Splendeurs des oasis d'Ouzbékistan. Sur les routes caravanières d'Asie centrale. Exposition du Louvre, 2023 8412527852, 9788412527858

L'Ouzbékistan est un fabuleux carrefour de civilisations, de rencontres et d'échanges où se croisent le monde

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French Pages 352 [345] Year 2022

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Table of contents :
Frontispice
Sommaire
Préfaces
Chronologie
Avant-propos
Prélude. L’Asie centrale avant Alexandre le Grand
Les temps des états-oasis et des royaumes (3e siècle avant J.-C. – 2e siècle après J.-C.)
États-oasis et diffusion des cultures à travers la «Route de la Soie»
Le Khorezm
Les Saka-Sarmates
Le Kangju
Koktépé, de première capitale de la Sogdiane à nécropole nomade
La cour des premiers Kouchans: Khalchayan
Le monument
Problèmes d’interprétation des reliefs
Dalverzin-tépé
Le trésor de Dalverzin-tépé
Le développement des routes caravanières: «Route de la Soie», itinéraires, échanges et commerce
L’héritage hellénistique
La coexistence des religions
Le zoroastrisme
Le judaïsme
Le bouddhisme
Le christianisme
Le manichéisme
La circulation monétaire dans l’Ouzbékistan antique
Les royaumes huns et turcs: l’apogée d’un art de décor (3e-8e siècle)
Les royaumes du milieu: les Huns et les Turcs
Les Huns
La vaisselle en argent du 4e au 6e siècle
Les Sogdiens et le commerce
Le tissage de la soie
La figure du marchand
Afrasiab et la «Peinture des Ambassadeurs»
Topographie historique et archéologique du site d’Afrasiab
Varakhsha: le site
Varakhsha: les peintures de la «salle rouge» et les stucs
Balalyk-tépé
Kafir-kala
Kafir-kala: la porte en bois
Rituels funéraires
La religion préislamique du Soghd, de la Bactriane et du Khorezm: panthéon
L’islam en Asie centrale (8e-10e siècle)
L’histoire islamique de l’Asie centrale
Le coran de Katta Langar
Le manuscrit «al-Jamiʿal Sahih« («Recueil authentique»)
Gharib al-Hadith («Expressions étonnantes dans les hadiths»)
Les Samanides
Les décorations en stuc à Samarcande aux premiers siècles de l’Islam
Boukhara: la Kaʿba de l’Empire
Une nouvelle culture matérielle
La céramique glaçurée de Tachkent des 9e-12e siècles
Les arts du métal à la période samanide
L’art du verre
Enveloppé de mystère: nouvelles considérations sur le suaire de saint Josse
D’Avicenne à Gengis Khan (11e-14e siècle)
Les dominations turques et mongoles en Transoxiane
Les Qarakhanides
Le commerce sous les Qarakhanides
Évolutions et innovations de la culture matérielle
Bouteille en argent
La quête de majesté en or et soie: commerce local et transcontinental des textiles d’Asie centrale
Les savants d’Asie centrale dans la civilisation mondiale: de al-Khwarizmi à Ulugh Beg
Les avancées de la science: d’Avicenne à Gengis Khan
Marco Polo, Devisement du monde, et autres textes
Le temps des grands empires timouride et shaybanide (dernier quart 14e-début 16e siècle)
Timourides et Shaybanides
L’ascension de Timour
Samarcande, capitale d’empire
Le décor architectural au temps des Timourides
Porcelaine et influences chinoises
Des princes et des bibliophiles
Un art de cour
Épilogue
De l’aquarelle à la photographie: la «redécouverte» de l’Asie centrale aux 18e et 19e siècles
Annexes
Glossaire
Liste des oeuvres exposées
Bibliographie
Crédits photographiques
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Splendeurs des oasis d'Ouzbékistan. Sur les routes caravanières d'Asie centrale. Exposition du Louvre, 2023
 8412527852, 9788412527858

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L!exposition « Splendeurs des oasis d 0uzbékistan » a été inaugurée le 22 novembre 2022 en présence de Monsieur le Président de la République française 1 Emmanuel Macron 1 1

et de Monsieur le Président de la République d 0uzbékistan 1 Shavkat Mirziyoyev.

Cet ouvrage accompagne l'exposition

« Splendeurs des oasis d'Ouzbékistan » présentée à Paris, au musée du Louvre, du 24 novembre 2022 au 6 mars 2023 Exposition organisée par le musée du Louvre en partenariat avec la Fondation pour le déve loppeme nt de l'art et de la culture d'Ouzbékistan, sous l'autorité du Cab inet des ministres de la République d'Ouzbékistan

Uzbekistan Art and Culture Development Foundation

Cett e exposition bénéficie du soutien d'EDF et d'Orano

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orano

En application de la loi du 11 mars 1957 (art. 41) et du Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992, toute reproduction partielle ou totale à usage collectif de la présente publication est strictement interdite sans autorisation expresse de l'éditeur. Il est rappelé à cet égard que l'usage abus if et collectif de la photocopie met en danger l'équ ilibre économ ique des circuits du livre. Illustration de la couverture:

© Mu sée du Louvre 1 Paris, 2022 www .louv re.fr © Éd itions El Viso 1 Madrid et Paris, 2022 www.ed itions elviso.com SB

sa

musée du Louvre: 978-2-35031-755 -7 édition s El Vi so: 978-84-1252785 -8

Personnage royal à dos d'éléphant combattant des fauves - Ou zbékistan, Varakh sha - Vers 730 Peinture murale - H. 181; l. 257 cm - Tachkent, Musée national des arts d'Ouzbé kista n, n° 1618 Imprimé en Union européenne Dépôt légal: quatrième trimestre 2022

Splendeurs des oasis d'Ouzbékistan Sur les routes caravanières d'Asie centrale Sous la direction de Rocco Rante et Yannick Lintz avec la co llaboration de Monique Buresi

ÉDITIONS EL VISO

MUSÉE DU LOUVRE Lauren ce des Cars Présidente-ci irectrice Kim Ph am Admin istrateur généra l Franci s Ste inbock Administrateur général adjoint Yannick Lintz Directrice du département des Arts de l'Islam Dom inique de Font -Réaulx Directrice de la Médiation et de la Programmation culturelle

CABINET DES MINISTRES DE LA RÉPUBLIQUE D'OUZBÉKISTAN LA FONDATION POUR LE DÉVELOPPEMENT DE L'ART ET DE LA CULTURE D'OU ZB ÉKISTAN AUPRÈS DU CABIN ET DES M INISTRES DE LA RÉPUBLIQUE D'OUZBÉKISTAN Sa ïda Mirziyoyeva Vice-présidente du Conseil de la Fondation pour le développement de l'art et de la culture d'Ouzbékistan auprès du Cabinet des ministres de la République d'Ouzbékistan Gayane Umerova Directrice de la Fondation pour le développement de l'art et de la culture d'Ouzbékistan, auprès du Cabinet des ministres de la République d'Ouzbékistan Babur Sayo mov Chef du département de la Coopération cult ure lle, Fon dation pour le développement de l'art et de la culture d'Ouzbékistan Azizbek Mannopov Chef de projet du département de la Coopération culturelle, Fondation pour le développement de l'art et de la culture d'Ouzbékistan

COMITÉ SCIENTIFIQUE

COMMISSARIAT DE L'EXPOSITION

Frantz Grenet, préside nt du comité scien t ifique, membre co rrespondant de l'Académie des inscriptions et belles -lettres, professeur au Collège de France et directeur de recherc he au CNRS, responsable de l'équipe« He llénisme et civilisations orientales», Paris

COMMISSAIRE GÉNÉRALE Yannick Lintz, directrice du département des Arts de l'Islam,

Yannick Lintz, co mmissaire géné rale de l'expos ition, conservatrice générale du Patrimoine, directrice du département des Arts de l'Islam, musée du Louvre, Paris Rocco Rante, com mi ssaire scienti fi que de l'exposition, archéologue, département des Arts de l'Islam, musée du Louvre, Paris Fréd érique Brunet, chargée de recherche, CNRS - UMR 7041 « ArScAn », Nanterre, et directrice de la Mission archéologique française en Asie ce ntra le (MAFAC) Djangar llyasov, archéologue, Institut d'étude des arts de l'Académie des Sciences de la République d'Ouzbékistan, Tachkent Pavel Lurje, archéologue, musée de ['Ermitage, chargé des co llections de l'Asie cent rale, Sai nt-Pétersbourg Tigran Mkrtyc hev, directeur du Musée national des Arts du Karakalpakstan nommé d'après 1. V. Savitsky, Nukus Shakirdjan Pidaev, di recteur, Instit ut d'ét ude des arts de l'Académie des Sciences de la République d'Ouzbékistan, Tachkent Fran cis Richard, conservateur gé.néra l honora ire du Patrimoine, Paris

musée du Louvre COMM ISSAIRE SCI ENTI FIQU E Rocco Rante, archéologue, département des Arts de l'Islam, musée du Louvre Avec la collaboration de Mo nique Buresi, documentaliste sc ientifique, département des Arts de l' Islam, musée du Louvre, pour l'édition du présent ouvrage SCÉNOGRAPHIE DE L'EXPOSITION BGC Studio, lva Berthon Gajsak et Giova nna Comana

MUSÉE DU LOUVRE

ÉDITION

DIRECTION DE LA MÉDIATION ET DE LA PROGRAMMATION CULTURELLE

MUSÉE DU LOUVRE

Michel Antonpietri, Céline Brunet-Moret, Aline François-Colin et Fabrice Laurent, adjo ints à la directrice

EXPOSITION Marie -Julie Chastang Chef du service des Expositions Laura Clair Adjointe à la chef de service

DIR ECT ION DE LA M ÉD IATI ON ET DE LA PRO GRAMMATI ON CULTURELLE Violaine Bouvet-Lanselle Chef du se rvice des Éditio ns DIRECT ION DE LA RECHERCH E ET DES CO LLECTIONS Anne-Myrtille Renou x Chef du se rvice des Ressou rces documenta ires et éditoriales Sonia Georget Co llecte de l'iconographie

Victorine Majani d' lnguimbert Coordinatrice de l'exposition

DÉPARTEMEN T DES ARTS DE L'ISLAM

Karima Hammache Chef du se rvice du Suivi des projets

Monique Buresi Coord ination édito riale

Émilie Langlet Adjointe à la chef de service

Alejandra Tafur-Manrique Coordination de l'iconograp hie

Delphine Pré vost Conducteur de trava ux

ÉDITIONS EL VISO

Aline Cymbler Chef du service des Ateliers muséographiques

Gonzalo Saa vedra Direct eur

Karim Courcelles Adjoin t à la chef de service

Nicolas Neumann Di rect eur éditorial France

Les t reize ateliers muséographiques métiers d'art, planification, coordinateurs techniques et assistants

Marie Meyer-Vacherand et Raphaëlle Agimont Assistantes éd ito riales

Sophie Hervet Chef du service de la Médiation graphique et numérique

Denis Richerol Fabric ation

Carol Manzano et Moïra Filial Adjo intes à la chef de service Margaret Gra y Graphist e Cé cile Guillermin Coo rdi natrice gra phique et signalétique Aurélien Vigourou x - AVE Culture Assist ant à la maît rise d'ouvrage pour la conception et la production des dispositifs de méd iation Mardi8-ICONEM Production des dispositifs numériques

Laurent Lempereur Coord ina t ion et suivi éditorial Anne Chapoutot, Anne-Sophie Hoareau Castillo et Christophe Parant Rév ision des text es Marie Nicol Concept ion graphique et mise en page

TRADUCTIONS Julie Raewsky Trad ucti on du russe vers le français Hélène Glanville Traduction de l'anglais ve rs le français Élisabeth Agius d'Yvoire Traduction de l'a lleman d vers le français

PRÊTEURS Boukhara, Musée national de Boukhara-Réserve Boukhara, Musée historique de Paykend Lisbonne, Fondation Calouste Gulbenkian Londres, The British Library Londres, The British Museum Londres, collection particulière Nukus, Institut de recherche en sciences humaines du Karakalpak Paris, musée des Arts décoratifs Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Monnaies, Médailles et Antiques Paris, Bibliothèque universitaire des langues et civilisations (BU LAC) Paris, Musée national des Arts asiatiques - Guimet Paris, musée du Louvre, département des Arts de l'Islam Samarcande, Musée national d'histoire, d'architecture et d'art Réserve Samarcande, Musée historique de Samarcande « Afrasiab » Samarcande, Centre national d'archéologie Shahr-i Sabz, réserve du Musée national Shahr-i Sabz Tachkent, Institut des études orientales Abu Rayhan Biruni Tachkent, Banque centrale de la République d'Ouzbékistan Tachkent, Institut des beaux-arts de l'Académie des Sciences de la République d'Ouzbékistan Tachkent, Conseil musulman d'Ouzbékistan Tachkent, Université nationale d'Ouzbékistan Tachkent, Musée national des arts d'Ouzbékistan Tachkent, Musée national d'histoire des Timourides Tachkent, Musée national d'histoire d'Ouzbékistan Te rmez, Musée archéologique

Maria Feli ciano, historienne de l'art, New York Gwe naëlle Felli nger, conservatrice en chef, département des Arts de l'Islam, musée du Louvre, Paris Henri-Paul Francfort, membre de l'Institut - Académie des inscriptions et belles-lettres, directeur de recherche émérite, CNRS - UMR 7041 « ArScAn », Nanterre Svetlana Gorshenina, directrice de recherche, Eur'ORB EM, CNRS/ Sorbonne Université, UMR 8224, Paris Frantz Grenet, membre correspondant de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, professeur au Collège de France, directeur de recherche au CNRS, responsable de l'équipe « Hellénisme et civilisations orientales», Paris Takako Hokosawa, historienne de l'art, Tokyo Djangar llya sov, archéologue, In stitut des beaux-arts de l'Académie des Sciences de la République d'Ouzbékistan, Tachkent Saida llyasova, archéologue, Centre national d'archéologie de l'Académie des Sciences de la République d'Ouzbékistan, Tachkent Yury Karev, chargé de recherche, Archéologie & Philologie d'Orient et d'Occident (AOROC), UMR 8546, CNRS-ENS, Paris Étienne de La Vaissière, directeur d'études, École des hautes études en sciences sociales (EH ESS / CeTOBaC UMR 8032), Aubervilliers Yannick Lintz, conservatrice générale du Patrimoine, directrice du département des Arts de l'Islam, musée du Louvre, Paris Pavel Lurje, archéologue, musée de !' Ermitage, chargé des collections de l'Asie centrale, Saint-Pétersbourg Charlotte Maury, chargée de collection, département des Arts de l'Islam, musée du Louvre, Paris Tigran Mkrtychev, directeur, musée Igor Savitzky, Nukus Andrey Omelchenko, archéologue, musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg Jürgen Paul, professeur émérite, Université Martin-Luther de Halle-Wittenberg, Halle Shakirdjan Pidaev, directeur, Institut des beaux-arts de l'Academie des Sciences d'Ouzbékista n, Tachkent Ségolène de Pontbriand, directrice de la Mission archéologique franco -ouzbèke de Bactriane du Nord (mission Bactriane); chercheur associé, laboratoire ARSCAN UMR 7041, équipe Archéologie de l'Asie centrale Yves Porter, professeur, Aix-Marseille université, UMR 7298, LA3M, Aix-en -Provence Rocco Rante, archéologue, département des Arts de l'Islam, musée du Louvre, Paris Claude Rapin, archéologue et directeur de la Mission archéologique franco-ouzbèke de Sogdiane (AOROC, UMR 8546, CNRS-ENS), Paris Edvard V. Rtveladze, historien, Académie des Sciences de la République d'Ouzbékistan, Tachkent (t) Francis Richard, conservateur général honoraire du Patrimoine Laure Rioust, chargée de collections, département des Manuscrits, Bibliothèque nationale de France, Paris Regula Schorta, directrice, textiles d'Asie centrale et Chine, Abegg-Stiftung, Riggisberg Florian Schwarz, directeur, Institut d'études iraniennes de l'Académie aut richienn e des sciences, Vienne Dilora Yusupova, archéologue, Académie des Sciences de la République d'Ouzbékistan, Tachkent

AUTEURS Bakhrom Abdukhalimo v, vice-prés ident de l'Académie des sciences de la République d'Ouzbékistan, Tachkent Viola Allegranzi, chercheur post-doctoral, Institut des études iraniennes, Académ ie autrichienne des sciences, Vienne; membre du projet archéologique islamique de Ghazni, Gerda Henkel Stiftung Università di Napoli ' L'O rientale", Naples Sandra Aube, cha rgée de recherche au CNRS, Centre de recherche sur le monde iranien (UMR 8041), directrice de l'unité support aux Études aréales (UAR 2999), directrice adjointe du GIS Moyen-Orient et mondes musulmans Alisher Begmatov, archéologue, Centre national d'archéologie, Samarcande Gennadiy Bogomolov, archéologue, Centre national d'archéo logie, Samarcande Valentina Bruccoleri, historienne de l'art, Université Ca' Foscari, Venise Frédérique Brunet, chargée de recherche, CNRS - UMR 7041 « ArScAn », Nanterre; direct ri ce de la Mission archéologique française en Asie centrale (MAFAC) Annabelle Collinet, ingénieure de recherche, département des Arts de l'Islam, musée du Louvre, Paris François Déroche, membre de l'Institut - Académie des inscriptions et belles-lettres et professeur au Collège de Fra nce, Paris Dilnoza Duturaeva, historienne, Académie des Sciences de la République d'Ouzbékistan, Tachkent

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TRADUCTEURS

PEINTURE MURALE Géraldine Fray et Tristan Maheo (fig. 104), Géraldine Fray, Marie Gouret et Tristan Maheo (fig. 106), Géraldine Fray, Marina Reutova (fig. 172, 173 et 174), Géraldine Fray, Marina Reutova, Gulnora Akhatova, Gulbahor Pulatova, Bahridin Boliev, Sanat Rojamov, Munira Sultanova et Gulnosa Umarova (fig. 92), Géraldine Fray et Vladimir Yagodin (fig . 12)

Ju lie Raewsky Traductions du russe vers le français pour les textes de Bakhrom Abdukhalimov, Alisher Begmatov, Di lnoza Duturaeva, Djangar llyasov, Saida llyasova, Shakirdjan Pidaev, Pavel Lurje, Tigran Mkrtychev, Edvard V. Rtveladze, Dilora Yusupova

TERR E CRU E ET STUC Anne Liégey et son équipe: Luci e Antoine, Nathalie Bruhière, Anne Courcelle, Clément Delhomme, Béatrice Dubarry-Jallet, Charlotte Ji menez, Véronique Picur, Jeanne-Marie Setton, Alice Wallon-Ta riel (fig. 28, 29, 30, 31, 32, 35, 37, 38, 40, 41, 42, 64, 94, 105, 115, 117, 119, 120, 121, 123, 130 et 133)

Hélène Glanville Traduction de l'anglais vers le français pour les textes de Gayane Umerova, Jürgen Paul, Rocco Rante et Florian Schwarz, Takako Hokosawa, Maria Feliciano Élisabeth Agi us d'Yvoire Traduction de l'alle mand vers le français pour le texte de Regula Schorta

ARTS DU FEU: CÉRAM IQ UES ET VERR E Anne Liégey et son équi pe : Horten se de Corneillan, Sandrine Gaymay, Caroline Mottais, Jeanne -Ma rie Setton (fig. 58, 89, 150, 240, 241, A-1-27, 146, 147, A-49-452, 149, 151, 175, 179, 180, 182, 183, 186, 238 et 243; 157)

PHOTOGRAPHE Andrey Arakelyan pour les prises de vue des ceuvres en provena nce d'Ouzbékistan

AVERTISSEMENT CARTOGRAPHIE

Transcription du russe

Les cartes ont été réalisées par Légendes Cartographie

>K = zh ; v1 = i ; 111 = j ; Y = u ; X = kh ; Ll = ts ; 4 = ch ; W = sh ; U( = shch; b = '; bl =y; b = '; 3 = è; IO = ju; R = ja.

RESTAURATEURS Pour l'arabe, le turc et le persan

Plusieurs ceuvres de cette exposition ont fait l'objet d'une analyse approfondie de leur état de conservation, d'un nettoyage, d'une consolidation et/ou d'une stabilisation toutes opérations recensées dans un rapport d'i ntervention, afin de pouvoir être transportées et présentées dans les meilleures conditions possibles.

La transc ription des noms de l'ouvrage a été volonta irement simplifiée: n'y°sont notées ni les voyelles longues ni les lettres emp hatiques. La lettre gutturale ayn est introduite par le signe « », quelle que soit sa position dans le mot; en revanc he, la hamza (« ») n'a pparaît qu'en position médiane, jamais en position initia le ou finale . La shadda est systématiquement indiquée par le redoublement de la consonne ou de la semivoyelle (exemple: dhu al-hijja). Par ailleurs, les lettres arabes suivantes so nt transcrites ainsi : tha =th; shin = sh; ha = h; kha = kh ; ghayn = gh ; qaf = q. Nous n'avons pas élidé l'alif devant la seconde lettre de l'article; ainsi avons-nous noté Abu al-Hasan plutôt qu'Abu'lHasan.

BOIS Delphine Élie-Lefebvre et Thierry Palanque (fig. 225), Delphine Élie- Lefebvre et Marina Reuto va et son équipe (fig. 108) IVOIR E ET OS Delphine Élie-Lefebvre et Camille Alembik (fig. 20, 43, 21, 22, 140) MÉTAL ET PIERRE Shéhérazade Bentouati (fig. 189, 191, 190), Clara Huyn h (fig. 81, 82, 197 et 191), Christine Pariselle (fig . 155), Christine Pariselle et Dilmurad Kholov (fig. 199), Christine Pariselle, Nargisa Qalandarova et Vazgen Minosyans (fig. 25), Olivier Ta voso (fig. 16, 194, 188 et 262)

Pour le chinois, le système officiel pinyin a été adopté. Dans le respect de la tradition académ iqu e française, puisque le catalogue est en langue française, nous employons la dénomina tion de Tamerlan plutôt qu 'Amir Timour. Les deux dénominations font référence au même personnage histo rique .

PARCHEMIN Axelle Deleau, Aurélia Stréri, assistées de Saidrakhmat, Komoliddin et Shukhrat Pulatov (fig. 126)

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REMERCIEMENTS

) L

exposition« Splendeurs des oasis d'Ouzbékistan » est le fruit d'un travail de longue ha leine pendan t

lequel, à plus ieurs reprises, les équipes mobilisées ont dû reten ir leur souffle en raison des circonstances imprévisibles liées à la pandémie.

L'idée de cette exposition est née et a mûri dans le cad re de la mission archéologique ouverte en 2009 dans l'oasis de Boukhara, en Ouzbékistan. Nos premiers remerciements vont donc à l'ancien président-directeur du musée du Louvre, Hen r i Loyret te, qui s'est rendu en visite officielle en Ouzbékistan pour visiter les fouilles du musée du Louvre. C'est à ce moment que l'idée d'une exposition s'est imposée. Diverses vic issitudes ont repoussé à 2016 l'officialisation de la programmation de cette exposition, quand l'ancien président-directeur du musée, Jean-Luc Mart inez, que nous remercions, a décidé d' inscrire cet événement au calendrier de l'a nnée 2019. Tous nos remerciements vont, enfin, à l'actuelle présidente - directrice du musée du Louvre, Laurence des Cars, qui a pris ce projet à bras-le - corps, le remettant sur les rails et le reprogrammant pour novembre 2022. Un remerciement particulier va à Matthias Grolier1 qui a repris avec d iplomatie 1 lors de son arrivée au musée du 1 Louvre, ce projet international d envergure. 1 Cette exposition n aurait jamais vu le jour sans le partenariat avec la Fondation pour le développement des arts et 1 de la culture d 0uzbékistan, qui a coordonné l'ensemble des préparatifs en Ouzbékistan . À cet égard 1 nos profonds remerciements vont à la directrice générale 1 Gayane 1 Umerova1ainsi qu à son équipe 1 Bab ur Sayomov1Azizbek Mannopov1 Nigora Tursunova 1Ti mur Nazirov 1qu i ont géré cet événement et ont fait face aux nombreuses difficultés avec sang-froid et professionnalisme . Notre reconna issance va également à l'ancien ambassadeur de la République d'Ouzbékistan, Ravshan Usmanov, et à l'actuel ambassadeur, Sardor Rustambaev, qui n'ont cessé de soutenir le projet. Nos remerciements vont de même aux ambassadeurs de la Rép ublique française, qui ont œuvré activement pour faciliter les liens avec les différents partenaires ouzbeks.

Nous voudrions avoir ici une pensée particulière pour l' implication du comité sc ientifique, qui associait d'ém inents spécialistes ouzbeks 1 russes et français. Ce comi t é, qui a été préc ieux pour établir les séquences pert inentes de cette vaste histo ire culturelle, nous a accompagnés et écla irés à chaque étape du projet. Nous aimerions saluer ici l'engagement exceptionnel du président de ce comité, le professeur Frantz Grenet, qui n'a ménagé ni ses heures ni ses contacts pour avancer avec nous et qui nous a fait bénéfi cier à chaque instant de sa science impressionnante sur l'Asie cen trale. Pour leur étroite et indispensable collaboration, nous tenons de même à remercier chaleureusement tous les directeurs des musées d'Ouzbék istan qui ont participé à ce projet. Ces co llègues et leurs équipes se sont mobilisés sans relâche de façon à prêter des œuvres remarquables qui font partie de leur trésor national. Nous tenons à saluer la généros ité de nos col lègues anglais et frança is sur ce point, notamment la Bibliothèque nationa le de France, en particulier le département des Manuscrits et le Cabinet des médailles, qui ont soutenu notre projet par des prêts exceptionnels. Notre reconnaissance sincère va aussi à l'e nsemble des auteurs de l'ouvrage . Ouzbeks 1 russes 1 suisse, frança is, ils ont tous accepté de faire bénéficier le publ ic de leur science et ont accompagné le projet sur le long terme. Nous aimerions souligner également l'engagement excep tionne l de cinq restau ratrices françaises - Axe lle De leau, Delphine Élie - Lefebvre, Géraldine Fray, Anne Liégey, Christine Pariselle - qui ont accepté de se lancer dans un formidable chantier de restauration des œuvres en Ouzbékistan, fa isant bénéficier leurs collègues ouzbèkes de leur savoir-faire et de leur esprit de partage, ce qui s'est traduit par des résultats époustouflants sur de nombreux chefs-d 'œuvre. S'agissant d'une exposition internationale, le travail des équipes internes du musée du Louvre s'est avéré d'une grande complexité pour ce qui est de la gestion adminis t rative, financière et logistique . Nous teno ns à remercier, à la d irection de la Médiation et de la Programmation culturelle, Dominique de Font-Réaulx, qui a toujours soutenu ce projet, même dans les moments les plus diffic iles, ains i que Kar ima Hammache et les équipes de

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la DMPC, qui nous ont fait bénéficier de leurs compétences . Nos remerc iements vont bien évidemment à 1 Victorine Majani d lnguimbert, qui a suivi ce travail avec 1

constance, courage et enthousiasme, ainsi qu à Jeanne 1 Chevrier, qui l a accompagné vigoureusement, et à MarieJulie Chastang et Laura Clair. Nous ne saurions oublier le service des Ateliers muséographiques, sous la houlette 1 d Aline Cymbler et de Karim Courcelles. Dans le même contexte international, nos remerciements vont à la direction des Relations extérieures, en particulier à Sophie Grange, Coralie James, Laurence Roussel, Maylis Neveux, Nadia Refsi, Pamela Komar, Noëlie Bernard, Sophie Walter, Théo Lejean, Yoko Sfoggia 1 et Isabel Lou-Bonafonte, ainsi qu à la sous-direction du Mécénat, Yann Le Touher et Charlotte Carrier, qui a œuvré 1 efficacement afin d obtenir des financements extérieurs 1 au musée, notamment de la part d EDF, notre généreux mécène, auquel nous adressons notre reconnaissance. Toujours dans ce cadre international, nos remerciements vont à Frédé rique Vernet, Ève-Amélie Proust, Mélissa Lecuyer, Marie-Aude Wilkin, Robin Kopp et Thomas Combret, de la Direction financière et juridique, et à Céline Jaeger, de la direction de la Médiation et de la 1 Programmation culturelle, qui ont œuvré à l établisse1 1 ment du cadre contractuel et à l achèvement d une belle convention avec les partenaires ouzbeks . Au service des Éditions, nos remerciements vont à Violaine Bouvet-Lanselle qui, avec sa vaste expérience, a mené tambour battant l'organisation nécessaire à la réalisation du catalogue. Nos remerciements vont éga lement à Sonia Georget, qui avait la lourde tâche de la collecte des images, ainsi qu'au photographe Andrey Arakelyan, qui a photographié les œuvres en provenance d'Ouzbékistan. Toute notre gratitude va à la prodigieuse relectrice Anne Chapoutot, dont les corrections ont été 1 1 indispensables, ainsi qu à l éditeur El Viso, son directeur « France» Nicolas Neumann, et Laurent Lemp ereur, qui 1 ont été d une vig ilance constante et ont accompagné 1 les différents tempos de l ouvrage, sans oublier Gonzalo Saavedra, qui a accueilli notre projet avec générosité. Merci infiniment à Marie Nicol pour sa belle mise en pages et aux traducteurs, Julie Raewsky, Hélène Glanville, 1 Élisabeth Agi us d Yvoire, qui ont contribué à ce catalogue 1 d exception. Merci pour les belles cartes à Légendes Cartographie .

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Un merc i particulier aussi à l éq uipe Médiation, Sophie Hervet, Moira-Marie Filial, à Cécile Guillermin et particulièrement à Aurélien Vigouroux, notre prestataire au merveilleux accent toulousain, qui a suivi de façon infatigable le rythme intense de ce projet, et à la graphiste Margaret Gray pour so n talent exceptionnel. Nos remerciements vont également à Guillaume Fontaine - Hanriot pour son travail sur les projets numériques. Le service des Productions numériques et audiovisuelles, Malté Labat, Estelle Savariaux, Maryam Josheni, ont œuvré à la mise en œuvre du film documentaire, réalisé par Poissons Volants, sa directrice Sophie Goupil, et le réalisateur Jivko Darakchiev: merci à ces équipes pour leur professionna li sme et leur attachement à ce projet. Nos remerciements particuliers vont à nos scénographes lva Berton Gajsak et Giovanna Coma na, BGC Studio, ainsi 1 qu à toutes les équipes qui ont contribué à la réussite de 1 la scénographie spectaculaire de l exposition . Enfin, nous remercions également les sociétés Mardi8 et ICONEM, qui ont travaillé sur les projets immersifs. Leur 1 contribution est un atout important de l exposition et sera 1

1

force d émulation pour d autres projets. Nous aimerions terminer en témoignant notre infinie 1 1 reconnaissance à l ensemble de l équipe du département 1 des Arts de l lslam, qui a su se mobiliser sur les différents chantiers : les contr ibutions au catalogue, le suivi plus que précieux de la campag ne photographique par notre merveilleuse Alejandra Tafur-Manrique, et la prise en charge des œuvres des prêteurs. Nos remerciements vont aussi à Annabelle Collinet, Charlotte Maury et Gwenaëlle 1 Fellinger, ainsi qu à Isabelle Luche et Mathilde Debelle, qui ont été très présentes dans les moments importants 1 de l exposition. Un remerciement particulier va à Monique Buresi, qui a pris à cœur la réuss ite de cette exposition et du travail 1 1 autour de l ouv rage . Sans elle, nous n aurions certaine1 1 1 ment pas trou vé l énergie d aller jusqu au bout.

SOMMAIRE

12 16 19

Préfaces Chronologie Avant-propos

92

Le christianisme Frantz Grenet

93

22

Prélude : L'Asie centrale avant Alexandre le Grand Frédérique Brunet

Le manichéisme Frantz Grenet

94

La circulation monéta ire dans l'Ouzbékistan antique Edvard V. Rtveladze

98

LES ROYAUMES HUNS ET TURCS : L'APOGÉE D'UN ART DE COUR (3•-8• SIÈCLE)

100

Les royaumes du milieu : les Huns et les Turcs Frantz Grenet

104

Les Huns Ojangar llyasov

28

30

LE TEMPS DES ÉTATS-OASIS ET DES ROYAUMES (3• SIÈCLE AVANT J.-C. 2• SIÈCLE APRÈS J.-C.) États-oasis et diffusion des cultures à travers la « Route de la Soie » Rocco Rante

34

Le Khorezm Frantz Grenet

38

Les Saka-Sarmates Henri-Pau/ Francfort

-

108

La vaisse lle en argent du 4' au 6' siècle Frantz Grenet

42

Le Kangju Ojangar 1/yasov

110

48

Koktépé, de première cap itale de la Sogdia ne à nécropo le nomade Claude Rapin

116

Le tissage de la soie Regula Schorta

119

La figure du marchand Rocco Rante Afra siab et la « Peinture des Ambassadeurs » Frantz Grenet

51

La cour des premiers Ko uchans : Khalchayan

~es Sogdiens et le commerce Etienne de La Vaissière

51

Le monument Shakirdjan Pidaev

125

56

Problèmes d'interprétation des reliefs Frantz Grenet

132

Topographie historique et archéologique du site d'Afrasiab Frantz Grenet

134

Varakhsha : le site Rocco Rante

138

Varakhsha : les pei ntures de la« salle rouge» et les stucs Frantz Grenet

143

Bala lyk-tépé Shakirdjan Pidaev

146

Kafir-kala Alisher Begmatov et Gennadiy Bogomolov

149

Kafir-kala : la porte en bois Frantz Grenet

60 68 71

75 83

Dalverzin-tépé Ojangar 1/yasov et Tigron Mkrtychev Le trésor de Dalverzin -tépé Djangar 1/yasov et Tigron Mkrtychev Le développement des routes caravanières : « Route de la Soie », iti néraires, échanges et commerce Pavel B. Lurje L'héritage hellénistique Ségolène de Pontbriand La coexistence des religions

83

Le zoroastri sme Frantz Grenet

154

86

Le judaïsme Frantz Grenet

160

87

Le bouddhisme Tigron Mkrtychev et Shakirdjan Pidaev

Rituels funéraires Frantz Grenet La re ligio n préislamique du Soghd, de la Bactriane et du Khorezm : panthéon Pavel B. Lurje

164

L'ISLAM EN ASIE CENTRALE (8•-10• SIÈCLE)

166

L'histoire islamique de l'Asie centrale Jürgen Paul

171

Le coran de Ka tta Langar François Déroche

174

Le manuscrit« al-Jami ' al-Sahih » (« Recueil authentique») Bakhram Abdukhalimov

175

Gharib al-Hadith (« Expressions éton nantes dans les hadiths») Bakhram Abdukhalimov

176 180

Les Samanides Rocco Rante Les décorations en stuc à Samarcan de aux premiers siècles de l'Islam Viola Allegranzi et Sandra Aube

242

246

252

La quête de majesté en or et soie: commerce local et transconti nental des textiles d'Asie centrale Maria Feliciano Les savants d'Asie centrale dans la civilisation mondiale : de al-Khwarizmi à Ulugh Beg Bakhram Abdukhalimov Les avancées de la science : d'Avicenne à Gengis Khan Francis Richard

256

Marco Polo, Devisement du monde, et autres textes Laure Rioust

260

LE TEMPS DES GRANDS EMPIRES TIMOURIDE ET SHAYBANIDE (DERNIER QUART 14•-DÉBUT 16• SIÈCLE)

262

Timourides et Shaybanides Yves Porter

183

Boukhara : la Ka'ba de l'Empire Rocco Rante et Florian Schwarz

269

L'ascension de Timour Oilora Yusupova

189

Une nouvelle culture matérielle Annabelle Collinet

275

Samarcande, capita le d'empire Yves Porter

194

La céramique glaçurée de Tachkent des 9·-12' siècles Saida llyasova

198

Les arts du métal à la période samanide Annabelle Co/linet

202

L'art du ve rre Takako Hokosawa

206

Enveloppé de mystère : no uvelles considérations sur le suaire de saint Josse Gwenaëlle Fellinger

210

D'AVICENNE À GENGIS KHAN (ll•-14• SIÈCLE)

212

Les dominations turques et mongoles en Transoxiane Francis Richard

217

Les Qarakhanides Yury Karev

224

Le commerce sous les Qarakhanides Dilnoza Duturaeva

230

Évolutions et innovations de la cu lture matérielle Annabelle Collinet

240

Bouteille en argent Andrey Omelchenko

284

Le décor architectura l au temps des Timourides Sandra Aube

289

Po rcelaine et influences chino ises Valentino Bruccoleri

292

Des princes et des bibliophiles Charlotte Maury et Francis Richard

306

Un art de cour Annabelle Col/inet

314 316

ÉPILOGUE De l'aquarelle à la photographie : la « redécouverte » de l'Asie centrale aux 18· et 19• siècles Svetlana Gorshenina

322 323 328 334

ANNEXES Glossaire Liste des œuvres exposées Bibliographie

;

PREFACE Sa ïda Mirziyoyeva Vice-présidente du Conseil de la Fondation pour le développement de l'art et de la culture d'Ouzbékistan auprès du Cabinet des ministres de la République d'Ouzbékistan

) L

Ouzbékistan est une terre de merveilles, dont la riche histoire s'étend sur des millénaires. Un territoire où des civilisations se sont affrontées, des empires se sont développés puis effondrés, où des armées ont lutté pour le contrôle des oas is et des routes commerciales . Les vainq ueurs ont prospéré. Ils avaient accès à l'intégralité du monde connu dont ils occupaient le centre, réunissant l'Orient et l'Occident et jouissant autant de l'afflux des richesses que du flux des idées. En prenant la responsabilité de notre passé et en travaillant à notre avenir, nous préservons leur héritage. Les sociétés les plus prospères ont toujours appris de leur passé. L'histoire est le guide qui recueille la sagesse des générations précédentes. Pour apprendre de notre passé, nous devons constammen t chercher les moyens d'exploiter ces connaissances . Ce passé ne disparaît jamais sans laisser de traces. Les anciennes cultures sont encore vivantes en nous. Leurs créat ions sont notre patrimoine. Leur histoire nous éclaire sur leurs modes de vie, leurs goûts, leurs croyances . Les chercheurs explorent ces réc its pour nous faire comprendre notre passé. Notre objectif est de faire revivre la réalité des époques révolues, de la restituer dans toute sa complexité et de la faire connaître au plus grand nombre. 1 De magnifiques ceuvres d art nous éme rve ill ent et nous incitent à travai ller ardemment pour assurer au monde un aven ir bénéfique. L'Ouzbékistan possède un r iche patrimoine, créé par nos ancêtres issus de cultures et d'origines différentes. Nous en savons beaucoup sur les merveilles de cette terre grâce au travail des archéologues qui les ont mises au jour et minutieusement étudiées, pièce par pièce, au cours des décennies passées . Nous leur en sommes reconnaissants, et notre mission est de soutenir tous ceux qui souhaitent étudie r notre riche passé et le rendre accessible à un public plus large . C'est avec cette ambition que nous avons le plaisir de présenter cet ouvrage. Les lecteurs du monde entier y découvriront la splendeur des vi lles de l'Ouzbékistan anc ien, la puissance de ses héros, l'ambition de ses marchands, l'érudition de ses savants, le talent de ses artistes et de ses artisans, qui ont fait de notre terre le sujet de mythes et de légendes . Nous sommes heu reux de partager avec vo us la réa lité de son existence .

, PREFACE Gayane Umerova Directrice exécutive de la Fondation pour le développement de l'a rt et de la culture d'Ouzbékistan auprès du Cabinet des ministres de la Répub lique d'Ouzbékistan

a Route de la Soie a toujours fasciné les spécialistes et captivé le grand public avec des images de richesses exubérantes, de cultures étrangères et d'aventures palpitantes. Les anciennes routes commerciales reliaient les sociétés et rassemblaient des te rres lointaines. Les marchands ont aidé à diffuser les styles artistiques et à diffuser les connaissances, ont créé des communautés diverses et inclus ives qui ont prospéré pendant des siècles. Aujourd'hu i, cet héritage démontre à quel point l'échange d'idées, de technologies et de réalisations artistiques est crucial pour le développement du monde. L'exposition Splendeurs des oasis d'Ouzbékistan. Sur les routes caravanières d'Asie centraleprésente le passé multiforme de la région dans l'un des plus grands musées du monde . L'exposition s'étend sur des millénaires couvrant la période allant des 5-6 siècles avant JC jusqu'à l'ère des Timurides. Il nous a fallu des années de collaboration avec nos collègues européens pour rendre ce projet possible et nous sommes ravis de cette réalisation majeure pour l'Ouzbékistan et la Fran ce. L'équipe du musée du Louvre a accompli l'exploit spectaculaire de rassembler de s pièces inestimables provenant de diverses collections majeures de France, du Portugal, du Royaume -Uni et des États-Unis, qui complètent un vaste éventail de pièces d'Ouzbékistan . De nouvelles recherches archéolog iques ont également été menées, ajoutant de nouveaux matériaux historiques passionnants. L'exposition présente des œuvres d'art un iques, des miniatures aux fresques, objets religieux sacrés,objets finement élaborés ainsi que de rares manuscrits. C'est un honneur pour la Fondation pour le développement de l'art et de la culture d'Ouzbékistan auprès du Cabinet des ministres de la République d'Ouzbékistan, de souteni r l'exposition et de s'associer au musée du Louvre. Nous apprécions que notre projet ait été accueilli favorablement et remercions la présidente-directrice Lauren ce des Cars pour sa confiance et son enthousiasme. Nous remercions l'incroyable équipe, dirigée par Yannick Lintz et Rocco Rante, qui a organisé l'expos ition et produit un catalogue riche et com plet, ainsi que les brillants universitaires et archéolo gues des deux pays qui ont contribué au projet, notamment Djangar llyasov et le Dr Shakirdjan Pidaev. Nous sommes reconnaissants à l'éq uipe de conservateurs-restaurateurs du musée qui a mis en œuvre ses compétences pour restaurer des œuvres d'art inestimables. Il a fallu des années pour parvenir à interven ir scrupuleusement sur ces artefacts uniques. L'une des pièces les plus remarquables est une sculpture unique en bois carbonisé de Kafir-kala qui a été découverte en 2017. Le panneau remonte à l'ère de la civilisation sogdienne et n'a jamais été exposé auparavant. Nous sommes profondément redevables au professeur Frantz Grenet. Ses innombrables expéditions ont créé une base pour les prochaines générations de chercheurs ainsi que des opportunités pour les professionnels d'autres domaines de faire de nombreuses découvertes et de mieux comprendre les histoires complexes de la Route de la Soie. Nous exprimons notre gratitude aux cinéastes Jivko Darakchiev et Yves Nilly qui ont créé un documentaire passionnant sur l'Ou zbékistan et son rôle de centre culturel unique à travers l'histoire. Cette exposition est une avancée majeure pour l'érudition sur l'histoire de la région. Cela démontre à quel point il est important d'effectuer des recherches sur notre patrimoine culture l et de le promouvo ir. Notre objectif est de donner accès à notre histoire unique au public mondia l. C'est aussi une manifestation exceptionnelle de la re lati on fructueuse entre la France et l'Ouzbékistan. Les échanges culture ls créent de nouve lles occasions de renco ntres pour nos sociétés et nous aident à développer ensemble notre avenir. Comme dans l'An tiquité, la coopération cu ltu relle est au cœur du progrès .

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PREFACE Laurence des Cars Présidente -directrice du musée du Lou vre

vec« Splendeurs des oasis d'Ou zbékistan», le Lo uvre entreprend une incursion inédite et envoûtante vers l'Asie centrale sur la route na turel le et mil lénaire qui mène à la Chine. La vo ie qu'emprunte ains i le musée ne doit toutefois pas surprendre. Depuis 2009, le département des Arts de l'Islam mène en effet un programme de fouilles archéologiques dans l'oasis de Boukhara, en Ouzbékistan, créant un lien nature l avec nos collections dites« iraniennes», puisque l'aire géographique de la culture iranienne des débuts de l'Is lam au 15e siècle intègre par la langue l'art et la religion l'est de l'Iran jusqu'aux confins de la Chine . On y trouve l'Afghanistan et l'ensemble de l Asie ce ntrale, et les vil les aux noms mythiques que sont Samarcande et Boukhara, ains i que bien d'autres oasis, qui deviennent rapidement des capitales intellectuelles cu lture lles et artistiques après l'arrivée de l'islam. À l'heure où les rapports entre l'Orient et rn cc ident se recomposent, le musée du Louv re, fi dè le à sa miss ion continue d'interroger les va leurs universe lles de ses collections et de son offre culturelle. Il s'éloigne des géographies circonscrites aux aires des civilisations, qui quelquefo is l'identifient dans l'esprit de nos visiteurs pou r mieux explo rer les visions et les imaginaires de l'Asie centrale et ainsi mettre à l'honneu r un centre intellectue l cu ltu rel et artistique souvent méconnu et qui a pourtant nourri la rgement le développement de la civilisation orientale jusqu'en Méd iterranée grâce à sa place au carrefour de l'lnde de la Chine et de l'Iran. L'expositi on nous emmène donc au cœur de cette contrée sou rce de bien des rêves et des images depuis les conquêtes d'Alexandre le Grand et des Arabes jusqu 'au voyage de Marco Po lo, et où résonnent toujours les noms légendaires de Gengis Khan ou de Tamerlan (Ti mour). Les œuvres aujo urd'hu i présentées au Louvre sont exce ptionnelles, et constituent pour la plus grande partie d'entre elles des trésors nationaux de l'Ouzbékistan jamais montrés en Occident. J'aimerais ic i saluer chale ureuse ment la confiance et la générosité de nos collègues, avec lesquels nous colla borons depu is déso rmais treize années. L'organisation parti culièrement complexe de ce projet d'ampleur n'aura it pas été poss ible sans le partenariat avec la Fonda tion pour le dé veloppement de l'art et de la cu lture d'Ouzbékistan et l'a ide des résea ux diplomatiques de nos deux pays. Je ve ux remercier Yannick Lin tz et Rocco Rante, commissa ires de cette ex pos ition qui fera date ains i que la directrice Gayane Umerova et l'ensemble de ses équipes pou r leur écoute et leur professionna lisme. J'espè re que les« Splendeurs des oasis d 0uzbékistan » connaîtron t un franc et beau succès auprès de nos vis ite urs, à l'image de la fi erté et du pla isir que nous avons eus à concevoi r cette expos ition avec nos pa rtena ires d'Ouzbékistan .

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1

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Majn un reconnaissant le chien de Layla (déta il) ; page d' un roman de Lay/a et Majnun de Hatifi - Bouk hara, ve rs 1560-1570 Pigments et or sur papie r - H. 25,8; l. 16,5 cm (page} - Pa ris, musée du Louvre, dépa rtemen t des Arts de l'Islam, MAO 713v

CHRONOLOGIE LE TEMPS DES ÉTATS-OASIS ET DES ROYAUMES

C

ns

329 av. J.-C.

en Bactriane et en Sogdiane, prise de Samarcande

+J V,

·,a,

Campagnes d'Alexandre

LES ROYAUMES HUNS ET TURCS ET LEUR ART DE COUR 3' -5' siècle

Invasions des Huns

6' siècle

Invasions des Turcs

~

..c

250 av. J.-C.

N ::::s

Introduction du bouddhisme en Asie centrale par les routes carava niè re s

0 l " siècle apr. J.-C.

à partir du

Constitution de l'Empire kouchan en Ba ctriane

à partir de 230 apr. J.-C.

Première implantati on du christianisme en Asie centra le

b. Personnage royal à dos d'éléphant combattant des fauves, vers 730

a. Prince en armure 1

l" siècle apr. J.-C.

DU 3e SIÈCLE AVANT AU 3e SIÈCLE APRÈS J.-c.

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706-715 224-651

0

Empire sassanide

f. Plat représentant Bahra m Gur chassant, époque sassanide, 5' s. av. J.-C.

53-117

Cl) · -

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622

Hégire, début de l'ère musulmane Constru ction de la Grande mo squée des Umayyades à Damas

Cl)

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Empire parth e en Iran

s• SIÈCLE

C

0

+J

247 av. J.-C.224. apr. J.-C.

DE LA FIN 3• AU

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330

Fondation de l'Empire byzantin

sous Trajan

u

+J Cl)

Apogée de l'exten sion territoriale de l'Empire ro mai n

g. Mosaïque à fond d'or de la Gra nde mosquée de Damas, 8' siècle apr. J.-C.

206 av. J.-C.220 apr. J.-C.

Empire des Han en Chi ne

l. Ivoire Barberini,

k. Détail de la colonne trajane, 113 apr. J.-C.

r, moiti é du 6f siècle

16

D'AVICENNE

LE TEMPS DES GRANDS EMPIRES TIMOURIDE ET SHAYBANIDE

À GENGIS KHAN 709

Conquête de Boukhara

980-1037

Avicenne, grand savant

712

Conquête de Khorezm sous la dynastie arabe des Umayyades

1124-1218

Arrivée des dynasties turq ues en Transoxiane, les Qarakhanides

1077-1231 à partir

de 819

1370

Nouvelles routes commerciales maritimes et enclavement progressif de l'Asie centrale.

Domination de la dynastie des Qara Khitaï, puis de celle des Khorezmshahs

Émancipation des dynasties

Samarcande, capitale de Timour (Tamerlan)

locales islamisées: promotion de la langue persane, grand essor économique et culturel

1220-1223 apr. J.-C.

à partir de 1271

Première invasion des Mongols

1501-1598

de Gengis Khan

Contrôle de l'Asie centrale par les Shaybanides, dynastie d'origine mongole

Partage de l'Asie centrale entre les descendants de Gengis Khan Voyage de Marco Polo

c. Feuillet coranique provenant de Katta Langar, l" moitié

d. Le Devisement du monde

de Marco Polo, vers 1410-1412

e. Lampe à huile au nom de Timour (Tamerlan), 1396-1397

du 8' siècle

~ AU 10" SIÈCLE

762

Fondation de Bagdad

969

Fondation du Caire

DU 11• AU 13" SIÈCLE

1258

h. Bibliothèque à Basra, miniature tirée des Maqamat (Séances) de Hariri, 1237

768-814

Règne de Charlemagne

DU 14" AU 16" SIÈCLE

Prise de Bagdad par le petit-fils de Gengis Khan

i.

Destruction de Bagdad,

1258

1099

1226-1270

Prise de Jérusa lem par les Croisés

1453

Prise de Constantinople par les Ottomans

Prise de Constantinople par Mehmet Il en 1453

j.

1337-1453

Guerre de Cent Ans

1368-1644

Dyna stie Ming en Chine

Règne de Loui s IX, Sa int Louis 1492-1493

Premier voyage de Christophe Colomb

1503

Lajaconde, Léonard de Vinci

m. Figure de Charlemagne sur le sceptre de Charles V, 1364-1380

n. Prise de Jérusalem par les Croisés en 1099

17

o. La Joconde, Léonard de Vinci, 1503

AVANT-PROPOS Rocco Rante et Yannick Lintz

) L

exposition« Splendeurs des oasis d'Ouzbékistan» et l'ouvrage qui lui est associé nous plongent au cœur d'un carrefour de civilisations entre la Méditerranée, le Moyen-Orient, l'Inde, la Chine et le monde des steppes . Ce foyer de civilisation, beaucoup moins connu en Occident que le bassin méditerranéen, apporte un éclairage nouveau sur les courants d'échanges et d'influences entre l' Est et l'Ouest, au carrefour des fameuses« Routes de la Soie». L'Ouzbékistan se situe en plein cœur de l'Asie centrale (fig . 2). Cette région peut être identifiée comme allant de l'Oural, du Caucase et de la mer Caspienne à l'ouest, jusqu'à la chaîne de l'Altai et au Turfan à l'est, en incluant la grande anse du Huang He (fleuve Jaune) au sud-est; au nord, ce territoire s'étend jusqu 'a ux frontières de la Taïga, et des montagnes de l'Hindoukoush et du Kopet-Dagh. L'Ouzbékistan se situe plus précisément dans la partie occidentale qui inclut la plaine du Touran à l'est de la mer Caspienne, la steppe kazakhe jusqu'au pied de la chaîne du Tien Shan et Pamir-Alay. Depuis l'âge du Bronze, ce vaste territoire était occupé par des populations indigènes d'ethnie et de langue iraniennes, ensuite en grande partie turquisées. Les contrastes des paysages entre steppe, désert et chaînes monta gneuses structurent la géographie de ce territoire. La steppe forme une ceinture allant du nord de la mer Caspienne à ['Altaï. Au sud se concentrent les déserts, le Kyzylkoum, le Karakoum et le Taqla Ma kan, parmi les plus arides de la planète, rythmés d'oasis verdoyantes et de cours d'eau, dont les principaux sont l'Amou-darya, le Syr-darya, le Zarafshan à l'o uest, et le Tarim à l'est. Les chaînes montagneuses forment des frontières naturelles au sud et à l'est. Les oasis du désert, recou vertes d'une terre jaunâtre composée de lœss, sont fertiles. Les populations qui les ont occupées dès le Néolithique sont rapidement devenues sédentaires. Des populations nomades de la steppe ont favorisé la vitalité des échanges entre les oasis et au-delà grâce aux routes caravanières régionales et internationales. Les grands empires voisins ont très tôt évoqué ces oasis comme des partenaires de la géopolitique internationale. Ainsi, dans des inscriptions royales, les rois perses achéménides au s• siècle avant J. -C., Darius, puis son fils Xerxès, mentionnent Parqava (Parthie), Zra(n)ka (Drangiane), Haraiva (Herat), Margu (Merv), Uvarazmiy (Khorezm), Baxtris (Bactres), Suguda (Sogdiane) et deux populations Saka, les Haumavarga et les Tigraxauda parmi les provinces conquises. La conquête par Alexandre le Grand des régions orientales de l'Empire achéménide entre 330 et 327 avant notre ère ne semble pas totalement défaire le modèle précédent, mais il semble néanmoins vouloir réorganiser un apparat administratif, surtout entre les régions de Bactriane et de Sogdiane, qui auparavant avait montré des faiblesses. Pour faire découvrir la formidable histoire qui démarre avec le lointain héritage d'Alexandre le Grand et qui doit intégrer l'arrivée de l'islam et son rayonnement civilisationnel, nous avons choisi le temps long, ce lui qui révèle les déterminismes propres à ce carrefour des mondes, et qui permet aussi de découvrir les transformations profondes au cours du temps. Nous parcourons donc mille neuf cents ans d'histoi re, d'art et de culture, qui voient une culture indigène se mélanger aux influences grecques, iraniennes, indiennes et chinoises . Nous mettons ainsi en lumière l'un des territoires stratégiques au carrefour des fameuses« Routes de la Soie», pour reprendre la formule devenue si célèbre que le géographe allemand Ferdinand von Richthofen invente en 1877. L'objectif de ce catalogue est donc de présenter au lecteur une vision éclairée et complète de l'histoire de cette région à travers les civilisations qui s'y sont croisées, les multip les spécificités culturelles, les caractéristiques artistiques qui donneront naissance à plusieurs facettes d'un art accompli. Le voyage que nous proposons se divise en cinq chapitres depuis la formation des États-oasis et du Royaume gréco-bactrien (3•-2• siècles avant J.-C.) jusqu'à la fin de l' Empire timouride·(début du 16• siècle) . Ainsi, le premier chapitre se concentre sur l'époque de la formation des royaumes des oasis et de leur essor culturel. À partir des migrations des populations nomades Sakas, Sarmates, Kangju et Yuezhi, les caractéristiques culturelles sont présentées à travers les découvertes archéologiques notamment des sites de Dalverzin -tépé et Kalchayan, où l'art

1 - Détail du mausolée Ak Sa ray à Samarcande - 15' siècle.

19

} itinéraires} échanges et commerce

.

Pavel B. Lurje Traduction de Juli e Raewsky

J Ouzbékistan est un pays situé au cœur de l'Asie,

L

Depuis toujours et jusqu 'à un passé récent, l'essentiel du commerce et des échanges entre l'Ouzbékistan et les pays vois in s éta it donc lié aux routes caravanières. Le pays ne possède pas de cols infranchissables, et la traversée des fleu ves se faisait sur la glace, en bateau, en radeau, sur des outres, ou à cheval, à gué; au Moyen Âge tardif, on co nstruisait des ponts flottant s2, et il existait également des ponts fixes qui enjambaient les co urs d'eau de moindres dimensions (lesquels servaient éga lement de répartiteurs d'eau) ou les rivières de montagne. Les régions arides peu peuplées et les déserts pouvaient être contournés en longeant les rivières ou les piémonts, bien qu'i l existât également des routes équipées de puits, par exemple entre Boukhara et le Khorezm 3 . Il faut

éloigné des océans mais doté d'un vaste réseau fluvial formant une circulation intérieure. La plaisanterie préférée des Ouzbeks - « L'Ouzbékistan est le seul pays au monde dont les pays voisins portent un nom se terminant également en stan » - reflète bien cette position géographique centrale et les liens que le pays entretient de toutes parts avec ses voisins. À l'est, l'Ouzbékistan jouxte de hautes montagnes formées à la suite du lent déplacement du sous-continent indien vers le nord; c'est là, à l'est, que s'étend la vallée de Ferghana, située entre les monts Alaï au sud et le Tian Shan au nord. La majeure partie du pays est constituée d'une plaine aride, où la vie aurait été impossible sans la présence de grands fleuves s'écoulant depuis les montagnes: l'Amou -darya, le Syr-darya, le Zérafshan, le Kashka-darya et leurs affiuents, qui, avec un réseau de canaux et de cou rs d'eau secondaires, forment des bassins dans lesquels s'épanouit l'agriculture irriguée . La navigation est possible sur les cours moyen et inférieur de l'Amou -d arya ainsi que sur la mer d'Aral, dont le niveau a été très fluctuant au cours de l' histoire1, et qui se trouve aujourd'hui à son plus bas niveau. À certaines périodes, l'Amou-darya a charrié ses eaux vers la mer Caspienne par le lit actuellement asséché de l'Uzboj .

attendre la période islamique pour voir apparaître les caravansérails, constru its à une journée de marche les uns des autres ou au vois inage des puits, ainsi que des réservoirs d'eau, qu i pour certains sont de remarquables exemples architecturaux 4 . Le matériel - principalement des minéraux - découvert sur les sites préhistoriques témoigne de l'existence de routes commerciales qui traversaient le territoire de l'actuel Ouzbékistan. Les chercheurs emploient des termes comme « route de la néphrite », « du lapis-lazuli », « de la turquoise », « des coquillages [cauris] » 5 ; ces appellations sont plus précises que le terme de « Route de la

71

Le temps des États-oasis et des royaumes (3e siècle avant J.-C. - 2e siècle après J.-C.)

des échanges de peuples, d'idées, de technologies, de religions, de langues, de systèmes d'écriture, d'iconographies, d'histoires, de musiques, de danses, etc. 8 ». Il faut cependant signaler que de nombreux chercheu rs préfèrent aujourd'hui ne pas utiliser ce terme 9 . Quoi qu 'il en soit, les relations étroites qui existent en Eura sie entre la Chine, la Méditerranée, mais aussi l'Inde, l'Iran, l'Asie centrale et la ceinture steppique se mettent en place au tournant de notre ère. Du côté occidental, les tracés de la Route de la Soie ont été décrits dans les itin éra ires des agents du marchand Maes Titianos (au tournant de notre ère?) qui, si l'on en croit Marin de Tyr, sont mentio nnés dans la Géographie de Ptolémée (vers 150 après J.-C.) 10 . La principale route menait de Margiane vers la Bactriane et au-delà, à travers le territoire des Comèdes (dans la tradition arabe, Kumidh désigne le haut Wakhsh) dans les monts Ala'1 et la« Tour de pierre», puis à Kasia, c'est-à-dire Kashgar dans le bassin du Tarim, et plus loin à Throana (Dunhuang) et Sèra mètropolis, capi tale des Chinois (a lors Luoyang). Il est également fait mention d'une autre route, qui passe par les sou rces du Iaxarte (Syr-darya) vers les Comèdes, et se prolonge en direction de l'est. Les sources chino ises sont plus anciennes et mieux datées. En 136 avant J.-C., l'empereur Han Wudi envoya son émissa ire Zhang Qian vers l'o uest pour y chercher

45 - Bol à décor de scènes de chasse - Bactriane - 5' -6' siècle - Argent - D. 15 cm Saint- Pé tersbourg, musée de [' Ermitage, S-296

Soie», puisque la soie n'était que l'un des nombreux produits dont il était fait commerce. L'entrée de l'Asie centrale dans l'Empire achéménide a eu pour effet d'accroître les relations avec l'Occident. L'inscription de Darius à Suse nous apprend que les Sogdiens et les Chorasmiens faisaient commerce de pierres précieuses, notamment de turquoises. Des ateliers spécialisés dans le travail de cette pierre ont été mis au jour sur des sites du Khorezm contemporains de cette inscription 6 . Les liens avec l'Ouest se resserre nt encore avec la conquête d'Alexandre le Grand, comme le montrent la diffusion des monnaies, la céramique, principalement de Bactriane 7, ainsi que des découvertes isolées. La célèbre expression « Route de la Soie », que par ailleurs nous utiliserons plus loin, est en fait assez récen te, et très vague . D'après sa définition actuelle, « c'est un système substantiel et persistant de réseaux commerciaux qui se recouvrent et évoluent à tra vers l'AfroEurasie, par terre et par mer, entre la fin du 1er millénaire avantj.-C. et le milieu du 2e millénaire après J.-C; le commerce porte sur la soie et beaucoup d'autres matières premières et de produits manufacturés - comprenant, de manière non exclusive, les esclaves, les chevaux, les pierres semi-précieuses, les métaux, les poteries, le musc, les substances médicinales, le verre, les fourrures, les fruits -, avec comme résultante des mouvements et

46 - Perles - Ouzbékistan, ancienne Termez - 3' siècle ava nt J.-C.1" siècle après J.-C. - Cornaline - Pds. 27,58 gr. - Termez, Musée archéologique, SVAM 3116

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Le développement des routes caravanières: « Route de la Soie », itinéraires, échanges et commerce

47 - Vallée et route traversant le Ferghana, 2007

des alliés contre les Xiongnu; Zhang Qian posa ainsi les bases des relations entre la Chine et l'Asie centrale puis avec la Perse et Rome le long de la Route de la Soie, et ouvrit la voie à la li vraison de « chevaux célestes » du Ferghana au Céleste Empire . Après être re sté dix ans prisonnier des Xiongnu, Zhang Qian s'enfu it vers l'ouest et séjourna au Dayuan-Ferghana, puis sur les terres des nomades Kangju, chez les Da Yuezhi, en Bactriane (Daxia), tout en décrivant Anxi (l'Empire parthe) sans y être allé . Dans ses écrits, retranscrits dans le Shiji - le premier ouvrage historique chinois - , il est notamment dit que l'on trouvait dans les bazars du Daxia -Bactriane des produits de Chine méridionale qui éta ient acheminés via le Shendu (1nde) 11 (fig. 46). Cette route commerciale est attestée par des monnaies, des découvertes archéologiques et des tém oignages écrits, par exemple les lingots d'or portant des inscriptions en kharoshthi de Dalverzin-tépé (fig. 44), ou le peigne indien en ivoire de même provenance (fig. 43). La

route de l'Amou -darya - qui, au moins à cette époque, s'écoulait partiellement dans la mer Caspienne - est attestée par la présence en Transcaucasie d'importations de prod uits d'Inde et d'Asie centrale, avec quelques représentations de bateau x12 . Nombre d'artefacts confirment la passion de l élite nomade pour les importations chinoises dont parlait Sima Qian. On trouve dans les nécropoles (comme aussi à Paykend) des barrettes chinoises avec de petits clous en or; le site de Koktépé, au nord de Samarcande, a livré dans la tombe d une « princesse » sarmate un miroir chinois en bronze (fig. 25). On parle de dizaines d'ambassades -caravanes partant chaque année de Chine en direction de l'ouest et, compte tenu de l'amour que nourrissaient les habitants de l'Asie centrale pour le commerce 13, déjà décrit dans le Hanshu, il n'est guère étonnant que leurs propres cara vanes se soient elles aussi dirigées vers le Céleste Empire. Certains des documents sur plaquettes de bambou 1

1

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Le temps des États-oasis et des royaumes (3• siècle avant J.-C. - 2• siècle après J.-C.)

Une route maritime se forme parallèlement à la Route de la Soie terrestre; elle passe par l'océan Indien en profitant des vents saisonniers, des alizés et des moussons. Il est étonnant de constater que les Centrasiatiques, pourtant éloignés de l'océan de plusieurs milliers de kilomètres, participent activement à cette voie commerciale. Les ancêtres de Kang Senghui, célèbre traducteur du canon bouddhique en chinois au milieu du 3• siècle, étaient originaires de Kang (Samarcande); ils se déplacèrent par la suite en Inde, puis dans la région du Tonkin, pour le commerce 24 . Les relations commerciales de l'Asie centrale avec la ce inture steppique et les régions de la forêt boréale dans l'Antiquité nous sont beaucoup moins bien connues, même si la découverte de vaisselle en argent de Bactriane dans la région oura lienne de la Kama (fig. 45) ou de broderies kouchanes à Noin -Ula (nécropole de l'élite Xiongnu, Mongolie, tournant de notre ère) témoigne de leur existence. L'art du Soghd entre le 6' et le 8· siècle, et plus particulièrement la Peinture des Ambassadeurs d'Afrasiab, montre bien le vaste horizon dont bénéficiaient alors les artistes - Chine, Inde, Iran, Méditerranée, zone stepp ique, jusqu'aux régions de la forêt boréale et à la Corée - , et ce grâce aux relations commerciales amorcées plusieurs siècles auparavant.

provenant du poste-frontière chinois de Xuanquanzhi (dans l'actuelle province de Gansu) font état de gra nde s ambassades-caravanes (vingt-cinq chameaux, trente et un ânes et un taureau) venues d'Asie cen tra le, et notam ment du Soghd, en 52 et 39 avant J. -C14 . L'activité des Sogdiens en Chine au début du 4• siècle nous est relatée par les « Anciennes lettres » découvertes dans une tour frontalière près de Dunhuang et datées de 312. Rédigés dans une variante archaïque du sogdien, ces documents mettent en lumière l'état de la Chine lors de la période troublée de la prise du pouvoir par les Xiongnu, ainsi que le fonctionnement des colonies sogdiennes sur le territoire des actuelles provinces du Xinjiang et du Gansu, mais aussi en Chine proprement dite; ils nous éclairent également sur les relations de ces colonies avec les métropoles, et sur le commerce des produits les plus divers 15 : étoffes de lin, de laine ou de soie 16, camphre, musc, plomb, or, monnaies d'argent, sapèques de cuivre 17, vin et poivre 18 . Plus tard, le commerce sogdien en Chine inclura divers produits exotiques 19 : argent et vaisselle en argent, verre, chevaux. Les importations chinoises en Asie cen trale comprennent, au même titre que la soie, des objets en laque, des miroirs, du papier et de la céramique; ces produits faisaient même l'objet de collections de la part des gouverneurs lo ca ux20 . Dès les 4· -6· siècles, on retrouve des inscriptions sogdiennes, plus rarement bactriennes et parthes, gravées sur les rochers du haut lndus 21. Il est intéressant de noter que ces inscriptions se trouvent non pas su r la route reliant l'Inde et l'Asie centrale, mais sur ce lle entre l'Ind e et le bassin du Tarim (fig. 47); des documents de marchands sogdiens proviennent également de Loulan, de Khotan et d'autres lieux 22 . On trouve des représentations de marchands sogd iens sur les peintures de Bagh et d'Ajanta 23, et l'on rencontre en Asie centrale un certain nombre d'images d'éléphants d'Inde (fig. 51).

1 2 3 4 5 6 7 8

Sala 2019. Masson 1966, p. 138-142. Naymark 1996. Wordsworth 2019. Kuzmina 2008, p. 3 sq. Lurje 2012, p. 23. Lyonnet 2013. Whitfield 2019, p. 15.

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9 Par exemple La Vaissière 2014a. 10 Humbach et Ziegler 1998; P'jankov 2013, p. 619-685. 11 Sima Qian éd. 2010, p. 199-216. 12 13 14 15 16

Rtveladze 2012. Hulsewe et Loewe 1979, p. 136. Hansen 2016, p. 31-32. La Vaissière 2016, p. 43 -67. pyrcyk, voir Sims -Williams 2005, p. 182.

74

17 rwok, voir Grenet et Si ms-Williams 1987, p.113. 18 La Vaissière 2005, p. 51. 19 Schafer 1963. 20 Karev 2015, p. 82. 21 Sims-Williams 1997-1998. 22 Sims-Williams et Bi 2018. 23 Compareti 2014. 24 La Vaissière 2005, p. 71-72.

L'héritage hellénistique Ségolène de Pontbriand

JOuzbékistan est un pays de con vergence entre les

agglomérations sont le résultat d'une politique volontaire, bien connue dans le reste du monde hellénistique d'Orient, en Anatolie, Syrie et Mésopotamie. Les nombreuses cités de taille très différentes alors créées avaient pour fonction de défendre les frontières de l'Empire séleucide et d'y implanter et y développer la civilisation grecque. Le royaume gréco-bactrien, en effet, reste en relation constante avec le monde grec méditerranéen et cherche à structurer le pays en l'hellénisant, comme le montrent la découverte archéologique de plusieurs sites hellénistiques d'Afghanistan (A1 Khanoum, Bactres, Begram), d'Ouzbékistan (l'ancienne Termez, MaracandaSamarcande, Ayrtam ou Kampyr-tépé) ou du Tadjikistan (Takht-i Sangin). Très récemment ont été découvertes trois forteresses gréco-bactriennes dans les montagnes du Kugitang Tau, face à la steppe des nomades. Malheureusement, en ce qui concerne les grandes capitales gréco-bactriennes comme l'ancienne Termez (ou Bactres), il est diffici le d'y retrouver l'héritage hellénistique car celui-ci est enfoui sous d'épaisses couches d'occupation et des monuments des états urbains qui s'y sont très largement développés par la suite. Seule la fouille de la grande cité d'Ai Khanoum, fondée sur la rive sud de l'Amou-darya, nous procure une image assez claire de l'hellénisme bactrien, car la ville a été abandonnée à la fin du 2e siècle avant J.-C. On y trouve un urbanisme ordonné à l'abri de puissantes fortifications, des monuments publics ou religieux de type grec et un art caractéristique du monde hellénistique. À la fin du 2e siècle avant J.-C., en effet, le royaume de Bactriane, affaibli par les luttes intestines, est abandonné par les Grecs, qui se réinstallent en Inde du Nord. La Bactriane est alors occupée par des tribus guerrières

L

grands foyers de civilisation que sont l'Asie occi dentale, la Chine et l'Inde, et une région de tran sition entre vallées agricoles et steppe nomade. À l'âge du Bronze, puis à l'âge du Fer, l'Ouzbékistan devient progressivement un foyer de civilisation sédentaire. Aux 5e et 4e siècles avant J.-C., la partie méridionale de l'Ouzbékistan est conquise et intégrée au sein de l'Empire achéménide, où, avec le nord de l'Afghanistan, elle constituait le royaume de Bactriane, un royaume en fait associé à l'empire et dont le satrape tenait une place importante auprès du Grand Roi. Alexandre le Grand, après sa victoire sur Darius Ill à Arbèles (331 avant J.-C.), pénètre en Bactriane au printemps 329 avantJ.-C. Bessas, le satrape de Bactriane, est alors assassiné, mais Alexandre rencontre une résistance acharnée de la part des dynastes bactriens alliés aux Sogdiens et aux nomades. Ce n'est qu'au bout de trois années de lutte acharnée, au printemps 327 avant J.-C., qu'Alexandre soumet ces régions, y rencontre son épouse Roxane et part conquérir l'Inde. Après la mort d'Alexandre, la Bactriane et la Sogdiane font partie de l'Empire séleucide, puis, durant deux siècles, constituent le noyau principal du royaume gréco-bactrien, avec Bactres, Ai Khanoum et TarmitaTermez pour cap itales. Une forte influence hellénistique s'impose alors en Bactriane grecque, de part et d'autre de l'Oxus (Amou-darya). L'archéologie et le témoignage de l'ambassadeur chinois Zhang Qian, venu dans la région à la fin du 2e siècle avant J.-C. chercher de l'aide contre les nomades, révèlent que la Bactriane grecque était très urbanisée, d'où son nom de « Bactriane aux mille villes ». Ses nombreuses

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Le temps des États-oasis et des royaumes (3• siècle avant J.-C. - 2• siècle après J.-C.)

dans ce contexte. Ce type d'objet était un motif ornemental tiré des traditions théâtrales du monde grécoromain. Il devait être appliqué sur un support, puisque la partie arrière n'a pas été soigneusement taillée. De forme ovale, il représente un visage masculin grimaçant, extrêmement allongé, une bouche largement ouverte. C'est le seul exemple dé couvert dans la région, ce qui signifie probablement qu 'il s'agit d'une importation. Mais d'autres relations s'étab lissent également entre l'Empire kouc han, l'Inde et la Chine au fur et à mesure que les échanges commerciaux s'intensifient, avec Termez, Boukhara et Samarcande comme principaux nœuds routiers. C'est alors que se produisent des transferts culturels, religieux et artistiques entre l'Ouzbékistan, l'Inde et la Chine. Ainsi, au l·' siècle avant J.-C., s'est développé au Gandhara (Inde du Nord-Ouest) un art religieux né du mariage de l'art grec avec la religion bouddhique et que l'on appelle « art gréco-bouddhique» ou« art gréco-indien », qui se diffuse dan s toute la Bactriane puis, de là, ve rs la Chine . Ces transferts religieux et artistiques se reflètent dans une série d'œuvres sculptées qui ont été trouvées à l'a ncienne Termez, grand centre d'élaboration et de développement de la religion bouddhique en Ouzbékistan.

48 - Mascaron - Ouzbékistan, Shahr-i Gholgho la - l"-2' siècle Marbre, décor sculpté - H. 8; l. 5; ép. 4 cm - Tachkent, Institut des beaux-arts de l'Académie des Sciences, FASI 0403

Le haut -relief à double registre

Ce haut-relief a été trouvé à l'ancienne Termez, à l'extérieur de la ville kouchane, près du monastère de Kara-tépé 2 (fig. 49). Il s'agit d'une plaque décorative, en calcaire marneux, qui faisait probablement partie du décor du so ubassement monumental d'un stoupa, monument fondamental du cu lte bouddhique. Elle illustre de manière ca ractéristique l'art gréco-bouddhique qui s'est développé à la période kouchane (2•- 3• siècles) dans la région de Termez. La composition, sculptée en haut relief, est organisée en deu x registres superposés. Au reg istre supérieur, le Bouddha entouré de fidèles est figuré de face, dans l'attitude padmasana (assis en tailleur sur un trône de lotus), sous l'arbre bodhi. Au registre inférieur, le Bouddha amaigri (à la fin du jeûne qui l'a conduit à la« Grande

venues du Xinjiang, les Yuezi, qui y fondent le royaume kouchan. À l'époque kouchane (l•'-3• siècles), cependant, l'influence grecque continue à s'exercer dans l'art qui se développe au sein de ce nouvel empire. Cette influence conduit à la création, aux premiers siècles de notre ère, d'un art officiel propre à la région et que l'on appelle« l'art dynastique kouchan ». L'Empire kouchan cherche alors à établir des relations directes avec l' Empire romain, comme le montre la présence d'un masque de théâtre en pierre qui est clairement une importation romaine . Il se peut que cette importation se soit produite grâce aux relations commerciales maritimes qui existaient entre l'Empire kouchan et Rome à cette époque . Ce mascaron a été découvert fortuitement sur le site de Shahr-i Gholghola1, à une vingtaine de ki lomètres au sud du grand site kouchan de Dalverzin -tépé, dans la province du Sourkhan-darya (fig. 48). Le matériel céramique mis au jour sur le site, daté de l'époque des Grands Kouchans (1•'-2· siècles), permet de placer le mascaron

49 - Haut-relief à deux niveaux avec scènes d'adoration : en haut, Bouddha entou ré de fidè les; en bas, Bouddha en prière - Ouzbékistan, ancienne Termez - 2'-3' siècle - Calcaire, décor sculpté - H. 54,5; l. 33; ép. 9 cm -Termez, Musée arc héologique, SVAM 3314

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L'héritage hellénistique

À sa gauche, la femme, un peu plus petite, se tient sous

illumination», un thème classique de la vie du Bouddha) est également assis en tailleur, avec les mains en position du dharmashakra mudra. Ce double relief a été martelé en raison d'un refus de la représentation humaine . On ne connaît donc rien des visages et d'une partie des corps des fidèles qui entourent les deux Bouddhas. On notera tout de même le réalisme des représentations et le drapé du manteau du Bouddha, qui sont inspirés de la tradition hellénistique.

ce qui paraît être l'abaque d'un chapiteau de pilastre de type gréco-romain. Elle porte de longs pendants d'oreilles et une épaisse couronne laurée sur ses cheveux ondulés . Elle tient près de son cou, dans sa main droite, un triple bouton de lotus. Ces deux personnages présentent quelques rehauts de peinture et, surtout, ont conservé plusieurs traces de placage à la feuille d'or sur leurs vêtements. Tous deux étaient donc probablement entièrement dorés. La qualité de cette œuvre suggère qu'elle provient sans doute d'un bâtiment important: le palais lui-même ou un édifice officiel ou religieux proche du palais. Il est très clair que ce bloc faisait partie d'une frise sculptée puisque le bras gauche de la femme manque: il était manifestement sculpté sur le bloc adjacent. Cette frise est un exemple caractéristique de l'art du 1°' siècle en Bactriane. Les personnages ont des traits physiques proches des sculptures de la frise des musiciens d'Ayrtam, non loin de Termez, mais une grammaire ornementale très inspirée par le monde indien .

Haut-relief du palais du Tchingiz-tépé À l'anc ienne Termez, le long de l'Amou -darya, les fouilles

de la MAFOuz de Bactriane 3 ont mis au jour deux édifices, dont un bâtiment religieux et un palais. L'endroit, appelé Tchingiz-tépé 2 (« Malyi Tchingiz »), se trouve entre la citadelle de la cité antique et les fortifications kouchanes du grand Tchingiz-tépé. On y a dégagé les vestiges d'un palais antique dont ne subsistent actuellement que 80 mètres de long du nord au sud et 30 mètres de large. Dans la partie septentrionale de l'édifice, un corridor donnait accès à une salle à banquettes. Le dallage y est constitué de blocs architecturaux en remploi (corniches, merlons, montants de pilastres, etc.). Parmi ces blocs se trouvait un fragment de frise figurée, en haut relief4 (fig. 50). Soigneusement taillé dans un calcaire très fin, ce bloc porte la représentation d'un couple de personnages jeunes debout dans une composition frontale se détachant fermement du fond profondément creusé. Les deux personnages sont face au spectateur, sous un feuillage de pipal avec une volute épaisse. L'homme se tient au premier plan, la femme se trouve légèrement en retrait. Les visages sont pleins, un peu massifs, avec un profil de type grec, mais les yeux sont en amande . Tous deux sont richement parés d'amples vêtements qui forment des plis nombreux et réguliers. L'homme porte un double collier. Son front est couronné par un chignon au milieu duquel un trou indique qu 'ici se trouvait probablement une pierre précieuse aujourd'hui disparue. Il se tient debout, hanché, sur une base de colonne de type lotiforme, pieds nus, jambes croisées, et porte un double anneau à chaque cheville. Le bras droit a disparu du fait de l'usure du bloc dans le dallage du corridor du palais.

Éléments de décor architectural de type bouddhique Ces œuvres religieuses ou ces scènes animées permettent également, comme plusieurs éléments d'architecture découverts sur le site de l'ancienne Termez 5, d'étudier le décor que l'on pouvait rencontrer dans les édifices bouddhiques de la région, à partir du 1er siècle après J.-C. à l'éléphant L'influence indienne nous apparaît grâce à un fragment de corniche d'angle en calcaire 6 qui représente un éléphant, non monté, devant une fleur de lotus de grande taille et attrapant avec sa trompe un objet posé au sol (fig. 51). Le traitement, en aplat, est relativement schématique. L'animal est traité de man ière humoristique par rapport à d'autres représentations gandhariennes plus réalistes 7 : il est massif, ventru, court sur pattes, avec des oreilles grandes et plissées. Il porte sur le dos un tapis à motifs quadrillés tenu par une sangle et un collier sur le poitrail. Son train arrière, qui se trouvait sans doute sculpté sur le bloc adjacent, n'est que partiellement représenté. Du côté gauche du bloc, qui formait l'angle de la corniche, figure un décor architectural de type bouddhique sous la forme d'une colonne à base en tore reposant sur une plinthe rectangulaire. L'origine de ce Fragment de corniche

50 - Haut-relief à double registre - Ouzbékistan, ancienne Termez 2' -3' siècle - Calcaire, décor sculpté - H. 35,5; l. 25,5; ép.10,5 cm Termez, Musée archéologique, SVAM 34313; lnv. 59568

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Le temps des États-oas is et des royaumes (3e siècle avant J.-C. - 2e siècle ap rès J.-C.)

51- Fragment de corniche à l'éléphant - Ouzbékistan, ancienne Termez - 2' -3' siècle - Calca ire, décor sculpté - H.19,5; l. 31; ép. 19 cm Termez, Musée archéologique, SVAM 3313

bloc sculpté ne nous est pas connue; il est probable que celui-ci appartenait au couronnement de la base d'un stoupa monumental. Le motif sculpté de l'éléphant est courant dans l'art gandharien, mais c'est le seu l exemple que l'on conna isse en terre bactrienne. On peut évaluer la date de cette œuvre à la période des 2•-3• siècles .

De bas en haut, on trouve d'abord une alternance de têtes de lions aux ore illes curieusement rabattues et de feuilles d'acanthe schématiques ornées d'un bouton de lotus sur une longue tige. Puis, au- dessus d'une doub le baguette semi -cylindrique, apparaît une série d'arcades légèrement pointues ornées de dents-de-s cie. Sous ces arcades, des bustes de personnages, visages légèrement tournés vers la droite du spectateur, tiennent dans la main droite un bouton de fleur de lotus. L'espace entre les arcades est occupé par un motif à trois feuilles simples. La séparatio n avec le registre supérieur est faite par une très fine baguette. Vient ensuite une alternance de modillons et de feuilles d'acanthe semblables aux précédentes. Les modillons sont ma rqués par une double

Fragment de fr ise

Ce fragment de frise architectura le ornait probablement l'entablement d'un édifice de l'ancienne Termez, à la base de la toiture de celui-ci 8 (fig. 52). Malheureusement, le lieu exact de sa découverte reste inconnu . Le décor est organisé en plusieurs registres superposés dont chacun est caractéristique du monde bouddhique.

80

L'héritage he llénistique

52 - Fragmen t de frise {entablement)- Ouzbékistan, anc ienne Termez - 2' -3' siècle - Calcaire, décor sculpté - H. 42; l. 38; ép. 12 cm - Termez, Musée arch éologique, SVAM 3315

rainure verticale centrale et supportent un double tailloir. Enfin, la partie supérieu re de la frise représen te une barrière en pierre (vedikâ), comme celles qui entouraient les stoupas. À l'origine, cet entab leme nt était couronné pa r un e rangée de merlons dont il ne reste que très peu d'é léments. Il fau t noter ici qu 'un fragment d'entablement de même ty pe a été trou vé au cours de la fouille du palais du Tch ingiz-tépé 9 (fig. 53). Cette décou verte nou s apprend d'abord que l'origine de ces deux entablements pourrait être la même, c'est-à-dire le palais du Tchingiz-tépé . D'au tre part, on constate que le couronnement du nouveau fragment comporte des garudas (o iseau sacré aux ailes déployées) entre les merlons somm itaux. Il en était

donc probablement de même pou r le fragment d'entablement présenté ici. Ce ty pe de décor fortement inspi ré de l'é poqu e hellén istique ma is mêlé de motifs indie ns est ca ractéristi que de l'é poque kouc hane en Bactriane . On peut donc le date r des 2e_3e siècles . Tou tes ces œuv res té moignent des importants éc hanges artistiques qu i se sont produits à l'époq ue ko uchane et sont aussi rep résentatives de l'a rt du Gandhara, qui, comme on l'a vu, in tèg re la trad ition hellén isti que et l'art bouddh ique 10 . Fina le me nt, l'art de la Bactriane ko uchane fait la sy nth èse de ces éléments extérieu rs sur une base locale, bactrien ne.

81

Le temps des États-oasis et des royaumes (3• siècle avant J.-C. - 2• siècle après J.-C.)

53 - Le palais du Tchingiz-tépé 2 à l'ancie nne Termez au cours de la mission de te rrain de 2019 - Vue vers l'ouest

s'intensifient, prélude au développement des routes intercontinentales, sur lesquelles l'ancienne Termez, Samarcande et Boukhara jouent le rôle de carrefours essentiels.

Les résultats obtenus par l'a rchéologie récente en Ouzbékistan sont un encouragement à la poursuite de ces recherches. Ainsi pourra-t-on reconstituer la civilisation qui s'est développée dans ['Antiquité dans la région, avec en particulier une expansion urbaine favorable à la prospérité économique, commerciale et culturelle. Cela dans un monde ouvert aux influences des civilisations sédentaires comme à celles de la steppe. Les échanges avec les civilisations qui entourent l'Ouzbékistan

Turgu nov 1976, p. 103-106, fig. l; Puga che nkova 1977 ; Moscou 1991, 1, p. 93, n' 86. Dimensions: H. 42 ; l. 25; ép. 17 cm. Moscou 1991, 1, p. 97, n' 92; Stawiski 1979, p. 137-138, fig. 89. Les vestiges du monument en question n'ont pas fait l'objet de dégagements plus importants et ont actuellement disparu. Voir Staviskij 1986, p. 206-207.

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Mission archéologique franco-ouzbek de Bactriane du Nord. 4 Dimensions: H. 54,5; l. 33; ép. 9 cm. On peut penser que le bloc a perdu plusieurs centimètres d'épaisseur en raison d'une circulation inte nse dans le corridor. Cette usure est responsable de la disparition du bras droit du personnage masculin. Leriche 2015, p. 58-59, fig. 17, haut; Lerich e, Rtveladze et Pontbriand [2009] 2014, p. 236-237, fig. 6.

82

6 7 8 9 10

Leriche et Pidaev 2008. Dimensions: H.18; l. 31; ép. 19,5 cm. Moscou 1991, 1, p. 99, n' 96. Paris 2010, p. 37. Dimensions: H. 42 ; l. 38; ép.12 cm. Moscou 1991, 1, p. 98, n' 94. Leriche et Pidaev 2008, p. 52-55, fig. 24. Ti ssot 1985.

La coexistence des religions

LE ZOROASTRISME Frantz Grenet

L

a religion zoroastrienne, qui existe encore aujourd'hui en Inde (les Parsis) et en Iran, est fondée sur un ensemble de croyances et de rituels exposés dans l'ensemble de livres liturgiques appelé ['Avesta. La partie

la plus sacrée et la plus ancienne, les Gathas, que l'on date maintenant du début du 1er millénaire avant J. -C., est traditionnellement attribuée en propre à Zarathustra (le Zoroastre des Grecs), dont la tradition ultérieure a fait un prophète, deux affirmations remises en cause aujourd 'hui par certains spécialistes du texte. Le zoroastrisme a connu sa plus grande fortune historique en Iran où il a été religion d'État au moins à l'époque sassanide (223-642), mais il a pris naissance en Asie centrale, en dehors des territoires appartenant aujourd 'hui à l'Iran,

54 - Carte des « pays aryens » (adaptée de Grenet 2015b)

La diversité des termes par lesquels historiens et archéologues qualifient les manifestations religieuses « loca les » témoigne d'un certain embarras: « religion ind igène», «mazdéisme»,« zoroastrisme centrasiat ique », etc. Il existe cependant un certain nombre d'arguments convaincants pour considérer qu'elles appartiennent à l'histoire du zoroas trisme au même titre que le zoroas trisme qu'ont d'abord découvert les savants occidentaux, c'est-à-dire le zoroastrisme sassanide transm is par les traités pehlevis (9•-10• siècle) et de là passé en Inde. Deux de ces arguments sont présentés plus loin: le panthéon mythologique (où certes la composante zoroastrienne

où il a été introduit au début de l'époque achéménide (550-330 avant J.-C.). Telle qu'elle est exposée dans le livre l du Vendidad, le livre de ['Avesta consacré aux rituels de lutte contre les démons et l'impureté, la liste des seize « pays aryens » - entendons: les pays où est présente la religion des Aryens, le zoroastrisme - correspond à des territoires aujourd'hui situés en Ouzbékistan, au Turkménistan, au Tadjikistan, en Afghanistan et au nord du Pakistan . Cette liste consacre en fait une si tua tion antérieure à la conquête achéménide (fig. 54) .

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Le temps des États-oasis et des royaumes (3• siècle avant J.-C. - 2• siècle après J.-C.)

55 - Prière zoroastri enne (Ashem Vohu) - Chine, Dunhuang - 9' siècle - Encre sur papier - Londres, The British Library, Or. 8212/84

57 - Srôsh émergeant de ['Avesta - début du 8' siècle avant J.-C. {adapté de Marshak et Raspopova 2000, fig. 84)

56 - Cycle de Rostam en sogdien Chine, Dunhuang - 9' siècle - Encre sur papier - Paris, Bibliothèque nationale de France, Pelliot sogdien 13

n'est que partielle), et les pratiques funéraires (globale ment beaucoup plus conformes). Les témoignages grecs puis chinois sur l'Asie centrale signalent les pratiques funéraires et aussi un autre marqueur du zoroastrisme, le mariage entre très proches parents (frères et sœurs, parents et enfants). Un envoyé chinois, Wei Jie, décrit à Samarcande en 607 des fêtes zoroastriennes connues par ailleurs, mais aussi un rituel estival non zoroastrien de lamentations pour le« rejeton divin» : il s'agit de Tammuz, associé au culte de la grande déesse Nana, héritière de la Mésopotam ienne Ishtar davantage que de l'iranienne Anahita, déesse des Eaux. La littérature sogdienne conservée ne comporte en fait que très peu de textes relevant du zoroastrisme : une transcription de l'Ashem Vohu (la principale prière zoroastrienne) (fig. 55), un récit sur l'ascension de Zoroastre au paradis et un hymne au dieu du Vent. Le même manuscrit contient également une partie du texte de l'histoire de Rustam (fig. 56), où l'on décrit la première guerre contre les démons du Mazandaran.

Il faut cependant tenir compte de ce que le zoroastrisme, jusqu'à la période islamique, est resté une religion à transmission presque exclusivement orale, y compris pour le texte sacré, ce qui entraîne un effet de distorsion par rapport aux autres religions présentes en Sogdiane, toutes grandes productrices de livres. À Pendj ikent au début du 8• siècle, une peinture montre la statue dorée de Srôsh, le dieu « qui a pour corps la Parole Sacrée », portée en procession et sortant à mi-corps d'un codex qui serait la plus ancienne attestation connue d'un Avesta écrit ou du moins d'un livre de prières (fig. 57). Selon des hypothèses récentes, certains sanctuaires d'époque achéménide fouillés dans la partie méridionale de l'Ouzbékistan pourraient avoir été les prototypes des temples du feu de l' Iran, au moins du point de vue architectural. Le plus ancien ensemble où les images manifestent la vénération des dieux zoroastriens est le « complexe monumental » d'Akchakhan-kala, la première capitale (vo ir ci-dessus, l , encart« Khorezm »), sans que l'on puisse bien y distinguer la place respective des

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La coexistence des religions

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58 - Brûle-encens - Ouzbékistan, Erkurgan - 3' -4' siècle Céramique non glaçurée - H. 30; D.14,3 cm - Samarcande, Musée national d'histoire, d'architecture et d'art - Réserve, A-466; KP-4035

59 - Temple de Dzhartepa : plan (Berdimuradov et Samibaev 2001, p. 45-66, fig. 1)

fonctions royales et cultuelles. À Paykend, dans l'oasis de Boukhara, la construction d'un temple du feu proche des modèles iraniens semble liée à une période d'occupation politique sassanide. Partout ailleurs où l'on a fouillé des temples, il ne s'agit pas de temples du feu sur le modèle sassanide, avec autel central dans une salle à quatre piliers, mais de temples à images où le feu n'est pas permanent ni objet principal du culte i il est certes présent, mais transporté sur des brûloirs, comme intermédiaire entre la statue du dieu et l'offrande parfumée ou carnée (fig. 84). Les temples sogdiens plus tardifs les mieu x connus par les fouilles sont les deux temples acco lés de Pendjikent au Tadjikistan et celui de Dzhartepa en Ouzbékistan, qui ont un plan axial avec cour avancée, portique à colonnes en façade, à l'arrière une cella pour la statue principale, le tout enveloppé de corridors servant de sacristies et de trésoreries (fig. 59). Ces temples abritaient une profusion d'images divines sous diverses formes : peintures murales, statues de terre crue et de bois, sans doute des

statues métalliques (pil lées lors de la conquête arabe), la pierre étant très peu employée pour la statuaire. À Pendjikent se devinent des nuances entre les manifestations observables du culte. Les divinités reconnaissables dans le temple Il relèvent du panthéon zoroastrien; sur le côté du bâtiment principal, une chapelle du feu de style sassanide fonctionne quelque temps; après la chute de la ville en 722, la ruine reçoit une installation pour le rituel majeur de purification. Au contraire, le temple I ne comporte presque que des images de Nana et des divinités associées, dans un cas se lamentant, et guère d'indices rattachables aux usages zoroastriens. On pourrait avoir affaire dans ce cas plutôt à un syncrétisme assez éloigné du zoroastrisme, lequel se reconnaît mieux dans l'autre temple. (Sur le culte de Nana à Samarcande, voir aussi ci-après, 2.4.3.1, encart« Kafir-kala, porte en bois ».) BIBLIOGRAPHIE

Grenet 2015a .

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Le temps des États-oasis et des royaumes (3• siècle avant J. -C. - 2• siècle après J.-C.)

LE JUDAÏSME

d'immorta lité), dans une ve rsion juive où Alexandre se fait circon cire pour être admis au paradis (fig. 60).

Frantz Grenet

BIB LI OG RAPHIE

Zand 2000 ; Dan et Gre net [à paraître].

l se peut que des comm unauté s juives aient été présentes en Asie centrale dès l'é poque de l'Empire aché ménide, mais les plus anciens témoignages explicites concernent Merv à partir du 4• siècle après J.-C. Pour les s• et 6· siècles, la fouille de la nécropole de cette vi lle a fourni un mausolée collectif où des ossuaires portaient des inscriptions juives en écriture araméenne. ils semblent avoir été nombreux et influents dans l'Empire hephtalite, dont le nom était compris à Byzance comme celui de Nephtali, l'une des « tribus perdues » d'Israël. Dans les premiers siècles de l'Islam, des communautés juives nombreuses et prospères sont attestées dans les villes du nord de l'Afghanistan actuel et dans les montagnes de l'Hind oukoush. Deux lettres en judéo-persan (une forme archaique du persan transcrite en caractères hébraiques), datant d'environ 800 et rédigées à Khotan par un homme d'affaires en rapport ave c la cour locale (fig. 61), témoignent des liens entre juifs de Chine et Sogdiens puisqu'on y rencontre de s termes commerciaux d'origine sogdien ne. Un bol d'argent bactrien de cette époque a été ré ce mment identifié comme illustrant des épisodes du Roman d'Alexandre situés en Inde (la cueillette de l'e ncens dans le bois sacré, l'accès à la fontaine

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61 - Lett re en judéo-pe rsan - Chine, Dandan Uiliq - 8'-9' siècle Encre sur papier - Londres, The British Library, Or. 8212/166 Recto

60 - Bol de Lha ssa illustrant une version juive du Ramon d'Alexandre - Tokyo, musée de l'Ancien Orient

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La coexistence des religions

monastère monumental bâti (colline nord) qui pouvait héberger au moins trente personnes, ainsi que de plusieurs stoupas. Le décor architectural faisait la part belle à l'utilisation du calca ire local. L'intérieur des sanctuaires était orné de pe intures murales polychromes et de sculptures en pierre ou en terre et plâtre combinés. Les fouilles ont livré un matériel ép igraphique varié, qui a permis aux chercheurs de déterminer que les moines de Kara -tépé utilisaient quatre systèmes d'écriture différents: kharoshthi, brahmi, bactrien, et un quatrième appelé conventionnellement « écriture inconnue ». Les origines des moines vivant sur le site étaient donc diverses, certains étant arrivés d'Inde, d'autres étant originaires de Bactriane. Les inscriptions mentionnent le nom de l'école bouddhique représentée à Kara -tépé, le Mahasamghika, qui relève du bouddhisme ancien. Il faut noter que la notion de Bodhisattva, pourtant caractéristique des écoles plus tardives, existait déjà dans l'enseignement du bouddhisme Mahasamghika, comme l'attestent les représentations de Boddhisattvas bien présentes dans le répertoire iconographique de la sculpture de Kara -tépé. Les dédicaces apposées sur les céramiques nous apprennent le nom de ce complexe: le« Monastère Royal». Des mentions de donateurs ont également été relevées, parmi lesquels figurent le chef de la cavalerie, le trésorier, ainsi que d'autres personnages d'importance de la société kouchane, ce qui témoigne du rang social élevé des adeptes du bouddhisme dans l'ancienne Termez. Kara-tépé atteint son apogée aux 2•-3• siècles, lorsque tous les bâtiments pourtant construits à des périodes différentes fonctionnent de manière synchrone. Il est clair que les campagnes menées par les Sassanides en Bactriane au milieu du 3• siècle ont considérablement ébranlé la position du bouddhisme dans la région, mais Kara-tépé n'a pour autant pas livré de vestiges de destructions qui auraient pu leur être imputées. Le changement de pouvoir consécutif à l'intervention sassanide dans la région a toutefois entraîné une diminution de l'aide économique allouée par les autorités à la communauté bouddhique. Le flot des donations s'est tari, et les moines ont commencé à quitter les monastères de Kara-tépé, ce qui a provoqué le déclin du site. À partir du 4•siècle, les grottes désormais inoccupées ont été réutilisées comme sépu ltures par les hab itants de la ville. Certains des monastères semi-troglodytiques ont pourtant continué à être occupés par des moines isolés jusqu'à la fin du s• siècle. Ce complexe, qui fut un immense centre reli gieux bouddhique, finit par être abandonné au 6•siècle .

LE BOUDDHISME Tigran Mkrtychev et Shakirdjan Pidaev Traduction de Julie Raewsky

armi les religions de portée mondiale implantées sur le territo ire actuel de l'Ouzbékistan à la période préislamique, le bouddhisme occupe une place particulièrement importante. Les recherches archéologiques menées dans différentes régions historico culturelles du pays ont montré que le bouddhisme tel qu'il était pratiqué en Ouzbékistan était porteur de particularités locales. On considère que les premiers témoignages de la présence du bouddhisme en Bactriane du Nord remontent à la période gréco-bactrienne (3•-2• siècle avant J.-C.) et sont à mettre en relation avec les campagnes des souverains gréco-bactriens en Inde du Nord d'une part, et avec l'œuvre missionnaire des moines bouddhistes d'autre part. Les preuves matérielles les plus anciennes témoi gnant de la diffusion du bouddhisme dans la région ne datent toutefois que de la seconde moitié du 1•r siècle après J. -C. À cette époque, le souverain kouchan Vima Taktu (« Soter Mégas », vers 90-110) avait réuni sous son pouvoir l'Inde centrale et septentrionale, une partie de l'actuel Afghanistan et la Bactriane. Le regroupement de ces territoires au sein d'un seul et même État a considérablement facilité l'œuvre missionnaire des moines bouddhistes, qui ont ainsi pu se déplacer d'Inde jusqu'en Bactriane. Le travail des moines missionnaires, qui bénéficiaient du soutien des souverains locaux, a conduit à la construction, y compris en Bactriane, de différentes structures à vocation rituelle. L'actuelle région du Sourkhan-darya, en Ouzbékistan, qui dans ['Antiquité constituait la partie nord-ouest de la Bactriane, a ainsi livré près d'une dizaine de sites bouddhiques. Le centre cultuel de Kara-tépé, situé sur le site de l'ancienne Termez, est un des plus anciens sites bouddhiques de Bactriane. Il s'agit d'un complexe d'édifices datés de périodes différentes, et répartis sur 8 hectares de collines dans la partie nord-ouest du site. Il est constitué de plus d'une dizaine de petits monastères semitroglodytiques conçus pour trois à cinq moines, d'un

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Le temps des États-oasis et des royaumes (3• siècle avant J.-C. - 2• siècle après J.-C.)

Le sanctuaire du temple de Fayaz-tépé était orné de peintures murales figuratives et de sculptu res en pierre et en terre et plâtre combinés. Le haut-relief en pierre découvert ici, représentant Bouddha avec des moines (fig. 63), constitue l'un des plus remarquables exemples de sculpture bouddhique de Bactriane du Nord. Malgré de nombreuses similitudes avec la sculpture bouddhique du Gandhara, certaines particularités de l'iconographie de ce haut-relief laissent penser qu' il pourrait être l'œuvre d'artistes locaux. L'expéd iti on sassanide en Bactriane a eu su r le monastère de Fayaz-tépé le même impact négatif qu'à Kara -tépé. Le déclin du site s'amorce à la fin du 3• siècle, et le dernier moine abandonne le site au milieu du s• siècle. Ici aussi, les édifices en cours d'effondrement seront par la suite réutilisés comme sépultures. Non loin de l'ancienne Termez se trouvent les ruin es du plus grand stoupa de la région, le stoupa de Zurmala, construit entre le 1er et le 3• siècle. Les fouilles ont permis d'établir que la maçonnerie intérieure du stoupa était en brique crue et que le piédestal avait été jad is revêtu d'un placage de calcaire; la partie supérieure de la stru cture était parementée de briques cuites dont la face externe avait été pe inte d'une couleur rouge vif. L'ensemble atte ignait une hauteur de 16 mètres, et plus encore si l'on tient compte du mât portant les parasols étagés. Deu x autres sites du sud de l'Ouzbékistan ont livré des vestiges bouddhiques appartenant à la période kouchane : Dalverzin -tépé et Zar-tépé. Au centre de Dalverzin-tépé, dans une zone urbaine densément construite, un temple a été érigé à la fin de la période kouchane, au milieu du 3• siècle. Le plan de ce temple ne trouve pas d'analog ies dans l'architecture bouddhique; les fou illes ont cependant livré un grand nombre de fragments de sculpture bouddhique (fig. 64) et de peinture murale, qui ne laissen t pas de doute qua nt à l'interp rétation de ce bâtiment. L'édifice fonctionne jusq u'à la fin du 3• et au début du 4• siècle. Les vestiges de plusieurs pièces disposées autour d'une plateforme interprétée comme une base de stoupa ont été fouillés au nord de Dalverzin-tépé. Ils ont livré une grande quantité de fragments de sculptures en plâtre représentant des personnages royaux, des donateurs et des divinités bouddhiques (devas) (fig. 40, 41, 42). Non

62 - Tête de Bouddha - Ouzbékistan, Kara-tépé - 2'-3' siècle - Terre crue polychrome - H. 13; l. 22 cm - Moscou, State Museum of Oriental Art, GK 7098430 / GMV KP-43748 / 724 Kr IV

Le site de Tchingiz-tépé était un autre grand centre bouddhique de l'ancienne Termez pendant la périod e kouchane . Il a livré une plateforme monumentale de stoupas implantée sur une colline naturelle de plus de 10 mètres de hauteur, ainsi qu'une tête de Bouddha dorée (fig. 62). Le cen tre du site était donc occupé par un temple bouddhique. Le poste-frontière de Malyi Tchingiz-tépé abritait un sanctuaire monumental qui a livré des reliefs bouddhiques en pierre. Non loin de Kara-tépé se trouve le monastère bouddhique de Faya z-tépé, bâti dans la secon de moitié du l ·' siècle. Ce complexe architectural était composé d'un sanctuaire, d'un monastère, d'un réfectoire, tous ayant des cours carrées et des pièces disposées su r le périmètre, ainsi que d'un stoupa monumental indépendant. Le plan de Fayaz-tépé reproduit celui des mona stères bouddhiques du Gandhara. Les fouilles du monastère ont livré diverses céramiques portant de s inscriptions; d'après celles-ci, le site de Fayaz-tépé portait le nom én igmatique de « Monastère du Cheval».

63 - Bouddha en méditation entre deux moines - Ouzbékistan, Fayaz-tépé - 2' siècle après J.-C. - Calcaire, déco r sc ulpté - H. 75; l. 63 ; pr. 28 cm - Tachkent, Musée nati onal d'histoire d'Ouzbékistan, n° 274/1

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La coexistence des religions

loin du site ont été retrouvés des fragments de sculpture monumentale bouddhique en terre crue et en terre et plâtre combinés, ce qui a permis d'identifier cette structure comme étant un sanctuaire bouddhique. Les cherc heurs considèrent que ce sanctuaire a été détruit au 3e siècle, ses pièces ayant par la suite été réutilisées comme nécropole. Parmi les villes de la vallée du Sourkhan -darya qui étaient très actives à la période kouchane, le site de Zartépé se distingue en particulier. Son sanctuaire est daté de la fin du 3e et du début du 4esiècle, de même qu 'une partie d'un bâtiment dont une des pièces était ornée d'une peinture murale reprenant un thème bouddhique, l'oiseau Garuda en levant une femme. À l'est du mur d'enceinte du site se trouvait un stoupa, dont le reliquaire a livré plus de cinq cents monnaies datées de la fin de la période kouchane. Le site kouchan d'Ayrtam, en Bactriane du Nord, est lui aussi traditionnellement associé à la religion bouddhique. La renommée mondiale de ce site est due à la découverte fortuite, en 1934, de fragments appartenant à un relief en pierre représentant des musiciens séparés par des feuilles d'acanthe. Une nouvelle interprétation a cependant été proposée dernièrement pour ce site, selon laquelle le bâtiment aurait été un sanctuaire dynastique kouchan. Quelle que soit la validité de cette nouvelle hypothèse, la découverte d'un stoupa à proximité d'Ayrtam constitue une preuve indéniable de l'existence d'une communauté bouddhique aux alentours du site. Il semble que la nouvelle élite arrivée au pouvoir en Bactriane du Nord à la suite des campagnes sassanides de la seconde moitié du 3esiècle n'a guère porté d'attention au bouddhisme. Cela s'est notamment traduit par la diminution du soutien économique alloué aux monastères, qui a eu pour conséquence l'abandon progressif des sites bouddhiques dans la région. Il est néanmoins flagrant que certains sites ont malgré tout perduré, et que la Bactriane est restée un point de passage sur la route entre l'Inde et la Chine . La présence d'adeptes du bouddhisme dans le sud de l'Ouzbékistan au haut Moyen Âge est attestée par la découverte, dans le château de Zang-tépé, de fragments d'un manuscrit Vinaya rédigé en brahmi. Si l'on en croit le témoignage du pèlerin Xuanzang, qui visita Termez en 630, la ville comptait alors près d'une

dizaine de monastères et plus d'un millier de moines. Malgré le fait qu'à cette époque les grands sites hors les murs comme Kara-tépé ou Fayaz-tépé étaient déjà en ruine, une communauté bouddhiste a subsisté à Terme z jusqu'aux 6e_7e siècles. Un stoupa daté du haut Moyen Âge a ainsi été découvert non loin de la citadelle, ainsi que, au nord-ouest de celle-ci, des grottes qui appartenaient manifestement à un monastère bouddhique. C'est à cet endroit que fut inhumé le célèbre théologien musulman al-Hakim al-Tirmidhi (3e_9e siècle). Ce choix n'est sans doute pas fortuit, puisque nombre de chercheurs s accordent à dire qu une influence bouddhique s observe dans son oeuvre. Les ré ce nte s découvertes ill ustrent bien la complexité de la diffusion du bouddhisme en Sogdiane. L'analyse du matériel collecté lors des foui lles combinée à celle des sources écrites permet de dire que la Chine a joué un rôle considérable dans la diffusion du bouddhisme dans la région, notamment par l'interméd iaire de pèlerins chinois se rendant en Inde pour y contempler les reliques du bouddhisme. Les Turcs habitant en Sogdiane, qu i se sont convertis au bouddhisme sous l influence des Chinois, ont éga lement joué un rôle dans ce processus. La région du Cha ch n'a pour le moment pas livré non plus de sites bouddhiques, mais des découvertes fortuites suggèrent néanmoins la présence d'adeptes de cette religion au haut Moyen Âge. Pour la région du Dayuan (Fe rghana), on ne connaît à l'heure actuelle qu'un seul temple bouddhique, sur le site de Kuva. L'iconographie de la sculpture en terre crue (fig. 120, 121) provenant de ce site indiqu e que l'on y pratiquait le bouddhisme tantrique vajrayëina. Un certain nombre d'analogies montrent un lien avec l'art boudd hique de Khotan (Turkestan oriental), ce qui laisse penser que ce temple appa rtenait à une communauté issue de cette région, qui s'était installée dans l un des quartiers de l'ancienne Kuva. 1

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BIBLIOGRAPHIE

Bulatova 1972; Pugachenkova etîursunov 1978; Al'baum 1990; Vertogradova 1995; Staviskij 1998; Mkrtychev 2002; Litvinskij et Zejmal' 2010; Pidaev 2011; Pidaev, Annaev et Fussman 2011.

64 - Tête de Bouddha - Ouzbékistan, Dalverzin-tépé - 2' -3' siècle Terre crue polychrome - H. 39 ; l. 29 cm - Tachkent, Institut des beauxarts de l'Académie des Sciences, FASI 0397

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Le temps des États-oasis et des royaumes (3• siècle avantj.-C. - 2• siècle après J.- C.)

est de mise. Des perfo rati ons en croix sur des ossua ires sogdiens ne doivent sans doute pas être interprétées comme chrétienne s, bien que l'on connaisse quelques ossuaires chrétiens au Khorezm. La documentation s'est récemment étoffée près de Samarcande. Par le témoignage des géographes arabes lstakhri et Ibn Hawqal (10• siècle), on conna issait l'existence dans un lieu nommé Wazkarda d'u n monastère peuplé notamment de chrétiens d' Irak, et près duquel on faisait retraite. Le lieu a été identifié près de la ville d'U rgut, à 35 kilomètres au sud de Samarcande. Dans les années 1990 y a été fouillée une église, de plan irakosyrien caractéristique (fig. 65). Dans une vallée parallèle, cent soixante-sept petites insc riptions syria ques gravées ou sca rifiées sont maintenant publiées. Ce sont des témoignages de pèlerins venus méditer et prier. Beaucoup portent des noms syriaques, soit qu 'i ls soient venus d'Irak, soit qu 'ils aient choisi ces noms par fidélité à ce que l'o n cons idéra it comme la langue du paradis. Un encensoir de bronze trouvé à Urgut et apporté de Syrie ou d'Irak témoigne des liens avec les centres de l' Église nestorienne (fig. 66).

LE CHRISTIANISME Frantz Grenet

a première attestation du christianisme en Asie centrale remonte à la fin du 4• siècle, avec l'établissement à Merv d'un évêché qui va rester le point de départ de l'évangélisation jusqu'en Chine . Il est affilié à l'Église nestorienne, ou« Église de l'Est», majoritaire en Iran et rattachée au patriarche de Bagdad. À Samarcande, la date de l'établissement de l'évêché indiquée par les sources flotte entre le 5•siècle et le début dus•. Jusqu 'à une époque récente, les principaux témoignages archéolog iques venaient du royaume turc des Qarluq s, dans la région du Sémiretchié, répartie entre les actuels Kazakhstan et Kirghizistan; il s'agit de cimetières avec pierres tomba les en syriaque et des deux églises d'Ak-beshim, l'ancienne Suyab, attribuées au 8• siècle. Des signes de cro ix sur des monnaies sogd iennes ont été interp rétés comme chrétiens, mais là encore la prudence

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65 - Église d'Urgut (Ashurov 2015, p. 161-183, fîg.1 -2)

BIBLIOGRAPHIE

Ashurov 2015 ; Dickens 2017.

66 - Brûle-encens - Ouzbékistan, Urgut - 8' -9' siècle Bronze coulé, décor gravé - H. 11,5; D. 10,5 cm Saint-Pétersbourg, musée de ['Ermitage, SA-12758 ; entrée en 1916

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67 - Pierre avec une crolx chrétienne Ouzbékistan, Urgut - 13' siècle - Pierre, décor gravé - H. 29; l. 22 cm - Tachkent, Musée national d'histoire d'Ouzbékistan, n' 312/12

La coexistence des religions

LE MANICHÉISME

a conservé (fig. 68). Une originalité de sa propagande est qu'il a d'emblée renoncé à l'idée d'une langue sacrée et encouragé les traductions dans les langues locales, sou vent en utilisant un alphabet nouveau. La redécouverte des langues parthe et sogdienne doit beaucoup aux textes manichéens mis au jour à Turfan et à Dunhuang. De son vivant, Mani avait envoyé une mission dans les régions de l'Est. On manque cependant de données sur l'enracinement des communautés manichéennes avant le 10• siècle. On sa it par l'auteur arabe Ibn al-Nadim que sous le calife al-Muqtadir (907-932) cinq cents Manichéens expulsés de Bagdad avec le chef suprême de l'Église rejoignirent Samarcande, où existait déjà une ancienne communauté. L'accueil dans cette ville fut imposé par le khaghan des Ouïghours de Turfan, où le maniché isme était la religion officielle de la famille royale. Deux lettres privées retrouvées à Turfan témoignent de relations tendues entre anciens et nouveaux mani chéens à Samarcande. Une autre lettre, à caractère officiel, a été envoyée à Turfan depuis Tudhkath, une ville au nord de Samarcande où la communauté manichéenne s'était établie. À ce moment, peu après l'an 1000, le chef de l'Église manichéenne avait émigré à Turfan. On n'a plus ensuite de témoignages sur les manichéens d'Asie centrale, bien que l'on ait supposé qu 'ils avaient contribué aux sectes musulmanes hérét iques qu'on voit fleurir après la conquête. En Sogdiane même, les témoignages archéologiques sûrs son t inexistan ts. On a proposé de reconnaître le titre man ichéen espasak, «évêque», sur des sceaux de Kan ka (au sud de Tachkent) datables du 4• ou du s• siècle, et dans le toponyme lsbiskath, près de Samarcande, mais cette interprétation est contestée.

Frantz Grenet

e manichéisme est une re ligion de salut, complexe, originale bien qu 'ayant intégré dès le départ des éléments chrétiens, gnostiques et zoroastriens, et ayant adapté sa catéchèse avec une grande flexibilité au fur et à mesure qu 'il s'étendait, notamment en adoptant à l' Est un vocabulaire et des notions bouddhiques. Son fondateur est Mani (216-277?) . Il a laissé un grand nombre de traités et une version illustrée de sa doc trine, livres perdus pour l'essentiel mais qui ont inspiré la littérature man ichéenne ultérieure. Ses épîtres étaient signées de son sceau, qu'une chance extraordinaire nous

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BIBLIOGRAPHIE

Tardieu 1997; Yoshida 2017.

68 - « Sceau de Mani» - Irak? - 3' siècle? - Cristal de roche (ta ille en intaille)- D.1,9; ép. 0,9 cm - Paris, Bibliothèque nationale de France, Cabinet des médailles, 58.1384bis

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La circulation monétaire dans l'Ouzbékistan antique Edvard V. Rtveladze Traductio n de Julie Raewsky

) L

d'un vra i commerce monétarisé (fig. 69). La déco uve rte, sur de nombreux sites, de monnaies de cuivre (bronze) montre que les relations investissent la sp hère du petit commerce local. Les monnaies peuvent être utilisées de différentes manières: instruments d'éc hange, trésors, etc. Les prem ières ém iss ion s apparaisse nt en Bactriane sous le règne de Séleucos 1er, et en Sogdiane probablement à la période gréco-bactrienne . C'est également à cette période qu'ont lieu les premières émissions monétaires au nom d'un so uverain local (monnaies de Wakh sh uwa r de la fin du 4e siècle avant J.-C. en Bactriane), mais aussi les premières imitations locales de monnaies séleucides d'Antiochos 1er (en Sogdiane au début du 3e siècle avant J.-C.) et d'Alexandre le Grand. Cette période peut être subdivisée en deux étapes: 1) de la fin du 4e au milieu du 3e siècle avantJ .-C.; 2) du milieu du 3e à la fin du 2e siècle avant J. -C. La prem ière étape est caractérisée par la mise en place de la circu lation monétaire, ce que confirment les découvertes, rares il est vrai, de monnaies d'Alexandre (336- 323), de Séleucos 1er (311281) et d'Antiochos 1er (281-261) en Bactriane du Nord et en Sogdiane. L'apparition d'émissions séleucides locales en Bactriane, sous Séleucos 1er et Antiochos 1er, constitue l'événement marquant de cette étape. Au co urs de la seco nde étape de la troisième période, le développement de la circ ulat ion monéta ire se poursuit, et l'a ire de diffusion des monnaies s'étend grâce à l'annexi on de nouvelles régions, notamment Boukhara. Le champ d'utilisation de la monnaie s'étend égale ment, et l'apparition des premiers trésors monétaires témoigne de l'existence de grandes quantités de pièces chez des ind ividus privés. Les premières imitations sogdiennes

Asie centrale ne figure pas au rang des régions qui les premières ont commencé à utiliser la monnaie métallique; cela s'explique par un niveau de développement socio-économique relativement faib le. Jusqu'à l'ap parition de la monnaie, les transactions avaient lieu sous forme de trocs divers et sans doute avec des lingots. La quantité considérab le de monnaies dont nous disposons à l'heure actuelle nous offre la poss ib ilité de proposer pour la première fois une périodisation relativement détaillée du développement de la circulation monétaire dans la« Mésopotamie centrasiatique ». La première période s'étend de la seconde moitié du 2e à la première moitié du 1er millénaire avant J.-C. À cette époque, le commerce est fondé su r le troc ou sur des échanges de marchandises; ce rta ins produits servent de monnaie d'échange, ainsi probablement que des lingots métalliques. La nature exacte de ces monna iesmarchandises ne nous est pas connue, mais les analogies avec d'autres pays suggèrent qu 'il pouvait s'agir de grain, de têtes de bétail, de diverses productions artisa na les, de coquillages, etc. La seconde période est comp rise entre le seet la fin du 4e siècle ava ntJ .-C. Les populations du su d de l'Asie cen trale découv rent la monna ie. À cette époque circulent des lingots métalliques ainsi que les premières monnaies achéménides. On assiste éga lement à l'apparition de surfrappes locales sur des monnaies achémén id es. La troisième période s'étend de la fin du 4e à la fin du 2e siècle avant J.-C. Elle est caractérisée par l'e ntrée d'un certain nombre de région s d'Asie centra le (Bactriane, Sogdiane, Parthie) dans l'o rb ite du système monétaire hellénistique, avec la mise en place et le développement

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La circulation monétaire dans l'Ouzbékistan antique

monnaie, de grandes imitations en argent des tétradrachmes d'Eucratide, pesant entre 13 et 16 grammes. Chacun de ces groupes de monnaies avait une portée exclusivement locale, et la topographie des découvertes montre bien qu 'e lles n'avaient cours que dans la région d'émission. On assiste donc à la mise en place de marchés monétaires locaux alimentés par des émissions locales. Dans une vaste région comme le Soghd, on ne dénombre pas mo ins de quatre marchés locaux de ce type . La cinquième période est comprise entre le 1er siècle et la première moitié du 3• siècle. La nouvelle situation politique entraîne un changement radical dans le commerce monétarisé de la Mésopotamie centrasiatique. L'influence des traditions monétaires hellénistiq ues s'a ffaiblit, dans les sta ndards de poids et les métaux utilisés, mais aussi dans l'iconographie et la symbolique, et se trouve remplacée par les normes et les traditions asiatiques locales. À partir de la seconde moitié du 1er siècle et du règne de Vima Taktu, fils de Kujula Kadphisès, la partie méridionale de la zone entre dans les possessions du puissant souverain kouchan. En Bactriane du Nord, la circulation monétaire de cette période peut être divisée en trois étapes. Pendant la première, qui couvre le règne de Vima Taktu (Soter Mégas), se trouvaient en circulation des monnaies de bronze de deux valeurs nominales distinctes. La seconde étape est liée à une vaste réforme monétaire menée par Vima Kadphisès Il, qui introdu it un nouveau système monéta ire fondé sur l'or et le bronze et sans doute influencé par Rome. La troisième étape intervient sous les règnes de Vasudeva Il et Kanishka Ill, les derniers souverains kouchans, auxquels appartenait la Bactriane du Nord. La comparaison des données métrologiques des monnaies montre de grands changements, notamment une réduction du diamètre et du poids, qui interviennent à la fin de la période kouchane. Dans le Soghd, la valeur nominale des monnaies et la composition du méta l ne changent pas, ma is on voit apparaître de nouvelles émissions et de nouveaux ateliers monétaires. De petites monnaies d'argent à l'effigie d'Héraclès et de Zeus sont par exemple frappées dans le Soghd méridional. Ces monnaies circulent dans toute la région du 1er siècle avant J.-C. jusqu'au 4• siècle après J.-C., lorsqu 'elles so nt remplacées par des mon naies de bronze représentant une scène de combat singulier.

et bactriennes de monnaies séleucides et grécobactriennes co nstituent les prémices de la mise en place d'ém issions monétaires indépendantes. La dive rsité des standards de poids existants ici pour les monnaies d'arge nt ou de bronze (tétradrachmes, drachmes, oboles, chalques, dichalques), frappées selon l'étalon attique, montre bien les progrès évidents du commerce monétarisé, puisque la monnaie était employée non seulement comme moyen de paiement, mais également comme moyen d'échange, et sans doute aussi comme trésor. Les échanges commerciaux de grande ampleur, notamment internationau x ou interrégionaux, recouraient à des monnaies en argent de grande valeur nominale. En Bactriane du Nord et partiellement dans le Soghd, les échanges monétaires so nt aussi présents dans le petit commerce de détail entre villes et vi llages. La quatrième période s'étend de la fin du 2• siècle avant J.-C. au début du 1er siècle après J.-C. Après la chute de l'Empire gréco-bactrien, à la fin du 2• siècle avant J.-C., sous la pression des Saka et des Yuezhi, la situation politique change complètement dans la zone interfluviale de l'Amou-darya et du Syr-da rya . Un état confédératif Yuezhi fait son apparition en Bactriane, tandis que le Soghd reste sous la domination nominale de l'État Kangju, confédéral lui aussi et constitué de plu sieurs territoires re lativement indépendants gouvernés par des dynasties yuezhies; le Khorezm conserve apparemment sa dynastie ancienne. La principale caractéristique de cette période est la diffusion, dans presque toutes les régions de la Mésopotam ie centrasiatique, mis à part le Ferghana et le Chach, d'émissions d'imitations de monnaies gréco-bactriennes . En Bactriane, ce sont les imitations d'Héli oclès en bronze et celles d'Eucratide et de Démétrios en argent, de types très variés, qui bénéficient de la plus large diffusion géo graphique et du plus grand tirage. La composition de la masse monétaire en circulation dans les différentes régions du Soghd à cette période est encore plus disparate. Ainsi, les petites dénominations imitant celles d'Antiochos 1er bénéficia ient d'une large diffusion autour de Samarcande, tandis que la région de Boukhara émetta it à la même période de grandes imitations en argent des tétradrachmes d'Euthydème. Autour de la seco nde moitié du 2• siècle avant J.-C., de petites monnaies d'argent émises par les dynasties Yuezhi (Hyrkodès) ont commencé à être frappées entre le Soghd de Boukhara et celui de Samarca nde; dans le même temps, le Khorezm commence à émettre sa propre

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Le temps des États-oasis et des royaumes (3e siècle avant J.-C.

Dans diverses régions du Soghd central circulaient de petites monna ies d'argent avec la représentation d'un archer et une légende en sogdien, ainsi que de petites monnaies d'argent du groupe d'Hyrkodès, et des imitations d'Euthydème avec la représentation d'un souverain local et une légende en sogdien. Le Khorezm est également le théâtre d'importants changements dans le système monétaire, avec l'abandon des émissions d'imitations au profit de frappes monéta ires totalement indépendantes. L'étape la plus ancienne de la mise en place des émissions monétaires au Khorezm est représentée par les monnaies du groupe A. On distingue clairement l'apport d'éléments nouveaux sur les monnaies de ce groupe: le tamgha royal du Khorezm, la rep ré sentation d'un cavalier qui remplace les Dioscures au revers, et l'apparition d'un ro i au droit. Ce groupe est subdivisé en trois stades, qui reflètent la mise en place des émissions monétaires du Khorezm. Une circulation monétaire développée, fondée sur l'argent et le bronze et alimentée par les échanges commerciaux locau x de grande et petite envergure, existait déjà au Khorezm. Au contraire du Soghd, en re vanche, il n'y avait pas ici d'émissions de petites monnaies d'argent. On constate donc qu'entre le 1er siècle et la première moitié du 3e siècle, trois grandes provinces numismatiques existaient dans la zone interfluviale de l'Amou -darya et du Syr-darya, trois aires monétaires locales, qui diffé raient les unes des autres par leurs standards de poids et les métaux utilisés: 1) le Khorezm, où n'étai ent émises que de grandes monnaies d'argent ou de bronze de différentes valeurs nominales; 2) le Soghd, qui émettait de

- 2e siècle après J.-C.)

grandes monnaies d'argent d'une seule va leur nominale et de petites monnaies d'argen t de différentes va leurs nominales; 3) la Bactriane du Nord, qui faisait partie du système monétaire kouchan, fondé exclusivement sur l'émission de monnaies en or et en bronze . L'étude des données montre que les émissions monétaires de la Mésopotamie centrasiat iq ue avaient une aire de diffusion très locale, cantonnée aux régions ém ettrices . Elles n'ont pas circulé dans les régions voisines, et encore moins en dehors de la zone globale, et se limitaient aux relations commerciales de portée loca le. Dans le cadre de la Route de la Soie, qui traversait la région, le rôle de devise internationale éta it vra isemblablement rempli par les monnaies kouchanes, parthes et romaines, ce qu'indiquent les découvertes faites loin des pays émetteurs, en Inde, en Asie centrale, au Turkestan oriental et en Chine. L'effondrement des grand s empires antiques kouchan et parthe a eu des répercussions sur l'ensemble de la situation politique, et a amorcé le passage à un système social nouveau . Des événements historiques traduisent ce bouleversement: migrations massives de populations nomades (K idarites, Chionites et Hephtalites), apparition de nouveaux territoires de moindres dimensions, changements de dynastie dans les États existants, et domination politique de l'Iran sassanide dans la zone. Tout cela a entraîné des modifications dans la composition et la circulation de la masse monétaire et a provoqué l'ap pariti on de nouveaux ateliers et la disparition des traditions hellénistiq ues, dans les domaines iconographique, métrologique et épigraphique.

69 - Tétradrachme de Euthydème I" - 3' siècle avant J.-C. Argent - D. 2,9 cm - Bibliothèque nationale de France, département des Monnaies, médailles et antiques, Fouilles de Suse 486

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Les royaumes du milieu : les Huns et les Turcs Frantz Grenet

ers 630, le pèlerin chinois Xuanzang dresse un tableau clair de la situation politique des pays au nord et au sud des« Portes de Fer» de Derbent, qui avaient jadis marqué la frontière nord de l'Empire kouchan. Au nord, la Sogdiane est divisée en plusieurs royaumes au sein desquels Samarcande a la prépon dérance. Elle est soumise théoriquement au khaghan des Turcs occidentaux, que Xuanzang a rencontré en chemin au Sémiretchié (le sud du Kazakhstan actuel) et qui lui a délivré un sauf-conduit; un peu plus tôt, le roi de Samarcande était le gendre du khaghan. Au sud des Portes de Fer, dans le Tokharistan (l'ancienne Bactriane), s'est maintenu le souvenir de l'Empire kouchan, mais « la famille royale est éteinte depuis plusieurs centaines d'années »; jusqu'à l'Hindoukoush et jusqu'aux Pamirs, « il y a 27 royaumes soumis aux Tures ». L'héritier du khaghan siège près de la ville actuelle de Kunduz (au nord-est de l'Afghanistan) et, malgré la brutalité de ses mœurs familiales, il manifeste lui aussi son respect à Xuanzang. Ces souverains turcs ayant leur propre armée vivent dans des pâturages et reçoivent sous leur yourte, où (si l'on extrapole à partir du témoignage d'un ambassadeur byzantin qui avait rencontré l'un de leurs prédécesseurs) ils aiment à s'entourer d'argenterie bactrienne et sogdienne. Au Tokharistan, ils commandent à un réseau de villes fortifiées administrées par leurs propres souverains, qui ont aussi leurs troupes. Certains monastères bouddhiques se sont érigés en pouvoirs politiques, ainsi le Nowbahar de Balkh, qui devient le maître de l'oasis dans le courant du siècle.

Cette décentralisation et cette structure politico-sociale duelle, sédentaire et nomade, résultent d'une évolution progressive qui est intervenue depuis la fin de l'Empire kouchan, vers 230. Au Tokharistan, une administration sassanide plus ou moins directe semble en exercice jusque vers 280, après quoi se met en place une vice-royauté déléguée à une branche cadette de la dynastie, que les historiens modernesa ppe llent «koucha nosassanide »; à en juger par les prospections archéologiques, cette période correspond à un optimum de la carte du peuplement. Au nord, la confédération nomade des Kangju, qui avait été le principal partenaire diplomatique des Chinois, se délite, et les royaumes sogdiens qui lui étaient auparavant inféodés s'organisent en une confédération qui réun it Samarcande, Boukhara, Kesh (Shahr-i Sabz), Nakhshab, et le (hach (Tachkent). Dans la seconde moitié du 4• siècle (peut-être plus tôt), l'ensemble de la région est bouleversé par des incursions de nomades qui s'autodésignent comme« Huns» et sont probablement apparentés à ceux d'Europe; les Iraniens (et à travers eux les Romains) les appellent« Chionites », les monnaies qu'ils émettent au Kapisa leur donnent le nom d'« Alkhan » (fig. 71). En Sogdiane, ces nouveaux venus se fondent rapidement dans l'aristocratie foncière et marchande locale; apparaît alors un réseau d'établissements fortifiés aux plans standardisés, dont on ne sait si l'on doit les interpréter comme une mise en défense préalable du pays ou, au contraire, comme l'indice de l'installation des nouveaux maîtres. Au Tokharistan, on voit vers 420 (plus tôt selon certains) sortir des groupes huns une dynastie des« Huns Kidarites » qui revendique

V

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Les royaumes du milie u : les Huns et les Turcs

70 - Bol au roi hephtalite - Ouzbékistan, village de Chilek (région de Samarcande) - Dernier tiers du 5' siècle - Argent - D. ouverture 19,7; H. 6,5 cm - Samarcande, Musée national d'histoire, d'architecture et d'art - Réserve, KP-2934/2; BS-2

C'est aussi sous leur domination que s'amorce un mouvement de fondations urbaines, ou d'extensions à partir de forteresses préexistantes, dont les exemples les mieux connus (Pendjikent, Paykend, Rabinjan, Vardana, et sans doute le centre urbain de Boukhara) présentent en commun une taille modeste (10 à 15 hectares) et une organisat ion orthogonale des rues. Au Tokharistan sep tentrional (entre l'Amou-darya et les Portes de Fer), les villes généralement héritées des périodes précédentes, bien étudiées par l'archéologie, sont refortifiées et réorganisées à cette époque. De 457 à 467, les Sassanides établissent une alliance de revers contre les Kidarites avec les Huns Hephtalites, eux aussi issus des migrations du siècle précédent et établis d'abord dans les piémonts orientaux du Tokharistan. Ils ont bénéficié d'une acculturation préalable qui, mieux

le titre de « roi des Kouchans », conquiert le Gandhara, affronte les Sassanides, et au nord annexe la Sogdiane, reconstituant pour la première fois une unité politique centrasiatique qui avait disparu après les Séleucides. Leur annexion de la Sogdiane, suggérée par les monnaies et par les sources chinoises, est maintenant confirmée par le sceau d'un « roi des Huns, roi des Kouchans, seigneur de Samarcande », datable des environs de 460470; de manière significative, il est inscrit non pas en sogdien mais en bactrien, langue du pays dont est sortie la dynastie. Les sceaux privés conservés à ['Ermitage et réputés trouvés en Sogdiane sont inscrits en sogdien et en bactrien. Cette réunification politique a permis l'adoption massive dans l'art sogdien, jusqu'alors très provincial, de formes issues du Tokharistan, notamment dans le domaine de l'iconographie religieuse.

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Les royaumes huns et turc s: l'apogée d'un art de cour

(3e_3e siècle)

Steppe kazakhe

Mer

d'Aral Mer Caspienne

3' siècle apr. J.-C.

Huns Peuple

4' siècle apr. J.-C.

5' siècle apr. J.-C.

450

SASSANIDES Dyna stie

6' siècle apr. J.-C.

550

KHOREZM

7' siècle apr. J.-C.

Région historique naturelle ou administrative

8' siècle apr. J. -C.

m 250 km

71- L'Asie centrale à l'aube des invasions des Huns (3' siècle après J.-C.) jusqu'aux Khaganat Turcs (6'-7' siècle après J.-C.)

qu'à leurs prédécesseurs, leur permet de s'appuyer dès le début sur un solide appareil étatique, notamment fiscal, base d'une armée de cent mille cavaliers d'élite qu ' ils

bouddhique de Fayaz-tépé à Terme z). L'Empire hephtalite déborde celui des Kidarites, tant à l'ouest, où il annexe temporairement Merv, qu'à l'est, où il exerce un

opposent aux Sassanides; en 484, le Roi des Rois Peroz périt au combat avec la fleur de sa noblesse et l' Iran est soumis à un lourd tribut pendant un demi-siècle. L'archéologie de l'Ouzbékistan méridional a confirmé la réalité de ce tribut: à Chagan ia n (au nord de Termez), l'essentiel de la monnaie d'argent en circulation pendant toute cette période est constitué de monnaies sassanides contrema rqu ées . C'est certainement à l'aune de ce souda in enrichissement qu'il convient d'appréc ier le dynamisme continué des fondations urbaines, les commandes de plats d'argent1, la riche sse de décors peints que l'on date de cette époque (ainsi ceux du mona stère

contrôle ind irect jusqu'à Khotan et Koutcha, et au sud, où il pousse ses raids jusque dans l'Inde profonde. Des motifs indiens se diffusent dans toutes les prod uctions artistiques (fig. 70, 108). Il n'en reste pas moins que les Hephtalite s affirment une identité forte et même agressive, en rupture avec ce qui les avait précédés: sur leurs monnaies, ils ne revendiquent plus le titre de « roi des Kouchans » et affichent des tra its physiques patibulaires, trè s éloign és des canons esthétiques tant classiques que sassanides, avec notamment des crânes en « pain de sucre» produits par une déformation artificielle dans l'enfance. L'historien arménien Lazare de Pharp s'est fait

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Les royaumes du mi lie u : les Hu ns et les Turcs

émancipation en prenant le titre de« ro i » (ikhshid) et non plus simplement de « seigne ur ». En 658, les intrigues ch inoises ont ra iso n de l'empire des Turcs occide ntaux. La réalité politique de la Sogd iane et du Tokharistan est désormais, plus encore qu'aux époques précédentes, un réseau de principautés indépen dantes gouvernées par des aristocraties militaires mixtes, à la fois locales et tu rques, chaque principa uté envoya nt en Chine ses propres ambassades, qui, en réalité, sont surto ut des missions comme rciales. La rente agricole assise sur des réseaux de canaux en expansion, les profits du commerce proche ou lointa in, l'affermissement des pouvoirs locaux se refl ètent dans les décors des résidences ari stocratiques et auss i, à Pendj ikent, dans des maisons de marchands et d'artisans. Un même type de grande demeure se diffuse, homogène du Chach à la région de Bam iyan, témoignant de la mobilité géographique des artisans et des commanditaires. Tous les soins so nt réservés à la salle de réception à banq uettes maçonnées et à colonnes et plafonds en bois ouvragé, cadre de banquets accompagnés de musique que figurent les peintures elles-mêmes. Les exemples présen tés dans l'exposition sont issus de palais (Varakhs ha près de Boukhara, Kafir-ka la près de Samarca nde), de rés idences urba ines (Afrasiab et la « Peinture des Ambassadeurs »), mais aussi de mano irs (Bala lyk-tépé et Tavka près de Termez). Ce milieu social et l'art qu 'il porte vont se maintenir par endroits jusqu'à la consolidation de la conquête arabe à la fin de la période umayyade.

l'écho de la terreur qu'ils inspira ient : « Même en temps de pa ix, pe rsonne ne pouvait hard iment et sans crainte regarder les Hephta lites, ni même entendre leur nom. Le roi (Peroz) se mit en campagne; mais son armée marchait comme des condamnés à mort plutôt que comme une armée allantà la guerre. » Pas plus que celle de leurs prédécesseu rs huns et kidarites, l' identité lingui stique des Hephtalites n'est aisée à cerner. Comme les Huns d'Atti la, ils semblent inclure des éléments parlant des langues altalques (turc ou mongol), mais l'onomastique de la famille royale est de type« sarmate » (iranien des steppes), et pour l'usage officiel ils n'ont employé que les langues des territoires conq uis: bactrien, sogd ien, indien. Cet immense empire est gouverné par un condominium familial, avec le souverain en chef (yabghu) au Tokharistan, des souverains en second (tégin) su r le front indien, et des dynasties locales maintenues mais soumises à la pression fiscale (ce dont témo ignent les archives en bactrien du petit royaume de Rob dans l' Hind oukoush) . Dès 509, Samarcande envoie ses propres ambassades à la cou r de Chine. En 556, les Sassa nides recommencent l'aventu re de l'alliance de revers, cette fois avec le premier empire turc qui vient de surgir en Mongolie. Les territoires hephtalites sont partagés sur la ligne de l'Amou-darya, mais cette alliance ne réussit pas mieux que celle conclue avec les Hephtalites un siècle auparavant, et rapidement le Tokharistan redevient une zone de conflit. Politiquement et culturellement, le nouvel empire n'est plus orienté vers l'Inde (les Turcs ne prennent pied au sud de l'Hindoukoush qu 'à partir de 660), mais bien da vantage vers le monde de la steppe dont il est issu . Ap rès 642, le khaghan n'intervient plus à Sama rcande, dont le souverain manifeste son

BIBLIOGRAPHIE

Chavannes [1903) 1973 ; Litvinskij 1998, p. 99 -130 ; Ma rs hak 1999 ; Stark 2008 ; Grenet 2010; Lo Muzio 2017, p.150-293.

1

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Voir infra, p. 108-109.

Les Huns Djangar llyasov Traduction de Ju lie Raewsky

ertaines périodes de l'histoire de l'Asie centrale restent assez mal connues, d'une part parce qu'elles ne sont que peu mises en lumière par les sources écrites, d'autre part parce qu'elles n'ont pas été suffisamment étudiées du point de vue archéologique . La période immédiatement consécutive au déclin de l' Em -

C

oasis du S0ghd 1 les forçant à se déplacer vers le sud. Il est possible que des clans Huns se soient joints à elles dans ce déplacement. Sous le nom de Chionites (= alkhan 5) 1 ils ont fait irruption dans les anciennes possessions kouchanes de Bactriane-Tokharistan 1 devenues dans le 1 deuxième tiers du 3e siècle une partie de l Empire sassa-

pire kouchan, lorsque des peuples comme les Chionites, les Kidarites et les Hephtalites entrèrent en scène, en fait partie. Les discussions relatives aux origines de ces peuples, à leurs routes migratoires, à leur appartenance ethnique, etc. 1 sont fort anciennes et n'on t toujours pas trouvé de réponse qui fasse l'unanimité. En raison de la consonance des ethnonymes Chion (prem ier élément du latin Chionitae) et Xiongnu (khunnu) 1 d'inscriptions bactriennes figurant sur les émissions

nide1 et gouvernées en règle générale par des princes héritiers . Les actions des Chionites 1 que nous considérons comme les descendants de peuples ayant appartenu à l'État Kangju 1 ont conduit au déclin puis à l'abandon d'une partie des oasis et des villes qui existaient depuis la période gréco-bactrienne 1 qui avaient connu leur apogée à la période kouchane et qui continuaient d'exister à la période kouchano-sassanide. Le site de Dalverzin -tépé 1 situé dans le district du Sourkhan-darya en Ouzbékistan 1 est de ceux-là. Les incursions des Chionites dans les zones frontalières du nord-est de l' Empire sassanide constituaient un gros problème pour les lraniens 1qui à ce moment étaient pris à l'ouest dans un conflit avec Rome. Le Roi des Rois Shapur Il (309-379) adopta des mesures

monétaires chionites 1 dont on a longtemps cru qu'elles contenaient l'élément« khon 1 », et de l'évocation par certaines sources des Hephtalites comme étant des « Huns blancs 2 » 1 on a eu te nd ance à identifier ces peuples avec le s Xiongnu (khunnu/sjunnu) des sources chinoises et les Huns qui 1 aux 4e_5e siècles 1 ébranlèrent 1 par leurs raids l Empire romain. Il est possible que les Xiongnu (khunnu) aient joué un rôle dans la formation des groupes ethniques qui ont attaqué les oasis de Bactriane-Tokharistan 3 vers le milieu du 4e siècle 4 . Toutefois/ aucun objet pouvant être associé au complexe archéologique hunnique de cette période n'a été retrouvé au cours des fouil les menées sur le territoire de l'actuel Ouzbékistan, et c'est pourquoi leur présence physique dans la« Mésopotamie centras iatique » paraît douteuse. Les migrations de masse appelées« invasions barbares» ont cependant pu infl uer su r les populations Kangju tardives établies sur le moyen Syr-darya et autour des

énergiques pour contrer les nomades et sut conclure avec eux une paix fondée sur la coopération. C'est ainsi que dès 359 des divisions de Chionites, menées par leur nouveau roi Grumbates 1 « un homme d'âge moyen 1 souverain doté d ' un remarquable esprit 1 auréolé de nombreuses victoires » 1 prirent part au siège de la loin1 taine ville syrienne d'Amida en qual ité d alliés de Shapur. Ces événements 1ains i que la mort du fils de Grumbates et 1 la cérémonie funéraire qui s ensuivit et qui dura dixjours 1 1 sont décrits d une manière pittoresque par un témoin 1 direct1 l officier et écrivain romain Ammien Marcellin 6 • Ainsi, si les dénommés Chionites étaient bien des descen dants de tribus Kangju ayant migré vers le sud, quelles

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Les Huns

72 - Bol d'argent aux scènes mythologiques avec Héraclès et au couple aristocratique banquetant, Bactriane ou Sogdiane - 7' siècle - Argent doré, décor gravé et ciselé - D. 14,5; H. 4,6 cm - Saint-Pétersbourg, musée de ['Ermitage, S-75 - D'après les photos de 1. Smirnov, Vostochnoe serebro, Saint-Pétersbourg, 1909, n° 67

et sujettes à discussion. Peu de temps après la perte de leur hégémonie en Asie centra le, l'auteur chinois Wei Jie, qui au dé but du 7e siècle avait été au service de l'empereur de la dynastie Su i et avait séjourné dans les contrées

étaient les origines des Kidarites? Cette question ne fait pas l'unanimité parmi les spécialistes, et les hypoth èses les plus diverses ont été formulées. Certains chercheurs cons idèrent que le souverain Kidara, dont le peuple des Kidarites tire son nom, descendait d'un clan kouchan (on trouve sur leurs monnaies frappées sur le modèle sassa nide l'inscription Kidara Kushanshah), d'autres pensent qu'il s'ag issait de l'élite gouvernante des Chionites. La domination des Kidarites sur une partie de l'Asie centrale et de l'Afghanistan-Pakistan 7 peut, avec le retour temporaire d'une partie de l'ancien pouvoir et des territoires, être considérée comme une forme de« restauration kouchane ». La dernière étape de la domination des« Huns iraniens 8 » en Asie centrale est celle du règne des Hephtalites (fig. 72), un peuple dont les origines sont to ut aussi mystérieuses

occidentales où il ava it personnel lement rencontré les Hephtalites, écrivait ceci à leur suje t: « Les informations nous parviennent de contrées reculées, où le s langues étrangères sont altérées et mal comprises, d'autant plus 1 1 1 qu il s agit d affaires t rès anciennes. Cest pourquoi nous ne savons rien de précis. C'e st po ur cette raison qu'il est impossible de rés o udre la question de l'origine des Hephta lites 9 . » Diverses opinions ont été émises : ils sera ient des des1 cendan ts des Kangju, des Yuezhi, originaires de l oasis de Turfan, des nomades des steppes d'origine hunnique, turque ou mongole 10, mais aussi des montagnards du

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Les royaumes huns et turcs: l'apogée d'un art de cour (3e-8e siècle)

Badakhshan. Cette dernière proposition, défendue par le s éminents cherche urs Kazuo Enoki (1913-1989), L. N. Gumilev (1912-1992) et B. 1. Marshak (1933-2006) 11, nous paraît la plus vraisemblable. Un certain nombre d'arguments tendent à corroborer cette hypothèse: l'aspect physique des souverains hephtalites, représentés

qui entraîna leur défaite. Après avoir placé sur ['Oxus/ Amou-darya la frontière entre leurs territoires, les Perses et les Turcs se sont partagé les terres des Hephtalites; de petites principautés pour la plupart situées au Tokharistan ont toutefois subsisté après avoir prêté allégeance aux nouveaux maîtres. La suite des événements est liée à la lutte d'influence entre l' Iran sassanide et le Kaghanat turc, qui avait tenté de prendre les terres situées au sud de l'Amo u-darya, mais également à l'influence grandissante de la Chine des Tang. Cette période s'achève au milieu du 7e siècle avec l'entrée en scène d'une nouvelle force militaire et politique, le califat arabe . En théorie, les sites archéologiques datés des 4e_5esiècles et étudiés dans les actuels districts de Samarcande et du Sourkhan-darya ainsi que dans les régions voisines

sur leur monnayage ainsi que sur certaines œuvres d'a rt comme la toreutique, leur utilisation de la langue et de l'écriture bactriennes, ainsi que l'existe nce de certaine s traditions bien spécifiques propres aux communa uté s montagnardes, com me la polyandrie . Au 5e siècle, les Chionites et les Kouchans (= Kidarites) ont continué leurs incursio ns dans le nord -est de l' Iran sassanide . Les sources arméniennes, sy riennes et arabes nous informent sur ces guerres, menées par Vahram V, le célèbre Bahram Gur (420 -439), mais aussi par son fils et successeur, Yazdgird Il (439-457). Il s'agissait sans doute de tentati ves de récupération de la part des Sassanides des territoires du Kushanshahr, perdus lors de l'attaque chionite du 4e siècle, mais également d'une volo nté d'éviter une attaque kidarite sur le nord-est de l'empire 12 . Les efforts de Yazdgird Il ont porté leu rs fruits, il a pu reconquérir la quasi -totalité de la Bactriane Tokharistan méridionale, et selon Marshak a « restauré la traditi on de désignation de princes sassanides comme Kushanshahs 13 ». Ces événements ont été relatés dan s les sources écrites, ma is également dans l'art. Vers 468, le Roi des Rois Peroz (r. 457-484), petit-fils de Bahram Gur, remporta également une victoire sur les Ki da rites. Les Hephtalites ne tardèrent pas à interagir eux aussi avec l'Iran sassan ide, faisant des incursions au nord-est, interférant avec les affaires interne s, et soutenant tel ou tel souverain. Le Roi des Rois Peroz, qui au début de son règne avait reçu le soutien des Hephtalite s dans le combat qui l'opposait à son frère Hormizd Ill, fut par la suite défait deux fois par eux; après avoir été fait prisonnier, il dut payer une importante rançon en monnaies d'argent de bon poids 14 et finit par périr au cours de la troisième guerre. Le Roi des Rois Kawad (488 -531), fils de Peroz et d'une princesse hephtalite, reçut le soutien des Hephtalites dans sa lutte contre l'aristocratie iranienne, qui l'av ait pendant un temps écarté du pouvoir. Seul son fils, Khosrow 1er Anushervan (r. 531-579), parvint, en association avec les Turcs, nouvelle force dominante en Asie centrale, à en finir avec la puissance de l'Empire hephtalite. Dan s les années 560, l'a rmée hephta lite commandée par le roi Gatifar fut battue par le s Turcs quelque part non loin de Boukhara; dans le même temps, l'armée de Khosrow les attaquait par le sud, ce

devraient se rapp orter aux cultures de ces ethnies. Il est toutefois difficile pour le moment de distinguer des complexes archéologiques qui seraient clairement li és aux Chionites, aux Kidarites et aux Hephtalites, mis à part dans le domaine de la numismatique et pou r quelques œuvres d'art. Les mouvements des Chionites en direction du sud ont, pour la première fois depuis l'effondrement du pouvoir grec en Sogdiane à la fin du 3e siècle avantj.-C., provoqué la réunific at ion sous un même pouvoir d'importantes régions historico -c ulturelles d'Asie centrale comme la Sogdiane et le Tokharistan. L'expa nsi on inverse en direction de la Sogdiane sous les Kidarites est attestée par diverses découvertes: l' inscription kyJr sur des monnaies d'argent sogdiennes à l'archer du 5e siècle 15, mais égalemen t des bulles portant l'empreinte du scea u d'un certain« roi des Huns Ughlar ... , grand Kushanshah, afshin de Samarcande », découvertes à Kafir-kala et dan s le Swat (nord du Pakistan) 16 . Cette expansion, ainsi que la soumissi on ultérieure de terres cen tra siatiqu es aux Hephtalite s qui avaient envahi la Sogdiane à partir du sud, a eu pour effet d'asseoir l'union des territoires et a contribué à leur intégration politique et économique . Les liens cultu rel s se développèrent, et l' influence des cultures hellénisé es kouchane tardive et post-kouchane venues du sud grandit. Le 5e siècle voit la naissance de la ville de Pendjikent, située sur le haut Zérafshan à 50 kilomètres de Samarcande, qui était alors la gra nde ville de la Sogdiane . On considère généralement que l'apparition de Pendjikent est liée à l'i mpulsion urbanistique venue du sud, et que ses peintures murales les plus anciennes témoignent d'une tradition helléni st ique 17 . Le principe de construction de deux temples/bâtiments publics juxtaposés mais dont les façades ne sont pas alignées

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Les Huns

n'est pas sans rappe ler les temples/bâtiments publics de Dalverzin -tépé à la période kouchane 18 . À cette période, le domaine artistique est caractérisé par l'assimilation et le développement de l'héritage culturel hellénistique et kouchan, de l'a rt de l'Iran sassanide, et de celui de l'Inde des Gupta.

À l'heure actuelle, cet ethnonyme se lit

« alkhan » (Vo ndrovec 2014, p. 159), c'est pourquoi cet argument n'est désormais plus recevable. 2 On lit, chez Procope de Césarée (4' siècle): « La guerre du roi perse Përôz contre les hephtalites, ou huns blancs.[ ... ] Après quelque temps, le roi perse Përôz, qui se trouvait en conflit en raison des frontiè res de son territoire avec le peuple hun hephtalite, surnommé blanc, marcha sur eux avec une grande armée. (... ] De tous les huns seuls ceux-là ont le corps blanc et le visage pas trop laid (Livre 1, chap. 3) » (Procope éd . 1876, p. 18-20, 22-23). Voir l'avis de Franz Grenet au sujet de la participation de locuteurs de langue altaïque, qu 'il appelle Chionites au sens strict du terme, aux événements des 4' -5' siècles: Grenet 2010, p. 270. Voir aussi La Vaissière 2005b. 4 Dans leur récente monographie, Rocco Rante et Djamal Mirzaakhmedov considèrent que les mouvements des Chionites ont commencé environ un siècle plus tôt, c'est-à-dire au 3' siècle après J.-C., ce que confirmeraient les résultats de fouilles menées dans l'oasis de Boukhara (Rante et Mirzaakhmedov 2019, p.156, 158, 264, 272). Je pense pour ma part que la validation de cette hypothèse demande des recherches comp lémentaires. Le terme« alkhan » n'est pour le moment

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BIBLIOGRAPHIE

Procope éd.1876; Enoki 1955 ; Enoki 1959; Gumilev 1959; Gumilev 1967; Ma rshak 1971; Marshak 1987; Zejma l' 1996; Ammien éd. 2000; Grenet 2002; llyasov 2003; La Vaissière 2003; La Vaissière 2005b; llyasov 2006; Rahman, Grenet et Sims-Williams 2006; Sim sWilliams 2008; Grenet 2010; Vondrovec 2014; Alram 2016; Rante et Mirzaakhm edov 2019; Shenkar 2020.

connu que grâce aux monnaies; les sources écrites n'en font pas mention, c'est pourquoi différentes interprétations sont possibles. Il peut s'agir du nom ou du titre d'un souverain fondateur d'une dynastie, mais éga le ment du nom d'un clan ou d'un peuple, ou bien encore d'un groupement po litique. Quoi qu 'il en soi t, l'existence d'un vaste corpus de monnaies portant cette inscription, émises et ayant circulé durant près de deux cents ans sur un te rritoire étendu, laisse penser que « alkhan » désignait un clan ou un peuple (Vondrovec 2014, 1, p. 159). Ammien Marcellin, livre XVIII, 6, 22; livre XIX, 1-3 (Ammien éd. 2000, p.157, 165-167). Michael Alram et d'autres savants datent des années 370-467 la domination des Kidarites en Bactriane, et de 375-450 celle au Gandhara, en Uddiyana et à Taxila (Alram 2016, p. 35-61). Ce terme a été introduit par Robert Gobi (1919-1997), éminent chercheur autrichien spécialisé dans la numismatique kouchane, sassanide et chionito-hephtalite. Tiré du Hsi fan chi, citation d'après K. Enoki (Enoki 1959, p. 7) Pour des travaux récents qui plaident pour une origine altaïque des hephtalites, voir La Vaissière 2003 et La Vaissière 2005b. En oki 1955 ; Enoki 1959; Gumilev 1959; Gumilev 1967; Marshak 1971.

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12 Selon Marshak 1971, mais ce dernier point est aujourd 'hui contesté. La question des adversaires orientaux de l'Iran au 5' siècle est examinée en détail su r la base des sources écrites dans cet article. Notons aussi que la période correspondant selon lui à la prise des territoires kouchans par les Sassanides, qu'il était alors convenu de situer vers 370-380 suivant V. G. Lukonin, qui se fondait sur une date basse de début du règne de Kanishka et sur l'ana lyse des monnaies kouchano-sassanides, est désormais associée au règne du premier souverain sassanide, Ardashir I" (224 -240) (Sims-Williams 2008, p. 89). 13 Marshak 1971, p. 63. 14 Les drachmes de Peroz, qui arrivaient en grande quantité grâce aux tributs, sont devenus la base des émissions d'imitation des souverains hephtalites, qui ont longtemps circulé en Asie centrale. 15 Zejmal' 1996, p. 120. 16 Rahman, Grenet et Sims-Williams 2006; Grenet 2010, p. 272, fig. 14. 17 Marshak 1987, p. 235-237; Grenet 2002, p. 205-209; llyasov 2003, p. 139-141; llyasov 2006, p. 111-112; Shenkar 2020, p. 375. 18 Voir infra, p. 60-70.

Les royaumes huns et turcs: l'apogée d'un art de cour (3•-8• siècle)

La vaisselle en argent du 4e au 6e siècle Frantz Grenet

La découverte en 1961 à Chilek, près de Samarcande, d'un trésor de vases d'argent enfoui vers 600 dans une demeure privée, a fourni la première évidence archéologique contextualisée sur la circulation de la vaisselle d'argent de prestige en Sogdiane durant la période de la domination des Turcs occidentaux. Le trésor comprenait quatre vases, tous d'une qualité exceptionnelle: un plat sassanide figurant une chasse royale (fig. 75), deux bols sogdiens alvéolés sans décor (fig. 73) dont l'un portait une inscription sogdienne, Ohiséi ou Ohikhci, « chef de la communauté», désignant un propriétaire local (pas forcément le premier); enfin un bol hephtalite décoré de danseuses (fig. 70). Le plat sassanide, d'après la couronne et sa place dans la série typologique, représente le Roi des Rois Peroz (r. 457-484) chassant le lion. Selon une convention répandue sur les plats sassanides à scène de chasse royale, le même animal est figuré deux fois, vivant et mort. Le plat de Chilek relève de l'école dite« à drapé en lignes continues », dont le centre était probablement Merv, qui servait de capitale lors des campagnes sassanides en As ie centrale. Cette école continue directement l'école « naturaliste » (classicisante) du 3· siècle et, contrairement à l'école « à drapé en doubles lignes segmentées » propre aux cours

73 - Bol avec inscription sogdienne - Ouzbékistan, village de Chilek (région de Samarcande) 6' -7' siècle -Argent - D. ouverture 16,5; D. base 7; H. 3,8 cm - Samarcande, Musée national d'histoire, d'architecture et d'art- Réserve, KP-2934/4 ; A-390-2 ; BS-2

sassanides de l'Ouest, qui utilise des inserts, elle n'emploie que la technique du marte lage et du ciselage sur coque unique. Dans tous les cas, le décor est à l'intérieur et la dorure est partielle. Ces écoles, toutes deux officielles, forment jusqu'au début du 6• siècle des séries stylistiquement cohérentes où presque tous les rois sassanides figurent au moins une fo is, après quoi elles semblent fusionner. Contrairement à l'autre, l'école de l'Est n'a pas représenté exclusivement les Rois des Rois, bien que ceux-ci y soient majoritaires ; on y trouve aussi des souverains locau x, que l'on a du mal à localiser. La dizaine d'exemplaires connue de Marshak en 1986 s'est depuis trouvée très augmentée par les

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trouvailles apparues sur le marché des antiquités. Les deux bols alvéo lés« sogdiens » relèvent d'une école locale qui a prolongé une tradition achéménide, puis parthe, délaissée dans l' Iran sassanide. On les trouve parfois figurés, généralement en or, dans les mains de banqueteurs sur les peintures de Pendjikent. Le bol identifié à juste titre par Marshak comme « hephtalite » (fig. 70), décoré à l'extérieur, figure dans le médaillon du fond un souverain (marqué comme tel par les rubans flottant à l'arrière) qui a le type physique caractéristique bien illustré sur les monnaies hephtalites de la fin du 5• sièEle (nez busqué, déformation artificielle du crâne).

La vaisselle en argent du 4• au 6· siècle

La fleur qu'il tient en main et le motif d'ailes en dessous introduisent une connotation paradisiaque. Ce paradis est associé à une Inde porteuse de fantasmes érotiques illustrés par les femmes dévêtues aux fortes hanches en train de se pomponner et portant l'écharpe flottante ou la chlamyde, et par une architecture indienne de fantaisie (des colonnes avec des zébus dans les chapiteaux et des Gandharvas ailés dans les abaques). C'est aussi une manière de célébrer la conquête de l'Inde du Nord-Ouest par les Hephtalites. Ce bol s'inscrit dans la série dite des « bols bactriens », plus large du point de vue chronologique (du 4• au 7• siècle) et politique (des KouchanoSassanides aux Turcs occidentaux), série maintenant attestée par une vingtaine d'exemplaires produits par des artistes qui prenaient les commandes dans une aire allant de la Sogdiane au Gandhara. Les thèmes sont très divers, avec dans deux cas des extraits de scènes théâtrales grecques que l'on a attribuées à Euripide, ailleurs des galeries de portraits ou des chasses aristocratiques sans réminiscences classiques, ou encore des scènes dionysiaques. Ces divers thèmes se retrouvent combinés sur le « bol Stroganoff » du musée de ['Ermitage (fig. 74), où des scènes associées à Héraclès tuant le sanglier d'Érymanthe voisinent avec le couple des commanditaires en costume bactrien ou sogdien festoyant sur un tapis près duquel se tiennent des macaques musiciens empruntés à l'Inde. BIBLIOGRAPHIE

Marschak 1986; Marshak 1999.

74 - Bol d'argent aux scènes mythologiques avec Héraclès et au couple aristocratique banquetant, Bactriane ou Sogdiane - 7' siècle - Argent doré, décor gravé et ciselé - D. 14,5; H. 4,6 cm - Saint-Pétersbourg, musée de l'Ermitage, S-75 - D'après les photos de 1. Smirnov, Vostochnoe serebro, Saint-Pétersbourg, 1909, n° 67

75 - Plat sassanide décoré d'une chasse royale {Peroz, 457-484) - Ouzbékistan, village de Chilek {région de Samarcande) - Seconde moitié du 5' siècle - Argent doré au mercure D. ouverture 24,5; H. 4,2 cm - Samarcande, Musée national d'histoire, d'architecture et d'art Réserve, KP-2934/1; BS-4

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Les Sogdiens et le commerce Étienne de La Vaiss ière

J immense barrière himalayenne, prolongée par les

venus de Sogdiane . Ces textes sont confirmés par des documents et des données archéologiques: des inscrip tions caravaniè res du haut Indus aux textes retrouvés dans les tombes de Turfan, qui donnent les noms de plusieurs centaines de Sogdiens, expatriés à des milliers de kilomètres de leurs terres, ou encore aux tombe s de l'aristocratie en Chine du Nord, où sont placées en abondance des statuettes représentant l'en tourage des défunts, dont souvent des Sogd iens, partout les Sogdiens semblent dominer le grand comme rce. Des objets ayant été revendus par des marchands sogdiens on t été retrouvés au Japon, dans le trésor impérial du Shôsô-in, fermé au s• siècle, dans le Grand Nord sibérien, dans l'Oural ou en Crimée. Le premier témoignage substantiel sur le grand commerce sogd ien, après plusieurs siècles durant lesq uels dominaient des marchands bactriens, date de 313 : un paquet de lettres écrites par les marchands sogd iens du corridor du Gansu est expédié vers l'Ouest et révè le l'existence d'un réseau comme rcial sogd ien d'ores et déjà distendu des cap itales chi noises à Samarcande, avec tout un système caravanie r et postal permettant de relier entre elles les communautés sogdiennes dispersées2. Le vocabulaire utilisé comme les liens familiaux témoignent encore de la dépendance des marchands sogdiens envers les grands marchands du Sud, qui disparaît ensuite: plus de six cents graffitis caravaniers sogdiens sur les hauts cols menant du Xinj iang en Inde, et datés pour l'essentiel du s• siècle, montrent que les Sogdiens sont devenus dominants, tandis les graffitis de caravaniers bactriens ne sont qu'une po ignée, alors que la Bactriane est proche 3. Les apprentis sogdiens ont

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chaînes birmanes à l'est, est difficilement franchis sable, ne laissant aux grands pôles de peuplement de l'Asie constitués de la Chine et de l'Inde que deux moyens commodes de commercer: soit par la mer, route qui au cours du l°' milléna ire devient, de loin, dominante, soit par la terre en contournant cette barrière par l'o uest. Or, à la charnière ouest du massif himalayen, trois régions peuvent prétendre au contrôle du commerce: au sud de l'Hindoukoush, le Gand ha ra; plus au nord, dans le bassin moyen de l'Amou-da rya, la Bactriane; et enfin, entre l'Amou -darya et la steppe, dernière terre sédentaire avant le monde nomade, la Sogdiane. Durant ['Antiquité et jusqu'au 4• siècle de notre ère, ce sont les marchands de Bactriane et du Gandhara, alors réunis au sein de l'Empire kouchan, qui dominen t le grand commerce caravanier. Or, au milieu du 4• siècle, depuis le sud de la Sibérie, une branc he de la migra ti on des Huns s'est abattue sur l'Asie centrale, tandis qu'une autre se dirigeait ve rs l'Europe, conquérant sans coup férir la Sogdiane, mais se heurtant à une résistance farouche et destructrice en Bactriane, ruinant la région et con tinuant vers le sud 1. La Sogdiane s'impose alors, à partir du s• siècle, comme la principale plaque tournante du comme rce, au détriment de la Bactriane ou du Gandhara, et l'histoire du grand commerce caravanier, de la Route de la Soie terrestre, se confond pour un demi-millénaire avec l'histo ire de ses marchands. Des sources indépendantes, pèle rin s chinois, géographe arménien, poète persan, disent toutes que les Sogdiens sont le s grands marchands du temps . Qu'elles soient indépendantes témoigne de l'ex istence d'un fait histo rique majeur, celle d'une classe de grands marchand s

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Les Sogdiens et le commerce

remplacé leurs maîtres kouchans et le sogdien est la lingua franco du commerce. Les données chinoises permettent de démontrer la domination sogdienne sur le grand commerce. Ainsi, les fragments conservés du registre des douanes de Turfan, l une des principales étapes des caravanes à la lisière des zones de peuplement chinois, à 1500 kilomètres de Samarcande, détaillent trente-cinq opérations commerciales sur des produits de luxe apportés par les caravanes et sur lesquels les autorités de la ville prélevaient des taxes durant les années 630: les Sogdiens sont partie prenante dans vingt-neuf d entre elles 4 . Ils sont également présents en grand nombre dans tous les textes retrouvés dans cette ville. La situation est identique plus loin à l'est. Des familles marchandes sogdiennes forment des communautés solidement structurées dans toutes les grandes villes de Chine du Nord, les Sugdikestan. Leurs chefs ont rang mandarinal dans la hiérarchie administrative chinoise 5. Ils se faisaient creuser des tombeaux somptueusement ornés de bas-reliefs peints et dorés, où ils soulignaient à la fois leur rôle dans leur communauté et leur intégration au monde chinois. L'un des tombeaux les plus intéressants a été trou vé en 2001 à Taiyuan, dans une région du nord de la Chine qui concentrait de nombreux Sogdiens. La tombe de Yu Hong, mort en 593, contenait un sarcophage taillé en forme de maison chinoise, orné de cinquante-trois panneaux de marbre peints et dorés, qui décrivaient la vie du défunt, ici-bas mais aussi au paradis 6 . 1

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76 - Tombe de Yu Hong - Chine, Shanxi, Taiyuan - fin du 6' siècle Taiyuan, Shanxi Museum

grandement. Alors que le commerce avec l'Inde périclite, le réseau sogdien se retourne vers le nord, avec une réussite spectaculaire: les premières inscriptions monumentales de l Empire turc sont en écriture et en langue sogdienne . Les Sogdiens fournissent aux Turcs une partie du bagage culturel nécessaire pour gérer leur empire qui se combine de manière étroite aux héritages des empires nomades antérieurs. C'est en sogdien que leur khaghan écrit à l'empereur de Byzance, et la culture des Turcs du haut Moyen Âge est imprégnée d'éléments sogdiens (ils transmettront d ailleurs l alphabet sogdien aux Mongols et aux Mandchous). Aux Turcs la puissance militaire et la conquête qui les mènent jusqu'à la mer Noire et à l'Iran, aux Sogdiens l'exploitation économique des conquêtes. Le commerce sogdien dans la steppe forme la plus ancienne attestation d'un type tout à fait particulier de relations entre pouvoirs politiques nomades et marchands, qui sont dits ortaq, ce qui signifie« intermédiaire» dans les langues turques 7 . Ce type de liens politiques et financiers est bien connu pour l'époque mongole et un dictionna ire de la dynastie mongole de Chine le définit comme« la pratique par laquelle des fonds gouvernementaux étaient utilisés pour le commerce, distribués comme capital pour en tirer des intérêts 8 ». Un prince nomade bénéficiant du tribut versé par des ennemis soumis en confiait une partie à un marchand, à charge 1

Yu Hong (fig. 76), avant de devenir chef de communauté sogd ienne, avait servi d'ambassadeur au x nombreux pouvoirs qui rivalisaient pour contrôler l'Asie centrale: il avait voyagé en Inde, en Perse, sur le plateau tibétain pour les chefs nomades, et c'est ce que décrit l iconographie des panneaux: à la chasse sur un éléphant, en train de banqueter, chassant avec des nomades ... Les Sogdiens en Chine ont un rôle non seulement de marchands mais aussi d'intermédiaires culturels et politiques: le cas de Yu Hong n'est pas isolé et de nombreux ambassadeurs sont des Sogdiens, habitués qu'ils étaient à circuler sur les pistes du désert et de la steppe. Au coeur de celle-ci, un nouveau pouvo ir turc émerge à partir des années 550. Le premier ambassadeur qui les mette en contact avec la Chine est un Sogdien, et les négociations portent sur des achats de soie ... Le monde nomade est à partir de ce moment l autre grande zone d'expansion du commerce sogdien et la position géographique de la Sogdiane lui profite

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Les royaumes huns et turcs: l'apogée d'un art de cour (3·-8' siècle)

ajouta qu 'il était fort désireux de s'y rendre avec des envoyés des Turcs, et ainsi Turcs et Romains devie ndraient amis . Sizabul acquiesça à cette proposition et envoya Maniakh et d'autres comme envoyés auprès de l'empereur romain, apportant des sa lutations, un don précieu x de soie brute et une lettre9. » Même si le mot n'est pas dans le texte, Maniakh était incontestablement l'ortaq du prince turc Sizabul, auquel il a proposé d'utiliser le capi tal fourni par les Chinois, la soie brute du tribut payé aux Turcs, pour en tirer un profit commercial sur les principaux marchés de so ie de l'Asie, d'abord l'Empire iranien des Sassanides, puis l' Empire byzantin. Maniakh est de ces élites sogdiennes capables d'organiser tout un réseau commercia l, ici au profit de Sizabul. Yu Hong avait été ortaq avant d'être chef de Sugdikestan en Chine. Les milieux ne sont pas séparés. On ne peut plus douter qu' il y ait eu des marchands sogdiens de grand rayo n (fig. 81, 82, 83). Maniakh est l'u n d'entre eux mais on en connaît d'autres. Les actes d'un procès retrouvés parmi les documents chinois de Turfan montrent deux frères sogdiens traitant des affaires échelonnées du cœur de la steppe jusqu'à Chang'an, la capitale ch inoise (l'actuelle Xian)lO_ Dans une lettre retrouvée récemment, le subordonné d'un marchand sogdien de Khotan, établi dans la ville d'Aqsu, au Xinj iang actuel, lui précise les trajets qu'il aurait pu faire avec ses biens: « [mais moi] je ne suis allé ni en Sogdiane, ni au pays des Turcs, ni au Tibet [ce sont] vos biens [... ] la plupart ne sont plus entre mes mains, expéd iés à Cha ng'a n, chez les Ouïghours, et au pays des Turcs et en Sogdianell_» En grandes caravanes de plusieurs centa in es de chameaux lorsque les régions ne sont pas sûres, ou en tout petits groupes lorsqu'un État assure la sécurité, les Sogdiens fo nt circuler l'argenterie byzantine et perse, les pièces d'argent perses (fig. 77, 79), la so ie chinoise, le musc et les fourrures des montagnes, les ép ices et les produits de l'océa n Indien, les esclaves et les chevaux de la ste ppe (fig. 78, 80). Le 7• siècle marque certainement l'apogée du commerce sogdien . La pax sinica coloniale s'étend à l'Asie centrale et favorise le trafic, et ce d'autant plus que pou r financer son expansion vers l'O uest, la Ch ine doit envoyer des milliers de rouleaux de soie po ur payer ses armées en As ie centrale, rou leaux que les Sogdiens récupèrent

77 - Drachme de Varakhran VI - ?, 590-591- Argent - D. 2,8-3 cm Tachkent, Musée national des arts d'Ouzbékistan, KP-34728

pou r ce dern ier de la fa ire fructifier. C'est un phénomène centra l pou r l'histoire du grand commerce centreasiatique, car, par un tel mécanisme institutionnel, les quantités énormes des tributs sédentaires et nomades versés aux princes de la steppe pouvaient, pour partie, devenir des capitaux commerciaux, que ce soit la soie chinoise, le musc des plateaux ou les fourrures du Grand Nord. Or ce système mongol a des racines plus anciennes. Il s'agit non pas d'une création du 13• siècle mais d'un mode de fonctionnement établi entre pouvoir militaire nomade et commerçants dès le haut Moyen Âge. Des doc um ents ouïghours du 9• siècle mentionnen t le mot lui-même, mais la plus ancienne attestation de la pra tique est du 6· siècle et pleinement sogdien ne, lorsque les marchands sogdiens exerça ient un véritab le monopole sur le comme rce carava ni er de long rayon en Asie. On la trou ve dans un texte byzantin: « Alors que le pouvoir des Turcs s'éta it accru, les Sogdiens, qui étaient auparavant sujets des Hephtalites et maintenant des Turcs, dema nd èrent à leu r roi d'envoyer une ambassad e aux Perses pour demande r que les Sogdiens aie nt le dro it de voyager là et de vend re de la soie écrue aux Mèdes. Sizabul acquiesça et envoya des envoyés sogdiens. Maniakh cond uisa it l'ambassade. Lorsqu'ils pa rvinrent au roi des Perses, ils demandèrent à propos de la soie qu'on leur donne la perm ission de la vendre librement. Le roi des Perses (à qui cette demande déplaisait beaucoup), pour ne pas donner dès lors à ces gens-là un libre accès au territoire perse, rem it sa réponse au lendemain et continua à la repo usser. [.. .] les Sogdiens retournè re nt dans leur pays très mécon tent de ce qui s'était passé. [... ] Maniakh, le chef des Sogdiens, saisit cette occasion et donna comme conse il à Sizabul qu'il serait meilleur pour les Turcs de cultive r l'amitié des Romains et de leur envoyer la soie éc ru e à vend re car ils l'uti lisaient davantage que tout autre peuple . Maniakh

78 - Panneau vot if représentant le« Dieu de la soie» Chine, Khotan, Dandan Uiliq - 7' -8' siècle - Peinture murale - Londres, The British Museum, 1907, 1111.71

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Les royaumes huns et turcs: l'apogée d'un art de cour (3•-8• siècle)

79 - Drach me de Chos roès V - ?, 631-633 -Argent - D. 3,2 cm Tachkent, Musée national des arts d'Ouzbékistan, KP-34729

à bon compte et réexportent. La soie est une monnaie en Chine et, avec les grains, ce avec quoi les paysans ch inois paient leurs impôts. Légère et transportable, elle a permis le financement de l'expansion coloniale chinoise vers l'ouest. On produit certes de la soie en Asie centrale, au moins depuis la fin du 3• siècle 12, mais ces productions s'effacent en quantité face à l'afflux de soie chinoise. Cette soie est redistribuée au sein des élites de l'ensemble de l'Asie: en Iran, chez les Turcs mais aussi à Byzance. Une ville de Crimée forme le point terminal de leur réseau à l'ouest: elle porte leur nom, Sogdaia, aujourd'hui Sudak, qui jouera tout au long du Moyen Âge un grand rôle commercial, et fut fondée comme entrepôt commercial13 . Samarcande est alors véritablement au centre du monde et les peintures politiques de la ville vers 660 représentent le thème des quatre grands rois du monde, Turc, Chine, Inde, Iran, avec sur le mur principal probablement le khaghan des Turcs, maître légitime de la Sogdiane 14 . Mais, par contraste avec les sources venues de toute l'Asie proclamant l'ubiquité des marchands sogdiens, on ne possède que très peu de témoignages directs sur le commerce sogdien en Sogdiane même. La situation change radicalement en Sogdiane au 8• siècle de notre ère avec la conquête des armées arabes. La longue résistance de l'aristocratie sogdienne et les contre-offensives arabes font des ravages en Sogdiane. Mais surtout, en 755, la Chine est ébranlée par la rébellion d'An Lushan, un grand général sogdo-turc au service des empereurs. Son économie coloniale ne s'en relève pas, toute présence chinoise disparaît d'Asie centrale pour un millénaire, et avec elle toutes

80 - La légende de l'introduction de la soie au Khotan - Chine, Khotan, Dandan Uiliq - 8' siècle - Peinture sur bois - H. 49,5; l. 13 cm - SaintPétersbourg, musée de ['Ermitage, GA-1125

114

Les Sogdiens et le commerce

81 - Monnaie sogdienne d'im itation chinoise - Ouzbékistan, Sama rcande - Seconde moitié du 7' siècle - Métal - D. 2,3 cm -

82 - Monnai e chinoise Kay Yu an Tun Bac - Ouzbékistan, Paykend

Sa marcande, Musée national d'histoire, d'architecture et d'art Réserve, N-11408; KP-3074/1-22

Paykend, Musée national de Boukhara - Réserve, KP-50 3; 5032/22

- 7' -8' siècle - Cuivre - D. 2,5 cm - Boukha ra, Musée historique de

les exportations de soie destinées à financer l'empire coloni al chinois, ru inant par contrecoup la principa le branche du commerce sogdien. On ne sait que fort peu de choses sur le commerce en Asie centrale entre 750 et 880. Lorsque des données abondantes réapparaissent, au 10e siècle, le commerce sogdien a changé de nature, ramené à son rôle d'interface avec la steppe, sans liens est-ouest importants, et payant en pièces d'argent de bon aloi et non plus en soie des marchandises venues de Perse ou de la steppe 15 . En un mot, il n'est plus sogdien mais persan et la langue sogdienne n'est plus la lingua franco d'échanges est-ouest réduits à peu de chose. Passé le 3e siècle, la grande époque de la route de la soie terrestre, celles des ortaq et des sugdikestan, est achevée et ne reprendra brièvement qu'au 13e siècle, avec les ortaq persans et ouïghours des Mongols 16 .

83 - Monnaie sogdienne d'imitation chinoise - Ouzbékistan, Paykend - 8' siècle - Bronze - D. 1,8 cm - Boukhara, Musée historique de Paykend, Musée national de Boukhara - Réserve, KP-4 ; 4065 vr.xr

BIBLIOGRAPH IE Ménandre éd.1985 ; Allsen 1989; Endicott-West 1989; SimsWilliams 1989; Noonan 1992; Sims-Williams 1992 ; Skaff 1998 ; La Vaissière 2000; Reng 2000; Trombert [1996] 2000 ; Skaff 2003; La Vaissière etTrombert 2004; Hansen 2005; La Vaissière 2006; Di Cosmo 2009; La Vaissière 2014a; La Vaissière 2014b; Bi et SimsWilliams 2015; Wertmann 2015; La Vaissière 2016; Duturaeva 2022.

La Vaissière 2016. 2 Ibid. , p. 43-67. 3 Sims-Williams 1989; Sims-Williams 1992 ; La Vaissière 2016, p. 75-78. 4 Skaffl998; Skaff2003. 5 Rong 2000 ; La Vaissière et Trombert 2004.

6 Wertmann 2015 donne l'ensemble du corpus, sur Yu Hong p. 87-96. 7 Di Cosme 2009; Allsen 1989; EndicottWest 1989 ; La Vaissière 2014a. 8 Cité par End icott-West 1989, p. 130. 9 Ménandre éd. 1985, p. 111-115. 10 Hansen 2005. 11 Bi et Sims-Williams 2015.

115

12 La Vaissière 2014b. 13 La Vaissière 2000. 14 La Vaissière 2006. 15 Noonan 1992. 16 Duturaeva 2022 sur le commerce, relativement modeste et discontinu, de l'époque qarakhanide.

Les royaumes hun s et turcs: l'a pogé e d'un art de cour (3•-8• siècle)

Le tissage de

la soie

Regula Schorta Traduction d'Élisabeth Agi us d'Yvoire

Les procédés d'extraction et de tissage de la soie ont vu le jour en Chine. Si des fils et des tissages en soie de diverses qualités étaient parvenus tôt en Occident, ce n'est qu 'au cours des cinq premiers siècles de notre ère que la sé ri ciculture se diffusa en Asie centrale, en Perse et dans l'Empire romain d'Orient1. Da ns ces régions, les métiers à tisser et les techniques de tissage étaient déterminés par les matériaux à fibres courtes comme la laine ou le lin, tandis qu 'en Chine, les procédés majoritairement utilisés étaient spécifiqueme nt adaptés à la soie grège. On ignore encore quand et où se sont rencontrées les deux trad itio ns qui metta ient également en œuvre différents types de façonnage, et quel rôle a pu jouer à cet égard le grand nombre de groupes ethniques et d'en tités étatiques présents entre la Ch ine et la Perse. La conservation des textiles n'étan t possib le que dans des cond itio ns climatiq ues favorables, les trouvai lles archéo logiques sont rares dans ce domaine. Or la nécropole de Munchak-tépé (s•-7• siècle), proche de la ville de Pap dans le nord de la vallée de Ferghana, a livré des vestiges textiles en si grand nombre qu'il a été possible de reconstituer des vêtements complets 2. Les chem ises et les robes en forme de tuniques sont faites de simple

taffetas et d'une bordure contrastée à l'encolure 3 . Des étoffes de soie façonnées ont aussi été employées pour les bordures, parmi lesquelles figuren t de nombreux tissages en armure taquetée avec fils de chaîne et de trame filés 4 (fig. 84). La soie de mûrier était disponi ble pour leur fab rication, ma is ce n'était man ifestement pas le cas de la soie grège. Des tissus de ce type on t également été découverts lors de fouilles menées dans les provinces ch inoises de Gansu et du Xinj iang. Ils éta ient confection nés dans le bassin du Tarim 5 ou plus loi n vers l'ouest6. D'autres pièces exhumées à Munchak-tépé sont de provenance chinoise, comme un taffetas à décor sergé qui servait de voile pour couvrir le visage 7 . Même si la culture funéraire de Munchak-tépé présente de fortes particu larités régiona les 8, les différents types de tissage de la soie reflètent la position singuliè re de la va llée de Ferghana, située dans la sphère d'influence de di fférentes civ ilisations et au croisement de voies commercia les. Seu l le taffetas semble avo ir été abondamment disponible, ce tissu ci rcu lant en grandes quantités comme valeur monétaire 9 . À Munc hak-tépé toutefo is, la plupa rt des vêtements étaient probab lement en coton. Des habits intégralement conservés, l'u n provenant de Sanjar-Shah,

116

84 - Fragment de vêtement à décor d'oiseaux de type faisan - Asie centrale (?) - 7•-8• siècle - Samit de soie - L. 45 ; l. 11 cm - Paris, musée natio na l des Arts as iatiques - Guimet, legs verbal Krishnâ Riboud, 2003, MA 11876

Le tissage de la soie

85 - Soieries façonnées à décor de pseudo-simurgh (à droite) représentées sur les peintures murales d'Afrasiab, salle dite « des Ambassadeurs », paroi ouest près de Pendjikent au Tadjikistan 10,

rivière Zérafshan au Tadj ikistan, et

sociale ou d'un mode de vie donnés.

et plus ieurs au t res de Termez, dans le sud de l'Ouzbékistan 11, permettent

à Kara-Bulak, dans l'est de la vallée de Ferghana au Kirghizistan 12 . Fait

Il en va de même des peintures murales de Pendjikent, Varakhsha

de se fa ire une idée de leur apparence d'origine. Des tissus en soie ont également été découverts sur le mont Mugh, qui borde le cours supérieur de la

remarquable, chacun de ces sites

et, en particulier, d'Afrasiab. Certes,

archéologiques - peu nombreux présente des singularités spécifiques

la comparaison avec les tissus conservés permet de relever des

et ne laisse entrevoir qu'un petit aperçu d'une période, d'une situation

para llèles étonnants . Ainsi, le pseudo-s im urgh 13, un animal fabuleux

117

Les royaumes huns et turcs: l'apogée d'un art de cour (3•-8• siècle)

à tête de chien, pattes de fauve, ailes et queue de paon, apparaît aussi bien à Afrasiab (fig. 85) que sur des tissus en soie, comme ceux trouvés dans l'ouest de la Chine actuelle 14, ou encore sur une enveloppe de reliques de l'église Saint-Leu à Paris 15 . Ces étoffes sont cependant toutes plus récentes que les décors muraux. Le tissu bicolore délicat provenant de Saint-Leu présente par ailleurs toutes les caractéristiques des tissus confectionnés dans la région méditerranéenne élargie . Les peintures murales du 7• siècle sont apparemment un document très précoce pour les tissus ornés du motif du pseudo-simurgh, qui connut une longue et abondante postérité, tant en Occident qu'en Orient. L'étude des textiles conservés ne permet cependant pas de situer le lieu où furent fabr iqués les vêtements reproduits par les peintres dans leurs fresques. Certains motifs, absents des peintures d'Afrasiab, représentent deux animaux affrontés dans un médaillon - une formule qui apparaît

souvent sur les textiles parvenus jusqu'à nous, ainsi que sur ceux datant peut-être encore du 7• siècle. Le fragment de vêtement à décor d'oiseaux de type faisan (fig. 84) en est un bon exemple. Même si seule la moitié des médaillons est visible sur le morceau de tissu, le placement des oiseaux révèle qu'il devait s'agir d'une composition symétrique, avec un motif d'écoinçon à la structure également symétrique. Le fait que, jusqu'à présent, des tissus comparables aient été trouvés surtout dans les provinces du Tibet et du Qinghai, dans l'ouest de la Chine, s'explique sans doute par les conditions de conservation favorables qui y règnent et ne peut pas nécessairement être interprété comme une indication de leur lieu d'origine 16 . Le tissage d'étoffes aussi précieuses ne peut être envisagé sans le support d'une infrastructure et d'une longue expérience . L'équipement et l'exploitation des métiers à tisser, de même que la préparation et la manipulation

des fils de soie, exigeaient un grand profess ionnalisme. Comme l'a montré la controverse sur les prétendus tissus Zandaniji 17, on ignore si les tissages en soie façonnés étaient fabriqués à grande échelle avant la conquête islamique dans les régions de Samarcande et de Boukhara 18 . Les peintures murales d'Afrasiab attestent de manière éclatante que ces tissus jouèrent un rôle important dans la conscience de la population sogdienne, qui les connaissait, savait les apprécier et en tirait peut-être une activité commerciale.

Hildebrandt 2017. 2 Anarbaev et Matbabaev 1993-1994; Matbabaev et Zhao 2010 ; Wan 2009. 3 Matbabaev et Zhao 2010, p. 215. 4 Sur les techniques de tissage et la terminologie technique, voir Vial 1970. Cf Wu 1987 ; Zhao 2006, p. 190-193. 6 Selbitschka 2018, p. 27-29. Zhao dans Matbabaev et Zhao 2010, p. 263, émet l'hypothèse d'une production locale (dans la vallée de Ferghana).

7 8 9 10 11 12

14 Compareti 2015; Gasparini 2016, fig. 19, p. 91. 15 Schorta 2001, p. 61-65, 290-291 (cat. 158). 16 Schorta 2016, p. 59-60, 62. 17 l'hypothèse selon laquelle les tissus avaient été fabriqués dans le village de Zandane près de Boukhara reposait sur la lecture erronée d'une inscription: Sims-Williams et Khan 2008. 18 Marshak 2006. Une synthèse de l'état actuel des recherches est présentée dans Dode 2016.

Matbabaev et Zhao 2010, p. 114, 238. Anarbaev et Matbabaev 1993-1994. Voir Hansen et Wang 2013. Hensellek 2019. Ëlkina, Majtdinova et Kozlovskij 1996. À propos du mont Mugh : Bentovich 1958 ; Zurich 1989, p. 133-135; Vienne 1996, p. 297. Sur Kara-Bulak: Lubo-Lesnicenko 1982. 13 Voir Compareti 2006.

118

BIBLIOGRAPHIE

Be ntovich 1958; Vial 1970; Lubo- Les ni ce nko 1982; Wu 1987; Zurich 1989; Ana rbaev et Matbabaev 1993-1994; Ëlkina, Majtdinova et Kozlovskij 1996; Vienne 1996; Scho rta 2001 ; Compa reti 2006; Mars hak 2006; Zhao 2006; Sims-Williams et Khan 2008; Wan 2009; Matbabaev et Zhao 2010; Hansen et Wang 2013; Compareti 2015; Dode 2016; Gasparin i 2016; Sc horta 2016; Hildebra ndt 2017; Selbitschka 2018; Hensellek 2019.

La figure du marchand Rocco Rante

a figure du marchand, telle que nous nous la représentons, remonte à des temps assez récents. Bien que les données factuelles soient lacunaires, et même absentes dans certains cas, il n'est toutefois pas impossible que les acteurs des échanges de toutes sortes sur de longues distances aient existé à des périodes anciennes. En effet, si l'on rattache l'apparition de la figure du « transporteur de biens» à l'animal grâce auquel ces déplacements ou ces migrations à travers les déserts, les steppes, les montagnes ou les savanes étaient possibles, à savoir Came/us bactrianus - une fois domestiqué bien entendu (la plus ancienne représentation de chameau daterait de 14000 avant J.-C. 1) - , nos connaissances peuvent remonter ju squ'au début du 4e millénaire avant J.-C. si l'on se fonde sur les études archéozoologiques 2, et à la même époque si l'on se réfère aux pétroglyphes représentant des chameaux, attelés ou montés, dont la provenance, des territoires de la Bactriane aux steppes du Kazakhstan, pourrait correspondre à leur aire de domestication initiale 3 . Plus tard, à partir de l'âge du Bronze, mais surtout au 1er millénaire avant J.-C., le chameau semble perdre sa symbolique élitiste et royale, ce qui ne l'e mpêche pas de continuer à occuper une place centrale dans les échanges à longue distance, bien que cela ait pu aussi être le cas dans les premiers temps de sa domestication . Les acteurs de ces échanges pouvaient être des communautés nomades 4 qui se déplaçaient ou migraient d'un groupe sédentaire à l'autre, probablement sur de moyennes et longues distances, offrant leurs se rvices ou transportant des marchandises. Enfin, depuis ces époques anciennes, la valeur économique du chameau, surtout en tant qu 'a nimal de charge et de transport, a traversé les siècles pour

se lier indissolublement à la figure du marchand aux époques plus récentes. Durant ces temps, la route qui traverse les territoires situés au nord de la mer Caspienne, et qui fait se rejoindre la mer Noire et le Caucase d'une part et les steppes centrasiatiques d'autre part, était déjà connue. Celle située plus au sud, qui relie la mer Méditerranée à l'Asie centrale, à l'lndus et aux régions plus à l'est, tra versait des territoires et des royaumes politiquement bien structurés, ce qui avait certainement permis des liens d'échanges solides et de longue durée entre royaumes et empires5. Les bas-reliefs de Persépolis (6e_5e siècle avant J.-C.) montrent le peuple bactrien amenant des chameaux à deux bosses à la cour du roi achéménide en tant que tribut et source de bienfaits. Ainsi, si l'on met à part son côté symbolique élitiste et royal, qui avait probablement disparu depuis l'âge du Bronze, ainsi que l'aide qu'il pouvait apporter à l'agriculture des peuples sédentaires ou le prétendu bénéfice lié à sa consommation, ce tribut exprimait bel et bien le caractère qui lie le chameau à l'économie, au commerce et aux échanges, dont les Bactriens étaient à l'époque les maîtres, et ce jusqu'au début de notre ère. La figure du marchand présentée ici, qui remonte à la fin du 1er millénaire avant J.-C., fait référence à des formes de commerce bien structurées. Bien que le matériel archéologique soit encore insuffisant pour cerner son portrait, il est aujourd'hui attesté, principalement par les sources écrites, que le peuple bactrien était à l'origine du commerce à longue distance qui reliait les côtes orienta les de la mer Méditerranée à l'Inde et à la Chine. Dès le milieu du 3e siècle avant J.-C., le Guanzi mentionne le jade arrivant en Chine depuis les terres

L

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Les royaumes huns et turcs: l'apogée d'un art de cour (3•-8• siècle)

L'o n sait aussi que les marchands bactriens pouvaient compter sur l'aide précieuse et inlassable de leurs disciples, les Sogdiens. Ces derniers, ne pouvant pas s'appuyer sur une structure étatique adéquate, proposaient éga lement leurs services aux marchands parthes du côté iran ien 8 . Il est certain que le chameau a été, pour les Sogdiens aussi, un animal important et même sacré, comme le montrent ses représentations en compagnie de divi nités. Les spécialistes s'acco rdent à lui attribuer le rôle de protecteur des richesses et des caravanes9 . Les Lettres anciennes, collection de documents en langue sogdienne provenant de la région de Dunhuang et datés du 4• siècle après J. -C., mentionnent les marchandises échangées par les marchands sogdiens, dont les tissus en lin et laine, et bien sûr la soie, le musc, l'or, le vin, le poivre, l'argent, le chanvre, le riz (7) et le blanc de céruse(?). Les routes empruntées par les marchands étaient jalo nnées d'installations à vocation de comptoirs, de dépôts ou de proto-caravansérails. Les frontières, politiquement plus sensibles, abritaient parfois des postes de renseignement. Les marchands, du fait qu'ils tra versaient les frontières et les no man's lands, pouvaient en effet se livrer à des activités de renseignement 10 . En Chine, d'après le Sanguo zhi (429), ils avaient besoin pour passer d'une région à l'autre de passeports délivrés par le gouvernement. Le statut social du marchand, en Sogdiane, en dit long sur l'importance acco rdée au commerce pendant ces périodes et dans ces te rritoires qu i, dans ce contexte historique et politique, bénéficiaient d'un atout de taille : leur situation géograph ique. Dans l'administration sogdienne, le marchand, khwakar, fa isait partie des trois classes sociales principales, avec le azatkar (noble) et le karekar (ouvrier, artisan), tous encadrés par le naf (communau té). Il arriva it que les marchands, du fait de leur rôle important dans la comm unauté, prennent le contrôle d'une ville, comme ce fut le cas à Paykend au s• siècle, lorsqu 'il s'est agi de négocier la reddition face à l'armée islamique. Leur niveau social est bien attesté également par les représentations datant de cette époque, dont une des nombreuses figurines en argile de l'époque Tan g, en

86 - Marchand à pied portant un coffre sur le dos - Chine du Nord - Époque Tang (618907) - Terre cuite - H. 24,5; l. 11,3 cm - Paris, musée national des Arts asiatiques Guimet, MA 4679 ; ancienne collection Robert Rousset

des Yuezhi, peuple encore nomade qui à cette époque occupait l'ouest de la Chine, ce qui permit aux peuples bactriens et sogdiens de découvrir le monde chinois 6, révélé aussi par les Wusun et les Sakas 7. À cheval entre le 2• et le 1er siècle avant J. -C., Sima Qian parle dans le Shiji des marchandises et des routes empruntées par les marchands bactriens. C'est d'ailleurs sur le bactrien que le terme« caravane» a été formé: en ancien persan kara, « groupe de personnes, armée »; en moyen persan karwan; en persan kar(a)van. De même que c'est au ba ctrien que plus tard les Sogdiens empruntèrent le mot sartapao pour désigner le chef de la caravane.

87 - Marchand avec âne et chameau - Chine, Turfan, Bézeklik 9' siècle - Peinture murale - H. 111 ; l. 52 cm - Saint-Pétersbourg, musée de ['Ermitage, TU -539; première expédition russe au Tu rkestan de Sergey Oldenburg en 1909-1910

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Les royaumes huns et turcs: l'apogée d'un art de cour (3•-8• siècle)

88 - Chameau assis - Chine du Nord - 6' siècle - Terre cuite - H. 14; L. 25,5; l. 12 cm - Paris, musée national des Arts asiatiques - Guimet, MA 6317; do n de Mme Roger Schmeid ler

Chine, conservée au musée Gu imet (fig. 86), qui montre, transportant une boîte rectangulaire sur son dos, un marchand à pied, vêtu du class ique caftan ouvert sur le devant, les caleçons enfilés dans les bottes traditionnelles, et surtout coiffé du bonnet po intu caractéristique. Les marchands, souvent représentés sur des chameaux (fig. 88), po rta ient avec eux de quoi voyager sans trop de désagréments, dont la gourde typique (fig. 89), mais aussi des ustens iles pou r se restaurer, comme cette fourchette -cuiller (fig. 90) ornée d'un canard d'influence iranienne, sassanide, représenté de profil vers la gauche, portant dans son bec une palmette, et entouré d'un décor fait de nœuds gordiens qui semblent remp lacer ici les classiques cadres en perles. À l' intérieur, un motif floral.

Cet objet en cuivre et argent est presque unique en son genre. Il en existe deux autres exemples, au Metropolitan Museum of Art et au musée de ['Erm itage, dont seul un petit fragment est malheureusement conservé, ce qui rend difficile, voire impossible, leur interprétation. Les peintures murales de la même époque li vre nt elles aussi des détails importants concernant les marchands . À Pendjikent, au Tadjikistan, la peinture murale de l'une des salles foui llées par le musée de ['Ermitage montre une scène de banquet où sont représentés six marchands assis à la turque sur un tapis. Ils sont vêtus d'un caftan de so ie, portent un poignard et un petit sac attachés à la ceinture et boivent dans des coupes en or, ce qui témoigne de leur richesse ainsi que de leur statut socialn

122

La figure du marc hand

89 - Gourde (Mustakhara ) - Ouzbékistan, Samarcande -10'-11' siècle Céra mique argileuse no n glaç urée, déco r moulé - H. 11 cm - Samarcand e, Musée natio nal d'histoi re, d'architecture et d'art - Réserve, A-412-2; KP-951/1

90 - Fourchette-cuiller pliable - Ouz békistan, Pay kend, shahristan 2 7'-8' siècle - Méta l (alliage de cuiv re), laiton, déco r gravé - L.16,2 ; D. 3,9 cm Boukhara, Musée national de Boukhara - Réserve, KP-35151/22; lnv. 156; Mission archéologique Musée du Louvre, départe ment des Arts de l'Isla m

Plus tard, le marchand est représenté avec les animaux qui symbolisent le personnage et son rôle, comme c'est le cas sur une peinture murale provenant du site de Bézeklik, à Turfan, datée du n esiècle (fig. 87). Ici, le marchand est figuré dans une perspective suré levée derr ière un chameau et un âne agenouillés, portant sur leur dos des marchandises solidement fixées. Le personnage a une longue barbe et arbore un cou vre-chef dont certaines caractéristiques peuvent suggérer une influence sogd ienne . Il porte un plateau avec de la nourriture . La scène représente clairement un moment de repos au cours duquel la caravane pouvait se restaurer12 . À partir de l'époque islamique, les caravansérails seront le point de ralliement des marchands. Leur répartition sur

123

Les roya umes hun s et turcs: l'apogée d'un art de cour (3•-s• siècle)

91 - Caravansérail (Ribat 4) - Payke nd - 9' -10' siècle - Mission archéo logique du musée du Louvre, département des Arts de l'Islam

tout le territoire d'Asie centrale était dense et particulièrement étudiée afin de former un réseau toujours en état pour donner protecti on aux caravanesB À Paykend, deux grands caravansérails ont été mis au jour. Appelé aussi

Ribat 4, le caravansérail fouillé récemment dans le cadre de la mission archéologique conjointe mu sée du Louvre et Institut d'archéologie de Samarcande, celui plus à l'ouest, fait l'o bjet d'une étude de conservation (fig. 91).

1

Devlet et al. 2018 ; Fran cfort 2020b.

6

Thi erry 2005.

11 Lurje 2014.

2

Berthon et al. 2020.

7

La Vaissière 2005.

12 Pchelin 2014.

3

Francfort 2020b.

8

Thi erry 2005.

4 5

Rao 1987; vo ir a ussi Francfort [1987] 1990. Sur la Route de la Soie, voir aussi Hansen 2012 .

9 La Vaissière 2005. 10 Will 1957.

13 Pour les différents aspects liés au caravansérail en Asie centrale, vo ir La Vaissière 2007.

124

Afrasiab et la > Frantz Grenet

a « Peinture des Ambassadeurs » est une grande composition peinte qui couvrait les quatre côtés d'un salon de réception de 11 mètres de côté (fig. 93). La moitié gauche du mur sud est présentée dan s l'exposition (fig. 92). Elle a été découverte en 1965 à l'occasion des travaux de construction d'une route. À partir de 1980, elle a été remontée dans un musée spécialement construit à proximité du lieu de découverte. Ces dernières années, une nouvelle opération de restauration, améliorant l'aspect de la peinture et permettant son démontage par panneaux, a été effectuée en coopération avec une association française (association pour la sau vegarde de la peinture d'Afrasiab). Le lieu de découverte se situe dans un ensemble de riches demeures construites en périphérie intérieure du « rem part Ill», alors mur extérieur de la ville. Celle où se trouvait la peinture n'était manifestement pas un palais royal, les plans rappelant ceux des maisons aristocratiques mises au jour par dizaines à Pendjikent. On a supposé qu'i l pouvait s'agir de la demeure familiale du sou verain, ou de la résidence d'un membre important de la cour qui aurait voulu flatter son maître. Le lien avec la propagande royale est en tout cas confirmé par une inscription en langue sogdienne peinte sur un personnage du mur ouest. Cette inscription mentionne les paroles aimables que les envoyés de deux royaumes voisins, Chach (Tachkent) et Chaganian (au sud de Samarcande), adressèrent lors d'une audience à Varkhuman, roi de Samarcande: « Quand le roi Varkhuman (de la famille) Unash s'approcha de lui, (l'envoyé) prit la parole: "Je suis le chancelier de Chaganian, Pûkarzâte. Je suis venu de la part du seigneur de Chaganian Turântash, ici, à Samarcande, auprès du roi, et je me tiens avec respect devant le roi . Et en ce

qui me concerne n'aie aucune suspicion, car sur les dieux de Sama rcande et sur le protocole écrit de Samarcande je suis bien au fait, et je n'ai fait aucun tort au roi. Sois fortuné!" Le roi Varkhuman Unash prit congé (de lui). Alors le chancelier de Chach prit la parole. » Il se trouve que le roi Varkhuman était déjà connu par ses monnaies et par la chronique chinoise des Tang, où on lit qu'il entra en contact avec la cour de Chine dans la période 650-655 et fut alors désigné « gouverneur » de son propre royaume, avant d'être confirmé en 658. Le contexte est la prise de possession très théorique par la Chine des anciennes principautés vassales de l'empire des Turcs occidentaux, démantelé à la suite de l'interven tion chinoise. Ce mur ouest est largement occupé par des cortèges d'ambassadeurs. En bas à gauche, des personnages en riches costumes de soie ornés de motifs à la sassanide apportent des coffrets recouverts de tissu du même type; ils représentent diverses principautés sogdiennes et tokharistaniennes. Toute la partie centrale est occupée par des Chinois qui arrivent en deux files et apportent de la soie sous ses trois formes: des cocons, des écheveaux et des rouleaux. Du point de vue chinois, la soie n'était certes pas un tribut, mais une rétribution destinée à récompenser la loyauté des princes sujets; on est fondé à supposer que le roi de Samarcande le prenait autre ment. Plus à droite, on reconnaît trois Tibétains parlant avec un interprète et apportant des peaux de yak et de panthère des neiges, puis deux Coréens identifiables aux deux plumes de leur couvre-chef; ils n'apportent pas de présents et ce sont probablement des représentants du royaume de Koguryo, récemment soumis par les Tang, qui sont incorporés dans la garde d'honneur escortant

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92 - « Peinture des Ambassadeu rs », paroi sud - Ouzbékistan, Samarcande (Afrasiab) - Ve rs 660 Peinture mura le - H. 250 ; l. 670 cm - Samarcande, Musée historique de Sa marcande « Afrasiab », KP-6251

93 - Dessin et reconstitution de la « Peinture des Ambassadeurs » - Ouzbékistan, Sa marcan de (Afras iab) - Dessin de F. Ory

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les envoyés chinois . En divers endroits l'o n remarque des Turcs, reconnaissables à leurs longues nattes {fig. 94). Certains sont des gardes, qui montent s'asseo ir à leur place au niveau supérieur; d'autres sont des officiers de haut rang vêtus à la sogdienne, qui ont sans doute escorté en route les envoyés chinois et qui maintenant font en

que Varkhuman sur le mur d'en face: c'est l'empereur Gaozong (r. 649 -683). On ne saurait exprimer plus clairement l'alliance qui vient de s'établir entre l'empereur Tang et le ro i de Samarcande, son partenaire privi légié dans les territoires occidentaux du défunt Em pire turc. On ne peut s'empêcher de penser que ces deux murs en vis-à-vis ont cherché un effet de miroir: les Chinois sont montrés dans des activités qui ne peuvent que plaire aux Sogdiens (le délassement accompagné de musique, la chasse dans le parc), les Sogdiens s'affichent comme pratiquant le culte des ancêtres, la vertu la plus haute aux yeux des Chinois, et ayant désormais un souverain suprême, digne interlocuteur de l'empereur de Chine. Le mur est, le mur d'entrée, est mal conservé, mais on dis-

sorte que ceux-ci passent les premiers. Se pose alors la question du but de cette procession, qui se trouvait nécessairement au centre de la partie supérieure, hélas détru ite. Bien que d'autres propositions aient été avancées, il paraît très probable, au vu notamment du contenu de l'inscription, que l'on avait là l'image du roi Varkhuman lui -m ême, figuré à une échelle supérieure comme c'est le cas aussi sur le mur sud. Le mur sud est tout entier occupé par une procession qui sort de la ville. Elle est dominée à l'arrière par un cavalier gigantesque, évidemment le roi Varkhuman. En haut, dans la partie partiellement détruite, chevauchaient des ga rde s armés. À l'avant, devant un bâtiment qui est le but de la procession, chevauchent en amazone trois épouses secondaires du roi, identifiées par une inscription {« co-épouse libre », statut intermédiaire entre l'épouse principale et la concubine esclave); la reine devait se trou ve r sur l'éléphant. Au milieu, deux prêtres zoroastriens identifiés par leur couvre -bouche rituel, l'un d'eux portant l'é pée, accompagnent des animaux sacrificiels, un cheval sellé et quatre oies. Deux dignitaires sur des chameaux brandissent des massues: il s'agit là aussi d'une allusion au sacrifice zoroastrien, où l'on doit impérativement assommer l'animal avant de l'égorger. Cette procession correspond à la cérémonie du sixième jour du Nouvel An, décrite par les chroniques chinoises: le roi accompagné de sa femme et des dignitaires sort à l'est de la ville (sur la peinture, le cortège peint avance effectivement d'ouest en est), pour apporter un sacrifice au tombeau de ses parents. Devant le mur nord, le regard se porte sur des horizons

pose d'un nombre d'indices suffisant pour affirmer qu'il se rapportait à l'Inde, autre horizon lointain mais essentiel du commerce sogdien . C'est une Inde très onirique, qui doit plus aux stéréotypes véhiculés par l'art gréco -romain qu'à l'expérience directe qu'avaient les marchands sogdiens. On reconnaît notamment le thème des Pygmées vivant sur les rives d'un fleuve et tirant à l'arc sur des oies sauvages. La répartition des sujets nationaux selon les côtés de la pièce n'est pas fortuite. Elle se rapporte au thème des « Rois du Monde» répartis selon les quatre directions de l'espace, qui fera fortune dans la géographie islamique mais que l'on trouve déjà dans plusieurs textes relatifs à l'Iran sassanide et à l'Asie centrale de la même époque . On rapporte notamment que Khosrow 1• 1 Anushervan (r. 531-579), lors de ses audiences solennelles, faisait face au sud, avec à l'est un trône vide pour l'empereur de Chine, au nord un autre pour le souverain des Hephtalites, et à l'ouest un troisième pour l'empereur byzantin . En mettant la Chine au nord et l'Inde à l'est, notre peinture a adopté une variante de ce schéma. Varkhuman s'est placé au sud, dans la scène de procession. Le grand changement par rapport aux autres exemples connus est qu'il a aussi annexé le côté ouest, en principe réservé à la Perse et à Byzance . Mais en 660 l'Empire sassanide n'existe plus, et Byzance, aux prises avec les attaques arabes, s'est effacée de l'horizon diplomatique . Varkhuman, émancipé de son statut de prince local par la prestigieuse alliance chinoise, rempl it ce vide géopolitique en se posant en héritier des rois sassanides

lointains. Il est réparti entre deux scènes qui toutes deux se déroulent à la cour de Chine. À gauche, la fête dite des « Bateaux-dragons », encore célébrée aujourd'hui à Taïwan et lors de laquelle on se promène en bateau sur les lacs et l'on nourrit les poissons (fig. 95). Ici, des musiciennes entourent dans la barque une dame figurée un peu plus grande, évidemment l'impératrice, à cette époque la fameuse Wu Zetian qui s'e mparera du trône à la mort de son mari . À droite est représentée une chasse à la panthère, comme nous savons qu' il s'en déroulait dans le parc impérial de la cap itale. La scène est là encore dominée par un personnage surdimensionné, beaucoup plus grand que l'impératrice et figuré à la même échelle

94 - Tête - Ouzbékistan, Samarcande - 5' -7' siècle - Terre cuite modelée, décor rapporté et incisé - H. 13; l. 15; pr. 11,5 cm - Samarcande, Musée national d'histoire, d'architecture et d'art - Réserve, A-638-1; KP-6227

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95 - Détail de la « Peinture des Ambassadeurs»: paroi nord - L'impératrice de Chine sur sa barque - Samarcande, musée d'Afrasiab

au jour près en ce qui concerne les « Bateaux-dragons », mais à une date sans do ute acceptab le. Il se trouve que vers l'une comme l'autre année des ambassades chinoises sont attestées dans les territoires occidentaux. Les motifs des costumes des Chinoises dans la barque se retrouvent à l'identique sur les pe intures du tombeau de la sœur de Gaozong, morte en 663, au point que dans ce cas précis on peut supposer que les auteurs de la peinture se sont inspirés de rou leaux pe ints ch ino is. Ce furent probablement des astro logues ind iens qui attirèrent l'attention de la cour de Samarcande sur ce synchronisme opportun . On dispose pour cela de deux indices. La chronique des Tang signale qu'à Samarcande les astrologues sont des « brahmanes », mot qu i dans les sources chinoises peut désigner auss i bien des brahmanes

qui recevaient au Nouvel An les cadeaux de leurs sujets et des ambassadeurs ét rangers . Le cycle de la Peinture des Ambassadeurs s'inscrit donc dans un espace codé. Il s'inscrit aussi très précisément dans le temps. L'alliance chinoise de 658 donne un terminus post quem, mais certains indices permettent d'être plus précis, tout en révélant le message qui était au cœur même de la commande artistique. Lors d'un colloque à Ven ise spécialement consacré à cette peintu re 1 fut mis en évidence un synchronisme qui n'avait pas pu passer inaperçu à Samarcande: en 660, le sixième jour du Nouvel An sogdien, le jour même qui est figuré sur le mur sud, tombait au solstice d'été, le 22 juin; et à cette date tombait aussi la fête chinoise des« Bateaux-dragons» figurée sur le mur nord. Un nouveau synchronisme se produisit en 663, pas

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sixième jour du Nowruz. Ce jour de clôture fait l objet chez al-Biruni d une notice qui complète l information chinoise. Il précise que contrairement aux festivités des premiers jours, ouvertes à une nombreuse assistance, le roi réserve ce jour à une compagnie choisie (les textes chinois ne mentionnent que la reine et les« ministres »). Et surtout il associe ce jour au roi légendaire Jamshid, modèle de la royauté iranienne, roi de la paix universelle, mais également roi solaire qui avait instauré le Nowruz au solstice d été. Ce jour-là, après s en être allé aux extrémités de la terre pour combattre les démons, Jamshid « s en retourna en Iran et surgit avec la lumière émanant de lui comme s il était le soleil; les gens furent étonnés au lever de ces deux soleils, et tout le bois sec redevint vert; les gens s exclamèrent ruz-i nuw, c est-à -dire "le nouveau jour ». Cela ne correspondait pas à la réalité historique du calendrier zoroastrien, lequel à l origine, au sesiècle avant J.-C., avait placé le Nouvel An à l équinoxe de printemps; la légende dont al-Biruni se fait l écho doit remonter à des spéculations qui se firent jour au 7e siècle, lorsque la dérive du 1 calendrier eut amené le Nouvel An au solstice d été 1 et donc, pensait-on, annonçait un retour aux temps heureux de Jamshid. Cette colncidence se produisit à Samarcande dans les années mêmes où l idéologie royale en avait besoin : il est permis de supposer que Varkhuman se considérait comme un nouveau Jamshid, inaugurant avec l allié chinois une période de paix bienvenue après la chute des Sassanides, et dont on croyait, à tort, qu elle serait durable.

à proprement parler que des hindous en général. Et sur le mur est, le mur indien, sont figurés deux astrologues identifiés par l objet rond sur lequel ils devisent, probablement un globe céleste. Le modèle de la composition se laisse reconnaître sur des images romaines montrant Uranie, Muse de l1astrologie 1 enseignant son art au poète Aratos. Le personnage qui occupe la place d Uranie est assis sur un siège à dossier, donc à l occidentale; le disciple est hab illé à l indienne. On aurait donc ici un astrologue indien tenant son savoir de l astrologie grecque, ce qui est la réa lité du traité du Yavanajôtaka, l un des traités fondateurs de l astrologie indienne, qui se donne comme la traduction d un texte d Alexandrie. Ce tab leau bien délimité serait en que lque sorte la signature des inspirateurs de la peinture. Il convient maintenant de revenir sur les deux scènes qui montrent les étapes du Nouve l An à Samarcande, en persan le Nowruz. Le meilleur guide est al-Biruni, qui dans sa Chronologie composée au début du nesiècle a rassemblé les traditions sur les fêtes des zoroastriens tant en Iran qu en Sogdiane et au Khorezm. La grande audience du mur ouest se déroule en plein air, et effectivement en été (les ambassadeurs ont des mouchoirs pour éponger leur sueur). Elle correspond bien à ce qu al-Biruni écrit des deuxième et troisième jours du Nowruz, lorsque le roi sassanide recevait les hauts dignitaires et l armée, laquelle, en 660 à Samarcande, était probablement encore composée pour l essentiel de troupes turques levées sur une base tribale. Le garde turc sur la robe duquel est apposée la grande inscription tient une canne à polo, dont c est la plus ancienne figuration hors de Chine (bien que le jeu soit d origine iranienne). La procession également roya le du mur sud correspond, comme on l a vu, aux témoignages que l on trouve chez les Chinois sur la procession et le sacrifice funéraire du

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Les royaumes huns et tu rcs: l'apogée d'un art de co ur (3•-8• siècle)

Topographie historique et archéologique du site d'Afrasiab Frantz Grenet

Le premier site de la ville de Samarcande est le plateau d' Afrasiab (nom attesté à partir du 18• siècle), situé en bordure nord-est de la ville actuelle (fig. 96). Comme centre de la plaine moyenne du Zérafshan, Samarcande a été précédée à l'âge du Fer par le site connu sous son nom actuel de Koktépé, situé à 30 kilomètres au nord et fouillé par la mission franco-ouzbèke de 1994 à 2008 . La fondation d'un nouvel établissement à Afrasiab remonte au x lendemains de la conquête achéménide (fin du 6• siècle) ; elle a sans doute été dictée par les meilleures aptitudes défensives du site juché sur une falaise de lœss de 220 he ctares, ains i que par la possibilité de l'alimenter en eau par un canal dérivé très en amont. L'assise principale de la ville y est demeurée jusqu'à l'invasion mongole de 1220, qui a entraîné la descente dans la plaine et la désertification du plateau. Le nom de Samarcande est attesté à partir de la venue d'Alexandre en 329, sous la forme Maracanda; le second élément signifie « enceinte, ville », le premier n'est pas élucidé. Le site a fait l'objet de sondages archéologiques par des officiers russes dès 1874. Des fou illes étendues y furent menées à partir de 1904, mais de manière di scontinue jusqu 'aux années 1960, quand fut créée une mission permanente à

laquelle succéda directement en 1989 la mission franco-ouzbèke qui travaille maintenant sur les publications (fig. 97). Il n'en reste pas moins qu'au bout d'un siècle et demi seule une faible partie du site a été dégagée, les opérations étant compliquées par l'étagement des

strates sur dix-huit siècles. Dès ses débuts, le site acquiert les grands tra its topographiques qu 'il va conserver durant toute son existence : un rempart qui ceint en haut tout le pourtour du plateau, une acropole au nord délim itée par un rempart et comportant

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