plus Plus Plus Plus Plus Plus Plus Plus Plus Puys

vivre ainssi ne m’est pas chose bonne, vueill mourir et raison s’y assent, qu’a nully Amours de maulx m’ordonne, n’a ma voix bon acort ne assent. fait on jeus mielx desire estre absent, force n’ay d’endurer tel martire, n’est vivant homme qui tel mal tire, ne cognoes bonnement ou je suis, ne scey brieff que pencer faire ou dire, que de vous approcher je ne puys!

Plus Plus Plus Plus

n’ay mestier de jouer ne de rire, n’est le temps si non de tout despire, cuide avoir de Douceur les apuys suis adonc desplaisant et plain de ire,

Puis que de vous approcher je ne puis!20

25

30

35

Villon and Meschinot probably knew each other through their links to Charles d’Orléans’s court at Blois; Pinkernell has suggested that Meschinot’s piece, which is transcribed in Charles’s autograph manuscript (BNF, ms. fr. 25458), directly influenced Villon’s ballade, which constitutes an apology to Charles for criticising his protégé, Fredet.2! Such suggestions, however, are not essential to an appreciation of the two poems’ similarities. Villon’s piece is elaborated on the basis of the construction fant...que, a rigid formal

constraint of the type often adopted by rhétoriqueurs22

While

20 Charles d’Orléans, Poésies, ed. Pierre Champion, 2 vols., Classiques francais du Moyen Age, 34, 56 (Paris, 1923), I, pp. 185-86.

21

Pinkernell, “Une nouvelle date”, pp. 384-90; “Le povre escolier

Françoys”, p. 48. 22 Meschinot, for instance, composed a series of four ballades of which the first hemistich of every line comprises the noun “Amour” and a verb: see Meschinot, Les Lunettes des Princes, ed. by Christine Martineau-Génieys, Publications romanes et françaises, 121 (Geneva, 1972), p. xxxix. Molinet’s Au Roy de Castille (Faictz et Dictz, 1, pp. 407-09) ends with a similar tour de force, in which a prince’s ideal qualities are listed according to a repeated, monorhymed syntactical model (vv. 27-61): De son estat sage ordonneur, De ses pays bon gouverneur [...] (vv. 32-33).

59

VILLON: RHETORIQUEUR?

Meschinot’s piece is an amorous poem, with a different versification from Villon’s, it too is constructed around a repeated pattern, in this case the anaphoric use of plus. One might expect the rhétoriqueur’s anaphora to be more monotonous than that of Villon, but this is not the case; Meschinot varies the senses of his key word just as much as Villon. Tant...que in Villon’s ballade may be translated as “for so long that” (v. 1), “to such an extent that” (v. 7), or “as much as” (v.

5); similarly, in Meschinot’s poem, plus may be rendered as “more” (v. 5), “no more” (v. 9), “the more” (v. 6), or “no longer” (v. 3).

Indeed,

Villon’s

piece

is the more

formalistic:

the fant...que

construction is a much more demanding formal constraint than the simple repetition of plus, which, moreover, Meschinot does not employ at the refrain. Furthermore, Villon’s piece has four stanzas rather than three. It is consequently more technically demanding than an ordinary ballade, in that more rhymes must be found. In a sense, it

marks an intermediate stage between with its five stanzas; since the chant as the most challenging and thus the forms,?3 Villon’s use of four stanzas

the ballade and the chant royal royal was commonly regarded most prestigious of short verse ensures that his poem partakes

of some of the chant royal’s prestige.24

23 According to Pierre Fabri, “il est dict champ royal, pource que de toutes les especes de rithme, c’est la plus royalle, noble ou magistralle, et ou l’en couche les plus graues substances. [...] Aulcuns l’appellent champ royal, pource qu’il est de noble et armonieuse consonance pour la grauité de la substance et de la doulceur de son eloquence”: Fabri, Grand et vray art, II, p.99.

24

Significantly, the use of four stanzas apparently went beyond the

Erwartungshorizont of most contemporary readers. In Levet’s 1489 edition (f. g6r-v), and in three of the four manuscripts containing the poem (BN, ms. fr. 1719, ff. 155v-156r;

BN,

ms.

fr. 12490,

ff. 96v-97r;

ms.

Brussels,

Bibliothèque Royale, IV, 541, ff. 145v-146r), only three huitains are reproduced. Only in ms. Stockholm, Kungliche Biblioteket, V.u.22 (f. 24r), and in the Jardin de Plaisance (f. 108v), do four stanzas appear. At some stage in the process of textual transmission, confused scribes or printers appear to have “naturalised” the piece into a conventional three-stanza ballade. See LV, I, p. 53, and Lemaire, “Meschinot, Molinet, Villon”, p. 68.

60

ADRIAN ARMSTRONG

A second pair of similar poems comprises the “Ballade contre les ennemis de la France” and an imprecatory ballade by Jean Molinet:

[Villon, “Ballade contre les ennemis de la France”] Rancontré soit des bestes feu gectans Que Jason vit, querant la thoison d’or, Ou transmué d’omme en beste sept ans Ainsi que fut Nabugodonosor, Ou il ait guerre et perte aussi villaine Que Troyes ot pour la prise d’Elayne,

Ou mis de fait soit avec Tantalus Et Proserpine es infernaulx palus, Ou plus que Job soit en griefve souffrance, Tenant prison en la tour Dedalus, Qui mal voudroit au royaume de France!

10

Quatre mois soit en ung vivier chantans, La teste au fons ainsi que le butor, Ou-au Grand Turcq vendu deniers contans Pour estre mis au harnoys come ung tor,

15

Ou trente ans soit, comme fut Magdelaine,

Sans drap vestir de linge ne de layne, Ou soit noié comme fut Narcisus,

Ou aux cheveux comme Absalon pendus, Ou com Judas fut par Desesperance, Ou puist mourir comme Simon Magus Qui mal voudroit au royaume de France!

D’Octovien puist revenir le temps, C’est qu’on luy coulle ou ventre son tresor, Ou qu’il soit mis entre meulles flotans En ung moulin, comme fut sainct Victor, Ou transglouty en la mer sans alaine, Pis que Jonas ou corps d’une ballaine, Ou soit bany de la clarté Phebus, Des biens Juno et des solas Venus,

20

25

30

Et du dieu Mars soit pugny a oultrance Ainsi que fut roy Sardanapalus, Qui mal voudroit au royaume de France!

61

VILLON: RHETORIQUEUR?

Prince, porté soit des serfs Yolus 35 En la forest ou domine Glocus Et soit privé de paix et d’esperance, Car digne n’est de possider vertus Qui mal voudroit au royaume de France! (LV, I, pp. 58-59)

[Jean Molinet, “Ballade”] Des chaulx fourniaux que garde Cerberus Et des carbons qui brullent le faulx riche, Des dars trenchans dont mourut Alferus,

Et des dragons que Justin le novice Vit sur la mer d’Asie renommee,

Des fins espris, de la grosse plommee Dont Golias faisoit les gens morir, Et des faulx artz, lesquels faisoit courir Hermogenes, dont en fin eust souffrance, Soient encontrés, sans jamais secourir, Anglés coués, sy reviennent en France.

10

De Jupiter, dont en fin sont ferus Ceux qui sont mors au pechiet d’avarice, Et de Wulcan, qui embrasa Pirrus Pour Dalida, sa secrete nourrice, De l’espee, de trenchant imprimée, Durendal clere, qui sy bien fut limée,

Dont Rolland fist grand Fernagus perir, Et de Courtrain, dont Ogier vault ferir Le grand bruier, de sa volunté france, Tous ces tourmens aient, pour eulx guerir, Anglés coués, sy reviennent en France. De la verge de quoy Dioscorus Fut estrilliet pour son ceuvre impropice, Et des cousteaux dont le roy Nestorus Fut penetré par rigueur d’injustice, Du feu ardant, de l’horrible fumee De quoy Sodome fut arse et consumee,

Dont nul ne pœult la fureur recouvrir, De loups dervés, qui ne font que courir Comme arabis, sans sens n’aultre constance,

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25

30

ADRIAN ARMSTRONG Soient attains, pour leurs pechiés meurir, Anglés coués, sy reviennent en France. Prince, le feu qui vint Henry querir, Quand le paÿs il cuidoit conquerir, Leur puis bruller le corage et le pance; Ainsy puissent ensamble estre punis

85

Anglés coués, sy reviennent en France.?5 The influence of Villon’s poem on Molinet’s has been previously

suggested,26 and Molinet may possibly have met Villon while in Paris in 1462.27 It is in any case clear that the pieces are closely affiliated: besides their enumerative style, political subject-matter, and ostentatious erudition, they employ the same versification, with an identical final rhyme in each stanza. The genre of the imprecatory

ballade, popular in the late fifteenth century,2®

lends itself to

compositional ingenuity: ballades of this type are essentially enumerative, and poets may select the ordeals wished upon their victims with a view to exploring particular semantic fields,2? or to

25 Faictz et Dictz, I, pp. 859-60. Spilsbury, “The Imprecatory Ballade”, p. 392, remarks that this piece is perhaps too early and too pro-French for its attribution to Molinet to be plausible. However, it was clearly received as a Molinet poem in the early sixteenth century: it appeared in the most important manuscript anthology of Molinet’s works, ms. Tournai, Bibliothèque communale, 105 (ff. 400v-401r), explicitly attributed to Molinet. Regardless of its actual authorship, then, the ballade obviously corresponded to the Erwartungshorizont of those familiar with Molinet’s

poetry.

26 Thiry, “La ballade”, p. 480, n. 34. 27 Villon, Poésies complètes, ed. by Claude Thiry (Paris, 1991), p. 40. 28 See Spilsbury, “The Imprecatory Ballade”. 29

Villon’s

“Ballade

des langues

ennuieuses”,

for instance,

exploits

repulsive gastronomy: Le Testament Villon, ed. by Jean Rychner and Albert Henry, 2 vols, Textes littéraires français, 207-08 (Geneva, 1974), I, pp. 114-

15, vv. 1422-56. Subsequent references to material from the Testament will be from this edition, henceforth identified as TV, and will be provided in the text.

63

VILLON: RHETORIQUEUR?

displaying their learning. Accordingly, both these poems present a considerable variety of curses. Villon draws upon Biblical and mythological material, and devotes varying amounts of space (either one or two verses) to each punishment. Molinet similarly draws the punishments from diverse sources, but expresses them rather differently. In Villon’s piece, each punishment depends upon a different verb: “Rancontré soit” (v. 1), “transmué [soit]” (v. 3), “ait” (v. 5), and so forth. In contrast, Molinet employs a single main verb in each onzain, in the penultimate verse: “Soient encontrés” (v. 10),

“aient” (v. 21), “Soient attains” (v. 32). Molinet’s enumerations consist of the desired means of punishment for the English, whether weapons, fire, or wild beasts, each introduced by a de dependent upon the main verb in the stanza. Yet the lower frequency of verbs does not render Molinet’s piece more monotonous than Villon’s. The amount of space devoted to the different punishments varies more widely in Molinet’s ballade, from a hemistich (“Des fins espris”, v. 6) to three verses (Durendal, vv. 16-18). Similarly, Molinet’s poem employs enjambement more daringly than Villon’s. In Villon’s piece, such enjambements as “aussi villaine / Que Troies ot” (vv. 56), or “Tantalus / Et Proserpine” (vv. 7-8), disrupt the equivalence between verse-unit and phrase less strikingly than Molinet’s “Justin le novice / Vit” (vv. 4-5), “faisoit courir / Hermogenes” (vv. 8-9), or “Dioscorus / Fut estrilliet” (vv. 23-24). Unlike Molinet, Villon never places subjects and verbs in different lines, with the obvious exception of the refrain and its delayed subject pronoun “Qui”. In the light of these stylistic features, the traditional notions of Villon the artist and Molinet the formalist reveal their inadequacy. While these pairs of poems have previously received some limited scholarly attention, a third has not so far elicited interest. The two pieces concerned are the “Débat de Villon et de son cœur”, and a satirical dialogue in ballade form composed by Meschinot, in which a troubled France attempts to explain her tribulations to an unsympathetic Louis XI:

[Villon, “Débat de Villon et de son cœur”] Qu’est ce que j’oy? — Ce suis je. — Qui? — Ton cueur, Qui ne tient mais qu’a ung petit filet. Force n'ay plus, substance ne liqueur,

64

ADRIAN ARMSTRONG Quant je te voy retrait ainsi seulet, Com povre chien tapi en reculet. — Pour quoy est ce? — Par ta folle plaisance. — Que t’en chault il? — J'en ay la desplaisance. — Laisse m’en paix! — Pour quoy? — J'y penseray. — Quant sera ce? — Quant seray hors d’enfance. — Plus ne t’en dis. — Et je m’en passeray.

10

— Que penses tu? — Estre homme de valeur. — Tu as trente ans! — C’est l’aage d’ung mulet. — Est ce enfance? — Nennil. — C’est donc foleur

Qui te saisist. — Par ou? Par le collet? — Riens ne congnois. — Si faiz. — Quoy? — Mousche en lait: L’ung est blanc, l’autre noire, c’est distance. — Est ce donc tout? — Que veux tu que je tence? Se n’est assez, je recommenceray. — Tu es perdu! — G’y mectray resistence. — Plus ne t’en dis. — Et je m’en passeray. 20 — J'en ay le dueil, toy le mal et douleur, Se feusses ung povre ydiot et folet, Encore eusses de t’excuser couleur;

Si n'as tu soing, tout t'est ung, bel ou lait. Ou la teste as plus dure q’un jalet, Ou mieulx te plaist qu’onneur ceste meschance: Que respondras a ceste consequence? — J’en seray hors quant je trespasseray. — Dieux! Quel confort! Quelle sage eloquence! Plus ne t’en dis. — Et je m’en passeray. — Dont vient ce mal? — Il vient de mon mal eur: Quant Saturne me fist mon fardelet, Ses motz y mist, je le croy. — C'est foleur: Son seigneur es et te tiens son varlet! Voy que Salmon escript en son rolet: “Homme sage, ce dit il, a puissance Sur planetes et sur leur influence.” — Je n’en croy riens: tel qu’il m’ont fait seray.

— Que dis tu dea? — Certes, c’est ma creance. — Plus ne t'en dis. — Et je m’en passeray.

25

30

35

40

65

VILLON: RHETORIQUEUR? — Veulx tu vivre? — Dieu m’en doint la puissance! — Il te fault... — Quoy? — Remors de conscience, Lire sans fin. — En quoy? — Lire en science, Laisser les folz. — Bien j’y adviseray. — Or le retiens! — J'en ay bien souvenance. — N’attens pas trop, qu’il ne tiengne a plaisance! Plus ne t’en dis. — Et je m’en passeray. (LV, I, pp. 70-71)

45

[Jean Meschinot, “Ballade”] Sire? — Que veulx? — Entendez... — Quoy? — Mon cas. — Or dy. — Je suy... — Qui? — La destruicte France. — Par qui? — Par vous. — Comment? — En tous estats. — Tu mens! — Non fay. — Qui le dit? — Ma souffrance. — Que souffres tu? — Meschief. — Quel? — A oultrance. — Je n’en croy rien. — Bien y pert. — N’en dy plus! — Las! si feray. — Tu perds temps. — Quelz abus. — Qu’ay donc je fait? — Contre paix. — Et comment? — Guerroiant... — Qui? — Vos amys et congnus. — Parle plus beau. — Je ne puis, bonnement.

5

10

— Ay je ce bruit? — Ouy. — Ou? — Hault et bas. — De qui? — De gens... — Quelz? — De grant congnoissance. — Clercs? — Voire, et lais. — Sert on de tels esbats? —N’en doubtez point. — Roy suis de grant puissance. — Bien. — Tu me doibs... — Que doy je? — Obéissance. 15 — Et vous a moy? — Rien. — Ce sont beaulx argus! — Nest il vray? — Non. — Quoy donc? — Rois sont tenus... — A quel devoir? — Nourrir paisiblement... — Qui? — Leurs subjects. — S’ainsi n’est? — Voisent jus! — Parle plus beau. — Je ne puis, bonnement. 20 — — — — — — — —

66

Murmures-tu? — Malgré moy. — Folle, qu’ as? Rober me voy. — De quoy? — D’aise et plaisance. Quel part? — Partout. — N’as tu plus nulz soulas? Nenny. — Pourtant. — Las! je n’ay que meschance. Dont vient? — Quoy? — Ce? — De la vostre ignorance. M abuse on, dy? — Sans fin. — Quelz gens? — Menus. Que feray je? — Quérez paix. — Au surplus? Vivez... — Combien? — Joyeulx et longuement.

25

ADRIAN ARMSTRONG — Le cœur me fault. — Vous en serez confus.

— Parle plus beau. — Je ne puis, bonnement.30

30

Villon’s piece has been examined in considerable depth by Paul Martin,?! whose observations render it unnecessary to engage in detailed study here; it is sufficient to note the three salient formal features of the “Débat”. Firstly, the interlocutors’ responses vary considerably in their length and distribution: they range from monosyllables to a block of seven verses, and from four responses in the third stanza to eighteen in the second. Secondly, like the “Ballade des proverbes”, the “Débat” has a technically demanding four stanzas, often simplified to three in manuscripts and editions.?2 Finally, the poem’s fragmentation into different responses is partially counteracted in the envoi by the acrostic. Villon’s name ties six verses together, signing the poem and thereby underlining the way in which the debate is a personal, inner one, staged within the poet’s persona. As a technique of signing poems, or identifying their addressees, the acrostic was not peculiar to the rhétoriqueurs, but was practised by them frequently, in some cases systematically.°3 The formal ingenuity and rigour exhibited in the “Débat” thus recall rhétoriqueur practice in various respects. Direct influence of Villon’s poem on Meschinot’s, or viceversa, cannot be presumed; the dialogue ballade was fairly common

30 Anthologie des grands rhétoriqueurs, ed. by Paul Zumthor (Paris, 1978), pp. 39-40.

31 Martin, passim. 32 The ballade consists of three stanzas in BN, ms. fr. 1719, f. 159r-v; BN, ms. fr. 12490, ff. 94v-95r; ms. BR, IV, 541, ff. 142v-143v; and Levet’s edition, f. g4r-v. Four stanzas are reproduced in ms. Stockholm, Kungliche

Biblioteket, V.u. 22, f. 34r-v, and Jardin de Plaisance, f. 108r. See LV, I, p. 71, and Lemaire, “Meschinot, Molinet, Villon”, p. 67. 33 Gringore habitually signed his pieces via an acrostic: see Cynthia J. Brown, Poets, Patrons, and Printers: Crisis of Authority in Late Medieval France (Ithaca/London, 1995), pp. 183-93. Brown also discusses other rhétoriqueurs’ acrostic signatures (e.g. pp. 23-24, 175-83), as well as acrostics identifying their patrons or addressees (e.g. pp. 166-75).

67

VILLON: RHETORIQUEUR?

in the fifteenth century.34 However, the two dialogues are notably similar in that they are both exchanges between a wise and a foolish interlocutor. Their use of the refrain also displays an interesting parallel; in each case, it expresses a problem of communication. Villon and his heart constantly verge upon breaking off their dialogue, which is never quite resolved: “Plus ne ten dis. — Et je m’en passeray.” In Meschinot’s poem, France is compelled to tell Louis some home truths, to which Louis is not prepared to listen: “ — Parle plus beau. — Je ne puis, bonnement.” The absence of an envoi for this latter piece further suggests the unresolved nature of the exchange. The two poems’ use of dialogue differs primarily in that Meschinot’s responses are much briefer, and hence more frequent: ninety-seven in thirty verses, as against fifty-seven in forty-seven for Villon’s piece. Meschinot achieves this bewildering alternation of short responses primarily through the use of constant hesitations, interruptions, and questions. It would be unjust to regard these techniques as superficial tricks, multiplying responses for the sake of it. Rather, the quick succession of often incomplete responses reflects the political chaos and dissolution which Meschinot is castigating, the situation in: which Louis is fighting his “amys et congnus” (v. 9), and France is “destruicte [...] en tous estats” (vv. 23).35 The dialogue aptly conveys France’s nervous hesitation and 34 See Omer Jodogne, “La Ballade dialoguée dans la littérature francaise médiévale”, in Fin de Moyen Age et Renaissance: Mélanges de philologie française offerts à Robert Guiette (Antwerp, 1961). pp. 71-85. Jodogne does not mention Meschinot’s ballade. Some years later, another dialogue ballade was discovered, a macaronic Latin/French piece on the Burgundian capture of Arras in 1492 whose author may be Molinet. See Jacques Lemaire, “Deux poèmes bourguignons sur la prise d’Arras en 1492. Un inédit de Molinet?”, Revue du Nord, 60 (1978), 57-64, esp. pp. 60-62. 35 For criticism of Louis XI by his contemporaries, see Jean-Claude Delclos, Le Témoignage de Georges Chastellain, Historiographe de Philippe le Bon et de Charles le Téméraire, Publications romanes et françaises, 155 (Geneva, 1980), pp. 168-85, and “Le Prince ou Les Princes de Georges Chastellain: un poéme dirigé contre Louis XI”, Romania, 102 (1981), 46-74; Jean Dufournet, La Destruction des mythes dans les Mémoires de Ph. de Commynes, (Geneva, 1966), pp. 260-78.

68

Publications

romanes

et françaises,

19

ADRIAN ARMSTRONG

Louis’s aggression, particularly in the hard monosyllables of Louis’s questions: “Que veulx?” (v. 1), “Quoy?” (v. 1), “Qui?” (v. 2), “Quel?” (v. 5). Hence Meschinot’s arrangement of the responses is, in its way, just as considered and expressive as Villon’s. In this and in the two previous cases, then, a Villon piece strikingly resembles rhétoriqueur material, and does not always display the greater expressive variation that the respective reputations of Villon and the rhétoriqueurs might lead us to expect. While these are the most notable instances of similarity between the Poésies diverses and rhétoriqueur poetry, numerous more general stylistic parallels exist. Some of these have already been hinted at: Villon’s acrostic signature is not peculiar to the “Débat”, but also appears in the “Ballade de bon conseil” and “Ballade des contre-vérités” (LV, I, pp. 56-57, 62-63). Similarly, repeated syntactical patterns, of the kind employed in the “Ballade des proverbes”, also characterise the “Ballade des menus propos”

and “Ballade des contre-vérités”: Je congnois bien mousches en laict, Je congnois a la robe l’homme [...] (LV, I, p. 54, vv. 1-2);

Il n’est soing que quant on a fain

Ne service que d’ennemy [...] (LV, I, p. 56, vv. 1-2).36 Other Poésies diverses exhibit processes of rhetorical exploration, in which Villon apparently seeks to prove his artistry by composing pieces which were technically more challenging than those by other poets. This competitive aesthetic was not specific to the rhétoriqueurs: it is apparent, for example, in the continuations of Chartier’s Belle Dame sans Mercy, whose allegory and narrative ingenuity become progressively more elaborate as successive poets continue the story in more inventive fashion than their

predecessors.37

However,

such competition

was

a fundamental

36 Thiry, “La ballade”, p. 472, discusses the importance of enumeration as a compositional technique in Villon’s work. 37 See my forthcoming article “‘Leur temps est; le mien est passé’: Poetic Ingenuity and Competition in the Querelle de la Belle Dame sans Mercy”.

69

VILLON: RHETORIQUEUR?

aspect of rhétoriqueur practice; writers frequently borrowed themes or formal structures from their contemporaries, and elaborated upon them. The stanzas of Chastelain’s Le Prince serve as envois for each of Meschinot’s Vingt-cing ballades, enabling Meschinot to demonstrate his superior skill even as he echoes Chastelain’s

criticisms of Louis XI.38 The correspondence between Molinet and Cretin is marked by increasing rhetorical sophistication, as the poets paradoxically strive to prove their supremacy while praising each

other.3? Such poets as Cretin, André de la Vigne, and Jean Marot some

enjoyed

success

in municipal

competitions

for devotional

poetry.40 In Villon’s case, the clearest example of poetic competition is the “Ballade du concours de Blois” (LV, I, pp. 46-47). Here, Villon

has outdone the authors of the ballades preceding his own in Charles d’Orléans’s autograph manuscript: his poem’s stanzas are longer, and contain an extra rhyme.*! The “Ballade de Fortune” (LV, I, pp. 64-65) may constitute a similar instance of such practice; it possibly responds to a cluster of ballades on Fortune in Charles d’Orléans’s manuscript, which Villon may well have read, since he apparently copied three poems into this volume.*? The ballades in question are written in octosyllabic neuvains, rhyming ababbcdcd or ababbcddc.# Villon’s ballade is considerably more difficult and impressive, consisting of decasyllabic douzains rhyming

38 See Meschinot, Lunettes, pp. xlii-lii, and Delclos, “Le Prince”.

39 Molinet, Faictz et Dictz, Il, pp. 834-41. 40 Cretin won first prize for a chant royal at the Rouen Puy of 1520, and for a rondeau in 1523; he also won second prizes for chants royaux in 1513 and 1516. See Guillaume Cretin, Œuvres poétiques, ed. by Kathleen Chesney (Paris, 1932), pp. 11-16, 28, 31-34. La Vigne won two first prizes for chants royaux in Rouen, in 1511 and 1513; see André de La Vigne, La Ressource de la Chrestienté, ed. by Cynthia J. Brown, Inedita & rara, 5 (Montreal,

1989), p. 9. A chant royal by Jean Marot won the second prize at Rouen in 1521: see Elizabeth M. Rutson, “The Life and Works of Jean Marot” (unpublished B. Litt. thesis, University of Oxford, 1961), pp. 34-36.

41 Pinkernell, “La Ballade du concours de Blois”, pp. 54-55. 42 Pinkernell, “Le povre escolier Françoys”, pp. 46-47.

43 Charles d'Orléans, Poésies, I, pp. 174-78.

70

ADRIAN ARMSTRONG

ababbccddede: not only are the lines longer and hence weightier, but a fifth rhyme is required. The suggestion that Villon is asserting his superiority over the poets of Charles’s circle is reinforced by the self-conscious, almost proprietorial way in which he signs his poem at the refrain: “Par mon conseil prens tout en gre, Villon!” (LV, I, p. és 12) It is well-known that the “Ballade des contre-vérités” parodies a ballade by Chartier, whose versification it imitates.45 The truths in Villon’s ballade are oxymoronic, rather than banal as in Chartier’s poem. Yet in ironising Chartier’s piece, Villon also accepts the constraints of a syntactic structure which may properly be regarded as rhétoriqueur in style: not for nothing was Chartier acknowledged by the rhétoriqueurs as “le pere d’Eloquence

Françoise”.46

A

more

recently

identified

instance

of literary

ironisation is Villon’s “Ballade franco-latine” (LV, I, pp. 48-49), which is not only ingenious in its integration of French and Latin, but also builds upon an exchange of bilingual ballades between Charles d’Orléans and his protégé Fredet.47 By matching these poems’ use of language, and adopting their versification, Villon both vilifies Fredet, a possible competitor for Charles’s favour (“Fol non credit tant qu’i reçoit”: LV, I, p. 48, v. 7), and displays his own compositional prowess. The ballade lacks one verse, while another has been added in the lower margin of the page in Charles’s autograph manuscript, suggesting that Villon was attempting a

44 See also Barbara Sargent-Baur’s contribution in this volume.

45 The Poetical Works of Alain Chartier, ed. James C. Laidlaw (Cambridge, 1974), pp. 391-92. Villon’s poem appears only in ms. Stockholm, Kungliche Biblioteket, V.u. 22, f. 3v, immediately after Chartier’s ballade: see Arthur

Piaget and Eugénie Droz, “Recherches sur la tradition manuscrite de Villon, I: Le manuscrit de Stockholm”, Romania, 58 (1932), 238-54 (p. 240). 46 Jean Bouchet, Les Annales d'Aquitaine (Poitiers, 1644), p. 252. For more examples of the rhétoriqueurs’ reception of Chartier, see Edward J. Hoffman, Alain Chartier: His Work and Reputation (New York, 1942), pp. 224-46.

47 Charles d'Orléans, Poésies, I, pp. 163-64; see Pinkernell, “La ballade franco-latine”.

71

VILLON: RHETORIQUEUR?

difficult,

unfamiliar

task which

posed

him

some

problems;*8

nevertheless, the very acceptance of such challenging linguistic and prosodic constraints illustrates Villon’s rhétoriqueur-like readiness to engage in such formal experimentation. In all these various cases, then, Villon’s competitive and exploratory practice mirrors that of the rhétoriqueurs. Further affinities with rhétoriqueur verse appear in the “Epitre a Marie d’Orléans” (LV, I, pp. 40-45), which, by its very

nature as an occasional piece, comes much closer than the Testament to the typical preoccupations of late-fifteenth-century court poetry. Indeed, Villon’s hyperbolic flattery of the infant Marie, “ma seule dame et maistresse” (LV, I, p. 44, v. 124), has been evaluated

in

terms reminiscent of those applied to similar rhétoriqueur pieces: Rychner and Henry regard the poem as “un peu poussif et

chantourné”.49

Like

the “Ballade

franco-latine”,

the

“Epitre”

combines Latin and French, in this case re-using fragments of Biblical and classical texts to reinforce a comparison of Marie with the Virgin: Du Psalmiste je prens les dictz: Delectasti me, Domine,

In factura tua, si diz: Noble enfant, de bonne heure né [...] (LV, I, p. 41, wv. 41-

44).50 While not exclusive to rhétoriqueur poetry, the conjunction of French and Latin is characteristic of the devotional verse of Molinet and Lemaire,*! reflecting a set of poetic values according to which

48 See Villon, Poésies complètes, ed. Thiry, p. 274. 49 LV, Il, p. 64. 50 The citation is from Psalm 91, 5. >! Bilingual verse by Molinet includes Oroison a la Vierge Marie and Pater Noster (Faictz et Dictz, I], pp. 483-98). Lemaire’s compositions include “Salut a vous dame de hault parage” (edited on p. 204-07 of Pierre Jodogne, “Un recueil poétique de J. Lemaire en 1498”, in Miscellanea di studi e ricerche sul Quattrocento francese, ed. Franco Simone (Turin, 1967), pp. 179-210) and “A la splendeur de tes haulx raiz sublimes” (edited in Kathleen M. Munn, À Contribution to the Study of Jean Lemaire de Belges: A Critical

72

ADRIAN ARMSTRONG

Latin was intrinsically more poetic than French,°? and could thus be selectively employed to enrich vernacular poetry. The “Épître” also resembles the more prestigious rhétoriqueur texts in its formal heterogeneity. The insertion of a double ballade into a sequence of huitains does not entail such a radical diversity of forms as the rhétoriqueurs’ characteristic mingling of prose and verse, but produces a similar effect in that it broadens the range of expressive resources deployed in the text, thereby doing justice to its exalted subject-matter. Two more particular points of contact with rhétoriqueur practices are worthy of note. Firstly, rich, grammatical rhymes are occasionally used: “substantament”/”enfantement” /"honnestement”/ “sainctement” in the second stanza, “retraicte” /"extraicte’”/ “traicte”/ “pourtraicte” in the third (LV, I, p. 40, vv. 10, 12-13, 15, 18, 20-21, 23).53 Secondly,

Villon compares Marie to the Virgin via suggestive punning: Marie, nom tres gracieulx, Fons de pitié, source de grace [...] (LV, I, p. 40, vv. 5-6).

Such wordplay appears a generation later in Molinet’s Chappellet des Dames, which praises Mary of Burgundy: in this piece, the narrator proclaims that “nostre vertueuse princesse Marie est la vive

face, protraction et imaige de la seulle emperis du ciel”.54 But it is not only in respect of form that the Poésies diverses display associations with rhétoriqueur poetry. In several manuscripts, they appear alongside the work of various rhétoriqueurs. Though Villon’s work is not always attributed in Study of Bio-bibliographical Data, Including a Transcript of Various Unpublished Works (Scottdale, 1936), pp. 180-83).

52 See, for example, Molinet’s Art de Rhétorique, in Recueil darts de seconde rhétorique, ed. by Ernest Langlois (Paris, 1902), pp. 214-52: “ja soit que toute diction latine ait parfait son, touteffois en langaige rommant [...] sont trouvéez aucunes dictions ou sillabes imparfaittes” (p. 216). 53 The first two stanzas of the “Ballade de bon conseil” are marked by similar grammatical or equivocal rhymes: “congnoissance”/ “descongnoissance”/ “naissance”, “a tort”/ “se tort”/“ses poins doloureux tort” (LV, I, p. 62, wv. 2, 3-4, 16-17, 19). 54 Faictz et Dictz, I, p. 125, ll. 156-57.

73

VILLON: RHETORIQUEUR?

these volumes, its transmission suggests the context in which it was received, the Erwartungshorizont of its readers. That readerly expectations embraced the work of Villon and the rhétoriqueurs simultaneously is amply shown by a volume such as BNF, ms. fr. 12490. Copied early in the sixteenth century for the Robertet family of writers and patrons,°> this manuscript contains a wide range of poetic texts, in no particular order. As is characteristic of the Robertet family’s manuscripts, poems’ authors are usually explicitly identified.56 This is the case with Villon’s material: various ballades and other verses

from

the Testament,

and nine

of the Poésies

diverses, are grouped together on ff. 84r-98v, after the heading “Balades extraictes du Testament et Codicille Maistre Francois

Villon”.57 The poems’ ordering is suggestive. First in the sequence are the ballades from the Testament, copied in the order of their appearance in that text.°8 These are immediately followed by the “Ballade de l’appel”, “Quatrain”, and “Ballade des Pendus”, as if the

sequence of poems traces a biographical narrative: Villon’s appeal in the Testament for mercy “a toutes gens” (TV, I, p. 149, v. 1995)

becomes an appeal against a death sentence in the next piece, the “Ballade de l’appel”, while the following two poems suggest that this

appeal ultimately failed to prevent Villon’s hanging.$? Next come

55 Jean Robertet, Œuvres, ed. by Margaret Zsuppän, Textes littéraires français, 159 (Geneva, 1970), pp. 15-16; LV, I, pp. 36-37.

56 See my unpublished D. Phil. thesis, “Grand Rhétoriqueur poetics: from manuscript to print” (University of Oxford, 1995), pp. 59-60.

57 f. 84r. In quotations from manuscripts, orthography, punctuation, and capitalisation have been normalised in accordance with modern editorial practice. 58 ff. 84r-92v. Absent from the Testament extracts are the “Ballade de la belle Heaulmiere aux filles de joie”, “Ballade à s’amie”, “Ballade pour Robert d’Estouteville”, and “Ballade de conclusion” (TV, I, pp. 57-59, 83-

84, 111-12, 150-51, wv. 533-60, 942-69, 1378-1405, 1996-2023). Apart from the ballades, the sequence also includes Villon’s epitaph (TV, I, pp. 142-43, vv. 1884-1903). 59 ff. 92v-94r. On the pseudo-biographical ordering of Villon’s works in manuscript and print, see Nancy Freeman Regalado, “Gathering the Works: The ‘Œuvres de Villon’ and the Intergeneric Passage of the Medieval French

74

ADRIAN ARMSTRONG

those other Poésies diverses which lend themselves most obviously to biographical readings, as evinced by their titles in this manuscript: “Le debat du cueur et du corps du dit Villon”, “La requeste que bailla le dit Villon a Messeigneurs de Parlement”, and “La requeste

que bailla le dit Villon a Monseigneur

de Bourbon”.60

Three

enumerative ballades end the sequence: the “Ballade des proverbes”, “Ballade des menus propos”, and “Ballade contre les ennemis de la France”.6l This ordering is identical to that of the Poésies diverses in Levet’s 1489 edition, with the single exception that the “Ballade contre les ennemis de la France” is added to the end of the sequence

in the manuscript.$2 The sequence thus moves from the Testament and apparently anecdotal, personal verse towards more formalistic pieces;

significantly,

this

latter

material

is not

neglected,

but

transmitted alongside Villon’s other work. Moreover, the manuscript also contains copious rhétoriqueur material: sections of the Douze Dames de Rhétorique (ff. 4r-40v), and poems by Jean Robertet (ff. 75r, 76v, 116r-117r), Molinet (ff. 77r-v, 82r-83r, 101r-104r, 124r126r, 138r-142v, 148r-154v), Cretin (ff. 78v-80v), Octovien de SaintGelais (ff. 105r-106r, 128r-131r), Chastelain (f. 108r-v), and Jean

Marot (f. 156r-v).63 Similar processes of anthologisation are apparent in ms. Brussels, Bibliothéque Royale, IV, 541, a copy made in 1568 of a

volume produced shortly after 1525.64 Here, Villon’s material is again grouped: material from the Lais and Testament, four Ballades en jargon, and eight Poésies diverses, appear together on ff. 111r146v, in a sequence lacking an overall title but ending with the explicit “Fin de la retholicque [sic] maistre Franchois Villon” (f.

Lyric into Single-Author Collections”, L'Esprit Créateur, 33 (1993), 87-100

(pp. 97-98). 60 ff. 94r-96v; LV, I, pp. 50-51, 70-71, 76-77.

61 ff. 96v-98v. 62 See LV, I, p.34. 63 See Robertet, Œuvres, pp. 15-16; Noël Dupire, Étude critique des manuscrits et éditions des poésies de Jean Molinet (Paris, 1932), pp. 66-67; Cretin, Œuvres poétiques, pp. Ixxvii-lxxviii.

64 Lemaire, “Meschinot, Molinet, Villon”, pp. 5-19. 75

VILLON: RHETORIQUEUR?

146v).65 Pieces from the Testament are followed by long extracts from the Lais, then by the Ballades en jargon and more of the Testament. The Poésies diverses close the sequence; the manuscript presents the same selection and order of texts as Levet’s edition.® Again, “personal” and formalistic pieces are distinguished, but nevertheless copied together. Significantly, the table of contents which begins the manuscript identifies the final two Villon ballades in a way which foregrounds Villon’s technical ingenuity: “Ballade dont le premier mot commenche par ‘tant’”, and “Ballade

commenchant par ‘je cognois’”.67

The manuscript also contains,

among other texts, fourteen pieces by Molinet, three by Meschinot, two by Bouchet, two attributed to Chastelain, one by Nicaise Ladam, and one by Gringore.68 Several of these poems employ notably sophisticated rhetoric: Molinet’s Ressource du Petit Peuple has often

been seen as a paradigmatic case of rhétoriqueur virtuosity,©? while intricate versification and suggestive imagery also characterise his Naissance de Charles d’Austrice and Journee de Therouenne,’

to

65 Lemaire, “Meschinot, Molinet, Villon”, pp. 59-68.

66 ff. 141r-146v. 67 f. 7v, col. 2. 68 Lemaire, “Meschinot, Molinet, Villon”, pp. 13-16. The Bouchet material, not identified by Lemaire, consists of extracts from the Amoureux transy sans espoir. See Mary Beth Winn, “Publisher vs. Author: Anthoine Vérard, Jean

Bouchet,

and L’Amoureux

transy”,

Bibliothèque

d’Humanisme

et

Renaissance, 50 (1988), 39-55, and my article “More Manuscript Copies of Jean Bouchet’s Verse: Mss. B.N. fr. 2206 and 2231”, BHR, 57 (1995), 8999 (p. 89 n. 2). 69 ff. 2711-2871; Faictz et Dictz, I, pp. 137-61. See Alex L. Gordon, “La Ressource du petit peuple (1481): Essai de pleine rhétorique”, Travaux de Littérature,

2 (1989),

55-67,

and my

article “The

Practice

of Textual

Transmission: Jean Molinet’s Ressource du Petit Peuple”, Forum for Modern Language Studies, 33 (1997), 270-82. 70 For the Naissance (ff. 160v-164v; Faictz et Dictz, I, pp. 352-58), see Brown, Poets, Patrons, and Printers, pp. 224-27; for the Journee (ff. 165v171r; Faictz et Dictz, I, pp. 127-36), see Claude Thiry, “La Poésie de circonstance”, in Grundrif der romanischen Literaturen des Mittelalters, ed. Hans Robert JauB and Erich Kéhler, 13 vols. (Heidelberg, 1972-), VIII/1,

pp. 111-38 (pp. 131-34).

76

ADRIAN ARMSTRONG

note only a few instances. Hence the technical virtuosity in some of the Poésies diverses may be read as reflecting the techniques employed in the rhétoriqueur pieces which accompany them. BNF, ms. fr. 1719 is a yet more heterogeneous collection, a composite of two original manuscripts compiled by eighteen

different scribes at the end of the fifteenth century.7!

One of its

scribes copied seven ballades from the Testament, and eight Poésies diverses, in his portion of the manuscript (ff. 146v-162v).72 In contrast to the manuscripts previously discussed, the Poésies diverses and Testament material are not separated into distinct groups. The same scribe copied two pairs of ballades. Molinet’s proBurgundian ballade “Souffle, Trithon, en ta buse argentine”’? is coupled with a riposte by Daré de Rouen, “Soufle, Vulcan, afin que ardant bruyne”, which shares its versification./4 An imprecatory ballade directed against warmongers is similarly followed by a piece

which takes the opposing stance while imitating its versification.’° This pair is immediately followed by the first Villon poem, the “Ballade des langues ennuieuses”;76 the context invites readers to compare Villon’s piece with the preceding imprecatory ballade and its companion piece, and to assess the relative technical skill of each poet. Other hands have copied various other rhétoriqueur poems: Meschinot is represented by three rondeaux and a douzain,”’ Chastelain by an epitaph from the Oultré d’Amour,'8 Octovien de Saint-Gelais by three rondeaux from his Complainte sur le départ de

Marguerite,’ and Jean Robertet by a bergerette.®° While none of 71 See Françoise Fery-Hue, “Au Grey d’Amours... (Pièces inédites du manuscrit Paris, Bibl. nat., fr. 1719): étude et édition”, Le Moyen Français,

27-28 (1990-91), pp. 7-19.

72 Fery-Hue, pp. 120-31. 73 f. 149r-v; Faictz et Dictz, Il, pp. 851-52. 74 ff. 149v-150v; George Chastelain, Œuvres, ed. Kervyn de Lettenhove, 8 vols. (Brussels, 1863-66), VII, pp. 211-12.

75 76 77 78 79

Fery-Hue, pp. 122-23 (edited on pp. 277-80). ff. 151v-152v. ff. 12r, 58v-59r and 128r-v, 70r, 124v-125r. ff. 17v-18v. ff. 110v-111v. 74

VILLON: RHETORIQUEUR?

these pieces is attributed, their presence in a single volume (however diffuse) testifies to a fifteenth-century perception of Villon’s short poems as broadly compatible with rhétoriqueur material. Some of the numerous manuscripts which transmit the “Ballade contre les ennemis de la France” also deserve some brief

attention.8! BNF, ms. fr. 2375 contains numerous pieces by Molinet, as well as his Art de Rhétorique.8* Villon’s piece is transcribed immediately after Molinet’s Art and an anonymous versification;8 attention is drawn to Villon’s technical both by this immediate context of rhetorical instruction formal virtuosity of many of Molinet’s pieces. Two dating from the

1560s,

BN,

mss.

fr. 2206

manual of competence and by the manuscripts

and 24315,

similarly

transmit the “Ballade” alongside various rhétoriqueur texts. Ms. 2206 contains moralising and ludic poems, including several short pieces by Molinet and Bouchet, and extracts from texts by Meschinot, Chartier, and Taillevent;84 ms. 24315 includes pieces by Chastelain, Molinet, and Cretin, notably part of the latter two poets’

competitive correspondence.®> In

most

of these

manuscripts,

correspondence,

whether

pieces

rhétoriqueur

and

the

heterogeneous

thematic

in the extreme:

texts.

or

there

formal,

The

is rarely between

anthologies

much

Villon’s

are

often

ms. Brussels, IV, 541, for instance,

contains prayers, didactic and historical material, love songs, satirical and bawdy pieces, proverbs, medical recipes in prose, and diverse other texts, in a great variety of verse forms. It is uncertain

whether these volumes’ compilers regarded Villon’s poems and the rhétoriqueur material as essentially similar, or as fundamentally different. However, the fact remains that the manuscripts, even if

compiled by several scribes over a lengthy period, were individually

80 ff. 133v-134r. See Spilsbury, “The Imprecatory Ballade”, pp. 387-88. See Dupire, Étude critique, pp. 56-66.

83 Edited in Langlois, Recueil d'arts, pp. 253-64. See my article “More Manuscript Copies”, pp. 89-93. f. 871; Faictz et Dictz, Il, pp. 838-39. See Dupire, Etude critique, pp. 7173; Cretin, Œuvres poétiques, p. Ixxvii; and an unpublished notice in the Section Romane of the Institut de Recherche et d'Histoire des Textes, Paris.

78

ADRIAN ARMSTRONG

confected by and for particular readers, or communities of readers. At the very least, the anthologisation of the Poésies diverses with rhétoriqueur poems suggests that they appealed to one and the same audience. Deeper, more specific connections are evident in certain cases: the way in which the rhetorical manuals in BNF, ms. fr. 2375 highlight the formal features of all the poetry in the volume; the similar effect of the table of contents in ms. Brussels, IV, 541 on readers of Villon’s final two ballades. In any case, the presence of rhétoriqueur material may well call readers’ attention to the similar features of the Villon pieces accompanying them. The transmission of the Poésies diverses, then, indubitably underlines their affinities

with rhétoriqueur poetry. Further links with the rhétoriqueurs are apparent in the reception of Villon’s comic “Requéte au prince” (LV, I, pp. 50-51), where the poet claims he will repay the loan he requests se de glan rancontre la forest Dentour Pactay et chastaignes ont vente (LV, I, p. 50, vv. 17-

18), that is to say, never. Cretin knew this piece well enough to cite it in the exordium to a poem in which he thanks Francis I for an unspecified act of munificence: Jadis Villon gaigna le jeu pour bon, En recevant par ung Duc de Bourbon Certains escutz, soubz asseuree entente Ne debvoir riens perdre, fors attente; Se la forest de Pastay rencontroit,

Et gland l’annee en vente bonne entroit, Lors promettoit avoir main apprestee De satisfaire a la debte prestee. A ce propos, si ce gentil Villon Receut soulas pour ung peu de billon, N’ay je raison ores m’esjouyr, Sire, Quant paovreté, qui me vouloit occire, Avez de moy si bien faict eslongner, Que plus ne peult grommeler, ne hongner

19

VILLON: RHETORIQUEUR? Melancolye, a l’heure que repose, Ou que la main sur l’escripture pose?86

The humour of Villon’s “Requête” was also appreciated by Clément Marot, who readily acknowledged his debt to rhétoriqueur poetry, and whose early work frequently displays an artisanal concern with

form.87

As Villon’s editor,88

he recognised and explained the

central joke in the “Requéte”, annotating it with the comment “Entour Patay n’y a aucune forest, & n’y vend on chastaignes”.8? In

his own “Au Roy, pour avoir esté desrobé”,® he repeats the joke while requesting a loan from Francis I: Je vous feray une belle Cedulle, A vous payer (sans usure il s’entend) Quand on verra tout le Monde content: Ou (si voulez) a payer ce sera, Quand vostre Loz, & Renom cessera.?!

All these parallels between the Poésies diverses and rhétoriqueur poetry are subject to two qualifications. Firstly, as noted above, the rhétoriqueurs are neither purely formalistic poets nor all alike. Paradoxically, the diversity of rhétoriqueur preoccupations renders the presence of formalistic elements in the Poésies diverses all the more telling an indication of Villon’s rhétoriqueur affiliations. Secondly, the Poésies diverses are not the only Villon pieces occasionally to manifest a rhétoriqueur aesthetic. The linguistic and prosodic virtuosity they evince suggests that parts of the Testament, and other Villon material, may similarly be 86 Cretin, Œuvres poétiques, p. 230, vv. 1-16. 87 See, for example, the use of equivocal rhymes based on the root rime in Petite Epistre au Roy: Œuvres poétiques complètes, 1, p. 87.

88 See Madeleine Lazard, “Clément Marot éditeur et lecteur de Villon”, Cahiers de I’Association internationale des études françaises, 32 (1980), 720; Catherine Dop-Miller, “Clément Marot et l’édition humaniste des œuvres de François Villon”, Romania, 112 (1991), 217-42.

89 Quoted in Villon, Poésies complètes, ed. Thiry, p. 296.

9 Œuvres poétiques complètes, I, pp. 320-23. 91 Œuvres poétiques complètes, I, p. 322, vv. 98-102.

80

ADRIAN ARMSTRONG

compared to rhétoriqueur poetry. Acrostics are, of course, scattered

throughout the Testament,°? while the ingenuity of the “Ballade des langues ennuieuses” has already been mentioned. Processes of linguistic experimentation are evident in the Ballades en jargon, and in the archaising inflections (foregrounded by the rhymes in — s and — z) of the “Ballade en vieux langage frangois” (TV, I, pp. 48-49). The Testament’s formal heterogeneity, its combination of huitains,

ballades and rondeaux, octosyllables and decasyllables, is analogous to the use of prosimetrum in rhétoriqueur writing: indeed, Villon alternately highlights and attenuates the role of versification by

alternating formes fixes with apparently artless huitains,?? a practice whose effects broadly resemble those of prosimetrum composition. Some of the Testament’s ballades, moreover,

are characterised by

techniques which rhétoriqueurs also employ. In the “Ballade a s’amie”, the testator’s vituperation is phonically intensified through

the device of ending every line in — 7,94 while the lines of the “Ballade de la Grosse Margot” (TV, I, pp. 124-26) all end in — #,

partly echoing Margot’s name. André de La Vigne was later to use this same technique in his Mystère de Saint Martin, which contains a

“ballade de champ royal finissant toute par c”.25 The case of the “Ballade a s’amie” is especially interesting, in that Villon signals his virtuosity: Ceste ballade luy envoye, Qui se termine tout par erre. (TV, I, p. 82, vv. 934-35)

92 TV, I, pp. 80, 83, 111, 126. 93 For a stimulating treatment of Villon’s versification at the level of accentdistribution, see Roger Pensom, “The Magic of Metre in Villon’s Testament’, Romania, 114 (1996), 182-202.

94 See TV, Il, p. 138-39. 95 Andrieu de la Vigne, Le Mystére de Saint Martin, 1496, ed. by André Duplat, Textes littéraires français, 277 (Geneva, 1979), pp. 137-39, vv. 55-

96.

81

VILLON: RHETORIQUEUR?

This is a rare instance in Villon of explicit metatextual reflection upon formal features, a tendency much more characteristic of the

rhétoriqueurs6 The echoes of rhétoriqueur poetry in Villon’s work, and the transmission of the one alongside the other, ultimately require us to question the assumptions upon-which our images of both tend to rest. In this respect, the issue of Villon’s relationship to rhétoriqueur practices exemplifies a major current critical preoccupation: the rhetoric and limitations of literary history. David Perkins has noted that classifications into genres and schools, which organise the ways in which literature is read, are self-perpetuating fictions. They distort the perspective of literary historians, but resist re-evaluation, for “The validity of the classification confirms itself every time the texts are read, for the classification signals what to look for and therefore

predetermines, to some degree, what will be observed.”97

While

wholesale rewriting of literary taxonomies is impossible, it is incumbent upon literary scholars strategically to disrupt the doxa they bequeath. This study has pursued such disruptive strategies; by outlining similarities between Villon and the rhétoriqueurs, it

96 Molinet, for instance, introduces a pantogrammatic

stanza of Le

Chappellet des Dames as “‘ceste oroison dont les motz se commencent par R” (Faictz et Dictz, I, p. 115, ll. 53-54). Similarly, Simon Gréban strikingly discusses the formal characteristics of his Epitaphes de Charles VII de France:

Si leur deul vouloye descripre Il me faudroit forme d’escripre Changer, qui est grosse et rustique; Car qui de noblesse veult lire Par raison il y doit eslire Figure trop plus autentique, Elegie ou chant eroïque. (Stanley C. Aston, “A Manuscript of the Chronicle of Mathieu d’Escouchy and Simon Greban’s Epitaph for Charles VII of France”, in Studies in Medieval Literature in Honor of Albert Croll Baugh, ed. by MacEdward

Leach (Philadelphia, 1961), pp. 299-344 (p. 321, vv. 307-13). 97 David Perkins, Is Literary History Possible? (Baltimore/London, 1992), pp. 72-73.

82

ADRIAN ARMSTRONG

indicates how inadequate are the terms in which these poets are typically contrasted in literary histories. It is, for instance, impossible. to maintain without considerable qualification the habitual claim that, while the rhétoriqueurs are court poets, Villon is in some way “non-courtly” or “anti-courtly”. The terms “courtly” and “anticourtly” are not only often so general as to have little meaning when applied to literary texts, but also thoroughly unsatisfactory as classifications through which Villon and the rhétoriqueurs may be distinguished. The rhétoriqueurs wrote bawdy and parodic material

as well as political allegories: their output Furthermore, rhétoriqueur

indeed, these different strands of

were often transmitted together in manuscripts.%? Jelle Koopmans that observed has recently writing is far from exclusively a court-based

phenomenon.!°

Conversely, Villon, far from being an anti-courtly

poet, had his courtly connections: witness the presence of three poems, probably autograph, in Charles d’Orléans’s manuscript (a volume also containing work by Meschinot, Chastelain, and Jean Robertet). Villon was familiar with courtly forms, and appears to

have solicited patronage in the same way as the rhétoriqueurs.!9! That he parodies a ballade by Chartier in no way proves that he has an “anti-courtly” attitude, whatever that may be. Villon and the rhétoriqueurs,

then, cannot be regarded as

antithetical without further reflection and argument. Rhétoriqueur poets had no monopoly on the virtuoso use of prosody; nor did Villon enjoy sole rights to subtle variation within such virtuosity. Their work was apparently enjoyed by the same readers. The parallels between them must not be exaggerated: the formalism of Villon differs from that of, say, Molinet, while rhétoriqueurs do not play upon readerly expectations in the same way as Villon.

98 For a stimulating discussion, see Leonard W. Johnson, Poets as Players:: Theme and Variation in Late Medieval French Poetry (Stanford, 1990), ch. 3 99 See, for example, the three major manuscript anthologies devoted to

Molinet’s poetry: Dupire, Etude critique, pp. 9-48. 100 Jelle Koopmans, “Rhétorique de cour et rhétorique de ville”, in Rhetoric — Rhétoriqueurs — Rederijkers, pp. 67-81.

101 See Thiry, “La ballade”, pp. 473, 477. 83

VILLON: RHETORIQUEUR?

Nevertheless, if we persist in sweeping the undeniable resemblances under a carpet of inherited presuppositions, we risk suffering the fate

of Villon’s Samson, losing our lunectes.102

102 ] should like to thank Jelle Koopmans, Jean-Claude Mihlethaler, Nancy Freeman Regalado, and Georg Roellenbleck for their valuable comments on the version of this paper delivered at the conference.

84

Le Codicille Villon: Le Testament poétique à la Renaissance. Richard Cooper Si la recherche villonesque a fait la lumière sur les précurseurs de notre testateur poétique, dont le grave Jean Régnier, bailli d’Auxerre,!

et le badin

Eustache

Deschamps?

sans

oublier

le

parodique Testamentum domini asini nous sommes moins bien renseignés sur les nombreux successeurs et imitateurs du maître. Souvent le titre d’une composition littéraire est le principal élément de son succès; la rubrique du Testament avait réussi, le Testament fut à la mode. Chaque rimeur voulut écrire le testament de quelqu’un ou de quelque chose.

Les testaments poétiques abondent à la fin du XVe siècle et même jusqu’au milieu du siècle suivant, et presque tous se réclament de

Villon.5 Un premier groupe, peu prisé par Henri Guy,° comporte des testaments moraux. Dans certains l’auteur cherche à les faire passer pour des documents authentiques, des éléments de biographie. On en trouve

dans

les romans

en

vers,

tel La

Vie

et le Testament

1 Voir ses Fortunes et adversitez, éd. E. Droz, SATF (Paris, 1923), p. XXXVI. 2 Eustache Deschamps, Œuvres complètes, éd. G. Raynaud, SATF, 11 vols. (Paris, 1878-1903), viii, 29-32.

3 Cité par P. Meyer dans Romania, 12 (1988), 26. 4 A. de Montaiglon, Recueil de poésies françoises, 13 vols. (Paris, 1855-

TSX. STI.

;

$ Montaiglon, Recueil, x, 371; H. Guy, Histoire de la poésie française à la Renaissance, 2 vols. (Paris 1910), i: “ L’Ecole des Rhétoriqueurs”, 122-24; Jean-Claude Aubailly, Le Monologue, le dialogue et la sottie. Essai sur

quelques genres dramatiques de la fin du moyen âge et du début de XVIe siècle (Paris, 1976), 94-101. 6 Guy, Histoire, 122.

85

LE CODICILLE VILLON

d'Alexandre le grand de Pierre de S. Cloct ou Saint Cloud.’ Mais les plus fréquents sont des textes où un père essaie de transmettre à son rejeton bien-aimé non seulement le molécule paternel, mais aussi des conseils utiles, l’héritage intellectuel et le fruit de son expérience. Ainsi Symphorien Champier publia (dans La Nef des princes) Le Testament d’ung vieil prince, lequel il laissa à son enfant à la fin de ses jours pour l'instruire en vertus et pour fuir aux vices (Tulle, 13 février 1502).8 Champier se trouvait à Tulle dans les monts du Limousin, où il s’ennuyait à mourir: Fuyant ennuy qui illecques domine,

Auprès du feu rostissant des chastaignes.? Dans un texte enseveli sous des gloses marginales en latin, après un bref testament fait pour la forme, le vieux prince trace, à l’usage de son fils, l’itinéraire allégorique de la vie, les sept logis des vertus et ceux des vices, avec la topographie de l’enfer qui attend ceux qui se fourvoyent. Ce texte connut un certain succès, à en juger par une version moins aristocratique, adapté à l’usage du pater familias bourgeois, publié à Vienne dans les années 1520 par le même imprimeur lyonnais, Guillaume Balsarin: Le Testament du pere, lequel il laissa à son enfant à la fin de ses jours pour l'instruire à vertus et fouir aux vices.!° Cette catégorie comporte également des pièces plus connues, comme les conseils rédigés par Anne de Beaujeu à l’intention de sa fille, Suzanne de Bourbon,!! et nous sommes frappés par l’apparent monopole de la famille Bourbon sur ces testaments édifiants.

7 Cité par F. Lacroix du Maine et A. Du Verdier, Les Bibliothèques françoises, éd. Rigoley de Juvigny, 6 vols. (Paris, 1772-73), ii, 32. 8 Dans R. Balsat, La Nef des princes et des batailles de noblesse, Lyon, G. Balsarin, 1502, in-4, Bfritish] L{ibrary] C. 97. bb. 1 (2), f° Aiv v°-Bxi; texte dédié à Charles de Bourbon, évêque de Clermont.

Aubid, f° Bx, 10 Vienne, G. Balsarin, s. d., in-8; H. Baudrier, Bibliographie lyonnaise, 12 vols. (Lyon, 1895-1921), xii, 52-53.

Il Anne de Beaujeu, Les Enseignements, éd. A. M. Chezaud (Moulins, 1878); publiés d’abord en 1521.

86

RICHARD COOPER

Toujours dans le secteur moral, Italo Siciliano nous ramène à

un thème bien villonesque, l’Amant martyr,!2 qui eut le droit, lui aussi, de dicter ses dernières volontés. Dans Le Testament d’ung amoureux qui mourut par amours. Ensemble son epitaphe composé

nouvellement et le De profundis des amoureulx,'3 décasyllabes,'4 nous faisons la connaissance de

écrit en l’Acteur

inconsolable: Parmy les champs de Thurin je couroye, En souspirant, en lermes et en pleurs,

qui tombe sur Portilia (fils d’un procureur de Turin), blessé par la flèche de Cupidon et réduit à l’article de la mort, par suite de la rigueur de sa belle dame sans mercy: il n’est pas encore majeur, mais il revendique le droit de dicter un testament militaire en tant que “Serviteur [...] du puissant Dieu d’amours” devant trois témoins, Regretz, Soupirs et Pleurs. A l’instar de Villon, cet Amant martyr dresse une longue liste des victimes de l’Amour, Pyrame et Thisbé, Priam: Il contraignoit Apollo estre vacher D’Admetus roy, et delaisser les cieulx,

jusqu’aux divinités de l’Olympe, Mars, Mercure, Vénus, Jupiter luimême, et il se console à l’idée qu’il ne souffre pas seul. Il envoie son âme [...]tout droit en la maison Des esperitz, lesquelz par achoison D’Amours sont mortz,

12 I. Siciliano, François Villon et les thèmes poétiques du moyen âge (Paris, 1934), 313-48.

13 §. 1. n. d. [vers 1520], in-8; B[ibliothéque] N[ationale], Rés. Y° 4899; Montaiglon, Recueil, iv, 193-205.

14 Voir Montaiglon, Recueil, iv, 206-10. 87

LE CODICILLE VILLON

où elle retrouvera d’autres illustres victimes, Didon, Léandre, etc. Il

lègue son cœur à sa maîtresse, avec indications pour l’arrosage journalier avec des larmes. Quant à son corps, Entre epines veulx que sans fiction Soit mis; car ce seroit confusion

Qu’il deust estre sepveli richement, Voyant qu’il a vescu si povrement.

Cette nuance d’ironie se fortifie dans ses instructions en ce qui concerne la messe: Aultres prestres ne veulx que les corbeaulx, Qui messagiers sont de maulvais nouveaulx,

et ces corbeaux sont priés d’annoncer à l’ingrate la mort du chevalier avec leur voix rauque, croc, croc: En payement je leur laisse mes yeulx, Qui cause sont que je suis malheureux,

allusion aux corbeaux de la “Ballade des Pendus”. Ses uniques héritiers sont les écoliers de Turin, à qui il lègue ses biens: Ce que s’ensuit j’ay conquis en amours, Que servy ay en guerre loyaulement; Regrets, souspirs, douleurs, langueurs et pleurs, Froit, chaut, fievres, gouttes et mal de dentz,

Force horions aussi par accidentz; Mal de Naples ay puis eu pour mon vin.

Ce gaillard expire, l’Acteur transcrit ses volontés, et puis un tiers se charge des problèmes de chinoiseries légales: Et moy, qui me soubscriptz à part; Notaire suis, appellé Babillart.

Nous constatons donc que l’Acteur a lu son Villon et qu’il imprégne ce texte apparemment moral d’une pointe d’ironie.

88

RICHARD COOPER

D’autres auteurs sont plus ouvertement naturellement

Jean Molinet

avec

son

allégoriques, dont

Testament

de la Guerre,!5

rédigé en huitains octosyllabiques. Dans ce poème, d’un réalisme pittoresque, la Guerre fait des legs importuns et peu souhaitables à diverses classes sociales, dont la honte et la confusion aux tyrans: Honte, malheur, confusion,

Maladies, noises, discords.16 Aux grandes abbayes, il lègue

Cloistres rompus, dortoirs gastés, Greniers sans bled, troncz sans offrandes;!7

aux villes Leurs tours descouvertes et villes

Leurs murs jus des fondations;18

au plat pays le massacre Et corbaux crians à tous lés

Famine dessus les gibés;!9 a ceux qui ont hébergé des soldats des coffres vides et des meubles cassés, Et plusieurs ventres engrossiés

Pour faire le beste à deux dos.20

1S Les faictz et dictz de Jean Molinet, éd. N. Dupire, 3 vols. (Paris, 1937), ii, 717-24; cf. N. Dupire, Jean Molinet, la vie, les euvres (Paris, 1932), 13132

16 17 18 19 20

Testament de la guerre, vv. 29-30. Jbid., wv. 34-35. Jbid., vv. 43-44. Tbid., vv. 55-56. Jbid., vv. 87-88. 89

LE CODICILLE VILLON

Ce texte est trop connu pour que nous ayons besoin de nous étendre là-dessus ici, si ce n’est pour relever un souvenir de Villon: Il me fault, avant mon trespas

Faire mon petit testament,?l titre donné au Lais dans le manuscrit Coislin. Mais l’idée de se servir d’un personnage allégorique pour faire la satire de la société fit fortune, témoin Le Testament de

Lucifer de Pierre Gringore, publié en 1521 dans Les menus propos:?? L’an mil cing cens vingt et ung en octobre

Dedans Nancy.23 Nous avons toujours besoin d’une grande thèse sur Gringore, et ce

testament n’est pas assez connu,24 malgré quelques réimpressions.”° Il existe des modéles médiévaux du Mariage des neuf filles du Diable,2® que Gringore a exploités ici pour attaquer la cour?’ et pour brosser un tableau des maux de la guerre. L’acteur descend aux enfers, ou il assiste a la rédaction formelle du testament, dans un bois,

illustrée

21 Jhid., vv. 7-8.

22 (Paris, G. Couteau, 21 déc. 1521), in-8; BL. C. 39. b. 23; voir aussi le facsimile publié par Crapelet (Paris, 1845). 23 Testament de Lucifer, f° A v°.

24 C. Oulmont, Pierre Gringore (Paris, 1911), pp. 51-53; cf. la postface par A. V. dans l’édition de 1845: “ Son style [...] est, en général, moins obscur que celui de beaucoup de ses contemporains, et sa verve satirique et sentencieuse ridiculise parfois avec esprit ”.

25 (Paris, Ph. Le Noir, 1522), in-8; (Paris, Ph. Le Noir, s. d), in-4; (Paris, Ph. Le Noir, 25 oct. 1525), 1528), in-8 [BL.]; (Lyon, O. par J.-P. Nicéron, Mémoires lettres (Paris, 1729-45), vol. Crapelet pour Silvestre.

in-8 [BL. BN.]; (Paris, Ph. Le Noir, 7 juill. Arnoullet, 1535), in-8 [BN.]; extraits publiés pour servir à l’histoire de la république des xxxiv; facsimile moderne (25 août 1845), par

26 Voir P. Meyer dans Romania, 29 (1900), 54; Oulmont, Gringore, 173.

27 Cf. P. M. Smith, The Anti-Courtier Trend in Sixteenth-Century French Literature (Genéve, 1966), pp. 68-71.

90

RICHARD COOPER [...] adoncques Lucifer Qui en son mal se print à eschauffer Veoyant que mort venoit pour le surprendre, Feist Belial papier et encre prendre Puis appela Belzebuth & Sathan Et Beelphegor avec Leviathan Qui pour ung temps de luy ne s’eslongnerent; Tous d’ung accord ensemble tesmoignerent Le testament que Lucifer vomit,

Que par escript ledit Belial mit.28 Au lieu de neuf filles, Lucifer en a maintenant plus de quarante, qu’il marie a tout le monde: Parquoy je vueil a tort et a travers Les marier pour engendrer malice.2?

Il s’intéresse aux problèmes sexuels, en accordant aux femmes ses filles Curiosité et Inconstance: [...] par quoy la laisse aux dames Pour leur bailler bagues d’or, joyaux, basmes,

Odeurs, senteurs, fardz et nouveaulx habitz [...].3 Il s’en prend aux Flaterie:

courtisans,

qui doivent épouser Adulation

et

[...] adulation court Parmy les cours des princes a toute heure,>!

de méme qu’aux grands seigneurs:

28 Testament de Lucifer, f° A v°.

29 Ibid., f° A ii. 30 Jbid., f A ii v°. 31 Jhid., f° A ii v°.

91

LE CODICILLE VILLON [...] qui sont fortz Pour soustenir villes, chasteaulz & fortz,

Le peuple ayant subgect & en tutelle;32 et aux autorités civiles, qu’il met ensemble avec Vengeance et Envie. Quant aux Bourgeois, Gringore condamne les avocats, [...] les procureurs Et advocatz, de autruy bource cureurs,

Prestz de happer venoison et volaille;33 les banquiers, usuriers:

les marchands,

les maquignons,}*

et surtout

les

[...] en enfer les attends

Pour heriter tresors dyaboliques,?° et méme les innocents musiciens. Pour ce qui est du petit peuple, Molinet décharge sa bile sur les aventuriers, les maquereaux, les laquais et bordeliers et les servantes. Les religieux attirent sa colère, et il les marie avec Murmure

ou avec Parcimonie, tandis que les

quatre ordres mendiants doivent se partager Hypocrisie, Bigoterie, Abusion, Faulx Semblant. Mais il réserve des punitions spéciales a certaines nations: aux Espagnols, aux Italiens, aux Bourguignons, aux

Allemands,

aux

Lorrains,

aux

Normands,

aux

Picards

et

Gascons,*© aux Lansquenets et aux gens du Nord en général, Qui meinent vie et estat de pourceaulx.37

Comme

d’habitude,

les Anglais

se voient accusés

de trahison.38

Mais d’autres reproches reflétent la conjoncture politique vers 1520: 32 33 34 35 36 37 38 92

Ibid. f° Bi. Ibid, f° A iv. Jhid., f° A iii v°. Jbid., f A iv v°. Jbid., f° A iii v°. Jbid,PBiv. Jhid., f A iv r°-v°.

RICHARD COOPER

ses compatriotes français sont blâmés de dépenser trop pour leurs habits extravagants, au détriment du budget pour la défense nationale: Car leurs habitz superflus je congnois

Estre moyens de leurs terres destruyre.3° Ses médisances contre les Genevois et autres Suisses semblent être un écho de Marignan, et sa malveillance envers les Hainuyers*? dérive de la campagne du duc d’Alengon dans cette province pendant lautomne de 1521 — décrite par Marot — juste au moment où Gringore est censé avoir sa vision céleste (Nancy, octobre 1521). Cet élément nationaliste fait contraste avec les sentiments pacifistes sous-jacents: Je prens plaisir et suis hors de soucy Quant les mondains font l’ung à l’autre guerre

Tard vit en paix qui a pecune et terre.4! et avec la conclusion irréprochablement moralisatrice de |’Acteur:

Gardons nous bien d’estre enfans Luciferes.42 Nous-trouvons le même mélange de morale et de politique dans le dialogue signé par un poète troyen, Maître Michault, Le

Testament d’Orgueil,*? daté vers 1530, qui semble provenir d’une Moralité perdue.# Charité conseille au jeune débauché, Orgueil, de s’amender, de se rendre au charnier et de penser à la mort:

39 Jbid., f° A iii v°.

40 Jhid., f° A iii. 41 Jhid., f° A ii.

42 Ibid, f° B ii. 43 S’ensuyt le debat de vraye charité à l'encontre de orgueil qui sont deux choses fort contraires. Et sur la fin le Testament dudict orgueil, s. |. n. d. [vers 1530], in-8; BN. Rés. Y2 601; Montaiglon, Recueil, xi, 293-312.

44 Montaiglon, Recueil, xi, 293-94. 93

LE CODICILLE VILLON Va-t’en en l’estre Nostre Dame Y prendre une teste de mort; Ce sera pour mirer ton corps, En attendant ta sepulture, Et que tu soyes souvent recors

Qu'il te fault estre en pourriture. Or il ne suffit pas de penser, il faut réfléchir d’abord, et Orgueil ne songe qu’aux plaisirs temporels, Tous les jours nouvelles aubades

Pour soutenir mondains repas;46 et il se révèle tellement rétif devant les conseils de sagesse, si goinfre

et glouton,

si hostile

à la religion et aux

saints (sauf Sainct

Pansart)*7 que Charité lui lance: N’es-tu pas un Lutherien?

Il me le semble à ton langaige.48 Mais ce jeune roué découvre qu’il a “la peste ou une equilence ”,4? et Charité le convainc de prendre ses dispositions: Tu doibs faire quelque ordonnance En ensuyvant ton testament Pour congnoistre plus amplement Si ton cas est envenimé;

L’exemple veritablement

Bien il pourroyt estre imprimé.50

45 46 47 48

Ibid., Jbid., Ibid, Jbid.,

xi, 296-97. xi, 297. xi, 302. xi, 297.

49 Jbid. xi, 305; = inflammation de la gorge, esquinancie.

50 Montaiglon, Recueil, xi, 309. 94

RICHARD COOPER

Avec un rire sardonien, cet “orgueilleux obstiné 5! diables comme ses exécuteurs:

nomme

les

Sachez que mes exécuteurs Ont les ongles plus grans que coqs

Et ne payeront point mes debteurs,52 choisit d’être enseveli [...] dessus la justice. Les corbeaulx portant leur pasture

Me lairront cheoir une escrevice,53 et demande aux corneilles de chanter ses messes. Ses chambrières et

valets lui tiendront compagnie aux enfers: De Sathan tiendront les souffletz Meschamment par rude maniere; Bouillonner feront la chauldiere

Parmy ces malheureux dampnez;>* et au lieu de faire des legs, . De tout mon or et mon argent, Qu'il soyt fardelé sur ma pance;

C’est tout mon Dieu et mon régent.°° Dans allusions à l’importante Le Codicille

ces deux testaments moraux nous avons relevé des des problèmes d’actualité, qui les rapprochent de série de testaments politiques. Le premier date de 1488, et Testament de Monseigneur des Barres, capitaine des

Bretons, et la Prinse de Fougières en Bretagne.

Dans ce texte

51 Ibid, xi, 312. 52 Ibid., xi, 309.

53 Jbid., xi, 310. 54 Ibid. xi, 312. 55 Ibid,xi,311. 56 Jbid., vi, 102-13; voir une édition moderne (Nantes, 1853).

95

LE CODICILLE VILLON

poétique, censé avoir été prononcé sur l’échafaud par un chambellan de Louis,

duc

d’Orléans,

capturé

à Saint-Aubin

(juin

1488)

et

condamné à mort, le rebelle repenti prononce un testament oral, dans lequel il demande pardon a Charles VIII: Je voy la mort devant mes yeulx Que j’ay desservi justement; Pardon requier au Dieu des cieulx

Et au roy sur tous roys puissant;>7 il établit le bien-fondé de la cause du roi et invite son maitre et les Bretons à s’en remettre à la merci royale. Comme son modèle villonesque, ce testament renferme d’autres pièces, dont une ballade qui joue sur le nom Des Barres, et un rondeau en l’honneur de Charles VIII: Vive le noble roy de France,

Et qui de cueur luy servira!58 D’autres imitèrent l’emploi de ce genre pour la propagande, témoin une pièce perdue de Maximien, Le Testament et regretz de Ludovic

autrement dit le More,°? dans lequel le poète a dû jubiler à l’idée qu’un autre ennemi de la France avait subi un châtiment mérité. Même son de cloche dans Le Testament d’Anthoine de Leve, translaté d’italien en langue françoyse par un tabellion maritime .60 Antonio di Leva avait le commandement des troupes de CharlesQuint qui envahirent la Provence en 1536 et qui saccagèrent plusieurs villes. Sa mort pendant cette campagne apparut aux Français comme une punition divine, témoin les railleries d’un

Rabelais au sujet de cette déconfiture.®!

57 Montaiglon, Recueil, vi, 111.

58 Ibid: ve, 119. 59 (Paris, G. Le Normant & C. Longis, s. d. [vers. 1510]), in-8; nous n’avons pas pu en retrouver d’exemplaire.

60 Exemplaire a Harvard. 61 Pantagruel, éd. V. L. Saulnier (Genève, 1965), vii, 79 var.

96

RICHARD COOPER

Autre universelle,

ennemi

Martin

de

Luther

la France

et de

l’Église

catholique

eut droit, lui aussi, à un moment

de

recueillement avant de s’engouffrer dans les tourments éternels, Le

Testament de Martin Leuter (15467?).62 Moy delivrant à la mort qui s’avance, Et redoubtant la fureur diabolique. Au temps jadis la nature angelique Fust parfondrée ès palus infernaulx; Ainsi sera la septe Leutherique

Au fons d’enfer en peines enormaus.®? Déchiré par de cuisants remords,

Hay je suis de toute nation,64 le testateur invoque Atropos, la mort, appelle la colère du ciel, “le fouldre Flegeton” sur sa propre tête, désire que son corps soit dilacéré: Quant mort seray, je veux et si ordonne Que des oyseaulx soit ma chair deschirée;®>

et qu’il puisse sombrer, corps et âme, jusqu’au tréfonds de l’Enfer: Face la terre maintenant ouverture,

Et que tout vif moy puisse engloutir: Car plus ne veulx si faire nourriture, Mais en enfer regarde[r] la figure

De Lucifer, qui tant m’a fait mentir.66 Là-bas, dans une bolgia dantesque en compagnie de Caïn et Judas,

62 Montaiglon, Recueil, i, 194-203. 63 64 65 66

Jhid., Jhid., Jbid., Jbid.,

i, 194-95. i, 196. i, 196. i, 198. 97

LE CODICILLE VILLON Je veulx qu’enfer ma sepulture face [En] speculant des esperitz leur face Où fut Cayn par sa temptation;

Judas aussy par sa tradition,67 il désire souffrir des peines plus atroces que Tantale et Atrée: Huile bouillante et plomb qui est fondu Incessamment bruslera ma povre ame.68

et il veut que son sort serve d’exemple à d’autres sectateurs: Ains que descende tout vif dedans l’enfer, Je veulx qu’on mette mon cas en escripture, Comment je suis auprès de Lucifer Et estaché d’une chaine de fer,

Martyrisant ma pauvre creature,6? afin que soit accomplie l’épigraphe de son testament:

Pereat Leutheriana heresis.70 Cet emploi de la forme du testament poétique pour les besoins de la propagande nationale se développa tout le long du siècle. Lors de la prise de Guines au début de 1558 (20 janvier 1558) un prêtre d’Amiens, Antoine Fauquel, publia à Paris Le discours du Testament de la prise de la ville de Guines,” Si trespiteux que je n’y tiens que rire:

Car delaissée este de ses voisines,72 dans lequel il pousse le dédicataire, Louis d’ Ailly, vidame d’ Amiens,

67 68 69 70 71

Jbid., i, 195. Ibid, i, 197. Jbid., i, 198. Jbid., i, 194. (Paris, O. de Harsy, 1558), in-8; BL. 901. a. 7 (2).

72 Montaiglon, Recueil, iv, 316.

98

RICHARD COOPER à faire cesser la damnable vie des heretiques Anglois.73

Ainsi que pour Des Barres, il s’agit d’un discours d’adieu, mais comme le De profundis des amoureux, ou comme les psaumes des pèlerins de Gargantua, le poème est brodé sur des vers des Lamentations de Jérémie (I, 19-21): Qui est celuy d’entre tous mes amis, Devant que d’estre à la mort condampnée, Qui son povoir et sa puissance ayt mis Pour me deffendre ainsi que bien aymée? Las, je n’ay veu, estant environnée, Mon roy non plus que s’il fut abismé; C’est a bon droict doncque suis desolée,

Puisque n’ay eu qui consoletur me.74 La campagne de 1558 fut le prélude a la grande paix tant souhaitée

de Cateau-Cambrésis,

qui fut saluée, elle aussi, par un

Testament, et cette fois par un recyclage du texte de Molinet. Nous ignorons le nom du poéte qui adapta Le Testament de la guerre et qui le publia 4 Lyon en 1559, mais Barthélémy Aneau me parait le

candidat par excellence.’ Ce réviseur supprima six strophes’® qu’il trouvait dans les éditions imprimées’” et dans lesquelles Molinet avait tonné contre les jeunes étourdis, les houssepaillers, les pillards, les agrippars, les joyeuses fillettes qui suivent les armées, et contre les chapelains. Par ce moyen il essaya de donner au texte élagué un sens positif qui trahit la complexité de |’original. Il y ajoute aussi un Dixain d'un citoyen de Lyon, qui aurait inscrit dès 1555 sur sa

73 Ibid, iv, 315. 4 Ibid, iv, 320. 75 A comparer avec le texte publié par Jean Saugrain (Lyon, 1559), BN. Rés. Y© 4892. 76 Testament de la guerre cit., vv. 65-72; 97-104, 113-20, 144-52, 129-36,

161-68. 77 Dont: S’ensuyt le Testament de la guerre qui régne a present sur la terre, à l’enseigne des deux jousteux. Mais Noël Dupire suggère que ces strophes manquent dans certaines éditions.

99

LE CODICILLE VILLON

nouvelle maison des vers prophétiques qui annongaient déjà la fin des guerres: Autour les murs de prophetique esprit La paix que Dieu a donné par sa grace Ceste sayson: dessus la terre basse, L’an mil cing cens cinquante cing encore Les vers suyvantz en belle lettre d’or Il mit aux yeux de tous Chrestiens fidelles

Leur predisant ses heureuses nouvelles.78 Cruelle ironie du sort, car de nouvelles guerres

intestines allaient

éclater dans un an à peine et allaient ravager la France pendant plus de trois décennies. Mais on conserva le texte émasculé de Molinet dans un écrin comme porte-bonheur, et on put finalement ressortir ce fétiche dans les dernières années du siècle, lorsque le traité de Vervins et l’édit de Nantes semblaient marquer l’aurore d’une ère de paix. Le texte parut à Paris en 1598, orné du buste du roi pacificateur,’? et agrémenté de deux pièces de circonstance,

L’Epitaphe de la guerre morte,8° espèce de complainte, et, en envoi, une description Des feux de ioye, dont l’atmosphère est bien rendue par les premiers vers: S’on vit jamais triompher un Caesar

Un Marius ou bien un Paul-Æmile [...].8! Mais le genre du testament avait également servi dans le feu du combat, et semble avoir surtout été exploité par les Huguenots. Le Testament de Henry de Valois recommandé à son amy Jean d’Espernon. Faict à Blois, le septieme de mars 1589. Avec un Coq à l’Asne82 célèbre l’avènement d’Henri IV et se réjouit de l’assassinat d'Henri III, annonçant que Lucifer “de joye tressaillit” à la

78 Ed. J. Saugrain, p. 8. 19 Le Testament de la guerre (Paris, Denis Binet, 1598), BN. Rés. Y° 4890.

OO Ibid. fay”. LASER, 82 (Paris, pour Jacques Varengles & Denis Binet, 1589); BN. Rés. Y£ 4888; BL. 8042. a. 55 (2).

100

RICHARD COOPER

perspective de l’accueillir.83 Le roi déchu passe pour un amateur de la Nature: [...] Je veux pour sepulture Mon corps estre pendu, pour servir de pasture A ces petits oyseaux, lesquelz au temps d’hyver Meurent presque de fain, ne pouvant rien trouver;84

et il distribue les diverses parties de son corps: sa perruque noire comme “esperges à tous Parisiens”, sa peau écorchée et son cul aux

“traystres Rochelois”:85 D’Espernon, va querir tous tes Magiciens Pour tirer de mon cul ce qu’il est necessaire A vostre enchantement, vous en avez affaire.

Je donne mes boyaux et trippes voluntiers Pour faire des raquettes a tous les tripotiers, A tous joueurs de quilles apres ma mort j’ordonne Ma teste en lieu de boule;

il lègue ses yeux aux Quinze-vingts (Villon oblige): Si veux je mes deux yeux aux Quinze-vingts donner Affin que s’il advient que de leur rue ils sortent

A leurs testes attachez ces aveugles les portent;86 et sa langue aux parjures et aux nourrices: Je delaisse au menteur cette langue parjure Pour mieux se parjurer, s’il luy souvient qu’il jure; Aux nourrices plustost la laisser j’ayme mieux

Pour toucher des enfans le petit cul foireux.87

83 Le Testament de Henry de Valois, 3.

84 Jbid., 7. 85 Jhid., 5, 6: “ Mon cul, qui leur sera une fluste tresbelle / Pour avec leur tambour en la ville sonner ”.

86 Ibid, 6. 87 Ibid., 6-7. 101

LE CODICILLE VILLON

Ce

livret est consciemment

archaïsant,

surtout

dans

l’idée d’un

recueil de pièces de formes diverses, dont un coq à l’asne.f8 une épitre de Passavant escrivant à son amy des nouvelles de la cour,®? et un sonnet final, Sonnet sur la devise de Henry de Valois dedié au

mesme Tyran.°0 Le Testament de la Ligue (1594),9!

parfois attribué à

Nicolas Rapin, poursuit le même thème de la victoire protestante, lorsque la Ligue moribonde nomme ses exécuteurs: Les Alemans je nomme et Cantons de Souisse Pour les executeurs, comme aymans la Justice.72

Dans les affres de la mort: C’est pourquoy en mon lit moribonde gisante, Quoy que saine d’esprit d’une bouche mourante, Ne voulant deceder sans de mes biens tester Et disposer de tout ce qui me peut rester,73 cette

Fille de Lucifer és tenebres conceuë, Du plus profond d’enfer au monde suis venuë

Nee entre les destroits des rudes Appenins

Et des Alpes cornus,4 lègue son âme « à tous les noirs demons », et, dans un style qui évoque Molinet:

88 Jhid., 8. 89 Jhid., 10. 90 Jbid., 14. 91 BN. Rés. Y® 4896; cf. BL. 596. c. 10 (1), Epitaphe de la ligue, (s. d. [1594]), in-8. 92 Le Testament de la Ligue, 8.

93 Jbid., 4. 94" Ibid 2: 102

RICHARD COOPER Je fais mon heritier tout le peuple François, Je luy laisse les peurs, le sang, les pilleries, Les meurtres, assassins, insignes volleries,

Les vefves, orphelins et les violemens,

Les larmes, les regrets, et les ranconnemens.?>

Elle se retourne contre ses anciens alliés, le pape,% l’Espagne,?? la Savoie;?8 mais le livret s’achève sur une note d’espoir, avec un sonnet à Mercure sur la Paix. La plupart des testaments moraux et politiques que nous avons examinés ont pour le moins un petit air ironique. D’autres sont plus franchement comiques, des Testaments par esbatement, et ils imitent plus ouvertement le ton badin de Villon. Henri Guy les condamne tous: Téméraire tentative qui excédait les forces des imitateurs.

Aucun n’a retrouvé le secret du grand artiste.9? Mais certains, dont les testaments

carnavalesques,

me paraissent

dignes de remarque. Le Testament Pathelin,!© que je place ici faute de savoir où le classer, est trop bien connu pour avoir besoin d’un nouveau commentaire. Mais ce texte ouvre toute une série de pièces carnavalesques, dont le mieux connu est Le Grand Testament de Taste-Vin, Roy des Pions de 1488, qui connut au moins trois

éditions.!9!1 Ce texte a été souvent réimprimél0? et je me borne à

2 Ibid ;5. 96 “J

J au sainct Pere je donne / Les terribles effrois de sa triple couronne,

/ Mesme la tyrannie et l’usurpation / Sous le masque et manteau de la religion ”.

97 Le Testament de la Ligue, p. 5: “ Item à l'Espagnol je lègue mes desseins, Ma creance et ma foy, mes projects plus hautains ”.

98 Jhid., 6: “ Je legue au Savoyard la ruine totale / Des siens, et une fuitte en la terre Papale ”. 99 Guy, Histoire de la poésie, i, 122.

100 Éd. J.-C. Aubailly, 1979; éd. A. Tissier dans son Recueil de Farces 1450-1550, 11 vols. (Genève, 1986-), viii, 1994.

101 BN. Rés. Y® 4893; Montaiglon affirme en avoir vu trois éditions. 103

LE CODICILLE VILLON

suggérer que ce fut ce texte qui fixa la forme

des imitations

villonesques, avec l’invocation burlesque aux Muses, Ou nom du pot, ou nom du verre,

Ou nom de la grosse boteille, A qui, comme bien povez croire,

J’ay maintes fois tiré l’aureille;103 les instructions pour la sépulture: Aupres de la taverne la belle [..], Et qu’on plante sur ma cervelle

Un cep de la meilleure vigne; 104 des legs fantaisistes aux ordres mendiants, aux maris dominés par leurs femmes, Ung bon gros baston de pommier [...], Où tout ivre me soustenoye, Je le donne et si l’ottroye

A ceulx qui ont femmes noyseuses; 105 au roi des Gueux:

Mon pourpoint, tout neuf coutonné

Qui ne m’a servi que neuf ans, 106 aux pipeurs, aux putains, et à ses enfants: [...] jamais ne feront bien, Fors que d’estre larrons publicques,

102 Par Guyot l’Ainé (Orléans, 1829), éd. Gratet-Duplessis; voir un autre facsimile, vers 1830, Oxford Taylorian Institute 33. d. 9; Montaiglon, Recueil, iii, 77-83; éd. moderne par J.-C. Aubailly (Paris, 1979); autre édition par Tissier, Recueil, viii, 1994.

103 Montaiglon, Recueil, iii, 77. 104 Jhid., iii, 78.

105 Jhid., iii, 79. 106 Jhid., iii, 79. 104

RICHARD COOPER Et si seront trestous thesicques Quant leurs biens seront despenduz. Tant suyvront les voyes pubicques,

Qu’a la fin ilz seront penduz,!97 avant de se lancer dans un discours d’adieu:

Adieu dy à tout bon galant, Soit cler, lay, cordellier ou carme, A boire hardy come Roland

Quant il combatoit un gendarme,108 et de préciser les circonstances d’homologation du document: Le testament [...] fut passé a l’estudie

Par dessoubz maistre Jean Pion.!9 Henri

Guy

aurait

sans

doute

révisé

son

jugement

globalement négatif s’il avait pu lirell0 Ze Testament de Carmentrant de Jean d’Abondance,!!! édité récemment par J.-C. Aubailly!!2 à partir d’une copie manuscrite du XVIIIe siécle.!!3 Aubailly en donne un texte incomplet et semble ignorer l’exemplaire

imprimé qui se trouve à la Réserve de la Bibliothèque Nationale.!!4 Cette courte pièce aixoise de 1540 environ semble avoir été influencée par le Testament d’Orgueil, car dans les deux pièces le

jeune roué refuse d’amender sa vie dissolue:!!5

107 Ibid, iii, 81. 108 Jhid., iii, 82. 109 Ibid, iii, 83. 110 Guy, Histoire, 124. 111 Éd. moderne par D. H. Carnahan, Le Testament de Carmentrant (Urbana, Illinois, 1909).

112 Deux jeux de Carnaval de la fin du Moyen Age (Genève, 1977). 113 BN., ms. fr. 9299, Coll. de Soleinne, t. iv.

114 BN., Rés. Yf 4658. 115 Le Testament de Carmentrant, f A2 v°.

105

LE CODICILLE VILLON Je mange bouli et rousti

Je suis le plus gentil du monde [...].116 Je suis ioyeux, je suis plaisant Je fays dancer, je fays galler

Et le vin claret avaller.!!7 Je suis tout rempli de liesse;

Je suis le tuteur de jeunesse. !18 Mais il ne s’agit pas d’un véritable testament satirique, sauf à la fin,

après la défaite de Carmentrant,!!9 où le perdant prend congé du monde dans des accents bien villonesques:120 Adieu passetemps et esbatz Adieu cabaretz et sabatz, Adieu bourgeoys, marchans aussi; Adieu les Enfans-sans-soulcy, Adieu à tous bons gaudisseurs, Je vous laisse les roustisseurs

Et bonnes tavernes aussi. 121 Au début du siècle suivant on revint à la charge en publiant un testament en prose, Le bragardissime et joyeux Testament de la

bière, dédié aux magnanimes biberons pour ces festes de CaresmePrenant, 1611.122 Obligé de céder la place à Bacchus, !23

116 117 118 119 120 121 122

Jhid., f A2 v°; wv. 54-55. Jhid., f° A2 v°; vv. 59-61. Jhid., f A3; vv. 68-69. Jhid., f A3 v°. Jbid., f° B v°. Jhid., vv. 270-76. BN., 8° Y° 1777, réimpression.

123 Testament de la bière, 5.

106

RICHARD COOPER Je laisse et resigne aussi par ces presentes à Bacchus la

domination de mon Empire, 124 la bière fait de grandioses legs burlesques, Je laisse au temps ses pouvoirs et ses authoritez, au soleil sa

course d’Orient à l'Occident, 125 suivis de donations plus ponctuelles: aux affamés, et à ceux qui ont le ventre cousu comme la marmite des Cordeliers, mes biens, moyens et facultez, pour dompter

patiemment leurs appetits;126 ou aux buveurs de bière: Aux Allemands, Flamands, Anglais et Hollandais les soupirs, les plains et les lamentations; [...] à ceux qui m’ont trop caressez des chaudepisses à foison et des flux de ventre à

grand nombre. !27 D’autres poèmes perpétuent la tradition des testaments dictés par des animaux, Testamentum asini, Testamentum porcelli. Le premier en date est Le Testament de la Mule Barbeau, écrit par Henri

Baude en 1465.128 Mais le meilleur exemple pour cette période est l’œuvre de Jean Le Happère, La Terrible Vie, Testament et Fin de l’oyson (1526), daté de 1526 et peut-être conçu comme monologue

dramatique.!29 Si Villon avait donné son oie aux Frères Mendians,!39 notre pédagogue d’un collège parisien, mieux connu 124 Jbid., 10. 125 Jhid., 9.

126 Jhid., 9. 127 Jhid., 9, 10.

128 Éd. par L. Quicherat, Les vers de Maître Henri Baude (Paris, 1858), 20DS:

129 BL. C. 22. a. 48; BN., Rés. Y® 1277 (Paris, A. Lotrian, s. d. [vers 1527]), in-8; Montaiglon, Recueil, x, 159-69.

130 Villon, Test., 1649: “ Les mendians ont eu mon oye ”. 107

LE CODICILLE VILLON

pour ses Laudes et complaintes du Petit Pont,'3' chante les louanges d’une couvée d’oisons gigantesques nés à Nogent-le-Roi (Eure et Loir): Ils estoyent de grosse stature Plus qu’autres ne furent jamais, Car ilz avoyent autre figure Que ung tas de oysonnetz desormais, Car ilz avoyent plus de cent doibs

Entre le bec et les deux yeulx;!32 notamment

le vaste dos:

Ils avoient le dos aussi grant, Gros et large, quarré et fort,

Comme ung lion ou elephant;133 Aucune comparaison possible de leurs cuisses avec les saucisses de la Belle Heaulmière: Des cuisses, qui en parlera? Je vous dy que c’est ung cas neuf, Qui bien estimer les vouldra;

C’estoit droictes cuisses de beuf.134 On eut de la peine à en porter un chez Le Happère à Paris, où il fut mis au Collège: I] fut en huit jours passé maistre Et aprint à parler latin

Autant en soir comme au matin. l3$ Mais lorsqu'il apprit qu’on le destinait à la cuisine,

131 132 133 134 135 108

Éd. Babelon dans les Mélanges Picot, 2 vols. (Paris, 1913), i, 83-89. Testament de l'oyson, f° A v°. Ibid, f A2. Thid., f° A2. Ibid, f A3 v°.

RICHARD COOPER Ne pensez point qu’il fust si fol [3 vers manquent] Qu’il voulut mourir meschamment;

Ainsi qu’ensuyt, fist testament; 136 et que

Nourry sur la riviere d’Aeure, Mourir me fault, present le voy, D'une mort treshorrible et dure. Je croy que de ma sepulture Elle sera en plusieurs ventres;

Plusieurs me menger ont ententes; 137 Poison procède formellement à la distribution de ses membres: On me rostira, bien le sçay,

Faisant bouillir ma petite ouaye, Et puis par quartiers depessé, Puis mengé en tristesse ou ioye. Mais, en quelque ventre que soye, Le boyau culier je retiens. Mes os seront gettez aux chiens. Mes piedz serviroyent proprement De tirouez d’huys à la fin, Et ma plume pour mollement Coucher le bon Georget Perrin. Mon bec, qui est ung bon lopin, Ma gresse et sain, qui est si doulx,

Serviront a faire des choux.!38 Si les oies peuvent tester, pourquoi pas les fous? Plusieurs bouffons nous ont transmis leurs derniéres dispositions, dont une certaine folle Quatre-Tournoys. Son testament contrefait par un notaire trompeur est perdu; mais dans sa réponse carnavalesque,!3°

136 137 138 139

Jhid., f° A4. Jhid., f A4. Jhid., f A4 v°. Montaiglon, Recueil, x, 11. 109

LE CODICILLE VILLON

Le vin du Notaire qui a passé le Testament de Quatre-Tournoys,40 elle se répand en invectives contre ce plaisantin, qui avait signé “Languissant doloreux”, et elle menace de lâcher son mari Girard contre lui: Et, au surplus, pour le contentement,

Qu’il t’appartient de ton beau Testament, Je le prieray, mettant fin à mon roolle,

S’il te fault rien, que ce soit la verolle.!4! Un autre fou, Jenin de Lesche, suit le mouvement

et publie son

Testament

Mont-Sainct-

de Jenin

de Lesche,

qui s’en

va

au

Michel,\42 daté d’avant 1514, et jugé par Montaiglon comme le plus fidèle au modèle villonesque.!43 Sur le point de partir en pèlerinage vers l’époque de Caréme, ce fou se moque des dispositions traditionnelles, léguant son haubergeon a Colas le Baveulx,

Qui le plus souvent est morveulx,!44 et sa grosse bouteille à Maistre Alain, [...] car les fievres

Il a, s’il ne boit à grant traictz.!45 Il se fiche de celui qui recevra son luminaire,

Car aussi bien n’y verray goutte, 146 et de qui sonnera le glas, 140 (S. 1. n. d. [Paris, vers 1530]), in-8, Bibl. Sorbonne; Montaiglon, Recueil, x, 9-17.

141 Montaiglon, Recueil, x, 14. 142 (Paris, en la rue neufve Nostre Dame à l’enseigne de l’Escu de France, s. d. [vers 1525]), in-8; BN., Rés. Y. 4418 C; Montaiglon, Recueil, x, 369-76.

143 Montaiglon, Recueil, x, 371.

144 Thid., x, 374. 145 Tbid., x, 374. 146 Jbid, x, 374. 110

RICHARD COOPER Je croy que m’en passeray bien

Car aussi bien n’en orray rien. 147 Etant sans ressources, il n’a pas de quoi payer les barbiers qui soignent depuis plusieurs jours le “mal de ma cuisse”, mais pour les dédommager il leur lègue son mal, Affin qu’ilz puissent mont et val

A tout jamais parler de moy.!48

Jenin est citél# dans un autre texte, La Vie et Trepassement de Caillette,\$0 autre bouffon sous Louis XII qui mourut en 1514. Comme chez Jenin il est beaucoup question des tripes et de l’église Saint-Innocent, mais sa notice nécrologique contient cette comparaison héroïque qui le distingue de ses concurrents: Et ne visoit à acquérir billon; Si fin ne fut qu’estoit Françoys Villon; Ce néantmoins, il monstroit par maniére

Qu’il aymoit mieulx du vin que de la biére.!5! Mais dans une ballade liminaire nous voyons ce lunatique Jenin, qui vient d’apprendre la mort de Caillette, convoquer tous pour les funérailles, si bien qu’on le nomme exécuteur de Caillette: Prince, ce fol il faut qu’on entremette Executeur tout seul du testament,

A celle fin que nul ne se desmette

Pour venir tous à enterrement. !52

147 Jbid., x, 375. 148 Ibid, x, 375. 149 Jbid., x, 384. 150 (S. I. n. d. [Paris, vers 1525]), in-8; BN., Rés. Y. 4481 B; réimpr. (Paris, 1831) par Giraud et Veinant; Montaiglon, Recueil, x, 377-86.

151 Montaiglon, Recueil, x, 380.

152 Jbid.,x,385. ig

LE CODICILLE VILLON

Nous nous rapprochons toujours plus du monde de la pègre parisienne, et je me propose d’examiner ici les testaments des bélitres de la capitale, et surtout du monde de la Basoche. Mais il y a un testament, bien villonesque, qui fait exception et qui est inclassable, Le Testament et epitaphe Dizaine de maistre Frangoys

Le Levrault, sergent royal en la senechaussée de Guyenne.'°3 Nous avons affaire ici à la mafia bordelaise, à un sergent royal qui opte pour la voie d’un testament poétique, dans un choix de mètres, pour attaquer ses pires ennemis, Jehan Le Guenais (d’ Amboise): A ce puant, à ce pugnais Villain, meschant Jehan le Guenais Faulsaire infaict et detestable,

Le plus maudit qui fut jamais; et Maître

Etienne

Fournier.

Ce

dernier,

“inventeur

de

toutes

cauthelles”,154 s’en tire à bon compte, car Levrault ne lui lègue que [...] force procez, Tromperie [et] tel trippotaige [...]

Et la goute, que je luy donne.!55 Mais Le Guenais potence,

se voit royalement

éreinté, écartelé,

voué

a la

Pource qu’il cure les retraitz Et use de sceaulx contrefaictz

Et scet escorcher les chevaulx.!56

Levrault imite Villon en émaillant son texte de piéces insérées, dont une épitaphe anticipée en décasyllabes, avec acrostiche (= Jehan Le

Guenais d’Amboise, Sergent royal):157 153 (S. Ln. d.), in-4; BL., 1073. a. 9 (5) dans un volume de G. La Taysonniere, Les amoureuses occupations (Lyon, G. Roville, Montaiglon, Recueil, x, 128-46.

154 Montaiglon, Recueil, x, 144.

155 Jhid., x, 144-45. 156 Jbid., x, 140. 1$ 0

1555), in-8;

RICHARD COOPER Verité onc ne sorti de ma bouche;

En mensonges je prins nourrissement: Nourry je fuz de serpentine touche

Astudicqué de vinimeulx piment, 158 suivie de deux autres salves d’anathèmes: Langue d’aspic, mortelle, serpentine,

Envenimée plus que n’est ung crapault, Gueulle infernalle, la teste Cerberine, Vieulx chien puant à l’ame acordonée, Envieulz bouc, renard deceptif, cault [...] Yvre, gormand, cure-retraitz, marault,

Seul, sans amy, remply de lascheté.159 Mais pour ce qui est de son testament, il affecte une désinvolture envers sa dépouille mortelle, De mon corps, de sa sepulture,

Il ne me chault pas ung denier; 60 et ses créditeurs:

Au fort aller, au Jugement J’espoire avoir assez chevance

Pour les payer joyeusement.!©! La seule chose qui lui tient à cœur est son fils naturel, à qui il donne “Soucy, travailh, poine sans cesse”. Si c’est un intellectuel, il lui lègue tous ses livres “pour mieux son cerveau thopicquer”: S’il veult user de Rethorique, Je lui en laisse la praticque Chez Clercs et Rethoriciens;

157 158 159 160 161

Jhid,x, 141-42. Jhid.,x, 142. Jhid., x, 143. Jbid., x, 130. Jhid.,x, 132. 113

LE CODICILLE VILLON S’il veult user de la Phisique,

De Chantre[rie et] de Musicque, Chez Chantres, chez Phisiciens, Et, s’il veult Astrologiens Ensuyvre, aussi pronostiquer, Je l’ay laissé, je ne dy riens;162

et si c’est l’épouseur du genre humain, il lègue des poésies a foison: Item, s’il est tendre du bas Et qu’en amours aict ses esbas En faisant saultz, pectz, petarades, Pour jouter en lisse et combatz,

Tant aux bas qu’aux fermes combas, Sans y prendre harnois, salades, Je luy laisse rondeaulx, balades,

De virelais ung cofre plain. 163 Les autres articles se conforment au modèle de Villon, avec des legs aux Suppoz Bazochiens, [...] joïeux moyens,

Rire, gaudir toute saison, 164 et notamment

cent plains paniers [...] De dez, de cartes pour jouher

Tout le tresor des Usuriers;!65

aux jeunes filles de quinze ans: Je leur laisse gens bien disans Petits muguetz, propres, duisans Pour leur serrer le vibrequin,

162 163 164 165 114

Ibid, x, 132-33. Jbid.,x, 133. Jhid, x, 137. Jhid., x, 138.

RICHARD COOPER En assemblant culz contre culz,

Puis le matras vers le connin;166 aux “quantoniéres de la ville”, qui capturent de jeunes folletz: Je leur laisse leurs haulx colletz

Garniz de roigne et de verolle, 167 qui leur défigurent le visage, les réduisent à l’hôpital ou à mendier à la porte de l’église, Pourries, puantes, en chemise,

Chascune ayant son escuelle.!68

Il fait d’autres legs aux taverniers qui frelatent le vin,!®? ou aux regrattières qui vendent trop cher le pilori et le fouet. Le testateur sardoniques dans ce poème, et ce se déride et qu’il se met à jouer juridique:

du poisson avancé et qui méritent adopte des accents très amers et n’est que vers la fin que son front sur le mot mort et sur le langage

Helas, mon Dieu, mon adjutoire, Si j’ay rien qui soit mal aquis, Je te supply qu’au hault Pretoire, Quant je seray au Consistoire Où tu tiendras ton Auditoire,

Que tout me soit quite remys.!7° A la différence de ce Bordelais hargneux, les bouffons de la capitale nous rapprochent beaucoup plus de Villon et du milieu parisien, des gueux et de la cour des miracles, témoin Le Testament

fin Ruby de Turcquie, Maigre marchant, contrefaisant sotie (vers

166 167 168 169 170

Jhid., Jhid., Jhid., Thid., Jbid.,

x, x, x, x, x,

138. 139. 139. 145. 135. 115

LE CODICILLE VILLON

1509-14),171

qui se termine par L’Epytaphe defunct sot Tribolet.

Ruby de Turquie semble avoir été camelot au Palais de Justice a Paris, qui simulait la folie pour vendre ses colifichets, et qui vivotait

des aumônes que lui faisaient les clercs du Palais. Le poète, sans doute un basochien, imite Villon d’assez près, soit dans le style, soit

dans le cadre parisien.l72 Ruby se déclare avoir été traqué par la

Fortune depuis douze ans:173 J’estoys joyeux, prest à menger et boire, Habandonné, voulans à tous complaire Et d’un chascun en acquerant la grace, Mais maintenant Fortune m'est contraire, Quant el me veut de ce monde distraire,

Qui me contraint à autruy faire place. !74 Il prend donc congé de ses amis, à qui il laisse ses effets personnels: Je laysse donc mon manteau et ma tasse Mon bonnet blanc et ma grant tocque grasse

Aux pellerins qui reviendront de Rome.!75 Il confie le costume qu’il portait au Palais, un haubert orné de plumes, à Martin le sonneur, qu’il charge de le transmettre au Seigneur des Bélitres de la salle du Palais: A ces gorriers, portans visage palle, Rongneux, rafleurs, farcis de grosse galle, [...] Je leur laisse tous mes vieulx drapeaux salles

Et mes brayes, qui ne sont pas trop nettes.!76

[71

([Paris] Clement Longis, s.d. [vers 1510]), in-8; Bibl. Méjanes, n°

15430; Montaiglon, Recueil, xiii, 1-11.

172 Montaiglon, Recueil, x, 369-86.

173 Ibid. xiii, 3. 174 Ibid, xiii, 5. 175 Ibid, xiii, 5.

176 Jbid., xiii, 7. 116

RICHARD COOPER

A l’instar de son modèle, il lègue des lunettes et ses clochettes aux Quinze-Vingts. Quant aux prêtres, A mon curé et chappelains je laysse

Ce qu’ilz me doyvent,!77 et aux frères mendiants il donne

la granche de mon oye, Que dès longtemps fait engresser j’avoye;

S’ilz ont grant fain, ilz la rongeront bien. 178 Et son testament se clôt sur une note édifiante sur la mort: Nul n’en eschappe, vous ne l’ignorez mye: Tous comme moy vous conviendra passer.

Souviegne vous de Rubys de Turcquie.!79 Tout comme Rubys, Jean Ragot fut un bélître bien connu, qui dans un texte burlesque, Le grand Regret et complainte du preux et vaillant capitaine Ragot tresscientifique en l'art de parfaite

belistrerie,\80 se fit passer pour capitaine. Nous en trouvons un écho dans le Testament de l’oyson, où, pour mettre en valeur le courage de la volaille, Le Happére nous apprend que Jamais il ne fut espouree; Ragot a tout sa grant espee Ou sa potence eut desconfit;

Ung corps hardy point ne s’enfuit.!8!

Ce “prince de povreté [...], hardi [...] comme le grant Arthus”,182 tenait sa boutique sur les degrés de la Sainte-Chapelle: 177 Thid., xiii, 8.

178 Jbid., xiii, 8. 179 Thid., xiii, 9.

180 BN., Rés. Y€ 1360; Montaiglon, Recueil, v, 137-46. 181 Testament de l'oyson, f° A; Montaiglon, Recueil, x, 161. 182 Montaiglon, Recueil, v, 137 Ply

LE CODICILLE VILLON La rue neuve, le pardon Saint Denys, L’autel Dieu à la chaire Sainct Pierre, Helas, helas, j’en suis du tout demis,

Dont j’ay le cueur plus dur que n’est la pierre.!8? Sentant la mort proche, il rédige son testament, Le Testament du hault et notable homme nommé Ragot, lequel, en son vivant, a

affronté mainte fine personne. Achaptez le et payez contant;'*4 sur la page de titre il affiche son noble blason parti, au premier d’azur trois fleurs de lis en or, au deuxiéme d’hermine, c’est-a-dire rien moins

que le blason de Louis XII. Ce testament diffère de tant d’autres imitations de Villon par son humour héroi-comique: Jehan Ragot, noble gueux en mon temps, Attaint de mal et peu garny de sens, Jadis vaillant et hardy en bataille, Gros, grant, fourny, carré, de belle taille, Assez lettré, en science confit,

Le plus hardy à la souppe qu’on fist,!85 qui annonce les parodies rabelaisiennes: Les haulx faiz d’armes que j’ay fait en mon temps

Sont registrez en la Grande Cronicque.!86 Comme Villon, il se plaint du “cruel oultraige” que lui a fait Dame Atropos, mais il se console en pensant à l’argent qu’il a su accumuler: Pour attraper souventes foys billon

Jay excedé maistre Francois Villon. !87

183 Le grand regret, f 3; Montaiglon, Recueil, v, 144. 184 BN., Rés. Y® 1361; BL., C. 22. a. 18, s. L. n. d. [Paris, vers 1530], in-8. 185 Montaiglon, Recueil, v, 147.

186 Thid., v, 153. 187 Tbid., v, 148. 118

RICHARD COOPER

Afin que les secrets de son art d’escroquerie soient conservés pour la postérité, il en laisse quelques-uns aux Augustins — et on peut noter ici le langage irrévérencieux: Je laisse [à eux] mes secretz tant divins,

Et ma langue pour mettre [en] une chasse;!88 d’autres a ses amis filous, notamment

Mon breviere où sont tant de prieres;!89 son calendrier, débordant de science, aux gueux; son cerveau “sur les

degrez de la Saincte-Chapelle”, et, pour plus de sûreté,

Tous mes livres à l’Université. 190 Le reliquat de sa fortune revient à ses hoirs et parens:

Quattre vieulx potz et deux voirres cassez.!9! Les accents de piété parodique de ce testateur s’intensifient dans son désir de préserver son corps de la pourriture: [...] je commande et sy veux Estre eslevé en ymage de pierre Et par compas ou plombet ou esquierre.

Au tour de moy seront tous mes miracles. !92 Cette statue, dont nous verrons seulement la vertu de la guérison:

bientôt

l’importance,

n’a pas

On peult gaigner [...] Quatre hottes plaines de vray pardon,

188 189 190 191 192

Jbid., v, 150. Jhid., v, 150. [bidv, 151. Jhid.,v, 153. Jhid, v, 149. 119

LE CODICILLE VILLON Et, qui plus est, ma benediction, Qui vault beaucoup. Je donne un plain pot A tous ceulx-là qui, par devotion,

Escouteront le testament Ragot.!93 Ce dernier vers met en évidence le caractére oral de ce document,

annoncé dans le préambule lorsque Ragot s’adresse à ses témoins: Devant le peuple qui est icy present, Tous Cordeliers, Carmes et Augustins,

Gueux de Lubie, cagnardiers, goufarins,

Soyez tesmoings de mon grant testament. 1°4 Ce “grant testament”, comme le “petit testament” de Molinet, est une autre allusion à son modèle, mais la notion d’écouter les legs donne impression qu’il s’agit ici d’un monologue dramatique. Je reviens à la statue. A mon sens le meilleur des codicilles Villon est aussi le moins connu. Il ne figure ni dans le recueil de Montaiglon ni dans la thèse de Jean-Claude Aubailly. Le Testament

et epitaphe de Maistre Pierre du Quingnet\%

n’est pourtant pas

impossible à trouver, avec un exemplaire à la Bibliothèque Nationale et deux à Chantilly, et avec deux éditions parisiennes, l’une chez

Denis Meslier vers 1495, et une deuxième vers 1530.1%

L’auteur,

Hans Du Galaphe, affirme l’avoir rédigé, en un soier par ung matinet le cinquantiesme de ginet en l’an deux mille XX et dix en beau papier blanc et bien net à la requeste de Beatrix.

Dans le poème liminaire nous faisons la connaissance du testateur, “maistre docteur” Pierre du Quingnet, qui se plaint du fait que quatre ou cinq brigands sont venus voler

193 Ibid., v, 154. 194 Jhid., v, 149. 195 BN., Rés. Y£ 4421,

196 Seymour de Ricci affirme que le livre de Du Galaphe porte la marque de Denis Mellier [Paris, s. d., Denis Mellier, vers 1495]; voir Chantilly, Musée Condé IV E 86 et IV E 87 (s. I. n. d., [Paris, vers 1530]).

120

RICHARD COOPER Nos deux cloches si bien sonnans, Jacqueline et aussi Marie, Et les emportoient tous courans;

Mais sainct Christofle cria aie.!97 Notre ami Pierre, désormais “le grant puissant et fort Pierre”, commande a Saint Christophe de descendre de son pilier, de se décharger de son fardeau, et de donner la chasse à ces malotrus, en compagnie d’un “vieil chandellier”. Les voleurs prennent peur et laissent tomber leur butin, Lequel pour l’heure ne pesoit En somme que cinquante mille; Certes asses legier estoit

Pour porter à homme subtil. 198 Saint Christophe enfile les deux cloches sur son gros bâton: [...] et de randon Les apporterent en balances,

à l’émerveillement des badauds parisiens. Le bon Pierre de joye en sue,

et il commande au saint de remettre les clochés à leur place, de les

bien sonner, et puis Vous revendres cy en present Et apportes ou ancre ou colle

Pour escripre mon testament. 12? Avant la lecture du testament, un moment de réflexion — qui est ce testateur, Pierre de Quingnet? Il est pourtant connu: il figure

197 Testament de Pierre du Quingnet, f° A v°.

198 Jhid., f° A2. 199: Ibid. f° ‘A2 v° 121

LE CODICILLE VILLON

dans le prologue du Quart Livre, “maistre Pierre du Coingnet”,200 dont le tombeau se trouvait, selon Gilles Corrozet,20! dans le chœur

de Notre-Dame.202 On estime que le nom dérive du jurisconsulte,

Pierre de Cugnières, conseiller de Philippe le Hardi, dont le tombeau se trouvait dans le chœur, et qui en 1329 avait appuyé le pouvoir séculier contre les droits de l’église. Pour se venger, le clergé de Notre-Dame aurait donné son nom à une statue, peut-être une

grotesque, placée dans un coin/coignet/quingnet de la cathédrale.20 Au XVIe siècle cette effigie était devenue une croque-mitaine? que l’on injuriait dans les contes populaires.2° La statue de SaintChristophe sur un pilier se trouvait elle aussi à Notre-Dame.206 Mais l’idée de voler les cloches de Notre-Dame, dont l’une

s’appelait justement Marie, et qu’il fallait de dix-huit à vingt personnes pour sonner,207 préfigure d’une manière frappante un épisode rabelaisien. Or cette statue parlante emprunte les accents du premier Maître François pour dicter ses dernières volontés: [...] Or escripvés, Et selon mon petit stille

200 Rabelais, Œuvres, éd. A. Lefranc et al., 6 vols. (Paris, 1913-55), vi, 43, n. 167; Quart Livre, éd. R. Marichal (Genéve, 1947), 311-12 note.

201 Les Antiquitez de Paris (Paris, N. Bonfons, 1586), f° 65; cf. index, f° *ii ete TL

202 R. Marichal cite Guillebert de Metz dans Leroux de Lincy et L. M. Tisserand, Paris et ses historiens aux XIVe et XVe siécles (Paris, 1867), 153, 494.

203

E. Pasquier, “Recherches de la France”, dans ses Œuvres, 2 vols.

(Amsterdam, 1723), i, 286-88.

204

Voir un texte d'Antoine Du Saix cité dans la Revue des Études

Rabelaisiennes, 9 (1911), 236.

205 Voir N. Du Fail, Contes d'Eutrapel, éd. Courbet (Paris, 1894), i, 88, 100; E. Philipot, La Vie et l'œuvre littéraire de Noël Du Fail (Paris, 1914), 37-38.

206 Statue érigée par Antoine des Essarts en 1413: voir G. Corrozet, Les Antiquitez de Paris (Paris, G. Corrozet, 1586), in-8, f° 64 v°, 137 v°.

207 Ibid., f° 61 v°. 122

RICHARD COOPER Je vous vueil icy declairer

Mon testament et codicille.208 Le testateur calcaire charge des exécuteurs de plusieurs commissions dans divers lieux à Paris, au sépulcre Saint-Georges,2 à SaintEustache, pour que le saint vienne défendre son corps “avec sa lance et sa hache”;?!0 aux Quinze-Vingts, Qui voient cler come lisars, Pour me vueiller jusqu’aux matins,

Car fiers ilz sont comme liepars.2!! Et ils recevront une récompense de trois liards, “Pour faire fourbir

leurs bacins”.*!2 Il fera venir Saint Martin à cheval, qui va organiser un banquet de veillée et obliger les gens à boire et à manger: S’en ira amont et aval Es salles et en la cuisine Et si voit quelqu’un qui rechine Qui ne vueille boire ou mengier Incontinent qu’il le decline Inhabille mon famillier.213 Aux sonneurs il donne de la nourriture:

208 Testament de Pierre du Quingnet, f° A2 v°.

209 Jhid., f A2 v°: “vous allez querre / Avec luy le vau delucque / Et les amenes cy grant erre / Vous tendrez a la porte serre / Pour moy garder moy et les miens”. 210 Jhid., f° A2 v°-A3: “ Qui sera cy pres ce pillier / Avecques sa lance et sa hache / Et iceux qui me font la grimache / Ou qui me font faire le moine / J’ordonne que bien tost on leur face / Bailler ung coup dessus la ioe”.

2M bids f A3. 212 Jbid., f° A3.

213 ‘Ibid. f° A3. 123

LE CODICILLE VILLON Oncques tels gens ne furent riches,

Car tousjours ont le pot qui boust;?!4 et aux sergents il donne des mules;21$ archers qui l’ont insulté, il leur promet

mais pour punir les francs-

La toux et la roigne et menoison2!® [= au menton]. Pour ses exécuteurs il choisit

Gens nobles et de grant tiltre, Riche, vaillans et vertueux,

Les puissans princes de belistre, De Frevaulx l’abbé et sa mittre,

Avec de Greve deux paillas, Chantans maint vers et epistre,

Quant bevont vin et ypocras.?!7 C’est un style qui sera repris par Ragot. Vers la fin du testament, Du Galaphe prend des accents plus parodiques, lorsque Pierre s’érige en saint guérisseur: Item vueil que chacun sache Ma vertu aussi ma puissance,

214 Jhid., f° A3 v°: “Item je donne a mes sonneurs, / Lesquels ne sont pas des plus riches, / Tant aux grans comme aux mineurs, / A chascun deux petites miches, / Les deux onces de bonnes ciches / Pour les mettre trestous en joust; / Oncques tels gens ne furent riches, / Car tousjours ont le pot qui boust ”.

215 Jbid., f A3 v°: “A tous sergens en general, / Sans pas en nommer maintenant, / Excepté à ceulx de cheval, / Leur donne tout incontinent / Les

mulles derriere et devant, / Affin qu’ilz puissent bien aller, / Sans plus en dire maintenant: / Trop longuement pourroie parler ”.

216 Le texte est corrompu ici; ibid., f° A3: “Item je donne aux frans archiers / Armes de fer et de gros jacques, / Tant d'Auvergne que de Poitiers, / Le change de deux vieilles plaques, / Car il m’ont donné de leurs dagues / Maints coups et maint grant horion, / Et pource auront de mes bagues, / La toux et la roigne et menoison ”.

HIDE BO", 124

RICHARD COOPER Et que tout home preigne place A moy venir faire obeissance. Je gueris du mal de la pance, Et, quant on a le ventre enflé, Faire en feste ou en dance

Mainte vesse et pet emblé;218 et quand il se livre à des plaisanteries anti-cléricales, raillant les gras

chanoines*!® et les pardonneurs.220 La statue de Pierre de Cugnières devient donc l’incarnation de la résistance au pouvoir de l’Église, Riens plus ne scay determiner Pour prendre fin en mon testat; Pource suis mis en ce pillier, A tousjours mais en cest estat. Condampné fuz par un prelat,

non Thibaut d’Aussigny, mais Bertrand, évêque d’ Autun, adversaire de Cugnières: Pour ma grant manifeste offense, Car j’avoye mise noise et debat

A la noble eglise de France.22! Mais cette statue est également un monument séculier très ambigu. D’un côté, [...] sans crosse ne mistre Suis mis cy dedens ce quingnet,

218 Jhid., f A3 v°-A4. 219 Jhid., f° A4: “ Premierement les gras chanoines / Residans aux sainctz Innocens, / Reffais comme moines / Des aumosnes des bonnes gens, / Pensés qu’ilz sont bien diligens / A moy servir et en tous temps, / Soit en festes, nopces ou dance ”.

220 Jbid, f° A4 v°: “ Pardonneurs, porteurs de reliques, / Prisez qu’ilz font de bonnes cheres, / Et sont trestous garnis d’affiques / Pour donner à leurs chamberieres. / Ils preschent de bonnes matieres, / Quant ilz se tiennent sur les champs, / Et ont les chieres aussi fieres / Comme Suisses ou Almans ”.

221 Ibid. f A4 v°.

125

LE CODICILLE VILLON Comme un povre homme de belistre,

Et demeure trestout seulet.222 Mais, d’autre part, c’est le tombeau d’un paladin, trop noble pour être enseveli horizontalement, Car point ne vueil humilier A moy coucher dedens la terre, Moy qui suis noble chevalier

En mon nom appellé Pierre.223 Les accents pompeux que Du Galaphe prête à Pierre sont l’exemple même de l’écriture héroï-comique que nous retrouverons par la suite sous la plume d’un Ragot, ou plutôt sous celle d’un médecin de Tours: Cy gist debout et en estant Ung vaillant et grant chevalier, Et aussi grant comme ung geant, Quant monté est sus ung destrier. En son temps a fait batailler Les quatre ordres bellitriens, Lesquels il fist enregistrer

En ses croniques anciens.224 Le testament littéraire allait avoir une nombreuse lignée jusqu’à la Révolution: on aimerait mieux connaître les dernières volontés d’un Mardy-Gras, d’un Gautier-Garguille, d’un GrosGuillaume, d’un Pasquin, d’un Théophile, d’un Mazarin, etc. L’objet

plus modeste de la présente recherche est de préparer, en collaboration avec Mike Freeman et Jelle Koopmans, une édition

d’un choix de testaments poétiques de la Renaissance afin de mettre en évidence la richesse et la variété de ce nouveau genre.

222 Jhid., f° A4. 223 Jhid., f A4. 224 Jhid, f A4.

126

RICHARD COOPER

ANNEXE Exemples de Testaments poétiques de la Renaissance. 1. TESTAMENTS

PÈRE - FILS:

MORAUX:

i) P. de Saint-Cloud, La vie et Testament d'Alexandre le grand, s.

d. | ii) S. Champier, Le Testament d’ung vieil prince, lequel laissa il à son enfant à la fin de ses jours pour l'instruire en vertus et pour fuir aux vices (1502). ili) Testament du pere, lequel il laissa à son enfant à la fin de ses jours pour l’instruire à vertus et fouir aux vices, s. d. [vers 15237].

AMANT MARTYR: v) Le Testament d’ung amoureux qui mourut par amours, s. d. [vers 15207]. TESTAMENTS ALLÉGORIQUES: vi) J. Molinet, Le Testament de la Guerre, s. d. vii) P. Gringore, Le Testament de Lucifer (Nancy, 1521). viii) Maître Michault, Le Testament d’Orgueil, s. d. [vers 1530].

2. TESTAMENTS POLITIQUES: i) Le Codicille et Testament de Mgr. des Barres, capitaine des Bretons (1488). ii) Maximien, Le Testament et regretz de Ludovic autrement dit le More, s. d. [vers 1508].

iii) Le Testament d’Anthoine de Leve, translaté d’italien en langue françoyse par un tabellion maritime, s. d. [vers 1536]. iv) Le Testament de Martin Leuter, s. d. [vers 1546]. v) A. Fauquel, Le Discours du Testament de la prise de la ville de Guines (1558). vi) [J. Molinet], S’ensuyt le Testament de la guerre qui regne a present sur la terre (1559, 1589). vii) Le Testament de Henry de Valois recommandé à son amy Jean | d’Espernon (1589). viii) [N. Rapin?], Le Testament de la Ligue, 1594.

127

LE CODICILLE VILLON 3. TESTAMENTS CARNAVALESQUES: i) Le Testament Pathelin à quatre personnages, s. d. ii) Le Grand Testament de Taste-Vin, Roy des Pions (1488). iii) Jean d’Abondance, Le Testament de Carmentrant, s. d. [vers 1540]. iv) Le bragardissime et joyeux Testament de la biére (1611).

4. TESTAMENTS D’ANIMAUX: i) H. Baude, Le Testament de la Mule Barbeau (1465). ii) J. Le Happére, La Terrible Vie, Testament et fin de l’oyson

(1526). 5. TESTAMENTS DE BOUFFONS: i) Le Vin du notaire qui a passé le Testament de Quatre-Tournoys, s.d. ii) Le Testament de Jenin de Lesche, qui s’en va au Mont-Sainct-

Michel, s. d. [ vers 1514]. iii) La Vie et trepassement de Caillette (1514). iv) Le Testament de feu Gautier Garguille (1634). v) Le Testament de Gros Guillaume (1634).

6. TESTAMENTS DE BELITRES: i) Le

Testament et epitaphe Dizaine de maistre François Le Levrault, sergent royal en la senechaussée de Guyenne, s.d. ii) Le Testament fin Ruby de Turcquie, Maigre marchant, contrefaisant sotie, s. d. [vers 1512]. iil) Le grand Regret et complainte du preux et vaillant capitaine Ragot, tresscientifique en l’art de parfaite belistrerie, s. d. [vers 15107] iv) Le Testament du hault et notable homme nommé Ragot, lequel, en son vivant, a affronté mainte fine personne, s. d. [vers

1510].

7. TESTAMENTS DE STATUES: i) H. Du Galaphe, Le Testament et epitaphe de maistre Pierre du Quingnet, s. d. [vers 1495]. ii) Testament de Pasquil, impotent et vieil homme par le pape advoué et imprimé a Rome (1579).

128

Groseilles et Vaucelles Jelle Koopmans

Qui me fist macher ces groselles, Fors Katherine de Vauselles? Noël le tiers ot, qui fut là,

Mitaines à ces nopces telles. Ces

vers,

amplement

commentés,

(Testament, vv.660-663)!

tirés du Testament

de Villon,

constitueront le sujet et le prétexte de cet article et illustreront, J'espère, le “drame du texte” villonien d’une manière très particulière. L’explication des deux premiers vers serait, selon Dufournet, la suivante: Voir Siciliano, op. cit., p. 43,1 n.1 “on fustigeait le condamné avec des branches de groseillier. Au figuré, subir un affront, avaler des couleuvres: “Tel en maschera la groiselle — Qui est sans reproche et sans sy” (Alexis, Les Feintes, Œuvres, I,

p.113); “Les gens sachans mascheront ces groselles” (Baude, Œuvres, p.105). Mais F. Lecoy (Notes sur le Testament de Villon, Romania, t. LXXX, 1959, pp.501-502) a raison de

penser que l’expression signifie: supporter les conséquences d’une faute que l’on n'a pas commise; recevoir une punition imméritée; être la victime des erreurs ou de la sottise d’un autre. 2 3

Le condamné fustigé provient d’ailleurs de Martial d’ Auvergne, cité par Thuasne:

1 Pour le texte de Villon, l’édition utilisée est celle de Claude Thiry, Francois Villon, Poésies completes (Paris, 1991).

2 Jean Dufournet, Recherches sur le Testament de Villon, 2 vols. (Paris, 1971-1973), pp.83 sq. (ici, p.84, n. 44).

129

GROSEILLES ET VAUCELLES Il fust trainé sur une claye et bastu par les carrefours de Syons de vert osier et de branches de groseliers.3

Pourtant, Thuasne n’accepte pas le sens “être battu”, car cela impliquerait une double correction qui lui semble “inadmissible” et il n’a pas tout a fait tort. Henry et Rychner, dans leur édition du Testament, rejettent la suggestion de Lecoy et proposent que celui qui mange des groseilles doit étre “celui qui y fut pour quelque chose”, mais Thiry (re-)propose “recevoir une correction”. Autant dire que les groseilles divisent l’érudition. Autant dire aussi que les sens proposés sont guidés par une interprétation globale des vers. Noël le tiers (Testament, v.662) fait l’unanimité: il doit s’agir de Noël Jolis (Testament, v.1636), qui aurait assisté comme

troisième

personne à la scène et qui aurait, lui aussi, reçu des coups (mitaines à ces nopces telles, v.663), ce qui implique une troisième correction. Les villoniens, il faut le dire, sont amateurs de bastonnades! Cependant, le transfert tacite d’un groseillier, arbuste épineux, vers la

groseille, fruit vermeil et délicat, étonne quelque peu et mérite un commentaire plus suivi. Mais il est vrai que Groselle figure comme bourreau dans le Mystère de sainte Agathe? avec ses compères Fagot, Braquard et Lourdault: la groseille peut donc bien renvoyer à une

punition. L’assimilation

de Noël à Noël Jolis, puisqu'il est le seul

autre Noël à être nommé dans les œuvres de Villon, n’est qu’une construction assez gratuite; on n’a pas, que je sache, identifié Catherine de Vaucelles à Katherine la Bourcière (Testament, v.551). Ce, sont pourtant les deux seules Catherine à être nommées par Villon. Pour Guiraud par ailleurs, “le texte est d’une limpidité parfaite et ne présente pas la moindre incertitude lexicale ou syntaxi-

3 Louis Thuasne (éd.), François Villon, Œuvres, 3 vols. (Paris, 1923), ii, p.214.

4 Jean Rychner & Albert Henry (éd.), Le Testament Villon, 1, Texte: ii, Commentaire (Genève, 1974). > Graham A. Runnalls (éd.), Les Fragments du mystére auvergnat de sainte Agathe (Montréal, 1994). 6 Abstraction faite (pourquoi d’ailleurs?) du Noël qu’on crie tant qu’il vient, de la “Ballade des Proverbes” (Poésies diverses, ii).

130

JELLE KOOPMANS

que”:’ Katherine désigne le pénis (tout comme the/os), les noces sont des “noces de chien”.

Margot et Mar-

Fictions biographiques Avant de passer à un décryptage nouveau des vers sur les groseilles, il faut rappeler que le passage est d’une grande importance, puisque c’est à partir de ces vers que des séries de constructions biographiques se sont faites. J’en rappelle quelques-unes, pas forcément les plus intelligentes. Catherine de Vaucelles aurait éconduit Villon, peut-être dès avant 1456. Elle l’aurait fait battre (pourquoi fait battre? Une femme est bien capable de battre un homme, de toute façon dans les farces, me semble-t-il) et Noël le

tiers, devenu entre-temps Noël Jolis, qui aurait assisté à la scène, aurait également reçu des coups. Donc, logiquement, Catherine doit être la bien-aimée des Lais pour qui Villon quitte Paris.8 On l’extrapole donc et l’emploie ensuite pour expliquer le Lais. Mais il y a pis: Villon se serait amouraché de Marthe afin d’oublier Catherine (sic!). Catherine aurait “donné à l’opulent Ythier Marchand ce qu’elle refusait au pauvre écolier” (re-sic!);!° Villon la nommerait

désormais Rose (re-resic!);!! il aurait fait porter la “Ballade à s’amie” (adressée à Marthe) par Perrenet de la Barre à Catherine.!2 Catherine devient “une coquette toujours préte a écouter ce qu’on lui voulait dire, sans rien accorder ni refuser non plus” (mais qu’est-ce a dire?)!3 et “la friponne coquette Catherine de Vausselles joua avec le poéte”.!4 Dufournet posela question pertinente de savoir pourquoi Catherine aurait fait battre Villon; il invente une nouvelle piste, très 7 Pierre Guiraud, Le Jargon de Villon ou le Gai Savoir de la Coquille (Paris,

1968), p.299.

8 Jean Favier, Francois Villon (Paris, 1984), p.265. 9 Favier, p.472. Signalons que le nom de Marthe n’est connu l’acrostiche de la “Ballade à s’amie” (Testament, vv.950-966).

que par

10 Favier, p.474. 11 Favier, p.476. 12 Favier, p.476. 13 Pierre Champion, François p.254.

Villon. Sa vie et son temps (Paris, 1984),

14 PM. Maas, François Villon (Utrecht, 1961), p.33. 131

GROSEILLES ET VAUCELLES

fine mais malheureusement tout aussi dénuée de preuve: “ce serait plutôt un rival heureux ou malheureux qui aurait choisi ce moyen de se venger”.1$ Dans un article récent, Martineau-Génieys signale que

Catherine et Marthe sont des anagrammes

d’Ythier Merchant.'®

Enfin, si l’on veut, pourquoi pas?... Mais il n’y a pas que les extrapolations historiques: les littérateurs aussi n’y vont pas avec le dos de la cuiller. Ainsi Dufournet signale que les vaucelles peuvent désigner les “petites vallées du corps féminin”, puisqu’une pièce publiée par Schwob dans son Parnasse satyrique du XVe siècle parle de ces basses vallées dans ce sens. Cette explication a été reprise par Thiry dans son édition. Il semble pourtant que dans la locution signalée par Schwob, c’est l’adjectif bas plutôt que le substantif vallées qui dirige l’interprétation (un Voyage aux Pays-Bas, au XVIIe siècle, était un siège de toilette façonnée en trois gros livres portant le titre “Voyage aux Pays-Bas”: ce n’est pas le mot pays qui compte dans la locution).!7 Cependant, le toponyme Vauchelles se trouve déja dans le Jeu de la Feuillée, où Adam de la Halle dit: Mais Desirs les me fist gouster

A le grant saveur de Vauchelles.

(vv.169-170)!8

Tobler a voulu y lire un jeu de mots (Vauchelles, nom de village et vauchelles “petites vallées”), un calembour “bien dans le goût de l’époque et du pays” [sic! encore].!9 Notons que /es renvoie ici aux faitures d’Amours (v.167), tout comme en chez Villon renvoie aux

15 Dufournet, Recherches, p.85.

16 Christine Martineau-Génieys,

“L’Homosexualité

dans le Lais et le

Testament de Villon”, Conformité et déviances au Moyen Age, Les Cahiers

du CRISMA 2 (1995), pp.235-251, ici, pp.245-246.

17 Roger-Henri Guerrand, Les Lieux. Histoire des commodités (Paris, 1985), pall 18 Pierre-Yves Badel (éd.), Adam de la Halle, Œuvres complètes (Paris,

1995), pp.286-375.

19 Ernest Langlois (éd.), Adam le Bossu, trouvère artésien du XIIIe siècle, Le Jeu de la Feuillée (Paris, 1978), p.58.

[32

JELLE KOOPMANS

Joles amours. Ce qui paraît d’ailleurs encore plus intéressant, c’est que les vauchelles ont une saveur qu’Adam a gousté et que le nom apparaît dans un contexte tout à fait analogue au passage villonien (Adam, comme Villon, abusé par les folles amours; la saveur contre

mâcher). Et rappelons qu’Adam a goûté cette saveur avant que sa femme n'engrosse. C’est pourquoi on ne saurait exclure un cheminement de la saveur de Vaucelles par le biais de l’hypothétique saveur des groseilles de Vaucelles vers les groseilles mâchées par le fait de Catherine de Vaucelles. Ce n’est qu’une hypothèse, mais elle a le mérite d’être vérifiable dans les textes. Que savons-nous au juste de cette Catherine de Vaucelles? Le nom Vaucelles apparaît en Touraine et, entre 1440 et 1450, à

Paris (Gilles de Vaucelles, qui habite près du collège de Navarre); il n’est pas attesté à Arras au XIIIe siècle. Plusieurs localités dans le Nord de la France (une occurrence en Belgique, une mention en Normandie) de ce nom existent et deux abbayes (diocèse de Cambrai). Rien de plus. Au XVIe siècle, les Vaucelles ne manquent pas: citons Jean, l’aumônier de François Ier, dont la devise fut D'ung vray zele, et Macé Vaucelles, qui se serait caché sous l’anagramme

Mal au cul se cele dans La Grande Généalogie de Frippelippes. 20 Que savons-nous de Noël, qu’on considère généralement comme /e tiers? Il ne figure pas ailleurs qu’au vers 662 du Testament, rien de plus; il pourrait être le même que Noel Jolis du v.1636. Nous avons vu que, curieusement, les deux Catherine du Testament ne sont pas associées l’une à l’autre par la critique alors que les deux Noël le sont bel et bien. Rappelons encore que les vers qui précèdent: J’en fuz batu comme à ru telles, Tout nu, ja ne le quiers celler.

(Testament, vv.658-659)

20 Cf. Henri Harisse, Excerpta colombiniana. Bibliographie de quatre cents piéces gothiques Frangaises, Italiennes et Latines du commencement du XVIe siècle (Paris, 1887), p.174; C.L. Parmenter, “The Authorship of La Grande Généalogie de Frippelippes”, Modern Philology, 23 (1925-1926),

337-348.

133

GROSEILLES ET VAUCELLES

ont probablement guidé l’interprétation, ont amené les savants à penser que Villon a été l’objet d’une bastonnade. Mais tout ce que Villon semble vouloir dire, c’est qu’il fut frappé durement des folles amours du v.629; (en) être battu peut s’entendre, comme être frappé, comme avoir goûté, au sens métaphorique. Ces amours, il les a pratiqués tout nu, ou c’est la pure vérité, la vérité nue, qu’il en fut frappé. Il est à mon avis exclu qu’un poète comme Villon répète cette même idée dans la locution macher les groseilles (il aurait été battu) et, pour enfoncer le clou, dans la locution mitaines à ces nopces (Noël aurait été battu). Le texte du Testament est trop dense pour pouvoir admettre, ici, une telle accumulation de synonymes; c’est ce que Thuasne avait bien vu lorsqu'il refusait l’idée d’une double correction. En outre, la reprise de l’expression littérale être battu par une expression métaphorique mâcher des groseilles est peu logique et n’entre pas dans le style de Villon. Mais quel autre sens conférer à ces vers? Regardons tout d’abord ce que les groseilles peuvent nous apprendre. Groseilles

L’occurrence

dans

les Chansons

et Dits artésiens?!

est

cryptique a tel point qu’elle ne nous est d’aucun secours. Mais nos menus fruits se rencontrent également, probablement dans un autre sens, disent les commentaires, dans une locution pourtant analogue dans /’Adolescence clémentine de Clément Marot: Rondeau aux damoyselles paresseuses d’escrire a leurs amys.

Bon jour, & puis, quelles nouvelles? N’en sçauroit on de vous avoir? S’en brief ne m’en faictes sçavoir, J’en feray de toutes nouvelles. Puis que vous estes si rebelles, Bon Vespre, bonne Nuict, bon Soir,

21 Roger Berger (éd.), Littérature et société arrageoises au XIlIle siècle. Les chansons et dits artésiens (Arras, 1981), piéce n° XV, p.188, vv.90-92: “Andrius Wagons, se sire, s’il li faisoit mehaing / Lués seroit racordés por. I. peu de groiseles / Ensi le nos tesmoignent dames et damoiseles”.

134

JELLE KOOPMANS Bon jour! Mais si vous cueillez des Groiselles, Envoyez m’en: car, pour tout voir,

Je suis gros, mais c’est de vous veoir Quelcque matin mes Damoyselles:

Bon jour.22 Defaux note, dans son édition, que cueillir des groseilles est une expression dont le sens nous échappe, où l’on devine une connotation obscène; il ajoute que ni le passage de Villon ni le

dictionnaire de Huguet ne sont d’aucun secours.?3 C’est une note qui, à vrai dire, ne nous est d’aucun secours non plus. L’homophonie groseille (v.8)-gros (v.10) est cependant claire (et peut-étre d’autant plus significative qu’Adam de La Halle, dans le Jeu de la Feuillée, dit avoir goûté la saveur de Vaucelles avant que sa femme n’engrosse!). Un jeu de mots groseille-grossesse paraît donc tentant. Un second élément, moins direct, nous vient des Evangiles des Quenouilles. Dans ce texte (1,16), il est question de la pratique de

manger des cerises à la dernière avec les amoureux; Paupert note4 qu’il s’agit d’un “rituel pour savoir qui se mariera la dernière”, mais elle ajoute que la cerise est un symbole sexuel (on pense au roman de Jeanette Winterson, Sexing the Cherry). Paupert ajoute: “on trouve une expression proche sexuel manifeste dans Schwob (....p.9, p.85 emploie effectivement obscène plutôt évident:

(‘mâcher groselles’, groseilles) avec un sens l’une des pièces du Parnasse satyrique de M. et note p.261). Le rondeau en question la locution croquer une groseille dans un sens

Mais est il vray, ma demoiselle Se vous estiés sans chandelle Dedans la venelle d’un lict

22 Gérard Defaux (éd.), Clément Marot, Œuvres poétiques, 2 vols. (Paris, 1990-1993), i, p.159, rondeau n°XLI.

23 Defaux, p.554. 24 Anne Paupert, Les Fileuses et le clerc: une étude des Evangiles des Quenouilles (Paris, 1990), p.154; cf. M. Jeay (éd.), Les Evangiles des Quenouilles (Montréal/Paris, 1985), p. 86, et la note p.159, avec un renvoi à Sébillet.

135

GROSEILLES ET VAUCELLES Et vous trouveriés ung gros vit Vous crocqueriés ceste groselle? Pour avoir de longueur ung pié Radde comme ung menche d’espié En vostre corps se logeroit Qu’ilvous fauldroit de tel brouoit Quel lac a pescher sans fillé Midieux! vous estes assez belle,

Mais il me desplaist que estes telle Maistre et varlet, chacun vous suyt Et puis quant estes en ruyt Comme ung bouc puez de l’esselle,

Mais est il vray.2> Malheureusement, les “sens sexuels manifestes” ne sont pas toujours aussi explicites que dans ce rondeau! Que les cerises et les groseilles se confondent, je le concède, qu’une locution pareille ait pourtant eu, au XVe siècle, trois sens différents, voire opposés (un sens dans le rondeau obscène, un autre sens chez Villon et encore un autre chez

son éditeur Marot), paraît a priori peu logique. Dans la pièce du manuscrit Bibliothèque Nationale, f.fr. 1719, éditée par Schwob, le

sens obscène est évident, mais il s’applique mal au passage villonien; dans le rondeau

de Marot, un sens obscène

s’impose,

mais une

explication concrète n’a pas été formulée. Accepter des connotations obscènes chez d’autres auteurs et les refuser chez Villon est à mon avis

une

erreur

manifeste.

Chez

Clément

Marot,

le sens

de

l’expression cueillir des groyselles, s’il n’est pas tout à fait clair, est nettement érotique. Le vers Je suis gros s’explique peut-être par la théorie selon laquelle le sperme proviendrait d’un excès de nour-

riture.26 La combinaison d’un excès de sperme et de groseilles... Le rapprochement avec la cerise qu’opère Paupert dans sa note sur les Evangiles des Quenouilles est intéressante et ouvre un vaste champ sémantique. Je reviendrai sur les cerises plus bas, 25 Marcel Schwob (éd.), Le Parnasse satyrique du XVe siècle (Paris, 1905), n° XXIX, p. 85. Dans sa note, Schwob rapproche ce passage de Villon en invoquant une correction par des branches de groseiller. 26 Paupert, p.155; cf. Villon, Testament, v.200: “Car de la pance vient la dance”.

136

_JELLE KOOPMANS

puisque — pour le moment — d’autres groseilles vont nous occuper un instant. C’est que nous en trouvons également dans la Disputaison de Charlot

et du barbier

de Rutebeuf,

où le barbier de Melun

affronte Charlot le juif.27 Dans ce dialogue, le juif Charlot invective le barbier et dit entre autres choses: Barbier, or vienent les groiseles, Li groiselier sont boutoné; Et je vous raport les noveles Qu’el front vous sont li borjon né

(vv.65-68)

où les nouvelles font d’ailleurs penser à Marot. Le barbier répond: Ce n’est mie meselerie,

Charlot, ainçois est goute rose . (vv.73-74)

Donc, nous explique Zink, il n’est pas lépreux des groseilles, mais il n’a que la couperose (interprétation que je ne fais pas mienne). Les groseilles désignent ici la lèpre! M. Zink avance dans son édition l’idée selon laquelle, dans cette disputaison, Charlot reproche au barbier d’avoir la lèpre “ce dont l’intéressé se défendra aux vv.73-74, mais pour laisser alors soupçonner qu’il a contracté une maladie vénérienne”.28 Or, c’est une erreur d’interprétation; il est important de constater justement qu’au moyen âge, “on était persuadé que la lèpre, punition d’une transgression sexuelle, pouvait se transmettre sexuellement”2? et, selon Arnaud de Villeneuve, elle se contracte par transmission sexuelle ou par l’usage immodéré du vin.30 Mais chez 27 Edmond Faral & Julia Bastin (éd.), Œuvres complètes de Rutebeuf, 2 vols. (Paris, 1977), ii, pp.260-265; Michel Zink (éd.), Rutebeuf, Œuvres completes, 2 vols. (Paris, 1989-1990), ii, pp. 253-61. 28 Zink, ii, p.488. 29 Mirko Grmek (dir.), Histoire de la pensée médicale en Occident. 1. Antiquité et Moyen Age (Paris, 1995), p.171; cf. S.N. Brody, The Disease of the Soul. Leprosy in Medieval Literature (Ithaca/Londres, 1974), p.52; François Bériac, Histoire des lépreux au Moyen Age (Paris, 1988), pp.5153:

30 Bériac, p.22. ii

GROSEILLES ET VAUCELLES

Rutebeuf, c’est au contraire Charlot le juif qui accuse le barbier d’avoir

contracté

une

maladie

honteuse

(et même,

selon Brody,

d’être maquereau).3! Les groseilles mènent à la lèpre, ou aux maladies vénériennes. Dans un passage encore mal élucidé d’Eloy d’Amerval, il est question de vin comme groiselle, mais ce vin rime

avec une coche meselle.32 Bien sûr, l’on connaît l’exclusion des lépreux au moyen âge, mais les groseilles ne constituent que le premier symptôme de cette maladie, les premières taches rouges encore mal définies. Reste à noter que groseille, prunelle et cerise dénotent en même temps de menues quantités et que bien des fruits et légumes (fèves, pois) désignent de menus boutons. La lèpre ou le concept lépreux

Les références obligatoires pour l’image de la lèpre dans la littérature sont au nombre de trois. L’Ancien Testament nous fournit Job, le Nouveau Testament nous apporte Lazare et la littérature vernaculaire nous offre le Tristan de Béroul. Parmi d’autres références importantes, citons les Congés d’ Arras. L’importance de Job comme patron des lépreux et des syphilitiques (la syphilis fut appelé “le mal saint homme Job”) est

dûment attestée.33 Il est d’autant plus étonnant que Sargent-Baur ait Justement rapproché Villon de Job tout en envisageant la possibilité d’une affection cutanée chez Villon: “some sort of skin disease”,34 qu’elle base sur le Testament, vv.1964-1965:

31 Brody, pp.177-179. 32 R. Deschaux & B. Charrier (éd.), Eloy d'Amerval, Le Livre de la deablerie (Genéve, 1991).

33 Voir Barbara N. Sargent-Baur, Brothers of Dragons. Job Dolens and François Villon (New York, 1990), pp.56-57. Dans une édition de 1512 du Blason des fausses amours de Guillaume Alexis, on lit a la fin une ballade avec le refrain: “C’est engendree ceste grosse varolle” et l’envoi “Prince, sachez que Job fut vertueulx / Mais si fut il rongneux et gratelaux / Nous luy prions qu’il nous garde et console”; voir A. Piaget & E. Picot (éd.), Œuvres poétiques de Guillaume Alexis, 3 vols. (Paris, 1896-1901), i, p. 172.

34 Sargent-Baur, p.120. 138

JELLE KOOPMANS Trop plus me font mal c’oncques maiz Barbe, cheveux, penil, sourcys.

Elle remarque à juste titre que si Villon écrit son Testament, c’est parce qu’il se trouve à l’article de la mort (p.xiii), mais elle renonce à cette idée lorsqu’elle fait valoir que Villon comprend qu’il mourra un jour (p.109). Elle n’a pourtant pas détecté les groseilles qui peuvent être à l’origine de l’activité testamentaire de Villon. Lazare est présent dans le Testament dès le début de la fiction testamentaire proprement dite: aussitôt que Villon entame son “véritable” Testament devant son clerc Fremin (v.778-780), il cite la parabole du /adre confondu au moyen âge avec Lazare (frère de Marthe!). A la fin du texte, Villon exprime son désir d’être enterré dans la chapelle Sainte Avoye (Testament, v.1868). S’il est vrai que Sainte Avoye a Paris fut une communauté de veuves, il n’en est pas moins intéressant de voir que sainte Avoye, sainte Hedwige de Silésie, est traditionnellement celle qui baise les pieds du lépreux

qu’elle a lavés le jeudi saint.> La référence obligatoire pour la lèpre médiévale, le Tristan de Béroul, explicite la transmission vénérienne. Lorsque le roi Marc demande à Tristan, qui s’est déguisé en lépreux, d’où lui vient ce mal, celui-ci répond: Molt avoie cortoise amie

Por lié ai je ces boces lees en Li rois li dit: Ne celez mie Conment ce te donna t’amie? — Dans rois, ses sires ert meseaus

O lié faisoie mes joiaus,

Cist maus me prist de la comune. (vv.3762-3773)36

35 Susa Ebbinge Wubben, Leven als doodverklaarden.

Europa (500-1800) (Zeist, 1993), pp.136-139.

Leprozenzorg in

36 Christiane Marchello-Nizia (dir.), Tristan et Yseut. Les premiéres versions européennes (Paris, 1995), pp.102-103.

139

GROSEILLES ET VAUCELLES

Il est intéressant de voir que la lèpre, d’une présence manifeste chez Béroul, est de plus en plus escamotée dans les versions tristaniennes ultérieures. La lèpre fonctionne, bien sûr, comme motivation du congé à Arras et Jean Bodel décrit le symptôme de l’alopécie, de la chute des cheveux: Comment osa il entreprendre Tel teste a roisnier et a fendre

Qui ert mauvaise tote entiere.37 On pense également à Adam de la Halle, qu’on appelait aussi le Bossu. Pourquoi le Bossu ne signifierait-il pas “couvert de bosses”,

donc “lépreux”? Dans le Tristan de Béroul, il est bien question de boces lees! Mais cet article ne porte pas sur Adam, ni sur Arras, ni

sur Zristan, ni sur Marot; ce n’est que l’explication des vers de Villon qui compte ici. La confusion autour des dermatoses au moyen âge est énorme: on peut dire que, pour cette période, c’est le “concept lépreux”

qui joue plutôt que la lépre,38 puisque la lèpre médiévale est un groupe hétérogène de maladies de la peau,?°?et qu’il existe une confusion avec les maladies vénériennes.4 Une des explications de la flambée du mal de Naples au début du XVIe suggère qu’il ne fut pas introduit en Europe par le retour de Christophe Colomb (“ses cinquante marins durent besogner ferme quand ils rentrèrent chez eux”) et que “beaucoup de références à la ‘lepra’ dans la littérature médiévale ne décrivait [sic!] pas la lèpre (en effet, l’évolution ne correspondait pas) mais bien la syphilis”.41 Wickersheimer croit pouvoir relever la

37 Cité par Brody, p.88. 38 39 40 41

Bériac, p.38. Bériac, p.73; cf. Brody, p.21. Bériac, pp.51-53; Brody, p.52. Reay Tannahill, Le sexe dans l'histoire (Verviers, 1983), p.217; cf. C.

Wells, Bones, Bodies and Disease. Evidence of Disease and Abnormality in Early Man (Londres, 1964); cf. Brody, p.56, qui rappelle que la syphilis, associée à la lèpre, fut appelée “le mal saint homme Job”.

140

JELLE KOOPMANS

syphilis, appelée le gros mal, à Dijon dès 1463.42 Les recherches de Grmek sur les ossements permettent, cependant, d’affirmer qu’aucun ossement affecté de la syphilis n’a été retrouvé en Europe, en

Afrique ou en Asie avant 1500.43 Avicenne décrit les symptômes de la maladie sahaphati comme de petits boutons qui se recouvrent de croûtes et deviennent rouges et qui, tout comme plus tard la syphilis, sont guéris par le vif argent; Avenzoar localise ces boutons sur le visage,

et au XVe

siècle, Velasco

de Taranta

en fait un

signe

annonciateur de la lèpre qu’il place “autour du nez”.44 Chez Béroul, il s’agit du mal d’Acre (la première Croisade, tout comme le premier voyage de Colomb, eut la réputation d’avoir répandu les maladies

vénériennes).# Dans le Pourpoint fermant à boutons (métaphore de la syphilis), les synonymes sont...: 4© pour le cas nominatif (puisque le texte “décline” cette maladie): “...le mal de Nyort...le mal du carrefourg de Poictiers [...] genitif:...les prunelles”: le mal engendre des boutons en forme de prunelles! On rencontre aussi le synonyme le plat aux cerises.47 Notons également que, selon Paracelse, le fameux morbus gallicus est né de l’accouplement d’un Français lépreux et d’une prostituée avec des bubons vénériens (comme la

mule vient de l’accouplement du cheval et de l’âne).48 La représentation picturale rendra la maladie cependant toujours par des taches

42 E, Wickersheimer,

“Sur la syphilis aux XVe

et XVIe

siècles”, in

Humanisme et Renaissance, 4 (1937), 157-207.

43 D. Jacquart & C. Thomasset, Sexualité et savoir médical au moyen âge (Paris, 1985), p.243.

44 Jacquart-Thomasset, p.244. 45 Marchello-Nizia, p.104, v.3849; voir la note à la page 120. 46 Le Pourpoint fermant à boutons (Lyon, F. Juste, 1539), édité dans A. de Montaiglon (éd.), Le triumphe de haulte et puissante Dame Pourpoint fermant a boutons (Paris, 1874).

Verolle et le

47 Anatole de Montaiglon & James de Rothschild (éd.), Recueil d'anciennes poésies françoises, 13 vols. (Paris, 1865-1878), iv, p.270.

48 Ebbinge Wubben, p.23; ce qui nous rappelle le huitain sur Pierre SaintAmant (Testament, vv.1006-1013); Paul Verhuyck et moi comptons revenir sur la question dans le livre que nous préparons sur le Testament de Villon.

141

GROSEILLES ET VAUCELLES

rouges.4 Téth-Ubbens rapproche même la représentation picturale de la lèpre des fruits du laurier-cerise (utilisés dans la préparation d’un sédatif).50 Si la lèpre paraît perdre beaucoup de son importance à partir du XIVe siècle, elle existe toujours au XVe siècle; l’exclusion des

“lépreux” devient cependant moins stricte. Même si la citation de Rutebeuf ne renvoie pas à la syphilis, elle montre clairement que des groseilles peuvent désigner des bubons, des boutons rouges sur le visage causés par une maladie honteuse, puisque liée à une transgression sexuelle.$l Dans le rondeau de Marot, une telle explication conviendrait tout a fait et elle marierait fructueusement le sens “recevoir une punition” et une connotation obscène! Il n’est peut-être pas sans importance

de savoir que Marot contracte, en

1531, une maladie

contagieuse (la peste). La remarque Je suis gros, mais c'est de vous voir serait à situer dans un même contexte: en Artois, la lèpre

s’appelait au XVe siècle le gros mal.5? Clément Marot a contracté une maladie à cause de ses contacts avec des demoiselles, mais il n’a

plus de leurs nouvelles. II désire savoir si elles ont également cueilli des groseilles et, dans ce cas, il désire en avoir des nouvelles, lui qui

a également des groseilles à cause d’elles. Les citations de Baude et d’Alexis sont également faciles à expliquer à partir de cette idée: Tel en maschera la groiselle Qui est sans reproche et sans sy.

signifie alors: “l’homme le plus respectable montre tout à coup des signes de dépravation”. La citation est à replacer dans son contexte: Tel la cuide espouser pucelle Qui l’espouse telle qu’elle est, Tel a son cheval et sa selle

49 Reay Tannahill, p.68; Magdi Tôth-Ubbens,

Verloren beelden van

miserabele bedelaats. Leprozen — armen — geuzen (Lochem/Gand,

1987)

p.23; Ebbinge Wubben, pp.95, 120; Bériac, p.68; Brody, p.50.

50 Téth-Ubbens, p.23. >! Le Trésor de la Langue Française signale le sens (rare) “tache sur la peau”, chez Hector Malot et chez Anatole France.

52 Bériac, p.64; cf. Wickersheimer, p.159.

142

JELLE KOOPMANS Qui Tel Qui Tel

de chevaucher n’est pas prest, fait sa femme damoiselle est villain et elle aussi. en machera la groiselle

Qui est sans reproche et sans sy.53 Inutile de dire que, ici aussi, le contexte est clair: nous avons affaire

a une métaphore érotique, car la strophe résume (brièvement) les malheurs de l’homme marié: cocuage, impuissance et... les groseilles. La citation de Baude: Les gens sachans mascheront ces groselles

reste un peu lèpre” n’est donne point Halle, il est

plus difficile, mais le sens “les plus sages attraperont la nullement exclu.>4 Pour les Vaucelles, bien que cela ne une explication suffisante du passage d’Adam de la curieux de constater que les léproseries autour d’ Arras

s’appelaient

Grand-Val,

Petit-Val

et Maisoncelles:$$

Vaucelles

pourrait y étre une amphibologie, et Adam a pu vouloir dire: “j’ai attrapé la lèpre avant d’être père”, la saveur bien amère de Vaucelles aurait pu constituer une raison pour son départ, car — ne l’oublions pas — le départ à cause d’une maladie était topique à Arras, témoin les fameux Congés. Le congé d’ Adam reste discret sur ce point, mais ses Strophes de la Mort font le rapprochement entre une maladie et la vieillesse trop tôt survenue: En jone cuir pourrie entraille A tes qui se viande taille. On ne dit pas selonc l’escaille Jugier li quels noiaus vaut miex. On cuide que fisique i vaille Mais c’est tout trufe et devinaille: Nuis n’est fisiciens fors Dieux. (Strophes de la Mort, vv.30-36)

53 Ed. Piaget-Picot, i, p.113. 54 Les œuvres de Baude étant inédites, il faut se baser sur les éditions fort

partielles de Quicherat et de Scoumanne.

55 Bériac, p. 64. 143

GROSEILLES ET VAUCELLES

C’est là de nouveau une question qui intéressera les spécialistes d'Arras au moyen âge, mais encore une fois, le rapprochement est plus que suggestif. Et rappelons que selon Parmenter, Macé Vaucelles utilisait au XVIe siècle l’anagramme Mal au cul se cele! Amours, saintes et cerises

Quel serait alors le statut de Catherine? Notons que “les deux amours de Villon” (Dufournet) se seraient appelées Catherine et Margot (ou Marthe). Or, au XVe siécle, sainte Catherine et sainte Marguerite font couple, par exemple a cause de leur fonction comme “voix” pour Jeanne d’ Arc (elle-méme d’ailleurs bien présente dans le Testament). Margot et Catherine sont également des noms de prostituées: Margot est diment attestée dans ce sens; on trouve Cattin dans les farces;56

Guiraud

mentionne

catau,

cathos

avec

le sens

de

“prostituée”; on pense également au français moderne catin. Ce qui est d’autant plus significatif, c’est que la locution manger des groseilles se rencontre également avec Margot, dans la

Sottie des Menus Propos:*! Se Margot estoit attournee, On l’appelleroit daimoiselle, Et s’el mengeoit une groiselle, Par Dieu ce seroit a trois fois. (vv.149-152)

Picot comprend: “tant sa bouche est petite”. l’expression réapparaît avec la cerise:

Et de nouveau

Les bourgoyses de Beauvoisine Font trois mors en une cerise. (vv.399-400)

ou Picot note: “Tant leur bouche est petite. Il a été question plus haut (...) d’une fille dont la bouche est encore plus petite puisqu’elle doit mordre trois fois dans une groseille”. J’avoue que je ne suis pas tout

56 André Tissier (éd.), Recueil de Jarces, 10 vols. parus (Genève, 1986 sq.), i, pp.132-133, 163.

STE. Picot (éd.), Recueil général des sotties, 3 vols. (Paris, 1902-1912), i, pp. 47-112.

144

JELLE KOOPMANS

à fait convaincu. On pense à la citation de Guillaume Alexis, où la damoiselle n’est qu’une vilaine et où l’homme sans reproche mache les groseilles. Dans son édition de Coquillart, Freeman nous rappelle : que les demoiselles portent atour, alors que les bourgeoises portent un chaperon;°® donc, avec un atour, la prostituée Margot serait con-

sidérée comme une demoiselle, mais la suite est plus difficile à expliquer. Faut-il comprendre: “Il lui faudra trois amants avant d’attraper une maladie honteuse”, donc: “Elle n’attrape pas une maladie du premier coup”? Ou faut-il reprendre ici le sens du rondeau de Schwob? Ce qui frappe surtout, cependant, c’est qu’il s’agit de nouveau de femmes, et qu’on parle de trois groseilles. Di Stefano? mentionne la locution faire trois mors en une cerise et renvoie à Cotgrave et Oudin pour la locution faire deux/trois morceaux d’une cerise; il aurait pu mentionner aussi le Cinquième Livre de Rabelais,

où l’expression signifie, selon Huchon, “manger avec délicatesse”.60 C’est une lecture superficielle sinon naïve, car dans le Cinquième Livre le contexte est également nettement obscène: il s’agit des libertés que prennent les moines avec les bonnes sœurs. En même temps, il y a le transfert d’une locution primitive faire trois mors en une cerise (“faire trois morsures, la mordre à trois reprises”) à une locution plus “moderne”, faire trois mors d'une cerise (“faire trois morceaux, trois portions, d’une quantité infime”). Les vers de Villon

Ces considérations peuvent avoir des conséquences pour notre lecture de Villon. Revenons au texte du Testament. Villon dit en avoir été battu: en doit renvoyer, comme aux vv. 630, 635, 643,

646, 649, 654, aux folles amours de v.629. Deux possibilités: soit Villon a été battu “à cause de” ses amours, soit il a été frappé “de”

58 M.J. Freeman (éd.), Guillaume Coquillart, Œuvres (Genève, 1975), p.176. 59 G. Di Stefano, Dictionnaire des locutions en moyen français (Montréal, 1990), p.132.

60 M. Huchon (éd.), Rabelais, Œuvres complètes (Paris, 1994), Cinquième Livre, ch.27, p.1657.

145

GROSEILLES ET VAUCELLES

folles amours. C’est pourquoi il a dû avaler des groseilles. Mais il ajoute: Noël le tiers ot, qui fut là,

Mitaines à ces nopces telles.

La plupart des commentateurs modernes optent pour la leçon of (mss. CF) contre est. L’explication est alors: Noel [Jolis] qui était là comme troisième, eut des mitaines à ces noces. Thiry explique: “le jour d’un mariage, on donnait aux invités quelques coups de poings, attenués par le port de gants (mitaines), pour qu’ils conservent le souvenir de la noce”. Ce qui n’est pas clair en cela, c’est pourquoi il eut des gants. Il reste également obscur ce que le verbe avoir veut dire ici (porta-t-il des gants? recut-il des gants? ou est-ce que mitaines veut dire: “coup modéré par le port d’un gant”?). Toutefois, on peut également retenir des Menus Propos la combinaison des fruits avec le nombre trois; alors /e tiers renvoie concrètement à ces groselles: Noel eut la troisième groseille ou un tiers des trois groseilles. Le masculin /e tiers s’expliquerait par l’hésitation sur le genre des groseilles: ainsi, dans une farce du Recueil Cohen, on lit: plus grosse d’ung groseil.©! Sur le plan syntactique, mitaines poserait alors problème, puisque ce ne serait plus l’objet direct de ot. Pour le sens de mitaine, il existe d’autres possibilités. Selon Rey, l’expression sans mitaines signifie, depuis 1550, “sans précautions”, mais dès le début du XVIe

siècle, on relève dans le

mystère de Saint Remi: On ne prent pas tel cat sans moufle

Ne tel poullet qui n’a estouffle. (vv.2110-21 1162 Ici, le proverbe paraît renvoyer, par l’explication poullet, au monde de la prostitution. Et est-ce que telles au v.663 renvoie à nopces ou à mitaines? Noel eut de telles mitaines? Les noces telles ont un sens

61 G. Cohen (éd.), Recueil de farces françaises inédites du XVe siècle (Cambridge MA, 1949), p. 436.

6? Voir J.Koopmans (éd.), Le Mystère de Saint Remi (Genève, 1997). Au v.10193, Mouflart est un compère de Lourdin. Il s’agit probablement de deux benêts. Cela n’offre aucune piste méritant d’être examinée ici.

146

JELLE KOOPMANS

habituel: c’est une “mauvaise aventure”;63 mais dans la Farce du Pourpoint retrecy nous lisons: Helas, mes amys, je me doubte

Que j’ay des gants des nopces. (vv.508-509)64 où di Stefano comprend “maladie honteuse” (p.394). Ce qui frappe, c’est que cette lecture donne, de nouveau, une explication érotique,

voire obscène, au huitain de Villon qui va dans le même sens que les groseilles de Rutebeuf. Conclusion

En général, les recueils d’articles érudits de ce genre servent à faire avancer nos connaissances. Cette fois, j’avais sciemment voulu reculer l’état des connaissances en la matière en rendant à Villon son œuvre tout en lui enlevant une partie de sa biographie; la confusion polysémique que j’avais voulu semer étant sans doute la lecture la plus authentique. Pourtant, la piste d’une maladie lépreuse de Villon soulève certaines questions, spéculatives mais pertinentes. Pourquoi Villon at-il écrit son Testament à un moment où il n’était pas, qu’on le sache, condamné a mort? Y a-t-il un diagnostic à tirer de l’alopécie de Villon, rez comme un navet, sans sourcilz? Est-ce que l’esguillon d’Amours qui l’espoignoit mallement en mourant (Testament, vv.2014-2015) serait à prendre à la lettre? Quelques autres passages du Testament méritent d’être relevés ici. L’épitaphe de maître François souligne qu’il a été tué par l’amour (donc par les suites de son affaire avec Catherine?) et le verser nous apprend qu’il fut rasé chief, barbe, sourcil. Selon Burger, un clerc qu’on privait de son état était rasé complètement pour faire disparaître la tonsure, mais on peut y voir une nouvelle allusion à l’alopécie, la chute des cheveux, et, surtout,

des

sourcils

chez

un

lépreux.

Une

description

de

l'affection lépreuse dont fut atteint Vespasien spécifie:

et les sursilz et la barbe luy pelerent.65 63 Di Stefano, p.583.

64 Ed. Cohen, n° XLIV. 147

GROSEILLES ET VAUCELLES

Pour l’ordonnance après la mort, Villon s’en remet aux exécuteurs: Trop plus me font mal c’oncques maiz Barbe, cheveux, penil, sourcys.

Mal me presse...

(Testament, vv.1964-1966)

Thiry note: “On n’a pu identifier cette maladie de V[illon], sans doute provoquée par les excès de sa vie passée et les sévices”

(p.248); Sargent-Baur parle d’une affection cutanée sans spécification:66 est-ce de nouveau l’alopécie provoquée par une affection lépreuse? Sargent-Baur renvoie à plusieurs reprises à la tonsure de Job (pp.57-58, 124), mais manque de faire le rapprochement avec l’alopécie. Villon se dit plus noir que meure (Testament, v.179), ce qui, selon Thiry, dénote une “dégradation corporelle durable”; dans le Lais, Villon est noir et sec comme un écouvillon, passage que Sargent-Baur rapproche du livre de Job: Cutis mea denigrata est super me.®’ Le barbier cité dans le Testament, Perrot Girard (“inconnu par ailleurs” selon Thiry), est domicilié à Bourg-la-Reine, léproserie

importante dans les environs de Paris.é8 Et est-ce que la belle Heaumière, que Villon s’imagine entendre, se plaint de son amant mort passé trente ans (Testament, v.485), c’est-à-dire après l’an trentiesme de son âge, qui fut enfaichié, c’est-à-dire “tacheté”, de mal, c’est-à-dire d’une maladie (v.482)? Ses sourciz sont cheux (v.510: l’alopécie!), elle a les mains contraictes (v.518: par le rhumatisme, note Thiry, mais il faut penser plutôt aux mains gourdes

por le mal d’Acre de Tristan déguisé en lépreux).6? Les vieilles prostituées Assises bas a cruppetons, (v.527)

65 Bibliothéque Nationale, ms.fr.981

p.386.

(XVe siécle), cité par Thuasne,

iii,

66 Sargent-Baur, p.120. 67 Sargent-Baur, p.86. 68 Bronislaw Geremek, Les Marginaux parisiens aux XIVe et XVe siècles (Paris, 1976), p.225.

69 Marchello-Nizia, p.104, v.3849. 148

JELLE KOOPMANS

font penser à l’iconographie des lépreuses plutôt qu’aux situations de pénurie alléguées par les commentateurs. On pense aussi aux lépreux dans l’Enfer de Dante: … ces malades qui ne pouvaient plus soulever leur corps. J’en vis deux assis, appuyés l’un à l’autre, comme on appuie tuiles pour les chauffer

(XXIX, wv.71-75)7! Le bordeau de la grosse Margot pourrait renvoyer aux bordes,’2 cabanes piteuses des lépreux (sens attesté jusqu’au XVle siécle) tout aussi bien qu’à un prostibulum (sens attesté depuis le XIIIe): notre état serait alors a prendre au sens le plus fort du terme. La dermatose de Villon ouvre une nouvelle lecture de son Testament et une nouvelle motivation de la rédaction méme d’un Testament: les

groseilles de Vaucelles.73

70 Téth-Ubbens, pp.12-13: un dessin de Roelant Savery (1600-1610) et une photographie prise en Afrique. 71 J, Risset (éd. — trad.), La divine comédie: l'Enfer (Paris, 1985), p.267.

72 Marchello-Nizia, p.35. 73 Recherches financées par l’Académie royale des Arts et des sciences (KNAW)

149

Villon’s Last Erection

(Testament, vv.1996-2023) Tony Hunt

Icy se clost le testament Et finist du povre Villon.

1996

Venez a son enterrement,

Quant vous orez le carrillon, Vestuz rouge com vermeillon, Car en amours mourut martir; Ce jura il sur son coullon, Quant de ce monde voult partir.

Et je croy bien que pas n’en ment, Car chassié fut comme ung soullon De ses amours, hayneusement, Tant que d’icy a Roussillon Brosses n’y a ne brossillon Qui n’eust, ce dit il sans mentir, Ung lambeau de son cotillon, Quant de ce monde voult partir.

2000

2004

2008

Il est ainsi et tellement:

2012

Quant mourut, n’avoit q’un haillon Qui plus, en mourant, mallement L’espoignoit d’ Amours l’esguillon; Plus agu que le ranguillon

2016

D’un baudrier lui faisoit sentir

— C’est de quoy nous esmerveillon — , Quant de ce monde voult partir. Prince gent comme esmerillon, Saichiez qu’il fist au departir:

150

2020

TONY HUNT Ung traict but de vin morillon, Quant de ce monde voult partir.

Some people have detected a note of titillation in my title — “sans mon consentement, [... ] Leur plaisir fut, non pas le myen”. The erection I speak of is the structure, or échafaudage, represented by the “Ballade de conclusion”, which is very imperfectly transmitted and hence rather precarious. But if someone should say to me: “What right have you to speak of text-critical matters?”, my justification will be that a non-specialist may say whatever strikes him as interesting. So then: the final Ballade is not found at all in the Stockholm MS; Pierre Levet’s printed edition of 1489 offers only the first stanza and even then completely deforms the word coullon (caignon); and the Arsenal MS presents a disordered sequence of lines. So we are dependent on MS C, the now preferred “texte de base”. Even this, though, does not furnish the title “Ballade”, nor does it here mark the end of the Testament, for there follow the

“Epitre a ses amis” and the “Ballade de Fortune”, and only then comes “Explicit le testament maistre Françoys Villon”. Hence no surviving witness presents the final Ballade exactly as we read it today. Should we then just content ourselves with the reflection that, after all, “Selon le clerc est deu le maistre’’?

Who is “le maitre’? “Povre Villon” is dead and the indeterminate voice of this apparent coda, _ stylistically indistinguishable from that of the testator, is puzzling. Some have identified it with Jean de Calais, verifier of wills at the Châtelet, others with “le crieur du corps” — or what Félix Lecoy calls the “semoneor”? — whose bell is described as the “carrillon”. In a celebrated article in 1955, Helmer Lang even argued that the whole of the final Ballade was added by a “burlesque successor” who

1 All quotations are from the edition by Jean Rychner and Albert Henry, Le Testament Villon (Genéve, 1974). 2 See Lecoy in his review of André Burger’s Lexique complet de la langue de Villon, in Romania, 78 (1957), 416.

191

VILLON’S LAST ERECTION

“drew a burlesquely exaggerated picture of the martyr of love”. “Lequel a tort? Or en discute”. Perhaps the best way to begin is to ask ourselves what is the real point of this mocking self-stylisation by the testator as the martyr of love? Let us recall his words earlier in the Testament: Sy me souvient bien, Dieu mercis,

Que je feiz a mon partement Certains laiz, l’an cinquante six, Qu’aucuns, sans mon consentement,

Voulurent nommer testament; Leur plaisir fut, non pas le myen.

(753-58)

The testator, who displays paranoid tendencies at various points in the will, here ruefully reflects on the mischievous renaming of his earlier work, the implications of which are that Ceulx donc qui me font telle presse En meureté ne me vouldroient voir

(119-20)

and hence used the word testament maliciously to suggest the writer’s imminent demise.4 MS C does indeed preface the Lais with “Le petit testament Villon”, as does the Levet edition: “S’ensuit le petit testament maistre François Villon” (/ais could refer more widely to any “donation”). My modest proposal, just a suggestion — “quant du seurplus, je m’en desmez” — is that if the connotations of testament, 1.e. death, were thus associated with the Lais, Villon playfully reverses the process at the end of his Testament by

unmistakeably evoking the central image which dominates the Lais. The stylised portrait of the “amant martyr” (playing on the sense “witness to love” and possibly also on “Marthe” in the acrostic in Testament,

vv. 950-55) clearly belongs to the Lais and does not

really fit the testator of the Testament (though see stanzas Ixix-Ixxi). 3 “Villon’s

Testament

and the ‘Ballade

pour

servir de conclusion’”,

Symposium, 9 (1955), 308-23. 4 Cf. Hebrews 9,16-17: “For where a testament is, there must also of necessity be the death of the testator. For a testament is of force after men are dead; otherwise it is of no strength at all while the testator liveth.”

132

TONY HUNT

Moreover, it is burlesqued by being exaggerated to the point of representing a compulsive “érotomane” — at least if you accept my reading of stanza 2, which has never been properly assimilated to the thematic structure of the Ballade as a whole. This ironic mismatch of the dominant image of the Lais — now depoeticised — with the Testament is thoroughly in the spirit of Villon, who has already mismatched the title Roman de la Rose with the text of Jean de Meun’s Testament in stanza xv, precisely the stanza which contains the reference to those who “en meureté ne me vouldroient voir”. We might say, then, that the end of the Testament is marked by ironic retrospection. If someone takes issue with me about the word ironic, I am

not at all impressed, and would defend myself as follows. The “Ballade de conclusion” positively invites scepticism by its very protestations of truth. The image of love’s martyr is presented as the “povre Villon’s” own self-stylisation and its credibility is promptly undermined by the assurance that “ce jura il sur son coullon”, playing on the legal tag “Testis unus, testis nullus” (cf. Matth. 18,16).5 In the second stanza further subversion of the image of love’s martyr is achieved by the remarks “Et je croy bien que pas n’en ment” and “ce dit il sans mentir”, and in the third stanza by “C’est de quoy nous esmerveillon”, i.e. “incredible, isn’t it?” The

image of the “amant martyr” appears not only “plaqué” at the conclusion, but is also rendered wholly unconvincing by means of this threefold assurance of truth. The intertextual allusion to a rondeau of Charles d’Orléans (no.87) contained in the rhymes “vermeillon, esguillon, esmerillon” further increases the ironic

discrepancy “Ballade”:

between

the courtly mode

and the bathos

of the

Quant je fus prins ou pavillon De ma dame tresgente et belle, Ie me brulé a la chandelle Ainsi que fait le papillon.

5 On early legal discussions of this tag, see A. Gouron, “Testis unus testis nullus dans la doctrine juridique du XIIe siècle”, in A. Welkenhuysen et al. (eds.), Mediaeval Antiquity, Mediaevalia Lovanensia, Ser.l, Studia 24 (Leuven, 1995), pp. 83-93.

153

VILLON’S LAST ERECTION Ie rougiz comme vermillon, Aussi flambant que une estincelle,

Quant je fuz etc. Se j’eusse esté esmerillon Ou que j’eusse eu aussi bonne aille, Je me feusse gardé de celle Qui me bailla de l’aguillon,

Quant je fuz etc.® It is perhaps stanza 2 which gives the most trouble. In the opening “chassié [...] comme ung soullon / De ses amours”, soullon might very well suggest a sort of lubricious carnality (it rhymes with “coullon”), but its exact sense

is not clear.’

Moreover,

does de

denote place or agency? i.e parted from his love(s) or “given the push” by his love(s)? or even pursued by his love(s)?8 As explanations or amplifications of the idea of the “amant martyr”, both the second and third stanzas require careful examination. Stanza 2 is devoted to “povre Villon” who is “on the run” — but is he “chassé” or “chasseur”? The double reference to the veracity of what “povre Villon” said (“je croy bien que pas n’en ment” and “sans mentir”) might suggest that he had been indulging in some exaggeration,’ that is, that he had been boasting — “ce dit il” in verse 2009 refers, it seems, to a statement made shortly before his 6 Charles d’Orléans, Ballades et Rondeaux,

ed. J.-C. Miihlethaler (Paris,

1992), p. 468. 7 The early evidence is patchy. FEW 12, 62b records a single example of se soillier a, “avoir un commerce

charnel avec”, and charneles soilleures is

attested in the Anglo-Norman Dictionary. The evidence of the Catholicon cited in TL 9,769: “popinio queus, souillart de cuisine” shows the meaning later attributed to souillon (attested c.1425 according to the TLF). 8 See D. Kuhn, La Poétique de François Villon (Paris, 1967), p.gs2: On lira ou ‘il fut renvoyé de ses amours comme un vaurien’, ou bien ‘il fut

poursuivi par ses amours comme un goret’”. 9 J.-C. Payen, “Le coup de l’étrier. Villon martyr et Goliard ou comment se faire oublier quand on est immortel”, Etudes Françaises, 16 (1980), 21-34 (p. 27-8): “scripteur qui semble n’intervenir que comme garant ironique d’un énoncé peu crédible”.

154

TONY HUNT

death, “quant de ce monde voult partir” (perhaps from the world of love or the world of the Testament). It has long been recognized (e.g. by Kuhn) that the apparently gratuitous Roussillon (Dauphiné) may be an obscene pun on the female pudenda as “roux sillon” (cf. Lais, v. 31: “Planter me fault aultres complans”). The pun would be more effective if it were reinforced, and the obvious possibilities occur in the very next line, “brosses” and “brossillon”, for if these shared the colloquial meaning of Modern English “bush”, we might then

attribute a quite different significance to this stanza.!° For what, after all, is the real point of chronicling an alleged flight from Paris with tatters of clothing hooked on every shrub? Is it not, rather, an erotic adventure, “une ruée érotique”, in which the refugee has every woman he can until he ends with scarcely a stitch on (“n’avoit q’un haillon’”)?!! However much critics may have favoured Catherine de Vaucelles as the one who gave Villon the sack, “chassé fut de ses

amours,

hayneusement”

does not suggest a specific instance and

there is no reason to reject the plural amours!

as indicating the

general concept “love”. We might thus interpret it as meaning that all the liaisons that “povre Villon” had with women turned out badly. All the more reason, then, for the refugee to help himself to what he can as he roams through France. The use of “hayneusement” in ironic juxtaposition to “amours” need not point to the reference to 10 Kuhn, op. cit., p. 332, opts for “brosse” = penis. The verb “brosser” also means to thrash and in Middle French, at least, “to have sex with”. In Middle French slang “cotte” can mean “trousers”.

11 Payen, art. cit., p. 25: “Car ce que sont les brousses et les broussillons du vers 2008 est d’une transparence truculente. Le proscrit s’est consolé comme il a pu, en sabrant toutes les filles sur son chemin. Il s’en vante avec forfanterie, quitte 4 prétendre qu’il y a perdu ses plumes. Martyr universel, non d’une amie unique, mais de la féminine engeance dans sa totalité”, and p. 28: “C’est a sa lubricité excessive qu’il affirme devoir son actuel dénuement”,

and p. 33: “Habile

dans

l’art du camouflage,

il excelle

à

transformer en exil amoureux sa fuite en province quand il a la police aux trousses. Ce jeu trompeur de l’écriture qui transmue en dépit amoureux la sombre épopée du crime”. Cf. Testament, v.707 ff: “Je croy qu’omme n’est si rusé [...] Qui n’y laissast linge, drappelle”.

12 See Testament, v. 705 “Ainsi m’ont Amours abusé...” and v. 715 “Mort par elles me precepicte”.

155

VILLON’S LAST ERECTION

Catherine in Testament vv. 658ff and Lais vv. 18ff,

but rather to

the traditional paradoxes outlined in the Roman de la Rose vv. 4263 ff: “Amors, ce est pez haineuse, / Amors, c’est haine amoureuse”.

The transformation of what may well have been in reality a flight from justice into a flight from love may be compared to the technique whereby the robbery from the Collége de Navarre becomes the writing of a narrative, the Roman du pet au diable (Testament, st. Ixxxviii), and already gave way to the “moral alibi” of Villon’s escape to Angers in the Lais, where the sudden departure was explained as the result of disappointment in love. Stanza

3, “Villon

surrectus”,

actualises

the

association

amour / mourir. Desire and death coincide. I see no compelling reason here to detect burlesque analogies with Christ (as do Kuhn and Payen) or the famous Joycian/Beckettian/Spitzerian physiological consequences of hanging, or the suggestion of homosexual rape (Fein). “Parlons de chose plus plaisante; / Ceste matiere a tous ne plest”. Quite simply, what we have here is the prick of desire.'4 Even the prospect of death cannot inhibit “povre Villon”’s defiant erotomania which is fashioned as a truculent rejection of “courtly love”.!> The envoi is there as another ironic indicator (cf. the rhymes and Charles d’Orléans) of the depoeticisation of the courtly tradition that has been undertaken in the first three stanzas. One is tempted to conclude, therefore, that the Testament

ends with a mocking, depoeticising gesture towards the Lais in a burlesque response to those who had labelled that earlier work Villon’s Testament. Does this sound far-fetched? “Ne cuidez pas

13 Critics have perhaps been influenced by Lais, v.74: [celle] “qui si durement m’a chassé”. 14 But as Kuhn, op. cit., p.333, asks, what is the subject of “(le) luy faisoit sentir”: Amour, esguillon or the pricking (espoindre)? Rychner and Henry suggest “Amour le lui faisait sentir plus aigu”. 15 But, as Kuhn, Joc. cit., also asks, is it a portrait of “povre Villon”,

thrashed, “all in” and now tortured malevolently by the God of Love whom he has renounced; or is it the infinitely lubricious character whose “membre viril” is reduced to a limp rag, but who finally achieves an erection?

156

TONY HUNT

que je me joue”, for the evidence is there in a set of parallels as follows: 1. Departure: “Quant de ce monde voult partir”. The Lais, too, describes a departure: “Me vint [ung] vouloir de briser / La tres

amoureuse prison” (14-15), “Mon mieulx est, ce croy, departir” (42), “Combien que le depart me soit / dur [...] “ (49-50), “Et puys que departir me fault” (57). 2. Martyred Lover: “Au fort, je suys amant martir / Du nombre des

amoureux sains” ( Lais, vv. 47-8).16 It is the notion of “saints of love” which reinforces the “vermeillon” of Testament, v. 2000. But

surely it is not as a saint, but as a sufferer that Villon emerges at the end of the Testament. He is a martyr to lust. 3. The Bell: “la cloche de Serbonne” (Lais, v. 276) and the “carrillon” (Testament, v. 1999) | Can we be sure? With Villon “Rien ne (m’)est sure que la chose incertaine”. Might we not go further and argue that the martyr of love in the Lais may not, after all, be so very different from the martyr to lust of the Testament? Doubts linger about the “bienfondé” or “sérieux” of the amant martir in both texts, especially if we consider in the Lais: 1. The experience of painful erotic desire, the lady’s eyes “me tresparsans jusques aux flans” (28). The martyr will seek his pleasure elsewhere: “Planter me fault aultres complans / Et frapper en ung aultre coing” (31-2) (cf. rous/sillon and brosse). Even more pertinent is “Si n’y vois secours que fouir” (38) with its play on “flee” and “fuck” (cf. Testament, v. 1400), which could almost be a gloss on st. 2 of the “Ballade de conclusion”.

2. Is st. 39 not a masturbatory fantasy?!7 And does not “escouvillon” have the erotic sense “penis”?

16 See Charles d’Orléans, Ballade 10, vv. 13-14: “Au fort, martir on me devra nommer, / Se dieu d’Amours fait nulz amoureux saints”. Cf. Ballade 40, v. 33: “Prisonnier suis, d’Amour martir”.

17 W. Blue, “François Villon: Love’s Sterile / Fertile Martyr”, in M. Lazar and N. J. Lacy (eds.), Poetics of Love in the Middle Ages (Fairfax, VA., 1989) [pp. 29-35] comments (p. 30) on the ending of the Lais: “Villon’s muddlement ends in physical masturbation, an act of deliberately flaunted sterilesexs.”.

157

VILLON’S LAST ERECTION

I must conclude, for “De beau chanter s’ennuyt on bien”. These are some thoughts on the endings of the two works and the theme of the “amant martyr”: “Or les suive qui a actente”.

158

“Ars

combinatoria”

dans

le Testament

de

Villon: huitains I-XLI. Roger Pensom Et comme disait le Duc d’ Elbeuf, C’t avec du vieux qu’on fait du neuf. (Jacques Brel) David Mus nous rappelle que “la poésie de Villon n’est pas ‘originale””.! L’émergence du critère d’originalité marque une discontinuité critique entre l’art verbal du Moyen Age et celui de l’époque moderne, entre un monde où le poète déchiffrait l’énigme de la création divine et celui où le poète, rivalisant avec Prométhée, volait le feu divin pour se faire lui-même créateur. L’art de Villon tient du /apis vilis, de la pierre philosophale, pauvre en apparence mais empreint d’un rare pouvoir magique, de valeur inestimable quoique déprécié par ceux qui s’acharnent à la recherche du brillant et du nouveau.

Bizarre ironie que le succès dont jouissait cette poésie chez les romantiques du dix-neuvième siècle soit attribuable au plus remarquable des malentendus. Ceux-ci voyaient en effet dans le Testament l’œuvre d’un poète dont la figure si vivante tranchait avec la médiocrité d’une tradition moribonde? Une telle vivacité ne pouvait se dégager que d’un esprit révolté et indépendant, auteur de sa liberté et inventeur de son propre langage. La vie scandaleuse et

l La poétique de François Villon (Seyssel,1992), p.481. 2 Voir, sur la survie de cette conception dans les manuels scolaires, Mike Freeman, “François Villon et une leçon de son école”, dans Villon hier et aujourd'hui: Actes du Colloque pour le cing-centième anniversaire de l'impression du Testament de Villon, réunis et publiés par Jean Dérens, Jean Dufournet et Michael Freeman (Paris, 1993), 29-41 (p.29). Aussi, dans le même volume, l’épigraphe, tirée des Trente-six Ballades de Théodore de Banville en tête de l’article de Roger Dragonetti, “La soif de François

Villon”, 122-136.

159

“ARS COMBINATORIA”

mouvementée du poète s’ajoutait à la spontanéité de ses vers pour créer une image d’authenticité autopoïétique qui permettait à Villon de rentrer dans la bande sacrée des poètes maudits. Quoique de nos jours certains travaux aient transformé notre image du poète et de sa place dans la tradition de la poésie médiévale, nous n’avons cesse d’être bouleversés par la force et la magie de son œuvre. A la différence de nos précurseurs romantiques, la tâche nous revient d’essayer de comprendre cette magie en fonction de ses rapports avec l’art poétique tel qu’il fut transmis à Villon par ses maîtres et pratiqué par ses contemporains. C’est surtout au problème de la mystérieuse cohérence du texte que nous faisons face en tant que lecteurs, et ce problème s’est révélé susceptible à de différentes approches. L’analyse suggestive de David Mus nous fait part de l’importance de la pensée médiévale pour toute lecture de Villon, et j’ai tenté moi-même ailleurs de reconstituer une partie de l’art métrique de notre poète dans le but de mieux comprendre la stylistique de ses vers. Entre deux niveaux extrêmes, celui du discours à portée philosophique et théologique et celui de la micro-organisation de la prosodie de la phrase, nous trouvons un domaine intermédiaire d’organisation formelle dans la recombinaison d’éléments topiques. C’est celui-là même qu’a exploré Douglas Kelly dans son livre sur l’art poétique des romans

du Moyen Age.4 Nancy Freeman Regalado a évoqué l’importance de “the characterization of the poetic I that constitutes from first to last [the text’s] true centre and real subject”. Dans un article récent, elle fait valoir le rôle des structures déictiques dans l’instauration du “je” du

Testament.® Sans nier l’importance de ces structures, il n’en est pas

3 “La magie de la métrique Romania, 114 (1996), 182-202.

dans

le Testament

4 The Art of Medieval French Romance

de François

(Madison,

Villon”,

1992); voir tout

particulièrement pp. 32-67. 5“ “Effet de réel, effet du réel: Representation and Reference

in Villon’s

Testament Effet”, Yale French Studies, 70 (1986), 63-77 (p.75). 6 “Speaking in Script: The Construction of Voice, Presence and Perspective in Villon’s Testament’, in Oral Tradition in the Middle Ages, éd. W.F.H.

160

ROGER PENSOM

moins vrai qu’elles font défaut dans certains passages du texte, l’anecdote de Diomedès, l’histoire de la Belle Heaulmière, et sept sur seize des ballades intercalées. Vu que les marques grammaticales de la première personne ne constituent pas une structure continue dans le Testament, il se peut qu’un examen de son organisation thématique rende plus précise notre idée de l’omniprésence proteïforme de la voix du testateur. Donc, la discussion qui s’ensuit se base sur l’hypothèse que l’unité du texte est assurée, du moins en partie, par la structure thématique au niveau du discours, par opposition aux structures grammaticales. Il se peut, bien entendu, qu’il y ait des endroits où les structures déictiques se voient surdéterminées par la structure thématique. Les éléments thématiques se présentent souvent sous forme binaire, resté courante depuis l’antiquité, riche/pauvre, docte/ignorant, vif/mort, jeune/vieux, sans pour autant s’exprimer necéssairement sous forme de lexie.? Dans le premier huitain nous rencontrons l’opposition lexicale: Ne du tout fo/ ne du tout sage. (T 3)

tandis que dans le second, l’opposition topique “spirituel/temporel” s’exprime sous forme de la paire “seigneur/evesque”, où la compétence en matière de topos de l’auditeur/lecteur permet l’identification de la forme plus générale de l’opposition. Dans l’accouplement

de “cerf” et “biche”, avec

sa notoire connotation

homosexuelle, nous remarquons l’opposition topique sous-jacente “mâle/femelle”. Ce n’est qu’à l’avènement du bon roi Louis au huitain vii que nous nous rendons compte de l’effet thématique du jeu combinatoire. L’évêque avait été caractérisé par une série de traits négatifs qui se sont accumulés à la position de la rime B du huitain

ii: friche; biche; miche;

chiche.

Ainsi

que Mus

nous

le

Nicolaisen, Medieval and Renaissance Texts and Studies (Binghamton, NY,

1994), 212-25. 7 A titre d'exemple, bien que le mot “mort” ne figure pas dans le huitain de Jacques Cœur, sa valeur sémantique s’y exprime comme suit: “Et pourrir sous riche tumbeau”

161

“ARS COMBINATORIA”

signale,8 ces mots, vus dans l’optique de la tradition théologique dont faisait partie un Alain de Lille, partagent un élément sémique négatif: friche-terrain improductif, biche-sexualité stérile; chichel’absence du don. L’évocation du roi est marquée par une curieuse polysémie syntaxique qui l’identifie au “fils de Dieu” et où le spirituel et le temporel se recouvrent momentanément. Le huitain vii contient plusieurs idées qui s’appliquent, au figuré, au Christ, mais aussi littéralement au roi Louis: Si prie au benoist filz de Dieu Qu’a tous mes besoins je reclame, Que ma povre priere ait lieu

Vers luy,? de qui tiens corps et ame, Qui m’a preservé de maint blasme

Et franchy de ville puissance;10 Loué soit il, et Nostre Dame, Et Loys, le bon roy de France.

(T 49-56)

C’est en attribuant les qualités quasi-divines au roi par le truchement de la polysémie grammaticale de “luy” que le texte réduit l'opposition entre le spirituel et le temporel pour en faire un fertium

quid qui participe à chacune des deux espéces.!!

Ce moment du

8 La Poétique, p. 263 9 La lecture que proposent Rychner et Henry fait référer “luy” à “Dieu”. Mais Villon aurait pu facilement écrire “Dieu” au lieu de “lui” sans nuire au schéma métrique. Choisir “luy” c’est créer une possible ambiguïté qui ne se résoud dans les deux derniers vers que pour réiterer l’équivalence “Dieu = Louis”: “Loué soit-il, et Nostre Dame / Et Loÿs, le bon roy de France”. On remarquera que cette équivalence est surdéterminée par le jeu de mots sur “Loué/Loÿs”.

10 Il est vrai que cette polysémie est proleptique, puisque la première mention en tant que telle de l’élargissement de Villon par le roi ne survient qu’au huitain xi. Le texte s’adresserait ainsi à un public déjà au fait des grandes lignes de la biographie de Villon, ce qui confirmerait l’historicité de l’emprisonnement de Villon à Meung.

11 Peut-être avons-nous dans cette démonisation de Thibault et l’ironique quasi-canonisation de Louis un écho du débat autour de la Sanction Pragmatique, édit augmentant le pouvoir du roi dans les affaires de l’église,

162

ROGER PENSOM

texte semble présager la modalité dominante de sa phase finale, celle de la conjunctio oppositorum. Mus a remarqué aussi le jeu d’oppositions systématique entre le roi et l’évêque: Louis serait fécond:

Thibault

est

stérile;

Louis

est

hétérosexuel:

Thibault

homosexuel; Louis est généreux: Thibault est chiche: Louis élargit; Thibault emprisonne. Ce qu’il importe de noter, outre l’importante composante philosophique et théologique, c’est que ces oppositions ont une identité formelle linguistique. L’image du roi présentée par le texte se compose d’un ensemble paradigmatique d’éléments sémantiques défini de manière négative par l’ensemble correspondant qui s’attache à l’évêque, fécond/stérile; hétérosexuel/homosexuel et ainsi de suite. Ces paires d’antonymes sont définies par un rapport de contradiction: c’est-à-dire par exemple que ce qui n’est pas fécond est necéssairement stérile. La contradiction se distingue de la contrariété — en tant que structure sémiotique — dans la mesure où une paire d’antonymes contraires — par exemple “blanc/noir” — ne constitue pas un couple strictement binaire, c’est-à-dire qu’un objet qui n’est pas blanc peut ne pas être noir; il peut être par exemple rouge ou vert.!2 D’où une seconde classe de thèmes dans le Testament qui partagent un caractère de “contraire”, tels que “riche/pauvre” — on peut être aisé sans être riche — “grand/petit” — on peut être de taille moyenne — et ainsi de suite. Ces remarques en apparence stériles font toutefois ressortir le profil d’une structure autant logique que linguistique qui sous-tend le contraste entre roi et évêque. Les paires d’antonymes que nous avons remarquées dans les premiers huitains, “fol/sage; seigneur/évéque; foy/hommage; serf/biche; large/estroit” et qui opèrent l’intégration des éléments opposés à l’intérieur de petites unités — soit du vers, soit de l’hémistiche — s’espacent maintenant pour assurer l’intégrité d’une macro-unité, nommément celle que compose la paire contrastée “évéque/roi”. Sur le plan psycholinguistique, la réponse au texte de l'auditeur idéal qui avait été promulgué par le père de Louis XI et révoqué par ce dernier en 1461.

12 Pour une discussion plus étendue de ces structures logico-sémantiques, voir A. J. Greimas et J. Courtés, Sémiotique: dictionnaire raisonné de la théorie du langage (Paris, 1979), pp. 29-32.

163

“ARS COMBINATORIA”

consisterait en la mise en œuvre d’une compétence logicolinguistique qui lui permette d’apercevoir dans la classe d’attributs qui définissent l’évêque (stérile/homosexuel/ chiche/ emprisonneur), un ensemble paradigmatique qui connote “privation/négativité” et qui s’oppose de manière strictement binaire à l’ensemble paradigmatique connotant “plénitudé” qui s’attache au roi. On ne saurait douter qu’il s’agit ici d’une stratégie systématique de la part du poète. Si Villon avait construit des paradigmes basés sur la contrariété (riche/pauvre; vieux/jeune) pour caractériser ces personnages, les valeurs sémantiques qui s’y attachent auraient été plus diffuses et le caractère oppositionnel du contraste moins accusé. Au cours du Testament, on verra se dérouler

le jeu dialectique des paires d’éléments opposés, qui tendra, à la longue, à estomper les oppositions binaires pour leur substituer une synthèse d'éléments contradictoires. En tête de la seconde phase du Testament, qui commence avec le huitain xii, nous voyons surgir le grand thème du “péché”: Combien que pechiez si soit ville Riens ne het que perseverance.

(T 103-4)

Jacques Thomas nous rappelle que c’est à une tradition latine médiévale bien établie que Villon doit l’emprunt de l’histoire de Diomedès et Alexandre.l3 Tandis que Thomas se penche sur la pertinence autobiographique de l’anecdote, je tâcherai de mettre en lumière les structures poétiques qui donnent lieu à un sentiment de continuité dans un texte en apparence pourtant si capricieux. La paire topique qui émerge tantôt se compose de pechié et de fortune, reflet de la polysémie de l’ancien français “pechié”, thème capital dans

plusieurs

romans

du haut Moyen

Age.l4

Mais

nous

n’avons

nullement besoin de recourir à la biographie extratextuelle pour intégrer ce nouveau thème au poème tel que nous venons de le lire.

13 Jacques T. E. Thomas, Lecture du Testament Villon (Genève, 1992), p. 63.

14 Une pareille exculpation avait été proposée par Gauvain au moment où, revenu bredouille de la Quête du Saint Graal, il s’excusait des meurtres qu’il avait commis, en prétextant “la mescheance”.

164

ROGER PENSOM

Le testateur s’identifie textuellement à Diomedès à plusieurs reprises, l’associant d’abord à l’idée de “prison” en nous disant qu’il est engrillonné poulces et des, et le qualifiant ensuite de povre,

adjectif-thème caractérisant le testateur lui-méme:!5 Mais que veulx tu! de ma fortune, Contre qui ne puis bonnement, Qui si faulcement me fortune, Me vient tout ce gouvernement. Excusez moy aucunement Et saichiez qu’en grant povreté,

Ce mot se dit communement, Ne gist pas grande loyaulté.

(T 145-152)

Il est à remarquer que le mot thématique povreté tombe à la rime C,

qui est un site informationnellement privilégié.!6 En dernier lieu, Villon représente Diomedès devant Alexandre, roi libérateur: ‘Ta fortune je te mueray Mauvaise en bonne.’ (T 155-156)

Nous y voyons s’entrecroiser le nouveau thème “péché/fortune” et la répétition variée des themes “prison/povreté/élargissement”. Mais alors que nous nous attendions à un développement éventuel des équivalences suggérées par ces configurations thématiques, notre attente est brutalement trompée dans le huitain xxi. Ici, le poète annule en effet l’équivalence “Louis = Alexandre”, établie sur le palier thématique, en la rendant virtuelle au niveau discursif:

15 Voir les vers 51: “que ma povre priere ait lieu”, et 127: “Les mons ne bougent de leurs lieux/ Pour ung povre”.

16 Dans l’agencement des rimes du huitain, la première rime C est une rime qui n’en est pas une. L’occurrence d’un nouvel élément phonique à la position de rime du vers six du huitain trompe en effet l’attente provoquée par les rimes complétées des cinq premiers vers. C’est donc l’inattendu de cet événement phonique qui sert à mettre en relief l’élément lexical qui tombe à la rime. Voir, par exemple, l’occurrence du nom de l’évêque au

premier huitain. 165

“ARS COMBINATORIA” Se Dieu m’eust donné rencontrer

Ung autre piteux Alixandre.

(T 161-162)

La redistribution des éléments des ensembles thématiques constitue un procédé purement stylistique qui dédouble et enrichit ces structures discursives du texte (arguments, débats) dont Thomas tire la conclusion que voici: On peut comprendre maintenant que Villon n’a pas considéré son élargissement comme une grâce suffisante. Ainsi la leçon de clémence donnée à tous ses juges possibles, et singulièrement à Thibault d’Aussigny, se double d’une leçon au roi, qui détient le souverain pouvoir, et qui aurait pu et dû faire mieux, si on s’en rapporte à l’illustre exemple de l’empereur Alex-

andre.l? Villon enchaîne au huitain xxii en dérivant un nouveau sousthème,

‘“jeunesse/vieillesse”,

en

conformité

avec

le

schéma

sémantique du macro-théme de “manque/plénitude” déjà cité. Ici, le jeu combinatoire consiste en la permutation des membres de cette paire de paires, c’est-à-dire “jeunesse/plénitude” contre “vieillesse/ manque”.!8 Et bien que son élégie de la jeunesse s’étende pour englober plusieurs autres paires thématiques — vie/mort, richesse/ misère, manger/jeûner, vice/vertu — et Villon lui-même de qualifier ce passage de digression — il n’en reste pas moins vrai que c’est la structure thématique du texte qui en garantit l’intégrité. Le macrothème “manque/plénitude” s’avère d’une importance centrale, vu qu’il sert de base sémantique à la dérivation de tous les autres thèmes du passage: sous le chapitre de “plénitude” nous trouvons “Jeunesse”,

CLR NC +)

“vie”, “richesse”,

“manger”,

“vertu”,

tandis

que sous

17 Lecture, p. 70.

18 11 est à remarquer que la permutation alternative de cette paire de paires (jeunesse+manque — vieillesse+plénitude) aurait évoqué une tout autre série de thèmes possibles, par exemple le topos de la jeunesse inexpérimentée face à la sagesse de l'âge ou celui du cadet sans le sou dans l’attente d’un héritage de son vieux père riche.

166

ROGER PENSOM

celui

de

“manque”,

nous

avons

“vieillesse”,

“mort”,

“misère”,

“jeñner”, et “vice”.19 Il paraîtrait donc que ce cycle de permutations serve à générer l’armature fondamentale du texte. Après la réapparition du mot-thème “povreté” dans le huitain xxxiv, il s’unit à celui de “Jeunesse” en tête du huitain xxxv: Povre je suis de ma jeunesse.

(T 273)

Le processus continue avec l’accouplement des éléments “povre” et “mort”, provenant des paires “povres/riches” et “vie/mort”: Povreté tous nous suit et trace. Sur les tumbeaux de mes ancestres,

Les ames desquelz Dieu embrasse, On n'y voit couronnes ne ceptres.

(T 277-280)

Cette juxtaposition se voit succéder dans le huitain suivant — celui de Jacques Cœur — par la juxtaposition de la paire permutée “riche/ mort” à celle que constitue “povre/vivant”: Mieulx vaut vivre soubz groz bureau Pouvre, qu’avoir esté seigneur

Et pourrir soubz riche tumbeau.

(T 286-288)

L'effet de ces vers révèle la force de la richesse formelle du texte. Les formulations vivre povre et riche tumbeau représentent des condensations thématiques d’une remarquable intensité, et qui sont dues tout simplement à l’apparition en surface sous forme de lexie des opérations combinatoires du texte. L’intensité de cette partie du texte est à son comble quand, dans les huitains qui précèdent immédiatement la première ballade du Testament et qui célèbrent l’empire de la Mort, la transition se

19 I] ne s’agit pas ici d’une lapalissade: la classe de paires thématiques dont il est question fait contraste avec nombre d’autres paires, telles vert/bleu;

gant/soulier; feu/eau: mâle/femelle, qui ne portent aucune connotation se référant au théme-groupe “plénitude/manque”. Le poète a dû choisir des éléments susceptibles d’être groupés sous le chapitre de ce dernier.

167

“ARS COMBINATORIA”

fait par la permutation des paires “jeunesse/vieillesse” et “vie/mort”, pour donner l’hybride “vieillesse/mort”: J’entens que ma mere mourra — El le scet bien, la povre femme! — Et le filz pas ne demourra.

(T 302-304)

Le huitain xxxix fait apparaitre un ensemble de paires thématiques sous leur forme primitive: Je congnois que pouvres et riches, Sagez et folz, prestres et laiz, Nobles, villains, larges et chiches....

(T 305-307)

comme pour rassembler dans un méme lieu la cohue de tous les types humains et accidents de la vie.2° La crise se présente sous forme de la transformation brutale de la “plénitude” en “manque”, la destruction de l’amour par la mort. Ceci s’accomplit à partir de la permutation des paires “vieillesse/mort — jeunesse/vie” qui donne

“jeunesse/mort”.2!

L’idéal

que

représentent

Paris

et Helaine

20 Voir “La magie de la métrique”, pour une analyse détaillée de la métrique et thématique de ces huitains et de la ballade qui suit. 21 L’enchaînement thématique est assuré par la permutation qui transforme la paire “vieillesse+mort” en ‘“jeunesse+mort”, c’est-à-dire la mort intempestive suggérée par les huitains de Paris et Helaine. La structure de l’enchaînement, toute algébrique, ressemble à celle des pointes successives dans le tricotage à plusieurs fils. En voilà la séquence qui rejoint la mort de Jacques Cœur (1) à celle des amants classiques (3) en passant par la mort du père et de la mère de Villon (2): {[riche/pauvre]r + [mort/vie]r} —> (1) {[riche+mort]/[pauvre+vie]}; {[vieux/jeune]r + [mort/vie]r } —> (2) {[vieux+mort]/[jeune+vie]} —> (3) {[jeune+mort]/[vieux+vie]} (la paire ‘vieux+vie’ ne paraît pas à la surface du texte). Le T souscrit indique une paire topique soit faisant partie de la compétence littéraire lecteur/auditeur soit déjà apparue dans le texte. C’est donc la paire topique “mort/vie”, en combinaison différenciée avec les paires “riche/pauvre” et “vieux/jeune”, qui assure la cohérence de la séquence. Il va sans dire que cette structure sert tout simplement de colonne vertébrale à la chair vivante de l’invention poétique.

168

ROGER PENSOM

(“jeunesse”, “beauté”,29 «66 “richesse”,” sy e” 66. noblesse”) porte aussi une connotation de l’amour érotique, Das le texte avait fait allusion au huitain xxv, où le thème est solidement ancré dans le “moi” grammatical de la voix du testateur: Bien est verté que j’é aymé Et aymeroye voulentiers; Mais triste cuer, ventre affamé (...) M’oste des amoureux sentiers.

Ce passage,

où l’amour,

avec

sa connotation

(T 193-197)

de “plénitude”,

se

heurte au “manque” signalé par triste et affamé, se voit développer dans les huitains de Paris et Helaine. Dans le “topos” des célébres amants, Eros se perd dans Thanatos et le théme global de l’interdépendance des deux aura une importance croissante dans l’économie de la stratégie mythopéique de Villon. A la différence de la paire “manque/plénitude”, qui représente une opposition d’états statiques, la paire “Eros/Thanatos” dénote un processus continu, un devenir où la plénitude se perd dans le manque, pour en renaître sous une forme nouvelle. Bien que la mort des amants soit marquée ici par l’horreur et la révulsion et que la vie et la mort soient envisagées comme antagonistes, cette vision désespérée cédera à la longue à celle d’une cyclicité où la mort et la décomposition se révèlent comme synonymes de fécondité et de renouveau.22? On verra dans un travail qui reste à faire que la dialectique poétique du Testament nous mène du désespoir qui naît d’une perpective où domine la modalité logique du “ou/ou” à la libération rendue possible par la modalité proprement dialectique du “et/et”.

22 On voit s’affronter ici deux théories de la temporalité humaine: celle qui est linéaire et eschatologique et qui provoque la peur de la mort et du jugement dernier; et celle de l'éternel retour. Quoique la première appartienne au christianisme canonique, il existe néanmoins dans la tradition chrétienne médiévale un souvenir manifeste du modèle non-linéaire. Dans le Jeu d'Adam, texte anglo-normand du douzième siècle, par exemple, la rédemption de l’homme est envisagée comme un retour au Jardin Perdu d’Eden.

169

“Bourde jus mise”? Villon, the Liturgy, and Prayer’ Evelyn Birge Vitz This paper is part of a large study on the impact of the liturgy on medieval vernacular literature.’ By “liturgy” I mean not merely the Mass, but more broadly the official and public life of church prayer. I thus include the various Offices — most importantly perhaps the Office of the Dead as well as hymns, prayers, and litanies to the Virgin and to the saints. Since the distinction between the official and the unofficial, the public and the private, is far from clear in the Catholic tradition, no firm line will be drawn between formal liturgy and personal prayer. Thus, following the example of the French liturgy scholar A.G. Martimort, much of the time I will define liturgy simply as “l’église en prière”. It may seem surprising to study the liturgy and prayer — or at least to take them, as it were, seriously — in the work of Villon.‘

IThis article has benefited in many ways from the discussions at the Oxford Conference at which this paper was originally presented. My gratitude goes — as ever! — to Nancy Regalado for her help, and thanks to Marilyn Lawrence.

* See Evelyn Birge Vitz, “The Liturgy and Vernacular Literature”, in The Medieval Liturgy, ed. Thomas Heffernan and Ann Kalamazoo, 1999). I am working on a book on this topic.

Matter

(in press:

> A. G. Martimort, ed., L ’Eglise en prière: Introduction à la liturgie (Tournai,

1961). 4 One of the few studies to have done so is Barbara Nelson Sargent-Baur’s Brothers of Dragons: Job Dolens and François Villon (New York, 1990); but Sargent-Baur’s concern is more with the figure of Job in Villon’s poetry (and elsewhere) than with Villon’s use of the liturgy or prayer. See also

David

Fein’s

useful

comments

in A Reading

of Villon’s

Testament

(Birmingham, 1984), especially pp. 80- 83.

A valuable article that studies in detail the importance of the liturgy in the Testament — in particular, the liturgies of Holy Saturday through Easter Monday — is Rupert T. Pickens’s “Villon on the Road to Paris: Contexts and Intertexts of Huitain XIII of the Testament’, in Conjunctures: Medieval

170

EVELYN BIRGE VITZ

Villon’s secularism is widely recognized.’ His religious themes are frequently seen, and dismissed, as part of his medieval inheritance,

as distinct from the “originality” of his art. Who poked more fun at religion than Villon? Indeed, who jeered at the clergy more snidely than Villon, and on occasion attacked bishops and priests, monks and nuns more violently? But it is important to distinguish among different kinds of religious themes, though they are sometimes lumped together and subsumed under a single heading like “religious themes in Villon”. In fact, the way in which a poet or writer handles matters bearing on the institutional church and its representatives may be quite different from his (or her) treatment of sacramental or liturgical themes. Moreover, there may be variations within a poet’s handling of particular religious themes. In these pages I will argue that liturgy and prayer play a highly important role in Villon’s poems; that they should not be understood as dissolved by the acid bath of irony and sarcasm that surrounds them; and that they are an expression of Villon’s powerfully eschatological preoccupations. There are many references in Villon’s work to liturgy and prayer. More precisely, there are both references to prayer and actual prayers. These fall roughly into four groups in terms of their use (though there is some overlap): 1) liturgical openings and closings — thus, liturgical “frames” 2) prayers for the dead 3) prayers for the dying and 4) prayers for the living.

Studies in Honor of Douglas Kelly, ed. Keith Busby and Norris J. Lacy (Amsterdam, 1994), pp. 425-54. Pickens focuses on the importance of

themes and liturgies of the Harrowing of Hell and Resurrection. His points are compatible with those which will be made in these pages. In her unpublished doctoral dissertation, “Villon’s Testament: A Burlesque Requiem” (Cornell University, 1980), Susan Darrow Hussar Randall sees the many parallels between the Testament and a Requiem Mass primarily in comic terms. * One recent example: Nancy Freeman Regalado, “Saying Your Prayers: Poetic Expression of Secularism in Villon’s Testament’, presentation at the Sewanee

Medieval Colloquium on “Secularism in the Middle Ages”, April 1985.

171

LITURGY AND PRAYER

Liturgical Frames Villon uses liturgical elements for both opening and closing his wills. In both the Lais and the Testament he begins the actual “testating” with the words of blessing that open virtually every liturgy: “In the name of the Father...”: Premierement, ou nom du Pere,

Du Filz et du Saint Esperit, Et de sa glorieuse Mere Par qui grace riens ne perit, Je laisse, de par Dieu, mon bruyt A maistre Guillaume Villon (Qui en l’onneur de ce nom bruyt),

Mes tentes et mon pavillon. (L, 65- 72)° Thus, Villon sets his will within a liturgical framework; he

aligns himself with a certain tradition. Many other medieval poets also began their stories or poems (and singers and story-tellers their performance) with this or other liturgical formulas. Most importantly, perhaps, the Testament de Jean de Meung opened with this formula.’ Many non-religious literary works, including romances, also began in this manner. People began other kinds of work as well in this way. To take a famous example from the English side of the Channel, in the play Mankind the hero is a farmer who kneels in the field with his rosary beads and starts his work with the words: “In nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti, now I will ° | will be using the recent edition with translation of Villon’s poetry by Barbara N. Sargent-Baur: Frangois Villon: Complete Poems (Toronto, 1994). While in these pages I do not provide the translation of the passages I quote, it is my hope that interested readers, who do not read medieval French will be able to follow my argument by having recourse to Sargent-Baur’s fine translation. Another attractive translation to consult is that of Galway Kinnell: The Poems of Frangois Villon (Hanover, 1982; new edition). Quotations from the Lais will be identified by an “L” before the line numbers; those from the Testament by “T.” Villon’s miscellaneous poems will be identified by their title in the discussion, and also by their number in the Sargent-Baur edition. 7 See Silvia Buzzetti Gallarati, Le Testament Maistre Jehan de Meun: Un cas letterario (Turin, 1989), p. 121.

140

EVELYN BIRGE VITZ

begin”. But it should be noted that real wills rarely began in this fashion. (The Testament of Jean de Meung is largely a moral work, not a real or a mock will.) In Villon’s Lais, we have a liturgical formula, expanded by an expression of Marian devotion, and followed by gifts that are typically ironic, obscene, or nonsensical. Villon does something similar in the Testament, only this time the liturgical formulas are still more powerfully invaded and contaminated by ironic discourse. He begins: Ou nom de Dieu, Pere eternel, Et du Filz que vierge parit, Dieu au Pere coeternel,

Ensemble et le Saint Esperit, Qui sauva ce qu’Adam perit Et du pery parre les cyeulx... Qui bien ce croit, peu ne merit: Gens mors estre faiz petiz dieux. (T, 793- 800) As in the Lais, Villon begins with a Trinitarian formula. But almost

immediately he expresses his doubt about the dogma (which of course does not exist as such) that dead people become “little gods” in heaven. He goes on to discuss, in amusing terms, theological issues like, did the prophets and patriarchs indeed feel pain — have “chaut aux fesses” — before the Harrowing of Hell by Christ? This whole discussion is comic and somewhat jeering in tone, though Villon concludes the stanzas devoted to jokes about how hot and unpleasant it is in hell with the words: “Dieux nous en gart, bourde jus mise!” (T, 824). (From this latter line, I take the title of my paper. In Villon, of course, we are never confident that we can “set all kidding aside”.) We are by no means sure how we are to interpret Villon’s brief return to liturgical formulas in the following stanza: Ou nom de Dieu, comme j’ay dit, Et de sa glorieuse Mere, Sans pechié soit parfait ce dit Par moy, plus maigre que chimere.

8 In Medieval Drama, ed. David Bevington (Boston, 1975), pp. 901-38 (p.

923, 1. 544).

173

LITURGY AND PRAYER Se je n’ay eu fievre eufumiere Ce m’a fait divine clemence; Mais d’autre dueil et perte amere Je me tais, et ainsi commence. (T, 825-832)

There is an interpretive problem — a tension — at the very heart of this passage, and many others like it. This is prayer in its most formal mode, but irreverence and perhaps even the derision of prayer are also very much present. Both are present, and, while it has been common to assume that only the mockery and the irony are genuine, I submit that the prayer cannot be dismissed or ignored. Villon also closes these major poems on a liturgical note. The Lais ends — or perhaps one might more truly say, grinds to a halt — in a very curious way, right after Villon says he has prayed the evening Angelus, that famous prayer honoring the Annunciation by the Archangel Gabriel to the Virgin’: Finablement, en escripvant, Ce soir, seulet, estant en bonne,

Dictant ces laiz et descripvant, J’ouys la cloche de Serbonne, Qui tousjours a neuf heures sonne Le salut que l’ange predit; Si suspendis et mis en bourne

Pour prier comme le cueur dit. (L, 273- 280) And then, Villon says, he lost track of time; he “forgot himself”. In

the next several, highly opaque, stanzas, Villon speaks of his various faculties, which eventually got recollected. His mind was finally at rest and his thinking clear, but now his ink was frozen and his candle

was about to go out. So when he was ready to go on, it was too late: Puys que mon sens fust a repotz Et l’entendement demeslé,

Je cuidé finer mon propos; Mais mon ancré estoit gelé Et mon cierge trouvé freslé,

” On the Angelus, see e.g. Catholic Encyclopedia (New York, 1913), i, pp. 487-9.

174

EVELYN BIRGE VITZ Et n’eusse peu de feu finer, C’estoit assés tartevelé; Pourtant, il me convint finer. (L, 305 -312)

This passage has caused a good deal of un-frozen ink to flow. But from the present perspective what is primarily interesting is that Villon ends — he represents himself as having to end — on the Angelus: on official liturgical prayer. The Testament, too, has a decidedly liturgical ending, however riddled it may be with complex ironies. The last few hundred lines of the poem involve Villon’s wishes concerning his last rites, funeral service, and burial. Villon claims to die — indeed he

claims to have already died — a martyr’s death, and he swears it upon his (apparently single) testicle: “son couillon”. Thus, he deserves that his friends should come attired in red liturgical vestments in his honor (T,1996-2003). Villon’s last act, as described in the third person by an imaginary narrator, is to throw down a final gulp of “vin morillon” before dying (T, 2022). This defiant gesture, which expresses love of life, is at the same time liturgical or sacramental, and anti-liturgical, anti-sacramental. Despite all the bravado in these lines, Villon also asks for prayers at several points. He gives a gift to the lovesick, “Pourveu qu’ilz diront ung psaultier/ Pour l’ame du povre Villon” (T, 1810ll). His epitaph entreats: “POUR DIEU, DICTES EN CE VERSET...” (T, 1891), and the rondeau that this line introduces begins on, and

thus keeps returning to,. lines from the Office of the Dead: “REPOZ ETERNEL

DONNE A

CIL,/ SIRE,

ET

CLARTE

PERPETUELLE...”

(T,1892-3). Despite the strongly comic elements of this rondeau,’” it nonetheless revolves around Villon’s wish that his friends should pray in God’s name for his “Eternal Rest”. Here again we have a dramatic

and,

I believe,

unresolvable

tension

between

Villon’s

prayers and his irreverent and mocking handling of them. Since both the Lais and Testament provide an account of a life as a whole, it is significant that both begin and end in something resembling a prayerful and liturgical frame of mind. The official and

10 In it he describes himself as looking like a peeled turnip, as having been whacked on the arse with a shovel, etc.

We)

LITURGY AND PRAYER

public liturgical formulas are surrounded with off-hand private doubts and jokes in that complexity of tone that is, we have seen, so characteristic of Villon. Words from the liturgy possess here a certain hardness or toughness; Villon’s irony does not crush or destroy them. I would not wish to argue here that the liturgy has an intrinsically adamantine quality (though many medieval men and women may have felt this to be the case). What is striking is that Villon typically gives to liturgical passages structural pride of place, in the small as well as the large sense. That is, he frames with liturgical quotations not only his works as a whole, but also poetic units. He often begins stanzas and lines with them: “Ou nom de Dieu...”; “REPOS

ETERNEL

DONNE A

CIL...”; “Aiez pictié, aiez

pictié...” and so on. He also, though less reliably, ends poetic units liturgically, often through the return of a refrain. His own irreverent words are thus presented as afterthoughts and line-fillers, trivial “sornettes”, a gloss by someone lacking in authority. In short, liturgical elements are placed in strong positions; his mockery of them in weaker spots.

Prayers for the dead I noted the importance of the Office of the Dead'’ in the closing lines of the Testament. This Office brings us to our second category: Villon’s numerous references to prayers and liturgy for the dead.'* There are a good many prayers for dead friends and relatives of Villon.” One thinks ofthese moving lines:

"In Brothers of Dragons, Sargent-Baur notes that Job — to whom Villon’s poetry contains numerous references — was known in the medieval period largely though references to him in the Office of the Dead; indeed, that Office was composed almost entirely of passages from the Psalms and references to the Book of Job (pp. 35-41). That Villon is “obsessed” with death comes as no news; many scholars have noted this fact. What has not been adequately appreciated, however, is that this obsession often takes a liturgical form and is strongly linked to prayer.

'* Whether these or other people referred to in Villon’s poetry should be taken

as “real” or, rather, as fictional is, for our purposes, neither here nor there; they are represented as real.

176

EVELYN BIRGE VITZ Ou sont les gracieux galans Que je suivoye ou temps jadiz, Si bien chantans, si bien parlans, Sy plaisans en faiz et en diz? Les aucuns sont mors et roidiz; D’eulx n’est il plus riens maintenant:

Respit aient en paradis, Et Dieu saulve le remenant! (T, 225-232)

Villon also prays for the souls of his poverty-stricken ancestors: Povreté tous nous suit et trace. Sur les tumbeaux de mes ancestres, Les ames desquelz Dieu embrasse! On n’y voit couronnes ne ceptres. (T, 277-280)

He prays for his father: “Mon pere est mort, Dieu en ait l’ame!/ Quant est du corps, il gist soubz lame”. (T, 300-1). In all these passages, we see what appears to be a genuine concern for the souls of the dead. Villon evokes heads piled up in the Cemetery of the Innocents, and says: Or sont ilz mors, Dieu ait leurs ames!

Quant est des corps, ilz sont pourriz Aient esté seigneurs ou dames Souéf et tendrement nourriz De cresme, froumentee ou riz,

Et les os declinent en pouldre, Ausquelz ne chault d’esbat ne riz. Plaise au doulx Jhesus les assouldre! ( T, 1760- 67)

This is one of those passages where Villon’s typical resentment against the rich seems to drop away as he contemplates the fragility and tragic vulnerability of a// human life: “Plaise au doulx Jhesus les assouldre!”. He writes a very funny prayer cum drinking-song for Master Jean Cotart: “Pour son ame, qu’es cieulx soit mise,/ Ceste orroison

j'ai cy escripte” (T, 1236-7). The poem for Jean Cotart has strongly

177

LITURGY AND PRAYER

parodic elements,/* but the basic message

is that figures such as

Noah, Lot, and Archetriclinus, all lovers of wine, even to excess, should come and rescue another lush, and take “l’ame du bon feu maistre Jehan Cotart!” to Heaven (T, |. 1245).

But Villon’s most famous prayer for the dead is surely the “Ballade des Pendus”. This great poem cannot be quoted in its entirety here. But in this ballad it is the dead themselves who speak, asking for mercy from God, and for the prayers and intercession of the living. It opens: Freres humains qui aprés nous vivez, N’ayez les cueurs contre nous endurciz, Car se pitié de nous povres avez, Dieu en avra plus tost de vous mercis. Vous nous voiez cy atachés, cinq, six; Quant de la chair, que trop avons nourrie, Elle est pieça devoree et pourrie, Et nous, les os, devenons scendre et pouldre. De nostre mal personne ne s’en rie, Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre. (XI, 1-10) It ends: Prince Jhesus, qui sur tous a maistrie,

Gardez qu’enfer de nous n’ait seigneurie. A luy n’ayons que faire ne que souldre! Hommes, ycy n’a point de mocquerie, Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre.( XI, 31-35).

'* In Recherches sur le Testament de François Villon, seconde édition revue et augmentée, 2 vols. (Paris, 1973), ii, pp. 405ff., Jean Dufournet put forward the

view that this ballad is a “sotte chanson” rather than a real prayer; that in it Villon “a entrepris de ruiner définitivement la réputation de ce haut fonctionnaire ecclésiastique, d’ôter toute valeur à ces actes et à ces jugements. Car quel crédit accorder à un homme qui sacrifiait tout au vin et dépensait jusqu’à la dernière maille pour satisfaire sa passion...?” (p. 410). But even if this poem is a burlesque oraison funèbre — and for Dufournet it has a very hostile edge, to boot — it is, nonetheless, presented by Villon as a prayer. We will return later to the question: just what is a prayer?

178

EVELYN BIRGE VITZ

These men, who are at once dead and strangely alive — able to speak — pray to “Prince Jhesus” apparently for all humanity, all their “human brothers”: “Mais priez Dieu que fous nous vueille absouldre”." What all need to be saved from is clearly hell: “Gardez qu’enfer de nous n’ait seigneurie”. Prayers for the dying Thus, Villon prays for the dead, and often. Many of these prayers seem only marginally touched, if at all, by irony. He also prays and requests prayers for the dying — our third category. The “dying” include Villon, for so he represents himself. For example, in the Testament, shortly after his liturgical opening, he continues: Premier, doue de ma povre ame La glorïeuse Trinité, Et la commande a Nostre Dame, Chambre de la Divinité,

Priant toute la charité Des dignes neuf Ordres des cieulx Que par eulx soit ce don porté Devant le Trosne precieulx. (T, 833-840) He writes as a man who will soon be dead, and who gives his soul

over to the Trinity and the Virgin, asking for the intercession of the nine orders of angels. Are we to be suspicious of the tone, which here appears almost blandly pious? We can hardly help being so, knowing Villon! The fact remains, however, that Villon presents himself as a man about to die, and whose soul is in danger. It is not surprising that Villon should represent himself as dying. A testament is, by definition, the work of a man preparing to die. But several facts here are striking. First, Villon wrote not one but two testaments, and both apparently (fictionally if not

historically) in his relative youth — his twenties and perhaps early thirties. It might be argued that, in his writing of wills and his adoption of the stance of a “dying man”, Villon was just joking. One might well respond: some joke! — for in fact Villon was going to die, and he is dead. It may, indeed, be said that the statement that we are

'S My emphasis. 179

LITURGY AND PRAYER

going to die is the only certain thing that we can safely say about ourselves. In short, however much Villon may have been playing a game, he was not just kidding — and he knew it. It is very difficult to take merely facetiously such lines as: “Qui meurt, a ses loix de tout dire” (T, 728). Moreover, even outside of his poetic testaments Villon presents himself as a man touched by the hand of death: the “Epistre a ses amis” begins: Aiez pictié, aiez pictié de moy, A tout le moins, s’i vous plaist, mes amis.

En fosse giz, non pas soubz houz ne may, En cest exil ouquel je suis transmis Par Fortune, comme Dieu l’a permis. ( XII, ll. 1-5)

Those opening lines are a translation of the beginning of Job 19:21, “Miseremini

mei, miseremini

mei, saltem vos, amici mei”, which

was one of the lessons of the Office of the Dead.’® This fosse, or “ditch,” in which Villon lies is prison — exile from life — but it is also a poor man’s grave. Villon represents himself as being in what we might call today a “liminal state” — not quite dead, but no longer (if he ever was!) fully alive. He is moribund,

about to die, half-dead.

He is

already outside of life, but not yet completely dead. We see this in many passages and many ways, as in his frequent self-representation as a martyr of love — or, more precisely, as a semi-living martyr of love. In the Lais, 47: “Au fort, je suys amant martir/ Du nombre des amoureux sains”. We see it with particular clarity at the end of the Testament, where Villon is represented as dead and yet still alive enough to tell his story. We saw this phenomenon as well in the “Ballade des Pendus”: these men are at once dead and still dying. It is not just with physical death that Villon is preoccupied. To be sure, he describes the progress of mortality in his body: “Je sens mon cueur qui s’affoiblist/ Et plus je ne puis papier” (T, 17856); he is bald, thus his head is already a naked skull. He will soon be

a corpse, a skeleton in the Cemetery of the Innocents. But it is not only the grave, or the “mal hasle” (T, 1722) of the hanged, that

° See Sargent-Baur, Brothers, pp. 70 -82. 180

EVELYN BIRGE VITZ

Villon seems worried about. He is not just anxious about time running out in this life. Rather, he presents himself as confronting eternity. It has escaped no one’s notice that Villon often looks at life sarcastically and scatologically. But what I think has been underappreciated, and what I wish to show, is the remarkable degree to which Villon views himself and those around him eschatologically: he and they are going to die, and are going to be judged. Villon is very concerned with the “Last Things”: death, judgment, heaven and hell. It is as a man on the edge of the eschatological abyss that Villon often sees himself and others.'’ The poem entitled “Quatrain” can be viewed in this light: Villon is about to die and to be “weighed”; that rope replaces the scales of judgment: Je suis François, dont il me poise, Né de Paris emprés Pontoise,

'7 In “Deux poètes du Moyen Age face à la mort: Rutebeuf et Villon”, Jean Dufournet has argued that, in contrast to Rutebeuf who thinks of death in terms of judgement, Villon does not. Dufournet says: “L’on retrouve, dans deux ballades de Villon, certaines formules et évocations, les infernaux palus (vers 874) où damnés sont boullus (vers 897); mais l’une de ces ballades, la Ballade pour prier Notre Dame, au cœur du Testament, Villon l’a mise dans la bouche de sa mère: l’autre, celle des Pendus, est demeurée exclue de Testament. Pour

faire bref, jugement dernier et enfer sont absents de son ceuvre, sinon sous forme d’allusions, souvent burlesques...” (p. 163); in Dufournet’s view, Villon seeks to “échapper à l’obsession [of death]” (p. 164); Dufournet says: “Le trépas, aux yeux de Villon, n’est pas loin d’être seulement un accident mauvais en soi, un terme aprés quoi il n’y a plus rien a attendre... Villon découvre dans la mort une revanche sur les injustices sociales puisque tout le monde est logé a la méme enseigne...” (p. 172); in Dies Illa: Death in the Middle Ages (Proceedings of the 1983 Manchester Colloquium), ed. Jane H. M. Taylor (Liverpool, 1984), pp. 155-178. It is certainly true that Villon does not address issues of repentance and judgement as directly and explicitly — as descriptively or as narratively, or as allegorically and as didactically — as Rutebeuf; Villon’s poetry is in general strongly allusive and, indeed, elusive. The purpose of these pages, however, is to show that Villon’s work as a whole (I do not limit myself to the Testament) is in fact deeply permeated with eschatological concerns.

181

LITURGY AND PRAYER Et de la corde d’une toise Savra mon col que mon cul poise. (XIV)

Prayers for the living Our final category concerns prayers prays for others and composes prayers that he for themselves. A handful of examples: in the the unnamed woman who drove him away so

for the living. Villon gives to people to say Lais, Villon prays for cruelly: “Elle m’a ce

mal pourchassé,/ Mais Dieu luy en face mercy!” (L, 79-80). There is,

one assumes, irony in this line. Early in the Testament, Villon prays for King Louis: that he may have good fortune in “ce monde cy transsitoire” (T, 61); that he may have twelve fine sons — “Et puis Paradis en la fin” (T, 72). He prays for the rich and for the poor, in a prayer with a decidedly ironic edge: Aux grans maistres Dieu doint bien fere, Vivans en paix et en requoy; En eulx il n’y a que reffaire; Si s’en fait bon taire tout quoy. Mais aux povres qui n’ont de quoy, Comme moy, Dieu doint pascience! Aux autres ne fault qui ne quoy, Car assez ont pain et pictence. (T, 241- 248)

He gives to his mother a ballad “Pour saluer nostre Maistresse” (T,

866; 873-909). Now, in fact, many of these “prayers for the living” could also be called “prayers for the dying’: the living are seen as dying, as sinners approaching death and judgment. As he says in the Lais: “Vivre aux humains est incertain /Et aprés mort n’y a relaiz” (61- 2). He repeatedly warns his friends to live wisely and avoid the gibbet: “Ce n’est pas ung jeu de troys mailles,/ Ou va corps, et peult estre ame...” (T, 1676-7); “Et, pour Dieu, soiez tous recors/ Une foyz viendra que mourrez” (T, 1726-7). We are perpetually sliding toward the Last Things: toward eschatology. The “Ballade” for his “povre mere” is a case in point. This poem presents a woman who is thinking of death, fearing hell,

182

EVELYN BIRGE VITZ

hoping for heaven. This is a strongly liturgical prayer, filled with traditional

Marian

formulas.

In it, Villon’s

mother

is defined



fictionally self-defined — not merely as an “humble chrestienne”, someone who “oncques riens ne valuz,” (T, 877) but as a great “pecheresse” — a sinner in the same league as the prostitute Mary of Egypt or Theophilus who sold his soul to the devil. Without grace, indeed without the powerful help of the Virgin, Villon’s mother cannot hope to get to heaven — to be one of “voz esleuz”, to “avoir les cieulx”. Villon shows us a woman who very much wants to get to reach paradise, but who cannot get there without mercy. It is perhaps not strange that Villon should present his mother as confronting death and judgment: she is defined as “old”. But she is by no means the only person for whom he prays who is shown as simultaneously living and dying, a sinner in God’s hands — and the others are not elderly. This tendency for the living to be thought of as people who will soon be dead and judged is clearest perhaps in Villon’s prayers — many of them, of course, ironic, even sneering — for his enemy Thibaut d’Aussigny. When Villon prays for the detested bishop, what he is primarily concerned with is not Thibaut’s success or health, or lack of them, in this world, but with

eternity: with his salvation or damnation. As Villon puts it at one point, asking for justice: “S’il m’a esté misericors,/ Jhesus, le roy de Paradis,/ Tel luy soit a l’ame et au corps!” (T, 22-24). Villon clearly hopes that Thibaut will be condemned, body and soul, to hell.

Most readers are familiar with Villon’s many false starts at prayer for Thibaut: his “Picard’s prayer”; his prayer “par cuer”, and

so on.'® The reason for all these (largely abortive) attempts to pray for Thibaut

is, of course, the Church’s

injunction that Christians

must pray for their enemies.’” Villon says:

5 Especially Testament, 9-48. On this issue see, for example, Jean Dufournet,

Recherches sur le Testament (Paris, '? This injunction is based primarily this to you: love your enemies and way you will be sons of your Father Prayer: “Forgive us our trespasses

1971), i, pp. 131ff. on Christ’s words in Matthew 5:44: “I say pray for those who persecute you; in this in heaven...” Another source is the Lord’s as we forgive those who trespass against



US.

183

LITURGY AND PRAYER Et s’esté m’a dur ne cruel Trop plus que cy je ne raconte, Je veul que le Dieu eternel Luy soit dont semblable a ce compte. Et l’Eglise nous dit et compte Que prions pour noz annemys! Je vous dis que j’ay tort et honte; Quoi qu’il m’aist fait, a Dieu remys. (T, 25-32)

Christians must pray for those who hate them and for those whom they hate. Villon, on occasion (as in the passage just mentioned), hands the case of Thibaut over to God. But he has a very hard time indeed forgiving Thibaut; he keeps coming back to his hope — a hope that he expresses largely through circumlocution and praeteritio — that God will make Thibaut suffer, apparently through eternity, as he, Villon, has suffered in this world: Dieu mercy — et Tacque Thibault, Qui tant d’eaue froide m’a fait boire, En ung bas, non pas en ung hault, Menger d’angoisse mainte poire, Enferré... Quant j’en ay memoire, Je prie pour luy et relicqua, Que Dieu luy doint, et voire, voire! Ce que je pense, et cetera. (T, 737-744)

We

see the struggle between Villon’s awareness

that he

should forgive his enemies, and his deep reluctance to do so, in the

penultimate ballad of the Testament, where he cries “mercys” to all. He quite cheerily, if satirically, asks forgiveness from, and offers forgiveness to, all manner of people: A Chartreux et a Celestins, A Mendians et a Devoctes,

A musars et clacquepatins, A servans et filles mignoctes Portans seurcoz et justes coctes, A cuidereaux d’amours transsis Chaugans sans mehain fauves boctes — ... Je crye a toutes gens mercys... (T, 1968 -1975)

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Off he goes, waving goodbye, making peace. But by the time he gets to the final stanza, his gorge has risen once again against his hated enemies: Synon aux traitres chiens matins Qui m’ont fait ronger dures crostes, Macher mains soirs et mains matins, Que ores je ne crains pas troys croctes. Je feisse pour eulx pez et roctes — Je ne puis, car je suis assis. Auffort, pour esviter rioctes, Je crye a toutes gens mercys. ( T, 1984-1991)

Though “mercys” is the last word — such is the very nature of a refrain! — one is hard-pressed to say whether Villon has really gone through with his proposed act of forgiveness and peace-making. Yet Villon seems to see that he cannot demand from God only justice for his enemies — that God should treat them as they deserve — but only mercy for himself and those he loves. At many points he makes

it clear that he fears justice: he, too, is a sinner,

“bitten” by sin. For example, he says in huitain 14 of the Testament: Je suis pecheur, je le sçay bien; Pourtant ne veult pas Dieu ma mort, Mais convertisse et vive en bien,

Et tout autre que pechié mort. Combien qu’en pechié soye mort, Dieu vit, et sa misericorde,

Se conscience me remort, Par sa grace pardon m’acorde. (T, 105-112)

But, of course, as Villon also makes clear repeatedly, he does not convert and live “right”: he represents himself as a “paillard”. He is “mau rat” to Fat Margot’s “mau chat”; they both love “ordure” and it loves them. In short, Villon paints himself as not merely an ordinary sinner but as inveterate: he is a largely unrepentant sinner.” He is a

2 On this issue, see for example Grace Frank, “The Impenitence of François Villon”, Romanic Review, 37 (1946), 225-236, and Janis Pallister, “Attrition

185

LITURGY AND PRAYER

semi-willing prisoner in the “bordeau” — indeed he helps run it. His conscience may gnaw (“remordre”) him, but not hard enough to make him change his life. This is also clear in the “Debat de Villon et son cuer” (XIII) with its refrain: “ ‘Plus ne t’en dys’ — Et je m’en passeray.” Thus we have, in Villon’s poetry, prayers and echoes of the liturgy mixed in with violent anger and bitterness, sarcasm and irony. Scatology is cheek-by-jowl with eschatology. Indeed, we have prayerful elements contrasted with actual mockery of prayer. For

example, when discussing the course of study to be undertaken by his “troys povres orphelins” (T, 1275) — actually rich and powerful merchants and usurers — Villon says that the Donat (the Latin grammar by Donatus) is too hard for them; they hate to “give”. They should learn: “Ave salus, tiby decus” (T, 1287) — nothing more complicated. They won’t be up to the “grant Credo,” he says (T, 1292). “Ave salus, tiby decus” was a parodic transformation of a Latin hymn in honor of the Blessed Virgin: “Ave, decus virginum, Ave, salus hominum”

(“Hail, glory of virgins, Hail, salvation

of

mankind”), and it meant “Hail to you, money; honor to you, arses”!”’ This was apparently a standard joke, consecrated, so to speak, by wide usage. So was the pun on the Credo, meaning “long-term credit” — something for which these usurers are definitely not ready. These jokes are as much satire of the userers as they are parody of the liturgical elements being employed. Villon also speaks derisively — more bitingly, surely — of the “contemplation” achieved by Turlupins and Turpulines under the curtains after a tasty dinner (T, 1161-5). These are, in any event, comic or parodic uses of the liturgy. It should, however, be noted that in Villon there is little real blasphemy; some medieval works, such as Branch VII of the Roman

and Contrition in the Poetry of François Villon”, Romance Notes, 11 (1969), 392-398. *! See François Villon: Œuvres, édition critique avec notices et glossaire, ed. Louis Thuasne, 3 vols. (Paris, 1923), iii, p. 342ff. “Arses”: decus = d’écus = des culs.

186

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de Renart, pushed derision of the liturgy a great deal farther than

Villon.22

But, in any case, we have a complex blend of elements here.

The question is: what are we to make of this mix? How are we to interpret these elements and hierarchize them conceptually? The Protestant tradition — and most Western scholars today are to an important degree the intellectual heirs of Protestantism — demanded a unified and uniformly high standard of religion, or religiosity, in literary works. If a work was not perfectly or purely pious, and, in particular, if it contained a significant amount of laughter or comedy, it was not pious at all; it was, rather, im-pious.

(The mystery plays were abolished largely, though not exclusively, on such grounds: they mixed profane, comic, even occasionally obscene elements, with scenes of catechism and powerful

devotion.)?3 Villon is not, therefore, a “pious” poet. Modern criticism, starting from very different premises — vastly more sceptical, even cynical, premises — has had a curiously similar thrust. To some degree since the 18th century, and perhaps especially since Freud, when we have a complex situation with high and low elements — elevated spiritual thoughts and low carnal thoughts — readers are inclined to resolve matters downward. We are inclined to decide that when confronted with a contrast between high and low — courtly and obscene, magnanimous and base, devout and

impious — it is the /ow things that are true; they show

up the

hollowness, hypocrisy, or falseness of the higher ones.24 In Villon, many have considered that only the mockery is “sincere.” 22 See Vitz, “La liturgie, Le Roman de Renart, et le probléme du blasphéme dans la vie littéraire au Moyen Age, ou: Les bêtes peuvent-elles blasphémer?”, in press, Reinardus, 11 (1998).

23 See e.g. Eamon Duffy, The Stripping of the Altars: Traditional Religion in England 1400- 1580 (New Haven, 1992), pp. 579ff. 24 An interesting example of the difference between the medieval (and classical) way and the modern manner of handling this conflict can be seen in John of Salisbury’s discussion of Julius Caesar’s dream that he slept with his mother. We are inclined to interpret such a dream in a Freudian fashion (what John would call “obscenely”): that, indeed, Caesar wanted to have sexual intercourse with is own mother. John, however — like the dream-interpreters

that Caesar consulted — viewed it differently: as revealing the “magnanimous”

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LITURGY AND PRAYER

But neither of these ways of resolving discrepancies between high and low is, I think, appropriate to medieval literature in general. Neither the Protestant nor the Modernist model will do. As many scholars have noted, medieval works were often strongly internally conflicted — extraordinarily discordant — by our esthetic and conceptual standards. These discordances appear to have been a fundamental part of what has been called (in particular, by Paul Zumthor) the medieval “contrastive poetics”. One might cite

examples from the lyric — for example, from motets.2 But in fact a great many works contain extraordinary inner tensions — tensions that it would be a serious interpretive oversimplification to resolve in favor of the low. We cannot, I submit, simply dismiss Villon’s prayers as derision of prayer. Issues of general poetics aside, there is an important conceptual framework within which we should examine the prayers in Villon’s poetry: medieval theology, and more specifically, what we might call “theory of prayer”. We have a largely parodic and satirical work that contains many prayers. Are — were — these lines really supposed to qualify as prayers? After all, as we have seen, Villon represents himself as a confirmed sinner who is, at best, semi-

Caesar’s ambition, and destiny, to subject the entire world (“universam terram”) to his power. John of Salisbury [Ioannis Saresberiensis], Policraticus, I-IV, ed. by K. S .B. Keats-Rohan (Turnhout, 1993); II, 16, p. 100. 25 Motets offer highly interesting examples of medieval contrastive poetics, often with a liturgical component. A motet is a polyphonic composition combining two or three distinct melodies and texts. Some motets have stong unity: all the texts may be in Latin and on a sacred theme. But it is also common to find marked divergencies in language (Latin and the vernacular), inspiration, tone, and so on. For example, one anonymous motet, whose opening phrases are respectively: “Aucun vont — Amor qui cor — Kyrie”, is constructed as follows: the top voice (or Triplum) sings a sprightly French song, which complains about those who denigrate love: loving loyally is wonderful. The middle voice (or Duplum) sings a much slower — fewer words, fewer notes — Latin text which reflects on the power of “carnalis affectio”, noting that the more one loves ephemeral things, the less God is loved. The lowest voice (or Tenor) just sings the words “Kyrie eleison” — Lord have mercy! See Anthology of Medieval Music, ed. Richard H. Hoppin (New York, 1978), 54, p. 112.

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repentant and disgusted with himself and who does not have the will to change. Since he surrounds his bits of liturgy and his prayers with jokes and derision, is he, from a medieval Christian point of view, in

a moral position to pray? Is he really praying? Some medieval theologians emphasized the ideal of prayer: one should have purity of intention; prayer should be “the clamor of the heart”; in prayer one should be in submission to God’s will; in

prayer one should be thinking about what one says. All this is the ideal, and we see it expressed in similar terms in works ranging from

Peter the Chanter’s Manual of Prayer in the 12th century,2® to the Testament of Jean de Meung in the late 13th, to the Imitation of Christ in the 15th, and well beyond. But there also was, and is, another approach to prayer; one

might call this the “low road” as it was concerned with the minimal definition of prayer. We can find this approach authoritatively discussed in the work of Thomas Aquinas. In the Swmma Theologica (IL, ii — especially question 83), Aquinas took up many fundamental questions concerning the nature and definition of prayer. One of them was,

in article

16, “Whether

Sinners Impetrate

[or Obtain]

Anything from God by Their Prayers?” That is, does God consider that their prayers are in fact prayers? Does He listen to them, answer them? After reviewing the position that the prayer of sinners is not heard by God, Aquinas states: “On the contrary: If God were not to hear sinners, the publican would have said in vain: Lord, be merciful to me a sinner; and Chrysostom says: Everyone that asks shall receive, whether he be righteous or sinful... There can be no godliness in the sinner’s prayer as though his prayer were quickened by a habit of virtue: and yet his prayer may be godly insofar as he asks for something pertaining to godliness. Even a man who does not have the habit of justice is able to will something just... And though his

26 The Christian at Prayer: An Illustrated Prayer Manual, attributed to Peter the Chanter (d. 1197), ed. Richard C. Trexler (Binghamton, NY, 1987).

189

LITURGY AND PRAYER

prayer is not meritorious, it can be effective with God since

impetration rests on grace”.27 In short, while the prayers of sinners are not “meritorious”, nonetheless God hears and answers them, provided that sinners ask for good things such as mercy and forgiveness. Villon does not represent himself as possessing merit. He is “good” only in that he is “un bon follastre” (T, 1883). He is not even a repentant man, at least not often. He is just a poor sinner. He rarely listens to his conscience, or “heart,” and doesn’t follow its advice.

His prayers are riddled with doubts, jokes, impieties, and occasionally with blasphemies. Yet still he prays, and does so frequently. He prays for his own soul and for the souls of others. He hates his enemies, but he tries (or fries to try) over and over to forgive them; he may even occasionally succeed. To be sure, we see him slide,28 in his poetry, repeatedly, into sin — Deadly Sins: anger and the desire for vengeance, envy, sloth, despair, avarice (he is stingy about things he does not even possess); he longs to be able to

indulge more amply in lust and gluttony. (I am not sure that there is any major sin he misses, except, perhaps, pride, traditionally considered the deadliest of all.) He begs, nevertheless, in his own

voice and in the sepulchral voices of hanged men: “Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre”. (XI, 1.10) So although Villon’s soul keeps falling down,

and back, into states that are far from

prayerful, it must also be noted that he perseveres in trying to lift it back up to God.

In this context, it is important to recognize that one of the most striking features of Villon’s poetry is its extreme range of tones and intentions. He moves back and forth — up and down — from moments of intensely religious utterance all the way to mockery and despair. He can, indeed, shift remarkably fast from one to the other. We should not accept only the crudeness and the jokes as “true”. Nor should we homogenize Villon’s poetry, averaging out into something 27 St. Thomas Aquinas, Summa Theologica, transl. Fathers of the English Domican Province, 5 vols. (Westminster, MD, 1981), iii, pp.1544-5. I have made a couple of small emendations in the translation, for purposes of clarity,

28 That is, he represents himself as sliding. 190

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monotonous and predictable his extraordinary range and breadth. In such a reading, Villon’s great “contradictions” lose their power.2° In a word, it seems likely that Villon’s audience, and Villon himself, understood

his prayers to be the words

of a sinner, but

nonetheless real prayers. All this suggests that Villon’s reputation as a “poet of religious satire” is in need of re-evaluation. Should Villon be ranked among the “Christian poets”? Perhaps not. As we have seen abundantly, he is not a “pious” poet. And yet... Are piety of tone and a virtuous self-representation necessary criteria? It would certainly be hard to find a poet who gave to Christian faith, hope, and the need for God’s mercy more compelling expression. Villon wrote, early on in the Testament, after lamenting his sufferings: Combien, au plus fort de mes maulx, En cheminant sans croix ne pille, Dieu, qui les pelerins d’Esmaulx Conforta, ce dit l’'Evvangille,

Me monstra une bonne ville Et pourveut du don d’esperance. Combien que pechiez si soit ville, Riens ne het que perseverance. (T, 97-104)

He received, he says, the gift of Christian hope. True, he presents himself as a sinner, a “persevering” sinner.0 Yet he also expresses considerable trust in the readiness of “doulx Jhesus” — who is also “Prince Jhesus, qui sur tous a maistrie” (XI, 1.31) — to save sinners. He expresses belief in the power of intercessory prayer. If a boozing buffoon like Jean Cotart (or a “bon follastre” like François Villon?)

29 See the following ballads: “Des contradictions” (II), “Des menus propos” (VI), and “Des contre-vérités” (VII).

30 This emphasis on the centrality of sin, and of sinners, to Christianity will come as no surprise to readers of modern fiction by major Catholic writers. Graham Greene took as introductory epigram for his novel The Heart of the Matter this quotation from Péguy: “Le pécheur est au coeur méme de la chrétienté... Nul n’est aussi compétent que le pécheur en matiére de chrétienté. Nul, si ce n’est le saint.”

191

LITURGY AND PRAYER

can end up in paradise, it will be because his friends in heaven and on earth have helped him. Perhaps most importantly, Villon — like his mother as he represents her, like Mary of Egypt and Theophilus whom he evokes, like many Catholics of his age, and others — expresses apparently limitless confidence in the Virgin. She was, he said as he presented his poem to his mother, the only fortress protecting him from peril: Item, donne a ma povre mere Pour saluer nostre Maistresse

(Qui pour moy ot douleur amere, Dieu le scet, et mainte tristesse) — Autre chastel n’ay ne forteresse Ou me retraye corps ne ame, Quant sur moy court malle destresse, Ne ma mere, la povre femme! — (T, 865- 872)

He gives us to understand that he counts on the Virgin’s aid to save

him.3! And in the “Louange à Marie D’Orléans,” in which he conflates the little princess and the Blessed Virgin, he speaks of these redemptive maidens, linked through the name “Marie”, in terms such as the following: “Fons de pitié, source de grace,/ La joye, confort de mes yeulx” (I, 6-7) and “...joye du peuple, /Confort des bons, des maulx retraicte” (I, 17-18). He says of Marie, who is clearly not just the young princess, but the Virgin herself: O grace et pitié tres immense, L’entree de paix et la porte, Some de benigne clemence Qui noz faultes toust et supporte, Se de vous louer me deporte Ingrat suis, et je le maintien,

Dont en ce refrain me transporte: On doit dire du bien le bien. (I, 89 -96)

3! It is interesting to note that this poem was included in Prier au Moyen Age: pratiques et expériences (Ve- XVe siècles): Textes traduits et commentés, ed. Nicole Bériou, Jacques Berlioz et Jean Longère, intro. by Nicole Bériou (Turnhout, 1991). This is, indeed, a prayer — and a beautiful one.

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EVELYN BIRGE VITZ

These strongly liturgical lines — they are virtually a summary of themes from Marian hymnody — emphasize Mary as the gateway to peace, the essence and summit of mercy; she removes sin and supports sinners. All this can serve to bring us back, one last time, to the “Last Things”, and to the fact that Villon is a remarkably eschatological

poet.?? Eschatologically, he is in the same league as Dante. Death, judgment, heaven, and hell are for him, as for the poet of the Divine Comedy, major and on-going themes. There are, of course, vast differences in treatment. If, in Dante’s great poem, it is the other world — the after-life — that primarily occupies our attention, in Villon’s poetry it is this world that seems “real”. Like church candles against the dark walls of a church, images of heaven and hell flicker onto the passing, but gripping, scenarios of this life. And Villon seems to focus primarily on postponing death just as long as possible, pleading for merciful judgment and trying to escape hell, rather than on reaching heaven; Villon’s work is no “divine comedy”. And yet he does say: “Plaise a Dieu que l’ame ravye / En soit lassus en sa maison!” (T, 1793- 94). Villon’s eschatological preoccupations flow repeatedly into references to the liturgy and into prayers which are not dissolved by the corrosive irony and sarcasm around them. They subsist, they gleam. One is reminded of the medieval Bibles in which the words of Christ are printed in silver or gold, thus standing out from the surrounding discourse. The very blackness of Villon’s humor derives in large part from the dramatic contrast between his worldliness,

32 ]n this context, I can hardly do better than quote from Pierre Demarolle’s Villon: un testament ambigu (Paris, 1973). Demarolle speaks of the religious dimension of Villon’s poetry (e.g. pp. 166ff.) and concludes: “La pire des erreurs serait sans doute de sous-estimer l’importance de la foi chrétienne chez Villon en se laissant égarer par les attaques contre les moines, la rancune qu’il exprime à l’égard de l’évêque Thibaut d’Aussigny, les plaisanteries ou les banalités. Si les passages où la foi du poète se manifeste n’occupent qu’une part relativement restreinte du texte, ils correspondent toujours à une référence à un Au-delà du monde (et pas seulement à un Au-delà de la mort) qui transcende en leur donnant un sens les injustices des hommes et les faiblesses de l’être...” (p. 169).

193

LITURGY AND PRAYER

crudeness, and carnality, on the one hand, and, on the other, the

prospect of eternity.

194

L’illustration

du texte de Villon:

le cas A.

Paul Weber Kenneth Varty Depuis la fin du dix-neuvième siècle, les éditions (et les traductions) illustrées de l’œuvre de François Villon sont de deux espèces: celles qui sont ornées de gravures sur bois authentiques, faites vers la fin du Moyen Age ou au début de la Renaissance, et qui rappellent, archéologiquement, l’époque du poète lui-même, et celles qui sont ornées de dessins exécutés à cette intention par un artiste contemporain et dont l’intention est sans doute l’embellissement du livre. Dans cette étude, je me pencherai principalement sur la deuxième catégorie et sur les artistes contemporains qui ont tenté d’interpréter quelques aspects dramatiques du texte de Villon, et en particulier sur les deux séries de dessins faites par A. Paul Weber, l’une (à la plume) exécutée et publiée en 1938-39, et l’autre (lithographies), assez peu connue, qui a été exécutée vers 1953 mais qui ne fut publiée qu’en 1982, deux ans après la mort de l’artiste luimême. Pour éviter d’avoir à reproduire ici trop d’illustrations, je me reporterai à celles qui se trouvent dans les deux tomes publiés par Rudolf Sturm, François Villon: Bibliographie und Materialen (Munich: Saur, 1990) où, au tome ii, pp. 321-23, paraît un index C contenant les noms de tous les illustrateurs de livres — peintres, graveurs, dessinateurs, sculpteurs — dont les œuvres s’inspirent de Villon (voir l’appendice à la fin de la présente étude, paragraphes A et B) et où dans chaque tome se trouve une liste des illustrations qui y sont reproduites avec tous les détails pertinents. Malheureusement,

pour ce qui est de Weber, seuls deux des dessins de la série publiée en 1939 sont reproduits dans la bibliographie de Sturm, et pas une seule des lithographies publiées en 1982. Nombreux sont les artistes qui illustrent le texte de Villon sans chercher à en saisir les qualités dramatiques ou qui, s’ils essayent de le faire, n’y ont pas réussi: il suffit de regarder, à cet égard, les dessins de Lucien Pissaro, 1900 (Sturm, ii, p. 126), et Maurice

Berdon,

1925

(Sturm,

i, p. 126). Cependant,

quelques

195

LE CAS A. PAUL WEBER

artistes ont pu créer des illustrations vives et impressionnantes, et qui rendent le sens dramatique du texte illustré. Parmi les meilleurs artistes de ce genre se trouvent certains artistes allemands qui savent surtout rendre le côté comique du drame villonien — par exemple, Gertrude Degenhardt, 1970 (Sturm, ii, p. 17) et Karl Staudinger, 1949 (Sturm, ii, p. 315) qui s’inspirent tous les deux ici des mots “les gracieux galans... Si bien chantans...”. Degenhardt et Staudinger ont su éviter l’erreur trop fréquente parmi les illustrateurs de Villon, à savoir vouloir rendre Villon “typique” du Moyen Age en lui prêtant une fausse qualité moyenâgeuse; l’une des meilleures qualités de leur art est précisément l’absence d’indice temporel — qualité aussi des meilleurs vers de Villon. Certains artistes nous font voir des personnages villoniens qui ne nous convainquent pas — comme Léon Lebègue,

1909 (Sturm, ii, p. 103), par exemple, qui nous offre le

portrait d’une Belle Heaulmière “parvenue à vieillesse”. Plus convaincant est le portrait d’elle fait par Edward Ardizzone, 1946 (Sturm, ii, p. 118) qui nous la montre assise, parlant aux filles de joie. Bien que cette scène soit assez saisissante (à cause surtout du sombre personnage qui menace la vieille femme accroupie), l’ironie féroce qui caractérise à cet endroit les vers de Villon ne se laisse pas deviner. De plus, ni l’attitude ni les vêtements des filles de joie ne nous semblent vraisemblables. Plus convaincants sur le même thème,

plus puissants et plus fidèles aux ironies du texte, sont les dessins de Karl Staudinger, 1949 (Sturm, ii, p. 177) et de A. Paul Weber, 1939

(ill. 1). Le dessin de Weber fait voir au premier plan La Belle Heaulmière qui fait bénéficier de ses conseils les filles de joie, et à l'arrière-plan quelques petites scènes qui font deviner quelles seront les conséquences des dits conseils. L’artiste met à profit ainsi une méthode déjà bien connue des artistes du Moyen Age, c’est-à-dire représenter une série d’événements à travers des dessins à scènes multiples; il réussit par la même occasion à rendre l’ironie qui imprègne les vers de Villon. Mais sans pastiche: malgré les quelques détails qui évoquent le Moyen Age, son art, comme d’ailleurs l’art de

Villon, dépasse toute frontière temporelle. Rappelons que Weber fit deux séries d’illustrations inspirées de l’œuvre de Villon, l’une en 1938, composée de huit dessins à la plume en blanc et noir, et qui fut

publiée en 1939, l’autre en 1953, composée de neuf lithographies en couleur, qui fut publiée en 1982 (voir appendice, paragraphe C, 196

KENNETH VARTY

numéros | et 18). Pour la plupart, les thèmes illustrés dans chacune des deux

séries sont

les mêmes;

exceptionnellement,

cependant,

seule la première série propose un portrait de La Belle Heaulmière. Certains artistes, voulant peut-être faire ressortir le côté dramatique de l’œuvre de Villon, ont exagéré, voire caricaturé, les

actions et les sentiments qu’ils tiraient des vers du poète; le résultat tient souvent plutôt du mélodrame, comme c’est le cas par exemple du portrait par Hérouard, 1920 (Sturm, ii, p. 128) d’un Villon qui “crye a toutes gens merciz”, et celui, par Mignon Wurmbrand, 1945 (Sturm, ii, p. 158), d’un Villon mort, un verre de vin à la main. C’est

une erreur que Weber ne commet jamais. D’autre part, alors que certains artistes rendent avec force un vers qui n’est qu’une parenthèse du drame villonien — tel André Auclair, 1938 (Sturm, ii,

p. 142) par exemple, qui nous fournit le portrait d’un homme qui prie inspiré simplement par le vers 12 de la “Ballade des proverbes”: “Tant prie on que chose est acquis” — Weber ne choisit d’illustrer que des vers prononcés par un personnage de premier plan. Tout

le monde

connaît

les quatre gravures

sur bois de

l'édition Pierre Levet (Sturm, i, pp. 41, 46, 44, et 52); personne sans

doute ne leur trouvera un caractére trés dramatique, 4 moins que ce ne soit dans celle qui représente trois cadavres attachés a la potence. La première image est celle d’un jeune homme trop élégant pour être Francois Villon — d’aprés ses vétements, on dirait un représentant de

la petite aristocratie — et qui lève la main gauche comme s’il allait déclamer des vers (petite note dramatique tout de méme!); la deuxiéme image met en scéne Thibault d’Aussigny qui se tient debout, avec la gravité d’un juge qui s’appréte à rendre un jugement; la troisième fait voir une femme solide, aux yeux farouches, les bras

croisés, les pieds chaussés de grosses bottes. Tout comme Villon et Thibault, cette femme (qui aura à jouer trois rôles: La Belle Heaulmière, Marthe, La Grosse Margot) ne croise pas nos regards: elle regarde à gauche, eux à droite. Seuls les pendus nous regardent, aveuglément, et nous parlent, silencieusement, des événements dramatiques représentés dans les Testaments et dans les Poèmes variés. Pris isolément, les trois premiers portraits n’ajouteraient en rien à notre appréciation du texte, et en particulier à notre

appréciation de ses qualités dramatiques mais, dans l’édition Levet, 197

LE CAS A. PAUL WEBER

les portraits se lisent conjointement, paraissant l’un associé à l’autre et à de longs intervalles qui font que leur entrée en scène soit dramatique. Première apparition: Villon qui semble tourner le dos à Thibault; plus loin, Villon qui figure à côté de La Belle Heaulmière qui regrette sa jeunesse perdue. Plus loin encore, le portrait de Villon est de nouveau associé au portrait féminin (ici baptisé Beaulté d’Amors); cette fois-ci, Villon se trouve au recto de la page, Marthe au verso, et on se demande si Pierre Levet n’aurait pas ainsi associé les deux gravures pour souligner l’antipathie de Villon pour Marthe. Plus loin encore, Villon se trouve à côté de La Grosse Margot (serait-ce pour souligner leur sympathie l’un pour l’autre?); et, enfin, le portrait de Villon est placé à côté de l’image des trois pendus, lui

bien habillé, eux nus ou presque. II me semble que la rareté de ces entrées en scène les rend profondément théâtrales; est dramatique aussi la confrontation des images, le fait qu’elles coïncident avec de grands moments dramatiques du texte. Il y a aussi quelque chose de théâtral dans l’ordre des gravures et l’histoire abrégée qu’elles semblent raconter: la querelle entre poète et évêque du début, le monologue des cadavres de la fin. Nous verrons que Paul Weber, lui aussi, a savamment

orchestré le placement et la succession de ses

dessins et de ses lithographies. Le portrait imaginaire dans l’édition Levet est le premier d’une longue suite de portraits imaginaires du poète, suite à laquelle Weber fera à son tour une contribution particulièrement impressionnante. Très peu de ces portraits du Moyen Age et de la Renaissance nous sont parvenus, mais on les trouve tous dans la bibliographie établie par Sturm (Sturm, i, pp. 49-55). Pour la plupart, ils imitent le portrait sculptural du jeune homme sorti de la petite aristocratie qu’on trouve dans l’édition Levet; voir, par exemple, celui de Jean Treperel, c. 1500 (Sturm, i, p. 49). Villon est représenté dans les incunables par d’autres portraits imaginaires où paraissent quelquefois d’autres personnages. Ainsi, on le trouve quelquefois face à l’un des personnages féminins du Testament, et parfois dans une attitude un peu théâtrale comme dans la gravure d’Alain Lotrian, c.1525 (Sturm, i, p. 53). On trouve aussi des portraits de Villon où le

poète est en train de dicter son testament, ou de composer ses poèmes, comme par exemple chez Guillaume Nyverd, c. 1525

198

KENNETH VARTY

(Sturm, i, p. 53). Au vingtième siècle, ces portraits imaginaires nous montrent quelquefois, à l’arrière-plan, des personnages, des situations, ou des événements tragiques évoqués par le poète, ce que fait, par exemple, Gus Bofa, 1947 (Sturm, i, p. 170), qui représente à larrière-plan — derrière un poète souriant — la potence; et Samivel, 1945 (Sturm, ii, p. 145), qui dessine le poète devant deux femmes

dont l’une est nue; derrière elle se dresse un squelette qui lui pose la main sur l’épaule. Un des meilleurs portraits de ce genre est celui de Karl Stratil, 1956 (Sturm, ii, p. 308), où Villon est représenté assis sur un banc, accoudé à une table, dans une taverne, un verre à la

main, et entouré de jolies femmes; ce portrait imaginaire est particulièrement impressionnant, car le Villon envisagé par Stratil n’est pas le beau jeune homme dessiné par tant d’autres artistes modernes (le portrait de Bofa, par exemple, nous montre un dandy en chapeau haut de forme). Nous montrent pareillement un Villon assez laid Hans Grundig et Paul Weber: Grundig, 1944 (Sturm, ii, p. 304),

surtout, préte a Villon une physionomie caricaturale quand il le dessine a côté de deux huitains manuscrits du Testament. (Grundig, comme

Weber, fut persécuté par les Nazis, et ses dessins ne furent

pas publiés de son vivant. Pour quelques détails biographiques sur Weber, voir Notes, paragraphe E). Weber, comme nous allons le voir, dessine un Villon visiblement pauvre, maigre, mal nourri, et

qu’il représente seulement dans les rôles qu’il joue dans l’un ou l’autre de ses poèmes, tel par exemple la “Ballade de La Grosse Margot” (ill. 2). Bien que ce poème soit plein de drame, Weber préfère ne pas illustrer les scènes les plus dramatiques dont il est composé (comme, par exemple, la querelle, ou l’acte sexuel qui se passe au lit de Margot). Il préfère illustrer le drame imminent en s’inspirant d’un seul vers: “Quant viennent gens, je cours et happe ung pot”. En 1939 il illustre ce vers par un seul dessin à la plume (ill. 2); en 1953 par contre, il l’illustre par deux lithographies. D’abord, Weber nous montre des hommes qui s’approchent du bordel. Margot et Villon les regardent d’une fenétre, contents et souriants, pensant

sans doute aux bénéfices a venir. Plus tard Villon, toujours souriant, monte en courant les marches de la cave, un plein pot de vin a la main gauche. En haut de l’escalier, on entrevoit un client qui se déshabille.

D’une main très sûre, Weber

a doté notre poète d’un

corps frêle et d’un visage anguleux (nez et menton pointus); on le

199

LE CAS A. PAUL WEBER

retrouvera plusieurs fois jouant son rôle dans les drames poétiques qu’il a composés. Mais avant de les examiner, il me faut dire quelques mots sur les représentations de La Grosse Margot. Telle qu’on la trouve dans l’édition Levet, c’est une femme robuste, plutôt rébarbative. On n’a

pas de mal à croire Villon quand il dit qu’ “(elle) m’assiet son poing sur mon sommet...et me fiert le jambot”, mais on est sceptique lorsqu'il dit qu’elle “a en soy des biens a fin soubzhet”! La lithographie de Weber nous fait voir certains de ses appas. Peu d’artistes modernes réussissent à représenter les charmes de La Grosse Margot et la vitalité qui émane d’elle. Parmi eux, et l’égal de Weber (mais très différent), est un autre artiste allemand, Gertrude Degenhardt, 1970 (Sturm, i, p. 243). Elle a su bien représenter la vulgarité comique qui est l’essence de Margot et de son monde. Dans ce dessin, qui montre La Grosse Margot portée en procession, semble-t-il, par des bureaucrates et des artistes assez âgés, il me semble que la célébration publique du corps généreux de Margot fait écho au plaisir du poète quand il se trouve seul avec elle. Revenons toutefois à Weber, et aux portraits imaginaires de Villon qu’il nous a donnés. C’est au cours de mes recherches sur l’iconographie de l’épopée animale que j’ai découvert la série d'illustrations qu’il fit en 1924 pour le Reineke Fuchs de Goethe. Weber avait, semble-t-il, une sympathie naturelle pour celui qui a le dessous dans n’importe quelle lutte, et aussi pour le fou, physiquement faible mais habile et intelligent qui — par la ruse et par la parole — l’emporte sur l’homme fort et puissant. Cela expliquerait son admiration pour Till Eulenspiegel (qu’il illustra en 1921), pour Reineke Fuchs (1924), et vers 1938, pour François Villon. Cela expliquerait aussi pourquoi il aimait illustrer la satire politique, en visant le jeune mouvement hitlérien. L’un des premiers et des plus plaisants dessins comiques de Weber montre (1935) Till Eulenspiegel serrant doucement dans ses bras Reineke Fuchs pendant qu’ils se réfugient tous les deux sous un arbre du déluge et de l’inondation qui montent autour d’eux. La morale à tirer se laisse facilement deviner: soyons patients. S’il le faut, jouons le fou en attendant que l’inondation diminue. Mais l’inondation ne diminua pas, et le déguisement fut insuffisant. Weber fut arrêté par la Gestapo

200

KENNETH VARTY

en 1937, et emprisonné dans des camps de concentration jusqu’à été de 1938. Tout de suite après sa remise en liberté il composa la première série d'illustrations pour une anthologie de poèmes de Villon traduits en allemand. Pourquoi choisit-il Villon? Serait-ce parce qu’il admira en Villon sa désinvoluture, les talents d’artiste qui lui permettaient d’accabler ses ennemis de ridicule, de tourner les

choses tristes en plaisanteries, et surtout de se dépeindre dans le rôle de l’artiste-victime. Après la deuxième guerre mondiale, le satiriste qu'était Weber réapparut, et pour de bon. Son bien-aimé Reineke Jouait très souvent le rôle principal dans ses dessins satiriques; voir, par exemple, le dessin qui montre des troupes allemandes dansant sur la corde raide — dirigés par Reineke, le bâton de chef d’orchestre à la main — dessin fait au moment où il fut permis à l’Allemagne de l'Ouest de se réarmer. Bien que Weber ait eu une idée très nette du poète Villon, il ne lui donne jamais de rôle dans ses dessins satiriques comme il le fait pour Reineke. Mais on perçoit dans certains des dessins où Villon joue un rôle une certaine satire sociale, et on est mieux placé pour apprécier cet aspect si on connaît les dessins satiriques dont Reineke estfa vedette. Voir, par exemple, le dessin qui montre Reineke emprisonné, dessin qui révèle un peu ce qu’il pensait au sujet de l’emprisonnement, et comparer avec le dessin, fait en 1939, pour illustrer le premier vers de |’ “Epistre” de Villon: “Aiez pictié, aiez pictié de moy” (ill. 3; la lithographie sur le même thème faite en 1953 est presque identique). Comme Villon, Weber savait ce que c’était que d’être arrêté, jugé, et emprisonné: des épreuves personnelles et douloureuses qui sont, ici, résumées avéc une modération émouvante. Les détails de la physionomie de Villon que nous voyons ici sont ceux-là même que nous avons appris à connaître dans les portraits imaginaires du poète faits par Weber. Nous les avons déjà vus deux fois dans les illustrations de la “Ballade de La Grosse Margot”, mais alors que dans cette dernière ballade le poète avait une chevelure touffue, ici, il est devenu

chauve, “comme ung navet”.

La “Double Ballade” (“Pour ce, aymez tant que vouldrez”), comme la “Balladede La Grosse Margot”, est illustrée en 1953 par deux lithographies qui nous montrent toutes les deux des femmes qui se moquent des hommes. (Il n’y a pas de dessin sur ce sujet dans la 201

LE CAS A. PAUL WEBER

série de 1939.) Dans la premiére (ill. 4), nous voyons un homme assez riche, bafoué par des prostituées, étendu a plat ventre sur le sol dans une ruelle bordée de “tavernes”. Il porte les habits d’un homme de la petite aristocratie, et sert peut-être à représenter tous les aristocrates cités dans la ballade. Le nom de la taverne, Au Jambot de

Gogo, annonce la “Ballade de La Grosse Margot”, tandis que le contenu de la double ballade nous raméne aux conseils de La Belle Heaulmiére qui se trouvent dans le huitain qui la précéde (et en particulier au vers 617, “Or ont ces folz amans le bont”). La deuxiéme lithographie intitulée Der Rausschmiss (Le Lancement des Habitués) est une autre version du méme theme, celui de la lithographie précédente, mais plus puissante et plus comique. II se peut qu’elle soit inspirée par le vers 629: “Folles amours font les gens bestes”. Les deux lithographies transmettent ainsi |’ esprit aigredoux, tragi-comique qui caractérise non seulement la “Double Ballade” mais aussi beaucoup de ce qu’écrit Villon au sujet de l'amour. (En fait, les dessins de Weber s’inspirent pour la plupart d’un seul vers, mais le dessinateur a su choisir avec adresse les vers

qui illustrent l’un ou l’autre des themes principaux de l’œuvre du poète.) La plus gaie des lithographies de Weber est sans doute celle qui illustre la “Ballade et Oraison”: “Pere Noé, qui plantastes la vingne”. Au lieu d’évoquer le Père Noé, le dessin de Weber met Paccent uniquement sur le “bon feu maistre Jehan Cotart”, et s’inspire du vers “Tousjours crioit: ‘Haro! la gorge m’art’”. Il l’avait dessinée pour la série de dessins a la plume de 1939 (ill. 5). Il se peut que l’impression de gaieté qui ressort de la lithographie s’explique par les couleurs, et par l’absence de nombreuses lignes noires. Il y a aussi quelques différences de détail qui sont propres à la lithographie — les vêtements du notaire, l’absence du chien qui aboie, la présence

des hommes étonnés à la fenêtre, l’enseigne de taverne — détails qui sont plus conformes à la nature burlesque du poème. Enfin, ces deux illustrations nous rappellent d’autres passages où sont célébrés les plaisirs de la boisson et de l’évasion.

Les deux lithographies qui illustrent l’“Epitaphe Villon” fournissent un contraste saisissant avec celles qui mettent en scène le buveur heureux qu’est Jehan Cotart. La première avait été précédée 202

KENNETH VARTY

par un dessin à la plume en 1939 (ill. 6) qui, bien que Weber y mette l’accent sur un seul cadavre, n’est pas sans nous rappeler la célèbre gravure de l’édition Levet où l’on voit trois cadavres à la potence. Le cadavre au centre de cette dernière est dans un état de décomposition avancé; dans la lithographie de Weber, toutefois, ce n’est pas le cas,

et on reconnaît facilement le visage de Villon tel qu’il est dessiné régulièrement par Weber (comme, par exemple, dans le dessin fait pour l’“Epistre”). En 1939, à l’arrière-plan, il y a un paysage où coule une rivière (qui représente le temps qui passe?), rivière sur laquelle un moine gros et gras mène à la gaffe un bateau de dames bien habillées. En 1953 il y a, à l’arrière-plan, une ville, Paris, et la

rivière, c’est la Seine. Ici, il n’y a qu’un seul cadavre, pas encore décomposé, le cadavre de Villon: le visage que nous y voyons est le méme que le visage que nous avons vu dans tous les autres portraits imaginaires du poéte, surtout dans les dessins faits pour illustrer I’“Epistre” (ill. 3). La deuxième lithographie qui illustre l’“Epitaphe” nous montre le même cadavre, mais à un moment ultérieur, lorsque les corbeaux en “[aurJont les yeulx cavez”. Weber nous fait voir le

cadavre en gros plan: la peau a commencé à noircir. La chemise en lambeaux (“quant mourust n’avoit qu’un haillon”) a changé de couleur, du gris au rouge (la seule couleur utilisée dans cette lithographie). La Cathédrale de Notre-Dame de Paris se profile dans le coin gauche, en bas, et en face, dans l’anthologie, se trouve le

dernier vers: “Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre”. Au toit crénelé d’une tour, en bas (dans le coin droit de l’illustration), se tiennent deux ou trois personnes qui regardent ce cadavre solitaire. Weber voulait-il faire naître en nous l’idée d’un poète martyr? II se

peut que, pour lui, Villon ait été un artiste-victime, car dans les années 30 et 40, nombreux sont ceux qui furent emprisonnés, voire exécutés, par les Nazis. Weber lui-méme fut réduit au silence et métaphoriquement tué par eux. Ces trois illustrations sont, 4 mon avis, parmi les meilleures inspirées de l’“Epitaphe Villon” (et peutêtre en partie de la gravure de l’édition Levet). Curieusement, Weber avait déjà dessiné la scène d’une exécution — celle du renard pendu — pour l'édition de Reineke Fuchs qu’il fit paraître en 1924, et on dirait qu’il l’avait en tête quand il fit ses dessins pour I’“Epitaphe Villon”, car il y a des ressemblances frappantes entre celles-ci et le renard de 1924. Beaucoup d’artistes ont, au cours des années, illustré cette

203

LE CAS A. PAUL WEBER

ballade, mais les résultats ont rarement été à la fois émouvants

et

fidèles au texte: ou ils ne communiquent pas le sentiment tragique du poème, ou ils n’attirent pas comme il le faut notre attention sur les cadavres, ou bien ils n’incorporent pas d’une manière satisfaisante les spectateurs à qui les cadavres s’adressent. Par exemple, le dessin de Karl Stratil, 1952 (compatriote et contemporain de Weber, et l’un des

meilleurs

illustrateurs

de Villon),

n’a pas

de point central

artistiquem et les spectateurs ne sont pas intégrés au thème central (Sturm,

ii, p. 185). Au

lieu de regarder

les cadavres,

ils nous

regardent, du premier plan, tournant ainsi le dos aux cadavres. Il en résulte que le rôle qu’ils jouent est trop important, et pas du tout fraternel. Tout au plus pourrait-on dire que le rôle que leur donne Weber n’est peut-être pas assez important, et ils sont trop loin de lPéchafaud. Dans sa lithographie, on dirait qu’il s’agit plutôt de quelques spectateurs assis dans les fauteuils d’orchestre du dernier rang dans un énorme théâtre. Il reste une dernière lithographie de Weber, celle qui illustre la “Ballade en Vieil Langage François”. Ayant reconnu les allusions à la Danse Macabre et inspiré par la description au vers 10 de “l’emperieres au poing dorez”, l’artiste nous propose un portrait de l’empereur qui, traditionnellement, est le premier des ordres séculiers à être invité par la Mort à ouvrir la danse. Le “poing dorez”, pourvu d’un crochet de fer, est bien en évidence. Ce sujet se retrouve dans la série de dessins publiée en 1939 (ill. 7). Les deux dessins sont fondamentalement les mêmes, malgré un changement de direction dans la danse (et l’absence du crochet de fer), et ils font tous les deux une puissante impression dramatique. Par comparaison, la gravure sur bois par Guyot Marchant est insipide (voir par exemple Der Tanzende Tod, éd. Gert Kaiser [Frankfurt am Main, 1982], p. 76). En fait, du Moyen Age jusqu’à nos jours, parmi les illustrateurs de ce thème, Weber est sans égal. Weber avait traité en 1939 deux thèmes qu’il décida de ne pas renouveler en 1953. Le premier (ill. 8) semble avoir été inspiré par les “Contreditz de Franc Gontier”. Il imagine le poète qui savoure un bon repas et l’étreinte amoureuse d’une nonne. On pense aux vers “...se j’eusse estudié [...] j’eusse maison et couche molle”. (On remarque, en passant, que les traits du visage du poéte sont conformes à ceux des autres dessins dans lesquels l’artiste le met en

204

KENNETH VARTY

scène). Le deuxième dessin non-renouvelé en 1953 (ill. 9), inspiré par la “Louenge que feist Villon a la Court” et la “Question que fist Villon au clerc du Guichet”, nous montre Villon peu après son départ en exil. Il est en haillons, à la campagne, près des murs de Paris. On dirait qu’il s’arrête pour regarder une dernière fois la ville qui est le théâtre où se déroule le drame de son œuvre poétique. Ce dernier dessin fut fait un peu avant que Weber ne s’exile, en 1938, de sa patrie; ce qui explique, peut-être, l’émotion que laisse sentir cet adieu silencieux.

J’ai plus haut abordé la question de l’agencement des dessins et la façon dont Pierre Levet semble avoir tiré parti de la conjonction des gravures sur bois. Pour terminer, quelques mots sur le même procédé tel qu’il est mis en œuvre par Weber dans l’édition Christians (Notes, paragraphe C, 18). Cette série commence par la plus dramatique et la plus horrifiante des lithographies; puis l’humeur change, brusquement, pour devenir tragi-comique; elle change encore une fois pour devenir gaie et tout à fait comique; puis triste; puis, enfin, effroyablement tragique. De cette manière, Weber peignit et résuma le drame du texte de Villon.

Remerciements

Nous remercions ici Monsieur le Directeur du Musée A. Paul Weber à Ratzeburg de nous avoir donné la permission de reproduire ici tous les dessins faits en 1939 par Weber pour son anthologie des poèmes de Villon; et une seule des lithographies faites en 1953 mais publiées seulement en 1982. Pour les autres lithographies, il faut consulter l'édition Nicolin de 1982.

205

LE CAS A. PAUL WEBER

APPENDICES: LISTE D’EDITIONS ET DE TRADUCTIONS ILLUSTREES (TIREE DES BIBLIOGRAPHIES DE PECKHAM ET DE STURM) A.

INCUNABLES Pierre Levet (1489); Pierre Le Caron (sans date); Germain Bineaut (1490); Jehan Treperel (1497); Jehan Treperel (aprés 1497); Jehan Treperel (c.1500); Paris, St Nicolas (sans date); Alain Lotrian (1520/1530); Guillaume Nyverd (1520/1530); Guillaume Nyverd (c.1520); Guillaume Nyverd (c.1530).

B. DIX-NEUVIEME ET VINGTIEME SIECLES [Ont été exclus les artistes qui n’ont dessiné que des titres ou des lettrines; les artistes, les éditions et les traductions allemands, ou

qui ont été publiés en Allemagne, sont en caractéres gras]. Date Artiste Pays Peckham Sturm 1896 A. Gerardin France E 1896 175 &J.Tinayre 1897 A. Robida E 1897 179 1900 L. Pissarro Angleterre E 1900 186/192 1909° In La Pacience de Job, dated to the third quarter of the fifteenth century, Fortune is made responsible for the afflictions visiting the archetypical innocent sufferer by one of his counsellors, who associates worldly goods, their being under Fortune’s sway, her turns of the wheel, her giving and taking, and her having God’s license to do so; see the edition of the text by Albert Meiller (Paris, 1971), 11. 5096-5107. For Villon’s self-assimilation to Job, see my Brothers of Dragons: Job Dolens and Francois Villon (New York, 1990), esp. pp. 121 and 128, note 8.

226

FORTUNE

VERSUS FRANÇOIS

especially to him; but all of it is bad. In the mouth

of Robert

d’Estouteville Villon places an observation concerning the goddess’s interventions, in his case happily alleviated by his loving wife: quant dueil sur moy s’embat, Par Fortune, qui souvent si se fume,

Votre doulx ceil sa malice rabat. (T, 1394-96)6 (One notes that the poet does not have Robert give credit to Fortune for his largely-successful career, or for his marriage to so ideal a consort, even though he is said to have won her in a tournament.) Further on in the Testament we again find the accent placed on Fortune’s negative side, and now in an autobiographical context. The rondeau “Au retour de dure prison” (T, 1784-95) implies that Fortune has done much harm to the speaker, quite enough harm, and ought to be satisfied; yet she may well be so full of desraison as to wish his death — which, he asserts, very nearly happened during his recent imprisonment.’ Here the poet, speaking in his own voice, implies that his past sufferings were Fortune’s fault, and that if he has been freed from prison only to die, his death will be directly owing to her envie. One could reflect on the possibility that Fortune, seemingly responsible for Villon’s incarceration, might well be credited for getting him out again; but no such suggestion is made. (This happy event is attributed to the Son of God, to Our Lady, and to the new

king, Louis XI, T, 49-99.) The same

stay in prison

furnishes the subject of one of the independent poems, the “Epistre a ses amis” (Poèmes variés, xii); here the blame for the poet’s present situation is laid squarely on Fortune’s doorstep: En fosse giz, non pas soubz houz ne may, En cest exil ouquel je suis transmis Par Fortune, comme Dieu l’a permis. (3-5)

6 All quotations of Villon’s verse are taken from Barbara N. Sargent-Baur, ed., Francois Villon: Complete Poems (Toronto, 1994). 7¥For imprisonment, Fortuna, and the Boethian connection, see Patch, The Goddess Fortuna, pp. 66-67.

227

BARBARA N. SARGENT-BAUR

Whether any actions on the poet’s part might have contributed to his present predicament is not so much as hinted at, in this piece of special pleading.’ As for relief, he trusts not to Fortune but to his miscellaneous friends, charged with rescuing him. Another of the independent pieces, the double ballade inserted into the “Louange a Marie

d’Orléans”,

once

again touches

on

past, and unspecified,

difficulties caused by Fortune, and their resolution by a human agent of the divine will, this time a little princess, who is Envoiee de Jhesucrist Rappeler sa jus par deca Les povres que Rigueur proscript Et que Fortune betourna, Sy sçay bien comment y m’en va: De Dieu, de vous vie je tien. (PV, i, 65-70)

Such interventions and no others can save the poor, Villon among them, proscribed by harsh Justice and overthrown by Fortune. The “Louange” and its double ballade figure in the personal album of another contemporary poet, Charles d’Orléans (ms. O: Paris, BNF, fonds fr. 25458).9 We know that Villon had this volume

in his hands. He mined it for the macaronic exchange between the

Duke and one Fredet, to which he appended his own treatment of the subject in the period when he cherished the hope of becoming a court poet.!° I am persuaded that, having his hands on it, he was able to read, and that moreover he did read, a series of four ballades by the

Duke on the subject of Fortune. This group of poems was the immediate source of his own most concentrated treatment of the topos, on which I shall focus here.

Anyone in the fifteenth century could (and many with a little encouragement did) write about Fortune, ascribe events to her, even converse with her, accuse her, or put answering words in her mouth;

8 See my “Persuasion and (Special) Pleading in Frangois Villon”, FifteenthCentury Studies, 22 (1996), 4-5. 9 See Pierre Champion, Le Manuscrit autographe des poésies de Charles d'Orléans (Paris, 1907; rpt. Geneva: Slatkine, 1975).

10 See my “Odd Man Out: Villon at Court”, in The Court and Cultural Diversity, ed. E. Mullally and J. Thompson (Cambridge, 1997), pp. 57-65.

228

FORTUNE

VERSUS FRANCOIS

but the parallels between the two treatments in question go beyond the topical to embrace the explicitly verbal. The Duke ascribes to Fortune two monologues, of which the first begins: Je, qui suis Fortune nommee, Demande la raison pourquoy On me donne la renommee

Qu’on ne se puet fier en moy...!! She brushes aside the complaints of people who have suffered at her hands by claiming that she has a commission, one from God, “Dieu... le souverain Roy” (1. 13), and that furthermore there is nothing new about her behavior, as everyone knows: C’est ma maniere acoustumee,

Chascun le scet, comme je croy, Et n’est pas nouvelle trouvee,... (20-22)

In the second of her ballades, the goddess responds to the Duke’s playful threat to call in the lawyers, by asserting that she is no respecter of persons: Sy grant n’est ne puissant ou monde, A qui bien parler n’oseray. Jay fait, faiz encore, et feray Ainsi que bon me semblera De ceulx qui sont soubz ma puissance... (cxv, 3-7)

She offers, though, not a single name of persons past or present. Those in her power, globally evoked, are anonymous. Her advice to discontented humanity, advice enunciated in each of those two monologues, is “En gré prengnent joye ou detresse” (cxiii, 25) and “En gré le preigne qui pourra” (cxv, 17).

11] quote Charles’s verse from the edition by Pierre Champion, CFMA (Paris, 1923; rpt. 1966); these lines are in i, pp. 174-75, ballade cxiii.

229

BARBARA N. SARGENT-BAUR

The immediate parallels with Villon’s handling of the subject are easy to see.!?2 The initial rhyme-words again appear, at lines 1 and 3: Fortune fus par clercs jadiz nommee Que toy, François, crye et nomme murtriere, Qui n’es homme d’aucune renommee...

We notice, though, that the substantive renommee

is here detached

from the speaker, who applies it not to herself but to her interlocutor. It is not she who possesses renown,

but he who lacks it; and the

totality of the lack is pointed by the adjective aucune. The double shift of the attribute, from speaker to hearer and from positive to negative, draws attention to the Duke’s first ballade in his Fortune sequence, at the same time as it stresses Villon’s independent treatment of the topos. As for other elements in Fortune’s discourse, a case might be made for Villon’s dipping into the common topical pool: Fortune’s allusions to her past and future actions (“Ainsi l’ay fait, ainsi le maintendray”, 30), her claim that “Cela est ma maniere”

(29) and that her license was issued by “Dieu de Paradis” (38) may be mere clichés not traceable to any particular source; but the advice prendre en gré sets up further reverberations between Villon’s poem and those of the Duke. Villon seizes this phrase, positions it at the refrain, and makes of it a cudgel with which Fortune four times strikes her present victim: “Par mon conseil prens tout en gré,

Villon”.!3 To a considerable degree Villon’s ballade constitutes a sequel to the set of ballades by the Duke, standing to it much as the “Ballade franco-latine” does to the poetic exchange on marriage between Charles d’Orléans and Fredet. (Villon’s ballade of Fortune,

though, is absent from the ducal album, for reasons that we can only conjecture.) A re-reading of the Duke’s group of Fortune ballades

12 Sergio Cigada notes them briefly in “Studi su Charles d’Orléans e Frangois Villon relativi al ms. B.N. fr. 25458”, Studi Francesi, 4 (1960), 217-19.

13 By tout is implied all that happens to him; we are given to understand that it is all bad. See the sensible comments in P. Tucci, “Villon e la Fortuna”,

629, refuting a diverging interpretation from R. Dragonetti.

230

FORTUNE

VERSUS FRANÇOIS

confirms the relationship, while reinforcing the impression that in his single poem on the subject Villon has created a work of great power, specifically of great dramatic power. Whereas the Duke imagined an exchange between speakers, Fortune defending herself and je complaining in alternate discourses (and je giving up the debate by leaving the fourth poem unfinished), Villon brings about the illusion of a dialogue of which we hear only one side; yet the contest is a vivid one and both contestants are brought on stage. The poet’s cry, though unrecorded, was vehement, enough to provoke a retort; and Fortune begins by denying the legitimacy of his charge. Clercs called her Fortune, whereas Villon labels her a murtriere. He has no right to speak against her, he a nobody (and we are reminded that je, the speaker in Charles’s third ballade, holds up the possibility of lodging a criminal charge and calling in Jes advocas, cxiv, 31). Here the goddess makes a pre-emptive strike; she becomes the plaintiff, the poet the accused, the charge one of /ése-Fortune. On top of this she sets up an opposition between the learned men of former days and the individual standing before her, effectively negating his claim to be thought a clerc (this in spite of his M.A. degree). It is presumptuous of him to say anything, for many of his contemporaries are worse off than he, and of his predecessors mains vaillans homs have been brought low through her operation. She summons him to behold the spectacle of these men, now mors et roiddiz, and to have done with his talk, while

she reads him a

catalogue of famous classical and Biblical figures she has variously destroyed. Her strategy is to crush him with the reminder that she has already crushed them and a multitude of others, and congratulates herself for so doing. The ballade rewards close study. One notices at once the use of frequentatio, the rhetoric of accumulation, that structures many of Villon’s other ballades as well.!4 The first stanza serves as prelude to Fortune’s deeds, anticipating in a general way what is coming; the second and third stanzas accomplish this éfalage with everincreasing weight and momentum; and the envoy sums up the whole 14 See Claude Thiry, “La Ballade contre les ennemis de la France: une relecture”, in Etudes de philologie romane et d'histoire littéraire offertes à Jules Horrent (Liège, 1980), p. 472.

231

BARBARA N. SARGENT-BAUR

furious rush of details in another general statement, this one multiplying Fortune’s power, range, and sheer malignancy (which would be far more extensive were it not reined in by God). She has left much undone, though not by choice: Se riens peusse sans Dieu de Paradiz, A toy n’autre ne demouroit haillon, Car pour ung mal lors j’en feroye dix. (38-40)

Fortune displays herself in action, and violent action at that. These are res gestae, things done, and done by her. A propos of the last two persons she boasts of dispatching, Holophernes and Absalom, she takes on briefly the attributes of an executor of the divine will; a reader familiar with their stories (as Villon’s primary audience certainly was) would think that both men after all had it coming to them, since they had displeased God. All the others, though, are by

and large admirable and heroic figures. They exemplify sovereignty, military triumph, political power, the accomplishment of spectacular feats: success as the world understands success. Yet they are now not only mors et roiddiz (this after all can and indeed will happen to everyone sooner or later) but they died suddenly, violently, unexpectedly. Such shocking and unpredictable reversals, such rapid passages from power and glory, had for centuries been ascribed to Fortune’s

intervention

in human

affairs.

We

notice, though,

the

absence here of any reference to her wheel. Although Villon was free to select what attributes of Fortune he pleased for incorporation into his own treatment of this traditional material, the wheel, when

it

appears in other texts, unavoidably brings along the opposite aspect of Fortune’s behavior: the elevation of the poor and lowly, the sudden acquisition of riches, titles, and happiness by those whom she, for a time, happens to favor. This variability figures prominently in the series of ballades by Charles d’Orléans: Fortune raises people as well as lowers them; once they are in her hands she is at least even-handed: quant aucuns en mes mains prens,

D’en bas je les monte en haultesse Et d’en hault en bas les descens. (cxiii, 6-8)

232

FORTUNE

VERSUS FRANÇOIS

All worldly goods are hers, to give and to take away: et je les donneray Par grant largesse, dont j’abonde, Et aprés je les reprandray. (cxv, 11-13)

But she does as much good as harm: Les aucuns convient que confonde, Et les autres avanceray. (cxv, 21-22)

Je, the poet, concurs with Fortune’s self-assessment, and by so doing confirms it: Souventesfoiz, contre raison, Boutez de hault plusieurs en bas, Et de bas en hault... (cxiv, 6-8)

She deals in happiness and unhappiness, painting in the colors of Plaisance and Espoir and then rubbing out and discoloring all joy — so goes the rebuke of Charles d’Orléans, who has the last word, but a feeble one ( “Pour Dieu, changez vostre maniere!”). Je abandons the

second accusatory monologue at the end of the first stanza. (As well he might; for if Fortune deals in both sorrow and joy, what is the gravamen of his complaint?) There is no such double nature, no such even-handedness in

Villon’s poem. If Fortune destructive;

if she

is powerful, her power is exclusively

is capricious,

it is in her

choice

not

of

beneficiaries but of victims, and woe to anyone on whom her eye happens to fall! Villon’s Fortune opens an enormous vista in time and space. The geographical range of the ballade extends over the known world, or as much of it as was familiar and significant to educated fifteenthcentury Europeans: from France to Troy, Carthage, Rome, Egypt, the

territories won by Alexander, the Holy Land, and back to France. The time-span it evokes makes a wide sweep from the poet and his

contemporaries backwards to the clercs of former days, and from them still further back to instances of Fortune’s activity known to those vanished scholars: the vaillans homs and the grans roys, the 259

BARBARA N. SARGENT-BAUR

heroes,

rulers,

warriors

and

of remote

antiquity.l$

After

this

remembrance of things past the monologue abruptly wheels around again to its chronological and psychological starting-point, the living poet and his contemporaries, all of them lucky to be spared ninetenths of the goddess’s full fury. The evocation of social levels, though sketchy, is similarly comprehensive: from manual laborers in gypsum-kiln and quarry, to scholars of bygone days, to ancient rulers and conquerors, outstanding generals and statesmen, and mythical and legendary heroes. Its range embraces both individuals and collectives: Priam’s entire army, the population of Rome itself. That this ballade reflects a deep-seated attitude of the poet, and perhaps one of his most central concerns, is suggested by a number of features: its density, its concentration, its singleness of vision, even its length. At forty-one lines it is the longest of all Villon’s compositions in fixed form (except of course for the two double ballades, one in the Testament and the other in the “Louange a Marie d’Orléans”). It is unique in Villon’s œuvre in employing a twelve-line

stanza;

and

its decasyllabic

lines stretch

it out even

further. It is also signed, and signed more thoroughly than any other of his fixed-form pieces; it bears both his names: Françoys twice, and Villon four times at the refrain. In fact, the poem is identified as his with an emphasis exceeding any practical considerations of authorship. Despite these

unusual

features, the ballade

shows,

in its

general character, kinship with other fixed-form pieces by Villon. Much of his poetry has a markedly dramatic quality, in that it relies heavily on spoken effects: it is punctuated by direct apostrophes and questions addressed either to named groups and individuals or to the inscribed reader. The first ballade in the Testament begins “Dictes moy ou”, and echoes this query in the refrain “Mais ou sont les neiges d’anten?”; the last ballade here comprises an invitation to the 15 The constellation of Alexander, Pompey, Jason, the Trojans, and Julius Caesar turns up in a ballade of Eustache Deschamps; see Œuvres complètes, ed. Le Queux de Saint-Hilaire and G. Raynaud, SATF (Paris, 1878-1903), vi, 88-89, ballade mclv. Here, though, Fortune is not mentioned, but only

“ce qui doit advenir”, and in any case there is no verbal evidence of Villon’s being familiar with this poem.

234

FORTUNE

VERSUS FRANÇOIS

poet’s funeral. There are playlets as well; the question of man’s fate is debated between Alexander and Diomedes, and the “Ballade de la

Grosse Margot” is a miniature drame à deux. The independent “Debat de Villon et de son cuer” records a dialogue between two parts of the poet’s divided self.!® Several of the ballades, moreover, can be characterized as monologues dramatiques.'7 Jelle Koopmans and Paul Verhuyck have recently explored the attachment of the “Ballade de l’appel” to the Sermon joyeux de Saint Belin, a use or reuse of the poem that may conceivably have been intended by Villon himself, thus fully realizing the dramatic potential of the poet’s triumph-song directed at Garnier with its mocking refrain “Estoit il lors temps de moy taire?”!8 As for the “Ballade de Fortune”, it belongs to a whole set of dramatic monologues placed in the mouths of speakers other than the poet’s semi-autobiographical persona. The Testament offers the narration, self-portrait, and ballade of the Belle

Héaulmiere, “overheard” by the poet, who subsequently has her speech copied down by the clerc Fremin, to whom he pretends to be dictating his will (T, 453-565). He then “hears” his own comments on venal love refuted by a nameless aucun (T, 572-84). He writes a

16 See Omer Jodogne, “La Ballade dialoguée dans la littérature médiévale”, in Fin du Moyen Age et Renaissance (Mélanges... Robert Guiette) (Antwerp, 1961), pp.71-84; and Paul Martin, “Réflexions sur le débat du coeur et du corps”, in Villon hier et aujourd’hui, ed. J. Dérens, J. Dufournet, and M. Freeman (Paris, 1993), pp. 191-221, esp. 205-9.

17 On this sub-genre, standard works are Emile Picot, “Le Monologue dramatique dans l’ancien théâtre français”, Romania, 15 (1886), 358-422; 17 (1887), 438-542; 18 (1888), 207-275 (pub. separately Mâcon, 1887, rpt. Geneva, 1970); and Jean-Claude Aubailly, Le Monologue, le dialogue et la sottie: Essai sur quelques genres dramatiques de la fin du moyen âge et du début du XVIe siècle (Paris, 1976), passim. See also André Tissier, La Farce en France de 1450 a 1550 (Paris, 1976), i, p.17, on the confusion of genres, including the monologue dramatique. 18 Jelle Koopmans et Paul Verhuyck, Sermon joyeux et truanderie (Villon — Nemo — Ulespiégle (Amsterdam, 1987). These authors raise the interesting question: “la Ballade de l’Appel était-elle dramatique dès le début?” (p. 67). J. Koopmans investigates further the theatricality of Villon’s works — even the Testament as a whole — in the stimulating essay “Villon et le théâtre”, in Villon hier et aujourd’hui, pp. 107-119.

235

BARBARA N. SARGENT-BAUR

prayer for his mother to speak (T, 873-909), he gives to Robert d’Estouteville a dawn-song for his wife (T, 1378-1405), and he concludes the Testament with a ballade narrating his own death and

inviting one and all to his burial (these matters to be proclaimed by someone not specified, T, 1996-2023). Turning to the poèmes variés, we recall that the “Ballade des pendus” is addressed to the living spectators by five or six dead men identified merely as nous; here is a dramatic monologue to be understood as spoken in chorus. The “Ballade

de Fortune”,

similarly,

is attributed

to a non-authorial

persona; it differs from the other poems just mentioned in the selfidentification of the speaker and the fact that the poet’s persona is the addressee. This has the effect of objectifying the situation: the poet has already spoken, and is now reduced to recording the overwhelming and definitively silencing reply. Thus the drama constructed by Villon is not only an unequal contest, it cannot be otherwise. Fortune heaps her past actions, all of them spectacular and destructive, upon her living interlocutor, sermonizing him directly (as she does not do in the Duke’s set of Fortune poems) and using the second person singular from line two onwards. The whole first stanza and all of the envoy aim straight at him; the second and third stanzas return to him in the refrain. The

goddess plays artfully with verbal moods: first the present indicative ( “toy... crie et nomme”, “qui n’es homme”,Le] 66 “tu n’es pas seul”, [12e] n’es, ce sais”), then the interrogative ( “te doiz tu doncques plaindre?”) and promptly the imperative “regarde et voy,”, “appaise toy et mect fin”, “escoute”, and the four-fold “prens tout en gré”). Villon creates in this way the illusion of a drama with two

actors, one overpowered enduring

fame

by the other.l?

of Fortune’s

great victims

The lofty status and make

of Francois

a

souillon, a kitchen boy, the lowest of the low, only dirt; the inability

of captains and kings to withstand Fortune’s strokes underlines the powerlessness of the souillon Villon. (It also, by implication, exonerates him.) His protests go unheard by us, because Villon’s part in the debate is unrecorded; and his views are brutally overridden by Fortune, who has heard them but acknowledges them only to inform

19 Siciliano aptly remarks: “c’est la montagne sur la souris” (Francois Villon, p. 309).

236

FORTUNE

VERSUS FRANÇOIS

the protester that he has no right to speak. Although we are repeatedly reminded of François present as character, and although the echo of his former speech sounds faintly in the background, this poem furnishes an example of an imprecatory ballade that is turned for once against the poet.29 Je does not accuse, but is accused. Having no recourse, no power of action, no ability to disobey his adversary’s order to be still, je does indeed fall silent, within the confines of this poetic fiction. By so doing, François the character demonstrates that he is vanquished in the unequal struggle — yet on the other hand Villon the poet has, for the moment at least, the last word.

20See S.V. Spilsbury, “The Imprecatory Ballade: Poetic Genre”, French Studies, 33 (1979), 385-96.

A Fifteenth-Century

257

Le drame du poète: quand dire, c’est rêver de faire Parole subie et parole imposée chez Adam de la Halle, François Villon et Charles d'Orléans. Jean-Claude Mühlethaler Jhesu Sirach dist, a ton ami et a ton

anemi ne descoevre pas çou que tu sés, meismement se ce est mal, car il te gabera et se mokera de toi, en

samblanche de deffendre ton pechié. (Trésor, 11.64.2)!

“Si le langage était parfait”, a noté Paul Valéry dans ses Cahiers,” “l’homme cesserait de penser”. Pour le poète la langue est à la fois la matière sur laquelle il travaille et l’instrument qui lui sert à façonner son objet, le texte. L’acte créateur implique une utilisation efficace de la langue, et il présuppose une conscience quant à ses possibilités et ses limites. Dans les œuvres d’Adam de la Halle, François Villon et Charles d'Orléans, on trouve les traces d’une réflexion sur leur

travail de poète. Le thème de la parole subie, échangée ou imposée ne témoigne pas seulement de l’importance accordée par ces auteurs aux différents aspects, sociaux ou politiques, de la communication; il traduit, dans des passages de caractère métapoétique, les obstacles que doit affronter notamment leur moi, quand il s’agit de faire passer un discours individuel, marqué du sceau de la subjectivité. L’ultime enjeu des trois œuvres, nous semble-t-il, est l’interrogation sur les aléas de la communication littéraire, le statut du poète et la reconnaissance de sa parole dans la société. En cette fin du Moyen 1 Citation et commentaire chez M. Grosse, Das Buch im Roman. Studien zu

Buchverweis und Autoritätszitat 1994), pp. 39-41.

in altfranzôsischen

2 Cahiers, éd. J. Robinson (Paris, 1973), i, p. 400. 238

Texten

(München,

LE DRAME DU POETE

Age ils ne sont certes pas les seuls à y réfléchir. Mais, alors que d’autres partent à la conquête du laurier, affirmant la dignité du poète face au prince? Adam de la Halle, François Villon et Charles d’Orléans doutent. Ils doutent des ressources que leur offre la langue et mettent, par là même, en question l’aboutissement de l’entreprise créatrice.

Adam de la Halle, le “caitis””4 La première réplique du Jeu de la Feuillée d’Adam de la Halle s’ouvre sur une question. Elle interpelle aussi bien le public que les acteurs de la pièce et focalise l’attention générale sur le personnage d’Adam. Dès l’abord celui-ci se démarque en tant qu’individu en confrontant ses interlocuteurs à une décision longuement mirie. La décision d’Adam est, semble-t-il, irrévocable:

son choix n'est-il pas le fruit de la prudentia (la phronèsis aristotélicienne),* grâce à laquelle il a pu établir une hiérarchie des valeurs et donner une nouvelle orientation à sa vie? En jugeant son existence sur le plan du temps perdu et retrouvé, Adam affirme les fondements éthiques de son discours et se pose, par son attitude, en héritier des sages antiques: Segneur, savés pour quoi j’ai mon abit cangiet? J'ai esté avoec feme, or revois au clergiet: Si avertirai chou que j’ai piecha songiet. (Feuillée, vv. 1-3)

L’homme qui parle paraît sûr de lui. Au contraire des autres, il est celui qui sait. D’emblée Adam affiche sa supériorité cognitive, et cette supériorité est celle du clerc dont il porte les habits: il se veut à

3 Cf. J.-C. Mühlethaler, “De Guillaume de Machaut aux rhétoriqueurs: à la recherche d’un Parnasse français” in Histoire des poétiques, éd. par J. Bessiére, E. Kushner, R. Mortier et J. Weisgerber (Paris, 1997), pp. 85-101.

4 Adam de la Halle, Le Jeu de la Feuillée, éd. et trad. par J. Dufournet (Paris, 1989), v. 13.

5 Aristote, Ethique à Nicomaque,

livre VI, chap. V. Voir aussi le

commentaire de P. Ricoeur, Soi-méme comme

un autre (Paris, 1990), pp.

205-211.

239

JEAN-CLAUDE MÜHLETHALER

la fois vir bonus et bene dicendi peritus.6 Ne va-t-il pas proposer, peu après, une “pièce de bravoure littéraire”? — ce portrait de la beauté passée de dame Maroie, son épouse (vv. 81-174)? Il la présente comme un chef-d'œuvre “compassé par art de mesure” (v. 109) et organise la description selon le principe rhétorique de l’effictio. Vision poétique et amoureuse de la femme, le portrait crée l'illusion en transfigurant la réalité (Marion n’est pas belle). Loin de pleurer le temps perdu, Adam joue dans son discours sur le contraste entre les registres littéraires: au portrait idéalisé de Maroie s’oppose la description de sa déchéance selon les procédés parodiques habituels de la sotte chanson.8 Adam cherche ainsi à faire reconnaître sa compétence de trouvère, à emporter l’adhésion des autres, espérant ainsi obtenir le soutien financier qui lui permettrait de reprendre ses études à Paris. Mais, en recourant à la parodie, Adam introduit une dissonance registrale dans son discours, qui contredit le sérieux de son programme, sérieux que le début du Jeu met en évidence par le choix du mètre. La pièce s’ouvre sur trois quatrains d’alexandrins monorimes, et ceux-ci s’opposent aux octosyllabes à rimes plates qui dominent par la suite. Il s’agit d’une strophe que le XIIIe siècle associe au didactisme religieux,? et par laquelle la littérature s’apparente à la prédication. Clerc, prédicateur et poète, c’est un “maistre” (vv. 37, 45, 175) qui prend la parole. Mais pourquoi Adam ne parvient-il pas à faire passer le message? Sa descriptio puellæ contrastée est ridiculisée par la réponse ironique de Riquier (vv. 175-

176), qui veut bien reprendre la femme d’Adam, lui laissant le rôle du mari cocu et content. Riquier réduit à néant l’élan lyrique et parodique du portrait en lui opposant le registre du fabliau. Dans cette altercation proche des débats codifiés que sont les jeux partis, 6 Définition de l’orateur selon Quintilien, /nstitutio Oratoria, XII, 1, 1.

7 Cf. O. Gsell, Das Jeu de la Feuillée von Adam de la Halle (Wirzburg, 1970), pp. 130-142 (131), pour une analyse détaillée du portrait de Maroie.

8 Cf. E. Vance, “Le Jeu de la Feuillée and the Poetics of Charivari”, Modern Language Notes,100 (1985), 815- 828 (821-822).

9 Cf. C. Thiry, “Variations sur le quatra in d’alexandrins. De la mort de Louis VII à la chute de Pierre de la Broche”, in Hommage à Jean-Charles Payen: Farai chansoneta novele (Caen, 1989), pp. 369-377.

240

LE DRAME DU POETE

si appréciés à Arras, la performance littéraire du trouvère tombe à plat. Déjà le discours d’ouverture du clerc n’avait convaincu personne, et il en avait fait l’amère constatation: Chascuns mes paroles despit, Che me sanle, et giete moult lonc. (Feuillée, vv. 24-25)

Bien vite Adam sera réduit à un silence presque complet. C’est lui qui, dans le reste de la pièce, subit les discours des autres au lieu d’imposer le sien. Il finit par suivre son père et ses compagnons à la taverne où l’hôte, après avoir mis la main sur les reliques du moine, va demander que “chascuns recane” (v. 1021) — y compris Adam! — une chanson de femme. Lieu de la tromperie et du vol, de la négation des valeurs chrétiennes,

renversement

la taverne est aussi le lieu du rire et du

carnavalesque,

d’une

fête de l’âne qui parodie

la

liturgie. On fête le triomphe de la folie arrageoisel0 à laquelle le “caitis” — au double sens de malheureux et prisonnier — avait voulu échapper. Par la parole Adam a tâché de changer sa situation personnelle, de marquer un nouveau départ. De ce point de vue, son discours initial représente un acte créateur comparable à celui de Dieu créant le monde par la force du Verbe. Seulement, Adam — nom à la fois référentiel et symbolique! — n’est pas Dieu, et la parole du clerc ne réussit pas à accomplir l’acte qu’elle décrit: elle n’est pas performative. Cette parole n’énonce rien d’autre qu’un rêve évanescent, c’est un discours mythique auquel l’ancrage référentiel

10 Cf. J. Dufournet, “Variations sur un motif: la taverne dans le théâtre arrageois du XIIIe siècle”, in Hommage à Jean-Charles Payen, surtout pp. 161-174. Mais la vision est-elle aussi “sombre” (p. 173) que l’éminent critique le pense? Face aux problèmes posés par la vie urbaine, le rire carnavalesque est probablement une réponse plus adéquate que la science rhétorique du clerc. Voir les remarques plus nuancées, peu connues en France, de J.B. Dozer, The Tavern: Discovery of the Secular “Locus” in Medieval French Drama (Ann Arbor, 1980), ch. 5: “Jeu de la Feuillée: The

tavern as castellum diabolli’.

241

JEAN-CLAUDE MÜHLETHALER fait défaut. Comment ne pas remarquer le “j’ai songiet”!! du vers 3? La portée symbolique du changement d’habit a beau présenter le projet d’Adam comme s’il était déjà actualisé; c’est un leurre rhétorique, puisque l’actualisation n’est possible qu’au niveau de la métaphore. De façon significative, “avertirai” est utilisé au futur et, de surcroît, le verbe est ambigu: il signifie bien je réaliserai, mais on ne peut pas complètement exclure le sens de je détournerai, par lequel s’exprimerait l’idée d’un renoncement possible dans le discours préliminaire d’Adam. Ce premier indice d’une position de faiblesse du locuteur, les quatrains suivants vont le confirmer. Dès le vers 5 — “or ne porront pas dire aucun” — apparaît la crainte de la réprobation, et Adam tâche de prévenir la sanction sociale négative en se justifiant avant même qu’un autre acteur n’ait pris la parole. En bon clerc, il recourt à la figure rhétorique de l’anteoccupatio, point de départ d’une démarche argumentative que clôt la citation d’un proverbe: Aprés grant maladie ensieut bien grans santés. (v. 8)

Au fil des vers la présence du je, si affirmée au début, s’est effacée. Mis en question par aucun (certains), le je commence par donner à son discours une portée plus générale: il compare son comportement à celui de chascuns (v. 7), de sorte que le cas individuel devient un cas exemplaire, illustration d’une norme. Par la référence à la norme la subjectivité du discours s’estompe au profit d’une objectivation que renforce le passage à l’argumentation par autorité: le je dis finit par se fondre dans le on dit anonyme du proverbe. Ce mouvement de dépersonnalisation progressive continue dans le quatrain suivant et aboutit au proverbe par lequel se termine le discours d’ Adam: Encore pert il bien as tés quels li pos fu. (v. 11)

'l Cf. A. Leupin, “Le ressassement. Sur le Jeu de la Feuillée d’ Adam de la Halle”, Le Moyen Age, 89 (1983), 239-268 (246). Sa lecture du prologue diverge toutefois sur plusieurs points de la nôtre.

242

LE DRAME DU POETE

Si le premier proverbe servait d’autorité, cautionnant le discours du clerc, le second proverbe se transforme, par la figurativité choisie, en instrument de dérision. Il se retourne contre celui même qui le cite. La dégradation d’Adam y atteint son comble: il est comparé à un pot, autrement dit à un objet utilitaire et fragile entre les mains d’autrui. Il n’en reste que les tessons, signe d’une violence extérieure dont le pot a fait les frais, et l’emploi du passé simple fu est le signe d’un idéal aussi irrémédiablement perdu que la beauté disparue de l’épouse d’Adam. Au je triomphant des premiers vers s’est substitué un je passif, victime de forces qui le dépassent. De l’espoir au désenchantement le prologue annonce un mouvement qui se répètera tout au long du Jeu de la Feuillée. On ne laisse même pas à Adam le temps de terminer son discours, d’atteindre la perfection symbolisée par le chiffre douze; le dernier vers des trois quatrains monorimes est interrompu à l’hémistiche par l’intervention de Riquier Auri. L’effet de rupturel2 marque la fin d’un discours qui, énoncé avec moins en moins d’assurance, n’emporte pas l’adhésion. Malgré toute son élaboration rhétorique le discours d’Adam ne persuade pas; le clerc ne réussit pas à faire reconnaître son autorité, de sorte que les autres finissent, en toute logique, par lui imposer la leur — jusqu’à ce que le

dervé, cet alter ego d’Adam, n’impose sa loi à tout le monde.!3 Le regard du fou rejoint le regard du sage, car tous les deux perçoivent et font voir Arras dans sa folie; aussi bien le clerc, considéré comme

“parisiens” (v. 423), que le dervé, originaire de “Duisans” (v. 530), sont des figures en marge de la communauté urbaine. Le regard critique n’est possible que de l’extérieur, quand on a pris ses distances: la parole de l’Adam du prologue a beau ne pas peser lourd face aux intérêts matériels qui triomphent à Arras, elle est paradoxalement le présupposé du discours satirique dans Le Jeu de la Feuillée. C’est à partir du moment où d’autres prennent la parole que commence la dénonciation du monde qui écrase Adam. La

longue intervention

d'Adam

au début sert de détonateur.

A sa

12 Cf. Ch. Méla, Blanchefleur et le saint homme, ou la semblance des reliques (Paris, 1979), pp. 92-93 (sur le prologue). 13 Cf. J.-M. Fritz, Le discours du fou au Moyen Age (Paris, 1992), pp. 332339 (333).

243

JEAN-CLAUDE MÜHLETHALER

manière, il joue le rôle du metteur en scène qui, une fois la pièce lancée, peut se retirer. Exactement au milieu de la pièce Adam assume une seconde fois la fonction de metteur en scène lorsqu'il aide Riquier à mettre la table, afin que la “grant merveille de faerie” (v. 565) puisse avoir lieu. C’est là un nouveau départ, une pièce dans la piéce!4 que les acteurs sont conviés à regarder: la table des fées est un lieu de spectacle à même titre que la table de la taverne à la fin du Jeu, quand l’aubergiste s’impose à son tour comme (ultime) metteur en scène. Mais l’espace de rêve et de liberté se révèle être tout aussi illusoire que l’espoir d’étudier à Paris: le discours qui domine dans la ville a raison de l’un et de l’autre, car la féerie qui aurait dû mettre fin aux “riotes” (v. 557) des sots et des sottes se dégrade au fil des répliques. D’abord, les vœux de la troisième fée se retournent contre Adam et Riquier qui ont oublié de mettre un couteau à la place de Maglore. A une mise en scène imparfaite — comme celle du début! — répond un discours par lequel les responsables sont remis à leur place. Le couteau absent se métamorphose en discours de dérision, et l’arme de la parole est efficace dans la bouche de la fée: Adam restera à Arras, lui qui a souhaité s’en évader; Riquier perdra ses poils (ses privilèges) et il n’aura “nul capel devant” (v. 683), car il n’a pas su profiter de l’occasion.l$ Mais, par la suite, oubliant leur rôle de (bonnes ou mauvaises) fées, Morgue, Maglore et Arsile glissent vers le commérage, passant en revue les notables arrageois. Au théatre!® la satire passe par les propos des acteurs: ils se critiquent les uns les autres, mais révèlent aussi, par leurs paroles et leurs actes, chez eux-mêmes les vices et les défauts que la pièce entend dénoncer. Dans Le Jeu, Adam laisse la parole aux Arrageois, puis aux fées; à la focalisation interne fait suite la focalisation externe, laquelle confirme le jugement négatif que le spectacle de la 14 Cf. J. Dufournet, Adam de la Halle à la recherche de lui-même ou le Jeu dramatique de la Feuillée (Paris, 1974), ch. V: “La féerie dans le Jeu de la Feuillée”, surtout pp. 127-130 (la mise en scène) et p. 187 (la satire).

IS Cf. N. Pasero, “I capelli di Riquier (Jeu de la feuillée, vv. 683-4)”, Medioevo Romanzo, 11 (1986), 161-169.

16 Cf. J.-C. Aubailly, Le Monologue, le Dialogue et la Sottie (Paris, 1976), pp. 21-33.

244

LE DRAME DU POETE

vie urbaine a suscité dans la première partie. Venues d’ailleurs, mais liées à Arras par la coutume (v. 566) et les rapports qu’elles entretiennnent avec les vieilles femmes (vv. 837-847), les fées sont

dans une position comparable a celle d’Adam au début du Jeu: comme lui, elles jettent un regard critique sur la ville, sans pour autant s’en détacher définitivement. Comme Adam encore, c’est une

désillusion amoureuse — Robert Someillon n’est pas le chevalier courtois, tel que Morgue l’imaginait — qui laisse le champ libre au vituperium, lié à la représentation de Fortune avec sa roue, sur laquelle figurent les dignitaires d’Arras. Avec ses compagnes, Morgue fait figure de déléguée d’Adam, de même que le dervé est son alter ego dans d’autres parties de la pièce. Seulement, voilà: quelle valeur de vérité peut-on attribuer aux différentes dénonciations?... Adam n’est pas pris au sérieux, les fées sont compromises par leurs relations avec des dames peu recommandables,

et elles

ont,

de

même

qu’Adam,

une

vision

subjective de la réalité, faussée par l’emprise du thymique. Figures

ambiguës, les fées fascinent les uns et inquiètent les autres (vv. 584589). Par leur côté imprévisible, elles s’apparentent au dervé dont on craint la violence et qui ne saurait être tenu pour responsable — même si, çà et là, des semblances de vérité traversent l’incohérence de ses propos. La multiplication des points de vue, leur caractère fragmentaire et peu fiable, déroutent le lecteur habitué aux prises de positions claires de la dénonciation satirique. Dans Le Jeu de la Feuillée l’intentionnalité morale est minée par l’ambiguïté et le

caractère ludique d’une pièce carnavalesque.!7 La morale par contre retrouve ses droits dans Li Congiés

Adan\8 où, suivant la démarche habituelle de l’écriture satirique, seul le narrateur porte un jugement qu’il nous invite à partager. L’invective contre Arras, ville “de haine et de detrait” (v. 14), est

placée dans la bouche du je sur le point de quitter la ville. Déjà en marge de la communauté urbaine, celui-ci apparaît, comme au début du Jeu, en position de faiblesse face aux notables qui disposent d’un

17 Cf. J. Dufournet, “Le Jeu de la Feuillée et la fête carnavalesque”, ne ‘Information littéraire, 29 (1977), 7-13. 18 Zi Congiés Adan, strophe ii, in Adam de la Halle, Œuvres complètes, éd. et trad. par P.-Y. Badel (Paris, 1995), pp. 404-411.

245

JEAN-CLAUDE MÜHLETHALER

pouvoir autrement plus efficace que celui offert au clerc par l’art de la parole. Ces puissants, ego les interpellera par leur nom, mais seulement pour les louer, lorsqu'il prend congé d’eux; quand il s’agit de dénoncer les vices d’Arras, il s’en tient prudemment à une tradition satirique bien établie en ne précisant pas quelles personnes sont visées par les attaques!? en ouverture et clôture du texte. Au contraire du Jeu qui met à nu la faiblesse du locuteur, le Congiés se rattache aux œuvres satiriques — dits et textes lyriques — par la volonté de camoufler cette même faiblesse. Le choix des stratégies persuasives dépend du genre qui, nécessairement, conditionne le

rôle20 dévolu au moi du poète. Du XIIIe au début du XVe siècle, de Gautier de Coincy à Eustache Deschamps, bien des œuvres mettent

en scène un narrateur qu’ils dotent des attributs du prophète vétérotestamentaire ou du philosophe antique*! pour faire passer la critique et emporter l’adhésion du public. Dans la seconde strophe du Congiés le je se pose en témoin d’une réalité dégradée face à laquelle il ne peut s’empêcher d’élever une voix courroucée. Pour justifier cet éclat il s’en remet à Dieu et oppose son discours véridique au mensonge qui règne à Arras, ville des “faus devin” (v. 148); le voila comme Jonas face à Ninive, une autorité morale, un défenseur des valeurs généralement reconnues par le Moyen Age chrétien. C’est là une démarche caractéristique de la satire médiévale que, de son côté,

François Villon ne semble pas ignorer. Lorsqu'il distribue ses legs, il Joue la carte de l’autorité — mais laquelle? — et se pose en instance de sanction dans Le Lais et Le Testament: celui qui meurt n’a-t-il pas

“ses loix de tout dire”?22

19 Sur la tendance au général dans la satire, cf.

J.-C. Mühlethaler, Fauvel au

pouvoir: Lire la satire médiévale (Paris, 1994), pp. 283-286.

20 Cf. N. Freeman Regalado, Poetic Patterns in Rutebeuf (New Haven and London, 1970), ch. 5:”’The Poet in His Poetry”.

21° Cf. J.-C. Mühlethaler, “Les masques du clerc pour parler aux puissants. Fonctions du narrateur dans la satire et la littérature “engagée” aux XIIIe et XIVe siècles”, Le Moyen Age, 96 (1990/2), 265-286. Voir aussi notre Fauvel au pouvoir, deuxième partie: “Le narrateur: satire et éthique”.

22 Le Testament Villon, v. 728. Nous citons d’après les Poésies complètes, éd. C. Thiry (Paris, 1991). Nous avons aussi utilisé le riche commentaire de: a) Le Testament Villon et Le Lais Villon et les poèmes variés, 5 vol., éd. par

246

LE DRAME DU POETE

François Villon,”povre marcerot de regnes”23 Ecrire son testament est un acte juridique par lequel le testateur établit un contrat avec ses héritiers. L’énoncé “je lègue tel

objet à telle personne” est un énoncé performatif24

qui porte à

conséquence; dans le contexte testamentaire les dernières volontés acquièrent la force d’une parole de loi. Dans les deux testaments fictionnels de Villon cette parole naît d’une souffrance, elle est la réponse à une violence subie. Le Lais s’ouvre sur le départ du je, amant et martyr, qui rédige son testament, parce qu’une belle dame sans merci: Veult et ordonne que j’endure La mort et que plus je ne dure. (Lais, vv. 36-37)

Ainsi que le veut la tradition du lyrisme courtois la dame représente instance de sanction a laquelle l’amant doit se soumettre. En décidant de “fouir” (v. 38), ego choisit de rompre avec un système conventionnel de relations et rejette en même temps un modèle d’écriture.2 Il se retrouve dans la position de l’exclu: ne part-il pas seul, en plein hiver, à Noël, alors que tout le monde reste “en sa maison (...) prés du tyson” (vv. 12-13)?... L’opposition entre la société et le je, décidé à faire ses “lais”, présente l’écriture

testamentaire comme une écriture qui vient d’un ailleurs hostile.26 J. Rychner et A. Henry (Genève, 1974-1985); b) François Villon, Œuvres, 2 vol., trad. par A. Lanly (Paris, 1978). 23 Le Testament Villon, v. 417. 24 Cf. A.J.A. van Zoest, Structures de deux Testaments fictionnels. Le Lais et le Testament de Francois Villon (The Hague — Paris, 1974), chap. II, 7: “Définitions du testament”. 25 Sur cet aspect de l’œuvre de Villon, cf. D. Mus (Kuhn), La poétique de François Villon (2e éd.: Seyssel, 1992), pp. 99-114.

26 Cette position de liberté oppose Villon à Charles d'Orléans (Ballades et rondeaux, éd. et trad. par J.-C. Mühlethaler (2e éd: Paris, 1996)] ), tel qu’il se présente dans la ballade 103 (LXXX). Tison (“de sot desir”) y rime aussi avec prison, mais renvoie au feu de l’amour et non pas à un bien-être matériel. Quant à la prison, où ego se trouve enfermé, elle est valorisée positivement: il s’agit d’un lieu propice à “meurir” (refrain). Le détachement

247

JEAN-CLAUDE MÜHLETHALER Ce discours, né aux confins de la vie et de la mort, revendique son

individualité, voire sa liberté, par la thématisation de la distance. A

la fin du Moyen Age le clerc se définit çà et là par une position de

retrait,27 comme le fait Adam dans le Jeu de la Feuillée. Il s’agit d’une attitude récurrente surtout dans le domaine de la satire. Rappelons que dans l’Ars versificatoria Matthieu de Vendôme dote la Satire personnifiée de: oculis indirectis mentis obliquitatem testantibus, labiis ex assidua garrulitate diffusis.28 L’ceil est un instrument de connaissance, mais |’ceil révèle

aussi l’attitude de la personne qui regarde. Si la Satire louche, c’est qu’elle jette sur le monde un regard d’envie, un regard faussé par une appréhension tendancieuse des gens et des choses. Le je exclu, qui prend la parole dans Le Lais n’agit pas autrement. Il est testateur et, par là même, témoin puisque, selon une tradition remontant à Isidore

de Séville,2? testamentum et testimonium sont liés par une même étymologie. Ce témoin promet un discours réfléchi lorsqu’il déclare considérer ses œuvres “de sens rassis” (Lais, v. 3). Au moment où il prend la parole, l’“escollier” (v. 2) n’agit pas autrement qu’ Adam au début du Jeu de la Feuillée: Le Lais se présente comme le fruit d’une délibération, “Françoys Villon” (v. 2) comme un vir prudens qui va juger sa vie à la lumière d’un système de valeurs, celui de la chevalerie, auquel renvoie le nom emblématique de Végèce, “saige Rommain” (v. 7). Mais l'illusion ne dure guère, car l’identité du moi

s’effrite au fil des huitains ii à vili et paraît de plus en plus difficile à de l’amour ne passe pas par la révolte, il naît d’une expérience comparable a celle de Boéce.

27 Cf. J. Cerquiglini, “L’écriture louche. La voie oblique chez les Grands Rhétoriqueurs”, in Les Grands Rhétoriqueurs (Actes du Ve Colloque International sur le Moyen Frangais. Milan, 6-8 mai 1985, 2 vols. (Milano, 1985), i, pp. 21-31.

28 E. Faral, Les arts poétiques du XIle et du XIIIe siècle (Genève/Paris, 1982), p. 153: “avec les yeux qui regardent de travers et témoignent de la dissimulation de son esprit, les lèvres ouvertes au bavardage incessant”.

2? Cf. V.R. Rossman,

François

testament (Paris, 1976), pp. 32-36.

248

Villon. Les concepts médiévaux

du

LE DRAME DU POETE

cerner. On découvre que la date (1456) ne correspond pas au hic et nunc de l’énonciation (qui parle donc?), mais renvoie à l’époque du martyre d’amour: l’effet de rupture est souligné par l’emploi du passé simple ainsi que par l’intrusion du thymique dans un discours qui se voulait réfléchi et posé. La suite des legs, écrite sur l’arrièrefond de la fuite à Angers, est la réponse tardive à un état de manque. Seulement,

le narrateur

éléve

la voix

a cause

d’une

déception

personnelle, il ne prend pas la plume sous le poids de l’actualité, face cela est comme générale des mœurs, dégradation à une habituellement le cas dans la satire. Où donc a passé Végèce? L’effacement de l’autorité3! souligne la position de faiblesse du moi, qui ne se réclame pas d’un système de valeurs admises. Le testateur renonce à justifier le jugement personnel qu’il va porter sur certains de ses contemporains; autonome, son discours ne renvoie qu’à luimême. Bien que le Lais (et le Testament) s'apparente aux revues d’états dans la mesure où les attaques visent tour à tour un autre groupe social (gens de finance, marchands, clercs du Châtelet, etc.), l’œuvre de Villon s’en distingue par la mise en place de la situation d’énonciation: Le Lais apparaît comme un "discours satirique dévie", a usage personnel, sans utilitas commune. Comme dans Le Jeu de la

Feuillée, ce n’est pas un moraliste??

qui prend la parole, et le

narrateur n’entend pas provoquer une prise de conscience chez les légataires dont il dévoile les défauts, ni méme chez le destinataire

auquel l’œuvre s’adresse. I] manque chez Villon le flectere ad bonum 30 Ce jeu de masques est un aspect sur lequel revient avec finesse T. Hunt, Villon’s Last Will. Language and Authority in the Testament (Oxford, 1996), notamment ch. v et vii. Au sujet de ce livre voir notre compte rendu, Revue des Langues Romanes, 101 (1997), 209- 214. 31 Sur la mise en question systématique de l’autorité dans Le Testament, cf. T. Hunt, Villon’s Last Will, chap. i.

32 Cf. U. Schulz-Buschhaus, “Elegisches und Satirisches bei Villon”, in Musique naturele. Interpretationen zur franzdsischen Lyrik des Spätmittelalters, éd. W.-D. Stempel (München, 1995), pp. 381-418 (403412). Ses remarques, suggestives, souffrent de l’absence d’une définition élaborée de la satire médiévale. Constituer un corpus à partir de motifs considérés comme satiriques n’est pas sans dangers: ce n’est pas le motif, mais l’intentionnalité du discours et l’ancrage référentiel qui font la satire. Il

faut d’abord se pencher sur la mise en place de la situation d’énonciation.

249

JEAN-CLAUDE MÜHLETHALER

qui, selon la définition que Jacques Legrand en donne encore au début du XVe siècle, caractérise la satire par opposition à l’invection: Oultre plus invection c’est aucun dit qui reprent aucune chose de mauvaise entencion; et satire c’est quant la reprehension se fait de bonne entencion.33

Mais suffit-il de ne pas vouloir redresser les mœurs pour parler “de mauvaise entencion”? La définition de Jacques Legrand, trop lapidaire, ne permet pas de préciser sa pensée. Plus explicite, voici le Doctrinal du Temps Présent (1466) de Pierre Michault, une satire qui suit un traité de grammaire élémentaire, le Doctrinale puerorum d'Alexandre de Villedieu, pour dénoncer les multiples abus de langue dans la société contemporaine. A la suite d’autres maîtres, Flaterie34 passe en revue les moyens de s’imposer à la cour: le dernier et le plus efficace, c’est l’“accent agu” qui mord “couvertement” (vv. 169-170) — autrement dit ces “belles invectivez” (v. 182) par lesquelles l’adversaire est réduit au silence. Cet art de la médisance (vv. 201-264), n’est-ce pas celui que pratique François Villon? La violence de certaines attaques incite a le penser: lorsque le testateur suggère, à travers les legs, les vices ou les fautes des légataires, il fait d’eux l’objet de la dérision et du mépris généralisés. Cette démarche qui consiste a isoler la victime est un procédé propre à l’écriture polémique, conçue ad personam, au contraire de la satire qui s’en prend aux vices et non pas aux personnes. Le verbe “mesdire”,

récurrent

dans Le Testament,

est un reproche

dont le

narrateur prévoit qu’il pourrait lui être adressé. Francois Villon Joue avec le feu, et il ne saurait l’ignorer: dans la tradition

33 Jacques Legrand, Archiloge Sophie — Livre de bonnes meurs, éd. E. Beltran (Paris, 1986), p. 151.

34 Le Doctrinal du Temps Présent, éd. Th. Walton (Paris, 1931), ch. xlix. Le discours de Flaterie, composé de 38 huitains décasyllabiques, se trouve au chapitre L.

35 Cf. T. Hunt, Villon’s Last Will, pp. 15-17, 51, 56-57, 83-84. 250

LE DRAME DU POETE

aristotélicienne,% la vituperatio ne met-elle pas en cause l’erhos de celui qui la prononce? Le discours satirique est fondamentalement ambigu, comme

en témoigne aussi Le Martyrologue des Faulses

Langues?’ de Guillaume Alecis, écrit vers la fin du XVe siècle: alors qu’il dénonce les méfaits de la flatterie, la médisance et la diffamation, le narrateur doit admettre que les attaques des “faulses langues”, notamment celles contre les avocats, ne sont pas toutes et toujours dénuées de fondement. Le discours satirique ne se laisse pas toujours réduire à un discours né de l’envie ou de l’orgueil, mais il faut pouvoir le justifier et se justifier — ce que Villon ne fait pas! Dès abord, ego renonce (cf. infra) à convaincre le narrataire du bienfondé de ses dires, laissant planer le doute quant à ses intentions: Le Testament risque ainsi d’être rattaché à la parole mensongère, celle même dont Pierre Michault et Guillaume Alecis dénoncent le triomphe à la cour et à la ville. Les préoccupations de ces deux moralistes rejoignent celles des humanistes contemporains comme Jean Serra: dans le De Institutione Rhetorica?® (1455), celui-ci demande d’éviter à tout prix la furpitudo et l’inutilitas. Villon auraitil érigé un défaut de langue en principe poétique?... Le Lais, où le verbe “mesdire” n’apparaît pourtant pas, peut être lu dans cette optique. Le testateur écrit “estant en bonne” (v. 274), il répond a la dysphorie en amour par l’euphorie des legs. La souffrance cède la place a l’amusement: le moi, qui a subi la parole de la dame dans le registre lyrique, peut désormais imposer la sienne aux légataires dans un discours où l’intention ludique l’emporte sur la polémique. Par le ludique le testateur se libère de toute obligation de morale ou de vérité. Ses règlements de compte ne portent pas à conséquence puisque le narrateur ne demande pas à être pris au sérieux en annonçant l’intention parodique dès le début, lorsqu'il rattache la genèse du Lais à la période de Noël. Le testament doit 36 Cf. F. Cornilliat,. “Or ne mens”. Couleurs de l'éloge et du blame chez les “Grands Rhétoriqueurs” (Paris, 1994), pp. 213-214 et 233-234.

37 Œuvres poétiques de Guillaume Alexis, éd. A. Piaget et E. Picot (Paris, 1899), ii, pp. 293-353. Cf. F. Cornilliat, “Or ne mens” (éd. cit.), pp. 466469. 38 Chap. “De utili, tuto et honesto”, in Nouveaux textes inédits d’humanistes français du milieu du XVe siècle, éd. par E. Beltran (Genève, 1992), p. 94.

251

JEAN-CLAUDE MÜHLETHALER

être lu à la lumière du Nouveau Testament, et la démarche utilisée ici

par Villon rappelle de près celle de Rutebeuf dans Zi Mariages. On se souviendra que le poète du XIIIe siècle met en rapport les souffrances de son moi avec la passion du Christ, énumérant par la suite tous ses déboires personnels. Le locuteur ne cesse de renchérir sur ses malheurs, la parole se débride dans un crescendo sans pause: L’en dit que fol qui ne foloie Pert sa saison.

(Mariages, vv. 19-20)? A la verve du fou dans Li Mariages Rutebuef fait pendant la verve du testateur dans Le Lais de Villon. Il ne cesse de monopoliser la parole: les legs s’enchaînent les uns aux autres et mettent à nu les vices des légataires, invitant le narrataire à rire avec le testateur de ses victimes. Cette garrulitas qui caractérise le testateur n’est pas seulement l’attribut du fou, elle distingue aussi la Satire personnifiée que décrit Matthieu de Vendôme (cf. supra). La parenté entre les différents discours explique la difficulté qu’il y a à les distinguer afin d’établir quel est le programme de base; elle explique aussi la facilité avec laquelle un auteur peut passer d’un discours à l’autre. D’où l'inquiétude, la méfiance qu’éveille souvent l’écriture satirique, susceptible de dérapages verbaux: au Moyen Age la garrulitas (ou multiloquium, trop parler en français) ne fait-elle pas partie des

péchés de la langue,* rameau de la gula dans les arbres des vices?... Triomphe de la parole subjective et malveillante, Le Lais représente un acte de transgression aux enjeux d’abord littéraires. Ce programme d’affirmation individuelle est interrompu“! par un rappel à l’ordre, lorsque retentit la cloche de la Sorbonne. Le son ne

39 Rutebeuf, Œuvres complètes, éd. et trad. M. Zink (Paris, 1989), i, p. 244. — Cf. le bel article de M. Rousse, “Le Mariage Rutebeuf et la fête des fous”, Le Moyen Age, 88 (1982), 435-449.

40 Cf. C. Casagrande et S. Vecchio, Les péchés de la langue, trad. Ph. Baillet (Paris, 1991), partie ii, ch. 5.

41 On lira cette fin — et celle du Testament où retentit le “carillon” de l’enterrement — à la lumière de la remarque de Paul Valéry, Cahiers, vol.ii, p. 991: “Quand dire d’une œuvre qu’elle est achevée? A quel moment? II faudrait un événement-signal — une discontinuité.”

252

LE DRAME DU POETE

provoque pas seulement l’entroubli du je, mais impose aussi un changement de registre d’expression. Pour décrire l’entroubli le narrateur recourt à des termes scientifiques‘ et justifie son discours par l’autorité du (pseudo-)Aristote (v. 296). La verve des legs s’oppose ainsi à des types de discours qui, à l’époque, jouissent d’un prestige largement partagé: le lyrisme courtois et l’art de chevalerie (Végèce!), points de départ du Lais, mais aussi le discours universitaire, sur lequel se clôt le poème. Entre ces deux pôles le je s’est ménagé une plage de liberté. L’évasion thématisée par le départ initial a permis de réaliser un rêve de puissance, renversant les hiérarchies sociales et utilisant, entre autres, les démarches habituelles à la satire et à la polémique pour les intégrer à une œuvre dont le programme de base est ludique. Basochien et héritier des Goliards,*? l’“escollier” (v. 2) impose par le jeu sa parole vengeresse — le temps d’un Petit Testament. Comme Le Lais, Le Testament s’ouvre sur un état de manque personnel. Seulement, la prison amoureuse a cédé la place à la prison de Meung, et on passe de la réflexion sur les enjeux des traditions littéraires à une réflexion aux implications morales et existentielles,

sans qu’il soit pour autant nécessaire de recourir à la biographie —

plus ou moins hypothétique — de l’auteur.4

Evêque et seigneur,

42 L’entroubli a fait coulé beaucoup d’encre: cf. G. Angeli, “L’“Entroubli” de Villon et l’influence de Saturne”, Le Moyen Français, 35-36 (1994/95), 67-78. A la bibliographie qu’elle discute, on ajoutera: F.-R. Hausmann, “Car en amours mourut martir. François Villons Kleines Testament und seine verschiedenen Interpretationsméglichkeiten”, in Musique naturele (éd. cit.), pp. 419-457 (439- 444). 43 Cf. I. Nolting-Hauff, “Villon und die Vagantendichtung. Zur Traditionalität

und

Modernität

des

Testament’,

in Musique

naturele,

(éd.cit.), pp. 353-379.

44 Cf. N. Freeman Regalado, “Effet de réel, effet du réel: Representation and Reference in Villon’s Testament’, Yale French Studies, 70 (1986), 6377 (pp. 67-69) et “En l’an de mon trentiesme age”. Date, Deixis, and Moral Vision in Villon’s Testament’, in Le nombre du temps. En hommage a Paul Zumthor (Paris, 1988), pp. 237-246 (surtout le début). Cf. aussi E. Hicks, “Comptes d’auteur et plaintes contre X: de l’identité poétique du bien renommé Villon”, in Le Moyen Age dans la modernité. Mélanges offerts à Roger Dragonetti, éd. J.R. Scheidegger (Genève, 1996), pp. 265-280.

253

JEAN-CLAUDE MÜHLETHALER

Thibaut d’Aussigny représente l’autorité aussi bien d’un point de vue religieux que féodal. L’ego poétique de Villon subit la parole de la loi, et cette parole le place dans un état de dépendance et de faiblesse: En l’an de mon trentiesme aage, Que toutes mes hontes j’euz beues, Ne du tout fol, ne du tout saige,

Non obstant maintes peines eues, Lesquelles j’ay toutes receues Soubz la main Thibault d’ Aucigny... (Testament, vv. 1-6)

On a souvent rapproché le premier huitain du Testament du début d’un rondeau de Charles d’Orléans, dans lequel il évoque: Qui toutes ses hontes a beues, Il ne lui chault que l’en lui die; Il laisse passer mocquerie

Devant ses yeulx comme les nues.*> Avoir bu ses hontes, c’est être avili, et l’individu,

exclu par la

dérision, finit par y étre indifférent. Quoi qu’en pense Claude Thiry dans son commentaire du vers en question, l’indifférence à la critique est aussi l’attribut du je dans le Testament et pas seulement chez Charles d’Orléans: les peines subies, les hontes bues, n’ont eu

aucun effet sur lui puisqu’il reste ni “du tout fol”, ni “du tout saige”. Ce vers a retenu l’attention, parce qu’il s’oppose au “sens rassis” du Lais et marque d’emblée l’ambiguïté de l’ego du Testament qui, oscillant entre sagesse et folie, va passer d’un masque à l’autre dans

un carnaval‘

incessant. Mais le vers caractérise aussi celui qui,

comme le fou de Rutebeuf ou la Satire personnifiée de Matthieu de Vendôme, peut en arriver à perdre toute retenue puisqu'il ne craint plus la sanction sociale:

45 Charles d'Orléans, Ballades et rondeaux (éd.cit.), rondeau 148 (cci), vv.l-4.

46 Cf. notamment J. Dufournet, Villon: Ambiguité et carnaval (Paris, 1992), ch. i et iv.

254

LE DRAME DU POETE quae adeo suum pudorem praesumit dispensare, quod de

corporis nuditate nequaquam erubescit.47 Ce n’est plus |’“escollier” du Lais qui parle, revendiquant son statut social, puis sa bonne renommée lorsqu’il signe son œuvre (v. 304). Voici un individu qui tire le droit de tout dire de sa dégradation même, du mépris que la société lui témoigne. Paradoxe d’une marginalité qui fait a la fois la force et la faiblesse du moi dans Le Testament! Sorti de prison, ego se trouve en position de liberté, en dehors des normes, mais a cause de cette liberté son discours risque de rester incompris, éveiller des doutes ou étre mal jugé. En mettant en

évidence

sa position

de faiblesse,

la revendiquant

méme,

le

narrateur renonce a se poser en autorité (morale) pour emporter Padhésion du narrataire, comme

le voudrait une écriture satirique

traditionnelle. Sa démarche évoque celle du théatre,48 et notamment le début du Jeu de la Feuillée. Adam exprimait sa crainte de ne pas être pris au sérieux, et le moi de Villon prévoit que certains pourraient le “reprendre” (v. 17): la dénonciation de Thibaut d’Aussigny ne serait que médisance, il s’agirait de propos à la fois virulents et mensongers. Dès le début du Testament le thème de la parole subie ou imposée est ainsi envisagé dans le domaine de la communication (littéraire) et dans celui des relations sociales. Dans ce dernier domaine il va se manifester avant tout sur deux isotopies, dans lesquelles les structures de pouvoir jouent un rôle déterminant. Il y a l’isotopie religieuse, qui pose le problème de l’individu face à Dieu, et il y a l’isotopie féodale, où l’individu est confronté à Pautorité politique. Au niveau de l’énonciation la parole subie ou

imposée se manifeste dans les relations que le narrateur entretient avec le narrataire. Comme le rapport entre le poète et son public a souvent retenu l’attention de la critique et fait l’objet d’articles et

d’études approfondies,

nous nous limiterons à en rappeler ici

47 E, Faral, Arts poétiques, p. 153. Traduction: Elle ne craint pas d’étaler son impudeur, ne rougissant en aucune manière de sa nudité.

48 Cf. la mise au point de J. Koopmans, “Villon et le théâtre”, in Villon, hier et aujourd'hui, éd. J. Dérens et al. ( Paris, 1993), pp. 107-119. 49 Cf. nos Poétiques du quinzième siècle, partie 1: “Le poète et la parole”, et plus récemment: D.A. Fein, François Villon and his Reader (Detroit,

255

JEAN-CLAUDE MÜHLETHALER

quelques aspects, ceux qui importent à notre propos dans la mesure où ils font ressortir les parallélismes entre les différents niveaux d’énonciation dans Le Testament. François Villon : Le poète face au public. Au contraire de ce qui se passe dans Le Lais, où le narrateur monopolise la parole, les points de vue se multiplient dans Le Testament. Une vérité peut être opposée à une autre vérité, une parole individuelle 4 une autre parole individuelle. Au sein de la structure de débat que Le Testament met en place, les critiques ne réduisent pas le narrateur au silence comme chez Adam de la Halle. Dans Le Testament la figure rhétorique de l’anteoccupatio®® ne permet pas seulement à ego de se défendre, mais il profite de l’occasion pour préciser sa position — ainsi aux huitains lviii-1xi, où il finit par imposer sa vision sur la nature des femmes. Dans d’autres passages il dévalorise, voire ridiculise l’interlocuteur en le présentant comme une personne non compétente. Reprenons le début du Testament: “Se bien me scet comprendre” (v. 19) signale que le discours s’adresse à des initiés, qu’il y a des connivences entre le narrateur et un narrataire privilégié à l’exclusion des autres. Mais, loin d’orienter le lecteur, ces fréquents débats finissent par créer l’impression d’un jeu, à travers lequel le narrateur à la fois s’affirme et se dérobe. L’écriture testamentaire et notamment les leçons dont est parsemée l’œuvre de Villon ne paraissent guère fiables, rarement véridiques, souvent ironiques. Lorsque le testateur dicte la leçon de la Belle Heaulmiere au “clerc Fremin l’Estourdiz” (v. 565) — nom significatif! — il risque un démenti dans ce mundus inversus où apprenti domine le maître. De même, que reste-t-il de la sagesse proverbiale que répète le refrain des “Contredits Franc Gontier”: “Il 1989); B. N. Sargent-Baur, “Communication and Implied Andience(s) in Villon’s Testament”, Neophilologus, 76 (1992), 35-40; T. Hunt, Villon’s

Last Will, ch. 5: “Dialogue”.

50 Cf. T. Hunt, Villon’s Last Will, entrée anteoccupatio dans l’“Index of rhetorical terms” (p. 157). Le procédé est décrit par Jean Serra, De Agro Noviter Sato, au ch. de la licencia, in Humanistes français du milieu du XVe siècle, éd. E. Beltran (Genève, 1989), p. 79: “Secundo modo cum simulamus nos timere qualiter auditores verba nostra accepturi sint (...)”.

256

LE DRAME DU POETE

n’est tresor que de vivre a son aise” (v. 1506)? L’envoi la présente comme une sagesse qu’on enseignait, jadis, au petit enfant: pour adulte, mari par la vie, elle appartient à un âge révolu, il y adhère d’autant plus difficilement que chacun peut en contester la vérité au nom de sa propre expérience. Le locuteur cite le proverbe une dernière fois, mais n’a plus le courage de l’assumer: après s’en être

servi pour dénigrer l’idéal bucolique,>!

il fait marche

arrière,

espérant que sa provocation “a nulz ne desplaise” (v. 1504)!... Le proverbe ne passe pas l’épreuve de l’universalité, et la parole didactique a du mal à s’imposer: dans le “Débat de Villon et de son coeur”, le refrain (“Plus ne t'en dis. — Et je m’en passeray”) témoigne du non fonctionnement de la communication. La leçon de Fortune elle-même (Poésies diverses, xii) a beau réduire Villon au silence, elle ne saurait le convaincre puisqu’elle n’adapte pas son discours au destinataire. Fortune parle en maitre, tissant sa leçon d’exempla, alors qu’elle vient d’opposer son interlocuteur, “homme d’aucune renommée” (v. 3), aux clercs qui reconnaissent son pouvoir. Par sa fausse appréciation de la situation de communication, le discours de Fortune chez Villon s’oppose à celui qu’elle tient chez Charles d'Orléans. Quand elle s’adresse au duc, Fortune fait sienne

la signature des seigneurs de France:52

“tant qu’il nous plaira”,

parlant la langue même de son destinataire. Elle n’agit pas autrement qu’un prince agit à l’égard de ses sujets. 51 Cf. W. Engler, “Sidoine, nicht Elayne. Villon: Les Contredictz (de) Franc Gontier”, Zeitschrift für franzôsische Sprache und Literatur 98 (1988), 255263, et plus récemment: J. Lemaire, Les visions de la vie de cour dans la littérature française de la fin du Moyen Age (Paris-Bruxelles, 1994) pp. 456-458; G. Angeli, “‘Franc Gontier’ da Philippe de Vitry a François Villon” in Operosa parva offerto a Gianni Antonini (Verona, 1996), pp. 6774 (72-74). Mais aucune de ces lectures ne tient compte de l’affaiblissement progressif du proverbe ou prend en considération le passage d’une prise de position tranchée a un discours que le locuteur n’assume plus.

52 Ball. 89, v. 28. Le débat entre ego et Fortune comprend les ball. 87-90. Le théme de Fortune est bien plus développé dans Fortunes Stabilnes. Charles of Orleans’s English Arn (Binghamton, 1994), pp. 7-11, 313-315 (= wv. vv. 4964-5106: vision de “quene” Fortune, dont le de Nature chez Alain de Lille).

les poésies anglaises: cf. Book of Love, éd. M.-J. 4680-4735), 323-328 (= portrait s’inspire de celui

pees)

JEAN-CLAUDE MUHLETHALER

Alors que la parole de l’autorité, passant à côté des gens à qui elle prétend s’adresser, n’a guère de poids chez Villon, d’autres interventions sont suivies d’effets. Voici Guy Tabarie qui a glosé le Roumant

du Pet au Deable

(h. Ixxxviii), tandis que certains

ont

imposé au Lais le titre de Testament (h. Ixxv). Le destinataire peut faire du texte ce qui lui plaît, renversant le programme énoncé au début, celui de rédiger un testament “inrevocable” (v. 80): De le gloser et commanter, De le diffinir et descripre, Diminuer ou augmenter, De le canceller et prescripre De sa main — et ne sceut escripre — , Interpreter et donner sens A son plaisir, meilleur ou pire, A tout cecy je m’y consens. (Testament, vv. 1852-1859)

Les jeux de l’ironie perturbent ce renversement de la hiérarchie habituelle, par lequel le légataire (Jean de Calais) impose sa volonté au testateur. L’incise du vers 1856 met en question sa compétence de réaliser le programme envisagé et, d’autre part, ce programme est proposé par le testateur lui-même. Paradoxalement, il cautionne la mise en question de sa propre écriture, il est d’accord de ne pas voir respecter sa parole après la mort. Alors que dans Le Jeu de la Feuillée Adam doit subir la parole d’autrui, nous avons affaire ici à

une parole subie autorisée. En plus, Adam est réduit au silence dès le début de la pièce, tandis que le testateur n’accepte de sombrer dans loubli qu’à la fin du Testament, c’est-à-dire après avoir accompli sa performance. La série des legs se termine par un éclat de rire qui en marque la clôture et désamorce après coup l’agressivité d’un discours qu’on a pu percevoir par moments comme essentiellement polémique. La fin confirme, au niveau de la macrostructure du texte, l’auto-ironie ponctuelle du huitain clxx: En luy envoyant ces sornectes Pour soy desennuyer; combien, S’il veult, face en des alumectes:

258

LE DRAME DU POETE De beau chanter s’e[n]nuyt on bien. (vv. 1824-1827)

La liberté accordée au légataire consiste à ne pas devoir prendre au sérieux le legs. Le passage illustre la poétique du /udique et de l'ambiguïté qui caractérise non seulement ce huitain, mais une bonne partie du Testament. Le narrateur qualifie son discours de “sornectes”, tandis que le proverbe final parle d’un “beau chanter”. Si l’on réfère le “beau chanter” aux “sornectes”, l’expression est employée de façon ironique; sinon, elle désigne un discours qui s’y oppose, tel le lyrisme courtois. Mais, quelle que soit la lecture du huitain, elle conduit à l’impression d’une écriture éphémère: il s’agit soit d’un amusement sans conséquences (lecture euphorique), soit d’un trait, agressif certes? (lecture dysphorique), mais fugitif et mis en doute par le proverbe final. Un tel discours ne saurait avoir le poids de l’autorité qu’a d’habitude l’écriture testamentaire puisque le narrateur, multipliant les effets de distanciation, n’assume pas ses

propos. La ballade conclusive introduit aussi un doute rétrospectif par la répétition du verbe mentir (strophe ii): prendra-t-on au sérieux le discours d’un testateur qui “en amours mourut martir” (v. 2001), affirmant ainsi le caractère littéraire de son entreprise? L’ambiguïté du discours dans Le Testament convient bien à ce “discours satirique (polémique) dévié”, que nous avons déjà relevé dans Le Lais et qui caractérise aussi Le Jeu de la Feuillée. Par la mise en place de la situation d’énonciation, Le Testament crée l’horizon d’attente d’une repréhension faite “de mauvaise entencion”, mais il ne dit

finalement que l’impossibilité, sinon de réaliser, du moins d’assumer un tel projet. Alors que la satire traditionnelle tend au général, évitant de provoquer les puissants de ce monde, ego-Villon s’expose en indiquant le nom des légataires. D’où la nécessité de préparer longuement, pendant un tiers de l’œuvre, la partie des legs. Le narrateur multiplie les précautions — [je] “n’entens hommes detester”

(v. 781) —, il se peint en victime et invite à rire de lui aussi bien que des autres. Comme il ne peut pas attaquer de front, il biaise, cédant aussi la parole à autrui. La multiplicité des points de vue brouillait

53 Cf. la contribution de Paul Verhuyck dans ce volume même. 259

JEAN-CLAUDE MÜHLETHALER

les pistes dans Le Jeu de la Feuillée; elle les brouille plus systématiquement encore chez Villon, et la parole ambiguë, jouant sur l’implicite, permet au poète de se réfugier dans le non-dit. Grâce à ces stratégies le narrateur peut s’en prendre à plus puissant que lui, mais nie en même temps le sérieux des procédés par lesquels Le Testament s’apparente à la satire. Si on peut relever, chez Villon, une parodie de l’écriture testamentaire, on y trouve également une parodie des écritures satirique et polémique. Œuvre dominée par une parole évanescente, amorale, Le Testament finit par apparaître comme un grand jeu. Sans suivre Roger Dragonetti,°4 qui y voit le triomphe du non-sens, reconnaissons-y une interrogation sur les modèles d’écriture de l’époque, le témoignage d’une littérature et d’une langue en crise. François Villon : L’individu face au pouvoir religieux.

La parole subie domine surtout au début et à la fin du Testament. Elle réapparaît pourtant en pleine partie des legs, bien que, conformément à sa fonction, le je-testateur impose sa parole en énonçant ses dernières volontés. Par les dons qu’il fait (h. cxvi) aux Mendiants,

aux

Filles-Dieu

et aux

Béguines,

il dénonce

leur

goinfrerie et leur luxure. L’attaque obéit au principe du conformisme ironique, puisque le testateur fait semblant d'approuver leur conduite (h. cxvii) et rejette (h. cxviii) les critiques formulées autrefois par Jean de Pouilli, Jean de Meun et Mathéolus: Mais on doit honnorer ce qu’a Honnoré l’Eglise de Dieu. (Testament, VV. 1180-1181)

La parole de l’Eglise est une parole d’autorité, et ego s’y soumet (h. cxix), renonçant à suivre la tradition satirique, depuis toujours hostile aux Mendiants.°> Seulement, son silence ne résulte pas d’une

4

R. Dragonetti, “La soif de François Villon”, in Villon, hier et

aujourd'hui, pp. 123-136 (135-136).

°5 Cf. J. Batany, “L’image des Franciscains dans les ‘Revues d’Etats’ du XIIIe au XVIe siècle”, Revue d'Histoire de l'Eglise de France, 70 (1984), 61-74. Cf. aussi P. Brockmeier, François Villon (Stuttgart, 1977), pp. 119-

260

LE DRAME DU POETE

adhésion spontanée à l’enseignement de l’Eglise, c’est au contraire un silence contraint, résultat d’un rapport de forces: Car, soit à part ou en prescher Ou ailleurs, il ne fault pas dire,

Ces gens sont pour eulx revanchier. (Testament, vv. 1187-1189)

Le passage fait écho au huitain xxxvii, où ego, pauvre pécheur, s’en remet aux théologiens pour parler de la vie après la mort (celle de Jacques Coeur en l’occurrence). Dans l’un et l’autre cas le discours religieux impose sa loi, qu’il faut accepter sans discuter. Aux huitains cxviii et cxix le testateur renverse ironiquement l’attitude du satiriste, qui consiste à s’appuyer sur une autorité reconnue pour pouvoir s’en prendre à plus puissant que soi: le moi de Villon recourt à l’autorité au moment même où il déclare qu’il renonce à “mesdire” (v. 1186)! Dans une vision féodale du monde les rapports de forces ne déterminent pas seulement les relations humaines en général et l'usage de la parole en particulier; ces rapports conditionnent également le lien entre l’homme et Dieu. Humble chrétienne, la mère adresse à la Vierge une profession de foi, au cours de laquelle elle la qualifie de “dame” et de “maistresse” (Testament, v. 878). A cet acte de soumission s’oppose la révolte des “povres famelettes” (v. 445), vieilles entremetteuses qui n’acceptent pas leur sort: Ilz demandent à Dieu pourquoy Sy tost nacquirent, n’a quel droit. Nostre Seigneur se taist tout quoy, Car a[u] tancer il le perdroit. (Testament, vv. 449-452)

Alors que le vieillard, dans les huitains qui précèdent, a été réduit au silence et doit subir les sarcasmes

de tout le monde,

les vieilles

femmes renversent la situation. C’est Dieu qui ne sait plus quoi 132: “Verunglimpfung des geistlichen Standes und der geistlichen Richter”; M. Bastide, “La critique religieuse dans l’œuvre de Villon”, L'Information Littéraire, 45/1 (janvier-février 1993), 3-9.

261

JEAN-CLAUDE MUHLETHALER

répondre, et son silence n’est pas ici l’expression du mystère des voies divines dont l’homme ne doit pas pénétrer le secret. Il renvoie au mundus inversus et carnavalesque où la victime a raison. Les expériences d’ego, “povre marcerot de regnes” (v. 417), du pauvre vieillard et des vieilles femmes sont placées côte à côte: comment ne pas les associer à la situation du je, telle qu’elle se présente au début du Testament? Ego y apparaît en position de faiblesse face à Thibaut d’Aussigny; mais, plus tard, le testateur rappelle qu’un mourant “a ses loix de tout dire” (v. 728), et il en profite pour formuler une prière vengeresse à l’égard de l’évêque. Il agit alors comme les vieilles femmes puisqu’il détourne la parole adressée à Dieu de sa fonction première: ce n’est ni un acte de grâces, ni la prière d’un pécheur disposé à s’amender, mais l’expression d’une révolte contre l’autorité ecclésiastique. Avec Pierre Michault nous pouvons considérer que ce renversement du discours sacré — à même titre que les autres utilisations tendancieuses de la Bible dans Le Testament — relève de la dérision. Ce contemporain de Villon ne fait-il pas dire à dame Dérision, qui “continuellement reprent les faultes et vices d’autruy, mais jamais n’avise aux siens” (p. 134): Par ces belles et notables Figures Devez tousjours divinez Escripturez Interpreter en ung sens vicieux,

Et exposer louenges par injures.57 Faiblesse, dérision et dénonciation: nous sommes dans le domaine de

invective, mais d’une invective qui, placée dans la bouche de personnes marginales, les pauvres vieilles, exprime une perception subjective du monde sans chercher à emporter l’adhésion d’un public. Comme si souvent chez Villon, le passage reste ambigu. Faut-il y voir, en le lisant à la lumière de Pierre Michault, une dénonciation de l’aveuglement spirituel de vieilles femmes ignares? reconnaître, par une telle lecture, que le didactisme de la littérature

médiévale n’est pas étranger au Testament? Ou verra-t-on, dans cette scène qui ne débouche sur aucune leçon édifiante, une parodie

56 Cf. T. Hunt, Villon’s Last Will, pp. 17-21. 57 Le Doctrinal du Temps Présent (éd.cit.), ch. LIV, vv. 136-139. 262

LE DRAME DU POETE

de la littérature à visées morales?... La plainte des vieilles femmes, celle du pauvre Villon, s’apparentent à celle de Job dolens,58 à qui déjà Rutebeuf comparait son moi: Diex m’a fait compaignon a Job: I] m’a tolu a un sol cop

Quanque j’avoie.59 Job, assis sur son fumier, est une figure d’exclu, un objet de risée pour ses amis (Job 12, 4; 17, 6; 30, 1; etc.). Lui aussi dénonce ce qui

l’écrase et finit par s’en prendre à Dieu qui ne répond pas (Job 9, 3235; 33, 12-14). Regard critique jeté sur le monde, le discours de Job présuppose une distance par rapport à la société qu’il dénonce et dont il met en question les structures. Son discours est un discours satirique, profondément moral, qui propose à ses interlocuteurs une réflexion sur les valeurs vraies. Mais loin de voir en Job un modèle de “pacience mondaine”,60 Villon ne retient du récit biblique que lexclusion, l’agressivité des propos et la révolte contre Dieu. En travaillant sur des fragments, de surcroît choisis et ajustés à sa guise, Villon nie le caractère exemplaire de Job et le vide de sa dimension morale. Nous sommes bien dans le domaine de la parodie. François Villon : L’individu face au pouvoir laïc. La confrontation entre Thibaut d’Aussigny et ego au début du Testament réduit la justice humaine à un rapport de forces. Dioméde,

interpellé par Alexandre, ne la voit pas d’un autre ceil,

quand il n’admet pas d’être appelé “laron” (v. 140) par l’empereur.

58 Cf. B.N. Sargent-Baur, Brothers of Dragons. Job dolens and François Villon (New York/London, 1990), qui étudie la présence du Livre de Job dans l’œuvre de Villon, mais sans y reconnaître un modèle de l’écriture satirique. Pour l’importance de la Bible dans ce domaine, cf. J.-C.

Mübhlethaler, Fauvel au pouvoir, pp. 143-156. 59 La Complainte Rutebuef de son œil (éd. cit.), vv. 20-22.

60 L'expression est de Jean Regnier, Les Fortunes et Adversitez, éd. E. Droz (Paris, 1923), v. 2884. Remarquons que B. Sargent-Baur ne tient pas compte de ce texte, pourtant fondamental, puisqu'il contient un récit complet de la vie de Job (vv. 2891-2962).

263

JEAN-CLAUDE MÜHLETHALER Pourquoi admire-t-on celui qui écume toute la terre avec ses armées,

tandis que lui-même est condamné parce qu’il sillonne la mer sur une “petiote fuste” (v. 142)?... L'empereur se laisse convaincre par le discours du pirate et change son sort: Si fist il. Onc(ques) puis ne mesdit A personne, mais fut vray homme. (Testament, VV. 157-158)

Mesdit, du point de vue de la syntaxe, peut se référer aussi bien à Alexandre qu’à Diomède: l’empereur a injurié le prisonnier, le pirate s’est défendu

avec

véhémence.

Néanmoins,

le contexte

ne nous

semble laisser que peu de place à l’ambiguïté,él et celui qui cesse de méparler est Diomède. Comme les pauvres vieilles (cf. supra), comme ego qui compare explicitement son cas à celui du pirate (h. xxi), Diomède est un exclu. Tous protestent, et le verbe “mesdire” (v.

190) qualifie aussi le discours du locuteur lorsqu'il se défend contre ceux qui pourraient l’accuser d’avoir dissipé ses biens. Mesdire, c’est l’arme du faible et de la Pauvreté personnifiée — quand elle ose prendre la parole®? (h. xxxiv). C’est surtout l’arme de l’invective qui n’aura plus lieu d’être quand l’injustice aura disparu. Que représente Dioméde? Le rêve de la parole triomphante, le rêve d’un discours capable de transformer le monde par la provocation. C’est le rêve impossible, cher aux satiristes, de devenir præceptor principis en s’imposant auprès des puissants. De façon significative, l’épisode de Diomède et Alexandre se situe dans un passé mythique, car le discours explicitement moral n’est pas de mise pour le narrateur et une réflexion aux implications politiques ne relève pas de sa compétence:

61 Sur les ambiguïtés du passage, cf. V.R. Rossman, François Villon. Les concepts médiévaux du testament, pp. 91-94, et encore T. Hunt, Villon’s Last Will, pp. 15-17, que nous ne suivrons pas sur ce point.

62 Cf. la lecture, dans une perspective sociologique, de K. Stierle, “Parolle cuisante — Villons Lehre vom Zerfall”, in Tod im Mittelalter, éd. A. Borst et al. (Konstanz, 1993), pp. 191-208 (192-196).

63 C’est le contexte dans lequel apparaît d'habitude l’exemplum, comme le prouve le matériel rassemblé par L. Thuasne, Œuvres (Paris, 1923), iii, pp.

613-623.

264

En

privilégiant

comme

sources

de Villon

la traduction

du

LE DRAME DU POETE Le Saige ne veult que contende Contre puissant povre homme las. (Testament, vv. 1461-1462)

Face au “tirant seant en hault” (v. 1459) le narrateur pratique l’art de l’esquive. Il ne discutera pas avec l’homme au pouvoir, mais avec Franc Gontier; d’un côté ce berger ne lui inspire aucune crainte, de l’autre ego en profite pour vider le débat de tout relent politique en opposant la vie à la campagne non pas à la vie à la cour, mais à la vie en ville, telle qu’elle se joue dans l’espace privé d’une “chambre natée” (v. 1474). L’enseignement (amoral) vise toujours des personnes situées au bas de l’échelle sociale, avec qui le locuteur se trouve au moins en relation d’égalité: le testateur adresse ses leçons aux “compains de galle” (v. 1720), la Belle Heaulmière la sienne aux filles de joie (vv. 533-560). Ego est mal à l’aise dès qu’il doit s’adresser aux puissants. L’univers curial n’apparaît guère dans Le Testament, si ce n’est “en ce bordeau” où souteneur et prostituée tiennent leur “estat” (v. 1600): sotte chanson, la “Ballade de la Grosse Margot” parodie le monde des nobles, elle ridiculise les métaphores courtoises utilisées dans la ballade pour Robert d’Estouteville. Ce légataire, le testateur le désigne de manière exceptionnelle par une périphrase, “le seigneur qui sert saint Christofle” (v. 1369). Mais pourquoi taire le nom du prévôt de Paris, alors que celui de son épouse figure en acrostiche dans la ballade? Le saint invoqué offre un élément de réponse dans la mesure où sa présence peut être interprétée comme l’expression d’une distance ironique: en quoi le légataire a-t-il besoin de saint Christophe, qui protège de la luxure, alors que le poète va chanter un amour courtois, conjugal et fécond — auquel lui-même reste étranger? Dans Le Testament ego-Villon ne fait jamais partie du monde des puissants (et peu importe à notre propos que le prévôt soit en disgrâce ou non); c’est du dehors qu’il parle, en exclu, même quand il prétend les Policraticus par Denis Foulechat et la traduction du Liber de ludo scaccorum par Jean de Vignay, l’érudit écarte un peu vite la traduction de la Cité de Dieu (“exposition” du livre IV, ch. IV) par Raoul de Presles, qu’il a consultée dans le seul ms. B.N. fr. 6271. Comme

Villon, le ms. B.N. fr.

15411, du XVe siècle, appelle le pirate “Dyomedes” “Dyonides”. Il y aurait là des recherches à faire...

(f. 176r) et non

265

JEAN-CLAUDE MÜHLETHALER

louer. Lorsqu’il évoque la cour de Charles d'Orléans dans la célèbre “Ballade du concours de Blois”, elle se présente à son moi comme un univers où il n’a pas les repères pour s’orienter. Incapable de distinguer le dire vrai du dire faux, ego y subit la parole des autres: Qui mieulx me dit, c’est cil qui plus m’actaine,

Et qui plus vray, lors plus me va bourdent; Mon ami est qui me faict entendent D’ung cigne blanc que c’est un corbeau noir, Et qui me nuyst, croy qu’i m’ayde à pourvoir; Bourde, ver(i)té au jour d’uy m’est tout ung. (Poésies diverses VII, vv. 23-28)

L’absence du monde curial dans Le Testament fait de ces vers un moment exceptionnel dans l’œuvre de Villon. Il est tentant de les lire à la lumière d’une expérience précise dans la vie de l’auteur, celle de son passage à la cour de Blois. Suivra-t-on

l’hypothèse de Gert Pinkernell®* qui y voit l’expression du désarroi d’un courtisan marginal? On ne saurait mettre en doute que la ballade ne soit le fruit d’un contact entre François Villon et Charles d'Orléans: sa présence dans le célèbre manuscrit personnel du duc (le B.N. fr. 25458) le prouve bien. Mais, de là à voir dans la poésie lyrique un aveu sincère il y a un pas que nous ne saurions franchir. Selon la ballade ego est la victime des “bourdes” et des sarcasmes d’autrui. Ces personnes agissent de la même manière que la dame à l'égard de son amant, lorsqu'elle lui fait prendre “vecyes pour lanternes” (v. 696) dans le Testament. Le thème de la parole subie, lié dès Le Lais au domaine de l’amour, apparaît conditionné par le registre d’expression qu’impose le concours de Blois. L’isotopie amoureuse est explicite dans la ballade de Charles d’Orléans,® par rapport à laquelle se situent les textes des autres poètes. Il est vrai que Villon généralise le propos, évacuant toute référence à l’amour, mais il place la ballade dans un contexte curial en adressant l’envoi au “prince clement” (v. 31). Monde de la cour, monde de l’amour: Villon retrouve un modèle d’écriture qu’il avait rejeté notamment 64 G. Pinkernell, François (Heidelberg, 1992), ch.ii.

Villon et Charles d'Orléans

(1457 à 1461)

65 Charles d’Orléans, Ballades et rondeaux, éd. cit., ballade 75 (C). 266

LE DRAME DU POETE

dans Le Lais comme incompatible avec le projet testamentaire. Le contexte du concours poétique conditionne le rôle choisi pour le moi et, loin de favoriser une poétique de l’aveu, il incite à la pose. Les jeux subtils de l’intertextualité en sont un témoignage éloquent: ce moi, qui chez Villon subit la parole moqueuse des autres, évoque une

fois de plus Job®® en butte aux sarcasmes et aux bons conseils de ses amis. Ego, comme Job ou le juste du psaume 68 (12), est la fable des gens:67 “factus sum eis proverbium” (Job 30, 9)! Par l’implicite le

texte renvoie au modèle biblique qui offre au poète un moule dans lequel couler son moi. Job, exemple de constance dans l’adversité, connote le portrait d’ego, et ce portrait est conçu en fonction de la requête finale adressée au prince. Face au moi qui lui demande de ravoir ses gages — et brise ainsi le code courtois que respectent les autres ballades du concourst8 — le destinataire se retrouve dans le rôle flatteur de Dieu qui a rendu à Job les biens disparus ou d'Alexandre qui a fait le bonheur de Dioméde. A travers la thématique de la parole subie le moi de Villon fait paradoxalement figure du sage incompris et accusé à tort: “j’entens moult et n’ay sens ne scavoir” (v. 32). Il s’agit d’éveiller la pitié, et non pas de se révolter comme Diomède. Dans la ballade la dénonciation des bourdes et mensonges ne débouche pas sur une invective — au contraire de ce qui se passe dans Le Testament, lorsque Jean Perdrier

66 Dans son étude Brothers of Dragons, B. N. Sargent-Baur n’aborde pas la ballade en question. 67 Pétrarque définit de la même manière son moi au début du Canzoniere: “Ma ben veggio or si come al popol tutto / favola fui gran tempo” (sonnet I, vv. 9-10). Une réminiscence biblique ou, comme on le suggère d’habitude, ovidienne (Amores, III, 1, 21: “Fabula, nec sentis, tota iactaris in Vrbe”)?

Encore un discours ambigu...

68 Cf. S. Gompertz, “‘Je est un autre’. Contradiction et médiation dans la poésie de François Villon”, in Villon, hier et aujourd'hui (éd.cit.), pp. 149160 (149-155); N. Freeman Regalado, “En ce saint livre: mise en page et identité lyrique dans les poèmes autographes de Villon dans l’album de Blois (Bibl.Nat. ms.fr. 25458)”, in L'Hostellerie de Pensée. Etudes sur l'art littéraire au Moyen Age offertes à Daniel Poirion par ses anciens élèves, textes réunis par M. Zink et D. Régnier-Bohler, éd. E. Hicks et M. Python (Paris, 1995), pp. 362-363 (355-371).

267

JEAN-CLAUDE MÜHLETHALER

et son frère reçoivent en legs la “Ballade des langues ennuieuses”.6? Cette ballade imprécatoire fait suite à l’évocation des “langues cuisans, flambans et rouges” (v. 1411), métaphore par laquelle le testateur dénonce les calomnies et les mensonges dont il aurait été la victime. Un tel mouvement est impensable dans le registre curial, car chez Villon celui-ci n’est pas compatible avec l’agressivité de l’invectio. Comme Le Lais (cf. supra), Le Testament offre au poète une plage de liberté, grâce à laquelle il peut médire à sa guise. En prenant le masque du testateur, mais sans s’y identifier complètement, le “povre marcerot de regnes” (de paroles) joue — et il le fait savoir! — à l’instance de sanction. A la cour par contre, une telle mise en scène du moi, imposant aux autres d’écouter un discours à la fois de dérision et d’autodérision, n’est pas possible. La fonction de sanction est le rôle social réservé au prince, et à Blois Villon accepte les règles d’un jeu qui n’est pas le sien. Dans la ballade du concours le moi se soumet à l’autorité du seigneur, de même qu’il se tait, dans Le Testament, face au tyran. François Villon dénonce la cour comme un monde où le silence s’impose et où il faut subir la parole d’autrui. Mais qu’en est-il du prince? Charles d’Orléans, “chat viel et chenu”.70

Dans l’œuvre de Charles d'Orléans un certain nombre de rondeaux expriment la crainte d’en dire trop, obéissant à ce qu’on a

appelé la poétique du secret.’ Cette crainte apparaît aussi au début de la troisième strophe de la ballade 75 (C), celle même qui sert de texte de référence aux poètes qui ont participé au concours de Blois: Je parle trop et me tais a grant paine. (Ball. 75 (C), v. 15)

69 Testament, vv. 1406-1456. 70 Rondeau 171 (LXVI), vv. 9-10: “Comme ung chat suis viel et chenu: / Legierement pas ne m’esveille”. T1 Cf, G. Defaux, “Charles d’Orléans ou la poétique du secret”, Romania, 93 (1972), 194-243, avec une liste des rondeaux a la p. 223, note 1. Voir

aussi notre article “J’ayme qui m'ayme. Intertextualité, polyphonie et subjectivité dans les rondeaux de Charles d’Orléans”, Romania, 114 (1996), 413-444, qui complète les remarques faites ici.

268

LE DRAME DU POETE

Le vers cité frappe parce que, parfaitement cohérent du point de vue logique, il ne respecte pas la structure antithétique des énoncés qui précèdent. Il paraîtra emblématique pour le prince-poète dans la mesure où aucun autre texte du concours n’exprime une idée comparable. La tendance à trop parler, imposant sa parole à autrui, oppose le moi de Charles d'Orléans a celui de François Villon qui, dans sa ballade, se présente en position de faiblesse. Le contraste entre la parole imposée et la parole subie se confond peut-être trop bien avec l’image qu’on s’est forgée des deux poètes: d’un côté le prince, de l’autre le pauvre écolier. Si nous avons dû parler de pose en ce qui concerne Villon, Charles d'Orléans n’échappe pas à la règle du jeu. Ne pas savoir se taire traduit un manque de maîtrise de

soi, et la parole sans frein est l’attribut sapientiaux. Dans le sillage de la Bible Moyen Age mettent en garde contre tout parole. Deux rondeaux de Charles d'Orléans

du fou selon les livres différents proverbes du emploi irréfléchi de la y font écho:72

Il couvient que trop parler nuyse. (Ro. 157 (LVIID), v. 6)

Tousjours parle plus fol que sage, C’est une chose coustumiere: Hors du propos [si baille gaige]. (Ro. 39 (CCCXXXV), wv. 5-7)

Au début du rondeau 39 le fait de donner son gage mal a propos est présenté comme “du jeu la maniere” (v. 2); c’est une régle de comportement généralement admise. Mais, au fil des strophes deux et trois, ce jeu de société se révèle être la récréation d’un fou; il provoque l’indignation de Raison et des gens qui blament “ma langue trop legere” (v. 9). Avec François Villon, Charles d’Orléans partage le goût du masque et des changements de points de vue; chez l’un et chez l’autre le ludique marque de son sceau la création littéraire. Mais, à la différence de l’écolier, le prince de Blois ne

s’intéresse guère aux rapports de force que manifeste l’usage de la parole dans une société féodale, marquée par les conflits entre les 72 Cf. J.W. Hassel, Middle French Proverbs, Phrases (Toronto, 1982), n° F158 et n° P51.

Sentences and Proverbial

269

JEAN-CLAUDE MÜHLETHALER différents états. La parole, telle que la décrit le rondeau 39, est la

parole d’un fou, mais d’un fou qui n’est pas celui de Rutebeuf ou Adam de la Halle, ni même celui de François Villon. Chez Charles d’Orléans le discours du fou tourne à vide et dans le vide, niant la

possibilité même d’une communication; son discours se réduit à une suite de sons sans sens puisque l’ancrage référentiel des signifiés a disparu. Atténuée, la remarque vaut aussi pour le rondeau 157 dans lequel ego juxtapose, sans y adhérer, des proverbes qu’il entend dire à gauche et à droite. Ils expriment tous l’inconstance des gens ou rappellent que rien ne saurait durer dans un monde soumis au changement. Mais quelle valeur de vérité accordera-t-on à cette série d’énoncés, parmi lesquels figure “il couvient que trop parler nuyse” (v. 6)? Le proverbe ne traduit pas seulement l’ennui que peuvent engendrer des discours trop longs; c’est aussi un vers à statut métapoétique, à la lumière duquel la suite des proverbes se résout finalement en un brouhaha de paroles conventionnelles. Dans le rondeau 157 la parole se débride, elle est envisagée sous son aspect carnavalesque; ailleurs, le registre ludique cède la place au sérieux,

quand les répercussions sociales d’une parole non fiable sont prises en considération. Dans l’œuvre de Charles d'Orléans il est souvent question de discours où être et paraître sont dissociés; il s’en prend notamment à leurs manifestations privilégiées dans le monde curial, le mensonge et la flatterie que dénonce aussi, nous l’avons vu, Pierre Michault.73 Comme chez Guillaume Alecis, c’est un mal auquel

aucune couche de la société n’échappe:”4 [C]hascun s’ebat au myeulx mentir, Et voulentiers je l’aprend{rloye. Mais maint mal j’en voy advenir, Parquoy savoir ne le vouldroye. (Ball. 97 (CXXIID), vv. 1-4) 73 Sur l'importance de la flatterie au XVe

siècle, cf. M. Vincent-Cassy,

“Flatter, louer ou comment communiquer à Paris à la fin du Moyen Age”, in La Ville et la cour. Des bonnes et des mauvaises manières, éd. D. Romagnoli (Paris, 1991), pp. 117-159. Cf. J. Lemaire, Les visions de la vie de cour... (éd.cit.), pp. 328-332, qui rappelle que, déjà au début du XIVe siècle, la flatterie domine la cour dans Le Roman de Fauvel.

74 Cf. ro. 79 (CLXIID, ro. 142 (CXCVIID), ro. 237 (CXXVI).

270

LE DRAME DU POETE

Parmi les huit types de mensonge que distingue saint Augustin,’> les plus graves sont ceux qui nuisent à quelqu’un. Le mensonge pur, ni utile ni nuisible, formulé pour le seul plaisir de tromper, représente la ligne de démarcation entre les formes les plus repréhensibles et celles que la situation (sauver une vie, préserver sa chasteté, etc.) peut justifier. Comme il s’agit d’un système d’oppositions graduelles, le passage d’un mensonge à l’autre, du péché véniel au péché mortel, se fait insensiblement. C’est ce qu’illustre la ballade de Charles d'Orléans en associant l’insouciance (apparente) du “s’ebat” au “mal” qui en résulte. Le mouvement du ludique

au

sérieux

conduit,

dans

l’envoi,

à

l'évocation

des

conséquences politiques qu’impliquent les manigances des menteurs: ils mettent en danger la paix du royaume. Le moi du poète se pose en témoin critique de son temps, et son cri “paix!” (v. 25), la prière qu’il adresse à Dieu au nom de tous (le “nous” du v. 25), traduisent les présupposés éthiques de son discours: on reconnaît dans cette ballade tardive la démarche caractéristique de la satire médiévale. Une ouverture comparable du discours à l’éthique politique (et religieuse) n’apparaît guère, chez Villon, que dans la “Ballade de bon conseil” (Poésies diverses, 1); elle se rencontre çà et là dans les rondeaux de Charles d'Orléans. Le mouvement du rondeau 65 est le même que celui de la ballade 97. II commence par la sentence “mieulx vault mentir pour paix avoir” (v. 2) qu’ego, prudent, ne cite que sous réserve — “sauves toutes bonnes raisons” (v. 1). La conclusion renverse définitivement la prise de position initiale en dénonçant les dangers liés au mauvais usage de la parole: Parler boute feu en maisons Et destruit paix, ce riche avoir.

(Ro. 65 (CXLIX), wv. 8-9)76

75 Cf. C. Casagrande et S. Vecchio, Les péchés de la langue, partie II, ch. 3: “Mendacium”. 76 Au vers 8 fait pendant le vers 11 du ro. 337 (CCCCXXV), une invective contre les “menteurs a carterons”. Cf. ro. 132 (CXCIII) qui s’en prend aux “faulz trompeurs” (v. 2), et ro. 174 (CCXV), et dénonce l’hypocrisie religieuse.

Zi

JEAN-CLAUDE MÜHLETHALER

La paix toujours! La parole mensongère est une source de maux pour le pays, car elle détruit son unité, fait “tant de sang humain sur la terre respandre et tant de femmes vefves et povres orphelins”.77 Elle menace aussi chacun individuellement: il faut une bonne armure pour se garantir du “trait de Faulceté” (ro. 163 (LXID), v. 1), de ces belles paroles auxquelles ego lui-même souhaite ne pas être exposé, à moins qu’il n’espère pouvoir rendre la monnaie de la pièce: Procul a nobis Soyent ces trompeurs! Dentur aus flatteurs Verba pro verbis. (Ro. 90 (CLXXI), wy. 1-4)

Par le nous de majesté, le locuteur s’identifie au prince entouré de flatteurs et de menteurs. Il fait figure de prince faible, au contraire du prince idéal chanté par David qui bannit de sa cour menteurs et calomniateurs: non habitabit in medio domus meæ faciens dolum

loquens mendacium non placebit in

conspectu oculorum meorum.78 Flatterie, mensonge et calomnie font partie d’une préoccupation récurrente à la fin du Moyen Age et à la Renaissance: les régimes des princes ne cessent de mettre en garde contre le danger que représente pour le royaume la parole trompeuse des mauvais conseillers. Mais ce contexte sérieux n’empêche pas Charles d'Orléans de s’amuser. Par le mélange du latin et du français il traite le thème de la parole curiale sur le mode ludique, avec cet

77 Guillaume Alexis, Le Martyrologue des Faulses Langues (éd.cit.), pp. 335-336. 78 Psaume

100, 7. Traduction: Point n’habitera à l’intérieur de ma maison

celui qui pratique la tromperie; celui qui débite des mensonges ne se tiendra pas devant mes yeux.

272

LE DRAME DU POETE

humour que Daniel Poirion’? considère comme une caractéristique de son lyrisme. C’est aussi le cas dans le rondeau 88 (CLXIX), qui adresse un avertissement aux “trompeurs faulz et rusés”, ces traitres abusant “a tergo”, de derriére. Voici encore dans le rondeau 82 (CLXVI), autre texte bilingue, dans lequel le narrateur parodie les paroles que le Christ ressuscité a adressées 4 Marie-Madeleine (Jean 20, 17) en les transposant dans l’univers de la cour: Il vous fault regere En craintes et rigueurs: Noli me tangere! (Ro. 82 (CLXVI), wy. 5-7)

Les “craintes et rigueurs” désignent, à une première lecture, la sévérité du prince qui doit assurer le bon fonctionnement de sa mesnie: les vers cités exprimeraient une déontologie curiale. Mais on peut aussi y reconnaitre la crainte dans laquelle vit le prince entouré de courtisans qui ne respectent pas son autorité. Comme David il est exposé aux “viris iniquis” (Psaume 139, 2) dont seul Dieu peut délivrer le roi. Si David, confiant, prie le Seigneur, l’ego du rondeau, lui, se plaint d’avoir accordé ses faveurs a des gens qui ne le méritaient pas. Dans un monde sans ouverture sur une justice transcendante

le moi de Charles

d’Orléans

se retrouve

seul, sans

protection, dans une position de faiblesse. Mais ce n’est pas toujours le cas; confronté a une parole qu’il ressent comme agressive, ego ne la subit pas nécessairement. Il y répond par trois attitudes différentes:

— par la plainte (ro. 82) ou la malédiction (ro. 337). L’une et l’autre traduisent une position d’infériorité. Dans le rondeau 337 la malédiction n’est présente que sous forme de souhait (“Dieu tout puissant si vous mauldie”, v. 13) et ne qualifie pas le locuteur de délégué d’une instance de sanction transcendante. Bien au contraire! Le souhait contredit l’assurance affichée au début du rondeau (“certes, point ne vous redoubtons”, v. 2), car il dévoile

79 D. Poirion, Le poète et le prince. L'évolution du lyrisme courtois de Guillaume de Machaut à Charles d'Orléans (2e éd., Genève, 1978), pp. 596-597.

243

JEAN-CLAUDE MÜHLETHALER

rétrospectivement la vanité, voire le ridicule d’un pluralis majestatis employé, comme dans le rondeau 90 (cf. supra), par un locuteur en position de faiblesse. Le prince paraît incapable d’assurer son autorité puisqu’il ne garde de son statut social que le signe extérieur: la parole, impuissante et évanescente, relève ici du paraître. En invitant amis et courtisans à (sourire de ce portrait ironique du moi dans sa faiblesse, le lyrisme de Charles d'Orléans se rapproche du Lais et du Testament dans lesquels la persona dérisoire de Villon est mise en scène pour un public de clercs.

— par le refus de prendre au sérieux les insinuations de l'interlocuteur, auxquelles ego répond par une boutade, parfaitement conscient qu’il s’agit d’une plaisanterie entre hommes. Le texte pose un tel rapport d’égalité ludique lors d’échange de rondeaux avec des familiers du duc, comme dans ce “Rondel a Daniel” dont la rubrique

ne livre que le prénom: Vous dictes que j’en ayme deulx, Mais vous parlez contre raison; Mal me louez, ce faictes mon. (Ro. 226 (CIV), vv. 1-2 et 6)

Mais, lorsqu'il s’agit d’un rapport conflictuel, Charles d'Orléans laisse son moi se servir du mensonge, utilisant les mêmes armes que l'adversaire. Le discours pose ce rapport d’égalité surtout quand il est question des relations politiques avec l’Italie où vivent les maîtres des ruses diplomatiques.8° L’ancrage référentiel est explicite: On congnoistra qu’est de clergie

D’Orleans, trait de Lombardie.®! — par l’indifférence, ce célèbre nonchaloir qui, né de l’expérience, place ego dans une position de supériorité et s’exprime par le

80 Cf. J. Blanchard, Commynes

l'Européen.

L'invention du politique

(Genève, 1996), pp. 297-312. 81 Ro. 340 (CCCCXXXI), vv. 12-13. — Cf. ro. 79 (CLXIID): “A trompeur trompeur et demi” (v. 1), et ro. 252 (CCLVI).

274

LE DRAME DU POETE

silence. L’ataraxie de l’homme miri se reflète dans l’assimilation —

ironique! — d’ego

à un “chat viel et chenu”,82

insensible aux

provocations. Quand ego, chez Villon, est en position de supériorité, il prend le masque du testateur, s’assurant ainsi une plage de liberté pour sa parole vengeresse. Chez Charles d'Orléans la même position de supériorité conduit son moi non pas — sinon exceptionnellement83 — à la dérision ou à la satire (cf. supra), mais au silence. L’attitude peut sembler caractéristique pour le prince de mélancolie qui se

réfugie volontiers dans la forteresse du moi.84 Mais, plutôt que de céder à la tentation d’une lecture en clé biographique, il convient de souligner l’effet de pose, et de pose littéraire. En présentant trois attitudes d’ego face au mensonge et à la flatterie, Charles d'Orléans Joue sur les virtualités offertes par une situation — un peu comme on varie un motif en musique.85 Quand ego apparaît en position d’infériorité, surtout dans les premières ballades, il se conforme au rôle qu’on attend de tout amant courtois: il craint d’adresser la parole à sa dame, ose à peine croire les discours d’Espoir, “beau bailleur de

paroles” ou “beau menteur plain de promesse”.86 Espoir représente une voix intérieure non fiable, qui peut sévir aussi en dehors du contexte courtois: il renvoie alors à une expérience plus générale de la vie humaine, de même que la rime “art”/”regnart” peut aussi bien

82 Ro. 171 (LXVI). Cf. ro. 47 (CXLII), ro. 69 (CLIII). J. Lemaire, “L’humanisme de Charles d'Orléans: une conception originale de la vie de cour”, Fifteenth-Century Studies, 10 (1984) 107-119 (111-113), associant ce

désir de sérénité à l’otium pétrarquiste, néglige à nos yeux le côté ludique d’une telle attitude dans l’œuvre du prince-poète.

83 Cf. D. Poirion, Le poète et le prince, pp. 592-597; D.A. Fein, Charles d'Orléans (Boston, 1983), pp. 125-127.

84 Cf. D. Poiron, Le poète et le prince, ch. xv. 85 Pour cette attitude, cf. L.W. Johnson, Poets as Players. Theme and Variation in Late Medieval French Poetry (Stanford, 1990), surtout ch.ii: “Playing with the ‘I’: Christine de Pizan and the Virgin”.

86 Ro. 26 (CCCXXII) et ball. 80 (CVI); cf. l’index des personnifications, entrée Espoir, dans notre édition. Comme Espoir (ball. 52, v. 2), Amour peut

“par parolles mener” (ball. 49, v. 2).

210

JEAN-CLAUDE MUHLETHALER

qualifier l’engin en amour qu’en religion.$7 Le registre amoureux disparaît à peu près dans les rondeaux, mais le prince entouré de menteurs et de flatteurs rappelle de près l’amant exposé aux attaques de “Dangier” et des “mesdisans” (v. 337), que La Retenue

d'Amour$8

évoque dans le sillage du Roman de la Rose. Tout se

passe comme si Charles d'Orléans avait gardé en bonne partie la vision courtoise des relations interindivuelles pour la transposer dans une écriture aux implications désormais existentielles et sociales, par

laquelle il s’apparente à François Villon. Sans un tel changement,8? les œuvres des deux poètes n’auraient jamais été lues comme l’expression d’un “vécu” ou, plus récemment, l’émergence d’une nouvelle subjectivité, liée au passage du Moyen Age à la

Renaissance.% Comme d’autres auteurs (Alain Chartier!) avant eux, François Villon et Charles d'Orléans sont les témoins d’une crise de la courtoisie, mais ils sont aussi les témoins d’une crise plus générale de la langue. Chez Charles d'Orléans un bon nombre de pièces lyriques sont écrites en réponse a d’autres piéces, et certains rondeaux mettent en scéne un dialogue fictif entre narrateur et narrataire. Le public représenté n’est certes pas le méme?! que vise

87 Cf. ro. 27 (CCCXXIII), ro. 75 (CLIX), ro. 174 (CCXV). On rapprochera expression “servir de l’art” de l’expression “voz motz farder” (ro. 258 (CCL AI), v5).

88 Pour Dangier voir l’index de notre édition. Quant à l’amour courtois mis en question, cf. ball 81 (CVII: une belle dame sans merci); ball. 109 (LXXXVI: la “moquerie” de la dame); ro. 40 (CCCXXXVI: hypocrites en amour), etc. 89 M.-J. Arn, “Poetic Form as a Mirror of Meaning in the English Poems of Charles of Orleans”, Philological Quarterly, 69 (1990), 13-29 (17 et 25), constate un changement comparable dans les poésies anglaises du duc.

90 Cf. A. Planche, “Le ‘Livre de Pensée’ de Charles d’Orléans est-il un journal

intime?”,

Razo,

10

(1990),

97-110;

A.

Classen,

Die

autobiographische Lyrik des europdischen Spätmittelalters (Amsterdam, 1991), ch. 5. Quelques réflexions critiques sur ces deux approches chez J.C. Miihlethaler, “J’ayme qui m’ayme”, Romania, 114 (1996), début de l’article.

7

Cf. D.A. Fein, François Villon and His Reader, ch 7: “Another poet,

another audience”. Autres exemples du débat entre narrateur et narrataire,

276

LE DRAME DU POETE Villon, mais on trouve chez les deux écrivains une fragmentation du

discours en une multiplicité de discours individuels. Les points de vue s’opposent les uns aux autres, et chacun défend sa vérité personnelle dans une société où les repères traditionnels sont mis en question. “Les Contredits Franc Gontier” (cf. supra) traduisent cette incertitude quant à la fiabilité des discours, et le rondeau 123 (XLI) de Charles d’Orléans ne dit pas autre chose: Plus n’en dy N’escry. Pour quoy? Chascun j’en croy. S’il est ainsy, Fiés [vous y]!

(Ro. 123 (XLD, wv. 10-15)

Ego renonce a s’affirmer face aux autres et s’enferme dans le silence. L’objet de la controverse n’est pas nommé, de sorte que le discours tourne a vide, ne renvoyant qu’a lui-méme dans le cercle clos du rondeau: la fonction poétique s’impose au détriment de la fonction référentielle du discours. Dans le rondeau 111 (XXXV) les proverbes perdent leur fonction d’autorité puisqu’ils ne servent plus a énoncer une vérité de portée universelle. On les cite en enfilade (cf. le ro. 157, déja cité), les échange entre amis, en crée soi-méme et les soumet a l’appréciation d’autrui. Bref, ils relèvent du jeu de société: J’ay tost ma sentence donnee; De plus sachant soit amendee! (Ro. 111 (XXXV), wv. 6-7)

La parole du poète connaît le même sort, ainsi quand il se permet de porter un jugement désabusé sur les amoureux: Se je mens, que l’en me repreigne! (Ro. 223 (C), v. 8)

que nous n’analysons (CCLXXIV).

pas:

ro.

165

(LXIII),

191

(CCXXIV),

270

ee)

JEAN-CLAUDE MÜHLETHALER

Ego vient de tirer d’une expérience personnelle une règle de vie: il est dangereux “d’amasser tresor de regrés” (v. 2). Seulement, il ne suffit pas de formuler un énoncé général pour qu’il soit accepté. On va peser le pour et le contre, vérifier s’il s’applique bien à tout le monde, et ceci à la lumière d’autres expériences personnelles. Toute règle fait l’objet d’un débat plus ou moins sérieux, et cette mise en question peut déboucher sur un consensus — à condition toutefois qu’une certaine connivence règne entre les devisants. Mais comment un poète pourrait-il encore jouer le rôle de maître à penser dans un monde où tout énoncé, y compris le sien, est soumis au doute et à la

contradiction...? Chez Charles d’Orléans et François Villon la parole est fragile, elle est contestable et contestée. Elle l’est déjà dans Le Jeu de la Feuillée d’Adam de la Halle avec la mise en question de la parole du clerc, contredit, puis réduit au silence par les acteurs qui détiennent l’argent et le pouvoir. Si Adam est marginalisé dans sa propre ville, Villon fait de son moi une figure d’exclu, jouant a fond sur les oppositions sociales. Attaqué par une parole qui parait avoir plus de poids que la sienne, le moi du Testament est toutefois plus proche d’Adam dans le Jeu de la Feuillée que du moi dans les poésies de Charles d’Orléans. Pour ce contemporain de Villon toute parole semble interchangeable, équivalente, comme si chaque personne se retrouvait a égalité dans une société, celle de la cour, dont les structures hiérarchiques seraient devenues floues. L’inquiétude (jouée?), qui transparaît çà et là dans l’œuvre de Charles d'Orléans, est celle d’un seigneur dont l’autorité n’est plus prise au sérieux. Dans une société où les liens féodaux se distendent, il s’interroge sur l’affaiblissement des structures de pouvoir par les emplois déviants de la parole. Le point de vue du prince-poéte s’oppose à celui du clerc et de l’écolier, sensibles à une parole qui les écrase; la mentalité curiale se distingue de la mentalité urbaine, que ce soit celle d’Arras au XIIIe ou celle de Paris?? au XVe siècle. Dans la mesure où la vision du monde renvoie chaque fois au statut 92 Sur les liens de l’œuvre de Villon avec la ville et le théâtre, cf. la mise au point

de

G.

Roellenbleck,

“Villons

Testament



Form,

Themen,

Epochenbezug”, in Literatur in der Gesellschaft des Spätmittelalters, éd. H.U. Gumbrecht (Heidelberg, 1980), pp 191-202 (192-195).

278

LE DRAME DU POETE

social des auteurs, nous admettons volontiers que les œuvres plongent leurs racines dans le vécu. Mais comment aller plus loin?... Les fonctions du moi dans Le Jeu de la Feuillée, Le Testament, les ballades et les rondeaux de Charles d’Orléans, sont trop

conditionnées par le projet d’écriture respectif pour qu’on puisse identifier le (ou les) moi à l’auteur historique. Dans la littérature médiévale le registre satirique est lié de façon privilégiée à la figure du clerc, détenteur d’un savoir qui fait de lui un maître de morale,

voire un præceptor principis. Le satiriste rêve d’une parole qui constituerait un acte capable de transformer les hommes et le monde. Quelques traces de ce rêve — brisé! — se rencontrent dans les œuvres d’Adam de la Halle et de François Villon: certaines fonctions de leurs moi sont marquées par la manière dont on concevait le rôle du clerc dans la société médiévale. Charles d'Orléans, prince et poète, a

un autre rapport avec l’écriture: s’il reprend les formes brèves de la lyrique d’amour, c’est que l’écriture, chez lui, tient du “passetemps”, qu’elle est issue d’un jeu de société auquel la cour s’adonnait avec

sérieux dès la fin du XIVe siècle. Alors qu’Adam, brossant le portrait de Maroie, doit constater l’inefficacité de l’écriture courtoise, que Villon rejette ce même modèle poétique, Charles d'Orléans n’abandonne pas la tradition lyrique en faveur d’un autre registre. Sa poésie récupère le lyrisme courtois pour le transformer; elle s’en démarque par la disparition progressive de la dame, objet du chant remplacé par le renfermement sur le moi, que traduit bien la circularité du rondeau. Ego écrit d’abord pour lui-même, et dans l’œuvre de Charles d'Orléans ne transparait que rarement le souci du flectere ad bonum de tradition cicéronienne et augustinienne. II n’exploite guère les virtualités morales de l’écriture, auxquelles le lyrisme de la fin du Moyen Age, et notamment Eustache Deschamps, avait accordé une large place. Charles d'Orléans, mais aussi Adam de la Halle et François Villon, ne cherchent pas à transformer autrui.

Le prince-poète ne partage pas, sinon exceptionnellement (rondeau 93 Sur la notion de “passetemps”, cf. J.-C. Mühlethaler, Poétiques du quinzième siècle, ch. 1.1.5. J. Cerquiglini-Toulet, La Couleur de la mélancolie. La fréquentation des livres au XIVe siècle. 1300-1415 (Paris, 1993), observe finement qu’à la fin du Moyen Age “la poésie devient pour toute une société un jeu sérieux” (p. 49: nous soulignons).

279

JEAN-CLAUDE MÜHLETHALER

65, ballade 97), le rêve de pouvoir du satiriste, accusant le monde

contemporain au nom d’un système de valeurs qu’il désire rétablir. Explicitement, un tel désir est aussi absent du Jeu de la Feuillée: les

propos incohérents du dervé mettent à nu certains vices, mais ils n’obéissent pas a une intentionnalité morale; quant 4 Adam, il veut

fuir Arras, et non pas provoquer une prise de conscience salutaire chez ses concitoyens. Il ne se pose pas en juge, et c’est même grâce a son silence que les vices des Arrageois peuvent se manifester. Par la thématisation

de la fuite, de la liberté,

le début

du Lais

et du

Testament rappelle l’ouverture du Jeu de la Feuillée. En plus, le discours du testateur renoue avec les propos du dervé par une agressivité pour laquelle la justification morale de l’utilitas ne joue pas. Il paraîtra significatif que les deux clercs, liés au monde du théâtre par leur expérience, aient opté pour le registre carnavalesque de la “satire déviée”, alors que le prince-poète a choisi l’expression lyrique de la “courtoisie déviée”: l’opposition entre la cour — ou plutôt les cours du XVe siècle — et la ville ne mériterait-elle pas de faire l’objet de recherches approfondies? Au-delà des différences, Adam de la Halle, François Villon

et Charles d'Orléans se rejoignent par la conscience qu’ils ont de leur métier de poète: tous, ils proposent une réflexion sur l’emploi de la parole en littérature et dans la société. Chacun rêve d’une parole fiable ou en dénonce les ambiguités et les insuffisances. S’il faut attendre,

semble-t-il,

le règne de Louis

XI

pour constater

un

malaise généralisé face à un monde aux apparences trompeuses, la méfiance à l’égard de la parole se manifeste bien plus tôt dans la littérature vernaculaire. Adam de la Halle fait figure de précurseur lorsque, à sa manière, il traduit le drame du poète qui découvre impossibilité de faire passer son message dans un concert de voix discordantes et égoïstes. Du moment qu’on ne sait plus qui dit vrai, que le consensus autour des valeurs fondamentales s’effrite, l’ère du soupçon a commencé: chacun se méfie de l’autre, tout le monde craint d’être trompé ou ridiculisé. Il ne suffit plus au clerc, ni même au prince, d’élever la voix pour être écoutés et crus. Chez Adam de

°4 Cf. J. Dufournet, “La génération de Louis XI: quelques aspects”, Le Moyen Age, 98 (1992), 227-250, et J. Blanchard, Commynes l'Européen (éd.cit.), pp. 175-185, qui parle d’une “ère du soupçon”.

280

LE DRAME DU POETE

la Halle, François Villon et Charles d'Orléans, dire n’est pas faire; il

ne leur reste que le rêve ou le regret de cet âge d’avant la confusion babélique où la parole humaine était encore parfaite, à l’image du verbe divin.®% Mais faut-il vraiment parler de crise et de drame?... Les défauts de la langue sont paradoxalement le matériau même à partir duquel les trois poètes construisent leur œuvre. La conscience de la fragilité de la langue et du manque de fiabilité des discours ne les conduit pas à la quête d’une perfection impossible, elle ne les condamne pas non plus au silence de la page blanche. Elle se transforme en principe de création poétique et fait du texte une comédie plutôt qu’un drame de l’écriture. Ce qui ne revient pas à refuser de prendre Adam de la Halle, François Villon ou Charles d’Orléans au sérieux: il n’y a pas de jeu pour le jeu car, loin de les nier, le ludique fait ressortir les enjeux d’une triple interrogation sur la langue dont il met à nu les insuffisances. Mais si langue était parfaite, aurait dit Valéry, le poète cesserait d’écrire.

95 A leur manière nos auteurs rejoignent les préoccupations exprimées par Dante dans le De vulgari eloquentia: cf. U. Eco, La ricerca della lingua perfetta nella cultura europea (Bari, 1996), ch. 3.

281

Villon’s Legacy from Le Testament of Jean de Meun: Misquotation, Wisdom of Fools

Memory,

and

the

Nancy Freeman Regalado Can a poet make a mistake? What is the meaning of Villon’s poetic mistake, his misquotation in the Testament (T, 113-20)! from an important yet largely unexamined source, Le Testament de Jean de Meun?? This misquotation, we will see, is not just an error but a poetic secret that reveals one of the great paradoxes of the Testament: it is a poem about wisdom spoken by a fool. We will see that Villon uses misquotation from Le Testament de Jean de Meun to establish a context of high moral wisdom for his own Testament, a backdrop against which the poet’s speaker stages a performance of alternative wisdom, grounded not in the high-minded authority of learned authors but in the low sphere of earthly existence, expressed in vulgar, joking language. The contrast between the two Testaments ie Testament Villon (T) and Le Lais Villon et les poémes variés (L and PV), ed. Jean Rychner and Albert Henry (R/H), 4 vols., (Genéve, 19741977). 2 Silvia Buzzetti Gallarati, Le Testament maistre Jehan de Meun: un caso letterario (Test JM) (Alessandria, 1989); Aimee Celeste Bourneuf, “The ‘Testament’ of Jean de Meun: Vatican MS. 367” (Diss. Fordham University, 1965); summary and description by Paulin Paris, “Jean de Meun, traducteur

et poète” (Histoire littéraire de la France [Paris, 1881], xxviii, pp. 391-439 at 416-29). To date I have found only one item touching specifically on this source in the Villon bibliography: André Lanly, “Villon, Le Roman de la Rose, et le Testament de Jean de Meun”, Hommage a Jean Séguy, Via Domitia [Annales de l’Université de Toulouse-Le Mirail], Numéro spécial, 2 vols., Nouvelle Série, 14 (1978), i, pp. 237-251. Lanly offers a compendium

of themes and expressions common to Villon and Jean de Meun that is less exhaustive than that by Louis Thuasne (“François Villon et Jean de Meun”, Revue des Bibliothèques, 16/1 [1906], 93-104; 204-49; rpt. in Villon et Rabelais [Genève, 1969], pp. 1-101), but both Lanly and Thuasne mention Le Testament de Jean de Meun merely in passing.

282

NANCY FREEMAN REGALADO

— Le Testament de Jean de Meun and Villon’s poem — sets up an opposition of high and low, of noble learning and coarse wit that links Villon’s Testament to another medieval genre, the altercatio or dialogue between the wise man and the fool. In Villon’s Testament, however, only the fool remains, groping towards truth. The speaker in Villon’s poems is a creature of both wisdom and folly, “Ne du tout fol ne du tout saige” (T, 3). Fol, however,

weighs far heavier in the poet’s lexicon, where it is closely associated with other key terms: amour, povre, mort and vie3 “Povre de sens et de savoir” (T, 178), the poet’s speaker is a scholar who ran away from school: “Je, François Villon, escollier” (L, 2; see

T, 1886-87); “Mais quoy! je fuyoie l’escolle / Comme fait le mauvaiz enffant” (T, 205-06). His studies in books have profited him less than his hard life: “Travail mes lubres sentemens, / Esguisez comme une pelocte, / M’ouvrist plus que tous les commens / D’Averroys sur Arristote” (T, 93-96). Nonetheless, he speaks initially in the manner of a clerc, setting an array of fifteen authoritative citations into the first thirty-seven stanzas of his Testament, eleven from the Bible* and four from prestigious ancient

3 Fol and related terms foleur, folie, folastre occur 34 times in Villon’s works, the antonym sage only 13 (André Burger, Lexique de la langue de Villon [Genève/Paris, 1957] + PV, iii which R/H add to Villon’s corpus). The preponderance of negative themes in Testament hh. xii-xli is rigorously analyzed by Paul Zumthor, who concludes: “Dans toutes ces oppositions [mort/vie, vieillesse/jeunesse, pauvreté/richesse, douleur + péché/espérance], le terme positif (non-marqué) est le plus faible, numériquement et méme syntaxiquement” (Essai de poétique médiévale, Poétique [Paris, 1972], pp. 420-28, at 423). Charles Brucker notes that the semantic field of fol is moralized far earlier than that of sage (Sage et sagesse au moyen âge (XIle et XIIIe siècles): Etude historique, sémantique et stylistique [Genéve, 1987], p. 156). 4T, 29-30 from Luke 6:27-28 and Matthew 5:44, the injunction to love one’s enemies, to which the speaker responds (T, 32) with a verse that recalls Romans 12:19, invoking divine vengeance on Thibaut d’Aussigny, cursed again (T, 45-48) by citation from Psalm 108:7 or 8; the speaker’s gratitude to Louis XI (T, 65-66) calls forth blessings citing Genesis 35:23; his hope for divine pardon is strengthened by allusion to Gospel (T, 99-100 from Luke 24:13-35) and Ezekiel (T, 106-07 from Ezekiel 18:23 and 33:11);

283

VILLON’S LEGACY

and medieval auctores, including the “le noble Roumant / De la Rose” (T, 113-14).5 These initial citations ground the speaker within the world of learning; they proclaim that his poem contains what Clément Marot called a “matiere pleine d’erudition & de bon scauoir’.© Yet after citing Psalms 102:16 in h. xxxvii, Villon’s speaker abandons the discourse of clerical authority and citation of ancient texts, saying “Quant du seurplus, je m’en desmez: / Il n’appartient a moy, pecheur; / Aux theologiens le remectz, / Car c’est office de prescheur” (T, 293-96). In all the remaining 149 stanzas and nineteen inserted lyrics in Villon’s Testament, there are

only four citations from the Bible, one from liturgy, and a handful of mentions of ancient and medieval auctores.’ The play of allusions to

five citations confirm the speaker’s regrets for his wasted youth and present poverty (T, 127-29 from Judith 16:18; T, 209-16 from Ecclesiastes 11:9-10; T, 217-24 from Job 7:6; T, 264 from John 19:22; and T, 291-92 from Psalms 102:16). 5 Le Roman de la Rose is cited T, 1 and 113-20; Averroes and Aristotle T, 95-96; Valerius Maximus T, 159-60.

6 Les Œuvres de Francoys Villon de Paris, reveues & remises en leur entier par Clement Marot varlet de chambre du Roy, printed by Galiot du Pré (Paris, 1533), gloss intercalated between hh. xi and xii (p. 16) cited also by David Mus [Kuhn] in his commentary on the allusions in hh. xii-xxxiii (La Poétique de François Villon [Paris, 1967], pp. 139-76). 7From the Bible: T, 813-20 from Luke 16:19-31, the parable of Dives and Lazarus; T, 847-48 from Genesis 3:19, integrated into the initial prayer of the speaker’s will; T, 1238-44 from Genesis 9:20-21, 19:30-38, and John 2:1-10, examples of famous Biblical drinkers — Noah, Lot, and “Archedeclin”, host of the wedding at Cana; T, 1461-64 from Ecclesiasticus 8:1-2 and 9:3. Villon’s “Verset”, T, 1892-93, translates words from the

Office of the Dead (see Evelyn Birge Vitz, “ ‘Bourdes jus mises’? Villon, the Liturgy, and Prayer” in this volume; I have benefited greatly from our discussions of hope and despair in the Testament). Finally, the speaker mentions Jean de Pouilli, Jean de Meun, and Matheolus (T, 1174-79), the

Viandier Taillevant (T. 1414), Macrobius (T, 1547), and “le laiz maistre Alain Chartier” (T, 1805); he cites, without naming their authors, poems by Philippe de Vitry, “Soubz feuille vert, sur herbe delitable” and Pierre d’Ailly, “Ung chastel sçay, sur roche espoventable” (T, 1458-60), which he parodies in his “Contreditz Franc Gontier”.

284

NANCY FREEMAN REGALADO

myth, the Bible, and history are carried after h. xxxvii by proper names and bits of story rather than by learned citation.8 Even in the opening stanzas of the Testament, moreover, Villon’s speaker is portrayed as an unreliable scholar: he appears to have muddled the number of the Psalm verse he invokes to curse Thibaut d’Aussigny (T, 45-48); he attributes to Valerius Maximus the exemplum of Diomedes and Alexander, whose well-known and often cited ancient source is Augustine’s City of God (T, 159-60).? Finally he misquotes Jean de Meun in h. xv: Et comme le noble Roumant De la Rose dit et confesse En son premier commancement C’on doit jeune cueur en jeunesse, Quant on le voit viel en viellesse, Excuser, helas! il dit voir; Ceulx donc qui me font telle presse En meureté ne me vouldroient veoir. (T, 113-20)

The verses Villon cites, however, are taken not from the Roman de la Rose, but from the work known as Le Testament de Jean de Meun: ili Bien doit estre escusez jeune cuer en jeunesce Quant Diex li donne grace d’estre viel en viellesce; Mais moult est granz vertus et tres haute noblesce Quant cuer en jeune aage a meiirté s’adresce. (Test JM 9-12)

8 See Nancy Freeman Regalado, “La fonction poétique du nom propre dans le Testament de François Villon”, Cahiers de l'Association Internationale des Etudes Francaises, 32 (1980), 51-68. 9 The medieval Latin and French sources cited by Louis Thuasne in his edition of Villon show that Augustine’s illustrious name was firmly attached to the exemplum of Diomedes (Œuvres, 3 vols. [Paris, 1923], ili, pp. 61322); although critics (cited in R/H, Testament, ii, pp. 32-33) have focused on the attribution to Valerius, the absence of allusion to Augustine may contribute significantly to characterization of Villon’s speaker as a foolish scholar.

285

VILLON’S LEGACY

Villon’s critics and editors have all called attention to this misquotation: “Villon is mistaken’,10 “Villon se trompe”;!! “erreur

(volontaire?)”.!2 But instead of inquiring into the significance of the way the citation misstates its source, they have sought to explain it away as a failure of memory or as a confusion with similar themes in

the Roman de la Rose.'3 If we step back to look at all the citations and allusions in Villon’s

Testament,

however, we can see a significant pattern of

similar “mistakes” that deflect many citations away from the original by rewriting and misquotation. The poet substitutes age thirty for twenty in the initial quotation from the Roman de la Rose (T, 1; Rose 21);!4 to curse Thibaut d’Aussigny, he invokes Psalm 108 verse 7 instead of 8, which was often cited to condemn bishops in estates

satire;!5

he gives the dog Cerberus

four heads instead of the

10 François Villon, Complete Poems, ed. and trans. by Barbara N. SargentBaur (Toronto, 1994), p. 197.

11 Lanly, “Villon”, p. 238, note 1. 12 Marcel Desportes, ed., François

Villon, Poésies choisies, Nouveaux

Classiques Larousse (Paris, 1973), p. 56.

13 Gaston Paris: “Il connaissait aussi le Testament de Jean de Meun, qu’il embrouille, au début de son propre Testament, avec l’œuvre plus célèbre du même poète” (François Villon [Paris, 1901], p. 100); Thuasne: “Villon... cite de mémoire, à l’appui de son dire, un passage du Testament de Jean de Meun, passage qu’il croyait être au début du Roman de la Rose” (Œuvres, ii, p. 107), Italo Siciliano: “Villon connaissait Jean de Meung, mais plus vaguement qu’on ne le croit. Il s’en inspire pour l’épisode de la vieille entremetteuse, il le cite même deux fois, mais de mémoire et d’une façon

assez imprécise” (François Villon et les thèmes poétiques du Moyen Age [Paris, 1934; rpt. 1967], p. 435); R/H:

“La confusion avec le Roman de la

Rose tient sans doute à ce que V. pensait aussi aux vers où Jehan de Meun, assez près encore du début de la partie du roman dont il est l’auteur, oppose Jeunesse... a Vieillesse”, Testament, ii, pp. 28-29.

14 See Nancy Freeman Regalado, “En l'an de mon trentiesme aage: Date, Deixis and Moral Vision in Villon’s Testament”, in Le Nombre du temps. En hommage a Paul Zumthor, ed. Emmanuéle Baumgartner et al. (Paris, 1988), pp. 237-46, at 238.

IS “Le verselet escript septiesme / Du pséaulme Deus laudem” (T, 47-48); Vulgate Psalm 108, v. 7, “Cum iudicatur, exeat condemnatus, et oratio eius

286

NANCY FREEMAN REGALADO

canonical three. Some of Villon’s misquotations are greatly admired, such as his famous rewriting of Job 7:6 in h. xx of his Testament: Mes jours s’en sont alez errant, Comme, dit Job, d’une touaille

Font les filletz, quant tixerant

En son poing tient ardente paille: Lors s’il y a nul bout qui saille, Soudainement il le ravit. (T, 217-22)

“Tresbelle comparaison”, Marot notes appreciatively in the margin of his 1533 edition.l6 But is this too a misreading, as has been suggested, or is it a striking new image that the poet brings to singe

Scripture?17 Villon’s “mistakes” should not be attributed (as they often are) to the poet’s faulty recall; indeed, four undistorted Latin citations ornamenting his panegyric “Louange a Marie” (PV, I 42-43, 51-52, 108, 118-20) show the fluent accuracy of the poet’s memory in another context. Instead, these “mistakes” in the Testament should

be seen as misquotations of texts which Villon could count on many readers recognizing. Psalm verses, memorized in numerical order, laid the very foundation for memory training.l8 The Roman de la fiat in peccatum” (When he shall be judged, let him be condemned: and let his prayer become sin); v. 8, “Fiant dies eius pauci et episcopatum eius accipiat alter” (Let his days become few; and let another take his office). Citing references to v. 8 in estates satire, R/H affirm that “il est certain, cependant, que V. pensait au verset 8”; they suggest that either Villon’s memory failed him or that v. 8 was numbered 7 in some psalters (Testament, ii, p. 21). 16 Les Œuvres, p. 21.

17R/H ask if Villon misremembered

or misread succiditur (cuts) as

succenditur (set on fire) (Testament, ii, 39). Barbara N. Sargent-Baur speaks more admiringly: “The poet’s creative imagination is active here, spinning

out four words of the Vulgate text (‘a texente tela succiditur’) into five octosyllabic verses” (Brothers of Dragons: “Job Dolens” and François Villon [New York, 1990], p. 87). 18 Mary J. Carruthers, The Book of Memory: A Study of Memory in Medieval Culture (Cambridge, 1990), pp. 82-84. Misquotation may be seen as one aspect of habitual adaptation of citations: “such adaptive freedom is enabled

287

VILLON’S LEGACY Rose is a living presence in the fifteenth century; read, cited, attacked, imitated, it is a flowing source from which late-medieval

French poets continue to draw direct inspiration. Errors in citation of such well-known

texts compel readers to respond, to correct, and

thus to join the movement of the poem first by delving into their own memory and then by returning to seek the meaning of the misquotation in the poem.!? Misquotation, indeed, counts on memory. We will show how Villon misquotes to order to establish the meaning of his poem and to deepen the significance of each citation, by awakening and playing on the memory of his readers. Misquotation has one specific function in medieval literature: it is an unmistakable sign of foolery. The swerving citations in Villon’s Testament are — first and foremost — a key element characterizing the speaker as a wise fool. Misquotation of the Bible or wisdom literature is used regularly in medieval works to portray a fool in a clerical costume — an écumeur de latin, a Maistre Aliborum, or boobies in the school farces.2 It is a prominent feature

of the farcical wisdom preached in sermons joyeux such as Des maux de mariage or Des faits de Nemo where real citations are taken as obscene or comic themes and where pseudo-citations abound, by complete familiarity with the text, the shared memory of it on the part of both audience and author, and hence a delight both in recognizing the familiar words and the skill with which they have been adapted to a new context” (ibid., p. 91). I am indebted to Mary Carruthers for discussion of the use of misquotation to refresh memory.

19 Misquotation may be seen as one of the “textual ungrammaticalities”, those overdetermined indices of which Michael Riffaterre often speaks, which control readers’ response by pointing to an intertext; see his “L’intertexte

inconnu”,

Littérature,

41

(1981),

4-7

and,

recently,

his

“Compulsory Reader Response: the Intertextual Drive”, in /ntertextuality: Theories and Practices, ed. by Michael Worton and Judith Still (Manchester, 1990), pp. 56-78.

20 See Les Ditz de Maistre Aliborum, qui de tout se mesle, ed. by Anatole de Montaiglon, Recueil de poésies françoises, 13 vols. (Paris, 1855-78), i, pp. 33-41; Maitre Mimin étudiant, ed. by André Tissier, La Farce en France de 1450 à 1550 (Paris, 1976), pp. 199-231; De Pernet qui va à l’escolle and

D'un qui se fait examiner pour être prebstre, ed. Viollet le Duc, Ancien théâtre françois, 10 vols. (Paris, 1854-57), ii, pp. 360-72, 373-87.

288

NANCY FREEMAN REGALADO

accompanied by real or facetious references.2! The remarkable staging of Villon’s “Ballade de l’appel” (PV, XV) in the Sermon de saint Belin, described by Jelle Koopmans and Paul Verhuyck, marks the close relation between Villon’s poetic persona and the foolish

learning typical of the sermon joyeux.?2 In Villon, however, misquotation also plays on the reader’s memory in order to augment the resonance of each allusion in the poem. When Villon cites Vulgate Psalm 108 by number-coordinate rather than by direct quotation (T, 47-48), he brings the text into play from. its “place” in his readers’ memory. Such readers could easily recall not only “le verselet escript septiesme” but also verse 8, which

was usually applied to bishops.?3 Villon thus silently doubles his curse on Thibaut d’Aussigny: his “mistake” gives him two verses for one — the second supplied by his reader!24 In like manner, reflecting

21 See Jelle Koopmans and Paul Verhuyck, Sermon joyeux et truanderie (Villon — Nemo — Ulespiégle (Amsterdam, 1987), p. 15. The Sermon joyeux des maux de mariage multiplies false and real citations: it takes for its theme a false citation attributed to Les XV Joyes de Mariage (ll. 1-5), quotes the parable of the Wise and Foolish Virgins in a parodic context (1. 20), adds pseudo-citations from Psalms and Saint Paul, and ends with allusions to Matheolus (Il. 310-14), Jean de Meun (1. 315) and a real citation from Le Roman de la Rose (ll. 319-20 from Rose 8685-86) (ed. Jelle Koopmans, Recueil de sermons joyeux, TLF 362 [Genéve, 1988], pp. 345-64). The Sermon joyeux des faits de Nemo is a venerable joke concocted around citations from the Bible that reveal the extraordinary powers of Nemo, “Nobody”: “Si destruxerit Deus, Nemo est qui edificet” (1. 110 from Job 12:14); ed. Koopmans, Recueil, pp. 379-408, with full historical commentary by Koopmans and Verhuyck in Sermon joyeux, pp. 87-142.

22 Sermon joyeux, pp. 19-85. 23 A fifteenth-century reader of MS A (Paris, Arsenal MS 3523) copied the text of v. 8, “Fiant dies” in the space following T, 48 which ends h. vi (R/H, Testament, i, p. 26, note); in the margin next to h. vii, Marot notes: “Au verset dont il parle y a, Fiant dies eius pauci: & episcopatum eius accipiat alter” (Œuvres, p. 14).

24 Robert Guiette notes that Ps. 108 belonged to the religious ceremony of degradation, and concludes: “Tout le psaume, on le voit, pouvait convenir au propos de Villon, et non seulement le verset 8 de la Vulgate, méme précédé du verset 7” (“Francois Villon et Thibaut d’Aussigny”, Mélanges Maurice Delbouille [Gembloux, 1964], pp. 251-57 at 253; rpt. in Forme et

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VILLON’S LEGACY

on youth’s folly, Villon’s readers might well bring to mind the words the poet omits from his contradictory quotations of Ecclesiastes 11:9-10 in h. xxvii (cited below): “Et scito quod pro omnibus his adducet te Deus in iudicium (Remember that for all these things God will call you to account) [v. 9]”.Misquotation thus breaks through the boundaries of specific citation, unleashing the full blast of invective in Ps. 108 and awakening ominous anticipation of divine judgment through recollection of Ecclesiastes 11:9. Similarly, the extraordinary fourth head Villon gives the dog Cerberus in the “Double Bailade” — “Chien Cerberuz a quatre testes” (T, 636) — wakes up all the three-headed dogs sleeping in literary memory. A fifteenth-century reader might recall the three-headed doorkeeper of Hell stupefied by Orpheus’ strange song in Boethius’ Consolation,

translated

by Jean

de Meun:

“Cerberus,

li portiers

d’enfer ou toutez ses tres testes, fu touz esbahiz pour la nouvelle chancgon”.25 Prompted by ongoing allusions to the Roman de la Rose in Villon’s Testament, his readers might well also remember the hellish image Jean de Meun painted of three-headed Cerberus as a mastiff hanging from the triple breasts of Atropos, thrusting his three snouts into her bosom, gnawing, drawing, sucking: [Atropos] norrist Cerberus le ribaut.,... cist mastins li pant aus mammelles, qu’ele a tribles, non pas gemeles; ses.ili. groins en son sain li muce, et les groignoie et tire et suce, n’onc ne fu ne ja n’iert sevrez.... et el li giete homes et fames a monceaus en sa triple gueule.

(Rose 19778, 19787-91, 19796-97)26 Recollection of this image, in turn, gives menacing overtones to all the mastiffs in the Testament: “groz matins de bouchiers” (T, 1130); senefiance, ed. J. Dufournet et al., Publications Romanes et Françaises, 148 [Genève, 1978] ).

25 De Consolatione Philosophiae, Lib. III, Met. xii: 29-20; ed. and trans. by V. L. Dedeck-Héry, Mediaeval Studies, 14 (1952) p 222

26 Ed. by Félix Lecoy, CFMA 92, 95, 98 (Paris, 1965-70), iii, pp. 94-95. 290

NANCY FREEMAN REGALADO

“Que ces matins ne seussent courre” (T, 1139); “un viel matin... / Tout enraigé en sa bave et sallive” (T, 1434-35); “Synon aux traitres chiens matins / Qui m’ont fait ronger dures crostes” (T, 1984-85). Misquotation thus stirs up memory, releasing images, overtones, and associations even more freely than direct citation. To what extent and how might Villon and his readers have remembered Le Testament de Jean de Meun, so provocatively inscribed through misquotation into his poem? It is a poem, dated 1291-92, of 2120 lines (almost exactly the same length as Villon’s

Testament), but composed in monorhyme alexandrine quatrains, the chunky but capacious stanza of many thirteenth-century dits and moral poems. Although it has much to say about making wills, Le Testament de Jean de Meun itself is not a mock testament like Villon’s, but a sermon-like poem of practical and moral advice addressed to prelates and men and women of substance. Until the fine edition brought out by Silvia Buzzetti Gallarati in 1989, Le Testament de Jean de Meun had fallen into oblivion, for

it had not been reedited since the venerable four-volume Roman de la Rose published by Dominique Méon in 1813.27 Today’s readers may be struck, even startled, as I was, by conspicuous correspondences

between

Villon’s

Testament

and

those

of the

opening stanzas of Le Testament de Jean de Meun. These analogies are cued by Villon’s direct citation in h. xv which points to a location within his source: “en son premier commancement” (T, 115). Adjacent stanzas develop common themes of wasted youth and the inevitability of death: “J’ai fait en ma jeunesce maint dit par vanité” (Test JM 5}; “Mort est a touz commune,

mort est a touz

baniere” (Test JM 21). Likeness is further marked by a distinctive pattern of disputatio in which a theme is developed as a dialectical argument with an imaginary interlocutor. It appears early on in both poems: in st. x of Le Testament de Jean de Meun: “Et s’aucun

vouloit dire: Dieu comment sera ce?” (1. 37)?8; in Villon’s h. iii, the 27 Le Testament de Jean de Meun, in Le Roman de la Rose, ed. Dominique

Méon, 4 vols. (Paris, 1813), iv, pp. 1-116; reprinted at intervals during the nineteenth century and revised by Francisque Michel (Paris, 1864).

28 Similar turns of phrase occur three more times in Le Testament de Jean de Meun: “Or me puet aucuns dire: ‘Sire, se Diex m’amen’ ” (349); “Et s’il me

291

VILLON’S LEGACY

first of several anonymous speaker:

figures springs up to argue with the

ill

Et s’aucun me vouloit reprendre (T, 17)

viii

Et qui me vouldroit laidanger De ce mot, en disant: “Escoute!” (T, 571-72))

Ix

Je prens qu’aucun dye cecy (T, 585)

Ixxi

Et s’aucun m’interrogue ou tente (T, 725)

IXxXii

Qui me diroit: “Qui vous fait mectre Si tres avant ceste parolle” (T, 809-10)

In her edition Buzzetti Gallarati demonstrates that the moral themes of Le Testament de Jean de Meun are elaborated in some ten sequences of disputatio, the formalized ritual of scholastic disputation in which a master systematically resolves the questions and objections of interlocutors.2? Villon, too, develops dialectical arguments in his Testament with themes, objections, and responses about questions such as whether love is dangerous,?9 or whether the

dient: ‘Sire, nostre devotion’/...

/ Certes, je m’i accort, maiz pour voir je

suppose” (985, 989); “Et s’aucun voloit dire que si pressé se sentent” (2005). 29 Ed. Test JM, pp. 21-39; Buzzetti Gallarati adds analysis of the scholastic lexicon (pp. 41-75), which expands her “Lessico et cultura scolastica nel ‘Testament’”,

(Studi testuali,

Scrittura

e scrittori,

Serie

miscellanea,

2

[Alessandria, 1988], i, pp. 77-121). In contrast with the conditional mood used in the hypothetical disputes of the Test JM and Villon, reportatio of actual disputations uses the imperfect or simple past to indicate shifts of speaker: “sed dicebat” or “dixit respondens” (examples cited in Bernardo C. Bazan, “Les Questions disputées, principalement dans les facultés de théologie”, in Bernardo C. Bazan, et al., Les Questions disputées et les questions quodlibétiques dans les Facultés de Théologie, de Droit et de Médecine, Typologie des Sources du Moyen Age Occidental, 44-45 [Turnhout, 1985], p. 139).

30 The formal pattern of disputatio is as easy to follow in Villon’s T, 569-729 as it is in Le Testament de Jean de Meun: Theme: Men incur dangers (T, 569-70); Objection: Dangers come from diffames” (T, 571-84); Response: These women were once

294

Testament who love “femmes “femmes

NANCY FREEMAN REGALADO

prophets’ arses burned in Hell.3! Debate breaks off abruptly in st. xvii of Le Testament de Jean de Meun — “Je me tairai a tant d’endroit ceste matiere / Et parlerai d’une autre ou li cuers plus me tire” (Test

JM 65-66)3*; a similar pattern recurs in Villon:

“Laissons

le

moustier ou il est, / Parlons de chose plus plaisante” (T, 265-66); “De

ce

me

taiz

doresnavant”

(T, 723);

“Je

me

tais, et ainsi

commence” (T, 832). Neither Villon’s Testament nor Le Testament de Jean de Meun are real dialogues, however: they are monologues cast partly in the formal patterns of disputation. Where such

imagined disputation is prominent in Villon’s Testament, it may serve to enhance the resonance of his initial citation from Le Testament de Jean de Meun in Testament h. xv. Unlike us, many of Villon’s contemporaries would have easily recognized his carefully cued citation, for Le Testament de Jean de Meun was well known to medieval readers. Although the

attribution

to Jean de Meun

is questionable,3 the poem

was

honnestes” (T, 585-594), illustrated by examples (T, 594-608); Solution: men are endangered by “nature femeninne” (T, 609-616) and the laws of love, “C’est pure verté devollee, / Pour une joye cent doulours” (T, 623-24), an argument confirmed cum exemplis from mythology, the Bible, and the speaker’s experience in the “Double Ballade” (T, 625-72), and by an extensive autobiographical example (T, 673-712); Conclusion: the speaker renounces love (T, 713-24). This sequence ends with a fresh objection to the speaker’s authority: “Et s’aucun m'’interrogue ou tente / Comment d’Amours j’ose mesdire” (T, 725-26); the speaker responds with an otherwise unattested maxim (“Qui meurt a ses loix de tout dire” [T, 728]), then offers proof of his imminent death: “je congnois approucher ma seuf”

(T,, 729). 31 Disputatio in Testament hh. |xxxi-lxxxiii: Theme: the prophets did not burn in Hell (T, 805-08); Objection: the speaker’s opinion is presumptuous since he is not a master of theology (T, 809-12); Response “cum exemplo”, the parable of Luke 16:22-24: if the rich man had seen fire, he would not have begged refreshment from the burning fingertip of Lazarus (T, 813-20).

32 See also “Je me tairay a tant d’endroit ceste matiere, / Car les femmes espoir ne l’ont mie trop chiere” (Test JM 1303-04).

33 See Langlois (ed. Rose i, pp. 21-22), Bourneuf (pp. v-vi), and Buzzetti Gallarati (ed. Test JM, pp. 7-14). Similarities to themes and expressions in the Rose pointed out by Buzzetti Gallarati are too general to be convincing (ibid., pp. 111-16 + notes to Il. 5-8, 246, 253, 437, 485-86, 629-31, 789,

293

VILLON’S LEGACY

received under the prestigious name of the author of the Roman de la Rose and translator of Boethius. At least 116 manuscripts survive — the tip of an iceberg, says Buzzetti Gallarati, who shows that Le Testament de Jean de Meun was copied eagerly for two centuries:

1043-44,

1085-88,

1095,

1115,

1948,

2081-84,

and

2112)

and

the

methodology of her search for intratextual anagrams of Jean de Meun appears unsound (eadem, “Mots sous les mots’: una firma per il Testament’, Medioevo Romanzo, 15/2 [1990], 259-76). Two specific stylistic reflexes seem to distinguish the author of the Test JM from Jean de Meun. First, the Test JM contains an unusual, recurrent metrical pattern where verses ending with a monosyllabic ce, le, or je rhyme with verses ending with a feminine rhyme, that is, a post-tonic mute e: Puis estent son mantel tout aussi com un voile.(12+e) Tu qui n’as ce veü, va a Paris voir /e.(12) (Test JM 1191-92)

See also Test JM 37 (cited above), 736, 762, 1444, 1788, 1857, and Bourneuf (pp. Ixxxiv-Ixxxvii) and Buzzetti Gallarati (ed. Test JM, pp. 10910). I am indebted to Roger Pensom and Peter Dembowski for their letters to me describing this metrical pattern and providing additional examples (eg. Rutebeuf’s Sainte Elysabel [1. 244]). To my knowledge, this metrical pattern does not occur in Jean de Meun’s

Rose. Second, the Test JM is almost

utterly devoid of classical allusions: only two names of auctores are cited, those of Virgil and Aristotle, who appear (with David and Solomon), as degraded figures inebriated by lust despite their wit and books: “Virgile et Aristote en furent ja si yvre, / Que point ne les retrait leur engin ne leur livre” (Test JM 1771-72). It is difficult to believe its author could be Jean de Meun, whose Rose is so well watered with allusions to the ancients (see Nancy Freeman Regalado, “Des contraires choses: La fonction poétique de la citation et des exempla dans le Roman de la Rose de Jean de Meun”, Littérature: Intertextualités Médiévales, 41 [1981], 62-81). I thank Eric Hicks for sending me his article, “De l’individuel et du collectif dans les manuscrits”, La Naissance du texte, ed. by Louis Hay (Paris, 1989), 121-31, together with further reflections on the difference between Jean de Meun’s use of conjunctions to elaborate long, logical sentences and the Test JM author’s taste for brief, symmetrical statements. On attributions to Jean de Meun, see also idem, ed., La Vie et les epistres Pierres Abaelart et Heloys sa

fame, Nouvelle Bibliothèque du Moyen Age 16 (Paris-Genéve, 1991), i, pp. XX-XXXiii.

294

NANCY FREEMAN REGALADO

half the known manuscripts are from the 15th century.34 It is a work that hardly ever appears alone. Often it was copied with companion pieces: a prayer called Le Codicille and a work of pious instruction called Le Tresor ou les sept articles de la foy35 In manuscripts, a legal fiction grouped these pieces as testament and codicil; it has long been thought that this arrangement inspired Pierre Levet’s edition of Villon in 1489, whose title page reads: “Le grant testament Villon / et le petit. son codicille. le iargon & ses balades” and where the Testament is rubricated: “Cy comence le grant codicille & testament maistre francois Villon”.36 In over half the manuscripts, Le Testament de Jean de Meun is copied with the Roman de la Rose, often accompanied by its satellites, the Codicille and the Tresor. However, even if Villon read the poem with the Roman de la Rose, compilational arrangement would surely not have led him to see it as its “premier commancement”, as has been suggested,?7 for although Le Testament de Jean de Meun often opens didactic compilations, it is invariably placed after the romance when it is copied with the Rose, where it provides a morally uplifting conclusion to the

scandalous plucking of the rose. Citations elsewhere from Le Testament de Jean de Meun show that the poem remained a canonical text in the fifteenth century. It is cited — and st. xv quoted — as an example of the monorhyme alexandrine quatrain in two fifteenth-century treatises on

versification.38

It was an item in evidence much debated in the

34 Silvia Buzzetti Gallarati, “Nota bibliografica sulla tradizione manoscritta del Testament di Jean de Meun”, Revue Romane, 13 (1978), 2-35.

35 Le Codicille maistre Jehan de Meun [incipit: “Dieux ait l’ame des trespassés”], ed. Silvia Buzzetti Gallarati, in Medioevo Romanzo, 17 (1992),

pp. 339-89; Les sept articles de la foy [incipit: “O glorieuse Trinité”], ed. Méon, Rose, iv.

36 Gaston Paris, “Villoniana”, Romania, 30 (1901), p. 355, note 1.

37 Mus [Kuhn], Poétique, p. 150. 38 Buzzetti Gallarati, ed., Test JM, pp. 9-10. The Test JM is listed among the works of Jean in the anonymous Règles de la seconde rhétorique from Paris, BNF MS n. a. fr. 4237, where it is followed by a copy of the Codicille (Buzzetti Gallarati, Codicille, 351); Test JM st. xv, “Si tu es biax et riches...” (cited below, p.298), is given in this same work as an example of alexandrine quatrains commonly used for saints’ lives and “traitiez

295

VILLON’S LEGACY

Quarrel of the Rose, the literary polemic over the moral influence of the Rose. In his Traictié d’une vision faite contre le Ronmant de la Rose (18 mai 1402), Jean Gerson, the eminent chancellor of the

University of Paris, applauds Jean de Meun’s apparent regret for the poem of his foolish youth: “Des son vivant il s’en repenti: et depuis ditta livres de vraye foy et-de saincte doctrine. Je li en fais tesmoingnaige”.3? Gerson, moreover, portrays a crowd eager to defend Jean de Meun before the imaginary Court of Christianity: one voice rings out over the great throng, citing verse 5 from Le Testament de Jean de Meun: Lors veissiés, a une grant tourbe et une flote de gens sans nombre, josnes et vieulx de tous sexes et de tous ages, qui — sans garder ordre, a tort et a travers — vouloient, l’ung excuser, l’autre le deffendre, l’autre le loer; l’autre demandoit

pardon a cause de jonesse et de folie, en aleguant que il s’en estoit repenti quant il escript depuis: “J’ay fait, dit il, en ma

jonesse maint dit par vanité”.40 Pierre Col responds (citing the same verse 5): Et ne cuide pas que ce qu’il dit en son Testament: “Jay fait en ma jonesse maint dit par vanitey”, qu’il entende de ce livre de la Rose; car vraiement come je [ne] monstreray mais, il entendoit d’aucunes balades, rondiaux et virelais que nous n’avons pas par escript, — au moins moy.*!

Christine de Pizan scoffs at Pierre Col’s interpretation: Je ne vueil mie passer oultre ce que tu dis que je ne doy mie cuidier ce que il dist en son Testament: “J’ay fait en ma d’amours” (ed. Ernest Langlois, Recueil d'arts de seconde rhétorique [Paris, 1902; rpt. Genéve, 1974], pp. 12, 28-29). Baudet Herenc describes the rhyme scheme of the Test JM in Le Doctrinal de la seconde rhétorique (ibid., pp. 197-98).

39 Ed. Eric Hicks, Le Débat sur ‘Le Roman de la Rose’, Bibliothéque du XVe siécle 43 (Paris, 1977), p. 66.

40 Ed. Hicks, Débat, p. 64. 4l tag responce maistre Pierre Col”, ed. Hicks, Débat, p. 95.

296

NANCY FREEMAN REGALADO jonesse maint dit par vanite”, qu’il entende de ce livre de la Rose. Et come se tu le seusses, bien affermes que onques ne s’en repanty ne dist pour celle cause. Et touteffois ne l’excepta il de riens. Mais tu dis qu’il entendi de balades, rondiaux et virelais que nous n’avons mie. Ou sont donques ces autres dictiers que il fist vains et foulz? Merveilles est que de si souverain dicteur n’ont esté sollenneement gardés: car d’autres qui ne furent a lui a comparer est grant mencion faite, et des siens n’est persone en vie qui onques en oit parler. [...] Mais a nostre propos vraiement je croy et tiens qu’il dist ce qui est dit en son Testament purement pour celluy romant, car il nous appert par celle parolle et ne savons le contraire.42

This lively debate points in three important directions: to the significance of direct citation, to readers’ interest in the relationship between different works by a single author, and to their familiarity with Le Testament de Jean de Meun. It is the meaning of Jean’s very words — exactly cited — that are disputed. His readers, moreover, are eager to compare the two poems, to note changes in spiritual attitude, signs of true repentance. Villon’s misquotation in h. xv, which assigns verses from Le Testament de Jean de Meun to “le noble Rommant / de la Rose”,

condenses and accelerates this kind of movement of recollection and comparison. Elogious citation of the title in T, 113-14 affirms the looming presence of the Roman de la Rose in Villon’s Testament. Coupled with a direct quotation from Le Testament de Jean de Meun in T, 116-18, the allusion to the Rose calls both texts forcibly to

mind. The “mistake” compels the reader to locate and correct the citation, but also to recall and measure the difference between Jean’s

joyful life-affirming romance of youth and the admonitory moralizing of the later poem. There will, of course, be further rewriting of the Rose in Villon’s Testament: la Vieille is recostumed as la Belle Heaulmière;

anti-Mendicant satire from the Rose flows into Villon through Matheolus’ Lamentations: “Maistre Jehan de Meun s’en mocqua / De leur facon; si fist Mathieu” (T, 1178-79). Villon’s misquotation in T, 113-17 pulls up from the Roman de la Rose a golden chain of 42“ maistre Pierre Col”, ed. Hicks, Débat, p. 121. 297

VILLON’S LEGACY

literary recollections around the theme of youth and age. It recalls the verses where Lady Reason cites Cicero’s De senectute to warn the Lover against the follies of Youth (Rose 4400-4514); she paints Viellece remembering and regretting her wasted youth: “Adonc li vient en remenbrance /... / que malemant l’a deceüe / Jennece, qui tout a gité / son preterit an vanité” (Rose 4499, 4502-04). Recollecting verses adjacent to this passage in the Rose, readers may find in memory Reason’s picture of Old Age chained, tortured, and flogged in a sombre and shadowy cellar by “Travaill et Douleur”: Travaill et Douleur la herbergent, mes il la lient et l’enfergent et tant la batent et tourmentent que mort proichaine li presentent, et talent de soi repentir. (Rose 4493-97)

This reminiscence in turn sets off further reverberations of allusion in Villon’s Testament, h. xii: “Aprés tritresses et douleurs, / Labeurs et griefz cheminemens, / Travail mes lubres sentemens /...” (T, 91-

93). Memory thus refreshed and activated by misquotation, readers can note important changes in the verses Villon quotes from Le Testament de Jean de Meun. He significantly alters its kindly pastoral tone: “Bien doit estre escusez jeune cuer en jeunesce / Quant Diex li donne grace d’estre viel en viellesce” (Test JM 9-10). Villon eliminates God from the citation and recasts it in a tone of bitter sorrow: “C’on doit jeune cueur en jeunesse, / Quant on le voit viel en vielesse / Excuser, helas! il dit voir” (T, 116-18). Villon thus

brings the quotation into conformity with the pessimistic outlook of his Testament which throughout paints a harsh world where the speaker, the Belle Heaulmière, and the “povre viellart” — “viel singe desplaisant” (T, 424, 431) — all come forward to tell us that there is

no grace in reaching old age.4

43 R/H (Testament, ii, p. 193) find further reminiscence of Villon’s citation from Le Testament de Jean de Meun in the legacy stanzas he addresses to other young “scholars” — “mes povres clergons” (T, 1306) — where tender sympathy is undercut by sharply sarcastic antiphrasis:

298

NANCY FREEMAN REGALADO

Indeed, although Villon begins h. xv with the word “et” — “Et, comme le noble Roumant / De la Rose dit et confesse” — , this is

a conjunction which can signal opposition as well as continuation between the stanzas it links in the Testament.44 H. xv cuts off the hopeful, upward movement of the preceding hh. xiii and xiv where Villon’s speaker had turned to the forgiving, comforting God of the Gospels: “Pourtant ne veult pas Dieu ma mort, / Mais convertisse et vive en bien /... / Dieu vit, et sa misericorde” (T, 106-07, 110). In the

interplay between hh. xiv and xv of Villon’s Testament, it is possible that Villon set one additional citation from Le Testament de Jean de Meun to remind his readers ofthe full sweep of that poem: there is a coincidence between T, 106-07 and two verses of the version edited

by Méon that appear twenty-one stanzas before the end of that poem: Diex qui ne vuelt pas que muire peschierres, tant mefface, Més qu’il se convertisse et qu’il vive et bien face. (Test JM 2093-94, ed. Méon, iv, p. 112).

It cannot be known whether Villon saw and cited a version of Le Testament de Jean de Meun with this interpolation or if both are citing the same source, the verses from Ezekiel 18:23 and 30:11 which are recalled by many medieval poems of repentance.* Significantly, however, Le Testament de Jean de Meun offers Christian hope at the end of his poem after depicting the human condition while Villon dashes hope at the beginning of his.

“Auffort, triste est le sommeillier

Qui fait aise jeune en jeunesse Tant qu’en fin lui faille veillier Quant reposer deust en viellesse”. (T, 1326-29)

44 Et initiates eleven Testament huitains: it marks continuing prayer for Thibaut d’Aussigny in h. iii and iv (T, 17, 25) and additional blessings for Louis XI in h. ix (T, 65); it opposes the dead to the living in h. xxx (T, 233); it introduces examples in h. Ix (T, 313); it prolongs the spectacle of skulls in h. clxiii (T, 1752) and the enumeration of testamentary instructions in h. clxxv and‘clxxxiv (T, 1860, 1944). Three times Villon uses “et” to link ballade stanzas (T, 541, 1394, 2004).

45 Thuasne, Œuvres, ii, p. 104 and R/H, Testament, ii, p. 27.

299

VILLON’S LEGACY

Moreover, Villon’s h. xv reverses the rising, lofty movement of the last two verses of the citation which say: “Mais moult est granz vertus et tres haute noblesce / Quant cuer en jeune aage a meiirté s’adresse” (Test JM 11-12). The key term meürté (mature wisdom) is emphasized again in the succeeding stanzas of Le Testament de Jean de Meun, where it appears at the rhyme: “Maiz li uns et maint autre sont de si grant durté / Qu’en nul estat ne veulent venir a meürté” and “Plus tost meurent li jeune que ne font li méur” (Test JM 12-14, 19). Villon too shapes the last two lines of his own stanza around the word meureté. But instead of admiration for youth that aspires to wisdom, Villon’s speaker conjures up a crowd of persecutors, “ceulx donc qui me font telle presse” (T, 119). The last verse of h. xv is richly ambiguous: “En meureté ne me vouldroient voir” (T, 120). Are they bent on preventing the speaker’s achieving maturity and wisdom? Or — as David Mus has suggested — do they

not wish to see that the speaker has achieved “meureté”, a wisdom of

sorts?46 Villon quotes Le Testament de Jean de Meun not to refute its orthodox wisdom but to dispute the value of that wisdom for a particular reader, “Un poyre petit escollier /Qui fut nommé Frangoys Villon” (T, 1886-87). He rewrites the quotation from Le Testament de Jean de Meun in the poetic mode of contredit that characterizes his speaker, who

changes the sense, the thrust of the verses

he

cites.47 Contredit is Villon’s poetics of contradiction that ever argues with its models while imitating their themes — explicitly in the “Contreditz

Franc

Gontier”

(T, 1473-506),

but also

in the sote

ballade of “La grosse Margot” (T, 1591-627) and in “Il n’est soin que quant on a fain” (PV, VII), his parody of Alain Chartier’s ballade “Il n’est dangier que de villain” (PV, VII).48 Even verses from the Bible are set against each other: in Testament h. xxvii, 46 Poétique, p. 151. 47 Zumthor declares that the works of Villon are marked throughout by “l ambivalence, le paradoxe universel, la contradiction au cœur des phrases. [...] Les contrastes projetés à la surface... agressent en la sollicitant l’attention du lecteur, la dispersent dans un contre-sens généralisé” (Essai, pp. 427-28).

48 R/H, Lais et poèmes variés, ii, pp. 91-92. 300

NANCY FREEMAN REGALADO

Villon cites maxims from Ecclesiastes 11:9-10 so that their message appears not merely pessimistic but downright contradictory: Le dit du Saige trop lui feiz Favourable, bien en puis mais! Qui dist: “Esjois toy, mon filz, En ton adolessence”, mes Ailleurs sert bien d’un autre mes, Car “Jeunesse et adolessance

— C’est son parler, ne moins ne mes — Ne sont qu’abuz et ygnorance”. (T, 209-16)

Misquotation too is a type of contredit that does not merely set Villon at odds with the texts he readers of these sources. The skewed Jean de Meun thus cues readers to a traditions that Villon overturns

cites; it also serves to remind citation from Le Testament de prestigious ancestor and to the in his new Testament, the

commonplaces of moral instruction and clerical satire which abound in Le Testament de Jean de Meun and which Villon reworks. It is easy to find similarities, for both poems draw from stock themes of satirical and moral reflection such as the gluttony of monks and the frivolity of women. Both meditate on the ephemerality of life and the solitude of death: Le Testament de Jean de Meun, st. Ixxix: Penssons que, quant li homs est ou travail de mort, Ses biens ne ses richesces ne valent ne que mort; Ne li pueent oster l’angoisse qui le mort Ne ce dont conscience le reprent et remort. (Test JM 313-16) Villon, Testament, h. xl: Et meure Paris ou Elayne, Quicunques meurt meurt a douleur. (T, 313-14)

Villon’s portrait of the “povre viellart” (T, 424-44) could well have been inspired by a similar figure in Le Testament de Jean de Meun

(st. Ixiv-xlvii).49

49 See Lanly, “Villon”, pp. 248-49.

301

VILLON’S LEGACY

Le Testament de Jean de Meun, st. x\vi: Il devient froit et sec, baveus et roupieus, Roingneus et grateleus et melencolieus; Ja tant n’aura esté par devant gracieus, Qu’il ne soit en ce point charchant et annuieus. (Test JM 181-84) Villon, Testament, h. xlv Car s’en jeunesse il fut plaisant, Ores plus riens ne dit qui plaise — Tousjours viel singe est desplaisant, Moue ne fait qui ne desplaise — . (T, 429-32)

Villon’s poetry owes much to the vivid style of medieval sermons and moral poems, which are encrusted with bright images and proverbs, and which speak directly to the reader — as does Le Testament de Jean de Meun — about how to live in this world and get to the next. _ In Villon’s contredit, however, the perspective on these common moral matters is utterly shifted — from high to low, from inside to outside — for Villon’s speaker is not a preacher but a sinner. The speaker in Le Testament de Jean de Meun is a cleric smugly content with God’s endowing him with a perfect body, making him a Christian, giving him the opportunity to serve in court, and leading him from a blameless youth to temporal honor and wealth:

302

Ixii

Encor le doi je plus amer [sc. Dieu] quant il me membre Qu’il me fist quant au corps sanz deffaute de membre Qu’il me fist crestien, qu’il me daingna raiembre Je nel doi oublier n’en aoust n’en septembre.

Ixiv

Diex m’a donné servir les plus grans gens de France; Diex m’a trait sanz repreuche de jeunesce et d’enfance, Diex m’a par maint peril conduit sanz mescheanche Diex m’a rendu au miex honneur et grant chevance. (Test JM 245-48, 253-56)

NANCY FREEMAN REGALADO

What a contrast with Villon’s speaker, a poor, ailing, prematurely aged écolier, who berates himself for his youthful folly! Le Testament de Jean de Meun, moreover, counsels and comforts men

of wealth and power; the speaker’s vision of doing good is tailored to those who have done well. “How can I love my neighbor as myself?” the speaker is asked; he responds, “If you’re handsome and rich, you have nothing to lose by wishing the same for me”: XV

Se tu es biax et riches, de legier pués vouloir Que je le soie aussi, sanz riens de toi douloir: Se je vaus et tu vaus, il ne t’en puet chaloir. Puis que tu ne pués mains pour ma valeur valoir. (Test JM 57-60)

While Le Testament de Jean de Meun offers advice on the wise disposition of the rich man’s estate, the speaker in Villon’s Testament peers through a crack in the wall at the good life (T, 148082). He jeers at the powerful and lets us hear the smothered,

resentful words of the poor as they think about the rich: XXXIV

Povreté, chagrine, doulente, Tousjours, despiteuse et rebelle,

Dit quelque parolle cuisante; S’elle n’ose, si le pense elle. (T, 269-71)

Sermonizing in Le Testament de Jean de Meun is fleshed out with picturesque denunciations of the world, the flesh, and the devil, with

special condemnation of lust, while Villon’s speaker regrets only his impotence. XXV

Bien est verté que j’é aymé Et aymeroye voulentiers, Mais triste cueur, ventre affamé Qui n’est rassasié au tiers M'oste des amoureux sentiers. (T, 193-97)

Images of the raging storms of Hell are intended to inspire fear of damnation in Le Testament de Jean de Meun:

303

VILLON’S LEGACY cdlxxxiv

Vent et foudre et tonnerre qui tout perce et enteste, Feu et gresle et orage, noif, glace et tempeste, Les tourmentent [les riches] adez des piez jusqu’a la teste, Car enfer est tous plains de tourments jusqu’au feste.

(Test JM 1933-36)

In Villon’s “Ballade des pendus”, “l’infernale fouldre” still rumbles (PV, xi 18), but it seems a distant menace

Villon’s Margot:

speaker

is snugly

sheltered

in the Testament, where

in the bordello

of Grosse

Vent, gresle, gesle, j’ay mon pain cuyt Je suis paillart, la paillarde me suyt. Lequel vault mieulx? Chacun bien s’entressuyt, L’un vault l’autre, c’est a mau rat mau chat. Ordure aimons, ordure nous affuyt. (T, 1621-25)

Yet these images of creatural satisfaction are a source of tension for Villon’s reader, for they are expressed in words that inspire a sense of revulsion for the human condition: “paillart”, “mau rat”, “ordure

aimons, ordure nous affuyt”, reemphasized in “De telz ordures te reculles” (T, 1708). The shift in perspective from high to low undermines the authority of Villon’s speaker, for the right to preach is founded on righteousness, as Le Testament de Jean de Meun tells us: “Qui autri

veut blasmer, il doit estre sans blasme” (Test JM 693). Its themes are set out from on high, with a firm conviction of the right and without irony by an authoritative master. Villon’s speaker, in contrast, acknowledges that his sins cancel out his right to pass judgment: he is “pecheur” not “prescheur” (T, 294, 296): Xxxill

Je ne suis juge ne commis Pour pugnir n’assouldre meffait: De tous suis le plus imparfait. (T, 259-61)

The interlocutors who speak up in Villon’s Testament not only challenge the logic of the speaker’s arguments (as in Le Testament de Jean de Meun), they also question his very authority: 304

NANCY FREEMAN REGALADO Ixxxii

Qui me diroit, “Qui vous fait mectre Si tres avant ceste parolle, Qui n’estes en theologie maistre? A vous est presumpcion folle”. (T, 809-12)

Yet although Villor denies his speaker the authority to judge, he does not give up the impulse for moral instruction inherited from Le Testament de Jean de Meun, but places it under the problematic sign of the contredit. Le Testament de Jean de Meun instructed its readers to speak gratefully and respectfully of the ancient auctores:

XX

Villon’s

Nul ne doit des acteurs parler senestrement Se leur dit ne contient erreur apertement, Car tant estudierent pour nostre enseingnement C’on doit leur mos gloser moult favorablement. (Test JM 77-80)

Testament,

on the other hand, is an upside-down

school

where the auctores are misquoted, “Ou l’escolier le maistre enseigne” (T, 1631), where an old whore teaches a “leçon” (T, 561), where “beaux enseignements” of women gossiping at church doors surpass the judgments of Macrobius (T, 1547-50). Villon’s speaker postures as a teacher throughout the poem: ironically in the curriculum he lays out for his “troys povres orphelins” (T, 1275) and his “povres clergons” (T, 1306), grimly in h. clv which precedes the piece Marot entitled “Ballade de bonne doctrine a ceulx de mauvaise wie’: Une leçon de mon escolle Leur liray, qui ne dure guerre;

Teste n’ayent dure ne folle, Escoutent! car c’est la derniere. (T, 1664-67)

In contrast with Le Testament de Jean de Meun, however, Villon’s

speaker teaches not salvation but survival. His irrefutable authority lies in his very mortality: “Qui meurt a ses loix de tout dire” (T, 728). His lessons are ephemeral rather than eternal: his maxims are filled with coarse talk, vile and foolish matter, “vil ne sot” (T, 1592).

305

VILLON’S LEGACY

However, these teachings of Villon’s speaker do not stand alone: we hear them spoken against high-minded orthodoxy, recalled by the speaker himself as well as by his interlocutors throughout the poem: “Et si aucun me disait...” In the overall order of the Testament, the misquotation from Le Testament de Jean de Meun in h. xv has thus a crucial function: located towards the beginning of Villon’s poem, it helps establish from the first an opposition between high and low, setting it into motion as a movement that governs the whole. Recollection sets up reverberation: the reader keeps the allusion in mind, once it is established.

Villon summons Le Testament de Jean de Meun as an elevated discourse that seeks to constrain the world and the flesh in order to contradict it with a low wisdom that rises from below, from

the world and the flesh, a wisdom expressed by a crude speaker whose naked arse is beaten by a paddle: “Et lui frappa au cul la pelle, / Non obstant qu’il dit: ‘J’en appelle!’ / Qui n’est pas terme trop subtil” (T, 1900-02). Citation of Le Testament de Jean de Meun — reinforced and redirected by misquotation — raises up this lofty model in the reader’s mind and memory like a sounding board so that the speaker’s words can resonate against it. It is at every point against this initial backdrop of high moral wisdom that Villon stages his performance of what we may call alternative wisdom, whose teachings are inseparable from representation of the sweat, dirt, danger, and pain of creatural existence in this world. The contrast between the two Testaments — the sober counsel of the early work and the coarse wit of Villon’s poem — links Villon’s

Testament

to another

medieval

genre,

the altercatio

or

dialogue between the wise man and the fool, where a higher truth is countered by a lower reality, wisdom by wisecracking. This altercatio tradition is best illustrated by the medieval dialogues of Solomon and Marcoul where the sage maxims of a high, learned authority named Solomon are contradicted by Marcoul, an impudent vilain, who responds insolently with maxims of a coarse or cynical realism or speaks obscenely of whores. The dialogues of Solomon and Marcoul have ancient roots in the biblical dialogue of Solomon and the Queen of Sheba (1 Kings 10:1-10); the tenth-century monk Notker Labeo of St. Gall alludes to a vernacular version; they circulated widely in Latin and all the

306

NANCY FREEMAN REGALADO

languages of medieval Europe from the eleventh through the sixteenth century; they are quoted by Picrochole’s advisors in Rabelais’ Gargantua;>° they are refigured in Don Quixote and

Sancho Panza.$! These dialogues in which Marcoul (or Marcon or Marcolf) responds with earthy truths to the sayings of Solomon belong to the tradition of popular wisdom favored in proverbs such as that opening Chrétien’s Erec et Enide, “Li vilains dit en son respit” (1. 1).°? Sayings attributed to peasants were often gathered in

collections such as Li proverbe au vilain,3 Li proverbes au comte

50 “ _ ©! (dist Spadassin)... Qui ne se adventure, n’a cheval ny mule, ce dist Salomon. — Qui trop (dist Echéphron) se aventure, pert cheval et mule,

respondit Malcon” (Ch. 33).

51 For complete historical accounts of the dialogues of Solomon

and

Marcoul, see: Jan Ziolkowski, Jezebel: A Norman Latin Poem of the Early Eleventh Century, Humana Civilitas 10 (New York, 1989); John M. Kemble, The Dialogue of Salomon and Saturnus, The Aelfric Society (London, 1848; rpt. New York, 1974); E. Cosquin, “Le conte du chat et de la chandelle”, Romania, 40 (1911): 371-430, 481-531 at 373-96, and R.J.

Menner, “Introduction”, in The Poetical Dialogues of Solomon and Saturn, Modern Languages Association of America Monograph Series, 13 (New York, 1941), pp. 1-70. See also Maria Corti’s semiotic analysis of these dialogues in “Models and Antimodels in Medieval Culture”, New Literary History, 10 (1979), 339-66 (357-64). I appreciated Jan Ziolkowski’s response to my inquiries about Solomon and Marcoul. I thank Michael Camille for sending me Malcolm Jones’ “Marcolf the Trickster in Late Mediaeval Art and Literature or: The Mystery of the Bum in the Oven”, Spoken in Jest, ed., G. Bennett, The Folklore Society Mistletoe Series 21

(Sheffield, 1991), 139-74.

52 See Jean-Claude Mühlethaler, “Le poète et le proverbe”, Poétiques du quinzième siècle: Situation de François Villon et Michault Taillevent (Paris, 1983), pp. 65-66, and R. N. B. Goddard, “Marcabru, Li proverbe au vilain, and the Tradition of Rustic Proverbs”, Neuphilologische Mitteilungen, 88 (1987), 55-70.

53 Ed. by A. Tobler (Leipzig, 1895) and by E. Lommatzsch (Limburg am Lahn, 1935). Eckhard Rattundes mark the relation with Salomon and Marcoul in Li Proverbes au vilain: Untersuchungen zur romanischen Spruchdichtung des Mittelalters, Studia Romanica,

11 (Heidelberg,

1966),

pp. 133-36.

307

VILLON’S LEGACY

de Bretagne,4

and Li respit del curteis et del vilain.*> All but

forgotten now (for many have not been republished since the nineteenth century“ ), the dialogues of Solomon and Marcoul put an amusingly rude and ugly face on the familiar idea of rustic wisdom. For all their broad

diffusion,

however,

the dialogues

of

Solomon and Marcoul are not a canonical text but rather a type wellknown in the Middle Ages and Renaissance, an available pattern which could be either briefly recalled or amply filled in by any author. There are two distinct subgroups in the ten extant French versions which are identical in form but which diverge widely in content. One early fourteenth-century version opposes a sprightly courtly ethos to the harsh realism of Marcoul. I

Seur tote l’autre hennor Est proesce la flor, Ce dit Salemons. Ge n’aim pas la valour Dont l’en muert a doulor,

Marcoul li respont. Ill

Por largement doner Peut l’en enpres monter Ce dit Salemons. De povreté user, Se fait l’en fol clamer,

Marcol li respont.°?

54 Ed. Michele G. Diaferia, Li proverbes au conte de Bretagne (New York, 1990) and by Georges Adrien Crapelet, Proverbes et dictons populaires aux XIIIe et XIVe siècles (Paris, 1831), pp. 169-85.

55 Ed. E. Stengel in Zeitschrift für franzôsische Sprache und Literatur, 14 (1892), pp.154-58.

56 See the bibliography in Ziolkowski, Jezebel, p. 195. 57 Paris, BNF MS fr. 19152, fols. 116b-117c (early 14th century), ed. MaryAnn Stadtler, Salemon et Marcoul: Edition critique et étude littéraire (Diss. Université de Paris-Sorbonne, 1979); also published by Crapelet, Proverbes et dictons populaires, pp. 189-200. Stadtler’s excellent study and edition of four versions from the 10 extant manuscripts is unfortunately not yet

308

NANCY FREEMAN REGALADO

The other nine French manuscripts (which date from the thirteenth to fifteenth centuries) develop a second type in which Marcoul parodies whatever Solomon says with obscene talk about whores: I

Mortalitez, guerre Est escil de terre Et destruiemenz Ce dist Salemons. De putain sourt maus Et guerre mortaus, Et peril de gent Marcoul li respont.

XII

Tels chace le dain Par bois et par plain Qui puis le pert tout, Ce dist Salemons. Tels vest la putain Et pest de son pain C’un autres la fout,

Marcoul li respont.58 Each version is freely recomposed from the model: of the total seventy-six known stanzas, only one is found in all in nine versions and twenty-four appear in only one version. All, however, hew closely to the common type. We know that Villon himself was familiar with the dialogues of Solomon and Marcoul, for an allusion to Solomon in his “Débat

de Villon et son Coeur” hooks up the pattern from memory:

published; Sorbonne.

it is available

only in typescript at the Bibliothéque

de la

58 Paris, BNF MS fr. 837, fol. 161v (end of the 13th century), ed. Stadtler, Salemon et Marcoul, who shows the distribution of stanzas among the nine, widely diverging “putain” manuscripts. Stadtler also identifies the manuscript sources of the anthology of 69 “putain” stanzas published by Dominique Méon, Nouveau Recueil de fabliaux et contes inédits des poètes français des XIIIeXIIIe, XIVe et XVe siècles, 2 vols. (Paris, 1923; rpt. Genève, 1976), i, pp. 416-36.

309

VILLON’S LEGACY — Dont vient ce mal? — Il vient de mon mal eur: Quant Saturne me fist mon fardelet, Ses motz y mist, je le croy. — C’est foleur: Son seigneur es et te tiens son varlet! Voy que Salmon escript en son rolet: “Homme sage, ce dit il, a puissance Sur planetes et sur leur influence”. Je n’en croy riens: tel qu’il m’ont fait seray.

(PV, xiii, 31-38)

Citing Villon’s other “mistakes”, Rychner and Henry suggest that here in ll. 36-37 Villon may have erred again by quoting the apocryphal Wisdom of Solomon (7:17-19), which speaks of the cycles of the years and the constellations but not of the influence of planets on man.*? Recalled in this debate between a wise heart and a foolish speaker, however, the allusion to the dialogues of Solomon

and Marcoul is unmistakable: this Solomon is not the glorious king of T, 58 nor the idolater of T, 630, but the eternal partner of a fool

who responds “Je n’en croy riens” to every maxim. Pointing out the link to the dialogues, Thuasne notes, moreover, that Villon’s foolish speaker bears the melancholy burden of Saturn, and that Saturnus is the

name

for

Marcoul

in

Anglo-Saxon

versions.£?

Thuasne,

moreover, rightly associates Solomon’s words with Jean de Meun’s verses on free will, one of the great themes of the discourse of Nature, who refuses to yield human destiny to the influence of stars, planets, and comets. It is Villon’s “mistakes” that weave the familiar pattern of Solomon and Marcoul into the tapestry of the Testament; his

59 KI] est vraisemblable que V. exploite (en se trompant d’adresse, comme pour Valère Maxime, cf. T, 159-160 n., pour le Roman de la Rose, cf T, 113-118 n., pour Caton, PV I, 108 n., ou pour Aristote, L 296 n.) un souvenir d’école, l’adage Vir bonus ou sapiens dominabitur astris, attribue à

Ptolémée et cité, p. ex., par saint Thomas d’Aquin à l’appui de l’affirmation du libre arbitre de l’homme” (R/H, Lais et poèmes variés, ii, p. 122).

60 Thuasne, “François Villon et Jean de Meun”, pp. 93-94, n. 1 and Œuvres, il, pp. 590-92. On the connection between Saturn and folly, see Mübhlethaler, Poétiques, p. 51; on Marcoul-Saturn as a Teutonic god, see Kemble, The Dialogue of Salomon and Saturnus, pp. 113-31.

310

NANCY FREEMAN REGALADO

misquotations both summon and contradict higher authority. Reading the Testament Within the tradition of altercatio and alternative wisdom, we can see that Villon’s speaker incarnates and particularizes the type of Marcoul, setting him in the world of contemporary Paris and lending him a poet’s name, “le povre Villon”. He draws from the pessimistic outlook of this character and exploits his tendency to shift all phenomena towards the literal and the low — “cueur” to “foye” (T, 911), “paix” to “pet” (T, 1611) — and his wisdom wrung from bitter experience. However, reading the Testament with the dialogues of Solomon and Marcoul reveals one significant and striking difference: Villon’s poem is not a dialogue. Unbound from the tight frame of altercatio, his bon follastre has no wise partner but only an imperfect recollection of wisdom once learned and now misquoted. Grimacing against the backdrop of Solomonic wisdom recalled in the reader’s memory by misquotation of Le Testament de Jean de Meun, Villon’s speaker plays a grotesque and solitary Marcoul, who leers and jeers and rants alone in the terrifying glare of death in the Testament.

311

Le Temps Villon

dans

le Testament

de François

Georg Roellenbleck Si je me propose de traiter la question du Temps dans le Testament, | cela ne veut pas dire qu’il sera question de la chronologie (intérieure ou extérieure) du poème, ni des réflexions de son Moi sur le Temps qui passe, sur le Temps structure de la vie humaine dont la fuite inexorable est une des expériences qui marquent le plus profondément la poésie dite “personnelle” du XVe siécle.? Il semble évident que le Testament se situe dans le contexte d’œuvres comme le Passe Temps Michault Taillevent (1448?) et le Temps Perdu (avant 1450) et le Temps Recouvré (rédaction de la première partie en 1451) de Pierre Chastellain,?

et qu’il veut donner, comme

ces

1 Le texte du Testament est cité d’après l’édition suivante: François Villon,

Complete Poems. Edited with English Translation and Commentary by Barbara N. Sargent-Baur (Toronto/Buffalo/London, 1994). 2 C’est dans l’expression de cette expérience que, dans une des rares contributions dédiées au Temps dans le Testament de Villon, Doina Cornea voit le thème central du poème; voir “Sentimentul duratei la Villon”, dans Studia Univ. Babes-Bolyai, Philologia, 23 (1978), 17-22; 26-34. David A. Fein, dans un bref article sur “Time and Timelessness in Villon’s

Testament”, Neophilologus, 71 (1987), 470-473, y distingue trois ordres de Temps: “personal time”, “historical time”, and “deathwatch”. Pour lui aussi, le Temps de Villon est d’abord la force destructrice de la vie, le chemin qui va a la mort; pourtant, a la fin de son auto-réflexion qui le montre spectateur ou méme lui-méme champ de bataille entre time and timelessness, entre time and eternity, le poéte réussit a remporter la victoire spirituelle sur le Temps et le Monde. La thèse de Claude Reyt, Troisième et quatrième dimensions chez François Villon (thèse 3e cycle, Université de Paris III, 1982) ne m’a pas été accessible. 3 Dans “L’Enfance d’un poète: François Villon et son personnage”, in Mélanges de littérature du Moyen Age au XXe siècle offerts à Mademoiselle Jeanne Lods, 2 vols. (Paris, 1978, 2 vol.), i, pp. 517-529, Daniel Poirion fait

observer que le Testament se trouve une fois associé au poème de Michault Taillevent dans le même ms. Les deux poèmes de Pierre Chastellain

312

LE TEMPS DANS LE TESTAMENT poèmes,

le récit ou le portrait d’une vie dans sa totalité (récit ou

portrait qu’il donne, bien sûr, avec beaucoup plus de détail et de complexité — pour ne pas dire avec un art de loin supérieur — à celui de ses devanciers). Je n’entrerai pas non plus dans la discussion sur les intentions ou la poétique de Villon, sur la part de vérité et de fiction dans le poème. C’est la seule constitution de ce portrait d’un Moi poétique qui m'intéresse ici. Je trouve, dans le Testament, moins le désir de la part du Moi du poème de faire apparaître une relation avec la vie passée du personnage que celui de réaliser l’investigation des “couches temporelles”, si je puis dire, que le prétendu testateur voit constituer, au moment de la rédaction du texte, son Moi présent,

son Moi qui se trouve, à sa manière, à la recherche de son temps perdu. Je tâcherai donc de rendre visibles quelques aspects du “temporal mechanism” du poème dont nous a parlé Malcolm Bowie, au début de ce colloque, au sujet de “Villon and the Poetics of Retrospection”. Ce qui distingue, d’une maniére fondamentale, le plan du Testament de celui des poèmes de Michault Taillevent et de Pierre Chastellain,

c’est

la discontinuité

méthodique,

raffinée,

de

la

narration ou, pour me servir d’une formule heureuse de Jean-Claude Mübhlethaler, la “durée éclatée”*

de l’histoire du Moi et des autres

personnages dont il y est question. Frank-Rutger Hausmann a voulu voir récemment dans cette rupture du continuum temporel du récit, dans ses Zeitbriiche,

un indice de la fictionnalité du poème, un

“Fiktionssignal”.> Une telle interprétation ne me semble acceptable que si l’on ne pense pas tant a |’ affirmation, de la part de l’auteur, du constituent, on le sait, des réponses ou des suites au Passe Temps Michault Taillevent. | 4 Jean-Claude Mübhlethaler, Poétiques du quinzième siècle. Situation de François Villon et de Michault Taillevent (Paris, 1983), pp. 156 sqq. 5 Frank-Rutger Hausmann, “ ‘Car en amour mourut martir’. François Villons Kleines Testament und seine verschiedenen Interpretationsmôglichkeiten”, in Musique naturele. Interpretationen zur franzôsischen Lyrik des Spätmittelalters, éd. Wolf-Dieter Stempel (München, 1995), pp. 419-457. La “structure brisée” du poème est soulignée aussi par D.Cornea (v. note 1),

p. 21; on trouve des remarques similaires dans Gérard Gros, “Villon sans masque, ou: la plume et le papier”, Revue des Langues Romanes, 97 (1993), 363-374.

313

GEORG ROELLENBLECK

statut théorique du texte, qu’à la conséquence nécessaire d’une conception nouvelle de l’autobiographie poétique. Le discours du Testament oscille entre les thèmes et les divers aspects du Temps, et ne trouve son centre que dans la conscience du Moi qui parle; le jeu ouvert des relations que ce Moi institue entre son présent et divers moments de son passé ou entre lui-même et des personnages qui ont joué un rôle plus ou moins important dans son histoire personnelle, forme la dimension du texte que je me propose d’analyser ici. A mes yeux, ces relations sont essentiellement formulées comme des énoncés temporels; leur importance pour le sujet du discours ne s’épuise pourtant pas, bien sûr, avec l'établissement d’une chronologie. On sait que le Testament ne pourrait pas servir, pour ses biographes, à des fins semblables; cette importance correspond plutôt à la valeur affective de ces relations, et l’art avec lequel elles sont présentées; et leur valeur affective suggérée est en grande partie un art de temporalisation. Pour chaque épisode, sont rendus sensibles, avec un maximum d’efficacité, sa durée, le mode de l’écoulement du temps

qui l’a distingué, ou sa distance plus ou moins grande dans un passé dont le Moi se sait maintenant coupé pour toujours, tout en s’y sentant,

dans

sa

conscience

de

soi

dans

le

présent,

lié

indissolublement. Citons la belle définition du Moi du poète qu’a donnée Barbara Sargent-Baur, à savoir: “a living consciousness caught in temporality, endowed with memory, and aware of

alteration”.6 L'expérience du Temps n’est donc pas un des thèmes ou même le thème principal du Testament, mais plutôt la forme de la pensée (ou de l’écriture) de son auteur. L'ensemble du poème, à tous ses niveaux, s’en trouve investi, soit qu’on en regarde la structure,

soit qu’on en regarde les diverses formes de la narration qui construisent le portrait d’une vie passée et créent la perspective dans laquelle le Moi du discours se rend compte du poids de ce passé pour sa situation présente. Villon ne parle pas du Temps, il le met en scène.

6Barbara Nelson Sargent-Baur, Brothers of Dragons. François Villon (New York / London, 1990), p.103.

314

Job Dolens

and

LE TEMPS DANS LE TESTAMENT

I

Je commencerai

c’est-à-dire

les vers

par la structure. Le début du Testament,

1 à 81, ne semble,

a première

vue,

qu’une

variante du début du Lais, mais on s’aperçoit bientôt que l’on est en présence d’un morceau d’une tout autre complexité. Entre la date “personnelle” (“En l’an de mon trentiesme aage”) qui a pris la place de la date “objective” de la première ligne du Lais (“Mil quatre cens cinquante et six”), et la datation “objective” du Testament: “Et escript l’an soixante et ung” (v.81), s’établit une forte tension:’ la date “personnelle”, justifiée par la série des huitains qui suivent et qui précisent la situation de celui qui parle en donnant les noms des personnages principaux qui l’ont causée, appelle la date “objective”; ce sont les temps grammaticaux du présent et du futur qui commandent (à l’exception des vers 13 à 15) tout ce début du poème, pour être relayés par le temps grammatical du passé seulement au moment de la datation “objective” introduite par les vv.78 et suivants. Remarquons en outre que la phrase du début reste sans verbe: ce ne sont que les vers des hh. 10 et 11, à partir de “J’ay ce testament tres estable/ Fait..”, qui, enfin — c’est-à-dire après 80 vers

environ — le fournissent. Ce fait est d’une grande importance pour la compréhension

du poème, car ce début établit, si je vois bien, la

plate-forme, le point fixe pour tout ce qui suit. Cette plate-forme d’un présent immobile (parce que laissée provisoirement sans verbe), développe la situation intérieure, la situation psychologique du moment présent dans la perspective duquel est vu tout ce qui suit. Elle constitue la base pour les différents points de vue à partir desquels le Moi dirigera tour à tour son regard vers son passé (ou vers sa situation actuelle) ou vers des personnes de son entourage présent ou passé. Dans ce début, je vois le pivot de tout le poème. Le vers “Et escript l’an soixante et ung” a pourtant une seconde fonction: il jette, avec la forme grammaticale du passé, un doute productif sur la perspective dans laquelle nous devons voir l’acte à peine entamé: l’auteur désire-t-il créer l’impression (ou l’illusion) que le lecteur assiste à un acte qui se produit, pour ainsi 7 Voir aussi l’analyse de cette partie du poème dans l’article de Jean-Marie Paquette, “Temps, écriture et change: pour une sémiosis du Testament de Villon”, Etudes françaises, 16 (1980), 5-19.

315

GEORG ROELLENBLECK

dire, sous ses yeux; ou est-ce qu’il se place lui-même dans la distance de la narration pour rendre compte, en rétrospective, du moment de la rédaction qui appartient lui aussi déjà à son passé? La fin du Lais nous fournit un parallèle moins ambigu de ce procédé, mais pour cette raison peut-être moins subtil. Ce n’est pas là, bien sûr, le seul endroit du poème dans lequel sa rédaction est thématisée: aux deux faces de l’ambiguïté du début correspond d’une part la mimésis dramatique des hh. 78 et 79, où le prétendu mourant appelle son clerc Fremin pour lui dicter sa dernière volonté comme si cet acte ne commençait qu’alors; et d’autre part, nous avons la partie finale à partir de la ballade “Icy se clost le testament...” (v. 1996 et suiv.) où la perspective de distance n’est plus voilée et où elle est même “matérialisée”, pour ainsi dire,

dans un personnage différent du Moi du poème et qui fournit, en épilogue, le récit des derniers moments du testateur. Chaque fois, le motif de l’acte de tester est attiré par le souvenir de l’évêque d’Orléans: tout au début de la partie qui mène, avec la scène pittoresque de la dictée, à la série des legs, le h. 73 le rappelle à l’aide d’une défiguration de son nom (“Dieu mercy — et Tacque Thibault...”); et quelques vers avant la ballade finale, nous trouvons désignés, parmi ceux et celles auxquels le testateur “crye mercys”, les “traistres chiens matins/ Qui m’ont fait ronger dures crostes...” (vv. 1984-1985), vers qu’on peut très bien lire comme une nouvelle allusion à Thibaut d’Aucigny. Cette récurrence, trop voyante pour être fortuite, semble un fort indice de l’unité structurale (et psychologique) du poème; un aspect sur lequel je reviendrai plus tard.8 Cette question de perspectives nous ramène à considérer le sens de tout le poème, c’est-à-dire la direction dans laquelle va son regard. Souvent, à mon avis, on prend trop au sérieux le cadre testamentaire,

et l’on décrit

l’intention du Moi

comme

tournée

8 On pourrait être tenté de voir un quatrième exemple de cette liaison, en raccourci cette fois, dans les vers 1354-1355, où le prétendu acte manqué

(‘Fehlleistung”) — “Thibault de la Garde.../ Thibault? je mens, il a nom Jehan” — est suivi, deux vers plus loin, par la parenthèse, “Assez j’ay perdu tout cest an” (v. 1357), qui paraît être motivée par la même réflexion que celle qui a provoqué la résolution de “tester”.

316

LE TEMPS DANS LE TESTAMENT

exclusivement vers le passé pour en faire le bilan, dans la conviction, vraie ou fictionnelle, que la fin de sa vie est venue. Or les premiers huitains nous mettent sous les yeux quelqu’un qui sort de prison, quelqu’un à qui une grâce (royale) inespérée a redonné la vie, grâce pour laquelle il sera reconnaissant “tant que mon cueur vivra” (v.85). Un moment de libération, donc (à lopposé du moment du Lais qui parle d’une situation de péril imminent et de fuite), et un moment toujours difficile, certes: “Pour

ce que foible je me sens — / Trop plus de biens que de sancté” (vv.7374), et qui ne lui montrait pas un entourage particulièrement accueillant: “Ceulx dont qui me font telle presse / En meureté ne me vouldroient voir” (vv. 119-120), — mais quand même un moment où le Moi se sentait en droit d’espérer pouvoir reprendre une vie de “clerc sans histoires”, une fois trouvé quelque appui ou quelque aide financière. Il ne s’agit pas, bien entendu, de nier qu’il y a, dans le Testament, le regard en arrière, la volonté de faire le bilan — la plus grande partie du texte est consacrée à des thèmes qui y ont trait — , mais il me semble que tout cela sert, plutôt qu’à raconter l’histoire du passé, à une prise de conscience qui doit servir à maîtriser le présent et le (proche) avenir. C’est là le sens de la recherche des couches qui constituent le Moi,!° c’est là aussi le sens d’un message que formulent les vers du h.12: “Or est vray [...] Travail mes lubres sentemens, [...] M’ouvrist plus que tous les Commens / D’Averroÿs sur Arristote”. Son école a été une école de souffrances, mais il en

parle pour comprendre sa situation présente, d’où il compte partir vers un avenir difficile mais qu’il espére quand méme étre meilleur que le passé des derniéres années. La question a laquelle le

9 Voir Gert Pinkernell, Francois Villon et Charles d’Orléans (1457 a 1461). d'après les Poésies diverses de Villon (Heidelberg, 1992), où est analysé un grand nombre des Poésies diverses dans l'intention de reconstituer dans son détail, même chronologique, l’histoire mouvementée des relations entre les deux hommes. L’expression citée ici se trouve à la p.136. 10 Je renvoie aux fines analyses de Poirion, “L’Enfance d’un poète”, art. cit., pp.519 sqq.

317

GEORG ROELLENBLECK

Testament se propose de trouver une réponse, c’est: “Qu’est-ce qu’il adviendra de moi?” A la fin de cette première partie de mon exposé, il convient de rappeler, du moins en substance, une constatation qui a été faite a plusieurs reprises dans la litterature critique!! et qui démontre une nouvelle fois la sensibilité de l’auteur pour l’action du Temps comme donnée fondamentale de la vie de l’esprit comme de celle du corps. La troisième des ballades sur le thème de I’ Ubi sunt est écrite “en vieil langage françoys” (Clément Marot); or, l’impression s’impose que Villon, en ce faisant, a voulu suggérer à son lecteur que la langue, que les langues aussi vieillissent comme toute chose vivante. Je cite Kenneth Varty: “might he (Villon) not be holding up yet another danse macabre mirror to the living language he uses in poetry?”.12 Cela me semble évident et ne pas nécessiter même de commentaire; mais je ne suivrais pas pour autant Kenneth Varty dans son interprétation de ce procédé poétique là où il veut qu’il soit, dans cette ballade, question aussi de la mort de la poésie elle-même, c’està-dire de l’œuvre des poètes des temps passés: “Could a poet be more pessimistic?” (ibid.). Villon semble bien vouloir démontrer le sort de la langue, c’est-à-dire son vieillissement; mais il ne parle pas de la poésie, et il avait présent à l’esprit trop d’auteurs et de textes d’autres temps pour qu’on puisse, à mon avis, lui prêter des idées sur la mort de la poésie. Il La partie à partir du h. 14, généralement et avec raison considérée comme la partie la plus marquante du poème, partie où le Moi parle, directement ou par personne interposée, de sa propre histoire et du Temps, est commandée par l’idée ou par le sentiment du regret ou des regrets. Le mot, dans le sens qu’il prendra dans le

IT A titre d'exemple, je cite Antonio Costanzo, “Time and Space in Villon: ‘Les trois ballades du temps perdu’”, Fifteenth Century Studies, | (1978), 51-69; Kenneth Varty, “Villon’s Three Ballades du Temps jadis and the Danse Macabre”, dans Littera et sensus. Essays on Form and Meaning in Medieval French Literature presented to John Fox, éd. D.A.Trotter et al. (Exeter, 1989), pp. 73-93; l’article précité de Gros (v. note 5), p.371.

12 Voir dans l’article cité de Varty, p. 91. 318

LE TEMPS DANS LE TESTAMENT

Testament, est absent du Lais,!> et il n’apparaît pas plus que trois fois dans le poème de 1461, et ce n’est jamais le Moi en sa propre personne qui s’en sert pour formuler son regard sur le passé. D'ailleurs, pour être correct, ce n’est pas le substantif que Villon emploie, mais toujours le verbe: regreter. Si ce mot a servi, pour Siciliano par exemple, à désigner toute la partie du poème qui précède la partie des legs, c’est qu’on y a vu la formule qui caractérise d’un seul mot la qualité psychique de son regard vers le passé qu’on trouve ici. Je crois qu’une définition de “regret” comme un regard jeté sur le passé où le remords d’avoir gaspillé sa vie se mêle à la-nostalgie d’un passé pour toujours perdu est sans doute correcte, mais qu’elle pourrait être précisée quelque peu. Voici pourquoi: l’emploi du mot “regreter” dans le Testament paraît être une création de Villon. Le poète a donné à un mot courant dans la langue poétique du XVe siècle, où “regretz connote grief or chagrin, they personnify the sorrows which accompany the loss of a cherished object”,!* un “dynamisme temporalisant” tout nouveau, ce qui est exprimé peut-être déjà par le fait que Villon préfère le verbe, donc l’action dirigée, au substantif, c’est-à-dire à la passivité du seul sentiment. Ce processus est reflété par les trois lieux où le mot apparaît dans le Testament. Au v. 439, c’est le povre viellart (v. 424) qui se voit délaissé et méprisé de tout le monde, qui “appelle de ses vœux” la mort (c’est ainsi que le Lexique de Burger explique le mot pour le lieu qui nous occupe en ce moment): “Regrecte huy sa mort et hier...”. Contrairement à l’usage courant d’alors, le regret ici n’est pas d’une perte; il désigne plutôt un désir qui se dirige vers quelque chose qui est encore absente. Aux deux autres lieux, le mot se trouve dans la bouche de vieilles femmes et, fait à retenir, il figure à la rime. Au wv. 453-54: “Advis m’est que j’oy regrecter/ La belle qui fut Héaulmiere”, le mot regrecter sert à caractériser une plainte que le 13 Cf. Lais, vv.39-40: “Rompre veult la vive soudure, / Sans mes piteulx regretz ouir”. Le personnage se plaint ainsi d’une souffrance subie actuellement, sans pour autant ouvrir une perspective sur le passé.

14 Mary Beth W. Marvin, “Regrets in French Chanson Texts of the Late XVth Century”, Fifteenth-Century Studies, 1 (1978), 193-217. Il n’est pas question de Villon dans cet article.

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GEORG ROELLENBLECK

vers 455 traduit par “Soy jeune fille soubzhaicter”. Ici est exprimé non seulement le désir de revoir une chose perdue depuis longtemps, mais aussi la douleur qui résulte de la comparaison des deux états, de celui de jeune fille et de celui de vieille femme, donc du passé avec le présent. Au h. 56, enfin, c’est la “Belle qui fut Héaulmiere” ellemême qui parle, en son nom et au nom des autres “povres vielles soctes” (v. 526) qui sont assises autour d’un “petit feu de chenevoctes” (v.529): “Ainsi le bon temps regretons”, c’est-à-dire, elles sont tout absorbées par le souvenir douloureux des bons moments de leur vie. Le seul fait que le mot “regret” acquiert une profondeur temporelle, une perspective qui lie le présent au passé, me semble déjà remarquable. Ce qui lui confère une qualité vraiment nouvelle, c’est qu’à “regret” s’associe l’idée du “devenir”. Le Moi du poème, “Au retour de dure prison/ Ou j’ay laissié presque la vie” (vv.178485), est en train de chercher sa position, son “identité” dans le monde, lui qui, d’après la constatation du h. 15, se trouve maintenant

entre “jeunesse” et “meureté”. Je signale ici, sans la discuter, l’interprétation de Daniel Poirion qui veut que Villon qui, partout dans son œuvre, se désigne de préférence comme un homme très jeune (“petit écolier”, etc.) se sente fixé, dans le plus profond de son être, au temps de sa première jeunesse et se trouve toujours à la

recherche

de la protection maternelle.l$

Quoi qu’il en soit, le

“temps” est pour lui, Villon, d’abord un “temps perdu”, et précisément le temps perdu de la jeunesse: sur les treize cas où le mot “temps” figure dans le Testament, dans six il est employé pour

désigner cette époque de la vie.l6

15 Voir l’article déjà cité de Poirion, “L’Enfance d’un poète”.

16 Le “temps de la jeunesse" (etc.): Testament, vv. 169, 202, 226, 487, 525, 536. Au v. 958, temps désigne la vieillesse; au v. 399, le temps de la vie est opposé à la mort. Il y a un autre endroit du poème (que Poirion ne cite pas) qui illustre le même point de vue: dans la “Ballade pour prier Notre-Dame”, il est dit de Jésus qu’il “offrit a mort sa tres clere jeunesse” (v.907); “vie” et “jeunesse” se trouvent donc quasi identifiées. A la lumière de tous ces textes, je ne tiendrais pas pour valable l’objection que “jeunesse” y ait été attirée surtout par les besoins de la rime.

320

LE TEMPS DANS LE TESTAMENT

Au moment du Testament, cette époque est révolue; la hantise de voir toute la vie sub specie de sa temporalité pousse son Moi à imaginer ce qui viendra: c’est là la fonction de la partie qui met en scène le “povre viellart” (v. 424) avec lequel, si la leçon du ms. C est la bonne, le Moi semble s’identifier directement,!7 mais c’est la fonction aussi de l’apparition des vieilles femmes dont la Belle Heaulmiére, dans ses “regrets”, est la porte-parole. C’est ici précisément qu’intervient l’idée du “devenir”: jeunesse et vieillesse ne sont plus simplement juxtaposées et comparées; le regard se dirige plutôt sur le chemin qui va de l’une à l’autre, donc sur le processus du vieillissement. Le “regret” qui lie le présent au passé est, dans le Testament, une affaire de relations: les différents moments du passé sont toujours contenus dans le présent comme autant de couches du Moi;!8 le Temps est conçu comme un continuum, son action comme un devenir.

Les apparitions du verbe “devenir” ne sont pas fréquentes dans notre texte (dans le Lais, on n’a qu’un seul exemple peu expressif dans le sens considéré ici, au vv. 293-294, et il est absent des Poésies Diverses). Peu d’endroits, donc, où on le trouve (sept),

mais avec une concentration presque absolue (6 cas sur 7) dans le champ “biographique”.

17 I] importe peu, d’ailleurs, qu’on lise, au v. 424, “ce confort prens, povre viellart” (ms. C), ou bien “ce confort prent” (mss. A,F), dès qu’on voit dans le vieux — et dans les “povres famelectes” du h. 46 également — autant de personae que le poète, en train de réfléchir sur ce que sera sa vieillesse, a créées pour lui servir de miroir (anticipé). C’est ce que semble suggérer Barbara Sargent-Baur, Brothers of Dragons, pp. 102-103.

18 Cf. dans le commentaire de Rychner et Henry aux wv. 129-168 (Alexandre et Dioméde): “... grace à l’anecdote, [V.] développe l’idée de la relativité de la faute, il l’applique à lui-même et se présente comme une victime de la fatalité (...). Alexandre a fait oublier Dieu, et le remords va devenir regret”. Le regret tend a investir toute la pensée; on ne s’en débarrasse plus jamais. Ce raisonnement rejoint les constatations de Jean Batany sur un déplacement du centre de la pensée de l’époque, du salut au bonheur: voir “Une image en négatif du fonctionnalisme social: les Danses macabré”, in Jane H. M Taylor, éd., Dies Illa. Death in the Middle Ages (Liverpool, 1984), pp. 15-

24:

321

GEORG ROELLENBLECK

On s’y attend: trois fois, c’est dans la bouche de la beauté vieillie que nous trouvons le mot, de la Belle Heaulmière qui s’en sert pour désigner la rage exercée par le temps sur le corps féminin. “Qu’est devenu ce front poly, / Cheveux blons, ces sourciz voultiz...” (vv. 493-494). Les deux hh. 52 et 53 devraient être cités en entier; ils énumèrent les beautés de la tête d’abord (h.52), puis du reste du corps à partir des épaules vers le bas (h.53); le “Qu’est devenu” commande toute l’énumération des parties du corps qui seront reprises une à une, dans les hh. suivants (54-55), pour montrer “d’umaine beaulté l’yssue” (v. 517): “Le front ridé, les cheveux griz, / Les sourciz cheux, les yeulx estains”. (vv. 509-510). Et tout le processus est résumé dans les vers du h. 51: Quant je pense, lasse!, au bon temps, Que me regarde toute nue, (Quelle fus, quelle devenue!)

Et je me voys si tres changee...!9 ou le troisième vers — “Quelle fus, quelle devenue!” — condense à merveille, en plagant devenue dans la rime, les méfaits du Temps que la Belle Heaulmiere a vécu comme un processus continuel et inexorable. D’où le conseil donné aux “filles de joye” de profiter de leur jeunesse: “Or est il temps de vous congnoistre” (v. 536), car “Quand deviendrez vielle, flestrye” (v.546), personne ne voudra plus de vous. Le même carpe diem, un peu moins cynique, figure d’ailleurs dans la ballade adressée à “m’amour, ma chiere rose” (v.910) à laquelle elle renforce la perspective que “Ung temps viendra qui fera dessechier, / Jaunyr, flectrir vostre espanye fleur” (vv. 958-959), fait dont le Moi se rirait s’il ne savait pas lui-même que “Viel je seray” (v.962). En plus, la “chiere rose” a fait la sourde oreille à la maxime que formule

le refrain de la ballade qui lui est dédiée (comme cela a été le cas

12 Le ms. A. présente ici un ordre de vers différent: 488-490-489-491, (cf. diveAndré Burger, Lexique complet de la langue de Villon [Genève, 1974], p. 18) et crée ainsi un parallélisme de deux regards: dans la pensée (488/490),

et dans

le miroir

(489-491);

pourtant,

il affaiblit

ainsi

le

dynamisme qui va d’un trait du v. 487 au v. 492 avec son cri de rage désespérée.

322

LE TEMPS DANS LE TESTAMENT

avec d’autres personnes dans tant d’autres situations de la vie passée du Moi du poème): “ne veult Droit de Rigueur, / Sans empirer, ung

povre secourir?” (vv. 948-949),20 Le

mot

“devenir”

crée

ou

montre,

dans

le Testament,

d’autres perspectives encore. Ce sont d’abord les “enfans [qui] si deviennent gens” (v.1321), qui “Sont creuz et deviennent en aage” (v. 1276); ce passage de l’enfance à un âge plus avancé n’est pourtant évoqué ici que pour renchérir sur les plaisanteries du Lais qui traitent comme des enfants certains usuriers et certains chanoines de Notre-Dame qui n’étaient apparemment ni dans l’âge ni dans les conditions économiques nécessitant les legs que le testateur prévoit à leur intention. Un autre passage me semble plus important encore: cette fois, c’est le Moi qui parle de lui-même. Là où il fait le sombre bilan de sa vie de jeune homme, d’étudiant, il fait la comparaison de sa situation présente avec celle de certains hommes de son entourage; une autre fois, dans le calcul des âges de la vie, il se voit au milieu: entre jeunesse et âge mûr, entre la faillite totale des “gracieux galans” devenus criminels qui déjà sont “mors et roidiz” (v.225, v.229), et la réussite d’autres qui “sont devenuz, / Dieu mercy! grans seigneurs et maistres” (vv. 233-234). Je mettrais volontiers ce passage en relation avec celui ou est racontée l’anecdote fameuse d’Alexandre et de Dioméde (hh. 17 et suiv.) Ici encore, il est question d’un “devenir”, mais comme dans le cas de ceux qui “sont devenuz,/ Dieu mercy! grans seigneurs et maistres”, d’un devenir que le Moi du poeme s’est vu refuser par son sort: “Si Dieu m’eust donné rencontrer/ Ung autre piteux Alixandre”... (vv. 161-162): le regret du temps perdu acquiert la profondeur que lui confère une revue des chances d’un “devenir” que Fortune lui a niées ou dont le Moi n’a su profiter, et que rend concret la comparaison des “l’estat divers” (v. 240), du sien et de celui de ses compagnons d’âge qui ont réussi leur vie et leur carrière et pour

20 C’est un reproche qui réapparaît, sous des formes différentes, à plusieurs reprises dans le Testament; voir vv.92-93, 1408-1409, et, peut-être, 1034-

1035. On dirait qu’il s’agit là d’un traumatisme central du poète ou de son personnage.

323

GEORG ROELLENBLECK

lesquels le “devenir” a été un processus favorable menant à une vie aisée, sinon au bonheur.

Si je souligne la position du Moi entre les extrêmes de Colin de Cayeulx (v. 1675) et “De Celestins et de Chartreux, / Bostés, houlsés com pescheurs d’oestres” (vv. 238-239), c’est pour dire qu’en dépit de ses longues méditations sur la Mort, il s’en sent encore loin, et qu’il garde encore des espérances pour un avenir meilleur. Si l’on pense au nombre des Poésies diverses consacré à la recherche de mécènes et de protecteurs,2! il serait quand même étonnant que Villon eût abandonné, et précisément dans une situation à ce point difficile pour lui, toute perspective de ce genre; soit que le Testament lui-même aurait dû assumer la fonction d’une nouvelle démonstration de son art de poète, soit que le poète se serait proposé de revenir à la charge, une fois fait le bilan du Testament, avec d’autres pièces encore à fournir. Bien que ce ne soit que pour enfoncer des portes ouvertes, je dirais que tout ce qui, dans le Testament, a trait à la mort imminente du personnage, remplit la seule fonction de répondre aux exigences d’une forme littéraire que Villon s’était appropriée à des fins tout autres que pour dire adieu au monde. Les passages

ne manquent

pas, dans

le Testament,

où le

regard de celui qui parle va vers un avenir pas du tout jugé douteux. J’en ai déjà cité quelques-uns; j’ajoute ici la remarque du h. 94 qui consacre à Ythier Merchant un “De profundiz / Pour ses anciennes amours/ Desquelles le nom je ne diz, / Car il me hairoit a tous jours”. Un mourant n’aurait pas un tel souci. Puis, on pourrait penser au clin d’œil malicieux du h. 103: “Item, viengne Robert Turgis / A moy, je lui paieray son vin; / Combien, s’il treuve mon logis, / Plus fort fera que le devin” Ou au h. 126: “Item, vueil quele jeune Marle / Desormaiz gouverne mon change”. Ou enfin à la petite scène nocturne du h. 147 où celui qui parle se promet, avec les “varletz et chamberieres / De bons hostelz”, un copieux repas suivi des plaisirs du “jeu d’asne”. Mais ce sont les vers du h. 23 — “Alé s’en est, et je demeure” — qui résument le mieux la situation, et l’attitude, du Moi 21 Voir plus haut, note 9. Malgré certaines faiblesses du livre de Gert Pinkernell, sa démonstration du côté “référentiel” de ces poésies me semble tout à fait acceptable.

324

LE TEMPS DANS LE TESTAMENT

face à la perte du “temps de ma jeunesse” (v.169). Ce qui occupe sa pensée, c’est la situation dans laquelle il se trouve actuellement, dans laquelle il est “demeuré” après tant de souffrances et de pertes.

il Mais il y a encore un troisième aspect du Testament où l’on voit à l’œuvre la sensibilité de son auteur pour la structuration de tout détail de la vie selon les catégories du Temps, c’est-à-dire durée et relations avec l'avant et avec l'après. Je parle des narrations, je dirais presque embryonnaires, qui se trouvent au cours des références faites a la propre vie du Moi, ou dans les “portraits” que celui-ci dessine, dans la partie des legs, de ses légataires. Avant d’en citer quelques exemples, je tiens à souligner que je vois, dans cette série des legs, non pas une partie du poème étrangère au bilan de la vie du personnage et de sa prise de conscience de sa situation actuelle, comme le constitue la soi-disante

partie “des regrets”. J’y vois au contraire une partie intégrante du Testament laquelle — d’une tout autre manière que dans les “regrets”, bien sûr, et dans un décousu apparent dans lequel on entrevoit à peine quelques structures rudimentaires — a la fonction de présenter au lecteur le fouillis de personnes qui a constitué ou qui constitue toujours le monde dans lequel l’histoire du Moi qui parle s’est

déroulée.22 Quand le testateur pense, par exemple, au h. 115, au barbier Perrot Girart qui paraît l’avoir reçu chez lui “Des ans y a demye douzaine”, donc probablement après le meurtre de Sermoise en 1455,

et précise que, “en son hostel de cochons gras / M’apatella une sepmaine”, il donne au lecteur, par ce détail (minuscule, je veux bien) un vif sentiment de durée vécue. Comparons avec ce passage celui du h. 180 où Volant, un des sonneurs prévus pour l’enterrement du “povre petit escollier”, se voit promis “quatre miches”, mais “de

22 Je n’entrerai pas pour autant dans la vieille discussion sur l’unité du poème, discussion pour laquelle la recherche des dernières décennies a montré peu d’interêt mais qui pourrait éventuellement être reprise à partir des réflexions exposées ici. Le fait que les deux “parties” du poème appartiennent très probablement à deux moments différents de la vie de son auteur, me semble, dans ce contexte, sans importance.

025

GEORG ROELLENBLECK

saint Estienne”; et le testateur d’ajouter la réflexion: “ quant g’y regarde / Il en vivra une sepmaine”. Parfois le Moi se montre lui-même à l’œuvre et nous fait assister pour un instant à sa vie d’auteur. Ainsi, au h. 141, pour introduire la ballade “des langues ennuyeuses” (ou “envieuses”), il nous apprend comment il a trouvé la source de son recipe. Au lieu de dire “il n’y a rien de pareil dans Taillevent” — à comparer, tout au début du poème, le renvoi “Et, comme le noble Roumant / De la Roze dit et confesse / En son premier commancement” (vv.113-115) — , au lieu de s’exprimer de cette façon, il fait le récit dramatique de sa recherche: d’abord, il a parcouru avec soin toute la partie correspondante du fameux livre de cuisine, puis, après l’échec de cette première tentative, il s’est tourné vers Macquaire (on ne sait

pas trop bien si c’est vers le saint, ou vers le cuisinier; il semble qu’on a affaire à un saint qui est cuisinier à ses heures) qui, fort de son expérience, a bien voulu lui venir en aide: Sy alé veoir en Taillevant, Ou chappitre de fricassure, Tout au long, derriere et devant,

Lequel n’en parle jus ne sure; Mais Macquaire, je vous asseure, A tout le poil cuisant ung deable Afin qu’il sentist bon l’arseure, Ce recipe m’escript, sans fable. Dans les petites scènes de ce huitain, sont contrastées deux actions

d’un caractère différent. La première met en scène un homme cultivé cherchant dans un des livres de sa bibliothèque un lieu qu’il lui faut pour son travail; la seconde tire son effet de l’image calme et banale d’un homme assis à sa table écrivant une recette de cuisine juste après, ou même pendant, la lutte métaphysique qui subjugue un diable au point que celui-ci se laisse rôtir. Les “portraits” des légataires contiennent souvent des lignes dans lesquelles se condense une expérience que le testateur a eue avec eux, un moment donc de son histoire (et qui, bien sûr, fournit la

motivation du legs prévu). A côté de scènes dont la signification exacte nous échappe — que l’on pense au sombre h. 96 qui parle de ce qui s’est passé dans le jardin de “maistre Pierre Bobignon” —, il y a, 326

LE TEMPS DANS LE TESTAMENT

immédiatement après, le legs, probablement peu galant, pour “la femme / De maistre Piere Saint Amant” (vv.1006-1007): derrière le vers 1010 disant qu’elle “Me myt ou ranc de caÿment”, on devine une scène de traitement humiliant; le souvenir cuisant de ce moment

semble avoir été extrêmement profond et durable pour Villon ou

pour son personnage.23 Il y a aussi, soit dit en passant, des légataires qui représentent (ou qui paraissent représenter) de bons souvenirs et laissent deviner un rare moment de bonheur: comme c’est le cas du “camus Seneschal / Qui une foys paia mes debtes”... (vv. 18201821). ; Il y a, enfin, des cas dans lesquels le souvenir ou le portrait du légataire est fait de petites scénes prises sur le vif; ainsi, dans la ballade pour Jehan Cotart, la troisième strophe qui raconte la façon dont le procureur avait coutume

de rentrer chez lui, la nuit, aprés

s’être adonné à la boisson: Comme homme viel qui chancelle et trespigne L’ay veu souvent, quant il s’alloit coucher,

Et une foiz il se fist une bigne, Bien m’en souvient, pour la pie juchier. (vv. 1254 sqq.)

Pour conclure, je reformulerai mes deux points essentiels. François Villon donne, de lui-même ou de son Moi-personnage, un

portrait fait surtout de réflexions, de portraits d’autres personnages, et de narrations. Chacun de ces trois éléments textuels démontre un autre aspect de la préoccupation de l’auteur au sujet du thème du Temps. Cet auto-portrait suit, en partie du moins, certaines lignes

“biographiques”; et il est sans importance, pour la connaissance de son poème, de savoir si ces lignes correspondent à la vérité historique ou non. Il se déploie selon trois perspectives temporelles qui, partant du point de vue du présent, de l’acte de “tester” (c’est-adire de la prise de conscience dont le Testament que nous lisons est 23 Ceci me paraît remarquable, parce que c’est justement la pauvreté qui, ailleurs au cours du poème, est donnée comme une contremarque de Villon ou plutôt de son personnage. A la lumière de ce vers, la pauvreté du pauvre petit écolier pourrait prendre une forte couleur d’auto-stylisation littéraire.

327

GEORG ROELLENBLECK

le document), se téléscopent l’une dans l’autre: la première, le temps de l’humanité en général, visible par exemple dans le “temps qu’Alixandre regna” (v.129); la seconde, le temps de Villon, de sa famille et de sa biographie personnelle, à partir de son “ayeul, nommé Orrace” (v.276), en passant par l’affaire Sermoise et la composition du Lais et allant jusqu’au présent et même un peu au delà dans certains regards vers l’avenir; la troisième, le temps tout à fait subjectif des souvenirs-narrations contenus dans le poème. Dans mon exposé, il a été question surtout de la troisième perspective. C’est elle qui est au centre du Testament. Les rares indications relatives à la chronologie “objective” — que l’on se rappelle qu’il n’y est donné qu’une seule date, celle de 1461 — démontrent qu’il suffit au poète d’un seul point de repère pour, comme fin principale, “...allow fictional time to be thought about by grounding it at once literally and metaphorically in historical time — that time of poetic fiction which presents itself as the interior time of the self and defines the self”.24 J’ai voulu montrer le sens aigu de l’auteur pour les relations temporelles de toute narration, son art de créer des perspectives, de conférer au lecteur un sentiment de “profondeur temporelle”, si je puis dire ainsi, de condenser toute une scène dans un seul vers. Pour en goûter la finesse, on n’a qu’à relire la troisième strophe de la ballade pour Jehan Cotart que je viens de citer: tous les temps grammaticaux y concourent à la création d’un “relief d’aspects” qui inclut non seulement le passé composé de l’observateur des faits racontés, mais aussi le futur de son appel aux archi-buveurs

célestes, de donner

une

bonne

fin à la carrière du

“meilleur pion” du monde. Notons en passant qu’il doute une étude à faire sur le huitain villonien narrative: bien des huitains présentent, comme dans abîme, le même relief des temps et des aspects que

y aurait sans comme unité une mise en le poème tout

entier.?° 24 Voir Michel Zink, “The Time of the Plague and the Order of Writing: Jean Le Bel, Froissart,

Machaut”,

in Nancy

Freeman

Regalado,

Daniel

Poirion, éds., Contexts: Style and Values in Medieval Art and Literature (New Haven, 1991), p. 278. 25 Une première petite esquisse dans ce sens, mais qui a en vue une dimension différente du texte, se trouve dans Georg Roellenbleck, “Le

328

LE TEMPS DANS LE TESTAMENT

Mon second point a trait à la relation entre le thème du Temps et la forme de notre poème. S’il est vrai que le Testament est conçu comme l’auto-portrait du Moi-Villon, comme une prise de conscience à un moment crucial de son existence, on s’attendrait à ce

qu’un tel bilan retrace au moins les grandes lignes de la biographie du personnage. Or, le texte fournit des indications autobiographiques de toutes sortes, mais, même supposé qu’elles correspondent à la vérité historique, on sait que ni par leur nombre ni par l’ordre dans lequel elles nous sont données, ces indications ne suffiraient à en dégager une biographie consistante, et je ne parle pas des contradictions quant à l’âge,-ou à l’imminence de la mort. Nous nous

trouvons donc devant le paradoxe d’un poème tout dédié, dans ses réflexions comme dans la construction de ses récits, au Temps, mais

dont la structure globale semble au contraire voiler à dessein toute

clarté dans ce sens.26 Pour résoudre le problème, je rappellerai le traitement, emblématique pour notre question, de la perspective dans laquelle est présentée, dans le texte même, la rédaction du Testament. On a vu

qu’elle est thématisée à trois moments, et chaque fois sous une forme différente: au début, après la longue présentation de la situation actuelle du personnage, la datation du texte comme nous le lisons semble être donnée en rétrospective: “Et escript (l’ay) l’an soixante et ung”. Aux hh. 78 et suivants, nous assistons au moment même où le mourant dicte sa dernière volonté; et la conclusion du poème entier fait, comme dans la bouche d’une autre personne (de Fremin peut-être?), la relation des circonstances de la mort du personnage. On n’a qu’à comparer, avec ces passages du Testament, le début et surtout la fin du Lais, le fameux “Entr’oubli”, pour se convaincre

qu’un tel procédé, qu’un tel jeu de perspectives est un trait distinctif de la poésie de Villon; on dirait que, à la “durée éclatée” correspond

une “forme éclatée”.

premier huitain du ‘Testament’ et le style polémique de Villon”, in Georg Roellenbleck, éd, Le discours polémique (Tübingen/ Paris, 1985), pp. 31-38. 26 Ici, encore une fois, nous retrouvons la question de la genèse et de l’unité du poème, qui se trouve singulièrement compliquée par le détail biographique et surtout par la structure embrouillée de la série des legs.

529

GEORG ROELLENBLECK

Mais à quelle fin? Pour répondre, je formulerai une hypothèse de lecture (qui pourrait d’ailleurs constituer aussi une contribution au vieux débat sur l’unité de l’œuvre). A tous les niveaux du texte, on remarque une même stratégie, qui consiste à formuler des énoncés, à suggérer des détails précis, pour, en d’autres lieux, les nier ou leur opposer des indications contraires. Le Moi se définit et se dérobe tour à tour sans que nous, ses lecteurs, ayons la possibilité de décider lequel des visages qu’il nous présente est le bon. Ainsi s’engendre un mouvement infini de recherche ou de quête qui fait partie des causes principales de la fascination qu’exerce notre texte — et de certains “drames” de son interprétation. C’est, bien sûr, une conséquence aussi de l’écriture comique de Villon?’ — ou plutôt du mélange du sérieux et du comique — bien que la recherche des dernières années nous ait 6té presque toute certitude quant à leur répartition. Cette stratégie ne paraît expliquable que si l’on se figure son auteur conscient de Pimpossibilité de rejoindre la connaissance du Moi par voie d’une narration linéaire basée sur la simple chronologie. Seul le poème dans sa totalité et sa complexité, avec ses ruptures et ses contradictions (par exemple dans le traitement du Temps ), peut la livrer — a lui qui a, a plusieurs reprises, fait sentir sa perplexité devant le “Qui suis-je?”, comme à nous, ses lecteurs.

27 Voir Daniel Poirion, “Opposition et composition dans le Testament de Villon”, L'Esprit créateur, 7 (1967), 170-179.

330

“Synom au royaume de France” (T, 784): A Proposal for Villon’s Electronic Future in France and Beyond Robert D. Peckham This line, Testament 784 (hereafter T),! concludes a four octave discussion begun on T, 753, and in which the poet draws himself up to his full testator’s height to complain about a title serendipitously given to his Lais, and offers, authoritatively, a promise not to nullify its bequests. Then he momentarily lowers himself to take a verbal swipe at Perrenet de la Barre, but is quick to rise again, giving legal assurance that three alleged and named official heirs will address all grievances. The last octave in this passage has, as does the first, a double focus. It speaks, albeit tongue in cheek, both of the process of composition and of the reception of that effort. Somme, plus ne diray qu’un mot, Car commencer vueil a tester. Devant mon clerc Fremin qui m’ot S’il ne dort, je veuil protester Que n’entens homme detester En ceste presente ordonnance, Et ne la vueil manifester — Synom ou royaume de France (T, 777-84)

his

Since Villon, by his own admission, has no authority over previous work (T, 753-60), we have license to take his

concluding remark à contre sens, especially since we witness him commanding his dull and quite fictitious scribe to put the will into circulation once it is copied. When we realise that over twenty

1 All quotations of François Villon’s work are from François Villon, Complete Poems, ed. and transl. Barbara N. Sargent-Baur (Toronto, 1994).

331

VILLON’S ELECTRONIC FUTURE

known medieval and Renaissance manuscripts contain his work,2 and that he is the subject of thousands of modern books, articles,

reviews and significant citations, a perpetual source of inspiration and imitation for hundreds of poets, dramatists, short story writers, film makers, television producers, novelists, illustrators, painters,

sculptors and computer programmers, we must conclude that in many circles, Frangois Villon’s is a name difficult not to know. Villon

hier et aujourd’hui>?

demonstrates

with

boldness,

enthusiasm and scholarly finesse that we are willing to begin sketching François Villon’s reception history. Building on the foundations

laid by Edelman,

Cons,

Dufournet

and P6kl,*

this

collection represents the first collaborative effort to illustrate Villon’s multinational, multicultural and multi-temporal following. It is, however, only a beginning, and much of the reception history must still be collected, and in some cases retold, while some is being

made right now and presented in forms both familiar and strange to us. We have seen the individual character of each age’s, culture’s, nation’s and individual artist’s Villon, and we are not surprised that he hides himself in Brecht as he reveals himself in the “Beloved Rogue”.6 Since reception history, implicitly, is the story of the

2 Robert D. Peckham, François Villon: A Bibliography (New York, 1990), pp. 7-22. | 3 Villon hier et aujourd'hui. Actes du Colloque pour le cing-centième anniversaire de l'impression du ‘Testament’ de Villon, 1989, eds. Jean Dérens, Jean Dufournet et Michael Freeman (Paris, 1993). 4 Louis Cons, Etat présent des études sur François Villon (Paris, 1936); Jean Dufournet, Villon et sa fortune littéraire (Saint-Médard-en-Jalles prés Bordeaux, 1970); Nathan Edelman, Attitudes of Seventeenth-Century France toward the Middle Ages (New York, 1946); Wolfgang Pôckl,

Formen produktiver Rezeption François Villons im deutschen Sprachraum (Stuttgart, 1990). > Bertolt Brecht, Die Dreigroschenoper, in Bertolt Brecht, Gesammelte Werke (Frankfurt am Main, 1967). Villon’s identity is masked because the play is set in late nineteenth-century London; it becomes clear that he is the lead criminal character, MacHeath, and the play includes the singing of Villon’s ballads. 6 The Beloved Rogue (videorecording): directed by Alan Crosland; screen play by Paul Bern, Santa Monica, California; distributed by The Voyager

332

ROBERT PECKHAM

people’s love for a work or its creator, it seems fitting that it should be given freely back to the people as a source of enthusiasm and as a cultural bond. This last notion would be very unrealistic and almost unworthy of mention if it were not for the World-Wide Web. Strategies for accomplishing this goal are outlined here, but first I would like to convince others of the potential I see for Villon studies in this medium. LYCOS, at Carnegie Mellon University, lists over seventy million unique addresses for individual pages on the WorldWide Web (ee).? The Web is really tens of thousands of specially programed computers, called servers, hosting text, image, audio and video resources. These are accessible to any of the fifty million or so people who have internet connections permitting them to use a “web browser”

(Netscape,

Internet Explorer,

Mosaic,

etc.) or a home

server-based “Lynx” application. World-Wide Web is a hypertext medium linking us to the full range of resources on the internet, and permitting us to move from server to server following our own branching logic with the click of a mouse on an icon or an underlined portion of text. You might expect the Web to be overwhelmingly Anglophone. Yet I am building a collection of Francophone resources, where the number of sites will soon top the ten thousand mark (the rough equivalent of 100,000 printed pages). It is difficult to calculate the size of the Francophone WWW. Some counts go as high as three hundred thousand sites and sub-sites, but it is considerably larger than my collection would imply. Countable in its great wealth are nearly 300 sites pertaining, by topic and vocabulary, to French

medieval

literature

and

civilization,

and

within

that

Company [1991]). This is a 99-minute subtitled silent black and white recording on video-disc; Villon’s identity is transparent. 7 Parenthetical lower-case letters beside the citation of World-Wide Web sites refer to the numbered entries in the “WebNotes” below. This appendix represents selected remote available electronic documents by page title, except in the case of works by Villon, and Universal Resource Locator (second line). All URL numbers must be used as an unbroken string of characters. I would be happy to answer questions about them (e-mail:

bobp@utm. edu).

583

VILLON’S ELECTRONIC FUTURE

number are around sixty related to Villon. The majority of the French medieval links are available from a world-wide web site called “L’Explorateur Culturel”, maintained by the French Ministry of Foreign Affairs office in Ottawa (u). Let us take a brief look at Internet demography. Users of the above-mentioned resources include university scholars and students, as well as a broad spectrum of non-academic people, and thereby constitute a more influential and genuine public than do the two or three thousand subscribers to the average scholarly journal. It may not be going too far to assert that what we eventually come to recognize as the literary canon may be in part negotiated between this growing public and the scholars who shape the literary cosmology of the internet. Here, the lack of copyright-free text for many a contemporary work may be instrumental in increasing the popularity of the relatively more available French medieval literature, where there are frequently older editions whose text may be scanned and posted to site. The demographic reality explained above is the most compelling reason for using the WWW in the presentation of a multi-cultural, comprehensive and living reception history of François Villon. As a bibliographer, I have observed that print medium tends to scatter articles on Villon by journal type, with reception history falling into a number of categories. Our ever inadequate library budgets ensure that only small threads of this history appear before a limited number of specialists, often one at a time, and these are rarely, if ever, tied together, though several may be sitting side-by-side on the bookshelves of some remote large university libraries. With

the WWW,

remoteness

or proximity

of available

information is irrelevant. All the publicly accessible on-line resources are available immediately at any location. Since there is no spatial dimension, they all stand side by side. A quick look at the electronic versions of the Société François Villon, Bulletin (43), suggests that it is possible to group in one place an account of all that is available in print. The collection of this bibliographical data need not be limited by the geographical location of the compiler, however remote that may be, since, in addition to her/his physical library, the compiler has access to the online catalogs of libraries

334

ROBERT PECKHAM

around the world. To illustrate this, I offer a WWW page whose focus and aim is online access to libraries all over the Frenchspeaking world. The “Francophone Libraries” page on the server of the Language Learning Center of Southern Methodist University (Dallas) allows us access to millions of full bibliographical entries (r). Growth in the accessibility of these catalogs via telnet from WWW pages in the past two years is astounding and will continue. The “Francophone Libraries” page is resolving the problem of finding links to these libraries, by attaching them, as they come on line or as they are found, to a single electronic location. This is not the only source of relevant-bibliographical information available; a rapidly growing number of scholarly journals is coming online, not just with subscription information, but often with a table of contents, and occasionally summaries of the articles. Add to this the fact that, with our electronic mail, we become more capable of communal efforts to collect bibliographical information on print sources. More remote library connectivity and proper reading software will eventually make resources in non-roman alphabets available to Villonists. This event should be especially revealing to reception historians. The “Internet Documents” section of the Société Francois Villon, Bulletin, electronic version (43), or a similar link page could serve aS a common access point to remote accessible electronic documents relevant to Villon studies. Of course, these documents will not all be of a scholarly nature. Some fall into the category of (small “c”) cultural iconography, and are the unconscious validators of Villon’s status, linking the distant to a more accessible present or recent past. In truth, while Villon may provide canonical readingmaterial for students of French literature, and some engaging moments in the intellectual life of a university faculty member, for the average person he is a bar on Wiener Strasse in Kreuzberg, a shoe store in Montreal, a night-club in Brussels, the Caveau François Villon, a bistro on the rue de l’Arbre Sec, in Paris. He is a night in early May 1995, as you listen to his poems sung by Franz Froschauer in Salzburg. If you are Jean-Marie Raffray, engineer in training, he is rue François Villon in Vandoeuvre, where you reside. If you live in Wiirzburg, he is a number of ballads sung on an 8:30 pm TV show. For the weary traveler in Vilnius, Lithuania, he is a

380

VILLON’S ELECTRONIC FUTURE

well-advertised hotel. To those who like marginal films, he is Francois Villon’s Blue Movie Room in New Jersey.® Other electronically available items which validate Villon’s canonicity include poems,

songs, stories, novels, plays, and films

about or inspired by Villon, as well as some biographies and critical works. Evidence of these comes from reviews, references or directly consultable documents in fifteen different languages (Czech, English, Esperanto, Estonian, Finnish, French, German, Hungarian, Japanese, Korean, Polish, Rumanian, Slovak, Spanish, Swedish);

these include almost all of Villon’s poetry either in the original or in translation. The largest of them are an illustrated html edition of an earlier Hungarian translation, a work still under construction (3), and a complete works Esperanto translation (1). To demonstrate the variety and extent of the other resources, I refer you to the numbered list of internet resources in the Web-notes. I would, however, like to

discuss several examples of particular significance to me. In 1995 I published an article outlining the presence of François Villon in American

culture?

My

research

for this, entirely

outside

the

internet, and predating much of the significant developments of our current broad: document base in the WWW, was as thorough as any I have

done

to date.

It would,

however,

have

been

considerably

enhanced by the discovery of the earliest dated non-dramatic poem about Villon. The poem, “François Villon” is part of a book of sketches by Eugene Field, originally appearing in serial form in the 1895 Chicago Record, and subsequently published in book form.!° Discoveries like this would be well nigh impossible to make without the all-seeing eye of Digital research brought to the internet in the Alta Vista (aa), HotBot (cc), Infoseek (dd), Ecila (bb), and other more specialized search machines.

8 Factoids like these are available through a simple query to the Alta Vista internet database (aa). 9 “Dark Laughter in the Chambers of the King: François Villon in America”, in Medievalism in North America, Studies in Medievalism, 6, ed. Kathleen Verduin (Cambridge, UK, 1994), pp. 123-42.

10“François Villon”, in The Love Affairs of a Bibliomaniac (New York, 1896), pp. 125-26.

336

ROBERT PECKHAM

In a WWW

site called “The Movie Database”, I discovered

what should be a significant addition to my discussion of the depiction of Villon in American films. It would seem that the earliest film about maître François is not the 1920 celluloid rendition of

Justin Huntly McCarthy’s play, Jf I Were King (m);!! rather, in all probability, it is two short Lon Chaney films: The Oubliette and The Higher Law, produced in 1914 (n, 1). Certain of the accessible documents on Villon are entirely a product of and dependent on their internet host cosmos. There is at least one historical “jeu de personnages”, “En Garde”: the following is an excerpt from the introduction to the game, in the rule book: “En Garde” is a semi-historical game/simulation representing many of the situations of an Errol Flynn movie set in the Seventeenth or Eighteenth Centuries. The game was originally devised as a fencing system, with background added to provide scenarios for the duels. After a time, it became apparent that the background was more fun than the duels, and En Garde, in its present form was born. In En

Garde, a player finds himself born into and educated in a world where social climbing is a way of life, and status is a goal to be pursued even over money. It is a world inhabited by Cyrano, Roxanne, Scaramouche, Errol Flynn, Porthos, Athos, Aramis, Rhonda Fleming, François Villon, Constance,

and, of course d’Artagnan. There are people to be used, friends in high places to be cultivated, enemies to be humiliated, the Cardinal’s Guard to be trounced, lackeys to be abused, the hand of a fair damsel to be won, and the ear of the

King to be gained. (z)

Another internet-dependent manifestation of Villon constitutes an attempt to make cyber legend of the poet. He is a famous character in WhiteWolfs “World of Darkness” (v) and becomes a prince among Vampires in Yann Golanski’s Paris By Night — The Masquerade (1993), a fictional scenario for Mindseye 11 Tn all cases, users of “The Movie Database” will have to enter the film title into the search machine. Addresses assigned to resulting pages are all temporary. For this reason, I have listed the home page of “The Movie Database” for the films about Villon.

337,

VILLON’S ELECTRONIC FUTURE

Theater, half jeu de personnages, half literary creation (j). This is a fictional setting more dark than any in which the poet had represented himself in his own works. He is a “Toreador Vampire” in the game which is played with “The Eternal Struggle Cards” (w). One very elaborate game scenario, “La Nef de Villon”, is currently under construction. The whole site is afloat with Vampire genealogies, quotations from French writers, and the odd, but recognizable, iconography of the “undead” cyber underworld, moving in the syncopated glory of animated GIFs (x). Anyone still not convinced that the web will yield a significant proportion of Villon’s reception history in the future should be aware that two unpublished plays about Villon, written and performed within the last three years, would not have come to my attention were it not for the fact that their performances are discussed on two separate web pages (k, t). Because I am encouraged by the reasons and examples set out above, I propose the creation of a world-wide web site to be called “Société François Villon”, which shall contain current issues of the Société François Villon, Bulletin together with electronically available back issues. The site will post announcements of conferences dealing with Villon studies or those where there is a section of papers on Villon. It will also contain announcements about

new

books,

world-wide

web

sites,

other

media

and

performances representing Villon or his legend. I will attempt to make the site an interactive forum, by soliciting comments from readers and selecting from among those who so elect to have their comments posted on the site. In this way, reception history will be popularly and widely accessible, and by the same token, the community implicit yet invisible in the Société François Villon will become manifest. LEE]

Much

of the above was written in 1996, and since then,

much that was only a dream has become a reality. The Société François Villon site is currently operational on the Globe-Gate server of the University of Tennessee-Martin system (a, b). The twelve-page site contains or links critical essays, four electronic

issues of the Société 338

François

Villon’s

annual

bibliographical

ROBERT PECKHAM

bulletin (1995 to 1998) (q), electronic editions (c) and translations (d-h)

of Villon’s

work,

poems

and

fiction

about

him,

other

reception-history manifestations including art and audio files, announcements of dramatic and musical performances, a page that explores Villon’s physical presence as a place name, some intended to assist readers in the exegetical process and linking them to certain Middle French lexical resources, and a large link page on fifteenthcentury French literature. Sixteen languages are represented, which demonstrates the ever-astonishing breadth and modernity of Villon’s cultural appeal. With nearly 300 links in the site, it would be tiresome to name them all; I shall therefore name only those to which I refer in the body of my remarks, beginning with the largest. WebNotes (verification 6/1/98)

SOCIETE FRANCOIS VILLON HOME PAGES: a. Société François Villon

http://globegate.utm.edu/french/globegate_mirror/villon.html b. Société François Villon (mirror site)

http://fmc.utm.edu/~rpeckham/villon.html

WORKS AND TRANSLATIONS: c. Texte de Villon (édition intégrale présentée par Toshimitsu Sasaki) http://www. ipcs.shizuoka.ac.jp/~ektsasa/villon | html

d. Texte de Villon (traduction du texte en japonais, présentée par Toshimitsu Sasaki) http://www. ipcs.shizuoka.ac.jp/~ektsasa/villon1.html

e. Francisko Viljono. Testamento, Legacoj, Diversaj Poemoj en Slango (translation into Esperanto) http://www.geocities.com/Paris/923 1/viljono.html

Poemoj,

339

. VILLON’S ELECTRONIC FUTURE

f. Faludy Gyorgy. [nearly complete Villon’s works] http://www.date.hu/~nasa/vers.html

Hungarian

translation

of

g. [Lais and Testament in Slovak, linked to the “Hawkeyho depkové stranky” page] http://www. fns.uniba.sk/~rakovsky/depa/depa.html h. François Villon — Nachdichtungen von Paul Zech (27 translations into German)

http://www. geocities.com/SunsetStrip/Club/6 166/villon/texte/ texte.html HISTORY, CRITICISM AND RECEPTION: i. L’Exégése du texte de Villon http://globegate.utm.edu/french/globegate

mirror/viltext.html

j. Yann Golanski. Paris By Night — for “Vampire: the Masquerade”, © 1993 (scenario for Mindseye Theater; Villon becomes a sort of prince of the Vampires) http://staff.monterey.edu/StoneRob/world/Vampire/cities/paris. html k. Sheilagh Hunt, “François Villon: Poet & Thief’ (summary musical play) http://www.ccn.cs.dal.ca/~aa984/villon.html |. The Higher Law (film: — 1914) at “Searching the IMDb” http://uk.imdb.com/search

m. If IWere King (film: — 1920) at “Searching the IMDb” http://uk.imdb.com/search n. The Oubliette (film: — 1914) at “Searching the IMDb” http://uk.imdb.com/search

340

of

ROBERT PECKHAM

o. Pour un Villon toponymique: http://globegate.utm.edu/french/globegate mirror/villtopo.html p. La Réception de Villon et de ses œuvres: http://globegate.utm.edu/french/globegate La Réception

mirror/villon.html#

q. Société François Villon, Bulletin (11-14: 1995-1998) http://globegate.utm.edu/french/globegate_mirror/villon.html# Société

OTHER RELATED SITES AND PAGES: r. Francophone Libraries (Foreign Language Learning Center at Southern Methodist University): http://fllc.smu.edu/frlib/francophonelib.html

s. Historical Dictionaries and Historical French (including Middle French): http://globegate.utm.edu/french/globegate mirror/histdico.html t. “Moi, François CessMorges

Villon,

escholier...”

in

Atelier-Théâtre

du

http://www.unil.ch/CESSM/docs/Branches/Theatre.html u. Le Moyen-Age Français — une liste de liens établis par Bob Peckham et mise en forme par l’équipe de l’Explorateur Culturel http://www.ambafrance.org/LINKS/ma.html

v. White Wolf: “Genealogy of the Vampires” http://www.monterey.edu/staff/StoneRob/world/Vampire/ genealog.html w. “Vampire: The Eternal Struggle” (Villon as Toreador Vampire in card game) http://www.greyc.ismra.fr/~nflasque/VTES.html x. La Nef de François Villon

341

VILLON’S ELECTRONIC FUTURE

http://services.worldnet.net/pegnarol/Sommaire.html y. La Vie littéraire à l’époque de Villon: http://globegate.utm.edu/french/globegate_mirror/quinz.html z. What is “En Garde”? http://www.gt.kth.se/-bjornh/eg/AboutEG.html SEARCH ENGINES:

aa. Alta Vista http://www. altavista.digital.com bb. Ecila (French search machine) http://www.ecila.fr cc. HotBot (search machine) http://www.hotbot.com

dd. Infoseek http://www.infoseek.com ee. Lycos at CMU http://www.lycos.com/

342

De La Sottie à Villon: Comment Oie

Ferrer Une

Pour le commentaire des vers 1820-1827 du Testament

Paul Verhuyck

La grammaire hic a hic accople, Mais Nature maldist le copple.

Gautier de Coincy Voici le huitain clxx du Testament d’après l’édition Thiry 1991, qui suit en principe le texte de C, déja adopté par Rychner-Henry:! Item, le camus Seneschal

1820

Qui uneffoys paia mes debtes, En recompence mareschal Sera pour ferrer oyes, canectes, En luy envoyant ces sornectes Pour soy desennuyer; combien, S’il veult, face en des alumectes: De beau chanter s’e[n]nuyt on bien.

1824

1827

Edition. On ne voit pas très bien pourquoi Thiry, contrairement a Rychner-Henry, met une majuscule a Seneschal au premier vers. 1 Ed. C. Thiry, Villon. Poésies complètes (Paris, 1991); éd. J. Rychner & A. Henry, 5 vol. (Genève, 1974-1985). Pour un texte plus “traditionnel”: éd. A. Longnon & L. Foulet, 4e éd. (Paris, 1932) et toutes les éditions dérivées, p. ex. éd. A. Mary & J. Dufournet (Paris, 1970) et P. Michel (Paris, 1972). Pour une traduction critique, voir A. Lanly, François Villon, Oeuvres, 2 vol. (Paris, 1978) et sa nouvelle traduction juxtalinéaire (Paris 1991); J. Dufournet (Paris, 1992).

343

DE LA SOTTIE A VILLON

Variantes. 1820 Levet Item sera le seneschal. 1821 Lever une fois poia. 1823 Levet Pour ferrer oes et canettes; A ferres. 1824 A Je luy envoie; CA ses. 1825 Levet desennoier; C Pour ce dissimuler.

1826 Levert S’il en veult face des allumettes. 1827 À et Levet De bien chanter s’ennuye. Etablissement du texte. La leçon rejetée de C au vers 1825 est notable. Nous y reviendrons. Commentaire. Sur ce huitain les commentaires les plus importants nous viennent de Champion, de Thuasne et de

Dufournet.? On ne sait pas au juste quel est le seneschal visé par Villon, mais l’identification faite par Marcel Schwob a été reprise par presque tous les villoniens, au détriment de celle de Longnon, qui avait proposé Louis de Bourbon, maréchal et sénéchal du Bourbonnais.? Selon Marcel Schwob,

Villon vise Pierre de Brézé, grand

sénéchal d’Anjou en 1437, sénéchal de Poitou en 1441, puis grand sénéchal de Normandie. Privé de ses charges à l’avènement de Louis XI, ce grand seigneur, premier protecteur de Chastellain, fut emprisonné à Loches de la fin de 1461 au printemps de 1462. Il mourut en 1465. Champion, charmé par l’hypothèse de Schwob, la présente toutefois avec un point d’interrogation. On ne sait pas par ailleurs si Brézé

a eu

un

nez

camus,

donc

court

et plat, mais

camus

est

2 Pp. Champion, François Villon. Sa vie et son temps, 2 vol. (2© éd., Paris, 1933), ii, pp. 366-368; L. Thuasne (éd.), François Villon, Oeuvres, 3 vol. (Paris, 1923), ili, pp. 509-512; J. Dufournet, Recherches sur le Testament de Francois Villon, 2e éd., 2 vol. (Paris, 1971-1973; pagination continue), ii,

pp. 511-526. Voir également les bibliographies villoniennes: R. D. Peckham, François Villon. A Bibliography (New York, 1990; mises à jour dans Fifteenth-Century Studies); R. Sturm, Frangois Villon. Bibliographie und Materialien, 2 vol. (München/London/New York/Paris, 1990).

3 A. Longnon, Etude biographique sur François Villon (Paris, 1877), p. 85; M. Schwob, Frangois Villon, Rédactions et Notes (Paris, 1912), p. 144; réédition: M. Schwob, Villon François (Paris, 1990) pp. 153-154. Le (Grand) Sénéchal [= Pierre de Brézé] est aussi un poète de l’entourage de Charles d’Orléans: Champion, Frangois Villon, ii, p. 366; cf. P. Champion (éd.), Charles d'Orléans, Poésies, 2 vol., (Paris, 1923-1927; rééd. 19661971), ii, pp. 498, 525, 628.

344

PAUL VERHUYCK

amplement attesté au sens figuré de “confus, penaud, désappointé, embarrassé, interdit” ou, comme le suggère finement Dufournet

“bestourné par la Fortune”.4

Dès lors la critique savante comprend le huitain comme suit: le vers

1821

serait,

comme

tant

d’autres

vers

de

Villon,

à

comprendre par antiphrase: le sénéchal en question n’a pas voulu payer les dettes de Villon, et c’est pourquoi le poète décoche quelques traits rancuniers à l’adresse du prisonnier en le promouvant maréchal,

mais maréchal-ferrant,

et encore:

pour ferrer des oies,

c’est-à-dire pour s’occuper de choses inutiles, impossibles ou dérisoires.® Selon Dufournet, Villon reprochait donc “à Pierre de Brézé d’avoir chevauché les chimères d’un idéal chevaleresque

périmé et ridicule”.6 Rychner et Henry s’inscrivent en faux contre cette identification; a leurs yeux Brézé est un personnage trop grand et trop lointain pour Villon; ils pensent que le sénéchal est plutôt un obscur bourgeois non retrouvé qui a refusé d’aider Villon, ils rappellent en outre fort utilement que Le Camus peut tout aussi bien

être un anthroponyme.’

4 Dufournet, Recherches, pp. 513-514; cf. G. di Stefano, Dictionnaire des locutions en moyen frangais (Montréal, 1991), p. 125. 5 J. W. Hassell Jr, Middle French Proverbs, Sentences and Proverbial Phrases (Toronto, 1982), p. 181 (Cotgrave); cf. di Stefano, Dictionnaire, p. 607. 6 Dufournet, Recherches, p. 517 et J. Dufournet, Nouvelles recherches sur

Villon (Paris, 1980), p. 226; au reste, le chapitre ix (pp. 225-238), consacré aux oies chez Villon, ne présente pas de points communs avec mon analyse. 7 Pour cette discussion, voir J. Rychner & A. Henry (éd.), Le Testament Villon, ii. Commentaires (Genéve, 1974), pp. 253-254. Voir pourtant Thiry 1991, p. 379: “L’animosité de Villon a l’égard de Brézé pourrait s’expliquer par son désir de se rapprocher de Robert d’Estouteville: les deux hommes se détestaient” (cf. François Villon,

Dufournet, Recherches, ii, pp. 519-520; ii, p. 368). Mais Villon a pu connaître

Champion, Brézé par

l’intermédiaire de Charles d’Orléans (cf. supra note 3). Ajoutons que Brézé a eu à son service Philippe Brunel, seigneur de Grigny, qui est nommé au Lais, v. 137 et au Testament, vv. 1346 et 1941: Champion, François Villon,

ii, p. 299; Thiry 1991, p. 366.

345

DE LA SOTTIE A VILLON

L'expression proverbiale “ferrer les oies” est amplement attestée.8 Dans L’esbatement du mariaige des iiij Filz Hemon où les enseignes de pluseurs hostelz de la ville de Paris sont nommez (antérieur à 1476),° il est question de l’enseigne de la Nonnain Qui Ferre 1’Oe au Ponceau Saint Denis. En outre Thuasne signale quelques représentations iconographiques du dicton, par exemple une tenture du duc d’Orléans sur laquelle des enfants (sans-soucy?)

se meslent des oues ferrer.!° Et on sait que Rabelais dira dans le même sens “ferrer les cigales”.!! Voilà dans ses grandes lignes l’état de la question. D’une part une locution proverbiale, “ferrer les oies”, dont on regrette que 8 Elle figure dans les poésies de Jean de Garencières, éd. Y. A. Neal, 2 vol. (thèse Paris, 1953); cf. A. Piaget, “Jean de Garencières 1371-1415”, Romania, 22 (1893), pp. 422-481 (p. 433); dans la Sottie des Menus Propos, Rouen, 1461, éd. E. Picot, Recueil général des sotties, 3 vol. (Paris, 19021912) i, pp. 47-112, v. 319; dans les Proverbes en rimes, 1485-1490, éd. G.

Frank & D. Miner, Proverbes en rimes: Text and Illustrations of the Fifteenth Century (Baltimore, 1937); dans la traduction de Guillaume Tardif des Apologues de Laurent Valla; dans Les Abus du Monde de Pierre Gringore, 1509: Thuasne 1923, iii, p. 510; Dufournet, Recherches, p. 516; Picot, Recueil, L.c.; di Stefano, Dictionnaire, p. 607. L’expression existe

aussi en italien, mais dans ferrare le oche l’accent est mis sur le côté difficile, voire impossible de l’entreprise: S. Battaglia (dir.), Grande Dizionario della lingua italiana (Turin, 1961-), xi (1981) p. 750, avec exemples d’Arétin et de Pulci. 9 Texte dans Champion, François Villon, i, pp. 61-64; cf. A. Jubinal (éd.), Mystères inédits du quinzième siècle, 2 vol. (Paris, 1837), i, p. 369-376 (p. 370); cf. A. Keller, Romvart (Mannheim/Paris, 1844), pp. 151-152 (éd.

partielle).

10 Thuasne 1923, iii, p. 510. Il Gargantua xi. Pour Rabelais, voir éd. G. Demerson (Paris, 1973); éd. G. Defaux & J. Céard, 4 vol. (Paris, 1994-1995); éd. M. Huchon (Paris, 1995).

Il y a aussi, dans une pièce anonyme perdue de 1503, l’expression ferrer l’anne, au sens de “tromper”, avec un jeu de mots sur Anne de Bretagne: L. Petit de Julleville, Répertoire du théâtre comique en France au moyen dge (Paris, 1886), p. 357. Dans la Farce des Coquins il est question de fremys Jerrez de marbre, qui sont des fourmis géantes dans un contexte fatrasique de Cocagne: éd. G. Cohen, Recueil de farces françaises inédites du XVe siècle (Cambridge, MA, 1949), pièce n°. liii, p. 437, v. 255.

346

PAUL VERHUYCK

Bruegel ne l’ait pas peinte; d’autre part une identification séduisante mais à tout prendre douteuse. Il y a pourtant un autre maréchal qui s’occupe de ferrer les oies. C’est Dando, maréchal, qui figure dans le recueil Trepperel,

notamment dans la Sottie des Sots qui corrigent le Magnificat, à cinq personnages (ci-après Magnificat).'* Les cinq personnages sont les trois Fols (Teste Creuse, Sotin, Roussignol) ainsi que Dando, mareschal et Maistre Aliborum, corrigeur de Magnificat. Eugénie Droz date cette sottie d’avant 1488, date à laquelle un Jew de Corri-

gier le Magnificat fut représenté 4 Metz, ensemble avec la Vie de saint Laurent et de Griseldis.!3 Mais la pièce, dans cette forme ou une autre, est bien plus ancienne: une représentation en a déja été signalée en Normandie en 1455, ainsi que Philipot l’a découvert depuis.!4 D’ailleurs Droz n’exclut pas qu’il y a eu d’abord une sottie, perdue, sur Dando, le maréchal-ferrant qui ferre les oies, sans

Aliborum qui corrige le Magnificat.!5 Magnificat peut être lu en effet comme une réécriture qui combine le ferrement des oies avec la correction du Magnificat. Dans cette sottie, Dando et Aliborum s’opposent aux trois jeunes Fols. Deux de ces trois, Sotin et Teste Creuse, figurent aussi dans la sottie précédente du Recueil Trepperel, celle des Coppieurs et Lardeurs, a laquelle Magnificat fait explicitement allusion (vv. 3339). Roussignol, lui, se retrouve dans la sottie suivante du méme Recueil, celle des Vigiles Triboulet. Maistre Aliborum est suffisamment connu des historiens du

théatre de la fin du Moyen Age: c’est le docte incapable, le charlatan pédant, l’ignorant prétentieux, l’imbécile qui cherche à faire le 12 E. Droz (éd.), Le Recueil Trepperel. Les Sotties (Paris, 1935), pièce n°. ix, pp. 185-215. L’éditrice considère à tort Mareschal comme un nom

propre.

13 Droz, Recueil Trepperel, p. 185, d’après Petit de Julleville, Répertoire,

n°. 263 et p. 347.

14 E. Philipot (éd.), Six farces normandes du Recueil La Vallière (Rennes, 1939), p. 45; cf. H. Arden, Fools’ Plays. A Study of Satire in the Sottie (Cambridge, 1980), p. 13.

15 Droz, Recueil Trepperel, p. 214, note 159. 347

DE LA SOTTIE A VILLON

savant, parfois pharmacien, parfois médecin, “le personnage le plus

bizarre de tout le théâtre médiéval”, ainsi que le disait Sadron.!© Un monologue dramatique lui est tout spécialement consacré, peu après 1495: Aliborum y connaît tous les métiers, mais ne trouve pas à

gagner sa vie: touche-à-tout mais bon-a-rien.!7 Le nom d’Aliborum, plutôt que d’être une forme du nom arabe Al Biruni, vient probablement de la plante nommée ellébore.!8 Or, cette prétendue panacée est en réalité un purgatif drastique, un diurétique et un vermifuge. Selon le Livre des simples medecines, la

poudre d’ellébore est bonne pour les hémorroïdes.l? C’est donc une plante qui agit sur l’abdomen. Dans la sottie-moralité de Chascun, Plusieurs, le Temps-quicourt, le Monde du Recueil La Valliére,2° les ustensiles de Maistre Aliborum sont indirectement énumérés: un bonnet rond, des encriers,

16 P. Sadron, “Un ‘emploi’ du théâtre médiéval français. Maitre Aliboron”, Revue de la Société d'Histoire du Théâtre, 12 (1958), 34-35. On trouve péle-méle les graphies Aliboron et Aliborum. Nous adopterons la graphie de la sottie de Magnificat: Aliborum. Sur Aliborum voir aussi J.-C. Aubailly, Le Monologue, le Dialogue et la Sottie (Paris, 1976), pp. 109-136; P. Verhuyck, “Petite histoire littéraire de maistre Aliborum”, in La Vie matérielle au Moyen Age, Actes du Colloque de Louvain-la-Neuve, octobre 1996 (Louvain-la-Neuve, 1997), pp. 303-334.

17 A. de Montaiglon & J. de Rothschild (éd.), Recueil de poésies françoises des XVe et XVIe siècles, 13 vol. (Paris, 1865-1878), i, pp. 33-41.

18 A. Thomas, “Maître Aliboron. Etude étymologique”, Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Institut de France, séance du 25

octobre

1919,

pp.

33-53;

G.

Tilander,

“Me

Aliboron”,

Studia

Neophilologica, 19 (1946-1947), 169-183. Les anciens Grecs croyaient déja l’ellébore propre à guérir la folie. Au moyen âge il devient la panacée des charlatans. Comme il servait à tout et ne guérissait rien, son nom serait passé, selon Tilander, à l’homme Aliborum qui prétend tout savoir et en réalité ne sait rien; cf. Verhuyck, 1997.

19 Tilander, “M® Aliboron”, pp. 172-173. 20 W. Helmich, Le manuscrit La Valliére, fac-similé de l'original (Genève, 1972), f° 239; éd. Le Roux de Lincy & F. Michel, Recueil de farces, moralités

et sermons joyeux,

4 vol. (Paris,

1857; réimpression

Genève

1977), iii, n. 42; cf. J. Koopmans & P. Verhuyck, Sermon joyeux et Truanderie (Amsterdam, 1987), pp. 139-141.

348

PAUL VERHUYCK

des papiers, etc., ce qui explique pourquoi Dando, dans le jeu du

Magnificat, croit qu’Aliborum est relieur, écrivain ou enlumineur.2!

Dans notre pièce, Aliborum corrige le Magnificat. L’expression, “corriger le Magnificat”, signifie “reprendre sottement et mal a

propos,

ceux

qui sont

plus

instruits

que

vous”’22

Dans

sa

métaphorique première, “corriger le Magnificat” revient à dire: “s’occuper de corriger prétentieusement un texte canonique”. Pour ce qui est de Dando, il figure deux fois dans l’œuvre de

Guillaume Coquillart.23 Le Dando de Coquillart rappelle celui qui figure dans la farce des Femmes qui font baster leurs maris aux corneilles, car il y joue à chaque fois le rôle du mari trompé.24 Le cocuage n’est visiblement pas ce qui caractérise Dando dans le Magnificat. Etymologiquement Dando est “celui qui a à donner”. Mais s’il s’agit plutôt d’une onomatopée, le sens de “balancement des cloches”,

d’où

“dandin,

sot,

niais”

n’est

pas

à

exclure.2ÿ

21 Ed. Droz, Recueil Trepperel, p. 186 et vv. 173-175; cf. Sadron, “Un ‘emploi’”, p. 35.

22 Droz, Recueil Trepperel, p. 185; cf. di Stefano, Dictionnaire, p. 502. 23 M. J. Freeman (éd.), Guillaume Coquillart, Oeuvres (Paris/Genève, 1975): il s’agit du Monologue des Perrucques, pp. 317-338: v. 167 Le

dando et v. 174 Le dendo. Remarquez l’article: le nom propre semble devenu

nom

commun.

Entre

ces

deux

occurrences

de “dando/dendo”,

Coquillart, v. 169, s’en prend à la mode des robes trop haut fendues (plainte que Freeman commente aussi à la page 185 à propos des vers 1071-1074 des Droictz nouveaulx). Comme par hasard le Dando dans la sottie du Magnificat critique également les robes fendues “de bout en bout”, vv. 8081; cf. la farce des Queues troussées, éd. Cohen, Recueil de farces, pièce ne

vi (avec Aliborum).

24 Ed. Cohen, Recueil de farces, n°. xxix, pp. 227-234. De même, dans la Farce de la femme à qui un voisin baille un clistoire (Cohen, Recueil de farces, n. xxviii, p. 224, wv. 311-313), le mari cocu se dit Dando Dandinastre.

25 J. Nelson, La Sottie sans Souci (Paris, 1977), p. 164, d’après O. Bloch & W. von Wartburg, Dictionnaire étymologique de la langue française, 3e éd. (Paris, 1960), p. 175. Voir aussi A. Rey (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, 2 vol. (Paris, 1992), i, p. 552: dandin, d’après le radical

349

DE LA SOTTIE A VILLON Eventuellement on pourrait lire Dan-Do, Monsieur Je-donne, dans le

style de Damp Abbé dans Petit Jean de Saintré?$

La dando, au

féminin donc, signifie une maladie épidémique.27 Nous verrons plus loin quels sont les sens à retenir. En tout cas, dans la sottie qui nous occupe, c’est Dando qui ferre les oies et Aliborum qui corrige le Magnificat. Le sujet de la pièce est fort simple: les trois jeunes Sots se félicitent d’avoir brocardé les “trencheurs de grobis, l’écumeur de latin, les coppieurs et les lardeurs”: allusion à la sottie-jumelle des Coppieurs et Lardeurs. Arrivent Dando, maréchal, domine fac totum, qui ferre les oies, et Maistre Aliborum, corrigeur de Magnificat. Les deux critiquent les atours des dames élégantes et des galants efféminés. Les trois Sots décident de berner Aliborum et Dando: Aliborum en lui enlevant son manteau de pédant, découvrant ainsi le costume de Fol qu’il porte en-dessous; Dando, le maréchal-ferrant,

en lui mettant “le frein aux dents”. Littéralement! De tels jeux scéniques qui consistent à représenter, à prendre au pied de la lettre une expression figurée, sont des procédés de base dans les sotties: les trompeurs qui sonnent de la trompe, le personnage Temps-qui-court qui se déplace effectivement à une vitesse fulgurante, les rapporteurs qui sont des porteurs de rats, les Sots qui mènent le Monde de Mal en Pire, c’est-à-dire de la mansion Mal a la mansion Pire, etc., etc.

onomatopéique dand — , évoquant un mouvement de balancement, d’aprés dandin, 1390, au sens de “clochette”.

26 Antoine de La Sale, Jean de Saintré, éd. J. Misrahi & C. A. Knudson, (Genève, 1978); éd. & trad. J. Blanchard & M. Quereuil (Paris, 1995). Le terme dandy, emprunté à l’anglais, serait dérivé du prénom Andrew. Ne remonterait-il pas plutôt à Dando, par le biais de Dandin, ainsi que me le suggère Jelle Koopmans? 27 D’après le Journal d'un bourgeois de Paris de 1405 à 1449, éd. C. Beaune (Paris, 1990), pp. 239-240 (année 1427). Mais de quelle maladie épidémique s’agit-il? F. Godefroy, Dictionnaire de l'ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle, 10 vol. (Paris, 18811902; nouveau tirage 1937-1938), ii, p. 418, ne le précise pas. D’après le Journal on dirait une toux, un rhume ou une grippe: Beaune, p. 240. Mais selon di Stefano, Dictionnaire, p. 226, la dando serait la diarrhée: pourquoi?

350

PAUL VERHUYCK C’est le procédé de la mise en scène de locutions, de la mise en

action de proverbes.28 Je ne suis pas sûr que l’éditrice Droz a bien compris la pièce. D’abord, selon moi, il faudrait renuméroter les mini-vers Droz 1-28

en 1-17 pour faire l’octosyllabe. Mais pour nous en tenir à ce qui est utile pour la présente approche, disons tout d’abord que la scatologie couvre bel et bien la pièce entière. Les Sots sont de véritables pétomanes: lorsqu’au vers 5 Sotin a dit “paix, paix”, il renchérit au vers 7 en disant “Chie”. On a donc compris paix comme pet. Que homonymie “paix=pet” ait hanté les esprits médiévaux, ressort clairement du mandement joyeux du XIlle siècle, La Pais et la

Chartre aus Englois.29 Un peu plus loin, au vers 14, Teste Creuse dit “Et paix, de par le dyable, paix”. A ce sujet Droz note que c’est avec la même exclamation que Pantagruel remet en place le seigneur de Humevesne.30 Ajoutons que dans le contexte scatologique des sieurs de Humevesne et de Baisecul, Rabelais a sans aucun doute joué lui aussi sur l’homophonie “paix=pet”. Au vers 305 du Magnificat, Aliborum dit “Voire”. Si donc Teste Creuse répond par “Ho, ho! C’est bien chié”, il a de toute évidence compris “voire” comme “foire” et le jeu de mots s’est fort probablement accompagné d’un jeu de scène avec Aliborum qui pète. Dans la même perspective, les sots, au début de la pièce, se proposent de dire de “bons motz” et Roussignol, assurément le plus

28 Sur le procédé de la mise en action des locutions, voir entre autres J.-C. Aubailly, Le Monologue; H. Arden, Fools’ Plays, pp. 62, 157 et 186 note 45; P. Verhuyck, “Zingende Zotten”, in Woord en Muziek in Samenspel (Muiderberg, 1986), pp. 35-55; Koopmans & Verhuyck, Sermon joyeux, pp.

136-141.

29 A. Jubinal (éd.), Jongleurs et Trouveres...XIlle et XIVe siècles (Paris, 1835), pp. 170-176: La Pais et la Chartre aus Englois. Cette facétie est écrite dans une espéce fantaisiste de franglais avant la lettre, ce qui permet a l’auteur de changer opportunément le genre de certains substantifs “le pet — la paix”, p.ex. p. 175: “fu fet.i. gros pes”. 30 Rabelais, Pantagruel, chapitre xi, éd. Demerson

éd. Huchon 1995; = (Genève/Paris, 1959).

le chapitre

ix bis dans

1973; éd. Defaux 1994;

l’éd.

V.

L.

Saulnier

351

DE LA SOTTIE A VILLON

pétomane de la bande,3! ajoute “Queron nos potz”: des pots sont-ils nécessaires pour dire des bons mots? Qu’est-ce à dire? Sinon que ces phonèmes doivent être d’une espèce fort particulière? En soi le motif de la scatologie est plus qu’amplement attesté dans le monde des Sots: qu’on pense a la chanson Estront, estront, las, las, las que

Sotin chante dans la sottie-jumelle des Coppieurs et Lardeurs;?? qu’on pense, toujours dans le méme recueil Trepperel, a la sottie, scatologique et ordurière, de Trote Menu et Mirre Loret, etc., etc.

Proclamer que les sotties sont scatologiques et obscénes, c’est enfoncer des portes ouvertes, comme le disait déjà Poirion.73 Qu’on pense enfin aux montre-culs, à l’offrande anale, aux baise-culs, aux

Pet-en-Gueule et autres soufflaculs. 34 Tout cela correspond à l’obsession carnavalesque du bas-ventre, à la fois sexuel et fécal.35 Dando et Aliborum arrivent sur scène en commentant la mode, c’est-à-dire les robes trop haut fendues.3® C’est un passage précieux pour l’histoire du costume avec une attention marquée pour les culs fourrez (v. 91) et les fesses (v. 97). Dando mentionne aussi les femmes montrant leurs seins (v. 101), ce qui correspond assez bien aux fillectes monstrans

tetins de Villon, Testament, v. 1976.

31 Selon Nelson, La Sottie sans Souci, p. 166, rossignol signifie “pénis” et le personnage de Rossignol/Roussignol serait le type de l’homosexuel actif. Nous ne voyons pas comment cela pourrait nous aider à mieux comprendre la sottie. Dans notre lecture, en effet, les trois sots efféminés et pétomanes s’opposent aux fornicateurs socratiques.

32 Ed. Droz, Recueil Trepperel, n°. viii. C’est la chanson n°. 104 du répertoire de H. M. Brown, Theatrical Chansons of the Fifteenth and Early Sixteenth Centuries (Cambridge, MA, 1963).

33 D. Poirion, “Préface” à Nelson, La Sottie sans Souci, p. iv.

34 Sur le folklore anal et fécal des Fols, voir entres autres C. Gaignebet & J. D. Lajoux, Art profane et religion populaire pp. 210-219; et H. Pleij, Het gilde van de 1983), passim. Même au théâtre religieux foisonnent: voir J. Koopmans, Le Théâtre des 1997), pp. 200-204 et passim.

au Moyen Age (Paris, 1985), Blauwe Schuit (Amsterdam, ces thèmes anaux et fécaux Exclus au Moyen Age (Paris,

35 C’est le monde brossé par M. Bakhtine, L'Œuvre de Francois Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance (Paris, 1970; traduit du russe).

36 Voir supra, note 23.

352

PAUL VERHUYCK

Après avoir ridiculisé la mode féminine (vv. 47-116), ils s’en prennent à la mode masculine (vv. 131-147), celle des dimencheraulx, des fats endimanchés. Ce faisant, Dando et Aliborum se moquent des trois Sots, car dans la sottie précédente du Recueil Trepperel, celle des Coppieurs et Lardeurs, Teste Creuse et Sotin étaient des fats

féminisés!37 Teste Creuse y était présenté comme un dimanchereau (v. 159) particulièrement efféminé (v. 186) et comme un amoureux de Portingal (v. 211) et Sotin y était un jaune bec (v. 192) qui pourrait fort bien jouer le rôle d’une damoiselle (v. 193) ou d’une chamberiere (v. 206). Dans l’évaluation de cette féminisation, il faut se rappeler bien sûr que les rôles féminins étaient en principe joués par des hommes travestis; mais n’oublions pas non plus la féminisation carnavalesque des Sots dans les rôles mêmes, par exemple: Folle Bobance, Sotte Folle, Mère Sotte, la Réformeresse, la

Mère de Ville... 38 Quoi qu’il en soit, à partir des vers 154-155, où Sotin dit: Allons nous en appertement

Plus ne fault cy faire deslongue,?? il est clair que Dando et Aliborum se trouvent dans une autre mansion que les trois sots. Une mise en scéne sommaire a pu suffire, peut-être avec un rideau à mi-hauteur, jusqu’aux épaules, comme pour Dieu dans le Jeu d’Adam.*° C’est alors que les deux vont jouer à un jeu qui n’est pas innocent:

37 Selon Droz, Recueil Trepperel, les deux sotties ont dû faire partie d’un même répertoire (cf. supra).

38 Respectivement éd. Picot, Recueil, i, n°. ix; ii, n°. x-xi; iii, n°. xxiii et xxv. On peut y ajouter p. ex. les trois sottes dans la Sottie pour... la Feste des Roys, éd. Droz, Recueil Trepperel, no. xiv.

39 Pour la rime, lire plutôt: deslong(n)e ou d’eslongne? D’autres didascalies indirectes suggérant deux mansions se trouvent aux vers 197 “Ilz sont la dedans”, et 250 “Doyvent ilz entrer ceste salle?”.

40

Ed. W. Noomen

(Paris,

1971), premiére didascalie,

p. 17:

circumponantur cortine et panni serici, ea altitudine ut persone, paradiso fuerint, possint videri sursum ad humeris.”

66

que in

353

DE LA SOTTIE A VILLON Par Dieu, nous jouerons qui qu’en grogne Et nous deüst on enterrer. (vv. 156-157)

Cela doit être un jeu particulier, car Dando se sent le besoin de l'expliquer: Pour monstrer le jeu ou je songe Je me mesle des oyes ferrer. (vv. 158-159)

Le sens proverbial de “faire une besogne inutile” est désormais clair mais ne suffit pas à décoder la scène: il faut que les acteurs jouent à faire quelque chose de concret sur les tréteaux. C’est pourquoi on peut supposer avec Droz que Dando porte une jeune oie (en bois?). Cette sottie part de l’expression connue “ferrer les oies” pour la détourner dans un autre sens, plus spectaculaire pour le public. Quel sens second, quel méta-sens? On peut le découvrir par l’intermédiaire d’Aliborum qui répond: Magnificat peut sans errer Gouverner cas accusatif

(4) Aussi fait il bien l’ablatif. (vv. 160-161 et 163)

Sans contester l’acception lexicalisée de la locution “corriger le Magnificat”, qui suggère d’ailleurs un public clérical, il faut se dire qu’il y a un sens premier à partir duquel le sens figuré a pu fonctionner. Aliborum concède que le Magnificat peut exiger l’accusatif (vv. 160-161) mais selon lui l’ablatif n’est pas à exclure (v. 163). Cette lecture est confirmée plus loin, quand Aliborum dit, chante, psalmodie: Qu’il y auroit plus proprement Anima mea domino. (vv. 304-305)

Dans le célèbre chant de la liturgie vespérale, Magnificat anima mea dominum,

“mon

âme

magnifie/loue

le seigneur”,

Aliborum

se

propose donc de changer l’accusatif en ablatif. C’est d’ailleurs ce que Roussignol lui fait remarquer au vers suivant:

354

PAUL VERHUYCK En l’ablatif?

Et Sotin d’ajouter, après le petit intermède scatologique autour de Voire: Il fauldroit magnificatur

Qui le vouldroit en ce point mettre. (vv. 308-309)4! Voila donc le corrigeur corrigé. En effet, il faudrait la voie passive pour justifier l’ablatif. L’expression “corriger le Magnificat” est

donc ici réduite ou restituée a son sens littéral:42 le pédant Aliborum corrige “Magnificat anima mea dominum” en Magnificat anima mea domino. Aliborum corrige donc mal. Sotin corrige la correction du corrigeur en Magnificatur anima mea domino, signifiant “mon âme

est magnifiée par le seigneur”. La ot Aliborum n’a réussi qu’à moitié, Sotin parvient à parfaire la correction. Le verbe magnificare suggère celui qui grandit, qui se fait grand, ou le grand qu’on fixe ou qu’on fiche.# Traditionnellement, dit Aliborum au vers 161, le Magnificat s’accompagne de l’accusatif. D’après son sens premier, latin, l’accusatif marque l’aboutissement de l’action. Mais Aliborum, le corrigeur corrigible, a découvert la voie passive avec l’ablatif. “Mon âme est agrandie par le seigneur”: c’est-à-dire le seigneur agrandit mon âme. Voilà la véritable façon grammaticale de corriger le texte du Magnificat. Mais que signifie ce jeu linguistique? Quelle est cette âme agrandie par quel Seigneur? L'âme

a toujours

été

associée

au

vent

(anima-anemos;

spiritus flat ubi vult): c’est encore le cas dans Le Pet au Villain, de Rutebeuf, ainsi que dans la Farce du Meunier de qui le diable

emporte l'âme en enfer écrite par André de la Vigne en 1496... Et 41 Ce vers fut-il explicité par un geste ordurier de Sotin, indiquant le lieu suggéré par en ce point? 42 Procédé fréquent dans les sotties, cf. supra notre note 28.

43 Nelson, La Sottie sans Souci, p. 48 propose “magne + ficat (=figue) = pénis”, mais en se basant sur des dictionnaires anglais! 44 Ed. E. Faral & J. Bastin, Œuvres complètes de Rutebeuf, 2 vol. (Paris, 1977), ii, pp. 305-308 (“pièce qu’on nous dispensera d’analyser”); cf. éd. M. Zink, 2 vol. (Paris, 1989-1990), i, pp. 59-65. Pour la Farce du Meunier, voir A. Tissier (éd.), La Farce francaise de 1450 a 1550, 3 vol. (Paris, 1976-

395

DE LA SOTTIE A VILLON

dans le contexte de la sottie ce vent a dû avoir des résonances nettement scatologiques qui pouvaient faire rire le public, habitué au folklore fécal des Pet-en-Gueule, des Montre-culs et de l’offrande

anale, au théâtre comme dans l’iconographie de l’époque. Rappelons que le sermon joyeux, plus ou moins para-villonien, de Saint Jambon

et sainte Andouille45

préconise le coït anal comme

moyen

de

contraception. Dans la farce des Femmes qui font écurer leurs chaudrons, \’accouplement anal est refusé, après avoir été présenté

comme une possibilité réelle.# Dans la cinquième facétie du Pogge, la femme

se soumet volontiers à un curieux sandwich, le mari ne

disposant que du “pertuis” normal, alors que le “pertuis” de derrière est donné en aumône au curé.47 Dans les Cent Nouvelles nouvelles,

au contraire, c’est le mari qui dispose du derriére.*8 Le coit anal, hétérosexuel et homosexuel, est d’ailleurs déjà thématisé dans le long fabliau Du Prestre et du Chevalier: quand la dame se plaint d’avoir fort mal à son derrière parce que le prêtre préfère la sodomie, le chevalier indigné se promet de sodomiser le prêtre trois ou quatre fois: Si le foutrai.iii. fois u.iiii.49

1981), ii, pp. 127-184; cf. A. Tissier (éd.), Recueil de Farces (1450-1550), 9 vol. (Genève, 1986-1995), iv (1989), n°. xxii: ici l’âme signifie la matière fécale. 45 Ed. J. Koopmans, Quatre sermons joyeux (Genève, 1984), pp. 54-55, vv. 215-226;

cf. J. C. Bologne, La naissance

interdite.

Stérilité, avortement,

contraception au Moyen Age (Paris, 1988), p. 149.

46 Ed. Tissier, Recueil de Farces, ix, n°. xlv, pp. 195-240, v. 106; cf. B. Faivre, Répertoire des farces françaises des origines a Tabarin (Paris, 1993), pp. 154-155.

47 Ed. E. Garin & M. Ciccuto (Milan, 1983), p. 120 “De homine insulso qui existimavit duos cunnos in uxore”. Pour la traduction française de Guillaume Tardif 1480: éd. A. de Montaiglon (Paris, 1878).

48 Nouvelle n°. 49, éd. P. Jourda, Conteurs français du XVIe siècle (Paris, 1956), pp. 202-205.

49 Du Prestre et du Chevalier, par Milon d’ Amiens, éd. A. de Montaiglon & R. Raynaud, Recueil général et complet des fabliaux des XIIIe et XIVe siècles, 6 vol. (Paris: 1872-1890), ii, pp. 46-91 (p. 81); cf. éd. W. Noomen &

356

PAUL VERHUYCK

Et n’oublions pas que le mot Fol vient du latin fo/lis signifiant “soufflet” et “outre gonflée”; c’est le soufflet du soufflacul qu’on retrouve sur les drapeaux et les sceaux de la Mère Folle dijonnaise jusqu’au XVIIIe siècle.5 L’idée est toujours que dans un Fol il n’y a que du vent, que le Fol n’est qu’un sac de flatulences et de ventosités. Enfin, le priapisme dans l’iconographie des Fols a été mis

en évidence par Gaignebet-Lajoux.>! Du côté de Dando, rappelons que ferrer est un verbe à connotation érotique évidente.°2 On lit par exemple dans les Cent Nouvelles nouvelles: Elle ne refusa pas le service qu’on lui présentait et debonnairement se laissa ferrer.

Et dans le Plaidoyé d’entre la Simple et la Rusée de Guillaume Coquillart, on ferre les jumens au sens libre. Plus en général, le métier du maréchal-ferrant se préta à toute une métaphorique

grivoise, témoin le refrain de la chanson obscéne:>4 Gentil ma-marichal, gentil marichal Ferratu mon cheval?

N. van den Boogaard, Nouveau recueil complet des fabliaux, 10 vol. prévus (Assen 1983-), ix, n°. 103 (a paraitre). 50 Rey, Dictionnaire historique, i, p. 818; D. Fabre, Carnaval ou la fête à l’envers (Paris, 1992), pp. 68-69; M. Lever, Le sceptre et la marotte (Paris,

1983), p. 81; pp. 23-25; Gaignebet & Lajoux, Art profane, pp. 188-189.

51 Gaignebet & Lajoux, Art profane, pp. 190-201. 52 Ferrer au sens de “coiter” est attesté du XVe au XXe siécle, P. Guiraud, Dictionnaire érotique (Paris, 1978; rééd. 1994), p. 331; di Stefano,

Dictionnaire, pp. 332 et 335. On lit encore ferrer au sens sexuel dans le roman Septentrion de Louis Calaferte (Paris, 1984; rééd. “Folio” 1994), p. 42.

53 Ed. Freeman, p. 14, v. 158. 54 Ed. B. Jeffery, Chanson Verse of the Early Renaissance, 2 vol. (Londres, 1976), ii, pp. 154-155. Rappelons que les sens premier et second de “maréchal”, méme sans aucune autre spécification, sont chevalins, conformément a l’étymologie germanique: 1. domestique qui doit soigner les chevaux; 2.

officier de cavalerie.

357

DE LA SOTTIE A VILLON

Tout comme le maréchal approche le cheval de derrière, l’amant peut approcher la femme a tergo au lieu d’adopter la “position du missionnaire”. Bien que nous ne sachions que fort peu de la pratique sexuelle de nos vénérables ancêtres, nous venons de voir que cette position est amplement attestée en littérature. Quoi qu’il en soit et quelle qu’ait pu être la façon dont on s’y prit dans les alcôves, ferrer le cheval signifie clairement “faire l’amour à une fille”. Dès lors, la question se pose de savoir ce que c’est qu’une oie dans ce contexte? Tout d’abord — tous les dictionnaires le disent — l’oie est aussi une personne trés sotte, un niais qu’on berne, depuis Aucassin

et Nicolette jusqu’au XX®

siècle.$

Chez Froissart l’expression

couper l’oe signifie “être le premier amoureux” donc “déflorer” et aux XVe-XVe siécles on trouve le mot oie/ouye au sens de “petite ouverture pour aérer les caves”.56 Ensuite, dans l’iconographie, la métaphorique et l’emblématique aux Pays-Bas, dès le XVIe siècle, l’oiseau en général évoque la sexualité, ab avium salacitate

metaphora sumpta.>’ Enfin, pour Guiraud, /a petite oie signifie aussi bien “les caresses préliminaires” que “le sexe de la femme”.$8 Or si 55 Le nom d’Aucassin, traditionnellement assimilé à l’arabe Al-Kassim, contiendrait aussi “auca”:

1973), p. 12

éd. J. Dufournet, Aucassin

et Nicolette (Paris,

56 Godefroy, Dictionnaire: respectivement x, p. 224a et v, p. 580c. L’exemple de Froissart aussi dans A. Tobler

& E. Lommatzsch, A/tfranzési-

sches Worterbuch (Berlin, 1925-; réimpression Wiesbaden), vi, p. 986b.

57 Selon le Dictionarium Teutonico-Latinum de Kilianus (Anvers, 1574; 2© éd. 1588), s.v. voghelen = “coïre”, cité par E. de Jongh, “Erotica in Vogelperspectief”, Simiolus, 3 (1968-1969), 22-74 (p. 2: le verbe allemand vogeln [littéralement “oiseler”] signifie aussi “coïre” et le substantif italien uccello (“oiseau”) désigne le pénis. La thèse de W. Hensel, Die Vogel in der provenzalischen und nordfranzôsischen Lyrik des Mittelalters (Erlangen, 1908) nous a été inaccessible. Une miniature flamande du XVe siécle au frontispice du ms. latin B.N.F. 4014 montre un membre viril pourvu d’ailes et de pattes d’oiseau: L. Maeterlinck, Le genre satirique dans la peinture flamande (Bruxelles, 1907), p. 35. Selon Arden, Fools’ Plays, p. 183 (note 4), Roussignol est, avec Perrocquet, le seul Fol à porter un nom d’oiseau. °8 Guiraud, Dictionnaire érotique, p 468, d’aprés des exemples — au demeurant fort convaincants — du XVIIe siècle: Tallemant des Réaux (“Elle avait déja laissé prendre la petite oie 4 un homme qui la cajolait”), La Fon-

358

PAUL VERHUYCK

la petite oie désigne le sexe de la femme, l’oie, sans diminutif, pourrait désigner l’autre “pertuis”.°? L’oie est associée au cul par Gargantua: quand le jeune géant a fait sa célèbre étude comparative sur les différents torche-culs, il conclut à l’intention de son père que le meilleur instrument est un oison duveteux Mais, concluant, je dis et maintiens qu’il n’y a tel torchecul que d’un oison bien dumeté, pourvu qu’on luy tienne la teste entre les jambes. Et m’en croyez sus mon honneur. Car vous sentez au trou du cul une volupté mirifique tant par la douceur d’icelui dumet que par la chaleur tempérée de l’oison, laquelle facilement est communiquée au boyau cullier et autres intestines, jusques à venir à la région du cueur et du cerveau. [...] les héros et semi-dieux [...] se torchent le cul d’un oison. Et telle est l’opinion de Maistre Jehan d’Escosse.60

Après avoir exploré ces champs sémantiques, revenons à la sottie du Magnificat. À peine Dando a-t-il proposé de ferrer des oies (v.159) et Aliborum de corriger le Magnificat, que Teste Creuse, à propos du cas accusatif, s’écrie en éternuant: Stinch! [Stinch!] (v. 162)

Cette onomatopée de l’éternuement est la racine germanique stink, qui a donné le verbe stinken en allemand et en néerlandais, et stink en anglais, signifiant “puer”. Dans ce cas Teste Creuse, tout en taine (“La petite oie, enfin ce qu’on appelle/ En bon français les préludes d’amour”) et Théophile de Viau (“Je ne vis pas dessous la soie/ Jambes, cuisses et la petite oie”). Le sens de La Fontaine (“préludes”, encore chez Balzac!) s’oppose donc à celui des deux autres (“le sexe de la femme”). Quant à la locution “larder l’oye” (E. Huguet, Dictionnaire de la langue francaise du XVIe siècle, 7 vol. [Paris, 1928-1966], i, p. 770; di Stefano,

Dictionnaire, p. 607), je pense qu’elle mérite d’être réinterprétée dans une étude a part. 59 D'ailleurs pour Nelson, La Sottie sans Souci, p. 217, oie serait à lire au sens d’“anus” et le suffixe -oys connoterait le récipient (p. 56), mais ses méthodes de lexicalisation sont sujettes a caution. Voir plus loin.

60 Rabelais, Gargantua, chapitre xii dans l’éd. Defaux 1994; éd. Huchon 1995; chapitre xiv dans l’éd. Demerson 1973.

359

DE LA SOTTIE A VILLON

éternuant, veut dire “Quelle abominable

puanteur!” ou, comme

le

dirait Zazie, “Doukipudonktan”. Le Stinch de Teste Creuse est enchaîné au cas accusatif d’Aliborum: cela s’explique par la séquence cu dans accusatif. En tout cas, dès qu’Aliborum a préféré l’ablatif (v. 163) et le rôle passif, Dando,

en “ferrant

l’oie”, lui

demande: Vous fault il point de restraintif? (v. 164).

Le mot signifie “astringent, remède restringent, remède qui resserre les intestins, qui les rend plus étroits”. Le restraintif, dans les farces, est employé pour resserrer “le bas”, et ce dans un contexte nettement

érotique, voire franchement spermatique.fl Le restraintif semble aussi faire allusion à l’ellébore laxatif, pour s’y opposer. On lit dans le célèbre traité médical Hortus Sanitatis: “Radix ellebori ventrem purgat”, “et collirium factum et ano suppositum nauseam prohibet” et encore “elleborus albus [...] sternutamenta provocat”.62 Voila la purgation causée par l’ellébore allant de pair avec l’éternuement! Cette association de l’éternuement et du vent anal se trouve déjà dans Renart médecin: le goupil guérit le roi Noble en lui administrant un onguent (cf. collirium) d’ellébore, dont un des effets thérapeutiques est celui-ci:

61 Dans la Farce de deux maris et deux femmes, éd. Tissier, Recueil de Farces, 1, p. 427, v. 137, le mari de la femme au cul tendre veut lui

administrer un restrainctif pour que la fumée lui remonte à la tête. Dans la Farce de Tout-Ménage, éd. Tissier, Recueil de Farces, v, p. 301, v. 137, le

Fol conseille à un amoureux malade d’amour de prendre d’abord un restrainctif et ensuite la vraie médecine pour son cas, l'huile de reins, métaphore fréquente pour le sperme. Voir aussi Rabelais, Gargantua, chapitre 5, éd. Defaux 1994, p. 123. Charles d'Orléans associe aussi le restraintif à l’érotisme, mais d’une façon plus vague, lorsqu’il parle de restraintif d'amour: éd. Champion 1923-1927, p. 381; éd. J.-C. Mübhlethaler, Charles d'Orléans, Ballades et Rondeaux (Paris, 1992), p. 456.

62 Tilander, “M® Aliboron”, pp. 173-175. 360

PAUL VERHUYCK Del cul un gros pet li vola,

Il esternue et se demeine.® (x, vv. 1650-1651) Mais dans notre sottie le restraintif n’est pas nécessaire. A la seule suggestion Aliborum rétorque du tac au tac:

De quoy? par ce bourreau restif?64 (v.165) signifiant: “pourquoi me faudrait-il un astringent? Avec ce bourreau rétif?”. Le sens premier du mot restif se situe dans le monde chevalin, tout comme “ferrer” et plus tard “mettre le frein aux dents”: qui s’arrête, qui refuse d’avancer, en parlant d’une monture (âne rétif, cheval rétif, mule rétive).> Dans une note Droz avoue ne pas comprendre. Le tout s’expliquerait au mieux, si le “bourreau restif” était à prendre au sens phallique de “celui qui bourre, qui enfonce, qui remplit”.66 Ce sens est renforcé par le vers suivant, à lire comme une didascalie indirecte:

Dando: Trust avant!67 Maistre Aliborum: Il est trop hastif.

63 Roman de Renart, branche x, vv. 1650-1651 dans l’éd. Martin; cf. éd. M. de Combarieu du Grés & J. Subrenat, 2 vol. (Paris, 1981), i, p. 410; éd. J. Dufournet & A. Méline, 2 vol. (Paris, 1985), ii, p. 274. Branche xix dans

l’éd. M. Roques, (Paris, 1963), p. 94, vv. 18796-18797. 64 L’éditrice Droz met un point derrière le vers. Je pense qu’un point d’interrogation conviendrait mieux.

65 A cause du sens premier du mot “rétif” en association avec le cheval, lane et le mulet, je me suis demandé si le bourreau en question n’appartenait pas au champ sémantique de bourrique, bourriquet etc., mais je ne trouve ce sens chevalin de bourreau attesté dans aucun dictionnaire et la premiére occurrence de bourriquet et bourry serait a trouver dans Rabelais, Gargantua, respectivement aux chapitres xi(x) et xxii(xx). 66 Rey, Dictionnaire historique, pp. 265-268; Nelson, La Sottie sans Souci, pir: 67 Cf. Trut avant dans le méme recueil Trepperel, Pauvre Jouhan, éd. Droz, Recueil Trepperel, n°. vii, p. 125, v. 66; dans la Farce des Coquins, éd. Cohen, Recueil de farces, n°. liii, p. 437, v. 259 (Trout avant), dans le

361

DE LA SOTTIE A VILLON

A ce jeu Dando laisse tomber son manteau: Je ne puis tenir mon manteau. (v. 167)

Et quand Aliborum, impressionné par le coup, s’exclame: Comment vous y allez (v. 169),

Dando, faussement modeste, s’excuse de sa vigueur: Ha! mon seigneur, pardonnez moy.

Le jeu obscène de Dando,

le maréchal

actif qui ferre Aliborum

passif, effraie d’abord les trois sots qui, dans leur mansion voisine, prennent peur: Allons m’en [...] J’ay grant peur (vv. 171-172),

dit Sotin, assurément le plus couard des trois.

Entre-temps, visiblement toujours a la besogne, Dando demande a Aliborum s’il est relieur, copiste-écrivain ou enlumineur (vv. 173-175). De toute évidence Aliborum est tellement surchargé de ses ustensiles que Dando, maréchal-ferrant, lui propose un âne

pour faire porter le fardeau (vv. 177-179). Aliborum répond chaque fois par la négative. Dando lui demande donc ce qu’il fait: Comptez moy [...] de vostre estat? (v. 182)

Et c’est 4 ce moment précis que Maistre Aliborum dit que pour le moment il est occupé a corriger le Magnificat: [...] Pour le present Je corrige magnificat. (vv. 183-184)

Sermon plaisant, éd. J. Koopmans, Recueil de sermons joyeux (Genéve, 1988), n°. 23, p. 437, v. 276 (Trotte avant).

362

PAUL VERHUYCK

Son âme, passivement assujetie selon la grammaire du texte, est magnifiée par Monsieur le Maréchal Magnificateur. L'âme des vents abdominaux est ainsi assimilée par métonymie à l’endroit qui les contient, le derrière. Le jeu ne doit pas lui déplaire, car il ajoute obligeamment: Et vous, quoy?

et Dando, qui se dit ici domine fac totum, de répondre: … Je prens mon esbat.

Nous chantons tous deux a ung ton. (wv. 185-186)68 “Comment

cela?”, demande Aliborum. Et c’est alors que Dando

donne une réponse plus précise que la locution courante et qui doit nous éclairer sur la nature de leur jeu: Je ferre cest oyson. (v. 189)

Remarquons l’adjectif démonstratif: il donne à l’oyson abstrait du dicton un caractère

concret,

circonstanciel,

presque

visible. C’est

pourquoi l’éditrice Droz suppose que Dando a une jeune oie (en bois?) a sa disposition. Et peut-étre aussi un marteau? Et par-dessus le marché, comme pour nous convaincre définitivement, il y a la parole d’Aliborum: Je corrige tout sus et soubz (v. 192)

c’est-à-dire: j’inverse les rôles sexuels et grammaticaux (accusatifablatif, actif-passif). Le jeu sexuel avec les cas de la déclinaison latine est indéniable dans Le Pourpoint fermant à Boutons, qui fait partie du Triomphe de Dame Verolle: l’accusatif et l’ablatif y figurent, avec les autres cas, dans un contexte de maladies

vénériennes, le “pourpoint à boutons” étant une locution pour la

68 Au vers 230 Dando répétera d’ailleurs “Je me mesle de tous les esbatz”. 363

DE LA SOTTIE A VILLON

syphilis.$?

Charles

d'Orléans,

lui aussi,

a associé

érotisme

et

déclinaison nominale.70 A la fin de notre sottie les deux compères sont charivarisés par les sots. Le but premier du charivari était d’exorciser des

comportements sexuels indésirables pour la survie de la tribu.7! Ainsi le charivari rejoint une des structures de base de la farce, celle du trompeur trompé, car les trois Sots brocardent ceux qui les brocardent: en d’autres mots, si Aliborum et Dando critiquent les garçons efféminés, ils méritent eux-mêmes, de par leurs mœurs efféminées,

d’être brocardés. Et la remarque didascalie indirecte qui confirme mansions:

de Sotin peut nous servir de que la pièce se joue à deux

[...] Ilz sont la dedans (v. 197)

Sotin croit d’ailleurs avoir affaire à des pourceaux: [...] Ung grant tas de pourceaulx (v. 200).

Le mot peut désigner d’une façon vague ceux qui se conduisent comme des malpropres ou évoquer d’une façon plus spécifique les

jambons.72 Roussignol lui répond par un juron banal qui dans le contexte donné a pu fonctionner comme une grivoiserie allusive plus précise:

69 Ed. Montaiglon & Rothschild, Recueil, iv, pp. 270-283; cf. di Stefano, Dictionnaire, p. 723.

70 Charles d’Orléans, rondeau Maistre Estienne Le Gout, nominatif, éd. Champion, p. 301; éd. Mühlethaler, Poétiques, p. 464. Voir aussi D. Jacquart & C. Thomasset, Sexualité et savoir médical au moyen âge (Paris, 1985), p. 151: termes de grammaire et de rhétorique utilisés pour des allusions obscènes.

71H. Rey-Flaud, Le Charivari. Les rituels fondamentaux de la sexualité (Paris, 1985); N. Z. Davis, Les cultures du peuple, traduit de l’anglais, (Paris, 1979), pp. 159-209: chapitre ix, “La règle à l’envers”.

72 Cf. p. ex. la Farce des Coquins, éd. Cohen, Recueil de farces, n°. liii, p. 445, v. 756: “La où les pourceaulx ont le cul”.

364

PAUL VERHUYCK Que mal feu t’arde les boyaulx (v. 201).

Plus tard, quand Sotin identifie les deux fornicateurs, il les

appelle canetons (v. 223). Eugénie Droz avoue ne pas comprendre.

Allusion à la copulation par derrière des canards? En tout cas le mot se situe parfaitement dans le champ sémantique des oies et... correspond aux canectes dans le huitain précité de Villon!73 Je pense que ces canetons-canectes méritent, de par leur spécificité, d’être mis en évidence: la locution stéréotypée est ferrer les oies. Tout comme la sottie du Magnificat prolonge le jeu de mots avec les canetons, Villon leur adjoint par dérision les canectes: polygenése, cryptomnésie ou citation? Enfin, après avoir constaté la folie (v. 236) et dit que c’est assez gallé (v. 243), les trois jeunes Fols s’en prennent aux deux Maistres qui corrigent cy diable et Dieu v. 254 (encore une image de l’inversion). Il s’ensuit une rixe (“Faictes le court qu’il ne se crotte”, v. 261: allusion à l’analité). A la fin ils dépouillent Aliborum de sa robe (en-dessous de laquelle il porte un costume de Fol!)’4 et mettent à Dando /e frain aux dens. Ici encore la locution signifiant “réduire au silence” est représentée comme une action scénique. Donc la sottie joue sur le sens premier, le sens chevalin, déjà suggéré par le verbe “ferrer” et qui convient à merveille à un maréchalferrant. “Mettre le frein aux dents” implique le sens de “maîtriser la vigueur du cheval”, sur lequel s’est greffé ensuite le sens proverbial

de “frustrer, entraver”. Comme

paradigme la locution correspond

d’ailleurs fort curieusement à brider l’oye ou brider l'oyson!” Remarquons aussi que Dando est charivarisé parce qu’il calomnie, médit des autres. On lui met le frein aux dents, c’est-à-dire on lui

73 Rey, Dictionnaire historique: canette, première attestation 1461, c’est-adire dans le Testament de Villon; caneton, première attestation 1530. Cette derniére date est donc a revoir: 1455?

74 vy. 322-323;

cf. Arden, Fools’

Plays, p. 34. Remarquons

aussi

qu’ Aliborum est tout en sueur (v. 320).

75 On mettait une plume dans les narines de l’oison pour l’empêcher de passer à travers les haies; d’où le sens dérivé de niais crédule. Voir les oysons bridez au Prologue de Gargantua, le personnage de Bridoye au Tiers Livre et de Brid’oison chez Beaumarchais (Le Mariage de Figaro).

365

DE LA SOTTIE A VILLON

applique la punition médisants.

qu’il avait

lui même

suggérée

pour

les

Enfin, à l’occasion de la punition finale (chantée, dansée?),

Sotin dit au sujet de Dando et Aliborum: Ilz ont beau avaller les vents (v. 383).

Dès que l’on s’avise à lire le texte du Magnificat comme une suggestion facétieuse et truquée de l’acte homosexuel, comme une série d’allusions emblématiques faites par Dando et Aliborum sur la

base de locutions existantes combinées avec des termes scatologiques, la sottie acquiert une cohérence interne que personne ne lui a attribuée. J’avoue que j’ai hésité beaucoup avant d’affirmer ce sens sodomique dans le Magnificat, car je me méfie de ces tentatives de lecture qui nient le sens apparent au profit d’un sens ésotérique codé, mais enfin le texte de la pièce est là, qui parle: d’une part les équivoques grivoises et l’obsession de l’analité sont évidentes et pertinentes; d’autre part, il s’agit bel et bien de deux rôles masculins, Dando

et Aliborum,

qui sont submergés

dans un

contexte de sexualité et de scatologie. Passons en revue ces champs sémantiques de Magnificat (certains termes se retrouvent dans plus d’une rubrique): a. Scatologie: paix = pet vv. 5, 14; chut = chie v. 5;

voire = foire (bien chié) vv. 305-306; chier v. 114; mots sur potz vv. 4-5; culs fourrez v 91; fesses v. 97; âme/anima/vent v. 305; fol = soufflet plein de vent;

stinch = puer v. 162; restrainctif v. 164; pourceaulx v. 200; boyaulx v. 201; crotte v. 261; vents v. 383.

b. Inversion: corriger le Magnificat, accusatif/ablatif, actif/passif vv. 160-163, 308-309; corriger tout sus et soubz v. 192; pourceaulx v. 200; boyaulx v. 201; diable et Dieu, v.254.

366

PAUL VERHUYCK

c. Féminisation (Sots efféminés): vv. 131-147; cf. Coppieurs Lardeurs vv. 159, 186, 211; 192-193, 206.76

d. Erotisme: Magnificatur domino; ferrer = coiter; maréchal-ferrant; oie?; cest oyson (?) v. 189; canetons v. 223; restrainctif v. 164; bourreau (?) restif v. 165;

trust avant v. 166; comme vous y allez v. 169; pourceaulx v. 200. Seule Nelson, La Sottie sans Souci, avait jusqu’ici proposé un sens homosexuel à cette pièce, et surtout à la sottie-jumelle des Coppieurs et Lardeurs, mais il est vrai qu’elle cherche méthodiquement l’homosexualité dans toutes les sotties. C’est sans doute ce côté trop volontariste, sacrifiant le sens commun au sens . minoritaire et cryptique, qui a fait que sa thèse n’a été que peu suivie. Ensuite, même pour ceux qui accepteraient ce monopole d’un sens homosexuel opaque, ses méthodes lexicographiques sont beaucoup trop hâtives./7 Pourtant son point de départ n’est pas inacceptable: si les sotties s’inscrivent dans le carnaval au sens large et si le carnaval est la fête de l’inversion, du mundus inversus, pourquoi cette inversion ne serait-elle pas aussi (parfois?) sexuelle?

Nous avons déjà signalé plus haut la féminisation de plusieurs sots. En outre le livre de Nelson offre à certains égards (chansons, proverbes...) une des lectures les plus attentives des sotties. Son travail mérite d’être reconsidéré à partir de méthodes de lexicalisation plus patientes, plus rigoureuses, et d’une vision plus globale des textes et des spectacles. Personnellement je suis loin de prétendre que toutes les sotties seraient homosexuelles. Mais dans la pièce qui nous occupe, la scatologie, l’inversion, la féminisation, l’érotisme (combiné avec

76 On sait que le procédé de féminisation chez Villon a été étudié par J. Dufournet, Nouvelles recherches, pp. 127-143.

77

Un exemple:

sous prétexte que le lexique argotique homosexuel

évoluerait fort lentement, elle fait flèche de tout bois, incorporant sans com-

plexe le témoignage de dictionnaires anglais du XXe siècle, etc. Pourtant, selon P. Guiraud, L'’argot (Paris, 1958), l’argot évolue très vite et abandonne un lexème dès que la langue officielle s’en est emparée.

367

DE LA SOTTIE A VILLON

l’analité) dans un contexte exclusivement mâle me semblent amplement suffire à suggérer une couche textuelle signifiante, cohérente et globalisante, allant dans le sens de l’homosexualité. Au niveau du texte cela reste relativement innocent et facétieux. Mais au théâtre on pourrait hésiter encore: on ne peut croire que l’acte sodomique fût représenté sur scène au XVe siècle. Pourtant une pièce de théâtre doit montrer quelque chose, elle exige une mise en scène, une visualisation quelconque. Quelles étaient donc, quelles ont pu être les conditions de représentation? On sait que la représentation de l’acte sexuel dans les farces a été étudiée par Tissier.78 Résumons ses conclusions: parfois l’acte sexuel, accompli derrière un rideau, est évoqué verbalement par un témoin oculaire (comme en l’occurrence Sotin qui croit voir des pourceaux); parfois il est vraiment montré, représenté sur les tréteaux, devant le public, mais mimé approximativement, ébauché sans trop de réalisme, simplifié avec des mouvements schématiques qui suggèrent plus qu’ils ne montrent. Souvent on fait la chose debout et vêtu et parfois les vêtements larges escamotent utilement les parties honteuses et les gestes trop précis. Pour l’hétérosexualité, on veut bien l’admettre; pour l’homosexualité, c’est plus difficile à croire. Alors, que voyait on sur scène? Ou bien Magnificat est une représentation scénique de l’acte sodomique, c’est-à-dire d’un simulacre hautement stylisé ou presque choréographique, mimé derrière un rideau à mi-hauteur ou jusqu’aux épaules (comme pour Dieu dans le Jeu d'Adam). Ou bien, si l’on préfère croire que la suggestion est uniquement dans le texte et non pas dans le jeu, on dira que la métaphorique homosexuelle est comme un rébus scénique ou, si l’on veut, que la métaphorique est

78 A. Tissier, “Evocation et représentation scénique de l’acte sexuel dans l’ancienne farce française”, in Atti del IV Colloquio della S.I.T.M (Viterbo,

1984), pp. 521-547. Voir aussi B. C. Bowen, “Metaphorical Obscenity in French Farce, 1460-1560”, Comparative Drama, 11 (1977), 331-343: chapitre iii, “Presenting sex on stage”, pp. 338-342. La thése de L.

Thompson White, Sexual Metaphors in the Fifteenth to Sixteenth Century French Farce (Urbana, IL, 1981), n’étudie que les métaphores et non pas la représentation scénique et ne signale d’ailleurs ni ferrer ni /’oie.

368

PAUL VERHUYCK

emblématique.7? A bien y réfléchir, la fameuse “mise en action des locutions” dans les sotties présente toujours un aspect de rébus dans la tradition de l’allégorie selon sa définition médiévale aliquid dicitur aliquid significatur. Quelques exemples pour fixer les idées, ut pictura poesis. Dans les tableaux précités du XVIe siècle avec les oiseaux, propter avium salacitatem,80 on voit un couple humain fort chaste avec des oiseaux. Au public donc de comprendre que ces jeunes gens veulent oiseler, “faire comme

les oiseaux”, au sens de coiter. Le sens de la

peinture telle quelle est en suspens, est différé et doit étre pleinement réalisé par l’interprétation du-spectateur. Sur une peinture de Frans van Mieris, appelée Scène de Bordel, on voit un jeune homme et une jeune femme dont la conduite n’a rien d’incorrect, mais au fond on aperçoit un accouplement de deux petits chiens: ici encore c’est au spectateur de parfaire le lien.®! Mais pour ne pas avoir l’air d’aller chercher mes exemples trop loin, prenons quelques farces ou sotties françaises où la même emblématique a joué. Les exemples ne manquent pas. Dans la farce des Femmes qui font rembourrer leur bas le sens grivois est tout à fait évident au niveau du texte.82 Mais, contrairement à Tissier,83 je ne pense pas qu’il y ait eu représentation scénique de l’acte sexuel. Que voit-on sur scène? Les femmes portent leur “bas/bât” sous le bras et le font rembourrer par des selliers munis de verges et bâtons: 79 La notion de rébus dans les sotties a été étudiée épisodiquement et de façon divergente par Nelson, La Sottie sans Souci, p. 33, et Aubailly, Le Monologue, pp. 346-349. Sur le rébus, voir J. Céard & J.-C. Margolin, Rébus de la Renaissance, 2 vol. (Paris, 1986), avec un tout petit passage sur le théâtre profane, i, p. 153.

80 Voir, plus haut, note 57. Ajoutons qu’Isidore de Séville, dans ses Etymologies, dit que les oiseaux s’égarent dans des voies non frayées (jeu de mots aves/a-via), mais attribue spécifiquement les mœurs homosexuelles à la perdrix: Jacquart & Thomasset, Sexualité et savoir médical, pp. 147-148.

81 Frans van Mieris l’aîné [1635-1681], Scène de bordel, 1658. Panneau de 43 x 33 cm., conservé à La Haye, au musée Mauritshuis, inventaire n°. 860. Voir B. Broos, Het Mauritshuis (Londres/La Haye, 1994), pp. 64 et 73.

82 Ed. Cohen, Recueil de farces, xxxvi, pp. 283-286; cf. Faivre, Répertoire, pp. 158-159.

83 Tissier, “Evocation et représentation”, p. 542. 369

DE LA SOTTIE A VILLON

les deux galants ouvriers fourrent donc de la paille dans la selle et c’est cela qui fait rire par cryptogramme! La plaisanterie grivoise est verbale et il n’est pas question de simuler la copulation, comme le

veut Faivre.84 La même chose joue dans la farce des Femmes qui apprennent à parler latin, des Femmes qui vendent amourettes, des Femmes qui font écurer leurs chaudrons, de La femme à qui son voisin baille un clistoire et de Raoullet Ployart, et on pourrait allonger la liste.85 Dans tous ces cas, aucune salacité visible sur les tréteaux! Dans tous ces jeux le texte — suggestivement obscène — et la mise en scéne — hypocritement neutre — doivent étre combinés, comme le texte et l’image dans un rébus, pour produire un sens satisfaisant et cohérent. Les obscénités textuelles, métaphoriques ou 84 Il y a d’ailleurs dans cette farce des sexuelle qui font penser a celles qu’on Femmes v. 81 Encore ung coup! et v. 166 Trust avant et v. 169 Comment vous

exclamations marquant |’excitation trouve dans Magnificat: p.ex. dans 97 Boutez-y-en; dans Magnificat v. y allez!

85 Dans la farce des Femmes qui apprennent a parler latin (éd. Cohen, Recueil de farces, xvii, pp. 123-134; cf. Faivre, Répertoire, pp. 148-149), des équivoques bilingues, franco-latines, fonctionnent comme des schibboleths pour un public d’étudiants, sans qu’on ait à montrer la copulation elle-même. C’est sans doute grâce à ce procédé du clin d’oeil complice — renforçant la solidarité sociale à l’intérieur d’un groupe — que de telles pièces obscènes ont pu être jouées et échapper tant soit peu à la censure. Dans la farce des Femmes qui vendent amourettes (éd. Cohen, Recueil de farces, Xxxviii, pp. 295-301; cf. Faivre, Répertoire, pp. 162-163), on voit les

deux jeunes filles vendre assez innocemment des chansons d’amour, alors que le texte joue continuellement sur l’ambiguïté. Dans Les femmes qui font écurer leurs chaudrons le texte est certes tout à fait polisson, mais il n’y a pas de coït mimé comme le veut Tissier, ni même une semi-visualisation, comme

le veut Faivre (éd. Tissier, Recueil de Farces,

ix, pp. 206-208;

Faivre, Répertoire, p.155). Le jeu est justement que le chaudronnier frappe et travaille le chaudron pour que le public fasse la “lecture” équivoque “par figure”. Dans la farce de la Femme à qui son voisin baille un clistoire (éd. Cohen, Recueil de farces, pièce xxviii, pp. 219-226), le clystère est tout simplement un vrai clystère, mais son symbolisme phallique est presque universel. Dans la farce de Raoullet Ployart, il s’agit de labourer la vigne de la femme (éd. Tissier, Recueil de Farces, “Evocation et représentation”, p. 543).

370

ii, pp. 229-285;

cf. Tissier,

PAUL VERHUYCK

explicites, illustrent et expliquent une mise en action d’une locution au niveau de la mise en scène, tout comme les chiens accouplés expliquent les intentions du couple chez Mieris. Soit dit en passant, Je pense que cet aspect emblématique des sotties mérite d’être exploité plus en avant et pourrait nous aider à décrypter ces pièces

réputées difficiles ou hermétiques.86 Dans cette seconde option, le public du Magnificat voit sur la scène Dando ferrer une oie (en bois?) et Aliborum, atout son escriptoyre, peut-être courbé sous son fardeau d’ustensiles, corriger un texte dans un livre liturgique.

Qu’avons-nous jusqu’ici? Du côté de la sottie un sens homosexuel (et scatologique) qui se greffe sur des locutions considérées comme usuelles. Du côté de Villon, on sait que les possibilités de thèmes homosexuels dans l’œuvre de Villon ont déjà fait couler

beaucoup d’encre.$7

Pourtant, tous ceux qui ont étudié “l’amour

noir” dans l’œuvre du bon follastre ont omis de donner ce sens à “ferrer l’oie”. Mais, pour d’autres passages, l’interprétation homosexuelle fait presque l’unanimité. Pour ne prendre qu’un exemple: au début du Testament, où Villon dit de son grand ennemi, l'évêque Thibaut d’Aussigny:

86 En attendant, j'avoue qu’il reste dans Magnificat quelques vers que je ne parviens pas à expliquer tout à fait: ce sont les vv. 20, 27 121, 204 (corriger [S’] Ilz?), 238 (Malle: jeu de mot franco-latin sur Mal ait?), 261-262 (corriger sotz aver en sotzayer pour sottoyer?). Et pourquoi, aux vers 257258, Dando dit-il que Sotin a l’air d’un juif bossu?

87 Voir p.ex. D. Kuhn, La poétique de Frangois Villon (Paris, 1967; réédition photostatique 1992 sous le nom de D. Mus); P. Guiraud, Le Jargon de Villon ou le Gai Savoir de la Coquille (Paris, 1968): on sait que Guiraud n’analyse que six ballades en Jobelin, c’est-à-dire ne tient pas compte du ms. de Stockholm, où figure le mot oue, x, 21; G. Pinkernell, “Villon und Ythier

Marchant. Zum Kommentar von Lais 81-88 und Testament 970-989”, Zeitschrift fiir romanische Philologie, 91 (1975), 95-107; Y. G. Lepage, “François Villon et l’homosexualité”, Le Moyen Age, 92 (1986), 69-89; C. Martineau-Génieys, “L’homosexualité dans le Lais et le Testament de François Villon”, in Conformité et Déviances au Moyen Age: Cahiers du CRISIMA, 2 (Montpellier, 1995), pp. 235-251.

574

DE LA SOTTIE A VILLON Je ne suis son serf ne sa biche! (T, 12)

presque tous les villoniens ont compris biche au sens de “mignon”.88 Or, il y a plusieurs années,

préparant un cours, j’ai cru

remarquer qu’il y avait une suite homosexuelle dans le Testament, mais je n’étais pas parvenu à expliquer tout. Il s’agit des huitains clxvi-clxxii, vv. 1776-1843, donc le passage même où figure le sénéchal camus. Le problème est que pour certains de ces sept légataires — mais pas pour tous! — la chose homosexuelle fait presque l’unanimité dans la recherche villonienne: — Huitain clxvi: Jacquet Cardon, le drapier grossier et lubrique. Le sens sexuel du huitain ne fait pas de doute, mais il est difficile de choisir entre la lecture hétérosexuelle ou

l’homosexuelle.8? — Huitain clxvii (huitain omis — censuré? — dans l’édition Levet 1489): maistre Pierre Lomer est présenté, de l’avis de tous,

comme un vieux chanoine homosexuel impuissant.%° — Huitain cixviii, vv. 1804-1811:

les amants infirmes sont

des impuissants. Ils représentent l’amour courtois agonisant et rebâché selon Dufournet.?! Représentent-ils aussi les mignons?

Selon Lepage on peut le croire.?2 Villon leur lègue en tout cas un tout petit goupillon. —

Huitain

clxix:

Jacques

James,

qui tient

une

maison

d’étuves dans la rue aux Truies, est un proxénéte qui amène les

victimes de ses galantes tromperies à se prostituer.2? Mais le final du 88 Pour une discussion de ce passage, voir Dufournet, Recherches, i, pp. 131-194 et Dufournet, Nouvelles recherches, pp. 17-28.

89 Sur ce huitain T 166 et la Bergeronnette (ainsi que le huitain L 16), Jelle Koopmans et moi comptons revenir dans une étude à paraître. En attendant, voir sur Jacques Cardon: Dufournet, Nouvelles recherches, pp. 149-171.

90 Voir surtout Dufournet, Recherches, pp. 487-501; Lepage, “François Villon et l’homosexualité”, p. 77.

91 Dufournet, Recherches, pp. 501-506. 92 Lepage, “François Villon et l’homosexualité”, p. 77, mais hélas sans motiver sa suggestion.

93 Dufournet, Recherches, ii, pp. 485 et 507-511; cf. J. Dufournet, Villon: Ambiguité et Carnaval (Paris, 1992), pp. 108-113.

314

PAUL VERHUYCK

huitain invite à y lire une accusation d’homosexualité: au lieu d’être “aux truies”, il est plutôt “aux pourceaux”: Et qu’il fust aux truyes, je tiens

Qu'il doit de droit estre aux pourceaux. (vv. 1818-19)24 Thuasne fait remarquer que Villon donne un double sens au proverbe: “ce forfait de la truie, que les pourceaux le compérent”.95 Mais il y a dans la Pronostication nouvelle de Tubal Holoferne un passage qui met bien mieux en évidence le caractére sexuel du jeu de

mots:76 Se moines et nonnains se joignent Ce ne seront pas cas nouveaulx, Car, selon que plusieurs tesmoignent, Les truyes ayment les pourceaulx.

Et rappelons que Sotin, dans Magnificat, appelle Dando et Aliborum Ung grant tas de pourceaulx (v. 200).

Jacques James reviendra dans le huitain clxxxiv, vv. 1944-1951, comme un des exécuteurs testamentaires tenus en réserve, comme un des trois hommes Desirans de sauver leurs ames Et doubtans Dieu Nostre Seigneur. (vv. 1946-1947)

Anima? Domino? Comme dans le Magnificat? En soi l’expression ecclésiastique est banale. Villon l’a-t-il transcodée, réemployée à d’autres fins?

94 Je ne vois pas pourquoi l’éd. Thiry 1991 corrige qu'il en qui au vers 1818. Remarquons que Villon emploie la même rime morceaux: pourceaux (vv. 1817-1819) que la sottie du Magnificat vv. 200-(201)-203.

95 Thuasne 1923, iii, pp. 508-509. 96 Ed. Montaiglon & Rothschild, Recueil, xii, pp. 144-167: p. 156, wv. 185189.

313

DE LA SOTTIE A VILLON

— Huitain clxx, objet de la présente étude: sur le sénéchal, camus (C) ou non (L), rien jusqu’ici au sujet de l’amour noir. — Huitain clxxi, vv. 1818-1835: à Jean du Harlay, Chevalier du Guet, donc chef de la police de nuit, Villon donne deux beaux

petiz paiges (v. 1829). Quelles que soient les possibilités d’antiphrase perfide — Philibert et Marquet, pas autrement connus, seraient des policiers âgés — la suggestion de sodomie est là. — Huitain clxxii, vv. 1836-1843: Jean Chapelain, sergent de la Douzaine ( = la garde du prévôt de Paris), buveur et coureur de jupons, est présenté, par éponymie, comme un curieux chapelain qui aime confesser = “fesser le con” aux chambrières et aux dames (v. 1842-43). Le jeu de décomposition confesser/con fesser et confesseur/ con fesseur est parmi les re-sémantisations les plus communes dans la littérature des XVe-XVIe siécles.9”7 A première vue Jean Chapelain est donc hétérosexuel, voire méme un homme a

femmes; cela signifie qu’il fait probleme — sinon obstacle — a une interprétation homosexuelle. Mais il y a peut-étre lieu de revenir sur ce huitain, par exemple en interprétant ce dit au sens fort: De conffesser, ce dit, n’a cure Synon chamberieres et dames

— au sens malicieux et partant villonien de: “il prétend, c’est connu, qu’il est hétérosexuel, mais est-ce bien vrai?” J’espère pouvoir revenir sur ce huitain. Le doute n’est pas donc encore levé pour tous les sept candidats à l’homosexualité. Pour Lomer, Harlay et James la chose est à peu près certaine, pour Cardon et les amants infirmes elle est probable. Dans l’état actuel de la question, seul Jean Chapelain reste un cas incertain. Mais pour ce qui est du sénéchal, on dirait qu’il est camus au sens de “confus, désorienté par l’inversion sexuelle”, sans

oublier que depuis le pseudo-Aristote le nez camus est l’apanage des

97 Voir p.ex. Koopmans, Recueil de sermons joyeux (surtout le Sermon joyeux de saint Velu); un autre connaisseur de ces polissonneries est bien sûr Jean Molinet: éd. N. Dupire, Jean Molinet, les Faictz et Dictz, 3 vol. (Paris,

1936-1939), passim. Voir aussi Rabelais, Quart Livre, chapitre 49: “De cons fesser, respondit Panurge, tres bien, nous consentons”, éd. Defaux 1994, p.

497.

374

PAUL VERHUYCK

luxurieux!?8 Son homosexualité me semble d’ores et déjà acquise, grâce au décryptage textuel et scénographique de la sottie du Magnificat. Villon a pu voir cette sottie. De toute façon, il y fait allusion: la sottie est le seul pré-texte qui présente un maréchal qui ferre les oies, Dando; le seul pré-texte aussi à associer les oyes aux canetons, tout comme Villon associe les oyes aux canectes. Cette association, fonctionnant dans un contexte identique, ne semble pas se rencontrer ailleurs, alors que la locution stéréotypée est, elle, assez fréquente. Avec cela il faut être attentif à la composition d’ensemble du Testament, a la dispositio des groupes de légataires. Dans le Testament, cette suite septimale (h. clxvi-clxxii) est rigoureusement encadrée. Elle est précédée de six huitains sur la mort (vv. 17281775) et suivie par les huitains de conclusion, “l’ordonnance après la mort”: ce sont les vers 1844-2023, ot Villon nomme

ses exécuteurs

testamentaires, écrit son épitaphe, s’occupe de ses obséques et fait ses adieux. C’est le requiem final. On dirait donc que maistre François a sciemment isolé ses sept derniers légataires des autres mortels, du commun des mortels. C’est cette place marginalisée surtout, comme celle des sodomites dans le plus bas /nferno de Dante, in tenebras exteriores, qui pourrait suggérer des mœurs qui à l’époque étaient jugées vicieuses et abominables.® Au reste, il est évident que nous ne pourrons jamais nous prononcer sur l’homosexualité réelle de ses personnages: nous avons affaire à un texte littéraire, donc a priori fictionnel, et qui plus est, écrit par un poète qui, faisant fi de toute objectivité, de tout souci d’authenticité, a pris

98 Jacquart & Thomasset, Sexualité et savoir médical, p. 199. 99 C’est le vice innommable: cf. M. Goodich, The Unmentionable Vice, Homosexuality in the Later Mediaeval Period (Santa Barbara, CA, 1979); cf. J. Boswell, Christianity, Social Tolerance and Homosexuality. Gay People in Western Europe from the Beginning of the Christian Era to the Fourteenth Century (Chicago/Londres, 1980; traduction française, Paris, 1985). Ces deux études, par ailleurs fondamentales, s’arrêtent hélas au XIVe siècle. L'expression in tenebras exteriores d’ Alexandre Neckam, De naturis rerum, est citée par Boswell, Christianity, Social Tolerance, p. 306. Pour les opinions médicales relatives à l'homosexualité au moyen âge, voir Jacquart & Thomasset, Sexualité et savoir médical, pp. 213-222.

375

DE LA SOTTIE A VILLON

le parti de se thématiser comme quelqu’un qui a accumulé les rancunes et qui a trempé sa plume dans le fiel. Quel a été le sénéchal, camus ou non, qui a payé ou qui n’a pas voulu payer les dettes de Villon? Nous l’ignorons jovialement. Pourquoi pas Brézé? Il est en prison de novembre 1461 à mai 1462. Exactement à l’époque où Villon a composé son Testament. La coïncidence chronologique est la pour séduire, même si sa relation avec Villon demeure obscure. Mais peu importe pour la littérature. Pour la littérature c’est sans doute Dando. Ajoutons à cela que le champ sémantique de “donner”, associé à Dando, a pu jouer dans le huitain de Villon, au vers 1821: “qui uneffoys paia mes debtes”. De toutes les connotations possibles évoquées plus haut, l’autre sens de Dando qui me parait a retenir est: celui qui dandine et, fort curieusement, celui dont le dandinement évoque la marche de I’oie et de la cane. Est-ce encore une piste à suivre? Est-ce que cela pourrait expliquer pourquoi Dando a été choisi pour ferrer des volailles palmipèdes plutôt que des fourmis ou des cigales? Quelle que soit l’identité du maréchal-sénéchal visé, par le biais de la sottie Villon lui attribue, à tort ou à raison, des mœurs homosexuelles.

Voilà donc les sordides sornectes que Villon lui envoie: En luy envoyant ces sornectes. (v. 1824)

Le mot est plus ou moins (para-)théâtral, plus ou moins synonyme de “farce”, à en croire les Vigiles de Triboulet, où l’on dit du défunt que Il estoit si bon joueux

De farces et de sornetes. 100

Il faut d’ailleurs croire que les sornettes chez Villon signifient par métonymie aussi “le support sur lequel sont écrites ces sornettes, les feuilles de papier contenant ce huitain”, car de toute évidence le poète lègue un objet concret, tangible, dont on peut faire, si l’on

100 Ed. Droz, Recueil Trepperel, pp. 217-138, vv. 78-79. 376

PAUL VERHUYCK

veut, des alumectes (v. 1826).!°! Cela renforce le caractère pragmatique et la fiction épistolaire de ce legs. Cette interprétation a aussi des conséquences pour le mot alumectes, qui signifie à l’époque de petites bûches pour faire le feu. Au XVIIIe siècle, en tout cas, allumette pouvait indiquer le membre

viril déficient.!°? Quoi qu’il en soit, ces petites bûches de papier roulé, on peut, si l’on veut, les utiliser en prison pour soy desennuyer. C’est la leçon de tous les témoins textuels sauf un, le meilleur, le manuscrit C (du marquis de Coislin), qui porte Pour ce dissimuler.

Selon moi, c’est cette leçon qu’il faut préférer, à cause du vers 1827, De beau chanter s’ennuyt on bien, qui dit en d’autres mots qu’il n’y a pas moyen de soy desennuyer. La variante C, Pour ce dissimuler, a peut-être été écartée trop vite et par un certain parti-pris pro-Brézéien (“Brézé, en prison, doit se désennuyer”). Cette variante renvoie selon Rychner-Henry et Thiry aux dettes (non) payées du vers 1821 et devient ainsi la raison — non le but — du legs. Mais la leçon C offre même une deuxième possibilité de lecture, celle d’y voir justement le but du legs: Pour ce dissimuler = pour dissimuler comment il ferre les oies: “j’emploie ces sornettes, ces termes ludiques, pour cacher

son homosexualité”.!°3

Cette lecture rend le vers plus farouche et

fait apparaître l’autre leçon comme une /ectio facilior. En tout cas,

101 Longnon 1877, p. 85, comprend même sornectes comme un exemplaire du testament complet, ce qui correspond à la glose de Clément Marot, ce présent livre: Champion, François Villon, ii, p. 168. 102

R. Darnton, Bohème

littéraire et révolution.

Le monde des livres au

XVIIIe siècle (Paris, 1983), p. 97, cite un texte grivois qui vise la reine, Les amours de Charlot et Toinette, où on lit que Marie-Antoinette ne peut se satisfaire de la faible virilité de son amant: Attendu que son allumette/ N’est pas plus grosse qu’un fétu;/ Que toujours molle et toujours croche,/ I] n’a de v... que dans la poche.

103 En d’autres mots, pour ce dissimuler ne renverrait pas, comme le voulaient Rychner & Henry et Thiry, au vers 1821 (sens: “pour feindre d’ignorer qu’il n’a pas payé mes dettes”) mais au vers 1823, qui a d’ailleurs l’avantage d’être plus proche (sens: “pour cacher qu’il ferre des oies”). Donc: ferrer les oies est une occupation qui craint la lumiére du jour, mais Villon a l’obligeance de ne pas la dévoiler ouvertement, mais — 6 paradoxe du verbe

poétique — il tient à signaler sa bonté!

377

DE LA SOTTIE A VILLON

ces bûches allumeuses, le légateur peut se les mettre où vous savez... Car De beau chanter s’e[n]nuyt on bien (v. 1827)

Ce mot de la fin est encore

une

locution proverbiale, qu’on a

signalée chez Rutebeuf et Jean de Meung.!°4 Chanter, dans le climat socio-culturel du XIIe au XVe, signifie chanter à la mode courtoise,

languir et espérer longtemps, servir longtemps comme un amant martyr privé de guerredon (la récompense amoureuse octroyée par la personne désirée), se contenter de vains simulacres, avoir envie et ne

pouvoir réaliser ses desseins érotiques. Pour remédier à cet état de choses,

on peut, selon

la recette

de Villon,

s’amuser,

avec

des

allumettes de papier roulé. Comme le disait Dragonetti, Villon ne chante pas, il parodie, c’est-à-dire il chante à côté, il “déchante”.105 Ce long commentaire d’un huitain par le biais d’une lecture concrète d’une sottie présente encore un autre aspect, bien différent

mais tout aussi fascinant: Villon spectateur au théâtre. En 1987 Jelle Koopmans et moi avons déjà accentué les liens entre Villon et le théâtre de son temps: la découverte de l’inédit Sermon joyeux de

saint Belin ajoutait encore une pièce de taille à ce dossier.!9© On sait que Burger, dans son petit article lumineux sur “La dure prison de Meung”, a été un des premiers — après Rabelais bien sûr — à nous présenter Villon actif comme acteur de théâtre.107 Or voici que nous

104 J. Morawski, Proverbes français antérieurs au XVe siècle (Paris, 1925), n°. 456; cf. Hassell, Middle French Proverbs, C57; di Stefano, Dictionnaire, p. 141.

105 R. Dragonetti, “La soif de Villon”, in Villon hier et aujourd'hui. Actes du

Colloque

Testament

pour

de Villon,

le cing-centième Bibliothèque

anniversaire

de

l'impression

historique de la Ville de Paris,

du

15-17

décembre 1989. Réunis et publiés par Jean Dérens, Jean Dufournet et Michael Freeman (Paris, 1993), pp. 123-136 (pp.127-128); (et interventions orales au colloque).

106 Koopmans & Verhuyck, Sermon joyeux, pp. 19-85. Voir aussi J. Koopmans, "Villon et le théâtre", in Villon hier et aujourd'hui, pp. 107-119.

107 A. Burger, “La dure prison de Meung”, in Studi in onore di Italo Siciliano, 2 vol. (Florence, 1956), i, pp. 149-154.

378

PAUL VERHUYCK

surprenons l’Enfant-sans-soucy assistant à la représentation d’une pièce concrète, la sottie de Dando, qu’il a l’air de citer. Y a-t-il

assisté comme spectateur ou aurait-il participé au jeu comme un des acteurs scatologiques? Nous n’en savons rien. Mais la situation elle-

même donne, comme dans le cas des Neiges d’antan,'°8 un peu plus de qualités spatiales et optiques, presque iconographiques ou scénographiques, au monde de Villon — ce monde emblématique qui demeure, malgré tous les efforts, si peu connu qu’on peut avoir l’impression que nous n’en avons même pas sondé la moitié, ni même le sens premier.

108 P. Verhuyck, "Villon aujourd'hui, pp. 177-189.

et les neiges

d’antan",

in

Villon

hier et

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SUMMARIES — RESUMES

DAVID MUS François Villon: le drame du texte Comment contrer le réel danger qui menace un poète dont des “grandeurs” de la pédagogie osent dire la nullité? Dans un de ces ouvrages scolaires qui font autorité dans les lycées français, en effet, la poésie de Villon, quelques ballades mises à part, est traitée de “fatras”: désuete, dénuée d’intérêt. Cette communication jette un cri d’alarme — mais, par la même occasion, elle se veut un cri de ralliement. L’essentiel est de revenir au texte de Villon: à un texte dont on célébrera les richesses et les ambiguïtés, où l’on goûtera la dextérité avec laquelle le poète fait siens les lieux communs de ses contemporains, et la virtuosité avec laquelle il joue de /a seconde rhétorique. Revenu au texte — un texte épuré, dont on aura éliminé l’apparat typographique qui l’a progressivement alourdi — on sera mieux en mesure de juger de la pérennité du poète: de voir par exemple les audaces linguistiques qui le relient aux Scarron, aux Mallarmé, aux Schwob, de s’aventurer à dire combien la poésie de Villon sous-tend celle de ses successeurs. Du Bellay, par exemple, ne le cite jamais, mais ses Regrets ont tant de points en commun — thématiques, prosodiques, numérologiques — avec le Testament que la lecture de l’un enrichit profondément celle de l’autre. Faire revivre cette poésie du vécu sera désormais la tâche du critique — tâche d’autant plus urgente que l’enjeu est la survie même du poète du XVe siècle. (JHMT)

A real danger threatens Villon: in the schoolrooms of his native France, a standard “history of French literature” tells pupils that his verse — a few odd lyrics apart — is unworthy of serious attention. This paper sounds the alert — but it is also a call to arms. In particular, it calls for a return to the text of Villon’s poetry: to a text shorn of the typographical straitjacket within which modern editors have confined it. Critics and scholars should celebrate Villon’s rich ambiguities, revel in his dexterous and flamboyant recycling of the clichés of his contemporaries, admire the excitement and urgency with which he exploits /a seconde rhétorique. To come back to the text of Villon’s verse is to become aware of its longevity, its vitality: the way in which, for instance, its language is still recognisably that of Scarron, or Mallarmé, or Schwob. It may also allow us to perceive how far Villon’s verse is an undercurrent throughout the history of French poetry. Du Bellay, for instance, never mentions Villon — and yet the Regrets and the Testament have so much in common, thematically, prosodically, even numerologically, that the two poem-sequences, read in tandem, are mutually

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SUMMARIES — RESUMES enriching. It is this sense of Villon as a living presence that critics must attempt to convey — and what is at stake is nothing less than the survival of Villon himself. (JHMT) 7 XX

JANE H. M. TAYLOR (UNIVERSITY OF OXFORD) “Ballade des seigneurs du temps jadis”: la poétique de l’incohérence Cette communication propose une nouvelle lecture de ce qu’il est convenu d’appeler la “Ballade des seigneurs du temps jadis” (T, 357-84): lecture qui, loin de vouloir trouver une clé à cette liste hétéroclite de noms et d’allusions, en célèbre l’incohérence. Poète de la liste, Villon se délecte, ici comme ailleurs — songeons par exemple à la “Ballade de mercy”, ou à bon nombre des poésies diverses — à prévenir la mise en relation des éléments discursifs; il se joue des constructions de sens amorcées par les noms propres. Ainsi les retentissants, les légendaires Artus, Charles et Lancellot s’avèrent être de banaux contemporains; ainsi Villon, dans cet Ubi sunt où le nom a valeur de signe, refuse le nom, ou prétend ne pas s’en souvenir; ainsi le refrain de la ballade, le vers où, selon les rhétoriqueurs du XVe siècle, se concentre le sens et le piquant de la ballade, se montre en profond désaccord avec le poème qu’il est censé couronner. D’ailleurs, les deux autres ballades de cette suite, la “Ballade des dames” et la “Ballade en vieil langage françois” refusent, elles aussi, un “message” cohérent: ce trio de ballades annonce une œuvre faite d’interrogation et de multiplicité. (JIHMT)

This paper proposes a new reading of the so-called “Ballade des seigneurs” (T, 357-84) —

a reading which celebrates

its incoherencies, rather than

seeking to resolve them. Villon, of course, specialises in lists — lists of curses, lists of proverbs; he also specialises in allusion, in demanding that his readers decode the most glancing of references. In this poem, he capitalises on our readerly propensities by promising densities of meaning that he studiously fails to provide: thus Artus and Lancellot are not the legendary heroes of the Round Table, and Charles is not necessarily the emperor of the Chanson de Roland; thus — in an Ubi sunt ballade whose raison d’étre is the proper name — Villon fails to name his referents, or pretends to have forgotten their names; thus the refrain, which resurrects /e preux Charlemaigne, refuses its role as thematic and semantic kernel of the ballade. Moreover this ballade cannot be read in isolation from the two others in this suite of poems — and when the three are indeed read conjointly, they refuse, conjointly, to construct a single coherent meaning;

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SUMMARIES — RESUMES

they are thus a fitting introduction to a work marked by shifting and multiple meanings. (JHMT) CEE)

ADRIAN ARMSTRONG (UNIVERSITY OF MANCHESTER) François Villon: Rhétoriqueur? Villon’s poetry tends to be regarded as antithetical to that of his nearcontemporaries the Grands Rhétoriqueurs, Villon’s production being seen as personal and iconoclastic while Rhétoriqueur poetry is assumed to be aridly formalistic. This study contends that such an assessment is founded on a privileging of the Testament at the expense of Villon’s other output; through an examination of the Poésies diverses, the opposition between Villon and the Rhétoriqueurs is called into question. Significant similarities are noted between some of the Poésies diverses and poems by Meschinot and Molinet; indeed, the Villon pieces often evince more formal sophistication, or a more automatised use of form, than the Rhétoriqueur lyrics. Other Poésies diverses display techniques often employed in Rhétoriqueur poetry, a parallel reinforced by the frequency with which contemporary manuscripts transmit Villon’s shorter works alongside material by the Rhétoriqueurs ostensibly so unlike him. These various affinities point towards a reassessment of some features of the Testament and their relationship to Rhétoriqueur poetic practice. (AA) KK

RICHARD COOPER (UNIVERSITY OF OXFORD) Le Codicille Villon: le Testament poétique à la Renaissance Si le chef d’ceuvre de Villon ne fut pas le premier exemple d’un testament poétique, le succès que connut ce poème en France inspira une foule d’imitateurs. Certains évitérent d’imiter humour villonesque et préférérent publier les derniers conseils d’un pére ou d’une mére a son enfant, ou bien aborder de grands thèmes moraux comme la guerre, le vice ou les affres de l’amour. D’autres saisirent l’occasion pour rédiger des testaments politiques, dans lesquels ils déchargérent leur bile sur leurs rivaux religieux ou politiques. Mais la plupart des émules de Maître François cherchérent à reproduire son esprit badin: grace a eux nous connaissons les derniéres volontés d’un oison, et d’un choix de bouffons, de filous, de buveurs et

méme de statues, tous figurants des bacchanales carnavalesques. Ces disciples contribuent à préserver jusqu’au XVIIe siècle le legs de François Villon. (RAC)

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SUMMARIES — RESUMES Villon’s Testament was not the first in its genre, but its success spawned a

profusion in France of poetic wills. Some chose not to emulate Villon’s wit, but provided guidance from dying parent to child, or reflected on moral issues such as war, vice and the torments of unrequited love. Others purported to be political testaments, containing satirical and often bitter condemnations of political or religious rivals. But the majority of Villon’s imitators tried to recapture his spirit: thus we read the dying wishes of goslings,

fools, tricksters,

even

statues,

and

all the troupe

of Carnival

bacchanalia. These poets keep up Villon’s legacy well into the seventeenth century. (RAC) KK

JELLE KOOPMANS (UNIVERSITY OF AMSTERDAM) Groseilles et Vaucelles Les vers du Testament que Villon consacre à Catherine de Vaucelles (T, 657-64) ont suscité non seulement beaucoup de commentaires, mais ils ont également été a la base d’extrapolations biographiques qui — a leur tour — ont été utilisées afin d’expliquer le Testament, et le Lais d’ailleurs. En fait, la lecture “canonique” de ce passage repose sur des sables mouvants. Une tentative de revoir l’interprétation de ce passage ouvre une nouvelle perspective, Villon et les dermatoses, plus particulièrement la lèpre, qui n’est pas sans susciter de nouvelles pistes d’interprétation du Testament de Villon. (JK) The lines devoted to Catherine de Vaucelles in Villon’s Testament (T, 65764) have spilt a great deal of critical ink; they have also given rise to biographical speculations which, in their turn, have been brought into play in the analysis of the Testament, not to mention the Lais. Closer examination shows that the “standard” interpretation of these lines is built on shifting sands. A more thorough examination of the passage opens a new line of enquiry — Villon and skin complaints, leprosy in particular — which is not without value for the interpretation of the remainder of the Testament.

(JHMT) 2k 2K

TONY HUNT (UNIVERSITY OF OXFORD) Villon’s Last Erection (Testament, vv. 1996-2023) In the Testament the “Ballade de conclusion” is problematic on more than one count. There is the precariousness of its manuscript transmission, the

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SUMMARIES — RESUMES indeterminacy of the voice which announces the death of “povre Villon”, and the incongruity of the image of him as a martyr of/to love, an image undermined by a succession of ironies. The argument advanced here is that the burlesque self-stylisation with which the Testament ends is a deliberately ironic response to those who had mischievously labelled the Lais as a will (T. h. Ixxv), thereby suggesting the author’s imminent death. The deliberately ironic mismatch between the dominant image of the Lais, here depoeticized to produce the figure of the “érotomane”, and the Testament reverses that earlier strategy by which the Lais became a “testament”. Through a series of parallels with the earlier work Villon concludes his true “testament” with an ironic reprise of the Lais. He performs a similar mismatch in citing Jean de Meun’s Testament as if it were the Roman de la Rose. (ABH) KK

ROGER PENSOM (UNIVERSITY OF OXFORD) “Ars combinatoria” dans le Testament de Villon: huitains IXLI Cette communication cherche a mettre en lumière des structures dissimulées qui assurent la cohésion d’un texte en apparence spontané et décousu. II propose une lecture des huitains 1-41 du Testament qui, tout en ayant conscience de l’art poétique tel qu’il fut transmis à Villon par ses maîtres et pratiqué par ses contemporains, prétend déceler un réseau de rappels qui transforme la valeur sémantique des lieux communs à force de les recombiner. Il paraîtrait donc qu’un tel cycle de permutation de lieux communs serve à générer l’armature fondamentale du texte. Ainsi se profile une solution possible du problème posé par la nature protéiforme de la voix du testateur, vu que l’unité du texte est assurée, du moins en partie, par la structure thématique au niveau du discours, par opposition aux structures au niveau de la phrase. Puisque le procédé de recombinaison oppose et réconcilie ultérieurement les éléments contradictoires, la prise en considération de la nature dialectique de ce procédé s’avérerait critique pour notre compréhension de la signification globale du Testament. (RP) This article attempts to shed light on some of the hidden structures which guarantee the integrity of a text which gives an impression of rambling spontaneity. It suggests an interpretation of huitains 1-41 of the Testament which, while taking into account the inherited nature of the poetic tradition which Villon shared with his contemporaries, seeks to uncover a system of structured repetition which transforms the meaning of commonplace themes

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SUMMARIES — RESUMES by recombining them. The idea is proposed that this process of cyclical permutation makes up the essential infrastructure of the text. This gives us a possible solution to the problem posed by the shifting identity of the narratorial voice, since the unity of the text is guaranteed at least in part by thematic structures at the level of discourse, as opposed to structures at the level of the phrase. Since the procedure of recombination contrasts and finally reconciles contractory elements, an awareness of its dialectical nature may be decisive for our understanding of the overall meaning of the Testament. (RP) 26 6

EVELYN BIRGE VITZ (NEW YORK UNIVERSITY) “Bourde jus mise”? Villon, the Liturgy, and Prayer The liturgy and traditional Christian prayer play an important role in the poetry of Villon; especially important are liturgies and prayers for the dead. Four categories of citation are examined: 1. Liturgical frames. Both the Lais and the Testament open and close with quotations from the liturgy. 2. Prayers for the dead. Villon’s many such prayers emphasize the fragility of human life and the fear of judgment. 3. Prayers for the dying. Villon counts himself among their number, and asks for prayers. 4. Prayers for the living. Even the living are presented as facing death and imminent judgment. With regard to the tensions in Villon’s poetry between highly divergent tones and registers, this article argues that the acid bath of irony and sarcasm which surrounds the language of prayer in Villon’s poetry does not dissolve it. Villon places liturgical formulas in positions of strength, and his own jeering comments in weaker positions. Moreover, the extreme persuasiveness of Villon’s eschatological preoccupations points up the gravity of these issues to him, despite all the jokes and “bourdes”. In the light of medieval theology, the many prayers in Villon’s work should be understood as “genuine”, not merely as poetic parodies or mockeries of prayer. (EBV) kK

KENNETH VARTY (UNIVERSITY OF GLASGOW) L’illustration du texte de Villon: le cas A. Paul Weber

Parmi les illustrateurs de l’œuvre de Villon, l’un des plus extraordinaires est A. Paul Weber. Cet artiste allemand, qui osa de dangereux dessins politiques sous le gouvernement

hitlérien, qui fut emprisonné

dans des

camps de concentration, mais qui eut la chance d’être élargi en 1938, fit

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SUMMARIES — RESUMES deux séries d’illustrations: 8 dessins à la plume en 1938, 9 lithographies en 1953. Ses illustrations épousent de près les textes de Villon, et l’artiste s’attache à rendre le drame humain que met en scène le poète: le portrait même de Villon, aux traits très particuliers, la vitalité des personnages secondaires tels Margot ou Jean Cotart. On ressent chez l'artiste une grande sympathie pour cet “étranger”, cet exclu qu’est Villon: leur marginalité à tous deux fait que les dessins et les lithographies de Weber ont une intensité remarquable. L'étude est suivie d’une liste complète d’artistes des XIXe et XXe siècles qui ont travaillé sur le texte de Villon, avec quelques précisions sur les artistes allemands en particulier. (JHMT) Of all the artists who have illustrated Villon’s works,

one

of the most

remarkable is the German A. Paul Weber. Weber, who was responsible for some dangerously subversive work under Hitler, was imprisoned by the Gestapo on 1937; he was lucky to be released from a concentration camp in 1938. He was responsible for two series of illustrations of Villon’s work: 8 pen-and-ink drawings published in 1938, 9 lithographs published in 1953. He follows Villon’s text closely, and revels in the human dramas that the poet transposes so cheerfully into verse: he devises a very particular Villon, and captures all the vitality of Villonian characters like Margot and Jean Cotart. The artist seems to have a particular affinity with the Villon who, like himself, was something of an outsider, and this ready sympathy creates a remarkable intensity. The study is followed by a complete list of 19th- and 20th-century illustrators of Villon, along with some additional details concerning German illustrators in particular. (JHMT) 2 >

BARBARA N. SARGENT-BAUR PITTSBURGH) Fortune versus François

(UNIVERSITY

OF

Like many of his contemporaries, Villon drew on the ancient figure of Fortuna to account for the vicissitudes of human experience. Unlike most of them, he made of her a power invariably hostile, never conferring good things but consistently bent on destruction, especially his own. He gave an intensely personal flavor to her machinations, pointing to them as the source of many of his own troubles and also as exculpation for any faults of commission or omission on his part. Such allusions are scattered in the Testament. The most extended expression of this attitude appears in the “Ballade de Fortune”, quite possibly inspired by a series of four ballades by Charles d’Orléans (which he had the opportunity of reading) but going far

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SUMMARIES — RESUMES

beyond them in concentration and power. Villon’s dealings with this capricious and malevolent figure take the form of an agon, a contest of forces one of which is overwhelmed by the other. “Francois” is reduced to silence, but Villon the poet has the last word. (BSB) OK

JEAN-CLAUDE

MUHLETHALER

(UNIVERSITIES

OF

LAUSANNE AND GENEVA) Le drame du poète: quand dire, c’est rêver de faire: parole subie et parole imposée chez Adam de la Halle, François Villon et Charles d’Orléans En cette fin du Moyen Age, alors que d’autres partent à la conquête du laurier, affirmant la gloire du poéte face au prince, Adam de la Halle, François Villon et Charles d’Orléans doutent non seulement des possibilités que leur offre la langue, mais, obsédés par la fragilité de leur propre parole, ils mettent en question l’aboutissement même de l’entreprise créatrice. Dans le Jeu de la Feuillée,

le discours d’Adam, qui vise à changer

le monde, n’emporte pas l’adhésion, et le clerc est très vite réduit au silence: paradoxalement, ce sont ce silence et cette faiblesse qui créent l’espace nécessaire a la manifestation du discours satirique, la critique de la ville d’Arras. Chez François Villon aussi, le locuteur fait figure d’exclu: sa dégradation sociale et sa faiblesse d’homme sur le point de mourir lui servent à légitimer ses attaques contre les légataires. Loin de vouloir imposer, comme le voudrait la tradition satirique, un discours moral pour provoquer une prise de conscience salutaire, il renonce (comme Adam) à affirmer son autorité et, se moquant çà et là de soi-même, il insinue des

doutes quant à sa sincérité et l’intentionnalité du discours. Cette incertitude généralisée se retrouve dans les rondeaux de Charles d'Orléans, où toute parole, y compris celle du poète, peut être soumise au débat, à la contradiction: ébranlée dans ses fondements par le mensonge, la flatterie et l’affirmation de vérités subjectives, la communication finit par être impossible. A travers la réflexion sur les insuffisances de la parole humaine, on décèle chez les trois auteurs le rêve d’une parole fiable, le regret aussi d’une autorité impossible. Loin d’être l’apanage de la génération de Louis XI ou .en déroute, l’“ère du doute” semble caractériser une partie d’une courtoisie importante de la littérature à la fin du Moyen Age, à la ville (Adam de la Halle et François Villon) aussi bien qu’à la cour (Charles d'Orléans): le sujet mériterait une étude systématique. (JCM)

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SUMMARIES — RESUMES The Drama of the Text: Dreaming Words into Deeds The grandiloquent poets of the late Middle Ages dream confident dreams of immortality; their own, and that of the princely patrons they so sedulously celebrate. But Adam de la Halle, François Villon and Charles d'Orléans have no such confidence in their claim to Apollo’s laurel: for them, language is fragile, and they cannot but be sceptical of the very enterprise on which, as they write, they are engaged. In the Jeu de la Feuillée, Adam de la Halle trumpets change — but in vain: his clerical alter ego is reduced to a silence which refuses the promised transformation, and allows him space not for change, but only to satirise society and castigate Arras. Villon, too, is an outsider, capitalising on the fictional self he has created — disgraced, dying — to permit his attacks on his legatees. Unlike conventional satirists, then, he cannot cloak himself in a moral authority which would license him to prick and provoke a reader’s conscience: rather, he deflates his own satirising self, leaves us doubtful as to his own sincerity and purposes. And Charles d’Orléans’s rondeaux are marked by just such doubts and reservations: he creates a poetic world where no word, no line is safe from refutation or counterargument, and where communication is, ultimately, rendered impossible by

lies and flattery and doubtful truths. As these poets reflect on the inadequacy of human discourse, it is difficult not to read them as dreaming of a stable and unimpeachably authoritative language. And these are not mere poetasters, but some of the finest poets of the late Middle Ages — poets of the city, poets of the court — who are, it seems, inducted into an “Age of Doubt” which goes well beyond mere regret for the vanished certainties of courtly love, and which transcends the politicking of the court of Louis XI. The topic as a whole would repay a full investigation. (JHMT) LEE)

NANCY FREEMAN REGALADO (NEW YORK UNIVERSITY) Villon’s Legacy from Le Testament of Jean de Meun: Misquotation, Memory, and the Wisdom of Fools

What is the meaning of Villon’s poetic “mistake” in the Testament: his misquotation (h. xv) from an important yet largely unexamined source, Le Testament de Jean de Meun, an anonymous thirteenth-century moral poem well-known to fifteenth-century readers? This misquotation is not a forgetful error but the key to one of the great paradoxes of the Testament: it is a poem about wisdom spoken by a fool. Villon uses misquotation from canonical

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SUMMARIES — RESUMES texts — Le Testament de Jean de Meun, the Psalms, Job — to establish a

context of high moral wisdom for his own Testament. Against this backdrop the poet’s speaker stages a dialogic performance of alternative wisdom, grounded not on the high-minded authority of learned authors but in the low sphere of earthly existence, expressed in vulgar, joking language. The contrast between the two Testaments sets up an opposition of high and low, of noble learning and coarse wit that links Villon’s Testament to another medieval genre, the altercatio between the wise man and the fool, illustrated by Les Dialogues de Salomon et Marcoul. In Villon’s Testament, however, only the fool remains on stage, groping towards truth in the terrifying glare of death. (NFR) KK

GEORG ROELLENBLECK (UNIVERSITY OF COLOGNE) Le Temps dans le Testament de François Villon Cette communication se penche sur l’une des plus belles réussites de Villon: la constitution d’un Moi a dimension temporelle. En effet, le Moi qui parle dans le Testament doit sa densité “autobiographique” non pas à des détails précis, mais bien plutôt à la rétrospection: au sentiment que le lecteur ne peut pas ne pas partager, d’une voix a la recherche de son (ou de ses) identité(s); il n’est qu’a voir le brouillage des dates et du temps dans les huitains 1-10 du poème pour comprendre que ce poème jouera de la temporalité. Le poète joue ainsi de la fiction de sa mort, des “regrets” et des “confessions”: il se place d’emblée à un tournant de la vie, où le devoir qui lui fait remémorer sa jeunesse fait prévoir par la méme occasion un triste et inéluctable avenir de vieillesse et de déchéance. Le Moi du poéte se revét ainsi d’anecdotes — anecdotes évoquées fugitivement et qui de façon sans doute calculée restent mystérieuses, mais qui structurent le Testament et lui donne sa charpente temporelle. (JHMT) The subject of this paper is one of Villon’s most successful poetic tricks: the creation of a poetic “I” with every appearance of autobiographical density; that this should be so owes much to the ways in which, throughout the Testament, the poet plays with temporalities. The first ten huitains, for instance,

construct

a

universe

which

possesses

several

separate,

but

interrelated, temporal planes, and which swings from the poet’s “now” to his various, if incompletely located, pasts. In the first, “regrets”, section of the poem, Villon exploits the fiction of his dying to place himself, studiously, at an autobiographical turning-point: to look back at his former self is by the same token to evoke a dismal future. But it is, of course, that same fiction

389

SUMMARIES — RESUMES that licenses anecdote: those brief and unsatisfactory allusions to past events which invite the reader’s curiosity, and which structure the poem as a whole. (JHMT) KK

ROBERT PECKHAM (UNIVERSITY OF TENNESSEE MARTIN) “Synom au royaume de France” (T, 784): A Proposal for Villon’s Electronic Future in France and Beyond

-

Long before we substituted the order of cyberspace for the chaos of physical space, before the celeron chip expanded the population of a world without geography to nearly 100 million, François Villon, tongue in cheek, was defining in geographical terms the intended reception of his Testament, or “ordonnance”: “Et ne la vueil manifester — / Synom ou royaume de France” (T, 783-84). In our era, the Société François Villon’s world-wide website presents the works of the poet in several languages and accounts for most of his current critical and creative reception in the physical world, while tracking the critical commentary, the editing projects and cyber legends that are growing on the internet. This article traces the beginnings of Villon’s electronic presence, explains how and why it was organized into a particular kind of website, and sketches an intended future for it. (RDP) 2K

PAUL VERHUYCK (UNIVERSITY OF LEIDEN) De la sottie à Villon: comment ferrer une oie. Pour le commentaire des vers 1820-1827 du Testament Dans le huitain

170 du Testament,

il est question d’un sénéchal

camus,

maréchal qui ferre les oies. Villon semble lui faire des reproches. On ne sait au juste quel est le seneschal visé par Villon: selon Marcel Schwob, il s’agit de Pierre de Brézé; selon Longnon, il s’agirait de Louis de Bourbon. Il y a pourtant un autre maréchal qui s’occupe de ferrer les oies. C’est Dando, maréchal, qui figure dans le Recueil Trepperel, notamment dans la Sottie des Sots qui corrigent le Magnificat (éd. Droz, 1935), où il est charivarisé avec son compagnon, maistre Aliborum, “corrigeur de Magnificat”, par trois jeunes sots. Cette sottie a déja été représentée en 1455. L’étude textuelle et scénographique de cette pièce suggère que Dando et Aliborum jouent a des jeux homosexuels et scatologiques. Cette sottie est le seul texte avant Villon a associer les oyes au canetons, tout comme Villon associe les oyes aux canetons.

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SUMMARIES — RESUMES

Or, le huitain 170 se trouve dans une série de sept huitains (clxviclxxii), dont les légataires sont entièrement isolés des autres légataires du Testament. Pour la plupart de ces sept légataires, l’accusation d’homosexualité est reconnue presque unanimement par les villoniens: Pierre Lomer (h. clxvii), Jacques James (h. clxix), Jean du Harley le Chevalier du Guet (h. clxxi), les amants infirmes (h. clxviii; selon Lepage) et désormais le sénéchal camus du h. clxx; et peut-étre Jacquet Cardon (h. cixvi); pour Jean Chapelain (h. clxxii), on peut hésiter encore. On dirait que leur place marginalisée dans le Testament correspond a celle des sodomites dans le plus bas /nferno de Dante, in tenebras exteriores. Il est fort possible que Villon ait assisté à une représentation de la

sottie du Magnificat. (PV) Huitain clxx of the Testament is devoted to a certain sénéchal camus (pugnosed seneschal), a “smith who shoes geese”. Villon, it seems, has a bone to

pick with him. He has not been positively identified: Marcel Schwob proposes Pierre de Brézé: Longnon, Louis de Bourbon. But there does exist a smith who shoes geese: his name is Dando and he figures in the Recueil Trepperel, most notably in the Sottie des Sots qui corrigent le Magnificat (ed. Droz, 1935) in which he is mocked and befooled, along with his colleague maistre Aliborum, “emendator of the Magnificat”, by three young sots. A close study shows that Dando and Aliborum are engaging in homosexual and scatological games. This sortie predates Villon’s Testament: it was performed as early as 1455. It is the only text to precede Villon’s in which the writer associates, as does Villon, oyes with canetons, ‘geese’ with ‘ducklings’. Now, huitain clxx forms part of a sequence of seven huitains (clxvi-clxxii) whose legatees are dealt with in isolation from the remainder of the Testament, and whom the poet, scholars agree, accuses of homosexuality: Pierre Lomer (h. clxvii), Jacques James (h. clxix), Jean du Harley le Chevalier du Guet (h. clxxi), the amants infirmes (h. clxviii), and, as this paper shows, the sénéchal camus (h. clxx); it may be licit to add Jacquet Cardon (h. clxvi); some doubt remains for Jean Chapelain (h. clxxii). They are made textually marginal, as if, like Dante’s sodomites on the very lowest level of the /nferno, they were cast in tenebras exteriores. It seems more than possible that Villon may have seen a performance of the Sottie du Magnificat. (JHMT)

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