Textes et documents d’histoire générale du 19e siècle 9783111666235, 9783111281513


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TABLE DES MATIÈRES
AYANT-PROPOS
I. UN POINT DE DÉPART : LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
II. RÉVOLUTION POLITIQUE : NATIONALITÉS ET LIBÉRALISME
III. RÉVOLUTION ÉCONOMIQUE ET IMPÉRIALISME COLONIAL
IV. LA QUESTION OUVRIÈRE : SOCIALISME ET SYNDICALISME
V. LES FORCES RELIGIEUSES ET LE MONDE MODERNE
VI. LA CRISE DE L'EUROPE
VII. ANNEXES
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TEXTES ET DOCUMENTS D'HISTOIRE GÉNÉRALE DU 19e SIÈCLE

PUBLICATIONS DE L'INSTITUT D'ETUDES POLITIQUES UNIVERSITE DE GRENOBLE

SÉRIE TEXTES ET DOCUMENTS VOLUME N° 2

PARIS

MOUTON & C'e

LA HAYE

PUBLICATIONS DE L'INSTITUT D'ETUDES POLITIQUES UNIVERSITE DE GRENOBLE

TEXTES ET DOCUMENTS D'HISTOIRE GÉNÉRALE DU 19e SIÈCLE

présentés par

JEAN MACHU

PARIS

MOUTON & C Ie

LA HAYE

© MOUTON & Cié

TABLE DES MATIÈRES

Avant-propos

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I. UN POINT DE DÉPART : LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

1. Le monde et l'Europe à la fin des temps m o d e r n e s . . . . 2. L'héritage des temps modernes en Europe : Monarchie absolue et mercantilisme 3. La crise de l'Ancien Régime en France : L'économie et la société 4. Les idées et les faits à l'origine de la Révolution 5. La Révolution française 6. Napoléon

11 13 14 15 16 19

II. RÉVOLUTION POLITIQUE : NATIONALITÉS E T LIBÉRALISME

7. 8. 9. 10.

L'Europe en 1815 L'essor des nationalités (1815-1850) Des nationalités aux nationalismes (1850-1914) D u libéralisme à la démocratie. — Le contexte social : classes dirigeantes et paysannerie 11. Libéralisme des notables ou despotisme bureaucratique. 12. L'avènement de la démocratie politique

23 24 26 28 30 32

III. RÉVOLUTION ÉCONOMIQUE E T IMPÉRIALISME COLONIAL

13. 14. 15. 16. 17.

La révolution économique : Les conditions nouvelles.. La révolution économique : Les grandes phases L'expansion européenne : Les facteurs humains L'expansion européenne : Pour ou contre l'impérialisme. L'expansion européenne : Les politiques coloniales. . . .

37 39 42 45 47

IV. LA QUESTION OUVRIÈRE : SOCIALISME E T SYNDICALISME

18. 19. 20. 21.

La condition ouvrière Doctrines et partis socialistes L e syndicalisme Les résultats de l'action ouvrière

53 55 59 63

V. LES FORCES RELIGIEUSES E T LE MONDE MODERNE

22. Les églises devant le monde moderne : L'affrontement. 23. Réaction et renouveau

71 74

VI. LA CRISE DE L'EUROPE

24. Une primauté contestée 25. De l'équilibre à la guerre

81 84

VII. ANNEXES

Index des références Table des références

91 94

AYANT-PROPOS

L'ambition de ce livret n'est que pédagogique. Il ne s'agissait à l'origine que de rassembler sous une forme aisément accessible aux étudiants les « citations » illustrant un cours d'histoire générale du ig e siècle professé à l'institut d'études politiques de Grenoble. Les servitudes de l'enseignement font que la plupart d'entre elles sont lues trop rapidement pour pouvoir être retenues par l'auditoire. Mais, plutôt que de s'orienter vers la formule sommaire, et à bien des égards peu satisfaisante du cours polycopié, il a été jugé utile de présenter ce simple recueil de citations, sous la forme d'un dossier de textes courts, reliés par quelques phrases de présentation, qui de plus les insèrent dans la trame du cours. La collection ici rassemblée ne vise pas à l'originalité : la plupart des documents qui y figurent sont déjà contenus dans les excellents recueils mis à la disposition des étudiants et des professeurs. On n'en a retenu que de brefs passages, d'autant plus accessibles, d'autant plus significatifs aussi, qu'ils favorisent les rapprochements et les comparaisons. Ceux-ci doivent permettre plus qu'une illustration, une tentative de complément, de dépassement du cadre trop rigide du cours magistral. J. M.

I. Un point de départ La Révolution française

i. - Le monde et l'Europe à la fin des temps modernes En Asie, le déclin des grands empires est commencé. Ainsi, dès 1738, frappé par la décrépitude de l'empire ottoman, un diplomate français, le marquis ¿'ARGENSON, prédit les développements de la future « Question d'Orient ». La première grande révolution qui arrivera probablement en Europe sera la conquête de la Turquie. Cet empire devient trop faible par son mauvais gouvernement, par l'impossibilité qu'il devienne meilleur, la sûreté qu'il deviendra pire, l'entêtement des Turcs, l'inhabileté des chefs, leur ignorance... Vous avez l'Ëgypte qui sera probablement la première dépouille... On y planterait le bonheur et l'Évangile avec des mœurs douces, dès que la morale n'en est pas entendue par de maudits bigots [1]. Ailleurs, en Amérique et sur les franges asiatiques et africaines, l'Europe des empires coloniaux, des comptoirs, des mines, des plantations, a établi durement sa prééminence. Sans doute la « traite » dépeuple gravement l'Afrique, mais le bétail humain n'est pour le négociant négrier qu'une marchandise comme les autres. [En 1702,] l'on donne ordinairement pour un nègre « pièce d'Inde » (entre 15 et 35 ans, sans défauts) 10 pièces (du pays) 1/4. Pour une négresse pièce d'Inde 8 pièces 1/4... Les négrillons, mâles et femelles, depuis trois ans jusqu'à douze ou quatorze, valent depuis deux pièces jusqu'à six ou sept [2]. Dans l'Europe du 18e siècle, les querelles religieuses s'apaisent, les grands états s'organisent, les guerres, toujours nombreuses, se font moins dévastatrices. Le royaume de France y brille de tout l'éclat de sa prospérité et de sa culture, un contemporain écrit en 1774 : Jamais la France n'a été si riche et si abondante en toute sorte de manufactures, si ornée par la foule de ses savants, si bien cultivée

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dans les campagnes et si peuplée en habitants que sous le règne de Louis X V . Les armes n'ont pas été si brillantes, je l'avoue, mais elles n'ont pas eu les injustices, l'odieux et les dévastations de son prédécesseur [3]. Le cosmopolitisme des « philosophes » prédit déjà la fraternité et l'unité européenne. P o u r VOLTAIRE :

L'Europe est une espèce de grande république partagée entre plusieurs états, les uns monarchiques, les autres mixtes, ceux-ci aristocratiques, ceux-là populaires, mais tous correspondant les uns avec les autres, tous ayant un même fonds de religion, tous ayant les mêmes principes de droit public et de politique, inconnus des autres parties du monde [4]. P o u r ROUSSEAU :

Il n'y a plus aujourd'hui de Français, d'Espagnols, d'Anglais même, il n'y a plus que des Européens. Tous ont les mêmes goûts, les mêmes passions, les mêmes mœurs, parce qu'aucun n'a reçu de forme nationale par une institution particulière [5]. Mais les véritables détenteurs du pouvoir demeurent bien souvent fidèles aux vieilles leçons du machiavélisme politique. FRÉDÉRIC II, en 1756, instruit ainsi son héritier. Quand la Prusse, mon cher neveu, aura fait sa fortune, elle pourra se donner un air de bonne foi et de constance qui ne convient tout au plus qu'aux grands états et aux petits souverains. Je vous ai dit, qui dit politique dit presque coquinerie et cela est vrai. Cependant vous trouverez sur cela des gens de bonne foi qui se sont fait certains systèmes de probité [6]. Finalement, la raison d'état ne peut guère aller au delà de cette notion toute récente et pragmatique de /'« équilibre européen ».

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2. - L'héritage des temps modernes en Europe : Monarchie absolue et mercantilisme L'Ancien Régime avait su parvenir à une définition de l'État, la monarchie absolue, et donner à cet État, par le mercantilisme, les moyens de la puissance. Le concept de monarchie absolue est fixé très tôt; au début du /7E siècle, le juriste LE BRET lui donne une rigueur mathématique... L e roi est le seul souverain en son royaume. La souveraineté n'est non plus divisible que le point en la géométrie [7]. ... et BOSSUET, un demi siècle plus tard, ne peut que l'expliciter plus largement. Tout l'État est en lui, la volonté du peuple est enfermée en la sienne. Comme en Dieu est réunie toute perfection et toute vertu, ainsi toute la puissance des particuliers est réunie en celle du Prince [8]. C'est du « droit divin » que les rois tirent, avec leur légitimité, la conscience de leurs responsabilités : ainsi chez HENRI IV... Je fais ce que je veux parce que je fais ce que je dois [9]. ... et aussi, avec Louis X I V , le sentiment d'une destinée hors de pair. Les rois doivent pour ainsi dire un compte public de toutes leurs actions à tout l'univers et à tous les siècles et ne peuvent toutefois le rendre à qui que ce soit dans le temps même, sans manquer à leurs plus grands intérêts et découvrir le secret de leur conduite... Un roi, quelque habiles et éclairés que soient ses ministres, ne porte point lui-même la main à l'ouvrage sans qu'il y paraisse [10]. Quant au mercantilisme, qui pourrait, sinon COLBERT, en fournir la définition et en prédire les avantages. Je crois que l'on demeurera facilement d'accord avec ce principe, qu'il n'y a que l'abondance d'argent dans un État qui fasse la différence de sa grandeur et de sa puissance ... Outre les grands avantages que produira l'entrée d'une plus grande quantité d'argent comptant dans le royaume, il est certain que, par les manufactures, un million

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de peuples qui languissent dans la fainéantise gagneront leur vie; qu'un nombre aussi considérable gagnera sa vie dans la navigation et sur les ports de mer; que la multiplication presque à l'infini des vaisseaux multipliera de même la grandeur et la puissance de l'État. Voilà, à mon sens, les fins auxquelles doivent tendre l'application du roi, sa bonté et son amour pour ses peuples [ n ] . Mais la logique du système colbertiste entraîne l'active intervention de l'État auprès de tous les rouages de la vie économique. Le commis de Sa Majesté fera assembler les jurés (des corporations) et leur fera lecture du dit règlement; expliquera sur chaque article ce qu'ils doivent faire pour le bien exécuter et leur fera connaître que s'ils contreviennent il s'ensuivra infailliblement leur ruine [12].

3. - La crise de l'Ancien Régime en France : L'économie et la société Sans doute, existe-t-il déjà quelques entreprises modernes, qui témoignent d'un début de révolution économique : ainsi les forges du CREUSOT. L'établissement n'emploie pas d'autre combustible que le charbon de terre, dont les mines existent sans être exploitées, dans presque toutes les provinces du royaume, tandis que le bois, dont la disette commence à s'apercevoir, est le seul aliment des autres forges de France... les machines à feu qui font mouvoir les soufflets, les marteaux et les foreries suppléent aux cours d'eau dont se servent les autres forges du royaume. Les chemins de fer que l'on a fait à Montcenis à l'imitation de ceux d'Angleterre, paraissent au premier coup d'œil, comme les machines à feu, très dispendieux; mais lorsque l'on voit sur les chemins (de fer) un seul cheval traîner le poids de cinq chevaux, on cesse de s'alarmer sur le sort d'une pareille mise hors (mise de fonds) [13]. Mais la production industrielle demeure, pour l'essentiel, issue de l'artisanat. Quant à l'agriculture, ARTHUR Y O U N G dénonce son caractère routinier et ses exploitations parcellaires, qui vont de pair avec une population rurale pléthorique. Moins d'un quart de la population habite dans les villes... je suis

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bien porté à rattacher ce fait au manque d'efficacité et de succès de son agriculture ... qui résulte de l'extrême division du sol, réparti en petites propriétés. Il apparaît également que les villes ne sont pas assez considérables, pour donner de l'animation et de la vigueur à l'industrie du pays ... une industrie vraiment active, proportionnée aux ressources du royaume, aurait dû depuis longtemps avoir purgé la campagne [14]. Mais le malaise social est plus grave encore-, noblesse et bourgeoisie s'affrontent. Le PARLEMENT de PARIS exige du roi le maintien des privilèges aristocratiques... La monarchie française, de par sa condition, est composée de plusieurs états distincts et séparés. Cette distinction des conditions et des personnes prend à l'origine de la nation ; elle est née avec ses mœurs ; elle est la chaîne précieuse qui lie le souverain à ses sujets ... si l'on dégrade la noblesse, elle perdra bientôt son esprit, son courage, et cette élévation d'âme qui la caractérise [15]. ... tandis que s'affirme l'orgueil bourgeois, conscient de sa puissance économique, et d'autant plus affamé de prestige social et de pouvoir politique. Tel le négociant de SEDAINE. ... Qui, d'un trait de plume, se fait obéir d'un bout de l'univers à l'autre ! Son nom, son seing, n'a pas besoin, comme la monnaie d'un souverain, que la valeur du métal serve de caution à l'empreinte; sa puissance a tout fait, il a signé, cela suffit [16].

4. - Les idées et les faits à de la

l'origine

Révolution

Pour MONTESQUIEU, la loi, exigence naturelle et nécessité raisonnable, se situe à un plan qui domine la volonté royale. Les lois, dans la signification la plus étendue, sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses... ... La loi, en général, est la raison humaine en tant qu'elle gouverne tous les peuples de la terre [17]. ROUSSEAU va plus loin ; en critiquant les liens de dépendance entre les

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hommes et le droit de propriété, il remet en cause les bases mêmes de la société. Dès l'instant qu'un homme eut besoin du secours d'un autre, dès qu'on s'aperçut qu'il était utile à un seul d'avoir des provisions pour deux, l'égalité disparut, la propriété s'introduisit, le travail devint nécessaire, et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu'il fallut arroser de la sueur des hommes, et dans lesquelles on vit bientôt l'esclavage et la misère germer et croître avec les moissons [18]. Mais, aux sources de la Révolution, à la réflexion théorique s'ajoute Vexemple concret ; la Grande Bretagne surtout a retenu l'attention des « philosophes ». L'aristocratie y a souvent montré le chemin du progrès économique. Les grosses exploitations ont été l'âme de l'agriculture du Norfolk; divisez les grands domaines en des tenures d'une valeur de cent livres par an et vous ne trouverez plus que des mendiants et des mauvaises herbes à travers toute la région. [19]. Elle a aussi imposé au souverain, par /'« habeas corpus », une définition empirique mais précise des « droits naturels ». Voici à quoi la législation anglaise est enfin parvenue : à remettre chaque homme dans tous les droits de la nature... ces droits sont : liberté entière de sa personne, de ses biens, de parler à la nation par l'organe de sa plume, de ne pouvoir être jugé en matière criminelle que par un jury formé d'hommes indépendants, de ne pouvoir être jugé en aucun cas que suivant les termes précis de la loi, de professer en paix quelque religion qu'on veuille, en renonçant aux emplois dont les seuls anglicans peuvent être pourvus [20].

5. - La Révolution française Elle ne peut être considérée isolément. On a déjà vu l'influence de la tradition libérale de la Grande-Bretagne. Qu'on songe à l'écho plus immédiat de la D É C L A R A T I O N D'INDÉPENDANCE DES É T A T S - U N I S . Tous les hommes ont été créés égaux, ils sont doués par leur Créa-

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teur de certains droits inaliénables; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté, et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés [21]. Très vite, la pesée des périls conduit la Révolution aux extrêmes. ROBESPIERRE, dans un rapport présenté à la Convention le 25 décembre 1793, définit l'arme essentielle du salut public, la Terreur... Sous le régime constitutionnel, il suffit presque de protéger les individus contre l'abus de la puissance publique; sous le régime révolutionnaire, la puissance publique elle-même est obligée de se défendre contre toutes les factions qui l'attaquent. L e gouvernement révolutionnaire doit aux bons citoyens toute la protection nationale; il ne doit aux ennemis du peuple que la mort [22]. ... et COUTHON, quelques mois plus tard, lui fait écho brutalement, lors de la discussion sur la loi « du s2 prairial an II ». L e délai pour punir les ennemis de la patrie ne doit être que le temps de les reconnaître; il s'agit moins de les punir que de les anéantir [23]. Déplus, la misère du peuple parisien soulève, au delà de la lutte politique, une marée confuse de revendications sociales et économiques. Mandataires du peuple... Prenez-y garde, les amis de l'égalité ne seront pas les dupes des charlatans qui veulent les assiéger par la famine, de ces vils accapareurs dont les magasins sont des repaires de filoux... Il ne faut pas craindre d'encourir la haine des riches, c'est à dire des méchants; il faut tout sacrifier au bonheur du peuple [24]. Mais que reste-t-il d'acquis, après le reflux de la marée révolutionnaire? La définition de l'égalité des droits civils... Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits; les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune [25]. ... l'affirmation du libéralisme économique, jusque dans ses conséquences sociales les plus rigoureuses... Si, contre les principes de la liberté et de la constitution, des citoyens attachés aux mêmes professions, arts et métiers, prenaient des déli-

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bérations ou faisaient entre eux des conventions tendant à refuser de concert, ou à n'accorder qu'à un prix déterminé le secours de leur industrie ou de leurs travaux, les dites délibérations ou conventions sont déclarées inconstitutionnelles, attentatoires à la liberté et à la déclaration des droits de l'homme, et de nul effet [26]. ... la conscience de l'unité nationale. Dès ce moment jusqu'à celui où les ennemis auront été chassés du territoire de la République, tous les Français sont en réquisition permanente pour le service des armées. Les jeunes gens iront au combat, les hommes mariés... les femmes... les enfants... les vieillards se feront porter sur les places publiques pour exciter le courage des guerriers, prêcher la haine des rois et l'unité de la République [27]. Vers l'Europe, la « Grande Nation » tourne un visage qui, avec le temps, n'est pas sans contradictions, d'abord résolument pacifique... L'Assemblée nationale déclare que la nation française renonce à entreprendre aucune guerre dans la vue de faire des conquêtes, et qu'elle n'emploiera jamais ses forces contre la liberté d'aucun peuple. [28] ... il reflète ensuite l'ivresse de la croisade libératrice... La Convention nationale déclare, au nom de la nation française, qu'elle accordera fraternité et secours à tous les peuples qui voudront recouvrer leur liberté [29]. ... pour traduire enfin les dures exigences du conquérant. La première opération à faire surtout est le désarmement total des habitants... Il faut en même temps défendre sous peine de mort aux citoyens tout rassemblement de plus de trois personnes... Vous prendrez ensuite des otages... C'est alors que vous vous expliquerez sur la quotité des contributions, qui doivent être levées exclusivement sur les riches... Il faut en outre tirer de ce pays... tout ce qui peut servir à la consommation des armées de la République et d'aliments à nos manufactures. On ne doit point mettre de dureté dans les manières, mais beaucoup de sévérité dans l'exécution... [30].

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6. - Napoléon Le personnage fait éclater les cadres habituels de la dimension historique. Le témoignage d'autrui n'est pas nécessaire ; c'est à travers les propos de NAPOLÉON lui-même que le portrait est le plus fidèlement dessiné. Le trait capital est peut-être cette puissance de l'imagination qui recule indéfiniment les limites du possible qu'il s'agisse de conquêtes politiques... Une armée de cinquante mille hommes, russe, française, peut-être même un peu autrichienne, ne serait pas arrivée sur l'Euphrate qu'elle ferait trembler l'Angleterre et la mettrait à genoux... Votre Majesté et moi aurions préféré la douceur de la paix et de passer notre vie au milieu de nos vastes empires, occupés de les vivifier et de les rendre heureux par les arts et les bienfaits de l'Administration : les ennemis du monde ne le veulent pas. Il faut être plus grands malgré nous. Il est de la sagesse de faire ce que le destin ordonne et d'aller où la marche irrésistible des événements nous conduit... L'ouvrage de Tilsitt réglera les destins du monde [31]. ... ou d'autorité spirituelle. A l'avenir les papes devront me prêter serment comme ils le prêtaient à Charlemagne et à ses prédécesseurs. Ils ne seront installés qu'après mon approbation, ainsi qu'ils étaient confirmés par les empereurs de Constantinople [32]. Au service de cette démesure de l'ambition, l'humanité n'est qu'un simple instrument du pouvoir. Un ordre supérieur s'impose à elle : inspiré par une Église fidèle... Demande : N'y a-t-il pas des motifs particuliers qui doivent plus fortement nous attacher à Napoléon I e r , notre Empereur ? Réponse : Oui, car il est celui que Dieu a institué dans des circonstances difficiles pour établir le culte public de la religion sainte de nos pères, et pour en être le protecteur. Il a ramené et conservé l'ordre public par sa sagesse profonde et active; il défend l'État par son bras puissant; il est devenu l'oint du Seigneur par la consécration qu'il a reçue du Souverain Pontife, chef de l'Église Universelle [33].

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... enseigné par une Université docile. Je veux trouver dans ce corps même (de l'Université) une garantie contre les théories pernicieuses et subversives de l'ordre social [34]. ... suggéré par une presse domestiquée. Mon intention est que vous fassiez appeler les rédacteurs du Journal des Débats, du Publiciste et de la Gazette de France... pour leur déclarer que... le temps de la Révolution est fini, et qu'il n'y a plus en France qu'un parti; que je ne souffrirai jamais que les journaux disent ou fassent rien contre mes intérêts; qu'ils pourront faire quelques petits articles où ils pourront mettre un peu de venin, mais qu'un beau matin, on leur fermera la bouche. Nous sommes en 1809. Je pense qu'il serait utile de faire faire quelques articles bien faits, qui comparent les malheurs qui ont affligé la France en 1709 avec la situation prospère de l'Empire en 1809

[35lAu demeurant, les hommes peuvent être sacrifiés froidement au succès d'une politique ; ainsi ce propos de 1808, au sujet de la guerre d'Espagne. Si ceci devait me coûter quatre-vingt mille hommes, je ne le ferais pas, mais il ne m'en faudra pas douze mille; c'est un enfantillage [36].

II. Révolution politique Nationalités et libéralisme

7- - L'Europe en 1815 Aux yeux de l'Europe monarchique, seule la chute de Napoléon permet de clore l'ère du dérèglement révolutionnaire. Théoriciens et politiques sont d'accord : c'est l'incarnation du Mal qu'il a fallu écraser. La sentence de JOSEPH DE MAISTRE...

Ce qui distingue la Révolution française et ce qui en fait un événement unique dans l'histoire, c'est qu'elle est mauvaise radicalement... C'est le plus haut degré de corruption connu, c'est de la pure impureté [37]. ... est préfigurée

par

la DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT BRITANNIQUE

du 2g octobre 1793. Cet état de choses ne peut exister en France sans entraîner toutes les puissances environnantes dans un même danger commun, sans leur donner le droit, sans leur imposer comme devoir d'arrêter la progression de ce mal qui n'existe que par la violation successive de toute loi et de toute propriété et qui attaque les principes fondamentaux qui unissent l'humanité dans les liens de la société civique [38]Le règne de la raison et de l'individu s'achève, la tradition et l'ordre reprennent leur place. Dans la société, il n'y a pas de droits [pour l'individu], il n'y a que des devoirs... j'ai voulu faire la philosophie de l'homme social, du nous, si je peux ainsi parler... l'homme n'existe que pour la société, la société ne le forme que pour elle-même... Je reconnais en politique une autorité incontestable qui est celle de l'histoire [39]. Cet idéal, le TRAITÉ DE LA SAINTE ALLIANCE se propose de le promouvoir

dans les faits. Conformément aux paroles des Saintes Écritures qui ordonnent

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Révolution politique

à tous les hommes de se regarder commes frères, les trois monarques demeureront unis par les liens d'une fraternité véritable et indissoluble et, se considérant comme compatriotes, ils se prêteront en toute occasion et en tout lieu assistance, aide et secours; se regardant envers leurs sujets comme pères de famille, ils les dirigeront dans le même esprit de fraternité... L e seul principe en vigueur, soit entre lesdits gouvernements, soit entre leurs sujets, sera de se rendre réciproquement service... de ne considérer tous que comme membres d'une même nation chrétienne, les trois princes alliés ne s'envisageant euxmêmes que comme délégués de la Providence pour gouverner trois branches d'une même famille [40]. Mais la réalité diplomatique est moins ambitieuse; à l'écart de tout mysticisme, le PACTE DE CHAUMONT travaillait plus concrètement à cet « équilibre européen » déjà prôné au 18e siècle. [Préambule]... dans le but salutaire de mettre fin aux malheurs de l'Europe, d'en assurer le repos futur par un juste équilibre des puissances. Art. X V I . — L e présent traité d'alliance défensive ayant pour but de maintenir l'équilibre en Europe, d'assurer le repos et l'indépendance des puissances... [41].

8. - L'essor des nationalités

(1815-1850)

Le choc de la Révolution française, et aussi la poussée romantique, contribuent à expliquer l'éveil des nationalités. Ainsi, que reste-t-il en Allemagne, après 1813, du cosmopolitisme du 18e siècle? Pourtant, le poète LESSING avait pu écrire, lors de la guerre de Sept ans. L a réputation de patriote est la dernière que j'ambitionnerais, si le patriotisme devait m'apprendre à oublier que je dois être un citoyen du monde [42]. Mais, à peine un demi siècle plus tard, FICHTE déclarait à l'Académie de Berlin. Si vous reprenez courage, vous verrez naître autour de vous une race qui assurera aux Allemands la mémoire la plus glorieuse. Vous

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pouvez voir, par les yeux de l'esprit, cette génération rendre le peuple allemand illustre entre tous les peuples et la nation allemande devenir la rénovatrice et la régénératrice du monde... C'est vous qui, parmi tous les peuples modernes, possédez le plus nettement le germe de la perfectibilité humaine et à qui revient la préséance dans le développement de l'humanité [43]. Qu'on mesure combien la route est brève de la prise de conscience nationale à l'exaltation nationaliste ! Sans doute, dans l'immédiat, des princes ont cherché à canaliser à leur profit le courant national. Et ainsi, habitants de ces pays [rhénans], j'arrive maintenant avec confiance parmi vous, je vous rends à votre patrie allemande, à une vieille famille régnante allemande, et je vous appelle Prussiens! [44]. Mais des voix autorisése rejettaient par avance ces prétentions abusives. Je n'ai qu'une patrie qui s'appelle l'Allemagne, et c'est à elle que j'ai voué l'attachement de mon cœur. En ce moment où se déroulent de si grands événements, les dynasties me sont complètement indifférentes... On ne saurait maintenir des formes désuètes et périmées [45]L'éveil des nationalités présageait aussi de nouvelles complications internationales. Querelles de voisinage envenimées par la fièvre nationaliste : Ils ne l'auront pas le libre Rhin allemand Quoique, semblables à des corbeaux avides, Ils s'enrouent à le réclamer [46]. Nous l'avons eu, votre Rhin allemand. Son sein porte une plaie ouverte, Du jour où Condé triomphant A déchiré sa robe verte. Où le père a passé, passera bien l'enfant [47]. Colère de peuples maintenus divisés par une domination étrangère : Nous sommes un peuple de vingt et un à vingt-deux millions d'hommes désignés depuis un temps immémorial sous un même

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nom — celui de peuple italien — renfermés entre les limites naturelles les plus précises que Dieu ait jamais tracées... parlant la même langue... ayant les mêmes croyances, les mêmes mœurs, les mêmes habitudes... fiers du plus glorieux passé politique, scientifique, artistique, qui soit connu dans l'histoire européenne... Nous n'avons pas de drapeau, pas de nom politique... nous sommes démembrés en huit états... Il n'y existe ni liberté de presse, ni d'association, ni de parole, ni de pétition collective, ni d'introduction de livres étrangers, ni d'éducation; rien [48].

9. - Des nationalités aux nationalismes (1850-1914) La réalisation des aspirations nationales a été l'une des grandes acquisitions du ige siècle, au moins en Europe. Sans doute, il demeurait des problèmes non résolus, ainsi en Autriche-Hongrie. Tchèques et Allemands, Polonais et Ruthènes, Slovènes et Italiens se disputaient sans cesse... le but (des cabinets autrichiens) était de maintenir un équilibre de mécontentement entre toutes les races, et de contenter l'une en indisposant l'autre, s'inspirant en cela du proverbe dalmate : « un mal partagé est un demi-bonheur » [49]. Mais la déclaration du PRÉSIDENT W I L S O N dite des paraît apporter une solution définitive.

QUATORZE POINTS,

... N° 7 : Restauration de la Belgique, sans aucune tentative pour limiter sa souveraineté. N ° 8 : Répartition du tort fait à la France, en 1871, en ce qui concerne l'Alsace-Lorraine. N° 9 : Rajustement des frontières italiennes suivant les lignes des nationalités clairement reconnaissables. N° 10 : Assurance d'un développement autonome pour tous les peuples de l'Autriche-Hongrie. ... N° 13 : Reconstitution d'une Pologne indépendante comprenant les territoires habités par les peuples polonais [50]. Cependant, ne cessent de s'opposer deux conceptions fondamentales de Vidée de nation : celle qui fait d'un peuple une communauté de race

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et de sang, ses origines se devinent, dès l'aube du siècle, chez FICHTE (voir le précédent chapitre) ; elle s'épanouit dans les thèses pangertnanistes, dont BISMARCK, disgracié et vieilli, se fait l'avocat. L e Germain qui reste pur de tout alliage slave ou celtique... quand il s'allie aux autres races, arrive toujours, pourvu qu'il ait la patience et l'endurance nécessaires, à devenir le chef, la volonté directrice. Je ne veux pas offenser les Slaves... mais nous l'emportons toujours et c'est pourquoi je voudrais vous dire : quand vous avez à faire à vos rivaux slaves... gardez toujours la conviction profonde mais secrète, que vous êtes au fond leurs supérieurs et que vous l'êtes à jamais [51]. .. Celle qui voit dans une nation une volonté commune, reposant sur un capital partagé d'idées et de sentiments. En i8yo, l'historien français FUSTEL DE COULANGES l'explicite et la défend, dans une lettre à son collègue allemand Mommsen. Vous invoquez le principe de nationalité, mais vous le comprenez autrement que toute l'Europe. Suivant vous, ce principe autoriserait un État puissant à s'emparer d'une province par la force, à la seule condition d'affirmer que cette province est occupée par la même race que cet État... Ce qui distingue les nations, ce n'est ni la race, ni la langue. Les hommes sentent dans leur cœur qu'ils sont un même peuple lorsqu'ils ont une communauté d'idées, d'intérêts d'affections, de souvenirs et d'espérances. Voilà ce qui fait la patrie... La patrie c'est ce que l'on aime. Il se peut que l'Alsace soit allemande par la race et par la langue; mais par la nationalité et le sentiment de la patrie, elle est française. Et savez-vous ce qui l'a rendue française ? Ce n'est pas Louis X I V , c'est notre Révolution de 1789 [52]. Enfin, hors d'Europe, déjà s'affirment de jeunes peuples, qui eux aussi cèdent vite à l'exaltation nationaliste. Tous (les Américains)... sont patriotes; et il y a encore de l'énorme, de l'effréné, de l'immodéré dans leur patriotisme. Quelques hommes d'élite ont un sentiment éclairé et juste de la gradeur de leur patrie : ils ne croient pas nécessaire de mépriser les autres patries. La masse n'y met pas cette discrétion [53].

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10. - Du libéralisme à la démocratie — Le contexte social : classes dirigeantes et paysannerie L'évolution déjà sensible à la fin du 18e siècle s'accélère. En France, l'ancienne aristocratie disparaît pour n'avoir, selon le mot du COMTE D'ARTOIS en 1814 : « rien appris et rien oublié ». Ailleurs en Europe, son dynamisme n'est, bien souvent, plus à la hauteur de son prestige social et de son rôle politique. L'aristocratie... vit dans les grandes villes ou dans les villas somptueuses qui les entourent, et au lieu de s'occuper du soin de ses propriétés rurales, évite de les visiter et en laisse le soin à ses intendants. L'unique souci du grand propriétaire est de tirer un revenu fixe de ses domaines pour soutenir une vie de dépenses au-delà de ses ressources réelles. Surtout il tient à n'avoir aucune avance coûteuse à faire pour l'amélioration de propriétés auxquelles il ne s'intéresse aucunement [54]. Il est des exceptions, en Europe du Nord, et particulièrement en Angleterre où la « gentry » demeure le fondement d'une société de notables... Dans chaque commune, dans chaque comté, il y a des familles autour desquelles les autres viennent se grouper; des hommes importants, gentlemen et noblemen, qui prennent la direction et l'initiative, en qui l'on a confiance, que l'on suit, désignés d'avance par leur rang, leur fortune, leur éducation et leur influence [55]. ... même si les privilèges aristocratiques sont parfois vigoureusement attaqués. Il coûte aussi cher d'entretenir un duc que deux dreadnoughts (cuirassés). Les ducs inspirent autant de crainte et ils durent plus longtemps [56]. La bourgeoisie ne s'endort pas sur ses conquêtes du début du siècle... Ces gens-ci n'ont pas un moment à eux. Ils travaillent comme s'ils devaient devenir riches ce soir et mourir demain. Ce sont en général des hommes très intelligents, mais à la manière des Américains [57].

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... mais TOCQUEVILLE, avant Marx, redoute ses appétits de nouvelle classe dominante. L'aristocratie territoriale des siècles passés était obligée par la loi, ou se croyait obligée par les mœurs, de venir au secours de ses serviteurs et de soulager leurs misères. Mais l'aristocratie manufacturière de nos jours, après avoir abruti les hommes dont elle se sert, les livre en temps de crise à la charité publique pour les nourrir... Je pense, qu'à tout prendre, l'aristocratie manufacturière que nous voyons s'élever sous nos yeux est une des plus dures qui aient paru sur terre, mais elle est en même temps une des plus restreintes et des moins dangereuses. Toutefois, c'est de ce côté que les amis de la démocratie doivent sans cesse tourner avec inquiétude leurs regards; car si jamais l'inégalité permanente des conditions et l'aristocratie pénètrent de nouveau dans le monde, on peut prédire qu'elles y entreront par cette porte [58]. Les masses paysannes, qui constituent encore un peu partout la part la plus nombreuse de la population, sont à elles seules un monde très divers ; un abîme social sépare le « farmer » anglais du tenancier irlandais. Les fermiers de l'Angleterre... possèdent, à surface égale, le même revenu que nos propriétaires français au moins... De là l'importance sociale de cette classe qui n'est pas moins assise sur le sol que la propriété elle-même... Ils vivent pour la plupart dans une aisance modeste, mais confortable; ils sont abonnés aux journaux et aux revues, et peuvent faire paraître de temps en temps sur leur table la bouteille de « claret » ou de porto; leurs filles apprennent à jouer du piano [59]. Qu'on se représente quatre murs de boue desséchée... pour toit un peu de chaume, ou quelques coupures de gazon; pour cheminée un trou grossièrement pratiqué dans le toit, et le plus souvent la porte même du logis, par laquelle seule la fumée trouve une issue; une seule pièce contient le père, la mère, l'aïeul, les enfants; point de meubles dans ce pauvre réduit : une seule couche composée ordinairement d'herbes et de paille, sert à toute la famille... [60].

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Mais le problème essentiel est celui d'une difficile prise de conscience. Le paysan demeure-t-il enseveli dans une léthargie millénaire? La plaine sans borne sur laquelle se pressent les villages de bois couverts de chaume a la propriété pernicieuse de vider l'homme, d'épuiser en lui les désirs... et l'homme se rassasie de ce sentiment d'indifférence qui tue la capacité de pensée, de se rappeler ce qu'on a vécu et de tirer de l'expérience, des idées [61]. Ou Vespoir apparaît-il d'une ouverture vers les réalités modernes? De récolte en récolte, son labeur restant le même, le prix de son blé fléchit constamment... et le paysan ne s'incline plus ici comme devant la fatalité de la grêle ou de l'orage, de la sécheresse ou de la gelée. Il a le sentiment obscur que cette variation des prix est un fait social, un fait humain modifiable peut-être... Alors le paysan, pour la première fois, pressent l'étrange solidarité du monde humain [62].

11. - Libéralisme des notables ou despotisme bureaucratique Protéiforme, le courant romantique a pu tout aussi bien faire ressurgir les forces du passé que préparer les voies à celles de l'avenir. L e romantisme... n'est à tout prendre... que le libéralisme en littérature... L a liberté dans l'art, la liberté dans la société, voilà le double but... Cette voix haute et puissante du peuple, qui ressemble à celle de Dieu, veut désormais que la poésie ait la même valeur que la politique : T O L É R A N C E ET LIBERTÉ [63]. Mais la haute bourgeoisie, au pouvoir en Occident dans la première moitié du ige siècle, s'est surtout attachée à bien marquer les limites du libéralisme, à réprimer toute vélléité égalitaire, bref à « clore la Révolution ». L a Révolution a été dénaturée par la passion de l'égalité [64]. L'égalité est une oppression de tous par chacun. L a démocratie est la vulgarisation du despotisme [65].

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Et surtout

3i

GUIZOT :

Il n'y a plus de luttes entre les classes... La similitude des intérêts s'allie aujourd'hui chez nous, ce qui n'était encore jamais arrivé dans le monde, à la diversité des professions et à l'intégrité des conditions... L'électeur à 300 francs représente parfaitement l'électeur à 200 francs, à 100 francs. Il ne l'exclut pas; il le représente, il le protège, il le couvre, il ressent, il défend les mêmes intérêts... Je suis pour mon compte, ennemi décidé du suffrage universel. Je le regarde comme la ruine de la démocratie et de la liberté [66]. Pourtant, l'acquis est essentiel qu'il s'agisse de la conquête de la liberté de presse... Dans la pensée intime de la loi, il y a eu de l'imprévoyance, au grand jour de la création, à laisser l'homme s'échapper libre et intelligent au milieu de l'univers : de là sont sortis le mal et l'erreur. Une plus haute sagesse vient de réparer la faute de la Providence, restreindre sa libéralité imprudente et rendre à l'humanité sagement mutilée le service de l'élever enfin à l'heureuse innocence des brutes [67] ... ou de la définition du régime parlementaire. Un gouvernement ne doit pas persister à diriger les affaires, après un essai loyal, contre l'opinion nettement décidée de la Chambre des Communes, même lorsqu'il possède comme aujourd'hui la confiance du souverain et une majorité à la Chambre des Lords [68]. même si la réalité des faits demeure équivoque. C'est à travers cette foule que passaient les électeurs pour aller donner leur vote. Il est probable que le vote se donnait publiquementcar à chaque instant s'élevaient soit des bravos, soit des sifflets et des quolibets que les partisans des deux camps se renvoyaient assez régulièrement de minute en minute [69]. L e vérificateur des poids et mesures étant mort, dix électeurs vinrent me demander cette place, ayant chacun trois ou six voix dans sa poche et me mettant tous le marché en main. Le plus insolent fut un sieur Fusier, juge de paix de ma création au fils duquel j'avais fait donner six mois auparavant un brevet d'imprimeur... Je lui déclarai que j'avais promis à un autre et il courut sur la place

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faire alliance avec mes ennemis. Voilà ce qu'on appelle l'opinion publique [70]. Ailleurs, les grandes monarchies bureaucratiques maintiennent la tradition d'un despotisme parfois plus brutal qu'éclairé... La police peut jeter un homme en prison, le bannir, exercer sur lui une surveillance, lui refuser un passeport, lui assigner un lieu de résidence, le priver de ses droits civils, lui faire perdre son emploi, lui interdire de porter les armes ou de sortir de chez lui la nuit. Elle ouvre ses lettres à la poste, sans même s'en cacher; elle peut faire invasion dans son domicile, saisir ses papiers... [71]. ... et ne dédaignent pas de faire appel à l'antique loyalisme de droit divin. Je ne supporterai jamais qu'entre notre Seigneur Dieu dans le ciel et notre pays s'insinue une feuille de papier écrit... pour nous régir par ses paragraphes et les mettre à la place de la vieille fidélité... la Couronne... suivant la loi de Dieu et du pays, doit régner d'après sa libre décision, non d'après la volonté des majorités [72].

12. - L'avènement de la démocratie politique Avec le milieu du siècle, et surtout après l'explosion de 1848, il devient évident que le libéralisme ne peut avoir d'issue que dans la démocratie. Le régime monarchique, qu'il soit constitutionnel ou absolu, n'est qu'un état de transition... L'avenir logique de tous les gouvernements, c'est la république... Nous n'entendons pas vouloir ressusciter une république dans les formes anciennes, où l'aristocratie était tout, et où le peuple n'était rien. Elle doit être selon les idées de fraternité, de liberté et d'égalité désormais impérissables! [73] Sans doute, l'héritage du traditionnalisme, renforcé des thèses positivistes, trouve encore, au début du 20e siècle, d'éloquents interprètes. La politique est formée d'une vue limpide des choses et de la connaissance d'un petit nombre de principes qui ne sont pas faits de main

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d'homme, mais que l'expérience humaine, devenue peu à peu sagesse, a mises au jour lentement [74]. Mais Vattitude des régimes « d'autorité » est symptomatique ; le Second Empire, par exemple, se garde de contester les principes démocratiques. Il se contente d'en « aménager » l'application, qu'il s'agisse du droit de suffrage (« candidature officielle 11)... S'il n'y avait en France comme en Angleterre que des partis divisés sur la conduite des affaires, mais tous attachés à nos institutions fondamentales, le gouvernement pourrait se borner dans les élections à assister à la lutte des opinions diverses. Mais dans un pays comme le nôtre... ce jeu régulier des partis... ne pourrait dès aujourd'hui se reproduire qu'en prolongeant la révolution et en compromettant la liberté; car il y a chez nous des partis qui ne sont encore que des factions... Votre devoir, monsieur le Préfet, est tout naturellement tracé. Pénétré de l'esprit démocratique et libéral de nos institutions... laissez librement se produire toutes les candidatures... Veillez au maintien de l'ordre et de la régularité des opérations électorales... Le suffrage est libre. Mais enfin que la bonne foi des populations ne puisse être trompée par des habiletés de langage ou des professions de foi équivoques; désignez hautement, comme dans les élections précédentes, les candidats qui inspirent le plus confiance au gouvernement. Que les populations... se prononcent en toute liberté, mais en parfaite connaissance de cause [75]. ...ou de la liberté de presse (les « avertissements » ). V u l'article rendant compte de la séance impériale d'ouverture de la session, et dans lequel on lit : « L'Empereur a prononcé ensuite le discours que nous avons publié et qui « d'après l'agence Havas », a provoqué à plusieurs reprises les cris de « Vive l'Empereur! Vive l'Impératrice! Vive le Prince impérial! » Considérant que cette forme dubitative est inconcevable en présence de l'enthousiasme si éclatant que les paroles de l'Empereur ont inspiré aux grands corps de l'État et à tous les bons citoyens... [76]. Par delà les vicissitudes de la démocratie politique, d'aucuns ont voulu, très tôt, la compléter, l'élargir par l'émancipation économique et sociale des citoyens. JEAN JAURÈS pose une fois de plus le problème.

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Vous avez fait la République, et c'est votre honneur; vous l'avez faite inattaquable... indestructible, mais par là, vous avez institué entre l'ordre politique et l'ordre économique de notre pays une intolérable contradiction. Dans l'ordre politique, la nation est souveraine et elle a brisé toutes les oligarchies du passé; dans l'ordre économique la nation est soumise à beaucoup de ces oligarchies... Et puis vous avez fait les lois d'instruction. Dès lors comment voulezvous qu'à l'émancipation politique ne vienne pas s'ajouter, pour les travailleurs, l'émancipation sociale quand vous avez décrété et préparé vous-mêmes leur émancipation intellectuelle [77].

III. Révolution économique et impérialisme colonial

13- - La révolution économique du 19e siècle Les conditions nouvelles Un premier facteur favorable, Vaccélération du rythme de l'expansion démographique. POPULATION MONDIALE

1700-

600

M

1800- 900 1850-1200 1900-1550 1930-1800

M M M M

Dans cet essor, l'Europe est particulièrement favorisée, ainsi que le continent américain, son exutoire. RÉPARTITION DU PEUPLEMENT ENTRE LES CONTINENTS :

Europe Asie Afrique Amérique Océanie

1800 21 % 64.5 % 11 % 3 %

1850 22,5 % 64 % 8,5 % 5 %



1900 25.5 57 7.5 9 o,5



% % % % %

Cependant, à l'intérieur de l'Europe, les nations septentrionales s'accroissent, à cette époque, le plus rapidement.

1800 En recul

France Italie Autriche

15 % 9.2 % 15 %

En progrès :

Grande-Bretagne Allemagne Russie

9 13 21

% % %

1900 10 % 8,4 % 12 % io,6 % H 24

% %



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Ensuite, le perfectionnement des techniques : ainsi, la révolution des transports, la plus spectaculaire. Les travaux du chemin de fer du Central Pacific ne sont terminés encore que jusqu'à Argenti où nous avons dû nous mettre en « stage » (coach : diligence)... Quand j'aurai dit que ... pour arriver au Grand Lac Salé... il nous a fallu six jours et six nuits au travers d'un désert dans lequel nous avions pour toute route les traces des voitures précédentes, et qu'entre les 480 milles que nous avions maintenant derrière nous, nous aurons encore 200 milles à faire ainsi pour rejoindre le chemin de fer Union Pacific, on comprendra que je félicite ceux qui, à partir de l'été prochain, trouveront la voie ferrée complète de l'Atlantique jusqu'à la Californie [78]. Mais déjà, trente ans auparavant, en Angleterre... Cette joute extraordinaire avait attiré une foule immense de spectateurs ; la rapidité sans exemple de la « Nouveauté » et de la « Fusée » excitèrent l'étonnement et l'admiration de chacun... Ce fut un spectacle tout à fait nouveau que celui d'une voiture chargée de voyageurs, attachée à une machine se mouvant toute seule, et animée d'un mouvement de rotation assez rapide pour lui faire parcourir trente milles à l'heure [79]. ... les premières régions industrielles apparaissent. (Manchester, en juillet 1835)... La grande ville manufacturière des tissus, fils, cotons... à dix lieues du plus grand port de l'Angleterre, lequel est le port de l'Europe le mieux placé pour recevoir sûrement et en peu de temps les matières premières d'Amérique. A côté, les plus grandes mines de charbon de terre pour faire marcher à bas prix ces machines. A 25 lieues, l'endroit du monde où l'on fabrique le mieux ces machines. Trois canaux et un chemin de fer... A la tête des manufactures, la science, l'industrie, l'amour du gain, le capital anglais [80]. Puis, après la première révolution industrielle, celle du charbon, de la vapeur et de Vacier, apparaissent à la fin du siècle les prémices de la seconde, celle de l'électricité et de la chimie. Trente millions de chevaux-vapeur ont dormi depuis des milliers d'années dans les chutes de Norvège. A l'heure présente, plus d'un

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demi-million ont été éveillés à l'activité... La jeune Norvège industrielle est à peine âgée de dix ans. [81]. Cependant, les nécessités commerciales et financières provoquent les premières concentrations. Entre le Syndicat des houilles rhénan-westphalien d'une part, et les mines soussignées d'autre part, a été passé par devant notaire... un contrat ayant pour but de supprimer à l'avenir la concurrence déraisonnable sur le marché charbonnier. Les producteurs de charbonnages soussignés vendent la totalité de leur production en houilles, cokes et briquettes, au Syndicat des houilles rhénan-westphalien, qui contracte de son côté l'obligation de leur prendre et de revendre la totalité de leur production... [82]. Dernière condition : un tel développemevt n'eût pas été possible sans une mobilisation des capitaux et le perfectionnement des techniques du crédit, qu'il s'agisse de la généralisation de l'étalon-or, monnaie internationale... Le Japon se propose d'imiter en tout point les grandes puissances et de les rattraper dans la course vers la civilisation en faisant figurer la rente japonaise sur les cotes des bourses de Paris, Londres, NewYork ?... Il faut... avant tout munir le pays d'une circulation de monnaie saine. Voilà pourquoi le gouvernement japonais change l'étalon national et adopte la monnaie d'or. [83] ... ou de l'ampleur nouvelle des opérations boursières, après l'introduction des sociétés anonymes. OPÉRATIONS A LA BOURSE DE PARIS

1830-5 milliards d e fr. or

1850-9 1900-87

— —

14. - La révolution économique du 19e siècle : Les grandes phases Le développement économique n'est pas continu ; périodes de longue durée, crises cycliques, imposent des fluctuations. Ainsi, aux ÉTATS-UNIS, la CRISE de

1857.

4 octobre : La baisse de 30 % qui vient de se produire sur les actions

4o

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des chemins de fer américains a été suivie d'une crise monétaire qui affecte sérieusement l'existence des banques... et les faillites et suspensions de paiements se succèdent... 12 octobre. L'intensité de la crise monétaire n'a pas diminué... des travaux des chemins de fer sont interrompus, des fabriques s'arrêtent et des milliers d'ouvriers sont congédiés... Cause de la crise : ... la principale... dans la communauté commerciale des États-Unis, le crédit des uns ne s'appuie pas sur autre chose que le crédit des autres, et il suffit que la confiance fasse défaut à une petite portion de cette communauté, soit banque, soit compagnie, soit même individus isolés... 26 octobre. La crise continue et se développe... à New York seul, 30 000 ouvriers et employés sans emploi. Il n'est pas jusqu'à la culture de la terre que l'on ne s'empresse de restreindre... Mi-novembre. L'or commence à reparaître sur la place de New York... les actions des compagnies de chemin de fer ont remonté. Les Anglais envoient des métaux précieux pour acheter du coton du Sud et des actions des compagnies de chemin de fer... On calcule qu'en un an on pourra rétablir la balance entre les exportations et les importations, et les recettes et les dépenses des budgets publics et privés. [84] L'expansion, les crises, créent la nécessité d'une politique économique. On discute surtout des tarifs douaniers, protectionnisme traditionnel ou nouveauté du libre-échange. En Angleterre, dès 183g, C O B D E N lutte pour l'abolition des « lois sur les grains »... Cette assemblée de représentants de toutes les grandes branches de notre industrie et de notre commerce proclame avec solennité sa conviction que la prospérité des grands secteurs d'emploi de leur capital et de leur activité est en danger immédiat : et cela du fait des lois qui interdisent ou entravent l'échange de leurs produits contre le blé et les autres productions des nations étrangères, et ainsi freinent notre commerce, et élèvent artificiellement le prix des denrées alimentaires dans le pays. [85] ... et la prospérité victorienne paraît bien dans la logique de son succès. Actuellement, les cinq parties du monde sont nos tributaires volontaires. Les plaines de l'Amérique du Nord, la Russie, voilà nos champs de blé. Chicago, Odessa sont nos greniers. L e Canada, les pays bal-

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tiques, nos forêts. L'Australasie entretient nos stations de moutons. L'Amérique nos troupeaux de bœufs. Le Pérou nous expédie son argent. La Californie, l'Australie leur or. Les Chinois cultivent du thé pour nous et des Indes orientales affluent vers nos rivages le café, le sucre, les épices. La France et l'Espagne sont nos vignobles. La Méditerranée est notre verger. Notre coton, nous le tirons des États-Unis... [86], En France, le libre-échange imposé par Napoléon III en 1860 provoque de violentes protestations... Tout le monde attendait avec anxiété la date du IER octobre assignée comme l'époque fatale de l'introduction des tissus anglais... Dès cette époque nous avons eu dans nos deux villes de Roubaix et de Tourcoing une mévente presque complète... Jamais nos importations n'ont été plus accablantes. L'industrie française privée de ses débouchés habituels, écrasée par la concurrence étrangère éprouve les commencements d'une crise... En un mot les traités avec l'Angleterre et la Belgique ont déjà fait un mal immense sans réaliser aucune des espérances qu'en attendaient certains économistes [87]. ... et JULES M E L I N E peut, en i8gi, préparer le retour à la tradition protectionniste. Ces causes qui ont amené la crise agricole... sont aujourd'hui bien connues... Il y a d'abord le développement agricole considérable des nations de l'Europe centrale et occidentale... l'entrée en ligne de peuples jeunes, favorisés par la nature... Mais voilà tout à coup que le développement des moyens de transport et de communication, l'abaissement rapide du fret, mettent en quelques années les grands marchés à notre porte, si bien qu'on a pu voir les blés de l'Amérique et l'Inde arriver meilleur marché au Havre ou à Marseille que de nos principaux centres de production... Ce que nous avons à défendre par les tarifs de douane, c'est donc la main d'œuvre, c'est-à-dire le travail et le pain de nos ouvriers... C'est ... à relever (les salaires) que nous devons tendre toutes nos forces, et il n'y a qu'un moyen pour cela : c'est de maintenir le coût de nos produits à un taux suffisamment rémunérateur, en empêchant leur avilissement excessif par la concurrence étrangère [88].

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A la fin du siècle, les rivalités se font plus âpres. La crise de 1873 a révélé les difficultés britanniques... Nous avons montré... que, en raison de la conjoncture présente, la demande de nos produits n'augmente pas à la même cadence que précédemment ; que notre capacité de production est, en conséquence, trop forte pour nos besoins... que notre position de principale nation industrielle du monde n'est plus aussi indiscutée et que des nations étrangères commencent à entrer avec succès en compétition avec nous sur de nombreux marchés, dont nous avions le monopole jusque-là [89]. ... et les statistiques (1913) Bretagne...

confirment le recul relatif de la Grande-

CHARBON

États-Unis Grande-Bretagne Allemagne France

510 290 280 45

Mt Mt Mt Mt

ACIER

35 10,5 15 4,7

Mt Mt Mt Mt

... parmi les puissances qui montent, VAllemagne. Les Allemands ont compris la vie économique autrement que nous. La bourgeoisie allemande, par exemple, est infiniment plus portée que la bourgeoisie française à placer dans les entreprises industrielles et commerciales l'argent dont elle peut disposer. Les placements préférés des Français ont toujours été, et ils sont encore, des fonds d'État [90].

15. - L'expansion européenne : Les facteurs humains L'explorateur devient le héros du siècle ; il unit goût de l'aventure, désir d'exotisme, curiosité scientifique et prédication d'une morale humanitaire. Malgré Jules Verne, la réalité dépasse souvent la fiction romanesque; ainsi des « voyages » en Afrique, ce continent en pleine découverte.

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Je n'ignorais pas quel était le but de l'expédition. Mais nous pouvions en diminuer les horreurs, et nous nous décidâmes à accompagner le vizir. C'était d'ailleurs l'unique moyen d'étudier la communication qu'établit la Bénoué entre le bassin du Tchad et le Niger... Quel dommage d'être avec ces odieux chasseurs d'hommes, qui, sans égard pour la beauté du pays et le bonheur de ceux qui l'habitent, répandent la dévastation, uniquement pour s'enrichir... On avait pris mille esclaves, coupé froidement la jambe à cent soixante-dix hommes, laissant à l'hémorragie le soin de les achever [91]. A Vachèvement de la découverte du monde est parallèle cette fièvre d'émigration qui secoue l'Europe du 19e siècle ; proscrits de la politique, de l'économie, de la démographie, les émigrants n'ont rien à regretter. Là-bas, tout au bout de Hambourg, à Veddel, allons voir les émigrants qui partent pour l'Amérique du Nord. Ce sont eux qu'on trouve à l'origine de la fortune de la compagnie Hamburg-Amerika... Des groupes se promènent dans les allées semées de graviers. Certains vont pieds nus : des Croates ; d'autres sont chaussés de bottes à plis : Slovaques, Hongrois ; tous paraissent dans la force de l'âge. On n'en voit guère de plus de cinquante ans. Des enfants coiffés de la haute casquette des moujiks, prennent là-dessous des airs sérieux et réfléchis... A l'extrémité du réfectoire une petite estrade s'élève : c'est celle des musiciens pour le bal qui a lieu les jours de départ des bateaux. On veut faire oublier aux malheureux l'horreur de tant de misère et les distraire de la solennité impressionnante de leur départ vers l'inconnu [92]. On s'entend d'ailleurs à leur promettre monts et merveilles. Swan River est situé sous un climat tempéré et enchanteur, sur la côte ouest de l'Australie, par 32 0 de latitude Sud, à quatre-vingt-dix jours de mer de l'Angleterre, et le pays comprend des millions d'acres de beaux pâturages, entrecoupés de cours d'eau navigables, avec une moyenne de vingt cinq arbres à l'hectare. Le sol peut produire n'importe quelle céréale, et la colonie se trouvera située entre les marchés de Chine et des Indes. On projette l'établissement d'une ville nouvelle... Il n'y sera pas envoyé de forçats [93].

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Sans doute, la vie du pionnier est rude, mais le mirage des terres vierges le soutient dans sa lutte. Pour lui il y a toujours une terre promise plus à l'ouest, où le climat est plus doux, le sol plus fertile... et il va, il va toujours cherchant et n'atteignant jamais le lieu de ses rêves. Vous autres, dans les vieux États, vous pouvez difficilement concevoir à quel point c'est une chose normale pour un vieux colon que de vendre ses améliorations, d'atteler ses chevaux à sa grosse charrette et de faire avec sa femme et ses enfants, ses porcs et son bétail, ses chaudrons et ses marmots, ses ustensiles familiers et ses dieux familiers, quelques centaines de milles pour trouver où fonder un nouveau « home ». Actuellement l'Oregon est la terre promise du pionnier [94]. Ainsi se créent de nouvelles Europes, sociétés neuves qui sont un incomparable creuset. U n sens dans lequel le mot « américanisme » peut être employé se rapporte à l'américanisation des nouveaux venus sur nos rivages. Nous devons les américaniser de toutes les façons, dans leur langage, dans leurs idées et leurs principes politiques, et dans leur façon de considérer les rapports de l'Église et de l'État. Nous souhaitons la bienvenue à l'Allemand ou à l'Irlandais qui devient Américain. Nous n'avons que faire de l'Allemand ou de l'Irlandais qui reste tel... Nous ne voulons que des Américains... nous n'avons cure que leurs ancêtres soient indigènes ou Irlandais ou Allemands [95]. Mais les communautés autochtones sont le plus souvent vouées à la dispersion et à l'extinction, malgré les intentions affirmées. L'exécution du plan de déplacement des autochtones, demeurant encore dans les parties colonisées des États-Unis vers la région à l'ouest du Mississippi, touche à sa fin... Toutes les expériences précédemment tentées et qui tendaient à faire évoluer les Indiens vers le progrès ont échoué. L e fait semble maintenant établi qu'ils ne peuvent vivre et prospérer au contact d'une communauté civilisée... Personne ne peut mettre en doute le devoir moral qu'a le gouvernement des États-Unis de protéger et, si possible, de conserver et de perpétuer les restes épars de cette race se trouvant encore à l'intérieur de nos frontières... L e Congrès s'est engagé au nom des États-Unis, à ce que la région destinée à l'établissement de ce peuple soit à jamais

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« assurée et garantie »... à l'intérieur de laquelle on doit éviter d'encourager l'établissement de blancs... Ordre a été donné par la loi pour que toutes les liqueurs fortes trouvées sur leur territoire soient détruites... [96].

16. - L'Expansion européenne : Pour ou contre l'impérialisme On dresserait volontiers un florilège d'opinions aussi autorisées que contradictoires. Parmi les opposants, ceux qui, comme les économistes libéraux du milieu du siècle, considèrent les colonies comme une charge inutile, à l'ère du libre échange. De COBDEN : Nos dépendances servent seulement d'accessoires splendides et pesants pour gonfler notre apparente grandeur [97]. A LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE (mais en 1841) : C e s possessions

lointaines, onéreuses en temps de paix, désastreuses en temps de guerre, sont-elles une cause d'affaiblissement? [98]. Et même DISRAELI (en 1852!) : Ces sacrées colonies seront toutes indépendantes dans quelques années et sont une meule attachée à notre cou [99]. Pour d'autres, les conquêtes coloniales écartent le pays des vraies tâches nationales. Ainsi DÉROULÈDE : J'ai perdu deux enfants (l'Alsace et la Lorraine), et vous m'offrez vingt domestiques [100]. Il en est enfin qui, au nom de la tradition humanitaire, émettent eun condamnation morale. CLEMENCEAU en 1882 : N'essayons pas de revêtir la violence du nom hypocrite de civilisation [101]. Les défenseurs de l'impérialisme invoquent le droit de propriété... PALMERSTON : Ne lâchez jamais une tête d'épingle que vous ayez le droit de garder et que vous croyez pouvoir garder [102]. ...les nécessités de la compétition internationale...

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JULES FERRY : Est-ce que nous laisserons d'autres que nous s'établir en Tunisie, d'autres que nous faire la police à l'embouchure du Fleuve Rouge... d'autres se disputer l'Afrique équatoriale [103]. ... Vintérêt économique... FERRY encore : La politique coloniale est la fille de la politique industrielle. La fondation d'une colonie, c'est la création d'un débouché. [104] ... les avantages militaires... MELCHIOR DE VOGUE : (les troupes noires)... des baïonnettes qui ne raisonnent pas, qui ne pardonnent pas [105], ... l'apport civilisateur. JULES FERRY : Les races supérieures ont un droit vis à vis des races inférieures. Il y a pour elles un droit parce qu'il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures... [106]. Déjà se manifeste ce complexe de supériorité raciale, ou du moins de couleur, sinon de civilisation, qui ouvre la voie à la volonté de puissance pure et simple. L'économiste LEROY-BEAULIEU : U n peuple qui colonise, c'est un peuple qui jette les assises de sa grandeur [107]. JOSEPH CHAMBERLAIN : Je crois dans la race britannique, la plus grande des races gouvernantes que le monde ait jamais connues. Je crois en cette race anglo-saxonne, fière, tenace, résolue, confiante en elle-même, que nul climat, nul changement ne saurait abâtardir et qui, infailliblement, sera la force prédominante de la future histoire et de la civilisation universelle. Et je crois en l'avenir de cet empire, vaste comme le monde, dont un Anglais ne saurait parler sans un frisson d'enthousiasme [108]. L e Secrétaire d'État américain OLNEY : Aujourd'hui les États-Unis sont, en fait, les souverains du continent américain... Pourquoi? Ce n'est pas en raison de l'amitié désintéressée qu'ils inspirent. Ce n'est pas non plus parce qu'ils sont à un très haut degré de civilisation, ni parce que leurs actes sont invariablement pénétrés de sagesse, de justice, d'équité. C'est parce qu'en sus des autres motifs,

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l'énormité de leurs ressources, jointe à leur situation isolée, font d'eux les maîtres de la situation [109]. ROOSEVELT : (Aux nations faibles et arriérées) Parlez doucement, un gros bâton à la main... [ n o ] . THÉODORE

17. - L'expansion européenne : Les politiques coloniales Engagées dans l'action, les puissances colonisatrices ont toujours eu du mal à définir une ligne politique. L'Angleterre qui, d'instinct, pratiquait la mise à l'écart des « natives »... Les Européens, dans les villes de l'Inde, n'aperçoivent presque rien de la vie des natifs qui les servent... Ils assistent, comme des animaux, comme des meubles, à toutes les conversations et l'espoir de comprendre un jour ne les engage jamais à y prêter aucune attention... D'autres serviteurs à la ville ne voient jamais la face du maître [ n i ] . ... tandis qu'elle s'efforçait d' « assimiler » les groupements hétérogènes d'origine européenne... L a négligence continuelle du gouvernement britannique fut cause que la masse du peuple (franco-canadien) ne put jamais jouir des bienfaits d'institutions qui l'eussent élevée à la liberté et à la civilisation. Il les a laissés sans l'instruction et sans les organismes du gouvernement responsable d'ici; cela eût permis d'assimiler leur race et leurs coutumes ... au profit d'un empire dont ils faisaient partie. Ils sont restés une société vieillie et retardataire dans un monde neuf et progressif... Je n'entretiens aucun doute sur le caractère national qui doit être donné au Bas-Canada : ce doit être celui de l'Empire britannique, celui de la majorité de la population de l'Amérique britannique, celui de la race supérieure qui doit à une époque prochaine dominer sur tout le continent de l'Amérique du Nord... La fin première et ferme du gouvernement britannique doit à l'avenir consister à établir dans la province une population de lois et de langue anglaises, et de n'en confier le gouvernement qu'à une assemblée décidément anglaise... [112].

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... n'en a pas moins, très tôt, le pressentiment d'une évolution irrésistible. Il est hors de doute que notre but devrait être d'élever l'esprit des indigènes, et de bien prendre garde à ce que, au moment où pourraient être coupés les liens avec l'Inde, on ne s'aperçoive pas que le seul fruit de notre domination a été de laisser les gens dans un état d'abjection plus grand encore que lorsque nous les avons trouvés et moins aptes à se gouverner. On pourrait suggérer diverses mesures... mais aucune, à mon sens, n'est aussi susceptible de garantir le succès que d'essayer de leur donner une plus haute opinion d'eux-mêmes... en les utilisant dans les postes importants et peut-être en leur ouvrant tous les postes gouvernementaux ou presque... Nous devrions considérer l'Inde, non pas comme une possession provisoire, mais comme un bien qui devra être gardé en permanence jusqu'à ce que les indigènes... soient suffisamment éclairés pour former un gouvernement autonome. A quelque moment que cela arrive, il vaudra mieux pour les deux pays que la domination de l'Inde par les Britanniques s'efface progressivement [113]. Aussi l'Empire, à la veille de igi4, est-il présenté comme un équilibre sans cesse adapté à sa propre évolution. Notre Empire se distingue... par des traits spécifiques de première importance. D u point de vue extérieur, il est fait de contrées qui, géographiquement, ne forment pas un tout... qui présentent toutes les variétés de climats, de sols, d'hommes et de religions et... il ne tire pas sa force d'unification et de cohésion de la seule identité de race et de langue... ... Mais... qu'avons-nous en commun... ? Il y a deux choses dans l'Empire britannique de « self-government » qui sont uniques dans l'histoire des grands ensembles politiques. L a première est le règne de la loi : partout où les décrets royaux sont reçus, ils sont les symboles et les messages non d'une autorité arbitraire, mais de droits partagés par tous les citoyens... La seconde est la combinaison d'une autonomie locale — absolue, sans entraves, complète — avec la loyauté envers une tête commune, la coopération spontanée et libre pour la défense des intérêts et des buts communs... [114]. La France, avec Faidherbe, Galliéni, Lyautey, a mis au point une technique de la conquête coloniale et de la prise en charge des peuples soumis...

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L'action vive est l'exception, c'est l'action des colonnes militaires... Mais la méthode la plus féconde... c'est la méthode progressive, c'est celle de la tache d'huile. On ne gagne du terrain en avant qu'après avoir complètement organisé celui qui est à l'arrière. Ce sont les indigènes insoumis de la veille qui nous aident, qui nous servent à gagner les insoumis du lendemain. Au fur et à mesure que la pacification s'affirme, le pays se cultive, les marchés rouvrent, le commerce reprend [115]. ... mais elle s'est souvent contentée, quand à Vavenir de ses possessions, de vues assez simplistes. Aussi l'opinion de NAPOLÉON III sur le problème algérien mérite une mention particulière. Aujourd'hui, il faut faire davantage : convaincre les Arabes que nous ne sommes pas venus pour les opprimer et les spolier, mais pour leur apporter les bienfaits de la civilisation. Or, la première condition d'une société civilisée, c'est le respect du droit de chacun... L a loi, dès 1851, avait consacré les droits de propriété et de jouissance existant au temps de la conquête, mais la jouissance, mal définie, était demeurée incertaine. Le moment est venu de sortir de cette situation précaire. L e territoire des tribus une fois reconnu, on le divisera par douars, ce qui permettra plus tard à l'initiative prudente de l'administration d'arriver à la propriété individuelle. Maîtres incommutables de leur sol, les indigènes pourront en disposer à leur gré... ... Je le répète, l'Algérie n'est pas une colonie proprement dite, mais un royaume arabe. Les indigènes ont, comme les colons, un droit égal à ma protection et je suis aussi bien l'empereur des Arabes que l'empereur des Français [116].

La question ouvrière Socialisme et syndicalisme

i8. - La condition ouvrière La révolution industrielle n'a retenti qu'assez lentement sur le mode d'existence des travailleurs. D'abord en raison de la résistance du travail artisanal. La vie du compagnon, relativement indépendant, mais durement atteint par les crises et toujours suspect au pouvoir politique, ne se modifie guère au yeux du PRÉFET DE POLICE de Paris en 1807... Rapport moral : Rien de plus varié... Les tailleurs de pierre, charpentiers, marbriers sont en général honnêtes, sages, point ivrognes, point débauchés. Aussi fraternisent-ils peu avec les autres qu'ils regardent comme au-dessous d'eux. La plupart des tailleurs de pierre sont domiciliés dans les départements du Calvados et de la Manche. Ils viennent à Paris, retournent dans leurs foyers et y portent le produit de leurs épargnes... Mais ceux qui résident à Paris sont assez mauvais sujets. L'hiver est pour eux une saison fatale, parce qu'ils sont désœuvrés... Les serruriers offrent, pour la plupart, l'image de la grossièreté. Ils sont ivrognes, voleurs, débauchés et très difficiles à conduire; mais dans ce tableau on remarque une nuance à l'égard de ceux que l'émulation et l'amour-propre portent à bien faire. On voit des garçons serruriers étudier le dessin, l'architecture, les moyens de réduire et de travailler le fer... L'ivrognerie et la débauche sont les défauts dominants des peintres en bâtiment. Rien n'est plus étrange que le contraste de ces deux vices avec l'espèce de politesse gauche et de fausse instruction qu'ils affectent... [117]. ... pour

le JUGE DE PAIX J ' A U P S ( V A R ) en

1848.

Dans les travaux de l'industrie, la moyenne du salaire de la journée de travail est de 2 francs pour les hommes et de 75 centimes pour les femmes... L a commission a été d'avis qu'il fallait, pour pouvoir vivre... à un ouvrier seul, 450 francs par an...

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Les ouvriers dans le canton sont logés et vêtus proprement; leur nourriture est saine. L'instruction est peu répandue parmi les travailleurs... actuellement parmi les ouvriers, les deux tiers savent lire et écrire... L'instruction religieuse est satisfaisante. Le peuple est animé de sentiments honnêtes et moraux. Il est à regretter qu'on ne s'occupe pas de l'instruction professionnelle... [118]. ... d'après

TAINE,

à Lyon, en 1863.

J'ai visité la Croix-Rousse... hautes et vastes fabriques monotones, mornes comme des casernes. Le bruit des métiers y retentit incessamment. Point de lien entre les ouvriers et le patron; on vient leur proposer de l'ouvrage; ils s'engagent à vendre la soie tissée tel jour. Chaque ouvrier est libre et indépendant, débat ses prix tout seul, fait concurrence à ses confrères... Pas d'ouvrage d'avance; sitôt qu'il y a un ralentissement dans les commandes, l'ouvrier jeûne. De plus sa situation vis-à-vis du patron est belligérante ; dès que deux hommes traitent seul à seul, c'est à qui enfoncera l'autre. De là une haine réciproque, voyez les insurrections de 1831, 1835; il y a trente mille hommes de troupe ici... Je suis entré chez un canut pour demander mon chemin; l'homme dormait sur son métier, pauvre figure jaunâtre, maigre, avec une barbiche noire, des yeux battus. Beaucoup de ces ouvriers doivent travailler debout ou couchés, ce qui est malsain. Ils ne font pas d'économies, et le chômage est pénible... On se dit que tout cela est pour donner à nos femmes des robes de soie... Voilà ce qui fait des socialistes... [119]. Cependant, la naissance de la grande industrie crée un monde nouveau, celui des prolétaires de Vusine ; paysans déracinés, sans qualification. Le sort des femmes et des enfants frappe particulièrement les premiers enquêteurs, au milieu du siècle. Il faut les voir arriver chaque matin en ville et en partir chaque soir. Il y a parmi eux une multitude de femmes pâles, maigres, marchant pieds nus au milieu de la boue, et qui, faute de parapluie, portent, renversé sur la tête, leur tablier... et un nombre encore plus considérable de jeunes enfants, non moins sales, non moins hâves, couverts de haillons tout gras de l'huile des métiers... J'ai vu à Mulhouse de ces misérables logements, où deux familles couchaient chacune dans

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un coin, sur de la paille jetée sur le carreau et retenue par deux planches [120]. A la veille de 1914, le bilan social de l'industrie est toujours médiocre, qu'il s'agisse de l'état sanitaire des faubourgs des grandes villes... M O R T A L I T É A PARIS

1875 : 1911 :

VIII e Arr. 15,7 p. 1000 9,6 —

X I X e Arr. 36,2 p. 1000 32,4 —

... ou du sort des travailleurs de la grande usine implantée en zone rurale. Mon père était fils d'un vigneron des coteaux de Pagny-sur-Moselle. Orphelin de bonne heure, à dix ans il travaillait déjà dans les grosses fermes de la plaine... A dix-huit il s'était engagé. Le meilleur temps de sa vie, ces cinq ans de troupier en Algérie. Il avait appris à lire pendant son service. Cela lui permettait de lire de temps en temps le journal en épelant syllabe par syllabe, comme les enfants... Mon père, en sortant de l'armée, était devenu manœuvre aux fonderies de Pont-à-Mousson... Malgré leurs journées de dix heures et même de douze de travail... il leur fallait, pour vivre un peu plus à l'aise, cultiver la terre le dimanche... Il avait plus de soixante ans, il allait vers sa quarantième année de présence à l'usine... Quand j'arrivais aux fours Carnot, j'étais devant une bouche d'égout, un compagnon de mon père tirait sur une corde pour ramener du fond des grands seaux de boue verte à odeur d'asphyxie... Il sortait boueux, pâle de son trou. D'autres compagnons le suivaient, pareils. Il mangeait sans appétit, respirant fort et presque avec colère [121].

19. - Doctrines et partis socialistes Dès l'origine des idées socialistes, la fameuse « parabole » de SAINTSIMON met en valeur la primauté du monde des travailleurs, des producteurs, des « industriels » dans la société et l'État. Nous supposons que la France perde subitement ses cinquante premiers physiciens... ses cinquante premiers poètes... ses cinquante

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premiers mécaniciens... ses cinquante premiers médecins... ses cinquante premiers banquiers... Ses six cent premiers cultivateurs... Comme ces hommes sont les Français les plus essentiellement producteurs... la nation deviendrait un corps sans âme à l'instant où elle les perdrait... Admettons que la France conserve tous les hommes de génie qu'elle possède dans les sciences, dans les beaux-arts et dans les arts et métiers, mais qu'elle ait le malheur de perdre le même jour (tous les membres de la famille royale)... Qu'elle perde en même temps... tous les ministres d'État... tous ses maréchaux, tous ses cardinaux... tous les juges et, en sus de cela, les dix mille propriétaires les plus riches parmi ceux qui vivent noblement. Cet accident affligerait certainement les Français, parce qu'ils sont bons... Mais cette perte de trente mille individus réputés les plus importants de l'État ne leur causerait du chagrin que sous un rapport purement sentimental, car il n'en résulterait aucun mal politique pour l'État... [122]. Avec PROUDHON, le dogme bourgeois du droit de propriété est mis en cause... I. La possession individuelle est la condition de la vie sociale... la propriété est le suicide de la société... II. L e droit d'occuper étant égal pour tous, la possession varie comme le nombre des possesseurs ; la propriété ne peut se former... IV. Tout travail humain résultant nécessairement d'une force collective, toute propriété devient, par la même raison, collective et indivise; en termes plus précis, le travail détruit la propriété. ... l'association dans la liberté lui succède... VIII. Les hommes sont associés par la loi physique et mathématique de la production, avant de l'être par leur plein acquiescement ; donc l'égalité des conditions est de justice, c'est-à-dire de droit social... IX. L'association libre, la liberté, qui se borne à maintenir l'égalité dans les moyens de production, et l'équivalence dans les échanges, est la seule forme de société possible, la seule juste, la seule vraie. X . La politique est la science de la liberté; le gouvernement de l'homme par l'homme, sous quelque nom qu'il se déguise, est

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oppression; la plus haute perfection de la société se trouve dans l'union de l'ordre et de l'anarchie [123]. ... préfigurant les thèses anarchistes de la fin du siècle. Nous voulons la liberté, c'est-à-dire... pour tout être humain le droit et le moyen ... de satisfaire intégralement tous ses besoins, sans autres limites que les impossibilités naturelles et les besoins de ses voisins également respectables... L e mal... est dans l'idée gouvernementale elle-même, il est dans le principe d'autorité. La substitution, en un mot, dans les rapports humains, du libre contrat, perpétuellement révisable et résoluble, à la tutelle administrative et légale, à la discipline imposée : tel est notre idéal... Pas de liberté sans égalité ! Pas de liberté dans une société où le capital est monopolisé... le capital... doit être à la disposition de tous... Nous voulons, en un mot, l'égalité... comme condition primordiale de la liberté. A chacun selon ses facultés, à chacun selon ses besoins... [124]. Mais une place centrale doit être réservée à la vaste synthèse de KARL MARX, telle qu'elle est déjà élaborée dans le MANIFESTE COMMUNISTE, ... thème permanent de la lutte des classes. L'histoire de toute société passée est l'histoire de la lutte des classes. Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître artisan et compagnon, en un mot oppresseurs et opprimés, furent en opposition constante les uns contre les autres... Mais notre époque, l'époque de la bourgeoisie, a ceci de particulier, qu'elle a simplifié les oppositions de classe. De plus en plus, la société entière se partage en deux grands camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées l'une à l'autre : la bourgeoisie et le prolétariat... ... formation contemporaine du prolétariat. A mesure que grandit la bourgeoisie... à mesure aussi grandit le prolétariat, je veux dire cette classe des ouvriers modernes qui n'ont de moyens d'existence qu'autant qu'ils trouvent du travail... Le développement du machinisme et la division du travail ont enlevé toute indépendance au travail des prolétaires; et du même coup, le tra-

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vailleur ne peut plus prendre goût à son travail, il est devenu un simple appendice de la machine... ...paupérisation et révolution prolétarienne. L'ouvrier moderne... au lieu de s'élever avec les progrès de l'industrie, descend de plus en plus... Le paupérisme se développe plus vite encore que la population et la richesse. Et il ressort... que la bourgeoisie est incapable de rester encore plus longtemps la classe dominante de la société... parce qu'elle est incapable d'assurer à son esclave l'existence même dans le cadre de son esclavage, parce qu'elle est forcée de le laisser descendre à une condition où elle doit le nourrir au lieu d'être nourrie par lui... L'existence et la domination de la classe bourgeoise ont pour condition essentielle l'accumulation de la richesse aux mains des particuliers, la formation et l'accroissement du capital; et la condition du capital, c'est le salariat. Le salariat repose exclusivement sur la concurrence des ouvriers entre eux. Le progrès de l'industrie... substitue, à l'isolement des ouvriers par la concurrence, leur union révolutionnaire par l'association... La bourgeoisie... produit avant tout ses propres fossoyeurs. La chute de la bourgeoisie et la victoire du prolétariat sont également inévitables. ... établissement d'une société sans classes. Si le prolétariat, dans sa lutte contre la bourgeoisie, en arrive forcément à s'unir en classe, s'il s'érige, par une révolution en classe dirigeante et... supprime par la violence les conditions anciennes de production, il supprime en même temps... les conditions d'existence de l'antagonisme de classe et des classes en général, et, par là, sa propre suprématie de classe. L'ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classe, est remplacée par une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous. ... célèbre proclamation, enfin, de Vinternationalisme. Les ouvriers n'ont pas de patrie... A mesure qu'on abolira l'exploitation de l'homme par l'homme, l'exploitation des nations par les nations aussi s'abolira... Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! [125].

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Le puissant écho des thèses de Marx s'impose largement à la pensée et à l'action socialiste. C'est autour d'elles que se regroupe le mouvement français en 1903. I. L e parti socialiste est un parti de classe, qui a pour but de socialiser les moyens de production et d'échange c'est-à-dire de transformer la société capitaliste en société collectiviste ou communiste, et, pour moyen, l'organisation économique ou politique du prolétariat. Par son but, son idéal, par les moyens qu'il emploie, le Parti socialiste, tout en poursuivant la réalisation des réformes immédiates revendiquées par la classe ouvrière, n'est pas un parti de réforme, mais un parti de lutte de classes et de révolution. [126] Il reste cependant d'autres voies, comme celle que préconise la SOCIÉTÉ FABIENNE, dont la propagande est une des sources du travaillisme britannique. ... La Société travaille à la suppression de la propriété privée de la terre... au transfert à la collectivité de tout le capital industriel possible... Si ces mesures sont appliquées sans compensation (mais non sans telle aide aux individus expropriés qu'il semblera bon à la collectivité de donner), rente et intérêt s'additionneront au profit du travail ; la classe mauvaise qui vit actuellement du travail des autres disparaîtra naturellement et une égalité de fait sera maintenue par l'action spontanée des forces économiques... Pour réaliser ces objectifs, la Société fabienne s'attache à répandre les opinions socialistes et à promouvoir les transformations sociales et politiques qui en découlent. Elle cherche à répandre dans tous les esprits la connaissance des rapports de l'individu et de la société... [127].

20. - Le syndicalisme De longue date, les COMPAGNONNAGES exprimaient la volonté de résistance des travailleurs... Rapports des Compagnons avec les maîtres. Un maître ne peut occuper que les membres d'une seule Société. Il s'adresse au premier Compagnon qui par l'intermédiaire du Rouleur, lui procure les

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ouvriers dont il a besoin. Si le maître n'est pas content d'un ouvrier, il s'en plaint au premier Compagnon. Si un ouvrier n'est pas content du maître, il s'en plaint également au premier Compagnon, qui cherche à contenter tout le monde autant qu'il le peut. Si un maître est trop brutal et trop exigeant envers les ouvriers la Société qui le servait cesse de lui en donner... Quand un maître cherche à diminuer toujours le salaire des ouvriers, les Sociétés s'en alarment, car le mal est contagieux. Alors elles s'entendent, et mettent sa boutique en interdit pour un nombre d'années ou pour toujours. Cette interdiction cause un grand dommage au maître; quelquefois elle le ruine; mais les Compagnons n'en sont point touchés... [128]. ... tradition efficace, mais non sans étroitesse, que reprend pour longtemps encore le vieil-unionisme, le syndicalisme de métiers. Mais la fermentation des idées sociales ouvre d'autres voies, celle des COOPÉRATIVES... Cette société... permettra la mise en application des projets et dispositions suivantes : Installation d'un grand magasin de vente... Construction, achat ou édification d'un certain nombre de maisons. .. Mise en œuvre de la fabrication de produits... Aussitôt qu'il lui sera pratiquement possible de le faire, la société s'attachera à l'organisation des possibilités de production, d'éducation et de gouvernement : autrement dit, elle établira dans notre pays une colonie autonome sur la base de la communauté d'intérêt... Un « Hôtel de Tempérance » sera ouvert... [129]. ... celle de la revendication politique (1838)...

des

PÉTITIONS

CHARTISTES

Cela a été l'espoir des amis du peuple qu'un remède à la plus grande partie... de ses maux serait trouvé dans le « Reform Act » de 1832... Notre esclavage a été échangé contre un apprentissage de la liberté, et cela a aggravé la sensation pénible de notre dégradation sociale, en lui ajoutant la souffrance d'un espoir encore ajourné... Nous disons... que le capital du maître ne doit pas davantage être privé de son profit mérité; que le travail de l'ouvrier ne doit pas plus longtemps être privé de son juste salaire. Que les lois qui créent la cherté des aliments, et celles qui raréfient l'argent, doivent être abolies... Comme préliminaire à ces réformes... nous demandons... que, dans la confection des lois, la voix de tous puisse être sans entraves, entendue. Nous remplissons les devoirs d'hommes libres,

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nous voulons en avoir les droits. C'est pourquoi nous demandons le suffrage universel. [130] ... au

M A N I F E S T E DES SOIXANTE

( 1864).

L e suffrage universel nous a rendu majeurs politiquement, mais il nous reste encore à nous émanciper socialement... Droit politique égal implique nécessairement un égal droit social... Mais nous qui n'avons d'autre propriété que nos bras, nous qui subissons tous les jours les conditions légitimes ou arbitraires du capital, nous qui vivons sous des lois exceptionnelles, telles que la loi sur les coalitions... Nous qui dans un pays où nous avons le droit de nommer les députés, n'avons pas toujours le droit d'apprendre à lire...Nous dont les enfants passent souvent leurs plus jeunes ans dans le milieu démoralisant et malsain des fabriques... nous, dont les femmes désertent forcément le foyer pour un travail excessif... nous affirmons que l'égalité écrite dans la loi n'est pas dans les mœurs... Mais, nous dit-on, toutes ces réformes dont vous avez besoin, les députés élus peuvent les demander comme vous, mieux que vous; ils sont les représentants de tous et par tous nommés. Eh bien, nous répondons : non! Nous ne sommes pas représentés et voilà pourquoi nous posons cette question des candidatures ouvrières... Les ouvriers députés demanderaient le nécessaire des réformes économiques... [131]. Peut-on, dans ces conditions, envisager pour la classe ouvrière une place au soleil du capitalisme, comme semblent le montrer certaines leaders des T R A D E - U N I O N S . Il y a dix ans, le syndicat des hommes d'équipes n'avait ni cette force matérielle, ni ce prestige moral. Ces résultats et ces progrès sont l'œuvre de son secrétaire général, Richard Bell, juge de paix et député aux Communes. L e voici assis à son bureau. De multiples tiroirs... un cornet acoustique... le fil téléphonique... un secrétaire, des fiches à la main... Richard Bell, drapé dans une redingote classique, avec sa vigoureuse corpulence, son visage ovale et régulier, barré d'une large moustache, son front élargi par une calvitie précoce, n'a-t-il pas toutes les apparences d'un capitaine d'industrie? L'histoire de sa vie ne nous apprend-elle pas qu'il doit ses succès à un sens précis des réalités, à une horreur instinctive de l'idéalisme? [132].

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Mais d'autres, au sein du travaillisme britannique, considèrent que le syndicalisme de masse, / ' U N I O N I S M E « INDUSTRIEL » conduit à un complet bouleversement social et économique. Il y a deux arguments... en faveur de l'unionisme industriel... L e premier argument est que l'unionisme industriel fournit la force la plus considérable dont l'on puisse se servir contre le capitalisme... si on considère le trade-unionisme comme un mouvement de classe basé sur la lutte de classe... Le second argument n'est pas moins fondamental... seule une union industrielle, réunissant tout le personnel d'une industrie, peut prendre en main la direction de cette industrie... L'unionisme industriel servira non seulement d'instrument dans la guerre contre le salariat, mais aussi mettra les travailleurs en mesure... de se préparer à la période de gouvernement direct de l'industrie qui les attend après leur triomphe [133]. Dans la CHARTE d ' A M I E N S , l'objectif de la C.G.T. française est encore plus nettement révolutionnaire. Dans l'œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l'accroissement du mieux-être des travailleurs, par la réalisation d'améliorations immédiates... Mais cette besogne n'est qu'un côté de l'œuvre du syndicalisme ; il prépare l'émancipation intégrale qui ne peut se réaliser que par l'expropriation capitaliste ; il préconise comme moyen d'action la grève générale, et il considère que le syndicat, aujourd'hui groupement de résistance, sera dans l'avenir le groupe de production et de répartition, base de la réorganisation sociale [134]. Une telle action du syndicalisme révolutionnaire, « indépendante des partis et des sectes », apparaît bien ambitieuse aux chefs marxistes. L É N I N E précise : Les rapports de [la social-démocratie] avec les trades-unions varient inévitablement de pays à pays... ils peuvent être plus ou moins étroits, complexes, etc. (ils doivent être à notre avis le plus étroit et le moins complexes possibles) ; mais il ne saurait être question dans les pays libres d'identifier l'organisation syndicale avec celle du parti social-démocrate. Or, en Russie, le joug de l'autocratie efface., toute distinction entre l'organisation social-démocrate et l'association syndicale ouvrière... Les organisations ouvrières pour la lutte

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économique doivent être les organisations syndicales... Les organisations syndicales peuvent non seulement être d'une immense utilité pour le développement et l'accentuation de la lutte économique, mais elles peuvent encore devenir un auxiliaire très précieux de l'agitation politique et de l'organisation révolutionnaire [135]. La social-démocratie allemande est plus nette encore, avec KARL LIEBKNECHT.

Nous sommes tous partisans des syndicats, mais nous ne voulons pas qu'on s'imagine qu'à eux seuls ils parviendront jamais à briser la force du capital [136].

21. - Les résultats de l'action ouvrière Toute politique sociale demeure longtemps étrangère aux gouvernements issus de la bourgeoisie. L'État-gendarme ne veut pas même être un arbitre. L'autorité ne doit jamais s'immiscer dans les questions de salaire, alors même que les parties intéressées lui demandent d'intervenir... L e taux des salaires exprime toujours et nécessairement le rapport qui existe entre l'offre et la demande... le caprice des individus ou l'influence de l'autorité n'y changera rien... Faites comprendre aux ouvriers ces vérités élémentaires... Si des désordres éclatent, votre premier devoir sera de les réprimer; pour que le droit réciproque de l'ouvrier et du fabricant soit librement débattu, il faut que nul ne puisse être contraint de fléchir sous la pression de la menace. Vous faire l'homme de l'ouvrier ou celui du maître, ce serait suivre une route pleine de périls... Sachez donc jusqu'au bout vous tenir en garde contre cet écueil d'autant plus à craindre que, sollicitée de toutes parts d'accepter le rôle d'arbitre ou de juge, l'autorité, en paraissant s'abstenir, semble manquer à une partie de sa mission, alors même qu'elle y demeure le plus fidèle [137]. D'ailleurs, la « liberté du travail », codifiée par la loi Le Chapelier, aboutit rapidement, pour l'ouvrier, à un régime de surveillance policière et patronale.

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Art. i. — A compter de la publication du présent arrêté, tout ouvrier travaillant en qualité de compagnon ou de garçon devra se pourvoir d'un livret... Art. 3. — Indépendamment de l'exécution de la loi sur les passeports, l'ouvrier sera tenu de faire viser son dernier congé par le maire ou son adjoint, et de faire indiquer le lieu où il se propose de se rendre. Tout ouvrier qui voyagerait sans être muni d'un livret ainsi visé sera réputé vagabond, et pourra être arrêté et puni comme tel. Art. 4. — Tout manufacturier, entrepreneur et généralement toute personne employant des ouvriers, seront tenus, quand ces ouvriers sortiront de chez eux, d'inscrire sur leurs livrets un congé portant acquit de leurs engagements, s'ils les ont remplis. Les congés seront inscrits sans lacune, à la suite les uns des autres; ils énonceront le jour de la sortie de l'ouvrier. Art. 5. — L'ouvrier sera tenu de faire inscrire le jour de son entrée sur le livret par le maître chez qui il se propose de travailler. [138]. Aucune initiative sociale ne peut être laissée aux ouvriers eux-mêmes, comme en témoigne l'acte [de création d'une SOCIÉTÉ DE SECOURS MUTUELS, à Liège, en 1813. Art. 10. — L'administration de la société de prévoyance... sera confiée à une commission de dix membres... Les membres inamovibles sont : i° le préfet du département; 2° l'évêque diocésain; 3 0 le procureur impérial près le tribunal de première instance; 4 0 le maire de la ville de Liège; 5 0 l'ingénieur en chef des mines... Les membres amovibles sont nommés par les membres inamovibles, et pris parmi les sociétaires : ils seront choisis : un parmi les propriétaires de grandes exploitations, un parmi les directeurs de fosses, deux parmi les maîtres mineurs, et un parmi les ouvriers houilleurs [139]. Ils ne peuvent espérer qu'en la charité publique. En Grande-Bretagne, l'institution du WORKHOUSE... Afin de permettre aux paroisses une plus grande facilité pour l'organisation des secours aux pauvres, il est décrété que les membres du conseil paroissial ou les inspecteurs des pauvres... pourront légalement... acheter ou louer une maison... et passer un contrat avec une ou plusieurs personnes pour y héberger, entretenir et employer tous

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les pauvres de leur paroisse ou de leur ville qui désireront recevoir un secours... et prendre le bénéfice de leur travail et des services qu'elles auront rendus, pour contribuer, par ce moyen à l'entretien et au secours apporté à tous les pensionnaires de cette maison. Si un pauvre... refuse d'y être logé et entretenu... il ne pourra demander ni recevoir aucun secours [140]. ... est, après un siècle, fustigée par

CHARLES D I C K E N S .

Les membres du conseil d'administration étaient des hommes pleins de sagesse et d'une philosophie profonde... ils posèrent en principe que les pauvres auraient le choix (car on ne forçait personne, bien entendu) de mourir de faim lentement s'ils restaient au dépôt, ou tout d'un coup s'ils en sortaient. A cet effet, ils passèrent un marché avec l'administration des eaux pour en obtenir une quantité illimitée, et avec un marchand de blé pour avoir à des périodes déterminées une petite quantité de farine d'avoine : ils accordèrent trois légères rations de gruau clair par jour, un oignon deux fois par semaine, et la moitié d'un petit pain le dimanche... [141]. La bonne conscience de la bourgeoisie demeura longtemps inébranlable. [Lettre au M A N C H E S T E R G U A R D I A N - 1 8 4 5 ] Monsieur le Rédacteur, Depuis quelque temps on rencontre dans les grandes rues de notre ville une foule de mendiants qui par leurs vêtements en loques et leur aspect maladif, par des blessures repoussantes et ouvertes, par des mutilations, cherchent à inspirer la pitié de façon souvent la plus éhontée et agressive. Je serais portée à croire que, lorsque non seulement on paye la taxe des pauvres mais surtout aussi lorsque l'on contribue largement aux institutions de bienfaisance, l'on aurait assez fait pour que vous soient épargnées des importunités si désagréables... J'espère que la publication de ces lignes dans votre journal si répandu invitera la force publique à écarter cette « plaie »... Une Dame [142]. Pourtant, le souci humanitaire permet un début de réglementation, ainsi la loi française de 1841 sur le travail des enfants. Art. 2. — Les enfants devront, pour être admis, avoir au moins huit ans.

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De huit à douze ans, ils ne pourront être employés au travail effectif plus de huit heures sur vingt-quatre, divisées par des repos. De douze à seize ans, ils ne pourront être employés au travail effectif plus de douze heures sur vingt-quatre, divisées par des repos. Ce travail ne pourra avoir lieu que de cinq heures du matin à neuf heures du soir... [143]. Mais les velléités sociales de 184.8 sont rapidement étouffées : décret du 25 février 1848. Le gouvernement provisoire de la République française s'engage à garantir l'existence de l'ouvrier par le travail. Il s'engage à garantir du travail à tous les citoyens... [144]. Et : décret du s mars 1848. Le gouvernement provisoire de la République décrète : 1) La journée de travail est diminuée d'une heure. En conséquence, à Paris, où elle était de onze heures, elle est réduite à dix; et, en province, où elle avait été jusqu'ici de douze heures, elle est réduite à onze... [145]. Mais : décret du g septembre 1848. L'Assemblée nationale a adopté et le chef du Pouvoir exécutif promulgue... Art. 1. — La journée de l'ouvrier dans les manufactures et usines ne pourra pas excéder douze heures de travail effectif... Art. 6. — Le décret du 2 mars, en ce qui concerne la limitation des heures du travail, est abrogé... [146]. Malgré les progrès accomplis par la législation française (droit de grève, reconnaissance des syndicats). Jaurès pose encore, en 18gtoute la question sociale (cf. p. 2y). Le programme de la démocratie radicale, en 1901, répond-il pleinement à son appel? Les réformes sociales s'imposent entre toutes aux préoccupations des sociétés modernes. Ce qui nous sépare à cet égard des socialistes collectivistes c'est notre attachement passionné au principe de la propriété individuelle... Mais précisément parce que ce principe repose tout entier sur le droit inviolable de la personne humaine au produit de son travail, nous n'entendons le céder à personne quand il s'agira, non seulement d'assurer dans des conditions pratiques les

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retraites de la vieillesse, mais encore d'empêcher que la grande exploitation industrielle ne prenne le caractère d'une féodalité nouvelle et de hâter l'évolution pacifique par laquelle enfin le travailleur aura la propriété de son outil, la légitime rémunération de son travail. Les réformes fiscales ne sont pas moins urgentes... Nous voulons avant tout, l'établissement de cet impôt progressif sur le revenu qui décharge tous les travailleurs et qui sera particulièrement le grand dégrèvement des villages [147]. Ou bien faut-il voir dans les procédures britanniques, le développement d'une action plus concrète et plus efficace ? ... Là où se produit ou menace un différend entre un employeur ou une classe quelconque d'employeurs et des ouvriers ou différentes classes d'ouvriers, le Board of Trade est autorisé s'il le juge convenable, à tirer parti des pouvoirs suivants, soit : a) s'enquérir des causes et des conditions du différend. b) prendre toutes mesures que la Commission (de conciliation) peut juger utiles en vue de permettre aux deux parties de se rencontrer en personne ou par leurs représentants sous l'autorité d'un président accepté des deux côtés, ou nommé par le Board of Trade ou par quelque autre personne ou collectivité, dans le but d'un règlement amiable du différend. c) à la demande d'employeurs et d'ouvriers engagés dans le conflit, et après avoir pris en considération l'existence et le caractère adéquat des moyens de conciliation dans la région, la spécialité ou les circonstances de l'affaire, nommer une ou plusieurs personnes destinées à jouer le rôle d'arbitre ou de commission de conciliation. d) à la demande des deux parties au différent de nommer un arbitre [148].

V. Les forces religieuses et le monde moderne

22 - Les églises devant le monde moderne : L'affrontement On ne saurait mesurer combien une tradition vivace de subordination des Églises au pouvoir politique, a porté atteinte, au 19e siècle, à leur prestige moral et à leur indépendance spirituelle. En France, les exigences gallicales,

réaffirmées par BONAPARTE dans les ARTICLES ORGANIQUES...

Art. 1. — Aucune bulle, bref, rescrit, décret..., ni autres expéditions de la cour de Rome... ne pourront être reçus, publiés, imprimés, ni autrement mis à exécution, sans l'autorisation du gouvernement. Art. 2. — Aucun individu se disant nonce, légat... ne pourra, sans la même autorisation, exercer sur le sol français ni ailleurs aucune fonction relative aux affaires de l'Église gallicane. ... Art. 4. — Aucun concile national ou métropolitain, aucun synode diocésain, aucune assemblée délibérante n'aura lieu sans la permission expresse du gouvernement. ... Art. 41. — Aucune fête, à l'exception du dimanche, ne pourra être établie sans la permission du gouvernement... ... Art. 51. — Les curés, aux prônes des messes paroissiales, prieront et feront prier pour la prospérité de la République française et pour les Consuls... ... Art. 53. — Ils ne feront au prône aucune publication étrangère à l'exercice du culte, si ce n'est celles qui seront ordonnées par le gouvernement... [149]. ... demeurent un puissant levier pour l'anticléricalisme de la fin du ige siècle. ... En France, nous sommes dans une situation spéciale : le clergé catholique est un clergé lié à l'État, ses évêques sont des fonctionnaires de l'État, ils engagent la politique du pays... la responsabilité de leur conduite pèse sur le gouvernement... Depuis bientôt trente ans, dans ce pays, on s'est habitué sous l'influence de doctrines lâches et

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molles... à prêter la main à tous les envahissements, à toutes les usurpations de l'esprit clérical... Nous en sommes arrivés à nous demander si l'État n'est pas maintenant dans l'Église, à l'encontre de la vérité des principes qui veut que l'Église soit dans l'État... Quant à moi, je suis partisan du système qui rattache l'Église à l'État... parce que je tiens compte de l'état moral et social de mon pays, mais je ne veux... défendre le Concordat... que tout autant que le Concordat sera interprété comme un contrat bilatéral... ...le cléricalisme ? Voilà l'ennemi! [150] . Une telle attitude va souvent de pair avec une conception « utilitariste » du rôle de la religion dans la société. ( B O N A P A R T E , le 21 prairial an X)... Tenez, j'étais ici dimanche dernier, me promenant dans cette solitude, dans ce silence de la nature. L e son de la cloche de Rueil vint tout à coup frapper mon oreille. Je fus ému ; tant est forte la puissance des premières habitudes et de l'éducation. Je me dis alors : quelle impression cela ne doit-il pas faire sur les hommes simples et crédules ! Que vos philosophes, que vos idéologues répondent à cela ! Il faut une religion au peuple. Il faut que cette religion soit dans la main du gouvernement [151]Mais même la piété sincère des traditionalistes de la Restauration ne détourne pas ses adversaires libéraux de dénoncer les compromissions de l'Église. Aux pieds de prélats cousus d'or, Charles dit son Confiteor... Son confesseur lui dit : Jurez ! Rome, que l'article concerne; Relève d'un serment prêté. ... Charles s'étend sur la poussière. Roi, crie un soldat, levez-vous ! Non, dit l'évêque; et par saint Pierre, Je te couronne : enrichis-nous... [152]. Plus profond est l'affrontement spirituel et philosophique, rencontre du déisme hérité de la philosophie du 18e siècle, tel que l'incarne ROBESPIERRE.

Prêtres ambitieux, n'attendez donc pas que nous travaillions à réta-

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blir votre empire... Les prêtres sont à la morale ce que les charlatans sont à la médecine. Les prêtres ont créé Dieu à leur manière. Ils l'ont fait jaloux, cruel, implacable... Ils l'ont relégué dans le ciel... L e véritable prêtre de l'Être Suprême, c'est la Nature; son temple, l'univers; son culte, la vertu; ses fêtes, les joies d'un grand peuple rassemblé sous ses yeux pour resserrer les doux nœuds de la Fraternité universelle, pour lui présenter l'hommage des cœurs sensibles et purs [153]. ... rencontre des doctrines nouvelles : positivisme, marxisme et, plus généralement, scientisme, point de départ d'une exégèse négatrice... (Jésus)... Un homme incomparable, si grand que, bien qu'ici tout doive être jugé au point de vue de la science positive je ne voudrais pas contredire ceux qui, frappés du caractère exceptionnel de son œuvre, l'appellent Dieu [154]. ...et au-delà explication globale et suffisante de la destinée humaine. Tout sera pour le mieux, quand l'homme, ayant accompli son œuvre légitime, aura rétabli l'harmonie dans le monde moral et se sera assujetti le monde physique. Quant aux vieilles théories de la Providence, où le monde est conçu comme fait une fois pour toutes, et devant rester tel qu'il est, où l'effort de l'homme contre la fatalité est considéré comme un sacrilège, elles sont vaincues et dépassées. Ce n'est donc pas une exagération de dire que la science renferme l'avenir de l'humanité; qu'elle seule peut lui dire le mot de sa destinée et lui enseigner la manière d'atteindre sa fin [155]. Moins visible, mais d'une portée sociologique autrement large, le phénomène de « déchristianisation » fait douter aujourd'hui de la qualité des chrétientés de tradition. ENQUÊTE SUR LA PRATIQUE RELIGIEUSE EN F R A N C E 1848. Après la première communion, on ne s'occupe plus de religion (Calvados, Bayeux). Les ouvriers sont religieux et très respectueux des choses saintes. S'ils ne sont pas assidus aux offices, c'est plus par indolence que par manque de foi (Loiret, Ouzouer-sur-Loire). On fait la prière du soir dans les fabriques (Ardèche, Rochemaure).

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Bonne pratique religieuse, mais on est frappé du contraste qui existe entre l'observation des devoirs religieux de la part du plus grand nombre et du peu d'intelligence de l'Évangile que l'on apprécie d'après la manière d'agir de chacun (Côtes-du-Nord, Bégard). La religion n'est chez le peuple qu'une formule à laquelle néanmoins il tient beaucoup (Indre-et-Loire, Richelieu) [156].

23. - Réaction et renouveau Malgré les risques évoqués précédemment, l'Église catholique recherche la collaboration du pouvoir civil dès 1801, en France... Le gouvernement de la République reconnaît que la religion catholique, apostolique et romaine est la religion de la grande majorité des citoyens français. Sa Sainteté reconnaît également que cette même religion a retiré et attend encore en ce moment le plus grand bien et le plus grand éclat de l'établissement du culte catholique en France, et de la profession particulière qu'en font les Consuls de la République française. En conséquence, d'après cette reconnaissance mutuelle, tant pour le bien de la religion que pour le maintien de la tranquillité intérieure... [157]. ... et, toujours fidèle au principe de « VÉtat chrétien », s'insurge à ce titre contre la Séparation imposée en igo$. Qu'il faille séparer l'État de l'Église, c'est une thèse absolument fausse... Basée en effet sur ce principe que l'État ne doit reconnaître aucun culte religieux, elle est tout d'abord très gravement injurieuse pour Dieu; car le Créateur de l'homme est aussi le fondateur des sociétés humaines, et il les conserve dans l'existence comme il nous y soutient. Nous lui devons donc non seulement un culte privé, mais un culte public et social... Cette thèse bouleverse également l'ordre très sagement établi par Dieu dans le monde, ordre qui exige une harmonieuse concorde entre les deux sociétés... Enfin, cette thèse inflige de graves dommages à la société civile elle-même, car elle ne peut pas prospérer ni durer longtemps lorsque

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l'on n'y fait point sa place à la religion, règle suprême et souveraine maîtresse quand il s'agit des droits de l'homme et de ses devoirs... [158]. Pourtant, dès 1830, LAMENNAIS avait proposé de réconcilier « Dieu et la Liberté » (devise du journal « L'Avenir »). Nous demandons premièrement la liberté de conscience ou la liberté de religion, pleine, universelle, sans distinction comme sans privilège; et par conséquent, en ce qui nous touche, nous catholiques, la totale séparation de l'Église et de l'État... De même qu'il ne peut y avoir aujourd'hui rien de religieux dans la politique, il ne doit y avoir rien de politique dans la religion... Nous demandons, en second lieu, la liberté d'enseignement, parce qu'elle est de droit naturel et, pour ainsi dire, la première liberté de la famille; parce qu'il n'existe sans elle ni de liberté religieuse, ni de liberté d'opinion... Nous demandons, en troisième lieu, la liberté de la presse... La presse n'est à nos yeux qu'une extension de la parole, elle est comme elle un bienfait divin, un moyen puissant, universel, de communication entre les hommes... [159]. Mais Rome n'a cessé d'écarter les thèses libérales, et, au-delà, de réfuter vigoureusement tout l'apport de la pensée moderne. PIE I X ,

en 1846 :

Pour mieux tromper les peuples, pour entraîner avec eux les esprits inexpérimentés et sans science, ils (les ennemis de la religion) feignent de connaître seuls les voies du bonheur, ils s'arrogent le titre de philosophes, comme si la philosophie, dont le propre est la recherche des vérités naturelles devait rejeter ce que Dieu lui-même, auteur suprême de la nature a daigné, par un insigne bienfait, révéler aux hommes pour les conduire dans le chemin du bonheur et du salut. En violant ainsi toutes les règles du raisonnement, ils ne cessent d'en appeler à la puissance, à la supériorité de la raison humaine, et ils l'élèvent contre la foi sainte du Christ, qu'ils représentent audacieusement comme l'ennemie de cette raison. On ne saurait certainement rien imaginer de plus insensé, de plus impie, de plus contraire à la raison elle-même ; car quoique la foi soit audessus de la raison, il ne peut exister entre elles aucune opposition, aucune contradiction réelle, parce que toutes deux émanent de Dieu...

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C'est avec la même perfidie... que ces ennemis de la révélation divine vantent sans mesure le progrès humain et voudraient, par un attentat téméraire et sacrilège, l'introduire dans la religion catholique, comme si cette religion était l'œuvre, non de Dieu, mais des hommes, ou une invention philosophique susceptible de perfectionnements humains... [160]. Plus catégoriquement encore, PIE IX, en 1864, condamne toute proposition affirmant que : Le Pontife romain peut et doit se réconcilier et transiger avec le progrès, avec le libéralisme et la civilisation moderne [161]. Le durcissement doctrinal exige un renforcement des structures de l'Église. Pie IX en i8yo obtient du Concile du Vatican la proclamation du dogme de l'infaillibilité pontificale. Nous enseignons et définissons avec l'approbation du saint Concile que c'est un dogme divinement révélé ; que le pontife romain lorsqu'il parle « ex cathedra », c'est-à-dire lorsque remplissant la charge de pasteur et docteur de tous les chrétiens, en vertu de sa suprême autorité apostolique, il définit qu'une doctrine sur la foi et sur les mœurs doit être tenue par l'Église universelle, jouit pleinement de l'assistance divine qui lui a été promise dans la personne du bienheureux Pierre, de cette infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu que son Église fût pourvue en définissant sa doctrine touchant la foi et les mœurs et par conséquent que de telles définitions du pontife sont irréformables par elles-mêmes et non en vertu du consentement de l'Église. [162] L'intransigeance dogmatique n'entrave pas l'expansion du catholicisme hors d'Europe, et, bien qu'elle aboutisse, à la fin du siècle, à la condamnation du « modernisme » théologique, n'est pas contradictoire avec un réel renouveau spiritualiste : BERGSON, dans sa quête de l'absolu, parvient à : Un dieu créateur et libre, générateur à la fois de la matière et de la vie, par l'évolution des espèces, et par la constitution de personnalités humaines [163]. Plus positive est la définition de la doctrine sociale de l'Église, par LÉON XIII, en I8QI ; n'impliquant aucun repli dogmatique, répudiant

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le collectivisme et l'égalitarisme socialistes, prônant l'harmonie des classes, elle n'en reconnaît pas moins l'existence de droits sociaux que l'État se doit de garantir. Mais, parmi les devoirs principaux du patron, il faut mettre au premier rang celui de donner à chacun le salaire qui convient. Assurément, pour fixer la juste mesure du salaire, il y a de nombreux points à considérer; mais d'une manière générale, que le riche et le patron se souviennent qu'exploiter la pauvreté et la misère et spéculer sur l'indigence sont choses que réprouvent également les lois divines et humaines... Aux gouvernants, il appartient de protéger la communauté et ses parties... Que l'État se fasse donc, à un titre tout particulier, la providence des travailleurs... Chez l'ouvrier... il est des intérêts nombreux qui réclament la protection de l'État, et, en première ligne, ce qui regarde le bien de son âme... C'est de là que découle la nécessité du repos et la cessation du travail aux jours du Seigneur Le salaire, ainsi raisonne-t-on, une fois librement consenti de part et d'autre, le patron, en le payant, a rempli tous ses engagements et n'est plus tenu de rien... Pareil raisonnement... n'embrasse pas tous les côtés de la question... Le salaire ne doit pas être insuffisant à faire subsister l'ouvrier sobre et honnête. Mais de peur que dans ce cas et dans d'autres analogues comme en ce qui concerne la journée du travail et la santé des ouvriers, les pouvoirs publics n'interviennent pas importunément, vu surtout la variété des circonstances..., il sera préférable que la solution en soit réservée aux corporations ou syndicats..., ou que l'on recoure à quelque autre moyen de sauvegarder les intérêts des ouvriers, même, si la cause le réclamait, avec le secours et l'appui de l'État [164]. Plus nette encore, d'ailleurs, est la vocation sociale de certaines Églises protestantes. L'Église méthodiste épiscopale est en faveur de droits égaux et d'une égale justice pour tous les hommes dans toutes les situations de la vie, du principe de conciliation et d'arbitrage au cours des conflits industriels, ... Elle est favorable à la suppression du « sweating system », à la réduction graduelle et raisonnable des heures de travail au point le plus bas possible avec du travail pour tous et à ce degré

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de loisirs qui est la condition de la vie la plus humaine de l'homme... Elle se déclare pour... le salaire vital dans chaque industrie, pour le plus haut salaire compatible avec chaque industrie... [165].

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24- - Une primauté contestée Ayant lancé leur jeunesse à l'assaut des continents neufs, les peuples européens découvrent rapidement des rivales dans les nouvelles Europes bâties outre-mer. Et d'abord, les États- Unis, dont la vocation impérialiste s'affirme dès la fin du 19e siècle. Les usines américaines produisent plus que le peuple américain ne peut utiliser, le sol américain produit plus qu'il ne peut consommer La destinée nous a tracé notre politique ; le commerce mondial doit être et sera nôtre... Nous établirons des comptoirs commerciaux à la surface du monde comme centres de distribution des produits américains. Nous couvrirons les océans de nos vaisseaux de commerce. Nous bâtirons une marine à la mesure de notre grandeur. De nos comptoirs de commerce, sortiront de grandes colonies déployant notre drapeau et trafiquant avec nous. Nos institutions suivront notre drapeau sur les ailes du commerce. Et la loi américaine, l'ordre américain, la civilisation américaine et le drapeau américain seront plantés sur des rivages jusqu'ici en proie à la violence et à l'obscurantisme, et ces auxiliaires de Dieu les feront dorénavant magnifiques et éclatants [166]. Mais d'autres compétiteurs apparaissent ; le Japon, qui a su trouver le ressort d'un prodigieux bond en avant, aussi bien dans l'exaltation de ses traditions nationales que dans l'assimilation de la technique européenne. Accoutumés à accueillir les choses nouvelles sans sacrifier les anciennes, notre adoption des méthodes occidentales n'a pas aussi grandement affecté la vie nationale qu'on l'a cru. Le même éclectisme qui nous a fait choisir Bouddha comme guide spirituel, Confucius comme guide moral, nous a fait saluer la science moderne comme le fanal du progrès matériel... Dans ces conditions notre développement n'eut guère d'action sur le caractère national que pour le stimuler à de nouveaux efforts... Il en fut de même pour

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l'adoption des coutumes politiques et sociales de l'Europe, qui ne nécessitèrent pas, de notre part, un changement aussi profond qu'on eût pu le croire tout d'abord. Notre expérience du passé nous avait appris à ne choisir dans les institutions occidentales que ce qui était en concordance avec notre nature orientale... [167]. Dépecée et divisée, la Chine elle-même semble retrouver, à Vappel de S U N Y A T - S E N , le sens de sa grandeur millénaire. Alors les patriotes se levèrent comme un torrent, ou comme un nuage qui pointe soudain au firmament... U n tremblement de terre ébranla la cour barbare de Pékin, qui fut comme frappée de paralysie. Aujourd'hui enfin le gouvernement a été rendu au peuple chinois, et les cinq races de la Chine peuvent ensemble vivre dans la paix et la confiance mutuelle... Nous donnons en ce moment l'exemple en Asie orientale d'une forme républicaine de gouvernement... Le dragon repose dans sa majesté comme jadis et le tigre veille sur son domaine et sur son antique capitale... Votre peuple est venu ici faire connaître à Votre Majesté la victoire finale. Puisse ce sanctuaire élevé où vous reposez acquérir un nouveau lustre de l'événement d'aujourd'hui, et puisse votre exemple inspirer vos descendants dans les temps à venir. Esprit! Acceptez cette offrande [168]. Les peuples directement dominés par les puissances coloniales européennes commencent eux aussi à relever la tête : La « JEUNESSE É G Y P TIENNE » veut mobiliser contre l'Angleterre les resssentiments nationalistes et la solidarité panislamique. Dans sa dernière séance, le Congrès a voté, à l'unanimité, les vœux suivants : 1. L'occupation anglaise, entreprise sous de faux prétextes, a été maintenue en dépit des promesses réitérées du gouvernement anglais. L e Congrès réitère donc sa demande d'évacuation immédiate de l'Ëgypte et d'établissement d'un gouvernement représentatif particulier à l'Ëgypte, c'est-à-dire national, qui fonctionnerait d'après les principes constitutionnels... 2. En présence de l'état scandaleux de négligence dont est l'objet l'éducation de la jeunesse sous le gouvernement anglais et de la nécessité urgente de remédier à l'état de choses actuel par l'organisation d'un enseignement propre à élever les jeunes Égyptiens des

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deux sexes de manière à en faire des patriotes sincères et des citoyens utiles à leurs pays... 3. Pour éclairer l'opinion du monde civilisé sur la situation actuelle en Égypte, sur les conséquences néfastes de l'occupation anglaise et sur l'influence corruptrice et démoralisante qu'elle exerce dans le pays, le Congrès décide la création d'un journal... « l'Égypte libre »... 4. L e Congrès envoie ses sincères félicitations au Parti Jeune-Turc et au Parti national persan pour leur succès... et les invite à l'aider par leurs sympathies dans ses revendications. 7. L e Congrès décide aussi d'envoyer une protestation au gouvernement égyptien contre le rétablissement du décret de novembre 1881 sur la suppression de la liberté de presse... [169]. Plus modérés, et surtout sincères admirateurs des « libertés anglaises », les premiers dirigeants du CONGRÈS INDIEN demandent seulement Végalité des droits... Mettez-vous bien dans l'esprit que nous sommes pour le maintien de la domination anglaise... C'est d'elle en effet que nous vient le sentiment national qui nous anime pour la première fois, c'est elle qui nous fait oublier nos divisions de races ou de religion, c'est elle qui nous a donné une langue commune. ... De quoi nous plaignonsnous si ce n'est de n'avoir pas tous les droits en même temps que tous les devoirs du citoyen anglais ?... Nous sommes de loyaux sujets de la reine; nous ne lui demandons rien de plus que la franchise accordée aux autres colonies, mais nous voulons qu'on applique chez nous les mêmes principes sur lesquels est fondée leur liberté [170]. ... qui peut conduire à une évolution féconde des rapports impériaux. Nous sommes un système d'État et non pas statique, mais dynamique en cours de développement, marchant vers de nouvelles destinées... D'un côté, vous avez le Royaume-Uni avec un certain nombre de colonies de la Couronne. En outre, vous avez un vaste protectorat comme l'Égypte, un empire en lui-même. Puis vous avez une importante dépendance comme l'Inde, aussi un empire en lui-même où la civilisation existe depuis un temps immémorial et où nous essayons de voir dans quelle mesure l'Occident et l'Orient peuvent collaborer. Ce sont d'énormes problèmes, mais les dépassant nous arrivons à ce qu'on nomme dominions, indépendants dans leur gouvernements qui, procédant des principes de votre libre système de constitution

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sont devenus des états quasi indépendants et que je préfère appeler le « British Commonwealth of Nations » [171].

25. De l'équilibre à la guerre Une fois réalisée l'unité du Reich, l'Allemagne bismarckienne se range parmi les puissances satisfaites. Comme l'Angleterre de Disraeli, elle ne songe qu'à perpétuer un « équilibre européen » qui lui est favorable. Mais le désir de revanche de la France constitue, à ses yeux, un grave danger : BISMARCK en est persuadé dès le lendemain de sa victoire. ... Mais, malheureusement, il ne croyait pas qu'en France on voulût (la paix) sincèrement. L'état de l'opinion, l'attitude de la presse, le langage peu affirmatif du gouvernement en faveur du maintien des bonnes relations entre les deux pays lui semblaient indiquer que nous voulions prendre bientôt notre revanche... « A vous dire franchement ma pensée, je ne crois pas que vous vouliez maintenant rompre la trêve qui existe ; vous nous payerez deux milliards, mais, quand nous serons en 1874 et qu'il faudra acquitter les trois autres, vous nous ferez la guerre... Je ne me fais pas d'illusions, il est absurde pour nous de vous avoir pris Metz qui est français... J'en dirai autant de l'Alsace et de la Lorraine. C'est une faute que nous avons commise en vous les prenant, si la paix devait être durable, car pour nous ces provinces sont un embarras. » « Une Pologne, » ai-je ajouté, « avec la France derrière. » « Oui, » m'a dit le chancelier, « une Pologne avec la France derrière » [172.] Aussi convient-il de la maintenir isolée en Europe... Nous avons besoin que la France nous laisse tranquilles et nous avons besoin d'empêcher la France de trouver des alliés, si elle ne veut pas rester en paix. Tant qu'elle n'aura pas d'alliés, la France ne sera pas dangereuse pour nous... [173]. ... quitte à lui faciliter des compensations. Depuis quatorze ans... je n'ai pas poursuivi d'autre but à l'égard de la France que de chercher à lui faire oublier les conséquences d'une guerre qui avait eu pour elle une issue funeste. A quoi pour-

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raient tendre de mauvais projets de notre part à l'égard de la France ? Nous n'avons déjà que trop de territoires français... Mon soin constant, à partir de 1871, a été de me conduire de telle sorte que je pusse l'amener à pardonner Sedan, comme elle en est arrivée après 1815 à pardonner Waterloo. Je désire pour cela qu'elle obtienne des satisfactions dans toutes les directions possibles, excepté dans la direction du Rhin [174]. Il convient également de juguler les autres risques de troubles en Europe, telles les ambitions russes dans les Balkans ; ainsi est édifié, peu à peu, le « système bismarckien ». Des coalitions peuvent se former contre nous sur une base occidentale avec adhésion de l'Autriche, d'une façon peut-être encore plus dangereuse sur la base russo-austro-française... Dans la préoccupation de telles éventualités... je considérerais pour nous, comme résultats désirables de la crise orientale, les suivants : i ° Que le centre de gravité des intérêts russes et autrichiens et des rivalités réciproques soit déplacé vers l'est; 2 0 Que la Russie soit amenée à prendre en Orient et sur ses côtes une forte position défensive et à avoir besoin de notre alliance; 3 0 Qu'un « statu quo » satisfaisant pour l'Angleterre et la Russie leur donne le même intérêt qu'à nous au maintien de ce qui est; 4 0 Que, par la question de l'Égypte et de la Méditerranée, l'Angleterre soit séparée de la France qui nous reste hostile; 5 0 Que les rapports entre la Russie et l'Autriche rendent difficile à toutes les deux de travailler ensemble à une conspiration anti allemande... ... Toutes les puissances, sauf la France, auraient besoin de nous et seraient empêchées... par leurs relations réciproques de songer à des coalitions contre nous [175]. Mais le réseau de traités secrets qui matérialise l'œuvre diplomatique de Bismarck est fragile, parce que contradictoire : ses successeurs renoncent au traité de « réassurance » avec la Russie. ... L e renouvellement éventuel du traité secret avec la Russie... aurait, il est vrai, pour résultat l'incapacité de la Russie d'entrer dans une coalition, mais... les stipulations du traité, moins selon la lettre que selon l'esprit, ne seraient pas faciles à mettre en harmonie avec la Triple-Alliance, avec le traité que nous avons avec la Roumanie, avec l'action qui du côté allemand s'exerce sur l'Angleterre.

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La divulgation du traité, par une indiscrétion soit intentionnelle soit fortuite, compromettrait la Triple-Alliance, et serait de nature à détourner de nous l'Angleterre [176]. D'ailleurs, les temps du trop prudent équilibre sont révolus ; il faut que l'Allemagne cède à sa destinée. Les thèses pangermanistes montrent la voie. Un peuple a besoin de terre pour son activité, de terre pour son alimentation. Et aucun peuple n'en a autant besoin que le peuple allemand qui se multiplie si rapidement et dont la vieille demeure est devenue si dangereusement étroite. Si nous n'acquérons pas bientôt de nouveaux territoires, nous allons inévitablement audevant d'une épouvantable catastrophe [177]. Il faut que l'Allemagne acquière l'hégémonie absolue dans l'Europe centrale et occidentale et qu'elle annexe simultanément, ou peu de temps après, les provinces allemandes autrichiennes, d'une manière conforme aux desseins de notre race germanique [178]. L'expansion économique exige la puissance navale. Pour protéger dans les conditions actuelles notre commerce maritime et nos colonies, il n'y a qu'un moyen : l'Allemagne doit posséder une flotte de combat assez forte pour qu'une guerre même avec la puissance navale la plus considérable, entraîne pour celle-ci de tels risques que sa situation dans le monde puisse en être compromise [i79lLes conditions se trouvent alors réunies pour un durcissement des blocs, l'Alliance franco-russe en face de la Triplice, et l'inquiétude de l'Angleterre qui ne peut renoncer à sa prépondérance navale. A quoi bon signer un accord solennel de concorde et de non-agression, si l'Allemagne, dans le même temps, était sur le point d'accroître sa flotte de bataille par précaution contre nous, ce qui par conséquent nous amènerait à accroître la nôtre, par précaution contre elle? Cette question était vitale pour nous, en tant que Puissance insulaire et dépendant, pour son ravitaillement alimentaire, de la possibilité de protéger son commerce, ce pourquoi il nous fallait le « two-power standard » et une prépondérance substantielle en flotte de bataille [180].

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Même s'il subsiste encore, à la\veille du conflit, des éléments d'incertitude... J'ai interrogé alors Sir E. Grey... Il m'a répondu... que, pour le moment, le gouvernement britannique ne pouvait nous garantir son intervention, qu'il avait l'intention de s'entremettre pour obtenir de l'Allemagne et de la France l'engagement de respecter la neutralité belge, mais que pour envisager une intervention il convenait d'attendre que la situation se développât... le dissentiment entre la Russie, l'Autriche et l'Allemagne portant sur une question qui n'intéresse en rien la Grande-Bretagne. J'ai demandé à Sir E. Grey si, pour intervenir, le gouvernement britannique attendrait l'envahissement du territoire français... Il m'a répondu en faisant allusion à la possibilité de la remise à la France d'un ultimatum... ce serait là un de ces faits pouvant autoriser le gouvernement à proposer aux Chambres une intervention [181]. ... les militaires n'en considèrent pas moins leur tâche comme déjà tracée. ... Nous devrons, si la catastrophe se produit, formuler le « casus belli » de manière que la nation coure aux armes d'un seul cœur et d'enthousiasme. Dans les circonstances actuelles nous pouvons envisager notre lourde tâche avec confiance... Si la situation politique de l'Europe ne change pas, la position centrale de l'Allemagne nous obligera toujours à faire front de plusieurs côtés. Partant, il nous faudra garder la défensive d'un côté... pour pouvoir prendre l'offensive de l'autre. Ce dernier côté ne peut jamais être que la France. Là on peut espérer une décision rapide, tandis qu'une guerre offensive du côté russe est sans issue. Mais pour agir offensivement contre la France, il sera nécessaire de violer la neutralité de la Belgique [182].

VII. Annexes

T A B L E DES RÉFÉRENCES

[1] ARGENSON (Marquis d'). — Journal et Mémoires, éd. Rathery, p. 361. [2] Journal d'un voyage du vaisseau /'AIGLE sur les costes d'Afrique et aux Indes d'Espagne, Rouen, 1723. [3] VÉRI (Abbé de). — Journal, éd. De Witte, t. I, p. 82. [4] VOLTAIRE (François-Marie AROUET, dit). — Siècle de Louis XIV (I75i)[5] ROUSSEAU (Jean-Jacques). — Considérations sur le gouvernement de la Pologne (1782). [6] FRÉDÉRIC II de Prusse. — Les Conseils du Trône donnés par Frédéric II, éd. Anguis. [7] LE BRET (Cardin). — De la souveraineté du roi, de son domaine et de sa couronne (1632). [8] BOSSUET (Jacques-Bénigne). — L a politique tirée des propres paroles de l'Écriture Sainte (1709). [9] HENRI IV (de Bourbon, roi de France). — Au Parlement de Paris, le 7 février 1599. [10] Louis X I V (roi de France). — Mémoires pour l'instruction du Dauphin, éd. Longnon, p. 53. [11] COLBERT (Jean-Baptiste). — A u premier Conseil de Commerce tenu par le Roi, dimanche 3 août 1664. [12] COLBERT (Jean-Baptiste). — Instruction générale du 30 avril i6jo, pour l'exécution des règlements généraux des manufactures et teintures. [13] AMELOT (Intendant). — Mémoire adressé au Contrôleur général, le 29 juin 1787. [14] YOUNG (Arthur). — Voyages en France, éd. Sée, t. II, p. 859. [15] PARLEMENT DE PARIS. — Remontrances au Roi, le 2 mars 1776.

[16] SEDAINE (Michel-Jean). — L e Philosophe sans le savoir (1765). [17] MONTESQUIEU (Charles de SECONDÂT, baron de). — Esprit des Lois (1748). [18] ROUSSEAU (Jean-Jacques). — Discours sur l'inégalité entre les hommes (1755)[19] YOUNG (Arthur). — The former's Tour (1771), t. II, p. 161. [20] VOLTAIRE (François-Marie AROUET, dit). — Dictionnaire philosophique, art. Gouvernement (1764).

Annexes

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[21] CONGRÈS DE PHILADELPHIE. —

Déclaration d'Indépendance

des

États-Unis d'Amérique, le 4 juillet 1776. [22] ROBESPIERRE (Maximilien). — Discours à la Convention Nationale, le 25 décembre 1793. [23] COUTHON (Georges). — Discours à la Convention Nationale, le 10 juin 1794 (22 prairial An II). [24] Roux (Jacques). — Pétition présentée à la^Convention Nationale, au nom de la section des Gravilliers, le 25 juin 1793 (Moniteur Universel, n° 179, p. 772). [25] ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE. —

Déclaration des

droits

de l'homme et du citoyen (26 août 1789), art. 1. [26] ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE. — D é c r e t d u 1 4 - 1 7 j u i n 1 7 9 1 ,

dit « Loi L e Chapelier », art. 4. [27] CONVENTION NATIONALE. — D é c r e t d u 23 août 1793. [28] ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE. —

D é c r e t d u 22 m a i

1790.

[29] CONVENTION NATIONALE. — D é c r e t d u 19 novembre 1792.

[30] CARNOT (Lazare). — Instructions du Comité de salut public aux représentants du peuple près les armées du Nord et de Sambre et Meuse, le 14 juillet 1794. [31] NAPOLÉON IER. — Lettre au tsar Alexandre IER de Russie, le 2 février 1808. [32] NAPOLÉON IER. — Note de janvier 1810 (Correspondance). [33] Cathéchisme à l'tisage de toutes les Églises de l'Empire français, éd. Mame frères, 1808. [34] NAPOLÉON IER. — Discours du 21 mars 1810. [35] NAPOLÉON I e r . — Instructions à Fouché, ministre de la police : — le 22 avril 1805. — le 13 janvier 1809. [36] NAPOLÉON I e r . — Propos tenu en 1808. [37] MAISTRE (Joseph de). — Considérations sur la France (1796). [38] GOUVERNEMENT DE S A MAJESTÉ DANS LE R O Y A U M E - U N I . —

[39] [40] [41] [42] [43] [44] [45] [46] [47]

Déclara-

tion du 29 octobre 1793. BONALD (Louis, vicomte de). — Théorie du pouvoir politique et religieux, t. II (1796).