Semiotics of Writing (SACS 10) (Semiotic and Cognitive Studies) 9782503512417, 2503512410, 9782503512419

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Rois, Reines et évêques. L’Allemagne aux xe et xie siècles Recueil de textes traduits

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TÉMOINS DE NOTRE HISTOIRE Collection dirigée par Pascale Bourgain

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ROIS, REINES ET ÉVÊQUES L’ALLEMAGNE AUX Xe ET XIe SIÈCLES Recueil de textes traduits

sous la direction de

Cédric Giraud et Benoît-Michel Tock

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© 2009, Brepols Publishers NV, Turnhout All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2009/0095/116 ISBN 978-2-503-51241-7 Printed in the E.U. on acid-free paper

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L’Allemagne aux Xe et XIe siècles Recueil de textes traduits

Les Xe et XIe siècles sont, pour l’Allemagne, une période de grande splendeur, qui se marque par la dilatation des frontières, la mise en place d’un pouvoir fort, mais aussi par des réalisations culturelles superbes : des églises, des manuscrits, des sculptures, des enluminures… Et des livres. L’Allemagne connaît alors une foisonnante production historiographique, faite de chroniques, d’annales, de biographies. Une double distance linguistique (ces textes sont en latin) et géographique (ils concernent l’Allemagne) empêche depuis longtemps le public français de prendre connaissance de ces textes. Le présent recueil, en en proposant une sélection, vise à permettre de mieux comprendre comment on écrivait l’histoire dans l’Allemagne des Xe et XIe siècles, et quelle histoire on y écrivait. L’effondrement de l’empire carolingien rend à la Germanie son autonomie politique et lui permet de conserver un développement propre. Certes, elle garde des liens nombreux avec la France, au point même d’intervenir plusieurs fois, au Xe siècle, dans les affaires intérieures de son voisin occidental. De même, les liens avec l’Italie sont renforcés lorsqu’Otton Ier s’empare du nord de la péninsule. Et il va de soi que si les relations avec les voisins slaves sont souvent conflictuelles, elles comportent aussi d’autres éléments, commerciaux et culturels. Mais l’Allemagne construit sa propre voie vers la modernité. Riche de sa puissance nouvelle, du titre impérial, de l’héritage carolingien, de ses victoires sur les Slaves et les Hongrois, de sa mainmise sur l’Italie, de ses mines d’argent, l’Allemagne poursuit un développement propre. Cette singularité repose sur plusieurs éléments. La géographie, par exemple, qui lui offre des possibilités d’expansion qui sont refusées à la France. La géologie aussi, qui met à la disposition de

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l’Allemagne les mines d’argent du Harz ou, un peu plus tard, des Vosges et de la Forêt Noire. L’Empire se compose de plusieurs royaumes : le royaume de Germanie, mais aussi, à partir de 951 le royaume d’Italie, et à partir de 1033 le royaume de Bourgogne. Le roi de Germanie est élu par les grands du royaume (on verra chez Wipo le récit d’une élection particulièrement incertaine, celle de Conrad II) ; cette seule élection fait en principe du roi de Germanie le roi d’Italie et de Bourgogne, mais à chaque fois une élection faite par les grands du royaume doit confirmer ce principe. Et dans certains cas, comme Adalbold le montre au sujet d’Henri II, l’élection peut être très contestée. La dignité impériale, quant à elle, est conférée par le pape ; à partir du moment où, en 962, il a couronné un ottonien, le souverain pontife ne dispose plus de vraie liberté de choix. Du moins peut-il peser sur le moment de la consécration impériale. On verra d’ailleurs que nos chroniqueurs sont étrangement peu diserts sur cette cérémonie. Le royaume de Germanie est composé de plusieurs duchés. Même si des dynasties princières cherchent à garder le contrôle de tel ou tel d’entre eux, durant toute la période ottonienne et salienne l’attribution d’un duché est une prérogative royale ; le roi peut d’ailleurs aussi retirer le titre ducal à un prince qui l’aurait trahi. Ces duchés sont ceux de Saxe, de Franconie (généralement appelée Francie orientale, par opposition non à la France mais à la Lotharingie), de Bavière, de Souabe (appelée Alémanie, la Souabe comprend ou ne comprend pas, selon les textes, l’Alsace), tandis que le vaste duché de Lotharingie, qui de surcroît comprend nombre de vieilles terres franques, des villes très symboliques comme Aix-laChapelle ou Metz et pratiquement toute la partie de la Germanie anciennement christianisée et latinisée (au point qu’une partie du duché parle français), est généralement divisé en deux duchés, ceux de Basse- et de Haute-Lotharingie. La Carinthie devient duché en 976, tandis que le duché slave de Bohême est plus ou moins intégré dans le royaume de Germanie, au contraire de la Hongrie, érigée en 1001 en royaume indépendant. C’est en 911 que, pour la première fois à l’est du Rhin, est élu un roi qui n’appartient pas à la dynastie carolingienne : Conrad Ier, auparavant duc de Franconie, roi de 911 à 918. A sa mort est élu un prince qui n’est ni carolingien, ni même franc, puisqu’il s’agit du duc de Saxe Henri, qui inaugure ce que les historiens appelleront 6

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la dynastie ottonienne (919-1024). Il s’agit d’un renversement complet puisque ce sont les vaincus d’il y a un peu plus d’un siècle, si difficilement convertis au christianisme et intégrés à l’empire franc par Charlemagne, qui désormais règnent sur la Francie orientale. Celle-ci y perd d’ailleurs son nom. C’est ce que souligne l’auteur de la Vita Mahthildis antiquior (voir ci-dessous), quand il s’exclame : « Ô Germanie ! Jadis opprimée sous le joug des autres peuples, mais désormais resplendissante de la gloire impériale, aime le roi en le servant fidèlement, efforce-toi de le seconder autant que tu peux, et demande sans cesse que le roi ne fasse pas défaut à son peuple, pour ne pas que, rabaissée au dernier rang des honneurs, tu sois réduite à ta précédente servitude ». Le renversement est complet lorsque, au terme d’un processus de renforcement du pouvoir royal à l’intérieur et de victoires contre des ennemis extérieurs, Otton Ier, fils et successeur d’Henri, met la main sur le trône d’Italie (951) et obtient même la couronne impériale (962), ressuscitée en son honneur et que ses successeurs les souverains germaniques détiendront pendant près d’un millénaire. Le pouvoir ottonien repose à la fois sur les atouts traditionnels du pouvoir royal (souveraineté, justice, puissance militaire, droit de dispenser des biens et d’en confisquer…) et sur une alliance très forte avec l’Eglise. Cette alliance prend la forme de ce qu’on appelait jadis le Reichskirchensystem, ou « système de l’Eglise impériale ». Celui-ci peut être défini comme une politique menée par les souverains germaniques, de manière aussi régulière que possible, visant à placer des hommes à eux, essentiellement des membres de leur chapelle, sur les sièges épiscopaux. Les fondements de ce système sont le sacre (royal, puis impérial), qui fait entrer le souverain dans l’ordre ecclésiastique, ce qui lui donne autorité aussi bien sur l’Eglise que sur le monde civil, lui permet de convoquer les conciles, de privilégier les églises. Mais aussi la propriété de nombreux évêchés et abbayes, qui sont considérés comme des Reichseigenkirchen (églises appartenant en propre à l’empire). Cette conception est renforcée, en Allemagne, par le fait que la plupart des évêchés, et même des archevêchés, ont été fondés par le souverain (Mayence 748 et 782, Salzbourg 798, Hambourg 832, Magdebourg 962). L’objectif de cette politique est d’assurer au roi un contrôle étroit sur les évêchés. Cela doit lui permettre de disposer de la fidélité 7

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personnelle des évêques, qui l’ont bien connu quand ils étaient à son service à la chapelle impériale. L’avantage de cette fidélité est que les vastes ressources matérielles et financières des églises sont plus directement à la disposition du souverain, qui peut en tirer profit. Cette fidélité personnelle et le droit de nomination des évêques reconnu au roi évitent que des pans entiers du royaume échappent à son contrôle. Cette politique a des conséquences, non seulement sur l’organisation de l’Empire et de l’Eglise dans l’Empire, mais aussi sur l’Eglise en général. En effet, afin d’éviter toute concurrence, il faut que l’empereur se soit assujetti le pape, ou du moins qu’il se soit assuré sa bienveillante neutralité. D’autre part, la fidélité des évêques étant ainsi garantie, l’empereur va leur transmettre des biens temporels en nombre sans cesse croissant, sous la forme parfois de comtés entiers ; ce qui est considéré comme la meilleure manière de mettre ces biens à l’abri des laïcs. Mais du même coup, la fidélité des évêques n’est plus seulement un atout, mais aussi une nécessité. Et ces donations jettent les bases de la puissance territoriale des évêchés. Quant à la Cour et à la chapelle, elles deviennent un centre de recrutement qui brasse les carrières et aspire ambitions et qualités. Dès lors, le roi s’appuie très largement sur les évêques. Les ottoniens n’inventent d’ailleurs pas cette politique, qu’avaient déjà menée les mérovingiens et les carolingiens, et que mènent également à leur époque, mais à une moindre échelle, les rois français. Mais ils vont la pousser beaucoup plus loin, précisément en ne lésinant pas sur les donations et en renforçant le rôle unificateur de la chapelle. Il ne faut pas exagérer cette politique, ni ses résultats. La vieille appellation de « système de l’Eglise impériale » (Reichskirchensystem) est aujourd’hui peu ou prou abandonnée, pour plusieurs raisons. D’abord, il n’y a au Moyen Age que peu d’esprit de système. Ensuite les souverains ottoniens ne disposent pas d’une autorité illimitée. Ils contrôlent leur royaume de manière inégale, davantage la Saxe et la Rhénanie que la Souabe et la Bavière. Ils doivent composer avec de nombreuses grandes familles, et cela suppose, parfois, de laisser à telle famille le contrôle d’un siège épiscopal. Ainsi, de 929 à 1072, le siège de Metz est aux mains d’une seule famille, celle de Luxembourg. Quant aux évêques, une fois nommés ils sont pratiquement inamovibles. Cela s’est vu par exemple quand Henri II a 8

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voulu créer l’évêché de Bamberg : devant l’opposition de l’archevêque de Mayence et de l’évêque d’Halberstadt, il a dû attendre leur mort pour arriver à ses fins. On verra dans les Gesta des évêques d’Eichstätt la réaction de l’évêque Megingaud face à la création de l’évêché de Bamberg. L’exemple de l’évêché de Liège montre d’ailleurs les limites de la politique ecclésiastique ottonienne. En 953, Bruno de Cologne, frère d’Otton Ier, place à Liège Rathier de Vérone, mais une révolte des Régnier l’oblige à accepter Baldéric (955), jusqu’à ce qu’il batte les Régnier (957) et remplace Baldéric par Eracle (959). En 1025 l’archevêque de Cologne, dont le ralliement est indispensable à Conrad II mal élu, impose à Liège son ancien clerc Réginard. En revanche en 1048 la Basse-Lotharingie est en révolte, mais Henri III contrôle encore Liège à qui il impose un fidèle, Théoduin, qui lui sera utile pour mater la révolte ; à l’inverse en 1075, confronté à une révolte des Saxons, Henri IV accepte le candidat du duc de Basse-Lotharingie pour ne pas devoir lutter sur un deuxième front. Quant aux évêques eux-mêmes, ils ne se contentent pas d’attendre que le souverain leur accorde des droits. Ils peuvent faire pression pour en obtenir. C’est ainsi que vers 980 Notger de Liège, qui menace de se rallier à la Francie occidentale, obtient la concession de comtés entiers et de droits de monnaie. Mais s’il n’y a dans la politique ecclésiastique ottonienne rien de systématique (de nombreux évêques, par exemple, ne sont pas issus de la chapelle royale), il y a une vraie volonté, de la part d’Otton Ier et de ses successeurs, d’utiliser chaque fois que c’est possible le pouvoir épiscopal. Otton Ier, qui succède à son père en 936, transforme profondément le royaume que lui avait légué Henri Ier. Ses succès intérieurs, et plus encore ses victoires contre les ennemis extérieurs, en particulier la conquête de l’Italie du Nord, la victoire remportée en 955 au Lechfeld contre les Hongrois et le couronnement impérial de 962, lui assurent un prestige considérable. Il obtiendra d’ailleurs, à la fin de son règne, un brillant mariage pour son fils Otton : une union avec la princesse byzantine Theophano. Peu importe finalement que les négociations aient été difficiles, que la princesse ne soit qu’une nièce du régnant et pas sa fille, que Constantinople ait exprimé à maintes reprises tout le mépris que lui inspiraient les barbares occidentaux : l’essentiel est que ce mariage vaut reconnaissance de la résurrection de l’empire en Occident et de son attri9

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bution à Otton. On lira un portrait d’Otton et de son règne dans les livres 2 et 3 des Res gestae Saxonicae de Widukind de Corvey (voir ci-dessous). Otton II (973-983) succède sans difficulté à son père et poursuit sa politique, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, malgré la difficulté de gérer les relations avec les ducs. Cependant, la fin de son règne est assombrie d’abord par la lourde défaite qu’il subit en 982 à Cotrone (Italie méridionale) contre une armée arabe et par la révolte généralisée des Slaves en 983. Lui-même meurt, de manière inattendue, cette même année. Son héritier, Otton III (983-1002), n’a que trois ans et vient d’être sacré, entre la mort de son père et l’arrivée en Allemagne de la nouvelle de cette mort. Otton III (983-1002) constitue une exception. Devenu roi extrêmement jeune, il est ballotté pendant quelques années au gré des troubles qui perturbent l’Allemagne. Devenu majeur en 994, il oriente sa politique essentiellement en deux directions : l’Est de l’Empire et Rome. A l’est, il défend l’idée d’un empire chrétien entouré de royaumes chrétiens, confère le titre royal à Boleslas de Pologne et Etienne de Hongrie et crée de nouvelles provinces ecclésiastiques (Gniezno, par exemple). Fils d’une princesse byzantine, fasciné par Rome, il veille à contrôler la papauté en nommant des fidèles sur le siège de saint Pierre (Bruno de Carinthie = Grégoire V, 996-999 et Gerbert d’Aurillac = Silvestre II, 999-1003) et met en place une cour d’inspiration byzantine, avec le mot d’ordre de la Renovatio Romani imperii. Otton II et Otton III font l’objet des livres 3 et 4 de la chronique de Thietmar de Mersebourg (voir ci-dessous). A la mort d’Otton III, qui ne laissait pas de fils, c’est après quelques hésitations Henri II, duc de Bavière, qui lui succède (1002-1024). Le balancier revient au nord des Alpes, où Henri veut rétablir le pouvoir royal malgré tout affaibli par un règne un peu particulier. Cela n’empêche pas Henri de mener trois voyages en Italie, mais il n’y est pas aussi présent que ses prédécesseurs. La papauté d’ailleurs, qui sous Otton III est contrôlée par l’empereur, retombe sous la dépendance de l’aristocratie romaine. Une autre action importante est la création de l’évêché de Bamberg ; Henri voulait ainsi garantir son salut, mais aussi peut-être doter l’empire d’un centre politique, religieux et culturel stable. Les débuts du règne d’Henri II ont été relatés par l’évêque d’Utrecht Adalbold (voir ci-dessous). Henri II meurt sans enfant ; comme il était également d’une grande piété, cela lui valut par la suite une réputation de sainteté. Sa succession donne lieu à une querelle qui est finalement réglée au 10

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profit de Conrad II (1024-1039), l’Allemagne glissant de ce qu’on appelle la dynastie ottonienne à la dynastie salienne. Désireux de ne pas laisser toutes les richesses de l’empire passer sous contrôle ecclésiastique, Conrad II y gagne une réputation de simonie. Il est surtout celui qui, profitant de la mort du roi de Bourgogne Rodolphe III (993-1032), s’attribue ce royaume et l’intègre à l’empire. Lui aussi a trouvé un biographe, en la personne de Wipo (voir ci-dessous). Le règne d’Henri III constitue en quelque sorte l’apogée de l’empire ottonien-salien. C’est principalement vrai dans le domaine de la politique ecclésiastique. En 1046, exaspéré par la situation anarchique de la papauté (trois papes se disputaient le siège de saint Pierre), Henri III descend en Italie et lors d’un concile réuni à Sutri, près de Rome, dépose les trois papes et en impose un autre, qu’il choisit au sein de l’épiscopat allemand : Suidger, évêque de Bamberg, noble saxon apparenté à l’archevêque de Magdebourg, ancien chapelain impérial, qui devient pape sous le nom de Clément II mais meurt le 9 octobre 1047. Il est remplacé le 17 juillet 1048 par Poppon, évêque de Brixen (Damase II), qui meurt dès le 9 août. Après un léger flottement c’est l’évêque de Toul Bruno qui est désigné par l’empereur et couronné le 12 février 1049. Pape sous le nom de Léon IX, il mène énergiquement la réforme de l’Eglise, convoquant deux importants conciles à Reims et Mayence dès l’année 1049, renforçant la lutte contre la simonie et le nicolaïsme. S’il laisse à sa mort (19 avril 1054) une Eglise profondément transformée, lancée de manière irrésistible sur la route de la réforme qui la mènera finalement à la rupture avec l’empire, lui-même reste un pape profondément attaché à la collaboration entre pouvoirs civil et ecclésiastique. Toutes ses initiatives ne sont d’ailleurs pas heureuses : la tentative de renouer avec le patriarche de Constantinople aboutit à une rupture grave, et de fait irrémédiable, entre les chrétientés grecque et latine ; surtout, sa volonté de mener une campagne militaire contre les Normands d’Italie méridionale aboutit à l’écrasante défaite germano-pontificale de Civitate (1053). A sa mort, c’est l’évêque d’Eichstätt Gebhard qui devient pape (Victor II, 13 avril 1055 – 28 juillet 1057 : voir son portrait dans les Gesta des évêques d’Eichstätt). Henri III meurt en 1056. Son fils Henri IV lui succède (1056-1106), mais les premières années sont celles de la difficile régence de l’impératrice-mère Agnès de Poitou. Le règne d’Henri IV est surtout dominé par la Querelle des Investitures. Car dès l’élec11

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tion du pape Grégoire VII en 1073, les querelles entre le pape et le roi (Henri n’est pas encore couronné empereur) se multiplient. Le conflit éclate à propos de la succession à l’archevêché de Milan, siège décisif pour le contrôle de l’Italie septentrionale. De maladresse en raidissement, on aboutit à l’excommunication et à la déposition d’Henri IV le 14 février 1076 par un synode romain. L’humiliante mais fallacieuse pénitence de Canossa (1077) permet à Henri de retrouver son trône ; les querelles ne tardent cependant pas à reprendre. Elles aboutissent le 7 mars 1080 à une nouvelle excommunication du roi, tandis que le 25 juin de la même année une assemblée convoquée à Brixen par Henri dépose Grégoire VII et élit un nouveau pape, considéré par l’histoire comme l’antipape Clément (III), ce qui mène à la rupture définitive. Il faut dire que dans le même temps Henri est concurrencé en Allemagne par un anti-roi, Rodolphe de Rheinfelden, largement soutenu par le pape. Le conflit entamé par Henri IV et Grégoire VII enflamme l’empire pendant près d’un demi-siècle, jusqu’au concordat de Worms de 1122. Les manœuvres et luttes d’influence auxquelles il donne lieu affaiblissent considérablement le pouvoir royal, l’obligeant à chercher et ménager des appuis partout où c’était possible. Henri IV meurt en 1106 très largement discrédité. Et si le règne de son fils Henri V (1106-1125) commence de manière plus brillante, il se termine malgré tout sur le concordat de Worms et le premier concile du Latran (1123), que l’on peut considérer comme des victoires pontificales. L’Allemagne sort du conflit profondément transformée : l’élection des évêques échappe désormais largement au roi, à qui la fidélité de ces détenteurs de pouvoir et de richesse va faire cruellement défaut. Les grands laïcs ont pris l’habitude de l’indépendance. Et la monarchie va rêver du rétablissement de son pouvoir sur l’Italie du Nord et du Centre, ce qui conduira finalement Frédéric Ier dans une certaine impasse. L’historiographie dans l’Allemagne ottonienne et salienne De ce tableau, le plus important sans doute est l’appui mutuel que se donnaient le roi et les évêques et sur lesquels reposait tout l’édifice politique allemand. Mais pas seulement politique. Le renforcement du rôle des prélats, l’émergence d’une sorte de corps épiscopal, constitué de gens formés dans le même moule, celui de la chapelle royale et plus largement de ce système politico-ecclésias12

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tique, le renforcement des liens entre l’Allemagne et l’Italie, tout cela permit l’émergence d’une littérature largement propre à l’Allemagne ottonienne et salienne. Cette littérature comprend plusieurs caractéristiques : elle est essentiellement dynastique, épiscopale et locale. Dynastique, parce que plusieurs ouvrages sont écrits pour exalter la figure du souverain. Du VIe au IXe siècle, seuls Charlemagne et Louis le Pieux bénéficièrent de biographies : il s’agissait donc d’une pratique très rare. En France pendant les Xe et XIe siècles seul Robert le Pieux est le sujet d’une Vita, qui relève d’ailleurs plus de l’hagiographie que de la biographie. Or en Allemagne Rosvitha, moniale à l’abbaye de Gandersheim dans la première moitié du Xe siècle, compose des Gesta Odonis qui ne sont peut-être pas vraiment une biographie d’Otton Ier, mais constituent du moins le récit de quelques faits de sa vie, sans oublier d’ailleurs son épouse l’impératrice Adélaïde. Au début du XIe siècle Adalbold, évêque d’Utrecht, commence une biographie d’Henri II ; par la suite, Wipo retrace le règne de Conrad II, tandis qu’une Vita anonyme est consacrée à Henri IV. La Vita du souverain constitue donc bien un genre littéraire particulièrement représenté dans l’Allemagne ottonienne et salienne. D’autant que plusieurs souveraines bénéficient elles aussi de biographies. Mais il s’agit là plutôt de vies de saintes, dans le cadre d’une tentative de renforcer le caractère sacré de la monarchie par une aura hagiographique. On peut voir à cet égard dans le présent volume la différence très nette de traitement entre le portrait des rois et celui de la reine Mathilde. Même certaines chroniques plus générales sont liées à la dynastie. Celle de Thietmar de Mersebourg, par exemple, organise sa matière en fonction des règnes des souverains. Mais Thietmar, comme d’autres auteurs, élargit son intérêt bien au-delà de la personne du roi. C’est l’histoire de l’Allemagne (et plus particulièrement de la Saxe) qui l’intéresse. Une autre caractéristique de la littérature ottonienne et salienne est le grand nombre de vies d’évêques. On a vu à quel point les évêques jouaient un rôle central dans la politique allemande. C’est peut-être une des raisons qui ont poussé de nombreux clercs à raconter la vie d’un de leurs évêques. La chose est très claire avec la Vita de l’archevêque de Cologne Bruno (953-965). Ce dernier fut un personnage considérable : frère de l’empereur Otton Ier, titulaire d’un des principaux sièges ecclésiastiques du royaume, duc de Lotharingie, il fut par son activité politique et religieuse, et par ses 13

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capacités propres, un des fondateurs de l’Eglise ottonienne. Le moine de Cologne Ruotger lui consacre une biographie devenue très célèbre, car il ne s’agit pas d’une hagiographie, mais d’une biographie politique. Certaines vies d’évêques sont intégrées dans des ensembles plus larges sous la forme de Gesta episcoporum. Chacun de ces documents a ses propres caractéristiques. Les Gesta des évêques de Liège, écrits au milieu du XIe siècle par le chanoine Anselme (qui complète en réalité les Gesta écrits un demi-siècle plus tôt par Hériger de Lobbes), sont écrits pour culminer avec le dernier évêque repris, Wazon (1042-1048), considéré par l’auteur comme un évêque idéal. Il en va sans doute de même des Gesta des évêques d’Eichstätt, sauf que dans ce cas la biographie du dernier évêque, Gundekar II, manque. Un autre genre littéraire fréquemment cultivé, mais absent de ce recueil, est celui des Annales. Au contraire de la période carolingienne, la période ottonienne et salienne ne connaît pas d’annales officielles. Toutes les régions de l’empire n’étaient pas égales devant la littérature. Il faut ici surtout souligner le rôle extraordinairement actif de la Saxe, qui était pourtant la région la plus récemment christianisée. Widukind de Corvey comme Thietmar de Mersebourg s’y rattachent. C’est de Saxe aussi que viennent plusieurs vies de souverains, les Gesta des évêques d’Halberstadt ou de Magdebourg, les annales de Quedlinbourg ou d’Hildesheim… La Querelle des Investitures amène de nombreux changements dans cette production littéraire. L’écriture de vies d’évêques se tarit. Au contraire, les chroniques se font plus nombreuses, mais surtout plus polémiques, parce que chacune est engagée au service d’un des camps en présence. Et d’une manière générale, la polémique devient un des éléments-clés de cette Querelle. Les chartes Les textes traduits dans ce recueil parlent essentiellement de rois et d’évêques, de batailles et de miracles. Ce faisant, ils ne donnent pas nécessairement une fausse image de la société en Allemagne aux Xe et XIe siècles : en un sens, les batailles et les miracles font partie du quotidien, sinon dans la réalité, du moins dans les mentalités, ou dans certaines mentalités. 14

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Mais le quotidien n’est pas fait que de combats et de visions. Il est fait aussi de donations pieuses, de procès, de querelles de compétences. Parfois évoqués dans les textes narratifs, ces éléments apparaissent surtout dans ce qu’on appelle les textes diplomatiques, c’est-à-dire les actes écrits notifiant une action juridique en dotant celle-ci de moyens de validation juridique. C’est pour cela qu’il nous a paru utile de compléter les textes narratifs traduits ici par quelques actes, qui donnent un autre regard sur la société des Xe et XIe siècles en Germanie, insistant surtout sur la propriété de terres, de forêts, de droits divers… Mais aussi sur le contrôle de l’espace, ainsi que sur les relations sociales. Bref, non pas une autre Germanie, mais d’autres facettes de la Germanie, qu’il aurait été dommage de passer sous silence. Le recueil Il n’était pas possible, évidemment, de présenter au lecteur l’ensemble de la littérature ottonienne et salienne. Il a fallu faire une sélection. Les biographies de souverains s’imposaient : celles d’Henri II et de Conrad II sont les plus célèbres, et ce sont donc elles qui ont été retenues. On y a ajouté, comme hagiographie de souveraine ottonienne, la plus ancienne vie de la reine Mathilde. Parmi les biographies épiscopales, le choix s’est arrêté sur les Gesta des évêques d’Eichstätt, parce que c’est un document original et peu connu en France. Enfin, on ne pouvait négliger les chroniques plus générales : celles de Widukind de Corvey et de Thietmar de Mersebourg sont les meilleurs représentants de l’art d’écrire l’histoire en Allemagne au Xe et au début du XIe siècle. Pour les chartes, on a choisi d’utiliser la base de données des chartes originales antérieures à 1121 conservées en France, organisée à Nancy par l’Artem. Cette base de données vise à rassembler toutes les chartes originales conservées en France, pour la période définie ci-dessus1. Elle permet donc un accès direct à des textes sûrs, puisqu’il s’agit de transcriptions nouvelles d’actes originaux. Mais 1

Sur cette base de données, qui sera mise en ligne sous peu, voir La diplomatique française du Haut Moyen Age. Inventaire des chartes originales antérieures à 1121 conservées en France, publié sous la direction de B.-M. Tock par M. Courtois et M.-J. Gasse-Grandjean, Turnhout, 2001 (Artem)

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concerne-t-elle la Germanie ? Oui, puisqu’elle couvre la France actuelle. Dès lors, elle comprend plusieurs régions ayant fait partie de l’Empire, notamment une très large partie du royaume de Bourgogne, mais aussi la Lorraine et l’Alsace, qui étaient complètement intégrées au royaume de Germanie. Nous avons renoncé à donner les textes latins, facilement accessibles dans la plupart des cas. Nous avons fait une exception en ce qui concerne les chartes, dispersées et parfois présentes uniquement dans des éditions anciennes. C’est aussi une manière de valoriser le travail d’édition qui se fait à Nancy dans le cadre de la mise au point de cette base de données. Le commentaire a délibérément été réduit à l’indispensable. La bibliographie sur l’histoire des dynasties ottonienne et salienne est considérable, et il eût été au-dessus des forces des auteurs de cet ouvrage de donner, pour chaque personnage, chaque événement, un commentaire approfondi, sur le modèle de celui que Stefan Weinfurter a donné à son édition et traduction des Gesta des évêques d’Eichstätt. Il fallait donc, ou renoncer à publier ces traductions, ou les publier telles quelles. On a choisi la seconde solution, préférant permettre au moins d’accéder plus facilement à des textes importants. La traduction Traduire, et en particulier traduire des textes médiévaux, est particulièrement difficile. Les structures de la langue latine ne sont pas identiques à celle de la langue française, de sorte qu’il y a des moments où on ne peut simplement transposer en français le texte latin tel qu’il se présente. Les phrases latines sont souvent longues, riches en propositions subordonnées ou en participes. Le traducteur doit-il se sentir tenu de les respecter ? Il peut préférer rythmer son texte selon les principes du français actuel. La polysémie du latin peut se montrer redoutable. Cela laisse au traducteur une assez grande liberté d’appréciation, mais en fait cette liberté est surtout un risque, dans la mesure où elle n’est pas encadrée par des limites claires. Comment traduire milites, par exemple, ou villicus ? Pour désigner ce que nous appelons les duchés de Saxe, de Bavière ou autres, plusieurs auteurs utilisent le mot regnum: faut-il traduire par « royaume » ou par « duché » ? Comment 16

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RECUEIL DE TEXTES TRADUITS

concrètement se représenter, et donc comment traduire, ce qu’est un castellum, ce que sont des munitiones ? Enfin, même quand la traduction semble aisée, le traducteur a-t-il vraiment compris, et permet-il au lecteur de saisir vraiment ce que pensait l’auteur ? Qu’est-ce que, par exemple, la gratia du roi ? Qu’est-ce que la pietas, qu’est-ce que la probitas ? Le lecteur doit donc être conscient que la traduction ne lui permet pas d’accéder directement à la pensée de l’auteur. Il accède à la manière dont le traducteur a compris et restitué cette pensée, ce qui n’est pas la même chose. Si cependant, stimulé mais insatisfait par la traduction, le lecteur voulait approfondir sa compréhension de Widukind, de Thietmar, de Wipo etc., en allant directement voir le texte latin de ces derniers, les traducteurs y verraient leur plus belle récompense et la meilleure justification de leur travail. Une dernière chose : ce travail a fait l’objet d’une vraie collaboration. C. Giraud et B.-M. Tock ont relu l’ensemble des traductions, de même que Pascale Bourgain, que nous remercions chaleureusement ici pour avoir accueilli ce projet dans la collection « Miroir du Moyen Âge », et, bien sûr, pour ses relectures particulièrement précieuses. Surtout, ce projet, lancé par B.-M. Tock dans le cadre de son enseignement de latin médiéval à l’université de Strasbourg, a plu à quelques étudiants, qui se sont mis d’arrache-pied à l’ouvrage : deux d’entre eux, Adrien Fernique et Alexandre Leducq, ont réussi à donner rapidement des traductions complètes et de qualité des œuvres qu’ils avaient choisies. C’est là un résultat très réjouissant.

BIBLIOGRAPHIE La bibliographie consacrée à l’Allemagne aux Xe et XIe siècles est extrêmement fournie pour les travaux en langue allemande, beaucoup plus pauvre pour les travaux en langue française. Pour les travaux en langue allemande on renverra essentiellement à

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Keller (Hagen) et Althoff (Gerd), Handbuch der deutschen Geschichte, Band 3: die Zeit der späten Karolinger und der Ottonen: Krisen und Konsolidierungen 888-1024, 10e éd., Stuttgart, 2008. Keller (Hagen), Die Ottonen, Munich, 2001 (Wissen in der Beck’schen Reihe ; 2146). D’une manière générale, on trouvera une très riche bibliographie, consacrée à la question inscrite aux concours de recrutement de l’enseignement secondaire (Pouvoirs, Église et société dans les royaumes de France, de Bourgogne et de Germanie aux Xe et XIe siècle [888-1110]), établie par Philippe Depreux pour l’Allemagne, Florian Mazel pour la France, dans la revue Historiens et Géographes, n° 403 (2008). De la production récente on peut notamment retenir : Bertrand (Paul), Dumézil (Bruno), Hélary (Xavier), Joye (Sylvie), Mériaux (Charles), Rosé (Isabelle), Pouvoir, Eglise et sociétés en France, Bourgogne, Germanie (888 - vers 1110), Paris, 2008. Carraz (Damien), Buchholzer-Remy (Laurence), Lemesle (Bruno), Pouvoirs, Eglise et société dans les royaumes de France, de Bourgogne, et de Germanie de 888 aux premières années du XIIe siècle, Paris, 2008. Isaïa (Marie-Céline) dir., Jégou (Laurent), Santinelli-Foltz (Emmanuelle), Brand’Honneur (Michel), Gazeau (Véronique), Krönert (Klaus), Wagner (Anne), Pouvoir, Eglise et sociétés, France, Bourgogne, Germanie (888-1120), Paris, 2009. Parisse (Michel), Allemagne et Empire au Moyen Age, 2e éd., Paris, 2008.

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HISTOIRE DES SAXONS traduite (livres 2 et 3) par Cédric GIRAUD

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Introduction

Les données biographiques sur Widukind († après 973) sont particulièrement minces. Comme son nom l’indique, il est vraisemblablement issu d’une noble famille saxonne. Il devient moine à l’abbaye de Corvey sur la Weser du temps de l’abbé Folkmar († 942) et y meurt après 973. Outre des ouvrages hagiographiques aujourd’hui perdus, Widukind a écrit des Res gestae Saxonicae en trois livres dédiés à la fille de l’empereur Otton Ier, Mathilde : la première version date de 967-968 et s’arrête en III, 69, tandis que la seconde version se poursuit jusqu’à la mort d’Otton Ier en 973 (III, 70-76). Le premier livre est consacré à rappeler les origines des Saxons et le règne d’Henri Ier l’Oiseleur (919-936). Le second traite des dix premières années du règne d’Otton Ier (936-946), tandis que le troisième s’étend de 946 à 973. L’œuvre historique de Widukind atteste amplement le degré de culture auquel un moine, placé dans des conditions favorables, pouvait parvenir au Xe siècle. En effet, Corvey n’est pas un monastère bénédictin négligeable : fondation de Corbie sous le nom de Corbeia nova en 822, l’abbaye devient aux IXe et Xe siècles un important centre culturel protégé par le pouvoir politique. Widukind écrit ainsi une œuvre historique originale qui transpose avec des codes littéraires classiques l’histoire contemporaine de la Saxe. L’histoire qu’il raconte est donc patriotique au sens propre : la Saxe en tant que patria constitue le centre de gravité de son œuvre. Les événements politiques prennent leur sens en fonction de la vocation des rois saxons à diriger le royaume de Germanie et à étendre la chrétienté. De ce fait, plus qu’une histoire des Saxons, Widukind décrit avant tout la geste d’Henri Ier et de son fils, Otton Ier, c’est-à-dire la manière dont ces rois se sont imposés tant à l’intérieur, face aux

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grands, qu’à l’extérieur, face aux Slaves. Par conséquent, la Francie occidentale, l’Italie ou l’Empire byzantin sont très peu présents chez Widukind et n’apparaissent que pour mettre en valeur les interventions victorieuses du pouvoir royal. Le couronnement impérial de 962 est omis, tandis que le summus pontifex par excellence est l’archevêque de Mayence, le pape n’apparaissant qu’à de rares occasions. L’intérêt des deux livres qui ont été ici traduits intégralement tient à l’unicité du sujet et à son traitement : Otton Ier en est, en effet, le principal personnage qui domine de sa stature les livres II et III. La rédaction en courts chapitres donne le ton à l’histoire d’un règne dont la cohérence est rarement dégagée. L’empereur apparaît le plus souvent balloté entre les révoltes intérieures et les guerres extérieures : sollicitée sur tous les fronts, la figure royale qui se dégage est plus celle d’un chef de guerre luttant pour imposer un pouvoir menacé que d’un monarque universellement respecté. Widukind courait ainsi le risque de dissoudre le personnage d’Otton Ier au gré d’une narration chronologique souvent linéaire, où le principal héros semble souvent subir les événements, et non leur donner forme. Pour pallier cette impression, Widukind a laissé, outre un portrait complet et très expressif de l’empereur (II 36), de multiples leitmotive qui, par leur jeu combiné d’échos, créent une harmonie : Otton est par excellence l’homme de la clementia et de la pax. Figure à la fois christique et paternelle, l’empereur est en butte aux outrages de son entourage, comme son frère Henri, son fils Liudolf ou Wichmann le Jeune. Cependant, il se sait aussi se montrer un père plein de clémence pour les fils prodigues qui reviennent à lui. C’est dire que la violence n’est jamais un jeu gratuit, mais s’inscrit toujours dans un processus de négociation : assemblées, serments et trêves rythment la narration de Widukind et sont les armes par excellence du pouvoir. Il n’en demeure pas moins que le moine de Corvey a voulu donner à son œuvre une couleur épique qui imprègne fortement son style. Il connaît ainsi la littérature classique à laquelle il fait de fréquentes références : il se plait à citer Cicéron, Tite Live, Ovide, Lucain et Juvénal, mais son modèle par excellence est Salluste1. Widukind affectionne donc les descriptions de bataille qui abon-

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Nous n’avons indiqué les sources et les réminiscences classiques et bibliques que lorsque cela nous a semblé éclairer le sens de la traduction française.

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dent sous sa plume : le moindre épisode militaire (siège, marche, assaut) lui offre l’occasion de faire valoir son talent de narrateur. Il a le sens de l’action, du détail, parfois de l’humour et sait faire partager au lecteur ses convictions. Bien qu’il ne se montre pas toujours exact, Widukind est soucieux de vérité historique. Il cite ses sources, évalue les témoignages et s’excuse même à l’occasion de déroger au déroulement chronologique (II, 28). Si le style biblique est assez peu employé, sauf sous la forme d’expressions assimilant notamment les Saxons aux Macchabées, l’histoire qu’écrit Widukind est également chrétienne. Dieu paraît se manifester par des présages et des prodiges sur l’origine et l’interprétation desquels Widukind hésite parfois de manière significative, comme les comètes de 941 (II, 32), les destructions d’églises et la mort de prêtres en 955 (III, 46) ou encore les croix apparaissant sur les vêtements à la fin des années 950 (III, 61). Dieu est également rendu présent par ses saints : Widukind aime à en évoquer les figures et en trace des portraits précis comme celui de Mathilde, la mère d’Otton Ier, allant jusqu’à rapporter des miracles qu’il connaît de seconde main (III, 74). Cependant, Dieu se manifeste avant tout par sa providence : pour Widukind, le gouvernement du monde est soumis à la sagesse d’un Dieu qui, tout en demeurant en retrait de la scène, n’en dirige pas moins le cours de l’histoire humaine. L’œuvre existe en deux versions dont la première n’est connue que par un seul manuscrit écrit en 1220 (Dresden, Sächsichen Landesbibliothek, J 38), tandis que la seconde version complète comprend deux familles, chacune attestée par deux codices.

BIBLIOGRAPHIE Texte latin : Widukindi monachi Corbeiensis rerum gestarum Saxonicarum libri tres, éd. G. Waitz et K. A. Kehr, P. Hirsch et H.-E. Lohmann, 5e éd., Hanovre, 1935 (Scriptores rerum Germanicarum in usum scholarum, 62). Traductions : Widukinds Sachsengeschichte, Adalberts Fortsetzung der Chronik Reginos, Liudprands Werke, trad. A. Bauer et R. Rau, Darmstadt, 1971 (Quellen zur Geschichte der sächsischen Kaiserzeit, 8), p. 3-183 (texte latin, trad. allemande intégrale annotée) ; R. Folz, Le Xe siècle. La naissance du Saint-Empire, Paris,

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1967, p. 199-228 (trad. annotée de quelques extraits des trois livres). Études : voir surtout les travaux de H. Beumann, Widukind von Korvei. Untersuchungen zur Geschichtsschreibung und Ideengeschichte des 10. Jahrhunderts, Weimar, 1950 (Abhandlungen über Corveyer Geschichtsschreibung, Band 3 = Veröffentlichungen der Historischen Kommission des Provinzialinstituts für westfälische Landes- und Volkskunde, X 3) ; Id., « Historiographische Konzeption und politische Ziele Widukinds von Corvey », dans La storiografia altomedievale, Settimane di studio del Centro italiano di studi sull’alto medioevo, 17, Spolète, 1970, t. 2, p. 857-894 ; Id., « Imperator Romanorum, rex gentium. Zu Widukind III 76 », dans N. Kamp et J. Wollasch (dir.), Tradition als historische Kraft. Interdisziplinäre Forschungen zur Geschichte des früheren Mittelalters, Berlin - New York, 1982, p. 214-229. D’autres références sont indiquées dans la notice de G. Althoff, « Widukind von Corvey », Lexikon des Mittelalters, 9, 1998, col. 76-78.

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Second livre de l’histoire des Saxons. Préface du second livre à Mathilde fille de l’empereur2. Que cet immense travail que j’ai commencé ou plutôt repris, car il était en grande partie achevé, soit affermi par ta grâce, toi que l’on sait régner à bon droit sur toute l’Europe, bien que le pouvoir de ton père s’étende déjà sur l’Afrique et l’Asie. Que la douceur glorieuse de ta clémence atténue, comme je le souhaite, tout ce qui convient le moins dans ce travail et qu’il te demeure dédié avec la dévotion avec laquelle il a été commencé. Fin de la préface. Livre deux3. 1. Rassemblement du peuple au palais d’Aix-la-Chapelle, élection et onction du nouveau roi [936]. À la mort d’Henri4, le père de la patrie, le plus grand et le meilleur des rois, tout le peuple des Francs et des Saxons se choisit pour prince son fils Otton qui avait jadis été désigné roi par son père. Ils fixèrent comme lieu de cette élection générale le palais d’Aix-la-Chapelle. Ce lieu est proche de Juliers qui tire son nom de son fondateur Jules César5. Lorsqu’on se fut réuni, les ducs et les principaux chefs se rassemblèrent avec les autres chefs et les soldats dans la cour attenante à la basilique de Charlemagne et placèrent leur nouveau chef sur le trône situé à cet endroit. Promettant de lui être fidèles en lui donnant leurs mains, ils s’engagèrent à l’aider contre tous ses ennemis et le firent roi selon leur coutume. Tandis que les ducs et les autres magistrats faisaient cela, le pontife suprême6 attendait dans la basilique, avec l’ensemble des prêtres et tout le peuple, le cortège du nouveau roi. Alors qu’Otton s’avançait, le pontife, venu à sa rencontre, toucha de sa main gauche la main 2

Mathilde, fille d’Otton Ier et abbesse de Quedlinbourg (954-999). Le contenu de la table des chapitres a été distribué au début de chaque chapitre. J’ai plaisir à remercier Patrick Corbet, professeur à l’université de Nancy 2, pour sa relecture vigilante. 4 Henri Ier l’Oiseleur, roi de Germanie (919-936). 5 L’étymologie proposée par Widukind est erronée, mais elle lui permet de faire un lien entre l’empire d’Otton Ier et la tradition impériale romaine. 6 Hildebert, archevêque de Mayence (927-937), qui est désigné sous ce titre dans la suite du texte. 3

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droite du roi ; celui-là tenant dans sa main droite la crosse, revêtu de l’aube en lin, de l’étole et de la chasuble, s’avança au milieu du sanctuaire et s’y arrêta. Se tournant vers le peuple qui se tenait tout autour afin que tous puissent le voir, car il y avait des déambulatoires de toutes parts dans cette église qui était de forme circulaire7, il dit : « Je vous amène l’élu de Dieu qui a été jadis désigné par le seigneur Henri et que tous les princes viennent de faire roi : c’est Otton ; si cette élection vous convient, faites-le savoir en levant la main droite vers le ciel ». À cela, le peuple en son entier, tout en levant la main droite vers le ciel, fit retentir de bruyants souhaits de bonheur pour le nouveau chef. Ensuite, le pontife s’avança avec le roi revêtu d’une tunique étroite à la mode franque jusqu’à l’autel où avaient été déposés les insignes de la royauté : l’épée avec le baudrier, le manteau avec les bracelets, le bâton avec le sceptre et la couronne. À cette époque le pontife suprême s’appelait Hildebert. C’était un franconien, qui avait fait profession monastique ; après avoir été élevé et instruit au monastère de Fulda, il mérita l’honneur d’en devenir le père, puis mérita d’occuper le siège élevé de pontife suprême de Mayence. C’était un homme d’une admirable sainteté et, outre un esprit naturellement sage, il était bien connu pour sa culture. On dit que, parmi les autres dons de la grâce, il avait reçu l’esprit de prophétie. Lorsque l’on se demanda quel évêque devait sacrer le roi, de celui de Trèves ou de Cologne8, le premier parce que son siège était le plus ancien et avait été pour ainsi dire fondé par l’apôtre saint Pierre9, le second parce que la ville d’Aix appartenait à sa province, et alors que chacun d’entre eux jugeait que l’honneur de ce sacre lui revenait, ils finirent tous les deux par céder devant la sainteté d’Hildebert que tous reconnaissaient. Celui-ci, s’approchant de l’autel, y prit l’épée avec le baudrier et, tourné vers le roi, lui dit : « Reçois cette épée pour chasser tous les adversaires du Christ, les barbares et les mauvais chrétiens. Cette épée t’est remise par l’autorité divine pour exercer tout le pouvoir sur l’ensemble de l’empire des Francs afin de garantir une très ferme paix pour tous les chrétiens ». Puis, ayant pris les colliers avec la 7 La chapelle est de forme octogonale, ce qui permet ce type de déambulation. 8 Rudbert, archevêque de Trèves (931-956), et Wicfrid, archevêque de Cologne (923-953). 9 Allusion à la christianisation de la région par l’évêque de Trèves Eucharius (2e moitié du IIIe siècle), censément envoyé par saint Pierre.

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tunique, il l’en revêtit en disant : « Rappelle-toi par ces plis qui tombent jusqu’à terre le zèle dont tu dois brûler pour la foi et avec lequel tu dois conserver la paix jusqu’à la fin de ta vie ». Prenant ensuite le sceptre et le bâton, il dit : « Apprends par ces insignes à corriger tes sujets avec une fermeté paternelle, à tendre une main miséricordieuse d’abord aux serviteurs de Dieu, aux veuves et aux orphelins. Que l’huile de la miséricorde ne manque jamais à ta tête, afin que tu sois couronné de la récompense éternelle dans le présent et le futur ». Le roi fut aussitôt alors oint de l’huile sainte et couronné d’un diadème d’or par les évêques Hildebert et Wicfrid10. Une fois que le rite du sacre eût été accompli légitimement, Otton fut conduit par ces mêmes évêques au trône auquel on accédait par des escaliers tournants11. De ce trône, construit entre deux colonnes de marbre d’une admirable beauté, le roi pouvait voir et être vu de tous. 2. Le service du roi et les princes12. Après la récitation de l’office et la célébration solennelle de la messe, le roi se rendit au palais et prit place avec les évêques et tout le peuple à une table de marbre digne de la pompe royale. Les ducs le servaient : le duc de Lotharingie Giselbert13 dont dépendait ce lieu prenait soin de tout ; Eberhard14 était chargé de la table ; Hermann de Souabe15 commandait aux échansons ; Arnulf16 s’occupait de la cavalerie et du choix des camps. Siegfried17, le meilleur des Saxons et second après le roi, jadis gendre du roi, était maintenant son allié par le mariage. Il gouvernait alors la Saxe pour éviter entretemps une invasion des ennemis et gardait le jeune Henri à ses côtés pour l’élever18. Le roi, après avoir honoré, selon la munificence royale, chacun des princes avec un cadeau digne de lui, renvoya la multitude à la satisfaction générale.

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Wicfrid, archevêque de Cologne (923-953). Il s’agit du trône de Charlemagne. 12 Voir K. Hauck, « Rituelle Speisegemeinschaft im 10. und 11. Jhdt. », Studium Generale, 3 (1950), p. 611-621. 13 Giselbert, duc de Lotharingie (928-939). 14 Eberhard, duc de Franconie (911-939), frère du roi Conrad Ier. 15 Hermann, duc de Souabe (926-949). 16 Arnulf, duc de Bavière (909-914 et 919-937). 17 Siegfried, comte saxon, gendre d’Henri Ier. Voir aussi II, 9. 18 Il s’agit du frère cadet d’Otton Ier. 11

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3. La guerre contre Boleslas. Pendant ce temps, les barbares se livraient à de nouvelles machinations : Boleslas19 tua son frère, un chrétien, et, comme on dit, un homme très zélé pour le culte divin20 ; craignant un voisin, un petit prince vassal, parce que ce dernier avait obéi aux ordres des Saxons, Boleslas lui déclara la guerre. Le voisin demanda en Saxe du secours. On lui envoya Asic avec une armée d’habitants de Mersebourg et une forte troupe d’habitants de Hassegowe, en y ajoutant une armée de Thuringiens. Cette armée était composée de brigands. En effet, le roi Henri, pour être plutôt sévère avec les étrangers, se montrait clément pour ses concitoyens dans tous les procès. C’est pourquoi, dès qu’il voyait qu’un voleur ou un brigand était fort et apte à la guerre, il lui épargnait la peine qu’il méritait, l’établissait près de la ville de Mersebourg, et après lui avoir donné des terres et des armes, lui ordonnait d’épargner ses concitoyens et d’exercer plutôt ses rapines sur les barbares, autant qu’il l’osait. C’est donc le rassemblement en masse de tels hommes qui formait l’armée prête pour l’expédition. Quant à Boleslas, ayant entendu parler de l’armée saxonne et sachant que les Saxons et les Thuringiens iraient contre lui séparément, en homme très prompt à se décider, il choisit d’attaquer les deux armées en divisant lui aussi ses alliés. Les Thuringiens, lorsqu’ils virent leurs ennemis s’approcher d’eux à l’improviste, évitèrent le danger en prenant la fuite. Asic, sans attendre, se précipita avec les Saxons et les autres troupes auxiliaires sur les ennemis, en accabla la plus grande partie par les armes, força le reste à fuir et revint vainqueur à son camp. Pourtant, comme il ne savait rien de l’armée qui avait poursuivi les Thuringiens, il n’utilisa pas assez prudemment la victoire qu’il avait acquise. Boleslas vit alors que notre armée était dispersée : les uns étaient occupés à récupérer les dépouilles des morts, d’autres à se soigner, d’autres encore à rassembler du fourrage pour les chevaux. Unissant les restes de son armée en fuite, Boleslas s’abattit soudainement sur les nôtres qui ne s’y attendaient pas et qui se sentaient protégés par leur récente victoire. Il anéantit toute notre armée avec son chef. De là continuant jusqu’à la ville du prince vassal, il la prit au premier assaut et en fit un désert jusqu’à aujourd’hui. Cette guerre dura jusqu’à la

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Boleslas, duc de Bohême (935-967). Wenceslas de Bohême fut tué le 28 septembre 935.

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quatorzième année du règne d’Otton21 ; puis Boleslas demeura un serviteur fidèle et utile au roi. 4. Expédition royale contre les peuples barbares. Cependant, le roi ne se troubla pas du tout à l’annonce de cette nouvelle, mais, confiant dans la vertu divine, pénétra avec toute son armée sur le territoire des barbares pour mettre un frein à leur cruauté. Son père avait déjà auparavant mené la guerre contre eux, parce qu’ils avaient fait violence aux envoyés de son fils Thankmar22, ce dont nous parlerons davantage par la suite. Le nouveau roi décida alors de donner un nouveau chef à l’armée. Il choisit pour cette charge un homme noble, actif et plutôt sage, Hermann. En raison de cet honneur, il s’attira la jalousie non seulement des autres princes, mais aussi de son frère Wichmann. C’est pourquoi, faisant semblant d’être malade, Wichmann se retira de l’armée. C’était un homme puissant et fort, un grand cœur, habile à la guerre et d’un tel savoir que ses sujets disaient de lui qu’il avait des connaissances surhumaines. Hermann, qui se trouvait à l’avant-garde, tomba sur des ennemis en entrant dans la région. Il les vainquit courageusement et en ralluma d’autant la jalousie de ses ennemis. Parmi eux, il y avait Ekkard, fils de Liudolf, qui supportait d’autant plus difficilement la bonne fortune d’Hermann qu’il se promettait de réaliser de plus hauts faits ou de cesser de vivre. C’est pourquoi, bravant l’interdiction du roi, il rassembla les hommes les plus courageux de toute l’armée et franchit avec ses compagnons le marais situé entre la ville des ennemis et le camp du roi. Il attaqua aussitôt les ennemis. Ceux-ci l’entourèrent et le firent périr avec tous les siens. Ces hommes d’élite provenant de toute l’armée et qui moururent avec lui étaient au nombre de dix-huit. Le roi, après avoir tué un grand nombre d’ennemis et assujetti les autres au tribut, rentra en Saxe. Ces faits sont arrivés le 25 septembre [936]. 5. Les Hongrois [937]. Après cela, les Hongrois, nos ennemis invétérés, vinrent éprouver le courage du nouveau roi. Entrant en Franconie, ils décidèrent d’envahir la Saxe par l’ouest, si c’était possible. Ce qu’entendant,

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C’est-à-dire 950. Thankmar, fils d’Henri Ier et de sa première épouse Hathebourge.

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le roi se porta sans tarder à leur rencontre avec une solide armée, les mit en fuite et les chassa de ses terres. 6. Les guerres intestines. Alors que les guerres extérieures prenaient fin, les guerres civiles surgirent. En effet, les Saxons, se glorifiant du pouvoir de celui qui était devenu roi, dédaignaient d’obéir aux autres nations et refusaient de tenir les charges qu’ils tenaient d’un autre que du seul roi. C’est pourquoi Eberhard23 en colère rassembla une troupe contre Bruning, mit le feu à la ville de ce dernier, Helmern24, et en fit tuer tous les habitants. Mis au courant de cette audace, le roi condamna Eberhard à verser une amende de cent talents estimée en chevaux et tous les chefs des soldats qui avaient favorisé ce forfait à la peine des chiens25. Ils les portèrent jusque à la ville royale qu’on appelle Magdebourg. 7. Les reliques du martyr Innocent. Au même moment [septembre 937], le roi fit transférer les reliques du martyr Innocent dans cette même ville de Magdebourg26. Le roi, en homme très clément, tout en châtiant les perturbateurs de la paix par une punition méritée, les recevait aussitôt avec bonté et renvoyait chacun d’entre eux en paix27 en l’honorant d’un cadeau royal. Cependant ils ne s’attachaient pas moins à leur duc pour commettre toute sorte de mal, car celui-ci était un esprit agréable, aimable pour les petits, généreux dans ses dons, et grâce à quoi il s’attacha un grand nombre de Saxons. 8. Arnulf duc des Bavarois. À cette époque, le duc des Bavarois, Arnulf, mourut28. Ses fils, pleins d’orgueil, dédaignèrent, contre l’ordre du roi, de venir auprès de lui. 23

Eberhard, duc de Franconie (911-939), frère du roi Conrad Ier. Ville à l’ouest de Peckelsheim (Westphalie). 25 Sur ce rituel d’humiliation qui consiste à porter un animal symbolique d’une condition sociale (ici les chiens portés par des nobles), voir J.-M. Moeglin, « Harmiscara / Harmschar / Hachée. Le dossier des rituels d’humiliation et de soumission au Moyen Âge », Archivum latinitatis medii Aevi, Bulletin Du Cange, 54, 1996, p. 11-65. 26 Cadeau du roi Rodolphe II de Bourgogne (912-937). 27 Cf. Luc 2, 29. 28 14 juillet 937. 24

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9. Siegfried et Thankmar, fils du roi. Au même moment, le comte Siegfried mourut. Thankmar avait réclamé la charge de celui-ci, parce qu’il lui était apparenté : sa mère29 avec laquelle le roi Henri avait eu Thankmar était en effet la fille de la tante maternelle de Siegfried. Que cette charge fût donnée comme cadeau du roi au comte Gero causa à Thankmar une grande peine. Le roi se rendit en Bavière et, après y avoir disposé convenablement de ses affaires, revint en Saxe. 10. Une opposition et la diversité des lois [938]. L’opposition entre Eberhard et Bruning en était parvenue au point que les meurtres se commettaient en public, les champs étaient pillés et les incendies ne cessaient en aucun lieu. Il y eut aussi un différent portant sur la diversité des lois : certains disaient que les petits-enfants ne devaient pas être comptés comme des enfants et obtenir légalement avec les enfants une part d’héritage, si leurs pères mouraient et que les grands-parents survivaient. Le roi décida donc de rassembler tout le peuple au palais de Steele [mai 938]. On fit en sorte que le jugement de l’affaire soit remis à l’examen d’arbitres. Le roi prit la meilleure décision et refusa que les nobles et les anciens fussent traités sans honneur : il ordonna plutôt de remettre l’affaire aux hommes d’armes. La partie qui comptait les petits-fils parmi les fils l’emporta et il fut décidé par un accord immuable de diviser l’héritage à parts égales avec les oncles paternels. C’est alors que se manifestèrent des perturbateurs de la paix qui niaient jusque là avoir agi contre le pouvoir royal, mais affirmaient seulement venger l’injure faite à leurs alliés. Le roi, tout en remarquant qu’il était l’objet de leur mépris, car ils n’avaient pas daigné venir au plaid comme cela leur avait été ordonné, remit à plus tard les armes et fit place au pardon, avec cette clémence qui lui était si naturelle et à laquelle il était toujours accoutumé. Pourtant ce retard entraîna un grand nombre à un plus grand mal. Pendant ce temps, les révoltés commettaient de nombreux forfaits : homicides, parjures, pillages, incendies. En ces temps-là, le bien et le mal, le sacré et le parjure ne se différenciaient guère.

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Il s’agit de la première épouse d’Henri Ier, Hathebourge.

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11. Thankmar, Eberhard, Henri et les guerres civiles. Thankmar s’unit alors à Eberhard et, avec une forte troupe qu’il avait rassemblée, attaqua la garnison de Belecke30 où se trouvait le jeune Henri. Il quitta la ville en la laissant en butin à ses soldats et emmena avec lui Henri tel un vil esclave. C’est alors que fut tué Gebehard, fils d’Udo, lui-même frère du duc Hermann. À cause de sa mort, les chefs franconiens se divisèrent, Dieu veillant à toutes choses. Les soldats de Thankmar s’étaient enrichis avec tant de butin qu’ils étaient désormais prêts à tout. Après cela, Thankmar prit la ville d’Obermarsberg31 et avec l’aide d’une forte multitude qu’il avait réunie, il s’y installa et commit à partir de là de nombreux forfaits. Eberhard gardait Henri avec lui. À ce moment Dedi fut tué devant les portes de la ville de Laër32 où se trouvaient les soldats d’Eberhard. Wichmann, qui s’était tout d’abord détourné du roi, changea lorsqu’il apprit les nombreux forfaits des révoltés et fit la paix avec le roi, car il était très sage. Il demeura utile et fidèle jusqu’à sa mort. Quant à Thankmar, fils du roi Henri et d’une mère noble33, c’était un homme d’action, un esprit vif, expert à la guerre, mais il montra peu de retenue pour se servir d’armes honorables. Sa mère possédait de nombreux biens, et encore que son père l’eût enrichi de nombreux autres biens, il supportait très mal d’avoir été privé de son héritage maternel. C’est pour cette raison qu’il prit les armes contre son seigneur le roi, pour son malheur et celui des siens. Le roi, voyant que l’affaire prenait un tour si dangereux, s’avança, bien que malgré lui, avec une nombreuse escorte jusqu’à Obermarsberg pour soumettre l’insolent Thankmar. Les habitants de cette ville, lorsqu’ils surent que le roi venait à eux avec une forte troupe, firent ouvrir les portes pour laisser entrer l’armée qui assiégeait la ville. Thankmar trouva refuge dans l’église consacrée par le pape Léon à l’apôtre saint Pierre34. L’armée le poursuivit jusque dans l’église, notamment les proches d’Henri qui, indignés, voulaient venger l’injure faite à leur seigneur. Ils ne craignirent pas d’enfoncer les portes à l’épée et entrèrent en armes dans le saint édifice. Thankmar se 30

Au nord-est d’Arnsberg. Henri est le jeune frère du roi. Obermarsberg-sur-Diemel. 32 Plusieurs toponymes peuvent convenir pour ce lieu. 33 Hathebourge, première épouse d’Henri Ier. 34 Widukind est le seul à attribuer la dédicace de cette église au pape Léon III (795-816). 31

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tenait près de l’autel et y avait déposé ses armes et son collier d’or. Alors qu’il était harcelé de traits de face, un certain Thiatbold, fils illégitime de Cobbo, blessa Thankmar en l’injuriant. Il reçut de lui sur le champ de quoi finir rapidement sa vie et sa terrible folie. Un soldat nommé Maincia, depuis une fenêtre proche de l’autel, transperça par derrière Thankmar de sa lance et l’abattit tout contre l’autel35. Par la suite, lors de la guerre de Birten36, cet homme, fauteur de discorde fraternelle, perdit misérablement la vie ainsi que l’or qu’il avait injustement dérobé à l’autel. Le roi, lorsqu’il apprit ces faits commis sans qu’il le sache et en son absence, s’indigna de l’audace des soldats, mais comme la guerre civile n’était pas encore apaisée, il ne put les contrarier. Déplorant le sort de son frère37 et prouvant sa clémence naturelle, il prononça quelques paroles pour louer la personne et les actions de celui-ci. Il fit échapper Thierry et trois fils de la tante de Thankmar qui s’étaient ralliés à lui, à la pendaison à laquelle ils avaient été condamnés selon la loi franque. Puis il détourna vers Laër la troupe avide de combats et enrichie par le pillage de la ville. Les habitants de Laër, à l’instigation de leur chef, résistaient avec vigueur et ne cessaient d’opposer des pierres aux pierres et des traits aux traits. Pourtant, accablés par cette guerre, ils demandèrent une trêve, sur le conseil du duc Eberhard. Une fois celle-ci accordée, le duc refusa de les aider. Ils sortirent donc de la ville et se soumirent au pouvoir du roi. C’est lors de ce combat que se signala l’échanson Tamma, qui avait été jadis connu pour de nombreux autres hauts faits. Eberhard, apprenant la mort de Thankmar et la défection de ses soldats, l’esprit abattu, se prosterna devant son captif38, demanda pardon et malheureusement l’obtint. 12. Henri, le frère du roi. À cette époque, Henri39 était très jeune, d’esprit bouillonnant et poussé par le désir excessif de régner. Il se détacha de celui avec lequel il avait comploté40 contre le roi son seigneur et frère, pour prendre, si c’était possible, la couronne royale. Une alliance fut donc 35 36 37 38 39 40

28 juillet 938. Au sud-est de Xanten ; sur cette guerre, voir le chapitre 17. Voir le début du paragraphe. Le jeune Henri. Il s’agit du frère d’Otton Ier, Henri († 955). Allusion à Eberhard de Franconie.

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conclue entre Henri et son frère. Henri, revenu avec honneur au roi, fut reçu par ce dernier avec une fidélité et un amour plus purs que lorsqu’il s’en était éloigné. 13. Comment Eberhard mérita le pardon. Sur le conseil du successeur de l’archevêque Hildebert, Frédéric41, homme des plus excellents et d’une foi très éprouvée, Eberhard alla trouver le roi, demanda pardon en suppliant, se remettant à son bon vouloir lui et tous ses biens. Pour ne pas laisser pareil crime impuni, le roi l’envoya en exil à Hildesheim. Cependant, peu de temps après, il lui accorda avec clémence son pardon et lui rendit ses charges antérieures. 14. Comment les Hongrois se retirèrent lourdement défaits. Pendant que ces événements avaient lieu, les Hongrois, nos ennemis invétérés, firent subitement irruption en Saxe, installèrent leur camp sur la rive de la Bode et se répandirent de là dans toute la région. Leur chef, s’éloignant de jour de son camp avec une partie de son armée, fit route jusqu’au soir vers la ville de Steterburg42. Les habitants, voyant que les ennemis étaient affaiblis en raison du chemin et de la forte pluie, firent une sortie audacieuse hors des portes de la ville. Les épouvantant d’abord par des cris, puis tombant soudainement sur leurs adversaires, ils en tuèrent un très grand nombre, prirent un nombre conséquent de chevaux avec quelques enseignes et mirent le reste en fuite. Comme les habitants des villes que les Hongrois rencontraient remarquaient leur fuite, ils les attaquaient en tous lieux et, après avoir écrasé la plus grande partie des Hongrois, accablèrent même leur chef jusque dans un puits boueux. La deuxième partie de l’armée [hongroise] se dirigea vers le nord et parvint grâce à un Slave dans la région de Drömling43. Entourée par des lieux peu praticables et une troupe d’hommes en armes, cette armée succomba, tout en causant aux autres une très grande peur. Le chef de cette armée, après s’être enfui avec un petit nombre d’hommes, fut pris, conduit auprès du roi et racheté à grand prix. À cette annonce tout le camp ennemi fut bouleversé. Les Hongrois cherchèrent le salut dans la fuite et ne se montrèrent plus en Saxe pendant trente ans. 41 42 43

Frédéric, archevêque de Mayence (937-954). Près de Wolfenbüttel. Région marécageuse et forestière située au nord de Helmstedt.

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15. Comment Henri brûlait du désir de régner. Après cela, Henri, brûlant du désir de régner, prépara une grande rencontre à Saalfeld. Grand et puissant en raison de sa majesté et de sa puissance royales, Henri donna beaucoup à un grand nombre et ainsi se rallia beaucoup de factieux. Nombreux étaient pourtant ceux qui pensaient préférable de cacher cette affaire, uniquement pour ne pas apparaître coupables de discorde fraternelle. Ils donnaient cependant des conseils pour finir la guerre plus facilement : qu’il laisse la Saxe sous protection militaire et qu’il se porte contre les Lotharingiens, hommes peu propres à la guerre. C’est ce qui fut fait, de sorte que le roi les battit au premier assaut et les accabla en un seul combat. Remettant, comme nous l’avons dit, la Saxe à la garde de ses soldats et laissant les villes saxonnes et thuringiennes sous protection militaire, il alla avec ses amis à la rencontre des Lotharingiens. En tous lieux, tous furent frappés par cette nouvelle, car on ignorait complètement la cause de cette guerre soudaine et de ce départ si précipité loin du roi. Le roi ne crut d’abord pas à cette annonce, puis informé avec certitude de la guerre, sans plus tarder poursuivit son frère avec l’armée. Comme il approchait de la ville de Dortmund qui avait été pourvue par son frère d’une garnison, les soldats qui s’y trouvaient, se rappelant le sort de Thankmar, n’osèrent aucunement attendre là Otton, mais sortant de la ville se livrèrent euxmêmes au roi. Il y avait là Agina qui devait garder la ville pour Henri. Le roi l’obligea par un serment contraignant à détourner, s’il le pouvait, son seigneur de la guerre pour l’amener à la paix et à la concorde ou du moins à revenir lui-même au roi. Il fut renvoyé et se rendit auprès de son seigneur. L’armée conduite par le roi parvint jusqu’aux bords du Rhin. 16. Giselbert duc des Lotharingiens44. À l’époque de la guerre d’Eberhard contre le roi, Hadald, qui était en charge de la chambre du roi, fut envoyé auprès de Giselbert en vue de la concorde et de la paix. Alors que celui-ci n’avait encore ouvertement choisi aucun parti, Hadald fut reçu de manière indigne et la réponse était différée de jour en jour. Hadald, perçant les feintes du duc et ne se contentant plus de telles ruses, lui dit : « Je t’enjoins par ordre royal de te présenter en présence du peuple au

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Giselbert, duc de Lotharingie (928-939).

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jour fixé au tribunal du roi, ou sache que tu seras considéré comme ennemi ». Giselbert avait renvoyé de la même manière l’évêque Bernard45, envoyé du roi, sans l’honorer ni lui donner de réponse assurée. On rapporte aussi qu’il détruisait même souvent les sceaux des lettres royales. Cependant, après ces paroles, il se mit à traiter un petit peu mieux l’envoyé et le fit voyager avec honneur. 17. La guerre de Birten [939]. Préparant donc leurs forces pour la guerre, Henri et Giselbert décidèrent de se rendre sur le Rhin contre le roi. Agina, se rappelant de son serment, précéda l’armée, franchit le Rhin et se présenta devant le roi. Et après l’avoir salué, il lui parla en termes très humbles : « Ton frère, qui est mon seigneur, te souhaite de régner sain et sauf pendant longtemps sur un empire grand et étendu et entend se hâter à ton service le plus vite possible ». Alors que le roi l’interrogeait pour savoir si Henri pensait à la paix ou à la guerre, il vit en regardant au loin qu’une très grande multitude avançait lentement avec les enseignes déployées et qu’elle se dirigeait vers la partie de son armée qui avait déjà franchi le Rhin. Et se tournant vers Agina, il lui dit : « Que signifie cette multitude et qu’est-elle ? » Et celui-là lui dit tout tranquillement : « C’est mon seigneur, ton frère ! S’il avait daigné suivre mon conseil, il serait venu autrement. Moi, je suis venu comme je l’avais juré »46. À ces paroles, le roi sursauta, trahissant ainsi son désarroi : il n’y avait pas de navires permettant de traverser le Rhin, l’immensité du fleuve n’offrait pas d’autre moyen de passage et le moment de ce combat précipité ne laissait d’autre choix à ceux qui étaient sur l’autre rive que de succomber devant les ennemis ou du moins de défendre leur vie par les armes. Tendant ses mains suppliantes vers Dieu, le roi dit alors : « Dieu, auteur et recteur de toutes choses, regarde le peuple47 à la tête duquel tu as voulu me placer : qu’en le voyant arraché à ses ennemis, toutes les nations sachent qu’aucun mortel ne peut s’opposer à tes ordres, toi qui peux tout, vis et règne pour l’éternité ». Ceux qui étaient sur l’autre rive transportèrent alors leurs paquets et leurs bagages en un lieu appelé Xanten. Ils attendaient, ainsi préparés, les ennemis. Comme il y avait une étendue d’eau entre les nôtres et les ennemis, les Saxons se séparèrent : une partie se préci45 46 47

Bernard, évêque d’Halberstadt (924-968). Cf. le chapitre 15. Cf. Ex. 33, 13.

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pita de face sur les ennemis, l’autre se présenta par l’arrière. Frappant les ennemis au centre, ils attaquaient bien qu’en nombre inférieur : on rapporte que les nôtres n’étaient pas plus de cent hommes en armes et que nos adversaires formaient une assez grande armée. Comme ils étaient accablés à la fois de face et par l’arrière, ils ne savaient pas de quel côté ils devaient plutôt se protéger. Certains des nôtres sachant parler un peu français poussèrent de grandes clameurs en français48 en lançant le sauve-qui-peut aux adversaires. Ceux-ci pensant que c’étaient leurs alliés qui avaient poussé ces cris, prirent la fuite comme cela avait été crié. En ce jour, beaucoup des nôtres furent blessés, certains mêmes furent tués. Parmi eux, il y eut Albert dit le Blanc : blessé par un trait du duc Henri, il mourut peu de jours après. Tous les ennemis furent soit tués, soit faits prisonniers, soit au moins mis en fuite. Tous les bagages et tout le matériel des ennemis furent partagés entre les vainqueurs. Parmi les Lotharingiens, on disait qu’au cours de cette bataille, Godofrid dit le Noir avait bien combattu. Cependant Maincia, dont nous avons parlé plus haut, mourut en ce jour49. 18. Comment Dadi fit passer habilement les soldats d’Henri au roi. Dadi apprit aux chefs des villes de Thuringe se trouvant dans la partie orientale du duché d’Henri, la victoire du roi et que le duc serait mort au combat. Par cette ruse, il obtint que tous se soumettent au pouvoir du roi. Cependant, Henri ne laissa pas du tout ce fait impuni. Il ne lui restait que deux villes, Mersebourg et BurgScheidungen. Après sa victoire, le roi décida de poursuivre son frère et son beau-frère50. 19. Henri retourna en Saxe et, vaincu par le roi, s’en alla. Apprenant la défection de ses villes et frappé par la récente victoire du roi, Henri prit la route avec neuf hommes d’armes et, entrant un peu tardivement en Saxe, se rendit à Mersebourg. Le roi mis au courant revint lui aussi en Saxe et assiégea avec son armée la ville où se trouvait son frère. Cependant, comme il ne lui était pas possible de résister à plus grand et plus fort que lui, au bout de presque deux mois, Henri, après avoir livré la ville, se rendit au roi. On lui accorda une trêve de trente jours pour quitter la Saxe avec 48 49 50

Widukind emploie les expressions Gallica lingua et gallice. Cf. le chapitre 11. Il s’agit de Giselbert de Lotharingie qui a épousé Gerberge de Saxe.

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les soldats qui lui étaient attachés. Le pardon serait accordé à ceux d’entre eux qui voudraient rejoindre le roi. Après cela, la Saxe demeura à l’écart des guerres intestines pour peu de temps. 20. Comment les barbares tentèrent de tuer Gero et prolongèrent de plusieurs jours la guerre. Cependant les barbares, enhardis par notre fatigue, ne cessaient de brûler, tuer et dévaster. Ils songeaient aussi à tuer par la ruse Gero que le roi avait mis à leur tête. Quant à lui, prévenant la ruse par la ruse, il fit mourir en une nuit près de trente princes barbares après les avoir rassasiés d’un riche festin et abrutis de vin. Cependant, cela ne suffisait pas contre toutes les nations barbares, car à cette époque les Abodrites s’étaient rebellés et, après avoir défait notre armée, avaient fait mourir son chef Haica. Le roi, comme très souvent à la tête de son armée, les attaqua, leur infligea de nombreuses pertes et les mit presque au comble du désastre. Ils n’en choisirent pas moins la guerre plutôt que la paix, préférant leur liberté chérie à toute forme de malheur. C’est que ce genre d’hommes, résistant et endurant à la peine, est habitué à très peu manger et, en règle générale, ce qui nous pèse beaucoup est tenu pour un plaisir par les Slaves. Plusieurs jours passèrent ainsi, les uns combattant de diverses manières pour la gloire, l’accroissement et l’élargissement de l’empire, les autres pour leur liberté et pour éloigner le plus possible la servitude. À cette époque, les Saxons supportaient de nombreux ennemis, les Slaves à l’est, les Franconiens au sud, les Lotharingiens à l’ouest, les Danois et à nouveau les Slaves au nord. C’est pourquoi les barbares faisaient durer la guerre en longueur. 21. Le Slave que le roi Henri avait relâché. Il y avait un Slave du nom de Tugumir qui, une fois relâché par le roi Henri, avait succédé à son père comme chef des Heveld en vertu du droit de son peuple. Acheté par une forte somme d’argent et persuadé par de plus grandes promesses, il affirma vouloir livrer son territoire. Il se rendit dans la ville de Brandenbourg51 comme s’il s’était échappé en secret. Reconnu et reçu en seigneur par son peuple, il tint rapidement ce qu’il avait promis. En effet, invitant son neveu qui était le premier parmi tous les princes de son peuple, il le fit prisonnier par ruse, le tua et livra la ville ainsi que tout le

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Le nom contemporain de cette ville est Brandenbourg-sur-la-Havel.

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territoire au pouvoir du roi. Ceci fait, tous les peuples barbares jusqu’à l’Oder se soumirent semblablement aux tributs royaux. 22. Comment l’armée royale se porta contre Henri. Henri, quittant donc la Saxe, se rendit en Lotharingie et y demeura quelque temps avec ses soldats et son beau-frère le duc Giselbert. De nouveau, le roi conduisit son armée contre Giselbert et livra au feu tout le territoire des Lotharingiens soumis au pouvoir du duc. Il fut assiégé dans la ville de Chèvremont52, s’en échappa et partit. Et comme le siège n’avançait pas à cause des obstacles de la topographie, le roi dévasta le territoire alentour et s’en retourna en Saxe. 23. Immo et Giselbert. Sachant qu’Immo, un comte de Giselbert, était extrêmement rusé et habile, Otton jugea préférable d’utiliser les talents de cet homme plutôt que les armes. Immo, en homme très adroit, se soumit au meilleur et au plus fort et prit les armes contre le duc. Parmi toutes ses peines, le duc prit extrêmement mal la chose, car il devait affronter comme adversaire un homme sur le conseil et la fidélité duquel il comptait jusqu’alors très fermement. L’affaire du troupeau de porcs capturé avec ruse par Immo accrut encore l’indignation du duc. En effet, alors que des porchers du duc passaient près des portes de la ville, Immo fit sortir un porcelet par une porte et reçut dans la ville tout le troupeau de porcs par les portes ouvertes. Ne pouvant supporter cet outrage, le duc rassembla son armée et assiégea Immo. Comme ce dernier possédait plusieurs essaims d’abeilles, il les brisa et les lança contre les cavaliers. Les abeilles piquaient les chevaux avec leur dard et les rendaient fous au point que les cavaliers se trouvaient en difficulté. Voyant cela, Immo, du haut de la muraille, menaça de faire une sortie avec ses alliés. Le duc, très souvent joué par de tels tours, leva le siège. On raconte qu’il dit en partant : « Avec Immo de mon côté, j’ai facilement pris tous les Lotharingiens, mais lui tout seul, je n’arrive pas à le prendre même avec tous les Lotharingiens ». 24. Eberhard et Giselbert. Eberhard, voyant que la guerre avait duré très longtemps, ne se calma pas pour autant. Bien plus, au mépris du roi et du droit des

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Vaux-sous-Chèvremont au sud-est de Liège.

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serments, il prêtait main forte comme au début à Giselbert : ils conspiraient de concert pour alimenter la guerre. Ne se contentant pas seulement du royaume occidental, ils s’enfoncèrent avec leur armée pour dévaster la rive orientale du Rhin. Lorsqu’on apprit cela dans le camp du roi, car à cette époque le roi combattait contre Alt-Breisach et d’autres villes au pouvoir d’Eberhard, beaucoup désertèrent et il n’y avait plus d’espoir de régner sur les Saxons. Cependant, le roi faisait preuve dans la tourmente d’une grande constance et d’une grande autorité, comme s’il n’avait aucune difficulté à affronter, bien que rares fussent les soldats restés près de lui. En effet, même les évêques53, laissant leurs tentes et tous leurs bagages, manquèrent à leur fidélité. 25. Les évêques Frédéric et Rothard. Il nous revient d’expliquer la cause de cette défection et de révéler les secrets du roi, jugeant que nous devons satisfaire à la vérité historique. Si nous commettons quelque péché en cela, qu’il soit tenu pour véniel. L’archevêque Frédéric avait été envoyé à Eberhard en vue de la concorde et la paix, toutes choses dont il était très désireux. En vertu d’un accord mutuel, il n’intervenait que selon son serment et il racontait, dit-on, qu’ainsi il ne pouvait s’écarter de la sagesse. Le roi adressa grâce à l’évêque des réponses convenant à son office, mais ne voulut reconnaître aucune des actions accomplies par l’évêque sans son ordre. C’est pourquoi, comme Frédéric, contre l’autorité, ne voulait pas se soumettre au roi comme à son supérieur, mais s’écartait de lui, Otton l’envoya en exil à Hambourg et fit mener l’évêque Rothard à Corvey. Cependant, dans sa clémence, Otton leur pardonna rapidement à tous deux, les fit revenir en grâce et leur rendit leurs charges antérieures. 26. La mort des ducs Eberhard et Giselbert. Pour écraser la présomption des ducs, Hermann54 fut donc envoyé avec une armée : il les trouva sur la rive du Rhin, alors qu’une grande partie de l’armée était partie, car elle avait déjà franchi le Rhin avec son butin. Entouré par les soldats en armes, le duc Eberhard reçut de nombreuses blessures, les rendit courageusement et à la fin, percé de traits, périt. 53

Frédéric, archevêque de Mayence, (937-954) et Rothard, évêque de Strasbourg (933-950). 54 Hermann de Souabe.

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Giselbert monta avec un grand nombre d’hommes sur un bateau pour prendre la fuite. Le bateau, très chargé et succombant sous le poids, sombra. On n’a jamais retrouvé le duc, qui fut englouti avec les autres. À l’annonce de la victoire de ses soldats et de la mort des ducs, le roi rendit grâces au Dieu tout-puissant, dont il avait très souvent éprouvé le secours opportun. Il mit à la tête du territoire des Lotharingiens Otton, fils de Ricwin, et rentra en Saxe élever son neveu Henri, fils de Giselbert, un petit enfant qui faisait naître de grands espoirs. La mère de l’enfant épousa le roi Louis55 et le frère du roi, Henri, quitta la Lotharingie pour se retirer dans le royaume de Charles56. La mort des ducs fut suivie d’un hiver très rude et cet hiver le fut d’une famine très grave. 27. Immo [940]. Après cela, Immo, je ne sais si c’est vrai ou faux, prit les armes contre le roi, mais au milieu de l’hiver, encerclé par l’armée, se rendit avec sa ville. Il demeura par la suite fidèle et utile. 28. Les neveux de Giselbert, Ansfrid et Arnold. Les neveux de Giselbert se soumirent au pouvoir du roi, tout en conservant les villes qu’ils détenaient. Chèvremont était encore détenue par Ansfrid et Arnold. Immo, leur adressant ce message, leur dit : « Je ne pense de moi que ce que vous en pensez. Quant à vous, il est connu que vous êtes les princes de ce peuple. Il n’y a donc pas de doute : mieux vaut avoir deux mains qu’une seule. Il est ainsi certain que trois sont plus forts qu’un. Quelle raison nous force à servir les Saxons, à part nos discordes ? Lorsque vous avez été cernés par leurs armes, se sont-ils réjouis de la victoire ? Il est assurément honteux de servir les vainqueurs. J’ai abandonné le meilleur des hommes, notre seigneur commun57, qui m’a élevé depuis l’enfance, m’a toujours compté parmi ses amis et m’a honoré d’un grand pouvoir, et au péril de ma vie, je me suis allié au Saxon. Depuis, comme vous le savez, j’ai reçu l’insulte à la place de l’honneur que je méritais, j’ai vécu cerné par les armes et d’homme libre je suis devenu presque esclave. Pour que vous sachiez que j’entends veiller à l’utilité commune avec fidélité, Ansfrid, je vais te faire épouser ma fille unique, de sorte que vous ne puissiez me suspecter 55 56 57

Gerberge de Saxe, épouse de Louis IV d’Outremer (936-954). La Francie occidentale, royaume de Charles le Chauve. Allusion à Giselbert de Lotharingie.

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d’aucune infidélité. Indiquez donc un lieu pour nous rencontrer et vous éprouverez ainsi en personne ma fidélité, ce que vous ne pouvez encore faire par un envoyé. » Et eux, bien qu’ils eussent un cœur de pierre et qu’ils le suspectassent depuis longtemps, cédèrent pourtant à tant d’habileté et, adoucis par ces paroles convaincantes, fixèrent un lieu pour se rencontrer. Immo, tenant des hommes en armes cachés en des lieux adaptés, les prit tous les deux par ruse et les fit conduire au roi sous bonne garde, tout en adressant également ce message : « Arnold, le plus orgueilleux, est le plus faible : point n’est besoin pour lui de chaînes ou de coups. Avec des menaces, il dira tout ce qu’il sait. Ansfrid, lui, est plus dur que le fer : si les plus durs tourments le font parler, cela sera beaucoup58 ». Les ayant reçus, le roi les châtia quelque temps en les privant de liberté. Puis, avec sa grâce pleine de douceur, il s’allia à eux et les renvoya en paix. Comme les causes s’enchaînent aux causes et les faits aux faits de sorte qu’on ne doit pas les séparer dans la narration, que personne ne me reproche de bouleverser l’ordre chronologique, en plaçant d’abord des faits postérieurs à ceux qui les ont précédés. 29. Comment Henri mérita le pardon. Le roi, avec la clémence qui lui était toujours familière, prit en pitié les durs malheurs de son frère et, lui concédant quelques villes pour son usage personnel, lui permit de résider sur le territoire des Lotharingiens. 30. Le comte Gero. À cette époque, la guerre avec les barbares s’embrasait. Les soldats, rassemblés aux ordres du comte Gero, s’affaiblissaient en raison d’expéditions fréquentes. Ils étaient aussi moins soutenus par les récompenses en dons et en gratifications, car les gratifications leur étaient souvent refusées : une haine séditieuse les soulevait contre Gero. Quant au roi, il demeurait proche de Gero pour l’utilité commune de la chose publique. Il se trouva donc que les soldats, exaspérés, détournèrent leur haine sur le roi même.

58 Il y a un jeu de mot difficile à rendre en français entre le fer auquel est comparé Ansfrid et la torture censée le fendre (rimari), c’est-à-dire le faire parler.

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31. Comment un grand nombre prépara avec Henri une conjuration contre le roi [941]. Cela n’échappait pas à Henri. Et comme il est habituel lorsque quelque douceur s’offre à un esprit aigri, Henri se persuadait facilement qu’il s’accorderait avec de tels hommes et, sachant que l’armée était opposée au roi, il avait à nouveau l’espoir de régner. Après avoir échangé de nombreux envoyés et de petits cadeaux, il fit enfin alliance avec presque tous les soldats des régions orientales. L’affaire devint à ce point criminelle qu’une conjuration ferme fut conclue : tandis qu’Henri se rendrait au palais, ils pensaient assassiner le roi pour la fête de Pâques qui approchait et confier à Henri la couronne royale. Alors qu’il n’y avait personne pour dénoncer publiquement ces faits, grâce à la divinité suprême qui protégeait toujours le roi, celui-ci eut connaissance du complot peu de temps avant Pâques. Entouré jour et nuit d’une poignée de fidèles soldats, pendant cette fête, il ne diminua en rien la beauté et la majesté royales face au peuple et inspira à ses ennemis une très grande crainte. Après la fête, sur le conseil notamment des Franconiens Hermann, Odon et Conrad dit le Roux59, qui à cette époque l’entouraient, il fit arrêter ceux qui avaient été trahis en secret et les fit tuer. Parmi eux, il y avait le très courageux et excellent Erich60, le premier en tous témoignages d’éminente valeur hormis cette faute. Voyant que les soldats se hâtaient vers lui et en connaissant la raison, il monta à cheval, prit les armes et, entouré par des bataillons d’ennemis, se souvenant de sa vertu et de sa noblesse d’antan, il choisit de mourir plutôt que de subir une domination ennemie : il succomba percé par une lance, en homme aimé et connu de ses concitoyens pour sa valeur et son activité. Les autres membres du complot furent gardés jusqu’à la semaine suivante et, conformément aux lois, ils subirent les peines que méritaient leurs crimes et furent décapités. Quant à Henri, il s’enfuit loin du royaume. 32. Les présages. Cette année, des présages, c’est-à-dire des comètes, apparurent : on les vit du 18 octobre au premier novembre. De nombreuses personnes étaient effrayées par ces apparitions et craignaient une grande épidémie ou du moins un changement de roi. En effet, avant la mort du roi Henri, on avait vu de nombreux prodiges : on ne

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Voir le chapitre 33. Père de Hildiward, évêque d’Halberstadt (968-998).

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voyait presque pas l’éclat du soleil dans un air sans nuage, alors qu’à l’intérieur il se répandait par les fenêtres des maisons comme du sang bien rouge. Le bruit se répandit aussi que la montagne où le seigneur Henri avait été enterré vomissait des flammes en de nombreux endroits61. Un homme dont la main gauche avait été amputée par une épée la récupéra dans son sommeil au bout de presque un an. En signe de ce miracle, il était marqué d’un trait de sang à la jointure. Une crue exceptionnelle suivit les comètes et la crue fut suivie d’une épidémie parmi le bétail. 33. Otton duc des Lotharingiens [944]. À la mort d’Otton, duc des Lotharingiens, et d’Henri neveu du roi62, le duché fut confié à Conrad auquel le roi maria sa fille unique63. C’était un jeune homme vif et courageux, excellent en temps de paix et de guerre, cher à ses soldats. 34. Berthold, frère d’Arnulf [943]. Ces mêmes jours, Berthold, frère d’Arnulf, avait en charge la Bavière. Il combattait les Hongrois, lorsqu’un triomphe fameux le rendit célèbre64. 35. Comment Otton soumit Hugues par les armes. Le roi, progressant de jour en jour, ne se contentait plus du royaume de son père, mais se rendit en Bourgogne et reçut le roi65 avec le royaume de celui-ci en son pouvoir. Il soumit Hugues66 par les armes et en fit son sujet. Nous voyons briller sur l’autel du protomartyr Étienne la fibule d’or qu’il donna en cadeau au roi et qui est remarquable en raison de la diversité de ses gemmes. 36. La concorde, les mœurs et l’apparence des deux frères [947-950]. Alors que tous les royaumes faisaient silence devant lui67 et que tous les ennemis cédaient à son pouvoir, sur le conseil et l’interces-

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Henri Ier a été enterré à l’abbaye de Quedlinbourg fondée par sa veuve Mathilde. Il s’agit du fils de Giselbert de Lotharingie. 63 Liutgarde. 64 Berthold est duc de Bavière depuis 937. Widukind fait allusion à sa victoire contre les Hongrois près de Wels (12 août 943). 65 Conrad III de Bourgogne dit le Pacifique (937-993). 66 Hugues le Noir, duc de Bourgogne (923-952). 67 Réminiscence de l’Ancien Testament (Macc. 1, 3 ; 11, 52 ; 14, 4). 62

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sion de sa sainte mère, Otton se rappela les nombreuses peines que son frère avait endurées : il le mit à la tête du royaume des Bavarois après la mort de Berthold68, fit la paix avec lui et demeura fidèlement avec lui jusqu’à la fin dans la concorde. Le seigneur Henri avait épousé la fille du duc Arnulf, une femme d’une grande beauté et d’une remarquable sagesse69. La paix et la concorde entre les frères, chose agréable à Dieu et aimée des hommes, devinrent célèbres sur toute la terre, à mesure que, d’un seul esprit, ils augmentaient l’État, repoussaient leurs ennemis et gouvernaient les citoyens avec une puissance paternelle. Une fois reçu le duché des Bavarois, Henri ne s’endormit jamais dans l’inaction, mais voyageant, prit Aquilée, vainquit les Hongrois en deux batailles successives, traversa le Theiss à la nage et, après avoir pris un grand butin en territoire ennemi, ramena dans sa patrie l’armée bavaroise sans perte. Il n’est en aucun cas en notre possibilité d’exposer les mœurs, l’apparence et la beauté de tels et si grands hommes, que la souveraine clémence a donnés au monde pour en faire les délices et l’ornement. Cependant, la dévotion que nous avons envers eux fait que nous ne pouvons entièrement nous taire. Ce seigneur, l’aîné et le meilleur de deux frères, était tout d’abord célèbre pour sa piété ; c’était le plus constant des mortels dans ses actions, toujours agréable en dehors de la terreur propre à la dignité royale, généreux, dormant peu et parlant toujours dans son sommeil de sorte qu’on aurait cru qu’il veillait toujours. Il ne refusait rien à ses amis et se montrait fidèle au-dessus de ce qui est humain. Nous avons, en effet, entendu dire qu’il se fit le défenseur et l’intercesseur d’hommes qui avaient été accusés et convaincus de péché et que, sans se faire aucune illusion sur leur crime, il les traita comme s’ils n’avaient jamais péché contre lui. Son esprit était également admirable, car après la mort de la reine Édith70, ne sachant pas lire jusque là, il apprit à le faire de sorte qu’il pouvait tout à fait lire des livres et les comprendre. Outre la langue romane, il parlait le slave, mais ne daignait que rarement employer ces langues. Il chassait fréquemment, aimait jouer aux échecs et paradait parfois à cheval avec une noblesse royale. S’ajoutait à cela une apparence physique qui prouvait une dignité toute royale : il avait le cheveu blanc et rare, les yeux brillants et qui émettaient la lumière comme l’éclair avec un 68 69 70

Il meurt en novembre 947. Judith de Bavière. Édith de Wessex († 946), deuxième femme d’Otton Ier.

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rapide éclat, un teint rouge et la barbe plutôt longue contre l’usage ancien. Il avait la poitrine couverte d’une toison de lion, le ventre comme il faut, une démarche d’abord rapide et par la suite plus lente. Il portait l’habit de son pays et ne se fit jamais à la mode étrangère. Chaque fois qu’il devait porter la couronne, on rapporte comme véridique qu’il jeûnait le jour précédent. Henri brillait par le sérieux de ses manières, et c’est pourquoi les ignorants le disaient moins clément et moins agréable. Il avait l’esprit plutôt constant et se montra si fidèle envers ses amis qu’il honora un soldat de modeste condition en lui faisant épouser sa sœur et qu’il en fit son allié et son ami71. Il avait de la prestance et, lorsqu’il était jeune, son admirable beauté lui avait attiré la faveur de chacun. Le seigneur Brunon72, le plus jeune des frères, était un grand esprit : il était très savant, très courageux et actif. Une fois que le roi l’eût mis à la tête du peuple sauvage des Lotharingiens, il nettoya le territoire des bandits et y inculqua à tel point le respect des lois que la raison et la paix régnaient au plus haut point en ces lieux. 37. La persécution des moines. Alors que cessaient les guerres intérieures et extérieures, les lois divines et humaines se développaient donc avec une vigueur croissante. En ces jours, une grave persécution se déclencha contre les moines : certains évêques affirmaient qu’il valait mieux qu’un petit nombre d’hommes à la vie renommée habitât les monastères plutôt qu’une multitude de négligents. Sauf erreur de ma part, ils oubliaient l’avis du père de famille qui interdit à ses serviteurs de ramasser l’ivraie, alors qu’il faut que le bon grain et l’ivraie croissent tous les deux jusqu’au temps de la moisson73. Il se trouva donc que plusieurs moines, convaincus de leur propre faiblesse, abandonnèrent leur habit et, quittant leur monastère, évitèrent le lourd fardeau des prêtres. Certains estimèrent que l’archevêque Frédéric ne fit pas cela en toute bonne foi, mais par feinte, afin de déshonorer par tous les moyens possibles l’abbé Hadumar74, homme vénérable et très fidèle au roi. 71

Allusion au comte Burchard. Brunon, archevêque de Cologne (953-965) et duc de Lotharingie (953-965). 73 Cf. Matt. 13, 27-30. 74 Hadumar, abbé de Fulda (927-956). 72

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38. L’abbé Hadumar. C’était un homme très sage et très appliqué. À son époque, la célèbre église de Fulda fut consumée par les flammes : il la fit reconstruire plus belle encore. Il tint sous bonne garde l’évêque qui s’était rendu coupable d’une seconde conjuration, tout d’abord de manière honorable, puis ayant saisi une lettre qu’il avait écrite, de manière plus stricte. Cependant, l’évêque une fois libéré, car les lois ne peuvent rien contre un tel homme, chercha à se venger, en gagnant à son autorité de petits monastères pour en obtenir de la même manière de plus remarquables. Il déploya pourtant ces ruses en vain. En effet, l’abbé conserva la grâce et l’amitié du roi et, en raison d’autres affaires qui s’interposèrent, l’évêque n’accomplit pas son projet. 39. Le roi Louis et ses fils. La sœur du roi75 donna au roi Louis trois fils, Charles, Lothaire et Carloman76. Le roi Louis fut attaqué par les grands, fait prisonnier par les Normands77 et, sur le conseil d’Hugues, fut amené à Laon sous escorte publique. Son fils aîné Charles fut conduit par les Normands à Rouen et y mourut78. Otton, apprenant cela, fut peiné du sort de son ami et décida de mener une expédition en Gaule contre Hugues dans l’année à venir. 40. Les otages de Boleslas [946]. À cette époque, tandis que le roi séjournait dans la forêt pour y chasser, nous vîmes les otages de Boleslas79. Le roi, qui se réjouissait de leur présence, les fit montrer au peuple. 41. La mort de la reine Édith. Un malheur terrible pour tout le peuple rendit cette année célèbre : la mort de la reine Édith de bienheureuse mémoire80. Son décès, 75

Gerberge de Saxe, femme de Louis IV d’Outremer, roi des Francs (936-954). Respectivement Charles né en 945, duc de Basse-Lotharingie (977-991), Lothaire né en 941, roi des Francs (954-986), et Carloman dont on sait seulement qu’il meurt avant 953. 77 Le 13 juillet 945. 78 Il y a là une double inexactitude : Charles n’est pas l’aîné et ne meurt pas à cette occasion. 79 Boleslas, duc de Bohême (935-967), voir aussi le chapitre 3. 80 Édith de Wessex (910-946), fille d’Édouard l’Ancien, roi de Wessex (899-924). 76

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le 26 janvier, fut honoré par les gémissements et les larmes de tous les Saxons. Elle était d’origine anglaise. De noble extraction, elle ne brilla pas moins par sa sainte piété que par son rang royal. Elle régna dix ans, mourut la onzième année et habita en Saxe dix-huit ans. Elle laissa un fils du nom de Liudolf81, sans second parmi les mortels de son temps pour sa valeur morale et physique, ainsi qu’une fille du nom de Liutgarde qui épousa le duc Conrad82. Elle a été enterrée dans la basilique neuve de Magdebourg, sur le côté nord vers l’est.

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Liudolf, duc de Souabe (950-954). Liutgarde (931-953) femme de Conrad le Roux, duc de Lotharingie (945-953).

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Préface du troisième livre à Mathilde fille de l’empereur. De même que l’aspect du ciel et de la terre, la voix, le visage et les mœurs des hommes, tout en variant de mille manières selon une discorde concordante, sont conduits par la providence divine qui régit toutes choses selon une lumière et une intelligence unique, ainsi pour ceux qui considèrent les affaires publiques et privées, l’empereur glorieux, qui t’a mise au jour comme un éclat très pur et une gemme très brillante, est l’unique garant de la justice et la norme de la droiture. C’est pourquoi je prie humblement que ta glorieuse clémence reçoive en son sein le fruit de notre labeur, qui est diversement reçu en fonction de mœurs diverses, car il lui manque l’éclat du talent et de la rhétorique, et que tu y considères non notre absence de sagesse, mais plutôt notre dévouement qui l’excède. Fin de la préface. 1. Comment le roi fit de son fils Liudolf son successeur à la royauté [946]. Après la mort de la reine Édith83, le roi reporta tout l’amour qu’il avait pour celle-ci sur leur fils unique Liudolf84. Par testament, il en fit son successeur à la royauté. Liudolf était encore un jeune homme qui n’avait pas plus de seize ans. 2. Le voyage en Gaule, le conflit du roi avec le duc Hugues et le roi Louis. Le roi, se rendant en Gaule pour une expédition, fit rassembler une armée près de Cambrai et se hâta d’entrer dans le royaume de Charles pour venger l’injure faite à son beau-frère Louis85. Ce qu’apprenant, Hugues86 envoya une ambassade et jura sur l’âme de

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Édith de Wessex (910-946). Liudolf († 957), fils d’Otton Ier et d’Édith de Wessex. 85 Louis IV d’Outremer, roi de Francie occidentale (936-954), époux de la sœur d’Otton Ier, Gerberge. Louis IV avait été capturé en Normandie le 13 juillet 945 par un chef danois et livré à Hugues le Grand, duc des Francs. 86 Hugues le Grand, duc des Francs (936-956). 84

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son père, qui était déjà mort en s’opposant à Dieu et à son roi87, qu’il disposait d’une troupe de guerriers telle que le roi n’en avait encore jamais vue. Il y ajouta par un vain orgueil des paroles méprisantes pour les Saxons, disant que c’étaient des lâches et qu’il pourrait facilement ne faire qu’une bouchée de sept traits saxons. Le roi fit à ces propos une réponse devenue très fameuse : Hugues se trouverait en présence d’une multitude de coiffes en foin88 telle que ni lui ni son père n’en avait jamais vue. Et de fait, bien que ce fût une très grande armée composée de trente-deux légions, il ne se trouva personne pour ne pas porter la coiffe en foin à l’exception de l’abbé de Corvey, Bovon89, et de ses trois compagnons. Celui-ci était un homme sage et célèbre que Dieu nous montra, sans nous le laisser. Son grand-père Bovon se rendit célèbre en lisant du grec devant le roi Conrad90. Il avait aussi pour aïeul un homme du même nom, plus âgé et préférable pour toute sa vertu et sa sagesse91. Ce dernier était le neveu de Warin qui quitta l’état de soldat pour devenir moine et fut le premier abbé régulièrement élu de Corvey92. Il était d’une admirable sainteté et, pour l’accroissement de ses vertus et de sa bienheureuse mémoire, il apporta en Saxe un précieux trésor : les précieuses reliques du martyr Vit. Louis, qui avait été relâché, se rendit auprès d’Otton et s’unit, avec ses hommes, à l’armée du roi. 3. Comment le roi se rendit à Laon. Le roi se rendit alors avec son armée à Laon et attaqua la ville. De là il se dirigea vers Paris, y assiégea Hugues et vénéra aussi, en l’honorant dignement, la mémoire du martyr Denis. Il conduisit ensuite son armée contre Reims où le neveu d’Hugues93 avait remplacé, en dépit du droit et de la religion, l’évêque légitime qui était encore vivant94. 87

Robert Ier, roi de Francie occidentale (922-923), il mourut au combat contre l’armée de Charles le Simple. 88 Coiffe propre aux Saxons. 89 Bovon III, abbé de Corvey (942-948). 90 Bovon II, abbé de Corvey (900-916). 91 Bovon I, abbé de Corvey (879-900). 92 Warin, abbé de Corvey (826-856). 93 Hugues, fils d’Herbert de Vermandois et d’Adèle, demi-sœur d’Hugues le Grand, archevêque de Reims de 925 (il avait alors 5 ans) à 931, remplacé par Artaud de 931 à 940 ; Hugues redevint archevêque en 940, avant d’être définitivement chassé par Artaud en 946. 94 Artaud, archevêque de Reims (931-961).

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Prenant la ville par les armes, il en chassa l’évêque qui s’y était établi injustement et rendit le légitime occupant à son siège et à son église. 4. Comment le roi se rendit à Rouen, puis rentra en Saxe. Ensuite, avec une troupe de soldats d’élite constituée à partir de toute l’armée, il se rendit dans la ville des Danois, Rouen, mais les hommes souffraient fortement de la rigueur de l’hiver et de l’inhospitalité des lieux : avec son armée intacte, sans avoir pu finir ce qu’il avait commencé, Otton rentra en Saxe au bout de trois mois, après avoir confié au roi Louis les villes de Reims, de Laon et d’autres encore qu’il avait prises par les armes. 5. Comment Hugues se rendit à la rencontre du roi sur le Chiers [947]. Hugues, voyant la puissance du roi et la valeur des Saxons, ne les laissa pas passer ses frontières en ennemis. Alors que le roi s’avançait pour une expédition semblable l’année suivante, Hugues vint à sa rencontre sur le fleuve appelé Chiers, se soumit et conclut une alliance suivant l’ordre du roi. Par la suite, il demeura utile. 6. Comment le fils du roi, Liudolf, se rendit en Italie [949-951]. Voyant que son fils Liudolf était devenu un homme, le roi lui donna pour femme Ida, la fille du duc Hermann, célèbre pour sa richesse et sa noblesse. Peu de temps après que Liudolf l’avait reçue, son beau-père mourut en lui laissant tous ses biens et son duché95. Avec son accession au pouvoir, Liudolf perdit l’esprit pacifique dont il avait fait montre enfant : conduisant une armée en Italie, il prit quelques villes, les laissa sous bonne garde et revint en Franconie. 7. Bérenger, roi des Lombards. À cette époque un usurpateur, Bérenger, régnait en Lombardie96. C’était un homme cruel et avide qui vendait la justice pour de l’argent. Comme il craignait la valeur de la veuve du roi Louis, une femme d’une remarquable sagesse97, il la persécuta de bien des

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10 décembre 949. Bérenger II, roi d’Italie (950-963). 97 Il s’agit d’Adélaïde de Bourgogne (931-999) qui est, en fait, la veuve du roi Lothaire d’Arles mort le 22 novembre 950, empoisonné par Bérenger II. Elle devint l’épouse d’Otton Ier en 951. 96

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manières au point d’éteindre ou du moins d’obscurcir l’éclat d’une si grande gloire. 8. Comment le roi mena l’armée contre Boleslas [950]. À cette époque le roi partit combattre Boleslas, roi des Bohémiens. Alors qu’on devait prendre la ville de Nimburg où se trouvait enfermé le fils de Boleslas pendant le siège, le roi par un sage conseil interrompit le combat, de peur que la troupe ne courre quelque péril en dépouillant l’ennemi. Voyant la valeur du roi et la multitude innombrable de son armée, Boleslas sortit de la ville et préféra se soumettre à une telle majesté que de souffrir le dernier des malheurs. Debout sous les enseignes, il écouta le roi, lui répondit et mérita enfin le pardon. Puis, couvert de gloire par cette victoire complète, le roi retourna en Saxe. 9. Comment le roi épousa la reine et Liudolf, attristé, s’éloigna [951]. Otton, auquel la valeur de la reine [Adélaïde] n’échappait pas, feignit un voyage et décida de se rendre à Rome. Parvenu en Lombardie, il tenta de faire approuver son amour à la reine grâce à des cadeaux en or. Ayant reçu des assurances, il la prit pour femme et obtint avec elle la ville de Pavie, qui est la capitale du royaume. Voyant cela, son fils Liudolf s’éloigna de lui avec tristesse. Il se rendit en Saxe et demeura quelque temps à Saalfeld, un lieu de funeste conseil. 10. Après ses noces, le roi retourna en Saxe [952]. Bérenger le suivit pour faire la paix. Le roi, après avoir célébré ses noces en Italie avec la pompe royale, partit ensuite : il voulait célébrer en Saxe la fête de Pâques98 avec tout l’éclat de son nouveau mariage et offrir à la patrie cette grande occasion d’allégresse et de faveur. Sur les conseils du duc Conrad qui devait garder Pavie avec une garnison, le roi Bérenger suivit également Otton en Germanie pour faire la paix et lui obéir en toutes choses. Approchant de la ville royale99, Bérenger fut reçu en roi, à un mille de la ville, par les ducs, les grands et les premiers dignitaires de la cour. Conduit en ville, il lui fut ordonné de demeu-

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18 avril 952. Magdebourg.

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rer dans le gîte qui lui avait été préparé et, pendant trois jours, on ne le jugea pas digne de voir le roi. Supportant mal la situation, Conrad, qui l’avait poussé à venir, et Liudolf, le fils du roi, qui avait les mêmes dispositions que Conrad, suspectaient le frère du roi, Henri, d’en être le responsable en raison d’une vieille rancune : ils l’évitaient. Quant à Henri, sachant que le jeune homme était privé du soutien maternel, il se mit à le mépriser au point de ne lui épargner pas même les injures. Pendant ce temps, les rois se parlèrent : Bérenger, entré en grâce auprès du roi et de la reine, promit de se soumettre et fixa un jour pour cette alliance spontanée et comme lieu la ville d’Augsbourg. 11. L’assemblée à Augsbourg [7 août 952] et le miracle qui s’y produisit. Lors de l’assemblée, Bérenger mit les mains de son fils Adalbert dans les siennes et, bien qu’il se fût déjà soumis au roi alors qu’il fuyait Hugues autrefois, il renouvela pourtant son serment de fidélité et s’engagea avec son fils devant toute l’armée à servir le roi. Renvoyé en Italie, il repartit en grâce et en paix. C’est à cette occasion qu’une pierre, d’une étonnante grandeur, tomba du ciel avec un fracas de grêle et une violente tempête : ce fut un grand miracle pour les nombreuses personnes qui le virent. 12. Les enfants du roi. Le roi eut des fils de la sérénissime reine : l’aîné fut appelé Henri100, le second Brunon101, le troisième reçut le majestueux nom de son père et toute la terre espère déjà l’avoir pour seigneur et empereur après son père102. Ils eurent aussi une fille qui reçut le nom de la sainte mère d’Otton103. Nous n’osons pas en parler, car sa réputation dépasse tout ce que nous pouvons dire ou écrire. 13. Un complot contre le roi [953]. Tandis que le roi faisait le tour des terres et des villes de Franconie, il entendit dire que son fils104 et son gendre105 tramaient un 100

Henri († 954). Brunon († 957). 102 Otton II, empereur (973-983). 103 Mathilde († 999), abbesse de Quedlinbourg, dédicataire des Gesta de Widukind. 104 Liudolf. 105 Conrad le Roux, duc de Lotharingie, époux de Liutgarde. 101

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complot contre lui. C’est pourquoi l’archevêque106, qui selon son habitude menait avant Pâques une vie plus austère avec des ermites et des solitaires, fut rappelé et reçut le roi à Mayence où il le servit quelque temps. Le fils et le gendre reconnurent leurs mauvais desseins qui avaient été dévoilés. Sur le conseil de l’archevêque, ils demandèrent et obtinrent l’occasion de se laver de leur crime. Bien qu’ils fussent manifestement convaincus de crime, le roi se rendit en tout à leur avis, en raison de la difficulté des lieux et des temps. 14. La célébration de Pâques [3 avril 953]. Et comme il convenait de célébrer Pâques à Aix, le roi vit qu’on n’avait rien préparé là qui fût digne de lui. Sa mère en prit soin convenablement, pour sa plus grande joie, et reçut magnifiquement dans sa patrie le roi qu’elle avait presque perdu en Franconie. 15. Le fils, le gendre du roi et l’archevêque Frédéric. Réconforté par la présence de ses amis et de son peuple, le roi rendit caduc l’accord qu’il avait accepté malgré lui. Il fut ordonné à son fils et son gendre de livrer les auteurs de ce crime pour les punir, sous peine d’être déclarés ennemis publics. L’archevêque intervint en faveur des accords passés, comme pour assurer la paix et la concorde. Il devint pour cette raison suspect au roi et méprisable pour tous les amis et conseillers du roi. Quant à nous, nous pensons qu’il ne faut pas le juger témérairement et estimons ne pas devoir taire ce que nous savons de lui : il priait beaucoup nuit et jour, était très généreux en aumônes et remarquable par sa prédication. Du reste, c’est le Seigneur qui est juge de ces accusations. 16. L’assemblée à Fritzlar, les comtes Dadi et Guillaume. Comme l’affaire ne prenait pas fin là, une assemblée générale du peuple fut convoquée à Fritzlar pour en débattre. Le frère du roi, Henri, qui était présent, portait contre l’archevêque de nombreuses et graves accusations. C’est pourquoi Frédéric encourut la défaveur du roi et de presque toute l’armée, dès lors que tous le pensaient entièrement coupable en raison des propos d’Henri. De plus, cet affront récent rendit le roi plus sévère : il condamna à l’exil des hommes très éminents qui lui avaient jadis été chers et qui avaient été fidèles à son frère lors de la guerre de Birten. Ces hommes, qui, accusés, devaient se justifier sans pouvoir se laver de 106

Frédéric, archevêque de Mayence (937-954).

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leur crime, étaient des Thuringiens, chargés de commandements ; ils s’appelaient Dadi107 et Guillaume. Nombreux furent les criminels à en être bien effrayés. Une fois l’assemblée dissoute et la foule renvoyée, le roi se rendit dans les régions de l’est. 17. Le combat des Lotharingiens contre le duc Conrad. Les Lotharingiens, sachant que le roi était mécontent du duc Conrad et comme eux-mêmes lui étaient hostiles car il avait administré le duché malgré eux, prirent les armes contre lui. Conrad, sans peur, ranimant son courage de lion, engagea le combat contre les ennemis et dispersa de sa propre main une incroyable multitude, excité qu’il était comme une bête très cruelle par le sang de son ami Conrad, le fils d’Eberhard, qu’il avait perdu au combat. Tandis que cet homme très courageux était aidé par une troupe d’hommes courageux, l’armée adverse était toujours augmentée par de nouveaux renforts : le combat se prolongea de midi jusqu’au soir. La lutte s’arrêta à la nuit, sans que personne ne se réjouisse de la victoire. 18. Le siège de Mayence, la dispute entre Henri et Liudolf. Le roi, vers le 1er juillet, leva une armée et chercha à capturer son fils et son gendre. Il prit les villes de la partie adverse qui se trouvaient sur sa route ou bien reçut leur soumission, jusqu’à ce qu’il parvienne à Mayence. Son fils y était entré avec son armée et, chose bien triste à dire, y attendait son père en armes. C’est là que commença une guerre plus que civile108 et plus terrible que n’importe quel malheur. De nombreuses machines furent installées contre les murs, mais furent détruites ou brûlées par les habitants de la ville. De nombreux combats avaient lieu devant les portes, les sentinelles au dehors étaient rarement défaites. Avec l’attente, la situation générale changeait : on craignait le maître du royaume dehors et son successeur dedans. Alors que le siège durait depuis presque plus de soixante jours, on parla de paix. Un otage, le cousin du roi, Ekbert109, fut ainsi remis à la ville pour laisser la liberté à chacun de se rendre au camp se justifier de son crime et traiter de la paix et de la concorde. Le fils et le gendre d’Otton, après être entrés dans le camp, se prosternèrent aux pieds du roi en disant 107

Cf. II, 18. Cf. Lucain, Pharsale, I, 1. 109 Ekbert et son frère Wichmann (cf. chapitre 23) sont des neveux de la reine Mathilde. 108

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qu’ils étaient prêts à tout supporter pour leur crime pourvu que les amis qui les avaient aidés avec fidélité ne souffrent aucun dommage. Cependant le roi, ne trouvant pas le moyen de punir son fils comme il le méritait, réclama les auteurs du complot. Ces derniers, obligés par des serments mutuels et pour ainsi dire liés par la ruse de l’ennemi ancien110, s’y refusaient catégoriquement. C’est alors qu’une immense joie s’empara du camp : la rumeur se diffusa dans le camp qu’ils ne sortiraient jamais de la ville sauf à obtempérer à tous les ordres du roi. C’est pourtant en vain que fut conçue cette espérance. En effet, comme ils n’obéissaient pas aux commandements du roi, Henri s’emporta contre le jeune homme : « Tu te vantes de n’avoir rien fait contre mon seigneur le roi et pourtant toute cette armée te connaît comme usurpateur et envahisseur du royaume. Et moi si je suis convaincu de crime, si l’on me trouve coupable, pourquoi ne conduis-tu pas tes légions pour m’attaquer ? Tourne tes enseignes contre moi ! », et ramassant un fétu de paille par terre, il ajouta : « À ce prix-là, tu ne pourras rien prendre ni à moi ni à mon pouvoir. Qu’est-ce qui t’a pris de provoquer ton père pour des telles choses ? C’est contre la divinité souveraine que tu agis, lorsque tu t’opposes à ton seigneur et père. Si tu peux, si tu vaux quelque chose, c’est sur moi qu’il faut déverser ta fureur, car moi, je ne crains pas ta colère ». Le jeune homme ne répondit rien à ces paroles, mais après avoir écouté le roi, rentra en ville avec ses partisans. 19. Le cousin du roi, Ekbert. Le cousin du roi Ekbert, envoyé dans la ville comme otage, se laissa prendre par des paroles persuasives et devint l’ennemi du roi, parce qu’il était déjà auparavant irrité contre lui : il lui reprochait un combat imprudent où il avait perdu un œil. 20. Comment les Bavarois s’unirent à Liudolf. Pendant ces événements, les alliés bavarois du frère du roi, après l’avoir abandonné, s’unirent à Liudolf la nuit suivante. S’avançant avec eux, ce dernier prit la ville royale de Ratisbonne avec d’autres places très fortifiées de la région et partagea tout l’argent du duc avec ses soldats. Il contraignit l’épouse de son oncle111, ses enfants et ses amis, à quitter non seulement la ville mais aussi la région.

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C’est-à-dire le diable. Judith de Bavière.

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Nous croyons que toutes ces choses ont été accomplies par Dieu pour que le roi sérénissime, mis par Lui à la tête de très nombreux peuples et nations, apprenne qu’il pouvait peu par lui-même, mais tout par Dieu. 21. Arnulf et ses frères; comment l’armée demanda et reçut son congé. Arnulf le Jeune se trouvait avec ses frères. Il conspirait contre Henri car celui-ci avait reçu le royaume paternel en privant Arnulf de sa charge héréditaire112. En outre, fatiguée par de longues peines, l’armée demanda et obtint son congé, tandis que le roi poursuivait son fils en Bavière avec un très petit nombre d’hommes. 22. De nombreux hommes manquaient à la fidélité due au roi. Lui-même supportait des peines au-delà du croyable pour un homme élevé dans le confort depuis son jeune âge. Alors qu’un grand nombre d’hommes manquait à la fidélité, il n’en restait que très peu pour soutenir le parti du roi. Parmi eux, il y avait Adalbert et d’autres en très petit nombre. 23. L’armée saxonne qui entra à Mayence. Alors que le roi combattait contre Mayence, le duc Hermann gouvernait la Saxe. Comme une nouvelle armée devait être envoyée de Saxe en renfort à l’ancienne, Thierry et Wichmann le Jeune furent mis à sa tête. À leur arrivée en Franconie, ils furent tout à coup encerclés par Liudolf et le duc Conrad et poussés vers un château éloigné. Alors qu’ils tentaient de l’attaquer, un porte-enseigne perdit le bras devant la porte à cause d’une roue. Après cela, la guerre s’apaisa et on concéda une trêve de trois jours pour rentrer en Saxe. 24. Thierry et Wichmann. Liudolf tenta Thierry avec de grandes promesses et réussit à corrompre tout à fait Wichmann. Il se mit par la suite à attaquer son oncle113, à l’appeler voleur de l’héritage paternel et pilleur de 112

Arnulf, fils d’Arnulf, duc de Bavière (mort en 937), revendiqua la charge qu’avait occupée son père (royaume étant ici équivalent de duché) jusqu’à sa mort en 954. 113 Le duc Hermann.

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ses trésors. Quant à Hermann, qui n’ignorait rien de ce projet, il est difficile de dire complètement avec quelle sagesse et quelle prudence il resta vigilant contre ses proches et ses ennemis déclarés. 25. Ekbert, Wichmann et le duc Hermann. Ekbert se rallia donc à Wichmann et ils s’abattirent de concert contre le duc, sans lui laisser aucun répit. Ce dernier, brisant par sa noble patience la fureur des jeunes, empêcha qu’aucun trouble ne se développe dans ces régions en l’absence du roi. 26. L’arrivée du roi en Bavière. Les Bavarois, à l’annonce de l’arrivée soudaine du roi, ne se décidaient pas pour la paix sans pour autant oser déclarer une guerre ouverte. À l’abri de leurs murs, ils préparaient pourtant de grandes souffrances pour notre armée et la dévastation pour leur région. Alors que l’affaire avançait peu, l’armée insuffisante en nombre ne se retenait en rien, mais dévastait tout. 27. L’évêque Frédéric et les autres évêques. Pendant ce temps, le pontife suprême114, par crainte du roi comme il le disait lui-même, se démit de sa charge épiscopale et mena une vie érémitique avec des solitaires. Les autres évêques bavarois ne temporisaient pas moins dans leur soutien, tantôt en se plaçant du côté du roi, tantôt en aidant la partie adverse, car ils couraient aussi bien des risques en s’éloignant du roi qu’ils subissaient de dommages en s’y attachant. 28. Comme le roi rentra en Saxe, sans avoir réalisé son projet [954]. Le roi, s’éloignant de Mayence, passa trois mois entiers dans cette région, jusqu’au premier janvier. Sans avoir réalisé son projet, il perdit deux hommes de premier plan, célèbres pour leur pouvoir, Immed et Mainwerc, qui moururent tous deux sous le coup de flèches, le premier à Mayence, le second lors du voyage en Bavière. Otton rentra alors en Saxe. 29. Le procès entre Hermann et ses neveux. Il y eut un procès devant le roi entre Hermann et ses neveux115. Tous les hommes justes et fermes approuvèrent la sentence du duc, en 114 115

Sur ce titre, voir II, 1. Ekbert et Wichmann.

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jugeant qu’il fallait punir les jeunes gens. Quant au roi, par affection, il les épargna et se contenta de faire garder Wichmann au palais. 30. Les Avars116 s’unirent aux Bavarois. Le roi les rencontra avec une forte troupe. Entre temps, le roi apprit que les Avars étaient entrés en Bavière et s’étaient alliés à ses ennemis dans le but de lui déclarer une guerre ouverte. Cependant Otton, sans se laisser effrayer par une telle difficulté, n’oubliait jamais qu’il était seigneur et roi par la grâce de Dieu. Il se porta avec une forte troupe à la rencontre de ses ennemis acharnés. Quant à eux, ils évitèrent Otton et, grâce à des guides fournis par Liudolf, parcoururent toute la Franconie et y commirent de tels pillages, d’abord chez leurs amis, qu’ils capturèrent plus de mille familles qui appartenaient à un certain Ernest qui était pourtant de nos adversaires, puis chez tous les autres, à un point incroyable. Le dimanche précédant Pâques117, on leur apporta publiquement à Worms et leur fit don de nombreux présents en or et en argent. Ils partirent de là pour la Gaule et s’en retournèrent dans leur patrie par un autre chemin. 31. Les Bavarois épuisés par la guerre négocièrent la trêve. Les Bavarois, épuisés par les guerres civiles et extérieures, car ils avaient été écrasés par l’armée du roi après le départ de Hongrois, furent forcés de négocier la trêve. La trêve fut conclue jusqu’au 16 juin et on choisit Langenzenn comme lieu de négociation. 32. Le plaid du roi à Langenzenn. Tandis que l’assemblée générale du peuple se tenait au lieu convenu, le roi prononça ces paroles : « Je supporterais tout cela si l’indignation de mon fils et des autres insurgés n’accablait que moi et ne troublait pas tout le peuple qui porte le nom de chrétien. Cela serait peu de chose d’avoir pris mes villes à la manière de brigands et d’avoir arraché mes terres à mon pouvoir, s’ils ne s’étaient gorgés du sang de mes proches et de mes très chers compagnons. Me voici sur le trône privé de mes enfants, alors que j’ai mon fils pour ennemi très acharné, lui que j’ai tant aimé et élevé d’un rang moyen au plus haut degré et au souverain honneur. J’ai pour adversaire mon fils unique ! Cela serait supportable si les ennemis de Dieu et des hom116 117

Autre nom des Hongrois. 19 mars 954.

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mes ne s’étaient mêlés à cette affaire. Ils viennent de désoler mon royaume, de faire prisonnier mon peuple ou de le tuer, de détruire les villes, d’incendier les églises, de faire mourir les prêtres. Les places sont encore humides de sang118. C’est chargés de mon or et de mon argent - j’en avais enrichi mon fils et mon gendre - que les ennemis du Christ rentrent chez eux. Je ne puis donc voir quel crime et quelle perfidie il reste à commettre. » Après avoir ainsi parlé, le roi se tut. Henri, tout en approuvant l’avis du roi, ajouta qu’une fois les ennemis vaincus dans un combat public, il serait mauvais et très dommageable de les acheter, car cela leur permettrait une nouvelle fois de nuire ; il était plus sage de vouloir supporter toutes sortes de calamités et de malheurs que de jamais faire confiance à l’ennemi commun. Après ces paroles, Liudolf s’avança et parla : « C’est contre mon gré que je les ai achetés par de l’argent, je l’avoue, pour qu’ils ne s’en prennent pas à moi et à mes sujets. Si l’on dit que je suis en cela coupable, que tout le peuple sache que ce n’est pas volontairement que j’ai agi ainsi, mais poussé par la dernière des nécessités ». Enfin, le pontife suprême119 s’avança pour se justifier et promit qu’il était prêt à affirmer devant n’importe quel tribunal royal qu’il n’avait jamais pensé, voulu ou agi contre le roi, qu’il s’était éloigné du roi poussé par la peur, ayant compris qu’Otton était hostile à son égard, lui un innocent accablé par de très graves accusations, et que pour le reste il garantirait sa fidélité par toutes les preuves des serments. Le roi répondit à cela : « Je n’exige pas de vous de serment, si ce n’est celui de renforcer le projet de paix et de concorde, autant que vous le pouvez ». Et le serment ayant été prêté, il le renvoya fidèle et en paix. 33. L’évêque Frédéric et le duc Conrad. L’évêque et le duc Conrad, ne parvenant pas à influencer le jeune homme pour qu’il se soumette à son père et qu’il accepte la sentence de celui-ci, s’éloignèrent de lui pour s’unir à Dieu et au roi. 34. Liudolf en colère quitta son père et fut poursuivi par le roi. La nuit suivante, Liudolf quitta son père avec les siens et entra avec son armée dans la ville de Ratisbonne. Quant au roi, poursuivant son fils, il rencontra la ville de Rosstal120 et l’assiégea. 118 119 120

Cf. Virgile, Énéide, 12, v. 691. Cf. II, 1. Sud-est de Nuremberg.

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35. La bataille de Rosstal. La lutte s’engagea et personne ne vit jamais combat plus acharné pour des murailles. Beaucoup d’hommes des deux camps furent tués, un plus grand nombre d’entre eux furent blessés. Les ténèbres interrompirent le combat. L’armée, très diminuée par ce combat indécis, poursuivit sa route le lendemain matin : alors que l’on se dirigeait vers des choses plus pénibles, il ne parut pas opportun de s’attarder là. 36. Le siège de Ratisbonne. On fit ensuite route pendant trois jours jusqu’à Ratisbonne. Le lieu fut occupé par un camp et entouré de retranchements, on commença avec rapidité le siège de la ville. Cependant, comme le grand nombre d’hommes ne permettait pas d’appuyer des machines contre les murs, entretemps les deux parties combattirent assez durement pour les murs. La longueur du siège obligea les assiégés à mener des actions guerrières : ils jugeaient, en effet, qu’il était pire de souffrir de la faim, si jamais ils y étaient forcés, que de mourir courageusement au combat. On ordonna donc à la cavalerie de faire une sortie par la porte du nord afin de mener l’assaut contre le camp ; les autres prendraient des bateaux et, grâce au fleuve longeant la ville, envahiraient, au moment du combat de cavalerie, le camp déserté par les soldats. Les habitants de la ville rassemblés au signal de la cloche firent ce qu’on avait dit. Cependant, on connaissait d’expérience ces manœuvres dans le camp royal et on se préparait sans faiblir. Les cavaliers prirent du retard pour l’assaut, la flotte quitta la ville trop tard. Sautant de leurs navires, ils s’abattirent sur le camp et y trouvèrent les soldats : pris de peur, ils cherchèrent à fuir mais, encerclés de toutes parts, ils furent mis en pièces. Certains montèrent sur les bateaux, à moins que sous l’empire de la crainte ils ne fassent faute route et soient engloutis par le fleuve ; d’autres surchargeant les bateaux coulèrent. Le résultat fut qu’il ne restait plus qu’un tout petit nombre d’hommes. Quant aux cavaliers, harcelés et vaincus par nos cavaliers, ils furent blessés en grand nombre et contraints de regagner la ville. Les soldats du roi retournèrent au camp, victorieux, et ne ramenèrent avec eux qu’un seul homme qui avait reçu une blessure mortelle devant les portes. Tout le bétail de la ville, qui avait été mis dans un herbage situé entre la rivière Regen et le Danube, fut capturé par le frère du roi, Henri, et partagé entre les hommes. Les habitants de la ville laminés par de fréquents combats commencèrent alors à souffrir aussi de la faim. 61

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37. Liudolf demanda la trêve, sans l’obtenir. La mort d’Arnulf. C’est pourquoi Liudolf sortit de la ville avec les grands pour demander la trêve, mais il ne l’obtint pas, car il refusait d’obéir à son père. Rentré en ville, il attaqua Gero qui assiégeait la porte de l’est et que ses victoires aussi bien que ses combats rendaient célèbre. On combattit violemment du matin jusqu’à l’après-midi. Arnulf tomba de son cheval devant la porte de la ville, perdit ses armes et, aussitôt percé de traits, succomba. Au bout de deux jours, une femme qui avait fui la ville à cause de la faim nous apprit la mort d’Arnulf, dont on n’était pas sûr auparavant. Cette mort jeta un trouble certain parmi les habitants de la ville qui négociaient déjà la trêve. 38. La trêve fut accordée à Liudolf et le roi rentra en Saxe. Sur une nouvelle intervention des grands, Liudolf sortit une seconde fois de la ville avec ses hommes. Au bout d’un mois et demi de siège, il obtint la trêve jusqu’au jour fixé pour régler l’affaire. On retint Fritzlar comme lieu de rencontre. Le roi rentra alors dans sa patrie. 39. Henri se rendit dans la partie neuve de Ratisbonne. Quant à Henri, il obtint la partie neuve de Ratisbonne121, le reste de la ville ayant été presque entièrement brûlé la nuit précédente. 40. Comment le roi reçut son fils avec clémence. Alors que le roi pour prendre de l’exercice chassait à Saufeld122, son fils se prosterna devant lui les pieds nus et, mû par un profond repentir, tint un discours émouvant qui arracha des larmes d’abord à son père, puis à tous les assistants. Revenu en grâce sous l’effet de l’amour paternel, il promit d’obéir et d’obtempérer à toutes les volontés de son père. 41. La fin de l’évêque Frédéric. Entretemps, on annonça que le pontife suprême123 était malade et dans un état désespéré. C’est pourquoi on retarda un peu le plaid royal. Le pontife suprême fit une fort bonne fin selon ceux qui y

121 122 123

Extension de la ville romaine à l’ouest effectuée par Arnulf. Aujourd’hui Thangelstedt. Cf. II, 1.

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assistèrent124. À sa mort, on tint une assemblée générale du peuple125. Après un an et demi, Mayence et toute la Franconie furent remises au roi. Son fils et son gendre revinrent en grâce et en usèrent jusqu’à la fin avec fidélité. 42. Comment les Uchri furent pris par Gero. Cette année, les Slaves qu’on appelle Uchri furent battus par Gero avec grande gloire, grâce à l’aide du duc Conrad que le roi avait envoyé. On en retira un grand butin et la joie en fut grande en Saxe. 43. Comment Ratisbonne se rendit et comment Otton rendit la région à son frère [955]. Le roi passa la fête de Pâques126 avec son frère et mena ensuite son armée contre Ratisbonne, tourmentant de nouveau la ville avec les machines de guerre. Comme la ville était privée du secours des Saxons et qu’elle souffrait de la faim, les habitants sortirent de la ville et la livrèrent ainsi que leurs personnes au roi. Celui-ci condamna à l’exil les grands et épargna le reste de la population. Rempli de gloire par cette victoire, il rentra dans sa patrie et rendit toute la Bavière à son frère. 44. Le triomphe fameux que le roi obtint sur les Hongrois. Entré en Saxe au début du mois de juillet, il rencontra les ambassadeurs hongrois qui apparemment lui rendaient visite en raison de leur ancienne fidélité et amitié, mais en fait, comme il apparaissait à certains, venaient considérer le dénouement de la guerre civile. Alors qu’Otton les avait retenus quelques jours à ses côtés et les avait renvoyés en paix après leur avoir fait de petits présents, il entendit des envoyés de son frère, le duc de Bavière, les propos suivants : « Voici que les Hongrois se répandent sur tes terres pour les envahir. Ils ont décidé de te faire la guerre ». À ces paroles, le roi, comme s’il n’avait rien souffert au cours de la précédente guerre, se mit en route contre les ennemis et ne prit avec lui qu’un petit nombre de Saxons, car la guerre contre les Slaves était encore pressante. Il établit son camp près d’Augsbourg et reçut une armée de Franconiens et de Bavarois. Le duc Conrad vint aussi au camp avec 124 125 126

25 octobre 954. 17 décembre 954. 15 avril 955.

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une forte cavalerie. À son arrivée, les soldats pleins de confiance souhaitaient déjà ne pas différer le combat. En effet, Conrad était d’une nature audacieuse et, ce qui est rare chez les audacieux, de bon conseil ; et, qu’il aille au combat à pied ou à cheval, c’était un combattant infatigable, cher à ses hommes en temps de paix comme en temps de guerre. Les détachements qui patrouillaient annoncèrent que les deux armées n’étaient pas loin l’une de l’autre. On fit jeûne dans le camp127 et il fut ordonné à tous de se tenir prêts à combattre le lendemain. Ils se levèrent à la première lueur128, s’échangèrent le pardon et promirent d’abord à leur chef, puis à chacun d’entre eux d’accomplir leur devoir. Les enseignes déployées, ils sortirent du camp en formant comme huit légions. L’armée fut conduite à travers des lieux difficiles et raboteux pour que, grâce à la protection des arbustes, l’ennemi ne harcèle pas les soldats en colonne avec les flèches qu’il utilisait avec la dernière énergie. Les trois premières légions étaient composées des Bavarois, que dirigeaient les chefs du duc Henri. En effet, celui-ci ne prenait pas part à la guerre, car il était affligé d’une maladie dont il mourut129. La quatrième légion était formée de Franconiens, dont le chef et le responsable était le duc Conrad. Dans la cinquième, qui était la plus nombreuse et qu’on appelait la « royale », se trouvait le roi entouré de l’élite des soldats pleins d’ardeur et de jeunesse. Devant lui se trouvait l’enseigne à l’ange qui apportait la victoire et qui était entourée d’une troupe dense. Les sixième et septième légions étaient formées de Souabes que dirigeait le duc Burchard, qui avait épousé une nièce du roi. La huitième comptait mille soldats d’élite bohémiens, ainsi préparés pour la bataille mais pas pour la bonne fortune. S’y trouvaient tous les bagages et les paquets, car cette légion était la plus sûre, étant la dernière. Mais les événements se déroulèrent autrement qu’on ne l’avait pensé. En effet, les Hongrois sans attendre franchirent le Lech et, contournant l’armée, se mirent à harceler de flèches la dernière légion. Livrant l’assaut avec de grands cris, après avoir tué les uns et capturé les autres, ils s’emparèrent de tous les bagages et mirent en fuite ce qui restait des soldats de cette légion. Attaquant de la même manière la septième et la sixième légions, ils dispersèrent un grand nombre de 127 128 129

9 août 955. 10 août 955. 1er novembre 955.

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soldats et les mirent en fuite. Le roi, comprenant que la bataille se livrait à revers et que les dernières colonnes à l’arrière étaient en danger, envoya la quatrième légion avec son chef, libéra les captifs, reprit les bagages et bouscula les lignes ennemies. Après avoir dispersé les lignes ennemies, le duc Conrad revint auprès du roi avec les enseignes de la victoire. De manière étonnante, alors que les vétérans accoutumés à la gloire militaire temporisaient, il remporta le triomphe avec de nouvelles recrues presque inexpérimentées à la guerre. 45. Le combat de Thierry contre les Slaves. Tandis que ces événements se déroulaient en Bavière, on combattait contre les barbares de diverses manières sous le commandement de Thierry. Alors que celui-ci s’efforçait de prendre une de leurs villes, il poursuivit les adversaires jusqu’à la porte, les forçant à entrer derrière la muraille, s’empara de la place, la brûla et captura ou tua tous ceux qui étaient hors de la muraille. Sur le retour, l’incendie éteint, alors que la moitié des soldats avait traversé le marais près de la ville, les Slaves virent la situation critique des nôtres : ces derniers, en raison du lieu peu praticable, n’avaient ni la possibilité de combattre ni celle de fuir. Les Slaves les attaquèrent de dos en poussant de grands cris, écrasèrent cinquante hommes et mirent honteusement les nôtres en fuite. 46. Les présages qui arrivaient entretemps. Entretemps, une grande peur envahit toute la Saxe qui tremblait, en ces temps difficiles, pour le roi et son armée. De plus, des présages inhabituels nous terrifiaient : l’ébranlement des temples par de fortes intempéries dans la plupart des lieux causait de grandes frayeurs aux personnes des deux sexes qui voyaient ou entendaient cela. Des prêtres mouraient frappés par la foudre et de nombreuses autres choses arrivèrent à cette époque : elles sont horribles à dire et il vaut donc mieux les taire. Le roi, lorsqu’il vit qu’approchait tout le poids du combat, adressa à ses hommes des paroles d’encouragement130 : « Vousmêmes voyez bien que nous avons besoin dans une telle difficulté de courage, mes soldats, vous qui supportez l’ennemi non pas à

130 10 août 955. Le discours d’Otton Ier, tel que le rapporte Widukind, imite les paroles de Catilina chez Salluste, Catilina, 58.

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distance, mais tout près. Jusqu’à ce jour, en effet, utilisant avec gloire vos bras infatigables et vos armes toujours invaincues, je fus vainqueur en tous lieux hors de mon empire. Devrais-je aujourd’hui prendre la fuite sur ma propre terre et en mon royaume ? Je sais que nous sommes dominés par le nombre, mais non par la valeur et non par les armes. Nous savons fort bien, en effet, qu’ils sont pour la plupart dépourvus d’armes et, ce qui nous est d’un très grand réconfort, de l’aide de Dieu. Leur seul rempart est leur audace, le nôtre est l’espérance et la protection divine. Il serait honteux que les maîtres de presque toute l’Europe cèdent à leurs ennemis. Il vaudrait mieux pour nous, mes soldats, mourir glorieusement à la guerre, si la fin approche, que de vivre servilement soumis à nos ennemis ou alors de finir étranglés comme des bêtes nuisibles. J’en dirais davantage, mes soldats, si je savais que des paroles pouvaient accroître votre valeur et votre audace. Mieux vaut maintenant commencer à faire parler les armes plutôt que les langues. » Après avoir ainsi parlé, prenant son bouclier et la sainte lance, il tourna le premier son cheval contre les ennemis, accomplissant son rôle de très courageux combattant et d’excellent commandant. Les plus audacieux des ennemis résistèrent d’abord, puis, lorsqu’ils virent que leurs alliés prenaient la fuite, furent paralysés et écrasés par les nôtres auxquels ils étaient mêlés. Certains, avec leurs chevaux fatigués, entrèrent dans les villages avoisinants et moururent brûlés en même temps que les murailles. D’autres traversant à la nage le fleuve tout proche n’arrivèrent pas à monter sur l’autre rive. Rejetés dans le fleuve, ils périrent. Ce même jour, le camp fut envahi et tous les captifs libérés. Les deux jours suivants, les habitants des villes voisines vinrent à bout du reste des ennemis à tel point que presque personne ne put échapper. Cependant, la victoire sur un peuple si cruel ne manqua pas d’être sanglante. 47. Le sort du duc Conrad. Le duc Conrad qui combattait courageusement avait très chaud en raison de son ardeur et de la chaleur du soleil qui était extrême ce jour-là. Tandis qu’il défaisait les liens de son armure pour prendre un peu d’air, il fut frappé à la gorge par une flèche de l’ennemi. Sur ordre du roi, son corps fut porté avec les honneurs à Worms. C’est là que fut enterré ce grand homme, célèbre pour sa valeur physique et morale, au milieu des pleurs et des gémissements de tous les Francs. 66

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48. Les trois chefs Avars. Trois chefs hongrois, qui avaient été capturés et amenés au duc Henri, furent punis de la mauvaise mort qu’ils méritaient et crevèrent ainsi pendus. 49. Le triomphe du roi. Couvert de gloire par son fameux triomphe, le roi fut appelé par l’armée ‘père de la patrie et empereur’. Il fit célébrer de dignes louanges à la divinité suprême dans toutes les églises et annoncer la victoire à sa sainte mère par des messagers. Revenu vainqueur en Saxe au milieu de la joie et d’une allégresse extrême, il fut reçu par son peuple avec grand empressement. En effet, depuis deux cents ans aucun roi avant lui n’avait joui d’une telle victoire. Les Saxons n’avaient pas participé à cette guerre contre les Hongrois, car ils s’étaient réservés pour la lutte contre les Slaves. 50. Le roi et les ruses de Wichmann. Comme nous l’avons dit plus haut131, Wichmann ne parvenait pas à se justifier contre son oncle et était donc gardé au palais. Alors que le roi voulait partir en Bavière, Wichmann simula une maladie pour refuser le voyage. L’empereur lui rappela qu’alors qu’il était privé de père et mère, il l’avait considéré comme son fils, éduqué avec bonté et élevé au rang paternel. Il lui demanda de ne pas lui causer de chagrin, alors qu’il avait un grand nombre d’autres soucis. N’obtenant aucune réponse valable, l’empereur partit en confiant Wichmann au comte Ibon. Wichmann, après quelques jours avec lui, lui demanda la permission d’aller chasser dans la forêt. Emmenant avec lui les compagnons qu’il y avait cachés, il alla jusque dans sa patrie où il occupa quelques places fortes et, s’étant adjoint Ekbert, prit les armes contre l’empereur. Cependant, le duc Hermann plein de zèle les écrasa facilement et les repoussa au-delà de l’Elbe. Lorsqu’ils s’aperçurent qu’ils ne pouvaient pas résister au duc, ils s’allièrent avec deux roitelets barbares, depuis longtemps ennemis des Saxons, Naco et son frère132. 51. L’armée qui faillit capturer Wichmann à Suithleiscranne133. Le duc Hermann commandait l’armée. Les ennemis avaient été

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Cf. chapitre 29 de ce livre. Stoinef. Lieu non identifié.

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signalés à Suithleiscranne. Ils auraient été pris avec la ville, si un homme par ses cris n’avait donné l’alerte et fait courir aux armes. Cependant, après la mort de quarante soldats devant la porte de la ville, le duc Hermann s’empara des dépouilles des morts et s’en alla. Il était aidé par le chef Henri et son frère Siegfried, des hommes éminents et courageux, les meilleurs en temps de paix et de guerre. Ces faits eurent lieu au début du Carême. 52. Comment fut prise la ville des Cocarescemier. Après Pâques134, les barbares envahirent la région avec Wichmann à leur tête, non pour les commander, mais pour commettre des forfaits. Agissant sans retard, le duc Hermann en personne arriva sur place avec des renforts ; mais lorsqu’il vit que l’armée ennemie était importante, tandis que ses forces étaient réduites du fait de la guerre civile qui pressait, il tint pour plus avisé dans ces circonstances incertaines de différer le combat. Il ordonna à la foule qui s’était rassemblée en grand nombre dans une seule ville, parce qu’elle se méfiait des autres, de demander la paix à n’importe quel prix. Les soldats prirent assez mal cette décision, notamment Siegfried qui était un combattant très vaillant. Cependant, les Cocarescemier firent ce que le duc avait ordonné et obtinrent la paix à la condition que les hommes libres, désarmés, avec leurs femmes et leurs enfants, pussent monter sur les murs, tout en laissant aux ennemis les esclaves et tout le butin au centre de la ville. Lorsque les barbares pénétrèrent dans la ville, l’un d’eux reconnut pour une de ses esclaves la femme d’un homme libre, et comme il cherchait à l’arracher des mains de son mari, il reçut un coup de poing. Il se mit alors à crier que le pacte était rompu par les Saxons. Il s’ensuivit un massacre général où nul ne fut épargné : tous les hommes adultes furent tués, et les femmes et leurs enfants amenés en captivité. 53. Comment le roi vengea ce massacre. L’empereur, désireux de venger ce crime, après avoir obtenu la victoire sur les Hongrois, entra en ennemi dans la région des barbares. On tint conseil au sujet des Saxons qui avaient conspiré avec les Slaves et on décida de tenir Wichmann et Ekbert pour ennemis publics, mais qu’il faudrait cependant épargner les autres dès lors qu’ils voudraient rejoindre les leurs. Une ambassade des barbares

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15 avril 955.

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se présenta et annonça que les alliés voulaient bien s’acquitter de leur tribut coutumier, mais qu’ils voulaient tenir leur région sous leur propre domination : à cette condition ils voulaient bien la paix, autrement ils lutteraient par les armes pour la liberté. L’empereur répondit à cela qu’il ne voulait assurément pas leur refuser la paix, mais qu’il ne pouvait la donner qu’à condition qu’ils se justifient de l’injure qu’ils avaient commise, par des actes de réparation honorable. Incendiant et dévastant tout, il fit traverser ces régions à l’armée jusqu’à ce que finalement, ayant établi son camp au bord de la Recknitz, un fleuve très difficile à traverser en raison des marécages, il soit encerclé par l’ennemi. À revers, en effet, le chemin était barré par une dense forêt et occupé par une troupe armée. Devant lui, il y avait le fleuve et les marais attenants, les Slaves avec une armée immense, ce qui interdisait aux guerriers autant d’agir que de progresser. L’armée était également en proie à d’autres maux, comme la maladie et la faim. Au bout de plusieurs jours de cette situation, le comte Gero fut envoyé auprès du prince des barbares qu’on appelait Stoinef, afin qu’il se rende à l’empereur. Ainsi il serait reçu comme un ami et non traité en ennemi. 54. Le comte Gero. Gero possédait beaucoup de qualités : c’était un homme habile à la guerre, de bon conseil dans les affaires civiles, assez éloquent, de grand savoir, et qui manifestait sa sagesse plutôt par des actes que par des paroles ; il était actif dans la conquête, généreux dans ses dons et, ce qui est mieux, appliqué au culte divin. Le comte salua le barbare par-dessus le marais et le fleuve qui le borde135. Le Slave lui répondit de la même manière. Le comte lui dit : « Ce serait déjà bien suffisant pour toi de combattre l’un de nous, un des serviteurs de mon seigneur, et non mon seigneur le roi. Quelle armée as-tu, quelles armes, pour oser faire cela ? Si vous possédez un peu de courage, d’habileté et d’audace, laissez-nous venir jusqu’à vous, ou bien venez à nous, et la force des combattants se manifestera en un lieu équitable ». Le Slave, grinçant des dents à la manière des barbares et vomissant beaucoup d’injures, se moqua de Gero, de l’empereur et de toute l’armée qu’il savait en proie à de nombreuses difficultés. Gero, piqué par ces paroles, répondit en esprit très ardent : « Demain, on verra si toi et ton peuple, vous êtes des hommes forts

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ou non ; car demain, vous nous verrez sans aucun doute nous mesurer avec vous ». Gero était certes fameux depuis longtemps à cause de ses nombreux hauts faits, mais on célébrait particulièrement son grand nom en tous lieux parce qu’il avait vaincu avec une grande gloire les Slaves qu’on appelle Uchri136. Gero revint au camp raconter ce qu’il avait entendu. Se levant pendant la nuit, l’empereur ordonna de provoquer au combat avec les flèches et d’autres machines, comme s’ils voulaient franchir le fleuve et le marais par la force137. Quant aux Slaves, qui n’avaient rien préparé d’autre après les menaces de la veille, ils s’apprêtèrent également à combattre, en défendant le passage de toutes leurs forces. Cependant Gero, avec ses alliés les Rugianes, se plaça à presque un mille en aval du camp et fit construire rapidement trois ponts à l’insu de l’ennemi. Ce que voyant, les barbares s’efforcèrent aussi de s’opposer à l’avancée des légions. Les fantassins barbares, à force de courir sur une longue distance et d’aller au combat, furent épuisés de fatigue et cédèrent rapidement à nos soldats. Et sans délai, tandis qu’ils cherchaient le salut dans la fuite, ils furent massacrés. 55. Le roi barbare Stoinef et le soldat qui le tua. Stoinef attendait sur une éminence avec ses cavaliers l’issue du combat. Voyant ses hommes prendre la fuite, il fuit lui aussi. Il fut trouvé dans un bois avec deux compagnons par un soldat du nom d’Hosed : épuisé par le combat et dénué d’armes, il fut décapité. Le même soldat offrit à l’empereur l’un des hommes capturé vif avec la tête et les dépouilles du roitelet. Cela rendit Hosed célèbre. En récompense d’un acte si fameux, l’empereur lui fit cadeau d’un revenu de vingt manses. Ce même jour, le camp ennemi fut pris, de nombreuses hommes furent tués ou capturés et le massacre se prolongea longtemps pendant la nuit. Le lendemain138, on exposa dans un champ la tête du roitelet autour de laquelle on décapita sept cents prisonniers. Le conseiller de Stoinef eut les yeux arrachés, la langue coupée et fut laissé mutilé au milieu des cadavres. Wichmann et Ekbert, qui étaient ses complices, prirent la fuite et se rendirent en France auprès du duc Hugues139.

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Voir chapitre 42. 16 octobre 955. 17 octobre 955. Hugues le Grand.

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56. Le roi et les nombreuses victoires qui l’ont rendu célèbre [956]. Couvert de gloire et rendu célèbre par ses nombreuses victoires, l’empereur mérita la crainte en même temps que la faveur de nombreux rois et peuples. C’est pourquoi il reçut de nombreux ambassadeurs des Romains, des Grecs et des Sarrasins qui lui apportèrent des cadeaux de toutes sortes, des vases en or et en argent, mais aussi en bronze, travaillés d’admirable manière, des récipients en verre et d’autres en ivoire, des tapis aux motifs les plus divers, des baumes et des épices de toutes sortes, des animaux jusqu’alors jamais vus des Saxons : des lions et des chameaux, des singes et des autruches. Tous les chrétiens alentour lui confiaient leur situation et leur espérance. 57. Liudolf quitta sa patrie à cause de ses amis [957]. Le fils de l’empereur, Liudolf, voulant demeurer fidèle à ses amis, quitta sa patrie pour aller avec eux en Italie. Au bout de presque une année entière, il y trouva la mort, portant à tout l’empire des Francs par sa blessure une blessure douloureuse140. Ses soldats prirent soin des funérailles avec les honneurs convenables et son corps fut porté d’Italie à Mayence où il fut enterré dans la basilique du saint martyr Alban au milieu des pleurs et des lamentations du peuple en nombre. Il laissa après lui un fils distingué par le nom de son père141. 58. La lettre annonçant la mort de Liudolf. La lettre annonçant la mort de Liudolf fut portée à l’empereur alors que celui-ci était en campagne contre les Rédariens. Il versa beaucoup de larmes sur la mort de son fils. Pour le reste, il s’en remit fidèlement à Dieu, recteur de toutes choses, qui ordonnait jusqu’alors son empire. 59. Wichmann pénétra secrètement en Saxe. À la même époque, Wichmann, sachant la Saxe dépourvue de défenseurs, quitta la Gaule et pénétra secrètement en Saxe. Il retrouva son foyer et son épouse et se fondit de nouveau parmi les étrangers. Quant à Ekbert, il rentra en grâce sur l’intervention de l’archevêque Brunon.

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6 septembre 957. Otton, duc de Souabe (973-982).

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60. Wichmann s’engagea auprès de Gero [958]. L’armée conduite pour la troisième fois142 contre Wichmann obtint à grand peine qu’il s’engageât auprès de Gero et de son fils143. Ceux-ci obtinrent de l’empereur que Wichmann pût jouir de sa patrie et du patrimoine de sa femme avec la faveur impériale. Sur ordre, il prêta le redoutable serment de ne jamais agir ou conspirer contre l’empereur et son royaume. S’étant ainsi engagé, il fut renvoyé en paix et fut encouragé par les bonnes promesses de l’empereur. 61. Les prodiges qui apparurent sur des vêtements. Alors que les barbares avaient été massacrés, cette année, des choses prodigieuses apparurent : des signes de croix sur un grand nombre de vêtements. En les voyant, beaucoup, saisis d’une crainte salutaire, craignirent des malheurs et se corrigèrent en grande partie de leurs vices. Certains interprétaient ces vêtements comme une annonce de la lèpre qui toucha de nombreux hommes. Cependant les plus sages disaient, et nous sommes d’accord avec eux, que le signe de la croix préfigurait le salut et la victoire. 62. La maladie de l’empereur. À cette époque, l’empereur tomba malade, mais il se remit de cette maladie grâce aux mérites des saints auxquels il rendait un culte régulier et fidèle et notamment grâce à la protection du saint martyr Vit à qui il s’adressa144. Il se rétablit pour faire l’ornement et les délices du monde comme le soleil très brillant succède aux ténèbres. 63. Le second voyage du roi en Italie [961]. Alors que la situation était en ordre en Franconie, en Saxe et chez tous les peuples voisins, il décida de partir pour Rome et gagna la Lombardie. Il ne revient pas à notre faible éloquence de dire comment il assiégea deux ans le roi des Lombards Bérenger, le fit prisonnier avec sa femme et ses fils, puis l’exila145, ni comment il remporta deux victoires sur les Romains146 et prit Rome, soumit les 142 143 144 145 146

Voir les chapitres 51 et 53. Siegfried († 959). Cf. notamment Act. 8, 32. En 963. 3 janvier et 23 juin 964.

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ducs de Bénévent147, domina les Grecs en Calabre et en Apulie, fit ouvrir des mines d’argent en Saxe, ni avec quelle grandeur il étendit son empire avec son fils, mais, comme je l’ai déjà dit au début, qu’il suffise d’avoir raconté cette histoire avec un dévouement fidèle. Du reste, pour rendre grand notre humble travail il suffira du grand dévouement que nous avons envers ton éclatante sérénité148 : la hauteur de ton père et de ton frère nous l’a laissée ainsi qu’à la patrie en gage d’honneur et de réconfort. Et que la fin de la guerre civile mette un terme à ce livre149. 64. Comment Wichmann se rebella à nouveau. Rendu à sa patrie, Wichmann se contint avec calme tant qu’il espérait l’arrivée de l’empereur. Cependant, alors que le retour d’Otton était différé, Wichmann se rendit dans le Nord, comme pour préparer à nouveaux frais la guerre avec le roi des Danois Harald150. Ce dernier lui fit dire que s’il tuait le duc151 ou un autre grand, il saurait qu’il cherchait à s’allier avec lui sans ruse, autrement il ne douterait pas qu’il agissait traîtreusement. Entretemps, les brigandages de Wichmann furent dénoncés par un marchand de passage et certains de ses compagnons furent arrêtés et condamnés par le duc à la pendaison pour agitation publique. C’est avec peine que Wichmann s’échappa avec son frère. 65. Comment les Danois devinrent de bons chrétiens. Anciennement les Danois étaient chrétiens, mais ils n’en continuaient pas moins à rendre un culte païen aux idoles. Un jour un débat religieux eut lieu en présence du roi lors d’un banquet : les Danois affirmaient que si le Christ était Dieu, il y avait des dieux plus grands que lui, car ils se manifestaient aux hommes par des signes et des prodiges plus éclatants. Un clerc du nom de Poppa, alors évêque, maintenant moine, s’éleva contre ces paroles et affirma qu’il n’y avait qu’un seul et vrai Dieu, le Père, le Fils et le Saint Esprit, et que les idoles étaient des démons, non des dieux. Le roi Harald,

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En 967. Widukind s’adresse de nouveau à la destinataire de son ouvrage, Mathil-

de. 149

Dans la première version de l’œuvre (967/968), le livre III s’achevait par les chapitres 64-69. 150 Harald dit à la Dent Bleue, roi des Danois (936-985). 151 Hermann de Saxe.

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en homme que l’on dit prompt à écouter mais lent à parler152, lui demanda s’il était prêt à répondre de sa foi. Poppa répondit immédiatement qu’il était prêt. Le roi fit garder le clerc jusqu’au lendemain. Au matin, il ordonna de chauffer une grande masse de fer et dit au clerc de porter le fer blanc pour la foi catholique. Le confesseur du Christ prit sans hésiter le fer et le porta aussi longtemps que le roi le lui imposa. Montrant à tous sa main intacte, il rendit à tous la foi catholique vraisemblable. Le roi que tout cela avait converti décréta que le Christ était le seul Dieu à adorer, ordonna à tous ses peuples de rejeter les idoles, puis accorda les honneurs qui leur sont dus aux prêtres et aux ministres de Dieu. Cependant, tout cela est aussi à juste titre rapporté aux vertus de ton père : son zèle fit tant briller en ces régions les églises et l’ordre sacerdotal ! 66. Gero laissa partir Wichmann à cause du serment de celui-ci [963]. Le comte Gero n’avait pas oublié le serment de Wichmann153 : alors que celui-ci était accusé et qu’il le savait coupable, il le rendit aux barbares auxquels il l’avait enlevé. Reçu par eux avec faveur, Wichmann écrasa par des combats répétés des barbares qui vivaient un peu plus loin. Il l’emporta deux fois sur le roi Mieszko154 qui dirigeait les Slaves dits Licicaviki, tua le frère de celui-ci et lui extorqua un grand butin. 67. Comment Gero vainquit les Slaves lusaciens. À la même époque, le comte Gero remporta une victoire complète sur les Slaves dits lusaciens et les réduisit au dernier esclavage, non sans avoir reçu une sérieuse blessure et perdu son neveu, un excellent homme, ainsi que de nombreux autres nobles hommes. 68. Wichmann et les deux roitelets. Le duc Hermann avait sous son autorité deux roitelets qui se vouaient une haine héritée de leurs pères : l’un s’appelait Selibur, l’autre Mistav. Selibur dirigeait les Wagrier et Mistav les Abodrites. À force de s’accuser mutuellement sans arrêt, Selibur finit à juste titre par être condamné par le duc Hermann à une amende de quinze talents d’argent. Supportant mal cette condamnation, Selibur songea 152 153 154

Cf. Jac. 1, 19. Voir chapitre 60. Mieszko Ier, prince de Pologne (962-992).

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à prendre les armes contre le duc. Cependant, comme il n’avait pas assez de forces pour mener la guerre, il envoya une ambassade demander à Wichmann du secours contre le duc. Wichmannn qui n’avait rien de plus agréable que de causer du tort à son oncle, s’empressa avec ses alliés à la rencontre du Slave. Dès que Wichmann fut reçu dans leur ville155, celle-ci fut fortifiée par l’ennemi en prévision d’un siège. De fait, le duc conduisit une armée pour assiéger la ville. Entretemps, soit par hasard soit par sagesse, je ne sais, Wichmann quitta la ville avec un petit nombre d’hommes pour obtenir du secours des Danois. Peu de jours suffirent pour que les combattants manquassent de vivres et les chevaux de fourrage. Certains disaient même que le Slave n’avait mené qu’une apparence de guerre, et non une vraie guerre : il était absolument incroyable qu’un homme habitué depuis l’enfance à guerroyer ait si mal préparé une campagne, c’était plutôt une machination du duc pour vaincre son neveu de n’importe quelle manière, afin de retrouver au moins dans sa patrie le salut qu’il avait entièrement perdu chez les païens. Les habitants de la ville, pressés par la faim et la puanteur du bétail, furent contraints de sortir. Le duc, parlant avec beaucoup de sévérité, reprocha au Slave sa trahison et ses mauvaises actions et reçut de l’autre cette réponse : « Que me parles-tu de trahison ? Les témoins de ma trahison sont des hommes désarmés que ni toi ni ton seigneur l’empereur n’avez pu vaincre ! » Le duc ne répondit rien à ces paroles, lui confisqua son territoire et remit tout son pouvoir à son fils qu’il avait reçu auparavant comme otage. Il condamna les soldats de Wichmann à des peines variées, laissa ses soldats piller la ville, offrit un grand spectacle au peuple avec une statue de Saturne coulée en airain qu’il avait trouvée parmi d’autres pièces du butin, et regagna victorieux sa patrie. 69. La mort de Wichmann. Wichmann, lorsqu’il apprit que la ville avait été prise et ses alliés punis, se dirigea à l’est pour se mêler de nouveau aux païens. Il chercha avec ses alliés les Slaves dits Vuloini comment harceler militairement l’ami de l’empereur, Mieszko, ce qui n’échappa pas du tout à ce dernier. Il se rendit auprès de Boleslas, roi des Bohêmes, dont il était le gendre, et obtint de lui deux lignes de cavalerie. Alors que Wichmann conduisait son armée contre lui156, il lui opposa d’abord les fantassins. Sur

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Oldenburg. 21 septembre 967.

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ordre du duc, ils fuirent peu à peu devant Wichmann, s’éloignant de plus en plus du camp. Alors il fit donner la cavalerie à revers et, au signal, fit revenir sur les ennemis ceux qui fuyaient. Wichmann, bloqué devant et derrière, tentait de prendre la fuite. Ses hommes le traitaient de criminel parce que lui-même les avait poussés au combat et que, lorsque cela devenait nécessaire, il prenait bien facilement la fuite à cheval. Wichmann descendit donc de cheval sous la contrainte et se mit à combattre à pied avec ses hommes. Combattant courageusement, il se défendit par les armes tout le jour. Alors, fatigué par le manque de nourriture et la longueur du chemin qu’il parcourut en armes pendant toute la nuit, il entra au matin dans une maison avec juste quelques hommes. Les chefs ennemis, lorsqu’ils le virent, reconnurent à ses armes qu’ils avaient affaire à un homme important. Ils lui demandèrent qui il était et il répondit qu’il était Wichmann. Ils lui demandèrent de déposer ses armes et lui promirent ensuite de le présenter, sain et sauf, à leur seigneur et d’obtenir de ce dernier qu’il le remettrait en vie à l’empereur. Wichmann, bien que réduit à la dernière nécessité, n’oublia pas son ancienne noblesse et sa valeur et refusa de se soumettre à ces hommes, mais leur demanda de l’annoncer à Mieszko : c’était à lui qu’il voulait rendre les armes, à lui qu’il voulait se soumettre. Tandis qu’ils se rendaient auprès de Mieszko, une foule innombrable l’entourait et le harcelait violemment. Wichmann, bien qu’épuisé, en tua un grand nombre, prit à la fin son épée et la remit au plus fort des ennemis en disant ces mots : « Prends cette épée et donne-la à ton seigneur. Qu’il la reçoive en signe de victoire et la donne à son ami l’empereur pour qu’il apprenne à rire de la mort de son ennemi ou du moins à pleurer pour le suivant ! » À ces paroles, il se tourna vers l’est, comme il put, pria dans sa langue maternelle le Seigneur et rendit au bon Créateur de toutes choses son âme chargée de nombreuses peines et défauts. Voici la fin de Wichmann, c’est presque celle de tous ceux qui prirent les armes contre l’empereur [ton père]157. 70. Après avoir reçu les armes de Wichmann, l’empereur Otton écrivit une lettre destinée à la Saxe [968]. L’empereur, après avoir reçu les armes de Wichmann et avoir été assuré de sa mort, écrivit la lettre suivante aux grands et aux chefs saxons :

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Ces deux mots ne sont présents que dans la première version de 967/968 qui s’achevait ici.

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« Otton, empereur auguste par l’ordre de Dieu, souhaite aux ducs Hermann et Thierry, ainsi qu’autres grands de notre État, toute chose aimable. Dieu veut notre salut et nous accorde une suite de succès. Du reste, des ambassadeurs du roi de Constantinople, très considérables en dignité, sont venus à notre rencontre pour nous demander, si nous avons bien compris, la paix. Quelle que soit l’issue de l’affaire, ils n’oseront pas, si Dieu le veut, nous attaquer. Ils nous donneront, si nous ne parvenons pas à un accord, les provinces d’Apulie et de Calabre qu’ils détenaient jusqu’alors. Cependant, s’ils obéissent à notre volonté, nous enverrons en Franconie notre femme et notre fils qui porte notre nom, nous ferons route vers la Garde-Freinet pour écraser, avec l’aide de Dieu, les Sarrasins et nous vous rejoindrons ensuite. En outre si, comme nous l’avons entendu, les Rédariens ont bien subi une terrible défaite158, nous voulons que vous ne concluiez aucune paix avec eux : vous savez qu’ils ne tiennent pas leurs serments, et les maux qu’ils nous ont causés. Efforcez-vous par tous les moyens avec le duc Hermann de mettre un point final à leur anéantissement. Si cela devenait nécessaire, nous irions en personne contre eux. Notre fils a reçu la couronne impériale du Saint Père159 le jour de Noël160. Écrit le 18 janvier en Campanie, près de Capoue. » Cette lettre fut lue lors de l’assemblée du peuple tenue à Werla devant les grands et le peuple en foule. Il parut bon de s’en tenir à la paix qui avait déjà été accordée aux Rédariens, car la guerre contre les Danois nous pressait et on n’avait pas les forces suffisantes pour mener la guerre sur deux fronts. 71. Les ambassadeurs grecs et leur ruse [969]. L’empereur, faisant un peu trop crédit aux ambassadeurs grecs, envoya une partie de l’armée et plusieurs grands au lieu fixé pour recevoir, selon la promesse des ambassadeurs, la jeune fille et l’amener avec honneur à son fils161. Cependant les Grec usèrent des ruses de leurs pères, car depuis presque le début du monde ils ont dominé de très nombreux peuples qu’ils ont soumis par la ruse, quand ils ne pouvaient l’emporter par la force. Ils fondirent à l’improviste sur les nôtres qui ne s’y attendaient pas du tout, pillèrent le camp, 158

Sans doute une allusion aux événements rapportés au chapitre 69. Jean XIII, pape (965-972). 160 25 décembre 967. 161 Allusion au mariage prévu entre la princesse Théophano et le futur Otton II. 159

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tuèrent un grand nombre d’hommes, en capturèrent autant qu’ils envoyèrent à l’empereur à Constantinople. Ceux qui purent s’enfuir racontèrent à l’empereur Otton ce qui s’était passé. 72. Gunther et Siegfried. L’empereur, indigné, envoya pour venger ce déshonneur une forte troupe conduite par deux hommes éminents, Gunther et Siegfried162, qui s’étaient déjà souvent illustrés dans les affaires intérieures et extérieures. Les Grecs, enorgueillis par leur victoire et rendus moins prudents, tombèrent en leurs mains. Ils en tuèrent une multitude innombrable et renvoyèrent dans leur nouvelle Rome ceux qu’ils avaient capturés, après leur avoir coupé le nez. Ils arrachèrent aux Grecs un tribut en Calabre et en Apulie et rentrèrent auprès de l’empereur, couverts de gloire et enrichis par les dépouilles de l’ennemi. 73. Le peuple et les empereurs de Constantinople [969]. Le peuple de Constantinople, quand il apprit la défaite des siens, se souleva contre son empereur163 et le tua, suite à un complot de l’impératrice164 et d’un soldat qui fut désigné à la tête de l’empire165. Devenu empereur, il libéra sur le champ les prisonniers et envoya à l’empereur la jeune fille166 en grand apparat et avec de magnifiques cadeaux. Otton la maria aussitôt à son fils167. En célébrant ces noces avec faste, il rendit l’Italie et la Germanie encore plus joyeuses. À l’époque où ces faits se déroulaient en Italie, le grand pontife Guillaume168, homme sage et prudent, bon et agréable à tous, gouvernait l’empire des Francs que son père lui avait confié.

162 Gunther, margrave de Mersebourg, et Siegfried, peut-être comte de Hassegaus. 163 Nicéphore II Phocas, empereur (963-969). 164 Théophano Anastaso (941- p. 976), épouse des empereurs Romain II et Nicéphore II Phocas. 165 Jean Ier Tzimiskès, empereur (969-976), porté au pouvoir le 11 décembre 969. 166 Théophano († 991), épouse d’Otton II. 167 Le mariage fut célébré à Rome le 14 avril 972 par le pape Jean XIII. 168 Guillaume, fils d’Otton Ier et archevêque de Mayence (954-968).

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74. Mathilde, la mère de l’empereur, et la mort des évêques Bernard et Guillaume [968]. Sa mère, bien qu’étrangère, était pourtant issue d’une noble race. Alors que Guillaume de Mayence avait appris que la mère de l’empereur, femme d’une admirable sainteté, était tombée malade, il attendait les funérailles de celle-ci, mais c’est aux siennes que l’on procéda d’abord169. Nos forces sont insuffisantes pour la louer, même si nous le désirons, tant la vertu d’une telle femme dépasse la force de notre petit talent. Qui pourrait, en effet, dignement raconter son empressement pour le culte divin ? Chaque nuit, elle emplissait sa cellule des mélodies des divins poèmes, sur tous les tons et de toutes les manières. En effet, elle se reposait peu dans sa cellule qui était tout proche de l’église, mais chaque nuit, elle se levait pour aller à l’église, alors que des chantres, hommes et femmes, étaient disposés en trois groupes, dans la cellule, devant les portes et sur le chemin, pour louer et bénir la divine clémence. Dans l’église, Mathilde attendait dans les veilles et plongée en prières la célébration de la messe. Ensuite, elle rendait visite à tous les pauvres des alentours et leur donnait le nécessaire. Elle faisait l’aumône aux pauvres, recevait avec grande générosité les hôtes qui ne cessaient de venir. Elle ne laissait partir personne sans un propos aimable, ni sans lui avoir remis de petits présents ou des secours nécessaires. Elle faisait souvent remettre le nécessaire aux voyageurs qu’elle voyait depuis sa cellule. Pour s’adonner avec grande humilité nuit et jour à de telles œuvres, elle n’en diminuait en rien l’honneur du rang royal et comme il est écrit, bien qu’elle siégeât comme une reine entourée de son peuple, elle consolait toujours et partout les affligés170. Elle instruisait tous ses domestiques et ses servantes dans des domaines variés, dont les lettres, car elle avait vraiment bien appris à écrire après la mort du roi. Le temps me ferait défaut si je voulais raconter toutes ses vertus. Si j’avais l’éloquence d’Homère ou de Virgile, cela ne suffirait pas. C’est donc pleine de jours, pleine d’honneur, pleine de bonnes œuvres et d’aumônes, après avoir donné toutes ses richesses royales aux serviteurs et servantes de Dieu ainsi qu’aux pauvres, qu’elle rendit son âme au Christ le 14 mars. À la même époque, Bernard, que le peuple disait être le meilleur prêtre de son temps, mourut171. Que personne ne nous 169

Guillaume de Mayence mourut le 2 mars 968. Cf. Job 29, 25. 171 Bernard, évêque d’Halberstadt (924-968), mourut le 3 février 968. 170

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WIDUKIND DE CORVEY

critique pour avoir révélé leur réputation de sainteté, dès lors que nous ne faisons pas courir de péril à la vérité. Un ermite nous a appris en effet avoir eu la vision, spirituelle ou réelle je ne sais, des âmes de la reine et de l’évêque : elles étaient portées avec gloire aux cieux par une multitude d’anges. 75. Le retour d’Italie de l’empereur et sa mort. L’empereur, à l’annonce de la mort de sa mère, de celles de son fils et d’autres hommes d’importance, car le puissant et grand Gero était déjà mort auparavant172, préféra renoncer à son expédition à la Garde-Freinet173 et rentra dans sa patrie après avoir réglé la situation en Italie. Il apprit également que certains Saxons avaient voulu se révolter, mais comme cet effort demeura vain, nous ne le jugeons pas digne d’être rapporté. Il quitta donc l’Italie avec une grande gloire pour avoir fait prisonnier le roi des Lombards, dominé les Grecs et vaincu les Sarrasins. Avec ses troupes victorieuses, il entra en Gaule, puis gagna la Germanie pour célébrer Pâques dans le lieu fameux de Quedlinbourg174. Les divers peuples qui s’y étaient réunis en grand nombre, y célébrèrent avec grande joie son retour et celui de son fils dans la patrie. Il ne resta pas plus de dix-sept jours et partit pour Mersebourg célébrer la fête de l’Ascension175. Il parcourut ces lieux avec tristesse en raison de la mort de l’excellent duc Hermann176, qui laissa à tous les hommes un souvenir immortel en raison de sa prudence, de sa justice et de ses admirables actions dans les affaires intérieures et extérieures. Il reçut et garda auprès de lui des ambassadeurs d’Afrique qui lui avaient rendu visite avec des honneurs et des cadeaux royaux. Le mardi avant la Pentecôte177, il arriva à Memleben. Le jour suivant, selon son habitude, il se leva à l’aube pour assister aux mâtines et aux laudes, puis se reposa un petit peu. Après la célébration de la messe, il fit des aumônes aux pauvres selon son habitude, déjeuna légèrement et se remit au lit. Lorsque ce fut l’heure, il se leva et se mit à table, gai et souriant. À la fin du service, il assista

172 173 174 175 176 177

Le 20 mai 965. Voir le chapitre 70. 23 mars 973. 1er mai 973. Le duc Hermann mourut le 27 mars 973. 6 mai 973.

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aux vêpres ; alors qu’on achevait le cantique évangélique178, il se mit à avoir chaud et ressentit de la fatigue. Les grands s’en aperçurent et le firent s’asseoir. Ils le soutinrent alors qu’il baissait la tête comme s’il était déjà mort. Il demanda et reçut le sacrement du Corps et du Sang, puis sans gémissement, avec une grande tranquillité, au milieu des prières liturgiques, il rendit le dernier souffle au bon Créateur de toutes choses. On le transporta ensuite dans sa chambre, et alors qu’il était déjà tard, on annonça sa mort au peuple. Le peuple, pour le louer et le remercier, rappela un grand nombre de ses actions : il avait gouverné ses sujets avec l’amour d’un père, les avait libérés de leurs ennemis, avait vaincu les orgueilleux Avars, les Sarrasins, les Danois et les Slaves, soumis l’Italie, détruit les temples païens chez les peuples voisins, établi des églises et organisé le clergé. En se rappelant entre eux de nombreux autres bienfaits, ils assistèrent aux funérailles du roi. 76. Comment le peuple choisit le fils successeur à son père. Le lendemain matin179, bien qu’il ait déjà été sacré roi et désigné empereur par le Saint Père, les grands promirent fidélité à Otton, en lui donnant la main à l’envi, en tant qu’unique espérance de toute l’Église et fils de l’empereur. Ils lui garantirent de l’aider contre tous ses ennemis par des serments guerriers. Une foi élu roi à nouveau par l’ensemble du peuple, Otton fit transporter le corps de son père dans la ville de Magdebourg, qu’il avait fait construire avec magnificence. Ce fut le 7 mai, le mercredi avant la Pentecôte, que mourut l’empereur des Romains, le roi des nations, en laissant pour des siècles de nombreux et glorieux monuments de ses actions divines et humaines. Fin du livre III de l’histoire des Saxons.

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C’est-à-dire le chant du Magnificat. 8 mai 973.

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Vie de la reine Mathilde

traduite par Adrien Fernique

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Introduction

La première Vie de la reine Mathilde a été écrite au début du règne d’Otton II, vers 974, à l’abbaye féminine de Nordhausen, ou au chapitre de chanoinesses de Quedlinbourg, qui devaient tous deux leur fondation à la reine. L’auteur en est anonyme. Comme le texte a été écrit dans une communauté féminine, on peut légitimement supposer qu’on le doit à une femme. Il n’y a cependant aucune preuve de ce fait, et on ne peut exclure que l’œuvre ait été écrite par un des clercs masculins attachés à ces institutions féminines. Cependant on sait que le niveau d’éducation des femmes dans ces monastères était élevé, comme le montrent les œuvres de Rosvitha de Gandersheim, de sorte qu’on peut retenir comme probable la féminité de l’auteur. C’est en tout cas une (ou un) proche de la dynastie ottonienne, assez proche même que pour pouvoir risquer à son égard quelques critiques. Comme son titre l’indique, la Vita veut donner un portrait de Mathilde. Née vers 895 à Enger, en Saxe, fille d’un comte saxon Thierry, ou Dietrich, descendante de Widukind, le meneur de la résistance saxonne à Charlemagne, Mathilde fut élevée à l’abbaye d’Herford, et mariée vers 909 à Henri, duc de Saxe. Ils eurent plusieurs enfants : Otton Ier, Henri duc de Saxe, Bruno archevêque de Cologne, Gerberge, épouse de Louis IV d’Outremer et Hartwig, épouse d’Hugues le Grand, duc des Francs, et mère d’Hugues Capet. Mathilde, très pieuse, fonda des monastères à Quedlinbourg et Nordhausen, et un chapitre de chanoines à Enger. C’est la piété de Mathilde qui recueille surtout l’intérêt de l’hagiographe. Celle-ci (ou celui-ci) insiste sur les fondations et en particulier sur Nordhausen, mais aussi sur les vertus de Mathilde, aussi généreuse et attentive aux pauvres que pieuse, et relate deux miracles, d’ailleurs assez étranges, accomplis par la reine. Les « persé-

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cutions » que lui firent subir ses enfants après son veuvage font d’elles un personnage souffrant et ensuite pardonnant, ce qui renforce sa sainteté. Mais l’auteur élargit son propos bien au-delà de la biographie de Mathilde, écrivant ainsi une vita très originale. Elle insiste sur les origines de Mathilde, relatant la conversion de Widukind. Son récit qui mentionne un combat singulier entre Widukind et Charlemagne et la fervente conversion au christianisme du premier après sa défaite, est très fortement légendaire. Elle retrace surtout l’histoire de la dynastie saxonne, depuis le duc Otton l’Illustre (mort en 912) jusqu’à son arrière-petit-fils l’empereur Otton II. Les hommes constituent donc le pivot de cette histoire, mais les femmes n’en sont pas absentes : parmi les rares éléments concernant Otton II figure son mariage avec Théophano. On notera enfin un patriotisme aussi saxon que germanique, puisque l’accession de la dynastie saxonne à la monarchie est comprise par l’auteur comme une libération de la Germanie. En d’autres termes, il laisse volontiers à d’autres, plus à l’ouest, l’héritage franc qu’il voit comme étranger. Enfin, la Vita antiquior est moralisatrice. Elle relate les persécutions que ses enfants ont fait subir à Mathilde, pour souligner ce que devrait être le comportement d’un prince à l’égard de sa mère. Elle critique de manière assez claire la manière dont Otton Ier a mis la main sur l’Italie. La Vita antiquior vaut cependant surtout par l’image qu’elle entend donner. Qu’il s’agisse de l’histoire de la Saxe, de la conversion de Widukind, des miracles de Mathilde, des conditions de sa rencontre avec son mari, le lecteur doit prendre ses distances avec ce qui est écrit. En témoigne d’ailleurs l’abondance des réminiscences littéraires de l’auteur. Celle-ci (ou celui-ci) s’inspira largement de la vie de sainte Radegonde de Venance Fortunat, mais aussi de Boèce, Sulpice Sévère, Térence… L’épisode du miracle du pain jeté est tiré du portrait de Benoît de Nursie dressé par Grégoire le Grand, tandis que l’éloge final de la sainte doit beaucoup à la vie de sainte Gertrude. L’auteur était donc érudite, même si elle écrit dans un latin assez simple. Elle veut donner un beau portrait de la sainteté, de la femme, de la monarchie. C’est donc ainsi qu’il faut lire son œuvre.

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BIBLIOGRAPHIE : La Vita Mathildis antiquior a été éditée par Bernd Schütte, Die Lebensbeschreibungen der Königin Mathilde, Hanovre, 1994 (MGH Scriptores rerum germanicarum in usum scholarum separatim editi, 66), p. 109-142, qui remplace la vieille édition de R. Köpke dans les Monumenta Germaniae Historica. Scriptores, t. 10, Hanovre, 1852, p. 573-582. Voir surtout Patrick Corbet, Les saints ottoniens. Sainteté dynastique, sainteté royale et sainteté féminine autour de l’an Mil, Sigmaringen, 1986 (Beihefte der Francia, 15), p. 120-154, Bernd Schütte, Untersuchungen zu den Lebensbeschreibungen der Königin Mathilde, Hanovre, 1994 (MGH. Studien und Texte, 9) ainsi que le commentaire et la traduction de Sean Gilsdorf, Queenship and sanctity. The Lives of Mathilda and the Epitath of Adelheid, Washington, 2004.

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Prologue La plupart des hommes, dévoués vainement à un but profane et cherchant ainsi à établir un souvenir pérenne de leur nom et à obtenir la récompense de la faveur humaine, embellissent de manière mensongère et par un style emphatique les vies de personnages célèbres, lorsqu’ils en propagent l’écho vers les oreilles du public. Nous au contraire, sur l’ordre du très glorieux empereur Otton1, nous avons mis par écrit non pas en philosophe mais en relatant, même maladroitement, les faits établis, la louable vie de ses très dignes parents, qui deviendra bientôt un exemple pour lui et ses successeurs. Nous reconnaissons, puisque nous nous contentons d’écrire ce qu’on nous raconte, n’être pas du tout familier de ces événements. Mais, obéissant à la dignité impériale et apportant un ruisseau presque asséché à celui qui commande de vastes flots, nous nous sommes imprudemment chargé d’une entreprise qui aurait dû à bon droit être réservée aux écrivains habiles, non en présupposant audacieusement de nos forces, mais par respectueuse dévotion. En effet, nous avons considéré qu’il serait impie de laisser inconnues les vertus de si grands hommes en nous enfermant témérairement dans le silence. Ainsi de toi qui présides à toute éloquence – et toi que non seulement la fierté d’un grand empire exalte, mais à qui même l’autorité de la philosophie sourit, accomplissant ainsi la sentence de celui qui disait : « le gouvernement sera heureux s’il arrivait que les gouvernants soient soucieux de la sagesse, de sorte que l’honneur aille de la vertu à la dignité et non de la dignité à la vertu2 » – de toi donc, empereur Otton, nous faisons le juge de cet ouvrage. Ordonne à des sages attentifs d’ajouter ou de modifier ce qu’éventuellement nous aurions omis ou mal dit. Et, parce qu’il nous est impossible de mettre un point final à une telle série d’événements, donne à cet ouvrage de briller davantage, comme illuminé par la splendeur du soleil. Nous avons toutefois laissé de côté plusieurs éléments que nous avons appris, car il suffisait, à notre avis, de ne retenir que les hauts faits ; nous avons par là même fait en sorte que le superflu ne dégoûte pas les lecteurs. Nous leur demandons néanmoins de prêter foi à ce qui est dit, et de ne pas penser que nous avons écrit quoi que ce soit sans l’avoir vérifié.

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Le destinataire est Otton II (973-983). Boèce, De consolatione philosophiae, I, 4, 19-20.

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Récit de sa vie 1. Au temps du regretté roi des Francs Conrad3, le premier duc de toute la Germanie était Otton4. Il était le plus noble par la naissance selon la dignité temporelle, puissant en richesses et surpassait tout le monde par l’honneur car il était doté de diverses vertus. Son épouse, la vénérable dame Hadwig, avait fait montre de mœurs similaires. Elle mit au monde des filles et trois fils, que leurs parents éduquaient selon leur noblesse. La providence divine, qui dirige vers le bien tout ce qu’elle organise, sourit à l’un d’entre eux, Henri, qui se montra encore meilleur que les autres. Bien que le dernier par l’âge, il était le premier par la qualité de ses mœurs. En effet, après sa prime jeunesse, lorsqu’est donnée à tous la liberté de vivre qui fait connaître le génie naturel, il organisa sagement sa vie d’une manière qui pût être approuvée par tous. Complaisant avec tous et aimant ceux avec qui il était, ne se plaçant contre et au-dessus de personne, consolant les affligés, assistant les pauvres, il recevait des éloges sans jalousie et avait des amis qui lui ressemblaient. Bien qu’il fût respecté comme il se devait, lui qui était particulièrement cher à tous était cependant plus honoré encore en raison de sa générosité et de son humilité. Lorsque après l’enfance il entra dans l’âge viril, ses parents se préoccupèrent de le marier avec une femme égale à lui par la naissance et les mœurs. Il parvint à leurs oreilles qu’il y avait dans le monastère de Herford5 une très belle jeune fille du nom de Mathilde. Elle s’y formait à l’étude des lettres, qui mène aussi bien à une vie active qu’à une vie contemplative6. Sa noblesse n’était pas moins éclatante que celle de son futur fiancé. Elle était en fait de la lignée du duc de Saxe Widukind, qui autrefois, enfermé dans l’erreur des démons et adorant les idoles à cause du manque de prédicateurs, persécutait continuellement les chrétiens. Mais en 3

Conrad Ier, roi de Francie orientale (911-918). Otton, surnommé « der Erlauchte » (l’Illustre), duc de Saxe (mort en 912). Fils de Liudolf, il fait de la Saxe un ensemble presque indépendant, tout en veillant à mener une politique matrimoniale d’alliance avec d’autres grandes familles. 5 Monastère féminin fondé vers 800. 6 Les monastères carolingiens disposaient généralement d’une école interne, destinée à la formation des futurs moines (ou moniales), souvent offerts au monastère dans l’enfance, et d’une école externe, qui dispensait une formation scolaire à des enfants de bonne famille destinés à retourner dans le siècle au terme de leur formation. 4

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ce temps-là Charlemagne tenait le pouvoir suprême. Très chrétien, ardent à la guerre, instruit de la loi et absolument orthodoxe dans la foi, bienveillant et dévoué à l’égard des fidèles de Dieu, il engagea avec son armée une guerre contre ce Widukind pour défendre la foi, comme il le faisait toujours contre les païens. Alors qu’ils s’avançaient en même temps l’un vers l’autre, les deux princes décidèrent qu’ils s’affronteraient en combat singulier et que toutes les armées obéiraient sans hésitation à celui auquel le sort aurait apporté la victoire. Après qu’ils se furent assaillis et combattus longtemps et intensément, le Seigneur, ému par les larmes des chrétiens, concéda enfin le triomphe à son fidèle guerrier contre son ennemi, comme sa foi le méritait. Alors une impressionnante transformation eut raison de l’opiniâtreté de Widukind : il se soumit volontairement, avec sa famille et toute son armée de païens, tant au pouvoir du roi qu’à la foi catholique. L’empereur, l’accueillant avec bienveillance, le fit baptiser par le saint évêque Boniface7 et le porta lui-même sur les fonts baptismaux. En réalité, ayant abandonné son erreur, Widukind parvint spontanément à reconnaître la vérité en faisant pénitence et, de la même façon qu’il avait été auparavant le tenace persécuteur et destructeur de l’Eglise, il devint ensuite le plus chrétien fidèle des églises et de Dieu. Y mettant tout son zèle, il construisit plusieurs petits monastères qu’il destinait, après les avoir achevés, aux reliques des saints et à d’autres usages. L’un de ces monastères reste encore connu de beaucoup de gens, celui d’Enger, et il en reste d’autres parmi ceux que nous venons d’évoquer. Parmi ses descendants, après qu’ils se furent soumis à la religion chrétienne, se signala le père de la susdite jeune fille, Thierry, auquel était mariée la très noble Reinhilde, du sang des Frisons et des Danois. La noblesse et la réputation de ses mœurs firent connaître cette jeune fille [Mathilde]. Comme nous l’avons dit, elle était entrée dans le monastère de Herford, non pas au nombre des moniales, mais pour se nourrir de choses utiles que l’on trouve dans les livres et de l’expérience des travaux avec sa grand-mère paternelle, qui s’était à tel point rendue utile dans son veuvage par ses bonnes actions, qu’elle fut choisie comme abbesse et première des religieuses. Dans son beau visage se reflétait la beauté de sa grand-mère et de son père et 7

En réalité, saint Boniface était mort depuis 754, alors que le baptême de Widukind n’intervint qu’en 785. D’une manière générale, toute cette présentation de la conversion de Widukind doit être considérée comme légendaire.

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elle fut aimable dès l’enfance, zélée dans le travail, modeste de mœurs, humble et généreuse, et puisque la jeune fille était dans la fleur de l’âge, elle méritait, grâce à la clémence favorable de Dieu, d’être l’objet de louanges telles que rien ne les surpassait. 2. Dès que le duc Otton l’eut appris, il envoya le comte Thietmar, le gouverneur du jeune Henri, voir si cette jeune fille était aussi belle et louable qu’on le disait. Celui-ci, voyant qu’elle convenait pour le mariage de son maître et qu’elle serait un motif d’espérance pour les peuples, raconta à son retour tout ce qu’il avait constaté. Après avoir écouté cela, Otton l’y envoya à nouveau avec son fils Henri ainsi que d’autres serviteurs qui, sur l’ordre du duc, se rendirent dans le couvent de Herford. Ils gagnèrent d’abord en petit nombre et incognito l’oratoire et là ils regardèrent la jeune fille au visage modeste et élégant. Puis, de retour en ville, derechef munis de la pompe royale et s’avançant avec une foule imposante, ils implorèrent, suppliants, l’abbesse de leur présenter la vierge pour laquelle ils étaient venus. La jeune fille qui s’avançait présentait dans son visage ces couleurs : des joues de neige mêlées d’un rouge flamboyant, telles des roses rouges mélangées à des lys blancs. Dès qu’Henri la vit et perçut pleinement ses qualités, il fixa son regard sur elle et s’enflamma tant d’amour pour elle que le mariage ne pouvait être retardé. Dès le lendemain matin, sans avoir informé encore ses autres parents si ce n’est sa seule grand-mère, l’abbesse de ce lieu, sans orgues ni cymbales, mais avec les troupes des princes rassemblées en cachette, elle fut conduite de là en grand honneur dans la patrie des Saxons jusqu’à ce que, à Wallhausen, le banquet nuptial fût apprêté comme il convenait à eux qui étaient très nobles et destinés à devenir rois. Là enfin ils jouirent complètement de leur légitime amour, et il lui donna en douaire cette cité et toutes ses dépendances. Le duc Otton, le père d’Henri, vécut encore trois ans après cela, puis mourut. Les princes, réunis en plaid général, se préoccupèrent de savoir lequel d’entre eux tiendrait la prééminence sur les autres. N’oubliant pas sa grâce, ils choisirent comme duc Henri, le fils du précédent. Il était en effet le plus puissant Saxon par les armes, lui qui s’adjoignait les peuples en les pacifiant davantage encore grâce à son extraordinaire amour de la charité, à tel point qu’ils le choisirent comme roi8. Peu de temps après, il arriva que Conrad, roi des 8

L’élection dont il est question ici est celle qui permit à Henri de devenir duc de Saxe à la mort de son père (912). L’auteur de la Vita parle, à propos de la

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Francs, quitta son enveloppe charnelle ; nous ignorons si ce fut en temps de paix ou de guerre. Le sceptre revint à Henri, de même que tout le royaume. 3. Dans ces circonstances, les Saxons, auxquels jamais n’avait été dévolue la prééminence, s’enrichirent du titre royal et se renforcèrent grâce à cet honneur. Ô Germanie ! Jadis opprimée sous le joug des autres peuples, mais désormais resplendissante de la gloire impériale, aime le roi en le servant fidèlement, efforce-toi de le seconder autant que tu peux, et demande sans cesse que le roi ne fasse pas défaut à son peuple, pour éviter que, privée de tous les degrés des honneurs, tu sois réduite à ta précédente servitude. Henri, à qui avait échu le royaume, grimpant déjà les derniers échelons des honneurs, avait établi par les armes sa domination sur les régions avoisinantes : les Slaves, les Danois, les Bavarois, les Bohémiens et les autres peuples qui semblaient n’avoir jamais été soumis au pouvoir des Saxons. Qu’y a-t-il d’étonnant à ce qu’il triomphât si souvent de peuples hostiles, alors qu’il restaurait des églises à grands frais et rendait ainsi grâce au plus grand des vainqueurs, le roi des Cieux ? Généreux envers les pauvres, il défendait la veuve et l’opprimé ; donnant ce qu’ils méritaient à ses vassaux, il régnait sur les autres pieusement selon une paix mesurée. En ce qui concerne Mathilde, l’heureuse épouse du prince terrestre Henri, bien que le pouvoir séculier lui fût acquis, sa volonté penchait plus pour le service de Dieu que pour l’élévation selon la gloire du monde. Elle était toujours soumise à Dieu, suivait les avertissements des prêtres, et le partage de sa vie tournait à l’avantage du Christ au détriment de son mari. Ainsi de nuit, se dérobant au roi en cachette, elle affectionnait l’église, où elle s’appliquait à prier, davantage que la couche de son mari. Parfois, si le roi était absent – qui le croirait ? – elle se répandait en prières comme si elle se liait aux pieds du Christ lui-même, depuis le chant du coq jusqu’à ce que l’aurore du lendemain fasse lever le soleil. Elle témoignait de son amour pour le Christ non seulement par sa voix, mais aussi par les œuvres qu’elle accomplissait entièrement. Si le roi condamnait à mort selon l’usage un accusé qui comparaissait au tribunal en raison d’une faute criminelle, la très sainte reine, compatissante Saxe, d’un regnum (royaume), comme le font beaucoup de ses contemporains. Très logiquement, mais de manière moins habituelle, il élève donc le titulaire de ce « royaume » au titre de rex (roi).

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envers le supplicié, adoucissait le cœur du roi par ses caresses jusqu’à ce que dans la colère royale d’où était sortie la condamnation à mort se fît entendre la voix d’une grâce. 4. Il ne faut pas non plus omettre la grandeur de leurs enfants. Quel que soit leur sexe, ils ont été glorifiés et revêtus du plus grand honneur. Parmi eux l’aîné Otton, du nom de son grand-père, plus doux que les autres et de meilleures mœurs, accepté de tout cœur par le peuple, hérita de la couronne et du royaume à la mort de son père9. De chez les Anglo-Saxons lui fut conduite une épouse royale, Edith, belle de corps mais surtout de mœurs remarquables10. Le cadet, l’illustre Henri11, fut nommé duc des Bavarois. Ils firent de Bruno12, le benjamin, prêtre sage et digne, l’archevêque de Cologne. En outre, leur sœur Gerberge avait été mariée au prince des Belges Gislebert13. Soucieux de prendre soin des chrétiens, le roi et sa très digne épouse, de plus en plus fervents dans l’amour de Dieu, faisaient chaque année de leur vie d’innombrables dons à tous les monastères par lesquels ils passaient. Et là où eux-mêmes ne pouvaient se rendre, ils se manifestaient en envoyant de généreuses sommes d’argent. Tout en accomplissant cela avec zèle, ils avaient eux-mêmes construit des monastères, prenant soin de leur âme selon les conseils divins. Tandis qu’ils témoignaient aux princes séculiers de l’affection de leur esprit, ceux-ci suggérèrent aussitôt de transférer les moniales de Wendhausen à l’intérieur de l’enceinte du couvent de Quedlinbourg. En effet des filles des princes y vivaient, ce qui déplaisait beaucoup à leurs parents car elles y manquaient de beaucoup de choses. Une fois ces propos tenus, le roi se rendit à Botfeld comme il en avait l’habitude pour chasser, et là il fut envahi par une grave maladie. Mais, alors qu’en raison de l’aggravation de son mal il sentait 9

Otton Ier, dit le Grand, né en 912, roi de Germanie (936-973) et d’Italie (951-973), empereur (962-973). 10 Edith, ou Eadgifu, fille d’Edouard, roi de Wessex (901-921). 11 Henri Ier, né en 919, duc de Bavière (948-955). 12 Bruno, né en 925, archevêque de Cologne (953-965). Voir sa Vita écrite par Ruotger, éd. Irene Ott, Weimar, 1951 (MGH Scriptores rerum germanicarum in usum scholarum separatim editi, n.s. 10). 13 Née entre 913 et 917, elle épouse Gislebert, duc de Lotharingie (mort en 939) en 929, et après la mort de celui-ci, le roi de Francie Occidentale Louis IV d’Outremer. Elle meurt en 968 ou 969.

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l’imminence de la dissolution de son corps, il prit la route d’Erfurt où, convoquant tous ceux qui étaient soumis à son pouvoir, il entreprit de tenir un conseil au sujet de l’état du royaume. L’abbesse qui était à la tête du couvent de Wendhausen était arrivée sur l’ordre du roi, et le couple royal, n’oubliant pas son désir premier, lui demanda de transporter les susdites servantes de Dieu de Wendhausen à Quedlinbourg. L’abbesse, recevant leur requête avec joie et persuadée par plusieurs princes, accepta de faire ce que le roi avait ordonné. Une fois le conseil achevé, comme le peuple rentrait chez lui, le roi se rendit avec quelques compagnons à Memleben et il y acheva sa vie terrestre, puisque Dieu le voulait. Un nombre infini de personnes afflua à ses funérailles et, suivant son corps jusqu’à Quedlinbourg en se lamentant, ils l’inhumèrent avec honneur, comme il était juste. Alors la reine, calme, désirant que sa volonté fût faite, ordonna que fût transféré dans ce lieu le groupe de jeunes filles, ce que l’abbesse de Wendhausen empêchait désormais en le refusant fermement. Mais que dire de plus ? La reine, aidée par son fils le roi Otton et par d’autres princes, réalisa ce vœu et, en y mettant toute son application, elle organisa ce monastère en lui attribuant tout ce dont il avait besoin. 5. Il advint en outre que, après la mort du vénérable roi Henri et l’accession au trône d’Otton son aîné, la reine Mathilde vécut son veuvage de façon si louable, que peu nombreux sont ceux qui pourraient l’imiter, d’un sexe ou de l’autre. Elle était en effet d’un conseil avisé, très douce envers les bons, dure à l’encontre des orgueilleux, généreuse en aumônes, zélée dans ses prières, bonne envers tous les pauvres, agréable en paroles. Elle resta pure par son amour envers Dieu et son prochain et par sa continence. Mais l’auteur de tous les maux, l’ennemi envieux14, s’était emparé, en les excitant contre elle, de quelques princes qui dirent au roi et aux autres fils de la reine qu’elle avait conservé une grande quantité d’argent qu’elle aurait dû leur donner. Alors ceux-ci, comme l’exige l’insatiable amour de posséder qui n’épargne pas même les propres enfants d’une mère, l’obligèrent à montrer les monceaux de trésors dissimulés qu’elle dépensait au nom du Christ pour les églises et les indigents, et, cherchant avec zèle un peu partout, ils ordonnèrent à des prospecteurs de parcourir les flancs des montagnes jusqu’au fin

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Le diable.

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fond des collines, et la terre sauvage des forêts. Lors de l’exploration de ces lieux dans lesquels, croyaient-ils, la reine avait convoyé des fonds de monastère en monastère, s’ils trouvaient des gens qui portaient quelque chose de précieux – car elle-même, aimée de Dieu, s’efforçait d’offrir discrètement à la main du Christ ce qui lui restait – ils renvoyaient les serviteurs couverts d’insultes et délestés par la force de ce qu’ils transportaient. Et bien pire, ils l’obligèrent, incitée par la blessure ouverte par ces outrages et bien d’autres encore, à abandonner la part du royaume qui lui avait échu en douaire, à entrer dans un monastère et à y prendre le saint voile15. S’affligeant de si grands maux et se souvenant de ce que dit l’Ecriture : « car c’est au travers de nombreuses souffrances qu’il nous faut entrer dans le royaume de Dieu16 », elle renonça aux villes de son douaire et, retournant dans ses biens patrimoniaux, elle se rendit au couvent d’Enger, à l’ouest17. Là, elle n’en continua pas moins ses bonnes œuvres habituelles. De nombreuses plaies s’abattirent sur le roi Otton comme pour venger sa mère : les triomphes de la victoire et les autres éléments favorables s’inversèrent. En effet, la grâce du Saint-Esprit résidait en Mathilde, la mère du roi, et elle avait gagné la préférence du Christ. 6. Toutefois le roi, conscient de ce que plus rien ne lui profitait comme auparavant, craignait sombrement jusque pour sa vie. Alors la regrettée reine Edith se mit à lui parler : « Ne t’attriste pas, mon seigneur et mon roi, tu es puni par les fouets divins pour avoir chassé du royaume comme une inconnue la meilleure des mères. Que cette très sainte femme soit rappelée, et qu’elle occupe le premier rang dans le royaume, comme il convient ! » Ayant entendu cela, le prince, d’abord pris de stupeur puis envahi d’une très grande joie, envoya des évêques, des nobles et d’autres honnêtes serviteurs pour rappeler à lui sa très digne mère et, se donnant lui-même avec ses biens, il dit qu’il consentait à toutes les conditions qu’elle mettrait à son pardon, pourvu seulement qu’elle use de sa grâce. Alors sa mère, acceptant avec bonheur ce qu’il lui avait demandé comme 15 A la mort d’Henri Ier, Mathilde dispose d’une part de ses biens patrimoniaux, d’autre part du douaire que son mari avait constitué en sa faveur lors de son mariage. D’après la Vita, les enfants de Mathilde ont contraint leur mère à renoncer au douaire. 16 Actes, 14, 22. 17 En Westphalie.

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si elle oubliait ce qui s’était passé auparavant, se rendit à Gronau en accomplissant la route en toute hâte. Là le roi vint à sa rencontre seulement accompagné de sa femme, se jeta à ses pieds et promit de changer selon la volonté maternelle tout ce qu’il avait fait de contraire. Mathilde, de belles larmes coulant sur ses joues, prit son fils dans ses bras et le couvrit de baisers, reconnaissant que tout cela s’était produit à cause de ses propres péchés. Sans délai, comblé par la paix acquise jusqu’à la réconciliation, il lui concéda la part du royaume qu’elle avait reçu en douaire. Les liens de cet amour existèrent longtemps encore et la pieuse reine Edith termina un jour sa vie terrestre pour commencer celle que l’on vit éternellement [946]. Quant au roi, à un âge déjà avancé, il fit construire en même temps que sa mère des églises et des monastères. Il pacifiait, jugeait selon le droit, imitant en toute chose la piété de son défunt père. 7. Il parvint alors aux oreilles du roi Otton une rumeur : Louis18, le célèbre roi des Latins, était mort et sa femme, la très noble Adélaïde19, était la cible de nombreux outrages de la part d’un certain Bérenger20 qui lui arrachait le royaume pour s’arroger la domination sur l’Italie. Alors le roi Otton, ayant pris conseil auprès des princes, se rendit avec ses hommes en Italie après avoir tout préparé comme il faut, et ramena dans sa patrie, avec tous les honneurs, la reine Adélaïde arrachée par une victoire triomphale. Ils s’unirent par un mariage légitime et, prévoyants pour le royaume, donnèrent naissance à de très beaux enfants des deux sexes. Selon la volonté de son excellente mère, le roi donna sa fille Mathilde, ainsi nommée d’après sa grand-mère, à la troupe des religieuses du couvent de Quedlinbourg. Quant à son fils Otton21, appelé comme son père, alors à la fleur de l’âge et qui vécut encore bien des années après lui, il fut prédestiné à lui succéder. La bienheureuse Mathilde, mère du roi, l’avait prédit dans une inspiration prophétique. Car chaque fois qu’elle apprenait la naissance d’un enfant royal, elle disait : « Merci mon Dieu ». Mais pour cet enfant en particulier, lorsqu’elle

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Il s’agit en réalité de Lothaire, né vers 926/928, associé au trône d’Italie par son père Hugues en 931, seul roi à la mort de son père en 947. Il meurt luimême en 950. 19 Adélaïde, fille du roi Rodolphe II de Bourgogne, épouse en 937 le roi d’Italie Lothaire, et à sa mort Otton Ier. 20 Fils du margrave Adalbert d’Ivrée et petit-fils du roi d’Italie Bérenger Ier. 21 Otton II (973-983).

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eut entendu la nouvelle de sa naissance, le genou en terre, elle convoqua la troupe des servantes de Dieu et lui ordonna de louer Dieu par des hymnes et de faire sonner les cloches de l’église, recommandant au roi des Cieux le petit garçon. Et lui souhaitant tout le bonheur possible dans cette vie, elle dit : « Celui-ci jouira d’une réputation plus éclatante que nous et montrera à ses parents des choses remarquables ». 8. Revenons-en maintenant aux hauts faits de la reine Mathilde. Si nous les avions évoqués un par un, nous aurions publié un livre immense pour les lecteurs. D’une part, ils ne peuvent tous être réunis en un bloc, et d’autre part, nous ne souffrons pas de tous les tenir cachés. En effet, de plus en plus attentive à Dieu et progressant de vertu en vertu, enrichissant les monastères, elle mit en place une troupe de clercs à Pöhlde. Ensuite, selon sa volonté, se développa une autre communauté de frères dans la vallée de Quedlinbourg et sur la colline fut installé un couvent de religieuses. Elle construisit aussi un couvent dans la proche ville de Gernrode ainsi que de nombreux autres. Elle s’était montrée pieuse non seulement, comme nous l’avons dit, à l’égard de ceux qui servaient Dieu dans les monastères, mais aussi envers tous les indigents. En effet, outre le repas quotidien des pauvres, elle rassemblait deux fois par jour une multitude de gens qu’elle restaurait par des mets dignes d’un roi, et tous les samedis elle permettait aux pauvres et aux pèlerins de se délasser dans un bain préparé pour eux. Parfois elle lavait un à un les membres des femmes, en entrant elle-même dans le bain, d’autre fois au contraire en envoyant ses suivantes pour éviter le peuple. Elle offrait à ceux qui sortaient du bain non seulement les nourritures habituelles, mais elle leur donnait également une aide en vêtements. Ainsi son usage de la miséricorde n’était pas moindre que le nombre d’indigents qui affluaient, et il ne manquait ni de personnes sollicitant son aide, ni de quoi leur en fournir. Lorsque toutefois elle était à son tour sur le point de manger un de ses trois repas quotidiens sur une table garnie de délicatesses de toutes sortes, si elle était au monastère, elle ne touchait à aucune nourriture avant que tout ne fût partagé entre les chrétiens ; et si elle n’était pas au couvent, elle offrait, alors qu’elle-même était encore à jeun, de la nourriture à ses hôtes fatigués et à ses serviteurs.

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9. Il ne faut pas non plus omettre ceci : partout où elle se trouvait, le feu ne manquait pas pendant la nuit, non seulement à l’intérieur mais aussi pour l’utilité de tous ceux qui restaient à la belle étoile. Cette sainte femme avait l’habitude, toutes les fois qu’elle était en voyage, qu’il soit court ou long, de prendre des cierges avec elle pour les répartir dans chaque oratoire où elle passait, et de porter de la nourriture au bas de son char, afin de restaurer en route les pauvres et les malades. Si, alors qu’elle s’était endormie assise dans le char, parce qu’elle avait l’habitude de passer les vigiles nocturnes éveillée en priant, quelque indigent venait à croiser leur route, et si la moniale assise devant elle, Richburg, qui avait été choisie pour cet office, s’endormant imprudemment ou lisant un livre attentivement, négligeait ainsi le soin aux pauvres et ne réveillait pas la reine, celle-ci, aussitôt qu’elle était réveillée, apostrophait sa chère suivante par de salutaires paroles, ordonnait d’arrêter le char, et, rappelant le pauvre qui avait traversé leur route, elle s’occupait de lui. Que dire de plus ? Elle aurait presque acquis la palme virginale grâce à ses bienfaits, si ce n’est seulement qu’elle s’épanouissait dans les ornements des vêtements temporels. En effet, il ne se trouvait pas un jour, presque pas une heure de son temps libre où elle était inerte en matière de bonnes actions. Les jours de fête, se consacrant à la lecture, soit elle lisait elle-même, soit elle écoutait les autres lire ; les jours où l’on peut travailler, s’appliquant à la prière ou à la psalmodie, comme elle en avait l’habitude, elle s’appliquait en outre au travail manuel. Si parfois elle était obligée toute la journée par divers discours au peuple, comme cela arrive à ceux qui dirigent le royaume terrestre, elle se tenait à l’heure du repas devant la table et travaillait à quelque ouvrage avant de goûter à la nourriture. Elle le faisait car elle se souvenait de la phrase suivante et la répétait : « Que celui qui refuse de travailler renonce aussi à manger »22. 10. Alors qu’elle se livrait à ces bonnes actions, la clémence divine la favorisa tellement qu’elle brilla même par la miséricorde du Seigneur dans la lumière des miracles. En effet, comme elle se tenait un jour sur le sommet de la colline à Quedlinbourg, elle regarda la foule de pauvres gens qui mangeaient dans la vallée et demanda à un serviteur si on avait donné du pain et d’autres ali-

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II Thessaloniciens 3, 10.

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ments aux pauvres. Le serviteur répondit : « Aucunement. » Alors, presque en colère contre l’intendant, elle lui arracha le pain des mains, y appliqua le signe de croix et, après avoir invoqué le nom du Seigneur, comme elle le faisait pour toute chose, elle le jeta du haut de la colline. Le pain roula à travers les rochers et les buissons et parvint sans dommage dans les mains d’un pauvre. Les témoins de cette scène furent stupéfaits, attestant ainsi que cela était arrivé grâce à la puissance divine. Elle se manifesta en outre dans cette ville par un autre miracle. En effet, comme à l’église elle offrait une offrande à Dieu avec grande dévotion, une jeune biche domestique, élevée dans le cloître, engloutit furtivement et on ne sait comment un flacon et même une cruche de vin, comme il y en a souvent dans les monastères. Les témoins de la scène, abasourdis, ne parvenaient pas à attraper cette bête, malgré leurs coups, leurs menaces et le bruit qu’ils faisaient avec leurs mains, jusqu’à ce que la reine, digne de Dieu, approchât sa main de la gueule de l’animal et lui parlât avec douceur : « Rends-nous ce que tu as pris et qui nous appartient ! » A ces paroles, la biche régurgita le flacon plus vite qu’elle ne l’avait bu. Qui douterait que le Maître des Cieux eût amené par ses mérites un animal à éprouver un sentiment humain ? Le Seigneur réalisa en elle de nombreuses choses, qui, si on pouvait les raconter une à une, sembleraient étonnantes ; mais il brilla en elle davantage par les vertus intérieures que par des miracles patents. 11. Entre temps le roi Otton, appelé à Rome par le pape pour recevoir la couronne impériale, sur l’ordre de Dieu à notre avis, partit pour s’emparer de l’Italie que la reine Adélaïde possédait auparavant en dot23. Ainsi, après avoir confié le royaume à son fils Otton, il se rendit en Italie avec sa seule femme, n’acceptant que la compagnie d’hommes au cœur vaillant et, en remarquable vainqueur, il s’empara du Latium24 sous la conduite du Christ. Il ordonna que Bérenger, qui avait usurpé le royaume des Latins et qui était harcelé par la pression des armes, fût fait prisonnier et conduit avec

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L’auteur confond deux événements : le couronnement impérial d’Otton Ier par la pape Jean XII (955-964) date de 962 ; la conquête du royaume d’Italie et le mariage avec Adélaïde se situent en 951. Adélaïde, veuve du roi Lothaire, n’avait d’ailleurs pas reçu l’Italie en dot ni en douaire. La présentation de cet épisode par la Vita essaie de ne pas trop souligner (cf. cependant le § 15) l’illégitimité de l’intervention ottonienne en Italie. 24 Le Latium désigne ici le royaume d’Italie.

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toute sa famille en Bavière. Ensuite Otton fut couronné empereur sur le siège de saint Pierre de même que son épouse et, maître de l’Empire Romain, il régna sur les villes italiennes, fort du pouvoir suprême. Dans les jours qui suivirent la première arrivée du roi en Italie, sa propre mère, Mathilde, saisie d’espoir et de crainte, sollicita Dieu par de fréquentes prières pour qu’il aide son fils, afin de gagner le plus fort des combattants25 en faveur de la victoire de son fils par ce sacrifice personnel. L’idée suivante siégeait dans son esprit : elle fit construire un couvent à Nordhausen et y rassembla une troupe de religieuses pour le salut de son âme et de son corps et ceux des siens, d’un commun accord avec son petit-fils Otton le Jeune. Le construisant à partir de rien, elle s’occupa continuellement et maternellement de ce très grand projet en lui accordant tout ce qui était nécessaire, aussi longtemps qu’elle vécut dans cette vie. En rentrant dans son pays après sa victoire dans le Latium, l’empereur se rendit à Cologne, ville que l’archevêque Bruno, son frère, dirigeait, et il ordonna que sa mère accompagnée du roi son fils et d’une belle jeune fille vînt à sa rencontre. Elle vint avec la reine Gerberge, sa sœur, et toute la descendance royale des deux sexes, tous réunis par l’affectueux désir de se revoir, puisque la clémence divine, à notre avis, en avait disposé ainsi26. En effet, après cela, ils ne se virent plus tous en même temps et ne se virent plus dans la vie présente. Mais leur illustre mère la reine Mathilde, heureuse d’avoir mis au monde d’aussi éminents personnages, fut accueillie avec honneur d’abord par l’empereur, puis par sa descendance. Elle se réjouissait, embrassant les siens, de voir ses petits-enfants. Elle était surtout transportée d’allégresse à l’idée que son auguste fils eût atteint sans dommage une telle gloire, et elle en rendait grâce à Dieu. Elle exposa point par point à celui-ci tout ce qu’elle avait fait entre temps pour le monastère de Nordhausen, notamment mue par la crainte qui la tourmentait de ne pas pouvoir achever le travail entrepris et d’abandonner cette communauté qui serait privée d’elle après sa mort. Elle se voyait alors d’âge mûr et se reprochait de ne pas s’être assez occupée des autres, puisqu’elle n’avait pas terminé ce qu’elle avait 25

Dieu. Se retrouvent donc à cette réunion de famille Mathilde, ses enfants Otton Ier, Bruno (archevêque de Cologne) et Gerberge (reine de Francie occidentale, épouse du roi Louis IV d’Outremer), ses petits-enfants Otton II et Mathilde (la « belle jeune fille »). 26

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commencé. Enflammé pour elle par l’amour de Dieu et du prochain, le roi lui dit en la remerciant qu’il devait la victoire à ses mérites et, afin qu’elle ne conçoive pas de telles inquiétudes et apaisant par ses paroles l’esprit de sa mère, il lui promit, en jurant lui-même et en faisant jurer ses successeurs, que jamais le couvent de Nordhausen ne manquerait d’aucune aide après sa mort. Après l’avoir calmée par ces mots, le roi et sa mère partirent en Saxe et ils arrivèrent à Nordhausen. Là, attribuant au monastère tout ce que sa mère ou Otton le Jeune son fils avaient donné, le roi lui remit lui-même les biens à perpétuité par un diplôme souscrit de sa propre main. De là, visitant les autres villes pour gouverner le peuple, il demeura quelque temps dans cette région, puis il gagna à nouveau Rome avec son fils. 12. Cependant approchait l’heure que le Seigneur avait choisie pour récompenser la peine terrestre de sa bien-aimée servante Mathilde. Malade depuis un an, celle-ci parcourait les demeures et les châteaux en cachant autant que possible sa maladie. Elle se rendit enfin à Nordhausen et, accompagnée de sa fidèle Richburg qu’elle avait mise à la tête de ce couvent comme abbesse pour qu’elle s’occupe bien de cette pauvre communauté selon la confiance qu’elle avait placée en elle, elle lui dit : « Je sens que je vais bientôt partir car le mal croît en moi. Je voudrais être inhumée ici pour que l’attention de mon fils se porte davantage sur vous, mais je sais qu’on ne le voudra absolument pas car notre seigneur Henri27 repose à Quedlinbourg. A quoi donc votre espoir doit-il tendre, où doit se diriger votre esprit ? Vers Dieu, bien sûr. » Après avoir donné aux religieuses de nombreux conseils salutaires, elle partit ensuite pour Quedlinbourg et, frappée d’une très grande maladie, elle s’y affaiblit jusqu’à en mourir. Alors, devant l’imminence de ses derniers instants, elle se souvint de la parole divine, qui dit : « Vends tout ce que tu possède, distribue le produit de la vente aux pauvres et viens, suis-moi28 ». Elle ordonna donc de distribuer sur le champ aux évêques, aux prêtres et aux indigents et de partager entre les monastères tout ce qui restait de ses grandes richesses. Elle ne garda pour elle qu’un vêtement qu’elle portait et deux autres manteaux, un d’écarlate et un de lin, qui devaient être conservés pour sa sépul-

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Le roi Henri Ier. Matth. 19, 21.

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ture selon sa volonté. Comme de nombreuses personnes, riches ou pauvres, affluaient vers elle et comme aucune ne repartait les mains vides, l’archevêque Guillaume de Mayence29, le fils de l’empereur Otton, se présenta à elle. Bouleversé, il passa le seuil de la maison dans laquelle Mathilde gisait très affaiblie et, noyé dans ses larmes, il pleura celle qui allait s’en aller − si la douleur admettait quelque bribe de raison, il aurait plutôt dû se réjouir car elle repose en paix, comme nous l’espérons, parmi le troupeau des justes. Lorsqu’elle vit sa douleur, elle poussa un gémissement : « A toi, dit-elle, je confie mon âme, je confie les religieuses de Nordhausen que j’abandonne, non seulement pour que tu en prennes soin, mais aussi pour que tu parles à l’empereur en leur faveur. Je m’en préoccupe plus que des autres couvents car là-bas le travail n’est pas achevé. » Guillaume lui promit d’accomplir tout ce qu’elle lui avait demandé. 13. Elle le chargea en plus de nombreuses choses à rapporter à son fils Otton mais ce fut en vain, car Guillaume ne vit plus le roi. Il vécut en effet encore quelques jours puis mourut. Mathilde, cette digne servante du Christ, prophétisant la mort de Guillaume comme si elle en était tout à fait informée, demanda, juste avant son départ : « Ai-je encore quelque chose à donner à l’évêque Guillaume ? » Puisqu’on lui répondait que non, elle réagit : « Où sont les manteaux qui devaient, selon notre ordre, être gardés pour ma tombe ? Qu’on les lui donne car il en a plus besoin pour son voyage à lui que moi pour le mien. Ce qu’on dit communément prend en nous tout son sens : Les proches fournissent l’habit qu’on porte lors de son mariage et lors de sa mort ». Cependant, son entourage ne comprenait pas pourquoi elle disait cela. Ils pensaient que Guillaume allait rentrer à Mayence. Mais tout ce que cette sainte femme avait prédit se déroula complètement, en ce qui concerne le voyage de l’évêque ainsi que le don de vêtements. En effet, au moment où la défunte était mise sur la civière, arrivèrent des envoyés de sa fille la reine Gerberge, chargés d’un manteau incrusté d’or qui pouvait entièrement recouvrir sa tombe et celle de son seigneur le roi Henri. Ainsi un samedi, jour qu’elle avait apprécié pour faire des bonnes œuvres, sa mort approchant, Mathilde appela à elle sa petite-fille, la fille de l’empereur qui était également abbesse du couvent, et elle lui enseigna par une foule de conseils salutaires comment pourvoir

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Guillaume, archevêque de Mayence (954-968).

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avec ardeur aux ouailles qu’on lui avait confiées, en faisant preuve d’humilité et de bonté, et avec sagesse et circonspection : ne quitter que rarement le monastère, consacrer son esprit aux saintes Ecritures et enseigner aux autres ce qu’on a lu, stimuler les autres par la parole et le conseil, mais encore davantage en laissant à tous son propre exemple par l’accomplissement de bonnes actions. Bien plus encore, elle lui donna même en mains propres le mémorial sur lequel étaient écrits les noms des nobles défunts, et elle lui confia ainsi non seulement l’âme d’Henri ainsi que la sienne propre, mais aussi celles de tous les fidèles chrétiens dont elle faisait mémoire. 14. Enfin Richburg, l’abbesse de Nordhausen, s’avança tristement vers la reine et pleura sur ses pieds qu’elle étreignait : « A qui, dit-elle, nous laisses-tu, tu nous abandonnes, toi qui es notre espoir et notre consolation ? » Alors la reine Mathilde, les yeux relevés et les mains ouvertes vers Richburg : « Je vous confie au Berger suprême. Je crois en effet que mon fils n’oubliera pas sa promesse, faite en son propre nom et en celui de ses successeurs, de ne jamais faire défaut à votre couvent. Mais si, néanmoins, vous étiez abandonnées par les hommes, faites donc du règne de Dieu votre préoccupation première, et toutes ces choses vous seront données en plus30, car Dieu ne saurait délaisser ceux qui gardent espoir en lui. » Puis elle se retourna vers ceux qui l’entouraient : « Mettez-moi un cilice si vous le voulez bien, et placez-moi vers le ciel pour que mon âme revienne à Dieu et pour que ma chair retourne à la poussière. » Tous ces événements accomplis selon l’ordre divin, chargée de jours et terminant sa vie, laissant à la postérité l’exemple de ses bonnes actions et entourée de ses descendants et parmi eux de ses petitsenfants jusqu’à la quatrième génération31, la reine Mathilde remit son esprit à Dieu et aux anges et prit le chemin qui mène au Seigneur le 14 mars [968]. Elle fut confiée avec honneur à sa dernière demeure à Quedlinbourg dans la basilique du saint évêque et confesseur Servais, et repose depuis lors à côté de la tombe de son seigneur Henri.

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Luc 12, 31. Est présent aussi Otton, fils de Liudolf (lui-même fils aîné d’Otton Ier, mort en 957), et donc arrière-petit-fils de Mathilde. Né en 954, Otton deviendra duc de Souabe en 973, duc de Bavière en 976 et mourra en 982.

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15. Ensuite, des messagers, chargés de l’annonce écrite de sa mort, se rendirent en Italie où l’empereur Otton, le fils de Mathilde, gouvernait le Latium. C’était un homme dont on aurait pu parler en bien toute sa vie, s’il lui avait été possible soit de renoncer à la couronne italienne, qui avait été acquise non pas légalement mais dans le tumulte de la guerre, soit de ne pas recourir aux armes. Mais il est vrai qu’on ne peut pas maintenir un grand empire sans le secours de la force armée. Et néanmoins, ni les richesses du royaume, ni la dignité de l’empire, ni la couronne, ni la pourpre n’avaient pu l’empêcher de servir le Christ. Les émissaires vinrent le trouver alors qu’il était dans son palais, siégeant sur son trône élevé, et, ayant reçu l’autorisation de parler, ils ouvrirent la lettre et annoncèrent à Otton que sa mère était décédée. Complètement bouleversé par cette nouvelle, blanc comme un linge et des larmes lui perlant déjà aux paupières, il pleura abondamment, poussé en cela par l’amour qu’il portait à sa mère. Ensuite, il affirma qu’il accomplirait tout ce que sa mère lui avait demandé et de fait, il s’en chargea sur le champ en donnant une partie des possessions occidentales de la défunte au couvent de Nordhausen. Il lui envoya également un privilège donné par le pape de Rome, comme sa mère elle-même l’avait souhaité. Le roi demeura en Italie le temps qu’enfin son fils Otton le Jeune eût reçu pour épouse royale la très célèbre Théophano, venue de l’empire d’Orient et du palais de l’empereur avec d’innombrables trésors32. Alors, seulement après avoir accordé l’honneur de la dignité impériale aux deux époux, il revit enfin la patrie des Saxons, accompagné de sa femme ainsi que de son fils et de sa bru. 16. Il se rendit précisément dans la ville de Quedlinbourg durant la période pascale, là même où se trouvait la tombe de son père et de sa mère, et sur place, reçu avec honneur, tout le peuple s’étant rassemblé pour l’accueillir, il y passa la semaine sainte. Mais bientôt à nouveau sur la route, il arriva malade à Memleben et là, un jour qu’il avait été transporté dans un oratoire pour y entendre les vêpres, comme il était constamment animé du zèle de servir l’Eglise et Dieu, il rendit son esprit et le confia à l’accueil des anges [7 mai 973]. Après sa mort, Otton le Jeune, son très excellent fils, prit possession du royaume des Latins et des Saxons et nous croyons que sa valeur ne sera pas moindre que celles de son père et de sa

32 Théophano, née vers 955, nièce de l’empereur byzantin Jean Tzimiskès (969-976), épousa en 972 Otton II.

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grand-mère33, avec l’aide de notre Seigneur Jésus-Christ qui vit et règne pour les siècles des siècles. Amen.

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Respectivement Otton Ier et la reine Mathilde.

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THIETMAR DE MERSEBOURG

CHRONIQUE traduite (livres 3 et 4) par Benoît-Michel TOCK

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Introduction

Thietmar est né en 975 dans une famille de haute noblesse : son père était le comte saxon Siegfrid, de la famille des comtes de Walbeck, apparenté à des familles cumulant des honores, des charges comtales, épiscopales et abbatiales. Thietmar avait comme frères Henri comte de Walbeck, Frédéric burgrave de Magdebourg, Siegfrid évêque de Münster, Bruno évêque de Verden. Bernard Ier et II, ducs de Saxe, étaient ses cousins par le mariage du premier avec sa tante maternelle Hildegarde ; du même côté il était apparenté, d’un peu plus loin, aux margraves Hermann (mort en 1038) et Ekkehard II (mort en 1046) et à l’archevêque de Salzbourg Gunter (mort en 1025). Conrad Ier, duc de Souabe (mort en 997), était un frère de sa grand-mère maternelle, et donc son grand-oncle, ce qui faisait du petit-fils de Conrad, le duc de Souabe Hermann III (mort en 1012), son cousin sous-germain… Très tôt destiné au clergé, Thietmar fut élevé par sa tante à l’abbaye de Quedlinbourg, auprès de sa grand-tante Emnilda, qui en était abbesse ; il alla en 990 à l’école de la cathédrale de Magdebourg. Il commença sa carrière ecclésiastique comme chanoine de Magdebourg, devint en 1002 prévôt du chapitre de Walbeck, et en 1009 évêque de Mersebourg. Il mourut en 1018. Quedlinbourg (monastère de moniales fondé en 986), Magdebourg (archevêché fondé en 968), Walbeck (chapitre fondé en 942), Mersebourg (évêché fondé en 968) : la carrière et la vie de Thietmar se déroulent en Saxe, qui est devenue depuis l’accession d’Henri l’Oiseleur au trône (919) le cœur du royaume de Germanie. Mais les horizons de Thietmar ne se bornent pas à la Saxe. Celle-ci est alors frontalière des régions slaves, plus ou moins dominées en Pologne par Boleslas Chrobry, et surtout irrégulièrement christianisées. L’enfance et la jeunesse de Thietmar seront dominées par des

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événements dramatiques, raids, incursions, massacres, au cours desquels plusieurs membres de sa famille perdront la vie. Thietmar a commencé sa chronique pendant son épiscopat. Son projet était double : raconter l’histoire de son évêché, mais aussi celle des souverains germaniques. Ces deux histoires sont très étroitement liées, puisque la dynastie ottonienne, originaire de Saxe, a constamment porté son attention aux églises de sa région natale, qui est d’ailleurs à la fois très fidèle et en danger face au voisin slave. Le plan de Thietmar repose d’ailleurs sur la succession des souverains : Henri Ier (livre I), Otton Ier (livre II), Otton II (livre III), Otton III (livre IV), Henri II roi (livres V et VI), Henri II empereur (livres VII et VIII). Thietmar est de toute évidence très attaché au pouvoir royal. Dans l’Allemagne médiévale, cela signifie que pour lui le pouvoir royal doit primer et prime, et de loin, celui des comtes et des ducs. D’où son attention aux faits des rois, d’où aussi son attention à la manière dont la dignité royale est occupée. La primauté accordée au pouvoir royal ne signifie ni méfiance, ni hostilité à l’égard des ducs et des comtes, pour autant cependant qu’ils ne contestent pas l’ordre royal. Bien que le plan de la Chronique s’organise en fonction des règnes, il est clair que le premier centre d’intérêt de Thietmar est son évêché de Mersebourg. Il faut dire que l’histoire de ce diocèse, quoiqu’elle soit intégrée à l’histoire dynastique, est à ce moment d’une exceptionnelle complexité : créé en 968, l’évêché de Mersebourg est supprimé en 981 (cf. III, 14 et 16) et finalement restauré en 1008, en ayant toutefois dû abandonner un patrimoine que Thietmar passera une partie de son épiscopat à essayer de retrouver. Comme chaque fois qu’au Moyen Age un clerc, fût-il évêque, retrace l’histoire de son église, il s’agit d’abord de montrer que celle-ci est respectable et éminente, qu’elle peut s’appuyer sur une sainte tradition. Plus largement, Thietmar est aussi un homme d’Eglise. Il signale les décès et les élections d’évêques, et aime à donner, quand il le peut, son avis sur ses confrères. Cela donne un aspect très personnel et presque concret au concept de « Reichskirche » (généralement traduit « Eglise impériale », mais qu’on devrait bien mieux traduire « Eglise d’Empire »), dans la mesure où Thietmar montre un épiscopat ottonien assez proche finalement d’un grand corps de l’Etat actuellement : des gens de qualité, occupant des fonctions élevées mais géographiquement dispersées, qui se connaissent souvent et

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constituent une sorte de réseau, on pourrait presque dire de fraternelle. Thietmar est aussi un homme de religion et de foi. Mais lorsqu’il évoque ses croyances, celles-ci tournent presque toujours autour des visions, des apparitions et des prémonitions. Les morts utilisent ce biais pour entrer (ou rester) en contact avec le monde des vivants. Et les saints, qui sont des morts exceptionnels, privilégient eux aussi ce moyen de communication. Une caractéristique plus inattendue peut-être est le nationalisme saxon de Thietmar. Ce sentiment l’entraîne d’ailleurs à professer le plus grand mépris pour ceux qu’il appelle les « Occidentaux », et qui sont en fait les Allemands rhénans (disons les Lotharingiens et Franconiens sans doute). On lira à ce sujet ce qu’il dit au chapitre 14 du livre IV. Enfin, on peut souligner que Thietmar n’est pas un chroniqueur neutre et extérieur. L’histoire qu’il raconte le passionne. Et surtout, il n’hésite pas à se mettre en scène. Il donne l’année de sa naissance (III, 6), parle des grands événements qui ont marqué la vie de sa famille. Il donne aussi (IV, 75) un hallucinant autoportrait négatif, donnant des détails concrets et peu flatteurs sur son apparence physique, et bien sûr aussi sur ses qualités morales. Sans doute cela a-t-il un lien avec sa réflexion, qui affleure ici ou là, sur les notions d’individu et de « moi ». On peut même lire, dans le prologue au livre V (non traduit ici) une citation du gnothi seauton grec ! Le public visé par Thietmar est sans doute local : les clercs de Mersebourg, et surtout le premier d’entre eux, son successeur évêque, à qui il s’adresse directement à plusieurs reprises. La postérité de Thietmar est mince en ce qui concerne le nombre de manuscrits. Outre le manuscrit autographe perdu (Dresde, Sächsische Landesbibliothek, Msc. Dresd. R. 147 ; d’ailleurs davantage original qu’autographe, car s’il a été établi sous la direction de Thietmar par une équipe de plusieurs scribes, l’évêque n’y mit directement la main que de loin en loin) on ne connaît qu’un autre témoin, le ms. Bruxelles, Bibl. Royale, 7503-7518 : c’est une copie faite à la fin du XIVe s. d’un manuscrit copié vers 1120 à l’abbaye saxonne de Corvey, dont le texte fut fortement enrichi à cette occasion (ou déjà par Thietmar ?) de nombreuses additions. On a suivi ici le texte donné par la version de Corvey, donc le texte révisé et augmenté au début du XIIe siècle.

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La Chronique de Thietmar est éditée par R. Holtzmann, Die Chronik des Bischofs Thietmar von Merseburg und ihre Korveier Überarbeitung, Berlin, 1935 (MGH Scriptores rerum germanicarum, nova series, 9) ; réimpr. à l’identique, Berlin, 1956, à privilégier par rapport à celle de Friedrich Kurze, Hanovre, 1889 (MGH Scriptores rerum germanicarum in usum scholarum ex Monumentis Germaniae Historicis recusi). Le manuscrit autographe a été conservé jusqu’à sa destruction durant la 2nde guerre mondiale. Un fac-similé complet en avait été publié par L. Schmidt, Die Dresdner-Handschrift der Chronik des Bischofs Thietmar von Merseburg, Dresde, 1909. Quelques rares passages ont été traduits par Robert Folz, La naissance du Saint-Empire, Paris, 1967 (Le mémorial des siècles), p. 249-268. Il existe plusieurs traductions allemandes, par exemple celle de Werner Trillmich (Thietmar von Merseburg, Chronik, Darmstadt, 1957 (Ausgewählte Quellen zur deutschen Geschichte des Mittelalters. Freiherr-vom-Stein Gedächtnisausgabe, 9), avec le texte latin dans l’édition de Holtzmann). La traduction de Robert Holtzmann lui-même a été rééditée récemment (Die Chronik des Thietmar von Merseburg, s.l. 2007). Il existe aussi une traduction anglaise, celle de David A. Warner, Ottonian Germany, Manchester, 1999.

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Livre 3 1. Le troisième gardien de ce royaume, Otton II1, sera le sujet de ce livre. Dans sa jeunesse, il était célèbre pour la grande force de son corps et s’adonnait à tout ce qui est violent. Par bonté, il donnait beaucoup sans mesure, fuyant les conseils mûrs. Mais ensuite, réprimandé par beaucoup, il s’imposa le frein d’une vertu louable et se comporta noblement à l’âge adulte, comme je vais le raconter ci-dessous. A l’instigation de sa pieuse mère2, sous le gouvernement de qui il régnait, il acquit par un juste échange Memleben, où son père était mort, et certaines dîmes qui appartenaient à Hersfeld. Ayant rassemblé des moines, il en fit une abbaye libre et lui ayant donné les biens nécessaires, il la fit confirmer par un privilège apostolique. Par un précepte impérial promulgué en présence de l’archevêque Adalbert3 il donna aux frères servant Dieu à Magdebourg la permission d’élire un archevêque, et renforça ce don par celui d’un livre, qui s’y trouve toujours aujourd’hui, dans lequel brille un portrait doré de lui et de l’impératrice Théophano. Par la grâce de l’empereur et en sa présence, l’archevêque, ayant tout préparé pour la messe et prononcé, selon son habitude, un excellent sermon après la lecture de l’évangile, récita le précepte impérial qui contenait cette liberté d’élection, le montra et condamna à la terrifiante excommunication le téméraire, quel qu’il soit, qui oserait l’enfreindre. Il renforça encore cela en faisant dire à tout le monde « Amen, qu’il en soit ainsi, qu’il en soit ainsi ! » L’empereur accorda sa généreuse bonté à l’évêché de Mersebourg, qui était alors bien pauvre, et en particulier à celui qui le présidait, Giselher4, parce qu’il l’aimait beaucoup. Il donna pour le

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Le troisième à partir de l’établissement de la dynastie saxonne, avec l’élection du roi Henri Ier l’Oiseleur (919-936), père d’Otton Ier (936-973, empereur en 962) et grand-père d’Otton II (973-983). 2 Née vers 931, Adélaïde, fille du roi de Bourgogne Rodolphe II, épouse en secondes noces le roi de Germanie Otton Ier en 951. Impératrice en 962, veuve en 973, elle décède en 999. 3 Adalbert, archevêque de Magdebourg (968-981). 4 Giselher, évêque de Mersebourg (971-981), archevêque de Magdebourg (981-1004).

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service de saint Jean-Baptiste5 l’abbaye de Pöhlde, la cité de Zwenkau avec ses dépendances, et tout ce qui est à l’intérieur de l’enceinte de Mersebourg, y compris les Juifs, les marchands, la monnaie ; et le droit de forêt entre la Saale et la Mulde, les territoires de Siusili et de la Pleisse, Kohren et Nerchau, Pausitz, Taucha, Portitz et Gundorf, et tout cela il le confirma par un diplôme validé de sa propre main. 2. A cette époque mourut Gero6, remarquable archevêque de Cologne. J’ai dit peu de choses à son sujet ; aussi je dirai en peu de mots ce que j’ai gardé en réserve. Il ordonna de faire fabriquer soigneusement un crucifix en bois, qui se trouve aujourd’hui dans l’église où lui-même repose. Comme il avait vu que la tête en était fissurée, ne présumant pas de lui-même, il s’en occupa de la manière suivante avec l’aide très efficace du souverain artisan. Joignant une partie du corps du Seigneur, unique remède dans toutes les nécessités, et une partie de la croix salutaire, il les posa sur la fissure, se prosterna, et invoqua en suppliant le nom du Seigneur. Lorsqu’il se releva, il avait mérité, comme une humble bénédiction, la réparation. Un jour, entrant dans sa chapelle alors qu’il faisait déjà clair, il vit saint Victor (c’est lui-même qui le raconta ensuite à ses fidèles) combattant victorieusement avec le diable. 3. Le diable, jaloux de tout bien, ainsi qu’il l’est traditionnellement, annonça la nouvelle de sa mort à une abbesse appelée Gerberge, que Gero aimait beaucoup à cause de la chasteté de son esprit et de son corps, et qu’il retenait souvent près de lui : « Je te dirais bien un secret, si je ne savais pas que jusqu’ici tu n’as jamais conservé un secret qui t’avait été confié. Mais si tu me promets que tu le garderas fidèlement, je te le dirai. Sois sûre cependant que si tu le révèles à quelqu’un, je prendrai ta vie. Gero, que tu connais bien, sera atteint cette année d’une telle maladie pendant trois jours qu’on le croira mort. Toutefois, si quelqu’un veille sur lui pendant tout ce temps, il pourra s’échapper sain et sauf de ce péril. » La servante du Christ, stupéfaite par ces paroles, promit que par un fidèle silence elle tairait cela à tout le monde. Mais lorsqu’elle vit le 5

C’est-à-dire pour la cathédrale de Mersebourg, qui était dédiée à s. JeanBaptiste. 6 Gero, archevêque de Cologne (969-976).

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diable disparaître, elle prit aussitôt la route et raconta tout à l’archevêque. Le diable le comprit, et la frappa de telle manière que peu de temps après elle échangea cette vie fragile pour la vie éternelle. Quant à l’archevêque, lorsqu’il célébra la messe au jour de son enterrement, il vanta ses mérites à tous ceux qui étaient là, leur demanda leur pardon à son sujet, et donna le sien. 4. Mais ensuite, atteint par la maladie dont j’ai parlé, il confia à Everger la charge de prendre soin de lui. Everger, le voyant comme mort, épuisé par une vive douleur, ordonna qu’il fût lavé, placé sur un brancard, transporté dans l’église et enterré dès le lendemain. Cependant, la troisième nuit, l’archevêque (c’est le peuple qui le raconte), comme s’il sortait d’un profond sommeil, entendit la cloche qui sonnait et demanda, en criant trois fois, qu’on lui ouvrît rapidement. Stupéfait, celui qui l’entendit appela le susdit Everger, gardien de l’église, pour qu’il sauve l’évêque en difficulté. Mais Everger affirma qu’il mentait complètement et le frappa avec un grand bâton. Et c’est ainsi que le regretté archevêque mourut le 29 juin. Il apparut peu après à l’abbé Liudolf, lui dit : « Chantez pour nous un Requiem » et disparut de ses yeux. Après avoir été élu et avoir reçu le don impérial, Warin7 fut aussitôt oint à sa place. 5. En l’an 975 de l’incarnation du Seigneur, la deuxième du règne d’Otton II, le duc de Bavière Henri8 fut capturé et détenu sous bonne garde à Ingelheim. Cette année l’hiver fut long et sec, mais une neige abondante tomba du ciel. A la mort de Robert9, archevêque de Mayence, l’empereur mit à la tête de cette église son chancelier Willigise10. Beaucoup s’y opposaient en raison de la bassesse de sa naissance, mais l’empereur savait que, comme l’atteste saint Pierre, « Dieu ne fait pas acception des personnes »11, mais aime avant tout ceux qui l’aiment du fond de leur cœur et les récompense par un honneur inattendu. On ne peut d’ailleurs pas taire comment la bonté divine avait signalé quel grand pasteur il serait. Sa mère était très pauvre, mais c’était quelqu’un de bien, comme le montre ce qui suit. Alors qu’elle 7

Warin, archevêque de Cologne (976-985). Henri II le Querelleur, duc de Bavière (955-976 et 985-995). 9 Robert (ou Rupert), archevêque de Mayence (970-975) 10 Willigise, archevêque de Mayence (975-1011). 11 Actes, 10, 34. 8

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le portait dans son ventre, elle vit en songe le soleil, brillant depuis son ventre, remplir la terre entière de rayons flamboyants. Et la nuit même où elle enfanta un tel enfant, tout le bétail femelle qu’elle avait dans sa maison répondit par une même procréation, comme pour féliciter sa maîtresse. Cet enfant était comme le soleil, parce qu’il éclaira par les rayons de sa sainte prédication les cœurs de beaucoup de gens qui s’étaient assoupis à l’écart de l’amour du Christ. A sa naissance naquit aussi une miraculeuse multitude du sexe masculin, parce que l’homme de Dieu était appelé, par une souveraine prédestination, à exercer l’épiscopat pour le salut de toute la patrie. L’heureuse mère, que le Seigneur visita à ce point davantage que ses contemporains qu’elle enfanta une descendance égale aux plus nobles et même meilleure que beaucoup, éprouva ainsi par les yeux et par la réalité que la vision qu’elle avait eue était vraie ! Mais je raconterai ceci plus loin. 6. Dans sa première expédition l’empereur prit la ville de Boussu. Sa deuxième expédition le mena contre les Danois qui s’étaient rebellés contre lui ; il se hâta jusqu’au Schleswig. Constatant que ses ennemis avaient occupé aussi bien le fossé qui avait été préparé pour la défense de la patrie que la porte qu’on appelle Wieglesdor, il enleva toutes ces fortifications sur le conseil du duc Bernard12 et de mon grand-père le comte Henri. Ce fut lors de ce voyage que pour la première fois s’éleva une méchante moquerie contre les clercs, qui aujourd’hui encore est poursuivie par les méchants. Il est d’ailleurs tout à fait pitoyable de voir que ce qui est trouvé bon par les justes n’entre que très peu en usage, et est au contraire aussitôt repoussé par une grande multitude comme très détestable. Tandis que ce qui déplaît à Dieu et entraîne l’homme vers la peine lui vaut sa faute, l’homme apprend et se renforce en réfléchissant. Je sais bien que beaucoup ne sont pas sérieux quand ils se moquent ainsi, mais ils ne font pas cela sans se charger d’un péché. L’empereur édifia une ville dans cette région et la renforça par une garnison. L’évêque Bruno13, dont j’ai parlé ci-dessus, mourut le 9 mars, et ce fut Erp14, prévôt de Brême, qui lui succéda sur l’inter-

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Bernard Ier, duc de Saxe (973-1011). Bruno Ier, évêque de Verden (962-976). Erp, évêque de Verden (976-999).

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cession de l’archevêque Adaldag15. Et c’est cette année-là que je suis né, le 25 juillet. 7. En l’an de l’incarnation du Seigneur 976, Henri, duc de Bavière, privé de sa charge et excommunié, s’enfuit en Bohême et fut accueilli par le duc Boleslas16. L’empereur se dirigea contre eux avec une forte armée, mais cela ne lui servit à rien. Au contraire, il perdit, par la ruse d’un soldat de Boleslas, une importante troupe de Bavarois qui lui venait en aide et qui était en train d’installer son camp près de la ville de Pilsen. Le soir venu, les Bavarois se lavèrent sans prévoir de sentinelles. Et voilà que l’ennemi, arrivant en cuirasse, massacra ceux qui couraient nus dans les tentes et les prés verdoyants, puis s’en retourna joyeusement chez lui, sain et sauf, avec le butin. L’empereur, apprenant la perte d’un aussi grand nombre d’hommes et que plus aucune route ne restait ouverte pour son retour, alla directement dans sa ville de Cham, et soumit l’année suivante le duc Henri qui s’enfuyait vers Passau. Cette même année, le duc Henri, le comte Ekbert et l’évêque Henri17, mis en accusation devant l’empereur, furent détenus à Magdebourg et envoyés en un long exil. 8. Après cela, l’empereur prépara avec beaucoup de soin une expédition contre Lothaire, roi des Carolingiens18, qui avait osé envahir avec une forte armée le palais et le siège royal d’Aix, appartenant à notre domination, et s’attribuer l’aigle en le retournant. Cet aigle se trouve à l’est de ce palais, et la coutume veut que ceux qui possèdent ce lieu le tournent vers leur royaume. L’empereur poursuivit Lothaire qui se retirait sans traîner, saccageant et brûlant tout jusqu’à Paris. Beaucoup, au cours de cette expédition, furent attaqués par la maladie. Bruno, comte d’Arneburg, chevalier louable en toute chose, mourut le 30 novembre. L’empereur revint au milieu d’une gloire triomphale, et inspira aux ennemis une telle terreur qu’ils n’osèrent plus jamais recommencer. La honte qu’ils nous avaient d’abord apportée retomba sur eux plus fortement encore.

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Adaldag, archevêque de Hambourg/Brême, 937-988. Boleslas II, duc de Bohême (972-999). 17 Henri, évêque d’Augsbourg (973-982). 18 Lothaire, roi de Francie occidentale (954-986), appartenant à la dynastie carolingienne, avait mené en 978 une expédition contre Aix-la-Chapelle. Voir en contraste le récit de Richer de Reims dans sa Chronique, III, 69-81 (Histoire de France, éd. et trad. Robert Latouche, t. 2, Paris, 1937, p. 84-103). 16

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Entretemps, l’évêque de l’église d’Augsbourg, Ulrich19, la perle des prêtres, sortit de ce monde au cours de la 50e année de son ordination. Il reçut, de la part du Christ, la récompense de ses pieux efforts le 4 juillet. Son successeur Henri ne siégea que peu de temps, comme je l’expliquerai ci-dessous. 9. Mis en accusation devant l’empereur à l’instigation de l’archevêque Adalbert et du margrave Thierry, le comte Gero fut capturé par Waldo en un lieu qui s’appelle Sömmering, et confié à la garde attentive de mon père et de mon oncle. Tous les princes du royaume furent ensuite convoqués à Magdebourg et se rassemblèrent dans une île pour un jugement par le duel. Deux fois blessé au cou, Waldo poursuivit plus ardemment son ennemi, et le frappant d’un coup net à la tête, il le mit par terre. Il demanda alors à Gero s’il pouvait continuer à se battre, mais celui-ci fut forcé d’avouer qu’il ne le pouvait plus. Waldo sortit, prit de l’eau pour se remettre, déposa ses armes, et mourut un peu à l’arrière. Alors, par la décision des juges et la voix de l’empereur, Gero fut décapité par un bourreau le 11 août. Ce duel cependant ne fut approuvé par personne, si ce n’est l’archevêque Adalbert et le margrave Thierry. Le duc de Bavière Otton20, fils de Liudolf, qui était arrivé ce même jour, et le comte Bertold reprochèrent à l’empereur d’avoir dû condamner un tel homme pour une raison aussi faible. J’ai maintenant envie de raconter en peu de mots le mérite de Liudolf21, abbé de Corvey à qui, parce qu’il multipliait les jeûnes et les veilles, Dieu daigna révéler de nombreuses choses. Alors qu’au petit matin du jour du duel que je viens de raconter, il célébrait la messe humblement et en craignant Dieu comme il le faisait d’habitude, il vit sur l’autel la tête du comte Gero. Après avoir fini la messe, il en chanta une autre pour les défunts. Ensuite il enleva ses vêtements sacerdotaux, sortit en silence et annonça aux frères rassemblés la mort de Gero, leur demandant instamment de prononcer pour lui la prière commune. Pourtant la décapitation de Gero n’eut lieu qu’au coucher du soleil. 10. Pour célébrer sa memoria, sa sœur Tetta et son épouse Aethela construisirent un monastère à Alsleben, où repose son 19 20 21

Ulrich ou Udalrich, évêque d’Augsbourg (923-973). Otton, duc de Souabe (973-982) et de Bavière (976-982). Liudolf, abbé de Corvey (965-983).

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corps ; elles offrirent à Dieu et à son Précurseur22 une partie de leurs biens, et obtinrent de faire confirmer cela par un privilège impérial, pour que l’abbaye qu’elles avaient si généreusement fondée fût placée sous le pouvoir et la protection de l’empereur et de ses successeurs. Trois ans plus tard, on déposa près de lui sa femme, et le corps de Gero fut retrouvé intact, de même que ses vêtements. Alors qu’Otton régnait depuis six ans, le roi Lothaire vint avec son fils et des cadeaux magnifiques, et lui faisant ainsi satisfaction, il s’acquit fermement son amitié. Cette même année notre César partit en Italie [novembre 980], et par malheur ne revint plus jamais dans nos régions. 11. Alors que l’empereur était à Rome, l’archevêque Adalbert, qui était dans la 13e année de son épiscopat, enseignant à ses fidèles et les confirmant, visita le diocèse de l’évêque [de Mersebourg] Giselher, qui accompagnait alors l’empereur. Le 19 juin il célébra la messe à Mersebourg, et la nuit suivante il s’en alla tout joyeux à Corbetha avec un vénérable laïc, Hemuzo. Le lendemain il se leva peu en forme et se plaignit d’une forte douleur à la tête. Il se mit quand même en route, voulant arriver à Freckleben. Mais comme il dépassait Zscherben, glissant petit à petit de cheval il serait tombé par terre s’il n’avait été aussitôt soutenu par les siens. Placé sur un tapis et après avoir accompli tout ce que doivent dire les clercs, il partit en toute fidélité vers le Christ, le 20 juin. Son corps fut porté à Giebichenstein, revêtu des vêtements et des ornements sacerdotaux, et porté par bateau jusqu’à Magdebourg. Reçu avec force larmes par ses chanoines et plus encore par les moines, il fut placé au milieu de l’église, devant l’autel des apôtres Philippe et Jacques, par le célèbre Hildeward, évêque de la sainte église d’Halberstadt23, avec l’aide du vénérable abbé [de Saint-Jean de Magdebourg] Harding. Lecteur, considère avec quelle sollicitude ce prélat veillait sur les troupeaux qui lui étaient soumis ! Il venait souvent dans le silence de la nuit à la bergerie de saint Jean-Baptiste et de saint Maurice, avec seulement deux compagnons, et vérifiait à l’improviste comment les frères venaient à matines, ou quels étaient ceux qui restaient dans le dortoir. Si tout était bien, il en rendait grâces à Dieu ; sinon, il imposait aux coupables une punition méritée. 22

Le « Précurseur » est le surnom donné à saint Jean-Baptiste, puisqu’il avait annoncé la venue du Christ. 23 Hildeward, évêque d’Halberstadt (968-996).

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12. Le clergé et le peuple, troublés par les funérailles d’un tel père, élirent ensemble comme seigneur et comme archevêque le chanoine Ochtrich, qui servait alors fidèlement l’empereur. Pourtant, l’archevêque Adalbert, lorsqu’il était vivant et en bonne santé, avait prédit publiquement devant beaucoup de ces futurs électeurs que cela ne pouvait se faire. Ochtrich et lui en effet ne s’étaient jamais vraiment accordés. Comme maître d’école, Ochtrich avait formé une grande foule de clercs et de laïcs, mais il préféra partir plutôt que rester au monastère. Lorsque l’empereur demanda à l’archevêque qu’il autorise Ochtrich à le servir, il arriva que, le jour de Pâques, alors que l’archevêque était prêt pour la messe et que le sous-diacre tenait devant lui la sainte croix selon la coutume, il la serra dans ses deux mains et demanda avec force larmes que jamais Ochtrich ou Ico ne possèdent son siège. Après avoir achevé entièrement le divin ministère, il s’assit à table et dit ouvertement, devant tous ceux qui étaient là, que jamais Ochtrich ou Ico ne seraient ses successeurs. Il ne dit cependant pas comment cela lui avait été révélé, et personne non plus n’a pu me le dire. Tout ce qu’il avait ainsi annoncé de son vivant, il le redit après sa mort à son cher Walthard (également appelé Dodico), qui me l’a raconté lui-même. Alors qu’il était couché dans son lit en extase, celui-ci vit l’archevêque debout à la porte sud de l’église, celle qui donne sur le cimetière, lui dire avec exaspération, alors qu’il se préparait à aller à Rome avec sa crosse : « Mon cher Dodico, pourquoi donnes-tu ma charge à quelqu’un d’autre ? ». Celui-ci répondit : « Mon très cher seigneur, ne peux-tu voir dans mon triste comportement non pas ma volonté, mais mon obéissance ? ». L’archevêque lui rétorqua : « Sache qu’Ochtrich ne possèdera jamais mon siège ». 13. Le clergé et le peuple de Mayence, après avoir procédé à cette élection, envoyèrent Ekkehard le Roux avec un groupe de clercs et de chevaliers pour l’annoncer à l’empereur et lui rappeler sa promesse [de libre élection]. Comme ils arrivaient en Italie, où l’empereur demeurait alors, il demandèrent l’aide de Giselher, qui comptait alors beaucoup auprès du souverain, et lui dirent le secret de leur mission. Celui-ci leur promit sa fidèle intercession, mais en toutes choses c’est à lui-même qu’il se témoigna la meilleure bienveillance. Car en effet, sous prétexte de transmettre à l’empereur l’objet de leur demande, il se jeta aux pieds du souverain, réclama la récompense de tant d’efforts, promise et attendue depuis long120

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temps, et l’obtint aussitôt par le consentement de Dieu. A sa sortie les messagers et surtout Ochtrich, qui se fiait entièrement à lui, l’interrogèrent pour savoir s’il avait pu progresser dans ce qui lui avait été demandé. Giselher répondit qu’il pourrait difficilement l’aider pour cela. Ayant corrompu avec de l’argent tous les grands et surtout les juges romains, chez qui tout est toujours vénal, il se demanda d’abord en secret comment il pourrait accéder à l’archiépiscopat, ensuite il demanda ouvertement l’aide du pape Benoît VII24, qu’on appelle ainsi à cause du nombre de ses prédécesseurs qui ont porté le même nom. Celui-ci lui promit qu’il était prêt à l’aider, s’il pouvait obtenir l’appui de tout le sénat. 14. Un concile général fut réuni à Rome. Les plus sages étaient rassemblés, et la prophétie de Jérémie se réalisa : « Comment l’or s’est-il terni, les belles couleurs se sont-elles estompées, etc. »25. En effet, comme le pape demandait aux juges s’il pouvait promouvoir Giselher à l’archiépiscopat, parce qu’il n’avait plus de siège, le sien ayant injustement été enlevé par l’évêque Hildeward, comme il s’en plaignait toujours, ils affirmèrent par des paroles et des exemples qu’en vertu de l’autorité canonique il pouvait faire cela, transgressant ainsi les avertissements de David : « Jugez en justice, fils des hommes »26, et cet autre : « Le juge corrompu ne peut discerner le vrai »27. Crois-moi, lecteur, cela me dégoûte, moi qui suis inférieur à eux, et je suis couvert de honte de devoir raconter ce que la pudeur présente et future ne les a pas empêchés de commettre. Mersebourg, qui jusqu’alors était fièrement maîtresse d’elle-même, fut soumise à l’église d’Halberstadt, le siège épiscopal étant supprimé, et Giselher, qui n’en « était pas le pasteur mais le mercenaire »28, cherchant toujours à monter plus haut, obtint le 10 septembre ce qu’il désirait, ne se souvenant pas de ce proverbe : « Plus haute est l’ascension, plus lourde est la chute »29. Certes, si celui-ci avait voulu conserver la charge qui lui avait été confiée, il aurait pu avec l’aide de l’empereur vaincre ce qui lui résistait et se garantir à lui-même et à ses 24 25 26 27 28 29

Benoît VII, pape (974-983). Lament., 4, 1. Psaume 57, 2. Horace, Satires, II, 2, 8, 9. Jean, 10, 12. Prov., 16, 18.

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successeurs une grande sécurité et une abondance de richesses. Cependant, puisque les jugements de Dieu sont cachés aux hommes mais ne sont jamais injustes, je l’attribue non seulement à ses péchés mais aussi à ceux de nous tous, puisque c’est à nous qu’à juste titre est imputé tout ce qui arrive de mal chez nous. 15. Ochtrich alla ensuite à Bénévent, où il tomba malade. Ainsi que me le raconta lui-même mon confrère Husward, Ochtrich vit que se tenait à ses côtés Adallaich, jadis notre prévôt mais qui alors était déjà décédé, et qui lui tendait de loin le froment de Saint-Maurice. S’effrayant de cette vision, Ochtrich lui demanda : « Tu vois quelque chose, mon frère ? ». Il raconta ce qu’il voyait et ajouta : « Malheur à moi, misérable pécheur, parce que par ambition j’ai abandonné mon monastère et l’obéissance que j’avais promise. Si Dieu dans sa bonté daigne me rendre un peu de santé, j’y retournerai en suppliant et je n’en repartirai plus jamais ». Mais ensuite sa maladie s’aggrava et quelques jours plus tard il mourut dans cette ville, le 7 octobre, et il y fut enterré, ne laissant personne de son niveau en ce qui concerne la sagesse et l’éloquence. 16. Giselher cependant, ayant reçu la permission de l’empereur, arriva à Magdebourg le 30 novembre avec l’évêque de Metz Thierry30. Celui-ci était un ami très proche de l’empereur, un de ceux qui avaient reçu de l’archevêque mille talents d’or et d’argent pour cacher la vérité. Quelqu’un lui dit en plaisantant, un matin, alors que sur l’ordre de l’empereur Thierry le bénissait : « Que Dieu te rassasie d’or dans le futur, nous tous ici ne le pouvons pas. » Alors tout ce qui appartenait auparavant à notre église fut malheureusement divisé comme si on avait jugé selon le rite du peuple slave, qui disperse par la vente les biens des coupables. La partie de notre diocèse qui se trouvait entre la Saale, l’Elster et la Mülde, les territoires de Pleisse, Wethau et Teuchern, avec les villages de Possen et Pissen, tout cela fut donné à Frédéric, évêque de Zeitz31. A Folkold, évêque de Meissen32, fut donnée, avec les villages de Wechselburg et de Lastau, toute la partie qui appartient au territoire de Schkeuditz oriental et est limitée par la Chemnitz et l’Elbe. Giselher garda pour lui-même neuf villes : Schkeuditz, Taucha, Wurzen, Püchen, 30 31 32

Thierry Ier, évêque de Metz (963-984). Frédéric, évêque de Zeitz (980-990). Folkold, évêque de Meissen (969-992).

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Eilenburg, Düben, Pouch, Löbnitz et Zücheritz. Il fit brûler les diplômes qui contenaient les dons royaux et impériaux ou fit changer les noms qu’ils portaient et les fit attribuer à son église. Il alla même jusqu’à disperser les esclaves et tout ce qui devait appartenir à Mersebourg, pour que ce ne soit plus jamais rassemblé. Il y établit une abbaye et mit à sa tête Ohtrad, vénérable moine de Saint-Jean, et par la suite Heimo, qui appartenait au monastère lui-même. Mais, lecteur, regarde ce qui suivit cette destruction ! 17. Les peuples convertis au christianisme et qui payaient tribut aux rois et aux empereurs, opprimés par l’arrogance du duc Thierry, avaient tous audacieusement repris les armes. Ceci fut révélé de la manière suivante à mon père, le comte Siegfrid, avant même que cela arrive. Il vit en songe l’air contracté en un nuage dense. Plein d’étonnement, il demandait ce que c’était, et il entendit une voix qui lui disait : « Il faut maintenant que s’accomplisse la prophétie selon laquelle Dieu a fait pleuvoir sur les justes et les injustes33 ». Ce crime commença le 29 juin avec le massacre de la garnison et la destruction de la cathédrale d’Havelberg. Trois jours plus tard, alors que sonnait la cloche de prime, une armée de Slaves révoltés envahit l’évêché de Brandebourg, fondé 30 ans avant celui de Magdebourg. Folkmar34, troisième évêque de cette ville, s’était déjà enfui, mais son défenseur Thierry et les chevaliers s’échappèrent à grand peine. Le clergé fut capturé et Dodilo, deuxième évêque de Brandebourg35, qui était enterré depuis trois ans après avoir été étranglé par les siens, fut exhumé. Son corps, qui était alors intact avec les ornements sacerdotaux, fut pillé par ces chiens voraces, et on le réenterra aussitôt. Tout le trésor de l’église fut dispersé et le sang de beaucoup fut misérablement répandu. A la place du Christ et de son vénérable pêcheur Pierre, ce fut le culte varié de l’hérésie démoniaque qui fut remis en honneur, et ce triste changement ne fut pas le fait que des païens, mais aussi des chrétiens. 18. A cette époque l’église de Zeitz fut prise et pillée par une armée bohême conduite par Dedi, et son premier évêque, Hugues36, mis en fuite. 33 34 35 36

Matth., 5, 45. Folkmar, évêque de Brandebourg (980/983-1003). Dodilo, évêque de Brandebourg (965/968-980). Hugues, évêque de Zeitz (968-979).

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Ensuite, ceux qui avaient détruit Havelberg et Brandebourg détruisirent le monastère du martyr saint Laurent de Calbe, et poursuivirent les nôtres comme des cerfs en fuite. Nos crimes en effet nous inspiraient la crainte, et à eux la force d’esprit. Mistui, duc des Abodrites, brûla et dévasta Hambourg, jadis siège épiscopal. Mais là le Christ opéra, depuis le ciel, un miracle que la religion de toute la chrétienté devrait considérer. Sa main droite dorée descendit du siège céleste au milieu de l’incendie, les doigts étendus, et en ressortit intacte aux yeux de tous. Ceci étonna l’armée, stupéfia Mistui, et le rendit craintif. Celui qui me raconta cela, c’est Avico, qui était alors son chapelain et qui devint par la suite mon frère spirituel. Voici ce que j’ai considéré avec lui : Ces reliques divinement rassemblées sont allées au ciel sur le chemin des saints et ont terrifié et mis en fuite les ennemis. Après cela Mistui, devenu fou, fut retenu prisonnier. Plongé dans l’eau bénite, il dit : « Saint Laurent brûle ! » et mourut misérablement avant d’être libéré. 19. Toutes les villes et tous les villages jusqu’à la Tanger furent dévastés, pillés et incendiés. Les Slaves rassemblèrent plus de 30 légions de fantassins et de cavaliers, qui ne doutaient pas qu’avec l’aide de leurs dieux ils pourraient tout dévaster sans aucune perte, et le proclamèrent à son de trompette. Cela n’échappa pas aux nôtres. Les évêques Giselher et Hildeward se réunirent avec le margrave Thierry et les comtes Ricdag, Hodo, Binizo, Frédéric, Dudo, mon père Siegfrid et beaucoup d’autres. Le samedi suivant, au matin, tous entendirent la messe, renforcèrent leur corps et leur âme par le sacrement céleste, attaquèrent avec confiance les ennemis qui venaient en face d’eux et les écrasèrent, quelques-uns seulement parvenant à se réfugier sur une colline. Les vainqueurs louèrent Dieu, admirable en ses œuvres, et prouvèrent que Paul, le docteur, avait dit vrai : « Ni la sagesse, ni le courage, ni l’intelligence ne valent en face de Dieu »37. Ils avaient donc été abandonnés, les fous qui auparavant avaient osé mépriser Dieu et mettre à la place de leur créateur des idoles faites par la main de l’homme et tout à fait vaines. Comme la nuit arrivait, les nôtres établirent leur camp au loin, et ceux qui s’étaient réfugiés sur la colline réussirent malheureusement à s’échapper en cachette. Sauf trois, tous les nôtres revin-

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Proverbes, 21, 30.

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rent le lendemain tout joyeux, sous les applaudissements de tous ceux qu’ils rencontrèrent en chemin ou trouvèrent chez eux. 20. Pendant ce temps, la politique de l’empereur consistait à mettre la main sur tout l’empire romain qui auparavant avait appartenu à son père, à résister vaillamment aux Sarrasins qui attaquaient ses terres et à les chasser loin de ses frontières. Il décida de rassembler une grande armée pour libérer la Calabre des raids fréquents des Grecs et des pillages des Sarrasins, appelant pour renforcer son armée des Bavarois et ces Alamans si forts aux armes. Lui-même, accompagné du duc Otton38, fils de son frère Liudolf, se hâta d’aller à Tarente, que les Grecs avaient déjà renforcée par une garnison, et son énergie réussit à la prendre en peu de temps. Espérant que sa forte armée vaincrait les Sarrasins pillards, il envoya des éclaireurs prudents pour lui dire avec certitude ce qu’il en était de l’ennemi. D’abord il en mit en fuite quelques-uns qui s’étaient réfugiés dans une ville, puis courageusement il attaqua ceux qui s’étaient mis en ordre dans leur camp et en abattit une innombrable multitude, ce qui lui fit espérer qu’il pourrait les écraser complètement. Mais ceux-ci se regroupèrent, chargèrent en bloc les nôtres à l’improviste et par malheur, en ce 13 juillet [982], les tuèrent, alors que ces derniers résistaient peu : le porte-lance Richard, le duc Udo39, oncle de ma mère, les comtes Thietmar, Bezelin, Gebhard, Gunter, Ezelin et son frère Bezelin, avec Burchard et Dedi et Conrad et bien d’autres que je ne peux nommer, mais dont Dieu connaît les noms. 21. Cependant l’empereur arriva à la mer avec le duc Otton et les autres qui avaient réussi à fuir, et voyant au loin un bateau qu’on appelle salandre, il se hâta d’aller vers lui sur le cheval du juif Calonime. Mais ce navire, passant outre, refusa de le recueillir. L’empereur revint alors vers la terre ferme, et trouva le juif qui était resté là, attendant avec inquiétude de connaître le sort de son cher seigneur. Comme il voyait l’ennemi approcher, il lui demanda tristement ce qui allait advenir de lui, lorsqu’il remarqua qu’il y avait parmi eux un ami dont il espérait l’aide. Il plongea avec son cheval dans la mer pour rejoindre une autre salandre qui suivait. Il y monta, reconnu seulement par un de ses vassaux, Henri, qu’en slave

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Otton, duc de Souabe et de Bavière (mars à mai 982). Udo, comte de Franconie rhénane.

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on appelait Zolunta. On le mit sur la couchette du capitaine de ce navire. Celui-ci le reconnut et lui demanda s’il était l’empereur. Après avoir cherché à se dissimuler, il finit par dire : « Oui, c’est moi, moi qui à cause de mes péchés ai mérité de tomber dans un aussi grand malheur. Mais acceptez de faire ce qui doit maintenant être fait ensemble pour nous. Malheureux que je suis, j’ai perdu les meilleurs de mon empire, et à cause du poids de cette douleur je ne peux ni ne veux entrer dans ces terres ni revoir les amis des défunts. Allons donc à Rossano, où mon épouse attend mon retour. Là, en prenant avec elle tout l’argent que j’y ai en grande quantité, nous irons voir votre empereur, mon frère, qui est certainement, du moins je l’espère, mon ami dans le besoin. » Le capitaine du navire, convaincu par ces douces paroles, y consentit et se hâta jour et nuit pour atteindre le lieu indiqué. Comme ils s’en approchaient, l’homme aux deux noms fut envoyé sur ordre de l’empereur à l’impératrice et à l’évêque Thierry, qui était avec elle, et leur demanda de venir avec de nombreuses bêtes de somme chargées d’argent. 22. Les Grecs [de l’équipage], lorsqu’ils virent l’impératrice sortir de la ville avec autant de richesses, jetèrent l’ancre et firent monter l’évêque Thierry accompagné de quelques personnes seulement. L’empereur, qui était à la proue du navire, enleva à la demande de l’évêque ses vêtements tout simples et en revêtit d’autres, meilleurs. Confiant dans ses forces et dans ses capacités de nageur, il sauta rapidement dans la mer. Un des Grecs chercha à le retenir en agrippant son vêtement, mais un remarquable guerrier, Liuppo, le frappa de son épée et le renversa en arrière. Les Grecs s’enfuirent de l’autre côté du navire, et les nôtres suivirent l’empereur, sains et saufs, sur les bateaux par lesquels ils étaient venus. L’empereur les attendait en sécurité sur le rivage, désirant comme il l’avait promis couvrir les Grecs de cadeaux. Mais ceux-ci, tout à fait terrifiés et se méfiant des promesses, s’en allèrent pour rentrer dans leur patrie. Eux qui avaient toujours vaincu par la ruse toutes les nations se sentaient alors trompés par ce même art. L’empereur fut accueilli avec une joie inénarrable par ceux qui étaient là et par ceux qui arrivèrent ensuite. 23. Mais, mon très cher lecteur, je veux que tu sois bien informé de tout. Je vais donc expliquer brièvement ce qu’est une salandre, et pourquoi elle arriva à ce moment. C’est un bateau très long et très rapide, avec deux rangs de rameurs de chaque côté, et 150 126

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hommes d’équipage. Ce nom unique valait pour deux navires qui avaient été envoyés en Calabre sur l’ordre du basileus Nicéphore40 pour y collecter le tribut. En effet la Calabre, bien qu’elle appartînt spécialement à l’empire romain41, n’en payait pas moins volontairement chaque année une somme d’or à Constantinople pour éviter d’être mise à mal par les Grecs. L’empereur [Otton] cependant, voyant qu’elles portaient ce feu que rien ne peut éteindre sauf le vinaigre42, les confisqua et les envoya sur la mer pour brûler les vaisseaux des Sarrasins. Comme je l’ai raconté, l’une des deux refusa de prendre Otton vaincu, soit par ignorance, soit par peur des ennemis qui le poursuivaient. L’autre, qui le recueillit à l’initiative d’Henri, le rendit bien malgré elle. 24. Je veux reprendre maintenant le fil de mon discours, dont je m’étais un peu écarté. Tous les princes, ayant appris de si mauvaises nouvelles, se rassemblèrent en peine et demandèrent unanimes, par l’intermédiaire d’un porteur de lettre, à pouvoir voir l’empereur. Celui-ci entendit leur message et consentit à leur désir. Une assemblée se réunit à Vérone, où tous les princes furent convoqués pour y traiter de tout ce qui serait nécessaire. Seul le duc Bernard prit le chemin du retour alors qu’il était à mi-chemin. En effet, une des villes que l’empereur avait renforcées contre les Danois en y construisant des fortifications et en y plaçant une garnison, avait été reprise par eux en utilisant la ruse. Ils avaient tué les défenseurs et brûlé la ville. En l’an du Seigneur 983 l’empereur tint une assemblée à Vérone, et Henri le Jeune, revenu d’exil, fut fait duc de Bavière43. Cette même année les Slaves tous ensemble résistèrent à l’empereur et au margrave Thierry. Et le fils de l’empereur fut élu par tous comme leur seigneur44. 25. Après quelques jours ils se séparèrent pour toujours. L’empereur vint à Rome, laissant sa vénérable mère à Pavie. Gravement malade, il sentit que ses jours étaient comptés et divisa son trésor en quatre parts : une pour les églises, une pour les pauvres, une pour 40 41 42 43 44

Nicéphore II Phocas, empereur byzantin (963-969). Il s’agit bien de l’empire d’Occident (Otton II). Le célèbre feu grégeois. Henri, duc de Bavière (983-985), duc de Carinthie (976-978, 985-989). Otton III.

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sa chère sœur Mathilde qui en dévote servante du Christ avait obtenu l’abbatiat de Quedlinbourg ; et la dernière, il la donna à ses serviteurs et chevaliers désolés. Il fit sa confession en latin devant le pape et les autres évêques et les prêtres, obtint d’eux le pardon espéré et fut soustrait à cette lumière le 7 décembre [983]. Il fut confié à la terre là où l’église de saint Pierre est pour tous les fidèles l’entrée orientale du paradis et où une superbe statue du Seigneur en pied bénit tous ceux qui viennent à elle. Me souvenant du sort de tout homme, craignant qu’il ait besoin d’indulgence, je supplie très humblement Dieu, seigneur du ciel et de la terre, qu’avec clémence il pardonne à Otton tout ce qu’il a commis comme péché contre mon église45, et qu’au contraire il lui rende au centuple tout ce qu’il lui a donné, et par le pouvoir qui m’a été donné sans que je le mérite je te demande instamment, toi mon successeur, que tu lui accordes toujours de tout cœur le pardon qui ne doit être refusé à personne au moment suprême. 26. L’illustre fils d’Otton, qui lui était né dans la forêt de Kessel, fut consacré roi à Aix-la-Chapelle le jour de Noël par Jean, archevêque de Ravenne, et Willigise, archevêque de Mayence. A peine la cérémonie était-elle finie qu’un messager arriva, perturbant la grande joie en annonçant la triste nouvelle. Une douleur ineffable remua les cœurs de tous, on rechercha le courage qui avait disparu, celui que l’homme fragile et en proie au doute poursuit si souvent. [Otton II] régna deux fois cinq années solaires après le décès de son père, protecteur du royaume et de l’empire, tenu en horreur par tous ses ennemis, mur inexpugnable pour les troupeaux qui lui avaient été confiés. L’opinion du peuple hésitait en la matière avec inquiétude, mais la clémence de la divine bonté la fixa aussitôt. Le duc Henri46 fut délivré de sa prison d’Utrecht, et il enleva à Warin, archevêque de Cologne, à qui elle avait été confiée par l’empereur défunt, la charge de nourrir, ou plutôt d’avilir, le petit roi. Je termine ici le troisième livre par la pénible situation causée par la mort lamentable de notre troisième empereur et je vais m’efforcer d’écrire avec joie dans la certitude de la bonté céleste, qui enlève tout doute. 45

La suppression de l’évêché de Mersebourg : cf III, 14 et 16. Henri le Querelleur, duc de Bavière (955-976 et 985-995) et de Carinthie (989-995). 46

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Livre 4 1. En l’an de l’incarnation du Seigneur 984 l’impératrice Theophano, mère d’Otton, troisième et par malheur dernier de la série, frappée par cette nouvelle pénible et récente et par l’absence de son fils unique, alla trouver à Pavie l’impératrice Adélaïde, qui l’accueillit avec grande douleur et l’apaisa avec une sympathie pleine d’affection. Le duc Henri [le Querelleur], accompagné du vénérable évêque Poppon47 qui l’avait longtemps gardé sous sa surveillance, vint à Cologne avec le comte Egbert le Borgne. Comme je l’ai dit ci-dessus, il reçut de Warin, archevêque de Cologne, le roi pour en être le loyal protecteur, et il fut fermement reconnu comme tel par tous ceux qu’il avait pu attirer à sa grâce. Tout s’étant passé comme il le souhaitait, le duc vint avec eux à Corvey, et refusa de recevoir les comtes Thierry et Sicco et leurs collègues nus pieds, demandant grâce. Supportant très mal cela, ils s’en allèrent et cherchèrent de tout leur esprit à détacher du service du duc leurs parents et leurs amis. Et comme le duc voulait célébrer les Rameaux à Magdebourg, il demanda et ordonna que tous les princes de la région s’y rassemblent, cherchant à les soumettre à son pouvoir et à obtenir qu’ils l’élèvent au sommet du royaume. Influencée par lui, une grande partie des nobles consentit à une tromperie : ils demanderaient d’abord à leur seigneur roi, à qui ils avaient juré, et ensuite, sans danger, ils serviraient le nouveau roi. Quelques-uns cependant, qui s’étaient écartés par crainte de lui, cherchaient tout en s’en cachant à empêcher cela. 2. Quittant Magdebourg, Henri célébra solennellement Pâques à Quedlinbourg. Tous les grands du royaume y étaient rassemblés, et les rares qui refusèrent de venir reçurent un envoyé chargé d’enquêter sur les raisons de leur absence. Au cours de cette cérémonie, il fut publiquement appelé « roi » par les siens et acclamé par les louanges divines. Les ducs Mieszko, Mistui et Boleslas y vinrent avec une suite innombrable, affirmant et jurant qu’ils l’aideraient désormais comme leur roi et seigneur. Beaucoup d’entre eux, par crainte de Dieu, refusaient de violer ce qu’ils avaient promis. Ils s’esquivèrent en petits groupes, et allèrent rapidement à Hohenassel où leurs compagnons conspiraient déjà ouvertement contre le duc.

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Autre nom de Folkmar, évêque d’Utrecht (976-990/991).

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Et voici leurs noms : de l’est vinrent avec le duc Bernard et le margrave Thierry, Ekkehard, Binizo, Esiko, le comte et clerc Bernward, son fils Siegfrid, les frères Frédéric et Ziazo. De cette province, les frères Thierry et Siegbert, Hoiko, les frères Ekkehard et Bezeco, Brunig et les siens, les chevaliers de Saint-Martin [de Magdebourg], sur l’ordre de l’archevêque Willigise, qu’accompagnait une grande multitude de gens de l’ouest. 3. Le duc, apprenant cela, renvoya ses hommes chargés de nombreux cadeaux. Lui-même se dépêcha avec une forte armée à Werla pour perturber cette conjuration, disons pour la pacifier, et envoya l’évêque Poppon pour semer la zizanie parmi ses adversaires ou les réconcilier avec lui. Comme celui-ci s’avançait sur le chemin qu’il avait choisi, il rencontra ses ennemis rassemblés et qui cherchaient à se donner un chef, et proposa de conclure la paix un jour fixé à Seesen. Mais le duc, qui était aussitôt parti en Bavière, ne voulut pas y venir, ou ne put y venir à cause d’Henri qu’Otton II avait fait duc de Bavière et de Carinthie. Aussitôt les ennemis prirent sauvagement Ala, ville du comte Ekbert, en détruisirent immédiatement les murs et capturèrent, avec de nombreux trésors, Adélaïde, fille de l’empereur, qui y était alors élevée. Ces gens repartirent pleins de joie. 4. Le duc cependant attirait à lui de nombreux évêques et comtes de Bavière ; en leur compagnie, il s’approcha de la Franconie et siégea dans les prés de Bürstadt pour s’y adresser à tous les princes de cette région. Mais l’archevêque de Mayence Willigise et le duc de Souabe Conrad y vinrent avec beaucoup d’autres grands. Le duc Henri chercha par n’importe quel moyen à se les rallier, mais comprit à leur réponse unanime que jusqu’à leur mort ils ne renieraient pas la foi qu’ils avaient promise, serment à l’appui, à leur roi. Par crainte de la bataille qui surviendrait, il fut contraint d’affirmer sous la foi du serment que le 29 juin il viendrait à Rohr et rendrait l’enfant à sa mère et à eux. Chacun rentra ensuite chez soi, soit dans la joie, soit dans la tristesse. 5. Après cela, Henri alla avec ses hommes chez Boleslas, duc des Bohêmes, qui était toujours prêt à l’aider en toute chose. Il y fut reçu avec honneur et fut conduit avec son armée depuis sa frontière jusqu’à Mügeln en passant par les territoires de Nisan et Daleminzia. Ensuite il alla à Magdeborn avec les nôtres qui étaient venus à 130

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sa rencontre. Lorsque Wagio, chevalier du duc de Bohême Boleslas, qui avait accompagné Henri avec son armée, revint à Meissen, il dit quelques mots aux habitants de cette ville, et demanda par l’intermédiaire d’un interprète à Frédéric, un ami et proche du margrave Ricdag qui demeurait alors dans la ville, que ce dernier vienne dans une église située hors de la ville pour parler avec lui. Ricdag sortit, la porte se ferma derrière lui, et cet homme, protecteur de cette ville et illustre chevalier [Ricdag], fut tué traîtreusement par ces gens-là près du Triebischbach. Quant à la ville de Meissen, aussitôt fortifiée par une garnison du duc Boleslas, elle le reçut comme son protecteur et il s’y installa. 6. A l’initiative du peuple, Boleslas expulsa l’évêque de Meissen Folkold, qui alla trouver l’archevêque Willigise. Celui-ci l’accueillit avec bienveillance, car Folkold l’avait élevé comme un fils. Lorsque Folkold avait été ordonné évêque en Saxe, il l’avait recommandé à Otton II, dont il avait été le précepteur, pour qu’il lui donne sa place. Willigise garda cela à l’esprit et lui témoigna toujours beaucoup de reconnaissance, et plus encore lorsqu’il en avait vraiment besoin. Il ordonna qu’il fût accueilli avec le plus grand soin à Erfurt, comme il le désirait. Folkold resta longtemps, mais après la mort de l’illustre margrave Ricdag, auquel succéda Ekkehard, et lorsque Boleslas rentra chez lui, il retrouva son évêché de Meissen. Ensuite il acquit l’amitié de Boleslas. Comme il célébrait le Jeudi Saint à Prague, le lendemain, jour du Vendredi Saint, alors que selon le rite il célébrait la mémoire de la passion de Dieu, il fut frappé de paralysie ; enlevé de là, il souffrit de cette maladie jusqu’à la fin de sa vie, bien qu’il allât progressivement mieux. Il siégea 23 ans, et fut enlevé hors de la prison de cette chair le 23 août. A sa place, sur l’exhortation de l’archevêque Giselher, fut ordonné Eid48, chanoine de notre chapitre, homme juste et de grande simplicité. Je dirai, pour notre édification, beaucoup de choses au sujet de sa vie remarquable lorsque ce sera le moment. Pour l’instant, je reviens à ce que j’avais commencé. 7. Pendant ce temps les partisans du roi, qui détenaient à Weimar un proche du duc, le comte Guillaume, apprirent son arrivée. Ils se hâtèrent d’installer leur camp près d’Eythra, prêts à se battre

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Eid, ou Eiko, évêque de Meissen (992-1015).

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avec lui le lendemain. Cela n’échappa pas au duc, qui leur envoya l’archevêque Giselher pour connaître leurs intentions et établir la paix avec eux si c’était possible. Celui-ci exposa la raison de son ambassade aux plus anciens rassemblés, et ils lui répondirent que si le duc voulait rendre son roi et seigneur, ne rien garder au jour susdit des biens qu’il détenait, sauf Mersebourg, Walbeck et Frohse, et s’il le prouvait par des serments crédibles, il pourrait alors partir en sécurité de cet endroit fortifié. Sinon, il n’aurait sa vie durant plus aucune liberté d’aller et venir. Que dire de plus ? Tout ce qu’ils lui demandèrent, ils l’obtinrent le lendemain, et ils lui permirent d’aller à Mersebourg où la duchesse Gisèle se trouvait, attristée par une longue séparation. Le duc discuta de tout cela avec ses fidèles, déclara que parce qu’il craignait Dieu et voulait le salut de la patrie il était réellement prêt à renoncer à ses projets, les remercia comme il le fallait pour leur aide et leur bonne volonté et leur demanda à tous de l’accompagner au jour fixé. 8. Les impératrices qui jusqu’alors attendaient la divine consolation à Pavie vinrent à Rohr avec tous les princes du royaume et de l’empire. Le duc y accomplit fidèlement sa promesse, donna sa grâce à tous ceux qui étaient du royaume, et à tous la permission de partir. Tous virent l’étoile du roi prédestiné par Dieu briller clairement en plein jour. Il y eut alors un seul concert des laïcs et des clercs pour louer Dieu, et une affection suppliante de la part de ceux qui auparavant étaient ennemis. Bref, la troupe dissonnante se réunit sous un seul chef. Accueilli par sa mère et sa grand-mère, le roi reçut comme gouverneur le comte Hoico. La paix fut confirmée entre le duc et le roi jusqu’à la rencontre aux prés de Bürstadt, et chacun rentra chez soi. Mais alors que tous étaient rassemblés, sous l’influence des méchants ils se séparèrent avec de mauvaises intentions, et ainsi prit place un grand intervalle de temps. Entre le duc Henri et Henri qu’on appelait le Jeune naquit une grande querelle. Lorsque celle-ci se fut terminée par la médiation du comte Hermann, le duc Henri retrouva à Francfort la grâce du roi et le duché [de Bavière]. 9. La fête de Pâques suivante fut célébrée par le roi à Quedlinbourg. Quatre ducs le servaient : Henri [le Querelleur, duc de Bavière] veillait à la table, Conrad [de Souabe] à la chambre, Hecil [c’est-à-dire Henri le Jeune, duc de Carinthie] au cellier, Bernard [de Saxe] aux chevaux. Boleslas et Mieszko y vinrent avec leurs hom132

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mes, et après l’accomplissement des rites repartirent chargés de présents. A cette époque Mieszko se donna lui-même au roi et avec bien d’autres cadeaux lui offrit un chameau. Il fit aussi avec lui deux voyages. La première année du règne d’Otton III mourut l’évêque d’Hildesheim Otwin49, le 1er décembre, et il fut remplacé par le prévôt de ce monastère, Osdag50. Celui-ci siégea cinq années avant de mourir. Ce fut alors le cellérier Gerdag51 qui fut ordonné évêque. Celuici à son tour, étant parti en pèlerinage à Rome durant la troisième année de son épiscopat, mourut sur la route du retour le 7 décembre. Son corps, divisé en plusieurs morceaux et réparti dans deux coffres, fut rapporté très tristement à son monastère par ses compagnons. L’archevêque Giselher, qui était là par hasard, procéda à l’enterrement de ces deux évêques. Ce fut alors Bernard, précepteur du roi, qui fut élu, puis consacré52. Le roi cependant ne cessait d’attaquer les Slaves par des campagnes aggressives. Il vainquit ceux qui à l’est osaient se dresser contre lui. Il s’attacha à dépasser par la force et l’intelligence ceux qui, nombreux, à l’ouest, prenaient souvent les armes et pillaient tous ceux qu’ils pouvaient. Il n’est pas nécessaire d’énumérer, parce que ce serait trop long, tout ce qu’il fit dans son enfance grâce à ses sages conseillers. 10. Une comète apparut, annonçant que des dommages, sous forme d’épidémies, allaient survenir. L’empereur, devenu un homme, « évacua, comme le dit l’apôtre, tout ce qui appartient à l’enfance »53. Déplorant toujours la destruction de l’église de Mersebourg, il cherchait sans cesse dans son esprit comme il pourrait la restaurer et, incité par sa pieuse mère, il s’efforça toute sa vie d’accomplir ce vœu. Elle vit en effet ceci en songe, que j’ai appris par Meinswind, à qui elle-même l’avait raconté. Dans le silence d’une nuit profonde le saint athlète du Christ Laurent lui apparut, avec son bras droit mutilé54. « Pourquoi, lui dit-il, ne me demandes-tu pas qui je suis ? » 49 50 51 52 53 54

Otwin, évêque d’Hildesheim (954-984). Osdag, évêque d’Hildesheim (984-989). Gerdag, évêque d’Hildesheim (990-992). Bernard, évêque d’Hildesheim (993-1022). I Corinth. 13, 11. Saint Laurent était le saint patron de Mersebourg.

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« Seigneur, je n’ose pas ! » « Je suis… » et il lui indiqua son nom. « Ce dont tu me vois souffrir maintenant, c’est ton mari qui me l’a fait, séduit par la persuasion de quelqu’un par la faute de qui son cas est en discussion parmi les élus du Christ. » Après cela elle fit jurer à son fils que, soit du vivant de Giselher soit après sa mort, il restaurerait l’évêché de Mersebourg et rendrait l’âme de son père propre au repos éternel lors du Jugement dernier. Bien que du sexe faible, Theophano était cependant d’une douce confiance, et, ce qui est rare chez les Grecs, elle mena une vie remarquable. Elle garda fidèlement le royaume de son fils, douce en toute chose pour les pieux, terrible et terrassante pour les superbes. Elle offrit à Dieu ses filles, fruit de son ventre, comme des dîmes : l’une, Adélaïde, à Quedlinbourg ; l’autre, Sophie, à Gandersheim. 11. A cette époque Mieszko et Boleslas se disputèrent et se firent beaucoup de mal. Boleslas chercha l’aide des Liutices, qui lui avaient toujours été fidèles, tandis que Mieszko demanda l’aide de l’impératrice. Celle-ci, qui était alors à Magdebourg, lui envoya l’archevêque de Magdebourg et les comtes Ekkehard, Esico, Binizo, mon père et l’autre Siegfrid, Bruno et Udo ainsi que beaucoup d’autres. Ils partirent avec quatre légions, arrivèrent dans le territoire de Selpuli et s’installèrent près d’un marais sur lequel se trouve une longue passerelle. Dans le silence de la nuit, un des compagnons de Willo, qui avait été capturé la veille par les Bohêmes alors qu’il s’avançait seul pour inspecter son domaine, s’évada et expliqua au comte Binizo que le péril était imminent. Désormais avertis, les nôtres se levèrent rapidement, se préparèrent, entendirent la messe dès les premières lueurs de l’aube, certains debout, d’autres assis à cheval. Dès le lever du jour, ils sortirent du camp, inquiets de l’issue du combat qui allait commencer. 12. Alors Boleslas vint avec les siens bien rangés en ordre de bataille, le 13 juillet, et des deux côtés on envoya des messagers. Du camp de Boleslas vint un soldat, appelé Slopan, pour voir notre armée. A son retour Boleslas lui demanda comment était notre armée et s’il pouvait se battre avec elle ou non. Sa garde rapprochée l’exhortait à ne laisser s’échapper vivant aucun d’entre nous. Slopan répondit ceci : « Leur armée est peu nombreuse, mais d’excellente qualité et elle est entièrement équipée de fer. Il est possible de lui livrer bataille. Mais si aujourd’hui la victoire t’échoit, 134

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tu tomberas si bas que la fuite ne te permettra peut-être même pas d’échapper à ton ennemi Mieszko, qui te poursuivra continuellement, et tu auras fait des Saxons tes ennemis jurés. Si jamais tu étais vaincu, c’en serait fini de toi et de tout le royaume qui t’appartient. Tu n’auras en effet aucun espoir d’échapper à un ennemi qui t’attaquera de partout ». Entendant cela, Boleslas calma sa fureur. Il fit la paix, et demanda à nos princes que, eux qui étaient venus là contre lui, acceptent d’aller avec lui contre Mieszko et de l’aider à récupérer ses biens pris par ce dernier. Les nôtres l’approuvèrent, et l’archevêque Giselher, accompagné des comtes Ekkehard, Esiko et Benizo, partit avec lui tandis que les autres rentraient chez eux en paix. Au soir, tous prirent les armes et partirent après s’être renforcés par des serments. Boleslas vint jusqu’à l’Oder avec les nôtres. Il envoya un messager à Mieszko pour lui dire qu’il avait ses alliés en son pouvoir. Si Mieszko lui rendait le royaume qu’il lui avait enlevé, il leur permettrait de partir sains et saufs. Sinon, il les perdrait tous. Mais Mieszko lui répondit que si le roi voulait garder les siens saufs ou venger ceux qu’il avait perdus, qu’il le fasse. Mais s’il ne le faisait pas, lui, Mieszko, ne voulait rien perdre à cause d’eux. Entendant cela, Boleslas, sans faire de mal aux nôtres, pilla et incendia ce qu’il put dans les régions voisines. 13. Sur le chemin du retour, il prit une ville appelée ….55, et sans que les habitants protestent il la garda avec son seigneur, qu’il livra aux Liutices pour qu’ils le décapitent. Aussitôt, cette victime fut offerte devant la ville aux dieux favorables et tout le monde commença à parler de rentrer chez soi. Mais Boleslas, qui savait que les nôtres ne pouvaient rentrer sains et saufs chez eux sans lui, à cause des Liutices, les renvoya le soir, les avertissant de se dépêcher beaucoup. Lorsque les ennemis découvrirent cela, ils voulurent les faire suivre par une grande troupe de gens choisis. Boleslas les en empêcha en disant : « Vous qui êtes venus ici pour m’aider, veillez à terminer cette action méritoire que vous avez commencée. Soyez sûrs qu’aujourd’hui, aussi longtemps que je serai vivant, je ne souffrirai pas qu’on fasse du mal à ceux que j’ai pris dans ma foi et que j’ai renvoyés en paix. Il n’y aurait ni honneur ni intelligence à transformer clairement en ennemis ceux qui jusqu’à présent sont nos

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Le nom de la ville en question manque dans le manuscrit.

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amis proches. Je sais qu’il y a une grande inimitié entre eux et vous. Viendra un moment où vous pourrez vous venger d’eux. » Apaisés par ces discours, les Liutices restèrent avec lui deux jours ; ensuite ils s’adressèrent mutuellement le salut et après avoir renouvelé leur ancien traité, ils se séparèrent. Alors ces infidèles choisirent 200 soldats pour poursuivre les nôtres, qui étaient peu nombreux. Un homme de la suite du comte Hodo raconta bientôt cela aux nôtres. Ceux-ci accélérèrent et grâce à Dieu parvinrent sains et saufs à Magdebourg, les ennemis ayant gaspillé leurs efforts en vain. 14. Lorsqu’elle apprit cela, l’impératrice se réjouit de leur succès. En fait, je sais peu de choses au sujet de la vie remarquable que mena celle-ci, et c’est pour cela que j’ai surtout insisté ci-dessus sur son immense noblesse. Elle habitait alors les régions d’Occident56, qui méritent bien leur nom puisque non seulement le soleil s’y couche, mais c’est également là que disparaissent entièrement la justice, l’obéissance et l’affection. La nuit n’est rien d’autre que l’ombre de la terre, et ce que les gens de l’Ouest font n’est rien d’autre que le péché. Les saints prédicateurs y œuvrent en vain, les rois et autres princes valent peu, les bandits et ceux qui persécutent les justes y dominent. Beaucoup de corps saints y reposent, mais leurs habitants les méprisent. Mais, pour qu’on pense pas que je suis « l’élève de Crispinus aux yeux chassieux » 57, je me tais à ce sujet parce que je ne doute pas que ceci sera bientôt détruit du fait des mariages illicites et d’autres irracontables tromperies. Ils ont méprisé d’innombrables excommunications des évêques, et à cause de cela ils ne pourront pas subsister plus longtemps. Je vous demande seulement, fidèles du Christ, de prier pour que tout cela s’améliore et pour que de telles mœurs ne viennent jamais chez nous. 15. Je vais maintenant raconter la mort de l’impératrice Theophano, qui fut précédée par des signes. En l’an de l’incarnation du Seigneur 989, le soleil disparut le 21 octobre à la cinquième heure du jour. Mais j’exhorte tous les chrétiens à croire vraiment que ce n’était pas dû à des incantations ou à des préparations de mauvaises femmes, ni à des interventions terrestres, mais comme l’atteste

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L’Allemagne rhénane. Horace, Satires, I, 1, 120.

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Macrobe58 et comme l’affirment d’autres sages, que c’est dû à la lune. L’année suivante, ayant achevé le cours de sa vie de belle manière, l’impératrice tomba malade à Nimègue. Elle mourut le 15 juin [991], et fut enterrée par l’archevêque de Cologne Everger dans le monastère Saint-Pantaléon, que l’archevêque Bruno, qui y repose, avait généreusement fait construire. Son fils était présent, et il offrit de nombreux dons aux moines pour le salut de sa mère. Lorsque l’illustre impératrice Adélaïde l’apprit, elle en fut considérablement attristée. Elle rendit visite au roi, qui régnait alors depuis sept ans, pour le consoler, et prit auprès de lui la place de sa mère jusqu’à ce que, influencé par les mauvais conseils de jeunes écervelés, il la renvoie toute triste. 16. Mon père le comte Siegfrid la servit fidèlement, à la cour et à l’armée, elle qui était ornée de vertus. Mais au cours d’une expédition en Brandebourg, la dernière où il servit, il tomba de cheval et commença à ressentir de vives douleurs. Surtout, il sentit que venait pour lui la huitième année, ainsi que cela lui avait été annoncé en songe. En effet, alors qu’il dormait à Cologne, il fut réveillé par ces mots : « Siegfrid, veille, et sache avec certitude que ta vie présente finira dans huit ans à partir d’aujourd’hui même. » Son esprit prévoyant lui avait donc toujours fait penser à ce jour, et il n’avait cessé de s’en préoccuper, y mettant en œuvre toutes les vertus qu’il put. J’étais alors à Quedlinbourg auprès de sa tante maternelle Emnilda, qui était paralysée depuis longtemps, et j’y apprenais les lettres. Il me rappela près de lui et me confia à Ricdag, abbé de Saint-Jean de Magdebourg. J’y restai trois ans, et au jour de la fête de tous les saints [1er novembre], à Saint-Maurice (parce que je n’ai pu me rendre à l’autel), je fus donné par lui à la communauté des moines, et à la Saint-André [30 novembre] suivante, fut organisé un grand banquet de deux jours, très agréable à tous. 17. Mon père repartit. A l’approche du carême il tomba malade à Walbeck, et le 15 mars ce défenseur de la patrie, cet homme juste, paya le tribut que l’on doit à la nature. Sa vénérable mère Mathilde, femme de mœurs excellentes, qui allait bientôt le suivre, pleura avec son épouse Cunégonde. Mais privée de toute consolation, elle attendit la mort dans une extrême tristesse et le 3 décembre de cette

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Commentaire au Songe de Scipion de Cicéron, I, 15.

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même année elle partit rejoindre le Christ. Mon oncle Lothaire, à qui l’héritage revint en même temps qu’à nous, renouvelant une ancienne douleur, fit beaucoup de mal à ma mère, et bien que sa propre mère la lui ait confiée il chercha à la déposséder de tous ses biens. Mais disons-le tout de suite : sur intervention de l’empereur tout fut restitué à ma mère. 18. A cette époque mourut l’archevêque de Brême Adaldag59 [le 29 avril 988]. Lievizo60 lui succéda, qui avait suivi en exil le pape Benoît61, loin de sa patrie qui est située aux confins des Alpes et de la Souabe. Par rapport à Dieu comme par rapport au roi il avait mérité de parvenir à un tel honneur. Après avoir renforcé les fortifications sur l’Elbe le roi, par une nouvelle expédition, soumit les Slaves. Durant l’hiver, des inondations et des tempêtes causèrent de gros dégâts. L’été torride nuisit aux récoltes et une terrible mortalité frappa les hommes. Le vénérable évêque d’Halberstadt Hildeward, qui m’avait baptisé et confirmé, procéda le 21 octobre 991 à la dédicace de sa cathédrale qu’il avait entièrement édifiée, des fondations jusqu’au moindre détail. Le roi y fut, avec l’impératrice Adélaïde sa grandmère, l’abbesse Mathilde, les archevêques Willigise, Giselher et Lievizo ainsi que 16 évêques. C’était le jour de la fête de saint Gall, dans le monastère duquel Hildeward avait été élevé, et c’est pour cela qu’il avait cherché à réaliser son but ce jour-là. C’était alors la 24e année de son ordination. Son fidèle chapelain Hildo l’aidait pour tout cela et avait tout préparé avec soin. Tous les grands de Saxe y vinrent et furent accueillis avec chaleur. Selon ce que disent des gens dignes de foi, jamais il n’y eut, ni en ce qui concerne les louanges divines, ni en ce qui concerne les affaires séculières, de chose aussi parfaitement organisée et qui plaise autant à tous. 19. L’année suivante, au chant du coq, une lumière aussi claire que celle du jour brilla depuis le nord. Elle resta pendant une heure et disparut ensuite après avoir fait rougeoyer le ciel. Beaucoup, cette année-là, dirent qu’ils avaient vu trois soleils, trois lunes et les étoiles se battre ensemble. Par la suite moururent l’archevêque de Trè59

Adaldag, archevêque de Brême-Hambourg (937-988). Lievizo, ou Libentius, archevêque de Brême-Hambourg (988-1013). 61 Benoît V, pape du 22 mai au 23 juin 964, déposé par Otton Ier et envoyé en exil à Hambourg où il mourut le 4 juillet 966. 60

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ves Egbert62 (auquel succéda Liudolf63), Dodo évêque de Münster64, auquel succéda Suitger65, et Erp évêque de Verden66, auquel succéda le prévôt Bernard67. Une famine sévère sévit dans nos régions. La troisième année après cette dédicace mes oncles furent capturés par des pirates, comme je le raconterai plus loin. La quatrième, la maladie, la famine et la guerre se développèrent à l’est. Le roi alla chez les Abodrites et dévasta la région de Wilzen. 20. Après cela, le roi eut une rencontre avec ses princes à Magdebourg. L’illustre duc des Bavarois, Henri, y était. La querelle qu’il avait depuis longtemps avec Gebhard, évêque de Ratisbonne68, y prit fin grâce à un bon conseil. Ensuite le pieux duc, qui rachetait ses fautes par des aumônes continuelles, alla à Gandersheim, dont sa sœur Gerberge était alors abbesse, et y fut pris d’une maladie soudaine. Il appela alors son fils, qui portait le même nom que lui, et lui dit : « Va rapidement dans la patrie, mets en ordre ton duché69 et ne résiste jamais à ton roi et seigneur. Je regrette en effet beaucoup ce que j’ai fait jadis. Souviens-toi de ton père, car tu ne le verras plus jamais dans ce monde ». Le fils s’en alla, et le père, sans cesser de crier tout au long de sa maladie « Seigneur, prends pitié ! », partit vers le Christ le 28 août, et fut enterré au centre de l’église, devant l’autel de la sainte croix. Lorsque son fils l’apprit, il obtint les biens et le royaume de son père par l’élection et l’aide des Bavarois. La même année [995], le comte palatin Thierry et son frère Sibert moururent. 21. A cette époque mon neveu, le margrave Henri70, captura Ewerker, chevalier remarquable mais trop orgueilleux de l’évêque

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Egbert, archevêque de Trèves (977-993). Liudolf, archevêque de Trèves (994-1008). 64 Dodo, évêque de Münster (969-993). 65 Suitger, évêque de Münster (993/995-1011). 66 Erp, évêque de Verden (976-993). 67 Bernard, évêque de Verden (994-1014). 68 Gebhard Ier, évêque de Ratisbonne (994-1023). 69 Il faut noter que Thietmar utilise, pour ce que nous appelons les « duchés », le mot de regnum, littéralement « royaume ». Il ne s’agit en aucun cas pour lui de reconnaître une quelconque indépendance de ces regna, mais d’en souligner les particularités et en même temps de magnifier l’Empire. 70 Henri de Schweinfurt, margrave du Nordgau bavarois. 63

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de Wurzbourg Bernward71, et à cause des injustices qu’il lui avait fait subir il le fit aveugler à Lindenloh. L’évêque envoya au roi des messagers pour porter plainte avec vigueur. Otton prit l’affaire très au sérieux et envoya le margrave en exil. Par la suite il le grâcia et moyennant l’amende requise le réconcilia avec l’évêque. Ultérieurement ce dernier convoqua Liupold, margrave des Orientaux72, et son neveu Henri, le 8 juillet, fête de saint Killien, et il les hébergea avec beaucoup d’affection. Au cours de cette sainte nuit, après les matines, le comte, qui jouait avec ses soldats, fut blessé par une flèche envoyée à travers une ouverture par un ami de celui qu’il avait aveuglé. Ayant fait sa confession, il mourut le 10 juillet, innocent de cette action aussi bien dans les faits que dans l’intention. Il fut enterré là le lendemain et largement pleuré, parce qu’il ne laissait personne de plus sage et de meilleur que lui dans tous ses actes. L’hiver précédent avait été marqué par sa grande rigueur, une forte morbidité, beaucoup de froid, de vent et une sécheresse inaccoutumée. Au cours de cet hiver les Slaves furent battus. 22. J’ai raconté ci-dessus la destruction de l’église de Brandebourg. Il est temps que j’explique maintenant comment elle fut provisoirement soumise au roi. Il y avait dans notre entourage un célèbre chevalier, appelé Kiza, qui fut traité par le margrave Thierry autrement qu’il aurait voulu. A cause de cela, et parce qu’il manquait tout à fait de religion, il se rendit chez nos ennemis. Pensant qu’il leur serait entièrement fidèle, ils lui confièrent la ville de Brandebourg pour nous nuire le plus possible. Mais lui, séduit ensuite par nos promesses, remit la ville et lui-même au roi. Les Liutices, pris d’une fureur intense, le recherchèrent aussitôt avec toutes les troupes dont ils disposaient. Sur ces entrefaites, le roi était arrivé à Magdebourg. Lorsqu’il apprit cela, il envoya tous ceux qu’il avait avec lui, le margrave Ekkehard et mes trois oncles maternels, avec le comte palatin Frédéric et mon oncle paternel. Mais ceux-ci, alors qu’ils arrivaient avec leurs hommes, furent taillés en pièces par les ennemis qui les chargeaient furieusement. Une partie des nôtres parvint dans la ville, l’autre battit en retraite en laissant quelques hommes sur le champ de bataille. Alors le roi rassembla ses compagnons d’un peu partout et se hâta d’aller là. Nos ennemis, qui

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Bernward, évêque de Wurzbourg (990-995). Margrave de l’Ostmark bavaroise (976-994).

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exerçaient une pression intense sur les défenseurs de la ville, voyant arriver une nouvelle armée, décampèrent aussitôt. Les nôtres à l’intérieur se réjouirent de leur libération et chantèrent « Seigneur, prends pitié » tandis que l’armée de secours répondait unanimement. Avant de partir, le roi pourvut la ville d’une garnison et la garda longtemps en son pouvoir. Après cela, Kizo alla à Quedlinbourg et perdit sa ville avec sa femme et ses vassaux. Par la suite cependant, il récupéra tout sauf la ville. Mais l’un de ses chevaliers, Boliliut, qui lui avait conseillé tout cela mais qui était alors absent, y établit alors son pouvoir. Et lorsque cet excellent chevalier qu’était Kizo voulut s’embusquer dans cette région pour y nuire, il fut tué avec les siens. 23. Mes trois oncles Henri, Udon et Siegfrid, avec Ethelger et beaucoup d’autres, livrèrent le 23 juin un combat naval aux pirates qui dévastaient leurs terres. Il y eut bataille, au cours de laquelle Udon fut décapité, tandis qu’Henri, son frère Siegfrid et le comte Ethelger, c’est triste à dire, furent faits prisonniers par les pires des hommes. Ce malheur fut bientôt connu de tous les fidèles du Christ. Le duc Bernard, qui était proche de là, envoya aussi vite que possible des messagers pour promettre une rançon pour leur rachat et chercher à fixer un lieu pour une rencontre et une négociation. Ils étaient prêts à donner une paix ferme et une somme d’argent incroyable. Ce que le roi d’abord, toute la générosité des chrétiens ensuite, ont dépensé par obligation humanitaire, je ne pourrais le dire. Ma mère aussi, très choquée par une aussi grande douleur, donna pour la libération de ses frères tout ce qu’elle avait ou pouvait acheter. 24. La foule exécrée des pirates, après avoir reçu la plus grande partie de ce qui avait été collecté, c’est-à-dire une somme immense, libéra ses prisonniers pour que ce qui restait du trésor qui lui avait été promis fût rassemblé le plus vite possible ; les pirates gardèrent cependant Siegfrid, et à la place d’Henri son fils unique également appelé Siegfrid avec Gerward et Wolfram, et à la place d’Ethelger son oncle Thierry et Olef, qui était le fils de sa tante. Siegfrid, parce qu’il n’avait pas de fils, demanda à ma mère d’être remplacé par un de ses fils à elle. Elle voulut accepter une demande aussi impérieuse et envoya rapidement un messager à l’abbé [de Saint-Jean de Magdebourg] Ricdag, pour qu’il autorise mon frère Siegfrid, qui y vivait alors sous l’habit monastique, à sortir. Mais cet homme très sage, ayant bien réfléchi à tous les aspects de la situation, refusa 141

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cette demande injuste et répondit qu’il ne pouvait faire cela à cause de la charge qu’il avait reçue de Dieu. Le messager, conformément aux ordres qu’il avait reçus, alla trouver Ekkehard, qui était alors trésorier et écolâtre de l’église Saint-Maurice, et le supplia humblement de me renvoyer à ma mère à cause de cette nécessité. Revêtu de mes vêtements habituels, mais ayant passé au-dessus d’eux l’habit laïc dans lequel je devais vivre chez les pirates comme otage, je partis le jeudi [28 juin]. 25. Ce même jour Siegfrid, bien que gravement blessé, échappa grâce à l’aide divine à la garde vigilante des ennemis. Strictement surveillé, il cherchait avec Nodbald et Edicon à s’évader. Il leur ordonna de lui apporter, par un bateau rapide, beaucoup de vin et d’autres choses qu’il pourrait donner à ceux qui le gardaient. Ses ordres furent exécutés sans retard, les chiens rapaces furent rassasiés Au matin, le prêtre se prépara pour la messe. Le comte, sans ses gardes hébétés par le vin de la veille, se dirigea vers la proue pour se laver, et de là bondit dans le bateau préparé. Des cris s’élévèrent, le prêtre, considéré comme complice, fut pris, les ancres furent levées, les rameurs poursuivirent rapidement les fugitifs. Le comte leur échappa à grand peine. Quant il toucha la sécurité du littoral, il trouva des chevaux, ainsi qu’il l’avait ordonné, et se hâta d’aller à sa ville d’Harsefeld, où son frère Henri et sa femme Ethela ne s’attendaient pas à cette joie. Quant aux ennemis qui le poursuivaient, ils allèrent dans une ville proche du littoral, appelée Stade, et le cherchèrent dans les coins les plus reculés. Ne le trouvant pas, ils enlevèrent aux femmes leurs boucles d’oreilles et s’en allèrent tristement. Le lendemain, pris de fureur, ils coupèrent au prêtre, à mon cousin et aux autres otages le nez, les oreilles et les mains, et les jetèrent dans le port. Après la fuite des pirates, ils furent accueillis par leurs familles avec une tristesse inouïe. Quant à moi, ayant rendu visite à mes oncles, je restai par la volonté de Dieu sain et sauf, et je fus accueilli avec bonté par mes proches. 26. A cette époque, le 25 juillet, mourut Liudolf, vénérable évêque d’Augsbourg73. Gebhard, abbé d’Ellwangen74, fut ordonné à sa place.

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Liudolf ou Lintold, évêque d’Augsbourg (989-996). Gebhard, évêque d’Augsbourg (996-1001).

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Dans le village d’Hordorf naquit un enfant à moitié homme, mais au postérieur semblable à une oie. Il avait l’œil et l’oreille droits plus petits qu’à gauche, des dents jaune safran, au bras gauche manquaient quatre doigts (il n’y avait que le pouce). Avant son baptême il avait un air hébété qui disparut ensuite. Il mourut après quatre jours. Ce monstre, venu en raison de nos péchés, nous causa une grande épidémie. L’évêque [d’Halberstadt] Hildeward, qui gouvernait très glorieusement depuis 29 ans, comme un vrai Israélite, son église et le troupeau qui lui avait été confié, mourut le 25 novembre et fut enterré hors de l’église, dans le cloître, où il s’était lui-même réservé auparavant un emplacement. Et comme les chanoines ne parvenaient pas à s’accorder quant à l’élection, Arnoul, venu de la chapelle royale, leur fut imposé et fut ordonné le 13 décembre75. Son prédécesseur, ce saint homme, l’avait prédit alors qu’il était en bonne santé en disant à tous ceux qui étaient présents : « Honorez cet hôte, et servez le autant que vous pouvez. C’est lui en effet qui prendra soin de vous après moi. » Le même, alors qu’il était en agonie, vit la gloire de Dieu et, ayant appelé à lui son chapelain Wulfher, lui demanda : « Mon frère, vois-tu quelque chose ? » Le chapelain répondit qu’il ne voyait rien, mais Hildeward lui dit que pour lui la chambre où il reposait et où ses deux prédécesseurs étaient morts était remplie de la majesté divine. Et en disant cela, il quitta cette prison pour aller vers la lumière éternelle. 27. Le roi était à Cologne pour Noël. Après avoir pacifié la région, il partit pour l’Italie, où on l’attendait depuis longtemps, et il fêta Pâques à Pavie. De là il alla glorieusement à Rome et à la satisfaction de tous ceux qui étaient là il installa à la place du pape Jean, qui venait de mourir76, son neveu Brunon, fils du duc Otton77. Le jour de l’Ascension du Christ, qui tombait cette année là le 21 mai, en sa 15e année, la 13e de son règne, la huitième indiction, il reçut de lui l’onction impériale et devint l’avoué de l’église de saint Pierre. Après cela, il gouverna l’empire de la même manière que ses prédécesseurs, palliant la faiblesse de l’âge par le comportement et l’intelligence.

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Arnoul, évêque d’Halberstadt (996-1023). Jean XV, pape de 985 à 996. Grégoire V, pape de 996 à 999.

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28. Au début de l’été, Adalbert, évêque des Bohêmes78 (il avait reçu le nom de Woytech au baptême, et son autre nom de la part de l’archevêque de Magdebourg lors de sa confirmation), qui avait été formé aux lettres dans cette même ville par Ochtrich, se rendit compte que sa prédication ne parvenait pas à détacher de leur ancienne et détestable erreur ceux qui lui avaient été confiés. Après les avoir tous excommuniés, il alla à Rome pour s’excuser auprès du pape, et avec sa permission il vécut là pendant longtemps sous la stricte règle de saint Boniface, donnant ainsi un bon exemple. Après qu’il eût tenté, toujours avec la permission pontificale, de dompter entièrement par le frein de la sainte prédication les esprits des Prussiens étrangers au Christ, il fut décapité par un glaive le 23 avril [997]. Il reçut, seul parmi les siens, et sans se plaindre, le martyre qu’il souhaitait depuis toujours, ainsi qu’il l’avait vu en songe la nuit précédente et l’avait annoncé à tous ses frères : « Je me voyais célébrer la messe et être seul à communier. » Les auteurs de cet affreux assassinat, voyant qu’il était mort, augmentant ainsi leur crime et par le fait même la vengeance divine, jetèrent ce corps saint dans la mer, fixèrent la tête en une ultime insulte sur un pieu et repartirent tout joyeux. Ayant appris cela, Boleslas, fils de Mieszko, racheta avec de l’argent le corps et la tête de l’illustre martyr. A Rome, l’empereur, lorsqu’il apprit cette nouvelle, fit les prières qu’il fallait, parce que sous son règne Dieu s’était adjoint un tel serviteur par la palme du martyre. A la même époque Bernward, évêque de Wurzbourg79, envoyé en Grèce sur l’ordre de l’empereur, y mourut avec de nombreux compagnons. Beaucoup de gens disent que Dieu accomplit de nombreux miracles par son intermédiaire. 29. L’empereur cependant quitta Rome et revint dans nos régions. Ayant appris la rébellion des Slaves, il se dirigea avec une troupe armée vers la Stodéranie, que l’on appelle Hevellun, la dévasta par le feu et le pillage et rentra en vainqueur à Magdebourg. En réplique nos ennemis attaquèrent en bandes le Bardengau, mais furent vaincus par les nôtres. Ramward, évêque de Minden, participa à cette bataille. Tenant sa croix dans les mains, il marchait devant les porte-enseignes, et contribua ainsi grandement à la vic-

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Saint Adalbert, évêque de Prague (983-997). Bernward, évêque de Wurzbourg (990-995).

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toire. Le même jour le comte Gardulf mourut avec quelques-uns des nôtres, ainsi qu’une multitude d’ennemis. Les autres prirent la fuite en abandonnant leur butin. 30. Pendant ce temps à Rome, en l’absence du pape qui depuis sa bénédiction s’appelait Grégoire, Crescentius lui substitua un proche de l’impératrice Théophano, Jean de Calabre, qui était alors évêque de Plaisance80. Par une telle audace il usurpait l’empire, oubliant ainsi le serment qu’il avait prêté et la générosité que lui avait témoignée l’empereur Otton. Bien plus, il captura et retint sous une garde vigilante des envoyés impériaux. Dès qu’il l’apprit l’empereur se hâta vers lui et demanda par des messagers à pouvoir rencontrer le pape. A son approche, l’usurpateur Jean s’enfuit. Mais il fut ensuite capturé par des fidèles du Christ et de l’empereur, et il y perdit sa langue, ses yeux et son nez. Crescentius quant à lui s’était réfugié dans la cité léonine et tentait de résister au souverain. En vain, car l’empereur, après avoir célébré Pâques à Rome, prépara les machines de guerre et après le dimanche suivant donna ordre au margrave Ekkehard d’attaquer la maison de Théodoric81, où le traître se trouvait. Ekkehard l’assiégea sans relâche, jour et nuit, et enfin, ayant construit de très hautes machines, il monta sur cette maison, et sur ordre de l’empereur il décapita Crescentius et le pendit par les pieds, ce qui inspira à tous ceux qui étaient présents une terreur indicible. Le pape Grégoire fut alors intronisé avec beaucoup d’honneur, et l’empereur ensuite régna sans rencontrer de résistance. 31. Il me semble maintenant excellent d’évoquer quelques faits de cette époque, qui paraissent à beaucoup de gens comme étant puérils et merveilleux, mais qui par leur vertu miraculeuse montrent qu’ils étaient prédestinés par Dieu. Un homme d’heureuse mémoire, le comte Ansfrid, était remarquable par la diversité de ses qualités. Enfant d’excellente famille, il avait été remarquablement formé, aussi bien du point de vue séculier que religieux, par son oncle paternel Robert, archevêque de Trèves82. Son autre oncle paternel, qui portait le même nom que lui, comte de quinze comtés, le confia 80 Jean [XVI], antipape, élu en févier 997, déposé en mai 998, mort le 26 août 1001. 81 C’est-à-dire le Château Saint-Ange. 82 Robert, archevêque de Trèves (930-956).

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alors pour apprendre les choses militaires à l’excellent Bruno, archevêque de Cologne83. Près de celui-ci l’adolescent, qui avait de bonnes dispositions, apprenait chaque jour, jusqu’à ce qu’il entre au service de l’empereur Otton Ier le Grand alors que celui-ci s’apprêtait à prendre Rome avec son armée. Au début de son service l’empereur lui ordonna de placer chaque jour sa tente, qui était très belle, en face de la sienne, et de porter son épée. Il s’agissait de voir s’il apprenait intelligemment les choses du palais. Il accepta cela avec gratitude, parce qu’en le suivant par des chemins détournés il pouvait de manière cachée prononcer de sa bouche les très doux psaumes en feignant de s’amuser à tendre des pièges aux oiseaux. 32. Lorsque l’empereur fut entré à Rome, faisant totalement confiance à ce jeune homme, il en fit son porte-glaive en lui disant : « Aujourd’hui, aussi longtemps que je prierai sur la tombe des saints apôtres, tu tiendras continuellement l’épée au-dessus de ma tête. En effet, je n’ignore pas que la fidélité des Romains envers mes prédécesseurs a été très douteuse. Le sage doit, par sa réflexion, deviner longtemps à l’avance les choses qui lui sont hostiles ; sinon, le surprenant à l’improviste, elles peuvent le vaincre. Quand nous serons rentrés au Monte Mario, tu prieras aussi longtemps que tu voudras. » A son retour il construisit sur son domaine, avec l’accord de l’évêque [de Liège], l’abbaye de Thorn, où il plaça comme abbesse sa fille, qui devint ainsi la mère de nombreuses moniales dévouées à Dieu, et pour le salut de son âme il l’offrit intégralement à saint Lambert84. 33. Puisque j’ai parlé de cette servante du Dieu tout-puissant, je ne passerai pas sous silence ce que le Seigneur a fait par son intermédiaire à notre époque. N’oubliant pas les devoirs de l’hospitalité, elle était d’une telle générosité envers les nécessiteux et les pèlerins qu’un jour il ne leur resta plus de vin, aux sœurs et à elle-même, ni pour qu’elles s’en restaurent, ni pour la communion. A la cellérière qui l’en informait elle dit : « Restons calmes, ma chère, et ne te tracasse pas. La grâce de Dieu pourra nous en donner bien assez ! » Et aussitôt, comme d’habitude, elle se mit à prier, prosternée devant la croix dans l’église Notre-Dame, et dans le vase complètement

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Bruno, archevêque de Cologne (953-965). Saint Lambert était le patron de l’évêché de Liège.

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vide le vin commença à monter jusqu’à déborder. Il y en eut tellement que non seulement les moniales, mais aussi de nombreuses personnes, des voisins ou des gens venus de plus loin, en burent pendant longtemps en louant le Seigneur. 34. Entre temps la comtesse Hereswind, la vénérable épouse du comte Ansfrid, tomba malade dans son domaine de Gilze. Comme si elle avait eu un présage de sa mort prochaine, elle se dépêcha d’aller à Thorn. Mais les douleurs, très vives, l’empêchaient d’y arriver. Elle s’arrêta donc en cours de route dans la maison d’un maire. Cet homme (c’est lui-même qui nous l’a raconté), avait des chiens féroces dont cette malheureuse malade avait du mal à supporter les aboiements. Elle lui demanda rapidement, et il accepta volontiers dès qu’il l’eût entendue, de les capturer, voire même, s’il y parvenait, à les tuer. Mais comme il n’arrivait à faire ni l’un, ni l’autre, il se fit que, de manière étonnante, les deux chiens ne parvinrent plus à aboyer jusqu’à ce que cette sainte servante de Dieu se fût endormie en paix. Celle qui avait partagé sa sainte simplicité l’enterra ensuite dans le sanctuaire de ce monastère qu’ils avaient construit par un commun labeur. Pendant de nombreuses années sa chambrière souffrit d’hydropisie. La veille de la Noël, une vision lui montra qu’elle devait apporter des chandelles au tombeau de sa dame. Ce qu’elle fit. Aussitôt, alors qu’on célébrait les louanges des matines, elle sortit, guérie, et parut en bonne santé devant tout le peuple. 35. Après le décès de cette dame l’heureux comte, qui ne désespérait pas de l’utilité de ce que l’on peut faire sur terre, mais soulevé par les ailes mêmes de la vertu, décida de se soumettre à la vie monastique là où il trouverait la plus grande obéissance à la règle. Cependant, alors qu’il n’en était encore qu’au stade des intentions, il fut appelé, nécessité faisant loi, à l’évêché d’Utrecht85 par l’empereur Otton III sur la suggestion de Notger, évêque de Liège86. Aussitôt qu’il entendit cela, il entra dans la chapelle d’Aix et implora la dame du monde que cela se réalise canoniquement si cela venait de Dieu, que ce soit miséricordieusement annulé sinon. Mais après que l’archevêque de Cologne Everger87, du consentement de ses 85 86 87

Ansfrid, évêque d’Utrecht (995-1010). Notger, évêque de Liège (972-1008). Everger, archevêque de Cologne (985-999).

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suffragants, eût parlé en ce sens aussi bien à l’empereur qu’à luimême, bon gré mal gré, il fut proclamé évêque. Peu après il donna à saint Martin, fidèle garant de cet échange, cinq domaines lui appartenant en propre. 36. Dans sa vieillesse, alors que sa vue faiblissait fortement, il se fit moine. Chaque jour il nourrissait de sa main 72 pauvres. Bien qu’aveugle, précédé par le chambrier, il portait lui-même la nuit de l’eau pour les plus malades du fond de la vallée au sommet des collines et leur préparait le bain ; il fournissait les vêtements de rechange et tout ce qui est nécessaire pour le corps, ordonnant qu’ils partent en paix, pour qu’ainsi il puisse dissimuler ses œuvres. Sur la même colline il avait fondé un couvent de moines88. Il fut souvent châtié par leurs verges quand il osait résister à leurs ordres. Enfin, tout ce qu’il pouvait acquérir, il le donnait aux pauvres. Par bonté, il fit placer en hiver des graines sur les arbres de sa colline, pour permettre aux oiseaux de manger. Sous sa tunique il portait continuellement un cilice. Il tomba malade de la Noël jusqu’à l’invention de la Croix [3 mai]. Pendant tout ce temps il ne mangea même pas trois pains. Alors que la dissolution de sa chair approchait, il vit une croix par une fenêtre qui avait été percée après qu’il fût devenu aveugle, et déclara à tous ceux qui étaient là qu’il la voyait, louant Dieu et disant : « C’est auprès de toi, Seigneur, qu’est la lumière qui ne s’éteindra jamais ! ». Enfin, après avoir reçu le saint viatique, instruit d’aimer son juge tout en l’attendant, il refusa, pour ainsi dire, de le craindre perpétuellement tout en le craignant ici bas. Tout à fait confiant en l’intervention de la sainte mère de Dieu, à laquelle il s’était donné avec ses biens, il se signa du signe de la croix par la main et l’esprit jusqu’à ce qu’en s’endormant il reposât en paix. 37. Après sa mort, les habitants d’Utrecht vinrent, les pieds nus mais les mains armées, en pleurant, en priant et en disant aux moines : « Au nom de Dieu, donnez-nous notre évêque, pour que nous le portions à son tombeau dans la cathédrale. » Mais la vénérable abbesse, qui était sa fille très sainte, répondit avec les chapelains et les vassaux : « Il doit être enterré à l’endroit où Dieu lui a permis

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L’abbaye de Hohorst, ou Heiligenberg, près d’Amersfoort ; fondée en 1006.

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de quitter la vie présente. » On en arriva au point que de toute part on se rassemblait dangereusement en armes, et que plusieurs sans doute auraient perdu la vie, si l’abbesse ne s’était prosternée au milieu de tous et n’avait demandé à Dieu de faire la paix entre eux au moins provisoirement. A ce moment les vassaux [de l’abbaye] s’aperçurent qu’ils pourraient transporter le sarcophage du côté où se trouvaient les ateliers, c’est-à-dire depuis l’Eembach, jusqu’au sommet de sa colline. Mais alors qu’ils s’efforçaient de le faire, le corps fut soulevé par les habitants d’Utrecht et porté sans difficulté de l’autre côté de la rivière, comme ils le jurent encore maintenant. Ainsi, par la volonté de Dieu, le groupe le plus fort, celui des vassaux, fut vaincu. Pendant la translation du corps saint, une odeur admirable se répandit tout au long de la route, remplissant les narines et les cœurs jusqu’à trois milles, ainsi que l’attestent des hommes très dignes de foi. 38. Je vais maintenant rappeler quel misérable dommage fut causé à l’archevêque Giselher par son incurie. L’empereur avait muni, pour la défense de la patrie, la ville d’Arneburg d’une fortification nécessaire, et la lui avait confiée pendant quatre semaines pour qu’il y veille. Giselher tomba dans un piège lorsque, appelé à une entrevue par les Slaves, il sortit avec une petite escorte. En effet, il avait envoyé une avant-garde, et laissé quelques hommes en ville. Mais voilà que l’un de ses compagnons annonce que les ennemis surgissaient hors du bois. Tandis que les soldats des deux camps s’affrontaient, l’archevêque, qui était venu en char, s’enfuit à bride abattue. Mais rares furent ceux, parmi les siens, qui échappèrent à la mort. Les Slaves victorieux s’emparèrent sans danger du butin pris aux morts, tout en regrettant d’avoir laissé filer l’archevêque. Quoiqu’aussi tristement frappé, Giselher garda cependant la ville jusqu’au jour fixé. Alors qu’il rentrait tristement, il rencontra mon oncle paternel le margrave Lothaire, qui avait alors la charge de cette cité. La lui confiant fermement, il le laissa. Le margrave y alla, et lorsqu’il vit que la ville brûlait, il envoya en vain un messager à l’archevêque pour lui demander de revenir. Il tenta alors d’éteindre le feu qui en deux endroits était déjà intense, mais comme il n’y arrivait pas, il laissa la porte ouverte aux ennemis et rentra tout triste chez lui. Par la suite, il fut mis en accusation devant l’empereur, mais il se disculpa par un serment. Neuf jours après ce massacre ma mère, Cunégonde, mourut à Germersleben, le 13 juillet. 149

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39. Ekkehard, dont la famille appartenait aux plus nobles de Thuringe méridionale, arrivait alors progressivement à l’âge viril. Il honora toute sa parentèle par les mœurs comme par les actes. En effet, comme nous le lisons, « les fautes déshonorent ceux qui sont bien nés »89. Après de nombreux combats difficiles, qu’il avait menés avec son père Gunther qui fut longtemps privé de sa charge, il rentra plein d’honneur dans sa patrie et dans la grâce de l’empereur Otton II et épousa Suonehilde, veuve du comte Thietmar, sœur du duc Bernard. Il en eut une fille aînée, Liudger. Lothaire cependant, issu d’une illustre famille de Thuringe septentrionale et devenu homme, surpassa son âge par ses vertus. Avec l’aide d’Otton II, dont il était très proche, et l’accord de l’évêque de Verden Wigfrid, qui en était le cousin, il épousa Godila, noblement née dans la région occidentale. Agée de treize ans elle lui donna un fils aîné que du nom de son père il appela Werner. 40. Ces deux rejetons, le garçon et la fille, sortis de la racine d’une aussi noble vigne, s’efforçaient d’atteindre la maturité des fruits par les illustres échelles des vertus. Le comte Lothaire le premier réalisa la beauté et l’honnêteté de cette fille. Il chercha secrètement en esprit comment l’unir à son fils. Mais finalement il se lança, et par l’intermédiaire de fidèles messagers il déclara à Ekkehard, qui était alors margrave, le désir qu’il cachait depuis longtemps, et il obtint aussitôt son accord. Devant leurs proches rassemblés Ekkehard promit à Lothaire qu’il la donnerait comme épouse à son fils selon la loi, le confirmant en présence de tous les nobles selon la coutume et selon le droit. Mais comme il plaisait beaucoup à Otton III et était considéré comme un des premiers auprès de lui, gâté par je ne sais quelle raison, il s’efforça de rompre le pacte qui avait été si fermement conclu. Cela n’échappa pas à Lothaire qui se demandait anxieusement comment éviter que cela se produise. 41. Alors que l’empereur et Ekkehard demeuraient ensemble à Rome, la charge de ce royaume avait été confiée à la vénérable abbesse Mathilde dont j’ai parlé ci-dessus. Or c’est dans sa ville de Quedlinbourg que la jeune Liudger était alors éduquée. Une assemblée publique, réunissant l’abbesse et tout le conseil, se tint à

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Gerbert d’Aurillac, pape sous le nom de Silvestre II (999-1003).

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Derenburg. Pendant ce temps Werner, n’agissant pas, à ce que je crois, sur le conseil de son père mais par amour pour la jeune fille et par crainte d’un déshonneur public, monta dans la ville susdite avec mes frères Henri, Frédéric et d’autres excellents guerriers, enleva de force sa fiancée qui protestait et criait, et revint sain et sauf avec les siens à Walbeck. Lorsque l’abbesse l’apprit de source sûre, elle fut fortement choquée. Elle demanda et ordonna en pleurant à tous les princes de prendre les armes, de poursuivre à toute vitesse tous les ennemis publics et de s’efforcer de lui ramener la jeune fille après les avoir capturés ou tués. Sans retard, les guerriers s’efforcèrent d’obéir à ces ordres, et avant qu’ils ne parviennent à la ville fortifiée cherchèrent à les surprendre par des raccourcis, à les capturer, les tuer ou les mettre en fuite. Mais ils comprirent que ceux qu’ils poursuivaient, ayant réuni une troupe solide et fermé les portes, se réjouissaient d’être en sûreté. Ils ne laissaient entrer personne. Ils entendaient mourir ou se défendre, mais en aucun cas rendre la fiancée. Entendant cela, les autres revinrent tout dépités. 42. Lothaire partit alors avec Alfricus l’ancien et Thietmar, un chevalier du comte Ekkehard, pour demander à la fiancée ce qu’elle voulait faire. Comme elle leur affirmait qu’elle préférait rester plutôt que rentrer, ils rapportèrent cette réponse à l’abbesse et aux autres. L’abbesse consulta alors les nobles, qui lui répondirent qu’il leur paraissait opportun de réunir une assemblée à Magdebourg et d’y convoquer le fiancé avec sa fiancée, et que ceux qui l’avaient aidé y viennent plaider coupable, ou s’enfuient après avoir été condamnés. On agit ainsi. Devant une grande multitude de gens, Werner vint pieds nus avec ses complices et rendit son épouse. Sur l’intervention des princes il promit de faire amende honorable, et mérita ainsi de recevoir le pardon pour ce qu’il avait commis. Mais à la fin de la rencontre Mathilde, vénérable en toute chose, garda Liudger avec elle, non pour la retenir mais pour renforcer son grand amour. 43. Mais ce que sa bonne volonté voulait faire fut interrompu par sa mort subite. En effet peu de jours plus tard, alors qu’elle se préparait à venir au lieu que Dieu lui avait préparé, elle tomba longuement malade. Elle appela alors Bernward, évêque d’Hildesheim, et il lui donna l’indulgence qu’elle lui demandait. Le 6 février elle mourut et fut enterrée dans l’église, près de la tête de son grand-père, le roi Henri. Sa mère, l’impératrice Adélaïde, très 151

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choquée par cet enterrement, envoya un messager à l’empereur pour lui annoncer ce décès et lui demander que succède à Mathilde sa sœur Adélaïde. Otton accepta le pieux désir de sa grand-mère, pleura abondamment cette mort et de loin il confia l’abbaye à sa chère sœur, lui faisant porter une crosse dorée par Bezelin et ordonnant qu’elle fût bénie par l’évêque Arnoul. Quant à l’impératrice Adélaïde, elle construisait alors la ville de Seltz, réunissant des moines et organisant tout. Cette même année le 17 décembre elle rejoignit dans la joie ceux de qui elle était née. Dieu voulut récompenser par un juste avantage son fidèle service, et jusqu’aujourd’hui il accomplit de nombreux miracles sur sa tombe. Après avoir tout mis en ordre à Rome, le pape Grégoire mourut le 4 février. Gerbert lui succéda peu après90. 44. Après cela l’empereur accusa l’archevêque Giselher, devant un synode à Rome, de détenir deux évêchés. Il ordonna qu’une sentence judiciaire le suspende de sa charge, et que le pape le convoque par l’intermédiaire de messagers. Mais Giselher était alors frappé de paralysie, et ne pouvait aller à Rome. Il envoya son clerc Rormann, pour le disculper par un serment s’il ne pouvait être cru d’une autre manière. Un délai fut consenti, jusqu’à ce que l’empereur puisse discuter de cela avec les autres évêques de la province. Après cela l’empereur entendit que Dieu faisait des miracles par l’intermédiaire de son cher martyr Adalbert, et se dépêcha d’y aller pour prier. Arrivé à Ratisbonne avec Ziazo qui était alors patrice, l’oblationnaire Robert91 et les cardinaux, il y fut magnifiquement accueilli par l’évêque Gebhard. Aucun empereur n’était jamais sorti ou revenu de Rome avec une telle gloire. Giselher, venant à sa rencontre, mérita sa grâce, bien qu’elle fût un peu vacillante, et l’accompagna. 45. L’empereur arriva ensuite à Zeitz, où il fut accueilli comme il convenait par Hugues II, troisième évêque de cette ville92. Ensuite il alla directement à Meissen où il fut accueilli avec honneur par le vénérable évêque Eid et le margrave Ekkehard, qui était alors un de ses proches. Il parcourut la Misnie et alors qu’il venait d’arriver dans le territoire de Diadesi, Boleslas (c’est un nom qui veut dire 90 91 92

Diacre portant les hosties du pape. Hugues II, évêque de Zeitz çç1-1003). Hugues II, évêque de Zeitz (991-1003).

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« grande louange », non pas à bon droit, mais selon la coutume) vint en souriant à sa rencontre en un lieu appelé Eulau, qui lui appartenait et qu’il avait fait préparer pour l’occasion. On ne pourrait ni raconter, ni croire comment l’empereur fut accueilli par lui et conduit à travers ses terres jusqu’à Gniezno. Voyant de loin la ville qu’il désirait tant, il y entra en suppliant, pieds nus. Accueilli avec respect par l’évêque Unger93, il fut conduit dans l’église et avec force larmes, l’invita à demander la grâce du Christ par l’intercession du martyr du Christ. Aussitôt il y fonda un archevêché. J’espère que cette décision était légitime, mais elle se fit sans l’accord de l’évêque dans la province de qui toute cette région se trouvait. Il le confia au frère du susdit martyr, Radim94, et lui soumit Reinburn évêque de Kolberg95, Poppon évêque de Cracovie96, Jean évêque de Wroclaw97mais pas Unger évêque de Poznan. Ayant établi un autel, il y plaça avec honneur les saintes reliques. 46. Ayant accompli tout cela, l’empereur reçut du duc de grands cadeaux et, ce qui lui plut bien plus, 300 chevaliers cuirassés. A son départ, Boleslas l’accompagna entouré de beaucoup de gens jusqu’à Magdebourg, où l’on fêta solennellement les Rameaux [25 mars 1000]. Le lundi l’archevêque de Magdebourg, invité par un édit de l’empereur à ne garder que son premier siège, malgré une grande somme d’argent versée aux négociateurs parvint péniblement à obtenir un délai jusqu’à Quedlinbourg. Il y eut là une grande assemblée, et on y célébra la fête de Pâques. Le lundi, Giselher fut à nouveau convoqué devant le concile. Mais, atteint d’une grave maladie, il fut à nouveau excusé par Rotmann, et défendu sur beaucoup de points par le prévôt Walthard. Il fut alors convoqué à un concile à Aix, où il vint avec les siens et fut interpellé par l’archidiacre de l’Eglise romaine. Suivant un sage conseil, il demanda à répondre devant un concile général. Et ainsi tout traîna sans être tranché jusqu’à ce qu’à notre époque Dieu dans sa bonté veuille y mettre fin.

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Unger, évêque de Poznan (983-1012). Radim ou Gaudentius, frère de saint Adalbert de Prague, archevêque de Gniezno (1000-1006). 95 Cet évêque (et cet évêché) ne sont attestés que par Thietmar. 96 Poppon, évêque de Cracovie (mort en 1023). 97 Pas de dates précises pour cet évêque. 94

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47. L’empereur s’agitait beaucoup pour restaurer les anciennes coutumes des Romains, largement disparues à son époque, et cela était diversement apprécié. Il siégeait seul à sa table en forme de demi-cercle, posée un peu plus haut que le reste. Comme on n’était pas sûr du lieu où reposaient les os de Charlemagne, il ordonna de casser le pavement en cachette et de creuser là où il pensait qu’ils étaient, jusqu’à ce qu’ils fussent trouvés sur son trône royal. Il prit la croix d’or qui pendait à son cou avec un morceau des vêtements qui jusqu’alors n’avaient pas pourri, et reposa le reste avec beaucoup de respect. Mais comment raconterais-je toutes ses allées et venues entre tous ses évêchés et comtés ? Ayant tout bien mis en ordre de ce côté des Alpes, il retourna dans l’empire romain et retrouva la forteresse de Romulus. Il y fut accueilli avec de grandes louanges par le pape et les autres évêques. 48. Après cela Grégoire98, que l’empereur pourtant aimait beaucoup, chercha à le capturer par ruse et lui tendit pour cela des pièges secrets. Il rassembla des troupes et tomba sur lui à l’improviste. L’empereur s’évada par la porte avec quelques hommes, mais la plus grosse partie de son armée resta à l’intérieur. Et ce peuple, qui n’est jamais content de ses seigneurs, répondit à son ineffable bonté en lui faisant du mal. Alors, par un messager, l’empereur demanda et ordonna à tous ses proches, s’ils avaient quelque soin de son honneur et de sa vie, de se hâter de venir le rejoindre avec une troupe armée, pour le venger et pour le protéger. Mais les Romains, rougissant d’avoir commis un tel crime et s’en rejetant l’un l’autre la responsabilité, relâchèrent tous leurs prisonniers et demandèrent humblement et par des voies diverses à l’empereur, sa grâce et la paix. L’empereur, qui se méfiait de leurs paroles mensongères, ne tarda pas à nuire aux personnes et aux biens de tous ceux qu’il put. Toutes les régions qui appartiennent aux Romains et aux Lombards restèrent fidèles à sa domination, sauf Rome, qu’il aimait et honorait toujours plus que les autres. Lorsque arriva une forte armée de fidèles sous la conduite d’Héribert, archevêque de Cologne99, l’empereur s’en réjouit beaucoup. Mais bien qu’il affichât à l’extérieur un visage toujours souriant, dans le secret de sa conscience

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Grégoire, comte de Tusculum. Héribert, archevêque de Cologne (999-1021).

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cependant il gémissait sur ses nombreux méfaits. Consacrant le silence de la nuit aux veilles et aux prières, il ne cessait de baigner dans des rivières de larmes. Très souvent il jeûnait pendant toute la semaine (sauf le jeudi) et donnait de généreuses aumônes. 49. Beaucoup de difficultés annoncèrent sa mort prochaine. Nos ducs et nos comtes, sans d’ailleurs que nos évêques l’ignorent, multiplièrent les conspirations contre lui, demandant à cet effet l’aide du duc Henri, qui devait lui succéder100. Mais celui-ci, gardant dans la mémoire de son cœur les avertissements de son père et homonyme, qui mourut et repose à Gandersheim, lui était jusque là fidèle en toute chose et ne leur donna pas son accord. L’empereur l’apprit très vite et le supporta avec patience. Mais à Paterno il souffrit de boutons qui l’opprimaient à l’intérieur et qui finalement éclatèrent. Cet homme au visage illustre et à la foi excellente, couronne de l’Empire romain, mourut le 24 janvier en laissant aux siens une tristesse insurpassable, parce que de son temps personne ne fut plus généreux et plus clément que lui. Que l’Alpha et l’Omega, qui donne de grandes choses en échange de petites et des choses éternelles en échange de temporelles, ait pitié de lui. 50. Ceux qui étaient présents à son décès turent la nouvelle jusqu’à ce que l’armée, qui était dispersée un peu partout, fût rassemblée par des messagers. Alors la triste troupe, accompagnant le corps de son cher seigneur, souffrit continuellement pendant sept jours les grands périls de la guerre. Aucune garantie de sécurité ne lui fut garantie par les ennemis, sauf enfin lorsqu’elle arriva à Vérone. Ensuite elle parvint à Polling, domaine de l’évêque d’Augsbourg Siegfrid101. Elle y fut accueillie par le duc Henri, et à nouveau fortement secouée par ses larmes. Par de nombreuses promesses il les exhorta à l’élire comme leur seigneur et leur roi. Il prit aussi en son pouvoir le corps de l’empereur avec tous les ornements impériaux, sauf la lance, que l’archevêque Héribert avait mise de côté en cachette102. L’archevêque, mis provisoirement en détention, dut laisser son propre frère en otage pour avoir la permission de partir, 100

Henri, duc de Bavière depuis 995, succèdera à Otton III en 1002. Siegfrid, évêque d’Augsbourg (1001-1006). 102 La sainte lance fait partie des insignes impériaux depuis le règne d’Henri Ier. Son fer était considéré comme ayant été forgé dans un des clous de la Passion du Christ. Elle est toujours conservée à Vienne, dans le trésor des Habsbourg. 101

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et rendit aussitôt la sainte lance. Mais, comme tous ceux qui suivaient le corps de l’empereur sauf l’évêque Siegfrid, il ne donnait pas alors son accord au duc, sans pour autant le lui refuser, mais il déclarait qu’il consentirait volontiers au choix que ferait la meilleure et la plus grande part du peuple. 51. Le duc cependant arriva avec eux à Augsbourg. Il plaça d’abord les entrailles de ce seigneur bien-aimé en deux vases dans l’oratoire du saint évêque Ulrich, que Liudolf, évêque de cette ville, avait construit en son honneur, et il leur donna une sépulture honorable dans le côté sud du monastère de la sainte martyre Afra, et pour le repos de l’âme du défunt lui offrit 100 manses en pleine propriété. La foule se dispersa alors en paix, et le corps de l’empereur poursuivit jusqu’à sa ville de Neuburg. Ensuite, incité par son homonyme Henri, dont il avait épousé la sœur du vivant de l’empereur, il fit conduire le corps au lieu prévu, en prenant congé de chacun. 52. Lorsqu’ils apprirent la mort prématurée de leur seigneur, les princes de Saxe, c’est-à-dire l’archevêque de Magdebourg Giselher et ses suffragants, le duc Bernard, les margraves Lothaire, Ekkehard et Gero et les nobles du royaume, se réunirent au domaine royal de Frohse, que le comte Goncelin tenait alors en bénéfice de l’empereur, et discutèrent de la situation de l’Etat. Le comte Lothaire, dès qu’il eût compris qu’Ekkehard voulait être hissé au-dessus d’eux, convoqua l’archevêque et la meilleure partie des nobles à une discussion secrète à l’extérieur, et leur conseilla à tous de s’engager par serment à ne choisir en commun ou individuellement aucun seigneur ou roi avant une grande réunion à Werla. Cela fut approuvé par tous, à l’exception d’Ekkehard. Celui-ci, supportant mal d’être peu à peu éloigné du sommet du royaume, explosa : « Ô comte Lothaire, pourquoi t’opposes-tu à moi ? » Mais l’autre lui répondit : « Ne sens-tu pas qu’il manque à ton char la quatrième roue ? ». C’est ainsi que l’élection fut interrompue, et que se vérifia le dicton des anciens, selon lequel une interruption d’une nuit se transforme en un retard d’une année, et ici en prolongation jusqu’à la fin de la vie. Sous le règne du susdit empereur le monastère d’Hillersleben fut incendié par les Slaves, les moniales en furent chassées. Le même jour, beaucoup des nôtres furent tués.

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53. Mais je m’égare un peu ; j’en reviens brièvement aux obsèques de l’empereur. A son arrivée à Cologne, son corps fut accueilli par l’archevêque de cette ville, Héribert. Il fut transporté le lundi après les Rameaux au monastère Saint-Séverin, le mardi à SaintPantaléon, le mercredi à Saint-Géréon. Le Jeudi Saint il fut amené à Saint-Pierre. Les pénitents y furent introduits selon la coutume ecclésiastique et se libérèrent par la pénitence ; l’archevêque donna la rémission de l’âme et du corps, les prêtres demandèrent qu’on se souvienne de l’empereur dans les prières, et le peuple suppliant l’accepta en pleurant. Au matin du Vendredi Saint le corps fut élevé, et conduit le Samedi Saint à Aix. Le dimanche enfin, il fut enseveli au milieu du chœur de l’église Notre-Dame. La pitié qu’il témoignait à l’égard de tous conduisit ceux qui faisaient retentir prières et lamentations à poursuivre sans cesse. Les fêtes de la résurrection du Seigneur, généralement source de joie pour les anges et les hommes, ne purent être célébrées avec le respect nécessaire, à cause de la fragilité de ceux qui étaient rassemblés, parce que, méritant cette mort à cause de leurs péchés, ils y reconnaissaient une punition divine. Que tous ceux qui sont fidèles à Dieu dans leur vie religieuse obtiennent par leurs larmes le salut de son âme, parce qu’il s’est efforcé de rénover notre Eglise en y mettant tout son esprit. Qu’il reçoive toujours, sur la terre des vivants, la communion des justes avec les bienfaits éternels de Dieu, qui a toujours pris soin d’être miséricordieux avec les miséreux. 54. La majorité des nobles qui assistaient à ces obsèques promit son aide au duc Hermann103, pour acquérir et protéger le royaume, calomniant Henri104 en disant qu’il n’était pas capable de régner pour de nombreuses raisons. Les Lombards cependant, lorsqu’ils eurent appris le décès de l’empereur, ne se souciant en rien de ce qui arriverait et méprisant les dignes fruits de la pénitence, élirent comme roi Ardouin105. Celui-ci, comme le jugement divin le montra clairement par la suite à ceux qui l’avaient chosi, était davantage capable de détruire que de régner. Mais je raconterai cela plus tard. Je vais maintenant commencer à écrire au sujet de celui qui, par l’aide divine et par sa propre force, humilia tous ceux qui à un moment ou un autre se dressèrent contre lui et les força à courber 103 104 105

Hermann, duc de Souabe (997-1003). Duc de Bavière. Ardouin, marquis d’Ivrée (1002-1015).

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la tête pour lui rendre les honneurs qui lui étaient dus. Et celui-ci, le cinquième de la série, le second par le nom, donnera le titre du livre V. 55. Mais parce que je ne parviens pas à mettre dans l’ordre tout ce qui doit être écrit dans le plan de ce livre, je ne rougis pas de le résumer ici. Je me réjouis en effet des divers détours du voyageur, qui remplace l’itinéraire en ligne droite par la diversité sinueuse des sentiers, tantôt à cause de la difficulté du chemin, tantôt à cause de son ignorance. Je vais donc raconter le reste des faits de Mieszko, illustre duc des Polonais, que j’ai déjà largement exposés dans les livres précédents. En Bohême, il avait épousé la noble sœur de son seigneur Boleslas, dont le nom parut être plein de vérité. En effet, on l’appelait en slave « Dobrawa », ce qui en allemand veut dire « bonne »106. Et en effet cette fidèle du Christ, alors qu’elle voyait son mari s’enfoncer dans les diverses erreurs du paganisme, se demandait sans cesse comment elle pouvait l’associer à sa foi. Elle chercha à lui plaire par toutes les manières, non pas eu égard aux trois formes que prend le désir dans ce monde nuisible, mais en raison du fruit louable de la récompense future, si désirable pour tous les fidèles. 56. De sa propre volonté elle agit mal pendant un temps, pour pouvoir ensuite bien agir pendant longtemps. En effet, lors du carême qui suivit leur mariage, comme elle s’efforçait par l’abstinence de la chair et l’affliction de son corps d’offrir à Dieu la dîme qui lui plaisait, son mari lui demanda par des douces promesses d’abandonner son dessein. Elle y consentit, pour pouvoir plus facilement être écoutée par lui une autre fois. Certains disent qu’elle a mangé de la viande pendant un carême, d’autres pendant trois. Quoi qu’il en soit, tu as entendu, lecteur, son délit. Maintenant, considère le fruit excellent de sa piété. Elle travaillait à la conversion de son mari, et elle fut exaucée par la bienveillance de son créateur, dont l’infinie bonté a amené le persécuteur à se soucier de lui-même et à se repentir : sous la fréquente exhortation de sa chère épouse, il vomit le poison de son infidélité natale et lava le péché originel dans le saint baptême. Aussitôt, les membres du peuple, jusque là

106 Thietmar compare le slave « Dobrowa » à ce qu’il appelle l’allemand bona, qui est en fait du latin.

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bien faibles, suivirent leur chef et cher seigneur, et ayant reçu le vêtement nuptial ils furent comptés au nombre des fils adoptifs du Christ. Jourdain, leur premier évêque107, se donna beaucoup de mal pour eux, lorsqu’avec zèle il les invita par la parole et l’exemple à cultiver la vigne suprême. Alors ils se félicitèrent légitimement, ces deux époux, l’homme et sa noble femme, et tous ceux qui leur étaient soumis se réjouirent qu’ils se soient mariés dans le Christ. Ensuite cette bonne mère engendra un fils de loin moins noble qu’elle et qui fut la perte de nombreuses mères. Du nom de son frère elle l’appela Boleslas. C’est lui, je le dis, qui montra d’abord à son égard une méchanceté inconnue, et qui se déchaîna contre sa mère, comme je vais le montrer par la suite. 57. A la mort de sa mère son père108 épousa sans l’autorisation canonique une moniale de l’abbaye de Kalbe, fille du margrave Thierry. Elle s’appelait Oda, et ne manquait pas d’audace. En effet, elle méprisait ainsi son époux céleste, lui préférant un homme d’épée, ce qui déplut à tous les recteurs d’églises et surtout à son évêque, le vénérable Hildeward. Mais à cause du salut de la patrie et du renforcement d’une paix nécessaire, on n’en vint pas à la séparation, mais au remède salutaire d’une réconciliation durable. Car elle accrut le service du Christ, elle ramena à la patrie une multitude de captifs, elle brisa les chaînes des prisonniers et ouvrit les prisons aux coupables. J’espère que malgré son importance son crime lui sera pardonné par Dieu, puisqu’elle a montré tant de piété et d’amour. Cependant, nous avons lu que celui-là cherche en vain à plaire à Dieu, qui ne rejette pas tout à fait et entièrement l’injustice qu’il a commencé à commettre. Elle donna à son mari trois fils, Mieszko, Swentepulk et [..]109, vivant là avec beaucoup d’honneur jusqu’à la mort de son mari, appréciée par ceux chez qui elle était venue et utile à ceux qu’elle avait quittés. 58. En l’an de l’incarnation du Seigneur 992, sous le règne d’Otton III, le 25 mai, le duc en question, déjà vieux et malade, passa de l’exil de ce monde à la patrie céleste. Le royaume qu’il laissait devait être divisé en plusieurs parts, mais par la suite son fils Boles107

Jourdain, évêque de Poznan (968-972). A la mort en 977 de Dobrawa, mère de Boleslas Chrobry, le père de ce dernier, Mieszko Ier, épousa Oda. 109 Espace blanc dans le manuscrit. 108

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las expulsa sa belle-mère et ses frères, fit aveugler ses proches Odilenus et Pribuvoius, et par une ruse de renard réunit les trois parts en un seul royaume. Aussi longtemps qu’il régna seul, il mit de côté le droit et tout ce qui est permis. Il épousa la fille du margrave Ricdag, puis la renvoya. Il prit alors une épouse en Hongrie. Il en eut un fils, appelé Besprim, et ensuite de la même manière il la chassa. La troisième fut Emnildis, fille du vénérable seigneur Dobremir, qui fidèle au Christ inclina l’esprit instable de son mari vers tout le bien, et n’arrêta pas de laver ses fautes et celles de son époux par d’immenses aumônes et beaucoup d’abstinence. Elle eut deux fils, Mieszko et un autre, que son père appela [Otton] en hommage à son cher seigneur. Elle eut aussi trois filles, dont l’une est abbesse, la seconde épousa le comte Hermann, la troisième le fils du roi Vladimir, comme je le raconterai. 59. Par la grâce et l’incitation de l’empereur Otton III, le gendre d’Henri, duc de Bavière110, créa des églises cathédrales dans son royaume et reçut la couronne et la bénédiction. Je ne peux taire un miracle arrivé divinement à Rome au temps de cet empereur. En effet, comme les soldats du duc Hermann abîmaient par leur brutalité les prés des moines de Saint-Paul, ceux-ci leur demandèrent humblement à plusieurs reprises de s’en éloigner, mais ils refusèrent. Alors continuellement de nombreux nuages s’élevèrent, des coups de foudre étincelèrent, inspirant la crainte du Seigneur. Un terrible tonnerre suivit aussitôt et tua les quatre meilleurs d’entre eux, faisant fuir les autres et montrant qu’en ce monde il ne faut pas mépriser les pauvres du Christ. Car Dieu dans sa miséricorde est le protecteur de ces hommes, il élève ceux qui l’honorent et qui l’écoutent au milieu de leurs malheurs ; mais ceux qui les persécutent, il les punit, soit dans ce monde, ce qui est plus léger, soit dans le monde futur, ce qui est plus grave. 60. La sœur de l’empereur, Mathilde, épousa Ezzo, fils du comte palatin Hermann. Cela déplut à beaucoup de monde, mais comme il ne pouvait le modifier légalement, son frère unique le supporta patiemment, lui donnant de nombreux biens pour éviter que s’avilisse la gloire qui lui avait été donnée de naissance par ses excellents parents.

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Il s’agit d’Etienne, roi de Hongrie (997-1038).

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A cette époque, Conrad, illustre duc de Souabe111, son frère le comte Herbert et le célèbre margrave Hodo112, moururent (et ce fut un grand malheur !) d’une mort brutale. Siegfrid, fils de ce margrave, qui vivait depuis longtemps parmi les moines et dans le même habit qu’eux à Nienburg, où son père repose, rejeta le froc et prit l’habit laïc. Convoqué par son abbé Ekkehard et par l’archevêque Giselher, il alla à un concile à Magdebourg et bien que ce fût contre son gré, il dut par une sentence judiciaire reprendre l’habit monastique. Mais il s’en délivra par son serment et celui de onze autres hommes et de lui-même, à l’image de quelqu’un qui à Rome s’était purifié en présence de l’empereur après une sentence semblable. Ses pères spirituels maintinrent envers lui toute leur accusation. Mais après avoir corrompu ses juges, comme je le crains, il l’emporta et on ne retint pas sa faute. 61. Il me plaît de rappeler ici la brève vie de l’évêque de Worms Francon113, qui, jeune et dont les mœurs étaient réputées, plut à l’empereur. Comme celui-ci observait que cet homme proche de lui s’impliquait sans réserve dans les choses divines, il le fit succéder à l’évêque de Worms Hillibald à la mort de celui-ci114. Mais lui, après seulement un an d’épiscopat, mourut en Italie et y fut enterré. J’aurais vraiment voulu, si j’avais pu, qu’en la renouvelant la mémoire de chacun de ces excellents hommes fleurisse aujourd’hui et dans le futur par l’intermédiaire de cette œuvre que font mes mains inutiles, pour que leur bonté parle de moi après du Dieu tout-puissant, même s’ils ne se réjouissent pas de cela. Je reconnais cependant que je suis moins que je ne devrais, et n’ayant absolument pas confiance dans la fragilité du roseau, je me confie en suppliant, moi pécheur, aux justes intercesseurs. 62. L’empereur voulut élever à l’épiscopat ses chapelains Herpon de Halberstadt et Racon de Brême115. Il leur donna la crosse épiscopale alors qu’ils étaient alités sous le coup d’une sérieuse maladie, mais tous deux moururent avant de recevoir l’onction épiscopale. Mais je ne sais pas ce que je pourrais dire à leur sujet, 111 112 113 114 115

Mort le 20 août 997. Hodo, margrave de la marche orientale de Saxe, mort le 13 mars 993. Francon, évêque de Worms (999). Hillibald ou Hildebold, évêque de Worms (978-998). Herpon et Racon furent successivement désignés évêques de Worms en 999.

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puisque je n’ai jamais rien lu ou entendu à propos d’eux. Dieu, qui sait tout, est le seul qui ait voulu cela, et qui peut savoir ce qu’il en est. En tout cas ces deux hommes, tout pieux qu’ils étaient, ne doivent pas être comptés parmi les évêques, puisque aucune bénédiction n’a pu les rendre collègues de ces derniers. Cependant Racon, sur l’ordre de son cher seigneur, fit ramener d’Hambourg à Rome les ossements du pape Benoît116, comme luimême l’avait prédit. Et en effet ce vénérable pape, alors qu’il était en exil et se consacrait au service du Christ, et alors que cette région septentrionale se réjouissait de connaître une paix souhaitée, dit : « C’est ici que mon corps doit être libéré. Après ma mort, toute cette région sera abandonnée, dévastée par le glaive des païens et colonisée par les bêtes sauvages, et elle ne connaîtra pas de paix stable avant ma translation. Mais lorsque je reposerai chez moi, l’intercession apostolique, je l’espère, apaisera les païens ». 63. Sous le règne d’Otton III moururent de nombreux hommes pieux dont j’ignore la vie, et dont du coup je ne dirai rien. Au nombre de ceux-ci une comtesse appelée Christine donna à Saint-Maurice de Magdebourg une grande partie du domaine qu’elle possédait à Stöben. Vivant dans le Christ, elle acheva rapidement le cours de cette vie et arriva joyeusement le 8 mars au lit de cet époux qu’elle désirait depuis longtemps. Cela fut manifesté de cette manière à l’archevêque de Magdebourg Giselher, qui demeurait alors à Quedlinbourg. Un homme lui apparut et lui dit : « Ne sais-tu pas que toute l’armée de la milice céleste se prépare à l’arrivée d’une âme fidèle au Christ et à accueillir dignement une telle épouse ? Car elle vient pour chercher sa récompense et poussée par l’espoir heureux d’une demeure éternelle. » A son réveil, il raconta d’abord cela au prévôt Walthard. Lorsque celui-ci apprit que cette vénérable dame était morte la nuit même de cette apparition, il l’expliqua à son seigneur, et lui dit que sa vision s’était accomplie. Cette bonne dame, se cachant dans le secret de sa conscience, fut très différente des autres nobles dames de nos jours, dont la plus grande partie, habillée de manière malhonnête, montre ouvertement à leurs amants tout ce qu’il y a de vénal en elles. Et bien que l’abomination de Dieu et la honte du siècle soient sur elles, cependant elles se montrent sans 116

Benoît V (mai-juin 964) avait été élu pape contre la volonté formelle d’Otton Ier, et aussitôt déposé (23 juin 964) et envoyé en exil à Hambourg, où il mourut (en 965 ou 966 ?).

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aucune pudeur comme un spectacle offert à tout le peuple. Il est en effet honteux et très misérable que le pécheur ne cherche pas à se cacher, mais ose se montrer pour se moquer des bons et donner l’exemple aux méchants. 64. A cette époque la moniale Mathilde, fille du margrave Thierry, épousa un Slave appelé Prebislav. Capturée ensuite par Boliliut, injuste gouverneur de la ville de Brandebourg, elle fut contrainte à ne pouvoir jamais faire précéder du jeûne nécessaire la fête de Noël, ni la célébrer dans des festivités joyeuses, et de même pour les autres solennités. Elle enfanta un fils, qu’elle éduqua dans la tristesse, et enfin délivrée d’un tel malheur devint, bien qu’indigne, abbesse à Magdebourg. Son mari avait auparavant été tué par les jumeaux Hugues et Ufficon, le 28 décembre. Son frère Liudulfe, ayant quitté la cléricature, prit des armes vengeresses et nous infligea beaucoup de mal. Capturé par l’empereur, il fut rendu à son état primitif. 65. Sous le règne de cet empereur il y eut, dans cette ville de Magdebourg, un doyen appelé Hepon, homme souriant, très utile à son monastère et surtout dans le chœur. Alors qu’il était âgé et mûr dans toutes ses actions, une maladie soudaine le rendit muet. Mais avec l’aide du souverain médecin il put très bien chanter les psaumes avec ses confrères, bien qu’il fût à peine capable de respirer. Et certes il faut admirer dans cette chose étonnante la vertu du Christ, qui accepte de donner à celui qui le sert fidèlement des forces pour de nombreuses choses. Comme ce vénérable père, après avoir abandonné l’habit monastique, regrettait en confession avoir beaucoup péché, sur le conseil de ses frères il voulut se corriger en reprenant cet habit. Il mourut peu après, le 5 janvier, et est enterré à Saint-Jean avec les autres chanoines avec lesquels il aurait dû vivre, si la fragilité humaine le lui avait permis. 66. Le trésorier de cette église, Ekkehard surnommé le Roux, très compétent en grammaire et qui était alors maître d’école, voulut un jour vérifier si le grand autel, qui était doré, décoré de pierres précieuses et d’ambre superbe, n’avait besoin de rien. Soudain, l’autel tomba sur lui. Blessé par le choc, il demanda au prévôt Walthard de distribuer largement l’argent qu’il avait amassé depuis longtemps, et peu après, le 4 septembre, il rendit son esprit fidèle. Je ne l’accuse en rien, mais je sais en vérité que si quelqu’un offense 163

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saint Maurice, il ne doit pas ignorer qu’il s’expose à en subir les conséquences. Comme, à l’instigation du diable, un jeune homme voulait, par une nuit noire, voler ce trésor, il commença à trembler dès qu’il fut arrivé et songeait déjà à renoncer, comme il le raconta lui-même par la suite, lorsqu’il entendit une voix qui l’exhortait à agir avec audace. Mais ce malheureux, s’étant rapidement emparé d’une couronne, fut capturé et, les jambes brisées, soumis au supplice de la roue. 67. Il ne faut pas, cher lecteur, que tu ignores la constance d’un de mes frères, Husward. Le diable, qui nous tend des pièges astucieux, venait souvent la nuit le trouver, alors qu’il dormait près de moi, et lui demandait en vain de la place pour s’étendre près de lui. Enfin, il lui demanda instamment de vouloir le servir contre une récompense. Mais cet homme pieux, qui n’oubliait pas le vœu qu’il avait fait au Seigneur, lui demanda de lui montrer d’abord la récompense promise, avant de recevoir sa réponse. Le diable lui dit : « Si tu acceptes ma proposition, je te donnerai la même récompense que celle par laquelle j’ai récemment enrichi mon serviteur occidental. » Entendant cela, ce vénérable prêtre, comme il en avait l’habitude auparavant, le fit fuir par le signe de la sainte croix et des paroles bien senties. Il apprit alors qu’à l’ouest un clerc s’était pendu en raison de l’énormité de ses crimes, et nous raconta à tous ce qui s’était passé avant et les suites. Et il est étonnant qu’alors que la croix du Christ était portée tous les dimanches dans ce dortoir, le diable ait osé faire de telles choses. Cette même année ce frère, vainqueur, comme je l’espère, et ayant fait pénitence pour ses péchés, échappa au péril de ce monde le 23 février. Berthe, sa mère, déjà très âgée, l’accompagna alors qu’il agonisait, tout en supportant patiemment une double douleur. C’était en effet le jour anniversaire de la mort de son fils Bevon, excellent chevalier, auquel le margrave Ekkehard avait d’abord arraché les yeux. 68. Je ne tairai pas non plus la vision de notre confrère Merkward. Celui-ci, comme il me le raconta en gémissant, fut conduit dans le cimetière commun, où il vit une tombe incandescente. Son guide lui dit : « Tu dois être rapidement jeté dans cette fosse brûlante. Et Raoul doit te suivre, sauf si maintenant il retourne comme convers chez saint Ludger. » Tous deux avaient été moines au monastère de Helmstedt, fondé sur ses propres biens à l’époque de Charlemagne par le confesseur saint Ludger. C’était le frère de 164

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Hildegrim, évêque de Châlons et premier recteur de l’église d’Halberstadt117, qu’il gouverna pendant 47 ans et qui mourut sous le règne de l’empereur Louis le Pieux, l’an 827 de l’incarnation du Seigneur. Liudger fut fait premier évêque de l’église de Münster118 par l’empereur Charles ; après avoir remarquablement mis en ordre son diocèse et fondé un monastère à ses frais à Werden, il reçut la récompense céleste en l’an 808 de l’incarnation du Seigneur. Le susdit empereur ne lui survécut pas plus de cinq années : il rendit l’esprit le 28 janvier, âgé de 71 ans, la 47e année de son règne, la 14e de son empire. Le prêtre Merkward fit le vœu, l’année où il eut cette vision, de reprendre son habit antérieur et son vœu d’obéissance, et mourut peu après, le 14 avril. Je raconte cela au sujet de mes confrères non pas pour les accuser, mais pour nous inciter à être prudents, pour nous amener à imiter les bons. 69. Sous le règne d’Otton III, Albi, fils de Goncelin, fut tué en forêt pour une cause absurde par un de ses hommes d’armes. L’archevêque Giselher reprit son comté avec son bénéfice situé près de la Mulde. A la mort de Dodo, évêque d’Osnabrück119, Gunter120, chambrier de Giselher et mon confrère, proche de l’empereur et qui l’avait toujours fidèlement servi, vint en Italie. Comme il y était accueilli avec générosité et exaucé en toute chose, il vit, la nuit suivante, les martyrs du Christ Crespin et Crespinien venir à lui et lui demander s’il accepterait leur évêché. Il leur répondit : « Si Dieu le veut et si cela vous plaît », et il fut transpercé par leurs deux lances. A son réveil, il ne pouvait absolument plus se lever tout seul. Le lendemain l’empereur, lorsqu’il comprit sa maladie, accomplit fidèlement sa promesse. Entrant alors en convalescence, Gunter rentra chez lui et reçut la consécration, mais ne survécut qu’à peine quatre années, et au prix de grandes douleurs. Le 24 novembre il échangea les choses temporelles pour l’éternité durable. J’ignore s’il avait déplu en quoi que ce soit à Dieu ou à ses saints martyrs. Mais j’ai vu et j’ai entendu dire que c’était un homme juste et crai117

Hildegrim, évêque de Châlons (vers 804 – 827), reçut la direction de l’église d’Halberstadt avant que celle-ci devienne évêché. 118 Liudger, évêque de Münster (791-809). 119 Dodo II, évêque d’Osnabrück (978-996). 120 Gunter, évêque d’Osnabrück (996-999).

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gnant Dieu, doux et chaste, et maintenant puissant auprès de Dieu, ainsi que l’assuraient ceux avec qui il repose maintenant et comme le prouvent de nombreux miracles. Et moi je sais en vérité que Dieu ne punit pas deux fois le coupable pour le même fait. 70. Pour que tu apprennes de moi, cher lecteur, quel respect pour ces martyrs brille largement dans les livres anciens, je te dirai une chose que mon frère Bruno, élevé à Corvey et serviteur de cet autel, m’a racontée, d’après ce que lui avaient narré les plus anciens de ce monastère. Au temps de l’abbé Liudolf, qui a laissé un excellent souvenir en toute chose, il y avait un jeune moine qui observait la règle. Selon la charge qui lui avait été confiée, il transportait habituellement les reliques des martyrs mais les traitait sans soin : il sentit, par le châtiment qu’il reçut aussitôt, qu’il avait péché contre les martyrs du Christ. Et en effet il mourut charnellement, lui qui avait négligé de servir spirituellement les saints de Dieu. Ceux-ci voulurent le faire savoir à l’abbé, et l’abordèrent alors qu’il sortait de l’église, la nuit, devant les portes. Lorsqu’il les vit, il fut frappé d’une grande terreur et resta d’abord immobile et silencieux. Aussitôt ils lui dirent : « Pourquoi ne nous demandes-tu pas, père, qui nous sommes, ou pour quelle raison nous sommes venus ici ? » Il leur répondit qu’il n’osait pas, et il apprit leur nom, la raison pour laquelle ils étaient venus, et qu’il ne devait pas laisser un tel fait impuni. Ils disparurent ensuite, et l’abbé raconta la chose à ses confrères, en leur disant : « Ce jeune homme, qui nous devait l’obéissance, est mort pour ne pas avoir témoigné assez de respect aux saints qu’il avait avec lui. Malheur à moi qui ai laissé faire de telles choses ! » Peu après arrivait un messager, qui annonça que cela était vrai et qu’on amenait son corps. 71. Le vénérable abbé ne voulut pas aller à sa rencontre, et ne permit pas aux frères de l’accueillir selon la coutume. Mais, fâché, il dit au cadavre : « Par quelle audace as-tu pu prendre négligemment en charge ceux qui reçoivent un grand honneur auprès du fils unique du Dieu vivant, et comment as-tu pu oser venir ici sans intervention suppliante ? » Le doyen cependant excusait son frère défunt comme il le pouvait, mais reçut de son père cette réponse : « Mon frère aimé, tu sais ce que ce frère a fait au vu de tous et en ta présence, mais tu ignores ce qu’il a fait en ton absence. Mais moi je le sais très bien, moi qui sais qu’il souffre maintenant de grands tourments. Et je demande maintenant en suppliant l’intervention 166

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de nos patrons, pour que la pitié divine me fasse savoir quand elle lui aura pardonné, afin qu’il me soit permis de l’absoudre et de lui donner la communion. Il est en effet dangereux de s’opposer au châtiment, et il ne convient pas aux hommes de montrer de l’indulgence quand la majesté divine est en colère. » Après avoir dit cela, le pieux abbé alla pieds nus dans l’oratoire, qui était son asile particulier dans les choses difficiles, et déplorant selon l’habitude la fragilité humaine chez lui et chez les autres, il apaisa Dieu et délivra le coupable. Aussitôt, se levant avec beaucoup d’actions de grâces, il remit son crime au défunt devant tous les frères, grâce à la puissance divine, et donna au corps la communion de l’église et de la sépulture. 72. Tu viens d’entendre, cher lecteur, la lourde peine infligée pour avoir méprisé les saints. Tu vas recevoir maintenant la médecine salutaire de l’amour continu. Au temps de l’abbé Godescalc il y avait un moine appelé Alvricus, qui souffrait beaucoup de maux de tête à cause d’une migraine qui est double : elle peut venir de la goutte ou de vers. Mais alors que les frères l’entouraient déjà presque mort, il arriva par hasard que sortant l’un après l’autre ils le laissèrent tout seul. Aussitôt sortirent du cloaque des démons qui avaient en mains des livres spéciaux. En les lisant, ils terrifiaient le malade par le récit de ses actions qui y étaient écrites. Mais en vain. Car aussitôt l’illustre martyr du Christ Vitus121 arriva et de sa main leur indiqua de fuir. Il vint ensuite près du malade, le rassura, lui dit qui il était, lui donna sa bénédiction et lui ordonna de se lever, et de dire aussitôt à l’abbé : « Vois, de grâce, à ne pas recevoir toutes nos exhortations sans en tenir compte, de crainte de gémir ensuite dans une vaine lamentation. En vérité je t’assure que si continues à me désobéir, tu seras méprisé par Dieu et tu verras de ton vivant un autre abbé à ta place. » Ce que le saint enfant [Vitus] avait dit par le moine malade, l’abbé négligent le comprit ensuite. Et en effet, de son vivant et à sa demande, il fut remplacé par le vénérable abbé Bovon, digne de toute louange. Car s’il est salutaire de suivre les fréquentes exhortations d’hommes bons, il est bien mieux encore d’écouter ceux qui ont mérité d’être comptés heureusement entre les fils de Dieu et qui connaissent sa volonté pour le

121 Saint Vitus, ou Gui, aurait été un enfant martyrisé sous l’empereur Dioclétien. L’abbaye de Corvey posséait ses reliques depuis l’année 836.

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futur. Le téméraire qui ne s’appliquera pas à suivre ce sage conseil verra qui est en lui-même. Nous avons à ce sujet de nombreux exemples, qui conduisent ceux qui suivent les fils de Dieu, lorsqu’ils meurent, à la récompense acquise. 73. L’archevêque Giselher était très proche de l’empereur susdit, ce qui chagrina le margrave Ekkehard d’abord en cachette, mais ensuite ouvertement, parce qu’il souffrait de sentir que celui-ci le précédait en toute chose. Dans ce contexte, les hommes du margrave commirent un vol dans la ville de Gross-Görschen, que les nôtres ne laissèrent pas du tout impuni. En effet, ils pendirent les coupables devant leurs voisins, parce qu’ils ignoraient qu’ils devaient, en toute justice, en informer le susdit seigneur. De ce fait, la vive fureur du margrave s’enflamma et il donna ordre à un de ses vassaux de s’armer pour venger cela. Rambaldus, qui était son préféré, rassembla une grande troupe, entoura le village susdit, prit tous les hommes avec les biens qu’ils possédaient et les mena dans sa ville. Il ne relâcha personne, sauf ceux qui payaient une amende élevée. Comme j’interrogeais les nôtres qui se plaignaient de cette affaire, pour savoir comment rétablir la paix après un tel crime, j’appris qu’aucune amende n’avait suivi et je me répandis en lamentations. Si dans cette province la loi divine avait eu quelque valeur, la puissance séculière ne serait pas devenue folle d’une telle manière. Je dis en effet aux présents et aux futurs que cette situation ne pouvait pourrir, ni se terminer légitimement sans un jugement épiscopal. Chacun peut se taire autant qu’il veut, mais on ne peut en aucune mesure abandonner un procès non tranché. D’ailleurs, partout où un tel problème surgit, l’autorité canonique y met fin. Si tous les évêques le voulaient, comme on le voit dans les Actes des Apôtres, l’audace obstinée des injustes ne serait pas renforcée de cette manière. Lorsque l’un d’eux est attaqué en face, il est aussitôt défendu par les autres, de quelque manière que ce soit possible. Et ceci n’est pas de la compassion mais une entraide pour nuire à l’injustice et à la méchanceté envers eux-mêmes. Qu’ils reviennent donc à l’unanimité, ceux qui croient fidèlement à l’unité, pour confondre plus fortement la conspiration empoisonnée des pervers. Et que cela suffise. 74. Je vais maintenant dire quelques mots au sujet de mon confrère Conrad, pour éviter que je l’oublie, lui qui selon l’ordre divin aimait son prochain. Il était l’oncle maternel de l’archevêque 168

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Gero122, et la volonté comme l’efficacité se rassemblaient en lui pour accomplir la volonté perpétuelle du Christ, autant que cela peut se faire dans l’homme. Je l’ai entendu dire très souvent que, après avoir chanté ou lu publiquement, il souhaitait fortement recommencer. Il ne désobéissait jamais à ses supérieurs, mais se les attachait avec ses autres confrères par une charité continuelle. Dès qu’une aussi vénérable personnalité fut connue de l’empereur, elle en fut aussitôt aimée et liée à son entourage. Une mort prématurée l’empêcha de recevoir la dignité qu’il souhaitait et qui lui avait été proposée par l’empereur, et l’enleva de cette lumière le 28 août. Né en Saxe, il repose en Italie, et l’illustre Magdebourg pleure un tel fils spirituel. 75. J’ai vu dans cette ville d’illustres nobles, dont je n’ai pas suivi autant que j’aurais dû l’excellente vie, et dont je n’ai pas gardé la mémoire après leur mort. Malheur à moi, qui me suis lié par la confraternité à tant de grands hommes, mais qui en suis si dissemblable par la vie. Moi qui suis déjà presque mort du fait de mes péchés, j’espère vivre sous l’éclatant regard de Dieu, réconforté par leurs mérites, parce que, même si je n’ai réalisé que peu de bien en ce monde, cependant je me rappelle toujours des défunts autant que je le peux. En la matière mes intentions sont excellentes, mais comme je ne veille pas assez à y mettre les forces nécessaires, cela ne m’avance guère. Je m’accuse toujours, mais je ne rachète pas mon péché comme je devrais. Je devrais me corriger en toute chose, parce que je ne me tourne pas vers celui qui est louable au-dessus de tout. Regarde quel grand homme je suis, ô lecteur, et tu verras en moi un petit homme minuscule, à la mâchoire et au côté gauche difforme, parce qu’autrefois une fistule grossie a éclaté (elle gonfle toujours). Mon nez, cassé dans l’enfance, me rend ridicule. Je ne me plaindrais pas du tout de cela, si à l’intérieur je brillais quelque peu. Mais je suis misérable, très irascible, incapable de me tourner vers ce qu’il y a de meilleur, jaloux, me moquant des autres mais moimême très risible, ne faisant grâce à personne selon ce que je devrais, glouton et simulateur, avare et calomniateur. Bref, pour résumer les reproches que je me fais et que je mérite, je suis pire que ce qu’on peut dire ou même penser. Qu’il soit permis à chacun non seulement de chuchoter, mais même de dire à voix haute que je suis pécheur,

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Gero, archevêque de Magdebourg (1012-1023).

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mais il convient de prier humblement après une correction fraternelle. Beaucoup sont loués par le peuple, parce qu’ils seraient considérés comme faisant partie des meilleurs s’il ne leur manquait une petite chose. Et comme il est vrai que trop de choses manquent aux hommes pour atteindre la perfection juste, à quoi avance-t-il de dire quelque chose au sujet de ces inférieurs ? A la fin, toute louange est chantée et la vie mortelle est éprouvée par le feu.

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Vie d’Henri II traduite par Alexandre Leducq

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Introduction

Adalbold est né sans doute vers 970. Il fut éduqué à l’école cathédrale de Liège, ce qui permet de supposer qu’il devait être originaire de Lotharingie. Il fut sans doute un élève brillant, puisqu’il devint écolâtre de Liège d’environ 993 à 1003. Sa carrière se poursuivit dans la même ville, où il est attesté comme archidiacre en 1007. En 1010 il quitta Liège pour Utrecht, dont il devint évêque et où il resta jusqu’à sa mort en 1027. Dans l’ensemble, Adalbold présente plusieurs facettes assez différentes, et devait donc être une personnalité d’une grande richesse. Sa première particularité, parce qu’elle était rare aux alentours de l’an mil, était son goût pour les mathématiques et les sciences de la nature, qu’il partageait avec son compatriote Hériger de Lobbes, mais aussi avec son voisin rémois Gerbert d’Aurillac et avec Bernon de Reichenau, dont on ne connaît pas précisément les origines mais qui est d’abord attesté comme moine de l’abbaye lotharingienne de Prüm (diocèse de Trèves). Adalbold écrivit des Questiones de mathématiques qu’il envoya à Gerbert d’Aurillac lorsque celui-ci était devenu pape, donc entre 999 et 1003. N’ayant pas obtenu de réponse, Adalbold récidiva peu après en adressant au souverain pontife une lettre sur la manière de calculer le volume d’une sphère, qui ne suscita pas davantage de réaction de la part de son destinataire. On doit également à Adalbold un commentaire d’un des passages les plus importants du De consolatione philosophiae de Boèce (chant III, 18), où il fait à nouveau preuve d’une attention particulière pour les sciences. Plus conforme à ce qu’on peut attendre d’un évêque ottonien, Adalbold était aussi un proche de l’empereur, homme politique et homme de l’écrit. Attaché à la chapelle royale, il écrit différents diplômes royaux en 1005 et 1006, et le fera encore en faveur de son église cathédrale après son accession à l’épiscopat.

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Adalbold est aussi très attaché à la réforme monastique. Il s’appuya pour ce faire aussi bien sur Poppon de Stavelot que sur la réforme gorzienne. Lui-même, à la fin de ses jours, abandonna son pouvoir épiscopal à Poppon pour se retirer dans un monastère. Mais c’est d’abord comme biographe d’Henri II qu’Adalbold nous intéresse. La Vita ne porte en fait que sur les deux premières années du règne d’Henri, dont elle constitue une sorte de journal, suivant le roi dans ses multiples voyages, combats, expéditions et rencontres. Si le regard porté sur le souverain est très positif, on est loin ici d’une Vita de saint, loin donc de la naissance, au XIIe siècle, d’un culte à Henri II, qui donnera lieu d’ailleurs à l’écriture d’une autre Vita, nettement plus hagiographique. Adalbold n’intervient pas tant comme historien que comme auteur à succès, connu comme un des plus fins lettrés de son temps. Il utilise très largement la chronique de Thietmar de Mersebourg, qu’il recopie souvent mot pour mot, dont il adapte parfois le style. Mais il n’en est pas l’esclave : à plus d’un moment, il s’en écarte, soit pour la compléter, soit pour la contredire. Son rôle à la chancellerie royale comme sa fonction épiscopale lui avaient donné les moyens de connaître les activités du souverain et de rencontrer de nombreux membres de son entourage. Reste cependant que la Vita est, c’est le moins qu’on puisse dire, très incomplète, puisqu’elle ne concerne que les deux premières années du règne d’Henri II. Pourtant, elle a été écrite sans doute entre 1021 et 1024, en tout cas après 1014. On ignore totalement les raisons de cette interruption : est-ce Adalbold qui a, pour une raison ou une autre, été découragé ? A-t-il écrit à l’extrême fin de sa vie et a-t-il été interrompu par la mort ou la maladie ? A-t-il au contraire écrit un texte plus long, dont seule une copie partielle nous serait parvenue ? Une autre incertitude est celle de l’auteur. Pour être très probable, l’attribution à Adalbold n’est cependant pas entièrement certaine, puisque l’auteur de la Vita ne se nomme pas. Elle repose sur le titre figurant dans les deux manuscrits intégraux de l’œuvre : Vita Henrici primi imperatoris ab Adelboldo episcopo Traiectensi, ut creditur, conscripta. Mais on voit que cette attribution ne va pas sans une certaine prudence. La réputation littéraire d’Adalbold et ses autres œuvres plaident tout à fait dans le sens de cette attribution, d’autant que le texte mentionne avec une certaine insistance les cités de Liège et d’Utrecht, ce qui confirme que l’auteur devait avoir des liens avec ces villes. 174

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La Vita Henrici primi n’a été conservée, comme texte complet, que dans deux manuscrits (Halle/Wittenberg, Universitäts- und Landesbibliothek Sachsen-Anhalts, Yd 2° 39, fol. 207-232 et Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, 9020, fol. 79r°-88v°), tous deux écrits dans la région du Rhin inférieur vers 1600. Un troisième manuscrit, plus ancien puisqu’il date de 1462-1466 (Cologne, Historisches Archiv der Stadt, GI 2° 68 fol. 94), et provenant du couvent des croisiers de Cologne, ne comporte que des extraits de la Vita. Editée une première fois par Georg Waitz dans les Monumenta Germaniae Historica, Scriptores, t. 4, Hanovre, 1841, p. 679-695, cette Vita a fait l’objet d’une nouvelle édition par Hans Van Rij, dans Nederlandse historische bronnen, 3 (1983), p. 7-95. On dispose aussi de la traduction allemande commentée publiée par Markus Schütz, Adalbold van Utrecht : Vita Heinrici II imperatoris. Übersetzung und Einleitung, dans Historischer Verein Bamberg. Bericht, 135 (1999), p. 135-198. Je remercie Klaus van Eickel (Univ. Bamberg) qui m’a signalé et transmis cette publication.

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Prologue Lorsqu’on s’engage dans l’écriture de gestes, il faut être attentif à deux choses : s’en tenir à la vérité dans la narration d’une part, pour que le lecteur recueille les fruits de sa lecture d’autre part. Mais l’écrivain ne peut s’en tenir à la vérité qu’à condition d’éviter efficacement quatre écueils ou de les éloigner suffisamment de son esprit : la haine ou l’affection charnelle, la jalousie et la basse flatterie. En effet, la haine et la jalousie taisent totalement les bonnes actions, ou les évoquent rapidement au cours du récit ou encore les transforment pour les rendre honteuses ; au contraire elles s’attardent sur les mauvaises actions, les exagèrent et les amplifient. L’affection charnelle et la basse flatterie quant à elles ignorent sciemment les mauvaises actions et, feignant l’ignorance, occultent la vérité. Cherchant à plaire en effet, elles s’attardent copieusement sur les bonnes actions et les glorifient plus que de raison. Ainsi, sous l’effet de ces quatre sentiments, que ce soit dans les bonnes actions ou dans les mauvaises, la vérité disparaît, le mensonge brille d’une couleur ajoutée. L’amour spirituel, lui, ami de la vérité, ne cache pas les mauvaises actions, ni n’exagère pompeusement les bonnes ; il sait en effet que les mauvaises actions aident à se corriger et que les bonnes deviennent un obstacle lorsqu’on les porte aux nues. Il vaut mieux en effet réfréner l’esprit par l’adversité que l’exalter avec opiniâtreté dans le bonheur. Le lecteur, quant à lui, ne pourra pas recueillir les fruits de sa lecture, s’il n’y prête pas une attention scrupuleuse ou s’il ne comprend pas profondément pourquoi des événements heureux arrivent aux gens de bien, des événements malheureux aux méchantes gens, des bonheurs aux mauvais et des malheurs aux bons. Pourquoi des événements heureux arrivent-ils aux gens de bien ? On peut le comprendre de deux manières : ou bien ils sont à ce point bons qu’ils n’ont besoin ni d’épreuve, ni d’expiation pour traverser les tentations de ce siècle, ou bien au contraire si les tentations les touchaient, ils seraient détériorés à la mesure de leur candeur. De cette manière donc ils ne sont pas avilis par le commerce de la fange de ce monde et ne sont pas tourmentés par les coups du destin. Des malheurs arrivent aux méchantes gens de telle sorte que ce qu’ils endurent les amène à se corriger ou bien, s’ils refusent de venir à résipiscence, pour qu’ils comprennent qu’ils doivent être condamnés à supporter ces maux, aujourd’hui comme demain. Des malheurs arrivent parfois aux hommes de bien, non qu’ils les méritent, mais pour que ce tourment augmente leur mérite et que ce mérite amplifie leur récompense. Parfois subsiste une 176

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légère faute pour laquelle ils sont légèrement châtiés maintenant, afin de ne pas être plus durement punis dans le futur. Quant aux bonheurs qui touchent les mauvaises gens, ils ont pour but de leur permettre de reconnaître la pitié de Dieu et de s’écarter de leur perversité, ou qu’il leur soit fait honte de n’avoir pas voulu reconnaître celui qui dispense tous les biens. Nous pensons que ce que nous venons d’écrire à propos de toutes les actions est profitable et pour l’écrivain et pour le lecteur. Nous savons en outre, et nous avons souvent entendu dire que dans tous les écrits l’ancienneté est vénérée et adorée et la nouveauté repoussée avec dédain. Mais ces choses que nous considérons comme anciennes, si elles n’avaient été dans un premier temps nouvelles, ne seraient pas anciennes. La nouveauté précède pour que suive l’ancienneté. Il est en effet idiot de mépriser ce qui précède et d’accueillir ce qui suit, qui a été un précédent pour être. En effet, un assoiffé cherche rarement le ruisseau, quand il a la source à disposition. Nous ne disons pas cela pour rabaisser l’ancienneté, mais pour que la nouveauté soit acceptée. En effet, dans tous les écrits, si l’on trouve la vérité et l’utilité, la nouveauté et l’ancienneté ont la même valeur. Peut-être y aura-t-il quelqu’un pour demander quelle utilité peut avoir la lecture des gestes1. Nous répondons à cela que lorsque quelqu’un lit les faits d’autrui, s’ils sont bons il y trouve un exemple à suivre, s’ils sont mauvais il sait devant quoi il lui faut s’épouvanter. En effet lire les actions d’un autre c’est regarder dans un miroir. Si tu y vois quelque chose qui te déplaît corrige-le en toi-même. Si tu vois quelque chose qui te plaît, imite-le. Mais que ce préambule prenne fin ici et laisse place au texte qui le justifie. 1. En l’an 1002 depuis l’incarnation du Seigneur, indiction 15, Otton III, empereur auguste mourut à Paterno, petit château de la région de Rome. Durant sa vie ce fut un homme éclatant par la beauté de son corps, modeste par l’honnêteté de sa conduite, jeune mais d’une capacité naturelle digne d’un homme âgé et d’une remarquable bonté. J’aurais eu très envie d’écrire son histoire si je la connaissais de mémoire ou si j’avais un témoin fiable. Je sais seulement que, s’il a agi de manière infantile dans sa prime jeunesse, il vivait de manière irréprochable dans ses derniers instants. Il aimait Dieu d’un amour craintif, il plaisait à tous et ne déplaisait

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Au sens ici de récit historique.

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à personne si ce n’est aux infidèles ; c’est une chose innée chez les gens bien de déplaire aux mauvais et de plaire aux bons. Enfin ceux qui furent présents purent voir lors de sa mort comment il était avant que sa vie se termine. En effet toute l’assistance put saisir dans sa dévotion qu’il ne mourait pas mais qu’il migrait vers son désir particulier. La créature fidèle se hâtait de retourner selon ses vœux vers son Créateur. Admirable était la lamentation, incroyable la plainte de tous ceux qui étaient sains d’esprit en face non pas de sa mort mais de son passage. La douleur aurait même été insurmontable, s’il n’y avait eu, survivant au roi défunt, Henri, duc glorieux et homme actif pour reprendre le royaume2 . A cette époque, il exerçait la fonction ducale dans le royaume de Bavière, régnait pacifiquement sur son peuple, étendait la paix, augmentait les ressources des églises, et magnifiait la loi et la religion. Il menait une telle vie dans son duché qu’il plut à tous de le faire passer du duché au royaume, de l’élever du commandement militaire au trône héréditaire. Nous disons héréditaire car nous avons appris par ceux qui s’y connaissent en généalogie qu’il était apparenté à Charlemagne au 17e degré du côté paternel, et au 16e degré du côté maternel. En outre Otton III, après la mort duquel il fut élu roi, et lui étaient parents au 3e degré. En effet sa mère était la fille du roi Conrad 3. 2. Né de tels ancêtres, il fut élu comme successeur naturel, et tous désiraient le voir devenir roi. Il n’est pas lassant pour moi de raconter et pas inutile d’entendre pour les autres de quelle manière les hommes sains d’esprit l’engageaient à devenir roi et comment la jalousie, cette compagne des hommes de bien, tenta par ses hommes de main de l’en empêcher. Qu’on ne s’étonne pas en effet de m’entendre dire que la jalousie était la compagne des hommes de bien, puisque là où abondent les actes diligents abonde pareillement la jalousie. Un philosophe, interrogé par son disciple désireux de savoir comment vivre en évitant les dénigrements des jaloux, répondit : « Ne fais rien de bien, rien de diligent, rien de sage et sache qu’ainsi tu pourras détourner les médisances des jaloux. Ainsi donc ou sois idiot et détourne la jalousie, ou agis avec sagesse et supporte la jalousie ». 2

Henri II, duc de Bavière depuis 995, fils du duc de Bavière Henri le Querelleur. Henri II était un arrière-petit-fils du roi Henri Ier l’Oiseleur (919-936). 3 Gisèle, épouse d’Henri, duc de Bavière et de Carinthie et mère d’Henri II, était en effet la fille de Conrad, roi de Bourgogne (937-993).

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3. Après la mort du très glorieux empereur Otton, les Cisalpins qui étaient avec lui, l’archevêque de Cologne, les évêques de Liège, d’Augsbourg et de Constance, les comtes Otton fils de Charles, Henri et Wicmann, et bien d’autres, agissant fidèlement, au prix de grandes difficultés et de bien des dangers, rapportèrent sa dépouille par Vérone et la Bavière. Le très noble duc vint à leur rencontre avec les évêques et les comtes bavarois, accueillit le corps de son seigneur et parent avec le respect qui convenait, reçut toute l’armée avec la générosité qu’il lui devait, les conduisit sur ses terres avec la convenance qu’il fallait. Enfin, arrivé à Neubourg sur le Danube, il transporta lui-même le corps de l’empereur sur ses épaules dans la ville, montrant ainsi un exemple de piété et un devoir d’humanité. Il offrit le gîte à l’armée, afin qu’ensemble ils puissent s’entretenir sur les besoins du royaume et les moyens de le soulager, et que les chevaux fatigués par un si long voyage se refassent des forces. Là, faisant aux meilleurs d’entre eux des dons royaux, il s’attacha par un lien d’amitié ceux qu’il allait bientôt accueillir à son service. 4. Par la suite, une fois arrivé à Augsbourg, il fit enterrer avec tous les honneurs les entrailles de l’empereur dans la basilique Sainte-Afra, juste à côté du tombeau de saint Ulrich, et pour le repos de son âme dota cette église de cent manses pris sur son propre domaine. Après avoir pris congé des autres, il s’en retourna sur ses propres terres. Quant au corps de l’empereur on le transporta jusqu’à Aix-la-Chapelle, où il fut enterré avec les honneurs dans l’église Sainte-Marie, où on peut encore le voir maintenant. Ce très généreux empereur avait tout particulièrement aimé cette église, et l’avait enrichie de très grands dons. 5. A cette époque les grands du royaume, après le magnifique duc Henri, étaient : Benno duc de Saxe, Hermann duc de Souabe, Thierry duc de Haute-Lotharingie, Ekkehard marquis en Thuringe4. Benno en homme sage n’était pas attiré par le royaume, sachant Henri mieux placé qu’un autre pour l’obtenir. C’est en effet une preuve de sagesse de mépriser le désir des choses qu’on sait ne pouvoir obtenir. Thierry de même sachant que le duc Henri était 4 Benno, ou plutôt Bernard Ier, duc de Saxe (973-1011). Hermann II, duc de Souabe, était un arrière-arrière-petit-neveu du roi Henri Ier ; il mourut en 1003. Thierry Ier, duc de Haute-Lotharingie (978-1027/1032). Ekkehard, marquis de Thuringe ou de Misnie, mort en 1002.

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l’héritier du royaume, se refusa à entreprendre ce qu’il ne pourrait finir. Mais Hermann, homme puissant et au demeurant avisé dans les autres choses, ne fut pas sage en celle-ci et crut pouvoir prendre la tête du royaume. L’expérience lui prouva bientôt le contraire. Ekkehard, je ne sais s’il nourrissait l’espoir de s’emparer du royaume ou s’il fomentait une rébellion, attaqué de nuit par ses ennemis dans le domaine royal de Pöhlde, résista vaillamment mais fut tué. Il demeurait donc une rivalité entre le très glorieux duc Henri et le très puissant Hermann, mais elle fut brève et trouva rapidement un terme. L’un et l’autre différaient en effet par leur noblesse et leur sagesse, par leur richesse et par leur prestance. 6. Donc, début juin, le duc Henri, qui allait bientôt être élu roi, rassembla une foule importante en Bavière et en Franconie orientale et chercha à traverser le Rhin à Worms pour aller à Mayence recevoir la bénédiction royale. Mais le duc Hermann, rejoint par les Souabes et certains Franconiens et Alsaciens, se hâta d’aller à Worms pour lui interdire le passage, et ne le permit pas même à une seule personne. Il pouvait en outre facilement résister, ayant le Rhin comme allié. Des hommes nobles et fort sages accompagnaient alors le duc Henri : l’archevêque de Mayence, l’archevêque de Salzbourg, l’évêque de Bressanone, l’évêque de Wurzbourg, l’évêque de Ratisbonne, l’évêque de Strasbourg, l’évêque de Passau, l’évêque de Freising, l’abbé de Fulda, plusieurs abbés et bien d’autres comtes. Le duc ayant tenu conseil avec eux, feignit un retour en Bavière, et comme s’il désespérait de pouvoir jamais passer, il gagna Lorsch. De là, se hâtant d’aller à Mayence, il traversa sans bagage. C’est dans cette ville que le 6 juin il fut élu, acclamé, béni, couronné roi. Les Franconiens et les Mosellans y convergèrent, se firent hommes du roi et vénérèrent comme il se doit la majesté royale. 7. Après avoir fêté son ordination et reçu à son service tous ceux qui se présentaient, le roi franchit de nouveau le Rhin, se hâta de traverser la Franconie orientale avec une armée nombreuse et de gagner la Souabe, dans l’espoir qu’Hermann, apprenant qu’on ravageait ses terres, renonce à la révolte qu’il commençait, et courbe la tête comme les autres devant la majesté royale. Le roi demeura donc plusieurs jours en Souabe, ravageant à contrecœur cette terre. Mais Hermann, qui avait l’esprit obtus et la nuque raide, se mit en colère contre l’évêque de Strasbourg, car il avait fait le bon choix et avait choisi le meilleur parti. Après s’être adjoint son gendre Cunon, il 180

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gagna Strasbourg. Les vassaux de l’évêque ne résistant pas avec fidélité, il renversa les murs de la ville, fit un butin conséquent, pénétra par la force dans les églises et les viola tel un impie. 8. Pendant ce temps le roi, qui était en Souabe, célébra la nativité de saint Jean[-Baptiste, le 24 juin] à la Reichenau et s’y tenait fermement sans craindre personne. La nouvelle qu’Hermann voulait aller à sa rencontre et mettre un terme à leur différend par une bataille lui parvint et lui plut ; il quitta la Reichenau et arriva dans de très larges prairies propices au combat. Il y attendit l’arrivée du duc, et ne se dérobant pas au jugement des armes, il célébra la fête des apôtres [saints Pierre et Paul, 29 juin]. Mais Hermann, suivant un conseil salutaire, renonça à aller au devant du roi et jugea plus sûr pour lui et ses hommes de se tenir cachés que d’attaquer de front. Tandis que le roi attendait, certains, qui n’étaient pas très perspicaces d’esprit, lui conseillèrent de gagner Constance et de s’y venger de ce que Hermann avait fait à Strasbourg. En effet les évêques de Coire et de Constance avaient pris parti pour Hermann, plus parce qu’ils craignaient ce voisin et qu’ils doutaient de l’issue de cette querelle, que parce qu’ils appelaient de leurs vœux son élection à la tête du royaume. Mais le roi, perspicace et assuré quant à la possession de cette même cité, leur répondit avec douceur et bienveillance : « Loin de moi l’idée de me venger à cause de la folie d’Hermann sur celui qui m’a donné la couronne du royaume. À n’en point douter si pour venger Strasbourg, je dévaste Constance, ma perte ne sera pas diminuée mais doublée. En outre il prépare bien mal son règne celui qui pour l’acquérir lui sacrifie la perte de son âme. Dieu m’a couronné non pour violer les églises mais pour punir ceux là mêmes qui les violent. » Il attendit donc longtemps dans les prés. Enfin, comprenant que son adversaire ne viendrait pas, il s’en alla et se mit à voyager à travers la Souabe en ravageant partout sur son passage les propriétés du duc. Enfin la clameur des pauvres gens s’accrut au point de parvenir aux oreilles du roi. Le roi ne put la supporter longtemps, conscient qu’ils n’étaient en rien responsables de l’entêtement du duc et qu’ils en avaient souffert plus que de raison. Ainsi pris de pitié, il quitta la Souabe et gagna ses terres de Franconie qu’il aimait particulièrement, sachant que bon gré mal gré le duc courberait l’échine et devrait apprendre un jour à supporter le joug.

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9. Je ne pense pas devoir passer sous silence qu’avant que le roi ne parte de Souabe, Hezelon, fils de Bertold, qu’Henri, à l’époque où il était duc, avait enrichi bien plus que tous les comtes de ce royaume, envoya au roi en personne des ambassadeurs, choisis parmi les meilleurs éléments de son armée, lui demander impudemment la cession du duché de Bavière. Mais à cette question irréfléchie on prépara une réponse réfléchie, et face à une demande pressante on fit preuve d’un examen pesé. Après avoir écouté avec patience l’ambassade, le roi dit : « Parmi tous mes peuples j’estime particulièrement les Bavarois, je leur porte une affection totale. Je ne veux pas, après avoir reçu la bénédiction royale, porter atteinte à leur loi et, moi vivant, ne supporterais pas qu’on y porte atteinte. Ils ont une loi, et tiennent de cette loi le pouvoir d’élire leur duc. Bien loin de briser cette loi moi-même, je considérerais comme mon ennemi personnel quiconque s’y emploiera. M’ont-ils mal servi durant cette campagne pour que je les abandonne à n’importe qui au mépris de leur choix ? Jusqu’à présent ils ont servi à mes côtés dans l’incertitude des combats et moi je les livrerais contre leur gré à un mortel quelconque ? Qu’il attende qu’ils soient retournés en Bavière. Si alors ils le choisissent, je le choisirai aussi et lui apporterai mes vœux ; s’ils le refusent, je le refuserai. Et je ne pense pas votre maître assez sot pour me demander d’augmenter son honneur au prix de mon déshonneur ». Hezelon face à cette réponse entreprit de fomenter une révolte qu’il mit à exécution un an plus tard pour son grand malheur, comme les événements devaient le prouver. 10. Le roi ne demeura donc pas longtemps en Franconie et gagna la Thuringe. Là sans attendre, Guillaume, le prince des Thuringeois5, vint à sa rencontre avec d’autres et se fit homme du roi. Celui-ci, s’avançant ensuite en Saxe, arriva à Mersebourg. Bernard duc de Saxe, Boleslas duc des Slaves, Liebizo archevêque de Brême, Bernard évêque d’Hildesheim, Rather évêque de Paderborn, Arnoul d’Halberstadt6, ainsi que tous les autres évêques de Saxe et bien des comtes vinrent devant le roi lors de la fête de la Saint-Jacques [25 juillet], l’accueillirent avec des acclamations, le proclamè5

Guillaume II, margrave de Thuringe et de Misnie (1002-1003). Boleslas Ier Chrobry, roi de Pologne, mort en 1025. Liebizo ou Libentius, archevêque de Hambourg-Brême (988-1013). Bernard, évêque d’Hildesheim (993-1022). Rather, évêque de Paderborn (983-1009). Arnoul évêque d’Halberstadt (996-1023).

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rent. Après cette proclamation chacun suivant son rang rendit hommage ; après l’hommage ils jurèrent fidélité par des serments ; une fois la fidélité jurée ils couronnèrent le roi ; après le couronnement ils l’emmenèrent jusqu’au trône royal, puis une fois le roi sur le trône ils l’honorèrent avec la déférence due. 11. Une fois ces cérémonies achevées avec diligence, Boleslas quitta la ville. A partir de ce jour, celui-là même où il avait juré fidélité et appuyé sa promesse sur les serments, il commença à élaborer de mauvaises actions puis à les mettre en œuvre, selon ses possibilités. En effet après avoir eu un entretien avec Hezelon, chacun touché par les conseils empoisonnés de l’autre, ils entreprirent tous deux ce que l’un et l’autre auraient dû rougir de mener à terme. 12. Pendant ce temps, tandis que le roi se hâtait depuis la Saxe de gagner le royaume de Lotharingie, son épouse, la dame Cunégonde7, déjà reine par le nom mais qui le serait bientôt dans les faits, arrivant de Grone alla à sa rencontre. Arrivée à Paderborn le jour de la fête de Saint-Laurent [10 août], elle fut acclamée, bénie et couronnée et devint « Cunégonde kuninga » ce qui en latin peut être traduit par « reine royale ». Mais tout comme la tempête suit toujours le calme, il est rare le bonheur qui ne soit accompagné de l’adversité. En effet alors que tout le monde se réjouissait de la bénédiction de la reine, les Bavarois, accoutumés à vouloir faire chez les autres ce qu’ils ne veulent pas qu’on fasse chez eux, rassemblèrent les récoltes faites autour de la ville et, n’écoutant pas la voix de la raison, commencèrent à maltraiter les paysans qui voulaient défendre leurs biens. Les habitants du pays s’en émurent et résistèrent en utilisant même la force. Le conflit prenant de l’ampleur, les gens du roi et les habitants affluèrent, se heurtèrent, en vinrent aux mains. Un terrible combat eut lieu. Du côté des gens du roi un jeune homme fut tué, le frère du seigneur Egilbert, alors encore chancelier, mais qui devait bientôt être consacré évêque de Freising8. Sa mort émut fortement les fidèles du roi qui commencèrent à poursuivre les citoyens et à les attaquer frénétiquement dans leur fuite. Et s’ils n’avaient été retenus par la puissance royale ils les auraient massacrés jusqu’au dernier. Une fois le tumulte très 7

Cunégonde, fille du comte Sigefroi de Luxembourg, épousa Henri en 998/1000. Elle mourut en 1023. 8 Egilbert, évêque de Freising (1005-1039).

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difficilement apaisé et après avoir châtié ceux dont la bêtise avait été à l’origine de la révolte, le roi se rendit en toute hâte à Duisburg et y attendit l’arrivée des Lotharingiens. Les évêques de Liège et de Cambrai se présentèrent les premiers, n’ayant aucun doute quant à la sagesse du roi, n’ayant aucune hésitation quant à leur fidélité. Se présenta également l’archevêque de Cologne, aussi maussade que riche (la cause de son retard était que le roi avait accepté d’être couronné et béni à Mayence). Ils se reconnurent aussitôt comme hommes du roi, lui jurèrent fidélité et scellèrent leur promesse par un serment. Le roi gagna en leur compagnie Aix-la-Chapelle ; le jour de la nativité de la Vierge [8 septembre] il y fut élu, proclamé, porté sur le trône royal, glorifié par tous les Lotharingiens qui s’étaient rassemblés là. Mais derrière cette glorification, certains levaient les mains au ciel, d’autres fondaient en larmes. Ceux qui pleuraient souffraient de la perte d’Otton et ne savaient pas encore qui était cet Henri qu’ils avaient reçu. 13. Ainsi le roi fut reçu et comblé de louanges unanimement dans tous les royaumes de son prédécesseur, exception faite de l’Italie et de la Souabe. Il retourna en Franconie pour pouvoir, après les rigueurs de l’hiver et le retour de la douceur du printemps, conduire son armée en Souabe et apprendre à Hermann, qui, affligé par les ravages, refusait de suivre les conseils de la sagesse, à supporter le joug. Mais Hermann, qui lorsqu’il suivait les conseils de jeunes et poursuivait un fol espoir n’était plus lui-même, se ressaisit et vint à la rencontre du roi le jour de la Saint-Rémi [1er octobre] à Bruxelles, conscient qu’il était préférable de ne pas avoir fait de mal avant plutôt que de faire pénitence. Il se présenta donc au roi pieds nus, accompagné d’intercesseurs sûrs, demanda pardon pour le mal qu’il avait commis, demanda grâce pour les biens qu’il devait aux dons du roi et s’agenouilla pour appuyer sa demande. Il fut immédiatement reçu avec bienveillance et on lui concéda tout ce qu’il demandait humblement. On émit cependant une condition, qui, bien qu’elle eût pu paraître lourde sur le moment, lui serait salutaire plus tard. Il ne rentrerait en grâce en effet qu’à condition de rendre à l’église de Strasbourg son état d’origine, celui qu’elle avait avant qu’il ne lui cause des torts. Il ne refusa pas de le faire, et sur l’ordre et le conseil du roi il donna à cette église l’abbaye de Saint-Etienne en compensation des dommages qu’il avait pu causer. Cette condition remplie, il se reconnut homme du roi par les mains et par un serment et on se réjouit que s’achève ainsi ce conflit qui avait si mal commencé. 184

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14. Tout ceci achevé, le roi décida de regagner la Bavière, sa terre natale, refusant de délaisser ses anciens fidèles en fréquentant ainsi les nouveaux. Célébrant donc les festivités de la Saint-Martin [11 novembre] à Ratisbonne, il donna le duché de Bohême à un Slave du nom de Vladimir, et pour que ce don fût accepté par tous, le loua plus que de raison dans ses paroles et dans ses gestes. Il demeura plusieurs jours en Bavière, rendant la justice à ceux qui le demandaient, réservant un accueil honorable, selon la dignité de chacun, à ceux qui lui rendaient visite. 15. A cette époque en Italie, un assassin d’évêque du nom d’Arduin9 ne régnait pas, mais était esclave de ses vices qui régnaient sur lui en maître. En effet ayant appris la mort d’Otton, les Lombards, sourds, aveugles et imprévoyants, l’élirent et courant vers leur propre pénitence le couronnèrent roi. Arduin, esclave de ses passions comme je l’ai dit, attendant toujours l’arrivée du roi Henri, faisait surveiller par une prudente précaution les entrées de la Lombardie que les indigènes appellent « cluses ». Par ce qui était un véritable jugement de Dieu, il honorait comme des vachers et traitait comme des porchers les évêques qui bien plus que tous les autres s’étaient montrés enthousiastes et impatients lors de son élection. Un jour par exemple l’évêque de Bressanone était venu pour lui tenir je ne sais quel raisonnement. Lorsque ce raisonnement commença à lui déplaire, Arduin attrapa l’évêque par les cheveux et le jeta par terre comme le plus vil des vachers. Il ne traitait en rien avec les plus âgés et réglait tout avec les plus jeunes. Mais encore plus grave, sous son règne les prévaricateurs, les violeurs et les dévastateurs étaient les maîtres, les amoureux des lois et les fidèles de Dieu étaient rabaissés. Chez lui la cupidité était conseillère, l’avarice chambrière, la finance maîtresse et reine. Accompagné de ces suivantes il tenait donc un trône illégitime. C’est pourquoi certains, conduits en pénitence à cause du couronnement d’Arduin, envoyèrent au roi Henri soit des ambassadeurs, soit des lettres, et lui demandèrent par de très humbles prières de venir en aide à leur terre grevée par ce très lourd fardeau. Ils demandèrent même que, s’il était retenu par d’autres affaires, il leur envoie au moins un de ses princes accompagné de quelques hommes. Les uns montraient 9

Arduin, fils d’un comte de Pombia, devint marquis d’Ivrée vers 990. Il revendiqua la couronne d’Italie dès la mort d’Otton III et jusqu’à la sienne propre en 1015.

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leur sentiment, les autres le cachaient. Le marquis Tietold par exemple, l’archevêque de Ravenne et les évêques de Modène, Vérone et Verceil restaient ouvertement fidèles au roi Henri. En revanche l’archevêque de Milan et les évêques de Crémone, Plaisance, Pavie, Brescia et Côme ne montraient pas ce qu’ils désiraient. Cependant tous sans exception désiraient avoir Henri pour roi et l’y engageaient par des prières qu’ils lui transmettaient par des ambassadeurs et des lettres. 16. Enfin, Otton, duc de Carinthie, qui tenait alors aussi le comté de Vérone, fut choisi par le roi pour satisfaire la demande des Lombards Il se dirigea vers l’Italie avec seulement un petit nombre d’hommes parce qu’on avait confiance dans les personnes nommées plus haut. Se joignirent à lui Otton, fils d’Héribert, et Ernest, fils du marquis Liutbold. S’étant réunis dans les montagnes qui séparent la Bavière et la Carinthie de l’Italie, au-delà de la Brenta, les Carinthiens et les Frioulans s’avancèrent avec une petite suite, confiants dans les promesses des Italiens et ne pensant donc absolument pas à une bataille. Pendant ce temps, l’archevêque de Ravenne et le marquis Tietold ainsi que tous les autres fidèles déclarés du roi Henri rassemblèrent leurs partisans, voulant aller à la rencontre des Allemands et les accueillir en toute sécurité en Italie. Arduin, prévoyant tout cela, se hâta d’aller à Vérone accompagné d’un très grand nombre d’hommes afin d’une part de couper la route aux Italiens qui se hâtaient de venir en aide aux Teutons et d’autre part de soumettre les cluses, qui étaient gardés par l’évêque de Vérone ; ce qu’il fit en effet. 17. Ayant pris possession des cluses, il apprit que les Allemands se rassemblaient dans la plaine tridentine et se hâta d’y aller avec ses hommes. N’y trouvant cependant pas les Teutons, il regagna la campagne de Vérone et y célébra Noël dans un château. Toutefois, venant de ce genre d’homme, il est plus juste de parler d’un simulacre de célébration que d’une célébration. Entretemps les Allemands étaient arrivés près de la montagne que pour je ne sais quelle raison on appelle Mont-Hongrois, et apprirent qu’Arduin occupait déjà les cluses. Ils lui envoyèrent donc des légats lui demander de se retirer le temps de les laisser passer, ou de venir quand eux seraient passés. Arduin écouta l’ambassade mais prit le voile de la tromperie en disant : « Restez passer la nuit avec nous, demain matin après avoir tenu conseil avec nos fidèles, nous serons en 186

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mesure de vous répondre ». Les ambassadeurs ne virent pas le piège, et durant toute la nuit Arduin fit lui même le tour des châteaux de ses fidèles, leur enjoignant de se tenir prêts à attaquer les Allemands le lendemain. Au lever du jour, les ambassadeurs venus obtenir leur réponse virent tous les Lombards revêtus de leur cuirasse et prêts à combattre. Ils demandèrent à Arduin ce que cela signifiait. Ce dernier, leur jetant à la figure son plan inique, dit : « Votre message arrivera peut-être au même moment ». Il mit ensuite en branle son armée et arriva au Mont-Hongrois au milieu de la journée. On estime que 1015 hommes composaient son armée. Les Allemands eux étaient à peine 500, et pour partie éparpillés pour trouver de l’approvisionnement, pour partie envoyés surveiller les routes. Voyant Arduin qui arrivait, ils s’armèrent rapidement et se préparèrent à résister comme ils le pouvaient, préférant laisser le souvenir de leur courage plutôt que de conserver leur vie. Arduin attaqua avec les Lombards. Otton alla à sa rencontre avec les Allemands. Ils se rencontrèrent, se combattirent, et des deux côtés on dut déplorer des pertes très lourdes. La victoire aurait presque été acquise aux Allemands malgré leur très faible nombre si la fuite d’Otton, frère de l’évêque de Ratisbonne, ne les avait défavorisés. En effet à cause de cette fuite la ligne de bataille des Allemands fut réduite, et sous les coups d’un nouvel assaut porté par une multitude d’assaillants elle fut totalement vaincue. Enfin la victoire des Lombards se dessina mais au prix de très lourdes pertes parmi leurs hommes. Les Allemands s’en retournèrent alors confus, mais pour prendre un jour leur revanche. 18. Pendant ce temps le roi était retourné de Bavière en Franconie. Il célébra Noël à Francfort, reçut de nombreuses ambassades et renvoya les ambassadeurs avec des présents et des réponses dignes. Et Hermann en personne, lui qui ignorait auparavant ce que c’était que de subir le joug, fut présent à la célébration et respecta en tout point la majesté royale comme il se devait. 19. En l’an de l’incarnation 1003, première indiction, le roi Henri décida d’aller dans le territoire de la Moselle, où il n’était encore jamais allé, conscient qu’une terre que le roi ne visite pas abonde souvent en clameurs et en plaintes des pauvres gens. Il alla donc à Thionville et y tint une assemblée générale avec tous les Mosellans. Lors de cette assemblée les ducs Hermann et Thierry, qui devaient être les défenseurs et les auxiliaires des lois, tout en 187

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étant conscients de leur faute, auraient voulu en être les destructeurs et les assaillants. Mais le roi, informé de cette situation et les voyant comme des ennemis farouches de la justice, légiféra d’autant plus ardemment et rendit justice à tous ceux qui portaient plainte contre ces même ducs. Enfin parmi tant de cris, apprenant que le château ducal de Mulsberg causait préjudice aux habitants du pays, il ordonna de le détruire. Il interdit en outre fermement de le reconstruire. 20. Après avoir tenu une assemblée dans toute l’étendue de sa puissance, il décida d’aller à Aix-la-Chapelle afin d’y honorer l’anniversaire de la mort de l’empereur10 avec la dévotion qu’il devait et de conforter les Lotharingiens qui venaient à lui dans leur fidélité pour le roi et l’utilité du royaume. Entretemps il fut atteint par une très grave maladie qui lui rappela que tout roi qu’il fût, il n’en restait pas moins homme. Il acheva cependant le voyage qu’il avait entrepris et arriva jusqu’à Aix-la-Chapelle. Il y commémora avec une grande dévotion le souvenir de son parent et seigneur, puis, ayant beaucoup entendu parler de la sainteté de saint Servais, il gagna Maestricht11 à la fois pour y implorer en sa faveur l’intercession des saints qui y reposent et pour y régler le lieu et la vie des chanoines pour le service de Dieu. Là seulement il apprit le combat qui avait eu lieu entre les Italiens et les Allemands. Il le prit avec sérénité, ce qui est le propre des sages, conscient que le ciel ne peut toujours être serein et que les affaires humaines ne peuvent sans cesse prospérer. 21. De là, ne faisant pas peu de cas des mérites de saint Lambert, il gagna Liège12 . Il souffrait fortement de coliques héritées de ses ancêtres. Lui que la puissance royale avait exalté loin du quotidien de la fragilité humaine était rabaissé à cause d’un embarras physique dû à un châtiment hérité de ses pères. Il revint de nouveau à Aix-la-Chapelle et y vénéra la purification de la Sainte Vierge [2

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24 janvier, premier anniversaire de la mort d’Otton III. Saint Servais, qui aurait été évêque de Tongres au IVe siècle, transféra son siège épiscopal à Maestricht, dont il devint le saint patron. 12 Lambert, évêque de Tongres-Maestricht, fut martyrisé au plus tard en 705 dans le domaine que son évêché possédait à Liège. Un siècle plus tard environ, ses reliques et le siège de l’évêché furent transférés de Maestricht à Liège. Lambert devint le saint patron de cet évêché. 11

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février] avec une dévotion toute particulière. Après avoir donné congé aux Lotharingiens, il quitta Aix-la-Chapelle et alla à Nimègue. Il y resta la majeure partie du Carême13, rendant à Dieu ce qui lui appartient et aux hommes ce qui leur revient. 22. Entretemps le duc de Bohême Vladimir14 mourut, et Boleslas s’efforça, pour s’opposer au roi, de déverser le venin de l’infidélité qu’il avait bu à la source même de l’injustice. Il envahit en effet Prague, capitale de la Bohême, en ayant recours à l’argent trompeur, aux fausses promesses et aux ruses astucieuses. Il soumit également à sa dépravation la Misnie, marche sise entre la Saxe et la Pologne, par des traîtrises dans l’art desquelles il était passé maître. Lorsque l’on annonça la nouvelle au roi, ce dernier ne s’enflamma pas, ne s’irrita pas, ne fut pas porté à la vengeance sur des coups de tête, conscient que colère et précipitation ont toujours été mauvaises conseillères. Mais feignant d’ignorer cette invasion, il lui demanda par l’intermédiaire de sages et éloquents ambassadeurs de ne pas envahir sa terre, privée de prince récemment, et que s’il le désirait il pourrait l’obtenir par sa grâce et par un don volontaire. Entendant une telle ambassade Boleslas, le malheureux, méprisa ces doux mandements, s’exposant ainsi à devoir supporter un jour des coups amers. Il avait en effet à ses côtés Hezelon, qui creusait le puits de la révolte d’où il allait boire l’eau troublée de la déloyauté, et préparait tout un réseau de pièges dans lesquels il tomberait lui-même. Une fois le Carême achevé, le roi célébra Pâques à Quedlinbourg [28 mars 1003], et avec à propos et sagesse ignora l’outrage fait par Boleslas. Otton et Ernest, qui allaient à la rencontre du roi après leur combat en Italie, furent honorés avec des dons royaux pour salaire des blessures qu’ils avaient reçues et pour le trouble occasionné par leur nécessaire fuite, et ils furent soulagés par un légitime encouragement. Le roi reçut également les Liutices qui étaient venus de leur plein gré et qui étaient jusqu’alors hostiles aux Saxons et s’attacha fermement leur fidélité grâce au discernement de sa bienveillance. 15

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En 1003 le Carême commence le 10 février. Vladivoj, duc de Bohême (1002-1003). Boleslas Chrobry.

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23. Il demeura ensuite pour le temps des Rogations16 à Mersebourg, où on lui annonça l’entêtement de Boleslas et de Hezelon. Feignant la naïveté, il quitta Mersebourg et vint à Halberstadt pour fêter la Pentecôte [16 mai]. Puis il se dirigea vers la Bavière. Il voulait savoir si ce qu’on disait à propos d’Hezelon était vrai. Lorsqu’il y parvint, il découvrit la folie furieuse allumée par la déraison d’Hezelon dans tous les lieux voisins de ses terres et apprit qu’Hezelon bénéficiait du soutien de Boleslas. Réservant pour plus tard le châtiment approprié de ce dernier, il décida d’arracher d’abord du sein de son royaume la racine du mal qui s’y était logée, pour éteindre plus facilement par la suite, une fois le calme et la paix retrouvés à l’intérieur, les troubles fomentés à l’extérieur. Il n’ignorait pas en effet que c’est le propre du sot que de guérir rapidement la peau sur une blessure et d’oublier la contusion de la chair sous la guérison de la peau. En effet la guérison d’une blessure s’achève plus fermement en surface, si elle vient de l’intérieur vers l’extérieur. 24. Entretemps, Ernest avait rejoint la révolte, non qu’il y fût poussé par un quelconque tort qu’on lui aurait fait, mais plutôt soit poussé par le bouillonnement de la jeunesse soit séduit par les propositions de ceux qui cherchaient à augmenter leur profit grâce à lui. Le seigneur Brunon même, frère du roi Henri et évêque, y fut associé17. Il était alors jeune et fut facilement corrompu en raison même de cette jeunesse. Et c’était un sujet de gloire pour les traîtres que de compter dans leur camp le frère du roi. Parce qu’elle rassemblait les plus jeunes et les moins raisonnables des sujets, cette conspiration se disloqua fort honteusement et fort lâchement. En effet on dit : « Le rassemblement d’écervelés est un gaspillage de sagesse et un gaspillage de sagesse n’engendre que de vaines actions ». 25. Au début du mois d’août, le roi, après avoir rassemblé certains Lotharingiens ainsi que des Franconiens et des Bavarois, conduisit son armée contre Hezelon en Franconie. Il ravagea ses biens et le força ainsi à se tenir caché dans les forêts en compagnie de Brunon et d’Ernest. Puis il entreprit le siège de châteaux qu’Hezelon ne craignait pas de voir tomber et que personne ne pensait 16

Les Rogations sont les trois jours qui précèdent l’Ascension, donc en 1003 du 3 au 5 mai. 17 Bruno, évêque d’Ausgbourg (1006-1029).

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pouvoir être pris. Pourtant au premier assaut il détruisit Ammerthal et grâce à l’intercession de ses princes il permit aux vassaux d’Hezelon qui y furent pris de repartir sains et saufs. En revanche les Slaves, qui avaient été envoyés par Boleslas en soutien, furent réduits en servitude et distribués à l’armée. 26. Ensuite le roi mit le siège devant Creussen, où se trouvaient l’épouse et le fils d’Hezelon ainsi que tout ce qu’il pouvait avoir de plus cher. Durant ce siège, les hommes qui sortaient pour le ravitaillement étaient pris ou tués par Hezelon et ses hommes. Le roi, mis au courant, attacha chaque jour 400 hommes à la garde de ceux qui sortaient, à la fois pour les protéger et pour prendre au piège ceux qui voulaient les piéger. Hezelon, apprenant cela, se retira avec ses alliés dans une vallée à laquelle on ne pouvait accéder que par un seul chemin. Il y fixa son campement, y passa deux ou trois nuits, je ne sais exactement, vivant comme s’il était en sécurité de ce qu’il volait aux pauvres. Les gardes l’apprirent par l’intermédiaire d’un paysan. Aussi, aux environs de la sixième heure18, lorsque tout le monde est sans force en raison de la grande chaleur de la journée, ils descendirent discrètement dans la vallée et cherchèrent obstinément le camp d’Hezelon. Enfin l’un d’entre eux apercevant les tentes, trop pressé d’avertir ses alliés, commença à entonner des « Seigneur, prends pitié » pour les faire venir, et à les répéter sans cesse afin qu’ils arrivent plus vite. Hezelon, s’en apercevant, abandonna le camp et même ses armes, s’enfuit et il s’en fallut de peu qu’il ne tombe aux mains de ceux qui étaient venus le surprendre. Le seigneur Brunon de même, après avoir abandonné à tort le bouclier qu’il utilisait puisqu’il était sorti de lui-même, fuit honteusement devant ceux qui auraient dû être sous ses ordres s’il était resté au côté de son frère et fut un objet de plaisanterie, lui qui aurait dû incarner l’honneur et la gloire. Mais c’était là le fait de la jeunesse. Ne dit-on pas en effet : « Qui est guidé par la jeunesse sans le frein de la connaissance, se voit souvent précipité dans l’abîme du déshonneur ». Et que c’était en effet le fait de la jeunesse, son âge adulte le confirmerait bientôt, qui le rendit plus utile à lui-même et plus fidèle à son frère. Ernest, prisonnier, fut conduit en présence du roi. Immédiatement certains suggérèrent à ce dernier de le condamner à mort pour qu’à l’avenir, se souvenant de son exemple, chacun

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C’est-à-dire midi.

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s’abstienne d’encourir le mécontentement royal sans raison. Mais l’archevêque de Mayence, l’homme le mieux placé pour obtenir quoi que ce soit du roi, se fit son avocat, enleva le jeune homme à la loi et l’arracha à la mort. Enfin Creussen fut prise, détruite et incendiée par le roi. L’épouse d’Hezelon fut autorisée à partir avec ses gens, et dut cette concession à l’intervention de son frère Otton. 27. A la nouvelle de la prise de Creussen, Hezelon réussit à fuir vers une de ses places fortes appelée Kronach et y rencontra le Saxon Siegfried, qui avait pris part à l’affreuse conspiration. Mais, comme il n’avait aucun espoir de résister à la colère royale en ce lieu, il mit lui même le feu à sa place forte et, ne sachant dissimuler son malheur, montra à quel point il était en proie au désespoir. Le Saxon Siegfried s’en aperçut, perdit tout espoir dans cette révolte qu’ils avaient commencée et, lui qu’une fidélité envers un autre avait rempli de colère contre la majesté royale, s’effondra, touché par l’amère déroute d’autrui. Il eut alors honte d’être venu ici et retourna sur ses terres aussi vite qu’il le put. Hezelon quant à lui fuit avec Brunon chez Boleslas, y voyant son unique refuge. Il apprit à vivre du pain d’autrui, comme un mendiant, ce qui est le plus pénible pour n’importe qui. Pendant ce temps le roi parvint à Kronach, raison de son déplacement, et la trouva détruite par la main même de l’ennemi. Il était en effet venu la détruire, mais l’ennemi l’avait détruite avant pour qu’il ne trouve rien à détruire. 28. Hezelon en fuite et ses châteaux détruits, le roi retourna à Bamberg, lieu qu’il aimait entre tous, et y célébra la naissance de la sainte Mère de Dieu [8 septembre], après avoir donné congé à l’armée. Puis allant dans la forêt de Spessartwald, qui sépare la Bavière de la Franconie, il s’adonna aux plaisirs de la chasse après la fatigue de la campagne militaire. C’est là qu’il passa l’automne, c’est là qu’il fit preuve de beaucoup de joie pour se rétablir ainsi que ses hommes. Puis il traversa la Franconie d’une humeur chagrine, arriva en Saxe et invita les Thuringiens et les Saxons à se préparer pour une prochaine expédition en Misnie. Enfin, il célébra Noël à Pöhlde. 29. En l’an du seigneur 1004, deuxième indiction, le roi fut invité par l’archevêque de Magdebourg Giselher19 qui, atteint de

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Giselher, archevêque de Magdebourg (981-1004).

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paralysie, ne pouvait sortir depuis plusieurs années de la cité métropolitaine. Conduit par un mouvement de pitié le roi se montra obéissant et se prépara à rendre visite à l’archevêque à Magdebourg. Lorsqu’il arriva, l’archevêque avait déjà emprunté la voie que prend tout être de chair un jour, et celui qui attendait le roi avait été rappelé auprès du roi des rois. Un chapelain du roi, Tagino20, fut choisi sur le champ pour le remplacer et porté sur le siège épiscopal par le clergé et le peuple qui le louaient d’une seule voix. Le roi rejoignit ensuite Mersebourg et y vénéra la Purification de la sainte Mère de Dieu [2février] avec la déférence due. C’est également en ce lieu que Tagino fut consacré évêque par ses suffragants. 30. Après cela, une fois les Thuringiens et les Saxons réunis, le roi entra en Misnie, voulant soumettre les places fortes qu’occupait Boleslas, mais un hiver rude empêcha la mise en œuvre d’une telle entreprise et refusa donc à la volonté royale la réalisation de ce qui aurait pu être facilement accompli en été. Laissant donc les places fortes de côté, il ravagea les terres, rejetant en effet la faute sur les habitants, car, corrompus par l’argent, ils n’avaient pas quitté la fidélité de Boleslas pour revenir à leur fidélité légitime. De là il retourna à Mersebourg et établit des marquis le long du cours de l’Elbe à la fois pour protéger la Saxe et empêcher les brigandages de Boleslas, mais également pour qu’ils fassent connaître à Boleslas l’inquiétude que suscite une perpétuelle agitation. 31. Pendant ce temps Hezelon regretta sa situation et commença à avoir honte de vivre depuis si longtemps d’un pain étranger. Il était également las d’être exilé seul parmi des étrangers. Il choisit donc de s’exposer à un danger mortel plutôt que de continuer à vivre ainsi. Après avoir recherché des intercesseurs dans lesquels il pouvait avoir confiance, il revint vers la majesté royale à Mersebourg. Ainsi, en regimbant contre l’aiguillon, il en sentit deux fois la pointe, car il perdit à la fois ses biens et se soumit lui-même au pouvoir d’autrui. Le seigneur Brunon, ne trouvant aucun soulagement chez Boleslas, se réfugia chez sa sœur la reine de Hongrie21 et, se retrouvant lui-même, lui demanda d’intercéder en sa faveur.

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Tagino, archevêque de Magdebourg (1004-1012). Gisèle, née vers 985, avait épouse Etienne Ier, roi de Hongrie. Elle mourut vers 1060. 21

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32. Pendant ce temps le roi, qui n’avait pas oublié l’injure faite aux Allemands par les Italiens, quitta la Saxe pour la Bavière. Il y céda le duché de Bavière à Henri, frère de la reine22, le jour de la Saint-Benoît [21 mars]. Enfin les Lotharingiens, les Franconiens et les Souabes le rejoignirent à Augsbourg, aux confins de la Bavière et de la Souabe. Ils étaient volontaires pour venger l’injure faite aux Allemands et étaient prêts à servir l’honneur du roi en toute chose. Il s’avança donc en leur compagnie et fit halte dans le lieu qu’on nomme Thingau pour rassembler l’armée. C’est là que le seigneur Brunon, ayant retrouvé ses sens, vint à sa rencontre avec les ambassadeurs du roi de Hongrie qui étaient venus plaider sa cause. Demandant avec humilité grâce pour les fautes qu’il avait commises, il émut profondément son frère et ne tarda pas à obtenir son pardon. En effet, comme dit le proverbe : « Les larmes d’un frère ont tôt fait d’émouvoir profondément l’honnête homme, et le malheur d’un proche devient son propre souci ». Il le reçut avec la pitié qu’il fallait et, l’ayant reçu, il se le lia par la familiarité qu’il devait. 33. Le roi mit ensuite en branle son armée qui traversa des lieux désolés, des montagnes abruptes, de grandes forêts, des routes dangereuses pour finalement arriver à Trente. Il fit séjourner ses hommes dans cette ville le dimanche des Rameaux [9 avril], célébrant l’événement comme il se doit. Pressentant cette arrivée Arduin, roi par usurpation, envoya aux cluses ceux qu’il estimait être les plus fidèles parmi ses gardes et se hâta de réunir son armée aussi rapidement qu’il le put. Il gagna ensuite la plaine de Vérone, espérant que la bataille à venir connaisse la même issue que la première. 34. Le roi Henri s’en aperçut et emprunta d’autres routes, non qu’il déclinât le combat mais pour trouver un accès qui lui soit plus favorable. Il était en effet impossible de traverser par les cluses le long de l’Adige qu’Arduin protégeait avec d’importantes troupes. Pendant ce temps le roi envoya son chapelain Helmiger chez les Carinthiens. Il était chargé de leur demander d’occuper les cluses fortement éloignées de la route directe qu’Arduin protégeait avec moins d’attention. En effet il ne venait à l’esprit de personne que l’armée royale songe ou puisse traverser par des routes si peu pra-

22 Henri, attesté dès 993 comme comte dans les Ardennes, duc de Bavière de 1004 à 1009 et de 1017 à sa mort en 1026.

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ticables et si étroites. Les Carinthiens obéirent aux mandements du roi et sur les conseils d’Helmiger se divisèrent en deux bataillons. Le premier, sans prendre les chevaux, se posta en cachette avant la levée du jour dans la montagne surplombant les cluses. L’autre, alors que le jour brillait déjà, après avoir reçu le signal de ceux qui étaient cachés dans la montagne, se précipita pour prendre les cluses. Les gardes, ignorant que d’autres hommes étaient dissimulés dans la montagne, s’avancèrent pour défendre les cluses contre les assaillants. Les hommes cachés dans les montagnes jaillirent subitement et surprirent à revers les défenseurs des cluses. Ceux-ci comprirent alors qu’ils avaient été leurrés. Les uns cherchèrent dès lors leur salut dans la fuite, d’autres dans le précipice et les derniers se jetèrent dans la Brenta. Grâce à cet assaut les Carinthiens tenaient les cluses et attendirent le roi. Ce dernier apprit la nouvelle par le chapelain qu’il avait envoyé en éclaireur et se hâta de gagner les cluses. Abandonnant les bagages, ne prenant avec lui que les hommes prêts à combattre, il traversa, non sans de grandes difficultés. 35. Lorsqu’ils furent arrivés dans la plaine, il ordonna d’établir le camp en amont de la Brenta, afin d’y célébrer avec une dévotion respectable les jours de fête de la Semaine Sainte. Il ne lui semblait en effet pas bon d’engager un combat qui ne manquerait pas de faire couler du sang chrétien par sa violence dans ces jours mêmes où, pour qu’ils connaissent son amour, voulut être pris, flagellé, crucifié et enterré, le Fondateur pour ceux qu’il avait fondés, le Créateur pour ceux qu’il avait créés, le Seigneur pour ses serviteurs. C’est donc là que l’archevêque de Cologne consacra le saint chrême, ce qui était tout à fait nécessaire dans ces régions. Dans les douze évêchés qui se trouvaient à l’entrée de l’Italie, il n’y avait en effet, en raison de la confusion qui régnait alors, ni évêque ni saint chrême. En ce lieu toute l’armée fit mémoire de la Dernière Cène avec une grande dévotion. En ce lieu on honora le Vendredi Saint et le Samedi Saint avec de pieux sentiments. Puis on fêta Pâques [16 avril 1004] avec une digne vénération et on la vénéra par de pieuses fêtes. Après cela le roi recommanda au comte palatin de menacer toute désertion du bannissement royal, ajoutant même que si quelqu’un osait fuir il fallait le punir de la peine capitale. Après que cette mesure de bannissement eût circulé dans les rangs de l’armée, le roi traversa le fleuve le mardi de la semaine de Pâques et ordonna qu’on établisse de nouveau le camp, attendant des nouvelles des 195

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hommes qu’il avait envoyés observer le lieu où Arduin et ses hommes séjournaient. 36. Pendant ce temps, pour je ne sais quelle raison, l’unanimité des Lombards se disloqua. N’étant pas d’accord pour résister plus longtemps, tous se hâtèrent de rentrer sur leurs propres terres. Je laisse le soin à ceux qui étaient alors présents de dire si c’était la crainte ou bien l’amour pour le roi Henri ou encore la haine pour Arduin qui les poussait à agir ainsi. Je sais seulement que ne lui manqua pas la Providence de celui dont la bienveillance concède sans discussion à chacun ce qu’il veut et qui consent que soit discernée sa volonté par le combat, les causes de son jugement restant cachées. L’accès était donc ouvert au roi Henri et ce qu’il n’espérait obtenir qu’avec peine lui fut concédé paisiblement par celui qui est la vraie paix. Il arriva à Vérone, fut accueilli par les citoyens, acclamé, proclamé, couronné. Le marquis Tietold s’empressa de venir à sa rencontre, bien d’autres arrachés au gouffre de la folie et rendus à l’espoir de la liberté se précipitèrent. Puis il se dirigea vers Brescia où il fut accueilli par l’évêque et les citoyens en liesse. C’est à Brescia que l’archevêque de Ravenne vint à sa rencontre accompagné de ses fidèles et de ses voisins, et tendit à son seigneur qu’il avait longtemps attendu ses mains qui n’avaient jamais été souillées par une domination usurpée. Puis le roi se rendit à Bergame et reçut l’hommage de l’archevêque de Milan par les mains et les serments. Puis Pavie. Là une gigantesque foule de nobles Lombards, qui s’étaient rassemblés pour l’accueillir, le reçut avec des applaudissements mérités et, tandis que toute la ville s’exaltait, le roi fut conduit à l’église Saint-Michel. Là le clergé, l’assemblée des nobles, le peuple, hommes et femmes, tous d’une seule voix acclamèrent le roi Henri, le proclamèrent, et désignèrent en levant les mains l’homme qu’ils venaient de louer. Ainsi proclamé, il fut couronné, une fois couronné il fut honoré par tous comme il se devait. Ensuite on le reconduisit au palais avec allégresse. 37. Enfin à la tombée de la nuit, le diable jaloux de la paix, ennemi de la concorde, fervent semeur de discorde, lui qui avait poussé Judas à perpétrer le plus horrible des sacrilèges après le mystère du corps et du sang du Seigneur, et l’amena ainsi à gémir dans un châtiment éternel, le diable donc, en injectant le poison de l’ivresse, poussa les citoyens à s’en prendre à la majesté royale, eux qui avaient rendu leurs mains, garanti leur fidélité, prêté serment, 196

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sans qu’ils puissent alléguer aucun dommage pour expliquer leur geste. Ils s’armèrent donc sur ses conseils, ils s’excitèrent à son instigation, ils se hâtèrent de gagner le palais en suivant ce guide et entourèrent les murailles en suivant ses ordres. Parmi les instigateurs, emportés par leur propre conscience, se trouvaient des hommes qui préféraient errer en vivant de rapines sous Arduin, plutôt que d’être bridés par le frein de la loi et de la justice sous Henri. Il y eut du bruit, un fracas retentit, on l’entendit aussitôt dans le palais, mais comme personne ne pouvait imaginer une telle chose le jour même où la fidélité avait été promise, on ne comprit pas immédiatement. Le roi ordonna qu’on aille voir ce qu’il en était. On lui annonça la folie furieuse de la ville, la folle colère de la plèbe. L’archevêque de Cologne qui était aux côtés du roi, espérant pouvoir mettre un terme à tout cela, regarda par la fenêtre, et commença à s’enquérir de la raison d’une telle folie furieuse. Mais un jet de pierres et de flèches lui permit à peine de finir le discours qu’il avait entamé. En effet les Lombards bouillonnaient trop de colère et ils puisaient encore une forte fierté de l’issue du combat contre le duc Otton. 38. Les Lombards menaçaient donc de détruire le palais, et bien qu’ils fussent peu nombreux les fidèles du roi résistèrent. Les Allemands étaient en effet pour partie logés avec les chevaux, pour partie dans des auberges et pour partie dans les châteaux proches de ce comté. Le roi, indigné et furieux, s’échauffa immédiatement et voulut sortir armé avec ceux qui se tenaient à ses côtés, espérant que la grâce divine suppléerait au nombre de ses chevaliers. Mais l’archevêque de Cologne s’efforça tant qu’il put de retenir le roi, tout comme tous ceux qui avaient l’esprit clair. Il était en effet conscient qu’une fois la tête perdue, il n’y a nul espoir de survie pour les membres. Entretemps, le vacarme ayant pris de l’ampleur, les Allemands, après s’être rassemblés et avoir rejoint leurs alliés, se dirigèrent vers le palais et parvinrent à contenir un moment la folie déchaînée des Lombards. Enfin la nuit noire étant tombée, des nuées de pierres et de flèches menacèrent fortement les Allemands. L’urgence emporta la décision et pour pouvoir prévoir la trajectoire des projectiles plus rapidement on alluma un incendie. Ainsi avec bien des difficultés, les Allemands assaillirent les murs de la ville, avec bien des frissons les Lombards combattirent pour leur vie.

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39. Le jeune Giselbert, frère de la reine, fut alors blessé par les Lombards. La blessure mortelle portée à ce jeune homme mit les Allemands hors d’eux et aveuglés par une folie furieuse, malgré les javelots, ils prirent les murs de la ville d’assaut. Ayant fait irruption ils se hâtèrent de venger le sang de ce jeune homme, aiguillon évident de leur folie furieuse. Volfram, qui avait l’esprit encore plus échauffé que ses compagnons, se jeta au milieu de l’armée des Lombards et enfonça son épée dégainée, avec laquelle il combattait, du casque jusqu’à la gorge d’un chevalier insensé qui s’était avancé hors de la ligne lombarde. Puis sans être blessé, il regagna ses rangs en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Un âpre combat dura donc toute la nuit et comme l’issue en était incertaine, l’espoir d’en sortir victorieux rendait tantôt ceux-ci, tantôt ceux-là plus audacieux et plus entreprenants. À un moment même, les Allemands, qui avaient formé une tortue avec leurs boucliers, firent irruption parmi les troupes lombardes, et ramenèrent au roi des prisonniers vivants. 40. Pendant ce temps le palais, seul lieu de refuge pour les Allemands fatigués, prit feu, brûla et menaça de s’effondrer. Voyant s’envoler tout espoir de retraite, les Allemands en eurent l’esprit encore plus enflammé, et furent poussés à lancer un nouvel assaut d’autant plus fervent contre les Italiens. Il faisait jour depuis longtemps. Alors que les Souabes, qui avaient tardivement découvert ce qui se passait, faisaient une brèche dans les murs de la ville loin du palais, les Lotharingiens et les Franconiens recommencèrent à poursuivre avec rage les Lombards devant le palais. Ils les obligèrent ainsi à fuir jusqu’à l’intérieur de leurs propres murs. Mais comme ils ne pouvaient pas supporter plus longtemps la nuée de javelots lancés depuis les toits, ils furent forcés de mettre le feu aux maisons, puis par le fer et les flammes se livrèrent à un misérable massacre parmi les citoyens. Enfin la colère des Allemands, qu’on ne peut apaiser facilement, fut repue par ce gigantesque massacre et, dès lors, ne trouvant plus personne qui s’opposât à eux, ils portèrent leur attention au butin. Mais comme l’incendie gagnait trop en intensité, le roi se laissa fléchir et pris par un mouvement de bonté ordonna à ses hommes de cesser le pillage qu’ils débutaient. Parvenant avec peine à les réfréner et ne pouvant supporter davantage la puanteur des corps qui brûlaient, il gagna une petite fortification qu’on appelle la chambre dorée de saint Pierre. Les citoyens reprenant à peine leur souffle suivirent le roi et le prièrent avec insistance de pardonner leur ivresse. On leur accorda la rémission, on leur 198

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accorda l’indulgence. On est en effet plus facilement porté à l’indulgence quand le châtiment a dépassé la faute. Ainsi ceux que la bataille contre Otton avait rendus orgueilleux avaient à nouveau revêtu le vêtement de l’humilité et étaient redevenus suppliants et sujets. 41. Pavie soumise, toute l’Italie fut ébranlée. Tous ses habitants se présentèrent d’eux-mêmes au roi et obéirent en tout point à ses ordres. Même les villes que le roi n’avait pas encore visitées envoyèrent des otages sans qu’on le leur ait demandé et jurèrent par des serments la fidélité qui était due. Tout cela étant fait, le roi se rendit à Pontelungo. Une foule innombrable de Lombards s’y rendit également et se soumit à la majesté royale afin de lui obéir en tout point. Le roi y tint en outre une assemblée et régla les affaires du royaume. Il alla ensuite à Milan guidé par l’amour de saint Ambroise, dont il appréciait la liberté de parole et l’excellence de la conduite. Après avoir imploré son intercession ainsi que celle des autres saints qui y reposent, il retourna dans les prairies de Pontelungo et consola les Lombards qui déploraient son départ soudain en leur promettant de revenir vite. Il se rendit à Grommo23 et y célébra avec une pieuse dévotion la sainte Pentecôte [4 juin]. Les Toscans vinrent à sa rencontre alors qu’il quittait cette ville et lui donnèrent les mains chacun selon son rang. 42. Ensuite, le roi, gardant en mémoire l’injustice que lui avait faite Boleslas, se hâta de rentrer dans sa patrie, franchit rapidement le Mons Celer 24 pour gagner la Souabe. Il était en effet conscient qu’une terre gouvernée par un enfant jouit d’une liberté effrénée et se voit emportée vers différents abîmes à cause de la divergence des opinions personnelles. C’était en effet à cette époque que le duc Hermann était mort, remplacé à la tête du duché par son fils grâce à la faveur royale. Le roi savait que celui-ci en raison de sa trop grande jeunesse ne pourrait pas alors gouverner par lui-même. Il tint donc une assemblée à Zurich et força tout le monde, du plus humble au plus puissant, à jurer de se faire les garants de la paix, de ne pas tolérer le brigandage. Toute la Souabe ainsi pacifiée, il s’en retourna en Alsace. Dans la cité de Strasbourg, tandis que le

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Lieu inconnu. Lieu inconnu.

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roi tenait une assemblée la veille de la saint-Jean [-Baptiste, 24 juin], la demeure dans laquelle il siégeait pour rendre la justice et la loi s’effondra subitement. L’effondrement écrasa seulement la jambe d’un prêtre qui avait pris l’habitude de vivre en concubinage avec sa maîtresse, qui était excommuniée. Lui seul mourut, les autres assistants s’en tirèrent seulement avec une belle frayeur. Par sa mort on comprit mieux ce qu’on entend souvent par l’intermédiaire du psalmiste : « Avec l’élu tu seras élu, avec le perverti tu seras perverti »25. Le roi gagna par la suite Mayence et poussé par son habituel sentiment de bonté il y mena à son terme la fête des apôtres avec beaucoup de gens. 43. Passant par la Franconie orientale le roi se hâta de gagner la Saxe, décidé à soulager par une puissante vengeance son cœur alourdi par le poids de sa colère contre Boleslas. On indiqua aux Saxons, aux Bavarois et aux Franconiens orientaux de se tenir prêts pour une campagne militaire, dont on fixa la date au milieu du mois d’août, afin que les récoltes faites, l’abondance accompagne l’armée. Les Saxons se rassemblèrent donc à Mersebourg au milieu du mois d’août. Le roi, au courant des artifices insidieux qu’avait l’habitude d’employer Boleslas pour découvrir les secrets royaux grâce à des amis cachés, ne voulait confier à aucun de ses familiers laquelle, de la Pologne ou de la Bohême, était la cible de l’expédition. Mais en ordonnant de rassembler tous les navires de Magdebourg jusqu’à Zeitz, il laissa croire à une future traversée, comme s’il voulait aller en Pologne. Alors que tout le monde s’attendait à cela, il mena soudainement son armée en Bohême, cherchant en priorité à récupérer ses biens propres, puis à se venger en envahissant des biens étrangers, qui n’étaient d’ailleurs pas totalement étrangers, puisqu’ils devaient supporter le joug de son royaume. 44. On peut se permettre d’intercaler ici ce qu’on sait à force de l’entendre dire : rare est la faute qui n’est pas suivie de sa punition, sauf si une pénitence la protége. À la mort de Boleslas l’aîné, c’està-dire du duc de Bohême et oncle du Boleslas dont il est question maintenant, lui survécurent trois fils26. L’aîné, nommé Boleslas, 25

Psaume 17, 27. Dans la dynastie des Přemyslides, Boleslas II, mort en 999, laissa trois fils, Boleslas III, Jaromir et Ulrich. Sa sœur Dobrawa avait épousé Mieszko Ier de 26

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ayant reçu le duché à la mort de son père, commença à se conduire avec plus de cruauté que cette terre ne voulait ou ne pouvait le tolérer. Lorsque les habitants vinrent à le détester à cause de cette trop grande cruauté, il commença à craindre d’être chassé par un de ses frères avec la complicité des Pragois. Ce soupçon né de sa mauvaise conscience le poussa à commettre le crime le plus abominable, l’amena à perpétrer le forfait le plus exécrable. Il castra en effet un de ses frères et tenta d’étrangler le second dans les étuves. Mais ces derniers, l’un eunuque, l’autre à moitié-vivant, exclus de l’héritage paternel, fuirent en Bavière. Le roi Henri, secoué par cette impiété, donna le duché de Bohême à Vladimir dont nous avons déjà parlé. 45. À la mort de ce dernier, Boleslas, fils de Boleslas, après s’être attaché par une alliance malhonnête Boleslas, fils de Mieszko, tenta de prendre en main le duché contre la volonté du roi. Entre ces deux Boleslas se noua donc une amitié de circonstance, une alliance artificielle. Souvent l’un était invité par l’autre, souvent on conviait avec douceur l’autre à venir dîner, mais le feu couvait sous la cendre. Enfin Boleslas, fils de Mieszko, fit plus de cas des charmes de Prague et des agréments offerts par la Bohême que de l’amitié qu’il avait promise. Comme il entrevoyait la possibilité, quand il aurait réussi à chasser son parent, d’être à la tête d’une si grande principauté, il explora le fond de sa perfidie. Il invita son allié, lui servit différentes sortes de mets avec l’intention de lui faire boire un breuvage amer. Après l’avoir fait boire, il le confia à ses vassaux et, par un signe des yeux, il ordonna à ceux qui étaient dans le secret de l’amener dehors pour l’aveugler. Ces ordres impies furent remplis, cette besogne inique fut satisfaite. Ainsi celui qui avait fait castrer son frère périt de la main de son parent et allié, celui qui avait refusé de partager équitablement la principauté avec son frère fut mis à son niveau et rendu tout aussi inutile pour punition de sa passion. Après l’avoir ainsi rendu aveugle, Boleslas, fils de Mieszko, comme je l’ai mentionné plus haut, envahit Prague et toute la Bohême en ayant recours à d’insidieuses fourberies, à des artifices, ses valets de toujours, et à des promesses sans cesse renouvelées. Ayant acquis cette

Pologne, et tous deux eurent comme fils Boleslas III Chrobry, qui était donc bien le neveu de Boleslas II Přemyslide et le cousin de Boleslas III, Jaromir et Ulrich.

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ADALBOLD D’UTRECHT

propriété ainsi, gonflé d’orgueil, il fortifia solidement des châteaux dans des lieux habituellement traversés par l’armée royale. 46. Pendant ce temps le roi vint avec les Saxons par une montagne sur laquelle Boleslas avait déjà construit une fortification afin d’en interdire le passage. Après avoir envoyé de nuit des gens des marches en éclaireurs, le roi pénétra avec une grande difficulté en Bohême. Lorsque les habitants de la Bohême apprirent cette intrusion, certains, paralysés de peur par la présence du roi, lui livrèrent leur château avec tous ses occupants. Immédiatement le roi le concéda avec la plus grande générosité à Jaromir le châtré, frère de Boleslas l’aveugle, qu’il avait par pitié emmené avec lui sur ses terres natales. Il progressa ensuite dans le pays en ralentissant son allure, attendant les Bavarois qui ne pénétraient pas en Bohême par les mêmes passages que les Saxons. 47. Comme ces derniers retardaient toujours leur arrivée, le roi arriva à la ville que l’on nomme Žatec, accompagné seulement des Saxons. Les citoyens furent profondément bouleversés par la puissance que le roi affichait et réfléchirent aussitôt au moyen de demander la paix et d’obtenir la grâce du roi. Ils ouvrirent sur le champ les portes de la ville et lorsqu’on leur eût expliqué à quelle condition ils obtiendraient la grâce royale, ils chassèrent les Polonais que Boleslas avait envoyés en renfort pour protéger ce lieu. Lors de cette chasse, ils en mutilèrent certains en leur arrachant des membres, ils en précipitèrent d’autres du haut de lieux très élevés, certains furent même mis à mort non seulement pour se venger de l’injustice qui leur avait été faite mais aussi pour satisfaire en tout point l’honneur dû au roi. Enfin l’ardeur de cette cruauté frappa l’esprit du roi et le poussa, avec sa bonté habituelle, à interdire une telle folie. Ceux qui étaient encore vivants furent alors amenés et présentés au roi dans l’église. Après cela, toute la ville se rendit au roi, lui jura fidélité sur les serments comme elle le devait et se lia par le don d’otages. Pendant ce temps la rumeur courut que les Pragois liés dans une conspiration avait tué Boleslas. Bien que ce fût un mensonge, cela terrifia ses fidèles. Fin.

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Vie de Conrad II traduite par Alexandre LEDUCQ

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Introduction

Wipo est un personnage au sujet duquel on ne sait pas grandchose. Il indique son nom au début de sa biographie de Conrad II, en précisant qu’il est prêtre. Ailleurs, il dit avoir fait partie de la chapelle impériale, bien que ce soit précisément pour expliquer qu’il ne put y être fréquemment. La connaissance assez étroite qu’il a des affaires bourguignonnes permet de supposer, sans plus, qu’il était originaire du royaume de Bourgogne ou d’une région proche. Wipo était surtout un lettré. Familier (au moins par l’intermédiaire de florilèges) de Virgile et Horace, et plus encore de Salluste, c’est aussi un poète qui parsème ses Gesta Chuoradi de quelques vers de son cru (signalés ici par l’usage du retrait et de l’italique), mais qui surtout a composé d’autres poèmes, comme le Tetralogus. Wipo y fait discrètement allusion ici, lorsqu’il parle de poèmes composés par « l’un des nôtres ». C’est sans doute peu après 1046, date du couronnement impérial d’Henri III, que Wipo publia ses Gesta Chuonradi ; le livre, en tout cas, est dédié à l’empereur-roi Henri, et aurait donc été écrit quelques années après la mort du souverain. Wipo dit d’ailleurs clairement qu’il comptait également consacrer un ouvrage aux Gesta du souverain régnant. Sans doute est-ce sa mort qui ne lui a pas permis de le faire. Le plan adopté par Wipo est essentiellement chronologique. Après un long prologue, il décrit très en détail l’élection de Conrad II (Henri II étant mort sans enfant, il y eut un vrai débat), puis son couronnement. Suivent ensuite, année après année, les principaux faits du règne. Wipo donne de son héros une image positive, mais en aucun cas il ne s’agit ici d’une panégyrique, ni d’une hagiographie. Significativement, le texte ne s’intitule d’ailleurs pas Vita mais Gesta. Et,

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simple flatterie ou conviction profonde, Wipo semble placer Henri III au-dessus de son père. La Vita Chuonradi a été éditée par Harry Bresslau, Die Werke Wipos, 3e éd., Hanovre et Leipzig, 1915 (MGH. Scriptores rerum germanicarum in usum scholarum separatim editi). Une traduction allemande se trouve chez W. Plüger, Das Leben Kaiser Konrad II., Leipzig, 1925. Sur Wipo on consultera surtout l’article que lui consacre Tilman Struve dans le Lexikon des Mittelalters, t. 9, col. 243-244.

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Lettre au roi Henri, fils de l’empereur Conrad Wipo, prêtre par la grâce de Dieu, au très glorieux empereur Henri III, roi propre à la paix aussi bien qu’à la guerre, comme le serviteur des serviteurs royaux au seigneur des seigneurs de ce monde. Ô empereur, j’ai estimé bon d’écrire la vie remarquable et les actes célèbres de ton père l’empereur Conrad, de peur que la lumière ne soit cachée sous le boisseau, que le rayon de soleil ne se perde dans les nuages, qu’un mérite aussi digne de mémoire ne soit recouvert par la rouille de l’oubli. En effet si ses actions, remarquables et particulièrement éclatantes, n’avaient précédé les tiennes, elles sembleraient largement obscurcies par l’extrême splendeur de tes mérites qui les ont suivies. Or j’ai l’intention moi, ton humble serviteur, de rapporter, si Dieu le permet, les actions de l’un et de l’autre qui arrivèrent de mon vivant. Je dirai ainsi en toute sincérité, en distinguant entre vous, comment l’un a de manière salutaire retaillé l’État, c’est à dire l’Empire Romain, comment l’autre, armé de raison, l’a remis en état. Si dans ce que j’écrirai ou je dirai ici certains faits sont soit exagérés, soit minorés, soit autres que dans la réalité, ce sera la faute du narrateur et non de l’écrivain, puisque malade pendant longtemps je n’ai pu être fréquemment présent à la chapelle de mon seigneur Conrad. À partir de ce que j’ai vu moimême et de ce que j’ai appris des autres, je publierai, en m’aidant du stylet de la vérité, le résultat de ce que j’ai collecté. Et comme certaines des actions que tu as menées avec honneur l’ont été du vivant de ton père, j’ai estimé qu’il fallait les ranger parmi les actes de ton père. En revanche celles que tu as glorieusement accomplies après sa mort, j’ai décidé qu’elles devaient être prises en compte pour elles-mêmes. Cependant si quelques calomniateurs m’opposent que mon oeuvre est inutile puisque d’autres auraient écrit sur le même sujet, bien que je n’aie encore rien vu d’écrit de tel, je répondrai : « Tout témoignage tiendra par la parole de deux ou trois », et la parole du Christ n’est pas propagée par un seul évangile mais bien par quatre témoins capables. Je te dédie cet ouvrage à toi, ô très grand empereur, je te mets devant les yeux les Gestes de ton père afin que chaque fois que tu te prépareras à accomplir de très grandes actions tu contemples auparavant comme dans un miroir les vertus paternelles et que ce que tu as hérité de la souche de tes ancêtres fleurisse abondamment en toi qui, ayant surpassé tous tes prédécesseurs dans les choses divines et spirituelles, mérites d’obtenir un règne et un empire plus long que tous ceux-ci, avec la faveur de Dieu tout puissant. 207

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Prologue J’ai pensé qu’il était approprié et convenable de retenir dans les liens des mots la mémoire éphémère des choses qui s’écoulent et surtout de ne pas passer sous un silence engourdissant les louanges de l’empire chrétien, d’une part pour que dure perpétuellement la gloire de ceux qui ont bien gouverné durant leur vie, d’autre part pour proposer une manière de bien vivre aux enfants s’ils veulent imiter leurs parents, car un exemple utile rend habituellement l’esprit plus prompt et plus ferme dans l’action. De même il arrive souvent que de la louange des ancêtres naissent la timidité et la confusion des descendants, si ceux-ci n’arrivent pas au moins à les égaler, alors même qu’influencés par leur renommée ils vantent leurs actes. En effet, de même que la vertu ennoblit la plupart des gens ordinaires, de même une noblesse sans vertu a dégradé un grand nombre de nobles. En outre il ne nous semble pas permis de taire les victoires des princes catholiques et d’exposer au public à grands cris les triomphes des tyrans infidèles. Il est assez imprudent d’écrire et de lire les histoires de Tarquin le Superbe, de Tullus et d’Anchise, le père d’Enée, du féroce Rutulus et de tous ceux qu’on voudra de cette sorte, et au contraire de négliger tout à fait nos Charles et nos trois Otton, l’empereur Henri II, l’empereur Conrad, père de notre très glorieux roi Henri III, et le roi Henri- lui même triomphant pour le Christ. Les auteurs modernes doivent craindre que le vice de la paresse diminue leur valeur aux yeux de Dieu, alors que l’autorité ancienne de l’Ancien Testament, qui a écrit par un travail fructueux les histoires de nos pères, enseigne et figure par avance que la moisson des faits récents doit être rangée dans le cellier de la mémoire. Ainsi nous nous rappelons qu’Abraham a libéré son neveu Loth en pleine guerre, ainsi nous apprenons que les fils d’Israël ont vaincu leurs différents ennemis. Nous avons sous les yeux, grâce à l’abondance des écrits, les combats du roi David, les jugements de Salomon, l’ingéniosité de Gédéon, les combats des Macchabées. En effet les philosophes de l’ancien temps s’occupaient de l’État de différentes manières. Ils rapportaient la plupart du temps des songes estimables grâce auxquels ils conduisaient les esprits des auditeurs vers ce qu’ils cherchaient à renforcer. Parfois ils inventèrent dans ce même but des récits fabuleux enveloppés d’actes et de noms honorables, puisque les fictions de cette sorte ne s’opposent en rien à la philosophie ; par des discussions fondées sur la raison ils ont souvent fait croire aux dirigeants de l’État que l’âme humaine était éternelle et, comme Socrate (c’est ce que raconte Macrobe) l’a dit, 208

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qu’elle ne périt pas après le corps ; et presque tous les philosophes ont démontré indubitablement que le fruit de l’activité humaine ne prenait pas fin avec la vie corporelle, mais que tous ceux qui ont aidé la patrie et observé fidèlement les lois jouissent, bienheureux, d’une vie éternelle et que pour ceux qui méprisent la justice le jugement du juste créateur a réservé un châtiment. Que l’âme humaine est immortelle, ils l’ont prouvé par de multiples raisons, déjà parce qu’enfermée par les étreintes du corps, elle jouit de la liberté de parcourir par un rapide mouvement de la pensée tantôt les étoiles lointaines, tantôt les recoins de la terre, parfois enfin les entrailles marines, tous ces lieux qu’elle n’avait jamais vu physiquement. Dans la veille comme au repos elle recueille par ses propres yeux et non avec ceux d’un autre un très grand nombre de faits futurs et les retient en mémoire. Libérée du voile obscur de la chair, elle jouit bien plus librement de sa vivacité d’esprit. Croire cela et même le savoir, disaient-ils, serait de la plus grande utilité aux princes qui, détournés par l’arrogance, sont moins attentifs aux profits de la vie future. C’est pourquoi les anciens élevaient en l’honneur de leurs vainqueurs des statues et des monuments qu’ils firent les plus hauts possible, et jugeaient devoir y inscrire leurs actes pour qu’à leur mort leur réputation demeure. Ils pensaient que leurs âmes étaient éternelles. C’est par la seule sagesse humaine qu’ils recherchaient l’immortalité de l’âme, qui ne leur avait pas encore été promise ni dévoilée par le Christ. Mais cela les amenait à cultiver la justice eux-mêmes, et à l’inculquer scrupuleusement aux dirigeants de la patrie par leurs écrits. Ils estimaient cependant que les actes d’un État mourraient en même temps que leurs dirigeants si on n’avait pris soin de noter ce qui s’était passé, et qu’un silence paresseux provoquerait une très grande perte si les écrits subsistants ne faisaient apparaître que chacun doit suivre le défunt auquel vivant il accordait son zèle. Nous cependant, chez qui le discours de vérité chassa l’engourdissement du silence, disant : « Ce que je vous dis dans les ténèbres dites-le en pleine lumière, et ce que vous entendez à l’oreille, prêchez-le sur les toits », pourquoi nous entêtons-nous à refuser aux princes qui professent la foi chrétienne et évangélique ce que les païens offraient aux leurs ? En effet si nos rois catholiques, défenseurs de la vraie foi, gouvernent sans risque d’erreur selon la loi et la paix du Christ qu’il nous livra grâce à son évangile, ceux qui découvriront par leurs écrits les bienfaits de ces rois prêcheront-ils autre chose que l’évangile du Christ ? Et pourtant l’esprit de l’écri209

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vain pourrait chanceler à l’idée d’aborder des actions aussi élevées, accomplies avec une sagesse avisée, une noblesse morale et une très grande fermeté. Et même si les actions que le scribe doit prendre en considération sont modifiées par un excès déplacé, une fausse audace ou une cupidité scandaleuse, néanmoins dans ce qu’il relate il faut que l’écrivain note aussi bien ce qui a été fait que ce qui ne l’a pas été : par là les hommes de bien seront poussés vers la vertu, les mauvais eux s’amélioreront sous l’effet de nobles invectives. La voilà la motivation qui pousse à écrire, ce qu’aucun scrupule religieux n’interdit, ce que son intention rend louable, qui sera utile à la patrie et qu’une expression de qualité fait transmettre à la postérité. Ce qui est passé est sous nos yeux, tout ce qui est à venir nous l’ignorons encore. C’est pour cette raison et poussé par cet espoir que j’ai voulu écrire pour l’utilité de tous ceux qui me liront ce qui serait agréable à ceux qui l’entendront. En effet si parmi ces actes quelque chose d’honnête est rapporté, il sera alors dans le pouvoir du lecteur de l’imiter au vu de tout le monde. Mais je l’ai également fait pour mon propre enrichissement, de telle sorte que Dieu ayant arraché mon corps aux nombreux vices qui l’accablent, je sois en mesure, occupé par cette entreprise, d’éviter l’oisiveté, cette ennemie de l’âme. Si je me suis préparé à parler des actions publiques, j’embrasserai dans mon exposé principalement les actes de deux rois, à savoir l’empereur Conrad et son fils le roi Henri III, que presque tous les hommes les plus sages surnommèrent Henri la Ligne de Justice. En ce qui concerne les actes du père qui ont eu lieu à mon époque, je les écrirai avec le calame, pour des successeurs inconnus, comme je les ai vus ou comme je les ai appris par les récits de tiers. Pour les actes très nobles du fils, puisqu’il règne par la grâce de Dieu jusqu’à présent et que j’en suis le témoin, aussi longtemps que je vivrai je ne cesserai de les rassembler. Et s’il arrive que, de la même manière qu’il m’a échu d’entrer dans la vie avant le roi, il m’arrive d’en sortir avant lui aussi, et que de cette manière j’abandonne un ouvrage inachevé, j’implore l’écrivain qui prendra ma suite de ne pas avoir honte de mettre ses murs sur mes fondations. Qu’il ne néglige pas de relever un style décrépit, qu’il ne méprise pas ce que j’aurai commencé, comme il ne voudrait pas que quelqu’un méprise ce qu’il a aura fini. En effet si celui qui commence a déjà fait la moitié, il n’est pas convenable d’être ingrat quand il s’agit de finir le travail, puisqu’on reçoit le début tout fait. J’ai voulu commencer par un préambule succinct, j’en viens maintenant aux faits de l’empereur, mais je dirai d‘abord quelques mots sur son élection, com210

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bien elle fut légitime. Si je rappelle qui étaient à cette époque les évêques et autres princes en charge du royaume, mon discours en sera plus digne de crédit. 1. L’assemblée des princes En l’an 1024 depuis l’incarnation du Seigneur, l’empereur Henri II avait mis en bon ordre les affaires de l’empire. Il commençait, après un long travail, à récolter les fruits mûrs de la paix. Alors que l’empire était en bon état et son esprit sain, son corps fut la proie d’une maladie qui, s’aggravant, l’emporta le 13 juillet. Sa dépouille fut transportée de Saxe pour être mise en sépulture à Bamberg où, sous l’impulsion d’une saine ardeur et avec zèle, il avait fondé lui même un évêché remarquable par tous les ornements ecclésiastiques. Pour la consécration de ce lieu il avait fait appel au seigneur pape Benoît1, par l’autorité de qui il confirma dans une déclaration publique les privilèges qui protégeaient ce lieu. Après la mort de l’empereur l’État, comme abandonné par la perte d’un père, commença en peu de temps à vaciller. Tandis que les meilleurs des hommes étaient plongés dans la crainte et le souci, les pires appelaient de leur vœu la ruine de l’État. Mais la providence divine confia les ancres de l’Église à des évêques et à des pilotes auxquels il incombait de conduire la patrie sans perte dans le port de la quiétude. En effet comme l’empereur était mort sans fils, tous les princes séculiers les plus puissants s’efforçaient par la force plus que par l’intelligence de devenir le chef ou, par quelque tractation, de devenir le second après le chef. De ce fait, la discorde envahit presque tout le royaume, au point qu’en plusieurs endroits auraient eu lieu des massacres, des incendies, des pillages, si cet assaut n’avait pas été empêché par l’action d’hommes illustres. Car l’impératrice Cunégonde2, bien que privée de la force de son mari, conseillée par ses frères Thierry, évêque de Metz ,et Hezilon, duc de Bavière3, vint du mieux qu’elle le put au secours de l’État, et par une réflexion res-

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Benoît VIII, pape (1012-1024). Cunégonde, fille du comte de Luxembourg Sigefroi Ier, épouse en 998/1000 le duc de Bavière Henri IV qui devient en 1002 le roi de Germanie Henri II. Elle meurt en 1023, un an avant son mari, et ne peut donc guère avoir assuré la transition du pouvoir. 3 Thierry II, évêque de Metz (1006-1047) ; Henri V, ou Hezilon, duc de Bavière (1004-1009 et 1017-1026). 2

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ponsable s’appliqua avec toute la vivacité de son intelligence et de son esprit à restaurer l’empire. Il faut d’abord que je cite les noms de certains des grands, ecclésiastiques ou séculiers, qui comptaient alors dans les royaumes. Sur leurs conseils la Francie avait l’habitude de choisir ses rois. Afin que ce que je vais annoncer ne semble pas arriver comme par hasard mais pour que l’on trouve utile, honnête et excellent ce qui est fait publiquement par la délibération d’hommes très sages. A cette époque Aribo dirigeait l’archevêché de Mayence ; c’était un Bavarois, noble et sage, apte à conseiller le roi. Pilgrim, cousin de l’archevêque Aribo, homme prévoyant et digne de cette fonction, tenait l’archevêché de Cologne. Poppon, frère du duc Ernest, gouvernait l’archevêché de Trèves ; homme pieux et humble, il avait à la même époque sous sa tutelle, avec le duc de Souabe, le fils de son frère le duc Ernest, Thierry, noble et porté à la vertu, qui possédait l’évêché de Metz. Le noble évêque Werner, zélé dans ses affaires divines et séculières, était à la tête de la cité de Strasbourg. Mazelin, savant et fidèle dans les dignités ecclésiastiques, gouvernait celle de Wurzbourg. Eberhard dirigeait l’évêché de Bamberg : il fut le premier évêque de cette église, un homme que son intelligence naturelle et sa conduite rendaient indispensable à l’État. Heimo était évêque de l’église de Constance ; homme sage en ce qui concernait les affaires divines, il était modeste et avisé pour les affaires du siècle. L’évêque Bruno dirigeait Augsbourg ; frère de l’empereur Henri, son intelligence naturelle aurait été profitable et remarquable si la haine qu’il portait à son frère ne l’avait aveuglé au point de s’opposer à lui. L’archevêque Gunther, de bonne mémoire, frère des comtes Ekkehard et Hermann, homme doux auprès de Dieu et auprès des hommes, dirigeait l’église de Salzbourg. Remarquable par la grâce de sa bienveillance, Gebhard était évêque de Ratisbonne. L’évêque Eigilbert, pilote prévoyant de son clergé et de son peuple, dirigeait l’église de Freising4. Avec ceux-ci il y avait aussi bien d’autres

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Aribo, archevêque de Mayence (1021-1031) ; Pilgrim, archevêque de Cologne (1021-1036) ; Poppon, archevêque de Trèves (1015-1047) ; Werner, évêque de Strasbourg (1001-1028) ; Meginhard ou Mazelin, évêque de Wurzbourg (1019-1034) ; Eberhard, évêque de Bamberg (1007-1040) ; Heimo, évêque de Constance (1022-1026) ; Bruno, évêque d’Augsbourg (1006-1029) ; Gunther, archevêque de Salzbourg (1024-1025) ; Gebhard II, évêque de Ratisbonne (1023-1036) ; Eigilbert, évêque de Freising (1055-1039).

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évêques et abbés de ces régions : les nommer chacun, un à un, rendrait l’ouvrage fastidieux. Je me suis gardé de mentionner ici les évêques de Saxe, puisque je ne savais pas ce qu’il convenait que j’ajoute à propos de leur vie à côté de leur nom, bien que je sache avec certitude qu’ils participaient aux affaires les plus importantes, donnaient leur avis et apportaient leur secours. Je passe sous silence l’Italie, dont les princes en un délai aussi court n’avaient pu venir à l’élection royale et qui se soumirent à leur roi seulement par la suite, lorsqu’ils se présentèrent à la ville de Constance avec l’archevêque de Milan et avec les autres princes, et lui jurèrent fidélité avec un grand empressement. Voici les ducs contemporains des hommes cités ci-dessus : Penno duc de Saxe, Adalbéron duc d’Istrie, Hezilo duc de Bavière, Ernest duc de Souabe, Frédéric duc de Haute-Lotharingie, Gozelo duc de Basse-Lotharingie, Conon de Worms duc de Franconie, Ulrich duc de Bohême5. La Bourgogne n’était pas encore intégrée à l’empire Romain comme c’est le cas aujourd’hui. Il faut inscrire parmi les titres de gloire de nos trois rois sa soumission actuelle. L’empereur Henri II le premier tenta de la soumettre et persévéra avec raison dans ce projet. Ensuite l’empereur Conrad en chassa par la guerre lors d’un assaut hardi les Francs Latins et la soumit par les armes. Enfin le roi Henri III, pieux, pacifique, Ligne de la Justice, gouverna cette même Bourgogne aussi bien en temps de paix qu’en temps de guerre avec grandeur d’âme. Je mentionnerai ailleurs ce qu’y accomplit la providence divine aussi bien par des projets pacifiques que guerriers, par des conciles et des assemblées, auxquelles j’ai parfois assisté en personne. Maintenant, j’en reviens à mon propos. Quant à la Hongrie que ce même roi Henri III soumit par une noble et admirable victoire et qu’il s’attacha fermement ainsi qu’à ses successeurs après la victoire par une sagesse très avisée, elle ne supportait même pas alors ne serait-ce que de nous entendre.

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Bernard ou Penno duc de Saxe (1013-1059), Adalbéron duc de Carinthie (ici appelé duc d’Istrie, la marche d’Istrie étant intégrée dans le duché de Carinthie ; 1012-1035), Ernest duc de Souabe (mort en 1030), Frédéric duc de HauteLotharingie (1019-1026 ; Wipo l’appelle duc des Lotharingiens), Gozelo duc de Basse-Lotharingie (1023-1044 ; Wipo l’appelle ici duc des Ripuaires ; Gozelo recevra également le duché de Haute-Lotharingie en 1033), Conon de Worms duc des Franconie, Ulrich duc de Bohême (1012-1034).

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Les évêques, les ducs que j’ai mentionnés auparavant et les hommes puissants de même, décidés à venir à bout au plus vite et au mieux du danger constant, s’efforçaient avec la plus grande énergie et avec une activité digne de mémoire à ce que l’État ne reste pas plus longuement à vaciller sans personne à sa tête. L’envoi de lettres et d’ambassadeurs permit de réunir les avis personnels et les sentiments de chacun : qui remportait l’adhésion de tous, qui ne la remportait pas, ou qui chacun désirait se donner pour maître. Cela fut couronné de succès. C’est en effet le propre de la prévoyance de préparer à l’intérieur ce dont on manquera à l’extérieur, et la réflexion précédant l’action est l’assurance d’une récolte future. C’est en vain en effet qu’on attend de l’aide d’autrui si on ignore ce qu’on désire. Pour les affaires délicates, réfléchir entre soi, délibérer peu à peu, agir rapidement, voilà ce qui assurera une issue heureuse. On convint enfin d’un jour et d’un lieu où se tint une assemblée comme je ne me souvins pas en avoir jamais vu auparavant. Je ne tarderai pas davantage à écrire ce qui, digne de mémoire, fut fait dans cette assemblée. 2. L’élection du roi. Il est, entre Mayence et Worms, un lieu capable de recevoir une grande foule parce qu’il est vaste et plat. Grâce à quelques îles retirées il est sûr et bien approprié pour la tractation d’affaires secrètes. Je laisse aux topographes le soin d’en dire plus à propos du nom et de la situation de ce lieu, et j’en reviens pour ma part à mon projet initial. Tandis que tous les chefs, pour ainsi dire les forces et le cœur du royaume, se rassemblaient là, ils installèrent leur camp de part et d’autre du Rhin. Celui-ci sépare la Gaule de la Germanie. De celle-ci vinrent les Saxons, avec leurs voisins Slaves, les Franconiens, les Bavarois, les Souabes. De Gaule se réunirent les Francs qui habitent sur le Rhin, les Ripuaires, les Lorrains. On s’interrogea à propos de cet événement essentiel, on hésita face à cette élection indécise, flottant entre espoir et crainte, les parents et les amis sondant longuement les désirs de chacun à tour de rôle. Et en effet ce n’était pas une affaire ordinaire qu’on examinait mais ce qui aboutirait à la ruine totale du corps du royaume si elle n’était pas mûrie avec le plus grand soin et le cœur fervent. Et comme dit le dicton : « C’est une bonne chose pour la bouche de bien cuire une nourriture qui consommée crue aurait présenté un danger », et comme on dit : « Il faut réfléchir prudemment au médicament qu’on doit poser sur les yeux ». Tandis qu’on débattait depuis longtemps 214

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de cette manière pour savoir qui devait régner et qu’on récusait l’un à cause de l’âge (soit trop jeune, soit trop âgé), un autre car on ne connaissait pas ses qualités, un troisième en raison de son inexpérience manifeste, parmi cette foule peu furent choisis et parmi ces élus deux seulement furent retenus, qui trouvèrent enfin grâce aux yeux des plus importants hommes du royaume, après un examen approfondi mené avec le plus grand soin. Tous deux s’appelaient Conon. L’un en raison de son âge plus avancé était appelé Conon l’aîné, l’autre Conon le jeune6. Tous les deux étaient très connus en Franconie. Ils étaient nés de deux frères, Hezzil et Conrad, dont nous savons qu’eux-mêmes étaient les fils du duc des Francs Otton avec deux autres enfants Bruno et Guillaume. Fait pape du SaintSiège apostolique, Bruno, ayant changé de nom, fut appelé Grégoire7. Guillaume fut fait évêque de l’église de Strasbourg, qu’il glorifia d’une manière remarquable. Très nobles par le sang paternel, les deux Conon brillaient également par leur ascendance maternelle. La mère de Conon le jeune, Mathilde, était née de la fille de Conrad roi de Bourgogne. La mère de Conon l’aîné, Adélaïde, vit le jour dans une très noble famille de Lorraine. Cette Adélaïde était la sœur des comtes Girard et Adalbert qui, combattant sans cesse les ducs et les rois, n’acceptèrent qu’au dernier moment de servir la cause de leur cousin le roi Conrad. Leurs parents, d’après ce qu’on rapporte, descendaient de l’antique race des rois de Troie et avaient soumis leur cou au joug de la foi sous l’impulsion de saint Rémi le confesseur. C’est entre eux deux, à savoir Conon l’aîné et Conon le jeune, que le reste de la noblesse hésita longtemps et bien que presque tous appelassent de leur vœu, par une résolution fort secrète et un vif désir, Conon l’aîné en raison de sa vertu et de sa loyauté, cependant, à cause de la puissance du jeune, chacun dissimulait ingénieusement son sentiment afin de ne pas s’éloigner de la brigue des honneurs. Enfin la providence divine voulut qu’eux-mêmes s’entendent suivant un accord assez propice à une situation aussi instable : si la majorité du peuple louait l’un deux, l’autre céderait aussitôt la place. Je pense qu’il est important de dire de quelle manière judicieuse Conon l’aîné montra son intelligence innée.

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Conon ou Conrad, le nom est le même. Bruno devint le pape Grégoire V (996-999).

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Non qu’il désespérât lui-même de régner : il avait déjà perçu ce que la volonté divine avait inspiré à ce sujet au cœur des princes. Mais il voulait affermir l’esprit de son parent pour qu’il soit moins perturbé face aux nouveautés. Il lui tint donc cet excellent discours : « Dans des événements heureux, une joie tout à fait digne des heureux événements ne dépasse pas la mesure de la gravité, ni ne permet d’être ingrat en échange des bienfaits reçus. Tout comme dans l’adversité une funeste pusillanimité aggrave les choses, de même dans les époques joyeuses d’aimables manifestations bonifient l’homme, et le fruit du bonheur éclos ne vaut guère s’il ne nourrit d’un sage entrain l’esprit des êtres laborieux. Ainsi je sens la force de mon esprit croître d’immenses joies, parce qu’une si grande assemblée s’est accordée à nous distinguer nous deux seulement, pour que l’un d’entre nous soit placé au faîte royal. En effet nous ne devons pas penser que nous l’emportons sur nos parents par la noblesse ou par les richesses, ou que nous avons mérité en quoi que ce soit un tel respect. Il ne faut pas que nous nous vantions par de vaines paroles. Nos ancêtres ont préféré révéler leur gloire par des actions plutôt que par des paroles ». « Il faudra en effet que chacun soit satisfait de la vie qu’il mène avec ses égaux. S’il y a un domaine quelconque dans lequel nous sommes estimés être plus habiles que les autres hommes, nous devons en rendre grâce à Dieu le créateur. Nous devons donc veiller à ne pas sembler indignes d’une telle grâce à cause d’une division privée et familiale, nous qui avons été jugés dignes d’un tel honneur par l’accord unanime des autres. Il est en effet stupide d’user à l’excès d’un pouvoir étranger comme si c’était le sien. Dans une élection personne ne peut se juger soi-même, on ne peut que juger les autres. Si chacun s’octroyait ce droit combien de roitelets, car je ne peux pas dire rois, verrions-nous ? Il n’était pas en notre pouvoir de restreindre cette dignité à deux personnes parmi cette foule. Les souhaits, les sentiments et le consensus des Franconiens, des Lotharingiens, des Saxons, des Bavarois, des Souabes, nous l’ont conférée avec la meilleure volonté, à nous comme à la lignée d’un seul sang, comme à une seule maison, comme à une famille indissoluble. Pour toutes ces raisons personne ne soupçonnera que de tels liens puissent être dissous par une quelconque haine. Il convient de mettre d’accord tout ce que la nature a lié, elle qui joint pour elle l’amitié familiale ».

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« Si, à cause d’une quelconque entrave, c’est à dire si nous sommes en désaccord l’un avec l’autre, nous rejetons ce qu’on nous offre, il est certain que le peuple voudra nous abandonner et recherchera une troisième personne pour roi, et nous, non seulement nous serions privés de l’honneur suprême mais, ce qui est plus détestable encore que la mort pour les hommes de bien, nous serions aussi en proie à une réputation de mollesse et de jalousie, comme si nous n’avions pas la vertu nécessaire pour conduire un État et comme si aucun de nous ne voulait céder à l’honneur de l’autre, ce qui me semble des plus néfastes pour des parents. Le plus grand honneur, la puissance suprême, sont encore à notre portée, et ils parviendront jusqu’à nous, et resteront attachés à l’un de nous pour peu que nous le voulions. Par conséquent il me semble que si cet honneur reste attaché à l’un de nous, l’autre ne sera pas privé, en quelque sorte, de la participation à ce même honneur. En effet de même qu’une certaine extension d’honneur est reportée sur les parents du roi bien qu’ils ne soient pas roi, de même ceux-ci qui auront été sélectionnés et nominés pour le pouvoir, bien qu’ils n’y parviennent pas, ne manqueront pas d’un certain honneur du fait même de leur naissance, puisqu’ils ne sont pas jugés indignes de la dignité suprême. En outre si les parents des rois sont honorés à cause des rois, en toutes circonstances tous voudront être vis-à-vis de nous comme nous aurons été l’un envers l’autre dans un esprit de consensus, et de cette manière l’avancement de l’un dépendra de l’autre. Qui sera plus heureux que nous si l’un règne tandis que par sa bienveillance l’autre, presque à lui seul, assure au régnant, presque à lui seul, l’État ? Pourquoi serions nous soupçonneux, pourquoi préférerions nous l’étranger au proche, l’incertain au certain ? Que ce jour, qu’une telle décision a rendu jusqu’à présent assez agréable, n’enfante pas pour nous une longue époque de malheur, si nous galvaudons par nos querelles la faveur que nous fait un si grand peuple. Afin que cela n’arrive pas par ma faute, je vais te dire ce que je pense de toi, le plus cher de mes parents. Si j’apprenais que l’âme du peuple te voulait, te désirait pour seigneur et roi, je ne ferais pas le moindre effort pour détourner cette bienveillance de toi. Bien au contraire, par rapport aux autres je t’appellerais d’autant plus de mes vœux que j’espèrerais t’être plus agréable qu’eux. Et si Dieu tournait son attention vers moi, je ne doute pas que tu ferais la même chose pour moi ». Conon le jeune répondit qu’il partageait totalement cet avis, et promit qu’il lui jurerait sans aucune hésitation la fidélité entière que 217

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l’on doit au roi, comme à son parent le plus cher, si les circonstances l’appelaient à la plus haute dignité. À ces mots, Conon l’aîné, à la vue de tous, s’inclinant quelque peu, embrassa son parent, baiser par lequel on découvrit qu’ils se faisaient confiance mutuellement. Ce signe de paix donné, les princes s’assirent ensemble, le peuple assemblé en foule se dressa : Alors chacun se réjouissait, car le moment était venu de porter sur la place publique ce que chacun gardait caché depuis longtemps dans son cœur. C’était l’avis de l’archevêque de Mayence qui devait être pris avant les autres. Lorsque le peuple lui demanda ce qui lui semblait bon, le cœur débordant, la voix joyeuse, il loua et choisit Conon l’ancien pour seigneur et roi, recteur et défenseur de la patrie. Les autres archevêques et les autres membres du clergé suivirent cet avis sans hésiter. Conon le jeune, après avoir négocié quelque peu avec les Lotharingiens, fit marche arrière et choisit Conon l’ancien pour roi et seigneur en lui apportant son plein suffrage. Le roi le prit par la main et le fit s’asseoir avec lui. Alors chacun des grands de chaque royaume répéta plusieurs fois les paroles de l’élection. On entendit la clameur du peuple. Tous sans exception étaient d’accord avec les princes pour l’élection du roi, tous désiraient Conon l’aîné, ils restaient devant lui, ils le préféraient sans aucune hésitation à tous les autres seigneurs, le jugeaient le plus digne de la puissance royale et demandaient à ce que sa consécration soit faite sans attendre. L’impératrice Cunégonde lui présenta avec joie les insignes royaux que lui avait laissés l’empereur Henri et affermit la domination de Conrad sur le trône autant que son sexe lui permettait. Je pense vraiment que la faveur des vertus célestes était présente lors de cette élection, puisque parmi des hommes d’un très grande puissance, parmi tant de ducs et de marquis, celui qui fut élu, loin de la haine et sans controverse, même s’il n’était inférieur à personne en ce qui concerne la vertu et les qualités propres, n’avait que peu de bénéfice et de puissance de l’État en comparaison des autres hommes. L’archevêque de Cologne et le duc Frédéric, avec d’autres Lotharingiens s’éloignèrent sans avoir été convaincus. La rumeur en attribuait la cause à Conon le jeune, mais c’était dû plutôt à l’instigation du diable, l’ennemi de la paix. Ils revinrent cependant très rapidement vers la grâce du roi et acceptèrent avec joie ce que le roi avait décidé, à l’exception de ceux qui se virent rappeler brutalement la condition de simple mortel. L’archevêque Pilgrim comme pour se

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racheter de sa faute première obtint du roi la permission de consacrer la reine dans l’église de Cologne. Je parlerai d’elle plus tard et j’en reviens maintenant au roi. Il fut réellement élu par la volonté de Dieu, qui lui donna le témoignage que le roi reçut ensuite du peuple. C’était un homme d’une grande humilité, prévoyant dans ses projets, sincère dans ses paroles, rapide quand il s’agissait d’agir, en rien cupide, le plus généreux des rois. J’en dirai davantage sur ses mœurs plus tard. Il faut cependant dire ici, car on ne peut le cacher, qu’il ne serait pas devenu prince et le premier d’entre eux, celui à qui manquerait la force des plus grandes vertus. Et comme il est écrit : « l’humilité précède la gloire »8, à juste titre il précéda les glorieux de ce monde, lui qui possédait la reine des vertus. Il n’était en effet pas permis que celui que le Dieu tout puissant destinait à régner sur tous, serve quelqu’un sur terre. 3. La consécration royale Une fois l’élection achevée, tous se dépêchèrent de suivre le roi en toute hâte à Mayence afin qu’il y reçoive la très sainte onction. Ils allaient réjouis, chacun selon son style, les clercs récitant des psaumes, les laïcs chantant. Je n’avais jamais vu Dieu recevoir autant de louanges des hommes en un seul jour et en un seul lieu. Si Charlemagne nous était alors apparu, en vie, le sceptre à la main, le peuple n’aurait pas été plus joyeux et ne se serait pas plus réjoui du retour d’un si grand homme que de la première arrivée de ce roi. Celui-ci arriva à Mayence. Y ayant reçu les honneurs qui lui étaient dus, il attendit pieusement sa consécration que tous désiraient. Le jour de la naissance de sainte Marie [8 septembre 1024], l’archevêque de Mayence et tout son clergé se préparèrent à le bénir selon le rite. Durant l’office sacré de l’onction royale l’archevêque tint ce discours au roi : « Toute puissance de ce siècle incertain découle d’une seule source très pure. Il arrive cependant assez souvent que plusieurs ruisseaux, bien qu’ils partagent une même origine et que leur source principale reste toujours pure, soient tantôt troubles, tantôt limpides. Nous pouvons associer de la même manière le roi immortel et les rois terrestres, s’il est permis à la condition humaine de mettre sur le même plan le créateur et la créature. En effet il est écrit : « Toute puissance procède de

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Prov., 15, 33.

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Dieu »9. Quand ce roi des rois tout-puissant, créateur et principe de tout honneur, fait aux princes terrestres la grâce de quelque dignité, elle est tout aussi pure et nette du fait de la nature de sa source. Mais si cette dignité parvenait à des rois qui l’occuperaient indignement et la souilleraient par leur orgueil, leur jalousie, leur luxure, leur avarice, leur colère, leur impatience, leur cruauté, ils offriraient alors à boire à leurs sujets comme à eux-mêmes la coupe dangereuse du péché, à moins qu’ils ne s’amendent par la pénitence. Puisse toute l’église des saints prier et intercéder auprès de notre Seigneur, afin que notre ci-présent seigneur et roi Conrad préserve inviolée, autant qu’homme le peut, la dignité que Dieu lui confie aujourd’hui. Nous prions avec toi et pour toi, seigneur roi. Le Seigneur qui t’a choisi pour être le roi de son peuple a voulu d’abord t’éprouver lui-même avant de te couronner ; il flagelle tous ceux qu’il admet, il juge bon de punir celui qu’il avait voulu recevoir, il aime humilier celui qu’il s’apprête à honorer. Dieu tenta ainsi son serviteur Abraham et glorifia celui qu’il mit à l’épreuve. Ainsi il permit que son serviteur David endure la colère du roi Saül, la persécution, les injustices, les cachettes du désert, la fuite, l’exil avant d’en faire le plus glorieux des rois d’Israël. Heureux celui qui supporte la tentation puisqu’il recevra la couronne. Ce n’est pas sans raison que Dieu t’a tourmenté, il t’en rendit doux le profit qui en découla. Il a permis que tu perdes la grâce de ton prédécesseur l’empereur Henri et que tu la retrouves de nouveau pour que tu saches prendre en pitié ceux qui perdront ta grâce ; tu as supporté les injustices pour savoir prendre en pitié ceux qui les supportent maintenant. La bonté divine n’a pas voulu que tu ignores le châtiment, pour que tu assumes le gouvernement sur les chrétiens après le gouvernement céleste. Tu as atteint la dignité suprême, tu es vicaire du Christ. Il n’est de véritable souverain que celui qui l’imite. Aussi, sur ce trône, pense à l’honneur éternel. C’est une grande félicité que de régner sur terre, c’en est une bien plus grande que de triompher aux cieux. Et bien que Dieu exige beaucoup de toi, ce qu’il désirera par dessus tout c’est que tu rendes le jugement et la justice, que tu maintiennes la paix pour ta patrie qui toujours se tourne vers toi, que tu sois le défenseur des églises et des clercs, le tuteur des veuves et des orphelins. Alors par ces bienfaits et d’autres tu affermiras ton trône maintenant et à jamais.

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Rom., 13, 1.

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Et maintenant, seigneur roi, toute la sainte église te demande, avec nous, grâce pour ceux qui jusqu’à présent t’ont fait défaut et ont perdu ta grâce par quelque offense. Parmi eux, il en est un du nom d’Otton, un noble homme qui t’a offensé. Pour lui et pour tous les autres nous implorons ta clémence, nous te demandons de leur pardonner pour l’amour de Dieu qui a fait de toi un autre homme aujourd’hui et qui t’a associé à son pouvoir, pour que lui aussi daigne t’accorder les même faveurs pour tous tes forfaits ». A ces mots le roi saisi de compassion gémit, et fondit en larmes au delà de ce qu’on pouvait imaginer. Ensuite comme les évêques et les ducs le suppliaient ainsi que tout le peuple, il pardonna à tous pour ce qu’ils avaient entrepris contre lui. Le peuple unanime soutenait de très bon gré cette décision. Tous pleuraient de joie devant la bonté manifeste du roi. Il eût été de fer celui qui aurait pu se retenir de pleurer alors qu’une si grande puissance pardonnait de si grandes fautes. Et bien qu’il eût pu se venger des injustices dont il avait été victime s’il n’avait pas été roi, en raison de la confiance que représentait un tel pouvoir il ne garda rien pour se venger. Une fois les offices divins et la consécration royale achevés, le roi s’avança. Et comme on lit à propos du roi Saül, il marchait comme s’il était plus haut que les autres à partir de l’épaule, et ainsi dans une attitude qu’on ne lui connaissait pas auparavant, métamorphosé par le sacre, le visage alerte parmi ce cortège, il retourna à sa chambre d’un pas plein d’honneur. De là il fut reçu à la table en apparat royal et passa ce premier jour de royauté dans toute la conscience de sa fonction. 4. Le règlement de la cour et la reine Utilisant un témoignage fréquent, je ne pense guère nécessaire de dire à propos de la fidélité au roi que tous les évêques, ducs et autres princes, les chevaliers importants, le commun des chevaliers, et même tout homme libre s’il avait une quelconque importance devaient jurer fidélité aux rois. Cependant tous se soumirent par serment avec une véritable sincérité et bonne volonté à Conrad. De même pour ce qui concerne l’administration de la cour : qui le roi élèverait au titre de sénéchal du palais, qui serait maître des valets de chambre, qui ferait le service à table, qui serait échanson et comment seraient organisés les autres offices, je ne m’abstiendrai pas plus longtemps de dire, puisque je peux dire brièvement que dans aucun de mes souvenirs ni aucune de mes lectures les services 221

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de ses prédécesseurs ne furent pourvus avec autant d’efficacité et de distinction. En cela le très grand esprit de l’évêque d’Augsbourg Bruno et la sagesse de l’évêque Werner de Strasbourg furent utiles comme les conseils du chevalier Werner. Le roi depuis longtemps avait pu faire l’expérience que ce dernier était avisé dans ses conseils et audacieux dans les combats, qu’il mena en grand nombre aux côtés du roi. Surpassant tous ceux-ci, Gisèle, la bien-aimée épouse du roi, se distinguait par sa prudence et sa sagesse. Son père était Hermann, duc de Souabe, sa mère Gerberge, fille du roi de Bourgogne Conrad, dont les parents descendaient de la lignée de Charlemagne10. De là un des nôtres dans un opuscule, qu’il appela le Tétralogue et présenta au roi Henri III alors qu’il fêtait Noël à Strasbourg, dit entre autres les deux vers suivant : La sage Gisèle descend de Charlemagne, si la quatrième lignée est comptée après la dixième. Quoiqu’elle fût de la plus grande noblesse et d’une beauté des plus harmonieuses, elle n’était pas du tout orgueilleuse ; respectueuse dans sa dévotion pour Dieu, assidue dans ses prières et dans ses aumônes, et cela le plus discrètement possible, répondant en cela au vœu de l’Évangile de ne pas faire son salut devant les hommes. Elle était en effet d’un naturel généreux, d’une intelligence remarquable, avide de gloire et non de louanges, affectionnant la moralité, supportant le fardeau féminin, pas le moins du monde excessive dans le malheur, suffisamment libérale envers les actions honnêtes et utiles, riche en bien-fonds, rompue au bon exercice des plus hauts honneurs. La jalousie de certains hommes qui souvent s’élève comme une fumée depuis les strates inférieures jusqu’aux strates supérieures l’empêcha pendant quelques jours de recevoir la consécration11. Si elle dut supporter cette haine justement ou injustement, jusqu’à présent cela demeure en suspens, cependant la valeur masculine triompha dans la femme. Consacrée par le consentement et à la demande des princes, elle suivait le roi en compagne indispensable. J’ai évoqué

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Gisèle, née vers 990, avait épousé successivement le comte Bruno de Brunswick, le duc Ernest Ier de Souabe (dont elle avait eu comme fils le duc Ernest II), et finalement, vers 1016, Conrad. 11 Wipo fait certainement allusion ici au refus opposé par l’archevêque de Mayence Aribo de couronner la reine. L’archevêque estimait en effet que l’union de Gisèle et de Conrad ne répondait pas au droit canonique en raison d’un lien de parenté trop proche.

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ces choses au sujet de la reine pendant un moment en interrompant mon récit des actions du roi, j’y reviens maintenant. 5. Les premiers faits du roi Conrad Puisque je m’applique à écrire de ma plume les faits du célèbre roi Conrad, il faut mentionner ceux qu’il fit le jour même de sa consécration. Bien qu’ils puissent paraître insignifiants, ils sont cependant riches de symboles. Mais puisqu’on écrit une histoire publique, qui frappe l’attention des lecteurs plus par la nouveauté des choses que par la forme des mots, il semble plus convenable d’exposer l’affaire même dans son intégralité plutôt que de l’expliquer sans jugement en s’appuyant sur des considérations mystiques. Lors de la procession du roi, trois personnes porteuses chacune de requêtes vinrent devant lui. L’un était un paysan de l’église de Mayence, l’autre un orphelin et il y avait une veuve. Tandis que le roi commençait à écouter leurs causes, certains princes se tournèrent vers lui en lui disant de ne pas permettre qu’on retarde si peu que soit peu sa consécration et d’écouter sans retard les offices divins. Se retournant vers les évêques, le roi, en tant que vicaire du Christ, répondit : « S’il me revient d’assumer la direction de l’État, et si c’est le propre d’un homme conséquent de ne pas différer ce qu’il peut faire convenablement, il me semble plus juste de faire ce que je dois que de m’entendre dire ce que je devrais faire. Il me souvient vous avoir souvent entendu dire que ce ne sont pas ceux qui écoutent la loi qui sont sauvés mais ceux qui l’appliquent. S’il faut que je me hâte pour me faire consacrer, comme vous le dites, je sais qu’il convient tout aussi bien d’assurer mes pas dans l’œuvre de Dieu, que de me rapprocher d’une dignité délicate ». Ayant dit cela il demeura à l’endroit même où les malheureux étaient venus à sa rencontre. Suspendant ses pas il leur imposa la justice. Ensuite quelqu’un vint devant lui en disant qu’il avait été chassé de sa patrie alors qu’il n’avait commis absolument aucune faute. Le roi saisissant celui-ci par le bras, l’amena jusqu’à son trône, au dessus de tous ceux qui l’entouraient, et là confia soigneusement la cause du malheureux à l’un de ses princes. On voit que c’est un début de règne heureux quand le roi est plus pressé de rendre la justice que d’être béni. Le sentiment de compassion était bien plus vif chez le roi que le désir d’être consacré. Il s’avançait sur le chemin de la justice alors qu’il gagnait l’honneur des rois. Il pouvait dire avec le psal223

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miste : « mon pied resta sur le droit chemin ». Il s’affermit par le bien de la grâce avant de monter sur le trône de la justice. Il craignait de tomber s’il ne se montrait pas juste dans la hauteur royale. Il est assez digne de louanges que parmi ces nouvelles joies, parmi les voluptueuses tâches incombant à un roi, il écoutait les clameurs des pauvres et tranchait leurs causes. Il refusait de négliger ce qu’il pouvait régler aussitôt. Il refusa de différer sa justice puisque c’était cela même régner. Il différa sa bénédiction à cause de l’honneur des rois. Il est en effet écrit : « L’honneur du roi aime le jugement ». En toutes choses, pour exercer la charge de roi, rien de plus utile qu’un jugement droit. Ainsi le roi traça-t-il ce jour là la voie qu’il suivrait durant le reste de son règne dans les causes où l’autorité royale est habituellement sollicitée : la défense des églises, des veuves et des orphelins. 6. Le voyage royal à travers les royaumes Je n’ai pas estimé nécessaire de mentionner tous les voyages royaux et tous les lieux dans lesquels il célébra annuellement les grandes fêtes de Noël et de Pâques, sauf quand un événement remarquable et important est arrivé là où il se trouvait. En effet si j’avais voulu faire attention à tout, les forces m’auraient manqué bien avant la matière. Je reviens au plus vite sur ses faits dominés par une gloire illustre afin que personne ne me tienne rigueur de passer sous silence les plus minimes. Une fois la suite royale rassemblée, le roi Conrad traversa d’abord la Basse-Lotharingie et arriva au lieu qu’on appelle le palais d’Aix, où le trône public royal fut installé par les rois anciens et surtout par Charles et que l’on tient pour la capitale de tout le royaume. Siégeant là il organisa parfaitement l’État et, y tenant des plaids publics et des assemblées générales, il rendait avantageusement la justice divine et humaine. Sa renommée tira ses forces de ses vertus : aujourd’hui comme hier on le distingue pour la paix durable qu’il imposa, on le chérit pour la grâce de son dévouement, on l’honore pour son jugement royal. Bien qu’il ignorât tout des lettres, il ménagea sagement l’ensemble du clergé aussi bien à la vue de tous avec amour et générosité qu’en privé avec une discipline bien adaptée. Il s’attira également les faveurs des vassaux en décidant qu’aucun descendant ne pourrait être privé des bénéfices de ses parents. En outre, en raison des dons répétés destinés à les pousser à mener des actions courageuses, ils estimèrent qu’ils chercheraient en vain dans le monde un homme semblable à lui. Mon récit devient sujet à soup224

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çon tant il fut généreux, agréable, d’un esprit constant, sans peur, doux envers tous les hommes de bien, sévère avec les méchants, bienveillant avec ses concitoyens, âpre avec ses ennemis, efficace dans l’action. Il était infatigable quand il s’agissait du bien du royaume. En résumé, il obtint de tels résultats que personne ne mit en doute qu’il fut le roi le plus digne du trône royal depuis l’époque de Charlemagne. Ainsi naquit le proverbe : La selle de Conrad porte les étriers de Charles. C’est en s’inspirant de ce proverbe que l’un des nôtres a écrit ce vers dans la quatrième satire d’un petit ouvrage qu’il a appelé le « Poulailler » : Conrad s’appuie sur les étriers du roi Charles Par de tels témoignages, le nom glorieux du roi franchit les frontières des peuples, traversa les flots de la mer ; ça et là on peut en voir la vertu qui est toujours restée d’une vigueur intacte. Revenant de Basse-Lotharingie, le roi se rendit en Saxe. Grâce à son autorité non démentie, il y affermit la très cruelle loi des Saxons suivant la volonté de ceux-ci. Puis imposant des tributs aux barbares, voisins de la Saxe, il reçut toutes les sommes dues. De Bavière et de Franconie, il arriva en Souabe. Au cours de ce voyage, il accorda aux royaumes des traités de paix et la protection royale. 7. Comment le roi mit en procès les Italiens La première année de son règne le roi Conrad célébra le jour saint de la Pentecôte dans la cité de Constance. L’archevêque de Milan Héribert s’y présenta à lui avec les autres grands d’Italie, devint son vassal et lui donna sa foi, gagée par des serments et des dons d’otages, de le recevoir lui-même, de l’approuver publiquement avec tous les siens comme seigneur et roi et de le couronner aussitôt qu’il viendrait avec une armée pour soumettre l’Italie. Le reste des Lombards fit de même, à l’exception des habitants de Pavie, dont les ambassadeurs étaient venus avec des présents et des amis, s’efforçant d’apaiser le roi pour l’offense commise par leurs concitoyens, bien qu’ils ne pussent en aucune manière l’apaiser comme ils le souhaitaient. En quoi ils furent offensants, je vais l’exposer brièvement. Il y avait dans la cité de Pavie un palais, construit jadis par le roi Théodoric au prix d’un travail remarquable, et orné soigneusement ensuite par l’empereur Otton III. Or à l’annonce de la mort de l’empereur Henri, le prédécesseur du roi Conrad, suivant l’habitude des hommes à toujours se comporter de manière irréfléchie lors des 225

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changements politiques, les habitants de Pavie se précipitèrent sans réfléchir sur ce palais qui était alors en paix. Bravant tout interdit, ils brisèrent les murs royaux et tout le palais jusqu’à arracher la dernière pierre des fondations, afin d’empêcher à l’avenir tout roi de décider d’établir son palais en bas de cette cité. De cet acte d’audace naquit une grande querelle qui dura longtemps entre le roi et les habitants de Pavie. Ces derniers disaient : « Qui avons-nous offensé ? Nous avons conservé notre loyauté et notre honneur à notre empereur jusqu’à la fin de sa vie ; nous sommes accusés à tort d’avoir détruit la demeure de notre roi à la mort de celui-ci alors que nous n’avions plus de roi ». Au contraire le roi de répliquer : « Je sais que vous n’avez pas détruit la demeure de votre roi, puisque alors vous n’en aviez aucun, mais vous ne pouvez pas nier avoir démantelé la demeure royale. Le roi meurt mais le royaume demeure comme demeure le navire dont le pilote tombe. C’était une demeure publique, non privée, elle appartenait suivant le droit à quelqu’un d’autre, non à vous. Or les usurpateurs de biens étrangers sont soumis au jugement du roi. Vous qui avez usurpé les biens d’autrui vous êtes donc soumis au jugement du roi ». Un grand nombre d’arguments de cette sorte leur étant objectés avec insistance, les ambassadeurs partirent en abandonnant le projet de paix qu’ils avaient tâché en vain d’obtenir. Les autres Italiens, comblés de très nombreux présents par le roi, prirent congé en paix. Et le roi, après avoir convenablement organisé le royaume de Souabe, se dirigea vers la ville de Zurich, où les Italiens qui n’étaient pas venus jusqu’à Constance le reçurent pour seigneur. Après quelques jours il parvint ensuite à Bâle. 8. Comment Conrad établit un évêque à Bâle La cité de Bâle est située à la limite de trois royaumes, à savoir la Bourgogne, la Souabe, et la Francie12, bien que la cité appartienne à la Bourgogne. Le roi trouva cette cité privée d’évêque, son protecteur Adelbert13 ayant quitté ce monde trois mois avant son arrivée. L’hérésie simoniaque y était apparue subitement pour s’évanouir tout aussitôt. En effet le roi et la reine avaient reçu d’un clerc, connu 12 Si Bâle était de fait aux confins du royaume de Bourgogne et du duché de Souabe, on ne voit pas à quelle Francie (la Franconie, la France, la Lotharingie ?) Wipo fait ici, erronément, allusion. 13 Adalbéron II, évêque de Bâle (999-1025).

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sous le nom d’Ulrich, qui fut alors fait évêque de ce lieu, une très forte somme d’argent. Par la suite le roi, poussé à la pénitence, s’obligea par un vœu à ne plus recevoir d’argent pour un évêché ou pour une abbaye, serment qu’il tint presque parfaitement. Mais son fils, Henri III, qui fut fait par la suite roi et auguste, accomplit le vœu paternel sans aucune faute, lui dont on dit que durant toute sa vie jusqu’à présent il ne reçut pas la moindre obole en échange de dignités ecclésiastiques. Quant au roi Conrad, après avoir tenu une assemblée royale à Bâle et avoir occupé méthodiquement le territoire de la Bourgogne contre la volonté de son roi, Rodolphe, il arriva en Saxe par le Rhin. Pourquoi j’évoque le roi Rodolphe ? Je vais vous l’exposer brièvement. Le roi Rodolphe14, âgé et administrant son royaume sans énergie, suscita de très grandes convoitises chez les princes de son royaume. Il invita l’empereur Henri II, fils de sa sœur, à venir dans son royaume, le désigna comme l’héritier du trône de Bourgogne et contraignit les princes à lui jurer fidélité. Pour faire valoir cette situation l’empereur Henri fit d’importantes dépenses sans cesse renouvelées. Mais à la mort d’Henri, le roi Rodolphe voulut annuler ses engagements. Or Conrad, en roi qui s’appliquait plus à accroître son royaume qu’à le diminuer, voulant récolter les fruits du travail de son prédécesseur, soumit Bâle afin de voir si le roi Rodolphe tiendrait ses promesses. Par la suite la reine Gisèle, fille de la sœur de ce roi Rodolphe, réconcilia les deux hommes. 9. Boleslas, duc des Slaves Cette même année Boleslas, duc des Polonais15, s’attacha les insignes et le nom royal au préjudice du roi Conrad. La mort réduisit bientôt à néant sa témérité. Mais son fils, Mieszko, tout aussi indocile, chassa son frère Otton en Russie, parce qu’il soutenait le roi16. Je dirai en temps voulu comment le roi Conrad réprima par la suite l’effronterie de ce même Mieszko et la perfidie d’Ulrich, duc de Bohême.

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Rodolphe III, roi de Bourgogne (993-1032). Prétendirent à sa succession l’empereur Henri II, fils de soeur Gisèle ; l’empereur Conrad II, à la fois comme successeur d’Henri II et comme petit-fils de sa sœur Gerberge ; Eudes II de Blois, fils de sa sœur Berthe. 15 Boleslas Ier Chrobry, roi de Pologne, mort en 1025. 16 Mieszko II, roi de Pologne (1025-1034).

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10. L’inimitié entre le roi et le duc Ernest A la même époque, sur les conseils du diable, ennemi de la paix, le duc de Souabe Ernest, le duc de Franconie Conon, le duc de Haute-Lotharingie Frédéric, avec un très grand nombre d’autres princes, complotèrent contre le roi et, malgré les méfaits qu’ils avaient ourdis et les remparts qu’ils avaient préparés, ils n’obtinrent rien si ce n’est leur ruine proche. Le roi Conrad faisant peu de cas de ceux-ci décida d’aller en Italie avec ses troupes. Mais le duc Ernest suivit cette route avec humilité jusqu’à Augsbourg et ne rentra qu’à grand-peine dans les grâces du roi réticent, par l’intercession de sa mère la reine, de son frère Henri encore tout jeune homme et de bien d’autres princes. 11. L’expédition militaire du roi en Italie La 1026e année de l’incarnation du Christ, le roi Conrad sur le conseil et à la demande des princes du royaume désigna son fils Henri, qui n’était encore qu’un enfant, comme son successeur au trône, le confiant en tutelle à Bruno évêque d’Augsbourg. Il chargea son fils et d’autres fidèles d’occuper ses ennemis dont j’ai parlé et se mit en route pour l’Italie avec une armée nombreuse. Durant cette expédition, le duc de Souabe Ernest, dont j’ai déjà parlé, servant passablement le roi, reçut de lui l’abbaye de Kempten en bénéfice, bien que ce fut contraire au droit divin et au droit des hommes de donner une abbaye libre si ce n’est par pure générosité, et fut renvoyé avec les honneurs pour protéger la patrie. 12. Comment le roi humilia les habitants de Pavie Le roi s’avança en Italie par Vérone, entre Milan et Pavie, et arriva à Verceil où il fêta la sainte Pâques. Durant ces jours de Pâques, Léon, évêque de cette cité, homme d’une très grande sagesse, quitta le monde en paix. Harderic, chanoine de Milan, lui succéda17. Le roi Conrad soumit presque toute la plaine d’Italie à son autorité. Il ne put prendre rapidement la ville de Pavie qui était fortement peuplée et refusa de faire rentrer en grâce les Pavésans parce qu’ils refusaient encore de reconstruire, à sa place originelle, le palais qu’ils avaient détruit. Il commença cependant à attaquer

17 Léon, évêque de Verceil (999-1026). Hardéric, son successeur, fut évêque de 1027 à 1044.

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d’une manière remarquable leurs défenseurs, les marquis Adalbert et Guillaume et les autres princes, sur leurs propres territoires, ravagea leur place forte nommée Orba et anéantit plusieurs autres châteaux et fortifications pourtant fort solides. A cette époque l’Italie connut un grand malheur en raison du conflit mené par les habitants de Pavie : un grand nombre d’églises tout autour furent incendiées en même temps que les châteaux ; les personnes qui y avaient trouvé refuge périrent par le feu et le fer, les champs furent dévastés, les vignes coupées. Le roi prohiba les allées et venues, interrompit la navigation, interdit le commerce et mortifia ainsi pendant deux ans tous les habitants de Pavie jusqu’à ce qu’ils aient fait sans délai tout ce qu’il exigeait. 13. La révolte de Ravenne A la même époque le roi entra dans Ravenne et y exerça son pouvoir. Un jour les malheureux habitants de Ravenne entrèrent en conflit avec l’armée du roi et, confiants en leur nombre, s’efforcèrent de chasser l’armée de la ville. Grâce à l’étroitesse de la porte, ils empêchaient ceux qui étaient à l’extérieur de venir en aide à ceux qui étaient à l’intérieur. L’émotion ayant éclaté, le conflit commença à prendre de l’ampleur de toutes parts. Certains attaquaient leurs hôtes chez eux, d’autres combattaient dans la rue, d’autres encore bloquaient les portes. Beaucoup depuis les murs, beaucoup depuis les hauts tours engagèrent un lâche combat avec des rochers et des pieux. En face les Allemands s’opposant par les armes et l’intelligence tactique, s’étant mis en rang, encerclaient par devant et par derrière les habitants de Ravenne. Se frayant un chemin à coups furieux d’épées, ils laissèrent soit morts, soit blessés ou en déroute ceux qu’ils avaient encerclés. Un comte du nom d’Eppo, le meilleur chevalier de Bavière, sortant de la cité l’étendard à la main, vainquit ceux qui se tenaient sur le pont, et à lui seul en précipita la majorité, qui trouvèrent la mort dans l’eau. Quand le roi Conrad, qui était dans sa chambre, apprit la révolte, il saisit ses armes, réclama son cheval et sortit du palais. Voyant les habitants de Ravenne, vaincus au combat, fuir vers les églises et rechercher de toute part des abris, il les prit en pitié, puisque les deux côtés étaient à lui. Il demanda à son armée de cesser la persécution contre les citoyens et se retira lui-même dans son palais. Le matin venu, les habitants de Ravenne qui avaient échappé au massacre vinrent devant le roi, en cilice, pieds nus et leurs armes dégainées comme leur loi l’exige des citoyens vaincus, 229

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et satisfirent à toutes ses exigences. Le roi Conrad fit preuve à cette occasion comme à son habitude d’une grande générosité envers un chevalier allemand blessé : celui ci avait eu, durant la bataille le pied et une grande partie de la jambe au dessus de la cheville totalement coupés, le roi exigea alors que l’on apporte ses guêtres de cuir, qu’on les remplisse de présents et qu’on les pose sur le lit du chevalier blessé, juste à côté de lui. 14. Le roi se retire dans les montagnes à cause de la chaleur. A cette époque une très forte chaleur accabla l’Italie, à tel point que les animaux et un très grand nombre d’hommes furent en danger. Le roi Conrad, lui, ne le cédant à personne, si ce n’est à Dieu seul et aux chaleurs estivales, se retira dans les montagnes au delà de l’Adige, en raison de la présence de lieux ombragés et de la douceur de l’air. Reçu par l’archevêque de Milan, il mena pendant plus de deux mois avec faste un train de vie royal. Il en redescendit à l’automne, traversant de nouveau la plaine italienne, tenant des conciles et des assemblées royales en des lieux qui lui étaient favorables, envoyant des rebelles en prison, pacifiant l’Italie. Voyageant ainsi, il parvint aux confins de l’Italie et de la Bourgogne. 15. La visite en Italie des ambassadeurs du roi Rodolphe au roi Conrad. Au début de l’année de la nativité du Christ 1027, le roi Conrad célébra la naissance du Seigneur dans la cité de Turin. C’est dans cette ville que vinrent les légats du roi Rodolphe pour assurer la présence de ce dernier à l’élection et la consécration impériales du roi Conrad. Le roi Conrad apprit cette nouvelle avec joie, et après avoir renvoyé les ambassadeurs avec des présents, traversant le Pô, il commença à se diriger vers Rome. Mais arrivant à Lucques il trouva une cité hostile menée par le marquis Reginher. Le roi y fut un peu retardé mais après quelques jours il avait reçu la soumission de la ville et du marquis et imposa rapidement son autorité à toute la Toscane. Ainsi c’est triomphant qu’il vint voir la citadelle romaine. 16. Le roi Conrad est fait empereur à Rome Donc le roi Conrad entra dans Rome l’année dont nous parlions auparavant, c’est à dire la 1027ème depuis la naissance du Sauveur,

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dixième indiction. Il fut reçu par le pape Jean18 et l’ensemble des Romains avec des honneurs prodigieux dignes de ceux d’un roi. Au jour saint de Pâques, qui était cette année-là le 26 mars, il fut élu empereur par les Romains, reçut du pape la bénédiction impériale et fut appelé du nom romain de César et Auguste. La reine Gisèle y reçut la consécration d’impératrice et le nom qui lui est attaché. Une fois tout cela fait, en présence de deux rois, le roi Rodolphe de Bourgogne et le roi des Anglais Knut19, après l’office divin, l’empereur entouré des deux rois fut conduit avec les honneurs à sa chambre. Durant ces mêmes jours de Pâques, un important conflit éclata entre Romains et Allemands pour une raison futile. Deux hommes se disputaient une peau de bœuf et quand ils commencèrent à se donner des coups de poing, toute l’armée de l’empereur se mit en branle et des cavaliers en armes et des fantassins arrivèrent des deux côtés. A cette occasion périt un jeune homme de chez nous, du nom de Béranger. Fils de Liutold, comte en Souabe ; ce jeune homme était d’une grande noblesse et plus belliqueux qu’il ne le fallait. Les Romains après avoir résisté longtemps, mais finalement vaincus, fuirent ; un grand nombre d’entre eux mourut. L’empereur ordonna de donner une sépulture à Béranger, juste à côté du tombeau de l’empereur Otton ; il avait en effet chéri ce jeune homme qui était de sa maison. Le lendemain, les Romains qui avaient provoqué la révolte défilèrent devant l’empereur, pieds nus, les hommes libres l’épée dégainée, les esclaves avec des colliers d’osier autour du cou comme pour la pendaison. Comme l’ordonna l’empereur, ils firent amende honorable. 17. La visite de l’empereur dans les Pouilles Une fois la paix entre Romains et Allemands faite, le roi s’avançant dans les Pouilles soumit à son autorité Bénévent et Capoue et les autres cités de cette région, soit par la force, soit après une reddition spontanée. Il permit aux Normands qui avaient quitté leur patrie pour affluer dans les Pouilles, poussés par je ne sais quel besoin impérieux, de s’y installer et les associa à ses chefs pour défendre les frontières du royaume contre les ruses des Grecs. Tandis que tout se passait favorablement et avec félicité pour lui, l’em-

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Jean XIX (1024-1032) Cnut le Grand, roi d’Angleterre, du Danemark et de Norvège (1014-1035).

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pereur rebroussa chemin et sans passer par Rome traversa de nouveau l’Italie. 18. Le tyran Thasselgard En ces temps il y avait en Italie un tyran, appelé Thasselgard. A l’époque de l’empereur Henri il avait commis un grand nombre de crimes dans le royaume, mais avait échappé à la poursuite de l’empereur Henri grâce à des lieux isolés sur la côte et à d’autres fortifications bien plus sûres que beaucoup d’autres. Il était en effet noble par sa naissance mais méprisable quant à sa personne, indigne au regard de ses mœurs, grand prédateur des églises et des veuves. C’est pourquoi l’empereur Conrad le poursuivait sans relâche et lui tendait des pièges de toutes sortes devant lui et dans son dos. Un jour, voulant fuir d’un de ses châteaux pour un autre, Thasselgard fut fait prisonnier par des chevaliers du roi. À l’annonce de cette nouvelle, l’empereur se hâta avec la plus grande impatience au point de parcourir en un jour et une nuit presque une centaine de mille latins. Il pensait en effet que suivant son habitude Thasselgard s’échapperait à nouveau. Mais tandis qu’il était en route, on lui présenta le tyran. Lorsqu’il le vit, on rapporte que l’empereur aurait dit : « Est-ce donc là le lion qui dévore les bêtes italiennes ? Par la sainte croix du Seigneur, un tel lion ne se repaîtra pas davantage de mon pain ! » Après avoir dit cela il ordonna à tous les princes présents lors de la sentence de l’attacher à la fourche patibulaire. De cette exécution se répandirent aussitôt à travers toute cette province la paix et la sécurité, longtemps restées inconnues. 19. La conjuration de quelques Allemands L’empereur retenu en Italie, une grande jalousie, de grands projets et de grandes intrigues avaient vainement éclaté contre lui chez les Allemands. Je commencerai par les plus humbles pour finir par les plus notables : Un comte nommé Welf chez les Souabes, riche de biens et puissant grâce à ses hommes d’armes, et l’évêque d’Augsbourg Bruno. Se battant l’un contre l’autre, ils provoquèrent de grands maux dans le royaume, notamment des pillages et des incendies. Enfin le comte, envahissant Augsbourg, dépouilla le trésor de l’évêque et détruisit toute la cité. Par la suite, contraint par l’empereur, il restitua tout et s’amenda auprès de l’évêque. Le duc Conon de Worms, cousin germain de l’empereur, qui n’était ni un fidèle, ni un farouche opposant, restait alors tranquille. Frédéric duc de Haute-Lotharingie, beau-père de ce même Conon, alla au devant 232

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de sa propre mort en s’aliénant l’empereur. Ernest, duc de Souabe, beau-fils de l’empereur qui l’avait récemment élevé à des bénéfices et à des charges, prit ses distances et de nouveau, à l’instigation du diable, prépara une rébellion. Sur les conseils de certains de ses soldats il dévasta l’Alsace et ravagea les châteaux du comte Hugues, un parent du roi. Ensuite, après avoir rassemblé une armée pléthorique de jeunes gens, il envahit la Bourgogne et au delà du camp de Soleure, il entreprit de fortifier par un mur et un fossé une île. Mais le roi de Bourgogne Rodolphe craignit de recevoir un ennemi de l’empereur et le détourna de son entreprise. De là il revint au delà de Zurich, fortifia un camp et, en dévastant l’abbaye de la Reichenau et celle de Saint-Gall, il causa à la patrie un dommage non négligeable. Il persévéra dans ses entreprises iniques au mépris de la loi et de la justice jusqu’au retour de l’empereur. 20. La nouvelle reddition du duc Ernest Après avoir assuré la paix dans toute l’Italie, l’empereur Conrad parvint en Souabe après un voyage sans encombre et lors d’une entrevue confidentielle avec ses fidèles à Augsbourg, il commença à aborder le cas des traîtres à la patrie. Arrivant à la place forte qu’on appelle Ulm, il y tint une assemblée convoquée publiquement. Le duc Ernest n’y alla pas avec une intention suppliante mais confiant dans le nombre de ses soldats, qu’il estimait être les meilleurs. Il désirait ou faire la paix avec l’empereur à ses propres conditions, ou repartir par la force. Après avoir tenu une assemblée avec ses hommes, il leur rappela d’abord la loyauté qu’ils lui avaient promise par serment, puis les exhorta à ne pas l’abandonner, à ne pas perdre leur honneur. Il ne siérait pas qu’ils oublient que dans l’histoire leurs ancêtres les Souabes avaient toujours donné à leurs seigneurs le témoignage de la bonne foi et de la stabilité. S’ils lui restaient fidèles, ce serait des récompenses pour eux, la gloire et l’honneur pour leurs héritiers. A ces mots les comtes Frédéric et Anselme répondirent de cette manière : « Nous ne nierons pas vous avoir juré une fidélité indéfectible contre tous, sauf contre celui qui nous donna à vous. Si nous étions les serfs de notre roi et empereur, remis par lui à votre bon droit, il ne nous serait pas permis de nous séparer de vous. Mais puisque nous sommes des hommes libres et que nous tenons notre roi et empereur comme le défenseur suprême de notre liberté sur terre, si nous l’abandonnions nous perdrions la liberté qu’aucun homme de bien, comme l’a dit quelqu’un, ne perd 233

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si ce n’est avec la vie. Puisqu’il en est ainsi, nous vous obéirons en tout ce que vous exigerez de juste et d’honnête. Mais si ce que vous demandez va à l’encontre de ces principes, nous nous en retournerons dignement ; et c’est à cette condition que nous sommes venus à vous ». Après avoir entendu ce discours, le duc, ayant compris qu’il était abandonné par les siens, se rendit à l’empereur, qui le fit exiler en Saxe sur le rocher qu’on appelle Giebichenstein, afin que détenu en ce lieu il abandonne tout projet de rébellion à l’avenir. 21. La visite du roi de Bourgogne à l’empereur à Bâle L’empereur, traversant la Souabe, reçut la soumission de tous ceux qui s’étaient rebellés contre lui et rasa leurs fortifications. Etant arrivé à Bâle, il parla avec le roi de Bourgogne Rodolphe, qui était venu à sa rencontre hors de la ville, dans un village voisin appelé Muttenz, et après avoir tenu un entretien privé, l’empereur accompagna le roi dans la ville. Une fois la paix entre eux deux confirmée par l’intermédiaire de l’impératrice Gisèle et le royaume de Bourgogne livré à l’empereur par ce même accord, comme cela avait déjà été le cas sous l’empereur Henri, son prédécesseur, le roi, comblé de présents, s’en retourna de nouveau vers la Bourgogne. Quant à l’empereur, descendant le Rhin, il arriva en Franconie où il reçut la soumission du duc Conon son cousin germain, qui s’était dans un premier temps rebellé. Il le retint peu de temps dans des prisons libres, et après avoir détruit celles de ses fortifications qu’il jugeait les meilleures, il le reçut en grâce et lui rendit tous ses honneurs. Peu après, Adelbert, duc de Carinthie, convaincu du crime de lèse-majesté, fut exilé avec ses fils par l’empereur. Conon dont on vient de parler reçut son duché, duché dont on rapporte qu’il avait déjà été tenu par le père de ce même Conon naguère. Ainsi le duc Conon resta fidèle à l’empereur et à son fils Henri et les servit bien aussi longtemps qu’il vécut. 22. L’ambassade de l’évêque de Strasbourg A la même époque, Werner évêque de la cité de Strasbourg fut envoyé comme légat par l’empereur à Constantinople. Tandis qu’il feignait de gagner Jérusalem pour prier, il en fut empêché comme par miracle, d’après nous par le jugement du Seigneur que personne ne peut tromper. En effet, tandis qu’il emmenait avec lui une grande suite de gens, plus grande encore d’animaux, de chevaux, de bœufs, de moutons, de porcs et beaucoup de douceurs du monde, étant arrivé en Hon234

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grie, le roi Etienne20 l’empêcha de passer, ce qui à cette époque n’arrivait à aucun pèlerin. Il revint donc par la Bavière avec toute sa suite, entra en Italie, puis après avoir été retardé sur le territoire de Vérone, il gagna enfin, avec beaucoup de difficultés, la mer Adriatique par Venise et suite à un voyage des plus pénibles il arriva à Constantinople. Comme il était reçu par l’empereur des Grecs avec honneur, et qu’il se comportait avec lui assez intimement, le désir lui vint d’arriver à Jérusalem avec l’aide de l’empereur, désir qu’il ne put jamais assouvir, des événements venant toujours s’interposer. Cependant il mourut peu de temps après et fut enseveli dans cette même ville. Le chanoine Guillaume de Strasbourg reçut son évêché. Cependant l’empereur des Grecs répondit en lettre d’or à l’empereur Conrad quant au motif de l’ambassade. 23. Le sacre royal d’Henri par son père l’empereur En l’année 1028, l’empereur Conrad fit élever son fils Henri, enfant de onze ans, d’une grande intelligence et d’un naturel agréable, au trône royal par l’archevêque Pilgrim au palais d’Aix, ce que les princes et tout le peuple en foule approuvèrent. Il fut alors consacré et couronné le premier dimanche pascal, ce qui tripla l’allégresse de Pâques. En effet alors que les années précédentes le monde n’honorait que deux couronnes, celles de son père et de sa mère, une troisième s’y était maintenant ajoutée. L’espoir de la paix augmenta, que le roi établit avec l’empereur, d’autant que lorsqu’il fut couronné son âge pouvait laisser présager une longue vie. Ensuite parcourant les différents royaumes, l’empereur par lui même, le roi sous la tutelle et à travers l’action de l’évêque d’Augsbourg Bruno, domptaient tous les rebelles et garantissaient partout les traités de paix. 24. La mort de l’évêque d’Augsbourg L’année suivante, l’empereur célébra Pâques [6 avril 1029] en Bavière à Ratisbonne. L’évêque Bruno mourut alors. L’impératrice et son fils le roi Henri escortèrent le corps jusqu’à son siège d’Augsbourg et ils le firent ensevelir avec les honneurs. L’évêque Bruno était en effet un homme fort noble : il était le frère de l’empereur Henri II et petit-neveu de l’impératrice Gisèle. La sœur de ce même

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Etienne, roi de Hongrie (1001-1038).

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évêque, promise à Étienne, roi des Hongrois, fut la première source de christianisation chez les Hongrois21. Eberhard reçut l’évêché d’Augsbourg22. 25. Comment le duc Ernest reçut le duché et aussitôt le perdit. En l’an 1030, l’empereur Conrad célébra Pâques à Ingelheim. Ernest, duc de Souabe, dont nous avons déjà parlé, fut libéré de sa prison et récupéra le duché à la condition qu’avec tous ses hommes il poursuive comme un ennemi de l’État son chevalier Wezelo, qui avait perturbé le royaume par de nombreuses intrigues ; il s’y était engagé par serment. Comme le duc ne voulut pas le faire, il fut déclaré ennemi public de l’empereur et ayant perdu entièrement son duché il se retira avec quelques rares fidèles. L’empereur donna le duché de Souabe à Hermann23, le jeune frère de ce même Ernest, et confia celui-ci à l’évêque de Constance Warmann24. Et, sur un avis partagé par tous les princes du royaume, il fit excommunier par les évêques Ernest et tous ceux qui s’étaient opposés à la justice et à la paix, et ordonna la confiscation de leurs biens. L’impératrice Gisèle elle-même (c’est triste à dire, mais ce fut un acte admirable), faisant passer son sage mari avant son fils irréfléchi, donna à tous l’assurance que quoi qu’il arrive à son fils, aucune vengeance ni aucun acte malveillant ne seraient exercés en retour. 26. L’empereur marche avec son armée contre les Hongrois A la même époque, de grandes discordes eurent lieu entre Hongrois et Bavarois par la faute de ces derniers, à tel point que le roi des Hongrois Étienne fit de nombreuses incursions et de nombreux vols dans le royaume des Noriques, c’est-à-dire des Bavarois. L’empereur Conrad se mit en mouvement et marcha avec une grande armée contre les Hongrois. Le roi Étienne n’étant absolument pas de taille à lutter avec l’empereur demanda la protection du seul Seigneur, en faisant dire des prières et en ordonnant des jeûnes dans tout son royaume. L’empereur ne put pénétrer dans un royaume si bien protégé par des fleuves et des forêts et s’en retourna, non sans 21 Gisèle, fille d’Henri II de Bavière et de Gisèle de Bourgogne, née vers 985, morte vers 1060. 22 Eberhard, évêque d’Augsbourg (1029-1047). 23 Hermann, fils du mariage de la future impératrice Gisèle avec le duc de Souabe Ernest Ier, frère donc du duc Ernest II, né vers 1015, mourut en 1038. 24 Warmann, évêque de Constance (1026-1032).

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venger l’injustice qui lui avait été faite par de nombreux pillages et incendies aux frontières du royaume, dans l’intention en outre de revenir en des temps plus favorables achever ce qu’il avait commencé. Mais son fils le roi Henri, alors un tout jeune enfant confié à l’évêque de Freising Egilbert, reçut une ambassade du roi Étienne, demandant la paix. Sur le seul avis des princes du royaume, sans avertir son père, il lui accorda la grâce de la réconciliation : il agit ainsi avec justice et sagesse, lui qui reçut en amitié un roi injustement outragé et qui en outre demandait grâce. 27. Le duc Ernest demande de l’aide au comte Eudes Tandis que cela avait lieu, le duc Ernest dont on a déjà parlé, privé de sa dignité, réfléchissant beaucoup et ourdissant beaucoup de projets ayant pour but de résister à l’empereur, s’épuisa en vains efforts. Accompagné de son chevalier Wezelo et d’un petit nombre d’autres fidèles, il alla en France25 chez son parent le comte Eudes. En effet la mère d’Eudes et la mère de l’impératrice Gisèle étaient sœurs. Tandis qu’Ernest lui demandait aide et conseil, soit parce qu’il ne voulait pas, soit parce qu’il n’osait pas, Eudes ne lui donna aucune aide contre l’empereur. 28. La mort du duc Ernest Dès lors le duc Ernest, ayant de nouveau rebroussé chemin, revint en Souabe, et là dans un désert appelé la Forêt Noire, s’étant adapté à ces lieux fort sûrs, il y vécut quelque temps grâce au fruit de misérables rapines. Enfin, tandis qu’il était pressé de toute part par les vassaux de l’empereur, certains de ceux-ci prirent en embuscade dans les pâturages les chevaux que le duc et tous ses hommes tenaient pour les meilleurs. Le duc ayant perdu les chevaux qu’il tenait pour fiables, n’ayant plus rien de précieux dans cette situation délicate, hésitait sur la marche à suivre. Ayant rassemblé tout ce qu’il put trouver de chevaux, il sortit de la forêt avec tous ceux qu’il avait encore à ses côtés, se demandant en lui-même s’il ne valait pas mieux mourir honorablement que vivre honteusement. Et comme ils arrivaient au défilé des forêts vers cette région de la Souabe qu’on appelle Baar, ils virent que le camp que leurs ennemis avaient occupé la nuit précédente était désert. Ils comprirent aussitôt qu’on leur tendait une embuscade. En effet Manegold, chevalier de l’empereur

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Wipo utilise l’expression « Francie latine » pour désigner la France.

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qui tenait un grand bénéfice de l’abbaye de la Reichenau, y avait été posté en garnison par l’empereur et l’évêque de Constance Warmann, qui gouvernait alors à la place du duc de Souabe, afin que le duc Ernest ne commette ni rapines ni incendies dans cette région. Aussitôt le duc Ernest et ses compagnons débordèrent d’une joie excessive, estimant qu’ils pourraient rapidement venger les injustices dont ils avaient été victimes sur leurs ennemis, et se jetant sur le chemin, ils commencèrent à poursuivre leurs poursuivants. Avec la même volonté, le comte Manegold et ses compagnons, avançant ça et là, observaient avec attention les allées et venues du duc. A cette occasion ils furent de part et d’autre à ce point proches qu’ils pouvaient se voir et se parler l’un l’autre. Cependant il y avait bien plus de chevaliers du côté de Manegold que du côté du duc. Sans attendre, tous s’élancèrent violemment au combat. Du côté du duc on était animé par la colère, l’orgueil, et la hardiesse, de l’autre côté on était conduit par la gloire et par la récompense. Les compagnons du duc, comme ils ne faisaient guère attention à leur vie, se hâtaient tous vers leur mort. Le duc, n’épargnant personne, ne trouva personne pour l’épargner dans ce combat, et blessé à de multiples reprises il finit par tomber mort. Là tombèrent le comte Wezelo, chevalier du duc, qui était la cause de tout ce qui se passait, Aldalbert et Werin, de nobles hommes et beaucoup d’autres encore y trouvèrent la mort. De l’autre côté, le comte Manegold lui-même, auteur de ce combat, mourut et plusieurs autres avec lui. Le corps du duc Ernest transporté à Constance reçut d’abord l’indulgence du pouvoir épiscopal pour l’excommunication et fut enterré dans l’église Sainte-Marie. Le corps de Manegold fut enterré à Augsbourg. Ce combat si déplorable se déroula le 18 août. On rapporte que l’empereur aurait dit à l’annonce de cette nouvelle : « Les chiens enragés accroissent rarement leur descendance » 29. Le roi de Bourgogne Rodolphe meurt et Eudes envahit son royaume En l’année du Seigneur 1031, le roi de Bourgogne Rodolphe, oncle de l’impératrice Gisèle, mourut en paix. Le comte franc Eudes, fils de sa sœur, envahit son royaume et prit des châteaux bien fortifiés ou des villes, soit par la ruse, soit par la guerre. Il n’osa pas se faire roi, pas plus qu’il ne voulut abandonner le royaume. On rapporte qu’il disait souvent qu’il ne deviendrait jamais roi, mais qu’il 238

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voulait toujours être le maître du roi. Il arracha de cette manière une grande partie de la Bourgogne, bien que ce royaume eût été garanti après sa mort depuis longtemps déjà à l’empereur Conrad et à son fils Henri, sur serment, par le roi Rodolphe. Pendant qu’Eudes menait ces agissements en Bourgogne, l’empereur Conrad était chez les Slaves avec son armée. Je dirai plus tard ce qui s’y passa ou comment par la suite il chassa Eudes hors de Bourgogne. Le duc de Pologne Boleslas, dont nous avons déjà parlé, laissa à sa mort deux fils, Mieszko et Otto. Mieszko poursuivit son frère et le chassa en Russie. Après un temps d’exil, Otton commença à demander la grâce de l’empereur Conrad, afin d’être rendu à sa patrie grâce à son intervention et à son aide. Comme l’empereur était décidé à agir, il décida d’attaquer lui-même Mieszko à la tête de ses troupes d’un côté, tandis que son frère Otton l’attaquerait de l’autre côté. Mieszko ne pouvant soutenir cet assaut, fuit en Bohême chez le comte Ulrich, avec lequel l’empereur à cette époque était fâché. Mais Ulrich, afin d’être agréable à l’empereur, voulut lui livrer Mieszko, accord honteux que Conrad refusa en disant qu’il ne voulait pas acheter un ennemi à un ennemi. Otton, restitué à sa patrie et fait duc par l’empereur, agit bientôt avec moins de sagesse et fut assassiné en cachette par un de ses proches. Mieszko chercha alors par tous les moyens à gagner la grâce de l’impératrice Gisèle et des autres princes pour rentrer en grâce auprès de l’empereur. L’empereur, pris de compassion, lui pardonna, et après avoir divisé la province des Polonais en trois il nomma Mieszko tétrarque, confiant les deux parts restantes à deux autres personnes. Ainsi le pouvoir ayant été réduit, la témérité le fut aussi. A la mort de Mieszko, son fils Casimir servit le trône fidèlement jusqu’à l’époque de nos empereurs26. 30. Le voyage de l’empereur et de son fils Henri en Bourgogne En l’an 1032, l’empereur célébra la naissance du Seigneur avec son fils dans la cité de Strasbourg. Puis ayant réuni une armée, il entra en Bourgogne par Soleure, et arrivant au monastère de Payerne pour la purification de sainte Marie [2 février], il fut élu par les grands et les humbles du royaume pour régner sur la Bourgogne et fut couronné roi le jour même. Ensuite, il fit le siège de quelques châteaux qu’Eudes avait envahis. Néanmoins l’extrême rigueur de

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Casimir Ier, mort en 1058.

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l’hiver qui sévissait alors l’entrava fortement. Sur ce froid extrême, l’un d’entre nous fit une centaine de vers, qu’il présenta à l’empereur, dans lesquels sont rapportées tant de choses étonnantes, par exemple que des chevaux dans un château dans les environs de Murat, s’ils fichaient leurs sabots en terre au long de la journée occupés à quelque chose, la nuit étaient fixés au sol par le gel au point qu’on ne pouvait les dégager de la terre gelée autour de leurs sabots qu’à l’aide de haches et de pieux. Un homme qui n’obtenait pas d’aide tua son propre cheval qui était ainsi prisonnier et enleva le cuir de la cuisse, abandonnant le reste fiché dans la terre gelée. Les hommes également étaient fortement atteints par ce froid. Jeunes et vieux présentaient un seul et même visage, tous étaient de jour comme de nuit vieux et barbus en raison de l’horrible frimas de la glace, bien que beaucoup fussent jeunes et imberbes, et pourtant, ce fut à peine la cause pour laquelle l’empereur abandonna les combats. Ayant rebroussé chemin, il arriva au château de Zurich. Là vinrent à sa rencontre, passant par l’Italie, un grand nombre de Bourguignons (la reine de Bourgogne était désormais veuve), le comte Hupert et d’autres. A cause des manœuvres d’Eudes ils n’avaient pu venir voir l’empereur en Bourgogne. Après avoir juré fidélité à l’empereur et à son fils Henri par serment, ils furent faits ses hommes et s’en retournèrent magnifiquement couverts de présents. 31. L’empereur marche contre Eudes avec son armée L’été de cette même année, l’empereur marcha contre le comte Eudes avec son armée en France27, disant que si Eudes cherchait injustement à s’approprier des biens qui ne lui appartenaient pas en Bourgogne, plût à Dieu qu’il perde quelque chose de son bien propre. Alors, l’empereur fit de tels ravages, et alluma de tels incendies sur les propriétés et les bénéfices d’Eudes, situés sur le royaume d’Henri roi des Francs, qu’Eudes, acculé par la nécessité, vint humblement demander grâce, promettant d’abandonner la Bourgogne et de satisfaire l’empereur selon ses ordres. C’est ainsi que s’en retourna l’empereur, en ayant maintenu son honneur et porté dommage à Eudes.

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C’est ici l’expression « Gaules des Francs » que Wipo utilise pour désigner la France.

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32. L’empereur chasse Eudes de Bourgogne. En l’an du Seigneur 1034, l’empereur célébra la Sainte Pâques [14 avril] en Bavière à Ratisbonne. L’été, alors qu’Eudes ne tenait pas ses engagements mais conservait encore une partie de la Bourgogne qu’il avait injustement envahie, l’empereur Conrad ayant rassemblé des Allemands et des Italiens attaqua énergiquement la Bourgogne. Les Allemands d’un côté, de l’autre l’archevêque Héribert de Milan et les autres Italiens sous la conduite du comte de Bourgogne Hupert, convergèrent jusqu’au Rhône. Arrivé à Genève l’empereur soumit Gerold, le prince de cette région et archevêque de Lyon, ainsi que bien d’autres princes, puis il prit d’assaut le château de Murat, qu’Eudes avait renforcé par de très bons chevaliers, retenant captifs tous ceux qu’il trouva à l’intérieur. Apprenant cette nouvelle, ceux qui continuaient à soutenir Eudes prirent la fuite par la seule crainte de l’empereur. Celui-ci les poursuivit et les chassa complètement de Bourgogne, puis après avoir reçu de nombreux otages de la part des grands de Bourgogne, s’en retourna vers l’impératrice par l’Alsace. En effet, pendant qu’il était en Bourgogne, l’impératrice le suivit jusqu’à Bâle, d’où elle gagna Strasbourg pour attendre le retour de son époux. A cette époque la fille de l’empereur Conrad et de l’impératrice Gisèle, Mathilde, jeune fille d’une remarquable beauté, promise au roi des Francs Henri, mourut à Worms, où on l’enterra. 33. Le roi Henri soumet les Slaves. Pendant ce temps, alors que l’empereur faisait en Bourgogne ce qui vient d’être dit, son fils, le roi Henri, bien que dans ses jeunes années, s’occupait activement de l’État en Bohême et dans d’autres régions occupées par les Slaves, où il soumit avec diligence Ulrich, duc de Bohême, et bien d’autres qui s’opposaient à l’empereur. Allant à la rencontre de son père qui revenait, il causa au peuple une double joie par cette double victoire. Ensuite, ayant rassemblé des troupes, l’empereur marcha depuis la Saxe contre ceux qu’on appelle les Liutices, autrefois à moitié chrétiens, aujourd’hui tout à fait païens suite au mal de l’apostasie. Il y résolut de manière admirable un conflit qu’on ne parvenait pas à apaiser. En effet, à cette époque, Saxons et païens se heurtaient et se disputaient violemment. Lorsque l’empereur arriva il entreprit de trouver quel parti avait rompu une paix longtemps respectée par les deux camps. Les païens disaient que les Saxons avait rompu la paix à l’origine et qu’ils pouvaient le prouver par un duel s’il l’exigeait. De l’autre côté les 241

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Saxons, bien qu’ils luttassent injustement, s’engageaient pareillement devant l’empereur à livrer un combat singulier afin de réfuter les dires des païens. L’empereur après avoir consulté ses princes permit, par une décision irréfléchie, que l’affaire fût tranchée par un duel. Aussitôt deux champions, chacun choisi par son camp, combattirent. Le chrétien, confiant en sa seule foi, qui est morte sans les oeuvres de la justice, engagea le combat avec hardiesse mais sans observer comme il l’aurait dû que Dieu, qui est la vérité, qui fait lever son soleil sur les bons et les mauvais, qui fait pleuvoir sur les justes et les injustes, ordonne toute chose selon un juste jugement. Le païen, n’ayant devant les yeux que la conscience de la vérité pour laquelle il combattait, résistait avec énergie. Enfin le chrétien, blessé par le païen, tomba. Les païens en furent transportés d’orgueil et en arrivèrent à une telle audace qu’ils se seraient précipités à l’instant sur les chrétiens si l’empereur n’avait été là. Ce dernier, afin de contenir leurs incursions, fit construire le château de Werben, dans lequel il installa une garnison de soldats, et lia les princes de Saxe par serment et ordre impérial pour qu’ils résistent ensemble aux païens. Puis il revint en Franconie. L’année suivante cependant, les païens prirent ce même château par la ruse, et un grand nombre de nos hommes qui étaient à l’intérieur furent tués. Cela poussa l’empereur à faire de nouveau le voyage jusqu’à l’Elbe. Les païens en interdisant le passage, l’empereur envoya une partie de l’armée franchir en cachette le fleuve par un autre gué. L’ennemi ainsi mis en fuite, il pénétra lui-même dans la région par la rive dégagée. Il se livra à de grands ravages et de grands incendies partout, à l’exception des lieux inexpugnables, et les humilia tant qu’ils payèrent ensuite à l’empereur Conrad le cens imposé par les empereurs précédents, désormais augmenté. En fait, à ce moment comme auparavant, le peuple des Slaves mit en grande peine l’empereur. L’un d’entre nous en fit un inventaire qu’il mit en vers et qu’il présenta par la suite à l’empereur. On y lit comment l’empereur s’enfonçait dans les marais jusqu’aux cuisses, combattant en personne et exhortant ses chevaliers au combat et comment il massacrait avec une extrême violence les païens vaincus pour les punir de leur superstition impie. On rapporte en effet qu’à une certaine époque les païens, mus par une moquerie scélérate, conservaient une statue de notre Seigneur Jésus Christ en croix et lui crachaient dessus et la rouaient de coups de poing, enfin ils lui arrachaient les yeux et l’amputaient de ses pieds et de ses jambes. Pour venger une telle pratique, l’empereur, pour une seule 242

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statue du Christ ayant connu ce traitement, amputa de la même manière une gigantesque foule de captifs païens et les fit disparaître par différentes morts. Ainsi dans ces mêmes vers l’empereur est appelé le vengeur de la foi et comparé aux princes romains Titus et Vespasien qui, pour venger le Seigneur, avaient échangé trente juifs contre un seul denier, puisque les juifs avaient vendu le seigneur pour la même somme. Sur son retour, l’empereur rendit vain tout ce qu’il trouva d’obstacle au royaume. La même année, Adelbert duc de Carinthie, perdant la grâce de l’empereur, perdit son duché et fut envoyé en exil. 34. La conjuration des Italiens A cette époque également une grande confusion, inouïe pour nos temps modernes, naquit en Italie, à cause de l’alliance faite par le peuple contre les princes. En effet tous les vavasseurs d’Italie et le commun des chevaliers s’allièrent contre leurs seigneurs et tous les petits contre les grands, pour qu’on ne tolère pas que quelque action commise par leurs seigneurs contre leur volonté restât impunie. Ils affirmaient que si leur empereur ne voulait pas venir, ils se feraient justice eux-mêmes. On rapporte que l’empereur à cette nouvelle aurait dit : « Si l’Italie a une telle soif de lois, si Dieu le veut, je la rassasierai de lois ». S’étant préparé il entra en Italie avec ses troupes l’année suivante. Pendant ce temps, les princes italiens, conscients que d’une alliance mal contenue pouvait naître un danger, se rassemblèrent avec les gens de moindre importance, et s’efforcèrent dans un premier temps de détruire ce mal d’un nouveau genre par des suppliques et des réunions. Mais comme l’affaire n’avançait pas, ils tentèrent de l’emporter lors d’un combat. Dès le début des hostilités l’incroyable multitude des petits vainquit dès le premier assaut. L’évêque d’Asti mourut en une position honteuse lors de la bataille, les autres fuirent et, totalement désemparés, attendaient affligés l’arrivée de l’empereur. 35. Le mariage du roi Henri avec la fille du roi Knut En l’an du Seigneur 1036, le fils de l’empereur, le roi Henri, épousa la fille du roi des Anglais Knut, Cunelind28, qui fut consacrée reine lors de noces royales. La même année, d’après ce qu’on rap-

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Cunelinde ou Gunhild, première épouse d’Henri III.

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porte, l’empereur Conrad entra en Italie avec son fils le roi Henri et avec son armée. Il célébra la naissance du Seigneur à Vérone en l’an de l’incarnation du Seigneur 1037. Arrivant à Milan, il fut reçu avec faste dans l’église Saint-Ambroise par l’archevêque Héribert. Le même jour, on ignore qui en fut à l’initiative, un trouble d’une certaine gravité éclata chez le peuple de Milan qui demanda à l’empereur de bien vouloir appuyer leur alliance. L’empereur ordonna alors à tous de se réunir pour une assemblée générale dans la ville de Pavie. Cela fait, il rendit la justice à tous ceux qui le réclamaient. Lors de ce plaid, le comte Hugues et bien d’autres Italiens accusèrent l’archevêque de Milan de les avoir offensés pour de multiples raisons. L’empereur ordonna d’appeler l’archevêque pour qu’il donne réparation à tous. Comme l’archevêque refusait, l’empereur comprit que celui-ci était à l’origine de toute la révolte en Italie. Héribert bientôt enfermé, il le retint en son pouvoir et le confia à la garde de Poppon, patriarche d’Aquilée, et de Conon, duc de Carinthie29. Ces derniers le conduisirent accompagnés de l’empereur jusqu’à la ville de Plaisance. Une nuit un familier de l’archevêque prit sa place dans le lit où celui-ci avait l’habitude de s’étendre, et ayant tiré la couverture sur lui se cacha afin de tromper les gardes. Comme on lui avait amené un cheval, l’archevêque prit la fuite et à son arrivée à Milan il fut reçu par ses sujets avec une grande joie. Il ne laissa échapper par la suite aucune occasion de nuire à l’empereur. Celui-ci détruisit des châteaux tenus par des opposants et rendit inutiles des alliances qui n’avaient pas lieu d’être en reconduisant de justes lois. Un fois arrivé à Ravenne, il y célébra la Sainte Pâques [18 avril 1036]. La même année, trois évêques italiens, ceux de Verceil, Crémone et Plaisance, furent cités devant l’empereur qui les fit arrêter et exiler. Condamner ainsi sans jugement des ministres du Christ déplut à un grand nombre de gens. On nous a rapporté que notre très pieux roi Henri, fils de l’empereur, désapprouvait, mais en cachette seulement, par respect pour son père, la présomption dont l’empereur faisait preuve à l’égard de l’archevêque de Milan et des trois autres évêques. À juste titre, car de même qu’à celui qu’une sentence judiciaire a déposé aucun honneur ne doit être rendu, de même avant le jugement la plus grande déférence doit être témoignée aux prêtres. Cette même année le comte Eudes envahissant depuis la France certaines régions sises dans le royaume de l’empereur, fut tué lors de sa fuite,

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Conrad II, duc de Carinthie (1035-1039).

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après un combat avec le duc de Basse-Lotharingie Gozelon, son fils Godefrid, le comte Gérard et les vassaux de l’évêque de Metz. Son étendard, preuve de la mort de l’ennemi, fut apporté en Italie à l’empereur. Pendant ce temps, celui-ci faisait beaucoup de mal aux Milanais, et puisqu’il ne pouvait pas prendre la ville protégée par sa fortification antique et sa population nombreuse, il passa par le feu et le fer tout ce qui se trouvait autour. 36. Le miracle qui arriva le jour de la Pentecôte. A la même époque, tandis que l’empereur assiégeait le château de Saint-Ambroise qu’on appelle Corbetta, juste à côté de Milan, il s’y produisit ce que plusieurs prirent pour un miracle. Le dimanche saint de la Pentecôte [6 juin 1036] avant la troisième heure, des éclairs accompagnés d’un coup de tonnerre déchirèrent subitement le ciel calme avec une telle force qu’une grande partie des hommes et des chevaux périrent dans le château. Certains, face à une telle frayeur, perdirent à ce point la raison qu’ils avaient à peine retrouvé leurs sens quelques mois plus tard. Or ceux qui étaient à l’extérieur du château prétendirent à leur retour n’avoir rien vu ni entendu de tel. L’empereur donna alors l’archevêché de Milan au chanoine Ambroise de Milan, bien que cette donation dût fort peu lui profiter. En effet les citoyens Milanais mirent à bas tout ce que pouvait posséder Ambroise sur leur territoire et ils conservèrent son honneur à leur archevêque Héribert jusqu’à sa mort. Je poursuivrai avec la bonne grâce du roi Henri le récit de cette affaire plus en profondeur dans les « Gestes du roi », si Dieu le veut. A la même époque le pape vint à la rencontre de l’empereur à Crémone, il fut reçu et renvoyé avec honneur, et s’en retourna à Rome. L’empereur, après avoir dispersé son armée à travers la région, se retira dans des lieux montagneux chercher un peu de fraîcheur, car cet été la chaleur menaçait d’être suffocante. 37. La révolte de Parme L’hiver de cette année, après avoir rassemblé une armée, l’empereur traversa le Pô et arriva à Parme, où il célébra la naissance du Seigneur au début de l’année de l’incarnation du Seigneur 1038. Le jour même de la naissance du Seigneur, une grande discorde éclata entre les Allemands et les citoyens de la cité de Parme, et un homme de bien, le seigneur Conrad, qui apportait sa nourriture à l’empereur, mourut parmi d’autres. L’armée en fut révoltée et s’en prit aux citoyens par le fer et par le feu. Après l’incendie, l’empereur ordonna de détruire une grande partie des murs, pour que cette ruine montre 245

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aux autres cités que la témérité des Parmesans ne resterait pas impunie. Ensuite l’empereur traversant les Apennins se dirigeait vers les Pouilles, tandis que l’impératrice venue à Rome en pèlerinage s’en retournait vers son mari. Ce dernier parvenu aux frontières de son royaume affermit Troia, Bénévent, Capoue et d’autres cités des Pouilles en leur apportant la loi et la justice. Il apaisa par sa seule autorité les dissensions qui existaient entre les étrangers normands et les habitants du pays. Toutes les menaces qui pesaient sur le royaume ayant ainsi disparu, il retourna à Ravenne. Là il mit en place des sièges et des embuscades contre les Milanais, jusqu’à présent rebelles à son autorité, et ayant arrangé diverses choses selon sa volonté à travers le royaume, il décida de revenir voir sa patrie. A cette époque, en raison de la chaleur étouffante, une grave maladie contagieuse s’empara de l’armée, n’épargnant aucune classe d’âge ni aucune condition. C’est à cette occasion que mourut la reine Cunelinde, épouse du roi Henri, le 18 juillet, frappée par la mort alors qu’elle était au seuil de la vie. Elle ne laissait derrière elle qu’une fillette en bas âge qu’elle avait eue du roi. Son père, la fiançant au Christ, la fit plus tard consacrer abbesse. Le fils de l’impératrice, Hermann, duc de Souabe, jeune homme d’un bon naturel et actif dans les actions guerrières, atteint par la même maladie, mourut dans les mains des médecins les plus expérimentés le 28 juillet, ce qui fut une grande perte pour l’empire. Ce mois-ci et le suivant un grand nombre de chevaliers de l’armée périt en ayant contracté la maladie. Le corps frêle et délicat de la reine, embaumé avec des onguents, escorté par le roi et l’impératrice jusqu’en Allemagne, fut enseveli dans la prévôté de Limbourg. On avait décidé de conduire le duc dans la cité de Constance en Souabe, mais comme la forte chaleur empêchait de mener à bien ce projet, on l’ensevelit à Trente. 38. L’empereur transmet la Bourgogne au roi, son fils. Cette même année, Etienne roi des Hongrois mourut, laissant son royaume à Pierre, le fils de sa sœur30. L’empereur retourna en Bavière et à force de remèdes et de sagesse soigna son armée malade ; et comme il avait trouvé le royaume illuminé par la sérénité de la paix, il se rendit en Bourgogne à l’automne. Après avoir convoqué tous les princes du royaume, il tint une assemblée générale avec eux

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Pierre Orseolo, roi de Hongrie (1038-1041 et 1044-1046) .

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et permit à la Bourgogne de jouir de la loi dont elle avait perdu l’habitude et qu’elle avait presque oubliée. Après trois jours, au quatrième jour de l’assemblée générale, répondant aux souhaits et aux demandes des chefs du royaume et du peuple tout entier, l’empereur transmit le royaume de Bourgogne à son fils le roi Henri et fit de nouveau jurer fidélité à celui-ci. Les évêques et les autres princes le conduisant dans l’église Saint-Etienne, que l’on considère comme la chapelle du roi à Soleure, louaient Dieu en entonnant des chants et des cantiques divins ; le peuple acclamait et disait que la paix engendrerait la paix, si le roi régnait avec l’empereur. Celui-ci sur le chemin du retour, en descendant par Bâle, retourna voir la Franconie, la Saxe et la Frise en affermissant la paix, en faisant la loi. 39. La mort de l’empereur. En l’an de l’incarnation du Seigneur 1039, tandis que l’empereur Conrad confiait désormais les affaires du royaume à son fils le roi Henri et espérait, à juste titre, pouvoir lui confier l’empire, tandis qu’il voyait que presque tout dans le royaume se réglait selon ses désirs, il célébra le jour saint de la Pentecôte [3 juin 1039] à Utrecht, la cité frisonne. Il s’était avancé couronné aux côtés de son fils et de l’impératrice pour vénérer avec faste la très sainte fête solennelle, mais à table il fut saisi d’une légère douleur. Cependant pour ne pas gâcher l’allégresse régnant un tel jour, il dissimula sa douleur. Le jour suivant, une maladie mortelle l’ayant violemment saisi, il ordonna à l’heure du déjeuner à l’impératrice de sortir de la chambre avec leur fils le roi. L’empereur sentait sa fin proche. Mais de même qu’il fut sain dans sa vie, toujours constant et diligent dans ses actes, de même au seuil même de la mort sa foi ne connut aucun frein : après avoir appelé les évêques, il fit apporter le corps et le sang du Christ, ainsi que la sainte croix et les reliques des saints. Se redressant, avec des larmes très sincères lors d’une confession pure et d’une prière intense, il reçut fort dévotement la communion des saints et la rémission des péchés. Ayant fait ses adieux à l’impératrice et à son fils le roi Henri après leur avoir donné des conseils avisés, il mourut le lundi 4 juin, indiction 7. Les entrailles de l’empereur furent ensevelies à Utrecht et le roi gratifia le lieu de la sépulture de dons et de biens-fonds. Le reste du corps, enveloppé et protégé par l’impératrice et son fils le roi du mieux que possible, fut conduit jusqu’à Cologne puis transporté à travers tous les monastères de cette ville, de Mayence, de Worms et de tous ceux 247

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qui se trouvaient sur la route ; le peuple suivait le cortège et priait avec une grande ferveur et avec une grande miséricorde pour la rédemption de cette âme. On enterra l’empereur avec honneur dans la ville de Spire alors que cela faisait trente jours qu’il dormait du sommeil éternel, Spire qu’il avait lui-même, et son fils par la suite, fort embellie. D’après ce que nous avons vu ou entendu dire, aucune autre sépulture d’empereur n’avait suscité autant de lamentations, de prières, de sentiments de miséricorde, grâce supplémentaire de Dieu pour l’empereur Conrad. Comme nous l’avons appris de l’évêque Henri de Lausanne ainsi que des autres Bourguignons qui ont suivi l’empereur depuis sa mort jusqu’à son lieu de sépulture, le roi Henri, fils de l’empereur, porta le corps de son père sur ses épaules à toutes les entrées des églises et enfin jusqu’au lieu de sépulture avec une dévotion extraordinaire, non seulement devoir d’un fils mû par un amour complet envers son père mais aussi devoir d’un serviteur mû par une sainte crainte envers son maître. Tout cela, le roi s’en acquitta envers son père défunt avec la plus grande exactitude. Voilà ce que j’ai écrit brièvement sur les faits de l’empereur. Si j’ai omis entièrement quelque chose, croyez-moi, c’est que je n’en ai rien entendu dire. Si quelque acte est rapporté de manière plus concise que ne l’exigerait la grandeur de l’action, je prouverais en toute bonne foi que cela a été fait pour faciliter la lecture. A ce propos, l’un d’entre nous a fait un chant de lamentations, qu’il présenta par la suite à son fils le roi Henri à Constance. Il ne m’a pas paru incongru d’insérer ici ces lamentations puisqu’elles appartiennent au même sujet. 40. Vers pour la mort de l’empereur Conrad Que celui qui a une voix pure chante ce chant Au sujet de l’année déplorable et de cette perte ineffable A cause de laquelle à l’extérieur souffre tout homme et à l’intérieur. Le peuple soupire après son seigneur en veille et pendant le sommeil. Roi Dieu, protège les vivants et aie pitié des défunts ! En cette année mille trente neuf Depuis la naissance du Christ la noblesse chut largement. César, tête du monde, chut et avec lui plusieurs très grands. L’empereur Conrad succomba, lui qui aimait tant la loi. Roi Dieu, protège les vivants et aie pitié des défunts ! 248

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A cette même époque ce fut la chute de la gloire. Elle chut l’étoile du matin, la reine Cunelinde ! Hélas quelle année cruelle, il s’était écroulé Hermann Le fils de l’impératrice, duc craint des ennemis Ils churent Conon duc des Francs et une grande partie des seigneurs ! Roi Dieu, protège les vivants et aie pitié des défunts ! Que la gloire de l’empereur en notre mémoire demeure Que sur nos bouches à tout moment vive ce héros édifiant ! Qu’on renouvelle en le chantant ce pieux souverain, souvent ! Qu’une réputation brillante le fasse après la mort compagnon de la vie. Roi Dieu, protège les vivants et aie pitié des défunts ! Né du sang des rois, il l’emporta sur tous. Glorieux en sa personne, beau sous sa couronne Sceptre, royaume, empire ne convenaient mieux à personne. Il honora l’État, souffrit à cause de lui. Roi Dieu, protège les vivants et aie pitié des défunts ! Après avoir rempli la Franconie par l’abondance de la paix Il adoucit les Souabes et du royaume tous les autres tyrans : Aux Saxons et aux Bavarois, il imposa le frein de la loi. L’Italie estimable vit ses merveilles. Roi Dieu, garde les vivants et aie pitié des défunts ! Il soumit Rome du sommet jusqu’à la base. Les habitants de Ravenne ont reconnu à la guerre leurs maîtres. Les habitants de Vérone invaincus ont senti les épées de César. L’Hespérie se prosterna suppliant l’empereur. Roi Dieu, protège les vivants et aie pitié des défunts ! De retour en Souabe, il avait trouvé la tromperie Que César dissipa comme le vent la poussière. 249

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Ils périrent tous sans exception ceux qui furent des prédateurs Et les citoyens les plus éminents furent exaltés. Roi Dieu, protège les vivants et aie pitié des défunts ! Empereur qui ne fut jamais retardé, partout donna la paix, Il porta la guerre aux païens pour qu’ils cessent de nuire aux chrétiens. Aucun marais pour les défendre, point de salut par la mer Il contint les Slaves barbares et tous les méchants. Roi Dieu, protège les vivants et aie pitié des défunts !

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L’Histoire des evêques d’Eichstätt traduite par Benoît-Michel Tock

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Introduction

En 1078, un auteur anonyme décida d’écrire une histoire des évêques d’Eichstätt. A défaut de connaître son nom, on peut du moins décrire les grandes lignes de son parcours. Il a dû, comme enfant, être élevé (nutritus) à l’abbaye d’Herrieden, qu’il appelle sa patria. Mais c’est à Eichstätt qu’il fit carrière, comme chanoine du chapitre cathédral et chapelain épiscopal. Les bonnes relations qui existaient habituellement entre Eichstätt et Wurzbourg lui permirent d’obtenir aussi une prébende au chapitre cathédral de cette dernière ville. Sans être donc un ecclésiastique de très haut rang, il devait être un personnage considérable à un niveau local, proche du pouvoir et détenteur de lucratives prébendes. Comme le confirment les expressions qu’il utilise à l’occasion, son appartenance à la noblesse de fait pas de doute. Eichstätt n’était pas un centre littéraire de tout premier plan. Mais notre auteur anonyme a scrupuleusement lu toutes les œuvres locales, le célèbre pontifical de l’évêque Gundekar II, daté de 1072-1073 ainsi que les vies des saints Willibald, Wunebald, Boniface, Sola, Walpurgis. Il a également utilisé les textes liturgiques composés par les évêques Reginold (966-991) ou Héribert et par Wolfhard d’Herrieden. Et il n’hésite pas à recourir aux sources diplomatiques et épigraphiques (diplôme d’Arnoul de Carinthie, bulle de Jean XV, inscription funéraire de l’évêque Héribert). La principale question est cependant celle du but poursuivi par l’auteur. Il l’exprime au seuil de son ouvrage (mais c’est un seuil trompeur, le texte conservé est la deuxième partie d’un ouvrage plus vaste dont le reste est perdu) : il s’agit de raconter à son ami, le chanoine (de Wurzbourg et Eichstätt) G., la vie et la mort de l’évêque Gundekar II, récemment décédé. Mais en fait, il n’est pas question de Gundekar dans les Gesta, qui s’arrêtent à la mort de

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L’HISTOIRE DES ÉVÊQUES D’EICHSTÄTT

l’évêque Gebhard. Les Gesta (et c’est pour cela que l’érudition moderne leur a donné ce nom) constituent une histoire des évêques d’Eichstätt, avec une précision croissante au fur et à mesure qu’on se rapproche de la période au cours de laquelle vivait l’auteur. Celui-ci écrivait-il par simple souci historique ? On a souvent tendance à souligner que l’œuvre est écrite à un moment de grande tension politico-ecclésiastique. Réconcilié à Canossa, Henri IV courait de nouveau en 1078 le risque de l’excommunication. Le nouvel évêque d’Eichstätt, Ulrich (1075-1099) était un partisan inébranlable du souverain, tandis que son collègue de Wurzbourg, Adalbéron (1045-1090) était au contraire un des plus fermes soutiens de Grégoire VII en Allemagne. De quoi mettre à mal l’ancienne amitié entre les deux évêchés ! Mais l’auteur ne fait guère d’allusion à la situation politique contemporaine, sauf une, très nette, par laquelle il fait dire au pape Léon IX que l’élection du moine Hildebrand sur le trône de saint Pierre signifierait un bouleversement complet du monde. Si la tutelle royale sur les évêchés ne semble pas lui poser de problème, il n’en dissimule pas pour autant les limites, que ce soit à l’égard de l’empereur Henri II, qui avait amoindri l’évêché d’Eichstätt pour créer le nouveau diocèse de Bamberg, ou en soulignant la distance que mettait par rapport au roi l’évêque Megingaud (991-1015). Il est vrai que celui-ci était un personnage assez haut en couleurs, celui qui, avec l’évêque Héribert (1021/22-1042), reçoit le plus d’attention de la part de l’auteur. Et c’est peut-être finalement cela qui compte le plus : ces gesta sont une série de portraits, qui répond sans doute plus à une curiosité qu’à un but politique très précis. Il s’agit de fixer par écrit la mémoire des constructions, des saints, des grandes figures… Un seul manuscrit des Gesta est connu : il date du XVe siècle (1483) et est conservé à Eichstätt, Diozesan-Archiv, Ms. 18 (olim 156). BIBLIOGRAPHIE : Les Gesta ont été édités, traduits en allemand et très largement commentés par Stefan Weinfurter, Die Geschichte der Eichstätter Bischöfe des Anonymus Haserensis. Edition, Übersetzung, Kommentar, Ratisbonne, 1987.

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1. Il faut réorienter ce discours et le tourner vers un autre sujet, comme nous l’avons dit plus haut. Tu aurais dû, très cher frère G., être avec moi aux obsèques de notre seigneur à tous deux, l’évêque Gundekar1, et regretter par des lamentations exceptionnelles la bonté exceptionnelle qu’il avait à notre égard. Car si tu savais de quelle façon il est mort, tu aurais gardé de lui une mémoire encore plus perpétuelle : ce que tu aurais vu de tes propres yeux n’aurait pu être facilement effacé de ton cœur. Tu le sais en effet, on se souvient habituellement davantage de ce qu’on voit que de ce qu’on entend dire, et on le garde plus fermement au fond de soi. Mais, parce que tu es au service d’un autre seigneur, l’évêque de Wurzbourg2, tu n’as pu assister à ces très saintes funérailles. C’est pour cela que moi, qui l’assistais de près quand il était malade, je t’ai écrit quelques-unes de ses dernières actions : ainsi, chaque fois que tu les liras, tu demanderas pour son âme un repos éternel dans le Christ. Et parce que non seulement tu n’as pu être présent à ses derniers moments, mais tu n’as que très rarement pu vivre avec lui, et parce que je suis celui avec qui, tout le temps qu’il a vécu, il a partagé la plus grande partie de ses secrets, je ne pense pas faire œuvre ingrate ou inutile ni envers toi ni envers autrui, si je parle d’abord un peu de sa vie, avant d’ajouter ce qui paraîtra digne d’être écrit au sujet de sa mort. 2. Il a lui-même brièvement écrit comment il est parvenu à la dignité épiscopale, et il l’a laissé écrit dans quelques livres dans les mêmes mots que ceux dans lesquels c’est raconté ci-dessous. Je n’ai pas voulu donner à cet aperçu un autre début que ce qu’il a luimême dicté : il y a rassemblé dans une heureuse concision les épiscopats de tous ses prédécesseurs et leur décès, et il a ensuite ajouté ce qui le concerne de manière aussi concise que pleine d’humilité : Voici les noms des évêques de la sainte église d’Eichstätt, établie en l’honneur du saint Sauveur. En l’an de l’incarnation du Seigneur 781 saint Willibald, le précieux confesseur du Christ, monta rejoindre la troupe des anges le 7 juillet. Il était devenu évêque à l’âge de 41 ans, et siégea comme évêque pendant 36 ans. Gerhoch mourut le 2 février, Aganus le 6 novembre, Adalunc le 25 juillet, Altuni le 22 février, Otker le 6 juillet en l’an de l’incarnation du Seigneur

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Gundekar II, évêque d’Eichstätt (1057-1075). Adalbéron, évêque de Wurzbourg (1045-1090).

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880. Ces cinq évêques remplirent 100 années. Godescalc siégea pendant trois ans et mourut le 12 novembre. Erkanbold siégea pendant 20 ans et mourut le 19 septembre. Udalfrit siégea pendant 31 ans et mourut le 1er janvier. Starchand siégea pendant 32 ans et mourut le 11 février. Reginold siégea pendant 24 ans et mourut le 4 avril. Megingaud siégea pendant 24 ans et mourut le 28 avril. Gundekar siégea pendant cinq ans et mourut le 20 décembre. Walther siégea pendant deux ans et mourut le 20 décembre. Héribert siégea pendant vingt ans et mourut le 24 juillet. Geceman siégea pendant deux mois et mourut le 17 octobre. Gebhard siégea pendant 15 ans et mourut le 28 juillet. Après ceux-ci ce fut Gundekar II, le dernier des frères de la sainte église d’Eichstätt, qui y a été instruit et nourri dès l’enfance, mais qui était alors chapelain de l’impératrice Agnès et fut investi comme évêque de ce siège, par l’anneau, le 20 août à Tribur, en présence de deux archevêques et autant d’évêques. Le 5 octobre, il fut honoré de la crosse à Spire en présence de quatre archevêques et dix évêques. Le 17 octobre il fut intronisé dans la cathèdre épiscopale. Le jour de la saint Jean l’Evangéliste [27 décembre 1057], à Pöhlde, en présence de son seigneur le roi Henri [IV], de la mère de celui-ci Agnès, et d’Hildebrand, archicardinal sous-diacre de l’église romaine, ainsi que de trois archevêques et de onze évêques, il fut promu au degré suprême du sacerdoce. Ce premier texte a été composé par l’évêque Gundekar, presque dans les mêmes termes, sauf que lui a précisé les noms et les lieux [des évêques présents], ce que nous avons omis pour faire plus court. Mais il nous plaît d’en parler un peu plus largement avant d’en arriver à son époque et de raconter ce que nous avons vu et entendu au sujet de sa vie et de sa mort. 3. En l’an de l’incarnation 742, ainsi que nous l’avons lu dans les gesta des pontifes romains, alors que Grégoire III était évêque de Rome, deux sièges épiscopaux furent créés le même jour : Wurzbourg et Eichstätt. Ce dernier fut confié à saint Willibald, le premier à son cousin et compatriote, saint Burchard. Saint Boniface ayant heureusement achevé sa vie par le martyre, l’élu de Dieu, le confesseur Willibald, écrivit sa vie et sa mort dans un style superbe, parce que c’était un grand savant3. Leur sœur, la très sainte Walpurge, 3

La vie de s. Boniface a effectivement été écrite par un Willibald, mais que l’on considère maintenant comme un autre personnage que l’évêque d’Eichstätt (éd. W. Levison, Hanovre-Leipzig, 1905 (MGH Scriptores rerum germanicarum).

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composa avec simplicité mais exhaustivité et surtout véracité la vie de Willibald et de son frère, saint Wunebald4. Sur l’ordre de l’évêque Erkanbold, le prêtre Wolffhard publia dans un style monastique la vie pleine de miracles de cette très sainte vierge5. Quant à saint Wunebald, âgé et plein de jours et de mérites, il partit vers le Seigneur. Quinze ans, six mois et treize semaines après sa très sainte mort, comme son frère l’évêque, après avoir agrandi l’église dans laquelle il avait été enterré par saint Boniface, archevêque de Mayence, voulait l’élever sur les autels et le placer en un endroit plus digne, son très saint corps fut trouvé à ce point intact qu’il n’avait pas perdu un cheveu ni changé de couleur. Alors tout le clergé, mais aussi le peuple qui en était digne, furent admis à ce spectacle. L’évêque et sa sainte sœur adorèrent en toute simplicité leur frère, l’embrassèrent avec beaucoup d’amour, et permirent à ceux qui en étaient dignes d’en faire de même. L’église fut alors dédicacée et son corps fut réenterré avec la vénération qui convenait. 4. Il faut que je dise ici quelque chose d’encore plus étonnant. Au cours de la 186e année après la mort de saint Willibald, notre évêque à la bouche d’or Reginold, après avoir magnifiquement construit le monastère et, comme tu le sais, composé un office superbe, voulut transférer son corps du milieu du chœur, où on voit encore aujourd’hui son tombeau, dans la crypte, où il repose maintenant. Après un jeûne de trois jours les archiprêtres, qui commandaient la manœuvre, firent creuser jusqu’au précieux trésor de son corps, avec une crainte et un respect suprêmes, comme il convenait. L’évêque, debout un peu plus loin, les mains étendues vers le ciel, n’osait pas s’approcher avant que tout fût fini. Mais j’ai appris, par le récit véridique des anciens, que tous ceux qui virent ces très saintes reliques moururent dans l’année. Ce qui arriva à cet évêque ne peut être raconté en détail.

4 Les vita Willibaldi et vita Wynnebaldi, toutes deux éditées par O. HolderEgger, dans MGH Scriptores, t. 15, p. 86-106 et 106-117, ont en fait été écrites par une moniale appelée Hugeburc. 5 Texte édité par Andreas Bauch, Ein bayerisches Mirakelbuch aus der Karolingerzeit. Die Monheimer Walpurgis-Wunder des Priesters Wolfhard, Ratisbonne, 1979.

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5. Lorsque le corps de notre très sainte mère Walpurge fut élevé après de nombreuses années sous l’épiscopat d’Erkanbold, ses saints restes furent trouvées tellement humides que c’était comme si des gouttes de rosée pouvaient en être extraites l’une après l’autre, sans cependant que la moindre gouttelette adhère aux mains de ceux qui la touchaient. Aujourd’hui encore, du sarcophage contenant ses saints restes s’écoule continuellement comme de l’eau vive, qui guérit de nombreux malades avec une admirable puissance efficace, comme l’huile du tombeau de saint Nicolas. Qu’admireras-tu le plus en cela, aimable frère ? Les corps des deux frères restent tout à fait intacts, et personne n’a jamais osé en prendre ne serait-ce que le plus petit fragment. Mais les reliques de leur sœur ont été distribuées à travers presque toute l’Eglise. Le traitement qu’on leur réserve est un grand gaspillage de la faveur humaine, celui qu’elle reçoit correspond à une intense utilisation de cette faveur. Et en effet alors qu’on ne sait même plus le nom des frères, le nom et les mérites de la sœur sont cultivés avec beaucoup de science. 6. Lorsque saint Willibald eut achevé le cours de sa vie angélique, son filleul dans le baptême, Geroch, lui succéda. Cet homme, illustre par la naissance, était riche de nombreuses possessions qu’il offrit à son cher père et très saint patron. Il fit faire dans un or très pur ce calice dont tu connais la grande taille, et il fit orner la vieille reliure d’un évangéliaire d’ambre et d’or très purs ainsi que de pierres précieuses. Il commença avec générosité cet autel doré qu’ensuite la dévotion de ses successeurs acheva entièrement comme il est aujourd’hui. 7. A Gerhoch succéda Aganon, à Aganon Adlhunc, à Adalhunc Altuni. Sous l’épiscopat de ce dernier le corps de saint Sola fut élevé et placé avec honneur, ainsi qu’on le lit dans sa biographie. Lui succéda l’évêque Otker, auquel sainte Walpurge déclara, par une vision menaçante, que son tombeau n’était pas assez dignement traité, et que lui-même ne resterait pas impuni s’il ne voulait pas corriger cela. Aussitôt, ayant envoyé des personnes vénérables, il ordonna qu’on transporte avec soin les sacrosaintes reliques de la vierge à la capitale Eichstätt, ce qui fut fait.

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Les évêques Godescalc (vers 880 – vers 882) et Erkanbold (vers 882 – 912) 8. A Otker succéda Godescalc, et à ce dernier le vénérable Erkanbold. Parmi ses innombrables œuvres de bonté et de vertu, ce dernier acquit pour saint Willibald, mais en partie seulement, notre patrie, l’abbaye d’Herrieden, qui était alors l’égale en droit et en richesse des abbayes de Fulda, Ellwangen et Beuron. En effet Arnulf, qui était alors roi, vaincu par les prières et le service du susdit évêque, donna cette abbaye à l’évêché d’Eichstätt par une donation royale après en avoir repris les domaines rhénans, parmi lesquels Duisbourg avec toutes ses dépendances. Il le confirma par un acte écrit en lettres d’or. Après cela, le sage évêque expulsa les moines et les remplaça par des chanoines. Il assit leurs prébendes sur de maigres revenus et garda les autres qu’il distribua à ses vassaux. C’est à ce moment seulement que l’évêché d’Eichstätt commença à avoir des vassaux, alors qu’avant il n’en avait pas, ou seulement très peu. En effet aujourd’hui, sur la multitude des vassaux d’Eichstätt, tous ont des bénéfices assis sur des biens de l’abbaye, à part trois ou quatre. 9. Le même évêque, comme il était habile à obtenir de telles choses, donna à sa demande à la moniale Liubila une partie des reliques de la sainte vierge Walpurge pour le monastère de Moenheim, à cette condition qu’elle-même offre tout son patrimoine à cet endroit. Lorsqu’elle l’eut fait, la nuit suivante, alors qu’elle dormait, un clerc de vénérable vieillesse lui apparut en vision et lui ordonna d’aller rapidement à l’église : « Va, dit-il, sans tarder, parce que saint Willibald est entré dans l’église avec un troupe nombreuse, pour voir comment tu y as fait reposer sa sainte sœur ». Bien qu’elle souffrît de la goutte, elle se leva aussitôt et entra en pleine santé dans l’église. Elle rendit alors grâce comme il convenait, à Dieu et à la vierge, pour la santé qu’elle avait recouvrée. 10. Sur l’ordre de cet évêque et durant son épiscopat, le prêtre Wolffhard, un des moines d’Herrieden dont nous avons parlé cidessus, composa un passionnaire vraiment utile, contenant les fêtes de tous les jours de l’année, et sur l’ordre de l’évêque il raconta en quatre livres la vie de sainte Walpurge6. Par la suite, comme il avait 6 Wolffhard, moine d’Herrieden, mort en 902, écrivit en effet un Liber passionalis encore presque totalement inédit et des Miracula sancte Waldburgis

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commis une faute grave contre l’évêque, il fut mis en prison et personne ne put obtenir son pardon. « Je serai donc mon propre intercesseur », déclara-t-il. Il composa dans sa cellule des chants historiques sur sainte Walpurge. Ayant obtenu de pouvoir sortir pour venir devant l’évêque, il chanta entièrement à haute voix un nouveau répons de cette sainte vierge, et ainsi mérita non seulement son pardon, mais aussi honneur et rémunération. L’évêque Starchand (933-966) 11. Une multitude abondante de livres réalisés sur leur ordre atteste aujourd’hui encore quels évêques furent au cours de leur vie ce grand prêtre et son successeur Starchand et à quel point ils étaient savants et compétents en ce qui concerne l’Ecriture Sainte. C’est pour cela qu’il ne faut pas que leur souvenir disparaisse à l’avenir. Starchand était un contemporain, et même un compagnon proche, de l’évêque d’Augsbourg saint Ulrich7. Comme ce dernier avait enterré Starchand avec tout le rite requis, et sur le chemin du retour était arrivé au vieux hêtre qui se dresse encore sur la colline au sud de la ville, il se retourna vers la ville et dit en baissant la tête : « Adieu, saint Willibald ! J’ai enterré ici celui des mortels qui m’était le plus cher. Je n’aurai plus envie désormais de venir chez toi ». Avant en effet il avait l’habitude de venir souvent, autant pour venir prier saint Willibald que pour rencontrer son ami. J’ai inséré ici l’épitaphe de ce vénérable seigneur, qu’il avait lui-même composée et que j’ai trouvée dans ses livres : elle montre sa sainte simplicité et sa docte rusticité. On ne peut trouver de psautier semblable au sien, décoré par autant de prières intimes et de multiples vigiles. Chaque fête a ses propres vigiles, différenciées avec élégance non seulement par les lectures, mais aussi par les antiennes et les répons authentiques. L’évêque Reginold (966-991) 12. Après ces vénérables pères ce fut Reginold qui fut fait évêque, noble par la lignée charnelle, mais plus noble encore par la science : il était instruit aussi bien dans les lettres latines que dans les lettres grecques et même hébraïques, mais là où il était tout à (éd. Acta Sanctorum, Febr. III, p. 523-542). Voir Franz Brunhölzl, Histoire de la littérature latine du Moyen Age, t. 2, Turnhout, 1996, p. 64-66. 7 Ulrich, évêque d’Augsbourg (923-973).

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fait exceptionnel c’est qu’il était aussi le meilleur musicien de son temps. Il écrivit d’abord une histoire de saint Nicolas, et mérita par cela d’accéder à la dignité épiscopale. Devenu évêque, il composa avec un très grand zèle et une suprême dévotion des chants historiques en l’honneur de saint Willibald, et il mit toute la force de sa science à les embellir et à la varier admirablement. A certains répons il mit à la fin des longues séries de notes sur lesquelles il mit des petits vers à l’image des séquences. Il avait fait cela au troisième, au sixième et au neuvième répons. Au troisième il avait mis quelques petits vers, au sixième un peu plus, au neuvième un grand nombre. Mais considère l’ordre : le troisième concerne un petit voyage, le début de son pèlerinage, quand il part de sa patrie ; le sixième un voyage un peu plus long, quand il arrive en Ionie ; le neuvième le plus grand voyage, et il s’est efforcé d’exprimer dans les vers du neuvième répons l’importance du pèlerinage à Jérusalem. Et ainsi, de même que notre très saint voyageur est parvenu sain et sauf d’Italie en Grèce, de Grèce en Judée, et ensuite de Judée en Grèce et de Grèce en Italie et finalement jusqu’à nous, de même notre excellent musicien a d’abord composé des vers latins, puis des vers grecs, ensuite des vers hébraïques, et puis de nouveau des grecs et enfin des latins. Il composa aussi une superbe histoire de saint Wunebald et une autre, très neuve, sur saint Blaise8. 13. Comme il pensait agrandir le monastère et demandait à ce sujet, par l’intermédiaire d’un envoyé, le conseil du saint évêque Ulrich, ce saint évêque lui donna comme réponse que cela ne lui paraissait ni utile, ni bon. L’église lui paraissait assez grande en taille, très grande en sainteté. Il n’était jamais allé dans aucune autre dans laquelle il aurait pu mieux prier. Cette réponse le détourna de ce qu’il avait commencé, mais par la suite il put satisfaire son désir. Il agrandit le côté occidental de l’église, qui était alors égal aux trois

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L’office de saint Nicolas est édité par Charles W. Jones, The Saint Nicholas Liturgy and its Literary Relationships (Ninth to Twelfth Centuries), Berkeley, 1983, p. 17-41. L’office de saint Willibald est édité, de manière insuffisante, par Joseph Georg Suttner, Zum Eichstätter Kirchenkalendarium. Zum 7. Juli. Das älteste Offizium des hl. Willibald, dans Pastoralblatt des Bistums Eichstätt, 30 (1883), p. 105-112 et 125-127. Pour l’office de saint Wunebald, voir Joseph Georg Suttner, Zum Eichstätter Kirchenkalendarium. Zum 18. Dezember. Das älteste Offizium des hl. Wunebald, dans Pastoralblatt des Bistums Eichstätt, 30 (1883), p. 198-200. L’office ou la Vita de saint Blaise ne sont pas connus.

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autres, par l’ajout de la partie qui s’avance maintenant du côté des fonts baptismaux. A cette époque les signes et les prodiges, qui auparavant y étaient nombreux, cessèrent petit à petit. Comme je l’ai souvent entendu dire par nos anciens, chaque année à l’approche de la fête de saint Willibald une telle multitude d’aveugles, de boîteux, de manchots, de possédés et de malades de toute sorte affluait, que le grand portique de saint Martin pouvait à peine les accueillir ; ils faisaient un tel bruit lors de la vigile du saint, que d’une certaine manière ils empêchaient les vêpres. Mais avant que la messe de ce jour saint eût été finie, presque tous, guéris, rendaient grâces à Dieu et à saint Willibald, comme il se devait. Et c’est pour cela que cet évêque avait composé cette antienne « Les sourds, les aveugles, les muets, les manchots… » et l’avait fait précéder de : « il l’avait fait puissant par les miracles et les diverses vertus des signes .» 14. Cet évêque appréciait une très puissante dame appelée Pia, qui, d’après ce qu’on dit, surpassait sans aucune comparaison possible toutes les femmes de ce temps par la subtilité de ses pratiques artistiques. Elle embellit notre église par de nombreuses et admirables ornementations, non seulement en œuvrant ou donnant par elle-même, mais aussi en enseignant plusieurs sortes d’arts à beaucoup d’autres femmes. Enfin, elle se tourna entièrement vers le Seigneur, construisit un monastère de moniales appelé Bergen, qu’elle confia spécialement à l’Eglise romaine après l’avoir enrichi de revenus royaux (parce qu’elle était très riche) et décoré de toutes sortes d’ornements. Le pape de l’époque, Jean, confirma cette donation par son privilège qui est encore conservé de nos jours et jeta un terrible anathème sur tous ceux qui causeraient une quelconque injustice à ce monastère. L’évêque Megingaud (991-1015) 15. A la mort de Reginold, ce fut Megingaud qui lui succéda. Il différait de son prédécesseur tant par les mœurs que par la science. Autant le premier était un excellent lettré, autant le second l’était peu ; l’un était doux et généreux, l’autre était sévère et colérique ; Reginold était un refuge pour les pauvres, Megingaud la destruction générale des mauvais. On raconte tant de choses étonnantes au sujet de cet évêque que je préférerais me taire à son sujet plutôt que d’en dire un peu, si je ne savais que cela serait attribué à la jalousie ou 262

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à l’ignorance. J’en dirai tout de même quelques-unes, pour qu’on ne m’accuse pas de cela ; mais j’en tairai beaucoup, pour ne pas m’écarter trop longuement de mon propos. 16. J’ai déjà mentionné cet évêque dans le livre mentionné cidessus, lorsque j’ai parlé de Vastolff d’Herrieden, à qui il imposa lors de sa confirmation le nom d’Ezzolf. Il mangeait en effet beaucoup, et de ce fait un nom dérivé du mot « jeûne » lui déplaisait beaucoup9. Il avait l’habitude de célébrer selon la coutume de ses prédécesseurs. Un jour qu’il arrivait là et que les frères voulaient l’accueillir comme d’habitude, après qu’ils eurent chanté un petit psaume il leur déclara qu’ils ne devaient plus rien chanter d’autre. Assis à table, il envoya aux frères un grand sanglier ou quelque chose de semblable, en disant « Porte ceci à ces serviteurs de Dieu qui m’ont si bien et si dévotement accueilli tout à l’heure. » 17. Pour tout ce qui concerne le service divin il aimait en effet la brièveté et préférait toujours raccourcir les messes plutôt que les repas. Un jour, comme il chantait la grand messe de Pâques, on en était enfin arrivé au chant de la séquence et le préchantre commençait à l’entonner solennellement comme il se devait, quand l’évêque irrité interpella l’archidiacre et lui ordonna de lire immédiatement l’évangile. « Ils sont fous, disait-il, et me font mourir de faim et de soif à chanter aussi longtemps ! Les sots ! Le temps qu’ils en arrivent aux séquences, on pourrait chanter plusieurs messes agréables à Dieu ! » Le temps du carême lui paraissait plus long qu’une année ; aussi avait-il l’habitude de racheter le jeûne en y mettant le prix. Chaque dimanche de carême, alors qu’on chantait prime, il ordonnait de déposer un gros esturgeon au milieu du chœur avec ce message : « Dis à mes seigneurs (c’est ainsi que d’habitude il appelait les frères d’Eichstätt) qu’ils aient pitié de moi, pour qu’il me soit permis de manger plus tôt cette semaine ». Incités par ce don, ils chantaient plus tôt que d’habitude. Mais quand ils chantaient prime, il disait qu’il était midi ; quand ils chantaient tierce, il disait qu’il était none et aussitôt il passait à table10. 9

« Fasten », en allemand, signifie « jeûner ». Les heures monastiques, de même que les heures antiques, varient selon les saisons. On peut comprendre en gros que quand il est 9 heures, l’évêque prétend qu’il est midi ; quand il est midi, il prétend qu’il est 15 heures, c’est-à-dire le moment où, en carême, les religieux prennent leur unique repas quotidien. 10

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18. Il pratiquait la consécration du chrême et des églises très simplement, comme on le faisait auparavant. Il avait l’habitude de procéder aux ordinations de clercs de la manière suivante : il faisait chanter le début de la messe par son prêtre, ne revêtait son étole (et seulement celle-ci) qu’au moment de la consécration, conférait les ordres assis devant l’autel et ordonnait à ceux qui se pressaient de s’en aller parce qu’ils étaient nombreux, ce qui déplaisait à saint Willibald. Crois-moi, j’ai vu de mes propres yeux plusieurs vénérables prêtres qui m’ont déclaré en vérité avoir été consacrés par lui dans la forêt de Weissenburg. Et peut-être la consécration à laquelle il procédait dans la forêt était-elle davantage agréable à Dieu que certaines qui se font de nos jours dans une église. Il n’agit en effet jamais par duplicité, alors que certains recrachent un moucheron mais avalent un chameau (Matth., 23, 24). 19. Il avait aussi l’habitude de dire facilement du mal de beaucoup de gens, mais toujours sans amertume ni fiel. On raconte que comme, partant pour Rome, il avait reçu des frères la permission de 100 malédictions et les avait aussitôt dépensées, il avait immédiatement envoyé un messager pour demander une permission plus large, que par la suite cependant il dépassa tout à fait au-delà de la mesure. Il avait d’abord traité de manière assez dure la familia de saint Willilbald, au point que leur plainte était parvenue aux oreilles de notre très clément patron. Une nuit, alors qu’un bon prêtre du nom de Woffo entrait dans la sainte crypte pour prier, le saint évêque de Dieu [Willibald] lui apparut sans détour et lui dit : « Va, et dis à l’évêque que s’il ne veut pas traiter ma familia avec plus de clémence, il doit aussitôt céder ce siège à quelqu’un de meilleur. » L’autre lui dit qu’il n’oserait jamais annoncer cela à un évêque aussi particulier. Il répondit : « Donne-moi ta main », et après y avoir fait un signe : « Tu montreras ceci en témoignage. » L’évêque, l’ayant vu et entendu, fut terrifié au-delà de ce qu’on pourrait croire, et du coup il devint d’une certaine manière plus doux. Mais parce qu’il est difficile de corriger sa nature, il reprit son ancienne sévérité pour corriger certaines personnes, et ne tut pas facilement les fautes de qui que ce fût. 20. Un jour, un serviteur royal passa par là, pas le moins hautain de tous, et requit qu’on lui donnât à manger. L’évêque lui demanda pourquoi il n’avait pas pris de provisions pour un aussi long voyage (je ne sais plus où il allait, mais c’était loin). Il nia avoir pris quoi 264

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que ce soit, avança des raisons peu crédibles, comme on le fait souvent, et reçut impudemment le gîte, commettant ainsi un péché comme un homme mauvais. Pendant qu’il déjeûnait, l’évêque apprit qu’il portait avec lui une nourriture abondante. Il ordonna qu’il fût arraché à la table et amené devant lui avec un fouet et, négligeant le fait qu’il appartenait à la maison royale, il ordonna de punir sur son dos le mensonge de sa bouche en disant : « Il n’est pas bon que les serviteurs du roi soient des menteurs, d’autant que je suis prêt à donner mes biens à ceux qui disent la vérité. » L’autre se retourna et voulut partir plein de colère. Il reçut alors une pelisse de martre descendant jusqu’aux talons et partit en paix. Il avait été corrigé avec dureté, avait reçu un don honorable, était entièrement réconcilié. 21. Un autre jour, alors qu’un jeune clerc venait le voir, chargé d’une mission par Macelin, évêque de Wurzbourg11, il vit de loin qu’il tenait un épervier sur la main. Il appela son chambrier et lui dit de faire telle et telle chose quand le clerc serait arrivé. Le chambrier alla à la rencontre du clerc, prit avec respect le cheval dont il descendait, et ajouta : « Donnez-moi aussi votre épervier, pour que je le garde jusqu’à ce que vous ayez rempli votre mission ». Ne soupçonnant rien de mal, le clerc lui donna aussitôt l’oiseau. Mais l’autre, tenant l’épervier par les courroies, frappa trois ou quatre fois le clerc au visage, en lui disant : « Gibier de potence, comment oses-tu venir trouver un évêque en tenant un oiseau de cette sorte ? » Secoué et souffrant, le clerc alla trouver l’évêque, non pour remplir sa mission, mais à cause de cette bagarre, menaçant de se plaindre abondamment de cette mauvaise manière auprès de son évêque. L’évêque lui répondit : « Mais c’est plutôt moi, si vous ne prenez pas les choses avec patience, qui dirai à votre seigneur avec quelle impolitesse vous êtes venu me voir, et vous y perdrez non seulement ses bonnes grâces, mais aussi vos biens et votre ordination ! Vous avez en effet agi sottement. Mon clerc aussi. Pardonnez-vous l’un à l’autre le mal que vous vous êtes fait, et pour le reste prenez garde à ne plus jamais venir près de moi ou d’un autre évêque de manière

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Erreur de l’auteur des Gesta. Macelin, également appelé Megingaud, fut évêque de Wurzbourg de 1018/1019 à 1034, et ne fut donc pas collègue de Megingaud d’Eichstätt (991-1015). L’évêque de Wurzbourg concerné doit être Henri Ier (995/996-1018).

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aussi irrégulière. » Il lui donna enfin un cadeau de prix, et l’autre, ne parlant plus d’injustice, partit en paix. 22. Ces deux évêques entretenaient entre eux une grande familiarité en s’échangeant régulièrement des cadeaux. Le nôtre donnait des esturgeons, des fourrures soyeuses et des étoffes fines, qu’il avait en abondance. L’autre lui adressait en retour du vin excellent, qu’il avait en grande quantité alors que le nôtre en manquait. Lui donnait au nôtre à l’intérieur, le nôtre lui donnait à l’extérieur, et ainsi leur main généreuse confirmait leur amitié mutuelle. Un automne, alors qu’il avait envoyé les cadeaux habituels, notre évêque attendait impatiemment le vin qu’il espérait, mais son compagnon annuel voulut plaisanter. Il lui envoya certes dix charrettes de vin fin, mais d’abord se joua de lui avec urbanité. Il envoya un premier messager qui jeta de manière tout à fait indigne devant l’évêque les sacs qui avaient servi au transport des fourrures, mais pleins de moût et, omettant de le saluer, lui dit : « Voilà, mon évêque vous renvoie vos très petits cadeaux, indignes de lui, mais qui vous sont nécessaires. » L’évêque lui répondit : « Gibier de potence, ton seigneur n’était pas digne de tels dons et il a bien fait de me renvoyer ceux qui ne correspondaient pas à sa condition. Le roi, ce sot, ignorait ce qu’il faisait, quand il a donné un tel évêché à un homme de ce genre ! » Alors, prenant un couteau, l’envoyé éventra sans hésitation les sacs, et ayant répandu le moût il provoqua chez l’évêque une colère extrême. Haussant encore le ton, il s’exclama : « Fils de pute, comment ton seigneur a-t-il pu oser se moquer de moi de cette manière ? Par saint Willibald, tu repartiras de chez moi sans tes yeux ! » A ce moment, comme c’était prévu, entrèrent en bon ordre les dix charrettes transportant le vin. Alors l’envoyé reprit la parole avec respect : « Mon seigneur vous adresse, seigneur, son service dévoué et vous souhaite tout le bien possible. » Jetant un regard terrible, l’évêque lui dit : « Triple gibier de potence, qui est donc ton seigneur, et combien de seigneurs as-tu ? » L’autre lui répondit : « C’est l’évêque de Wurzbourg, et il vous envoie ces dix charrettes de vin. » Alors l’autre, avec empressement et joie : « Es-tu sérieux quand tu dis cela, ou plaisantes-tu de nouveau ? Je crois que pour se dilater la rate de rire il m’a envoyé de l’eau au lieu de vin. » Mais comme l’envoyé lui assurait que c’était de l’excellent vin, cet épicurien d’évêque, pleinement joyeux, s’exclama : « Que Dieu bénisse mon très cher compagnon, qu’il bénisse aussi ses cadeaux ! Il est clairement le meilleur des évêques de Wurzbourg, et notre sage empereur 266

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n’aurait jamais pu mieux donner cet excellent évêché ! » Il changea rapidement ses insultes en louanges, et l’évêque qui était si vil devint très remarquable. A quel point cet envoyé fut couvert de cadeaux, c’est tout à fait incroyable. Ainsi était cet homme : peu après s’être énervé à l’excès, il était aussi calme qu’un mouton. Après s’être fâché de manière très dure, à jeun, contre quelqu’un, après le repas il s’accusait en larmes, disant qu’à cause de son ventre il avait blessé l’innocente familia de saint Willibald. Rien d’étonnant s’il faisait cela à ses inférieurs ou ses égaux, lui qui, en colère, n’épargnait pas l’empereur lui-même. 23. L’empereur Henri, d’heureuse mémoire dans le Christ, qui avait créé l’évêché de Bamberg12, parce qu’il voulait organiser des cérémonies solennelles tant pour lui-même que pour les autres, ordonna à notre évêque, qui lui était proche et en partie apparenté, de lui fournir, alors qu’il était en route pour Ratisbonne un service entier qui aurait fait peur même à un archevêque. Alors que l’envoyé du roi énumérait les dons magnifiques qu’il devait faire et en arrivait enfin à une immense quantité de vin, l’évêque l’interrompit : « Mais ça ne va plus, ton maître est clairement devenu fou ! Pourquoi devrais-je lui donner un tel service, moi qui n’arrive déjà pas à me nourrir moi-même ? De plus, moi qui lui étais lié par la naissance, il m’a rendu aussi pauvre en biens qu’un prêtre de paroisse ! Et maintenant il me demande un service royal ? Mais où veut-il que j’aille chercher tant de charrettes de vin ? De toute façon je n’ai pas de vin, sauf une petite charrette que m’a donnée ce diable de copain qu’est l’évêque d’Augsbourg, mais pour la messe seulement (il voulait parler de Bruno, frère de l’empereur)13. Par saint Willibald, pas une seule goutte de ce vin n’entrera dans le bouche de ton maître. » Mais lorsque sa colère se fut calmée, il envoya à l’empereur des étoffes précieuses et dit à l’envoyé : « Ton maître voulait ceci, qu’il le prenne. C’est cela que les évêques d’Eichstätt doivent donner aux rois plutôt qu’un service royal. » 24. Quand il venait à la curie, si la route était boueuse, il avait l’habitude d’aller à cheval jusqu’à la porte de la chambre royale. Comme les autres évêques lui disaient que c’était inconvenant, il 12

Henri II (1002-1024) créa l’évêché de Bamberg en 1007 en prenant des morceaux des diocèses d’Eichstätt et de Wurzbourg. 13 Bruno, évêque d’Augsbourg (1006-1029), frère de l’empereur Henri II.

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leur rétorqua : « Espèces de sots, pourquoi devrais-je me couvrir de boue comme un vil esclave à cause de vos règles stupides ? A quoi me sert d’avoir un cheval si je dois arriver à la cour comme un voyageur crotté ? » Lorsque l’empereur passait, les autres évêques se levaient par respect mais lui restait assis. Il s’en expliquait très simplement auprès de ceux qui lui en faisaient la remarque : « Moi, disait-il, je suis son parent et je suis plus âgé, et les livres, religieux et profanes, disent qu’il faut honorer les plus âgés ». J’omets délibérément beaucoup d’autres choses, parce que je dois parler aussi des autres évêques et revenir à mon propos. Je voulais simplement dire quelques mots sur ses faits les plus récents. L’évêque Gonzon ou Gundekar Ier (vers 1015 – 1019) 25. Comme le très chrétien empereur Henri ne parvenait pas à accomplir entièrement la fondation de l’évêché de Bamberg qu’il avait royalement enrichi s’il ne rachetait des paroisses dans les diocèses avoisinants, seul notre combattant, confiant dans ses mœurs comme dans sa lignée, lui résista virilement et jusqu’à sa mort refusa d’accepter un échange injuste. Après qu’il eût connu une fin heureuse, l’empereur avec astuce donna finalement à une personne de condition servile l’évêché d’Eichstätt, qui de sa fondation jusqu’alors avait été tenu par des nobles et des hommes de la plus haute extraction. Il nomma donc un certain Gonzon, trésorier de l’église de Bamberg, précisément pour qu’il exécute cette idée. Du temps de cet évêque, comme l’empereur, impatient d’accomplir son projet, voulait faire presser cet échange, le nouvel évêque, s’appuyant sur le conseil des chapelains et de ses principaux vassaux, refusait constamment. On dit que plein de colère l’empereur l’interpella en disant : « Eh bien, Gonzon, qu’apprends-je à ton sujet ? Ignores-tu que je t’ai fait évêque précisément pour que je puisse accomplir sans retard ma volonté avec toi, qui es de cette condition, alors que je n’y arrivais pas avec ton prédécesseur, mon parent ? Prends garde à ce que jamais je n’entende encore cela à ton sujet, si tu veux conserver l’évêché et mes bonnes grâces. » Entendant cela, l’évêque se tut. Mais le clergé et les vassaux persistèrent dans leur opposition à un tel point que cet échange abominable se fit par la force, plus que volontairement. Il paraît que l’un des plus anciens des frères de Bamberg, sur son lit de mort, confia aux générations futures comme une loi éternelle, de ne jamais accepter que soit annulé l’échange avec Eichstätt, mais qu’ils n’auraient pas gagné grand-chose à l’échange avec Wurzbourg, 268

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si leur siège épiscopal n’avait pas été situé dans ce diocèse. Outre cet échange critiquable, cet évêque fit à notre église un autre dommage considérable. En effet, parce qu’il s’adonnait à la chasse au-delà de toute mesure, il donna à l’évêque de Ratisbonne une cour royale situé en Rhétie, à Nördlingen, contre un terrain de chasse appelé Stöttera, près de la Hongrie. De ce terrain de chasse, tous ses successeurs n’ont pas même tiré une obole. L’évêque Walther (1020-1021) 26. Après un lustre l’empereur donna cet évêché à Walther, un évêque de la même condition. Celui-ci mourut jour pour jour deux ans après son prédécesseur. Il est enterré à Ravenne. L’évêque Héribert (1021/22-1042) 27. Ces deux-ci étant morts rapidement, la charge épiscopale revint à nouveau à la noblesse. En effet par la grâce divine devint évêque Héribert, noble par la lignée, plus noble encore par les mœurs, maîtrisant les lettres avec élégance, parent et homonyme de saint Héribert, archevêque de Cologne14. Elevé et instruit à Wurzbourg, il brillait tellement par la douceur remarquable de son style que dans cette spécialité il n’était le second d’aucun de ces contemporains. Rempli par l’Esprit Saint, il composa six hymnes superbes15, sur la sainte Croix (Salve crux sancta), saint Willibald (Mare, fons, hostium), sainte Walpurge (Ave flos virginum), l’invention de saint Etienne (Deus deorum domine), saint Laurent (Conscendat usque sidera) et tous les saints (Omnes superni ordines). En l’honneur de sainte Marie il composa cinq prières intimes dont le début (Ave Maria gratia plena) est commun à toutes. Il composa aussi ces deux chants commençant par Advertite omnes populi et Peccatores, peccatrices quandam. Il trouva au chapitre d’Eichstätt 70 chanoines, mais un jour il en expulsa 20 et en ramena le nombre à 50. Leur ayant donné des paroisses, il les rendit tout à fait dévoués. 28. Sous cet évêque, Gunderam était écolâtre d’Eichstätt. Parce qu’il avait été instruit dans cette région, et non le long du Rhin ou 14

Héribert, archevêque de Cologne (999-1021). Les hymnes d’Héribert sont édités par Guido M. Dreves, Analecta hymnica medii aevi, t. 50, Leipzig, 1907, p. 290-296.

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en Gaule, il était à ce point considéré comme rien par l’évêque, qu’il pensait à la chasser et le remplacer. Mais lui, si au temps de la tranquillité il se cacha comme un grain de moutarde, au temps du malheur montra efficacement son savoir intérieur. Arriva en effet un jour un célèbre maître de Wurzbourg, Pernolf. Comme l’évêque voulait l’honorer comme son compatriote et confondre le nôtre qu’il tenait pour indésirable, il vint un jour aux écoles et, prenant un livre d’arithmétique, il ordonna au maître étranger de l’expliquer et au nôtre, comme son inférieur, d’y assister. Le nôtre, d’une voix intrépide : « Il convient plutôt que ce soit moi qui explique, et que lui prenne le rôle de l’auditeur ; ainsi je ne cèderai qu’à celui qui me corrigera avec raison. » Ayant dit cela, il prit le livre et en expliqua entièrement un feuillet sans faire de faute. Entendant cela, le maître étranger dit à l’évêque : « Seigneur, par la foi que je dois à Dieu et à vous, cet endroit n’a pas besoin d’un maître meilleur et plus sage ; et si j’appartenais au même cloître que lui, qu’il le veuille ou non, j’écouterais chaque jour son cours ». Par cette phrase, il montra que celui-ci n’était pas plus sage que lui. En effet, seul celui qui est sage et bon peut aussi clairement reconnaître qu’un autre est aussi sage et le louer de manière aussi généreuse. Et par cette louange il réconcilia l’écolâtre avec l’évêque, de sorte que non seulement jusqu’à la fin de sa vie il n’en mit pas un autre en place, mais même il le jugea tout à fait digne de la charge de professeur. 29. C’est sous cet évêque que commença chez nous la destruction des vieux bâtiments et la construction de nouveaux. Ses prédécesseurs s’étaient contentés d’édifices bas et petits, mais voulaient avoir à l’intérieur une grande abondance. Cet évêque au contraire et tous ses successeurs édifièrent de nouvelles églises, de nouveaux palais, voire même des châteaux, et en faisant cela avec constance ils réduisirent à la dernière pauvreté le peuple qui les servait. En effet, à force de consacrer à l’assemblage des pierres tout le temps qui aurait dû l’être au fumage et au labour, bref à tout le travail agricole, et de quand même exiger avec une extrême sévérité le service dû, l’abondance initiale fut transformée en disette, et la grande joie qui régnait sous les évêques précédents en tristesse. Mais ce que je dis à notre sujet, je sais que tu le connais, parce qu’il est en quelque sorte naturel aux Wurzbourgeois, avec qui tu habites, de détruire et construire, de changer les carrés en cercles. Ce travail, ce zèle, vinrent avec ces évêques, chez qui il était et est comme un héritage. Mais passons à autre chose. 270

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30. Donc, notre évêque qui venait de chez vous, ayant détruit les vieilles et vénérables constructions des anciens évêques, en éleva de nouvelles et les plaça du côté sud du monastère, où auparavant se trouvait le cloître. Il remplaça l’ancienne chapelle Sainte-Gertrude par l’actuelle chapelle Saint-Blaise, que par la suite le pape Victor orna de peintures magnifiques et pour ainsi dire vivantes. Comme tu le sais, il sépara presque entièrement le cloître du monastère, et il ne le fit pas sans raison. Il voulait en effet déplacer l’église de ce côté, pour que le côté est du monastère devienne le côté ouest et qu’ainsi le monastère se trouve dans une partie plus élevée de la ville. Nous avons vu les murs de cette nouvelle église hauts de plus de dix pieds. Et certes, si ce monastère avait été achevé, le cloître se serait retrouvé au sud, comme il devrait l’être. Mais parce que cela ne plut pas à saint Willibald, le travail comme la dépense furent perdus. L’évêque Héribert construisit d’abord un monastère sur la colline de la vieille ville, où il est aujourd’hui, et y institua de manière louable la vie monastique qui, malheureusement, fait défaut de nos jours. Il bâtit la chapelle Saint-Barthélemy sur cette colline pour la raison suivante : un hypocrite, qui avait pris extérieurement des habits de mouton, mais qui à l’intérieur était un loup très rapace (Matth., 7, 15), avait volé le bras de sainte Walpurge et le calice en or dont nous avons parlé ci-dessus, et les avait cachés dans la colline en question, sous une pierre creuse. Mais il ne put ni le reprendre, ni partir de là. Parce que ce sacrilège avait été révélé par la grâce de Dieu le jour de la Saint-Barthélemy, le très pieux évêque ordonna qu’une chapelle fût érigée en l’honneur de cet apôtre, et par la suite il la dédicaça le jour de cette même fête. Il confia à notre parent, le seigneur Woffo, qui était alors chambrier et qui devint ensuite évêque de Mersebourg16, l’agrandissement et l’embellissement dans son état actuel de la chapelle Saint-Martin qui était alors petite. Le même chambrier fit démolir et reconstruire comme elle est maintenant la très vieille et très sainte chapelle SainteMarie, celle où nous avons dit que le très saint Willibald avait été promu au sacerdoce par saint Boniface. Elle est certes maintenant plus grande en taille, mais de loin inférieure en sainteté. De même, il confia au seigneur Léger la rénovation du monastère Sainte-Walpurge, dont il remplaça les chanoinesses par des moniales.

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Woffo, évêque de Mersebourg (1055-1057).

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31. Ce saint Léger, d’heureuse mémoire, était un comte, très puissant par sa lignée, ses mœurs et ses richesses, mais avait abandonné l’honneur terrestre pour l’amour du Christ. Ayant déposé son glaive et rasé sa barbe, il se fit chanoine de saint Willibald qui lui-même, fils de roi, avait méprisé pour le Christ le royaume de ce monde et toute la beauté du siècle et par un heureux échange obtenu, en abdiquant l’empire terrestre, la participation au royaume céleste. Suivant cet exemple, ce serviteur de Dieu donna à sainte Walpurge les possessions héréditaires qu’il détenait, à cette condition que l’effectif de la congrégation fût augmenté et que la vie monastique des moniales y fût instituée. Et c’est ce qui se passa. A propos de cet élu de Dieu il faut en particulier noter et respecter que, bien qu’au moment de sa conversion il fût déjà d’un âge assez avancé, il mit tant de discrétion à recevoir les ordres qu’il ne voulait en accepter qu’un à la fois et voulait servir chaque degré avec obéissance pendant longtemps17. Tout en respectant ce type de promotion il parvint à la dignité de prêtre et servit dévotement Dieu dans cet ordre pendant près de 40 ans. Cinq ans avant sa mort, à l’instar du vieux Tobie il fut privé de la vue, et à l’exemple de Job sa chair pourrit en partie. Mais il supporta ces épreuves avec patience, et même avec le sourire, au point que, comme il le voulait, personne, sauf les confidents de ses secrets, ne s’apercevait de rien. Le très glorieux empereur Henri, père de l’empereur actuel qui est aussi glorieux que lui, avait l’habitude de plaisanter au sujet de ce prêtre avec notre évêque Gebhard, et se moquait des habitants d’Eichstätt qui disaient simplement qu’ils avaient entendu, ou qu’ils allaient entendre, la messe du comte, et d’autres choses. Comme le temps de sa récompense approchait, et qu’il avait préparé sa sépulture auprès de saint Magnus, dans les Alpes, il mourut en route, au monastère de Gempfing qu’il avait fondé, et son corps, arraché à la fureur de ceux qui étaient avides de l’avoir et transporté à Eichstätt avec honneur, fut très solennellement déposé dans le monastère sainte Walpurge, qu’il avait construit, le jour même de la déposition de cette très sainte vierge. Lorsque son âme sortit, comme je l’ai entendu dire en toute vérité par un prêtre qui y était, une flamme semblable à celle d’une bougie sortit de sa bouche, et une telle terreur envahit tous ceux qui étaient là que lui seul, plein de crainte, resta auprès du mort. Cette épitaphe rapporte brièvement sa vie, sa conversion et sa mort : 17

Léger accepte donc d’obtenir progressivement les différents ordres mineurs (portier, lecteur, exorciste, acolythe), puis les ordres majeurs (sous-diaconat, diaconat, sacerdoce).

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Eh bien, Léger, tu rends à la terre mère ce qui lui appartient, Toi qui avais rendu aux cieux l’âme qui t’avait été donnée De comte tu t’es fait prêtre par amour du Christ. Alors tu avais donné tes biens à Walpurge, maintenant c’est toi que tu donnes. La lumière du 21 février fut la dernière de cette vie présente, la première de la vie éternelle. Nous prions pour toi, et toi prie pour nous, père nourricier, pour qu’avec toi nous ayons la paix. Amen. 32. J’ai raconté cela de manière plus brève que la dignité de la chose ne l’exigerait. Je reviens à l’évêque, et, laissant de côté beaucoup de choses par souci de brièveté, je dirai quelques mots au sujet de ce qui s’est passé à la fin de sa vie. Dès qu’il eut reçu la cathèdre épiscopale, par tous les moyens il n’agissait que dans un but et se consacrait entièrement à cela : améliorer son évêché très appauvri par son échange avec Bamberg et acquérir quelque chose pour saint Willibald. Pour cela il accomplit plusieurs voyages très difficiles, et n’épargnait ni lui ni les siens jusqu’à ce qu’il obtînt ce qu’il voulait. Finalement vaincu par son très dévoué service, l’empereur décida d’attribuer à l’évêché d’Eichstätt l’abbaye de Neuenburg, à cette condition que le corps de saint Willibald y fût transféré et que le siège de l’évêché y fût établi. Mais comme cela ne plaisait pas à notre très saint patron, qui aimait beaucoup cet endroit [Eichstätt], cela ne se réalisa pas. Car les moniales de Neuenburg multiplièrent les prières très instantes auprès de leur protectrice, sainte Marie, jusqu’à ce qu’elle obtinssent la réalisation de leur demande. Et de fait, alors que l’évêque pensait avoir déjà l’abbaye dans ses mains, et grâce à cela arrivait très joyeux à la cour, aussitôt l’esprit du roi fut changé et l’évêque dut renoncer complètement à ce qu’il attendait depuis si longtemps. Apprenant cela il eut l’esprit consterné et le prit tellement mal qu’il ne put retenir ses larmes et demanda ouvertement à saint Willibald de ne jamais retourner vivant à Eichstätt. Et malheureusement, c’est ce qui se passa. En effet il tomba malade sur le chemin du retour et mourut avant de parvenir à Eichstätt. Il fut enterré avec beaucoup de soin par l’admirable évêque de Freising Egilbert18, pour qui il avait au cours de sa vie beau-

18 Nouvelle erreur de l’auteur : en 1042 l’évêque de Freising était Nitker ou Nithard (1039-1052). Egilbert fut évêque de 1005 à 1039.

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coup de respect. La mort d’un aussi doux père fut tellement pénible aux frères, qu’en se relayant ils veillèrent la nuit sur son tombeau pendant 30 jours. Convaincus par leur grande affection, ils le considérèrent clairement comme saint. Sur son tombeau fut placée cette épitaphe, composée par le remarquable versificateur qu’était l’abbé Willram, son cousin : Ci-gît l’évêque Héribert, serviteur de Dieu… L’évêque Gezemann (1042) 33. Ce fut son frère Gezemann qui succéda à cet évêque, mais il ne lui survécut que deux mois. Bien qu’il n’ait gouverné que brièvement, il fit quelque chose de mémorable. Avec l’aide de Bruno, évêque de Wurzbourg19, il dédicaça le monastère Sainte-Walpurge le jour de la Saint-Burchard, pour que celui-ci fût aussi célébré ici. Il mourut trois jours plus tard et fut enterré solennellement par l’évêque de Wurzbourg à côté de son frère. L’évêque Gebhard (1042-1057) 34. Ce fut l’évêque Gebhard qui lui succéda. Il eût mieux valu qu’il ne devînt jamais évêque, ou que l’étant devenu il ne nous fût pas enlevé si vite ! Il serait en effet plus supportable de ne pas connaître un tel bonheur, que de le perdre aussitôt après l’avoir perdu20. Né d’un père Hartwig et d’une mère Biliza, il était originaire de Souabe et appartenait en partie à la famille royale, ainsi que l’empereur Henri le disait lui-même. Mais parce qu’il était très fin, il déclinait avec douceur cette hauteur, disant qu’il était certes né de parents assez nobles, mais n’appartenant pas du tout à la dignité royale. Il fut fait évêque par l’occasion suivante, je devrais plutôt dire par la volonté divine. Après que notre évêché eût été donné, à la demande du susdit évêque Bruno, à deux Wurzbourgeois consécutifs, l’évêque de Ratisbonne Gebhard21, oncle du roi, commença à demander à ce qu’en raison de sa parenté et de son service il fût donné à son grand-prévôt Conon. Le sage empereur penchait tellement vers l’acceptation, que ce prévôt était tout à fait 19

Bruno, évêque de Wurzbourg (1034-1045). Exagération de l’auteur, puisque Gebhard gouverna son évêché au moins de 1042 à 1055. 21 Gebhard III, évêque de Ratisbonne (1036-1060). 20

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sûr de devenir évêque, au point qu’il ne refusait pas le service de quelques clercs, comme s’il lui était déjà dû. Mais l’empereur découvrit qu’il était fils de prêtre et refusa entièrement de lui donner la dignité épiscopale. Son oncle s’en indigna beaucoup, disant que l’empereur lui refusait cela non pas pour ce motif, mais par mépris pour lui. L’empereur voulut alors chasser la suspicion de son oncle et lui dit : « Pour que vous sachiez que je ne vous veux que du bien, désignez-moi quelqu’un de digne parmi les vôtres, à l’exception cependant de celui-là, et j’accomplirai volontiers votre volonté. » L’autre le remercia comme il convenait et lui dit : « J’ai avec moi un jeune parent. Si vous lui donnez l’évêché en question, vous me trouverez toujours très dévoué en toutes choses. » L’empereur répondit : « Faites-le venir à nous ! » Lorsqu’il fut venu, l’empereur le vit et dit : « Certes, il est un peu jeune, et à peine assez convenable pour cette dignité ». Alors il consulta à ce sujet les évêques qui étaient assis autour, qui donnèrent des avis divers. Lorsqu’on interrogea saint Bardo, archevêque de Mayence22, qui à son habitude se tenait recueilli et en silence sous sa coule monastique, celui-ci, après l’avoir longtemps regardé, tourna enfin son visage vers l’empereur et lui dit : « Seigneur, vous pouvez bien lui donner ce pouvoir, parce qu’un jour vous lui en donnerez un plus grand. » L’empereur, très étonné, lui répondit : « Que dis-tu, mon père, que je lui donnerai plus tard un plus grand pouvoir ? » Et l’autre, en souriant : « Je le dis en prophétie. Vraiment, comme je l’ai dit, vous pouvez lui attribuer cet évêché. » Entendant cela, et rassuré par le témoignage d’un tel homme, le roi lui donna aussitôt l’anneau et la crosse. Lorsque son père Hartwig l’apprit, il fut rempli d’une très grande joie, comme il convenait, et demanda quel était le patron de cet évêché. Lorsqu’on lui dit que c’était saint Willibald il s’exclama : « Ça alors, mon songe m’a trompé ! » Jadis en effet il avait songé que son fils devait être pasteur de saint Pierre. Mais son heure n’était pas encore venue. 35. Après cela, élevé à la dignité épiscopale, notre seigneur Gebhard, bien qu’il fût jeune, ne fit cependant rien de puéril mais monta vraiment de vertu en vertu au point qu’il était inférieur à peu de princes du royaume, mais supérieur à beaucoup. Parmi les autres vertus il exerçait particulièrement celle-ci : il était d’une telle science

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Bardo, archevêque de Mayence (1031-1051).

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et d’une telle rapidité pour rendre la justice, divine ou humaine, qu’aucun mortel ne lui était supérieur sur ce point. Après quelques années l’empereur l’intégra dans l’administration du gouvernement public. Dans ce domaine il brilla par de si nombreuses louanges que, ce qui est très rare, il vainquit la jalousie par la vertu. C’est pour cela que lorsque le duc Conon fut exilé en Hongrie23 il prit provisoirement le gouvernement du duché de Bavière. Entre autres choses qu’il accomplit glorieusement à cette époque, il dévasta, brûla et détruisit de telle manière le territoire des gens de Scheyern qui, comme ils le font encore aujourd’hui, s’adonnaient entièrement au brigandage, qu’ils gardèrent une mémoire perpétuelle de cette dévastation et un objet de plainte. Et comme à cette époque il était le second après le roi, et que le roi même ne le précédait que par le seul trône royal, l’empereur et beaucoup d’autres crurent vraiment que la prophétie de saint Bardon au sujet d’un plus grand pouvoir se réaliserait. Mais l’heure à laquelle cette phrase se réaliserait n’était pas encore venue. 36. A cette époque le saint pape Léon gouvernait l’Eglise romaine, le deuxième à avoir présidé au siège apostolique sur le choix de l’empereur24. Le premier était Suidger, évêque de Bamberg25. Ce vénérable père avait été élevé au gouvernement du siège apostolique à cause de la nécessité suivante, comme nous l’avons expliqué dans le livre de l’impératrice Agnès. Comme la traditionnelle cupidité des Romains en était arrivée à rendre vénal même le siège apostolique et à y placer tel ou tel, et même alors l’un en même temps que l’autre, le glorieux empereur, ne supportant pas cette indignité, vint à Rome avec une grande armée et, y tenant un concile général, expulsa du siège apostolique, le même jour, deux simoniaques et y plaça un troisième, catholique, précisément ce susdit évêque de Bamberg Suidger, qui prit comme pape le nom de Clément26. Celui-ci donna aux Bambergeois ce privilège que lors des grandes

23 Conrad, duc de Bavière, fut déposé à la diète de Mersebourg en décembre 1053. 24 Bruno, évêque de Toul (1027-1051), pape sous le nom de Léon IX (1049-1054). 25 Suidger, évêque de Bamberg (1040-1047), pape sous le nom de Clément II (1046-1047). 26 En 1046 Henri III déposa Benoît IX, Silvestre III et Grégoire VI, qui à des titres divers revendiquaient la papauté.

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fêtes les serviteurs de l’autel et les autres anciens porteraient des mitres sur leur tête. 37. Ce pape décédé de manière heureuse et enterré à Bamberg, dans le chœur de Saint-Pierre, avec une particulière dévotion des frères, ce fut ce saint Léon dont nous avons parlé qui lui succéda. Celui-ci était d’une telle clémence qu’il n’imposait aux coupable de crimes capitaux que trois vendredis de pénitence et remettait le reste avec miséricorde. Comme ses familiers le remarquaient et que les plus simples disaient que cette impunité en incitaient certains à oser perpétrer un crime, le très clément pape répondait doucement et faisait taire les murmures par une phrase aussi vraie que simple : « Qu’il ne vous déplaise pas, mes frères, si comme pécheur j’aide les pécheurs. Et surtout, qu’il ne vous déplaise pas que je ne punisse pas plus sévèrement les pécheurs que celui qui n’a pas commis de péché et dans la bouche de qui on n’a pas trouvé de fraude. Dans tout l’évangile vous ne trouverez pas que le seigneur Jésus ait puni quelqu’un par des jeûnes ou des coups, mais il a simplement dit au pénitent : Va en paix et désormais ne pèche plus »27. Pour la paix de l’Eglise il mena une guerre contre les Normands, mais encourut un grand dommage. Inconsolablement attristé, il célébrait tous les jours une messe pour l’âme de ceux qui y avaient été tués. Alors qu’il le faisait depuis longtemps, enfin l’ange du Seigneur lui apparut en vision et lui demanda pourquoi il célébrait des messes quotidiennes pour les défunts. Il lui répondit qu’il le faisait à bon droit pour ceux qui avaient été tués parmi les siens, l’ange lui dit : « Ne chante pas pour les défunts, chante plutôt la messe Sancti tui, Domine, parce que la mort des saints tués lors de cette bataille est précieuse aux yeux du Seigneur28 ». Il chanta alors cette messe pour eux jusqu’à la fin de sa vie. Lorsque sa mort approcha, il vit venir à lui un jeune homme revêtu des habits pontificaux et portant en main trois calices. Il s’éveilla aussitôt et donna ainsi à ses familiers l’explication de ce songe : un plus jeune que lui serait pape après lui, mais ne vivrait que pendant trois années. Il eut un autre songe au sujet d’Hildebrand29, qui était alors archisous-diacre de l’Eglise romaine : sa chape brûlait et répandait des flammes tout autour. Il l’expliqua de manière prophétique : « Si jamais, pourvu que cela 27 28 29

Marc, 5, 34. La messe Sancti tui, Domine est la messe du commun des martyrs. Hildebrand, qui devait devenir le pape Grégoire VII (1073-1085).

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n’arrive pas, tu accédais au siège apostolique, le monde entier serait perturbé. » A quel point cette prophétie était vraie, par malheur cela apparut plus que juste par nos malheurs. 38. Le pape Léon étant mort, non pas communément, mais vraiment compté au nombre des saints, les principaux Romains vinrent à Mayence et demandèrent à l’empereur de leur donner un pape. Après une longue délibération, ils ne voulurent accepter personne d’autre que notre évêque Gebhard30. Lui, résistant de toutes ses forces, amenait d’autant plus les Romains à désirer l’obtenir qu’il refusait la dignité qui lui était offerte. Enfin, il envoya en cachette des agents à Rome, pour, par ruse, le calomnier de manière infâmante et le rendre de n’importe quelle manière abominable aux Romains ; mais ce fut en vain. Il demanda à quelques savants, parmi lesquels notre écolâtre, de rassembler des canons qui lui étaient favorables ; mais ce fut en vain. Car, comme le dit l’Ecriture, « il n’y a ni sagesse, ni prudence, ni conseil contre le Seigneur »31. Finalement, tous les grands du royaume se rassemblèrent à Ratisbonne, mirent fin à tout atermoiement, et lui-même termina la controverse par une phrase aussi brève que notable qu’il dit à l’empereur : « Je me donne tout entier à saint Pierre, corps et âme. Et bien que je me sache tout à fait indigne d’un siège d’une telle sainteté, j’obéis à votre ordre à cette condition que vous rendiez à saint Pierre ce qui lui appartient et qui lui a été injustement enlevé. » L’empereur ayant accepté de faire cette promesse. Gebhard alla volontiers à Rome, où il fut accueilli avec une dévotion particulière et prit, lors de sa consécration, le nom de Victor. Il gouverna très glorieusement le siège apostolique pendant trois ans, et, entre autres vertus, fut d’une telle générosité que les Romains publièrent son éloge de manière considérable, non seulement de son vivant, mais aussi après sa mort. Son souvenir est d’ailleurs encore éclatant. Comme il ne perdait pas de vue l’accord qu’il avait conclu avec lui, il obtint pour saint Pierre de la part de l’empereur, parfois consentant, parfois de mauvaise grâce, de nombreux évêchés et de nombreux châteaux qui avaient été enlevés de manière injuste, et il accrut, enrichit et éleva l’Eglise romaine par de nombreux honneurs. S’il avait pu vivre plus long-

30

Gebhard, évêque d’Eichstätt (1042-1057), pape sous le nom de Victor II (1055-1057). 31 Prov., 21, 30.

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temps, peut-être aurait-on dit à son sujet des mots qui auraient tinté aux oreilles de certains. 39. Par la suite, convoqué par des ambassades nombreuses et très choisies, envoyées par l’empereur, il alla à Goslar. Il y aurait été accueilli avec une gloire inouïe, si Dieu n’avait montré très clairement que tout cela ne comptait pas pour lui. En effet, alors qu’au début de cette réception toute la pompe royale venait à sa rencontre au milieu d’ornements extrêmement précieux, une forte pluie s’abattit si soudainement que tout le faste de ce décorum fut dispersé de toutes parts. Ce fut une fuite éperdue plus qu’une procession ordonnée qui se réfugia dans le monastère, et finalement il fut accueilli comme il convenait à un pape, et non pas comme le voulait l’empereur. Il serait trop long de raconter avec quel incomparable faste il aurait été traité, ainsi qu’il le fut au-delà de toute mesure dans ce cadre. Mais on peut dire sans mentir que l’empereur ne voyait rien de trop magnifique à son goût pour montrer la grandeur de son désir. 40. Quelques jours plus tard, lors d’une chasse d’automne, alors qu’il se livrait dans la forêt du Harz à ce loisir qui lui plaisait beaucoup, l’empereur tomba gravement malade. Les médecins perdirent tout espoir, la maladie s’aggrava, et le 5 octobre il fut délivré des choses terrestres et, nous le croyons vraiment, transporté jusqu’aux joies sans fin du royaume céleste. Et comment ne le croirions-nous pas, alors qu’en multipliant les œuvres de vertu et de bonté il fut extrêmement catholique, et qu’à sa mort étaient présents le pape lui-même, qui était très bon pour lui, et tant de vénérables évêques et d’autres prêtres, auxquels il fit sa confession et desquels il reçut l’absolution, et qu’il eut donc comme de très dévoués intercesseurs pour lui ? Comment tant de prières et d’aumônes, et de quelle qualité ! qui, dit-on, avaient précédé le jour de son enterrement, ne sauveraient-elles pas celui qui avait connu une nouvelle naissance dans l’eau et l’Esprit Saint et qui était mort dans la foi catholique ? Transporté de Saxe jusqu’au Rhin, il fut enterré magnifiquement, le 23e jour après sa mort, 28 octobre, jour de sa naissance, à Spire, dans le monastère Notre-Dame, près de son père et de sa mère. Ce furent l’illustre pape et l’impératrice Agnès, jusqu’alors impératrice, désormais veuve, qui veillèrent à ce qu’il fût déposé dans le sein de la terre, qui est la mère commune de tous les mortels, le jour même où il était sorti du ventre de sa mère charnelle. 279

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41. Ayant arrangé et mis en ordre d’excellente manière les affaires du royaume, le pape retourna à Rome d’où il ne devait, malheureusement, plus jamais revenir et par une mort prématurée mit un terme à sa vie présente à Arezzo, cité de Toscane, le 28 juillet [1057] et partit pour la gloire sans fin. Comme les nôtres voulaient ramener son corps à la capitale Eichstätt, ils en furent dépouillés par ruse de manière tout à fait inhumaine par les Ravennates. Le très glorieux pape ayant été enterré hors les murs de Ravenne, dans la basilique Sainte-Marie, construite à l’image du Panthéon de Rome, privés de leur très pieux seigneur mais chargés d’une extrême tristesse, ils se mirent en route pour rentrer. Mais alors qu’eux descendaient depuis le sud, à la même heure Gundekar, déjà désigné évêque32, descendait ouvertement depuis le nord, et tandis qu’eux se lamentaient d’avoir perdu leur seigneur, lui se réjouissait d’avoir obtenu l’épiscopat. Nous avons déjà raconté son élection, son investiture, son intronisation et sa consécration selon la description qu’il en faite lui-même. Aussitôt après son ordination, il découvrit que la maison de saint Willibald était détruite du côté est. C’était son prédécesseur qui, sur l’avis de quelques mauvais conseillers, avait décidé cela peu avant de mourir, il est vrai dans le but de l’améliorer. Lui crut que rien ne devait être hâté de manière plus énergique que la reconstruction de l’église détruite et ensuite la consécration de l’église reconstruite. Et c’est remarquablement entouré qu’il célébra sa première fête de Pâques, ayant appelé près de lui son parent et coévêque Egilbert de Passau33 et beaucoup d’autres, tant des évêques comprovinciaux que ses vassaux.

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Gebhard avait conservé son évêché d’Eichstätt lorsqu’il devint pape, comme d’ailleurs Bruno de Toul l’avait fait avant lui. 33 Egilbert, évêque de Passau 1045-1065).

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Recueil de chartes alsaciennes et lorraines (Xe – début XIIe siècle) traduites par Cédric Giraud et Benoît-Michel Tock

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Introduction

Le petit recueil de chartes que l’on trouvera ici n’a certes pas la prétention d’offrir un panaroma complet de la diplomatique allemande aux Xe et XIe siècles. Il vise surtout à montrer quelques exemples d’actes écrits tels qu’on les trouve dans une partie, ou plus exactement deux parties, de la Germanie : l’Alsace et la Lorraine : actes royaux et impériaux, actes épiscopaux, actes monastiques… Les plus anciens actes pontificaux qu’on trouvera ici émanent de Léon IX (1049-1054). Ce n’est pas un hasard. Ce pape, né en Alsace et élevé en Lorraine, n’a jamais oublié ses régions d’origine ; il y a fait de nombreux voyages et en a couvert les églises de privilèges1. Cet aspect un peu régionaliste de ce pontificat (et de cette personnalité) ne doit cependant pas tromper : Léon IX est avant tout le pape de la réforme ecclésiastique, de la centralisation pontificale, du renforcement des liens avec les différents régions de la chrétienté. C’est à partir de son pontificat que les bulles, d’ailleurs assez fortement modifiées, ont commencé à se multiplier et à s’adresser à toute la chrétienté. Nous avons retenu aussi beaucoup d’actes royaux ou impériaux. Il s’agit là d’une catégorie très importante d’actes écrits, très bien représentée aussi bien en Lorraine qu’en Alsace et d’une manière générale, aux Xe et XIe siècles, dans la plupart des régions de l’Empire. Roi puissant, doublement placé au-dessus des princes par son titre royal et son titre impérial, le souverain reste, comme sous l’empire carolingien, la source du droit, et nombreuses sont les

1 Sur Léon IX voir les actes du colloque Léon IX et son temps, éd. Georges Bischoff et Benoît-Michel Tock, Turnhout, 2007 (Artem).

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églises, voire les particuliers, qui lui demandent de leur garantir une propriété. Si en revanche on quitte la diplomatique souveraine pour s’intéresser aux autres actes, les différences entre Lorraine et Alsace sont nombreuses. Dans cette dernière région, il y a très peu d’actes autres que royaux et, à partir de Léon IX, pontificaux2. En Lorraine, au contraire, les actes épiscopaux abondent, et constituent même une partie si importante de la diplomatique qu’ils comptent beaucoup de faux. Cette différence est très largement liée à la question du sceau : alors qu’à l’époque carolingienne seuls les souverains scellaient leurs actes, les évêques commencent à le faire, très timidement au Xe siècle, plus franchement au XIe siècle. Ce mouvement, né du côté de Cologne ou Trèves, gagne assez vite la Lorraine (et on voit ici que la charte donnée en 1095 par l’évêque de Metz Poppon est effectivement scellée), alors qu’il faudra attendre la troisième décennie du XIIe siècle pour qu’il en aille de même en Alsace3. Comme les textes de ces chartes sont dispersés dans plusieurs recueils différents, on a voulu en donner ici une nouvelle transcription. On trouvera donc ici, pour chacun des actes retenus : la date, une analyse, la cote d’archives de l’original, l’édition de référence, le numéro dans la base de données de l’Artem, une traduction française, le texte latin. Dans le texte latin, les passages en lettres allongées dans les originaux sont rendus en grandes capitales ; les numéros des lignes sont indiqués entre barres obliques.

2 Benoît-Michel Tock, « Les chartes originales d’Alsace antérieures à 1121 », dans Revue d’Alsace, 128 (2002), p. 35-44. 3 Peter Weiss, Frühe Siegelurkunden in Schwaben (10.-12. Jahrhundert), Marbourg, 1997 (Elementa diplomatica, 6).

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1 942, 10 janvier. Otton Ier, roi, décide l’introduction de la vie monastique à l’abbaye Saint-Arnoul de Metz occupée jusqu’alors par des chanoines (orig. Paris, BNF, Collection de Lorraine, 980 no 3 ; éd. Die Urkunden der deutschen Könige und Kaiser, t. 1, Hanovre, 1879-1884 (MGH), n°45, p. 130 ; n° Artem 2374). Au nom de la sainte et indivisible Trinité. Otton, roi par la volonté de la divine clémence. Sache le zèle de tous nos fidèles tant présents que futurs qu’Adalbéron, vénérable évêque de Metz, est venu trouver notre sublimité en nous rapportant que les chanoines du monastère Saint-Arnoul situé dans son diocèse, mettant de côté la vie canoniale, ont préféré vivre en laïcs. Comme cet évêque, après les avoir de très nombreuses fois avertis, les a trouvés incorrigibles, sur le conseil de tout son clergé, il a décidé de les chasser de ce lieu plutôt que de les laisser y mener une vie honteuse. Ces chanoines en ont fait appel auprès de nous, mais considérant cet appel comme inutile, nous avons accepté les demandes de notre évêque et de nos autres fidèles et avons décidé par notre puissance royale que les hommes rassemblés en ce lieu en une communauté vertueuse pour y servir Dieu mèneront désormais et pour toujours la vie monastique. Et pour que l’autorité de notre diplôme demeure éternellement inviolable, nous l’avons confirmé par notre souscription manuelle et l’avons fait corroborer par la marque de notre anneau. Signe d’Otton roi très invincible. Brunon chancelier, j’ai reconnu à la place de l’archichapelain Frédéric. Donné le 10 janvier, l’an de l’incarnation du Seigneur 941, indiction 14, sixième année du règne du seigneur Otton. Fait à Francfort. Au nom de Dieu. Amen. /01/ (Chrisme) IN NOMINE SANCTAE ET INDIVIDUAE TRINITATIS. OTTO DIVINA ORDINANTE CLEMENTIA REX. NOVERIT OMNIUM FIDELIUM NOSTRORUM TAM PRESENTIUM QUAM ET FUTURORUM INDUSTRIA, /02/ qualiter Adalbero, Metensis sedis antistes venerabilis, nostram adiit sublimitatem, nobis referens quod canonici monasterii Sancti Arnulfi in ejus episcopatu consistentes, posthabita /03/ canonice regulae conversatione, laico more vivere maluerunt. Quos dum idem episcopus antedictus post creberrimas ammonitiones incorrigibiles esse cognovit, consilio totius /04/ cleri sui eos inde potius expelli quam inhonestam inibi ducere vitam decrevit. Prelibati autem canonici pro 285

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hoc ad nos proclamationem fecerunt. Verum nos inutilem eam /05/ considerantes, flagitationibus prelibati episcopi nostri ceterorumque fidelium nostrorum obtemperantes regia potestate sancimus ut congregata inibi Deo famulantium honesta congre-/06/-gatione ex hoc inantea monachica ibi perpetualiter vita ducatur. Et ut haec nostri precepti auctoritas inviolabilis aeternaliter perduret, manu nostra subtus illud firmavimus /07/ et anuli nostri impressione corroborari precepimus. /08/ SIGNUM DOMNI OTTONIS (Monogramme) INVICTISSIMI REGIS. /09/ BRUN CANCELLARIUS AD VICEM FRIDURICI ARCHICAPELLANI RECOGNOVI (Ruche, sceau). /10/ Data IIII idus januarii, anno incarnationis Domini DCCCCXLI, indictione XIIII, anno domni Ottonis VI. Actum in Vranconevurt. In Dei nomine. Amen. 2 944, 20 juillet. Notice relatant la destruction de la chapelle de Maizerais (original Arch. dép. Meuse, 4 H 74 n° 1 ; éd. André Lesort, Chronique et chartes de l’abbaye de Saint-Mihiel, Paris, 1909-1912 (Mettensia, 6), n° 25, p. 110-115 ; n° Artem 107). Au nom de notre Sauveur Jésus-Christ. Que soit connu de tous ceux qui cultivent la foi chrétienne ce qui s’est passé au sujet d’une chapelle injustement construite en un lieu appelé Maizerais4, sur la Mad, que l’intendant de Saint-Etienne de Metz dans le domaine de Nonsard5 avait construite de manière déraisonnable et contraire à la loi canonique, désirant enlever à l’église d’Essey6 la part de dîme qui lui était due de droit à partir du jour où elle avait été fondée. Le comte Vuidric, corrompu par le conseil de quelques hommes iniques, ordonna de créer cette chapelle. A cause du fait même de cette construction indigne une requête fut aussitôt déposée. C’est ainsi que l’évêque de Toul Ludelme7 vint à cet endroit. Il fit abattre le clocher, prit avec lui les cloches et les vêtements sacerdotaux, jeta l’anathème sur cette chapelle en vertu de son autorité ecclésiastique, et chassa de l’Eglise catholique tous ceux qui par la suite pren-

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Maizerais, Meurthe-et-Moselle, arr. Toul, cant. Thiaucourt. Nonsard, Meuse, arr. Commercy, cant. Vigneulles. Essey, Meurthe-et-Moselle, arr. Toul, cant. Thiaucourt. Ludelme, évêque de Toul (895-907).

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draient soin de cette chapelle. Son successeur l’évêque Drogon8 confirma cette décision au cours du saint synode, par les paroles et l’excommunication. Et c’est en cet état que cette chapelle fut maintenue en tout temps et proclamée à juste titre, jusqu’à ce que l’affaire arrive à une fin certaine en présence de Gauzlin, évêque de Toul9, et d’Adalbéron, évêque de Metz10. En effet, comme de leur temps une longue dispute avait eu lieu, l’évêque Gauzlin détruisit à nouveau cette église, prononça l’excommunication et destina l’édifice davantage aux chiens qu’aux saintes reliques. Sur l’ordre du duc Otton11 et de l’archevêque Robert12, cette dispute arriva à la fin suivante : les évêques Gauzlin et Adalbéron vinrent ensemble à Essey, chacun avec ses archidiacres et les serviteurs de son église. Ils firent jurer chacun sept prêtres, pour qu’ils disent la vérité. Après avoir prêté serment, tous dirent d’une seule voix que c’était injustement que la chapelle avait été construite et la dîme enlevée à l’église Saint-Michel d’Essey. Dès lors, par un jugement des évêques, des archidiacres, des prêtres, des hommes nobles et non-nobles, Bransin, prêtre de Nonsard, rendit en donnant un gage cette dîme à Gonthald, prêtre de l’église Saint-Martin [d’Essey] et à Létard, abbé du monastère de Saint-Mihiel13. Et la chapelle fut détruite depuis les fondations et condamnée éternellement selon la coutume ecclésiastique, pour que jamais elle ne soit instituée, ni la dîme enlevée à la susdite église. Cette querelle ayant été terminée selon la loi, il fut ordonné par les évêques et par tous ceux qui étaient présents dans cette assemblée qu’un écrit soit établi, tel que les générations futures sachent ce qui avait été fait pour cette affaire. Les deux évêques donnèrent l’ordre d’établir cet écrit. Si quelque téméraire voulait instituer cette chapelle ou s’efforçait d’enfreindre cet écrit, qu’il soit condamné perpétuellement à l’excommunication et paie les amendes ecclésiastique et royale. Signe des évêques Gauzlin et Adalbéron. Signe d’Evorin, princier et archidiacre. Signe d’Ursion. Signe de Blidulfe, abbé. Signe de

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Drogon, évêque de Toul (907-922). Gauzlin, évêque de Toul (922-962). 10 Adalbéron Ier, évêque de Metz (929-964). 11 Otton Ier, duc de Lotharingie (942-944). 12 Robert, archevêque de Trèves (931-956). 13 Saint-Mihiel, Meuse, arr. Commercy, ch.-l. cant. 9

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Vuifrid. Signe de Berhard, princier et archidiacre. Signe d’Evrard, archidiacre. Signe de Garnier, Barnefroi, Bérenger, Gifad. Noms des témoins : Winigius, prêtre, Heirred, Teutgaud, Erpald, Ramher, Willerad, Guirard et les autres. Signes des hommes nobles : Hamedeus, Haimon, Rotfred, Lambert, Ragembaud, Sarigise, Gui, Hugues, Humbert, Angelbaud, Bovon, Guiard, Teutmar, Boson. Signe des non-nobles : Ratmar, Robert, Heldulfe, Hariolus, Gérard, Bertrad, Salacon, Boblin, Dodon, Leutmund, Ibald, Brandald, Gui, l’autre Dodon, Madegrad, Hadeer. Fait publiquement dans le cimetière de Saint-Martin d’Essey, le 20 juillet, la huitième année des rois Louis14 et Otton15, Robert étant archevêque et Otton duc. Moi Boson, chancelier, j’ai écrit et souscrit. /01/ (Chrisme) IN NOMINE SALVATORIS NOSTRI JHESU CHRISTI, NOTUM MANEAT OMNIBUS CHRISTIA[NE FIDEI CULTORIBUS /02/ qualiter actum sit] de quadam capella injuste constructa in loco nuncupato Masiriaco super fluvi[um Mattis, quam potestas beati Ste]-/03/-phani Mettis civitatis ex villa quae vocatur Novisartis nuper inra[tionabil]iter et [contra legem] canon[ice auctoritatis construxerunt, auferre] /04/ cupientes partem decimę Aciacensis aecclesie quę jure illi debe[batur ex die quo primum fun]data est. [Vuidricus enim quidam comes depravatus] /05/ consilio quorundam iniquorum hominum fieri jussit prefatam capellam. [Ex cujus indigne constructio]nis facto, mox proclam[atio facta est, sicque veniens Lu]-/06/-delmus Tullensis episcopus ad eundem [locum], nolarium ipsius capellę evertit, [campanas cum vestibus sacerdotalibus secum detulit, ipsam capellam anathema/07/-tizavit secundum aecclesiasticam auctoritatem omnesque qui ad predictum [locum deinceps] attenderent a liminibus [catholice] aecclesię reppulit. [Quam] /08/ rem Drogo episcopus, successor ipsius, in synodo sancta nihilhominus verbis et excommunicationibus confirmavit. Et tali ordine prescripta cappella in /09/ omni tempore detenta est et proclamata juste, donec ipsa res ad certum [devenit] finem in presentia Gauzlini Tullensis episcopi et Adalbe-

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Louis IV d’Outremer, roi de Francie occidentale (936-954). Otton Ier, roi de Francie orientale (936-973), empereur en 962.

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ronis Metten-/10/-sis presulis. Nam cum inde temporibus illorum longa contentio facta fuisset, rur[sus Gauzlinus] episcopus eandem aecclesiam [destruxit], excommunicavit, domum magis /11/ canum quam sanctarum reliquiarum esse destinavit. Quę contentio, jussu Ottonis ducis et [Rotberti archy]episcopi, ad talem tandem pervenit finem : in villa Aciaco simul con-/12/-venientes sepefati episcopi Gauzlinus et Adelbero cum suis ex utraque parte archydiaconibus et ministris aecclesiarum septem presbiteros ex utraque parte /13/ jurare fecerunt, ut ex hoc vera dicerent. Quod sacramentum peractum, omnes una voce dixerunt injuste cappellam fuisse structam et [decimam] ab aecclesia Sancti Michaelis Aciaci /14/ ville ablatam. Sicque [judicio episcoporum et archydiaconorum, presbiterorum, nobilium et ignobilium virorum, Bransinus presbiter Novisartis re]ddidit per [vadium Gon]thaldo presbitero /15/ aecclesię Sancti Martini ipsam decimam et Letardo pape coenobii Almi Micahelis, et ipsa cap[pel]la a fundamentis destructa est et aeternaliter aecclesiastico more /16/ dampnata, ne umquam instauretur nec decima a prefata ęcclesia auferatur. Hac ergo contentione legaliter finita, decretum est ab episcopis et ab omnibus qui in eodem fuerunt conventu /17/ ut inde scriptum tale factum esset, in quo posteri recognoscerent qualiter super hac re factum fuisset. Quod scriptum u[tri]que episcopi fieri jusserunt. Si quis prescriptam capel-/18/-lam temerarius instaurare voluerit et scriptum hoc infrangere conaverit, [excommunica]tione perpetualiter dampnetur et ban[num ecc]lesiasticum atque regium persolvat. /19/ Signum episcoporum Gauzlini et Adelberonis. Signum Evorini, primicerii et archydiaconi. [Signum Ursionis. Signum Bli]dulfi, abbatis. Signum Vulfridi. Signum Berhardi, primicerii et archydiaconi. Signum Evrardi, archidiaconi. /20/ Signum Vuarneri, Barnefridi, Berengar[ii, Gifadi. Nomina testium : Winigii, presbiteri], Heirredi, Teutgaudi, Erpaldi, Ramheri, Willeradi, Guirardi et cęterorum. /21/ Signa nobilium virorum Hamedei, H[aimo]nis, Rotfredi, Lantberti, [Ragembaldi, Sarigisi], Widonis, Hugonis, Hunberti, Angel[baldi, Bovonis, Gui]ardi, Teutmari, Bosonis. /22/ Signa ignobilium Ratmari, Rotberti, Heldulfi, Harioli, Girardi, Bertradi, [Salaconis, Boblini, Dodonis, Leutmundi, Ibaldi, Brandaldi, Vidonis, item Dodonis, Mad]egradi, Hadeeri. /23/ Actum publice in atrio Sancti Martini Aciacę villę, XIII kalendas augusti, anno VIII [regum] Ludowici atque Ottonis, Rotberto archyepiscopo, Ottone duce. /24/ EGO BOSO CANCELLARIUS SCRIPSI ET SUBSCRIPSI.

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3 988, 12 octobre. Le roi Otton III confirme l’immunité et les privilèges de l’abbaye de Murbach (original Arch. dép. Haut-Rhin, 9 G 3 n° 10 ; éd. Die Urkunden der deutschen Könige und Kaiser, t. 2, 2e partie, Hanovre, 1888 (MGH), n° 47, p. 448-449 ; n° Artem 3887). Au nom de la sainte et indivisible Trinité. Otton, roi par la faveur de la clémence divine. Nous croyons que, si nous enrichissons par amour de Dieu les lieux voués au culte divin et si nous accordons des bienfaits opportuns à ceux qui servent Dieu dans ces mêmes lieux, nous recevrons auprès de Dieu la récompense de la rémunération éternelle. Sache donc le zèle de tous nos fidèles, tant présents que futurs, que le vénérable Helmeric, abbé du monastère de Murbach16 qui a été construit en l’honneur de la sainte mère de Dieu et toujours vierge Marie, du prince des apôtres saint Pierre et de saint Léger, martyr et évêque, a présenté à notre regard les privilèges d’immunité de notre regretté grand-père Otton et de notre père, son homonyme, tous deux empereurs augustes, et de nos autres prédécesseurs rois et empereurs, dans lesquels il était contenu que, pour l’amour de Dieu et la tranquillité des frères qui y demeurent, ce monastère avec toutes les possessions et les hommes qui lui sont soumis selon le droit, soit maintenu sous leur entière défense, et sous la protection de l’immunité. Pour renforcer cela, notre très chère mère l’impératrice auguste Theophano, ainsi que nos fidèles Willigise, honorable archevêque de Mayence17, Hildebald, vénérable évêque de Worms18, et Conrad, glorieux duc des Alamans et des Alsaciens19, nous ont demandé que nous renouvelions et confirmions de notre autorité, par respect pour ce saint lieu, l’immunité de notre autorité pour ce monastère. Nous avons accepté volontiers leur demande, par amour pour Dieu et pour l’augmentation de notre récompense, et nous avons ordonné de faire écrire ce diplôme, par lequel nous concédons par notre autorité royale et nous renforçons tous les lieux qui ont été 16 17 18 19

Murbach, Haut-Rhin, arr. et cant. Guebwiller. Willigise, archevêque de Mayence (975-1011). Hildebald ou Hildebold, évêque de Worms (978-998). Conrad, duc de Souabe, mort en 997.

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concédés à leur usage au temps d’Eburhard et de Liutfred, ou qui ont été ajoutés ensuite et sont actuellement tenus en leur possession pour leur subsistance, et même ceux dont on sait qu’ils leur ont été injustement enlevés, et nous leur concédons, chaque fois que cela sera nécessaire, la libre élection de l’abbé qui pourra diriger ces biens et le gouvernement des hommes. En outre, nous interdisons par le sceptre royal qu’aucun comte, aucun juge, aucun puissant ose faire étape ou exiger du blé. Mais qu’il leur [aux moines] soit permis d’habiter là et de servir le Seigneur selon la règle. Que, selon les anciennes concessions de nos prédécesseurs, aucun tonlieu ne soit reçu ou exigé d’eux ou de leurs hommes à l’intérieur de notre royaume, ni en ville, ni sur la route, ni sur un pont, ni dans un défilé. Et pour que le précepte de notre confirmation reste ferme et stable, nous l’avons souscrit de notre main et avons ordonné qu’il soit confirmé par l’impression de notre sceau. Signe du seigneur Otton, très glorieux roi. Hildebald, évêque et chancelier, j’ai reconnu à la place de l’archevêque Willigise. Donné le 12 octobre, l’an de l’incarnation du Seigneur 988, indiction 1, 5e année du règne d’Otton III. Fait à Constance, heureusement, amen. 01/ (Chrisme) IN NOMINE SANCTAE ET INDIVIDUAE TRINITATIS, OTTO, DIVINA FAVENTE CLEMENTIA REX. SI LOCA DIVINIS CULTIBUS MANCIPATA PROPTER AMOREM DEI DITAMUS ET IN EISDEM LOCIS SIBI FAMULANTIBUS BENEFICIA /02/ oportuna largimur, pręmium nobis apud Deum eternę remunerationis rependi confidimus. Proinde omnium fidelium nostrorum tam praesentium quam et futurorum noverit industria, quia vir venerabilis Helmericus abbas ex mona-/03/-sterio Muorbach quod est constructum in honore sanctae Dei genitricis semperque virginis Mariae sanctique Petri principis apostolorum et sancti Leudegarii martiris et episcopi, detulit obtutibus nostris auctoritates inmunitatum beatae /04/ memorię avi nostri Ottonis et ejus aequivoci genitoris nostri, imperatorum videlicet augustorum, ceterorumque praedecessorum nostrorum, regum quoque et imperatorum, in quibus continebatur insertum, qualiter /05/ ipsum monasterium cum rebus et hominibus sibi juste [subjectis ob amorem] Dei tranquillitatemque fratrum ibidem consistentium sub plenissima defensione eorum et inmunitatis tuitione haberetur. /06/ Pro rei tamen firmitate carissima genitrix nostra Theophanu imperatrix scilicet augusta unacum fidelibus nostris Vuilligiso Mogon291

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tine sedis honorabili archiepiscopo et Hildibaldo Vuormaciensis /07/ cleri venerabili episcopo ac Conrado Alamannorum et Alsaciorum duce glorioso nos postulavit ut hujuscemodi nostrę auctoritatis inmunitatem erga ipsum monasterium ob reverentiam ipsius sancti loci hac nostra renovaremus /08/ atque confirmaremus auctoritate. Nos vero eorum petitioni pro Dei amore et nostrę mercedis augmento libenter annuimus et hoc praeceptum [inde] conscribi jussimus, per quod eis omnia loca quę vel tempore Eburhardi et Liutfredi usibus eorum concessa sunt /09/ aut postea per incrementa aucta sunt et modo in eorum vestitura tenentur ad suum peculiare et quę injuste abstracta noscuntur, nostra regia auctoritate omnia eis concedimus ac roboramus eisque inter se eligendi abbatem qui eisdem rebus fratrumque /10/ regimini praeesse possit, quandocumque eis necesse sit, liberum concedimus arbitrium. Insuper etiam regali sceptro sancimus ut nullus comes aut judex seu quęlibet praepotens persona mansiones in illis locis habere aut /11/ parata exquirere presumat, sed eis liceat quieto ordine degere et regulariter Domino militare. Theloneum videlicet juxta antiquas antecessorum nostrorum concessiones ab eis vel eorum hominibus /12/ per omnes regni [nostri] fines neque in urbe neque in via neque ad pontes seu aliquas stricturas nullo modo accipiatur vel queratur. Et ut hoc nostrae confirmationis praeceptum firmum stabileque /13/ permaneat, manu nostra illud subtus firmavimus sigillique nostri inpressione insigniri precepimus. /14/ SIGNUM DOMNI OTTONIS (monogramme) GLORIOSISSIMI REGIS. /15/ HILDIBALDUS EPISCOPUS ET CANCELLARIUS VICE VUILLIGISI ARCHIEPISCOPI RECOGNOVI (sceau). /16/ Data IIII IDUS octobris, anno dominicę incarnationis DCCCCLXXXVIII, indictione I, anno autem tertii Ottonis regnantis quinto. Actum Constantie. Feliciter. Amen. 4 992, 24 janvier. Otton III installe des moines irlandais dans l’abbaye Saint-Symphorien de Metz (orig. Arch. dép. Moselle, H 1340 no 1 , éd. Die Urkunden der deutschen Könige und Kaiser, t. 2, 2e partie, Hanovre, 1888 (MGH), n°84, p. 493 ; n° Artem 318). Au nom de la sainte et indivisible Trinité. Otton, par la faveur de la clémence divine roi. Nous croyons que si nous exaltons les églises de Dieu par notre munificence royale, cela nous sera sans 292

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aucun doute utile pour recevoir les récompenses du bonheur éternel et pour l’état de notre vie présente et de notre royaume. C’est pourquoi, sache le zèle de tous nos fidèles tant présents que futurs qu’Adalbéron, vénérable évêque de l’église de Metz, vint à nous en disant qu’il a commencé à reconstruire par amour de Dieu et de saint Symphorien martyr une abbaye située à l’extérieur des murs de la cité de Metz et qui était depuis longtemps détruite, en priant humblement notre excellence de confirmer par un diplôme de notre autorité cette abbaye avec ses dépendances. Sur l’intervention de notre grand-mère bien aimée, l’auguste impératrice Adélaïde20, faisant bon accueil à la pieuse demande d’Adalbéron, nous donnons et confirmons à nouveau par notre munificence royale tous les lieux qui avaient été donnés auparavant à cette abbaye Saint-Symphorien par les rois, empereurs ou d’autres religieuses personnes, ou que l’évêque Adalbéron a ajoutés à notre époque, qu’il désire encore ajouter, ou ceux que voudra ajouter la bonne volonté des autres fidèles de Dieu, à la condition que le premier abbé, Fingen, un Irlandais que l’évêque vient d’installer en ce lieu, et ses successeurs aient des moines irlandais, aussi longtemps que possible, et si les moines irlandais viennent à manquer, qu’il y ait toujours en ce lieu des moines de quelque origine que ce soit, et que la mémoire de notre nom, de notre âme, de nos parents, du présent évêque et de ses successeurs soit toujours honorée en ce lieu. Et pour que la confirmation de notre autorité demeure inchangée dans la suite des temps futurs, nous avons fait mettre l’empreinte de notre sceau sur le diplôme de notre domination ainsi mis par écrit et l’avons corroboré de notre propre main, comme cela se voit ci-dessous. Signe du seigneur Otton roi très glorieux. Hildebald21, évêque et chancelier, j’ai reconnu à la place de l’archevêque Willigise22. Donné le 24 janvier, l’an de l’incarnation du Seigneur 992, indiction 5, la neuvième année du règne d’Otton III. Fait à Francfort, heureusement, amen. /01/ (Chrisme) IN NOMINE SANCTAE ET INDIVIDUAE TRINITATIS. OTTO DIVINA FAVENTE CLEMENTIA REX. SI ECCLESIAS DEI DE NOSTRA REGIA MUNIFICENTIA EXALTAVERIMUS, ID PROCUL DUBIO AD AETERNAE BEATITUDI20 21 22

Adélaïde de Bourgogne (931-999) qui devint l’épouse d’Otton Ier en 951. Hildebald, chancelier (977-998) et évêque de Worms (979-998). Willigise, archevêque de Mayence (973-1011).

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NIS PRAEMIA CAPIENDA AC PRÆSENTIS VITAE /02/ et regni nostri statum nobis profuturum credimus. Quapropter omnium fidelium nostrorum presentium scilicet ac futurorum noverit industria, quomodo Adalbero, Mettensis ecclesiae venerabilis episcopus, ad nos venit dicens /03/ quod abbatiam quandam foras muros Mettis civitatis sitam, jam longo tempore destructam, pro Dei amore et sancti Symphoriani martiris noviter coepit reaedificare, humiliter deprecans nostram excellentiam /04/ ut eandem abbatiam cum suis pertinentiis nostrae auctoritatis praeceptione confirmemus. Nos vero ob interventum dilectae aviae nostrae, Adalheidis videlicet imperatricis augustae, /05/ piae petitioni illius benignum assensum praebentes, eidem abbatiae Sancti Symphoriani omnia loca a regibus vel imperatoribus vel ab aliis religiosis personis antea umquam tradita, vel quę jam /06/ ipse dictus Adalbero episcopus illuc moderno tempore adauxit et adhuc addere desiderat, aliorumque Dei fidelium bona voluntas adjungere studuerit, regia denuo nostra munificentia /07/ donamus atque confirmamus, ea videlicet ratione ut abbas primus, nomine Fingenius, Yberniensis natione, quem ipse praelibatus episcopus nunc temporis ibi constituit, suique successores /08/ Ybernienses monachos habeant, quamdiu sic esse poterit, et si defuerint ibi monachi de Ybernia, de quibuscumque nationibus semper ibi monachi habeantur, et nostri nominis /09/ animaeque nostrae parentumque nostrorum et praesentis episcopi successorumque illius memoria ibi numquam deficiat. Et ut haec confirmatio nostrae /10/ auctoritatis per futura succedentium temporum curricula inconvulsa permaneat, hoc nostrae dominationis praeceptum inde conscriptum /11/ sigilli nostri inpressione signare jussimus, manuque propria ut infra videtur corroboravimus. /12/ SIGNUM DOMNI OTTONIS (Monogramme) GLORIOSISSIMI REGIS. /13/ HILDIBALDUS EPISCOPUS ET CANCELLARIUS VICE VUILLIGISI ARCHIEPISCOPI RECOGNOVI. /14/ Data VIIII kalendas februarii, anno dominicę incarnationis DCCCCXCII, indictione V, anno autem tertii Ottonis regnantis nono. Actum Franconovurt. Feliciter. Amen. 5 1017, 9 mai. L’empereur Henri II donne à la cathédrale de Strasbourg des forêts en Alsace avec les droits de chasse qui y sont attachés (orig. Arch. dép. Bas-Rhin, G 10 ; éd. Die Urkunden der deutschen Könige und Kaiser, t. 3 : Die Urkunden Heinrichs II. und 294

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Arduins, Hanovre, 1900-1903 (MGH), n° 367, p. 469 ; n° Artem 574). Au nom de la sainte et indivisible Trinité. Henri, par la grâce de Dieu auguste empereur des Romains23. Qu’il soit connu de tous les fidèles du Christ que sur l’intervention de notre chère épouse l’impératrice auguste Cunégonde, mais aussi de notre frère Bruno évêque d’Augsbourg24, ainsi que de Poppon vénérable abbé de Lorsch25, nous avons donné une forêt à Werner, vénérable évêque du saint siège de Strasbourg26, autant en raison de l’amour spécial que nous avons pour la sainte mère de Dieu Marie que du service spirituel et matériel qu’il nous accorde si souvent et très généreusement, et nous l’avons délimitée comme suit : des bords du Rhin près de Wittenweier27 jusqu’au gué d’Hugues, de ce gué à Scherwiller28, de Scherwiller à Dachstein29, de Dachstein jusqu’à la Bruche, de la Bruche jusqu’au Rohrbach, du Rohrbach jusqu’à la Zorn, ensuite jusqu’à la Mathern à Pfaffenhofen30, ensuite le long de la Mathern jusqu’à l’endroit où elle se jette dans le Rhin, et ensuite tout le long du Rhin, y compris les îles adjacentes, jusqu’à Wittenweier. Nous lui confirmons ainsi qu’à ses successeurs par notre ban impérial le droit de forêt selon la coutume des rois et empereurs nos ancêtres de sorte que personne n’y prenne sans sa permission, de quelque manière que ce soit, un cerf ou une biche, un ours ou une ourse, un sanglier ou une laie, un chevreuil ou une chevrette. Et pour que l’autorité de notre donation reste stable et inchangée en tout temps, renforçant de notre propre main la page ainsi écrite, nous avons ordonné qu’elle fût confirmée par l’impression de notre sceau. Signe du seigneur Henri très invaincu. Gunther, chancelier, a écrit à la place de l’archichapelain Erchanbald. Donné le 9 mai, an de l’incarnation du Seigneur 1017, indiction 15, la 16e année du règne du seigneur Henri II, la quatrième de son empire. Fait à Francfort, heureusement.

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Henri II, roi (1002-1024), empereur en 1014. Bruno, évêque d’Augsbourg (1006-1029). Poppon, abbé de Lorsch (1006-1014/1018). Werner, évêque de Strasbourg (1001-1028). Wittenweier, Allemagne, Bade-Wurtemberg, Ortenau. Scherwiller, Bas-Rhin, arr. et cant. Sélestat. Dachstein, Bas-Rhin, arr. et cant. Molsheim. Pfaffenhoffen, Bas-Rhin, arr. Saverne, cant. Bouxwiller.

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/01/ (Chrisme) IN NOMINE SANCTAE ET INDIVIDUAE TRINITATIS, HEINRICUS, DEI GRATIA ROMANORUM IMPERATOR AUGUSTUS. Notum sit omnibus Christi fidelibus, quod inter-/02/-ventu dilectae conjugis nostrae Cunigunde videlicet imperatricis augustae sed et Brunonis Augustensis episcopi fratris scilicet nostri necnon Popponis Laurasamensis venerandi abbatis, /03/ sacrę sedis Argentinę Werenherio venerabili episcopo cum pro Dei genitricis Mariae speciali amore tum etiam propter ejus tam spiritualiter quam carnaliter juge servitium liberalissime nobis /04/ sepius impenssum forestem sic determinando proprietavimus : de litore Reni contra Wizvuilare ad vadum Hugonis et de vado Hugonis ad Sceravuilare et de Sceravuilare /05/ ad Dabechenstein et de Dabechenstein ultra Pruscam usque ad Roraham rivum, de Roraha ultra Sornam fluvium, deinde usque ad Matram fluvium ad illum locum qui dicitur Phaffen-/06/-hoven, deinceps per Matram deorsum usque ubi Matra intrat Renum et deinde sursum per totum limitem Reni, cum insulis omnibus adjacentibus usque Wicenvuilare. Jus igitur forestense /07/ ei suisque successoribus nostrorum regum quoque et imperatorum more antecessorum nostrorum per bannum nostrum imperialem firmavimus, ita vero ut nullus ibi cervum vel cervam, ursum aut ursam, aprum vel lefam, /08/ capreos vel capreas sine licentia ipsius quoquomodo capiat. Et ut haec nostrae donationis auctoritas stabilis et inconvulsa omni tempore permaneat, hanc paginam inde conscriptam /09/ manu propria signantes sigilli nostri inpressione insigniri jussimus. /10/ SIGNUM DOMNI HEINRICI INVICTIS-(monogramme)-SIMI. /11/ GUNTHERIUS CANCELLARIUS VICE ERCHANBALDI ARCHICAPPELLANI NOTAVIT (sceau). /12/ Data VII idus maii, anno dominicae incarnationis MXVII, indictione XV, anno vero domni Heinrici secundi regnantis XVI, imperii IIII. /13/ Actum Franchoneford. Feliciter. 6 1017, 29 septembre. L’empereur Henri II confirme l’immunité du monastère inférieur de Hohenbourg et accorde aux religieuses le droit de libre élection de l’abbesse (orig. Arch. dép. Bas-Rhin, G 11 n° 1 ; éd. Die Urkunden der deutschen Könige und Kaiser, t. 3 : Die Urkunden Heinrichs II. und Arduins, Hanovre, 1900-1903 (MGH), n° 355, p. 457-458 ; n° Artem 575).

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Au nom de la sainte et indivisible Trinité. Henri, par la clémence de la faveur divine auguste empereur des Romains. En témoignant à l’égard des lieux voués au culte divin un honneur digne et en leur concédant le droit d’élire leur abbesse, nous suivons la tradition de nos prédécesseurs les augustes empereurs et nous croyons clairement que cela nous aidera à obtenir la vie éternelle. C’est pour cela qu’il faut que le zèle de tous nos fidèles, présents et futurs, sache que Helewig, abbesse du monastère inférieur31 qu’on appelle Hohenbourg, qui a été construit en l’honneur de sainte Marie et de la sainte vierge Gondelinde, est venue trouver notre haute sérénité en nous suppliant de concéder par le précepte de notre autorité, à partir de maintenant et désormais, au susdit monastère, pour le salut de notre âme, le pouvoir d’élire son abbesse. Comme cette demande paraissait juste et raisonnable, sur l’intervention de notre cher fidèle, le vénérable évêque de Strasbourg Werner, et d’Hézelin, fils de cette église, nous l’avons reçue avec un esprit favorable, nous avons ordonné de faire pour ce monastère un écrit de notre autorité, par lequel nous décidons et ordonnons que dans l’avenir la congrégation de ce monastère procède ellemême à l’élection sans que nos successeurs y mettent d’obstacle ou d’opposition, sans non plus qu’aucun puissant, duc ou comte, ose changer notre statut. Quelle que soit l’abbesse que la congrégation, respectant la crainte de Dieu, se soit choisie, que ce soit celle-ci qui soit consacrée et non une autre. Et par égard pour la divine pitié nous concédons à cette congrégation qu’elle choisisse et institue comme avoué celui qu’elle aura voulu et confirmé par l’élection. Par crainte et amour de Dieu, il administrera convenablement ses biens ; par notre autorité impériale il régira et défendra la familia qui lui sera soumise, et personne d’autre ne revendiquera pour lui-même une prébende ou ne l’usurpera contre leur volonté. De surcroît, par l’autorité impériale nous décidons, ordonnons et imposons qu’aucun juge public, aucun titulaire d’un pouvoir judiciaire, ou aucune personne de rang élevé ou mineur, n’ose entrer, ni à notre époque ni dans les temps futurs, dans les églises, les lieux religieux, les champs et autres possessions que ce monastère possède à notre époque selon la loi et le droit dans n’importe quel pagus ou

31 Niedermunster, Bas-Rhin, arr. Molsheim, cant. Rosheim, com. Saint-Nabor.

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territoire soumis à notre autorité, que ce soit pour entendre ou trancher des causes judiciaires, pour y faire étape ou des réquisitions, pour y choisir des fidéjusseurs, pour y contraindre des hommes du monastère tant libres que serfs demeurant sur ses terres, pour y exiger des amendes, pour y prélever des redevances ou des prestations illicites. Mais que, écartant les perturbations dues au pouvoir judiciaire ou aux hommes méchants, ce monastère avec tous les biens et non-libres qui lui appartiennent, ainsi qu’il a été dit, demeure toujours paisible sous notre protection impériale et sous la défense de l’immunité, de manière qu’il se réjouisse de ce que les servantes de Dieu qui servent Dieu prient continuellement l’immense clémence de Dieu pour nous, notre chère épouse et la stabilité et la paix de l’empire qui nous ont été offertes par Dieu. Et pour que l’autorité de cette concession soit maintenue plus fermement, pour qu’elle soit réellement crue et observée scrupuleusement dans le futur par nos fidèles, nous l’avons confirmée ci-dessous par notre propre main et avons ordonné qu’elle soit distinguée par l’impression de notre sceau. Signe du seigneur Henri, très invaincu empereur auguste des Romains. Gunther, chancelier, a reconnu à la place d’Erchanbald, archevêque et archichancelier. Donné le 29 septembre, indiction 15, en l’an de l’incarnation du Seigneur 1017, la 15e année du règne du seigneur Henri II, la troisième de son empire. Fait à Erstein, heureusement, amen. /01/ [(chrisme) IN NOMINE SANCTAE ET INDIVIDUAE TRINITATIS, HEINRICUS, DIVINA F]AVENTE CLEMENTIA ROMANORUM IMPERATOR AUGUSTUS. /02/ [Si locis divino cultui mancipatis dignum honorem exhibemus eisque jus sibi abbatissam eligendi con]cedimus, imperatorum augustorum morem precessorum nostrorum exercemus, et id nobis ad aeternam vitam capiendam profuturum /03/ [liquido credimus. Quapropter comperiat omnium fidelium nostrorum presencium scilicet et futurorum industria, qualiter Helewig] abbatissa inferioris monasterii, quod dicitur Hohenburg, et est constructum in honore sanctae Mariae et /04/ [sanctae Gundelindae virginis, adiit serenitatem culminis nostri supplicans, quatenus ob augmentum mercedis animae] nostrae prefato monasterio potestatem per preceptum nostrae auctoritatis abbatissam sibi eligendi a [pre-/05/-senti tempore et inantea conce298

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deremus. Cujus peticionem, quia justa et racionabilis esse videbatur, interventu venerabilis nostrique dile]cti fidelis Werenharii Argentinensis aecclesiae episcopi et Hezilini ejusdem acclesiae filii libenti animo /06/ [suscipientes, hos nostrae auctoritatis apices jamdicto monasterio fieri jussimus, per quos decernimus at]que sancimus ut s[ine] obstaculo seu refragatione successorum nostrorum [jam nominati congregacio mona]sterii per futura tempora propriam /07/ [eleccionem habeat nec ulla potens persona ducum vel comitum statuta nostra permutare co]netur, [sed] quamcumque [secundum Dei timorem] sibi elegerit abbatissam, [ipsa ei consecretur et non alia, et] hoc etiam divinae miserationis re-/08/-[spectu eidem congregacioni conferimus, ut quem sibi velit advocatum prevideat, et quem eleccione probaverit] ipse ei constituatur, qui res suas timore et amore Dei bene procuret et [nostra imperiali auctoritate] familiam sibi subjectam regat /09/ [et defendat, et nemo alius prebendam suam sibi vendicet aut usurpet extra earum voluntatem. Insuper eciam impe]riali auctoritate precipimus, jubemus atque sancimus ut nullus judex publicus [nec quilibet ex] judicia[ria potestate] aut etiam /10/ [alia major minorve persona in ecclesias aut loca vel agros seu reliquas possessiones quas moderno tempore in quibusli]bet pagis vel territoriis infra ditionem imperii nostri juste et legaliter possidet, vel ea quae deinceps in jure ipsius voluerit divina /11/ [pietas augeri, ad causas judiciario more audiendas vel discuciendas aut mansiones vel paratas faciendas aut] fideijussores tollendos vel homines ipsius tam ingenuos quam et servos super terram ipsius commanentes injuste distringendos vel freda exigenda /12/ [nec ullas redibiciones aut illicitas occasiones requirendas nostris nec futuris temporibus ingredi audeat nec ea] quae supramemorata sunt penitus exigere presumat, sed remota judiciariae potestatis atque pravorum hominum inquietudine, idem monasterium /13/ [cum omnibus rebus et mancipiis ad se pertinentibus, sicut dictum est, sub nostra imperiali proteccione et immunitatis defensione semper quietum consistat, quatenus ancillas Dei] inibi Deo famulantes pro nobis et nostra dilecta conjuge ac totius imperii divinitus nobis conlata stabilitate et /14/ [pace Dei immensam clemenciam jugiter exorare delectet. Et ut hec concessionis nostre auctoritas firmior habeatur et per futura te]mpora a fidelibus nostris verius credatur et diligentius observetur, manu propria inferius firmavimus /15/ [et sigilli nostri impressione insigniri jussimus. /16/ Signum domni Heinrici invictissimi (monogramme) Romanorum i]m-

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peratoris augusti. /17/ [Guntherius cancellarius ad vicem Erchanbaldi archiepiscopi et archicancellarii rec]ognovit (sceau). /18/ [Data III kalendas octobris, indiccione XV, anno dominice incarnacionis millesimo XVII, anno domini Heinrici secundi regnantis XV, imperii autem] IIIo. Actum Erenstein. Feliciter. Amen. 7 1034 (?). Les comtes Godefroid et Hermann remplacent les moines par des moniales dans l’abbaye Saint-Remi de Lunéville, fondée par leur père (orig. Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, H 1503 ; éd. dom A. Calmet, Histoire ecclésiastique et civile de la Lorraine, 4 vol. Nancy, 1728, au t. 2, pr., col. 266 et Chartes originales de la Meurthe-et-Moselle, Nancy, 1977 (Cahiers du CRAL, 28), p. 55-56 ; n° Artem 221). Au nom de la sainte et indivisible Trinité. Les comtes francs Godefroid32 et Hermann33. En tant que catholiques nous sommes avertis par la morale et exhortés par les faits des anciens à être attentifs en faveur de l’Église pour ce qui regarde notre accroissement, afin de recevoir ainsi que nos successeurs la consolation en vue de la croissance de l’Église même. Qu’il soit donc connu de tous les fidèles de l’Église de Dieu tant présents que futurs que, alors que notre père avait voulu faire construire un monastère à Lunéville34 en l’honneur de saint Remi, il y avait placé des moines pour qu’ils s’appliquent à y servir Dieu. Constatant cependant que ces moines profanaient et pillaient la sainte Église, nous les avons chassés de ce lieu avec l’accord des catholiques et pour que cette maison de Dieu ne soit pas privée de tout troupeau de fidèles, nous avons concédé ce lieu à l’abbesse Adélaïde35 et à son troupeau de moniales pour qu’elles en prennent soin. Souhaitant augmenter ce lieu avec nos propres biens, nous lui avons concédé les biens suivants : deux manses qui s’y trouvent, deux moulins, l’autel de saint Remi avec ses dîmes et ses dépendances, ainsi que le pont qui s’y trouve, et le pont d’Einville36. Nous avons donné en outre d’autres biens à 32 33 34 35 36

Godefroid, comte de Metz (v. 1020- v. 1050). Hermann, comte, frère de Godefroid (v. 1030-1060). Lunéville, Meurthe-et-Moselle, chef-lieu d’arr. Adélaïde, abbesse de Saint-Remi de Lunéville (1034- v. 1060). Einville, Meurthe-et-Moselle, arr. Lunéville, cant. Lunéville-Nord.

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cette église pour le remède de nos âmes, c’est-à-dire Bénaménil37 avec l’église et toutes ses dépendances, les champs, les prés, les forêts, les pâturages et les cours d’eau, ainsi qu’Adoménil38 avec toutes ses dépendances. Nous donnons cinq manses avec deux parties de la chapelle à Pessincourt39, quatre manses avec la forêt à Hého40, six manses avec l’église à Frémonville41, un fourneau avec ses deux emplacements à Vic42. Nous avons donné en outre la dîme sur tous nos biens à la condition que les moniales demeurent en ce lieu pour toujours en conservant la vie régulière. Si quelqu’un ose changer ces dispositions et écarter de ce lieu les moniales qui y ont été installées, qu’il soit damné devant le tribunal du Christ et enfermé dans le gouffre infernal. L’an de l’incarnation du Seigneur 1034, indiction 643, Henri régnant44, Brunon étant évêque45. /01/ IN NOMINE SANCTE ET INDIVIDUE TRINITATIS. GODEFRIDUS, HERMANNUS FRANCORUM COMITES. CATHOLICI /02/ conmonemur censura priorum exortati gestis, ut ea quę ad augmentum nostri pertinent, ęcclesie solliciti instemus, /03/ quo tam nobis quam successoribus nostris preveniat solacium, ut ęcclesia ipsa sumat incrementum. Notum itaque sit omnibus /04/ ęcclesie Dei cultoribus tam presentibus quam futuris quod cum paterna dispositione quoddam monasterium in loco Lienatisville, /05/ in honore sancti Remigii construeretur, ibi ut Deo militare studerent, monachos pater apposuit. Nunc vero monachos illos

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Bénaménil, Meurthe-et-Moselle, arr. et cant. Lunéville. Adoménil, Meurthe-et-Moselle, arr. Lunéville, cant. Gerbéviller, com. Rehainviller. 39 Pessincourt, Meurthe-et-Moselle, arr. Lunéville, cant. Lunéville-Nord, com. Einville. 40 Hého, Meurthe-et-Moselle, arr. Lunéville, cant. Blâmont. 41 Frémonville, Meurthe-et-Moselle, arr. Lunéville, cant. Blâmont. 42 Vic-sur-Seille, Moselle, arr. Château-Salins, chef-lieu de cant. 43 Il y a ici un problème de date : en 1034 le chiffre de l’indiction est 2, et non 6. L’indiction 6 correspond à 1023 ou à 1038. D’autre part, on ne voit pas bien pourquoi le roi mentionné dans cette date est le roi de France et non celui d’Allemagne. On pourrait songer à Henri II d’Allemagne, mais celui-ci est mort en 1024 alors que Brunon ne devient évêque de Toul qu’en 1026. Il est donc difficile de dater exactement cette charte. 44 Henri Ier, roi de France (1031-1060). 45 Brunon, évêque de Toul (1026-1051). 38

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violatores et /06/ raptores esse sancte ęcclesie percipientes, catholico consensu ab hoc loco pepulimus, et ne domus ista Dei ab ullo grege fidelium /07/ ęvacuetur, abatisse Adeledi et gregi monialium hunc locum procurandum concedimus. Quem enim locum proprio deputantes proficere /08/ predio, concedimus bona infra notata : mansus scilicet duos inibi jacentes, molendina duo, altare Sancti /09/ Remigii cum decimis atque appendiciis suis, necnon et pontem inibi jacentem, et pontem Odenville. Ad hec itaque alia /10/ bona eidem ęcclesie pro remedio animarum nostrarum tradidimus habenda, scilicet Bernardi vicum cum ęcclesia omnibusque /11/ suis appendiciis, campis, pratis, silvis, pascuis, aquarumve decursionibus, Aldenh etiam vicum cum omnibus appendiciis /12/ suis, ad Pecin autem Curtim quinque mansus cum duabus partibus capelle tradimus, ad Wihoth quatuor mansus cum /13/ saltu, ad Fraimon Villam sex mansus cum ęcclesia, apud Vicum eneum unum cum duobus sessibus. Ad hec enim dedimus /14/ decimam omnium prediorum nostrorum, ea tamen ratione ut in perpetuo moniales regulariter viventes inibi habeantur. /15/ SI QUIS hec temptaverit prescripta permutare et moniales inibi positas deviare, ante tribunal Christi adsistat dampnatus atque inferni barathro conclusus. /16/ Anno incarnationis dominice MXXXIIII, indictione VI, regnante rege Henrico, Brunone existente episcopo. 8 1039. Le noble Ezzo donne à l’abbaye Saint-Pierre-le-Jeune de Strasbourg cinq serfs et deux manses et demi et en échange l’évêque Guillaume lui donne six manses en bénéfice et une prébende pour son fils (orig. Arch. dép. Bas-Rhin, G 4785 n° 1 ; éd. Wilhelm Wiegand, Urkundenbuch der Stadt Strassburg, t. 1 : Urkunden und Stadtrechte bis zum Jahr 1266, Strasbourg, 1879, n° 53, p. 45-46 ; n° Artem 577). Au nom de la sainte et indivisible Trinité. Désireux d’informer non moins les présents que les futurs, nous avons écrit cette charte, selon laquelle un homme qui n’est pas de petite noblesse, Ezzo, a donné deux manses et demi à Ittenheim [ou Huttenheim]46 avec

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Ittenheim, Bas-Rhin, arr. Strasbourg-Campagne, cant. Mundolsheim, ou Huttenheim, Bas-Rhin, arr. Sélestat, cant. Benfeld.

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cinq non-libres au monastère de saint Pierre, prince des apôtres, que le vénérable évêque Guillaume47 a institué devant les portes de la ville de Strasbourg, à la condition qu’en échange cet évêque lui confie en bénéfice six manses et lui obtienne une prébende dans la cathédrale Notre-Dame pour son fils encore enfant. Et pour que cette donation ne puisse par la suite être annulée, il nous a paru bon d’indiquer les noms des témoins qui ont vu cela : Gozzo, Burchard, Hilduin, Folcuin, Nantger, Vozzo, Bernard, Gezo, Gautier, Ruothere, Ernest, Erlfrit, Birihdilo, Ernest, Isinhart, Albéric, Gautier, Reginger, Albert, Foulques, Snelhart, Gnamno, Benzo, Géraud, Benzo, Vocco, Bézelin, Godefroid, Vualto, Drudman, Albert, Adalgpoz, Albéric. Ceci fut fait dans ce monastère, l’an de l’incarnation du Seigneur 1039, indiction 7, Conrad II étant empereur avec son fils Henri III48, Hugues étant comte. Vuicelinus, notaire, prêtre indigne, j’ai écrit et souscrit. /01/ IN NOMINE SANCTAE ET INDIVIDUAE TRINITATIS. Notitię non minus pręsentium quam futurorum commendare cupientes hanc conscripsimus cartulam, /02/ quondam non infimę nobilitatis virum Ezzonem ad Sancti Petri apostolorum principis monasterium, quod Willehelmus praesul venerabilis ante portam /03/ Argentinę civitatis instituit, ad Ivtenheim mansos duos et dimidium cum quinque mancipiis tradidisse ea videlicet ratione ut idem /04/ praesul sibi econtra VI mansos beneficii pręstaret et insuper filio ejus puerulo praebendam in domo sanctae Mariae compararet. /05/ Et ne ipsa traditio postmodum posse videatur adnullari, nomina testium hanc eandem videntium placuit attitulari : /06/ Gozzo, Burghart, Hiltevuin, Volcvuin, Nantger, Vozzo, Bernhart, Gezo, Vualthere, Ruothere, Ernest, Erlfrit, Birihdilo, Ernest, /07/ Isinhart, Alberich, Vualthere, Reginger, Adalbreht, Folcolt, Snelhart, Gnammo, Benzo, Gerolt, Benzo, Vocco, Bezelin, Gotefrit, Vualto, Drudman, Adalbreht, /08/ Adalgoz, Alberich. Acta sunt autem hęc in eodem monasterio anno ab incarnatione Domini MXXXVIIII, indictione VII, imperante Chuonrado IIo /09/ et filio ejus tercio Heinrico, comite Hugone. Vuicelinus notarius presbiter indignus scripsi et subscripsi. 47

Guillaume, évêque de Strasbourg (1029-1047). Conrad II, roi (1024-1039), empereur en 1027 ; Henri III lui succède à sa mort, mais il est déjà couronné roi en 1028. 48

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9 1050, 12 mai. Léon IX confirme, à la demande d’Udon, princier, les privilèges et les biens des chanoines de la cathédrale de Toul (orig. Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, 2 F 1 n° 1 ; éd. Chartes originales de la Meurthe-et-Moselle, Nancy, 1977 (Cahiers du CRAL, 28), p. 57-59 et Jacques Choux, « Les bulles de Léon IX pour l’église de Toul », Lotharingia, 2, 1990, p. 7-11, no 2 ; n° Artem 222). Léon, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à Udon49, princier de la communauté de la sainte mère de Dieu Marie et du protomartyr saint Étienne de l’église de Toul, et, à travers lui, à tous ses successeurs et tous ses confrères tant présents que futurs, salut perpétuel dans le Seigneur. Comme il revient au secours apostolique d’aider toujours le désir d’une pieuse volonté et l’intention d’une louable volonté, notre sollicitude doit prendre soin que les choses qui sont faites légalement et conviennent à la forme de l’équité, ne puissent être troublées par aucune opposition, mais demeurent, comme elles doivent, selon un droit irréfragable avec le soutien de Dieu. Puisque la sollicitude très vigilante de ton service assidu a décidé de solliciter notre hauteur apostolique afin que nous donnions la garantie de l’autorité apostolique au privilège de votre église, fléchi par tes prières, notamment parce que, avant d’être élevé au faîte du souverain pontificat, nous étions le frère et l’évêque de cette église et conservons encore sous notre gouvernement la charge de cet évêché, pour le salut et la restauration de cette église protégée par l’autorité apostolique, pour le rachat de notre âme, nous avons décidé de donner et d’assurer le don de la liberté aux frères qui y servent Dieu par un privilège de notre autorité apostolique, à savoir que le doyen et les frères élus élisent le princier, le doyen, le chantre, le bibliothécaire et le gardien de l’église Saint-Étienne, c’est-à-dire les chanoines résidants, qu’ils choisissent l’un d’entre eux et le demandent à l’évêque et à ses successeurs. Nous concédons aussi, sur le conseil du doyen et des frères, la collation de la prébende au princier, ainsi que notre prédécesseur de pieuse mémoire saint Gérard en a disposé et l’a confirmé et par ses écrits et par diplôme impérial ; qu’ils ne fassent pas les rondes et les gardes en raison des

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Udon, princier du chapitre de Toul, puis évêque de Toul (1051-1069).

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observances ecclésiastiques perpétuelles, sauf en cas de siège de la cité, qu’ils soient tout à fait libres de fournir et de prêter des chevaux pour nos voyages et ceux de nos successeurs, qu’ils ne soient pas tenus au devoir d’hospitalité dans leurs propres maisons pour les voyageurs de passage ou venant à l’improviste et même pour une entrée royale, qu’aucun pouvoir n’ose entrer violemment dans leurs maisons pour un quelconque fait, que les chanoines qui ont des vignes dans le ban vendangent sans autorisation, car tous ne doivent également sortir du monastère que sur autorisation et ils ne peuvent donc observer le ban comme les autres ; que ni les serviteurs des frères et ceux qui les servent dans le cloître, ni les prébendiers de chacun ne réparent le ban pour un quelconque fait auprès de la cité, cependant s’ils commettent quelque faute, qu’ils fassent justice de leurs hommes auprès du seigneur évêque ; que nos successeurs ne volent pas leurs biens au décès des frères, même s’ils ont eu une charge de l’évêque, mais qu’il leur soit permis de disposer librement de tous leurs biens. De plus, si un frère est emporté par une mort subite en raison du jugement de Dieu, comme il arrive souvent, et ne peut mettre en ordre ses affaires, il doit être disposé de tous ses biens meubles selon le commun conseil des frères pour le salut de son âme. Qu’ils soient immunes et libres du ban de tout pouvoir aussi bien eux-mêmes que leurs hommes et qu’ils n’observent le ban en aucun cas, sauf le ban canonial, c’est-à-dire celui du doyen et de son prévôt. Nous leur avons également concédé, lorsque nous demeurions encore avec eux, l’église de Lucey50 en son entier pour y célébrer, tant que nous sommes en vie, l’anniversaire de notre ordination ; c’est pourquoi un service convenable doit être offert pour la réfection des frères, comme il est contenu dans l’écrit fait sur notre ordre, et même après notre mort, qu’il soit toujours fait mémoire de ce jour anniversaire. Nous leur avons aussi rendu Midrevaux51 en son entier avec les dépendances qui avaient été données en bénéfice à des chevaliers du temps de mes prédécesseurs. Nous avons rendu, non sans avoir beaucoup délibéré, la moitié de Tranqueville52 dont il est dit dans les chartes de l’église qu’elle devait relever de la prébende des frères du vivant du comte Réginard ; cependant, puisqu’à sa mort, nous avons trouvé l’occasion et le moyen de restituer sa justice aux frères, nous avons rendu et confir50 51 52

Lucey, Meurthe-et-Moselle, arr. Toul, cant. Toul-Nord. Midrevaux, Vosges, arr. Neufchâteau, cant. Coussey. Tranqueville, Vosges, arr. Neufchâteau, cant. Coussey.

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mons tout ce domaine à la mense des frères. Nous avons aussi donné à la mense des frères tous les dépendants des deux sexes et de tout âge que nous avions à Ourches53, Pagny54 et Troussey55. Nous leur confirmons aussi pour augmenter leur prébende Corniéville56 en son entier avec l’église que nous avons acquis de notre chanoine et archidiacre Aubéron57. Tous ces biens nous les concédons à toi, notre très doux fils Udon, et à travers toi, à tes successeurs et à tous tes confrères servant Dieu en ce lieu tant présents que futurs, nous le confirmons par le privilège de notre autorité apostolique et décidons par la censure apostolique en attestant le jugement de Dieu qu’aucun empereur, roi, duc, comte, et aussi archevêque, évêque, notamment celui qui sera alors évêque de Toul, ou encore n’importe quelle personne, grande ou petite, ne tente d’aller contre notre présente corroboration garantie par l’autorité apostolique. Si quelqu’un l’ose, il sera attaché par le lien de notre anathème jusqu’à ce qu’il fasse une digne satisfaction. Que celui, au contraire, qui gardera et observera notre privilège obtienne la bénédiction divine et participe à la vie éternelle. Donné le 12 mai, par les mains du diacre Pierre, bibliothécaire et chancelier du saint siège apostolique, deuxième année du règne du seigneur pape Léon IX, indiction 3. /01/ LEO, EPISCOPUS, SERVUS SERVORUM DEI, UDONI, /02/ primicerio congregationis Sanctę Dei genitricis MARIĘ Sanctique protomartyris STEPHANI Tullensis ecclesię, et per eum universis successoribus ejus atque cunctis confratribus tam pręsentibus quam futuris /03/ perpetuam in Domino salutem. Cum pię desiderium voluntatis et laudandę voluntatis intentio apostolicis sit semper presidiis adjuvanda, cura est sollicitudinis [adhibe]nda ut ea quę legaliter geruntur et ęquitatis /04/ forme conveniunt, nulla valeant refragatione perturbari, sed inrefragabili jure Deo auctore debeant permanere. Quia vero assidui famulaminis tui vigilantissima solli53

Ourches, Meuse, arr. Commercy, cant. Void. Pagny-sur-Meuse, Meuse, arr. Commercy, cant. Void. 55 Troussey, Meuse, arr. Commercy, cant. Void. 56 Corniéville, Meuse, arr. et cant. Commercy. 57 L’archidiacre Aubéron est également attesté comme princier dans l’obituaire de la cathédrale. 54

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citudo tua nostrum sollicitare decrevit /05/ apostolicum culmen quatenus munimen apostolicę auctoritatis accommodaremus privilegio vestrę ecclesię, inclinati precibus tuis ob id pręcipue quoniam, priusquam ad summi pontificatus culmen transferremus, ejusdem ecclesię frater /06/ fuimus et episcopus, ejusdemque episcopatus procurationem, ob salutem et restaurationem ecclesię apostolica auctoritate tuendę, sub nostro regimine adhuc detinemus, ob redemptionem nostrę animę, istud libertatis munus fratribus /07/ ibidem Deo servientibus nostrę apostolicę auctoritatis privilegio donare et corroborare disposuimus ut decanus et fratres electi electionem primicerii faciant sive decani, cantoris, librarii atque custodis ecclesię /08/ Sancti Stephani, id est mansionarii, ex illis quemcumque elegerint et ab ipso episcopo et successoribus ejus expetierint. Prebendę etiam donationem primicerio decani et fratrum consilio concedimus, quemadmodum /09/ pie memorie sanctus Gerardus antecessor noster disposuit et scriptis suis atque imperiali precepto corroboravit ; ut circas et vigilias non faciant propter perpetuas ecclesię observantias, nisi in obsidione civitatis, /10/ ut ab exigendis et ab acomodandis ad nostra successorumque nostrorum caballis itinera omnino liberi sint, ut in propriis mansionibus eorum nulla transeuntium aut supervenientium nec in ipso adventu regio habeantur hospi-/11/ -tia nec ulla potestas pro aliquo facto in eas violenter intrare presumat, ut quicumque in banno canonici vineas habeant, sine licentia vindemient, quia omnes pariter a monasterio nisi per licentiam egredi non /12/ debent ideoque bannos ut alii observare non possunt ; ut neque famuli fratrum vel intra claustrum servientes, neque prebendarii singulorum pro ullo facto bannum ad civitatem emendent, sed si forte aliquid ipsi commiserint /13/ ipsimet, domino episcopo de suis hominibus justitiam faciant ; ut defunctis fratribus successores nostri res suas diripere non debeant, etiam si aliquod ministerium episcopi habuerint, sed omnia sua illis libere disponere /14/ liceat. Porro si divino judicio aliquis fratrum subita, ut sepe fit, morte preventus de suis ordinare non poterit, totum mobile ejus communi fratrum consilio ad salutem animę ejus disponatur. Ab omnis potestatis banno sint /15/ inmunes et liberi tam ipsi quam proprii nec in aliqua re bannum observent, nisi canonicum scilicet decani et prepositi sui. Concessimus etiam, dum adhuc cum eis commoraremur, ecclesiam de Luciaco sub omni integri-/16/-tate pro sollempnitate exequenda diebus vitę nostrę anniversario nostrę ordinationis die ; unde ad refectionem fratrum competens servitium exhibeatur quemadmo307

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dum inibi nostro jussu scriptum contineri videtur, et etiam post obitum /17/ nostrum semper anniversarius dies recolatur. Reddidimus etiam eis villam Mundrival sub omni integritate cum appendiciis suis quę tempore predecessorum meorum militibus data erant in beneficium. /18/ Medietatem vero Tranculfi Villę quoniam in pręceptis ecclesię habetur ex prebenda fratrum esse deberet vivente comite Riginardo, non sine magno deliberationis conamine reddidimus ; quia vero eo mortuo locum /19/ et facultatem fratribus restituendi justitiam suam repperimus, totam prefatam villam ad mensam fratrum reddidimus et confirmamus. Dedimus etiam ad mensam fratrum et in Orcadis et in Pauniaco et quicquid in villa /20/ Trociaco utriusque sexus et ętatis habere videbamur hominum. Confirmamus etiam illis ad aumentum (sic) prebendę Corniacam villam cum ecclesia et omni integritate sua, quam adquisivimus ab Alberone /21/ canonico et archidiacono nostro. Quę omnia pręfata tibi dulcissime fili, UDO, et per te tuis successoribus et cunctis confratribus inibi Deo servientibus tam pręsentibus quam futuris concedimus /22/ et nostrę apostolicę auctoritatis privilegio confirmamus, statuentes apostolica censura sub divini judicii obtestatione ut nullus imperator, rex, dux, comes, et pręterea archiepiscopus, episcopus, et specialiter ipse /23/ Tullensis quicumque pro tempore fuerit, seu etiam aliqua magna parvaque persona, contra hanc nostram apostolica auctoritate fultam corroborationem venire pertemptet. Quod quisquis /24/ ausus fuerit, nostri anathematis vinculo innodatus erit usque ad dignam satisfactionem. Qui vero custos et observator hujus nostri privilegii extiterit, a Deo benedictionem consequatur /25/ et ęternę vitae particeps efficiatur. /26/ (Rota, Benevalete, komma). /27/ DATUM IIIIo idus maias, per manus Petri diaconi, bibliothecarii et cancellarii sanctę apostolicę sedis, anno domni LEONIS NONI papae IIo, indictione IIIa. /28/ (SIG). 10 1050, 6 décembre. Léon IX confirme les biens et les privilèges de l’abbaye de Bleurville (orig. Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, 2 F I, n° 3 ; éd. Chartes originales de la Meurthe-et-Moselle, Nancy, 1977 (Cahiers du CRAL, 28), p. 60-62 et Jean Bridot, Chartes de l’abbaye de Remiremont des origines à 1231, Turnhout, 1997 (Artem), p. 59-63, n° 19 ; Artem 223).

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Léon, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à l’église des saints martyrs Bathaire et Attalein qu’on appelle Bleurville58, située dans le comté du Saintois, et, à travers elle, aux moniales qui y vivront pour toujours, salut perpétuel dans le Seigneur. Il revient sans aucun doute à la charge de notre apostolat de protéger par nos lettres apostoliques les lieux vénérables, et ainsi ce qui est utile à l’accroissement de notre salut leur est aussi utile pour affermir leur garantie. C’est pourquoi il nous a paru juste et salutaire de protéger du bouclier de l’autorité apostolique cette église fondée par le comte Renard59 et ses parents, et d’ordonner qu’elle demeure dans l’ordre monastique. C’est donc en vertu de l’autorité que nous exerçons sur terre, bien qu’indigne, à la place du très saint apôtre Pierre, que nous confirmons et renforçons par cette page de notre privilège apostolique en faveur de ce lieu saint et vénérable tous les biens qui ont été concédés ou seront concédés pour toujours par le comte Renard, ses parents et tous les autres fidèles du Christ quels qu’ils soient, interdisant par notre autorité apostolique que ce lieu soit jamais soustrait à l’ordre monastique, mais qu’il demeure toujours sous la règle de saint Benoît. Nous avons fait mettre ici par écrit les noms de tous les biens que le comte Renard a donnés à ce lieu pour le salut de son âme : Bleurville en son entier avec l’église en son entier, Removille60 en son entier, Saulxures61 en son entier, Panteni Villare62 en son entier, l’alleu de Dombasle63, Lichecourt64 en son entier, Laionmasnil65 en son entier, l’alleu de Zincourt66. Après la confirmation très ferme de ces biens, comme le comte susdit nous l’avait déjà demandé alors que nous n’étions encore qu’évêque de Toul, nous avions consacré cette église ; et maintenant que nous avons été miséricordieusement élevé au siège apostolique par la prévenance de la clémence divine, nous avons décidé de fixer en ce lieu de manière inviolable cette communauté de moniales pour la louange de Dieu et la vénération des saints et de la placer sous

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Bleurville, Vosges, arr. Neufchâteau, cant. Monthureux-sur-Saône. Renard, comte de Toul et seigneur de Fontenoy-le-Château (v. 1020-1036). Removille, Vosges, arr. Neufchâteau, cant. Châtenois. Saulxures-lès-Bulgnéville, Vosges, arr. Neufchâteau, cant. Bulgnéville. Lieu non identifié. Dombasle-devant-Darney, Vosges, arr. Épinal, cant. Darney. Lichecourt, Vosges, arr. Épinal, cant. Darney, com. Relanges. Lieu non identifié. Zincourt, Vosges, arr. Épinal, cant. Châtel-sur-Moselle.

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l’autorité de la sainte mère de Dieu et Vierge Marie et du saint protomartyr Étienne de l’église de Toul, de sorte que tout héritier issu de la postérité de Renard qui possédera en juste héritage Fontenoy-le-Château67 ait fermement l’avouerie de ce lieu. S’il arrive qu’il n’ait pas d’héritier survivant, que l’avouerie aille à l’aîné de la branche issue de l’ancêtre de Renard, Rambaud68, à qui remonte la possession de ce lieu, et que chaque année la communauté instituée en ce lieu acquitte pour la fête de l’Invention de saint Étienne [3 août] le cens dû en marque de soumission, c’est-à-dire un cierge d’une valeur de douze deniers toulois. Que ce don de l’abbaye demeure toujours dans la main de l’évêque de Toul et qu’une descendante du comte Renard, si elle en est trouvée digne dans ce monastère, reçoive la charge de ce lieu sous le nom d’abbesse. Si cela n’est pas possible en ce lieu, que l’on choisisse pour abbesse une digne descendante de Renard à Remiremont69. Et si l’on n’en peut trouver aucune dans ces deux monastères, que l’évêque puisse chercher une autre personne digne soit dans ces lieux, soit dans d’autres situés dans le diocèse de Toul, et qu’il puisse la mettre à la tête de l’église de Bleurville selon Dieu. Mais si, qu’il n’en soit rien, il arrive, même si nous ne le croyons pas, que l’évêque tente de s’opposer à notre décision apostolique et décide de la direction du lieu non selon Dieu, mais contre argent ou en mentionnant un prix, ou encore qu’il veuille détruire ce lieu ou diminuer ses dépendances, que l’avoué aille librement trouver le roi pour lui exposer sagement la cause du monastère, lui faire connaître la violation de notre précepte apostolique, et qu’il prenne grand soin de réformer la situation. Si au contraire l’avoué veut diminuer par la force ou la mauvaise volonté les ressources du monastère ou s’il s’efforce d’enfreindre notre confirmation apostolique, qu’il soit averti jusqu’à trois fois par l’évêque et s’il répare sa faute en toute justice, qu’il conserve l’avouerie. Mais s’il demeure incorrigible malgré l’admonition ou l’excommunication de l’évêque, qu’il perde l’avouerie et que l’évêque cherche un autre avoué pour veiller fidèlement à défendre ce lieu. Pour que l’avoué n’ose pas commettre d’usurpation sur les dépendances de l’église, nous décidons qu’il reçoive en ce lieu une redevance pour la fête des saints martyrs Bathaire et Attalein, c’est-à-dire un muid de froment, un muid de vin et, si le vin fait 67 68 69

Fontenoy-le-Château, Vosges, arr. Épinal, cant. Bains-les-Bains. Rambaud, comte de Toul (v. 1000-1020). Remiremont, Vosges, arr. Épinal, chef-lieu cant.

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défaut, trois sous de la monnaie de ce territoire, et un porc de deux ans. Qu’il ne se mêle en rien des biens ou de la justice de l’abbaye, à moins que son aide ait été requise par l’abbesse, et qu’il reçoive alors pour sa présence et son aide un tiers des droits de l’abbaye. Pour que la confirmation de cette affaire demeure pour toujours plus ferme et assurée, sur les nombreuses prières de Leucharde, fille du comte Renard, et avec le diligent conseil de ses fidèles Richuin, Cunon, Vuidric et Thibaud, nous avons remis les mêmes privilèges aux deux lieux, comme il a semblé bon, c’est-à-dire un à la sainte église de Toul, l’autre au monastère. Grâce à leur témoignage très assuré, que l’autorité de l’évêque de Toul ne soit pas lésée et que la communauté des servantes de Dieu n’éprouve aucun injuste dommage de la part de l’évêque. Nous décidons par la censure apostolique en attestant le jugement de Dieu qu’aucun empereur, roi, duc, marquis, comte, vicomte, avoué, archevêque, évêque, ou encore n’importe quelle personne, quel que soit son sexe et son âge, ne tente d’aller contre cette confirmation et constitution de notre autorité apostolique. Si quelqu’un le fait, qu’il soit frappé par notre anathème apostolique jusqu’à ce qu’il fasse une digne satisfaction. Que celui, au contraire, qui gardera et observera notre confirmation et constitution obtienne en abondance notre bénédiction et participe à la vie éternelle. Donné le 6 décembre, par les mains d’Udon, princier de Toul, bibliothécaire et chancelier du saint siège apostolique, deuxième année du règne du seigneur pape Léon IX, indiction 4. /01/ LEO, EPISCOPUS, SERVUS SERVORUM DEI, AECCLESIAE BEATORUM MARTYRUM BERTARII ET ATTALENI, /02/ quæ dicitur Bliderici Villa, positę in comitatu Sanctensi, et per eam sanctimonialibus ibidem perpetuo famulaturis, perpetuam in Domino salutem. Ad apostolatus nostri curam procul dubio creditur pertinere ut venerabilia loca nostris apostolicis /03/ fiant munita et nobis proficiat ad salutis augmentum quod eis proficit ad tutaminis fulcimentum. Quapropter æquum et salutare visum fuit nobis ut predictam æcclesiam, a Rainardo comite suisque progenitoribus conditam, apostolicę aucto-/04/-ritatis scuto muniremus, eamque in monastico ordine permanere decerneremus. Ea igitur auctoritate qua in terris, licet indigni, vice tamen fungimur beatissimi apostoli Petri confirmamus et roboramus per hanc nostri apostolici privilegii /05/ paginam eidem sancto et venerabili loco omnia que ab 311

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eodem Rainardo comite ejusque parentibus et ab aliis quibuscumque fidelibus Christi concessa vel concedenda sunt in perpetuum, prohibentes nostra apostolica auctoritate ne unquam a monastico ordine /06/ locus ipse auferatur, sed semper sub regula sancti Benedicti permaneat, et nominatim illa quæ ipse Rainardus comes huic loco pro sue remedio anime contulit, quarum quidem potestatum nomina hic subscribi fecimus, integram videlicet Blide-/07/-rici Villam cum æcclesia et omni integritate sua, Romaldi Villa cum omni integritate, Salsuris cum integritate, Panteni Villare cum omni integritate, alodum de Domno Basolo, Ligisdi Curtem cum integritate, Laion Masnil cum /08/ omni integritate, alodum de Unzonis Curte. Post quorum bonorum firmissimam contraditionem, sicut ipse predictus comes jam expetierat eam a nobis dum in solo episcopatu Tullensi prefuimus consecrari, immo et consecrata est, ita et modo in apostolatus /09/ culmine divina preeunte clementia misericorditer sublimati, constituimus idem illic, ad laudem Dei ac sanctorum venerationem, deinceps congregationem sanctimonialium inviolabiliter stabiliri et sub beatę Dei genitricis ac virginis MARIAE /10/ sanctique protomartyris Stephani Tullensis æcclesiæ ditionem confirmari, eo tenore ut quicumque de ejus corporis posteritate Fontoniacum castellum justa hereditate possederit, advocatia ipsius loci solide habeat. Quod si forsan de ejus /11/ [successi]onis progenię nemo superstes remanserit, ad propinquiorem et natu majorem qui de stirpe avi ipsius Raimbaldi descenderit, ex cujus hereditate idem locus est inceptus, predicta advocatia proveniat, et annuatim in inventione /12/ [sancti Stephani] debitum censum instituta congregatio ipsius loci pro subjectione persolvat, scilicet cereum unum XII denariis Tullensibus adpreciatum. Donum igitur abbatiæ in manu episcopi Tullensis semper consistat et quæcumque [de /13/ ejusdem prefati] Rainardi comitis stirpe in eodem coenobio idonea inventa fuerit, provisionem loci sub nomine abbatissę suscipiat, sin autem inibi nequiverit repperiri, de loco Sancti Romarici aliqua de ejus progenie digna ad abbatissam /14/ [sumatur], et si etiam in his utrisque coenobiis nulla poterit inveniri, potestatem episcopus habeat aut de eisdem locis aut de aliis infra Tullensem episcopatum aliam dignam personam perquirere et in loco illo secundum Deum preficere. Si ergo, /15/ quod absit, et quod fieri minime credimus, ab hac nostra apostolica sanctione discordare pertemptaverit, et precio aut alicujus precii commento non secundum Deum prelationem loci statuerit, aut locum destruere vel de appendiciis imminu/16/-ere voluerit, habeat advocatus liberam potestatem adeundi 312

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regem ut illi causas monasterii sagaciter exponat et hujus nostrę apostolicę preceptionis diruptionem innotescat et ut reformetur summopere studeat. Si vero /17/ advocatus de facultatibus monasterii vi aut malo ingenio quippiam diminu[ere v]oluer[it], aut etiam hanc nostram apostolicam confirmationem infringere conatus fuerit, commonitus a presule bis ac tercio, si cum justitia culpam emendare /18/ voluerit, advocatia sibi permaneat ; at si contra episcopi ammonitionem vel excommunicationem incorrigibilis permanserit, advocatia careat et presul alium advocatum requirat qui fideliter loci defensionem provideat. Et ne aliquid /19/ [de appenditiis ec]clesiæ usurpare presumat, statuimus ut in festivitate sanctorum martyrum Bertarii et Attaleni ibidem detur ei servitium, videlicet modium I frumenti, modium I vini, et si vinum defecerit, III solidos monete ipsius /20/ [pagi, et porcum du]orum annorum. Hinc vero de rebus vel justitiis abbatiæ nullo modo se presumat, nisi forte ab abbatissa in adjutorium vocatus fuerit, et tunc pro sua presentia et adjutorio tertiam ejusdem abbatiæ accipiat /21/ [partem. Ut a]utem hujus rei confirmatio cautius imperpetuum firmiusque servetur, non nisi magnis precibus Leuchardis, filię ipsius jam sępedicti Rainardi comitis, et diligenti suorum consilio fidelium, scilicet Richuini /22/ [et Cunonis atque] Vuidrici seu Teodaldi, utrique locorum, unum videlicet sanctę Tullensi æcclesiæ, alterum predicto coenobio sua, prout visum est similia privilegia adsignavimus, quorum cautissimo testimonio nec episcopi Tul-/23/-lensis ledatur auctoritas, ne[c aecclesiae ancillarum Dei aliqu]a proveniat ab episcopo injusta incommoditas, [statuentes] apostolica [censura sub divini] judicii obtestatione, ut nullus imperator, nullus rex, nullus dux, nullus /24/ marchio, nullus comes, nullus [vicecomes, nullus advocatu]s, nullus archiepiscopus, nullus episcopus et preterea nulla hominum persona cujuscumque sexus et ætatis, contra hanc nostrę apostolicę auctoritatis confirmationem et /25/ constitutionem venire pertemptet. Quod quic[umque fe]cerit, nostro apostolico anathematę usque ad satisfactionem dignam percussus existat. Qui vero se custodierit et observaverit ad confirmationem et constituti-/26/-onem, nostra benedictio accumuletur et vitę æternæ particeps efficiatur. /27/ (Rota, Benevalete, komma). /28/ DATUM VIII IDUS DECEMBRIS, per manus UDONIS Tullensis primicerii cancellarii et bibliothecarii sanctę apostolicę sedis, /29/ ANNO DOMNI LEONIS VIIII PAPAE II, INDICTIONE IIII.

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11 1050. Garin, abbé de Saint-Arnoul de Metz, établit un contrat de prestaire avec Jean (orig. Arch. dép. Moselle, H 143 n° 1 ; indiqué par Raymond Studer, « Catalogue des documents des archives de la Moselle antérieurs à 1101 », dans Annuaire de la société d’histoire et d’archéologie de la Lorraine, 32 (1923), p. 121-141, au n° 89, p. 136 ; n° Artem 326). Puisqu’il est utile de se donner de la peine pour les fruits des bonnes œuvres et d’accepter dévotement les dévotes demandes des fidèles, surtout si ce n’est pas tant notre avantage que celui des autres qui est recherché et si ce n’est pas seulement l’utilité des présents mais aussi celle des futurs qui est prise en compte (car la charité ne cherche pas son intérêt70 et l’apôtre dit que celui qui sème les choses spirituelles n’accorde pas beaucoup de prix à récolter les choses matérielles d’autrui71), moi, Garin, abbé du monastère SaintArnoul situé près des murs de la ville de Metz, je veux faire savoir à tous les fidèles tant présents que futurs les accords intervenus entre nous et Jean, un homme fidèle de la villa que l’on appelle Béchy72. Cet homme est venu respectueusement en notre présence, demandant à partager nos prières et nos autres bienfaits, et à avoir part dans notre sépulture. Nous avons accepté ses demandes, parce qu’il était dangereux de les repousser, et sur le conseil de nos frères nous l’avons reconnu comme un de nos compagnons. Et pour faire plus complètement de nos avantages les siens, il voulut compléter nos biens par les siens. Il avait d’ailleurs déjà donné pour l’utilité de ce monastère douze livres de deniers à nos prédécesseurs pour l’emplacement de sa sépulture et de celle de son épouse. Agrandissant encore les désirs de son vœu, il promit qu’il donnerait après sa mort à notre monastère quelques biens pris sur son patrimoine propre, à condition cependant que de son vivant nous lui concédions une partie de nos biens à titre de prestaire. Considérant que sa demande était utile, nous lui avons donné quelque chose à posséder selon ces conditions : un manse et un quartier à Béchy, un manse et demi entre Flodoaldicurtis et Abon70 71 72

I Cor. 13, 5. Cf. I Cor. 9, 11. Béchy, Moselle, arr. Metz-Campagne, cant. Pange.

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court73, une vigne à Béchy, une autre terre qu’on appelle le Pré, dont les paysans paient chaque année au domaine de Béchy trois sous, avec toutes les dépendances appartenant à ces deux manses et trois quartiers. Ce même Jean donna au seigneur abbé Odon six livres de deniers, pour lesquels il tient un moulin. Tout ce que nous avons écrit, nous le lui avons donné pour qu’il le possède au cours de sa vie et de celle de son épouse. Lui, sur ses propres alleux, nous donna un pré au lieu appelé Le Long Pré, un autre pré pour huit faux au lieu dit Subtus illas, une vigne au lieu dit Vallensis vinea pour 50 palas. Il nous donna aussi ce qu’il possède en alleu au lieu dit Favières, une poêle à saunage qu’il a placée sur notre saline et qu’il tiendra sa vie durant libre de cens à Vic. Il nous a donné aussi un grenier à Béchy et le cellier en-dessous, et deux tonneaux, l’un de cinq charretées, l’autre de neuf. Il a donné aussi quelques non-libres, dont voici les noms : Raimbert, Harigise, Azilin, Bernard, Tiezenna, Fraburge, à la même condition que ce que nous avons dit ci-dessus au sujet de nos biens, à savoir qu’il tiendra ce qu’il nous a donné, et son épouse de même si elle lui survit. Après le décès de chacun des deux tout cela nous reviendra sans aucune contradiction. Pour que nos présents accords gardent toute leur validité aux temps futurs, sur le conseil de nos frères nous avons ordonné que cette charte soit faite sous la forme d’un chirographe, puis nous l’avons confirmée de notre propre main, demandant qu’aucun abbé ou aucun moine n’ose supprimer ce que nous avons fait dans un esprit bon et fidèle. Moi Garin, abbé, j’ai confirmé de ma propre main. Signe du prévôt Guillaume. Signe du prévôt Milon. Signe du médecin Odilon. Signe du moine Robert. Signe de Jean dont c’est la donation. Signe de Gerramne échevin. Signe d’Humbert, prêtre. Signe de Gautier. Signe de Lambert. Signe de Raimbaud. /01/ Cum bonorum operum fructibus utile sit insudare, tum devotis fidelium petitionibus devotius annuere, maximeque id sit, cum non tantum nostra quam aliorum lucra quęruntur atque non modo /02/ presentium verum futurorum utilitatibus providetur, karitas enim non querit quę sua sunt, et Apostolus ait spiritualia

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Aboncourt, Moselle, arr. Thionville, cant. Metzervisse.

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seminando aliorum carnalia metere id vero non magni pendere ; quocirca /03/ ego WARINUS, abbas monasterii Sancti Arnulfi, quod situm est prope moenia Mettensis urbis, notificari volo omnibus fidelibus tam presentibus quam futuris quasdam inter nos et Johannem /04/ virum quendam fidelem de villa quę Basciacus dicitur actas conventiones. Adiit quippe isdem vir reverenter nostram presentiam, nostrarum sibi precum cęterorumque bonorum factorum expostulans /05/ communionem atque sepulturę participationem. Cujus preces quia respuere periculosum erat suscepimus, et cum consilio fratrum nostrorum socium nobis eum ascivimus ; qui ut perfectius nostra sua /06/ faceret, voluit etiam nostra supplere suis, ideo licet XII libras denariorum predecessoribus nostris pro sepulturę suę loco atque uxoris ad utilitatem loci contulerit, deinde ad majora voti sui pertrahens desideria, daturum se nostro loco post /07/ mortem suam spopondit de sui juris hereditate propria, ita sane si ei de nostra possessione aliquid vite prestaria concederemus in sua vita. Utilem itaque ejus perspicientes petitio-/08/-nem, ea conditione de nostro ei aliquid ad possidendum tradidimus, scilicet unum mansum et unum quartarium in Basciaco, mansum quoque I et dimidium inter Flodoaldicurtem et /09/ Abbonismontem, vineam quoque unam in villa Basciaco, terram etiam aliam quandam quam Pratum dicunt, unde solvuntur annuali censu a rusticis III solidi in villa /10/ supradicta Basciaco, cum omnibus appendiciis ad predictos duos mansos et tres quartarios pertinentibus. Idem Johannes prestitit VI libras denariorum domno abbati /11/ Oddoni pro quibus tenet unum molendinum, tempore vitę suę atque suę conjugis, hęc quę annotavimus, ei ad possidendum tradidimus. Ipse vero de proprio alodo tradidit /12/ nobis pratum unum in loco qui dicitur Longus Pratus, pratum etiam alterum in loco qui dicitur Subtus Illas ad octo falces, vineam quoque unam in loco qui dicitur Vallensis vinea ad quin-/13/-quaginta palas. Dedit etiam quicquid alodi habet in loco qui dicitur Faverias, preterea dedit patellam unam quam super sedem nostram collocavit atque sine censu tempore vitę suę tenet in Vico. Tradidit etiam nobis solarium unum in Basceio et cellarium /14/ subtus et tonnas duas, unam quinque carradarum, aliam novem. Dedit insuper aliqua mancipia, quorum hęc sunt nomina : Raimbertus, Harigisus, Azilinus, Bernardus, /15/ Tiezenna, Fraburgis, ea videlicet conditione uti supra de nostris prescripsimus, ut ea quę dedit teneret atque sua conjunx itidem si ei superviveret, post decessum vero /16/ utrorumque ad nos sine ulla contradictione omnia redirent. Ut autem hę nostrę convenientię 316

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firmiores temporibus permanerent succedentibus, hanc cartu-/17/lam ei sub specie cyrographi cum consilio fratrum fieri jussimus, factamque manu propria roboravimus, precantes ut nullus abbatum aut monachorum hoc audeat /18/ convellere quod nos bono animo et fideli fecimus. /19/ Ego + Warinus abbas propria manu firmavi. Signum + Willelmi prepositi. Signum + Milonis prepositi. Signum + Odilonis medici. Signum + Rotberti monachi. Signum + Johannis cujus hęc donatio est. /20/ Signum + Gerramni scabinionis. Signum + Humberti presbyteri. Signum + Walterii. Signum + Lamberti. Signum + Raimbaldi. 12 1062, 11 octobre. Udon, évêque de Toul, affirme que les dîmes de Badménil-aux-Bois revenaient à l’église Saint-Genest de Moyemont et donc aux chanoines de Saint-Dié, rejetant ainsi la plainte du chevalier Lanfroy de Châtenois (orig. Arch. dép. Vosges, G 459 n° 1 ; éd. J.-Cl. Sommier, Histoire de l’Eglise de Saint-Diez, SaintDié, 1726, p. 352-353 ; n° Artem 708). Au nom de la sainte et indivisible Trinité. Udon, par la grâce de Dieu évêque de la sainte église de Toul. Ceux qui ne se contentent pas d’augmenter à leurs frais les biens de l’Église, mais qui s’efforcent de restituer aux serviteurs de Dieu les biens qui leur ont été enlevés et de les renforcer de leur autorité doivent espérer recevoir une récompense multipliée de la part de Celui qui dispense tous les biens. Pour cela que nos bien-aimés sachent, tant les présents que les futurs, qu’un chevalier, Lanfroy de Châtenois74, est venu en notre présence porter plainte au sujet des chanoines de Saint-Dié, disant qu’ils avaient usurpé les dîmes de l’église de Badménil qui appartenaient de droit à l’église de Villoncourt75. Entendant ce discours, nous avons examiné toute l’affaire avec soin, en mettant en avant la vérité, et nous avons appris grâce au témoignage d’un écrit qu’une plainte à ce sujet avait déjà été déposée, au temps de nos prédécesseurs le vénérable Gauzlin76 et le saint évêque Gérard77, par un certain Adacre. Nous avons aussi décidé que cette plainte serait à 74 75 76 77

Châtenois, Vosges, arr. Neufchâteau, ch.-l. cant. Villoncourt, Vosges, arr. Epinal, cant. Châtel-sur-Moselle. Gauzlin, évêque de Toul (922-962). Gérard, évêque de Toul (963-994).

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nouveau tranchée grâce à une preuve légale en présence de Lanfroy : et par un serment les témoins, clercs et laïcs, ont prouvé avec l’accord de Lanfroy que les dîmes et le cimetière de l’église de Badménil78 appartenaient de droit héréditaire à l’église de Moyemont79 et donc à l’autorité des chanoines de Saint-Dié80, et non à l’église de Villoncourt. Dès lors, et pour que la chose ne puisse plus par la suite susciter de plainte, nous avons ordonné d’établir une notice de cette charte, qui constituera un obstacle pour tous ceux qui s’efforceront de modifier cela ; et de notre propre main et par celle de nos fidèles écrits ci-dessous nous avons confirmé que les dîmes de Badménil sont soumises à l’église Saint-Genest de Moyemont. Fait à Toul, en synode plénier, le 11 octobre, l’an de l’incarnation du Seigneur 1062, première indiction, sous le règne d’Henri IV roi des Romains81, Gérard étant duc82, Arnoul comte de Toul, Lambert archidiacre de cette paroisse. Moi Guy, prêtre, j’ai approuvé de ma propre main. Les témoins furent Martin, Garnier, Widric, Albert, Tiézelin, Raoul. Signe du seigneur Udon, vénérable évêque83. Signe d’Adalbéron, princier. Signe d’Etienne, archidiacre. Signe de Lambert, archidiacre. Signe de Raoul, archidiacre. Signe de Hugues, archidiacre. Signer d’Herbert, archidiacre. Signe de Robert, archidiacre. Signe d’Olri, archidiacre. Signe d’Alcher, archidiacre. Signe d’Arnoul, comte. Signe d’Haimon, comte. Signe de Raoul. Signe de Rotbaldus. Signe d’Haimon. Signe d’Albéric. Signe de Gotbert. Moi Gautier, doyen et archidiacre et chancelier, j’ai souscrit. /01/ IN NOMINE SANCTÆ ET INDIVIDUÆ TRINITATIS, UDO, GRATIA DEI SANCTÆ LEUCHORUM ÆCCLESIÆ PRAESUL. /02/ Multiplicem debent sperare vicissitudinem ab omnium bonorum remuneratore non solum qui suis sumptibus res ęcclesię student adaugere, verum etiam /03/ qui res Deo servientibus ablatas satagunt restituere et eorum ditioni corroborare. Quapropter noverit omnium tam presentium quam /04/ sequentium dilectio quod nostram adierit presentiam quidam miles Lanfridus de Castaneio, conquestus super canonichos Sancti Deodati /05/ quod decimas 78 79 80 81 82 83

Badménil-aux-Bois, Vosges, arr. Epinal, cant. Châtel-sur-Moselle. Moyemont, Vosges, arr. Epinal, cant. Rambervillers. Saint-Dié, Vosges, ch.-l. arr. Henri IV, roi des Romains, puis empereur (1056-1106). Gérard, duc de Haute-Lotharingie (1048-1070). Udon, évêque de Toul (1051-1069).

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aecclesię Baldini Masnilis, jure respicientes ad ęcclesiam Volgeni Curtis, suę usurpaverint ditioni. Cujus rationem /06/ audientes, omnem rem veritate previa sollicite discussimus, et hujus rei clamationem temporibus nostrorum antecessorum venerabilis /07/ Gauzilini sanctique pręsulis Gerardi a quodam Adacro exactam scripturę testimonio cognovimus. Statuimus itaque ut legali /08/ probatione in presentia ejusdem Lanfridi iterum predicta clamatio diffiniretur, et sacramento probaverunt testes clerici et laici, /09/ laude ipsius Lanfridi, decimas et atrium ęcclesię Baldini Masnilis magis hereditario jure esse subjectas ęcclesię Mieni Montis /10/ et ditioni canonichorum Sancti Deodati quam pertinere ad ęcclesiam Volgeni Curtis. Quapropter, ne ulterius hęc res possit /11/ ad clamationem moveri, hujus cartę notitiam fieri jussimus, quę obstet cunctis removere nitentibus, nostraque manu ac nostrorum /12/ fidelium infra scriptorum corroboravimus ut decimę Baldini Masnilis sunt subjectę ęcclesię Sancti Genesii Mienimontis. /13/ Actum Tulli, in plenaria sinodo, V idus octobris, anno incarnationis dominicę millesimo sexagesimo secundo, indictione prima, /14/ regnante Heinrico quarto Romanorum rege, duce Gerardo, Arnulfo Tullensi comite, Lamberto archidiacono ejusdem parrochię. /15/ Ego Wido presbiter manu mea probavi. Testes vero fuerunt Martinus, Warnerus, Widricus, Albertus, Tietzelinus, Radulfus. Première colonne : Signum domni Udonis venerabilis episcopi, signum Adelberonis primicerii, signum Stephani archidiaconi, signum Lamberti archidiaconi, signum Rodulfi archidiaconi, signum Hugonis archidiaconi, signum Herberti archidiaconi, signum Rotberti archidiaconi, signum Odelrici archidiaconi, signum Alcheri decani. Sceau Deuxième colonne : Signum Arnulfi comitis, signum Haimonis comitis, signum Rodulfi, signum Rotbaldi, signum Haimonis, signum Albrici, signum Gotberti. /16/ EGO WALTERUS DECANUS ET ARCHIDIACONUS AC CANCELLARIUS SUBSRIPSI. 13 1073, 1er mai. Pibon, évêque de Toul, fait connaître la transaction intervenue entre les abbayes de Bouxières et de Saint-Arnoul de Metz au sujet d’un pont que la première avait construit sur ses terres à un endroit où le cours de la Meurthe relève de la seconde 319

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(orig. Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, H 2958 ; éd. Robert-Henri Bautier, Les origines de l’abbaye de Bouxières-aux-Dames au diocèse de Toul, Nancy, 1987 (Recueils de documents sur l’histoire de Lorraine, 27), p. 124-126, n° 41 et Chartes originales de la Meurthe-et-Moselle, Nancy, 1977 (Cahiers du CRAL, 28), p. 67-69 ; n° Artem 225). Au nom de la sainte et indivisible Trinité, du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Pibon, par la grâce de Dieu évêque de Toul84. Parce que la grâce divine a daigné nous promouvoir (non pas en vertu de nos mérites) à la charge épiscopale, il convient que nous veillions à prendre un soin attentif des biens de notre Église, aussi bien dans les petites choses que dans les grandes. Donc, que sache la postérité des présents comme des futurs qu’une dispute est née entre deux abbayes, celle de Bouxières85 (qui appartient à notre diocèse) et celle de Saint-Arnoul (du diocèse de Metz), au sujet d’un pont que l’abbesse de Bouxières avait récemment construit sur son domaine propre, mais cependant dans le ban et sur le cours d’eau de la Meurthe qui appartenait à l’abbaye Saint-Arnoul. Pour finir cette querelle à l’amiable nous nous sommes réunis, moi et mon confrère Hermann, vénérable évêque de Metz86, avec le duc Thierry87 et le vénérable abbé de Saint-Arnoul Walon. Grâce à l’action de la charité fraternelle, nous avons décidé que l’abbé accorderait la construction du pont, à condition de percevoir publiquement chaque année un cens de 12 deniers le jour de la Saint-Remi [1er octobre]. Et pour percevoir ce cens, le représentant de Saint-Arnoul sera présent ce jour-là sur le pont de la première à la sixième heure88 ; après cette heure, il repartira. Si le représentant de Bouxières paie ce cens avant le soir au prieuré de Lay89, il sera reçu sans amende. Mais si après la nuit il a négligé de le payer, ce cens sera acquitté le lendemain avec une amende. Si le pont est détruit, que ce soit par incurie ou par une forte action de l’eau, et s’ils ne veulent pas le réparer, l’abbé de Saint-Arnoul reviendra à la coutume antérieure de son ban90 et

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Pibon, évêque de Toul (1070-1107). Bouxières-aux-Dames, Meurthe-et-Moselle, arr. Nancy, cant. Malzéville. Hermann, évêque de Metz (1073-1090). Thierry II, duc de Haute-Lotharingie (1070-1105) C’est-à-dire du lever du jour jusqu’à midi. Lay-Saint-Christophe, Meurthe-et-Moselle, arr. et canton Nancy. Il renonce donc au cens de 12 deniers.

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l’abbesse au système ancien de la traversée par bateaux, et elle enlèvera les piles du pont pour éviter qu’elles constituent un obstacle pour la pêche ou pour les bateaux de Saint-Arnoul. Et pour que cette décision commune reste ferme et stable perpétuellement, nous avons décidé d’écrire ce chirographe afin que chaque abbaye ait une partie de ce chirographe, pour qu’un témoignage perpétuel de notre décision soit ainsi confirmé. Moi Pibon, évêque de Toul, j’ai souscrit. Signe du princier Hugues. Signe de l’archidiacre Lambert. Signe de l’archidiacre Hugues. Signe de l’archidiacre Olri. Signe de l’autre archidiacre Olri. Signe du comte Frédéric. Signe d’Olri, avoué de Nancy. Signe d’Albert. Signe de l’avoué Henri. Signe de l’intendant Henri. Signe de l’avoué Béranger. Moi Hermann, évêque de Metz par la grâce de Dieu, j’ai approuvé sur le conseil de nos fidèles… Signe de Richer, doyen et archidiacre. Signe de Walon, abbé de Saint-Arnoul. Signe de Gervald, archidiacre. Signe de Jean, trésorier. Signe de Folmar, comte. Signe de Menzon, avoué. Signe de Conon de Tincherei. Signe d’Haimon. Signe d’Evrard d’Amance. Signe d’Alricus. Signe d’Otton. Signe de Lambert. Signe de Dodon. Signe de Gérard. Fait à Toul, publiquement, en l’an de l’incarnation 1073, indiction 11, le 1er mai, sous le règne d’Henri le jeune, roi des Romains91, le duc Thierry tenant le gouvernement du duché. Donné par la main du chancelier et archidiacre Gautier, avec la garantie des témoins valables écrits ci-dessus. /01/ IN NOMINE SANCTĘ ET INDIVIDUĘ TRINITATIS, PATRIS ET FILII ET SPIRITUS SANCTI, /02/ PIBO, gratia Dei Leuchorum presul. Quoniam divina gratia dignata est nos non nostris meritis ad pastorale officium promovere, oportet ut res nostrę ęcclesię /03/ sollerter studeamus tam in minimis quam etiam in maximis providere. Quapropter noverit omnium posteritas tam presentium quam futurorum quod fuerit exorta /04/ contentio inter duas abbatias, scilicet Buxeriensem nostrę ęcclesię et Sancti Arnulfi Metensis ęcclesię, de quodam ponte quem noviter construxerat abbatissa Buxeriensis super suum /05/ proprium fundum, sed tamen in banno et cursu aque, nomine Murt, pertinente ad abbatiam Sancti Arnulfi. Pro qua contentio[ne] amicabiliter diffinienda convenimus /06/ ego et confrater noster Metensis ęcclesię venerabilis

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Henri IV (1056-1106).

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presul Herimannus cum duce Teoderico atque venerando abbate Walone coenobii Sancti Arnulfi, ubi dispo-/07/-suimus fraterna caritate mediante quatinus predictus abbas concederet ibi fieri pontem, eo tenore ut annuatim sibi persolveretur census XII denariorum publice /08/ festo sancti Remigii, et ad hunc censum recipiendum, esset presens eo die super pontem legatus abbatis Sancti Arnulfi ab hora prima usque ad sextam, qua /09/ transacta legatus recederet. Si vero usque ad vesperam legatus abbatissę Buxeriensis persolveret predictum censum apud cellam Laium, susciperetur sine /10/ justicia. Si autem ultra noctem neglegeret persolvere, in crastino redderetur cum justicia. Quod si pons per incuriam aut imminente impetu aquę /11/ fuerit destructus et noluerint restituere, abbas Sancti Arnulfi redeat ad pristinam banni sui consuetudinem et abbatissa ad suarum navium /12/ transmeantium antiquitatem et eradicet statuas ipsius pontis, ne sint impedimento piscaturę vel navibus abbatis Sancti Arnulfi. Ut vero /13/ hęc nostra communis diffinitio rata et stabilis perpetualiter maneat, statuimus hoc cyrographum conscribi, quatinus utraque abbatia istius cyrographi /14/ partem habeat, ad confirmandum hujus nostre diffinitionis perpetuale testimonium. Ego Pibo Tullensis ęcclesię presul signavi. Signum prim[icerii Hu]gonis. /15/ Signum Lamberti archidiaconi. Signum Hugonis archidiaconi. Signum Odelrici ar[chidiaconi]. Item [signum] Odelrici archidiaconi. Signum Friderici comitis. Signum Odelrici advocati de Nanceio. Signum Alberti. Signum Heinrici advocati. /16/ Signum Hugonis villici. Signum Berengeri advocati. Ego, gratia Dei Herimannus Mettensis ęcclesię episcopus, consilio nostrorum fidelium laudavi. [...15...]. /17/ Signum Richeri decani et archidiaconi. Signum Walonis ab[batis] S[ancti Arn]ulfi. Signum Gervaldi archidiaconi. Signum Johannis erarii. Signum Folmari comitis. /18/ Signum Menzonis advocati. Signum Chunonis de Tincherei. Signum Haimonis. Signum Everardi de Asmantia. Signum Alrici. Signum Ottonis. Signum Lamberti. /19/ Signum Dodonis. Signum Gerardi. /20/ Actum Tulli publice, anno dominicę incarnationis millesimo LXXIII, indictione XI, in kalendis mai, regnante Heinrico /21/ juvene Romanorum rege, ducamen regni Teoderico duce regente. Data per manus cancellarii et archidiaconi Walteri, /22/ astipulantibus idoneis suprascriptis testibus. (SIG).

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14 1095. Poppon, évêque de Metz, détermine les droits de l’avoué de l’abbaye de Gorze pour le domaine d’Amel (orig. Arch. dép. Meuse, 7 H 1 n° 210 ; éd. Armand d’Herbomez, Cartulaire de l’abbaye de Gorze, ms. 826 de la Bibliothèque de Metz, Paris, 1898 (Mettensia, 2), n° 140, p. 245 ; n° Artem 118). Au nom de la sainte et indivisible Trinité, de la sainte mère de Dieu Marie, de saint Michel archange, de saint Pierre et de saint Paul et de saint Gorgon et de tous les ordres célestes. Poppon, par la grâce de Dieu évêque de la sainte église de Metz92. Nous faisons savoir à tous les fidèles, tant présents que futurs, que Garnier, vénérable abbé du monastère de Gorze93, est venu humblement en notre présence avec son prévôt le frère Adelon et a porté plainte au sujet de son avoué Wezelon, qui revendiquait par lui-même et par les siens, de manière extraordinaire, de nombreuses choses sur le domaine d’Amel94 dont il est l’avoué, dépassant la mesure que d’autres dont on se souvient qu’ils avaient été avoués au même endroit avaient obtenue. Et nous, voulant satisfaire le désir exprimé par cette demande, nous sommes venu à Amel et nous y avons rassemblé la multitude de nos fidèles. Et là, le susdit avoué nous a rendu justice, et à notre abbé, pour ses usurpations illicites, selon le conseil de ceux qui étaient présents, et ensuite il a abandonné ce qu’il avait injustement usurpé, confirmant à l’abbé et aux siens toute la dignité et tous les biens dont on a expliqué publiquement qu’ils appartenaient à Amel de toute antiquité. Pour qu’aucun doute ne se répande à ce sujet chez les présents comme chez les futurs, nous avons distingué les droits de l’abbé et les droits de l’avoué, comme c’est indiqué dans l’ordre ci-dessous. Personne n’aura ni ban ni pouvoir à Amel si ce n’est l’abbé de Gorze, son prévôt et ses ministériaux, et de même dans toutes les dépendances, et cela pour les trois plaids annuels. Lors des autres plaids qui ont lieu tout au long de l’année, le prévôt et l’intendant agiront et finiront sans l’avoué tout ce qui relève des plaids. Toutes

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Poppon, évêque de Metz (1090-1103). Gorze, Moselle, arr. Metz-Campagne, cant. Ars-sur-Moselle. Amel[-sur-l’Etang], Meuse, arr. Verdun, cant. Spincourt

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les investitures se feront sous le ban de l’abbé, du prévôt et de l’intendant, sans qu’on fasse mention de l’avoué. L’abbé et le prévôt nommeront l’intendant et tous les ministériaux sans l’avoué. Tout rebelle que l’intendant banal aura attrapé, lui-même ou ses hommes, il le mettra en prison en l’y contraignant jusqu’à ce que justice soit rendue, sans l’avoué sauf si celui-ci était nécessaire. Dans la centaine de tout le domaine d’Amel l’intendant tranchera tout sans l’avoué, le vol, le brigandage et toute autre chose, selon le jugement des échevins de ce domaine d’Amel. Si le voleur ou le brigand est un étranger et se rachète, l’avoué aura le tiers. S’il s’enfuit alors qu’il est en prison, l’avoué ne pourra rien réclamer à l’intendant, si celui-ci peut déclarer que l’autre s’est enfui sans son accord. L’abbé aura le banvin pendant deux mois, ceux qu’il voudra sauf juillet et août. Seul l’intendant jugera du rachat du meurtre d’un homme, et il recevra le rachat pour l’abbé ; l’avoué ne recevra rien, sauf s’il y a été appelé. En ce qui concerne la mutation de la monnaie et le duel, qu’il s’agisse du début ou de la fin, rien n’appartiendra au pouvoir de l’avoué. Pour que tout le reste demeure dans le libre pouvoir de l’abbé, l’avoué aura dix manses en fief, en dehors du ban que retient l’abbé ; ces manses il les aura à part, pour défendre tout le domaine, sans autre redevance que ce qui est écrit ici. L’avoué aura aussi ceux qui demeurent sur ces manses et qui lui devront le chevage, et il aura son propre intendant, son doyen, son échevinage et tous les revenus de ces dix manses sauf le ban. En outre, sur tous ceux qui demeurent dans ce ban et dont il est l’avoué et qui paient le cens, il recevra à la Saint-Martin [11 novembre] une redevance à la mesure du quartal de la cour d’Amel ; et si la redevance n’est pas payée ce jour-là, l’avoué n’exercera pas de violence, mais l’intendant de l’abbé lui rendra justice. Lorsque le plaid annuel de l’abbé sera fini, l’avoué tiendra son propre plaid le lendemain sur ses hommes tenant un de ses dix manses et sur ceux qui lui doivent le chevage. Si une cause menée dans son plaid en arrive au duel, elle sera tranchée dans la cour de l’abbé à Amel, l’intendant de l’abbé prononcera le jugement et il donnera à l’abbé son droit de justice et à l’avoué le sien. Si une borne est déplacée dans ces dix manses du fief de l’avoué, l’intendant de l’abbé rendra tout le jugement et donnera à l’avoué son droit de justice et restituera à l’abbé le ban et la borne. Ni l’avoué ni ses serviteurs n’auront de maison propre à Amel et il n’y sera pas

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logé sauf s’il y vient pour un plaid ; et même alors il ne sera logé que par ses hommes. Tout cela, ce sont les droits du domaine d’Amel. Les anciens ont conservé ces droits d’une manière inviolable jusqu’à notre mémoire. Et bien que l’avoué Wezelon, comme nous l’avons dit ci-dessus, ait violé ce droit, cependant il a garanti et promis qu’il le conserverait désormais. Pour que tout cela soit désormais maintenu fermement et sans changement, nous avons lié les violateurs de ce décret rénové du lien indissoluble de l’anathème. Et pour qu’il soit étayé par une force plus ferme, nous avons écrit ci-dessous notre nom et ceux de nos fidèles pour rendre témoignage à la vérité, en vertu de Dieu tout-puissant, contre les prévaricateurs, s’il en apparaît, qui ne partageront rien avec les saints. Poppon, par la grâce de Dieu évêque de la sainte église de Metz. Les abbés Garnier, Walon, Lanzon, Pierre. Le prévôt Adelon. Les clercs : l’archidiacre Adalbéron, l’archidiacre Emicho, l’archidiacre Adalbéron, l’archidiacre Roscelin, le trésorier Arnoul. Les laïcs : le duc Thierry95, le comte Gérard, Gobert d’Apremont, Albert de Briey et ses deux fils Thierry et Albert, Wigeric d’Epinal, Hugues d’Apremont, Bertald de Tour, Thierry de Conflans, Wigeric de Deneuvre, le juge Burchard, le sénéchal Anselme, l’échanson Gérard, l’avoué de Gorze Gautier, Wippald, premier échevin de Metz. Fait à Metz, publiquement, Henri étant empereur auguste, Folmar comte, en l’an de l’incarnation du Seigneur 1095, indiction 3. Moi André, chancelier, j’ai dicté et scellé sur l’ordre de mon sérénissime seigneur Poppon, par la grâce de Dieu évêque de Metz. /01/ + IN NOMINE SANCTĘ ET INDIVIDUĘ TRINITATIS, ET BEATĘ DEI GENITRICIS MARIĘ, ET SANCTI MICHAELIS ARCHANGELI, ET SANCTI PETRI ET PAULI, ET SANCTI GORGONII, ET OMNIUM /02/ CELESTIUM ORDINUM, POPPO, SANCTĘ MEDIOMATRICORUM ĘCCLESIĘ GRATIA DEI PONTIFEX. /03/ Contradimus notum omnibus fidelibus, tam presentibus quam posteris, quod venerabilis abbas Gorziensis cenobii, nomine /04/ Warnerus, cum suo preposito, fratre Adelone, nostram presenciam humiliter adiens, conquestus fuit de Wezelone, advocato

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Thierry II, duc de Haute-Lotharingie (1070-1105).

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suo, /05/ qui super potestatem Amelle, ubi est advocatus, extraordinarie per se et per suos nonnullas res vendicabat, excedens equitatem /06/ quam obtinuerunt alii qui memorantur inibi fuisse advocati. Nos itaque satisfacientes desiderio suę querimonię venimus AMELLAM, /07/ collecta multitudine nostrorum fidelium, ubi convictus supradictus advocatus nobis et abbati nostro ob illicitas invasiones justifi-/08/-cavit, secundum consilium presentium, et postremo dereliquit quę injuste usurpaverat, collaudans abbati et suis quicquid dignitatis /09/ et utilitatis ex antiquitate in supradicta AMELLA palam fuit enarratum. Ut autem nulla ambiguitas super hoc pullulet apud /10/ presentes sive posteros, sequestravimus quę sint jura abbatis, que advocati, sicut indicant hoc ordine sequentia : apud AMELLAM /11/ nullus habet bannum neque potestatem, nisi abbas Gorziensis prepositusque suus et ministeriales sui, cum omnibus appendiciis, in tribus /12/ annalibus placitis ; et in aliis placitis per annum continuum prepositus et villicus agent et finient absque advocato quęcumque ad placita pertinent. /13/ Omnis investitura fiet sub banno abbatis et prepositi et villici, nulla mentione advocati habita. Abbas et prepositus ponet villicum /14/ et omnes ministeriales absque advocato. Villicus bannalis quemcumque rebellem accipiet per se et per suos, et in cippum tradet, eum cogendo /15/ donec justiciam exequatur, sine advocato, nisi forte necesse fuerit. In centena totius potestatis AMELLĘ, tam de fure quam de latrone et /16/ de aliis omnibus, diffiniet villicus sine advocato omnia secundum judicium scabiniorum ipsius curtis Amellę. Quod si fur vel latro extraneus /17/ fuerit et se redemerit, advocatus terciam partem suscipiet ; si vero aufugerit dum in custodia tenetur, nichil interest advocati a villico /18/ requirere, si se poterit purgare eum suo assensu non aufugisse. Abbas suum habebit bannum vendendi vinum per menses duos, /19/ quoscumque voluerit, excepto julio et augusto. De leuda hominis interfecti solus villicus placitabit, accipiens ad opus abbatis leudam ; /20/ advocatus nichil habebit inde, nisi invitatus fuerit. De mutatione monetę et de duello, sive incipiatur vel finiatur, nichil pertinet /21/ ad potestatem advocati. Advocatus enim, ut omnia alia in libera potestate abbatis consistant, mansos decem habet in feodo, preter bannum quem /22/ retinet abbas, quos mansos habet seorsum ut totam potestatem [defendat, sine alio respectu nisi] qui inscriptus est. Habet etiam idem advocatus in illis /23/ mansis manentes debentes sibi censum de capitibus, et habet ibi proprium villicum, decanum, scabinionem, omnesque redditus illorum X mansorum absque banno. /24/ Pre326

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terea advocatus de singulis manentibus infra bannum istum, et quorum est advocatus, et qui censum solvunt, accipit in sollemnitate sancti Martini soniam /25/ unam ad mensuram quartalli de curte Amellę ; si vero ea die sonia non fuerit persoluta, tamen advocatus nullam faciet violentiam, sed villicus abbatis exequetur sibi /26/ justiciam. Annali placito abbatis finito, sequenti die advocatus habebit placitum suum super suos homines de suis X mansis tenentes, et super illos censum de capite /27/ sibi debentes. Quod si causa aliqua in suo placito usque ad duellum pervenerit, in curte abbatis Amellę finietur, et abbatis villicus faciet districtionem, dabitque /28/ abbati suam justiciam et advocato suam. Si meta aliqua fuerit exterminata in illis Xcem mansis de feodo advocati, villicus abbatis faciet totam distri-/29/-ctionem, dans advocato suam justiciam, abbati bannum et metam restituet. Advocatus domum propriam apud Amellam nullam habebit neque sui servientes, /30/ nec hospitabitur ibi, nisi forte causa sui placiti venerit, et tunc tantum apud suos homines hospitabitur. Hec suprascripta consistunt juris tocius /31/ potestatis Amellę ; hoc jus conservaverunt priores inviolabiliter usque ad nostram memoriam ; hoc jus, licet deprevaricatum a Wezelone advocato fuisset, /32/ tamen sicut superius prelibavimus se conservaturum deinceps collaudavit et promisit. Ut autem ratum et inconvulsum in perpetuum habeatur, indissolubili /33/ vinculo anathematis violatores hujus renovati decreti innodamus ; et ut firmiori fulciatur robore, subternotamus inscriptionem nostri nominis nostrorumque /34/ fidelium, ad testimonium veritatis, in virtute omnipotentis Dei, adversus prevaricatores, si qui exoriantur, nullam sortem cum sanctis habentes. /35/ (Chrisme) POPPO, sanctę Mettensis ęcclesię gratia Dei episcopus. Abbates : Warnerus, Walo, Lanzo, Petrus. Prepositus Adelo. /36/ Clerici : Adalbero, archidiaconus ; Emicho, archidiaconus ; Adalbero, archidiaconus ; Rotcelinus, archidiaconus ; Arnulfus, thesaurarius. /37/ Laici : dux Teodericus ; Gerardus, comes ; Gotbertus de Aspero Monte ; Albertus de Briaco et duo filii ejus, Teodericus, Albertus ; Wigericus de Spinal ; Hugo de Aspero /38/ Monte ; Bertaldus de Turre ; Teodericus de Confluencio ; Wigericus de Donobrio ; Burchardus, judex ; Anselmus, dapifer ; Girardus, scanzo ; Walterus, Gorziensis /39/ advocatus ; Wippaldus, Mettensis primus scabinio. /40/ Actum METTIS publice, Heinrico augusto imperante, Folmaro comi[te, an]no incarnationis dominicę MoXCVo, indictione III. /41/ Ego ANDREAS cancellarius dictavi et sigillavi, ex precepto serenis[simi

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dom]ini mei POPPONIS, GRATIA DEI, MEDIOMATRICORUM PONTIFICIS. 15 1103, 2 août. Pascal II accorde au monastère de Marbach (Haute Alsace) la protection apostolique et confirme les biens et les privilèges de ce monastère (orig. Paris, BNF, n.a.l. 2302 n° 1 ; éd. Patrologia latina, t. 163, col. 116-117, n° 97 ; n° Artem 2645). Pascal, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à ses fils bien aimés ayant fait profession de la vie canoniale dans l’église de Marbach et à leurs successeurs demeurant dans le même ordre, à perpétuité. De même qu’il ne faut accorder aucun résultat à ceux qui demandent des choses injustes, ainsi il ne faut pas retarder les demandes de ceux qui désirent les choses légitimes. C’est pourquoi nous réalisons sans difficulté tant vos demandes que celles de notre très cher fils Manegold, votre prévôt. Suivant ainsi les traces de notre prédécesseur de sainte mémoire Urbain II, nous recevons tant vos personnes que tous vos biens sous la protection du siège apostolique et les munissons de l’autorité du présent privilège. Nous décidons en effet que personne ayant fait profession parmi vous ne soit libre de posséder en propre ou de quitter le cloître sans l’autorisation du prévôt ou de l’ensemble de la communauté. S’il part et qu’averti, il refuse de revenir, que le prévôt et ses successeurs aient la possibilité de le priver de ses charges en tous lieux. Qu’aucun évêque ni abbé ne lève cet interdit sans l’accord du prévôt. De plus, par la page du présent privilège nous ordonnons en vertu de l’autorité apostolique que tous les biens que votre église possède justement ou que vous pourrez acquérir à l’avenir justement et canoniquement grâce aux dons des évêques, à la générosité des princes et aux offrandes des fidèles, demeurent fermes et intacts pour vous et vos successeurs. Nous ordonnons donc qu’il ne soit permis à personne de troubler témérairement cette église, de lui retirer ses possessions ou de les garder après les avoir retirées, de les diminuer, ou de les pertuber par des attaques téméraires, mais que tous ces biens soient conservés intégralement pour servir dans tous les cas utiles à ceux qui en ont reçu la concession pour leur entretien et leur gouvernement. En plus de cela, nous décidons que nul ne devienne votre prévôt par violence ou quelque ruse, mais que ce soit celui que tous les frères d’un commun accord ou la partie la 328

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plus sage des frères choisiront d’élire régulièrement dans la crainte de Dieu. Vous recevrez le chrême, l’huile sainte, les consécrations des autels et des basiliques et les ordinations des clercs de la main de l’évêque dans le diocèse duquel vous vous trouvez, à condition qu’il soit dans la grâce et la communion du siège apostolique et qu’il vous les accorde gratuitement et sans malice. Autrement, qu’il vous soit permis d’aller trouver l’évêque catholique de votre choix et de recevoir de lui les sacrements de la consécration. Si dans le futur une personne, laïc ou clerc, ose aller témérairement et en connaissance de cause contre la page de notre constitution, et avertie jusqu’à trois fois, si elle ne se corrige pas par une satisfaction adéquate, qu’elle soit privée de la dignité de son pouvoir et de son honneur, qu’elle se sache coupable devant le tribunal divin pour avoir commis cette iniquité, qu’elle soit exclue du très saint corps et sang de notre Dieu et rédempteur notre seigneur Jésus-Christ et qu’elle subisse lors du jugement dernier la vengeance sévère. Mais que la paix de notre seigneur Jésus-Christ soit sur tous ceux qui observent les droits de ce lieu, de sorte qu’ils reçoivent les fruits de leur bonne action et trouvent auprès du juge sévère les récompenses de la paix éternelle. Amen. Amen. Amen. Moi, Pascal, évêque de l’Église catholique, j’ai souscrit. Donné au Latran, le 2 août, par la main d’Equitius agissant à la place du chancelier, indiction 11, l’an de l’incarnation du Seigneur 1103, la quatrième année du pontificat du seigneur pape Pascal II. /01/ PASCHALIS, EPISCOPUS, SERVUS SERVORUM DEI, DILECTIS FILIIS IN MARBACENSI ECCLESIA CANONICAM VITAM PROFESSIS EORUMQUE SUCCESSORIBUS IN EADEM RELIGIONE MANSURIS IN PERPETUUM. /02/ Sicut injusta poscentibus nullus est tribuendus effectus, sic legitima desiderantium non est differenda petitio. Proinde tam vestris quam karissimi filii Manegaldi vestri prepositi petitionibus non /03/ difficulter accomodamus effectum. Predecessoris siquidem nostri sancte memorie URBANI secundi vestigiis insistentes, tam vos quam vestra omnia sub tuitionem apostolice sedis excipimus et presentis privilegii /04/ auctoritate munimus. Statuimus enim ut nemini inter vos professione exhibita proprium quid habere, nec sine prepositi aut sine communi congregationis licentia de claustris discedere liberum sit. Quod si /05/ discesserit et commonitus redire comtempserit, ei ejus329

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que successoribus facultas sit ejusmodi ubilibet a suis officiis interdicere. Interdictum vero nullus episcoporum vel abbatum sine consensu ejus absolvat. Preterea /06/ per presentis privilegii paginam apostolica auctoritate statuimus ut quecumque hodie vestra ecclesia juste possidet sive in futurum concessione pontificum, liberalitate principum vel oblatione fidelium juste et /07/ canonice poteritis adipisci, firma vobis vestrisque successoribus et illibata permaneant. Decernimus ergo ut nulli omnino hominum liceat eandem ecclesiam temere perturbare, aut ejus possessiones auferre /08/ vel ablatas retinere, minuere, vel temerariis vexationibus fatigare, sed omnia integra conserventur, eorum pro quorum sustentatione et gubernatione concessa sunt usibus omnimodis profutura. /09/ Ad hęc adicientes statuimus ut nullus vobis violentia vel astutia qualibet in prepositum constituatur, nisi quem fratres omnes communi consensu vel fratrum pars consilii sanioris secundum Dei timorem /10/ regulariter providerit eligendum. Chrisma, oleum sanctum, consecrationes altarium sive basilicarum, ordinationes clericorum ab episcopo in cujus diocesi estis accipietis, siquidem gratiam atque communionem /11/ apostolice sedis habuerit, et si ea gratis ac sine pravitate voluerit exhibere. Alioquin, liceat vobis catholicum quem malueritis adire antistitem et ab eo consecrationum sacramenta suscipere. /12/ Si qua sane ecclesiastica secularisve persona hanc nostre constitutionis paginam sciens contra eam temere venire temptaverit, secundo tertiove commonita, si non satisfactione congrua emendaverit, /13/ potestatis honorisque sui dignitate careat, reamque se divino judicio existere de perpetrata iniquitate cognoscat, et a sacratissimo corpore ac sanguine Dei et domini nostri redemptoris Jhesu Christi aliena /14/ fiat, atque in extremo examine districtę ultioni subjaceat. Cunctis autem eidem loco justa servantibus sit pax domini nostri Jhesu Christi quatinus et hic fructum bonę actionis percipiant, /15/ et apud districtum judicem premia ęternę pacis inveniant. AMEN, AMEN, AMEN. /16/ (Rota) Ego Paschalis catholicę ecclesię episcopus [subscripsi] (Benevalete). /17/ Datum Laterani IIIIo NONAS augusti per manus Equitii agentis vicem cancellarii, indictione XI, anno incarnationis dominicę MoCo IIIo, pontificatus autem domni Paschalis pape secundi IIIIo. (Bulle). 16 1117, 27 avril. Pascal II assure à Bertulf, abbé de Walbourg, qu’il prend sous sa protection cette abbaye et lui confirme ses droits 330

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et privilèges (orig. Arch. dép. Bas-Rhin, H 1096 n° 2 ; éd. Chartes originales du Bas-Rhin, Nancy, (Cahiers du CRAL), n° 35, p. 107-108 ; n° Artem 595). Pascal, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à son fils bien aimé Bertulf, abbé du monastère construit en l’honneur des saints apôtres Philippe et Jacques et de sainte Walbourge96, vierge, dans l’évêché de Strasbourg, au lieu appelé la Forêt-Sainte97, et à ses successeurs réguliers à perpétuité. Il faut remplir sans aucun délai sous l’inspiration de Dieu le désir que l’on montre pour la vie religieuse et le salut des âmes. Les premiers religieux, Frédéric et Pierre, ont construit sur un alleu de l’évêché de Strasbourg au lieu de la Forêt-Sainte un monastère qu’ils ont offert à saint Pierre et à la sainte église romaine, moyennant un cens annuel d’une pièce d’or. Ils demandent de le consacrer en l’honneur des saints apôtres Philippe et Jacques et de sainte Walbourge, vierge, et de le munir de la protection du siège apostolique. Nous réjouissant de leur dévotion, nous accordons la consécration de ce monastère et le munissons de la protection du siège apostolique par la page du présent privilège. Nous décidons en effet que tous les biens qui ont été remis selon le droit à ce monastère par les fondateurs ou d’autres fidèles, ou qui se trouveront dans l’avenir, par générosité divine, être donnés et offerts ou acquis par d’autres justes moyens, demeureront en paix et intacts pour vous et vos successeurs. Qu’il ne soit donc permis à personne de troubler témérairement ce lieu, de lui retirer ses possessions ou de les garder après les avoir retirées, de les diminuer, ou de les pertuber par des attaques téméraires, mais que tous ces biens soient conservés intégralement pour servir dans tous les cas utiles à ceux qui en ont reçu la concession pour leur entretien et leur gouvernement. Nous décidons que les dîmes de vos récoltes et de vos animaux doivent être remises à votre monastère et possédées par lui sans opposition des évêques ou de leurs serviteurs, et que le monastère ne reçoive d’autre avoué que celui qui aura été choisi par l’abbé avec les frères. Nous ordonnons aussi que la sépulture de ce lieu soit libre, de sorte que personne ne s’oppose à la dévotion et aux dernières volontés de ceux qui ont choisi de se faire enterrer en ce lieu, à moins qu’il ne s’agisse d’excommuniés. Vous recevrez

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Abbaye de Walbourg, Bas-Rhin, arr. Wissembourg, cant. Woerth. La Forêt-Sainte de Haguenau, Bas-Rhin.

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les consécrations d’autels et les ordinations des moines qui doivent être promus aux ordres sacrés de la main de l’évêque dans le diocèse duquel vous vous trouvez, à condition qu’il soit dans la grâce et la communion du siège apostolique et qu’il vous les accorde gratuitement et sans malice. Autrement, qu’il vous soit permis d’aller trouver l’évêque catholique de votre choix et de recevoir de lui ces sacrements. Que celui qui est soutenu par l’autorité du siège apostolique accorde ce qu’on lui demande. Si dans le futur une personne, laïc ou clerc, ose aller témérairement et en connaissance de cause contre la page de notre constitution, et avertie jusqu’à trois fois, si elle ne se corrige pas par une satisfaction adéquate, qu’elle soit privée de la dignité de son pouvoir et de son honneur, qu’elle se sache coupable devant le tribunal divin pour avoir commis cette iniquité, qu’elle soit exclue du très saint corps et sang de notre Dieu et rédempteur notre seigneur Jésus-Christ et qu’elle subisse lors du jugement dernier la vengeance sévère. Mais que la paix de notre seigneur Jésus-Christ soit sur tous ceux qui observent les droits de ce monastère, de sorte qu’ils reçoivent les fruits de leur bonne action et trouvent auprès du juge sévère les récompenses de la paix éternelle. Amen. Amen. Amen. Moi, Pascal, évêque de l’Église catholique, j’ai souscrit. Donné à Bénévent, par la main de Jean, cardinal-diacre et bibliothécaire de la sainte Église romaine, le 27 avril, indiction 10, l’an de l’incarnation du Seigneur 1117, la dix-huitième année du pontificat du seigneur pape Pascal II. /01/ PASCHALIS, EPISCOPUS, SERVUS SERVORUM DEI, DILECTO FILIO BERTULFO, ABBATI MONASTERII QUOD IN HONORE SANCTORUM APOSTOLORUM PHILIPPI ET JACOBI ET SANCTÆ /02/ GVALPURGÆ VIRGINIS CONSTRUCTUM EST IN ARGENTINO EPISCOPATU, IN LOCO VIDELICET QUI SACRA SILVA DICITUR, EJUSQUE SUCCESSORIBUS REGULARITER SUBSTITUENDIS IN PERPETUUM. /03/ Desiderium quod ad religiosum propositum et animarum salutem pertinere monstratur, auctore Deo sine aliqua est dilatione complendum. Religiosi siquidem principes /04/ Fridericus et Petrus in alodio suo, infra episcopatum Argentinum, in loco videlicet qui Sacra Silva dicitur, monasterium construentes beato Petro et ejus sanctæ Romane /05/ æcclesiæ obtulerunt, sub unius aurei censu annuo, quod sub beatorum apostolorum PHILIPPI et JACOBI et sanctæ 332

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GVALPURGE virginis honore dedicari et apostolicæ sedis /06/ expostulant protectione muniri. Nos igitur eorum congaudentes devotioni monasterium ipsum et dedicari concedimus et protectione sedis apostolicæ per presentis privilegii /07/ paginam communimus. Statuimus enim ut universa quę a supradictis fundatoribus vel ab aliis fidelibus de suo jure monasterio eidem collata sunt, vel in futurum /08/ largiente Deo dari, offerri vel aliis justis modis adquiri contigerit, quieta vobis vestrisque successoribus et illibata permaneant. Nulli ergo omnino hominum liceat /09/ eundem locum temere perturbare, aut ejus possessiones auferre vel ablatas retinere, minuere vel temerariis vexationibus fatigare, sed omnia integra conserventur, /10/ eorum pro quorum sustentatione et gubernatione concessa sunt usibus omnimodis profutura. Sane fructuum vestrorum seu animalium decimas, sine episcoporum vel /11/ episcopalium ministrorum contradictione, xenodochio vestro reddendas possidendasque sancimus, nec advocatus alius nisi qui ab abbate cum fratribus assumptus fuerit /12/ eidem monasterio asciscatur. Sepulturam quoque loci ipsius omnino liberam esse decernimus, ut eorum qui illic sepeliri deliberaverint devotioni et extremę /13/ voluntati, nisi forte excommunicati sint, nullus obsistat. Consecrationes altarium, ordinationes monachorum qui ad sacros fuerint ordines promovendi, ab /14/ episcopo in cujus diocesi estis accipietis, siquidem gratiam atque communionem apostolicæ sedis habuerit et si ea gratis ac sine pravitate voluerit exhibere. Alioquin, /15/ liceat vobis catholicum quem malueritis adire antistitem et ab ipso eadem sacramenta suscipere. Qui apostolicæ sedis fultus auctoritate quod postulatur indulgeat. /16/ Si qua igitur in futurum ecclesiastica secularisve persona hanc nostrae constitutionis paginam sciens contra eam temere venire temptaverit, secundo tertiove /17/ commonita, si non satisfactione congrua emendaverit, potestatis honorisque sui dignitate careat reamque se divino judicio existere de perpetrata iniquitate /18/ cognoscat et a sacratissimo corpore ac sanguine Dei et domni redemptoris nostri Jhesu Christi aliena fiat atque in extremo examine districtæ ultioni subjaceat. /19/ Cunctis autem sepedicto monasterio justa servantibus sit pax domini nostri Jhesu Christi quatenus et hic fructum bonæ actionis percipiant /20/ et apud districtum judicem premia æternæ pacis inveniant. Amen. AMEN. AMEN. /21/ (Rota) Ego Paschalis catholicę ecclesię episcopus subscripsi (Benevalete). /22/ Data Beneventi per manum Johannis sanctę Romanę ecclesię diaconi cardinalis ac bibliothecarii, VII kalendas maii, indictione Xa, incarnationis dominicę anno 333

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MoCXVIIo, /23/ pontificatus autem domni Paschalis secundi papę anno XVIIIo. (Bulle). 17 1117. Diepold, abbé d’Altorf, rappelle comment son abbaye est entrée en possession d’un sixième des dîmes de Duttlenheim ayant appartenu au comte Thierry de Montbéliard (orig. Arch. dép. BasRhin, H 1 n° 4 ; éd. Daniel Schoepflin, Alsatia diplomatica, t. 1, Mannheim, 1772, n° 243, p. 192-193 ; n° Artem 596). Au nom de la sainte et indivisible Trinité. Moi Diepold, par la grâce de Dieu abbé d’Altorf98. Nous faisons savoir aux hommes tant du siècle présent que du futur comment la sixième partie de la dîme de Duttlenheim99 est parvenue en la possession du cloître d’Altorf. Le tiers de la dîme de Duttlenheim avait longtemps appartenu au comte Thierry de Montbéliard. Celui-ci donna sans réserve la moitié de ce tiers à une noble dame, Votha, qui était la femme du seigneur Conon d’Altorf. Mais parce que le seigneur Conon était un des principaux hommes du comte Hugues de Dabo, et que la dame Votha faisait partie des principaux « hommes » du comte Thierry, les enfants qui naquirent d’eux furent répartis entre les deux comtes, et de même les alleux et bénéfices appartenant à l’un ou l’autre furent répartis entre ces enfants qui appartenaient aux deux côtés. Parmi ces frères il y avait un clerc, Erchenfrid, qui était l’un d’eux et qui était venu dans la part du comte Thierry. Parce que son père était déjà mort, la susdite dîme lui fut donnée par sa mère et ses frères en toute propriété, parce qu’elle leur avait été donnée depuis longtemps sur le domaine du comte Thierry. Ce clerc Erchenfrid, poussé par une nécessité pressante, mit en gage cette dîme auprès de son oncle paternel Reginbold, chanoine-diacre de SaintThomas [de Strasbourg], contre neuf talents d’argent, et avec cela s’acquit une prébende à Honau. Reginbold avait pris cette dîme en gage à condition qu’il l’engagerait à Altorf, à moi Diepold, par la grâce de Dieu abbé de ce monastère, et à mes frères qui y servent Dieu, et qu’il pourrait ainsi payer les neuf talents. De la sorte eux-

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Altorf, Bas-Rhin, arr. et cant. Molsheim. Duttlenheim, Bas-Rhin, arr. et cant. Molsheim.

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mêmes achèteraient un alleu qui servirait perpétuellement en ce lieu pour le salut de son âme. Cela étant fait, le chanoine Reginbold commença à souffrir de la maladie dont il devait mourir. Le clerc Erchenfrid vint le trouver, lui parla de cette dîme et lui demanda de l’aider à la ravoir. Reginbold lui répondit qu’il ne pouvait rien faire sans l’abbé d’Altorf et ses frères, ajoutant que « si par la volonté de Dieu je guéris, tout ce que je peux faire pour t’aider à l’égard de l’abbé et des frères je le ferai volontiers », et alors il mourut. A sa mort Erchenfrid accapara violemment cette dîme et la garda ainsi par rapine pendant quelque temps. Ensuite, inspiré par le Seigneur et conduit à la pénitence loin de son injustice, il décida d’abandonner le siècle et de servir Dieu désormais. Il vint à notre monastère, nous rencontra avec nos frères, reconnut son injustice et demanda pardon pour les dommages qu’il avait causés. Pour le dire brièvement, l’affaire se termina par cet accord : nous et nos frères avons ajouté 13 talents aux neuf déjà donnés, à cette condition que si un héritier légitime voulait la racheter, il nous donnerait 30 talents de monnaie de Strasbourg. Cette disposition étant fixée, il nous fit satisfaction, alla à Marmoutier et y prit l’habit monastique. Nous avons écrit cette charte pour faire mémoire de cette cause, nous l’avons scellée du sceau de notre église, nous avons écrit cidessous les noms des témoins, dont les noms sont : pour les moines, le prieur Egenon, le trésorier Otton, le prêtre Gerbert, le prêtre Gozon, le diacre Diemar, le diacre Henri et nos autres frères. Pour les clercs, le prêtre Sigeboton, le prêtre Léon, le clerc Hugues. Pour les laïcs, Diemar, l’avoué Henri, les frères Henri le Petit et Boson, Hugues, Lanzon et son fils Regenbold, le maire Dizmann, Sigebold, le boulanger Trutmann, le boulanger Ricuin, le chambrier Adalbéron, Hesson et de nombreux autres. Fait en l’an de l’incarnation du Seigneur 1117, indiction 11. /01/ (croix) IN NOMINE SANCTE ET INDIVIDUE TRINITATIS, EGO DIEPOLDUS, DEI GRATIA ABBAS ALTI CENOBII (croix). /02/ Notum facimus tam futuri quam presentis seculi hominibus qualiter sexta pars decimę ad Tutelheim in potestatem claustri Alti Cenobii devenerit. Tertia pars /03/ decimę de Tutelheim dudum fuerat comitis Theoderici de Muompilbart. Hanc medietatem tercię partis ipse comes Theodericus dedit funditus in proprietatem cui-/04/-dam matronę, domnę Vothe, quę erat domni 335

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Cuononis conjunx de prefato loco Altdorf. Sed quia domnus Cuono fuerat de majoribus comitis Hugonis de Tahesburc hominibus, /05/ et domna Votha de predicti comitis Theoderici etiam majoribus hominibus, sicut pueri, ex eis nati, inter utrosque comites sunt divisi, sic et allodia atque beneficia ad utrumque /06/ pertinentia inter illos pueros, qui ad partes utriusque pertinebant, sunt partita. Inter hos fratres erat Erchenfridus clericus, qui fuerat unus ex his, qui in partem comitis Theoderici /07/ devenerunt. Huic Erchenfrido, quia pater jamdiu obierat, predicta decima a matre et germanis in proprietatem est contradita, quia et eis a dominio comitis Theoderici du-/08/-dum fuerat data. Qui Erchenfridus clericus, necessitate exigente conpulsus, eandem decimam propter novem talenta argenti patruo suo domno Reginboldo, canonico et diacono Sancti /09/ Thomę apostoli, obpigneravit, et inde prebendam sibi Honowe conquisivit. Quam decimam idem Reiginboldus canonicus ea conditione in pignus suscepit, ut eandem decimam ad Altum Ceno-/10/-bium michi Diepoldo, Dei gratia ejusdem loci abbati, et fratribus meis Deo illic servientibus obpigneraret et illa VIIIIem talenta illuc persolveret ; ut ipsi exinde allodium conpararent, quod ob salu-/11/-tem anime sue loco illi in perpetuum serviret. His ita gestis prefatus Reginboldus canonicus infirmari cepit, qua etiam infirmitate obiit. Ad quem veniens Erchenfridus clericus et de ea-/12/-dem decima est locutus, rogans ut sibi adjutorio esset, ut eam rehabere posset. Cui ipse respondit quod nichil inde posset facere, absque abbate de Alto Cenobio et fratribus ipsius, insuper /13/ et addens, si Deo donante convaluero, quicquid tibi erga abbatem et fratres suos prodesse potero, libenter faciam ; et sic defunctus est. Post cujus obitum Erchenfridus decimam hanc sibi violen-/14/-ter invasit, et sic per rapinam aliquanto tempore injuste sibi usurpavit. Deinde Domino inspirante de injusticia sua penitentia ductus, seculum relinquere et Deo deinceps servire /15/ disponens, ad prefatum monasterium venit, nos et fratres ejus convenit, injusticiam suam recognovit, et de inlatis injuriis indulgentiam quesivit. Et ut breviter dicamus, res tali /16/ conpositione finita est, ut nos et fratres nostri ad prefata VIIIIem talenta XIIIa ei persolveremus, ea videlicet dispensatione, ut si aliquis justus heres eandem resolvere vellet XXXa /17/ talenta Argentinensis monetę contraderet. Tali dispositione peracta nobis satisfecit et ad Mauri Monasterium veniens tandem monachichum habitum suscepit. /18/ Hanc cartam ad memoriam hujus cause hic conscripsimus et sigillo ecclesię nostrę sigillavimus, et testes subter notavimus /19/ quorum nomina hec 336

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sunt. Monachi : Egeno prior, Otto custos, Gerbertus presbiter, Gozo presbiter, Diemarus diaconus, /20/ Henricus diaconus et ceteri fratres nostri. Clerici : Sigeboto presbiter, Leo presbiter, Hugo clericus. Laici : Diemarus, Henricus /21/ advocatus, Henricus Parvus et Buoso germani fratres, Hugo, Lanzo et Regenboldus filius ejus, Dizmannus villicus, /22/ Sigeboldus, Trutmannus pistor, Richwinus pistor, Adelbero camerarius, Hesso et alii quamplures. /23/ Acta sunt hec anno incarnationis dominicę MCXVII, indictione XI. /24/ (sceau). 18 [1115-1123]. Simon, duc de Lorraine, et Rambaud, prévôt du chapitre de Saint-Dié, déterminent leurs bans respectifs dans le val de Galilée (orig. B. M. Nancy, coll. Pfister, n° 2 ; éd. dom A. Calmet, Histoire ecclésiastique et civile de la Lorraine, 4 vol., Nancy, 1728, au t. 2, pr., col. 260 ; n° Artem 233). Au nom de la sainte et indivisible Trinité, du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Parce que les fils de notre sainte mère l’Église, n’étant plus que des serviteurs100, craignent davantage l’homme que Dieu, au point de prendre ses biens, d’enfreindre la loi et le droit et de chercher à plaire davantage à l’homme qu’à Dieu101, il a paru pieux et prévoyant à l’illustre duc Simon102, au comte Oduin, à Albert de Darney, à l’avoué Simon, au seigneur Rambaud, vénérable prévôt de l’église de Saint-Dié103, et aux autres frères de ce lieu, de déterminer comme ils l’étaient auparavant quelques droits coutumiers de cette église qui paraissaient altérés ou diminués, et pour qu’ils restent fermes et inchangés, de les renforcer par le sceau du duc. Parce que donc nous savons que dans la vallée de Galilée il y a deux bans, celui de Saint-Dié et celui du duc, nous voulons voir dans ce qui écrit ci-dessous le droit et la coutume de l’un et de l’autre. Si un tenancier de Saint-Dié vient au marché et commet une faute le jour du marché, c’est-à-dire le mardi, que ce soit au marché 100 101 102 103

Cf. Jean 15, 15. Cf. Gal. 1, 10. Simon, duc de Haute-Lotharingie (1115-1139). Saint-Dié, Vosges, ch.-l. arr.

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même ou sur la route du marché, il en répondra selon la justice du marché. S’il était banni en raison de cette faute et se réfugiait avec ses biens dans le manse de Saint-Dié à l’intérieur du marché, l’agent ducal le réclamera devant l’agent de l’église. Et si l’accusé n’est pas livré avec tous ses biens, il conviendra que le serviteur de l’église fasse satisfaction pour cette faute. On répondra du tonlieu et du change de monnaie dans la cour. Et s’il a été banni, ses biens immeubles ou meubles le protègeront, et si les deux lui font défaut, il sera lié en sa personne. Le cens qu’il doit pour la terre située dans le ban du duc, il le paiera au plus tard, sans droit de justice, à la Sainte-Marguerite [13 juillet]. Et s’il est convoqué pour une faute qui concerne la terre, il devra répondre le jour même. Pour le reste, il ne répondra d’aucune action qui concerne la terre jusqu’au même jour l’année suivante, sauf s’il a pris la terre de son voisin, ou coupé son foin ou sa moisson. Et si le roi convoque l’ost et que le duc y va, chaque tenancier doit donner, pour la censive située dans le ban du duc, autant d’aide qu’il conviendra. Mais à part cela, personne ne l’inquiètera pour une corvée ou une redevance. Il ne sera pas non plus obligé d’accepter une charge de maire ou une autre charge. Et s’il l’accepte librement et commet quelque faute, il ne devra en répondre ni sur son corps, ni sur ce qu’il possède dans le ban de Saint-Dié. Si quelqu’un tue un homme de l’église, et paie la somme prévue pour ce meurtre, toute cette somme sera restituée au prévôt et aux frères. En ce qui concerne les droits de justice, l’avoué en aura un tiers, l’église deux tiers. Si quelqu’un commet un vol dans le ban de Saint-Dié ou ailleurs, et que le fait est découvert, le prévôt jugera sans l’avoué sauf s’il doit condamner à mort. Pour condamner à mort et punir le voleur, l’avoué sera convoqué et, du moins si l’indemnité a été versée, l’église en aura deux tiers, l’avoué un tiers. Le duel et le rachat du duel seront jugés par la main du prévôt et de son serviteur. Et si on extrait de l’argent dans les montagnes, si celles-ci sont dans le ban de Saint-Dié, l’argent appartiendra à la volonté du prévôt et de ses frères. Et si le duc vient dans le pays et veut réglementer le statut de la vallée, la paix ou la loi, il convoquera ceux qu’il voudra, ceux qui paraîtront les plus sages et du meilleur conseil, par l’intermédiaire du prévôt ou du serviteur de l’église. Et si quelqu’un est attaqué pour une faute qui appartient au duc, il répondra à l’honneur du duc. Sinon, il retournera chez lui libre et en paix.

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/01/ IN NOMINE SANCTĘ ET INDIVIDUĘ TRINITATIS, PATRIS ET FILII ET SPIRITUS SANCTI. /02/ Quoniam filii matris ecclesię servi facti, magis hominem quam Deum metuunt, siquidem ejusdem /03/ bona rapientes, et legem et tenorem infringentes, magis homini placere quam Deo appetunt, /04/ ideo inclito duci Simoni, comiti Oduino, Alberto de Darnei, et Simoni advocato, necnon domno /05/ Rambaldo venerabili preposito ecclesię Sancti Deodati, ceterisque fratribus ejusdem loci, pie et provide /06/ visum est, quasdam consuetudines ecclesie, quę vel depravari, vel minui videbantur, sicut fuerant ab antiquo /07/ terminate, et ut ratę et inconvulsę remanerent, sigillo ducis roborare. Quia ergo duos bannos Sancti /08/ videlicet Deodati atque ducis in valle Galilea esse cognovimus, in paucis quę subscripta sunt alterius ad /09/ alterum, legem et consuetudinem videamus. Si mansionarius Sancti Deodati ad forum venerit, et in die fori IIIa feria /10/ in ipso foro, vel in via fori aliquam culpam fecerit, secundum justiciam fori inde respondebit. Quod si pro eadem culpa /11/ inbannitus fuerit, et cum rebus suis in mansum Sancti Deodati infra forum confugerit, minister ducis apud ministrum /12/ ecclesię proclamabit ; et si reus cum rebus suis non exponatur, satisfacere de culpa ministrum ecclesię oportebit. /13/ De teloneo vero, et monetę concambio in aula respondebit ; et si inbannitus fuerit, fundum vel mobile suum eum /14/ tueatur, et si utrumque defuerit, in persona sua constringatur. Censum suum preterea quem debet pro terra in banno ducis po-/15/-sita, usque ad festum sanctę Margaretę sine justicia persolvet. Et si de culpa quę ad terram pertineat, fuerit appellatus, eadem /16/ die respondere debet. Postea vero de nulla actione quę ad terram pertineat usque ad eandem diem revoluto anno, nisi vicinum /17/ suum superaraverit, vel foenum, vel messes ejus supersecuerit, respondebit. Et si rex exercitum comparaverit, et dux ad /18/ eum cum exercitu ierit, quantum mansionarius debet pro terra de censu in banno ducis posita, tantum de adjutorio /19/ dare eum oportebit. Preter hoc autem de servitio aliquo vel consuetudine nullus eum inquietabit. Item villicationem vel /20/ aliud ministerium non cogetur accipere ; et si sponte susceperit et aliquam culpam commiserit, nec in corpore, nec per aliud quod /21/ in banno Sancti Deodati habeat poterit constringi. Item si aliquis clientem ecclesię interfecerit, et pro interfecto pecuniam /22/ constitutam restituerit, tota pecunia preposito et fratribus restituetur. De justicia IIIa pars advocato, duę vero ecclesię relin-/23/ -quentur. Preterea si quis in banno Sancti Deodati furtum fecerit vel alibi, factum in eo repertum fuerit, pre339

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positus inde /24/ sine advocato, usquedum abjudicari debeat, placitabit. Pro fure abjudicando ac puniendo advocatus ad-/25/-vocetur, et tunc demum si redemptio data fuerit, IIas partes habebit ecclesia, IIIa vero advocato relinquetur. /26/ Duellum vero et duelli redemptio per manum prepositi ac ministri ejus transfigetur. Item si argentum de montibus /27/ elicitur, si montes in banno Sancti Deodati fuerint, argentum quoad ditionem ejus et suorum pertinebit. Et si dux /28/ in patriam venerit, et de statu vallis, de pace videlicet atque lege ordinare voluerit, per prepositum /29/ vel ministrum ecclesię eos qui prudentiores ac sanioris consilii videbuntur, quoscumque voluerit convocabit. Et si quis /30/ de culpa quę ad ducem pertineat fuerit impetitus, ad honorem ducis inde respondeat ; sin autem, /31/ liber et in pace ad propria sua redeat. /32/ (sceau).

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Table des matières

Introduction

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Widukind de Corvey, Res gestae Saxonicae, livres 2 et 3 (traduction Cédric Giraud)

19

Vita Mahthildis (traduction Adrien Fernique)

83

Thietmar de Mersebourg, Chronique, livres 3 et 4 (traduction Benoît-Michel Tock)

107

Adalbold d’Utrecht, Vie de l’empereur Henri II (traduction Alexandre Leducq)

171

Wipo, Vie de l’empereur Conrad II (traduction Alexandre Leducq)

203

Gesta des évêques d’Eichstätt (traduction Benoît-Michel Tock)

251

Recueil de chartes alsaciennes et lorraines (traduction Cédric Giraud et Benoît-Michel Tock)

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