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French Pages 620 [667] Year 2017
Sous la direction de Philippe Carré et Pierre Caspar
Traité des sciences et des techniques de la formation
4e édition entièrement revue et augmentée
Maquette de couverture : Atelier Didier Thimonier Maquette intérieure : www.atelier-du-livre.fr (Caroline Joubert)
© Dunod, 2017 11 rue Paul Bert – 92240 Malakoff ISBN 978-2-10-076796-0
Liste des auteurs Ouvrage sous la direction de : Philippe Carré Professeur à l’Université Paris-Nanterre, président de l’association Interface-Recherche, directeur de publication de la revue Savoirs Pierre Caspar Professeur émérite au CNAM (Conservatoire national des arts et métiers), ex-membre du conseil académique du Collège d’Europe
Avec la collaboration de : Jacques Aubret Professeur honoraire des Universités, spécialité « Psychologie de l’orientation » Claude Bapst Créateur du Réseau d’Appui et de Capitalisation des Innovations Européennes (Racine) dont il a été le directeur général pendant plus de 20 ans Christian Batal Président d’Interface études, conseil et formation, intervenant à l’ENA (École nationale d’administration), à l’Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne et à l’Université Paris 8-Saint-Denis Bernard Blandin Directeur de recherches au CESI, chercheur associé au CREF (EA 1589) Étienne Bourgeois Professeur honoraire de l’Université de Genève, Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation Jean-Pierre Boutinet Professeur émérite à l’université catholique de l’Ouest à Angers, professeur associé à l’Université de Sherbrooke (Canada), chercheur associé à l’Université Paris-Nanterre Céline Buchs Maître d’enseignement et de recherche en sciences de l’éducation à l’Université de Genève (Suisse) Olivier Charbonnier Directeur général d’Interface études, conseil et formation, intervenant à l’ENA (École nationale d’administration), à l’Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne et à l’Université Paris 8-Saint-Denis, président de Consultants Sans Frontières (ONG) et de DSides, Laboratoire-agence « digital et le travail » Pascal Cyrot D octeur en sciences de l’éducation et professeur agrégé du secondaire Catherine Delgoulet Maître de conférences à l’Université Paris-Descartes, Sorbonne Paris Cité. Habilitée à diriger des recherches en ergonomie, 3
Traité des sciences et des techniques de la formation
membre du Laboratoire Adaptations Travail Individus (LATI) et du groupement d’intérêt scientifique CREAPT Moïse Déro Maître de conférences en psychologie cognitive à l’ESPE Lille Nord de France, COMUE Lille Nord de France Pierre Dominicé Professeur honoraire à l’Université de Genève (Suisse), ancien Directeur Académique de la formation continue universitaire Sandra Enlart Directrice générale d’Entreprise et Personnel, directrice de recherche (CREF), Université Paris-Nanterre Pierre Falzon Professeur titulaire de la chaire d’ergonomie au CNAM, directeur du laboratoire d’ergonomie du CNAM (Paris) Fabien Fenouillet Professeur de psychologie cognitive à l’Université Paris-Nanterre Solveig Fernagu-Oudet Maître de conférences en sciences de l’éducation à l’Université Paris-Nanterre Cédric Frétigné Professeur en sciences de l’éducation à l’Université Paris Est Créteil-Val de Marne Charles Gadéa Professeur de sociologie à l’Université Paris-Nanterre, membre de l’IDHES (Institutions et Dynamiques Historiques de l’Économie et des Sociétés) (UMR 8533) Jacques Igalens Professeur des Universités, Toulouse École de Management et Centre de recherche en management Christophe Jeunesse Maître de conférences en sciences de l’éducation à l’Université Paris Nanterre Guy Jobert Professeur titulaire de la chaire de formation des adultes au CNAM (Conservatoire national des arts et métiers), directeur de la revue Éducation Permanente Philippe Joffre Président de Paradoxes Conseil Olivier Las Vergnas Professeur à l’Université de Lille, directeur du département SEFA, membre des équipes de recherche CIREL-Trigone et CREF-AFA, fondateur des Cités des métiers Guy Le Boterf Directeur de Le Boterf Conseil (France), expert en management et développement des compétences et du professionnalisme, professeur associé à l’Université de Sherbrooke (Canada) Bernard Liétard Ex-maître de conférences à la chaire de formation des adultes du CNAM (Conservatoire national des arts et métiers), administrateur au Groupe d’Étude Histoire de la Formation des Adultes (GEHFA) Even Loarer Professeur titulaire de la chaire de psychologie de l’orientation du CNAM (Conservatoire national des arts et métiers), directeur de l’INETOP (Institut national d’étude du travail et d’orientation
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Liste des auteurs
professionnelle) du CNAM, directeur de la revue L’Orientation Scolaire et Professionnelle Jean-Marie Luttringer Expert en droit et politiques de formation, ancien professeur associé à l’université Paris-Nanterre (www.jml-conseil.fr) Bernard Masingue Partenaire d’« Entreprise et Personnel » Patrick Mayen Professeur en sciences de l’éducation, Université de Bourgogne Franche- Comté, Agrosup Dijon Paul Olry Professeur en sciences de l’éducation–formation des adultes, Université Bourgogne Franche-Comté, AgroSup Dijon Yves Palazzeschi Maître de conférences honoraire en sciences de l’éducation à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Pierre Pastré Professeur émérite au CNAM (Conservatoire national des arts et métiers) Coralie Perez Ingénieur de recherche au Centre d’économie de la Sorbonne (Université Paris 1-Cnrs) Gaston Pineau Professeur honoraire des Universités (France), Sciences de l’éducation et de la formation et chercheur émérite au Centre de Recherche sur l’Éducation et la Formation Relative à l’Environnement et à l’Écocitoyenneté (Centr’Ere) de l’Université du Québec à Montréal (Canada) Alain Rieunier Psychopédagogue, Centre de Ressources, Productique et Pédagogie, académie de Créteil Jean-François Roussel Professeur titulaire au département de gestion de l’éducation et de la formation à l’Université de Sherbrooke (Québec), chercheur à l’Université Paris-Nanterre Claudie Solar Professeure titulaire, honoraire et associée au département de psychopédagogie et d’andragogie à l’Université de Montréal (Québec), chercheure au Centre interdisciplinaire de recherche/ développement sur l’éducation et la formation (CIRDEF) et membre du Réseau québécois des études féministes (RéQEF) Catherine Teiger Ergonome, ex-chargée de recherches au CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique), Groupe de Recherches sur l’Histoire du Travail et de l’Orientation du Centre de Recherches sur Travail et Développement du CNAM (Conservatoire National des Arts et Métiers) (Paris) Christine Vidal-Gomel Maître de conférences en sciences de l’éducation à l’Université de Nantes André Voisin Docteur d’État ès sciences économiques, ancien professeur associé de sciences de l’éducation à l’Université de Tours 5
Table des matières Liste des auteurs.............................................................................................................................................................................. 3 Préface à la 4e édition.................................................................................................................................................................. 25 Introduction (Philippe Carré et Pierre Caspar).................................................................................... 27 De la formation post-scolaire à l’apprentissage tout au long de la vie...................................... 29 1. La formation mérite-t‑elle un Traité ?...................................................................................... 29 2. De la formation post-scolaire à l’apprentissage tout au long de la vie ?.................................................................................... 32 2.1 Du projet d’éducation permanente aux réalités de la formation tout au long de la vie… professionnelle.............................................. 32 2.2 Des ruptures........................................................................................................................ 34 2.3 Des permanences................................................................................................................ 36 2.4 De la formation post-scolaire à l’apprentissage tout au long de la vie ?.................... 37 3. Principes et modes d’usage du Traité........................................................................................ 39 3.1 Une posture classique, mais « ouverte »......................................................................... 40 3.2 Une construction ternaire................................................................................................. 41 3.3 Une recherche d’équilibre entre théorie et pratique.................................................... 42 Références........................................................................................................................................... 43 Introduction....................................................................................................................................... 47
Partie1 Déterminants et environnements de la formation Chapitre 1 – Histoire de la formation post-scolaire (Yves Palazzeschi)................. 51 1. Une tradition ancienne : l’accompagnement des grandes transformations sociétales du xixe siècle........................................................... 53 1.1 Accompagnant les grandes transformations politiques, l’éducation des adultes....................................................................................................... 54 1.2 Accompagnant les grandes transformations économiques, la formation professionnelle des adultes........................................................................ 57 2. L’entre-deux-guerres, une période de transition.................................................................... 58 3. L’histoire contemporaine............................................................................................................ 60 3.1 1944-1955 : la définition du champ................................................................................. 60 7
Traité des sciences et des techniques de la formation 3.2 1955 : le tournant................................................................................................................ 63 3.3 La dynamique d’évolution................................................................................................. 64 4. Conclusion..................................................................................................................................... 68 Lectures conseillées.......................................................................................................................... 68 Chapitre 2 – L’économie de la formation (André Voisin)........................................................... 69 1. L’individu et la théorie du capital humain................................................................................ 71 1.1 Théorie du capital humain et amélioration de la productivité individuelle............. 72 1.2
Seconde chance et formation continue......................................................................... 73
2. L’entreprise et la théorie de l’investissement formation........................................................ 76 2.1 L’approche par la théorie de l’investissement immatériel........................................... 77 2.2 L’approche économique par les modèles de production............................................. 78 3. Les prestataires de formation et l’approche par « l’appareil de formation »...................... 79 3.1 Une approche en termes de pôles et de tutelles............................................................ 80 3.2 Une approche en termes de logique de fonctionnement............................................. 81 3.3 Une approche en termes de secteur et de branche....................................................... 81 3.4 Une approche en termes de positionnement et de régulation.................................... 82 4. Conclusion..................................................................................................................................... 83 Lectures conseillées.......................................................................................................................... 85 Chapitre 3 – Sociologie de la formation post-scolaire (Charles Gadea et Coralie Perez).......................................................................................................................... 87 1. Politiques publiques : de la promotion sociale au compte personnel de formation......... 90 2. Pratiques de formation et rapports sociaux en entreprise.................................................... 93 3. L’évolution des approches sociologiques de la formation post-scolaire............................ 95 3.1 De la théorie de la reproduction aux « formes identitaires »....................................... 96 3.2 Brouillage des catégories et diversification des approches......................................... 97 3.3 La persistance des inégalités face à la formation continue.......................................... 98 4. Conclusion..................................................................................................................................... 100 Lectures conseillées.......................................................................................................................... 102 Chapitre 4 – Le droit de la formation professionnelle tout au long de la vie (Jean-Marie Luttringer).................................................................................................... 103 1. La formation professionnelle définie par son organisation juridique................................. 106 1.1 Introduction........................................................................................................................ 106 1.2 Les institutions publiques................................................................................................. 107 8
Table des matières 1.3 Les partenaires sociaux...................................................................................................... 108 1.4 L’entreprise.......................................................................................................................... 110 1.5 Les prestataires de services de formation et de services associés............................... 111 2. La personne « sujet du droit » de la formation......................................................................... 113 2.1 L’organisation juridique des voies d’accès à la formation professionnelle tout au long de la vie.............................................................................. 113 2.2 L’apprenant sujet de droit................................................................................................. 115 2.3 Le contrat pédagogique : obligations de moyens/obligations de résultat ?............................................................ 117 3. La reconnaissance juridique des acquis de la formation....................................................... 118 3.1 Le recentrage de la formation professionnelle sur la qualification............................ 118 3.2 La qualification objet de négociations collectives......................................................... 119 4. Conclusion..................................................................................................................................... 120 Lectures conseillées.......................................................................................................................... 120 Chapitre 5 – Le marché de la formation (Philippe Joffré).......................................................... 121 1. Une très forte évolution des contextes d’achat....................................................................... 123 1.1 Il n’y a pas UN mais DES marchés de la formation....................................................... 123 1.2 Des budgets formation qui diminuent après avoir fortement augmenté................. 124 1.3 Les achats et les ventes de formation ne sont pas des achats et des ventes comme les autres (mais comme les autres ce sont des ventes et des achats !)................................................................... 125 1.4 Une offre de formation en profonde évolution, vers une nouvelle segmentation....................................................................................... 127 2. Les nouveaux enjeux de la co-construction pour les « acheteurs » et « vendeurs » de formation................................................................ 128 2.1 Cinq nouveaux défis pour les achats de formation....................................................... 129 2.2 Quelles conditions de performance commerciale pour les prestataires de formation aujourd’hui ?........................................................... 131 Lectures conseillées.......................................................................................................................... 136 Chapitre 6 – La gestion des ressources humaines (Jacques Igalens)............................... 139 1. Le poids des contraintes.............................................................................................................. 142 1.1 Obligations légales............................................................................................................. 143 1.2 La formation, institution de la GRH................................................................................ 143 1.3 Les process liés à la gestion de la formation................................................................... 145 2. De la gestion de la formation à la gestion des compétences.................................................. 148 2.1 Formation et gestion des compétences.......................................................................... 149 9
Traité des sciences et des techniques de la formation 2.2 Compétences et acteurs de la formation professionnelle............................................ 151 3. La dimension formative des situations de travail.................................................................... 152 3.1 Les pratiques formatives de la GRH................................................................................ 152 3.2 L’entreprise apprenante.................................................................................................... 154 Lectures conseillées.......................................................................................................................... 155 Chapitre 7 – Management, organisation et formation (Christian Batal et Olivier Charbonnier)................................................................................................... 157 1. Évolution des formes d’organisation et de management et pratiques de formation........ 159 1.1 L’époque artisanale : l’expérience professionnelle comme mode dominant de développement des compétences.................................. 160 1.2 Le développement d’une logique d’organisations mécanistes : les besoins de compétences et la formation limités à l’encadrement........................ 162 1.3 La formation réservée à la hiérarchie qui définit le one best way............................... 164 2. La réhabilitation de la dimension humaine dans la pensée managériale et dans les organisations............................................................ 166 2.1 L’école des relations humaines......................................................................................... 166 2.2 Le management par objectifs de P.F. Drucker............................................................... 167 3. Le développement de la compétence comme variable stratégique au cœur des organisations...................................................................................... 168 3.1 Un environnement marqué par le développement de la mondialisation et l’accélération des changements.............................................. 168 3.2 De la déconcentration croissante de la gestion des compétences à la (re) découverte de modèles pédagogiques articulés au travail............................. 170 3.3 Le digital bouscule profondément la donne.................................................................. 173 Lectures conseillées.......................................................................................................................... 174 Chapitre 8 – Ergonomie, formation et développement (Catherine Delgoulet, Christine Vidal-Gomez, Pierre Falzon et Catherine Teiger)..................................................................................................................... 175 1. Ergonomie, formation, santé et développement..................................................................... 177 1.1 Ergonomie et formation.................................................................................................... 177 1.2 Santé et développement.................................................................................................... 178 1.3 Le développement comme fait, objectif et moyen........................................................ 179 2. Analyse ergonomique du travail et formation......................................................................... 179 2.1 L’analyse ergonomique du travail au service de la formation..................................... 180 2.2 L’analyse ergonomique du travail, objet de la formation............................................. 183 3. Le développement comme outil de l’action ergonomique.................................................... 186 10
Table des matières 3.1 L’intervention comme acte pédagogique....................................................................... 186 3.2 Des dispositifs spécifiques : les espaces de débat et de régulation.............................. 187 4. Discussion, conclusion................................................................................................................ 188 4.1 Environnement capacitant, organisation capacitante, intervention capacitante... 188 4.2 Questions pour la recherche en ergonomie................................................................... 189 Lectures conseillées.......................................................................................................................... 191 Chapitre 9 – L’Europe de la formation (Claude Bapst et Pierre Caspar).................... 193 1. De quoi parle-t‑on ? Quelques pages d’histoire...................................................................... 195 1.1 Le cadre juridique............................................................................................................... 195 1.2 La création d’institutions opérationnelles..................................................................... 197 1.3 Les programmes et le temps de l’action.......................................................................... 198 1.4 Une forte prégnance européenne, plus ou moins acceptée ou reconnue dans les États................................................................................................ 199 2. L’Europe de la formation et sa construction............................................................................ 200 2.1 Une vision ancienne et transversale................................................................................ 200 2.2 Une remarquable continuité............................................................................................ 200 3. L’Europe de la formation en questions..................................................................................... 202 3.1 Diversité des pratiques et nécessité des collaborations............................................... 202 3.2 Capitalisation et mutualisation des bonnes pratiques................................................. 204 3.3 L’élargissement de l’Union et ses conséquences........................................................... 205 4. Quels avenirs possibles pour l’Europe de la formation ?........................................................ 206 4.1 Utopie et réalité................................................................................................................... 206 4.2 Obstacles, enjeux et perspectives.................................................................................... 207 Lectures conseillées.......................................................................................................................... 210 Chapitre 10 – Diversité des adultes en formation (Claudie Solar)................................ 211 1. Regard sur la population mondiale........................................................................................... 213 1.1 Population mondiale.......................................................................................................... 213 1.2 Langue.................................................................................................................................. 214 1.3 Littératie............................................................................................................................... 215 1.4 Religion................................................................................................................................. 216 1.5 Handicap.............................................................................................................................. 217 1.6 Migration............................................................................................................................. 218 2. Défis pour la formation............................................................................................................... 220 3. Pratiques inclusives : pédagogie de l’équité.............................................................................. 223 3.1 Parole.................................................................................................................................... 224 11
Traité des sciences et des techniques de la formation 3.2 Mémoire............................................................................................................................... 225 3.3 Participation active............................................................................................................ 225 3.4 Pouvoir d’agir...................................................................................................................... 226 4. Pour conclure................................................................................................................................ 226 Lectures conseillées.......................................................................................................................... 228 Introduction....................................................................................................................................... 231
Partie 2 Le sujet adulte et la formation : de l’expérience à l’apprenance Chapitre 11 – La vie adulte au regard de la formation (Jean-Pierre Boutinet)........................................................................................................................................................ 235 1. L’émergence de préoccupations autour de la vie adulte........................................................ 237 1.1 La vie adulte entre logique éducative et logique formative......................................... 237 1.2 L’âge de toutes les incertitudes......................................................................................... 238 1.3 De la notion au concept buissonnier : rareté et abondance lexicales......................... 239 2. Métamorphoses historiques des représentations de la vie adulte............................................................................................................................... 239 3. La vie adulte comme production d’une histoire personnelle................................................ 241 3.1 Être adulte, une histoire.................................................................................................... 241 3.2 Une histoire porteuse de singularité............................................................................... 242 3.3 Une histoire qui se laisse saisir par des paradigmes bien typés................................... 242 4. Étapes, crises, transitions au cours de la vie adulte, à quel prix ?.......................................... 243 4.1 Questions autour de la mobilité....................................................................................... 243 4.2 Cycles de vie et crises de la vie adulte.............................................................................. 243 4.3 L’aménagement de transitions : transitions anticipées, transitions non anticipées................................................................................................. 244 5. Temporalités significatives au sein de la vie adulte................................................................ 245 5.1 Le jeune adulte.................................................................................................................... 245 5.2 L’adulte du mitan de la vie................................................................................................. 246 5.3 L’adulte accompli............................................................................................................... 246 5.4 L’adulte en retrait ou en retraitement............................................................................. 247 5.5 Les invariants de la vie adulte........................................................................................... 247 6. Les défis de la vie adulte dans une société postindustrielle................................................... 248 6.1 L’adulte face à son propre vieillissement et le tabou de l’âge...................................... 248 6.2 L’adulte en souffrance identitaire par mal de reconnaissance.................................... 248 12
Table des matières 6.3 L’adulte mis à l’épreuve de situations limites à vivre.................................................... 249 6.4 L’adulte confronté à l’obsolescence de ses savoirs en apprentissage permanent............................................................................................. 249 6.5 L’adulte volontariste et la tyrannie de ses décisions..................................................... 250 Lectures conseillées.......................................................................................................................... 251 Chapitre 12 – Vieillissement, apprentissage et formation (Even Loarer et Catherine Delgoulet)............................................................................................................ 253 1. Effets du vieillissement sur la cognition................................................................................... 256 1.1 Évolution des connaissances sur le vieillissement cognitif......................................... 256 1.2 Apports complémentaires de la psychologie cognitive............................................... 257 1.3 Avancée en âge et capacités d’apprentissage................................................................. 259 1.4 Les stéréotypes relatifs aux seniors.................................................................................. 261 2. Les seniors et la formation.......................................................................................................... 262 2.1 Le constat............................................................................................................................. 262 2.2 Les facteurs explicatifs....................................................................................................... 262 3. Comment promouvoir le développement de la formation des salariés seniors ?......................................................................................... 263 3.1 Renverser le cercle causal.................................................................................................. 263 3.2 Promouvoir un meilleur accès à la formation............................................................... 264 3.3 Améliorer les formations proposées............................................................................... 266 4. Conclusion..................................................................................................................................... 268 Lectures conseillées.......................................................................................................................... 269 Chapitre 13 – La compétence (Sandra Enlart)....................................................................................... 271 1. Pourquoi la compétence ?........................................................................................................... 273 1.1 Les conditions d’émergence de la notion sont dans les changements d’organisation..................................................................... 273 1.2 Définitions et descriptions................................................................................................ 274 2. La compétence, comment ?........................................................................................................ 276 2.1 L’approche par les savoirs................................................................................................. 276 2.2 L’approche par les savoir-faire......................................................................................... 277 2.3 L’approche par les comportements et le savoir-être.................................................... 278 2.4 L’approche par les savoirs, savoir-faire, et savoir-être................................................. 280 2.5 L’approche par les compétences cognitives................................................................... 280 13
Traité des sciences et des techniques de la formation 3. Les débats de la compétence....................................................................................................... 282 3.1 L’éternel retour des compétences transversales........................................................... 282 3.2 Compétence et contexte.................................................................................................... 284 3.3 Développement des compétences en situation de travail........................................... 285 4. Conclusion..................................................................................................................................... 287 Lectures conseillées.......................................................................................................................... 288 Chapitre 14 – Mémoire et apprentissage (Moïse Déro et Fabien Fenouillet)......... 289 1. Historique...................................................................................................................................... 291 2. Positionnement............................................................................................................................ 292 3. Multiplicité des apprentissages.................................................................................................. 293 3.1 Automaticité et contrôles des apprentissages............................................................... 293 3.2 Autorégulation des apprentissages................................................................................. 294 4. Une mémoire modulaire et dynamique.................................................................................... 294 4.1 Les mémoires sensorielles................................................................................................. 295 4.2 La mémoire à court terme (MCT)................................................................................... 296 4.3 La mémoire à long terme (MLT)..................................................................................... 297 5. Les processus mnésiques............................................................................................................. 300 5.1 La mémorisation................................................................................................................. 300 5.2 La consolidation.................................................................................................................. 301 5.3 Restitution et réapprentissage.......................................................................................... 301 6. Oubli et durée des souvenirs...................................................................................................... 302 7. De la mémoire à l’apprentissage................................................................................................ 302 8. Pistes pour mieux apprendre...................................................................................................... 303 8.1 Les formats de présentation de l’information............................................................... 303 8.2 Organiser l’apprentissage et utiliser la multiplicité des mémoires............................ 305 8.3 Renforcer la motivation pour remédier au coût des apprentissages......................... 306 9. Conclusion..................................................................................................................................... 307 Lectures conseillées.......................................................................................................................... 307 Chapitre 15 – Motivation et rapport à la formation (Philippe Carré et Fabien Fenouillet)................................................................................................................ 309 1. Motivation, éducation, formation............................................................................................. 311 1.1 Une « évidence » problématique...................................................................................... 311 1.2 Définitions........................................................................................................................... 311 1.3 La motivation en formation initiale................................................................................ 312 1.4 La motivation en formation des adultes......................................................................... 312 14
Table des matières 2. Cinq paradigmes de la motivation............................................................................................. 314 2.1 Le behaviorisme.................................................................................................................. 314 2.2 La psychanalyse................................................................................................................... 315 2.3 La sociologie........................................................................................................................ 315 2.4 La psychologie cognitive................................................................................................... 316 2.5 Vers une psychologie « chaude » des processus conatifs............................................. 317 3. Le modèle intégratif de la motivation....................................................................................... 318 4. Les motifs d’engagement en formation.................................................................................... 321 4.1 Orientations motivationnelles et motifs d’engagement.............................................. 321 4.2 Quatre orientations motivationnelles............................................................................ 321 4.3 Trois motifs « intrinsèques »............................................................................................. 322 4.4 Sept motifs « extrinsèques ».............................................................................................. 323 5. Portée et limites de la motivation en formation d’adultes..................................................... 324 5.1 Les déterminants de la participation............................................................................... 324 5.2 Impact de la motivation sur l’engagement et la persistance en formation............... 325 5.3 Motivation et régulation de l’apprentissage.................................................................. 326 5.4 Motivation et pédagogie.................................................................................................... 327 Lectures conseillées.......................................................................................................................... 328 Chapitre 16 – Conflits sociocognitifs et apprentissage (Céline Buchs et Étienne Bourgeois)................................................................................................................... 329 1. Conflits sociocognitifs et apprentissage................................................................................... 332 1.1 Les conflits sociocognitifs comme moteurs potentiels des apprentissages............. 332 1.2 L’importance des régulations des conflits sociocognitifs............................................ 332 1.3 De l’asymétrie à la gestion de la relation : l’importance de la menace des compétences................................................................. 333 2. Favoriser les régulations épistémiques dans les situations de formation........................... 337 2.1 Oser la confrontation......................................................................................................... 337 2.2 L’importance du climat socio-affectif............................................................................. 338 2.3 Proposer des dispositifs de formation favorisant les régulations socio-cognitives....................................................................................... 340 2.4 Le contexte de la formation.............................................................................................. 342 3. Conclusion..................................................................................................................................... 343 Lectures conseillées.......................................................................................................................... 345 15
Traité des sciences et des techniques de la formation Chapitre 17 – Les histoires de vie en formation (Pierre Dominicé et Gaston Pineau)..................................................................................................................... 347 1. De l’émergence marginale d’histoires de vie au tournant biographique............................ 349 1.1 Émergence dans les années 1980..................................................................................... 349 1.2 Fondations des années 1990............................................................................................. 350 1.3 Développement différencié du début des années 2000................................................ 352 1.4 Le tournant biographique................................................................................................. 353 2. Des ouvertures qui élargissent l’horizon.................................................................................. 354 2.1 Survol des secteurs sociaux d’expression et de pistes de théorisations formatives.............................................................................................. 355 2.2 Un autre regroupement d’histoires de vie par thèmes générateurs........................... 357 2.3 L’émergence de la pratique de récit dans le champ de la santé................................... 358 2.4 Sans oublier la composante du genre.............................................................................. 359 3. L’articulation entre vie et histoire, levier pour la conquête d’une identité historique..... 359 3.2 Différencier l’histoire selon les âges de la vie................................................................. 360 3.3 Se méfier des dérives médiatiques, pragmatistes et disciplinaires de la recherche biographique.............................................................. 361 4. En guise de conclusion................................................................................................................. 362 Références........................................................................................................................................... 363 Chapitre 18 – Autoformation(s) (Pascal Cyrot)................................................................................. 365 1. Aux racines de l’autoformation : l’autodidaxie........................................................................ 368 1.1 Dimension quasi anthropologique.................................................................................. 368 1.2 Du besoin d’apprendre à la douleur de savoir................................................................ 369 1.3 Stigmates et reconsidération............................................................................................ 370 1.4 Apprentissage sexué ?........................................................................................................ 370 1.5 Mythe de Robinson Crusoé et sociabilités autodidactiques....................................... 371 2. L’autoformation aujourd’hui : cinq perspectives.................................................................... 371 2.1 Typologies et perspectives................................................................................................ 371 2.2 Perspective socio-historique : de l’autoformation « intégrale » à l’autodidaxie « partielle »................................................................................................ 372 2.3 Perspective technico-pédagogique : l’autoformation « éducative » ou « accompagnée »....................................................... 372 2.4 Perspective socio-organisationnelle : l’autoformation « collective » ou « sociale »................................................................... 373 2.5 Perspective biographique : l’autoformation « existentielle »....................................... 374 2.6 Perspective sociocognitive : l’apprentissage autodirigé (self-directed learning)..... 375 3. L’autoformation demain............................................................................................................. 376 16
Table des matières 3.1 Quelques données chiffrées.............................................................................................. 376 3.2 Entre liberté et injonction................................................................................................. 377 3.3 Autoformation et loisirs, autoformation comme loisir............................................... 377 3.4 Dans les espaces éducatifs institués................................................................................. 378 3.5 À l’intérieur de la sphère professionnelle....................................................................... 379 3.6 Le digital, le numérique, le virtuel................................................................................... 380 4. Conclusion..................................................................................................................................... 380 Lectures conseillées.......................................................................................................................... 382 Chapitre 19 – Psychopédagogie des adultes (Philippe Carré et Alain Rieunier)......................................................................................................................... 383 1. Psychologie et pédagogie............................................................................................................ 385 2. Les psychologies de l’apprentissage.......................................................................................... 386 2.1 Behaviorisme....................................................................................................................... 386 2.2 Cognitivisme....................................................................................................................... 386 2.3 Constructivisme................................................................................................................. 387 2.4 Socioconstructivisme........................................................................................................ 387 2.5 Humanisme......................................................................................................................... 388 2.6 Sociocognitivisme.............................................................................................................. 388 3. Les approches pédagogiques...................................................................................................... 389 3.1 La pédagogie générale : hétéro- ou auto-structuration ?.............................................. 389 3.2 Pédagogie ou andragogie ?................................................................................................ 390 3.3 Approches francophones.................................................................................................. 391 3.4 Approches internationales............................................................................................... 393 4. Esquisse de quelques principes psychopédagogiques en formation des adultes............... 395 Lectures conseillées.......................................................................................................................... 400 Introduction....................................................................................................................................... 403
Partie 3 Instrumentation et conduite de la formation Chapitre 20 – De l’ingénierie de la formation à l’ingénierie de professionnalisation (Guy Le Boterf)....................................................................................................... 407 1. De l’ingénierie de la formation à l’ingénierie des contextes de professionnalisation....... 410 1.1 L’ingénierie de la formation.............................................................................................. 410 17
Traité des sciences et des techniques de la formation 1.2 L’ingénierie des contextes de professionnalisation...................................................... 413 2. De l’ingénierie séquentielle à l’ingénierie concourante......................................................... 420 2.1 L’ingénierie séquentielle................................................................................................... 420 2.2 L’ingénierie concourante.................................................................................................. 421 3. En guise de conclusion : quel avenir pour les démarches d’ingénierie de formation et de professionnalisation ?................................................................................. 423 Lectures conseillées.......................................................................................................................... 424 Chapitre 21 – Pilotage des politiques de formation (Bernard Masingue)............... 425 1. Les finalités d’une politique de formation................................................................................ 428 2. Les instances de prescription et d’évaluation.......................................................................... 428 2.1 La maîtrise d’ouvrage......................................................................................................... 428 2.2 La maîtrise d’ouvrage déléguée........................................................................................ 429 2.3 La maîtrise d’œuvre............................................................................................................ 429 3. Les quatre prescripteurs de la formation................................................................................. 430 3.1 La direction.......................................................................................................................... 430 3.2 Les métiers........................................................................................................................... 431 3.3 Les unités de travail (départements, services, business units…)................................. 432 3.4 Les salariés........................................................................................................................... 432 4. Comment piloter une politique de formation ?....................................................................... 434 4.1 Connaître, respecter et faire évoluer les pratiques antérieures.................................. 434 4.2 Comprendre les besoins.................................................................................................... 436 4.3 Décider................................................................................................................................. 437 4.4 Agir........................................................................................................................................ 438 5. Enjeux et prospective du pilotage de la formation.................................................................. 441 5.1 Le défi du pilotage et de l’administration....................................................................... 441 5.2 Le défi de l’orientation....................................................................................................... 443 5.3 Le défi d’une pédagogie de l’alternance, voie d’excellence de la professionnalisation…............................................................... 445 6. Conclusions................................................................................................................................... 447 Lectures conseillées.......................................................................................................................... 447 Chapitre 22 – Intelligence au travail et développement des adultes (Guy Jobert)................................................................................................................................................................................... 449 1. Les formateurs et le travail.......................................................................................................... 451 2. L’emploi n’est pas le travail........................................................................................................ 452 2.1 De la qualification à la compétence : le retour du travail............................................. 452 18
Table des matières 2.2 Qu’est-ce que travailler ?................................................................................................... 453 3 L’intelligence au travail................................................................................................................ 455 4. Le travail au cœur des grandes thématiques de la formation des adultes........................... 457 4.1 La formation au service du développement des adultes.............................................. 457 4.2 Compétence et reconnaissance au travail...................................................................... 461 4.3 La didactique professionnelle........................................................................................... 462 4.4 Les formations à visée développementale...................................................................... 463 5. En guise de conclusion................................................................................................................. 464 Lectures conseillées.......................................................................................................................... 465 Chapitre 23 – L’ingénierie didactique professionnelle (Patrick Mayen, Paul Orly et Pierre Pastré).............................................................................................. 467 1. L’analyse didactique professionnelle du travail...................................................................... 470 1.1 Les fonctions de la notion de situation en ingénierie didactique professionnelle................................................................................................ 471 1.2 L’analyse didactique professionnelle du travail : analyse des conditions et des processus d’apprentissage et de développement professionnel...................... 473 2. Les invariants de la didactique professionnelle....................................................................... 476 3. Une ingénierie des situations..................................................................................................... 478 3.1 La conceptualisation comme organisateur de l’ingénierie didactique professionnelle de la formation.................................................................... 479 3.2 Une pédagogie des situations........................................................................................... 480 4. Pour terminer................................................................................................................................ 481 Lectures conseillées.......................................................................................................................... 482 Chapitre 24 – L’apprentissage en situation de travail (Étienne Bourgeois et Sandra Enlart).............................................................................................................. 483 1. Contexte : l’engouement pour les pratiques d’AST................................................................ 485 2. Panorama des dispositifs d’AST dans les organisations........................................................ 488 3. Des questions théoriques soulevées par l’AST........................................................................ 491 3.1 L’AST : de quelle « situation » et de quel « travail » parle-t‑on ?................................. 491 3.2 L’AST : entre « affordances » et engagement du sujet.................................................. 492 3.3 La transmission du travail : entre reproduction et appropriation.............................. 493 3.4 L’AST du point de vue cognitif : modalités d’apprentissage et réflexivité................ 494 3.5 La dimension motivationnelle de l’AST : les niveaux d’engagement du sujet.......... 496 3.6 La dimension sociale de l’AST : le rôle du collectif dans les apprentissages individuels................................................ 497 3.7 Une affordance fondamentale : la sécurité psychologique.......................................... 497 19
Traité des sciences et des techniques de la formation 4. En conclusion................................................................................................................................ 498 Références de base............................................................................................................................. 499 Chapitre 25 – L’ingénierie pédagogique (Philippe Carré et Christophe Jeunesse).......................................................................................................... 501 1. L’ingénierie pédagogique : de quoi s’agit-il ?............................................................................ 503 1.1 Une alliance inattendue..................................................................................................... 503 1.2. L’instructional design ou instructional systems design (ISD)......................................... 503 1.3 Ingénierie et innovation pédagogique............................................................................ 504 1.4 Trois niveaux d’analyse de la formation......................................................................... 506 1.5 Une méthode de conduite de projets pédagogiques..................................................... 508 1.6 Une notion centrale : le dispositif.................................................................................... 509 2. Les cinq étapes de l’ingénierie pédagogique............................................................................ 510 2.1 Remarques liminaires........................................................................................................ 510 2.2 Le diagnostic : analyse préliminaire de la demande de formation............................. 511 2.3 Le design : conception et formalisation du projet pédagogique................................. 512 2.4 Le développement : identification et/ou élaboration des outils et supports de formation................................................................................. 514 2.5 La conduite : animation et suivi de l’action pédagogique............................................ 515 2.6 L’évaluation : productivité et régulation......................................................................... 515 3. Éléments de prospective.............................................................................................................. 516 Lectures conseillées.......................................................................................................................... 518 Chapitre 26 – Les environnements numériques (Bernard Blandin)................................. 519 Introduction : Qu’entend-on par environnement numérique ?................................................ 521 1. Quelques exemples d’environnements numériques pour la formation............................. 522 1.1 Les environnements numériques de services................................................................ 522 1.2 Les environnements numériques pour apprendre....................................................... 523 1.3 Les environnements personnels d’apprentissage......................................................... 525 2. La spécificité des dispositifs avec environnement numérique............................................. 525 2.1 Des dispositifs instrumentés............................................................................................. 526 2.2 Des dispositifs scénarisés.................................................................................................. 527 2.3 Des dispositifs multidimensionnels................................................................................ 528 2.4 Des dispositifs multimodaux............................................................................................ 529 3. Les questions en débat................................................................................................................. 529 3.1 Les effets cognitifs des environnements numériques.................................................. 530 3.2 L’efficience des environnements numériques............................................................... 531 20
Table des matières 3.3 Les réseaux sociaux et l’apprentissage............................................................................ 532 3.4 Les modèles économiques................................................................................................ 533 3.5 Les données personnelles.................................................................................................. 534 Lectures conseillées.......................................................................................................................... 535 Chapitre 27 – Le transfert des apprentissages (Jean-François Roussel)................... 537 1. Un enjeu majeur........................................................................................................................... 539 2. Le caractère différencié du transfert en milieu organisationnel.......................................... 541 3. Les facteurs favorisant le transfert des apprentissages.......................................................... 543 4. Tendances actuelles : l’importance de la métacognition....................................................... 545 5. Conclusion : une perspective d’apprentissage autodirigé dans des contextes d’apprentissage plus informel.................................................................. 548 Lectures conseillées.......................................................................................................................... 549 Chapitre 28 – L’orientation professionnelle des adultes (Jacques Aubret)......... 551 1. Éléments d’histoire et d’actualité de l’orientation professionnelle des adultes................. 553 1.1 De l’obligation de formation au droit à l’orientation.................................................... 553 1.2 Une multiplicité de structures en charge de l’orientation des adultes...................... 554 2. Pratiques d’accompagnement des adultes en orientation et compétences des accompagnateurs................................................................................................................... 556 2.1 Les pratiques d’orientation des adultes.......................................................................... 556 2.2 Les styles d’accompagnement.......................................................................................... 558 2.3 La formation et les compétences des accompagnateurs.............................................. 559 3. Les contenus des actions d’orientation professionnelle........................................................ 559 3.1 Le retour réflexif sur le passé personnel et professionnel, qui ne se réduit pas à une capitalisation de droits acquis............................................ 560 3.2 Le développement d’une vision positive de l’avenir qui donne confiance en soi................................................................................................ 561 3.3 La réhabilitation de la valeur constructive du regard d’autrui.................................... 561 3.4 L’exploration cognitive du monde du travail et de l’environnement........................ 562 3.5 La maîtrise des échanges interpersonnels sur les réseaux sociaux............................ 563 4. Travaux et recherches scientifiques en orientation des adultes........................................... 563 4.1 Les données de recherches en orientation professionnelle......................................... 563 4.2 Le rôle central des recherches en psychologie............................................................... 564 5. En conclusion................................................................................................................................ 565 Lectures conseillées.......................................................................................................................... 567 21
Traité des sciences et des techniques de la formation Chapitre 29 – La reconnaissance et la validation des acquis (Bernard Liétard).................................................................................................................................................................... 569 1. Une « vieille idée neuve » devenue une préoccupation internationale............................... 571 2. La validation des acquis de l’expérience (VAE) à la française............................................... 574 2.1 Une mise en œuvre progressive et difficile..................................................................... 574 2.2 Le développement de la RAE............................................................................................ 574 2.3 L’institutionnalisation progressive de la VAE............................................................... 576 2.4 RVAE et champs sociaux.................................................................................................. 578 3. Un bilan et des perspectives en demi-teinte............................................................................ 581 3.1 Côté RAE.............................................................................................................................. 581 3.2 Quant à la VAE.................................................................................................................... 582 3.3 Effets d’impacts................................................................................................................... 583 Lectures conseillées.......................................................................................................................... 586 Chapitre 30 – Les métiers de la formation (Solveig Fernagu-Oudet et Cédric Frétigné)............................................................................................. 587 1. L’« invention » des métiers de la formation et la querelle de la professionnalisation....... 589 1.1 La professionnalisation en débat..................................................................................... 590 1.2 Les métiers de la formation............................................................................................... 591 2. Un groupe professionnel segmenté........................................................................................... 592 2.1 Des typologies de métiers et de fonctions plurielles..................................................... 592 2.2 Responsables de formation : un pluriel justifié.............................................................. 593 3. Des contextes et lieux d’exercice pluriels................................................................................. 595 3.1 Les familles d’acteurs......................................................................................................... 596 3.2 Les contextes d’intervention............................................................................................ 596 3.3 Des contextes d’intervention aux activités..................................................................... 598 4. Des professionnels de plus en plus qualifiés aux compétences variables......................................................................................................... 599 4.1 Croissance de l’offre de formation aux métiers de la formation................................ 601 4.2 Croissance de la formation informelle............................................................................ 601 5. Perspectives de recherche........................................................................................................... 603 Lectures conseillées.......................................................................................................................... 604 Chapitre 31 – Les recherches scientifiques sur la formation des adultes (Olivier Las Vergnas).......................................................................................................................................................... 605 1. Naissance de la discipline : ingénierie et importation de concepts...................................... 607 1.1 Connaissances scientifiques et réseaux de concepts.................................................... 607 1.2 Avancées de la recherche en SHS et création de concepts.......................................... 608 22
Table des matières 1.3 La formation, un champ de pratique et un objet de recherche nourris de concepts importés................................................................... 609 1.4 Sciences et techniques de la formation, entre connaissances scientifiques et ingénierie............................................................ 610 1.5 Des techniques d’ingénierie qui contribuent aussi au développement scientifique............................................................................... 610 1.6 Un système à double sens entre applications et recherche......................................... 612 2. Nature des thématiques et objets des recherches................................................................... 614 2.1 Des thèmes de recherche liés pour moitié aux sciences de l’éducation.................... 614 2.2 Un regard sur les recherches « vives » par une approche bibliométrique classique................................................................... 615 3. Typologies des méthodes de recherche.................................................................................... 618 3.1 Disparité des méthodes mobilisées par la recherche en formation........................... 618 3.2 Critères de description des méthodes : entre analytique et épistémologique.......... 618 3.3 Enchevêtrement des méthodes : démarches spiralaire, triangulation et assemblages..................................................... 620 4. Conclusion..................................................................................................................................... 621 Lectures conseillées.......................................................................................................................... 623 Conclusion (Pierre Caspar)......................................................................................................................................... 625 1. Les lieux de savoir – permanences et mutations...................................................................... 627 1.1 Les lieux de savoir............................................................................................................... 627 1.2 Investir dans les savoirs… Une démarche devenue stratégique................................. 629 2. Savoir apprendre, savoir former dans des temps, des contraintes et sur des espaces nouveaux........................................................................... 631 2.1 Savoirs et travail.................................................................................................................. 631 2.2 Le développement des technologies…............................................................................ 632 2.3 L’irruption de la pensée et du langage économique dans la formation..................... 635 2.4 Des « pionniers » aux nouveaux bâtisseurs de l’avenir................................................. 637 3. Des futurs possibles pour la formation des adultes................................................................ 638 3.1 Est-il possible de dessiner le futur ?................................................................................. 638 3.2 L’immense champ d’action et de recherche des formations informelles................. 639 4. La formation du futur sera ce que les apprenants en feront.................................................. 643 5. Qu’attendre des « sciences de la formation » ?......................................................................... 646 Conclure… avec le temps ?............................................................................................................... 648 Lectures conseillées.......................................................................................................................... 650 Index des notions............................................................................................................................................................................ 651 Index des noms propres............................................................................................................................................................... 661
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Préface à la 4e édition
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
Six années séparent cette nouvelle édition du Traité de sa version antérieure. Depuis son lancement à la fin du siècle dernier, quatre éditions successives auront ainsi scandé près de vingt ans d’évolution du milieu de la formation des adultes. Il faut d’entrée de jeu adresser nos plus chaleureux remerciements aux lecteurs et aux auteurs qui ont permis la pérennisation de cette chronique professionnelle et scientifique d’un domaine en renouvellement constant. La nécessité de l’apprentissage tout au long de la vie est aujourd’hui objet de consensus et évidence partagée dans l’ensemble des mondes économique, social et pédagogique. L’investissement « visible » consenti pour la formation en France, se chiffre à plus de trente milliards d’euros, tandis que les acteurs directement impliqués dans la gestion, l’animation et le pilotage de l’ensemble des sous-systèmes concernés y sont estimés à plus de deux cent mille professionnels. Les réformes se succèdent, et le milieu bruisse de la rumeur selon laquelle la plus récente (2014) sera bientôt doublée d’un nouveau train de mesures1. À l’international, des lames de fond communes sous-tendent l’évolution du champ, traversant à la fois la recherche et la pratique, dans des proportions variables. Les politiques de l’emploi et de la sécurisation professionnelle surplombent les discours. Le développement permanent des compétences est universellement reconnu comme l’ingrédient primordial des investissements stratégiques des organisations… et des individus. La massification du recours aux ressources digitales dans le travail et la vie quotidienne lamine de part en part les « allant de soi » de la communication et de l’apprentissage. L’individualisation croissante du rapport au travail et donc à la formation, le dispute à l’émergence de pratiques collaboratives nouvelles, apprenantes, adossées aux réseaux sociaux. En six années, le paysage de la formation a donc profondément changé, en particulier parce que, comme on pouvait le pressentir il y a un quart de siècle, le savoir est désormais « à portée de la main » : l’essor monumental de l’usage des smartphones au cours de cette période en est un indicateur bruyant… Le monde de la formation est enfin, bien sûr, impacté par l’ensemble des bouleversements sociétaux planétaires : accélération universelle des rythmes de vie, ombres et lumières de l’hyperconnectivité, effets délétères de la mondialisation, poussée des risques écologiques, sanitaires et sociaux, remontées corrélatives des extrémismes idéologiques… Face au panorama en clair-obscur d’un monde en telle mutation, cette nouvelle édition du Traité propose sa (modeste) contribution en identifiant les évolutions perceptibles du milieu de la formation et les signaux porteurs d’avenir suffisamment forts pour intégrer les fondements de notre « discipline ». L’ensemble des chapitres de la présente édition a ainsi été soigneusement corrigé, amendé, complété par la totalité des co-auteurs. Au prix, parfois, de certaines réductions 1. À l’heure où cet ouvrage est mis sous presse (juin 2017), les bouleversements récents du paysage politique français donnent à ces bruissements une intensité particulière…
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Traité des sciences et des techniques de la formation
parcimonieuses rendues indispensables par la double contrainte du maintien d’un volume global raisonnable et de l’introduction d’apports nouveaux : remercions une fois encore l’ensemble des collègues qui ont dû consentir à une telle ascèse. Cinq chapitres inédits font ici leur apparition sur des thèmes dont l’absence s’est exacerbée au cours de la période : marché, recherche, diversité, transfert, psychopédagogie. Plusieurs autres ont été profondément remodelés, en particulier dans les domaines les plus impactés par la digitalisation des pratiques. Tous ont été mis à jour. Même si l’architecture globale de l’ouvrage a été conservée, autour des trois thématiques originelles (les environnements, le sujet adulte et l’instrumentation), c’est un nouveau livre qui est ici, en quelque sorte, proposé au lecteur, dans la continuité du projet initial et les déclinaisons progressives de son développement.
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Introduction
Sommaire De la formation post-scolaire à l’apprentissage tout au long de la vie....................... 29 1. La formation mérite-t‑elle un Traité ?................................................................... 29 2. De la formation post-scolaire à l’apprentissage tout au long de la vie ?................ 32 3. Principes et modes d’usage du Traité.................................................................... 39 Références................................................................................................................. 43
De la formation post-scolaire à l’apprentissage tout au long de la vie1 À l’heure de l’explosion digitale planétaire, et donc de la massification potentielle des accès aux savoirs, quand s’affirment les thèmes de l’économie de la connaissance et de la gestion des compétences ou ceux des organisations, villes et régions « apprenantes », qu’en est-il des savoirs constitutifs de la professionnalité des centaines de milliers de personnes chargées de fonctions permanentes ou ponctuelles de ce qu’il est encore convenu de dénommer « la formation » ? Où en est l’identité de métier de ces agents éducatifs de plus en plus dispersés dans des fonctions multiples, depuis l’animateur d’actions de lutte contre l’illettrisme jusqu’au concepteur numérique ou au consultant en stratégie d’entreprise, en passant par le responsable d’organisme de formation, le manager des ressources humaines, l’accompagnateur en VAE et le tuteur de centre de ressources ? Existe-t‑il un fonds commun de références identifiable et nécessaire, bien que non suffisant, à l’exercice de ces « métiers de la connaissance » d’aujourd’hui et de demain ? Savoirs d’action, issus de la singularité de l’expérience, ou savoirs théoriques, traduits ou importés de champs disciplinaires variés, les savoirs des formateurs d’adultes sont-ils aujourd’hui des savoirs spécifiques, cohérents, formalisables ? Savoirs « en miettes », produits des expertises éparses des aînés, issus de bases épistémologiques diffuses, hétéroclites, parfois baroques, les savoirs de la formation des adultes forment-ils une culture homogène, ou bien des cultures aussi variées que les terrains d’application où ils sont exploités ? Savoirs pluri-, multi-, trans-disciplinaires, revendiquant parfois l’a-disciplinarité, les savoirs de la formation sont-ils justiciables du traitement nécessairement « discipliné » qu’impose un projet d’ouvrage collectif, baptisé qui plus est « Traité » ?
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1. La formation mérite-t‑elle un Traité ? Ce sont des étudiants, stagiaires, partenaires et collègues rencontrés à travers cours, stages et séminaires qui ont donné à cet ouvrage son ambition première. Il s’agissait de réunir, en un seul volume, un ensemble de connaissances éprouvées, résumées et simplifiées, constitutives de l’état des savoirs en « sciences de la formation » aujourd’hui et susceptibles d’éclairer, voire de faciliter la pratique des métiers de la formation.
1. Par Philippe Carné et Pierre Caspar.
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C’est la perplexité des praticiens les plus jeunes (dans la vie ou dans la profession), face à ce que de plus anciens peuvent considérer implicitement comme les bases culturelles du métier de formateur ; c’est l’hésitation des étudiants-chercheurs devant la multiplicité des postures envisageables ; ce sont la confusion et le découragement de certains « apprenants » devant l’absence de cadres méthodologiques et conceptuels partagés, de convictions théoriques communes à leurs enseignants, formateurs ou consultants ; c’est aussi le désarroi de nombreux étudiants face au nombre et à la dispersion des références bibliographiques accompagnant leurs cours… Autant de réactions de publics divers qui ont suscité l’idée de cet ouvrage, en faisant émerger ce qui ressemble à un besoin de stabilisation des savoirs de référence des métiers de la formation ; une pause autoréflexive de praticiens-chercheurs face à l’évolution de leurs savoirs, en quelque sorte ! Projet ambitieux, improbable, vaguement anachronique, l’écriture collective d’un Traité des sciences et des techniques de la formation tient du défi. En tant que genre littéraire, le Traité, « ouvrage didactique où est exposé d’une manière systématique un sujet ou un ensemble de sujets concernant une matière1 », a pour caractéristique de viser à baliser un champ de connaissances, et à livrer autour de ces balises un état synthétique des savoirs nécessaires et suffisants à l’« honnête homme » de la spécialité, non pour qu’il en maîtrise les arcanes, mais pour qu’il y trouve le plan d’ensemble du domaine et les clés de la poursuite de son cheminement. Concernant la formation (continue ? permanente ? récurrente ? tout au long de la vie ? professionnelle ? des adultes ? post-scolaire ?), le projet paraissait pour le moins immodeste. Il était d’ailleurs possible qu’il ne survive pas aux premières étapes de l’ouverture du chantier, tant les questions initiales étaient fondamentales. Quels savoirs retenir ? Autour de quelles articulations ? Dans quelle perspective ? Enfin, était-il raisonnable d’envisager la publication, à l’orée du troisième millénaire, d’un « traité » sur l’éducation, fût-elle celle « des adultes » ? L’idée fleurait ses Lumières ; le titre évoquait Fénelon. Face à la montée des paradigmes du scepticisme, de la « théorie du chaos » à la « fin des certitudes », l’idée même de construire un traité n’avait-elle pas, de par son postulat affirmatif, deux ou trois siècles de retard ? Pour cette quatrième édition encore, la gageure a été dépassée, le défi collectivement relevé une nouvelle fois par quarante-deux auteurs, experts reconnus de leurs spécialités, aboutissant à ce que nous souhaitons voir se révéler être un triple outil pour l’autoformation, le travail, la recherche. « Je ne devine pas pourquoi le monde ne s’ennuie point de lire et de ne rien apprendre », disait Diderot2 ; et l’on pourrait sans peine faire ici allusion au rapport entre la quantité actuelle
1. Dictionnaire Le Robert, 1992. 2. Diderot (1713-1784). Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient.
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de publications sur la formation et l’état des savoirs sur lesquels on peut s’appuyer en pratique. En tant qu’outil d’autoformation, ce Traité devrait contribuer aux efforts autonomes de professionnalisation des formateurs et responsables de formation, dans un environnement en pleine mutation, à une époque où les intitulés des métiers eux-mêmes se révèlent précaires. Lui-même évolutif, par nécessité de cohérence avec son objet, ce Traité peut remplir cette première fonction d’aide à l’autoformation si chacun y trouve un tableau clair, organisé et néanmoins ouvert, du paysage conceptuel, du système de valeurs et de l’état des débats théoriques et méthodologiques dans ce domaine polymorphe qu’on appelle formation aujourd’hui. Outil d’autoformation, cet ouvrage se veut également outil de travail : il s’agit d’offrir au formateur, au manager et au consultant généralistes un accès rapide à un fonds commun de culture professionnelle, générateur de spécialisations ultérieures toujours possibles. De l’histoire aux technologies, du droit à l’ingénierie didactique, cet ouvrage souhaite donner au professionnel un moyen « économique » de compléter ou de perfectionner ses modes d’intervention par une meilleure connaissance des expériences et des références qui constituent le monde de la formation aujourd’hui. Conception de séminaires, communications, planification, animation, évaluation… Le professionnel de la formation (de formateurs en particulier) doit pouvoir compter sur ce Traité pour l’assister dans les tâches qui, on le sait bien, ont la fâcheuse habitude de se concentrer dans des délais trop brefs pour autoriser les recherches exhaustives que l’on souhaiterait pouvoir conduire ! Il devra également trouver dans les références sélectionnées à la fin de chaque chapitre les orientations nécessaires à la poursuite de son cheminement, s’il désire aller plus loin. Enfin, même s’il n’est pas un ouvrage scientifique à proprement parler, le Traité vise à devenir outil de recherche. Non par d’illusoires prétentions encyclopédiques, ni par son niveau d’abstraction théorique, mais parce qu’il doit permettre à l’étudiant-chercheur engagé dans un domaine spécifique de formation et au praticien désireux de conceptualiser ses pratiques, de s’ouvrir ensemble à d’autres domaines, permettant ainsi de mieux situer, et de relativiser l’originalité de leurs contributions propres à la production de savoirs nouveaux. Plus que de scientificité, c’est plutôt d’une forme d’universalité des savoirs qu’il est dès lors question, comme antidote aux excès de l’hyper-spécialisation inhérente à tant de postures de recherche. D’universalité au sens où Pascal en faisait l’éloge en son temps, lui pour qui il était « bien plus beau de savoir quelque chose de tout que de savoir tout d’une chose1 ». La phrase est belle ; elle souligne aujourd’hui que, dans un monde de réseaux, une formation dite « supérieure » doit apporter une vision globale du champ concerné, permettant de savoir où commence la spécialisation, où résident les expertises et comment on peut identifier, et dialoguer avec, les « personnes-ressources » d’une
1. Pascal, Pensées, I, 37, 1623-1662.
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spécialité. Même si cette compétence transverse implique souvent d’approfondir ce qui ne peut s’apprendre qu’en allant au fond des choses, c’est-à‑dire en se formant par la recherche. L’un des défis de cet ouvrage sera de développer chez certains de ses lecteurs la curiosité et le goût du questionnement qui font réfléchir bien au-delà de l’action, le plaisir de chercher qui ouvre sur celui de comprendre, la joie de découvrir et le courage de partager avec d’autres les résultats, toujours incomplets, de ses travaux, pour contribuer à la progression des idées et des actes. En dépit de son titre, produit de la rencontre d’une volonté éditoriale et d’un diagnostic pédagogique, le Traité des sciences et des techniques de la formation n’est donc ni une encyclopédie qui n’oserait dire son nom, ni un guide pratique, ni une simple compilation d’articles scientifiques. Outil d’autoformation, de travail et de recherche, cet ouvrage présente une réponse au défi de la construction collective d’un tronc commun de savoirs de base de la formation des adultes aujourd’hui ; de savoirs provisoirement stabilisés bien qu’évidemment amendables et évolutifs. L’idée n’est d’ailleurs pas nouvelle ; nous disposions déjà d’un précédent…
2. De la formation post-scolaire à l’apprentissage tout au long de la vie ? 2.1 Du projet d’éducation permanente aux réalités de la formation tout au long de la vie… professionnelle En 1978 était publié le huitième tome du Traité des sciences pédagogiques, intitulé Éducation permanente et animation socioculturelle, sous la direction de M. Debesse et G. Mialaret. Pour la première fois se trouvait réuni, en un seul volume, un ensemble de contributions théoriques sur les métiers de la formation, vues à travers différentes optiques scientifiques (psychologie, sociologie, technologie, pédagogie, etc.). Vingt et un ans plus tard paraissait la première édition du Traité des sciences et des techniques de la formation. Coïncidence ? En d’autres temps, on aurait pu déduire de cette chronologie que la formation des adultes avait alors atteint une forme de maturité, voire de « majorité ». S’il est vrai que « tout n’a pas commencé en 1971 » avec la loi du 16 juillet portant organisation de la formation professionnelle continue « dans le cadre de l’éducation permanente », on peut néanmoins affirmer que cette année-là, la formation continue est née aux plans symbolique et culturel, si ce n’est sous l’angle de l’analyse juridique ou sociologique. En plus de 45 ans, le paysage a été profondément bouleversé par les turbulences du contexte socio-économique, tout en maintenant à l’arrière-plan de remarquables permanences. Une lecture comparative 32
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des textes qui constituent le traité de 1978 et le présent ouvrage confirment ce contraste entre les ruptures et les continuités. Tableau 1 - Évolution des notions entre 1978 et 2017 Traité des sciences pédagogiques (1978)
Traité des sciences et techniques de la formation (2017)
Disciplines
Sciences pédagogiques
Sciences et techniques
Notions clé
Éducation permanente Animation socioculturelle
Formation Compétences
Projet de société
Société éducative
Société cognitive
Projet éducatif
Éducation permanente, continuée Développement culturel
Formation professionnelle tout au long de la vie
Projet humain
Développement personnel Promotion sociale
Développement des compétences Insertion sociale et professionnelle
Bénéficiaire
Stagiaire, formé, élève adulte
Apprenant
Dimension économique
Contexte économique (2 p.) Action de formation en entreprise (2 p.)
Économie, marché, management, GRH, ingénierie, transfert (9 chapitres)
Dimension culturelle
Animation (3 chapitres)
Conclusion (4 pages)
Dispositifs
Action collective de formation Télévision éducative
Ingénieries, environnement numérique, autoformation, digitalisation
Publics en difficulté
Public isolé, non-public, intégration
Exclusion, maintien du lien social
Vision
Humaniste
Technique
Priorités
Socioculturelles
Socio-économiques
Slogan
Droit à l’éducation permanente
Devoir de compétence
(Sources : Debesse et Mialaret, 1978 et le présent volume)
Les transformations de vocabulaire à l’œuvre sont ici massives. Le projet de société « éducative » a été remplacé par celui de société « cognitive ». « Éducation permanente » ou « éducation continuée » sont les termes retenus en 1978, alors que la « formation » (post-scolaire, permanente, professionnelle) est au cœur de l’ouvrage de 2017. Le souci économique a englouti le projet culturel. La grande vision d’éducation permanente portée par J. Delors au début des années 1970 s’est graduellement, voire insidieusement, diluée dans le plaidoyer insistant pour la formation professionnelle tout au long de la vie, introduisant dans l’horizon initial de franches ruptures, malgré d’indiscutables permanences…
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2.2 Des ruptures Les titres respectifs des deux ouvrages illustrent une première évolution : en lieu et place des termes de « sciences pédagogiques », d’« éducation permanente » et d’« animation socioculturelle », le présent ouvrage se propose de traiter de « sciences et techniques de la formation », et fait plus volontiers référence aujourd’hui à l’expression de « formation tout au long de la vie ». C’est sans doute qu’entre les deux publications, un processus de durcissement culturel s’est opéré. Si l’on trouve aux racines de l’idée d’éducation permanente des années 19701 des thématiques de développement personnel, économique et social (éducation populaire, promotion sociale, message de l’Unesco, expansion industrielle, etc.), les conceptions de la formation nées au cours des années 1990 auront été marquées par la montée de thématiques de prévention économique et sociale. De ce point de vue, le triomphe des notions de compétence, de flexibilité et d’employabilité et l’usage malheureusement généralisé de leur complément, l’exclusion, s’inscrivent dans une logique à la fois responsabilisante et défensive qu’illustrait, de façon à peine voilée, le rapport de la Commission européenne sur la « société cognitive » : « Mondialisation des échanges, société de l’information, progrès scientifique et technique. Tous les jours, nous percevons les changements induits par ces phénomènes […] Pour l’Europe, pour chacun d’entre nous, l’enjeu est de maîtriser de telles transformations pour ne pas les subir. N’ayant pas su les anticiper, nos pays connaissent un niveau dramatique de chômage et d’exclusion sociale2. »
C’est d’abord, effectivement, la poussée vertigineuse du chômage en France et en Europe qui a opéré une première torsion des finalités de la formation : qui se souvient aujourd’hui qu’en 1975, on se préoccupait de la « situation cruelle » des jeunes femmes au chômage, estimée à moins de 6 % de cette catégorie sociale, face à un taux de demandeurs d’emploi de 1 % chez les hommes adultes3 ? Ce sont, de façon corrélative, la radicalisation des conditions de la concurrence commerciale internationale, l’accélération exponentielle de l’innovation technique et la recherche drastique de la rentabilité des capitaux investis qui ont contraint les entreprises à rechercher non seulement la « professionnalisation », mais aussi la « rentabilisation » des systèmes de formation. Ceux-ci sont de ce fait devenus systèmes de « production de compétences », eux-mêmes de plus en plus appréciés à l’aune des performances qu’ils permettent d’engendrer. D’où la montée de termes, en d’autres temps iconoclastes, voire hérétiques,
1. « Une éducation imposée ou volontaire, formelle ou informelle de toute la population, à tous les âges de la vie, en vue de favoriser le développement de la personnalité et la participation sociale dans une société en changement permanent » selon J. Dumazedier, in Encyclopædia universalis, 1984, p. 662. 2. Commission européenne (1995). Enseigner et apprendre. Vers la société cognitive, Luxembourg, CECA-CE-CEEA. 3. J. Vial (1978). In M. Debesse, G. Mialaret, op. cit., p. 50.
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mais aujourd’hui révélateurs de l’entrée de la formation dans une véritable « économie des services » : efficience, retour sur investissement, centre de profit, démarche qualité, compétitivité, engagement de résultats, cahier des charges, audit… En même temps que ses problématiques se durcissaient autour des enjeux de l’emploi, de la cohésion sociale et de la compétitivité, la formation se disséminait dans l’ensemble des univers de la vie. Au cours des trente dernières années, sur le plan juridique et institutionnel, la formation aura vu l’extension progressive du champ d’application des lois qui la régissent dans les entreprises de toutes tailles, la décentralisation au profit d’une gestion régionale des politiques publiques, la dispersion de sa spécificité dans des problématiques plus vastes : travail, insertion, employabilité, autonomie… Simultanément, l’évolution juridique traduisait, avec les lois sur la validation des acquis de l’expérience (VAE, 2002), le droit individuel à la formation1 (DIF, 2004), l’orientation professionnelle tout au long de la vie (2009) et le compte personnel de formation (CPF, 2014), la lame de fond de l’individualisation des pratiques et des responsabilités en matière de formation, pour le meilleur ou pour le pire. C’est que, progressivement, les frontières classiques s’estompaient, particulièrement entre la formation, le travail, la vie privée. Tant dans sa mission actuelle majeure de production de compétences strictement ajustées aux besoins du monde économique, que dans d’autres formes plus ouvertes ou plus propices au développement des sujets sociaux, la formation s’inscrit dans une dynamique de rapprochement avec le travail. Alternance, formation-action, formation intégrée, formation en situation de travail, mais aussi analyse du travail en vue de la formation, sont quelques-unes des expressions actuelles qui attestent du caractère profond de la convergence de la formation et du travail, voire de l’absorption de celle-là dans celui-ci… Durcissement des problématiques et dissémination, voire dilution de la formation, sont toutefois accompagnés de l’assouplissement et de la démultiplication de ses formes pédagogiques concrètes. La notion de formation ouverte et à distance (FOAD), a été d’abord relayée par celle d’e-learning et graduellement des différentes déclinaisons des formations digitalisées dont regorge le marché de la formation : MOOC, serious games, réseaux sociaux, simulations, dans l’attente de la prochaine des fréquentes « révolutions » numériques annoncées. La multimodalité devient la règle. Cette évolution massive, si ce n’est toujours des pratiques, du moins de la culture du milieu, vient souligner que l’on est en train de quitter l’univers clos des « trois unités » qui, à la manière du théâtre classique, régissaient le « drame pédagogique » conventionnel : unité de lieu, de temps, d’action. Les avancées des technologies de l’information et de la télécommunication éliminent peu à peu les contraintes de distance, tandis que les progrès de l’informatique éducative, joints à une nouvelle créativité du design pédagogique
1. Toujours en usage, faut-il le rappeler, dans la fonction publique à la date de publication de cet ouvrage.
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et architectural, ouvrent à la formation des formes et espaces inédits. De nouveaux modes d’action pédagogique sont découverts (ou parfois désenfouis), autour de notions fédératrices comme celle d’autoformation, d’apprentissage en situation de travail ou de communautés d’apprentissage, puissamment dynamisées par la vitesse de l’innovation dans le domaine des technologies numériques. L’ouverture de la formation offre ainsi de nouveaux espoirs de flexibilité, à la hauteur des enjeux sociétaux qui la surdéterminent : ampleur et facilité d’accès au savoir, souplesse d’accueil, autonomisation des apprenants, gains de productivité pédagogique, partage et mutualisation des savoirs, démultiplication des temps et des lieux d’apprentissage, maillage des réseaux humains et numériques… L’immensité du continent encore trop peu exploré des apprentissages informels, dans et hors le travail, se dévoile graduellement. Ces multiples formes d’ouverture amènent à de nouvelles exigences, tant pour les apprenants que pour les formateurs qui y voient leurs fonctions bouleversées. Durcissement, dissémination, ouverture : d’un siècle à l’autre, d’un traité à l’autre, des changements majeurs ont pris place, qui modifient radicalement le paysage de la formation. Sous le glissement lexical, une véritable mutation culturelle se fait jour, accompagnant le passage en une quarantaine d’années d’une vision sociale et humaniste de l’éducation permanente à une realpolitik de la production et de la gestion des compétences.
2.3 Des permanences Toutefois, derrière le bouleversement idéologique et conceptuel, certaines permanences donnent au tableau actuel de la formation son arrière-plan de relative stabilité. Ainsi, des années 1970 à nos jours, la formation a souvent été considérée comme une entité englobante, totalisante, voire comme une « panacée », l’un des moyens essentiels de résoudre « les grands problèmes de notre temps ». Que ce soit dans l’enthousiasme utopique des origines, ou dans les soubresauts des crises de la maturité, on a toujours demandé à la formation des adultes de résoudre des problèmes d’une autre nature : promotion sociale, traitement du chômage, émancipation culturelle, performance économique, etc. Peut-être est-ce pour cela que la formation a toujours eu une forte attirance pour les néologismes et l’innovation verbale ? À l’ambition des questions a souvent répondu l’immodestie des propositions… Certaines tendances de la formation, présentes dès les années 1970, semblent marquer une permanence des valeurs, bien qu’elles aient pris plus de poids d’une époque à l’autre : ainsi en est-il de la fonction de régulation sociale de la formation, de l’injonction à la responsabilisation et à l’autonomie des acteurs, de la prise en compte des relations sociales comme facteur de performance des équipes de travail. Ou du rôle du formateur, dont Sheffknecht et Schwartz écrivaient déjà il y a 40 ans (in Debesse et Mialaret, 1978) : 36
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« Le formateur-enseignant devient aujourd’hui un praticien qui doit être capable de remplir des fonctions diversifiées et non plus seulement celle de transmetteur des connaissances, dans la mesure où il doit de plus en plus être un « conseiller en apprentissage », un facilitateur du développement personnel » (p. 171).
Ainsi, en est-il également, du caractère irréductiblement singulier de l’acte de se former, du rôle premier des motivations, et… de certains gâchis en formation, surtout lorsque personne ne se préoccupe de valoriser et de mettre en œuvre dans son travail ce que « l’apprenant » y a acquis ! Comme l’indique B. Schwartz depuis longtemps (in Debesse et Mialaret, 1978), « En bref, pour qu’un adulte accepte de se former, il faut qu’il puisse trouver dans sa formation une réponse à ses problèmes, dans sa situation. Or nombreux sont les cas où ces conditions ne sont pas remplies » (p. 147).
Mais l’on pourrait citer également le rôle des auxiliaires technologiques, comme l’audiovisuel, cet ancêtre du e-learning qui à l’époque paraissait déjà « irrésistible » ; ou l’importance du transfert des acquis et du rôle du management dans la préparation, le suivi et l’exploitation des compétences acquises en formation : « En définitive l’utilité de la formation dépend bien plus des conditions concrètes de son utilisation que de la qualité de la formation elle-même » (Sheffknecht et Schwartz in Debesse et Mialaret, p. 173).
De 1978 à 2017, depuis les questions de l’« éducation permanente » et de l’« animation socioculturelle » jusqu’à celles des « sciences et techniques de la formation » dans une « société cognitive » en devenir, certaines ruptures ont indéniablement obscurci les horizons idéalistes de la formation permanente au profit des chantiers plus réalistes du développement des compétences et de l’employabilité. Simultanément, les continuités dont on a pu rapidement esquisser quelques exemples indiquent qu’aujourd’hui, le monde de la formation a atteint un stade de développement qui l’autorise à poser les jalons d’un savoir autonome, attestant de la professionnalité des acteurs du champ face à la permanence des questions vives et l’intensification des enjeux.
2.4 De la formation post-scolaire à l’apprentissage tout au long de la vie ? Entre continuité et ruptures, l’histoire de plus de quarante-cinq ans de formation sous le régime de la loi de 1971 peut nous engager à formuler si ce n’est une prévision, du moins une hypothèse porteuse d’espoir pour les professionnels de la formation… et ses bénéficiaires. 37
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Comme le traduisent l’ouverture et la clôture de la présente édition de ce Traité, nous évoluons peut-être d’une conception de la formation comme épisode « post-scolaire » de participation à des activités éducatives vers un « retour vers le futur » d’une vision fondatrice de l’apprentissage tout au long de la vie. Dans la conception post-scolaire, largement dominante aujourd’hui dans les pratiques « officielles », la formation privilégie les adultes qui ont quitté l’école, sont en emploi ou à la recherche d’un travail, et les accompagne principalement durant la première partie de leur carrière, malgré les appels répétés à la formation des « seniors1 ». La notion d’origine anglo-saxonne d’« apprentissage tout au long de la vie » (lifelong learning), née au début du xxe siècle (malencontreusement traduite en formation tout au long de la vie en français) implique la promotion de tous les apprentissages, formels et informels, de tous les publics de tous les âges et conditions sociales, qu’ils se réalisent de façon dirigée ou autonome, intentionnelle ou incidente. Or le passage d’une culture de la formation à une culture de l’apprenance ne se décrète pas (Carré, 2005)… Pour y parvenir, le changement est essentiel dans des domaines majeurs de la formation des adultes. La sociologie de la formation fait régulièrement état d’une diminution de la participation des adultes à la formation à partir de 45 ans, dans la plupart des pays où ces données sont disponibles, et ce quelle que soit la catégorie socioprofessionnelle concernée. Dans le même ordre d’idées, les structures de formation sont largement insuffisantes pour permettre, par-delà les salariés et demandeurs d’emploi, au « troisième secteur » de la formation, véritable tiers état constitué des millions de personnes considérées comme « inactives », d’apprendre et de développer leurs compétences tout au long de la vie : retraités évidemment, mais également personnes au foyer, jeunes en attente d’un premier emploi, sujets hospitalisés, etc. Par-delà la question des publics, privés ou sous-équipés en matière de ressources pour apprendre, se pose la question des lieux d’accueil et de regroupement, indispensables à la socialisation des apprentissages, pour autant qu’on apprend toujours seul, mais jamais sans les autres. Malgré l’essor de concepts séduisants (learning centers, centres de ressources, espaces d’autoformation, fablabs, cercles d’études, ateliers de pédagogie personnalisée, réseaux d’échanges de savoirs), le maillage territorial de lieux ressources, est souvent invoqué mais trop peu mis en œuvre. Il serait un rouage essentiel d’une véritable politique d’apprentissage pour tous, à tous les âges de la vie, quelle que soit leur condition sociale. La notion d’éducation populaire, tombée en désuétude face au gigantisme des enjeux sociaux et professionnels liés à l’emploi et à la compétence professionnelle, gagnerait à être réinventée pour répondre aux impératifs universels de l’apprenance. L’orientation vers l’apprentissage tout au long de la vie, incluant mais dépassant le périmètre de la formation des actifs de tous âges, représente, on le sait aujourd’hui, une source de bienfaits directs et indirects mesurables au-delà du champ économique. Il intervient dans les domaines
1. S. Collette, C. Batal, O. Charbonnier, P. Carré (2009). L’Atout senior, Paris, Dunod.
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de la santé, de la famille, de la participation civique, augmentant par là non seulement le bienêtre des personnes mais également l’efficience des systèmes sociaux. Une telle politique (et c’est un facteur d’espoir), pourrait trouver là ses fondements, tout en s’appuyant sur la dynamique d’apprentissage sans précédent qu’autorisent les technologies numériques depuis une trentaine d’années – et de façon accélérée depuis moins de dix. Apprentissage à distance, bien sûr mais également autoformation numérique, apprentissage coopératif en réseau, cercles d’études virtuels, organisations apprenantes sont quelques-uns des vecteurs de formation qu’autorise et favorise l’hyperpuissance de la digitalisation. La mise à « portée de la main » de tous les savoirs du monde actuel1 est aujourd’hui rendue possible par la démultiplication exponentielle des sites Internet, la simplicité d’usage des moteurs de recherche ouverts sur toutes les questions envisageables, la construction progressive de connaissances collectives solides et à jour sur les plateformes collaboratives, l’explosion des ressources humaines pour apprendre autorisée, parmi de multiples autres usages, par les réseaux sociaux… Que d’exemples d’opportunités nouvelles pour apprendre2 ! Et nous n’en sommes pas au terme du processus. Cette ouverture vers l’horizon infini des savoirs humains transforme la conception que nous nous faisons de l’apprentissage3, et donc du rôle de la formation. Le présent ouvrage a donc été conçu pour refléter, dans ses tensions et ses acquis, par-delà ruptures et permanences, l’état des savoirs de base indispensables à un tour d’horizon du monde de la formation. On peut former l’espoir qu’il représente un outil au service d’une politique de développement des apprentissages tout au long de la vie qui reste encore largement à imaginer.
3. Principes et modes d’usage du Traité Les principes qui ont guidé la conception de cet ouvrage peuvent être résumés en trois formules : une posture pluridisciplinaire classique mais « ouverte », une construction ternaire, une recherche d’équilibre entre théorie et pratique.
1. P. Caspar (1991). Le Savoir à portée de la main, Paris, Éditions d’Organisation. 2. M. Nagels et P. Carré (dir.) (2016). Apprendre par soi-même aujourd’hui. Les nouvelles modalités de l’autoformation dans la société digitale, Paris, Éditions des Archives contemporaines. 3. … entraînant certains auteurs à douter de l’idée même qu’apprendre aura encore un sens demain ! Voir S. Enlart et O. Charbonnier (2009). Faut-il encore apprendre ?, Paris, Dunod.
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3.1 Une posture classique, mais « ouverte » Les mondes des sciences sociales en général, et de l’éducation en particulier, sont aux prises avec deux sortes de démons. D’une part, le « réductionnisme disciplinaire » qui consiste à restreindre un phénomène à l’un de ses niveaux d’analyse en éliminant les autres. D’autre part, son opposé, que l’on pourrait nommer le « scepticisme transdisciplinaire », qui, à partir de la critique des dérives du précédent, dénie aux approches scientifiques classiques le pouvoir de contribuer de manière autonome à la construction des savoirs. Pour se garder de cette double tentation, le présent ouvrage a été conçu dans une perspective d’inspiration mixte : si de nombreux chapitres sont explicitement élaborés selon une approche précise (sociologique, psychologique, stratégique, historique, économique, etc.), cette perspective a simultanément été largement ouverte à d’autres approches, systémiques et/ou transdisciplinaires, particulièrement dans la troisième partie de l’ouvrage. Cette posture aboutit à une pluridisciplinarité « collective » à partir de contributions singulières, d’obédience classique ou non. Une telle approche, qui se veut plurielle et ouverte, permet d’éviter trois écueils qui guettent toute entrée trop exclusive dans les questions d’éducation et de formation. Ramener l’ensemble des facteurs qui pèsent sur les faits de formation à une vision individualisante du « sujet », de ses désirs, ses motivations, ses affects et ses représentations, serait faire preuve d’un « psychologisme » à la fois réducteur et mystificateur. Inversement, passer sous silence la singularité de la dynamique du rapport à la formation et au travail, en n’observant que les déterminismes socio-économiques qui l’enserrent serait adopter une posture « sociologiste » tout aussi diminutive. Enfin, rêver de modes d’intervention, qu’ils soient éducatifs ou managériaux, suscitant de façon « automatique » la réaction des sujets sociaux, serait d’un « pédagogisme » angélique. Psychologisme, sociologisme, pédagogisme : pour se garder de ce triple écueil, nous avons choisi de partir d’une analyse « ouverte » des conditions psychologiques et sociales, biographiques et contextuelles des phénomènes de formation. Dans le cadre d’une telle analyse, le sujet social est vu comme un acteur à la fois soumis aux contraintes de son environnement et doté d’un pouvoir d’intervention sur les espaces d’autonomie que celui-ci comporte. Un « architecte partiel de sa propre destinée » selon la belle formule du psychologue canadien Bandura.
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3.2 Une construction ternaire La construction d’ensemble du Traité repose sur une conception « ternaire » du champ de la formation. Un peu à la manière de la logique du vivant, trois « échelles d’observation »1 y sont utilisées : socio-économique, psychosociale, technico-pédagogique. Trois familles d’acteurs, parmi d’autres, voient leurs rôles plus spécifiquement analysés. D’abord, ceux que l’on pourrait appeler les « maîtres d’ouvrage » de l’environnement économique et social de la formation : politiques, juristes, managers et décisionnaires. Ensuite ces acteurs centraux que sont les sujets sociaux « apprenants » (ou censés l’être). Enfin, les intervenants et médiateurs, agents éducatifs remplissant une fonction (explicite ou non) de facilitation, d’animation, d’accompagnement, d’ingénierie ou de suivi. Les trente et une contributions qui forment le cœur du Traité sont ainsi réparties en trois grandes parties, chacune précédée de quelques pages d’introduction. La première partie, intitulée « Déterminants et environnements de la formation », plante le décor conceptuel et social, depuis l’arrière-plan historique jusqu’aux données planétaires relatives à la diversité des publics adultes. Sont passées en revue à cette occasion les problématiques sociologiques, économiques, ergonomiques, juridiques ou de gestion qui contribuent à donner aux actes de formation, d’apprentissage, de production de compétences leur « milieu » et, partant, leurs conditions d’apparition, de structuration, de développement et de régulation. On trouvera dans la deuxième partie de l’ouvrage, sous le titre « le sujet adulte et la formation », un tour d’horizon des différentes facettes du rapport de l’adulte à sa propre formation, sous ses aspects biographiques, cognitifs, conatifs, sociaux et autour de concepts cardinaux : expérience, compétence, intelligence, développement, mémoire, motivation, apprentissage, interactions sociales. C’est à un regard nouveau sur le personnage central des actes de formation que cette partie invite ; derrière le conventionnel « formé », objet de l’action des autres, on détecte la figure émergente du « sujet social apprenant », animé de représentations, d’affects et d’intentions irréductiblement singulières. La troisième partie du Traité examine le dernier paramètre de la relation triangulaire qui réunit les différents acteurs du champ de la formation ; c’est autour des « interventions » de formation qu’est construit ce pôle. L’ingénierie des dispositifs y tient une place d’honneur, même si d’autres approches la complètent dans les projets de professionnalisation des métiers de la formation aujourd’hui. Pédagogie, technologie, didactique et recherche y sont également convoquées, avant que soient abordés les thèmes du transfert des compétences, de l’orientation professionnelle et de la validation des acquis singulièrement renouvelés par
1. D. Desjeux (2004). Les Sciences sociales, Paris, PUF.
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l’évolution juridique des quinze dernières années. Une conclusion générale, entre mémoire et prospective, parachève l’ensemble
3.3 Une recherche d’équilibre entre théorie et pratique Champ de pratiques sociales, traversé d’idéologie, en proie aux aléas des « allant de soi », parfois saisi des vertiges de l’abstraction ou, à l’inverse, du culte du concret, la formation des adultes ne peut ni s’isoler du terrain par l’usage immodéré d’une formalisation abstraite et d’une terminologie spécifique, ni éliminer les concepts scientifiques au profit des notions ambiguës, polysémiques et finalement peu opératoires du langage professionnel quotidien. Si, selon la formule bien connue attribuée à K. Lewin, « rien n’est plus pratique qu’une bonne théorie », à l’inverse rien n’est plus inutile qu’une théorie coupée des pratiques. Il fallait donc donner à cet ouvrage cette double inflexion, théorique et pratique, en veillant à ce qu’aucune ne prenne le pas sur l’autre. De telle sorte qu’à l’usage, ces deux niveaux d’appréhension du réel se fécondent mutuellement, la pratique conférant à la théorie ses questions, ses problèmes, ses enjeux et la théorie fournissant à la pratique ses clés conceptuelles. Dans cette relation, c’est le praticien-lecteur-chercheur qui, seul, peut faire produire à cette interaction des résultats fructueux pour la pensée et l’action. Ce sera donc à lui de porter le verdict final quant au respect de cette nécessaire hybridation que nous avons voulue fondatrice de l’ouvrage. Dans cette perspective, ce Traité a été conçu pour permettre plusieurs modalités d’usage. Qui souhaite s’informer, sur le mode d’un voyage au long cours à travers les différents mondes de la formation, de l’ensemble des réalités de ce secteur d’activité pourra, bien sûr, parcourir cet ouvrage du début à la fin. La variété des auteurs et la complémentarité de leurs approches doivent permettre que ce premier choix mène à bon port. Pour une exploration plus centrée sur l’un des niveaux d’analyse de la formation (environnements, sujet, ingénieries), la lecture de la partie de l’ouvrage correspondant à la préoccupation du lecteur, à la manière dont on lit un livre indépendant, devrait lui donner satisfaction, quitte à revenir aux autres parties ultérieurement, comme s’il s’agissait d’un second, puis d’un troisième tome. Ou parce que sa lecture d’une partie lui aura donné l’envie ou le besoin de la connecter aux autres. De façon encore plus spécifique, l’ouvrage doit permettre une excursion chapitre par chapitre, dans le désordre, au gré des désirs et des besoins d’un cours, d’un projet, d’une plongée en milieu professionnel, d’une autoformation à la marge des activités quotidiennes. Enfin, les index d’auteurs et de notions placés en fin d’ouvrage, et les bibliographies de chaque chapitre doivent autoriser un dernier mode d’usage du Traité, à la manière d’un dictionnaire ou d’un thesaurus, permettant de repérer ou d’approfondir les significations et les environnements d’usage des concepts, des méthodes et des notions abordés. 42
Introduction
Que son projet soit une expédition au long cours de l’ensemble de l’ouvrage ou une simple visite conceptuelle ou exploratoire, les auteurs du Traité des sciences et techniques de la formation souhaitent au lecteur bonne route.
Références Carré P. (2005). L’Apprenance. Vers un nouveau rapport au savoir, Paris, Dunod. Caspar P. (2011). La Formation des adultes, hier, aujourd’hui, demain, Paris, Eyrolles.
Debesse M. et Mialaret G. (dir.) (1978). Traité des sciences pédagogiques, t. VIII, Éducation permanente et animation socioculturelle, Paris, PUF Schuller T. et coll. (2004). The Benefits of Learning, Londres, Routledge.
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Partie 1 Déterminants et environnements de la formation
Introduction La formation des adultes et, plus précisément, la « formation post-scolaire » constituent d’abord un champ de pratiques. À ce titre, elles interrogent et nourrissent des approches scientifiques. Cela ne leur donne pas encore pour autant la légitimité d’une discipline scientifique à part entière. Pour l’instant du moins. Mais cela n’empêche en rien de poser les jalons d’un savoir autonome, attestant de la professionnalité des acteurs du champ face à la pérennité des enjeux. Un certain nombre de pionniers, dont B. Schwartz, M. Lesne, R. Vatier ou J. Dumazedier nous y avaient invités depuis bien longtemps. La nature même de ces enjeux et leur ampleur rendent d’autant plus nécessaires à la fois l’analyse et la compréhension des activités que l’on regroupe commodément sous ce vocable de formation post-scolaire, et l’instrumentation méthodologique et conceptuelle des opérations permettant de les concevoir, de les conduire et de les évaluer.
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Faute d’approche compréhensive globale de la formation, permettant une modélisation des phénomènes observés, comment cerner, expliquer les transformations qu’elle suscite, les changements qu’elle incite à effectuer, ou auxquels elle participe ? Et pourtant la représentation que l’on a des « effets formation » est telle que l’on n’hésite pas à consacrer, en un an en France, plus de trente milliards d’euros pour concevoir et organiser des formations post-scolaires et pour rémunérer celles et ceux qui s’y engagent. Est-ce à dire que l’on agit en aveugle ? Certainement pas, et pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’un nombre croissant de praticiens prennent le temps de conceptualiser leurs pratiques présentes, et d’anticiper sur la conduite raisonnée des futures, en utilisant des méthodologies et des grilles de lecture directement issues des sciences sociales. Les chercheurs les appellent volontiers des praticiens « réflexifs ». La mise en évidence des savoirs des opérateurs procède d’une réflexion proche. Ensuite parce que les enseignants et chercheurs s’intéressant aux pratiques de la formation, et à leurs interfaces avec tout ce qui en constitue l’amont et l’aval, font depuis longtemps appel à de multiples corpus disciplinaires pour éclairer ces pratiques et pour en comprendre davantage les déterminants, les jeux d’acteurs, les innovations, les rapports au changement. Mais aussi pour mieux saisir les articulations entre travail, emploi, activité et formation et, ce faisant, les relations entre pensée, action, sens et valeurs. En troisième lieu, parce que les sciences de l’éducation continuent à contribuer de façon forte au passage d’une observation pragmatique et raisonnée à une approche plus scientifique des pratiques, des méthodologies et des politiques de formation. Enfin parce que certaines disciplines scientifiques, comme la sociologie du travail, la didactique professionnelle ou l’ergonomie, sont mobilisées par les responsables de formation pour profiter de leur expérience en matière d’analyse du travail, qu’elle soit préalable, concourante ou consécutive à la formation.
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Dans cet esprit, la première partie du Traité exprime un certain nombre de choix dans les regards portés sur la formation post-scolaire. Il a conduit à proposer dix approches, rassemblées autour d’un raisonnement en quatre étapes. Investissement immatériel par excellence, la formation s’inscrit d’abord dans un rapport singulier au temps, et donc à la vie. Produit d’une histoire, la formation est également créatrice, à sa mesure, de l’histoire collective comme des biographies individuelles dans lesquelles elle prend place. C’est pourquoi cet ouvrage s’ouvre avec un chapitre d’Y. Palazzeschi sur l’histoire de la formation post-scolaire, qui montre comment la formation a toujours été à la rencontre des équilibres et déséquilibres des systèmes productifs et sociaux. Trouvant, de plus en plus souvent, une partie importante de leur raison d’être en dehors d’elles-mêmes, les activités de formation ne peuvent être comprises sans les analyser par rapport à des environnements économiques, juridiques et sociaux qui leur donnent sens. Cela nous conduit à proposer une seconde lecture de la formation en quatre chapitres. L’économie de la formation, traitée par A. Voisin, examine les apports des sciences économiques et de gestion à l’interprétation des phénomènes de formation. La description de ce qui peut constituer une véritable sociologie de la formation post-scolaire constitue le cœur du chapitre écrit par C. Gadea et C. Perez. Ils analysent les politiques et dispositifs de formation, les pratiques et rapports sociaux qui les caractérisent, et proposent une étude des inégalités d’accès et d’effets de la formation au sein des différents publics qu’elle peut ou pourrait concerner. Un retour sur des comparaisons internationales vient en conclusion. « Le droit de la formation tout au long de la vie », rédigé par J.-M. Luttringer, présente les repères nationaux et européens de la formation ainsi que ses principaux acteurs. Il montre également à quel point le droit structure les différents univers de la formation professionnelle et renvoie donc à bien d’autres « droits ». Or en France, on sait à quel point ce cadre juridique régit pour partie le fonctionnement du marché de la formation, nouveau sujet traité ici – signe des temps ? – pour la première fois dans le Traité par P. Joffre. Dans la continuité de ces cadres de compréhension, une troisième série de textes vient illustrer la dimension d’organisation du travail et de management dans lesquelles s’insère la formation professionnelle continue. C’est une façon de qualifier la formation en tant que levier potentiel ou réel de développement économique et social. Le chapitre de J. Igalens sur la gestion des ressources humaines resitue les activités de production des compétences dans le champ plus vaste des rapports qu’entretiennent les hommes avec l’organisation qui les emploie. Il aborde, ce faisant, le point essentiel de la gestion des activités de formation. La contribution de C. Batal et O. Charbonnier sur les liens entre management, organisation et formation articule la problématique des compétences et de la formation avec le thème des structures des entreprises, après avoir retracé leurs histoires respectives dans l’évolution des doctrines managériales. Enfin, le chapitre piloté par C. Delgoulet s’attache à la relation entre ergonomie, formation et développement, 48
Déterminants et environnements de la formation ■ Partie 1
montrant comment l’analyse du travail devient un outil de formation à part entière et un facteur de transformation des acteurs, tout en lui appliquant les modes de lecture scientifique qui caractérisent ses démarches. Cette ouverture de la nature même des activités considérées comme formatrices, élargit le cadre d’action de la formation et contribue à son renouvellement. Une quatrième entrée réunit deux derniers chapitres de cette partie de l’ouvrage, particulièrement en phase avec l’actualité internationale aujourd’hui. Il s’agit, élargissant la focale d’observation, d’éclairer le cadre géopolitique large dans lequel nous vivons, agissons et nous formons. Le chapitre intitulé L’Europe de la formation de C. Bapst et P. Caspar situe les principaux jalons de sa construction, les institutions qui la servent, les programmes et initiatives qui l’incarnent, les décisions politiques et les débats qui l’animent. Ces pages illustrent la vivacité d’une pensée de longue haleine qui influence, souvent plus qu’on ne le croit, les politiques de formation des États membres. Enfin, en très grand angle, C. Solar nous propose une réflexion de synthèse sur la diversité des adultes et la formation dans le monde d’aujourd’hui où la variété des langues, des cultures, des religions est source à la fois de richesses humaines inexplorées, mais également comme on le sait, de conflits et d’inégalités moralement indéfendables et politiquement destructrices. On y verra, outre un sain rappel du devoir d’humilité qui devrait animer nos microcosmes scientifiques et professionnels locaux, une transition avec la perspective proposée dans la deuxième partie du Traité, sur le sujet adulte qui, s’il ou elle existe, est nécessairement le « produit » de lieux, de cultures et d’époques donnés…
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Chapitre 1 Histoire de la formation post-scolaire1
1. Par Yves Palazzeschi.
Sommaire 1. Une tradition ancienne : l’accompagnement des grandes transformations sociétales du xixe siècle............................................ 53 2. L’entre-deux-guerres, une période de transition................................................... 58 3. L’histoire contemporaine...................................................................................... 60 4. Conclusion............................................................................................................. 68 Lectures conseillées.................................................................................................. 68
« Nous avons observé que l’instruction ne devait pas abandonner les individus au moment où ils sortent des écoles, qu’elle devait embrasser tous les âges, qu’il n’y en avait aucun où il ne fut utile d’apprendre1… » Ainsi Condorcet exprime-t‑il une conviction proprement révolutionnaire. Il faudra deux siècles pour que ce projet s’inscrive dans le fonctionnement sociétal, mais deux siècles plus tard la formation postscolaire est bien devenue un fait social. Qu’un homme, passé « l’âge scolaire » consacre du temps à une activité de formation est aujourd’hui culturellement admis et statistiquement probable, même s’il existe des inégalités. L’histoire de la formation est l’histoire de cette idée étonnante devenue nécessité. L’éducation et la formation des adultes sont, comme toute pratique éducative, sous-tendues par une conception de l’homme et de la société. Aussi est-ce dans les moments de transformation sociétale que l’énoncé de leur nécessité s’entend le plus et que leur pratique s’instrumente. C’est comme contribution à deux évolutions majeures des deux siècles derniers que la formation postscolaire a construit sa raison d’être : l’avènement de la démocratie et le développement de l’économie, nouveaux paradigmes structurant les rapports sociaux. L’éducation comme pratique productrice de comportements citoyens et de développement culturel, et la formation professionnelle comme productrice de compétences sont les deux descripteurs de ce champ. Le glissement progressif de la dominante du premier vers le second caractérise le déplacement des enjeux au fil des décennies.
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1. Une tradition ancienne : l’accompagnement des grandes transformations sociétales du xixe siècle L’idée que l’éducation était susceptible de concerner l’homme toute sa vie durant a des traces anciennes. On la trouve chez des auteurs de l’Antiquité : « L’éducation […] que chacun doit toujours faire au cours de sa vie selon son pouvoir » (Platon, Les Lois) ; dans le Coran : « du berceau à la tombe » ; à la Renaissance : le Tchèque Comenius, au xviie siècle, est le premier à avoir formulé un projet d’institutionnalisation de l’éducation d’adultes. Des pratiques séculaires existent, mais elles concernent une minorité. La nouveauté, à la Révolution, est que l’éducation des adultes ne s’énonce non plus seulement comme un vœu ou une activité élitiste mais comme un projet sociétal : l’éducation du peuple. C’est au cours du xixe siècle que les fondements idéologiques de ce projet se précisent et que les pratiques se développent.
1. Condorcet, Rapport et projet de décret sur l’organisation générale de l’Instruction publique, présentés au nom du comité d’Instruction publique les 20 et 21 avril 1792, cité par A. Léon (1983), p. 189.
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1.1 Accompagnant les grandes transformations politiques, l’éducation des adultes La modernité portée par l’abolition de l’Ancien Régime appelle la naissance d’un homme nouveau : il sera éduqué, éclairé, acteur du progrès économique et social. La place de l’éducation est affirmée haut et fort par l’idéologie révolutionnaire. Elle y inclut l’éducation des adultes, alors en grande majorité illettrés. Mais ces ambitions sont contrariées et ne se traduisent pas en actes. Passé l’Empire, ce sont les transformations profondes de la société française sous la monarchie de Juillet, le Second Empire et la IIIe République qui alimentent une nouvelle production d’idées. Le suffrage universel (pour les hommes), le développement de l’instruction, la laïcisation, la naissance de la presse, la révolution industrielle, le développement colonial font que les conditions et le niveau de vie de l’homme de 1900 sont sans commune mesure avec celles de l’homme de 1800. Un propos velléitaire jalonne cette transformation en appelant une contribution de l’éducation pour façonner cet homme nouveau : une instruction élémentaire pour tous. La scolarisation obligatoire ne se réalisant pas en un jour, la population adulte est de fait concernée. Le discours sur l’éducation des adultes énonce trois intentions : instruire, moraliser, rendre citoyen. Il s’agit en premier lieu de résorber l’illettrisme. L’éducation des adultes se cale en tout point sur l’instruction élémentaire : faire apprendre à lire et écrire le français (les langues régionales et les patois étant parfois les seuls pratiqués), à compter, et faire connaître les progrès de la science et de la technologie concernant les activités agricoles, artisanales puis industrielles. Il s’agit en second lieu d’une éducation morale et civique : combattre les « fléaux sociaux » associés aux conditions de vie exécrables d’une grande partie de la population : « L’instruction des ouvriers a pour but de “lutter contre le cabaret, la débauche, contre les mille appâts, d’apparence séductrice, qui attirent chaque soir la foule désœuvrée”. […] Elle a aussi pour objectif de “les arracher aux malsaines influences des charlatans politiques qui les bercent de la sonorité de certains mots”1 », et promouvoir des comportements de bons Français : « que [grâce à l’instruction] les jeunes gens quittent le chemin du cabaret pour prendre celui de la Caisse d’épargne2 ». La fonction affichée de cette éducation des adultes est une contribution à la normalisation d’un niveau d’instruction élémentaire de la population recherché pour des motifs politiques : « Nul dans le pays du suffrage universel ne doit se servir d’une main étrangère pour remplir
1. É. Petit, inspecteur général de l’instruction, cité par A. Léon (1983), p. 89. 2. Compte rendu d’inspecteur, 23/4/1866, cité par H. Boiraud, « Les instituteurs et l’évolution des cours d’adultes au xixe siècle », Éducation permanente, n˚ 62-63, mars 1982, p. 38.
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son bulletin de vote1 » et économiques : « Les progrès de l’industrie seront proportionnels aux progrès de l’instruction générale2. » Mais les discours des différents promoteurs montrent des nuances sur l’importance à accorder à cette éducation du peuple. En première ligne sont les militants inconditionnels de l’éducation, ceux pour qui elle est la condition d’un progrès social partagé. La figure emblématique en est l’instituteur de la IIIe République, le « hussard noir » laïc et républicain, convaincu de la toutepuissance de l’éducation. En seconde ligne est un discours plus calculé, émanant de la classe politique dirigeante. Cette éducation est une nécessité parce qu’un peuple ignorant est à la merci des provocateurs et des agitateurs, mais point trop n’en faut parce qu’« un peuple instruit est un peuple ingouvernable » (réponse d’Adolphe Thiers à Victor Hugo). Après la Commune de Paris, Thiers a ouvertement exprimé cette fonction d’intégration et de contribution à l’ordre de l’éducation des adultes.
1.1.1 Les cours du ministère de l’Instruction publique C’est le volet le plus important de l’activité de formation postscolaire jusqu’à la première guerre mondiale. Avec la monarchie de Juillet, les idées se traduisent en actes. Deux tiers d’illettrés constituent un handicap pour une société qui commence à s’industrialiser. Le ministre Guizot, par la loi du 28 juin 1833, oblige les communes à créer des écoles primaires. Le 4 juillet une circulaire indique que chaque école doit posséder un cours d’adultes. « Aussi longtemps que l’école primaire ne reçoit pas la totalité des enfants d’un pays ou les reçoit trop peu, il est nécessaire de prendre des mesures pour que l’instruction qui leur a manqué dans l’âge scolaire leur soit offerte dans les années qui suivent3. » C’est sur ce principe que les ministres de l’Instruction publique vont assumer cette responsabilité, et ce jusqu’à ce que la généralisation de l’instruction élémentaire tarisse naturellement le flux d’adultes demandeurs. Ces cours connaissent un grand essor, près de 830 000 inscrits en 1867. Ils sont portés par les instituteurs qui les assurent le plus souvent de façon bénévole le soir et le dimanche (de préférence à l’heure de la messe). 1.1.2 L’ éducation populaire Sous ce terme on rassemble une offre éducative construite par des forces sociales qui cherchent à marquer de leurs valeurs la construction sociétale. Trois grands courants l’alimentent : les mouvements confessionnels et laïques, et les intellectuels. Sur le dernier tiers du siècle et au début du suivant, ces courants, en rivalisant, prennent une grande ampleur.
1. Paroles prêtées à Napoléon III, cité par H. Boiraud, op. cit., p. 38. 2. V. Duruy, ministre de l’Instruction publique de 1863 à 1869, cité par N. Terrot (1997), p. 68. 3. F. Buisson, directeur de l’enseignement primaire de 1879 à 1896, cité par N. Terrot (1997), p. 63.
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Parmi les mouvements confessionnels, le catholicisme est le plus présent. Son offre éducative se développe au fur et à mesure que la déconfessionnalisation des structures sociales de base fait perdre à l’Église une partie de ses prérogatives. Il s’agit d’y résister en affirmant la nécessité d’une éducation morale basée sur les principes de l’Évangile et de l’humanisme chrétien. Puis avec l’intérêt que l’Église porte à la question sociale – l’encyclique Rerum novarum en 1891 –, l’offre éducative s’inscrit dans la militance du catholicisme social. Aux œuvres et patronages s’ajoutent les cercles catholiques ouvriers (1871) qui proposent cours et conférences. En 1900, 144 000 adultes fréquentent activement plus de 650 cercles, et les paroisses gèrent 30 000 bibliothèques1. Le mouvement laïc doit beaucoup à la Ligue de l’enseignement. Fondée en 1866 pour faire avancer la laïcité dans l’école primaire, la Ligue, après les lois de J. Ferry de 1881 et 1882, redéploie son activité vers les jeunes adultes, « entre la sortie de l’école et l’entrée au régiment ». Il s’agit de faire valoir la nécessité d’une éducation morale basée sur les principes des Lumières et d’une citoyenneté républicaine. Structurée en réseau d’amicales, 7 000 en 1914, la Ligue est très active dans l’organisation de conférences, 125 000 en 1900, et de cours postscolaires, plus de 640 000 élèves en 19122. Les initiatives du nouveau groupe social des intellectuels – savants, hommes de lettres –, qui veulent prendre leur part dans l’éducation du peuple sont moins conséquentes, mais caractéristiques d’une mobilisation sociale pour et par l’éducation des adultes. La Société pour l’instruction élémentaire, créée en 1815 pour former des « hommes vertueux, amis de l’ordre, soumis aux lois, intelligents et laborieux3 » est la plus ancienne. Le mouvement des universités populaires est le plus spectaculaire. En 1898, l’affaire Dreyfus et ses dérives antisémites amènent un cercle d’intellectuels à se mettre en chantier afin que l’ignorance du peuple ne mette pas en danger les institutions républicaines. Les universités populaires, conférences du soir assurées par d’éminents intellectuels, démarrent dans l’enthousiasme – 143 universités en 1902 dont 95 à Paris et banlieue4 –, mais s’étiolent à partir de 1904, affaiblies par l’ambiguïté de leurs objectifs mêlant instruction, moralisation et solidarité sociale. Elles restent dans la mémoire de l’éducation populaire comme l’expérience emblématique et difficile de la rencontre des intellectuels et du peuple par l’éducation.
1. A. Léon (1983), p. 43. 2. M. Tricot, « De l’instruction publique à l’éducation permanente, le combat de la Ligue », Les Cahiers de l’éducation permanente, n˚ 59, non daté, p. 64. 3. A. Léon (1983), p. 12. 4. N. Terrot (1997), p. 139.
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Histoire de la formation post-scolaire ■ Chapitre 1
1.2 Accompagnant les grandes transformations économiques, la formation professionnelle des adultes En abolissant les corporations, 1789 a laissé en jachère le système de formation professionnelle initiale géré par elles. Le xixe siècle fait passer la France d’un état rural et artisanal à l’état de grande puissance industrielle. Pour accompagner cette mutation, les forces politiques et économiques se préoccupent de construire un système de formation professionnelle initiale. La formation professionnelle des adultes reste très accessoire.
1.2.1 La formation technique des adultes Embryonnaire et accessible à une minorité, elle accompagne toutefois l’essor industriel. Les entreprises qui s’implantent sur des territoires peu urbanisés doivent assurer un ensemble de prestations sociales autour du travail, dont la formation. Elles prennent en charge la formation professionnelle initiale – les écoles de fabrique –, mais aussi, par cours du soir, les formations de spécialisation et les formations supérieures en accompagnement des promotions par le rang. Dans les villes, où la transaction salariale est plus ouverte, l’acquisition d’une qualification technique revient à l’ouvrier et devient son bien. C’est dans les cours du soir qu’il se la procure. L’offre se précise avec les progrès scientifiques et technologiques, à initiative publique et privée. Le Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) créé par la Révolution pour être un musée et un lieu d’enseignement se positionne franchement sur cette deuxième mission à partir de 1829 avec la création des premières chaires destinées alors au perfectionnement des ingénieurs et industriels, pour s’ouvrir plus tard à un public plus large. L’initiative privée est le fait des nouveaux groupes sociaux – industriels, ingénieurs, scientifiques –, animés par les idées de Saint-Simon, penseur de l’avènement de la société industrielle : l’éducation professionnelle des adultes est un vecteur de vulgarisation de la culture technique. Des associations se créent tout au long du xixe siècle pour enseigner les sciences et les techniques aux ouvriers et artisans, en cours du soir et du dimanche. L’Association polytechnique, fondée par un groupe de polytechniciens en 1830, en est un exemple.
1.2.2 L’éducation ouvrière Le mouvement syndical naissant ne fait pas que mettre la question de l’éducation et la formation des ouvriers en débat. Il agit, largement inspiré par les idées de Proudhon, défenseur de la qualification et de la dignité de la classe ouvrière. Méfiant vis-à‑vis de toute instruction étatique et de toute instruction professionnelle liée à la mise en place de l’organisation du travail industriel qui déqualifie l’ouvrier, Proudhon valorise une éducation intégrale, intellectuelle et professionnelle, toute la vie, dont l’essentiel se fera par le travail. 57
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« La mission révolutionnaire du prolétariat est de poursuivre plus méthodiquement, plus obstinément que jamais, l’œuvre d’éducation morale, administrative et technique pour rendre viable une société d’hommes fiers et libres1. » C’est une éducation « pour émanciper ». Les Bourses du travail, premières organisations syndicales locales créées à partir de 1887, proposent d’emblée, entre autres services, des cours du soir d’enseignement général et technique ouverts à tous les travailleurs. Cette offre inaugure ce que l’on nommera l’éducation ouvrière.
2. L’entre-deux-guerres, une période de transition L’entre-deux-guerres est une période de transition. Des pratiques établies déclinent ou stagnent, d’autres se confirment et se développent en se diversifiant, de nouvelles naissent. L’éducation des adultes décline, victime du succès de l’instruction obligatoire : on estime ramené à environ 3 % le taux d’analphabétisme en 1914. L’agriculture, l’industrie et le bâtiment s’accommodent de cet illettrisme résiduel et occulte. Les cours ferment un à un, on dit qu’ils n’ont plus lieu d’être. L’éducation populaire connaît un nouvel engouement. Le temps de la contribution à l’instruction de base paraît révolu, mais l’éducation populaire trouve désormais son public par le développement des mouvements de jeunesse et la diversification de son offre. Le catholicisme social crée des structures d’intervention catégorielles : en 1919 les équipes sociales, en 1926 la Jeunesse ouvrière catholique (JOC), en 1929 la Jeunesse agricole catholique (JAC) et la Jeunesse étudiante catholique (JEC). La JAC, très présente dans la France rurale, jouera un rôle important dans la formation des élites du monde agricole. Les mouvements des auberges de la jeunesse, confessionnels (1929) et laïcs (1933) militent pour la démocratisation des voyages (qui forment la jeunesse). En 1925 la Ligue de l’enseignement reconfigure ses réseaux et s’ouvre aux activités culturelles, artistiques et sportives (une âme saine dans un corps sain). Avec le Front populaire en 1936 la naissance des congés annuels donne à ces nouvelles activités un espace de développement inédit. Encouragées par le ministre Léo Lagrange, des initiatives multiples renouvellent l’éducation populaire et intéressent de nouveaux opérateurs autour de la promotion d’un usage du loisir pour l’accès à la culture et sa démocratisation. L’offre inclut désormais les pratiques artistiques, le tourisme social et culturel, le sport en milieu naturel. L’éducation populaire est dynamique et moderne.
1. F. Pelloutier (1er mai 1895), cité par H. Lenoir, « À l’origine du syndicalisme : l’éducation ou éduquer pour émanciper », Actualité de la formation permanente, n˚ 156, sept.-oct. 1998, p. 10.
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L’éducation ouvrière est à son apogée. Avec le développement de la démographie ouvrière et la structuration du mouvement ouvrier, les activités éducatives gagnent en raison d’être et en légitimité. Des structures naissent. Dès sa création en 1920, le Parti communiste ouvre des écoles du parti pour former ses cadres à l’analyse marxiste mais aussi à « l’héritage culturel », puis en 1932 les universités ouvrières, accessibles à tous publics. Cette scolarité alternative intéresse plus de 12 000 ouvriers entre 1932 et 19381. Les centrales syndicales sont dans la même dynamique. En 1932 la CGT crée le Centre confédéral de culture et d’éducation ouvrière, bientôt relayé en province par 140 collèges du travail. En 1937, ils accueillent 4 000 auditeurs réguliers2. En 1937, la CFTC ouvre l’Institut confédéral de formation et d’éducation syndicale et les écoles normales ouvrières. Des pratiques nouvelles apparaissent. Les années qui suivent la crise de 1929 amènent pour la première fois l’observation de la simultanéité d’un chômage et d’une pénurie de qualifications dans les industries de pointe. Les premières initiatives sont privées. En 1934 l’Union des industries métallurgiques et minières (UIMM) crée le Comité pour la formation des jeunes chômeurs, suivie sous peu par la CGT et d’autres acteurs sociaux. La FPA, formation professionnelle nommée « accélérée » pour la distinguer de la formation professionnelle initiale, est née. Le ministère du Travail s’y intéresse d’abord en la subventionnant à partir de 1935, puis en soumettant les subventions à des règles de fonctionnement qu’il codifie, pour, enfin, la coordonner. L’État inaugure là sa politique publique de formation. Le Cnam est habilité en 1922 à délivrer le titre d’ingénieur. La filière diplômante des cours du soir s’installe, positionnant ces cours dans un rôle de formation promotionnelle. Le perfectionnement technique ne connaît pas d’évolution spectaculaire. Les entreprises en font peu. Les petites et moyennes entreprises recrutent les qualifications nécessaires en sortie d’une formation professionnelle initiale qui s’est institutionnalisée avec la loi Astier sur l’apprentissage en 1919, ou forment sur le tas. Seule la grande entreprise industrielle est amenée à s’en préoccuper. L’organisation scientifique du travail, pensée par l’ingénieur Taylor en 1914, s’implante en formant les « têtes pensantes » (chronométreurs, bureaux d’études). Pour répondre à cette demande, un appareil privé de formation d’initiative patronale se dessine avec la création en 1926 de la Cegos (Compagnie générale de l’organisation scientifique).
1. N. Terrot (1997), p. 198. 2. Idem, p. 204.
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À la veille de la guerre, la formation s’est mise en phase avec sa décennie en rééquilibrant ses composantes pour répondre à de nouveaux enjeux : la production de qualifications pour accompagner l’économie, le soutien à un monde ouvrier naissant, l’épanouissement de l’individu, et non plus son instruction réalisée désormais par l’école.
3. L’histoire contemporaine L’histoire contemporaine de la formation débute à la Libération. Ce qui se reconstruit alors sur dix ans définit ses fonctions sociales et économiques, et imprime définitivement les contours de son champ. Depuis, cette histoire rend compte de la dynamique interne au champ : la redistribution du poids des différentes composantes en fonction des déplacements des sollicitations.
3.1 1944-1955 : la définition du champ L’immédiat après-guerre est une période essentielle pour la formation postscolaire. Du fait des conséquences politiques, économiques et sociales de la guerre, toutes ses composantes sont sollicitées, et toutes se redéveloppent. Chacune marque un territoire par un intitulé, une fonction sociale ou économique précise, un système de valeurs affiché. Elles sont juxtaposées et autonomes. Il ne viendrait à personne l’idée de nommer comme aujourd’hui toutes ces pratiques d’un terme unique formation. Mais elles composent, à elles toutes, ce que nous nommons ainsi aujourd’hui.
3.1.1 L’alphabétisation On avait enterré les cours d’adultes trop tôt. Pour les besoins de la reconstruction, la France fait venir de ses colonies une main-d’œuvre en grande majorité illettrée. Sous l’intitulé « alphabétisation » les cours d’instruction élémentaire reprennent. Les opérateurs se diversifient et les publics ne sont plus ceux du xixe siècle, mais c’est bien la fonction fondatrice de la formation qui sous cette forme renouvelée assure sa permanence : contribuer à la normalisation d’un niveau d’instruction élémentaire pour toute la population. 3.1.2 La FPA Au sortir de la guerre la FPA définit sa fonction, ses structures, et multiplie ses implantations. C’est que jamais elle n’a été aussi utile. La France est un énorme chantier et les qualifications manquent. Formations de six mois, réduisant au strict nécessaire la formation générale, l’ancrage de la FPA dans un système de valeurs très économiste est explicite. « Former en quelques mois des manœuvres spécialisés pour les jeter immédiatement dans le compartiment de la production 60
Histoire de la formation post-scolaire ■ Chapitre 1
qui en a besoin1 » est une posture qui fait consensus. C’est l’âge d’or de la FPA. Le ministère du Travail s’emploie alors à la doter de structures. En 1949 est créée l’Association nationale interprofessionnelle pour la formation rationnelle de la main-d’œuvre (Anifrmo). En la configurant comme une association indépendante à gestion tripartite – ministère du Travail, syndicats patronaux et ouvriers –, les pouvoirs publics montrent leur philosophie en matière d’organisation de la formation. Au début des années 1950, passé le coup de feu de la reconstruction, et la formation professionnelle initiale s’étant remise en route, on s’interroge sur la nécessité de la FPA. Après débat, il est décidé de la maintenir. Ce faisant, c’est une fonction de la formation qui est définitivement confirmée : une contribution à la régulation du marché de l’emploi. En 1966, l’Anifrmo deviendra l’Association nationale pour la formation des adultes (Afpa).
3.1.3 Les formations promotionnelles Les formations promotionnelles permettent l’acquisition d’une qualification supérieure en cours d’emploi. Elles ont une double fonction. La première est économique. Elle repose sur le constat d’un déficit chronique de qualifications alors que les systèmes de formation initiale restent malthusiens. Il faut donc produire ces qualifications par la voie de la formation continue. La seconde est sociale. Elle repose sur le constat de l’inégalité de fait des citoyens devant l’offre éducative. L’idéal républicain – que chacun bénéficie de la scolarité gratuite en fonction de ses capacités et mérites –, n’est pas réalisé du fait d’accidents biographiques ou de déterminants socio-économiques. Il faut donc offrir ce qu’on appellera plus tard une seconde chance. Après l’urgence de la reconstruction, l’économie française fait le constat d’un déficit de qualifications supérieures. Les formations promotionnelles se développent à l’initiative de l’Éducation nationale et des grandes entreprises. L’Éducation nationale est naturellement l’opérateur public d’une offre diplômante facilitant la mobilité professionnelle. En 1948 un décret permet à l’enseignement technique d’ouvrir des cours du soir. On peut désormais préparer ainsi un CAP. Entre 1948 et 1954 quelques universités scientifiques créent des Instituts de promotion supérieure du travail (Ipst). On peut devenir ingénieur en cours du soir. En 1956 est créé l’examen spécial d’entrée à l’université. Des non-bacheliers peuvent faire des études supérieures. Le Cnam, en ouvrant en 1952 des centres régionaux, va à la rencontre de son public. Les grandes entreprises, et toutes celles récemment nationalisées, développent sur cette période une offre de cours promotionnels internes. La fonction publique, en instituant dans
1. R. Girard « La CGT et la formation professionnelle », Servir la France, n˚ 11, p. 24, cité par M. David et coll. (1978), L’individuel et le collectif dans la formation des travailleurs, t. I : Approche historique 1944-1968, Paris, Économica, p. 136.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
son statut de 1946 la préparation aux concours comme mode de gestion de la carrière, s’inscrit dans la même dynamique.
3.1.4 L’éducation populaire Pour l’éducation populaire, l’après-guerre est un autre grand moment. L’appétit culturel d’un monde renaissant, et surtout la fragilité perçue d’une population encore faiblement scolarisée au-delà de 14 ans mais de plus en plus cible de produits à grande diffusion commerciale – cinéma, radio, magazines –, réveillent la fibre militante pour un vrai développement culturel, facteur de progrès, de lutte contre des déséquilibres sociaux et de participation au débat politique. L’offre explose, s’enrichissant de nombreux nouveaux venus. Parmi eux, Peuple et Culture a une place essentielle. Issue de la Résistance, fondée par J. Dumazedier et B. Cacérès, cette association de formation des cadres de l’éducation populaire devient un laboratoire d’idées pour l’éducation populaire. Formalisant et diffusant des méthodologies éprouvées et rigoureuses, disposant de réseaux irriguant la France, animée d’une dynamique d’échanges soutenue, Peuple et Culture est une véritable école de pensée pour la formation des adultes jusque vers la fin des années 1960, et le creuset de la réflexion à venir sur l’éducation permanente. 3.1.5 L’éducation ouvrière et la formation syndicale L’éducation ouvrière ne retrouve pas à la Libération la place qui était auparavant la sienne. À la fin des années 1950, le terme « éducation ouvrière » a quasiment disparu. Le mouvement ouvrier n’a plus d’offre éducative ouverte à tous publics. En revanche, l’offre interne, sous l’intitulé « formation syndicale », à l’attention des cadres et des militants, croît considérablement. Elle accompagne la transformation qu’amorce le syndicalisme. À la tradition fondatrice du syndicalisme de lutte s’ajoutent des éléments d’un syndicalisme que l’on nomme participatif. Les syndicalistes prennent des responsabilités dans les conseils d’administration des entreprises nouvellement nationalisées, dans des organisations paritaires nouvelles comme la Sécurité sociale, aux tribunaux des prud’hommes, et dans les comités d’entreprise créés en 1945. Pour faire face à ces nouveaux engagements, les syndicalistes exerçant un mandat ont « la hantise de la compétence » (David et coll., op. cit., p. 242). Aux contenus doctrinaires et généraux s’ajoutent des contenus techniques : droit, économie. Les confédérations demandent aux pouvoirs publics des moyens et des facilités. Au milieu des années 1950, des Instituts du travail sont créés dans six universités, avec pour vocation la formation des cadres syndicaux. En 1957 est votée la loi sur le congé éducation ouvrière, premier droit d’absence pour formation dans le droit du travail. C’est la reconnaissance de la place de la formation syndicale pour sa contribution à ce que l’on commence à nommer la démocratie économique et sociale. 3.1.6 Le perfectionnement Il faut attendre les années 1950 pour que davantage d’entreprises s’engagent dans des pratiques de formation autres que la formation sur le tas. Autre conséquence de la guerre, 62
Histoire de la formation post-scolaire ■ Chapitre 1
le plan Marshall, aide nord-américaine à la reconstruction de l’Europe occidentale a comme corollaire la pénétration du marché européen par l’économie américaine. La compétition économique s’élargit. Or l’industrie américaine est plus productive. Des voyages d’études, les missions de productivité, vont alors chercher recettes aux États-Unis. Elles reviennent avec le constat de la place importante faite outre-Atlantique à la formation de l’encadrement à ses tâches spécifiques, avec un outil dédié, le training within industry (TWI). En France cette formation n’existe pas en formation initiale pour les ingénieurs sortis d’écoles, et très peu en formation continue pour les ingénieurs et la maîtrise sortis du rang. C’est avec le TWI importé que les entreprises françaises s’y mettent. Pour nombre d’entre elles la formation à l’encadrement a été le premier budget de formation. Dès lors, le perfectionnement se développe, affichant sa fonction : une contribution à l’accroissement de la productivité. En parallèle se développe un appareil de formation privé. L’université crée en 1955 les IAE (Instituts d’administration des entreprises).
3.1.7 Le reclassement Le reclassement, nommé plus tard reconversion, est aussi une contribution à la régulation du marché de l’emploi, mais s’adressant à des collectifs de travail concernés par la réduction d’activité de secteurs professionnels en récession. À la suite de directives européennes stipulant que les réductions d’activité doivent s’accompagner de mesures sociales, dont la formation, la France publie en 1954 un décret sur le reclassement qui crée un fonds et pose les bases de la politique publique. La formation est sollicitée pour une fonction précise : la requalification collective pour accompagner la mobilité professionnelle contrainte. Au milieu des années 1950, les contours du champ de la formation postscolaire sont définitivement tracés. La totalité de ses fonctions sociales et économiques est posée : contribuer à la normalisation d’un niveau d’instruction élémentaire, à l’insertion sociale et professionnelle, à la mobilité professionnelle choisie ou contrainte, à la régulation du marché de l’emploi, à la démocratie culturelle, à la démocratie économique et sociale, à l’amélioration de la productivité, produire supplétivement des qualifications supérieures, offrir de nouvelles chances de développement culturel, permettre la reprise d’études. La liste ne s’allongera pas. Seule la pondération de ces différentes fonctions évoluera avec le déplacement des enjeux dans les décennies suivantes.
3.2 1955 : le tournant À partir de 1955, la réflexion sur la formation change radicalement. Après les années de reconstruction se profilent les années de croissance. Les effets des progrès scientifiques et technologiques sont de plus en plus rapidement sensibles. Cette « accélération de l’histoire », bien 63
Traité des sciences et des techniques de la formation
décrite par le philosophe G. Berger, amène deux constats : un bagage scolaire, quel qu’il soit, n’est plus suffisant pour une vie professionnelle, de plus en plus d’individus changeront de métier en cours de vie active. Jusque-là la formation était considérée comme palliative ou réparatrice : toutes les pratiques développées visaient à combler des carences de formation initiale. Désormais on commence à penser la formation comme une nécessité structurelle dans une société en évolution rapide. C’est un autre statut. Cette année-là naissent deux nouveaux concepts. À l’occasion d’un projet de réforme de l’enseignement, P. Arents forge le terme « éducation permanente ». Il y met une responsabilité nouvelle pour le système éducatif. Dans l’introduction de La Formation dans l’entreprise et ses problèmes1, G. Hasson crée le terme « fonction formation ». Il y met une responsabilité nouvelle pour l’entreprise. Ces deux termes recouvrent la même ambition : concevoir un système global et cohérent d’organisation et de gestion de la formation postscolaire, devenue activité normale et nécessaire. L’innovation n’est que conceptuelle mais elle est de taille. Le champ de la formation se bipolarise, et sa banalisation est définitivement en marche.
3.3 La dynamique d’évolution L’histoire de la formation depuis 1955 est l’histoire de cette banalisation. Elle s’opère au fil des ans à partir du pôle formation professionnelle continue. C’est lui qui fait produire la réglementation – dans le droit du travail –, l’attribution de ressources financières et la création d’institutions dédiées. L’éducation permanente, pas instrumentée, reste un concept de référence. C’est plus autour du monde du travail qu’autour du monde de l’éducation que désormais la formation se pense, se dispense et se dépense. Le substantif « formation » tend à s’imposer au détriment de celui d’éducation au fur et à mesure que cette prévalence se précise. Trois étapes structurent cette dynamique.
3.3.1 1955-1965 : l’essor par les formations promotionnelles La croissance appelle des qualifications et de la mobilité. Peu d’individus alors sortent du système scolaire avec une qualification supérieure ou un diplôme de niveau V. L’espace promotionnel est réel. C’est d’abord la popularité des formations promotionnelles qui installe la formation dans la vie sociale. En 1959, M. Debré, Premier ministre de la Ve République nouvelle née, lance une ambitieuse politique de promotion sociale avec la loi éponyme. Il s’agit à la fois de produire les qualifications nécessaires à l’expansion économique, de faciliter la seconde chance en attendant les effets de la réforme envisagée du système éducatif « vieilli et inégalitaire », et
1. Éditions de l’entreprise moderne.
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Histoire de la formation post-scolaire ■ Chapitre 1
de provoquer de la mobilité sociale, facteur de cohésion sociale, pilier de la doctrine gaulliste de l’unité nationale. Ces trois volets, économique, social et politique, justifient le néologisme ambitieux de promotion sociale pour requalifier les formations promotionnelles. Jamais l’association formation-promotion n’a été aussi forte. La loi sur la promotion sociale et les nombreux décrets qui l’ont suivie ont un fort effet instituant. Ils produisent des organes de décision interministériels, des instances consultatives, une administration d’État, de nouveaux circuits financiers. L’impact médiatique est également fort. Mais l’effet sur la production des qualifications reste faible. Dans les années 1963-1964 le doute s’installe. Des études montrent l’insuffisance des mesures et des aides. On commence à parler d’échec. Un constat devient évident : le décalage entre d’une part la nécessité pour les entreprises, entrées dans une économie marquée par la révolution marketing, d’ajuster en permanence leurs organisations et leurs savoir-faire, et d’autre part le système de production supplétive de qualifications qui repose beaucoup sur des démarches volontaires individuelles durant le temps de loisir. De nombreux groupes sociaux, en particulier les cadres, revendiquent l’inscription réglementaire de la formation dans le temps de travail. Le Ve Plan s’en fait le porteparole en 1965. En découle la loi de 1966, qui lance une nouvelle organisation pour la formation. Mais il n’y a pas que la promotion sociale sur cette période. L’alphabétisation se structure. En 1958 est créé le Fonds d’action sociale (Fas), qui devient l’instrument d’une politique publique. La FPA poursuit son expansion et se diversifie dans tous les secteurs d’activité, accompagnant les mobilités provoquées par ce qu’on nomme alors « l’exode rural ». L’éducation populaire vit un autre de ses grands moments, bénéficiant d’une politique d’équipement culturel sans précédent pour accompagner l’urbanisation. Dans les entreprises, le perfectionnement de l’encadrement, avec le TWI puis les références à l’école des relations humaines, constitue un volet stable d’activité. Un nouveau terme apparaît, « recyclage », pour les ingénieurs et techniciens. Le commerce et l’artisanat se dotent d’institutions de formation. L’agriculture poursuit ses transformations spectaculaires en mobilisant fortement la formation. La formation syndicale est entrée dans son rythme de croisière. Enfin les problématiques de requalification collective se posent dans de plus en plus de secteurs en réduction d’activité (mines, textile) alors que de nouveaux secteurs émergents recrutent, l’électronique, le nucléaire, la plasturgie… En 1963 est créé le Fonds national pour l’emploi (FNE) qui pose les fondements de la politique publique. En 1960, B. Schwartz prend la direction du Centre universitaire de coopération économique et sociale de Nancy (Cuces). Cet organisme commence alors une aventure unique. Formations promotionnelles, perfectionnement en entreprise et opérations de reconversion des mineurs lorrains deviennent autant de chantiers innovants en organisation, méthodologie et pédagogie. Véritable école de pensée, le Cuces a marqué le paysage de la formation des adultes en France par ses innovations et sa diaspora. 65
Traité des sciences et des techniques de la formation
3.3.2 1966-1976 : une nouvelle donne organisationnelle La loi-programme sur la formation professionnelle de 1966 pose le socle d’une nouvelle organisation de la formation. En avançant deux principes, le droit d’absence pour formation et la convention, elle introduit le droit de la formation dans le droit du travail et ouvre un marché sur des principes libéraux. Les décrets d’application ne sont pas parus lorsqu’arrive mai 1968. Lors des négociations de Grenelle, il est convenu que l’organisation de ce droit serait négociée dans le cadre de la politique contractuelle. J. Chaban-Delmas, Premier ministre, y voit une opportunité pour donner de la matière à sa volonté de modernisation des relations sociales. J. Delors est chargé d’animer la négociation. En 1970 est signé l’Accord national interprofessionnel sur la formation et le perfectionnement professionnels qui définit les modalités du congé-formation. Le 16 juillet 1971 est promulguée la loi portant organisation de la formation professionnelle continue dans le cadre de l’éducation permanente. Elle ajoute au congé-formation une obligation financière pour les entreprises. La formation est désormais codifiée dans le droit du travail. L’entreprise est le financeur naturel de la formation de ses salariés. L’État se recentre sur le financement de la formation des demandeurs d’emploi. L’implication des partenaires sociaux à travers la politique de concertation, la politique contractuelle et le paritarisme est entérinée. Cette nouvelle donne se met en place avec beaucoup d’ambiguïtés. Les zones d’ombre quant à l’initiative du départ en formation – l’employeur ou le salarié –, et l’introduction du terme éducation permanente dans l’intitulé de la loi permettent toutes les interprétations. Les impératifs économiques confirment la formation dans sa dimension professionnelle, mais jamais l’idée d’éducation permanente n’a été autant médiatisée. C’est la période de tous les possibles, dans les discours et dans les pratiques, du tout managérial au tout culturel. Un débat s’installe : la formation est-elle au service de l’entreprise ou de l’individu ? Mais derrière cette effervescence, l’inscription de la formation dans le paradigme du travail se précise. De plus en plus d’entreprises, et des entreprises de plus en plus petites, se familiarisent avec la formation. L’affectation réglementaire de ressources donne une impulsion au marché. L’appareil de formation se développe de façon exponentielle. L’Éducation nationale s’y inscrit en créant les services de formation universitaires et le réseau des Greta. L’éducation populaire – on dit désormais l’animation socioculturelle –, est sommée de passer de la subvention à la convention. Après avoir pensé que l’ère de l’éducation permanente pour laquelle elle a tant milité pourrait arriver, elle analyse très vite la primauté de la formation professionnelle. L’Afpa poursuit son expansion et sa diversification. L’alphabétisation accompagne l’accueil des travailleurs immigrés. Les formations promotionnelles restent majoritairement hors temps de travail. Le recours à la formation par les entreprises en difficulté sur leurs marchés se précise.
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3.3.3 1976-2000 : le recentrage par l’économique 1976-1982 sont des années de transition. Il s’agit de reconfigurer la place de la formation dans une économie ayant fait le constat du ralentissement de la croissance et de l’accentuation de la course à la productivité. Des aménagements de la réglementation lèvent les ambiguïtés de la loi de 1971 en distinguant le plan de formation et le congé individuel de formation, inscrivant sans équivoque le plan de formation comme un outil au service de l’entreprise. L’État ancre définitivement sa politique de formation dans sa politique de l’emploi. La formation est sollicitée sur deux fronts : accompagner les transformations du travail générées par la compétition économique, produire les conditions d’une insertion ou réinsertion sociale et professionnelle pour les sans-emploi. À partir de 1982 l’accroissement des dépenses des entreprises et de l’État s’accompagne d’une rhétorique visant à épurer les représentations sur la formation de leur éclectisme : la formation est un investissement. Le débat des années précédentes s’estompe pour laisser la place à un consensus : la formation doit produire des compétences qui servent à l’entreprise pour conserver et gagner des marchés et à l’individu pour assurer ou gagner sa place sur le marché de l’emploi. La politique publique, conduite désormais par les régions, ambitionne de réduire le chômage des jeunes par des dispositifs de plus en plus mobilisateurs de ressources. L’entreprise est confirmée dans un rôle de partenaire de cette politique avec la généralisation de l’alternance comme principe organisateur. La lutte contre l’illettrisme redécouvert fait également partie des priorités. Les transformations du travail et la généralisation de l’informatique rendent désormais toutes les catégories professionnelles concernées par la formation. Celle-ci entre naturellement dans les plans sociaux qui jalonnent l’histoire économique des années 1980. La fonction publique d’État, restée en retrait jusque-là, doit enclencher des politiques de formation ambitieuses pour accompagner la politique de modernisation du service public et les transformations du travail administratif. Elle se dote d’une réglementation et d’une obligation d’affectation de ressources. Toutes les composantes du champ de la formation bénéficient de cette croissante allocation de moyens. L’éducation des adultes retrouve une mission globale, au-delà de l’alphabétisation, avec la lutte contre l’exclusion sociale. Le Cnam a toujours son public. Et si l’association formation-promotion devient discrète dans les politiques d’entreprise, le déficit de qualifications supérieures amène régulièrement la construction de nouvelles filières promotionnelles. L’Afpa confirme son rang de premier organisme de formation. L’Éducation nationale a trouvé sa place sur le marché. L’appareil de formation privé s’est progressivement structuré en se dotant d’instruments le caractérisant comme une branche professionnelle : une fédération patronale, des syndicats de salariés, une convention collective. Par contre l’éducation populaire a beaucoup de mal à renouveler son mode de fonctionnement alors que son rôle de créateur de lien social et de formation du citoyen n’a pas perdu sa pertinence. 67
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Toutes les fonctions de la formation telles que dessinées dans les années d’après-guerre se retrouvent donc sollicitées, mais dans une configuration qui place désormais l’économique en premier organisateur. La référence à l’éducation permanente se perd. Entre le xxe et le xxie siècles, le doute s’installe sur la croyance optimiste du « toujours plus » de formation. Les vigilances budgétaires amènent un frein à l’accroissement des dépenses publiques et privées. L’heure est à l’optimisation et à la rationalisation. La réorganisation des circuits financiers, la recherche d’une professionnalité autour de la notion d’ingénierie, les différentes tentatives pour qualifier la qualité des prestations de formation, la recherche de productivité grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, le débat sur la compétence et l’employabilité occupent alors l’espace de réflexion.
4. Conclusion Qu’enseigne cette histoire ? En passant de l’instruction et la moralisation du peuple dans une société installant la démocratie à l’équipement en compétences et employabilité des individus dans une société se mondialisant par l’économique, la formation fait la preuve de sa contribution, très modeste, à la construction sociétale. Elle s’inscrit toujours dans les enjeux du jour et produit des réponses actualisées. Mais même professionnelle et très professionnelle, elle n’échappe pas à son essence éducative. On pourra donc toujours débattre à son propos, comme à propos de toute pratique éducative, de la dialectique entre sa dimension normative et son pouvoir heuristique.
Lectures conseillées1 Léon A. (1983). Histoire de l’éducation populaire en France, Paris, Nathan.
T errot N. (1997). Histoire de l’éducation des adultes en France, Paris, L’Harmattan.
Palazzeschi Y. (1998). Introduction à une sociologie de la formation. Anthologie de textes français 1944-1994, Paris, L’Harmattan. 1
1 Une bibliographie régulièrement enrichie est disponible sur le site du GEHFA (Groupe d’études histoire de la formation des adultes) : www.gehfa.com.
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Chapitre 2 L’économie de la formation1
1. Par André Voisin.
Sommaire 1. L’individu et la théorie du capital humain.............................................................. 71 2. L’entreprise et la théorie de l’investissement formation...................................... 76 3. Les prestataires de formation et l’approche par « l’appareil de formation ».......... 79 4. Conclusion............................................................................................................. 83 Lectures conseillées.................................................................................................. 85
L’économie de la formation constitue un domaine d’analyse particulier qui s’est construit à l’intersection de l’économie de l’éducation et de l’économie du travail. Elle se manifeste par la production régulière d’études et de recherches sur les aspects économiques de la formation. Ce travail est aujourd’hui parvenu à un niveau d’accumulation qui autorise à faire état d’une économie de la formation. Il n’en reste pas moins que le champ ainsi couvert est en permanente évolution. Les études et les recherches sur la formation, souvent difficiles à mener, ne sont véritablement riches et nombreuses que quand l’activité de formation est intense1. Dans le contexte actuel, il faut reconnaître que la période la plus rapprochée (2010-2015) se prête plus mal que les précédentes à ce type d’investigation. La formation n’est plus l’espace ouvert qu’elle était autrefois. La normalisation l’emporte sur l’innovation. Le milieu le ressent et s’en irrite. Les écrits corporatifs appelant à la réforme se succèdent. Cependant, dans ce contexte un peu délétère, un événement se produit : la promulgation de la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale. Nous chercherons, dans ce chapitre, à présenter les grandes approches économiques qui paraissent les plus significatives de la réflexion en cours, à savoir « L’individu et la théorie du capital humain » ; « L’entreprise et la théorie de l’investissement formation » ; « Les prestataires de formation et l’approche par “l’appareil de formation” ».
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1. L’individu et la théorie du capital humain La théorie du capital humain constitue le courant théorique à partir duquel l’économie de l’éducation s’est développée. Cette théorie, qui s’inscrit dans un cadre d’analyse néoclassique, a été formalisée par l’économiste américain G.S. Becker dans les années 1960 (Human Capital, 1964). Elle est construite par analogie à la théorie du capital physique. L’éducation peut être considérée comme un investissement que l’individu effectue afin de constituer un capital productif ; à cela près que ce capital est inséparable de sa personne. Elle explique les inégalités dans la répartition des salaires par l’existence de différences individuelles de productivité qui résultent elles-mêmes de différences d’investissement en capital humain. Une telle liaison peut être exprimée ainsi : les individus qui souhaitent augmenter leurs gains salariaux choisissent d’investir en capital humain ; ils font, à cet effet, l’acquisition de ces biens de production que sont l’éducation et la formation et, par voie de conséquence, voient augmenter leur productivité.
1. A. Voisin (2005). « La formation et son économie. Un état des études et des recherches en France », Savoirs, 7, 11-37.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
D’un autre côté, selon la théorie marginaliste de l’entreprise, un employeur n’engage un salarié que si le produit marginal dû à ce dernier est au moins égal au coût salarial qu’il entraîne. Par conséquent, si un travailleur mieux formé reçoit une rémunération élevée, c’est parce qu’il est plus productif. Et s’il est plus productif, cela tient au fait qu’il est plus rare, ceci précisément en raison du coût de la formation. Réciproquement, le coût de la formation ne peut être consenti par le salarié que s’il existe un espoir sérieux de voir compenser ce coût par un gain supplémentaire, sous forme d’une augmentation de salaire qui résultera de l’utilisation effective dans la production du capital humain acquis. Depuis les années 1960, un grand nombre d’études se sont attachées à tester et quantifier les différentes implications de la théorie du capital humain. Les travaux consacrés aux rendements de l’éducation les plus récents aboutissent à ce résultat que, en formation initiale, une année supplémentaire d’étude à plein-temps en milieu scolaire ou universitaire se traduit par un accroissement du revenu annuel compris dans une fourchette de 5 % à 15 %. Ce point établi, il n’en reste pas moins que l’existence assurée d’une relation de cause à effet entre investissement éducatif et augmentation du revenu est difficile à établir. Constitutive de l’économie de l’éducation, la théorie du capital humain n’a pas non plus manqué d’influencer les approches économiques de la formation continue. Son approche reste toutefois sous-jacente à la plupart des études sur les effets individuels de la formation continue. Par contre, ses hypothèses de base sont de plus en plus souvent mises en cause à l’occasion d’études empiriques, alors même que d’autres approches théoriques se profilent. Dans cette partie, nous adopterons la position de J. Vincens, pionnier dans ce domaine1, qui a vu se développer, dans la théorie du capital humain, un modèle d’évolution de la productivité individuelle qui mène à l’idée d’efficacité, mais également un modèle de la « seconde chance », moins développé que le précédent, qui conduit à l’idée de justice.
1.1 Théorie du capital humain et amélioration de la productivité individuelle La question de savoir si la formation continue améliore effectivement la productivité et les salaires et augmente la durée de vie des emplois est restée longtemps ouverte. Cette question est reformulée, à frais nouveaux, à la fin des années 1990, par deux chercheurs de l’Insee, D. Goux et E. Maurin, sur la base d’une analyse économétrique des résultats de l’enquête Formation et
1. J. Vincens, « La formation continue et l’emploi : les aspects économiques », in J. Vincens, A. Cabanis (dir.) (1979). La Formation continue et l’emploi, Toulouse, Privat, p. 141-190.
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qualification professionnelle 1993 de l’Insee1. Leur étude souligne d’entrée que l’impact réel de la formation continue sur la productivité et les salaires est difficile à établir : il faut en effet se demander si les « meilleurs » salariés, aux yeux de l’entreprise, « ne sont pas ceux qui ont simultanément le plus de chance d’être les mieux payés d’une part et de bénéficier des stages de formations complémentaires de l’autre ». Si la formation continue n’a pas un effet propre important sur les salaires, par contre elle contribue à renforcer la stabilité de l’emploi en diminuant les risques de rupture du contrat de travail. Ainsi, entre 1988 et 1993, 31 % des salariés qui n’ont pas reçu de formation ont quitté leur employeur contre 5 % de ceux qui ont bénéficié d’une formation. En fait, en relativisant le lien formation continue-productivité-rémunération, cette étude met assez sérieusement en cause la théorie du capital humain, du moins en ce qu’elle postule que le gain attendu est prioritairement financier. Qu’attendre alors de la formation continue ? Cette question est à nouveau posée, en 2006, par P. Cahuc et A. Zylberberg, dans une étude réalisée à la demande du Centre d’observation économique de la chambre de commerce et d’industrie de Paris (CCIP)2. Le diagnostic porté repose sur l’analyse d’un corpus important d’études empiriques sur les rendements de la formation dont les résultats convergent à l’échelle européenne. Il apparaît ainsi que les bénéfices d’une formation sont, en moyenne, de faible ampleur, et qu’ils sont très faibles, voire nuls, pour les adultes les moins qualifiés et pour les chômeurs. Et ils le sont d’autant plus que la formation est courte. Par ailleurs, dans tous les pays de l’OCDE, l’accès à la formation croît avec le niveau d’instruction initiale et également avec la taille de l’entreprise, mais par contre il diminue avec l’âge à partir de la quarantaine. En fin de compte, l’impact de la formation professionnelle sur les salaires et la pérennité de l’emploi apparaît très incertain et probablement nul dans nombre de cas. Le diagnostic serait sans appel si d’autres hypothèses ne pouvaient être faites, celle notamment que la formation peut avoir d’autres finalités et apporter d’autres bénéfices que financiers.
1.2 Seconde chance et formation continue Avec le modèle de la seconde chance, l’accent est placé sur la notion de justice. En effet, « si l’éducation est une arme dans la concurrence entre les salariés, si elle est un moyen d’être mieux rémunéré parce que plus productif, n’est-il pas juste qu’une société s’efforce d’égaliser 1. D. Goux, E. Maurin (1997). « Les entreprises, les salariés et la formation continue », Économie et statistique, 306, 41-55. 2. P. Cahuc, A. Zylberberg (2006). La Formation professionnelle des adultes : un système à la dérive, Centre d’observation économique de la CCIP.
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les conditions de cette concurrence, de donner des chances à tous les individus ? » (Vincens, 1979). L’idée de seconde chance est d’ailleurs consubstantielle à la formation continue depuis ses origines. Un de ses premiers rôles affirmés est d’exercer un effet compensatoire, c’est-à‑dire de créer des occasions de rattrapage ou des possibilités de remplacement pour les jeunes et les adultes qui ont bénéficié du système éducatif initial dans de mauvaises conditions ou qui n’en ont pas profité du tout. Elle a inspiré nombre de programmes particuliers et de dispositifs permanents. L’idée de justice implique un passage au normatif que l’on retrouve, par exemple, avec la référence faite aux principes de justice sociale de Rawls, transposés au niveau de l’entreprise, dans l’étude sur l’inégalité d’accès à la formation professionnelle continue menée, en 1998, par F. Aventur et S. Hanchane1. Cette étude empirique du Cereq, qui reste très nuancée, montre, qu’entre 1985 et 1991, l’inégalité d’accès à la formation (mesurée par l’espérance de formation) des cinq catégories de salariés retenus (des ouvriers non qualifiés aux ingénieurs et cadres) s’est dans l’ensemble réduite à mesure que l’effort de formation des entreprises augmentait, cette inégalité étant par ailleurs d’autant plus faible que les entreprises sont de grande taille et appartiennent à des secteurs très formateurs. Cependant l’effort de formation paraît avant tout déterminé par la nécessité d’adapter les salariés aux évolutions rapides des conditions de production, et le droit à l’adaptation est de plus en plus considéré par les salariés comme un attribut du contrat de travail. La notion d’accès à la formation prend alors un sens nouveau : y accéder, c’est réduire le risque d’être exclu de l’entreprise. On s’éloigne alors beaucoup des origines où partir en formation signifiait saisir une « deuxième chance ». L’idée de « seconde chance » est aussi souvent associée au désir d’accroître la mobilité sociale en facilitant les promotions. Il existe selon ce modèle une correspondance entre les emplois et les formations ; elle est telle que, pour accéder à un emploi déterminé, il faut avoir la formation adéquate. Par conséquent, « si on donne à un salarié en cours de carrière la possibilité d’améliorer son niveau de formation, on lui donne du même coup une chance de promotion » (Vincens, 1979). La « seconde chance » donnée par la formation augmente-t‑elle effectivement les chances de promotion interne ou de mobilité professionnelle ascendante à son issue ? Les différentes analyses prenant pour base les enquêtes de l’Insee (FQP), sont assez largement convergentes. Les unes constatent un « relâchement progressif du lien entre formation et mobilité professionnelle ascendante » pour toutes les catégories de salariés (Correia, Pieuchot et Pottier, 1996)2. Les autres
1. F. Aventur, S. Hanchane (1998). « Formation continue et justice sociale dans l’entreprise », Bref Céreq, 136. 2. M. Correia, L. Pieuchot, F. Pottier. (1996). « Nouveaux parcours professionnels, nouveaux usages de la formation continue », in De la promotion sociale à la formation tout au long de la vie : nouvelles trajectoires, nouveaux besoins, Marseille, Céreq, 11-25.
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font état d’un « déclin spectaculaire » (Podevin, 1998)1. Dans les années 1965-1970, 55 % des salariés ayant bénéficié d’une formation à l’initiative de leur employeur ont connu une mobilité professionnelle ascendante ; ils ne sont plus que 8 % dans les années 1990-1995. De même, 35 % des salariés ayant suivi dans la première période une formation à leur initiative personnelle ont connu une mobilité ascendante ; ils ne sont plus que 11 % dans la seconde période. En fait l’accès à la formation continue est principalement réservé aux salariés qui demeurent dans l’entreprise, et ceux-ci en retirent surtout une garantie de maintien dans l’emploi. Les contreparties offertes au retour de formation sont le plus souvent une amélioration des conditions de travail ou un accroissement de responsabilités. La conclusion générale qui découle de la mise en perspective de ces travaux est sombre. Le public aurait d’ailleurs parfaitement compris qu’il devait abaisser son niveau d’exigence au point d’accepter d’assimiler à une promotion un simple recrutement et à une carrière un parcours de contrat aidé en contrat aidé (Podevin, 1998). La formation continue n’a pas non plus un effet propre important sur les salaires, en revanche elle contribue à renforcer la stabilité de l’emploi en diminuant les risques de rupture du contrat de travail (Goux, Maurin, 1997). Cette question de savoir si ce qui vaut pour la formation initiale, dans la théorie du capital humain, vaut également pour la formation continue a été reprise, en 2000, par André Gauron, dans un rapport du Conseil d’analyse économique2. L’auteur pose tout d’abord que si la relation entre niveau de formation et niveau de compétence est assez solide en matière de formation initiale, celle-ci est beaucoup plus aléatoire en ce qui concerne la formation continue dans la mesure où l’objectif que les entreprises assignent à celle-ci n’a en soi rien de stable. Un tel changement de logique en matière de contenu de la formation se serait précisément produit au cours de la décennie 1980. Les entreprises qui précédemment privilégiaient une formation qualifiante débouchant sur une promotion se sont alors tournées vers des formations orientées vers la seule adaptation au poste de travail. Dès lors, le lien entre formation continue et productivité et entre productivité et salaire, caractéristique de la théorie du capital humain, ne pouvait qu’être rompu. On comprend dès lors qu’une augmentation de salaire consécutive à la formation soit possible même en période de formation-adaptation (Goux et Maurin, 1997), mais cette hausse tiendrait uniquement au fait que seuls ont eu accès à la formation ceux qui avaient déjà été jugés plus efficaces dans leur travail.
1. G. Podevin (1998), « De la formation à la promotion : un chemin de moins en moins certain, soumis aux contraintes économiques des entreprises », in B. Clasquin, H. Lhotel (1998). La Formation professionnelle continue. Tendances et perspectives, Marseille, Céreq, 37-52. 2. Conseil d’analyse économique (2000). Formation tout au long de la vie. Rapport d’André Gauron, commentaires de Michel Didier et Thomas Piketti, complément de Robert Boyer, n° 22, Paris, La Documentation française.
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Faut-il conclure définitivement de ces analyses que la formation continue ne rapporte pas grand-chose, sinon des gratifications peu perceptibles ? On préférera peut-être insister sur le caractère contingent des résultats issus des travaux sur l’efficacité la formation continue. Il n’en reste pas moins que cette « non-visibilité » de la formation dont fait état une étude du Céreq à partir de données issues de l’enquête « Formation continue 2000 » est très préoccupante. Il apparaît, en effet, qu’en matière d’« appétence » pour la formation1, « l’un des principaux moteurs de l’engagement en formation réside toujours dans les bénéfices financiers que le salarié espère en retirer ». Quoi qu’il en soit, en matière de formation continue, la théorie du capital humain, fondée sur la relation bilatérale entre employeur et salarié, demeure, pour les économistes, le paradigme de référence. Ils en soulignent les limites, mais sans toutefois abandonner ses hypothèses de départ. À cet égard, l’approche organisationnelle de la formation proposée par S. Hanchane et F. Stankiewicz (2004)2 constitue une alternative à la problématique dominante. Elle se détourne de la relation employeur-salarié pour se centrer sur l’entreprise elle-même et ses « contextes organisationnels » de la formation (la promotion, le recrutement, la mobilité interne…). Des matériaux importants existent (notamment l’enquête FC 2000), il conviendra de les mobiliser dans une perspective théorique à construire.
2. L’entreprise et la théorie de l’investissement formation La question de la formation comme investissement a surgi dans le milieu des années 1980. Un rapport du Commissariat général du plan, Développer la formation professionnelle (1985), soulignait l’insuffisance de l’effort de formation des entreprises par rapport aux impératifs de modernisation, d’emploi et d’investissement. La raison de cette faiblesse était recherchée dans une prise de conscience insuffisante des chefs d’entreprise pour qui la formation ne devait plus être considérée comme une dépense sociale mais comme un investissement. Le thème était ainsi lancé.
1. C. Fournier (2004). « Aux origines de l’inégale appétence des salariés pour la formation », Bref Céreq, 209. 2. S. Hanchane, F. Stankiewicz (2004). « Approche organisationnelle de la formation : au-delà de la problématique beckérienne », Formation emploi, 85, 23-40.
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La théorie du capital humain aurait pu constituer un cadre d’analyse adéquat des processus de formation en termes d’investissement. Elle est bien, comme le rappelait F. Berton1, à la fois une théorie de la demande d’éducation par les individus et de la demande de formés par l’entreprise, même si ce second aspect a été moins développé que le premier et qu’il repose sur des hypothèses moins assurées. L’entreprise qui a investi en capital humain dans la personne d’un de ses salariés est supposée récupérer son investissement sous la forme de suppléments de productivité. Le salarié, quant à lui, doit percevoir un supplément de salaire lié à la croissance de sa productivité marginale. L’investissement en capital humain présente toutefois un risque élevé pour l’entreprise en raison de son incorporation dans une personne. Celle-ci, en effet, reste maîtresse de ses efforts et libre de ses mouvements. Change-t‑elle d’emploi et l’investissement initial sera valorisé dans une autre entreprise qui bénéficiera du surcroît de productivité d’un individu dont elle n’aura pas financé la formation. Pourtant, si les références explicites à la théorie du capital humain n’ont pas manqué, par contre son usage comme cadre d’analyse a été rare, et le renouveau du « paradigme du capital humain » souhaité par W. Clément2 n’est pas survenu. Deux autres voies se sont ouvertes, celle de l’approche par la théorie de l’investissement immatériel et celle de l’approche par les modèles de production.
2.1 L’approche par la théorie de l’investissement immatériel Dès le milieu des années 1980, la réflexion sur l’investissement formation s’est inscrite dans la problématique plus large de l’investissement immatériel (appelé encore « investissement dans l’intelligence3 ») alors particulièrement vivace. Cette problématique repose sur l’idée que les entreprises peuvent jouer sur les composantes de l’investissement immatériel pour accroître leur productivité comme elles le font pour un investissement matériel, technologique ou stratégique. S’ouvrait alors un vaste chantier sur la composante formation de l’investissement immatériel dont le numéro d’Éducation permanente dirigé par Pierre Caspar (1988)4 rend très précisément compte.
1. F. Berton (1988). « Capital humain : une théorie d’actualité », in « L’Investissement formation », Éducation permanente, 95, 33-39. 2. W. Clément (1988). « Pour un renouveau du paradigme du capital humain », in « L’Investissement formation », Éducation permanente, 95, 21-31. 3. P. Caspar, C. Afriat (1988). L’Investissement intellectuel : essai sur l’économie de l’immatériel, Economica. 4. P. Caspar (dir.) (1988). « L’Investissement formation », Éducation permanente, 95.
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L’approche retenue renvoyait à une situation où la formation devait participer à des démarches globales de changement situées immédiatement à l’aval des décisions stratégiques. L’idée de base qui commandait cette approche était qu’il convenait non pas d’isoler l’investissement formation, mais, tout au contraire, de le considérer comme une composante d’un investissement global et de le traiter de telle sorte que sa contribution propre s’inscrive dans la logique de l’investissement global. Toutes les dépenses de formation ne devaient pas être assimilées à des investissements. G. Le Boterf1 proposait ainsi de distinguer deux grandes catégories de dépenses de formation : les dépenses courantes de formation qui visent à maintenir le patrimoine de l’actif des compétences de l’entreprise à un bon niveau de compétitivité et les dépenses de formation liées à des projets stratégiques de changement qui, relevant de l’investissement, développent les capacités productives de l’entreprise et lui permettent d’innover. Le développement d’une telle approche gestionnaire de l’investissement formation devait déboucher, en particulier, sur la construction de systèmes de gestion permettant de mesurer l’effort réel de formation et sa contribution à l’efficacité de l’entreprise. La conclusion générale qui se dégageait de cet examen était que si « parler » d’investissement en matière de formation est logique et positif, par contre considérer la formation comme un investissement, au sens strict, est illusoire et parfois dangereux. Dans ces conditions, investir dans la formation résiderait moins dans l’application d’une méthodologie que dans le respect d’un certain esprit de rationalisation des activités, lui-même animé par « un désir d’explicitation, de dialogue et de négociation sur les processus qu’elles engagent » (P. Caspar).
2.2 L’approche économique par les modèles de production Une étude de l’Insee, conduite par Y. Carriou et F. Jeger, est venue, en 1997, reprendre, à frais nouveaux, la question de l’investissement. Elle pose d’entrée que, la formation n’étant plus aujourd’hui un instrument de promotion sociale et d’éducation permanente, on peut désormais « l’assimiler à un investissement économique et mesurer son effet sur la production2 ». Elle contribue donc à augmenter la valeur ajoutée par l’entreprise. C’est ce qu’atteste « son introduction dans des fonctions de production de différents types : certains de ces modèles permettent de conclure à des rendements décroissants, à une complémentarité avec le capital, et à une substituabilité avec le travail ». Au total, les voies ouvertes par ces approches de l’investissement formation se révèlent étroites. On serait sans doute tenté de conclure, avec Cahuc et Zilberberg (2006), que « ces 1. G. Le Boterf (1989). « Comment investir en formation : les démarches d’investissement appliquées à la formation », Études et expérimentations en formation continue, 2, 2-6. 2. Y. Carriou, F. Jeger (1997), « La formation continue dans les entreprises et son retour sur investissement », Économie et statistique, 303, 45-58.
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analyses, encore trop rares, n’ont pas permis de dégager une vision cohérente de l’impact de la formation professionnelle sur la productivité », encore que cet impact soit positif. La position est sans doute raisonnable, mais elle n’est pas confortable. Elle ne lève pas ce doute qu’exprimait, en 1988, Édouard Rafinon1, et qui lui faisait dire que « la formation est (parfois) un investissement ». Dans cet esprit, ne serait-il pas utile de chercher à revenir sur cette approche par le moyen d’une étude empirique, sur la question de l’entreprise comme « lieu d’investissement » du capital financier et du capital humain ? Dans un ouvrage plus récent, Pierre Caspar2 fait retour sur la question de l’émergence de l’investissement immatériel et l’importance accordée au thème de l’investissement formation depuis les années 1980. Il y voit une irruption de la pensée et du langage économiques dans le champ de la formation managée par les entreprises ; avec celle-ci, la formation entre « dans une logique financière commune à tous les secteurs d’activité ». Au-delà, la démarche de l’investissement formation s’est heurtée à l’absence d’outils comptables qui auraient permis d’opérer les mesures et les quantifications nécessaires. Il n’en reste pas moins que l’usage de l’expression sera venu rappeler aux responsables de formation qu’ils ont à « penser » et à « raisonner en investisseurs ». Aujourd’hui, l’expression conserve sa force, encore que le monde de l’entreprise soit engagé, face aux contraintes, dans d’autres logiques. Cet ouvrage est à lire ou relire en un moment où la loi du 5 mars 2014 a fait sauter « le verrou du 0,9 % ». En effet, les entreprises de plus de 300 salariés voient disparaître l’obligation qui leur était faite de consacrer au moins 0,9 % de leur masse salariale au titre du plan de formation ; faute de quoi, en cas de dépense insuffisante, elles devaient verser la différence à un OPCA ou au Trésor. Autrement dit, ces entreprises étaient tenues de « former ou payer ». Aujourd’hui, elles sont en mesure de considérer qu’elles investissent.
3. Les prestataires de formation et l’approche par « l’appareil de formation » La manière dont le milieu professionnel de la formation, économistes y compris, a longtemps abordé la situation des prestataires de formation a toujours surpris les observateurs extérieurs.
1. E. Rafinon (1988). « La formation est et n’est pas un investissement », Éducation permanente, 85, 99-110. 2. P. Caspar (2011), La formation des adultes hier, aujourd’hui, demain, Paris, Eyrolles, Éd. d’Organisation, p. 115-152.
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Dans son rapport, André Gauron1 constate que « dans le monde de la formation continue, l’habitude s’est prise de qualifier de « marché de la formation » les prestations réalisées par des organismes de formation ». Un tel usage du concept de marché est particulièrement significatif des distorsions de langage que connaît le vocabulaire économique dans le monde de la formation. Dans le langage courant du milieu, l’expression de marché de la formation est souvent utilisée pour désigner, non pas la rencontre de l’offre et de la demande, mais les seuls « producteurs » de formation, tout comme celle d’offre de formation est employée pour nommer, non point seulement les produits de formation, mais également ceux qui les offrent. D’un autre côté, dans ce même contexte professionnel, la notion de marché de la formation se trouve concurrencée en tant que cadre d’analyse par d’autres notions telles que celle d’appareil de formation ou de système de formation continue. Ces habitudes de langage renvoient à la représentation, qui s’est formée dès les années 1960, d’un système de formation continue dont le caractère propre – secteur marchand, secteur non marchand, tiers secteur ? – était encore largement incertain. Très tôt, cette incertitude a fait problème et suscité des questions, par voie de conséquence des recherches. Dans le temps, on peut ainsi distinguer quatre grands moments du point de vue de la recherche.
3.1 Une approche en termes de pôles et de tutelles Le premier moment (1975-1982) est plus particulièrement marqué par les travaux du GREE sur l’appareil de formation lorrain2. Ces travaux qui se détournaient de la problématique alors dominante du « marché de la formation », proposaient une approche en termes de pôles et de tutelles. Cette prise de distance se fondait sur un triple argument : le « produit formation » ne pouvait être assimilé purement et simplement à toute autre marchandise ; les comportements des demandeurs (les entreprises) ni ceux des offreurs (les prestataires de formation) ne pouvaient être réduits à la recherche, par les uns, d’une satisfaction au moindre coût et, par les autres, d’une maximisation des profits ; leurs relations ne pouvaient pas non plus s’analyser seulement comme un échange marchand régulé par les prix.
1. A. Gauron (2000), « Formation tout au long de la vie », Conseil d’analyse économique, Paris, La Documentation française. 2. P. Méhaut, P. Rabanes, G. Vautrin (1978). Formation continue, gestion du personnel et marché de la formation : une étude régionale du système français de formation continue, Paris, CNRS, 115 p.
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3.2 Une approche en termes de logique de fonctionnement Le deuxième moment (1988-1990) est principalement représenté par le programme de recherche sur « les mutations de l’appareil de formation » lancé par la Délégation à la formation professionnelle1. L’existence effective d’un marché de la formation était centrale, mais elle importait beaucoup moins que l’affirmation selon laquelle les organismes de formation doivent obéir à une logique marchande et qu’analyser les activités de formation, c’est analyser des activités marchandes. Ce que l’expression de logique marchande voulait signifier, c’est qu’une même logique de fonctionnement s’impose à tous les acteurs de la formation, et donc aux organismes de formation. Attachés non pas à distribuer des « prestations » plus ou moins gratuites, mais à produire des « services » adaptés, ils devaient être à la fois plus efficaces et plus efficients. Il leur fallait donc rechercher les moyens d’une amélioration de la qualité de leur production, de leur productivité et de leur rentabilité et se doter à cet effet d’instruments de pilotage et de gestion adaptés.
3.3 Une approche en termes de secteur et de branche Le troisième moment (1993-1996) se caractérise par une approche des organismes de formation en termes de « secteur » ou de « branche » et se traduit par la mise en œuvre de « travaux lourds », en particulier l’enquête du Cereq sur les activités des organismes de formation continue2 et le contrat d’études prospectives sur les organismes privés de formation lancé à la demande de la Commission paritaire nationale de l’emploi des organismes de formation3. L’enquête du Cereq a porté sur l’activité en 1993 d’un échantillon de 645 organismes de formation ayant déclaré au moins 1 million de francs de chiffre d’affaires en 1992. Le contrat d’études prospectives s’est intéressé au secteur d’activité formation, au sens de l’Insee ; ce secteur qui constitue le cœur de l’activité rassemble alors quelque 5 500 organismes. Ces deux types de travaux, pour différents qu’ils soient, ont modifié assez radicalement l’image courante que l’on avait d’un univers atomisé, dépourvu d’homogénéité, pour lui substituer celle d’un secteur d’activité clairement identifié.
1. « Investir en formation » (1989). Études et expérimentations en formation continue, 2, 1-17. 2. F. Aventur et al. (1995). « Les activités des organismes de formation continue », Cereq, Bref Céreq, 115. 3. DGEFP, CPNE-OF, Interface (1998). Les Organismes privés de formation : enjeux et perspectives des emplois et des compétences, Paris, La Documentation française.
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3.4 Une approche en termes de positionnement et de régulation Un quatrième moment (2000-2010) a vu se poursuivre les travaux du Cereq sur la base de deux questionnements : l’un portant sur les « logiques de positionnement » adoptées par les offreurs de formation (Véro et Rousset, 2003), l’autre sur les « modes de régulation » qui se mettent en place dans ce marché segmenté (Séchaud et Pottier, 2007). La première étude1 a cherché à réaliser une typologie des pôles de compétences des offreurs de formation sur la base des stratégies de positionnement sur le marché que ces offreurs adoptent. La seconde étude2, qui a pour objet les modes de régulation de l’offre de formation continue, revient sur cette segmentation du marché de la formation en privilégiant le dualisme privé-public, à savoir le monde des grandes entreprises et la sphère des politiques publiques. Au total, il faut bien l’admettre, le recours dans ces différents travaux à la notion de marché semble avoir eu moins pour objet de mettre à jour des processus d’ajustement de l’offre et de la demande par le moyen des prix que d’insister sur le fait que les organismes de formation sont toujours peu ou prou placés dans la situation de n’importe quelle entreprise et qu’ils ont à adopter des stratégies de développement et de modes de gestion internes qui soient en cohérence avec leur activité. Une telle vision du marché de la formation a conduit André Gauron à avancer l’idée quelque peu inhabituelle d’un « marché sans prix » Plus étonnant encore lui apparaît le désintérêt manifesté par les économistes de la formation vis-à‑vis de cette question : « Bien que ceux-ci soient accessibles au niveau des branches et des organismes de formation, aucune des études qui traitent du “marché de la formation” ne mentionne de prix. » Qu’en conclure ? « Inefficacité du marché ou absence de “marché” de la formation ? » Robert Boyer, dans un texte de complément au rapport d’André Gauron, revient sur cette question de la possibilité de constitution d’un marché de la formation3. De son point de vue, sans nier l’utilité d’une simplification des procédures actuelles, il lui semble important de souligner les obstacles structurels qui pèsent sur l’existence d’un marché de la formation « en bonne et due forme ». L’existence d’un marché de la formation supposerait, en effet, qu’il soit possible
1. J. Vero, P. Rousset (2003). « L’offre de formation continue. Regard des prestataires sur leur activité », Bref Céreq, 199. 2. F. Séchaud, E. Pottier (2007). « La formation continue : un marché segmenté dans lequel se construisent pourtant des ponts », Bref Céreq, 247. 3. R. Boyer (2000). « La formation professionnelle au cours de la vie : analyse macroéconomique et comparaisons internationales », complément au rapport d’André Gauron, op. cit.
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de définir des standards qui codifient les objectifs et le contenu de la prestation de formation. Cette standardisation conditionne la possibilité de mobilité des salariés vers des entreprises qui accordent une rémunération supérieure aux mêmes compétences. Or il se trouve que la formation continue voulue par les entreprises s’accommode mal d’une telle standardisation. Les entreprises attendent de la formation continue qu’elle sache en permanence s’adapter à des situations chaque fois différentes. Par ailleurs, leur intérêt est de stabiliser et fidéliser leurs salariés et non de favoriser leur accès à des formations certifiées qui faciliteraient leur mobilité. Enfin, les entreprises devant faire face à des besoins en « compétences en voie d’émergence » ne trouveraient pas de réponse adaptée sur un marché de la formation standardisé. Pierre Capdevielle, en 1996, lors des journées d’étude du réseau des centres associés au Cereq1, avait proposé une analyse quelque peu différente. Au terme d’une lecture de l’ensemble des recherches qui avaient pris pour référence la notion de marché de la formation continue, il faudrait, lui semblait-il, parler moins d’un marché de la formation que de marchés situés dans le champ de la formation continue, tels que le marché des formateurs, le marché de l’information sur la formation, le marché des formés, le marché des équipements de formation continue… Le marché, s’il existe, serait un résultat, celui du jeu d’un ensemble de marchés « non standard » ou de « concurrence imparfaite ». Au total, il serait préférable de conclure à la non-pertinence de la catégorie de marché appliquée à la formation continue, sauf à vouloir « créer » un mythe, une croyance quasi religieuse. Avec la loi du 5 mars 2014, une période de transition souvent complexe s’est ouverte pour les organismes de formation, compliquée pour certains par une baisse du chiffre d’affaires. Un paysage nouveau a commencé à se dessiner dont on ne connaît encore que les grands traits. Ici encore des études et recherches seront à conduire.
4. Conclusion Il n’est guère contestable que les horizons de l’économie de la formation se sont considérablement élargis depuis une vingtaine d’années. Cependant, beaucoup de certitudes et d’évidences ont été ébranlées. Il n’en reste pas moins que l’essentiel de l’effort d’investigation continue de se porter sur ce qui, dans le système de formation continue, fonctionne effectivement comme un secteur d’activité et comme un marché. La manière la plus habituelle de considérer la formation comme une activité économique parmi les autres consiste à tenter de l’appréhender à partir des 1. P. Capdevielle (1998). « Réflexions sur la catégorie de marché appliquée à la formation professionnelle continue », in B. Clasquin, H. Lhotel (1998), op. cit., p. 265-276.
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catégories classiques de l’analyse économique. Elle fait l’objet d’une production et a, de ce fait, une fonction de production et des coûts de production ; ses structures de production marchandes ou hors marché ont des inputs et des outputs qui, pour certains, font l’objet de transactions sur le marché de la formation ou sur les sous-marchés plus ou moins articulés qui le composent. Pourtant, l’une des principales difficultés réside dans le caractère quelque peu énigmatique, à force d’indétermination, que prennent ces catégories quand elles sont appliquées à la formation. Qui peut dire avec certitude ce qu’est le produit-formation ? la relation offre-demande ? les structures de coût de production ? le rôle du prix dans la décision de recourir à la formation ? Un des principaux axes de progrès réside probablement dans la prise en compte des besoins réels de l’individu ou, si l’on préfère, de l’apprenant. Les avancées en direction de la reconnaissance d’un droit individuel à la formation et de la validation des acquis de l’expérience sont bien réelles. Pourtant, pour le dire dans le langage de l’économie des services, la qualité de la formation sera d’autant plus grande que le client aura pu « remonter » plus haut dans le processus de production du service : de la co-évaluation des effets vers la coproduction du service et de celle-ci jusqu’à la coproduction des objectifs. Cette remontée, pour être effective, nécessiterait sans doute le développement de nouvelles formes d’individualisation de la formation et d’une ingénierie de formation qui soit « participative » ou « négociée ». Un ouvrage de Philippe Carré (2005) aborde cette approche à la lumière de l’économie de la connaissance. Une telle évolution supposerait nécessairement des arbitrages financiers en faveur des mesures d’accompagnement de l’individu, suffisamment importants pour que l’on puisse parler de nouveaux marchés (sinon de nouvelle économie) qui auraient nom de « marché de l’ingénierie des itinéraires » et de « marché de la validation des acquis ». Face à cette incertitude, la prise en compte, dans la réflexion sur la formation, des problématiques de l’économie des services devrait jouer un rôle non négligeable. Le moment est donc probablement venu de reconnaître que, dans ces zones frontalières d’activité où s’imbriquent étroitement le personnel et le professionnel, l’individu et l’organisation, la formation et le travail, chercheurs et décideurs, mais sans doute aussi prescripteurs et formateurs, se découvrent tenus d’avancer ensemble, encore que le jeu soit complexe et les intérêts souvent divergents. Leur coopération nécessite plus que jamais que soient aménagés des lieux de rencontre où puissent être débattues, sur la base d’inventaires communs, les questions en friche.
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L’économie de la formation ■ Chapitre 2
Lectures conseillées Albertini J.-M. (1992). La pédagogie n’est plus ce qu’elle sera, Paris, Le Seuil/Presses du CNRS. Bonamy J., Voisin A. (dir.) (1996 et 2001). « La qualité de la formation », Éducation permanente, 126. « La qualité de la formation en débat », Éducation permanente, 147. Carré P. (2005). L’apprenance. Vers un nouveau rapport au savoir, Paris, Dunod. Caspar P. (dir.) (1988). « L’investissement formation », Éducation permanente, 95.
C aspar P. (2011). La Formation des adultes hier, aujourd’hui, demain, Eyrolles-Éd. d’Organisation. Conseil d’analyse économique (2000). Formation tout au long de la vie. Rapport d’André Gauron, commentaires de Michel Didier et Thomas Piketty, complément de Robert Boyer, n° 22, La Documentation française. T anguy L. (dir.) (1986). L’Introuvable Relation formation/emploi. Un état des recherches en France, Paris, La Documentation française.
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Chapitre 3 Sociologie de la formation post-scolaire1
1. Par Charles Gadea et Coralie Perez. Claude Dubar, co-auteur d’une version antérieure, est décédé avant la révision de la précédente version. Nous dédions ce chapitre à sa mémoire.
Sommaire 1. Politiques publiques : de la promotion sociale au compte personnel de formation........................................................................ 90 2. Pratiques de formation et rapports sociaux en entreprise.................................... 93 3. L’évolution des approches sociologiques de la formation post-scolaire................ 95 4. Conclusion............................................................................................................. 100 Lectures conseillées.................................................................................................. 102
La sociologie de la formation n’a rien d’une branche récente ou mineure de la sociologie. Elle s’appuie sur un fond d’interrogations et d’analyses initiées dès les années 1950-1960, et la place qu’elle occupe parmi les centres d’intérêt des chercheurs s’est accrue, au point de se voir parfois érigée en spécialité rivale de la sociologie de l’éducation1. Pourtant, elle demeure un ensemble complexe et mal unifié. On peut songer à un carrefour où se rencontrent des lignes diverses de recherche, venant les unes de la sociologie de l’éducation, les autres de la sociologie du travail et des organisations ou de la sociologie de la mobilité sociale, mais aussi de la psychologie sociale, de l’histoire et de l’économie. Un relatif consensus la situe au cœur d’un faisceau de travaux gravitant autour du thème de la relation entre la formation et l’emploi, une relation depuis longtemps réputée « introuvable2 ».
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Sans doute une part de la difficulté à définir son domaine tient-elle aux ambiguïtés du vocabulaire. Des termes tels que formation, formation professionnelle initiale ou continue, formation ou éducation permanente, auxquels s’ajoute la « formation tout au long de la vie » (lifelong learning), lancée par la Communauté européenne en 1996, s’inscrivent dans une histoire tissée d’entrelacs et d’oppositions subtiles qui requièrent de longs ouvrages pour en rendre les nuances. Cette confusion ne dure-t‑elle que par manque de conceptualisation ? C’est en partie vrai, tant les schèmes de pensée les plus divers s’accumulent sans qu’une perspective sociologique d’ensemble parvienne à s’imposer et ordonner le paysage théorique, mais cette diversité reflète aussi sa vitalité. Plutôt que de viser une improbable résolution des problèmes théoriques, nous essaierons de rendre compte des débats et de leur évolution. Commençons par préciser rapidement en quel sens nous parlons de formation post-scolaire. Avec C. Maroy, nous partirons de l’idée que la formation est dite professionnelle lorsqu’elle « définit son public cible ou son contenu en référence aux activités de travail3 ». Elle peut être considérée comme continue si, d’un point de vue pédagogique, elle s’appuie sur une expérience antérieure de formation initiale. Mais, dans un sens plus large, toute formation s’adressant à des personnes insérées dans la vie active, qu’elles soient en emploi ou au chômage relève de la formation continue. Puisqu’elle s’adresse alors à des individus qui ont quitté le système scolaire, la formation continue peut être qualifiée de post-scolaire et ces deux termes deviennent interchangeables. Contrairement à l’expression « formation permanente », qui désigne en même 1. L. Tanguy (1998). « La formation, une activité sociale en voie de définition », in De Coster et Pichault (éd.), Traité de sociologie du travail, Bruxelles, De Boeck Université, 2e éd., p. 185-212 ; L. Tanguy « La fabrication d’un bien universel » in Brucy, Caillaud, Quenson, Tanguy (éd.), Former pour réformer. Retour sur la formation permanente (1944-2004), Paris, La Découverte, p. 31. 2. L. Tanguy (1986). « Introduction », in L. Tanguy (dir.), L’Introuvable Relation formation-emploi, Paris, La Documentation française, p. 7-34. 3. C. Maroy (1998). « La formation en entreprise : de la gestion de la main-d’œuvre à l’organisation qualifiante », in De Coster et Pichault (éd.), Traité de sociologie du travail, Bruxelles, De Boeck Université, 2e éd., p. 297.
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temps, de manière un peu floue, un idéal éducatif global reliant formation initiale et éducation des adultes et des pratiques individuelles de formation très variées, souvent à dominante culturelle, la notion de formation post-scolaire renvoie à des dispositifs de formation continue, dont les contours ont été progressivement tracés, en France, par une série de dispositions légales, en particulier par la loi de 19711. Tout comme les pratiques et institutions concernées, les objets de recherche regroupés sous cette étiquette forment un assemblage hétéroclite reflétant les flottements de la terminologie et la divergence des perspectives de recherche. Pour tenter de donner un aperçu, nécessairement limité et partial, des approches sociologiques que nous jugeons les plus représentatives, nous organiserons l’exposé autour de trois grandes dimensions. L’étude des politiques et des dispositifs de formation (1) précédera celle des pratiques et rapports sociaux de formation en entreprise (2), qui débouchera sur une analyse de l’évolution des approches sociologiques de la formation post-scolaire (3) et nous amènera à conclure en interrogeant quelques résultats d’enquêtes internationales.
1. Politiques publiques : de la promotion sociale au compte personnel de formation Même si elle a été précédée par des initiatives diverses (création des IPST en 1947, ouverture des centres associés du Cnam en 1952 « Cours de perfectionnement conduisant à la promotion ouvrière » en 1948…), la loi du 31 juillet 1959 relative à la « promotion sociale » marque le début d’une véritable prise en charge législative de la question de la formation post-scolaire en France. Dans un pays marqué par les pénuries de main-d’œuvre de l’après-guerre et par de profondes divisions sociales et politiques, le gouvernement gaulliste de cette période se fixe un double objectif : favoriser la promotion du travail pour lutter contre les inégalités sociales et élever le niveau de formation et de qualification des salariés. Il faut bien garder à l’esprit que si les visées économiques ne sont pas absentes, elles ne constituent pas l’argumentation centrale du projet d’alors. C’est par la suite que cette dimension prendra une place croissante, jusqu’à faire disparaître toute référence à la promotion sociale, au profit de la seule formation professionnelle. Ainsi, la fameuse « loi Delors » de juillet 1971 prolonge par certains aspects la « loi Debré » de 1959, la
1. C. Dubar, C. Nasser (2015). La Formation professionnelle continue, Paris, La Découverte, coll. « Repères ».
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Sociologie de la formation post-scolaire ■ Chapitre 3
formation étant affichée comme un point clé du dialogue social qui doit concilier les intérêts des entreprises et des salariés. Mais elle consacre aussi un retournement amorcé dès les lois de 1966 et 1968 : c’est le développement économique, et plus particulièrement la régulation de l’emploi, qui concentrent les priorités de l’État. La promotion sociale passe au second plan1. Cette loi introduit une distinction entre les opérations de formation prévues dans les plans de formation des entreprises (de plus de 50 salariés) et financées par une contribution obligatoire des employeurs et le congé individuel de formation (CIF), relevant de l’initiative individuelle des salariés, financé par des organismes mutualisateurs. La logique économique prime dans l’orientation des formations « à l’initiative de l’employeur » (stages courts visant à accroître la compétitivité) qui forment la grande masse des opérations de formation, alors que les formations suivies « à l’initiative des salariés », notamment dans le cadre du CIF, concernent des effectifs beaucoup plus réduits, débouchent sur des formations longues, diplômantes, et relèvent encore d’une logique de promotion sociale qui, dès la fin des années 1970, a du mal à trouver ses financements et à s’articuler avec la logique précédente. La loi de 1984, dite « loi Rigout », puis la loi quinquennale de décembre 1993 font de la formation un moyen de réponse à la crise de l’emploi et d’adaptation aux mutations technologiques. Ce glissement conduisant à affecter les fonds publics aux dispositifs d’insertion des jeunes et de formation pour les chômeurs ne laisse plus qu’une place résiduelle aux formations promotionnelles. Désormais, les impératifs économiques dominent le champ de la formation devenue instrument du maintien de l’employabilité des salariés. Elle doit viser l’acquisition des « compétences recherchées par les entreprises » et celle-ci est de plus en plus individualisée. La formule de l’Union européenne « la formation tout au long de la vie », ne fait que renforcer, à partir de 1996, cette logique : chaque individu est appelé à devenir l’entrepreneur de sa propre formation continue. L’accord national interprofessionnel signé en septembre 2003 par l’ensemble des organisations syndicales, patronales et salariées, repris par la loi du 4 mai 2004 « Relative à la formation tout au long de la vie professionnelle et au dialogue social », consacre cette logique visant à « permettre à chaque salarié d’être acteur de sa formation ». Dispositif phare de cette réforme du système institutionnel de formation continue, le droit individuel à la formation (DIF) devait apporter des réponses à deux enjeux : réduire les inégalités d’accès à la formation et permettre aux salariés de se prémunir contre les aléas de leur carrière professionnelle. Un premier jalon avait été posé avec la validation des acquis de l’expérience (VAE) en 2002, qui autorise l’attribution de la totalité d’un titre ou d’un diplôme sur la base de l’expérience acquise dans une activité salariée ou bénévole. 1. C. Dubar, C. Gadea (dir.) (1999). La Promotion sociale en France, Villeneuve d’Asq, Presses universitaires du Septentrion.
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Les travaux préparatoires à cette réforme avaient rappelé la persistance de fortes disparités d’accès aux formations financées par l’employeur, au détriment des salariés les moins qualifiés et de ceux travaillant dans les petites et moyennes entreprises. L’écart croissant entre les formations financées par l’entreprise et celles suivies au titre du CIF, dont les effectifs stagnent (environ 20 000 par an) et dont les acquis restent peu reconnus par l’entreprise, a rendu nécessaire la création d’une voie intermédiaire. Plusieurs tentatives (telles que l’accord interprofessionnel sur le co-investissement en 1991 ou le capital temps formation en 1993) visant la co-construction, par l’employeur et le salarié, d’un projet de formation individualisé avaient jusque-là échoué faute de soutien et de consensus des organisations syndicales représentatives des salariés. La réforme de 2004 est engagée dans un contexte marqué par une convergence d’intérêts politiques et syndicaux pour créer une « assurance-emploi » ou « une sécurité sociale professionnelle ». Les débats autour de la réforme du système se sont nourris de propositions consistant à désencastrer la formation de l’emploi pour la rattacher, au moins en partie, à l’individu : droits de tirage sociaux, droit individuel transférable et garanti collectivement, passeport formation. Les partenaires sociaux ont fini par s’entendre sur le DIF, un compte individuel de formation abondé par l’entreprise mais « activé » à l’initiative du salarié avec l’accord de son employeur. Bien que novateur, le DIF ne fournit pas une réponse suffisante à tous les objectifs de la réforme. Il s’est vu en particulier reprocher de ne pas être transférable en cas de mobilité professionnelle. À la suite de deux accords nationaux interprofessionnels de 2008 et 2009, la portabilité du DIF a été étendue et, parallèlement, un « fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels », abondé par une partie des contributions obligatoires des entreprises à la formation est créé en 2009. Il est destiné à financer l’accès à la qualification et à la requalification de salariés et de demandeurs d’emploi ciblés. Le « droit à l’information, l’orientation et la qualification professionnelles » est réaffirmé par la loi du 24 novembre 2009 qui crée un service de conseil et d’orientation professionnelle « dématérialisé gratuit et accessible à toute personne ». Faut-il voir dans ces dernières législations un retour partiel vers l’esprit de l’éducation permanente (VAE, DIF) et de la promotion sociale ? Les changements récents suggèrent plutôt qu’il s’agit de mettre en avant la figure d’un individu autonome rendu responsable du maintien de sa capacité à occuper un emploi tout au long d’un parcours professionnel désormais envisagé comme discontinu. À la suite d’un accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 sur la « sécurisation de l’emploi » (repris dans la loi du 5 mars 2014) est créé le compte personnel de formation (CPF). Ouvert dès l’entrée sur le marché du travail et mobilisable jusqu’à la retraite, ce compte individuel est alimenté annuellement par l’entreprise et ponctuellement par d’autres financeurs. Plus encore que le DIF, auquel il se substitue à partir de 2015, il entend découpler la formation de l’emploi en 92
Sociologie de la formation post-scolaire ■ Chapitre 3
« attachant ces nouveaux droits à la personne elle-même et non au statut ». Cependant, la mobilisation de ce dispositif doit respecter des conditions qui rappellent que, dans l’esprit des partenaires sociaux, ce compte est davantage un outil d’accompagnement des parcours professionnels qu’un droit universel à l’éducation permanente. Ainsi, les formations éligibles à ce financement doivent faire partie d’un « socle de connaissances et de compétences » ou de listes de formations prioritaires établies par les branches professionnelles. L’aide au choix de la formation est renforcée par la création d’une prestation de « conseil en évolution professionnelle », dispensée gratuitement dans le cadre du service public régional de l’orientation au titre des « nouveaux droits individuels pour la sécurisation des parcours » (loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi). Depuis les années 2000, les sphères de l’orientation professionnelle des adultes et de la formation post-scolaire sont ainsi de plus en plus intriquées pour accompagner l’individualisation croissante des politiques d’emploi et de formation, dans un contexte de chômage massif et de précarisation de l’emploi. Ce mouvement vers l’individualisation des droits dans le champ de l’emploi et de la formation n’est pas achevé puisqu’à peine le CPF mis en œuvre, était annoncée la création d’un compte personnel d’activité destiné à faciliter l’accès de chacun à ses droits sociaux, parmi lesquels la formation professionnelle. Ces politiques publiques suscitent de nombreux travaux qui questionnent notamment les fondements et les enjeux des « comptes individuels » comme instrument privilégié d’action publique1, ainsi que les conditions propices à développer la capacité à agir des salariés en matière d’évolution professionnelle2.
2. Pratiques de formation et rapports sociaux en entreprise La question de la formation en entreprise figure parmi les centres d’intérêt des sociologues depuis les travaux de P. Naville et de G. Friedman. De premières recherches empiriques comparant les politiques de formation dans les grandes entreprises sont lancées dès la fin des années 1950, souvent dans une perspective d’amélioration de la gestion du personnel. Elles font ressortir une diversification des politiques de formation, entre l’objectif de permettre simplement une adaptation des salariés à leur travail et une intégration plus poussée à la gestion des ressources humaines. L’accès des salariés à la formation apparaît dans ces recherches comme lié aux changements techniques et économiques, ainsi qu’aux politiques de gestion du personnel et au thème souvent évoqué de la promotion sociale. 1. J. Gautié, N. Maggi-Germain et C. Perez (2015). « Fondements et enjeux des “comptes de formation” : les regards croisés de l’économie et du droit », Droit social, n° 2, février, p. 169-180. 2. C. Perez (2014). « Le pouvoir d’agir des salariés au prisme de la formation : les promesses non tenues d’une doctrine managériale », Relations industrielles/Industrial Relations, vol. 69, n° 1, p. 3-27.
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Au cours de la période qui suit, des recherches s’inspirant des théories de la segmentation du marché du travail considèrent prioritairement la formation comme un outil de gestion de la main-d’œuvre, dont les caractéristiques et les résultats varient en fonction de facteurs structurels tels que la taille, la branche, l’intensité capitalistique et, plus particulièrement, le degré de développement du marché interne du travail1. Cette perspective insiste sur les rapports de classe dans l’entreprise et tend à minimiser la diversité des pratiques de formation, y compris dans les secteurs à forte concentration en capital. D’autres auteurs, liés au courant de l’analyse stratégique, se centrent sur le système organisationnel de l’entreprise. Ils constatent que la formation, en redistribuant les formes de savoir ou d’expertise, fait naître de nouvelles relations entre les acteurs de l’entreprise qui s’expriment par un réagencement des réseaux d’alliances et par de nouvelles formes de pouvoir ou d’autorité. La relation établie par Sainsaulieu2 entre « logiques de formation » et « logique de production » met en lumière des types d’acteurs différenciés qui renvoient à des formes contrastées d’identités au travail3. En prise avec la montée des questions liées à la compétitivité des entreprises, la formation continue se transforme en profondeur au cours des années 1980, accompagnant les changements des politiques de gestion des ressources humaines, mais aussi de l’organisation et des contenus du travail. Elle s’intègre aux stratégies de l’entreprise et aux changements du travail. Même si certains observateurs concluent, en comparant de nombreux cas, à une « construction inachevée4 », le paysage des formations en entreprise, depuis les années 1990, n’a plus grandchose à voir avec celui issu de la législation de 1971. Une des façons d’appréhender ces changements consiste à croiser le regard des différents acteurs de l’entreprise (salariés, encadrement, responsable de formation, représentants du personnel). On a ainsi pu relever l’existence d’écarts entre les discours patronaux sur le renforcement de la capacité des salariés à développer leur qualification tout au long de la vie et les pratiques mises en œuvre dans l’espace social concret que représente l’entreprise. Cette approche a permis également de mettre en évidence les difficultés que rencontrent les représentants du personnel lorsqu’il s’agit d’intervenir dans des questions liées à l’attribution des formations en entreprise, la défense d’intérêts collectifs s’articulant mal à des politiques de formation de plus en plus individualisées.
1. Ph. Méhaut (1978). Formation continue, gestion du personnel et marché de la formation : une étude régionale du système français de formation continue. Paris, Éd. du CNRS. 2. R. Sainsaulieu (1981). L’Effet formation dans l’entrepris, Paris, Dunod. Un article portant le même titre avait été publié en 1974 dans la revue Esprit. 3. R. Sainsaulieu (1977). L’Identité au travail, Paris, PFNSP. 4. M. Feutrie, E. Verdier (1993). « Entreprise et formation qualifiante. Une construction sociale inachevée », Sociologie du travail, n° XXXV 4, p. 469-492.
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En écho aux réformes institutionnelles promouvant, depuis 2004, l’initiative individuelle en formation, plusieurs travaux se sont attachés, à partir d’études de cas approfondies, à identifier des environnements professionnels « capacitants », c’est-à‑dire favorables au développement professionnel des salariés1. Ils mettent en évidence qu’une organisation dite apprenante ou une gestion par les compétences ne constituent pas en soi un environnement propice au développement professionnel des salariés. Les marges de manœuvre laissées aux salariés tant dans le choix de leur formation que dans la construction de perspectives d’évolution professionnelles s’avèrent aussi déterminantes. Parallèlement, les dispositifs d’information statistique se sont enrichis et des enquêtes européennes conduites auprès des individus (comme AES, Adult Education Survey, conduite par Eurostat), auprès des entreprises (comme CVTS, Continuing Vocational Training Survey, Eurostat), ou permettant le croisement des informations contenues dans diverses sources (Difes, Dispositif d’information sur la formation employeur-salarié, conduite par le Céreq), deviennent accessibles. L’exploitation de ces sources a permis d’approfondir la connaissance des pratiques de formation des salariés ainsi que des facteurs contextuels propices à la formation. Ces enquêtes permettent notamment de mieux documenter la diversité des politiques de formation des entreprises et leur incidence sur la participation à la formation. On notera en particulier l’existence de politiques de formation, très minoritaires (11 % des entreprises) mais « vertueuses », qui offrent des opportunités de formation et d’évolution professionnelle et favorisent l’expression des aspirations à la formation des salariés et la formulation de leurs besoins en la matière2. Il manquait à ce dispositif d’enquêtes la dimension longitudinale qui autorise notamment l’étude des effets de la formation sur les parcours professionnels, manque qui devrait être comblé par l’enquête Defis (Dispositif d’enquête sur les formations et les itinéraires des salariés).
3. L’évolution des approches sociologiques de la formation post-scolaire Longtemps resté marqué par la théorie de la reproduction, le regard des sociologues a fait place à un vaste débat suscité par l’émergence de nouvelles formes d’organisation du travail et de la formation, mais aussi de controverses nées à propos des façons de penser la qualification 1. J. M. Verd, J. Vero (2011). « Pourquoi la flexicurité mérite-t‑elle qu’on en débatte à partir de l’approche par les capacités ? », Formation emploi, n° 113, p. 5-14. 2. M. Lambert, J. Vero (2013). « The capability to aspire for continuing training in France. The role of the environment shaped by corporate training policy », International Journal of Manpower, vol. 34, n° 4, p. 305-325.
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ou la compétence des salariés. Ce mouvement, qui a animé les années 1990 et 2000, a contribué à valoriser des approches de type compréhensif, qui prennent en compte les significations de la formation pour les individus qui s’y engagent en tant qu’acteurs. La période actuelle semble caractérisée par le brouillage des catégories et la diversification des approches, au sein de laquelle la volonté de comprendre l’évolution des pratiques et des dispositifs passe de plus en plus souvent par la mise en perspective historique.
3.1 De la théorie de la reproduction aux « formes identitaires » L’impact de la théorie de la reproduction formulée par P. Bourdieu et J.-C. Passeron a débordé la sociologie de l’éducation pour s’appliquer au cas de la formation professionnelle, initiale et continue. Comme l’école, la formation continue véhicule des inégalités sociales et des rapports de domination qui reproduisent le capital culturel hérité et le transforment en mérites individuels justifiant la hiérarchie des positions sociales et professionnelles. Les premières études sur le public des « cours du soir » et des instituts de promotion supérieure du travail confirment le rôle de ces mécanismes scolaires de reproduction sociale au sein des formations post-scolaires. Plutôt que d’offrir une « deuxième chance » à la masse des ouvriers et employés ayant quitté l’école précocement, la formation continue de type « promotion sociale » permet souvent à une fraction très limitée d’entre eux, qui disposent par leurs origines sociales d’un capital culturel plus élevé, de suivre une trajectoire de contre-mobilité, c’est-à‑dire de rattraper un déclassement accidentel et temporaire en début de vie active1. Même en cas de réussite au diplôme, après un long et incertain parcours, elle ne donne accès qu’à des fonctions et des carrières inférieures à celles des diplômés d’école. Cette approche essentiellement critique ne s’oppose pas fondamentalement à une autre perspective structurelle qui traite la formation comme une modalité de reproduction de la force de travail, fortement intégrée à la gestion du personnel et aux rapports de classe au sein de l’entreprise2. Une troisième perspective s’efforce d’articuler les deux précédentes, tout en y intégrant l’élucidation des significations différentielles que les salariés accordent à la formation selon les segments de marché du travail sur lesquels ils évoluent3. La segmentation n’est plus seulement économique et productive, elle est aussi sociale et culturelle : l’évolution des rapports des salariés à la formation est analysée en articulant les contraintes structurelles de la production et les
1. P. Fritsch (1971). L’Éducation des adultes, Paris-La Haye, Mouton ; C. de Monlibert (1977). « L’éducation permanente et la promotion des classes moyennes », Sociologie du travail, 3, p. 246-259. 2. P. Méhaut (1978) op. cit. 3. C. Dubar, C. Nasser. La formation professionnelle continue, op. cit. C. Dubar (1991). La Socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles, Paris, Armand Colin (2e éd. 1995).
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dynamiques culturelles des biographies individuelles. Au cours des années 1990, l’entreprise « flexible », engagée dans des changements techniques et organisationnels de grande ampleur, soucieuse de la qualité des produits et d’une plus forte mobilisation des salariés, fait l’objet de recherches qui soulignent le changement de signification de la formation : à une formation « traditionnelle » adaptative et instrumentale, caractérisée par les actions de courte durée liées à l’introduction de nouvelles installations techniques, se substituent des formations plus longues, plus qualifiantes, élaborées en concertation avec les salariés, impliquant le personnel d’exécution, intégrées à un redéploiement d’ensemble de la stratégie de l’entreprise. Dans certains cas, un caractère formateur est reconnu au travail lui-même. Il ne s’agit pas seulement, par la formation, de faciliter l’apprentissage de savoir-faire mais aussi de permettre l’acquisition et la mise en œuvre de connaissances techniques et organisationnelles, et, surtout, de « compétences sociales » : communication, capacité de travailler en équipe, prise d’initiatives… Celles-ci sont requises par les nouvelles formes d’organisation du travail qui peuvent, sous certaines conditions, devenir « qualifiantes », c’est-à‑dire permettre la construction et le partage de savoirs nouveaux, y compris pour des opérateurs dont l’autonomie peut être favorisée par des liens étroits entre formation et activités de travail. Cette vision, souvent trop normative et optimiste se voit relativisée par des recherches empiriques qui montrent la fragilité des expériences allant dans ce sens, dépendantes de la coopération de nombreux acteurs et vulnérables à diverses formes de dérive soit vers le modèle scolaire, soit vers l’adaptation à court terme aux besoins immédiats1. Ainsi apparaît la nécessité de prendre en compte les manières, socialement construites au cours des biographies, dont les individus vivent et expriment leur rapport à la formation ou aux innovations organisationnelles. Les travaux de Claude , souvent repris, mettent en avant quatre modalités différentes d’inscription de la formation dans les « formes identitaires » des salariés.2
3.2 Brouillage des catégories et diversification des approches L’enseignement le plus marquant des dernières années est certainement cette montée des incertitudes, tant pour les individus concernés par la formation que pour ceux qui les décident ou les mettent en œuvre. La conjoncture de crise de l’emploi tend ainsi à jeter le doute sur la pertinence des catégories utilisées antérieurement dans le débat social (promotion sociale, innovations, compétences). De même, les catégories officielles cristallisées dans l’appareil statistique deviennent floues et inadaptées aux évolutions des politiques et des pratiques de formation. Si, par exemple, la notion de stagiaires de la « promotion sociale » avait pu posséder 1. M. Feutrie, E. Verdier (1993). Op. cit. 2. C. Dubar, C. Gadea (1998). « Évolution de la promotion sociale et dynamique des formes identitaires », Éducation permanente, n° 136, p. 79-89.
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une signification relativement claire lors des années 1960 et 1970 et se prêter à des mesures fiables, elle a aujourd’hui disparu des statistiques officielles. Dans le même temps, les perturbations du marché du travail et des règles régissant la négociation entre employeurs et salariés entraînent une diversification forte des publics de la formation post-scolaire ; les attentes et objectifs des candidats ne correspondent plus que de façon minoritaire aux anciennes catégories ; la formation devenant une contrainte pour les salariés qui veulent préserver leur employabilité, il devient plus difficile de savoir dans quelle mesure elle peut relever de l’initiative individuelle1. Les chercheurs tentent ainsi de reconstruire des catégories opératoires, s’efforçant de combiner l’analyse qualitative des sens subjectivement vécus de la formation, seule façon d’élaborer de nouvelles typologies des publics, avec des estimations quantitatives des effectifs de ces diverses catégories. Une des tendances les plus notables en matière de recherche consiste à adopter une perspective socio-historique pour retracer les contextes sociaux et les acteurs de la mise en place de la formation post-scolaire, soit en adoptant une périodisation longue, remontant jusqu’à la Libération2, soit en centrant le propos sur certains établissements emblématiques3, soit encore en ciblant une période jugée décisive4. Ce regard rétrospectif a pu faire ressortir le rôle spécifique de certaines catégories d’acteurs5, éclairer les mécanismes producteurs des inégalités de genre dans l’accès à la formation6 ou dresser un bilan des travaux et des connaissances7.
3.3 La persistance des inégalités face à la formation continue Un des constats les plus récurrents de ces bilans est celui de la persistance des inégalités, après plus de cinquante ans de politiques publiques censées contribuer à leur disparition. Ce n’est pas seulement dans les chances d’accès à la formation que se lisent ces inégalités, mais aussi dans ses effets en termes de promotion. En matière d’accès à la formation, les écarts entre catégories socioprofessionnelles restent stables, de même que ceux qui sont liés aux niveaux de diplôme en 1. M. Correia, F. Berton (dir.) (2004). Initiative individuelle et formation. Contributions de la recherche, état des pratiques et étude bibliographique, Paris, L’Harmattan. 2. G. Bucy, P. Caillaud, E. Quenson, L. Tanguy (2007), op. cit. 3. F. Laot (2014). « Le CUCES-INFA ou “complexe de Nancy”, creuset d’innovations pour l’éducation permanente (1954-1973) », Éducation permanente, n° 198, p. 199-215. 4. E. de Lescure (2004). La Construction du système français de formation continue, Paris, L’Harmattan. 5. G. Bucy (2007). « La formation au travail. Une affaire de cadres », in Bucy, Caillaud, Quenson, Tanguy, op. cit. 6. E. Ollagnier (2010). « La question du genre en formation des adultes », Savoirs, n° 22, p. 9-52. 7. C. Frétigné, E. de Lescure (2007). « Sociologie et formation en France », Savoirs, vol 3 n°15, p. 9-55 ; E. Quenson (2012) « La formation en entreprise : évolution des problématiques de recherche et des connaissances », Formation Emploi, n° 28, p. 11-63.
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formation initiale, ils restent également importants en termes de genre et d’âge et de différences entre immigrés et salariés français1. Les facteurs structurels d’inégalité, tels que la taille des entreprises, le secteur d’activité, la zone géographique, les spécificités territoriales de la gestion de la main-d’œuvre ou des politiques publiques, continuent aussi d’exercer un rôle important. Le système français est bien devenu un système de formation professionnelle continue et non d’éducation permanente, il tend à exclure les individus restés à l’écart du marché du travail (femmes au foyer…) ou ceux qui en sont sortis (retraités). On notera que bien que le nombre de chômeurs se soit accru au cours des dernières années, les effectifs de demandeurs d’emploi ayant effectué une formation stagnent, et la durée moyenne des formations tend à diminuer2. Certes, il existe d’autres motivations et d’autres voies de formation post-scolaire que la formation professionnelle, et celles-ci ont connu un fort développement au cours des dernières années, en particulier à cause de l’essor d’internet et des technologies de la communication qui favorisent l’apprentissage individuel, aussi bien de savoirs formels (par exemple l’étude des langues avec les multimédias, ou les enseignements à distance à l’université) que de savoirs informels (par exemple surfer sur internet et consulter les encyclopédies collaboratives) d’une infinie richesse et accessibles gratuitement… pour qui possède un ordinateur, sait l’utiliser et peut payer un fournisseur d’accès à internet. Les inégalités d’accès et de ressources sont en effet souvent sous-estimées par les approches cognitivistes qui s’intéressent aux effets du numérique sur les processus d’apprentissage3. Des inégalités supplémentaires peuvent surgir à l’issue de la formation. Il est trop tôt pour disposer des résultats de l’enquête FQP (« Formation et qualification professionnelle ») réalisée par l’Insee en septembre 2015, mais il est à craindre que dans un contexte de crise de l’emploi et d’aggravation des inégalités, le constat soit analogue à celui qui ressort des travaux antérieurs : les hommes déclarent plus souvent avoir reçu une augmentation de salaire que les femmes, les salariés ayant suivi une formation longue plus souvent que ceux qui sont passés par des formations courtes. Les inégalités, cependant, ne s’accumulent pas nécessairement : les chances d’augmentation sont plus grandes dans les secteurs où les taux d’accès à la formation sont plus faibles, et il semble que les petites entreprises, qui offrent moins de possibilités d’accès à la formation, réservent plus de chances d’augmentation.
1. D. Gélot, C. Minni (2006). « Les immigrés accèdent moins à la formation professionnelle continue », Formation emploi, n° 94, p. 93-109. 2. J. Aude (2015). « La formation professionnelle des personnes en recherche d’emploi », Dares Analyses, n° 30. 3. B. Blandin (2012). « Apprendre avec les technologies numériques : quels effets identifiés chez les adultes ? », Savoirs, n° 30, p. 9-58.
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Quant aux effets de la formation sur le changement de catégorie professionnelle, c’est-à‑dire sur la promotion, le constat le plus clair qui ressort depuis les années 1990 est celui d’un effondrement des chances de promotion à l’issue de la formation. La plupart du temps, les salariés formés n’ont connu aucun changement dans leur situation professionnelle, ou alors il s’agit uniquement de mobilité horizontale. En fait, la formation avantage les salariés les plus stables et les mieux intégrés aux marchés internes des entreprises, elle permet notamment d’augmenter la rémunération des salariés appartenant aux entreprises qui payent déjà le mieux leurs salariés et elle fonctionne comme un signal en faveur de ceux qui disposaient déjà des meilleures opportunités de carrière1. Ces caractéristiques sont-elles propres au cas français ? Les éléments de comparaison fournis par les enquêtes européennes ne permettent pas de mesurer avec précision les inégalités d’accès, mais on peut y relever, à l’intérieur d’une tendance générale à l’homogénéisation des chances de formation sous l’effet des politiques publiques encouragées par l’Union européenne, certaines spécificités nationales. La France demeure un pays où les chances d’accès à une formation par cours ou stages sont nettement supérieures à la moyenne européenne, sans doute en raison du dispositif juridique mis en place à partir de 1971, qui incite les entreprises à recourir à ce type de formation. En revanche, les taux d’accès aux autres types de formation, par exemple en situation de travail, sont plutôt bas2.
4. Conclusion Les comparaisons, notamment européennes, permettent de prendre plus clairement conscience que le terme « formation » n’a pas le même sens dans tous les pays européens et que ses liens avec le travail, l’emploi, la mobilité ne sont pas pensés partout de la même manière. Néanmoins des travaux récents issus de divers pays font ressortir des tendances analogues, en particulier autour du déplacement des politiques publiques de la notion d’éducation des adultes, conçue comme un droit que cherchaient à satisfaire, sous différentes formes, les Étatsprovidence européens, vers la formation tout au long de la vie, conçue comme une nécessaire adaptation de leurs qualifications qui incombe aux salariés pour préserver leur employabilité, dans un contexte de recul de l’État-providence et d’effondrement des marchés du travail ou de
1. D. Goux, E. Maurin (1997). « Les entreprises, les salariés et la formation continue », Économie et statistiques, n˚ 306, p. 41-55 ; P. Béret (2009). « Formation continue, salaires et transformation des marchés internes », Travail et emploi, n° 117, p. 67-80. 2. J.-F. Mignot (2013). « Formation continue des salariés en Europe : les écarts entre pays se réduisent encore », Bref-Céreq. n° 312.
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forte précarisation des salariés1. De la finalité sociale et culturelle, la formation post-scolaire est passée à une finalité économique, celle du maintien de la compétitivité des entreprises par le développement des qualifications, mais cette finalité est elle-même en train de céder le pas devant la contrainte de l’adaptation au marché du travail. L’entreprise a pris le contrôle de la formation, dans un premier temps pour l’intégrer à la gestion de son marché interne du travail, mais elle semble à présent la déléguer de nouveau au salarié, pris comme individu rendu responsable de son parcours, non plus pour s’engager dans une ascension sociale, encore moins pour s’adonner au plaisir d’apprendre, mais simplement pour assurer sa survie professionnelle et échapper à la précarité ou la désaffiliation sociale. Paradoxalement, ce qui pouvait apparaître dans les années 1960 comme une utopie dont rêvaient certains syndicalistes, le compte individuel de formation, est devenu aujourd’hui un droit reconnu, mais entre-temps, tant de perspectives qui étaient alors considérées comme acquises ou probables (un emploi stable, un pouvoir d’achat en hausse, l’espoir d’une ascension sociale et d’une tendance à la réduction des inégalités, une évolution des acquis sociaux dans un sens favorable aux travailleurs) se sont perdues ou sont devenues si incertaines que le rêve semble laisser un goût amer et dérisoire en accédant à la réalité. Pourtant, le pessimisme n’est pas vraiment de mise : on peut voir au contraire dans la formation, qui demeure un thème majeur du dialogue social, un domaine qui continue de faire l’objet d’avancées, pendant que les piliers de la société salariale se désagrègent.
1. Voir par exemple les contributions au dossier « The effects of policies for the education and learning of adults. From “adult education” to “lifelong learning”, from “emancipation” to “empowerment” ». European Journal for Research on the Education and Learning of Adults, vol. 3, n° 2, 2012.
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Lectures conseillées Brucy G., Caillaud P., Quenson E., Tanguy L., (2007). Former pour réformer. Retour sur la formation permanente (1945-2004), La Découverte, coll. « Recherches ». Dubar C., Nasser C. (2015) La Formation professionnelle continue, Paris, La Découverte, coll. « Repère ». Dubar C., Gadea C. (dir.) (1999). La Promotion sociale en France, Villeneuve d’Asq, Presses universitaires du Septentrion. De Lescure E. (2004). La Construction du système français de formation continue, Paris, L’Harmattan.
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INSEE (2013). Formations et emploi, Insee Références. Laot F. (2010), « La promotion sociale des femmes : le retournement d’une politique de formation d’adultes au milieu des années 1960 », Le Mouvement social, n° 232, p. 29-45. Perez C., (2009), « Les travailleurs précaires face à la formation professionnelle continue : une analyse de leurs motifs de non-participation », Formation emploi, n° 105, janvier mars, p. 5-19. Quenson E. (2012). « La formation en entreprise : évolution des problématiques de recherche et des connaissances », Savoirs, n° 28, p. 11-63.
Chapitre 4 Le droit de la formation professionnelle tout au long de la vie1
1. Par Jean-Marie Luttringer.
Sommaire 1. La formation professionnelle définie par son organisation juridique..................... 106 2. La personne « sujet du droit » de la formation....................................................... 113 3. La reconnaissance juridique des acquis de la formation........................................ 118 4. Conclusion............................................................................................................. 120 Lectures conseillées.................................................................................................. 120
« Le droit est un fait de société » (ubi societas ibi jus). Il se caractérise par des règles, des institutions, des juges, des contraintes, des sanctions. La formation professionnelle, appréhendée d’une part comme système d’organisation, et d’autre part comme processus d’apprentissage, n’échappe pas au droit en vigueur dans une société donnée. Oui mais… Robinson Crusoé ? Avant l’arrivée de Vendredi, Robinson Crusoé, seul sur son île, vit hors société, il ne connaît aucune forme de droit. En pratiquant l’autodidactie il acquiert des savoir-faire (traire les chèvres, cultiver, construire…). L’arrivée de Vendredi donne naissance au droit sous sa forme originelle décrite par l’anthropologue Marcel Mauss, caractérisé par le don et le contre-don, qui est à l’origine de la forme moderne du contrat, dont la finalité est d’organiser un échange de biens ou de services, entre deux personnes physiques ou morales, à titre gratuit ou onéreux. Le contrat est présent dans tout « processus d’apprentissage » qu’il soit « formel » et proposé dans le cadre d’une institution dédiée à cet effet, ou « informel », support de la confrontation avec des pairs, un tuteur, un référent…
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La métaphore de Robinson Crusoé illustre le fait que les processus d’apprentissage peuvent prospérer avec un encadrement juridique minimaliste. Cependant, dès lors que la formation s’organise dans l’univers du travail, ce qui est le cas de la formation professionnelle, il est nécessaire qu’elle soit reconnue comme objet identifiable, traçable, finançable, sanctionnable… toutes fonctions qui ont à voir avec le droit. La complexité, relative du droit français de la formation professionnelle, ne résulte ni des droits sociaux fondamentaux dont il relève (Unesco, OIT, Charte sociale européenne, Préambule de la Constitution…) ni des processus d’apprentissage à proprement parler, mais de choix « d’organisation », inscrits dans une histoire et une culture singulière. Ainsi, vouloir transposer en France, le système allemand de la formation professionnelle supposerait d’adopter au préalable les piliers de l’ordre juridique et social de ce pays, que sont le fédéralisme, un syndicalisme unitaire, la répartition des compétences entre organisations patronales et organismes consulaires, la place de l’enseignement technique professionnel public, de changer la logique de financement et de fiscalité de la formation professionnelle… le même raisonnement vaut pour d’autres systèmes nationaux d’organisation de la formation professionnelle. La première partie de ce chapitre sera consacrée à la présentation des caractéristiques juridiques du système d’organisation de la formation professionnelle, la deuxième partie de l’encadrement juridique des processus d’apprentissage, la troisième partie aux modalités juridiques de reconnaissance des acquis de la formation.
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1. La formation professionnelle définie par son organisation juridique 1.1 Introduction 1.1.1 Les choix fondateurs L’organisation de la formation professionnelle continue repose, à l’inverse de la formation initiale, placée sous la tutelle du ministère de l’éducation nationale, sur un système ouvert dans lequel intervient une grande diversité d’acteurs, tous légitimés par la loi : les pouvoirs publics : État et Régions, les partenaires sociaux, l’entreprise, les prestataires de services de formation et de services associés, et bien entendu les apprenants eux-mêmes. Les choix politiques fondateurs de 1971 en faveur d’une « obligation nationale » et non d’un service public organique, de la valorisation du rôle des partenaires sociaux, de la forte implication des entreprises, notamment sur le plan du financement, et de l’instauration « d’un marché » de la formation professionnelle, ont perduré au cours de ces quatre dernières décennies.
1.1.2 Le droit de la formation professionnelle tout au long de la vie n’est pas le droit de l’éducation Des choix fondateurs il résulte que le droit de la formation a son siège pour l’essentiel dans le Code du travail et non dans celui de l’éducation, même si celui-ci contient quelques dispositions relevant du droit de la formation : l’apprentissage, la VAE, la certification… Sur le plan juridique le continuum est loin d’être construit entre formation initiale et continue. Le droit de l’éducation et celui de la formation professionnelle continue sont, en réalité, dans notre système juridique, inconciliables comme le sont l’eau et le feu. Le premier est régi par la loi de la République, impersonnelle et générale, celle du service public fondé sur les principes d’égalité et de gratuité : mêmes programmes pour tous, statut uniforme des enseignants, statut tutélaire des élèves, obligation scolaire, droit disciplinaire interne. Exception faite du principe de gratuité l’enseignement privé est placé sous l’égide des mêmes principes. Le second fait une place centrale au contrat (individuel et collectif) en lieu et place du statut. Il échappe au principe de gratuité et d’universalité. Il fait une place plus grande au principe constitutionnel de « la liberté d’entreprendre » consubstantiel au droit de la concurrence.
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1.2 Les institutions publiques 1.2.1 L’État, les régions Dans notre République « une et indivisible », le pouvoir normatif (lois, décrets) dans le champ de la formation professionnelle est assuré par l’État. L’accroissement de compétences des conseils régionaux n’emporte pas transfert du pouvoir normatif à leur niveau. L’État assure également le pilotage stratégique des politiques de formation professionnelle par l’allocation des ressources budgétaires notamment par les lois de finances, une concertation quadripartite au sein du Cnefop (Conseil national de l’emploi de formation de l’orientation professionnelle). Par ailleurs, plusieurs ministères, autres que le ministère de l’Éducation nationale, sont des « ministères formateurs » dont celui de l’Agriculture, de la Jeunesse et des Sports, etc. D’autres sont des « ministères certificateurs ». Les référentiels de certification ainsi que les titres de diplômes qu’ils produisent sont enregistrés par le CNCP (Conseil national de la certification professionnelle), au RNCP (Répertoire national des certifications professionnelles). Cependant la période récente se caractérise par la montée en compétences des conseils régionaux. Le Code du travail confère la qualification de service public à l’activité des régions en matière de formation professionnelle et d’orientation. Face à l’ambivalence de cette notion, qui renvoie d’une part à une conception « organique » dans laquelle l’administration s’organise pour assurer elle-même les missions de service public et d’autre part une conception « matérielle » conçue comme une mission d’intérêt général dont la personne publique peut confier l’exécution à des personnes privées, le législateur a sans ambiguïté opté pour la seconde acception. « Le service public postule une certaine représentation du lien social : à travers les droits reconnus aux usagers, se profile l’idée que les besoins fondamentaux des individus doivent être satisfaits ; à ce titre le service public est producteur d’intégration et de cohésion sociale […]. Parmi les principes qui sous-tendent le régime de service public, une importance particulière doit être accordée au principe d’égalité, qui est au fondement même de l’institution des services publics : accessible à tous, le service public est censé offrir des prestations identiques à ses usagers1. »
1. J. Chevalier. Le Service public, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », p. 101.
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1.3 Les partenaires sociaux 1.3.1 « La loi négociée » au niveau national interprofessionnel Les textes fondateurs de notre système de formation professionnelle (accord interprofessionnel du 11 juillet 1970 et loi « Delors » du 16 juillet 1971) traduisent la recherche d’un équilibre entre la loi, (démocratie politique), et la négociation collective (démocratie sociale). Cette dialectique des sources du droit de la formation est restée en vigueur pendant plus de quatre décennies. Le droit français de la formation professionnelle résulte en effet d’une savante alchimie entre la loi et la négociation collective. Les « partenaires sociaux » (dont les relations ne sont pas toujours partenariales…), sont dans leur rôle en assurant la défense des intérêts de leurs adhérents, les salariés pour les organisations syndicales de salariés, et les employeurs pour les organisations patronales. Par ailleurs du Code du travail qui définit le périmètre « du droit des salariés à la négociation collective englobe la formation professionnelle, au même titre que les salaires, l’emploi et les garanties sociales… » (art. 2221-1). La méthode d’élaboration du droit de la formation instituée par l’article premier du Code du travail, dite de « la loi négociée », a l’avantage de produire des lois fondées sur le consensus, mais elle a l’inconvénient de subordonner l’intérêt général dont sont porteurs les élus du peuple aux intérêts spécifiques défendus par les organisations patronales et les organisations syndicales de salariés. Ainsi les évolutions récentes que connaît le droit de la formation professionnelle par l’affirmation « de la personnalisation » de ce droit, ainsi que de son caractère « universel » illustré notamment par la VAE, qui est un droit de la personne, le compte personnel de formation (CPF) qui se définit comme un droit universel indépendamment du statut de la personne, conduit à s’interroger sur la légitimité des partenaires sociaux à exercer un pouvoir normatif par la voie de la négociation collective, en dehors du périmètre de légitimité qui leur est conféré par la constitution et par la loi.
1.3.2 La négociation de branche sur la formation professionnelle Si la négociation collective sur la formation professionnelle a connu ses heures de gloire au niveau national et interprofessionnel, elle est également prégnante depuis les années 1980 au niveau des branches professionnelles. Le rôle des branches professionnelles a été réaffirmé par la loi du 5 mars 2014. Les thèmes ouverts à la négociation sont nombreux : négociation triennale sur les objectifs, les priorités, les moyens de la formation, instauration d’une contribution conventionnelle de branche, supplémentaire à l’obligation légale de 1 % de la masse salariale, négociation quinquennale sur les classifications en vue de la prise en compte des acquis de la formation tout au long de la vie. Le CPF offre de multiples thèmes pour cette négociation : abondements par les OPCA ou les employeurs, articulation avec le compte épargne-temps, formations qualifiantes éligibles au titre du compte personnel de formation, création de CQP (certificat de qualification professionnelle), dispositions relatives à l’apprentissage… 108
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1.3.3 La gestion paritaire prolongement de la négociation collective Dans la tradition française du dialogue social sur la formation professionnelle la négociation collective au niveau interprofessionnel et au niveau des branches est prolongée par la gestion paritaire des ressources allouées à la formation. Les partenaires sociaux gestionnaires des OPCA/Opacif doivent contribuer au développement de la formation professionnelle et veiller à l’allocation efficiente des ressources qui leur sont confiées en vue de favoriser l’accès des salariés à « des formations de qualité » qui correspondent aux besoins du marché du travail, qui contribuent à la sécurisation des parcours professionnels et facilitent la promotion professionnelle et sociale. La gestion paritaire de la formation par les OPCA, et les Opacif qui se caractérise par l’intermédiation entre l’offre et la demande de formation, et qui fait l’objet de critiques récurrentes a cependant démontré sa valeur ajoutée notamment parce que la mutualisation des ressources, qui est au cœur de la gestion paritaire permet un meilleur accès à la formation des salariés des PME et des TPE, le financement de la formation en alternance, le financement du congé individuel de formation, de la validation des acquis de l’expérience et permet de contribuer à la sécurisation des parcours professionnels des salariés en particuliers les moins qualifiés.
1.3.4 La négociation d’entreprise sur la formation professionnelle Alors que la négociation collective sur la formation s’est principalement développée au niveau des branches professionnelles, elle est demeurée atone au niveau de l’entreprise selon le « bilan de la négociation collective » publié chaque année par le ministère du Travail. La négociation d’entreprise porte sur les salaires, les conditions de travail et plus rarement sur le thème de la formation professionnelle à l’exception d’accords conclus dans quelques grands groupes. Cependant, des accords traitant de sujets tels que le GPEC, l’égalité professionnelle, les conditions de travail, etc., peuvent contenir des dispositions relatives à la formation. 1.3.5 Le dialogue social territorial Au niveau territorial, la construction de relations entre la démocratie politique (conseils régionaux) et la démocratie sociale, (partenaires sociaux), est pour l’avenir un enjeu majeur. Car c’est dans les bassins d’emploi et les bassins de vie que s’organisent les parcours professionnels et que peut se déployer la formation professionnelle. Le dialogue social, à ce niveau, s’exprime à travers la conduite de projets, auxquelles participent les partenaires sociaux, sans visée normative.
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1.4 L’entreprise Le droit français de la formation professionnelle des salariés se caractérise par une forte structuration juridique aussi bien sur le plan du droit individuel que du droit collectif. Les obligations de financement qui pèsent sur les entreprises contribuent à cette structuration.
1.4.1 Droits individuels à la formation dans l’entreprise Selon la loi l’employeur est tenu par une obligation d’adaptation de chaque salarié à son emploi et il doit « veiller à la capacité du salarié à occuper un emploi », le cas échéant par le recours à la formation. Au début des années 1970, la Cour de cassation considérait que le contrat de travail de droit commun, dès lors qu’il ne s’agissait pas d’un contrat d’apprentissage, ne mettait aucune obligation de formation à la charge de l’employeur. Dans le même temps les premières décisions de conseils de prud’hommes mettaient à la charge de ce dernier une obligation d’adaptation du salarié à l’emploi, le cas échéant par la formation, dès lors que cette adaptation était rendue nécessaire en raison d’une décision d’organisation du travail qui relève du seul pouvoir de direction de l’employeur. Au fil des décennies, cette jurisprudence prud’homale a prospéré. Depuis les années 1990 la Cour de cassation l’a adoptée. Elle a, par ailleurs, fondé ses arrêts sur le principe civiliste de « la bonne foi contractuelle » applicable à tous les contrats, y compris le contrat de travail. Cette jurisprudence, qui aurait pu se suffire à elle-même, a été inscrite dans le Code du travail et confirmée par la loi du 5 mars 2014 qui la prolonge par l’institution d’un entretien professionnel. Celui-ci s’analyse sur le plan juridique comme un droit procédural de nature à permettre à l’employeur de favoriser l’adaptation du salarié à l’emploi « et de veiller à la capacité à occuper un emploi ». Le non-respect de ces procédures peut déboucher sur diverses sanctions : « abondement correctif » du CPF de 150 heures, afin de permettre au salarié de prendre en charge la prévenance du risque d’inemployabilité, indemnités liées à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et le cas échéant, dommages et intérêts pour « perte d’une chance », celle de rester employable en conservant sa qualification. Dans le même temps, en instituant le CPF, la loi, tout en dotant le salarié de ressources pour sa formation, lui signifie qu’il est coresponsable du maintien de son employabilité. D’ailleurs, l’architecture du CPF, constitué d’un socle de ressources apportées de plein droit par l’entreprise, et d’abondements issus de la négociation ainsi que d’une possible contribution directe de l’employeur et du salarié lui-même, ouvre la voie au co-investissement.
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1.4.2 Le droit collectif de la formation professionnelle dans l’entreprise Le dialogue social dans l’entreprise, sous toutes ses formes, délégués du personnel, comité d’entreprise, négociation collective, dont la fonction est d’assurer la défense des intérêts individuels et collectifs des salariés, poursuit l’objectif d’égalité de traitement dans le contexte particulier de chaque entreprise caractérisée par sa relativité : taille, entreprise capitalistique ou de main-d’œuvre, secteur public, entreprise privée etc. Si, dans les grandes entreprises le dialogue social sur la formation trouve à s’exprimer à travers les délégués du personnel, le comité d’entreprise et la négociation collective, il n’en va pas de même des TPE et PME. La capacité à organiser le dialogue social et sa densité sont en effet étroitement liées à la taille de l’entreprise : délégués du personnel à partir de 20 salariés, comité d’entreprise à partir de 50 salariés. Quant à la capacité à négocier un accord d’entreprise elle est très aléatoire et dépend de multiples facteurs dont la présence syndicale dans l’entreprise, l’existence d’enjeux réels à négocier en matière de formation, la compétence technique des négociateurs. Et bien entendu la volonté de l’employeur à s’engager dans cette voie de dialogue social, qui n’est en rien obligatoire, sauf pour l’engagement d’un processus de négociation, sans obligation de conclure, en vue d’un accord GPEC, pouvant comporter des mesures formation dans les entreprises de plus de 300 salariés, S’agissant de la compétence du comité d’entreprise, la loi française n’a jamais « franchi le Rubicon » en donnant à ce dernier un pouvoir de décision ou de codécision en matière de formation professionnelle. Il est informé, consulté, et le plan de formation fait l’objet d’une délibération annuelle ou pluriannuelle, mais le chef d’entreprise reste maître de la décision finale.
1.5 Les prestataires de services de formation et de services associés 1.5.1 La liberté d’entreprendre dans le champ de la formation professionnelle Sur le plan juridique la formation professionnelle est une activité de prestation de service intellectuel protégé par le principe constitutionnel de la liberté d’entreprendre et soumis aux principes du droit de la concurrence. En pratique les prestataires de services qui interviennent dans ce champ connaissent des statuts juridiques les plus divers de droit privé ou de droit public. Ils sont tous soumis à déclaration d’existence (qui n’est pas à confondre avec un agrément). Leur activité est soumise au contrôle des pouvoirs publics. La loi du 5 mars 2014 a mis à la charge des financeurs (Pôle Emploi, conseils régionaux, OPCA et Opacif…) l’obligation de s’assurer de la qualité des formations financées.
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1.5.2 La qualité de la formation saisie par le droit La qualité de la formation, au-delà de la conformité, aux dispositions réglementaires pose celle de sa pertinence, de sa cohérence avec le projet de la personne, et de son efficience c’est-à‑dire de l’adéquation entre la prestation délivrée et les ressources engagées. Elle renvoie également à des règles qui relèvent de l’ordre public et qui ne sont pas spécifiques au domaine particulier de la formation (dérives sectaires…). La loi du 5 mars 2014 vise à renforcer la qualité de la formation de plusieurs manières. La première consiste à recentrer la formation professionnelle sur l’objectif de qualification qui suppose la définition préalable d’un référentiel de certification dont le respect est de nature à garantir la pertinence, la cohérence et l’efficience de la formation au regard du projet de la personne. La seconde voie est celle de la mise à la charge des OPCA et des autres financeurs publics d’une obligation « de contrôle de la qualité de l’offre de formation » qui engage leur responsabilité sur le plan juridique. La troisième voie pourrait bien se construire au fur et à mesure que se développe l’usage du CPF. On peut imaginer que la personne qui affectera au financement d’un projet de formation des ressources dont elle a la pleine propriété, aura à cœur de contrôler la qualité de la prestation qui lui est proposée. Elle pourra alors s’appuyer sur le contrat de formation qui nécessairement la liera au prestataire en s’appuyant notamment sur le droit de protection des consommateurs applicable en la matière (art. L. 6353-3 Code du travail).
1.5.3 L’allocation des ressources Les ressources affectées par les pouvoirs publics, les entreprises et les ménages au financement de la formation professionnelle obéissent à une grande diversité de qualifications et de régimes juridiques. Le budget de la nation consacré à la formation professionnelle (de l’ordre de 32 milliards d’euros) est constitué pour plus de 50 % des dépenses de la rémunération des personnes en formation. Les dépenses de formation à proprement parler sont pour la quasitotalité le fait de tiers payant, les entreprises au bénéfice de leurs salariés, les administrations publiques au bénéfice de leurs collaborateurs, les conseils régionaux et Pôle Emploi au bénéfice de personnes sans emploi, l’Agfiph au bénéfice de personnes handicapées. La question du financement de la formation professionnelle est au cœur de débats récurrents : –– La contribution obligatoire des entreprises au développement de la formation professionnelle de leurs salariés, 1 % de la masse salariale obligatoirement versée à un OPCA, est-elle encore pertinente plus de 40 ans après avoir été instituée ? Les organisations syndicales de salariés pensent que oui, car la mutualisation des ressources contribue à développer l’accès égal à la formation, les employeurs représentants les TPE et PME sont également attachées aux effets positifs de la mutualisation. Les grandes entreprises qui disposent de ressources en volume suffisant pour répondre à leurs besoins propres, et de services internes de formation, sont moins convaincues. 112
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–– La répartition des responsabilités en matière de financement de la formation entre les entreprises et les collectivités publiques est-elle cohérente ? La question récurrente posée est notamment celle du financement des programmes de formation qui contribue à l’insertion des personnes le plus éloignées de l’emploi ainsi que celles des demandeurs d’emploi. Les entreprises et les partenaires sociaux considèrent que les pouvoirs publics ont une fâcheuse tendance à reporter sur eux des responsabilités relevant de l’intérêt général, qui leur incombent. –– Le principe de co-investissement, c’est-à‑dire de la contribution des salariés au financement de leur propre formation, et plus largement la contribution des ménages, ne devrait-il pas être encouragé par des incitations fiscales et par l’affectation du compte épargne temps à des fins de formation ?
2. La personne « sujet du droit » de la formation « On ne forme pas une personne. Elle se forme si elle y trouve un intérêt. » Cette formule de Bertrand Schwartz renvoie à deux problématiques structurantes du droit de la formation, celle des garanties juridiques d’égal accès à la formation tout au long de la vie, quel que soit le statut de la personne, (1) et celle de l’implication de « l’apprenant » dans la relation contractuelle, nécessaire à tout processus d’apprentissage (2).
2.1 L’organisation juridique des voies d’accès à la formation professionnelle tout au long de la vie Les voies d’accès à la formation sont encadrées par une grande diversité de règles de droit qui sont fonction de la situation juridique du candidat à une formation.
2.1.1 Les personnes non salariées de tous statuts L’accès à la formation de toute personne, sans référence à un statut particulier, qui souhaite se former à son initiative, sur son temps et ses ressources personnels est encadré par l’article L. 6353-3 du Code du travail inspiré du droit de la consommation. Ce texte stipule que le formateur et l’apprenant sont liés par un contrat de formation prévoyant des clauses obligatoires, telles qu’un délai de rétractation, une information sur les moyens pédagogiques mis en œuvre, le prix de la formation, etc. Le coût de la formation engagée dans ce contexte est susceptible de donner lieu à une déduction fiscale au titre de l’impôt sur le revenu des personnes physiques. L’accès à la formation des travailleurs non-salariés (travailleurs indépendants, professions libérales exploitants agricoles…) est facilité par des fonds d’assurance formation de travailleurs 113
Traité des sciences et des techniques de la formation
non-salariés dont les ressources mutualisées proviennent de cotisations obligatoires de leurs ressortissants. L’accès du compte personnel de formation (CPF) est ouvert aux travailleurs non-salariés. Les demandeurs d’emploi en formation, qu’ils soient ou non indemnisés par l’assurancechômage, bénéficient du statut « de stagiaire de la formation professionnelle ». Ce statut, inventé dans les années d’après-guerre pour la formation « de la main-d’œuvre » gérée par l’Afpa en vue de la reconstruction du pays, est un « statut intermédiaire » entre celui d’élève ou d’étudiant du système éducatif et celui de salarié du système productif. Il ouvre droit à une rémunération, à la protection sociale et organise la vie collective des stagiaires dans les centres de formation. La gestion de ce statut, dont les règles sont fixées par le Code du travail, est assurée par les conseils régionaux. Ce statut « refuge » est devenu un instrument incontournable des politiques « de traitement » du chômage massif et récurrent que connaît notre pays depuis des décennies.
2.1.2 Les travailleurs salariés Les garanties d’accès à la formation des travailleurs salariés sont greffées, sur le plan juridique, sur leur contrat de travail. Celui-ci peut être « de type particulier » associant un emploi et une formation tel que le contrat d’apprentissage, le contrat de professionnalisation, ou encore une grande diversité de contrats aidés prévoyant une formation. Le contrat d’apprentissage et de professionnalisation qui est un contrat de formation en alternance, connaît un encadrement spécifique dont l’objet est d’organiser la coexistence au sein d’un même contrat de séquences de formation qui prennent appui sur le travail productif, avec des séquences de formation générale ou technologique, organisées par un prestataire de formation, en dehors du processus de production. Les travailleurs salariés titulaires d’un contrat de droit commun peuvent accéder à la formation selon trois modalités juridiques différentes : la formation peut être à l’initiative de l’employeur. Elle s’inscrit alors dans le cadre du plan de formation de l’entreprise et s’analyse sur le plan juridique comme une mission professionnelle : le temps de formation et assimilé à un temps de travail effectif (maintien de la rémunération, de la protection sociale, des congés…). La formation peut être à l’initiative du salarié qui dispose de deux voies d’accès distinctes : le congé individuel de formation (CIF) et le compte personnel de formation (CPF). Sur le plan juridique, le CIF s’analyse comme une modalité « de suspension » du contrat de travail qui se traduit par une autorisation d’absence à des fins de formation, celle-ci pouvant être financée par un Fongecif ou un Opacif si la formation choisie par le salarié est conforme aux critères de ces derniers. Le CPF qui a succédé au DIF représente le dispositif emblématique de la loi du 5 mars 2014 dans le domaine de la formation professionnelle. Les droits acquis par les salariés sont comptabilisés 114
Le droit de la formation professionnelle tout au long de la vie ■ Chapitre 4
en heures, avec un plafond fixé à 150 heures pouvant donner lieu à abondement. La gestion matérielle du compte est assurée par la Caisse des dépôts et consignations. Bien que le caractère personnel du CPF soit affirmé par la loi, l’usage que peut faire le titulaire des droits « capitalisés » est strictement encadré. Seules sont éligibles les formations qualifiantes inscrites sur une grande diversité de listes au niveau national interprofessionnel, ainsi qu’au niveau régional et au niveau des branches. La mobilisation du compte, à la seule initiative du salarié peut être effectuée en dehors temps de travail sans l’accord de l’employeur, et pendant le temps de travail avec l’accord de ce dernier. La mobilisation du CPF peut également être effectuée à l’initiative des demandeurs d’emploi avec ou sans l’accord de Pôle Emploi.
2.2 L’apprenant sujet de droit 2.2.1 Le stage, l’action, le parcours Le mouvement d’individualisation que connaissent les processus d’apprentissage fait écho à celui de la personnalisation des droits à la formation. Les textes fondateurs de 1970 connaissaient principalement « le stage » de formation qui regroupe des « apprenants » indifférenciés auxquels s’applique le même programme. Le stage est en quelque sorte la réplique de la salle de classe. Il a pour conséquence d’introduire le modèle scolaire dans l’univers de la formation professionnelle tout au long de la vie. Il devient avec l’heure stagiaire l’unité d’œuvre de référence sur lequel s’appuient le financement et la gestion de toute action de formation. Puis vint le concept juridique « d’action de formation » qui est une version souple de la notion de stage mais dont l’exigence d’un programme préétabli demeure le critère distinctif (art. L. 6353-1). Aujourd’hui le concept « de parcours » de formation émerge dans l’espace juridique de la formation. Cette évolution renvoie à la prise en compte de « l’apprenant » comme un sujet de droit c’est-à‑dire comme partie prenante au contrat de formation qui lie les financeurs et les prestataires. Le mouvement d’individualisation de la formation et de personnalisation des droits se prolonge dans la question émergente de la formation en situation de travail.
2.2.2 La formation en situation de travail L’achat de prestations de formation à des prestataires extérieurs ne couvre qu’une petite partie des processus d’apprentissage, de professionnalisation, de développement des compétences, d’acquisition de qualifications, dont les entreprises et leurs salariés peuvent avoir besoin. Pour un grand nombre de salariés, ces objectifs sont atteints à l’intérieur même du système productif, en situation de travail, selon des modalités souvent « informelles ». La loi du 5 mars 2014 a ouvert un espace d’innovation concernant les différentes formes d’apprentissage en situation de travail. 115
Traité des sciences et des techniques de la formation
Il s’agit là d’une évolution majeure car l’entreprise avant d’être un lieu de formation est un lieu de production de biens et services auxquels contribuent des salariés liés par un contrat de travail dont le critère distinctif est la subordination juridique. Cette problématique n’est pas inconnue du droit, elle reçoit plusieurs réponses notamment celle de la formation en alternance qui organise dans un cadre juridique spécifique le rapport entre le travail productif, marqué du sceau de la subordination juridique, et la formation. En droit positif la formation en situation de travail, dans le cadre d’un contrat de travail de droit commun, est aujourd’hui régie par l’article D. 6321-3 du Code du travail qui stipule que la formation interne à l’entreprise est en principe dispensée dans des locaux distincts des lieux de production, c’est-à‑dire en dehors des postes de travail habituels des salariés. Toutefois ce même article prévoit une exception à ce principe lorsque la formation comporte un enseignement pratique ; dans cette hypothèse, cet enseignement peut être donné sur les lieux de production. Il doit alors être rendu compte au comité d’entreprise ou aux délégués du personnel des mesures prises pour que l’enseignement dispensé réponde aux critères définissant l’action de formation (programme établi en fonction d’objectifs préalablement déterminés, moyens pédagogiques et d’encadrement, appréciation des résultats). Ce texte, qui date de 1971, repose sur plusieurs postulats : d’une part que la situation de travail, en elle-même aliénante par construction idéologique et marquée du sceau de la subordination par construction juridique, ne saurait être formatrice, car la formation est un acte de liberté et d’émancipation (ou alors il s’agit d’un simple entraînement : training…) ; d’autre part que la formation, y compris en situation de travail, est assimilée à un enseignement, ce qui renvoie à la transposition du modèle scolaire dans l’entreprise ; et enfin, que si la participation au travail productif peut dans certaines circonstances contribuer à un processus de formation, cela ne peut se faire que sous le contrôle des représentants du personnel (contrôle social). Le développement de nouveaux équilibres entre travail et formation quelle que soit l’appellation retenue – apprentissage en situation de travail (AST), formation en situation de travail (FEST), ou encore professionnalisation en situation de travail (PST) – conduira nécessairement à une révision du droit positif construit au début des années 1970 à l’époque où le modèle dominant d’organisation du travail était celui du taylorisme, plus prédateur que formateur pour les salariés, et où l’idéologie majoritairement « révolutionnaire » du mouvement syndical s’appuyait sur une alliance avec l’école républicaine pour contribuer au développement de la qualification des salariés et par là même à leur émancipation. Ce qui a conduit au « modèle séparatiste » entre travail et formation en vigueur depuis les années 1970.
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Le droit de la formation professionnelle tout au long de la vie ■ Chapitre 4
2.3 Le contrat pédagogique : obligations de moyens/obligations de résultat ? Le Code du travail, en affirmant le droit à la formation tout au long de la vie pour toute personne, quel que soit son statut, s’inscrit dans un courant plus large « de personnalisation des droits sociaux fondamentaux », qui a pour conséquence de faire évoluer le droit à la formation vers « un droit subjectif », qui par là même devient « opposable » à des tiers. À ce titre « l’apprenant » est nécessairement partie prenante à tout acte juridique relatif à la formation, qui le concerne. Par ailleurs, lorsque le financement de la formation est assuré par un « tiers payant », la technique contractuelle de « la stipulation pour autrui » peut être utilisée afin d’associer « l’apprenant » au contrat de formation et lui permettre ainsi d’en faire respecter, le cas échéant, « les engagements de qualité » contractuellement convenus. « Les apprenants », quel que soit leur statut, salarié, demandeur d’emploi, stagiaire de la formation professionnelle, personne privée « consommateur », sont en définitive les premiers concernés par « la qualité de la formation ». L’obligation qui pèse sur les financeurs, de s’assurer de la qualité des prestations financées, ne trouve pas sa finalité en elle-même, mais, en ce qu’elle est susceptible d’apporter « aux apprenants » la formation la plus conforme aux engagements contractuels, la plus pertinente par rapport aux objectifs de l’apprenant, la plus efficiente au regard des moyens mobilisés… bref une formation de qualité (décret « qualité » du 1er juillet 2015 critères n° 6). Le fait que la formation dont bénéficient les « apprenants » soit « prescrite » (par l’employeur pour le salarié par exemple) et financée par « un tiers payant » ne place pas pour autant « l’apprenant » en dehors de la relation contractuelle de formation. Si la formation constitue « l’objet de la convention de formation », la personne apprenante en est « le sujet » qu’elle en assure ou non le financement, a fortiori lorsqu’elle se trouve en situation de « co-investissement » (exprimé en temps ou en argent), ou encore lorsqu’un « reste à charge » lui incombe, ce qui est fréquemment le cas pour le CIF. En cas de non-respect des engagements contractuels par le prestataire de formation « l’apprenant » peut demander réparation au juge. Le préjudice peut être constitué par « la perte d’une chance » du fait de la non-obtention d’une certification, d’un titre ou d’un diplôme, c’est-à‑dire d’un « signe » permettant au bénéficiaire de la formation d’évoluer au sein de l’entreprise, ou sur le marché du travail externe. À cette occasion, les juges rappellent que le contrat de formation professionnelle est régi, comme tout contrat, par l’article 1134 du Code civil qui stipule que « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites… ». À titre d’illustration, le juge du tribunal d’instance de Dax a eu l’occasion de préciser que « le travail 117
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des uns et des autres est sanctionné par une réussite ou un échec lors de l’examen final sans que pour autant pèse sur le formateur une obligation de résultat, les deux parties étant impliquées dans l’acte de formation » (chronique 99 jml-conseil.fr). En fait, ne pourra être sanctionné que le non-respect des obligations « de moyens » (locaux, formateurs qualifiés, outils pédagogiques, appui personnalisé…) auxquels le formateur s’est contractuellement engagé envers « l’apprenant ». La personnalisation du droit de la formation et l’individualisation des processus d’apprentissage amplifiés à l’ère du digital, auront sans doute pour effet à moyen long terme de conduire au développement des relations contractuelles entre « apprenants » et prestataires de services de formation ainsi que de services associés (conseil orientation accompagnement certification…). Il en résultera peut-être une plus grande judiciarisation des processus d’apprentissage.
3. La reconnaissance juridique des acquis de la formation 3.1 Le recentrage de la formation professionnelle sur la qualification 3.1.1 De la reconnaissance sociale à la qualification L’intérêt que trouve une personne à se former relève tout à la fois de la sphère de l’intime, tels que l’estime de soi, ou le rapport à la connaissance et au savoir, et de la sphère du social, tel que la nécessité de maintenir son employabilité, ou d’engager une reconversion, l’aspiration à la promotion et sociale…, et, bien entendu l’obtention d’une qualification reconnue qui confère une identité sociale, permet la poursuite d’études, facilite l’insertion et l’évolution professionnelle et constitue « un viatique » pour les personnes engagées dans des mobilités subies ou choisies. S’il est un thème qui donne sens et cohérence à la réforme portée par la loi du 4 mars 2015, c’est bien celui de l’affirmation du droit à la qualification, qui sur le plan juridique transcende celui de compétence, celui-ci renvoyant à l’univers de la gestion dont l’employeur est maître dans son entreprise. La compétence, en effet, s’apprécie dans le contexte spécifique à chaque situation de travail alors que la qualification est en quelque sorte « un droit patrimonial » qui appartient à chaque salarié indépendamment du contexte particulier de son exercice. Ce droit est ouvert à toute personne quel que soit son statut. Il est opposable aux pouvoirs publics, soit dans le cadre du service public d’éducation, soit aux régions dans le cadre du service 118
Le droit de la formation professionnelle tout au long de la vie ■ Chapitre 4
public régional de formation professionnelle, soit à l’employeur dans la limite de la qualification contractuelle convenue (art. L. 6314-1).
3.1.2 Le CPF et la qualification Le nouveau compte personnel de formation a pour objectif la qualification personnelle de ses titulaires. Les nouvelles règles de financement de la formation par les entreprises ont pour effet de concentrer les ressources légales de nature fiscale, sur des formations à finalité qualifiante : contrat de professionnalisation, financement partiel de l’apprentissage, période de professionnalisation, congé individuel de formation, compte personnel de formation… Au référentiel fiscal de la formation qui englobe une grande variété d’actions, se substitue un référentiel « social » dont le critère déterminant est la qualification. Ce « droit subjectif » de toute personne à la qualification, indépendamment de son statut, doit désormais être décliné en trois objectifs opérationnels afin de garantir son effectivité : la garantie d’accès à un premier niveau de qualification pour tous, l’entretien de la qualification des salariés en activité, la garantie de progression d’au moins un niveau de qualification au cours d’une vie professionnelle. Cependant, une chose est l’affirmation du caractère opposable d’un droit, autre chose est son effectivité. Celle-ci suppose l’existence de ressources c’est-à‑dire du temps, des moyens financiers et des ressources pédagogiques, qui sont certes disponibles mais inégalement réparties.
3.2 La qualification objet de négociations collectives Traditionnellement, les modalités de reconnaissance de la qualification occupent une place centrale dans la régulation collective des relations de travail. Cette reconnaissance s’effectue principalement par les grilles de classification, auxquelles sont notamment articulées des grilles de salaires. Ces grilles de classification visent entre autres à faciliter la gestion des carrières et la mobilité professionnelle des salariés. Au moins une fois tous les cinq ans, les organisations liées par une convention de branche ou, à défaut, par des accords professionnels se réunissent pour examiner la nécessité de réviser les classifications (C. Trav. art. L. 2241-7). Les travaux consacrés à cette question constatent la faible capacité des grilles de classification, même rénovées, à prendre en considération les compétences et la qualification des salariés acquises au cours de leur vie professionnelle, notamment dans les TPE/PME.
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Les branches professionnelles qui négocieront à l’avenir sur cette question se préoccuperont sans doute davantage qu’elles ne l’ont fait dans le passé les acquis de la formation tout au long de la vie en cohérence avec l’objectif de qualification fixé par la réforme.
4. Conclusion La répartition des pouvoirs, et des compétences entre les acteurs en charge d’un système ouvert de formation professionnelle, ainsi que la question de l’allocation des ressources a été au centre de la construction juridique de ces dernières décennies. Le développement de l’individualisation des parcours de formation a ouvert la voie à de la personnalisation du droit ainsi qu’à la mise en évidence de la relation contractuelle fondée sur une obligation de moyens, entre apprenants et prestataires de formation. La dimension juridique inhérente à toute relation pédagogique s’en trouvera à l’avenir renforcée.
Lectures conseillées « Annexes aux projets de loi de finances pour 2017. Formation professionnelle », 2016. Centre Inffo. (2016). « Les fiches pratiques de la formation professionnelle ». Luttringer J.-M. (coord.) (2014). Dossier « La réforme de la formation professionnelle », Droit social, n° 12. Luttringer J.-M. (coord.) (2016). Dossier « Mutations de la formation professionnelle », Droit social, n° 12.
120
M aggi Germain N. (coord.) (2016). Dossier « Les comptes personnels d’activité (CPA) », Droit social n° 10. Willems J.-P. (2016). « La formation professionnelle », Liaisons sociales, « Les thématiques », 2 vol. Sites recommandés : France Stratégie, Dares, Cedefop, jml-conseil.fr.
Chapitre 5 Le marché de la formation1
1. Par Philippe Joffre.
Sommaire 1. Une très forte évolution des contextes d’achat.................................................... 123 2. Les nouveaux enjeux de la co-construction pour les « acheteurs » et « vendeurs » de formation.............................................. 128 Lectures conseillées.................................................................................................. 136
Comme le souligne André Voisin dans le présent ouvrage, dans le langage courant du milieu de la formation, l’expression « marché de la formation » désigne communément l’ensemble des producteurs et prestataires de formation et non la rencontre entre l’offre et la demande. Les trente dernières années ont cependant été marquées par une très forte évolution des relations entre demande et offre de formation. Si la loi fondatrice de 1971, en créant une « dépense obligatoire » pour les entreprises a vu naître un grand nombre d’organismes, il a fallu attendre le début des années 1990 pour que le statut commercial de ces organismes se généralise en lieu et place du statut associatif qui seyait mieux à une prestation « pas comme les autres »… Il a fallu attendre la même époque pour voir apparaître les premiers « acheteurs » de formation, pour voir se généraliser les cahiers des charges, les mises en concurrence et autres appels d’offres. Les relations entre « commercial », « vente », « achat » et « formation » restent timides, délicates et complexes. Elles se sont durcies au cours des dernières années sous l’effet cumulé de la diminution des budgets de formation, de la complexification des dispositifs ou encore de la démultiplication et de la diversification des prestataires. La formation est ainsi entrée de plain-pied dans l’ère des services mais il reste évident qu’elle ne peut être achetée ni vendue comme une commodité. Nous verrons ainsi que les démarches de vente ou d’achat après s’être généralisées trouvent aujourd’hui un certain nombre de limites qui questionnent notamment les compétences des acteurs et leur capacité à co-construire une prestation complexe tout en intégrant leurs respectives équations économiques sur un marché en profonde évolution.
1. Une très forte évolution des contextes d’achat
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1.1 Il n’y a pas UN mais DES marchés de la formation Il est tout d’abord essentiel de souligner qu’il n’y a pas UN mais DES marchés de la formation aux mécanismes et dynamiques fortement dissemblables. Ainsi, même si tous les types et natures de formations doivent être achetés, des logiques commerciales ou tarifaires spécifiques structurent fortement les relations entre offre et demande. Cinq éléments semblent essentiels à prendre en compte : –– Le caractère obligatoire ou non de la dépense : le fait d’instaurer un financement contraint (le « 1 % formation » et ses évolutions, taxe d’apprentissage, quota obligatoire d’alternants, DIF puis compte personnel de formation…) crée un rapport particulier entre acheteur et vendeur. L’objectif n’est pas forcément dans un premier temps d’optimiser une dépense mais de la garantir. En matière de formation professionnelle des salariés, le « dépenser 123
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plus » et l’augmentation du taux de participation financière des entreprises ont même été pendant des années l’indicateur de performance de référence. L’encadrement des prix d’achat ou des niveaux de financements : quand un Opca définit un niveau de « prise en charge » (x euros par heure/stagiaire), ce n’est plus un équilibre entre offre et demande ou une potentielle « main invisible » qui permet de définir des couples prix/niveau de service. Les prestataires se situent alors dans une logique de conception à coût objectif où les durées, le nombre de participants aux formations et les coûts des formateurs deviennent les paramètres permettant d’assurer les équilibres économiques et d’orienter l’ingénierie. La capacité du client ou de la demande à structurer l’offre de formation : les relations achat/ vente seront de natures très dissemblables pour les achats de « stages catalogues » ou les produits « sur étagère » ou pour les achats dits « intra » ou « sur mesure » où ce n’est pas l’offre qui structure la demande mais un cahier des charges spécifique qui appelle une réponse adaptée. La capacité à analyser une demande et à formuler clairement un besoin, des objectifs et des contraintes puis à co-construire la prestation seront ici des éléments premiers. Le niveau de contrainte, le cadre normatif exigé pour les prestations : on voit par exemple qu’à travers la loi de mars 2014 apparaissent des marchés bien distincts : un marché « légal » ou « conventionnel » où les critères d’éligibilité d’une formation sont définis par la loi, où il faut dans la plupart des cas que les formations soient certifiantes et inscrites au RNCP ou à l’Inventaire pour être éligibles ou encore que les organismes répondent à des critères qualité définis par décret (cf. décret qualité du 30 juin 2015) et un marché extralégal totalement déréglementé où le fait même d’exister en tant qu’organisme de formation n’est plus nécessaire et où le contrat entre acheteur et vendeur vaut loi. On peut enfin citer le fait que pour tous les types de formations, les chaînes de clientèle au sens où les définit Guy le Boterf sont plus ou moins riches et complexes, le client final, le client décideur et le client payeur étant intégrés de façon plus ou moins significative dans l’acte d’achat.
1.2 Des budgets formation qui diminuent après avoir fortement augmenté Lorsqu’on analyse l’évolution des dépenses formation de la nation et notamment les dépenses des entreprises en matière de formation professionnelle (évolution du taux de participation financière des entreprises depuis 1971), on peut distinguer trois grandes époques qui se sont caractérisées par trois types de relations différentes entre demande et offre, entre achat et vente de formation : –– Du début des années 1970 au milieu des années 1980 : un taux de croissance du taux de participation financière d’environ 5 % sur un marché « naissant » avec des organismes de 124
Le marché de la formation ■ Chapitre 5
formation « pionniers » proposant des prestations structurant la demande dans le cadre d’une nouvelle obligation légale, –– Du milieu des années 1980 au milieu des années 1990 : un taux de croissance de plus de 10 % par an, où les dimensions prix, achat et négociation ne sont pas encore des dominantes dans les relations offre/demande et où il s’agit de normaliser les pratiques et de trouver les moyens de répondre de façon plus « industrielle » à une demande en forte augmentation, –– Du milieu des années 1990 à nos jours (avec des mini-cycles fortement liés aux réformes qui se sont succédé tous les 4 à 5 ans) : l’avènement du « faire plus et mieux avec moins ». Cette période se caractérise par une tension toujours plus forte sur les budgets – le taux de participation financière des entreprises ne cesse de diminuer depuis 1993 – et une augmentation et une complexification des besoins. C’est dans ce contexte que sont apparus les premiers acheteurs de formation (Renault, Société Générale par exemple) chargés de venir optimiser le rapport qualité/coût des formations, les formations achetées à des prestataires externes représentant près de 25 % des dépenses totales de formation et plus de 75 % des heures produites.
1.3 Les achats et les ventes de formation ne sont pas des achats et des ventes comme les autres (mais comme les autres ce sont des ventes et des achats !) Le début des années 1990 est marqué par un tournant important dans les relations entre demande et offre de formation. On quitte petit à petit un environnement marqué par des positions de type « la formation, cela ne s’achète pas » et autre « la formation a peut-être un coût, mais elle n’a pas de prix »… pour entrer dans de nouvelles dimensions où pratiques d’achat et de vente deviennent partie intégrante des processus de formation qu’ils s’agissent de la formation pour les salariés ou des formations pour les demandeurs d’emploi. Ces achats de formations s’inscrivent par ailleurs dans un mouvement plus vaste consistant à vouloir maîtriser les achats de prestations intellectuelles, les achats hors production, représentant désormais plus de 25 % des achats des entreprises. On va ainsi assister, en même temps qu’à une forme d’officialisation des fonctions vente et achat à un certain nombre de caricatures transposant sans grande finesse ni véritable innovation des méthodes d’achat ayant fait leurs preuves sur d’autres familles de produits ou prestations au domaine de la formation. Nous verrons ultérieurement que même si ces démarches sont pour la plupart professionnalisées, on se situe encore dans cette dynamique qui trouve aujourd’hui ses limites. Quelles sont donc ces spécificités qui rendent ces achats de formations singuliers ? En quoi les relations commerciales dans le domaine de la formation diffèrent-elles d’autres types de prestations ? Quelques éléments de réponse : 125
Traité des sciences et des techniques de la formation
–– Le propre d’une prestation intellectuelle est d’être non stockable et intangible : on achète sur papier, à terme, une capacité de co-construction d’une prestation dont on aura, de plus, du mal à évaluer les effets. On se situe bien sur des achats de confiance d’une prestation dont les « inputs » et « outputs » sont abstraits et dont le contenu relève d’un process mais aussi d’une relation que l’on peut difficilement normer ; –– La qualité d’un achat ou d’une vente de formation dépend autant de la question posée que de la réponse apportée. Évaluer la qualité d’un achat de formation, c’est donc évaluer une co-construction. Or, dans de très nombreux cas, le client dans le domaine de la formation ne sait pas ce qu’il veut jusqu’au moment où il ne l’a pas ! –– On se situe, dans une grande majorité des cas, dans une logique de mieux-disant et non d’adjudication ou de moins-disant. Il s’agit donc d’acheter un rapport qualité/coût qui reste très difficile à maîtriser. Si le coût peut être un élément objectif, la qualité doit être analysée à l’aide de critères de sélection prédéfinis qui permettent de se rassurer (la première motivation à l’achat est en effet la sécurité) mais non de garantir la performance finale. Deux éléments méritent d’être soulignés en conclusion de cette partie, renvoyant les acteurs de la relation commerciale à deux axes de travail importants : –– Pour les acheteurs de la formation, il s’agit d’investir sur les véritables zones de gain. En effet, 10 % d’économie sur une formation inutile, c’est toujours 100 % de perte ! Autrement dit, la formation la plus chère reste toujours celle qui ne sert à rien. On sait ainsi d’expérience que les actions les plus profitables se situent en amont de l’acte d’achat, sur la définition et l’expression des besoins, l’identification des solutions mises en place ailleurs, sur la connaissance des offres et des modalités mobilisables, bien plus que les actions sur les prix, fruits de la mise en concurrence ou de la négociation ou encore sur l’administration des achats. Encore faut-il mettre en œuvre des processus d’achat permettant de se centrer sur ces zones de gain et disposer des acteurs et compétences permettant de les optimiser. –– Pour les prestataires de formation, l’objectif est d’être en capacité de segmenter leurs prestations, c’est-à‑dire de proposer différents niveaux de services pour différents niveaux de prix, ce qui reste encore une pratique très limitée voire considérée comme « non éthique » par certains offreurs de formation. Il s’agit pourtant d’un levier de performance essentiel pour la relation demande/offre afin de sortir des relations de marchandage où le niveau de service reste fixe mais où seul le prix variera en fonction de négociations ou de marchandages plus ou moins tendus et maîtrisés. L’intégration des contraintes des clients (budgétaires, de temps, organisationnelles…) est en effet devenue un enjeu majeur pour l’ingénierie et notamment l’ingénierie de réponse afin de concilier des exigences et attentes toujours plus fortes et un système de contraintes toujours plus prégnant. On parle ainsi de plus en plus d’ingénierie inversée consistant à identifier le niveau d’objectif atteignable à partir d’un niveau de contrainte donné et non d’identifier le niveau de moyen à mobiliser pour atteindre un niveau d’objectif défini. 126
Le marché de la formation ■ Chapitre 5
1.4 Une offre de formation en profonde évolution, vers une nouvelle segmentation Ce qui caractérise en premier lieu le marché de la formation, c’est son caractère pléthorique et son atomisation. On comptait en 2012 plus de 62 000 organismes de formation actifs, 82 % réalisant moins de 150 000 euros de chiffre d’affaires et concentrant environ 10 % du chiffre d’affaires du secteur et seulement 1 % des organismes réalisant plus de 3 millions de chiffre d’affaires et concentrant 45 % du chiffre d’affaires total. Cette dispersion doublée d’un turnover impressionnant (un organisme sur trois a moins de trois ans d’existence) et le fait que seul un organisme sur cinq déclare la formation comme son activité principale, rendent singulier ce marché « d’artisans » où le plus gros opérateur privé à statut commercial reste une PME de moins de 200 millions d’euros alors que le total des recettes des organismes de formation (tous statuts et toutes natures de formation confondus) s’élève à plus de 9 milliards. On se situe ainsi dans une logique de redécouverte permanente et cette foultitude de prestataires rend difficile pour les acheteurs et chargés de formation une connaissance fine des acteurs. Des facteurs d’évolution puissants catalysent aujourd’hui le changement et favorisent une forme de recomposition, réelle mais lente, du marché de l’offre de formation : –– S’il est clair que désormais le statut dominant est le statut privé à but commercial, l’appareil français est aussi composé d’une forte composante publique et parapublique (Afpa, Greta, universités, chambres consulaires…) représentant une part significative des recettes du secteur. Il est à noter ici que les frontières public/privé s’estompent et que l’on voit de plus en plus d’acteurs publics manifester un volontarisme fort sur le marché des entreprises (voir le plan de refondation puis plan stratégique de l’Afpa ou le rapport Germinet sur la formation continue dans les universités) pour maintenir ou garantir leur pérennité et une nouvelle équation économique. On voit aussi des prestataires privés investir des domaines jadis réservés au monde associatif ou public (insertion, formation des demandeurs d’emploi…) afin de diversifier leurs sources de financement et de profiter d’opportunité de développement (POEI/POEC, fonds de la professionnalisation, plan 500 000, etc.). –– Une autre grande frontière classique est aussi en train de tomber, celle qui jadis séparait la formation initiale, la formation en alternance, la formation des salariés et la formation des demandeurs d’emploi. On voit aujourd’hui se constituer des groupes verticalisant leurs activités sur un certain nombre de domaines (compétences transverses ou métiers) et proposant une offre complète sur l’ensemble des cibles. Cette évolution est catalysée par la demande toujours plus forte de parcours de formation certifiants (du fait des impacts de la loi de 2014), le développement des écoles et campus de formation métier à l’image de ce qui se fait en matière d’organisation des systèmes de formation dans les entreprises mais aussi par une économie plus rationnelle et profitable de ce modèle « école » qui attire plus volontiers les investisseurs et rend plus faciles les regroupements et fusions. La qualité des parcours 127
Traité des sciences et des techniques de la formation
et cursus de formation, les marques et enseignes prennent alors le pas sur les compétences individuelles des formateurs et consultants voire sur l’ego des dirigeants ! –– Autre forte évolution notable, la diversification des modalités de formation et notamment la digitalisation des pratiques qui change profondément à la fois le paradigme de la Recherche et Développement mais aussi les modèles de revenus ou la nature des compétences et ressources à mobiliser. Il s’agit pour les prestataires de proposer des parcours blended ou multimodaux mais aussi de répondre à des demandes qui ne relèvent pas uniquement de la formation et du développement des compétences mais qui sont de plus en plus globales (développement de la performance, accompagnement du changement, évolution professionnelle, insertion dans l’emploi…). Cela se traduit sur le plan commercial et sur les démarches de vente par un besoin cumulé de technicité et de polyvalence, de vision globale et d’expertises de plus en plus ciblées, mais aussi par de nécessaires stratégies de partenariats et d’alliances. –– Dernier élément à évoquer, le développement des intermédiaires et places de marché avec en premier lieu les Opca dont la réforme de 2014 renforce et change le rôle. Ils sont devenus des guichets uniques pour les entreprises pour le 1 % formation et la taxe d’apprentissage ; ils constituent des offres collectives et deviennent donc de facto des distributeurs et des agrégateurs d’offres ; ils contrôlent la qualité et syndiquent les appréciations des stagiaires ; ils développent des offres de services à destination des entreprises visant notamment à faciliter et optimiser les achats, les financements et les évaluations… Les Opca sont plus que jamais des acteurs incontournables, leurs appels d’offres et leurs référencements peuvent même constituer pour certains prestataires et sur certains territoires des « couperets » conditionnant leur existence même. Concernant les autres intermédiaires, les places de marché privées se multiplient mais ont du mal à atteindre des tailles et parts de marché significatives et à se positionner dans la chaîne de valeur et vis-à‑vis des Opca. Elles s’adressent principalement aux TPE et PME, facilitant leurs recherches de formations et les process de mise en relation, proposent des tarifs promotionnels mais n’arrivent pas à s’imposer dans les grands comptes sauf pour ce qui concerne les achats diffus et pour la gestion et la digitalisation de la mise en relation hors de l’activité de courtage.
2. Les nouveaux enjeux de la co-construction pour les « acheteurs » et « vendeurs » de formation Nous vous proposons dans cette partie d’identifier les nouveaux défis pour la fonction commerciale (achat et vente) dans le domaine de la formation où plus de 75 % des heures de formation sont assurées par des prestataires externes et donc vendues et achetées. 128
Le marché de la formation ■ Chapitre 5
2.1 Cinq nouveaux défis pour les achats de formation –– –– –– –– ––
On a coutume de décomposer l’acte d’achat de formation en cinq étapes clés : de la demande au besoin (cette phase intègre de même une analyse « faire ou faire faire ») ; du besoin au cahier des charges ; du cahier des charges à la sélection des prestataires ; de la sélection à la négociation des conditions qualitatives et quantitatives ; de la négociation à la contractualisation et à l’évaluation de la performance fournisseur.
Plutôt que de reprendre chacune de ces étapes, nous essaierons ici d’identifier ce qui constitue aujourd’hui, les nouveaux leviers de performance pour la fonction achat.
2.1.1 Assurer une veille plus importante sur un marché qui se diversifie et s’internationalise Les acheteurs ou responsables formation ne connaissent pas suffisamment le marché de la formation. Les durées de poste de 3 à 5 ans ne permettent pas, en général, de développer une expertise forte en la matière sur un marché en perpétuel renouvellement. Les acteurs passent leur temps à redécouvrir le marché et ne disposent que de peu d’outils pour capitaliser leurs propres expériences avec les prestataires. De plus, la digitalisation des pratiques démultiplie et internationalise les besoins de veille : les acteurs et les offres sont nombreux avec un foisonnement encore jamais vu dans ce secteur et des solutions qui vont du gadget ou du nice to have, à des ressources ou dispositifs modifiant véritablement les manières d’apprendre (EPSS, techniques immersives, simulateurs…). 2.1.2 Identifier le juste niveau de transformation de la demande en solution Le problème le plus délicat en matière d’achat de formation est de savoir s’il faut émettre une demande sous forme de problème à résoudre, d’objectifs à atteindre et de contraintes à intégrer et juger le prestataire sur la capacité à comprendre cette demande et proposer des solutions et dispositifs adaptés, ou s’il faut décrire précisément des solutions et sélectionner les organismes de formation en fonction de leur capacité à exécuter de façon optimale et en conformité les prestations décrites. La réponse ne peut être évidemment unique et dépend du niveau d’expérience acquis sur le sujet traité mais aussi de la plus ou moins grande diversité des solutions envisageables. Deux pistes à creuser : renforcer les capacités d’analyse des situations et le diagnostic des acteurs des achats (binôme fonctionnel achat/ingénierie de formation dans les grandes entreprises) mais surtout développer des cahiers des charges fonctionnels plus que techniques énonçant finement des problèmes à résoudre ou proposant des esquisses de dispositifs à critiquer, enrichir et remodeler. 129
Traité des sciences et des techniques de la formation
2.1.3 Réinventer les mises en concurrence et les appels d’offres S’il est difficile d’imaginer des manières plus efficaces permettant de comparer différentes solutions ou propositions avant d’acheter et de faire jouer la concurrence et optimiser les conditions commerciales proposées, il est par contre certain que les pratiques caricaturales et restrictives actuelles ne sont pas les meilleurs vecteurs de performance pour des appels d’offres visant la co-construction de dispositifs. Les marchés publics sont sujets à des règles de droit très contraignantes pour garantir transparence du choix, égalité concurrentielle et principe de « mieux-disance ». Les appels d’offres privés relèvent souvent d’exercices de forme avec un cahier des charges plus ou moins pertinent, un écrit et un oral où le but est de convaincre et de séduire, en proposant des solutions qui diffèrent systématiquement de la solution finale qui sera mise en place. L’objectif serait donc plutôt, en assouplissant les règles de forme, de présélectionner un faible nombre de prestataires et d’accorder du temps à l’expression du besoin et l’identification des contraintes à intégrer, éventuellement sous forme de réunions physiques complétant un premier cahier des charges « papier ». Il s’agirait ici d’aller au bout de la logique en identifiant plutôt un potentiel à co-construire chez un prestataire.
2.1.4 Professionnaliser les négociations et privilégier des approches globales plutôt qu’un « saucissonnage » du processus d’achat Tout l’enjeu d’une négociation en matière de formation est de ne pas séparer la négociation du niveau de services, de la négociation des prix. En effet, il n’y a négociation que s’il y a concessions et contreparties. S’il n’y a qu’une seule clause à négocier, on se retrouve dans une situation de marchandage qui relève d’une relation perdant/gagnant et qui viendra nécessairement éroder le niveau de marge du prestataire. Cela ne signifie pas que le prix d’une prestation ou d’une journée d’intervention ne puisse pas faire l’objet d’une discussion commerciale, mais plutôt que l’essentiel du coût global se situe à un autre niveau. Il s’agit donc avant tout, pour les achats de type « services » (formations intra, dispositifs sur mesure), d’obtenir du prestataire une décomposition du budget permettant la discussion : –– sur la nature des tâches et des missions sur l’ensemble du process ; –– sur le temps affecté à chaque tâche ou mission ; –– sur le niveau de prix correspondant à chaque tâche ou mission. La dimension technique de la négociation consiste donc à aborder chaque étape du processus de formation (analyses de besoins et des attentes, conception, ingénierie, scénarisation, médiatisation, animation, suivi, tutorat, évaluation/certification…) en balayant à chaque fois les trois paramètres évoqués en essayant de trouver les leviers permettant d’optimiser les coûts si cela s’avère nécessaire (diminution du niveau de service, répartition des différentes tâches entre 130
Le marché de la formation ■ Chapitre 5
maîtrise d’œuvre et maîtrise d’ouvrage, optimisation du temps passé, réinvestissement des ressources existantes, réduction des prix…). L’idée clé reste donc d’adapter les méthodes, les leviers et les arguments de négociation aux prestations achetées mais aussi aux types de prestataires auxquels on est confronté : négocier, c’est savoir ce qui est important pour l’autre et compte tenu de la diversité des prestataires, cette phase d’exploration est souvent essentielle.
2.1.5 Mettre en place une évaluation de la performance fournisseur pour faire vivre les politiques d’achat et de référencement Il n’existe que très peu de systèmes d’évaluation de la performance des organismes de formation mis en place dans les entreprises (supplier relationship management dans le vocabulaire des directions des achats). Ceci est fortement lié à la difficulté d’évaluer les organismes de formation mais aussi à la déconnexion toujours plus forte dans les grandes entreprises entre l’acte d’achat et l’acte de « production » de formation. La multiplication des politiques de référencement renforce cette nécessaire évolution. Il est certes important de sélectionner et référencer des prestataires à partir de procédures spécifiques (request for information, request for proposal…) mais il est surtout essentiel de faire vivre ces référencements avec des entrées et sorties tenant compte de la réalité des prestations plutôt que de remettre les pendules à zéro tous les trois ou cinq ans et sélectionner de nouveau en fonction d’une potentielle capacité à faire. Il est ainsi possible d’évaluer un fournisseur de formation sur des dimensions du type qualitécoûts-délais-services : satisfaction stagiaire (utilité perçue puis utilité réelle), pérennité et stabilité financière, taux de dépendance, capacité d’innovation, qualité de la relation, évolution des prix, positionnement des prix, réactivité, qualité de la gestion et de la facturation etc.
2.2 Quelles conditions de performance commerciale pour les prestataires de formation aujourd’hui ? Notons tout d’abord la difficulté à isoler une fonction purement commerciale notamment quand le prestataire de formation n’a pas d’activité « catalogue » ou un ensemble de produits à vendre. Dans le domaine de la formation, il est en effet très complexe de déconnecter la vente de l’acte de production. On parle souvent d’une vente-conseil où il est important d’avoir sur soi un « échantillon de ce que l’on promet ou propose ». La performance commerciale écrite ou orale dépendra de la capacité à écouter, problématiser et dessiner des premières pistes de solutions, ce qui nécessite une compétence technique certaine. A contrario, cela ne signifie pas que la formation ne peut être vendue que par ses 131
Traité des sciences et des techniques de la formation
experts ou producteurs mais qu’il s’agit de construire une double compétence dédiée. Cette dimension technico-commerciale est aujourd’hui en fort questionnement car les dispositifs se complexifient et leur vente nécessite des compétences à la fois généralistes et techniques, nouvelles pour les acteurs : ingénierie du financement, ingénierie de certification, dimension digitale, accompagnement du changement…
2.2.1 Définir une stratégie de positionnement sur un marché segmenté mais décloisonné Même si cette dimension n’est pas nouvelle, les positionnements des prestataires et organismes de formation étaient il y a peu plus simples et pérennes. On se situait sur le marché du traitement social du chômage, des formations métiers ou transverses en entreprise en inter ou en intra, on proposait des formations en alternance, on éditait des ressources pédagogiques etc. On assiste aujourd’hui à une redistribution des cartes comme nous l’avons déjà évoqué et la réforme de mars 2014 y contribue fortement : –– On voit apparaître un marché « légal ou conventionnel » avec des contraintes et exigences plus fortes et où l’ingénierie de certification devient une expertise incontournable. –– On voit de même apparaître un marché « extralégal » qui va peu à peu évoluer vers une promesse plus large (performance, changement, disruption digitale, gestion des talents…). Il s’agira notamment de mettre en avant des bénéfices clients puis de les prouver dans le cadre d’une dépense qui n’est plus contrainte et où les employeurs, via accord avec les instances représentatives du personnel, peuvent eux-mêmes redéfinir la notion de formation. –– On voit se dessiner un marché « B to C » (business to consumer) lié au développement du compte personnel de formation et au poids grandissant que représentent les ménages dans la dépense nationale de formation (plus de 4 % des dépenses nationales soit près de 1,2 milliard d’euros). –– On voit apparaître du fait de la diversification et de la digitalisation des parcours, des ensembliers ou intégrateurs en capacité de porter des offres globales, agrégeant les différentes modalités pédagogiques et les différentes dimensions d’un projet global, à partir d’un savoirfaire différenciateur en matière d’ingénierie, de pilotage de projet ou d’accompagnement du changement. Cet inventaire qui pourrait être encore détaillé montre qu’une réflexion stratégique bien plus complexe que dans le passé est devenue essentielle. Les politiques et démarches commerciales doivent en effet ensuite être adaptées à ces nouveaux segments, aux règles du jeu et conditions de performances fortement dissemblables.
2.2.2 Construire des offres et des réponses Le deuxième facteur de performance sur le plan commercial réside dans le fait d’être en mesure de mixer deux savoir-faire différents : d’une part, se forger sa propre représentation des 132
Le marché de la formation ■ Chapitre 5
besoins des clients quels qu’ils soient, à partir d’un marketing stratégique maîtrisé et construire des offres ou produits de formation et, d’autre part, être en capacité de construire et proposer des réponses, partiellement inédites, en intégrant les spécificités des clients et en réinvestissant son patrimoine d’expériences ou son portefeuille d’offres. Yves Blanchard qui présidait un des prestataires de référence dans le domaine de la relation client et du management avait coutume de dire que les prestataires de formation sont des « industriels du prototype », on leur demande en effet de construire des solutions inédites à des conditions commerciales et tarifaires relevant des grandes séries, ce qui ne peut permettre un développement durable et harmonieux. La capacité pour la fonction commerciale à irriguer et orienter l’ingénierie et la R & D puis à analyser les demandes des clients et les orienter vers des solutions potentiellement préexistantes ou à construire éventuellement avec d’autres prestataires des solutions inédites, va venir remplacer les vieillissantes distinctions inter/intra, inter en intra et autre « sur mesure ». Là encore le développement des formations certifiantes et donc des modèles « écoles » ou campus et la digitalisation des parcours de formation vont largement faire évoluer les pratiques d’ingénierie et notamment l’ingénierie de réponse.
2.2.3 Maîtriser la conquête mais surtout la transformation commerciale La dimension conquête et la capacité à adresser des clients actifs ou inactifs et des prospects à travers des campagnes commerciales ne recèle pas dans le domaine de la formation de spécificités particulières. Une difficulté est certes liée à la multiplicité des clients (acheteur, prescripteur, bénéficiaire, décideur…) qui nécessite des approches adaptées que l’on peut retrouver cependant sur un certain nombre de marchés dits « B to B to E » (business to business to employee) où le client acheteur et payeur est l’entreprise ou l’employeur mais où le bénéficiaire voire le prescripteur restent la personne. Il est toutefois important de souligner que, hormis dans quelques organismes d’envergure, auxquels on peut ajouter ceux dont le développement commercial est l’expertise, la maîtrise des logiques de campagnes commerciales reste plus qu’aléatoire. Définir et caractériser des segments de clientèle aux comportements homogènes, définir des couples produits/marchés pertinents, identifier et qualifier les cibles, construire des plateformes de vente favorisant l’action et la motivation des acteurs, suivre les campagnes et mettre en place les rituels managériaux d’animation des ventes permettant de piloter les campagnes efficacement, restent des dimensions très modestement maîtrisées si on compare le niveau de technicité mobilisé à l’expertise sur le cœur de métier. On pourrait évoquer dans le même ordre d’idée la maîtrise des entretiens commerciaux, quelle que soit leur nature, qui oscille souvent entre caricature et improvisation alors qu’il s’agit là d’une des bases incontournables de toute activité commerciale (présentation, questionnement, écoute, reformulation, synthèses, problématisation, argumentation, closing…). Une compétence est aujourd’hui de plus en plus différenciatrice, le « commercial de transformation », appelé par certains « ingénierie de réponse » et se traduisant dans les faits par la 133
Traité des sciences et des techniques de la formation
formalisation de réponses à des consultations ou appels d’offres plus ou moins formels. Il s’agit là de la pratique qui s’est le plus développée au cours des vingt dernières années avec l’essor des appels d’offres. On assiste ainsi à une professionnalisation des pratiques, certaines grandes organisations comme l’Afpa ayant même mis en place des plateformes régionales et nationales de réponses aux appels d’offres. Cette compétence commerciale spécifique s’articule dans les faits autour de sept grands sujets : –– la veille sur les appels d’offres publiés (marchés publics, Opca notamment) visant à identifier les opportunités mais aussi le démarchage des entreprises et autres acteurs privés, non soumis à une obligation de publicité ; ces derniers procèdent en effet à des appels d’offres dits restreints et le fait d’en être destinataire résulte donc d’un premier acte commercial ou d’une action de communication permettant d’être repéré et sollicité ; –– l’analyse et le décryptage d’un cahier des charges afin de repérer les demandes factuelles du client mais aussi ses enjeux cachés, ses contraintes, ses critères de sélection, ses motivations ou encore plus simplement les éléments et la date de réponse attendus ; –– la phase d’instruction de la décision de se positionner ou non (go/no go) devient de même essentielle compte tenu de la multiplication des appels d’offres, du caractère très chronophage de l’exercice ou encore de la tension concurrentielle toujours plus forte qui peuvent pénaliser les taux de transformation ; –– la construction de la réponse sur le fond, en essayant à partir d’un déroulement structuré (de plus en plus formaté avec le développement des plateformes de réponse en ligne et des cadres de réponses imposés) de répondre aux interrogations et motivations du prospect mais aussi d’argumenter, convaincre, mettre en avant des atouts différenciateurs et éventuellement proposer des solutions complémentaires ou alternatives ; –– la construction de la réponse sur la forme en favorisant plusieurs niveaux de lecture pour permettre différents niveaux d’entrée dans le document (les temps de lecture et d’analyse consacrés par certains membres des jurys peuvent être étonnamment courts !…) ; –– les présentations budgétaires qui doivent être suffisamment décomposées et détaillées pour faciliter les négociations et présenter la réalité du travail fourni tout en n’effrayant pas le client potentiel qui est toujours réticent quand il s’agit de se voir facturer des prestations autres que les journées d’animation (préparation, conception, coordination, pilotage…) ; –– les soutenances qui, même si elles sont rares dans le cas des marchés publics (dialogues compétitifs), sont généralisées lors des appels d’offres privés où l’on renonce à l’écrit mais on choisit à l’oral.
2.2.4 Négociation des prix et ingénierie du financement La dimension négociation est bien évidemment essentielle et symbolise souvent les actes de vente ou d’achat même si comme nous l’avons vu elle ne les résume pas. Ces négociations gagneraient à être mieux maîtrisées dans leurs différentes phases : préparation, anticipation/ 134
Le marché de la formation ■ Chapitre 5
visualisation, argumentation, marge de manœuvre et offres alternatives, recherche de contreparties, closing… Ainsi la capacité des prestataires à conduire et à structurer des négociations (« conduire pour ne pas subir »), à lire et à décrypter les motivations à l’achat (la sécurité et l’argent étant régulièrement les premières, l’innovation les rejoignant de plus en plus) ou encore à être imaginatif dans la recherche de compromis ou de solutions alternatives constitue des conditions de réussite importantes sur lesquelles les prestataires de formation doivent développer des compétences spécifiques. Il est cependant certain que, quel que soit le niveau de performance atteint en la matière, le rapport de force restera quasi systématiquement en faveur de l’acheteur. À ces actions sur les prix ou sur les coûts globaux des dispositifs de formation – n’oublions pas que ce qui coûte le plus cher dans une formation, hormis son inutilité, c’est le salaire des stagiaires voire les pertes d’exploitation et le coût des remplacements et donc les temps de formation – il est aujourd’hui fondamental de pouvoir associer une compétence forte en matière d’ingénierie du financement de la formation. Il faut pouvoir mobiliser les justes dispositifs et sources de financement provenant des Opca, des collectivités territoriales et de l’État, voire d’autres acteurs (Europe, Agefiph, Caisse des dépôts…). Cette compétence est aujourd’hui indispensable, complexe et contingente : elle doit être sans cesse actualisée (du fait de l’impact des lois et notamment de la loi de mars 2014), elle peut être même être très conjoncturelle (exemple de l’abondement par le FPSPP d’un type de formation ou d’un type de destinataire qui peut ne durer que quelques mois) et doit être contextualisée ou localisée (secteur d’activité, type de publics, tailles d’entreprises, régions concernées). Cette ingénierie de financement peut permettre d’éviter l’érosion des marges, de disposer des ressources permettant d’élever le niveau d’ambition des dispositifs de formation et constitue désormais un réel atout différenciateur pour les prestataires de formation. En conclusion, insistons sur la nécessaire professionnalisation des acteurs de la fonction commerciale autant à l’achat qu’à la vente qui doit désormais être en capacité de relever de nouveaux défis et trouver sa place dans la chaîne de valeur formation. Cette dimension longtemps considérée comme annexe, voire inopportune, devient aujourd’hui essentielle compte tenu de la complexification des prestations et d’un « effet ciseaux » toujours plus important entre le niveau d’objectifs et les niveaux de contraintes qui s’imposent aux entreprises et aux organismes de formation et dont les commerciaux et technico-commerciaux sont les porteurs en premier niveau (logique d’achat et de vente complexes). Cette professionnalisation est d’autant plus importante qu’il s’agit aujourd’hui de réinventer des modèles économiques que le développement du digital vient bouleverser. La traditionnelle facturation du temps passé, voire de l’accès aux contenus pédagogiques, est aujourd’hui fortement remise en question et supplantée par de nouvelles logiques : intéressement aux résultats, paiement de la certification ou du badge plus que la formation, développement des prestations post-formation et accès à 135
Traité des sciences et des techniques de la formation
des bouquets de services dans le cadre d’alumni, co-conception et co-commercialisation de dispositifs élaborés avec des clients ou au sein de consortiums… De nouveaux challenges pour des fonctions, somme toute, récentes mais qui n’ont plus à s’excuser d’exister.
Lectures conseillées Annexe au projet de loi de finances 2106, « Formation professionnelle » (jaune budgétaire).
Dennery M. (1999). Piloter un projet de formation : du diagnostic des besoins à la mise sous assurance qualité, Paris, ESF Éditeur.
Benaily M., Enlart S. (2008), La Fonction formation en péril, Paris, Éditions Liaisons.
Korda P. (2011). Stratégie et formation : développer l’atout concurrentiel humain, Paris, Dunod
Le Boterf G., Barzuchetti S., Vincent F. (1995). Comment manager la qualité de la formation ?, Paris, Éditions d’Organisation.
Korda P. (2010). Négocier et défendre ses marges, Paris, Dunod.
Caspar P. (1988). « L’investissement formation », Éducation permanente. Charbonnier O., Enlart S. (2010). Faut-il encore apprendre ?, Paris, Dunod.
136
El Makki A., Joffre P., Ouillon P., Vaillant M. (2005). Optimiser ses achats de formation : analyse des besoins, sélection de l’offre, réduction des coûts, Paris, Dunod. Meignant A. (1995) Manager la formation, Paris, Éditions Liaisons, 9e éd. 2014.
3 686
État 1 316 187 1 129 1 038 22 660 5 348 28 008
Autres administrations publiques et Unédic/Pôle emploi
Dont : • autres administrations publiques • Unédic/Pôle emploi
Ménages
Total (hors fonctions publiques pour leur propres agents et dépenses d’accueil, d’information et d’orientation)
Fonctions publiques pour leurs propres agents
Total (y compris fonctions publiques pour leurs propres agents)
54
4 138
Autres collectivités territoriales
12 478
Entreprises
Régions
2007
29 511
5 730
23 781
1 102
197 1 198
1 395
65
3 877
4 212
13 130
2008
31 117
6 105
25 012
1 081
294 1 462
1 756
79
4 141
4 483
13 472
2009
31 063
6 002
25 061
1 157
285 1 528
1 814
78
4 321
4 399
13 292
2010
31 459
5 770
25 689
1 230
234 1 542
1 776
82
4 457
4 480
13 664
2011
31 328
5 908
25 420
1 287
255 1 592
1 847
71
4 076
4 422
13 717
2012
31 370
5 588
26 008
1 359
314 1 590
1 904
95
4 019
4 582
13 823
2013
Tableau 5.1 - Dépense globale par financeur final (y compris investissement)
100,0
17,8
82,2
4,3
1,0 5,1
6,1
0,3
12,8
14,6
44,1
Structure 2013 (en %)
0,1
− 5,4
1,4
5,6
23,0 − 0,1
3,1
34,6
− 1,4
3,6
0,8
Évolution 2013/2012 (en %)
Le marché de la formation ■ Chapitre 5
137
138 54 20 23 3 73 9 13 3 1 1
33 37 30
Selon le chiffre d’affaires (en %) Moins de 75 000 euros 75 000 à 150 000 euros 150 à 750 000 euros 750 000 à 1 500 000 1 500 000 à 3 000 000 euros Plus de 3 000 000 euros
Selon l’ancienneté de la déclaration d’activité (en %) Moins de 3 ans Entre 3 et 10 ans 11 ans et plus
62 658
Selon le statut (en %) Privé à but lucratif Privé à but non lucratif Formateurs individules Public et parapublic
Ensemble
Organisme (en nombre)
13,9 3,4 3,7
8,6 1,6 1,8 5,8 2,1 0,2
8,2 2,9 7,6 1,4
6,8
Évolution 2012/2011 (en %)
9 30 61
6 5 19 13 14 44
50 25 3 21
13 555
Chiffre d’affaires (en %)
8,2 0,4 4,7
6,1 1,5 1,3 5,0 3,0 4,3
5,3 0,9 − 4,4 4,5
3,6
Évolution 2012/2011 (en %)
12 34 54
15 7 22 13 12 31
54 26 7 14
24 355
Nombre de stagiaires (en %)
Tableau 5.2 - Les organismes de formation en 2012
9,8 0,0 2,1
8,0 3,5 0,0 8,5 − 4,0 0,6
5,4 − 3,4 5,6 − 0,7
2,2
Évolution 2012/2011 (en %)
9 31 60
9 6 24 17 11 32
45 22 6 27
1 155 471
Nombre d’heures/ stagiaires (en milliers)
4,0 5,0 3,6
3,7 − 9,2 − 7,9 30,3 − 2,2 9,3
7,4 −0,6 − 10,0 6,5
4,1
Évolution 2012/2011 (en %)
Traité des sciences et des techniques de la formation
Chapitre 6 La gestion des ressources humaines1
1. Par Jacques Igalens.
Sommaire 1. Le poids des contraintes....................................................................................... 142 2. De la gestion de la formation à la gestion des compétences.................................. 148 3. La dimension formative des situations de travail.................................................. 152 Lectures conseillées.................................................................................................. 155
La GRH ou plutôt la « fonction personnel » débute au xixe siècle mais, à cette époque, comme le note J. Fombonne (2001), « les conseils d’administration concevaient mal de déléguer à un tiers une partie de leurs responsabilités » et donc un administrateur prenait directement en charge les opérations telles que le recrutement, la nomination, la fixation de la rémunération ou la « révocation ». Pour les historiens de l’économie ou des entreprises, le xixe siècle prend fin avec le premier conflit mondial et c’est à partir de 1918 qu’apparaissent les premiers services du personnel, souvent sous l’autorité du secrétaire général. C’est aussi à la même époque, après de longs débats, que la loi « relative à l’organisation de l’enseignement technique industriel et commercial », dite « loi d’Astier », voit le jour. Elle est promulguée le 25 juillet 1919 et elle devient le socle de l’enseignement technique de masse, gratuit et obligatoire. Plus tard, la loi de finances de 1925 crée une « taxe d’apprentissage » de 0,2 % des salaires pour financer toutes les formes d’apprentissage.
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On peut donc considérer que la formation professionnelle, dont la loi d’Astier jette les bases, et la structuration de la fonction personnel avec ses chefs de service et parfois son directeur apparaissent concomitamment à l’aube du xxe siècle. On peut également remarquer que, dès le départ, la formation professionnelle est réglementée et que son financement est encadré. Tout au long du siècle suivant et jusqu’à aujourd’hui il en ira de même, les services et directions de gestion du personnel (devenue GRH) et la formation professionnelle ne se quitteront plus et l’habitude de demander une contribution financière à l’employeur pour le financement de la formation sera conservée. Cette double caractéristique est tellement passée dans les mœurs nationales qu’on peine parfois à imaginer qu’il puisse en aller autrement. Pourtant, dans la plupart des pays la formation professionnelle et son financement ne sont pas au cœur de la GRH. On ne trouve que rarement un service formation (encore moins une direction) dans les entreprises des pays anglo-saxons mais il appartient à toute direction opérationnelle ou fonctionnelle observant un déficit de compétences pour certains collaborateurs ou une nécessité de faire progresser les connaissances pour préparer l’avenir de prendre en charge directement la gestion des opérations correspondantes et d’en supporter le coût. En ce sens, on peut dire que la place et le rôle que joue la formation professionnelle au sein de la GRH constituent une particularité nationale qui tient à la fois de l’histoire des entreprises françaises mais aussi de celle des relations sociales car les réglementations (nombreuses) qui ont émaillé les presque 100 ans qui séparent la loi d’Astier de l’époque actuelle ont le plus souvent été précédées de négociations et d’accords entre partenaires sociaux. En France, sous la Ve République, la formation professionnelle a acquis un statut institutionnel, elle dispose très souvent d’un secrétaire d’État ou d’un ministre délégué, elle est un sujet récurrent de discussions entre patronat et syndicat. Au sein de l’entreprise, elle dispose d’importants moyens à la fois pour son propre compte, c’est-à‑dire pour la gestion des processus administratifs (dont beaucoup sont obligatoires) mais aussi pour le financement des actions de formation. Elle apparaît souvent au 141
Traité des sciences et des techniques de la formation
premier plan des préoccupations des entreprises quand on interroge les DRH. Cependant les dispositifs institutionnels nationaux sont très souvent critiqués, le financement de la formation continue est jugé opaque, les actions de formation organisées par les entreprises sont perçues comme déséquilibrées car profitant trop à l’encadrement et pas assez aux employés peu formés. La dernière loi sur le sujet, loi du 5 mars 2014, bien que qualifiée de « réforme révolutionnaire » par la profession1, ne devrait pas faire beaucoup bouger les lignes de sorte que la formation demeure une composante paradoxale de la GRH. L’une des raisons tient certainement au poids des contraintes de toute nature qui pèsent sur la formation et qui obligent le DRH à consacrer beaucoup de temps et d’efforts à la mise en conformité de ses actes par rapport à l’état de la législation et de la réglementation. Il n’en reste pas moins que, depuis quelques années, la GRH a fait des progrès que l’on peut globalement résumer par le passage de la gestion de la formation à la gestion des compétences. Cependant, en dépit de ces efforts, la composante formation de la GRH n’a nullement l’exclusivité de la dimension formative des situations de travail.
1. Le poids des contraintes En 1962, l’un des premiers manuels de GRH2 consacrait un chapitre à la formation et répondait de façon très claire à la question : « Quels motifs peuvent pousser un chef d’entreprise à faire de la formation ? » : « Ce peut être le désir d’améliorer la productivité en valorisant le capital humain, la volonté de faciliter l’introduction de méthodes nouvelles d’organisation, la volonté de faire évoluer le personnel, l’amélioration du climat social et des relations humaines » (p. 111). Nul doute qu’à la même question aujourd’hui le chef d’entreprise devrait inclure dans sa réponse « par ce que c’est obligatoire, que je serais sanctionné fiscalement et socialement si je ne le faisais pas ».Les chapitres 4 et 5 de cet ouvrage précisent les obligations qui s’imposent à l’entreprise française au titre de la formation, on peut simplement en rappeler les deux rubriques principales avant d’analyser la formation au sein de la GRH en tant qu’institution et les conséquences multiples de cette position particulière.
1. Cf. Izy Béhar, rédacteur en chef de la revue in Personnel, n° 558, mars/avril 2015 p. 3. 2. Diverrez J. (1962). Politique et techniques de direction du personnel, Éditions de l’Entreprise moderne.
142
La gestion des ressources humaines ■ Chapitre 6
1.1 Obligations légales Les deux rubriques principales des obligations concernent d’une part la vie sociale et d’autre part le financement. Pour la vie sociale, tous les ans, le comité d’entreprise doit être informé et consulté sur les orientations de la formation professionnelle dans l’entreprise en fonction des perspectives économiques et de l’évolution de l’emploi, des investissements et des technologies dans l’entreprise. Parmi les réunions obligatoires du comité, deux sont consacrées à la formation1 : –– La première réunion doit permettre l’examen, pour l’année à venir, des orientations de la formation ainsi que le bilan des actions comprises dans le plan de formation pour l’année en cours et l’année écoulée. Ce bilan comporte la liste des actions de formation, des bilans de compétences et des VAE réalisées (complétée par les informations relatives aux prestataires de formation, aux conditions de déroulement des actions, à leur nature : actions d’adaptation au poste ou à l’emploi d’une part, actions de développement des compétences d’autre part). –– La seconde réunion a pour objet de présenter le projet de plan de formation pour l’année à venir, classant les actions de formation en deux catégories, les actions d’adaptation au poste de travail pour maintien dans l’emploi d’une part, les actions liées au développement des compétences d’autre part. Les conditions de mise en œuvre des périodes et des contrats de professionnalisation et du CPF (compte personnel de formation) pour l’année à venir sont également précisées. Concernant l’obligation de financement, toute entreprise, quelle que soit sa taille, doit participer au financement de la formation professionnelle des salariés. Pour ce faire, elle doit verser une contribution (à l’Opca dont elle dépend) assise sur la masse salariale annuelle brute soumise à cotisations de sécurité sociale, dont le taux est de 1 % pour les entreprises de 10 salariés et plus.
1.2 La formation, institution de la GRH Ces contraintes, qui se sont imposées depuis quarante-cinq ans, ont contribué à faire évoluer le regard des employeurs, notamment des dirigeants de PME, pour lesquels la conformité aux différents dispositifs législatifs, réglementaires et conventionnels devient un objectif en soi. En d’autres termes, la place de la formation dans la GRH s’est « institutionnalisée », c’est-à‑dire qu’elle répond à des attentes sociétales, qu’elle est encadrée par des textes sans cesse actualisés, qu’elle est objet de contrôle de la part de l’administration, de négociations de la part des
1. Dans les entreprises de plus de 300 salariés, l’employeur doit constituer une commission formation.
143
Traité des sciences et des techniques de la formation
partenaires sociaux et, de plus en plus, de concertation avec les conseils régionaux. Ceci présente un risque, celui de faire passer les obligations de conformité avant les besoins de l’entreprise. De nombreuses conséquences découlent de l’institutionnalisation de la formation. La première d’entre elles concerne le rôle et le coût de la formation au sein de la direction des ressources humaines. Les entreprises françaises disposent plus souvent que leurs homologues anglo-saxons d’une structure entièrement dédiée à la formation, que cette structure possède le statut de direction à part entière, de sous-direction ou de simple service. En 2009, la Cegos, lors d’une étude annuelle comparative entre le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Espagne et la France dressait un constat critique de cette situation : « C’est au Royaume-Uni que le nombre de salariés formés est le plus important, avec un budget formation moindre (trois fois inférieur au budget français moyen), et une mesure du retour sur investissement la plus aboutie » (p. 7)1. Une autre conséquence concerne la tendance croissante à « externaliser » la gestion de la formation, c’est-à‑dire à transférer tout ou partie de cette fonction vers un partenaire externe. Cette tendance s’explique, en partie, par la nécessité de mobiliser des ressources sur des questions « technico-administratives » à faible valeur ajoutée. En confiant à des consultants la gestion de la formation l’entreprise recherche l’assurance d’être en conformité avec les multiples obligations qui lui incombent et à bénéficier de compétences dont elle ne dispose pas. Parfois, elle recherche également des économies. Lorsque l’évolution des compétences constitue un avantage concurrentiel, cette pratique n’est pas sans risque stratégique. Enfin, on peut remarquer, en France, l’importance de la place occupée par le plan de formation et les données chiffrées relative à son exécution. Dans d’autres pays, les entreprises n’éprouvent pas le besoin de formaliser un plan de formation ni de rendre compte de sa réalisation en termes aussi détaillés. Elles peuvent, par exemple, intégrer, lorsqu’elles sont nécessaires, des actions de formation dans des plans d’action finalisés par business unit ou encore dans des projets d’acquisition de nouveaux matériels, ou des projets de réorganisation. En d’autres termes, là où un responsable français aura une tendance naturelle à structurer son action autour d’une problématique de formation (« analyse des besoins », « ingénierie pédagogique », « budget formation », « présentation aux comités d’entreprise et reddition de comptes », « évaluation des résultats »), un responsable d’un autre pays pourra ignorer ce cadrage cognitif. Pour lui, il conviendra simplement d’insérer des actions de formation comme éléments de solution à des problèmes rencontrés ou anticipés ou encore comme élément d’accompagnement de projet.
1. CEGOS (2009). Étude sur les modalités de formation.
144
La gestion des ressources humaines ■ Chapitre 6
1.3 Les process liés à la gestion de la formation La formation repose sur quatre procédures imbriquées : l’analyse des besoins de formation, le plan de formation, la gestion des activités de formation et l’évaluation.
1.3.1 L’analyse des besoins en formation Une politique de formation doit répondre à plusieurs objectifs dont les deux principaux sont les suivants : –– permettre d’adapter les salariés aux changements structurels et aux modifications des conditions de travail impliquées par l’évolution technologique et organisationnelle ; –– permettre de déterminer et d’assumer les innovations et les changements à mettre en place pour assurer le développement de l’entreprise. On peut remarquer que par rapport aux objectifs plus anciens rappelés en tête de chapitre l’amélioration du climat social a disparu. Il est cependant indéniable que, parfois, une action de formation peut avoir ce résultat mais il s’agit désormais d’une retombée induite de la formation qui n’est plus recherchée en tant que telle. En revanche, ce qui est devenu aussi central que difficile à obtenir c’est la liaison entre les deux objectifs, l’objectif d’employabilité du salarié d’une part et le développement de l’entreprise d’autre part. L’entreprise organise des procédures de remontées de l’information relatives aux besoins en formation de ses employés. Ces remontées d’informations peuvent avoir lieu en plusieurs occasions : –– chaque année entre le supérieur hiérarchique et chacun de ses collaborateurs, on parle alors d’entretien annuel, d’entretien d’appréciation ou parfois d’entretien de progrès ; –– tous les deux ans l’entretien professionnel destiné aux salariés ayant plus de deux ans d’ancienneté, doit leur permettre d’élaborer leur projet professionnel ; –– le passeport « orientation et formation », établi à l’initiative du salarié permet de recenser ses connaissances, compétences et aptitudes professionnelles ; –– tous les 6 ans, l’entretien professionnel doit faire un état des lieux récapitulatif du parcours professionnel du salarié ; –– le bilan d’étape professionnel, à la demande du salarié, permet également d’évaluer ses compétences professionnelles. La multiplication de ces outils n’est pas sans poser de problèmes. La première modalité (entretien annuel) commence d’ailleurs à être remise en cause par certaines entreprises. L’une des conditions du succès réside dans la qualité de l’information diffusée aux salariés et à la hiérarchie concernant les projets de l’entreprise, et cela préalablement à la collecte de l’information concernant les besoins. 145
Traité des sciences et des techniques de la formation
1.3.2 Le plan de formation Entre la remontée des besoins et le plan de formation se situe une étape essentielle d’analyse et d’arbitrage dans la mesure où les besoins exprimés induisent souvent des coûts qui excèdent les sommes que l’entreprise est disposée à consacrer à son budget formation. Certaines entreprises pratiquent une planification sur plusieurs années (en liaison avec les résultats de la GPEC) ce qui permet d’inscrire le plan de formation dans un ensemble plus large quel que soit le nom donné à cet ensemble1. Il convient enfin de relever que si l’employeur dispose d’une certaine liberté d’action pour établir le plan de formation, cette liberté a cependant été de plus en plus encadrée au fur et à mesure que de nouvelles lois se mettaient en place. On a vu qu’il doit adapter ses employés au poste de travail mais il doit également prévoir les mesures de reclassement dans le cas d’un licenciement économique, il doit former à la sécurité, il doit respecter le principe de non-discrimination2, il doit veiller au maintien de l’employabilité et enfin il peut proposer des formations à la lutte contre l’illettrisme. Pour maintenir les salariés dans l’emploi, certaines catégories de salariés en situation de fragilité doivent bénéficier d’une période dite de « professionnalisation3 » qui peut être mise en œuvre dans le cadre du CPF (qui a remplacé le DIF au premier janvier 2015) ou du plan de formation. Cette période fonctionnant sur le principe de l’alternance vise l’obtention d’une qualification professionnelle4.
1.3.3 La gestion des activités de formation La gestion des activités de formation dépend des choix d’organisation de la GRH, elle peut être centralisée, décentralisée, en tout ou partie externalisée. Elle comprend de nombreuses activités qui peuvent être effectuées par l’entreprise elle-même, par l’Opca pour certaines d’entre elles ou encore par des consultants externes. De même, depuis dix ans, la tendance consiste à automatiser certaines de ces activités en les pilotant grâce à des modules adaptés de logiciels intégrés ou par des logiciels spécifiques de gestion de la formation.
1. À cet égard, cf. la notion de SDRH (schéma directeur des ressources humaines) notamment dans les travaux de Guy Le Boterf 2. Une quinzaine de critères sont énumérés par la loi, l’origine, le sexe, les mœurs, l’orientation sexuelle, l’âge, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, l’appartenance à une ethnie, une nation, une race, les opinions politiques, les activités syndicales, les convictions religieuses, l’apparence physique, le patronyme, l’état de santé, le handicap. 3. En 2008, 400 000 stagiaires ont bénéficié d’une période de professionalisation. 4. Les caractéristiques de cette période de professionnalisation sont le plus souvent définies par un accord collectif de branche.
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La gestion des ressources humaines ■ Chapitre 6
Les activités les plus importantes sont les suivantes : –– Analyse de l’offre de formation : plus de 8 000 organismes de formation se partagent le marché, certains privés, d’autres publics et ce marché est en partie renouvelé depuis quelques années avec la montée en puissance des solutions de type e-learning. –– Construction (ou choix) d’un référentiel : c’est parce que le monde du travail bouge sans cesse que, paradoxalement, la nécessité de disposer de référentiels d’emplois devient incontournable pour pouvoir calculer des écarts, tracer des parcours, etc. –– Construction et administration de cahiers des charges : ce document permet à l’entreprise de spécifier et de documenter ses exigences, elle utilise parfois le référentiel normatif de l’Afnor : NF X50-756 « Formation professionnelle. Demande de formation, cahier des charges de la demande ». –– Négociation et sélection des prestataires de formation : de ce point de vue on peut noter que, depuis quelques années les acheteurs professionnels ont « secondé » les responsables formation lors des négociations ce qui a eu pour effet de faire baisser les prix des prestations. –– Inscription et suivi administratif des salariés qui doivent suivre la formation. –– Prise en charge (dans le cas de formation à l’intérieur de l’entreprise) de la dimension logistique de la formation, formateur, salle, équipement pédagogique, etc.
1.3.4 L’évaluation Il convient de distinguer l’évaluation de la politique de formation, l’évaluation de la structure de formation de celle d’une action de formation. Dans le premier cas l’entreprise met en rapport les défis auxquels elle est confrontée, notamment les évolutions techniques et les attentes de ses clients, avec les évolutions de compétences de ses collaborateurs. Dans le second cas, le chef d’entreprise ou le DRH s’interroge parfois sur l’efficacité et l’efficience de leur structure de formation. C’est la réponse à ces deux questions qui peut entraîner des choix d’externalisation. Enfin concernant l’évaluation des actions de formation, la littérature scientifique et professionnelle a produit de nombreux modèles et de nombreux outils qui sont largement utilisés, notamment le modèle de Kirkpatrick. Le poids des contraintes est donc important et la gestion de la formation en France repose sur un socle juridique et administratif consistant. Il convient également de rappeler l’importance des relations avec les partenaires sociaux qui se manifeste aussi bien par la signature d’accords nationaux sur le sujet que par les conventions collectives (qui ont toutes un volet formation) ou encore par la gestion paritaire des Opca. Cette situation s’inscrit dans le paysage français des relations sociales. Les gouvernements successifs ont souvent appelé les partenaires sociaux à négocier. Depuis 1970, la formation professionnelle est l’un des très rares sujets sur lequel ces négociations ont souvent abouti à des accords nationaux interprofessionnels. Sur ce sujet, la convergence des intérêts est importante : l’entreprise est soumise à des exigences d’incorporation 147
Traité des sciences et des techniques de la formation
des progrès scientifiques et techniques dans ses produits et ses process. Cela n’est possible qu’avec une élévation du niveau de compétences de ses employés. Cette exigence laisse entrevoir à ces derniers une amélioration de leurs connaissances, de leur travail et de leur carrière, donc de leur situation professionnelle présente et future. Mais l’État qui, en France, joue un rôle très important dans le système de relations industrielles ne se contente pas de transposer dans la loi le contenu des ANI. Il a également ses propres objectifs, notamment concernant certaines populations qui sont éloignées de l’emploi. Ceci explique que l’univers de référence de la formation professionnelle soit devenu aussi complexe, il est au carrefour de deux logiques distinctes. Aussi, vu du côté de l’entreprise, et particulièrement des exigences de sa GRH, il est important de ne pas faire de la conformité à la réglementation et parfois de la recherche de dispositifs de (co-) financement sophistiqués les seuls critères de qualité d’une politique de formation. L’essentiel est ailleurs, il est dans l’adéquation de cette politique avec le projet d’entreprise ce qui peut se traduire par la gestion des compétences.
2. De la gestion de la formation à la gestion des compétences Il est banal de rappeler que la France est un pays qui vieillit, c’est-à‑dire un pays dont l’âge moyen s’accroît, à la fois pour la population totale et pour la population active. Si les réformes touchant la retraite ont permis d’en atténuer les effets il n’en reste pas moins que les départs à la retraite demeureront importants jusqu’en 2020, date approximative de la fin d’activité des baby-boomers. Pour ces raisons et pour des raisons politiques, notre pays a porté une grande attention à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences1 (GPEC). La dimension « prévisionnelle » ou « anticipatrice » de la GPEC n’a toutefois pas réussi à éviter les suppressions d’emploi. Certains spécialistes ont même évoqué, à cet égard, « la crise de la GPEC2 ». Ce qui, en revanche, demeure un succès de la GPEC c’est le changement de regard porté sur l’emploi et sur le travail qu’elle a autorisé. Comme certains sociologues l’ont noté, la notion de compétence s’inscrit dans une logique différente de celle de poste3 et la logique compétence a fait évoluer les pratiques de gestion de la formation tout autant que les acteurs de la formation.
1. Les premiers chantiers de GPEC ont été lancés lorsque Martine Aubry, ministre du Travail estimait que les entreprises, soumises à des aléas conjoncturels, « licenciaient trop, trop vite et trop fort » 2. Defélix C., Dubois M., et Retour D. (1997). « GPEC : une gestion prévisionnelle en crise », in Tremblay M. et Sire B. (éd.), GRH face à la crise, GRH en crise ?, Montréal Presses HEC, p. 83-97. 3. Zarifian P. (1988) « L’émergence du modèle de la compétence », in Stankiewicz F. (éd.), Les stratégies d’entreprises face aux ressources humaines, Paris, Economica, p. 77-82
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La gestion des ressources humaines ■ Chapitre 6
2.1 Formation et gestion des compétences L’entreprise évolue, elle a besoin que ses ressources humaines évoluent également. La place de la formation entre l’évolution de l’entreprise et celle des femmes et des hommes qui la composent ne se fait pas toujours de la même façon selon les pays ainsi que le montrent l’exemple anglais puis le cas français. Au Royaume-Uni, cet ajustement se réalise souvent à travers l’application volontaire d’une norme IIP (investor in people) qui concerne plus de 40 000 entreprises. Une étude scientifique menée par les chercheurs d’une business school réputée1 a prouvé que les entreprises qui obtiennent ce label (IIP) emploient 31 % de la main-d’œuvre du Royaume-Uni et qu’elles réalisent de meilleurs résultats que les autres. De plus, le chemin qui conduit de l’obtention du label à la performance financière a été identifié : obtenir IIP conduit à des changements dans les politiques de GRH et notamment dans les politiques de formation et d’engagement des salariés qui entraînent conjointement une amélioration du climat social et des « compétences et des comportements2 ». Ces améliorations sont suivies de progrès chiffrables et significatifs de la performance financière. Sans entrer dans le détail de cette norme, ce qui la caractérise c’est la volonté de pousser l’entreprise à investir dans le capital humain en développant le niveau de compétence et d’engagement au service de la réalisation du projet d’entreprise. En France, pour faire face aux mêmes défis, de nombreux travaux de recherche se sont intéressés aux liens entre trois niveaux de compétences, la compétence individuelle, la compétence collective et la compétence de l’entreprise, parfois saisie sous l’angle de la compétence organisationnelle (capacité d’une organisation d’effectuer une tâche avec succès) et parfois sous l’angle différent de la compétence stratégique (capacité à obtenir un avantage concurrentiel durable). Si le troisième niveau relève plus de la stratégie que de la GRH, les deux premiers concernent la formation. Au niveau individuel, le concept de compétence a été mis au centre de nombreux dispositifs. En 1998, par exemple, le CNPF (qui n’est pas encore devenu le Medef) place la compétence individuelle au cœur de ses réflexions3 en partant du constat que le travail évolue et que dans de nombreuses entreprises on fait de plus en plus appel à des compétences telles que la réactivité du 1. Bourne, Franco-Santos, Pavlov, Lucianetti, Martinez et Mura (2008). The Impact of Investors in People on People Management Practices and Firm Performance, Cranfield University. 2. Mesurés à travers une variable dénommée par les auteurs human capital flexibility. 3. Colloque de Deauville, « Journées internationales de la formation ».
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Traité des sciences et des techniques de la formation
salarié, sa vigilance, sa capacité à trouver des solutions ou des améliorations. Cette réflexion aboutit au constat qu’au salarié interchangeable placé dans un poste de travail préconçu et stabilisé allait succéder un salarié capable de s’adapter en permanence à un environnement soumis à de fortes pressions. Pour certains il s’agissait même de passer de la gestion des compétences à la gestion par les compétences avec pour point de mire un salarié responsable de l’évolution de ses compétences. Cette image d’un salarié gestionnaire voire architecte d’un portefeuille de compétences qu’il met à jour au gré des formations qu’il reçoit ou des expériences qu’il acquiert a trouvé rapidement ses limites. Aujourd’hui, même si cette vision n’est plus d’actualité, il en demeure des outils qui sont utiles et qui sont intégrés dans la panoplie de la direction de la formation, notamment le bilan des compétences et les différentes procédures de validation des compétences. Le bilan de compétences concerne toute personne désireuse : –– d’analyser ses aptitudes, ses compétences personnelles et professionnelles, ses motivations ; –– d’organiser ses priorités professionnelles ; –– d’utiliser ses atouts comme instrument de négociation pour un emploi, une formation ou en termes de choix de carrière. Pour l’entreprise, c’est aussi l’occasion de mieux organiser la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et de favoriser la gestion des carrières et la mobilité professionnelle. Le bilan de compétences donne lieu à la rédaction d’un document de synthèse en vue de définir ou de confirmer un projet professionnel, le cas échéant, un projet de formation. Cette prestation peut être suivie à l’initiative de l’entreprise (elle est alors inscrite dans son plan de formation) ou du salarié (dans le cadre du congé de bilan de compétences). Parmi les procédures de validation des compétences, la validation des acquis de l’expérience (VAE) permet à toute personne d’obtenir en totalité ou en partie un diplôme, un titre ou un certificat de qualification professionnelle à partir d’un dossier qu’elle remplit et qui contient le détail des compétences qu’elle estime avoir acquises par son expérience. En réalité, le processus est assez lourd car l’exercice est difficile et les résultats de cette procédure ne sont pas à la hauteur des espoirs qu’elle avait pu soulever. En d’autres termes, contrairement à l’exemple anglais qui adopte une démarche de type topdown, la démarche française est souvent bottom-up. La norme IIP articule le développement des compétences individuelles autour du projet d’entreprise ; en France si on s’en tient aux logiques sous-jacentes des outils de gestion relatifs à la formation créés par la loi, le point de vue du salarié est souvent mis en avant. 150
La gestion des ressources humaines ■ Chapitre 6
Dans les faits, les entreprises, notamment les plus importantes, vont bien au-delà des obligations juridiques et mobilisent des démarches qui mettent leurs besoins d’amélioration des compétences collectives au centre de leurs politiques mais cette tension entre individuel et collectif est sensible dans les PME qui ne disposent pas des moyens suffisants pour engager les démarches susceptibles de la réduire. Partant essentiellement des besoins individuels, utilisant, grâce aux Opca, la gamme des instruments légaux rapidement présentés ci-dessus, les dirigeants de PME ont parfois le sentiment que leurs efforts en matière de formation ne se retrouvent pas suffisamment en termes d’efficacité collective.
2.2 Compétences et acteurs de la formation professionnelle L’absence de compétences relatives à l’ingénierie de formation dans les PME permet, a contrario, de s’interroger sur les évolutions récentes des métiers liés à la gestion de la formation dans les entreprises. Les managers de la formation en entreprise occupent souvent une position de « constructeurs de frontière » puisque de nombreuses communautés de pratiques regroupant des managers et experts de différentes entreprises et secteurs se sont développées dans le domaine de la formation et de la gestion des connaissances. De plus, la formation implique souvent le développement de relations avec des organisations telles que les écoles, les universités ou les lieux dans lesquels s’élabore le savoir, c’est-à‑dire les centres de recherche et les laboratoires. Cette situation de « marginal séquent » peut être mobilisée par les managers de la formation pour consolider leur pouvoir mais aussi pour faciliter et légitimer l’adoption d’innovation en matière de formation. Le développement des universités d’entreprise a vu le jour aux États-Unis et a atteint la France depuis une vingtaine d’années. Leur succès tient au fait que si les services formation accompagnent personnellement les individus dans leur montée en compétences, les universités d’entreprise se préoccupent davantage du collectif et du cœur de métier de l’entreprise. Souvent ces universités sont à la pointe de tendances qui ensuite diffusent dans les services formation. Ainsi l’utilisation des technologies de l’information est souvent expérimentée dans leurs locaux. Il y a quelques années l’installation de salles pouvant être utilisées pour des cours à distance est apparue dans les universités d’entreprise. Aujourd’hui les modules d’e-learning, les formations dites blended learning, les serious games voient souvent le jour dans les universités avant d’être utilisés plus largement. De même les universités s’ouvrent aux managers de l’entreprise étendue, c’est-à‑dire à certains de ses clients, à certains sous-traitants ou fournisseurs, à des parties prenantes qui sont concernées par la réalisation des projets de l’entreprise. Autour de ces activités, de nouveaux métiers voient le jour. Le responsable des enseignements virtuels, le concepteur ou le designer pédagogique de ces nouveaux supports, le e-tuteur, côtoient les traditionnels formateurs qui n’ont pas disparu pour autant. 151
Traité des sciences et des techniques de la formation
Des associations de professionnels ont vu le jour. Parfois les adhérents de ces associations professionnelles font part de leur difficulté en relation avec un éclatement des pratiques, voire des lieux de formation. Le centre de formation de la grande entreprise, qui rassemblait autrefois toutes les formations, autorisait des échanges et des rencontres que seule la fonction publique connaît encore (notamment à travers les centres de formation de la fonction publique territoriale). De même l’éclatement des métiers, l’apparition des coachs, la fonction pédagogique parfois attribuée au manager direct privent le responsable de formation d’une partie de ses prérogatives. La rapidité des transformations dans les méthodes pédagogiques et l’élévation du niveau d’attente des formés dans le cadre du e-learning constituent également des motifs de préoccupation. L’importance des prestataires externes à l’entreprise, consultants, cabinets de formation et depuis quelques années coachs d’entreprise, caractérise le monde de la formation professionnelle en France. Le financement obligatoire a contribué à la création d’un marché solvable et donc d’une offre particulièrement dense, parfois à l’origine de certaines dérives. Ainsi on a pu récemment s’inquiéter de la place prise par des sectes qui infiltraient le management des entreprises par le biais de formations de « développement personnel ».
3. La dimension formative des situations de travail La formation et la communication interne ont un point commun, on leur attribue souvent des responsabilités qui ne sont pas les leurs. Ainsi, ayant posé un mauvais diagnostic, on arrête un mauvais traitement. Comme le note Galambaud (2002), « des ouvriers sont démotivés, qu’on les forme ! Des vendeurs vendent moins, qu’on les forme ! ». Cela rappelle les reproches adressés au dircom lorsque l’échec d’une politique voulue par la direction lui est imputé par principe. La formation ressemble parfois à une barque lourdement chargée par les DRH ou par les directions générales. Les occasions de se former sont cependant bien plus nombreuses dans l’entreprise que celles qui sont gérées par les responsables de formation. De ce point de vue, la GRH est une pépinière de pratiques à contenu pédagogique et parfois c’est l’entreprise elle-même qui devient apprenante.
3.1 Les pratiques formatives de la GRH Choisir ses collaborateurs par recrutement, par promotion ou par mutation, négocier avec les partenaires sociaux, évaluer la performance d’une équipe, justifier une décision ou un refus d’augmentation, animer une réunion, communiquer un plan d’action, voilà autant d’actes courants 152
La gestion des ressources humaines ■ Chapitre 6
pour le manager dont le contenu pédagogique apparaît évident. Pourquoi ? parce qu’au-delà de l’objectif précis de chacune de ces situations (le choix d’une personne, l’évaluation d’une autre) le responsable va se trouver en situation d’écouter, de produire un discours argumenté justifiant une position en fonction d’un référentiel de gestion, d’analyser des objections, de convaincre. Cette position fait de lui, volens nolens, un formateur car pour peu qu’il ne se contente pas de l’argument d’autorité (« c’est ainsi parce que c’est moi le chef ! ») il transmet des règles de l’organisation, des façons de penser et de juger qui vont contribuer fortement à former son entourage. À défaut de pouvoir examiner toutes les situations formatives de la GRH, deux d’entre elles serviront d’exemples, l’entretien annuel et le contrat d’intéressement. L’entretien annuel a souvent des visées opérationnelles importantes, il peut servir de base à l’appréciation du collaborateur, il débouche sur la fixation d’objectifs, parfois il comporte l’expression des besoins de formation (Igalens et Roger, 2013). Mais cette situation est une excellente situation propice à une micro-formation individualisée. La fixation des objectifs repose souvent sur la recherche d’indicateurs qui sont de véritables instruments de mesure de la performance. Le choix de ces indicateurs peut permettre au collaborateur de progresser dans sa compréhension de la création de valeur. L’interrelation des finalités entre les postes, la complémentarité des fonctions, les rapports avec l’environnement de travail sont autant de sujets sur lesquels, en principe, le manager détient des connaissances qu’il est utile de transmettre aux collaborateurs. L’entretien annuel est le moment idéal pour cela. Pour cette raison, la tendance récente de grandes entreprises à supprimer cet entretien devra être étudiée de près afin d’en mesurer toutes les conséquences. L’accord d’intéressement dont le dispositif de base remonte à 1959 constitue également, sur le même sujet, la création de valeur, une opportunité tout aussi intéressante que la précédente avec toutefois un avantage particulier qui est la prise en compte de la performance du collectif de travail. Une recherche menée sur les conditions de réussite auprès de quatre-vingtonze entreprises a montré que le succès d’un accord était lié « à l’existence d’une information de base significative et à une formation sur la nature et le fonctionnement du mécanisme d’intéressement1 ». Les exemples pourraient être multipliés, ils prouvent que la formation en entreprise ne se réduit pas à une série de stages. La formation se situe au cœur de la responsabilité managériale et le manager au contact de son collaborateur est souvent amené à « le faire grandir » notamment en le formant par l’exemple (Mantione, 2015). 1. G. Bijeire et J. Igalens (1998) « Les conditions de réussite de l’intéressement », Revue française de gestion, n° 118, p. 18-30.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
3.2 L’entreprise apprenante « On peut considérer qu’une organisation apprend lorsqu’elle parvient à détecter et à corriger une erreur, étant entendu qu’il y a erreur quand un écart apparaît entre une intention et ses conséquences effectives » (Argyris, 1998). Pour l’auteur de cette définition pour qu’une entreprise apprenne, il faut qu’elle passe d’un apprentissage en simple boucle à un apprentissage en double boucle. Alors que le premier consiste à tenir compte des résultats pour réagir, le second exige de remettre en question les valeurs qui guident les stratégies d’action. Argyris détaille les obstacles à ce deuxième type d’apprentissage qui sont les routines organisationnelles dont l’origine est souvent ancrée dans des croyances erronées des managers. Permettre à une entreprise d’apprendre, dans cette perspective, c’est faire changer les managers en faisant en sorte qu’ils utilisent de bonnes théories. Une autre conception, plus traditionnelle, de l’entreprise apprenante renvoie à sa capacité à conserver une mémoire organisationnelle et à gérer correctement les connaissances qu’elle produit, le KM ou knowledge management. Pour les spécialistes du KM, les acteurs de l’organisation ne doivent pas se limiter à la consommation d’informations brutes. Ils doivent veiller aux usages des informations, ce qui signifie interprétation, structuration, capitalisation, et partage des connaissances. Il ne s’agit pas de compétences innées aussi, à côté de dispositifs informatiques, la formation des salariés fait partie de toute démarche de KM. En conclusion, la formation en entreprise est sujette à de nombreuses tensions. La plus forte, mais aussi la plus ancienne concerne la tension entre une formation exclusivement orientée par des considérations sociales et la formation exclusivement orientée vers la performance économique. Seuls ceux qui n’ont jamais géré les budgets formation peuvent imaginer que ces deux objectifs sont toujours parfaitement conciliables. L’art du responsable de formation consiste à rechercher des convergences, notamment en jouant sur le temps. Mais le temps est aussi objet de tension, entre le temps court (l’année) qui s’impose pour des raisons comptables et financières et le temps des apprentissages qui est souvent plus long. Enfin la formation est soumise à de fortes évolutions technologiques qui d’un côté l’obligent à intégrer de plus en plus d’e-learning et de formation à distance alors qu’il n’échappe à personne que la formation doit rester également une occasion de renforcer le capital social en multipliant les occasions de rencontre. Face à ces contradictions le responsable de formation n’est pas démuni, il dispose de nouveaux outils qui permettent de réconcilier demande sociale et exigence économique, il introduit, à côté du plan de formation annuel, d’autres outils de gestion qui disposent d’une durée plus longue (la GPEC par exemple) et pour concilier e-learning et rencontres il a sa disposition la formation mixte (blended learning). 154
La gestion des ressources humaines ■ Chapitre 6
Lectures conseillées A rgyris C. (1998). Savoir pour agir, Paris, InterÉditions.
Galambaud B. (2002). Si la GRH était de la gestion, Paris, Éditions Liaisons.
Fombonne J. (2001). Personnel et DRH. L’affirmation de la fonction personnel dans les entreprises (France, 1830-1990), Paris, Vuibert.
Igalens J. et Roger A. (2013). Master RH, Paris, Éditions Eska. M antione F. et coll. (2015). Le Management épiphyte, Paris, Éditions EMS.
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Chapitre 7 Management, organisation et formation1
1. Par Christian Batal et Olivier Charbonnier.
Sommaire 1. Évolution des formes d’organisation et de management et pratiques de formation........................................................ 159 2. La réhabilitation de la dimension humaine dans la pensée managériale et dans les organisations........................................... 166 3. Le développement de la compétence comme variable stratégique au cœur des organisations........................................ 168 Lectures conseillées.................................................................................................. 174
La problématique des compétences entretient depuis toujours un lien étroit avec celle de l’organisation : la compétence est souvent pensée comme un moyen d’adaptation à l’organisation, mais elle est aussi fréquemment considérée comme un moyen pour la faire évoluer. C’est pourquoi la formation est parfois utilisée comme outil d’adaptation à l’organisation ou, au contraire, comme outil de changement de cette même organisation. Les termes d’apprentissage organisationnel et d’organisation apprenante, témoignent encore de cette forte relation de proximité qu’entretiennent ces deux dimensions. L’articulation entre pratiques de formation et modes de management et d’organisation soulève donc deux questions aussi simples que vastes : comment le fonctionnement des structures, et plus particulièrement la structure organisationnelle et les pratiques managériales, impactent-elles les pratiques de formation ? En quoi les pratiques de formation accompagnent-elles l’évolution des modes de management et d’organisation ? L’étude de l’évolution des organisations et des pratiques managériales permet, depuis l’époque artisanale jusqu’à aujourd’hui, de repérer le rôle parfois central ou au contraire marginal dédié à la formation dans la performance et la transformation des organisations. Il ressort de cette mise en perspective historique que les pratiques de formation évoluent de façon non linéaire sous l’effet des doctrines managériales qui se sont succédé. Pivot de la production artisanale, l’apprentissage est devenu relativement accessoire lorsque l’économie s’est industrialisée, avant de se ré-institutionnaliser un peu plus tard.
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1. Évolution des formes d’organisation et de management et pratiques de formation Il convient de se prémunir contre la tentation d’un artefact qui consisterait à décrire l’histoire des organisations et de leurs conséquences sur les pratiques de formation sous forme d’évolutions successives clairement circonscrites dans le temps. De fait, les organisations n’ont pas encore digéré le mouvement de rationalisation sur lequel elles se sont développées depuis plus d’un siècle. Ainsi, les développements qui suivent visent davantage à rendre compte d’une articulation dans ses différentes formes qu’à reconstituer des mouvements déjà abondamment décrits par les historiens.
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1.1 L’époque artisanale : l’expérience professionnelle comme mode dominant de développement des compétences L’économie artisanale préindustrielle se caractérise souvent par des micro-organisations où l’initiative individuelle est prépondérante et dans lesquelles le travailleur n’est pas spécialisé sur une tâche, mais doit au contraire se comporter de façon autonome pour réaliser l’intégralité d’un objet ou d’une prestation. La réalisation d’un ouvrage dans toutes ses dimensions et/ou la pratique d’un métier (coutelier, forgeron…) impliquent la maîtrise d’un registre varié d’habiletés et de connaissances. Dans ce contexte, les besoins de compétences sont très importants et relèvent avant tout d’une logique professionnelle de « métier ». Ils sont centrés sur des « savoirfaire » liés à l’utilisation de nombreux outils et à la réalisation de gestes difficiles ou de tours de main délicats, mais aussi sur les connaissances et les méthodes indispensables pour concevoir l’ouvrage à réaliser. Par ailleurs, à cette époque, les compétences les plus pointues assurent aux artisans qui les maîtrisent un avantage concurrentiel utile et socialement valorisant. C’est la raison pour laquelle le terme de « secrets » était couramment utilisé pour évoquer certaines finesses du métier. L’époque artisanale est marquée par le phénomène du compagnonnage. En dehors des « journaliers » et des « manœuvres » auxquels on ne demande pas d’être compétents, mais simplement « durs à l’ouvrage », ce sont les compagnons qui vont fortement influencer la vie économique productive pendant plusieurs siècles, de la fin du Moyen Âge jusqu’au xixe siècle. À la fois mouvement d’association ouvrière et mode de formation des métiers artisanaux, le compagnonnage est structuré en associations de métiers (les « devoirs ») qui soumettent leurs membres à une initiation, à une formation professionnelle et spirituelle rigoureuse, ainsi qu’à l’observation de règles et de rites précis. Après un premier apprentissage auprès d’un maître, d’une durée variant de deux à cinq ans, le jeune ouvrier (béjaume) devient un aspirant compagnon qui va se perfectionner en multipliant les expériences avec la réalisation d’un tour de France dont l’itinéraire varie selon les métiers. Il s’agit de sortir de la routine d’un seul atelier pour se perfectionner sur les techniques traditionnelles de son métier et pour aller acquérir, en travaillant dans différents lieux et contextes, la variété des tours de main régionaux. Dans chaque ville, le compagnon est pris en charge à la « cayenne » (auberge où séjournent et se réunissent les compagnons de son « devoir ») par l’organisation locale qui veille sur lui ainsi que sur sa formation et s’occupe de lui fournir du travail en l’inscrivant et en l’orientant dans un chantier ou un atelier. Il y reste le temps nécessaire pour atteindre son objectif de perfectionnement et repart ensuite suivre sa route pour une autre ville. Il dispose d’un livret qui atteste de son parcours et qu’il fait 160
Management, organisation et formation ■ Chapitre 7
parapher à chacune de ses étapes. À l’issue de ce tour de France, qui dure généralement cinq ou six ans, l’aspirant doit faire la preuve de ses acquisitions avec la réalisation d’un chef-d’œuvre « de réception », examiné par un jury, afin d’être reçu compagnon. Ainsi, les modes de développement des compétences relèvent d’abord de cette culture de métier, dans laquelle on devient un bon professionnel lorsqu’on en maîtrise toutes les dimensions et que l’on est capable d’exécuter seul les réalisations qui sont caractéristiques de ce métier. Même si les aspirants peuvent bénéficier dans les cayennes de formations assurées par des compagnons expérimentés, le mode dominant d’acquisition reste l’expérience professionnelle, c’est-à‑dire la réalisation d’ouvrages sous le contrôle de professionnels confirmés. Cette période présente un certain nombre d’analogies avec des pratiques et des discours caractéristiques de la période actuelle : –– une logique de réseau dans laquelle l’organisation est extérieure à l’entreprise et se matérialise ici à travers les associations de compagnons ; –– une logique de projets qui se caractérise par l’association de professionnels expérimentés qui travaillent ensemble, sur un chantier et pour une durée déterminée, à la réalisation d’un ouvrage important ; –– une idéologie du développement des compétences en situation de travail dans laquelle l’artisan est, d’une certaine façon, l’« entrepreneur » du développement de ses compétences ; –– une idéologie du perfectionnement permanent (Palazzeschi, 19981) qui n’est pas sans rappeler la problématique contemporaine des « travailleurs du savoir ». En France, ce système de formation de la main-d’œuvre qualifiée est remis en cause à la Révolution car le système des corporations est « aux antipodes du libéralisme ambiant » (Terrot, 19832). Il va ensuite progressivement s’éteindre car, à partir du xixe siècle, les effets révolutionnaires des nouveaux systèmes de production vont réduire considérablement le nombre de compagnons : la machine et la division du travail permettent une productivité supérieure et une baisse des prix. Contrairement à l’artisan, condamné à produire lentement des pièces en nombre restreint, la fabrique peut satisfaire la demande massive d’une population en pleine croissance. Les emplois peu qualifiés se développent avec l’industrie et les grands travaux, même si au xixe siècle, ceux qui ont un métier peuvent encore le monnayer car on a besoin d’eux pour réparer les machines et fabriquer les pièces les plus délicates.
1. Y. Palazzeschi (1998). « Le compagnonnage » (chap. 10, texte n˚ 39, « une idéologie du perfectionnement »), Introduction à une sociologie de la formation. Anthologie de textes français, vol. 1, Paris, L’Harmattan. 2. N. Terrot (1983). Histoire de l’éducation des adultes en France, Paris, Edilig.
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1.2 Le développement d’une logique d’organisations mécanistes : les besoins de compétences et la formation limités à l’encadrement 1.2.1 Le déclin de la compétence sous l’effet de la rationalisation du travail (Taylor) C’est véritablement au début du xxe siècle que les pratiques de formation vont être bouleversées. Avec l’accélération de la division du travail, la concentration de la production, sa rationalisation puis son automatisation, le principe même de progression professionnelle fondée sur l’acquisition de compétences plus pointues et plus rares, caractéristique de l’époque artisanale, se dégrade. Cette reconfiguration de la production se poursuit au xixe siècle, principalement en Angleterre et aux États-Unis, avec une accélération sans précédent au cours des deux dernières décennies. Même si leur périmètre se resserre, les pratiques d’apprentissage telles qu’elles se sont développées pendant l’époque artisanale demeurent dans une certaine mesure. Le « déclin de la compétence » va s’accentuer avec l’émergence de la grande firme industrielle et la concentration de la production dans un même espace. Le travail au sein de petits ateliers pose des problèmes d’irrégularité, de défauts de fabrication, de détournements de matériaux, de manque d’uniformité… On va donc réunir les opérateurs sur un même site pour pouvoir organiser et contrôler leur production. Le contremaître, en se substituant au sous-traitant, voit son champ de compétences se réduire du fait d’une autonomie et d’une responsabilité moindres. L’ouvrier, s’il reste qualifié pour pouvoir opérer certaines tâches, intervient sur un champ plus étroit.
1.2.2 L’organisation scientifique du travail va contribuer à accentuer la dégradation de la compétence Avec Frederick W. Taylor (1856-1915), qui publie dès 1903 La Direction des ateliers, dans lequel il jette les contours de la nouvelle organisation industrielle1 un tournant va s’opérer dans le champ des compétences. Surtout, il va proposer quelques années plus tard, sur la base de ses recherches dans les entreprises sidérurgiques de Pittsburgh, une « organisation scientifique du travail ». Il établit très clairement, dans l’ouvrage qu’il publie sur ce thème2, l’impact de la montée en puissance de l’organisation sur la détérioration des compétences détenues par les opérateurs : « La direction se charge de réunir tous les éléments de la connaissance traditionnelle qui, dans le passé, était en la possession des ouvriers, de classer ces informations, d’en faire la synthèse et de tirer de ces connaissances des règles, des lois et des formules qui sont d’un grand secours pour aider l’ouvrier à accomplir sa tâche journalière. » 1. Les syndicats percevront rapidement la dimension des changements proposés par F.W. Taylor puisque dès 1907, l’American Federation of Labor demande sa comparution devant la Chambre des représentants. 2. F.W. Taylor (1957-1967). La Direction scientifique des entreprises, Paris-Verviers, Bibliothèque Marabout.
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Management, organisation et formation ■ Chapitre 7
Cette rationalisation du travail ainsi radicalisée va déplacer le savoir de l’atelier vers un nouvel espace, le bureau des méthodes. L’ingénieur et le technicien peuvent désormais opérer une analyse fine de la production jusqu’à la prescription de normes : planification de la production, norme de qualité, mode opératoire, durée de chacune des opérations… La valeur ajoutée du producteur ne reposera plus sur son « tour de main », mais sur sa capacité à se conformer aux prescriptions du bureau des méthodes. La compétence de l’opérateur se réduit progressivement à la maîtrise de quelques gestes. On ne lui demande plus de mobiliser un savoir, mais de se conformer à l’injonction du contremaître, chargé de faire respecter les méthodes prescrites par l’ingénieur.
1.2.3 Une réduction des compétences qui s’accélère avec l’automatisation des tâches (Ford) Le lien entre organisation, management et formation va évoluer avec ce que l’on appellera dans l’industrie automobile « l’automation de Detroit » où Ford installe, en 1913, les premières chaînes de montage. L’introduction d’une chaîne automatique dans la production va encore accentuer la réduction des compétences de l’opérateur car, en imposant un rythme continu de travail, elle supprime le dernier « tour de main » laissé à l’ouvrier. La compétence n’a alors plus de raison d’être. Il s’agit seulement de vérifier que l’ouvrier réalise exactement les gestes qui lui ont été prescrits dans le temps imparti par le bureau des méthodes. Mais la chaîne automatique va plus loin encore en faisant de la compétence un facteur de contre-performance. Le système imaginé par le bureau des méthodes, doublé d’un process technique parfaitement millimétré, ne peut supporter la moindre initiative. Il s’agit donc non seulement de réduire l’apprentissage à sa plus simple expression : la démonstration d’un geste qui devra être reproduit à l’identique par l’ouvrier, mais également d’empêcher tout apprentissage susceptible de perturber la rationalité élaborée par les ingénieurs.
1.2.4 La compétence limitée aux opérations d’entretien et de maintenance (structures industrielles) ou à la connaissance des procédures (organisation bureaucratique) Des poches de compétences demeurent durant cette période, mais elles restent limitées par leur étendue et les populations qu’elles visent Ce mouvement croisé de rationalisation des organisations et de déclin des compétences rencontre un écho important dans les travaux du sociologue allemand M. Weber qui va décrire un modèle d’organisation rationnelle qui dépasse le champ de l’industrie et des enjeux techniques et économiques qui le caractérisent. Il publie en 1924 The Theory of Social and Economic 163
Traité des sciences et des techniques de la formation
Organizations, qui pose les fondements d’une nouvelle forme de domination, de type rationnel et impersonnel, sur lesquels se construisent les organisations lorsqu’elles atteignent un niveau de taille et de complexité élevé. Dans une organisation de ce type, la conformité à la procédure prime sur la singularité des individus, sur leurs compétences et sur leurs aspirations. Les postes sont précisément circonscrits dans une logique de spécialisation. Loin d’être exclue du modèle bureaucratique, la formation des exécutants se limite à ce que Malglaive1 appelle le savoir procédural, c’est-à‑dire à une maîtrise des procédures que la personne devra appliquer, sans que celles-ci ne soient inscrites dans un cadre et des perspectives plus larges. À la différence des ensembles industriels, l’organisation bureaucratique décrite par Weber ne va pas jusqu’à « émietter » le mode opératoire propre à chaque activité. La maîtrise de procédures, aussi simples soient-elles, exige malgré tout l’acquisition d’un socle minimum de connaissances qui seront principalement transmises par voies internes.
En dépit d’une compétence marginalisée, la sphère politique œuvre timidement pour un élargissement de l’accès à la formation Les actions de formation professionnelle se développent bien plus sous l’effet d’événements politiques que d’un besoin de qualification lié aux nouvelles formes de production. Les actions entreprises sont isolées et tentent ponctuellement de répondre à des besoins nés de situations parallèles2. Trois périodes vont ainsi jalonner la formation professionnelle en France, attestant de la faible vitalité de la compétence pour accompagner le développement économique des grands ensembles industriels : la nécessité de trouver une solution aux mutilés de la Première Guerre mondiale, la crise économique de 1929, qui touche massivement les ouvriers sans qualification et, enfin, les besoins de l’industrie de guerre qui apparaissent dès 1938.
1.3 La formation réservée à la hiérarchie qui définit le one best way Dans ce contexte marqué par la transformation des organisations, l’apprentissage n’est pas absent mais il s’est déplacé. Bien que touchant une part réduite de la population, il va largement participer à la mutation des organisations, sans qu’il soit possible de distinguer qui, des évolutions organisationnelles ou du renouvellement de l’apprentissage, a entraîné l’autre. A. Hatchuel, dans le regard qu’il porte sur le développement de la grande firme industrielle du début du xxe siècle, observe qu’« une entreprise est constituée d’acteurs disposant de savoirs particuliers et engagés
1. G. Malglaive (1990). Enseigner à des adultes, Paris, PUF. 2. N. Terrot (1983). Histoire de l’éducation des adultes en France, Paris, Edilig, p. 185.
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Management, organisation et formation ■ Chapitre 7
dans des systèmes de relations. La transformation des firmes s’opère donc par une transformation conjointe de ces savoirs et de ces acteurs1 ».
1.3.1 Dans l’industrie, la formation se centre sur la hiérarchie C’est durant cette période que l’ingénieur français H. Fayol (1841-1925) va développer une théorie de la division et de la prescription du travail centrée sur les fonctions d’administration des entreprises2. Il décrit le rôle de l’encadrement qui tend à se développer sous l’effet du repositionnement de l’opérateur dans la chaîne de fabrication d’un produit. Dans le même mouvement de rationalisation que celui qui anima F.W. Taylor quelques années plus tôt, Fayol indique que les fonctions d’administration sont chargées de prévoir et de planifier, d’organiser, de commander, de coordonner et de contrôler. Il ne s’agit pas seulement des cadres gestionnaires, même si Fayol a surtout mis l’accent sur cette population, mais aussi des ingénieurs, techniciens et experts de toute nature chargés de prescrire l’activité. En alliant les sciences de la matière à celles des processus d’achat, de planification et de communication, ils vont monopoliser l’enjeu de l’apprentissage à leur niveau. De fait, deux catégories d’acteurs vont connaître un développement de leurs compétences sans précédent : les ingénieurs et l’encadrement. Les premiers ont en charge l’organisation et la planification du travail. Possédant un niveau de qualification initiale élevé, marqués par une approche rationnelle, ils jouent un rôle clé dans l’organisation mécaniste en s’appuyant sur des compétences acquises lors de leur formation initiale. La promotion professionnelle, et avec elle la formation continue, érigeront d’ailleurs les ingénieurs comme cadre de référence ultime pour ceux qui souhaitent gravir les échelons de ces nouvelles organisations. La rationalisation de l’organisation va également entraîner le développement de ce que l’on nommera plus tard la ligne managériale : composée de contremaîtres, de chefs d’équipe, de contrôleurs, cette population développe des compétences centrées sur la capacité à faire respecter les procédures édictées par le bureau des méthodes.
1.3.2 La bureaucratie privilégie la formation d’une élite Au sein de l’organisation bureaucratique décrite par M. Weber, l’impersonnalité liée à la fonction, doublée de la rationalité attachée au but, vont contribuer à développer des entités laissant peu de place aux compétences des opérateurs qui forment l’essentiel des effectifs. Pour autant, la compétence reste présente. En effet, cette bureaucratie repose avant tout sur une 1. A. Hatchuel (1995). « L’Avenir de la grande entreprise industrielle : vers une rationalisation des processus d’apprentissage ? », in Entreprises et histoire, n˚ 10, décembre, Éditions Eska, p. 61-68. 2. H. Fayol (1916). « L’Administration industrielle et générale », in Le Bulletin de la Société de l’industrie minérale, puis édité par Dunod (1918, 1979, 1999).
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autorité formelle, sur des règles précises généralisées et sur des procédures devant garantir une objectivité et une impersonnalité. Dans ce modèle d’autorité, ceux qui organisent et régissent le fonctionnement de la structure doivent posséder un niveau élevé de compétence, même si celle-ci reste souvent générale et peu professionnelle.
2. La réhabilitation de la dimension humaine dans la pensée managériale et dans les organisations La logique de production de masse sur laquelle se sont largement construits le fordisme et le taylorisme rencontre des limites avec le développement d’un environnement concurrentiel accru. Il devient nécessaire de produire mieux. Les organisations vont progressivement se positionner sur le couple « marché-produit » et faire du gestionnaire stratège un homme clé de leur performance aux dépens de l’ingénieur organisateur. Deux paramètres émergent peu à peu dans les organisations : la flexibilité (délai, diversité) et la qualité. L’homme devient alors une variable d’ajustement incontournable aux exigences du marché. Il recouvre progressivement une part d’autonomie dans l’acte de production, tant par un redéploiement des tâches qui lui sont confiées qu’à travers un relâchement du contrôle qui lui était jusqu’alors imposé. Cette « réappropriation » du travail exige un développement de son professionnalisme. L’évolution de la pensée managériale, par étapes successives, va accompagner ce changement.
2.1 L’école des relations humaines En réaction à l’approche taylorienne centrée sur le « prescrit », on assiste, dès les années 1920, à l’émergence d’un courant de pensée qui estime que la productivité d’une entreprise ne réside pas uniquement dans la qualité de son organisation, mais qu’elle dépend aussi de la motivation des salariés au travail. Cette école de pensée, qui n’arrivera que tardivement en France, va modifier la vision des compétences attendues des cadres hiérarchiques et des agents de maîtrise. Ainsi, les managers, jusqu’à présent essentiellement sélectionnés sur leur maîtrise technique d’un processus, sont maintenant invités à dialoguer avec leurs collaborateurs, à discuter, à s’intéresser à eux, à les écouter, bref à s’investir dans la communication et la relation, afin de mieux les motiver.
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2.2 Le management par objectifs de P.F. Drucker Drucker fut un des premiers auteurs à mettre en évidence les limites du taylorisme, et c’est en 1954 qu’il publie son ouvrage qui va initier partout la pratique du management par objectifs1. Reprenant en partie le point de vue de l’école des relations humaines, il conçoit davantage l’entreprise comme un ensemble d’acteurs à motiver et à coordonner que comme un éventail de ressources neutres à optimiser. Son expérience de consultant et ses études menées à la General Electric l’amènent à penser que la performance d’une entreprise repose en grande partie sur le découpage de ses buts en objectifs et sur la responsabilisation d’unités et de salariés dans leur réalisation, ce qui revient à définir la contribution attendue de chacun à la réussite de l’organisation. L’approche managériale de Drucker, en rupture avec la logique taylorienne précédente, réintroduit explicitement la dimension de la formation. Elle implique d’abord une formation significative de l’encadrement, y compris l’encadrement de proximité, qui passe d’un rôle de « gardien de la règle » à celui d’« animateur-organisateur-pédagogue ». Ensuite, la responsabilisation des salariés sur des objectifs, ainsi que l’autonomie et la délégation de moyens qui y sont associées, induisent un certain niveau de professionnalisme. C’est à cette époque que la formation des salariés va se développer, aux États-Unis dans un premier temps, sous une forme encore marquée par la culture taylorienne, avec le TWI (training within industry). En France, c’est surtout à partir des années 1970-1980 que sa doctrine va trouver une traduction concrète, notamment avec la mise en place de cet outil central du management par objectifs qu’est l’entretien d’évaluation annuel. C’est aussi l’occasion de définir les besoins de formation individuels. Ainsi, dans ce cadre, la formation des salariés devient un moyen, parmi d’autres, permettant d’atteindre les objectifs fixés2. Malgré ce déplacement de l’angle de vue des managers, autrefois centrés sur la tâche, vers le résultat, « Drucker insiste sur le rôle des managers et leur fonction de prescripteurs » comme le rappelle David Autissier3.
1. P.F. Drucker (1954). The Practice of Management, New York, Harper and Row. 2. C’est cette logique, résumée dans le slogan « la formation est un moyen, pas une fin en soi », que reprenaient G. Hauser, F. Maître, B. Masingue et F. Vidal dans L’Investissement formation (1985, Les Éditions d’Organisation). 3. D. Autissier (2002). « Peter Ferdinand Drucker, une analyse “historico-déductive” du management », in Les Grands Auteurs en management, dirigé par S. Charreire et I. Huault, Paris, Éditions EMS.
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3. Le développement de la compétence comme variable stratégique au cœur des organisations 3.1 Un environnement marqué par le développement de la mondialisation et l’accélération des changements Dès le début des années 1970, la formation professionnelle va évoluer. La loi Delors, portée par des débats dans les milieux politiques, syndicaux et universitaires sur l’éducation permanente, marque un tournant dans les pratiques de formation des organisations. Surtout, sa double vocation de promotion sociale des individus et de développement professionnel des entreprises va rencontrer un écho à la mesure des changements qui marquent cette période.
3.1.1 L’évolution rapide de l’environnement entraîne l’émergence de nouveaux besoins de compétences Au niveau économique d’abord, sous la pression d’une consommation de masse qui s’essouffle et d’un environnement concurrentiel en voie de mondialisation, trois tendances lourdes vont impacter durablement la formation continue : la flexibilité amorcée dans les années 1950 devient une variable d’ajustement incontournable pour répondre à la volatilité croissante des consommateurs ; la qualité s’impose comme une dimension essentielle de la performance et, à certains égards, de la survie des organisations ; enfin, des activités nouvelles se développent, fondées sur une forte valeur ajoutée intellectuelle et une exigence constante d’innovation. Cette nouvelle donne économique révèle, dans un mouvement croisé, la rigidité des process tels qu’ils avaient été conçus lors des décennies précédentes et l’émergence de compétences jusque-là ignorées1 : capacité gestionnaire en vue d’intégrer les objectifs économiques résultant d’une flexibilité accrue, capacité d’initiative pour faire face à un souci croissant de qualité, acquisition de compétences nouvelles en vue de s’adapter à des postes de travail reconfigurés… Enfin, la technique connaît durant cette période des développements majeurs avec, notamment, l’introduction de l’informatique dans la chaîne de production. Si l’innovation technique contribue à structurer les organisations depuis le début de l’ère industrielle, deux éléments nouveaux vont jouer un rôle déterminant sur les compétences : d’une part, la durée de cycle de vie des technologies, en se réduisant, va imposer dans le quotidien professionnel une exigence d’adaptation de plus en plus rapide de l’homme à la machine et par là même une accélération du renouvellement des compétences ; d’autre part, tous les métiers seront progressivement touchés par les transformations techniques. Là aussi, les capacités cognitives de perception, d’abstraction 1. Y. Lichtenberger (1995). « La qualification : enjeu social, défi productif », in Organisation du travail, emploi, compétences et parcours professionnels, Paris, Éd. Anact, coll. « Dossiers documentaires », p. 71-77.
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et de résolution de problèmes dans le cadre de l’automatisation apparaissent comme autant de besoins nouveaux que la formation devra prendre en charge. Pour y répondre, les organismes de formation se multiplient, produisant dans leur sillage une offre sans précédent. Les dépenses de formation vont dans le même temps connaître une augmentation constante, sans qu’il soit toujours possible de savoir qui, de l’offre ou de la demande, en est à l’origine. La formation professionnelle s’installe ainsi durablement dans le paysage des organisations publiques et privées. La création des Asfo, des FAF, progressivement transformés en Opca, va accentuer encore ce mouvement en donnant aux salariés des PME les moyens de profiter de la loi de 71. Ce contexte économique, social et technique en pleine mutation conduit les entreprises à assigner deux défis à la formation professionnelle1 : « d’abord celui d’engager la production sur un effort autonome d’apprentissage de l’adulte sur des tâches nouvelles, mais ensuite, presque contradictoirement, celui de stimuler les compétences et les projets d’évolution individuelle au point de remettre en question les organisations en place ».
3.1.2 La formation, en s’intensifiant, va induire de façon diffuse une série d’effets indirects bénéfiques au changement En se développant, les pratiques de formation vont produire une série d’effets diffus et, à certains égards inattendus, sur les transformations que vivent les organisations au cours de cette période… Le premier d’entre eux est la « promotion sociale d’individus » : la formation propulse l’individu dans une stratégie ascensionnelle, mais elle peut également résulter d’une promotion en vue d’assurer la mise à niveau et le perfectionnement de la personne nommée à de nouvelles responsabilités. Quel que soit le sens de cette relation, la formation professionnelle va permettre aux organisations de mieux se doter des compétences plus pointues dont elle a besoin à ce moment-là. Le deuxième effet formation est relatif à l’ouverture des systèmes socio-organisationnels. En favorisant les échanges entre personnes de services, de métiers, de grades différents et la compréhension de l’organisation, la formation peut créer des désordres organisationnels et créatifs favorables aux dynamiques informelles de changement. Le troisième effet formation se 1. R. Sainsaulieu (1999), in Carré P. et Caspar P. (dir.). Traité des sciences et des techniques de la formation, Paris, Dunod, 1re éd.
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traduit par une « conscience critique de l’acteur » dans le développement de l’organisation. Les formations vont constituer des moments où l’on pourra comparer les différentes façons dont s’exercent l’autorité, les situations de travail propres à chacun, le fonctionnement des structures, les changements auxquels elles sont confrontées… À son retour de formation, le stagiaire sera parfois amené à porter un regard plus critique sur des pratiques routinières. Enfin, le quatrième effet formation renvoie au monde de « l’imaginaire et de la créativité ». Les connaissances transmises à l’occasion d’une formation stimulent des projets d’évolution personnelle et donnent à certains le désir d’aller voir ailleurs. R. Sainsaulieu note que, « d’une certaine façon, la formation d’adultes provoque une envie d’alternative, de monde meilleur et donc d’ailleurs1 ». Ainsi, les transformations économiques, sociales et techniques que connaissent les organisations à cette période vont générer de nouveaux besoins de compétences et, plus encore, des besoins touchant un effectif croissant. En réponse à ces nouveaux enjeux de compétence, la formation va favoriser la promotion, l’ouverture du système, l’évolution culturelle, le développement de l’imagination et ainsi accompagner le changement des organisations.
3.2 De la déconcentration croissante de la gestion des compétences à la (re) découverte de modèles pédagogiques articulés au travail 3.2.1 La déconcentration de la gestion des compétences impose une ouverture des services formation Alors que la fonction formation se limitait, jusqu’à la fin des années 1970, à la gestion administrative des demandes le plus souvent individuelles, elle va progressivement connaître un déplacement et un partage de responsabilités sous l’effet d’une déconcentration croissante de la gestion des compétences. Ce changement s’opère à travers deux mouvements connexes. En premier lieu, la formation est de plus en plus attendue sur sa capacité à répondre aux besoins à moyen terme d’une entité et plus seulement à des individus qui expriment une demande. On commence à parler formation-investissement2. Les professionnels chargés de répondre aux besoins de formation doivent se poser en gestionnaires et proposer de véritables plans de formation. La formation va ainsi devoir se rapprocher des équipes de travail et de leur encadrement pour élaborer une programmation fondée sur une véritable analyse de besoins. Ce premier mouvement se croise avec la mise en place de plus en plus récurrente de processus ressources humaines impliquant le management. Qu’il s’agisse de recrutement, de formation, 1. Ibid. 2. G. Hauser, F. Maître, B. Masingue, F. Vidal (1985). L’Investissement formation, Paris, Les Éditions d’Organisation.
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d’évaluation ou encore de mobilité, l’encadrement est progressivement investi d’une responsabilité, d’abord de gestion puis de développement des ressources humaines. Le management est sommé de participer au développement des compétences de ses collaborateurs.
3.2.2 La formation s’articule de façon croissante au travail et à son organisation Un glissement de la formation à la professionnalisation, de l’ingénierie de formation à l’ingénierie des compétences va alors progressivement s’opérer. On commence à parler de « redécouverte de la professionnalité1 ». Les procédures sur lesquelles fonctionnaient les organisations continuent de s’assouplir et les trois unités de temps, de lieu et d’action sont remises en cause par les nouvelles organisations du travail. La formation est tenue de sortir de l’espace pédagogique qui lui était jusque-là dédié pour s’immiscer au plus près des situations de travail. Plus encore, la formation devient juste un moyen, parmi d’autres, de produire des compétences. Toutes les opportunités de professionnalisation offertes par l’organisation et le management doivent être saisies2 et le concept d’apprentissage organisationnel développé par Argyris et Schön (2002) va contribuer à nourrir cette problématique nouvelle. Quelques années plus tard, P. Senge (1992) reprendra les travaux d’Argyris et Schön en proposant une analyse des « organisations qui apprennent3 ». L’ambition d’un « management par les compétences » mis en avant par le Medef (ex-CNPF) aux journées internationales de la formation de Deauville en 1998 participe de cette vision qui fait du développement des compétences le principal levier d’obtention de la performance au travail. La loi de janvier 2002 relative à la validation des acquis de l’expérience va signer la reconnaissance de la pluralité des modes de développement des compétences et, plus encore, de leur articulation au travail. Comme la plupart des lois, celle-ci vient consacrer des pratiques déjà largement développées dans le tissu social. Dès 2000, une recherche est lancée pour comprendre les ressorts sur lesquels se fondent les apprentissages professionnels informels dans les organisations4. Le sentiment de confusion qui s’exprime de prime abord lorsque l’on tente de saisir « cette forme souterraine, invisible, contrebandière » d’apprentissage, s’éclaire à la lumière d’un éventail de variables dont l’organisation et le management sont loin d’être les moindres.
1. Y. Lichtenberger, ibid. 2. G. Le Boterf. Voir le chapitre 19 de cet ouvrage. 3. P. Senge (2016). La Cinquième discipline. L’Art et la manière des organisations qui apprennent, Eyrolles. 4. P. Carré, O. Charbonnier (dir.) (2003). Les apprentissages professionnels informels, Paris, L’Harmattan.
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Bien sûr, cette forme d’apprentissage ne fait qu’enrichir, voire dans une certaine mesure consolider les savoirs produits dans le cadre de situations de formation plus classiques, sans pour autant s’y substituer : elle ne couvre pas tous les besoins de compétences nécessaires à l’organisation pour fonctionner et, surtout, elle peut difficilement s’inscrire dans un modèle mécanique. La place croissante que prennent ces nouvelles pratiques s’explique largement par trois éléments déterminants : d’une part, l’accélération du renouvellement des compétences ne peut se satisfaire d’une planification des actions de formation appartenant à des temporalités d’un autre temps, d’autre part, la compétence est devenue une variable suffisamment stratégique pour investir toutes les voies susceptibles de la développer, bien au-delà de la seule reproduction du modèle de la formation initiale qui a montré ses limites ; enfin, le marché de la formation s’est structuré : les financeurs et les prescripteurs attendent davantage de productivité de la formation, les acheteurs, en se professionnalisant, deviennent plus exigeants auprès de prestataires qui, face à une concurrence toujours plus forte, se doivent d’être innovants. Pour autant, si les pratiques de formation se diversifient elles continuent d’obéir à un mouvement univoque qui considère que la stratégie structure l’organisation, que l’organisation détermine le rôle de la fonction managériale, et que le management s’appuie sur des entités fonctionnelles dont fait partie la formation pour nourrir, à son niveau, la stratégie de l’organisation. Or une nouvelle économie est en train de se dessiner, dans laquelle la connaissance joue un rôle de premier plan. Sa matière première, l’information, explose de toute part à mesure que les nouvelles technologies se développent. L’organisation du travail et l’ingénierie de sa prescription, d’abord par le bureau des méthodes, aujourd’hui par la fonction managériale, deviennent improbables dans ce nouveau contexte. Ce mouvement n’est pas nouveau, mais il connaît depuis une dizaine d’années une accélération sans précédent. Corrélativement, la mise en boîte de savoirs diffus, fluctuants, instables par les professionnels de la formation, de même que l’ingénierie de leur transmission dans un périmètre bien circonscrit, n’ont souvent plus de sens. Dans un même élan, l’apprenant comme le producteur sont invités à gérer des flux d’activités et d’informations en transformation permanente. Et à s’organiser différemment pour s’assurer des conditions d’accès et de traitement optimales. Ce contexte en profonde mutation interroge la fonction formation. Sur le fond d’abord, la formation est attendue sur un nouveau front, celui du développement de nouvelles capacités cognitives encore peu stabilisées : capacités d’ouverture, de polarisation et de flexibilité mentale, etc. Ensuite, le modèle des compétences montre ses limites1 et des propositions de
1. C. Batal, S. Fernagu-Oudet (2013). « Compétences : un folk-concept en difficulté », Savoirs, n° 33,
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nouveaux modèles émergent, comme celui d’un « design social » assis sur le développement d’« environnements capacitants » et de développement des « capabilités » (Fernagu-Oudet et Batal, 2016). Enfin, l’explosion du digital bouleverse encore le cadre de référence.
3.3 Le digital bouscule profondément la donne Le digital produit une matière liquide, aussi invisible qu’intrusive, voire invasive, qui est en train de s’immiscer dans toutes les interstices de nos vies. Difficile de se déplacer, de consommer, de se détendre, de s’endormir… sans qu’une graine d’information ne se glisse quelque part. Ces micro-intrusions ont progressivement créé une perméabilité et des liens entre des cloisons (organisationnelles, professionnelles, pédagogiques…) jusque-là très hermétiques. Sans bien savoir qui a commencé, le travail et le digital se sont imbriqués dans des flux d’informations au point de parler de société cognitive, d’entreprise cognitive, de capitalisme cognitif. Dans cette inflation d’interactions se glissent des bouts de connaissances, des fragments d’apprentissage qui modifient notre façon de fabriquer un objet, de rédiger un texte, de conseiller quelqu’un, de réparer une machine, de répondre à un client… Protéiforme, en mouvement permanent, adossé à des référentiels qui ne tiennent qu’à un fil, le travail réinterroge de fait nos modes d’apprentissage. Dans un mouvement que nous avons esquissé (cf. supra) et qui semble sans fin, nous passons d’une approche séquentielle, linéaire, mécanique et programmatique de nos façons de travailler et d’apprendre à une vision plus imbriquée, plus poreuse, conçue comme un entrelacs de liens qui s’immiscent et se tissent au fil de nos mouvements. Plus que jamais… Un bon « tuto » influencera nos gestes professionnels, un article bousculera un raisonnement, un conseil déposé par un expert sur un forum spécialisé réorientera ce que l’on avait prévu de faire. Sans d’ailleurs savoir s’il s’agit véritablement de micro-apprentissages ou simplement d’une information qui agira, le temps de l’acte, sur notre façon de faire. Corrélativement, de nouvelles formes d’apprentissage émergent, qui font davantage corps avec l’action, voire lui semblent consubstantielles. Plus congruentes avec de nouveaux besoins, elles trouvent dans la transformation de notre relation au travail et de notre rapport au savoir un terreau fertile. Un peu comme si l’on glissait d’un « apprendre » pour travailler vers un « apprendre à travailler ».
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Lectures conseillées
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Argyris C., Schön D. (2002). Apprentissage organisationnel. Théorie, méthode, pratique, Bruxelles, De Boeck.
G arant M., S cieur P. (2002). Organisations et systèmes de formation, Bruxelles, De Boeck Université.
Drucker P.F. (2001). Ouvrez vos entreprises, Paris, Village Mondial.
Louche C. (2007). Psychologie sociale des organisations, Paris, Armand Colin.
Enlart S., Charbonnier O. (2014). Quelles compétences pour demain ?, Paris, Dunod.
Pesqueux Y. (2002). Organisations : modèles et représentations, Paris, PUF.
Fernagu-Oudet S., Batal C. (2016). (R) évolution du management des ressources humaines. Des compétences aux capabilités, Lille, Éditions universitaires du Septentrion.
Plane J.-M. (2008). Théorie des organisations, Paris, Dunod.
Chapitre 8 Ergonomie, formation et développement1
1. Par Catherine Delgoulet, Christine Vidal-Gomel, Pierre Falzon et Catherine Teiger.
Sommaire 1. Ergonomie, formation, santé et développement.................................................... 177 2. Analyse ergonomique du travail et formation........................................................ 179 3. Le développement comme outil de l’action ergonomique....................................... 186 4. Discussion, conclusion........................................................................................... 188 Lectures conseillées.................................................................................................. 191
L’ergonomie, et singulièrement l’ergonomie de l’activité, n’a cessé de mettre en évidence la dimension constructive de toute activité de travail, créatrice de connaissances spécifiques qui se développent avec l’expérience et, en général, avec l’âge. Pour l’ergonome, l’objectif est moins de décrire les acquis de l’expérience que de favoriser leur développement : parmi les moyens possibles à cet effet, on trouve la formation classique, mais aussi la conception de situations de travail favorables au développement et à la transmission des compétences « tout au long de la vie » : environnements capacitants et organisations capacitantes. C’est donc beaucoup aux conditions qui favorisent, parallèlement à l’activité productive et en interaction avec elle, une activité constructive, que l’ergonome doit s’attacher. De plus, toute intervention ergonomique en situation de travail, quand elle est menée de façon participative, quand l’intervention est elle-même capacitante, comporte une dimension constructive pour ceux qui y sont impliqués, les ergonomes y compris. Cette dimension constructive a, comme on le verra, un double statut, de moyen et de fin.
1. Ergonomie, formation, santé et développement
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1.1 Ergonomie et formation1 Il convient de donner quelques éléments d’histoire. Les rapports entre ergonomie et formation sont anciens, ne sont pas simples et ont beaucoup évolué avec le temps (Teiger et Lacomblez, 2013). La formation (au sens de la formation professionnelle) est longtemps restée un terrain sur lequel les ergonomes ne s’aventuraient qu’à reculons. La raison tenait au fait qu’une certaine contradiction pouvait apparaître entre les objectifs de l’une et de l’autre. Historiquement, et selon les formules de l’époque, l’ergonomie s’est fixé comme objectif, avant tout, « l’adaptation du travail à l’homme » : c’est l’humain qui est premier, c’est au travail de se plier à ses besoins et capacités. Or l’objectif de la formation n’est-il pas de transformer l’individu pour qu’il soit en mesure de réaliser une tâche, et donc d’une certaine façon d’adapter l’homme à son travail, comme le font la sélection et l’orientation ? En quelque sorte, ergonomie et formation étaient perçues comme œuvrant bien l’une et l’autre au rapprochement entre ces deux pôles, l’homme et le travail, mais leurs efforts semblaient porter sur des domaines différents. Le pari de l’ergonomie était d’agir sur les dispositifs techniques et organisationnels afin de les rendre efficaces 1. Cf. la version antérieure du chapitre : P. Falzon et C. Teiger (2011). « Ergonomie, formation et transformation du travail », in P. Carré et P. Caspar (éds.), Traité des sciences et techniques de la formation, 3e éd. (p. 143-159), Paris, Dunod.
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et accessibles sans risque au plus grand nombre et de ne pas faire de l’humain la « variable d’ajustement » à un système de production mal conçu. Cette frilosité de l’ergonomie par rapport à la formation est aujourd’hui dépassée. Les ergonomes interviennent dans le champ de la formation de différentes façons, en aidant à la conception des contenus des programmes de formation, en outillant – par l’analyse du travail – les méthodes formatives, en développant des méthodes d’intervention à visée formative.
1.2 Santé et développement Les définitions de l’ergonomie ont à l’origine mis en avant deux objectifs fondamentaux : d’une part la santé des opérateurs, d’autre part l’efficacité de l’action. Santé et efficacité dépendent des compétences de l’opérateur, des conditions d’exercice de l’activité, de l’organisation du travail. L’appréhension de l’objectif de santé a connu des évolutions sensibles depuis quelques années. En premier lieu, la santé n’est plus vue seulement comme un capital à maintenir, mais comme un processus à entretenir tout au long de l’avancée en âge et du développement de l’expérience. À l’approche palliative, qui vise à compenser les déficits de la personne, et à l’approche préventive, qui cherche à éviter l’occurrence des situations pathogènes, s’est ajoutée une approche active. L’objectif de santé doit être compris comme la recherche des conditions qui non seulement évitent la dégradation de la santé, mais aussi en favorisent la construction. En second lieu, la santé ne peut être déconnectée de la performance. Avoir le sentiment de réussir, de produire un travail satisfaisant aux yeux de celui/celle qui le réalise, est facteur de santé. Au-delà, avoir l’opportunité de faire de nouvelles expériences, de découvrir de nouveaux domaines ou des modes d’action nouveaux, bref d’apprendre, contribue aussi à la santé, comme le démontrent les enquêtes européennes sur le travail. Une vision développementale de la santé peut donc être avancée. La notion d’environnement capacitant, proposée comme cadre général pour l’ergonomie (Falzon, 2013), se définit sous trois points de vue : préventif, universel et développemental. Du point de vue développemental, il s’agit d’un environnement qui, d’une part, permet de réussir, d’aboutir au résultat souhaité, d’autre part, favorise le développement de nouvelles compétences et de nouveaux savoirs des individus et des collectifs, l’élargissement des possibilités d’action et du degré de contrôle sur la tâche et sur l’activité. On peut y ajouter, dans la perspective de ce texte, qu’un environnement capacitant doit permettre d’absorber certains échecs, ou semi-échecs (un aspect important lorsque les 178
Ergonomie, formation et développement ■ Chapitre 8
compétences ne sont pas totalement consolidées), de sorte qu’il constitue un environnement propice aux apprentissages. La question n’est donc pas seulement : comment concevoir un système de travail qui permette un exercice fructueux de la pensée ? Elle est aussi : comment concevoir un système de travail qui favorise le développement des compétences ? En d’autres termes, comment intégrer performance, santé et développement ?
1.3 Le développement comme fait, objectif et moyen Le développement est en premier lieu un fait : les personnes se développent dans le travail, à des degrés divers en fonction des conditions du travail. Comme on l’a vu ci-dessus, ce doit aussi être un objectif : il s’agit pour l’ergonome de concevoir des environnements capacitants, favorables au développement. Enfin, le développement apparaît aujourd’hui comme un moyen de l’action. Intervenir, c’est mettre en place une démarche de développement au sein de l’organisation, au cours de l’intervention. La conduite de projets de transformations des situations de travail et de conception demande que les acteurs prennent une distance par rapport à leurs pratiques, distance nécessaire à la transformation du travail d’aujourd’hui et à la conception du travail futur. Cette prise de distance peut être outillée par la mise en œuvre de méthodes de simulation, de confrontation de pratiques, de formation. L’action ergonomique est ainsi l’occasion d’une dynamique de transformation et d’apprentissage, qu’il s’agisse de la conception d’une organisation, d’une situation de travail ou d’un artefact. Dans cette perspective, il s’agit à la fois de favoriser des processus de développement au cours même de l’intervention et de concevoir des systèmes de travail qui eux-mêmes favoriseront le développement : le développement comme moyen sert alors le développement comme objectif.
2. Analyse ergonomique du travail et formation L’ergonomie a investi la formation sous deux angles complémentaires. D’une part, l’analyse ergonomique du travail contribue à la conception de contenus ou outils pédagogiques ou à la compréhension du travail des acteurs de la formation (concepteurs, formateurs, tuteurs…). D’autre part, elle s’est fait objet de la formation pour favoriser le développement des activités de travail ou les actions de prévention des risques professionnels en situation.
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2.1 L’analyse ergonomique du travail au service de la formation 2.1.1 Concevoir des contenus et outils de formation À partir des travaux initiaux de Faverge, Leplat et leur équipe, s’est imposée l’idée que l’analyse ergonomique du travail constitue un préalable à la conception de formation (Teiger et Lacomblez, 2013). En effet, elle permet l’identification des tâches effectivement réalisées, des buts du travail et de ceux que se fixent les opérateurs ainsi que des conditions de leur réalisation. La formation peut ainsi être conçue en évitant de former uniquement en référence au prescrit, à partir des représentations du travail que peuvent avoir différents acteurs de la conception, ou encore à un travail idéalisé, laissant les formés démunis face au réel. L’accent peut être mis sur l’activité des expérimentés de façon à ce que la formation intègre mieux l’expérience qu’ils ont acquise, ce qui est un gage de sa réussite quand la population à former est âgée et expérimentée (Delgoulet, 2012). L’analyse de l’activité peut avoir pour objectif l’identification de savoirs d’action acquis au fil de l’expérience et devenus difficilement verbalisables, ou encore de savoir-faire de prudence protecteurs mais souvent peu connus et peu diffusés au sein des organisations (Ouellet et Vézina, 2009). Autant de ressources qui peuvent devenir des objets d’apprentissage dans une formation à l’intention d’opérateurs moins expérimentés, du même domaine. L’analyse de l’activité peut à l’inverse prendre pour objet les difficultés des débutants afin que la formation leur fournisse des moyens pour y faire face. La didactique professionnelle1 s’est au départ inscrite dans cet ensemble de rapports entre analyse de l’activité et formation. L’exigence d’une analyse du travail préalable à la formation peut paraître aujourd’hui triviale, mais on constate encore à l’heure actuelle que les formations professionnelles sont loin d’appliquer systématiquement ce principe (Vidal-Gomel et al., 2014). Sans doute parce que sa mise en œuvre est coûteuse et que les demandeurs ne s’attendent pas à une telle démarche de la part d’un formateur. On peut ajouter que des procédés de normalisation des dispositifs de formation (normes Iso ou Afnor) ou la prégnance des référentiels de compétences et les réformes de la formation professionnelle dans certains secteurs ont pu éloigner les formateurs d’un point de vue centré sur l’activité pour appréhender la formation. La conception des situations de formation prend alors plutôt appui sur le référentiel de compétences, qui constitue une nouvelle prescription des objectifs à atteindre et/ou de la façon de les atteindre, et parfois sur l’expérience du travail du formateur. Du point de vue de l’ergonomie, les relations entre référentiels, compétences et formation peuvent être appréhendées sous un tout autre angle. Nous privilégions ici celui de l’analyse de l’activité des acteurs de la formation.
1. Voir le chapitre 22.
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Les outils numériques se sont largement répandus dans le secteur de la formation professionnelle, renouvelant l’intérêt pour la simulation comme moyen de formation. Ainsi, dans le domaine de la santé, la règle « jamais la première fois sur un patient » s’impose. Elle conduit de nombreux centres de formation à s’équiper de simulateurs sophistiqués mais aussi à redécouvrir les jeux de rôles. De plus, les outils de réalité virtuelle se développent, ouvrant de nouvelles perspectives, notamment quand les situations de formation gagnent à être enrichies par des informations qui n’existent pas dans le réel. Se posent alors des questions classiques (comme celle du caractère écologique des situations simulées, nouvel appel à l’analyse du travail) ou nouvelles, comme la prise en compte de l’activité des formateurs, de celle des formés futurs utilisateurs dans le processus de conception de ces formations, tout comme de celle des opérateurs qui réalisent déjà le travail dont la maîtrise est l’objet même de la formation ; opérateurs qui pourront être les futurs compagnons des formés, voire leur tuteur en situation de travail (Boccara et Delgoulet, 2015). Au-delà d’interventions ponctuelles, l’analyse de l’activité peut devenir un outil au service de boucles itératives d’analyse et de transformation du travail et de la formation. Par exemple quand la mise en évidence des difficultés de l’activité ou des risques pour la santé fournit des éléments pour en rechercher les causes et des arguments pour transformer la situation de travail préalablement ou conjointement à la formation. Les objectifs de conception de formation et de transformation du travail sont alors mis en synergie (Teiger et Lacomblez, 2013). Sous cet objectif, on retrouve deux formes de recherche-action. L’une est menée sur le long terme, avec des entreprises ou un même secteur professionnel, de façon itérative entre analyse de l’activité au travail et en formation, qui s’alimentent réciproquement. L’autre tente d’associer dans une démarche de recherche – formation – action, au-delà de l’entreprise, les acteurs locaux susceptibles d’agir sur les facteurs de risques et le développement des compétences.
2.1.2 Comprendre l’activité des acteurs de la formation L’analyse de l’activité des acteurs de la formation peut être menée avec comme objectif d’améliorer la formation. Cela peut passer par la transformation de la formation des formateurs (Boccara et al., 20151), par la transformation des conditions de travail des formateurs, conditions qui constituent un déterminant des situations d’apprentissage proposées aux formés
1. V. Boccara, C. Vidal-Gomel, J. Rogalski et P. Delhomme (2015). « A longitudinal study of driving instructor guidance from an activity-oriented perspective », Applied Ergonomics, 46, p. 21-29.
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(Vidal-Gomel et al., 20121), ou encore par l’amélioration des outils des formateurs pour mieux appréhender l’activité des formés (Rogalski et al., 20022). Plus récemment un certain nombre de travaux d’ergonomie se sont intéressés aux formations par apprentissage et au tutorat, ou plus largement aux formations réalisées en situations de travail (Thébault et al., 2014). Le plus souvent, les analyses de l’activité menées à ce propos ont pour objet le couple tuteur(s)-formé, en prenant en compte l’asymétrie entre « celui/celle qui sait » et « celui/celle qui est formé/e ». La spécificité des analyses menées en ergonomie réside, d’une part, dans le point de vue systémique adopté et, d’autre part, dans l’intérêt qui est porté aux caractéristiques des situations qui facilitent ou entravent le processus de « transmission » et peuvent affecter les activités de guidage des uns et d’apprentissage des autres. Ceci amène à remettre en cause de nombreux préjugés en pointant par exemple le fait que la transmission est moins asymétrique qu’il n’y paraît. Dans certains cas, les formés peuvent apporter à leurs tuteurs des connaissances acquises en centre de formation (connaissances théoriques, nouvelles techniques, etc.). La transmission devient ainsi un réel échange. Par ailleurs, divers facteurs peuvent affecter la formation quand le travail de tutorat n’est pas organisé en tant que tel, voire quand le formé est compté dans les effectifs des équipes de travail. La personne en formation peut être a priori perçue comme une ressource attribuée à une équipe alors que former est une tâche supplémentaire pour le tuteur, dont la réalisation dépend de ses propres marges de manœuvre. Ainsi, dans le secteur du cinéma au Québec, on a pu observer que l’accueil au poste d’un débutant peut se révéler difficile. Il peut être rejeté par l’équipe, s’il ne fait pas ses preuves rapidement, du fait de sa connaissance des règles de métier. Dans le secteur du BTP en France, on a mis en évidence que la prise en compte des formés dans les effectifs et l’attribution d’une prime en fonction de critères de performance intervenaient dans les choix des tuteurs de déléguer ou non certaines tâches aux formés. Ces derniers pouvaient alors être cantonnés dans des tâches moins intéressantes et/ou plus pénibles. Conséquences : certains abandonnent, d’autres prennent davantage de risques en cherchant à réaliser malgré tout des tâches pour lesquelles ils ne sont pas formés et ne bénéficient pas de guidage. Former en situation de travail comporte de réels avantages, comme la fidélité des situations, mais c’est aussi former dans les conditions de réalisation du travail avec les difficultés et les risques qu’elles peuvent comporter. Ces travaux soulignent ainsi les obstacles que peut rencontrer la formation en situation de travail et dessinent des pistes pour les surmonter.
1. C. Vidal-Gomel, V. Boccara, J. Rogalski et P. Delhomme (2012). « Sharing the driving-course of a same trainee between different trainers, what are the consequences ? », Work, special issue : Ergonomic Work Analysis and Training, 41 (2), 205-215. 2. J. Rogalski, M. Plat et P. Antolin-Glenn (2002). « Training for collective competence in rare and unpredictable situations », in N. Boreham, R. Samurçay, et M. Fischer (éd.), Work Process Knowledge (p. 134-147), Londres, Routlege.
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Ergonomie, formation et développement ■ Chapitre 8
2.2 L’analyse ergonomique du travail, objet de la formation 2.2.1 Formation à l’AET pour le développement de l’activité de travail À partir des travaux initiaux de Teiger et Laville (19911), l’analyse de l’activité a été considérée comme un outil et un objet de la formation et des formés (Teiger et Lacomblez, 2013). L’analyse de l’activité devient alors un outil cognitif pour l’apprentissage des formés. Partant de ce point de vue, des travaux de Schön (19942) et, dans certains cas, de ceux de la didactique professionnelle, les usages de l’analyse ergonomique de l’activité pour la formation se sont multipliés en partant de l’hypothèse que l’analyse de sa propre activité ou de celle d’un tiers, outillée par la vidéo et des cadres d’analyse de l’activité, facilite la prise de conscience et l’expression des compétences à acquérir ou à faire acquérir. Six-Touchard et Falzon (20133) soulignent ainsi que l’auto-analyse de leur activité, accompagnée par l’ergonome, permet aux tuteurs (ici dans le secteur de la restauration et de la thalassothérapie) de prendre conscience de leurs compétences professionnelles et facilite par la suite l’explicitation du travail à l’apprenant. Le guidage des apprentissages du formé se transforme : les interactions sont plus riches (les actions sont davantage décomposées, les explications intègrent davantage d’indicateurs de prise d’information, de critères à prendre en compte, etc.) et approfondies (les enchaînements de questions-réponses sont plus longs). De façon parallèle, le formé peut être amené à mieux identifier les compétences à acquérir et à davantage solliciter le formateur. Utilisée avec des collectifs de professionnels, l’analyse de l’activité donne accès à une diversité de façons de faire, permet leur mise en débat du point de vue de leur efficience et de leur acceptabilité ; elle contribue aussi à diffuser des savoir-faire de prudence, qui ne sont généralement pas appris dans des formations plus « classiques » (Mollo et Falzon, 2004)4. Pour les situations de formation conçues sur cette base, la vidéo s’est révélée être un outil précieux : le film permet de se voir et de se mettre à distance du flux d’activité, il permet de voir et de revoir de façon détaillée actions, postures, etc. ; il est ainsi un médiateur entre soi et son activité passée ou entre soi et l’activité d’un autre. Les vidéos permettent de découvrir de façon
1. C. Teiger et A. Laville (1991). « L’apprentissage de l’analyse ergonomique du travail, outil d’une formation pour l’action », Travail et emploi, 47, 53-62. 2. D.A. Schön (1994). Le Praticien réflexif. À la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel, Montréal, Éditions Logiques. 3. In Falzon (2013). 4. V. Mollo et P. Falzon (2004). « Auto – and allo – confrontation as tools for reflective activities », Applied Ergonomics, 35 (6), 531-540.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
détaillée ses propres actions ou celles d’un tiers, de les comparer, de les analyser, d’en débattre et, au-delà, de les tester, etc. Enfin plus récemment, la formation des formateurs à l’analyse ergonomique de l’activité a été employée comme moyen complémentaire à intégrer dans un dispositif de formation. Il s’agit alors d’outiller les formateurs pour qu’ils contribuent à une démarche itérative d’amélioration des situations de travail et de formation, tout en tenant l’articulation entre formation et travail dans un objectif de développement des acteurs (Chatigny et Vézina, 2008).
2.2.2 Former à l’AET les acteurs de la prévention Dès les années 1960, l’ergonomie a eu le souci de former les acteurs de prévention des risques professionnels (représentants syndicaux, préventeurs) à l’analyse ergonomique du travail en vue de les outiller dans leurs actions pour la prévention de la santé et d’amélioration des conditions de travail. La méthode générale de formation à l’AET s’organise en cinq phases (Teiger et Laville, 1991) : 1. l’expression « spontanée » des participants pour décrire les caractéristiques de leur travail, ses conditions et conséquences ; 2. « l’analyse guidée » de son travail par quelques participants ; 3. des apports de connaissances sur le travail humain par les ergonomes ; 4. des travaux pratiques d’analyse du travail ; 5. un bilan de la formation. Ce modèle de formation, de type formation-action, repose ainsi sur le principe de la prise de conscience et de la confrontation de deux modalités de connaissances, celles des acteurs, le plus souvent concrètes et opératoires ou provenant d’autres champs disciplinaires, et celles des ergonomes-formateurs, constituées à partir des données scientifiques générales et de leur propre expérience des situations de travail, acquise en tant que praticiens ou chercheurs, par la pratique des interventions sur le terrain. La formation est envisagée comme une situation d’apprentissage mutuel plutôt que comme une situation pédagogique classique de transmission de connaissances. Dans ce processus, le « collectif de formation » joue un rôle important de partenaire dans le questionnement, la confrontation, la délibération, le partage ou le désaccord, toutes activités qui permettent la production de découvertes mutuelles. Avec ce modèle, on fait appel à une sorte de simulation (de l’activité de travail) non outillée technologiquement : c’est verbalement que la situation est reconstruite. Dans ce cadre général, des expérimentations méthodologiques se sont développées au fil des travaux. L’usage d’enregistrements vidéo ou de simulateurs s’est accentué, et certaines de ces entreprises ont donné lieu à des productions communes diffusées en internes ou auprès d’un large public (glossaires, ouvrages, numéros spéciaux de revue). Ces différentes modalités ont toutes eu pour objectif de favoriser l’activité réflexive dans les groupes d’apprenants pour qu’ils soient capables d’agir en situation. 184
Ergonomie, formation et développement ■ Chapitre 8
Récemment les enjeux de santé autour de problèmes majeurs que sont les troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS), ont conduit syndicalistes et chercheurs à s’engager dans des dispositifs de formation-action (Teiger et al., 2014). L’un d’entre eux (20042006) visait à traiter les phénomènes de l’intensification du travail et de ses conséquences sur la santé des salariés ; l’enjeu étant, pour les équipes syndicales engagées dans ce projet, de construire avec les salariés de nouvelles manières de comprendre l’intensification du travail et d’agir dans ce champ. La formation-action, d’une durée de 18 mois (à raison de 5 à 7 sessions de 3 jours consécutifs), a été dupliquée et a permis de former 150 représentants syndicaux dans des secteurs d’activités variés (public/privé ; services, industrie ou agriculture). Celle-ci a participé à une meilleure compréhension de la manière dont le travail change (la multiplication des contraintes et la diversification des objectifs qui peuvent s’avérer contradictoires en situation ; les difficultés à faire un « travail de qualité » et l’impossibilité d’en discuter avec les collègues ; les difficultés de l’encadrement de proximité, également concerné par l’intensification du travail et pris en étau entre les prescriptions de la hiérarchie et leur connaissance de la variabilité des situations quotidiennes de travail). Elle a permis de mettre en lumière des conséquences de ces changements sur la santé des salariés (dans ses dimensions physiques et mentales). Enfin, elle a contribué à la transformation des représentations des participants sur le travail, leur fournissant une connaissance renouvelée des relations santé-travail, de nouvelles voies d’action en situation et des enseignements sur la manière de concevoir des contenus de formation, sur cette thématique, pour des collègues syndicalistes. Une seconde recherche-intervention (2007-2010) a pris place dans le cadre d’une demande syndicale d’une entreprise du secteur de la construction automobile. Elle a eu pour thématique générale celle des RPS. Face à l’apparition de suicides et au mal-être exprimé par les salariés, les syndicalistes, se sentant démunis, ont souhaité développer des actions de prévention de ces situations. Trente-huit militants syndicaux, issus de neuf syndicats, ont participé à cette formation-action. Elle a donné lieu à 17 chantiers en situation de travail. Quelques freins ont été identifiés par les acteurs de la formation. Ceux-ci sont importants à relever dans une perspective de retour d’expérience ; ils résident principalement dans la mise en œuvre effective de la démarche d’analyse ergonomique du travail en raison d’un positionnement initial des syndicalistes en entreprise qui s’avère parfois difficile à réviser et leur donne un accès limité aux situations quotidiennes de travail, de relations sociales tendues qui empêchent l’aller au bout d’un chantier ou encore de l’isolement d’un formé qui se voit marginalisé à son retour dans le collectif d’action syndicale. Toutefois le bilan de cette formation-action pointe des bénéfices partagés par les formés-syndicalistes et les ergonomes-formateurs. Elle a dans l’ensemble permis de : –– rapprocher les élus des situations réelles de travail et faciliter l’identification du potentiel d’action dans ces situations ; –– développer de nouvelles formes de négociation sociale, soutenues par des descriptions précises et factuelles du travail difficiles à contester ; 185
Traité des sciences et des techniques de la formation
–– intégrer l’expression des salariés, au sujet de leur travail quotidien, dans les actions des instances représentatives du personnel ; –– pour les ergonomes-formateurs, d’élaborer de nouvelles connaissances sur les RPS ce qui leur a permis de contribuer aux travaux du collège d’expertise1.
3. Le développement comme outil de l’action ergonomique Les travaux de recherche sur la pratique de l’ergonomie ont par ailleurs amené les chercheurs à préciser les objectifs et les spécificités de la démarche d’intervention dans ce champ, ainsi que les rôles de l’ergonome. Ils ont ainsi permis de souligner la dimension pédagogique de l’intervention et de concevoir des dispositifs méthodologiques favorables au développement des activités réflexives en situation.
3.1 L’intervention comme acte pédagogique Dans le cadre de travaux de recherche sur l’intervention en ergonomie, la dimension pédagogique de l’intervention a été relevée à plusieurs reprises depuis les années 1990. Cette dimension découle de l’approche participative souvent défendue par les ergonomes (Haims et Carayon, 19982 ; Saint-Vincent et al., 20003) qui, tout en fixant le cadre et les règles de fonctionnement au sein des groupes d’acteurs participant à l’intervention, facilite les apprentissages réciproques. L’ergonome ajoute à son rôle classique d’analyste celui de « facilitateur ». Il contribue à la coordination des professionnels et représentants des salariés dont ni les points de vue, ni les logiques en situation, ne convergent a priori ; il stimule l’émergence, la construction ou l’explicitation de connaissances déjà existantes sur le travail ; il garantit l’expression de chacun et le respect de ce qui est dit ; il apporte sa propre connaissance du travail. L’animation de temps de restitution à partir des analyses menées en situation est un moment propice à la découverte de la complexité du travail, au partage de connaissances et aux débats sur le travail, à la reconnaissance mutuelle entre acteurs pour construire un « monde commun » à partir duquel décider et agir. L’objectif
1. Collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail, constitué en 2008 à la demande du ministre chargé du Travail et présidé par Michel Gollac. 2. M. C. Haims et P. Carayon (1998). « Theory and practice for the implementation of « in-house » continuous improvement participatory ergonomic programs », Applied Ergonomics, 29 (6), 461-472. 3. M. Saint-Vincent, G. Toulouse et M. Bellemare (2000). « Démarches d’ergonomie participative pour réduire les risques de troubles musculo-squelettiques : bilan et réflexions », Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, 2 (1), http://pistes.revues.org/3834.
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Ergonomie, formation et développement ■ Chapitre 8
final reste alors d’œuvrer à l’autonomie progressive des participants en favorisant l’appropriation des démarches et leur pérennisation avant que l’ergonome ne se retire de la partie. La reconnaissance de cette dimension de l’intervention ergonomique a abouti à la définir comme un « acte pédagogique » (Dugué et al., 2010). Construire de façon participative le travail futur demande aux acteurs de prendre de la distance par rapport à leurs activités actuelles, de transformer leurs représentations du travail et de ses conditions de réalisation. Dans cette perspective, l’intervention poursuit deux objectifs complémentaires qui visent d’une part à permettre aux participants d’acquérir des connaissances ou des savoir-faire et de les mobiliser en situation de manière adéquate ; d’autre part, à favoriser le développement de valeurs partagées et d’une culture spécifique. L’intervention se conçoit comme un processus d’apprentissage pour apprendre à faire remonter les informations, à parler et échanger avec les autres, à participer aux processus de décision à partir d’une connaissance des réalités du travail. Dans ce cadre, des outils méthodologiques spécifiques ont été largement mobilisés et travaillés par les ergonomes afin de favoriser le développement dans l’intervention. Il s’agit de différents espaces de débat et de régulation dont les propriétés sont présentées ci-après.
3.2 Des dispositifs spécifiques : les espaces de débat et de régulation La démarche participative d’intervention suppose de fabriquer des cadres propices à l’échange et à la construction commune. Parmi ceux-ci, les espaces de débat et de régulation (Mollo et Nascimento, 20131) appelés aussi espaces de discussion et de dialogue, se sont développés depuis une dizaine d’années, prenant la forme de comité de pilotage, groupe de travail, comité de suivi, atelier réflexif, etc. Outils centraux de légitimation de la parole des travailleurs et des discussions sur le travail pour développer un monde commun, leur déploiement passe par l’activité collective au sein d’un groupe professionnel spécifique, entre différents groupes, ou encore entre les acteurs de la ligne hiérarchique. Ils peuvent répondre à divers objectifs, qu’il est toutefois nécessaire de définir à l’avance : discuter du travail au quotidien et s’ajuster entre collègues, discuter avec ligne hiérarchique ou entre managers, débattre avec la direction et les institutions représentatives du personnel, dans une visée d’amélioration ajustée du fonctionnement actuel, mais aussi de conduite d’actions de transformation. La constitution et l’animation de ces différents espaces ne doivent pas ignorer l’existence d’espaces formels de discussion (CHSCT, réunions de service, d’atelier). Il est même
1. In Falzon (2013).
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Traité des sciences et des techniques de la formation
nécessaire de faire le diagnostic de leur fonctionnement (souvent peu satisfaisant sinon biaisé), ainsi que des marges de manœuvre des personnes et de leur encadrement pour conduire ses espaces et trouver des issues. C’est à partir de ces éléments d’analyse qu’il est possible de travailler le caractère congruent des espaces à développer avec ceux existants, mais aussi avec le mode de management en situation. Pour cela quelques conditions doivent être a minima réunies : la reconnaissance de ces espaces comme contribuant à la valeur ajoutée du travail sans pour autant que les activités qui y sont déployées soient nécessairement directement productives ; la prise en compte du travail des managers pour éviter que ces espaces de débat ne deviennent de nouvelles prescriptions sans objet ; la confiance réciproque dans les échanges pour que la parole soit libre et sincère ; la reconnaissance de l’existence de points de vue différents dont il ne s’agira pas forcément de nier les divergences mais sur la base desquels il conviendra d’élaborer des compromis et de délibérer en vue de prendre des décisions. Pour cela, les traces de l’activité produites par les ergonomes (sous forme de chroniques de travail ou de formation, par exemple), en tant qu’objets intermédiaires mis en débat dans l’intervention, sont un support majeur au développement des activités réflexives et à la prise de décisions.
4. Discussion, conclusion 4.1 Environnement capacitant, organisation capacitante, intervention capacitante Le terme « environnement capacitant » a connu un certain succès ces dernières années. Le concept est évocateur, intuitif et séduisant… mais aussi ambigu. Il peut véhiculer d’une part une vision étroite de l’environnement, où celui-ci est limité à l’espace physique, aux outils, au poste ; d’autre part une vision statique, renvoyant à l’état présent des conditions d’exercice de l’activité, enfin une vision définitionnelle, où il s’agirait de définir et d’appliquer des critères normatifs, ceux du « bon » environnement. Une alternative serait de parler plutôt d’organisation capacitante. Une telle organisation serait celle que l’on peut mettre à sa main et que l’on peut adapter aux situations variées à gérer. Dans cette perspective, l’environnement ne doit pas seulement être adapté, mais adaptable et débatable : un environnement n’est capacitant que s’il se prête à sa propre adaptation. L’organisation capacitante est alors un dispositif qui permet aux acteurs de discuter et (re)concevoir les règles de l’organisation, de conduire un travail d’organisation et de produire, in fine, un nouvel environnement capacitant. 188
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L’objectif d’une intervention capacitante est la mise en place d’une organisation capacitante éphémère permettant de générer un environnement capacitant. Comme on l’a vu précédemment, une intervention de ce type comprend une dimension pédagogique, puisqu’elle favorise une prise de recul sur le travail réel, et donc un travail réflexif sur celui-ci. L’ensemble de l’intervention permet de plus un apprentissage par l’exemple : les acteurs expérimentent une démarche participative, réflexive, qui peut être reproduite. Conduire une intervention capacitante dans une perspective de réutilisation ou de pérennisation demande alors de développer/outiller la dimension pédagogique par des actions explicites de transfert et d’intégrer dans la démarche des dispositifs réflexifs portant sur l’intervention elle-même.
4.2 Questions pour la recherche en ergonomie La conception de formation est le plus souvent abordée sous l’angle de l’ingénierie de formation. On différencie habituellement ingénierie de formation, située du côté du maître d’ouvrage définissant le cahier des charges, et ingénierie pédagogique qui relève du maître d’œuvre qui a la charge de définir précisément les objectifs pédagogiques, l’animation de la formation et de la réaliser1. La didactique professionnelle2 a posé les bases d’une ingénierie qui prendrait appui sur l’analyse de l’activité en situation de travail pour concevoir des formations, considérant que les référentiels de compétences sont insuffisants pour cet objectif. L’ergonomie ouvre des voies complémentaires, notamment à partir de travaux menés depuis une trentaine d’années sur l’accompagnement de projet de conception dans différents domaines (Daniellou, 20043). Ils soulignent la nécessité d’une conduite de projet participative et d’un outillage des acteurs pour qu’ils puissent prendre des décisions intégrant l’activité dans les différentes phases du projet. Dans ce processus se jouent également des transformations des représentations du travail, qui au-delà de leur intérêt pour le projet de conception, peuvent être potentiellement porteuses d’amélioration des situations de travail sur le long terme. Ce n’est que récemment que la conception de formation a été analysée sous cet angle, en montrant l’intérêt d’une approche systémique de l’environnement du formé et du formateur. Il s’agit par exemple de conduire le projet en prenant en compte l’activité des formés, celle des formateurs, mais aussi celle des opérateurs qui seront les futurs collègues du formé, et éventuellement ses tuteurs quand un dispositif de d’accompagnement des débutants est mis en place. Il s’agit aussi de comprendre l’ensemble des déterminants d’une future situation de 1. Voir par exemple les chapitres 19 et 24. 2. Voir le chapitre 22. 3. F. Daniellou (2004). « L’ergonomie dans la conduite de projet de conception de systèmes de travail », in P. Falzon (éd.). Ergonomie (p. 359-373), Paris, PUF.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
formation pour la concevoir en tant qu’environnement capacitant ; déterminants qui concernent aussi bien les locaux, que la formation des formateurs et les outils de la formation. Ces questions, qui restent à approfondir, envisagent la conception de formation en tenant conjointement des points de vue sur l’activité de travail et d’apprentissage, et le développement. Il s’agirait alors de passer d’une ingénierie centrée sur les référentiels, les tâches et sur les représentations de la formation et du travail auquel on forme, à une ingénierie fondée sur la connaissance de leur propre travail dont disposent les opérateurs (y compris les formateurs), mise en débat à partir de données sur l’activité, au sein d’un collectif regroupant un ensemble d’acteurs du processus de conception de formation.
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Ergonomie, formation et développement ■ Chapitre 8
Lectures conseillées Boccara V., Delgoulet C. (2015). « L’analyse des travails pour la conception en formation. Contribution de l’ergonomie à la conception amont d’un environnement virtuel pour la formation », Activités, 12 (2), 73-97, http:// activites.revues.org/1098.
Ouellet S., Vézina N. (2009). « Savoirs professionnels et prévention des TMS : portrait de leur transmission durant la formation et perspectives d’intervention », Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, 11 (2), http:// pistes.revues.org/2388.
Chatigny C., Vézina N. (2008). « L’analyse ergonomique de l’activité de travail : un outil pour développer les dispositifs de formation et d’enseignement », in Y. Lenoir (éd.) Didactique professionnelle et didactiques disciplinaires en débat (p. 127-159), Toulouse, Octarès.
Teiger C., Lacomblez M. (2013). (Se) former pour transformer le travail. Dynamiques de constructions d’une analyse critique du travail, Québec, PUL.
Delgoulet C. (2012). « Apprendre pour et par le travail : les conditions de formation tout au long de la vie professionnelle », in A.-F. Molinié, C. Gaudart et V. Pueyo (éd.), La Vie professionnelle : âge, expérience et santé à l’épreuve des conditions de travail (p. 46-74), Toulouse, Octarès. Dugué B., Petit J., Daniellou F. (2010). « L’intervention ergonomique comme acte pédagogique », Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, 12 (3), http://pistes.revues. org/2767. Falzon P. (éd.) (2013). Ergonomie constructive, Paris, PUF.
Teiger C., Lacomblez M., Gaudart C., Théry L., Chassaing K., Gâche F. (2014). « Dynamique de la compréhension et de la transformation du travail. Éléments pour une histoire de la coopération syndicats-recherche en ergonomie et psychologie du travail en France », Nouvelle Revue de psychosociologie, 18 (2), 195-210. Thébault J., Delgoulet C., Fournier P. S., Gaudart C. et Jolivet A. (2014). « La transmission à l’épreuve des réalités du travail », Éducation permanente, 198, 85-99. V idal -G omel C., D elgoulet C., G eoffroy C. (2014). « Compétences collectives et formation à la conduite d’engins de secours dans un contexte de spécialisation des sapeurspompiers en France », Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, 16 (4), http://pistes.revues.org/4289.
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Chapitre 9 L’Europe de la formation1
1. Par Claude Bapst et Pierre Caspar.
Sommaire 1. De quoi parle-t‑on ? Quelques pages d’histoire...................................................... 195 2. L’Europe de la formation et sa construction......................................................... 200 3. L’Europe de la formation en questions.................................................................. 202 4. Quels avenirs possibles pour l’Europe de la formation ?........................................ 206 Lectures conseillées.................................................................................................. 210
Inhérentes à la construction européenne dès son origine, l’éducation et la formation ont longtemps donné lieu, avec une remarquable continuité et en liaison avec une politique de l’emploi fortement appuyée sur le Fonds social européen (FSE), à un engagement politique fort et constructif de l’Union européenne (UE) et de ses États membres. Au moment de la naissance de ce traité, certains proches avaient souligné son caractère francofrançais. Cette absence d’une dimension européenne témoignait peut-être de la faible valorisation de la pensée éducative européenne dans les travaux des enseignants-chercheurs français et d’une ambivalence de ces derniers à l’égard des productions européennes en dépit de leurs apports. D’une part, on constatait une reconnaissance certaine de la valeur des idées européennes, un engagement dans les programmes et les initiatives, un intérêt marqué pour les champs d’expérimentation qu’ils ouvraient, pour l’assistance technique qu’ils apportaient et pour les financements qu’ils permettaient. Mais, d’autre part, on observait une perception aiguë d’une réalité qui n’était pas à la hauteur des enjeux et des opportunités offertes, une déception face au faible retour sur investissement ; ou encore une sorte de découragement, voire de renoncement, que l’on constate souvent face aux lourdeurs administratives et aux retards qui en découlent. C’est dans ce contexte qu’un chapitre sur l’Europe de la formation a été introduit en 2004 puis régulièrement mis à jour. Dans le cadre de ce chapitre, il n’est ni nécessaire ni possible de chercher l’exhaustivité en matière de textes structurant la politique européenne de formation des adultes ; a fortiori lorsque l’on considère cette politique à l’aune de « l’éducation et de la formation tout au long de la vie » citée pour la première fois dans les années 1970. Ce traité à lui seul n’y suffirait pas. En revanche il paraît utile de donner quelques points de repère dans l’histoire, les débats et les avenirs possibles.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
1. De quoi parle-t‑on ? Quelques pages d’histoire 1.1 Le cadre juridique Sans revenir sur les émergences, parfois très anciennes, du concept européen, on peut situer les premières orientations significatives concernant la formation au temps de Robert Schuman, de Jean Monnet et de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA – traité de Paris, 18 avril 1951). Quelques années plus tard, deux articles du traité de Rome concernent explicitement la formation professionnelle1. Le traité de Maastricht (1992) actualise ces deux 1. L’article 123 relatif au fonds social européen et l’article 128 relatif aux « principes généraux pour la mise en œuvre d’une politique commune de formation professionnelle ».
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Traité des sciences et des techniques de la formation
articles et les complète d’un bref texte relatif à l’éducation1. Ce traité peut être considéré, à ce titre, comme refondateur de la formation et de l’éducation en Europe puisque ces deux articles sont repris intégralement par le traité de Lisbonne (2008). De Rome à Lisbonne, on peut apprécier l’évolution de la pensée européenne. Ce qui frappe tout d’abord, c’est l’introduction de l’éducation dans le champ de compétence de l’Union (article 126 du traité de Maastricht) alors qu’elle avait été volontairement exclue du traité de Rome. Elle était probablement considérée alors comme trop sensible parce que porteuse des identités, des histoires, des spécificités, bref des cultures nationales dans une Communauté dont la finalité était d’abord économique. Avec le traité de Maastricht, il est notamment prévu que « la Communauté contribue au développement d’une éducation de qualité en encourageant la coopération entre États membres et, si nécessaire, en appuyant et en complétant leur action tout en respectant pleinement la responsabilité des États pour le contenu de l’enseignement et l’organisation du système éducatif ainsi que leur diversité culturelle et linguistique ». On retrouve également dans ce traité, avec la pratique des langues européennes, la mobilité, la coopération et les échanges d’expériences, l’embryon du e-learning, l’essentiel des expérimentations lancées dès le début des années 1980 et des pratiques qui seront mises en œuvre ultérieurement. En matière de formation professionnelle, les évolutions, de Rome à Maastricht, sont tout aussi importantes puisqu’on passe de l’établissement de principes généraux (article 128 du traité de Rome) à la mise en œuvre, par la Communauté, d’une politique commune (article 127 du traité de Maastricht). L’action de la Communauté vise alors « à faciliter l’adaptation aux mutations industrielles, notamment par la formation et la reconversion professionnelles ; à améliorer la formation professionnelle initiale et la formation continue afin de faciliter l’insertion et la réinsertion professionnelle sur le marché du travail ; à faciliter l’accès à la formation professionnelle et à favoriser la mobilité des formateurs et des personnes en formation et notamment des jeunes ; à stimuler la coopération en matière de formation entre établissements d’enseignement ou de formation professionnelle et entreprises ; à développer l’échange d’informations et d’expériences sur les questions communes aux systèmes de formation des États membres ». Un pas
1. Article 126.
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important est désormais franchi en liant étroitement et fortement la formation professionnelle, les mutations industrielles, la reconversion et la réinsertion sur le marché du travail. L’article 123 du traité de Maastricht, relatif au FSE, va bien évidemment dans le même sens, en reprenant mot à mot la version du traité de Rome, mais en soulignant que le FSE vise aussi « à faciliter l’adaptation aux mutations industrielles et à l’évolution des systèmes de production notamment par la formation et la reconversion professionnelle ». Avec la crise énergétique de 1974 et la crise financière de 2008 il s’agit de plus en plus d’utiliser le FSE pour lutter contre le chômage, de favoriser le maintien ou l’accès à l’emploi. Et, dans cette bataille, l’Union européenne continue à considérer la formation comme un levier déterminant pour améliorer le niveau de compétence des travailleurs et pour faciliter leur accès ou leur retour à l’emploi. Pour actionner ce levier l’Union européenne va créer successivement plusieurs organismes européens indépendants.
1.2 La création d’institutions opérationnelles La création en 1975 du Centre européen pour le développement de la formation professionnelle (Cedefop), situé dans un premier temps à Berlin,1 marque une première étape décisive dans l’engagement opérationnel de la Commission européenne sur le terrain de la formation, conjointement avec les partenaires sociaux dans le respect de ce qui deviendra le principe de subsidiarité. Les missions principales du Cedefop, qui se poursuivent aujourd’hui, consistent à aider les décideurs et les praticiens de la Commission européenne, des États membres et des partenaires sociaux dans les divers pays d’Europe à effectuer des choix étayés concernant la politique de formation professionnelle. Dans cette perspective, le conseil d’administration du Cedefop réunit des représentants des gouvernements, des organisations d’employeurs et des organisations syndicales des États membres, ainsi que des représentants de la Commission européenne. L’Unice, la CES et l’EEE2 y siègent en qualité d’observateurs. À l’initiative du Conseil des ministres européen, pour contribuer à la conception et à l’établissement de meilleures conditions de vie et de travail en Europe, une autre institution voit également le jour en 1975 à Dublin : la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions 1. Le CEDEFOP est aujourd’hui installé à Thessalonique. Site Internet : http://www.cedefop.eu.int. 2. Union des confédérations de l’industrie et des employeurs d’Europe, Confédération européenne des syndicats, Entreprises publiques européennes.
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de vie et de travail1. Cette fondation mène des projets de recherche et développement, pour fournir des données et des analyses qui permettront d’alimenter et de soutenir le développement de la politique européenne sur les conditions de vie et de travail et notamment de clarifier ses conséquences en matière de formation des adultes. Au début des années 1990, est créée la Fondation européenne pour la formation (ETF), basée à Turin2, destinée à traiter les questions de formation liées à la chute du bloc de l’Est. Placée auprès de la Commission européenne, elle intervient lors de la mise en œuvre de programmes d’éducation et de formation destinés aux pays dits « en transition » avant d’élargir ses compétences à l’ensemble du monde. Rappelons enfin le rôle des différentes institutions éducatives qui contribuent, depuis des décennies, à former les cadres de l’Europe de demain. Le « Collège d’Europe » avec ses deux campus, à Bruges en Belgique et à Natolin en Pologne en constitue un très bel exemple.
1.3 Les programmes et le temps de l’action Dans les années 1980, on assiste à un tournant majeur à travers la création de multiples programmes et initiatives européens. Les deux premiers programmes sont Eurotecnet consacré, dès 1986, à l’introduction des nouvelles technologies ; puis, la même année, Comett visant plus particulièrement à rapprocher les universités et les entreprises. La suite est impressionnante. Apparaissent ainsi successivement, Erasmus destiné à favoriser les échanges d’étudiants ; Force consacré à la formation continue en entreprise ; Petra finalisé sur la formation professionnelle des jeunes ; Euroform pour améliorer la formation professionnelle ; Lingua qui témoigne de l’intérêt vif de la Commission pour la formation aux langues et le maintien de la diversité linguistique ; Horizon pour les personnes handicapées et défavorisées ; Now en faveur de l’égalité des chances entre les femmes et les hommes ; Youthstart pour les jeunes les plus en difficulté ; Adapt en réponse aux besoins de formation des travailleurs qui doivent s’adapter aux évolutions de l’appareil de production ; Emploi en réponse aux difficultés d’insertion professionnelle des personnes les plus démunies ; Equal pour lutter contre les discriminations de toute nature… Tous ces programmes relèvent de la direction générale (DG) Emploi de la Commission européenne qui mobilise le FSE au service de l’emploi et de la formation.
1. Site de la Fondation de Dublin : http://www.eurofound.europa.eu/ewco/ 2. European Training Foundation, Villa Gualino, Turin (Italie). Site Internet : http://secure.etf.europa.eu/web. nsf/pages/Home_FR?OpenDocument
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À noter que parallèlement d’autres programmes sont initiés par la DG éducation de la Commission européenne. À titre d’exemples on peut citer Socrates dédié à la formation initiale, et surtout le programme « Éducation et formation tout au long de la vie » qui regroupe Comenius (enseignement scolaire) Erasmus (enseignement supérieur) Leonardo da Vinci (enseignement et formation professionnelle initiale et continue) Gruntvig (éducation des adultes). Ce foisonnement d’initiatives, cette succession de programmes n’auraient pu voir le jour sans une convergence des politiques, une synergie des financements, tant nationaux que communautaires, qui ont permis leur éclosion. On soulignera leur impact considérable sur l’engagement des États membres –– dans des actions concrètes novatrices en matière de formation ; –– dans la réalisation de partenariats, qui n’auraient probablement pas vu le jour sans eux ; –– dans l’esprit d’expérimentation et de créativité qu’ils ont contribué à stimuler ; –– dans la mise en place systématique d’indicateurs de résultats et d’une politique conjointe d’évaluation qui doivent être tout particulièrement reconnus.
1.4 Une forte prégnance européenne, plus ou moins acceptée ou reconnue dans les États À la lumière de tout ce qui précède, aucun opérateur de formation ne peut rester indifférent à la vision européenne du vaste domaine de l’éducation et de la formation. Tous les acteurs ont été plus ou moins nourris de cette pensée, accompagnés et financés pour l’expérimentation et la réalisation de certains projets, encouragés dans des partenariats mutuellement fructueux, enrichis et stimulés par la diffusion des pratiques et des résultats. Des règles et décisions communautaires se sont progressivement imposées à la mise en œuvre de la formation professionnelle au sein des États membres, y compris bien sûr en France. Même si la pensée et l’expérience européennes n’ont pas toujours eu les échos qu’elles méritaient, elles n’en constituent pas moins une formidable source d’inspiration, de transformation et de renouvellement des pratiques éducatives qui a irrigué les opérateurs directs ou indirects de la formation. Ceux-ci ont aussi été invités à se repositionner par rapport aux évolutions économiques, sociales, technologiques, politiques qu’elles permettent de préparer ou d’accompagner. Cette vague d’innovations les a influencés, soit parce qu’ils se les sont appropriées, soit dans un travail à contre-courant lorsqu’ils les ont perçues comme trop dominantes, voire comme porteuses de risques contre lesquels il fallait réagir.
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2. L’Europe de la formation et sa construction 2.1 Une vision ancienne et transversale C’est ainsi que les politiques de formation se sont structurées par rapport aux politiques éducatives nationales bien sûr, mais aussi du fait même de la volonté commune d’une construction européenne à laquelle l’éducation et la formation pourraient largement contribuer. Cette vision est née bien avant Maastricht ; elle transcende largement le seul domaine de la formation. Ainsi, lorsque Jacques Delors a accédé à la présidence de la Commission européenne en 1984, il a été le premier à affirmer la prééminence de la richesse des hommes et de leur intelligence sur les autres ressources de l’Union et a largement contribué à faire de la France l’une des locomotives de la formation professionnelle en Europe. Notre pays a joué alors un rôle déterminant en diffusant et en transférant en Europe son expérience et ses acquis en matière de formation professionnelle résultant des accords de 1970 et de la loi de 1971. Pendant les années 1980-1990 la France a ainsi été considérée comme un « État-référence » dont on pouvait utilement s’inspirer. Aujourd’hui ce n’est plus toujours le cas comme en témoignent les recommandations des instances européennes à notre pays, l’invitant par exemple à « appliquer une stratégie globale d’éducation et de formation tout au long de la vie qui tienne compte des besoins de formation initiale et favorise l’accès des travailleurs peu qualifiés à la formation, en particulier dans les PME1 ». La formation professionnelle, présentée jusque-là comme un outil facilitant la libre circulation des personnes, se transforme ainsi au milieu des années 1980 en une approche privilégiée du développement des personnes et des communautés de travail considérées comme la richesse première de l’Europe. La libre circulation devient à la fois un moyen et une conséquence de ce développement.
2.2 Une remarquable continuité Ce qui donne toute sa consistance à cette volonté européenne et aux politiques qui en découlent, c’est avant tout sa continuité jusqu’aux années 2000.
1. Recommandations du Conseil concernant la mise en œuvre des politiques de l’emploi des États membres (2003).
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Au niveau de l’action d’abord, notamment grâce à l’identification, l’évaluation et la diffusion de bonnes pratiques1 dès les premiers programmes, même si ces échanges se sont probablement davantage réalisés par capillarité que de façon structurellement organisée. C’était précisément un choix européen explicite de ne pas gouverner par décret mais de faire en sorte que les bonnes pratiques ne se diffusent pas forcément par le haut et que la mobilité se fasse d’abord dans les esprits. On ne l’a pas toujours compris. Pourtant l’invitation explicite à construire des partenariats, des réseaux, des groupes de réflexion, fugaces ou durables, représentait un élément majeur de continuité alors même que les institutions ont beaucoup changé au cours de ces décennies et que la Commission a elle aussi beaucoup évolué. Le fonctionnement inégal mais durable de ces réseaux, le sentiment accru dans certaines populations d’une citoyenneté nouvelle, d’une appartenance à une entité européenne, ont également joué un rôle continu dans le développement de nouvelles compétences. Ce n’est pas encore l’acquisition d’une véritable identité transculturelle ; mais l’on s’en rapproche d’autant plus facilement que ses racines poussent depuis longtemps des deux côtés d’une même frontière. Cette Europe virtuelle de la formation est souple. Elle est construite sur un espace à mailles larges laissant du jeu à l’innovation, et dans lequel les acteurs de terrain peuvent construire et expérimenter ensemble. Le resserrement progressif mais inexorable des procédures bureaucratiques, l’accroissement et la minutie croissante des contrôles, qui ont bien évidemment leurs raisons d’être et leurs vertus, relèvent d’un autre choix. Le nouveau jeu peut alors paraître rebutant à certains acteurs au point de les décourager progressivement. Business is fun disent certains ; encore faut-il qu’il le demeure. Cette continuité de la vision européenne traduit une volonté fondamentale, claire dès le départ, et toujours présente : développer une stratégie pour l’emploi. Il suffit pour s’en convaincre de regarder l’écart entre les fonds mis à disposition de la DG éducation et ceux, très largement supérieurs, de la DG emploi. C’est sur cette base stratégique que le FSE a été mobilisé2. La politique européenne en matière d’emploi et de formation professionnelle devient la résultante des initiatives et des interactions, quelquefois à la limite de la concurrence, de ces deux DG. Ce n’est pas le fait du hasard si le Livre blanc Croissance, compétitivité, emploi est apparu bien avant celui qui portait sur la société cognitive. Dans la continuité de cette politique, le principal théâtre des opérations et des investissements a été d’abord le travail, l’emploi et ce qui les conditionne. L’importance du développement des personnes, de leurs qualifications et compétences, de leurs
1. Les « bonnes pratiques », selon l’Union européenne, sont les pratiques qu’elle encourage et finance dans le cadre de ses programmes et dont les résultats et les effets, observés et évalués, sont considérés comme suffisamment probants pour pouvoir faire l’objet d’une diffusion auprès des opérateurs européens qui le souhaitent. 2. Pour tout ce qui concerne la stratégie européenne pour l’emploi (SEE), consulter le site Europa : http://europa. eu.int/pol/socio/index_fr.htm
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capacités de mobilité et de leur désir d’apprendre, exprimée dès les années 1980 dans une vision particulièrement forte et clairvoyante, perdure aujourd’hui dans le concept « d’éducation et de formation tout au long de la vie ». Sur cette scène, les partenaires sociaux et, plus concrètement, les syndicats européens, patronaux et de salariés, ont joué un rôle clé. En témoignent nombre d’accords, de textes et d’avis communs1 faisant référence à leurs centres d’intérêt dans cette construction d’une Europe sociale. Une Europe qui est d’abord une Europe de l’emploi auquel contribue directement la formation et, plus récemment, la validation des acquis de l’expérience. Même si ces avis n’ont aucun caractère contraignant, ils ont très largement contribué à faire évoluer les esprits et à infléchir les pratiques dans le sens d’une amélioration constante de l’accès des citoyens européens à une éducation et une formation professionnelle de qualité. L’absence historique de partenaires sociaux dignes de ce nom dans certains nouveaux États membres change évidemment la donne. C’est là aussi un enjeu éducatif.
3. L’Europe de la formation en questions 3.1 Diversité des pratiques et nécessité des collaborations Les choix nationaux en matière de formation professionnelle et d’éducation des adultes reposent d’abord, et c’est bien naturel, sur les spécificités nationales de chaque État qu’il s’agisse des histoires, des cultures, des institutions, des économies et des rapports sociaux qui les caractérisent. Mais nul ne peut douter de la volonté historique commune de susciter des mises en perspectives entre choix nationaux et orientations européennes, de rapprocher les points de vue et les pratiques. Il faut souligner ici l’exigence systématique de partenariats, à la fois inter-pays et inter-organisations, longtemps exprimée par la Commission européenne pour toute candidature aux programmes et initiatives. Cette exigence repose d’abord sur la quasi-impossibilité pour une seule organisation, aussi compétente soit-elle, de faire face à la complexité des problèmes en matière d’éducation et de formation professionnelle, aux défis qu’ils soulèvent. Elle repose surtout sur une prise de conscience 1. Pour plus d’information sur les 15 avis communs adoptés à ce jour par les partenaires sociaux européens, consulter : http://europa.eu.int/scadplus/printversion/fr/s02211.htm
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progressive : construire l’Europe et élaborer des solutions aux problèmes européens communs conduisent nécessairement à apprendre les uns des autres, à créer ensemble de nouveaux systèmes et de nouvelles pratiques et donc de coopérer avec des personnes, des organisations et des institutions d’autres États membres. C’est pourquoi les partenariats et la transnationalité constituent deux des socles sur lesquels ont longtemps reposé toutes les initiatives et programmes européens. Cette volonté, qui a été généralement respectée, doit désormais s’exercer dans un environnement moins favorable. Le traité de l’Union européenne qui met clairement l’accent sur le développement d’une « concurrence libre et non faussée » risque de ne pas faciliter l’établissement de partenariats et de coopérations transnationales. Il peut être quelquefois délicat d’accepter la transparence (sur les process, les qualifications…) entre entreprises concurrentes sur le même marché… Quelle qu’en soit la raison, le maintien de prés carrés face à une concurrence farouche à l’échelle mondiale, mais aussi européenne peut conduire à une forme d’isolement alors que l’union s’imposerait pour agir. Par ailleurs on peut se demander à quel point les représentations que l’on se faisait traditionnellement de la formation des adultes ont été remises en cause par les visions et orientations proposées par la Commission européenne, ainsi que par ses modes de travail. Comment, en particulier dans notre pays, les opérateurs (organismes de formation, entreprises…) ont-ils réagi face au développement d’une politique européenne de formation ? Pour des raisons que l’on peut tout à fait comprendre, les organisations, notamment éducatives, ont rarement intégré d’emblée le schéma européen dans leurs structures et dans leurs stratégies. Il leur a été souvent plus facile de nommer un Monsieur (ou une Madame) Europe et de lui confier, tant la veille thématique, administrative et juridique que l’acquisition d’expertises concernant les programmes, l’ingénierie de partenariat et l’ingénierie de financement. Il en est ici comme il en a été de la qualité. S’en remettre à quelqu’un, souvent positionné sur un statut latéral, peut vite conduire à se démettre de l’objet qui lui avait été délégué. Enfin une dernière hypothèse peut expliquer cette diversité des pratiques : elle est liée aux réelles difficultés rencontrées dans la mise en œuvre des programmes eux-mêmes. Ces difficultés ont pu conduire dans nombre de cas à privilégier les approches pragmatiques reposant sur la confiance mutuelle, les relations interpersonnelles souvent, amicales plutôt que les coopérations institutionnelles qui auraient quelquefois permis un meilleur impact des programmes et de leurs financements. Reste que tout ceci a donné lieu à une formidable vague d’innovations et d’expérimentations, parfois de recherche-action. 203
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3.2 Capitalisation et mutualisation des bonnes pratiques Revenons d’abord sur l’identification et la valorisation des « bonnes pratiques » destinées à éviter que chacun réinvente, seul dans son coin, ce qui a déjà été expérimenté, souvent avec succès, par d’autres. La place manque ici pour rappeler le rôle des innombrables rencontres, liées ou non aux programmes et initiatives, qui ont permis aux acteurs de se découvrir et d’imaginer des répliques qui ne soient pas de simples duplications ignorant les spécificités culturelles, économiques et sociales de chaque pays. Malgré l’obligation de diffusion des résultats, on risque toujours de sous-estimer les difficultés d’appropriation des connaissances produites. Elles ne peuvent se résoudre par la seule consultation des rapports, des bases de données ou des sites internet. Le contact direct reste essentiel et le passage de l’expérimentation à la généralisation constitue toujours un problème, tant les logiques changent avec les changements d’échelle. Indissociable du concept de « bonnes pratiques » la politique systématique de capitalisation et d’évaluation qui a été pendant longtemps celle de l’Union et de la Commission européenne doit être ici soulignée. Si la mémoire est indispensable pour que rien de précieux ne se perde, elle n’est pas suffisante. L’évaluation, trop souvent sous-estimée, joue un rôle majeur dans la production du savoir validé ; elle constitue un outil de positionnement et de développement des systèmes et dispositifs éducatifs qu’elle analyse ; elle incarne une démarche citoyenne visà‑vis de l’utilisation des financements de l’Union européenne ; surtout lorsqu’une évaluation à mi-parcours est requise, et que les risques d’avoir à reverser une partie des fonds ne sont pas nuls, si les conclusions du « contrôle de service fait » y conduisent. Le rôle déterminant des organismes d’assistance technique doit être, à cet égard, rappelé. Dans chaque État membre, ces organismes ont facilité l’accès des opérateurs aux programmes européens, ont veillé à leur formation, ont suscité le développement de réseaux d’homologues et ont aidé à la valorisation des démarches et des résultats obtenus. L’édition de livres et de documents, la création de banques de données régulièrement actualisées, constituent aujourd’hui un capital inégalé de ressources documentaires mobilisables à la fois par les chercheurs et les praticiens. L’expérience développée dans le passé par Racine1 en donne un exemple assez complet. En produisant et en diffusant très largement des outils reposant sur des expérimentations effectives, cette association à la fois paritaire et liée à plusieurs ministères a mis à la disposition de tous
1. Racine, Réseau d’appui et de capitalisation des innovations européennes, a été créée en 1988 pour réaliser, tant en France qu’en Europe ou à l’international, des interventions et des expérimentations innovantes ainsi que des actions de capitalisation de transfert et de communication dans le champ de la formation professionnelle et de l’emploi.
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des données concrètes leur permettant d’améliorer la qualité de leurs projets et de s’engager dans une dynamique nationale ou transnationale de changement. On ne peut que regretter ici la disparition de cette instance créée à la demande de l’ensemble des partenaires et dont l’existence n’a plus été jugée prioritaire par les financeurs français.
3.3 L’élargissement de l’Union et ses conséquences L’élargissement de 2004, celui de 2007, la recherche et la construction d’une nouvelle cohésion européenne constituent évidemment une donnée particulièrement structurante pour l’avenir de l’Europe. Elle concerne tout autant les nouveaux pays entrants, les anciens États membres et ceux qui frappent à la porte et influence bien sûr les politiques de formation nationales et européennes. En voici quelques illustrations : –– Depuis le début du processus d’élargissement, les systèmes éducatifs des pays entrants, comme les agences de la Commission évoquées plus haut, se trouvent confrontés à des enjeux nouveaux et multiples. Non seulement en termes de formation professionnelle de base ; mais aussi pour faciliter et enrichir l’exercice de la citoyenneté ; pour préparer à la création d’activités et d’entreprises dans le cadre d’une économie de marché ; pour développer la formation des fonctionnaires chargés d’élaborer et de mettre en œuvre des politiques originales au sein de l’Union et de gérer les ressources financières nouvellement disponibles. –– Années après années, les nouveaux arrivants au sein de l’Union européenne se sont trouvés contraints de s’insérer dans des ensembles d’opérateurs et de prendre acte de leurs réalisations qui incarnent la continuité de la politique européenne sur le terrain, loin de Bruxelles. C’est de moins en moins vrai aujourd’hui même si l’un des « passages obligés » pour l’admission de nouveaux membres au sein de l’Union est d’apporter la preuve qu’ils satisfont au degré d’exigence attendu par leurs prédécesseurs dans la mise en œuvre des acquis communautaires. –– L’une des conséquences de ce qui précède peut être un bouleversement des marchés de l’offre et de l’ingénierie de formation, qui peut aussi toucher les normes, notamment de qualité et les systèmes de délivrance des titres et diplômes au niveau européen. On peut craindre que l’affirmation répétée de l’obligation accrue de compétitivité, et son impact sur les relations au travail ne facilitent pas l’innovation, la créativité et l’expérimentation de formules éducatives nouvelles. –– Simultanément, les défis linguistiques, culturels, économiques et politiques soulevés par le développement de cette nouvelle Europe vont demander la construction de capacités de travail transnationales, de construction et de conduite de partenariats à une plus large échelle. Cela signifie bien sûr des apprentissages à effectuer rapidement, notamment pour les citoyens de notre pays qui n’ont pas toujours la réputation d’exceller en ces domaines. A fortiori, lorsqu’il faudra coopérer, autrement que commercialement, avec des cultures de 205
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l’Est qui nous sont familières par bien des liens et des sympathies séculaires mais qui parfois nous paraissent encore très étrangères. Cela suppose que le rêve d’un développement du modèle social européen cohérent ne se trouve pas dramatiquement réduit après tant de concessions et d’abandons sociaux, à une large zone de libre-échange. On peut quelquefois le craindre et pointer du doigt le risque que fait courir aux politiques sociales européennes l’utilisation qui peut être faite du « plombier polonais » ou du « camionneur roumain » alors que cette situation résulte d’abord de la façon dont les nouveaux entrants ont plus ou moins bien satisfait aux critères de convergence qui pourtant s’imposaient à eux.
4. Quels avenirs possibles1 pour l’Europe de la formation ? 4.1 Utopie et réalité Les utopies jouent un rôle majeur dans nos sociétés comme elles le jouent dans chaque vie individuelle ouverte à l’imaginaire et au symbolique. Le projet européen en constitue une, à l’évidence. Ce n’est certainement pas un hasard si la construction de la Communauté européenne du charbon et de l’acier s’est faite, après tant de guerres, sur le rapprochement autour du fer et du feu de deux pays longtemps belligérants. D’autant que les visées initiales des chefs d’État ou des « prophètes » à l’origine du projet, reposaient sur une vision somme toute assez simple dans son principe qu’exprimait avec force Jean Monnet : « Faire travailler les hommes ensemble, leur montrer qu’au-delà de leurs divergences ou par-dessus les frontières ils ont un intérêt commun », « Continuez, continuez, il n’y a pas pour les peuples d’Europe d’autre avenir que dans l’union », répétait-il régulièrement à ses interlocuteurs. S’agissant de l’Europe de la formation, on peut dire que l’utopie a largement invité celles et ceux qu’elle a fait rêver à relire leur propre réalité. Vivre en Europe, ce n’est plus désormais tout à fait vivre dans son pays ; mais ce n’est pas non plus se référer uniquement à la mondialisation. Dans une position intermédiaire, si ce n’est médiane, entre ces deux positions extrêmes, la construction de l’Europe devrait être un projet
1. Au moment ou nous écrivons ces lignes, les Britanniques viennent de décider, par référendum, de quitter l’Union européenne (UE). Il est aujourd’hui impossible d’envisager toutes les conséquences de cet événement considérable tant pour le Royaume-Uni que pour les autres États membres de l’UE. Notons toutefois que selon l’ensemble des analystes l’émigration intra-européenne, le « plombier polonais » et le « camionneur roumain » dont nous venons de parler, semblent avoir joué un rôle déterminant dans la décision du peuple britannique de quitter l’union européenne. Sur les mêmes bases que ce précédent il n’est désormais plus impensable que d’autres États choisissent la même voie que le Royaume-Uni. Ceci doit nous conduire à envisager avec beaucoup de prudence les avenirs possibles pour l’Europe de la formation, y compris à court terme.
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permettant à chaque État membre et à ses citoyens de se positionner comme partie prenante et solidaire d’une communauté, et non pas comme des acteurs isolés au sein du monde. Il est bien difficile de parler des avenirs de l’Europe de la formation sans partir d’une idée claire de ce que sera l’avenir de l’Europe tout court. Et il est encore plus difficile de tenir sur ce point un discours prospectif à la fois clair et fondé. Les élargissements de 2004 et de 2007, les difficultés de gouvernance et de fonctionnement qui ont suivi sont loin d’être résolues. L’imbrication des questions linguistiques, les éloignements culturels qui s’accroissent parfois, les conséquences du refus citoyen d’une construction européenne, les replis nationaux observés ici et là, conduisent évidemment à un tout autre regard sur la complexité du débat et sur l’immensité des enjeux que doit affronter l’Europe, face à un monde en pleine mutation, si elle veut garder la place qui est la sienne.
4.2 Obstacles, enjeux et perspectives Sans vouloir, ni pouvoir, conclure sur ce que peut devenir cette Europe de la formation mise en chantier au cours de ces dernières décennies, nous pouvons réfléchir aux grandes tendances qui peuvent influencer son évolution. –– On peut d’abord penser qu’un certain nombre d’initiatives actuellement à l’œuvre vont se perpétuer. À commencer par les financements en cours, dont le FSE, qui ne devraient pas, à court terme du moins, être interrompus. En revanche, les conséquences de l’élargissement conduiront, à coup sûr, à poursuivre le transfert des fonds vers les nouveaux entrants. Cela aura bien sûr un impact direct sur l’échiquier de la formation en France, notamment sur la nature et l’ampleur de l’appui apporté aux opérateurs et sur le rôle des services consacrés à la gestion de ce fonds. Chacun sait que cela devrait nécessiter également des efforts majeurs de simplification dans la conception et les modalités d’attribution, de gestion et de contrôle des aides adossées aux fonds structurels. En prenons-nous vraiment le chemin ? –– La continuité des politiques d’emploi en Europe semble, elle aussi, acquise à moyen terme à travers trois orientations principales réaffirmées1 par la Commission : la recherche du pleinemploi2 ; l’amélioration de la qualité et de la productivité du travail ; le renforcement de la cohésion sociale. C’est à la lumière de ces priorités que devront désormais être considérées l’insertion des jeunes, la création de passerelles de transition entre les situations d’emploi et de non-emploi et la gestion dans le temps du chômage. Ces mesures ne sont pas toujours dépourvues d’effets pervers, notamment le risque d’un étiquetage récurrent des « personnes 1. Décision du Conseil européen du 22 juillet 2003. 2. Un taux d’emploi global de 67 % en 2005 et de 70 % en 2010, un taux d’emploi des femmes de 57 % en 2005 et de 60 % en 2010, un taux d’emploi des travailleurs âgés (55 à 64 ans) de 50 % en 2010.
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en difficulté », ou la nécessité de se placer en sous-qualification pour trouver du travail quitte à entrer dans ce que l’on appelle parfois le « circuit des perdants ». L’impact de ce qui précède sur les politiques de formation professionnelle, complétées par la validation des acquis de l’expérience, continue à être déterminant. À condition bien sûr de travailler non seulement sur l’inégalité d’accès à l’emploi, mais aussi sur les inégalités d’accès à la formation qui ont plus tendance à croître qu’à diminuer. –– Parmi les décisions européennes en matière d’emploi, celles visant « à augmenter progressivement d’environ 5 ans l’âge moyen effectif auquel cesse, dans l’Union européenne, l’activité professionnelle » a bien sûr eu des répercussions sur les politiques et les pratiques de formation professionnelle. Au-delà de ses traductions nationales, au-delà des débats sur les retraites, la décision du Conseil a posé la question du licenciement des travailleurs les plus âgés parfois exclus de la formation ou considérés comme une « simple variable d’ajustement ». Prendre en considération les travailleurs les plus âgés ou ceux qui vivent dans le paradoxe de l’allongement des années de cotisation et de la difficulté croissante, avec l’âge, de trouver un emploi digne devrait ainsi conduire à définir une nouvelle étape de la formation tout au long de la vie dans le cadre d’une approche globale en faveur du vieillissement actif. Comment la formation peut-elle encourager et sécuriser l’employabilité et le maintien dans l’emploi des travailleurs les plus âgés, notamment, les moins qualifiés, qui le souhaitent ? Comment la formation peut-elle contribuer à une redéfinition des emplois qu’ils occupent, à un transfert de compétences et à de nouvelles solidarités inter-générations ? Comment valoriser et transmettre les compétences dont ils sont parfois les seuls détenteurs ? Voilà quelques-unes des questions auxquelles est confronté l’ensemble des États européens et que l’Union européenne s’efforcera probablement de traiter au cours des prochaines années. –– La décentralisation de plus en plus forte des décisions concernant l’apprentissage, l’éducation et la formation professionnelle est particulièrement à l’ordre du jour en France. Elle concerne aussi, à des degrés divers, les autres États membres. Cela renvoie à un débat politique qui est loin d’être clos. Cela constitue aussi un changement majeur dans la répartition des responsabilités entre la Commission Européenne, les États, les collectivités territoriales, les entreprises, les familles, les individus et dans le positionnement respectif des commanditaires, des financeurs et des offreurs de formation. –– Depuis 2008 la crise financière a des effets négatifs sur le budget européen et réduit les marges de manœuvre vis-à‑vis des opérateurs avec pour conséquence des contrôles renforcés et l’accroissement d’une bureaucratie, quelquefois tatillonne, au détriment de l’innovation et de la qualité des projets. L’Union européenne arrête les objectifs généraux des programmes, leurs budgets globaux et la part de chaque État, les procédures globales de mise en œuvre… Elle laisse toutefois de grandes marges de manœuvre aux États qui, en fonction des spécificités, des problèmes à régler à leur niveau, des outils d’intervention dont ils disposent, vont pouvoir marquer de leur empreinte le cadre européen qui leur est proposé. 208
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–– Notons enfin que les grandes migrations, vont devoir se traduire non seulement dans une nouvelle approche des mobilités européennes, des coopérations transnationales et des marges de manœuvre financières, mais aussi dans une redéfinition du rôle que la formation peut jouer à grande échelle auprès de ces populations ; à la fois facteur d’intégration au service des migrants et levier de transformation de ces migrations pour en faire une nouvelle richesse européenne. Le défi à relever est immense, que dire de plus ? À cet égard on ne peut que regretter la réaction de certains États membres de l’Union européenne face à la crise migratoire. La limitation de la libre circulation des personnes en Europe qui est l’une des trois grandes libertés affichées par le traité de l’Union européenne (liberté de circulation des biens et des services, liberté de circulation des capitaux, liberté de circulation des travailleurs) ne peut pas être, à terme sans conséquence. –– Dans l’obligation d’inventivité, de nouvelles dynamiques et d’engagement dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui le développement d’une culture libérale forte au sein de la Commission, accompagnée paradoxalement par la montée en puissance très rapide d’une forme spécifique de bureaucratisation et de contrôles récurrents et minutieux génèrent autant d’obstacles supplémentaires à surmonter. L’excès de contrôles à tous niveaux, s’appuyant sur un petit nombre de textes de référence d’inégale portée et sur une part importante de jurisprudences peu formalisées, voire non écrites, risque de conduire à deux écueils : d’une part, un découragement face aux démarches à effectuer pour concevoir de nouveaux projets, répondre à des mises en concurrence, participer à des programmes, et postuler à des aides ; d’autre part, une uniformisation progressive des éléments méthodologiques et culturels sous-jacents aux actions et dispositifs de formation qui seront conçus et expérimentés. Quels que soient les risques de dérives, il est cependant probable que le « droit à l’éducation ainsi qu’à la formation professionnelle continue », proposé dans le projet de charte des droits fondamentaux, soit maintenu comme une priorité européenne majeure. Mais dans l’exercice de ces droits on peut d’ores et déjà s’interroger sur les conditions éducatives et formatives qu’il faudra réunir, sur les moyens dont il faudra se doter pour que chacun(e) puisse s’exprimer librement, participer réellement à la vie démocratique de l’Union, exercer une profession librement choisie ou acceptée, fonder avec d’autres un syndicat, assurer l’égalité entre les hommes et les femmes dans tous les domaines, circuler et entreprendre librement, mener une vie digne et indépendante et continuer à participer à la vie sociale et culturelle lorsqu’il (elle) est âgé(e) ou handicapé(e). Mais on peut surtout, lorsque l’on travaille dans les métiers du savoir, méditer sur la grandeur et les défis d’une Union qui pourrait œuvrer, comme le proposait le projet de constitution, pour créer « une Europe du développement durable, fondée sur une croissance économique équilibrée, une économie sociale de marché hautement compétitive, visant le plein-emploi et le progrès social et un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement ». Une 209
Traité des sciences et des techniques de la formation
Europe qui appuie le progrès scientifique et technique ; une Europe qui « combat l’exclusion sociale et les discriminations et promeut la justice et la protection des droits des enfants… ». Une Europe qui « respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel ». Une Europe enfin qui « offre les meilleures chances de poursuivre, dans le respect des droits de chacun, et dans la conscience de leurs responsabilités à l’égard des générations futures et de la Terre, la grande aventure qui en fait un espace privilégié de l’espérance humaine ».
Lectures conseillées Delivet Ph. (2013). Les politiques de l’Union européenne, Paris, La Documentation française. G rass É. (2012). L’Europe sociale, Paris, La Documentation française. Livre blanc sur l’éducation et la formation. Enseigner et apprendre, vers la société cognitive, Union européenne, accessible sur Internet : http://europa.eu/documents/ comm/white_papers/pdf/com95_590_fr.pdf
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Priollaud F.-X., Siritzky D. (2016). Les Traités européens après le traité de Lisbonne. Textes comparés, Paris, La Documentation française. Les Systèmes de formation professionnelle en…, publications du Cedefop décrivant les différents systèmes de formation professionnelle dans les États membres de l’Union européenne régulièrement mises à jour et accessibles sur Internet : www.cedefop. europa.eu/files/5117FR.pdf
Chapitre 10 Diversité des adultes en formation1
1. Par Claudie Solar.
Sommaire 1. Regard sur la population mondiale......................................................................... 213 2. Défis pour la formation.......................................................................................... 220 3. Pratiques inclusives : pédagogie de l’équité.......................................................... 223 4. Pour conclure........................................................................................................ 226 Lectures conseillées.................................................................................................. 228
La montée des déplacements de population dans le monde ainsi que la globalisation des marchés accentue la diversité de la population adulte et crée un multiculturalisme et un large spectre de conceptions sur la personne, l’État, le droit des hommes, des femmes et des enfants. L’ensemble de ces représentations marque sous le sceau de la diversité les activités de formation qu’elles soient locales, nationales ou internationales. Dans ce chapitre, le sujet est abordé par le biais de la diversité de la population mondiale pour mieux traiter des défis que cette diversité soulève au regard de la formation et ouvrir sur des pratiques inclusives.
1. Regard sur la population mondiale Le regard porté sur la population mondiale va révéler des défis, notamment de genre, de langue, de littératie, de religion, de handicap et de migration que des pratiques inclusives peuvent relever.
1.1 Population mondiale1
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En 2014, selon les données des Nations Unies, le monde compte plus de 7 milliards de personnes dont 60 % vivent en Asie, 16 % en Afrique, 10 % en Europe, 9 % en Amérique Latine et Caraïbes, 5 % en Amérique du Nord et 1 % en Océanie. Il naît généralement 105 garçons pour 100 filles et le ratio hommes/femmes s’équilibre au fil du temps, car le taux de mortalité des garçons est plus élevé que celui des filles jusqu’à l’âge adulte. En France, c’est à 25 ans que les hommes et les femmes sont en nombre égal, mais l’écart s’inverse avec l’âge. Plusieurs pays accusent un déficit de femmes. En 2014, le Bahreïn compte 37,9 % de femmes ; la Chine, 48,5 % ; les Émirats Arabes Unis, 26,3 % ; l’Inde, 48,2 % et le Qatar, 26,8 %. Un déficit en hommes peut aussi advenir, tel le Rwanda avec un ratio de 52,6 % de femmes. Si le déficit en hommes découle généralement de situations de guerre, celui des femmes est plutôt lié à la dévalorisation culturelle de la gent féminine entraînant avortements sélectifs, infanticides et négligence. Au niveau mondial, il y aurait un manque de plus de 64 millions de femmes. La population de l’Amérique du Nord et de l’Union européenne de moins de 15 ans se situe à 16 % et 19 % tandis que celle des plus de 65 ans se trouve à 13 % et 18 % respectivement. Ces deux régions connaissent un vieillissement marqué de la population et 55 % des personnes de plus de 1. Cette section s’appuie, entre autres, sur les informations et données issues des sites des Nations Unies, de l’INED, de la Banque mondiale, de l’OMS, de l’Insee, du Population Reference Bureau et de population du monde.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
65 ans sont des femmes. Le groupe des 16 à 64 ans comporte entre 66 % et 68 % de personnes principalement actives sur le marché du travail ou mobilisées dans la régénération. Selon le niveau de développement des pays, l’espérance de vie des hommes et des femmes se situe respectivement à 75 et 81 ans pour les niveaux élevés ou à 58 et 60 ans pour les autres ; une différence selon le sexe de 6 ou de 2 ans et de plus de 20 ans selon le niveau de développement. Aucune donnée ventilée selon l’orientation sexuelle ou la perspective transgenre n’a été repérée. Cela ne saurait étonner alors que 49 personnes LGBT sont mortes et 53, blessées dans un bar d’Orlando aux États-Unis, le 12 juin 2016.
1.2 Langue1 D’après le Population Reference Bureau « sur les 6 000 langues dans le monde, 50 % sont menacées de disparition ; 96 % sont parlées par 4 % de la population mondiale ; 90 % ne sont pas représentées sur Internet », tandis qu’« une langue disparaît toutes les deux semaines et [que] 90 % des langues africaines n’ont pas de transcription écrite. » Les dix langues les plus parlées sont : 1. le chinois mandarin (1 080 M de personnes) ; 2. l’anglais (508 M) ; 3. l’espagnol (382 M) ; 4. le hindi (315 M) ; 5. le français (290 M) ; 6. le russe (285 M) ; 7. le malais-indonésien (260 M) ; 8. l’arabe (230 M) ; 9. le portugais (218 M) ; 10. le bengali (210 M). Les Nations Unies utilisent six langues officielles : l’anglais, le français, l’espagnol, l’arabe, le chinois et le russe. En ce qui concerne la langue française, elle serait la 4e langue d’Internet et la 2e langue d’information internationale dans les médias. Officiellement bilingue, le Canada, en 2011, ne compte que 17 % de sa population pouvant soutenir une conversation tant en français qu’en anglais ; ce pourcentage grimpe à 43 % au 1. Les informations et les données sur les langues sont tirées, entre autres, du Population Reference Bureau, de population du monde, de l’OMS et de Statistique Canada.
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Diversité des adultes en formation ■ Chapitre 10
Québec. Parmi les presque huit millions d’immigrantes et d’immigrants utilisant une « langue immigrante » – soit autre que le français, l’anglais ou une langue autochtone –, plus de 17 % parlent une langue romane et environ le même nombre, une langue indo-iranienne ; 16 % une langue chinoise et entre 10 et 11 %, une langue slave. Toutes les autres familles de langue, qu’elle soit germanique, sémitique ou autre, ne dépassent pas 10 % de la population immigrante. Par ailleurs, en 2006, 70 % des femmes immigrantes n’ont ni l’anglais ni le français comme langue maternelle tandis qu’au Québec, en 2013, une personne immigrante sur 5 ne parle pas français.
1.3 Littératie1 À la différence de l’Afrique et de certains pays asiatiques (dont l’Inde, le Pakistan et le Bangladesh), les Amériques, l’Australie, l’Europe et une grande partie de l’Asie ont de bons niveaux de littératie (voir la figure 10.1). En 2014, la population d’analphabètes dans le monde est évaluée à 800 millions d’adultes, soit 16 % de la population mondiale. Plus de la moitié vit en Asie et un peu moins du quart en Afrique subsaharienne. Les femmes constituent les deux tiers de toutes les personnes illettrées, soit 477 millions en 2015. Parmi les facteurs déterminants des compétences en littératie, l’âge, le sexe, le statut d’immigrant et le statut linguistique apparaissent régulièrement, quel que soit le pays à l’étude.
Figure 10.1 - Niveaux de littératie dans le monde 1. La section sur la littératie s’appuie notamment sur des textes de l’Unesco, de Wikipédia, de l’OCDE et de Statistique Canada.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
Il est établi également qu’avec l’âge, il y a généralement une perte de compétences en littératie. Cette perte débute vers l’âge de 25 ans, atteint un sommet à 40 ans, puis va en diminuant à l’âge mûr. De plus : –– la perte est élevée lorsqu’elle est évaluée sous l’angle de la scolarité ; –– les décrocheurs et décrocheuses connaissent moins de perte ; –– la poursuite d’études postsecondaires, l’habitude de la lecture au travail et à la maison et l’occupation d’un emploi stable constituent des pratiques qui ont un effet favorable sur les compétences en littératie et contribuent à réduire l’ampleur de la perte de compétences ; –– les adultes ayant suivi une formation ou des études complémentaires au cours des douze mois précédant une enquête obtiennent des résultats supérieurs à ceux des autres adultes.
1.4 Religion1 En 2010, 84 % des êtres humains s’identifient à un groupe religieux. Ils se répartissent comme suit : –– les chrétiens (32 % de la population mondiale : catholiques, 17,3 % ; protestants, 5,3 % ; orthodoxes, 3,6 % ; anglicans, 1,1 % et autres chrétiens, 6,3 %) ; –– les musulmans (23 % : sunnites, 83 % et chiites, 16 %) ; –– les non affiliés aux groupes religieux les plus importants, 16 % ; –– les hindous, 15 % ; –– les bouddhistes, 7 % ; –– les religions traditionnelles, 6 % ; –– les nouvelles religions et autres croyances, moins de 3 % ; –– les sikhs, 0,4 % ; –– les juifs, 0,2 %. Les chrétiens constituent le groupe le plus dispersé géographiquement, tandis que les autres religions sont plus concentrées. Par ailleurs, près des trois quarts des fidèles vivent dans des pays où leur religion est majoritaire. Passer d’un pays où la religion est majoritaire à un pays où elle est minoritaire crée des situations inattendues à la fois pour les migrants et pour les natifs du pays d’accueil et ce, d’autant plus s’il y a séparation entre la religion et l’État.
1. Les données sur les religions proviennent notamment du Monde des religions et du site critidogme.free.
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Diversité des adultes en formation ■ Chapitre 10
1.5 Handicap1 Le handicap est, selon le Rapport mondial sur le handicap, « un terme générique désignant les déficiences, les limitations d’activité et les restrictions de participation ». Environ 15 % de la population mondiale vit avec un handicap, soit plus d’un milliard de personnes. Leur nombre est en augmentation en raison de la croissance de la population, des avancées médicales, du processus de vieillissement et des conflits armés. Lorsque l’espérance de vie dépasse les 70 ans, une personne passera en moyenne huit ans (11,5 %) de sa vie à vivre avec un handicap. Le taux d’alphabétisme pour les adultes handicapés ne dépasse pas 3 % pour les hommes et 1 % pour les femmes, or 80 % de ces personnes vivent dans les pays en développement. Les femmes handicapées souffrent davantage d’exclusion au motif de leur sexe et de leur handicap, et dans les zones de guerre, trois enfants sont blessés et handicapés à vie pour chaque enfant tué. Les personnes handicapées risquent de plus d’être victimes de viols ou de violences et ont moins de chance d’obtenir une intervention de la police, une protection juridique ou des soins préventifs.
–– –– –– –– ––
La situation de handicap a pour conséquences : de moins bons résultats de santé ; des niveaux d’études plus faibles ; une moindre participation économique ; un taux de pauvreté plus élevé ; une dépendance accrue et une participation restreinte.
En France, « les adultes de 25 à 54 ans sont deux fois plus touchés par le handicap que les jeunes2 ». Selon cette étude, trois millions de personnes disent avoir fait l’objet de discrimination : les adultes sont plus particulièrement victimes de refus de droit et d’injustices, surtout en période de chômage. Parmi les 1 706 200 personnes ayant un problème de santé de plus de six mois ou un handicap, 19 % attribuent leur handicap au travail. Un handicap équivaut à un accès difficile au travail, et ce, encore plus si on est femme, une différence en moyenne de 14 %. Les deux sexes connaissent un taux de chômage élevé, souvent de longue durée. En 2006, 4,4 millions de Canadiens déclarent avoir une limitation d’activités, ce qui correspond à un taux d’incapacité de 14,3 % et, de ce nombre, 95 % sont des adultes de plus de 15 ans. Il est à noter que l’âge est un facteur important, car le handicap affecte 3,7 % des enfants de 0 à 14 ans, 11,5 % des adultes de 15 à 64 ans et 43,4 % des adultes de 65 ans et plus. Les incapacités 1. Les données sur le handicap proviennent de différents travaux : OMS et BM, Nations Unies, chercheurs et chercheuses, et Statistique Canada. 2. Amira, S., et Meron, M. (2005). L’activité professionnelle des personnes handicapées. Paris : METCS, Dares, p. 178.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
associées à la douleur, à la mobilité et à l’agilité sont les plus courantes chez les adultes canadiens. Et dans le cadre de ce chapitre, il est important de souligner que les troubles d’apprentissage et leur fréquence n’augmentent pas avec l’âge. Les troubles de la mémoire, quant à eux, n’affectent que 4,3 % des adultes de 65 ans et plus.
1.6 Migration1 Selon l’Organisation internationale pour la migration (OIM), un migrant s’entend comme étant « toute personne qui, quittant son lieu de résidence habituelle, franchit ou a franchi une frontière internationale ou se déplace ou s’est déplacée à l’intérieur d’un État, quels que soient : 1) le statut juridique de la personne ; 2) le caractère, volontaire ou involontaire, du déplacement ; 3) les causes du déplacement ; ou 4) la durée du séjour ». En 2010, 214 millions de personnes se sont déplacées, soit environ 3 % de la population mondiale. Cette année-là, –– les sept pays qui connaissent le plus d’émigration sont, par ordre décroissant : le Mexique, la Chine, l’Inde, les Philippines, le Pakistan, l’Indonésie et le Bangladesh ; –– les huit destinations les plus fréquentes, toujours par ordre d’importance, sont : les ÉtatsUnis, le Canada, le Royaume-Uni, l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, l’Australie et la France. En 2010 toujours, la population du Canada compte 21,3 % de personnes immigrées ; les ÉtatsUnis, 13,5 % ; la France, 10,7 % et le Royaume-Uni, 10,4 %, et, dans ces pays, la proportion de femmes immigrantes se situe entre 50 % et 53 %. Selon l’Eurostat, la proportion de population étrangère a varié entre 1999 et 2014. En France, cette population est passée de 3 263 000 à 4 157 000 personnes, une augmentation de 0,7 point. En Belgique, l’augmentation est de 2,6 points ; au Royaume-Uni, de 3,9 ; en Italie, de 6,1 ; en Espagne, de 8,4 ; au Luxembourg, de 9,5 et en Bulgarie, de 10,7. Dans ce même intervalle de temps, deux pays connaissent une baisse de sa population étrangère, légère en Allemagne (0,2 %) et marquée en Lettonie (11,4 %). Selon l’OIM, plus de 1 million de migrants et de réfugiés sont arrivés en Europe en 2015 et, dans cette année-là, entre le 9 et le 20 décembre :
1. La section sur la migration s’appuie, entre autres, sur des données issues de l’Organisation Internationale de la Migration, le Courrier International, l’Eurostat, l’Insee, Le Monde, Statistique Canada, le site inegalites.fr et les Cahiers du CEDREF.
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« 45,6 % des migrants ayant traversé la frontière depuis la Grèce vers l’ARYM [Ancienne République yougoslave de Macédoine] étaient des hommes adultes, 21,9 % étaient des femmes adultes, 35 % étaient des enfants accompagnés et 1,5 % était des mineurs non accompagnés. La grande majorité était des Syriens, suivis d’Iraquiens et d’Afghans, car aucune autre nationalité n’était autorisée à traverser. »
La guerre en Syrie a provoqué un exode de sa population, hommes, femmes et enfants : le Canada en a accueilli 25 000 et les États-Unis, 10 000. En 2015, 1 million de personnes ont demandé l’asile en Allemagne dont plus de 428 000 personnes de Syrie, 154 000 d’Afghanistan, près de 122 000 d’Iraq, près de 70 000 d’Albanie et 33 000 du Kosovo. En France, en 2015, 79 100 migrants auraient déposé une requête de protection et 31,5 % en ont bénéficié, soit près de 25 000 personnes. Selon l’OIM, « la migration est et restera, dans le futur proche, une caractéristique dominante du paysage politique, social et économique de l’Europe. Les arrivées en Europe se poursuivront, car les moteurs de la migration forcée ne changent pas ». Déjà à la date du 25 février 2016, plus de 111 000 migrants et réfugiés sont arrivés en Grèce et 9 000 en Italie. Dans ce texte, des données ventilées selon le genre sont mises de l’avant afin de briser l’invisibilité ou l’invisibilisation des femmes, ici immigrées. De fait, « les femmes émigrent à la recherche d’emploi, de plus en plus autonomes, souvent pionnières des chaînes migratoires ou comme cheffes de famille et pas seulement comme “suivantes” ou “rejoignantes” de membres masculins de leur famille – le regroupement familial restant toutefois le mode d’entrée le plus fréquent pour les femmes1 ». Au Canada, une femme sur cinq est née à l’extérieur du pays et, en 2009, les demandeuses principales de la catégorie économique constituaient 19 % de toutes les immigrantes reçues. De fait, dans cette catégorie, 39 % étaient des femmes et 61 %, des hommes. Cette année-là, environ 22 800 personnes de tous les immigrants reçus étaient des réfugiés (soit 9 %) et, parmi les réfugiés, environ 11 300 personnes de tous les réfugiés étaient des femmes (soit 49 %). En France, environ 5,3 millions d’emplois (instituteur, policier, mais aussi architecte ou buraliste), soit un poste de travail sur cinq, ne sont pas accessibles aux immigrés qui n’ont pas la nationalité française ou qui ne sont pas originaires d’un pays de l’Union européenne. Ces personnes sont davantage au chômage, les hommes légèrement plus que les femmes.
1. M. Morokvasic (2008). « Femmes, genre dans l’étude des migrations : un regard rétrospectif », Les Cahiers du CEDREF, 16, 33-56.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
Si les premières vagues de migration sont souvent celles des personnes les mieux nanties, financièrement et intellectuellement, les suivantes ont souvent moins d’atouts économiques ou de scolarité. L’importante migration actuelle a des conséquences sur l’éducation et la formation des adultes. La langue, la littératie, la religion et le handicap, notamment, peuvent créer des obstacles à l’accès à l’information et à la formation, car, comme on vient de le voir, la grande majorité des migrants, hommes et femmes ne parlent pas la langue ni ne sont de la religion du pays d’accueil et naître dans un pays de parents étrangers stigmatise là où le nouveau citoyen, souvent pendant plusieurs générations.
2. Défis pour la formation Si bien des activités de formation s’adressent à des personnes résidant dans un même pays, elles sont de plus en plus nombreuses à s’adresser à des adultes de pays différents : c’est le cas des formations internationales ou dans des multinationales. Dans tous les cas, la diversité des adultes a une incidence sur la formation et ce, d’autant plus que nombre de personnes issues de l’immigration sont à l’interface entre les cultures du pays d’origine et du pays d’accueil, d’où l’importance de l’inclusion en éducation et formation. Le regard porté sur la population mondiale a permis de brosser un portrait des adultes selon l’âge, le sexe, l’espérance de vie, la langue, la littératie, la religion, le handicap alors que les guerres, les changements climatiques, le climat politique et économique de bien des pays provoquent des migrations voulues ou forcées, modifiant par le fait même le portrait des adultes, hommes et femmes, dans les pays d’accueil, notamment en Europe et en Amérique du Nord. Qu’une personne soit native du pays où elle réside, immigrante, réfugiée ou en demande d’asile et, quelle que soit l’activité de formation suivie, le groupe de formation sera inévitablement hétérogène, car la diversité se déploie rarement dans la singularité : une personne peut-être jeune adulte ou âgée, catholique ou musulmane, native du pays ou immigrante, faiblement ou hautement scolarisée, avec un niveau de littératie maintenu, développé ou en baisse. De fait, les caractéristiques s’entrecroisent et l’intersectionnalité rend compte de la complexité dans le monde, chez les personnes et dans leur expérience de vie. Ainsi, même lorsque l’objectif de formation est partagé, la provenance des membres du groupe peut être diverse : dans une activité d’apprentissage de la langue du pays, cet apprentissage peut être le seul point commun entre les participantes et participants. L’expérience de chaque personne dans son pays d’origine et son parcours de vie induisent aussi des valeurs et des modes de fonctionnement différents ainsi 220
Diversité des adultes en formation ■ Chapitre 10
qu’un rapport au savoir, des attentes et des modes d’apprentissage au regard de la formation divers, sinon divergents. À titre d’illustration, une femme professionnelle d’un pays non francophone devient analphabète le temps de l’apprentissage du français. En revanche, une personne non francophone et analphabète aura à acquérir tant la langue qu’une formation de base. Dans les deux cas toutefois, une formation citoyenne s’avère nécessaire, car il convient de connaître les valeurs dominantes du pays d’accueil et son mode de fonctionnement, souvent plus démocratique avec des droits humains contraignants, telle l’interdiction de violenter un enfant au Québec. Les membres d’un groupe en formation peuvent rejeter un savoir jugé non conforme à leur religion, à leurs valeurs ou à leur compréhension du monde. Ces situations ne sont pas liées à la seule présence d’immigrants, car des divergences existent au sein même des habitants d’un même pays tandis que la formation multinationale se construit aussi sur l’hétérogénéité. Il peut ainsi y avoir des rapports au savoir conflictuels, le savoir subjectif lié à l’histoire de vie venant contrecarrer l’acquisition de savoirs porteurs de transformation de l’identité personnelle. Tel que mentionné, ceci n’est pas l’apanage des personnes immigrantes : au regard de l’égalité de genre, par exemple, des personnes natives des pays d’accueil se révèlent tout aussi réticentes. Par ailleurs, il serait erroné de croire que les personnes immigrantes ont toutes un faible niveau de littératie. Ces personnes sont souvent sélectionnées en fonction de leur formation et de leur capacité à être autonome financièrement, comme c’est le cas au Canada. En ce qui concerne la formation, des personnes de différentes cultures et valeurs revendiquent parfois un enseignement magistral plutôt qu’une démarche centrée sur l’apprentissage des adultes. Ces personnes s’inscrivent alors dans le paradigme de l’éducation bancaire, selon la terminologie de Freire. Concordia, une université multi-ethnique de Montréal, a produit un manuel de formation et une vidéo sur l’égalité et l’équité dans l’enseignement pour le personnel enseignant des universités et de l’éducation des adultes. En s’appuyant sur des écrits relatifs à la discrimination fondée sur le genre, la race, la classe socio-économique, le handicap, l’orientation sexuelle, etc., l’analyse effectuée a permis de mettre en évidence les dimensions de la discrimination en formation véhiculées par : les interactions discriminatoires, les stéréotypes, la langue, les comportements non verbaux et paraverbaux (voir la figure 10.2). Soulignons que les formateurs, tant femmes qu’hommes, peuvent discriminer, car toute personne, quels que soient son sexe et le genre adopté, a été socialisée dans une culture donnée porteuse de discriminations.
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Figure 10.1 - Les dimensions de la discrimination en formation
Plus spécifiquement : –– Les interactions discriminatoires consistent à porter davantage attention à certains types de personnes et moins à d’autres : le genre, le handicap, l’âge font partie des identifiants facilement repérables favorisant les personnes que le formateur ou la formatrice regarde, à qui sont posées des questions, dont les commentaires ou les remarques sont retenus pour fins de discussion, etc. –– Les stéréotypes sont des représentations simplifiées, déformées, des idées préconçues, des croyances largement partagées que l’on associe à un groupe de personnes. Toute personne est porteuse des stéréotypes véhiculés par son milieu social. Or ces stéréotypes nuisent à l’apprentissage des adultes, surtout celles et ceux stigmatisés par ceux-ci. –– La langue est elle-même porteuse de discrimination : un professeur, homme ou femme, exclut des adultes en formation et nuit à leur apprentissage en n’utilisant pas un langage inclusif, d’une part, et en tenant pour acquis, d’autre part, que toutes les personnes maîtrisent la langue et comprennent le vocabulaire utilisé. –– Les comportements non verbaux et paraverbaux : le personnel de la formation peut transmettre ses conceptions et préjugés par ses expressions corporelles (lever les yeux au ciel, se détourner de l’adulte, etc.), ou par une intonation de la voix témoignant d’un sentiment (étonnement, ennui, colère, etc.). –– Le curriculum, quant à lui, réfère au contenu de la formation et en l’absence de savoirs reflétant la diversité des apprenantes et des apprenants : par exemple, ne pas parler d’auteurs, hommes ou femmes, d’origines diverses ; ne pas intégrer des théories ou des idées véhiculées dans d’autres langues ou d’autres cultures.
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3. Pratiques inclusives : pédagogie de l’équité L’éducation et la formation inclusives s’inscrivent dans une vision globale dans laquelle l’éducation et la formation sont équitables et universellement accessibles à tous et toutes, enfants, jeunes et adultes, de sexe féminin ou masculin, sans discrimination par rapport à la race, à l’âge, à la religion, à la langue, à la présence de limitations, à l’appartenance culturelle et ethnique. Cette vision est porteuse pour la formation tout au long de la vie. Le cadre juridique de l’inclusion peut s’appuyer sur de nombreuses conventions internationales entérinées depuis la Déclaration universelle des droits de l’homme (l’homme n’est pas une femme ! Et le mouvement des femmes n’a pas réussi à faire entériner le changement pour les droits de la personne) de 1948 dont celles contre la discrimination dans l’enseignement (1960), la discrimination raciale (1965) ou à l’égard des femmes (1979), ou encore celles concernant les peuples indigènes et tribaux (1989), les droits des migrants (1990), la diversité culturelle (2005), les droits des personnes handicapées (2006) et des droits autochtones (2007). Le concept d’« approche inclusive » réfère à une approche systémique, fondée sur l’équité, la diversité et la justice sociale. Cette approche vise toutes les personnes afin qu’elles participent et contribuent à l’instauration de l’équité au sein des institutions, l’équité s’entendant comme un moyen pour atteindre l’égalité. L’inclusion en éducation des adultes doit aussi être assurée par son accès et, dans cette perspective, il convient de lever les obstacles à la formation, soit : –– les obstacles dispositionnels qui concernent tout ce qui relève des réalités psychologiques des adultes ainsi que de leurs croyances et de leurs valeurs à l’égard de l’apprentissage ; –– les obstacles situationnels qui désignent les facteurs, liés aux situations de vie des individus, bloquant la participation ; –– les obstacles institutionnels qui réfèrent aux politiques, aux règles et aux modalités des activités de formation selon les organisations et les institutions qui les offrent ; –– les obstacles informationnels qui ont trait à l’absence d’information concernant l’existence de services et d’activités de formation ; tout en tenant compte des obstacles rencontrés par les organisations elles-mêmes1. Le travail que nous avons mené à l’égard de l’inclusion en formation propose un cadre théorique pour soutenir les actions permettant de relever les défis de la diversité (voir figure 10.3).
1. C. Solar, D. Baril, J.-F. Roussel et N. Lauzon (2016). « Les obstacles à la formation en entreprise », Savoirs, n˚ 41, http://savoirs.u-paris10.fr.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
Ce cadre présente quatre axes sur lesquels la pratique d’intervention utilisée peut se positionner indiquant ainsi son degré d’équité ou d’inéquité.
Figure 10.2 - Les axes de la Toile de l’équité (Solar, 1998)
Les pratiques inclusives ont pour but de développer le pouvoir d’agir, favoriser la participation active, donner la parole et développer la mémoire de chaque personne apprenante. L’ordre des axes est organisé de façon à faciliter sa mémorisation en utilisant l’acronyme IPSO relatif aux quatre clés de l’inéquité. Ces axes seront toutefois traités du point de vue de l’équité et selon un ordre qui en facilite la compréhension : la parole, la mémoire, la participation active et le pouvoir d’agir.
3.1 Parole La parole est un thème récurrent dans les écrits traitant de personnes minorisées ou exclues qui souhaitent être entendues et comprises de façon à ne plus être invisibles. Pour certains immigrants, hommes, femmes et enfants, avoir la parole requiert l’apprentissage de la langue du pays. Une fois acquise, tout comme les personnes nées au pays, il est important qu’elles s’y reconnaissent, qu’elles la comprennent, qu’elles puissent s’exprimer. Utiliser une langue inclusive est porteur d’une communication sensible au genre et à la diversité, car la langue au masculin rend les femmes invisibles tout comme un langage eurocentré 224
Diversité des adultes en formation ■ Chapitre 10
exclut les non-Européens. D’où la pertinence de créer des situations d’apprentissage qui favorisent la prise de parole, de préférence en petit groupe, car au-delà de six ou huit personnes, les plus timides et plus marginalisées se taisent. La formatrice ou le formateur se doit aussi de bannir tout humour discriminatoire et d’en expliquer tant la structure que l’effet, tout comme il convient de réguler le temps de parole, certaines personnes monopolisant ce temps. Cette pratique relève notamment le défi des stéréotypes et répond aux critères d’une communication sensible au genre et à la diversité, soit la visibilité, la parité et le rejet des stéréotypes. La parole rejoint la dimension de la langue et des stéréotypes comme défis pour la formation et, à l’opposé, elle peut concourir aux interactions discriminatoires et, par la tonalité, marquer la discrimination du sceau paraverbal. La parole sert aussi à communiquer des informations, des pensées, des idées, des théories. Il convient alors de donner la parole à des écrits émanant de groupes minorisés, touchant ainsi au curriculum. Les écrits de personnes d’origine, de genre, de culture, de limitation, de spiritualité diverses peuvent nourrir l’apprentissage des adultes en ouvrant sur la diversité et en mettant possiblement en lumière des valeurs diversifiées, mais favorisant le « vivre ensemble ».
3.2 Mémoire En ouvrant la parole à la diversité, le langage révèle l’omission de groupes sociaux et cette ouverture permet de créer une mémoire. Créer une mémoire signifie développer des connaissances sur les membres de ces groupes en parlant de ces personnes, en écoutant ce qu’elles ont à dire, en lisant leur histoire, leurs auteurs, en découvrant leur culture, leur religion, leurs valeurs. Cette mémoire rompt avec les stéréotypes d’un savoir « occidentalocentré » et ouvre sur les savoirs de la diversité, relevant ainsi le défi du curriculum. Construire une connaissance collective et commune de cette diversité contribue à la promotion d’une justice sociale et permet de critiquer les a priori et les idéologies hégémoniques. Plusieurs auteurs prônent un co-apprentissage avec les adultes en formation, car ces adultes ont des savoirs à communiquer au personnel enseignant et aux autres adultes et le travail en groupe permet de générer de nouveaux savoirs.
3.3 Participation active Libérer la parole des adultes en formation s’appuie sur des situations d’apprentissage qui favorisent une participation active, car les pratiques éducatives, notamment en contexte de 225
Traité des sciences et des techniques de la formation
discrimination et de subordination, acculent souvent à la passivité. Les formateurs et formatrices peuvent créer un environnement éducatif propice à l’implication personnelle dans l’apprentissage en utilisant des stratégies d’animation de groupe et en proposant des activités nécessitant un véritable travail de collaboration. Ces stratégies permettent aux adultes de s’approprier les objectifs d’apprentissage et favorisent les échanges sur les différences tout en prenant en considération la non-maîtrise de la langue.
3.4 Pouvoir d’agir Le pouvoir d’agir est une traduction du terme anglais empowerment et vise à briser le sentiment d’impuissance qui découle entre autres : –– d’un manque de maîtrise de la langue ; –– d’un faible niveau de littératie ne permettant pas de bénéficier d’un apprentissage tout au long de la vie ; –– de situations de discrimination et de sujétion. Le sentiment d’impuissance est également induit par un manque de connaissances civiques, politiques, économiques et culturelles causant une méconnaissance de la citoyenneté et de la démocratie. Le pouvoir d’agir se construit à travers les trois autres axes de la toile de l’équité. En donnant la parole, en créant une mémoire, en sollicitant une participation active, la ou le formateur contribue au transfert d’outils intellectuels et de stratégies d’action qui consolident le pouvoir d’agir. Certaines pratiques en formation concourent à construire ce pouvoir d’agir en évitant les stéréotypes ; en nommant les différences et en les expliquant ; en donnant à tous les adultes le temps et les moyens d’apprendre ; en guidant les adultes dans la résolution des problèmes rencontrés ; en exigeant un travail de qualité de tous et toutes ; en partageant le pouvoir.
4. Pour conclure De nos jours, le groupe d’adultes en formation est résolument hétérogène en raison de la diversité de chacun de ses membres, immigrés ou non. Le regard porté sur la population mondiale révèle cette diversité et identifie certaines des caractéristiques qui procurent à chaque personne son identité : l’âge, le sexe, le niveau de littératie, la langue, la religion, le handicap, etc.
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Diversité des adultes en formation ■ Chapitre 10
Figure 10.4 - Marqueurs de l’identité (Solar, 1997)
Chaque adulte navigue ainsi sur sa carte identitaire, telle qu’illustrée dans la figure 10.4. Cette carte dévoile une identité qui se déplace sur un espace et qui peut varier en fonction des situations rencontrées. Ainsi, dans un groupe où toutes les personnes ont le même âge, ou la même religion, cette caractéristique n’aura pas le poids de la différence et accentuera possiblement le comportement collectif en raison de l’unité apparente des membres. L’opposé, en revanche, créera des tensions et activera cette caractéristique qui prend alors de l’importance. Il appartient au formateur ou à la formatrice d’activer certaines de ces caractéristiques dans une perspective d’inclusion afin de créer des liens entre les personnes, favorisant ainsi l’apprentissage de chacune d’elles, tout en construisant des savoirs partagés qui étayent le « vivre ensemble ».
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Traité des sciences et des techniques de la formation
Lectures conseillées E isen M.-J. et T isdell E. J. (dir.) (2000). Team Teaching and Learning in Adult Education, San Francisco, Jossey-Bass.
Solar C. (dir.) (1992). En toute égalité/Inequity in the Classroom, Montréal, Université Concordia. Bureau du statut des femmes.
Lafortune L. et Gaudet É. (2000). Une pédagogie interculturelle : pour une éducation à la citoyenneté, Saint-Laurent, Québec, ERPI.
Solar C. (1997). Boundary Games : Women and Adult Education, communication présentée à la 27e International SCUTREA conference on adult and continuing education. Crossing borders, breaking boundaries : Research in the education of adults, Londres. Repéré sur http://www.leeds.ac.uk/educol/documents/000000284.htm.
McAndrew M., Potvin M. et Borri-Anadon C. (dir.). (2013). Le Développement d’institutions inclusives en contexte de diversité : recherche, formation, partenariat, Québec, Presses de l’Université du Québec. OCDE et Statistique Canada (2011). La littératie, un atout pour la vie : Nouveaux résultats de l’Enquête sur la littératie et les compétences des adultes, Ottawa, Statistique Canada, OCDE. OCDE (2013). Perspectives de l’OCDE sur les compétences 2013 : premiers résultats de l’évaluation des compétences des adultes, Paris, Éditions OCDE, http://dx.doi. org/10.1787/9789264204096-fr.
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Solar C. (1998). « Peindre la pédagogie sur une toile d’équité », in C. Solar (dir.), Pédagogie et équité (p. 25-66), Montréal, Logiques. Unesco-Organisation des Nations Unies pour l’Éducation la Science et la Culture (2009). Principes directeurs pour l’inclusion dans l’éducation, Paris, Unesco. Verma G. K., Bagley C. et Jha M. M. (dir.) (2007). International Perspectives on Educational Diversity and Inclusion : Studies from America, Europe and India. Londres-New York, Routledge.
Partie 2 Le sujet adulte et la formation : de l’expérience à l’apprenance
Introduction Les contributions qui forment cette seconde partie du Traité s’organisent autour de trois notions clés, emblématiques du rapport de l’adulte à la formation : expérience, compétence et apprentissage. L’adulte, déjà doté d’un bagage d’expérience et supposé coresponsable du développement de ses compétences, entretient avec l’apprentissage des rapports guidés à la fois par la dynamique et les contextes de sa vie actuelle, ses représentations de l’avenir, et les traces, conscientes ou non, de sa biographie sociale et éducative. Celle-ci est avant tout chargée de l’histoire des rapports qu’ont entretenus avec l’école et l’acte d’apprendre l’enfant, puis l’adolescent qu’il a été. Toutefois, le rapport de l’adulte à la formation ne peut être confiné à une simple extension du rapport de l’enfant à l’école et au savoir.
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L’âge adulte, préoccupation récente, a d’abord été identifié comme la norme, la finalité, l’objectif du développement, avant d’être appréhendé comme l’époque de l’inachèvement, puis celui des crises, des transitions, des interrogations. Comme l’écrit J.-P. Boutinet dans le chapitre intitulé la vie adulte au regard de la formation, cet âge autrefois vu comme le mètre étalon des autres, mais aujourd’hui « pris entre jeunesse interminable et vieillissement précoce », semble en proie à un doute existentiel progressif à mesure de l’effritement des anciens cadres de référence régulateurs de l’activité. Dans cette nouvelle donne, l’expérience fait figure de zone d’ancrage identitaire ; c’est sans doute pourquoi, après avoir été installé dans la problématique de cette partie du Traité dès le premier chapitre, ce thème traverse la majorité des contributions. Cette notion est ainsi mise en valeur par E. Loarer et C. Delgoulet au titre du rôle essentiel qu’elle joue dans le rapport entre vieillissement, apprentissage et formation. Ce redéploiement de l’expérience donne à l’apprentissage de nouvelles dimensions, peut-être fondatrices d’une formation enfin devenue réellement « adulte ». La notion de compétence figure désormais à l’avant-scène des représentations collectives sur la formation. Ce dernier terme est même, aux yeux de certains, en passe d’être supplanté par celui, plus moderne, de « développement des compétences », voire de professionnalisation. De quelque côté que l’on observe l’échiquier idéologique et pédagogique de la formation, l’idée de compétence domine les esprits, polarise les débats et, parfois, entretient le trouble par sa complexité, propice à toutes les ambiguïtés. Dans une synthèse de la question, S. Enlart nous livre les clés du débat autour de cette notion polémique, à travers un point « didactique » des nombreuses approches de la question, suivi de la mise à jour des « questions vives » qui se posent autour des termes de compétences transverses, de savoir-être et de développement des compétences. L’idée, aujourd’hui généralement admise en formation d’adultes, selon laquelle c’est « le sujet social apprenant » qui construit ses compétences dans des situations plus ou moins facilitantes, 231
Traité des sciences et des techniques de la formation
nous convie à une forme de retour aux thèmes fondamentaux de l’apprentissage : mémoire, motivation, interactions sociales. M. Déro et F. Fenouillet nous livrent ici un exposé synthétique des études contemporaines sur les différentes facettes de la mémoire modulaire, largement inspiré de l’œuvre de leur mentor, notre regretté collègue et co-auteur A. Lieury. Ils nous rappellent la proximité des notions d’apprentissage et de mémorisation et ouvrent les horizons de l’application en situation pédagogique des pistes nouvelles, parfois iconoclastes, pour mieux apprendre. Dans le même esprit et par le biais d’une mise à jour des paradigmes classiques et récents de la motivation et du rapport à la formation, P. Carré et F. Fenouillet confirment qu’on « ne motive jamais directement autrui » et développent le rôle des différents paramètres « dynamiques » de l’engagement éducatif des adultes, à partir d’un modèle intégratif des multiples théories de ce domaine en plein essor. C. Buchs et E. Bourgeois passent ensuite en revue les interactions multiples entre conflit sociocognitif et apprentissage et leurs implications sur la régulation épistémique dans les situations de formation avant de conclure sur le renouvellement du rôle du formateur et la place grandissante des apprentissages en situation de travail. Dans le chapitre suivant, deux pionniers des histoires de vie en formation, G. Pineau et P. Dominicé, nous offrent une synthèse dense et largement documentée des apports du courant biographique, aujourd’hui largement intégré aux paradigmes dominants de la recherche et des pratiques de la formation des adultes. « Entre illusion et injonction biographique » on peut voir avec l’essor de la pratique et de la recherche en histoire de vie la percée progressive d’« une contre-école qui fait passer l’examen d’abord et donne les leçons ensuite », aussi liée et contrastée avec la formation formelle que la nuit l’est au jour. La liaison est limpide avec l’idée d’autoformation. P. Cyrot nous livre donc ensuite une vision panoramique des différents éclairages possibles de cette notion polysémique et (par là même) fédératrice et heuristique. Il souligne la dimension collective, trop souvent passée sous silence, des pratiques d’autoformation d’hier et d’aujourd’hui. La dimension relationnelle et sociale est essentielle à l’heure où le souci de l’individualisation peut mener à confondre l’indispensable promotion de l’autoformation des adultes avec l’injonction à des formes de « soloformation » peu propices au développement des compétences… sociales en particulier ! Pour conclure cette partie du Traité consacrée au sujet adulte, P. Carré et A. Rieunier suggèrent une refondation de la psychopédagogie des adultes, à travers le rappel des théories majeures de l’apprentissage et de leurs implications pour la pratique. Cette seconde partie se clôt avec l’esquisse d’une quinzaine de principes d’action, (re) construits aux interfaces entre psychologie de l’apprentissage et pédagogie des adultes et susceptibles de favoriser les apprentissages du sujet adulte et donc l’efficience des pratiques visant leur facilitation. L’un des mérites de l’approche psychopédagogique est de travailler le lien entre processus d’apprentissage et modalités de conduite de la formation : la transition est donc ici assurée avec la troisième partie du Traité ! 232
Le sujet adulte et la formation : de l’expérience à l’apprenance ■ Partie 2
Dans l’optique de cet ouvrage, la fonction de production de compétences assignée à la formation des adultes peut s’accomplir à la fois à travers les leçons de l’expérience directe, intentionnelle ou incidente, les efforts d’apprentissage autodirigés, plus ou moins médiatisés, et les effets indirects des stratégies d’intervention pédagogique. La reconnaissance du sujet social adulte comme acteur principal du processus de formation transparaît avec l’essor du terme d’« apprenant », qui vient graduellement supplanter ceux d’« élève adulte », de « stagiaire », d’« auditeur », de « formé ». Bien qu’il ne garantisse en rien la dynamique cognitive réelle du processus d’apprentissage, ce succès a le mérite de souligner la priorité de l’acte d’apprendre (learning) sur l’intervention éducative (teaching/training), celle-ci étant au service de celui-là. Il s’agit peut-être alors, face à l’urgence des besoins de compétence tant dans la vie professionnelle que culturelle, citoyenne ou privée, d’étendre ce raisonnement à la notion d’apprenance, comme attitude favorable à l’engagement dans la formation « tout au long de la vie », cette posture proactive, autoformatrice, réflexive à laquelle nous invite l’entrée dans une société « cognitive ».
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Chapitre 11 La vie adulte au regard de la formation1
1. Par Jean-Pierre Boutinet.
Sommaire Introduction............................................................................................................... 231 1. L’émergence de préoccupations autour de la vie adulte........................................ 237 2. Métamorphoses historiques des représentations de la vie adulte......................... 239 3. La vie adulte comme production d’une histoire personnelle.................................. 241 4. Étapes, crises, transitions au cours de la vie adulte, à quel prix ?......................... 243 5. Temporalités significatives au sein de la vie adulte............................................... 245 6. Les défis de la vie adulte dans une société postindustrielle.................................. 248 Lectures conseillées.................................................................................................. 251
La question de la vie adulte se trouve posée au grand jour depuis l’institutionnalisation de la formation permanente en France dans les années 1970. C’est sans doute historiquement la première fois qu’on en vient à s’interroger explicitement sur le devenir de la vie adulte, par l’intermédiaire de la formation. Jusqu’alors la situation adulte n’était abordée que de façon anecdotique ou sectorielle par la famille, le travail, la santé ou de façon comparative au regard de la situation faite à l’enfant. Mais cet intérêt porté aux questions adultes demeure encore fort discret dans les années 1995-2000. Ainsi ce grand régulateur de nos savoirs que constitue actuellement l’Encyclopædia universalis constamment remis à jour reste laconique sur les adultes en n’envisageant la vie adulte que sous une seule entrée, l’éducation des adultes comme si la compréhension de ces derniers pouvait se réduire à leur seule éducation. En revanche dans la même encyclopédie, l’enfance, l’adolescence, la jeunesse et la vieillesse sont des âges de la vie bien mieux traités à travers différentes entrées. Il nous faut donc reconnaître le déficit de réflexion encore actuel concernant la vie adulte.
1. L’émergence de préoccupations autour de la vie adulte C’est surtout par l’actualisation de la formation permanente au cours de ces trente dernières années que les préoccupations autour de la vie adulte vont effectuer une progressive montée en puissance. Contrairement à ce qui s’était passé en Allemagne, en Angleterre et en Amérique du Nord, tous pays qui depuis déjà plusieurs décennies ont apporté des contributions très éclairantes et variées sur une psychosociologie de la vie adulte, la littérature scientifique française s’est très peu souciée d’une réflexion sur ce laps de temps qui sépare l’adolescence de la vieillesse.
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1.1 La vie adulte entre logique éducative et logique formative Lorsque la formation permanente acquiert sa pleine légitimité en l971, ce n’est que par accroc qu’on la qualifie d’adulte. En effet plutôt que de situer cette formation par rapport à ses principaux destinataires, les adultes, on a préféré dès le départ la définir à partir des formes de temporalités qu’elle était censée véhiculer. On voulait sans doute de ce fait signifier ce changement de coordonnées temporelles dans lequel notre culture entrait à ce moment-là ; c’est ainsi que dans ces années 1970, on a préféré recourir aux expressions formation permanente, voire continue de préférence à formation pour adultes, par souci d’opposition à la formation initiale. L’utilisation de telles expressions entendait néanmoins poser une question centrale sur la ou les logiques d’apprentissage en cause : les adultes apprennent-ils de façon similaire ou différente par rapport aux enfants ? Si ces adultes sont assimilables dans leurs modes d’apprentissage aux 237
Traité des sciences et des techniques de la formation
enfants, alors à l’instar de B. Schwartz, on parlera d’éducation permanente dans le sens d’une éducation tout au long de la vie et on délaissera le concept de formation ; si en revanche on reconnaît une différenciation plus ou moins radicale dans les modes d’apprentissage en fonction des âges, on gardera alors l’expression formation permanente spécifique de la vie adulte apprenante que l’on opposera à la formation initiale enfantine. Mais au-delà de ces débats méthodologiques sur l’acte d’apprendre, sur sa nature en fonction d’une mobilisation ou pas de l’expérience constituée, on s’est finalement peu préoccupé de ces destinataires très singuliers que sont les adultes. Il a fallu cette progressive déstabilisation de la vie adulte engendrée par la mutation culturelle à laquelle nous assistons depuis quatre décennies déjà et l’avènement de ce que, faute de mieux, on peut appeler la culture postmoderne, pour que s’engage une réflexion de fond sur cet âge vécu désormais comme fragilisé. La courte histoire de la formation permanente instituée nous montrerait d’ailleurs comment l’institution formation permanente a d’un certain point de vue largement contribué pour des raisons qu’il nous faudra inventorier à cette montée des fragilisations liées à la vie adulte.
1.2 L’âge de toutes les incertitudes Près d’un demi-siècle après l’institutionnalisation de l’éducation/formation pour adulte, que pouvons-nous dire de cette tranche d’existence aux délimitations mal définies ? Même si les productions qui lui sont liées, spécialement dans notre contexte francophone, restent encore trop peu nombreuses, nous pouvons néanmoins reconnaître qu’aujourd’hui l’expression vie adulte est une notion qui s’est singulièrement enrichie par rapport à ce qu’elle évoquait encore dans les années 1970. En effet à la réflexion, une telle notion, une fois mises de côté les évidences qui la fondent et la norme qu’elle est censée incarner, s’avère être d’une grande fécondité de compréhension. Pour justifier cette fécondité, nous aborderons la vie adulte à travers une pluralité d’entrées. Ces entrées par les éclairages complémentaires jetés et les problèmes posés ne sauraient laisser les pratiques de formation indifférentes aux stagiaires concrets auxquels elles s’adressent ; ces stagiaires ont quitté les rives de l’enfance, de l’adolescence et de la jeunesse balisées par quelques certitudes ; ils ont abordé à travers leurs itinéraires adultes des contrées incertaines, le cas échéant inhospitalières et n’ont désormais d’autre encadrement à la disposition de leur autonomie que telle ou telle forme d’insertion, voire sont laissés à eux-mêmes sans insertion bien identifiable. Dans tous les cas, ils doivent se bricoler pour le meilleur ou pour le pire une expérience qu’il leur faut élucider pour tenter sans cesse d’avoir à la réorienter. C’est dans un tel contexte que nous passerons donc successivement en revue les questions qui nous semblent les plus saillantes vis-à‑vis de la situation de l’adulte aujourd’hui.
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La vie adulte au regard de la formation ■ Chapitre 11
1.3 De la notion au concept buissonnier : rareté et abondance lexicales Concernant la vie adulte, que dire d’une notion encore désuète voici peu dans la mesure où elle évoquait spontanément la maturité, la norme, la référence, le modèle, en un mot l’âge de l’évidence, c’est-à‑dire l’une ou l’autre forme d’ennui ? Chaque fois que nous parlons d’adulte, nous sommes en présence d’un terme qui nous est certes doublement familier, renvoyant d’une part à une expérience qu’il nous est donné de vivre nous-mêmes, d’autre part à un spectacle, celui de tous ces adultes qui évoluent autour de nous. « Adulte », ce terme banal, a dans notre langue le statut de qualificatif mais assez souvent est complaisamment utilisé comme substantif ; originellement il ne dénomme donc pas un objet mais désigne un état, le fait d’avoir terminé sa croissance. Ceci permet de comprendre la raison pour laquelle il fait partie du vocabulaire des biologistes qui en recourant à lui veulent caractériser tout organisme, végétal, animal ou humain ayant terminé sa croissance ; « adulte » s’oppose alors à « infantile », comme à « jeune » ou « adolescent », ce dernier terme signifiant justement qui est en croissance (Boutinet, 2013). Ce n’est que récemment, courant xxe siècle, que le terme « adulte » a été substantivé pour caractériser l’âge de la maturité et combler un vide sémantique inquiétant, les autres âges ayant déjà leur propre dénomination : le nourrisson, l’enfance, l’adolescence, la jeunesse, la vieillesse. Seule l’étape médiane, la plus longue de l’existence, celle qui sépare la jeunesse de la vieillesse n’avait pas encore de substantif correspondant pour la désigner. L’âge adulte est devenu subitement en quelques années avec le xxe siècle finissant problématique et donc d’actualité, suscitant une création linguistique assez exceptionnelle à travers les néologismes d’andragogie, de maturescence, d’adultescence, d’adultité, d’adultat, de carriérologie sans parler d’anthropolescence et de maturité vocationnelle. À travers une telle richesse lexicale subite, nous sommes vraiment en présence d’une préoccupation très contemporaine, sans doute signe d’une effective mutation sociale et culturelle du statut de l’adulte confronté à plusieurs défis, ceux de l’insertion, de la mobilité, de l’absence ou au contraire de la pléthore de repères, à un allongement de l’existence, à une remise en cause identitaire.
2. Métamorphoses historiques des représentations de la vie adulte Prenons donc acte que la notion d’adulte a connu bien des vicissitudes et des fluctuations ; peu employée jusqu’à la fin du siècle dernier, on lui préférait des locutions plus expressives comme l’âge mûr, l’âge viril, exprimant par là le caractère profondément machiste de la société adulte 239
Traité des sciences et des techniques de la formation
de l’époque. Tout au long du xixe siècle, le terme « adulte » sera réservé de fait à la période de la post-adolescence, celle qui correspondait à la fin de la croissance. Par la suite, idéal puritain et idéal républicain malgré leurs apparentes oppositions vont montrer de secrètes convergences jusqu’à la fin des années 1950 pour concevoir l’adulte alors identifié à l’âge de la majorité, plus spécialement celui de l’homme, comme la norme de référence ; c’est l’aune à partir de laquelle l’autre genre et les autres âges de la vie seront appréciés. Or, au début des années 1960, le sociologue G. Lapassade nous invite à déconstruire cet âge-étalon en nous interrogeant sur la norme adulte. Face aux différents changements sociotechniques qui ne cessent d’assaillir l’adulte de ces années-là, un nouveau modèle tend à s’imposer, centré non plus sur une pensée de la finitude et de la complétude, celle incarnée par l’adulte-étalon mais sur une pensée de l’inachèvement et de l’autonomie concrétisée par l’adulte en perspective. À une logique unitaire, G. Lapassade entend substituer une logique plurielle qui préfigure une nouvelle période, celle de la postmodernité faite de la fin des évidences et de la montée des interrogations autour des adultes. Désormais l’adulte se définit sur un mode dynamique à travers ses propres réalisations telles que les psychologues américains avec O. Crites les consigneront dans le Vocational Development. Cette perspective foncièrement optimiste du développement adulte va marquer l’apogée de notre société industrielle de production avec l’avènement dans les années 1970 d’un nouveau modèle culturel, celui du fossé des générations cher à l’ethnologue M. Mead : dans une société moderne qui connaît ses premiers signes de dérégulation, les filles et les fils préfiguratifs et anticipateurs s’opposent aux mères et aux pères cofiguratifs qui eux-mêmes bousculés entre deux générations se heurtent à leurs propres mères et pères postfiguratifs ; ce double fossé des générations s’exprimera à travers maintes turpitudes familiales et scolaires de l’époque. Les années 1980 voient s’effacer une telle opposition entre jeunes réformistes et visionnaires d’un côté, adultes soucieux de s’adapter aux nouvelles exigences du temps présent d’un autre, anciens gardiens de la tradition d’un troisième côté ; cet effacement interviendra avec l’avènement de la culture postmoderne qui marque le passage d’une société centrée sur les processus de production à une autre société soucieuse de valoriser les échanges communicationnels ; cette nouvelle société à travers ses multiples informations, ses codes, ses réseaux tend à engendrer une incertitude radicale chez l’adulte sur son devenir, un brouillage dans ses repères identitaires ; pris dans un tourbillon de changements, sans solution bien identifiable, l’adulte semble laissé seul face à lui-même, devant affronter conflits, crises, transitions. L’adulte à problèmes va donc s’imposer de plus en plus en lieu et place de l’adulte en perspective. Récemment, avec le tournant du siècle et du millénaire, on a vu poindre dans l’imaginaire ambiant un nouveau modèle de vie adulte, l’adulte pluriel (Lahire, 1998) confronté dans une société de la complexité à une pluriactivité de tâches et d’engagements ; cet adulte est de plus 240
La vie adulte au regard de la formation ■ Chapitre 11
en plus souvent amené à devoir développer des stratégies de conciliation par exemple de ses activités familiales et domestiques avec ses activités professionnelles. Les deux dispositifs français périphériques à la formation continue et mis en place depuis une génération du bilan de compétences et de la validation des acquis de l’expérience sont tout à fait caractéristiques de ce modèle émergent. Ainsi en moins d’un demi-siècle nous sommes passés successivement par quatre représentations dominantes de la vie adulte ; des années 1950 aux années 1965, l’adulte-étalon associé à l’une ou l’autre forme de maturité bien identifiée a dominé ; de ces années 1965 jusqu’aux années 1980 s’est progressivement constitué un nouveau modèle de vie adulte, celui de l’adulte en perspective centré sur sa propre maturation et ses potentialités ; à partir des années 1980 se développe sous nos yeux une sorte d’anti-modèle, l’adulte à problèmes caractérisé par un sentiment d’immaturité dû à une plus grande vulnérabilité ; c’est de cet anti-modèle que semble émerger aujourd’hui l’adulte pluriel, comme défi à cette vulnérabilité.
3. La vie adulte comme production d’une histoire personnelle L’une des dimensions constitutives de la vie adulte qui suscite aujourd’hui de nombreux travaux est celle de l’histoire personnelle. Cette dernière dans sa dynamique a remplacé le concept plus statique de personnalité propre à l’ère de l’adulte-étalon. Au-delà du développement plus ou moins chaotique d’un itinéraire de vie adulte, au-delà des transitions vécues de façon plus ou moins désordonnée, cette histoire personnelle à explorer fournit une logique à décrypter pour rendre compte de l’ordonnancement des différentes séquences biographiques. Elle exprime une signification forte ramassant à travers les deux mots qui la nomment, un substantif et un qualificatif, histoire personnelle, ce qui fait simultanément l’universalité et la singularité d’une expérience adulte.
3.1 Être adulte, une histoire L’expérience au travers de l’itinéraire qui l’organise évoquera toujours un échantillon représentatif, si modeste soit-il, de la condition humaine dans l’extrême diversité de ses manifestations. Il s’agit en effet d’une histoire qui se donne dans sa temporalité simultanément comme mémoire et anticipation intégrant sur un mode dynamique mais à sa façon une pluralité d’expériences vécues, ces dernières ne prenant de sens que par rapport aux expériences à vivre. Au travers de ses soubresauts, cette histoire est sous-tendue par un fil conducteur ou un faisceau de fils qui lui confère une certaine cohérence. Celle-ci se concrétise dans une certaine façon d’être-au-monde, de lire les 241
Traité des sciences et des techniques de la formation
événements et d’y réagir, de chercher à s’émanciper de la situation momentanée ou au contraire de sombrer dans telle ou telle forme d’assujettissement. Cette histoire lacunaire, comme toute histoire, partiellement verbalisée, donc en cours d’explicitation par l’adulte lui-même interroge et s’interroge sur ce qui s’est passé pour mieux le comprendre et tenter de maîtriser autrement une forme de devenir. Une telle histoire est marquée par sa plus ou moins grande ouverture sur de nouveaux possibles. Elle n’est jamais terminée mais profondément inachevée tout en se sachant limitée, doublement limitée, par les contraintes actuelles et par une fin inéluctable en partie déniée.
3.2 Une histoire porteuse de singularité Parler d’histoire personnelle, c’est par ailleurs reconnaître une certaine idiosyncrasie dans la façon par laquelle les événements vécus se sont tramés et ont été intériorisés : il faudrait à ce sujet évoquer avec L. Binswanger, au-delà de la trame événementielle, l’histoire intérieure de la vie comme constitutive d’une singularité destinée toujours à nous échapper. Les journaux intimes, les récits autobiographiques rédigés sous forme de mémoires, les pratiques actuelles en plein essor autour des récits de vie ou histoires de vie sont des témoins de l’affirmation d’une singularité qui par des mots essaie de se dire. L’histoire développée tout au long du récit et les méandres par lesquels cette histoire se laisse saisir, manifestent en effet une singularité certaine, celle qui se déploie dans un espace et un temps eux-mêmes singuliers. De telles singularités expriment l’individuation croissante de toute histoire personnelle en même temps qu’elles composent paradoxalement avec des marques particulières de socialisation elles-mêmes de plus en plus déterminantes lors des avancées en âge.
3.3 Une histoire qui se laisse saisir par des paradigmes bien typés Il est donc difficile de caractériser chaque histoire de vie adulte ; nous nous garderons de réduire cette histoire, comme ce fut le cas avec les études sur les structures de personnalité, à quelques types émergents liés à des dispositions originelles ou à des contraintes environnementales ; le déterminisme en ce domaine est trop simplificateur. On pourra simplement rapprocher les parcours observés pour tenter avec plus ou moins de bonheur de les classer ; on distinguera alors une trame séquentielle faite de régularités bien identifiables, une trame exprimant une grande diversification dans les choix effectués par rapport à une trame de déclin et de repli quasi irréversible ; on isolera des trames statiques caractérisées par un processus de stabilisation durable en contraste avec des trames faites d’expansion conquérante en direction d’espaces sociaux de plus en plus larges à maîtriser, des trames éclatées en plusieurs centres d’intérêt par rapport à des trames en zigzag faites de continuelles transitions… 242
La vie adulte au regard de la formation ■ Chapitre 11
4. Étapes, crises, transitions au cours de la vie adulte, à quel prix ? Parler de trame, c’est évoquer un fil conducteur autour duquel oscillent des éléments flottants au sein d’un environnement de mobilité dans lequel les individus sont désormais immergés. Mais dans leurs parcours de vie, les adultes entretiennent une relation ambivalente avec la mobilité ; ils ont appris ces dernières années à se soucier moins d’une place à conquérir et à préserver, ce qui fut pendant longtemps leur principale préoccupation, que désormais d’un itinéraire à construire : ceci implique une mobilité qu’il leur faut aménager mais qu’ils redoutent autant qu’ils la souhaitent.
4.1 Questions autour de la mobilité D’un certain côté les environnements techniques marqués par l’innovation et l’obsolescence avec leurs aspects coercitifs associés à la triple tutelle des coûts, des délais et de la qualité poussent les adultes au changement et au renouvellement continuel ; car les choix à l’ère postmoderne ne peuvent plus s’installer dans une permanence dans le temps ; ils deviennent constamment révisables et réactualisables. D’un autre côté, dans les contextes de crise larvée caractéristiques de notre postmodernité, cette mobilité exigée est rendue plus difficile avec un marché de l’emploi fort capricieux et déprimé : les changements de poste, les reconversions professionnelles demeurent problématiques, les offres d’emploi sont refermées sur un nombre restreint d’opportunités. L’adulte vit donc l’ambivalence de la mobilité : mobilité désirée face à une organisation du travail vécue comme contraignante et insupportable pour un adulte scolarisé, mais mobilité crainte suscitée par un outil de travail susceptible d’être remis en cause du jour au lendemain sous la pression des mutations économiques. C’est dans une telle ambivalence que les adultes auront à se créer par eux-mêmes à l’aide de stratégies volontaristes un itinéraire possible de changement, en s’aidant de la formation et des mesures qui lui sont liées : bilan individuel de compétences, congé individuel de formation, crédit de formation individualisé… À côté de cette formation diversifiée mise à la disposition des adultes, les pratiques d’accompagnement deviennent de plus en plus répandues pour conforter les adultes dans leur autonomie face aux vicissitudes et aux fragilités auxquelles ils se trouvent confrontés (Boutinet et coll., 2007).
4.2 Cycles de vie et crises de la vie adulte Ces facettes opposées de la mobilité tant objective que subjective génèrent davantage que par le passé des périodes de développement chaotique ; l’expérience adulte devient tributaire de crises, de choix déstabilisants, de reconversions plus ou moins forcées, de transitions pour se 243
Traité des sciences et des techniques de la formation
lancer dans une nouvelle expérience à moins de sombrer dans l’inactivité. La vie adulte s’organise ainsi, peut-être d’ailleurs de plus en plus, autour de phases d’ajustement, d’expansion, d’apogée, de remise en question, de repli, de nouveau redéploiement schématisant ce que le psychologue américain D. Levinson a dénommé les cycles de vie. Avec l’effacement des rites qui jalonnaient traditionnellement le cours d’une existence, nous nous trouvons en présence d’une perte d’automaticité, de régularité et d’uniformité des étapes qui planifiaient la vie adulte ; ces étapes, qui constituaient tout calendrier biographique, sont tributaires dorénavant de choix, de perspectives sans cesse à réactualiser, d’accidents à conjurer ou à assumer ; les cycles de vie deviennent de plus en plus irréguliers et imprévisibles. Orphelins d’une maturité possédée qui désormais leur échappe, les adultes doivent affronter des crises faisant de leur développement psychologique dans le meilleur des cas plus un développement en spirale qu’un développement linéaire ; ce développement passe par des moments de structuration de l’expérience, des moments de déstabilisation, des moments de rupture et de crise, des moments de possible recomposition, ce qui pourrait s’apparenter à un modèle en escalier (Riverin-Simard, 1993).
4.3 L’aménagement de transitions : transitions anticipées, transitions non anticipées Le phénomène de crise exprime une incertitude existentielle à gérer au sein d’une zone intermédiaire d’expérience que nous dénommerons transition. Cette transition dans sa double dimension spatiale et temporelle est vécue comme un passage entre deux étapes ; elle vise à aménager une expérience de discontinuité sur un itinéraire. Cette expérience par la séparation qu’elle comporte entre le moment actuel et l’étape précédente implique un détachement, une déprise, en un mot un deuil à vivre pour franchir un nouveau seuil existentiel. Les transitions au cours de la vie adulte sont assumées sur un mode très différent selon qu’elles sont anticipées ou non. La transition imposée par les événements, c’est-à‑dire non anticipée, surprend l’individu ; elle s’apparente plus directement à la crise à travers l’irruption d’un imprévu déstabilisant avec lequel il va falloir composer pour trouver une issue opportune. Par le scénario catastrophe qu’elle implique, une telle transition va laisser l’adulte dans une position vulnérable. Trouver une issue à la crise, c’est se donner de nouveaux repères faute desquels la transition va échouer, l’adulte étant alors relégué dans une situation d’attente, de transit plus ou moins prolongé, une sorte de non-lieu avant d’être renvoyé à un statut plus précaire. En contraste le cas des transitions anticipées correspond à des situations de vigilance et d’attente active qui ne sauraient surprendre l’individu ; ce dernier a déjà inventorié des ripostes 244
La vie adulte au regard de la formation ■ Chapitre 11
possibles qui vont se concrétiser dans une transition volontariste ; celle-ci, parce que prévisible, va inclure peu d’effet de crise ; on distinguera néanmoins deux sortes de transition anticipées : –– une transition anticipée, entrevue et acceptée mais non souhaitée : ce cas de figure s’apparente à une prévention prise en échec ; elle nécessite de la part de l’adulte des stratégies alternatives pour conjurer l’indésirable survenu et pourra s’accompagner de formes de crise larvée ; –– une transition anticipée désirée, le cas échéant préparée : une telle transition correspond à la figure anticipatrice du projet cherchant par différents moyens à faire advenir des lendemains désirés ; elle peut s’apparenter à la prévision si la transition souhaitée est simplement escomptée.
5. Temporalités significatives au sein de la vie adulte Une autre façon de saisir la dynamique de la vie adulte est de l’appréhender à un moment repérable de son développement. On distinguera alors quatre périodes tout à fait contrastées dans le cours d’une vie adulte : celles du jeune adulte, de l’adulte du mitan de la vie, de l’adulte accompli, de l’adulte en retrait ou en retraitement.
5.1 Le jeune adulte Au sortir de sa formation initiale, le jeune dans les années 1970 acquérait vite un statut d’adulte à 20-25 ans à travers une insertion professionnelle quasi immédiate. Actuellement la formation initiale de plus en plus longue est souvent suivie d’une période de sas, le sas d’insertion qui est fait d’une attente pouvant avoisiner plusieurs mois, voire plus d’une année ; au cours de cette période, des insertions partielles, provisoires, sont susceptibles de donner lieu à de premières expériences professionnelles ; c’est de ces fluctuations que le statut d’adulte va progressivement émerger au fur et à mesure que se concrétisera pour lui sa double insertion sociale et professionnelle : construction d’une vie de couple et d’une famille, engagement dans un travail professionnel, deux lieux traditionnels de réalisation du jeune adulte en partie remis en cause depuis une génération. Lorsque la remise en cause n’est pas trop forte, le jeune adulte peut se mobiliser à travers ce qu’il fait pour valoriser dans son impatience une création hâtive conduisant à l’affirmation de soi à travers l’une ou l’autre forme de maturité vocationnelle. Le processus de maturation et d’actualisation des potentialités sera ainsi facilité s’il y a résolution de l’indécision, adaptation à de nouveaux rôles, acquisition de nouvelles compétences, acceptation positive de l’incertitude, tous processus favorisés par la durée d’expériences structurantes qui déjouent les temporalités de l’immédiateté aujourd’hui trop présentes. C’est dire que la constitution d’une 245
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expérience pour le jeune adulte est rendue difficile dans des environnements trop contraignants et instables de notre société postindustrielle.
5.2 L’adulte du mitan de la vie Le mitan de la vie évoque des repères souvent imaginaires et comporte donc un caractère quelque peu mythique avec son ambivalence propre à tout espace sacral ; le milieu de la vie c’est en effet un sentiment de maturité mais aussi le démon de midi ; c’est le moment existentiel, approximatif dans ses délimitations chronologiques, à partir duquel chez l’adulte il y a déplacement de la perception du temps allant du temps déjà vécu vers le temps restant à vivre. Au-delà du mythe, nous pouvons identifier un sentiment propre aux personnes qui ayant franchi plusieurs décennies de leur vie en viennent à éprouver alors à la fois expérience et lassitude. Ces personnes qui ont capitalisé réussites et échecs peuvent être prêtes pour un nouveau départ en ayant l’espoir d’avoir encore plusieurs décennies à vivre devant elles. Ce sentiment évanescent dépend largement des histoires personnelles et des contextes culturels ; il ne saurait se laisser enfermer dans une approche trop déterministe et réductrice. Le mitan de la vie est beaucoup plus un mitan psychologique qu’arithmétique, systématiquement déplacé vers la seconde moitié de l’existence, aujourd’hui quelque part entre 45 et 55 ans. Les personnes qui s’estiment être au mitan de leur vie se réévaluent elles-mêmes en examinant leurs réalisations et les valeurs susceptibles de les légitimer. Elles prennent acte beaucoup plus qu’auparavant du temps limité, ce temps désormais qui leur est compté. Pour certains adultes, le mitan prendra la forme d’une simple transition alors que d’autres le vivront sur le mode de la crise.
5.3 L’adulte accompli Parler d’adulte accompli, c’est recourir à une formulation proche de l’euphémisme si elle postule que tout adulte avancé en âge peut témoigner d’une forme certaine de réalisation de soi ; mais l’accomplissement prend ici un sens tout à fait approprié si l’on considère l’adulte au-delà du mitan de la vie comme déjà largement structuré par les trajets antérieurement réalisés, trajets qui vont peser de leurs déterminations pour le temps qu’il reste à vivre. Cet adulte de l’au-delà du mitan a pu s’accomplir au travers de situations vécues très contrastées donnant lieu pour les uns à intense satisfaction et enthousiasme, pour d’autres à remords, regrets, nostalgie, voire résignation et ennui. L’adulte accompli a certes connu des ruptures existentielles mais il a pu opérer un nouveau déploiement de ses énergies et potentialités, qui l’introduit dans l’acmé, communément appelé force de l’âge. En opposition à la créativité hâtive du jeune adulte, l’acmé favorise chez l’adulte accompli une autre forme de créativité, 246
La vie adulte au regard de la formation ■ Chapitre 11
celle-là dénommée sculptée1 car soucieuse de maîtrise et de perfection. L’adulte accompli, c’est-à‑dire réalisé par le parcours qui a structuré jusqu’ici son histoire, est en même temps cet adulte qui commence à entrevoir dans son horizon temporel, un possible désengagement vers la retraite.
5.4 L’adulte en retrait ou en retraitement Parvenu à l’âge de la retraite, un âge qu’il s’est choisi, qu’il a négocié ou simplement l’âge institué qu’il a pris en compte, l’adulte senior garde trois possibilités. La première qui s’offre à lui est celle du retrait proprement dit en se désengageant de son implication dans les espaces sociaux qui lui sont familiers pour s’adonner à des activités libres, quitte à vivre à contrecœur ce désengagement. Une autre possibilité est celle de se maintenir dans des activités similaires aux précédentes avec un statut à redéfinir. Une tout autre option est pour le senior de mettre à profit la nouvelle liberté qui lui est offerte, pour retraiter ses capacités dans de nouvelles activités de son choix, là où il a toujours voulu se réaliser sans jamais le pouvoir. Quoi qu’il en soit, la période du séniorat est aujourd’hui une période paradoxale faite alternativement ou simultanément de tourment et de sérénité en lien avec une retraite redoutée ou un état de santé qui peut inquiéter, l’un et l’autre cohabitant avec une forme de libération existentielle permettant d’entrevoir cette nouvelle période d’inactivité comme un temps offert de d’initiative et d’épanouissement.
5.5 Les invariants de la vie adulte Un sentiment relativement stable cohabite paradoxalement avec les incessantes variations et mobilités existentielles que l’adulte est présentement amené à gérer au cours de son itinéraire de vie. En effet cet adulte emporte avec lui tout au long de son parcours un certain sentiment de ce qu’il est, de la façon par laquelle il se perçoit, s’estime, se déteste, se reconnaît, se fuit… Ce sentiment selon son contenu, plus intellectuel dans certains cas, plus affectif dans d’autres, prendra la dénomination de concept de soi ou d’image de soi. Un tel sentiment est à la base de la construction identitaire. Le sentiment identitaire évolue lentement car il s’appuie sur des éléments permanents qui constituent le cadre structurel de la vie adulte ; ces éléments s’organisent en deux ensembles : le premier est fait d’éléments extérieurs, organisateurs de la vie quotidienne, tels ceux de la famille, des initiations scolaires ou du travail ; le second est tissé d’éléments internes organisateurs de la subjectivité, tels que les valeurs évoquées à caractère 1. Ces deux formes de création, la création hâtive du jeune adulte, la création sculptée de l’adulte accompli ont été mises en valeur par E. Jacques ; cf. en traduction française « Mort et crise du milieu de la vie », in D. Anzieu (1974). Psychanalyse du génie créateur, Paris, Dunod.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
idéologique ou religieux, la référence à la génération d’appartenance, l’identification à un genre déterminé, au-delà de l’appartenance sexuelle.
6. Les défis de la vie adulte dans une société postindustrielle L’avènement d’une civilisation de l’immatériel dans un environnement à dominante communicationnelle nous fait quitter une culture centrée sur la verticalité des rapports sociaux pour nous amener vers l’exploration de l’horizontalité, celle des différents réseaux d’échange au sein desquels se meut aujourd’hui l’adulte. Face à une pléthore des communications, nous assistons à une banalisation et à une relativisation des informations transmises. Ces informations jouent de façon contradictoire de la transparence et de l’opacité et contribuent à édifier un paysage brouillé au sein duquel se meut l’adulte. Par ailleurs, de par la place qu’elles tiennent, ces informations privent bien souvent cet adulte d’action : occupé continuellement à communiquer, il agit de moins en moins, c’est-à‑dire de plus en plus de façon désordonnée. Dans ce nouveau contexte civilisationnel et culturel, la vie adulte se trouve confrontée à de nouveaux défis que nous ne ferons ici qu’évoquer (Boutinet, 2013).
6.1 L’adulte face à son propre vieillissement et le tabou de l’âge Dans une société postmoderne qui reste profondément hédoniste et cultive toujours le mythe de la jeunesse, l’adulte est mis à l’épreuve par le fait de devoir gérer son propre vieillissement ; il lui faut expérimenter de façon plus ou moins maladroite, voire plus ou moins honteuse dans une société marquée par le jeunisme, son avancée en âge à travers un itinéraire issu d’un subtil mélange de désir de maîtrise et de crises. Cette avancée en âge, lorsqu’elle est mal vécue, exprime le symptôme d’une temporalité difficilement acceptée ou pour le moins envisagée de façon réductrice et assimilée bien souvent à une nostalgie de la continuité. Dans une société de la mobilité, se libérer au moins partiellement du tabou de l’âge, c’est préférer opter pour un parcours de vie adulte fait de bifurcations, de détours et souvent qualifié par l’intéressé d’atypique, plutôt que de se réfugier dans un curriculum assimilable à une trajectoire qui renvoie à l’automaticité et l’uniformité des étapes susceptibles de jalonner le cycle de vie.
6.2 L’adulte en souffrance identitaire par mal de reconnaissance Le sentiment identitaire par lequel l’individu se saisit lui-même dans sa permanence et l’acceptation de ce qui le différencie prend aujourd’hui des allures déficitaires tout à fait spécifiques 248
La vie adulte au regard de la formation ■ Chapitre 11
d’un mal de reconnaissance (Honneth, 2000) ; bon nombre d’adultes souffrent dans leur identité, c’est-à‑dire dans leur incapacité à s’affirmer (Bandura, 2003), dans un déficit de leur estime de soi parce qu’ils n’ont pas l’impression d’être reconnus par les organisations qu’ils côtoient, faute de se sentir différenciés dans ce qui fait la singularité de leurs parcours. L’adulte postmoderne garde le sentiment de vivre des pertes identitaires importantes, un effacement des marqueurs familiaux, professionnels et autres susceptibles de le définir : il ne se reconnaît plus dans son identité pour soi et il ne se sent plus reconnu dans son identité pour autrui (Dubar, 1991).
6.3 L’adulte mis à l’épreuve de situations limites à vivre L’adulte est par ailleurs sollicité par maintes situations destinées à le faire aller aux limites de lui-même, ces situations extrêmes qu’il lui faut affronter, qui lui sont imposées dans certains cas, qu’il a choisies dans d’autres cas lorsque le défi ne vient pas jusqu’à lui. De telles situations sont liées à l’accident, à la perte, au deuil, à une maladie gravissime mais aussi à l’exploit à réaliser, sportif, médiatique, professionnel, spirituel afin de faire la preuve de soi-même par soi-même ; elles deviennent imparables dans les exigences qu’elles imposent en sollicitant en réponse, des stratégies appropriées de prise d’initiative et de riposte pour éviter de succomber à la coercition : stratégies d’ajustement dans certains cas, stratégies de substitution dans d’autres ou encore stratégies de résilience ou de mobilisation d’un ressort insoupçonné (Fisher, 1994). La vie adulte fait donc l’expérience au cours de plusieurs décennies d’existence, d’une mise à l’épreuve qu’impose le réel dans son imprévisibilité au travers de situations périlleuses.
6.4 L’adulte confronté à l’obsolescence de ses savoirs en apprentissage permanent Confronté à une obsolescence généralisée des savoirs, à un renouvellement permanent des réseaux informationnels, l’adulte se sent en métamorphose cognitive, cherchant à réactualiser, prolonger, réorienter ses apprentissages antérieurs. Plus qu’hier, il ne peut survivre à cette société informationnelle que s’il se campe dans une position de perpétuel apprenant soucieux de digérer les changements incessants qui lui sont présentés. Dans une continuelle démarche d’apprenance, il lui faut donc sans cesse devoir retraiter ses repères cognitifs (Carré, 2005). Ce retraitement va se faire principalement par le biais des apprentissages informels, ceux qui jalonnent une expérience et se concrétisent dans l’émergence de nouvelles compétences. Il continuera aussi à se faire par l’intermédiaire de la formation continue instituée ; mais cette dernière associée depuis une trentaine d’années aux pérégrinations cognitives de l’adulte a malgré elle, installé chez lui des fragilisations et des précarités ; de ce fait, la formation permanente a 249
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changé de nature ; elle devient présentement moins tentaculaire pour laisser de plus en plus souvent la place à des logiques d’aide individualisantes, hybrides entre formation et thérapie, telles celles de l’accompagnement par lesquelles l’accompagnant(e) personnalise son soutien pour conforter le maintien d’un adulte aux prises avec une situation difficile (Boutinet et al., 2007). Les pratiques d’accompagnement au cours des vingt dernières années ont connu une très large diffusion dans tous les champs professionnels et existentiels, ce à tous les âges de la vie, de l’accompagnement de la parturiente à l’accompagnement de la personne en fin de vie, sortant même du champ professionnel pour s’ouvrir au bénévolat.
6.5 L’adulte volontariste et la tyrannie de ses décisions Dans une culture de l’acteur, l’adulte est mis dans l’obligation de plus en plus fréquente d’avoir à se mettre en scène, à se décider par lui-même, à se déterminer dans ses responsabilités, ses projets, ses choix, en précisant sans arrêt ses intentions en guise de légitimation, dans un environnement qui lui demande continuellement des comptes. Les cultures postmodernes sont des cultures volontaristes (Boutinet, 1998) à un niveau sans doute encore jamais atteint jusqu’ici par aucune autre qui les a précédées. Il est ainsi actuellement demandé à chaque adulte d’avoir à se justifier à travers une multiplicité de projets individualisants, émergents, structurants… pour la moindre démarche à faire. Cette obligation est source d’épuisement et de déréliction (Ehrenberg, 1998). La montée des volontarismes se manifeste souvent de se décider sémantiquement sous une forme pronominale qui impose de devoir projeter, de s’insérer, de s’orienter, de se former pour mener à bien son parcours de vie ; on mesure ici la place prise par l’individualisation des comportements mais aussi les risques qui lui sont liés : risque de s’illusionner, de sombrer dans l’activisme, de se laisser désabuser (Boutinet, 2007).
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La vie adulte au regard de la formation ■ Chapitre 11
Lectures conseillées Bandura A. (2003). Auto-efficacité, le sentiment d’efficacité personnelle, Bruxelles, De Boeck.
Ehrenberg A. (1998). La Fatigue d’être soi, dépression et société, Paris, Odile Jacob.
Boutinet J.-P. (2013). Psychologie de la vie adulte, Paris, PUF.
Fisher G. (1994). Le Ressort invisible, vivre l’extrême, Paris, Le Seuil.
Boutinet J.-P., Denoyel N., Pineau G., Robin J.-Y., (2007). Penser l’accompagnement adulte, Ruptures, transitions, rebonds, Paris, PUF.
Honneth A. (1992-2000). La Lutte pour la reconnaissance, Paris, Le Cerf.
Carré Ph. (2005). L’Apprenance, vers un nouveau rapport au savoir, Paris, Dunod. Dubar C. (1991). La Socialisation, construction des identités sociales et professionnelles, Paris, Armand Colin.
Lahire B., (1998). L’Homme pluriel, les ressorts de l’action, Paris, Nathan. Riverin-Simard D. (1993). Transitions professionnelles, choix et stratégies, Québec, Les Presses de l’université Laval
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Chapitre 12 Vieillissement, apprentissage et formation1
1. Par Even Loarer et Catherine Delgoulet.
Sommaire 1. Effets du vieillissement sur la cognition................................................................ 256 2. Les seniors et la formation.................................................................................... 262 3. Comment promouvoir le développement de la formation des salariés seniors ?.................................................................... 263 4. Conclusion............................................................................................................. 268 Lectures conseillées.................................................................................................. 269
De nombreux pays industrialisés connaissent depuis les années 1990 une évolution sensible de la structure d’âge de leur population, se traduisant par un vieillissement global. Cette évolution va s’accentuer encore dans les années à venir, bouleversant les équilibres démographiques actuels. Plusieurs facteurs sont à l’origine de ces évolutions, notamment l’augmentation de l’espérance de vie et la diminution générale du taux de fertilité. Si la population dans son ensemble a tendance à vieillir, il en est de même pour la population active. En France, le vieillissement de la population active y est même plus rapide que celui de la population entière car deux phénomènes renforcent la tendance. Le premier est l’entrée tardive des jeunes dans la vie active du fait du rallongement moyen de la scolarité. Le second est lié à l’allongement de la durée de vie professionnelle et donc à un départ plus tardif à la retraite. Ainsi, entre 1995 et 2025, la proportion des plus de 50 ans dans la population active aura doublé (passant de 18 % à 36 %). La proportion de seniors dans les entreprises va donc fortement augmenter dans la période à venir1.
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Ces évolutions ne se font pas sans difficultés. En France, les politiques menées jusqu’aux années 2000 concernant la fin de la vie active ont entraîné une mise à la retraite précoce de nombreux salariés quinquagénaires. Il en a résulté une grande méconnaissance de la part des entreprises de ce que sont les salariés âgés. À l’heure où les entreprises prennent progressivement conscience des effets des évolutions démographiques sur leur personnel, force est de constater que les effets du vieillissement sur les compétences professionnelles sont mal connus et souvent compris en termes exclusifs de déficit. Cela engendre non seulement des représentations négatives concernant les capacités et compétences des travailleurs âgés, mais également des pratiques de gestion des ressources humaines désastreuses, notamment en matière de formation, de recrutement, d’affection ou simplement de maintien dans l’emploi. Les victimes en sont les salariés âgés mais également les organisations qui se privent d’une partie importante et essentielle de leurs ressources. On constate ainsi que le taux d’emploi de la catégorie des travailleurs les plus âgés (de 55 à 64 ans) bien que progressant, est en France l’un des plus bas d’Europe : 47,0 % d’entre eux étaient actifs en emploi en 2014, alors même que les recommandations européennes fixaient à l’horizon 2010 un taux moyen d’emploi de 50 % de cette tranche d’âge. On constate également que l’accès à la formation est très différencié selon l’âge. À partir de 45 ans, l’accès à la formation continue baisse pour les actifs en emploi et se réduit encore plus au-delà de 55 ans. Les personnes de 55-59 ans y accèdent 2,2 fois moins que les jeunes de 25-29 ans.
1. O. Filatriau (2011). « Projections à horizon 2060. Des actifs plus nombreux et plus âgés », Insee Première, n° 1345.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
Nous ferons ici un point des connaissances relatives à la façon dont les ressources intellectuelles, les performances professionnelles et la façon d’apprendre ont tendance à évoluer avec l’âge et identifierons un certain nombre de principes à considérer pour favoriser le développement des compétences et la réussite de la formation tout au long de la vie professionnelle.
1. Effets du vieillissement sur la cognition 1.1 Évolution des connaissances sur le vieillissement cognitif Les premiers travaux mesurant l’évolution de l’intelligence chez l’adulte sont apparus dans les années 1930 et ont été menés selon la méthode transversale. Elle consiste à comparer les résultats à des tests d’aptitude intellectuelle de groupes de sujets d’âges différents et à inférer le développement de l’intelligence durant la vie à partir des performances moyennes observées aux différents âges. Les données fournies par ces études ont étayé un modèle du développement de l’intelligence de l’adulte se présentant sous la forme d’un accroissement des capacités intellectuelles jusqu’à environ 20 ans, âge à partir duquel débute un déclin régulier qui s’accélère ensuite vers 60 ans. C’est encore ce modèle qui alimente très largement la représentation que le grand public a de l’intelligence de l’adulte. Selon cette représentation, le vieillissement est synonyme de déclin intellectuel. Pourtant, les recherches plus récentes viennent largement nuancer voire invalider cette conception. On a en particulier découvert que les études transversales étaient affectées par un biais méthodologique résultant de « l’effet de cohortes » appelé encore « effet de générations ». Dans ces études, on ne compare pas seulement des sujets d’âges différents mais aussi des sujets de générations différentes. Les résultats caractérisant les différents âges n’étant pas obtenus sur les mêmes sujets, l’effet attribué à l’âge peut en réalité être dû, totalement ou partiellement, aux différences entre générations. C’est ce qu’a mis en évidence Flynn, dans les années 1980. Il décrit une tendance à l’augmentation des résultats dans les tests de raisonnement logique d’une génération à l’autre. Ce phénomène est désormais incontestablement avéré mais ses origines sont probablement multiples et encore largement inexpliquées (Flieller, 2001)1. Il est probable qu’y contribuent fortement les différences de conditions de vie entre générations : éducation, santé, activités, stimulations intellectuelles, etc. Pour ces raisons, le modèle de l’évolution de l’intelligence issu de l’approche transversale a été remplacé par un autre, issu d’études longitudinales, 1. A. Flieller (2001). « Problèmes et stratégies dans l’explication de l’effet Flynn », in M. Huteau (éd.). Les Figures de l’intelligence, Paris, EAP.
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consistant à suivre dans le temps les mêmes personnes, et d’études appelées « transverso-séquentielles » qui combinent les approches longitudinales et transversales. Un vaste courant de recherche, développé à partir des années 1970 aux États-Unis et en Europe, a contribué, par des études longitudinales et transverso-séquentielles, à renouveler les connaissances sur l’intelligence de l’adulte. L’approche adoptée y est celle d’un développement tout au long de la vie (life span development) en rupture avec l’idée d’une croissance s’arrêtant à l’adolescence et d’un âge adulte principalement marqué par le déclin. Il ressort de ces travaux trois informations majeures : 1. La tendance au déclin des aptitudes cognitives est réelle mais celui-ci n’est pas aussi précoce que les études transversales l’indiquaient. C’est ainsi ce que constate Schaie (1996) dans la remarquable étude longitudinale lancée à Seattle en 1956 et qui a suivi tous les 7 ans durant 42 ans un large échantillon de sujets (de 25 à 88 ans pour certains d’entre eux). L’étude montre que les performances dans des épreuves de capacités intellectuelles (le test des Primary Mental Abilities de Thurstone) ne commencent en moyenne à décroître significativement qu’après 60 ans. 2. L’évolution des capacités cognitives n’est pas homogène. On a pu distinguer celles qui ont tendance à décliner avec l’âge et celles qui ont tendance à se maintenir, voire à progresser. Cette distinction a été faite initialement en 1966 par les psychologues Horn et Cattel qui décrivent une « intelligence fluide (Gf) » et une « intelligence cristallisée (Gc) ». Les aptitudes qui relèvent de Gf sont relatives au traitement de l’information : raisonnement, attention, traitement perceptif, mémoire… et ont tendance à décliner avec l’âge. Celles qui relèvent de Gc sont alimentées par l’expérience, les connaissances et la culture et ont tendance à croître avec l’âge. Cette distinction a été reprise plus récemment par plusieurs auteurs tels que Baltes (1987). 3. L’évolution des capacités cognitives présente de grandes différences interindividuelles. Les données de l’étude longitudinale de Seattle montrent que les effets de l’avancée en âge sur les aptitudes ne sont pas les mêmes pour tout le monde : les déclins n’apparaissant pas pour tous, pas dans le même ordre, ni au même moment, ni avec la même intensité. Ainsi, plus les personnes avancent en âge et plus les différences interindividuelles augmentent.
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1.2 Apports complémentaires de la psychologie cognitive Durant ces trente dernières années, le développement de la psychologie cognitive, étudiant selon des protocoles expérimentaux la façon dont l’être humain traite l’information, a permis d’accéder à une compréhension plus fine du fonctionnement cognitif et de sa sensibilité aux effets de l’âge que ne le permettait l’approche par les tests. Cela a permis de mettre en évidence la sensibilité au vieillissement de certains processus cognitifs de base tels que la mémoire de travail, la vitesse de traitement ou encore l’attention sélective.
1.2.1 Vieillissement et mémoire de travail La mémoire de travail est la ressource cognitive qui permet de conserver temporairement des informations en mémoire de façon à permettre d’opérer sur elles un traitement (une série de calculs par exemple). La mémoire de travail est impliquée dans un très grand nombre d’activités intellectuelles. Les études sur le vieillissement ont montré que la quantité d’information stockée temporairement (empan mnésique) ainsi que la capacité à maintenir disponible en mémoire de l’information afin d’y opérer un traitement, ont tendance à baisser avec l’âge. 1.2.2 Vieillissement et vitesse de traitement La vitesse de traitement de l’information, estimée en fonction du temps nécessaire pour faire des opérations cognitives simples, a également tendance à présenter une corrélation négative avec l’âge, ce qui amène les chercheurs du domaine à parler de ralentissement cognitif. Ce ralentissement, qui présente également une grande variabilité interindividuelle, pourrait être à l’origine de la diminution des performances avec l’âge dans beaucoup de registres d’activités. 1.2.3 Vieillissement, attention et inhibition Plusieurs types de processus attentionnels sont impliqués dans la réalisation de tâches cognitives. Il s’agit tout d’abord de sélectionner les informations pertinentes pour la tâche et écarter celles qui ne le sont pas. C’est ce qui est appelé l’attention sélective. Cette ressource nous permet d’éviter d’être perturbé ou distrait par des informations non pertinentes. Elle apparaît d’autant plus importante que les informations non pertinentes sont nombreuses et prégnantes. La tâche peut nous amener à devoir traiter plusieurs sources d’information en parallèle et à jongler entre différentes sources d’information, ce qui constitue une forme particulière d’attention. L’attention apparaît également essentielle lorsqu’il s’agit d’adopter une nouvelle consigne ou une nouvelle règle, venant remplacer celle que nous utilisions jusqu’alors. Le blocage ou l’inhibition de la règle précédente, alors même que des habitudes de la mettre en œuvre font qu’elle a tendance à s’imposer, demande une vigilance cognitive particulière. Enfin, le maintien dans le temps de l’attention, appelée également concentration, permet de traiter le problème qui se présente de façon approfondie et dans la durée. Ces différentes formes d’attention ont toutes été décrites comme sensibles au vieillissement. 258
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Ces processus cognitifs, du fait de leur caractère élémentaire, interviennent dans une gamme très large de tâches cognitives, des plus simples aux plus complexes. Ils sont en outre interdépendants : une baisse d’efficience de l’un ayant des effets négatifs sur le fonctionnement des autres, ce qui peut provoquer un élargissement des déficits fonctionnels associés au vieillissement. Ainsi, par exemple, la mémoire de travail peut être d’autant plus saturée que la personne laisse pénétrer en mémoire des informations non pertinentes au regard de la tâche (défaut d’attention et d’inhibition) ou encore parce qu’une baisse de la vitesse de traitement nécessite de conserver plus longtemps l’information en mémoire de travail afin qu’elle soit traitée.
1.2.4 Variabilité des effets selon les personnes Si les valeurs moyennes témoignent sans ambiguïté d’une tendance à la diminution des capacités mnésiques, de la vitesse de traitement ou des capacités attentionnelles, les recherches font également état d’une grande variabilité interindividuelle des phénomènes observés. Ainsi, analysant 185 recherches expérimentales publiées sur le vieillissement cognitif, Nelson et Annefer (1992) ont constaté que 120 d’entre elles révèlent une augmentation de la variance des scores avec l’âge et donc des différences interindividuelle. Le vieillissement est bien un phénomène différentiel et toute action concernant les travailleurs âgés doit en tenir compte. Aussi, compte tenu de l’hétérogénéité constatée, il n’existe aucune certitude qu’une personne de plus de 50 ou même de 60 ans présente des habiletés intellectuelles dégradées. Mais nul ne peut non plus prétendre le contraire. La prise en compte de cette diversité des situations individuelles est indispensable et doit inspirer toute conception d’un dispositif de travail ou de formation adapté à tous les âges. La compréhension de l’origine de ces différences interindividuelles dans la façon de vieillir est devenue essentielle. Les facteurs explicatifs de ce phénomène sont multiples : le niveau de scolarité initial, le style et l’hygiène de vie de la personne, son état de santé physique, la pratique constante et régulière d’activités intellectuellement stimulantes dans le domaine professionnel ou des loisirs en sont les principaux prédicteurs.
1.3 Avancée en âge et capacités d’apprentissage Ces différentes fonctions cognitives sensibles aux effets du vieillissement, sont impliquées dans les situations d’apprentissage. On peut donc s’attendre à ce qu’il en résulte une augmentation avec l’âge des difficultés d’apprentissage. Cette relation n’a pourtant rien de systématique. Une première raison en est que les déclins fonctionnels commencent souvent à se manifester à des âges plus avancés que ceux correspondants à la période de vie active des personnes. Une deuxième raison réside dans la grande variabilité interindividuelle que nous venons d’évoquer. Une troisième, enfin, relève des stratégies mises en œuvre et de l’expérience acquise. 259
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Comme le rappelle Marquié (1997)1, on distingue principalement deux formes d’interactions entre l’expérience et les effets cognitifs du vieillissement : la « préservation » et la « compensation ». La « préservation » correspond à l’idée que la mise en œuvre régulière de certaines capacités préserve celles-ci des effets négatifs du vieillissement. La définition qu’en donne Marquié est très claire : « La notion de préservation repose sur l’idée que l’expérience retarde ou empêche le déclin ou le déficit de certains processus fondamentaux de traitement eux-mêmes. » Cette notion ne désigne donc pas le phénomène d’accroissement, sous l’effet de l’expérience, des connaissances ou des aptitudes qui relèvent de l’intelligence cristallisée, mais bien « la possibilité que les processus fluides eux-mêmes puissent résister aux effets délétères du vieillissement chez des sujets ayant accumulé une pratique particulièrement importante de ces processus ». La « compensation », selon la définition proposée par Marquié, consiste en « l’annulation des effets négatifs du vieillissement sur certaines capacités cognitives de base impliquées dans une activité grâce aux effets positifs de l’expérience sur d’autres composantes de cette activité. La compensation implique la mise en jeu d’une activité permettant de résorber un écart entre les capacités du sujet et l’exigence de la tâche, écart consécutif à un déclin, un déficit ou une augmentation des exigences ». Il s’agit donc d’une réorganisation de l’activité, d’un changement de stratégie permettant de maintenir un niveau de performance satisfaisant, alors que la disponibilité des ressources a changé. Une recherche conduite par Salthouse (1984) auprès de dactylographes fournit un bel exemple de la compensation d’un processus par un autre : les dactylographes les plus âgées maintiennent leur niveau de performance de frappe en compensant la réduction de leur vitesse motrice par une plus grande anticipation dans la lecture du texte à dactylographier permettant ainsi une meilleure organisation motrice. Des études en neuro-imagerie ont en outre permis de mettre en évidence des effets compensatoires dans le vieillissement cognitif : les aînés parvenant à recruter de nouveaux réseaux neuronaux pour compenser le déclin de certains autres (Cabeza, 2002). Le modèle qui encadre les hypothèses de préservation et de compensation est un modèle interactionniste (Loarer, 2005)2. Il postule que le vieillissement a des effets sur le fonctionnement de la personne, mais également que le fonctionnement de la personne dans ses activités influe sur sa façon de vieillir. Ces effets positifs de l’expérience nécessitent toutefois certaines conditions pour être effectifs. L’enquête longitudinale VISAT (Marquié et al., 2010) montre par exemple que l’exposition à des activités professionnelles stimulantes, qui offrent également des opportunités d’apprendre, favorise l’élévation du niveau de fonctionnement cognitif et atténue 1. J.-C. Marquié (1997). « Vieillissement cognitif et expérience : l’hypothèse de la préservation », Psychologie française, 4 (4), 333-344. 2. E. Loarer (2005). « Le développement des compétences chez l’adulte : modèle descendant et modèle ascendant », in V. Hajjar (éd.), Modèles et méthodologies d’analyse des compétences, Toulouse, MSH.
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les déclins liés à l’âge. De leur côté, les processus compensatoires ne peuvent s’exprimer que dans la mesure où les activités présentent une certaine complexité, ne sont pas trop fortement soumises à des contraintes de temps et ne sont pas trop strictement prescrites, offrant des marges de manœuvres permettant à la personne de pouvoir, si nécessaire, réorganiser son activité. Nous pouvons donc retenir des éléments que nous venons de présenter, que, pour des personnes en âge de travailler : –– le vieillissement ne se traduit pas nécessairement par un déclin des capacités cognitives et une grande variabilité interindividuelle existe en la matière ; –– lorsque des déclins apparaissent, des processus compensatoires peuvent venir atténuer voire annuler leurs effets et permettre le maintien des performances.
1.4 Les stéréotypes relatifs aux seniors Alors que les connaissances relatives au vieillissement cognitif ont largement évolué durant ces trente dernières années, les représentations sociales relatives au vieillissement sont restées relativement figées et offrent une vision avant tout négative de l’avancée en âge et cela tant en France (Ifop, 1961 ; Dares, 2004) qu’en Europe (Walker et Taylor, 1992). Le « noyau dur » du stéréotype du salarié âgé qui émerge de ces différentes études varie peu d’un pays à l’autre et présente une grande stabilité temporelle. Selon cette représentation rigide et résistante, les salariés plus âgés s’adaptent mal aux nouvelles technologies, aux changements d’organisation du travail, à l’évolution des méthodes de travail, sont trop rigides, apprennent plus lentement, sont incapables de réaliser les mêmes performances que les jeunes et ne portent pas d’intérêts pour la formation continue. Bien qu’une légère évolution positive soit constatée chez les employeurs dans une étude de Defresne (2010), il n’en reste pas moins que les questions d’adaptation aux changements et à l’utilisation des nouvelles technologies restent problématiques à leurs yeux ; deux dimensions qui sont étroitement liées à la formation professionnelle et aux apprentissages. Comme l’ont bien démontré les études en psychologie sociale, le problème principal du stéréotype est qu’il s’applique à une catégorie sociale supposée être homogène, alors qu’en l’occurrence elle est ici principalement marquée par son hétérogénéité. En outre, le stéréotype fonctionne à la fois comme un filtre perceptif et un organisateur de la pensée et de la conduite. Il biaise ainsi la façon dont le senior est appréhendé et guide les attitudes et décisions prises à son égard. Pire encore, l’intégration du stéréotype par le senior lui-même peut l’amener à modifier sa propre conduite pour la rendre conforme à cette référence, ce qui, de fait, la renforce.
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2. Les seniors et la formation 2.1 Le constat Plusieurs études menées depuis dix ans font le constat d’un moindre accès à la formation professionnelle des seniors. Ce fait est ancien mais toujours d’actualité même s’il a tendance à s’atténuer (cf. travaux du Céreq). L’accès à la formation décroît parfois dès la mi-carrière. Actifs en emploi et chômeurs subissent cette même érosion, qui est largement accentuée par l’appartenance aux catégories professionnelles des ouvriers et employés (Demailly, 20161). Ce que montrent ces statistiques nationales apparaît également dans de nombreuses études menées au sein de grandes entreprises. Par exemple, Gaudart et Delgoulet (2005)2 observent dans un organisme public de formation des pratiques discriminatoires dès 40 ans dans l’accès à la formation et à l’emploi de demandeurs d’emploi. Ainsi, à niveau équivalent de qualification, un bénéficiaire jeune se verra plus souvent proposer l’accès à une formation de niveau de qualification supérieur qu’un bénéficiaire plus âgé. Les plus âgés suivent par ailleurs moins fréquemment des formations longues, formations qui offrent de meilleures possibilités de qualification et sont fortement associées à une probabilité plus importante de trouver un emploi. Dans tous les cas, l’avancée en âge est pénalisante.
2.2 Les facteurs explicatifs Plusieurs raisons sont avancées pour expliquer cette situation, parmi lesquelles la réticence de certains employeurs à investir dans la formation de travailleurs dont les perspectives de carrière deviennent limitées ou encore les représentations négatives que les employeurs ont des effets de l’âge sur les capacités d’apprentissage. Plusieurs études ont cependant montré que ces raisons sont loin d’être les seules et que le désengagement des seniors de la formation tient largement à des postures d’auto exclusion des salariés eux-mêmes. Un certain nombre d’entre eux, sensibles aux mêmes arguments que leur organisation, évaluent l’intérêt de leur investissement dans une formation en fonction inverse
1. D. Demailly (2016). « La formation professionnelle : quels facteurs limitent l’accès des seniors ? », Dares Analyses, n° 31. 2. C. Gaudart et C. Delgoulet (2005). « Life long training : between theory and practice. The example of a French training agency », in D. Costa, W.J. Goedhard et J. Ilmarinen (éd.), Assessment and promotion of work ability health and well-being of ageing workers (p. 359-364), the Netherlands, Elsevier.
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de la durée qui leur reste à travailler. Agissent également les représentations négatives qu’ils peuvent avoir intériorisées des effets de l’âge sur leurs propres capacités d’apprentissage. Constatant que les salariés ont tendance à exprimer d’autant moins de désir de formation qu’ils avancent en âge, la baisse de la motivation à apprendre est également évoquée. Il serait cependant erroné de conclure que le faible accès à la formation des salariés plus âgés s’explique uniquement par un désintérêt. Il est aussi possible qu’existe un effet de génération : les salariés âgés exprimeraient moins de besoins car ils appartiennent à une génération qui a moins bénéficié de la formation que les générations les plus récentes. Une grande enquête sur la formation continue réalisée en France (Fournier, 20061), montre ainsi que moins un travailleur a reçu de formation et moins il se déclare prêt à se former. Par ailleurs, Demailly (2016) conclut que plus d’un tiers des plus âgés disent avoir essuyé un refus de la part de leur employeur ou considèrent ne pas être soutenus.
3. Comment promouvoir le développement de la formation des salariés seniors ? 3.1 Renverser le cercle causal L’allongement de la durée de vie professionnelle et l’augmentation importante du nombre de salariés seniors dans les entreprises rendent indispensable l’amélioration de l’accès de tous à la formation. Cela impose de briser ce cercle causal. Il y a beaucoup à faire pour satisfaire pleinement cet objectif. Plusieurs mesures peuvent y contribuer. Les premières auxquelles on pense sont d’ordre législatif ou réglementaire, dans le cadre par exemple de l’obligation faite aux entreprises de plus de 50 salariés ou les branches professionnelles de dessiner des plans ou accords en faveur des seniors ou des contrats de génération. Ces mesures peuvent aider à impulser un mouvement favorisant l’accès des salariés les plus âgés aux formations, mais on connaît aussi leurs limites liées au biais de contournement qu’elles induisent lorsque les conditions économiques et sociales ne sont pas réunies par ailleurs. Nous mettrons ici l’accent sur d’autres mesures qui nous paraissent essentielles : un meilleur accès à la formation pour les travailleurs âgés, des méthodes de formation mieux adaptées aux caractéristiques des seniors et le développement des compétences dans le travail lui-même. 1. C. Fournier (2006). « Les besoins de formation non satisfaits des salariés au prisme des catégories sociales », Formation-Emploi, 95, 25-39.
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3.2 Promouvoir un meilleur accès à la formation Promouvoir un meilleur accès à la formation professionnelle pour les travailleurs âgés nécessite de s’attaquer aux différents freins identifiés, notamment par une action sur les stéréotypes en fonction desquels employeurs et salariés peuvent fonder leurs décisions, ou encore en donnant plus de sens à la formation et en réduisant l’appréhension des seniors au regard de celle-ci.
3.2.1 Agir sur les stéréotypes Lutter contre un stéréotype n’est pas chose aisée. Les recherches en psychologie sociale cognitive montrent en effet leur robustesse. D’une part, ils ont des propriétés d’auto-renforcement – par des biais d’observation et de jugement qui privilégient les informations congruentes et minimisent celles qui ne le sont pas, un contre-exemple venant ainsi renforcer la règle – et, d’autre part, ne sont pas nécessairement explicites. Le stéréotype de l’âge peut ainsi opérer implicitement en infléchissant le jugement social d’un décideur, même si celui-ci en rejette consciemment les a priori et même s’il est pleinement convaincu, par exemple, de l’hétérogénéité de la catégorie « senior ». La discrimination ne provient pas alors de convictions consciemment assumées, mais de « biais cognitifs » relatifs à la catégorisation sociale, qui sont susceptibles de fausser le jugement et d’influencer la conduite. La transformation d’un stéréotype erroné est alors une opération de longue haleine qui nécessite une substitution progressive de tout ou partie de la représentation initiale par une autre, supposée plus juste, mais surtout par une sensibilisation volontariste et continue, visant à développer la conscience de ces processus et corriger les biais qui leur sont inhérents. Il convient aussi de restaurer l’image que les quinquagénaires ont de leurs propres capacités, et ainsi de la confiance qu’ils ont dans leur aptitude à apprendre, à s’adapter et à innover. On constate que le stéréotype du déclin cognitif est souvent si prégnant qu’il s’impose aux seniors eux-mêmes et influence la façon dont ils évaluent leurs propres capacités. Le stéréotype du déclin cognitif, partagé par les seniors, peut ainsi affecter et dégrader leur estime d’eux-mêmes, induire des conduites de non-engagement ou de retrait…, fonctionner comme une prophétie autoréalisatrice (effets de confirmation comportementale) et se trouver ainsi renforcé par les faits. Une étude de Loarer et Mogenet (2008) a permis d’étudier ce phénomène de conformité au stéréotype qui concerne environ 40 % de l’échantillon. Chez les seniors qui parviennent à s’en affranchir lorsqu’ils s’auto-évaluent, les facteurs qui contribuent à expliquer cette mise à distance ont été identifiés. Parmi ces facteurs figurent les occasions que les personnes ont, dans leur travail, d’avoir un retour positif sur leurs capacités intellectuelles et sur leurs performances professionnelles, ainsi que le fait d’exercer un travail peu routinier.
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3.2.2 Donner du sens et réduire l’appréhension des seniors au regard de la formation Les salariés âgés craignent souvent de ne pas réussir et d’être comparés à des jeunes à leur détriment. Cela pourrait justifier d’organiser des formations spécifiques selon l’âge. Cependant, c’est plutôt une mixité bien entendue qu’il convient d’organiser et de privilégier, les contacts intergroupes et la diversité des membres d’un collectif, à l’occasion d’un projet ou d’une activité commune, favorisant la réduction des préjugés. L’implication en amont des employés âgés dans le projet de formation peut également constituer une mise en confiance efficace en dissipant leurs doutes quant aux objectifs, méthodes et processus de formation et réduire ainsi l’anxiété induite par la perspective de la formation. Les seniors peuvent également se montrer peu motivés du fait d’aspirations à se former méconnues et différentes des plus jeunes ou d’un manque de vision du réinvestissement professionnel possible des produits de la formation et cela d’autant plus qu’ils approchent de l’âge de la retraite. En cela, une clarification des différentes formes de bénéfices que le formé pourra tirer de la formation et une explicitation de l’articulation entre la formation à venir et ses activités de travail sont très favorables au soutien de sa motivation.
3.2.3 Augmenter la fréquence de la formation L’apprentissage implique des compétences spécifiques, qui peuvent être perdues si elles ne sont pas utilisées. Dans une étude réalisée auprès de salariés chargés de la maintenance ferroviaire, Delgoulet et Marquié (2002) constatent ainsi une relation entre le temps écoulé entre deux sessions de formation et la qualité de la performance d’apprentissage : les compétences requises pour la généralisation et l’abstraction, sollicitées en formation, sont sensibles à une absence de mise en œuvre. Une question connexe concerne la relation entre la formation et l’hyperspécialisation du travail, et cela même pour les populations de travailleurs hautement qualifiés. Il a ainsi été constaté que, comparativement aux plus jeunes, les pilotes les plus anciens de vingt-cinq compagnies aériennes qui suivent une formation à la conduite de l’Airbus A320 sur un simulateur de vol (Amalberti, Pelegrin et Racca, 19911) présentent des progressions plus lentes et des taux d’échec plus importants dans l’examen final. Néanmoins, parmi les pilotes plus anciens, la formation a été mieux réussie par ceux qui avaient déjà récemment changé d’avion et ainsi bénéficié d’une formation.
1. R. Amalberti, C. Pelegrin et E. Racca, (1991). « Consynus : a new data system for aiding pilot training on modern aircraft », in M.C. Dentan et P. Lardennois (éd.), Proceedings WEAAP 91, Paris, Air France publisher, 71-83.
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Augmenter la fréquence de la formation présente également l’intérêt de contribuer à compenser les inégalités initiales en matière d’éducation. Les générations plus âgées ont en moyenne suivi des formations initiales plus courtes. On interprète souvent à tort comme des effets de l’âge, ce qui relève en réalité de différences dans le niveau initial de formation. Or la formation initiale est déterminante. C’est dès l’école primaire que les individus se construisent des outils cognitifs qui vont faciliter les apprentissages tout au long de leur vie. La participation fréquente à des formations durant la vie professionnelle permettrait, à certaines conditions, de remédier aux déficits de formation initiale ou tout au moins d’éviter que l’écart ne se creuse trop rapidement entre personnes ayant bénéficié d’études initiales longues et celles qui ne sont pas dans cette situation.
3.3 Améliorer les formations proposées Il est fréquent de rencontrer des responsables de formation qui affirment refuser de proposer des formations spécifiques aux seniors afin d’éviter à leur égard discrimination et stigmatisation. Il s’agit à l’évidence d’une intention louable. Néanmoins on peut aussi s’inquiéter des effets d’une formation mal ajustée qui ne prendrait pas en considération les besoins de chacun et qui, ne proposant pas les modalités adaptées, aboutirait à une mise en échec des plus âgés, renforçant ainsi les stéréotypes relatifs à l’âge. Il s’agit donc, en promouvant des méthodes de formation qui leur soient adaptées, d’éviter que la façon dont la formation est organisée n’amène les travailleurs expérimentés à rencontrer des difficultés spécifiques d’apprentissage. Nous ne soutiendrons pas pour autant l’idée de développer une pédagogie spécifique aux apprenants âgés, pas plus que celle d’organiser systématiquement des formations dédiées aux seniors. Nous préférons rappeler la nécessité d’une pédagogie qui puisse convenir à tous les âges et à tous les styles d’apprentissage. Cela passe en particulier par le respect de plusieurs règles.
3.3.1 Principes pédagogiques pour une formation adaptée aux seniors La formation doit tenir compte des caractéristiques de chacun et offrir une palette pédagogique adaptée à la diversité des apprenants. Outre le fait d’éviter les sursollicitations des capacités cognitives de bases pouvant potentiellement avoir subi les effets délétères du vieillissement, quelques principes pédagogiques (non exhaustifs) peuvent être introduits dans les formations : –– privilégier une organisation de la formation par étapes successives permettant de maîtriser une étape avant de passer à la suivante ; –– tenir compte des connaissances, des savoir-faire et de l’expérience du formé ; –– permettre au formé de comprendre ce qu’il apprend, en particulier en le reliant à ce qu’il sait déjà ; –– s’appuyer sur des supports à la fois visuels et auditifs ; 266
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–– fournir des schémas et des organisateurs cognitifs ; –– dédramatiser les erreurs commises et les valoriser en tant qu’opportunités d’apprentissage, notamment dans l’usage de nouveaux outils et nouvelles technologies ; –– offrir une souplesse du temps de formation afin de permettre à chacun de disposer du temps d’apprentissage dont il a besoin et de limiter l’anxiété liée à des limites strictes de temps d’apprentissage. Un point essentiel est l’articulation de la formation, d’une part avec l’expérience passée et d’autre part avec le travail présent et à venir des salariés (Delgoulet, 2012).
3.3.2 Mieux articuler formation, expérience et travail Les formations sont souvent trop déconnectées des situations réelles de travail et ne prennent pas suffisamment en compte l’expérience et les acquis des plus anciens. Les formations donnent trop souvent l’impression de partir de zéro, ce qui dévalorise et pénalise les plus anciens et les plus expérimentés. Le rôle de l’expérience professionnelle est ici central et conditionne en partie les difficultés et facilités rencontrées dans les apprentissages1. L’expérience peut ainsi jouer dans les deux sens : elle peut faciliter de nouveaux apprentissages par confrontation avec des situations, des tâches, des outils variés ; elle peut aussi être source de difficultés et de blocage si les connaissances ou les automatismes acquis viennent perturber les nouvelles acquisitions. L’intégration progressive des nouvelles connaissances et savoir-faire au cours de la formation nécessitera à la fois du temps, une souplesse pédagogique et une attention particulière du formateur portée à cette dimension expérientielle qui impose une contextualisation et une individualisation de la formation2. Développer des modules de formation qui se rapportent directement à la situation réelle de travail est possible et souhaitable. Le rôle du formateur apparaît ici essentiel durant la formation mais aussi en amont et en aval de la formation. Il doit pouvoir observer l’activité de travail des futurs stagiaires afin de déterminer ce qui peut être intégré à la formation ou transféré au nouvel environnement. À l’issue de la formation, un suivi des stagiaires à leur poste permettrait de compléter la formation reçue, d’aider à la maîtrise des nouvelles procédures et de faire face au surcroît de travail occasionné par le changement introduit. Ce suivi doit être l’occasion de
1. D. Cau-Bareille, C. Gaudart et C. Delgoulet (2012). « Training, age and technological change : difficulties associated with age, the design of tools, and the organization of work ? » Work, 41 (2), 127-141. 2. C. Gaudart (2003). « La baisse de la polyvalence avec l’âge : question de vieillissement, d’expérience, de génération ? », PISTES, 5 (2), et http://pistes.revues.org/3323.
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valider la cohérence du programme de formation et de l’adapter le cas échéant pour tenir compte des problèmes du travail1. Au-delà de cette meilleure articulation entre les temps de formation et le travail, il est souhaitable d’envisager un lien plus étroit et permanent entre le travail et le développement des compétences, où travail et apprentissage ne sont plus séparés, et où le développement continu des capacités humaines devient un investissement rentable à long terme pour les travailleurs et l’entreprise. Le développement du tutorat est une opportunité intéressante si on le considère comme une tâche à part entière qui nécessite des ressources (Thébault et al., 2014). Dans tous les cas, comme le soulignent Sigot et Vero2 les choix organisationnels tiennent un rôle non négligeable dans les possibilités d’apprendre au travail de manière formelle ou informelle. Il s’agit alors de faire des situations et du travail non seulement des occasions de préservation des capacités cognitives des effets négatifs du vieillissement, mais aussi de développement continu.
4. Conclusion La relation des seniors à la formation est aujourd’hui fortement pénalisée par une représentation biaisée des capacités à apprendre et des motivations réelles des seniors, du fait d’un stéréotype très négatif relatif aux effets de l’avancée en âge et de pratiques sociales désastreuses en matière d’accès des seniors à l’emploi et à la formation. Ces représentations et pratiques sociales bien établies alimentent un cercle vicieux qui amène les seniors à adopter des conduites d’évitement et de désengagement de la formation. Les recherches relatives à l’évolution des capacités intellectuelles qui sous-tendent les apprentissages ont montré que certaines d’entre elles pouvaient décliner avec l’âge mais que cela n’intervenait souvent qu’après 60 ans et que de grandes différences interindividuelles existaient dans ce domaine. L’amélioration de l’accès et de la réussite en formation nécessite bien sûr de prendre en compte ce risque de déclin. Mais plus encore, il s’agit de placer les seniors dans des situations et conditions favorables d’apprentissage en luttant en particulier contre les effets désastreux des stéréotypes qui influencent les décisionnaires mais également les seniors euxmêmes en induisant chez eux des conduites de non-engagement, d’échec ou de démotivation.
1. Cf. Delgoulet, Vidal-Gomel, Falzon et Teiger dans cet ouvrage. 2. J.-C. Sigot et J. Vero, (2014). « Politiques d’entreprise et sécurisation des parcours : un lien à explorer », Bref du Cereq, n° 318.
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Vieillissement, apprentissage et formation ■ Chapitre 12
Nous avons évoqué différents principes susceptibles d’améliorer la qualité des formations proposées afin d’offrir aux seniors les meilleures conditions pour apprendre. Il s’agit en particulier d’offrir des formations qui intègrent la grande diversité des besoins des apprenants, notamment en termes de rythmes et de méthodes d’apprentissage, et qui soient mieux coordonnées à l’expérience professionnelle et aux situations de travail. Au-delà, il faut bien admettre que la prolongation de la vie professionnelle et le développement continu des compétences et de la motivation qu’elle implique, ne pourront s’envisager que si les conditions et l’organisation du travail tout entier, la gestion des apprentissages et des parcours professionnels favorisent réellement la construction et la mise en œuvre de l’expérience.
Lectures conseillées Collette S., Batal C., Carré P., Charbonnier O. (2009). L’atout senior. Relations intergénérationnelles, performance, formation, Paris, Dunod. Delgoulet C. (2012). « Apprendre pour et par le travail : les conditions de formation tout au long de la vie professionnelle », in A. Molinié, C. Gaudart, et V. Pueyo (éd.), La Vie professionnelle : âge, expérience et santé à l’épreuve des conditions de travail (p. 46-74), Toulouse, Octarès. Delgoulet C. (2013). « La formation professionnelle des actifs vieillissants : une combinaison difficile à construire ? », Gérontologie et Société, 147, 63-73. Delgoulet C., Marquié J.-C. (2002). “Age differences in learning maintenance skills : a field study ”, Experimental Aging Research, 28, 25-37. G uillemard A.-M. (2003). L’Âge et l’Emploi. Les sociétés à l’épreuve du vieillissement, Paris, Armand Colin. Lemaire P., Bherer L. (2005). Psychologie du vieillissement. Une perspective cognitive, Bruxelles, de Boeck.
Loarer E., Chartier D. et Rozencwajg P. (1998). « Le travail formateur : impact de l’activité professionnelle sur les capacités cognitives de salariés du secteur industriel », in M. Audet et J.-L. Bergeron (éd.), Pratiques de gestion des ressources humaines (p. 165-178), Québec, Presses Universitaires de Québec. Loarer E., Lautrey J., Lemoine C., Rozencwajg P. et Ferrandez A.-M. (2005). « Stratégies de structuration spatiale et processus compensatoires chez le travailleur vieillissant », in C. ThinusBlanc et J. Bullier (éd.), Agir dans l’espace, Paris, Maison des sciences de l’homme. Thébault J., Delgoulet C., Fournier P.-S., Gaudart C. et Jolivet A. (2014). « La transmission à l’épreuve des réalités du travail », Éducation permanente, 198, 85-99. Volkoff S., Molinié A.-F., Jolivet A. (2002). Efficaces à tout âge ? Vieillissement démographique et activités de travail, Paris, La Documentation française.
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Chapitre 13 La compétence1
1. Par Sandra Enlart.
Sommaire 1. Pourquoi la compétence ?...................................................................................... 273 2. La compétence, comment ?.................................................................................... 276 3. Les débats de la compétence................................................................................. 282 4. Conclusion............................................................................................................. 287 Lectures conseillées.................................................................................................. 288
La grande force du terme de compétence tient sans doute dans sa capacité à exprimer une autre « façon de voir les problèmes » de gestion des ressources humaines ou de management. En matière de formation, ce changement de regard a permis de redécouvrir un « vieux » sujet : l’adulte apprenant… dans son contexte professionnel. On a longtemps affirmé que la compétence consistait à réintroduire l’homme dans l’organisation. Nous pensons qu’elle a aussi réintroduit l’organisation dans des pratiques centrées sur l’individu. La formation en est un excellent exemple. Mais avant d’en venir au développement de ces idées et aux débats sur la compétence, il nous faut mieux comprendre pourquoi et comment cette notion s’est développée. L’exploration du « pourquoi la compétence ? » nous permettra d’insister sur les caractéristiques communes aux différentes approches de la compétence alors que la réponse au « comment se manifeste la compétence » nous permettra d’insister sur les différences qui caractérisent ces approches. Même si ces analyses sont datées historiquement, elles nous semblent avoir profondément marqué les débats qui se développent aujourd’hui et dont nous donnerons quelques illustrations : les compétences transversales existent-elles ? Quel est l’impact de la compétence sur les dispositifs de formation ?
1. Pourquoi la compétence ?
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1.1 Les conditions d’émergence de la notion sont dans les changements d’organisation Dans une organisation taylorienne, il est inutile de parler de compétence. Il suffit de décrire l’organisation du travail et le rôle qu’on attend de ceux qui y travaillent. Les gestes attendus sont prescrits avec tous les détails nécessaires. Ce qu’on attend, c’est de la conformité à ce qui a été prescrit et surtout aucune initiative qui viendrait perturber le système. Parler de compétence est donc « hors sujet » dans ce cadre, autant d’ailleurs que de sujet ou d’individu. Nous savons bien aujourd’hui que le taylorisme est une vision totalement utopique et irréelle de l’organisation humaine du travail. Les situations professionnelles ne sont jamais aussi simples que les ingénieurs des méthodes ne le pensaient et il est tout simplement impossible de se passer de l’initiative humaine, même si celle-ci doit se camoufler. Sans les micro-régulations qu’effectue en permanence chaque opérateur, les objectifs de production ne seraient jamais atteints. 273
Traité des sciences et des techniques de la formation
Cette analyse du travail opérée par les ergonomes et les psychologues du travail ne s’est pas faite du jour au lendemain. La polyvalence, la flexibilité, la nécessité de changer de métier ou, à l’intérieur d’un même métier d’évoluer sans cesse, sont autant d’exigences qui font suite à des changements d’organisation du travail. En parallèle, les services deviennent le principal secteur de production et du même coup, les dimensions relationnelles vont prendre le pas sur les qualifications techniques. Cette tertiarisation va envahir également le secteur secondaire : le « client » ne fait-il pas son apparition dans l’usine ? Or le client est beaucoup plus imprévisible que la machine et il va exprimer de nouvelles demandes : diminution des délais et des coûts, innovation, personnalisation des produits, qualité… Tout ceci amène un nouveau regard : ce n’est plus l’organisation que l’on analyse mais l’homme au travail. La production est d’abord entre les mains de ceux qui le mettent en œuvre avant que d’être dans les procès ou les machines. Dès lors, ce qu’il faut pour produire, ce sont des compétences. Plus on accepte de flou dans la description de l’organisation, passant du poste à l’emploi, plus on se doit de comprendre ce qui concerne l’individu.
1.2 Définitions et descriptions Nous voici donc au cœur du sujet : comment décrire ces fameuses compétences au cœur du travail ? Progressivement, même si les définitions de la compétence abondent, elles ne sont finalement pas si disparates que cela : un certain consensus s’installe autour de certaines caractéristiques : –– La compétence est liée à l’activité. Elle est ce qui permet d’agir et c’est là que l’on peut la repérer. Elle n’existe pas en soi, indépendamment de l’activité, du problème à résoudre, de l’usage qui en est fait. –– La compétence est contextuelle : elle est liée à une situation professionnelle donnée et correspond donc à un contexte. –– Les « capacités » constitutives des compétences recouvrent un peu de savoir, beaucoup de savoir-faire et souvent – mais pas toujours – du savoir-être. –– La compétence consiste dans l’intégration de ces contenus. Il ne s’agit pas d’une « somme » qui par miracle permettrait l’action réussie, mais bien d’une combinaison, d’une construction, d’une structure… Cela sous-entend qu’il existe quelque chose « en plus » des capacités qui leur permet justement de devenir, ensemble, de la compétence. Bien souvent on évoque ici la distinction entre savoir déclaratif et savoir procédural. De même, le concept de « démarche intellectuelle1 » est assez proche de cette idée, ainsi que celle de « compétences
1. S. Michel et M. Ledru (1991). Capital compétences dans l’entreprise, Paris, ESF.
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La compétence ■ Chapitre 13
méthodologiques1 » (Le Boterf, 1995) ou, chez Vergnaud, la différence entre « concept-enacte » et « théorème-en-acte ». Nous garderons donc l’idée que la compétence permet d’agir et/ou de résoudre des problèmes professionnels de manière satisfaisante dans un contexte particulier en mobilisant diverses capacités de manière intégrée.
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Citons pour compléter quatre définitions « historiques » qui illustrent cet aspect consensuel : Celle de Montmollin2 : « ensemble stabilisé de savoirs et de savoir-faire, de conduites types, de procédures standard, de types de raisonnements que l’on peut mettre en œuvre sans apprentissage nouveau ». Celle de Malglaive3 : « savoir en usage et formalisation sont les deux aspects complémentaires de la compétence qui […] se présente donc comme une structure dynamique dont le moteur n’est autre que l’activité ». Et celle de Leplat4 qui distingue les conceptions behavioriste et cognitiviste. La première est liée à une liste d’activités que l’individu sait exécuter ; la seconde voit la compétence comme une stratégie sous-jacente à l’action. Leplat donne quatre traits caractéristiques des compétences : elles sont finalisées, apprises, organisées en unités coordonnées. La compétence étant une notion abstraite et hypothétique, on ne peut observer que ses manifestations. Citons enfin la liste que donne Le Boterf (1995) des « savoirs mobilisables » (p. 73) : les savoirs théoriques, les savoirs procéduraux, les savoir-faire procéduraux, les savoir-faire expérientiels, et les savoir-faire sociaux.
Ces différentes définitions portent toutes en germe des questions pour la formation. En effet dans tous les cas, la compétence a un lien avec l’expérience et l’activité. Si la formation a pour but de développer les compétences, comment intègre-t‑elle ce lien à l’activité et au contexte ?
1. P. Gilbert et M. Parlier (1991). « La gestion des compétences : la notion de compétences et ses usages en gestion des ressources humaines », Paris, Entreprise et Personnel, Développement et Emploi. 2. M. de Montmollin (1984). L’Intelligence de la tâche. Éléments d’ergonomie cognitive, Berne, Peter Lang. 3. G. Malglaive (1990). Enseigner à des adultes, Paris, PUF. 4. J. Leplat (1991). « Compétences et ergonomie », in M. de Montmollin (dir.), Modèles en analyse du travail, Bruxelles, Mardaga, p. 263-278.
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2. La compétence, comment ? Concrètement, comment analyser les compétences ? Comment les décrire, comment les utiliser ? Car entre le débat sur les définitions et celui sur la mise en œuvre d’une « démarche compétence », il y a quelques écarts qu’il nous faut maintenant présenter. Définir LA compétence en général est une chose, décrire les compétences en particulier en est une autre. Depuis les années 1990 jusqu’à aujourd’hui, diverses approches ont été mises en œuvre. La GPEC1, en particulier, a rendu nécessaire une clarification de la définition des compétences. On peut évoquer cinq approches qui ont marqué cette période : –– l’approche par les savoirs ; –– l’approche par les savoir-faire ; –– l’approche comportementale ; –– l’approche mixte (savoir, savoir-faire, « savoir-être ») ; –– l’approche par les compétences cognitives.
2.1 L’approche par les savoirs Une des approches dominantes des compétences a consisté à les associer à des savoirs. Ce qui est explicatif de l’action réussie, de la compétence, c’est le fait de posséder des savoirs. En fait, il ne s’agit pas de nier que la compétence puisse être autre chose que du savoir, mais plutôt de considérer que cette « autre chose » repose intimement sur le fait de posséder des savoirs. La compétence deviendrait donc des « savoirs mis en œuvre », sachant que le contrôle de la mise en œuvre disparaît au profit du contrôle de connaissances. On complète habituellement le repérage des savoirs par la distinction de niveaux de maîtrise qui s’échelonnent suivant les cas entre trois (faible/moyen/fort) et neuf (ou plus) degrés qui rentrent alors dans une somme de détails inspirés des taxonomies les plus courantes en pédagogie2. Cette approche a un avantage certain. Elle peut très facilement être reliée à des modes d’apprentissage… par les savoirs. Travail éminemment analytique, reposant sur l’idée que tout doit/ peut s’apprendre « comme à l’école », cette approche est également idéologique. Elle véhicule
1. Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Depuis la loi Borloo de cohésion sociale 18 janvier 2005, la GPEC doit obligatoirement donner lieu à une négociation et un accord pour toutes les entreprises de plus de 300. Les ANI de 2011 et 2014 renforceront encore ce rôle de la GPEC et son lien avec les plans de formation. 2. Voir par exemple la taxonomie de S. Bloom (1969). Taxonomie des objectifs pédagogiques, Montréal, Presses de l’université du Québec, ou celle de R. Gagné, L. Briggs (1979). Principles of Instructional Design, New York, Holt, Rinehart and Winston.
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La compétence ■ Chapitre 13
en effet l’idée que c’est le savoir qui permet de réussir. Ceux qui en savent le plus sont donc les plus compétents. Derrière cela, c’est bien évidemment la hiérarchie du diplôme qui s’impose. La critique essentielle que l’on peut faire à cette approche n’est pas d’être fausse mais d’être incomplète et simpliste. Certes, les savoirs font partie de la compétence, mais ils ne sont pas la compétence. D’autre part, qu’entend-on par « savoir » ? Si l’on parle d’emploi de niveau technicien ou cadre, on peut naturellement évoquer les niveaux Éducation nationale. Mais pour les « bas niveaux de qualification », on se heurte au dilemme suivant : en toute cohérence, ils n’ont pas de savoirs, donc pas de compétences. Et pourtant… On peut même aller plus loin et se demander s’il est possible de démêler ce qui dans les savoirs est réellement utilisé dans l’activité, y compris dans l’activité intellectuelle. Les cognitivistes1 différencient classiquement les connaissances procédurales qui sont de l’ordre de la méthode, du comment faire, du raisonnement, des connaissances déclaratives qui concernent le savoir théorique et académique. Les premières se construisent par l’activité, les secondes peuvent s’apprendre dans une salle de cours ou dans un livre. Or : –– les connaissances procédurales s’acquièrent dans et par l’action et marquent profondément l’individu puisque c’est à partir de ce « stock » qu’il abordera désormais les futures situations – et en particulier les nouvelles – pour agir ; –– les connaissances déclaratives sont éphémères et fragiles tant qu’elles n’ont pas été liées à des connaissances procédurales. Mais dès lors, il devient de plus en plus difficile de les distinguer des premières puisqu’elles se sont en quelque sorte assimilées à des processus de résolution de problème.
2.2 L’approche par les savoir-faire Puisque chacun s’accorde finalement à reconnaître que la compétence est en relation directe avec l’action réussie, alors pourquoi ne pas l’assimiler au savoir-faire ? La définition la plus simple ne consisterait-elle pas à dire que la compétence permet de savoir agir, savoir travailler, ou encore savoir-faire2 ? Dans ce cadre, la compétence se définit comme « un savoir-faire opérationnel validé ». On insiste donc sur la dimension de mise en œuvre, sur le fait que le
1. Voir par exemple R. Ghiglione, C. Bonnet, J.-F. Richard (1986). Traité de psychologie cognitive, Paris, Dunod ou J.-F. Le Moigne, Intelligence des mécanismes, mécanisme de l’intelligence, Paris, Fayard. 2. Cette approche a été celle retenue par exemple dans l’accord ACAP 2000 signé en 1991 au niveau de la branche sidérurgique par les partenaires sociaux qui, de manière très novatrice à l’époque, déclare vouloir gérer par les compétences et non plus par les postes et l’ancienneté.
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savoir-faire doit être pratiqué, qu’il est lié à l’action et à une action visible et vérifiable. On introduit aussi l’idée que la compétence se prouve, se mesure, se vérifie et qu’elle ne peut être simplement déclaration de foi ou bonne intention. Ce que l’entreprise récompense et gère, c’est bien l’activité utile, celle qui se voit et fait avancer les choses. Et effectivement, de manière opératoire, quand la définition de la compétence est à la base d’un système de promotion, de rémunération et de formation, on cherche à lui donner un sens concret et vérifiable. La notion de validation permet d’introduire le rôle de la hiérarchie à qui revient la tâche d’assurer cette évaluation au sein de processus de prise de décision qui accompagnent les démarches compétences. Quelle limite peut-on voir à une telle approche ? Le problème clé est celui de la description des compétences : parce qu’elles sont assimilées à l’activité, la plupart du temps, elles sont décrites comme l’activité. En fait, il y a, dans ces cas, très peu de différences entre un référentiel de compétences et un référentiel d’activités. Le premier s’est contenté d’ajouter le verbe « savoir » devant un certain nombre d’activités et c’est ainsi que l’on « fabrique » du savoir-faire. Par exemple, les principales activités d’une secrétaire consistent à tenir l’agenda de son patron et organiser des réunions. Ses compétences seront : « savoir tenir l’agenda d’un patron ; savoir organiser des réunions ». En souhaitant rester très proche de l’activité, du « faire », on ne parvient pas à expliquer ce qui permet d’agir et de réussir. On reste purement descriptif. En revanche l’aspect positif tient au fait de s’obliger à décrire les compétences de manière concrète par des « êtres capables de » encadrés par des indicateurs et des comportements observables, ce que l’on connaît bien en pédagogie !
2.3 L’approche par les comportements et le savoir-être En parallèle à l’approche par les savoir-faire, d’autres écoles donnent un poids déterminant au comportement défini dans la plupart des cas comme ce qui appartient en propre à l’individu, ce qui concerne ses attitudes, et qui permet de le distinguer des autres. Le comportement est alors directement rattaché à la personnalité : pour prédire le premier, il suffit de décrire la seconde et inversement. Cette approche peut s’illustrer par six compétences « génériques » : –– les compétences d’action et de réalisation (motivation d’accomplissement, initiative, recherche d’informations…) ; –– les compétences d’assistance et de service (compréhension interpersonnelle) ; 278
La compétence ■ Chapitre 13
–– les compétences d’influence (impact et influence, sens de l’organisation, établissement de relations…) ; –– les compétences managériales (le développement des autres, la directivité, la direction d’équipe…) ; –– les compétences cognitives (le raisonnement analytique, l’expertise technique) ; –– les compétences d’efficacité personnelle (la maîtrise de soi, la confiance en soi, l’adaptabilité, l’adhésion à l’organisation…)1. Les limites d’une telle approche tiennent en deux points : –– en se situant exclusivement du point de vue de la psychologie, on renvoie à des concepts souvent flous pour les non-spécialistes même si chacun croit en maîtriser le sens : l’intuition, le bon sens, les capacités relationnelles, le sens stratégique, la prudence… sont des termes difficiles à manipuler ; –– en donnant une place explicative à la dimension personnelle, on ne permet pas de créer des référentiels opératoires capables d’aider à développer les ressources humaines ; en effet si l’on considère que le charisme est explicatif de la compétence, on est obligé d’admettre qu’en dehors du recrutement, il y a peu de moyens d’agir ! Ces questions renvoient à un problème plus général et plus pernicieux, celui des rapports entre savoir-être et compétence. D’un côté on ne peut pas nier que dans la compétence, des savoirs comportementaux sont en jeu : savoir encourager, savoir écouter, savoir rassurer, savoir convaincre… La liste pourrait être longue ! D’un autre côté, tous ces savoirs renvoient à des notions très subjectives, appartenant plus au langage commun qu’à des catégories précises. Qu’est-ce que l’écoute ? Qu’est-ce que l’ouverture ? Comment en donner une définition partagée par tous et non discutable ? Par ailleurs, l’importance accordée à la compétence individuelle fait oublier que la performance est souvent collective. En insistant sans cesse sur la responsabilité de l’individu et le rôle de sa personnalité, les entreprises diluent du même coup toute réflexion sur la responsabilité collective. (Bellier, 1991).
1. A. Mitrani et coll., op. cit., p. 63-65.
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2.4 L’approche par les savoirs, savoir-faire et savoir-être Dans de nombreuses entreprises, ces différentes approches se combinent sous forme d’une trilogie. Habituellement cette combinaison ne repose pas sur une théorie construite mais plus sur un « constat de bon sens » et consensuel qui permet une communication aisée. Mais cette approche cumule les inconvénients que nous avons soulevés plus haut tout en en suscitant de nouveaux du fait de la juxtaposition. Ainsi, on est souvent amené à se poser des problèmes de frontière : –– Où s’arrête le savoir et où commence le savoir-faire ? Savoir taper à la machine suppose-t‑il un savoir et si oui lequel ? La gestion des ressources humaines est-elle un savoir ? –– Où s’arrête le savoir-faire et où commence le savoir-être ? L’animation d’équipe est-elle un savoir-être ou un savoir-faire ? Et les compétences commerciales ? Le management fait-il appel à des savoirs, des savoir-faire ou des savoir-être ? À ces questions s’ajoutent des problèmes d’homogénéité et de « maille » : –– Entrer dans le détail pour les savoirs et les savoir-faire est possible. Mais, comment obtenir quelque chose de comparable en termes de savoir-être ? –– Jusqu’où doit-on aller ? Recherche-t‑on l’exhaustivité ou non ? –– Faut-il ou non bâtir un référentiel général de compétences ? Quand on le fait, on débouche sur des outils très lourds et qui tiennent du catalogue. Quand on ne le fait pas, on accroît la tendance à l’hétérogénéité dans l’organisation, avec une multitude de listes locales qui ne communiquent pas entre elles. Cette approche par la trilogie est surtout une juxtaposition d’hypothèses éparses dont on cumule les écueils et non une théorie à part entière.
2.5 L’approche par les compétences cognitives La dernière approche que nous avons choisi de présenter repose sur une définition très prosaïque de la compétence1 : elle est la capacité à résoudre des problèmes de manière efficace dans un contexte donné. Cela signifie que l’efficacité n’existe pas en soi mais est déterminée entre autres par le contexte.
1. Pour une présentation plus approfondie de cette approche, voir S. Michel et M. Ledru (1991). Capital compétence dans l’entreprise, Paris, ESF.
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Ce que nous cherchons à comprendre ici concerne le comment on résout les problèmes. La compétence n’est pas ce qu’on fait mais comment on parvient à le faire de manière satisfaisante. C’est donc ce qui est sous-jacent à l’activité et non pas l’activité elle-même. Ceci amène à s’interroger sur les stratégies de résolution de problèmes qui sont mises en œuvre pour agir. Ces stratégies sont des « démarches intellectuelles » d’ordre cognitif ; elles sont proches de ce que les cognitivistes nomment « connaissances procédurales ». Elles jouent un rôle de guide de l’action, elles sont enfin ce qui permet d’intégrer d’autres compétences en fonction du contexte. On tente ici de nommer non pas l’action mais ce qui est sous-jacent à l’action et la rend possible : –– la compétence est la combinaison originale de capacités dans un contexte donné. Elle n’est pas la somme de capacités particulières ; –– il existe une capacité particulière qui joue un rôle d’intégration par rapport aux autres et qui guide l’action : ce sont les démarches intellectuelles. Le postulat est le suivant : quand il y a résolution de problème, une démarche intellectuelle est présente, y compris quand il s’agit de traiter un problème d’ordre relationnel ou matériel. L’hypothèse retenue est que ces démarches intellectuelles sont spontanément transférées dans le cas d’une mobilité ou d’un changement de contexte. Ceci pour deux raisons : –– elles sont en grande partie inconscientes et automatisées : c’est une manière d’aborder et de résoudre le problème, presque par « réflexe » ; –– elles se sont construites dans l’action, par l’expérience : face à l’inconnu, en cas de changement et de rupture, elles sont spontanément sollicitées. On voit donc l’intérêt en termes de mobilité : faire passer un salarié d’un emploi X réclamant telle démarche à un emploi Y réclamant la même démarche est une garantie de succès, même si les contextes professionnels sont différents. Bien entendu, la démarche intellectuelle ne suffit pas à expliquer toute la compétence. Cette approche ne prétend pas à l’exhaustivité. Elle cherche surtout ce qui est discriminant, explicatif, ce qui fait la différence ou la proximité entre deux emplois, entre deux manières de s’y prendre. C’est une approche surtout efficace en termes de mobilité et d’orientation. Cette démarche centrée sur les compétences cognitives a, elle aussi, des limites : –– Elle est surtout utile pour comparer de manière qualitative des emplois a priori différents entre eux ; en revanche quand il s’agit d’évaluer et de classer, elle est sans grand intérêt. Ainsi pour la mobilité ou l’orientation, elle apporte des informations pertinentes ; beaucoup moins pour la rémunération ou le recrutement ; 281
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–– Elle est plus difficile à communiquer que les autres approches puisqu’elle décrit des automatismes inconscients, non perçus spontanément par les individus. En ce qui concerne la formation, elle permet d’insister sur les démarches intellectuelles et d’identifier des objectifs pédagogiques rarement traités mais elle ne permet évidemment pas de construire un module de formation classique. Les compétences cognitives se construisant dans l’activité, c’est d’abord sur le terrain que l’apprentissage doit se réaliser.
3. Les débats de la compétence Nous n’avons pas la prétention de passer en revue tous les débats dans lesquels la compétence est impliquée. À titre d’illustration nous aborderons trois questions : –– les compétences transversales ; –– les compétences et le contexte ; –– le développement des compétences en situation de travail ;
3.1 L’éternel retour des compétences transversales La plupart des cabinets ou des entreprises utilisant les approches compétence de type savoir/ savoir-faire/savoir-être ont réagi aux limites qu’elles comportent, en particulier la non-transversalité qui empêche la comparaison entre secteurs différents. On a alors vu émerger l’idée qu’il existerait certaines compétences transversales, parfois sous forme de « métacompétences » ou compétences « génériques » qui viendraient structurer et aider à classer les autres. On distingue par exemple des compétences d’organisation, d’animation, ou de développement1. Elles sont parfois complétées par une hiérarchisation qui distinguerait par exemple l’innovation de la simple application2. Mais encore faut-il être sûr : –– que les compétences transversales soient vraiment des compétences, c’est-à‑dire qu’elles expliquent pourquoi il y a ou pas d’action réussie ;
1. Par exemple, les travaux de Mc Clelland, op. cit., p. 243. 2. Ceci reprend d’ailleurs avec un point de vue « hiérarchisant » les critères qui étaient développés depuis 1987 par COROM et ceux menés par A. d’Iribarne (1989). La Compétence. Défi social, enjeu éducatif, Paris, Presses du CNRS.
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–– qu’elles soient effectivement celles qui expliquent le mieux la transversalité. ce terme restant d’ailleurs à définir. –– que ce qu’on met derrière les termes retenus soit suffisamment clair pour qu’on ne retombe pas sur des problèmes de subjectivité. Or pour chacune de ces questions, le moins qu’on puisse dire est qu’on manque d’éléments. Par ailleurs, la notion même de compétence transversale est en contradiction avec la définition de la compétence. Rappelons en effet que cette dernière est censée être liée à un contexte donné, à une situation professionnelle précise. Parler de compétence transversale, c’est faire l’hypothèse que certaines compétences sont systématiquement utilisables quelle que soit la situation dans laquelle elles s’appliquent. Est-ce par nature ? Est-ce par choix ? Est-ce tout simplement parce qu’on est « remonté » d’un cran dans la description et dans ce cas est-on en train de nommer autrement la « démarche intellectuelle » ? Ces questions en rejoignent d’autres plus théoriques sur la transférabilité. B. Rey (1996) a pu faire la démonstration que cette dernière n’existait pas en dehors de ce qui lui donne forme : l’intention. On transfère parce qu’on veut le faire. Et cette intention est elle-même le fruit d’une histoire, d’une situation psychologique et sociale qui dépasse largement la question de la compétence. Signalons l’actualité de cette question qui revient régulièrement sur le devant de la scène tant elle suscite une demande à la fois des entreprises et des individus. Ainsi, les compétences clés1 ou les compétences socles2, dont les listes sont variables, sont présentes à la fois pour gérer les « hauts potentiels » mais aussi les chômeurs à qui on fait miroiter l’idée que quelques compétences bien choisies sont le secret de l’insertion. L’employabilité serait à ce prix. Mais peut-on maîtriser une compétence en général et être sûr de pouvoir l’utiliser à bon escient dans des contextes qui peuvent être fort différents ? Autant de discours à la limite de la contradiction intellectuelle mais qui rassurent. Derrière ces questions, se pose celle de la transférabilité des compétences. Si la compétence est liée à un contexte particulier, peut-on imaginer que rien n’est transférable d’un contexte à l’autre ? Alors toute formation hors contexte précis n’a aucun intérêt et seule la formation sur le tas permet d’acquérir des compétences pour le contexte spécifique dans lequel elle est dispensée. Cette question est d’ailleurs très proche de celle posée par la loi sur la VAE (validation des acquis 1. Le « socle de compétences » ou CLEA, défini au niveau européen, nous semble relever d’une autre approche, celle de « compétences de base » nécessaires pour tous les adultes d’un pays. 2. CLEA identifiées par la Commission européenne et source de grands chantiers en France.
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de l’expérience). L’idée que l’on puisse faire valider ce que l’on a appris en travaillant et que cette validation soit équivalente à un diplôme tout ou partie est une vraie révolution dans notre culture du diplôme. Mais l’équivalence semble parfois devenir l’identité de deux expériences. Avec la VAE, on fait l’hypothèse implicite qu’être comptable dans une PME pendant cinq ans permet d’acquérir la même chose qu’être comptable dans une grande entreprise ou dans un cabinet d’experts-comptables… et que toutes ces expériences sous-entendent la maîtrise des mêmes savoirs. On peut l’admettre intellectuellement même s’il y a là une sorte de négation de la dimension contextuelle de la compétence. Mais, dans les faits, quand la grande entreprise verra arriver le comptable de la PME, considérera-t‑elle qu’il a vraiment la même compétence sans avoir la même expérience que son comptable à elle ? Le dilemme est réel, car à trop particulariser la formation des compétences, on fige définitivement chacun où il est ; à trop la généraliser, on lui fait perdre son sens.
3.2 Compétence et contexte Une des évolutions les plus marquantes des travaux de ces dernières années concerne l’importance prise par les situations de travail et l’analyse de l’activité. De manière un peu caricaturale, on peut opposer ces recherches aux approches gestionnaires caractérisées par la production de « référentiels de compétences ». La fonction RH s’est souvent laissé enfermer dans la fabrication de ces outils au service de la GPEC en s’éloignant de la réalité du travail. À force de décrire des compétences de plus en plus abstraites, « on a laissé filer le travail » pour reprendre l’expression de François Dupuy12. Dans ces circonstances, les expérimentations et les recherches sur les compétences en situation de travail sont apparues comme une réponse ou tout au moins une alternative. Ces travaux existaient depuis plusieurs années mais concernaient surtout un cercle restreint de chercheurs3. Deux idées clés vont s’imposer : –– les notions d’environnement, de contexte, de situation vont être jugées comme indispensables pour travailler sur les compétences – ce qui nous ramène aux raisons d’être historiques de ce concept ; –– la nécessité d’adopter une vision moins centrée sur l’individu et la volonté de prendre en compte d’autres acteurs, d’autres éléments que le collaborateur au travail. 1. F. Dupuy (2011). Lost in Management, Paris, Le Seuil. 2. Ajoutons à cela la « vague des suicides » en 2009 et leur forte médiatisation et l’on comprendra que la GRH s’est trouvée fortement remise en cause. 3. J.-M. Barbier et M. Durand (2006). Sujets, actions, environnements, Paris, PUF.
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La compétence ■ Chapitre 13
Citons les travaux de B. Gazier1 qui propose un cadre d’analyse stratégique pour distinguer différentes approches des compétences : une vision classique ou il s’agit de fixer ou de capter la main-d’œuvre ; une vision ouverte et dynamique où il s’agit de distinguer des trajectoires internes ou externes à l’entreprise. Ainsi, dans le cas d’un marché interne dynamique portant sur une approche individuelle (par opposition à des approches collectives), on trouvera le modèle de la compétence qui consiste à former, développer et faire bouger au sein même de l’organisation des salariés que l’on a recrutés peu compétents. On est bien loin d’une approche analytique où chaque activité donne lieu à une « ligne » de compétence associée dans un référentiel censé être exhaustif. Ces travaux permettent de penser les politiques de gestion des compétences à partir des stratégies d’entreprises en lien avec leur environnement et les différents jeux d’acteurs qui construisent cet environnement. « Tantôt règles de travail ou de gestion, de nature individuelle ou collective, inscrites dans des contextes d’ajustement ou de développement, les démarches compétences présentent bien de multiples figures dont les points de fragilité constituent autant de marges de manœuvre pour les salariés2. »
Parce que les politiques de formation s’inscrivent dans un contexte organisationnel, elles ne peuvent être universelles ; la compréhension de ce contexte passe par l’analyse des définitions des compétences, la manière dont elles sont situées et intégrées dans une vision particulière de la gestion des hommes. L’articulation entre stratégie, organisation et approche compétence semble donc indispensable pour comprendre les choix en termes de formation.
3.3 Développement des compétences en situation de travail Transversalité limitée et contextualisation vont dans le même sens : sortir du général et investir le spécifique comme une condition de réussite du développement des compétences. Cette orientation va être majeure pour la formation. Initiée par les travaux sur l’analyse de l’activité3, l’analyse des situations de travail comme lieu d’apprentissage est au cœur des travaux récents sur le développement des compétences4. La formation est envisagée comme une dynamique, celle des processus d’apprentissage à l’œuvre dans le travail. Les questions sont nombreuses : rôle du soutien managérial, rôle des collègues, des modes de coopération et de socialisation 1. B. Gazier (2010). Les Stratégies des ressources humaines, Paris, La Découverte, 4e éd. 2. S. Bretesché et C. Krohmer (2010). Fragiles compétences, Paris, Presses des Mines. 3. Y. Clot (2008). Le travail sans l’homme ? Pour une psychologie des milieux de travail et de vie, 3e éd. augmentée (1re éd. 1995), Paris, La Découverte et Clot Y. (2008). Travail et pouvoir d’agir, Paris, PUF, coll. « Travail humain ». 4. S. Bretesché et C. Krohmer (2010). Fragiles compétences, Paris, Presses des Mines.
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(Devos et Dumay, 20061). Mais ce sont aussi les formes d’organisation du travail qui deviennent centrales pour comprendre à quelles conditions les individus vont apprendre en travaillant. Les travaux sur les environnements capacitants et les capabilités (Oudet, 20142) développés à partir des théories de l’économiste du développement Amartya Sen, vont permettre de réinterroger le lien entre ressources mises à disposition de l’apprenant dans son contexte professionnel et développement des compétences. D’une manière générale, on s’intéresse plus3 au transfert et à ses conditions de réussite qu’au module de formation4. Et on analyse plus l’activité que le contenu d’un programme pédagogique pour comprendre les processus d’apprentissage (Champy-Remoussenard, 2005)5. Comment faire pour que chaque situation de travail devienne apprenante ? Comment faire pour que chacun puisse jouer son rôle dans le développement des compétences ? Comment « produire » les compétences là où elles seront utilisées ? Comment les développer en situation de travail ? Ces questions réinterrogent également les pratiques de conception pédagogiques (Enlart, 20086). Finalement sait-on adapter nos connaissances en ingénierie de formation aux approches compétences7 ? Car si nous savons depuis toujours transmettre des connaissances, la question de leur mobilisation en situation professionnelle n’était – en fait – pas jugée critique. Or le concept même de compétence oblige à mettre l’accent sur les processus d’appropriation et d’utilisation dans l’activité de ce qui a été considéré comme « appris ». Si les compétences s’acquièrent dans l’action, faut-il alors continuer à envoyer les salariés en stages de formation ? Faut-il enseigner des savoirs sans se demander à quelles conditions ils seront mis en œuvre ? Si l’on était logique, seule la formation sur le tas correspondrait à la démarche compétence. Et pourtant… on sait aussi que ce n’est pas seulement le fait de faire qui permet d’apprendre. Au contraire, nombre de salariés laissés (abandonnés ?) dans la répétition d’un travail routinier se retrouvent finalement inemployables et parfois fermés à toute évolution. Comment alors définir et mettre en œuvre les conditions qui rendront les situations de travail 1. C. Devos et X. Dumay (2006). « Les facteurs qui influencent le transfert : une revue de la littérature », Savoirs, 12. 2. S. Fernagu Oudet (2014). « Agir collectif et environnement capacitant », Éducation permanente, hors série AFPA, 171-186 3. Voir le chapitre 26 4. Deux numéros de la revue Savoirs portent sur ces thèmes en un an « Le transfert » 2006-12 et « Analyse de l’activité et formation » 2005-8. 5. P. Champy-Remoussenard (2005). « Les théories de l’activité, entre travail et formation », Savoirs, 8. 6. S. Enlart (dir.) (2008). Les dispositifs en question, Paris, Éditions Liaisons. 7. S. Enlart (2014) « Ingénierie pédagogique ; de l’élargissement à l’évanouissement », in E. Bourgeois et S. Enlart, Apprendre dans l’entreprise, Paris, PUF.
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La compétence ■ Chapitre 13
apprenantes ? Voilà un des grands défis des années à venir pour tous ceux qui s’intéressent au développement des compétences. Défi complexe car il relève aussi des rapports sociaux entre acteurs, du rôle et de la place effective accordée au management, du fonctionnement des collectifs de travail, des modes de gestion des ressources humaines (évaluation, promotion, reconnaissance…).
4. Conclusion Ainsi, en insistant sur le rapport à l’activité et au contexte, la compétence amène à interroger non seulement la formation professionnelle mais surtout l’ingénierie et la conception de dispositifs adéquats. Et si l’approche compétence a fortement revalorisé les « formations actions », les mises en situation, l’utilisation de l’expérience comme lieu formateur et l’idée d’« organisation apprenante », elle a aussi apporté des questions théoriques et pratiques qui sont loin d’être résolues. Au-delà des débats sur sa définition, la compétence a également permis que se posent différemment les problématiques de la relation individu/organisation. Ce n’est plus l’entreprise qui maîtrise totalement le travail : celui-ci devient un enjeu partagé, en partie entre les mains de l’individu. Réciproquement l’individu se voit chargé d’une responsabilisation accrue – excessive ? – de son employabilité, ce qui ne peut laisser les partenaires sociaux indifférents. Autre débat, en passant des compétences aux compétences transversales, génériques et au savoir-être, plus rien n’échappe à l’emprise de la gestion et de l’organisation : tout devient compétence, tout comportement est à mettre en rapport avec le travail et la performance. Ces questions touchent directement le champ de la formation à partir du moment où elle est théoriquement et traditionnellement un lieu de production des compétences. Or celles-ci se développant dans l’activité, la formation se trouve réinterrogée à la fois dans ses pratiques et dans ses fondements… et parfois dans son utilité même. Finalement, l’intérêt porté aux compétences va de pair avec une remise en cause de la formation classique, fût-elle continue et professionnelle, construite sur le modèle scolaire (Enlart et Benaily, 2008). Et on assiste au contraire à une valorisation des apprentissages implicites qui se passent dans les entreprises en situation de travail. D’autant plus que les technologies de l’information et de la communication font surgir des pratiques radicalement nouvelles et amèneront sans doute à reposer une question fondamentale : faut-il encore apprendre à l’ère d’internet (Enlart et Charbonnier, 2010) ? 287
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Ces questions devront se concrétiser au travers de formations des formateurs, d’accompagnement des tuteurs, d’implication de la hiérarchie et de nouvelles postures individuelles1. C’est somme toute à une passionnante redécouverte des processus d’apprentissage en entreprise – plus que de la formation – que la compétence nous invite.
Lectures conseillées Aubret J., Gilbert P., Pigeyre F. (1993). Savoir et pouvoir, les compétences en question, Paris, PUF.
L e B oterf G. (1995). De la compétence. Essai sur un attracteur étrange, Paris, Éditions d’Organisation.
Bellier S. (1998). Le savoir-être dans l’entreprise, Paris, Vuibert.
Revue Savoirs, particulièrement les numéros 2005-8 et 2006-12.
Bourgeois E. et Enlart S. (2014). Apprendre dans l’entreprise, Paris, PUF.
Rey B. (1996). Les Compétences transversales en question, Paris, ESF.
Enlart S. et Bénaily (2008). La fonction formation en péril, Paris, Éditions Liaisons.
Zarifian P. (1999). Objectif compétence, Paris, Éditions Liaisons.
Enlart S. et Charbonnier O. (2010). Faut-il encore apprendre ?, Paris, Dunod. 1
1. Carré P. (2005). L’Apprenance, Paris, Dunod.
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Chapitre 14 Mémoire et apprentissage1
1. Par Moïse Déro et Fabien Fenouillet.
Sommaire 1. Historique............................................................................................................. 291 2. Positionnement..................................................................................................... 292 3. Multiplicité des apprentissages............................................................................. 293 4. Une mémoire modulaire et dynamique................................................................... 294 5. Les processus mnésiques...................................................................................... 300 6. Oubli et durée des souvenirs................................................................................. 302 7. De la mémoire à l’apprentissage............................................................................ 302 8. Pistes pour mieux apprendre................................................................................. 303 9. Conclusion............................................................................................................. 307 Lectures conseillées.................................................................................................. 307
Depuis la Préhistoire, notre espèce humaine a su démontrer de formidables capacités d’apprentissage, d’adaptation et de transmission de ses savoirs à sa descendance. Pour l’enfant comme pour l’adulte, apprendre et se former demeurent indispensables pour s’adapter aux environnements sociaux et techniques particulièrement complexes dans lesquels nous évoluons. Mais comment cet apprenant fait-il pour apprendre ? Immédiatement viennent à l’esprit les termes de mémoire et d’apprentissage, qui sont à la fois des concepts et des processus, tous deux complexes et intimement liés dans des processus dynamiques. Donnons d’emblée deux définitions larges pour faciliter la compréhension de ce chapitre. Selon nous, l’apprentissage est un processus dont l’intégration répétée d’informations va produire une modification durable du comportement de l’apprenant, témoignant d’une interaction et d’une adaptation de celui-ci à l’environnement considéré. Quant à la mémoire, elle renvoie aux processus mentaux assurant l’acquisition de nouvelles informations, leurs conservations, leurs restitutions ultérieures ou la modification de connaissances antérieures de l’apprenant. La mémoire est donc le support de l’apprentissage.
1. Historique
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Depuis l’essor des théories cognitives dans les années 1960, mémoire et apprentissage sont aujourd’hui bien mieux compris que par le passé. De l’Antiquité d’Homère (viiie av. J.-C.) jusqu’à la Renaissance de Giordano Bruno (1600), la mémoire fut particulièrement étudiée par des philosophes, des lettrés, des religieux ou des savants la considérant comme une faculté précieuse associée à nos souvenirs et nos connaissances1. En France, le rationalisme de Descartes la rendit secondaire pendant un temps au profit du raisonnement. La mémoire retrouva de l’intérêt auprès des pionniers de la psychologie expérimentale (tel Ebbinghaus en 1885 sur les courbes d’oubli) et de la neurologie (premières localisations cérébrales scientifiques avec Broca en 1861). En 1890, James distinguait déjà une mémoire primaire de capacité limitée d’une mémoire secondaire. En 1889, le physiologiste Pavlov a mis en évidence les réflexes conditionnels et obtint en 1904 le prix Nobel. Au début du xxe siècle, ce sont les termes d’« apprentissage » et de « comportement » que privilégia l’approche behavioriste. Fondamentalement, furent démontrés plusieurs 1. Alain Lieury, amical prédécesseur de ce chapitre dont nous saluons ici la mémoire, a abordé en détail cet aspect historique dans le magnifique Livre de la mémoire, paru chez Dunod.
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phénomènes importants dans les apprentissages, comme ceux des associations entre stimuli et réponses autour des concepts de conditionnement. Toutefois, le behaviorisme ne s’intéressa pas aux processus internes cérébraux et psychologiques les sous-tendant. Les théories cognitives, issues de la cybernétique1 pluridisciplinaire des années 1950, bouleversèrent les connaissances sur la mémoire humaine : depuis on emploie les termes de processus mnésiques pour rendre compte de sa multiplicité de structures et de fonctionnements. À la fin des années 1960, concomitamment à la psychologie cognitive, les neurosciences se sont développées, autour notamment des maladies de la mémoire, et avec elles des technologiques d’imagerie cérébrale. Le cognitivisme des années 1970 va affiner la connaissance des fonctionnements mnésiques avec, par exemple, la distinction entre mémoire sémantique et mémoire épisodique, ou encore le premier modèle d’une mémoire de travail dont l’imagerie médicale démontrera la pertinence. Les sciences cognitives évolueront entre d’une part une psychologie à l’approche modulaire et fonctionnelle de la mémoire, et d’autre part une approche connexionniste avec l’outil conceptuel des réseaux de neurones formels en simulation informatique. Depuis, avec l’extrême ouverture des sciences cognitives, théories et modèles de la mémoire ont encore progressé, se sont perfectionnés et surtout complexifiés.
2. Positionnement Apprendre ne peut se faire sans intégrer dans une grande équation d’autres systèmes psychologiques, tels que les fonctions exécutives ou les processus motivationnels, qui renvoient à la dimension personnelle et dispositionnelle de l’individu apprenant. Ce dernier est plus largement encore inséré dans des environnements pouvant être facilitateurs ou non de ses apprentissages. L’apprenant est nécessairement socialisé et actif dans de nombreux lieux sociaux où il développe ses répertoires comportementaux, construit et mobilise des compétences, mais cet aspect ne sera pas développé ici. Bien que des preuves neurologiques sous-tendent la mémoire, nous souhaitons un abord plus compréhensible des apprentissages, de ce que met en œuvre un apprenant à l’aune de conceptions cognitives. Ce chapitre est centré sur les processus psychologiques majeurs impliqués dans « l’apprendre ».
1. Théorie de « la communication et de la commande chez l’animal et dans la machine » (Wiener, 1948).
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Mémoire et apprentissage ■ Chapitre 14
3. Multiplicité des apprentissages Pour comprendre les processus d’apprentissages impliqués en formation et le fait que deux apprenants n’apprendront pas de la même manière, il faut prendre en compte au minimum plusieurs facteurs. Nous en présentons ici quatre. Le premier est celui du rapport au savoir, avec sa dimension d’engagement que nous ne développons pas ici. Le second facteur est celui de l’habitude ou non pour l’apprenant d’être en apprenance. Le troisième facteur est la nature des apprentissages visés dans une formation : selon qu’ils sont procéduraux (savoir-faire) et/ou plutôt déclaratifs (savoirs), ils n’impliqueront pas les mêmes systèmes et processus mnésiques (voir infra). Le quatrième facteur renvoie à l’expertise initiale des apprenants et l’étendue de leurs connaissances antérieures au sens large du domaine de la formation considérée. Pour tel apprenant déjà expert, l’apprentissage pourra être très aisé de par ses stocks de connaissances et de stratégies antérieurs qu’il saura remobiliser, pouvant donner l’impression qu’apprendre se fait sans effort. Pour tel autre apprenant, totalement novice dans un module de formation, apprendre réclamera beaucoup plus d’efforts, allant jusqu’à l’impression d’une impossibilité à apprendre et à comprendre l’objet même d’apprentissage. Ce facteur expertise renvoie à des notions connues en psychologie : celles des processus automatiques versus contrôlés que nous relions ici aux apprentissages.
3.1 Automaticité et contrôles des apprentissages Dans les processus contrôlés, les traitements de l’information sont plus lents que dans les automatismes, car ils sont délibérés. L’apprenant utilise beaucoup de ressources attentionnelles parce que ses élaborations mentales sont complexes et conscientisées : il sollicite ses fonctions exécutives (mémoire de travail, choix stratégiques et flexibilité mentale), qui sont des processus de haut niveau, pour sélectionner, traiter, élaborer et choisir les contenus informationnels à mémoriser. Aussi, apprendre quelque chose de totalement nouveau sera très coûteux et très long. Lorsque les apprentissages se répètent régulièrement, ils peuvent au fur et à mesure voir la charge mentale requise diminuer et s’automatiser peu à peu. Les processus automatiques sont exécutés plus rapidement que ceux contrôlés. Ils sont autonomes et irrépressibles, ne sollicitent pas de ressources attentionnelles et ne sont pas perçus consciemment.
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En résumé, sous l’influence de nombreux facteurs physiologiques (fatigue, stress, etc.) comme psychologiques, les apprentissages non automatisés sont des processus complexes qui opèrent constamment des modifications de la structure mnésique. Apprendre, lorsqu’il s’agit de connais sances déclaratives est donc coûteux mentalement et suppose des apprentissages autorégulés.
3.2 Autorégulation des apprentissages L’autorégulation des apprentissages utilise les processus mnésiques mais aussi les fonctions exécutives sous l’influence des processus motivationnels. Cosnefroy (2011) en propose une définition pragmatique : il s’agit d’un « apprentissage contrôlé de l’intérieur par l’apprenant, qui trouve en lui-même des ressources pour se mettre au travail et y rester en adaptant sa conduite afin de résister aux distractions, surmonter les difficultés rencontrées ou, plus généralement, d’améliorer la performance produite ». Ainsi, pour s’autoréguler, l’apprenant doit être éveillé, vigilant quant à la plupart de ses processus cognitifs mais aussi affectifs et motivationnels. Selon son âge développemental, la nature des apprentissages en jeu, ses buts et son niveau motivationnel, l’apprenant mobilisera plus ou moins activement des cognitions et des métacognitions, des affects, des répertoires comportementaux dans ses processus d’apprentissage. Apprendre est donc envisagé comme un processus complexe et durable psychologiquement.
4. Une mémoire modulaire et dynamique On distingue au minimum la mémoire à court terme (MCT), plus « consciente » des informations manipulées, de la mémoire à long terme (MLT), plus durable. Toutes deux ont des caractéristiques et des fonctionnements différents et surtout renferment d’autres types de mémoires encore plus spécialisées. Le schéma simplifié (cf. fig. 14.1) que nous présentons concerne l’adulte. Il place de manière structurée les différents modules de la mémoire ainsi que les processus de traitement informationnel entre ces modules, symbolisés par des flèches. Les paragraphes suivants abordent plus en détail ces composantes mnésiques et la plupart de leurs échanges informationnels dans les apprentissages.
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Mémoire et apprentissage ■ Chapitre 14
Figure 14.1 - Modèle modulaire de la mémoire humaine
Depuis les années 1960, on considère que l’apprenant capte les stimuli de son environnement, que ses mémoires sensorielles (M. Sens.) traitent ces signaux sensoriels puis les envoient à la MCT qui sollicite la restitution d’informations de la MLT pour produire des élaborations mentales. Ces dernières peuvent ensuite être mémorisées et conservées en MLT (importance de la flèche à double sens) : .
4.1 Les mémoires sensorielles Notre environnement et notre propre corps génèrent des milliards de stimuli captés par nos systèmes sensoriels spécialisés, dont le rôle est de sélectionner dans cet immense flux informationnel les éléments saillants, de réduire drastiquement l’information en la simplifiant et la recodant sous différents codes envoyés à la MCT. Parmi nos habituels cinq sens, les perceptions visuelles et auditives sont les plus importantes, ce qui explique qu’elles ont été très étudiées, scientifiquement ou non. Ainsi, s’est répandue à tort en France au xxe siècle l’idée populaire de méthodes pédagogiques associées à chaque mémoire sensorielle car de grands savants français du xixe siècle en avaient 295
Traité des sciences et des techniques de la formation
postulé l’existence, sans toutefois la démontrer. Hélas, les mémoires sensorielles sont extrêmement évanescentes et surtout non stratégiques à la différence de nos processus d’apprentissage efficients. La mémoire iconique est le nom scientifique pour ce registre sensoriel des informations visuelles : une vision précise mais très étroite (3° d’angle visuel dans la fovéa), une perception rapide toutes les 1/25e de seconde mais d’une survie inférieure à 1 seconde. La mémoire échoïque est la mémoire sensorielle traitant le code auditif. Il lui faut aussi transformer les informations non stockables car trop nombreuses en des informations réduites mais pertinentes pour les traitements mentaux ultérieurs : c’est le code lexical que traite la mémoire lexicale (ML).
4.2 La mémoire à court terme (MCT) 4.2.1 Fonctionnement et caractéristiques La MCT est un stockage de capacité limitée qui maintient provisoirement des informations pertinentes pour des traitements plus élaborés. Elle sert à l’encodage (la mémorisation) à long terme. Tout autant, elle permet la récupération (le souvenir) de connaissances antérieures pour créer de nouvelles idées et élaborations mentales susceptibles de générer de nouvelles connaissances qu’il faudra mémoriser durablement. Chaque mémoire utilisant ses codages spécifiques, les informations manipulées en MCT sont des codages aux propriétés informationnelles différentes. La MCT étant sensible à l’oubli et aux interférences (perturbations pendant le traitement), la répétition mentale est très importante tant que l’encodage n’a pas eu lieu. Les caractéristiques de la MCT vont varier selon les codages manipulés. Ainsi, pour des informations verbales déjà connues, l’empan mnésique (la capacité moyenne) chez l’adulte varie entre 5 et 9 éléments (« 7 ± 2 ») en référence au nombre magique 7 de Miller (1956). Or ces éléments verbaux ne peuvent rester qu’au maximum 30 secondes en MCT si l’auto-répétition de l’apprenant est perturbée. Il existe aussi d’autres rétentions à court terme conceptualisées notamment dans le modèle de la mémoire de travail de Baddeley (2000), mémoire faisant partie de la MCT.
4.2.2 La mémoire de travail (MdT) Pour Baddeley et al. (2014), c’est un système qui gère nos ressources cognitives et attentionnelles, maintient provisoirement des informations tout en assurant leurs traitements pour la tâche mentale en cours. La MdT comprend un administrateur central (AC) qui pilote d’autres composantes : une boucle phonologique (BP) pour les informations verbales, un calepin-visuo spatial (CVS) pour les informations visuelles et spatiales et un buffer épisodique (BE) pour des informations multimodales mais aussi sémantiques et personnelles. L’AC est une composante attentionnelle qui a un rôle dans la sélection, la planification et la coordination des traitements informationnels. Il peut utiliser une ou plusieurs de ses 296
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sous-composantes dont il intègre les informations. L’importance de la boucle phonologique est grande, car via une auto-répétition des informations, elle rend possible des opérations mentales que réclament la lecture, la littératie, la compréhension orale, la production d’écrits ou encore les problèmes arithmétiques. Quant au calepin visuo-spatial, il permet de manipuler nos images mentales, y compris celles issues d’informations verbales que l’on transforme en images. Enfin, le buffer épisodique intègre les informations multimodales en une représentation épisodique, un événement mental unique et personnel pour l’apprenant. À partir d’une même formation suivie, chaque apprenant emploie donc des stratégies différentes et éminemment personnelles utilisant des composantes verbales, visuo-spatiales et/ou épisodiques.
4.3 La mémoire à long terme (MLT) Au sein de la MLT, il existe aussi des mémoires spécialisées où il est fait la distinction entre d’une part la mémoire déclarative (MD) et d’autre part la mémoire non déclarative (MnD). Qu’est-ce qui distingue fondamentalement ces deux systèmes de mémoire ? Au sein de la MD, les apprentissages sont contrôlés consciemment par l’apprenant et utilisent la MCT pour l’encodage et la restitution des connaissances à long terme. Ces apprentissages déclaratifs sont donc coûteux cognitivement : ils occupent une charge mentale plus ou moins élevée, qui sollicite des ressources attentionnelles. Dans la mémoire non déclarative au contraire, les apprentissages peuvent intervenir hors du contrôle conscient de l’apprenant sans réclamer de charge mentale.
4.3.1 La mémoire déclarative (MD) ou mémoire explicite Dans la mémoire déclarative nous allons situer plusieurs systèmes spécialisés. Bien que parfois placées par d’autres auteurs parmi les mémoires sensorielles, nous faisons figurer en MD la mémoire lexicale et les mémoires visuelles, de par l’importance de ces connaissances et traitements spécifiques chez l’humain. La mémoire lexicale (ML) Que l’on entende prononcer un mot (mémoire échoïque) ou qu’on lise ce même mot (mémoire iconique), les traitements issus de sens aboutissent irrémédiablement en quelques secondes en un code unique pour les informations langagières : le code lexical. D’ailleurs, si on interroge en différé (à long terme) les sujets sur les mots lus et/ou entendus la performance est égale. Par contre, et c’est là un effet subjectif, les personnes se trompent plus souvent en croyant avoir entendu une information plutôt que l’avoir lue. De fait, le contexte épisodique de la prise d’information est moins bien mémorisé que l’information lexicale. 297
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Cette mémoire lexicale sert à la fois au stockage des informations verbales (les mots sont des « fiches lexicales ») et au stockage des stratégies automatisées d’encodages et de décodages lexicaux. Une fiche lexicale possède plusieurs composantes développées à des âges différents : les premières composantes étant celles du langage oral, d’abord de l’écoute puis de la prononciation, puis, dans nos cultures de l’écrit, surviennent scolairement celles de la lecture et de l’écriture. Il n’y a donc pas de mémoire auditive ou visuelle des mots, mais des composantes lexicales différentes pour une même fiche lexicale.
Les mémoires visuelles (MV) Sous cette catégorie, plusieurs composantes sont regroupées. La première est dite « visuelle » et identifie des éléments dans des informations figuratives : elle détermine le « quoi » de notre vision. La seconde est un système spatial déterminant des positions (pour le « où ») de notre vision. Mais d’autres composantes visuelles ont été mises au jour encore : une mémoire visuelle spécifique aux traitements des formes et des couleurs, une mémoire imagée stockant et identifiant des images mentales familières (objet, plantes, animaux, etc.), une mémoire spécifique des visages, une mémoire visuo-spatiale pour les traitements de localisation spatiale de formes ou d’images. La mémoire épisodique (ME) Classiquement, la principale distinction au sein de la mémoire implicite concerne la mémoire épisodique et la mémoire sémantique : la première concernant des événements vécus avec des éléments de leurs contextes, la seconde des idées et concepts généraux sur le monde, des faits qu’un apprenant a eu l’occasion d’intégrer notamment par le langage. Ainsi, la ME contient et traite des connaissances personnelles d’événements avec leurs contextes, tels que des dates, des lieux, des états émotionnels, des personnes impliquées, le niveau d’importance pour soi de l’événement, etc. Parfois nommée autobiographique, la ME est particulièrement subjective : elle n’est pas la reproduction fidèle d’un événement mais sa fixation personnelle. Bien que sous l’influence de nos états émotionnels, de l’oubli ou de la fréquence d’un même événement, les épisodes peuvent cependant être modifiés par le raisonnement. Aussi, dans cette construction d’une trace passée, il peut y avoir des distorsions et des biais dans les souvenirs mémorisés. Les émotions ravivant la ME peuvent modifier notre souvenir passé.
La mémoire sémantique (MS) Cette mémoire, indépendante de l’expérience personnelle, est plus durable et robuste que la mémoire épisodique. Elle se centre sur des connaissances générales du monde. D’expérience, nous savons avoir des connaissances mais sans nécessairement nous souvenir de tous leurs épisodes initiaux, de leur utilisation antérieure, de leur réapprentissage et de leur réorganisation : « on sait » mais sans situer les « où », « quand », « comment » ou autre « pourquoi » on a acquis ces savoirs. 298
Mémoire et apprentissage ■ Chapitre 14
Les connaissances en MS sont associées entre elles et forment des réseaux sémantiques plus ou moins structurés. Elles se généralisent tout au long de la vie via la répétition d’épisodes d’apprentissage et des phénomènes de consolidation où les traits communs des différents épisodes sont sélectionnés et détachés de leur contexte. Il existe des connaissances très faciles à imaginer mais aussi des concepts tellement abstraits qu’il est difficile de les imaginer même par analogie, que seuls des experts du domaine connaissent. On peut rapprocher de la MS plusieurs termes usuels : mémoire collective, connaissances scolaires, culture générale d’un individu. Sur ce point des savoirs encyclopédiques, certains chercheurs emploient le concept de mémoire encyclopédique pour parler des savoirs multimodaux (dates, représentations imagées, noms, définitions…) particulièrement organisés, issus de la scolarité et de la formation. En éducation, il a été montré une corrélation importante entre ce stock de connaissances structurées, l’évaluation et la prédiction à plusieurs années de la réussite scolaire. L’hypothèse est que pour réussir sa scolarité ou sa formation, la quantité et la qualité des savoirs déclaratifs à apprendre mais aussi ceux antérieurs de l’apprenant sont des facteurs prégnants dans l’efficacité des apprentissages envisagés.
4.3.2 La mémoire non déclarative (MnD) ou mémoire implicite Il existe également une forme non consciente de mémoire où l’apprenant ne peut s’expliquer comment il a acquis les savoirs de ce type : il s’agit de la mémoire non déclarative. Le sujet récupère automatiquement et non consciemment des informations apprises, sans charge mentale. La MnD regroupe elle aussi plusieurs mémoires spécialisées : la mémoire procédurale, les conditionnements classique ou opérant, l’amorçage ou encore les apprentissages non associatifs. Nous évoquerons seulement trois d’entre elles La mémoire procédurale C’est la mémoire de nos habiletés sensorimotrices, issue du développement psychomoteur. Les habiletés sont acquises par la répétition motrice et s’affinent avec le temps pour devenir de plus en plus performantes. C’est la mémoire des savoir-faire tels que l’apprentissage du clavier, de la conduite d’un vélo ou d’une voiture, de la technique d’un sportif de haut niveau, des gestes professionnels experts (tour de main d’un artisan, par exemple), ou encore la virtuosité d’un musicien. L’amorçage L’effet d’amorçage et la technique expérimentale éponyme traduisent l’influence, sans que le sujet en ait conscience, de la présentation préalable d’un stimulus (l’amorce) sur le stimulus qui le suit (la cible). Ces amorces peuvent être de natures différentes (images, mots lus ou entendus, voisins phonétiques ou sémantiques, etc.). On remarque qu’il y a généralement un gain de vitesse de traitement quand l’amorçage est positif (amorce associée à la cible), et inversement quand l’amorçage est négatif. 299
Traité des sciences et des techniques de la formation
Le conditionnement Qu’on le nomme conditionnement classique, répondant ou pavlovien, il traduit les adaptations de l’organisme à son milieu. Un stimulus d’ordinaire neutre peut devenir conditionnel non consciemment s’il est présenté après un stimulus inconditionnel pour l’organisme. Par la répétition de la situation, stimulus neutre et réaction deviennent conditionnels : exemple, associer un signal sonore à la fin d’un cours ou de la journée de travail ! On rencontre aussi un conditionnement dit opérant car volontaire. On y distingue des renforcements positifs et négatifs ainsi que les sanctions négatives et positives qui ont des conséquences sur le comportement du sujet. Des travaux ont permis l’apparition des techniques d’enseignement programmé où, via le numérique par exemple, les réponses d’un apprenant conditionnent les informations suivantes qui lui sont fournies, dans un apprentissage très découpé et progressif. Certains cognitivistes considèrent que les apprentissages cognitifs ne sont pas fondés sur les conditionnements alors que d’autres mixent conditionnement et cognition.
5. Les processus mnésiques 5.1 La mémorisation Mémoriser, c’est encoder l’information à long terme. Dans le buffer épisodique un processus d’organisation se crée entre les informations de la MdT et d’autres stockées en MLT. Pour parvenir à cette élaboration mentale qui est coûteuse en termes d’attention, l’apprenant doit répéter les informations le temps de les associer correctement entre elles. À l’encodage, il faut également retenir des indices du contexte. À l’idéal, il faut mémoriser aussi les stratégies adoptées qui pourront servir plus tard d’indices de récupération lorsque l’apprenant aura besoin de se souvenir de cet épisode. De la qualité de la structuration des informations à mémoriser (on parle de profondeur d’encodage) dépendra l’efficacité de la restitution ultérieure. Il est donc important que l’apprentissage soit signifiant pour l’apprenant afin de l’engager dans ce processus coûteux qu’est l’encodage.
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Mémoire et apprentissage ■ Chapitre 14
5.2 La consolidation Cette acquisition initiale peut se faire rapidement mais pendant quelques heures l’information encodée reste fragile car sa fixation n’est pas achevée. Elle peut s’altérer par d’autres informations interférentes survenues entre-temps ainsi que par l’oubli de comment y accéder. Elle doit donc être consolidée pour être conservée durablement. Suite à l’encodage, un processus de consolidation est initié. À la fois il maintient et réorganise en MLT les représentations acquises en une sorte de maintenance qui stabilise la trace mnésique. Cette phase de réorganisation prend du temps et comporte des processus à la fois synaptiques (de quelques minutes à quelques heures) et systémiques impliquant plusieurs structures cérébrales dont l’hippocampe (pendant plusieurs heures). La consolidation ferait que des traitements explicites sont transférés à des traitements implicites, libérant ainsi des ressources coûteuses. On sait qu’un sommeil de qualité, postérieur aux apprentissages, est important pour la consolidation. Le sommeil paradoxal influencerait les apprentissages procéduraux alors que le sommeil à ondes lentes (80 % de notre temps de sommeil) aiderait à consolider et généraliser les connaissances déclaratives.
5.3 Restitution et réapprentissage Lorsqu’on fait appel à nos connaissances antérieures, un ensemble d’activités conscientes et non conscientes de récupération en MLT a lieu, qui ramène en MCT des connaissances stockées. Ce processus de restitution comprend un accès, une sélection, une réactivation et une reconstruction des représentations mémorisées. Un apprenant peut être conscient qu’il sait quelque chose (traitement dit de surface pour la disponibilité de l’information) mais être en difficulté de la récupérer effectivement et pleinement (accessibilité à l’information). Le cheminement dans nos souvenirs n’est jamais garanti de succès. Si l’apprenant récupère une trace mnésique inadéquate (= se tromper de connaissances), des distorsions peuvent s’en suivre dans les élaborations mentales et générer de faux souvenirs. S’il accède à la trace mnésique pertinente, l’apprenant doit en sélectionner ensuite les informations utiles pour ses élaborations mentales en MdT, avant d’en produire de nouvelles et de les encoder à leur tour. La récupération correcte est facilitée quand les indices de récupération ont des similitudes avec le contexte d’encodage. Mais le rappel est aussi influencé par l’état motivationnel de l’apprenant. Plus les indices de récupération sont proches de l’apprentissage initial et plus 301
Traité des sciences et des techniques de la formation
facile sera la restitution, démontrant un gradient de récupération, allant du rappel libre et ordonné (très difficile) à la reconnaissance (très facilité). Chaque fois qu’un apprenant remémore (c’est-à‑dire apprend à nouveau, par de nouvelles lectures et nouveaux cours par exemple), il altère ses connaissances antérieures et ré-encode une nouvelle représentation en MLT qu’il consolidera.
6. Oubli et durée des souvenirs Jusque dans les années 1960, on croyait l’oubli irrémédiablement associé à un « effacement » des connaissances en mémoire à long terme. Les théories cognitives sont moins fatalistes car elles évoquent une impossibilité souvent passagère à se remémorer un souvenir (idée, connaissances, événements…) faute d’indices pertinents en MCT pour investiguer la MLT. Ainsi des indices de mémorisation, associés lors de l’encodage au contenu à apprendre, peuvent-ils servir d’indices de récupération lors de la restitution de connaissances. Des expérimentations ont montré que nos souvenirs sont relativement durables pour des périodes allant de 3 mois jusqu’à 50 ans par rapport à des personnes que l’on a connues, mais varient selon les anecdotes vécues et l’affect que l’on ressent vis-à‑vis de ces personnes. Les modalités de reconnaissance (au plus proche de celles lors de la mémorisation) restent les plus efficaces, celles de rappel spontané étant plus laborieuses à restituer. On se souviendra plus aisément des personnes plus sympathiques ou antipathiques que des personnes avec qui on a partagé peu d’épisodes marquants. Se souvenir d’un nom en regardant une liste est facile mais dans le temps, lui associer le bon visage devient de plus en plus compliqué et les risques de prendre une personne pour une autre plus grands.
7. De la mémoire à l’apprentissage Finalement, à quoi renvoie ce que nous appelons trivialement l’apprentissage de ces connaissances qui sont dispensées dans le cadre scolaire, universitaire ou en formation ? Tout d’abord, il faut remarquer que d’un point de vue cognitif on ne parle pas de connaissance mais d’information. Deuxième point important, cette information subit un traitement qui la transforme au fur et à mesure qu’elle « passe » de structures mémorielles en structures mémorielles. Ainsi, au début du traitement, un mot écrit est une information visuelle stockée 302
Mémoire et apprentissage ■ Chapitre 14
dans la mémoire iconique. Ensuite ce mot est décomposé en une information qui est stockée dans la mémoire lexicale et un ensemble d’informations phonologiques qui sont stockées dans la mémoire de travail. Enfin, après ces différents traitements, c’est la sémantique du mot qui est stockée dans la mémoire du même nom. La connaissance, telle que nous la concevons au sens commun, correspond davantage à cette dernière étape qui, pour les connaissances déclaratives, consiste à stocker l’information en mémoire sémantique lorsqu’elle est généralisée ou en mémoire épisodique lorsqu’elle est personnelle. Nous savons que les connaissances en devenir doivent au préalable passer par le goulet d’étranglement de la MCT qui ne permet le passage que de très peu d’informations à la fois et pendant très peu de temps. Nous savons aussi que les images sont mieux mémorisées que les mots car elles bénéficient d’un double encodage (verbal + imagé), dit « double codage ». Ainsi la connaissance du fonctionnement de la mémoire est-elle riche d’enseignements pour l’apprentissage.
8. Pistes pour mieux apprendre 8.1 Les formats de présentation de l’information Pour un même contenu thématique, vaut-il mieux écouter son auteur lors d’une formation, réviser seul le texte verbatim de cette intervention ou regarder une vidéo illustrant ses propos ? Le sens commun nous fait généralement choisir le documentaire audiovisuel avec l’idée que plus il y a d’informations de natures variées et plus grand sera l’apprentissage… Pourtant, l’expérimentation n’arrive pas à ces conclusions. En 1996, Lieury et ses collaborateurs ont cherché à vérifier auprès d’une centaine de collégiens si, parmi les différents modes de présentation pédagogiques possibles, les informations présentées visuellement facilitaient réellement l’apprentissage. Les jeunes apprenants devaient apprendre des connaissances très variées tirées de DVD de l’émission E = M6 (sur la poussée d’Archimède ou encore la digestion). Les contenus visuels et auditifs avaient été repris et diffractés en autant de possibilités de supports pédagogiques exploitables en croisant les divers codages verbaux (mémoire lexicale) et imagés (mémoires visuelles). En effet, l’information déclarative peut être présentée visuellement à la fois sous une forme verbale pure (la lecture), imagée pure (une vidéo sans les mots, c’est-à‑dire muette) et avec une combinaison des deux (le manuel combine à la fois des informations verbales écrites et des illustrations issues de captures d’images vidéo). Pour tester cela, chaque apprenant apprenait un thème différent avec une modalité différente, 303
Traité des sciences et des techniques de la formation
chacune de la même durée d’apprentissage en un seul essai (au total 7 thèmes pour 7 supports pédagogiques contrebalancés). Tableau 14.1 - Résultats en pourcentages de l’expérience de Lieury et al. (1996). Verbal
Verbal – imagé
Imagé
Visuel
Lecture seule 38 %
Manuel (lecture + illustrations) 31 %
Télévision muette 0 %
Auditif
Cours oral 21 %
Télévision 11,5 %
Audiovisuel
Cours oral + annotations 27 %
Vidéo + annotations 20 %
L’hypothèse de cette recherche était que l’information présentée sous forme d’image serait mieux retenue que celle présentée uniquement sous une forme verbale. Autrement dit, on aurait pu s’attendre à ce que la vidéo soit un meilleur vecteur d’apprentissage que la simple lecture. Or, ce n’est pas le cas, c’est même exactement l’inverse : le score aux questionnaires à choix unique pour la lecture est de 38 % de bonnes réponses alors qu’il chute à 11,5 % pour la vidéo diffusée sur la télévision. Cette recherche met en évidence que pour apprendre il n’y a rien de mieux que de lire, même le cours oral, avec ou sans annotations au tableau du formateur, fait moins bien. Comment comprendre un tel résultat ? En fait, les auteurs l’expliquent simplement : « dans l’écoute d’un support auditif (radio, conférence…), l’auditeur ne peut réguler la vitesse de présentation, ni opérer des retours en arrière, au contraire des supports visuels qui permettent des retours en arrière et une vitesse de lecture libre ». Aussi, le fait de ne pouvoir réguler sa vitesse a pour effet d’accumuler trop rapidement les informations en MCT et donc de la saturer. Au contraire, quand les informations sont présentées plus lentement, à vitesse contrôlée par l’apprenant, ce dernier peut revenir sur celles qu’il aurait manquées au premier passage. Au final, de par la maîtrise qu’elle procure à l’apprenant sur le flux d’information, la lecture permet bien plus facilement l’encodage de l’information que ne le permet la télévision captive (ou un support visuel où nous ne maîtrisons pas le flux informationnel). Pourquoi un manuel illustré semblet‑il fonctionner moins bien qu’un texte seul ? Cela tient au fait que les illustrations proposées interfèrent avec la propre représentation imagée que se fait le lecteur du texte. Et parfois l’illustration proposée est moins pertinente que les représentations que nous produisons à partir du texte seul. Quand il y a ambiguïté, cela réduit l’apprentissage… 304
Mémoire et apprentissage ■ Chapitre 14
Bien sûr, à l’heure du numérique, si l’apprenant a la possibilité dans son espace personnel d’apprentissage, de contrôler la vidéo, la revisionner, de la figer tout en la confrontant à d’autres contenus textuels ou imagés, l’apprentissage sera optimisé grâce à ce que nous appelons l’apprentissage multi-épisodique.
8.2 Organiser l’apprentissage et utiliser la multiplicité des mémoires Nous l’avons vu, on ne peut apprendre de façon efficace en une seule fois et il n’existe pas de méthode miracle car nous ne pouvons pas « télécharger » directement des connaissances dans notre mémoire ! Il nous faut les y construire en restructurant nos connaissances initiales. Comment toutefois améliorer nos apprentissages ? Il est important pour apprendre des connaissances déclaratives réellement nouvelles d’organiser l’apprentissage et d’utiliser plusieurs formes de répétition et d’encodage par l’apprenant. La première est la répétition lexicale : relire, voire réécrire, les termes nouveaux que l’on doit apprendre (lecture, prononciation correcte des termes, écriture manuelle ou avec clavier) est indispensable. Si prendre des notes est important en formation, il ne faut pas oublier de les relire mais surtout de les ressaisir ou remettre au propre et de se corriger : ce sont autant de modes de répétition pour fixer les unités lexicales de ces connaissances. D’autant qu’il est plus agréable et motivant ensuite de se relire sur un support « propre » lors des nécessaires révisions. Il faut également travailler les éléments épisodiques et sémantiques de l’apprentissage. Si les premières idées que se forge l’apprenant d’une nouvelle notion se font par un apprentissage épisodique, il faut que celui-ci soit optimisé. Le premier point tient aux contenus proposés : plus ceux-ci sont organisés, c’est-à‑dire qu’ils proposent d’emblée une organisation des connaissances, des catégorisations et des oppositions, des situations par rapport à d’autres champs lexicaux, conceptuels ou thématiques, moins cela réclamera à l’apprenant de faire ce très coûteux travail de structuration en MdT. Le nombre de révisions sera d’autant réduit que le contenu organisé facilitera la consolidation correcte du réseau sémantique à construire chez l’apprenant. Des outils utiles sont à mettre à disposition des apprenants : un glossaire avec des renvois bien construits (papier ou hypertextuel), une carte heuristique, un polycopié bien structuré par les titres. Le deuxième point relève aussi de la formation : il faut permettre à chaque apprenant de raccrocher les contenus visés à ses connaissances antérieures. Le formateur averti doit pouvoir se paraphraser, sans paraître rabâcher, afin qu’une même notion cible puisse toucher par des vecteurs de compréhension différents tout son public. Il doit solliciter les réseaux sémantiques 305
Traité des sciences et des techniques de la formation
éminemment personnels des apprenants pour que ceux-ci mobilisent en MCT leurs connaissances antérieures pour construire ces nouvelles représentations convergentes vers le concept cible. C’est une sorte de fonctionnement centrifuge autour des concepts. Le troisième point est celui de la personnalisation par l’apprenant des savoirs proposés pour faciliter leurs encodages en mémoire épisodique. Il doit faire siennes ces nouvelles connaissances qu’on lui propose en les comparant à celles préalables, à d’autres contextes d’apprentissages où des questionnements ont pu survenir. Il doit utiliser sa mémoire de travail pour produire des élaborations mentales aux contenus multiples (verbal, visuo-spatial et épisodique) en sélectionnant dans les supports pédagogiques les informations qui lui sont pertinentes. Il doit aussi utiliser des éléments motivationnels de ce contexte d’apprentissage, pour ensuite mémoriser cet événement personnel de compréhension en mémoire épisodique. C’est un mouvement centripète pour l’apprenant. Pour faciliter la production de ces élaborations mentales attendues, le formateur peut utiliser des ressources pédagogiques qui seront cette fois-ci des formes de répétitions épisodiques et sémantiques des concepts à acquérir. Il faut apporter autour des notions cibles une pluralité d’informations venant renforcer la représentation initiale de base, en tisser un futur réseau sémantique solide pour les apprenants. Si l’on choisit des analogies vraiment proches, des illustrations, figures ou schémas avec le moins d’ambiguïté possible, de petites capsules vidéos dédiées et non de grandes séquences on peut resserrer la compréhension vers les concepts cibles complexes. Bien sûr, il faut s’assurer, par l’interaction ou encore dans des travaux de groupes où se confrontent les conceptions en construction que celles-ci sont en bonne voie, et au besoin recourir à un étayage de pairs ou d’experts. Articuler des moments d’autoformation (en amont, par exemple sous la forme d’une classe inversée, ou en aval par un travail tutoré), des moments de formation didactisée ou des synthèses recourant au conflit sociocognitif permet une variété de contextes d’apprentissage. Ceux-ci vont solliciter chez l’apprenant des épisodes d’apprentissage convergents vers la consolidation de ses connaissances. Par la suite, la conduite d’un projet où se réinvestissent ces connaissances clés appropriées, transformées en compétences, peut être encore une fois un vecteur de mobilisation, de consolidation et d’extension des apprentissages visés.
8.3 Renforcer la motivation pour remédier au coût des apprentissages Les mémoires à court terme sont fragiles et la consolidation en MLT prend du temps. Apprendre étant coûteux, réclamant des efforts, de l’organisation personnelle et du temps pour réviser, il est nécessaire que l’apprenant le fasse dans un environnement formatif (présentiel 306
Mémoire et apprentissage ■ Chapitre 14
ou distanciel) où il perçoit un climat motivationnel favorable. S’il perçoit ce contexte comme propice, il peut être plus proactif. Si les objectifs de formation sont bien compris et compatibles avec les siens, c’est encore un élément motivationnel utile. L’apprenant doit percevoir un soutien accessible assez rapidement en cas de difficulté (disponibilité des pairs et ses formateurs). Le fait d’avoir des travaux concrets de type projets permet son investissement. L’apprenant doit percevoir chez ses formateurs une attitude positive qui manifeste un soutien à ses démarches afin qu’il ait le sentiment de développer des compétences tangibles. Ce sont là des éléments favorables à l’apprenance.
9. Conclusion Les mémoires et les apprentissages sont multiples. Pour améliorer ses apprentissages, un apprenant en formation doit analyser son environnement d’apprentissage à l’aune de ses connaissances, de sa compréhension des enjeux formatifs pour développer ses connaissances et compétences. Pour une autorégulation réussie, il doit de manière engagée faire le bon couplage entre ses connaissances explicites (générales et expérientielles) et ses savoirs procéduraux antérieurs et ceux à acquérir dans le contexte formatif. Il doit mobiliser dans un espace temporel souvent contraint des stratégies d’apprentissage pour développer de nouvelles représentations, concepts, gestes professionnels qu’il lui faudra consolider par les révisions, la multiplicité des épisodes d’apprentissages formels et informels, ainsi qu’expérientiels.
Lectures conseillées Baddeley A. D., Eysenck M. et Anderson M. C. (2014). Memory (2e éd.), Hove, Psychology Press. Cordier F. et Gaonac’h D. (2012) Apprentissage et mémoire (2e éd.), Paris, Armand Colin, coll. « 128 ». Cosnefroy L. (2011). L’apprentissage autorégulé : entre cognition et motivation, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble.
Lieury A., Badoul D. et Belzic A.L. (1996). « Les sept portes de la mémoire : traitement verbal et imagé de connaissances nouvelles », Revue de psychologie de l’éducation, 1, 9-24. Lieury A. (2013). Le Livre de la mémoire, Paris, Dunod. Lieury A. (2015). Psychologie cognitive (4e éd.), Paris, Dunod, coll. « Manuels visuels de licence ».
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Chapitre 15 Motivation et rapport à la formation1
« Un adulte n’est prêt à se former que s’il peut trouver dans sa formation une réponse à ses problèmes dans sa situation. » Bertrand Schwartz
1. Par Philippe Carré et Fabien Fenouillet.
Sommaire 1. Motivation, éducation, formation.......................................................................... 311 2. Cinq paradigmes de la motivation.......................................................................... 314 3. Le modèle intégratif de la motivation.................................................................... 318 4. Les motifs d’engagement en formation................................................................. 321 5. Portée et limites de la motivation en formation d’adultes.................................... 324 Lectures conseillées.................................................................................................. 328
1. Motivation, éducation, formation 1.1 Une « évidence » problématique « Il n’y a rien à faire, ils ne sont pas motivés ! » ; « avec eux, tout marche, ils sont tellement motivés ! » ; celui-ci, « on se demande ce qui pourrait le motiver », alors que celle-là « réussira forcément, elle est motivée, c’est visible », etc. La litanie de la motivation traverse le champ éducatif. La motivation, « ça se voit », « ça manque », « ça explique » ou « ça aide ». Son existence paraît une évidence aux praticiens de l’éducation et de la formation, tout autant que dans d’autres domaines : le recrutement (la « lettre de motivation »), la justice (les « motifs du crime »), le commerce (les « motivations d’achat »), le sport, le management, etc. Toutefois cette « évidence » partagée devient problématique quand on cherche à en expliquer les origines ou à en tirer des implications pour l’action. Elle peut se révéler illusoire, comme quand, on l’invoque comme une cause rédhibitoire de l’impuissance à apprendre… ou à enseigner, légitimant ainsi toutes les démissions. On peut y voir enfin un alibi de l’hyperresponsabilisation des individus caractéristique du néo-libéralisme contemporain (Bourgeois, in Carré et Fenouillet, 2009). Pour certains, elle est donc inutile, suspecte, voire nocive. Pour d’autres1, elle est aujourd’hui nécessaire, bien que non suffisante, à condition d’être correctement conceptualisée et intégrée dans un cadre psychopédagogique « ouvert », qui prenne en compte l’ensemble des facteurs sociaux du rapport des adultes à la formation. C’est à une présentation liminaire de la place des processus motivationnels dans le rapport à la formation que convie ce chapitre.
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1.2 Définitions Pour le sens commun, le terme de motivation représente « ce qui pousse à l’action ». Les dictionnaires usuels la décrivent comme « l’ensemble des motifs qui expliquent un acte » (Larousse). Sur le plan scientifique, la motivation est définie comme « une hypothétique force intra-individuelle protéiforme, qui peut avoir des déterminants internes et/ou externes multiples et qui permet d’expliquer la direction, le déclenchement, la persistance et l’intensité du comportement ou de l’action » (Fenouillet, 2012).
1. … dont, on l’aura deviné, les auteurs de ce chapitre.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
Définie de la sorte, la notion de motivation représente la dimension dynamique du rapport à la formation. Son investigation concerne les aspects conatifs de ce rapport (intentionnalité, volonté, projet…) en complément de ses aspects cognitifs (perception, traitement de l’information, mémoire…) et affectifs (sentiments, émotions, affects…). Après un bref tour d’horizon de la problématique de la motivation en formation initiale et continue, ce chapitre présentera succinctement les grands paradigmes de référence, un modèle intégratif de la centaine de théories identifiables, une analyse des motifs d’engagement des adultes en formation, avant de conclure sur la portée et les limites de cette notion dans le cadre de la formation des adultes.
1.3 La motivation en formation initiale Dans le système scolaire, la montée des difficultés liées au désinvestissement de jeunes de plus en plus nombreux et plus largement, les risques d’exclusion sociale des « décrocheurs » ont entraîné un regain d’intérêt pour l’analyse des motivations des élèves et des « stratégies d’intervention » possibles. La plupart des revues spécialisées y ont consacré un dossier ces dernières années. Une conférence de consensus a cherché à traiter la question1. En réponse aux questions : « Quel sens donner au travail scolaire ? Pourquoi travailler ? », par exemple, F. Dubet dégage trois « logiques d’action » correspondant aux trois grandes finalités de l’école : l’utilité, la routine ou la vocation. B. Charlot et ses collègues ont par ailleurs établi que les résultats des élèves étaient en stricte corrélation avec le « sens de l’expérience scolaire », vécu subjectivement par ceux-ci2. Les « bons élèves » paraissent en effet animés de motivations non seulement « instrumentales » ou utilitaires vis-à‑vis de l’école, mais également « intrinsèques », marquées par le goût pour l’étude, la culture ou tel aspect du savoir en soi. En dépit de l’intérêt des enseignants, des parents d’élèves et, plus récemment, des chercheurs pour ce thème de la motivation au travail scolaire, les études de synthèse sur cette question restent encore trop rares.
1.4 La motivation en formation des adultes La question du volontariat éducatif et donc de la motivation à apprendre des adultes a été posée depuis longtemps. On pouvait lire, sous la plume de M. Lesne, en 1978 :
1. Voir www.creteil.iufm.fr/…/conferences-de-consensus/la-motivation-des-eleves 2. B. Charlot (1997). Du rapport au savoir. Éléments pour une théorie, Paris, Anthropos.
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Motivation et rapport à la formation ■ Chapitre 15
« […] la formation des adultes peut apparaître comme la simple mise en relation de personnes dûment motivées avec des sources d’information, moyennant quelques aménagements pédagogiques des contenus1. »
Après une certaine déshérence, la notion de motivation réapparaît graduellement à la fin des années 1990 dans les débats et les productions de recherche en psychologie du travail et de l’éducation. Ce renouveau est lié aux impératifs de plus en plus fréquemment exprimés d’implication des salariés dans le travail et dans le développement de leurs compétences dans le contexte socio-économique actuel (Carré et coll., 1998). –– Dans le secteur de l’insertion sociale, la généralisation des modalités de traitement social du chômage a démultiplié l’accès à la formation de nouveaux publics pudiquement dits « en difficulté » (jeunes sortis du système scolaire sans diplôme, demandeurs d’emploi peu qualifiés et/ou de longue durée). Elle pose de façon parfois brutale la question des motivations à la formation de personnes en voie de marginalisation, voire d’exclusion sociale, aux intervenants et responsables des institutions concernées, à l’instar des Écoles de la 2e chance2. –– En entreprise, la durée moyenne des actions de formation tend à diminuer depuis une trentaine d’années, tandis que les budgets ont tendance à marquer le pas et que, simultanément, les besoins de compétence ne cessent d’augmenter. Il s’ensuit une interrogation des acteurs sur les façons de « mobiliser » les salariés dans un développement plus autonome de leurs propres compétences. La consécration du modèle de la compétence et de son développement supposé durer « tout au long de la vie », engage à penser en termes d’« apprenance » au quotidien (Carré, 2005) et dévoile la prégnance des questions de dynamique motivationnelle dans l’ingénierie et l’animation des formations. –– Enfin, et en liaison avec les deux points précédents, la remise en question des modes « canoniques » de formation (stage, cours), la (re) découverte des nouveaux modèles (autoformation, alternance, apprentissage en situation de travail) et surtout la poussée de la digitalisation entraînent de nouvelles interrogations sur les conditions de l’engagement des adultes dans des pratiques de formation individualisées, souhaitées plus volontaires et plus autonomes3. L’actualité des problématiques de l’insertion, de la compétence et des nouvelles modalités de formation donne donc à l’étude de la motivation à la formation une nouvelle légitimité.
1. M. Lesne (1978). « La formation des formateurs d’adultes », in M. Debesse, G. Mialaret, Traité des sciences pédagogiques, t. 8, p. 253. Les italiques ont été rajoutés par nos soins. 2. V. Fontespis-Lhoste (2014). « Les motifs d’essoufflement en formation des adultes », Études et recherches, n° 7, Nanterre, Université Paris-Ouest Nanterre-La Défense. 3. P. Carré, A. Moisan, D. Poisson (dir.) (2010). L’autoformation. Perspectives de recherche, Paris, PUF.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
2. Cinq paradigmes de la motivation Aujourd’hui, et principalement en langue anglaise, on peut repérer plusieurs dizaines de formulations théoriques contribuant à expliquer le « pourquoi ? » et le « pour… quoi ? » de l’action (Fenouillet, 2012). Du point de vue qui est le nôtre, on peut dégager cinq « paradigmes », c’est-à‑dire cinq ensembles cohérents de concepts, d’hypothèses et de méthodes compatibles, qui peuvent se révéler utiles à l’analyse de la motivation et du rapport à la formation.
2.1 Le behaviorisme Les premières tentatives d’explication scientifique du « pourquoi » de l’action remontent au début du xxe siècle, avec l’étude du comportement animal et l’apparition d’un paradigme puissant, qui traverse encore aujourd’hui, mais de façon généralement implicite, les conceptions éducatives : le behaviorisme. Ce courant, qui a dominé la psychologie scientifique de la première moitié du xxe siècle, s’opposait à la psychologie de l’introspection et à l’idée de « conscience » en partant du postulat qu’il n’est d’étude psychologique possible que des comportements (behavior) observables. Dans ce cadre théorique, tous les motifs d’action fonctionnent en une séquence semblable : besoin, drive, action. L’ensemble du comportement se trouve donc sous la dépendance de stimuli (internes ou externes), facteurs de motivation qui déclenchent l’action du sujet selon des mécanismes plus ou moins directs ou complexes, mais toujours indépendants de l’intention du sujet, terme par définition exclu du registre behavioriste. Une application majeure des recherches behavioristes sera l’enseignement vu, selon B.F. Skinner (1904-1990), comme « l’arrangement des contingences de renforcement qui entraînent les modifications du comportement1 », et qui trouvera son expression la plus forte dans le courant dit de « l’enseignement programmé ». Par ailleurs, de nombreuses approches pédagogiques fonctionnent encore implicitement sur des schémas de ce type, soit en postulant chez le sujet en formation l’existence de stimuli internes « naturels » (comme le « besoin d’apprendre »), soit en cherchant à construire des systèmes de stimuli externes forts (grâce au pouvoir d’attirance des outils pédagogiques, des méthodes ou… au charme du formateur !)
1. Cité par G. Mialaret, in M. Debesse, G. Mialaret (1978). Traité des sciences pédagogiques, t. IV, Paris : PUF, p. 22.
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Motivation et rapport à la formation ■ Chapitre 15
2.2 La psychanalyse Second grand paradigme psychologique de la première moitié du xxe siècle, la psychanalyse s’intéresse aux aspects « psychodynamiques » du comportement, au désir, à son « pourquoi », à son sens. À tel point que J.-M. Petot a pu écrire que « la psychanalyse est, pour l’essentiel, une théorie de la motivation » (in Vallerand, Thill, 1993). Si, pour la psychanalyse tout acte psychique a un sens intentionnel, ce sens reste largement inaccessible au sujet : l’intention, que Freud a pu considérer comme synonyme du sens, est intrapsychique et largement inconsciente. Le caractère commun aux nombreuses extrapolations théoriques de la pensée fondatrice de Freud est de considérer l’inconscient comme déterminant premier des conduites humaines. Selon ces prémisses, la « passion d’apprendre » s’interprète d’abord comme expression résurgente inconsciente de la curiosité sexuelle archaïque de l’enfant. L’étude de la dynamique du rapport à la formation ne pourrait alors « s’affranchir du soubassement psychanalytique », luimême ramené à la question centrale du désir (inconscient) d’apprendre car, selon J. Beillerot : « Il n’est de sens que du désir1. » En matière de formation, les conceptions psychanalytiques ont indéniablement contribué à la construction d’une certaine culture de la relation pédagogique, ainsi qu’à souligner l’importance des facteurs biographiques du rapport au savoir, et plus généralement à dévoiler l’existence d’aspects inconscients dans le fait éducatif, en l’illustrant de concepts originaux (refoulement, transfert, projection, libido, sublimation…). Toutefois, les courants psychanalytiques sont marqués de la tentation déterministe de leurs prémisses et de leurs postulats. Pour la plupart, en deçà de l’entrée en cure, l’individu reste l’objet de ses pulsions, désirs et actes inconscients. Tout comme dans d’autres paradigmes, il s’y voit contesté un rôle actif dans la maîtrise de son devenir, du fait de la circularité névrotique de ses comportements.
2.3 La sociologie Le terme de motivation est peu utilisé en sociologie aujourd’hui. Si certains sociologues ont pu utiliser parfois le terme de « motivations sociales » ou de « besoins de formation » pour décrire les grandes catégories de motifs d’action partagés par des sujets de mêmes catégories sociales, ils préfèrent aujourd’hui parler de « conditions sociales » ou de « facteurs sociaux » des 1. J. Beillerot, C. Blanchard-Laville, N. Mosconi (dir.) (1996). Pour une clinique du rapport au savoir, Paris, L’Harmattan.
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motivations, tout en reconnaissant la variabilité interindividuelle de ces conditions (Fenouillet, 2012). L’analyse sociologique bute néanmoins sur l’explication des variations singulières dans la participation à la formation, une fois l’effet des déterminants sociaux majeurs contrôlé1. Plus largement, le thème de la dynamique de l’action individuelle, a pu être analysé en sociologie à l’aide des concepts de « stratégie d’acteur » (M. Crozier), d’« habitus » (P. Bourdieu), de « logique d’action » (F. Dubet), ou encore de « construction identitaire » (C. Dubar). Par définition, la dynamique de l’action est ici étudiée en tant qu’effet, ou expression de la combinaison des déterminants sociaux, au risque d’exclure le sujet social concret, « biographique », du processus. Dans une tentative de dépassement de cette opposition entre l’individuel et le social, B. Charlot2, rejetant les « positions impériales » à la fois de la psychanalyse et des sociologies classiques, suggère de « poser le sujet comme un être à la fois singulier et social », en étudiant les conditions de la « mobilisation » d’un sujet social « en quête de soi et ouvert à l’autre et sur le monde ». Il sera rejoint par B. Lahire, plaidant pour une conception « dispositionnelle » de la pratique, ouverte à l’analyse des facteurs individuels logés dans les « plis singuliers du social »3. Indispensable dans l’analyse des publics en formation et la compréhension des logiques sociales différentielles qui traversent la formation post-scolaire, une telle « sociologie du sujet apprenant » entre en complémentarité « naturelle » avec une psychologie « ouverte » des motivations dans l’analyse du rapport à la formation.
2.4 La psychologie cognitive Après une première moitié du xxe siècle dominée par le triomphe des paradigmes précédents sur leurs champs respectifs, le point de vue cognitiviste domine à son tour la recherche en éducation et formation aujourd’hui. Dans la majorité de ses formes fondatrices, la psychologie cognitive se concentre sur les mécanismes de traitement de l’information (perception, attention, apprentissage, mémoire, langage, résolution de problèmes, etc.), en dehors des aspects spécifiquement affectifs ou motivationnels de l’action. Les paramètres dynamiques (intentions, anticipations, buts, finalités, projets) qui
1. D’où l’essai malheureux de certains à entrer sur le territoire de la motivation, sans toutefois l’avouer, en ayant recours au néologisme d’appétence. Voir le pamphlet pertinent de C. Frétigné (2007). L’appétence pour la formation. Une entreprise de rationalisation du flou, Paris, Michel Oudiard Éditeur. 2. B. Charlot et al. (1997), op. cit. 3. B. Lahire (2013). Dans les plis singuliers du social, Paris, La Découverte.
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interviennent dans l’analyse de l’activité et de la pensée en situation sont généralement traités, dans ce cadre, comme des représentations parmi d’autres. Quand il se pose la question des dynamismes de la conduite dans cette optique cognitive « froide », le chercheur souligne le caractère automatique des processus mis en jeu. Ainsi, par exemple, selon J.-F. Le Ny1 : « Dans l’analyse cognitive, on considère qu’au centre de ces activités se trouve un processus automatique d’évaluation de la nouveauté […] Cette comparaison fournit comme résultat une évaluation de la “nouveauté” de l’information entrante qui est, elle-même, un déterminant de l’état de la motivation cognitive […]. »
On retrouve cette même idée d’automaticité du fonctionnement cognitif dans certains travaux de psychologie sociale sur la cognition. Par exemple, dans la théorie de la dissonance cognitive publiée à la fin des années 1950 par L. Festinger, la présence simultanée de deux cognitions (opinions, idées, perceptions, représentations) contradictoires ou incompatibles crée un état de tension qui pousse le sujet à l’action. Il restaurera son propre équilibre cognitif en réduisant la dissonance, soit en aménageant ses propres représentations dans le sens de la nouveauté, soit en réduisant l’impact de la nouveauté sur son propre système cognitif.
2.5 Vers une psychologie « chaude » des processus conatifs Selon B. Weiner (1992), après la période de domination des paradigmes de « l’hommemachine », qu’ils soient physiologique, éthologique, behavioriste ou psychanalytique, sont apparues des théories basées sur une métaphore de « l’homme-dieu », postulant un homme « complètement conscient (knowledgeable) et rationnel », métaphore ensuite tempérée par l’image actuelle de l’homme « arbitre » de l’action. Cette répartition illustre le clivage fondamental qui sépare les conceptions de la motivation. Pour les unes, l’homme est fondamentalement « agi » par des causes qui le dépassent, qu’il s’agisse des mécanismes hormonaux et instinctuels (éthologie), de la logique de l’évolution (sociobiologie), de forces inconscientes (psychanalyse), des stimuli de l’environnement (behaviorisme) ou, plus largement, du jeu des déterminations sociales (sociologie classique). Pour d’autres, au contraire, l’être humain tire sa spécificité du fait qu’il reste « à la fois producteur et produit de son existence » (Bandura, 2003). Les théories évoluent aujourd’hui vers des visions « agentiques » de l’être humain comme « juge » de sa vie, constamment appelé à arbitrer entre la force de ses affects et les exigences de son environnement (Weiner, 1992). La seconde 1. J.-F. Le Ny (1994). Article « motivation », in Dictionnaire encyclopédique de l’éducation et de la formation, Paris, Nathan, p. 683.
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moitié du xxe siècle a vu le développement de très nombreuses avancées théoriques nouvelles reliant ainsi cognition et motivation, principalement en psychologie sociale expérimentale (Bandura, 2003). Ces résultats ouvrent la voie à une psychologie sociocognitive « chaude », soucieuse d’intégrer les paramètres dynamiques de l’action, et donc la motivation, dans l’étude du comportement et de la cognition. Selon M. Reuchlin, le terme de « conation » (dont « motivation » serait le voisin le plus proche) répond à la nécessité de décrire ce tiers registre du « choix et de l’orientation des activités finalisées et organisées », parmi lesquelles, bien sûr, l’apprentissage et la formation des adultes trouveront naturellement leur place. C’est dans le cadre d’un tel paradigme des processus conatifs en émergence que Fenouillet (2008) inscrit sa théorie intégrative de la motivation.
3. Le modèle intégratif de la motivation Si la motivation a été étudiée dans le cadre de tous les grands courants de la psychologie c’est souvent sous différents pseudonymes. Les behavoristes parlaient de drive là où Freud postulait des pulsions. Quant aux cognitivistes ils ont « inventé » la dissonance, la réactance mais aussi la résignation pour ne citer que trois membres d’une famille pour le moins nombreuse puisque Fenouillet (2012) dénombre au moins 101 théories de la motivation. Cette prolifération s’explique en partie par le « point de vue » qu’adoptent ces théories sur la dynamique du comportement humain. Certaines ont en effet comme ambition d’expliquer l’origine psychologique de la motivation. C’est par exemple le cas de la célèbre théorie de Maslow dès 1943 ou celle des besoins de bases dans le cadre de la théorie de l’autodétermination de Deci et Ryan (2002) plus récemment. D’autres théories se sont penchées sur certains concepts qui peuvent caractériser une manifestation de la motivation comme l’intérêt, l’estime de soi ou le but. D’autres encore ont décortiqué les stratégies motivationnelles que l’individu met en place dans le cadre notamment de ses apprentissages. Ces différentes focales permettent de rendre compte non seulement de plusieurs « états » motivationnels (comme l’intérêt, l’émotion, le but, etc.) mais aussi d’un processus motivationnel qui les « articule » entre eux. C’est du moins ce que fait apparaître le modèle intégratif de la motivation, reposant sur sept ensembles conceptuels qui permettent de mieux saisir ces différentes « focales » adoptées par les théories motivationnelles, comme allons le voir au travers de leurs descriptions rapides. Les motifs primaires sont postulés par les théories motivationnelles qui veulent expliquer l’origine de la motivation d’un point de vue psychologique. Deux grandes catégories de motifs primaires sont avancées : le besoin et l’instinct. 318
Motivation et rapport à la formation ■ Chapitre 15
Les motifs secondaires sont des concepts utilisés pour définir une forme motivationnelle plus précise mais qui n’a pas pour ambition d’expliquer l’origine de la motivation. C’est le cas par exemple de l’intérêt qui pour différents auteurs dépendrait de besoins primaires comme le besoin d’autodétermination ou celui de compétence (Deci et Ryan, 2002). Les avancées théoriques du cognitivisme ont permis de mieux comprendre et définir de nombreux motifs secondaires : valeur, but, intérêt, estime de soi, drive, dissonance, émotion, curiosité, recherche de contrôle, intention, trait de personnalité, motifs originaux (dont les motifs d’engagement en formation). Alors que motif et motivation partagent la même racine, la prédiction peut sembler plus éloignée. Pourtant pour être « motivé » il est nécessaire d’anticiper ce qui est possible. Par exemple, dès 1932, Tolman a montré assez logiquement qu’il ne suffit pas de mettre une récompense (un motif) au bout d’un labyrinthe pour qu’un animal cherche à l’atteindre : il est préalablement essentiel qu’il sache que cette récompense est là. De son côté, Bandura (2003) montre que quand l’être humain s’estime capable de produire un comportement susceptible de lui faire atteindre un haut niveau de performance, il est plus efficient. De même la théorie de la résignation apprise explique que si l’individu n’est plus en mesure de prédire le résultat de son action, il cesse d’agir et se résigne à l’inaction. Le quatrième ensemble conceptuel fait référence à la décision. En effet alors que pendant longtemps la décision a semblé liée à une simple addition des coûts (positif) et bénéfices (négatif), de nombreuses théories montrent maintenant que la prise de décision est loin d’être aussi rationnelle et simpliste, même dans le cas d’une addition positive. Par exemple la théorie de la procrastination explique pourquoi certains individus sont motivés à ne jamais prendre de décision et ce malgré les énormes bénéfices qu’ils auraient à en tirer. Si pendant longtemps les théories motivationnelles se sont cantonnées à donner des explications très théoriques du comportement humain, actuellement la tendance est plutôt à vouloir expliquer au mieux les faits d’expérience ou les situations réelles. Cependant il est apparu pour de nombreux théoriciens que si dans certains cas l’individu est réellement motivé, cette motivation peut ne pas transparaître dans les résultats. À titre d’exemple, lors d’un apprentissage il ne suffit pas d’être motivé pour observer une augmentation des performances lors de l’évaluation. La théorie de l’assignation d’objectif montre que l’assignation d’un but (motif) ne se traduit pas systématiquement en performance, il faut également que l’individu, motivé, mette en place la bonne stratégie. Les stratégies qu’utilise l’individu dépendent donc de sa motivation et dans le cadre d’activités complexes, comme l’apprentissage, sont déterminantes pour comprendre les modifications de performance.
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Traité des sciences et des techniques de la formation Satisfation Orientation Autorégulation
Motif primaire
Motif secondaire Décision Choix Prédication
MOTIVATION
Stratégie
Comportement
Résultat
Évaluation Attente VOLITION
Figure 15.1 - Modèle intégratif de la motivation (Fenouillet, 2009)
Les deux derniers ensembles conceptuels du modèle intégratif, comportement et résultats sont souvent confondus. Cette confusion était logique dans le cadre du behaviorisme puisque ce courant n’analysait que le comportement. Cependant il est nécessaire de dissocier les deux car le comportement visible ne traduit pas toujours la motivation sous-jacente. Par exemple, il faut parfois être très motivé pour ne rien faire ! De plus, certains travaux ont mis au jour différentes catégories de résultats qui ne peuvent s’interpréter que dans le cadre des théories motivationnelles. Ainsi les recherches sur la flânerie sociale montrent que dans certaines conditions, quand l’individu est en groupe, il a tendance à se reposer sur les autres et donc à « sous-performer ». En se basant sur les postulats que proposent les différentes théories motivationnelles le modèle intégratif propose non seulement une relation entre les différents ensembles conceptuels mais aussi un enchaînement qui ne doit pas occulter certaines rétroactions qui sont également explicitées dans de nombreuses théories motivationnelles. L’autorégulation par exemple suppose l’ajustement de ses intentions (motifs), de ses décisions et de ses stratégies aux résultats. La satisfaction d’un résultat dépend du motif préalable. De même l’évaluation permet d’affiner les prédictions.
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Motivation et rapport à la formation ■ Chapitre 15
4. Les motifs d’engagement en formation 4.1 Orientations motivationnelles et motifs d’engagement À côté du modèle intégratif et des processus de la motivation, qui aident à comprendre les mécanismes à l’œuvre dans le passage à l’action, il est intéressant d’analyser les contenus, « motifs » (dits « secondaires », supra) ou « raisons d’agir » des sujets sociaux. À l’occasion d’une recherche sur l’engagement en formation (Carré, 2002), on a pu construire un modèle descriptif des orientations et des motifs d’engagement éducatif des adultes. Selon ce modèle, ces motifs sont pluriels : on s’engage rarement en formation pour une seule raison. Ils sont également contingents : ce ne sont ni des « traits » ou des caractéristiques stables de la personnalité, ni des dimensions permanentes du rapport individuel à la formation, mais des expressions du rapport du sujet à une certaine situation, à un moment donné de sa vie. En conséquence, ils sont enfin évolutifs : leur nombre, leur importance, leur articulation peuvent changer tout au long des expériences de vie.
4.2 Quatre orientations motivationnelles Dans la tradition initiée par C. Houle dès 1961, nous pouvons différencier une orientation intrinsèque ou extrinsèque de la motivation à la formation d’une part et une orientation vers l’apprentissage ou vers la participation d’autre part. En combinant ces orientations, on obtient une quatre « quadrants » spécifiques, dans lesquels peut s’inscrire l’ensemble des motifs d’engagement en formation (fig. 15.2). Orientation intrinsèque/extrinsèque : on séparera les motifs qui trouvent leur réponse dans le fait même d’être en formation, de ceux qui trouvent leur satisfaction en dehors de la formation elle-même. En d’autres termes, dans le premier cas, le résultat attendu est confondu avec l’activité de formation, alors que dans le second, la formation a pour fonction de permettre d’atteindre des objectifs qui lui sont extérieurs. Conformément à la conception de E. Deci et R. Ryan (2002), nous les nommerons respectivement motifs « intrinsèques » et « extrinsèques ». Orientation vers l’apprentissage/vers la participation : un second axe clivant les orientations motivationnelles répartit les motifs d’engagement en formation entre ceux qui sont centrés sur l’apprentissage (acquisition de connaissances, d’habiletés, d’attitudes nouvelles) et ceux qui visent la participation, c’est-à‑dire l’inscription et/ou la présence en formation.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
Le schéma suivant (fig. 15.2) répartit les dix motifs identifiés selon ces quatre orientations motivationnelles en trois motifs « intrinsèques » et sept « extrinsèques ». Aprentissage
Opératoire professionnel Épistémique
Opératoire personnel Extrinsèque
Intrinsèque
Vocationnel identitaire Socioéducatif
Dérivatif Présent
Hédonique Économique Participation
Figure 15.2 - Quatre orientations et dix motifs d’engagement en formation.
4.3 Trois motifs « intrinsèques » À partir du motif « épistémique », apprendre, s’approprier des savoirs, se cultiver, etc., sont des processus qui trouvent leurs raisons d’être (leurs « renforcements ») en eux-mêmes. Le motif d’engagement est ici lié au désir de connaissance d’une sorte de « gai savoir » dont la fréquentation est source de plaisir en elle-même. Un motif « socio-affectif » traduit le souhait de participer à une formation pour bénéficier de contacts sociaux, trouver des occasions d’échange avec d’autres, développer des relations nouvelles, s’intégrer à un groupe, communiquer, établir ou renforcer des liens sociaux. Pour le motif « hédonique », il s’agit à présent de participer pour le plaisir lié aux conditions pratiques de déroulement et à l’environnement de la formation, indépendamment de l’apprentissage de contenus précis. L’« ambiance » et le confort des lieux de formation, le goût pour les outils, matériaux ou documents de formation sont à la base de ce motif. 322
Motivation et rapport à la formation ■ Chapitre 15
4.4 Sept motifs « extrinsèques » Avec le motif économique, les raisons de la participation sont d’ordre explicitement matériel ; le fait de participer à une action de formation amènera des avantages de type économique. Ceux-ci peuvent être directs (par exemple les primes ou les allocations liées à la recherche d’emploi) ou indirects, par le biais d’avantages matériels obtenus à la suite de la formation. Pour le motif prescrit, sous des formes discrètes (la pression de conformité sociale, le « conseil » d’un hiérarchique, l’intervention d’une personne influente, etc.) ou explicites (la contrainte d’inscription, prévue par la loi), l’engagement en formation est le résultat de l’injonction d’autrui, évoquant les dimensions les plus extrinsèques de la motivation. Motif dérivatif : c’est à présent l’évitement de situations ou d’activités vécues comme désagréables ou dénuées d’intérêt qui est visé dans l’inscription en formation. À titre d’exemple, on citera une mauvaise ambiance de travail, des tâches routinières, le manque d’intérêt professionnel, ou, sur un autre registre, la solitude, les conflits familiaux, etc. Le motif opératoire professionnel traduit l’intention d’acquérir les compétences (connaissances, habiletés, attitudes) perçues comme nécessaires à la réalisation d’activités spécifiques sur le champ du travail, afin d’anticiper ou de s’adapter à des changements techniques, de découvrir ou de perfectionner des pratiques, avec un objectif de performance précis. Avec le motif opératoire personnel, il s’agit d’acquérir les compétences (connaissances, habiletés, attitudes), perçues comme nécessaires à la réalisation d’activités spécifiques en dehors du champ du travail (loisirs, vie familiale, responsabilités associatives, etc.), ici encore dans un but d’action concret et bien identifié. Le motif identitaire pousse à acquérir les compétences et/ou la reconnaissance symbolique nécessaires à une transformation (ou une préservation) de ses caractéristiques identitaires en tant que telles (statut social, professionnel ou familial, fonction, niveau de qualification, titre, etc.). Ce motif est donc centré sur la reconnaissance de l’environnement et l’image sociale de soi, en dehors (ou à côté) de tout motif économique. Enfin, avec le motif vocationnel, il s’agit d’acquérir les compétences (connaissances, habiletés, attitudes) et/ou la reconnaissance symbolique nécessaires à l’obtention d’un emploi, à sa préservation, son évolution ou sa transformation, selon une logique d’orientation professionnelle, de gestion de carrière ou de recherche d’emploi.
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5. Portée et limites de la motivation en formation d’adultes Pour ce qui concerne le rapport à la formation, l’analyse motivationnelle interviendra dans le traitement de quatre problématiques qui annoncent autant de perspectives d’action : les déterminants de la participation, les conditions d’engagement et de persistance, les modalités de régulation des apprentissages et les possibilités de l’action pédagogique.
5.1 Les déterminants de la participation La motivation, parce qu’elle traduit les dispositions des adultes à l’engagement éducatif, parce qu’elle détermine le degré d’implication (et donc de persistance) de l’apprenant et qu’elle contribue à expliquer les performances d’apprentissage, est un médiateur déterminant du rapport à la formation. Pour autant, la problématique du rapport à la formation ne saurait être réduite à l’examen psychologique des motifs exprimés avant, ou durant l’action. Les caractéristiques sociodémographiques du public (âge, genre, catégorie socio-économique, qualification, statut professionnel et familial, etc.) régissent habitus, logiques sociales d’action et, partant, niveau d’aspiration des différentes catégories de participants. Les données sociostructurelles du contexte professionnel du sujet ont évidemment un poids majeur dans les possibilités de participation, comme la sociologie l’a amplement démontré depuis quarante ans : taille de l’entreprise, secteur d’activité, contrat de travail, politique de formation sont de puissants filtres, plus ou moins perméables, de la participation à la formation… Les données biographiques (expériences d’apprentissage, histoire éducative) donnent aux parcours des sujets certaines singularités existentielles complémentaires, irréductibles à la seule rationalité sociostructurelle. Enfin, last but not least, les dispositions et les performances en formation sont, on le sait, fortement dépendantes des capacités cognitives acquises avant l’entrée en formation. Le rapport à la formation et, partant, l’engagement et la participation dépendent donc d’une série de facteurs sociologiques, organisationnels, psychologiques, en interaction systémique, générant leviers et obstacles à la participation1. Variable de synthèse, la motivation ne fonctionne donc ni comme un automatisme « agi » par l’ensemble de ces déterminants, ni comme une force autonome qui les transcenderait, mais comme leur point de rencontre, d’arbitrage et de décision (Weiner, 1992).
1. C. Solar, D. Baril, J.-F. Roussel et N. Lauzon, (2016). « Les obstacles à la formation en entreprise », Savoirs, 41, 11-56.
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Motivation et rapport à la formation ■ Chapitre 15
5.2 Impact de la motivation sur l’engagement et la persistance en formation Le cadre sociocognitif d’analyse des motivations peut s’appliquer à la question de la formation des adultes à partir d’une part de la distinction entre motivation liée au but de l’action et motivation pour le moyen1 lui-même (la formation) et d’autre part de trois concepts majeurs : valeur du but, auto-efficacité, autodétermination. Apparaissent alors 6 vecteurs de l’engagement et de la persistance du sujet adulte en formation (tableau 15.1). Tableau 15.1 - Processus motivationnels liés à la formation et à l’apprentissage des adultes (Carré, 2005). Processus motivationnel
Lié au but de l’action
Lié au moyen de formation
Valeur du but
Importance perçue des motifs d’engagement en formation.
Instrumentalité perçue des moyens de formation.
Auto-efficacité
Attente de résultats relatifs aux motifs d’engagement.
Sentiment d’efficacité à réaliser les activités de formation.
Sentiment d’autodétermination
Degré de liberté dans le choix des motifs d’engagement.
Degré de liberté dans le choix des moyens de formation.
La valeur (ou « valence ») du but recherché à travers l’engagement dans la formation sera un premier motivateur. La majorité des auteurs en psychologie sociocognitive reconnaissent la fonction motivationnelle des buts (Carré et Fenouillet, 2009). Le but, traduction des représentations d’avenir du sujet, est un mécanisme cognitif majeur de motivation et d’autorégulation des conduites chez Bandura (2003), la « matière première » de l’autodétermination chez Deci et Ryan (2002). L’auto-efficacité, conçue comme perception par le sujet de ses capacités à s’acquitter des tâches requises par le projet, se traduira également en deux processus. D’un côté, la croyance du sujet en ses capacités à répondre aux motifs d’engagement (trouver un nouvel emploi, répondre aux demandes de sa hiérarchie, acquérir de nouvelles compétences) sera liée à ses attentes de résultats, pour partie indépendante de sa perception de lui-même. D’un autre côté, la perception par le sujet de ses capacités s’appliquera directement aux activités de formation elles-mêmes. On retrouve ici la fonction essentielle de la perception de compétence dans l’agentivité humaine (Bandura, 2003).
1. J. Nuttin (1987). « Développement de la motivation et formation », Éducation permanente, n˚ 88-89, p. 97-110.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
Le sentiment d’autodétermination jouera son rôle eu égard, d’une part au but, d’autre part aux moyens de formation choisis. Les processus visés ici ont trait à la perception par le sujet de son degré de responsabilité, de liberté, d’autonomie, dans le choix de la finalité et des moyens de la formation. C’est toute la fonction motivationnelle de la liberté perçue qui est ici en jeu. On sait qu’elle représente un facteur d’engagement et de persistance dans l’action extrêmement efficace, dont la connaissance peut même conduire à la manipulation d’autrui. Selon Deci et Ryan (2002), l’autodétermination est un facteur de qualité des apprentissages largement démontré empiriquement. Valeur des motifs, sentiments d’auto-efficacité et d’autodétermination combinent ainsi leurs effets motivationnels chez l’adulte en formation, au double plan du but de l’action et du moyen de formation considéré.
5.3 Motivation et régulation de l’apprentissage On connaît aujourd’hui l’effet des facteurs motivationnels sur l’attention, la concentration, la mémoire et donc les performances d’apprentissage. La motivation agit évidemment sur la persistance ou l’abandon de la formation. L’intensité et la direction du processus motivationnel se traduiront, en cours de formation, par des types d’implication (ou de désimplication) spécifiques dans le processus pédagogique proposé. La démotivation pourra prendre plusieurs formes bien analysées par D. Chartier (in Carré et coll., 1998) : conduites d’auto-handicap pour justifier une stratégie d’échec, comportements d’inertie sociale (social loafing) en situation de travail en groupe, voire manifestations de résignation apprise pouvant mener à l’inhibition de l’action. Le thème de l’apprentissage autorégulé est une piste majeure de développement des liens entre motivation et apprentissage. Selon Cosnefroy (2011), ce terme désigne « l’intensité avec laquelle l’individu est, aux plans de la métacognition, de la motivation et de la conduite un participant actif dans ses processus d’apprentissage. » La motivation initiale ne suffit pas : elle ne dispense ni de l’effort d’apprentissage, ni de stratégies d’apprentissage efficaces. Ces stratégies dites « d’autorégulation » entrent en interaction avec le dynamisme motivationnel du sujet, de sorte qu’on peut parler d’une interaction permanente entre autodétermination et autorégulation1. Motivation et régulation des apprentissages sont ainsi liées de façon dialectique dans la conduite des apprentissages des adultes.
1. P. Carré, in P. Carré, A. Moisan, D. Poisson (dir.) (2010). L’autoformation. Perspectives de recherche, Paris, PUF.
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5.4 Motivation et pédagogie En conclusion, le dossier d’une éventuelle « pédagogie des motivations » est bel et bien ouvert1. Processus d’abord interne, toujours singulier, voire intime, pour partie indécidable, la motivation à la formation est d’évidence liée aux conditions pédagogiques à travers le climat, les méthodes, les relations qui y participent (Carré, 2002). Sur le plan de l’ingénierie éducative, Poisson propose en une synthèse puissante2 trois principes de conception de dispositifs à visée autonomisante : autoproduction des savoirs, ouverture de choix, collaboration. Ces trois principes entrent en résonance avec les trois besoins de la théorie de l’autodétermination de Deci et Ryan (2002). L’autoproduction peut ainsi répondre au besoin de perception de compétence, l’ouverture à celui d’autodétermination, la collaboration au besoin de lien social. Le formateur, le concepteur de dispositif, l’accompagnateur peuvent donc apporter une contribution à la dynamique individuelle et collective du rapport à la formation, à travers certaines pratiques pédagogiques. Cette action est toutefois limitée par le poids des déterminants sociobiographiques de l’engagement d’abord, les frontières du cadre pédagogique ensuite, et le caractère intentionnel de la motivation adulte enfin. Cette triple restriction engage, plutôt qu’à se demander « comment motiver les gens », à se poser la question de « comment créer les conditions propices à l’engagement et la persistance ». Le projet d’agir sur la motivation des apprenants adultes peut en effet mener à des erreurs méthodologiques, à des désillusions pédagogiques et à des dérives éthiques3. Hormis par la violence, le conditionnement ou la manipulation, on ne « motive » jamais un adulte de l’extérieur, du moins de manière durable.
1. Voir ci-après, chapitre 19. 2. D. Poisson in P. Carré, A. Moisan, D. Poisson (dir.) (2010). Op. cit. 3. On lira avec passion à ce propos le remarquable pamphlet de Ph. Meirieu (1996). Frankenstein pédagogue, Paris, ESF.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
Lectures conseillées Bandura A. (2003). Auto-efficacité. Le sentiment d’efficacité personnelle, trad. de J. Lecomte, Bruxelles, De Boeck.
Cosnefroy, L. (2011). L’apprentissage autorégulé. Entre cognition et motivation, Grenoble, Presses de l’Université de Grenoble.
Carré P. (dir.) (1998). « Motivation et engagement en formation », Éducation permanente, n° 136.
Deci, E., ryan, R. (dir.) (2002). Handbook of SelfDetermination Research, Rochester, The University of Rochester Press.
Carré P. (dir.) (2002). De la motivation à la formation, Paris, L’Harmattan.
Fenouillet F. (2012). Les théories de la motivation, Paris, Dunod.
Carré P. (2005). L’apprenance. Vers un nouveau rapport au savoir, Paris, Dunod.
Vallerand R., Thill E. (dir.) (1993). Introduction à la psychologie de la motivation, Paris, Vigot.
Carré, P. et Fenouillet, F. (dir.) (2009). Traité de psychologie de la motivation, Paris, Dunod.
Weiner B. (1992). Human Motivation, Londres, Sage.
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Chapitre 16 Conflits sociocognitifs et apprentissage1
1. Par Céline Buchs et Étienne Bourgeois.
Sommaire 1. Conflits sociocognitifs et apprentissage............................................................... 332 2. Favoriser les régulations épistémiques dans les situations de formation.............. 337 3. Conclusion............................................................................................................. 343 Lectures conseillées.................................................................................................. 345
L’apprentissage a ceci de paradoxal qu’il est un acte éminemment individuel, intime, mais en même temps qui s’inscrit nécessairement dans une relation. Construire ou transformer des connaissances est un processus qui n’appartient en définitive qu’au sujet apprenant, mais ce processus est facilité par la confrontation interactive à l’autre. Dans ce chapitre, nous discuterons du traitement cognitif d’informations qui sont portées par une autre personne avec laquelle l’apprenant peut interagir en présentiel ou à distance.
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Nous parlerons dès lors d’interaction sociocognitive en nous focalisant plus particulièrement sur les interactions impliquant des conflits sociocognitifs, à savoir des points de vue différents ou contradictoires portés par des personnes différentes : comment et dans quelles conditions les conflits sociocognitifs peuvent-ils affecter le processus individuel d’apprentissage ? Ces questions trouvent évidemment toute leur pertinence dans des contextes de formation, où l’interaction sociale est inscrite dans une durée, qu’il s’agisse d’interaction avec le formateur1 ou les pairs. Différents courants de recherche sont utiles pour identifier les conditions dans lesquelles les conflits sociocognitifs peuvent favoriser, ou au contraire faire obstacle, à l’apprentissage et pour réfléchir aux implications pour les pratiques de formation. Les premiers travaux sur le conflit sociocognitif (Doise et Mugny, 1997) se sont intéressés aux progrès cognitifs réalisés par des enfants dans le développement des structures opératoires suite à différents types d’interactions sociales. Ils ont été prolongés par la théorie de l’élaboration du conflit dans le champ de l’influence sociale (Quiamzade, Mugny et Butera, 2013) avec des apprenants plus âgés et des jeunes adultes dans des tâches variées (stratégies de raisonnement, intégration d’informations problématiques, créativité…) où les participants sont confrontés à une réponse problématique émanant d’une source. Deux niveaux d’influence ont été alors différenciés : des changements de surface et des changements en profondeur traduisant une réorganisation cognitive. Les recherches sur la controverse coopérative (Johnson et Johnson, 2007) dans le cadre de l’apprentissage coopératif2 (Buchs, 2017) se sont intéressées à la manière de structurer les interactions pour stimuler des confrontations constructives. Finalement, les travaux sur les buts d’accomplissement (Kaplan et Maehr, 2007) soulignent que les buts poursuivis influencent les relations sociales et le traitement des informations lors des confrontations3.
1. Par souci de lisibilité, nous utiliserons le masculin pour désigner les deux genres. 2. Pour une présentation des principaux dispositifs, voir S. Sharan (éd.) (1999). Handbook of Cooperative Learning Methods, Westport, Greenwood Publishing. 3. P.M. Poortvliet et C. Darnon (2010). Toward a more social understanding of achievement goals: the interpersonnal effects of mastery and performance goals. Current Directions, in Psychological Science, 19, 324-328.
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1. Conflits sociocognitifs et apprentissage 1.1 Les conflits sociocognitifs comme moteurs potentiels des apprentissages La thèse du conflit sociocognitif est que la fonction déstabilisatrice du conflit sera d’autant plus forte que le conflit cognitif s’inscrit dans une interaction sociale, c’est-à‑dire si le point de vue alternatif auquel le sujet est confronté est défendu par une autre personne avec laquelle il interagit – par exemple le formateur ou des pairs – par opposition à une situation où la confrontation au point de vue alternatif aurait été purement individuelle et symbolique (comme à l’occasion de la simple lecture d’un ouvrage). Les conflits entraînent des déséquilibres cognitifs qui favorisent les progrès pour trois raisons : d’une part, la confrontation permet une prise de conscience de l’existence de réponses différentes ; d’autre part, la discussion peut fournir des informations pertinentes pour construire de nouveaux instruments cognitifs ; finalement, la volonté de trouver un accord favorise un engagement cognitif actif organisé autour des réponses divergentes favorisant une restructuration cognitive individuelle plus élaborée (Doise et Mugny 1997). Les réponses proposées par le partenaire n’ont pas besoin d’être correctes pour entraîner des déséquilibres. Les résultats montrent que c’est bien le caractère conflictuel des réponses émises par les partenaires qui favorise les progrès et non le fait d’être confronté à une réponse correcte ou supérieure. Les progrès cognitifs réalisés ne peuvent pas être expliqués en termes d’une imitation d’une réponse de niveau supérieur et relèvent d’une appropriation des positions. Il faut toutefois que les réponses proposées soient régies par une logique interne ; la confrontation à un modèle aberrant ne stimule pas de progrès. Il ne faudrait cependant pas conclure pour autant que la seule inscription du conflit cognitif dans une interaction sociale favorise automatiquement les apprentissages. Les recherches permettent d’identifier les conditions dans lesquelles les conflits sociocognitifs sont susceptibles de faciliter l’apprentissage. Avant d’examiner ces conditions, présentons les différentes régulations des conflits.
1.2 L’importance des régulations des conflits sociocognitifs 1.2.1. Régulation sociocognitive ou épistémique Lorsque les arguments et contre-arguments sont développés et confrontés, ce qui engage les partenaires (ou au moins un des deux) dans un travail interne d’élaboration cognitive, c’est-à‑dire de mise en question et de transformation du point de vue initial conduisant au dépassement du 332
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conflit (soit dans le sens d’un accord raisonné avec l’un des points de vue initiaux, soit dans le sens de l’élaboration d’un point de vue original, différent de chacun des points de vue initiaux). La gestion des différences de jugements est alors orientée sur la résolution de la tâche (quel est le point de vue le plus approprié ?). Cette régulation sociocognitive (appelée par la suite « régulation épistémique ») concerne la volonté de résoudre la tâche, d’accroître ses connaissances ou de trouver la solution la plus adéquate ; elle favorise le traitement cognitif des contenus.
1.2.2. Régulations relationnelles Dans de nombreuses situations, cependant, les apprenants sont davantage centrés sur la relation avec l’autre que sur la résolution de la tâche. Dans ces régulations dites « relationnelles », la gestion de la différence de jugements est centrée sur la différence de compétences et la valeur de soi. La régulation relationnelle protective permet de préserver la relation en mettant fin au désaccord sans qu’il y ait de réelle remise en question interne de son point de vue. La complaisance (l’un des partenaires « capitule ») et la juxtaposition des points de vue (dialogue de sourds « cordial » dans lequel chacun « n’en pense pas moins ») illustrent ces stratégies protectives. Mais il se peut aussi que chacun campe sur sa position et tente d’imposer son point de vue à l’autre. Dans cette régulation relationnelle compétitive, l’enjeu est d’assurer sa supériorité et de montrer que l’autre a tort. Les régulations relationnelles ne favorisent pas le traitement cognitif.
1.3 De l’asymétrie à la gestion de la relation : l’importance de la menace des compétences 1.3.1 Asymétrie et modes de régulation des conflits sociocognitifs Les premiers résultats ont mis en évidence que la régulation relationnelle par complaisance est d’autant plus susceptible de se produire que la relation entre les deux partenaires est asymétrique, c’est-à‑dire fondée sur une inégalité de statut. C’est le cas, par exemple, de la relation entre des personnes socialement désignées comme étudiant versus formateur, débutant versus chevronné, « fort » versus « faible », adulte versus enfant, ou encore, dans certains contextes, entre un homme et une femme, entre des personnes de statut socioculturel différent, etc. Le partenaire en position « basse » est soumis à une plus forte pression pour rétablir la relation que dans le cas d’une relation égalitaire. La complaisance permet alors de stopper le conflit (il n’y a plus de divergence de jugement), mais ce faisant bloque également le traitement cognitif. Ce résultat se confirme dans les premiers travaux sur l’influence sociale où les sources compétentes n’entraînent paradoxalement pas d’influence en profondeur1 : les 1. F. Butera, E. Gardair, J. Maggi et G. Mugny (1998), Les paradoxes de l’expertise. Influence sociale et incompétence de soi et d’autrui, in J. Baillé, J. Py et A. Somat (éd.), Psychologie sociale et formation professionnelle : propositions et regards critiques (p. 111-123), Rennes, Presses Universitaires de Rennes.
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participants peu compétents se trouvent dans une situation de contrainte informationnelle les poussant à imiter la source. Ce constat est assez problématique pour les contextes de formation, qui, par nature, mettent en présence une source compétente (un formateur) délivrant des contenus parfois problématiques à des participants se sentant plus ou moins compétents. Cependant, d’autres résultats suggèrent que c’est plutôt le contexte dans lequel cette asymétrie a été initialement étudiée que l’asymétrie en soi qui pourrait expliquer le blocage du traitement cognitif. De plus, les relations symétriques n’assurent pas pour autant une régulation épistémique, que ce soit entre partenaires peu compétents ou plus compétents (Quiamzade, Mugny et Butera, 2013) ; une régulation relationnelle compétitive dans laquelle l’enjeu est essentiellement d’invalider la position de l’autre et d’imposer la sienne peut prendre place. Il ressort des recherches que plus que l’asymétrie, c’est la gestion de la relation qui fait obstacle à une régulation épistémique des conflits. Nous soulignons l’importance de la rhétorique du conflit dans la gestion de la relation avant d’introduire la menace pour les compétences.
1.3.2 Rhétorique du conflit et modes de régulation des conflits sociocognitifs Un premier ensemble de recherches souligne l’importance d’une rhétorique appropriée aux caractéristiques des apprenants1 pour favoriser l’appropriation d’informations problématiques. Les résultats concernant l’adéquation du style autoritaire ou démocratique d’une autorité épistémique légitime (en l’occurrence un enseignant-chercheur) aux caractéristiques des apprenants suggèrent que les étudiants en début du cursus universitaire, ou les étudiants qui se perçoivent peu compétents, bénéficient davantage d’une relation d’influence unidirectionnelle avec une source adoptant un style autoritaire, qui guide l’étudiant vers ce qu’il est censé apprendre. Au contraire, les étudiants qui se pensent compétents, ainsi que les étudiants plus avancés dans leur cursus, qui valorisent leur autonomie intellectuelle, ont besoin d’une relation plus flexible avec une source employant un style démocratique. L’importance de la formulation d’un désaccord a également été mise en évidence lors d’un travail entre adultes2. Son mérite est d’avoir distingué les dimensions cognitives (accord versus désaccord de points de vue) et affective (contrariété qui repose sur de l’agressivité pouvant être interprétée comme une non-reconnaissance des compétences du partenaire versus aménité sous
1. C. Buchs, J.-M. Falomir, G. Mugny et A. Quiamzade (2002). Significations des positions initiales des cibles et dynamiques d’influence sociale dans une tâche d’aptitude : l’hypothèse de correspondance. Nouvelle Revue de psychologie sociale, 1, 134-145. 2. J.-M. Monteil et P. Chambres (1990). Éléments pour une exploration des dimensions du conflit socio-cognitif : une expérimentation chez l’adulte. Revue internationale de psychologie sociale, 3, 499-517.
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forme de bienveillance et de cordialité) en créant quatre situations typiques dans l’interaction sociocognitive. C’est la situation combinant contradiction et aménité qui s’avère la plus favorable à l’apprentissage. Dans un contexte de travail entre pairs à l’université, nous avons également manipulé le type de conflits grâce aux interventions d’un complice dans trois conditions1 : conflits relationnels (accent sur la comparaison des compétences), conflits épistémiques (accent sur la recherche d’une compréhension exacte) ou absence de conflit (simple reformulation). Il ressort que l’introduction de conflits épistémiques améliore la qualité perçue de la relation, alors que l’introduction de conflits relationnels la réduit. De plus, les conflits épistémiques entraînent de meilleurs apprentissages que les conflits relationnels, ces derniers entraînant de moins bons résultats que l’absence de conflit. Ainsi, les conflits remettant en cause les compétences du partenaire entraînent de moins bons apprentissages.
1.3.3 Buts poursuivis et modes de régulation des conflits sociocognitifs La divergence de jugements entre deux personnes à propos des réponses apportées dans une tâche entraîne une incertitude concernant la maîtrise de la tâche et les compétences propres. Selon la théorie des buts d’accomplissement (voir Kaplan et Maehr, 2007), trois buts principaux seraient poursuivis dans les situations d’apprentissage : apprendre des choses, c’est-à‑dire améliorer ses connaissances et sa compétence (but de maîtrise), être reconnu compétent comparativement aux autres, c’est-à‑dire montrer sa compétence (but de performance-approche) ou éviter de paraître incompétent (but de performance-évitement). Ces buts influencent l’engagement dans des situations diverses et colorent les relations avec les autres2. Plusieurs recherches soulignent que ces buts orientent la régulation des conflits sociocognitifs (Darnon, Butera et Mugny, 2008). Ainsi, les individus poursuivant des buts de maîtrise perçoivent les autres comme des ressources informationnelles permettant de progresser et régulent les conflits de manière épistémique ; ceux qui poursuivent des buts de performance perçoivent les autres comme des compétiteurs et régulent les conflits de manière compétitive lorsqu’ils sont orientés vers des buts de performance-approche ; et de manière protective (complaisance) lorsqu’ils poursuivent des buts de performance-évitement3.
1. C. Darnon, C. Buchs, et F. Butera (2002). Epistemic and relational conflict in sharing identical vs complementary information during cooperative learning. Swiss Journal of Psychology, 61, 139-151. 2. P.M. Poortvliet et C. Darnon, (2010). Op. cit. 3. N. Sommet, C. Darnon, G. Mugny, A. Quiamzade, C. Pulfrey, B. Dompnier et F. Butera (2014). Performance goals in conflictual social interactions: Toward the distinction between two modes of relational conflict regulation. British Journal of Social Psychology, 53, 134-153.
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1.3.4 Menace pour les compétences et modes de régulation des conflits sociocognitifs Les recherches menées dans le cadre de la théorie de l’élaboration du conflit (Quiamzade, Mugny et Butera, 2013) permettent de mettre en évidence que la menace des compétences ressentie par les participants est un élément clé qui oriente la manière dont les conflits sont régulés et permet de comprendre le basculement d’un type de régulation à l’autre. L’idée mise en avant est que la différence de jugements présente dans le conflit sociocognitif peut activer une menace plus ou moins forte pour l’identité et plus spécifiquement pour les compétences. Cette menace correspond au sentiment que ses propres compétences sont remises en question par les autres ou la situation, à une mise en danger de son image de soi. Les individus s’interrogent alors (voire ruminent) sur leur propre valeur, ce qui rend les interactions avec les autres moins constructives et détourne l’attention du traitement de la tâche. La menace ressentie entraîne une réaction compétitive pour défendre et imposer sa propre compétence (régulation relationnelle compétitive) ou une volonté d’éviter le conflit pour protéger sa propre compétence (régulation relationnelle protective illustrée par la juxtaposition ou la complaisance). Ainsi, ce n’est pas tant l’asymétrie dans la relation qui poserait problème, mais la menace implicitement associée à cette asymétrie. L’asymétrie s’appuie certes sur des caractéristiques objectives des partenaires (expertise, aisance sociale, genre, statut institutionnel, etc.) mais elle résulte surtout d’une construction mentale et sociale de ces caractéristiques. L’individu se construit une représentation de son partenaire et de sa relation à lui en fonction de facteurs dispositionnels (caractéristiques psychologiques et sociales de l’individu) mais également situationnels (contexte). À titre d’illustration, le contrat didactique permettrait un engagement cognitif dans des relations asymétriques. Ce contrat place comme objectif prioritaire du rapport d’influence entre le formateur et les apprenants l’acquisition du savoir et favorise la volonté de l’apprenant de se rapprocher de la source en s’appropriant les informations dispensées1. Le contexte institutionnel légitime l’écart entre le formateur et les apprenants tout en les rendant incomparables dans un rapport coopératif dans lequel l’enseignant endosse le rôle de guide. Le contrat didactique protégerait donc la phase d’apprentissage pour autant que l’évaluation n’y soit pas également activée. Les recherches suggèrent des manières de favoriser les régulations épistémiques que nous présentons dans la partie suivante.
1. A. Quiamzade et G. Mugny. (2011). Du contrat didactique à la menace identitaire, in F. Butera, C. Buchs, et C. Darnon (éd.), L’évaluation, une menace ? (p. 25-32), Paris, PUF.
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2. Favoriser les régulations épistémiques dans les situations de formation Dans la mesure où les valeurs mises en avant par les sociétés occidentales et le système éducatif poussent les apprenants à se montrer compétitifs pour réussir, il n’est pas étonnant de constater qu’il suffit de peu pour que ces derniers perçoivent une comparaison sociale menaçante1. Il est donc particulièrement important d’aider les apprenants à maintenir les confrontations en veillant à la qualité du climat pour que les conflits sociocognitifs soient porteurs d’apprentissage. Les dispositifs de formation ainsi que les contextes interviennent également.
2.1 Oser la confrontation Nous avons souligné que si la complaisance permet de résoudre le conflit (résorber la différence de réponses), cette régulation se fait au détriment de l’élaboration cognitive. Ce constat est illustré par les bénéfices cognitifs moins importants dans les dispositifs de travail coopératif entre pairs lorsque les apprenants reçoivent pour consigne de rechercher rapidement un compromis en cas de divergence que lorsqu’ils sont amenés à confronter activement les différents points de vue (Johnson et Johnson, 2007). Offrir un support social et s’appuyer sur une approche maïeutique pourraient réduire la complaisance. L’introduction dans la relation d’un tiers acteur en position haute qui soutient le point de vue de l’acteur en position basse permet d’offrir un support social. Cette situation a pour effet de priver l’acteur en position basse de la possibilité de résoudre le conflit cognitif sur le mode de la complaisance puisque l’accord vis-à‑vis d’un des acteurs en position haute implique nécessairement le désaccord vis-à‑vis de l’autre. Pour maintenir le conflit actif lorsqu’une contradiction apparaît entre le formateur et l’apprenant, le formateur peut alors souligner cette contradiction et demander à l’apprenant d’expliquer cette contradiction. En cas de complaisance vis-à‑vis de la réponse du formateur, ce dernier peut demander d’expliciter les raisons du changement. Dans les situations de formation, la manière dont l’acteur en position haute propose son point de vue semble également particulièrement importante. C’est lorsque celui-ci ne propose pas de réponse explicite et se contente de fournir des indications tout en introduisant des remises en question que l’on observe le moins de complaisance et le plus de progrès chez l’acteur en position basse, ce qui plaide en faveur d’une approche maïeutique dans la construction des savoirs. 1. C. Buchs et F. Butera (2015). Cooperative learning and social skills development, in R. Gillies (éd.), Collaborative Learning : Developments in Research and Practice (p. 201-217), New York, Nova Science.
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Une première stratégie consiste à postposer dans la séquence d’apprentissage le moment où le formateur explicite son propre point de vue. Dans un premier temps, les apprenants sont invités à élaborer, exprimer et confronter entre eux leur propre point de vue sur l’objet. Ce n’est qu’ensuite que le point de vue du formateur est introduit et mis en relation avec le point de vue des apprenants. Nous avons pu par ailleurs1 démontrer empiriquement l’efficacité supérieure d’un tel dispositif comparé à d’autres inversant la séquence (le formateur donne d’abord son point de vue puis les apprenants discutent). Une autre stratégie, qui peut bien sûr se combiner avec la précédente, consiste pour le formateur, au moment d’introduire son point de vue, à le faire de manière à susciter chez l’apprenant la mise en relation critique du point de vue du formateur avec d’autres, et notamment ceux des apprenants. Ce travail peut être facilité par une explicitation des postulats et des paradigmes qui sous-tendent les points de vue en présence, permettant d’identifier et de situer les points de continuité et de fracture entre ces points de vue. De même, introduire des jeux de rôle peut être utile pour stimuler l’investissement dans les confrontations tout en limitant l’enjeu sur les compétences propres. L’exemple de la controverse coopérative présentée plus bas s’inscrit dans cette optique.
2.2 L’importance du climat socio-affectif 2.2.1 Travailler sur les compétences sociales L’importance du climat socio-affectif plaide en faveur de la mise en œuvre d’activités spécifiques centrées sur les compétences sociales et la dynamique du groupe en formation, articulée au processus de formation. Ces activités peuvent, dès le début du processus de formation, amener le groupe à se constituer comme tel, à favoriser une connaissance mutuelle des personnes, et à déterminer des modalités de fonctionnement et de travail pour la suite. Elles visent également l’acquisition et le développement des compétences individuelles et collectives nécessaires au fonctionnement efficace du travail en groupe, sous la forme d’ateliers spécifiques tout au long de la formation. Elles peuvent enfin contribuer directement à l’élucidation et à la régulation de la dynamique de groupe et de ses aléas tout au long du parcours de formation. 2.2.2 Construire une représentation sociale de la relation Nous avons souligné qu’il est possible de modifier les effets de l’asymétrie en jouant à la fois sur ces caractéristiques objectives et leur représentation par les acteurs. Par exemple, le fait d’associer les apprenants à la gestion du processus de formation, de les constituer collectivement 1. M. Frenay et E. Bourgeois (1997). Improving student learning through course design, in C. Rust et G. Gibbs (éd.), Improving Student Learning through Course Design (p. 265-274), Oxford, The Oxford Center for Staff and Learning Development.
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en groupe comme interlocuteurs du formateur et de l’institution, de contractualiser le processus de formation et la relation formateur-apprenant dans ce processus, tous ces éléments sont susceptibles de modifier la représentation des rapports d’asymétrie dans la relation pédagogique. C’est ce que nous avons vérifié dans une recherche1 qui a montré que la manière dont le formateur était présenté aux étudiants contribuait significativement aux variations observées dans leur performance académique.
2.2.3 Désamorcer la comparaison sociale menaçante Le caractère menaçant peut être activé par l’intermédiaire du contexte de comparaison sociale des compétences2. Par exemple dans une étude, les participants ont des points de compétences à distribuer à eux-mêmes et à la source concernant quatre attributs liés à la compétence. Dans une situation de comparaison menaçante, les participants disposent de 100 points au total à répartir entre eux et la source, de manière à ce que plus ils donnent à l’un, moins ils peuvent attribuer à l’autre (interdépendance négative). Au contraire, dans une situation non menaçante, les sujets disposent de 100 points pour eux et 100 points pour la source (il devient possible pour l’apprenant de reconnaître la compétence de la source sans pour autant devoir admettre sa relative infériorité). Ce n’est que dans cette situation que les informations problématiques de la source sont élaborées par les apprenants. Une manière indirecte de réduire la menace est de pousser les apprenants à considérer que les différents points de vue énoncés sont complémentaires et que leur articulation permet de mieux appréhender la situation. Cette décentration peut être introduite par des petits exercices simples (un objet dans une boîte apperçu par deux ouvertures différentes3, des morceaux de dessins incomplets4) ; les résultats suggèrent que ces exercices permettent de réduire la menace des compétences ressentie et favorisent le traitement des informations. Ces travaux illustrent que lorsque la menace est affaiblie, une source compétente autorise l’élaboration cognitive des réponses, quel que soit le niveau de compétences des participants.
1. M. Frenay et E. Bourgeois, op. cit. 2. G. Mugny, F. Butera, A. Quiamzade, A., Dragulescu et A. Tomei (2003). Comparaisons sociales des compétences et dynamiques d’influence sociale dans les tâches d’aptitude, L’année psychologique, 103 (3), 469-496. 3. F. Butera et C. Buchs (2005). Reasoning together: From focussing to descentering, in V. Girotto et P. N. JohnsonLaird (éd.), The Shape of reason (p. 193-203), Hove, Psychology Press. 4. A. Quiamzade et G. Mugny (2009). Social influence and threat in confrontations between competent peers, Journal of Personality and Social Psychology, 97 (4), 652-666.
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2.2.4 Renforcer les buts de maîtrise Les recherches ont souligné que les buts d’accomplissement poursuivis dans la tâche peuvent être orientés par les consignes données par la personne qui gère la situation de formation en mettant l’accent sur les différents buts1 : apprendre, tenter de mieux réussir que les autres ou tenter de ne pas réussir moins bien que les autres. Ces consignes très courtes et simples se montrent cependant efficaces pour orienter les régulations des conflits et les effets des conflits sur les apprentissages. Les résultats confirment que les bénéfices cognitifs des conflits apparaissent uniquement lorsque les consignes mettent en avant les buts de maîtrise. Par ces pratiques pédagogiques, notamment dans la manière de gérer la tâche, l’autorité, la reconnaissance des apprenants, leur regroupement, l’évaluation et le temps, le formateur oriente également les buts poursuivis par les apprenants (Kaplan et Maehr, 2007). Les buts de maîtrise sont favorisés lorsque le formateur structure la tâche de manière à permettre une participation flexible dans une tâche qui fait sens, implique les apprenants dans les prises de décisions, reconnaît de manière privée les efforts fournis, groupe les apprenants de manière à favoriser l’entraide, évalue de manière à favoriser les progrès et régule le temps de manière à limiter le stress. Les résultats présentés suggèrent que le formateur peut intervenir de manière à favoriser les conflits et créer un climat favorable aux régulations épistémiques en portant une attention particulière au développement des compétences sociales, à la représentation des relations, aux enjeux sur la comparaison sociale et aux buts d’accomplissement véhiculés. Toutes ces actions permettent de préparer le terrain pour des interactions constructives. Le formateur doit également veiller à proposer des dispositifs de formation qui stimulent les conflits sociocognitifs et orientent vers une régulation épistémique.
2.3 Proposer des dispositifs de formation favorisant les régulations socio-cognitives 2.3.1 Renforcer la perception de complémentarité des points de vue Nous avons souligné que percevoir les différents points de vue comme complémentaires favorise l’intégration des informations. En situation de formation, un dispositif de type « table ronde » d’experts interagissant avec le formateur et les apprenants pourrait favoriser cette décentration. Ce dispositif, en exposant l’apprenant à une diversité de points de vue – dont certains peuvent être plus proches du sien que de celui du formateur et dont tous sont dotés d’une plus ou moins forte légitimité, facilite le travail de distanciation de l’apprenant et la mise en relation dialectique
1. Sommet et al. (2014). Op. cit.
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de son point de vue avec des points de vue alternatifs. Sur le plan relationnel, il casse la relation apprenant-formateur dans ce qu’elle peut avoir parfois d’enfermant et recadre les enjeux relationnels en amorçant une dissociation des points de vue et des personnes qui les portent. Des effets similaires peuvent être obtenus si un tiers expert est introduit symboliquement dans la relation. On pense, par exemple, à un dispositif dans lequel le formateur présente d’abord une controverse entre deux ou plusieurs points de vue alternatifs argumentés, avant d’exposer éventuellement son propre point de vue. Ce faisant, le formateur relativise celui-ci en l’inscrivant dans un univers plus large et plus diversifié de pensée.
2.3.2 Les dispositifs d’apprentissage coopératif Les dispositifs d’apprentissage coopératif (Buchs, 2017) placent au centre les interactions entre pairs. Pour que ces interactions soient constructives, le formateur prépare les apprenants à coopérer en s’appuyant sur trois principes : créer un climat positif pour les apprentissages et les relations sociales (but de maîtrise), travailler les habiletés coopératives (en lien avec les compétences sociales) et faire réfléchir les apprenants sur l’atteinte des objectifs et le fonctionnement de l’équipe. De plus, il organise le travail au sein de petites équipes en introduisant une interdépendance positive (la perception d’une relation positive dans l’atteinte des buts par les membres de l’équipe) et une responsabilisation individuelle pour favoriser l’engagement de chacun. Certains dispositifs coopératifs comme la controverse coopérative (Johnson et Johnson, 2007) sont particulièrement efficaces pour renforcer les bénéfices cognitifs des conflits. Dans les petites équipes, les apprenants doivent jouer un jeu de rôle en défendant une position pour laquelle ils reçoivent des informations différentes (pour ou contre la question débattue). Ils débattent des contenus selon les étapes fixées à l’avance avec l’objectif de proposer une position finale consensuelle pour l’équipe. Lors des différentes étapes, les apprenants préparent et présentent à tour de rôle la position qui leur a été attribuée, puis ils analysent, discutent de manière critique l’ensemble des positions avant de renverser les perspectives (défendre la position opposée à celle qu’ils avaient défendue préalablement), et finalement ils proposent une position commune acceptée par tous les membres. Les résultats indiquent que la controverse entraîne des bénéfices motivationnels, interpersonnels et cognitifs comparés à une situation de recherche d’accords dans laquelle les apprenants ont pour consigne d’éviter les conflits par un consensus rapide ou comparés à une situation de débat où les confrontations de points de vue se déroulent dans un contexte compétitif. L’importance du contexte coopératif versus compétitif pour renforcer les bénéfices des conflits sociocognitifs a été mise en évidence dans plusieurs contextes de formation et de travail (Tjosvold, 1998). Nous avons également pu vérifier ces résultats dans une recherche menée en
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contexte de formation universitaire1. D’autres études soulignent que les conflits sont constructifs pour les apprentissages seulement lorsque les ressources complémentaires rendent nécessaire l’apport de chacun et réduisent la comparaison sociale des compétences2.
2.4 Le contexte de la formation Dans ce qui précède, nous avons souligné le rôle que le formateur peut jouer pour favoriser les confrontations, soutenir le climat socio-affectif et proposer des dispositifs constructifs. Cependant, ce dernier n’est pas toujours bien placé. D’une part, étant directement centré sur la tâche, il n’est pas toujours en mesure d’apporter une attention suffisante à la dynamique du groupe et une foule d’éléments significatifs peuvent néanmoins, avec la meilleure volonté du monde, échapper à sa vigilance. D’autre part, en raison de sa position dans la relation pédagogique, il n’est pas non plus nécessairement bien placé pour assurer une régulation sereine et efficace de la dynamique du groupe, surtout lorsque les difficultés à traiter concernent directement sa relation avec le groupe et que les enjeux affectifs sont trop forts. D’où l’importance des activités évoquées ci-dessus, distinctes dans le temps et dans l’espace du processus de formation proprement dit, mais également du rôle d’un « tiers acteur » dans la relation pédagogique.
2.4.1 La fonction du conseiller pédagogique comme tiers acteur Cette fonction peut être exercée selon des modalités très diverses. On retrouve cependant des invariants en rapport au problème qui nous occupe ici. Tout d’abord, le conseiller occupe en principe une position de tiers dans la relation apprenants-formateur, en ce sens qu’il n’intervient généralement ni sur les contenus ni sur les objectifs de formation du formateur ; il n’est pas partie prenante de l’offre de formation proposée par le formateur, et, en particulier du processus d’évaluation certificative. Cette position d’extériorité est essentielle pour assurer les régulations de la relation pédagogique apprenant-formateur, du moins lorsque celles-ci nécessitent une distance pour opérer les arbitrages qui s’imposent parfois. Ensuite, le conseiller pédagogique peut agir comme garant du contrat pédagogique : à la fois de son établissement au début de la formation, de sa régulation en cours de processus et de son évaluation en fin de parcours. En outre, en raison de sa proximité avec le groupe qu’il accompagne, son statut institutionnel, le temps, ses compétences et ses qualifications, il est en mesure d’assurer une régulation de la dynamique du groupe tout au long du parcours, au travers des diverses activités et des formateurs successifs auxquels le groupe est confronté. 1. Frenay et Bourgeois, op. cit. 2. C. Buchs et F. Butera (sous presse). Travailler en duos coopératifs sur des textes à l’université : entre soutien et menace, in V. Bonnot, S. Caillaud et E. Drozda (éd.), Les menaces autrement, Rennes, Presses Universitaires de Rennes.
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2.4.2 Le cadre institutionnel Enfin, il faut souligner l’importance du cadre institutionnel dans lequel s’inscrit la formation, tout particulièrement du point de vue des normes sociales et des habitus en vigueur. Nous avons évoqué plus haut les effets de l’apprentissage coopératif. Ce dispositif est d’autant plus efficace que les acteurs l’ont déjà expérimenté antérieurement1. On pourrait ajouter qu’il est d’autant plus efficace que l’institution le valorise, ou valorise en tout cas les modes de relations qui le caractérisent. À l’inverse, comme on le voit si souvent, la mise en place d’un tel dispositif peut s’avérer vite catastrophique lorsque les acteurs n’y sont pas familiarisés et/ou lorsque ce dispositif est étranger, ou en porte-à‑faux par rapport aux habitus en vigueur dans l’institution, surtout si ces derniers sont fortement intériorisés par les acteurs. Le développement de telles pratiques dans ce contexte relève alors de l’exercice délicat du changement dans la continuité, c’est-à‑dire, d’équilibre à trouver entre la nécessité de prendre en compte la culture de l’institution et des acteurs qui peut être assez éloignée de la logique d’apprentissage coopératif et celle de faire évoluer cette culture, de contribuer à son évolution.
3. Conclusion De ce survol, forcément rapide et incomplet, on retiendra que le sujet apprenant est davantage susceptible de résoudre une tâche d’apprentissage lorsqu’il a la possibilité de faire l’expérience du conflit sociocognitif. L’essentiel pour l’apprentissage ne réside cependant pas dans l’occurrence du conflit sociocognitif en soi, mais bien dans la manière dont celui-ci est régulé, les différentes formes de régulations « relationnelles » s’avérant moins efficaces pour l’apprentissage que les régulations « épistémiques ». Nous avons souligné que la menace pour les compétences (perçues) oriente vers des régulations relationnelles. Plusieurs stratégies et conditions ont ensuite été évoquées, qui ont pour effet de modérer la menace et de favoriser des régulations épistémiques du conflit sociocognitif. Sur le plan des pratiques, ces éléments d’analyse permettent de recadrer la fonction du formateur dans le processus d’apprentissage. À tout le moins, ils remettent sérieusement en cause l’efficacité du formateur s’il se cantonne uniquement dans son rôle traditionnel de transmetteur de connaissances. C’est en effet l’interaction sociocognitive qui apparaît comme le moteur essentiel de l’apprentissage. Cette perspective, en soulignant l’importance des interactions entre pairs, met en cause le monopole de l’interaction apprenant-formateur comme unique source
1. R.M. Gillies (2004). The effect of cooperative learning on junior high school students during small group learning, Learning and Instruction, 14 (2), 197-213.
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d’apprentissage. En outre, elle met en évidence un certain nombre de facteurs qui conditionnent dans une large mesure l’efficacité des interactions avec le formateur pour l’apprentissage. Ces travaux soutiennent le rôle central du formateur. Cependant, son rôle essentiel est moins comme dispensateur de connaissances que comme médiateur, ou catalyseur du processus d’apprentissage1. En effet, comme nous l’avons souligné en cours d’exposé, bon nombre des facteurs que nous avons identifiés comme conditionnant les effets de l’interaction sociale sur l’apprentissage relèvent dans une large mesure du champ d’action du formateur, même si d’autres, telles les dispositions individuelles des apprenants et les caractéristiques du contexte institutionnel, lui échappent, irrévocablement. La perspective que nous avons présentée dans ce chapitre invite donc le formateur à trouver sa « juste » place dans le processus de formation : à la fois conscient de l’importance du rôle essentiel qu’il a à jouer comme catalyseur du processus d’apprentissage – et tout particulièrement dans la gestion des interactions socio-cognitives dans laquelle celui-ci s’inscrit – et lucide sur les limites de son champ d’action. Soulignons enfin que les développements qui précèdent, s’appuyant dans une assez large mesure sur des contextes de formation formelle, supposent une rupture plus ou moins nette entre espace-temps de la formation et espace-temps du travail. Or, ces dernières années, on a assisté dans les organisations à un développement massif de dispositifs et de pratiques de formation et d’accompagnement visant explicitement à optimiser les apprentissages en situation de travail (workplace learning) : les dispositifs de coaching, mentoring, tutorat, communautés de pratiques, groupe d’action learning, et autre intervision, pour ne citer que ceux-là. Ces dispositifs sont censés faciliter le transfert d’apprentissage, favoriser la pertinence des apprentissages pour l’activité de travail, ainsi qu’une plus grande responsabilisation et motivation des collaborateurs dans leur formation. Ils permettent l’acquisition durable de compétences complexes et une articulation plus fonctionnelle entre la politique de formation et les projets de l’entreprise. Or ces pratiques sont de nature à exacerber la menace ressentie dans les interactions. Que l’on pense un instant à l’impact de la présence d’un supérieur hiérarchique dans un groupe de collaborateurs en formation, ou d’un coaching à visée formative dès lors qu’il est assuré par un supérieur hiérarchique direct, ou encore de l’apprentissage au sein d’un collectif de travail fonctionnant sur un mode compétitif et fortement hiérarchisé. Ici encore, les résultats des recherches attirent notre attention sur un certain nombre de conditions qui permettent de favoriser une régulation épistémique des conflits sociocognitifs dans des contextes d’interaction caractérisés par une forte asymétrie et qui peuvent valoir, non seulement pour des situations de formation formelle, mais également pour des situations courantes de travail quotidien ou des dispositifs plus ou moins formalisés d’accompagnement de l’apprentissage en situation de travail.
1. B. Aumont, P.-M. Mesnier (1992). L’Acte d’apprendre, Paris, PUF.
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Conflits sociocognitifs et apprentissage ■ Chapitre 16
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Doise W. et Mugny G. (1997). Psychologie sociale et développement cognitif, Paris, Armand Colin.
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Chapitre 17 Les histoires de vie en formation1
1. Par Pierre Dominicé et Gaston Pineau.
Sommaire 1. De l’émergence marginale d’histoires de vie au tournant biographique................. 349 2. Des ouvertures qui élargissent l’horizon............................................................... 354 3. L’articulation entre vie et histoire, levier pour la conquête d’une identité historique.................................................. 359 4. En guise de conclusion........................................................................................... 362 Références................................................................................................................. 363
Entre illusion et injonction biographique, la vie des histoires de vie semble arriver à une nouvelle phase historique de développement. D’une société niant le sujet et brocardant d’illusoire le biographique, semble bien s’opérer actuellement le passage à une société biographique, maniant l’injonction de raconter et d’écrire sa vie comme moyen d’arraisonnement. « Donne-moi ton récit, et je te donnerai de la formation, des stages, une allocation d’aide à l’insertion, un emploi jeune, une reconnaissance de niveau… de la reconnaissance sociale1. » L’appel au récit de vie privée se publicise selon des procédures professionnelles et médiatiques qui risquent de renforcer plus les pouvoirs institués que ceux des personnes en recherche-formation d’elles-mêmes. D’une émergence marginale dans les années 1980, les histoires de vie se centralisent avec le tournant biographique du début des années 2000 (1). Vers quelles nouvelles formes et quels nouveaux horizons (2) ? Quels sont les grands enjeux formateurs/déformateurs de cette (r) évolution narrative de la vie ? Comment s’y retrouver entre informations nécessaires, bavardages périodiques, constructions illusoires, injonctions administratives et construction de sens avec les mondes vécus ? Prendre sa vie en main par une narrativité bio-formative, implique d’apprendre autant à se taire qu’à prendre pertinemment la parole pour mettre le vécu en mots, en réflexions, en dialogues, en perspectives. Toute une entreprise de formation permanente au cours de la vie ! Que peut-on en dire aujourd’hui (3) ?
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1. De l’émergence marginale d’histoires de vie au tournant biographique En prenant comme indicateurs de construction historique entre 1980 et 2016, les dates d’édition de productions écrites ou audiovisuelles ainsi que celles des fondations d’associations, de réseaux et de diplômes de formation, trois périodes sont retenues : une période d’émergence (les années 1980), une période de fondation (les années 1990) et enfin une période de développement différenciateur (les années 2000).
1.1 Émergence dans les années 1980 Conjointement à la publication de textes fondateurs, principalement sociologiques, comme ceux de Daniel Bertaux (1980), Mauricio Catani (1982), Franco Ferrarotti (1981) et ethnologique,
1. C. Delory-Momberger (2010). La Condition biographique, Paris, Téraèdre, p. 44.
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comme Jean Poirier et Simone Clapier-Valladon (1983), la jonction avec la formation des adultes se fait au début des années 1980, par une recherche visant à expliciter, à partir du récit de vie d’une jeune femme québécoise de 35 ans – Marie-Michèle – comment elle se forme personnellement avec et contre les formations reçues des autres : Produire sa vie : autoformation et autobiographie (Pineau, Marie-Michèle, 1983, rééd. 2012). Cette même année 1983 a lieu à l’université de Montréal, un premier rendez-vous international intitulé « Symposium international de recherche-formation en éducation permanente ». Se constitue alors un premier cercle de pionniers : Pierre Dominicé, Christine Josso de l’université de Genève ; Guy de Villers de l’université de Louvain-la-Neuve ; Bernadette Courtois et Guy Bonvalot de l’Association de formation professionnelle des adultes (AFPA) de France et Gaston Pineau de l’université de Montréal. En 1984, un numéro double de la revue française Éducation permanente (72-73) est consacré aux « Histoires de vie entre la recherche et la formation ». Il permet à une série de chercheurs de donner un aperçu de leur pratique et de leur réflexion dans ce domaine. Ce dernier servira de préparation à un premier colloque sur les Histoires de vie tenu en 1986 à l’université de Tours1. Parallèlement, les chercheurs de l’université de Genève engagés dans ce courant de pensée, offriront avec leurs collègues de Louvain-la-Neuve un Cahier de la section des sciences de l’éducation (1985) portant sur le thème suivant : Pratiques du récit de vie et théories de la formation. La collaboration entre les universités de Genève et Louvain-la-Neuve a d’ailleurs donné lieu à de nombreux échanges, notamment méthodologiques, qui ont inscrit la pratique des histoires de vie comme volet indispensable de la formation de formateurs.
1.2 Fondations des années 1990 Les années 1990 complètent par une série d’autres productions la pluralité d’expression du mouvement. Les ouvrages de Pierre Dominicé, l’Histoire de vie comme processus de formation (1990) et de Christine Josso, Cheminer vers soi (1991), construisent la perspective de biographie éducative qui marquera la pratique de recherche-formation en matière biographique. Dans la dynamique de création de formations universitaires par recherche-action coopérative de production de savoir, Henri Desroche publie en 1990, Entreprendre d’apprendre : d’une autobiographie raisonnée à un projet de recherche-action.
1. G. Pineau et G. Jobert (coord.) (1989). Les Histoires de vie, t. I : Utilisation pour la formation ; t. II : Approches multidisciplinaires.
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Les histoires de vie en formation ■ Chapitre 17
À ce début des années 1990, Jean-Louis Le Grand lance pour le satellite Olympus, avec le service de formation continue de l’université de Nantes, un ambitieux projet de construction de cassettes vidéo sur ce mouvement émergent d’histoires de vie en formation. La réalisation de ce projet nécessita des interviews audiovisuelles avec les principaux acteurs francophones de l’époque1. Cette enquête provoqua une forte prise de conscience collective qui amena en 1990, la création de l’Association internationale des histoires de vie en formation (ASIHVIF). Des rencontres laborieuses à Paris, Genève, Louvain, Tours, ont permis d’élaborer non seulement les règlements intérieurs et les procédures d’adhésion, mais surtout une charte éthique définissant l’objet/objectif de l’Association et les relations intervenant entre formateur, chercheur et intervenant avec celles et ceux qui désiraient faire leur histoire de vie. Cette redéfinition des rapports existant entre professionnels et acteurs sociaux semble avoir été et demeurer l’enjeu névralgique du passage pour les récits de vie en formation du paradigme classique des sciences appliquées à celui de l’acteur réflexif2. L’Association romande des histoires de vie en formation (ARHIV), fondée en Suisse en 1992, a été le premier regroupement régional réunissant un nombre impressionnant d’adhérents. Les Québécois ont suivi en 1994 par la création du Réseau québécois pour les histoires de vie (RQPHV). Plusieurs régions françaises ont senti le besoin de se regrouper en association spécifique : Histoire de vie Grand-Ouest (HIVIGO), Histoire de vie Sud-Ouest (HIVISO), Association de recherche et d’études sur les histoires de vie (AREHIVIE, Bretagne). La parution d’un « Que sais-je » (1993) intitulé Histoires de vie par G. Pineau et J.-L. Legrand, catalysera les travaux de l’époque en pleine ébullition. L’histoire de vie y est définie « comme recherche et construction de sens à partir de faits temporels personnels, elle engage un processus d’expression de l’expérience » (p. 3). Trois modèles d’exploration aux impacts formateurs très différents sont identifiés : le modèle biographique ou d’écriture de la vie par un autre ; le modèle autobiographique, ou d’auto-investissement de sa vie par soi-même ; et le modèle interactif, dialogique, d’auto-coformation. Plusieurs textes significatifs relevant d’autres orientations disciplinaires, mais avec lesquelles existent de nombreuses collaborations viendront enrichir la réflexion propre à ce champ biographique, ceux de Vincent de Gaulejac et de Michel Legrand en particulier. Dans son ouvrage de 1998 au titre évocateur, Faire de sa vie une histoire, Alex Lainé dresse un relevé comparatif précieux de ces courants de recherche et de pratique. Il l’actualise en 2016 en collaboration avec
1. https://www.canalu.tv/video/…/02_methodologie_des_histoires_de_vie. 2. Voir le site www.asihvif.com.
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Emmanuel Graton et Annemarie Trekker : Penser l’accompagnement biographique. Philippe Lejeune a par ailleurs largement enrichi le travail d’histoire de vie dans le domaine de la formation en l’ouvrant, par ses travaux sur l’autobiographie, au champ de la littérature. Des colloques donneront également l’occasion d’approfondir des croisements comme ceux qui associent formation, recherche et intervention (Desmarais et Pilon, 1994) ou de travailler plus spécifiquement un thème central problématique comme celui du récit (Robin, de Maumigny-Garban et Soetard, 2004). Chacun des symposiums québécois agira dans le même sens. Citons à titre d’exemple les textes consacrés au Pouvoir transformateur du récit de vie (Chaput, Giguère et Vidricaire, 1995). Des thématiques de recherche se précisent aussi. L’approche de « biographie éducative » permettra ainsi par une analyse systématique de la place des souvenirs scolaires, de repérer les traces expérientielles de la formation permanente de nombreux professionnels. Les Origines biographiques de la compétence d’apprendre (1999) restituent sous un titre commun les trois recherches conduites en groupe par des chercheurs de l’université de Genève. Dans le prolongement de ce remue-ménage réflexif de part et d’autre de l’Atlantique, des liens se précisent entre l’histoire de vie et les démarches de bilan. Inspiré par Le Guide en reconnaissance des acquis de Ginette Robin (1988), l’ouvrage collectif paru à Bienne en Suisse et qui porte le titre Bilan-Portfolio de compétences, Histoire d’une pratique est exemplaire de l’effort de mise en forme écrite élaborée à plusieurs sous la direction de Marie-Thérèse Sautebin. Il en ira de même quelques années plus tard à propos des pratiques d’accompagnateur de bilan et, de manière générale, d’accompagnement en formation. En 1996 est fondée aux éditions L’Harmattan à Paris une collection intitulée « Histoire de vie et formation », avec deux volets : d’expression directe, narrative et un autre de réflexion théorique.
1.3 Développement différencié du début des années 2000 Le noyau des pionniers/pionnières des années 1980 commence à être traduit : Learning from our lives (Dominicé, 2000) ; Expériencias de vida e formaçao (Josso, 2002), Temporalidades na formacao (Pineau, 2004). Ces traductions créent des liens entre le mouvement francophone et des émergences dans d’autres pays : par exemple l’éducation conscientisante de Paolo Freire au Brésil et l’apprentissage transformateur de Jack Mezirow aux États-Unis. Une deuxième génération de formateurs-acteurs, auteurs de mémoires, thèses et ouvrages, prend le relais. Dès le début des années 2000, dans son ouvrage, La formation au cœur des récits 352
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de vie : expériences et savoirs universitaires, Christine Josso dresse une bibliographie imposante de 300 titres d’histoires de vie en formation et de 400 pour les sciences humaines, en langue française, anglaise, allemande, italienne, espagnole et portugaise. De nouveaux auteurs apparaissent, comme Christine Delory-Momberger avec Les Histoires de vie. De l’invention de soi au projet de formation (2000) et la condition biographique. Essai sur le récit de soi dans la modernité avancée (2010). Les liens entre histoire de vie, psychothérapie et psychanalyse, sont travaillés : par exemple Souci et soin de soi. Liens et frontières entre histoire de vie et psychothérapie (Niewiadomski, de Villers, 2002). Des colloques font le point périodiquement : Tours en 2007, Le Biographique. La réflexivité et les temporalités. Articuler langues, cultures et formation (Bachelart, Pineau, 2009). Lille en 2011 : Recherche biographique et clinique narrative. Entendre et écouter le sujet contemporain (Niewiadomski, 2012). Après les premières introductions de l’histoire de vie dans l’enseignement universitaire à Genève, Louvain, Montréal, Tours, de premiers diplômes universitaires spécifiques aux histoires de vie en formation apparaissent : le diplôme universitaire des histoires de vie en formation (DUHIVIF), créé par Martine Lani-Bayle à l’université de Nantes en 2000 ; et celui du certificate of advanced studies (CAS) de « recueilleuses et recueilleurs de récits de vie » créé à Fribourg par Catherine Schmutz-Brun, en 2008-2011. Les premières revues naissent : Chemins de formation au fil du temps (Nantes, 2001), Histoires de vie (Rennes, 2001), Le Sujet dans la cité. Revue internationale de recherche biographique (Paris-13, 2011). Une nouvelle collection voit le jour en 2004 aux éditions Téraèdre (Paris) : L’écriture de la vie. Les connexions avec des associations européennes se renforcent. Les ouvrages de Peter Alheit et Linden West viennent enrichir les problématiques traitées dans le monde francophone. La parution de deux ouvrages communs marquera l’importance de cette collaboration : The Biographical Approach in European Adult Education et Using Biographical and Life History Approaches in the Study of Adult and Lifelong Learning : European Perspectives. Des liens avec l’Amérique du Sud permettent la création de l’Associaçao Norte-Nordeste de Historias de Vida em Formaçao (2006) et de l’Association brésilienne de la recherche (auto) biographique (2008). Des échanges s’effectuent périodiquement avec le Japon, grâce au professeur Makoto Suemoto, de l’université de Kobé.
1.4 Le tournant biographique En ce début du xxie siècle, ce tournant biographique ferait de l’écriture une condition de formation individuelle incontournable, renvoyant à chacun la responsabilité vitale de se biographier. 353
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« L’espace du biographique s’en trouve singulièrement agrandi. Dans son extension temporelle d’abord : il n’est plus limité au seul point de vue rétrospectif de la remémoration du passé, mais il embrasse toutes les formes de configuration narrative sous lesquelles les hommes… anticipent, régulent, projettent le court, le moyen ou le long terme de leur avenir » (Delory, 2010, p. 31). Ce tournant biographique dépasserait l’effet de mode d’ego-histoire. Il actualiserait la triple révolution autobiographique – sociale, psychologique et littéraire – amorcée selon Lejeune à la fin du xviiie siècle avec Rousseau1. Il s’inscrirait dans le passage du paradigme de la science appliquée à celui des acteurs réflexifs (Schön, 1992). Il prolongerait ainsi les tournants réflexifs, narratifs et culturels amorcés à la fin du siècle dernier2. Un indicateur fort de ce tournant biographique dans le champ de la formation est la place que la première Encyclopédie de la formation (Barbier, Bourgeois, Chapelle, Ruano-Borbalan, 2009) accorde à la vie du sujet : le récit autobiographique (de Villers) ; l’approche biographique (Delory-Momberger) ; les histoires de vie (Dominicé). Mais cette assomption de la « condition biographique » (Delory-Momberger, 2010) ne supprime pas « l’épreuve autobiographique » (Baudouin, 2010). Elle l’universalise. Et il ne faut pas tomber dans une seconde illusion biographique, inverse de la première : affirmer son universalité automatique après l’avoir niée de façon aussi péremptoire. « Le temps des grands discours est heureusement dépassé et nos espoirs ne sont plus asservis à leur résonnance idéologique. La pratique des récits de vie m’a appris à associer le local et le global de la vie. Elle m’a convaincu de la nécessité d’allier vie personnelle et enjeux politiques, développement personnel et choix éthiques » (Dominicé, 2007). Les enjeux de ce tournant sont trop importants et les forces trop dispersées pour ne pas tenter de dégager les nouveaux horizons qu’il ouvre.
2. Des ouvertures qui élargissent l’horizon Le tournant biographique actuel vient renforcer l’ampleur du vivant qui caractérise les histoires de vie tant sur le plan des publics concernés et des démarches de recherche que de l’orientation intellectuelle de la production de savoirs. Le projet déjà envisagé par Dilthey d’une autobiographie de l’humanité, rassemblant la totalité des humains promis à une historicité spécifique, n’apparaît plus comme une utopie illusoire, mais devient une composante de la 1. « Rousseau et la révolution biographique », in D. Bachelart et G. Pineau (coord.) (2009), p. 49-65. 2. M. Rustin (2006). « Réflexions sur le tournant biographique dans les sciences sociales », in Astier, Duvoux, La Société biographique : Une injonction à vivre dignement, Paris, L’Harmattan, p. 33-55.
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Les histoires de vie en formation ■ Chapitre 17
condition humaine. La généralisation du « travail biographique » pourrait même être grandement facilitée par l’apport des nouvelles technologies de l’information qui rend virtuellement possible le passage de discours sur l’humain élaboré en surplomb, à la parole vibrante de ces humains, inscrite dans le cours de leur vie. Ce passage ne se fera ni automatiquement, ni sur injonction. Nous restons de grands analphabètes de nos vies. Comment apprendre à parler la vie de façon formatrice, performative, pour lui donner une consistance historique ? Il s’agit ici d’un redoutable apprentissage, tant sur le plan individuel que collectif.
2.1 Survol des secteurs sociaux d’expression et de pistes de théorisations formatives Les vingt ans de la collection Histoire de vie et formation plaident pour prendre ses productions comme indicatrices des secteurs sociaux d’expression autobiographique selon son volet narratif et de conceptualisation formative selon son volet plus théorique. Depuis sa fondation en 1996 jusqu’à début 2016, la collection a généré 165 ouvrages : 90 dans le volet narratif, histoire de vie, qui reflète l’expression directe des acteurs sociaux aux prises avec la vie courante à mettre en forme et à laquelle donner sens ; 75 dans le volet théorique d’une conceptualisation anthropologique de la formation humaine. Ces ouvrages ont pu être regroupés en huit secteurs d’expression sociale et de théorisation. Les quatre premiers épousent les grands secteurs vitaux de tout trajet personnel : –– Les histoires d’enfances et de relations familiales intergénérationnelles qui ouvrent et ancrent les réflexions concernant la formation dans des temporalités personnelles intergénératives. L’ouvrage initiateur de ce secteur est celui de Martine Lani-Bayle : L’histoire de vie généalogique. D’Œdipe à Hermès (1997) ; –– Les histoires d’écoles et de formations formelles qui, souvent critiques, mettent paradoxalement en réflexions expérientielles autoformatives : L’école réparatrice de destins ? Sur les pas de la méthode Freinet de Paul Le Bohec (2007) est exemplaire de la vingtaine d’ouvrages de ce secteur ; –– Les histoires de vie professionnelle réinterrogeant les rapports entre formation et travail représentent le secteur le plus producteur : 25 ouvrages. L’éventail professionnel est largement ouvert : sportif, sociologue, enseignant, reporter, médecin, chercheur d’emploi, conseiller d’orientation, aviateur, marin, chirurgien, sage-femme, bibliothécaire… les récits portent sur toute la carrière ou une période : Commencer à gagner sa vie sans la perdre. Recherche sur le premier cours de la vie professionnelle (Prévost, 2005) ; –– Depuis les années 2000, les histoires de santé montent, reliant le prendre soin de soi et des autres, à la mise en forme humaine. Cette émergence de la pratique du récit de vie dans ce secteur de la santé sera développée au point 2.2. 355
Traité des sciences et des techniques de la formation
Les trois autres secteurs proviennent de champs sociaux vécus plus spécifiquement par certains : –– les croisements interculturels multipliés par les mouvements actuels de mondialisation avivent de gré ou de force une formation dialoguant avec le monde. Transhumer entre les cultures. Récit et travail autobiographique, de Malika Lemdani Belkaïd (2004) est un bel exemple d’une théorisation prolongeant une autobiographie impliquée : Normalienne en Algérie (1998). Ha Vinh Tho a su, avec subtilité, introduire la référence à la pratique bouddhiste dans son ouvrage au titre évocateur De la transformation de soi. L’éducation des adultes au défi des histoires de vie. C’est dans ce secteur interculturel qu’ont été situées les histoires de genre, présentées au point 2.3 ; –– les histoires sociopolitiques maintenant et développant une visée émancipatrice de la formation, rappellent que la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Des 15 productions de ce secteur polémique, les anniversaires récents de la guerre d’Algérie, nous font mentionner deux ouvrages types : Guerre d’Algérie, Guerre d’indépendance. Paroles d’humanité. Association des anciens appelés en Algérie contre la guerre (2012) ; et Traumatismes de guerre. Du raccommodement par l’écriture, Corinne Chaput Le Bars (2014) ; –– Pour éviter toute stigmatisation rapide, ont été regroupés dans ce septième secteur d’histoires de vie aux frontières du social, les histoires de violence sociale, de prison, de situations en borderline, obligeant la formation à des ouvertures transdisciplinaires. Tranches de vide ou le roman de Jil de Renaud Valère ouvre le volet narratif en 2002. Une trilogie coordonnée par Catherine Schmutz-Brun, Martine Lan-Bayle et Gaston Pineau, ponctue ces cinq dernières années en explorant frontalement ce régime nocturne de la vie et de la formation : Histoires de morts au cours de la vie (2011) ; Histoires de nuits au cours de la vie (2012) ; et La vie avec les animaux. Quelle Histoire ? (2015). Enfin le huitième secteur est vu comme synthèse. Il a été nommé histoires de recherche de sens et anthropoformation et regroupe les productions s’attaquant frontalement à la quête de sens, qui pour nous définit le plus directement les histoires de vie en formation. Un ouvrage qui nous vient du Québec, illustre bien ce secteur : Moments de formation et mise en sens de soi, de Pascal Galvani, Danièle Nolin, Yves de Champlain, Gabtielle Dubé (2011) Les productions de ces vingt ans de recherche-action-formation sont plus longuement présentées dans la revue Chemins de formation au fil du temps (2015, n° 19) et dans un chapitre Influences polonaises et apports d’une collection, Histoire de vie et formation, à la recherche de chemins actuels de formation dans Olga Czerniawska et Aneta Słowik, Trajets de formation et approche biographique. Perspectives française et polonaise, 2015
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2.2 Un autre regroupement d’histoires de vie par thèmes générateurs Le travail de recherche de ce que d’aucuns ont nommé « l’École de Genève » a été centré, pendant plusieurs décennies, sur une démarche dite de « biographie éducative ». L’évocation de la famille d’origine, des aléas du parcours scolaire, de l’entrée dans la vie du travail par la formation professionnelle ainsi que d’époques de socialisation, notamment familiale, constituaient les thèmes majeurs abordés dans les centaines de récits élaborés et analysés en groupe, selon une méthode interactive de recherche-formation, dans le cadre de l’enseignement universitaire qui lui était consacré. Dans son dernier ouvrage intitulé la formation biographique (2007), Pierre Dominicé propose trois notions clés qu’il considère comme vecteurs de compréhension des récits qu’il a analysés : complétude, bifurcation, double appartenance. La complétude indique les prolongements effectifs et potentiels du parcours de vie. Elle se donne à connaître dans les récits par la réunion d’une pluralité de facettes personnelles de l’existence (vie professionnelle, familiale, culturelle, sportive, politique) qui manifeste une quête d’équilibre toujours reprise entre autonomie et dépendance. La complétude rejoint l’idée de « biographicité », défendue par le sociologue allemand Peter Allheit ou celle de « processivité », introduite par le sinologue François Jullien. En bref, la formation est ouverte aux événements prévus et imprévus de l’existence, qui contribuent à donner sens à l’histoire d’une vie. La « double appartenance » caractérise les tensions personnelles dues au tiraillement toujours repris entre l’origine sociale et la carrière professionnelle, entre la vie urbaine et l’ancrage rural, entre des traditions ou des valeurs de référence et leur confrontation aux bouleversements sociaux dus à une époque de mondialisation. Les phénomènes de migration troublent par exemple fortement les repères d’identité. L’accélération des sollicitations dues à la modernité provoque également un brouillage des âges qui rend plus flou l’appartenance à une seule génération. La construction biographique fraye son chemin au milieu de tous les métissages culturels qui viennent surprendre le quotidien. Le recours à des ressources personnelles, au-delà des apports de la formation continue, réclame un investissement considérable et oblige, comme le disent les déclarations gouvernementales, à une formation se prolongeant « tout au long de la vie ». L’évocation d’un temps de « bifurcation » est présente dans la plupart des récits qui font mention d’un moment clé autour duquel le parcours de vie prend une nouvelle direction, – un divorce, une maladie, une période de chômage –, c’est-à‑dire un temps fort de construction personnelle nécessitant parfois des modalités d’accompagnement. Nous vivons à une époque qui répand l’illusion du changement immédiat. La vie prend effectivement forme à l’occasion de transitions réclamant le respect de temporalités.
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2.3 L’émergence de la pratique de récit dans le champ de la santé Le personnel de santé, particulièrement les infirmières, a grandement profité des sessions qu’elles ont suivies en matière d’histoire de vie. C. Niewiadomski, avec sa thèse, puis son projet de diplôme a visé l’humanisation des soins. Il faut probablement attribuer au travail de pionnier du professeur de diabétologie Jean-Philippe Assal la brèche par laquelle tant dans « l’éducation thérapeutique des patients » que dans la formation des médecins, la préoccupation du « vécu du malade » a émergé et pris racine. La référence à l’histoire de vie représente une contestation en elle-même de l’anamnèse au travers de laquelle les médecins codifient les symptômes qui caractérisent la pathologie des patients. Face à l’evidence based medicine qui gouverne l’accueil hospitalier et confirme les découvertes remarquables de la médecine de ces cinquante dernières années, le récit du patient apparaît bien modeste. Et cependant ce récit pourrait enrichir tant le diagnostic que la connaissance clinique. Il faut en conséquence se réjouir que soit apparu dans le monde anglo-saxon tout un courant de narrative medicine qui a montré à quel point l’alliance thérapeutique entre médecins et patients était source de stabilisation de la maladie et aussi d’espoir quant au traitement proposé. La part du malade est essentielle. Nous rejoignons ce que plusieurs d’entre nous ont écrit concernant la place et l’activité de l’apprenant adulte. Pour que le récit du patient devienne opérant, il importe toutefois que des modifications soient introduites lors des consultations ou des séjours hospitaliers. P. Dominicé a tenté de le préciser dans son ouvrage intitulé Dialogue sur la médecine de demain (PUF, 2009) : « L’objet formation, entendu dans le processus du cours de la vie, nécessite, pour être identifié, la parole de celui auquel ce processus appartient… De manière complémentaire au diagnostic provenant de la science médicale, un savoir clinique permet d’entrer dans la singularité des troubles et de la souffrance du patient » (Dominicé, 2007, p. 22).
Envisagée dans une optique multidisciplinaire l’application du récit à la souffrance et à la vie des patients constitue une ouverture magnifique pour de nouvelles pratiques de soin et de santé1. Les médecines alternatives nous indiquent la nature des attentes des patients face à une médecine trop scientifique, trop chère, trop inaccessible. Ce qui a été produit sur l’autoformation trouverait en tous les cas de nombreux parallèles avec le domaine de la santé.
1. C. Delory-Momberger, C. Niewiadomski (2010). Écouter la souffrance, entendre la violence, Paris, Téraèdre.
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2.4 Sans oublier la composante du genre De même que dans la collection publiée par L’Harmattan, Histoire de vie au féminin plurielle, au sein de la Société européenne de recherche en formation d’adultes (ESREA) et lors des communications présentées dans les workshops annuels, l’histoire de vie des femmes occupe une place de choix qu’il importe de souligner. Agnieska Bron et Kirsten Weber, en particulier, ont conduit de nombreuses recherches dans ce domaine. Edmée Ollagnier y a aussi collaboré et sa publication sur le mouvement des femmes montre comment une revendication collective peut rejoindre la perspective plus individuelle de construction biographique. Vu l’importance de la population de femmes dans l’enseignement en sciences de l’éducation, les récits entendus et travaillés contiennent une richesse incroyable de témoignages qui mettent en évidence les processus d’émancipation qui ont caractérisé la construction de la vie adulte d’un nombre significatif de femmes au cours de ces dernières décennies. De multiples réseaux et structures plus légères se développent donc, in vivo, dans le mouvement de cette bio-diversité foisonnante de formulation de récits consacrés aux types et âges de la vie. Cette prolifération peut être considérée comme un immense laboratoire de rechercheformation-action. Cette dynamique fait également partie de la révolution paradigmatique portée plus ou moins souterrainement par le tournant biographique. Toute la vie et toutes les vies font écho à l’existence de chaque être vivant en vue de construire une historicité en tout temps et dans tous les temps et contretemps de la vie.
3. L’articulation entre vie et histoire, levier pour la conquête d’une identité historique Comme la vie, l’histoire est une amie paradoxale dont on croit toujours trop vite maîtriser la connaissance. L’alliage entre histoire et vie renforce l’attrait séducteur de cette expression, qui n’a toutefois guère de consistance sans un solide apprentissage initiatique. L’histoire est un continent toujours en émergence. Avant d’être une discipline académique centrée sur le passé, un corpus de connaissance, une chronologie ou un récit distrayant, l’histoire, étymologiquement parlant, est un tissage de sens à partir de faits temporels. Quant à l’historicité, elle indique la tentative d’effectuer cet alliage en termes de pouvoir et de savoir. Accéder à l’historicité, à cette possibilité de tisser son sens temporel, est donc une conquête majeure en vue d’une formation qui soit une prise de forme autonome. La formation ou l’autoformation d’une unité vitale a en effet pour fin la construction d’une identité historique. Cette perspective rejoint la distinction entre sociétés historiques et préhistoriques. De manière analogue le tournant biographique va 359
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contribuer à départager les individus les uns des autres. La conquête vers l’autonomie ou le glissement vers un assujettissement aliénant représentent l’enjeu existentiel du tournant biographique. Celui-ci réclame en effet pour tout individu l’historicisation de sa vie, à savoir une mise en forme temporelle assurée par soi et par d’autres. Dans l’optique, en particulier, de l’herméneutique de la conscience historique, proposée par Ricœur, l’histoire de vie peut être envisagée comme un synchroniseur personnel majeur des temps et contretemps de l’existence Le récit devient l’expression d’une identité narrative qui, en suivant l’idée de Dilthey, effectue la synthèse de l’hétérogène. En s’appuyant sur la position de Ricœur, de Villers rappelle que cette narration est une expérience qui se déploie en trois moments intitulés préfiguration, configuration et reconfiguration. Il analyse très finement comment la production du récit biographique correspond à un processus qui permet à la fois une construction du soi et son inscription dans l’axe temporel. Elle agit de plus comme adjuvant à la transformation identitaire, comprise comme effet de formation1. Ce processus apprend à conjuguer les trois instances du temps : passé, présent et futur, mais aussi les trois instances de la temporalité : temps vécu, narré et calendaire. Il importe de souligner que l’apprentissage de cette double conjugaison temporelle n’est jamais terminé. Baudouin (2010) fait également usage de l’herméneutique de Ricœur, parallèlement au cadre de référence qu’il emprunte à plusieurs secteurs de la linguistique, dans la magistrale analyse textuelle opérée sur un groupe de récits de vie.
3.2 Différencier l’histoire selon les âges de la vie Les dynamiques temporelles évoluent avec les âges de la vie, selon que l’on est jeune, adulte ou senior. René Houde dans Les Temps de la vie (1999) donne une bonne synthèse des travaux provenant principalement des Etats-Unis, auxquels nous nous sommes référés pour penser le déroulement des parcours de vie. Les psychologues Erikson (1966) ainsi que Levinson (1978) parlaient, l’un d’étapes de vie, l’autre des « saisons de la vie de l’homme » avec une mention éclairante et toujours actuelle sur les phases de transition. Les ouvrages de Danielle Riverin-Simard sur les étapes de vie dans la relation des adultes au travail sont aussi éclairants. La littérature sur ce sujet n’est pas abondante en langue française. Les écrits des sociologues sur les parcours de vie, publiés notamment en langue allemande datent, selon René Lévy (2001), du milieu des années 1970. Avec la publication de sa thèse, Lapassade fera œuvre de pionnier, mais c’est surtout à Jean-Pierre Boutinet que nous devons des analyses intéressantes, d’optique psychosociologique sur l’évolution de la vie adulte et son immaturité actuelle. P. Dominicé,
1. C. Delory-Momberger, C. Niewiadomski (2010). Écouter la souffrance, entendre la violence, Paris, Téraèdre.
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J. Monbaron et J.-Y. Robin le prolongent dans Où sont passés les adultes, routes et déroutes d’un âge de la vie (2010). Francis Lesourd, L’Homme en transition. Éducation et tournant de vie (2009) vient renforcer la construction émergente d’une anthropologie temporelle nécessaire pour décoder cette répartition hypercomplexe des âges. La contribution des pratiques d’histoire de vie à la compréhension de la vie adulte est aujourd’hui considérable, même si cet apport, principalement issu de recherches-formation, entre mal dans les canons de recherches conduisant à une production classiquement disciplinaire. Sur le plan méthodologique l’interlocuteur adulte ne fait plus l’objet d’un examen détaché conduit par le chercheur universitaire. Il devient, par l’audition et le traitement du récit de sa vie, un partenaire de recherche. L’ASIHVIF a élaboré, en quatre points, une charte éthique qui précise que le processus biographique ne peut être que proposé, jamais imposé, ses conditions de déroulement sont toujours négociées, le produit biographique reste la propriété du producteur, l’animateur a déjà fait lui-même son histoire de vie.
3.3 Se méfier des dérives médiatiques, pragmatistes et disciplinaires de la recherche biographique Le texte de ce chapitre indique en quoi le travail fourni depuis plus de deux décennies en matière d’histoire de vie préserve la spécificité épistémologique et méthodologique d’une problématique biographique qui a pris l’ampleur que celle-ci connaît de nos jours. Il importe en effet de souligner le risque de dérive aussi bien médiatique, pragmatiste que disciplinaire que comporte tant le succès de l’explosion biographique que les effets néfastes qui découlent de ce que d’aucuns nomment l’injonction biographique. Trente ans après avoir été brocardées comme pratiques illusoires du monde courant par un représentant du Collège de France, un autre représentant de ce Collège illustre qui se veut garant du monde savant, lance un quasi-mot d’ordre à raconter sa vie comme moyen majeur pour fonder une démocratie narrative et participative : Le Parlement des invisibles. Raconter sa vie (Rosanvallon, 2014). On ne peut que se réjouir de cette légitimation qui indique qu’on entre vraiment dans une société biographique. La permissivité actuelle va-t‑elle gommer de façon magique les difficultés d’expression, de réflexion et de dialogue, les inégalités sociales, les arraisonnements administratifs, les intérêts mercantiles ? Les premières études de motivation à raconter sa vie sur internet selon la vague médiatique du storytelling montrent que plus de 70 % ont ouvert leur blog pour simplement se dire plus que pour participer aux grands débats sociaux1. Les incitations médiatiques à se
1. C. Salmon (2014). « Le Parlement de invisibles : un projet de storytelling-intégré », blogs.mediapart. fr\.
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raconter relèvent plus d’une stratégie de marketing de consommation de services que de projets de construction humaine et socio-démocratique. L’entrée dans une société biographique n’est pas automatiquement formative. Ce qui est illusoire maintenant c’est de le penser. La recherche biographique tire bénéfice du retour du sujet en sciences sociales. Elle peut ainsi rendre compte, par exemple, des parcours qui conduisent à la marginalité ou à la déviance en s’appuyant sur des récits qui permettent d’appréhender le cheminement individuel de processus généralisables à des catégories plus larges de population. Ce que P. Alheit nomme à propos des jeunes étudiants demandeurs d’emploi les patchworkers illustre ce type de démarche qui se retrouve dans beaucoup de travaux scandinaves. La place donnée à la reconnaissance et à la validation des acquis expérientiels, aussi heureuse soit-elle pour faciliter l’accès à des cursus d’études ou de formation continue, court le risque de fournir des formules codifiées d’expériences ou de parcours reconnus, voire de justifier des procédures de sélection. La question qui demeure ouverte est de savoir qui bénéficie de l’histoire de vie ou comment peuvent se dessiner des démarches d’alliance herméneutique qui ne privent pas l’apprenant, ou de manière plus générale l’auteur, de son récit. Diverses démarches actuelles consistent à solliciter les personnes âgées en vue d’élaborer avec elles des récits qui favorisent leur sérénité en regard de la phase ultime de leur vie. À nouveau se pose le problème de l’utilisateur du récit ou de la socialisation de récits qui, dans ce cas, ont valeur intergénérationnelle.
4. En guise de conclusion Michel Aldadeff, qui appartient à la jeune génération des universitaires qui pratique l’histoire de vie, a raison de nous inciter à rester critique. L’effort qu’il a fourni en vue de nous rapprocher de la réflexion menée aux Etats-Unis mérite d’être souligné. Les enjeux trop brièvement évoqués dans ce chapitre dépassent largement les frontières de la francophonie. La question posée récemment par Richard Sennet nous confronte notamment au défi de la mondialisation : comment un être humain peut-il se forger une identité et se construire un itinéraire dans une société faite d’épisodes et de fragments ? Le courant des histoires de vie est récent. Il a ouvert une brèche dans la manière de penser l’intervention éducative. Mal reconnu dans le monde des sciences humaines, il peut être compris comme un analyseur de la conformité des positions épistémologiques et méthodologiques dominantes qui tendent à ne même plus donner lieu de nos jours à débat. Au lieu de s’ouvrir à une visée transdisciplinaire, seule en mesure de traiter du vivant, les travaux académiques se spécialisent en oubliant trop fréquemment l’interlocution des acteurs concernés. Il convient de rester modeste et de ne pas majorer l’apport de la recherche biographique. Il importe néanmoins de défendre des positions largement développées dans 362
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des récits de vie et des publications qui occupent un champ en devenir et qui ont su, depuis les premières histoires de vie en formation, maintenir l’intention de s’élargir et se diversifier. Ce chapitre constitue un bilan d’étape rédigé par deux pionniers d’un mouvement d’idées porté par une dynamique de réseaux intergénérationnels, interdisciplinaires et internationaux en constante évolution et promis, à n’en pas douter, à de nouvelles configurations. Comme l’a écrit Bruner (2002) : « Grâce au récit nous construisons, nous reconstruisons, et même, d’une certaine manière, nous réinventons le présent et l’avenir ».
Références Bachelart D., Pineau G. (coord.) (2009). Le biographique. La réflexivité et les temporalités. Articuler langues, cultures et formation, Paris, L’Harmattan.
Niewiadomski C. et Delory-Momberger C. (coord.) (2013). La mise en récit de soi. Place de la recherche dans les sciences humaines et sociales, Lille, Presses Universitaires du Septentrion.
Czerniawska O. et Slowik A. (coord.) (2015). Trajets de formation et approche biographique. Perspectives françaises et polonaises. Paris : L’Harmattan. Préface de Pierre Caspar. Postface de Franco Ferrarotti.
Pineau G. et Le Grand J.-L. (2013). Les histoires de vie, Paris, PUF (5e éd.),
Delory-Momberger C. (2010). La condition biographique. Essais sur le récit de soi dans la modernité avancée, Paris, Téraèdre.
Souza E. C. de (2008). Autobiographie. Écrits de soi et formation au Brésil, Paris, L’Harmattan.
Dominicé P. (2007). La formation biographique, Paris, L’Harmattan. Josso M.-C. (2011). Expériences de vie et formation, Paris, L’Harmattan.
Pineau G. et M.-M. (2012). Produire sa vie : autoformation et autobiographie, Paris, Téraèdre (1re éd. 1983).
Yelle C., Mercier L., Gingras J.-M., Beghdadi S. (coord.) (2011). Histoires de vie : un carrefour de pratiques. Montréal : Presses de l’université du Québec.
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Chapitre 18 Autoformation(s)1
1. Par Pascal Cyrot.
Sommaire 1. Aux racines de l’autoformation : l’autodidaxie....................................................... 368 2. L’autoformation aujourd’hui : cinq perspectives.................................................... 371 3. L’autoformation demain........................................................................................ 376 4. Conclusion............................................................................................................. 380 Lectures conseillées.................................................................................................. 382
Le préfixe autos permet d’affirmer sans ambiguïté que le terme « autoformation » renvoie à l’ensemble des formations par soi-même. Cette définition laconique situe l’autoformation aux antipodes de la formation exercée par les autres sur le sujet – on parle alors d’hétéroformation – mais ne permet pas de faire de l’autoformation un concept scientifique. Comme Carré (2010) l’affirme, l’autoformation demeure au stade du « préconcept » même si elle possède une vertu éminemment fédératrice. Quoi qu’il en soit, nombreux sont ceux qui pensent que la forme pronominale de la formation casse les modèles existants en invitant l’apprenant à devenir acteur et responsable de son apprentissage. Si l’autoformation, dans sa forme intégrale, a toujours existé, quatre caractéristiques de la société contemporaine la rendent actuelle et favorisent sa démocratisation. D’abord, la société est, aujourd’hui, pensée par les politiques comme « apprenante » et l’idée d’un apprentissage « tout au long de la vie » est largement installée dans les textes officiels. Ensuite, les évolutions rapides des outils numériques ont transformé de nombreux salariés lambda en travailleurs de la « connaissance » invités, à coups d’injonctions, à développer par eux-mêmes leurs compétences. Par ailleurs, les limites pédagogiques, professionnelles et budgétaires que l’on reconnaît désormais à la formation continue sont une invitation à la réinventer. Enfin, la redécouverte de quelques illustres pédagogues stimule certains à formuler le vœu d’une « pédagogie de l’autoformation ». Les mutations sociétales, sociotechniques, économiques ou pédagogiques encouragent donc, pour le meilleur ou pour le pire, le transfert de responsabilité ou d’autonomie vers l’apprenant lui-même.
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Si Le Robert fait remonter le terme d’autoformation à 1971, une recherche sur Google Labs Books Ngram Viewer montre l’apparition du vocable à la fin du xixe siècle. Il est alors principalement rattaché aux sciences physiques (1899), à la biologie générale (1903), à l’électricité (1899) ou encore à la sociologie criminelle (1893). Dans le champ de l’éducation, l’idée d’autoformation trouve ses origines dans le lointain passé. Cependant, on peut reconnaître à Lindeman et à Thorndike, Bergman, Tilton et Woodyard, courant 1920, leurs rôles dans la naissance de l’intérêt scientifique pour la question de l’éducation des adultes. Les années 1970 marquent toutefois en Amérique du Nord, avec Tough et Knowles, le développement d’un intérêt nouveau pour cette notion. En France, même si Schwartz réfléchit, en 1973, dans L’Éducation demain, à l’autoformation assistée, on a coutume de penser que l’intérêt pour cette question apparaît, dans des formes diverses et variées, au début des années 1980. Le numéro d’Education permanente consacré au champ à défricher de l’autoformation (Dumazedier, 1985) marque la naissance de ce thème comme objet de recherche dans l’Hexagone. Pineau, Carré, Le Meur ou encore Verrier et BezilleLesquoy, pour ne citer qu’eux, prolongent ces investigations. 367
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Aujourd’hui, les recherches sur la question s’articulent autour de collectifs et de moments importants. On peut citer, en vrac et entre autres, le Groupe de recherche sur l’autoformation (GRAF) qui voit le jour en 1992 autour de Pineau et dont l’intitulé devient A-GRAF en 2003, l’équipe Apprenance et formation des adultes (CREF, université Paris-Ouest) ou encore l’International Society for Self-Directed Learning fondée en 2005 autour de Long et Guglielmino. Les avancées scientifiques des collectifs précédemment cités et de tous ceux que nous n’avons pas la place d’évoquer ici sont, en général, communiquées lors des colloques sur l’autoformation qu’ils soient européens (Nantes 1993, Lille 1995, Bordeaux 1996, Dijon 1998, Barcelone 1999, Montpellier 2001, Toulouse 2006, Strasbourg 2014, Angers 2016) ou internationaux (Montréal 1997, Paris 2000, Marrakech 2005). Les États-Unis d’Amérique ont initié ces rencontres depuis déjà bien longtemps. En effet, en 2016, s’est tenu le 30e International Self-Directed Learning Symposium, à Cocoa Beach, en Floride. La recherche sur cette question n’est, cependant, pas réservée à un traitement strictement anglophone ou francophone. Pour s’en convaincre, on peut évoquer le rôle que joue la Revista Interamericana de Educación de Adultos en Amérique Latine et dans la zone caribéenne, par exemple. Dans la première partie de ce chapitre consacrée aux racines de l’autoformation, nous nous intéresserons tout particulièrement à l’autodidacte, figure archétypique de l’« attracteur paradoxal » qu’est l’autoformation aujourd’hui. Nous présenterons, ensuite, la galaxie de l’autoformation proposée en 1996 par Carré qui clarifie la notion en retenant cinq conceptions théorico-pratiques. Nous réfléchirons, enfin, à travers une « prospective autoformative » à ce que pourrait être l’autoformation demain.
1. Aux racines de l’autoformation : l’autodidaxie 1.1 Dimension quasi anthropologique Déjà dans les temps anciens, en Chine, l’apprentissage était considéré comme proche de l’autodidaxie1 comme le montrent certains aphorismes de Confucius (551-479 av. J.-C.). C’est le cas, par exemple, d’« étudier par soi-même et réussir » ou « sans maître on parvient tout de même à maîtriser des connaissances ». En Grèce, Épicure (341-270 av. J.-C.) a tenté, à sa façon, d’être son propre auditeur en devenant autodidacte car la vérité philosophique ne se transmet pas, elle est construite par le sage lui-même. En pleine Renaissance française, Ambroise Paré 1. C. Verrier (2006). « Autodidaxie et autodidactes en Chine, première approche », publié le jeudi 9 février 2006 sur http://www.barbier-rd.nom.fr/journal/spip.php?article550. Consulté le 1er mai 2016.
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(1510-1590), aujourd’hui considéré comme le père de la chirurgie moderne, vit un épisode autodidactique important qui lui vaut promotion et reconnaissance sociale. Ces quelques cas singuliers ne permettent évidemment pas d’affirmer l’universalité de cette pratique de formation, mais certains chercheurs confirment scientifiquement notre première impression. Ainsi, en cherchant à identifier des sujets ayant appris par eux-mêmes depuis la Grèce antique jusqu’à aujourd’hui, Kulich1 a constaté que les situations d’auto-apprentissage ont clairement toujours existé quels que soient les époques et les peuples. En prolongement, Long et Ashford2 ont travaillé sur les gens du peuple qui réalisent des apprentissages indépendants durant l’époque coloniale aux États-Unis et ont mis en évidence que de nombreux individus, quelle que soit leur origine sociale, se sont engagés dans cette forme d’apprentissage. Il paraît donc possible de soutenir que l’autodidaxie existe tant dans la verticalité des métiers que dans l’horizontalité temporelle. L’universalité des pratiques autodidactiques n’interdit toutefois pas quelques intéressantes variations. Ainsi, dans le clivage retenu par l’Unesco en 1980, l’autodidaxie peut être aristocratique ou prolétarienne. Dans le premier cas, il s’agit d’une autodidaxie caractérisée par sa dimension choisie, pure, individuelle, minoritaire et limitée. Elle affirme les vertus formatives d’une occupation dilettante et affranchie et trouve une forme particulièrement visible durant le siècle des Lumières. Dans le cas de la forme prolétarienne, l’autodidaxie est largement imposée par les conditions de vie. Cependant, malgré les variations autodidactiques qui marquent l’histoire, cette forme « clandestine » d’apprentissage semble être une caractéristique intrinsèque de l’être humain.
1.2 Du besoin d’apprendre à la douleur de savoir On peut considérer l’activité d’apprendre par soi-même comme enracinée dans le « manque » ou l’« insuffisance » du savoir recherché. Vu sous cet angle, l’autodidacte organise une quête démesurée de savoir et pense l’apprentissage indépendant comme une réparation voire une vengeance. La connaissance est alors un besoin quasi physiologique qui transforme parfois l’autodidaxie en pathologie, la course folle au savoir en génération spontanée et l’illusion de toute puissance qui en découle en paranoïa. Ce besoin d’apprendre s’accompagne souvent d’un besoin de raconter qui trouve sa place dans une littérature du « véritable » à peine romancée. C’est par exemple le cas dans Martin Eden de London ou dans L’Autodidacte de Robinet. Mais 1. J. Kulich (1970). « An overview of the adult self-learner », Adult Education Journal, 13, 22-35. 2. H.B. Long, M.L. Ashford (1976). « Self-directed learning inquiry as a method of continuing education in colonial American », The Journal of General Education, 28, 18-32.
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à l’organisation de la réparation s’ajoute souvent la transformation des attitudes, des attentes et des goûts qui favorise le détachement de la classe d’origine sans pour autant permettre le rattachement à la classe aspirée. L’autodidacte est ainsi voué à l’errance perpétuelle tel un Ulysse dans les Cyclades du savoir, au transit à vie ou à l’« apatridie sociale ».
1.3 Stigmates et reconsidération Au-delà des pathologies autodidactiques, certains autres stigmates sont aussi associés à l’apprentissage clandestin. Ainsi, dans Bouvard et Pécuchet, Flaubert tourne en ridicule les deux héros qui incarnent le stéréotype de l’autodidacte. En considérant que l’autodidacte s’instruit dans l’ordre alphabétique, Sartre choisit à son tour, dans La Nausée, de rester sur le terrain du grotesque. Si nombreux sont les exemples qui témoignent du manque de légitimité réservé à l’autodidaxie celui qui suit révèle la dépréciation la plus forte. Chez Hergé, le terme « autodidacte » va, en effet, jusqu’à servir d’insulte ! Cependant, durant les trente dernières années le terme d’« autoformation », plus jeune, a souvent été préféré à celui d’autodidaxie. Aujourd’hui, y compris en langue anglaise1, certains chercheurs réhabilitent l’ancien vocable qui renvoie à des préoccupations voisines. Certains le font même évoluer vers une forme postmoderne en parlant de « néo-autodidaxie ». Mais au-delà de l’aspect scientifique, on peut repérer les traces d’une forme institutionnelle de reconsidération. Ainsi, la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 assouplit les conditions de validation des acquis de l’expérience et étend ses effets. Plus récemment, la loi du 5 mars 2014 améliore encore l’accessibilité au dispositif ainsi que l’accompagnement des personnes dont la candidature à la VAE a été déclarée recevable. De la même manière, les « Victoires des autodidactes » distinguent chaque année, depuis maintenant plus de vingt ans, des chefs d’entreprise et des cadres autodidactes.
1.4 Apprentissage sexué ? L’autodidaxie est souvent envisagée à travers sa forme masculine. Au début des années 1970, lorsque Kulich dresse un résumé historique de l’apprentissage indépendant chez l’adulte, il retient de nombreuses et illustres figures comme Socrate, Platon, César, Descartes ou Rousseau. Involontairement le choix qu’il fait emprisonne l’autodidaxie dans sa forme la plus « virile ». Si cette sur-représentation du masculin dans les phases autodidactiques est courante dans les 1. R. Edwards (2015). « Amateurism and autodidactism : a modest proposal ? », Discourse : Studies in the Cultural Politics of Education, 36 (6), 868-880.
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corpus scientifiques, elle semble l’être tout autant dans les représentations mentales. Ainsi, dans le cas de l’informatique qui s’apprenait, en particulier au départ, en dehors des cadres formels, certains chercheurs ont constaté que les hommes sont bien plus nombreux que les femmes à reconnaître leurs pratiques autodidactiques. Pour Collet et Mosconi1, la différence du rapport au savoir entre les sexes explique ce constat. L’apprentissage autonome et indépendant fait partie des « mythes de la masculinité » alors que les filles inscrivent leurs apprentissages dans l’interdépendance et la relation. Malgré les nombreuses similitudes dans la façon d’apprendre l’informatique chez ces deux groupes sexués, il est bien plus simple pour un homme de se reconnaître autodidacte que pour une femme. Ce constat annonce le poids des fantasmes et des mythes dans la perception de l’autodidaxie.
1.5 Mythe de Robinson Crusoé et sociabilités autodidactiques Les images et mythes attachés à l’autodidacte sont nombreux. Ainsi, le livre, sorte d’objet sacré, est vu comme l’éternel compagnon de l’autodidacte. Le mythe de Prométhée suggère tant l’interdit culturel que le caractère transgressif de l’apprentissage clandestin. Robinson Crusoé est lui aussi souvent associé aux pratiques autodidactiques et, que l’on en parle comme d’un « naufragé » ou d’un « orphelin de la culture », l’autodidacte est toujours vu comme un abandonné des experts de la connaissance, comme un Robinson vivant son apprentissage dans une sorte d’autarcie insulaire même si le roman et le héros sont bien plus complets et dialectiques que le mythe qui en découle. L’étude frontale et systématique des sociabilités durant les phases d’apprentissage par soi-même discrédite également le mythe en mettant en évidence la richesse des relations sociales de celui qui s’engage dans cette forme indépendante d’apprentissage (Cyrot, 2009).
2. L’autoformation aujourd’hui : cinq perspectives 2.1 Typologies et perspectives Plusieurs typologies ont été proposées pour appréhender les multiples aspects de la notion d’autoformation et la diversité des recherches qui lui sont liées. On peut penser, entre autres, à Caffarella et O’Donnell en 1988, à Galvani en 1991 ou à Tremblay en 2003. Cependant, pour 1. I. Collet, N. Mosconi (2006). « Genre et autoformation : le cas de l’informatique », Éducation permanente, n° 168, sept., 137-148.
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sa puissance fédératrice et simplificatrice, nous retiendrons, ici, la galaxie de l’autoformation, proposée en 1996 par Carré qui distingue cinq perspectives majeures de l’autoformation.
2.2 Perspective socio-historique : de l’autoformation « intégrale » à l’autodidaxie « partielle » L’autodidaxie, du grec autos (« soi-même, lui-même ») et didaskein (« enseigner »), est considérée comme réalisée à l’écart de tout dispositif éducatif formel et sans l’intervention d’un agent éducatif institué. Elle est envisagée comme « intégrale » dans la galaxie de l’autoformation parce qu’elle est pleinement volontaire, autodéterminée et autorégulée. Parce que nous savons désormais qu’« autodidacte » est un terme chargé du poids des images et des mythes, il convient d’affirmer la nécessité de passer par un concept plus neutre et plus actuel : l’autodidaxie. Les apprentissages autodidactiques sont effectivement aujourd’hui de plus en plus souvent abordés sous l’angle de l’« action » d’apprendre par soi-même. Les chercheurs contemporains utilisent, de fait, la « ficelle » de Becker qui consiste à « voir les gens comme des activités ». Outre le fait qu’une telle ficelle réduit les risques d’essentialisation, ce choix allège aussi le concept d’une partie de sa charge symbolique. Cette préférence conceptuelle nous invite alors à parler de « sujet social apprenant en situation d’autodidaxie » plutôt que d’« autodidacte ». Curieusement, l’autodidaxie, forme intégrale d’autoformation, évolue vers un modèle que l’on peut qualifier aujourd’hui de « partiel ». L’autodidaxie absolue existe sûrement de moins en moins (a-t‑elle existé un jour ?), mais des formes tronquées, partielles ou ponctuelles se développent particulièrement. Il semble alors opportun de parler d’« épisode », de « phase », de « variation » ou encore de « feuilleton » autodidactique. Ce moment d’autodidaxie devient un fait accessoire qui se rattache à l’ensemble du parcours d’apprentissage sur la vie. Concrètement, les épisodes autodidactiques contemporains doivent se lire en surimpression des épisodes hétéroformatifs. On peut envisager que, sur une même tranche de vie, un sujet développe à la fois un ou des épisodes hétéroformatifs (pour une ou plusieurs disciplines) et un ou des épisodes autodidactiques (pour une ou plusieurs autres). Ces épisodes autodidactiques doivent cependant être d’une durée significative pour éviter de tomber dans l’« anecdote autodidactique ».
2.3 Perspective technico-pédagogique : l’autoformation « éducative » ou « accompagnée » Comme son nom l’indique, l’autoformation dite « éducative » investit les espaces institués de l’enseignement et de la formation. Elle est introduite de façon consciente, délibérée et structurée 372
Autoformation(s) ■ Chapitre 18
dans le but de développer les apprentissages autonomes à travers des dispositifs pédagogiques innovants fondés sur l’individualisation. Les apprenants qui bénéficient de tels dispositifs de formation prennent, pour partie, le contrôle durant les épisodes formatifs qu’ils réalisent en autonomie. Les dispositifs d’individualisation à visée autonomisante que Jézégou1 étudie depuis une vingtaine d’années favorisent l’« autodirection » et l’« autorégulation » dans un cadre formatif. Cette volonté pédagogique a pour but de transformer l’activité formative de l’enseignant en activité d’apprentissage pour l’apprenant en ouvrant des espaces de liberté et de choix qui permettent l’introduction d’une forme édulcorée d’autos constituée du tripode « autodirection », « autorégulation » et « conscientisation ». Ainsi, dans certains centres de ressources multimédias, ateliers pédagogiques personnalisés, espaces d’autoformation, dispositifs d’e-learning mais aussi, de façon plus diffuse et exceptionnelle, dans l’antre de l’école républicaine, l’apprenant engagera son apprentissage de façon partiellement autonome. Il se hasardera, par exemple, à participer au choix de composantes pédagogiques comme « les modes de formation, les méthodes pédagogiques, les supports d’apprentissage, les outils de communication, les personnes-ressources ou encore les aspects spatio-temporels des apprentissages2 ». Cependant, la tendance à l’hybridation des dispositifs permet d’affirmer que l’autodidaxie est, par le biais de la VAE, mobilisée par l’autoformation éducative rendant ainsi cette sphère de pratiques autoformatives plus poreuse qu’avant. Par ailleurs, comme Simon et March considèrent le caractère limité de la rationalité humaine (bounded rationality) dans le cadre des processus décisionnels, nous pensons que si la liberté de choix existe dans l’autoformation éducative, elle présente, elle aussi, une dimension restreinte. Les contraintes d’ordre pédagogique, moral ou programmatique sont ici des carcans. On voit, alors, poindre les transactions entre l’institution éducative et l’apprenant qui ont pour effet de permettre la co-élaboration de situations d’apprentissage porteuses d’autodirection et d’autorégulation. Les choix sont, par conséquent, négociés et limités à la seule « zone d’accord » possible.
2.4 Perspective socio-organisationnelle : l’autoformation « collective » ou « sociale » L’approche « socio-organisationnelle » de l’autoformation ne renvoie pas strictement à sa dimension sociale. En effet, comme souvent rappelé, autoformation n’est pas synonyme de « soloformation ». Il faut, dans ce cadre, « dépasser […] l’individu singulier » et « considérer le 1. A. Jézégou (1998). La formation à distance : enjeux, perspectives et limites de l’individualisation, Paris, L’Harmattan. 2. A. Jézégou, in P. Carré et al. (2011). « L’autoformation : The State of Research on Self (-Directed) Learning in France », International Journal of Self-Directed Learning 8 (1), 7-17.
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collectif de personnes comme l’agent du processus d’autoformation » (Moisan et Kaplan, in Carré et al., 2010). L’autoformation sociale s’intéresse aux pratiques d’apprentissage organisées par des collectifs indépendamment des entités institutionnelles de l’éducation et de la formation et prend, par exemple, forme dans les associations, les syndicats voire parfois les entreprises. Elle est indépendante de la forme pédagogique instituée ce qui la rend différente de l’autoformation dite éducative. Sa forme groupale permet, par ailleurs, de la distinguer de l’autodidaxie lorsque celle-ci est individuelle. Le choix, la conduite et l’orientation de l’apprentissage découlent ainsi de l’articulation de volontés tant collectives que personnelles. Le Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (MRERS) longtemps travaillé par Héber-Suffrin, les cercles d’étude nés au début du xxe siècle dans les pays nordiques qui ont servi d’objet de recherche à Kaplan1 et les plus récentes communautés d’apprentissage illustrent bien ce phénomène d’apprentissage indépendant et collectif dans l’univers quotidien. Dans la sphère professionnelle, l’organisation, lorsqu’elle est « apprenante » ou « capacitante », prend indubitablement le relais. Elle engendre, par exemple, l’instauration d’équipes de travail autodirigées, de communautés de pratique ou d’apprentissage ou encore de groupes d’analyse des pratiques. Il arrive également que les réseaux d’échanges réciproques de savoirs s’invitent dans l’entreprise en vue du développement de pratiques d’autoformation sociale. C’est le cas de La Poste qui a servi de terrain d’étude à Fernagu-Oudet2.
2.5 Perspective biographique : l’autoformation « existentielle » L’autoformation « existentielle » dont l’expression naît dans un numéro d’Education permanente consacré à l’autoformation en chantiers datant de 1995 renvoie à un objet d’une amplitude très vaste : la vie. Il s’agit, dans cette perspective, de mieux comprendre comment l’individu se forme au fur et à mesure du temps qui s’écoule, dit autrement de mieux comprendre le processus autoformatif de l’adulte. Comme pour les autres perspectives, celle-ci revendique la formation tout au long de la vie et considère l’expérience sous ses formes multiples, y compris les plus intimes, comme une source d’anthropogenèse. L’ouvrage de Pineau, Produire sa vie, autoformation et autobiographie (1983), est un marqueur historique de l’émergence de la forme existentielle d’autoformation. Cette approche est, dès l’origine, attachée à la dimension biographique et aux histoires de vie. L’écriture, source de 1. J. Kaplan (2010). L’autodirection dans les apprentissages coopératifs : le cas des cercles d’étude, Sarrebruck, Éditions universitaires européennes. 2. S. Fernagu-Oudet (2013). « Concevoir des environnements capacitants », in P. Cyrot, C. Jeunesse et D. Cristol, Renforcer l’autoformation. Aspects sociaux et dimensions pédagogiques, Lyon, Chronique sociale.
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conscientisation, participe alors à la formation humaine considérée au sens premier du terme justifiant que l’on parle aussi parfois d’approche « bio-formative ». Elle est aujourd’hui toujours bien représentée dans l’univers « galactique » de l’autoformation. L’approche biographique n’est toutefois pas l’unique entrée de l’autoformation existentielle. Galvani rompt ainsi avec la tradition en introduisant l’anthropologie du blason pour mieux comprendre le processus réflexif « d’émergence de la forme de tout être vivant » (Galvani in Carré et al., 2010). L’activité des chercheurs engagés dans cette voie semble à la fois portée par un intérêt scientifique et militant. Elle permet, d’une part, de faire progresser la connaissance et, d’autre part, de faire prendre conscience aux acteurs de la forme qu’ils donnent à leur propre vie voire, dans le cadre du processus de recherche, d’accompagner le sujet dans sa prise de conscience. Voilà une plus-value notable lorsqu’on considère, comme Boutinet et al., qu’il est aujourd’hui nécessaire de « penser l’accompagnement adulte1 » dans le cadre de l’autoformation non intentionnelle située au carrefour de l’existence et de l’expérience.
2.6 Perspective sociocognitive : l’apprentissage autodirigé (self-directed learning) L’autoformation peut enfin être envisagée comme une « pratique d’apprentissage dirigée par le sujet lui-même » (Carré, in Carré et al., 2010). Cette façon d’appréhender l’autoformation trouve une résonance particulière dans une société dite « cognitive » qui véhicule autant l’idée de « connaissances éphémères » que celle d’« apprentissage tout au long de la vie ». Dans un tel contexte, la capacité à s’engager dans un processus de formation autodirigé est clairement reconnue comme une compétence substantielle. L’autodirection dans les apprentissages – envisagée à l’époque sous l’angle de la liberté – trouve ses origines pédagogiques chez quelques précurseurs intuitifs. Des philosophes comme Rousseau ou Kant, des politologues comme Condorcet, des pédagogues comme Pestalozzi ou Freinet s’engagèrent dans cette voie. Plus tard, on trouve chez Rogers « la légitimation la plus éclairante de l’autoformation comme moyen de recouvrer la “liberté pour apprendre” » (Carré, in Carré et al., 2010). En amont, en parallèle ou en prolongement de l’autodirectivité rogérienne, on voit émerger, en Amérique du Nord, des travaux sur cette question. Nous pouvons, entre autres, citer ceux de Houle, Tough et Knowles. Aujourd’hui, selon la perspective sociocognitive proposée par Carré (in Carré et al., 2010), l’autos propre à la formation par soi-même, réside dans l’articulation des trois concepts suivants : autodétermination, autorégulation et auto-efficacité.
1. J.-P. Boutinet, N. Denoyel, G. Pineau, J.-Y. Robin (2007). Penser l’accompagnement adulte, Paris, PUF.
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L’autodétermination, largement développée chez Deci et Ryan, offre la possibilité d’apprécier la part du « soi profond » dans la motivation et la décision de se former. Le continuum d’autodétermination s’étend des conduites les plus « amotivées » jusqu’aux puissantes formes de motivation intrinsèque en passant par différents types de motivation extrinsèque. Ce continuum aide évidemment à percevoir la nature de l’engagement en formation. Portée par Zimmerman, l’autorégulation propose, quant à elle, un cadre théorico-empirique de réflexion et d’action pour développer des apprentissages efficaces. Cette matrice théorique permet de mieux comprendre les processus en jeu durant les phases d’apprentissage indépendant chez l’adulte. Ils sont internes (fixation d’objectifs ou de méthodes), comportementaux (répétition à haute voix ou auto-interrogation) et environnementaux (structuration de l’environnement technique ou humain par exemple). Enfin, qu’on l’appelle « sentiment d’efficacité personnelle », « auto-efficacité » (Bandura) ou « perception de compétence », ce troisième concept, intimement associé aux deux précédents, traduit le rôle majeur que joue la représentation que l’on se fait de soi comme apprenant, durant les phases d’apprentissage autodirigé. Le « sentiment d’efficacité personnelle » traverse ainsi l’ensemble de la période de formation par soi-même. Il intervient au moment de l’engagement dans le cadre de l’autodétermination. Il est également moteur de l’autorégulation tout au long de la phase autoformative.
3. L’autoformation demain 3.1 Quelques données chiffrées Le caractère peu visible des pratiques autoformatives rend difficile voire contestable toute tentative de mesure. Cependant, pour Tough1, dès le début des années 1970, sur les 500 heures que les adultes consacrent à des projets de formation majeurs, 70 % s’inscrivent dans une perspective d’autoformation. Ces chiffres, souvent contestés pour des questions méthodologiques, trouvent un très faible écho dans l’étude « Formation continue 2006 » où l’on constate que moins de 10 % des formations engagées par les 15-59 ans sont de nature autoformative même si la tranche de 15-39 ans semble s’investir plus facilement dans les apprentissages indépendants.
1. A. Tough (1971). The Adult’s Learning Projects, Toronto, Ontario Institute for Studies in Education.
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Mais cette fois-ci, c’est la définition donnée à l’autoformation qui pose problème rendant encore une fois les chiffres discutables.
3.2 Entre liberté et injonction Outre les clivages classiquement attachés à l’autoformation comme le visible/le caché ou l’autos/les contingences, il apparaît utile de s’arrêter sur un clivage plus récent qui fondera, peut-être, les différences entre les autoformations de demain : liberté/injonction. Par antonymie, la liberté peut se définir par l’absence de contrainte, d’assujettissement ou de soumission. Elle s’oppose en tout point à l’injonction qui enferme le sujet dans une relation de dépendance hiérarchique à travers l’ordre à la fois précis et formel qu’elle incarne. La liberté peut aussi prendre des formes plus ou moins contraintes selon le type de bénéfice attendu et l’ensemble des héritages culturels et du système de valeur qui la portent. Elle nous paraît différente selon que l’on se situe dans l’autoformation gratuite de la sphère des loisirs ou dans l’investissement autoformatif en vue d’une possible promotion sociale par exemple. Si l’autoformation s’inscrit naturellement dans les espaces de liberté, certaines formes d’apprentissage par soi-même peuvent parfois « cohabiter » avec la contraignante injonction. L’injonction à « être » est diffuse et ubiquitaire. On peut penser, entre autres, à l’injonction maternelle à être un homme, à l’injonction libérale à être un individu ou encore à l’injonction légale à apprendre à l’intérieur de la forme scolaire obligatoire. L’injonction à « faire » par soi-même est également très présente aujourd’hui : au « connais-toi toi-même » de Socrate, il faut ajouter désormais la tendance moderne à la « servuction » qui consiste à intégrer le client dans le processus de production du service qu’il convoite. Lors des phases autoformatives, les injonctions ressortent, en général, des cadres institués qu’ils soient scolaires ou professionnels.
3.3 Autoformation et loisirs, autoformation comme loisir En étant presque divisée par deux durant le xxe siècle, la durée annuelle moyenne du travail a laissé de plus en plus de place aux temps libres invitant Dumazedier à parler, dès le début des années 1960, de l’avènement de la « civilisation des loisirs ». Cet espace de libertés inédites a ouvert la porte à de nouvelles activités dont certaines s’inscrivent dans la logique autoformative. Les passions s’immiscent doucement à l’intérieur de ces nouveaux espaces de loisir devenant finalement espaces d’autoformation. Dans ce cas, le penchant pour un objet d’apprentissage détermine l’utilisation du temps libre et l’intérêt pour quelques passe-temps comme la musique, 377
Traité des sciences et des techniques de la formation
le jardinage ou les activités nautiques par exemple peut transformer l’occupation des temps sociaux libérés en activité autonome d’apprentissage. À l’inverse, l’autoformation peut aussi être vue comme un moyen non conscient d’occuper son temps libre. Le sujet s’occupe et apprend ou apprend en s’occupant et ces pratiques inconscientes ou à peine conscientes affirment les vertus formatives d’une occupation dilettante. Cette tendance fait partiellement écho à l’autodidaxie aristocratique qui, dans une forme évidemment renouvelée, existe encore aujourd’hui.
3.4 Dans les espaces éducatifs institués L’école, au sens large, produit, dès qu’elle devient obligatoire, une double injonction : celle d’être présent et celle d’être enseigné. L’inventivité de certains pédagogues comme Freinet, la création des centres de documentation, en 1973, par Fontanet, la mise de l’élève au centre du système éducatif (1989) sont des marqueurs historiques qui montrent comment l’injonction d’être enseigné bascule vers l’injonction à apprendre même si le concept d’autonomie est, encore aujourd’hui, souvent préféré à celui d’autoformation. À la marge, il arrive toutefois que la notion d’autoformation s’invite dans les textes officiels de « l’école » ou dans certaines pratiques. C’est le cas par exemple dans le référentiel du BTS « Assistant de manager » (2008), même si sa présence anecdotique1 laisse penser qu’une telle injonction à l’autoformation dans le cadre scolaire relève plus d’une astuce qui facilite l’organisation pédagogique que d’une volonté d’inspiration condorcienne. On peut également noter cette expérience pédagogique menée durant six années, au collège Evire, en Haute-Savoie, dont le but était de mettre en place une pédagogie autogestionnaire visant à favoriser une posture autodidacte chez des élèves de Segpa en grande difficulté, expérience qui, par ailleurs, a fait récemment l’objet d’une thèse2. Ces rares cas d’autoformation affirmée au sein de l’institution éducative trouvent un prolongement technologique avec la mise en place de massive open online courses (MOOC) initiés, entre autres, par l’open university et relayés, par exemple, aujourd’hui, en France, par Cécile Dejoux3. Ils fonctionnent sur les bases d’un apprentissage réticulaire et offrent une perspective à l’intérieur
1. Une occurrence sur 123 pages. 2. T. Ducrot, 2013. 3. http://www.ceciledejoux.com/mooc/
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de laquelle une forme quasi intégrale d’autoformation croise les espaces pédagogiques institués et où la liberté de choix semble presque pleine et entière, déstabilisant parfois certains apprenants.
3.5 À l’intérieur de la sphère professionnelle Dans l’entreprise, la formation est source de préoccupations grandissantes. Si, jusqu’en 1995, le taux de participation des employeurs au financement de la formation continue a évolué de manière significative, la tendance est aujourd’hui à la stabilisation. L’éternelle recherche de performances dans un environnement concurrentiel invite les dirigeants à formuler des injonctions permanentes au développement des compétences salariales. Dans une incessante recherche de maximisation des gains et de minimisation des coûts, on comprend aisément les vertus intrinsèques prometteuses que porte l’autoformation lorsqu’elle est considérée sous l’angle comptable. Dans la sphère professionnelle, il existe toutefois trois cas d’autoformation très différents : celle qui permet de rompre avec son métier d’origine, celle qui permet d’évoluer dans son métier d’origine et celle qui a pour but de se maintenir dans l’emploi. Lorsqu’elle est liée à la promotion sociale, l’autoformation est globalement portée par le dessein individuel surtout si l’on considère que les principes de l’économie libérale, aujourd’hui largement répandus, reposent sur la liberté et la responsabilité individuelle. Cette doctrine économique entretient aussi le mythe de la promotion sociale. Chacun est à la fois conditionné et libre de rechercher (ou non) une promotion et les attributs qui lui sont liés comme la reconnaissance symbolique et/ou financière. Si la volonté de promotion peut prendre une forme classique ou attendue (évolution dans le métier), elle peut aussi prendre un aspect original ou imprévu (évolution du statut professionnel et rupture avec le métier d’origine). Lorsque l’autoformation est liée au maintien dans l’emploi, elle s’inscrit plutôt dans une perspective individualisante. L’injonction d’autoformation cousine avec la notion d’employabilité. Le salarié est mis en responsabilité de se former pour évoluer afin de se maintenir dans l’emploi. Toutefois, il est placé dans une situation d’autonomie. Il est ainsi libre d’utiliser les moyens qu’il souhaite pour atteindre un objectif d’apprentissage fixé par un autre. Cette situation autoformative ne recouvre alors qu’une partie de l’autos et est ainsi fort différente de celle qui permet au sujet social apprenant de faire preuve d’une véritable « agentivité » en formation. Cela dit, au-delà des initiatives individuelles et dans la perspective « sociale » de l’autoformation, l’entreprise est, en particulier aujourd’hui, un système social de développement de compétences.
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3.6 Le digital, le numérique, le virtuel Comme en témoigne un récent article de El País intitulé « Todo lo que puedes aprender gratis en Internet »1, le quotidien de tout un chacun est, aujourd’hui, largement numérique et les outils technologiques s’immiscent dans le large univers des apprentissages. Ainsi, les réseaux sociaux qu’ils soient d’amitié ou professionnels, les sites et autres blogs, les plateformes de vidéos ou plus récemment les MOOC témoignent de l’effervescence numérique possiblement au service de l’apprenant contemporain. Certaines études portent justement sur le lien entre autoformation et NTIC que ce soit en recherchant les traces autoformatives dans les méandres réticulaires de YouTube2 ou en s’intéressant, dans le cadre d’une thèse doctorale, à l’apprentissage autodidactique du français comme langue étrangère, en Syrie, par le biais des NTIC3 ou plus globalement sur les nouvelles modalités de l’autoformation dans la société digitale (Nagels et Carré, 2016).
4. Conclusion L’autoformation repose sur un curieux antagonisme. C’est autant le fait d’apprendre par soimême que de s’enseigner à soi-même. Dit autrement, c’est autant un processus de formation que d’apprentissage. Cette combinaison de deux profils opposés au sein d’une même personne – maître et élève – renvoie à une forme de schizophrénie formative. Si auparavant, l’autoformation s’inscrivait à la marge des pratiques éducatives classiques, elle tend aujourd’hui à s’institutionnaliser (Moisan, in Carré et al., 2010). Elle s’ancre dans la durée, se banalise voire se normalise et passe de l’ombre à la lumière rendant, ainsi, la métaphore de l’iceberg moins pertinente. Il semble par contre intéressant de considérer l’autoformation contemporaine, tiraillée entre liberté et injonction, sous l’angle de la bipolarité. Il convient également de remarquer que les phases autoformatives traversent tous les univers d’apprentissage. La cartographie « galactique » des cinq conceptions théorico-pratiques de l’autoformation laisse aujourd’hui la place à une représentation matricielle. Celle-ci croise, dans un tableau à
1. http://verne.elpais.com/verne/2015/07/10/articulo/1436522270_514455.html. « Tout ce que tu peux apprendre gratuitement sur Internet ». 2. P. Cyrot, C. Jeunesse (2012). « Autoformation et réseaux virtuels », Distances et médiations des savoirs, 1. 3. A.A.M Saker, 2015.
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double entrée, le processus d’institutionnalisation, les cinq perspectives de recherche et la place de l’autre et des dispositifs au sein de la dynamique autoformative (tableau 18.1). Tableau 18.1 - Une matrice de l’autoformation (Carré, Moisan, Poisson, 2010).
Processus d’institutionnalisation Perspective sociohistorique
Par soi
Avec et par les autres
Dans les dispositifs
De soi
Normalisation
Association
Individualisation
Biographisation
Autodidaxie
Perspective technicopédagogique
Autoforation éducative
Perspective phénoménologique Perspective socioorganisationnelle Perspective psychologique
Autoformation existentielle Autoformation collective Apprentissage autodirigé (SDL)
Il semble, enfin, utile de réaffirmer combien les contingences relationnelles sinon réticulaires influencent les itinéraires d’autoformation. Sur ce point, la croissance exponentielle de l’utilisation des réseaux sociaux virtuels laisse présager de bonnes choses pour les apprentissages autoformatifs. Le flux de plus en plus important des informations disponibles ouvre également la porte à toujours plus d’apprentissages indépendants. Toutefois, dans le cadre d’une lecture moins optimiste voire pathologique, l’« infobésité1 » qui caractérise le mariage de la société de la connaissance et des nouvelles technologies et la « boulimie de savoir2 », élément emblématique de la figure idéal-typique d’une certaine autoformation, peuvent-elles cohabiter sans risque ?
1. S. Enlart, O. Charbonnier (2010). Faut-il encore apprendre ?, Paris, Dunod. 2. J. Beillerot (2001). « L’autoformation, pour le meilleur et pour le pire », conférence au 6e colloque sur l’autoformation. Montpellier, 5 décembre 2001.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
Lectures conseillées Bézille-Lesquoy H. (2003). L’Autodidacte, Paris, L’Harmattan. Carré P. (2013). « La recherche sur l’autoformation : évolutions et perspectives (2003-2013) », Savoirs, 33 (3).
Lavielle-Gutnik N. (dir.) (2006). « L’autoformation : actualité et perspectives », Éducation permanente, n° 168.
Carré P., Moisan A., Poisson D. (2010). L’autoformation, perspectives de recherche, Paris, PUF.
Nagels M. et Carré P. (2016). Apprendre par soimême aujourd’hui. Les nouvelles modalités de l’autoformation dans la société digitale, Paris, Éditions des archives contemporaines.
Cyrot P. (2009). Épisodes et sociabilités autodidactiques, thèse de doctorat inédite, Nanterre, Université Paris-Ouest.
Pineau G. (1983). Produire sa vie, autoformation et autobiographie, Montréal, Édilig, Ed. St Martin.
D umazedier J. (dir.) (1985). « L’autoformation », Education permanente, n° 78-79.
Pineau, G. (1995). « L’autoformation en chantiers », Education permanente, n° 122. T remblay N. (2003). L’Autoformation. Pour apprendre autrement, Montréal, Presses de l’université de Montréal.
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Chapitre 19 Psychopédagogie des adultes1
1. Par Philippe Carré et Alain Rieunier.
Sommaire 1. Psychologie et pédagogie...................................................................................... 385 2. Les psychologies de l’apprentissage..................................................................... 386 3. Les approches pédagogiques................................................................................. 389 4. Esquisse de quelques principes psychopédagogiques en formation des adultes....................................................................................... 395 Lectures conseillées.................................................................................................. 400
1. Psychologie et pédagogie Qu’il s’agisse, initialement, du champ de l’éducation scolaire ou, ultérieurement, de celui de la formation des adultes, la question des rapports entre psychologie (de l’apprentissage, de l’éducation, de la formation) et pédagogie (ou andragogie) a donné lieu à des prises de position variées, voire contradictoires. Pour les uns, dans la perspective ouverte par Mialaret en France avec la création d’un laboratoire de psychopédagogie dès 1956, les rapports entre la psychologie et la pédagogie sont présentés comme allant de soi. Wallon et Piaget, les deux psychologues francophones les plus influents du xxe siècle se sont largement investis dans ce mouvement d’alliance entre les deux disciplines, consacrant de nombreux travaux à le renforcer. De multiples courants de l’éducation dite « nouvelle » ont, tout au long du xxe siècle, contribué à cette vision d’une pédagogie largement inspirée des découvertes de la « science » psychologique, même si cette vision est parfois remise en cause aujourd’hui.
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Pour d’autres, les rapports entre pédagogie et psychologie ne peuvent se réduire à ceux de l’application d’un corpus théorique de lois et de concepts à la pratique et encore moins à la fusion des deux termes. L’autonomie de la pédagogie est alors revendiquée à partir de l’argument de la pluridisciplinarité qui doit régir les progrès de la réflexion pédagogique, en particulier dans ses dimensions sociologiques et philosophiques. De plus, en France, les aléas institutionnels de la formation des maîtres d’une part et du fonctionnement universitaire d’autre part, en diluant la psychologie de l’éducation dans l’univers pluridisciplinaire des sciences de l’éducation (philosophie, sociologie, psychologie, histoire, pédagogie…) à partir de 1967, ont contribué à l’effacement de la psychopédagogie en formation initiale1. C’est donc aux effets d’une concurrence institutionnelle et épistémologique, plus qu’aux conclusions d’un débat de fond que l’on doit la relative étanchéité des deux disciplines aujourd’hui. En sciences de la formation, secteur récent d’une discipline elle-même jeune au regard de l’histoire des sciences, la psychologie reste une influence dominante sur les discours et, peut-on le penser, les pratiques pédagogiques à travers ses différentes déclinaisons (psychologie sociale, du travail, de l’orientation, psychosociologie clinique), parfois combinées aux disciplines connexes que sont l’ergonomie, la biographie, voire l’ethnologie. C’est à une entrée psychopédagogique « ouverte » sur les autres sciences humaines qu’invitait déjà Léon (1971), selon qui « la psychopédagogie a pour objet l’étude des relations qui s’établissent entre les quatre pôles de l’acte éducatif : l’enseignant ou le formateur ; les élèves ou les stagiaires ; l’objet de l’étude ; l’environnement ». 1. D. Ottavi (2015). « Un territoire mal défini ? La psychopédagogie », in F. Laot et R. Rogers (dir.). Les sciences de l’éducation, Rennes, PUR, 199-212.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
C’est à une poursuite de cette orientation ouverte que convie ce chapitre. Nous y proposons un bref rappel des principales théories psychologiques de l’apprentissage, puis de la pédagogie des adultes, avant de conclure par une esquisse des principes majeurs de facilitation en formation d’adultes que ce rapprochement suggère.
2. Les psychologies de l’apprentissage Les théorisations psychologiques successives de l’apprentissage depuis plus d’un siècle peuvent être réparties en une demi-douzaine de « familles » théoriques : behaviorisme, cognitivisme, constructivisme, socioconstructivisme, humanisme, sociocognitivisme.
2.1 Behaviorisme Il est d’usage de débuter un tel aperçu avec le behaviorisme ou théorie du conditionnement, en remontant aux travaux initiaux de Pavlov (1849-1938), puis de Thorndike et Watson. Ces recherches qui ont un intérêt aujourd’hui avant tout historique ont néanmoins mis en évidence la force des associations de stimuli dans l’apprentissage de certaines réponses comportementales. La théorie du conditionnement opérant, mise au point par Skinner (1878-1958) et ses élèves a établi combien les conséquences des actes (renforcement) influencent la probabilité de répondre aux sollicitations ultérieures du contexte. Les déclinaisons pédagogiques des travaux behavioristes, en particulier autour de l’enseignement programmé (qui inspire encore aujourd’hui nombre de programmes de formation en ligne) ont mis l’accent sur l’importance de la description précise des objectifs d’apprentissage et de leur évaluation, au prix du risque souvent dénoncé d’atomisation des contenus. Vers le milieu du xxe siècle, la remise en cause de certains postulats behavioristes a accompagné ce qu’il a été convenu d’appeler la « révolution cognitive ». Celle-ci ouvrait la voie à plusieurs théories visant à élucider le fonctionnement psychologique et les opérations mentales, tentative jusque-là empêchée par la domination des paradigmes de la « boîte noire » behavioriste ou de l’Inconscient psychanalytique.
2.2 Cognitivisme Les racines de la psychologie cognitive plongent dans trois sources convergentes. La théorie de la forme (Gestaltpsychologie) émerge aux débuts du xxe siècle à partir d’études sur la perception 386
Psychopédagogie des adultes ■ Chapitre 19
humaine, pour démontrer l’existence de processus autonomes de traitement de l’information, par-delà les mécanismes de conditionnement. Un peu plus tard dans le siècle, les premières recherches de psychologie de l’enfant, également appelée psychologie génétique, ont cherché à mettre en évidence les lois endogènes du développement de l’intelligence (Piaget) et des émotions (Wallon). Enfin, le développement, à partir de la seconde guerre mondiale, de la cybernétique et l’essor de l’informatique ont poussé de nombreux chercheurs vers les voies de l’intelligence artificielle et de l’analogie entre traitement automatique de l’information et fonctionnement cognitif humain. Inscrites dans le champ vaste des sciences cognitives, ces recherches se situent aujourd’hui à la croisée de la psychologie, de l’intelligence artificielle et de la biologie.
2.3 Constructivisme À partir de l’œuvre de Piaget (1896-1980), le constructivisme a durablement marqué la psychologie du développement humain et de l’intelligence, ainsi que la pédagogie au cours de la seconde moitié du xxe siècle. Prenant le contre-pied des affirmations behavioriste et innéiste, Piaget a consacré sa vie à identifier les mécanismes par lesquels l’intelligence se construit par paliers progressifs (ou stades de développement) au moyen de processus d’adaptation de l’enfant à son environnement avant d’atteindre le stade ultime de raisonnement logique de l’adulte. Centrant son attention sur la construction des schèmes de pensée, formes invariantes de l’organisation cognitive dans une classe donnée de situations, il a ouvert le chemin aux théories de l’activité et aux travaux des « post-piagétiens », plus tournés vers les aspects sociaux et affectifs de l’intelligence. De nombreuses critiques ont en effet été adressées aux positions piagétiennes, estimées insuffisamment tournées vers la prise en compte du contexte social et des interactions dans les apprentissages et le développement humains.
2.4 Socioconstructivisme Avec la découverte tardive (en francophonie vers 1985) des travaux du psychologue soviétique Vygotski (1896-1934), prématurément disparu cinquante ans plus tôt et la traduction en français des travaux de Bruner (né en 1915), le relais est pris dans le dernier quart du xxe siècle avec le socioconstructivisme. La mise en évidence du « conflit sociocognitif » participe, par exemple, de cette extension du constructivisme vers les dimensions sociales du développement cognitif1. Toujours basées sur le postulat d’un développement cognitif par construction progressive des connaissances, les recherches de cette orientation mettent l’accent, dans la tradition
1. Voir chapitre 16.
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initiée par les psychologues marxistes en URSS, et certains auteurs français comme Wallon et Meyerson, sur la dimension socio-historique et culturelle de la construction des connaissances. En France, ce courant a largement traversé la psychologie du travail, la didactique professionnelle et, plus globalement, l’analyse de l’activité, dont on constate la diffusion en formation des adultes aujourd’hui.
2.5 Humanisme L’émergence d’un courant humaniste a été très liée à la carrière et la personnalité de Rogers (1902-1987). Très marquée au cours de la seconde moitié du xxe siècle dans les milieux des relations humaines, de la psychothérapie et de la pédagogie, son influence semble aujourd’hui subir un certain déclin, sans doute à tort, du fait des excès (et des critiques) de certaines interprétations de l’orientation hâtivement nommée « non-directive » qui a dominé ce courant1. La prise en compte des dimensions émotionnelles, affectives et relationnelles dans les situations d’apprentissage, en lien avec le développement d’une psychologie clinique « centrée sur le client » fait de Rogers l’une des figures légitimes des théories de l’apprentissage, même si les processus d’acquisition de connaissances n’ont jamais été l’objet central de ses travaux. La perspective humaniste peut être aujourd’hui décelée aux racines de certaines théories de la motivation, telle la théorie de l’autodétermination. On peut en repérer aujourd’hui le souffle dans l’essor d’une « psychologie positive » qui réunit de multiples travaux de recherche en psychologie clinique et sociale autour de l’étude des conditions de la réussite et de l’épanouissement humains.
2.6 Sociocognitivisme Enfin, une place à part, dans la continuité des courants antérieurs, doit être accordée à la théorie sociocognitive de Bandura, parce qu’elle combine certaines des influences précédentes à travers le schéma intégratif dit de la « causalité triadique réciproque ». Pour cet auteur2 et ses collègues (Zimmerman et Schunk, 2003), le fonctionnement humain (et, partant, l’apprentissage) est conçu à partir d’une série d’interactions réciproques entre dispositions personnelles, déterminants contextuels et comportements effectifs. Dans ce modèle, l’apprentissage est vu comme un processus proactif et émergent combinant observation et modelage (apprentissage « vicariant »), construction de buts, sentiment d’efficacité personnelle et collective, pratiques d’autorégulation. 1. P. Carré (2003). « Rogers, ou de l’autodirection », in collectif, Autobiographie de Carl Rogers. Lectures plurielles, Paris, L’Harmattan (223-240). 2. Le psychologue vivant plus cité au monde après Skinner, Freud et Piaget, selon l’American Psychology Association (2014).
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Ce dernier point est à la fois central pour notre propos et d’une actualité évidente. Pour Bandura, l’apprentissage est un processus « agentique », c’est-à‑dire porté par le pouvoir d’agir du sujet : « Le contenu de la plupart des manuels est périssable, mais les ressources de l’autodirection seront utiles de tout temps » (Bandura, in Zimmerman et Schunk, 2003, p. 432). Les théories de l’apprentissage ont construit par sédimentation progressive tout au long du xxe siècle, un corpus de connaissances relatif aux caractéristiques de l’apprentissage adulte dans lequel on retrouve : –– le behaviorisme dans l’importance des objectifs et des renforcements ; –– l’humanisme dans les dimensions humaines de l’accompagnement ; –– le cognitivisme dans les stratégies cognitives et métacognitives ; –– le constructivisme dans le rôle de l’activité en situation ; –– le socioconstructivisme dans l’importance des relations sociales ; –– le sociocognitivisme dans l’agentivité humaine et l’autorégulation.
3. Les approches pédagogiques 3.1 La pédagogie générale : hétéro- ou auto-structuration ? Aujourd’hui, l’action pédagogique, qu’elle s’adresse à des adultes ou des enfants, vise le développement autonome du sujet en lui fournissant l’occasion d’un apprentissage des relations sociales et des limites de sa liberté, à partir de son activité et de ses intérêts. Ces grands principes fondent les méthodes pédagogiques que l’on retrouve sous l’appellation d’éducation dite « nouvelle ». Ce qualificatif ne se justifie qu’en opposition aux méthodes dites « traditionnelles » que l’on associe, de cette façon, à « anciennes », comme si elles n’avaient plus cours. Ces deux perspectives pédagogiques s’opposent depuis le xviiie siècle. Parmi les multiples auteurs et commentateurs qui ont émaillé l’histoire des méthodes pédagogiques (et dont nous ne pouvons faire état dans le cadre limité de ce chapitre), Not1 est celui qui a poussé le plus loin l’analyse de cette distinction. Cet auteur qualifie « d’hétéro-structuration » les situations dans lesquelles domine l’intention de transmettre, enseigner, instruire, former, transformer l’autre. De l’extérieur, on « tire » l’élève hors de son état, on le dirige, on le modèle, on l’outille. Le savoir est organisé et l’éducation
1. L. Not (1979). Les pédagogies de la connaissance, Toulouse, Privat.
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consiste en l’application de processus destinés à le modifier de l’extérieur (lui « donner une autre forme »). Les méthodes dites « traditionnelles » (expositives, démonstratives, voire interrogatives) correspondent le plus souvent à cette catégorisation et l’on parle alors de transmission de savoirs. L’exposé magistral et les exercices d’application en sont des formes courantes qui conservent, pour certains objectifs, leur raison d’être. Dans l’autre perspective, qualifiée par L. Not « d’autostructuration », les pédagogues mettent l’action propre du sujet apprenant à l’origine de toute connaissance. Pour cette raison, on dit « actives » les méthodes qu’ils préconisent, dans la mesure où l’apprenant est, lui-même, l’artisan de sa propre construction. L’individu agit et se transforme par son agentivité propre. On parlera alors d’« acquisition et de construction » de connaissances. Bien que conçue sans référence aux adultes, l’analyse de Not, construite en référence au pilotage de l’apprentissage par le sujet (« auto ») ou un autre agent (« hétéro ») s’inscrit néanmoins au cœur d’un important courant de recherche en formation d’adultes1.
3.2 Pédagogie ou andragogie ? Après avoir opposé les deux modèles andragogique et pédagogique, Knowles (1990), nuançant son propos, reconnaît que l’opposition n’est pas si radicale entre le premier, destiné aux adultes en formation permanente, supposés autonomes (andragogie) et le second, conçu pour des élèves soumis à l’obligation scolaire, supposés dépendants (pédagogie). Certains auteurs défendent même qu’il n’y a pas de pédagogie spécifique aux situations de formation d’adultes2. De fait, d’une part les contextes de la formation peuvent paradoxalement ramener l’adulte à une situation contrainte assimilable à l’obligation scolaire. Ensuite, le caractère plus ou moins « andragogique » de la modalité de travail déployée est contingent au degré d’implication et aux capacités d’autorégulation du groupe de participants concernés. Enfin, la plupart des dimensions qui régissent l’apprentissage sur le plan psychologique, et en particulier les processus motivationnels, sont en partie communs aux adultes et aux enfants. Ces arguments plaident pour, si ce n’est une assimilation, du moins une continuité entre approches pédagogique et andragogique. Néanmoins, les différenciateurs majeurs que représentent, d’une part, les lois du développement physiologique, cognitif et social qui mènent de l’enfance à l’adolescence, puis à l’âge « adulte » et, d’autre part l’effet massif de l’obligation scolaire sur les dynamiques d’apprentissage introduisent un clivage de principe entre formation initiale des enfants et formation ultérieure des
1. Voir les chapitres 17 et 18 dans cet ouvrage. 2. P. Maubant (2004). Pédagogues et pédagogies en formation d’adultes, Paris, PUF.
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adultes. En définitive, l’aporie « pédagogie des adultes » traduit bien à la fois la continuité et la rupture entre les deux situations. Par-delà les apports de la pédagogie « générale », la pédagogie des adultes a fait l’objet des travaux de nombreux auteurs, généralement praticiens de la formation eux-mêmes, dont les quelques exemples suivants indiquent à la fois le caractère émergent et la portée heuristique. Aux États-Unis et au Canada, après les écrits fondateurs de Lindeman sur le « sens de l’éducation des adultes » dès 1926, relayés par ceux de Knowles (1913-1997) sur « l’apprenant adulte » (1990) et de Houle (1913-1998) sur les « volontaires pour apprendre », on citera les œuvres de Tough (1936-2012) sur « les projets d’apprentissage de l’adulte », et de Long sur « l’apprentissage autodirigé1 ». Venus d’autres parties du monde et de sensibilité plus « sociopédagogique », d’autres auteurs contribuent aussi depuis le milieu du xxe siècle à l’émergence d’un véritable corpus de connaissances pédagogiques en formation des adultes. Parmi les plus connus, citons Freire (19211997), qui a diffusé, en Amérique latine puis dans le monde les notions de « conscientisation » et de « pédagogie des opprimés » dans le cadre de l’alphabétisation fonctionnelle. En France, Schwartz, militant inlassable de la formation des adultes, est l’auteur de nombreux concepts opératoires de ce métier (« pédagogie du dysfonctionnement », « formation en double piste », « automédiatisation ») et plus largement, d’une méthode de recherche-action basée sur l’écoute, le travail collectif, l’empowerment (avant l’heure). Enfin, nous ne saurions clore cette (trop) brève liste sans mentionner l’œuvre de Dumazedier (1916-2002) pour le développement culturel et l’éducation permanente à travers une pédagogie de l’entraînement mental et de l’autoformation. Passons à présent en revue les approches majeures, d’origines d’abord francophones, puis internationales, qui influencent la formation des adultes en matière pédagogique depuis la seconde moitié du xxe siècle.
3.3 Approches francophones 3.3.1 La dynamique des groupes Largement inspirée par le double courant des relations humaines en organisation du travail et de la psychosociologie clinique en psychothérapie et en éducation, la dynamique des groupes a eu une influence massive sur les pratiques et les recherches en pédagogie des adultes depuis son essor lors des « Trente Glorieuses ». Cette discipline, très adaptée à la réalité des stages et des pratiques de formation de cadres dominantes à cette époque, a mis en évidence l’importance des phénomènes de pouvoir, de leadership, des conditions d’implication des acteurs dans
1. Pour aller plus loin sur ces auteurs, voir P. Carré, in P. Carré, A. Moisan, D. Poisson (dir.) (2010).
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la communication et de la participation dans les situations collectives. Ces approches sont aujourd’hui en relative perte de vitesse, sans doute du fait d’une part de la remise en cause de certains de leurs postulats d’origine psychanalytique et/ou psychosociologique et d’autre part du fait de l’accroissement des pressions gestionnaires et des impératifs de productivité liés à l’émergence des crises économiques de la fin du xxe siècle. On en perçoit néanmoins l’héritage à travers les courants variés d’analyse des pratiques qui se développent régulièrement dans les milieux de la santé, du travail social et de l’éducation.
3.3.2 Les approches biographiques Importé de la sociologie au cours des années 1980, l’important courant de recherche et de pratique biographiques1 en formation met en exergue, dans une optique souvent d’orientation phénoménologique, la portée de la réflexivité des sujets en formation quant à leurs expériences de vie et aux apprentissages multiples qu’elles autorisent à tous les âges et dans tous les domaines de l’existence humaine. Parfois entrecroisée avec certaines orientations de l’analyse des pratiques mentionnée ci-dessus, souvent adossée à des démarches de bilan de compétences ou d’élaboration de projet, déclinée en versions individuelles ou collectives, écrites ou orales, l’approche biographique est aujourd’hui convoquée sur de multiples territoires connexes à la formation : orientation, bilan, insertion, conseil. Elle contribue au dévoilement progressif de l’immense territoire, encore largement en friche aujourd’hui, des apprentissages informels et de l’autoformation. 3.3.3 La didactique professionnelle Ce courant d’origine récente mais en plein essor est issu de la combinatoire de l’ergonomie cognitive, de la didactique des disciplines et de la psychologie du développement. Centrée sur une « pédagogie des situations », la didactique professionnelle2 vise au développement conjoint des apprentissages et de la résolution des problèmes de travail aussi près que possible de la réalité de celui-ci. Elle utilise la méthode des cas, l’autoscopie, l’entretien d’explicitation et, surtout, la simulation « en pleine échelle » pour aborder la pratique et l’apprentissage dans et par l’activité avec une optique constructiviste. Très liée aux différents courants cousins de l’analyse de l’activité, la didactique professionnelle s’inscrit dans l’interface essentielle entre analyse du travail et pédagogie des adultes. Son atout majeur est simultanément sa principale limite : la centration exclusive sur l’exercice du travail.
1. Voir chapitre 17. 2. Voir chapitre 23.
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3.4 Approches internationales 3.4.1 L’andragogie La notion d’andragogie ou « art et science d’aider les adultes à apprendre » introduite par Knowles en 1968 se donne pour objet l’étude des spécificités de l’apprentissage adulte par rapport à celui des enfants. Cet auteur dénombre alors cinq caractéristiques différenciatrices, autour des transformations caractéristiques de l’âge adulte dans les domaines de l’autonomie, de l’expérience, des rôles sociaux, des perspectives temporelles et des motivations. Il en tire, sur un plan pédagogique, une série de recommandations tournées vers les notions de contrat, de facilitation et d’aide à l’autoformation. Plusieurs critiques ont été adressées à l’orientation andragogique, par-delà la seule dimension terminologique1, tant dans son volet théorique que dans ses présupposés opposant de façon radicale l’andragogie à la pédagogie. Néanmoins, cet ensemble a donné aux éducateurs d’adultes du monde entier une forme d’identité partagée et ouvert la voie à de nouveaux courants aujourd’hui fortement développés dans le domaine. 3.4.2 L’apprentissage autodirigé Le courant de l’« apprentissage autodirigé » (self-directed learning) assume depuis le début des années 1980 une large part d’héritage de la pensée de Knowles et Tough qui avaient largement contribué à son émergence et à sa diffusion. Un symposium annuel sur l’apprentissage autodirigé, au cours de plus de trente éditions à ce jour, a largement contribué à travers plusieurs centaines de publications à faire de ce thème l’un des plus vivaces de la recherche nord-américaine et, dans une certaine mesure, internationale, sur la formation des adultes2. Les auteurs se sont attachés à dégager les dimensions constitutives de l’apprentissage autodirigé qui recouvrent autant de catégories d’analyse : psychologie de l’apprenant autodirigé, mesure de l’autodirection comme variable psychométrique, dimensions sociales et groupales de l’apprentissage autonome, dimensions pédagogiques et technologiques de la facilitation. 3.4.3 L’apprentissage transformateur La notion d’« apprentissage transformateur » (transformative learning), proposée par Mezirow en 1978, s’inscrit dans le double héritage de la pensée de Knowles et de celle l’éducateur latinoaméricain Freire. Le concept d’expérience, transformatrice pour le premier, émancipatrice pour le second, est au cœur de ce courant, qui a donné lieu à un foisonnement de recherches et de développements théoriques depuis la fin du xxe siècle (Merriam et Caffarella, 1999). Pour Mezirow, l’expérience de vie, d’autant plus conséquente chez l’adulte, donne lieu à une recherche de sens susceptible de générer des transformations de perspective qui, à leur tour, apportent
1. Le radical andro- caractérisant sur le plan étymologique la masculinité. 2. www.sdlglobal.com
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la possibilité de changements plus ou moins radicaux dans l’activité et la conduite de sa vie à l’occasion de transitions biographiques multiples. La praxis est ainsi définie comme un cycle permanent de réflexion, de modification des représentations et de réflexion critique sur l’action.
3.4.4 Les théories critiques La dimension critique est plus présente encore dans la philosophie pédagogique de Freire, à travers les concepts de conscientisation, de dialogue émancipateur et d’autonomie. Les travaux de cet auteur ont eu une résonance internationale remarquable depuis les années 1970. Ils ont fourni aux instances supra-nationales et aux mouvements d’éducation populaire des pays les moins développés un modèle de compréhension et d’intervention qui ouvrait les voies d’un changement social radical grâce à l’éducation des adultes, l’alphabétisation et l’exercice de la pensée critique sur les conditions sociales d’existence des plus défavorisés. Les conceptions de la libération que l’on trouve chez Freire sont aux bases de multiples expériences d’éducation populaire dans le monde et de certaines des conceptions actuelles de l’empowerment. On trouvera aisément les traces de ce courant politiquement engagé, dans les travaux d’orientation postmoderne sur l’éducation des adultes dans une perspective « radicale », orientée vers la justice sociale et la lutte contre les inégalités d’origine ou de genre. 3.4.5 L’apprentissage au travail Sous la triple influence de la mondialisation, de l’explosion des technologies digitales et de l’accroissement exponentiel de la quantité d’informations disponibles, la question de l’« apprentissage au travail » (workplace learning) et, partant, de sa facilitation se décline aujourd’hui en de nombreuses « mini-théories » (Malloch et al., 2011). L’activité professionnelle domine désormais les investissements des chercheurs anglo-saxons dans le domaine jusqu’ici intitulé « formation des adultes » en francophonie. La découverte progressive de l’iceberg des apprentissages informels et de l’autoformation professionnelle, encouragée par la digitalisation massive des pratiques, remet en cause certains des postulats pédagogiques « classiques ». Selon les auteurs d’un ouvrage de synthèse récent sur ces évolutions : « On constate que le mouvement va d’une approche behavioriste vers la formation à des habiletés spécifiques dans des espaces de travail précis, puis vers une prise en compte des personnes en tant qu’apprenants exerçant leurs activités au travail et au-delà de lui » (Malloch et al., 2011, p. xvii).
L’apprentissage des adultes est alors conçu comme « situé » plutôt qu’endogène, relié à des « communautés de pratique », dans des organisations que l’on souhaite « apprenantes », « agiles », « capacitantes ». Les fonctions de base de l’apprentissage (mémorisation, catégorisation, organisation, calcul, résolution de problèmes) sont aujourd’hui largement externalisées, voire « sous-traitées » à des « prothèses » informatiques performantes. Pour Regan et Delaney (in Malloch et al., 2011), « nous commençons à peine à découvrir le pouvoir des environnements 394
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virtuels et des réseaux sociaux pour l’apprentissage et la performance ». La mutation radicale des pratiques sociales de traitement de l’information ainsi observée amène certains auteurs à questionner la définition même de l’apprentissage aujourd’hui : « Faut-il encore apprendre ? » demandent Enlart et Charbonnier (2010). De ce tourbillon d’idées et de concepts plus ou moins stabilisés, il ressort une vision dialectique de l’apprentissage de l’adulte au travail. L’interaction des facteurs exogènes et endogènes amène ainsi Evans à proposer le terme d’agentivité limitée (bounded agency) pour illustrer la portée et les limites de l’intentionnalité des sujets (in Malloch et al., 2011). Sans jamais aller jusqu’à proposer une théorie globale de l’apprentissage, les spécialistes de la pédagogie des adultes ont pointé, depuis plus d’un demi-siècle, de nombreux concepts organisateurs. En se dégageant de la forme, d’abord dominante, des « cours d’adultes » et, partant, du lourd héritage scolaire, les auteurs ont ainsi souligné les spécificités du rapport à l’apprentissage à l’âge adulte : évolution radicale des motivations, rôle majeur de la collaboration et des groupes dans (et hors) l’activité professionnelle, force de l’autodirection, importance du « déjà-là » cognitif et affectif dans l’expérience biographique, visée d’émancipation et centralité du travail dans le cours de la vie adulte…
4. Esquisse de quelques principes psychopédagogiques en formation des adultes Existe-t‑il, malgré la variété des contextes, des publics et des finalités de ce qu’il est convenu d’appeler « la » formation des adultes, un certain nombre, si ce n’est de lois, du moins de principes issus à la fois de la psychologie et de la pédagogie, susceptibles de contribuer à l’émergence progressive d’une nouvelle psychopédagogie des adultes (Léon, 1977 ; Carré, 2016) ? Nous avons tenté, pour conclure ce bref chapitre, d’identifier les points de convergence que la littérature nous offre et de les résumer en une quinzaine de principes. Entreprise démesurément ambitieuse sans doute, mais peut-être source d’inspiration pour les pratiques de formation aujourd’hui… –– Principe d’instrumentalité : à l’opposé de la scolarité « obligatoire », les situations de formation d’adultes sont régies par ce que l’on pourrait appeler le « théorème de Schwartz1 » selon lequel un adulte ne se formera que s’il trouve dans la formation une réponse à ses problèmes, dans sa situation. La valeur du but proposé, le sens que revêtent l’offre de formation et son instrumentalité du point de vue du sujet concerné sont les ingrédients premiers de
1. B. Schwartz (1973). L’Éducation demain, Paris, Aubier-Montaigne.
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l’engagement d’un adulte dans l’apprentissage. On ne peut donc décider de la formation d’autrui par décret, on ne peut qu’en faciliter l’émergence. Principe de singularité : il découle du point précédent que chaque épisode d’apprentissage s’inscrit dans une combinatoire radicalement singulière d’expériences, de capacités et de dispositions constituées préalablement à l’entrée en formation. Si l’apprentissage adulte est, comme nous le verrons plus avant, toujours traversé par le social, il résulte néanmoins d’une construction biographique complexe, unique, intime à partir de ce que nous avons « appris de nos vies » selon la formule de Dominicé1. Il s’ensuit que la diversité est la règle, chacun apprenant à son rythme et à sa manière. La formation collective est toujours basée sur la norme fictive d’un « apprenant-moyen » construite sur une base probabiliste. L’individualisation pédagogique est une tentative de réponse à ce paradoxe. Principe des connaissances préalables : dans la continuité de ce qui précède, il est logique que l’on apprenne toujours en fonction de ce que l’on sait déjà. La construction de l’expertise s’inscrit dans un processus cumulatif d’acquisition, puis d’automatisation des connaissances. Ce principe largement démontré par la recherche en psychologie cognitive est fondé sur le constructivisme piagétien et l’idée d’une élaboration progressive des schèmes de pensée et d’action par l’équilibration graduelle des connaissances anciennes et nouvelles. D’où l’intérêt, en pédagogie des adultes, de l’exercice rituel de mise à jour des représentations en préalable à l’introduction d’un concept. D’où aussi l’importance des notions de prérequis, de validation des acquis et d’évaluation diagnostique pour approcher ce « déjà-là » cognitif. Principe d’autodétermination : autre implication des fondements précédents, la notion de responsabilité, caractéristique du statut de l’adulte selon Boutinet2 et largement invoquée dans la formation continue, engage à poser, avec la théorie de Deci et Ryan3, l’impératif d’autodétermination comme condition de l’efficience des pratiques d’apprentissage des adultes. Les notions de pédagogie du choix, des motifs, du projet ou du contrat sont autant de voies susceptibles de créer la « capabilité4 » d’exercer agentivité et responsabilité en formation. L’idée de climat de soutien à l’autonomie (autonomy supportive climate) répond également à cet impératif. Principe d’auto-efficacité : d’innombrables travaux ont mis en évidence depuis quarante ans la puissance du sentiment d’efficacité personnelle et collective (et malheureusement de son inverse, le sentiment d’inefficacité) dans le déclenchement, la régulation et la persistance des comportements. Ce concept illustre l’effet de sédimentation des « croyances sur soi », héritées de nos itinéraires d’apprentissage et renforcées au long de notre histoire personnelle.
1. Voir chapitre 17. 2. Voir chapitre 11. 3. Voir par exemple E. Deci (1995). Why We Do What We Do. The Dynamics of Personal Autonomy, New York, Putnam. 4. S. Oudet et C. Batal (dir.) (2016). (R) évolution dans les ressources humaines, Lille, Septentrion.
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Selon les termes de Bandura (2003), « les croyances d’efficacité forment le fondement de l’agentivité humaine. Si les gens ne pensent pas qu’ils peuvent produire les résultats qu’ils désirent par leurs actions, ils ont peu de raisons pour agir ou persévérer en face des difficultés ». Les conséquences de cet axiome pour la formation sont évidentes, orientant la pratique pédagogique vers l’optimisation des conditions de réussite authentique au sein de la « zone proximale de développement » (Vygotsky) de chaque apprenant. Principe des objectifs : pour permettre l’engagement, un projet de formation doit être présenté selon une cohérence globale qui propose un sens aux yeux du sujet. Le cadre doit donner à voir une structuration d’ensemble autour du but terminal et autoriser ainsi la perception globale du cheminement en assurant une fonction d’orientation générale à moyen ou long terme. Toutefois, cette logique ne suffira pas à entretenir la motivation du sujet apprenant si le parcours est long. Une série d’objectifs proximaux, cadencés, sera beaucoup plus efficace qu’un but distant, moins opérationnel pour accompagner la persistance, guider les efforts et la réalisation des tâches d’apprentissage à court terme (Bandura, 2003). But distant et objectifs proximaux sont complémentaires. Principe de feedback : il est aujourd’hui largement admis, au moins pour ce qui concerne les apprentissages scolaires, qu’aux objectifs proximaux du principe précédent doivent répondre des feedbacks réguliers pour situer et rendre visibles les progrès accomplis (Hattie, 2009). Il est vraisemblable que la même loi s’applique aux adultes en formation. Les feedbacks doivent être informatifs (et non contrôlants) pour renforcer les résultats souhaitables et contribuer au développement de la perception de compétence (Deci et Ryan). Objectifs proximaux et feedbacks informatifs pourront alors se combiner en une interaction propice à la prise de conscience des apprentissages réalisés. Principe d’autorégulation : il est aujourd’hui avéré en psychologie de l’éducation que les étudiants efficaces sont ceux qui savent analyser leur fonctionnement d’apprenant, construire des stratégies personnelles adaptées aux tâches et auto-évaluer leurs performances. Ils opèrent en quelque sorte en « double piste », analysant simultanément la tâche à accomplir et leur propre fonctionnement cognitif. Cette réflexivité « métacognitive » se double de tactiques d’autorégulation, qu’elles soient environnementales (gestion de l’espace et du temps d’étude), comportementales (auto-organisation du travail) ou internes (régulation des émotions et de la motivation) (Zimmerman et Schunk, 2003). Principe de volition : il convient de rappeler ici, avec Cosnefroy1, qu’apprendre demande des efforts, et que la motivation ne suffit pas ! La dimension volitionnelle de l’apprentissage prend toute son ampleur en formation des adultes, là où la disponibilité temporelle réduite et la concurrence des activités professionnelles et/ou familiales rendent la persistance fragile,
1. L. Cosnefroy (2011). L’apprentissage autorégulé : entre cognition et motivation, Grenoble, PUG.
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parfois hasardeuse. La notion de volition, récemment désenfouie en psychologie1, traduit la composante comportementale de la motivation, après la phase de déclenchement. Elle souligne la nécessité de penser les temporalités du projet, d’en anticiper les charges de travail et les investissements en temps, loin des illusions du slogan « apprendre en s’amusant ». L’engouement actuel pour les activités ludiques, souvent accompagnées de traitements cognitifs de surface et éphémères, doit ainsi être relativisé… Principe d’activité : ce principe bien connu des pédagogues, issu entre autres des travaux de Dewey (learning by doing) et de Piaget, illustre la nécessité de l’activité de l’apprenant dans le déroulement de ses apprentissages. Confinant à l’évidence, elle est parfois artificiellement assimilée à un activisime gestuel ou postural et opposée à une attitude déclarée « passive » qui peut néanmoins dissimuler une intense activité cognitive (y compris dans certaines situations d’écoute ou de concentration souvent affublées du stigmate de « magistrales »). Il convient donc de se garder d’un rapprochement trop rapide entre (im) mobilité physique et (in) activité mentale. Il conviendrait peut-être de parler d’un principe d’agentivité plus que d’activité, en suivant Kant pour qui « ce que l’on apprend le plus solidement et que l’on retient le mieux c’est ce qu’on apprend, en quelque sorte, par soi-même ». Principe de déséquilibre : la notion de conflit cognitif, celles d’étonnement et de besoin de cognition traduisent le rôle du déséquilibre créateur, généré par la mise en question de représentations, d’idées ou de raisonnements préalables face à de nouvelles informations. L’efficacité de ce mécanisme dans l’acquisition de représentations explique l’attrait de la nouveauté, de l’insolite, de l’exceptionnel, expliquant la force de mémorisation des circonstances d’apparition de certaines informations nouvelles (comme dans l’effet « 11 septembre »). Mais attention, ce principe peut être traduit en techniques pédagogiques puissantes autant qu’en artifices clinquants et illusoires. Principe de multimodalité : comme Lieury et ses collaborateurs2 l’ont démontré, la double nature (lexicale et sémantique) de la mémoire rend souhaitable de multiplier les contextes d’apprentissage pour maximiser l’appropriation d’un concept et sa généralisation à une variété de situations. Qualifié d’apprentissage multi-épisodique, ce mécanisme s’articule de façon évidente avec la notion pédagogique plus récente de multimodalité. La meilleure façon de construire une représentation solide d’un concept complexe sera par exemple de visionner un film, puis d’échanger en groupe, de lire un article, d’écouter un exposé ou d’en pratiquer une application et… de méditer sur le sujet. Principe de collaboration : malgré la radicale singularité des processus endogènes inhérents à l’acte d’apprendre, l’humain est un être irréductiblement social et la « soloformation » est un mythe, tout comme celui de l’autodidacte engoncé dans une solitude superbe ou grotesque.
1. Voir chapitre 15. 2. Voir chapitre 14.
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Psychopédagogie des adultes ■ Chapitre 19
Les mérites de la collaboration, du conflit sociocognitif1, de la disputatio médiévale et des multiples formes d’apprentissage groupal ont largement démontré la validité universelle de l’adage selon lequel « on apprend toujours seul, mais jamais sans les autres ». La pédagogie, à l’école comme en formation, regorge de déclinaisons de ce principe, de Freinet à Cousinet et de Rogers à Schwartz. L’efficacité de la collaboration peut aujourd’hui être maximisée avec un juste usage des réseaux sociaux. –– Principe de vicariance : dans le droit fil du principe précédent, auquel il peut se joindre, on sait depuis longtemps l’importance de l’apprentissage « social » également appelé « vicariant », qui se fonde sur le modelage de nos comportements à partir de l’analyse de ceux d’autrui. On se forme toute la vie durant en observant d’autres personnes, proches et à qui l’on peut se comparer, en inférant de leurs succès et de leurs échecs des règles d’action que nous faisons nôtres et en évaluant nos buts en regard des leurs, y compris pour orienter nos actes en fonction de leurs résultats. L’observation d’autruis significatifs est une source puissante d’efficacité personnelle (Bandura, 2003). –– Principe de plaisir : last but not least, l’importance en éducation (y compris des adultes) de la sécurité affective (Rogers) et de la motivation intrinsèque (Deci et Ryan) souligne le rôle du plaisir comme ingrédient majeur de la performance des apprentissages. Le climat d’étude, la qualité de la relation pédagogique et l’harmonie collaborative facilitent l’atteinte des objectifs, y compris en formation à distance. Quand les connaissances s’apparentent au « gai savoir » (Nietzsche), quand la libido sciendi nourrit l’énergie individuelle et collective, quand le bonheur d’apprendre accompagne l’autodétermination, alors la formation peut devenir « une fête d’apprenance2 »… Finalement, une lecture transverse de ces quelques principes nous rappelle sans doute que la formation ne saurait être qu’invitation à apprendre et la pédagogie des adultes l’art de sa facilitation…
1. Voir chapitre 16. 2. R. Hiemstra et P. Carré (éd.) (2013). A Feast of Learni2ng. International Perspectives on Adult Learning and Change, Charlotte, IAP.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
Lectures conseillées Bandura A. (2003). Auto-efficacité, Bruxelles, de Boeck. Carré P. (2015). « De l’apprentissage à la formation. Pour une nouvelle psychopédagogie des adultes », Revue française de pédagogie, 190, 29-40. Enlart S. et Charbonnier O. (2010). Faut-il encore apprendre ?, Paris, Dunod. Knowles M. (1990). L’apprenant adulte. Vers un nouvel art de la formation, Paris, Éditions d’Organisation. Léon A. (1971). Psychopédagogie des adultes, Paris, PUF. Malloch M., Cairns L., Evans K. et O’Connor B. (éd.) (2011). The SAGE Handbook of Workplace Learning. Londres, Sage.
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M erriam S. et C affarella R. (1999). Learning in Adulthood, San Francisco, Jossey-Bass (2e éd.). OCDE (2010). Comment apprend-on ? La recherche au service de la pratique, Paris, Éditions de l’OCDE. Raynal F. et Rieunier A. (2010). Pédagogie, dictionnaire des concepts clé, Issy-les-Moulineaux, ESF Éditeur. Zimmerman B. et Schunk D. (2003). Educational Psychology. A Century of Contributions, Mahwah, Lawrence Erlbaum.
Partie 3 Instrumentation et conduite de la formation
Introduction
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Dans l’analyse des métiers de la formation, on distinguait souvent un certain nombre de « fonctions » ou de « familles professionnelles », par exemple : –– les fonctions politiques et de direction, complétées par des fonctions d’assistance dont l’importance est cruciale ; –– les fonctions pédagogiques, qui regroupent toutes les activités d’intermédiation entre savoirs, apprenants et institution d’appartenance, que le « face à face » soit physique ou virtuel ; –– les fonctions commerciales et de marketing, justifiées par l’existence d’un véritable marché de la formation qui obéit de plus en plus aux lois… du marché ; –– les fonctions de conseil, d’autant plus nécessaires que la formation devient une activité de plus en plus complexe, de plus en plus décentralisée, soumise à de multiples régulations, et s’ouvrant sur des temps, des formes et des lieux de plus en plus éloignés de ce qui faisait la fortune de stages ; –– et enfin, les fonctions dites techniques, présentant plusieurs facettes. Celles qui, d’une part, sont remplies par des experts des sciences, des techniques et technologies désormais indissociables des activités modernes de formation : notamment l’informatique et le traitement de l’information, la maîtrise des activités multimédias comme celle des serious games, des MOOC, le design, les télécommunications, la gestion des réseaux, la construction de ressources éditoriales, la gestion de banques de données, de portails, de centres de ressources… Et, d’autre part, les fonctions consistant principalement à concevoir, construire, mettre en œuvre et évaluer les actions, les dispositifs et les systèmes de formation ou de professionnalisation. Le terme générique qui les rassemble est l’ingénierie. On considère d’ailleurs comme de même nature des opérations assez différenciées comme : l’application de la pensée de l’ingénieur et de l’architecte à la construction et à la conduite d’outils et de supports de la formation (ingénierie pédagogique et didactique) ; la maîtrise d’opérations qui, pour être annexes, n’en sont pas moins essentielles, dans les champs administratif, financier, ou fiscal par exemple (ingénierie financière) ; la recherche de mise sous contrôle des éléments du contexte susceptibles d’agir sur la formation (ingénierie des environnements) ; et le montage de partenariats et de réseaux nationaux, européens ou internationaux dont nous parlions en fin de la première partie. Nous avons donc choisi de donner ici une place privilégiée aux opérations relevant de l’ingénierie, et ce pour trois raisons : parce qu’elles se rencontrent pratiquement dans toute activité formative, quelle qu’en soit l’échelle. Parce que tout le monde s’accorde sur leur importance. Et parce que leur développement a profondément marqué les dernières décennies. Notamment avec le développement des grands opérateurs mondiaux en transfert de technologie, ou l’apparition de cabinets conseil, créés par des ingénieurs ayant délibérément choisi de travailler dans la formation des adultes et dans ce que l’on commençait à nommer le « secteur quaternaire ». À 403
Traité des sciences et des techniques de la formation
travers l’ingénierie, c’est toute la question de l’instrumentation de la formation qui se trouve posée. Les instruments existent depuis longtemps. Mais l’informatique élargit leur champ et les rend plus performants, plus puissants, plus faciles à utiliser aussi. Les formateurs s’en servent, plus ou moins, plus ou moins bien. On peut encore en améliorer les usages, mais cela passe d’abord par leur maîtrise. Elle-même conditionnée par une juste perception des enjeux sous-jacents à leurs usages. D’où les contributions de cette troisième partie du Traité. Le texte de G. Le Boterf, en ouverture, traite de l’ingénierie de formation à l’ingénierie de professionnalisation. Il constitue une base essentielle pour situer historiquement et techniquement, mais aussi psychologiquement et socialement le concept d’ingénierie de formation. Mais aussi pour rappeler les valeurs qui l’alimentent et justifient la notion même de « professionnel compétent ». Et pour montrer comment cette ingénierie peut glisser vers de nouvelles formes, plus subtiles, comme l’ingénierie du développement des compétences, puis l’ingénierie des parcours de professionnalisation à partir de la célèbre métaphore de la navigation professionnelle. On ne saurait parler des ingénieries de formation dans les organisations au sens large sans les resituer dans les environnements au sein desquels elles trouvent sens. D’où l’intérêt de se pencher, avec B. Masingue, sur le pilotage des politiques de formation. Entre les différentes modalités de la professionnalisation et de l’acquisition des compétences d’une part, les cadres législatifs et réglementaires et les plans de formation d’autre part, les politiques de formation tiennent une place autonome. Les façons de les concevoir, de les construire, de les conduire et de les évaluer relève d’une démarche globale de conduite de projet qui se situe au centre de ce chapitre. Le chapitre de G. Jobert sur l’intelligence au travail et le développement des adultes traite des conditions de la reconnaissance et de la mobilisation des énergies liées à l’activité professionnelle. L’exercice de la « métis », cette forme de pensée rusée, pratique, incorporée de l’intelligence dans l’action, conduit à réexaminer le concept même de compétence au travail. Entre tâche et activité, le travail, ce « point aveugle omniprésent » qu’il convient de distinguer de l’emploi, reste fondamentalement une énigme. Alors qu’il se situe au cœur des grandes thématiques de l’intervention pour le développement des compétences dans les organisations. L’ingénierie didactique professionnelle est l’entrée suivante, présentée par P. Mayen, P. Olry et P. Pastré. Ce courant d’essor récent, mais vigoureux, de recherche et d’intervention, s’est construit par le croisement de la psychologie du développement, des sciences du travail et de la didactique classique. Il vise la construction rationnelle d’outils de formation, comme les simulateurs ; et, en retour l’usage de ces outils pour l’analyse et la conceptualisation des situations de travail concernées. Cela conduit également à un autre regard sur les compétences et sur leur incorporation dans l’action. La notion même de situation, sous ses multiples formes, est au cœur de cette présentation, sous l’angle de son potentiel d’apprentissage et de développement. 404
Instrumentation et conduite de la formation ■ Partie 3
E. Bourgeois et S. Enlart, dans un chapitre inédit de cette édition, poursuivent en quelque sorte la réflexion précédente en exposant la puissance de l’apprentissage en situation de travail. Ils s’attachent à déchiffrer l’engouement pour cette pratique également en plein développement dans de nombreuses entreprises, en les liant aux évolutions récentes du contexte dans lequel elle s’inscrit. Ils décrivent ces pratiques à l’aide d’une typologie permettant de rendre compte de leur diversité sur le terrain, puis proposent quelques balises théoriques susceptibles d’aider à comprendre, voire à développer ces modalités d’intervention porteuses d’avenir. Sur des prémices complémentaires, P. Carré et C. Jeunesse abordent ensuite la notion d’ingénierie pédagogique. La « nouvelle donne » de la pédagogie des adultes, qui la voit passer progressivement du paradigme de la transmission des savoirs à celui facilitation des apprentissages est aujourd’hui démultipliée par l’influence massive du recours aux ressources digitales, tant dans les activités éducatives formelles que dans la sphère informelle et privée. L’ingénierie pédagogique, notion indissociable de celles d’innovation et de dispositif de formation, s’en trouve profondément enrichie, et en pleine recomposition, entre visions « séquentielle » et « concourante », ressources classiques et futuristes, format distanciel et présentiel, activités synchrones et asynchrones… Signe des temps et analyseur de la rapidité du changement dans le recours aux ressources digitales en formation, la première édition du présent Traité (1999) ne comportait pas de chapitre dédié à ce thème. Sous la plume de B. Blandin, la deuxième édition (2004) parlait des « formations ouvertes et à distance » ; la troisième (2011) du e-learning ; l’auteur nous propose aujourd’hui de centrer le débat sur les environnements numériques. On perçoit aisément la vitalité du sujet, mais aussi sa volatilité et la difficulté à en stabiliser le vocabulaire ou à en poser les bases conceptuelles. Mais on voit surtout, avec cette nouvelle mouture, l’élargissement de l’horizon. La problématique de la digitalisation en formation va bien au-delà de la dimension pédagogique ; elle s’étend à l’ensemble des dimensions de la vie et de l’activité humaines et, partant, des apprentissages des adultes. Autre enrichissement de la présente édition, le chapitre suivant traite de la question essentielle en formation et pourtant encore peu analysée en recherche ou prise en compte dans les pratiques et les interventions, malgré l’accord généralisé sur son importance : le transfert des apprentissages. J.-F. Roussel nous rappelle les enjeux sous-jacents à cette évaluation des effets des actions sur la pratique du travail en situation ; nous propose une liste de facteurs susceptibles d’améliorer le transfert ; et ouvre des pistes de recherche d’autant plus intéressantes qu’elles sont issues d’une culture professionnelle inspirée des très nombreux travaux du domaine déjà réalisés outre-Atlantique. Si l’aval de la formation et le transfert concernent avant tout les organisations et leur management, l’amont pose évidemment la question de l’orientation professionnelle des adultes, désormais 405
Traité des sciences et des techniques de la formation
directement associée à la formation de par la loi. Il s’agit d’abord de la définition par le futur apprenant, souvent avec une aide extérieure, d’un projet professionnel, personnel et social, sur ce qu’il doit ou non s’approprier dans les multiples univers du savoir. Et sur ces lieux de valorisation… C’est autour de cette question et de ses prolongements que J. Aubret a construit son chapitre, avec une vision beaucoup plus large qui part de l’affirmation conjointe de l’indétermination du devenir humain et de l’emprise possible de l’homme sur ce devenir. L’orientation dite éducative caractérise les médiations de cette nature, qui se justifient à la fois par la non-capacité d’un adulte à résoudre le problème qu’il rencontre, et par la capacité d’une aide extérieure à l’aider à progresser. La reconnaissance et la validation des acquis, cette voie nouvelle de formation et de qualification est un processus essentiel, tant il est vrai que savoir, faire savoir et faire reconnaître ce que l’on sait constituent des actes identitaires et sociaux majeurs dont la portée s’étend sur une vie entière. Les développements qu’il suscite peuvent être considérables. À la fois en fonction de l’intérêt que les individus y trouvent dans une logique de certification radicalement nouvelle ; et compte tenu des liens entre ces processus de reconnaissance et des politiques réfléchies de gestion des ressources humaines. B. Liétard partage ici ses expériences, ses analyses et ses sources théoriques nouvelles pour éclairer les dynamiques et les perspectives de ce phénomène devenu majeur dans le champ de la formation comme dans le champ culturel et social. C. Frétigné et S. Fernagu-Oudet proposent ensuite un large panorama des métiers de la formation des adultes dans un groupe professionnel particulièrement segmenté. Le cœur du chapitre se penche sur les fonctions plurielles occupées par celles et ceux qui relèvent des métiers de la formation. Il aborde aussi les familles d’acteurs et de professionnels qui se présentent sur le marché de la formation, notamment celles qui relèvent de la maîtrise d’œuvre, avant d’ouvrir quelques perspectives sur l’avenir de ces métiers en pleine mutation. Le chapitre conclusif de cette troisième partie du Traité comble un vide des éditions précédentes : qu’en est-il des recherches scientifiques sur la formation des adultes aujourd’hui (O. Las Vergnas) ? Quels sont ses apports, ses limites, ses lignes de force et ses fragilités ? L’émergence de « sciences de la formation » permettra-t‑elle de rendre visible et légitimer un courant vigoureux, cohérent mais divers, de résultats de travaux empiriques, rigoureux et contrôlés, heuristiques ? Les praticiens de la formation pourront-ils à la fois adosser leurs activités de terrain à ces résultats et, simultanément, s’engager significativement dans la production conjointe avec les chercheurs d’avancées « scientifiques » sur ce champ qui en a tant besoin ? Il était logique de clore ce dernier chapitre avec un point d’interrogation, tant l’avenir est ouvert et incertain à la fois. Avant de développer l’indispensable prospective dans la conclusion générale de l’ouvrage…
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Chapitre 20 De l’ingénierie de la formation à l’ingénierie de professionnalisation1
1. Par Guy Le Boterf.
Sommaire 1. De l’ingénierie de la formation à l’ingénierie des contextes de professionnalisation.................................................................. 410 2. De l’ingénierie séquentielle à l’ingénierie concourante......................................... 420 3. En guise de conclusion : quel avenir pour les démarches d’ingénierie de formation et de professionnalisation ?.......................................... 423 Lectures conseillées.................................................................................................. 424
Commençons par un constat : si l’application du concept d’ingénierie aux domaines de la formation et du développement des compétences est maintenant fréquente, il n’en était pas de même lors des premières utilisations de ce concept au terme des années 1960. Si le concept d’ingénierie est actuellement intégré dans les pratiques de conception des dispositifs de formation, cela n’a pas toujours été le cas. De fortes résistances se manifestèrent au moment de son apparition dans le champ éducatif. Bon nombre de formateurs et d’administrations publiques, notamment le ministère de l’Éducation nationale, davantage marqués par la tradition du découpage du savoir par disciplines et par l’influence du mouvement nord-américain des « relations humaines » considéraient que les notions de « système » ou « d’ingénierie » relevaient d’une démarche « technocratique ». Décrire les « métiers » de formateurs en termes de « situations professionnelles » paraissait une aventure osée (Le Boterf, Viallet, 1976). Les temps ont bien changé : les « bureaux d’ingénierie pédagogique » ont pris leur place dans plusieurs ministères et les diplômes universitaires en ingénierie de la formation, du développement des compétences et de la gestion des ressources humaines se sont multipliés depuis à l’envie… Cette généralisation a été aussi une évolution. Comme beaucoup de concepts utilisés dans le domaine du développement des compétences, de la formation ou de la gestion des ressources humaines, l’ingénierie est un concept « en voie de fabrication ». Son évolution est un signe de sa vitalité. Il témoigne de sa capacité à s’adapter à des problématiques et à des contextes nouveaux. Ce n’est ni un hasard, ni une simple affaire de mode s’il n’est plus seulement question aujourd’hui d’ingénierie de formation, mais aussi d’ingénierie du développement des compétences. Derrière ces évolutions conceptuelles se dessinent des exigences de pratiques nouvelles auxquelles les professionnels des ressources humaines sont confrontés. De quoi s’agit-il ?
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Il peut exister plusieurs conceptions de ces ingénieries. Dans cette contribution au présent Traité, je me limiterai à présenter la conception qui a fondé et fonde plusieurs de mes interventions de conseil en France ou à l’international et que nous avons fait évoluer progressivement. Nous distinguerons deux grandes évolutions : –– du point de vue des dispositifs à concevoir (une évolution de l’ingénierie de la formation vers l’ingénierie des contextes de professionnalisation) ; –– du point de vue des démarches mises en œuvre (une évolution de l’ingénierie séquentielle vers l’ingénierie concourante).
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Traité des sciences et des techniques de la formation
1. De l’ingénierie de la formation à l’ingénierie des contextes de professionnalisation 1.1 L’ingénierie de la formation 1.1.1 Origine et définition La notion d’« ingénierie de la formation » apparaît en France au tout début des années 1970. Trois facteurs y contribuent : les demandes de pays nouvellement indépendants, l’entrée des ingénieurs dans le domaine de la formation, la législation sur la formation continue. Concernant les pays en voie de développement, il s’agissait, peu de temps après leur indépendance, de concevoir et de mettre en place des systèmes de formation professionnelle dont les missions étaient de former dans un délai rapide des cadres moyens, des techniciens supérieurs, des ingénieurs. Ces dispositifs devaient être performants et efficients : très fortement finalisés sur des objectifs professionnels, il leur était demandé de fonctionner avec le meilleur rapport coût/efficacité. C’est dans ce contexte que sont nés de nombreux concepts et outils d’ingénierie dont la plupart sont encore utilisés actuellement : plan masse, plan détaillé, cahier des charges, itinéraire de formation, progression de formation, objectif opératoire, scénario de séance, unité de formation, situation professionnelle réelle, situation professionnelle cible, situation épreuve d’évaluation, plan d’opération… Le système d’acteurs était mis en évidence : les termes de maître d’ouvrage et de maître d’œuvre prenaient place dans le domaine de la formation. L’entrée des ingénieurs dans le domaine de la formation constitua un second facteur influant. L’influence de Bertrand Schwartz qui avait procédé à une importante réforme de l’École des Mines de Nancy et qui avait créé le Cuces a été déterminante. Le cabinet Quaternaire Éducation créé par Pierre Caspar et François Viallet en 1970 et que nous avions rejoint joua un rôle de premier plan dans la définition et la promotion opérationnelle de ce concept. Le souci de la rigueur et de l’efficacité prenait le pas sur les approches psychosociologiques très répandues dans les années 1960. Il devint courant, dans les cabinets de conseil et de formation, de se présenter comme « ingénieur de formation ». Le terme de « consultant » était moins fréquent que maintenant. La mise en place d’une législation sur la formation continue en 1971 constitue le troisième facteur explicatif. La contribution obligatoire des entreprises allait entraîner la nécessité de concevoir des dispositifs et des plans de formation efficaces au niveau des organisations. 410
De l’ingénierie de la formation à l’ingénierie de professionnalisation ■ Chapitre 20
Cette première approche de l’ingénierie de la formation était largement inspirée de celle à l’œuvre dans les grands projets industriels. L’influence des pratiques d’ingénierie dans le secteur du bâtiment et des travaux publics y était fréquente. La démarche d’ingénierie était finalisée sur la production d’un « ouvrage » sur mesure. Avec la même démarche d’ingénierie, il devenait possible de concevoir des dispositifs distincts (instituts, écoles, centres de formation), adaptés à des contextes variés. L’ingénierie de la formation pouvait alors être définie comme « l’ensemble coordonné des activités de conception d’un dispositif de formation (centre de formation, plan de formation, centre de ressources éducatives…) en vue d’optimiser l’investissement qu’il constitue et d’assurer les conditions de sa viabilité » (Le Boterf, 1985a). Cette ingénierie aboutit à concevoir des dispositifs de formation ayant les caractéristiques suivantes : –– Ils sont conçus pour gérer des flux (cohortes, promotions). Ce sont des groupes entiers de « formés » qu’il s’agit de conduire vers l’atteinte de mêmes objectifs. –– Le programme est au centre du dispositif. S’agissant d’une gestion des flux, il prend naturellement la forme d’un cursus identique pour tous. Chacun devra « passer » par les mêmes modules ou unités de formation. Le dispositif doit fonctionner selon une logique d’enchaînement de cours ou d’unités de formation. La « trajectoire » d’une promotion est tracée à l’avance Chacun est censé apprendre au même rythme. L’ingénierie doit savoir prendre en compte le temps normalement nécessaire pour atteindre tel objectif. –– L’aspect « normatif » de cette ingénierie a permis et permet encore de construire des dispositifs efficaces et efficients de formation pour répondre à des besoins quantitativement importants. Centrée sur la conception de dispositifs, cette ingénierie s’est peu à peu différenciée. Progressivement ont été distingués : –– Les objets sur lesquels s’applique la démarche d’ingénierie, à savoir : • l’ingénierie des dispositifs de formation qui aboutit à des cahiers de charges décrivant les résultats et les caractéristiques attendus du dispositif à concevoir ; • l’ingénierie pédagogique qui est du ressort des prestataires de formation et qui définit les objectifs pédagogiques, les progressions, les moyens et les modalités d’apprentissage pour les atteindre ; c’est à ce niveau que la mise en œuvre des connaissances des processus d’apprentissage mis en œuvre par les adultes trouve toute son utilité. –– L’amplitude du champ sur lequel s’exerce l’ingénierie. Sont alors distinguées : • l’ingénierie des macro-dispositifs de formation ; • l’ingénierie des micro-dispositifs de formation.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
Le tableau 20.1 ci-dessous visualise ces distinctions : Tableau 20.1 - Typologie des ingénieries de formation
Champ/Objet Ingénierie d’un dispositif de formation
Ingénierie pédagogique
Ingénierie des macrodispositifs Ex. : conception d’un(e) : – Institut ; – École ; – Plan de formation ; – Cursus universitaire.
Ingénierie des microdispositifs Ex. : cahier des charges d’un(e) : – Action de formation ; – Module.
Ex. : – Programme pédagogique correspondant au cahier des charges d’une action de formation. – Conception d’une situation d’apprentissage.
(Source : Le Boterf Conseiling 100)
Les principes directeurs La mise en œuvre d’une telle démarche implique l’adoption d’un ensemble de principes directeurs (Viallet, 1987). Parmi les principaux, on peut relever les suivants : –– La finalisation sur la conception et la réalisation d’un « dispositif » de formation. La demande d’ingénierie peut être plus ou moins précise. De toute façon, il conviendra toujours de rechercher les informations qui permettront de proposer au commanditaire une description du dispositif à concevoir (école, centre de formation, dispositif de formation à distance, plan de formation, cycle de perfectionnement…). –– La maîtrise d’une large gamme d’informations (techniques, sociales, culturelles, pédagogiques, professionnelles…) nécessaires aux activités de conception, d’étude et de réalisation ; –– La mise en contexte des problèmes à traiter et la réalisation d’études de faisabilité. La fiabilité ou la viabilité d’un « dispositif » à concevoir est fonction du contexte où il s’insère. Des études de faisabilité et d’impacts seront nécessaires. Elles porteront en particulier sur : • l’estimation des marges de manœuvre possibles par rapport au contexte (social, économique, politique…) dans lequel se situe le système de formation. L’analyse du contexte doit chaque fois être actualisée ; • l’analyse des coûts et des implications des projets ou des opérations à réaliser, de telle sorte que leur fonctionnement ou leur extension reste compatible avec les capacités de financement, d’endettement et de prise en charge des collectivités ou des organisations concernées. 412
De l’ingénierie de la formation à l’ingénierie de professionnalisation ■ Chapitre 20
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• l’identification des conditions nécessaires au suivi et au développement des projets envisagés (formation de formateurs, dispositif d’appui, plan de communication, soutien matériel ou financier…) ; • l’optimisation de l’investissement en formation, par la réduction des délais de conception, par les économies sur les frais de fonctionnement des dispositifs mis en place et par l’adoption de technologies et de modalités éducatives plus performantes ; • la mise en œuvre de démarches d’anticipation visant à rendre plausible un résultat souhaitable ; • l’application d’un ensemble de critères inspirés des pratiques d’audit des systèmes de formation (Le Boterf, 1988b). Les critères de pertinence. Ils visent à s’assurer que la conception générale et les objectifs du dispositif répondent bien aux problèmes à résoudre ou aux besoins à satisfaire. Les critères de cohérence. Ils permettent de vérifier le degré d’adéquation entre les divers éléments du dispositif (objectifs, moyens, règles de fonctionnement, programmes, logistique). Les critères de conformité. Ils s’attachent à s’assurer que le dispositif à concevoir respecte les normes en vigueur : règlements, conventions, dispositions légales… Les critères d’efficacité. Ils servent à vérifier que toutes les conditions ont bien été réunies pour l’obtention des résultats souhaités. Les critères d’efficience. Ils sont appliqués pour veiller à ce que les résultats puissent être atteints avec une utilisation optimum de moyens (humains, financiers, matériels). Ils s’attachent à obtenir un bon rapport coût/efficacité. Les critères de synchronisation Ils permettent de s’assurer que le dispositif atteindra ses objectifs ou fournira les services attendus en temps opportun. Les critères d’adhésion. Ils permettront de veiller à ce que les acteurs concernés par le dispositif de formation (apprenants, entourage familial ou social, formateurs, prescripteurs, spécialistes pédagogiques) se l’approprient et s’y engagent.
1.2 L’ingénierie des contextes de professionnalisation Depuis la fin des années 1980, une tendance s’est peu à peu dégagée dans les entreprises et les organisations : l’ingénierie de la formation a vu sa place progressivement relativisée par rapport à une approche plus large de l’ingénierie du développement des compétences. Une telle évolution a pris de l’importance depuis les années 2000 et s’est centrée progressivement sur des objectifs de professionnalisation. Un tel contexte nous a conduits à définir, distinguer et mettre en œuvre trois grandes pratiques d’ingénierie qui se rattachent à ce que nous avons appelé une « ingénierie de contextes » par différence à une « ingénierie de programmes » : 413
Traité des sciences et des techniques de la formation
–– l’ingénierie des dispositifs de parcours personnalisés de professionnalisation ; –– l’ingénierie d’une organisation développant et mettant en œuvre le professionnalisme ; –– l’ingénierie d’un territoire apprenant et innovant. Elles se caractérisent toutes les trois par le fait d’être des « ingénieries de contextes ».
1.2.1 L ’ingénierie des parcours personnalisés de professionnalisation Les facteurs explicatifs Plusieurs facteurs explicatifs sont à l’origine de cette évolution : –– La place de premier plan accordée aux compétences dans les préoccupations des entreprises et des individus. Une convergence d’intérêt se manifeste à leur égard : les directions opérationnelles reconnaissent davantage que par le passé que la compétence, si elle a l’environnement favorable pour être mise en œuvre, peut être une ressource importante dans l’obtention de la performance et d’un avantage compétitif. Pour faire face aux exigences croissantes de qualité, de réactivité et d’innovation, les procédures ne suffisent plus et peuvent même, si elles sont portées à l’excès, devenir contre-productives. Il faut faire confiance aux acteurs de l’entreprise, aux salariés et non seulement aux cadres : cela suppose que l’on puisse compter sur leur professionnalisme. Face à des événements imprévus, face à l’inédit qui ne peut jamais être éliminé, ils devront élaborer et mettre en œuvre des réponses appropriées, faire de choix, prendre des initiatives pertinentes, décider, arbitrer. Mais la compétence n’est pas seulement la préoccupation des employeurs. Elle est également recherchée par les individus. Dans un contexte économique difficile où l’emploi stable devient incertain, posséder un portefeuille de compétences et pouvoir en faire état devient un atout non négligeable, même s’il n’est malheureusement pas suffisant. Le capital de compétences devient nécessaire pour gérer au mieux sa mobilité professionnelle et son « employabilité ». La sécurisation des parcours professionnels est à l’ordre du jour. –– L’accent mis sur le développement de l’individualisation. L’importance donnée à la validation des acquis professionnels puis aux acquis de l’expérience en est une illustration. Les travaux menés par divers chercheurs (G. Pineau, G. Jobert, P. Dominicé) sur les histoires de vie y contribuent largement. Le développement des recherches et pratiques sur l’autoformation (Carré, 2002) a largement contribué à faire considérer l’apprenant comme « acteur » de ses projets de formation et de développement professionnel, et disposant de ressources personnelles (connaissances, savoir-faire, attitudes, capacités cognitives) qui lui sont propres et qu’il peut mobiliser à cet effet. Dans des entreprises de plus en plus nombreuses, les entretiens annuels doivent déboucher sur des projets individualisés de développement de compétences. –– Le développement des formations par alternance. Il devient largement admis que les situations de travail, dans un parcours de formation, peuvent constituer des situations contribuant 414
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à la professionnalisation. Les dispositifs de formation par alternance ne concernent plus seulement les formations en Centre de formation et d’apprentissage (CFA) d’opérateurs ou d’artisans mais également les formations supérieures : écoles d’ingénieurs, universités, grandes écoles de gestion… –– L’importance croissante donnée à la professionnalisation. On ne peut professionnaliser les personnes : seules celles-ci peuvent se professionnaliser si elles en ont la motivation et le pouvoir, et si elles trouvent un contexte favorable pour s’engager dans une telle entreprise. Cette évolution n’est pas seulement une affaire de mode ou une coquetterie de vocabulaire Elle traduit un réel changement d’attitude et de façon de raisonner : le développement des compétences des professionnels n’est plus seulement considéré comme relevant de la formation, mais comme résultant de parcours individualisés incluant le passage par des opportunités diverses de professionnalisation. S’engager dans la réalisation d’un projet transversal innovant, réaliser une nouvelle mission professionnelle, contribuer à un atelier d’échanges de pratiques, participer à des dispositifs d’analyse de retours d’expériences, alterner la prise de responsabilité en unités opérationnelles et en service fonctionnel central, rédiger un article pour une revue spécialisée, travailler avec un consultant interne ou externe…, autant de situations qui peuvent être des opportunités pour développer son professionnalisme. –– Les exigences croissantes de compétences collectives. Il apparaît de plus en plus clairement que la performance d’une organisation ne peut résulter de la simple addition de compétences individuelles ou d’une seule juxtaposition de professionnels compétents mais de la qualité de leur coopération. Il est évident qu’il ne peut y avoir de compétences collectives sans compétences individuelles mais il apparaît également clairement qu’il ne peut y avoir de compétences individuelles sans compétences collectives (Le Boterf, 2000c, 2015).
L’ingénierie des dispositifs de parcours personnalisés de professionnalisation Les évolutions qui viennent d’être évoquées nous ont conduits à concevoir une ingénierie de dispositif de parcours personnalisés de professionnalisation. Ses principales caractéristiques font qu’il s’agit en particulier : –– D’une « ingénierie de contexte » et non plus d’une ingénierie de programme. La professionnalisation suppose en effet l’organisation d’un contexte ou d’un environnement favorable à la réalisation de parcours de professionnalisation. –– D’une ingénierie qui prévoit une offre diversifiée de situations d’apprentissage pour qu’une population donnée (commerciaux, managers, techniciens de maintenance, infirmiers…) progresse vers une cible de professionnalisation. Cette offre modulaire de situations variées d’apprentissage peut comporter des situations de formation (cours magistraux, cours inversés, MOOC, ateliers pratiques, séminaires, autoformation avec ou sans e-learning, voyages d’étude, 415
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échanges de pratiques, situations simulées), des situations de travail organisées pour être professionnalisantes (accompagnement et retours constructifs sur le travail réalisé, suivi des essais réalisés par les constructeurs, participation à un projet opérationnel transversal, prise en charge d’une nouvelle mission, rotation sur plusieurs postes de travail) et éventuellement des situations extraprofessionnelles (responsabilités exercées dans une association, activités d’accompagnement de projets culturels, secourisme, engagement dans un projet humanitaire). C’est dans cette perspective que j’ai été conduit à créer et mettre en œuvre une modélisation de cette approche et un outil digital en termes de « navigation professionnelle » (Le Boterf, 1997d, 2016). Elle consiste à considérer que les parcours de professionnalisation peuvent être conçus et réalisés avec la même logique que ceux qui sont à l’œuvre dans la conception et la réalisation des parcours de navigation (maritime ou aérienne). –– D’une ingénierie veillant à réunir les conditions nécessaires à une coopération efficace entre les acteurs sur un parcours professionnalisant. Les dispositifs inducteurs de parcours personnalisés de professionnalisation ne peuvent fonctionner efficacement que si les divers acteurs qui y interviennent (formateurs, managers de proximité, tuteurs, experts…) coopèrent entre eux. Mais l’expérience a souvent montré la fragilité de ce lien. La coopération est toujours prête à disparaître au profit d’un retour vers un système d’acteurs se limitant à additionner leurs rôles et leurs contributions. Des fonctions de coordination et des outils de traçabilité doivent être mis en place pour qu’un véritable « travail d’articulation » puisse exister entre les acteurs. Dans un dispositif de professionnalisation par alternance, les apprenants ont à réaliser des parcours qui constituent des « trajectoires » individualisées d’apprentissage. Une telle alternance les fait passer « entre plusieurs mains » ou plusieurs acteurs. Il ne suffit pas alors que chacun d’entre ces derniers joue son rôle dans le domaine ou la spécialité qui le concerne, encore faut-il qu’il coopère avec les autres pour que les apprentissages se construisent de façon cohérente et prennent du sens.
1.2.2 L’ingénierie d’une organisation développant et mettant en œuvre le professionnalisme Ce que recherchent les clients, des patients, les employeurs ce n’est pas seulement de disposer de professionnels compétents mais de pouvoir compter sur des professionnels qui mettent en œuvre leur professionnalisme. C’est en référence à ce constat que nous avons mis au point un modèle d’ingénierie inspiré de la métaphore du « management jardinier ». Pour faire croître les plantes, un jardinier ne tire pas dessus ! Il va créer une « écologie » (terreau, irrigation, engrais, ensoleillement, tuteurs…) qui maximise la probabilité que les plantes croissent. Il nous est progressivement apparu comme nécessaire de concevoir une ingénierie dont l’objet est de créer un environnement qui maximise la probabilité que les membres du personnel d’une organisation non seulement sachent agir en 416
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professionnels compétents mais, de fait, agissent de telle sorte. Il ne s’agit donc pas seulement de réunir les conditions favorables au développement du professionnalisme mais également à sa mise en œuvre. Il s’agit là d’un raisonnement probabiliste et non pas déterministe. Plus cet environnement comportera un ensemble cohérent de conditions favorables, plus la probabilité de réussite sera élevée. Plus sera faible ou inexistante cette cohérence, plus le risque d’échec sera grand, plus les risques d’échecs seront probables. Un tel raisonnement probabiliste peut s’appliquer à divers champs possibles. Il peut s’agir des conditions à réunir : –– pour que les professionnels agissent en professionnels compétents en qui on peut avoir confiance ; –– pour que les membres d’un collectif de travail (service, atelier, projet, processus) coopèrent de façon performante ; –– pour que les acteurs d’un réseau de professionnels travaillent efficacement en réseau ; –– pour que les salariés d’une organisation ou d’une entreprise développent et mettent en œuvre leur professionnalisme. Cette conception d’un contexte peut exister à deux niveaux : –– Au niveau local des équipes de travail (atelier, service, processus, projet…). Le modèle propose de prendre des décisions cohérentes concernant les conditions à réunir sur trois pôles (Le Boterf, 2000c, 2015) : • Les conditions développant le savoir agir et interagir en situation. Elles peuvent concerner la formation présentielle, l’e-learning, l’autoformation assistée, les retours d’expérience, les mises en situation de travail professionnalisantes, la mutualisation des pratiques professionnelles, l’entraînement au travail collaboratif, la mise en évidence des exigences de coopération, le traitement des compétences collectives… • Les conditions favorisant vouloir agir et interagir en situation. Elles se réfèrent à ce qui est communément appelé la motivation. Ces décisions concernent beaucoup le style et les modalités de management : recherche d’adhésion au niveau non seulement des objectifs à atteindre mais également des enjeux qui les fondent, management fondé sur la confiance et la reconnaissance des avancées individuelles et collectives, facilitation de relations de solidarité et de convivialité, concertation non seulement sur la qualité de vie au travail mais aussi sur la qualité du travail… • Les conditions rendant possible le pouvoir agir et interagir en situation. Elles ont trait à la clarté des lettres de mission, à l’organisation du travail, à la composition des équipes, à la délimitation des périmètres de responsabilité, aux processus de délégation, à la pertinence et à la qualité des équipements, l’organisation de la relève, la composition des équipes. 417
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La figure 20.1 en donne une visualisation.
Figure 20.1 – Construire les compétences individuelles et collectives
–– Au niveau de l’ensemble d’une entreprise ou d’une organisation. Il s’agit là encore de l’ingénierie d’un contexte, mais se situant cette fois-ci au niveau non plus d’une unité de travail (service, atelier…) mais d’une organisation dans son ensemble (site industriel, centre hospitalier, collectivité territoriale, agence publique…). Il ne sera pas question de créer un autre dispositif qui viendrait s’ajouter à ceux qui existent mais plutôt de concevoir et de faire fonctionner ce que nous avons appelé un « schéma directeur de développement et de mise en œuvre du professionnalisme ». Un tel schéma identifiera et mettre sous contrôle un ensemble cohérent de décisions (management, évaluation des performances, entretiens professionnels, organisation du travail, dispositif d’information, recrutement, formation, règles de mobilité, traitement des espaces…) pour maximiser la probabilité que les professionnels de l’organisation (entreprise, hôpital, collectivité territoriale.) non seulement développent leur professionnalisme mais agissent avec performance et compétence dans les situations qu’ils ont et auront à traiter.
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De l’ingénierie de la formation à l’ingénierie de professionnalisation ■ Chapitre 20
1.2.3 L’ingénierie d’un territoire apprenant et innovant Il s’agit là d’un troisième type d’ingénierie de contextes. Depuis les années 1980 sous l’impulsion en particulier de l’Unesco et de l’OCDE le concept de villes ou de régions apprenantes et innovantes a commencé à circuler et à inspirer diverses politiques de villes ou de régions. Il faut bien constater qu’il existe encore une distance importante entre l’évocation du concept et celui de son opérationnalisation. C’est à partir de ce constat qu’il nous est apparu important de contribuer à développer ce que pourrait être une « ingénierie d’un territoire apprenant et innovant ». Un territoire apprenant peut exister à diverses échelles ; il peut s’agir d’une région, d’une ville, d’une communauté d’agglomération, etc. De notre point de vue, un territoire peut être qualifié d’apprenant et d’innovant s’il réunit les conditions favorisant une variété d’apprentissages individuels et collectifs et d’innovations convergeant vers la réalisation d’un projet ou de divers projets de développement durable et compétitif. Le défi est ici de créer un environnement qui favorise une dynamique territoriale d’apprentissages et d’innovations convergentes et cohérentes entre elles. C’est par rapport à ce défi que le concept d’ingénierie de contexte prend toute sa pertinence : créer un environnement, réunir un ensemble de conditions favorables, c’est bien créer un contexte incitatif pour un d’ensemble d’acteurs devant travailler de façon efficace et efficiente en réseau sur un territoire donné (Le Boterf, 2007f) C’est dans cette perspective que nous avons développé une méthode d’ingénierie visant à réunir de façon cohérente un ensemble de conditions facilitant le travail en réseau pour : –– donner une visibilité aux enjeux et objectifs territoriaux poursuivis ; –– créer une dynamique d’apprentissages variés à effectuer ; –– donner accès à l’information sur les opportunités d’apprentissage et d’accompagnement ; –– créer des savoirs interdisciplinaires et combiner des compétences nécessaires pour des projets innovants ; –– mettre en synergie les fonctions de conseil et d’accompagnement ; –– impliquer les diverses institutions et organisations de formation initiale et continue.
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2. De l’ingénierie séquentielle à l’ingénierie concourante 2.1 L’ingénierie séquentielle L’ingénierie « séquentielle » va de pair avec l’ingénierie « classique » de la formation. Elle consiste en effet à suivre de façon linéaire un ensemble d’étapes successives pour produire un ouvrage ou un dispositif. Dans cette démarche, les diverses étapes sont balisées et planifiées : cahier des charges de la demande, cahier des charges de la formation, dossiers pédagogiques, scénarios de séance de formation. Des rôles stables et successifs sont attribués au maître d’ouvrage, au maître d’œuvre et aux opérateurs ou prestataires. Comme dans une course de relais, chaque acteur passe le témoin à l’acteur qui doit prendre sa suite dans la chaîne de confection d’un dispositif. Pour être pertinente et efficace, une telle ingénierie suppose un contexte relativement stable : croissance régulière et assurée de l’économie (ce qui était le cas lors de la période dite des « Trente Glorieuses »), une relation quasi mécanique entre la formation et l’emploi (cela correspondait aux thèses de Fourastié dans les années 1960), la possibilité d’un certain « contrôle » par le maître d’œuvre sur les acteurs de la formation qui partagent une même « logique » de formation (ce qui existe dans les dispositifs de formation sans alternance). L’ingénierie séquentielle fonctionne bien dans un milieu « protégé » et stable. Cette ingénierie suppose également une claire distinction entre les acteurs, notamment en ce qui concerne le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre. Le premier est censé définir avec précision le problème à traiter. Il est supposé savoir exactement ce qu’il veut et fournir toutes les informations nécessaires au maître d’œuvre. À ce dernier revient la recherche d’une solution sur la base d’un énoncé de problème délimité une fois pour toutes. Les rôles sont clairs et ne souffrent pas d’ambiguïté : l’un demande et l’autre fournit la réponse. L’un se situe en amont, l’autre se positionne en aval. La chronologie de leurs interventions respectives est nécessairement séquentielle : le maître d’œuvre prend le relais du maître d’ouvrage. Les prestataires n’interviendront qu’au terme du processus
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De l’ingénierie de la formation à l’ingénierie de professionnalisation ■ Chapitre 20
2.2 L’ingénierie concourante 2.2.1 Les facteurs explicatifs L’ingénierie industrielle a été amenée elle-même à évoluer. Le début des années 1990 a vu émerger une nouvelle approche de l’ingénierie orientée sur la recherche d’une meilleure compétitivité des processus de conception industrielle. Le concept d’ingénierie « concourante » ou d’ingénierie « simultanée » tente d’en rendre compte. Cette approche consiste à ne plus raisonner en termes de déroulement séquentiel d’un projet. Ce qui est recherché, c’est la contribution simultanée et interactive des acteurs et des métiers qui « concourent » à la réalisation du processus de conception. L’interaction continue doit permettre de réduire les coûts et de traiter à temps les conflits en intégrant les contraintes et critères spécifiques aux divers métiers. L’ingénierie simultanée vise à réduire ainsi les cycles de développement d’un produit et à faire face aux exigences croissantes de réduction des délais. Être compétitif ce n’est plus seulement produire davantage, vite et au moindre coût, mais concevoir et innover plus vite que les autres. C’est en trouvant progressivement des solutions, en les capitalisant et en les diffusant que l’entreprise et les métiers qui concourent à l’ingénierie simultanée développent un processus « d’apprentissage organisationnel ». Les contextes qui étaient favorables à une ingénierie séquentielle en formation tendent à se faire rares. « L’introuvable relation emploi-formation » a remis en cause une certaine conception de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences où avaient été confondus anticipation et prédiction ; l’environnement des entreprises et des organisations devient de plus en plus incertain ; les aléas se multiplient même sur les processus les plus automatisés ; la gestion de la complexité pose des limites aux procédures ; les dispositifs de formation en alternance sont riches d’effets de professionnalisation mais fragiles par les exigences qu’ils impliquent : lorsque les apprenants sont dans des situations de travail professionnalisantes, les managers et les tuteurs qui les accueillent doivent conjuguer trois logiques, chacune d’entre elles étant légitime, mais souvent en tension les unes avec les autres : celle de la productivité, celle de la garantie de qualité au client et celle de la professionnalisation. Il n’est pas rare que cette dernière soit sacrifiée au profit des deux premières. On est loin du contexte « protégé » des dispositifs de formation. Les projets territoriaux de formation et de développement des compétences constituent un bon exemple des limites de l’ingénierie séquentielle. C’est le cas des projets de territoires apprenants qui s’inscrivent dans des environnements caractérisés par leur complexité et leur instabilité. De multiples acteurs et facteurs entrent en jeu. Chaque institution tend à fonctionner selon sa logique particulière et ses propres segmentations de publics « bénéficiaires ». Toute action ou projet transversal se trouve aux prises avec cette hétérogénéité de critères, de rythmes, de priorités. Des compromis doivent être sans cesse trouvés, aménagés et adoptés. Dans de tels contextes, il n’est pas possible de disposer en l’amont, dès la phase de conception initiale, de 421
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toutes les informations nécessaires. Il devient vite inopérant de vouloir conduire de tels projets selon un mode strictement séquentiel. Une ingénierie d’un territoire apprenant doit nécessairement être concourante. Elle est particulièrement requise pour faire fonctionner un « système d’acteurs » dans la perspective d’un projet commun de territoire apprenant et innovant. Une autre évolution du contexte est à prendre en compte : l’absence au départ de représentation claire du dispositif à concevoir. Le problème à résoudre n’est pas nécessairement bien formulé au départ par le maître d’ouvrage. La situation de départ est bien souvent floue. Ce n’est que progressivement, au fur et à mesure du processus d’ingénierie, que le problème à traiter et que le dispositif à concevoir se préciseront.
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2.2.2 L’ingénierie concourante Dans une ingénierie concourante (Midler, 1997, 2012) : L’avancée n’est plus séquentielle mais s’effectue par compromis progressifs entre les acteurs et les métiers. Le projet est réélaboré ou ajusté à intervalles réguliers. Il avance par corrections successives et par paliers. Les revues de projets et les décisions fortes lors de certaines étapes du projet jouent un rôle important. Ce sont de plus en plus des boucles d’itérations qu’il convient de mettre en place et de faire fonctionner : elles permettront de mettre en œuvre un copilotage s’attachant à créer de façon continue de la convergence et de la cohérence entre les acteurs engagés dans le processus d’ingénierie. Un rôle essentiel est confié au chef de projet. Il conduit une équipe où s’élaborent des représentations partagées du projet, où se règlent les conflits et où les compromis sont négociés. « Cheville ouvrière » du projet, il est le garant du maintien de sa cohérence au cours de son évolution. Il doit avoir non seulement les compétences requises pour piloter le projet mais aussi un « statut » ou un « positionnement » qui lui confère un pouvoir suffisant. Il est souvent important qu’il puisse prendre appui sur un comité de pilotage pour aboutir à des arbitrages. Une capitalisation progressive de l’expérience du processus d’ingénierie se fait « chemin faisant », progressivement. Le concept de pilotage prédomine sur celui de contrôle : il s’agit moins de contrôler le réalisé par rapport au prévu que de s’assurer que les décisions présentées préparent bien l’avenir. La distinction traditionnelle entre maître d’ouvrage et maître d’œuvre tend à être remise en cause. Il devient en effet de plus en plus difficile de séparer strictement les processus de formulation d’un problème de ceux de sa résolution. Ces fonctions évoluent dans le temps et nécessitent une forte coopération entre le maître d’ouvrage, le maître d’œuvre et les prestataires ou opérateurs. La constitution et le fonctionnement d’équipes de projets contribuant au processus d’ingénierie s’imposent. Ces équipes pluriprofessionnelles travailleront sur le mode « plateau » sous l’animation d’un pilote. La composition de ces équipes sera à géométrie variable en fonction des exigences liées à l’évolution du projet. Il pourra s’agir d’équipes projet liées à
De l’ingénierie de la formation à l’ingénierie de professionnalisation ■ Chapitre 20
des processus récurrents ou à des projets éphémères. Ces équipes auront à construire des représentations partagées du projet et de ses résultats en termes de compétences. Elles auront à s’inscrire dans le cadre de la cohérence définie au niveau central mais en leur laissant d’importantes marges de manœuvre pour s’adapter au mieux aux exigences du terrain. Dans cette « ingénierie simultanée » l’avancée du projet ressemble davantage, pour reprendre la métaphore de Christophe Midler, à la descente d’une ligne de rugby qu’à une course de relais.
3. En guise de conclusion : quel avenir pour les démarches d’ingénierie de formation et de professionnalisation ? Depuis leur entrée dans le champ de la formation à la fin des années 1960, les pratiques d’ingénierie ont donc considérablement évolué : les raisonnements en termes de développement de compétences et de professionnalisation ont profondément transformé leurs objets et l’évolution de leurs contextes d’application a modifié sensiblement leurs démarches. Faut-il en déduire que l’ingénierie classique de la formation ou que les démarches séquentielles sont à ranger au musée des accessoires ? Une telle conclusion serait trop hâtive et contestable. Les divers types d’ingénierie qui ont été présentés précédemment ne sont pas pertinents « en soi » mais par rapport à la particularité de problèmes à traiter et de contextes à prendre en compte. Mais, plus généralement, le concept même d’ingénierie appliquée aux projets de formation ou de professionnalisation a-t‑il de l’avenir ? C’est possible mais non pas certain. Autour des années 2015, le terme même d’ingénierie semble moins utilisé dans les entreprises et les organisations. Peut-être évoque-t‑il trop souvent, mais à tort, un processus lourd, coûteux et finalisé sur des dispositifs obsolètes par rapport aux possibilités des nouvelles technologies numériques ou digitales. Les défis à relever vont de plus en plus être ceux de la conception plutôt que ceux de la fabrication. Le concept d’ingénierie évolue comme celui d’ingénieur. Ce qui est visé dans les écoles d’ingénieurs, en France et à l’international, c’est de préparer les étudiants à être des concepteurs pour pouvoir faire face aux défis accrus de l’innovation. Ceux que l’on a appelé les ingénieurs en formation puis les consultants doivent déjà maintenant aussi devenir des concepteurs. 423
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Peu importe le vocabulaire, ce dont les entreprises, les organisations et les territoires auront besoin dans le domaine de la professionnalisation, c’est de démarches pour concevoir de façon innovante des contextes favorisant son développement et sa mise en œuvre. Ne s’agit-il pas d’ingénierie ?
Lectures conseillées Carré Ph. (2002). L’apprenance. Vers un nouveau rapport au savoir, Paris, Dunod.
professionnalisation, Paris, Eyrolles, 7e éd. augmentée 2016
Le Boterf G. et Viallet F. (1976). Métiers des formateurs, Paris, Éditions de l’EPI.
Le Boterf G. (2004e). Travailler en réseau et en partenariat. Comment en faire une compétence collective, Paris, Eyrolles, 3 e éd. augmentée 2013.
Le Boterf G. (1985a). « L’ingénierie du développement des ressources humaines ; de quoi s’agit-il ? », Éducation permanente, n° 81. Le Boterf G. (1988b). « Qu’entend-on par audit de formation ? », Éducation permanente, n° 96. Le Boterf G. (2000c). Construire les compétences individuelles et collectives, Paris, Eyrolles, 7e éd. augmentée 2015. L e B o t e r f G. (1997d). Professionnaliser. Construire des parcours personnalisés de
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L e B oterf G. (2007f). « Dall’ ingenieria de la formazione all’ ingegneria di un territorio appredente : l’ideazione di contesti di apprendimento », in La Crisis dei confini. Verso un’ ingeniera dell svilupporegionale, Milan, FrancoAngeli. Midler Ch. (2014). L’auto qui n’existait pas, Paris, Dunod. Viallet F. (1987). L’ingénierie de la formation, Paris, Éditions d’Organisation.
Chapitre 21 Pilotage des politiques de formation1
1. Par Bernard Masingue. L’ambition de ce chapitre ne se situe pas dans un champ théorique ou conceptuel. Il a été rédigé sur la base de l’expérience professionnelle de l’auteur comme formateur puis consultant, DRH, directeur de la formation dans un grand groupe international et enfin partenaire d’Entreprise et Personnel, en particulier sur les dossiers de la formation professionnelle.
Sommaire 1. Les finalités d’une politique de formation............................................................. 428 2. Les instances de prescription et d’évaluation....................................................... 428 3. Les quatre prescripteurs de la formation.............................................................. 430 4. Comment piloter une politique de formation ?....................................................... 434 5. Enjeux et prospective du pilotage de la formation................................................ 441 6. Conclusions........................................................................................................... 447 Lectures conseillées.................................................................................................. 447
La définition et les mises en œuvre des politiques de formation dans les organisations qu’elles soient une entreprise, un service public ou une association se trouvent dans une situation contrastée.
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En effet, on sait que la formation n’est qu’une des modalités de la professionnalisation et de l’acquisition des compétences. Mais on sait aussi que le cadre législatif et réglementaire et les coutumes qu’il a contribué à construire imposent aux organisations de donner à leur politique de formation une place autonome et obligatoire (la formation est un droit pour le salarié et une obligation légale pour l’employeur). Cela se manifeste en particulier par la nécessité pour l’employeur quand ses effectifs sont supérieurs à 50, de devoir présenter « un plan annuel de formation », élément structurant et quelquefois unique du dialogue social en matière de qualification et de développement de compétences. Pour maîtriser cette complexité, dépasser les coutumes qui méritent de l’être, donner des orientations et définir les moyens de leur politique, les décideurs doivent savoir se prononcer sur plusieurs questions. Car si les besoins de professionnalisation et donc de compétences ne sont, dans l’idéal, jamais totalement satisfaits, les ressources pour les acquérir ou les développer sont, elles, toujours limitées. La question est donc de savoir ce qu’il convient de privilégier et renvoie à des interrogations stratégiques : –– Qui est habilité, et dans quel champ, à donner à l’organisation des objectifs de compétences et ensuite de formation et à les hiérarchiser ? –– À qui revient la fonction d’arbitrage pour décider ce qui sera prioritaire et ce qui le sera moins ? –– Qui est habilité, en expertise et en statut, pour dire, dans l’acquisition des compétences, ce qui relève du champ de la formation et ce qui relève des autres moyens de professionnalisation ? –– Qui est le responsable de l’optimisation des ressources (en euros et en heures) investies dans des actions de formation ? –– Qui est en capacité institutionnelle et technique de passer des commandes pertinentes et contrôlables aux producteurs de formation ? –– Qui, enfin, dans la structure, est responsable de la nécessaire évaluation, en termes d’acquis et d’effets, des formations mises en œuvre ? Toutes ces questions mettent en évidence le niveau de complexité du pilotage de la formation. Et les besoins de méthode qui en découlent. Pourquoi cette complexité ? –– Parce que dans les organisations, la formation est généralement au service de plusieurs finalités et pas d’une seule. 427
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–– Parce que le pilotage de la formation implique plusieurs instances ou plusieurs étages aux responsabilités différentes mais incontournables. –– Parce que les rôles des acteurs et de leurs structures dans la prescription et l’évaluation de la formation demandent à être bien compris et bien exercés.
1. Les finalités d’une politique de formation Globalement une politique de formation dans les organisations est essentiellement au service de trois grandes finalités : –– développer les compétences, c’est-à‑dire aider les acteurs à acquérir les ressources nécessaires pour agir en professionnels dans les situations de travail liées à leur emploi ; –– créer ou développer l’employabilité, donner à ces acteurs les moyens d’exercer demain des activités différentes de celles qu’ils exercent aujourd’hui, que ce soit dans leur emploi actuel du fait de son évolution, dans un nouvel emploi (promotionnel ou pas) ou encore lorsqu’ils quittent leur organisation ; –– développer et favoriser le lien social en permettant des échanges, de la rencontre, de la confrontation, développant ainsi le sentiment d’appartenance, une meilleure compréhension de son organisation, de son mode de fonctionnement, de ses résultats, de ses modes de contribution. Si le législateur français, dans les définitions qu’il donne aux objectifs du plan de formation, fait bien la distinction entre les deux premières finalités, la troisième est en fait vécue comme un « artefact » des deux premières alors qu’elle est bien plus que cela : une finalité en tant que telle, significative de la vision de l’organisation sur sa conception du travail et de ses valeurs.
2. Les instances de prescription et d’évaluation Trois notions clés, par analogie avec des termes couramment utilisés dans le bâtiment, permettent d’éclairer la réflexion.
2.1 La maîtrise d’ouvrage Lorsqu’il s’agit de construire une maison, le premier acteur impliqué est celui qui va décider de son investissement : pour cela, il pense à ce qu’elle doit être, à qui et à quoi elle devrait servir, aux usages qu’il compte en faire et enfin aux moyens qu’il souhaite et qu’il peut y consacrer. 428
Pilotage des politiques de formation ■ Chapitre 21
Il en est de même pour la formation : il lui faut une maîtrise d’ouvrage qui dise ce qu’elle en attend, les résultats qu’elle doit obtenir et les moyens qui lui seront consacrés. En disant cela, s’affirme une conviction, largement alimentée par des années de pratiques et se résumant par une évidence : le management des organisations est l’acteur indispensable du développement des compétences et de l’employabilité de son corps social, et donc de sa formation. On peut certes faire de la formation sans l’implication du management mais on ne peut pas faire de la formation un investissement sans sa contribution effective.
2.2 La maîtrise d’ouvrage déléguée Revenons à la construction de la maison. Sauf exception, pour la construire, le maître d’ouvrage estime nécessaire de se faire accompagner par un professionnel capable de traduire son projet, ses intentions, en quelque chose de concret, de réaliste, de tangible : c’est le rôle de l’architecte. À lui de comprendre la demande, au besoin de l’interpréter, de trouver les compromis entre le souhaitable et le possible et au final de proposer à son maître d’ouvrage un projet adéquat, meilleure solution à ses attentes. Mais, généralement, le rôle de l’architecte ne s’arrête pas là : une fois la décision prise, le maître d’ouvrage va lui demander de passer les commandes de travaux, d’en surveiller la réalisation, la conformité et de valider ses coûts. En d’autres termes, de faire respecter le cahier des charges. L’ensemble de cette mission est appelé « maîtrise d’ouvrage déléguée » parce que l’architecte agit au nom et pour le compte du maître d’ouvrage. Pour la formation cette maîtrise d’ouvrage déléguée est en fait assurée par les services de formation, que ceux-ci soient une direction de formation pour les entreprises d’une certaine taille, un service ayant la formation parmi d’autres responsabilités, voire une personne l’ayant en charge à temps plein ou à temps partiel. Dans tous les cas, on voit que la nature même de cette mission demande un réel niveau de professionnalisme.
2.3 La maîtrise d’œuvre Enfin, pour construire la maison, il faut des professionnels, compétents dans leur métier, qui réalisent ce qui a été décidé en application du cahier des charges : les maçons, le second œuvre. 429
Traité des sciences et des techniques de la formation
En formation, la maîtrise d’œuvre ce sont les formateurs ; qu’ils soient internes aux organisations ou au contraire qu’ils appartiennent à des entreprises ou associations externes. L’histoire des pratiques dans le pilotage de la formation nous a appris l’importance de ces distinctions entre maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre. La confusion des rôles produit souvent des dispositifs de formation aux résultats insuffisants et une satisfaction mitigée des participants. Cela essentiellement quand les acteurs de la « chaîne de la formation » n’ont pas su ou voulu se coordonner. Quand le prescripteur se considère a priori capable de réaliser la formation ou à l’inverse quand les formateurs ou les services de formation se sont arrogé le droit de dire ce que devaient être les objectifs à atteindre comme si savoir exécuter une prescription rendait compétent à la définir.
3. Les quatre prescripteurs de la formation La formation dans les organisations doit obéir à plusieurs niveaux de prescription. En effet, s’il revient à la direction générale de décider en dernier ressort ce que doit être la politique de formation de son organisation, elle ne peut à elle seule repérer tous les besoins de développement de compétence, d’employabilité, de renforcement du lien social… Ceux-ci s’expriment en effet par des objectifs, des modes, des temporalités, des modalités qui peuvent être différents en fonction des structures et des acteurs concernés et des lieux où ils s’expriment. Quatre grands niveaux de prescription peuvent ainsi être repérés.
3.1 La direction Sa contribution est donc en tout point indispensable. Elle doit dire ce qu’elle attend de l’outil formation. Elle a aussi un devoir d’exemplarité. Sa posture va faire la différence : si elle s’en désintéresse, le risque est grand alors de transformer l’investissement en une simple dépense : on « consomme » de la formation sans autre objectif en fait que la satisfaction immédiate – et souvent fugace – des participants… et aussi de quelques officines1. Avec leur direction des ressources humaines, si elles en sont dotées, les directions générales cherchent à préparer l’évolution des emplois et des compétences aux enjeux de leur organisation : 1. On parle beaucoup des « marchands de soupe » moins du fait que, s’ils existent, c’est qu’il y a des « acheteurs de soupe ».
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Pilotage des politiques de formation ■ Chapitre 21
recherche de l’employabilité liée aux évolutions de leur environnement aux nouveaux marchés, aux nouveaux produits, aux nouveaux services, aux nouvelles technologies, aux évolutions de la demande sociale… En résumé d’être prescripteur de formation sur des objectifs permanents : sécurité, efficacité, rentabilité et sur des objectifs conjoncturels : relation clients ou usagers, vigilance particulière sur certains points de gestion, réponse à la demande sociale…
3.2 Les métiers Toutes les organisations s’appuient sur les savoir-faire techniques et technologiques de leurs activités de production de biens ou de services : on les appelle les compétences « cœur de métier ». Celles-ci, et leur système de formation, sont définies et actualisées en différents endroits : directions techniques en lien avec les directions de ressources humaines, commissions idoines mais aussi dans les branches professionnelles ou organisations professionnelles. Depuis quelques années, portés par la négociation sociale, se développent des « observatoires paritaires des métiers et des compétences ». Ils sont des instruments utiles et efficaces pour prescrire ce que doivent être les objectifs de développement de compétences et les formations techniques et technologiques qui en découlent. Quand ces observatoires n’existent pas, on peut les remplacer par des « comités métiers ». Ils rassemblent, sur des temps qui peuvent être courts, des professionnels aux origines variées mais concernés par les activités et la production de valeur d’un métier donné. On leur demande de réfléchir ensemble et de formaliser comment, dans leur organisation et du point de vue des enjeux d’aujourd’hui et de demain, il faut développer la qualité et l’adaptation des compétences des collaborateurs de ce métier. Tous ces travaux découlant de ces différentes instances se formalisent dans des « référentiels de compétences métiers » : ils servent de base aux cahiers des charges des formations techniques. En veillant toutefois à ce que leur actualisation ne prenne de retard sur les vitesses d’évolution des sciences, des techniques et des organisations. Les compétences « métiers » sont l’objet principal de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), mais sans en avoir le monopole : les autres métiers, commerciaux, juridiques, fonctionnels, logistiques, d’appui…, demandent aussi que l’on investisse sur leurs compétences et leurs évolutions.
431
Traité des sciences et des techniques de la formation
3.3 Les unités de travail (départements, services, business units…) Chaque service dans une organisation est une « communauté de travail » composée d’hommes et de femmes aux caractéristiques toujours singulières. Si les activités de ces services leur sont dictées par l’organisation générale, leurs conditions d’exercice sont nécessairement variables d’une unité à une autre. Par exemple, les agences d’une banque de détail ont toutes les mêmes missions mais elles s’exerceront différemment suivant leur installation dans un milieu populaire ou au contraire dans un quartier aisé du fait des caractéristiques de leur clientèle. De même, leurs ressources humaines ne sont pas identiques (entre les expérimentés et les nouveaux par exemple). Aussi, chaque unité de travail demande une gestion ad hoc de son patrimoine de compétences en fonction : –– de son environnement, de son implantation, de sa clientèle ; –– du mode d’organisation de ses activités ; –– des caractéristiques de sa ressource humaine. De ce fait, chaque responsable d’unité de travail doit s’intéresser aux compétences nécessaires à la performance de son équipe et prescrire les objectifs de formation qui lui semblent nécessaires pour cela. À un certain niveau d’effectif, cela peut prendre la forme d’un plan local de formation. La capacité de coopération et de solidarité entre les objectifs et les contraintes respectives des managers et des services de formation est sans doute un des points clés de l’efficacité de la formation dans les organisations.
3.4 Les salariés Si c’est le rôle de l’employeur de décider d’investir des euros et des heures dans une démarche de formation au service de ses projets, il n’en demeure pas moins que, sauf dans le cas de l’autoprescription, ce n’est pas lui qui va se former. Or, pour qu’il y ait apprentissage, il faudra que les intéressés s’investissent en temps, en attention, en travail, en mobilisant leurs ressources cognitives. En d’autres termes, il est nécessaire que les individus deviennent co-investisseurs de leur formation, qu’ils soient non pas des formés passifs mais des apprenants actifs. Se réconcilient ici, dans une alliance objective assez inhabituelle, les logiques économiques de l’investissement (une dépense décidée en amont au bénéfice d’un résultat observable, d’un profit supérieur à la dépense d’origine) et celles des courants psychopédagogiques qui, de tout 432
Pilotage des politiques de formation ■ Chapitre 21
temps, ont eu comme préoccupation de valoriser la place centrale de l’apprenant dans les politiques éducatives. Ces salariés ont aussi des stratégies de formation qui leur sont propres. En termes de projet, ils recherchent l’évolution de leur carrière, de leur employabilité ou de leur développement personnel ; en termes de qualité, ils cherchent à améliorer leur performance actuelle dans leur activité, leur condition de travail ou encore leur condition de vie. Ces stratégies structurées par des projets individuels de formation, ne sont réalistes dans leur initiation et leur formulation que si elles sont accompagnées par des démarches de bilan et d’orientation. Une politique de formation est la combinaison de la politique générale de formation de la direction, qui gagne à être structurée par un schéma directeur, des enjeux de compétences métiers, des plans locaux de formation pilotés par le management opérationnel à planification plus courte, et des projets individuels des salariés ou des agents. Tableau 21.1 - Finalités de la formation Besoin de Prescripteurs
Compétences
Employabilité
Lien social
Direction (management de la direction)
–– Performance économique et sociale de l’organisation –– Diversité/santé/sécurité
Adaptation et préparation aux enjeux (marché, produit, demande sociale)
–– Qualité du climat social –– Compréhension de l’organisation
Métiers (spécialités)
Maîtrise des activités techniques
–– Nouvelles technologies –– Nouveaux processus
Appartenance à une communauté de « pairs »
Services (sur un territoire)
–– Performance individuelle et collective –– Adaptation à l’emploi
–– Préparation des évolutions –– Mobilité professionnelle –– Ascenseur social
–– Climat social local –– Compréhension des enjeux locaux
Salarié
–– Maîtrise de son emploi –– Qualité professionnelle
–– Projet professionnel –– Évolution –– Reconversion
Appartenence à une communauté de travail
Une politique de formation est une combinatoire hiérarchisée de ses finalités
433
Traité des sciences et des techniques de la formation
C’est l’articulation de ces besoins et leur pondération, bien davantage que la présentation formelle d’un plan annuel, qui fait la réalité et l’authenticité d’une politique de formation. Aussi le pilotage de cette pondération est-il vraiment une activité stratégique. À ce titre, il requiert la contribution de tous. Il est le véritable enjeu du dialogue social sur la formation, mais les arbitrages qu’il peut nécessiter sont des arbitrages de direction.
4. Comment piloter une politique de formation ? C’est à partir des différentes finalités de la formation et de l’identification des différents prescripteurs qu’il devient possible de décider d’une politique de formation et de la mettre en œuvre. Pour ce faire il faut se doter d’une démarche qui relève de la conduite de projet. On peut en identifier ainsi les principales étapes.
4.1 Connaître, respecter et faire évoluer les pratiques antérieures Les politiques de formation sont aussi la continuation des forces et des logiques antérieures. Elles doivent prendre en compte ce qui a été fait pour l’adapter aux exigences du moment. Elles vont donc s’appuyer à la fois sur leur observation et sur la nature des besoins actuels ou à venir. Pour s’imprégner de ces pratiques antérieures, on peut utiliser un tableau croisé, outil de base du pilotage d’une politique de formation qui permet d’entreprendre et de décider en pertinence. Ce tableau renseigne sur trois familles d’informations indispensables : –– les pratiques de formation par populations permettant aussi d’apprécier, au regard des effectifs de l’organisation, les investissements éducatifs par grande catégorie de personnel : information traditionnellement très sensible dans le dialogue social et qui mérite d’être expliquée et assumée lorsque des déséquilibres s’observent ; –– les pratiques de formation par grands thèmes permettant d’identifier sur quelles natures de contenus les investissements sont réalisés et là aussi de voir les places accordées tant en valeur absolue qu’en valeur relative, aux formations techniques par exemple ou aux formations générales ; –– l’évolution dans le temps des pratiques.
434
Pilotage des politiques de formation ■ Chapitre 21 Tableau 21.2
À quoi ?
Qui se forme ?
Années
Dirigeants N – 3
N – 2
N – 1
Cadres N – 3
N – 2
Techniciens N – 1
N – 1
N – 3
N – 2
Employés N – 1
N – 3
N – 2
Ouvriers N – 1
N – 3
Total N – 2
Technique générale
Techniques spécifiques
Gestion et management
Informatique et bureautique
Linguistique
Préparation aux examens et concours (fonction publique)
Relation et communication
Total
435
Traité des sciences et des techniques de la formation
Si le tableau 21.2 peut être renseigné sur plusieurs années (trois années étant l’idéal), il permet d’observer si la politique de l’organisation est, dans les faits, stable dans ses choix ou au contraire évolutive, dans quel sens, sur quoi, pour quels publics, sur quels thèmes… Bien évidemment, ces données peuvent être approfondies – par exemple en les déclinant par unité ou service – et constituer ainsi un véritable tableau de bord de la formation. Elles permettent au pilotage d’apprécier dans quelle mesure et dans quelles proportions il est possible de voir évoluer les pratiques existantes1.
4.2 Comprendre les besoins Les besoins de formation n’existent pas. Nous avons affirmé en début de ce chapitre que la formation est un moyen. Et les moyens n’ont de sens que par rapport à un objectif. Aussi, la démarche – encore assez courante – d’interroger par la question : « Quels sont vos besoins de formation ? » n’a pas beaucoup de sens. Elle est même dangereuse parce que les personnes interrogées chercheront quand même à répondre. Sans que nécessairement leur réponse soit connectée à des enjeux réels… En fait, la démarche d’identification des besoins va consister au regard de ce que nous avons dit précédemment, à interroger les quatre familles de prescripteurs sur leurs enjeux de compétences, d’employabilité et de développement du lien social. Pour ce faire, l’outil principal ne sera pas le questionnaire mais des entretiens, voire des réunions, en particulier avec le management et ses lignes hiérarchiques. Ils devront s’appuyer sur des guides d’entretiens, élaborés préalablement, reprenant les sujets qui les concernent. Ne négligeons pas, par ailleurs, que les informations nécessaires sont déjà présentes dans les documents tels que les notes d’orientation de la direction générale, les notes de service, les plans stratégiques, les business plans… Enfin l’exploitation des entretiens annuels doit être une source essentielle pour apprécier les investissements de formation nécessaires aux salariés et à la bonne marche des services…
1. Il n’est pas rare de constater en effet que nombre de politiques éducatives ambitieuses n’ont pu se concrétiser faute d’avoir pris en compte préalablement la réalité des pratiques antérieures. Dans les grandes organisations, il en est des politiques de formation comme des grands navires : il leur faut de la distance pour faire évoluer leur cap…
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Pilotage des politiques de formation ■ Chapitre 21
Le travail de synthèse de toutes les données recueillies est une responsabilité éminente de ceux qui élaborent les plans de formation. La méthode de traitement relève de l’analyse de contenu qui renvoie à différentes méthodes et logiciels… Elle gagne à être effectuée à plusieurs ou en tout cas soumise à l’évaluation des autres. Elle exige que les auteurs des contenus valident leur contribution.
4.3 Décider À l’issue de la phase d’analyse des besoins et au regard des constats sur les pratiques antérieures, vient le moment de la décision. Cette étape est un moment managérial : décider, c’est l’affaire des décideurs. Comme toute décision, celle-ci est le privilège de la maîtrise d’ouvrage. Mais c’est de la responsabilité du pilote d’aider à la qualité et à la pertinence des décisions prises, ce qui, en matière de formation, est souvent un pouvoir essentiel. La décision en matière de politique de formation est toujours double. Elle porte tout d’abord sur les objectifs : ce qu’il convient de faire et pourquoi, ce qui est prioritaire, ce qui est secondaire… et donc sur les actions qui sont retenues et celles qui n’auront pas lieu… Mais elle porte aussi sur le choix des moyens. En effet, le choix de la formation comme levier d’action est toujours un choix de conjoncture en ce sens que d’autres moyens auraient été possibles, voire préférables, du point de vue d’autres acteurs. De surcroît, ce choix de la formation peut ne pas toujours obéir à une stricte logique de rationalité : ce peut être un choix par défaut (impossibilité de recruter une personne pour remplir une activité nouvelle) ; ou encore un choix volontariste (quand le système de valeur de l’entreprise considère que « si on forme, les gens feront ») ; mais à l’inverse, le moyen formation peut ne pas être choisi car, dans le passé, il s’est révélé un échec dans une situation a priori analogue. Enfin la formation offre de multiples modalités opérationnelles (stages, formation-action, autoformation, etc.) et on sait d’expérience qu’en la matière, la maîtrise d’ouvrage a du mal à rester dans son strict rôle de prescription, désirant, ce qui n’est pas totalement illégitime, intervenir aussi sur les scénarios de réalisation. On voit à travers la figure 21.1 que le chemin de la décision peut parfaitement, dans un même contexte, prendre des configurations différentes selon les représentations du décideur final et aussi selon la manière dont il aura été conseillé.
437
Traité des sciences et des techniques de la formation Objectif d’évolution Choix des variables
Organisation
Ressources humaines
Investissements matériels
Choix des moyens
Soustraitance
Intérim
Entrées (recrutements)
Sorties (licenciement, retraites, mutations)
Transformation
Formation
Stage
Formationaction
Autoformation
Etc.
Figure 21.1 – Configurations différentes d’un chemin de décision
Dans cette phase de la décision, le pilote de la politique de formation va jouer un rôle essentiel. C’est souvent lui qui fera qu’en définitive, c’est tel choix qui sera fait plutôt que tel autre. Mais il devra pour autant rester vigilant à ce que les décideurs prennent effectivement des décisions sur les objectifs assignés à la politique de formation, qu’ils ne les délèguent pas à tort (y compris à lui-même) et que leurs décisions portent d’abord sur les objectifs, ce qui est indispensable, et ensuite seulement sur le choix des moyens, ce qui de leur part est facultatif.
4.4 Agir Les décisions ont été prises. La demande étant finalisée, il reste à la mettre en œuvre. Pour piloter cette mise en œuvre, plusieurs facteurs doivent être pris en compte. De manière nécessairement arbitraire, on s’intéressera à trois d’entre eux qui nous semblent essentiels :
438
Pilotage des politiques de formation ■ Chapitre 21
4.4.1 Piloter le dialogue social et le respect des règles Le dialogue social sur la formation est dans son principe spontanément naturel, tant il est évident à chacun que l’investissement formation peut être utile aux salariés aussi bien qu’à leurs employeurs. Force est pourtant de constater que ce dialogue, sauf dans de rares et de belles exceptions, est relativement pauvre au regard de ce qu’il pourrait être, et qu’en tout cas il gagnerait beaucoup à se bonifier qualitativement. Le pilote des politiques de formation peut, s’il le désire, en être l’acteur déterminant, considérant que sa mission de pilotage l’inclut nécessairement. Et il peut le faire par deux entrées principales : –– en préparant, organisant et au besoin en animant les moments formels et informels de ce dialogue : par l’information, la communication sur des données brutes, mais aussi sur leurs clés de lecture, par l’organisation de séances de travail préalables aux négociations, par la qualité, la faisabilité et le respect des ordres du jour, par la publication des comptes rendus, etc. ; –– en étant le promoteur, et au besoin l’organisateur, de l’indispensable qualification des représentants du personnel dans les commissions-formations ou autres instances dans lesquelles la formation fait objet de débats et de négociations : ces dernières, au regard de la complexité du sujet traité, nécessitent des compétences qui ne sont pas spontanément données par un mandat (ni par un statut !) et la qualité du dialogue social a tout à gagner à ce qu’on les aide à les maîtriser. Par ailleurs, le pilotage des politiques de formation, et le dialogue social qui l’accompagne, se situent dans un univers législatif et réglementaire complexe mais aussi assez évolutif. En plus de la connaissance et de l’actualisation des textes essentiels, le pilote de la politique de formation doit aussi comprendre le contexte législatif et social qui les explique et il doit pour cela s’appuyer sur une culture juridique et sociale significative, seule à même de lui en faire apprécier le sens et les origines.
4.4.2 Évaluer Toute pratique d’évaluation procède d’une double démarche : d’abord celle de contrôler, ensuite celle d’analyser. Contrôler consiste à constater une situation, par exemple la conformité ou l’écart entre un objectif et un résultat ou encore la nature exacte d’une dépense, en tant que telle ou par rapport à une prévision. Le contrôle consiste donc à recueillir, avec neutralité, des faits observables et vérifiables.
439
Traité des sciences et des techniques de la formation
Analyser est, au contraire, une pratique qualitative qui cherche, en fait, à expliquer ou commenter les raisons et les causes des constats produits par le contrôle. De ce fait elle sollicite l’expression des systèmes de valeur. Évaluer la formation est un terme générique qui mérite d’être précisé avant de la mettre en œuvre. Concrètement cette évaluation s’intéresse à deux familles d’informations : –– des informations sur le process : ses quantités, sa qualité ; –– des informations sur les résultats : les acquis sont les ressources acquises par la formation ; les effets sont l’usage des ressources en situation ; les images les représentations qui se sont construites sur les acquis et les effets. Le pilotage de l’évaluation consiste à s’intéresser, dans des proportions et dans des intensités qui peuvent varier avec les contextes, à ces niveaux différents d’information.
Les stratégies d’évaluation Dans les faits, le pilotage stratégique de l’évaluation d’une politique de formation va porter sur le contrôle et l’analyse de cinq niveaux pour obtenir des natures d’informations qui peuvent être synthétiquement résumées dans le tableau 21.3. Tableau 21.3
Qualité
PROCESS
Quantité
Contrôler
440
Quels outils ?
Analyser
Quels outils ?
–– Mesurer si les productions de formation sont conformes au prévisionnel planifié. –– Constater et mesurer les écarts entre : prévu/réalisé ; non prévu/réalisé.
–– Feuille de présence. –– État des inscriptions. –– État des actions réalisées.
–– Expliquer les phénomènes contrôlés du point de vue des différents acteurs. –– Apprécier si les écarts constatés sont conjoncturels ou structurels, positifs ou négatifs. –– Repérer les modalités de corrections et/ou d’ajustement.
–– Analyse (individuelle et collective) des résultats. –– Questionnaire à froid.
–– Mesurer la qualité de la relation pédagogique, du process et de la logistique, du point de vue : des cohérences des charges et des engagements (conformité) ; de la satisfaction des participants et des prescripteurs.
–– Questionnaires de fin de stage. –– Tour de table en fin d’action.
–– Repérer et expliquer les causes pour lesquelles les pratiques ne sont pas conformes (en + ou en −) à la prescription.
–– Interrogation de la hiérarchie et des participants. –– Questionnaire à froid.
Pilotage des politiques de formation ■ Chapitre 21
Effets Images
RÉSULTATS
Acquis
Contrôler
Quels outils ?
Analyser
Quels outils ?
–– Mesurer et valider les acquis de la formation.
–– Tests, examens.
–– Analyser les causes des taux de réussite et d’échec dans les acquisitions.
–– Entretiens. –– Questionnaires.
–– Mesurer si les ressources acquises en formation sont mises en œuvre dans les situations de travail.
–– Interrogations postformation. –– Enquêtes. –– Entretiens.
–– Recueillir les explications et les commentaires des bénéficiaires de la formation et de leur hiérarchie sur la pertinence des ressources acquises en formation et sur la qualité de leur usage dans la situation professionnelle.
–– Enquêtes de terrain.
–– Identifier et mesurer les représentations des bénéficiaires sur leurs acquis et leurs scénarios d’usage.
–– Enquêtes de terrain. –– Questionnaires.
–– Analyser et expliquer les causes des représentations constatées. –– Repérer les facteurs d’excellence et/ou de dysfonctionnement.
–– Enquêtes. –– Questionnaires à froid.
5. Enjeux et prospective du pilotage de la formation Au-delà des principes et des méthodes, les pratiques effectives, les habitudes, presque les mœurs, conditionnent depuis 1971 et même avant, les manières de piloter les politiques de formation. Avec la loi de 2014, en France, la formation professionnelle a, heureusement, perdu son caractère d’obligation fiscale de dépenses au bénéfice d’une obligation pour l’employeur d’assurer la qualification et l’employabilité interne de ses collaborateurs. C’est une évolution essentielle qui recadre la formation vers ses finalités véritables… Mais les mœurs changeant moins vite que les lois et les enjeux de professionnalisme devenant de plus en plus pressants et complexes, le pilotage des politiques de formation se voit « challengé » par trois défis importants que nous détaillons ci-dessous.
5.1 Le défi du pilotage et de l’administration Depuis 1971, les lois, les règlements les directives, les accords nationaux, de branches, d’entreprises, etc., ont été abondants. Cela donne, c’est le moins que l’on puisse dire, aux politiques de formation un cadre structuré. Mais leur connaissance – et a fortiori leur maîtrise – demande, à 441
Traité des sciences et des techniques de la formation
la date d’aujourd’hui et au regard de leur accumulation, un niveau de compétence qui s’approche de l’expertise. Dans les faits, il est difficilement raisonnable de demander à tous ceux qui ont un rôle à jouer dans la mise en œuvre de la formation d’en être experts. C’est là un premier niveau de difficultés. Par ailleurs ces lois, règlements et accords portent beaucoup sur les modalités de financement de la formation (dans ses différentes composantes) et sur l’organisation des structures chargées de leur gestion (dont le rôle des organismes mutualisateurs paritaires, les Opca). Au fil du temps s’est ainsi créée une véritable administration de la formation1. Cette complexité administrative due aux rôles respectifs de l’État, des régions, des branches professionnelles, des organismes mutualisateurs, des exigences de la négociation sociale et des compromis qu’elle exige est lourde. Au risque de transformer les services de formation en administrateurs de procédures avec les phénomènes de bureaucratisation qui en découlent, les éloignant ainsi de leur mission première : piloter une politique. Pire ! À partir du moment où l’on finit par constater qu’objectivement, la gestion de la formation c’est d’abord de l’administration et de la gestion financière, on y nomme pour cela des profils adaptés… Le pilotage stratégique devient alors une fonction quasi périphérique, mal comprise, mal apprise, mal maîtrisée, s’appuyant dans les faits sur les modalités les plus économes, les plus abordables en qualification, les plus ressemblantes aux pratiques coutumières et au final les plus simplistes en méthode mais restant – paradoxe apparent – compatibles avec cette administration abondante des procédures pour se protéger de toute erreur ou de tout reproche. C’est ainsi que des services de formation finissent par perdre ce qui fait leur légitimité : ils n’aident plus assez les responsables et les salariés à développer les compétences, l’employabilité des collaborateurs et à renforcer le lien social mais ils apparaissent, au contraire, comme porteurs d’une contrainte obligée sans valeur observable. Et ils constatent alors, impuissants, que l’on ne s’adresse plus à eux que pour enregistrer les actions et payer ou faire financer les factures pilotées par d’autres… Redonner, quand cela est nécessaire, aux services de formation (c’est-à‑dire à ceux qui y travaillent) du temps et de la compétence pour être de véritables pilotes, passe d’abord par une distinction plus claire entre fonction de pilotage et fonction d’administration : ce ne sont pas les mêmes temporalités et ce n’est pas le même professionnalisme qui y est nécessaire. 1. À ce sujet, il convient d’apprécier à sa juste valeur le rôle difficile mais efficace du Centre-Inffo pour rendre, par un réel effort de pédagogie et de rigueur, abordable et compréhensible le foisonnement des textes sur la formation.
442
Pilotage des politiques de formation ■ Chapitre 21
Dans les petites structures cela peut se faire, par exemple, par une externalisation de cette administration (et, ici, l’appui des Opca devrait pour les entreprises devenir naturel). Dans les plus grandes par une organisation dédiée distinguant les nécessaires qualités d’administration de celles, essentielles, de pilotage. Cela passe sans conteste par un bon niveau de professionnalisme des équipes responsables de la formation. Cet enjeu est fort parce que, quand les décideurs ne sont pas toujours à l’aise avec l’exigence de pilotage des compétences, ils peuvent vite avoir tendance à devenir les alliés objectifs de la logique administrative et ne s’intéresser à la formation que du seul point de vue de ses réalités économiques et de ses enjeux financiers. C’est le devoir des pilotes de la politique de formation de savoir, avec pugnacité et habileté, rappeler en permanence le rôle de la formation : un outil au service d’objectifs à atteindre.
5.2 Le défi de l’orientation « J’ai 28 ans. Je fais mon métier – bien – depuis 8 ans. Comment évoluer, voire si possible progresser ? » « J’ai 53 ans. Il me reste maintenant au moins 12 années de vie professionnelle. Comment et sur quelles activités réinvestir mon expérience ? Mais aussi comment continuer à progresser, demeurer employable, être un professionnel incontournable ? » « J’ai 35 ans. Mon métier va disparaître, remplacé par des évolutions technologiques de la même manière qu’il a lui-même remplacé d’autres emplois. Comment me reconvertir ? Ou en tout cas me préparer ? Et à quoi ? »
Ces questions, vitales pour ceux qui se les posent, sans nécessairement d’ailleurs savoir les formuler, sont des questions ordinaires dans nos économies modernes à cycles courts. Elles ont un point commun : toutes, elles interrogent la formation. Et qui est capable d’y répondre ? les intéressés eux-mêmes ? très rarement. Parce que savoir y répondre est un privilège et comme tout privilège réservé à quelques-uns… et en particulier ceux qui disposent des réseaux pour cela. Voilà pourquoi, dans les faits, à côté de la formation (ou en même temps qu’elle) s’est créée une nouvelle famille d’activités, sans doute un nouveau métier. Celui de savoir accompagner 443
Traité des sciences et des techniques de la formation
dans leur conception, leur définition et leur réalisation les « projets individuels de formation professionnelle » (différents, même s’il y a des analogies, avec l’orientation professionnelle telle qu’elle se pratique traditionnellement). Les partenaires sociaux en France, suivis par le législateur ont créé pour cela le droit au Conseil en Évolution Professionnelle. Et donc des conseillers en évolution professionnelle. Le propos n’est pas ici de décrire en détail ce métier – qui n’est pas d’ailleurs totalement nouveau mais dont la nouveauté est qu’il s’amplifie considérablement au point de s’institutionnaliser – mais plus simplement de constater que ces missions d’orientation s’associent et s’imbriquent quasi spontanément dans les activités qui relèvent du pilotage de la formation et donc que le développement d’un professionnalisme dans ce champ va s’imposer de lui-même aux services de formation. C’est un défi redoutable parce que là aussi ce ne sont pas les mêmes compétences que celles exigées pour le pilotage (et a fortiori l’administration !) de la formation. La pratique de la VAE (validation des acquis de l’expérience) offre sans aucun doute aux professionnels de la formation l’opportunité de développer leurs compétences dans ce champ. Soit parce qu’elle peut être, en tant que telle, la réponse à la question posée (obtenir par équivalence d’expérience un diplôme qui sera lui-même le socle sur lequel s’appuyer pour exercer de nouvelles responsabilités, un nouvel emploi), soit parce que les méthodologies mises en œuvre (faire prendre du recul par rapport aux activités anciennes et actuelles et savoir les faire formaliser) sont une condition indispensable pour savoir orienter et préconiser. Mais sans doute l’avenir s’impose-t‑il déjà comme une réalité : l’orientation et l’accompagnement des projets individuels de formation sont dès maintenant des enjeux de société au sens noble du terme dans nos économies aux réalités sociales complexes, mouvantes, aléatoires. S’ils commandent aux puissances publiques d’investir dans des systèmes d’information exhaustifs et de qualité sur l’offre de formation, ils exigent surtout de disposer de professionnels qualifiés pour savoir construire avec les demandeurs des projets de formation pertinents, ambitieux… et totalement réalistes. On comprendra qu’il s’agit là d’un challenge à la hauteur de celui de la formation professionnelle au début des années 1970…
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5.3 Le défi d’une pédagogie de l’alternance, voie d’excellence de la professionnalisation… À quoi sert la formation professionnelle si ce n’est à professionnaliser ? Guy Le Boterf et d’autres ont beaucoup aidé à en définir le concept et montrer les différents chemins de son acquisition. Pour la formation cela a toujours été un challenge de rechercher les meilleures voies de cette professionnalisation. Dans le foisonnement des pratiques, un dispositif en œuvre depuis déjà pas mal de temps, émerge cependant par l’ambition de son process et la qualité de ses résultats : la pédagogie de l’alternance. Longtemps elle est restée confinée aux dispositifs de formations pour les moins qualifiés, essentiellement dans les dispositifs d’apprentissage. Aujourd’hui elle est enfin reconnue pour ce qu’elle est : la voie d’excellence de la professionnalisation. Sa montée en puissance dans l’enseignement supérieur en est la meilleure preuve. Mais elle souffre encore d’un double handicap : –– elle est davantage dans les esprits considérée comme une modalité légale ou réglementaire que comme un processus pédagogique d’excellence ; –– l’alternance – temps en centre de formation et temps au travail – manque encore trop de rigueur concrète pour apporter l’efficacité pédagogique qu’elle est capable de donner. Il se trouve qu’à l’initiative d’un groupe de grandes entreprises1, une formulation précise et opérationnelle de la pédagogie de l’alternance a pu voir le jour et faire consensus. Elle se résume par les cinq principes suivants : 1. un unique temps de formation réparti en deux familles de séquences – académique et entreprise – coordonnées, complémentaires et interactives ; 2. un pilotage général du processus structuré et organisé ; 3. un tutorat reconnu ; 4. un apprenant en situation professionnelle, responsabilisé, à l’intérieur d’une communauté de travail, pour une durée significative ; 5. une reconnaissance formelle qui sanctionne l’ensemble des facteurs de professionnalisation et pas seulement la technicité, délivrée par une « instance » représentative de la communauté éducative.
1. Entreprises regroupées à l’occasion de la production d’un rapport pour le président de la République (Proglio, 2009).
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Il est clair que c’est un challenge pour tous de savoir développer une véritable pratique de l’alternance respectueuse de ces cinq principes. Pourtant toutes les évaluations des formations en alternance ont démontré que, quand elles se rapprochent aux mieux des principes énoncés ci-dessus, elles obtiennent des résultats qu’elles sont seules à pouvoir obtenir. Au-delà des acquisitions des technicités nécessaires à tout métier et qui peuvent s’acquérir dans des formations dites classiques (magistrales ou actives), la pédagogie de l’alternance permet : –– par la mise en œuvre dans les situations réelles de travail des enseignements reçus, d’acquérir les « compétences de contexte » qui sont la marque du vrai professionnel : comprendre son environnement, s’adapter à la conjoncture, maîtriser l’enjeu économique de sa tâche, résoudre un problème toujours en partie spécifique… ; –– de s’intégrer véritablement et sans risque dans une communauté de travail et d’en fertiliser les pratiques par les acquis de l’alternant, son regard, sa capacité d’associer quasi spontanément théories et pratiques. On parle alors de l’alternance comme d’un processus non seulement de formation mais « d’intégration professionnelle » (que ce soit dans le cadre d’un recrutement ou dans celui d’une progression professionnelle [« ascenseur social » ou reconversion])… Pour les pilotes de politique de formation, les dispositifs mettant en œuvre cette pédagogie (qui dépasse – et de très loin – les contrats d’apprentissage) sont certainement ceux leur permettant d’exercer la plénitude de leur propre professionnalisme : ils peuvent en effet de manière concrète et opérationnelle s’impliquer et impliquer la maîtrise d’ouvrage dans les cahiers des charges, passer contrat avec les prestataires, participer à la qualification des tuteurs et la bonne compréhension – par eux et leur hiérarchie – de leur mission, contrôler l’effectivité de la bonne relation « centre de formation/employeur », s’impliquer dans l’évaluation et l’évolution professionnelle des apprenants. Et surtout ils offrent ainsi au management et aux intéressés un dispositif de professionnalisation fiable, efficace et facteur d’employabilité individuelle et collective… Alors seront-ils perçus comme les moteurs d’une politique moderne et innovante, réinvestissant les acquis d’un procès qui a fait ses preuves : quelle plus belle définition de l’excellence du professionnalisme ?
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6. Conclusions Piloter une politique de formation est un métier, un métier aux facettes multiples : politiques, stratégiques, méthodologiques, administratives, financières, pédagogiques… Le professionnel n’est pas nécessairement celui qui sait tout faire. C’est au contraire celui qui sait agir avec les autres en fonction de leurs compétences respectives et par rapport aux siennes propres. C’est le talent nécessaire des pilotes de politiques de formation de savoir agir ainsi. Mais s’il peut déléguer certaines activités, l’une est incontournable et non déléguable : piloter la chaîne de travail qui donne des objectifs à la formation, met en œuvre les actions correspondantes et en évalue les résultats. S’il ne fait pas cela, il n’est pas pilote de la formation, mais plutôt responsable administratif et financier. Ce qui n’est pas méprisable mais différent… Comme tout métier ce pilotage s’apprend (et il gagnerait à l’être par une pédagogie d’alternance !). Quand c’est le cas on peut observer clairement le contraste avec les autres pratiques basées sur le pragmatisme sans méthode et la seule bonne volonté. Ce pilotage a de l’avenir, mais il a aussi, on l’a vu, de belles exigences !
Lectures conseillées Carré P. (2005). L’apprenance, vers un nouveau rapport au savoir, Paris, Dunod. Caspar P. (2011). La formation des adultes, hier, aujourd’hui, demain, Paris, Eyrolles. Contrat d’étude prospective dans les organismes de formation privés, Paris, Documentation française, 1998, actualisé en 2010. E nlart S. (1999). Ingénierie en formation d’adultes, Paris, Éditions Liaisons. Enlart S., Charbonnier O. (2010). Faut-il encore apprendre ?, Paris, Dunod.
Hetzel P. De l’Université à l’emploi, rapport au Premier ministre, Paris, Documentation française. Le Boterf G. (2010). Construire les compétences individuelles et collectives, Paris, Éditions d’Organisation. Meignant A. (1993). Manager la formation, Paris, Éditions Liaisons, 8e éd. P roglio H. (2009). Promouvoir et développer l’alternance, rapport au président de la République.
Hauser G., Maître F., Masingue B., Vidal F. (1985). L’investissement formation, Paris, Éditions d’Organisation.
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Chapitre 22 Intelligence au travail et développement des adultes1
1. Par Guy Jobert.
Sommaire 1. Les formateurs et le travail................................................................................... 451 2. L’emploi n’est pas le travail................................................................................. 452 3 L’intelligence au travail......................................................................................... 455 4. Le travail au cœur des grandes thématiques de la formation des adultes............. 457 5. En guise de conclusion........................................................................................... 464 Lectures conseillées.................................................................................................. 465
Entre 1993, date à laquelle la revue Éducation permanente abordait pour la première fois la thématique du travail, et 2016, la situation a évolué et il devient possible d’avancer que la référence à l’activité permet aujourd’hui de renouveler en profondeur la pensée et les pratiques de la formation des adultes1.
1. Les formateurs et le travail
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À distance du modèle scolaire dont il entend se démarquer, le formateur considère l’adulte pour ce qu’il sait et non pour ce qu’il ignore. Il ne perçoit pas le « déjà-là » épistémique comme parasitaire pour son action formative, mais tout au contraire comme un gisement de richesses accumulées dans la durée, et sur lequel il va devoir appuyer sa pratique. Les adultes ont connu des situations de vie multiples, des mises à l’épreuve marquantes, et en ont tiré de l’expérience, c’est-à‑dire des ressources pour connaître le monde et agir sur lui. Le formateur doit récuser le modèle courant selon lequel il faut savoir avant d’agir (Piaget : « la connaissance procède de l’action »). La praxis est indissociable de la connaissance et de l’être, et ces trois dimensions ne peuvent être séparées : ce que l’adulte a fait est pour beaucoup dans ce qu’il sait, et son expérience définit largement ce qu’il est. Chacun sait qu’une ingénierie de formation bien conduite ne dissocie jamais les plans cognitifs et identitaires. Si c’est la triade expérience-sujet-savoirs qui guide traditionnellement le regard du formateur, comment expliquer que les formateurs soient restés jusqu’à aujourd’hui étrangers au travail comme objet d’analyse ? Comment comprendre alors que, pendant si longtemps, l’ingénierie de la formation se soit greffée sur des commandes émanant de la hiérarchie, sur des fiches de postes rédigées par les bureaux des méthodes, sur d’illusoires « études de besoins », sur des référentiels décontextualisés et, dans le meilleur des cas, sur du travail déclaratif ? Les raisons sont nombreuses. On peut relever d’abord que la formation des adultes s’est nourrie de courants de pensée et de pratiques dans lesquels le travail, et plus largement l’action, ont peu de place. D’un côté, le courant rogérien de la non-directivité, la psychosociologie des groupes restreints, la psychothérapie institutionnelle ou la psychanalyse. D’un autre côté, la sociologie des organisations et l’analyse stratégique. Par ailleurs, dans les années 1960, la promotion sociale individuelle autour de laquelle s’est institué le secteur de la formation des adultes, devait répondre à une
1. Éducation permanente : 1993, n° 116 et 117, « Comprendre le travail » ; 1995, n° 123, « Le développement des compétences. Analyse du travail et didactique professionnelle » ; 1999, n° 139, « Apprendre des situations » ; n° 140 et 141, « La logique de la compétence » ; 2001, n° 146, « Clinique de l’activité et pouvoir d’agir » ; 2002, n° 151, « Apprendre des autres » ; 2006, n° 165 et 166, « Analyse du travail et formation » ; 2008, n° 174, « Travail et formation » ; 2014, n° 198, « Formation expérientielle et intelligence en action ».
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demande de savoirs académiques dont les publics en rupture d’école avaient besoin pour réaliser leurs projets d’intégration à une catégorie socioprofessionnelle supérieure. Toutefois, à partir du milieu des années 1970, avec ce qu’on a appelé la crise, la porte s’est fermée pour longtemps sur la rencontre du travail et de la formation. Servir les politiques d’emploi est devenu l’objectif prioritaire de l’appareil de formation et la notion d’emploi a masqué pour longtemps celle de travail.
2. L’emploi n’est pas le travail Une formation est orientée vers l’emploi lorsqu’elle vise l’adéquation entre des postes à pourvoir et des individus susceptibles de les occuper. L’ingénierie de ces formations vise la qualification et la certification des travailleurs sur la base de la qualification attestée par la possession d’un diplôme que les salariés vont se distribuer dans le système de « places », dans les espaces hiérarchisés de l’entreprise et de la société globale. Cette construction sociale, qui vise la rationalisation de la mobilité sociale à partir de l’évaluation des savoirs acquis, accorde un net privilège aux savoirs abstraits et formalisés, et déprécie corrélativement les savoirs opératoires et expérientiels produits par les adultes. Cette distribution sociale reflète la valeur que chaque société accorde aux métiers et l’état des rapports de force au sein de cette société. Du point de vue des pratiques de formation, le schéma qualification-certification ne remet pas en cause le modèle de l’ingénierie de formation traditionnelle. La définition des contenus, la formation et l’évaluation s’effectuent à distance des lieux de travail et des conditions réelles de l’activité. Même lorsque les formateurs sont d’anciens praticiens, qu’ils utilisent des méthodes actives et pratiquent l’alternance, leur efficacité pédagogique trouve ses limites dans la différence irréductible entre le « réel » de l’institution de formation et celui de l’institution de production. C’est au cours des années 1990 qu’un certain nombre d’éléments sont venus modifier cette façon normative de régler les relations entre la formation et l’emploi. À la notion de qualification est venue s’ajouter celle de compétence, entraînant un déplacement de l’attention des formateurs de l’emploi vers le travail.
2.1 De la qualification à la compétence : le retour du travail Si la notion de qualification joue le rôle d’opérateur de placement et de mobilité sur les marchés du travail, c’est parce qu’elle est générale et impersonnelle, au sens où elle porte sur 452
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la possession attestée de savoirs définis par les experts pour occuper un emploi ou une classe d’emplois, indépendamment de la spécificité locale des postes de travail et de la façon singulière dont ils sont ou seront occupés. Dans cette perspective, formation, diplôme, emploi et mobilité sont liés mécaniquement les uns aux autres. Avec le passage de la notion de qualification à celle de compétence, c’est cette déconnexion relative entre le contenu de la qualification des personnes et les exigences de postes concrets qui, depuis quelques années, est remise en question. Lorsque la qualification des personnes est distinguée de celle des postes de travail, le marché des diplômes et celui de l’emploi se désolidarisent, avec pour conséquence que les salariés ne sont plus assurés de pouvoir établir une équivalence stable et prévisible entre le niveau des diplômes qu’ils possèdent et celui des postes qu’ils pourront occuper. Ces évolutions concernent directement le formateur. On sait aujourd’hui que les gains attendus dans la création de la valeur (qualité, flexibilité, efficience, sécurité) ne peuvent plus être espérés d’objets techniques plus performants ou d’une organisation enfin idéale, mais du « facteur humain » c’est-à‑dire de l’activité des hommes et des femmes. L’échec des tentatives d’industrialisation de la production des services ou de sur-procéduralisation des tâches dans les industries à risque impose le constat que la performance repose in fine sur la qualité du travail humain, sur ce que certains appellent l’investissement subjectif dans le travail, d’autres la compétence. Développer la compétence ne consiste plus seulement à apporter aux agents un supplément de connaissances destiné à accroître leur qualification, mais à favoriser la mobilisation de leur intelligence en situation, à accroître leur autonomie, à encourager leur coopération. Dans la mesure où la compétence ne se transmet pas, où les injonctions adressées aux salariés – être motivé, s’impliquer, prendre des responsabilités, prévoir, innover, s’adapter, communiquer, coopérer – ne relèvent pas d’un simple transfert de connaissances constituées dans ce mouvement, la professionnalité des formateurs s’en trouve profondément transformée au moins dans leurs méthodes si, comme l’écrit C. Dejours (1993), « c’est le travail qui produit l’intelligence et non l’intelligence qui produit le travail ». La conséquence pour les formateurs est qu’ils doivent se mettre à l’écoute des savoirs pratiques produits et mis en œuvre par les travailleurs, dans l’action située, à l’occasion de l’expérience vécue du travail réel.
2.2 Qu’est-ce que travailler ? Pour passer du sens commun au concept de travail, il faut s’appuyer sur les disciplines qui ont le travail pour objet. L’ergonomie de langue française, la psychologie et la psychodynamique du travail offrent aux formateurs des éléments conceptuels et opératoires pour comprendre l’investissement subjectif de l’homme dans le travail, c’est-à‑dire la mobilisation de son intelligence dans l’action.
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2.2.1 Entre tâche et activité La différence de nature mise en évidence par les ergonomes entre le travail prescrit – la tâche définie par les procédures – et le travail réel – l’activité réellement déployée en situation pour obtenir la performance – est aujourd’hui bien connue. Pourquoi relève-t‑on un tel écart ? Le cas le plus banal est celui où les prescripteurs, par méconnaissance des réalités ou par défaillance, proposent des modes opératoires mal conçus, périmés ou muets sur des événements non prévus. Les opérateurs doivent alors combler les insuffisances des prescripteurs et se substituer à eux. Plus fondamentalement, l’écart tient à des motifs indépassables. Les concepteurs des règles d’action ne peuvent faire autrement que de se référer à des situations standardisées et stabilisées, alors que les situations réelles rencontrées par les travailleurs sont infiniment variables et soumises à des aléas. La variabilité est certes plus ou moins grande suivant les secteurs et les circonstances, mais elle ouvre toujours un écart entre ce qui est prévu et la façon dont les choses se présentent concrètement. Il existe une différence de nature entre le discours produit sur la réalité par les scientifiques ou les technologues et ce que les travailleurs expérimentent lorsqu’ils doivent concrètement intervenir sur cette réalité. Dans le travail, chacun de nous fait régulièrement l’expérience des limites de la simple application des règles produites antérieurement, hors de l’action. Tout se passe comme si, dans le cours de toute action dans le monde réel une part irréductible échappait à la symbolisation par le langage, et par là même, à l’assurance de la maîtrise. Ce que P. Davezies (1993) exprime de façon directe : « Travailler implique de sortir du discours pour se confronter avec le monde. Le mot n’est pas la chose, et il va falloir que quelqu’un “se la farcisse” la chose. C’est bien structurellement que le travail réel est différent du travail théorique. »
2.2.2 Le travail est une énigme Pour autant, la reconnaissance des limites de pertinence des savoirs théoriques ne condamne pas la prescription du travail. Dans certains cas d’ailleurs, 1’absence de normes exogènes sur lesquelles l’opérateur peut régler son action est aussi délétère pour les travailleurs que l’imposition étroite de normes. Identifier les limites de la normalisation rationnelle permet de reconnaître qu’il faut « quelque chose en plus » pour atteindre l’efficacité, réaliser la performance, faire face aux événements. Ce « quelque chose en plus », qui vient combler l’écart entre la tâche prescrite et l’activité requise, est apporté par les travailleurs dont il constitue la contribution spécifique, même dans les systèmes techniques les plus normés et les plus automatisés. Cet apport humain (« ce qui n’est pas donné par la prescription » – P. Davezies), cette activité déployée en situation, face aux objets, en relation avec d’autres humains, constitue la définition même du travail. Travailler ne consiste jamais en une pure exécution de normes antécédentes mais exige de la part des opérateurs une mobilisation d’intelligence, de l’invention, de la prise de décision, soit pour rendre les règles applicables malgré la singularité des situations, soit pour pallier leur manque ou leur inadéquation. Les formateurs sont particulièrement concernés par le fait que, 454
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dans l’affrontement à la résistance du réel, les travailleurs ne font pas qu’appliquer les savoirs qui leur ont été transmis, mais qu’ils produisent eux-mêmes des savoirs spécifiques, parfois appelés savoirs pratiques, empiriques, informels ou encore tours de main, ficelles, astuces et autres « biais ». Le peu d’intérêt porté à ces savoirs d’action reflète la dénégation sociale qui frappe les difficultés réellement rencontrées par les travailleurs dans la réalisation des tâches, la nonreconnaissance de leur investissement subjectif et la dévalorisation de leurs savoirs de métier. En vérité, la façon dont les travailleurs « se débrouillent » en situation, inventent pour réussir ce qui leur est confié, parviennent à « tenir » malgré les contraintes qui pèsent sur eux, constitue une véritable énigme, que les formateurs comme les managers sont réticents à approcher. On verra plus loin que si les travailleurs cherchent à bien faire leur travail, à réussir, à atteindre leurs objectifs malgré les contraintes, c’est parce qu’il se joue, dans le travail, quelque chose d’important pour leur construction personnelle et leur santé. Lorsque leur contribution n’est pas reconnue ou lorsque les conditions concrètes du travail (toujours plus, toujours plus vite, toujours mieux, toujours moins cher…) ne leur permettent plus de faire « du bon travail » selon leurs normes professionnelles ou leurs valeurs, le travail devient délétère et détruit les personnes1.
3. L’intelligence au travail On vient de voir que la mobilisation d’une intelligence du et au travail, d’une « pensée en œuvre dans l’acte », est requise par l’impossibilité de maîtriser par avance tous les scénarios de 1’action concrète. Cette forme d’intelligence est très particulière et fort différente de l’intelligence rationnelle discursive. Elle se caractérise essentiellement par deux traits : elle a recours à la ruse et s’enracine dans le corps. Le modèle de cette intelligence rusée est donné par une divinité de la Grèce ancienne, Mètis, ou encore par le personnage d’Ulysse2. La mètis vise l’efficacité pratique dans le rapport de l’homme à la réalité. Elle désigne une intelligence qui, « au lieu de contempler des essences immuables, se trouve directement impliquée dans les difficultés de la pratique […] affrontée à des obstacles qu’il faut dominer en rusant pour obtenir le succès dans les domaines les plus divers de l’action ». Elle constitue un véritable « mode de connaître ; elle implique un ensemble complexe, mais très cohérent d’attitudes mentales, de comportements intellectuels qui combinent le flair, la sagacité, la précision, la souplesse d’esprit, la feinte, la débrouillardise, l’attention vigilante, le sens de l’opportunité, des habiletés diverses, une expérience longuement
1. Sur le stress au travail et les risques psychosociaux les formateurs pourront s’épargner de nombreuses lectures peu convaincantes en lisant l’ouvrage d’Yves Clot (2010). Le Travail à cœur, Pour en finir avec les risques psychosociaux, Paris, La Découverte. 2. Les citations suivantes sont tirées de l’ouvrage de M. Détienne et J.-P. Vernant (1974). Les Ruses de l’intelligence, La mètis des Grecs, Paris, Flammarion.
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acquise ». Recourant à toutes ces ressources, la mètis ouvre à une « connivence avec le réel qui assure son efficacité […] et lui donne la victoire dans les domaines où il n’est pas, pour le succès, de règles toutes faites, de recettes figées, mais où chaque épreuve exige l’invention d’une parade neuve, la découverte d’une issue cachée ». Quant à sa façon de procéder, l’intelligence rusée s’attache davantage à l’obtention du résultat qu’à la façon dont elle l’obtient. « La mètis procède obliquement […], elle va droit au but par le chemin le plus court, c’est-à‑dire le détour », ce qui, de surcroît, permet au rusé d’obtenir le résultat au moindre effort. L’intelligence de l’action implique « certaines valeurs attribuées au courbe, au souple, au tortueux, à l’oblique et l’ambigu, par opposition au droit, au direct, au rigide et à l’univoque ». Largement répandue parmi les hommes à partir du moment où ils sont en bonne santé, présente dans toutes les activités, et pas seulement dans le travail manuel, cette forme d’intelligence est créative car, pour « s’orienter dans le monde du changement de l’instabilité, pour maîtriser le devenir en jouant de ruse avec lui […] elle doit se faire elle-même mouvance incessante, polymorphie, retournement… ». Le second trait majeur de la mètis tient à ce que les capacités qu’elle confère sont profondément enracinées dans le corps. Par tous ses sens, le corps est alerté par les écarts qu’il perçoit entre la situation dans laquelle il est immergé et la situation normale dont il possède, véritablement incorporées, la mémoire et la représentation. L’implication sensorielle du corps peut s’exercer aussi bien dans un rapport avec des objets techniques (variations dans une vibration, apparition d’une odeur, d’un déplacement dans l’espace…), que dans les échanges avec autrui (à travers les mimiques, les mouvements, etc.). « C’est la déstabilisation du corps total dans son rapport à la situation qui déclenche, initie et accompagne le jeu de cette intelligence pratique » (Dejours, 1995). Ce qui différencie la rationalité logique de l’intelligence pratique ne doit pas conduire à penser que nous serions en présence d’une forme subalterne d’intelligence, totalement détachée de la rationalité discursive. Ni à considérer qu’elle intervient comme une sorte de supplétif d’une intelligence épistémique supérieure. Dans de nombreuses séquences d’activité, quel que soit le métier, l’intelligence corporelle apparaît au contraire comme la condition nécessaire de l’atteinte du résultat, dans la mesure où c’est dans le corps du sujet que s’enracinent, de manière indissociable, les dimensions sensorielles, émotionnelles et cognitives de la personne. Lorsque, face à la dérive d’une situation, l’intelligence corporelle guide l’action pertinente de l’opérateur et anticipe sur le raisonnement logique, elle témoigne d’un haut niveau de complexité, elle reste guidée par une intention et possède sa rationalité propre. Pour l’analyste du travail, surtout lorsqu’il est formateur, il est essentiel d’approcher une composante aussi essentielle de la compétence. On verra plus loin que certains dispositifs ont été conçus pour faciliter la mise en mots de cette composante tacite de l’activité et d’aider les travailleurs à la développer. Sur le plan de la recherche, la formalisation de cette partie immergée des savoir-faire (tacit skills ou tacit knowledge) pose de redoutables problèmes méthodologiques, surtout dans les métiers de 456
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la relation et plus largement du service. Il est pourtant absolument nécessaire que progressent les travaux de recherche visant à mettre à jour ce qu’il en est des modes de résolution des problèmes rencontrés dans l’action, en particulier dans les métiers de l’humain, du soin, de la relation. Connaître mais aussi libérer le développement de possibles, d’alternatives à ces actes et construire les règles d’un métier vivant. Pastré (2011) propose de s’y atteler en « postulant que l’activité dans son développement est analysable, autrement dit en identifiant quelle est la part d’épistémique dans la pratique ». Nous le suivrons dans cette direction.
4. Le travail au cœur des grandes thématiques de la formation des adultes Ce détour par quelques éléments de compréhension du travail humain était nécessaire avant de passer en revue un certain nombre de thématiques actuelles de la formation des adultes dans le but d’y pointer les relations qu’elles entretiennent ou pourraient entretenir avec la question du travail. Avec en arrière-plan la conviction qu’une prise en compte de l’activité peut renouveler certaines lectures et certaines pratiques de formation.
4.1 La formation au service du développement des adultes Les formateurs d’adultes sont placés dans une situation singulière par rapport aux enseignants scolaires. Parce que le développement de l’enfant est régi par les processus biologiques de la maturation, les enseignants peuvent se centrer sur les apprentissages sans se sentir de responsabilité particulière en matière de développement. De leur côté, les formateurs doivent à la fois tenir compte des apprentissages déjà réalisés par les adultes engagés dans l’action, et favoriser des apprentissages nouveaux susceptibles de libérer, de manière volontariste, le potentiel de développement de leurs publics. Poussant un peu plus loin, on peut avancer que la formation des adultes ne trouve sa raison d’être et son utilité propres que dans la mesure, et seulement dans la mesure, où elle met le développement des personnes au premier rang de ses finalités. Pour argumenter cette proposition, un petit détour est nécessaire pour préciser la notion de développement. Notion centrale mais difficile à aborder, les grands auteurs du passé, comme ceux du présent ne proposant guère de repères aisés au praticien. En formation des adultes, l’expression « développement personnel » désigne indistinctement toutes les formations ne relevant pas de la sphère professionnelle stricto sensu. On trouve sous cette étiquette des pratiques extrêmement variées, où le meilleur côtoie le pire. Cette notion 457
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sera ici utilisée ici dans un tout autre sens en référence à la branche de la psychologie appelée « psychologie du développement », longtemps considérée comme une partie de la psychologie de l’enfant. Avant de chercher à préciser la notion, il convient de régler une question préalable : le développement concerne-t‑il seulement l’enfant ou peut-on envisager la possibilité d’un développement chez l’adulte ? Jusqu’à une période récente, l’étude du développement, dominée par la figure considérable de Jean Piaget, ne concernait que l’enfant ou l’adolescent, et la question semblait réglée. Pour cet auteur, le développement, essentiellement cognitif, résulte d’un processus biologique général de maturation, génétiquement programmé et dont le déploiement final est attendu vers l’âge de quinze ans. L’apparition de stades successifs de capacités mentales de plus en plus complexes, observables empiriquement, puise son énergie à l’intérieur du sujet, dans son fonctionnement biologique. Ce processus biogénétique endogène échappe, pour l’essentiel, à une intervention externe volontariste. Les apprentissages avec autrui ne deviennent possibles qu’à partir du moment où le sujet est en mesure, on pourrait dire naturellement ou structurellement, de réaliser les opérations mentales requises. Ce modèle piagétien a longtemps été la seule référence scientifique disponible, et la formation des adultes y a eu recours, dès la fin des années 1960, pour tenter de répondre aux besoins de formation d’adultes faiblement scolarisés en inventant des « outils de remédiation cognitive ». La perspective proposée par Vygotski est tout autre. Pour lui, l’énergie vitale propre au vivant alimente un « processus ininterrompu d’automouvement » (1931) qui génère une organisation psychique primaire que Piaget a fort bien conceptualisée en termes de « schématisme sensorimoteur ». Dans le même temps, le détail est important, l’enfant est plongé dans un bain d’interactions langagières reliées à des activités pratiques du monde ordinaire, productions langagières gorgées de significations qui vont entrer en résonance avec l’organisation psychique héritée. Il en résulte des entités psychiques qui se détachent de leur substrat biologique inné pour générer ce que Vygotski nomme des « fonctions psychiques supérieures ». On voit que la dynamique du développement procède en quelque sorte de l’extérieur vers l’intérieur, de l’interpsychique vers l’intrapsychique, du social vers l’individuel. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre le titre français d’un ouvrage de Bruner que tout formateur devrait avoir lu : Et la culture donne forme à l’esprit (1991) ou encore l’affirmation par Vygotski que l’apprentissage précède le développement. Pour les praticiens de la formation, plusieurs points sont ici fondamentaux. Premièrement, Vygotski accorde un primat aux interactions avec autrui comme moteur et matériau du développement d’un être qui peut alors être qualifié de « socio-sémiotique ». Deuxièmement, le langage, production sociale porteuse de sens s’il en est, occupe une place doublement centrale et agissante comme médiateur entre l’organisme physique et son milieu et entre les fonctions psychiques héritées et les productions socioculturelles. Ce point a une importance considérable pour justifier les méthodes de formation basées sur la mise en mots de l’activité. Troisièmement, les discordances, les 458
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contradictions, les conflits qui ne manquent pas de survenir entre le déjà-là cognitif et les apports externes ne sont pas mécaniquement et nécessairement générateurs de développement. Processus historique et social autant qu’individuel, du développement peut procéder d’expériences diverses mais il restera toujours contingent, jamais assuré, ni dans sa présence, ni dans sa nature, ni dans son intensité. Cela signifie que des conditions favorables doivent être réunies pour que l’apprentissage engendre du développement, le rôle du formateur ou du manager consistant précisément à créer ces conditions. Nous y reviendrons. Quatrièmement, dans la perspective vygotskienne, le développement n’est pas une genèse inscrite dans un programme fermé mais une histoire qui n’est pas écrite par avance, histoire singulière, ouverte, incertaine, réversible, fragile, et dont le dernier mot reste toujours à écrire. Enfin, on notera qu’avec Vygotski, le développement peut devenir objet d’intervention formative délibérée et outillée. Cet ensemble de caractéristiques conduit à penser que la référence vygotskienne doit occuper une place particulière dans les manières de penser et de faire des professionnels de la formation. Elle leur offre les bases solides d’une théorie du développement chez l’adulte susceptible d’inspirer des méthodes d’intervention solidement argumentées. Cette pertinence conceptuelle et pratique se retrouve sur le plan idéologique, présent dans tout projet éducatif, dans la mesure où la formation des adultes s’est fondée sur le refus de s’en remettre à un ordre des choses sur lequel l’agir humain n’aurait pas de prise. Une pratique qui refuse, par doctrine, les assignations sociales ne peut s’accommoder de s’en remettre à un ordre des choses essentiellement biologique. Dire qu’il n’est de formation des adultes que développementale signifierait-il que l’apprentissage est minimisé, voire congédié de ses perspectives ? Posons que si l’apprentissage est second sur le plan des finalités de l’action du formateur, au bénéfice de la visée de développement, il reste premier dans ses processus d’action. Sur le plan théorique, il est fructueux de distinguer apprentissage des connaissances et développement des capacités cognitives de la personne et de s’interroger sur leurs interactions, mais, sur le plan pratique il est peu utile de les opposer. Si un apprentissage sans développement est parfaitement concevable, un développement qui ne serait pas nourri de contenus signifiants ne saurait se concevoir. L’affirmation de Vygotski selon laquelle l’apprentissage précède le développement doit s’entendre non pas comme une succession temporelle obligée, mais comme un rapport causal. Certains apprentissages « tireraient » en quelque sorte un état psychique pour le déplacer vers un autre état psychique, ce mouvement définissant et signalant le développement. Insistons cependant encore une fois sur le caractère aléatoire de ce déplacement. Il semble bien que seuls les apprentissages qui « font expérience » (au sens de l’épreuve, de l’usage de soi), contiennent un potentiel de développement. Expérience déstabilisatrice de la surprise, de l’écart, du conflit, associant continuité et rupture dans les significations attribuées à ses actes pour ouvrir à des significations nouvelles. La question demeure la même pour le praticien : comment mettre en relation, dans un sens et dans l’autre, expérience et apprentissage pour que leur combinaison soit porteuse de développement ? 459
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Si l’on a bien compris que l’apprentissage renvoie à l’acquisition (l’importation) de connaissances constituées extérieures au sujet, que faut-il plus précisément entendre par développement ? Par souci de clarté, il nous semble utile de distinguer deux objets du développement, sachant que ces objets sont liés. Le développement peut être considéré principalement sous l’angle cognitif. Il porte alors sur les cadres conceptuels de la pensée et correspond à un accroissement, un élargissement de capacités cognitives nouvelles : abstraction anticipation, généralisation, raisonnement, analyse. Ces instruments pour penser le monde et soi-même sont intériorisés et deviennent des composantes à part entière de la personne, et à ce titre vont entraîner des effets transformateurs sur l’identité même de la personne, avec des tolérances individuelles très variables selon l’histoire des sujets. Le terme de « capacité » est ici riche de significations. D’une part, il est en rapport direct avec l’action (être capable de…) ce qui présente une grande importance pour la formation professionnelle. D’autre part, il renvoie à une notion spatiale, la propriété de contenir une certaine quantité de substance. Il s’agirait alors pour l’adulte de dégager en lui un espace disponible « pour penser une tête au-dessus de lui-même » (Vygotski), sachant que le travailleur comme le dit Yves Clot, est toujours plus grand que la tâche ou la place à laquelle il est assigné. Cette image spatiale désigne la fameuse « zone proximale de développement ». Mais le développement ne concerne pas seulement l’extension d’une sphère cognitive isolée du reste de la personne et coupée du monde dans et sur lequel elle exercerait ses fonctions. Le développement ne porte pas seulement sur des capacités potentielles mais également sur des activités potentielles (Clot, 2008). On parlera du développement du pouvoir d’agir sur les situations, les objets, autrui et soi-même, c’est-à‑dire la possibilité pour le sujet de « fonctionner » autrement en mobilisant les ressources tirées de ses fonctionnements antécédents dans un mouvement associant continuité et rupture. Ce pouvoir de déborder l’acte en libérant son potentiel développement s’applique aux pratiques professionnelles, sociales ou personnelles apparemment le plus routinisées, l’idée étant que l’activité ordinaire « comporte toujours un devenir possible [et que] cet inachèvement structurel est l’origine du développement de l’activité » (Clot, 2008). Revenons au travail. Après avoir affirmé qu’il existe un développement chez l’adulte, ajoutons avec Pastré que « c’est dans le travail que la plupart des adultes rencontrent leur développement » et qu’il faut donc « analyser le travail pour y observer des moments de développement ». En posant que l’action du formateur, dans ce qu’elle de plus spécifique, doit viser le développement à travers et au-delà des apprentissages, nous avons voulu exprimer deux choses. Sur le plan cognitif, l’adulte n’est pas une structure achevée capable seulement d’acquérir des informations et des connaissances nouvelles. Sur le plan pratique, il n’est pas enfermé dans la répétition d’actes qui ont réussi. Il possède l’aptitude, à travers des prises de conscience, de générer des restructurations psychiques qui ne soient pas « une simple progression mais une métamorphose des fonctions psychologiques » (Clot 2008). Il est en mesure également de tirer 460
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parti de son expérience passée pour en faire le moyen d’une expérience à venir différente1. Ces processus développementaux toujours contingents, jamais assurés ni prévisibles, dépendent de la « plasticité subjective » des sujets et requièrent au moins deux conditions. La première est la possibilité offerte au sujet, à travers des processus langagiers dialogiques, de confronter ses représentations à la pluralité des points de vue d’autrui, à alimenter sa conflictualité interne à une conflictualité sociale. La seconde « est que la personne concernée élabore cette forme de dépassement du débat qui se traduit par l’attribution de nouvelles significations à ses actes propres et au travail dont ils relèvent » (Bronckart, 2008). Ce sont précisément ces conditions que s’efforcent de remplir certains dispositifs de développement professionnel que nous évoquerons en fin de chapitre.
4.2 Compétence et reconnaissance au travail La compétence, au singulier, est une façon de désigner l’engagement des hommes et des femmes dans le travail comme principe explicatif de l’obtention de la performance. Est compétente l’action intelligente, située, efficiente, déployée pour faire face à la variabilité et à la spécificité des situations. On retrouve strictement la définition du travail que nous avons donnée précédemment et les deux notions se confondent. Si la compétence ne s’enseigne pas mais se construit dans l’action et les interactions, il reste au formateur à comprendre les ressorts de ce déploiement d’intelligence dans une activité qui n’est jamais de simple exécution. La question pourrait être formulée ainsi : pourquoi est-ce que les personnes cherchent à bien faire leur travail, à s’investir subjectivement, à agir avec compétence, et à l’inverse pourquoi souffrent-elles tant lorsqu’elles perdent leur travail ou lorsqu’elles sont empêchées de le faire comme elles pensent qu’il doit être fait, d’un point de vue technique ou d’un point de vue éthique ? Pour percer cette énigme de la volonté de bien faire, il faut replacer le travail proprement dit dans la perspective plus large de la construction de la personne et lui conférer un statut anthropologique. Nous adopterons une conception qui pose que la personne se développe dans l’action et dans les interactions. Dans cette conception, nous sommes avant tout des êtres sociaux, qui « fonctionnent à l’autre », dont l’identité se construit dans le regard d’autrui2. Cette nécessité vitale nous conduit à mener auprès d’autrui, notre vie durant, une quête de reconnaissance 1. La phrase célèbre de Vygotski « l’homme est plein à chaque minute de possibilités non réalisées » peut s’appliquer, simultanément, aux deux dimensions du développement : les capacités cognitives et le pouvoir d’agir. 2. En n’oubliant que nous sommes pour nous-même un autrui. Les êtres humains ont la faculté de réfléchir leur action et de se considérer « soi-même comme un autre ». Ne dit-on pas « à mes propres yeux… » ? Dans son ouvrage Parcours de la reconnaissance (2004), Paul Ricœur intitule sa deuxième étude Se reconnaître soimême. Clot (2010) différencie la reconnaissance par autrui (être reconnu par…) de la reconnaissance dans ce que l’on fait (se reconnaître dans…). En fait, les deux procèdent du même processus psychologique et social.
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de soi dont on voit bien le lien originaire qu’elle entretient avec la question de l’identité. Dans nos sociétés, reconnaître un enfant qui vient de naître, c’est lui conférer une identité et lui attribuer une place dans la société des hommes. Dans ce schéma anthropologique général, le travail occupe une place centrale parce qu’il possède un double statut : il est action productive sur le monde extérieur et action constructive sur notre monde psychique. En ce sens il offre ou il interdit la possibilité d’alimenter notre construction identitaire, sur les deux plans distincts mais indissociables de l’action et des interactions. Du côté de l’action, le travail nous engage dans toutes les dimensions de notre personne et les contraintes qu’il nous impose sont également des opportunités de déployer notre intelligence, notre inventivité, ce que finalement on pourrait appeler notre compétence. Encore faut-il que notre action puisse alimenter une « dynamique de la reconnaissance » (Dejours), c’est-à‑dire le lien social dont nous sommes dépendants pour nous construire comme sujets. C’est à travers différents types de jugements prononcés par les différents membres de nos univers professionnels et privés que le processus de la reconnaissance va se déployer : jugement sur la façon de respecter ou de dépasser les règles de métiers, proféré par les pairs ; jugement sur la qualité du service rendu, proféré par les usagers ou l’employeur. Il est important de noter que ces jugements portent sur nos actes professionnels et leurs résultats, et non pas sur notre personne, même si le travail étant gorgé de la subjectivité de celui qui le réalise, le jugement porté sur l’action fait retour vers son auteur. Lorsqu’un travailleur dit : « Ici, on n’est pas reconnu », il attend que son engagement subjectif dans l’activité industrieuse ne lui procure pas seulement un salaire mais lui ouvre également l’espace d’une construction identitaire par le moyen d’une reconnaissance sociale de sa personne. D’une certaine manière, et en forçant un peu le trait, on peut dire que la reconnaissance précède la compétence au sens où la visée (agir au mieux pour obtenir une reconnaissance par autrui et par soi-même) présuppose sa condition (soumettre au jugement d’autrui un travail de bonne qualité).
4.3 La didactique professionnelle Apparue au début des années 1990, la didactique professionnelle a été portée par la rupture paradigmatique entraînée par « la logique de la compétence » mais aussi par le développement et la diffusion des disciplines des sciences sociales qui étudient le travail. Les textes sur la didactique professionnelle sont aujourd’hui facilement accessibles aux lecteurs praticiens1. Nous nous contenterons ici d’en présenter quelques éléments. La définition que donne de la didactique professionnelle Pastré, son principal théoricien – « l’analyse du travail en vue de la formation » – montre assez que la finalité de la discipline est tournée vers l’action, en l’occurrence la conception de dispositifs et situations de formation professionnelle et l’étude des apprentissages
1. Voir infra, chap. 23.
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qui se font au travail. Les principes sur lesquels repose cette approche peuvent être énoncés en trois points principaux : les adultes – et pas seulement les enfants – sont, dans certaines conditions, capables de développement, notamment dans l’activité de travail ; le travail exige, pour obtenir la performance visée, la réalisation d’opérations mentales multiples et complexes, peu visibles à l’observation et largement méconnues des concepteurs de l’activité, des formateurs et des opérateurs eux-mêmes ; l’action n’est pas seulement utilisatrice de savoirs mais également source d’apprentissage, surtout si la possibilité est offerte aux personnes de faire l’analyse de leur propre action (« Il y a un apprentissage par l’action ; il y a un apprentissage par l’analyse de sa propre action » [Pastré]). Au-delà de l’apprentissage, la didactique professionnelle a pour visée le développement chez l’adulte. Ce qui est recherché, c’est la conception de situations de formation qui prennent en compte non seulement l’acquisition des gestes professionnels immédiatement fonctionnels mais la possibilité de leur développement à partir de l’hypothèse que l’activité recèle toujours le potentiel de son propre développement. Processus toujours contingent, aléatoire, qu’il convient de ne pas entraver mais de faciliter (« Seul un bon apprentissage précède le développement » [Vygotski]). La didactique professionnelle s’intéresse alors aux conditions, notamment sociales, « qui contraignent, inhibent, libèrent ou favorisent l’expression et le développement des compétences » (Mayen, 2008.). La proposition débouche sur la notion d’« ingénierie des compétences », dont on voit qu’elle se différencie nettement, sans l’invalider, de l’ingénierie traditionnelle.
4.4 Les formations à visée développementale Nous avons présenté précédemment comme un impératif l’organisation des situations de formation de telle façon qu’elles soient ouvertes à de possibles développements. Certaines pratiques formatives visent à produire des effets développementaux. Le constat est que notre agir échappant largement à notre conscience, sa mise en mots spontanée est difficile. Cette caractéristique fait obstacle à une reprise réflexive de notre action passée, condition d’une « prise de conscience » susceptible de transformer nos représentations, de modifier les significations installées et de provoquer du développement1. C’est ainsi que différents dispositifs, parfois dérivés de la recherche, ont été conçus pour permettre à des adultes de se mettre en situation d’auto-analyse de leur travail, de produire un discours actuel sur une activité passée, parfois filmée, parfois non. Dans tous ces dispositifs, la production langagière se fait dans l’interaction, dans un dialogue entre la personne en formation et le formateur, parfois en variant les destinataires du discours. Comme l’écrit Jean-Paul Bronckart (2008) « la réflexion humaine, et les
1. Vygotski (1994) : « L’action, passée au crible de la pensée se transforme en une autre action qui est réfléchie. »
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prises de conscience qui en résultent, constituent des processus indissolublement psychiques et langagiers ». L’analyse de l’activité professionnelle est très répandue sous l’appellation générale d’« analyse des pratiques », particulièrement dans les métiers de l’humain (éducation, travail social, soin…). Cette formulation, très imprécise, recouvre des pratiques très hétérogènes sur les plans technique, conceptuel et éthique, et leur lien avec la question du travail est souvent peu construit. Nous n’en traiterons pas ici, pas plus que des histoires de vie sur laquelle existe une abondante littérature1.
5. En guise de conclusion Le terme « formation » est le plus souvent utilisé pour désigner une pratique sociale bien repérée, avec ses institutions, ses savoirs, ses méthodes, ses financements et ses professionnels. En proposant aux formateurs de faire du développement la pierre angulaire de la formation professionnelle, l’organisateur de l’activité des professionnels de la formation, nous avons donné à la notion de formation un sens infiniment plus large, le sens de « construction » de la personne. Le cadre de pensée est alors anthropologique, et l’intérêt se porte sur les processus et le mouvement davantage que sur le fonctionnement des personnes. Ce qui importe au formateur et donne sens à son action, c’est la transformation, le déplacement, fait de continuité et de ruptures, et qui ouvre sur des possibles laissés en jachère, des potentialités non exploitées, des alternatives non advenues, sur une histoire qui n’est pas encore totalement écrite. C’est cette dynamique vitale, qui transforme la structure du psychisme et intervient sur le devenir du sujet, que l’on peut désigner sous le terme de développement. Si elle reste propriété du sujet, enfouie dans son corps et dans son esprit, que vaut l’intelligence qu’il produit et qu’il agit dans l’action ? Si elle n’est pas conscience d’elle-même ; si, par la mise en mots, elle ne devient pas un clapet de transmission, d’échanges et de débats au sein des collectifs de travail, le risque est grand de voir cette intelligence se figer, perdre sa capacité de s’adapter à la variabilité des situations et faire face aux événements, être condamnée à répéter ce qui a bien marché.
1. Nous ne ferons ici que décrire succinctement les fondements et les modalités de ces différentes méthodes. Pour approfondir on pourra consulter : P. Vermersch, L’Entretien d’explicitation, 1994 ; Y. Clot, Travail et pouvoir d’agir, 2008 ; P. Dominicé, L’Histoire de vie comme processus de formation, 2002. Sur les histoires de vie, voir supra, chapitre 15.
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C’est ainsi que, depuis quelques années, on a vu apparaître des dispositifs de formation qui invitent les professionnels à faire l’auto-analyse de leur activité pour en prendre conscience – tant il est vrai que notre propre action nous échappe –, et pour comprendre ce qui a guidé cette action, sur quelles normes elle a été réglée, dès lors que ces normes sont toujours techniques et éthiques à la fois. Il s’agit de comprendre que d’autres choix auraient été possibles dans une « réserve d’alternatives », pour reprendre la formule du philosophe Yves Schwartz (2012). Cette possibilité d’orienter son action, d’explorer d’autres possibles ou, comme le dit Yves Clot, de faire de l’expérience passée la ressource d’une action future différente, relève véritablement du développement de la capacité d’agir des travailleurs. L’intelligence du travail est alors au service du développement de l’intelligence au travail ou, si l’on préfère, de la compétence.
Lectures conseillées Bronckart J.-P. (2008). « Un retour nécessaire sur la question du développement », in Vygotski, Les recherches en éducation et en didactiques des disciplines, Bordeaux, Presses universitaires. Clot Y. (2008). Travail et pouvoir d’agir, Paris, PUF. C lot Y. (dir.) (1999). Avec Vygotski, Paris, La Dispute. Davezies P. (1993). « Éléments de psychodynamique du travail », Éducation permanente, n° 116, p. 33-46. Dejours C. (1995). Le facteur humain, Paris, PUF. Jobert G. (2005). « Engagement subjectif et reconnaissance au travail dans les systèmes techniques », Revue internationale de psychosociologie, vol. XI, n° 24.
Jobert G. (2014). Exister au travail, Toulouse, Érès. Mayen P. (2008). « Dix développements sur la didactique professionnelle et le développement », in Lenoir Y. et Pastré P. (éd.), Didactique professionnelle et didactiques disciplinaires en débat, Toulouse, Octarès. Pastré P. (2011). La didactique professionnelle. Anthropologie du développement chez les adultes, Paris, PUF. Schwartz Y. (2012). Expérience et connaissance du travail, Paris, Éditions sociales. Travail et apprentissages : 2010, n° 6, « Expérience, apprentissages et formation ».
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Chapitre 23 L’ingénierie didactique professionnelle1
1. Par Patrick Mayen, Paul Olry et Pierre Pastré.
Sommaire 1. L’analyse didactique professionnelle du travail..................................................... 470 2. Les invariants de la didactique professionnelle..................................................... 476 3. Une ingénierie des situations................................................................................ 478 4. Pour terminer........................................................................................................ 481 Lectures conseillées.................................................................................................. 482
La formation continue a derrière elle une longue tradition d’ingénierie de la formation. Analyser une demande, analyser des besoins, élaborer des référentiels, construire un dispositif de formation et des ressources, évaluer : autant d’activités d’ingénierie pour la formation professionnelle continue. Si celle-ci s’est constituée historiquement comme un champ de pratiques, il s’agit de pratiques analysées et raisonnées, qu’elle a elle-même inventées et codifiées. Dans cette histoire, la didactique professionnelle a trouvé, depuis sa création (Pastré, 1992, 2011), une place particulière en proposant un cadre conceptuel et méthodologique pour enrichir et prolonger le champ de pratiques de l’ingénierie de formation. C’est notamment, mais pas exclusivement, le cas avec la proposition d’une ingénierie didactique professionnelle. Pastré (1999) la définit ainsi :
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« Son objectif est d’utiliser l’analyse du travail pour construire des contenus et des méthodes, visant à la formation des compétences professionnelles […] afin de repenser l’acte didactique, s’adressant à des adultes, en référence au travail, et au développement des compétences et de l’expérience professionnelle » (p. 403).
Dans cette orientation, l’ingénierie didactique professionnelle vise deux apports principaux à l’ingénierie de formation : –– « Repenser » et remettre l’acte et les questions didactiques en jeu dans la formation professionnelle. D’une part, en identifiant, à partir de l’analyse du travail, ce qui est à apprendre et à développer pour maîtriser le travail, mais aussi ce qui est facteur de complexité, de difficulté dans le processus d’apprentissage. D’autre part, en concevant les parcours et les méthodes de formation, à partir de l’analyse du potentiel formatif du travail, de l’activité des professionnels plus ou moins expérimentés et des parcours par lesquels des professionnels deviennent ou sont devenus des professionnels compétents. –– Proposer aux formateurs une voie originale pour concilier formation et travail en évitant deux écueils : le premier qui consiste à faire de la formation la préparation à l’application de procédures pour s’adapter au travail. Le deuxième qui dissocie la formation des préoccupations et des enjeux de l’activité au travail en reproduisant les oppositions entre pensée et action, théorie et pratique, geste et connaissance, savoir et action. Le savoir y précéderait l’action, l’action serait application de savoirs. En rupture avec cette ligne de pensée, la didactique professionnelle, en revendiquant le primat de la conceptualisation dans l’action, souligne que l’action est aussi pensée, que le savoir est dans l’action, que le geste est connaissance, que le savoir de l’action est original, même lorsqu’il emprunte les savoirs des sciences et des techniques. Par et dans l’activité, les savoirs sont réélaborés pour l’action avec les situations. C’est ce que Vergnaud (1990) a défini comme le processus d’élaboration pragmatique (Mayen, 1997, 1998). 469
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Pour cela, la didactique professionnelle fait du travail et de son analyse le point de départ de la conception de la formation. Elle propose ensuite d’utiliser les situations de travail comme moyen de la formation : soit en les mobilisant pour la formation, telles qu’elles se présentent à l’expérience (comme dans les formations par alternance) ou en les aménageant dans le cadre du travail lui-même (formations en situation de travail, intervention sur le travail pour le rendre apprenant). Soit en les transposant pour concevoir des situations de formation en référence au travail, plus ou moins contextualisées. La forme la plus prototypique, mais qui n’est qu’une forme parmi d’autres, en est aujourd’hui la simulation. Apprendre des situations et par des situations constitue ainsi le premier principe organisateur de l’ingénierie didactique professionnelle (Pastré, 1999). Il ne s’agit pas seulement d’apprendre par l’expérience des situations de travail qui se présentent sur le chemin d’un professionnel, mais aussi par l’expérience de situations didactisées, conçues à partir des situations de travail, et plus ou moins contextualisées. Le second principe organisateur tient à l’idée de la conceptualisation dans et pour l’action. L’action efficiente est intelligente.
1. L’analyse didactique professionnelle du travail Pour cela, l’analyse du travail pour l’ingénierie didactique professionnelle emprunte des voies et des formes originales pour se constituer en ce qu’on peut appeler : l’analyse didactique professionnelle du travail, qualifiée, le plus souvent d’analyse du travail pour la formation. Parler d’analyse didactique professionnelle du travail permet d’éviter de laisser penser que l’analyse du travail pour la formation ne serait que l’usage de concepts et méthodes d’analyse du travail éprouvés par ailleurs. Or l’analyse du travail pour la formation est une forme originale d’analyse du travail, et non pas simplement l’application, pour la formation, de concepts et de méthodes d’analyse du travail existants. L’expérience de la recherche, de l’intervention, mais aussi de la formation de formateurs en didactique professionnelle montre que la simple application de concepts et de méthodes d’analyse du travail conçus pour des finalités d’intervention ergonomique, clinique, organisationnelle, psychologique, conduit à des impasses lorsqu’il s’agit de concevoir des parcours, dispositifs et situations de formation. L’analyse didactique professionnelle du travail qui est une analyse didactique emprunte largement aux concepts et méthodes conçus et développés par les sciences et technologies du travail, mais elle les réélabore. Notamment, parce qu’elle les inscrit dans des finalités et pour des actes spécifiques de formation. La didactique professionnelle a pour but de constituer un corps de connaissances utiles 470
L’ingénierie didactique professionnelle ■ Chapitre 23
pour répondre aux tâches spécifiques des professionnels de la formation et de l’enseignement professionnel. Comme l’ingénierie de formation, l’ingénierie didactique professionnelle se donne comme objectif de dépasser le stade d’une accumulation de pratiques sans principes, pour chercher à fonder rationnellement les pratiques qu’elle entend développer. Elle s’appuie sur des références théoriques à l’interface de l’ergonomie, de la psychologie du travail, de la psychologie des apprentissages et du développement, et enfin, des didactiques. Mais l’ingénierie didactique professionnelle mobilise aussi les connaissances et les techniques de l’ingénierie de formation, car l’agencement que constituent un dispositif et un parcours de formation suppose une intégration des différents éléments qui le composent. Enfin, l’ingénierie didactique professionnelle ne peut pas ignorer les ressources proposées par ce qu’on peut appeler « les » pédagogies, dans ce qu’elles proposent de richesse et d’inventivité pour imaginer et élaborer des conditions potentielles optimales d’apprentissage et de développement, diversifiées, ouvertes à la diversité des publics, des objets d’apprentissage et des conditions de formation disponibles.
1.1 Les fonctions de la notion de situation en ingénierie didactique professionnelle En ingénierie didactique professionnelle, les situations de travail ont trois fonctions : elles sont les finalités de la formation, car l’enjeu de celle-ci est d’aider les professionnels à construire et développer des compétences pour la maîtrise des situations de travail. Elles sont moyens, parce que c’est par l’activité en situation et avec des situations plus ou moins didactisées et contextualisées mais toujours référées au travail, que les apprentissages peuvent s’engager et se développer. Enfin, elles sont origine, ce qui justifie la nécessité de l’analyse du travail pour la formation. Les situations sont origine parce qu’en formation professionnelle, ce ne sont pas les savoirs, scientifiques ou techniques, ni les procédures et modes opératoires, qui sont premiers. –– Ce sont les situations, avec leurs buts, leurs objets, leurs conditions, leurs problèmes, leurs systèmes d’instruments, leur complexité, leurs risques, leurs défis, leurs variables agissantes : autrement dit, ce à quoi des professionnels ou futurs professionnels ont ou auront affaire, ce avec quoi ils ont ou auront à faire. Les situations sont des systèmes de composantes et, si l’apprentissage de l’action avec le « système situation » est l’objectif final de la formation, l’apprentissage de ses composantes est aussi un objectif. –– C’est aussi l’activité des professionnels, dans, avec et sur ces situations, parce que l’activité actuelle et à venir est l’enjeu de la formation : quels sont les problèmes, difficultés, préoccupations, erreurs, points aveugles, méconnaissances, prises de risques mal connues, qui limitent les capacités d’action des professionnels et réduisent leur pouvoir d’agir ? Quelles sont, enfin, les formes d’action et de raisonnement éprouvées et efficientes, les savoirs, 471
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les inventions et l’intelligence en jeu que les professionnels expérimentés ont construits et mobilisent pour maîtriser les situations ? L’ingénierie didactique professionnelle de la formation s’organise ainsi en fonction de l’activité actuelle et à venir des professionnels, activité qui ne se réduit ni à l’application de savoirs, ni à l’application de procédures, pour des situations qui ne sont ni disciplinaires, ni pluridisciplinaires, ni seulement techniques, et encore moins purement théoriques ou purement pratiques. Par conséquent, pour la formation, l’analyse du travail, c’est-à‑dire, conjointement, l’analyse des situations, et l’analyse de l’activité de ceux qui sont amenés à agir avec elles, est première dans la démarche d’ingénierie. L’analyse du travail est donc analyse des situations et analyse de l’activité. Aujourd’hui, de nombreux courants de l’analyse du travail ou de l’analyse de l’activité sont présents dans le champ de la formation et de l’ingénierie de formation : ergonomie, technologie du cours d’action, ergologie, clinique de l’activité. L’idée de l’analyse du travail pour la formation n’est pas le monopole de la didactique professionnelle. Mais, on l’a évoqué, les concepts et méthodes issus de l’ergonomie ou de la psychologie du travail ne sont pas empruntés par la didactique professionnelle sans être réélaborés. Analyser le travail pour la formation ne se réduit pas à analyser le travail comme un ergonome, un psychologue du travail, un clinicien de l’activité. L’analyse didactique professionnelle du travail vise à analyser le travail « comme un formateur ». Ce qui signifie que, tout au long de la démarche, les enjeux de formation dirigent l’activité du formateur analyste du travail. Analyser le travail pour la formation réorganise et réélabore les méthodes pour répondre aux questions posées par la conception de toute formation professionnelle, mais elle le fait en considérant le travail dans ses spécificités : milieu professionnel, monde de relations sociales, tension entre ce qui doit être fait et originalité de l’activité qu’une personne peut déployer, etc. Ainsi, il ne suffit pas de faire une « bonne » analyse du travail et de comprendre le travail, à la suite de quoi s’imposeraient alors de bonnes formes pour l’apprentissage et le développement des compétences. L’analyse du travail est une analyse didactique du travail. Elle cherche à répondre aux questions déjà évoquées : à quoi des professionnels ont ou auront à faire ? Qu’est-ce qu’ils doivent donc être à même de découvrir, connaître, comprendre ? Qu’est-ce qui est à faire et comment peut-on le faire pour maîtriser les situations, c’est-à‑dire pour combiner les impératifs de qualité de ce qui est produit et de qualité de l’activité des professionnels, pour leur santé, leur satisfaction, voire leur développement individuel ? L’analyse s’attache à mettre en évidence ce que sont les complexités du travail, ses exigences, ses risques, ses contraintes, ses ressources afin d’en faire quelque chose pour la formation. 472
L’ingénierie didactique professionnelle ■ Chapitre 23
Pour ce faire, l’analyse didactique du travail combine une analyse des situations en tant qu’environnement et conditions données de l’activité, et une analyse de l’activité avec ces situations : activités de professionnels plus ou moins expérimentés et plus ou moins « compétents ». L’analyse est alors celle des formes d’action, de connaissance et de raisonnement efficientes, voire expertes qu’ils mettent en œuvre. Mais c’est aussi l’analyse des difficultés, obstacles, complexités ressenties, problèmes rencontrés, erreurs, biais, manques de compétences ressentis et agis. Car c’est précisément cela que la formation doit prendre en compte pour en faire quelque chose et aider les personnes à en faire quelque chose en développant leurs compétences. On a donc bien affaire à une analyse didactique au sens où il s’agit d’identifier ce qui est à apprendre et à développer, mais aussi ce qui fait obstacle et difficultés parce que c’est là le principal enjeu de la formation. Sinon, comment penser la formation sans partir des tâches à accomplir, de la complexité et des problèmes à résoudre, comment construire la formation sans commencer par connaître les situations pour lesquelles des capacités sont à construire ? Comment connaître ce qu’il faut savoir et savoir-faire sans connaître les situations pour lesquelles ils sont utiles ? Comment organiser un agencement de situations de formation sans identifier une progressivité dans la complexité des situations, sans anticiper les points critiques de l’apprentissage : sources d’erreurs, prises de risques, biais de raisonnement, points aveugles et ignorances, sans distinguer ce qui est difficile pour un débutant et ce qui l’est encore pour un professionnel expérimenté ? Mais l’analyse didactique professionnelle du travail a aussi une deuxième fonction. C’est une analyse des conditions et des processus d’apprentissage et de développement professionnel.
1.2 L’analyse didactique professionnelle du travail : analyse des conditions et des processus d’apprentissage et de développement professionnel Cette part de l’analyse didactique professionnelle du travail se distingue en deux volets. Le premier consiste à analyser le potentiel d’apprentissage et de développement, ou encore, le potentiel formatif des situations de travail. Le but est double : –– identifier les situations dont le potentiel d’apprentissage peut être mobilisé dans la conception d’un parcours de formation ; –– identifier les situations de travail à faible potentiel d’apprentissage afin soit d’intervenir sur et dans les situations pour accroître ce potentiel, soit de concevoir des situations didactiques au potentiel d’apprentissage élevé, hors des situations de travail. Le second volet consiste à analyser les parcours d’expérience par lesquels des professionnels sont devenus des professionnels plus ou moins expérimentés et plus ou moins compétents. L’idée 473
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didactique est simple : pour concevoir des parcours de formation efficients, il est possible de s’inspirer des parcours (de vie, de travail, de formation) qui ont conduit des professionnels à devenir des professionnels compétents, dans une sorte de démarche de transposition didactique des parcours. Mais il est aussi nécessaire d’identifier quels parcours ont limité, inhibé les processus d’apprentissage et de développement afin de concevoir des parcours de qualité. On voit ici que l’analyse didactique professionnelle du travail est aussi une analyse dynamique des parcours professionnels, qui s’étend aux parcours de vie. On voit aussi que l’ingénierie didactique professionnelle de la formation est, non seulement, une ingénierie de la formation par les situations, mais une ingénierie didactique des parcours. C’est pourquoi la didactique professionnelle mobilise la notion d’expérience. L’expérience se fait, pour une personne, avec des situations, et l’activité qui résulte de l’interaction de cette personne avec les situations constitue une expérience de plus ou moins grande qualité pour les expériences ultérieures. La qualité de l’expérience dépend, pour partie, du potentiel de chaque situation, mais aussi du potentiel constitué par l’enchaînement des expériences vécues avec des situations qui se succèdent et s’enchaînent. La qualité de l’expérience dépend aussi de ce qu’une expérience peut être eue ou peut être faite, ainsi que l’écrit John Dewey (2011). Pour qu’une expérience soit faite et entraîne des apprentissages, des conditions sont nécessaires. On va y revenir plus loin puisque ces conditions concernent directement l’ingénierie didactique, c’est-à‑dire l’agencement des conditions pour engager et soutenir des activités porteuses d’apprentissages. L’analyse du potentiel d’apprentissage des situations et des parcours débouche directement sur la conception des situations formatives et des parcours de formation. Elle répond à la question : comment des personnes peuvent-elles devenir des professionnels expérimentés et compétents ? Cette question intéresse la didactique professionnelle comme champ de recherche, mais elle intéresse fondamentalement la didactique professionnelle comme technologie pour l’ingénierie de formation. Une des fonctions de l’analyse didactique du travail consiste donc à analyser ce qu’on peut appeler le potentiel d’apprentissage et de développement du travail. En effet, pour concevoir des parcours de formation qui utilisent les situations de travail et l’expérience professionnelle, comme c’est le cas, par exemple, dans toutes les formes de formation par alternance, on a besoin de pouvoir définir le potentiel formatif des situations de travail. Comme on l’a noté un peu plus haut, cette analyse vise plusieurs buts : premièrement, repérer les situations au potentiel d’apprentissage élevé afin de les proposer à ceux qui se forment, dans le cours de leur parcours de formation.
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Deuxièmement, identifier les situations dont le potentiel formatif peut être accru, par des aménagements de ces situations : –– Des aménagements organisationnels, techniques, ou managériaux des situations professionnelles elles-mêmes, qui optimisent les activités d’apprentissage. Par exemple, en suggérant aux encadrants de proposer des tâches suffisamment complexes pour entretenir et développer les capacités d’action, ou associer les professionnels aux décisions concernant leur travail… On est bien dans l’ingénierie didactique au sens où l’objectif d’intervention sur le milieu de travail a pour but d’optimiser les processus d’apprentissage en suscitant des activités à potentiel d’apprentissage élevé ; –– Des aménagements par l’adjonction de « ressources » formatives. Il s’agit ici de mettre en place des conditions d’étayage de l’apprentissage. Étayage documentaire, étayage humain, en organisant un compagnonnage ou des formes de tutorat qui, à partir des situations de travail, avec elles et en situation de travail, visent à développer le potentiel formatif d’une situation ou à le compléter ou à le compenser lorsqu’il est insuffisant pour des objectifs donnés. –– L’« aménagement » par l’agencement de plusieurs situations afin de composer un parcours. Le potentiel d’apprentissage d’une situation est fonction de l’expérience vécue, au sein d’un parcours, avec d’autres situations : • autres situations de la même classe : l’apprentissage va résulter de la confrontation à la diversité et à la variabilité de plusieurs situations, des processus de comparaison, des exigences d’ajustement de l’action pour des situations de la même classe, des processus de généralisation et de conceptualisation des invariants communs aux situations et des variations entre celles-ci… • progressivité dans la complexité au sein de la classe de situations ; • expérience de l’activité dans des situations de familles différentes qui s’enchaînent. Gagneur (2010), dans une recherche consacrée au travail viti-vinicole montre ainsi que les professionnels les plus actifs d’un groupe de coopérateurs vivent des expériences à fort potentiel d’apprentissage et de développement, par l’activité de l’ensemble des situations viticoles, mais que celle-ci est élargie et développée par leurs activités vinicoles à la cave. Il montre aussi que ceux qui échangent le plus avec les autres, en circulant dans les parcelles, découvrent et connaissent les situations viticoles des autres. Ce qui développe leur compréhension du travail viticole par élargissement et par comparaison et la conceptualisation de l’action pour ces situations. –– Enfin, dernier point, l’usage didactique des situations est aussi fonction des possibilités d’analyse des situations et de l’activité vécue avec ces situations : analyse réflexive, débriefing, analyse de l’expérience, individuelle ou collective qui transforment l’expérience des situations.
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Toutefois, l’usage direct ou aménagé des situations de travail telles qu’elles se présentent ou telles qu’on peut les aménager ne suffit pas ou, plutôt, peut ne pas suffire. L’analyse du travail peut mettre en évidence le fait que les situations de travail ont un faible potentiel d’apprentissage et de formation, qu’elles limitent, inhibent les apprentissages, souvent, même, le maintien en état des capacités, qu’elles limitent et inhibent les possibilités d’action, de compréhension, de raisonnement, de pensée. L’analyse du travail peut aussi montrer, plus simplement que, les situations de travail qui seront à maîtriser n’existent pas dans tel milieu professionnel ou que les instruments sont obsolètes ou que les pratiques en cours sont justement celles qui font l’objet d’objectifs d’évolutions. Enfin, les milieux de travail peuvent aussi ne pas se révéler aménageables et limiter ainsi les potentialités d’apprentissage. Dans ce cas, la conception de la formation va avoir à procéder à une succession d’élaborations didactiques à partir des situations de travail, finalisées par la maîtrise de ces situations de travail. C’est dans ce sens que la didactique professionnelle a recours au concept didactique de transposition, mais en lui faisant subir une certaine torsion. Les formes de conception de situations de formation à partir des situations de travail sont en nombre indéfini mais pas infini. Mais le processus d’élaboration comporte un certain nombre d’invariants que nous allons définir maintenant et qui sont les outils même de l’ingénierie didactique professionnelle.
2. Les invariants de la didactique professionnelle Dans l’idée de savoir-faire, ce que retient la didactique professionnelle, c’est qu’il y a du savoir dans le faire. Ou encore, au cœur de la compétence, la conceptualisation. Gérard Vergnaud (1996), plus que de chercher à définir ce que serait la compétence, répond en cherchant à comprendre ce qu’est un professionnel compétent, ou, plus exactement, ce qu’est un professionnel plus compétent, non pas dans une perspective comparative entre professionnels, mais dans une perspective génétique. L’une des définitions revient à dire qu’un professionnel plus compétent peut faire face à plus de situations de la même famille, autrement dit à un plus grand spectre de diversité de situations, et à une plus grande variation des situations. Les notions de diversité et de variabilité sont des briques essentielles pour l’ingénierie didactique professionnelle de la formation. Au sein d’une même catégorie d’emploi, ou d’un même métier, ou au sein même d’une famille de situations, la diversité est de mise. Aucune situation n’est strictement identique à une autre, et 476
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les différences peuvent s’avérer importantes : différences dans les agencements organisationnels, dans la nature des outils et systèmes techniques, différences dans les caractéristiques des usagers et bénéficiaires, différences dans les pratiques admises, différences dans les produits et dans le niveau de qualité attendue, etc. Or un professionnel compétent peut être défini comme un professionnel, non pas qui s’adapterait à toutes ces situations, mais comme un professionnel qui peut parvenir à maîtriser une large famille de situations, dans leur diversité. La notion de diversité met en évidence le fait que le travail ne peut pas se réduire à l’application de procédures, au déploiement de routines. La variabilité tient aux nombreuses variations qui peuvent intervenir au sein d’une même situation de travail, en cours d’action, d’un jour à l’autre. Les variations peuvent consister en un accroissement de la complexité, des risques, en évolution d’une situation normale à une situation dégradée, en la survenue d’aléas, problèmes, événements qui perturbent le processus de travail et l’activité des professionnels. Les variations rendent le travail problématique, au sens où elles mettent les routines à l’épreuve, obligent à penser. De la diversité et de la variabilité, la didactique professionnelle tire plusieurs conséquences pour la formation et sa conception : Tout d’abord, comme le montre Pastré, dès 1992, la maîtrise d’une classe de situation, intégrant donc celle de la diversité et des variations des situations, ne relève pas que d’un accroissement du nombre de procédures ou modes opératoires disponibles, même s’il est indispensable de connaître et de disposer d’une gamme étendue de manières de faire. Il est indispensable de changer de registre de fonctionnement. Dans le travail, on peut arriver à la réussite par hasard, par essais et erreurs, par application systématique d’un modèle opératoire standard, par recours empirique à un répertoire de cas rencontrés dans le passé, ou par l’utilisation d’une représentation conceptuelle de la situation qui permet, jusqu’à un certain point, la généralisation et le transfert. L’indicateur de compétence est donc la stratégie mobilisée par un sujet. La dimension événementielle du travail, la complexité des systèmes, techniques, mais aussi des systèmes administratifs, de service ou de santé, la fragilité des régimes de fonctionnement de ces systèmes conduisent à ce qu’une des fonctions principales du travail revient à prévenir, à ajuster, à compenser l’apparition de déséquilibres de fonctionnement, conduisant à des régimes dégradés, générateurs de défauts, d’incidents, ou de dérives. On parle de système dynamique pour désigner un système qui ne se transforme pas seulement sous l’action de son conducteur ; il évolue aussi en fonction de sa propre dynamique. Aussi la compétence consiste à articuler la connaissance du résultat de ses propres actions et celle des processus internes au système. Par ailleurs, ces systèmes sont trop complexes pour que le professionnel puisse contrôler dans le détail la totalité du champ 477
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de travail. Il doit se contenter d’une représentation schématique, qui tienne compte d’une pluralité de temporalités dans le déroulement du processus. La stratégie efficiente ne peut plus reposer sur une régulation rétroactive, qui, dès la perception d’un déséquilibre, réagirait par une correction. Car, à ce jeu, le professionnel est toujours en retard sur l’événement. Il faut donc anticiper la survenue des déséquilibres, piloter devant son avion, dit Amalberti (1996). Ce qui suppose une bonne maîtrise des connaissances sur le fonctionnement du système. Être compétent, ce n’est pas simplement savoir exécuter, c’est tout autant savoir comprendre et analyser ce qu’on fait. C’est maîtriser ces formes d’activité de diagnostic, de fabrication d’hypothèses, de recherche d’indices, de construction de scénarios d’action alternatifs, bref, ce qui fait l’intelligence du travail. Car c’est la manière la plus judicieuse de pouvoir ajuster ses modes opératoires à des situations éloignées des situations les plus prototypiques, voire d’en inventer afin d’affronter des situations inédites.
3. Une ingénierie des situations Tout ceci n’est pas que constats mais ressources pour l’ingénierie. Si le travail est constitué de diversités, de variations, s’il a un caractère dynamique, si incidents, dérives, événements le composent, c’est bien cela qui est alors à connaître, comprendre et c’est en relation à cela que l’action en tant que capacité d’action, doit se construire. Si le travail exige diagnostics, prises d’informations, inférences, raisonnements, anticipations, puis construction de scénarios d’action, prises de décision, contrôle de son action et du processus, alors, la formation doit proposer à ceux qui apprennent de découvrir, comprendre, explorer ces formes d’activité, de les expérimenter et de les entraîner. L’ingénierie didactique professionnelle consiste donc à reprendre, pour la conception des situations et des agencements de situations, les composantes, les caractéristiques, et les formes d’activité requises de ces situations. Ainsi, l’ingénierie didactique professionnelle introduit dans les situations de formation, les formes, la nature et les degrés de variations dont les professionnels ou futurs professionnels ont ou auront à faire l’expérience dans leur travail. Ceci afin de les amener à les découvrir ou les redécouvrir, à les identifier, à apprendre à en repérer les indicateurs afin de prendre ou de rechercher les informations nécessaires pour définir leur état ou leur évolution. Ainsi, l’ingénierie didactique professionnelle et l’intervention formative didactique professionnelle viseront à stimuler les formes d’activités de prise d’information. Si l’analyse du travail révèle des biais de perception, d’interprétation, elle introduira des exercices, des mises en situation, comportant le risque de survenue de ces biais, et les conditions pour en constater les effets et les causes. Lorsque certains phénomènes sont identifiés comme peu perceptibles, par exemple parce qu’ils sont à distance, spatiale ou temporelle, ou « cachés », l’ingénierie didactique professionnelle cherche à concevoir des moyens de les faire découvrir, de les faire percevoir et modéliser. Si des décisions d’action sont à prendre fréquemment dans le travail, la formation doit comporter de nombreuses situations de prise de décision, à propos 478
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de la même classe de phénomènes que celle qui est en jeu dans le travail. C’est là qu’on peut percevoir le projet de l’ingénierie didactique professionnelle : quand on a affaire à des environnements de travail dynamiques, ni l’apprentissage sur le tas, ni l’apprentissage des procédures et modes opératoires, ni l’apprentissage des savoirs scientifiques et techniques, ne suffisent à assurer la construction d’une bonne coordination de l’action. Il faut que la pratique du travail, sa découverte, en acte, et l’analyse du travail soient étroitement articulées. Proposer des situations qui conduisent à penser la situation, avec ses composantes, phénomènes et événements, et à penser l’action avec la situation, c’est amener les apprenants à analyser le travail et à leur ouvrir les voies de la découverte et de la construction de leurs capacités d’action.
3.1 La conceptualisation comme organisateur de l’ingénierie didactique professionnelle de la formation Savoir comprendre pour mieux savoir faire : tous les éléments convergent pour pointer le rôle central de la conceptualisation dans l’action. Dans le prolongement de Piaget, celui de Réussir et comprendre (1974), revu par Vergnaud (1996), la dynamique des compétences peut être décrite comme le passage d’une coordination agie de l’action à une coordination conceptuelle. Celle-ci procède en distinguant le plan du réel et de l’action et le plan de la représentation : les actions sur le réel sont représentées sous forme d’opérations, qui peuvent être réalisées mentalement, ce qui permet de mettre en œuvre des stratégies d’ensemble, qui peuvent s’étendre au-delà de la configuration hic et nunc de la situation, vers le futur, le lointain, le non perceptible, le virtuel. « L’action est une connaissance autonome », affirme Piaget (1974). Les compétences relèvent de cette forme opératoire de la connaissance, distincte de sa forme prédicative, énonciative. Mais, c’est parce que l’action est organisée à un niveau conceptuel, qu’elle permet une souplesse dans l’ajustement aux circonstances à partir d’un noyau invariant qui organise les perceptions, les interprétations, et l’action : ce noyau est constitué par ce que Pastré (1999) a appelé la structure conceptuelle d’une classe de situation, à savoir, les principales variables agissantes pour l’action dans et avec cette classe de situation et par ce que Vergnaud (1990) a appelé théorèmes en actes, ou, plus simplement, propositions tenues pour vraies sur le réel : lois, principes en jeu pour une classe de situations. L’activité de conceptualisation se traduit donc par double mouvement, de contextualisation et de décontextualisation. Au début d’un apprentissage, un professionnel peut apprendre d’abord à maîtriser la situation prototypique, la situation en mode « normal », la plus courante, au sein d’une famille de situations, plus diversifiées, plus complexes, plus variables. À ce stade, l’application d’une procédure pourrait suffire. Mais le professionnel en rencontrant diversité, variabilité et problèmes nouveaux, et en les réinterprétant par une activité consciente, systématique, outillée et étayée, le plus souvent par un formateur, un pair, un plus expérimenté, est amené à prendre 479
Traité des sciences et des techniques de la formation
conscience que l’action prototypique ne peut pas suffire et que la situation sur laquelle il agit peut « fonctionner » selon des configurations variées. Il faut construire un répertoire de manières d’agir pour répondre à ces variations. Enfin, pour coordonner tout cela, il lui faut se construire une représentation de la logique de la situation, plus exactement, de sa structure conceptuelle : les principaux concepts et principes qui permettent de réaliser les opérations de diagnostic, de prise d’informations, d’inférences contrôlées et dirigées, d’anticipation, etc. La conceptualisation se traduit par une série de mouvements : une distance vis-à‑vis de la situation et de l’action avec la situation, au cours de laquelle la pensée consciente, systématique, volontaire, est sollicitée, une exploration et l’expérience de la classe de situation, dans sa diversité, ses variations, son étendue, la prise de conscience des principales variables et phénomènes agissants en jeu dans le système composé de la situation objective et de l’action avec la situation, puis leur construction sous la forme de représentations fonctionnelles, de concepts, de principes et lois. Lorsque des savoirs scientifiques, techniques, de métier, sont découverts comme des instruments pertinents pour l’action et la compréhension de la situation, ceux-ci ont à « subir » un processus d’élaboration pragmatique, par leur manipulation dans et pour l’action, pour analyser et pour élaborer l’action afin, littéralement de les incorporer à l’action (Leplat, 1997).
3.2 Une pédagogie des situations Quand un acteur est engagé dans une situation, trois caractères peuvent résumer sa posture : il est confronté à la complexité, à l’incertitude et à l’interactivité. La complexité désigne le fait qu’une situation est une totalité dynamique insécable. L’incertitude indique sa dimension événementielle, son côté non programmable. Ces deux caractères font qu’elle n’est pas décomposable en une suite d’opérations. L’interactivité désigne le fait que l’unité essentielle est celle du sujet avec la situation. Il agit sur et transforme la situation, mais celle-ci agit sur son action et le transforme lui-même. Il peut, dans ce sens, apprendre d’elle. On peut parler de pédagogie des situations pour désigner, comme on le développe tout au long de ce texte, la conception et l’usage formatif des situations pour apprendre à maîtriser les situations. La simulation, en tant que telle, n’est qu’une forme parmi d’autres des formes d’une pédagogie des situations. Mais, au sens le plus fort, la simulation signifie imitation plus ou moins proche, d’une situation professionnelle de référence. Des simulateurs ont été conçus comme des substituts du réel, permettant des apprentissages sans risques. Les simulations, dans un sens élargi, n’ont pas seulement pour but de simuler les situations réelles et d’éviter les risques, mais de proposer à l’activité, ce que les situations réelles ne permettent pas d’apporter à des fins d’apprentissage : diversité, variations, manipulation d’échelles temporelles et spatiales étendues (on peut revenir aux causes et anticiper, percevoir des conséquences de l’action), accès à ce qui n’est pas immédiatement perceptible, arrêts ou ralentissement de l’action, possibilités de se tromper, de manifester ses hésitations et doutes, de s’arrêter pour réfléchir, recommencer, découvrir des 480
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aspects méconnus de l’environnement de travail, discuter, justifier, etc. Elles peuvent aussi organiser une progressivité en accentuant la complexité, en isolant des sous-systèmes pour les faire découvrir et manipuler. Simulations, études de cas, jeux de rôle, mises en situation, ne sont pas des formes pédagogiques nouvelles. Elles trouvent un enrichissement spécifique à la didactique professionnelle lorsqu’elles sont conçues à partir des exigences du travail et pour la maîtrise des situations de travail, et lorsque leur usage amène les apprenants à entrer dans des activités « réfléchies », autrement dit des activités qui obligent à penser de manière consciente, volontaire, dirigée, outillée, afin d’investiguer la complexité des situations et d’y trouver des moyens d’agir. L’activité avec les situations est à la fois une activité effective, par laquelle l’intelligence est stimulée et étayée, mais elle est, indissociablement, une activité d’analyse du travail : analyse des situations de travail, analyse de l’activité, la sienne et celle des autres. Les possibilités construites pour engager ce que Deledalle (1967), à partir de Dewey, nomme des « parenthèses intellectives dans un continuum non intellectif » correspondent ainsi à des formes d’activités réfléchies qui peuvent intervenir tout au long de la formation : avant, lorsqu’il s’agit d’analyser l’état ou la dynamique d’une situation avec laquelle et sur laquelle on va agir, d’expliciter et d’argumenter son diagnostic, ses pronostics, les hypothèses d’action ; pendant, grâce aux pauses que les situations de formation proposent, les activités de contrôle, de feedback sur son action, d’analyse du processus en cours, d’ajustement de l’action ; après, par les différentes formes de débriefing, plus ou moins à distance spatiale ou temporelle de l’action et de la situation, à partir de différentes traces de l’activité, seul ou en groupe. Au cours de ces séquences qui correspondent à des formes d’expérimentation des situations, la recherche de « ressources », et notamment des savoirs et des techniques, puis leur transformation en instruments de pensée et d’action pratiques, en organisateurs de l’activité (le processus d’élaboration pragmatique), trouvent toute leur place.
4. Pour terminer La pédagogie des situations, en didactique professionnelle, part de l’idée selon laquelle, en formation professionnelle, les individus en formation, ont ou auront à maîtriser des situations, complexes, incertaines, diversifiés, interactives. Le rôle de la formation professionnelle consiste à les amener à découvrir ou redécouvrir, construire et reconstruire ces situations et l’action avec ces situations que le travail propose ou impose. Les objectifs d’une ingénierie didactique professionnelle ne consistent pas d’abord en l’apprentissage de procédures (quoiqu’elle ne néglige pas leur importance comme répertoire d’instruments disponibles), ni en l’acquisition de savoirs scientifiques ou techniques (même si leur appropriation pragmatique est essentielle dans la 481
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plupart des cas). Ils consistent à mettre les apprenants en situation de faire des expériences des situations de travail. Faire des expériences, autrement dit : découvrir, explorer, analyser, connaître, comprendre, raisonner et agir, avec les situations de travail. Pour faire ces expériences réfléchies, la conception d’une gamme de situations didactiques, plus ou moins contextualisées, reprenant aux situations de travail, leurs caractéristiques les plus agissantes, qui sont celles qui sont à maîtriser, correspond à l’ingénierie didactique. Mettre en scène les dimensions problématiques de l’action en situation, faire jouer les variables et conduire l’analyse de l’activité représentent les trois tâches principales des formateurs. Plusieurs situations didactiques issues d’une même famille de situations de travail sont souvent nécessaires. Leur agencement compose le parcours de situations. Par les activités qu’elles suscitent, et par les activités que les formateurs stimulent, étayent, contribuent à outiller, c’est la construction de l’intelligence de l’action qui est visée.
Lectures conseillées Amalberti R. (1996). La conduite de systèmes à risques. Paris, PUF, coll. « Le travail humain ». Deledalle, G. (1967). L’idée d’expérience dans la philosophie de John Dewey, Paris, PUF. Dewey, J. (2011). Démocratie et éducation, Paris, Armand Colin. G agneur C.-A. (2010). Conversations professionnelles, sources et ressources du développement, thèse pour le doctorat en sciences de l’éducation, université de Bourgogne, Agrosup Dijon. Leplat J. (1997). Regards sur l’activité en situation de travail (140-166), Paris, PUF. Mayen P. et Lainé A. (2014). Apprendre à travailler avec le vivant, Dijon, Éditions Raison et passions.
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Pastré P. (1992). Essai pour introduire le concept de didactique professionnelle, thèse pour le doctorat en sciences de l’éducation, université Paris V. Pastré P. (2009). « L’ingénierie didactique professionnelle », in Carré P. et Caspar P. (coord.), Traité des sciences et des techniques de la formation, 3e éd., Paris, Dunod. Pastré P. (2011). La Didactique professionnelle, Paris, PUF. V ergnaud G. (1990). « La théorie des champs conceptuels », Revue de didactique des mathématiques, vol. 10, 2-3, 133-170. Vergnaud G. (1996). « Au fond de l’action, la conceptualisation », in Barbier J.-M. (dir.). Savoirs théoriques, savoirs d’action (275-292), Paris, PUF.
Chapitre 24 L’apprentissage en situation de travail1
1. Par Étienne Bourgeois et Sandra Enlart.
Sommaire 1. Contexte : l’engouement pour les pratiques d’AST................................................ 485 2. Panorama des dispositifs d’AST dans les organisations......................................... 488 3. Des questions théoriques soulevées par l’AST....................................................... 491 4. En conclusion........................................................................................................ 498 Références de base.................................................................................................... 499
La présente contribution a pour objectif de faire le point sur un phénomène qui traverse aujourd’hui massivement le monde des organisations, à savoir, le développement des pratiques dites d’« apprentissage en situation de travail » (AST). Dans un premier temps, nous nous pencherons sur l’engouement actuel pour ce type de pratiques, tentant d’en cerner différents facteurs liés aux évolutions récentes du contexte dans lequel elles s’inscrivent. Ensuite, nous tenterons de cerner de plus près en quoi précisément consistent ces pratiques d’AST. Nous proposerons à cet effet une typologie permettant de rendre compte de leur diversité sur le terrain. Enfin, nous proposerons quelques balises théoriques, offrant non seulement des clés pour saisir les processus à l’œuvre dans l’AST, tant du côté des individus que des organisations, mais également des pistes pour améliorer ces pratiques en connaissance de cause.
1. Contexte : l’engouement pour les pratiques d’AST
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Pourquoi l’apprentissage en situation de travail est-il aujourd’hui l’objet d’un tel engouement ? Pendant plusieurs décennies, au contraire, la formation a été pensée, organisée et valorisée en dehors de l’activité professionnelle. Une des premières conditions d’une « bonne » formation consistait à extraire le salarié1 de sa situation de travail. En lui permettant de prendre du recul physiquement, on considérait – et on considère toujours en général – que l’investissement serait meilleur, facilitant ainsi l’apprentissage. Par ailleurs, si l’on prend l’exemple du droit français, la formation est historiquement un droit individuel appréhendé en termes de temps libéré pour apprendre2. L’action de formation, jusqu’à la loi de 2014, se définissait au travers d’« heures formation » qui se déroulaient en dehors du lieu mais sur le temps de travail. Plusieurs évolutions récentes ont contribué à proposer d’autres perspectives, dont l’apprentissage en situation de travail. Ces évolutions sont d’ordre sociétal, organisationnel, démographique, économique et pédagogique. Leur combinaison est en train de transformer en profondeur le regard que nous portons sur les processus d’apprentissage, relayé par des approches théoriques renouvelées. La toile de fond de tous ces changements concerne la « révolution digitale ». Au-delà de l’expression très générale, c’est l’ensemble des changements induits par l’accès total, rapide, permanent et gratuit à l’information. Une première conséquence de cet accès illimité est souvent qualifiée d’infobésité ; et du même coup, le traitement d’informations en flux continu
1. Par souci de lisibilité, nous utiliserons le masculin pour désigner indifféremment les deux genres. 2. Loi de 1971.
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est devenu une caractéristique majeure de nos sociétés. Le monde du travail n’échappe pas à ce phénomène, bien au contraire. Il l’amplifie sans doute. En ce qui concerne la formation, là aussi, le digital a profondément changé la donne : ce qui était rare est devenu abondant, ce qui était cher est devenu gratuit. Et même si on a beaucoup insisté sur le fait que l’accès à l’information n’est pas la formation, il n’en reste pas moins que le paysage a radicalement changé. Le phénomène des MOOC en est sans doute l’illustration la plus simple… même s’il n’est pas sûr que ce soit la révolution pédagogique qu’on nous annonce. Jusqu’où ce fait majeur qu’est le digital est-il en train de transformer nos processus d’apprentissage ? Comment un enfant élevé dans l’univers Web depuis sa naissance appréhendera-t‑il la formation ? Plus radicalement, certains s’interrogent sur le fait que la délégation de nos cerveaux aux technologies – nos smartphones, nos tablettes, nos robots personnels bientôt – rendra inutile le fait d’apprendre, au sens classique du terme (Enlart et Charbonnier, 2010). D’autres, au contraire, défendent l’idée que même si le contexte change, l’acte individuel d’apprentissage est ontologique et reste finalement identique à ce qu’il a toujours été (voir conclusion, in Bourgeois et Enlart, 2014). Cette toile de fond du digital vient se combiner avec des organisations du travail qui changent de plus en plus vite. Fusions, acquisitions, rachats, mais surtout réorganisations internes se succèdent à un rythme toujours plus rapide au sein d’entreprises qui s’internationalisent sans cesse pour les plus grandes, et se développent ou meurent vite pour les plus petites. Ces changements d’organisation entraînent des changements d’activité, de rôle et de poste, exigeant des individus une capacité d’adaptation permanente1. Les questions de professionnalisation des individus sont laissées de côté, oubliant que la construction identitaire et le développement de compétences solides nécessitent souvent du temps et de la stabilité. On le verra, les formations classiques sont elles-mêmes considérées comme trop longues, trop éloignées de ces besoins d’adaptation rapide, trop peu efficaces. Ce sera une des raisons qui explique l’émergence d’un intérêt pour l’e-learning mais aussi pour les dispositifs d’AST. Cette accélération des mutations internes va de pair avec une démographie qui voit d’un côté le départ à la retraite des baby-boomers et de l’autre l’arrivée de jeunes qui doivent apprendre beaucoup de choses rapidement et sans qu’ils soient toujours suffisamment encadrés dans leur apprentissage. Dans un pays comme la France, l’arrivée de ces jeunes parfois mal préparés à tenir des emplois qui évoluent vite et où les équipes intègrent parfois un trop grand nombre de « nouveaux », pose de véritables casse-têtes aux acteurs de la formation, des RH au management.
1. Que l’on nommera pour l’occasion compétence transversale.
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D’autant plus que la pression économique se fait très forte. La crise de 2008 a laissé des traces et de nombreuses entreprises – grandes ou petites – surveillent de très près leur budget formation. Les directions financières exigent des ROI1 que les directions formation peinent à fournir, n’ayant finalement que peu de pratiques d’évaluation : l’efficacité mais plus encore l’efficience des dispositifs pédagogiques n’a jamais été mesurée sérieusement sans que cela n’émeuve personne. Mais les choses changent et une médiatisation, souvent approximative voire injuste, ne cesse de stigmatiser la gabegie et le scandale de « l’argent de la formation ». Ces débats se déroulent en France en parallèle à la réforme de la formation, menée par les partenaires sociaux et aboutissant à la loi du 5 mars 2014. Celle-ci en modifie les règles de contribution mais surtout en redonne de la liberté aux entreprises pour leur plan de formation (fin de l’obligation légale). La loi a eu des conséquences non négligeables sur la manière dont se pensent les politiques de formation internes : en sortant de l’obligation de payer (plus que de former), les entreprises ont retrouvé des marges de manœuvre. La question est alors « pour en faire quoi ? ». Autre impact de la loi : la possibilité d’interroger la définition d’une action de formation. Jusqu’à maintenant, du fait des contraintes fiscales et juridiques, la définition était imposée et se comptait en heures de formation. Depuis la loi de 2014, liberté est donnée à l’entreprise de choisir la définition qui lui convient le mieux et donc d’embarquer des pratiques comme l’e-learning, le co-développement, les learning expeditions ou l’AST. Et si chacun a sa propre définition dans sa propre entreprise, a priori cela ne pose pas de problème. En revanche, le jour où certains financeurs – comme les régions bien sûr ou les Opca (organisme paritaire collecteur agréé) par exemple – s’emparent du sujet, en particulier via les démarches de qualité, alors la nécessité d’une définition partagée réapparaît. Ces considérations très franco-françaises sont malgré tout intéressantes pour tous car elles permettent de reposer des questions de fond : qu’est-ce que la formation ? Qu’est-ce que former quelqu’un dans le champ professionnel ? À quoi reconnaît-on qu’il y a eu formation ? Quelles sont les conditions minimales pour garantir la qualité de la formation ? Ces questions relancées par l’évolution du contexte juridique se sont conjuguées avec le versant économique. Nous l’avons dit plus haut, au même moment, les entreprises cherchent à rationaliser leur effort financier. Elles peuvent le faire car la formation n’est plus cet « objet de négociation sociale » dont le but est de garantir la paix sociale. Alors, elles commencent à compter : à quoi sert ce séminaire ? Ne pourrait-on pas remplacer ces sessions par un e-learning ? Faut-il vraiment former tout le monde de la même manière ? Ne peut-on obtenir les mêmes résultats avec des temps de formation plus courts ? Toutes ces questions vont contribuer à rouvrir le champ de l’ingénierie et à autoriser quelques expérimentations ici et là dont l’AST sera un des exemples. Ainsi, la convergence des changements des contextes juridique et économique a ouvert la voie à une évolution du contexte pédagogique.
1. Retour sur investissement.
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Très concrètement, les réflexions autour de l’ingénierie vont en être stimulées et après une période finalement peu créative1, après des années où l’on a réduit l’innovation pédagogique au e-learning ou aux MOOC, émergent, dans les entreprises, des réflexions non pas uniquement sur les modalités mais bien sur le fond : qu’est-ce qu’apprendre ? Comment ne pas confondre formation et apprentissage ? Comment donner réellement sa place à l’apprenant ? Qu’est-ce que le transfert ? Comment le faciliter ? On l’aura noté, une bascule s’opère alors entre formation et apprentissage. Le sujet n’est plus de penser de beaux modèles d’ingénierie de formation en dehors des apprenants et des situations de travail, mais bien de garantir des processus d’apprentissage qui permettent le transfert de manière efficace et tangible. Éternelles questions, certes, mais qui vont être posées dans un contexte radicalement différent des années 1980-1990. Les dispositifs d’AST vont alors apparaître comme une piste majeure, au carrefour de ces interrogations pédagogiques, épistémiques, économiques et organisationnelles. Les expérimentations qui vont se mettre en place sont fortement alimentées par le champ théorique, qui lui aussi va se renouveler, proposant des concepts et des modélisations capables de soutenir les pratiques. C’est ce que nous verrons dans les deux paragraphes suivants : après avoir présenté un panorama des dispositifs, nous proposerons des repères théoriques qui viennent les éclairer.
2. Panorama des dispositifs d’AST dans les organisations Les dispositifs d’AST ont en commun une volonté de prendre en compte la situation de travail telle qu’elle existe pour penser les processus pédagogiques. Ceci étant posé, la manière de penser ces dispositifs peut varier fortement suivant qu’elle accorde plus ou moins de place à la situation de travail et au fait de construire un dispositif. Ce choix vient croiser une autre question déterminante : celle du rôle du manager. Avant d’en venir à cette question du rôle du manager, nous présenterons un panorama des dispositifs à partir d’une logique de continuum : –– à un bout, on trouvera des dispositifs très fortement imbriqués au travail et très peu construits ; –– à l’autre bout, au contraire, on aura des dispositifs beaucoup plus structurés où la situation de travail est elle-même mise sous contrôle et où chaque étape est prévue et pensée ; –– entre les deux, on trouvera des dispositifs plus équilibrés entre ces deux extrêmes.
1. Enlart S. (2014). « Ingénierie : de l’élargissement à l’évanouissement ? » in Bourgeois et Enlart, Apprendre dans l’entreprise, Paris, PUF.
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Quand le dispositif s’efface au profit de la situation de travail. Dans ce cas, l’AST s’intéresse essentiellement à une question : comment rendre le travail apprenant ? Ce sont donc des questions qui vont concerner à la fois la qualité du travail proposé mais aussi l’environnement dans lequel le travail va se dérouler. L’utilisation des travaux sur les environnements capacitants est une bonne illustration de ce type de dispositif. Comment mettre à disposition des collaborateurs les ressources qui vont leur permettre d’apprendre et de se développer ? Comment penser l’accès à ces ressources pour que chacun là où il est – sur son poste, sur son écran, dans son agence commerciale – soit en mesure d’être soutenu dans sa volonté de mieux faire. D’autres dimensions comme les systèmes de reconnaissance, les règles de gestion des ressources humaines et bien sûr les modes de management vont être jugées déterminantes pour créer un contexte apprenant. De manière implicite, on considère ici qu’il suffit d’améliorer les éléments « autour » du travail et au cœur de l’activité pour que les processus d’apprentissage soient actifs. L’organisation du travail est davantage interrogée que la pédagogie. Quand la situation de travail s’efface au profit du dispositif. À l’inverse, pourrait-on dire de manière caricaturale, d’autres dispositifs prévoient des moments, des processus, des enchaînements pour garantir que l’apprentissage aura lieu. Le dispositif a été pensé sur le mode de l’ingénierie. Il est construit à partir d’une vision des processus d’apprentissage. Ce qui compte ici c’est que l’on propose une série de situations à visée pédagogique qui permettent d’apprendre progressivement. Ce dispositif repose donc sur une théorie de l’apprentissage qui éclaire et justifie les étapes, le rôle des acteurs, les contenus même parfois des différentes séquences. Si la situation de travail est présente, c’est parce qu’elle est considérée comme un élément déterminant de l’apprentissage. Mais, en même temps, on postule que celui-ci n’est pas mécanique : il ne suffit pas de mettre les apprenants dans un contexte de travail, aussi bon soit-il, pour que l’apprentissage ait lieu. Alors que dans le premier cas on considère que la situation de travail est la situation pédagogique et qu’elle se suffit quasiment à elle-même, ici le dispositif sera conçu et décrit précisément. Il y aura des points de passage obligés comme le débriefing, des échanges entre pairs, l’utilisation d’un e-learning… Le fait d’être en situation de travail reste un élément central mais le processus pédagogique a lieu aussi dans des moments clés qui viennent « encadrer » ou compléter ce qui se passe dans l’activité elle-même. Néanmoins, il ne s’agit évidemment pas de dispositif de formation formelle classique se déroulant en dehors du travail. Comme exemples de ce type de logique, on pense aux dispositifs assez formalisés d’accompagnement individuel et/ou collectif, telle que le coaching, le tutorat, le mentoring, la supervision, l’intervision, l’analyse de pratique en groupe (action learning)… On notera que toutes ces pratiques ont en commun notamment de viser à soutenir et structurer l’activité réflexive des apprenants sur leurs pratiques. On y reviendra dans la troisième partie. Les situations intermédiaires. On trouvera ensuite toute une série de dispositifs qui vont chercher à équilibrer davantage la situation de travail et l’ingénierie pédagogique. Ainsi, les 489
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formations-actions se déroulent au cœur du lieu de travail, et traitent de l’activité et de l’organisation du travail. Mais elles sont structurées par des temps de travail en groupe qui sont autant d’occasions de prise de recul sur l’activité et d’échange entre pairs sur les aspects psycho-sociologiques du travail. Elles sont fortement encadrées, au sens où le rôle du formateur-intervenant est essentiel. Son immersion dans le contexte professionnel lui permet de piloter un processus pédagogique en action mais son intervention concerne bien l’apprentissage et non pas uniquement la transformation du travail. Sans aller jusqu’à la formation-action, de nombreuses situations intermédiaires reposent sur un acteur clé : tuteur, maître d’apprentissage, coach pédagogique, référent… considérant que c’est lui qui va porter la dimension ingénierie pédagogique in situ. La situation de travail est centrale dans cette vision puisque c’est bien l’activité qui permet d’apprendre, mais à condition qu’il y ait un accompagnement ad hoc pendant le travail. Le choix de l’acteur clé et la manière dont son rôle est défini, sa propre formation pédagogique – souvent inexistante – reposent là encore sur une vision de l’apprentissage : imitation, observation, essai et erreur, explications dans l’action, etc. On retrouve dans cette troisième catégorie de dispositifs essentiellement les mêmes que ceux évoqués dans la catégorie précédente, mais avec un degré de formalisation moindre et une distance spatio-temporelle des situations de travail également moins marquée. On pourrait ranger ici également les dispositifs dits de « communautés de pratiques ». Manager pilote
Environnement capacitant, ressources à disposition
AST avec coach pédagogique sans lien hiérarchique
Situation de travail
Dispositif construit Équipe apprenante, codéveloppement, apprentissage social
AST avec tuteur, maître d‘apprentissage, expert référent
Manager coach Figure 24.1 - L’apprentissage en situation de travail
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L’apprentissage en situation de travail ■ Chapitre 24
La deuxième entrée pour catégoriser les dispositifs d’AST concerne la place faite au manager. Quel que soit le dispositif, cette question n’est jamais anodine et elle est toujours traitée. Et il s’agit d’un élément discriminant car les réponses apportées ne sont pas directement corrélées au continuum que nous avons décrit. On peut trouver un manager coach tout autant dans un dispositif d’AST sans ingénierie que dans un dispositif très construit. Inversement, on peut considérer que le manager n’a pas de rôle pédagogique à jouer d’un bout à l’autre du continuum. Si l’on caricature les positions, on trouve des dispositifs où le manager est positionné comme le développeur des compétences de ses collaborateurs. Par conséquent, on attendra lui qu’il assume le rôle de pédagogue au quotidien, qu’il montre comment faire, qu’il fasse faire et refaire sous ses yeux et qu’il corrige quand il le faut. Dans les cas les plus cohérents, le système de bonus tiendra compte de la progression des compétences dans son équipe. À l’autre extrême, on considérera que, bien que responsable du développement de ses collaborateurs, ce n’est pas à lui de jouer le rôle de formateur. Il est alors là pour organiser, permettre, valoriser, favoriser l’apprentissage mais il n’a pas à le réaliser. Dans le cas où la situation de travail est au cœur du dispositif, son rôle est alors d’être en soutien, de « croire » en la formation et de laisser du temps et le droit à l’erreur, d’organiser le travail des équipes pour qu’un junior soit avec un expert, etc. Mais on considérera qu’étant par ailleurs évaluateur de ses collaborateurs, il ne peut intervenir dans le processus d’apprentissage sans être ambigu. L’apprenant se sachant jugé et évalué – même si tout un chacun proclame le contraire – il n’aura pas de réel droit à l’erreur et ne sera pas en situation de sécurité psychologique aussi forte que quand le formateur n’est pas en même temps un juge.
3. Des questions théoriques soulevées par l’AST Le développement des pratiques d’AST ne manque évidemment pas de soulever bon nombre de questions théoriques, dont s’est emparée la recherche dans le domaine depuis une vingtaine d’années, principalement dans le monde anglo-saxon, autour du concept fédérateur de workplace learning. Traiter ces questions apparaît essentiel pour éclairer le développement des pratiques sur le terrain. Nous en évoquerons rapidement quelques-unes dans ce paragraphe en apportant quelques éléments de réponses traversant la littérature scientifique actuelle sur le sujet.
3.1 L’AST : de quelle « situation » et de quel « travail » parle-t‑on ? Cette question préliminaire n’est pas si anodine qu’elle puisse paraître à première vue. Le concept de workplace learning ne va en effet pas sans poser de difficulté, ainsi que nous avons 491
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pu le développer par ailleurs1. Tout d’abord, comment définir précisément le périmètre d’une situation de travail ? Implicitement, nous avons tendance à supposer que le travail s’inscrit nécessairement dans un contexte organisationnel. Mais qu’en est-il, par exemple, de tous les métiers de l’artisanat qui échappent pour la plupart au cadre de ce qu’il est convenu d’appeler une « organisation » ? Par ailleurs, s’agissant d’une organisation comme contexte de travail, qu’y a-t‑il de commun entre une TPE, une PME ou une grande multinationale ? D’autre part, dans le contexte actuel de développement exponentiel des nouvelles technologies dans le monde du travail évoquées plus haut, la localisation spatiale et temporelle de l’activité de travail, ainsi que les frontières entre vie professionnelle et vie privée se sont profondément reconfigurées. Ces évolutions justifient plus que jamais une approche « située » de l’AST, visant à identifier et à repérer spécifiquement, dans une situation et un contexte donnés, les leviers et les obstacles susceptibles d’affecter l’apprentissage. Enfin, dans l’AST, le « travail » n’est pas seulement un contexte pour l’apprentissage, il en est aussi l’objet même. Ce qui s’apprend et se transmet au travail, c’est bien le travail lui-même. Et le travail est bien plus qu’en ensemble de savoirs et de savoir-faire, c’est un métier tout entier qui se transmet : une culture particulière, avec ses codes, ses traditions, ses normes qui hiérarchisent la légitimité des connaissances et des pratiques propres au métier en question, ainsi que la façon de les acquérir. C’est aussi une place, un rôle donné ou pris, au sein d’un collectif et des jeux de pouvoir qui le caractérisent. C’est une identité professionnelle, qui charrie avec elle une conception du métier, des valeurs, un regard sur soi-même et le monde, les appartenances groupales auxquelles on s’identifie ou contre-identifie, etc. Ici encore, parler d’« AST » en général n’a pas beaucoup de sens : on ne peut l’aborder que « situé » par rapport à un contexte et un métier donnés.
3.2 L’AST : entre « affordances » et engagement du sujet Un des pionniers de la recherche dans le domaine, l’Australien Stephen Billett a, dès le début des années 2000 dans son ouvrage fondateur Learning in the Workplace (Billett, 2001), posé un postulat qui a profondément orienté la recherche sur l’AST depuis lors. Pour lui, l’AST ne peut être véritablement saisi qu’à l’intersection de trois ingrédients : la disponibilité et l’accessibilité des ressources potentielles pour l’apprentissage dans l’environnement de travail (qu’il appelle des « affordances ») et l’engagement du sujet lui-même ou plus largement, ses dispositions à apprendre. L’apprentissage d’un métier dans un contexte donné ne peut se réaliser que si le sujet dispose d’un environnement de travail suffisamment riche en affordances. Billett en distingue quatre types fondamentaux :
1. Bourgeois E. et Mornata, C. (2012). « Apprendre et transmettre le travail », in Bourgeois E. et Durand M. Apprendre au travail, Paris, PUF.
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–– la guidance directe, c’est-à‑dire, les dispositifs d’accompagnement et de formation mis intentionnellement en place pour faire apprendre sur le lieu de travail ; –– la guidance indirecte, c’est-à‑dire, les collègues de travail avec lesquels le sujet peut interagir de façon plus ou moins informelle et qui constituent pour lui également une source potentielle d’apprentissage très importante ; –– l’environnement technique et matériel de travail, qui en soi, peut également constituer une ressource (il suffit de penser au design d’une interface utilisateur ou un mode d’emploi qui peuvent, à eux seuls, faciliter certains apprentissages) ; –– et enfin l’activité de travail elle-même, par la façon dont elle est organisée et structurée dans l’espace et le temps, ou par le rôle qu’elle assigne au sujet, peut également contribuer à l’apprentissage. Mais la disponibilité de ces affordances ne suffit pas pour apprendre. Encore faut-il que celles-ci soient effectivement accessibles au sujet. Or, d’une situation à l’autre, cette condition peut largement varier : il suffit de penser, par exemple, à la jeune stagiaire qui dans le cadre d’une formation en alternance effectue son premier stage et se voit assignée, toute la journée durant, à la photocopieuse ou d’autres tâches subalternes éloignées du cœur du métier qu’elle est censée apprendre. Cette stagiaire n’aura pas le même accès aux affordances éventuellement disponibles, et donc aux mêmes occasions d’apprendre, que l’employée chevronnée engagée au quotidien dans des activités au cœur du métier et du collectif. La question de l’accès renvoie donc à celle de la place que tient, ou peut tenir, le sujet dans le collectif de travail et, in fine, aux rapports de pouvoir qui s’exercent au sein de ce collectif. C’est dans cette perspective qu’Étienne Wenger (dans son ouvrage célèbre Communities of Practice de 1998) établit un lien étroit entre apprentissage et participation dans une communauté de pratiques : plus le sujet peut y occuper une position centrale et plus il aura accès aux ressources d’apprentissage, qui, en retour, lui donneront davantage de moyens de conquérir ou de défendre une place centrale dans cette communauté. Enfin, un environnement de travail riche en affordances disponibles et accessibles ne suffira toujours pas à lui seul d’assurer l’apprentissage. Encore faut-il que le sujet lui-même soit suffisamment engagé dans son apprentissage – et plus largement dans son activité et son collectif de travail – pour tirer effectivement le meilleur parti de ces affordances. On reviendra plus loin sur les différentes facettes et implications du sujet apprenant en situation de travail.
3.3 La transmission du travail : entre reproduction et appropriation L’apprentissage d’un métier est fondamentalement un processus de transmission, qui inscrit l’individu apprenant dans une histoire et une culture qui le dépassent. Apprendre son métier 493
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représente pour lui, avant tout, l’acquisition de connaissances et d’une culture largement façonnées avant lui et par d’autres que lui. Mais qu’advient-il en réalité de ces acquis chez l’apprenant ? Qu’en fait-il réellement ? Et plus spécifiquement : à quelles conditions peut-il progressivement en faire quelque chose de personnel ? Dans une culture professionnelle traditionnelle, la question elle-même n’a pas beaucoup de sens : en caricaturant un peu, la finalité du processus de transmission est d’amener l’apprenant à reproduire le plus fidèlement possible les standards définis par la tradition et le collectif qui la porte, gommant ainsi tout écart individuel à la norme. On se reportera à ce propos à l’analyse proposée récemment par Richard Sennett dans son bel ouvrage Ce que sait la main ?1 ou encore dans les multiples études anthropologiques sur la transmission des métiers, notamment la célébrissime étude de G. Delbos et P. Jorion sur la transmission du métier de la saliculture2. La question, en revanche, se pose avec une acuité accrue dans un contexte culturel et historique qui, d’une part, valorise à l’extrême l’individu dans sa singularité, soumis à l’injonction permanente de s’accomplir et se distinguer et, d’autre part, se caractérise par une mutation accélérée des connaissances et des pratiques dans d’innombrables secteurs professionnels, bouleversant du même coup tous les mécanismes de transmission traditionnels3. En nous interrogeant dans nos propres travaux sur cette problématique4, nous avons pu mettre en évidence une série de conditions, liées, d’une part, aux dispositions de l’apprenant et, d’autre part, à l’environnement d’apprentissage et en particulier aux pratiques et attitudes de celui ou celle qui transmet. Avant de revenir sur la question des affordances, nous évoquerons plusieurs dimensions du processus d’apprentissage en situation de travail, du point de vue de l’apprenant.
3.4 L’AST du point de vue cognitif : modalités d’apprentissage et réflexivité Comme nous l’avons rappelé par ailleurs5, les environnements de travail sollicitent d’autres vecteurs que le langage, en particulier l’observation et l’imitation, ainsi que l’action, le faire. Pour chacune de ces modalités, l’apprentissage peut se réaliser tantôt de façon immédiate, 1. Sennett R. (2010). Ce que sait la main. La culture de l’artisanat, Paris, Albin Michel. 2. Delbos G. et Dorion P. (1984). La transmission des savoirs, Paris, MSH. 3. Burnay N. et Klein A. (2009). Figures contemporaines de la transmission, Namur, Presses Universitaires de Namur. 4. Bourgeois E., Allegra J. et Mornata C. (2015). « Transmission and Individuation in the Workplace », in L. Filliettaz et S. Billett (éd.), Francophone Perspectives of Learning Through Work. Conceptions, Traditions and Practices, Cham (Suisse), Springer International Publishing AG. 5. Bourgeois E. (2014). « Les figures de l’apprentissage au travail. Au-delà de la réflexivité », in E. Bourgeois et S. Enlart, op. cit.
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tantôt par la médiation d’une activité réflexive. En réalité, de très nombreux apprentissages au travail opèrent de façon immédiate, souvent même non consciente : la reproduction mimétique d’un comportement, ou encore l’essai et erreur au sens behavioriste relèvent typiquement de ce type d’apprentissage quasi « automatique ». Ils jouent un rôle essentiel, notamment parce qu’ils sont peu coûteux en attention et en énergie, qui peuvent dès lors être mobilisées pour d’autres tâches et apprentissages plus complexes. En outre, dans certains cas, ce type d’apprentissage est absolument indispensable comme phase préliminaire précédant un approfondissement ultérieur qui sera assuré par un travail réflexif, et qui ne pourrait jamais être accompli correctement sans l’établissement préalable de ce socle. Le travail réflexif, quant à lui, apparaît une condition centrale pour réaliser d’emblée de nouveaux apprentissages professionnels d’un niveau de complexité élevé ou pour progresser dans l’approfondissement et l’appropriation d’apprentissages en cours. Dans la littérature, principalement professionnelle, sur la réflexivité, on a eu tendance à réduire celle-ci à ce que D. Schön, dans son célèbre ouvrage de 1983 Le Praticien réflexif, appelait la réflexion sur l’action, plutôt que dans l’action. Se référant alors aux travaux du philosophe américain John Dewey, notamment autour des concepts d’expérience et d’enquête, il est ainsi postulé que tout apprentissage passe nécessairement par de l’action et de la réflexion sur cette action. Cette réflexion sur l’action suppose concrètement : –– une mise à distance spatio-temporelle de ce qui a été vécu, observé et expérimenté ; –– une explicitation, une mise en récit de ce vécu expérientiel ; –– une modélisation conceptuelle de l’expérience (par l’établissement de liens de causalité, ou de corrélation, par exemple). Le recours généralisé à ce type de pratique réflexive, qu’on pourrait qualifier avec J.-M. Schaeffer1 de « calcul rationnel » – en parfait alignement avec l’hégémonie du modèle scientifique hypothético-déductif pour l’apprentissage dans certains métiers (en particulier ceux de l’humain : enseignement, travail social, soins de santé…) depuis inspire directement la conception des nombreux dispositifs identifiés comme dispositifs d’AST, tant individuels que collectifs : coaching, tutorat, supervision, intervision… Plus récemment pourtant, plusieurs auteurs ont rappelé que si ce type d’activité pouvait en effet s’avérer tout à fait pertinent pour certains apprentissages il ne pouvait cependant pas épuiser toutes les modalités possibles du travail réflexif, en particulier la réflexion dans l’action. Par exemple, Michael Eraut2 distingue, au côté de l’apprentissage « délibératif/analytique » (proche de la réflexion sur l’action que nous venons d’évoquer), les apprentissages « rapide/intuitif » et « instantané/réflexe ». Si ce dernier évoque
1. Schaeffer J.-M. 1999). Pourquoi la fiction ?, Paris, Le Seuil. 2. Eraut M. (2007). Learning from other people in the workplace. Oxford Review of Education, 33 (4), 403-422.
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ce que nous avons appelé plus haut l’apprentissage « immédiat », le deuxième évoque une autre forme de travail réflexif, que nous pourrions qualifier d’« holiste », fondé sur l’intuition, ou plus précisément, sur la « reconnaissance de forme ». Cette modalité a été largement investiguée par des chercheurs comme Gary Klein et de nombreux autres, qui ont montré que les professionnels experts en situation réelle de travail raisonnent et décident – efficacement – dans le cours même de l’action selon des modalités bien différentes de celles qui caractérisent la « réflexion sur l’action » : ni mise à distance spatio-temporelle de l’action, ni explicitation, ni raisonnement hypothético-déductif, mais plutôt un raisonnement en circuit très court, fondé sur une comparaison globale d’une configuration d’éléments essentiels observés dans une situation donnée avec des configurations rencontrées antérieurement et stockées en mémoire. Il nous paraît essentiel aujourd’hui de tenir davantage compte de cette diversité des modalités possibles du travail réflexif en lien avec la spécificité du contexte et de la nature des apprentissages visés, afin de développer de façon plus pertinente la capacité d’apprendre à apprendre. Une autre piste qui mériterait d’être approfondie concerne le rôle des émotions et du corps dans l’activité cognitive qui sous-tend l’apprentissage en situation de travail.
3.5 La dimension motivationnelle de l’AST : les niveaux d’engagement du sujet Ainsi que nous l’avons déjà évoqué avec Billett, l’engagement du sujet constitue une condition sine qua non de son apprentissage au travail, faute de quoi il ne pourra tirer parti des affordances à sa disposition dans l’environnement de travail. Pour comprendre les ressorts de cet engagement, on peut, bien sûr, se référer à la très vaste littérature de psychologie de l’éducation sur la motivation à apprendre1. Celle-ci met notamment en évidence le rôle fondamental de la valeur accordée par le sujet à une activité et sa confiance dans ses chances de réussite pour expliquer son engagement dans l’activité en question. Mais de quel engagement parle-t‑on ? Celui du sujet dans son activité de travail ? Dans le processus d’apprentissage en contexte de travail ? Ou dans le collectif de travail ? En réalité, ces trois niveaux d’engagement sont très étroitement imbriqués. Comment peut-on être engagé dans l’apprentissage au travail si on ne l’est pas dans l’activité de travail elle-même ? Et comment peut-on l’être dans cette activité si l’on n’a pas toute sa place dans le collectif de travail qui la porte ? Cependant, ainsi que nous l’avons argumenté
1. P. Carré et F. Fenouillet, (dir.) (2009). Traité de psychologie de la motivation, Paris, Dunod ; B. Galand et E. Bourgeois, (dir.) (2006). (Se) Motiver à apprendre, Paris, PUF.
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par ailleurs1, ils méritent d’être distingués, tout en tenant compte de leurs interactions, en vue d’optimiser les dispositifs d’accompagnement et de formation au travail.
3.6 La dimension sociale de l’AST : le rôle du collectif dans les apprentissages individuels Comme l’a dit par ailleurs Philippe Carré : on apprend toujours seul, mais jamais sans les autres ! Sans l’interaction avec autrui, quelles que soient les modalités de cette interaction, l’individu ne peut apprendre, en situation de travail comme ailleurs. Dans ce cadre, les interactions socio-cognitives peuvent concerner les relations du sujet apprenant avec un tuteur ou un formateur, ou encore un collègue, pair ou supérieur hiérarchique, expert ou novice. L’autre peut aussi intervenir comme figure d’identification. Il peut s’agir dans ce cas, de celui qui est en position de l’expert-transmetteur (formateur, tuteur, superviseur, coach, mentor…). Or le processus d’identification joue un rôle essentiel dans la transmission, et en particulier, dans le processus de subjectivation. L’accès au savoir dont est porteur le « maître » ne peut se produire que si, d’abord, le « disciple » peut suffisamment s’identifier à celui-ci et si, ensuite, par un jeu adéquat d’étayage et d’effacement progressif, le maître peut soutenir la transformation progressive de l’identification du disciple au maître en une appropriation par le disciple du savoir dont le maître est porteur. Par ailleurs, cette fonction d’identification peut également s’exercer sur le collectif de travail (et/ou d’apprentissage), ainsi que l’ont bien montré les travaux de René Kaës2. Enfin, autrui peut également jouer un rôle de soutien (« support social ») et d’étayage, dans les apprentissages individuels. Encore une fois, il peut s’agir de la figure du maître (par exemple, par la qualité des feed-back qu’il adresse à l’apprenant, son empathie, sa bienveillance, etc.) ou du groupe. Le climat socio-affectif du groupe en particulier joue un rôle essentiel, notamment pour exercer la fonction de sécurité psychologique essentielle pour l’AST.
3.7 Une affordance fondamentale : la sécurité psychologique Une bonne partie des recherches actuelles sur l’AST vise à identifier les conditions liées à l’environnement de travail qui favorisent le processus d’apprentissage au travail. Il est évidemment impossible d’en faire ici le tour. Nous nous contenterons d’en évoquer une qui nous paraît
1. F. Merhan et E. Bourgeois (2015). « Dynamique d’engagement professionnel en situation de formation par alternance », in F. Merhan, A. Jorro, et J.-M. De Ketele (éd.), Mutations éducatives et engagement professionnel (p. 19-36), Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur. 2. Kaës R. (2011). Désir de former, formation par le groupe et transmission des savoirs. In R. Kaës et C. Desvignes (éds.), Le travail psychique de la formation. Entre aliénation et transformation (p. 1-35). Paris, Dunod.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
jouer un rôle particulièrement important : la sécurité psychologique. On entend par là le fait que l’individu, pour apprendre efficacement, doit avoir le sentiment qu’il évolue dans un environnement de travail où il a, a priori, le droit, du moins à certains moments, de se tromper, d’exprimer ses doutes, ses peurs, ses zones d’ignorance et d’incompétence sans risque majeur pour son image de soi (paraître stupide, incompétent, perturbateur, etc.). Cette question est particulièrement délicate s’agissant d’apprentissage sur le lieu de travail, où l’on est en permanence en interaction avec ses collègues et supérieurs hiérarchiques, soumis à leur regard et potentiellement à leur jugement ; un environnement également où l’on est soumis à la sanction du réel dans la mesure où les erreurs, doutes, peurs et incompétences peuvent avoir des conséquences désastreuses dans la réalité. Il est donc particulièrement important de s’interroger sur les facteurs qui, spécifiquement en contexte de travail, sont de nature à promouvoir ce sentiment de sécurité psychologique. C’est à quoi s’attachent les travaux notamment d’Amy Edmondson, Abraham Carmeli et leurs collègues respectifs1. Ils pointent entre autres le rôle crucial du manager et du collectif de travail (et des relations interpersonnelles en son sein) dans l’établissement d’un climat et de normes propices à assurer la sécurité psychologique. Ils soulignent par ailleurs le rôle des facteurs liés aux apprenants eux-mêmes, notamment leur degré de centration sur l’image de soi versus sur l’apprentissage dans leur travail, leur place dans le collectif, ou encore leur sentiment d’efficacité personnelle.
4. En conclusion Nous voudrions faire trois remarques. D’une part souligner la fécondité des pratiques et recherches autour de l’AST. La diversité des dispositifs repose néanmoins sur un substrat théorique suffisamment cohérent pour garantir une réelle solidité conceptuelle. Non pas que les débats n’aient pas lieu, mais ils sont clairement structurés autour de grandes questions relevées ici. Cet état des lieux permet à la fois de stimuler l’expérimentation mais aussi d’organiser l’analyse théorique des pratiques. Du point de vue des entreprises, l’AST apparaît de plus en plus comme une piste indispensable pour accompagner les mutations organisationnelles et de compétences. Du côté des apprenants, il permet de concrétiser des dispositifs pensés à partir des situations concrètes qu’ils vivent en tenant compte de la diversité des activités, des ressources et des interactions sociales participant au processus d’apprentissage. Pour toutes ces raisons, l’AST est une thématique en plein développement et pleine de promesses.
1. Mornata C. (2014). « La sécurité psychologique ou comment démystifier l’apprentissage en situation de travail pour le repenser autrement », in E. Bourgeois et S. Enlart, Apprendre dans l’entreprise, Paris, PUF.
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L’apprentissage en situation de travail ■ Chapitre 24
Références de base Billett S. (2001). Learning in the Workplace, Crows Nest, Allen et Unwin. Bourgeois, E. et Durand M. (éd.) (2012). Apprendre au travail, Paris, PUF. Bourgeois E. et Enlart S. (éd.) (2014). Apprendre dans l’entreprise, Paris, PUF. Enlart S. et Charbonnier O. (2010). Faut-il encore apprendre ?, Paris, Dunod.
Filliettaz L. et Billett S. (éd.) (2015). Francophone Perspectives of Learning Through Work. Conceptions, Traditions and Practices, Cham (Suisse), Springer International Publishing AG. Tynjälä P. (2008). « Perspectives into learning at the workplace », Educational Research Review, 3 (2), 130-154.
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Chapitre 25 L’ingénierie pédagogique1
1. Par Philippe Carré et Christophe Jeunesse.
Sommaire 1. L’ingénierie pédagogique : de quoi s’agit-il ?......................................................... 503 2. Les cinq étapes de l’ingénierie pédagogique.......................................................... 510 3. Éléments de prospective....................................................................................... 516 Lectures conseillées.................................................................................................. 518
Depuis une cinquantaine d’années, l’essor de la notion d’ingénierie en formation des adultes a entraîné dans son sillage le développement de celle d’ingénierie pédagogique, aux confins des sciences de l’ingénieur et des sciences de l’éducation. Ce chapitre s’attachera à présenter les caractéristiques principales de cette discipline en émergence, qui implique le développement d’une nouvelle forme de professionnalité des formateurs d’adultes.
1. L’ingénierie pédagogique : de quoi s’agit-il ? 1.1 Une alliance inattendue Depuis la fin des années 1980, l’essor de cette notion est de plus en plus sensible tant dans les discours quotidiens des professionnels de la formation et de l’enseignement que dans ses manifestations les plus institutionnelles : intitulés d’emplois, création de cours, de modules de formation, de diplômes universitaires, références de plus en plus fréquentes dans les écrits en sciences de l’éducation, de l’ingénieur, de l’information… Pourtant la notion peut paraître paradoxale, tant elle rapproche deux termes issus d’univers culturels bien étrangers l’un à l’autre : ingénierie et pédagogie. De plus, cette jeune « discipline » ne bénéficie pas encore d’une production théorique bien solide en français. Cette alliance inattendue et pour certains, contre-nature, entre ingénierie et pédagogie, peut être justifiée, à la façon d’un clin d’œil par la nécessité du « génie » en formation. Outre-Atlantique, la notion correspondante d’instructional design connaît un essor sensible depuis la première moitié du xxe siècle (Gagné et al., 2005).
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1.2. L’instructional design ou instructional systems design (ISD) Certains auteurs font remonter les racines de l’ISD au début du xxe siècle avec les premiers usages du cinéma, puis de la radio, à des fins d’éducation (Reiser, 2012). C’est à partir de la Seconde Guerre mondiale, puis de l’expansion industrielle, technique et culturelle des Trente Glorieuses (1945-1974) que l’usage de différents médias éducatifs se diffuse plus largement sur tous les continents. Le rapprochement entre apprentissage et usage des médias par le cinéma, la rétroprojection, les outils de simulation et enfin la télévision éducative, apparaît alors de l’ordre de l’évidence pédagogique. L’ISD a poursuivi son développement en parallèle de celui des technologies au cours des années 1950 et 1960, particulièrement avec l’essor de l’enseignement programmé sous la double influence des théories de Skinner et des progrès rapides de l’informatique, alors adolescente. Puis c’est au cours des années 1970, avec l’explosion de la micro-informatique, que l’ISD va atteindre sa pleine dimension, particulièrement dans le monde 503
Traité des sciences et des techniques de la formation
de la formation professionnelle et du travail, au croisement de la psychologie cognitive, de la pédagogie et de l’ingénierie numérique. En France, en effet, la notion d’ingénierie pédagogique puise ses racines d’une part du côté de la formation des enseignants et, partant, de la programmation didactique (Peretti, 1991 ; Rieunier, 2014) et d’autre part de celui de l’ingénierie de formation au sens large et de son management (Meignant, 1993). Le terme se diffuse largement au cours des dernières années du xxe siècle, pour différencier, en formation des adultes, les activités pédagogiques de l’ensemble des activités d’ingénierie dans lesquelles elles s’insèrent (politique, organisation, stratégie), au prix d’ailleurs d’une fréquente ambiguïté quant à leurs spécificités respectives. L’ingénierie pédagogique est aujourd’hui la résultante de trois forces qu’elle vise à mettre en cohérence : la conduite de projet pédagogique (sous-ensemble de l’ingénierie de formation), la psychopédagogie des adultes1 et l’usage raisonné des ressources digitales2. L’innovation pédagogique est d’évidence au cœur de cette articulation.
1.3 Ingénierie et innovation pédagogique L’essor de ces innovations et celui des pratiques d’ingénierie sont surdéterminés par les mutations multiples du contexte socio-économique de la fin du xxe siècle : la fin des « Trente glorieuses » et l’apparition de tensions fortes sur l’emploi et les relations économiques ; l’emballement spectaculaire de la quantité de connaissances disponibles, le raccourcissement phénoménal de leur durée de vie, liés à l’explosion des technologies numériques ; l’irruption et la diffusion planétaire du phénomène Internet ; enfin, et surtout, la sacralisation des valeurs d’efficience et de productivité. La combinaison de ces mutations a rendu en quelques années caduques nos conceptions de la formation continue, comme l’illustraient déjà les termes d’un rapport officiel à l’aube des années 20003 : « Les formes classiques d’enseignement ont vécu. L’objet de l’apprentissage s’est considérablement élargi. Les technologies de l’information et de la communication paraissent incontournables, à la fois comme objets et comme supports ou moyens d’apprentissage. L’organisation canonique basée sur les fameuses trois unités (de temps, de lieu, d’action) éclate en une combinatoire de situations d’apprentissage. » 1. Voir supra, chapitre 19. 2. Voir infra, chapitre 26. 3. Secrétariat d’État au Droit des femmes et à la Formation professionnelle (2000). La professionnalisation de l’offre de formation et des relations entre les utilisateurs et les organismes.
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L’ingénierie pédagogique ■ Chapitre 25
L’ingénierie pédagogique cherche à mettre en synergie l’ensemble des contraintes et potentialités de ce nouveau contexte de la formation : exigence de réactivité, démultiplication des ressources et des opportunités d’apprentissage, bon usage des technologies, recherche d’efficience. Mais cet effort resterait vain s’il n’était basé sur un renouvellement radical des conceptions du bénéficiaire ultime de la formation et de son rôle dans le processus, renouvellement affirmé dans les termes du rapport déjà cité comme suit : « Rendre les apprenants acteurs, promouvoir une logique de contrat, placer la personne au centre du processus de formation, développer les formes d’accompagnement et de médiation adaptées, tout cela ne prend sens que dans une perspective de développement de l’autonomie des apprenants, de passage d’une pédagogie de la transmission à une pédagogie de l’appropriation, condition essentielle de pertinence de la formation. »
Dans cet esprit, citons quelques dispositifs pédagogiques contemporains dont le périmètre dépasse bien souvent celui de la classique formation des adultes : centres de ressources, entreprises d’entraînement pédagogique, réseaux d’échanges réciproques de savoirs, organisations dites « apprenantes », ateliers de pédagogie personnalisée… Sans omettre, bien sûr, le déploiement des formes pédagogiques en alternance et les multiples déclinaisons successives de la formation par le numérique apparues depuis le début des années 1980 : EAO, multimédia, FOAD, e-learning, et plus récemment serious games, MOOC, réseaux sociaux, communautés d’apprentissage, outils de simulation1, etc. On observera ainsi que l’essor de la notion d’ingénierie pédagogique est strictement contemporain de la montée des « nouveaux dispositifs de formation », qu’ils soient dits « à distance », « en ligne », « ouverts », « individualisés », « multimodaux », etc. Ces dispositifs nouveaux, qui s’intègrent progressivement aux formations conventionnelles (« stage », « cours », « séminaire ») ou les complètent (formations « hybrides ») ont quatre caractéristiques majeures : –– ils utilisent largement les technologies numériques ; –– ils font appel à l’autoformation individuelle et collective (Carré, Moisan, Poisson, 2010) ; –– ils visent l’augmentation de la « productivité pédagogique » à partir d’une « nouvelle économie de la formation » (Albertini, 1992) ; –– ils impliquent la collaboration d’acteurs multiples, souvent au sein de réseaux ou de partenariats. Dans le cadre d’une formation présentielle « classique », la fonction d’organisation pédagogique se ramène la plupart du temps à une programmation didactique qui, aussi sophistiquée
1. Voir infra, chapitre 26.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
soit-elle, n’implique pas de démarche d’ingénierie au sens strict défini ci-dessus, bien qu’elle fasse appel au « génie » pédagogique du formateur. La notion d’ingénierie ne prend sa dimension et son utilité sur le champ pédagogique qu’à partir du moment où l’on « ouvre » le dispositif, en modifiant ensemble les espaces, les temps et les modes de l’action pédagogique. Ces nouveaux modes de formation articulent des moyens technologiques, humains, logistiques plus nombreux, dans des configurations d’espace et de temps et des équations économiques plus complexes que les dispositifs usuels. Cette concomitance amène à lier systématiquement la notion d’ingénierie pédagogique à la mise en question des formes classiques, présentielles, de formation et à la promotion de modèles de formation « autonomisants ».
1.4 Trois niveaux d’analyse de la formation La notion d’ingénierie, rappelons-le, recouvre « l’étude globale d’un projet industriel sous tous ses aspects (techniques, économiques, financiers, sociaux), coordonnant les études particulières de plusieurs équipes de spécialistes1 ». De plus, la démarche d’ingénierie est ciblée sur la recherche de l’efficacité : pour l’Afnor, dans le domaine de la formation, cet « ensemble de démarches méthodologiques articulées » s’applique à « la conception de systèmes d’action, ou de dispositifs de formation, pour atteindre efficacement l’objectif fixé2 ». Si l’ingénierie de formation recouvre « un ensemble d’activités de conception, d’étude et de coordination de diverses disciplines pour réaliser et piloter un processus visant à optimiser l’investissement formation », en revanche l’ingénierie pédagogique concerne les pratiques pédagogiques elles-mêmes3. La notion d’ingénierie devient nécessaire quand la pédagogie se fait… « autre » : –– quand elle s’ouvre sur le monde environnant par des visites et stages selon les principes eux-mêmes multiples de l’alternance ; –– quand elle utilise des équipements sophistiqués et des ressources numériques plurielles, de plus en plus souvent personnelles (ordinateur portable, smartphone, tablette) selon la logique du BYOD4 ; –– quand elle intègre de multiples intervenants, voire une équipe pédagogique qu’il faut coordonner, souvent à distance ;
1. Dictionnaire Le Robert, 1992. 2. Afnor, Norme X50-750/4.92. 3. A. Ponchelet (1990). « Ingénierie ou ingénieries ? », Actualité de la formation permanente, n˚ 107. 4. BYOD : bring your own device = « apportez votre propre appareil ! ».
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L’ingénierie pédagogique ■ Chapitre 25
–– quand elle exploite des situations d’apprentissage multiples (alternance, individualisation des parcours, formation multimodale, pédagogie du projet). L’ingénierie pédagogique a pour mission de créer ou d’améliorer un dispositif pédagogique en optimisant l’articulation des ressources humaines, techniques, financières et logistiques disponibles en fonction des objectifs de la formation, du public et des contraintes et des ressources du projet. Pour remplir cette mission, elle se trouve prise entre deux champs de contraintes en tension, parfois contradictoires : le champ de l’ingénierie de formation, où se construisent les commandes par le biais formel (plan de formation, schéma directeur, appel d’offres) ou informel (consignes orales, commande floue) et le champ de la psychopédagogie qui régit les règles du fonctionnement de l’apprentissage au triple plan affectif, cognitif et motivationnel. Pour bien comprendre la spécificité et la raison d’être de l’ingénierie pédagogique, il convient d’avoir à l’esprit que les phénomènes de formation s’appréhendent dans une logique pluridisciplinaire, qui fait intervenir au moins trois niveaux d’analyse : –– le niveau « macro » des systèmes sociaux, où l’on analysera les dimensions socio-organisationnelles et politiques de la formation (niveau de l’ingénierie de formation) ; –– le niveau « méso », qui s’attachera précisément aux dimensions technico-pédagogiques des dispositifs (niveau de l’ingénierie pédagogique) ; –– le niveau « micro » qui appréciera et étudiera les dimensions psychologiques (ou « cognitives » au sens large) des apprentissages (niveau psychopédagogique). Le tableau 25.1 situe ce « méso-niveau » de l’intervention pédagogique, pris entre son « amont » (le macro-système global de formation) et son « aval » (le micro-niveau de la situation d’apprentissage de l’apprenant).
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Traité des sciences et des techniques de la formation Tableau 25.1 - Les trois niveaux d’organisation de la formation Niveau d’organisation
Macro : système de formation
Méso : dispositif pédagogique
Micro : sujet apprenant
Finalité
Changement social et/ou économique
Développement des compétences
Apprentissage de connaissances, d’habiletés, d’attitudes
Champ
Ingénierie de formation
Ingénierie pédagogique
Psychopédagogie
Amont
Objectifs d’évolution
Objectifs de formation
Objectifs d’apprentissage
Aval
Objectifs de formation
Objectifs d’apprentissage
Acquisitions
Moyen
Politique de formation
Stratégie pédagogique
Fonctionnement cognitif
Acteur clé
Responsable formation
Responsable pédagogique
Apprenant
En fonction de finalités sociales ou économiques, relevant de l’ingénierie sociale ou de l’ingénierie des ressources humaines, productrices d’objectifs d’évolution, le responsable du système de formation construit des objectifs de formation, en termes de compétences globales visées pour une population donnée. Ces objectifs de formation sont les principales données d’« input » de l’ingénierie pédagogique, à côté de l’analyse des publics, d’une part, et de l’analyse des ressources et contraintes, d’autre part. En fonction de cette trilogie « objectifs-publics-ressources/contraintes », la mission de l’ingénierie pédagogique va pouvoir se déployer et produire, entre autres résultats, les objectifs de l’action pédagogique en termes d’apprentissages visés. La spécificité de l’ingénierie pédagogique réside ainsi dans la coordination de l’ensemble des moyens pédagogiques (humains et matériels), dans le cadre d’un projet de formation donné, afin d’en optimiser l’efficience. Ses acteurs majeurs sont les cadres pédagogiques, que l’on dénommera de façon variée selon les institutions (responsable pédagogique, ingénieur pédagogique, directeur ou coordinateur pédagogique, etc.). Leurs compétences seront pointues dans le domaine de la conduite de projets pédagogiques, à partir d’une culture solide en pédagogie, psychologie, technologie et sociologie des organisations. Leur mission sera l’optimisation des dispositifs de formation.
1.5 Une méthode de conduite de projets pédagogiques L’ingénierie pédagogique est une méthode de conduite des projets pédagogiques, c’est-à‑dire une démarche raisonnée permettant de parvenir à un but exprimé en termes pédagogiques, dans une logique d’efficacité. Elle devra satisfaire trois critères : prendre en compte l’ensemble des paramètres de la construction pédagogique (critère de globalité), partir d’une finalité exprimée 508
L’ingénierie pédagogique ■ Chapitre 25
en termes d’objectifs de formation (critère de finalisation), en recherchant l’optimisation du rapport entre les résultats obtenus et des coûts d’ensemble du projet (critère de productivité). L’ingénierie, en tant que méthode, repose sur une technologie, laquelle englobe à la fois une théorie générale des procédés techniques et l’étude spécifique des outils, machines, procédés, relatifs à un certain domaine d’activité ainsi que de leur usage. Dans le cadre pédagogique, l’ingénierie sera basée sur une théorisation des techniques pédagogiques, c’est-à‑dire des procédés et « façons de faire » pour obtenir un certain résultat exprimé en termes de compétences à atteindre ou d’objectifs de formation. Elle reposera ensuite sur l’analyse des moyens humains disponibles ou à rechercher, et des outils pédagogiques, c’est-à‑dire de l’ensemble des objets, instruments ou machines intervenant dans la réalisation du travail pédagogique et la mise en cohérence du dispositif avec les finalités visées. De plus en plus souvent, ces analyses passeront par l’intégration des ressources numériques à toutes les étapes du processus. Toutefois, à mesure que les problématiques de formation des adultes se complexifient, que les tensions budgétaires s’accroissent, et que les ressources se multiplient massivement sur Internet, le travail de diagnostic, de conception, de préparation, de suivi et d’évaluation de l’action atteint une nouvelle dimension. On passe de la simple programmation didactique à un véritable travail de coordination entre des données non seulement techniques et pédagogiques, mais également économiques, sociales et logistiques, voire architecturales.
1.6 Une notion centrale : le dispositif L’objet de la démarche d’ingénierie pédagogique est la création, l’aménagement ou la transformation d’un dispositif. Il s’agira d’articuler et de mettre en cohérence un ensemble de discours, de pratiques, d’outils, d’espaces et de temporalités en vue d’orienter les apprentissages dans une direction donnée. Selon Lebrun (2011) : « Nous entendons par dispositif un ensemble cohérent constitué de ressources, de stratégies, de méthodes et d’acteurs interagissant dans un contexte donné pour atteindre un but. Le but du dispositif pédagogique est de faire apprendre quelque chose à quelqu’un, ou mieux (peut-on faire apprendre ?) de permettre à quelqu’un d’apprendre quelque chose ».
Agencement de moyens matériels et humains organisés en fonction d’un but à atteindre, le dispositif interroge alors un ensemble de valeurs et de convictions, explicites ou non, sur la nature du processus d’apprentissage, l’efficacité des moyens pédagogiques et les finalités de la formation. En ce sens, la conduite d’un projet pédagogique comporte nécessairement une dimension éthique, voire idéologique. 509
Traité des sciences et des techniques de la formation
2. Les cinq étapes de l’ingénierie pédagogique 2.1 Remarques liminaires L’ingénierie pédagogique a pour fonction de transformer les données d’input de la formation (finalités, objectifs de formation ou de compétence, caractéristiques du public, prérequis, contraintes et ressources du projet) en données d’output pour l’organisation pédagogique, susceptibles d’être organisées en spécifications du cahier des charges pédagogiques. Pour ce faire, cinq « étapes » ou « jalons » d’importances variables selon les cas, sont généralement nécessaires, conformément à toute méthodologie de conduite de projet. Il s’agira d’analyser la situation de départ par un diagnostic, de concevoir un design initial du dispositif, de développer des outils et supports plus ou moins sophistiqués, de conduire l’action de formation, de l’évaluer et d’en réguler le fonctionnement. Ces cinq actions sont inscrites dans une récursivité illustrée par le schéma suivant.
Figure 25.1 - Les cinq étapes de l’ingénierie pédagogique
L’ingénierie est une approche de l’action méthodique, rationnelle, progressive. Cependant, sur le champ pédagogique, il convient de se garder de la trop stricte application linéaire d’une procédure, aussi séduisante soit-elle, pour développer ou améliorer un dispositif. En matière de formation comme dans tous les domaines de l’ingénierie des systèmes artificiels, la nécessité de répondre simultanément à des demandes multiples et évolutives d’acteurs différents entraîne donc à adopter simultanément une posture rigoureuse d’application de méthodes et de procédures, et une posture ouverte de recherche d’adéquation du dispositif à son environnement. L’ingénierie peut alors être conçue comme un système en tension entre la maîtrise des procédures à appliquer et l’animation des processus d’innovation. On parlera alors d’ingénierie « concourante », « systémique », voire « agile ». 510
L’ingénierie pédagogique ■ Chapitre 25
Compte tenu de cette mise en garde, nous allons à présent passer en revue les cinq étapes de l’ingénierie pédagogique « classique », qui seront présentées ci-après de façon séquentielle pour en faciliter la lecture.
2.2 Le diagnostic : analyse préliminaire de la demande de formation D’une complexité variable selon l’empan du projet, la phase de diagnostic est essentielle bien que souvent réduite, en particulier du fait des coûts engendrés, fréquemment vus comme non strictement « productifs ». La formalisation des objectifs de formation et des modalités d’évaluation, l’analyse du public et le bilan des ressources et contraintes du projet sont les ingrédients de base de l’ingénierie.
2.2.1 Les objectifs de formation ou de compétence (et les modes d’évaluation) Ils découlent des analyses préliminaires de l’ingénierie de formation (analyse de la demande, de l’activité ou de l’emploi visé et des besoins de compétences). La durée de cette analyse incontournable sera proportionnelle à celle des apprentissages envisagés et à l’ampleur du projet. Si les objectifs n’ont pas été transmis de façon univoque par une voie formelle (convention, appel d’offres, accord de sous-traitance, etc.), il conviendra de mettre au clair, avec le donneur d’ordre, les résultats attendus de l’action envisagée, en termes de compétences visées par la formation, ainsi que les modalités de leur évaluation finale. 2.2.2 L’analyse du public Un tableau descriptif des caractéristiques socio-démographiques, psychosociales, voire cognitives de la population visée sera établi, doublé des indications disponibles sur les motivations caractérisant l’engagement de ce public et les prérequis nécessaires. Les dynamiques d’engagement en formation des adultes peuvent être de natures très contrastées, mais elles surdéterminent toujours les conditions d’apprentissage et les interactions pédagogiques ultérieures1. 2.2.3 Les ressources et contraintes du projet Les possibilités en termes de locaux et de personnel disponibles, les spécifications techniques des équipements ainsi que les possibilités de visites et sorties ou, au contraire d’interventions externes, seront systématiquement inventoriées, en fonction des paramètres précédents : objectifs, publics et bien sûr… budget.
1. Voir supra, chapitre 15.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
2.3 Le design : conception et formalisation du projet pédagogique C’est dans le design que se révèle le talent de « styliste pédagogique » du concepteur, voire son « génie ». Souvent considérée comme caractéristique de l’ingénierie pédagogique, voire comme son synonyme (Enlart, 2007), la phase dite de « design » permet de transformer les données de diagnostic en une première formalisation, soit sous forme de projet pédagogique ou, pour une action de plus grande ampleur, sous forme d’un véritable cahier des charges pédagogiques. Ce document à portée contractuelle entre le donneur d’ordre et le chef de projet réunit l’ensemble des données de conception du projet sous forme de spécifications techniques et pédagogiques. Quel que soit le degré de formalisation du « design pédagogique » choisi, les quatre éléments suivants devront y figurer, à la suite du rappel des conclusions du diagnostic initial.
2.3.1 Les objectifs d’apprentissage Il s’agit d’une transformation des objectifs généraux de formation (exprimés en termes de compétences) en objectifs spécifiques, relevant du domaine des acquis visés en situation pédagogique1. On s’accorde généralement sur les quatre qualités suivantes d’un bon objectif d’apprentissage2. Il doit décrire un résultat observable (exprimé à l’aide d’un verbe d’action), être énoncé de manière univoque, être réaliste et situé (donc mentionner les conditions de son évaluation)3. L’usage des objectifs implique des précautions, et une grande souplesse : il a souvent été noté qu’une pratique trop « procédurière » de la construction des objectifs d’apprentissage conduit à une dérive qui vide cette démarche de son sens. Avec cette réserve, les objectifs d’apprentissage ont de multiples avantages : ils clarifient les enjeux et les intentions de la situation, mettent les processus d’apprentissage au cœur de la problématique de formation, favorisent le dialogue, voire la négociation d’un « contrat pédagogique » formel ou informel, et facilitent l’évaluation externe, l’auto-évaluation et la régulation permanentes du processus pédagogique4. 2.3.2 Le choix du dispositif Bien que souvent surdéterminé par les contraintes de l’environnement du projet (budget, locaux, équipement, « habitudes », contraintes de sécurité ou de transport, etc.), l’aménagement du dispositif devra faire l’objet d’une réflexion spécifique importante. Il s’agira, en
1. D’où l’usage répandu du terme d’objectif pédagogique comme synonyme de celui d’objectif d’apprentissage. 2. Indépendamment d’une évidence bonne à rappeler : qu’il soit conçu du point de vue de celui qui doit apprendre… 3. On aura repéré ici l’acronyme OURS… 4. D. Hameline (1979). Les objectifs pédagogiques en formation initiale et en formation continue, Paris, Les Éditions d’Organisation.
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L’ingénierie pédagogique ■ Chapitre 25
deçà des aspects méthodologiques, de fixer le cadre spatio-temporel et technologique des principales modalités de l’action pédagogique envisagée : calendrier des sorties et visites ; organisation des temps individualisés, en sous-groupe, en séance plénière, à distance ; gestion des salles, de l’architecture pédagogique, du mobilier, des équipements, des intervenants extérieurs, etc. À l’heure des formations « digitales », « hybrides », « en ligne », « multimodales », cette étape du travail d’ingénierie pédagogique sera déterminante.
2.3.3 Les moyens pédagogiques On désignera par moyens pédagogiques l’ensemble des procédés, ressources, artefacts utiles à l’action du formateur. Par méthode, on entendra la démarche globale, raisonnée vers les finalités de l’action pédagogique. Le recours à ce terme, sur-utilisé en pédagogie, prête souvent à confusion, c’est pourquoi nous préférerons avoir recours à l’un des suivants pour caractériser les différents aspects du design pédagogique. Par situation pédagogique, on entendra l’un des quatre formats de travail suivants : –– face-à‑face pédagogique entre le formateur et les stagiaires (dans la même salle ou à distance) ; –– travail en groupes restreints (sans la présence permanente du formateur) ; –– formation individualisée (chez soi, en salle, en centre de ressources, etc.) ; –– ou formation en situation professionnelle. Les techniques pédagogiques sont des façons de faire, processus ou ensembles d’actions, voire de « gestes » spécifiques employés en vue de l’obtention d’un résultat ou de l’atteinte d’un objectif (explicite ou non). On parlera également d’outils pédagogiques, objets matériels ou virtuels servant au travail pédagogique (conçus pour lui ou détournés de leur fonction première) et de supports (en tant que substrats matériels ou virtuels des contenus), voire d’équipement (machine, appareil, simulateur, ordinateur, etc.). Tableau 25.2 - Quelques moyens pédagogiques Type de situation En face-à‑face formateur – grand groupe
Exemples de techniques associées Expositives (conférence, exposé, témoignage, débat…). Démonstratives (expérience, démonstration, essai) Interrogatives (questionnement, maïeutique, test).
Exemples d’outils et supports associés –– Manuel, livre, schéma, article, test. –– Documents multimédias (texte, image, schéma, graphe, carte heuristique, etc.), généralement sonorisés, intégrés ou non à un diaporama ou un module e-learning, projetés en salle et/ou disponibles sur terminal numérique. –– Webinaires, outils de sondages et de quiz, xMooc, COOC, SPOC, didacticiels sur YouTube.
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Traité des sciences et des techniques de la formation Type de situation
Exemples de techniques associées
Exemples d’outils et supports associés
En sous-groupe
Exposé, projet de groupe, centres d’intérêt, enquête, discussion-débat, étude de cas, situation problème, brainstorming, jeu de rôles, jeu d’entreprise, Métaplan, simulation, T. Group.
Dossiers, cas, tableaux muraux, fiches de rôles, jeu, travail collectif, base de données, outils de communication et de collaboration synchrone et asynchrone, sur LMS ou EPA. simulateur, etc.
Individualisée
Exercice ou projet individuel, exposé, enquête, enseignement programmé, exploration, autoscopie, simulation.
Les outils présentés ci-dessus dans la ligne « En face-à‑face… », les outils de tracking, l’EPA (comprenant divers outils de communication), les simulateurs, etc.
En situation de travail
Compagnonnage, tutorat, coaching, formation sur le tas, doublure, formation-action.
Ressources accessibles sur Internet et Intranet, réseau, documents et équipements professionnels « réels », EPA, outils de réalité augmentée.
Une tâche centrale de l’ingénierie pédagogique consistera dès lors à optimiser, en fonction de contraintes empiriques données, l’articulation entre objectifs d’apprentissage et moyens pédagogiques disponibles.
2.4 Le développement : identification et/ou élaboration des outils et supports de formation L’étape de construction des outils et supports pourra être réduite à sa plus simple expression dans le cas où la préparation (ou la révision) du plan d’intervention par le formateur se fait à l’aide de ses techniques et outils conventionnels. Elle pourra, à l’inverse, faire l’objet d’une phase complexe, coûteuse et longue de création et de fabrication, dans le cas d’un grand projet de formation utilisant les ressources numériques. Leur introduction dans le processus pédagogique entraîne un investissement majeur dans le développement d’outils, tout en découplant les temporalités coutumières de l’acte pédagogique. Dans ce cadre, l’investissement humain dans le développement des outils et supports et, surtout, l’accompagnement de leur utilisation par les bénéficiaires peut prendre la « part du lion » des budgets. Il consistera en trois opérations plus ou moins confondues selon les projets : sélection du contenu à médiatiser, scénarisation des activités selon un modèle de l’apprenant (explicite ou implicite), fabrication des ressources (en interne ou par sous-traitance). À ces trois activités viendra, bien sûr, s’ajouter, dans les projets de grande ampleur, l’évaluation des usages des ressources réalisées. On retrouve finalement dans cette phase de l’ingénierie pédagogique, une séquence classique de conduite de projet (analyse, décision, action, contrôle). Le développement d’outils numériques est en quelque sorte, un « projet dans le projet » d’ingénierie pédagogique. 514
L’ingénierie pédagogique ■ Chapitre 25
2.5 La conduite : animation et suivi de l’action pédagogique La conduite de l’action se déroulera sur deux plans d’importances respectives variables selon la position de l’acteur concerné (formateur, responsable pédagogique, concepteur, etc.). D’un côté, l’animation concernera la communication et la relation pédagogiques « directes » (présentielles ou à distance, synchrones ou non). D’un autre point de vue, la conduite sera centrée sur le suivi de l’action d’un point de vue « externe » : contacts avec les intervenants, logistique, maintenance des équipements et organisation courante du processus, suivi des présences, contrôle de gestion et régulation de l’équipe pédagogique, etc. La problématique complexe de l’évaluation, concourante et terminale, à ses différents niveaux d’application sera évidemment princeps de ce second plan de la conduite de l’action.
2.6 L’évaluation : productivité et régulation Dans la conception proposée ici, l’ingénierie pédagogique, rappelons-le, vise à l’efficience du processus d’apprentissage, c’est-à‑dire à l’optimisation du rapport entre résultats attendus et coûts réels de la formation. Il s’agira donc de réunir en une formulation unique, mais simple, les indicateurs de l’une et de l’autre série de données, afin éventuellement de les rapprocher pour apprécier les écarts de productivité dans le temps, entre dispositifs, voire entre prestataires. On cherchera donc à apprécier les facteurs de résultat et de coût. Les facteurs de résultat sont les grandes catégories de l’évaluation d’une action de formation, que l’on résume classiquement au taux de participation (taux de présence ou d’assiduité), à la satisfaction des usagers (représentations, images), au niveau des acquisitions (apprentissages réalisés in vitro), au transfert de compétences (exploitation des acquis en situation réelle, in vivo) et aux effets globaux de la formation sur l’organisation (Meignant, 1992). Mis à part ce dernier paramètre, les quatre facteurs peuvent être appréciés au terme de l’action pédagogique ou peu après. Les facteurs de coût traduisent la prise en compte de l’exhaustivité des frais liés à la formation, visibles et masqués, internes et externes, pédagogiques et administratifs. On citera par exemple, outre les coûts directs (factures ou salaires des formateurs, équipement et matériel des stagiaires), la prise en charge des salaires et compensations des participants (frais de déplacement, hébergement), les coûts de structure (locaux et salaires administratifs imputables, parts de frais généraux), les coûts en logiciels, frais d’hébergement et de maintenance de la plateforme etc. Le rapprochement des facteurs de résultat, affectés de leurs pondérations respectives, et de la totalité des facteurs de coût directs et indirects permettra l’appréciation de la productivité 515
Traité des sciences et des techniques de la formation
pédagogique de l’action. Il va sans dire que ces opérations complexes ne seront justifiées – et indispensables – que dans le cas de projets de formation de grande ampleur. Toutefois, l’esprit, si ce n’est la lettre, de l’évaluation de la productivité pédagogique s’impose aujourd’hui dans la majorité des actions de formation.
3. Éléments de prospective Compte tenu des évolutions majeures du contexte économique et social qui en surplombent l’exercice depuis la fin du xxe siècle (diffusion massive des technologies numériques, transmutation de l’accès aux savoirs, aggravation des tensions sociales et économiques), la pédagogie des adultes est un objet de débat permanent quant aux voies de son renouvellement. On peut dégager trois tendances majeures de cette évolution : individualisation des pratiques, extension du périmètre des apprentissages, recherche d’efficience. Une quatrième ligne de force traverse d’évidence, et de façon accélérée aujourd’hui, ces trois voies de progrès : l’utilisation des ressources numériques. Depuis plus de trente ans, la notion d’individualisation de la formation n’a cessé de faire l’objet d’innovations, d’expériences et de débats, jusqu’à sa diffusion quasi générale dans les organismes dispensateurs de formation aujourd’hui. Une conférence de consensus1 a posé en 2009 les fondements de sa généralisation à partir des principes suivants : modularisation des programmes, accompagnement de l’autodirection, personnalisation de la relation pédagogique. Sous les aiguillons de la nécessité de flexibilité et de formation « juste-à‑temps » (d’où la demande accrue de dispositifs à « entrées et sorties permanentes »), l’argument pédagogique de l’autoformation et du « sur-mesure », appuyé par la disponibilité croissante de ressources technologiques facilement individualisables vient rejoindre la sociologie contemporaine (parfois dite « des individus ») pour donner à cette perspective une influence croissante, non exempte de critiques, en particulier quant à la représentation d’isolement social qu’elle véhicule souvent à tort. L’exemple des APP2 illustre clairement l’adage selon lequel « autoformation n’est pas soloformation3 ». Avec le succès de la notion d’« environnement d’apprentissage », c’est tout le périmètre des opportunités d’apprentissage et, dans une certaine mesure, de leur facilitation qui envahit
1. A.-F. Trollat et C. Masson (dir.) (2009). La Formation individualisée. Conférence de consensus, Dijon, Educagri Éditions. 2. P. Carré et M. Tétart (dir.) (2002). Les Ateliers de pédagogie personnalisée ou l’autoformation accompagnée en actes, Paris, L’Harmattan. 3. Voir supra, chapitre 18.
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L’ingénierie pédagogique ■ Chapitre 25
l’ensemble des situations de vie des adultes. Les signes de cette expansion se constatent dans les dispositifs eux-mêmes, complexifiés par l’essor des mécanismes d’alternance, le recours – ici encore — aux ressources numériques (simulations, jeux, didacticiels, plateformes, moteurs de recherche, sites collaboratifs, réseaux sociaux…) et plus largement la prise en compte des innombrables occasions d’apprentissage informel que la vie quotidienne recèle1. On s’interrogera ainsi, et sans doute pour longtemps encore, sur le potentiel formateur des situations de travail, les formes diverses des apprentissages informels, qu’ils soient autodirigés, incidents ou tacites, le caractère plus ou moins « apprenant » des situations, la dimension « capacitante2 » des organisations, ou, plus généralement sur l’émergence d’une véritable « écologie » de l’apprenance adulte3… Enfin, attendu qu’en formation comme ailleurs, c’est toujours « l’économie qui mène le bal » (Albertini, 1992), il faut souligner à quel point l’avenir sera sans doute encore longtemps soumis à l’impératif d’efficience de la formation. Le pédagogue devra reconnaître que selon la formule, « si la formation n’a pas de prix, elle a un coût ». Le gestionnaire devra admettre que « rien ne coûte plus cher qu’un stagiaire qui n’apprend pas ». Entre ces deux propositions réside sans doute la porte étroite de la négociation économico-pédagogique autour des conditions de l’efficience des apprentissages, objet majeur de l’ingénierie pédagogique. Le phénomène numérique, particulièrement accéléré depuis la généralisation de l’usage des smartphones, des moteurs de recherche et des réseaux sociaux, amplifie et démultiplie l’ensemble de ces tendances (Amadieu et Tricot, 2014). L’individualisation des pratiques est bien sûr intensifiée par la multiplication des ressources disponibles à chacun à partir de ses outils personnels de communication, ouvrant sur la possibilité de construire son « environnement personnel d’apprentissage4 ». Les formes variées d’apprentissage informel individuel et collectif se démultiplient progressivement, facilitées par le recours aux moteurs de recherche, communautés virtuelles, plateformes collaboratives, forums de discussion. La gestion de la formation est bouleversée par la transformation de son modèle économique, qui, en passant du dispositif unique en « tout présentiel » aux formats multiples hybrides ou en ligne, se complexifie et déplace le curseur des coûts vers l’amont du processus pédagogique (diagnostic, conception et développement d’outils), dans une nouvelle problématique de la productivité.
1. M. Nagels et P. Carré (dir.) (2016). Apprendre par soi-même aujourd’hui, Paris, Éditions des archives contemporaines. 2. S. Oudet et C. Batal (dir.) (2016). (R) évolution du management des ressources humaines. Des compétences aux capabilités, Lille, Septentrion. 3. P. Carré (2005). L’apprenance. Vers un nouveau rapport au savoir, Paris, Dunod. 4. Voir infra, chapitre 26.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
Selon ces trois perspectives, le dispositif, objet central des démarches d’ingénierie pédagogique, est d’évidence « en question1 ». C’est-à‑dire pris en une tension, que l’on espère créatrice, entre logique des dispositions (attitudes, motivations et compétences des sujets) et logique de l’ingénierie (architecture et écologie des ressources pour apprendre)2. Au cœur de ces évolutions, l’ingénierie pédagogique devra elle-même se renouveler, en testant des modèles plus systémiques, plus agiles, plus sensibles aux métamorphoses contemporaines de l’acte d’apprendre dans un monde de l’accélération, de la digitalisation et de l’incertitude. C’est dire si la formation en ingénierie pédagogique des formateurs, appelés à devenir facilitateurs d’apprenance, revêt aujourd’hui une importance majeure pour le développement professionnel et culturel des sujets sociaux.
Lectures conseillées Albertini J.-M. (1992). La pédagogie n’est plus ce qu’elle sera, Paris, Le Seuil/CNRS. Amadieu F., Tricot A. (2014). Apprendre avec le numérique. Mythes et réalité. Paris, Retz. Caffarella R. (2002). Planning Programs for Adult Learners (2e éd.), San Francisco, Jossey-Bass. C arré P., M oisan A., P oisson D. (dir.) (2010). L’autoformation. Perspectives de recherche, Paris, PUF. Enlart S. (2007). Concevoir des dispositifs de formation d’adultes : du sacre au simulacre du changement, Paris, Éditions Demos.
Gagne R., Wager W., Golas K. et Keller J. (2005). Principles of Instructional Design (5e éd.), Belmont, Wadsworth. Lebrun M. (2011). Comment construire un dispositif de formation ?, Bruxelles, de Boeck. Meignant A. (1993). Manager la formation (2e éd.), Paris, Éditions Liaisons. Reiser R. A., Dempsy J. V. (2012). Trends and Issues in Instructional Design and Technology, Columbus, Pearson, 3e éd. (17-27). Rieunier A. (2014). Concevoir un projet de formation, Issy-les-Moulineaux, ESF Éditeur.
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1. Enlart S. (dir.) (2008). Formation : les dispositifs en question, Paris, Éditions Liaisons. 2. G. Lameul, A. Jézégou et A.-F. Trollat (dir.) (2009). Articuler dispositifs de formation et dispositions des appreants, Lyon, Chronique sociale.
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Chapitre 26 Les environnements numériques1
1. Par Bernard Blandin.
Sommaire Introduction : Qu’entend-on par environnement numérique ?..................................... 521 1. Quelques exemples d’environnements numériques pour la formation.................... 522 2. La spécificité des dispositifs avec environnement numérique............................... 525 3. Les questions en débat.......................................................................................... 529 Lectures conseillées.................................................................................................. 535
Dans la première édition de ce Traité, la formation ouverte était abordée en même temps que l’ingénierie pédagogique, celle-ci apparaissant comme un produit de celle-là. La deuxième édition consacrait un chapitre à part entière à l’ingénierie de la formation ouverte et à distance (FOAD). Le terme e-learning y a fait son entrée, en même temps que sa tentative de traduction française « e-formation ». La troisième édition constatait que la traduction française n’était pas utilisée et que les termes « formation ouverte et à distance », comme le sigle FOAD avaient aussi tendance à s’effacer devant le terme e-learning. La quatrième édition constate la quasi-disparition de ce terme qui était associé aux promesses de révolution des pratiques pédagogiques à la fin du xxe siècle. Aujourd’hui, ceux qui utilisent des anglicismes parlent de digital learning, pour indiquer l’omniprésence des technologies numériques dans les situations d’apprentissage. En français, on utilisera les termes « environnement numérique », d’où le titre de ce chapitre qui aurait mérité plus amples développements. La suite de cette introduction précise ce que recouvrent ces termes et donne des exemples de leur variété ; la deuxième section aborde les spécificités des dispositifs incluant les environnements numériques ; la troisième traite des questions actuellement en débat ; la dernière section présente quelques références pour aller plus loin sur le sujet.
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Introduction : Qu’entend-on par environnement numérique ? Le terme « environnement » peut être défini comme l’ensemble « des éléments délimitant les contours et les composants d’une situation » (Blandin, 2007). Un environnement numérique est un environnement créé grâce à un ordinateur. Au début, de tels environnements se limitaient à la surface de l’écran de l’ordinateur, ce n’est plus vrai aujourd’hui : avec les techniques de réalité virtuelle1, on peut entrer physiquement dans l’environnement numérique (environnements « immersifs ») ; avec celles de réalité augmentée2, l’environnement numérique se superpose et se mélange à l’environnement réel. La variété des environnements numériques est donc très grande et ceux-ci concernent l’ensemble des situations de la vie quotidienne, qu’il s’agisse des situations de travail ou de formation, des loisirs. L’usage des premiers environnements numériques était individuel, mais il existe aujourd’hui des environnements numériques où plusieurs individus peuvent interagir en temps 1. P. Fuchs et G. Moreau (2006). Le traité de la réalité virtuelle (5 vol.), Paris, Presses des Mines. 2. M. Anastassova, J.-M. Burkhardt, C. Mégard, P. Ehanno (2007). « L’ergonomie de la réalité augmentée pour l’apprentissage : une revue », Le Travail humain, 2/2007 (vol. 70), p. 97-125.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
réel. Les objets avec lesquels on pouvait interagir dans ces environnements étaient des objets virtuels, purement numériques. Aujourd’hui, les objets physiques « connectés » peuvent être manipulés à distance via un environnement numérique. Le numérique et le réel sont de plus en plus enchevêtrés.
1. Quelques exemples d’environnements numériques pour la formation Les environnements numériques utilisés pour la formation sont soit des environnements pour apprendre, soit des environnements offrant des services aux divers acteurs concernés par la formation. Quelques exemples sont présentés ci-après.
1.1 Les environnements numériques de services Commençons par la catégorie d’environnements numériques qui offrent des services aux acteurs concernés par la formation. Ils sont généralement désignés par le sigle ENT, parfois décliné en « environnement numérique de travail », le plus souvent en « espace numérique de travail » depuis que le ministère de l’Éducation a adopté cette dernière déclinaison1. Les ENT sont aujourd’hui adoptés aussi par les organismes de formation professionnelle et continue. Il s’agit, en fait, de la forme spécifique des systèmes d’information du secteur de la formation et de l’éducation. Les services contenus dans un ENT sont les suivants : –– des services de gestion (emplois du temps, notes et évaluations, suivi des absences, réservation de salles ou d’équipements, espaces de stockage…) ; –– des services de communication et de collaboration (brèves d’actualités, messageries, forums, visioconférences…) ; –– des services de gestion et de mise à disposition de ressources pédagogiques (indexation des ressources, recherche de ressources, création de parcours entre les ressources…) ; –– des services d’administration (gestion des utilisateurs, gestion des autorisations, statistiques de suivi de l’utilisation…).
1. Voir http://eduscol.education.fr/cid55726/qu-est-ent.html.
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Les environnements numériques ■ Chapitre 26
1.2 Les environnements numériques pour apprendre Cette deuxième catégorie regroupe les diverses formes d’environnements numériques destinés à apprendre, reflétant des modèles pédagogiques très variés. Quelques exemples sont listés ci-après. L’environnement numérique d’apprentissage le plus simple est un écran sur lequel sont affichées des ressources provenant d’un ordinateur (texte, images, vidéos…). C’est souvent ainsi que le numérique entre dans un dispositif de formation. Une autre forme simple utilise des jeux de questions projetées sur l’écran, auxquelles les apprenants répondent à l’aide de boîtiers de vote, ou de leur téléphone portable, le système affichant automatiquement les résultats. L’enseignement programmé en environnement numérique s’appelait « enseignement assisté par ordinateur1 » dans les années 1960. Un synonyme est apparu aux États-Unis au cours des années 1980 : e-learning. Ce terme est devenu prédominant en 1998 avec l’initiative e-learning de la Commission européenne. Le modèle de l’enseignement programmé continue à donner forme à une très grande majorité des applications d’aujourd’hui. Une tentative d’amélioration de ce modèle s’appuie sur le développement des learning analytics, c’est-à‑dire des algorithmes permettant d’analyser les données issues des plateformes, afin de nourrir en temps réel des « agents intelligents » jouant un rôle de conseil, ou permettant de modifier d’une manière dynamique les parcours d’apprentissage selon le résultat des activités antérieures. Issu des technologies mises au point pour les jeux vidéo, le serious game provient d’une initiative de l’armée américaine pour rendre attrayant un outil de promotion des carrières2. Les développeurs d’e-learning se sont emparés du concept pour proposer une alternative au modèle de l’enseignement programmé, en combinant des interactions pilotées par un moteur de jeu et des univers numériques à vocation pédagogique. Les serious game se sont développés très rapidement à partir de 2005. Mais, comme pour l’e-learning, il semble que les promesses d’efficience n’aient pas été atteintes (voir section 3), et que le concept commence à décliner au profit d’environnements numériques exploitant les technologies 3D. En effet, l’augmentation de la puissance des ordinateurs personnels a permis le développement d’environnements
1. Voir M. Levy, (1997). Computer-assisted language learning : Context and conceptualization, Oxford, Oxford University Press. 2. M. Zyda (2005). « From Visual Simulation to Virtual Reality to Games », in Computer, sept. 2005, IEEE Computer Society, p. 25-32.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
d’apprentissage en « réalité virtuelle1 » où l’environnement numérique possède les trois dimensions du réel. On peut y représenter aussi bien des portions du monde réel que des univers de fiction. Les actions sensorimotrices dans ce monde numérique sont réalistes (vision 3D, son spatialisé, pilotage gestuel…) et l’on peut même ressentir la consistance des objets ou leur résistance en utilisant des interfaces particulières (haptiques). Projetés sur des écrans multiples de grandes dimensions, ces environnements deviennent « immersifs » et permettent alors des apprentissages comportementaux, comme la rééducation de personnes accidentées, ou l’apprentissage de manipulations coordonnées d’objets encombrants en milieu industriel. L’arrivée sur le marché de systèmes immersifs peu coûteux (casques) donne un nouvel élan au développement de ces environnements, notamment pour l’apprentissage de gestes professionnels. Des environnements d’apprentissage utilisant les techniques de réalité augmentée commencent aussi à être utilisés, notamment pour apprendre les procédures de maintenance d’équipements complexes. Le dispositif le plus simple : on filme l’équipement avec une tablette, le déroulement des opérations est présenté en surimpression sur l’image de l’équipement. L’inconvénient est que l’on n’a pas les mains libres. Pour y pallier, on a imaginé des lunettes équipées d’une caméra et d’un écran semi-transparent sur lequel est projetée l’opération à effectuer en superposition à l’image de l’équipement. En 2008, apparaît au Canada un nouveau type d’environnement numérique, appelé massive online open courses (MOOC) par ses créateurs, G. Siemens et S. Downes : le cours qu’ils délivrent à 25 étudiants en présentiel est suivi en ligne par 2 300 participants, qui l’enrichissent avec les outils et ressources de leur choix. En novembre 2011, un enseignant de Stanford, S. Thrun, donne un cours en ligne sur l’intelligence artificielle où s’inscrivent 160 000 étudiants ! Ce succès l’amène à quitter l’université et à fonder Udacity avec des investisseurs pour produire des cours sous forme de courtes vidéos suivies de tests à correction automatique et de problèmes à résoudre. Il appelle aussi son dispositif MOOC. D’autres enseignants de Stanford l’imitent en 2012, et créent Coursera, qui produit aussi des cours sur ce même modèle en partenariat avec diverses universités. Ce modèle connaît un développement foudroyant partout dans le monde (Cisel et Bruillard, 2012). En France, une plateforme nationale est créée à l’initiative du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en octobre 2013, qui diffuse aujourd’hui les cours en ligne de plus de cinquante institutions partenaires : France Université Numérique (FUN). Un article de G. Siemens2 propose de considérer deux types de MOOC : d’un côté ceux conformes à son idée originale, qu’il appelle « MOOC connectivistes » (cMOOC), permettant une co-définition des apprentissages par les participants, mettent en œuvre l’apprentissage collaboratif et
1. Voir P. Fuchs, G. Moreau (2006). Op. cit. Le volume 4 traite des applications, dont la formation. 2. http://www.elearnspace.org/blog/2012/07/25/moocs-are-really-a-platform/.
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Les environnements numériques ■ Chapitre 26
favorisent la créativité et les échanges ; de l’autre, les MOOC commerciaux (xMOOC), qui sont sur un modèle transmissif, composé de séquences vidéo de présentation, suivies de quizz. Ces deux catégories utilisent des plates-formes différentes. Ils sont aujourd’hui déclinés en COOC (corporate open online course) désignant un MOOC d’entreprise réservé aux salariés ; ou encore en SPOC (small private online course) désignant des cours délivrés à un nombre volontairement limité d’apprenants.
1.3 Les environnements personnels d’apprentissage Un autre type d’environnement d’apprentissage centré sur l’apprenant est apparu en 2006 : le personal learning environment (PLE) (environnement personnel d’apprentissage – EPA en français). Il représentait alors un modèle de dépassement du e-learning, qui a fait l’objet de nombreux projets européens mettant des dispositifs englobant les technologies émergentes au service d’une approche axée sur l’autorégulation des apprentissages. Depuis, les recherches sur les pratiques effectives des apprenants ont montré que ceux-ci avaient tendance à construire, effectivement, leur propre environnement d’apprentissage, à partir d’outils qu’ils maîtrisaient, qu’ils soient numériques ou non : un EPA, aujourd’hui, est généralement constitué d’outils divers comme Dropbox, Google Drive, Doodle, ou Skype, agrégés autour de Facebook. Mais le livre, le papier et le crayon peuvent aussi en faire partie. Ces environnements personnels d’apprentissage tendent aujourd’hui à remplacer, pour les apprenants, les environnements numériques institutionnels proposés par les écoles, les universités ou les organismes de formation. De ce fait, on distinguera les environnements personnalisés d’apprentissage, produits par les institutions, et les véritables environnements personnels d’apprentissage, produits par les apprenants eux-mêmes1.
2. La spécificité des dispositifs avec environnement numérique L’ingénierie faisant l’objet d’un chapitre séparé dans cette édition, cette section présente quelques spécificités des dispositifs avec environnement numérique que l’ingénierie devra prendre en compte.
1. Pour les sources, voir B. Blandin (2016). « L’environnement personnel d’apprentissage, un instrument pour l’apprenance ? », in Autour de l’Apprenance, Éducation permanente, n° 207.
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2.1 Des dispositifs instrumentés Un environnement numérique comprend un ou plusieurs outils. Or l’utilisation d’un outil ne va pas de soi. P. Rabardel a montré que celle-ci passe par des « genèses instrumentales1 », c’està‑dire par un double processus d’instrumentation et d’instrumentalisation. L’instrumentation est le processus de construction des schèmes d’usage de l’instrument, c’est-à‑dire le processus d’apprentissage de l’utilisation de l’objet dans une situation donnée. Ce processus peut être très long pour arriver à la maîtrise. L’instrumentalisation est un processus différent : il consiste à apprendre dans quelle(s) situation(s) s’utilise l’objet en question, et quelles sont les manières acceptables pour son utilisation dans chaque situation : les manuels de savoir-vivre présentent la bonne manière de tenir sa fourchette à table, mais il y a d’autres manières de s’en servir pour manger et l’on peut utiliser un autre instrument, par exemple la pointe d’un couteau ou des baguettes. L’instrumentalisation possède donc une dimension sociale : Rabardel parle de « schèmes sociaux d’utilisation ». Plusieurs auteurs ont relevé le fait que l’utilisation de l’ordinateur conduisait à l’apprentissage d’habiletés nouvelles. J. Perriault est parmi les premiers à l’avoir souligné, en s’intéressant à l’utilisation des jeux vidéo2 : ceux-ci permettent de développer des capacités de repérage d’événements furtifs (focalisation rapide de l’attention) et de visualisation des objets dans l’espace, se traduisant par une facilité accrue à opérer des rotations mentales. L’utilisation des jeux vidéo développerait aussi, selon lui, le raisonnement inductif et favoriserait l’apprentissage par la découverte. « Explorer » fait aussi partie des capacités acquises par les utilisateurs des environnements numériques qu’ont identifiées S. Enlart et O. Charbonnier3, avec celle de « scanner » (repérer très rapidement une information pertinente dans une quantité importante d’information) et de « jongler » (exécuter plusieurs tâches en même temps). L’utilisation de l’ordinateur dans ses diverses applications génère donc l’apprentissage d’habiletés spécifiques, mais ce n’est pas pour autant qu’elles sont transférables ou même utiles à l’apprentissage ! Ces habiletés sont toutes dans le registre de l’instrumentation. Or apprendre avec l’ordinateur suppose aussi une instrumentalisation de celui-ci au service des processus d’apprentissage. Il est risqué d’envisager qu’elle puisse se produire pendant la situation d’apprentissage. En effet, les travaux d’Amadieu et Tricot s’appuyant sur la théorie de la charge cognitive montrent que selon l’apprenant et le type de dispositif, il peut y avoir concurrence entre la tâche d’apprentissage et
1. P. Rabardel (1995). Les Hommes et les Technologies : Approche cognitive des instruments contemporains, Paris, Armand Colin. 2. J. Perriault (1996). La Communication du savoir à distance, Paris, L’Harmattan. 3. S. Enlart et O. Charbonnier (2010). Faut-il encore apprendre ?, Paris, Dunod.
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Les environnements numériques ■ Chapitre 26
celle d’utilisation de l’outil, au détriment de l’un et de l’autre1. Il est donc conseillé de prévoir une évaluation initiale de la maîtrise instrumentale, et d’envisager, le cas échéant, la construction de l’instrumentalisation de l’ordinateur dans le processus d’apprentissage au travers de situations spécifiques qui permettent d’apprendre à apprendre avec telle ou telle application. Et parfois même il faudra prévoir de développer l’instrumentation elle-même, en particulier dans les cas d’illettrisme numérique.
2.2 Des dispositifs scénarisés La psychopédagogie est difficile à mettre en œuvre dans les dispositifs s’appuyant sur des environnements numériques, sauf lorsqu’ils s’appuient sur des modèles collaboratifs comme les cMOOC, où la co-construction des situations d’apprentissage par les apprenants, avec l’enseignant et entre eux est la règle, et où les interactions entre les personnes sont au cœur du processus d’apprentissage. Dans tous les autres dispositifs pilotés par l’ordinateur, la machine ne dispose pas de l’intelligence des situations ni de savoir-faire psychopédagogiques. Toutefois, un environnement numérique peut faire une place à l’instruction design sous forme de modèles de situations et d’intrigues prédéfinies s’articulant en scénarios, qui structurent les interactions dans cet environnement. Certains LCMS proposent des modèles prédéfinis, mais dans la plupart des environnements numériques, ces modèles n’existent pas. Pour pallier cette absence, des chercheurs ont imaginé des langages permettant de formaliser pour l’ordinateur les éléments nécessaires à la description des situations pour apprendre : l’educational modelling language2 développé à l’Open Universiteit néerlandaise a été le premier de ces langages formels interprétable en machine, puis il a été affiné en devenant Learning Design3, spécification confiée au consortium international IMS. Ce langage, stabilisé en 2003, a été implémenté sur diverses plateformes. Ces travaux ont donné très rapidement naissance à un courant de recherches visant à produire des environnements informatiques permettant à des formateurs non-informaticiens de créer des scénarios d’apprentissage directement interprétables par l’ordinateur4.
1. F. Amadieu et A. Tricot (2006). « Utilisation d’un hypermédia et apprentissage : deux activités concurrentes ou complémentaires ? », in Psychologie française, 51 (1), 5-23. 2. R. Koper et J. Manderveld (2004). « Educational modelling language : modelling reusable, interoperable, rich and personalised units of learning », in British Journal of Educational Technology, vol. 35, n° 5, p. 537-551. 3. H. Hummel, J. Manderveld, C. Tattersall et R. Koper (2004). « Educational modelling language and learning design : new opportunities for instructional reusability and personalised learning », in International Journal of Learning Technology, vol. 1, n° 1, p. 111-126. 4. Cf. notamment J.-P. Pernin et H. Godinet (2006). Actes du colloque « Scénariser l’enseignement et l’apprentissage : une nouvelle compétence pour le praticien ? », Lyon, 14-04-2006, Lyon, INRP.
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Diverses méthodes permettant de passer des intentions pédagogiques à la description des interactions homme-machine ont alors été développées dans le cadre de l’« ingénierie des EIAH1 ». Ces méthodes, comme ISiS du Laboratoire informatique de Grenoble, sont orientées vers la description d’activités d’apprentissage et opérationnalisées via le langage formel IMS-LD. Mais elles ne permettent pas de décrire toutes les types de situations, et notamment, les simulations, ou les apprentissages en environnements virtuels 3D. D’autres approches ont été mises au point, pour couvrir ce champ, et ont donné lieu au développement d’un ensemble d’outils : par exemple les modèles MASCARET – PÉGASE – POSÉIDON – CHRYSAOR développés au Centre européen de réalité virtuelle (CERV) de Brest. Ces modèles ont été mis en œuvre dans divers projets2. Ces approches, qui ne font qu’introduire dans le champ de la formation des méthodes informatisées acceptées dans d’autres secteurs, font partie des nouvelles approches de l’ingénierie.
2.3 Des dispositifs multidimensionnels En évoquant les dispositifs intégrant les outils et les techniques qui constituent un environnement numérique, M. Lebrun (2005) nous rappelle qu’il faut s’assurer de la pertinence de l’emploi de ces outils ou de ces techniques au regard des apprentissages attendus, et, plus généralement, de la cohérence, à tous les niveaux, entre les objectifs (où on va), les méthodes (comment on y va) et les outils (avec quoi on y va). C’est ce qu’il appelle « l’alignement constructiviste ». Depover, Karsenti et Komis constatent aussi que, pour que l’ordinateur ait un apport réel dans les processus d’apprentissage, il est nécessaire de mettre en cohérence les rythmes scolaires, l’organisation de la classe, le contenu des programmes, les formes d’examens avec les usages de l’ordinateur, et qu’il faut former les enseignants et les cadres de l’institution… bref, qu’il faut mettre le contexte en cohérence avec les usages de l’ordinateur3. Plusieurs études font le même constat, comme on le verra en section 3 : cet « alignement » est la condition principale d’efficacité des dispositifs s’appuyant sur un environnement numérique.
1. EIAH signifie « environnement informatique pour l’apprentissage humain » et désigne un courant de recherche francophone. 2. Voir B. Blandin et R. Querrec. (2014). « Quelle méthode pour concevoir un environnement virtuel pour apprendre une activité ? Une tentative de réponse : le projet EAST », in Actes du 3e colloque international de Didactique Professionnelle, 28 et 29 octobre 2014 à Caen. [En ligne] Téléchargeable à partir de http://didactiqueprofessionnelle.ning.com/page/archives-publiques (communication 4102). Cet article fait l’historique des travaux sur la scénarisation, et mentionne de nombreuses sources. 3. C. Depover, T. Karsenti, V. Komis (2008). Enseigner avec les technologies. Favoriser les apprentissages, développer des compétences, Montréal, Presses de l’université du Québec.
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Cela signifie qu’au moins trois dimensions sont à considérer, que ce soit pour concevoir, pour construire ou pour mettre en œuvre de tels dispositifs : la dimension pédagogique, la dimension technique, la dimension organisationnelle. On pourrait aussi y ajouter la dimension économique.
2.4 Des dispositifs multimodaux Comme indiqué en introduction, les environnements numériques se fondent aujourd’hui dans l’environnement réel, dont ils constituent un élément (projection par exemple), l’enrichissent (réalité augmentée), voire s’y substituent (réalité virtuelle immersive). Les situations de formation en sont transformées : il devient banal de regrouper dans une même session de formation des apprenants en présentiel et à distance ; accéder à des ressources pédagogiques en ligne et les projeter pour en discuter en groupe devient une situation d’apprentissage courante dans une pédagogie du projet ; il arrive de plus en plus fréquemment que des apprenants fassent une recherche sur Internet pendant un cours pour pouvoir contredire leur enseignant ; ou même qu’ils soient tentés de communiquer avec l’extérieur via leur téléphone mobile pendant un examen. De fait, la coprésence d’environnements numériques et de l’environnement réel rend les situations d’apprentissage ou de formation multimodales, dans un double sens : plusieurs modalités de communication sont mobilisées simultanément (langage, texte, image, geste…), mais aussi plusieurs modalités de présence cohabitent (coprésence physique en un lieu, présence à distance…). Du fait de ces spécificités, la conception des environnements numériques d’apprentissage soulève la question des méthodes d’ingénierie (ingénierie concourante multidimensionnelle, méthodes agiles…) qui ne peuvent être celles de l’ingénierie pédagogique traditionnelle.
3. Les questions en débat Le développement des technologies numériques et leur généralisation soulèvent nombre de questions. Au-delà de la « révolution de l’apprentissage » maintes fois annoncée depuis la fin du xixe siècle, cinq questions se posent plus particulièrement aujourd’hui : les effets cognitifs des environnements numériques ; l’efficience de ces environnements ; l’impact des réseaux sociaux ; les modèles économiques, et enfin la protection des données personnelles. Cette dernière question a émergé récemment.
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3.1 Les effets cognitifs des environnements numériques Nous avons vu (section 2.1) que l’utilisation des environnements numériques pouvait amener à acquérir des habiletés instrumentales particulières. Quelques ouvrages déjà anciens recensent d’autres effets cognitifs de ces environnements dans le cadre d’apprentissages scolaires 1 ou universitaires2. Un article plus récent en fait de même pour la formation d’adultes3. Tous les auteurs constatent une difficulté : les recherches sont issues de disciplines variées et elles portent sur des travaux qui ne peuvent pas être comparés. Néanmoins, quelques convergences se dessinent : –– il y a un effet réel des environnements numériques sur les apprentissages lorsque l’outil est intégré dans des situations pédagogiques efficaces au regard des objectifs d’apprentissage ; –– la généralisation de cet effet implique le développement de la culture technique des enseignants ainsi qu’une transformation de leurs pratiques pédagogiques, ce qui ne peut se produire que dans un contexte institutionnel favorable à cette transformation. On retrouve donc les préconisations « d’alignement constructiviste » énoncées précédemment. Si l’on entre dans les détails, lorsque cet alignement préalable est effectif, on trouve trois conditions qui donnent un avantage aux situations d’apprentissage utilisant l’ordinateur : –– l’ordinateur est utilisé dans le cadre de pédagogies actives et collaboratives, c’est-à‑dire dans des situations où l’apprenant est amené à produire des connaissances, des argumentaires… et peut donner du sens à ce qui est appris ; –– l’ordinateur est utilisé pour ses capacités multimédia et présente les informations d’une manière multimodale. En particulier l’association de l’image et d’un texte parlé en relation avec l’image affichée s’avère plus efficace que l’image seule ou le texte seul ; –– le contenu présenté par l’ordinateur est segmenté, présente une structure lisible, n’offre pas de digressions ni de possibilités de navigation complexes. Dans l’étude sur la formation des adultes, où apparaît la formation à distance, on retrouve des résultats voisins : dans certaines conditions, qui prennent en compte les caractéristiques du processus apprendre chez l’adulte, les dispositifs appuyés sur les environnements numériques peuvent avoir un effet positif. C’est le cas lorsque : –– le dispositif facilite l’autodirection des apprentissages ;
1. D. Legros et J. Crinon (dir.) (2002). Psychologie des apprentissages multimédia, Paris, Armand Colin. 2. R.C. Clark, R. E. Mayer (2007). E-learning and the science of instruction. Proven Guidelines for Consumers and Designers of Multimedia Learning, 2e éd., Hoboken, Pfeiffer. 3. B. Blandin (2012). « Apprendre avec les technologies numériques : quels effets identifiés chez les adultes ? », in Savoirs, n° 30, p. 11-58.
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–– le dispositif rend effectives les principales dimensions de la présence (sociale, cognitive, pédagogique) ; –– le dispositif s’appuie sur des situations professionnelles reproduisant tout ou partie de la réalité.
3.2 L’efficience des environnements numériques La question de l’efficience des environnements numériques est apparue avec l’e-learning qui a été sommé de la démontrer dès le départ ! De ce fait, de nombreuses études ont été réalisées, puis ont été compilées dans des méta-analyses, avec les mêmes difficultés que pour les études sur les effets cognitifs : les situations étudiées sont très différentes, les outils utilisés aussi, et les disciplines et méthodes de recherches sont elles-mêmes extrêmement variées. Deux méta-analyses sont à mentionner. La première (Fenouillet et Déro, 2006), la seule publiée en français, étudie la littérature anglo-saxonne et compare les résultats de trente-cinq études sélectionnées parmi plusieurs centaines. Elle arrive à la conclusion que l’e-learning et la formation traditionnelle obtiennent des résultats d’apprentissage comparables et que « l’efficacité du e-learning repose, tout comme celle du présentiel, sur un cocktail de facteurs pédagogiques, politiques, techniques, administratifs et économiques ». La seconde étude, plus récente, a été commandée par le ministère de l’Éducation américain1. Cette méta-analyse porte sur cinquante et une études retenues, sur plus d’un millier publié entre 1996 et 2008. Elle montre qu’en moyenne les apprenants disposant d’un environnement numérique ont de meilleurs résultats que ceux recevant une instruction en face-à‑face. Les écarts de performance les plus importants sont le fait d’élèves en formation mixte. Ayant noté que ces formations incluent souvent un temps d’apprentissage supplémentaire et l’accès à des ressources que ne fournit pas l’enseignement en face-à‑face, les chercheurs suggèrent donc de ne pas imputer l’effet positif obtenu avec un environnement numérique au média lui-même. Quant aux serious games, leurs effets commencent à faire l’objet d’études2. Toutefois, les serious games étant généralement assimilés à des jeux vidéo, ces études accordent généralement peu d’importance aux effets sur le processus d’apprentissage.
1. B. Means, Y. Toyama, R. Murphy, M. Bakia, K. Jones (2009). Evaluation of Evidence-Based Practices in Online Learning : A Meta-Analysis and Review of Online Learning Studies, Washington, US Department of Éducation. 2. T.M. Connolly, E.A. Boyle, E. MacArthur, T. Hainey, et J.-M. Boyle (2012). « A systematic literature review of empirical evidence on computer games and serious games », Computers et Education, 59 (2), 661-686. Plus récemment, un numéro spécial de la revue STICEF : P.A. Caron, S. Georges, J. Alvarez (2014). « Évaluation dans les jeux sérieux », numéro spécial de la revue STICEF, vol. 21 [en ligne], http://sticef.org.
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Le phénomène récent des MOOC et les enjeux économiques qui y sont attachés obligent à se poser la question de l’efficience de ce type de dispositif. En effet, le taux d’abandon dans un MOOC est aussi impressionnant que le nombre d’inscrits (environ 90 % !). Deux tiers des communications à l’European MOOC Stakeholder Summit organisé à Lausanne en 2014 portent sur le sujet1, qui est une des questions principales de recherche sur les MOOC aujourd’hui ! Les principaux facteurs d’abandon sont exactement les mêmes que pour l’e-learning dans les années 2000 : manque de temps, manque de motivation, sentiment d’isolation et manque d’interactivité de la plateforme.
3.3 Les réseaux sociaux et l’apprentissage L’utilisation de l’ordinateur pour l’apprentissage collaboratif fait partie des situations d’usage pertinentes (section 3.1). Vygotski, le premier, a émis l’idée que le sens était une construction sociale, et que le langage servait de support au développement cognitif et à la structuration de la pensée. Diverses écoles ont ensuite travaillé sur la dimension sociale de la cognition : les successeurs de Piaget à l’université de Genève ont mis les aspects sociaux de la cognition au cœur de leurs recherches2, puis les tenants du « socio-constructivisme », se réclamant de Vygotski et de Bruner, ont proposé le paradigme de la cognition située3. On sait donc que le conflit sociocognitif ou le marquage social jouent un rôle important dans les processus d’apprentissage et que les situations d’apprentissage collaboratif entre deux apprenants de niveau légèrement différent, parce qu’elles obligent à formuler les représentations que chacun a des problèmes et de leurs solutions, à confronter ces représentations, à argumenter ses choix, bref parce qu’elles permettent en même temps le développement de capacités métacognitives, sont reconnues comme les plus efficaces. Les instruments de communication, et notamment l’ordinateur, ne modifient pas ces situations. Au contraire, ils peuvent faciliter les échanges et les confrontations, parce qu’ils en conservent et structurent les traces. Les réseaux sociaux semblent devenir les outils privilégiés d’apprentissages collaboratifs. Des recherches, encore peu nombreuses, sur l’utilisation des réseaux sociaux pour apprendre, suggèrent qu’ils facilitent le développement des situations d’apprentissage informelles. Le Deuff
1. U. Cress et C. D. Kloos (2014). « Proceedings of the European MOOC Stakeholders Summit », held February 10-12 in Lausanne – Switzerland. 2. G. Mugny (dir.) (1985). Psychologie sociale du développement cognitif, Peter Lang, Berne. 3. J.S. Brown, A. Collins et P. Duguid (1989). « Situated Cognition and the Culture of Learning », Educational Researcher, vol. 18, n° 1, p. 32-42.
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s’est intéressé aux réseaux de loisirs créatifs1, Cyrot et Jeunesse à YouTube2. Il en ressort que de nouvelles pratiques d’autoformation, appuyées sur la socialité en ligne, apparaissent. Un phénomène semblable semble aussi apparaître dans le cadre de formations formelles, comme le montre l’étude longitudinale sur trois ans des pratiques des étudiants en ingénierie multimédia de l’université de Toulon réalisée par Peraya et Bonfils3 : ceux-ci ont créé leur environnement personnel d’apprentissage (voir section 1.3) qui s’est substitué aux outils institutionnels, et s’est progressivement recentré, par détournements successifs, sur le réseau social Facebook, mettant au centre de leur démarche d’apprentissage le processus collaboratif et la fonction « être ensemble ». Le rejet des LCMS institutionnels au profit d’agrégation d’outils autour d’un réseau social comme Facebook, ainsi que le développement de nouvelles pratiques d’autoformation en ligne posent des questions aujourd’hui sans réponses : s’agit-il d’un rejet des technologies utilisées ? des institutions ? des situations d’apprentissage proposées ?
3.4 Les modèles économiques Les environnements numériques d’apprentissage supposent une autre logique économique que celle de la formation traditionnelle, basée sur le travail du formateur. Comme l’a montré Albertini, l’introduction des technologies ou de dispositifs donnant un rôle plus important à l’apprenant, oblige à substituer le capital au travail4. Les économistes appellent « servuction » cette logique de coproduction, qui entraîne un déplacement des dépenses de formation vers l’amont de la chaîne de valeur : on doit dépenser de l’argent pour réaliser des outils et/ou des systèmes techniques bien avant qu’un apprenant n’entre dans le dispositif, contrairement à la formation traditionnelle qui ne nécessite pratiquement pas d’investissements. Bates notait qu’avec l’e-learning, les coûts fixes sont importants et les coûts variables faibles5. Cependant, l’introduction de prestations de tutorat change complètement le modèle. Or c’est une condition
1. O. Le Deuff (2010). « Réseaux de loisirs créatifs et nouveaux modes d’apprentissage », Distances et savoirs (vol. 8, n° 4), p. 601-621. 2. P. Cyrot et C. Jeunesse (2012). « Autoformation et réseaux virtuels », Distances et médiations des savoirs, 1, 2012-2013, [en ligne] consulté le 19 février 2016, http://dms.revues.org/137. 3. D. Peraya, et P. Bonfils (2014). « Détournements d’usages et nouvelles pratiques numériques : l’expérience des étudiants d’Ingémédia à l’université de Toulon », in STICEF, vol. 21 [en ligne] http://sticef.univ-lemans.fr/ classement/rech-annee.htm#v21. 4. J.-M. Albertini (1992). « Une nouvelle économie de la formation ? », Études et expérimentations en formation continue, Paris, La Documentation française, n° 16, juillet-octobre, p. 3-8. 5. A.W. Bates (2005). Technology, e-learning and Distance Education, 2e éd., New York, Routledge.
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d’efficience ! Ce dilemme est peut-être une des raisons pour lesquelles le pourcentage d’utilisation de formations en ligne reste à peu près inchangé depuis le début des années 2000 et plafonne à 25 % du nombre d’heures de formation dans les entreprises américaines1. Avec les MOOC, la question devient encore plus aiguë : ils sont gratuits pour les apprenants qui s’y inscrivent, et les plates-formes qui les délivrent ont pourtant coûté des millions de dollars ! La solution envisagée : faire payer les examens ou les certifications. Mais en général, seul un faible pourcentage des inscrits recherche une certification et passe les examens. Autre solution imaginée : vendre les bases de données constituées lors des inscriptions aux employeurs potentiels2. Aujourd’hui, le choix du modèle n’est pas décidé, mais aucune plate-forme ne gagne de l’argent, et cela pourrait précipiter la fin de ce type de dispositif. Deux autres questions concernant les modèles économiques des environnements numériques peuvent être soulevées, sans qu’il n’y ait aujourd’hui de réponses. La première concerne le patrimoine numérique des entreprises. En effet, aujourd’hui, tout produit industriel passe par une étape de conception qui aboutit à une maquette numérique. Les produits deviennent, en général, rapidement obsolètes, ou sont remplacés par de nouvelles versions. Les maquettes numériques des versions obsolètes de produits complexes pourraient être recyclées pour fournir la base d’environnements numériques d’apprentissage. La seconde concerne les données dites « ouvertes ». Ce sont des données issues de collectivités publiques, mises à disposition gratuitement. Elles pourraient aussi être utilisées dans des environnements numériques d’apprentissage ad hoc. Ces deux propositions permettraient de réduire fortement les coûts de développement.
3.5 Les données personnelles Les propositions économiques de valorisation des MOOC via la vente des données d’inscription posent d’une manière cruciale la question de la protection des données personnelles. En effet, ces données enregistrées par les plateformes (LCMS, MOOC) sont considérées comme « personnelles », et font l’objet de règles de protection au niveau européen, aussi bien qu’au niveau national. Les données recueillies par les environnements numériques pour le suivi des formations ou pour l’analyse des parcours (learning analytics), sont aussi considérées comme des données personnelles.
1. Voir le State of the Industry Report de l’ASTD. L’édition 2014 est synthétisée dans un article en ligne : http:// files.astd.org/Research/TD-Article.pdf?_ga=1.63637738.430967211.1462036552. 2. Voir M. Cisel et E. Bruillard (2012). Op. cit.
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Cela pose de nombreuses questions quant à l’usage des technologies d’analyse. Et de fait, plus de deux cents questions ont résulté d’une étude européenne sur le sujet1. L’utilisation des données personnelles issues des environnements numériques et de leur traitement est devenue une question incontournable, mais sans réponse à ce jour.
Lectures conseillées Amadieu F. et Tricot A. (2014) Apprendre avec le numérique. Mythes et réalités, Paris, Retz.
Cisel M., Bruillard E. (2012). « Chronique des MOOC », STICEF, vol. 19 [en ligne], http://sticef.org.
Blandin B. (2007). Les Environnements d’apprentissage, Paris, L’Harmattan.
Clark R.C., Mayer R. E. (2007). E-learning and the science of instruction. Proven Guidelines for Consumers and Designers of Multimedia Learning, 2e éd., Hoboken, Pfeiffer.
Blandin B. (2012). « Apprendre avec les technologies numériques : quels effets identifiés chez les adultes ? », Savoirs, n° 30, p. 11-58. Blandin B. (2016). « L’environnement personnel d’apprentissage, un instrument pour l’apprenance ? », in « Autour de l’apprenance », Éducation permanente, n° 207, p. 139-146. Charlier B., Grandbastien M., Henri F., Peraya D. (2014). « Les environnements personnels d’apprentissage : entre description et conceptualisation », STICEF, vol. 21 [en ligne], http://sticef.org.
Fenouillet F. et Déro M. (2006). « L’e-learning est-il efficace ? Une analyse de la littérature anglosaxonne », Savoirs, vol. 12, n° 3, p. 88-101. Lebrun M. (2005). E-learning pour enseigner et pour apprendre, Louvain-la-Neuve, Academia Bruylant Means B., Toyama Y., Murphy R., Bakia M. et Jones K. (2009). Evaluation of Evidence-Based Practices in Online Learning : A MetaAnalysis and Review of Online Learning Studies, Washington, US Department of Éducation.
1
1. T. Hoel, J. Mason et W. Chen (2015). « Data Sharing for Learning Analytics – Questioning the Risks and Benefits », in H. Ogata et al. (éd.). Proceedings of the 23rd International Conference on Computers in Education, China : Asia-Pacific Society for Computers in Education [online], http://hoel.nu/publications/ICCE2015_Hoel_ Mason_Chen_final.pdf.
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Chapitre 27 Le transfert des apprentissages1
1. Par Jean-François Roussel.
Sommaire 1. Un enjeu majeur..................................................................................................... 539 2. Le caractère différencié du transfert en milieu organisationnel............................ 541 3. Les facteurs favorisant le transfert des apprentissages....................................... 543 4. Tendances actuelles : l’importance de la métacognition........................................ 545 Lectures conseillées.................................................................................................. 549
1. Un enjeu majeur Les managers de la formation et les formateurs en milieu organisationnel orientent leurs efforts afin que le développement des compétences soit maintenant considéré comme un investissement qui favorise la performance au travail, et non comme une dépense nécessaire, voire une obligation légale. À ce titre, le rôle du transfert des apprentissages est crucial. En effet, les apprenants doivent être en mesure d’utiliser ce qu’ils ont appris en formation et de maintenir, voire d’enrichir ce qui avait initialement été maîtrisé. Ainsi, dans une économie où la compétitivité est devenue incontournable, l’impact de l’apprentissage sur la performance humaine constitue un enjeu majeur. Bien que des liens positifs aient été clairement établis entre le transfert des apprentissages et le développement de la performance humaine, force est de constater que les efforts consentis ne produisent toujours pas les résultats attendus.
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Le transfert des apprentissages en milieu organisationnel constitue donc un problème majeur. En effet, dès 1982, David Georgenson1 affirmait dans la revue américaine Training and Development Journal que pas plus de 10 % des activités de formation parvenaient à produire des résultats en milieu de travail. Bien que cette estimation ne soit pas fondée sur une démarche de recherche vraiment crédible, ce pourcentage de 10 % des activités de formation capables de générer des retombées en milieu de travail a néanmoins été repris par plusieurs auteurs qui, tout en soulignant qu’il existe peu de données à ce sujet, confirment qu’une large part des investissements en formation ne s’avère pas efficace en raison du faible taux de transfert. Toujours dans cette perspective d’évaluation du transfert, les recherches réalisées par le Conference Board du Canada apportent un nouvel éclairage. En effet, les résultats d’une étude menée en 2011 indiquent que 54 % des employés affirment pouvoir appliquer de façon appréciable ce qu’ils ont appris en milieu de travail immédiatement après la formation, alors que ce pourcentage diminue à 15 % après six mois et à 11 % après un an. Ainsi, selon ces données, c’est à plus long terme que les effets de la formation semblent s’estomper. Cependant, deux recherches menées par le Conference Board du Canada en 2014 et 2015 révèlent que le pourcentage après une année s’établit plutôt à 25 %. Par ailleurs, certains chercheurs affirment que le fait de mesurer l’efficacité du transfert au moyen d’un simple pourcentage ne permet pas une évaluation significative, puisque cela ne considère ni les conditions dans lesquelles le transfert s’effectue ni l’utilisation qui en résulte. 1. D.L. Georgenson (1982). « The problem of transfer calls for partnership on the job ? », Training and Development Journal, 36 (10), 75-78.
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Ces chercheurs soulignent de plus que viser la perfection en matière de transfert constitue un objectif irréaliste qui ne tient pas compte de la variété des fonctions et des tâches couvertes, des expériences et des motivations différenciées des apprenants de même que des occasions de mise en œuvre. Ils proposent ainsi de lier la mesure du transfert à des objectifs plus spécifiques, qui se traduisent notamment par des comportements adoptés en milieu de travail. D’un point de vue théorique, la situation n’est pas très claire non plus. À l’intérieur de recensions intégratives des écrits portant sur le transfert des apprentissages en milieu organisationnel, certains auteurs font référence à une conception du transfert fondée sur la généralisation et le maintien des apprentissages, alors que d’autres le lient également à l’adaptation des apprentissages réalisés en formation en fonction des différents contextes rencontrés. D’ailleurs, dans le cadre d’une recension d’écrits encore largement citée de nos jours, Baldwin et Ford (1988)1 définissent le transfert des apprentissages comme étant « la généralisation en contexte de travail des contenus appris en situation de formation, de même que leur maintien dans le temps » [traduction libre] (p. 64). Ce faisant, ces auteurs soulignent que cette généralisation s’avère pertinente dans le cas de tâches simples qui nécessitent le développement et la mémorisation d’habiletés motrices de base et dont les résultats s’évaluent à court terme. Ils précisent en outre que l’utilisation de telles tâches est problématique en milieu organisationnel, là où la formation répond aussi à des besoins de développement de compétences complexes et à long terme qui requièrent la résolution de problèmes. Ainsi, le transfert ne se limite pas à une forme de généralisation qui consiste à étendre à un ensemble ce qui s’appliquait à un nombre limité de cas correspondants et à la maintenir pendant une certaine période de temps, mais il nécessite aussi, dans certains cas, un processus de contextualisation qui permet de distinguer ce qui s’applique ou non à un contexte précis. C’est d’ailleurs dans cette perspective que Guy Le Boterf (2010) conçoit le transfert quand il affirme que transférer suppose non seulement de disposer de certaines ressources, mais aussi de reconnaître les situations où elles peuvent être utilisées. Les recherches menées à l’université du Michigan sont éclairantes à ce sujet. Ce transfert dit « adaptatif » nécessite de la part des apprenants qu’ils soient en mesure de planifier, mais aussi d’ajuster ce qu’ils ont appris selon leurs préférences, les exigences de la fonction qu’ils occupent et les imprévus qu’ils rencontrent. Ainsi, de retour en milieu de travail, les apprenants choisissent, modifient et enrichissent (en ajoutant certaines étapes, par exemple) les approches et les procédures qu’ils ont apprises en vue de performer en fonction des différents contextes rencontrés. 1. T. Baldwin et J. K. Ford, (1988). « Transfer of training : a review and directions for future research », Personnel Psychology, 41 (1), 63-105.
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Le transfert des apprentissages ■ Chapitre 27
Dans l’esprit des propos de Thorndike et Woodworth (1901)1 fondés sur la logique des éléments identiques, le transfert est trop souvent perçu comme une reproduction de ce qui a été enseigné en formation, qui limite le rôle de l’apprenant à appliquer tel quel ce qu’on lui enseigne. Une telle vision fait en sorte que les contenus de formation diffusés en milieu organisationnel correspondent souvent à des séquences linéaires fixes et fermées, ou encore à des grilles de travail que « l’apprenant » se doit de suivre sans en déroger. Si l’on s’en remet uniquement à ces conceptions, il ne faut pas s’étonner que bon nombre de connaissances acquises deviennent assez rapidement obsolètes dans des contextes organisationnels marqués par le changement constant. Un transfert à plus long terme qui se situe non seulement après la formation, mais qui se poursuit dans le temps dans une perspective de performance durable et qui pourrait même s’échelonner sur plusieurs années nécessitera, dans bon nombre des cas, plus qu’une application de procédures standardisées. En effet, un tel transfert devra s’appuyer avant tout sur la capacité des apprenants à utiliser les apprentissages réalisés dans une perspective d’adaptation, et non uniquement de reproduction de ce qui a été appris. Sans nier qu’elle puisse se révéler pertinente, par exemple dans le cas de certaines fonctions de travail, cette seule vision plus statique du transfert ne semble plus suffire dans des contextes où les travailleurs doivent s’adapter à de nouvelles situations, notamment en raison des changements technologiques omniprésents et de leur incidence sur l’organisation du travail.
2. Le caractère différencié du transfert en milieu organisationnel Dans cette même perspective, dès 1999 Yelon et Ford proposent une vision multidimensionnelle du transfert liée au degré d’autonomie en poste des apprenants. Ils affirment que le transfert est associé à deux types d’habiletés, soit des habiletés dites « fermées » (closed skills), qui requièrent l’application de séquences de travail fixes, et d’autres, qualifiées d’« ouvertes » (open skills), qui nécessitent davantage l’adaptation et la résolution de problèmes. Les habiletés fermées sont plutôt liées à des emplois de nature opérationnelle ou technique. À titre d’exemple, elles sont associées à des tâches telles que le remplacement de pièces pour un mécanicien automobile ou encore l’installation de ceintures de sécurité pour un opérateur sur une chaîne de production. Par ailleurs, on a plus fréquemment recours aux habiletés ouvertes dans des fonctions managériales, quand il est question de motiver les employés, ou encore lorsqu’un représentant d’une compagnie aérienne doit rediriger des passagers à la suite de l’annulation d’un vol.
1. E. L. Thorndike et R. S. Woodworth, (1901). « The influence of improvement in one mental function upon the efficiency of other functions », Psychological Review, 8 (3), 247-261.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
Ainsi, les habiletés dites « ouvertes » sont liées à des fonctions de travail et à des situations où il existe un bon degré d’autonomie, qui font en sorte que les apprenants ayant appris certains principes seront à même de concevoir des façons de faire qui ne suivront pas nécessairement des procédures prescrites. En ce sens, en raison de l’importance à accorder à la capacité d’adaptation en milieu de travail, un plus grand nombre de fonctions de travail semblent faire maintenant appel à des habiletés ouvertes qu’à des habiletés fermées (Huang, Ford et Ryan, 2016)1. Cette vision différenciée du transfert trouve un large écho, mais parfois avec des terminologies différentes. En effet, deux types de transfert, soit le transfert rapproché et le transfert éloigné, sont fréquemment identifiés dans la littérature scientifique et spécialisée. Le transfert est généralement qualifié de rapproché quand il existe un haut degré de similarité entre la situation de formation et le contexte de transfert, et d’éloigné quand c’est plutôt un haut degré de dissemblance qui prévaut. Finalement, bien que la référence ne soit pas faite explicitement, les deux types d’habiletés liées au transfert, soit les habiletés fermées, qui requièrent l’application de séquences de travail fixes, et les habiletés ouvertes, qui nécessitent plutôt l’adaptation et la résolution de problèmes, évoquent également le transfert rapproché et le transfert éloigné. Le concept de transfert se traduit également au moyen de diverses taxonomies. Ces différentes hiérarchisations du transfert prennent généralement appui sur la typologie du transfert rapproché et éloigné, et sont surtout centrées sur des processus cognitifs. Cependant, Yelon, Ford et Bathia (2014) proposent plutôt une taxonomie axée sur l’utilisation qui est faite des apprentissages transférés. Ainsi, selon le cas, le transfert permet non seulement de réaliser certaines activités, mais aussi d’en évaluer l’efficacité, de guider les collègues quant à leur utilisation ou encore de mettre en place des changements dans une perspective d’amélioration continue. Ces auteurs précisent que la définition du transfert peut donc en quelque sorte être élargie en tenant compte du fait qu’il nécessite de la part des apprenants une utilisation réussie des apprentissages réalisés dans le cadre de leur travail. Dans cette perspective, le transfert des apprentissages en milieu organisationnel peut être défini comme étant l’utilisation, par un individu, des connaissances, des habiletés et des savoirs appris en formation, dans le cadre de contextes de travail comportant un certain degré de nouveauté, et ce, afin d’améliorer, de façon prioritaire, sa performance (Roussel, 2011). Finalement, même si ces différentes typologies et taxonomies situent délibérément le transfert entre une situation de formation et un contexte de travail, elles peuvent être utilisées de façon plus large. Ainsi, le transfert peut se situer entre deux contextes de travail différents, comme dans 1. J. L. Huang, J. K. Ford, et A. M. Ryan (à paraître). « Ignored no more : within person variability enables better understanding of training transfer », Personal Psychology.
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Le transfert des apprentissages ■ Chapitre 27
le cadre de projets consécutifs, le premier contexte ayant fait l’objet d’apprentissages spécifiques utilisables lors du second.
3. Les facteurs favorisant le transfert des apprentissages Dès 1988, Baldwin et Ford affirment que le transfert des apprentissages peut être favorisé par trois groupes de facteurs respectivement liés aux caractéristiques individuelles des apprenants, aux pratiques pédagogiques et à l’environnement de travail. Cette perspective systémique est également celle proposée par Devos et Dumay (2006) et Bouteiller (2006). Dans cette même perspective systémique, Grossman et Salas (2011), s’appuyant sur deux recensions intégratives des écrits couvrant plus de 250 recherches sur le transfert, précisent les 11 facteurs les plus à même de le favoriser. Dans cette perspective, ces auteurs affirment que si les chercheurs ciblent en quelque sorte leurs recherches en faisant appel à un nombre limité de variables, il apparaît tout à fait légitime de faire de même dans le cas de professionnels qui cherchent à mieux prioriser leurs interventions. En s’appuyant sur le modèle de Baldwin et Ford, ces facteurs tels qu’identifiés par Grossman et Salas sont brièvement décrits dans le tableau 27.1. Dans une perspective systémique, ils sont associés aux caractéristiques individuelles des apprenants, aux pratiques pédagogiques et à l’environnement de travail. Ils constituent autant de pistes possibles en vue de concrétiser le transfert en milieu organisationnel.
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Traité des sciences et des techniques de la formation Tableau 27.1 - Principaux facteurs favorisant le transfert des apprentissages. Principaux facteurs
Brève description Caractéristiques individuelles des apprenants
Sentiment d’efficacité personnelle
Selon les travaux de Bandura, les apprenants possédant un haut degré d’efficacité personnelle éprouvent une meilleure confiance dans leurs capacités d’apprendre et de transférer. Ils démontrent aussi plus de ténacité lorsqu’ils rencontrent certaines difficultés à accomplir avec succès des tâches complexes.
Motivation
Des apprenants motivés à apprendre et à transférer avant, pendant et après la démarche mise en œuvre constituent un des éléments les plus significatifs en matière de transfert. Cette motivation se traduit par de plus hauts degrés d’intensité, de focalisation et de persistance afin d’atteindre un but.
Valeur perçue
Les apprenants qui perçoivent la démarche de formation ou d’apprentissage implantée comme étant pertinente et utile à leurs fonctions de travail sont portés à transférer leurs apprentissages de façon accrue.
Habiletés cognitives
Les apprenants ayant une plus grande habileté à comprendre des concepts complexes, à les retenir, à les adapter à leur environnement et à apprendre de leurs expériences sont plus à même de transférer leurs apprentissages. Pratiques pédagogiques
Modelage
Les activités de modelage, qui comprennent à la fois des exemples et des contre-exemples ainsi que des activités pratiques qui y sont liées, favorisent le transfert.
Management des erreurs
Une anticipation par les apprenants des enjeux possibles du transfert en milieu de travail ainsi que le fait de les amener à y faire face avec succès et de leur souligner les conséquences négatives pouvant résulter de l’absence de transfert constituent toutes des pratiques favorables.
Environnement réaliste
Le recours à des situations authentiques et similaires à celles rencontrées en milieu de travail, notamment au moyen de simulations, contribue positivement au transfert. Environnement de travail
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Climat de transfert
L’instauration d’un climat de travail positif qui encourage et valorise l’utilisation des nouveaux apprentissages en milieu de travail stimule le transfert.
Soutien des managers/ des pairs
La mise en place d’activités de soutien au transfert de la part des managers de proximité et des pairs constitue un facteur contributif.
Occasions de mise en œuvre
Le fait de s’assurer de la présence en milieu de travail de ressources et de temps alloués au transfert et d’occasions de mise en œuvre représente un élément important pour favoriser le transfert.
Suivi
L’implantation de mécanismes de suivi, comprenant des débriefings, des activités réflexives et l’étude de divers outils d’aide à la tâche liés aux procédures et à la prise de décision, encourage la poursuite des efforts en matière de transfert.
Le transfert des apprentissages ■ Chapitre 27
4. Tendances actuelles : l’importance de la métacognition Le consensus grandissant autour du caractère adaptatif et différencié du transfert ouvre des pistes de travail stimulantes en matière de développement des compétences, à l’intérieur desquelles un rôle plus important sera accordé à l’apprenant. Ainsi, dans le cas des habiletés ouvertes, où la latitude et l’autonomie d’action constituent des éléments clés, le transfert des apprentissages est fonction de la capacité des individus à déceler et à saisir les occasions de transfert au sein de leur environnement de travail. Dans cette perspective, des facteurs individuels tels que la motivation, souvent associée à la perception d’utilité de la formation ou encore au caractère applicable des apprentissages réalisés, et l’auto-efficacité jouent un rôle plus important dans le transfert des apprentissages lié à ce type d’habiletés. Dans la même perspective, Yelon et ses collaborateurs (2014) indiquent que les travailleurs qui bénéficient d’une certaine latitude utilisent ce qu’ils ont appris en fonction des buts qu’ils poursuivent et qu’ainsi, le transfert est parfois fonction d’objectifs personnalisés plutôt que des attentes des formateurs à leur endroit. Pour ces auteurs, la notion de choix de l’apprenant constitue un des trois principes fondamentaux en matière de transfert1. Certaines tendances liées aux meilleures pratiques organisationnelles en matière de formation et de développement vont dans le même sens. Ainsi, pour le Conference Board du Canada (2011), dans une optique collaborative, l’apprentissage en entreprise doit évoluer d’une perspective « produit », formatée pour les apprenants, vers une perspective « processus », qui vise plutôt à les impliquer. Pour cet organisme de recherche, il en résulte un changement de paradigme qui amènera les individus en milieu de travail à déterminer, sans recette toute faite, les actions qu’ils auront à mettre en œuvre afin d’intégrer leurs nouveaux apprentissages. Toujours en ce qui a trait à l’importance accrue conférée à l’apprenant en matière de transfert en milieu organisationnel, plusieurs auteurs soulignent l’importance à accorder au développement des habiletés métacognitives. Pour ces auteurs, de telles habiletés sont de nature à permettre aux apprenants de réaliser avec succès le transfert des apprentissages, et ce, même au sein d’environnements de travail non facilitants. Dans un contexte de transfert des apprentissages, la métacognition est définie comme englobant « les habiletés de planification, de contrôle et d’autorégulation […] comprenant la capacité d’un individu à déterminer les stratégies les plus appropriées afin de faciliter l’acquisition des connaissances et leurs utilisations potentielles » [traduction libre] (Ford et Kraiger, 1995, p. 8)2. 1. Les deux autres principes sont liés au caractère multidimensionnel du transfert et au fait que les différentes utilisations réalisées en milieu de travail, bien que complexes, sont repérables. 2. K. Ford et K. Kraiger (1995). « The application of cognitive constructs to the instructional systems model of training : implication for need assessment, design and transfer », International Review of Industrial and Organizational Psychology, 10, 1-48. 545
Traité des sciences et des techniques de la formation
Bien que le développement d’habiletés liées à la métacognition et, plus largement, à l’autorégulation relève avant tout de l’individu, car elle met en lumière le fait que l’apprenant possède des croyances à l’égard de ses forces et de ses faiblesses, au travail à accomplir et à la meilleure façon d’y arriver en ajustant ses pratiques selon les résultats obtenus, un formateur qui joue un rôle de facilitation peut y contribuer. Pour ce faire, et tout en sachant qu’il peut paraître réducteur d’associer le développement d’habiletés métacognitives à une seule démarche, un processus en quatre étapes peut servir de guide. Ces étapes sont respectivement le modelage, la pratique guidée, la pratique coopérative et la pratique autonome. Ainsi, dans un premier temps, le formateur joue un rôle de modèle en rendant visibles les connaissances et les habiletés. Par la suite, il amène les apprenants à verbaliser leurs façons de faire, et ce, tant sur le plan de la compréhension que de l’activité à accomplir, en leur donnant la rétroaction nécessaire : il s’agit de la pratique guidée. La troisième étape, la pratique coopérative, vise plutôt à amener l’apprenant à expliciter sa démarche auprès de ses pairs, afin de lui permettre de la réguler. Puis, en fin de processus, l’apprenant est davantage en mesure d’utiliser de façon autonome les façons de faire apprises au sein de différents environnements tout en étant capable de s’ajuster. Une recherche menée dans le cadre d’un programme en développement du leadership auprès de managers de proximité a permis de dégager dix-huit actions de facilitation utilisées par un formateur afin de stimuler le développement de la métacognition chez les apprenants. Ces actions ont permis d’expliquer près de 10 % de la variance liée au transfert des apprentissages (Roussel, 2011). Ces dix-huit pratiques sont décrites ci-dessous en association avec les quatre étapes du processus décrit précédemment.
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Le transfert des apprentissages ■ Chapitre 27 Tableau 27.2 - Actions de facilitation liées au développement de la métacognition favorisant le transfert des apprentissages Modelage 1. Comme formateur, j’ai posé des questions ou fait des résumés qui permettent aux apprenants de se souvenir des apprentissages antérieurs réalisés en formation ou dans le cadre de leur travail. 2. Comme formateur, j’ai posé des questions ou fait des résumés pour aider les apprenants à se souvenir des points forts et des points à développer identifiés en formation ou dans le cadre de leur travail. Avant le début des activités d’apprentissage, j’ai : 3. Clarifié l’objectif ou la procédure à suivre. 4. Donné des exemples de la façon dont je m’y prends afin de réaliser ces activités d’apprentissage de même que certaines situations de transfert qui en découlent. 5. Non seulement donné des exemples, mais je me suis aussi « donné en exemple » en réalisant moi-même ces activités d’apprentissage. Lors du démarrage des activités d’apprentissage, j’ai : 6. Communiqué mes questionnements, mes croyances. 7. Invité les apprenants à poser des questions ou à formuler des commentaires. Pratique guidée 8. Comme formateur, j’ai posé des questions ou réalisé des interventions afin d’aider les apprenants à préciser leurs buts personnels. Pendant la préparation des activités d’apprentissage, j’ai : 9. Rappelé l’objectif poursuivi et la procédure à suivre au besoin. 10. Posé des questions ou réalisé des interventions qui ont aidé les apprenants à ajuster leurs façons de faire. Pendant ou après les activités d’apprentissage, j’ai : 11. Posé des questions ou réalisé des interventions qui ont aidé les apprenants à clarifier leurs façons de faire, tant sur le plan de la préparation que de la réalisation de l’activité. 12. Donné une rétroaction aux apprenants sur leurs façons de faire (préparation et réalisation de l’activité). 13. Posé des questions ou réalisé des interventions qui ont amené les apprenants à auto-évaluer leurs façons de faire (préparation et réalisation de l’activité). Pratique coopérative 14. Posé des questions ou réalisé des interventions qui ont amené les apprenants à donner de la rétroaction sur leurs façons de faire et à en recevoir de la part des autres participants. 15. Demandé aux apprenants de communiquer en grand groupe la rétroaction obtenue. Pratique autonome Pendant ou après les activités d’apprentissage, j’ai posé des questions ou réalisé des interventions qui ont aidé les apprenants à : 16. Préciser des pistes de développement dans le cadre de leur travail. 17. Trouver un sens aux différents apprentissages réalisés en fonction des buts personnels. 18. Voir comment les apprentissages réalisés pourraient être utilisés dans d’autres contextes, particulièrement dans le cadre de leur travail.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
5. Conclusion : une perspective d’apprentissage autodirigé dans des contextes d’apprentissage plus informel Selon le Conference Board du Canada, l’apprentissage informel constitue la principale source de développement des compétences dans les organisations et il est maintenant fortement enraciné en entreprise. Dans ce contexte, l’apprentissage informel est souvent analysé dans une logique dite d’hybridation qui met l’accent sur sa complémentarité avec l’apprentissage formel, soit parce que ces deux modes d’apprentissage apparaissent indissociables, soit parce qu’ils se retrouvent à différents niveaux dans la majorité, voire toutes les situations d’apprentissage rencontrées (Cristol et Muller, 2013). C’est dans cette perspective de complémentarité entre les modes d’apprentissage formel et informel que Choi et Jacobs (2011) ont évalué, dans le cadre d’une recherche menée auprès de plus de deux managers en milieu bancaire, l’impact de certaines caractéristiques individuelles des apprenants. En faisant référence au concept d’orientation individuelle à l’apprentissage, qui lie motivation, efficacité personnelle et recherche d’un développement continu, ces chercheurs en viennent à la conclusion que l’influence de ces caractéristiques, qui demeure modérée en contexte d’apprentissage formel, devient deux fois plus élevée quand c’est le mode informel qui prime. De tels dispositifs liant apprentissage formel et informel se retrouvent également dans le cas de programmes de développement de la relève à l’intention de hauts potentiels, ayant recours notamment à l’approche de l’apprentissage dans l’action. Dans de tels programmes, le leader en apprentissage est amené à se doter d’un plan individuel de développement à l’intérieur duquel il fixe ses objectifs, choisit ses ressources et ses stratégies d’apprentissage, et évalue sa progression. Pour ce faire, il est soutenu par un coach d’apprentissage et, parfois, par un comité de suivi. L’apprenant y assume donc la responsabilité première de son apprentissage, qui se situe alors dans une perspective d’apprentissage autodirigé. Des dispositifs liés à l’apprentissage autodirigé ont également été identifiés dans le cadre de démarches mises en œuvre par des professionnels au sein d’entreprises appartenant au domaine de la haute technologie, et ce, dans le but d’accroître la responsabilisation des employés à l’égard du développement de leurs compétences (Karakas et Manisaligil, 2012). Bien que ces quelques exemples demeurent liés plus directement à l’apprentissage qu’au transfert, ils ouvrent cependant des portes quant à l’évolution possible de la recherche, mais aussi de nouvelles pratiques dans ces contextes plus ouverts. Malheureusement, trop peu d’études relatives au transfert sont menées en milieu organisationnel. Qui plus est, elles restent encore plus rares quand il est question d’apprentissage de nature informelle. D’importants travaux restent donc à réaliser. 548
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Lectures conseillées Bouteiller D. (2006). « Le transfert : la face cachée de la formation », Le point en administration de la santé et des services sociaux, 2, 12-13. Choi W. et Jacobs R. L. (2011). « Influences of formal learning, personal learning orientation and supportive learning environment on informal learning », Human Resource Development Quarterly, 22 (3), 239-257. Cristol D. et Muller A. (2013). « Les apprentissages informels dans la formation pour adultes », Savoirs, 32, 11-59. Devos C. et Dumay X. (2006). « Les facteurs qui influencent le transfert : une revue de littérature », Savoirs, 12, 11-46. Grossman R. et Salas E. (2011). « The transfer of training, what really matters », International Journal of Training and Development, 15 (2), 103-120.
Karakas F. et Manisaligil A. (2012). « Reorienting self-directed learning for the creative digital era », European Journal of Training and Development, 36 (7), 712-731. Le Boterf G. (2010). Repenser la compétence, Paris, Éditions d’Organisation. Roussel J.-F. (2011). Gérer la formation, viser le transfert, Montréal, Guérin. Y elon S. L. et F ord J. K. (1999). « Pursuing a multidimensional view of transfer », Performance Improvement Quarterly, 12 (3), 58-78. Yelon S. L., Ford J. K. et Bathia S. (2014). « How trainees transfer what they have learned : toward taxonomy of use. », Performance Improvement Quarterly, 27 (3), 27-52.
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Chapitre 28 L’orientation professionnelle des adultes1
1. Par Jacques Aubret.
Sommaire 1. Éléments d’histoire et d’actualité de l’orientation professionnelle des adultes.......................................................... 553 2. Pratiques d’accompagnement des adultes en orientation et compétences des accompagnateurs........................................... 556 3. Les contenus des actions d’orientation professionnelle........................................ 559 4. Travaux et recherches scientifiques en orientation des adultes............................ 563 5. En conclusion........................................................................................................ 565 Lectures conseillées.................................................................................................. 567
L’orientation professionnelle est une préoccupation européenne mais elle est aussi une composante essentielle des stratégies nationales en faveur de l’emploi et de la formation tout au long de la vie. Selon un communiqué de Bergen (2005), dans la suite logique du processus de Bologne (initié en 1998-1999), l’« orientation professionnelle » fait référence aux services et activités destinés à aider les individus, quels que soient leur âge et leur situation personnelle, à effectuer des choix en matière d’éducation, de formation et de profession et à gérer leur carrière. La loi française du 24 novembre 2009 confère un contenu plus psychologique à l’orientation : elle « est le résultat d’un processus continu d’élaboration et de réalisation du projet personnel de formation et d’insertion sociale et professionnelle que tout individu mène en fonction de ses aspirations et de ses capacités. Toute personne dispose du droit à être informée, conseillée et accompagnée en matière d’orientation qu’elle soit initiale ou continue, au titre du droit à l’éducation ». L’orientation professionnelle a une histoire. Peut-elle permettre aujourd’hui d’affronter les nouveaux défis liés aux mutations profondes qui affectent l’homme dans ses relations au travail, aux autres, à lui-même ?
1. Éléments d’histoire et d’actualité de l’orientation professionnelle des adultes L’orientation scolaire et professionnelle des adultes s’est progressivement organisée au cours du xxe siècle en synergie avec le développement de la formation professionnelle continue à la suite de la promulgation des lois sur l’éducation permanente de juillet 1971.
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1.1 De l’obligation de formation au droit à l’orientation Les lois de juillet 1971 ont fait de la formation continue et de l’éducation permanente une obligation nationale dans le but de favoriser l’adaptation de l’homme aux changements culturels et technologiques qui touchent ses conditions de vie et de travail. La loi précise que la formation continue est pour l’homme l’instrument d’accès aux différents niveaux de la culture et de la qualification professionnelle. Si la formation continue est présentée comme une chance de réalisation personnelle, l’évolution des lois et des pratiques s’est progressivement focalisée sur la vie professionnelle et la nécessité de favoriser, par des actions de soutien personnalisé, la résolution des problèmes individuels d’insertion professionnelle et plus généralement de l’adaptation durable au travail. 553
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Le bilan des compétences professionnelles et personnelles créé par la loi du 31 décembre 1991 est devenu une pratique phare en orientation professionnelle des adultes. La loi quinquennale du 20 décembre 1993 a fait de la formation professionnelle l’objet d’un co-investissement « entreprises-salariés », ces derniers devant assurer par eux-mêmes la gestion de leurs projets et de leurs compétences. La loi du 24 novembre 2009 a inscrit dans le Code du travail un droit autonome à l’information, au conseil et à l’accompagnement en matière d’orientation professionnelle. Les réformes de l’éducation et la formation professionnelles impulsées en 2013 et 2014 modifient en partie le système d’orientation. La loi du 14 juin 2013 instaure un droit au conseil en évolution professionnelle (CEP) dont peut bénéficier toute personne (salariée, non salariée, demandeur d’emploi). La loi du 5 mars 2014 parachève la décentralisation de la responsabilité politique de l’orientation. Ainsi le 1er janvier 2015, est créé un service public régional de l’orientation (SPRO) et organisée la nécessaire coopération entre les opérateurs nationaux et régionaux pour garantir une offre de service cohérente et homogène sur l’ensemble du territoire. L’État définit, au niveau national, la politique d’orientation des élèves et des étudiants dans les établissements scolaires et les établissements d’enseignement supérieur et la région coordonne les actions des autres organismes participant au service public régional de l’orientation. Les textes les plus récents créent les outils censés devoir assurer la meilleure continuité possible des parcours professionnels dans un marché du travail qui sollicite leur flexibilité. Parmi ceux-ci : le compte personnel de formation (CPF) permet à toute personne active, dès son entrée sur le marché du travail et jusqu’à sa retraite, d’acquérir des droits à la formation mobilisables tout au long de sa vie professionnelle (loi du 5 mars 2014) ; le compte personnel d’activités (CPA) entré en vigueur en 2017 vise à sécuriser la flexibilité des parcours professionnels. Il est censé recenser toutes les activités salariées et bénévoles exercées par une personne.
1.2 Une multiplicité de structures en charge de l’orientation des adultes Depuis plus d’un quart de siècle des actions d’orientation ont été proposées dans divers cadres institutionnels ou systématiquement intégrés au fonctionnement des dispositifs d’accueil des jeunes adultes et des adultes présentant des difficultés d’insertion professionnelle. Selon un rapport adressé au Premier ministre1 (F. Guégot, 2009) sur le développement de l’orientation professionnelle tout au long de la vie, ce qui frappe d’abord, en France, c’est la multiplicité des structures qui effectuent, pour tout ou partie, des prestations d’orientation au point de constituer
1. F. Guégot (2009). Développement de l’orientation professionnelle tout au long de la vie, Rapport au Premier ministre.
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L’orientation professionnelle des adultes ■ Chapitre 28
un maquis au sein duquel on peut avoir du mal à se repérer. L’offre de service en matière d’aide à l’orientation passe : –– par des réseaux issus, au moins au départ, d’un système de formation initiale ou continue : les réseaux des chambres des métiers et de l’artisanat ou des chambres de commerce et d’industrie et des chambres d’agriculture ; le réseau national et interprofessionnel paritaire des Fonds de gestion des congés individuels de formation (Fongecif et Opacif) ; l’Association pour la formation des adultes (Afpa) ; les services de formation continue pilotés par l’Éducation nationale et les établissements d’enseignement supérieur (les services universitaires d’information et d’orientation, SUIO) et en général tous les services confrontés à l’accompagnement des candidatures à la validation des acquis de l’expérience (les points relais pour la VAE) ; –– par des réseaux spécialisés en direction de publics identifiés avec bien souvent une volonté d’approche globale de la personne et de ses problèmes, par-delà la seule orientation : mission locale (ML), centre d’information et de documentation jeunesse (CIDJ), Office national d’information sur les enseignements et les professions (Onisep) ; Centre national d’information sur les droits des femmes et des familles (CNIDFF), Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph), Cap-Emploi, Association pour emploi des cadres (Apec), etc. ; –– par des réseaux à vocation plus généraliste, soit dans l’approche des publics soit dans la prestation offerte, et qui sont le plus souvent d’initiative locale tout en participant à une même charte de service : maison de l’emploi, Cité des métiers, maison de l’information sur la formation et l’emploi (Mife), centre de bilan de compétences ; –– par des réseaux qui assurent une mission d’orientation dans le cadre du service public : Pôle Emploi pour le retour à l’emploi, centre d’information et d’orientation (CIO) pour le service public de l’éducation, etc. Le grand service public autonome de l’orientation professionnelle (SPO) créé en 2015 dans le prolongement de la loi du 24 novembre 2009, se décline selon deux modalités : sur le plan national, un volet dématérialisé, le portail « Orientation pour tous » (OPT) confié au Centre Inffo, et sur le plan local, des services d’information et de conseil en orientation qui travaillent en coopération et font l’objet d’un label délivré par les préfets de région. Il garantit à toute personne l’accès à une information gratuite, complète et objective sur les métiers, les formations, les certifications, les débouchés et les niveaux de rémunération, ainsi que l’accès à des services de conseil et d’accompagnement en orientation de qualité et organisés en réseaux.
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2. Pratiques d’accompagnement des adultes en orientation et compétences des accompagnateurs La résolution européenne du 21 novembre 2008, « Mieux inclure l’orientation tout au long de la vie dans les stratégies d’éducation et de formation tout au long de la vie » souligne la nécessité de promouvoir les compétences, notamment en matière d’information, de conseil et d’accompagnement. Dans quels types de pratiques et par quels professionnels ces compétences sont-elles mises en œuvre ?
2.1 Les pratiques d’orientation des adultes Quatre types de pratiques comportent des activités relatives à l’accompagnement de tout ou partie d’une démarche d’orientation professionnelle.
2.1.1 Le bilan de compétences Le bilan de compétences professionnelles et personnelles a été institué, en France, par l’accord interprofessionnel du 3 juillet 1991 et la loi du 31 décembre 1991, sous la forme d’un droit au congé pour effectuer un bilan. Selon la loi, « les actions permettant de réaliser un bilan des compétences ont pour objet de permettre à des travailleurs d’analyser leurs compétences professionnelles et personnelles ainsi que leurs aptitudes et leurs motivations afin de définir un projet professionnel et, le cas échéant, un projet de formation ». L’essentiel tient dans la centration du bilan sur l’appropriation par la personne de la démarche qui lui est proposée et qui doit être adaptée à son rythme d’appropriation et à ses questions. Il peut comporter à la fois des évaluations sur la base d’épreuves objectives (épreuves d’aptitudes, de personnalité, de motivation, évaluation des compétences) et des phases de retour réflexif sur soi (démarches autobiographiques et histoires de vie). Il est l’intermédiaire entre le projet de formation et le projet d’insertion, l’interaction « formation-insertion » fonctionnant dans les deux sens pour maintenir et développer une « employabilité durable1 ». Entreprendre pour soi le travail d’analyse de ses compétences peut être bénéfique lorsqu’il donne à la personne une certaine visibilité sur son employabilité future pour des emplois en évolution et la confiance dans sa capacité à se faire reconnaître par ses interlocuteurs professionnels.
1. C. Lemoine (2002). Se former au bilan de compétences. Comprendre et pratiquer cette démarche, Paris, Dunod.
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L’orientation professionnelle des adultes ■ Chapitre 28
Le bilan se situe dans la tradition française de l’orientation éducative, telle qu’elle a été définie par A. Léon (1957) et maintes fois présente depuis dans les idées et les pratiques : développement d’une psychopédagogie du projet (travaux de J. Legrès, et de D. Pémartin), élaboration de méthodes de découverte des activités professionnelles et des projets personnels (J. Guichard), mouvement de l’activation du développement personnel et vocationnel (ADVP) concernant l’éducation des choix (largement inspirée par D. Pelletier), création de l’association « Trouver-créer » sous l’impulsion de G. Latreille et R. Solazzi, développement d’une conception intégrée de l’information et de l’orientation autour des idées d’approche orientante au Québec, etc.
2.1.2 Le conseil en évolution professionnelle (CEP) Institué par une loi de 2013, le CEP est l’occasion pour toute personne active de faire le point sur sa situation professionnelle et engager, le cas échéant, une démarche d’évolution professionnelle. Il peut s’articuler sur l’entretien professionnel annuel. Il a pour ambition de favoriser l’évolution et la sécurisation de son parcours. Il vise à accroître ses aptitudes, ses compétences et ses qualifications, en facilitant son accès à la formation. Le CEP bénéficie de l’appui d’un conseiller-référent et est réalisé par des opérateurs prévus par la loi (Opacif, Pôle Emploi ; Apec ; mission locale ; Cap Emploi, etc.). 2.1.3 La validation des acquis de l’expérience Elle s’est développée par étapes : loi et décrets 1984-1985, loi de 1992, loi de 2002 (VAE). Selon cette dernière, « toute personne engagée dans la vie active est en droit de faire valider les acquis de son expérience, notamment professionnelle, en vue de l’acquisition d’un diplôme, d’un titre à finalité professionnelle ou d’un certificat de qualification figurant sur une liste établie par la commission paritaire nationale de l’emploi d’une branche professionnelle, enregistré dans le répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) ». L’implication de la VAE pour l’orientation provient du fait que l’accompagnement des candidats à la réalisation du dossier d’acquis d’expérience à présenter devant un jury comporte la référence à un projet professionnel identifié pour lequel le diplôme visé sera un atout de réalisation.
2.1.4 La pratique des portefeuilles de compétences ou portfolios Elle a été préconisée, en France, par les décrets d’application relatifs à la création du bilan de compétences (1991-1992). Cette pratique intègre potentiellement toutes les caractéristiques d’un bilan. Elle est à la fois la réalisation d’un dossier d’acquis de formation et d’expériences, et une démarche accompagnée qui donne du sens à cette mémoire des acquis et qui prépare son titulaire à son utilisation efficace dans les situations de mobilité professionnelle. Cette pratique s’est particulièrement développée depuis 2010, avec l’émergence de e-portfolios qui associent la démarche classique du portefeuille à des outils ou plateformes 557
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numériques1 (les « e-portfolios ») lesquelles permettent de nombreuses formes d’utilisation et d’intégration de données diverses concernant leurs titulaires. Parmi les réalisations actuelles citons le portefeuille d’expérience et de compétences (PEC) utilisé dans une quarantaine d’établissements d’enseignement supérieur (Biarnès et Rose, 2016). Les concepteurs du PEC, dès l’origine en 2005, ont conçu une démarche et un outil « ouverts » susceptibles d’intégrer des contenus réflexifs et d’expériences venant d’autres formes de pratiques (par exemple, de l’Europass qui est un dossier constitué de cinq types de documents devant permettre à son titulaire d’exprimer clairement ses compétences et qualifications selon des standards communs aux Européens) et en retour, d’enrichir, le cas échéant, ces dites pratiques.
2.2 Les styles d’accompagnement L’accompagnement du processus d’orientation des adultes n’est pas seulement défini par une pratique, la présence d’un médiateur éducatif, le contenu ou les objectifs de la médiation. Il se définit également par le mode d’intervention de l’accompagnateur, du formateur, du conseiller, en situation de face-à‑face ou à distance. De ce point de vue, on peut généraliser à l’ensemble des interventions éducatives la classification que C. Rogers réserve à la catégorisation des formes d’entretien. L’intervention directive en orientation correspond à l’attitude du conseiller qui chercherait à dicter sa solution aux personnes qui le consultent en ne prenant en compte que des indicateurs externes aux sujets, interprétés par lui (résultats aux tests, débouchés professionnels) en fonction des valeurs qu’il leur attribue. L’intervention non-directive correspond aux attitudes du conseiller qui limite son intervention à faire s’exprimer le sujet en le laissant décider de ses propres choix sans apporter la moindre information extérieure et les moindres indications concernant la valeur adaptative de ses choix. Entre les deux, l’intervention semi-directive décrit le rôle de l’accompagnateur de la démarche d’orientation qui soutient l’expression de la personne et apporte des éléments de reconnaissance de soi et du contexte (ou points de repères sur soi et autrui) qui lui permettent de leur attribuer du sens et de l’utilité par rapport à ses projets et de s’autodéterminer en toute connaissance de cause. A. Lhotellier2 a donné une nouvelle actualité aux théories rogériennes. Dans la démarche de consultance, qu’il préconise, l’essentiel, selon lui, est l’agir du consultant client (et non pas seulement son information, son projet, la connaissance de soi, etc.). « Tenir conseil », c’est 1. P.-D. Gauthier, M. Pollet (2013). Accompagner la démarche portfolio, préface de J.-P. Boutinet, postface de J. Aubret, Paris, Éditions Qui Plus Est. 2. A. Lhotellier (2001). Tenir conseil, Paris, Seli Arslan.
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L’orientation professionnelle des adultes ■ Chapitre 28
travailler à rendre signifiante pour l’acteur, une action efficace. Il s’agit donc de se centrer sur la vie de la personne plutôt que sur sa personnalité. Ce faisant, on applique un principe de C. Rogers : reconnaître que le client aura une grande satisfaction à trouver une réponse à son problème mais que la seule réponse réaliste possible est fonction de son pouvoir et de son désir d’affronter la situation.
2.3 La formation et les compétences des accompagnateurs On estime à plusieurs dizaines de milliers le nombre de professionnels dont l’essentiel des interventions concerne de près ou de loin une aide à l’orientation. Quelques milliers seulement peuvent faire état d’une qualification certifiée dans le domaine spécifique de l’orientation (notamment les conseillers d’orientation-psychologues). Les autres interviennent en orientation dans l’exercice d’un autre métier (enseignants, managers en ressources humaines, gestionnaires de carrière, consultants, coach, etc.). Des formations universitaires se sont développées (du niveau master 2) qui assurent des formations de qualité dans lesquelles la dominante disciplinaire n’est pas nécessairement la psychologie différentielle comme ce fut le cas durant une bonne partie du siècle dernier. Toutes les disciplines des sciences humaines et sociales peuvent contribuer à la formation de conseillers, lorsque ce métier est envisagé comme un débouché possible de la formation universitaire. Il en résulte une très grande diversité d’intervenants, laquelle devient un atout pour les personnes accompagnées, lorsque des concertations entre tous les acteurs sont organisées ; elle pourrait être une faiblesse si les personnes qui viennent consulter sont soumises à des messages divergents dont elles ne peuvent tirer parti. Verra-t‑on se développer de réelles formes de coopération entre acteurs de l’orientation à l’occasion du développement des politiques régionales d’orientation ?
3. Les contenus des actions d’orientation professionnelle La responsabilité de l’orientation professionnelle est partagée entre le monde politique qui légifère, le monde éducatif qui contribue au développement des savoirs et des compétences, le monde économique qui détient l’offre d’emploi et l’ensemble des individus qui totalise les ressources humaines mobilisables. À cela on peut ajouter tous les acteurs sociaux qui tentent de faire le lien entre ces différents mondes. S’agissant des aspects individuels de l’orientation on peut se demander sur quels leviers on peut agir pour que les ressources dont chacun dispose se transforment en projets d’avenir. Cinq pistes d’actions sont classiquement explorées dans les pratiques d’orientation professionnelle depuis plus d’un quart de siècle.
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3.1 Le retour réflexif sur le passé personnel et professionnel, qui ne se réduit pas à une capitalisation de droits acquis La capitalisation des droits acquis par les salariés enregistrés dans des « comptes » comme le prévoit la législation (compte personnel de formation, compte personnel d’activité) n’est qu’un moyen au service d’une démarche individuelle d’orientation qui, lorsqu’elle est souhaitée, ne se réduit pas à la recherche d’une nouvelle insertion professionnelle acceptable dans l’urgence. Interroger son passé de formation et d’expérience peut être conçu comme une voie possible d’identification des ressources d’avenir. Cette démarche comporte plusieurs facettes. Elle prend la forme d’un retour réflexif sur soi, de nature cognitive, en vue d’analyser les conditions personnelles et environnementales qui ont permis, ou non, les prises de décision d’orientation et l’engagement dans le travail. Le but n’est pas de culpabiliser l’individu sur le constat de chances non saisies mais de montrer, au contraire, que toute décision de réorientation le concernant met en jeu des causes et des effets collatéraux ou dérivés dont il n’est pas responsable mais qui le déterminent. Certains facteurs sont bien connus : les premières orientations parfois imposées par le système éducatif pour des raisons de déficit scolaire (le poids du « décrochage ») ou d’absence de place en formation (inadaptation de la carte des formations), la sortie du système scolaire sans diplôme et sans qualification, une sortie prématurée d’un parcours universitaire après l’échec d’une première année, la succession de petits boulots précédant des périodes de chômage, les discriminations dont il a pu être victime (discrimination en raison du genre, de l’âge, de la nationalité, de l’origine socioculturelle, des marques d’une appartenance communautaire comme le prénom), les répercussions des événements personnels et familiaux sur les choix professionnels, les accidents et handicaps de la vie qui modifient ou interrompent brutalement des parcours commencés, les périodes d’épuisement professionnel, le harcèlement, les mises « au placard », certains effets négatifs sur l’employabilité de situations de travail peu stimulantes qui ont engendré une obsolescence des compétences, etc. Reconnaître son passé peut donner à certaines personnes l’envie de rebondir (s’investir autrement) en évitant de reproduire les erreurs passées assumées comme telles. Le retour cognitif sur le passé est une condition nécessaire de l’identification des acquis de l’expérience en termes de savoirs, savoir-faire et savoir-être ou en termes de compétences identifiables (J. Layec, 2006). Il précède les démarches d’investigation des secteurs d’emplois ou d’activités professionnelles dans lesquelles ces acquis peuvent être mis en œuvre, avec ou sans formation complémentaire ; il enrichit le « parler de soi » dans un espace mondial numérisé consultable par tous et qui donne le sentiment de tout connaître de chacun. Enfin il donne des bases concrètes et acceptables, voire désirables, aux idées de flexibilisation des parcours professionnels.
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3.2 Le développement d’une vision positive de l’avenir qui donne confiance en soi Il n’y a pas de réorientation professionnelle assumée sans une vision positive de l’avenir et une dose de confiance et d’estime de soi et des autres. Or, en période de crises comme celles que traversent les pays européens (crises personnelles, économiques, politiques ou sociétales), cette vision positive requise est largement entamée chez beaucoup de nos contemporains (en situation de dépression ou contaminés par le « déclinisme » ambiant). Elles affectent inévitablement les personnes en difficulté. Les éléments les plus sensibles concernent : –– la fragilité des prédictions relatives aux évolutions à moyen et à long terme des métiers et des emplois de demain comme source d’incertitudes ; –– le sentiment de vulnérabilité personnelle quant à la capacité à se maintenir employable durablement ; ce sentiment est d’autant plus élevé que les individus sont fragiles : nonqualification persistante, installation dans des contrats à durée limitée, chômage de longue durée, avancement en âge pour les seniors, réinsertion des femmes dans l’emploi après les interruptions liées aux maternités, etc. –– l’impact négatif sur les personnes des formes d’évolution sociétale qui valorisent la concurrence interindividuelle, exacerbent le pouvoir des chefs et de la hiérarchie à travers les évaluations professionnelles, culpabilisent ceux qui ne parviennent pas à répondre aux critères de rendement imposés, etc.
3.3 La réhabilitation de la valeur constructive du regard d’autrui On a peut-être eu tendance à considérer l’orientation professionnelle comme une affaire personnelle relevant d’un choix préparé et autodéterminé en valorisant les idées de conscience de soi, de réalisation de soi parfois au détriment de la prise en compte de la composante « altérité » (soi et autrui) dans la construction de soi1. L’histoire de l’orientation professionnelle témoigne de l’utilité des médiations sociales dans l’aide à la construction de projets professionnels. L’expérience de l’association « Retravailler », fondée en 1973 par E. Sullerot en faveur des femmes venant s’inscrire sur le marché de l’emploi, a illustré parfaitement ce point de vue. J. Périer2 a décrit les problèmes rencontrés par ces femmes. La méthode de cette association s’appuyait sur une démarche d’orientation active
1. J. Aubret (2009). « L’adulte en quête d’identité : reconnaître l’altérité en soi », in J. P. Boutinet, et P. Dominicé (éd.) (2009), Où sont passés les adultes ? Routes et déroutes d’un âge de la vie, Paris, Téraèdre. 2. J. Périer (1990). Retravailler : une méthode à vivre, Paris, Éditions Entente.
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(auto-orientation) basée sur la responsabilisation et la motivation des personnes concernées, donnant lieu à des échanges en situation de groupe (socialisation de l’orientation). Toutefois le rapport à autrui peut être vécu négativement lorsqu’il est partie prenante d’actions d’évaluation inscrites dans l’expression de rapports de pouvoir : évaluation scolaire dans la formation initiale, évaluation par les examens, sélection pour l’entrée dans certaines filières ou certaines écoles, évaluation des compétences dans l’accès et le maintien dans l’emploi, évaluation de l’activité des salariés dans les entretiens avec la hiérarchie. De là est née la nécessité d’objectiver et d’expliciter les critères d’évaluation et de rendre les évaluations compréhensibles par les personnes ainsi évaluées, sans les contraindre, pour autant, à intérioriser des normes de valeur qu’elles peuvent ne pas vouloir partager. Il faut aller plus loin. L’élaboration d’un projet d’insertion ou de réinsertion dans l’emploi comme objectif du déclenchement d’un processus d’orientation, à un moment donné d’un parcours professionnel, nécessite en quelque sorte, la reconnaissance du regard contributif d’autrui sur les possibilités de nouvelles formes de réalisation de soi. Ce regard crée un espace entre soi et ce que peuvent produire, comme illusions, les tendances narcissiques parfois à l’œuvre dans l’autoévaluation. Il est un élément qui permet en quelque sorte de tester la faisabilité des projets d’avenir. Être reconnu par autrui est une composante majeure des motivations à se fixer des buts (cf. A. Bandura1).
3.4 L’exploration cognitive du monde du travail et de l’environnement Expliquer les erreurs d’orientation par le seul déficit d’informations sur les métiers et les emplois relève d’une analyse rapide et superficielle du processus d’orientation. Certes cette information est nécessaire et elle est accessible par de multiples canaux matériels et humains : brochures, conseillers, centres d’accueil des jeunes et des adultes, internet, etc. Mais il y a en quelque sorte un cercle vicieux à briser : pour connaître le monde du travail il est nécessaire de s’informer, mais pour questionner utilement l’information disponible, souvent en abondance, il faut pouvoir disposer d’un minimum de connaissances sur les activités économiques et les hommes qui les exercent. Questionner l’information c’est se donner les moyens de juger de sa valeur informative à court et à moyen terme, de sa crédibilité, de ses fondements, de son actualisation, de la pertinence des réponses qu’elle procure.
1. A. Bandura (2003). Auto-efficacité : Le sentiment d’efficacité personnelle [« Self-efficacy »], trad. J. Lecomte, Paris, De Boeck, 2e éd. 2007.
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3.5 La maîtrise des échanges interpersonnels sur les réseaux sociaux Internet est à la fois un espace dans lequel circulent des informations de toute nature ; il est aussi un vaste réseau d’échange entre « offre » et « demande » dans le domaine des biens et des services parfois sans intermédiaire identifiable. Les services publics d’orientation sont présents sur ces réseaux. On constate également que les offres d’emploi et les recrutements professionnels utilisent de plus en plus ces canaux de communication disponibles bien au-delà des frontières nationales comme ils sont utilisés de plus en plus par les jeunes Français qui achèvent leur formation et commencent leur carrière professionnelle dans des pays étrangers. On se rappellera les idées de M. Authier et de P. Lévy1, au début des années 1990, sur les arbres de connaissances. Il s’agissait alors d’imaginer des moyens de rendre visible la richesse des savoirs, savoir faire et des compétences présente dans la communauté humaine, chacun pouvant se situer par rapport à cette richesse et communiquer en fonction de ce qu’il pouvait apporter et recevoir. Ce qui pouvait être taxé d’utopie à l’époque est devenu réalité. Les quatre leviers évoqués ci-dessus sont une base au développement des apprentissages (apprendre à « parler de soi » et à maîtriser les codes de communication notamment) qui permettent de passer de la réflexion sur soi à la négociation de son insertion, en utilisant toutes les possibilités offertes par les moyens de communication contemporains.
4. Travaux et recherches scientifiques en orientation des adultes 4.1 Les données de recherches en orientation professionnelle Plusieurs revues scientifiques sont aujourd’hui spécialisées dans les recherches en orientation des adultes. Citons, entre autres, pour la France, la revue L’Orientation scolaire et professionnelle, publiée par l’Institut national d’études du travail et d’orientation professionnelle (Inetop). D’autres revues, moins spécialisées, traitent de l’orientation dans le cadre de l’éducation, de la gestion de carrière, de la pratique du conseil, etc. Si toutes les disciplines des sciences humaines et sociales sont susceptibles de contribuer à l’enrichissement des savoirs développés dans le cadre de l’orientation des adultes (revues, ouvrages et colloques internationaux), il existe un important corpus de données d’enquêtes (d’accès facile par Internet) émanant des publications des organismes spécialisés tels que le Centre d’études et de recherches sur les emplois ou et les
1. M. Authier, P. Lévy, (1992). Les Arbres de connaissances, Paris, La Découverte, 1992.
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qualifications (Céreq1), le Centre d’études de l’emploi (Cee), l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), les publications du ministère de l’Éducation nationale, de l’enseignement et de la recherche (« Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche » actualisé chaque année), du ministère du Travail et de l’Emploi de la Formation professionnelle et du dialogue social (Dares/Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques), de l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa) et au niveau européen les publications du Centre européen pour le développement de la formation professionnelle (Cedefop) et de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE).
4.2 Le rôle central des recherches en psychologie Les recherches en orientation ont été dominées durant le vingtième siècle par les apports de la psychologie : celle-ci constitue l’une des références disciplinaires forte et structurante tant en matière de recherche que de formation des praticiens de l’orientation. C’est en effet au sein de la psychologie que l’on a traité des différences « inter » et « intra » individuelles, du développement cognitif, des apprentissages, de la motivation aux études et au travail, des représentations sociales des métiers et des professions, de la prise de décision, des représentations de l’avenir, de la construction de « soi », du développement vocationnel, de la vie adulte et des parcours de vie. Un exposé systématique des théories et recherches psychologiques en orientation pourra être consulté utilement dans deux ouvrages de synthèse réalisés par J. Guichard et M. Huteau ou sous leur direction (2007a ; 2007b). Aux recherches centrées sur la connaissance des individus dans leurs caractéristiques personnelles (travaux de psychométrie notamment) viennent s’ajouter des travaux relatifs aux rapports de l’homme au travail et à ses expériences de vie. Comprendre ce que l’expérience du travail et la confrontation avec autrui produisent comme transformations progressives des manières d’être, de connaître et de se comporter est une étape nécessaire de la construction de soi. Cet éclairage peut bénéficier des travaux de Y. Clot2, lorsqu’il considère que l’analyse clinique de l’activité humaine ne s’arrête pas à la description de ce que fait l’homme au travail, mais comporte, également, une activité de prise de conscience et d’analyse de ce qu’il est dans ce qu’il fait, et de toutes les déterminations extérieures à ses actions propres mais qui pèsent sur l’orientation de
1. Les notes Emploi Formation, par exemple, regroupent des textes qui présentent des résultats d’études réalisées par le Cereq, et proposent des analyses récentes sur les diverses dimensions de la relation entre formation et emploi. Par exemple : I. Borras, T. Berthet, É. Campens et al. (2007), Le pilotage de l’orientation tout au long de la vie : le sens des réformes. 2. Y. Clot. (1999). La Fonction psychologique du travail, Paris, PUF.
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ses actions et sur leur exécution. On sait, de ce point de vue, l’importance accordée à l’analyse des expériences professionnelles dans le bilan de compétences et l’élaboration de projets d’avenir. Un numéro spécial de L’Orientation scolaire et professionnelle1, intitulé « S’orienter : construire sa vie » résulte du travail en commun de neuf chercheurs de sept pays d’Europe et des États-Unis autour de la recherche d’un nouveau paradigme en psychologie de l’orientation dans le contexte des sociétés postmodernes du xxie siècle. Cinq présupposés du conseil pour accompagner les individus dans la construction de leur vie sont énoncés : –– reconnaître que l’accompagnement en orientation s’effectue dans des conditions très éloignées de celles des situations contrôlées ; –– affirmer qu’il est préférable de se focaliser sur les stratégies de survie et les dynamiques du faire face (coping) plutôt que d’ajouter encore de l’information ou des contenus ; –– passer du simple conseil relatif à une décision d’orientation à une expertise dans la co-construction et l’accompagnement des personnes dans une construction holistique de leur vie ; –– se centrer sur les processus de construction et de reconstruction toujours en cours, par les personnes de leurs multiples réalités subjectives ; –– pour mettre fin au manque de preuves empiriques de l’efficacité du conseil en orientation, modéliser des structures fractales en vue de prévoir l’émergence de configurations stables de variables plutôt que ne considérer les résultats que sous l’angle d’une seule variable. On trouvera une documentation importante sur ces recherches dans J. Guichard et M. Huteau (2007 a et b) et dans F. Danvers (2009).
5. En conclusion L’orientation professionnelle de l’adulte est en tension entre « formation » et « insertion » dans le monde du travail. Ces deux pôles sont appelés à fonctionner en synergie dans la mesure où ils concourent à l’employabilité durable de la personne au long de sa carrière professionnelle. Cependant le traitement des problèmes d’orientation peut se faire selon des logiques différentes qui ont des impacts différents sur les décisions que peut prendre une personne. Le politique légifère en fonction des problèmes du moment. On constate que les textes législatifs sur la formation professionnelle permanente s’accumulent depuis les lois de 1971. L’orientation professionnelle est conçue dans cette logique comme une variable d’ajustement
1. Vol. 39, n° 1, année 2010, coordonné par J. Guichard et E. Vignoli.
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censée pour une personne donnée, résoudre les décalages entre les exigences d’un emploi visé et son niveau de qualification et pour la collectivité, combler le manque de qualifications par rapport aux emplois immédiatement disponibles et non pourvus (quelques centaines de milliers). Les problèmes d’orientation ont tendance à être traités de manière normative sous la forme d’injonctions à accepter les emplois disponibles. La logique économique tend à mobiliser les ressources humaines sur des objectifs de production. Est recruté celui qui présente le meilleur profil pour les emplois proposés (qualifications et compétences attestées, motivations pour l’investissement par le travail, attitudes comportementales conformes aux exigences des entreprises). L’orientation professionnelle est vécue dans des situations de concurrence, de chacun pour soi, de culpabilisation éventuelle. Les projets de la personne sont configurés par la nécessité de se rendre conforme à des attentes fondées sur des exigences de plus en plus fortes. La formation est requise comme moyen d’adaptation à ces exigences. La logique éducative est centrée sur la personne dans ses besoins de reconnaissance, de réalisation de soi dans un monde économique et politique partiellement hostile à l’expression de ces besoins. L’orientation est vue comme un processus de conquête progressive de son pouvoir de décider par soi, du chemin professionnel que l’on souhaite parcourir et de la place que l’on estime pouvoir occuper dans le monde du travail. Elle s’appuie sur tout ou partie des leviers évoqués ci-dessus et les apprentissages qui permettent de les mettre en œuvre. La formation a un contenu spécifique qui ne se réduit pas à la formation professionnelle, mais qui la précède ou la prolonge. Si les parcours professionnels sont parfois perçus, a posteriori, comme le résultat d’un « chaos vocationnel », selon une expression de D. Riverin-Simard1, on peut aussi les considérer comme le fruit d’une continuité existentielle propre à chaque personne qui se donne constamment de nouveaux défis à relever et de nouveaux espaces à conquérir. Une approche éthique de l’orientation pourrait être l’arbitre entre ces différentes logiques appelées à cohabiter. L’orientation est à la fois un acte personnel et un acte social : chercher ce qui est bien pour soi, contribuer par son travail à la mesure de ses ressources au bien de tous.
1. D. Riverin-Simard (1996). « Le concept du chaos vocationnel : un pas théorique à l’aube du xxie siècle », L’Orientation scolaire et professionnelle, 25, n° 4, 467-487.
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Lectures conseillées Aubret J., Blanchard S. (2010). Pratique du bilan personnalisé, Paris, Dunod (2e éd.). Biarnès J., Rose J. (éd.) (2016). Les portefeuilles d’expériences et de compétences. Approches pluridisciplinaires, Villeneuve d’Ascq, PUS. Carré P., Moisan A., Poisson D. (2010). L’Autoformation : perspectives de recherche, Paris, PUF. Danvers F., (2009). S’orienter dans la vie : une valeur suprême ? Essai d’anthropologie de la formation. Dictionnaire de sciences humaines, Villeneuve d’Ascq, PUS. Delory-Momberger C. (2000). Les Histoires de vie. De l’invention de soi au projet de formation, Paris, Anthropos.
Gilbert P., Pigeyre F., Dietrich A., Aubret J. (2010). Le Management des compétences, Paris, Dunod (3e éd.). Guichard J., Huteau M. (2007a). La Psychologie de l’orientation, Paris, Dunod (2e éd.). Guichard J., Huteau M. (éd.) (2007b). Orientation et insertion professionnelle. 75 concepts clés, Paris, Dunod. Layec J. (2006). Auto-orientation tout au long de la vie : le portfolio réflexif, Paris, l’Harmattan. Léon A. (1957). Psychopédagogie de l’orientation professionnelle, Paris, PUF.
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Chapitre 29 La reconnaissance et la validation des acquis1
1. Par Bernard Liétard.
Sommaire 1. Une « vieille idée neuve » devenue une préoccupation internationale.................... 571 2. La validation des acquis de l’expérience (VAE) à la française................................ 574 3. Un bilan et des perspectives en demi-teinte......................................................... 581 Lectures conseillées.................................................................................................. 586
1. Une « vieille idée neuve » devenue une préoccupation internationale Admettre qu’on apprenne par l’expérience est reconnu de tout temps. Heureusement personne n’attend qu’on le décrète en dehors de lui pour savoir apprendre à vivre et prendre conscience que vivre, c’est apprendre. Dans la plupart des pays, les systèmes de validation et de certification font l’objet de débats et de réformes. Comme en témoignent les données recueillies par l’Observatoire mondial de la RVA de l’Unesco, on assiste dans les États membres à un fort développement des initiatives de reconnaissance, validation et accréditation des acquis (RVA) qui proviennent non seulement des systèmes éducatifs formels, mais aussi de l’éducation non formelle et informelle. Plus discutable et illusoire est la recherche, affichée tant au niveau de l’Europe que de l’Unesco ou de l’OCDE, de « bonnes pratiques », de « référentiels universels » et/ou de « solutions standard » applicables urbi et orbi. C’est ne pas tenir compte en effet que ce qui est développé dans un contexte donné n’est pas transférable tel que dans un autre tant la réussite de ces approches et montages institutionnels est tributaire des systèmes éducatifs, socio-économiques, culturels et historiques (et plus largement du projet de société) où ils prennent racine.
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Toutefois, au-delà de la spécificité de chaque système national et de la multiplicité des avatars de ce paradigme éducatif en développement depuis les années 1980, la plupart des pays partagent deux caractéristiques communes et cinq problèmes, qui constituent autant d’enjeux identiques au-delà des solutions différentes adoptées. Première caractéristique pointée par Guy Fortier1 depuis son balcon de l’Observatoire de l’Unesco, « dans bien des sociétés, les dispositifs de formation et de qualification privilégient toujours l’apprentissage formel au sein d’établissements éducatifs. Ce qui explique qu’une grande partie des acquis ne soient jamais reconnus officiellement et que de nombreux individus manquent d’incitations et de confiance pour poursuivre leur apprentissage. D’où un immense gâchis de talents et de ressources humaines pour la société. La reconnaissance, la validation et l’accréditation (RVA) de l’apprentissage non formel et informel est un levier indispensable pour faire de l’apprentissage tout au long de la vie une réalité ».
1. G. Fortier (2016). « Les lignes directrices de l’Unesco pour la RVA », in Liétard, Piau et Landry, Pratiquer la reconnaissance des acquis de l’expérience, Lyon, Chronique sociale.
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L’état de fait précédent conduit au second constat partagé par Guy Fortier et Patrick Werquin1, consultant international et expert reconnu : les systèmes éducatifs formels sont de manière générale peu ouverts à la prise en compte des acquis d’expérience des apprenants. Le principal défi réside dans le dépassement de la résistance culturelle qui, malgré les progrès que l’on estime faire, est toujours très présente dans les milieux académiques ou professionnels. Cela ne se décrète donc pas et oblige les acteurs à « changer de lunettes » pour reprendre les termes de Michel Feutrie. Quant aux problèmes rencontrés, ils étaient déjà identifiés en 1996 par Danielle Colardyn au travers de l’examen de la majorité des pays du G7 et de L’Australie. Toujours d’actualité, ils sont au nombre de cinq : la lisibilité, l’accessibilité, la transférabilité, la portabilité et la « monnayabilité » des certifications acquises par la voie de la reconnaissance et de la validation des acquis de l’expérience (RVAE). Pour résoudre ces problèmes partagés par tous les pays qui mettent en œuvre la RVA, on se doit d’apporter des réponses aux questions suivantes : –– Comment, face à des pratiques et constructions sociales qui ne peuvent être que complexes, les rendre lisibles, en particulier pour les usagers ? –– Comment rendre la reconnaissance des acquis de l’expérience accessible à tous et notamment aux publics faiblement scolarisés en évitant que, comme pour la formation, on arrose là où il a déjà plu ? –– Comment améliorer la transmission et la reconnaissance des compétences acquises, quelle qu’en soit l’origine, en dépassant notamment les cloisonnements institutionnels ? Pour reprendre les termes de Guy Fortier, comment « abolir les barrières » et « établir des passerelles » ? –– Comment garantir la validité sociale des qualifications acquises dans le cadre de la reconnaissance des acquis d’expérience ? Certes la « validité méthodologique » des outils et des référentiels, réponse largement utilisée dans les pays anglo-saxons (décentralisation oblige), est nécessaire, mais elle ne s’avère pas suffisante pour garantir la « validité sociale d’usage », la monnayabilité, des certifications acquises par cette voie. En réponse à ces défis et enjeux, au niveau de la Commission européenne, le Livre blanc Enseigner et apprendre (1995) consacre une place importante à la RVAE. Il remet notamment en cause la prédominance du « diplôme » comme base de certification et de grand ordonnateur des hiérarchies scolaires, professionnelles et sociales :
1. P. Werquin (2014). « Sans reconnaissance sociale, la validation des acquis des apprentissages non formels et informels n’est rien », in Éducation permanente, n° 199.
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« Chacun doit pouvoir faire valider des compétences fondamentales, techniques ou professionnelles, indépendamment du fait qu’il passe ou non par une formation diplômante. » Pour développer des modalités de certification moins formelles, ont été prises ces vingt dernières années plusieurs mesures. Nous en retiendrons deux : le lancement d’Europass (2004) et la création d’un « cadre européen de certifications » (2008).
Dans le même esprit, le système des ECTS (european credit transfer system), issu de la déclaration de Bologne de juin 1999, constitue également un progrès important dans le sens d’une ouverture de l’espace européen de formation et de qualification. On citera enfin la mise en œuvre de projets de coopération dans le cadre de programmes européens sur le thème de la « RVAE » qui ont fait avancer la réflexion, et ont fourni des bases aux recommandations européennes en la matière. Ils ont aussi permis une meilleure reconnaissance mutuelle débouchant parfois sur la mise en œuvre de pratiques transnationales. Quant à l’Unesco, pour que la reconnaissance, la validation et l’accréditation (RVA) de l’apprentissage non formel et informel puisse « contribuer à l’intégration de pans plus larges de la population dans un dispositif ouvert et flexible d’éducation et de formation et à l’édification de sociétés sans exclus », il a pu proposer en 2012 six lignes directrices : –– faire de la RVA un volet essentiel de toute stratégie nationale d’apprentissage tout au long de la vie ; –– mettre en place des systèmes de RVA accessibles à tous ; –– faire de la RVA un élément à part entière des systèmes d’éducation et de formation ; –– créer une structure nationale de coordination impliquant toutes les parties prenantes ; –– renforcer les capacités du personnel responsable de la RVA ; –– concevoir des mécanismes de financement durables. Au travers de la présentation du système français, qui constitue au niveau international un système original, nous allons voir comment ces axes directeurs sont mis en œuvre, les problèmes rencontrés au niveau de leur application et les réponses apportées aux défis et enjeux listés dans cette première partie Notre propos est aussi d’informer le lecteur sur les « règles du jeu » et les opportunités qui lui sont ouvertes.
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2. La validation des acquis de l’expérience (VAE) à la française 2.1 Une mise en œuvre progressive et difficile Le système éducatif français constitue en effet un terrain peu propice au développement de la reconnaissance des acquis expérientiels. Non seulement la France est confrontée aux quatre questions listées précédemment, mais, rejoignant les analyses de Vincent Merle1, s’y ajoutent des problèmes spécifiques qui ne facilitent pas la prise en compte des acquis de l’expérience. Nous retiendrons ici trois caractéristiques qui font obstacle : –– la place, plus prépondérante que dans d’autres pays, accordée aux diplômes acquis en formation initiale par rapport aux certifications venant sanctionner les acquis en cours de vie active ou plus largement tout au long de sa vie sociale et personnelle ; –– la place privilégiée qu’occupent les connaissances académiques dans les cursus de formation ; –– la trop grande importance accordée aux connaissances acquises pour elles-mêmes, indépendamment des contextes dans lesquels elles sont mobilisées et mobilisables pour résoudre utilement les problèmes de sa vie. Malgré ces handicaps, la France n’échappe pas depuis les années 1980 au développement mondial de la reconnaissance et de la validation des acquis de l’expérience et à une diversification progressive des formes de certification, qui se dissocient de plus en plus de la fonction de transmission des savoirs. C’est au IXe Plan (1984-1988) qu’on doit l’affirmation d’une volonté politique nationale. Une de ses origines en est le constat du déficit de qualification certifiée dans la population française. L’application de cette orientation politique s’est faite à deux niveaux complémentaires : –– le développement de la RAE ; –– l’institutionnalisation et la légalisation progressive de la VAE.
2.2 Le développement de la RAE Contrairement à ce qui est fait parfois, la RAE devrait être un préalable à toute démarche de VAE. Elle s’inscrit dans une dynamique de parcours et de construction de projets. Outre l’identification de ses acquis, quelle qu’en soit l’origine, elle ouvre sur la prise de conscience
1. V. Merle (1997). « L’évolution des systèmes de validation et de certification. Quels modèles possibles et quels enjeux pour la France ? », Formation professionnelle, n° 12, CEDEFOP.
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par les individus de leur « capabilité », c’est-à‑dire des ressources qui permettent de considérer accessible la suite du parcours et de se reconnaître et de s’épanouir dans son propre devenir. Deux vecteurs de la RAE ont été créés à cette fin : le « bilan de compétences personnelles et professionnelles » et « le portefeuille de compétences ». Expérimenté à la fin des années 1980, le bilan de compétences a fait l’objet d’un accord national interprofessionnel en juillet 1991 et il a été inscrit dans la loi en décembre 1991. Pour reprendre la définition légale, ces bilans ont pour objet « de permettre à des travailleurs d’analyser leurs compétences professionnelles et personnelles ainsi que leurs aptitudes et motivations, afin de définir un projet professionnel et, le cas échéant, un projet de formation ». Sous l’égide de la Délégation à la formation professionnelle, précédant la loi, ont été expérimentés, puis étendus par une circulaire du 14 juin 1989, des centres interinstitutionnels de bilans de compétences (CIBC). Outre les prestations de bilans qu’ils mettaient en œuvre, ils visaient un double objectif : –– réunir localement, sur la base du volontariat, des synergies interinstitutionnelles et pluridisciplinaires dépassant les cloisonnements traditionnels administratifs et corporatistes ; –– constituer des « lieux ressources ». Le développement de « portefeuilles de compétences » constituait le second vecteur de développement de la RAE. S’inspirant du « portfolio » anglo-saxon, tout en s’en démarquant en rejetant toute standardisation, il peut être défini pour reprendre les termes de Jacques Aubret1 comme « un dossier personnel et personnalisé, évolutif […] réalisé librement et volontairement sur initiative personnelle ou sur proposition d’autrui […] conçu pour des utilisations personnelles et sociales […] dans une démarche spécifique de formation et d’autoformation… pour être un outil de valorisation de soi ». Considérant qu’un accompagnement personnalisé et spécifique est un ingrédient indispensable tant pour les bilans de compétences que pour la constitution du « portefeuille de compétences », les pouvoirs publics ont financé des recherches sur le thème2 et soutenu des formations qualifiantes aux fonctions d’accompagnement.
1. Jacques Aubret a été un des acteurs majeurs de l’expérimentation menée sous l’égide de la Délégation à la Formation Professionnelle de 1984 à 1989. La définition proposée est extraite d’une publication qu’il a faite en 2001 pour le Groupe de coordination des CIBC et parue aux Éditions et applications psychologiques. 2. On trouve un écho de ces recherches dans l’ouvrage édité par Gaston Pineau (1998), Accompagnements et histoire de vie (L’Harmattan) rendant compte d’un colloque organisé par l’université François-Rabelais de Tours.
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2.3 L’institutionnalisation progressive de la VAE 2.3.1 Les prémices de la loi de 2002 L’attribution d’un diplôme ou d’un titre au vu de l’expérience professionnelle a fait l’objet de nombreuses dispositions législatives, réglementaires et contractuelles antérieures à la loi de 2002, qui visaient notamment à favoriser l’accès à une certification sans nécessairement passer par le parcours de formation qui y préparait. Les dispositions les plus anciennes concernent en 1934 la décision d’attribuer le titre « d’ingénieur diplômé d’État » à des personnes disposant d’une expérience confirmée dans la fonction après présentation d’un dossier rendant compte de leur expérience et passage devant un jury. Ce dispositif existe toujours aujourd’hui. Une autre initiative est la création des « unités capitalisables ». Ce système a été initié, à la fin des années 1960, dans le cadre d’actions de formation collectives organisées notamment dans le bassin minier lorrain. Il redécoupe les diplômes sous forme d’unités qui peuvent être obtenues indépendamment les unes des autres. Si on a tenu à le retenir ici c’est parce qu’il a contribué de manière significative à faire évoluer les modalités mêmes de construction des diplômes de l’Education Nationale à tous les niveaux. À titre d’exemple, la notion de « référentiel », très présente dans les procédures actuelles de VAE, tire en partie son origine de ces premières tentatives. Symptomatique de la même évolution des pratiques, on aurait pu aussi évoquer ici, le développement à partir de la fin des années 1980 dans le cadre de l’Afpa de « formations modulaires » tenant compte des pré-acquis des stagiaires pour leur proposer des cursus personnalisés allégés. Dans le cadre de l’enseignement supérieur français, l’Éducation nationale a souhaité faciliter l’accès des adultes aux cycles de formation universitaire dans le cadre de la loi d’orientation des universités de 1984. Pour ce faire, le décret du 28 août 1985 stipule notamment que peuvent donner lieu à validation l’expérience professionnelle acquise au cours d’une activité salariée ou non salariée, ou d’un stage, ainsi que « les connaissances et les aptitudes acquises hors de tout système de formation ». Ce texte et ce qu’on a dénommé la « VAP 1985 » est toujours en vigueur. Au niveau des enseignements technologiques, un pas important a été franchi avec la loi du 20 juillet 1992 sur la validation des acquis professionnels (VAP). Elle posait le principe que les activités professionnelles produisent des compétences et des savoirs et que ces derniers pouvaient être pris en compte au même titre que ceux de la formation pour l’obtention des diplômes. Il ne s’agit donc pas seulement, comme dans la VAP 1985, de dispenser des diplômes préalables à l’entrée dans un cursus de formation, mais de dispenser d’une partie de ce cursus et de ses épreuves, permettant ainsi une personnalisation et un allégement des parcours. 576
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On ne peut terminer ce bref panorama rétrospectif sans évoquer l’action de la commission technique d’homologation (CTH). Elle accordait le label public de « titre homologué par l’État » à des certifications présentées par des organismes de formation, tant publics que privés, dans des domaines professionnels émergents, non couverts par les diplômes délivrés sous l’autorité de l’État. Son action a constitué un substrat précieux pour la Commission nationale des certifications professionnelles (CNCP) et l’établissement du Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) institués par la loi de 2002.
2.3.2 2002, vive la VAE Réforme portée dès 1999 par la secrétaire d’État à la Formation professionnelle, Nicole Péry1, l’article 133 de la loi n° 2002-73 de modernisation sociale du 17 janvier 2002 stipule que toute personne engagée dans la vie active est en droit de faire valider les acquis de son expérience en vue d’obtenir un diplôme, un titre ou une certification inscrite dans un Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP). Le texte de cette loi, inscrit dans le Code du travail et dans le Code de l’Éducation, et ses textes d’application comportent des évolutions juridiques substantielles. Nous en retiendrons ici sept. En premier lieu, le principe de la validation des acquis est étendu à l’ensemble de l’expérience personnelle et non aux seuls acquis professionnels. Cette ouverture permet explicitement de reconnaître et de valider les acquis résultant d’activités dans un cadre bénévole. Second point, ces textes poussent plus loin le principe de disjonction entre le diplôme ou le titre et le parcours qui y conduit. Cela amène à conférer aux diplômes et aux titres une valeur propre indépendante des cursus de formation. Dans ce sens, l’article 134 ajoute que la VAE produit les mêmes effets que les autres modes de contrôle des connaissances et aptitudes. Autre changement notable, l’approche proposée par la VAE est plus globale qu’analytique. Jusque-là, en application de la VAP 1985 et de la loi de 1992, le candidat ne pouvait bénéficier que de dispenses d’enseignement et n’avait rien tant qu’il n’avait pas terminé ce qui lui restait à suivre du cursus. Dans le cadre de la loi de 2002, on peut lui octroyer des crédits ou même un diplôme complet. Par ailleurs, au lieu de comparer ses acquis d’expérience aux contenus des enseignements, il est fondé à présenter un dossier global en demandant ce qu’il peut obtenir sur cette base.
1. On saluera ici le rôle joué par Michel Blachère et Vincent Merle, qui ont piloté cette réflexion préalable en s’appuyant sur une large concertation avec les partenaires sociaux, les institutions concernées et des experts reconnus.
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Le quatrième changement concerne l’étendue du principe de validation des acquis à l’ensemble des certifications professionnelles avec une volonté politique d’instaurer une sorte de régulation collective du système de certifications professionnelles. Sa gestion et la définition du « périmètre » de ces dernières sont confiées, après suppression de la Commission technique d’homologation, à une Commission nationale interministérielle de la certification professionnelle (CNCP). Il lui appartient notamment de décider, après évaluation, si telle ou telle certification peut figurer dans le Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) au sein duquel les diplômes délivrés par l’État sont enregistrés de droit. Rappelons que l’enregistrement au RNCP signifie ipso facto que la certification concernée est accessible par la VAE. Il est en outre ouvert à tous un droit individuel permettant d’obtenir, comme pour le bilan de compétences, un congé au titre de la VAE d’une durée de 24 heures pour préparer et passer la certification visée. Autre avancée et non la moindre, la démarche de reconnaissance par les individus de leurs acquis d’expérience est reconnue comme une action de formation au sens légal du terme. Changement fondamental enfin, la loi de 2002 reconnaît la VAE comme une voie de formation et de qualification à part entière. Pour ma part, pour caractériser cette spécificité, j’ai pu employer la référence à l’umami. C’est au professeur Kikunae Ikeda qu’on doit en 1908 ce concept pour désigner, caractéristique notamment du bouillon d’algues, un cinquième goût distinct des saveurs traditionnelles (sucré, salé, acide et amer). Tout comme l’umami – qui n’est pas que « délicieux » en lui-même, mais qui améliore, en combinaison avec les autres goûts, la saveur des plats – le développement observé de la RVAE est complémentaire des formes traditionnelles de formation et de gestion des ressources humaines, qui ne sont donc pas à reléguer au musée des pratiques disparues.
2.4 RVAE et champs sociaux Mais on ne dira jamais assez combien la RVAE n’est pas réductible à un simple avatar de la délivrance de certifications : elle n’est pas utile, utilisable et utilisée seulement dans le champ de la formation. Nous rendrons donc compte maintenant des changements importants que son usage a en effet générés dans plusieurs autres champs sociaux : gestion des ressources humaines, développement territorial et orientation.
2.4.1 Au niveau de la gestion des ressources humaines Depuis le milieu des années 1980, les partenaires sociaux ont explicitement mis la reconnaissance et la validation des acquis de l’expérience au menu de leurs négociations sur la 578
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gestion des emplois et des compétences tant au niveau des entreprises, des branches professionnelles que des accords nationaux interprofessionnels, qui ont le plus souvent précédé les textes législatifs concernant la formation professionnelle. Par ailleurs, ils sont associés à l’élaboration du système de certification : ils sont membres des commissions professionnelles consultatives (CPC) de l’Éducation nationale ou des autres ministères, du Comité national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser) où se discutent les évolutions des diplômes de l’enseignement supérieur, ainsi que de la CNCP. Outre ces fonctions consultatives, ils ont souhaité élaborer des certifications qui leur soient propres, les « certificats de qualification professionnelle » (CQP), élaborés dans le cadre des Commissions nationales de l’emploi propres à chaque branche. Ces certifications, concernant souvent des qualifications nouvelles, privilégient l’acquisition de savoirs directement utiles à la production par rapport aux connaissances générales. Hors apprentissage, elles ont été largement utilisées pour la formation des jeunes sous contrat de qualification et d’adaptation. Elles peuvent être enregistrées au RNCP dès lors qu’ils répondent aux exigences fixées par la CNCP. Un rapport gouvernemental sur la VAE1 signale que « la mise en œuvre de la VAE dans les entreprises reste encore d’étendue modeste ». Parmi les pratiques novatrices, une mention particulière est à faire au sujet des démarches collectives de VAE. Dans une étude du Garf2, Isabelle Cartier, la qualifiant d’une démarche « en tension », estime que « la clé d’une démarche collective de VAE, c’est qu’elle s’inscrive à la croisée non seulement du projet et de la stratégie des entreprises déclinés en politique RH, mais également du projet individuel du salarié » et de ses deux facteurs de motivation : –– un facteur d’ordre économique : la VAE développe et sécurise son employabilité ; elle favorise son évolution professionnelle ; –– un facteur d’ordre identitaire : la VAE contribue à une réassurance personnelle et à une reconnaissance sociale et professionnelle par ses pairs. La loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale promeut explicitement la VAE non seulement comme l’une des voies vers la qualification et la certification, mais aussi comme un facteur de sécurisation et d’évolution professionnelle des actifs. Elle est de ce fait éligible au compte personnel de formation (CPF). Au niveau des entreprises, cette loi passe de ce qui n’était depuis la loi de 1971 qu’une obligation de financement (n’obligeant pas à un envoi en formation de leurs salariés) à une incitation
1. Ce rapport résulte d’une collaboration entre la DGEFP, la Dares et le Cereq et établit le bilan de la VAE en 2006. 2. Les Démarches collectives de VAE : territoires, enjeux, pratiques et clés de réussite, GARF, 2015.
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forte à faciliter leur départ effectif en formation. Le législateur tend par cette mesure à développer une responsabilité sociale des organisations. L’application de cette mesure devrait constituer un terrain favorable au développement de la RVAE dans la mesure où elle constitue un des critères de résultat d’un bilan d’évolution professionnelle tous les six ans avec des points d’étape tous les deux ans sous forme d’un entretien professionnel obligatoire.
2.4.2 Au niveau du développement territorial Les lois de décentralisation de 1982 et 1983 avaient institué un transfert de compétences en matière de formation professionnelle vers les régions, l’État n’étant censé garder en la matière que des compétences d’attribution. Du fait d’une tradition française jacobine et centralisatrice, ce transfert ne s’est fait que partiellement et progressivement dans une décentralisation largement décidée et organisée d’en haut. Un pas significatif vers un transfert réel des compétences a été franchi avec la gestion territoriale des emplois et compétences (GTEC)1. La VAE fait partie des dispositifs promus dans ce cadre. Pour rendre compte de la traduction concrète de ces orientations politiques, on peut se référer au témoignage d’Anne Massip (2015). Elle souligne l’importance d’une ingénierie territoriale spécifique pour développer la RVAE. On invite donc le lecteur à effeuiller avec elle les cinq pétales de son « tournesol » de la dynamique territoriale : désenclavement, coordination des acteurs, structuration de l’offre, complémentarité des financements, système de pilotage territorial.
2.4.3 Au niveau de l’orientation Dans le cadre du développement en France depuis 1984 d’une politique de reconnaissance et de validation des acquis, il a toujours été souhaité de promouvoir le développement d’une « orientation éducative », dont Jacques Aubret rappelle les caractéristiques dans le présent Traité. Au sein de celle-ci la « reconnaissance des acquis », dans la diversité de leur nature et de leur origine, en est une des pierres angulaires. Cela suppose qu’on relève le beau challenge de passer de la VAE « constat » à la VAE « parcours ». L’institution en 1991 des « bilans de compétences personnels et professionnels » et l’incitation à constituer des « portefeuilles de compétences » constituaient des réponses à ces enjeux. La loi de réforme de la formation professionnelle du 5 mars 2014 donne une place centrale à l’orientation et à l’accompagnement des personnes dans la conduite et la « sécurisation » de parcours de moins en moins sécures, jalonnés qu’ils sont par la gestion de transitions professionnelles et personnelles inévitables et pas toujours faciles à négocier. On notera qu’elle crée 1. Circulaire du 29 juin 2010 relative au développement de la dynamique territoriale de gestion prévisionnelle des emplois et compétences.
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un service public régional de l’orientation et du conseil en évolution professionnelle, dont on espère qu’il contribuera à développer une véritable synergie entre les acteurs au service des usagers et de leurs questionnements sur leur évolution professionnelle. Parmi les autres mesures proposées, le législateur institue un « conseil en évolution professionnelle » (CEP), dont toute personne peut bénéficier tout au long de sa vie professionnelle. La reconnaissance des acquis de l’expérience occupe une place centrale dans l’application de ces mesures visant à relancer le « droit à l’orientation tout au long de la vie » ouvert par une loi de novembre 2009, mais dont l’application était loin d’être à la hauteur de ce qu’on pouvait en espérer.
3. Un bilan et des perspectives en demi-teinte Les réformes successives de la formation professionnelle (2004, 2009 et 2014) n’ont pas modifié de manière substantielle le système hérité des dispositions précédentes. Mais force reste de constater que le développement de la RVAE n’est pas à la hauteur de ce qu’en attendaient ses promoteurs : il reste aujourd’hui, malgré des avancées et une institutionnalisation significatives, encore trop une affaire de « militants ».
3.1 Côté RAE Même si on constate un développement considérable des « bilans », le « bilan de compétences » dans sa définition légale reste peu développé. Peut-être vaut-il mieux qu’il en soit ainsi pour que celui qui s’y engage volontairement conserve les garanties que lui offre l’application stricte de la loi ? Le développement du « portefeuille de compétences » a fait depuis 1984 l’objet de recommandations successives1. On peut citer l’incitation en 20032 des partenaires sociaux à ce que chaque salarié puisse, à son initiative, établir son « passeport formation ». On notera enfin l’expérimentation par l’Éducation nationale, pour les élèves du premier et second degré, d’un « livret de compétences », permettant entre autres l’évaluation du socle de compétences de bases défini
1. B. Liétard (2012). Les Premiers Pas en France du portefeuille de compétence, Canal Psy. 2. Accord national interprofesssionnel du 20 septembre 2003 (article 2).
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dans le Code de l’Éducation. La réussite de cette dernière devrait donner lieu en 2016 à une généralisation sous forme de la constitution d’un « folio ». Malgré ces avancées indéniables, le « portefeuille de compétences » reste en France un « Osmi » (objet social mal identifié) dont la validité sociale est peu reconnue. Peut-être vaut-il mieux là aussi qu’il en soit ainsi pour éviter la standardisation et l’instrumentation du « portfolio » nordaméricain, qui rend celui qui ne le détient pas, sous sa forme normée requise, aussi suspect que s’il ne possédait pas de carte de crédit !
3.2 Quant à la VAE Les trois problèmes cruciaux rappelés en introduction autour de la lisibilité, de la transférabilité et de la « monnayabilité » sont loin d’être dépassés. Face à une multiplication et à une complexification des modes de certification des compétences, le système reste peu lisible et offre à ses usagers des voies parfois aussi impénétrables que celles que Dédale offraient aux visiteurs du labyrinthe. Malgré la mise en place d’un réseau spécialisé d’information sur la VAE (« points relais conseils » notamment censés informer et orienter les candidats), il n’est toujours pas évident se repérer dans le maquis des acquis. Conséquence du cloisonnement des filières et des services valideurs auquel s’ajoute une inégalité patente des possibilités et des services offerts selon les régions et les territoires, la « transférabilité » reste problématique. Un rapport gouvernemental de 20081 signale que le développement de la VAE « s’est fait dans un contexte humain, financier et culturel très différent selon les certificateurs publics ». Par ailleurs, dans un pays traditionnellement attaché à l’excellence académique et si on admet que la « valeur de la monnaie » reste tributaire de celle que lui accordent les utilisateurs en fonction de leur information ou des représentations collectives, il ne faut pas s’étonner de constater que les diplômes et titres acquis par la voie de la VAE peuvent être parfois dévalorisés par rapport à ceux obtenus par la voie classique. De nombreux rapports se sont interrogés sur l’état du développement de la VAE. Comme le rappelle Gilles Schnidnecht2 dans son plaidoyer pour une relance de la VAE, tous ces rapports
1. Rapport de 2008 (DGEFP, Dares et Cereq) sur la base de données 2006. 2. G. Schildnecht (2016). La VAE, l’oubliée des réformes, Liaisons sociales (à paraître).
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« ont souligné la force et l’intérêt de la VAE, mais ont constaté de plus en plus son faible développement, voire la baisse des effectifs concernés au cours des dernières années ». En 2014, environ 42 000 candidats se sont présentés devant un jury, en vue d’obtenir une certification publique par la VAE, dont 25 600 ont obtenu une certification. Ces chiffres en baisse de 8 % et 7 % par rapport à 2013, montrent bien le caractère encore confidentiel de cette voie d’accès aux certifications. La réforme de la formation professionnelle de 2014, bien qu’elle ne remette pas en cause fondamentalement le système hérité de la loi de 2002, suscite des interrogations quant à l’évolution qualitative de la RVAE. Il en est de même des « recommandations » du 2 février 2016 du Copanef1 qui, tout en affirmant que toute évolution sera faite à droit constant, incite à une transformation importante du dispositif débouchant non plus sur une égalité de traitement de tout un chacun, mais à une différenciation selon les secteurs d’activité. Partageant le point de vue d’Hugues Lenoir2, nous estimons que le risque est grand, si on adopte ce point de vue, que la VAE « ne soit pensée que comme un instrument adéquationniste au service de l’emploi, loin d’une idée de modernisation sociale au sens citoyen du terme ». On dénoncera avec lui le risque que l’application de la loi éthique et citoyenne de 2002 ne se transforme en une pratique gestionnaire et/ou une injonction autoritaire imposée à tout individu dans le cadre de son parcours professionnel.
3.3 Effets d’impacts Dans une perspective d’évaluation qualitative, on s’intéressera aussi aux effets nombreux, positifs ou négatifs, prévus ou non, mais non explicitement recherchés, qui viennent maximiser l’intérêt d’un projet ou au contraire en limiter les bénéfices. Comme le note François Aballea3, « cette appréciation des effets d’impact repose sur l’idée que tout projet, toute action, provoque une perturbation de la structure dans laquelle elle s’insère, que cette structure soit une biographie individuelle, le marché de l’emploi, la culture locale… » et j’y ajouterai volontiers le système éducatif et ses acteurs. L’implantation progressive de la RVAE amène en effet les « actants » de la formation non seulement à changer de « lunettes », mais aussi de « regard ».
1. Comité national paritaire pour l’emploi et la formation institué par la réforme du 5 mars 2014. 2. H. Lenoir, « D’une loi éthique et citoyenne à une pratique gestionnaire », in Liétard B., Piau A., Landry P., Pratiquer la reconnaissance des acquis de l’expérience, Lyon, Chronique sociale. 3. F. Aballea (1989). « L’Évaluation qualitative », Recherche sociale, n° 111.
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Les enseignants, formateurs et autres éducateurs se doivent de reconnaître qu’on peut apprendre, en dehors d’eux et de leurs enseignements, au travers des expériences vécues par les apprenants, creuset central de leurs apprentissages. Prendre en compte la RVAE, c’est aussi être amené à renoncer au découpage des disciplines au profit d’une approche interdisciplinaire dont l’axe directeur est l’accompagnement des projets de preneurs de formation, qui peuvent aussi leur apprendre de leur expérience. En un mot, cela leur demande de s’initier, tout comme dans l’usage du e-learning, à des formes d’apprentissage dont ils n’ont pas connaissance. Comme vu précédemment, les gestionnaires des ressources humaines sont incités à reconnaître leurs opérateurs, à développer leurs compétences et à mettre en place des organisations apprenantes susceptibles d’évoluer en fonction des compétences de ceux-ci. Objectif du « management de la connaissance dans une société du savoir1 », dont la RVAE est un des vecteurs incontournables, on cherche à « mettre en réseau les hommes et les savoirs pour créer de la valeur ». Restent, et c’est de mon point de vue de vieil humaniste mal repenti l’essentiel, les effets individuels de la démarche RVAE. Les objectifs des personnes s’engageant dans cette démarche ne se réduisent pas à l’obtention d’une certification, qui n’est que la partie émergée de l’iceberg, une étape dans un processus de construction identitaire. Il ne s’agit pas seulement d’identifier ses savoirs et ses compétences et de les situer par rapport à des référentiels : la description de la pratique, la formalisation des savoirs expérientiels à partir de la description de l’agir dans des situations passées ne prennent de sens que si elles s’intègrent dans un parcours de vie. Comme le pointe Vygotski2, « je me connais seulement dans la mesure où je suis moi-même un autre pour moi ». Mais force est de constater que pour être un autre pour soi, le regard des autres est indispensable. D’où l’importance d’un accompagnement approprié, qui implique le milieu de travail, le milieu familial et les relations interpersonnelles, ne se réduisant donc pas aux seuls professionnels de la chose, L’accompagnement dans le cadre de la reconnaissance et de la validation des acquis de l’expérience relève de la « médiation ». Charles Roschitz3, autre grand artisan du développement de la RVAE en France, a pu parler de « métier du tiers » mettant en œuvre une guidance formative.
1. J.-Y. Prax (2007). Le Manuel du knowledge management, Paris, Dunod. 2. L. Vygotski (1994 a). « Le problème de la conscience dans la psychologie du comportement » (trad. F. Sève), Société française, 50, 35-47. (Original publié 1925.) 3. C. Roschitz (1992). Le Métier du tiers, Entente.
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Jack Mezirow1, dans son plaidoyer pour développer l’autoformation, nous engageait à « penser son expérience » : le fait même de la parler, de la mettre en forme pour soi et pour les autres, constitue en effet pour l’individu une voie vers une autoformation émancipatrice, individuelle et collective, qui libère nos capacités créatives et développe notre pouvoir d’agir. Partageant ce point de vue, les militants de l’autoformation sont unanimes à considérer la reconnaissance des acquis expérientiels comme un vecteur pertinent de l’autoformation et de l’autonomie des personnes. Comme le souligne Gaston Pineau2, « ces acquis expérientiels (qui d’ailleurs ne sont pas si faciles que cela à reconnaître, connaître et valider) ne sont que la pointe d’un iceberg d’un monde de la vie vécue en ébullition permanente entre évolution, involution et révolution, entre formation, déformation et transformation ». Il en tire la nécessité d’une reconnaissance des acquis de l’expérience (RAE) pour la VIE (valorisation infinie de l’existence). De cette apologie critique de la RVAE à laquelle je me suis livré, je tire pour ma part l’espoir que son développement, qui relève encore trop aujourd’hui du militantisme, pourrait constituer la tête de pont d’un nouvel ordre éducatif à visage humain et un vecteur d’une autoformation expérientielle émancipatrice. En attendant, les militants de ce paradigme éducatif en émergence se doivent d’être attentifs ensemble pour naviguer en évitant les courants et vents contraires, les écueils et les dérives possibles dus aux « côtés obscurs de la force de l’expérience ».
1. J. Mezirow (2001). Penser son expérience. Une voie vers l’autoformation, Lyon, Chronique sociale. 2. G. Pineau, B. Liétard, M. Chaput (1991). Reconnaître les acquis. Démarches d’exploration personnalisée, Éditions Universitaires.
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Lectures conseillées Bézille H., Courtois B. (2006). Penser la relation expérience-formation, Lyon, Chronique sociale.
Massip-Zilhardt A. (2015). Validation des acquis de l’expérience et ingénierie territoriale, Paris, L’Harmattan.
Colardyn D. (1996). La Gestion des compétences, Paris, PUF.
Mayen P. et al. (2003). Dossier « L’expérience », Savoirs, 1, 15-84.
Coll. (2014). « La reconnaissance des acquis de l’expérience », Éducation permanente, 199.
M ezirow J. (2001). Penser son expérience. Développer l’autoformation, Lyon, Chronique sociale.
Liétard B., Piau A., Landry P. (2017). Pratiquer la reconnaissance des acquis de l’expérience, Lyon, Chronique sociale. Livre blanc (1995). Enseigner et apprendre. Vers la société cognitive, Luxembourg, Office des publications officielles des Communautés européennes.
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Paul M. (2016). La Démarche d’accompagnement. Repères méthodologiques et ressources théoriques, Bruxelles, De Boeck. Presse M.-C. et Figari G. (2010). « La valorisation des expériences personnelles et personnelles », TransFormations, 4.
Chapitre 30 Les métiers de la formation1
1. Par Solveig Fernagu-Oudet et Cédric Frétigné.
Sommaire 1. L’« invention » des métiers de la formation et la querelle de la professionnalisation................................................................ 589 2. Un groupe professionnel segmenté....................................................................... 592 3. Des contextes et lieux d’exercice pluriels............................................................. 595 4. Des professionnels de plus en plus qualifiés aux compétences variables............... 599 5. Perspectives de recherche.................................................................................... 603 Lectures conseillées.................................................................................................. 604
La littérature consacrée, en sciences humaines et sociales, aux métiers de la formation est indéniablement réduite comparée à celle dont les métiers de l’éducation ou du travail social peuvent faire l’objet. Par ailleurs, les activités considérées s’insérant dans des espaces professionnels plus ou moins bureaucratisés, mais participant du fonctionnement ordinaire d’organisations de taille variable, il importe à chaque fois de rappeler les contextes dans lesquels l’exercice professionnel s’opère, la formation se déroule, l’expertise s’acquiert, etc. Avec ce rappel, il ne s’agit pas de céder au découragement mais de souligner les efforts de connaissance qui restent à accomplir. Surtout, le propos vise ici à valoriser un ensemble d’analyses approfondies qui, depuis une vingtaine d’années, viennent soit renouveler les connaissances, un peu anciennes, que l’on avait de ces métiers, soit procurer des gains de connaissances qui réduisent d’autant les nombreux angles morts que l’on pouvait détecter. Sans souci d’exhaustivité, nous mobiliserons les principaux travaux de référence pour traiter successivement de quatre points : l’« invention » des métiers de la formation et le débat sur leur professionnalisation ; la morphologie du/des groupe(s) professionnel(s) ; les contextes et lieux d’exercice des agents de la formation ; les qualifications détenues et compétences possédées par ces professionnels de la relation sur/avec autrui.
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1. L’« invention » des métiers de la formation et la querelle de la professionnalisation Les travaux en sciences sociales portaient originellement sur les publics de la formation mais également sur les formateurs d’adultes. Dans les deux cas, il s’agissait bien d’étudier, sociologiquement pour l’essentiel, la formation au prisme des propriétés sociales de ceux qui la dispensent et de ceux qui en bénéficient. Ainsi, la thèse fondatrice de Philippe Fritsch faisait état de la double marginalité des formateurs d’adultes dans les années 1960. Marginalité d’abord au regard de la position sociale occupée, descendante ou ascendante, mais au fond peu reproductrice de celle occupée par le père. Marginalité ensuite au regard du niveau d’études atteint puisque, dans plus de deux tiers des cas, celui-ci différait de celui attendu au regard de leur origine sociale. Dès cette période des interrogations sur la morphologie du groupe professionnel (cf. section suivante) et sur la professionnalisation se dessinent. Fritsch relevait déjà en 1969 des « indices de professionnalisation ». Selon lui toutefois, il s’agissait d’un « groupe en voie de professionnalisation » ou, pour le dire autrement, un « groupe occupationnel ».
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1.1 La professionnalisation en débat Ce débat sur la professionnalisation des formateurs d’adultes et, par la suite des métiers de la formation, court depuis quarante ans et peine à trouver sa conclusion. Sorte de serpent de mer, ce sujet a fait l’objet de discussions passionnées dont on va ici opérer la synthèse pour montrer combien les interrogations actuelles font écho à celles qui ont été portées depuis une quarantaine d’années. La question est bien celle du caractère spécialisé ou généraliste de l’activité. S’agit-il d’une fonction remplie par des professionnels d’autres métiers, à titre occasionnel ou en complément de leur activité principale ? Dans ce cas, il n’est point besoin de métier distinct et reconnu dans les nomenclatures administratives et les grilles de classification. S’agit-il au contraire d’une activité qui nécessite des compétences en propre, qui appelle une qualification particulière et implique un exercice régulier ? Dans ce cas, la structuration de l’espace professionnel semble requise, avec son lot de diplômes spécialisés, ses associations et syndicats professionnels et l’exercice, à titre d’activité principale, d’un métier de la formation reconnu comme tel. Au cours des années 1970, le choix de la professionnalisation a été clairement repoussé au motif principalement que la spécialisation était contraire à l’élan global insufflé par la loi du 16 juin 1971 portant création de « la formation professionnelle continue dans le cadre de l’éducation permanente ». Tous, donc formés et… formateurs en puissance. Il reste que des clivages sont apparus au début des années 1980 entre défenseurs et opposants de la professionnalisation. On peut en quelques mots en rappeler les tenants et aboutissants. La préparation d’un rapport pour le ministre de la formation professionnelle a d’abord été l’occasion de vives controverses en 1983. En substance, convenait-il d’instituer un système de qualification pour les formateurs et travailler à la constitution d’un métier spécifique ou devait-on continuer, sur le modèle existant, à refuser la professionnalisation ? Les défenseurs de la professionnalisation argueront alors des conditions statutaires faites aux formateurs d’adultes et de la précarité de leurs conditions d’exercice et d’existence nuisibles à la qualité des prestations assurées. Les supporters du statu quo se voudront les garants du respect des libertés des entreprises, considérant qu’il est de leur droit de faire appel aux intervenants de leur choix, en interne comme en externe, et de manière occasionnelle si besoin est. La signature de la convention collective des organismes de formation en 1988 représente un moment charnière en ce qu’elle marque, dans les esprits au moins, l’acte de naissance de ce que l’on nommera quelques années plus tard les métiers de la formation. La professionnalisation tant débattue semble dès lors en bonne voie, quoique les auteurs les plus critiques mentionnent aujourd’hui encore qu’elle n’exclut pas le recours aux formateurs occasionnels et qu’elle ne signifie en rien la clôture de l’espace professionnel. 590
Les métiers de la formation ■ Chapitre 30
1.2 Les métiers de la formation L’acte de naissance lexicale des métiers de la formation peut être précisément daté. C’est en 1994 qu’un ouvrage au titre éponyme est publié à La Documentation française (Gérard et al., 1994), immédiatement suivi en 1995 d’un guide des métiers de la formation, régulièrement réédité et actualisé, par le Centre Inffo (2016). Une logique « catégorielle » préside à leur mode de classement. Une partition suivant les publics concernés, les environnements institutionnels de référence et les fonctions occupées est alors mise en œuvre. Depuis, l’expression « métiers de la formation » s’est substituée, comme catégorie générique à celle de formateurs d’adultes. Elle englobe à la fois : –– les « formateurs du secteur… » exerçant dans un contexte organisationnel spécifique : entreprises, organismes de formation du secteur marchand, organismes consulaires, associations loi de 1901, organisations syndicales, fonction publique, fonction publique territoriale ; –– les « formateurs de… » travaillant avec un public particulier : formateurs de cadres, de salariés, de militants, de jeunes, de chômeurs, de migrants, de personnes en situation d’illettrisme ou d’analphabétisme, ou formateurs d’un métier singulier ; –– les « formateurs en… » œuvrant dans un « domaine » donné ou maîtrisant une « spécialité » de formation ; –– tout autre segment des métiers de la formation. Il s’agirait donc désormais de considérer des métiers. La référence au métier introduit l’idée d’éléments communs, forts, signant une forme d’unité ou, à tout le moins, de dénominateur commun. Il ne s’agit plus d’une activité menée par des individus, éventuellement occasionnellement et à titre secondaire, mais d’un exercice professionnel conduit au sein d’un groupe professionnel. Le pluriel toutefois marque une forme de différenciation interne ou, comme le formulent les sociologues interactionnistes des professions, une segmentation. Il est vrai que la morphologie du groupe professionnel ne saurait être insensible à l’accroissement numérique notable constaté depuis le début des années 1980. En 2012, l’Insee dénombrait un peu plus de cent vingt-cinq mille personnes dans la famille professionnelle des « formateurs et animateurs de la formation continue » (code PCS 423b). Si l’on y ajoute ceux qui anciennement leur étaient associés, « moniteurs d’école de conduite » (423a), une partie des « cadres spécialistes des ressources humaines et du recrutement » (372c) et les « cadres spécialistes de la formation » (372d), les effectifs ont sextuplé en vingt-cinq ans1. Stricto sensu, environ cent cinquante mille personnes exercent donc une activité relevant du champ de la formation des adultes. Si on raisonne lato sensu (en ajoutant les emplois administratifs d’appui à la formation), 1. E. de Lescure (2015). « La “théorie des nouvelles professions”, une ressource heuristique pour penser la professionnalisation », Éducation et socialisation.
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il semble que l’on avoisine les deux cent mille personnes occupant un emploi dans la formation. À cette évolution numérique, on ajoutera plus loin dans ce chapitre la prise en compte d’une variété croissante de tâches, missions, activités, emplois et statuts les concernant.
2. Un groupe professionnel segmenté La segmentation du groupe professionnel s’observe à différents niveaux. On peut décrire les différents statuts d’emploi des agents de la formation : salarié sous CDI, CDD, CDD d’usage, contractuel, vacataire, libéral, auto-entrepreneur. On peut distinguer les employeurs et les lieux d’exercice professionnel (secteur privé, public, associatif, chambres consulaires, etc.). On peut préférer accorder de l’attention aux diplômes détenus (et aux spécialités préparées) et aux niveaux de qualification reconnus. On peut s’attacher aux types de financement et aux publics auprès desquels s’exerce l’activité. Le portrait statistique réalisé par la Dares (2016)1 permet de témoigner de l’ensemble de ces entrées. On peut enfin s’attacher aux identités professionnelles revendiquées ou tenues à distance et aux formes d’appartenance (associations et syndicats professionnels) qui marquent des différences dans la manière d’habiter son rôle et d’assumer sa place dans le champ des métiers de la formation. Plus classiquement, nous proposons ici de faire un focus particulier sur les fonctions occupées par celles et ceux qui relèvent des métiers de la formation. À elle seule, cette modalité d’entrée dans la question suffira à montrer l’éclatement professionnel.
2.1 Des typologies de métiers et de fonctions plurielles Dans la deuxième édition du présent Traité, Pierre Caspar soulignait déjà, sous forme de synthèse2, les différentes fonctions engagées par l’exercice professionnel d’un métier de la formation : fonction politique d’abord, fonction technique, fonction pédagogique, fonction de conseil et enfin, fonction commerciale. Emmanuel de Lescure a, quant à lui, dernièrement opéré la synthèse des typologies de fonctions et d’emplois décrites par différents auteurs de
1. http://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/synth_stat_no19_-_portraits_stat_des_metiers_1982-2014_web. pdf. 2. P. Caspar (2004). « Conclusion », in P. Caspar et P. Carré (dir.), Traité des sciences et techniques de la formation, Paris, Dunod, p. 563-570, 2e édition.
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1970 au début des années 20001. Ainsi Guy Le Boterf et François Vialet distinguaient-ils en 1974 : les responsables de formation, les gestionnaires de formation, les spécialistes des moyens pédagogiques, les enseignants, les formateurs consultants. En 1979, Gérard Malglaive et Yvon Minvielle pensaient dans un cadre distinct « pratique politique », « pratique politique pédagogique » et « pratique pédagogique enseignante ». En 1983, Gérard Malglaive encore propose la division suivante : formateurs enseignants, coordonateurs de formation, responsables de formation. Plus près de nous, Pierre-Alain Cardon repère en 1996… 72 dénominations différentes en réponse à un questionnaire adressé aux personnes en emploi au sein d’organismes de formation en région Nord Pas-de-Calais. Il les répartit alors en trois grandes familles qu’il nomme respectivement « organisateurs politiques/stratégiques », « organisateurs pédagogiques » et « intervenants pédagogiques ». L’Observatoire prospectif des métiers et des qualifications de la branche des organismes de formation privés (2010) a pu distinguer, quant à lui, des « familles professionnelles », au rang desquelles figurent les spécialistes de l’« animation de dispositifs de formation », du « conseil et accompagnement individuel », de l’« ingénierie de formation – ingénierie pédagogique », des pôles « promotion, marketing et commercial », « management, gestion d’un organisme », « gestion administrative, logistique, financière et réglementaire ». Ce sont donc des typologies de métiers et de fonctions pour partie seulement congruentes les unes avec les autres que la littérature nous donne à voir. Pour en attester, nous proposons ici de prendre en exemple un métier doté d’un coefficient de légitimité élevé dans l’espace professionnel et aux contours apparemment bien stabilisés : les responsables de formation. Qu’en est-il de leurs prérogatives effectives et de leurs tâches ordinaires ? Repère-t‑on des fonctions communes qui désigneraient un métier commun ?
2.2 Responsables de formation : un pluriel justifié Existe-t‑il un métier de responsable de formation distinct d’autres métiers de la formation ? À suivre Pierre Caspar et Marie-Jeanne Vonderscher dans leur ouvrage fondateur2, la structuration des services formation d’entreprise s’organise autour des grandes fonctions suivantes, qu’ils distinguent pour les besoins de l’analyse bien qu’elles puissent être couplées dans les faits : une fonction à dominante administrative axée sur la gestion juridique, administrative, financière et comptable ; une fonction à dominante pédagogique (l’un ou l’autre des membres du service 1. E. de Lescure (2010). « Un ensemble hétérogène. Éléments de littérature sur les métiers et les agents de la formation » in de Lescure E. et Frétigné C. (dir.), Les Métiers de la formation. Approches sociologiques, Rennes, Presses universitaires de Rennes. 2. P. Caspar et M.-J. Vonderscher (1986). Profession : responsable de formation, Paris, Éditions d’Organisation.
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peut exercer une fonction de moniteur, instructeur, formateur, formateur de formateurs) ; une fonction de liaison (rôle de correspondant formation) ; une fonction de diagnostic centrée sur l’audit et le conseil ; une fonction d’animation et d’orientation en lien étroit avec la direction de l’entreprise ; une mission d’ouverture à l’international. La variété des configurations observées n’est toutefois pas, selon le mot des auteurs, une « variété anarchique » mais le fruit d’un « jeu de forces complexes » au sein duquel intervient « tout un faisceau de facteurs » (p. 59). À cette diversité de fonctions présentes au sein des services formation répond la diversité des acteurs qui, au sein d’un service formation ou non, occupent un rôle de « responsable de formation ». Alain Meignant précise ainsi que « la fonction “responsable de formation” recouvre des réalités extrêmement diverses ». Du cadre supérieur en charge de diriger l’université d’entreprise d’un grand groupe international à la secrétaire de direction de PME dont l’essentiel de l’activité, à temps partiel est d’enregistrer administrativement des inscriptions, en passant par le cadre responsable de l’élaboration, de la coordination et de la réalisation du plan de formation, la « zoologie de la fonction est riche1 ». En dépit de la diversité première, l’auteur montre qu’il existe des lignes de force qui structurent l’activité du responsable de formation : le développement d’une gestion par les compétences, l’organisation de formations s’émancipant de la canonique formule du stage, des pratiques orientées autour de la validation des acquis. Empiriquement, il s’avère que les fonctions occupées par les responsables de formation varient grandement, en particulier selon le contexte organisationnel et les politiques conduites en matière de ressources humaines. Un rôle purement administratif peut leur être dévolu. Dans ce cas, les responsables de formation appliquent les politiques d’entreprise conduites par la direction générale en concertation avec la direction des ressources humaines. Un rôle d’intermédiation peut être décrit dans les cas où le service formation et son responsable sont des courroies de transmission dotées d’une réelle légitimité au sein de l’organisation. Un rôle réellement décisionnel s’observe enfin dans les situations où le responsable de formation est étroitement associé à la construction de la politique de formation professionnelle, elle-même imbriquée dans une politique de gestion des ressources humaines. Les pratiques subséquentes et le quotidien du responsable de formation sont ainsi très différents selon qu’il se trouve cantonné à la gestion administrative d’un service qui, lui-même, gère de manière purement administrative la formation ou selon qu’il endosse un rôle qui le met fortement en position de responsabilité voire décisionnelle. Cette segmentation des métiers de la formation se comprend mieux quand on restitue les contextes et lieux d’exercice professionnel au sein desquels les agents opèrent. De plus en plus 1. A. Meignant (2001). « Responsable de formation. De nouveaux enjeux », Actualité de la formation permanente, n° 171, mars-avril, p. 28.
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qualifiés ainsi qu’on l’observera également, il n’est pas étonnant de constater combien le spectre de leurs compétences s’est ouvert, combien leur activité s’est enrichie de tâches nouvelles en complément de celles, plus traditionnelles, rappelées dans les typologies présentées ci-dessus.
3. Des contextes et lieux d’exercice pluriels On l’a mentionné, le champ des métiers de la formation des adultes est composé de nombreux segments aux contours souvent imprécis. Les intitulés des emplois sont variables et ne recouvrent pas les mêmes réalités À l’épreuve des faits, on peut observer que d’un organisme à l’autre le même emploi peut recouvrir des activités différentes. Ainsi, être conseiller en formation dans un organisme donné peut conduire une personne à faire de l’orientation des publics accueillis stricto sensu, du développement commercial ou de l’ingénierie de formation ; un formateur peut participer à l’élaboration d’un dispositif de formation ou non en fonction de son lieu d’exercice, il peut organiser ou non le contenu de ses interventions, concevoir ou non ses supports pédagogiques. Inversement, deux dénominations différentes peuvent correspondre à une même activité. On peut être ingénieur pédagogique, chef de projet formation ou responsable de formation et réaliser du conseil en formation, de l’analyse de besoins ou de l’évaluation de dispositifs ; on peut être consultant ou formateur et animer des groupes de formation, concevoir ses supports et ses contenus de formation. Ainsi, l’emploi est une combinaison variable d’activités en fonction du contexte organisationnel d’appartenance. Néanmoins, certaines activités restent dominantes (cf. typologies proposées supra). Peut-on (et comment) simplifier ce vaste panorama sans le dénaturer ? Il est possible d’opérer une première distinction entre deux grandes familles d’acteurs : les commanditaires d’une part, les prestataires de formation de l’autre. Une seconde distinction part des lieux d’intervention de ces acteurs, partageant alors les fonctions les plus fréquentes selon les contextes d’exercice de l’emploi (Centre Inffo, 2006). Une troisième distinction met au cœur de l’analyse les activités de travail dominantes, démarche empruntée dans le CEP (1998)1 et par l’OPQM (2010)2 à propos des organismes de formation privés et reprise par le Centre Inffo dans sa dernière édition (2016). Le Rumef (2013)3 a également œuvré en ce sens. Aucune étude n’a pour le moment été réalisée sur l’impact de la réforme de la formation professionnelle de 2014 1. Interface et DGEFP (1998). Contrat d’étude prospectives (CEP), Paris, Documentation française. 2. O. Charbonnier, L. Darchen, B. Garnier (2010). « Observatoire prospectif des métiers et des qualifications (OPQM) des organismes de formation privés (codes APE 8559A et 8559B, convention collective 3249) », 3. http://rumef2013.sciencesconf.org/conference/rumef2013/rumef_livret_2011.pdf
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sur ces activités (ANI 14 décembre 2013). Sans doute faut-il lui laisser le temps de se mettre en place et donner le temps aux acteurs de s’en saisir. En tout état de cause, de nouvelles fonctions (et donc de nouvelles pratiques) sont appelées à émerger autour des questions de la qualité, de l’évaluation de la formation et de l’accompagnement individuel dans l’emploi.
3.1 Les familles d’acteurs Deux grandes familles d’acteurs se présentent sur le marché de la formation : les commanditaires de formation ou maîtrise d’ouvrage, les prestataires de formation ou maîtrise d’œuvre. Les premiers décident de la formation et la financent, les seconds la réalisent. La maîtrise d’ouvrage peut être représentée par : –– un responsable de formation qui gère la formation pour les salariés de l’entreprise ou de l’administration à laquelle il appartient, dans le cadre du plan de formation. Il fait réaliser la formation soit à l’interne au moyen de compétences et ressources propres à l’entreprise, soit à l’externe en achetant de la formation à un organisme de formation ; –– un représentant de financeurs publics ou privés qui gère un budget de formation au bénéfice de personnes extérieures à sa propre entreprise ou organisation : c’est le cas, par exemple, de services déconcentrés de l’État ou de collectivités territoriales qui prescrivent et financent des formations pour des publics demandeurs d’emploi. La maîtrise d’œuvre a comme activité économique le produit « formation ». Elle intervient de manière très ponctuelle ou assure la gestion de l’ensemble du processus de formation. Elle est représentée par : –– une personne individuelle (consultant ou formateur individuel) ; –– un organisme de formation (regroupant différentes fonctions : responsable de formation, ingénieur de formation, conseiller, consultant, coordonnateur, formateurs) ; –– un centre de formation interne dans les grandes entreprises.
3.2 Les contextes d’intervention Le Centre Inffo (2006) repère quatre milieux d’intervention : en organisme de formation, en entreprise, en Opca ou organisation professionnelle et en structure d’accueil, d’orientation et d’insertion. Dans chacun de ces milieux sont identifiés les postes ou profils les plus courants auxquels sont associées des missions (ou activités de travail dominantes). Si l’approche du Centre Inffo dresse un panorama relativement précis des métiers et emplois de la formation 596
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en fonction des contextes d’intervention, elle reste très théorique et générique. L’édition 2016 prend mieux en compte les évolutions d’emplois qui touchent les métiers de la formation depuis quelques années (ingénierie de professionnalisation, ingénierie des parcours professionnels, montée des pédagogies innovantes notamment). Les spécificités des contextes d’exercice professionnel sont également mieux travaillées. Il reste que le contour des situations de travail variant d’une structure à l’autre en fonction de sa taille, de la nature de ses prestations, des publics visés ou encore du segment de marché sur lequel l’organisme se positionne (secteur privé ou fonction publique), l’exercice touche à ses limites. Pierre Caspar (2011) remarque d’ailleurs à juste titre, que le métier de formateur est devenu bien flou et relève de ce fait d’une multiplicité de professionnalismes à exercer dont seule la fonction pédagogique demeure stable. L’analyse du Centre Inffo s’appuie essentiellement sur des référentiels métiers ou emplois très génériques et peu contextualisés (Pôle Emploi, Assedic, Onisep, etc.). Ce dont rend compte l’OPQM de la branche des organismes de formation privés dans son rapport en mettant en évidence que les référentiels limitent notre vision de la réalité parce qu’ils : –– décrivent très souvent les activités génériques des métiers et ne permettent pas de dégager les activités plus spécifiques liées aux caractéristiques des organismes, à l’exception de ceux produits par les organismes de formation eux-mêmes ; –– ne permettent pas de saisir la réalité des métiers ou emplois existants de manière suffisamment exhaustive ou actualisée, certaines activités émergentes au cœur de certaines fonctions n’étant pas encore recensées ; –– ne proposent que très rarement une cartographie exhaustive des métiers rencontrés au sein des organismes de formation, ignorant souvent certaines fonctions comme celles de directeur d’établissement, de chargé de marketing ou d’assistant de formation. Le même constat peut être fait du côté des entreprises où l’on voit naître depuis quelques années des emplois de chargé de la relation formation-emploi, de gestionnaire des parcours professionnels, de chef de projet développement des compétences, dont nulle part on ne trouve trace de formalisation. C’est donc bien un problème de contextualisation des référentiels qui est posé si l’on veut que ces derniers soient pertinents et au plus près des réalités de terrain. Le CEP de 1998 avait déjà alerté en ce sens, en mettant en évidence le fait que l’analyse qualitative des métiers de la formation – et de leurs évolutions – ne pouvait s’affranchir d’une prise en compte des caractéristiques de l’organisation et de l’activité de l’organisme (taille, polyvalence versus spécialisation, secteur d’activité, marché public versus marché privé, type de publics visés, etc.). Les modalités d’organisation du travail pouvant être multiples et très différentes, les organismes créent des emplois qui leur sont spécifiques en dépit de dénominations souvent 597
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similaires, ce qui aboutit à une certaine forme de pluralité des identités socioprofessionnelles. C’est sur la base de ce constat que le CEP avait proposé de privilégier une analyse à un niveau de maille plus fin que celui des emplois ou des métiers en s’attachant à identifier l’ensemble des familles d’activités couvertes par les organismes de formation.
3.3 Des contextes d’intervention aux activités Pour mémoire, le CEP proposait un référentiel d’activités de la formation décliné en quatorze domaines d’activité regroupés a posteriori autour de quatre grandes familles professionnelles : –– famille 1 : Animation de dispositifs de formation et prestations d’orientation ; –– famille 2 : Ingénierie de formation – ingénierie pédagogique ; –– famille 3 : Marketing Commercial ; –– famille 4 : Management – Gestion d’un organisme. Cette catégorisation appliquée aux organismes de formation a depuis été élargie à l’ensemble des métiers de la formation. L’Observatoire, s’appuyant sur les résultats de l’étude Adequaskill1, l’analyse documentaire des référentiels des métiers de la formation disponibles et de travaux du Céreq2, a pu ainsi étayer les familles existantes et identifier deux familles supplémentaires : –– famille 5 : Conseil et accompagnement individuel ; –– famille 6 : Gestion administrative, logistique, financière et réglementaire de l’organisme. Ces deux familles ne sont pas nouvelles en soi, mais une place nouvelle leur est accordée en raison de pratiques affirmées et étoffées justifiant leur formalisation. La famille 5 étant amenée à se développer au regard de la loi de 2014 (nouvelle gouvernance de la formation, conseil en évolution professionnelle dans les organisations et orientation des publics en difficulté dans les régions notamment).
1. La démarche adoptée par l’enquête statistique en ligne Adequaskill vise à décrire les contenus de 31 métiers de la formation à partir des 6 « processus » clés suivants : Vendre, Analyser, Construire, Instrumenter, Conduire et Évaluer. Quatre grandes catégories de métiers sont ensuite dégagées : les métiers décisionnels, les métiers de la conception, les métiers d’animation et les métiers d’accompagnement. 2. Le Cereq étudie les évolutions qualitatives et quantitatives des emplois et des métiers afin d’anticiper les besoins en qualifications de l’économie. Il a créé un ensemble d’outils statistiques et d’enquêtes afin de réaliser des états des lieux des branches, des professions et des catégories socioprofessionnelles, notamment des portraits statistiques de branches (PSB).
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4. Des professionnels de plus en plus qualifiés aux compétences variables La formation professionnelle, nous rappelle Pierre Caspar (2011), est globalement entrée dans une économie de service, dans une économie de marché. Elle est marquée par des appels d’offres, des cahiers des charges, des rapports clients-fournisseurs et des partenariats, un contexte de forte concurrence, une recherche de qualité, de productivité et de compétitivité, et la nécessité d’obtenir un retour significatif sur les investissements consentis. Ce contexte conduit le milieu à (re)structurer ses modalités d’intervention et à la nécessaire professionnalisation des acteurs. Si, à une époque, on pouvait parler d’ingénierie des connaissances, on parle aujourd’hui d’ingénieries diverses : de formation, pédagogique, de professionnalisation, didactique, des compétences, des parcours professionnels, etc. Chacune de ces ingénieries recouvre des domaines de compétence différents, et de nouvelles manières de « pratiquer le métier ». En première ligne de cette évolution, la digitalisation du métier de formateur avec l’invasion du numérique dans la formation, En seconde ligne, l’émergence de formations de plus en plus ancrées dans les situations de travail, visant à accroître la cohérence entre formation et environnement de l’action de formation. En troisième ligne, les pratiques d’autoformation que l’on cherche à formaliser, capitaliser et diffuser avec pour fer de lance les organisations apprenantes. Ce ne sont toutefois pas les seules évolutions puisqu’on voit apparaître l’expression de nouveaux besoins de la part des prescripteurs et usagers de la formation : sécurisation des prestations de formation (labellisation, mise en concurrence), polyvalence des prestations (produits pédagogiquement, administrativement, financièrement clés en main), retour sur investissement (obligation de résultat), flexibilité, personnalisation et intégration des dispositifs (mise en œuvre de modalités multiples de formation ; modularisation, individualisation des parcours ; mesures d’accompagnement en amont et en aval des formations), et une pluralité d’objectifs de formation (insertion, adaptation, perfectionnement, intégration, etc.). Toutes ces évolutions nécessitent de mieux structurer le champ de la formation et ses compétences et reflètent un paysage de la formation qui évolue pour faire face aux nouvelles exigences qui sont les siennes. Aujourd’hui, trois phénomènes majeurs peuvent être observés et soulignés : les agents de la formation et le paysage dans lequel ils s’inscrivent s’organisent ; les pratiques pédagogiques se renouvellent ; les fonctions support (marketing, commercial, finance, etc.) se développent. Ils impactent tout à la fois le système (organisation, acteurs, législation, etc.), les processus (ingénieries), produits (formes, accessibilité, modalités pédagogiques) de formation et les compétences
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des acteurs eux-mêmes. Pour l’OPQM des organismes de formation privés, les changements qui s’opèrent touchent l’ensemble des familles d’activités qui ont été repérées (cf. tableau 30.1). Tableau 30.1 - Famille d’activités et évolution des compétences (OPQM, 2010) Famille
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Implication des évolutions sur les activités
« Animation de dispositifs de formation »
–– La dimension pédagogique concurrencée par la pression commerciale. –– La capacité de diversifier les situations pédagogiques (approches ludiques, approche compétences, posture de conseil, intégration des technologies). –– Le développement des parcours individualisés : un changement de posture. –– Une intégration des pratiques d’évaluation en différé à la prestation d’animation.
« Conseil et accompagnement individuel »
–– L’appropriation des outils et démarches de conseil et de bilan, voire leur élaboration. –– Le renforcement des capacités de recrutement et l’accompagnement des stagiaires. –– Dans le champ de la commande publique, l’intégration de la formation dans une économie plus large. –– La prise en compte des problématiques sociales et d’insertion professionnelle. –– L’articulation avec les autres acteurs de l’orientation et de l’insertion.
« Ingénierie de formation – ingénierie pédagogique »
–– Un cadre prescriptif incitant à se recentrer sur l’ingénierie pédagogique. –– Une demande d’individualisation nécessitant de développer des supports de diagnosticorientation, de modulariser l’offre, d’automatiser sa mise à disposition. –– La maîtrise de l’ingénierie de certification. –– Le développement d’une offre adaptable aux ressources disponibles et faciles d’accès (technologies numériques). –– L’affirmation de coopérations internes (avec le commercial et l’administratif notamment) et externes.
« Promotion, marketing et commercial »
–– Une évolution des activités de commercialisation sous l’effet de l’individualisation, des contraintes économiques, des démarches qualité. –– Le développement de nouvelles pratiques commerciales : e-business, B to E. –– Une bonne connaissance de l’environnement juridique et réglementaire de la formation. –– Une compétence à répondre aux appels d’offres.
« Management – gestion d’un organisme »
–– Des choix stratégiques en matière de qualité, de commercialisation, de pédagogie, d’organisation, d’investissements techniques et humains. –– Une capacité à nouer des partenariats. –– Une exigence accrue de veille concurrentielle, juridique, technologique.
« Gestion administrative, logistique, financière et réglementaire de l’organisme »
–– La standardisation des processus de gestion (appels d’offres, renouvellement de label etc.) et de traçabilité des activités (outils de suivi pédagogique et financier). –– La gestion et la maintenance des ressources informatiques (système d’information, de gestion des formations, ressources technologiques éducatives).
Les métiers de la formation ■ Chapitre 30
4.1 Croissance de l’offre de formation aux métiers de la formation De nouvelles identités professionnelles et de nouvelles formes de professionnalité ne cessent d’émerger pour lesquelles il devient de plus en plus utile d’être préparés. Si l’on apprend bien souvent au contact des situations, de nombreux dispositifs de formation permettent aujourd’hui à de nombreux acteurs de se qualifier. Ils sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à l’être. Le niveau de formation apparaît comme un élément permettant d’appréhender le mouvement de professionnalisation d’un métier. Pour les métiers de la formation, il n’existe pas de chiffres mais l’offre de formation est conséquente au point qu’il peut être très difficile de se repérer. Chacun revendique sa spécificité (marché de l’insertion, de l’accompagnement, de l’orientation, de l’ingénierie de formation, de l’ingénierie pédagogique, de la conception de dispositifs multimodaux, des pédagogies innovantes, du développement des compétences, de la consultance en organisation, etc.) et son organisation (présentiel, multimodal, alternance, temps plein, etc.). On dénombre actuellement pas moins de cent huit masters professionnels, onze diplômes d’université de formateurs d’adultes, quarante-sept licences, vingt et une licences professionnelles, neuf titres professionnels de niveau II, un certificat d’aptitude aux fonctions de formateur académique dans le second degré (CAFIPEMF), etc. préparant aux métiers de la formation1. Une véritable institutionnalisation des lieux de formation s’est opérée, voire une industrialisation et une « ubérisation » de ces derniers. Si nous disposons du nombre de formations qualifiantes, aucun chiffre n’est disponible concernant l’offre de stages courts non qualifiants parmi lesquels on trouve de grands opérateurs comme le Centre Inffo, la Cegos, l’Afpa, les Cafoc, Demos, ou les Carif, etc. On relève également le développement progressif de la validation des acquis de l’expérience comme voie de formation et de qualification à part entière.
4.2 Croissance de la formation informelle D’autres dispositifs largement plus informels contribuent également à la professionnalisation des acteurs dans l’emploi : les réseaux professionnels : réseaux d’experts, d’information et d’orientation, d’insertion, d’organismes de formation et thématiques dont le Centre Inffo a tenté le recensement2. Ces réseaux offrent la possibilité de se former au contact des pairs, de partager des pratiques et des problématiques professionnelles, de s’ouvrir au networking et au co-working : –– Les réseaux d’experts : AEFP (Association européenne pour la formation professionnelle), Afref (Association française pour la réflexion et l’échange sur la formation), ANDRH
1. http://www.ressources-de-la-formation.fr. 2. http://www.pratiques-de-la-formation.fr/spip.php?page=reseaux.
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(Association nationale des directeurs des ressources humaines), ETDF (Fédération européenne pour le développement de la formation), FEFD (Fédération européenne pour la formation et le développement), FFFOD (Forum français pour la formation ouverte et à distance), Garf (Association professionnelle des acteurs du développement des compétences en entreprises), Re. form. e (Réseau pour la formation en Europe dans le secteur du bâtiment), ReferNet (Réseau européen de référence et d’expertise sur les systèmes de formation et d’enseignement professionnels), Cemmafor (Collectif d’expertise sur les mutations des métiers et des activités de la formation) ; Rumef (Réseau national des universités préparant aux métiers de la formation) ; Gehfa (Groupe d’études sur l’histoire de la formation des adultes). Les réseaux d’information et d’orientation : Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail), CIBC (réseau des centres interinstitutionnels de bilan de compétences), CRI (centres ressources illettrisme), Euroguidance (réseau européen de centres de ressources pour l’orientation et la mobilité en Europe), Intercarif-Oref (réseau des centres d’animation, de ressources et d’information sur la formation et des observatoires régionaux emploi formation), InterMife (réseau des maisons de l’information sur la formation et l’emploi), Skillsnet (réseau sur la détection précoce des besoins de compétences) ; Les réseaux d’insertion : Alliance Ville Emploi (réseau des maisons de l’emploi et des plans locaux pour l’insertion et l’emploi), Apapp (Association pour l’animation nationale et le développement de l’activité des Ateliers de pédagogie personnalisée), CNEI (Comité national des entreprises d’insertion), Fondation des écoles de la 2e chance, réseau des Maisons familiales rurales ; Les réseaux d’organismes de formation : Afpa (Association nationale pour la formation professionnelle des adultes), Anacfoc (Association nationale des conseillers en formation continue), Fédération des CSFC (Chambre syndicale des formateurs consultants), réseau des Greta, Sicfor (Syndicat des indépendants consultants et formateurs) ; Les réseaux thématiques : Galaxie (réseau national pour l’insertion professionnelle et l’aide aux personnes handicapées psychique), P@T (réseau des points d’accès à la téléformation), Cocagne (Réseau national des Jardins de Cocagne, chantiers d’insertion).
Lieux ressources, ils permettent de s’ouvrir à d’autres problématiques et d’autres horizons professionnels. La formation expérientielle, et l’autoformation restent aujourd’hui encore les voies d’accès dominantes pour les acteurs dans l’emploi.
602
Les métiers de la formation ■ Chapitre 30
5. Perspectives de recherche La littérature sur les formateurs d’adultes et les formateurs de formateurs d’adultes met tantôt l’accent sur la morphologie du groupe professionnel, tantôt sur les enjeux et les termes de la professionnalisation, tantôt encore sur les identités professionnelles. Assez étrangement, l’activité de travail proprement dite est assez peu investiguée, tant par les spécialistes de sociologie que par les tenants d’approches en sciences de l’éducation. Cette observation rejoint celle établie par Jean-Marie Barbier qui note que les « situations [de production de formation] font finalement, en tant que telles, assez peu l’objet de recherches1 ». S’attacher au travail des agents de la formation permettrait en premier lieu de mieux rendre compte de ce qu’ils font effectivement et de prendre ainsi la mesure de ce que former veut dire. Cela permettrait ensuite de voir cette contribution productive comme tenant indéfectiblement de l’acte technique et de la relation sociale. Il deviendrait alors possible d’interroger certains mythes et croyances, ces « métaphysiques sociales » qui font de l’acte de former une pratique quasi mystique et du métier de formateur d’adultes une occupation touchant au sacré. Enfin, cela éclairerait la place occupée par ces professionnels dans la division du travail social, et expliciterait les fonctions qu’occupe la formation dans un espace social donné. Avec cette série de remarques, il ne s’agit pas de promouvoir une perspective microsociologique de courte vue. En enquêtant au plus près des pratiques, en faisant varier les échelles d’observation, en étant attentif aux contextes de production, en intégrant les observations circonstanciées dans les configurations qui leur donnent sens, hypothèse est simplement faite que l’on peut rendre visible, de proche en proche, ce que former des adultes veut dire.
1. J.-M. Barbier (2009). « Les dispositifs de formation : diversités et cohérences – outils d’approche », in Barbier J.-M. et al., Encyclopédie de la formation, Paris, PUF, p. 225.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
Lectures conseillées Bourdoncle R., Demailly L. (éd.) (1998). Les Métiers de l’éducation et de la formation, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion. Brémaud L., Guillaumin C. (éd.) (2010). L’Archipel de l’ingénierie de la formation. Transformation, recompositions, Rennes, Presses Universitaires de Rennes. Caspar P. (2011). La Formation des adultes, hier, aujourd’hui et demain, Paris, Eyrolles. Centre Inffo (2016). Les métiers de la formation, La Plaine-Saint-Denis Centre Inffo et Cemmafor (2014). Le point sur La professionnalisation des formateurs, La Plaine-Saint-Denis Frétigné C. (2013). Ce que former des adultes veut dire, Paris, Publibook.
604
Gérard F. et al. (coord.) (1994). Les Métiers de la formation, Paris, La Documentation française. Interface DGEFP (1998). Contrat d’études prospectives des organismes privés de formation : enjeux et perspectives, Paris, La Documentation française. Lescure E. de et Frétigné C. (éd.) (2010). Les Métiers de la formation. Approches sociologiques, Rennes, Presses Universitaires de Rennes. Observatoire prospectif des métiers et des qualifications de la branche des organismes de formation privés (2010). Étude qualitative et quantitative relative aux métiers et à leurs évolutions. Rapport final.
Chapitre 31 Les recherches scientifiques sur la formation des adultes1
1. Par Olivier Las Vergnas.
Sommaire 1. Naissance de la discipline : ingénierie et importation de concepts........................ 607 2. Nature des thématiques et objets des recherches................................................ 614 3. Typologies des méthodes de recherche................................................................. 618 4. Conclusion............................................................................................................. 621 Lectures conseillées.................................................................................................. 623
1. Naissance de la discipline : ingénierie et importation de concepts 1.1 Connaissances scientifiques et réseaux de concepts
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La question de savoir d’où viennent les connaissances scientifiques et techniques en formation des adultes est centrale dans un Traité des sciences et techniques de la formation des adultes. Au sens contemporain du terme, les « sciences » font référence aux connaissances issues de recherches scientifiques, c’est-à‑dire d’investigations collectives, partagées, communiquées et établies selon des règles communes, comme celles de « l’ethos scientifique » de Robert K. Merton1 (1942), qui sont celles de l’universalisme, du communalisme, du désintéressement et du scepticisme organisé. Il existe plusieurs variantes de ce type de règles : certaines se préoccupent plus de l’administration de la preuve de ce qui est tiré comme conclusion, caractéristique aujourd’hui appelée « scientificité ». D’autres s’intéressent à la nécessité de la publicité et du partage des méthodes et des résultats obtenus, ce qui renvoie à l’idée de l’open access, selon laquelle les travaux scientifiques devraient toujours être des biens communs étayés par des méthodes reproductibles. D’autres règles concernent la cumulativité c’est-à‑dire la possibilité pour les nouveaux résultats de la recherche de s’assembler avec les connaissances déjà acquises, en référence par exemple à l’expression devenue fameuse de travailler « assis sur des épaules de géants ». Ce critère de cumulativité s’appuie sur l’idée que la production de science est liée à la construction progressive d’un édifice partagé qui assure ainsi une progression globale d’un champ de connaissance. En formation, comme pour toutes les sciences humaines et sociales (SHS), cette cumulativité se caractérise par la création progressive d’un réseau partagé de « concepts » interconnectés : il s’agit de définitions désignant des outils intellectuels échafaudés de façon à être mobilisables avec le minimum d’ambiguïtés par une communauté disciplinaire de chercheurs, voire par d’autres acteurs, praticiens et professionnels pour interroger ou améliorer leurs pratiques. Ils leur permettent de décrire des faits ou expliquer des objets en complétant progressivement les connaissances précédemment acquises. L’interconnexion de ces concepts prend la forme de relations qui formalisent des causalités, des corrélations ou des inférences entre eux ou entre tel ou tel indice ou variable les caractérisant.
1. R.K. Merton (1973). The Sociology of Science, Chicago, University of Chicago Press.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
1.2 Avancées de la recherche en SHS et création de concepts Trois points paraissent importants à rappeler ici pour pouvoir décrire l’avancée de la recherche scientifique en sciences humaines et sociales (SHS) et donc particulièrement en formation. –– Les écoles contemporaines d’épistémologie considèrent que c’est l’acceptation par la communauté disciplinaire et non un jeu rigoureux de critères préétablis qui détermine que tel ou tel assemblage d’idées a acquis le statut de concept : les concepts reconnus dans une discipline résultent en fait d’une logique d’usage par les pairs de la discipline : certains comme l’« expérience », l’« apprentissage » ou le « genre » ont des sens différents d’une discipline à l’autre. –– Les cadres conceptuels ne sont pas des arborescences hiérarchisées : au contraire, l’usage est de raisonner de manière fractale dans ces réseaux, ce qui fait qu’un groupe de concepts est très souvent regardé comme étant lui-même un concept : tel est le cas par exemple pour les « représentations sociales » et leur « noyau central »… ou pour celui de bouc émissaire et de dynamique de groupe (ou encore pour une compétence et un socle de compétences). À la suite des travaux de l’historien des sciences T. Kuhn sur la « structure des révolutions scientifiques » (1962)1, on désigne les grands ensembles de concepts solidement interconnectés comme étant des « paradigmes ». –– Les concepts peuvent être de natures différentes : un concept peut tout autant correspondre à un mécanisme comme le don/contre don de M. Mauss qu’à un état de fait comme les sociétés matriarcales ou les communautés de pratiques ou encore qu’à une personnalité idéal-typique comme un bouc émissaire, un gate keeper. Certains concepts sont même directement liés à des variables ou grandeurs que l’on peut chercher à évaluer ou estimer, voire à mesurer, c’est-à‑dire qui sont reliés à des échelles de mesure ou d’estimation, comme ceux de proactivité ou d’apprenance. Ainsi, en SHS, les résultats scientifiques peuvent être regardés comme d’une double nature : d’une part des progressions et des affinements des réseaux partagés de concepts et paradigmes, ce que l’on peut voir comme la progression d’un outillage intellectuel (par l’introduction partagée de nouveaux concepts comme c’est le cas aujourd’hui avec ceux de « capabilité », de « maîtrise d’usage » ou « d’affordance ») et d’autre part des mises en évidence (voire des quantifications) de mécanismes, de relations ou d’inférence entre des « variables » (par exemple la mise en évidence d’une relation entre l’implication dans une communauté et la persistance à suivre une formation à distance).
1. T. Kuhn (1962). La Structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion, éd. fr.1974.
608
Les recherches scientifiques sur la formation des adultes ■ Chapitre 31
1.3 La formation, un champ de pratique et un objet de recherche nourris de concepts importés La formation des adultes n’est pas en elle-même une discipline autonome, mais constitue un « champ de pratiques » dans lequel des chercheurs rattachés à plusieurs disciplines académiquement reconnues conduisent des investigations dans le but de faire progresser la connaissance de faits sociaux, de mécanismes susceptibles de les expliquer et des facteurs qui influent sur eux. Ce sont ces activités d’investigation que l’on qualifie de « recherche en formation des adultes ». Comme toutes les activités de recherche scientifique conformes aux critères cités plus haut, elles s’appuient donc sur l’utilisation et la formalisation de concepts. Plus précisément, dans les « sciences de la formation » nombre de concepts utilisés ne sont en rien spécifiques aux formations, mais directement importés de ces autres disciplines (comme c’est par exemple le cas de concepts et théories de la motivation ou des représentations sociales, importés respectivement de la psychologie ou de la psychosociologie) ; d’autres concepts sont adaptés (au sens d’étayés, triangulés et complétés) pour s’appliquer aux investigations du champ. Parmi ces disciplines « contributives » certaines sont elles-mêmes récentes voire émergentes comme les « sciences de l’éducation » (naissance institutionnelle en 1967) dans lesquelles s’inscrit une grande proportion des publications scientifiques ayant trait à la formation. Dans ce dernier cas, on constate que cette typologie en deux catégories (concepts importés ou adaptés) commence à se compléter d’une (concepts originaux) issue d’objets n’appartenant Les troisième recherches scientifiques qu’aux sciences de l’éducation comme les « rapports aux savoirs ».
sur la formation des adultes
Concepts importés, adaptés ou auto-produits par les Sciences de l’éducation
Concepts produits par les disciplines SHS traditionnelles (psycho, socio, anthropologie) dites contributives
Auto-production
Concepts importés, adaptés ou auto-produits par les Sciences « liées au travail » comme l’ergonomie, la gestion, l’analyse de l’activité (loisirs, jeux), RH, compétences…)
Concepts utilisés en recherche en FDA
Auto-production
Auto-production
Figure 1 : rattachement des concepts alimentant la formation
Figure 31.1 - Rattachement des concepts alimentant la formation.
609
Traité des sciences et des techniques de la formation
1.4 Sciences et techniques de la formation, entre connaissances scientifiques et ingénierie Derrière les objets spécifiques de la formation, comme la « validation des acquis de l’expérience », commencent à émerger aussi des concepts spécifiques. Cette question renvoie à celle de la caractérisation de ce que l’on pourrait qualifier de « connaissances propres à la formation ». Examinons cette question d’abord en termes de catégories de connaissance : même si une grande partie des connaissances concernant la formation provient de telles recherches scientifiques, de multiples « techniques » présentées dans ce Traité se sont construites plus progressivement à partir de savoir-faire directement issus de l’expérience des professionnels. Si l’on considère par exemple les techniques de scénarisation des contenus ou d’évaluation des résultats d’une action de formation, elles sont avant tout devenues des références grâce à des retours d’expérience de professionnels les ayant progressivement améliorées par la pratique. En bref, on peut caractériser deux postures différentes d’acteur produisant des connaissances en formation (sachant que ces postures peuvent être tenues par les mêmes personnes, qui se qualifient alors de praticiens-chercheurs) : 1) celle de l’ingénierie adoptée pour construire (inventer et transformer) des dispositifs de formation (et aujourd’hui modéliser cette construction) et 2) celle de la recherche scientifique qui vise avant tout à contribuer au développement d’un réseau de concepts partagés par des communautés disciplinaires et d’inférence. Un Traité comme celui-ci est donc composé de ces deux types de savoirs. Ainsi ce qui permet de construire concrètement un avion ce sont de tels savoirs techniques d’ingénierie alors que ce qui explique qu’un avion vole ce sont des savoirs scientifiques d’aérodynamique. À ces deux catégories s’ajoutent bien sûr également des données factuelles informatives (définitions réglementaires et juridiques, données quantitatives), comme dans notre exemple la réglementation et l’histoire de l’aviation.
1.5 Des techniques d’ingénierie qui contribuent aussi au développement scientifique Ces ingénieries elles-mêmes sont directement empruntées soit à des approches polyvalentes (gestion de projet, méthode d’audit, animation de groupes) soit à des ingénieries issues du monde éducatif, ou du travail. Le propos du présent texte, consacré spécifiquement à « la recherche » fait que nous ne reviendrons pas ici sur les différentes méthodes ou démarches de l’ingénierie en formation. Bien sûr, au fur et à mesure de leur diffusion, les techniques d’ingénierie peuvent devenir elles-mêmes objets d’études diverses et voir en particulier telle ou telle de leur performance validée par des recherches scientifiques académiques. Ainsi, va-t‑on 610
Les recherches scientifiques sur la formation des adultes ■ Chapitre 31
pouvoir envisager de démontrer empiriquement que la participation à une école de la deuxième chance favorise le développement du sentiment d’efficacité ou a contrario que la multiplication des ressources d’e-learning n’améliore pas le taux de réussite à tel ou tel examen… Néanmoins, il ne faut pas se tromper d’interprétation. Si l’on utilise des ingénieries pour mettre au point des dispositifs de formation, ceux-ci vont peut-être pouvoir être étudiés pour aboutir à des conclusions scientifiques. Mais bien sûr ce ne sont pas les savoir-faire d’ingénierie eux-mêmes qui deviendront des savoirs scientifiques. Plus précisément, les dispositifs construits à partir de règles d’ingénierie peuvent servir à comparer des performances qu’ils permettent d’accomplir. On construit alors pour cela une investigation spécifique. Ainsi, il arrive que des produits de l’ingénierie puissent être amalgamés à des concepts, comme les « Ateliers de pédagogie personnalisée » ou les « Cités des métiers » par exemple : en fait certains dispositifs sont suffisamment « cohérents » pour que – progressivement — ils prennent en partie l’allure de concepts par métonymie : c’est le cas par exemple des « Réseaux d’échange réciproque de savoirs » qui sont amalgamés aujourd’hui avec le concept de réciprocité des échanges de savoirs. Mais l’inverse est plus fréquent : les connaissances scientifiques issues de la recherche scientifique, sous forme de cadres et réseaux conceptuels, contribuent à l’ingénierie. C’est ainsi que des mécanismes qui favorisent la motivation des apprenants peuvent devenir des éléments clefs de méthodes d’ingénierie (comme la création de « communauté d’apprentissage » autour de serious games ou de MOOC). Il ne faudrait pour autant pas s’imaginer que toutes les ingénieries ont des origines conceptuelles : certaines proviennent de savoir-faire « remontant » de logiques pragmatiques d’usage c’est-à‑dire non structurés par un processus pensé pour répondre aux exigences de scientificité (comme les ingénieries de l’évaluation ou de financement). La recherche en formation entretient le même type de relation avec ce qu’il est aujourd’hui coutume d’appeler les « innovations » et qui sont des transformations (ou des inventions) concernant des dispositifs ou processus qui peuvent ensuite faire l’objet d’ingénieries spécifiques et/ ou de recherches scientifiques. Ces innovations elles aussi peuvent découler des développements conceptuels, ou au contraire de tentatives pragmatiques des praticiens de terrain ou des ingénieurs. Le tableau 31.1 propose à titre indicatif une typologie des connaissances utilisées en formation reprenant les catégories mentionnées plus haut. Il est ici illustré par quelques exemples présentés dans ce Traité et le lecteur pourra tenter de le compléter par lui-même à partir de l’index.
611
Traité des sciences et des techniques de la formation Tableau 31.1 - Exemple d’apports de différentes disciplines utilisées en formation Apport des disciplines SHS fondamentales (socio, psycho, anthropologie)
Exemples de méthodes et techniques d’ingénierie ou de produits innovants de l’ingénierie (amalgamés par métonymie à des concepts)
Exemples de concepts ou de modèles descriptifs
Apports de disciplines contributives intermédiaires (sciences de l’éducation, du travail et de la gestion) ou des ingénieries reliées à ces champs de pratiques
–– Thérapies comportementales et cognitives, –– Ingénierie sociale
–– –– –– –– –– ––
–– Causalité triadique réciproque –– Reproduction sociale –– Représentations sociales –– Modèle intégratif de la motivation –– Don/contre-don
–– –– –– –– ––
Gestion de projet Ingénierie pédagogique Conception ergonomique École Montessori Classe inversée MOOC, SPOC
Rapport au savoir Transposition didactique Affordance, capabilité Obstacle épistémologique Zone proximale de développement –– Stade de développement –– Analyse de l’activité –– Savoirs expérientiels
Apports spécifiquement développés pour la formation des adultes
–– Ingénierie des référentiels de formation –– Ingénierie de l’évaluation –– Cités des métiers, école de la deuxième chance, APP –– Éducation thérapeutique du patient –– –– –– –– –– ––
Apprenance Autoformation Écoformation Présence à distance Histoire de vie Modèle allostérique
1.6 Un système à double sens entre applications et recherche Les échanges sont donc bidirectionnels entre « recherche fondamentale » d’un côté et « applications » de l’autre. Les travaux visant principalement à la production de connaissances nouvelles nourrissent les innovations et réciproquement. Ces échanges ont lieu « naturellement » par hybridation entre ces deux univers. Cependant, des organisations plus proactives sont mises en place pour les accélérer et la terminologie de « recherche et développement » (R & D) valorise des stratégies qui cherchent à développer des recherches hybrides. Cependant, certaines organisations soucieuses de l’indépendance de la recherche fondamentale y voient un danger de « mise sous tutelle », voire de conflits d’intérêts ; de plus il est courant que dans les faits, les unités ou politiques R & D soient plus proches du côté du développement des produits ou services. Aussi, pour rééquilibrer, en particulier dans le domaine de la médecine, de la pharmacie ou plus généralement de la santé, on parle de « recherche translationnelle » pour désigner la « translation » des résultats d’une recherche plus fondamentale vers des applications concrètes. 612
Les recherches scientifiques sur la formation des adultes ■ Chapitre 31
Le concept de « recherche-action », introduit en 1937 par K. Lewin à propos des « problèmes des minorités » au Connecticut constitue un modèle qui se propose de produire de la connaissance nouvelle intéressant toute une discipline tout en cherchant à résoudre par l’action des problèmes concrets des personnes concernées directement sur un terrain spécifique. Ce type de travaux se positionne comme des recherches scientifiques focalisées et non pas seulement comme des travaux d’ingénierie sans autre suite que locale (voir tableau 31.2). Pour autant, ce qui autorise à les qualifier de « recherches » c’est le fait d’avoir effectivement prouvé que ces investigations fournissent des connaissances transférables bien au-delà du cas local qu’elles étudient. Tableau 31.2 - Différences entre recherche fondamentale, recherche-action et ingénierie Production de nouvelles connaissances scientifiques générales : OUI
Production de nouvelles connaissances scientifiques générales : NON
Résolution de problèmes concrets localisés : OUI
RECHERCHE-ACTION (ou RECHERCHE INTERVENTION)
INGÉNIERIE
Résolution de problèmes concrets localisés : NON
RECHERCHE FONDAMENTALE
Bien sûr, plus des disciplines sont en interaction avec de l’ingénierie comme c’est le cas de la formation, plus la recherche-action peut s’y développer. En outre, comme dans certaines autres SHS (sciences de gestion par exemple), cette question des recherches actions est liée à celle des recherches dites « participatives » c’est-à‑dire de dispositifs qui sont conçus et conduits en partie ou en totalité avec des représentants des personnes concernées, où l’ingénierie est alors conçue dans l’esprit de recherches communautaires, développées dès 1920 à Chicago1. Avec la généralisation de l’intérêt pour la relation entre « science et société » ou – selon la terminologie européenne récente — pour les « recherches et innovations responsables », de multiples auteurs issus de diverses disciplines s’essaient à des rationalisations de ces diverses appellations : malgré cela, il n’existe pas de typologie unique : pour certains par exemple la dénomination de « recherche-action » devrait être réservée à des protocoles participatifs. On note aussi qu’en formation, la référence à la « recherche-action » voire « recherche-intervention » est souvent liée à une revendication de différence avec les formes plus classiques d’ingénieries
1. K. Lewin (1946). « Action research and minority problems », J Soc., n° 2 (4), 34-46.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
descendantes ou de recherches académiques, assortie d’une conception militante du rôle de la formation et de la recherche comme un levier essentiel de transformation des organisations.
2. Nature des thématiques et objets des recherches 2.1 Des thèmes de recherche liés pour moitié aux sciences de l’éducation Ainsi – par définition –, ces travaux de recherche constituent un puzzle multidisciplinaire qui s’assemble pour couvrir le sommaire de ce Traité : ils alimentent en particulier toutes les thématiques des parties 1 (les déterminants et les environnements) et 2 (le sujet adulte et la formation) puisque celles-ci présentent justement le socle de connaissances scientifiques caractéristique de la formation. Ils consolident aussi ce qui est exposé dans la partie 3 (instrumentation et conduite) même si celle-ci aborde avant tout des questions d’ingénierie. De fait, en examinant les programmes des colloques et séminaires portant sur ces recherches, il est facile de vérifier qu’elles se regroupent bien autour du sommaire de ce Traité : –– analyser les jeux des acteurs dans le champ socio-économique et leurs motivations à l’échelle sociale ; –– étudier les rapports aux savoirs et à l’apprentissage ainsi que les mécanismes de mise en adéquation ou d’émancipation liés aux savoirs et la formation ; –– explorer les opportunités offertes par les médias, analyser la pertinence des ingénieries déployées par les acteurs. Dans le cadre de ses travaux sur la « vie de la recherche », F. Laot1 a fourni deux panoramas (2002, 2013) plus précis à propos de ces thématiques. En 2002, elle avait noté que sur 432 thèses françaises concernant la formation 55 % étaient en rapport avec l’analyse du milieu, 12 % l’accompagnement, l’évaluation, l’analyse d’actions de formation, 20 % l’acte de formation avec centration sur le formateur ou sur le groupe et enfin 13 % sur l’acte d’apprendre avec centration sur l’apprenant. En 2013, dans une nouvelle synthèse sur 336 thèses, dont 48 % en sciences de l’éducation, elle en dénombre 27 % liées directement au travail ou des métiers particuliers, 18 % à des actions ou dispositifs particuliers, 15 % sur des publics spécifiques ou des langues étrangères et 38 % de thèses « plus générales » (acteurs, politiques, modèles, bénéficiaires en général). Enfin, l’auteur note que les thématiques de la VAE, du e-learning plus généralement des formations ouvertes 1. F. Laot (2013). « Dix ans de thèses en formation d’adultes (2003-2013) », Savoirs, 3, n° 33, p. 23-37 et F. Laot (2006). « Les thèses en formation d’adultes. », Savoirs, 1, n° 10, p. 129-132.
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Les recherches scientifiques sur la formation des adultes ■ Chapitre 31
ou à distance font leur apparition. Elle note aussi que la part de ces thèses au sein des sciences de l’éducation passe de 8 à 15 %.
2.2 Un regard sur les recherches « vives » par une approche bibliométrique classique Pour actualiser cette répartition thématique des thèses, on peut aujourd’hui analyser informatiquement les familles de mots utilisés dans leurs résumés. Ainsi, la figure 2 montre une classification des mots employés dans les 41 thèses soutenues en 2014 et 2015 et indexées comme traitant de l’« éducation des adultes » dans Sudoc, la base documentaire des universités françaises1. Quatre classes de mots apparaissent fréquemment employées ensemble, ce qui signifie que ceux-ci sont caractéristiques de certains sujets et de certaines thèses et non des autres : la classe 1 est liée à la construction des sujets, aux dynamiques identitaires et à la professionnalisation, la classe 2 aux apprentissages, aux questions pédagogiques et didactiques, particulièrement linguistiques, la classe 3 à la gestion, aux technologies, à l’entreprise et aux transferts de compétences et enfin la classe 4 à la formation continue des enseignants. Ainsi, les classes 2 et 3 sont respectivement en correspondance avec les troisième et deuxième parties du présent Traité. La classe 4 n’y a logiquement pas vraiment d’équivalent (hormis des sous-parties du chapitre bien plus générique sur les métiers de la formation). Quant aux thématiques de la première partie du Traité, on les retrouve partiellement dans la classe 3.
1. O. Las Vergnas (2016). « N˚ 1. Méthode de repérage des thèses soutenues en 2014 et 2015 liées à la formation des adultes », Savoirs, 2, n° 41, p. 97-111. Le logiciel utilisé est le logiciel libre Iramuteq (R) (cf. http://iramuteq. org).
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Traité des sciences et des techniques de la formation
Classe 3
Technologie Entreprise transfert plante Jeu Communauté Ingénieur Industriel Actif Contrat Vente Occasionnel Naturel Cosmétique Amazonie Animateur Action
Classe 2
Apprentissage Apprenants Linguistique Adulte Analyse Formel Stratégie Effet Théorique Donnée Migrant Emploi Facteur Résultat Didactique Principalement Instrument Discursif
Classe 4
Enseignant Formation continue Retour Classe Amélioration Universitaire Base Moyen EPS Quotidien Œuvre Éducatif Médecine DPP Quantitatif Syrie Médecin Pratique
Classe 1
Sujet Logistique Indentitaire Professionnel Social Dynamique
Professionnalisation Engagement Rapport Salarié Choix Situation Expérience Transformation Nouveau Accompagnement
Figure 31.2 - Classification des mots fréquemment employés ensemble dans les 41 thèses 2014-2015 (titre et résumés) en 4 univers lexicaux
Comme on le voit sur la cartographie factorielle en figure 3 qui fait le lien avec les disciplines, la classe 3 correspond plus à des thèses notées comme soutenues en « formation des adultes » (terminologie utilisée pour les thèses du Centre de recherche en formation du Cnam) alors que la classe 2 (apprentissage, apprenants et linguistique) est rattachée aux disciplines du langage ou secondairement aux sciences de la gestion. La classe 4 est sans surprise plutôt liée aux sciences de l’éducation en général. Enfin, la classe 1 (sujet, logique, identitaire, professionnel) concerne la sociologie et secondairement la psychologie.
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Les recherches scientifiques sur la formation des adultes ■ Chapitre 31
Classe 2 : apprentissage, instrument didactique et pédagogie
Disci. Langage
Classe 4 : formation continue des enseignants
Disci. Gestion
Disci. Sc. Éducation Disci. Sociologie
Disci. Psychologie Disci. « Formation des adultes»
Classe 3 : technologie entreprise
Classe 1 : sujet et dynamique identitaire
Figure 3 : relations factorielles entre disciplines et classes de mots caractéristiques des thèses. En bas à droite la petite vignette positionne -pour mémoire- ces catégories vis-à-vis du sommaire du présent Traité.
Figure 31.3 - Relations factorielles entre disciplines et classes de mots caractéristiques des thèses. En bas à droite la petite vignette positionne – pour mémoire — ces catégories vis-à‑vis du sommaire du présent Traité
Dans une telle étude, la sélection des 41 thèses est faite automatiquement selon ce qui a été ou non indexé comme « éducation des adultes » dans la base du Sudoc par les bibliothécaires des universités concernées. C’est sans doute de cela que viennent la sous-représentation des questions liées à la première partie du Traité (économie et politique de la formation) et la forte présence de la formation des enseignants. Cette indexation révèle une vision un peu datée de 3 617
Traité des sciences et des techniques de la formation
« promotion sociale » de la formation des adultes. Si en revanche on souhaite donner une vision plus contemporaine, seules des délimitations heuristiques ou s’appuyant sur la liste des objets étudiés dans les chapitres du présent Traité peuvent prétendre servir de base à un inventaire et à une veille multidisciplinaires.
3. Typologies des méthodes de recherche 3.1 Disparité des méthodes mobilisées par la recherche en formation Même en se limitant aux travaux purement empiriques, il est complexe de donner une vision globale des méthodes déployées : ces investigations, rattachées à des disciplines contributives spécifiques, renvoient à des catégorisations peu compatibles d’une discipline à l’autre. Ainsi, certaines recherches ne concernent qu’une étude descriptive de quelques cas, voire d’un seul, mobilisant des méthodes proches de l’ethnologie. On trouve aussi des travaux qui cherchent à montrer des corrélations entre des variables ou des phénomènes. Pour ce genre de travaux, on retrouve en effet des investigations que l’on peut qualifier « d’expérimentales » au sens de Descartes ou de Claude Bernard : on y cherche à montrer les relations ou les effets entre deux variables, en s’appuyant sur des tests statistiques pour déterminer quel est le niveau de probabilité qu’une corrélation observée entre ces variables soit due au hasard. Cette diversité méthodologique n’est pas spécifique et se retrouve en filigrane dans la plupart des SHS, même si elle est – en formation – spécifiquement amplifiée par les caractères à la fois émergents et rassembleurs mais encore disparates de la discipline. La lecture des résumés des thèses citées plus haut suffit à se rendre compte du problème : même si tous les directeurs de recherche ont pour finalité de faire produire des biens communs sous la forme de connaissances cumulatives, reproductibles et partagées s’organisant en réseaux de concepts, ils n’ont pas de vision commune de ce qui peut être appelé « preuve » ou « hypothèse ».
3.2 Critères de description des méthodes : entre analytique et épistémologique Présenter un panorama des méthodes mobilisées par la recherche en formation pose donc avant tout la question de la typologie à utiliser : même si une grande diversité d’auteurs a tenté de créer des grilles pour comparer entre elles les recherches empiriques en SHS, chacune présente de fortes
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limitations d’application, car elles présupposent toutes des visions restrictives et normatives de l’assemblage des méthodes, soit en termes de preuve, soit de chronologie. Certaines de ces grilles distinguent la « visée » des chercheurs qui peut être descriptive, classificatrice, explicative, compréhensive ou comparative. D’autres les caractérisent selon qu’il s’agit de débroussailler un champ ou objet inconnu ou au contraire de contribuer à affiner (ou à vérifier) des résultats sur des champs ou objets déjà largement connus. On peut aussi vouloir classer les travaux de recherche en fonction de leur nature « quantitative » ou « qualitative » : et de fait, avant la généralisation des outils digitaux, les cours de méthodologie de la recherche opposaient souvent investigations exploratoires, construites à partir d’entretiens ou d’études de cas et études confirmatoires à base de questionnaires. Or, au fur et à mesure de la digitalisation des données et de leur traitement, il y a de moins en moins de correspondances automatiques entre ces types de finalité et la nature des données recueillies. Deux phénomènes simultanés conduisent actuellement à une interpénétration générale des aspects quantitatifs et qualitatifs : d’une part, la généralisation de l’idée des triangulations entre deux (ou plusieurs) séquences d’investigations mixtes, certaines qualitatives et d’autres quantitatives et d’autre part le développement d’analyses hybrides des données. Ce dernier fait est lié à la diffusion d’outils et de méthodes digitalisées qui permettent la généralisation par des analyses lexicales (avec des logiciels comme Iramuteq®). Dans ce contexte, Il n’est de fait plus vraiment pertinent d’opposer des investigations « purement quantitatives » à d’autres « purement qualitatives » et encore moins d’associer « exploratoires » ou « confirmatoires » aux unes ou aux autres. En résumé, ces différentes catégorisations analytiques posent deux problèmes : séparément elles proposent des dichotomies trop simplistes et croisées entre elles et deviennent des casse-têtes interconnectés peu utilisables. C’est pourquoi d’autres approches se veulent plus synthétiques en tentant de caractériser les rapports à « l’intelligibilité » (Barbier1) ou la grille des « schèmes d’intelligibilité du social » (Berthelot2). Cette dernière s’appuie sur l’analyse de travaux de sociologues pour définir six « schèmes » susceptibles de correspondre aux recherches : causal (on cherche à trouver une dépendance causale avec une variable explicative) ; fonctionnel (on cherche à comprendre la fonction remplie par un phénomène dans le système) ; structural (on cherche à décrire le système avec des structures répétitives) ; actanciel (on cherche à rendre compte des jeux des acteurs et actants) ; dialectique (on se fonde sur les contradictions à l’œuvre) et enfin herméneutique (on cherche à révéler un sens caché derrière les phénomènes). On peut voir cette catégorisation comme une tentative d’amélioration des catégories « inductive », « déductive », « hypothético-déductive »
1. J.-M. Barbier (2009). « Voies pour la recherche en formation », Éducation et didactique, vol. 3-3, 120-129. 2. J.-M. Berthelot (1990). L’intelligence du social, Paris, PUF.
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qui ne sont pas très adaptées aux SHS faute d’une définition suffisamment générale de ce qu’est une « hypothèse ». Malheureusement, les bases de données documentaires présentant les limites exposées plus haut, il n’est pour de moment pas encore possible de déterminer une statistique de mobilisation de ces différents schèmes par les équipes de recherche ou les doctorants en formation : pour cela il faudra entrer systématiquement des mots-clés qui le permettent. De plus, même quand on essaie d’appliquer cette typologie pour y classer tel ou tel travail de recherche auquel on a participé directement, on est confronté au fait que la majorité des travaux enchevêtre plusieurs types d’investigations et ceci selon au moins trois mécanismes différents : –– la triangulation entre plusieurs investigations complémentaires ; –– le travail spiralaire des chercheurs et la focalisation progressive du travail ; –– le recours à une stratégie de « théorisation ancrée » qui consiste à adapter de manière systématique la conduite des investigations à l’interprétation des données déjà recueillies.
3.3 Enchevêtrement des méthodes : démarches spiralaire, triangulation et assemblages En SHS le principe de la triangulation de plusieurs méthodes est de plus en plus présent, qu’il s’agisse de triangulation entre des méthodes quantitatives et qualitatives, entre des disciplines connexes ou encore entre des corpus. On parle de « triangulations consécutives » pour décrire les situations dans lesquelles on enchaîne par exemple des entretiens puis des questionnaires issus de ces entretiens ou réciproquement des questionnaires puis des entretiens issus des questionnaires. Inversement, les triangulations peuvent être simultanées. Dans la chronologie réelle de la recherche, les activités des chercheurs sont différentes de ce qui est écrit dans les publications. Jour après jour ils progressent selon un enchevêtrement d’heuristiques spiralaires que le travail d’écriture va tenter de rendre plus linéaire. D’une part les recherches sont des intrications de logiques pour partie individuelles et collectives et d’autre part le travail narratif de rédaction des articles, thèses ou comptes rendus de projets n’est que rarement chronologique. Issues à l’origine de la sociologie de la santé, les théorisations ancrées1 s’appuient sur l’idée de construire une modélisation au fur et à mesure de l’acquisition et du traitement des données, en 1. B. G. Glaser et A. L. Strauss (1967). The Discovery of Grounded Theory : Strategies for Qualitative Research, Chicago, Aldine.
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se fondant non pas sur des a priori ou sur un résultat particulier à vérifier ou à invalider, mais plutôt à partir d’un examen itératif et « flottant », cherchant à identifier ce qui devient prégnant ; ces stratégies peuvent être rapprochées des approches inductives dites « non supervisées » qui consistent à partir des données de façon à pouvoir définir des distances ou des proximités entre elles de manière heuristique afin de les cartographier ou d’établir de façon ascendante des taxonomies, comme c’est le cas avec certaines analyses factorielles ou les classifications automatiques. Néanmoins, malgré ces difficultés et enchevêtrements, il est possible de se livrer à une enquête auprès de doctorants – comme cela avait été fait par V. Leclercq en 20081 pour les thèses en sciences de l’éducation : elle montrait un « faible intérêt pour les questions relatives aux politiques de formation et aux systèmes éducatifs », une « diversification des cadres de référence » et surtout une « majorité de recherches qualitatives à orientation compréhensive ».
4. Conclusion Il n’y a plus d’organisme collecteur et fédérateur de la recherche en formation et les tentatives de mise en visibilité des travaux restent de portée réduite. La production éditoriale est plutôt marquée par une floraison de livres et d’articles, conçus sur un registre plus discursif et littéraire qu’empirique et scientifique. La présentation de protocoles d’enquête rigoureux, menant à la collecte systématique de données factuelles et à l’administration de la preuve, reste une pratique minoritaire. Vue de l’extérieur, la recherche en formation apparaît souvent opaque et distante des enjeux de terrain. Tout cela contribue à la fois à souligner l’ambiguïté de la posture épistémologique des sciences de la formation et à ralentir, à complexifier, et peut-être à décrédibiliser un véritable noyau de connaissances propre à la formation continue. Que sera l’avenir de la recherche en formation ? Pour certains l’approche est résolument inductive ; ils se baseront donc sur des observations de terrain, dans une optique plutôt compréhensive d’orientation sociologique souvent ethno-méthodologique. Pour d’autres, l’aspiration de la recherche, en formation comme ailleurs, se devra d’être hypothético-déductive, et tirera ses méthodes vers celles de la psychologie sociale, à partir d’études corrélationnelles, voire quasi expérimentales. Au croisement des sciences pour l’ingénieur, l’approche systémique des faits éducatifs et la méthodologie de conduite de projets illustre une autre voie d’investigation revendiquant l’opérationnalité à travers des démarches reliant la recherche et l’action. Si l’entrée par les phénomènes de groupe, de relations et de pouvoir, d’inspiration clinique, connaît une 1. V. Leclercq (2008) « Docteurs et doctorants en sciences de l’éducation : entre trajectoires professionnelles et préoccupations scientifiques », Recherches et éducations, n° 1, 2008, p. 27-45.
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certaine régression alors que se développent les neurosciences, une forme de relève a été de facto trouvée avec les approches biographiques, centrées sur la personne à partir de méthodes inspirées des histoires de vie recueillant des données nombreuses auprès d’un petit nombre de sujets. Plus récemment le rapprochement des problématiques du travail et de l’apprentissage a conduit à la construction d’approches inspirées de l’ergonomie, comme l’analyse de l’activité ou l’analyse du travail, fertiles en méthodologie innovantes. Si le cadre institutionnel et la légitimité des sciences de l’éducation sont loin d’être assurés, la créativité et la diversité de ces nombreux travaux sont là pour démontrer qu’il y a en matière de formation, matière à recherche. Malheureusement pour nombre de praticiens ou de décideurs, la recherche en formation reste encore un monde un peu déroutant. Parce que ses formes et ses méthodes varient sensiblement selon les statuts sociaux et les institutions d’appartenance des chercheurs ; et sont parfois difficiles à identifier. Parce que les rapports entre les chercheurs eux-mêmes peuvent être très critiques, ce qui ne conforte pas sa crédibilité aux yeux des utilisateurs. Parce que les lieux et les équipes de recherche restent, comme on l’a dit, encore cloisonnés, ou surdéterminés par des champs disciplinaires et que ce compartimentage inquiète les acteurs de terrain. Séduisante malgré tout, attirante parce qu’elle offre une voie pour dépasser les apparences et se rapprocher de l’essentiel de ce que l’on observe, la recherche en formation entraîne aussi de la circonspection de la part des chercheurs en sciences dures qui doutent de sa pureté scientifique. Mais aussi de la part de certains de ses commanditaires préférant qu’elle se focalise sur ce qui sera immédiatement utile, quitte à oublier qu’elle en perdrait une partie de ses atouts principaux. Il reste donc aux chercheurs, aux praticiens et aux décideurs de trouver les moyens de se rapprocher davantage. Ces enjeux sont majeurs. Ils touchent à la fois à un accroissement plus fort de l’ensemble des acteurs de la formation et du développement des ressources humaines. Ils renvoient à une question d’égalité de dignité entre praticiens et chercheurs. Ils rappellent enfin que les découvertes à tous niveaux ne sont pas l’apanage des seuls professionnels de la recherche.
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Lectures conseillées A lbarello L. (2012). Apprendre à chercher, Bruxelles, De Boeck. Angers M. (2000). Initiation pratique à la méthodologie des Sciences Humaines, Québec, CEC.
Carré P. (coord.) (2013). « Dix ans de recherches en formation des adultes : 2003-2013 », Savoirs, 33.
Barbier J.-M. et Wittorski R. (coord.) (2016). « La formation des adultes, lieu de recompositions », Revue française de pédagogie, 190.
Corbière M. et Larivière N. (dir.). (2014). Méthodes qualitatives, quantitatives et mixtes. Dans la recherche en sciences humaines, sociales et de la santé, Québec, Presses de l’université du Québec.
Berthelot J.-M. (1990). L’Intelligence du social, Paris, PUF.
Kuhn T. (1962). La Structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion, éd. fr.1974. Wargner P. (2002). Les Philosophes et la science, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais ».
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Conclusion1
1. Par Pierre Caspar.
Sommaire 1. Les lieux de savoir – permanences et mutations..................................................... 627 2. Savoir apprendre, savoir former dans des temps, des contraintes et sur des espaces nouveaux....................................................... 631 3. Des futurs possibles pour la formation des adultes............................................... 638 4. La formation du futur sera ce que les apprenants en feront.................................. 643 5. Qu’attendre des « sciences de la formation » ?...................................................... 646 Conclure… avec le temps ?......................................................................................... 648 Lectures conseillées.................................................................................................. 650
1. Les lieux de savoir – permanences et mutations 1.1 Les lieux de savoir Des siècles durant, apprendre dépendait fondamentalement du droit et de la possibilité d’accéder à des lieux de savoir. Ils étaient beaucoup plus que des sources d’information, ils faisaient sens. Ils constituaient des espaces et des communautés où « ce que l’on sait » était rassemblé, gardé, entretenu, étudié, interprété, diffusé, validé, et, souvent, jalousement gardé. Ne serait-ce que dans la ligne de très anciennes traditions soucieuses de ne pas dévoiler le savoir à quiconque ne serait pas prêt à le découvrir ou qui serait jugé indigne de le faire.
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Le vieux mythe de la quête du Graal, sous ses multiples formes, reste vivace. Et il renvoie luimême à des pensées infiniment plus anciennes, consubstantielles des rapports entre création et créature : « De l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tu ne mangeras pas… » Ces lieux de savoir ont existé à toutes les époques et dans toutes les civilisations. Nous pensons d’abord aux grandes bibliothèques, ces « armoires » à livres, manuscrits et parchemins, papyrus, codex, tablettes, qui matérialisaient les savoirs de l’humanité, comme le faisaient aussi les merveilles du monde. On se souvient encore de celles de Pergame ou d’Alexandrie, dont le sac constitua une perte irrémédiable. Nous pensons également aux monastères et aux temples, quels que soient la divinité ou l’esprit desquels ils procédaient. Et nous pensons bien sûr aux universités. À commencer par celle de Bologne fondée en 1100. Qu’elles soient solennelles comme les universités européennes, lieux de savoir et d’exégèse, lieux d’enseignement et d’examens, lieux de délivrance de grades aussi. Ou qu’elles prennent des formes beaucoup plus souples, comme, par exemple, le temple de la littérature de Hanoï fondé en l’an 1200. Mais bien d’autres lieux de savoir ont également joué un rôle tout à fait important dans le développement de nos cultures. Citons les cabinets de curiosité, si prisés en Occident au xviiie siècle, les collections, les organes de conservation du patrimoine ; et les musées qui les prolongent, ces « lieux d’émerveillement », cette « mémoire de notre imagination », qui parlent autant au cœur qu’à l’esprit. Ou encore les cours royales, du moins celles des monarques éclairés, comme Christine de Suède, Frédéric de Prusse, ou le prince Akbar à Fathepur Sikri, aux Indes… Tous ces lieux étaient à la fois lieux de savoir, lieux de rassemblement d’hommes et de femmes de savoir, lieux de projets de vie, parfois à l’échelle de plusieurs siècles ; lieux de recherche aussi, tant il est vrai que le savoir attire le savoir et suscite le questionnement, que l’ouverture d’esprit rassemble et ouvre les esprits en retour et que la confrontation de savoirs crée des savoirs nouveaux. Après tout, l’Encyclopédie n’était-elle pas à la fois « inventaire et invention » ? 627
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Ces lieux d’apprentissage et les personnes qui les font vivre et vibrer jouent de multiples rôles, exercent de multiples fonctions au sein d’une société. Témoigner sur les origines du savoir, être en relation aussi directe que possible avec ses sources de création constitue à l’évidence l’une de ces fonctions. Le savoir peut être considéré comme révélé, et contribuer ainsi aux fondements mêmes d’une société donnée, dans ses rapports avec la vérité et la transcendance. Tous nos systèmes éducatifs en ont été profondément marqués. Le savoir peut aussi apparaître comme une réponse, parfois momentanée, aux problèmes du temps. Les musées des techniques illustrent ces cheminements de l’esprit humain, ses bifurcations, parfois ses impasses. Le savoir peut être créé par une ou plusieurs personnes dont la curiosité insatiable et l’insatisfaction récurrente face au présent les conduisent à vouloir sans cesse accroître l’intelligence qu’ils ont du monde, des êtres et des choses. Ce sont les chercheurs, les savants et certains explorateurs. Dans tous les cas, une médiation est toujours apparue nécessaire. Conserver les savoirs constitue la fonction la plus classique de ces lieux. Avec tout ce que cela comporte comme difficultés. L’image de la « bibliothèque de Babel », immortalisée par J.L. Borges, ou celle du monastère du roman Le Nom de la Rose en témoigne. Avec la responsabilité supplémentaire d’avoir à protéger ces savoirs contre les aveuglements destructeurs des hommes eux-mêmes. Souvenons-nous par exemple de la Révolution française et de la terreur ou des guerres de religion. La nécessaire médiation qui consiste à structurer, transmettre, aider à acquérir les savoirs constitue une troisième fonction. Quel que soit le nom que l’on donne aux médiateurs – prescripteur, tuteur, instituteur, instructeur, senseï, moniteur, formateur, maître… – tous ont en commun d’exercer des fonctions d’éducation et de socialisation, de créer des conditions d’un apprentissage réussi, de reconstruire, voire de re-conceptualiser des savoirs experts ou savants pour les rendre assimilables, de mettre en visibilité tout ce qui fait qu’apprendre prend corps et sens. Ils exercent aussi une fonction d’observation, d’écoute d’autrui, d’aide et d’éveil. Même dans les décennies Internet, il ne suffit pas d’acquérir un livre ou de se connecter à un site pour s’approprier ce qu’ils contiennent. Faire l’effort d’apprendre ne veut pas forcément dire comprendre. Certes, apprendre peut s’apprendre. Mais les savoirs résistent à se livrer lorsqu’on les approche de trop près ; ou trop vite ; ou prématurément. Et il faut déjà savoir beaucoup pour pouvoir apprendre davantage. Il faut de la maturité pour être en mesure de développer en soi et pour les autres l’intelligence du savoir. Il faut de la lucidité et de la sagesse pour pouvoir le mettre en œuvre avec efficacité et en construire une éthique. Savoir identifier, trouver, s’approprier et utiliser avec discernement les savoirs nécessaires constitue une quatrième fonction traditionnelle que les civilisations et les cultures successives ont souvent confiée à ce que nous appelons ici les « lieux du savoir ». Gardiens de ces savoirs, vigilants sur leur usage, médiateurs dans l’accès à la connaissance lorsqu’elle se sert de savoirs pour accéder à la transcendance, ces lieux et leurs hôtes remplissent une fonction sociétale majeure. 628
Conclusion
Cette séparation entre différentes fonctions, valable dans les périodes lentes de l’histoire perd tout sens lorsque cette histoire devient turbulente. C’est plus que jamais le cas aujourd’hui.
1.2 Investir dans les savoirs… Une démarche devenue stratégique Ce qui change peut être le plus fondamentalement aujourd’hui c’est le statut que l’on accorde au savoir et le développement d’une confusion grave entre données, information, savoir et connaissance. Le « Savoir » a perdu son caractère d’absolu et se voit attribuer une valeur qui est fonction de sa fraîcheur et de son utilité. Porteur d’information, il devient alors un bien que l’on échange, que l’on vend ou que l’on achète. Il constitue un facteur de compétitivité. Son appropriation par le plus grand nombre devient un champ d’investissement. Dans ces conditions la séparation dans l’accomplissement des quatre fonctions énoncées plus haut n’est plus de mise. Et le statut conféré aux multiples lieux de savoirs qui accomplissent ou veulent accomplir ces fonctions change également du tout au tout. Lorsque les concepts créés par la recherche doivent devenir, sous la pression sociale, les « concepts en acte » dont parle G. Vergnaud, lorsque chacun est à la fois apprenant et transmetteur de savoirs, on finit par ne plus savoir exactement où l’on cherche, ou l’on trouve, où l’on transmet et où l’on utilise toutes ces incarnations de « matière grise » qui structurent et animent notre société du virtuel et de la mondialisation, ce petit « village terre » évoqué par l’Unesco. Pourquoi une firme, une administration, un pays investissent-ils davantage que d’autres dans l’éducation et la formation ? Certes. L’OCDE a bien montré les rapports entre le niveau d’éducation d’une population, le taux de croissance d’un pays, sa réussite technologique et sa capacité à surmonter les crises. Pour des raisons politiques ? Oui. Charlemagne considérait déjà l’école comme un moyen de construction de l’empire. Condorcet voyait dans l’éducation un moyen de rétablir dans les faits l’égalité attribuée à tous par la loi. J. Ferry voulait former des citoyens républicains… Mais ce sont les rôles et le pouvoir attribué à celles et ceux qui créent, détiennent, transmettent et utilisent les savoirs qui caractérisent le plus un moment d’histoire ou une culture donnée. Investir dans la formation est une chose, s’y investir personnellement en est une autre1. Se former, c’est acquérir ou développer des connaissances, des savoir-faire, des compétences, des comportements nécessaires pour apporter des solutions aux problèmes que l’on rencontre. Mais c’est aussi exprimer profondément un certain rapport à la connaissance et, à travers lui, une volonté de restaurer, de différencier, de transformer son identité. Se former, c’est choisir
1. Voir chapitre 15.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
un moyen parmi d’autres pour atteindre un but, pour réaliser un projet, pour opérer une transformation espérée ou voulue, pour compenser un sentiment d’injustice ou encore pour créer des conditions favorables pour un développement souhaitable et durable. Mais le choix même de ce moyen, face à d’autres, exprime un désir, s’inscrit dans une biographie personnelle et dans un univers relationnel. Choisir de se préparer au changement en changeant ses propres compétences, ses comportements, ses attitudes, c’est agir à la fois sur des appartenances collectives, sur une personnalité individuelle et sur leurs interactions. C’est agir sur le « je et sur le nous », sur le « moi face aux autres », c’est agir sur une histoire de vie1. Cela explique pourquoi surinvestir dans la formation conduit très vite à se désinvestir si les résultats obtenus ne sont pas, au terme d’un temps tout à fait subjectif, à la mesure des enjeux ou des espérances. Approchée ainsi, la formation des adultes n’est plus seulement « le produit de l’histoire et des jeux d’équilibre et de déséquilibre des systèmes productifs et sociaux2 ». Elle apparaît aussi comme une « transaction » complexe. Une transaction entre soi et les autres, entre l’image que l’on a de soi et l’identité que les autres nous attribuent, entre un projet personnel et l’appel d’une reconnaissance sociale. Les transformations opérées à travers les actions de formation sont relativement mesurables en termes de compétences ; elles le sont beaucoup moins dans leurs dimensions imaginaires et symboliques. Il faut peut-être s’en réjouir, mais on ne peut les ignorer pour autant. Car ce sont celles qui confèrent, in fine, le véritable statut que nous accordons au savoir.
2. Savoir apprendre, savoir former dans des temps, des contraintes et sur des espaces nouveaux 2.1 Savoirs et travail Les nouveaux territoires de la formation s’inscrivent plus directement encore dans le travail lui-même, à travers de multiples tentatives pour valoriser la « formation dans et par le travail », pour lier de façon réciproque l’activité productive, le développement de compétences et le développement des ressources humaines, voire pour faire de la formation un travail. Cela entraîne des conséquences sur l’exercice même du travail3, parce qu’il faut pouvoir se ménager des temps de 1. Voir chapitre 17. 2. C. Dubar (1991). La Socialisation, construction, construction des identités sociales et professionnelles, Paris, Armand Colin. 3. Voir chapitre 22.
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Conclusion
recul, des moments où il est possible et admis de penser l’expérience. Le vieux courant de pensée des « formations actions » s’en trouve revitalisé. Cela touche également le travail lui-même ; et donc les valeurs managériales et culturelles qui le sous-tendent. Les concepts d’organisation qualifiante, voire d’entreprise apprenante s’en inspirent. Au risque de sous-estimer parfois tout ce qu’il faut d’exigence, de constance, de ténacité et d’autorité pour rapprocher la réalité d’une société de l’information des ambitions qui la sous-tendent lorsqu’elle s’énonce en termes de « société de la connaissance ». D’incroyables exigences de compétences pèsent désormais sur les salariés à tous niveaux : il leur faut compter avec la fugacité des technologies et l’abstraction dans les process de toute nature. Il faut s’inscrire dans de nouvelles formes de travail misant sur le mythe d’une intelligence et d’une responsabilité réparties au sein d’une culture de l’immédiateté et de la performance individuelle. Il faut bien sûr maîtriser et actualiser sans cesse des compétences techniques et relationnelles relevant du cœur de métier. Il faut apprendre à apprendre dans un environnement changeant, savoir où trouver le savoir pertinent pour répondre à une question inédite. Et, si l’on veut conserver son « employabilité », il faut savoir anticiper sur l’acquisition des compétences qui seront nécessaires pour résoudre des problèmes que l’on ne connaît pas encore. Il convient aussi de savoir construire des partenariats, conduire des projets, établir et gérer des budgets, travailler en équipe, rendre compte, savoir négocier, maîtriser son stress dans une ambiance de zéro défaut pour contribuer à un projet collectif dont on ne connaît pas toujours le sens. Cet ensemble d’exigences ne fait que refléter des mutations profondes dans nos façons de travailler, d’apprendre, d’exister. Deux tendances lourdes, parmi bien d’autres, méritent d’être examinées de plus près tant leur nature, leurs évolutions et, en retour, nos propres postures de réaction ou d’adaptation influent profondément sur le monde de la formation des adultes au point de l’engager dans de véritables mutations. Il s’agit, d’une part, du développement quasi exponentiel des technologies, des réseaux et de la mutualisation des savoirs. Et, d’autre part, de l’irruption du monde économique dans la formation des adultes.
2.2 Le développement des technologies… Les technologies dites nouvelles nous ont toujours fascinés ; c’est encore plus le cas aujourd’hui dans la mesure où leurs fonctions, leurs convergences et leurs designs font d’elles des objets très attractifs. Grâce à ces technologies ou à cause d’elles, nous devenons membres d’une nouvelle société, créateurs et acteurs d’une culture d’innovation permanente nourrie par des rapports constants 631
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et réciproques entre usagers, entreprises, travail et vie personnelle, modes et marchés, fabricants et opérateurs. Le champ des technologies digitales est tellement décrit, analysé, questionné, qu’il n’est pas utile de le reprendre dans cette conclusion1 ; d’autant qu’un chapitre lui est consacré2. Penchonsnous simplement sur l’incroyable ouverture qu’elles offrent à des modes d’apprentissage sans précédent dans l’histoire de l’humanité ; leur capacité de rendre formatrice la plupart des situations professionnelles et sociales ; ou encore l’apparition de réseaux d’échange, de réflexion et de formation informelle issus de la seule initiative d’apprenants virtuels conscients ou inconscients de l’être. Les dispositifs et programmes de formation eux-mêmes ne peuvent que s’en trouver profondément bouleversés. Ils passent progressivement de formules classiques, obéissant aux trois unités de temps, de lieu et d’action, à des architectures d’apprentissage plus floues, valorisant l’interactivité synchrone mais faisant alterner des moments de regroupement, toujours indispensables, des périodes d’autoformation télétutorées, des formations en alternance et des situations de travail accompagnées. Apprenants et formateurs restent, s’ils le désirent, toujours en contact. Les moments de regroupement eux-mêmes peuvent être réels ou virtuels. À tout instant, les apprenants peuvent aussi avoir accès à des ressources quasi infinies, en naviguant sur Internet. Elles proviennent de banques de données, de didacticiels, ou encore de simulateurs téléchargeables, permettant non seulement de reproduire des situations trop périlleuses ou trop coûteuses pour être utilisées comme ressources éducatives dans la réalité professionnelle, mais aussi de valider des compétences et des comportements, d’analyser les activités professionnelles elles-mêmes et de tirer les leçons de leurs dysfonctionnements. Ainsi se développent peu à peu des noyaux d’expertise mettant à disposition de toute personne, au travail ou à son domicile, un choix de ressources éducatives auxquelles elle pourra accéder à tout moment, en tant que de besoin, via des portails virtuels. Cet accès peut se faire à sa propre initiative ; ou en partenariat avec un manager ou un formateur, dans le cadre d’un projet structuré et contractuel d’analyse de ses besoins de développement des compétences, du suivi individualisé de ses parcours, de validation et de reconnaissance des acquis de formation, de dotation complémentaire de compétences ou de création des conditions d’un transfert réussi en situation de travail. Il ne s’agit plus d’un rapport client-fournisseur de formation, mais d’une co-conception d’un parcours de professionnalisation3, d’un projet de changement ou de développement.
1. J.-P. Bouchez (2016). L’entreprise à l’ère du digital, Louvain-la-Neuve, De Boeck. 2. Voir chapitre 26. 3. Voir chapitre 20.
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Conclusion
Peut-être plus encore porteuses d’avenir sont les multiples structures de mutualisation des savoirs : en particulier les rencontres d’homologues, les communautés de pratiques, les cercles d’échanges de savoirs, les groupes de pilotes de process et, bien sûr, les réseaux sociaux, qui jouent désormais un rôle majeur dans les mutations politiques actuelles. Cela constitue aussi une œuvre éducative considérable. Nous sommes confrontés à une émergence ininterrompue de réseaux virtuels d’apprentissage, de partage des compétences ou d’étude de problèmes. Certains seront pérennes ; d’autres ne vivront que le temps de répondre à une question, de sortir d’une situation difficile. Dans un tel monde de réseaux, chacun(e) bénéficie en quelque sorte d’une connexion permanente avec le cerveau des « amis », et d’une troisième main, électronique, prolongée par des centaines de milliers d’applications qui donnent, en théorie, accès à tous les savoirs du monde. L’essentiel n’est plus de chercher à résoudre un problème, mais d’identifier qui est détenteur de sa solution. Cette société est paradoxale. D’un côté, elle multiplie les possibilités d’insertion dans des réseaux locaux ou mondiaux, publics ou privés, ouverts à toute heure et depuis n’importe quel lieu. Cela permet de créer des liens souples et durables entre les « nomades sédentaires » que nous devenons face aux exigences d’une compétitivité mondiale. C’est aussi une façon tout à fait nouvelle de considérer les quatre fonctions évoquées plus haut. Mais, de l’autre, on assiste à un phénoménal mouvement d’individualisation, dans lequel l’écran, le clavier et le casque tendent à devenir les seuls compagnons matériels au sein d’une société virtuelle d’apprentissage tout au long de la vie. Il est d’ailleurs audacieux de parler constamment de « savoirs » alors que la grande majorité des éléments obtenus par une recherche sur le Web sont des données ou des informations. Ou, pire, un fatras de références quasiment inexploitables faute de savoir les mettre en ordre, les structurer, les organiser, les prioriser pour leur donner du sens face à ce que l’on recherche ou à ce que l’on est. On peut toujours rêver du savoir à la portée de la main. Mais la question centrale reste celle de la possibilité d’accès à ces savoirs et de la capacité à le construire. Ce qui est à portée de nos mains, ce sont des données – innombrables – et une pléthore d’informations que nous fournissent les moteurs de recherche. Ce ne sont pas encore des savoirs. Ni a fortiori les savoirs dont on a besoin à un moment donné, ceux que l’on veut maîtriser, interpréter et mobiliser dans des compétences. Des savoirs issus de sources que l’on est capable de trouver, croiser, valider. Ce qui « fait savoir » ce n’est pas l’information ; c’est le savoir constitué, légitimé, au moins pour un temps, et reconnu.
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Il y a une extériorité dans le savoir ; c’est une extraction d’un gisement d’informations. C’est aussi du temps passé à le cerner, à l’analyser, à le construire. Ce n’est pas le résultat d’un clic : c’est avant tout une pensée. Alors la connaissance peut être considérée comme un savoir intégré, valorisé, sublimé, avec toute la part de volonté de partage, de transfert et de subjectivité, essentielle d’ailleurs, qu’il entraîne. Il y a du savoir dans la connaissance ; on peut partir d’elle pour le développer ; il peut aussi se scléroser. Mais parce qu’il est intégré, il reste à la merci de représentations qui se figent, de blocages, de dérives. Il est donc vulnérable. Parmi d’autres, les enseignants-chercheurs et les formateurs sont légitimés pour transmettre des savoirs, ou aider à les créer et à se les approprier. Comme médiateurs, ils doivent aussi veiller aux éventuelles dérives et désormais aux pièges des marchés du savoir. Ils ont une grande responsabilité dans l’acte de validation de ces savoirs ou des compétences qu’ils ont permis ou non d’acquérir. Les certifications et les diplômes, acquis au cours des études ou par la VAE1, témoignent de cette validation. Cela implique bien sûr une responsabilité tout aussi importante : dessiner les cartes du savoir et les chemins que chacun peut suivre, à sa façon, pour mener son parcours à son terme. Écouter et comprendre, interpréter, orienter, accompagner, apprécier, alerter, valider, respecter… Ne serait-ce pas là l’émergence d’une cinquième fonction tout aussi importante que les précédentes ? Les rôles des formateurs, qui passent « de l’estrade au plancher », s’en trouvent bouleversés.
2.3 L’irruption de la pensée et du langage économique dans la formation Il ne faut pas s’étonner que l’irruption de la pensée et du langage économique2 dans le champ de la formation des adultes marque le passage à une ère nouvelle et complexe. L’éducation et la formation s’inscrivent par essence dans un rapport au temps cohérent avec l’idée de création d’un capital, d’un patrimoine immatériel qui prend sens dans l’avenir. C’est ainsi qu’est apparue en particulier la notion d’investissement formation avec le nécessaire retour que l’on en attend. Cette idée a fait écho avec des courants de pensée caractéristiques des dernières années du xxe siècle : le constat d’une inexorable concurrence internationale substituant le concept de compétitivité à celui de rentabilité a permis à la pensée économique d’investir, comme jamais
1. Voir chapitre 29. 2. Voir chapitres 2, 5 et Caspar P. (2011). La Formation des adultes, Paris, Éditions d’Organisation.
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auparavant, un nombre croissant de secteurs de notre vie personnelle et professionnelle dont, bien sûr, la formation. La conscience progressive que nos ressources étaient limitées et que les savoirs étaient une denrée périssable a conduit à l’obligation de les gérer, de les protéger, de les utiliser à bon escient et de veiller à leur renouvellement. On a également découvert que nos dépenses éducatives, bien qu’encore insuffisantes, allaient inéluctablement s’approcher d’une asymptote compte tenu des autres choix structurants de notre société. Le terrain était labouré ; la mutation s’est accomplie, de nouveaux mots l’ont balisé, en particulier : rentabilité, compétitivité, ingénierie financière, marchés et marketing, buts et objectifs, cahiers des charges, appels d’offres, centrales d’achats, réglementation des commandes publiques, audits, publics cibles, reporting, efficacité et efficience, capital humain, ressources humaines… et bien sûr, l’incontournable investissement formation… Ces termes ont pris place dans le langage et dans les activités elles-mêmes ; peu à peu la pensée économique et financière a envahi la formation. De façon naturelle, souvent positivement au départ. Car à en juger par les innombrables contrôles, audits, et investigations de toutes sortes qu’elle subit, allant du Parlement à l’Inspection générale des finances, ce resserrement administratif et financier n’était pas inutile. Le doute persiste d’ailleurs : « On sait combien on dépense, on ne sait pas ce que ça rapporte. » Même si elle reste un lieu de négociation et de concertation, mais avec de nouvelles règles du jeu1, la formation des adultes s’en est trouvée fortement changée. Elle a en particulier cessé d’être un domaine singulier, privatif, relativement protégé, pour entrer, en tant que centre de coûts et de profits, dans une logique commerciale et financière commune à tous les secteurs de l’activité2. Mais les mutations les plus profondes du champ de la formation viennent probablement de son intégration croissante dans l’ensemble des processus de gestion et de développement des ressources humaines. C’est de plus en plus le DRH qui doit garantir le professionnalisme au sein de l’entreprise3 et assurer la cohérence interne d’un ensemble complexe, inséré lui-même dans une stratégie globale… parfois à l’échelle du monde. Responsable de la conception du plan de formation, le DRH anime la politique de développement, de mobilité et d’évolution professionnelle. Il doit optimiser le déroulement des carrières, le fonctionnement des structures de recrutement, le conseil aux opérationnels et la construction des outils nécessaires à leurs fonctions… Tout cela vit dans le cadre de la « gouvernance centrale ». Simultanément, le cercle des décideurs s’est singulièrement élargi. Cela rend d’autant plus difficile mais nécessaire un
1. Voir chapitre 4. 2. Voir chapitre 5. 3. Voir chapitres 6, 7, 13 et 21.
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management conjoint de la formation, de l’organisation du travail et de la gestion des ressources humaines. C’est une mutation considérable. C’est aussi une mutation qui s’argumente. D’abord, parce qu’une grande partie des apprentissages échappent au regard ou à la gestion des formateurs et des responsables de formation. C’est ce que l’on pourrait appeler les champs invisibles de la formation. C’est le cas, par exemple, des dispositifs propres au commercial, ou dédiés aux « hauts potentiels » ; ou de l’acquisition de compétences nouvelles issues, non de la formation, mais du recrutement, de l’évaluation, de la VAE, de la gestion des carrières et de la mobilité, des formes apprenantes de l’organisation du travail… ou du bon usage des consultants. Ensuite, parce que la formation des adultes trouve au dehors d’elle-même une part croissante de sa raison d’être, de ses contraintes et de ses financements. D’ailleurs, les problèmes qu’on lui pose sont de moins en moins formulés en termes de formation. Ainsi devient-elle un élément d’une chaîne de services s’inscrivant dans des enjeux et des projets plus vastes. Former sous toutes les formes, y compris l’apprentissage en alternance, y compris les formations non conventionnelles et celles qui échappent aux responsables de formation, reste explicitement une fonction stratégique. A fortiori en période de crise, si l’on veut former plutôt que licencier par anticipation de la reprise, mais aussi par confiance dans le potentiel professionnel des salariés.
2.4 Des « pionniers » aux nouveaux bâtisseurs de l’avenir Considérées ainsi, ces mutations nous entraînent bien loin du « trésor caché » cher à Jacques Delors, des visions humanistes et anticipatrices de Bertrand Schwartz, ou de « l’apprendre à être » d’Edgar Faure. Les valeurs qui les sous-tendaient se trouvent mises en question. Qu’en disent ceux que l’on appelait les « pionniers » ? Pour caricaturer les choses, on peut penser métaphoriquement à un bel oiseau auquel on enlèverait peu à peu les plumes : –– la liberté de penser et l’encouragement à l’initiative et à l’innovation s’estompent devant l’intégration dans des structures structurantes. L’accès direct à la direction disparaît ; –– l’enthousiasme, le goût d’exercer un métier que l’on a choisi pour le sens qu’il donnait à la vie, s’étouffent dans des appels d’offres, les charges, les contraintes administratives et les contrôles de toutes sortes ; –– le plaisir de créer ses propres outils, de faire du sur-mesure, se heurte à une volonté croissante de centralisation, de standardisation, et à un faible intérêt pour ce que l’on pourrait appeler les cultures locales ; 636
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–– la certitude qu’il ne peut y avoir de développement collectif sans développement personnel, et réciproquement, ne trouve plus sa place dans des formations focalisées sur le travail et l’emploi. –– d’une activité singulière qui assume ses responsabilités, et négocie ses budgets, temps et argent, en fonction des objectifs à atteindre, on passe à un encadrement budgétaire strict ayant barre sur les objectifs ; –– des équipes porteuses d’une longue et forte expérience inscrite dans une culture, ayant fait leurs preuves, peuvent être mises en concurrence avec des organismes extérieurs, voire être soumises à l’obligation de justifier leur existence… L’oiseau se pose alors une grave question : jusqu’à combien de plumes enlevées pourrais-je encore voler ? et chanter ? Bonsoir les pionniers. Il n’est évidemment pas question de plaider pour une régression vers un mythique âge d’or. Il ne s’agit pas de contester les tendances lourdes qui viennent d’être commentées. Elles caractérisent notre façon actuelle de travailler et de vivre. Mais il nous appartient de nous y adapter, de les comprendre, d’en valoriser les apports, et de les faire évoluer si on le pense utile. Faut-il pour autant être pessimiste ? Oui, si l’on s’en tient au désenchantement d’agents et de responsables de formation qui avaient choisi ce domaine par cohérence avec leurs valeurs. Non, si l’on se tourne vers le futur pour découvrir l’immensité des enjeux qui sont à relever ; et si l’on veut que la formation, des adultes dans sa richesse et sa diversité, continue à tenir sa vraie et juste place1.
3. Des futurs possibles pour la formation des adultes 3.1 Est-il possible de dessiner le futur ? Le paradoxe de base de toute action éducative consiste à construire aujourd’hui pour un demain que l’on ignore. Décider de créer et de mettre en œuvre une telle action, c’est d’abord faire un choix éducatif d’augmentation des compétences face à des situations de développement ou d’insatisfactions ; et donc souvent renoncer à des alternatives visant le même but comme
1. S. Enlart, O. Charbonnier (2010). Faut-il encore apprendre ?, Paris, Dunod.
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modifier le mode de management, changer l’organisation du travail, développer les motivations, recruter du personnel qualifié, mobiliser des technologies nouvelles… ou se doter de consultants. C’est aussi mobiliser une partie des ressources actuelles pour obtenir plus tard un accroissement observable de son « capital humain ». En sachant que la mobilisation de ce capital restera dépendante de la mobilité, de la motivation et du degré d’engagement de celles et ceux qui le portent en eux. Tous ces choix ont un point commun : le pari fait sur l’homme, sur son intelligence, sur ses capacités et sur son potentiel d’adaptation et de transformation. Tous font état d’une volonté délibérée de développement et de valorisation des savoirs. Tous en attendent, en retour, des effets positifs et durables. C’est pour cela qu’il est quasiment impossible de décrire, a fortiori de prédire des futurs possibles de la formation des adultes dans cet univers mouvant, sans repères, rude et trop souvent cupide1 qu’est devenu le nôtre. En revanche, une posture « prospective » peut nous aider à réfléchir dans ce sens en identifiant des faits porteurs d’avenir, des nouvelles tendances qui font émerger de nouveaux défis à relever par celles et ceux que l’on appelle les « travailleurs du savoir ». Nous parlerons successivement des formations informelles, des futurs apprenants, et des perspectives ouvertes par les « sciences de la formation ».
3.2 L’immense champ d’action et de recherche des formations informelles 3.2.1 De quoi s’agit-il ? Formelles, non formelles, informelles… Ces notions sont désormais trop connues pour que l’on prenne le temps de résumer leurs spécificités respectives. Rappelons simplement quatre éléments qui peuvent le plus souvent caractériser les apprentissages informels : l’absence d’une volonté explicite d’une création de savoirs, l’attention portée à l’acquisition d’habiletés, d’attitudes, de savoirs nouveaux, la difficulté de reconnaître formellement ces savoirs et de répertorier ces savoirs qui sont à l’origine de ces apprentissages et la création reconnue de richesses immatérielles mais l’impossibilité de les évaluer. Peuvent par exemple entrer dans cette catégorie l’autoformation2, notamment liée aux explorations vagabondes sur internet, l’assistance de voisinage, l’exercice d’activités militantes ou de responsabilités électives, la lecture réfléchie des livres d’histoire ou des biographies, le bricolage raisonné, la visite active des musées, la pratique durable et consciente d’un sport, les voyages
1. J. Stilglitz (2010). Le Triomphe de la cupidité, Paris, Les Liens qui libèrent. 2. Voir chapitre 18.
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bien préparés et ouverts à l’étonnement… et tout ce que l’on peut apprendre de la vie quotidienne sans l’avoir spécifiquement voulu, d’autant plus aujourd’hui avec le potentiel fulgurant des ressources digitales1. Formelles, informelles, non formelles… Il ne faudrait pas considérer ces trois approches comme séparées et autosuffisantes dans différentes cultures. Au contraire, elles entretiennent entre elles des liens très divers. Par exemple, les formations dites formelles peuvent trouver un intérêt à s’adjoindre des formations d’une autre nature. Parce que celles-ci vont permettre des apprentissages complémentaires relevant de champs extérieurs à ces domaines privilégiés. Parce qu’elles souhaitent se nourrir d’une fertilisation croisée mobilisant des professionnels du savoir et des personnes de terrain. Ou encore, pour des raisons d’économie. De leur côté, le non-formel et l’informel peuvent se tourner vers des institutions pour se rassurer sur leur propre légitimité, pour des questions d’image, pour obtenir une validation des acquis, d’expériences buissonnières ou une reconnaissance officielle et une possible certification des parcours.
3.2.2 Pourquoi s’intéresse-t‑on de plus en plus à ces formations ? Les domaines offrant de réelles opportunités d’apprentissages « non conventionnels » sont infiniment plus larges que les formations « instituées ou dédiées ». C’est vrai en France, dans tous les milieux, y compris les entreprises. C’est vrai dans de nombreux pays où l’informel est de tradition. Parce que l’on abandonne l’école prématurément, notamment chez les jeunes filles. Par manque de ressources suffisantes pour permettre au plus grand nombre de conduire à terme leurs parcours éducatifs, ou même pour les financer. Mais aussi parce que les accès aux écoles et aux universités sont trop compliqués, trop coûteux, trop inatteignables. Sans parler des raisons politiques ou culturelles qui réglementent le droit et la capacité à s’instruire. Les Occidentaux, conscients des extraordinaires « gisements » de compétences encore « inexploités » dans d’autres pays, ont tendance à se tourner vers ce type de formations aux frontières pour les valoriser ou les intégrer. Les entreprises et les institutions éducatives prennent la mesure de l’inventivité, de la complémentarité de ces formations qui n’en sont pas, face aux exigences nouvelles de leur développement. Cela conduit à accorder à ce type de savoirs une valeur sociale explicite et croissante, et à inventer des modes de reconnaissance et de validation spécifiques. Réciproquement, dans des pays dits émergents, ou en développement, les sources d’acquisition du savoir et de compétences sont traditionnellement de l’ordre de la transmission familiale et intergénérationnelle, ou de différentes formes de compagnonnage. Mais soucieux de se
1. Cf. G. Brougere, A.-L. Ulmann (2009). Apprendre de la vie quotidienne, Paris, PUF ; Caspar P. (2011). La Formation des adultes, op. cit. ; Nagels, M. et Carré, P. (dir.) (2016). Apprendre par soi-même aujourd’hui. Les nouvelles modalités de l’autoformation dans la société digitale, Paris, Éditions des Archives contemporaines ; D. Cristol (2016). Les communautés d’apprentissage. Apprendre ensemble à l’ère numérique, Paris, ESF Éditeur.
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positionner dans une économie de plus en plus ouverte, de plus en plus exigeante, ils tendent à davantage formaliser leurs modes d’apprentissage et à se doter de systèmes de formation nationaux, ou de partenariats dans des pays occidentaux avec, pour finalité, la création et l’obtention de diplômes considérés comme indispensables pour prendre et tenir place dans la mondialisation. C’est hélas alimenter aussi la fuite de leurs cerveaux.
3.2.3 Qu’est-ce qui caractérise ces formations inhabituelles ? On trouve, à l’origine, un acte de foi, un pari face à ce que l’on pourrait appeler un besoin social, une problématique paradoxale ou inacceptable, voire une bonne « cause ». Ces formations peuvent aussi apparaître dans des situations professionnelles inédites, exceptionnelles, ou encore face à des publics « hors normes », du fait de leur personnalité ou des problèmes auxquels ils sont confrontés : demandeurs d’emploi de très longue durée, publics illettrés, personnes souffrant de handicaps physiques ou mentaux, jeunes exclus du système scolaire en raison de leurs difficultés face aux programmes ou de leur allergie à l’égard des modèles d’apprentissage proposés par « l’école ». Ces actions s’inscrivent à contre-courant ou à contre-pied de dispositifs existants. Elles se positionnent nettement sur le registre de la différence, parfois du renversement complet des perspectives habituelles, des façons de voir et de traiter les problèmes. De ce fait, les rôles, les positions, les relations des différents acteurs sont eux aussi modifiés, renversés, redéfinis. Ces actions naissent souvent de la rencontre de champs sociaux différents ; et c’est par tout un jeu de glissements et de croisements entre des créateurs, des pionniers, des gestionnaires de dispositifs et des publics que ces actions non conventionnelles se construisent. L’espace de la formation est celui des terrains sur lesquels interviennent, travaillent, vivent les acteurs de la formation. Le terrain peut devenir ainsi un lieu d’observation, d’apprentissage, de développement de ces acteurs ; mais il imprègne en retour la formation de ses passions, de ses odeurs, de ses saveurs, de ses douleurs. Il n’y a souvent pas de programme préétabli. Il se construit au fur et à mesure que le processus de formation se développe et en fonction de l’approche des buts successifs que l’on se donne. Les outils pédagogiques se construisent eux aussi au fur et à mesure du déroulement de la « formation », en fonction des besoins des formés et de leurs environnements, mais aussi des partenaires impliqués dans la conduite de l’action, des responsables des organismes concernés ou des élus locaux par exemple.
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Dans tous ces cas, des actions ou des dispositifs de formation non conventionnels conçus a priori comme des réponses originales et efficaces à des situations apparemment insolubles, faute de solutions, ou pour lesquelles les solutions mises en œuvre avaient échoué ou avaient été rejetées. Ils tirent parfois leurs racines dans une utopie, une recherche d’identité, une soif de justice, un système de valeurs. On peut faire l’hypothèse que c’est justement lorsque cette quête, cette recherche, ce rêve rencontrent une fracture de la société qui se doit d’être comblée, que jaillissent l’intuition d’une réponse possible et l’énergie permettant de la mener à terme.
3.2.4 En quoi ces pratiques soulèvent-elles les défis pour le futur ? La prise de conscience de la multiplication de formations dites informelles, conduit à s’interroger sur leurs liens possibles avec les formations traditionnelles, conventionnelles, institutionnelles, quel que soit le nom qu’on leur donne. Notamment, sur ce qui pourrait constituer une professionnalisation et une reconnaissance de leurs animateurs, de leurs pilotes, de leurs formateurs ; et sur l’intérêt et la possibilité de transférer ces innombrables innovations en d’autres lieux et à une autre échelle. Les innovations pédagogiques ne se trouvent-elles pas pour beaucoup, au sein du monde de l’éducation, dans ces pratiques ? Contrairement aux apparences, les responsables de ces pratiques mobilisent et témoignent souvent d’un extraordinaire professionnalisme sur de multiples champs. La nature même de ces actions les conduit constamment à des remises en cause de leurs conduites et d’eux-mêmes ; comme le font les institutions qui ont accepté de porter et de supporter ces nouveau-nés parfois dérangeants. Par conséquent, si l’informel et le formel peuvent avancer vers une compréhension mutuelle, on peut parler de fertilisation croisée. À condition bien sûr que les institutions ne cherchent pas à formaliser, à formater ces « expériences de l’ailleurs », à les normaliser ou à réglementer les niveaux d’études de celles et ceux qui les conduisent, au risque de codifier la lettre aux dépens de l’esprit qui lui donne sens et valeur. À condition aussi de ne pas les transformer en objets de recherches, ou en prototypes appelés à une large médiatisation. La marginalité, la discrétion qui ont permis leur émergence sont peut-être aussi des conditions de survie. La personnalité souvent hors norme des acteurs de ces dispositifs, leur militantisme parfois vif risquent de susciter des rejets. À certains égards, ce sont des artistes qui créent des œuvres mais ne veulent en aucun cas les vendre ou les vulgariser. Il faut aussi prendre en compte l’application personnelle que ces formations exigent de celles et de ceux qui les mettent en œuvre ; et parfois de leurs proches. Cet engagement hors normes ne sera pas forcément accepté dans la durée par d’autres personnes.
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Comme le jeu du clown ou la performance d’un athlète, ces pratiques semblent simples et faciles à reproduire. C’est oublier que leur réussite tient à l’art, au travail méticuleux « en coulisse », à la passion et à la ténacité des fondateurs. Les emprunteurs ne savent pas toujours les reconnaître. Ils savent rarement l’apprécier. Comment s’étonner alors qu’une greffe inconsidérée conduise à un rejet justifié ? C’est donc un véritable défi pour l’avenir qui se présente aux acteurs de ces différentes approches : apprendre à se connaître, à se comprendre, à se respecter, à se stimuler, à se compléter, bref à alimenter le développement de la formation des adultes par des innovations de tous bords. À l’ère du blended learning cela va conduire à des dispositifs de formation à la fois plus simples et infiniment plus complexes qu’aujourd’hui. Ce ne sont pas des habits d’Arlequin ; c’est une prise en compte des nouveautés de notre culture et des caractéristiques des nouveaux apprenants.
4. La formation du futur sera ce que les apprenants en feront Force est de constater que, dans la trilogie travail-emploi-formation, les apprenants d’aujourd’hui1 ne se positionnent pas de façon homogène. Pour caricaturer sur un mode un peu abrupt et que l’on espère pas trop réaliste, on peut penser d’abord aux seniors, c’est-à‑dire, désormais aux plus de 45 ans. Ils savent se servir de la formation, mais tant qu’on leur en autorise encore l’usage. Ils s’interrogent sur la probabilité de conserver un travail jusqu’au nouvel âge de la retraite. Avec la crainte de ne plus être désirés, ni utiles, ni reconnus. Il y a ceux qui sont au cœur de la production des richesses du pays, mais qui se confrontent aux inégalités d’accès à la formation. Ils sont tantôt ardents, tantôt patients, rétifs ou résignés face aux continuelles réformes managériales ou organisationnelles qui se succèdent ; ou à ce qui leur paraîtrait être des dénis de recours à l’expérience et à la compétence dont témoignent, par exemple, des réductions récurrentes de postes, de larges appels à l’intérim ou à la sous-traitance, une mobilité systématique ou des exigences professionnelles réduites ou excessives. Ils doutent que leurs enfants puissent bénéficier d’un ascenseur social comme celui qu’ils ont connu. Les cadres sont de nouveau entrés dans une période de questionnement qui ne va pas se limiter au contrat de travail sans limitation d’horaires. Réciproquement, ils peuvent bénéficier
1. Voir chapitres 3, 10, 11, 12.
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de formations novatrices et de grande qualité dans leurs organisations, leurs universités, leurs forums, par l’autoformation accompagnée, l’apprentissage dans les lieux de travail1 et les dispositifs d’alternance. Il y a aussi les demandeurs d’emploi qui n’en trouvent pas au sein d’une gestion administrative complexe. Ils peuvent avoir du mal à comprendre pourquoi les formations qu’on leur offre ne prolongent pas ce qu’ils savaient déjà ; ou ne correspondent pas à ce qu’ils ont envie de faire ; ou simplement ne débouchent pas directement sur un emploi. Comment se former si l’on n’en connaît pas le but ? Il y a les jeunes hantés par la non-insertion et l’allongement des petits boulots. Il faut beaucoup de foi et de ténacité pour continuer à croire en la nécessité d’une formation première de plus en plus longue ou aux bienfaits d’une formation continue qui ne se matérialise pas dans un travail à son échelle. Il faut beaucoup de lucidité et de force d’âme pour croire aux vertus de la formation tout au long de la vie… lorsque l’on vit des situations où la compétence, le professionnalisme ne constituent ni une garantie d’embauche, ni le critère principal de promotion, ni le gage d’une employabilité durable. Et puis il y a les autres, celles et ceux qui ne se forment pas. Non seulement ceux qui ne croient pas aux vertus de la formation ou qui y renoncent pour garder de la place à d’autres activités. Mais aussi les personnes en fin de droit, les exclus du marché de l’emploi, ou les 13 % de la population en dessous du seuil de pauvreté. Vient alors cette fascinante « génération Y2 ». Nés avec Internet dans les biberons, élevés aux croisements de la vie réelle et des jeux vidéo, les membres de cette génération sont de plus en plus observés, étudiés par un management soucieux d’un « péril jeune » et désireux d’en tirer le meilleur parti. Les chercheurs relativisent cette identité générationnelle qui tiendrait moins à une tranche d’âge qu’aux acquis des études, à la vie familiale, à leur mode de socialisation, à leur groupe d’appartenance et aux ressources cognitives qu’ils y trouvent. Cela dit, que dit-on couramment des titulaires de cette génération Y, que l’on appelle parfois génération Why ? Attractifs, séduisants par leur adaptabilité, leur vivacité, leur inventivité, leur désir de comprendre, ils ont souvent du mal à s’intégrer dans une hiérarchie à l’ancienne. On les ressent aussi prêts à saisir les opportunités, confiants en euxmêmes malgré la distance entre la fin des études et l’entrée dans un emploi stable, mais avec un
1. Voir chapitre 24. 2. J. Pralong (2010). « L’image du travail selon la génération Y », Revue internationale de psychologie, 39, vol. XVI.
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grand besoin d’explicitation et de justification de ce qu’on leur demande, comme de reconnaissance, de compréhension et d’estime par leur encadrement. Ils ne se privent pas d’interpeller la hiérarchie sur son degré d’expertise, son professionnalisme, sa capacité de souplesse et sa légitimité. S’ils sont prêts à s’engager avec enthousiasme dans un projet collectif, ils attendent en retour une rétribution qui n’est pas seulement financière dans un monde professionnel d’autant plus accepté qu’il ne met pas en cause la vie familiale et sociale. La formation tout au long de la vie fait partie de leur vie ; mais avec les outils qui sont les leurs, assez banaux pour eux, somme toute loin des « stages » de leurs parents… C’est un défi redoutable ; à la fois compte tenu des disparités générationnelles ; parce que les modes d’apprentissage traditionnels encore vivaces, les outils classiques de la formation à distance peuvent leur apparaître décalés par rapport à ceux dont ils disposent. Et surtout parce que leurs rapports aux savoirs ont eux-mêmes changé en cohérence avec leurs façons de vivre. Les enseignants et les formateurs, en liaison avec les employeurs, conservent ces tâches indispensables liées à la construction des savoirs, des programmes, des épreuves et des certifications. La participation aux jurys en fait partie. Ils auront plus que jamais à utiliser leurs capacités d’anticipation. Mais on peut penser que leurs rôles s’articuleront désormais autour de l’accompagnement et la facilitation sous de multiples formes. D’abord, aider ceux qui le désirent à identifier ce qu’ils ne savent pas et ce qu’ils savent, à oser le faire savoir et à le valoriser socialement. Ensuite les aider à mieux repérer les savoirs, les savoir-faire, et les savoirs sociaux, les compétences et les comportements nécessaires à leur développement personnel et professionnel. Il faudra les conduire à se poser les bonnes questions pour exercer de nouvelles activités, ou pour s’insérer ou se réinsérer dans la vie professionnelle. Les accompagner peut également être utile, voire nécessaire lorsqu’ils entrent dans un milieu évolutif où il leur est demandé de contribuer à leur propre employabilité. Et d’optimiser leur temps et leur énergie pour replacer la formation dans un projet de vie qui lui donne sens. Il appartiendra aux enseignants, aux formateurs et, parfois, à la hiérarchie d’aider ces apprenants à changer de posture d’apprentissage face à des lieux de savoirs qui changent profondément. Utiliser toutes les sources de savoirs évoquées plus haut, c’est accepter une mutualisation des savoirs à laquelle ils n’ont pas toujours été préparés. C’est apprendre à construire des connaissances à partir d’informations disparates et dispersées. C’est savoir gérer des savoirs changeants. C’est entrer dans des hyper-espaces où chacun suit son propre cheminement, ne va pas forcément là où il voulait aller et s’en trouve désemparé ou enrichi. C’est apprendre à vivre dans une culture de l’écran, des écrans, où rapidité, fugacité, réactivité et rigueur vont de pair. On appelle cela la cyberculture ; d’aucuns disent la « nétamorphose ». 644
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Tout ceci modifie sensiblement les priorités. Le travail d’orientation1, l’exercice des fonctions de professeur référent, la participation à des jurys, rassemblant des éducateurs et des professionnels, bousculent l’équilibre d’un temps dévolu jusque-là aux enseignements et aux démarches de certification. Cela conduit aussi à revaloriser des responsabilités en amont et en aval : d’un côté l’information, l’accueil, l’orientation, la mise à disposition de sites Web, l’aide à l’élaboration de projets, notamment dans les stages ou la réalisation de mémoires, l’ingénierie d’épreuves, les relations avec le monde professionnel. De l’autre, l’évaluation, la préparation à l’emploi, le transfert de compétences en situation au travail2, l’appréciation du travail des enseignants et des formateurs. C’est pourquoi la VAE peut contribuer à une réflexion en profondeur sur les composantes mêmes de leurs fonctions, voire sur le type de recrutement du corps enseignant compte tenu des missions et des engagements nouveaux qui deviennent les leurs. Il leur faut aussi être conscients que les étudiants, comme les apprenants adultes, changent aussi profondément les rapports avec les institutions éducatives. La généralisation de la maîtrise des technologies et des offres qui leur sont liées sur le Net, les campus numériques, les e-portfolio, les réseaux sociaux y contribuent. La possibilité de se documenter sur les offres de formations à travers les sites Web des universités, des écoles ou des organismes de formation, et de procéder à des comparaisons avant l’inscription contribue également à transformer les apprenants de tous âges et de toutes nationalités en « usagers » informés, réfléchis, mobiles, attentifs et donc exigeants. Que dire pour terminer d’une génération Z ? Elle est née depuis longtemps ; six cent cinquante mille jeunes ont passé leur bac au moment de la préparation de ce livre. Les smartphones, connectés à Internet et aux réseaux, font partie de leurs vêtements. 55 % des 11/12 ans ont un compte sur Internet. Ils étaient 35 % en 2004. On dit que la triche aux examens s’appuie aussi sur ces outils ! Qui croire ? Le monde des images est omniprésent depuis leur naissance ; et ils apprennent une seconde langue dès la maternelle. Leur cerveau ne peut que s’en imprégner. Ils sont infiniment plus rapides qu’ils ne le montrent parfois. Répondre aux mails devient trop lent par rapport aux SMS et aux twits. Cela signifie en particulier qu’ils sont capables de s’adapter à leurs environnements et de faire varier l’envergure de leurs talents. Ils sont déjà si nombreux à nous apprendre tant de choses…
1. Voir chapitre 28. 2. Voir chapitre 27.
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5. Qu’attendre des « sciences de la formation » ? L’avenir de la formation se lit aussi dans la recherche. Et la recherche est aussi un lieu de formation considérable. Un nouveau chapitre lui a été consacré dans la présente édition1 La place des sciences dans l’action relève d’un très vieux débat. Il n’y a pas si longtemps on reprochait aux ingénieurs de s’approprier indûment une dignité scientifique non prouvée en parlant des « sciences de l’ingénieur » au lieu d’une évidence qui est celle des « sciences pour l’ingénieur » ! Le titre du Traité nous oblige bien sûr à conclure avec ce sujet. D’autant que l’on commence à parler d’une véritable discipline en émergence qui serait celle des « sciences de la formation ». Ce cadre serait-il représentatif de la diversité des apports disciplinaires ? Même si une majorité de recherches et de thèses sont menées par des chercheurs inscrits dans le cadre institutionnel de la 70e section du Conseil national des universités (CNU), les travaux réalisés se rattachent à un ensemble beaucoup plus large de disciplines convoquées selon la nature de l’objet étudié : sociologie, anthropologie, psychologie, sciences du langage, sciences de l’ingénieur, gestion, information-communication, économie, histoire… sans compter les approches purement pédagogiques et didactiques, elles-mêmes porteuses de liens avec les connaissances fondamentales en sciences, mathématique, langues vivantes, informatique, etc. La troisième partie de l’ouvrage en témoigne. C’est donc pour l’instant un patchwork disciplinaire et conceptuel, peu propice à une convergence méthodologique et épistémologique, plus qu’un corpus scientifique unifié, qui s’offre aux yeux de l’observateur de la recherche en formation. Comme le disait André Voisin2 dès 1991, cet éparpillement disciplinaire se double de la tendance des chercheurs, généralement inscrits dans un champ de pratiques elles-mêmes évolutives, à rechercher une prise directe avec elles et leurs acteurs. Le champ de la formation étant réputé sensible aux effets de mode, aux aléas du marché et de la demande sociale, aux inflexions politiques, on observe aujourd’hui un déplacement continu des objets de recherche et une variabilité lexicale qui renforce encore aujourd’hui l’aspect proto-scientifique de ce champ. La filiation hybride des sciences de la formation entraîne de plus une double marginalité : d’une part, les traditionnelles sciences de l’éducation sont, elles-mêmes, aux prises avec un débat interne récurrent depuis les années 19603. Existe-t‑il vraiment une « science de l’éducation », 1. Voir chapitre 31. 2. A. Voisin (1991). « La recherche en formation continue », Études et expérimentations, n° 10, 3-14. 3. F. Laot et R. Rogers (dir.) (2015). Les Sciences de l’éducation. Émergence d’un champ de recherche dans l’aprèsguerre, Rennes, PUR.
646
Conclusion
interdisciplinaire par nature, dotée d’un cadre épistémologique et de méthodes spécifiques ? Ou bien cette discipline recouvre-t‑elle l’assemblage de sciences fondamentales qui éclairent les faits éducatifs ? À cette première ambiguïté se surajoute le caractère minoritaire, pour ne pas dire secondaire, des problématiques de formation des adultes dans le vaste champ éducatif dominé par les enjeux du système scolaire. Et donc une certaine sous-représentation des travaux sur la notion de formation tout au long de la vie. Comme l’atteste le chapitre dédié qui précède celui-ci, en dépit de ses faiblesses, la production de recherches, principalement universitaires, est considérable, à travers, ici comme ailleurs, ses trois voies principales : les activités scientifiques des universitaires et des institutions de recherche ; les thèses doctorales et notes d’habilitation à diriger des recherches (HDR) ; les programmes de recherche issus de la demande sociale à différents niveaux. Séduisante malgré tout, attirante parce qu’elle offre une voie pour dépasser les apparences et se rapprocher de l’essentiel de ce que l’on observe, la recherche en formation entraîne aussi, on le sait, de la circonspection de la part des chercheurs en sciences dures qui doutent de sa pureté scientifique. Mais aussi de la part de certains de ses commanditaires préférant qu’elle se focalise sur ce qui sera immédiatement utile, quitte à oublier qu’elle en perdrait une partie de ses atouts principaux. Il reste donc aux chercheurs, aux praticiens et aux décideurs de trouver les moyens de se rapprocher davantage. Les conditions de ce rapprochement se créent aujourd’hui. Ces enjeux sont majeurs. Ils touchent à la fois à un accroissement plus fort de l’ensemble des acteurs de la formation et du développement des ressources humaines. Ils renvoient à une question d’égalité de dignité entre praticiens et chercheurs. Ils rappellent enfin que les découvertes à tous niveaux ne sont pas l’apanage des seuls professionnels de la recherche. Pour que cette recherche puisse revendiquer l’attribut de scientifique, il conviendra sans doute qu’elle accepte de répondre à un certain nombre d’exigences. D’abord, selon la remarque de M. Reuchlin, qu’elle fasse systématiquement état de la « publicité de ses méthodes » et du « caractère vérifiable de ses résultats ». Cette double exigence de transparence et de réfutabilité forme le socle minimal exigible d’un projet scientifique sur le champ de la formation, comme dans des secteurs connexes des sciences sociales de l’action (économie, droit, gestion, information-communication). Enfin, par-delà le projet fantasmatique d’une « interdisciplinarité dans une seule tête », mais en deçà de la mono-disciplinarité étroite qui caractérise des chercheurs resserrés autour d’une approche exclusive, il sera nécessaire de développer des équipes « co-disciplinaires » réunissant autour d’un même objet les experts des disciplines concernées. Transparence, souci de la preuve, co-disciplinarité : c’est à ce triple prix sans doute que la recherche en formation pourra construire les sciences en formation.
647
Traité des sciences et des techniques de la formation
Conclure… avec le temps ? Plutôt de « conclure la conclusion », nous nous penchons plutôt en fin d’ouvrage sur une question fondamentale. Une démarche prospective appliquée à la formation des adultes conduit à réfléchir sur les rapports que chacun des acteurs entretient avec le temps. La richesse de ce domaine qu’est la formation fait aussi sa complexité, son opacité parfois. Et la difficulté à apprécier les plus-values qu’elle apporte soulève bien des critiques. Quand il y a péril dans la demeure, a fortiori en période de crise, on a vite tendance à sacrifier en premier les budgets dont le rapport coûts/bénéfices immédiats n’est pas évident pour se focaliser sur l’utile, voire le strict utilitaire. La formation est loin d’être la seule concernée ; mais elle l’est presque toujours. La recherche aussi d’ailleurs. Facteur constitutif de socialisation, de transmission, de facilitation du fonctionnement des organisations comme de la société, la formation s’inscrit en même temps dans le long terme dans une relation à l’avenir en vue de permettre les changements et de se préparer aux mutations et aux ruptures. Notre relation au temps n’est pas simple1. Elle est à la fois relation à la vie et à la mort, porteuse d’espérances, de projets et de renoncements. Elle est génératrice d’angoisses, mais aussi d’interrogations sur ce qui reste l’essentiel. Elle est à la fois faite de continuité et de ruptures, dans une course de plus en plus effrénée. Ainsi les responsables et les dirigeants qui conçoivent et conduisent les systèmes de formation se trouvent-ils enserrés dans une double contrainte. D’un côté la nécessité de s’articuler à la réalité et à la quotidienneté des problèmes. Cela implique pour le responsable de formation d’être reconnu comme un acteur à part entière, un véritable manager capable d’analyser des situations professionnelles complexes, de faire apparaître les écarts entre compétences requises et compétences actuelles, de les réduire, mais aussi de valoriser les potentiels et les occasions de les développer… Bref d’être complètement intégré dans la poursuite des enjeux d’efficacité et de compétitivité qui fondent la culture entrepreneuriale dominante de ce siècle. D’un autre côté, reste la non moins indispensable obligation, pour ces responsables, d’évaluer, de prendre du recul, de voir loin et large et, par conséquent, de rester différent. Différent pour veiller à la non-reproduction systématique des schémas du passé2, indispensables pour la vie à court terme mais inadéquats pour la survie ou le développement à long terme. Différents pour rappeler que la résolution des problèmes économiques et financiers n’implique pas de négliger le développement des personnes ; bien au contraire, que l’économique et le social devront s’allier.
1. Voir chapitres 11 et 12. 2. Voir chapitre 1.
648
Conclusion
Différents pour oser proposer des ruptures dans la pensée, dans les modes et niveaux de lecture des situations comme dans les façons de les traiter. Vivre sur deux temps différents, c’est vivre pleinement dans les turbulences mais en y recherchant les permanences ; c’est mettre en évidence les discontinuités mais veiller à dérouler un fil conducteur. C’est être quelqu’un qui soit à la fois cohérent avec l’organisation dans laquelle il travaille ; pertinent et efficace dans ses démarches ; mais quelqu’un dont la culture, les structures mentales, les rapports à l’autorité, les relations avec les autres soient suffisamment originaux, éventuellement impertinents, pour faciliter la préparation de tous aux mutations inévitables. Et pour oser poser la question du « pourquoi ? » en même temps que celles du « quoi ? », du « comment ? » et du « combien ? ». Si ce type de personne « non alignée » n’existait pas quelque part dans les structures, il faudrait beaucoup plus de temps pour voir apparaître des innovations véritablement originales, pour oser des anticipations essentielles, pour entrer dans cette culture mondiale qui change tellement notre vie sans que nous nous en rendions bien compte.
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Traité des sciences et des techniques de la formation
Lectures conseillées Le futur n’est plus ce qu’il était hier. Il change tout le temps. Et chaque chapitre propose quelques références relatives au domaine qui est le sien. C’est pourquoi, plutôt que de lister de nouvelles références pour un avenir que l’on ne connaît pas encore, nous vous proposons ci-dessous quelques ressources « vives ». Elles permettront de réfléchir, en meilleure connaissance de cause, aux tendances, changements, ou mutations qui apparaîtront peu à peu au cours des années qui viennent.
Les revues : Éducation permanente – www.education- Recherche et formation – https://rechercheforpermanente.fr. mation.revues.org. Savoirs. Revue internationale de recherche en éducation et formation – www.savoirs.uparis10.fr.
Veille et analyses, bulletin de l’Institut français de l’éducation – http://ife.ens-lyon.fr/ife.
Les publications des organisations suivantes : ASTD – Association for Talent Development, anciennement Association for Training and Development – https://www.td.org. Cedefop – Centre européen pour le développement de la formation professionnelle – http:// www.cedefop.europa.eu.
FFP – Fédération de la formation professionnelle – www.ffp.org. Fondation européenne pour la formation – www. etf.europa.eu.
CEE – Centre d’étude de l’emploi – www. ceerecherche.fr.
France Stratégies – http://www.strategie.gouv. fr.
Centre de documentation sur la formation et le travail. CNAM – www.cdft.cnam.fr.
Garf. Groupement des acteurs et responsables de formation – www.garf.asso.fr.
Centre Inffo – www.centreinffo.fr. Cereq – Centre d’études et de recherches sur les qualifications – www.cereq.fr. Cités des métiers – www.citedesmetiers.com et www.reseaucitedesmetiers.com. Esrea – Société européenne pour la recherche en formation des adultes – www.esrea.org.
650
European Training Foundation – http://www.etf. europa.eu/web.nsf/pages/home.
Index des notions A
appareil de formation 71, 79
accès à la formation 264
apprenance 38, 233, 313, 517
accompagnement 243
apprenant 41, 233, 642
accord d’intéressement 153
apprendre 292–293, 369, 488
achats de formations 125, 129
apprentissage 160, 227, 231, 329, 335, 380, 490, 494, 532, 622
acte d’apprendre 233 acteurs de la formation 181 acteurs de la formation professionnelle 151 action 47 activité 47, 454, 471 de travail 183 de formation 146 administration 441 adulte pluriel 240 adultes en formation 211 affordances 492 agentivité 325, 389–390, 395–397 agents de la formation 592, 599, 603 âges de la vie 360
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
allocation des ressources 112
autodirigé 375, 393, 548 au travail 394 coopératif 341 de la langue 224 en situation de travail (AST) 344, 405, 483, 485 informel 36, 171, 394, 517, 548 multi-épisodique 398 organisationnel 159, 171 permanent 249 sexué 370 individuel 497 « tout au long de la vie » 367 transformateur 393
alphabétisation 60, 65–66
ateliers de pédagogie personnalisée 505, 516
alternance 445–446, 505, 517
attention 258
aménagement de transitions 244
sélective 258
amorçage 299
autodétermination 325, 376, 388, 396
analyse de l’activité 622
autodidaxie 368, 372
analyse des pratiques 392
autodirection 389
analyse didactique professionnelle du travail 470
autoformation 232, 313, 365, 371–372, 393–394, 533, 585
analyse du travail 180, 470, 472, 479, 622
« collective » 373
andragogie 239, 393
éducative 372
anthropoformation 356
« existentielle » 374
651
Traité des sciences et des techniques de la formation
autorégulation 320, 325–326, 376, 388, 390, 397 des apprentissages 294
transversales 282 complétude 357
autostructuration 390
comportements 278
B
compte individuel de formation 101
behaviorisme 314, 386
compte personnel de formation (CPF) 90, 92, 114
besoins en formation 145 bifurcation 357 bilan de compétences 150, 554, 556 bonnes pratiques 204
conation 318 concept de soi 247 conceptualisation 476, 479
budgets formation 124
conditionnement 300
bureaucratie 165
conflit 334 cognitif 398
C cadre institutionnel 343 capabilité 396, 517 capacités d’apprentissage 259 certificats de qualification professionnelle (CQP) 579 champ de pratiques 47 champs sociaux 578 changements d’organisation 273 chômage 34 climat socio-affectif 338 cohésion sociale 207 collaboration 398 communauté d’apprentissage 611 communautés de pratique 394 compagnonnage 160 comparaison sociale 339 compensation 260 compétences 133, 149, 159, 168, 231, 271, 333, 336, 379, 414, 431, 452, 476 cognitives 280 collectives 415 652
sociales 338
sociocognitif 332, 329, 387 confrontation 337 congé individuel de formation (CIF) 67, 91, 114 connaissances 629 déclaratives 277 procédurales 277 conscientisation 394 conseil en évolution professionnelle (CEP) 554, 557, 581 conseiller pédagogique 342 consolidation 301 constructivisme 387 contraintes 147 contrat de travail 114 cours d’adultes 55 crise 243, 246 croisements interculturels 356 cycles de vie 243
Index des notions
D
E
décisions 250, 319, 437
écoles de la 2e chance 313
défis de la vie adulte 248
économie de la formation 71
démotivation 326
économie des services 84
design 512
ECTS (european credit transfer system) 573
développement 179
éducation 311
des adultes 449, 457
des adultes 53–56, 58, 67, 202
tout au long de la vie (life span development) 257
ouvrière 58–59, 62
dialogue social 439 social territorial 109
permanente 62, 64, 66, 68, 92, 350 populaire 38, 55-56, 58, 62, 65–67 e-learning 486, 488, 521, 611
didactique professionnelle 189, 392, 462, 469–470
emploi 47, 452
digitalisation des pratiques 128
engagement du sujet 492, 496
diplôme 277
entreprise 110, 313, 379
direction 430 dispositifs 489, 509, 518, 530 de formation 340, 412
empowerment 394
apprenante 154 entretien annuel 153, 436 environnement
avec environnement numérique 525
capacitant 188
de formation-action 185
d’apprentissage 516
multidimensionnels 528
numérique 405
multimodaux 529
numérique de services 522
dispositions 324
numérique pour apprendre 523
dissonance cognitive 317
personnel d’apprentissage 525
données personnelles 534
ergonomie 177, 182, 622
double appartenance 357
espace numérique de travail 522
droit 112
espaces de débat et de régulation 187
collectif de la formation professionnelle dans l’entreprise 111
espaces éducatifs institués 378
de la formation 108
évaluation 147, 204, 439–440, 515
individuel à la formation (DIF) 91-92, 110
expérience 160, 231, 238, 393
dynamique des groupes 391
Europe de la formation 200, 206
professionnelle 267
653
Traité des sciences et des techniques de la formation
F
gestion
facilitation 393, 405
de la formation 148
faire 476
des compétences 148–149, 170
familles professionnelles 403
des ressources humaines 139, 152, 578
feedback 397
paritaire 109
financement 143
prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) 284
fonction formation 64 fordisme 166
groupe professionnel 589, 591, 603
formateur 344, 350, 590
guides d’entretiens 436
formateurs-acteurs 352
H
formateurs d’adultes 589–591, 601, 603
habiletés ouvertes 541
formation 106, 112, 143, 159, 221, 262–263, 265, 311, 342, 380, 443, 596, 610
habitus 324
continue 75, 98 de l’emploi 92 des adultes 53, 62, 459, 609 en situation de travail 115
hétéro-structuration 389 hiérarchie 164–165 histoire personnelle 241 histoires d’écoles 355
initiale 245
d’enfances 355
permanente 238
de recherche de sens 356
post-scolaire 48, 95, 98
de santé 355
professionnelle 57, 99, 105, 169, 202
de vie 347, 353
professionnelle continue 64, 66, 106
de vie aux frontières du social 356
promotionnelle 59, 61, 64, 66
de vie professionnelle 355
formations -actions 490 informelles 639 internationales 220 par alternance 414 par apprentissage 182 syndicale 62, 65 fréquence de la formation 265
G génération Y 643 genre 359
654
sociopolitiques 356 humanisme 388
I identité 227 inclusion 223 individualisation 396, 414 de la formation 516 ingénierie 41, 287, 403, 488, 503, 607, 610 concourante 420–422 de la formation 189, 205, 404, 407, 410, 413, 469, 507
Index des notions
de professionnalisation 404, 407
L
des parcours personnalisés de professionnalisation 414
liberté 377
des situations 478
libre circulation des personnes 200
didactique 403 didactique professionnelle 404, 469 du financement 134
d’entreprendre 111 lieux de savoir 627 logique éducative 237
d’une organisation 416
formative 237
d’un territoire apprenant et innovant 419
M
éducative 327
maintien dans l’emploi 379
industrielle 421
maîtrise 340
pédagogique 189, 405, 409, 501, 503
d’œuvre 429
séquentielle 420
d’ouvrage 428
inhibition 258 injonction 377 innovation pédagogique 504 instrumentalisation 526 instrumentation 526 de la formation 404 intelligence au travail 449, 455 intelligence de l’action 482 interaction 458 sociocognitive 331 sociale 232 intervention 186 capacitante 189 éducative 233 investissement formation 76, 635 immatériel 77
d’ouvrage déléguée 429 management 159 par objectifs 167 managers 166, 491 marché de la formation 82, 121, 123 du savoir 634 massive online open courses (MOOC) 378, 380, 486, 488, 524, 532, 534, 611 mémoire 225, 232 à court terme (MCT) 294, 296 à long terme (MLT) 294 déclarative (MD) 297 de travail (MdT) 258, 296 épisodique (ME) 298 et apprentissage 289 lexicale (ML) 297 non déclarative (MnD) 299
J
procédurale 299
jeux d’acteurs 47
sémantique (MS) 298 sensorielle 295 655
Traité des sciences et des techniques de la formation
visuelle (MV) 298 mémorisation 300
orientation 443, 580
métacognition 545–546
professionnelle 405
méthodologies 47
professionnelle des adultes 405, 551
métiers 431, 596 de la formation 403, 406, 587, 589–590, 592–594, 597–598, 601 et emplois de la formation 596 mobilité 243 modèle bureaucratique 164 modularisation 516 motifs 322 d’engagement éducatif 321 primaires 318 secondaires 319 motivation 232, 306, 311 à apprendre 263 multimodalité 35, 398 multiplicité des mémoires 305
N négociation collective 109, 119 de branche 108 d’entreprise 109 NTIC 380
O
outils de formation 180
P parcours d’expérience 473 partenaires sociaux 108 partenariats 201 participation 324 active 225 pédagogie 266, 385, 503 de l’alternance 445 de l’équité 223 des adultes 391 des situations 480–481 pensée 47 perfectionnement 57, 59, 62–63, 65–66 performance des organismes de formation 131 personal learning environment (PLE) 525 pilotage de la formation 441 pionniers 637 plan de formation 67, 91, 146 politique de formation 47, 425, 428, 434 politique de l’emploi 67 portfolios 557, 575
objectif 167
potentiel
offre de formation 127
d’apprentissage élevé 474
open university 378
d’apprentissage et de développement 473
organisation 159, 488
656
organismes de formation 169
apprenante 159
formatif 475
capacitante 188
pouvoir d’agir 226
organisation scientifique du travail 162
praticiens « réflexifs » 47
Index des notions
pratique
R
du travail 479
rapport à la formation 97, 232
de formation 93
rapports sociaux en entreprise 93
pratiques pédagogiques 506
rationalisation 159
présentation de l’information 303
rationalité humaine 373
préservation 260
recherche-action 613-614
prestataires de formation 131
recherche
prévention 184 prise d’information 478 processus automatiques 293 contrôlés 293 d’apprentissage 99 de prise de décision 278 de restitution 301 procrastination 319 productivité individuelle 72 pédagogique 515 professionnalisation 415, 424, 445, 589–590, 599, 601, 603 des individus 486 des pratiques 134 promotion sociale 64, 90, 92, 379 psychanalyse 315 psychologie cognitive 316, 386 psychologie positive 388 psychopédagogie 385, 504, 507 des adultes 232
biographique 361 du plein-emploi 207 en formation 611, 618, 621 -intervention 614 scientifique 610 reclassement 63 reconnaissance 248, 362, 571 au travail 461 reconnaissance et validation des acquis de l’expérience (RVAE) 572, 578 recyclage 65 réflexion sur l’action 495 réflexivité 494 régulation relationnelle 333 sociocognitive 332 relation individu/organisation 287 Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) 577 répétition lexicale 305 représentation sociale de la relation 338
publics 313
réseaux d’échanges réciproques de savoirs 505
Q
réseaux sociaux 399, 532
qualification 118, 452
résignation apprise 319, 326 responsables de formation 593-594, 596 ressources digitales 405 657
Traité des sciences et des techniques de la formation
retraite 247
sociologie de la formation 89
révolution digitale 485
soloformation 398
rôle du formateur 36
stage 115
S
stéréotypes 264
salariés 432 santé 178 savoir 369, 476 agir et interagir en situation 417
stratégie 319 sujet social 316
T tâche 454
savoir-être 278, 280
taylorisme 166–167
savoir-faire 280, 293
techniques de réalité augmentée 524
savoirs 276, 280, 293
théorie de la reproduction 96
partagés 227
du capital humain 71
sciences cognitives 387 de la formation 406, 646 de l’éducation 614 seconde chance 64, 73
transitions 243–244, 246 transmission 493
secteur quaternaire 403
travail 47, 207, 452, 457, 622
sécurité psychologique 497
U
segmentation 594
Union européenne 197
des métiers de la formation 594 du groupe professionnel 592 seniors 38, 261 sens 47 sentiment d’efficacité personnelle 376, 396 serious games 523, 531, 611 situations de formation 337 de travail 152, 285, 471, 482 limites 249
658
transfert des apprentissages 405, 537, 539, 543
unités de travail 432
V valeur 47 283, 557 validation des acquis de l’expérience (VAE) 91, 150, 171, 283, 406, 444, 471, 557, 574 validation des acquis expérientiels 362 validation des acquis professionnels (VAP) 576
société cognitive 34
validation et accréditation des acquis (RVA) 571
sociocognitivisme 388
vicariance 399
socioconstructivisme 387
vieillissement 255, 258
Index des notions
cognitif 256, 259
volition 320
vie sociale 143
vouloir agir et interagir en situation 417
vitesse de traitement 258
W
voies d’accès à la formation professionnelle 113
workplace learning 491
659
Index des noms propres A
Bourdieu P. 96
Aballea F. 583
Bourgeois E. 311, 329, 339, 483, 486
Afriat C. 77
Bouteiller D. 549
Albertini J.M. 505, 517, 533
Boutinet J.P. 235, 243, 248, 250, 360, 375
Amadieu F. 526
Boyer R. 82
Amalberti R. 478
Bronckart J.P. 463
Amira S. 217
Bruner J. 458, 532
Argyris C. 171
Buchs C. 329, 334, 337
Aubret J. 406, 551, 575, 580
Butera F. 333
Autissier D. 167
C
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
Aventur F. 74, 81
Cahuc P. 73, 78
B
Capdevielle P. 83
Baddeley A. 296
Carayon P. 186
Bandura A. 40, 249, 317, 319, 325, 388–389, 397, 399, 562
Cardon P.A. 593
Barbier J.M. 603, 619 Baril D. 223
Carré P. 38, 171, 249, 309, 313, 327, 367, 374–375, 383, 497, 501, 505
Batal C. 157
Carriou Y. 78
Becker G.S. 71
Cartier I. 579
Beillerot J. 315
Caspar P. 39, 77, 79, 592–593, 597, 599
Bellier S. 279
Catani M. 349
Bertaux D. 349 Berthelot J.M. 619
Charbonnier O. 39, 157, 171, 395, 486, 526, 638
Berton F. 77
Charlot B. 312, 316
Bijeire G. 153
Chartier D. 326
Billett S. 492
Chatigny C. 184
Binswanger L. 242
Clapier-Valladon S. 350
Blachère M. 577
Clasquin B. 83
Blandin B. 519, 521
Clément W. 77
Boccara V. 181
Clot Y. 455, 460, 564
Bonvalot G. 350
Colardyn D. 572
Carmeli A. 498
661
Traité des sciences et des techniques de la formation
Collet I. 371
Dugué B. 187
Condorcet 53
Dumazedier J. 34, 47, 391
Correia M 74
Dupuy F. 284
Cosnefroy L. 294 Courtois B. 350 Cousinet 399 Cyrot P. 365, 371, 533
Edmondson A. 498 Ehrenberg A. 250 Enlart S. 39, 271, 395, 483, 486, 512, 526, 638
D
Eraut M. 495
Daniellou F. 189
Evans 395
Danvers F. 565 Davezies P. 454 Debesse M. 36, 314 Deci E. 318, 321, 326–327, 396–397, 399 Dejours C. 378, 456 Delbos G. 494 Deledalle G. 481
F Falzon P. 175, 177–178, 183, 187 Faure E. 637 Fayol H. 165 Fenouillet F. 289, 309, 531 Fernagu-Oudet S. 374, 587
Delgoulet C. 175, 180–181, 253, 262, 265
Ferrarotti F. 349
Delors J. 637
Fisher G. 249
Delory C. 354
Flieller A. 256
Delory-Momberger C. 353
Fombonne J. 141
Demailly D. 262
Fonds social européen 195, 197
Déro M. 289, 531
Fortier G. 571–572
Desjeux D. 41
Fournier C. 76
Desroche H. 350
Freinet 399
Dewey J. 398, 474, 481
Freire P. 391, 393
Doise W. 332
Frenay M. 338–339
Dominicé P. 347, 350, 352, 357–358
Frétigné C. 316, 587
Downes S. 524
Freud S. 315
Drucker P.F. 167
Friedman G. 93
Dubar C. 87, 97, 249
Fritsch P. 589
Dubet F. 312 662
E
Index des noms propres
G
K
Gadea C. 87
Kant E. 398
Gagné R. 503
Kaplan J. 374
Gagneur C.A. 475
Knowles M. 390–391, 393
Gaulejac V. 351
Kuhn T. 608
Gauron A. 75, 80, 82
L
Gazier B. 285
Lacomblez M. 180–181, 183
Goux D. 72, 75
Lahire B. 240, 316
Graton E. 352
Lani-Bayle M. 353
Guégot F. 554
Laot F. 614
Guichard J. 557, 564–565
Lapassade G. 240
H
Latreille G. 557
Haims M.C. 186 Hanchane S. 74, 76 Hatchuel A. 164 Hattie 397 Hauser G. 170 Honneth A. 249 Houle C. 321, 391 Huteau M. 564–565
I
Lauzon N. 223 Laville A. 183-184 Layec J. 560 Le Boterf G. 78, 275, 404, 407, 411, 415, 417, 419, 445, 549, 593 Lebrun M. 509, 528 Leclercq V. 621 Le Deuff O. 532 Legrand J.L. 351 Le Grand J.L. 351
Igalens J. 139, 153
Legrand M. 351
J
Le Ny J.F. 317
Jacques E. 247
Lejeune P. 352 Léon A. 56, 385, 557
Jeger F. 78
Leplat J. 275
Jeunesse C. 501, 533
Lesne M. 47, 312
Jézégou A. 373
Levinson D. 244
Jobert G. 350, 449
Lewin K. 613
Joffre P. 121
Lhotel H. 83
Jorion P. 494
Lhotellier A. 558
Josso C. 350, 352
Lichtenberger Y. 171 Liétard B. 406, 569 663
Traité des sciences et des techniques de la formation
Lieury A. 303, 398
Mosconi N. 371
Lindeman E. 391
Mugny G. 332
Loarer E. 253, 260, 264
N
Long H. 391 Luttringer J.M. 103
Naville P. 93
M
Niewiadomski C. 358
Maître F. 170
Not L. 389
Malglaive G. 164, 275, 593
Nuttin J. 325
Maroy C. 89
O
Marquié J.C. 260, 265 Masingue B. 170, 425 Maslow A. 318
Olry P. 467 Ouellet S. 180
Maubant P. 390
P
Maurin E. 72, 75
Palazzeschi Y. 51, 161
Mauss M. 608
Passeron J.C. 96
Mayen P. 467, 469
Pastré P. 460, 462–463, 467, 469–470, 477, 479
Mead M. 240 Méhaut P. 80 Meignant A. 504, 515, 594 Meirieu P. 327 Merle V. 574, 577 Meron M. 217 Merton R.K. 607 Meyerson 388 Mezirow J. 352, 393, 585 Mialaret G. 36, 314, 385 Minvielle Y. 593 Moisan A. 313, 391, 505 Mollo V. 183, 187
Perez C. 87 Perriault J. 526 Péry N. 577 Petot J.M. 315 Piaget J. 385, 387, 398, 451, 458, 479 Pieuchot L. 74 Pineau G. 347, 350–352, 374, 585 Podevin G. 75 Poirier J. 350 Poisson D. 313, 327, 391, 505 Pottier E. 82 Pottier F. 74
Monnet J. 195, 206
Q
Monteil J.M. 334
Quiamzade A. 336
Montmollin M. de) 275 664
Nascimento 187
Index des noms propres
R
Skinner B.F. 314, 386, 503
Rabanes P. 80
Solar C. 211, 223, 324
Rabardel P. 526
Solazzi R. 557
Rafinon E. 79
Sommet N. 335
Rawls J. 74
Stankiewicz F. 76
Reuchlin M. 318
Sullerot E. 561
Rey B. 283
T
Ricœur P. 360, 461
Taylor F.W. 162
Rieunier A. 383, 504
Teiger C. 175, 177, 180–181, 183–185
Riverin-Simard D. 244
Terrot N. 56, 59, 161
Robin G. 352
Thébault J. 268
Rogalski J. 182
Thrun S. 524
Rogers C. 388, 399, 559
Tolman 319
Roussel J.F. 223, 537, 549
Tough A. 376, 391, 393
Rousset P. 82
Trekker A. 352
Ryan R. 318, 321, 326–327, 396–397, 399
Tricot A. 526
S
U
Sainsaulieu R. de 94, 170
Union européenne 197
Saint-Vincent M. 186
V
Sautebin M.T. 352
Vatier R. 47
Schaeffer J.M. 495
Vautrin G. 80
Schaie K.W. 257
Vergnaud G. 476, 479, 629
Schön D.A. 171, 183, 495
Véro J. 82
Schuman R. 195
Vézina N. 180, 184
Schunk D. 388
Vialet F. 412, 593
Schwartz B. 36, 47, 113, 309, 391, 395, 399, 637
Vidal C. 175
Séchaud P. 82
Vidal-Gomel C. 180, 182
Senge P. 171
Villers G. de 350
Sharan S. 331
Vincens J. 72, 74
Sheffknecht 36
Voisin A. 69, 71, 123, 647
Siemens G. 524
Vonderscher M.J. 593
Six-Touchard 183
Vygotski L.S. 387, 458, 460, 532, 584
Vidal F. 170
665
Traité des sciences et des techniques de la formation
W
Z
Wallon H. 385, 388
Zarifian P. 148
Weber M. 163, 165
Zilberberg A. 78
Weiner B. 317, 324
Zimmerman B. 388
Wenger E. 493
Zylberberg A 73
Werquin P. 572
666