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French Pages 328 Year 2020
SCIENCE ET,
SPIRITUALITE
Du même auteur S'éveiller! Pourquoi les expériences d'éveil surviennent-elles et comment les rendre permanentes, Le Dauphin Blanc, 2011. Emerger de l'ombre- De l'épreuve à la transformation, Le Dauphin Blanc, 2012.
La Chute- Lafolie de l'ego dans l'histoire humaine, ADA, 2014. Atteindre la sérénité - Réflexions et méditations pour un éveil spirituel, ADA, 2016. Le saut quantique - Psychologie de l'éveil spirituel, AD, 2019.
©Éditions Almora • 43 avenue Gambetta, 75020 Paris • 2021 • www.almora.fr ISBN: 978-2-35118-484-4
STEVE TAYLOR
SCIENCE ET,
SPIRITUALITE TRADUIT DE L'ANGLAIS PAR JOSÉ LE ROY
SOMMAIRE
Introduction .................................................................. 7 Chapitre 1 Les origines du matérialisme: quand la science se transforme en un système de croyances ................. 17 Chapitre 2 L'alternative spirituelle ................................................ 45 Chapitre 3 L'énigme de la conscience ........................................... 73 Chapitre 4 La primauté de l'esprit: les énigmes de l'esprit et du cerveau ............................................................... 89 Chapitre 5 Comment l'esprit peut changer le cerveau et le corps: de nouvelles énigmes concernant l'esprit et le cerveau .. 105 Chapitre 6 L'énigme des expériences de mort imminente .......... 129 Chapitre 7 L'éveil: l'énigme des experiences d'éveil.. ................. 165 Chapitre 8 Garder l'esprit ouvert: l'énigme des phénomènes psychiques ................................................................. 189 Chapitre 9 Complexité et conscience: les énigmes de l'évolution ... 21 9 Chapitre 10 Pourquoi les gènes égoïstes se comportent-ils de manière si désintéressée? L'énigme de l'altruisme .... 247
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Chapitre 11 Questions quantiques: les mystères du microcosme .. 265 Chapitre 12 L'univers spirituel: dépasser le matérialisme ............. 281 Bibliographie ............................................................. 299 Index des noms ......................................................... 316 Notes .......................................................................... 319
INTRODUCTION
En tant qu'universitaire - chercheur et maître de conférences dans une université du Royaume- Uni - les gens sont souvent surpris par mes vues peu orthodoxes sur la nature de la vie et du monde. Par exemple, lorsque je dis à mes collègues que je suis ouvert d'esprit sur la possibilité d'une certaine forme de vie après la mort, ou que je crois en la possibilité de phénomènes paranormaux tels que la télépathie ou la prémonition, ils me regardent comme si je leur avais annoncé que j'allais abandonner le monde universitaire pour devenir footballeur professionnel. Il est évident que si vous êtes universitaire ou intellectuel, vous ne pouvez pas avoir des opinions aussi inhabituelles. La majorité de mes collègues et de mes pairs - et la plupart des universitaires et des intellectuels en général - semblent avoir une vision matérialiste orthodoxe du monde. Ils croient que la conscience humaine est produite par le cerveau, et que lorsque le cerveau cesse de fonctionner, la conscience s'arrête. Ils pensent que des phénomènes tels que la télépathie et la prémonition appartiennent à une vision du monde superstitieuse prérationnelle, qui a depuis longtemps été supplantée par la science moderne. Ils pensent que l'évolution de la vie - et de la plupart des comportements humains - peut être entièrement expliquée par des principes comme la sélection naturelle et la compétition pour les ressources. Mettre en doute ces croyances vous assure d'être considéré comme un faible d'esprit ou quelqu'un de crédule.
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Les gens sont encore plus perplexes quand je leur dis que je ne suis pas religieux. « Comment pouvez-vous croire à la vie après la mort sans être religieux? » se demandent-ils. « Comment pouvez-vous douter du darwinisme sans être religieux? » Ce livre est ma tentative de justifier mon point de vue à tous ceux qui croient qu'être rationnel signifie que, par définition, vous souscrivez à une vision matérialiste du monde. Je veux montrer qu'on peut être un intellectuel et un rationaliste sans nier automatiquement l'existence de phénomènes apparemment « irrationnels ». En fait, je veux montrer qu'il est beaucoup plus rationnel d'être ouvert à l'existence de tels phénomènes que de les nier.
Au-delà de la religion et du matérialisme
L'autre objectif de ce livre est de montrer que, même si nous n'en sommes pas conscients, notre culture se trouve sous l'emprise d'un paradigme ou d'un système de croyances particulier qui, à sa manière, est tout aussi dogmatique et irrationnel qu'un paradigme religieux. Ce paradigme c'est le système de croyances du matérialisme, qui soutient que la matière est la réalité première de l'univers, et que tout ce qui semble non physique - comme l'esprit, nos pensées, la conscience ou même la vie elle-même - est en fait d'origine physique, ou peut être expliqué en termes physiques. J'espère montrer que nous avons une autre alternative que celle de choisir entre une vision matérialiste du monde et une vision religieuse. On suppose souvent que ce sont les deux seules options possibles. Soit vous croyez au paradis et à l'enfer, soit vous croyez qu'il n'y a pas de vie après la mort. Soit vous croyez en un Dieu qui surveille et contrôle les événements du monde, soit vous croyez que rien n'existe en dehors des particules chimiques et des phénomènes -y compris les êtres vivants - qui se sont accidentellement formés à
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partir de celles-ci. Soit Dieu a créé toutes les formes de vie, soit elles ont évolué accidentellement par des mutations aléatoires et une sélection naturelle. Mais il s'agit là d'une fausse dichotomie. Il existe une alternative aux vues religieuses et matérialistes de la réalité, qui est sans doute une option plus rationnelle que les deux précédentes. En gros, cette alternative peut être appelée « post-matérialisme » 1 • Le post-matérialisme soutient que la matière n'est pas la réalité fondamentale de l'univers, et que des phénomènes tels que la conscience ou la vie ne peuvent pas être entièrement expliqués en termes biologiques ou neurologiques. Le post-matérialisme soutient qu'il y a quelque chose de plus fondamental que la matière, que l'on peut appeler l'esprit, la conscience ou l'âme. Il existe plusieurs variétés de « post-matérialisme ». L'une des plus populaires est le panpsychisme, qui est l'idée que toutes les choses matérielles (jusqu'au niveau des atomes) ont un degré de sensibilité, ou de conscience, même si elle est infiniment petite, ou simplement une sorte de « proto-conscience ». Toutefois, pour des raisons que je décrirai en détail au chapitre 2, je suis favorable à ce que j'appelle une approche « panspiritiste ». Ou qu'on pourrait simplement appeler une approche « spirituelle ». L'idée de base de mon approche spirituelle est très simple: l'essence de la réalité (qui est aussi l'essence de notre être) est une qualité que l'on pourrait appeler esprit, ou conscience. Cette qualité est fondamentale et universelle; elle se trouve partout et en toutes choses. Elle n'est pas différente de la gravité ou de la masse, en ce sens qu'elle a été incorporée dans l'univers dès le début des temps et qu'elle est toujours présente en toute chose. Il est possible qu'elle ait existé avant l'univers, et que l'univers puisse être considéré comme son émanation ou sa manifestation. Bien que cette idée soit simple, elle entraîne de nombreux corollaires et a des conséquences importantes. Comme toutes
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les choses partagent cette essence spirituelle commune, il n'existe pas d'entités séparées ou distinctes. En tant qu'êtres vivants, nous ne sommes pas séparés les uns des autres, ni du monde dans lequel nous vivons, puisque nous partageons la même nature les uns avec les autres et avec le monde. Cela signifie également que l'univers n'est pas un lieu inanimé et vide, mais un organisme vivant. Le cosmos tout entier est imprégné de l'esprit-force•, des plus petites particules de matière aux vastes étendues de ténèbres apparemment vides entre les planètes et les systèmes solaires. La spiritualité n'est pas souvent envisagée dans un contexte « explicatif ». La plupart des gens pensent que c'est le rôle de la science d'expliquer comment le monde fonctionne. Mais dans ce livre, nous verrons que cette simple notion qu'il y a un esprit ou une conscience fondamentale qui est toujours présente et présente dans toutes choses - possède un grand pouvoir explicatif. Nous verrons qu'il y a de nombreuses questions qui sont dépourvues de sens d'un point de vue matérialiste, mais qui peuvent être facilement expliquées d'un point de vue spirituel. C'est peut-être le plus grand problème du matérialisme: il y a de nombreux phénomènes qu'il ne parvient pas à expliquer. C'est pourquoi il est très mal adapté pour fournir un modèle de la réalité. À ce stade, il est raisonnable de dire qu'en tant que tentative d'explication de la vie humaine et du monde, il a échoué. Comme je le soulignerai tout au long de ce livre, seule une vision du monde fondée sur l'idée qu'il y a quelque chose de plus fondamental que la matière peut nous aider à donner un sens au monde.
a. « Spirit-force » en anglais. Ce concept, qui est un néologisme en anglais, a été forgé par Steve Taylor et apparait déjà dans ses précédents livres comme La chute par exemple. Il désigne l'énergie spirituelle en tant que principe primordial de la réalité. N.d.T.
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La différence entre la science et le scientisme
Je voudrais préciser, au début de ce livre, que je ne critique pas la science elle-même. C'est l'une des réactions les plus fréquentes que j'ai eues aux articles que j'ai publiés sur des thèmes similaires à ceux de ce livre. « Comment pouvez-vous critiquer la science alors qu'elle a tant fait pour nous? » est par exemple une question qu'on me pose souvent.« Comment pouvez-vous me dire que la science n'est pas vraie alors qu'elle est basée sur des millions d'expériences de laboratoire et que ses principes de base sont utilisés dans tous les aspects de la vie moderne » est une autre question du même genre. Une autre question récurrente est la suivante: « Pourquoi assimilez-vous la science à une religion? Les scientifiques ne se soucient pas des croyances - ils gardent simplement l'esprit ouvert jusqu'à ce que les preuves apparaissent. Et s'ils doivent réviser leurs opinions, ils le font ». Je ne souhaite pas critiquer les nombreux scientifiques tels que les biologistes marins, les climatologues, les astronomes ou les ingénieurs chimistes - qui travaillent avec rigueur et de manière valable sans se préoccuper particulièrement des questions philosophiques ou métaphysiques. La science se définit par une méthode et un processus d'observation et d'étude des phénomènes naturels, et par la formulation de conclusions à leur sujet. C'est un processus qui consiste à découvrir les principes de base du monde naturel, de l'univers ou de la biologie des êtres vivants. C'est un processus ouvert dont les théories sont - idéalement - continuellement testées et mises à jour. Et je suis tout à fait d'accord que la science nous a donné beaucoup de choses merveilleuses. Elle nous a donné une connaissance étonnamment complexe du monde et du corps humain. Elle nous a donné des vaccins contre des maladies qui ont tué nos ancêtres, et la capacité de guérir un grand nombre d'affections et de blessures qui auraient également été mortelles dans le passé. Elle nous a permis de voyager en avion, de faire des voyages dans
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l'espace et de réaliser toute une série d'autres prouesses techniques et technologiques incroyables. Tout cela est merveilleux. Et c'est en partie grâce à ces réalisations que j'aime la science. L'autre raison principale pour laquelle j'aime la science est qu'elle nous ouvre les portes des merveilles de la nature et de l'univers. J'aime en particulier la biologie, la physique et l'astronomie. La complexité du corps humain - et en particulier du cerveau humain, avec ses 100 milliards de neurones - m'étonne. Et je trouve ahurissant que nous connaissions la structure des plus petites particules de matière, et que nous ayons en même temps une connaissance de la structure de l'univers dans son ensemble. Le fait que les découvertes scientifiques s'étendent du niveau microcosmique au niveau macrocosmique est incroyable. Je ressens une immense gratitude envers les scientifiques qui, tout au long de l'histoire, ont rendu possible notre compréhension actuelle de l'univers et du monde. Vous vous demandez peut-être alors pourquoi je suis si critique à l'égard de la science. En fait, je ne critique ni la science ni les scientifiques. Je critique la vision matérialiste du monde - ou le paradigme - qui est devenu si étroitement liée à la science que beaucoup de gens n'arrivent pas à les distinguer. (Un autre mot possible pour désigner cela est le scientisme, qui signifie qu'il s'agit d'une vision du monde qui a été extrapolée à partir de certaines découvertes scientifiques). Le matérialisme (ou le scientisme) contient de nombreuses hypothèses et croyances qui n'ont aucun fondement dans les faits, mais qui font autorité simplement parce qu'elles sont associées à la science. L'une de ces postulats est que la conscience est produite par le cerveau humain. Cependant, il n'y a aucune preuve de cette affirmation; malgré des décennies de recherches intenses et de théories diverses, aucun scientifique n'est parvenu à expliquer comment le cerveau pourrait donner naissance à la conscience. On suppose simplement que le cerveau
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doit donner naissance à la conscience parce qu'il semble y avoir certaines corrélations entre l'activité cérébrale et la conscience (par exemple, lorsque mon cerveau est blessé, ma conscience peut être altérée) et parce qu'il ne semble pas y avoir d'autre solution pour que la conscience puisse naître. (En fait, comme nous le verrons au chapitre 3, on est de plus en plus conscient du caractère problématique de cette hypothèse, de plus en plus de théoriciens se tournant vers des perspectives alternatives, comme le panpsychisme). Un autre postulat soutient que les phénomènes psychiques tels que la télépathie ou la précognition ne peuvent pas exister. De même, les phénomènes anormaux tels que les expériences de mort imminente ou les expériences spirituelles sont considérés comme des hallucinations générées par le cerveau. Les matérialistes disent parfois que si les phénomènes psi existaient vraiment, ils enfreindraient les lois de la physique ou bouleverseraient tous les principes de la science. Mais c'est faux. Comme nous le verrons plus tard, des phénomènes tels que la télépathie et la précognition sont compatibles avec certaines des lois de la physique. En outre, de nombreuses preuves empiriques et expérimentales suggèrent qu'ils sont bien réels. Cependant, certains matérialistes refusent catégoriquement de prendre en considération les preuves de ces phénomènes, ce qui est similaire à la façon dont de nombreux fondamentalistes religieux refusent de prendre en considération des preuves qui vont à l'encontre de leurs croyances. Ce refus n'est pas fondé sur la raison, mais sur le fait que ces phénomènes contreviennent à leur système de croyance. (Cela contredit l'hypothèse naïve selon laquelle la science est toujours purement fondée sur des preuves, et que les théories et les concepts sont toujours réévalués à la lumière de nouvelles découvertes. C'est ainsi que la science devrait idéalement fonctionner, mais malheureusement, toutes les découvertes ou théories qui contreviennent aux principes du scientisme sont
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souvent rejetées d'un revers de main sans qu'on leur accorde une écoute attentive). Heureusement, certains scientifiques s'opposent activement au matérialisme - des scientifiques qui ont le courage de risquer l'hostilité et le ridicule de leurs pairs et d'étudier des possibilités potentiellement « hérétiques », comme le fait qu'il peut y avoir plus darts l'évolution que des mutations aléatoires et des sélections naturelles, que les phénomènes dits paranormaux peuvent en fait être « normaux», ou que la conscience ne dépend pas entièrement du cerveau. Les scientifiques hérétiques ne sont pas brûlés sur le bûcher, bien sûr, comme l'étaient parfois les hérétiques religieux, mais ils sont souvent excommuniés - c'est-à-dire ostracisés et exclus du monde universitaire, et tournés en ridicule. Dans ce livre, je n'ai donc certainement pas l'intention de jeter la science par-dessus bord et de revenir à l'ignorance et à la superstition - loin de là. Je voudrais simplement libérer la science du carcan du système de croyances du matérialisme, et par conséquent introduire une forme de science plus large et plus holistique, qui ne soit pas limitée et déformée par des croyances et des hypothèses - une science spirituelle.
La structure de ce livre
Ce livre commence par examiner les grands principes du matérialisme et du panspiritisme. Ensuite, je vous emmènerai faire un tour détaillé d'un certain nombre de domaines de recherche scientifique, au cours duquel je mettrai en lumière de nombreuses questions problématiques - ou énigmes - que le matérialisme s'efforce de résoudre. Nous verrons qu'il y a deux raisons pour lesquelles le modèle matérialiste conventionnel de la réalité est déficient. La première est qu'il ne peut pas expliquer de manière adéquate les grandes questions scientifiques et philosophiques, telles que la conscience,
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la relation entre l'esprit et le cerveau (et entre l'esprit et le corps), l'altruisme et l'évolution. La seconde est qu'il ne peut rendre compte d'un large éventail de phénomènes « anormaux », allant des phénomènes psychiques aux expériences de mort imminente et aux expériences spirituelles. Ce sont des phénomènes « parasites » qui doivent être niés ou écartés, parce qu'ils ne correspondent pas au paradigme du matérialisme, tout comme l'existence des fossiles ne correspond pas au paradigme de la religion fondamentaliste. Nous examinerons ensuite ce que la spiritualité a à dire sur chacune de ces questions, et comment elle peut réellement y répondre (c'està-dire résoudre les énigmes). Nous nous pencherons également sur le monde mystérieux de la physique quantique, qui a toujours mis en évidence les limites du matérialisme - mais qui le fait encore plus à l'heure actuelle, maintenant qu'il est devenu évident que les effets quantiques se produisent en abondance à l'échelle macrocosmique et sont impliqués dans une foule de phénomènes biologiques et naturels (tels que la photosynthèse). Enfin, je ferai l'hypothèse que la validité du matérialisme est en train de s'estomper, et qu'en tant que culture, nous nous dirigeons (lentement) vers une nouvelle phase « post-matérialiste ». Les recherches qui constituent la partie principale de ce livre permettront de clarifier deux choses. Premièrement, nous verrons à quel point le matérialisme est inadéquat pour expliquer le monde et notre expérience de la réalité. Ensuite, nous verrons avec quelle facilité - d'un point de vue spirituel - les « énigmes » du modèle matérialiste se dissolvent. Nous verrons que presque tous les phénomènes qui semblent « anormaux » du point de vue du matérialisme peuvent être facilement et élégamment expliqués du point de vue du panspiritisme. Il est également important de souligner que ces questions ne sont pas seulement universitaires. Il ne s'agit pas seulement pour moi de débattre avec les matérialistes et les sceptiques
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parce que je pense qu'ils ont tort. Comme nous le verrons au chapitre 1, le modèle matérialiste conventionnel a de très graves conséquences sur la façon dont nous vivons notre vie et dont nous traitons les autres espèces et le monde naturel. Il conduit à une dévaluation de la vie - de notre propre vie, de celle des autres espèces et de la Terre elle-même. Il est essentiel que notre culture dépasse le matérialisme - et se dirige vers le post-matérialisme - le plus rapidement possible. Tout en résolvant de nombreuses énigmes scientifiques, une vision spirituelle du monde peut changer notre relation au monde. Elle peut générer une attitude de respect envers la nature, et envers la vie elle-même. Elle peut nous guérir, tout comme elle peut guérir le monde entier.
CHAPITRE 1
LES ORIGINES DU MATÉRIALISME: Ql)AND LA SCIENCE SE TRANSFORME EN UN SYSTÈME DE CROYANCES
Le système de croyances matérialistes est si omniprésent et semble tellement aller de soi que nous ne sommes peut-être même pas conscients de son existence - de la même manière que pour les paysans de l'Europe médiévale, par exemple, le système de croyance du christianisme était si profondément ancré dans leur vie qu'ils l'acceptaient comme une réalité, sans imaginer d'autres perspectives. Quand j'avais environ 18 ans, un ami m'a demandé si je voulais assister à une conférence sur la méditation dans une bibliothèque du quartier. Je ne connaissais rien à la méditation, mais j'étais curieux, et j'ai donc décidé d'y aller. À un moment donné, l'orateur a dit quelque chose comme: «La méditation est une façon d'affiner votre être intérieur. C'est une façon defaire l'expérience du bien-être de la conscience. La conscience possède une qualité naturelle de bien-être ». À l'époque, je n'avais aucune idée de ce dont parlait cet homme. Je me souviens avoir pensé: « L'être intérieur? La conscience? Que signifient ces termes? Où peuvent-ils être? Je ne suis qu'un cerveau et un corps. Qu'y a-t-il d'autre en moi?» Après avoir commencé à méditer, je me suis rendu compte que j'avais en effet un être intérieur. Je me suis rendu
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compte qu'il y avait quelque chose d'immatériel en moi une conscience qui avait une qualité naturelle de bien-être. Mais cela montre à quel point j'avais absorbé le système de croyances du matérialisme, par le biais de mon éducation, des médias, de mes parents et de mes pairs. J'avais pris pour acquis l'idée que je n'étais rien d'autre que la substance physique de mon corps et de mon cerveau, et que mes pensées n'étaient que des projections de mon cerveau. Je considérais comme acquis que je n'étais rien de plus que des atomes et des molécules. Mon éducation n'a pas du tout été marquée par la religion. Ce n'était pas exceptionnel- je ne connaissais personne de religieux (à part un garçon de mon âge à l'école qui était témoin de Jéhovah). Même mes grands-parents n'étaient pas du tout religieux. Et ce n'était pas parce qu'ils étaient athées - personne que je connaissais ne se serait décrit en ces termes non plus. C'est juste que la religion ne faisait pas partie de nos vies. Ce n'était pas un sujet auquel on pensait ou dont on parlait. Nous disions parfois des prières ou chantions des hymnes aux cérémonies de l'école, mais personne ne les prenait au sérieux. Bien que la Grande-Bretagne en général soit un pays très laïque, j'ai appris plus tard que c'était particulièrement vrai pour ma classe sociale. Mes ancêtres étaient des ouvriers d'usine ou travaillaient dans les moulins dans le nord-ouest del' Angleterre, et la religion n'a jamais été essentielle à leurs yeux. Les ouvriers dans les usines et les moulins travaillaient de longues heures dans des conditions terribles, vivaient dans la pauvreté et mouraient souvent jeunes. Ils allaient peut-être à l'église le dimanche matin - souvent sous la pression, car les pasteurs et les propriétaires de moulins forçaient les gens à s'y rendre ou les punissaient s'ils n'y allaient pas - mais ils prenaient probablement les offices aussi peu sérieusement que je prenais les cérémonies de mon école. Ce contexte a fait que j'ai assimilé une vision matérialiste
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du monde, plutôt que religieuse. Sans en être conscient, j'ai adopté une vision mécanique du monde et de l'univers. J'ai adopté le point de vue selon lequel le monde est constitué de minuscules particules qui ont tendance à s'organiser en formes de plus en plus complexes, donnant naissance - par un processus d'évolution accidentel - à des êtres vivants, et finalement à des êtres humains. J'ai adopté le point de vue selon lequel l'univers fonctionne selon des lois physiques rigides, comme une machine géante. J'ai appris que toutes les caractéristiques d'un être humain individuel étaient transmises par ses parents, sous la forme de minuscules unités appelées gènes, qui déterminaient non seulement notre apparence mais aussi notre comportement. Lorsque nous suivions nos cours hebdomadaires d'éducation religieuse à l'école, et que nous entendions parler de concepts comme le ciel et l'enfer, le salut et l'éternité, ces croyances semblaient bizarres et naïves, comme si elles appartenaient à une autre époque de l'histoire humaine. J'étais à l'école dans les années 1970 et 1980, et au cours des décennies suivantes, le système de croyances du matérialisme est devenu de plus en plus envahissant. Des domaines tels que la neuroscience, la psychobiologie (qui tente d'expliquer le comportement humain en termes neurologiques) et la psychologie évolutionniste (qui suggère que les traits humains actuels sont des adaptations évolutionnistes de la préhistoire) ont ajouté de nouvelles perspectives au paradigme matérialiste. Aujourd'hui, plus encore que lorsque j'étais enfant, les hypothèses matérialistes imprègnent nos systèmes éducatifs, les médias et les milieux intellectuels de notre culture. Si certains magazines ou programmes télévisés populaires traitent de phénomènes psychiques, d'expériences de mort imminente ou d'expériences spirituelles, les médias « sérieux » prêtent rarement attention à ces concepts, sauf pour les rejeter. En discuter avec un certain degré de crédibilité revient à passer pour une personne ignare et peu
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intelligente et à se couvrir de ridicule. Il est certain que très peu de mes collègues universitaires seraient prêts à prendre au sérieux de tels phénomènes « irrationnels ». Cela signifierait la ruine de leur crédibilité - peut-être même la fin de leur carrière. Récemment, j'ai rencontré un psychologue connu et respecté qui m'a avoué s'être toujours intéressé aux phénomènes psychiques et aux traditions spirituelles orientales, mais n'en avoir jamais parlé en détail dans son travail: dans les années 1980 et 1990, lorsqu'il est devenu universitaire, cela aurait nui à sa réputation et l'aurait empêché d'obtenir un poste dans une université; et une fois enseignant dans une prestigieuse université, de tels intérêts l'auraient empêché de progresser dans sa carrière. En d'autres termes, s'il avait montré ses véritables sympathies, il aurait été excommunié. Heureusement, le psychologue m'a dit que - maintenant qu'il avait acquis un certain statut, et qu'il approchait de la fin de sa carrière - il commençait à aborder ces sujets interdits.
Les principes du matérialisme
Avant d'aller plus loin, définissons exactement ce qu'est le matérialisme. En termes philosophiques, le matérialisme est une forme de monisme. Ici, « mon » signifie littéralement « un », nous pourrions donc l'appeler « unisme »; il s'agit de la croyance que le monde est constitué d'une seule chose fondamentale ou primordiale. Et selon le matérialisme, cette chose primordiale est la matière. Il n'existe pas de niveaux « supérieurs » de réalité, pas de dimensions différentes, pas de paradis ou d'enfer, ni de dieux ou d'esprits. Les êtres humains n'ont pas d'âme ou d'esprit, et même notre esprit est matériel puisqu'il n'est qu'un produit de notre cerveau. Les différentes formes d'énergie (comme l'énergie mécanique,
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thermique et cinétique) sont également matérielles dans la mesure où elles sont des propriétés d'objets matériels, de la même manière que la couleur est une propriété des objets. Seule la matière est réelle - la substance matérielle du monde qui nous entoure, et la substance matérielle de notre corps. Le dualisme est une alternative au monisme: c'est la croyance que le monde est composé de deux choses fondamentales. L'une est la matière et l'autre est une qualité non matérielle, comme l'esprit ou peut-être l'âme ou la conscience. Selon les dualistes, l'esprit ou l'âme ne peuvent pas être expliqués en termes de matière - ils sont d'une nature fondamentalement différente. Mais pour les matérialistes, l'esprit n'a rien de mystérieux, ni la vie elle-même, ni même la mort - tout s'explique par les interactions entre les éléments matériels, tels que les cellules du cerveau, les molécules et les atomes. Le matérialisme implique donc que la matière est la substance primordiale ou fondamentale du monde et que tous les phénomènes (y compris les phénomènes mentaux) peuvent être expliqués en termes d'interactions de la matière. La réalité fondamentale du monde est constituée de particules microcosmiques, qui s'assemblent et interagissent de manière extrêmement complexe pour produire tout ce que nous connaissons. Nous, les êtres vivants, ne sommes que des agglomérations de particules. Nous sommes des entités semblables à des machines, constituées de minuscules blocs de matériaux composés de différents types d'atomes et de molécules qui travaillent ensemble pour former différentes parties de notre corps et organiser les interactions entre elles. Vu sous cet angle, on pourrait dire que le matérialisme propose une approche « du bas vers le haut » - puisqu'il tente d'expliquer le comportement et l'expérience de l'homme en termes de biologie, de chimie et de physique. On pourrait dire que ces idées sont les hypothèses principales du matérialisme, mais d'autres hypothèses en découlent.
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Chaque religion a un certain nombre de principes de base des principes que tous ceux qui s'engagent dans cette religion doivent adopter. Et voici ce que l'on pourrait appeler« Les dix principes du matérialisme » : - La vie est apparue par accident, grâce aux interactions de certains composés chimiques. Elle a ensuite évolué à partir de formes simples vers des formes plus complexes, grâce à des mutations génétiques aléatoires qui ont été obtenues par sélection naturelle. La force motrice de l'évolution est la compétition, ou la « survie du plus apte ». - Les êtres humains sont des créatures purement physiques, ou des machines. Il n'y a rien de plus en nous que des choses physiques, c'est-à-dire les atomes, les molécules et les cellules de notre corps et de notre cerveau. Par conséquent, il n'existe pas d' « âme », d' « esprit » ou de « force vitale ». Ce sont des superstitions qui ont été démenties par la science. - Les êtres vivants sont constitués de « gènes égoïstes » dont le but est de se répliquer eux-mêmes. Les êtres humains ne sont que des véhicules pour la propagation de leur matériel génétique. Le désir de réplication génétique est la motivation première du comportement humain. - Tous les phénomènes mentaux peuvent être expliqués en termes d'activité neurologique. La conscience elle-même est générée par le cerveau. Les milliards de neurones de notre cerveau travaillent ensemble - d'une manière encore non découverte - pour produire notre sentiment subjectif d'être « quelqu'un » qui peut penser et ressentir. - Comme la conscience est produite par le cerveau et que nous ne sommes rien de plus que de la matière, il ne peut y avoir de vie après la mort. Lorsque mon cerveau et mon corps cesseront de fonctionner, ma conscience et mon identité disparaîtront, tout comme l'image d'un écran de télévision disparaît lorsque l'on débranche la prise. - Le comportement humain peut être expliqué en termes génétiques. Les traits et les caractéristiques de l'homme
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d'aujourd'hui existent parce qu'ils avaient une valeur de survie pour nos ancêtres. Par conséquent, les gènes auxquels ils étaient liés ont été sélectionnés par l'évolution. - En tant qu'êtres vivants, nous sommes des individus isolés, qui se déplacent dans l'espace en étant séparés les uns des autres. J'ai mon propre corps et mon propre cerveau, et vous avez les vôtres; nous pouvons nous toucher physiquement ou communiquer entre nous par le biais du langage, mais notre sens de l'identité - tel que produit par notre cerveau est enfermé dans la substance physique de notre corps. - Le monde existe « à l'extérieur »,séparé des êtres humains. Il est indépendant de nous, et il existerait sous une forme identique, même si nous n'étions pas là pour en être conscients. - Notre état de conscience normal est plutôt objectif et fiable, et nous montre le monde tel qu'il est. Tous les autres états de conscience - les états de conscience altérés ou dits « supérieurs » - sont des hallucinations qui peuvent s'expliquer par une activité cérébrale perturbée. - Les phénomènes paranormaux ou psi ne peuvent être vrais car ils contreviennent aux lois fondamentales de la nature. Par exemple, il n'existe aucun champ d'énergie connu qui pourrait relier un esprit à un autre et rendre la télépathie possible, et aucune force connue qui pourrait expliquer la capacité à déplacer des objets par la force mentale. Nombreux sont ceux qui se targuent de défendre ces points de vue « rationnels », estimant que la seule autre option nous ferait retomber dans l'ignorance et la superstition - une vision du monde précédant les Lumières et datant du Moyen Âge, fondée sur la foi et les ouï-dire plutôt que sur des preuves. Comment une personne rationnelle et intelligente pourrait-elle croire à la possibilité d'une vie après la mort, ou à l'existence de quelque chose d'immatériel comme une âme ou un esprit 7 Cependant, dans quelle mesure ces dix principes sontils réellement fondés sur des preuves 7 Dans quelle mesure
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s'agit-il de suppositions plutôt que de faits avérés? C'est un fait que les atomes et les molécules existent. C'est un fait que la conscience existe, et qu'elle est associée à une activité neurologique. C'est un fait que l'évolution a eu lieu. Cependant, dire que la vie peut être entièrement expliquée en termes d'action et d'interaction de diverses substances chimiques est une supposition. Dire que la conscience est produite par l'activité neurologique (et donc que la conscience se termine avec la mort du cerveau) est une hypothèse. Dire que l'évolution peut être entièrement expliquée en termes de mutations aléatoires et de sélection naturelle est aussi une hypothèse. Et c'est l'un des objectifs de ce livre de montrer que ces hypothèses sont peut-être fausses.
Les racines culturelles du matérialisme
D'où vient la vision matérialiste du monde? À quel moment certaines des découvertes fondamentales de la science ont-elles été adaptées à un système de croyances? Et pourquoi ce système de croyances est-il devenu si dominant? Il existe des raisons à la fois culturelles et psychologiques à cela, que j'examinerai tour à tour. Le matérialisme n'est pas devenu dominant grâce à une campagne systématique de promotion ou de diffusion, comme ce fut le cas pour certains des systèmes de croyances les plus répandus dans le monde (par exemple, lorsque St Paul a établi les principes de base du christianisme, et Bouddha ceux du bouddhisme). Ce développement progressif, sans aucune initiative formelle, est probablement l'une des raisons pour lesquelles de nombreuses personnes ne réalisent pas que le matérialisme est en réalité un système de croyances. Certains philosophes de l' Antiquité ont mis en avant des points de vue matérialistes, notamment dans la Grèce et la
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Rome antiques. Par exemple, le poète romain Lucrèce a écrit un poème intitulé « De Rerum Natura »• ( « Sur la nature des choses »),qui décrivait l'univers comme une machine géante et expliquait les phénomènes mentaux et physiques en termes de minuscules particules élémentaires (atomes). L'objectif de Lucrèce était de libérer les Romains des superstitions pour les convaincre que le monde fonctionnait sur la base du hasard plutôt que par l'intervention des dieux romains traditionnels. À l'époque moderne, les fondements du matérialisme ont été établis par les premiers scientifiques tels que René Descartes et Isaac Newton, qui ont réalisé que les êtres vivants et même l'univers tout entier pouvaient être compris en termes mécanistes. Cependant, ces scientifiques n'étaient pas des matérialistes au sens moderne du terme, puisque la plupart d'entre eux étaient religieux. Descartes était un dualiste, qui croyait que le corps et l'âme étaient composés de deux substances différentes, tandis que Newton considérait son travail scientifique comme une tentative pour comprendre et pour expliquer la création de Dieu. Newton a passé une grande partie de sa vie à écrire des ouvrages théologiques qu'il estimait plus importants que ses traités scientifiques. Comme il l'a écrit dans son principal ouvrage scientifique, Principia Mathematica: « Ce très beau système du soleil, des planètes et des comètes, ne peut résulter que des desseins et de la maîtrise d'un être intelligent et puissant » 2 .Les premiers astronomes avaient une attitude similaire à celle de Newton. Par exemple, les recherches du mathématicien et astronome allemand Johannes Kepler étaient motivées par son sentiment que Dieu avait créé l'univers selon des principes géométriques, et que la raison humaine pouvait les découvrir. a. De rerum natura (De la nature des choses), plus souvent appelé De natura rerum, est un grand poème en langue latine du poète philosophe latin Lucrèce, qui vécut au I"' siècle avant notre ère. Lucrèce y expose la philosophie matérialiste d'Epicure. N.d.T.
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Cependant, dans la seconde moitié du XIXe siècle, les découvertes scientifiques - en particulier la théorie de l'évolution de Darwin - ont rendu les croyances chrétiennes moins efficaces comme moyen d'expliquer le monde. Il n'était plus possible de croire que Dieu avait créé le monde et les êtres humains. L'autorité de la Bible en tant que texte explicatif a été irrémédiablement mise à mal. Les scientifiques ont commencé à réaliser que la religion n'était pas nécessaire pour expliquer le monde. Les nouvelles découvertes de la science pouvaient être utilisées pour fournir un système conceptuel alternatif permettant de donner un sens au monde - un système qui insistait sur le fait que rien n'existait en dehors des particules de base de la matière, et que tous les phénomènes pouvaient être expliqués en termes d'organisation et d'interaction de ces particules. L'un des matérialistes les plus fervents de la fin du XIXe siècle, TH Huxley, a décrit les êtres humains comme des« automates conscients » 3 sans libre arbitre. Un autre éminent scientifique de l'époque, Henry Maudsley, a déclaré que « l'esprit est un résultat et une fonction de la matière dans un certain état d'organisation »4 • La Première Guerre mondiale a probablement aussi été un facteur culturel important dans la montée du matérialisme. La guerre a été un tel événement cataclysmique - de loin la guerre la plus destructrice et la plus brutale de l'histoire à ce moment-là, avec 18 millions de morts, des millions de mutilés et de handicapés, et tout cela sans aucune raison évidente - qu'elle a provoqué un effondrement des valeurs. Elle a entraîné une méfiance à l'égard des systèmes philosophiques abstraits et des croyances, et un désir de réduire les choses à leur forme la plus simple et la plus certaine. Elle a également accéléré le déclin de la religion institutionnelle. La Première Guerre mondiale semble apporter la preuve de ce que le philosophe allemand Friedrich Nietzsche avait proclamé 30 ans plus tôt, à savoir que Dieu était mort. Comment un dieu avait-il pu permettre une destruction insensée à une
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si grande échelle? Comment une espèce capable de s'enfoncer à une telle profondeur de dépravation et de destruction pouvait-elle être créée à l'image de Dieu? Dans les années 1920, le désir de tout niveler par le bas a donné naissance à la psychologie comportementaliste, qui affirmait que tout comportement humain était simplement le résultat d'influences environnementales, et que les phénomènes mentaux et la conscience elle-même pouvaient être écartés du fait qu'ils ne pouvaient pas être observés. En philosophie, la même tendance a conduit au positivisme logique, selon lequel seules les choses qui peuvent être observées et vérifiées par les sens ont une signification; ainsi les théories métaphysiques doivent être rejetées parce qu'elles ne peuvent pas être vérifiées. Peu de temps après, la découverte des gènes a offert une autre occasion de simplifier les choses et a conduit à une nouvelle compréhension de l'évolution (connue sous le nom de néo-darwinisme), qui a à son tour conduit au développement de la psychologie évolutionniste. Dans le même temps, les avancées médicales du xx• siècle ont été étonnamment fructueuses, permettant de vaincre des maladies qui avaient gâché la vie humaine pendant des milliers d'années. Cela a renforcé l'idée que le corps humain n'était rien de plus qu'une machine très complexe, qui pouvait être réparée lorsqu'elle fonctionnait mal. Les domaines de la neurologie et des neurosciences - aidés par les technologies d'imagerie cérébrale - ont appliqué ce modèle au cerveau, qui a également été perçu comme une machine très complexe dont les interactions pouvaient rendre compte de l'expérience et du comportement humains. Tous ces développements semblaient indiquer que l'entreprise réductionniste consistant à « réduire les choses » à leurs éléments essentiels était justifiée. En conséquence, le matérialisme s'est imposé comme le paradigme explicatif dominant de notre culture. Toute culture doit avoir un système métaphysique pour donner un sens au
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monde, un système de croyance qui répond aux questions fondamentales sur la vie humaine, le monde et la réalité ellemême. Et comme la religion n'était plus -pour la plupart des gens cultivés - un système métaphysique viable, le matérialisme a rempli cette fonction. Il peut sembler étrange d'utiliser le terme de « métaphysique » à propos de la science. La métaphysique fait partie de la philosophie qui traite des grandes questions sur la vie et le monde avec lesquelles la plupart des êtres humains se débattent à un moment donné dans leur esprit - des questions comme « Quelle est la nature de la réalité? La vie a-t-elle un sens? Y a-t-il une vie après la mort? Le monde est-il une illusion générée par notre esprit?» La manière conventionnelle de considérer la science est de penser qu'elle se concentre sur des faits concrets et des travaux expérimentaux et qu'elle ne s'occupe pas de ce genre de questions. Mais la perspective matérialiste que de nombreux scientifiques adoptent (souvent sans s'en rendre compte) est un vrai système métaphysique en ce sens qu'il offre ses propres réponses à toutes les grandes questions, et possède sa propre perspective sur la nature de la réalité. Par exemple, le système métaphysique du matérialisme nous dit que la matière est la réalité primordiale de l'univers, qu'il n'y a ni Dieu, ni âme, ni vie après la mort, que la vie n'a de sens que pour la survie et la reproduction, etc. Telle est la principale ressemblance entre le matérialisme et la religion: c'est un système métaphysique qui explique la nature de la réalité. Lorsque les systèmes métaphysiques deviennent dominants, ils ont tendance à devenir exclusifs et dogmatiques, supprimant toute dissidence et rejetant toute preuve qui semble contredire leurs principes. Cela a certainement été le cas de la religion et, dans une certaine mesure - comme nous le verrons tout au long de ce livre - c'est également le cas du matérialisme.
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Les racines psychologiques du matérialisme À certaines époques dans l'histoire de l'humanité, des systèmes de croyance ont pris le dessus sur des sociétés entières d'une manière assez mystérieuse, parce qu'ils semblaient entrer en résonance avec le Zeitgeist (ou l'esprit du temps) et satisfaire les besoins psychologiques de la population en général. L'essor du christianisme est dû en grande partie au fait qu'il est devenu la religion « officielle » de l'Empire romain après la conversion de l'empereur Constantin au ive siècle. (C'est pourquoi le pape vit toujours à Rome ! ) Mais la religion s'est répandue si rapidement et si largement qu'il semble évident que des facteurs psychologiques ont aussi joué un rôle. À mon avis, cela est probablement dû aux souffrances et aux difficultés intenses de la vie à l'époque médiévale, lorsque la grande majorité des gens vivaient dans une pauvreté et une oppression extrêmes et étaient constamment menacés de mort par des maladies telles que la variole, le typhus et la peste. L'idée qu'il y avait un être tout-puissant qui surveillait le monde et contrôlait tous ses événements est devenue séduisante parce qu'elle procurait un sentiment de sécurité et de stabilité. Par ailleurs, l'idée que cette vie de souffrance n'était qu'une brève préparation à une éternité de bonheur et de paix dans le ciel semblait également très séduisante. Et dans un sens plus général, le christianisme offrait un système métaphysique cohérent pour expliquer la vie humaine et la nature de la réalité. Et je pense qu'il en va de même pour le matérialisme. La principale raison pour laquelle le matérialisme est devenu si populaire - plus importante encore que les facteurs culturels mentionnés précédemment- c'est parce qu'il satisfait des besoins psychologiques profondément enracinés. L'un de ces besoins est le même que celui auquel répond tout cadre métaphysique: un besoin psychologique de certitude et de repères. En tant que système de croyances, le
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matérialisme offre un cadre explicatif cohérent et global avec un récit crédible pour donner un sens à la vie humaine. Il nous dit où nous sommes, comment nous sommes arrivés ici et où nous allons. Le pouvoir explicatif du matérialisme est impressionnant, et en fait un bon substitut à la religion. Les réponses qu'il apporte à de nombreuses « grandes questions » sont claires et s'articulent de manière élégante et systématique. Basé sur les mêmes principes fondamentaux, le matérialisme répond aux questions sur la façon dont l'univers a commencé, comment la vie a commencé, comment elle a évolué, quelle est l'essence des choses (la matière), pourquoi les êtres humains se comportent comme nous le faisons (à cause de nos gènes et de l'activité cérébrale), s'il y a une vie après la mort (il n'y en a pas), etc. Tout cela nous donne le sentiment que nous avons des repères. Comme l'a fait remarquer le psychologue Erich Fromm, « la conscience que l'homme a de lui-même comme vivant dans un monde étrange et oppressant » crée un besoin intense d'un « cadre de référence cohérent » pour expliquer le monde et réduire la confusion et le doute existentiels 5 • Cela nous aide aussi à nous donner un sentiment d'identité. Savoir où nous sommes - et comment nous sommes arrivés ici - contribue à renforcer la conscience de qui nous sommes. Nos croyances fortifient notre sentiment d'identité. Le matérialisme répond également à un besoin psychologique de contrôle et de pouvoir sur le monde. Comme l'a fait remarquer le scientifique Francis Bacon au xvne siècle, la connaissance c'est le pouvoir. Avoir le sentiment de comprendre comment le monde fonctionne nous donne un sentiment d'autorité et de maîtrise. Plutôt que d'être assujettis aux forces mystérieuses et chaotiques de la nature, nous avons le sentiment de dominer (plutôt que de simplement comprendre) le monde, à partir d'une position de pouvoir. Chez certains matérialistes particulièrement fervents, ce besoin psychologique de contrôle et de pouvoir se manifeste
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par un désir de conquérir la nature - c'est-à-dire un désir d'avoir une compréhension complète du monde et de l'univers, d'expliquer tous leurs mystères, afin que nous puissions devenir des maîtres absolus de la création. Fondamentalement, il s'agit là d'une attitude de type colonialiste. Elle considère la nature comme un territoire vierge, qu'il est de notre devoir d'explorer et de coloniser. Francis Bacon a explicitement comparé l'entreprise scientifique à l'entreprise coloniale, estimant que c'était le destin - et le droit - des êtres humains de dominer la nature. Comme il l'a écrit, « Que la race humaine récupère ce droit sur la nature qui lui appartient par un legs divin » 6 • (Soit dit en passant, Bacon a également été fortement impliqué dans l'entreprise coloniale elle-même, en contribuant à l'établissement des colonies britanniques en Virginie au début du xvue siècle). Cette attitude est implicite dans la façon dont certains scientifiques considèrent la nature comme quelque chose« d'extérieur », un domaine étranger et distinct de la conscience qui l'observe. Généralement, lorsque nous percevons quelque chose comme « autre » - par exemple une autre nation, un autre groupe ethnique ou une autre religion - nous avons tendance à le voir aussi comme un ennemi à soumettre et à conquérir. (Cet instinct colonial dans le domaine scientifique a été particulièrement prononcé il y a quelques décennies, lorsqu'une telle colonisation semblait encore possible, et il semblait même que nous étions tout près d'atteindre une compréhension complète du monde. Ces dernières années, cependant, les scientifiques sont devenus plus circonspects. Des découvertes plus récentes - telles que l'énergie noire et la biologie quantique - ont mis en évidence les limites de notre compréhension. D'une certaine manière, il semble que plus nous examinons la réalité en profondeur, plus nous découvrons de mystères). Ces aspects psychologiques montrent clairement pourquoi certains matérialistes fervents réagissent avec un scepticisme
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aussi hostile aux phénomènes « rebelles » tels que les expériences de mort imminente, la télépathie et la précognition, en rejetant d'emblée les preuves pourtant irréfutables qui les justifient. (Nous examinerons ces questions plus en détail plus tard.) Leurs réactions sont similaires à celles des dirigeants de l'Église qui ont condamné les premiers scientifiques comme Galilée et Giordano Bruno pour hérésie. Comme ces dirigeants de l'Église, ils essaient de maintenir un système métaphysique qui satisfait leurs besoins psychologiques de repères et de contrôle. Accepter l'existence de phénomènes qui contredisent les principes de leur système de croyance serait psychologiquement dangereux, et menacerait leur identité, leur sécurité et leur pouvoir.
Le matérialisme et notre état de« sommeil»
La dernière raison psychologique - et la plus significative - du succès du matérialisme est que, en tant que philosophie, il correspond très étroitement à notre expérience du monde. Ou, pour le dire autrement, c'est une expression théorique de la réalité que nous vivons dans notre état normal. Dans mes livres précédents La chute, Se réveiller du sommeil et Le saut quantique, j'ai montré que ce que nous considérons comme un état d'être « normal » est en fait très limité et peu fiable. J'ai même ajouté que la conscience normale est une sorte de « sommeil », qui présente deux caractéristiques principales. La première caractéristique est notre fort sentiment d'individualité et l'impression d'être séparé du monde qui nous entoure. Notre expérience normale consiste à sentir que nous sommes un « moi » qui vit à l'intérieur de son propre espace mental, avec une frontière entre soi et le « monde extérieur». Nous sentons que nous sommes« ici »et que le reste de la réalité est « dehors ». Ce fort sentiment d'individualité
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crée un sentiment inconfortable de solitude et de manque, qui, je pense, est à l'origine de la tendance à accumuler des biens, des richesses, un statut et du pouvoir. En tant qu'entité séparée, nous nous sentons incomplets, comme des fragments coupés du tout, et en accumulant de la richesse ou du pouvoir, nous tâchons de nous consolider, de nous sentir plus forts et plus importants afin de compenser notre sentiment de manque. Ce fort sentiment d'individualité peut également créer un sentiment d'altérité envers notre propre corps. Plutôt que de nous sentir comme notre corps, nous pouvons avoir l'impression de l'habiter, comme s'il s'agissait d'un simple véhicule qui nous transporte. Et dans de nombreuses cultures au cours de l'histoire, ce sentiment d'altérité envers le corps a conduit à un dégoût envers le corps et envers toutes ses fonctions, dégoût qui s'est manifesté par la répression sexuelle et l'ascétisme. La deuxième caractéristique principale de notre état de « sommeil » est notre perception « désensibilisée » ou automatique du monde phénoménal. Le monde qui nous entoure n'est qu'à moitié réel; nous le percevons à travers un voile familier, en ne prêtant que peu d'attention à nos expériences quotidiennes. Lorsque nous sommes exposés pour la première fois à de nouvelles expériences et à de nouveaux environnements, ils nous affectent intensément (par exemple, les premiers jours dans un pays étranger inconnu, les premiers jours dans un nouveau travail ou la première expérience d'un nouveau goût ou d'une nouvelle odeur). Mais nous nous y habituons rapidement, et ils perdent leur pouvoir sensoriel. L'éclat des choses s'estompe au fur et à mesure de la désensibilisation. Comme la plupart d'entre nous passons notre vie dans un environnement familier, répétant des expériences que nous avons déjà vécues à de nombreuses reprises, cette perception désensibilisée est notre mode de vie normal. Nous ne nous « réveillons » de ce mode que dans des conditions
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particulières, par exemple lorsque nous faisons de nouvelles expériences, voyageons dans de nouveaux paysages ou expérimentons des états de conscience plus élevés. La majorité d'entre nous considère notre état normal d'être comme un« donné »et nous pensons que l'expérience du monde qu'il nous donne est véritable. Nous croyons que c'est la bonne façon de percevoir le monde; nous ne réalisons pas qu'il s'agit simplement d'une vision particulière du monde, générée par nos structures et notre fonctionnement psychologiques. Comme indiqué plus haut, l'une des hypothèses du matérialisme est que seul notre état normal de conscience est fiable et objectif, et que tout autre état de conscience est aberrant (et le résultat d'une activité cérébrale anormale). Cependant, comme je l'ai souligné dans La chute, la plupart des cultures de l'histoire humaine ont expérimenté le monde d'une manière très différente de celle-ci. Il existe de nombreuses preuves qui montrent que les êtres humains de la préhistoire, et de nombreuses cultures indigènes du monde, n'éprouvaient pas un sentiment de séparation par rapport à leur environnement. Ils se sentaient intimement liés au paysage, aux phénomènes naturels qui les entouraient et à la Terre elle-même. Par ailleurs, des éléments indiquent que les peuples préhistoriques et les peuples indigènes n'ont pas eu la même vision désensibilisée du monde que nous. Le monde naturel semble avoir été intensément réel et vivant à leurs yeux, rempli de phénomènes animés et conscients. De nombreux groupes indigènes de nos jours ont encore le sentiment profond que le monde est imprégné d'une force spirituelle et que les choses naturelles sont l'expression de cette force - comme ils le sont eux-mêmes. (Je donnerai plus d'informations sur ce sujet dans le prochain chapitre). Dans notre enfance, nous éprouvions également une perception très différente du monde. Les enfants n'ont pas le sentiment d'être séparés de leur environnement, et ils ne
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font pas non plus l'expérience de notre perception désensibilisée. Pour les jeunes enfants, le monde est un lieu incroyablement réel et exaltant, plein d'étrangeté et d'émerveillement. Ils portent avec enthousiasme leur attention sur toutes sortes de choses « banales » et « ordinaires » que les adultes ne prennent pas la peine de regarder. Notre sentiment d'être séparé et notre perception désensibilisée commencent à se développer à la fin de l'enfance et deviennent établis à l'adolescence ou au début de l'âge adulte. Mais même à l'âge adulte, nous nous réveillons parfois de notre état de « sommeil » normal, lorsque nous avons ce que j'appelle des « expériences d'éveil ». Celles-ci se produisent souvent dans des moments de détente, comme la méditation ou le contact avec la nature, lorsque le bavardage habituel de nos pensées s'estompe et que notre être intérieur semble devenir plus calme et plus énergique. Notre perception devient plus intense; les choses deviennent plus vivantes et plus riches de sens, comme si elle avait revêtu une nouvelle qualité d' « êtreté »"; nous ressentons également un fort sentiment de connexion avec notre environnement, comme si nous étions devenus une partie du monde plutôt que de simples observateurs de celui-ci. Comme je l'ai montré dans Le saut quantique, il est possible de connaître un état d' « éveil » stable et continu dans lequel nous transcendons en permanence les limites de notre état normal. Nous avons l'habitude de penser que notre perception du monde est plus vraie que celle des indigènes ou des enfants. Nous aimons à penser que nous avons dépassé le simple animisme des peuples indigènes et que nous avons une compréhension plus rationnelle du monde. De la même manière, il est facile de dédaigner nos perceptions intenses de l'enfance parce qu'elles appartiennent à une phase de développement
«
a. Steve Taylor écrit ici « is-ness » que j'ai essayé de rendre par êtreté ». N.d.T.
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plus précoce, que nous avons dépassée. Et il est évidemment vrai qu'à bien des égards, l'âge adulte est un état psychologique plus avancé que l'enfance - en termes de capacités cognitives, de développement linguistique, de capacités organisationnelles, de contrôle des impulsions, etc. Toutefois, tant dans le cas des êtres humains préhistoriques et indigènes que dans le cas de l'enfance, notre développement n'a pas été purement positif; il a également entraîné une perte. Nous avons perdu le sentiment de faire partie du monde et le sentiment de l'intensité et de l' « êtreté » du monde qui nous entoure. À mon avis, cette perception du monde est la source la plus fondamentale du matérialisme. Le matérialisme est une expression conceptuelle de notre sentiment de séparation et de notre perception désensibilisée. Notre séparation est conceptualisée dans la vision que nous avons de nous-mêmes en tant qu'observateurs indépendants et objectifs d'un monde « exteneur ». (Comme mentionné précédemment, cela entraîne également une impulsion à coloniser et à conquérir la nature en la dominant). Notre sentiment de séparation se traduit également par la vision matérialiste selon laquelle le monde est constitué d'objets séparés et distincts qui semblent exister séparément les uns des autres, avec un espace vide entre eux. Au niveau macrocosmique, cela signifie que le monde semble être rempli d'entités inanimées et vivantes (les autres êtres humains, les autres animaux, les plantes, les pierres et ainsi de suite), qui sont toujours distinctes et séparées. Et au niveau microcosmique, cela signifie que le monde est plein d'entités telles que les atomes et les molécules, qui peuvent coopérer et s'assembler mais qui sont considérées comme fondamentalement distinctes. De la même manière, notre perception désensibilisée nous conduit à penser que le monde est un lieu fondamentalement inanimé où les êtres vivants ne sont guère plus que des machines chimiques. La vie est expliquée en termes de
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processus chimiques, de sorte que les êtres apparemment animés ne sont que des arrangements complexes de particules et d'atomes inanimés. Et les phénomènes biologiquement inanimés - tels que les pierres, les rochers, le ciel, le soleil, la lune et la terre elle-même - deviennent des objets inertes. Et entre ces objets et phénomènes inertes, il y a un espace vide, qui s'étend autour de nous et au-dessus de nous, dans le ciel et au-delà de l'atmosphère terrestre. La vision matérialiste n'est donc pas une réalité objective. A un niveau fondamental, c'est juste la manière dont le monde apparaît tel qu'il est vécu par notre sentiment de séparation et notre perception désensibilisée.
Les conséquences culturelles et existentielles du matérialisme
Jusqu'à présent, j'ai présenté le matérialisme sous un jour très négatif, mais ne comporte-t-il pas aussi des aspects positifs? Le philosophe allemand Friedrich Nietzsche a souligné certains de ces aspects positifs du matérialisme. Vivant dans la seconde moitié du XIXe siècle, Nietzsche était farouchement opposé au christianisme conventionnel de son époque. Il pensait que le fondement du christianisme résidait dans « le dégoût de la vie » et « la haine du monde, la condamnation des passions, la peur de la beauté et de la sensualité, un au-delà inventé pour mieux calomnier cette vie » 7 • Il pensait que le rejet de l'idée d'une vie après la mort - qui dévalorisait cette vie aboutissait à la grande affirmation et acceptation de cette vie. En rejetant l'idée qu'il existe des mondes au-delà de celui-ci, nous aimons et apprécions ce monde plus pleinement. De la même manière, Nietzsche pensait que rejeter l'idée de Dieu nous apportait la liberté et une formidable opportunité de développement personnel. Dieu ne se mettait plus en travers
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de notre chemin, nous étions donc libres de nous créer à nouveau et de réaliser notre potentiel - et même de devenir ce que Nietzsche appelait des « surhommes ». Le célèbre écrivain scientifique et athée britannique Richard Dawkins a dépeint le côté positif du matérialisme d'une manière similaire. Malgré l'apparente noirceur de sa vision mécaniste du monde, il croit que la vie est pleine de sens et qu'elle vaut encore la peine d'être vécue. Pour Dawkins, le sens de la vie vient du fait même que nous sommes vivants, tant les chances sont minces de voir l'un d'entre nous naître; comme il l'écrit avec passion: « Après avoir dormi pendant cent millions de siècles, nous avons enfin ouvert les yeux sur une planète somptueuse, étincelante de couleurs, pleine de vie »8 • Sa deuxième source de signification réside dans la merveille de l'existence elle-même, dans l'étonnante complexité et richesse du monde. La plupart du temps, ce qu'il appelle « /'anesthésie de la familiarité» engourdit notre esprit, mais si nous pouvions regarder le monde avec une « vision nouvelle », nous serions continuellement éblouis par sa richesse et son étrangeté. Dawkins estime que le but de notre vie devrait être de contempler et d'étudier cette merveille, de passer notre « brève durée de vie sous le soleil » à travailler à « la compréhension de l'univers et de la façon dont nous sommes venus nous y réveiller » 9 • Dans ces passages, Dawkins prend un ton qui rappelle celui de philosophes existentialistes tels que Jean-Paul Sartre, qui nous expliquent que la vie est fondamentalement dénuée de sens ou absurde, mais que nous devrions valoriser notre liberté. Et tout cela est valable, dans une certaine mesure. Les recherches sur la religion et le bien-être ont montré que, si les personnes très religieuses ont le plus haut niveau de satisfaction dans la vie, les athées ont également un niveau assez élevé de satisfaction dans la vie - plus élevé, en fait, que les personnes modérément religieuses 10 • Cela est probablement dû en grande partie au sentiment de certitude que procure
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l'athéisme. Le fait d'avoir des croyances fortes conduit certainement à un plus grand bien-être, quelle que soit la nature de ces croyances. Néanmoins, le bien-être des athées est probablement lié à certains des facteurs identifiés par Nietzsche et Dawkins - la liberté de ne pas être soumis aux entraves de la religion, la liberté de vivre selon nos propres valeurs et la conscience que cette existence est la seule que nous ayons. Cependant, le côté positif du matérialisme est largement éclipsé par ses effets négatifs. Bien que certaines personnes puissent réagir de manière nietzschéenne, les conséquences les plus naturelles du matérialisme sont le nihilisme et l'hédonisme. Bien que l'attitude euphorique de Dawkins soit inspirante, on pourrait dire qu'il ne fait pas face à toutes les conséquences de sa propre vision du monde. Si les êtres humains ne sont, comme il l'a suggéré, rien d'autre que des « machines de survie jetables » - si nos vies n'ont pas d'autre résultat que la réplication de nos gènes, si l'univers est vide, froid et sans but, s'il n'y a pas d'autre force causale dans l'univers que le hasard aveugle - si tout cela est vrai, alors aucune quantité de complexité et de richesse ne peut vraiment compenser tout cela. Nous demander de « nous rendre compte de nos bénédictions » et de constater à quel point les choses sont complexes reviendrait à dire à un prisonnier en cellule d'isolement de se sentir reconnaissant parce que sa cellule est peinte de couleurs vives. La réaction la plus honnête à la vision du monde de Dawkins - et à la vision du monde de la science matérialiste en général - serait de ne pas se donner la peine de sortir du lit le matin, ou de se suicider, ou de fuir la triste réalité en prenant de la drogue, ou encore de courir après les satisfactions égoïstes et les sensations fortes. Et c'est là le sombre héritage du matérialisme avec lequel nous vivons chaque jour - un sentiment omniprésent de confusion et d'insignifiance. En réalité, le matérialisme a créé ce que le psychologue Viktor Frankl a appelé un « vide existentiel » 11 - une perte de but et de sens.
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Bien que Nietzsche et Sartre aient cru que nous étions libres de créer nos propres valeurs et significations, tout ce que nous avons réellement fait est de nous tourner vers l'hédonisme et le consumérisme. Nous ne sommes pas devenus des surhommes, nous sommes devenus des consommateurs. Le matérialisme en tant que système métaphysique a donné naissance au matérialisme en tant que mode de vie - c'est-àdire un mode de vie d'acquisition et de consommation. Croyant-ne serait-ce qu'inconsciemment au fond de notre esprit - que cette vie est tout ce qu'il y a, et qu'elle n'a pas de sens en dehors de la survie et de la reproduction, nous avons développé une attitude irresponsable, nous avons le sentiment que nous pouvons nous amuser autant que nous le voulons. Si ce monde est tout ce qu'il y a, nous pouvons chercher à en tirer le maximum, sans nous soucier des conséquences. Parallèlement, le matérialisme est en grande partie responsable de l'individualisme généralisé des cultures modernes. Le consumérisme et l'hédonisme mènent naturellement à l'égoïsme. Le but de notre vie est de satisfaire nos propres désirs plutôt que de contribuer au monde ou d'aider les autres. Après tout, il n'y a qu'une quantité limitée de richesses, de succès et de pouvoir à notre disposition, et nous devons donc être égoïstes et impitoyables pour nous en emparer autant que possible. Plus pernicieusement, des principes de bases du matérialisme tels que le gène égoïste et la compétition (en tant que force motrice de l'évolution) ont contribué à justifier les pires excès du matérialisme. Bien sûr, les sociétés étaient déjà individualistes et compétitives dans une certaine mesure avant que les valeurs matérialistes ne deviennent dominantes, mais le matérialisme a rendu ces valeurs beaucoup plus acceptables. Le matérialisme a renforcé l'idée que le but principal de la vie est de devenir prospère et riche, et a rendu plus admissible le fait d'être égoïste et impitoyable, et moins acceptable le fait d'être moral et compatissant.
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Cela met en évidence l'un des principaux problèmes du matérialisme, qui est de permettre et d'encourager certains des pires aspects de la nature humaine. Les religions traditionnelles nous protègent de certains de ces aspects: elles encouragent la compassion et l'altruisme, nous apprennent à être coopératifs plutôt que compétitifs, à être modérés plutôt qu'hédonistes, et nous disent qu'il est vain d'espérer un épanouissement complet dans cette vie. Mais avec le déclin de la religion et la domination du matérialisme, notre hédonisme, notre consumérisme et notre égoïsme n'ont plus eu de freins et ces pulsions ont pu s'exprimer librement. Et non seulement cela, mais ces pulsions ont même été encouragées à s'exprimer aussi pleinement que possible. Nietzsche espérait qu'une perspective matérialiste libérerait les aspects supérieurs de la nature humaine, nous permettant de créer un nouveau sens et de vivre plus noblement - mais en fait, elle n'a fait que libérer les aspects inférieurs de la nature humaine et nous inciter à vivre plus méchamment. Elle n'a pas conduit au sens, mais à la méchanceté•.
Les conséquences environnementales du matérialisme Les effets négatifs du matérialisme vont au-delà de nos sociétés et de notre vie individuelle - ils affectent également l'environnement. Dans une large mesure, les atteintes environnementales sont une conséquence inévitable de notre état de « sommeil». Comme nous l'avons déjà dit, du fait que nous ne ressentons pas la présence vivante et sacrée du monde naturel, nous n'éprouvons pas de respect pour lui, et ne nous sentons pas responsables de sa préservation. Certains peuples indigènes ont la conviction qu'ils partagent leur a. Jeu de mots en anglais entre meaning (le sens) et meanness (la méchanceté, la mesquinerie). N.d.T.
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identité avec les phénomènes naturels et, par conséquent, ils ont le sentiment qu'en faisant du mal au monde naturel, ils se font du mal à eux-mêmes. Mais nous, nous avons l'impression que le monde naturel est un « autre »; nous avons du mal à ressentir de l'empathie pour lui et n'avons donc aucun scrupule à l'exploiter. Mais, là encore, cette attitude malsaine envers la nature a été cautionnée et encouragée par le matérialisme. Le matérialisme prétend avoir« prouvé » que toutes les choses -y compris les êtres vivants - ne sont que des machines chimiques. Les phénomènes naturels ne sont que des objets dont la seule valeur est utilitaire. Nous ne sentons dès lors ni respect ni responsabilité à leur égard, nous ne nous préoccupons que de l'usage que nous pouvons en faire. La terre elle-même n'est qu'une boule de roche insensible, recouverte de végétation, que nous considérons comme une simple réserve de ressources, pour fournir de l'énergie et produire des biens. De la même manière, le matérialisme confirme notre impression que nous sommes des entités séparées, des collections d'atomes avec un esprit qui n'est qu'une projection de notre cerveau, et donc que nous sommes distincts du monde naturel - et donc en droit de le conquérir et de le coloniser. J'ai appelé cette attitude envers la nature « écopsychopathologie » 12 • Les psychopathes sont des personnes qui ne peuvent ressentir d'empathie pour autrui et qui passent leur vie à manipuler et à exploiter impitoyablement les autres afin de satisfaire leurs désirs de contrôle et de pouvoir. Et c'est là une description parfaite de la façon dont nous traitons la nature: un manque d'empathie, avec une exploitation et des abus sans scrupule. Nous sommes des éco-psychopathes, et la conséquence ultime de ce trouble psychologique - qui se manifeste déjà - est un dommage massif aux écosystèmes de notre planète, l'extinction massive des espèces de la planète et peut-être l'extinction de la race humaine elle-même. Comme l'aurait dit le chef Seattle en 18 54 : « Son appétit [celui
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de l'homme blanc] dévorera la terre et ne laissera derrière lui qu'un désert » 13 •
Tout cela montre très clairement que nous avons besoin d'un système métaphysique différent, qui puisse nous fournir une perspective plus saine et plus holistique, qui puisse aussi nous inciter à vivre de manière plus sensée et qui favorise une meilleure relation avec notre planète. C'est ce système métaphysique alternatif que nous allons examiner dans le prochain chapitre.
CHAPITRE 2
L'ALTERNATIVE SPIRITUELLE
Et si la réalité primordiale de l'univers n'était pas la matière? Et s'il existait une autre qualité, tellement fondamentale qu'elle imprègne la matière elle-même, qui en serait en fait une manifestation? Et si cette autre qualité imprégnait également les êtres vivants et toutes les choses non vivantes, de sorte que tout soit toujours interconnecté? L'idée que l'essence de la réalité est une qualité immatérielle et spirituelle est l'un des concepts transculturels les plus anciens et les plus communs dans l'histoire du monde. C'est une idée que presque toutes les cultures indigènes du monde ont développé par elles-mêmes, et que toutes les traditions mystiques ou spirituelles du monde ont également adoptée de manière indépendante. C'est une idée qui a été reprise par les philosophes pour expliquer des problèmes tels que la conscience et la relation entre l'esprit et le corps, et qui se retrouve dans certaines des découvertes et concepts de la physique quantique. Et plus important encore pour ce que j'avance dans ce livre, c'est une idée qui peut aider à expliquer certaines des questions les plus déroutantes et les plus controversées de la science, de la psychologie et de la philosophie contemporaines. Selon cette vision du monde, cette qualité spirituelle est un aspect primordial de la réalité, au même titre que les forces
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élémentaires telles que la gravité ou l'électromagnétisme. Ou peut-être que cette qualité spirituelle est même plus fondamentale que ces forces. Peut-être a-t-elle précédé l'univers, et peut-être que l'univers - avec toutes ses particules matérielles, ses forces et ses lois - en est une expression. Ce qui signifie notamment que cette qualité spirituelle est, pour utiliser un terme technique, irréductible. Autrement dit, elle ne peut pas être réduite à autre chose, ni expliquée par quoi que ce soit d'autre. Il s'agit simplement d'une qualité fondamentale de l'univers. En tant que telle, elle est partout et dans tout. Elle est en nous, dans tous les autres êtres vivants, dans toutes les choses inanimées et dans les espaces entre toutes les choses. Quel terme devrions-nous utiliser pour désigner cette qualité? Je pense qu'on peut la décrire comme une force, en partie parce que d'autres éléments universels - comme la gravité et l'électromagnétisme - sont eux aussi considérés comme des forces. Le terme « force » convient également à la nature active et dynamique de cette qualité. (Comme nous le verrons plus tard, au chapitre 10, cette qualité a une tendance innée à générer une plus grande complexité et un plus grand ordre dans les choses matérielles). C'est pourquoi je l'appellerai désormais « esprit-force »•. Ce terme correspond également aux termes que les cultures indigènes et les traditions mystiques ont utilisés tout au long de l'histoire pour décrire cette qualité (nous allons examiner cela dans un instant). J'appelle cette perspective le « panspiritisme ». « Pan » signifie « tout » ou « tous »,donc le panspiritisme signifie littéralement « l'esprit de la totalité » ou que « tout est esprit ». Cela ressemble à une autre approche philosophique, appelée panpsychisme (qui signifie littéralement que « tout est psychique »). Cependant, il existe des différences importantes entre les deux. Le panpsychisme affirme que les particules a.
«
Spirit-force
»
en anglais. N.d.T.
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les plus fondamentales de la matière ont une forme d'être intérieur et une forme d'expérience; il ne pense pas qu'il existe une force spirituelle qui imprègne toutes les choses, y compris l'espace vide. Le panspiritisme suggère lui qu'une force spirituelle imprègne toutes choses, mais pas nécessairement qu'elle les dote d'une vie intérieure. (Selon ma thèse - que je décrirai plus en détail plus loin dans ce chapitre - la conscience ou la sensibilité et l'expérience n'apparaissent que dans les premières formes de vie simples). Cela étant dit, il existe des similitudes évidentes entre le panspiritisme et le panpsychisme. Ce sont tous deux des approches « postmatérialistes », en ce sens qu'ils ne croient pas que la matière soit la réalité primordiale du monde, et que les phénomènes mentaux puissent être réduits à l'activité cérébrale. Les deux perspectives soutiennent que l'esprit est un aspect essentiel de l'univers et qu'il ne peut être expliqué en termes matériels. Elles suggèrent également que l'univers est fondamentalement vivant et sensible plutôt que mécaniste et inerte. Dans ce chapitre, nous allons examiner les éléments qui étayent cette perspective spirituelle. Dans un sens, de nombreux chapitres ultérieurs de ce livre en fournissent également la preuve. Comme nous le verrons, des phénomènes tels que l'altruisme, la télépathie et les expériences spirituelles viennent largement confirmer le concept d'une force spirituelle interconnectée. Le fait que la vision spirituelle du monde ait un tel pouvoir explicatif dans tant de domaines différents est très significatif. Mais dans ce chapitre, nous allons nous intéresser aux autres sources qui soutiennent cette idée.
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Le panspiritisme en philosophie
Dans le dernier chapitre, nous avons vu que les idées matérialistes remontent à la philosophie de la Grèce antique, et il en va de même pour le panspiritisme. En fait, les thèses du panspiritisme étaient beaucoup plus courantes dans la pensée grecque antique que les idées matérialistes. On considère généralement que le premier philosophe grec est Thalès, qui croyait que « toutes les choses sont pleines de Dieux » et que « l'âme est mêlée à tout l'univers » 14 • Un autre des premiers philosophes grecs, Anaximandre, a utilisé le terme apeiron pour désigner l'esprit-force, qui signifie littéralement « sans limites » ou « infini ». Il a présenté l' apeiron comme la source à partir de laquelle toutes les formes naissent et à laquelle elles retournent toutes. Plus tard, les philosophes grecs ont cru que le pneuma - littéralement « souffle », mais traduit par « âme », « esprit » ou « pensée » - était le principe sousjacent de l'univers, pénétrant et imprégnant tout, de sorte que toute chose possède sa propre âme. Les philosophes stoïciens voyaient l'esprit et la matière non pas comme deux choses différentes mais comme deux aspects du même principe sous-jacent, qu'ils appelaient logos. Le logos - parfois traduit par « Dieu » - était donc inhérent à toutes les choses matérielles. D'autres philosophes, comme Anaxagore, utilisaient le terme grec « nous » (traduit par « esprit » ), le concevant comme une force unique et unificatrice qui animait toutes choses. Et Platon, peut-être le philosophe grec le plus célèbre de tous, a également exprimé des vues panspiritistes, en particulier dans ses derniers travaux. Platon a utilisé le terme anima mundi - « l'âme du monde » - et a expliqué que le cosmos a une âme au même titre que le corps, et que tout ce qui existe partage cette âme. Six siècles après la mort de Platon, et environ quatre siècles après la disparition de l'ancienne civilisation grecque, une nouvelle vague d'idées panspiritistes a émergé avec le
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philosophe Plotin. On sait peu de choses sur Plotin, si ce n'est qu'il était un Égyptien parlant grec qui a passé la plus grande partie de sa vie à Alexandrie et à Rome. Ce qui est certain à propos de Plotin, cependant, c'est qu'il fut l'un des philosophes mystiques les plus profonds du monde. Il enseignait que la réalité fondamentale de l'univers est une force spirituelle qu'il appelait « l'Un ». L'Un est un réservoir dynamique et puissant de force spirituelle, dont tous les êtres individuels sont issus. Il crée et soutient continuellement notre existence, comme une fontaine jaillissant dans chaque être humain. C'est la force centrale de l'univers, et en tant que telle, nous ressentons une puissante attraction pour elle, un désir d'en être à nouveau conscient. Comme l'a écrit Plotin: « Chaque être contient en lui-même tout le monde intelligible. Le Tout est donc partout ... L'homme tel qu'il est maintenant a cessé d'être le Tout. Mais lorsqu'il cesse d'être un individu, il se réveille et pénètre dans le monde entier » 15 • Plotin fut à l'origine d'une nouvelle vague de philosophie panspiritiste, généralement appelée néoplatonisme, qui a fleuri jusqu'au milieu du premier millénaire après JésusChrist. Après cette époque, cependant, la pensée philosophique formelle en Europe n'a guère évolué jusqu'au Moyen Âge. Au xv1e siècle, une nouvelle vague de spéculation philosophique a commencé, qui comprenait aussi des idées panspiritistes. Le philosophe italien Francesco Patrizi a soutenu dans un livre intitulé Nouvelle philosophie de l'univers, publié en 1591, qu'il y avait une âme de l'univers imprégnant toutes les choses, y compris l'âme humaine, de sorte que, dans un sens, chaque âme contenait l'univers tout entier. Son contemporain et compatriote Giordano Bruno croyait également que « en toute chose il y a un esprit, et il n'y a pas le moindre corpuscule qui ne contienne en lui-même une partie qui puisse l'animer» 16 • Un des plus grands philosophes du xvue siècle, Baruch Spinoza, a également développé des idées panspiritistes. Spinoza pensait qu'il y avait une essence unique sous-jacente à toute réalité,
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qu'il appelait à la fois Dieu et la Nature. Et comme pour les stoïciens, Spinoza pensait que cette qualité se manifestait à la fois dans la matière et dans l'esprit, de sorte que les deux étaient essentiellement identiques. Après cela, cependant, les idées panspiritistes se sont éloignées de la philosophie (les idées panpsychistes demeuraient cependant prédominantes). Le philosophe allemand Johann Gottfried Herder, au XVIII° siècle, a fait exception à la règle en utilisant le terme allemand Kraft (littéralement, « force » ou « énergie ») pour désigner la substance sous-jacente de la réalité. Il a tenté d'intégrer le concept de Kraft aux nouvelles forces récemment découvertes par les scientifiques, telles que la gravité, l'électricité, le magnétisme et la lumière, en suggérant qu'elles étaient toutes des manifestations différentes du Kraft sous-jacent de l'univers. Une autre exception notable est le philosophe contemporain David Chalmers, qui pense que, plutôt que d'être produite par le cerveau, la conscience est une qualité fondamentale de l'univers. L'une des raisons pour lesquelles le panspiritisme a séduit les philosophes grecs est qu'il semblait résoudre l'une des questions les plus problématiques de la philosophie, à savoir la relation de l'esprit ou de l'âme avec le corps (cela fait également partie des attraits du panpsychisme). Les philosophes de la Grèce antique ont exprimé le problème dans l'expression ex nihilo, nihil fit c'est-à-dire « du néant, rien ne peut surgir ». En d'autres termes, comment l'âme immatérielle pourrait-elle émerger de la substance matérielle du corps? Le panspiritisme (et le panpsychisme) résout ce problème en affirmant que l'âme a toujours existé dans la matière. En termes plus contemporains, cette question peut être reformulée dans le cadre du problème de l'émergence de la conscience à partir du cerveau. David Chalmers appelle cela le « problème difficile » : comment un bloc de matière grise et humide, que nous appelons un cerveau, peut donner naissance à la richesse et à la variété de notre expérience
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consciente? (Nous y reviendrons plus en détail dans le prochain chapitre). Selon Chalmers, il est très improbable que nous puissions un jour expliquer la conscience en termes neurologiques. Par conséquent, nous devrions chercher une autre explication; en effet, comme la conscience « ne semble pas pouvoir être dérivée des lois physiques », elle devrait être « considérée comme une caractéristique fondamentale, irréductible à quelque chose de plus élémentaire » 17 • Chalmers souligne qu'au XIXe siècle, les physiciens ont réalisé que les phénomènes électromagnétiques ne pouvaient pas être expliqués par les connaissances actuelles, et ils ont donc présenté la charge électromagnétique comme une qualité fondamentale de l'univers. Et il devrait en être de même pour la conscience. Comme elle ne· peut être expliquée par les théories actuelles et qu'elle n'est réductible à aucune autre qualité de l'univers, on devrait la considérer comme une qualité fondamentale. Selon Chalmers, les physiciens ne pourront pas élaborer une « théorie de tout » cohérente tant qu'ils ne prendront pas en compte justement la conscience comme une qualité fondamentale.
Concepts indigènes de l'esprit-force
Cependant, il est important de se rappeler que le panspiritisme est bien plus qu'une philosophie. Il est plus fondamental que cela: il est une expérience. Une force spirituelle omniprésente n'est en effet pas seulement une idée abstraite - c'est une qualité réelle qui peut être directement perçue. Et le fait que la conscience directe de la force spirituelle soit omniprésente chez les êtres humains tout au long de l'histoire (ainsi que les visions spirituelles du monde que cette conscience a fait naître) est l'une des preuves les plus solides du panspiritisme. Presque tous les peuples indigènes du monde ont un terme
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qui décrit une force ou un pouvoir spirituel qui imprègne toute chose et constitue l'essence de toute chose. En général, les peuples indigènes ne sont pas (ou du moins n'étaient pas, jusqu'à l'époque coloniale) théistes - c'est-à-dire qu'ils n'ont pas le concept de dieux personnels qui surveillent le monde et interviennent dans ses affaires. (Certains peuples ont le concept de « Dieu créateur » pour expliquer comment le monde est né, mais dans presque tous les cas, une fois que ce Dieu a fait son travail, il se retire et ne participe que très peu à sa création). En fait, le concept de « religion » n'avait aucune signification pour les peuples indigènes traditionnels, car pour eux il n'y avait pas de séparation entre le monde spirituel et le monde quotidien. Le monde quotidien est imprégné d'esprit, et toute activité est potentiellement spirituelle, puisqu'elle implique une interaction avec l'esprit sous une forme ou une autre. (Soit dit en passant, mon utilisation des temps passé et présent est intentionnelle ici, car je suis conscient que peu de peuples indigènes vivent encore selon un mode de vie traditionnel, même si certains d'entre eux conservent encore cette perspective). En Amérique du Nord, les Tlingits du nord-ouest du Pacifique appelaient l'esprit-force yok; les Indiens Hopis du sudouest aride l'appelaient maasauu; dans les grandes plaines, les Pawnees l'appelaient tirawa, les Dakotas l'appelaient taku wakan et les Lakotas wakantanka; tandis que dans les forêts du nord-est, les Haudenosaunees l'appelaient orenda et les Algonquins de l'est manitou; et ainsi de suite. Chaque tribu nord-américaine a un terme comparable. Ces concepts sont parfois traduits par Grand Esprit, mais cela semble être une interprétation chrétienne occidentale (et peut-être dans une certaine mesure, après le contact culturel, certaines tribus indiennes ont effectivement développé une conception plus théiste). Comme l'a fait remarquer l'activiste lakota Russell Means, wakan-tanka est plus fidèlement traduit par « Le Grand Mystère ». Il n'est pas considéré comme un Dieu, ou un être
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suprême, mais comme une force divine ou sacrée - qui existait avant que le monde ne commence, et qui est partout et dans tout 18 • L'une des meilleures descriptions du « Grand Mystère » est celle d'un missionnaire chrétien appelé Révérend Stephen Riggs, qui a vécu plus de 40 ans avec les Dakotas au XIXe siècle. Il a décrit le taku wakan de la façon suivante: surnaturel et mystérieux ... Il englobe tout le mystère, le pouvoir secret et la divinité. La crainte et la vénération lui sont dues, et ses manifestations sont aussi illimitées que ses idées. Toute vie est Wakan, ainsi que tout ce qui fait preuve de puissance, que ce soit en action, comme les vents et les nuages qui passent, ou en force passive, comme le rocher au bord du chemin. Car même les bâtons et les pierres les plus ordinaires ont une essence spirituelle qui doit être vénérée comme une manifestation de la puissance mystérieuse et omniprésente qui remplit l'univers. » 19 «
Ailleurs dans le monde, les Ainu - un peuple tribal indigène de l'île d'Hokkaido au nord du Japon - appelaient cette force spirituelle omniprésente ramut, alors que dans certaines régions de Nouvelle-Guinée, elle était appelée imunu. En Afrique, le peuple Nuer la nomme kwoth et les Mbuti, pepo. Les Indiens Ufaina (de la forêt amazonienne) l'appelaient fufaka. Dans certaines parties de la Polynésie - comme Hawaï, Tahiti et la Mélanésie - le terme mana faisait référence à une énergie spirituelle sacrée qui remplissait tout l'univers et imprégnait tout. La signification de ces termes est essentiellement la même. En fait, ils sont très similaires au concept grec ancien de pneuma - ou à l'idée que Platon se faisait de l'anima mundi mentionnée plus haut. Ces termes ne font pas référence à une divinité mais à une force spirituelle impersonnelle et omniprésente. Cela ressort clairement de certaines des traductions que les anthropologues ont utilisées pour ces termes.
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L'anthropologue écossais Neil Gordon Munro, qui fut l'un des premiers occidentaux à vivre avec les Aïnous au Japon, a décrit le ramut comme une force « omniprésente et indestructible » et a décidé que la meilleure traduction possible était « énergie spirituelle » 20 • De même, le premier anthropologue allemand R Neuhaus a traduit imunu par « la substance spirituelle », tandis que le missionnaire britannique JH Holmes a traduit imunu par « l'âme universelle » et l'a décrit comme « l'âme des choses ... Elle était intangible, mais comme l'air, le vent, elle pouvait manifester sa présence » 21 • Cependant, ces concepts ne se limitent pas uniquement aux cultures indigènes. Certaines cultures modernes et économiquement développées ont conservé la notion de l'esprit-force. Par exemple, dans la tradition shinto du Japon, le terme musubi fait référence à la force spirituelle créatrice et interconnectée de l'univers. Le monde est rempli de kami - des forces non physiques (ou esprits) qui animent les phénomènes naturels, les êtres vivants et l'espace lui-même, et qui sont considérées comme des manifestations de musubi. La tradition chamanique indigène de la Corée, le Muisme ou Sinisme, est similaire au Shinto. Le terme coréen shin fait référence aux esprits ou aux êtres divins (similaires au kami), tandis que le terme haneullim ou hwanin est similaire au musubi japonais, faisant référence à une force ou un principe divin omniprésent. Littéralement, haneullim signifie « source de tout être ». (Bien entendu, de nombreuses cultures indigènes tribales conçoivent également les esprits comme des formes d'énergie qui interagissent avec les phénomènes naturels et les habitent, et sont également considérées comme des manifestations de l'esprit universel). Pour tous ces peuples - et pour les peuples indigènes en particulier - cette force n'est pas une spéculation métaphysique mais une réalité tangible. Ce n'est pas une croyance mais une perception. Ce n'est pas une abstraction, mais une partie de leur expérience quotidienne. Cette perspective
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spirituelle a imprégné leur vie, tout comme la perspective matérialiste imprègne la nôtre.
La perspective spirituelle indigène
Alors que le matérialisme considère les êtres vivants comme des machines biologiques et les choses non vivantes comme des objets inertes, la conscience qu'ont les peuples indigènes de l'esprit-force signifie que, pour eux, le monde entier est vivant. Toutes les choses étaient animées en ce sens qu'elles étaient imprégnées de l'esprit-force, et habitées par - ou associées à - des esprits individuels. Dans la perspective matérialiste, le monde est constitué d'un espace vide occupé par des objets inertes ou vivants, alors que dans la perspective spirituelle indigène, il n'y a pas d'espace vide parce que tout est rempli de force spirituelle et d'esprits individuels. Comme l'a décrit l'anthropologue Tim Ingold, pour les groupes de chasseurs-cueilleurs, l'environnement est « saturé de pouvoirs personnels d'une espèce ou d'une autre. Il est vivant » 22 • Dans un autre sens, toutes les choses sont vivantes parce qu'elles sont des manifestations de l'esprit. L'esprit est le sol à partir duquel toutes les choses poussent et dans lequel elles restent toujours enracinées. C'est une métaphore souvent utilisée dans les Upanishads indiennes - les anciens textes spirituels qui décrivent le monde comme étant imprégné de Brahman, ou d'esprit. Comme le dit la Mundaka Upanishad: « De même qu'une araignée émet et tire son fil, de même que les plantes naissent de la terre et les cheveux du corps d'un homme, de même toute la création naît de l'Éternel » 23 • De la même manière, Black Elk a expliqué que, pour les Indiens d'Amérique, « aucun objet n'est ce qu'il semble être mais est l'ombre d'une Réalité. C'est pour cette raison que tout objet est wakan, saint, et possède un pouvoir proportionnel à la grandeur de la réalité spirituelle qu'il reflète » 24 • Les objets sont saints parce qu'ils sont des
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expressions et des représentations de l'esprit. Comme l'a fait remarquer l'indien Dakota Ohiyesa, « dans la vie des Indiens, il n'y avait qu'un devoir inévitable - le devoir de la prière - la reconnaissance quotidienne de l'invisible et de l'éternel » 25 • Ce sentiment que toutes les choses sont vivantes et proviennent d'une source spirituelle signifie également que les peuples indigènes considèrent tous les phénomènes naturels comme interconnectés. La perspective matérialiste voit le monde comme composé d'objets séparés et distincts, tandis que la perspective spirituelle indigène n'y voit aucune séparation, seulement de l'interdépendance. Tout est intimement lié, et tout participe de la même toile de l'être. Cela inclut bien sûr les êtres humains. En fait, c'est probablement l'un des aspects les plus significatifs de la relation des indigènes avec le monde naturel: leur profond sentiment d'être reliés à lui. Ce lien est si fort que de nombreux peuples indigènes ont le sentiment que la terre qu'ils habitent, et le monde naturel en général, fait partie de leur identité. Alors que la plupart des Occidentaux modernes se considèrent comme étant« hors »de la nature, la regardant depuis un lieu séparé, les populations indigènes ont le sentiment qu'elles sont cette nature. L'une des anecdotes les plus instructives - et en même temps les plus tristes - concernant les interactions entre les peuples indigènes et les Européens est tirée d'une rencontre entre un chef Nez Percé appelé Tuhulkutsut et des représentants du gouvernement américain en 1877. Les représentants voulaient acheter des terres tribales au chef, mais son lien avec la terre le rendait incapable de les vendre. « La terre, disait-il, fait partie de mon corps. J'appartiens à la terre dont je suis issu. La terre est ma mère ». Cela ne signifiait bien sûr rien du tout pour les représentants du gouvernement, dont l'un a répondu avec impatience: « Vingt fois [vous] nous avez répété que la terre était votre mère ... N'en parlons plus, et revenons-en à notre affaire » 26 •
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Il existe aussi une histoire intéressante du chef Oren Lyons du peuple Onondaga, qui fut le premier jeune homme de sa tribu à aller à l'université. À son retour de l'université, son père lui demanda: « Qui es-tu?» Lorsque Oren répondit par son nom, sa tribu et son statut d'être humain, son père lui rappela: « Tu vois cette falaise là-bas? Tu es cette falaise. Et ce pin gigantesque sur l'autre rive? Tu es ce pin. Et cette eau qui soutient notre bateau? Tu es cette eau » 27 • Cela rappelle encore une fois les Upanishad, en particulier le célèbre passage de la Chandogya Upanishad: « L'esprit de l'Univers tout entier est une essence invisible et subtile. C'est cela la Réalité. C'est l 'Atman. Tu es Cela »28 • C'est parce qu'ils éprouvaient un tel sentiment de connexion avec la nature, et qu'ils percevaient le monde comme fondamentalement animé, que les peuples indigènes avaient un puissant sentiment de parenté et de respect pour la nature. Comme l'a écrit le chef Luther Ours Debout - l'un des observateurs les plus attentifs des différences entre les Amérindiens et les Européens -, l'indien « aimait la terre et toutes les choses de la terre ... La parenté avec toutes les créatures de la terre, du sol et de l'eau était un principe réel et actif» 29 • C'est également ce qu'a déclaré le saint homme lakota, Black Elk: « Chaque pas que nous faisons sur la Terre devrait être fait de manière sacrée; chaque pas devrait être fait comme une prière». Bien entendu, cela est en totale contradiction avec la perspective matérialiste, qui encourage une attitude d'exploitation de la nature. Et c'est pourquoi les peuples indigènes ont toujours été choqués par la façon dont les colons européens traitaient le monde naturel, considérant les terres qui étaient sacrées pour eux comme une simple réserve de ressources à diviser et à piller. Mais, ce qui est peut-être le plus fondamental, c'est que la perspective spirituelle des peuples indigènes leur a permis de ne pas éprouver le sentiment d'insignifiance et d'aliénation inhérent au matérialisme et d'échapper aux comportements pathologiques qui en découlent, tels que le consumérisme
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effréné, l'hédonisme, la recherche de statut et la compétitivité. Leur conscience de l'esprit-force et leur sentiment de parenté avec les autres êtres vivants et le reste du monde naturel ont donné aux peuples indigènes le sentiment de faire partie d'une plus grande harmonie et d'être« chez eux » dans le monde. Ils avaient le sentiment d'être soutenus par le monde, d'être confortablement protégés par la nature et d'être entourés par le sacré. Un Amérindien, Thomas Yellowtail, a parlé du « soutien intimidant qui était toujours présent pour les Indiens traditionnels » et a décrit comment « partout où vous alliez et quoi que vous fassiez, vous participiez à la vie sacrée et vous saviez qui vous étiez et vous portiez en vous le sens du sacré. Toutes les formes avaient un sens, même le tipi et le cercle sacré du camp » 30 • Selon les mots du chef Luther Ours Debout, « la terre était belle et nous étions entourés des bienfaits du Grand Mystère » 31 • Si les peuples indigènes, dont les modes de vie sont restés inchangés pendant des dizaines de milliers d'années, peuvent être considérés comme les représentants d'une phase initiale du développement humain, cela donne à penser que le panspiritisme a été la vision du monde la plus ancienne de l'humanité, et une vision qui, jusqu'à une date relativement récente, était tout à fait normale et naturelle pour les êtres humains. Il semble que, pour eux, l'esprit-force était une réalité évidente et quotidienne - aussi réelle que le bleu du ciel ou la fraîcheur de l'eau. Pour moi, cela signifie que l'esprit-force est un phénomène réel, une qualité tangible qui peut être perçue par les êtres humains.
L'esprit-force dans les traditions mystiques
Le seul problème avec cet argument, c'est que la plupart des êtres humains aujourd'hui ne font apparemment pas l'expérience de l'esprit-force comme le faisaient les peuples indigènes. Pourquoi le percevaient-ils alors que nous ne
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le faisons pas? Si cette qualité est vraiment une réalité, ne devrait-elle pas être évidente pour tous les êtres humains? C'est là, à mon avis, l'un des aspects les plus significatifs d'un changement psychologique que nos ancêtres ont subi il y a des milliers d'années (c'est l'événement que j'ai appelé dans un autre livre La chute, ou « l'explosion de l'ego » ). Plus précisément, ce fut le résultat du processus de désensibilisation décrit dans le chapitre précédent, lorsque nous avons perdu l'intensité perceptive des premiers êtres humains (et des peuples indigènes). Selon ma théorie exposée dans La Chute, je pense qu'ils' agit essentiellement d'une question d'énergie. Avec ce changement psychologique, l'ego s'est fortement développé, ce qui a conduit à un sentiment inédit d'individualité et de séparation (et ce qui a entraîné aussi une augmentation des pouvoirs intellectuels et technologiques). Après être devenu un aspect dominant de la psyché, l'ego a eu besoin de beaucoup plus d'énergie pour fonctionner. Ainsi, l'énergie qui était auparavant utilisée pour la perception directe et immédiate du monde phénoménal a été ensuite redirigée vers l'ego. Notre perception s'est « automatisée » afin que l'énergie ainsi économisée puisse alimenter l'ego. Cela a entraîné une perte de la capacité à percevoir l'esprit-force dans le monde. Cet esprit a été « occulté » de notre conscience à mesure que le monde phénoménal devenait moins vivant. Ce qui jusque-là avait été une réalité quotidienne évidente pour les êtres humains, n'était plus visible pour nous. Le monde n'était plus habité par l'esprit et de ce fait, il cessa d'être sacré. L'esprit n'était plus la réalité primordiale - c'était maintenant la matière. Cependant, tout n'a pas été perdu pour autant. Dès que ce changement psychologique s'est produit, de petits groupes de contemplatifs du monde entier ont découvert qu'il était possible de neutraliser temporairement les effets de ce changement en suivant certaines pratiques ou en ingérant certaines substances. Ils ont découvert qu'il était possible de
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désautomatiser » leurs perceptions et de s'éveiller temporairement à une réalité plus intense. Certains d'entre eux y sont parvenus en provoquant délibérément des changements physiologiques majeurs par le jeûne, par la privation de sommeil, par la prise de substances psychédéliques, etc. D'autres l'ont fait de manière plus stable, en s'asseyant tranquillement et en vidant leur esprit (en d'autres termes, en méditant). Plus important encore, certains contemplatifs ont réalisé qu'il était possible de se « réveiller » de façon permanente. Certains d'entre eux ont commencé à proposer des chemins vers un éveil permanent accessible à d'autres. Ces voies constituent les enseignements et les traditions spirituelles connus tels que les Upanishads, le taoïsme, le néoplatonisme, la Kabbale, le mysticisme chrétien, le soufisme, etc. L'un des aspects les plus significatifs de ces traditions spirituelles est que, sans exception, elles contiennent la notion d'une force spirituelle fondamentale. Elles conçoivent toutes une énergie ou une force qui imprègne les choses et les espaces entre les choses, et qui sous-tend l'ensemble du monde phénoménal de telle sorte que tout semble en émaner. L'omniprésence de ces notions est aussi remarquable que celle de la notion d'esprit-force dans les cultures indigènes. Nous avons déjà abordé l'un d'entre eux: le concept hindou de Brahman, tel que décrit dans les Upanishads, la Bhagavad Gita et d'autres textes spirituels. Brahman n'est pas une conception théiste; il n'a ni personnalité, ni forme, ni aucun contrôle sur les événements du monde. Brahman est l' « esprit suprême » qui a donné naissance à toutes les choses du monde, et que toutes les choses conservent comme essence. Il est indestructible et éternel, et possède des qualités naturelles de rayonnement et de joie, de sorte que prendre conscience du Brahman signifie atteindre la béatitude. Et surtout, les Upanishads nous répètent sans cesse que Brahman est l'essence même de notre être, sous la forme de l'atman, de l'esprit individuel. Par conséquent, nous sommes toujours «
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essentiellement un avec l'univers. Le but de la vie humaine est de réaliser cette unité, et donc de transcender la séparation, la peur et même la mort. En Chine, le concept du Tao, ou Dao, avait une signification similaire. Comme Brahman, le Tao est une force spirituelle qui imprègne le monde. C'est l'essence de l'univers, et la source d'où émergent toutes les choses. Le Tao est associé à l'équilibre; il maintient l'ordre des choses. Par le passé, selon les enseignants taoïstes, les êtres humains ont cessé d'être en harmonie avec le Tao et sont tombés dans la conscience de leur image et l'égoïsme (je considère cela comme une représentation taoïste de la chute). Et à présent, le but de la vie humaine - parallèlement aux enseignements des Upanishads décrits plus haut - est de ne faire qu'un avec le Tao afin que notre vie en devienne l'expression et que nous puissions vivre spontanément et sans effort, en harmonie avec la nature. Dans le bouddhisme ancien - généralement appelée le theravada - on ne trouve pas de concept explicite de l'esprit-force (bien que certains universitaires aient suggéré que le mot shunyata - généralement traduit par« vacuité » - pouvait être interprété de cette façon). Cependant, dans le bouddhisme mahayana (qui s'est développé un peu plus tard que le theravada), figure le concept de dharmakaya, qui est similaire au Brahman. Le dharmakaya est la réalité sous-jacente de l'univers, d'où toutes les choses émergent et dans lequel toutes les choses sont une. Comme l'a souligné le philosophe bouddhiste D.T. Suzuki, le dharmakaya possède les qualités d' « amour universel et d'intelligence omnisciente » 32 et l'illumination signifie que nous devons réaliser que le dharmakaya se trouve dans notre propre être. Dans les traditions contemplatives associées aux religions monothéistes du judaïsme, du christianisme et de l'islam, l'esprit-force était habituellement associé à Dieu. Dans ces traditions, Dieu n'est pas interprété comme un être personnel qui domine le monde et contrôle ses événements, mais
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comme une énergie ou une force spirituelle impersonnelle et sans forme qui rayonne à travers toute la création, ramenant toutes les choses à l'unité. Elle rayonne aussi à travers l'âme humaine, de sorte qu'essentiellement nous ne faisons qu'un avec Dieu. Les mystiques chrétiens ont appelé l'esprit-force la « Déité » ou les « ténèbres divines ». Dans le mysticisme juif de la Kabbale, elle était appelée en sof- ce qui signifie littéralement « sans fin ». Il y a certainement des nuances entre ces concepts en raison des systèmes religieux ou métaphysiques auxquels ils étaient associés. (Par exemple, le Tao est plus dynamique et tangible que Brahman, et dans les traditions monothéistes, l'esprit-force est généralement considéré comme transcendant aussi bien qu'immanent). Néanmoins, la similarité essentielle des concepts - et leur ressemblance avec les concepts d'esprit-force des peuples indigènes, et avec les concepts grecs anciens de pneuma et d'anima mundi - est très frappante. Il semble que nous ayons affaire à une qualité fondamentale du monde qui peut être directement perçue. Cette qualité peut être interprétée de manière légèrement différente, du point de vue de différentes traditions, de la même manière que, par exemple, un paysage peut être décrit différemment par des personnes qui le regardent de différents points de vue. Selon les mots du moine chrétien et hindou Bede Griffiths: « C'est le grand Dao ... C'est le nirguna Brahman ... C'est le dharmakaya du Bouddha, le "corps de la réalité" ... C'est /'Un de Plotin qui est au-delà de l'esprit (le Nous) et ne peut être connu que dans l'extase. En termes chrétiens, c'est l'abîme de la déité, la "divine obscurité" de Denys l'Aéropagite, qui "dépasse toute existence" et ne peut être nommée, dont les Personnes de la déité sont les manifestations. » 33
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L'esprit-force en dehors des traditions spirituelles
Il convient également de mentionner que la notion - et la conscience - de l'esprit-force n'est en aucun cas limitée aux mystiques et aux contemplatifs associés aux traditions spirituelles. Il y a toujours eu un lien très étroit entre la poésie et la spiritualité, et un grand nombre de poètes - comme William Wordsworth, Walt Whitman et DH Lawrence - étaient clairement conscients qu'une force spirituelle imprégnait le monde, animant toutes choses et les amenant à l'unité. Par exemple, dans son énorme poème autobiographique Le Prélude, William Wordsworth décrit comment, jeune homme, il pouvait éprouver « le sentiment d'être présent /sur tout ce qui bouge et sur tout ce qui semble immobile ». Cela lui a également donné le sentiment que tout ce qui l'entourait était sensible et que « la grande masse [des choses naturelles] était enfouie dans quelque âme vivifiante » 34 • (Le poème de Wordsworth « Tintern Abbey» en donne également une belle description). Le grand poète américain Walt Whitman avait un sens particulièrement aigu de cette force de l'esprit qui emplit toute chose, y compris son propre être. Par exemple, dans l'un de ses plus beaux petits poèmes, « Sur la plage la nuit, seul», Whitman parle de son sentiment que l'esprit coule à travers toutes les choses et les amène à l'unité: « Cette vaste similitude les embrasse, et les a toujours embrassées, et les embrassera toujours, et les tiendra de manière compacte, et les enveloppera » 35 • (Pour une discussion plus complète sur la poésie et l'éveil spirituel, voir mon livre Le saut quantique). Les expériences d'éveil peuvent être considérées comme des rencontres avec l'esprit-force. Comme nous le verrons au chapitre 7, les expériences d'éveil se produisent le plus souvent chez des « gens ordinaires » qui ne sont affiliés à aucune tradition spirituelle. Elles se produisent aussi souvent spontanément, au milieu d'activités et de situations quotidiennes plutôt qu'en lien avec des pratiques spirituelles. Dans
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les expériences d'éveil de moindre intensité (qui sont de loin les plus courantes), nous ressentons certains des effets de l'esprit-force plutôt que de le rencontrer de manière directe. Dans ces moments-là, l'esprit-force rend le monde qui nous entoure plus réel et plus beau, il nous donne le sentiment de l'interconnexion des choses, il nous fait nous sentir connectés au monde et nous donne le sentiment de l'éclat et de l'harmonie des choses. Mais dans les expériences d'éveil de haute intensité, nous pouvons avoir une rencontre plus immédiate et plus puissante avec l'esprit-force, une rencontre qui nous fait prendre conscience de l'unité essentielle de toutes les choses, et de notre unité essentielle avec l'univers entier. Le temps et l'espace peuvent sembler se dissoudre, ne laissant qu'une qualité omniprésente - que l'on peut décrire en termes d'énergie, d'amour ou d'esprit. Le sentiment d'identité peut s'étendre considérablement, de sorte que l'on a l'impression d'être tout et partout à la fois. Dans l'exemple suivant tiré de mes propres archives, un homme décrit une expérience d'éveil qu'il a vécue deux mois après la naissance de son fils, alors qu'il poussait le landau dans les rues de sa ville. C'était la première fois qu'il sortait son fils et il «se sentait très fier d'être papa ». Puis, selon ses propres termes: «J'ai pris conscience du sentiment d'amour inconditionnel, non seulement envers mon fils mais aussi envers tous ceux que je croisais dans la rue. C'était comme si je le donnais et que je le recevais en même temps. Puis le sentiments'est élargi à des objets inanimés; le chemin, les lampadaires, les bâtiments, les voitures, les sons de la musique; tout était "fait" de la même "substance" et le seul mot que j'ai pu trouver pour la décrire était l'amour. Tout était fait d'amour. Je me suis senti immergé dans une mer d'amour où chaque personne et chaque chose étaient faites de cette même "énergie"; je n'étais plus un "ego" séparé mais j'étais consumé par cette énergie d'amour. Tout est devenu Un et je me suis trouvé hors du temps. J'ai continué à marcher dans un parc avec un très fort sentiment de compassion et
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d'amour envers tout ce que je rencontrais. L'expérience a duré environ 20 minutes (j'ai depuis retracé mes pas) et ses effets puissants ont duré deux ou trois jours de plus. Ce qui est resté depuis lors, c'est une augmentation de l'empathie, de la tolérance, de la compassion et de l'amour.» Il est important de noter que les expériences d'éveil sont des états de conscience plus élevés. Les expériences d'éveil, qu'elles soient temporaires ou permanentes, pratiquées par les adeptes des traditions spirituelles, représentent une expansion et une intensification des états de conscience ordinaires. Ce sont des états dans lesquels nous transcendons les limites de notre conscience habituelle et nous prenons ainsi conscience de qualités qui nous restent normalement cachées. Cela semble donc indiquer que la force spirituelle est une réalité fondamentale du monde, mais qui est simplement « occultée » de notre conscience normale. Et il est également significatif que, lorsque nous sommes éveillés, nous éprouvions le même sentiment d'être « chez nous » que les peuples indigènes. L'un des effets les plus profonds des expériences d'éveil temporaires et de l'éveil permanent est la disparition de notre tension intérieure et du mécontentement qui caractérisent notre état normal. À la place, on éprouve un sentiment de bien-être et de plénitude, une capacité à vivre à l'aise dans son propre être et dans le moment présent. Dans son poème La paix D.H. Lawrence a magnifiquement décrit ce sentiment d'être « à la maison »: « Comme un chat qui dort sur une chaise en paix, dans la paix et en union avec le maître de maison, avec la maîtresse, à la maison, à la maison dans la maison des vivants, dormant près de la cheminée, et bâillant devant le feu. » 36
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Le panspiritisme dans les sciences
Il est intéressant de noter que de nombreux grands scientifiques du monde entier ont également adopté des points de vue empreints de panspiritisme. Cela a été particulièrement vrai pour les physiciens quantiques. Je ne vais pas aborder le sujet de la physique quantique en détail ici car elle a son propre chapitre plus loin dans le livre. Nous verrons alors que certaines des découvertes déroutantes de la physique quantique - par exemple, comment des particules « individuelles » peuvent se comporter comme si elles étaient jumelées ou enchevêtrées, et comment les attentes de l'observateur affectent les résultats des expériences - sont totalement compatibles avec la vision panspiritiste d'un univers interconnecté. À tout le moins, ces résultats montrent que la vision matérialiste du monde est beaucoup trop simpliste et que les choses sont beaucoup plus étranges qu'elles ne le paraissent au niveau macrocosmique. Et c'est sans doute la raison pour laquelle tant de physiciens quantiques ont défendu des visions « post-matérialistes » de la réalité, dont le panspiritisme. Cela a été particulièrement vrai pour de nombreux « pères fondateurs » de la physique quantique, tels que Werner Heisenberg, Erwin Schrodinger, Wolfgang Pauli et Max Planck (pour n'en citer que quelques-uns). Un grand nombre des spéculations métaphysiques de ces physiciens sont difficiles à distinguer des écrits de mystiques tels que Plotin ou Maître Eckhart. Erwin Schrodinger - surtout connu pour l'expérience de pensée du «chat de Schrodinger », qui montre que l'état d'un phénomène est indéterminé tant qu'il n'est pas observé - voyait ses recherches scientifiques comme une façon d'approcher l'unité essentielle de l'univers, dont notre conscience individuelle était la manifestation. Comme il l'a écrit dans son livre Ma vision du monde:
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« Aussi inconcevable que cela puisse paraître à la raison ordinaire, vous - et tous les autres êtres conscients en tant que tels - êtes tout en tout. Par conséquent, la vie que vous vivez n'est pas seulement un morceau de l'existence entière, mais elle est, dans un certain sens, le tout » 37 •
Il peut sembler surprenant d'entendre des scientifiques parler en termes aussi spirituels, mais c'est seulement parce que pour nous, la science est associée au scientisme. Ces positions illustrent le fait que la science n'a pas besoin d'être imprégnée de matérialisme et qu'il n'y a pas nécessairement de conflit entre la science et la spiritualité. En physique quantique - qui peut être considérée comme la plus fondamentale des sciences, puisqu'elle traite des aspects les plus microcosmiques de la réalité, qui déterminent tous les autres - la science et la spiritualité peuvent se réconcilier.
L'esprit-force peut-il être détecté?
Vous pourriez demander pourquoi, si tout cela est vrai c'est-à-dire si l'esprit-force est une qualité réelle qui peut être détectée par les êtres humains - pourquoi n'est-ce pas un concept scientifiquement établi? Pourquoi les scientifiques semblent-ils incapables de le détecter? Il est important de souligner que l'esprit-force ou la conscience universelle, si vous préférez - n'est pas physique. Elle n'est pas faite d'atomes et de molécules, et ne peut donc pas être directement observée ou détectée. Vous ne pouvez pas prendre un télescope et vous attendre à voir l'esprit-force envahir l'espace; vous ne pouvez pas prendre un microscope et vous attendre à la voir envahir les atomes. C'est comme si on faisait un scanner du cerveau et qu'on s'attendait à« voir» la conscience. (En fait, puisque notre propre conscience est une canalisation de la conscience universelle, c'est littéralement la même chose).
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Une autre raison pour laquelle il est impossible d'observer ou de mesurer l'esprit-force de la même manière que les forces ou les objets physiques, c'est parce que nous sommes cela. Il n'est pas en dehors de nous. Nous ne pouvons pas sortir de nous-mêmes pour le mesurer. Détecter quelque chose signifie le regarder de l'extérieur, comme un objet. Mais nous ne pouvons jamais regarder extérieurement l'esprit-force, ou la conscience. Nous regardons toujours avec lui. Lorsque nous regardons, c'est à travers nous qu'il regarde. En fait, il existe de nombreux phénomènes scientifiques dont l'existence est considérée comme acquise, même s'ils ne sont pas physiques et ne peuvent pas être directement détectés ou mesurés. Jusqu'à ce que les ondes gravitationnelles soient observées pour la première fois en 2015, il n'existait aucune preuve de l'existence de la gravité, à part l'observation de ses effets. Personne n'a jamais vu de particules quantiques telles que les quarks et les photons, mais leur existence est admise sur la base de leurs effets. De même, personne n'a directement détecté la matière noire - son existence est déduite des effets gravitationnels qu'elle semble exercer sur les galaxies et les amas de galaxies. On pourrait comparer tous ces phénomènes au vent - personne n'a jamais vu le vent, mais nous savons qu'il existe parce que nous pouvons voir ses effets sur notre environnement et notre propre corps. De la même manière, je dirais que nous pouvons faire l'hypothèse de l'existence de l'esprit-force - ou de la conscience universelle - parce que nous pouvons en sentir les effets. Ses effets sont détectables en physique quantique - au niveau de l'enchevêtrement des particules et de la dissolution de la dualité entre l'observateur et l'observé. Ses effets peuvent être ressentis au niveau psychologique ou spirituel, par exemple dans notre sentiment d'empathie envers d'autres personnes ou d'autres êtres vivants, et notre sentiment de connexion avec la nature. Comme indiqué précédemment, dans les états de conscience supérieurs, ou les expériences d'éveil, nous
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pouvons parfois percevoir certaines qualités de l'esprit-force, telles que l'interconnexion, le rayonnement et l'harmonie. Dans les expériences d'éveil, il nous est également possible de percevoir directement l'esprit-force dans le monde. Comme nous l'avons vu, pour les peuples indigènes, c'était tout à fait normal. Ainsi, dans ce sens, même si l'esprit-force ne peut être mesuré ou détecté, il est tangible.
Ma propre perspective
Comme je l'ai déjà indiqué, l'une des principales différences entre le panspiritisme et le panpsychisme est que le premier ne prétend pas que toutes les choses ont leur propre esprit, ou leur propre être intérieur, et donc leur propre expérience. Je pense que, bien que l'esprit-force soit présent en toute chose, toutes les choses n'ont pas leur propre esprit. Ou, pour le dire plus clairement, bien que la conscience soit présente en toutes choses, toutes les choses ne sont pas conscientes. Ce qui veut dire que toutes les choses n'ont pas leur propre conscience individualisée. Seules les structures à commencer par les cellules - qui ont la complexité et la forme organisationnelle nécessaires pour recevoir et canaliser la conscience sont individuellement conscientes et individuellement vivantes. À mon avis, c'est la fonction première des cellules: faciliter la canalisation de l'esprit-force dans les êtres individuels. Une cellule agit comme un « récepteur » de la conscience, de sorte que même une amibe possède sa propre psyché, quoique très rudimentaire, et est donc individuellement vivante. Et à mesure que les êtres vivants deviennent plus complexes - à mesure que leurs cellules augmentent en nombre et s'organisent de manière plus complexe - ils deviennent capables de « recevoir » plus de conscience. L'essence brute de la conscience est canalisée plus puissamment à travers eux, et ils deviennent plus intensément vivants,
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avec plus d'autonomie, plus de liberté et une conscience plus intense de la réalité. C'est pourquoi l'être humain, avec son cerveau incroyablement complexe, est l'un des êtres les plus conscients (peut-être à côté des dauphins et des baleines) que l'évolution ait jamais créé. Mais les formes les plus simples de la matière, qui ne possèdent pas de cellules, ne sont pas capables de canaliser la conscience, et donc elles ne sont pas individuellement conscientes ou vivantes. Les formes simples de la matière n'ont pas d'intérieur et ne sont pas capables d'expérience ou de sensation. Ceci n'émerge qu'au niveau cellulaire et au-delà. Dans un sens, toutes les choses sont vivantes, comme le croient de nombreux peuples indigènes, puisqu'elles sont toutes imprégnées de conscience, ou de l'esprit-force. Mais il y a une différence dans la façon dont les roches et les rivières sont vivantes et la façon dont un insecte ou même une amibe est vivante. Les rochers et les rivières n'ont pas leur propre psyché, et ne sont donc pas individuellement conscients. La conscience les pénètre, mais elles ne sont pas conscientes elles-mêmes. Ils ne peuvent pas l'être, car ils n'ont pas de cellules - sans parler du cerveau ou du système nerveux - pour canaliser la conscience. Il y a donc une distinction à faire entre les êtres conscients individuels et la conscience dans son ensemble. Les êtres individuels existent bel et bien, avec des cellules ou des cerveaux qui canalisent en eux, à des degrés divers, toute la force spirituelle qui les habite. Il existe une distinction entre les choses matérielles, qui sont simplement imprégnées de l'esprit-force (sans avoir leur propre esprit intérieur), et les êtres vivants, qui sont tous deux imprégnés de l'esprit-force et qui ont également leur propre esprit intérieur ou conscience. En conséquence, l'esprit-force se manifeste de deux manières: en tant que matière et en tant qu'esprit. On pourrait dire que la matière est la manifestation externe de l'esprit, tandis que l'esprit est sa manifestation interne. Toute la
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matière est la manifestation de l'esprit, mais certaines formes complexes de la matière ont également l'esprit comme qualité interne. Une autre façon de voir les choses consiste à envisager deux étapes différentes. La première étape, au début de l'univers il y a 13, 7 milliards d'années, a vu l'émergence de la matière hors de l'esprit. La deuxième étape, qui a eu lieu environ neuf milliards d'années plus tard, a été l'émergence de l'esprit dans la matière, qui a commencé avec les premières formes de vie simples. (Ce processus a commencé sur la Terre neuf milliards d'années plus tard pour autant que nous sachions; il a peut-être eu lieu plus tôt sur d'autres planètes). En d'autres termes, ma thèse est semblable à celle des philosophes stoïciens grecs et de Spinoza: l'essence de la réalité est une qualité qui se manifeste à la fois en termes psychiques et physiques, comme nous l'avons vu au début de ce chapitre. L'esprit précède à la fois la pensée et la matière, et il est la source des deux. Il va sans dire que le panspiritisme est une perspective bien plus saine que le matérialisme. Il est plus sain pour nous en tant qu'individus, pour la race humaine en tant qu'espèce et pour l'ensemble de notre planète. Alors que le matérialisme découle de l'anxiété et de l'accumulation - et les encourage -, la perspective panspirite permet le bien-être et la paix. Alors que le matérialisme encourage l'individualisme et la compétitivité, le panspiritisme conduit à l'empathie et à l'altruisme. Alors que le matérialisme encourage l'exploitation et la domination du monde naturel, le panspiritisme engendre le respect et l'harmonie. Alors que le matérialisme ne peut que conduire à la dévastation de notre planète, et peut-être même à notre extinction en tant qu'espèce, une perspective panspirite est parfaitement durable et nous offre un avenir harmonieux. Cependant, dans les prochains chapitres de ce livre, nous allons nous concentrer sur l'aspect principal du panspiritisme,
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à savoir son pouvoir explicatif. Nous allons maintenant commencer à examiner certains des phénomènes déroutants qui n'ont pas beaucoup de sens d'un point de vue matérialiste mais qui sont facilement compréhensibles du point de vue du panspiritisme. Et le premier de ces phénomènes déroutants découle logiquement de cette discussion: la conscience.
CHAPITRE 3
L'ÉNIGME DE LA CONSCIENCE
Francis Crick fut l'un des scientifiques les plus éminents du :xxe siècle. En 1953, il a contribué, avec James Watson, à « casser » le code génétique (en découvrant la structure de la molécule d' ADN). Plus tard dans sa carrière scientifique, Crick a décidé de s'intéresser à ce qu'il considérait comme le plus grand problème qui subsistait encore dans les sciences: la conscience. Il a décidé qu'il allait résoudre l'énigme de la production par le cerveau de notre « vie intérieure » faite de pensées et de sensations. Crick s'attendait à ce que l'énigme soit résolue en quelques années, à l'aide des dernières technologies de scanner et d'imagerie cérébrale. La question semblait simple: les êtres humains font l'expérience de la conscience, et la conscience est produite par le cerveau. Après tout, n'est-il pas clair que lorsque le cerveau est endommagé, la conscience l'est aussi? Et n'est-il pas clair que lorsque le cerveau cesse de fonctionner - au moment de la mort - la conscience s'arrête également? Comme l'a dit Crick, de manière imagée: « Vous, vos joies et vos peines, vos souvenirs et vos ambitions, votre sens de l'identité personnelle et du libre arbitre, n'êtes en fait que le comportement d'un vaste assemblage de cellules nerveuses et de leurs molécules associées » 38 • Sa tâche était donc claire: étudier exactement comment ces cellules et molécules nerveuses donnent naissance à notre expérience consciente.
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Malheureusement, la conscience s'est avérée beaucoup plus difficile à « craquer » que le code génétique. En travaillant avec un jeune chercheur du nom de Christof Koch, Crick a consacré les deux dernières décennies de sa vie à l'énigme de la conscience, mais n'a malheureusement fait que peu de progrès. Il a fait un certain nombre de suggestions - par exemple, que la conscience était liée au cortex visuel du cerveau, à la mémoire à court terme ou à « une forme de mécanisme d'attention en série » 39 - mais aucune d'entre elles n'a été validée par des preuves. Il est intéressant de noter que, bien que Crick n'ait jamais abandonné sa foi dans une explication matérialiste de la conscience, son collègue l'a fait. Christof Koch en est finalement venu à douter de l'hypothèse de base de leur travail: que la conscience puisse être expliquée en termes d'activité cérébrale. Il a commencé à rechercher d'autres façons d'expliquer la conscience et a adopté une perspective panpsychiste. (Nous examinerons son point de vue de manière un peu plus détaillée plus loin dans ce chapitre). Dans ce chapitre, nous allons examiner pourquoi Crick et de nombreux autres scientifiques ont fait si peu de progrès dans leur tentative d'expliquer la conscience en termes d'activité cérébrale. Et nous verrons comment, dans une perspective spirituelle, la conscience commence à sembler beaucoup moins problématique. En fait, nous verrons que le panspiritisme offre une solution raisonnable à l' « énigme de la conscience ».
Définir la conscience
Tout d'abord, définissons exactement ce que nous entendons par conscience. La conscience est un de ces mots comme « spirituel » ou « spiritualité » - qui est utilisé dans tant de contextes différents et avec tant de connotations
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différentes qu'il est difficile de le définir. Même les universitaires et les théoriciens de la conscience utilisent parfois le terme avec des significations légèrement différentes. Je pense donc qu'il est préférable d'utiliser une définition assez large. Dans mon université, je donne un module sur les études de la conscience aux étudiants de première année, qui ont pour la plupart 18 ans. Des collègues universitaires me disent parfois: « Comment pouvez-vous enseigner la conscience à des jeunes de 18 ans? » Mais je trouve qu'une fois que nous nous sommes mis d'accord sur une définition de la conscience, ils se montrent étonnamment ouverts sur le sujet et s'y intéressent beaucoup. Alors qu'est-ce que la conscience? Une des raisons pour lesquelles il est difficile de la définir, c'est parce qu'il s'agit de nous. Nous sommes la conscience, il est donc difficile de sortir de nous-mêmes et de l'observer comme si c'était quelque chose d' « autre » pour nous. Par conséquent, la meilleure façon de comprendre la conscience est de l'appréhender en termes d'expérience plutôt que de définition. C'est pourquoi, lors de la toute première session de notre module d'étude de la conscience, je guide les étudiants à travers un exercice - une sorte de méditation. En fait, je me propose de vous donner - à vous, le lecteur - le même exercice maintenant: Fermez les yeux et observez vos propres expériences intérieures. Regardez vos pensées passer, comme si vous étiez assis sur la rive d'une rivière en train de la regarder couler. Il peut s'agir de pensées sur ce qui s'est passé plus tôt dans la journée, sur ce qui pourrait se passer plus tard dans la journée, sur les autres personnes autour de vous, sur ce livre, etc. Ce qui importe, c'est de voir les pensées surgir, se manifester et disparaître. De la même manière, soyez conscient des sensations à l'intérieur de vous - par exemple, des sensations de gêne, d'irritation ou de fatigue. Encore une fois, soyez simplement conscient de ces sentiments,
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et prenez conscience d'en être séparé, en tant qu'observateur. Soyez également conscient de la chaise sur laquelle vous êtes assis, des sensations de votre dos contre elle, et de vos fesses sur elle. Soyez conscient de vos pieds sur le sol. Maintenant - toujours les yeux fermés - essayez de sentir la partie de vous qui est consciente de vos pensées et de vos sensations. Puisque vous regardez vos pensées passer, il y a une partie de votre conscience qui est à l'écart de vos pensées - un observateur. En termes métaphoriques, il s'agit de la partie de vous qui est assise sur la rive et qui regarde passer le fleuve des pensées. C'est votre sentiment du «je ». Au bout d'un certain temps, vous pouvez vous rendre compte d'une certaine distance entre ce « je » et vos pensées. Vous pouvez également prendre conscience de la façon dont vos pensées tentent de vous éloigner de ce lieu d'observation, de la façon dont elles captent votre attention, comme si la rivière tentait de vous emporter. Enfin, amenons la conscience en dehors de nousmêmes. Toujours avec les yeux fermés, soyez conscient des sons dans la pièce, et des sons à l'extérieur. Soyez attentif aux odeurs qui vous entourent. Puis, touchez certains des objets qui vous entourent. Ensuite, ouvrez les yeux et regardez les objets et les personnes ainsi que les différents phénomènes qui vous entourent. Soyez conscient de votre environnement par le biais de tous vos sens.
Cet exercice met en évidence trois aspects différents de la conscience. Le premier aspect est notre expérience intérieure des pensées et des sensations. Les philosophes de la conscience appellent ces expériences intérieures des « qualia ». Au singulier, une quale est une expérience de conscience. Une quale peut être le goût d'une tomate, une sensation de douleur
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lorsque vous touchez accidentellement un poêle brûlant ou une pensée anxieuse à propos d'un événement futur. La deuxième partie de l'exercice montre que nous semblons avoir un centre de conscience, un sentiment de « je » grâce auquel nous sommes conscients de notre propre expérience. Cela signifie que nous n'avons pas seulement une expérience, mais que nous en sommes également conscients. En d'autres termes, ceci est la partie de nous qui est consciente de soi. Elle surveille nos pensées, observe nos interactions avec les autres, commente et critique notre comportement, etc. Cet observateur conscient de soi est un deuxième aspect de la conscience. La troisième partie de l'exercice nous montre que la conscience englobe la connaissance de notre environnement. Cette prise de conscience passe par nos sens et nous met en contact avec le monde extérieur. C'est le troisième aspect de la conscience. L'une des questions intéressantes sur la conscience est de savoir s'il s'agit d'un phénomène humain ou s'il est partagé par d'autres animaux? La description de ces trois aspects nous éclaire peut-être sur ce point. En ce qui concerne le premier aspect - l'expérience intérieure - le philosophe Descartes croyait que seuls les êtres humains ont un esprit (ou une âme), et que les animaux ne sont que des automates. Mais la plupart des philosophes modernes sont plus prudents aujourd'hui, car il est évidemment impossible de savoir si les animaux ont une quelconque conscience subjective - une qualia - ou non. Cependant, il semble évident que de nombreux animaux ont la capacité de ressentir la douleur, la peur et même la tristesse (comme lorsque les éléphants, les singes et les chevaux semblent pleurer des êtres proches décédés). Cela laisse évidemment supposer un certain degré d' expérience intérieure. En ce qui concerne le deuxième aspect, il est prouvé que certains animaux possèdent un certain degré de conscience
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de soi. Un certain nombre d'animaux - dont les chimpanzés, les bonobos, les éléphants et même les pies d'Eurasie - ont passé le «test de reconnaissance dans le miroir». Lorsqu'on leur met des taches sur le visage et qu'on les place devant un miroir, ils réagissent en touchant les taches ou en essayant de les effacer, comme le ferait un être humain. Une variante du test du miroir a été tentée avec les dauphins. Un chercheur a tracé des marques à l'encre sur certaines parties de leur corps, et ils tournaient fréquemment ces zones vers le miroir, ce qui laisse penser qu'ils faisaient un effort conscient pour les voir40 • Cependant, la plupart des animaux ne passent pas le test du miroir, ce qui semble indiquer que la plupart n'ont pas de conscience d'eux-mêmes. En ce qui concerne le troisième aspect, nous pouvons affirmer sans risque que tous les animaux possèdent un certain degré de conscience de leur environnement. Même une amibe unicellulaire se déplace vers la lumière et les sources de nourriture, ce qui montre qu'elle a conscience de son environnement. Et plus les animaux deviennent physiquement complexes, plus ils montrent qu'ils sont conscients de leur environnement. En ce sens, la question importante n'est donc pas de savoir si les animaux sont conscients, mais dans quelle mesure ils le sont.
Le cerveau en tant que source de la conscience
La croyance de Francis Crick selon laquelle la conscience est la dernière grande question qui reste à résoudre dans le domaine de la science explique sa popularité depuis une trentaine d'années. Selon ce point de vue, nous comprenons maintenant largement des problèmes comme l'évolution, la nature de la vie et les origines de l'univers, il est donc temps pour nous de tourner notre attention vers l'intérieur et de résoudre le problème de la conscience. Mais cette opinion
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repose en grande partie sur une fausse certitude: il est très discutable que nous comprenions largement les phénomènes ci-dessus, en particulier au vu des découvertes les plus récentes. Par exemple, la découverte de l'énergie noire dans les années 1990 (bien que son existence n'ait pas encore été directement détectée) - ainsi que l'ancienne théorie de la matière noire - a montré qu'il y a beaucoup de choses dans l'univers que nous ne comprenons pas. De même, la cartographie du « génome humain » a montré que nous en savons beaucoup moins sur la base génétique de la vie que nous le pensions. (Nous aborderons ce point plus en détail dans le prochain chapitre). Et, comme l'a constaté Francis Crick, la croyance selon laquelle nous serions capables de résoudre le mystère de la conscience était également fondée sur une fausse certitude. Après des décennies de recherches et de théories poussées, très peu de progrès ont été réalisés dans la compréhension de la relation entre les réseaux neuronaux du cerveau et la conscience. De nombreuses pistes ont été avancées, outre celles de Crick. Par exemple, le philosophe écossais Donald MacKay a suggéré que la conscience est liée aux interactions entre la couche corticale et d'autres couches plus profondes du cerveau; le neuroscientifique Rodney Cotterill a suggéré que le siège de la conscience est le cortex cingulaire antérieur, tandis que VS Ramachandran - un des neuroscientifiques les plus éminents de tous - a suggéré que les « circuits » de la conscience se trouvent dans les lobes temporaux ainsi que dans une partie des lobes frontaux appelée le gyrus cingulaire 41 • La nature extrêmement variable de ces hypothèses en dit long. Lorsqu'il existe si peu de consensus dans les explications, cela laisse supposer que l'hypothèse causale sousjacente aux explications (dans ce cas, que le cerveau produit la conscience) est douteuse. En fait, l'idée selon laquelle la conscience provient d'une zone particulière du cerveau a
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été largement rejetée par les théoriciens, au profit de l'idée que la conscience est en quelque sorte générée par le cerveau dans son ensemble. Comme l'a dit le neuroscientifique Giulio Tononi, « la conscience est associée à un système neuronal distribué: il n'y a pas une unique région où elle se rassemble tout entière »42 • Mais personne n'a encore avancé de théorie viable sur la manière dont le cerveau tout entier peut produire de la conscience 43 • Il y a encore d'autres difficultés. Comme Tononi l'a également souligné, les cellules du cerveau fonctionnent presque autant dans le sommeil profond qu'à l'état de veille, malgré l'absence (ou du moins un niveau inférieur) de conscience dans le premier cas. Elles se déclenchent également à un degré élevé lors des crises épileptiques (lorsqu'une personne s'évanouit), même si la conscience a disparu. Dans certaines parties du cerveau - comme le système thalamocortical vous pouvez identifier certains neurones qui sont en corrélation avec l'expérience consciente, alors que d'autres neurones ne semblent avoir aucun effet sur celle-ci. Pourquoi la conscience devrait-elle être en corrélation avec certains neurones mais pas avec d'autres? Tout cela montre l'absence d'une relation directe et fiable entre l'activité cérébrale et l'expérience consciente. Cependant, il existe un problème encore plus important: de nombreux philosophes ont émis l'hypothèse que le cerveau produit la conscience. Si vous teniez un cerveau dans votre main, vous constateriez qu'il s'agit d'un amas de matière grise détrempée, un peu comme du mastic, et aussi lourd qu'un sac de farine. Comment est-il possible que cette matière grise détrempée puisse donner naissance à la richesse et à la profondeur de votre expérience consciente? Cette supposition est une « erreur de catégorie ».La matière physique du cerveau - quelle que soit la complexité des interactions entre les cellules - appartient à une catégorie de substances, et les qualités non physiques des expériences conscientes
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appartiennent à une autre, alors comment expliquer les dernières en fonction des premières? Comme l'a dit le philosophe Colin McGinn, dire que le cerveau produit la conscience revient à dire que l'eau peut se transformer en vin. Certains philosophes ont avancé que la conscience est une propriété « émergente », qui apparaît naturellement lorsque la matière atteint un certain niveau de complexité. Cependant, il s'agit là plus d'une description que d'une explication. Puisque personne n'a pu expliquer comment la conscience pourrait émerger de la matière, il s'agit simplement d'une reformulation du problème. Et de toute façon, lorsqu'une propriété émerge des éléments les plus fondamentaux d'un système, cette propriété est normalement inhérente à ces éléments et peut être déduite d'eux. Mais il n'y a rien dans l'expérience consciente qui puisse être reliée à la substance physique du cerveau. Au niveau le plus microcosmique, le cerveau est constitué de particules subatomiques, qui ont des qualités comme la masse, le spin et la charge. Rien de ces qualités n'a de rapport avec les qualités associées à la conscience, telles que la pensée, le goût, la douleur ou l'anxiété. Comme le dit Colin McGinn de manière imagée : « Autant affirmer que les nombres émergent des biscuits ou l'éthique de la rhubarbe » 44 • Comme indiqué dans le dernier chapitre, le philosophe australien David Chalmers a appelé cela le «problème difficile ». Selon Chalmers, il existe certains aspects de la relation entre l'activité cognitive et l'activité cérébrale que les psychologues et les neuroscientifiques comprennent assez bien. Par exemple, nous avons une assez bonne idée des fonctions cérébrales impliquées dans la mémoire, l'attention et le traitement de l'information. Mais il ne s'agit là - selon la terminologie de Chalmers - que des « problèmes faciles ». Le problème de savoir comment le cerveau peut donner naissance à la conscience se situe à une toute autre échelle. Le «problème difficile » n'est peut-être pas du tout susceptible d'être résolu.
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C'est ce que l'on a également appelé le « fossé explicatif». Même si nous parvenions à identifier avec précision les réseaux de neurones associés à la conscience, qu'est-ce que cela nous dirait? Il y aurait toujours un fossé entre la substance physique du cerveau et la richesse de l'expérience consciente (c'est en fait le même problème qui, comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent, a été exprimé par les philosophes grecs de la façon suivante « ex nihilo, nihil fit » - du néant, rien ne peut surgir). Comme l'a dit Christof Koch, en expliquant pourquoi il en est venu à douter des explications neurologiques de la conscience : « [ l] 'émergence de sentiments subjectifs à partir de choses physiques semble inconcevable ... Le phénomène vient d'un autre domaine que le monde physique et est soumis à des lois différentes. Je ne vois pas comment le fossé entre les états conscient et inconscient pourrait être comblé par des cerveaux plus gros ou des neurones plus complexes » 45 • Koch a réalisé que le panpsychisme offrait un moyen de transcender ce problème, et il croit maintenant que, plutôt que d'être produite par les circuits du cerveau, la conscience est « inhérente à la structure de l'univers ». David Chalmers a illustré cela avec son concept de « zombie ». Imaginez qu'il existe une version zombie de vousmême qui vous ressemble, qui parle et se comporte exactement comme vous, et qui n'est différente de vous que parce qu'elle n'a pas d'expérience consciente. Elle est exactement identique à vous, sauf qu'il n'y a pas de moi conscient expérimentant des sensations à l'intérieur. Il n'y a personne pour réfléchir à ce que vous faites, commenter votre expérience ou faire des projets ou prendre des décisions. Chalmers pense que cette version zombie de vous pourrait survivre dans le monde. Vous pourriez parfaitement fonctionner dans le monde sans expérience consciente. Et il n'y a rien dans votre corps qui nécessite une expérience consciente. Cela signifie que la conscience est « quelque chose de plus », quelque chose au-delà de la substance physique de notre cerveau et de notre corps et qui ne peut pas y être réduite.
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La conscience comme illusion
Une autre approche possible de la conscience consiste à dire qu'il n'est pas nécessaire de l'expliquer parce que c'est une illusion. L'avocat le plus connu de cette approche est le philosophe américain Daniel Dennett. Il pense que nous n'avons pas besoin d'expliquer comment la substance physique du cerveau donne naissance à la conscience, parce que ce n'est pas le cas. En d'autres termes, il n'y a pas de «problème difficile ».La réponse de Dennett au concept de zombie de Chalmers consiste à affirmer que nous sommes tous des zombies. Aucun d'entre nous n'est vraiment conscient, même si nous nous en persuadons. Ce que Dennett essaie de faire, ce n'est donc pas d'expliquer comment la conscience surgit, mais d'essayer de montrer comment l'illusion de la conscience surgit. Il pense que cette illusion est étroitement liée à l'illusion du moi. Dans l'exercice que j'ai décrit plus tôt, le moi est l'aspect de la conscience qui observe nos propres processus mentaux et « regarde » le monde. Dennett décrit cela comme l'illusion du « théâtre cartésien », basée sur la célèbre phrase de Descartes: « Je pense, donc je suis ». C'est comme si nous étions assis dans un théâtre, à regarder passer nos pensées, mais en réalité, il n'y a personne. Selon Dennett, il n'y a que des processus mentaux, des flux de pensées, de sensations et de perceptions qui passent par notre cerveau, sans lieu central où tous ces phénomènes sont organisés. Les gens ne croient être conscients que lorsqu'ils regardent à l'intérieur d'eux-mêmes et prennent un instantané de ces processus. Mais avant cela, il n'y avait rien dans la conscience. Cependant, il y a une absurdité fondamentale dans cette thèse selon laquelle la conscience est une illusion. Cette théorie ne peut être soutenue que par la conscience des êtres humains, comme celle de Daniel Dennett. Et ces individus supposent évidemment que leur propre conscience est
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authentique et fiable - sinon, ils ne prendraient pas la peine de faire part de leurs observations. S'ils croyaient vraiment que leur propre conscience n'existe pas, alors ils ne feraient sûrement pas confiance à leurs idées et à leurs intuitions. Dennett présuppose qu'il existe en lui un observateur fiable capable de porter un jugement sur la conscience - et cette supposition même contredit ses propres arguments, puisque cet observateur est la chose même dont il essaie de réfuter l'existence. Feriez-vous confiance à la preuve d'un témoin dont il a été démontré qu'il n'est pas fiable - en fait, un témoin dont vous avez vous-même conclu qu'il n'existe pas? En d'autres termes, l'argument est pris dans un cercle vicieux. La conscience ne peut pas prouver son inexistence. La question devient encore plus absurde lorsque l'on considère que, pour soutenir que la conscience n'existe pas, Dennett recueille de nombreux exemples d'expériences qui montrent à quel point la conscience humaine est peu fiable, comment nous percevons souvent mal les situations et faisons des suppositions qui s'avèrent fausses. Toutes ces expériences ont été menées par des êtres humains qui croyaient être conscients. Mais si les consciences individuelles qui ont mené ces tests et décrit ces résultats sont en fait illusoires, pourquoi devrions-nous nous fier à leurs conclusions? Il y a à cet égard un problème de confusion entre le sujet et l'objet. Dennett tente d'examiner la conscience à partir de l'extérieur. Il la traite comme un botaniste examinant une fleur, comme un objet à examiner et à catégoriser. Mais, bien sûr, avec la conscience, le sujet est l'objet. Vous êtes la conscience. Il est donc fallacieux de l'examiner comme s'il s'agissait de quelque chose d' «autre ».Là encore, vous êtes pris dans un cercle vicieux. Vous ne pouvez pas sortir de la conscience. Et donc, toute déclaration « objective » que vous faites à ce sujet est fallacieuse dès le départ. En fait, ce que fait Dennett, c'est tout simplement d'ignorer la dimension subjective de la conscience, y compris sa propre
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subjectivité. Comme les comportementalistes en psychologie, il croit que la subjectivité peut être simplement ignorée. Mais l'idée même que la conscience est une illusion présuppose qu'il y a quelqu'un pour qui elle est une illusion. Et que cette personne est le sujet humain lui-même. Tout cela montre à quel point il est problématique et étrangement contre-intuitif d'affirmer que la conscience est une illusion.
L'alternative spirituelle
Certains philosophes pensent qu'en raison des difficultés à expliquer la conscience par le cerveau - et de l'absurdité de prétendre que c'est une illusion - nous ne pourrons pas la comprendre. C'est ce que l'on appelle le mystérianisme, et d'une certaine manière, cela a du sens. (En fait, je présenterai un argument similaire dans le dernier chapitre de ce livre, bien qu'il ne s'agisse pas spécifiquement de la conscience). L'intellect humain est limité; il y a sûrement des choses qui dépassent notre compréhension, des énigmes que nous ne pourrons jamais résoudre. Et l'énigme de la conscience est particulièrement problématique; comme je viens de le noter, nous sommes la conscience, et il nous est donc impossible de l'étudier avec clarté ou objectivité. C'est pourquoi il se peut que nous soyons - comme l'a dit le philosophe Colin McGinn - « cognitivement fermés » au problème de la conscience. Cependant, je crois que nous pouvons donner un sens à l'énigme de la conscience si nous l'envisageons sous l'angle du panspiritisme. Du point de vue spirituel, la conscience n'émerge pas d'un arrangement complexe de particules matérielles; elle n'est pas située dans certaines zones du cerveau, ni produite par certains types d'activité cérébrale. La conscience n'émerge pas de la matière parce qu'elle a toujours été présente dans
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la matière. La conscience est une qualité fondamentale qui existe partout et dans tout. Dans la perspective panspiritiste, le cerveau ne produit pas de conscience mais agit plutôt comme une sorte de récepteur, qui transmet et canalise la conscience universelle (ou l'esprit-force, qui lui est équivalent) dans notre propre personne. Par l'intermédiaire du cerveau (pas seulement le cerveau humain, mais aussi celui de tous les autres animaux), l'essence même de la conscience universelle est canalisée dans notre propre conscience individuelle. Et parce que le cerveau humain est grand et complexe, il est capable de recevoir et de canaliser la conscience d'une manière très profonde et complexe, de sorte que nous sommes (probablement) plus profondément et plus largement conscients que la plupart des autres animaux. Comme l'a dit le philosophe Robert Forman: « La conscience est plus comme un champ qu'un point localisé, un champ qui transcende le corps et pourtant interagit d'une manière ou d'une autre avec lui ... Les cellules du cerveau peuvent recevoir, guider, arbitrer ou canaliser une conscience qui leur est en quelque sorte transcendante. Le cerveau fonctionne davantage comme un récepteur ou un transformateur du champ de conscience que comme son générateur » 46 • Comme nous l'avons vu au début de ce chapitre, l'une des raisons les plus évidentes de supposer que le cerveau produit la conscience est que la conscience peut être altérée ou modifiée si le cerveau est endommagé. Et lorsque le fonctionnement du cerveau est altéré dans une certaine mesure - par exemple, par des drogues - la conscience est en général affectée. Cependant, cela n'invalide pas l'explication spirituelle de la conscience. Même si le cerveau ne produit pas la conscience, mais la reçoit et la transmet, tout dommage ou altération aura un effet tout aussi important. Une radio ne produit pas la musique qui passe par elle, elle ne fait que la recevoir et la transmettre; néanmoins, si la radio est endommagée, sa capacité à transmettre la musique sera altérée. Et
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si quelqu'un modifie le contrôle du son de la radio (ce qui est analogue à la prise de drogue) ou altère son circuit interne, alors sa sortie sera évidemment affectée. Le panspiritisme s'accorde également avec l'hypothèse des neuroscientifiques selon laquelle la conscience est en quelque sorte associée au cerveau dans son ensemble (bien que les processus impliqués ne soient pas clairs) plutôt que située dans une partie ou un schème particulier de l'activité neurologique. Si le rôle du cerveau n'est pas de produire la conscience mais de la recevoir et de la transmettre, on peut s'attendre à ce qu'elle soit largement distribuée de cette manière. La conscience ne dépend pas d'une partie particulière du cerveau; le rôle de « réception et de transmission » du cerveau dépend de son fonctionnement en tant qu'ensemble intégré et interconnecté. On pourrait faire valoir que le panspiritisme ne résout pas vraiment l'énigme de la conscience, car il n'explique pas d'où vient la conscience au départ. Mais dans un sens, il n'a pas besoin de le faire. La conscience ne vient de nulle part - elle existe, c'est tout. Les physiciens n'ont pas besoin d'essayer d'expliquer d'où viennent l'électromagnétisme, la masse ou la gravité - ils sont simplement intégrés à l'univers. Et il pourrait en être de même pour la conscience, ou l'esprit-force. (En fait, comme nous l'avons noté dans le dernier chapitre, la conscience peut être encore plus fondamentale que les forces ci-dessus, si nous partons de l'hypothèse qu'elle a en fait précédé et donné naissance à l'univers). De la même manière, on pourrait soutenir que le panspiritisme ne peut pas nous dire comment le cerveau reçoit et transmet la conscience. Il ne peut pas identifier les processus impliqués, tout comme les matérialistes ne peuvent pas identifier les processus par lesquels le cerveau pourrait donner naissance à la conscience. C'est exact, bien sûr. Il se peut que nous ne le sachions jamais - c'est peut-être en ce sens que le « mystérianisme » est vrai, dans la mesure où il y a
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certaines choses que notre intellect et notre conscience limités ne pourront jamais comprendre. Néanmoins, sur un plan théorique, l'argument panspirite semble très viable comme alternative aux explications matérialistes de la conscience. Et si l'on tient compte du large éventail d'autres preuves du panspiritisme - que nous examinerons toutes dans ce livre - la théorie semble très convaincante en tant qu'explication de la conscience. Selon le panspiritisme, il ne s'agit pas seulement d'avoir une conscience, mais d'être conscient. Et il ne s'agit passimplement d'être conscient individuellement, parce que, en réalité, nous partageons la même conscience. Cela signifie que nous sommes essentiellement un - une partie d'une plus grande unité plutôt que des individus séparés. Comme nous le verrons plus tard, cette unité est la source de l'altruisme et peut aider à expliquer certains types d'expériences psychiques. Elle est également vécue directement dans certaines expériences spirituelles ou mystiques.
CHAPITRE 4
LA PRIMAUTÉ DE L'ESPRIT: LES ÉNIGMES DE L'ESPRIT ET DU CERVEAU
Il y a quelque temps, j'écoutais une émission de radio intitulée Tout dans la tête°, sur la BBC. Tout dans la tête est une série d'émissions sur la psychologie, que d'habitude j'apprécie beaucoup. Mais cette fois-là, l'émission m'a fait sursauter. Elle portait sur la mémoire et comprenait une interview d'un neuroscientifique qui expliquait que, selon sa théorie, la mémoire fonctionne grâce à l'hippocampe, qui est l'endroit où, pensait-il, les souvenirs sont stockés. L'hippocampe a un espace de stockage limité, ce qui explique pourquoi les souvenirs sont limités et pourquoi nous oublions parfois des choses. Lorsque de nouveaux souvenirs arrivent, les plus anciens (ou moins importants) sont rejetés. Ce neuroscientifique affirmait aussi qu'absorber beaucoup d'informations peut nous fatiguer. L'hippocampe peut en effet devenir surchargé quand il contient trop d'informations, et nous avons alors besoin de nous reposer et de dormir pour lui permettre de traiter les informations et de se recharger. Arrêtons-nous un instant pour considérer à quel point cette analyse est vraiment absurde. L'hippocampe se trouve a. Ali in the Mind, BBC 4. N.d.T.
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à peu près au centre du cerveau, sous le cortex cérébral. Il ressemble à un hippocampe, d'où son nom. Imaginez que nous puissions voir à l'intérieur de l'hippocampe d'un étudiant pendant qu'il révise pour ses examens, qu'il consulte des manuels et qu'il prend des notes, en essayant d'accumuler autant d'informations que possible dans son esprit. Verrions-nous de petites choses, physiquement réelles, appelées « souvenirs »,se bousculant et se poussant les unes les autres à l'intérieur? Verrions-nous une petite pile de ces choses grandir régulièrement dans l'hippocampe, jusqu'à ce qu'elle devienne très importante et que l'étudiant soit finalement fatigué et s'endorme? Bien sûr que non. L'hippocampe ne contient en fait aucun souvenir. Tout ce que vous verriez à l'intérieur de l'hippocampe de l'étudiant - ou de n'importe qui d'autre, même s'il n'exerce pas sa mémoire - c'est quelques centimètres de tissu gris et humide. Si vous le regardez au microscope, vous trouverez des millions de cellules cérébrales. Mais vous ne trouverez aucun souvenir - simplement parce que les souvenirs sont des phénomènes mentaux, et non des entités physiques. Cela ne veut pas dire que l'hippocampe n'est pas impliqué dans la mémoire. Il l'est évidemment - nous savons, par exemple, qu'il est endommagé chez les patients atteints d' Alzheimer, ce qui entraîne une perte de mémoire. Mais dire qu'il est impliqué dans la mémoire n'est pas la même chose que de dire qu'il stocke des souvenirs. (Par ailleurs, l'idée que les souvenirs sont stockés dans l'hippocampe donne l'impression que c'est la seule source de mémoire. Mais d'autres recherches laissent entendre que la mémoire n'est pas entièrement associée à un endroit particulier, mais qu'elle est répartie dans de nombreuses zones différentes du cerveau. Cela s'applique également à d'autres fonctions, tout comme à la conscience elle-même). Cela illustre une approche très courante chez les neuroscientifiques et les scientifiques en général: traiter les
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phénomènes mentaux comme s'ils étaient de nature neurologique - c'est-à-dire traiter l'esprit comme s'il n'était rien d'autre que du cerveau. Selon le matérialisme, l'esprit ne peut pas exister en tant que chose à part entière car il n'a pas de réalité physique. Seul le cerveau est physiquement réel. L'activité mentale doit donc être un produit de l'activité cérébrale ou être équivalente à celle-ci. Tous les états mentaux peuvent être réduits à des états cérébraux. Si nous avons des problèmes psychologiques, ils sont dus à des déséquilibres ou à des dysfonctionnements neurologiques et peuvent être « corrigés » par des médicaments. Si nous avons des expériences anormales - telles que des états de conscience modifiés, des expériences hors du corps ou des expériences de mort imminente - elles sont dues à une activité cérébrale anormale. De telles expériences n'ont aucune réalité en soi, mais ne sont que des illusions créées par le cerveau. Comme l'a dit le philosophe Daniel Robinson: « Tous les états, événements et processus mentaux ont leur origine dans les états, événements et processus du corps et, plus spécifiquement, du cerveau »47 • Cette attitude est si répandue, et si ancrée dans notre culture, qu'elle se reflète souvent dans le langage que les gens utilisent pour parler de questions psychologiques. Les termes neurologiques sont utilisés pour décrire les phénomènes psychologiques, comme s'ils étaient la même chose. Une personne qui souffre d'un problème mental peut dire que son « cerveau est tout chamboulé » ou qu'elle a besoin de « faire le tri dans son cerveau ». Mais en fait, elle parle de l'esprit, et non du cerveau.
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Neuromanie À l'heure actuelle, dans notre culture, il y a tellement d'enthousiasme pour expliquer le comportement humain en termes neurologiques que certains observateurs ont dit que nous étions atteints de « neuromanie ». L'une des manifestations de ce phénomène est l'apparition de plusieurs nouveaux domaines d'études universitaires qui tentent d'intégrer la neurologie, tels que la neuroéconomie (axée sur les corrélats neurologiques de la prise de décision économique), la neuroesthétique (axée sur la neurologie des expériences esthétiques) et la critique neurolittéraire (étude de la manière dont la lecture de la littérature affecte le cerveau). L'hypothèse qui sous-tend ces domaines - et la neurologie en général - est que toute expérience humaine est ancrée dans l'activité cérébrale et qu'en comprenant - et en modifiant - l'activité cérébrale, nous pouvons changer le comportement humain. Jusqu'à la fin des années 1990, il était courant de tenter d'expliquer le comportement humain en termes de gènes. Dans les médias grand public, il était courant de parler d'un « gène pour » différents types de comportement humain un gène pour l'alcoolisme, la dépression, la criminalité, l'homosexualité, un « gène pour le shopping » pour les femmes, etc. À cette époque, en 2000, les généticiens étaient en train de cartographier le « génome humain », dans l'espoir d'identifier les gènes responsables de tout le spectre de l'expérience humaine. On espérait que cela conduirait à une révolution dans notre compréhension du monde, depuis la maladie jusqu'à la conscience humaine. Cependant, le projet du génome humain a été plutôt décevant. Il a montré que les gènes sont beaucoup moins importants que ce que les scientifiques pensaient, et il a soulevé plus de questions qu'il n'a apporté de réponses. Par exemple, il a permis de découvrir que les êtres humains ont beaucoup moins de gènes que prévu - seulement 21 000 environ, soit 10 000 de moins qu'une
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tomate. Nous partageons également un grand nombre de nos gènes avec d'autres formes de vie - par exemple, une étude a révélé que nous partageons 97,5 % du même ADN fonctionnel avec les souris 48 • Une autre conclusion déconcertante du projet sur le génome humain est que certaines caractéristiques héréditaires - comme la taille - ne sont que très peu liées aux gènes. En outre, bien que l'on ait prédit que le projet entraînerait une révolution dans les soins de santé, on a découvert que les gènes défectueux jouent un rôle moins important que prévu dans la prédisposition des êtres humains à la maladie 49 • Il semble qu'il n'y ait pas vraiment de « gènes pour » en fin de compte. C'est probablement la raison pour laquelle les neurosciences sont devenues si populaires aujourd'hui. Elle a remplacé la génétique comme principal outil d'explication. L'accent s'est déplacé du génome vers le cerveau humain. Ce sont maintenant les « circuits neuronaux » qui sont responsables de tout, plutôt que les gènes. Comme pour l'ancienne approche « des gènes pour », certains neuroscientifiques et commentateurs populaires prétendent avoir identifié l'activité cérébrale - ou les parties du cerveau - associée au terrorisme, à la créativité, à l'appréciation esthétique, à l'affiliation politique et à une foule d'autres caractéristiques. En fait, ces dernières années, certains neuroscientifiques ont commencé à parler de la cartographie du « connectome » (parfois appelé le projet Connectome) - c'est-à-dire la cartographie du circuit complet du cerveau humain dans l'espoir que cela nous permette de comprendre le comportement et l'expérience de l'homme, ainsi que les origines des « troubles du cerveau » tels que la dyslexie, la schizophrénie et la maladie d' Alzheimer. Ce projet a remplacé le projet antérieur de cartographie du génome et il découle du même besoin d'explication et de la même hypothèse naïve selon laquelle le fonctionnement de l'esprit humain peut être réduit à des processus physiques.
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Dans ce chapitre, nous verrons pourquoi cette hypothèse est erronée et nous examinerons une autre explication de l'esprit humain. Nous verrons qu'il existe certains phénomènes mentaux qui ne peuvent être expliqués en termes d'activité neurologique, soit parce qu'ils se produisent lorsque l'activité cérébrale est apparemment absente, soit parce qu'ils sont d'une nature entièrement différente de celle qu'une corrélation directe laisserait supposer. Nous verrons qu'il y a beaucoup d'éléments qui suggèrent que ce n'est pas le cerveau qui est premier, mais l'esprit, et que la psychologie ne peut pas être réduite à la neurologie. La psychologie ne devrait pas être considérée comme l'étude du fonctionnement du cerveau, mais comme celle des phénomènes mentaux immatériels. Par exemple, la meilleure façon d'examiner la mémoire n'est pas en termes de cerveau, mais en termes de fonctions et de structures mentales. L'hippocampe ne stocke pas de souvenirs, mais il y a certainement une partie de l'esprit qui joue ce rôle. Nous ne pouvons pas déterminer exactement où elle se trouve, ni ce qu'elle est, car elle n'existe pas dans l'espace physique. Elle existe dans l'espace mental, qui est tout aussi réel que l'espace physique, bien qu'il ne soit pas constitué de particules solides et de molécules.
Problèmes d'identification des corrélats
Si le cerveau est la source de toute l'activité mentale, on peut s'attendre à une correspondance très directe et solide entre les processus mentaux et les processus neuronaux. On s'attendrait à pouvoir identifier certains états neuronaux qui correspondent exactement (et de manière répétée, chez chaque personne) à certains états d'esprit. On s'attendrait à pouvoir identifier précisément les corrélats neuronaux d'états tels que l'amour, le bonheur, la dépression, l'appréciation
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esthétique, les expériences spirituelles, etc. Nous nous attendrions à trouver des corrélats neuronaux précis pour certains types de comportement et d'attitude, tels que le matérialisme, l'hédonisme, la religiosité, l'optimisme, l'anxiété, etc. Lorsque les neuroscientifiques ont commencé à examiner le cerveau, c'est ce qu'ils s'attendaient à trouver (de la même manière que certains s'attendaient à trouver les corrélats neuronaux de la conscience elle-même). Et nous avons découvert, bien sûr, que certaines parties du cerveau sont généralement associées à certains processus psychologiques. Par exemple, nous savons que les zones corticales du cerveau sont associées à l'apprentissage de nouvelles activités, et que le cortex préfrontal gauche est généralement associé à la planification et au contrôle de nos pensées et de nos actions. Nous savons que le lobe pariétal est associé à la parole et à la perception spatiale, que le lobe temporal est associé à la compréhension du langage, et ainsi de suite. Cependant, même après des décennies de recherche intensive, les neurosciences sont loin d'avoir établi une cartographie précise de l'expérience consciente et de l'activité neuronale. L'activité cérébrale associée à certains états d'esprit n'est pas généralisable d'une personne à l'autre, et elle peut même varier chez une même personne, dans des circonstances différentes. Lorsqu'on éprouve le sentiment d'être amoureux, notre activité cérébrale peut être différente de celle d'une autre personne qui est elle-même amoureuse - et elle peut même être différente de l'activité cérébrale de la même personne à une autre occasion, lorsqu'elle était amoureuse de quelqu'un d'autre. Un autre problème est que les animaux semblent avoir des expériences similaires à celles des êtres humains la douleur et la peur, par exemple - ce qui impliquerait qu'à ces moments-là, ils connaissent exactement les mêmes états cérébraux que nous. L'état cérébral d'un porc en détresse qui est emmené à l'abattoir et qui sait qu'il va être tué devrait être essentiellement le même que celui d'un être humain qui se
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fait voler sous la menace d'une arme ou à qui on dit qu'il va mourir d'un cancer. Mais notre cerveau est tellement différent de celui des animaux que cela semble absurde. Pour cette raison, l'expérience de la douleur ou de la peur ne peut pas être identifiée à un état spécifique du cerveau. L'un des postulats de l'idée que les états mentaux sont identiques aux états cérébraux est que les expériences mentales sont produites par l'activation de neurones dans certaines parties du cerveau. Mais la corrélation entre les états mentaux et l'activation des neurones n'est pas systématique. Cela s'applique à la conscience elle-même - comme l'a écrit Giulio Tononi, « l'activation des mêmes neurones corticaux peut être en corrélation avec la conscience à certains moments, mais pas à d'autres » 50 • (Les neurones corticaux sont simplement les cellules cérébrales du cortex cérébral, la plus grande partie du cerveau). Les neuroscientifiques ont également constaté qu'il peut y avoir une étrange inadéquation entre l'intensité et la complexité d'un état mental et la quantité de neurones ou de mises à feu neuronales en cause. Il n'y a pas nécessairement de proportionnalité entre les deux, et il arrive que des expériences intenses se produisent sans qu'il y ait un degré significatif d'activité dans les neurones 51 •
Le problème de la maladie mentale Si le cerveau est la source de toute expérience mentale, on s'attendrait également à ce qu'il y ait une relation claire entre les maladies mentales et les états du cerveau. Par exemple, si une personne se sent déprimée, on s'attendrait à ce qu'il y ait des paramètres précis et mesurables de l'activité neuronale qui correspondent précisément à l'état de dépression. Par ailleurs, on pourrait croire aussi qu'il est possible de « réparer » des maladies mentales comme la dépression en modifiant l'activité cérébrale.
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En fait, cette dernière hypothèse est l'un des résultats les plus pernicieux de la neuromanie. Comme la neurologie considère les états mentaux comme des états cérébraux, elle traite les affections psychologiques comme s'il s'agissait d'affections cérébrales et postule que celles-ci peuvent être « corrigées » par des médicaments psychoactifs. Tel est le « modèle médical » de la maladie mentale, qui utilise des médicaments pour traiter des affections comme la dépression, les troubles de l'attention ou la schizophrénie. Le modèle part du principe que ces maladies sont causées par des anomalies neurologiques, telles que le manque ou l'excès de certaines substances chimiques dans le cerveau, ou une activité trop ou trop peu importante dans différentes parties du cerveau. D'un point de vue matérialiste, cela est tout à fait logique. Si l'esprit est fondamentalement physique par nature, étant un produit du cerveau, il doit être traité de la même manière que le reste du corps physique. Les problèmes psychologiques sont des problèmes cérébraux, et les problèmes cérébraux sont des problèmes physiques, qui peuvent être réglés par des interventions médicales. Le traitement des problèmes psychologiques avec des médicaments psychoactifs est donc, pourrait-on dire, une application directe du matérialisme. Comme l'a dit le professeur en neuroscience Eric Kandel, « Tous les processus mentaux sont des processus cérébraux, et donc tous les troubles du fonctionnement mental sont des maladies biologiques ... Où pourrait-on trouver [une maladie mentale] si ce n'est dans le cerveau? » 52 Cependant, il n'y a, en fait, guère de consensus sur les parties du cerveau qui sont associées aux maladies mentales. Dans le cas de la dépression, le mieux que les neuroscientifiques puissent dire est que, « comme d'autres anomalies des fonctions mentales supérieures [la dépression] ... semble être répartie dans plusieurs régions du cerveau » 53 • En d'autres termes, les corrélats neuronaux de la dépression sont - comme ceux de la conscience elle-même - présents dans de vastes parties du cerveau et difficiles à identifier.
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Il existe une croyance populaire selon laquelle la dépression est associée à des niveaux de sérotonine plus faibles dans le cerveau, mais cette croyance n'a en fait que très peu de fondement. Dans un article publié dans le British Medical Journal en 2015, le psychiatre David Healy a raconté comment le mythe d'un lien entre la dépression et la sérotonine a été propagé au cours des années 1990 par les compagnies pharmaceutiques et leurs représentants commerciaux, peu de temps après que les tranquillisants aient commencé à être abandonnés en raison des inquiétudes concernant leur dépendance. En fait, comme l'affirme Healy, des recherches antérieures menées dans les années 1960 avaient déjà rejeté un lien entre la dépression et la sérotonine, et montré que les antidépresseurs connus sous le nom d' « inhibiteurs sélectifs du recapture de la sérotonine » (ISRS) étaient inefficaces contre cette maladie. Cependant, propulsé par les millions du marketing de l'industrie pharmaceutique, le mythe de la dépression considérée comme un « déséquilibre chimique » pouvant être restauré par des médicaments s'est rapidement imposé. Il était séduisant en raison de la représentation simpliste de la dépression qui la caractérisait comme une affection médicale pouvant être « réparée » de la même manière qu'une blessure ou une maladie physique 54 • Environ un Américain sur dix prend des antidépresseurs soi-disant pour« corriger» un déséquilibre chimique dans son cerveau, et augmenter son taux de sérotonine. Mais, comme le lien entre la dépression et la sérotonine est très douteux, il n'est pas surprenant que les preuves de l'efficacité des ISRS soient elles-mêmes très douteuses. Certains essais cliniques ont montré que les antidépresseurs peuvent être efficaces dans les cas les plus graves de dépression, mais ils sont le plus souvent prescrits pour les dépressions légères, où ils sont le plus souvent inefficaces et ont souvent de graves effets secondaires 55 • Des études menées par Irving Kirsch, professeur de médecine à Harvard, ont montré que les antidépresseurs n'apportent
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qu'une petite amélioration de l'humeur, cliniquement insignifiante, par rapport aux placebos. Suite à ces recherches, Kirsch est arrivé à la conclusion que la dépression n'a rien à voir avec un déséquilibre chimique dans le cerveau, et que les antidépresseurs tels que les ISRS sont eux-mêmes des placebos 56 • Bien sûr, le fait que la dépression ne soit pas liée à de faibles niveaux de sérotonine - et qu'elle ne puisse pas être soignée par des stimulateurs de sérotonine - ne réfute pas en soi le fait que la dépression soit causée par des états du cerveau. Il se peut que la dépression soit causée par d'autres types d'activité cérébrale, qui n'ont pas encore été identifiés, et il se peut que différents médicaments puissent être développés pour les contrer. Cependant, il semble beaucoup plus probable que la raison pour laquelle il est difficile d'identifier avec précision les schémas neurologiques associés à la dépression - et la raison pour laquelle il est difficile de traiter la dépression par des interventions médicales - est que la maladie n'a pas sa source dans le cerveau. Voilà un exemple d'état mental qui ne peut être réduit à un état cérébral, et une illustration de plus de la relation indéterminée entre l'esprit et le cerveau. La dépression n'est pas le résultat d'un dysfonctionnement du cerveau, mais de facteurs environnementaux, existentiels et spirituels. Les gens ne sont pas déprimés à cause de déséquilibres chimiques dans le cerveau, mais à cause d'un travail épuisant et insatisfaisant, d'un manque de sens, de but ou d'amour, ou d'un manque de contact avec la nature, d'un manque d'exercice, ou d'un trop grand stress et de difficultés, etc. Comme l'indique une déclaration des Nations unies de 201 7 sur le traitement de la dépression, le « récit actuel biomédical de la dépression » est basé sur « l 'utilisation biaisée et sélective des résultats de la recherche » et « sur un paradigme neurobiologique réducteur ». Elle conclut que « l 'utilisation excessive de médicaments et d'autres interventions biomédicales ... cause plus de mal que de bien, sape le droit à la santé et doit être abandonnée » 57 •
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Je ne dis pas qu'il n'y a pas de relation entre l'activité cérébrale et la dépression, et d'autres troubles mentaux. Il se pourrait bien que les personnes souffrant de dépression soient plus susceptibles de présenter certaines caractéristiques d'activité neurologique (bien que celles-ci n'aient pas encore été clairement identifiées). Mais il y a deux points essentiels: le premier est que ces structures d'activité neurologique ont peu de chances d'être fiables et cohérentes d'une personne à une autre, ou même pour la même personne à différents moments; le second point est que ces structures d'activité neurologique - si elles existent effectivement - ne doivent pas être considérées comme la cause de la dépression mais comme la trace neurologique de la dépression. En d'autres termes, la dépression doit être considérée comme un état mental causé par un large éventail de facteurs environnementaux ou existentiels, qui entraînent ensuite des changements dans l'activité cérébrale. Si tel est le cas, on ne peut pas s'attendre à ce qu'il y ait une correspondance fiable entre l'activité cérébrale et la dépression. Si le cerveau ne produit pas de dépression, mais se contente de l'enregistrer, on peut s'attendre à de nombreuses variations.
Le cerveau adaptable
Le phénomène de la neuroplasticité met également en évidence la nature indéterminée de la relation entre l'esprit et le cerveau. Les neuroscientifiques croyaient auparavant qu'une fois qu'un être humain adulte cessait de se développer, son cerveau restait dans le même état statique tout au long de sa vie, au moins jusqu'à la détérioration de la vieillesse. De même, les scientifiques croyaient qu'après une attaque ou une lésion cérébrale, le cerveau d'une personne restait endommagé de façon permanente et ne pouvait pas se réparer. Cependant, il est maintenant clair qu'en réalité,
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le cerveau est plastique, et qu'il a une grande capacité de changement et de récupération. Il n'est pas « câblé dans le dur ». Nous pouvons établir de nouvelles connexions dans différentes parties du cerveau, et même générer des cellules cérébrales entièrement nouvelles. (Nous en examinerons quelques exemples dans un instant). L'un des aspects les plus intéressants de la neuroplasticité est que les fonctions peuvent parfois se déplacer vers différentes parties du cerveau. Cela se produit souvent lors de la convalescence après un accident vasculaire cérébral ou d'autres lésions cérébrales. Si la partie du cerveau qui était auparavant associée à une activité particulière est endommagée, une nouvelle partie du cerveau non atteinte y sera désormais liée. Après un accident vasculaire cérébral, le cerveau se réorganise généralement. De nouvelles connexions et voies d'accès aux parties non endommagées du cerveau sont créées, de sorte que les cellules saines peuvent reprendre les rôles joués précédemment par les cellules détruites. C'est une autre raison pour laquelle il est problématique de relier une partie particulière du cerveau à une fonction mentale particulière (ou à la conscience elle-même). Comme nous l'avons vu précédemment, certaines fonctions peuvent être généralement associées à des parties spécifiques du cerveau, mais ces associations peuvent se déplacer après un accident vasculaire cérébral ou une lésion cérébrale. Cette flexibilité semble suggérer que l'esprit utilise le cerveau de la même manière qu'un musicien utilise un instrument. Par exemple, imaginez un guitariste qui joue un concert lorsqu'une de ses cordes se casse au milieu d'une chanson (ce qui m'est arrivé à plusieurs reprises lorsque je jouais de la musique). S'il joue des notes individuelles, il va simplement transférer les notes sur une corde différente, jouée sur des frettes plus ou moins aiguës. S'il joue des accords, il jouera probablement les mêmes accords sous une forme différente, plus haut ou plus bas sur le manche, de manière à ce que la
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note manquante soit moins perceptible. Mais il trouvera un moyen de s'adapter pour que la musique continue. Des études sur l'activité cérébrale des personnes aveugles ont donné des résultats similaires. Il existe une partie du cerveau - le cortex visuel dans la région occipitale - qui, chez la plupart des gens, est associée au traitement visuel. On peut croire que si une personne devient aveugle, le cortex visuel devient tout simplement inactif. Mais comme vous pouvez probablement le deviner, ce n'est pas le cas. Les recherches ont montré que, tant pour les personnes nées aveugles que pour celles qui perdent la vue plus tard, le cortex visuel reste actif. Il est« coopté »pour aider à remplir d'autres fonctions 58 • Plus frappant encore, le cerveau est tellement adaptable qu'il peut maintenir des niveaux normaux d'activité mentale même lorsque de grandes parties du cerveau sont manquantes. En 2007, la revue médicale The Lancet a rapporté le cas d'un Français de 44 ans qui avait réussi à mener une vie tout à fait normale malgré le fait qu'il avait un énorme trou dans le crâne, là où se trouve normalement la plus grande partie du cerveau. On l'a découvert lorsque, pour la première fois de sa vie, l'homme a subi un scanner cérébral, qui a montré que son crâne était rempli d'un énorme espace rempli de fluide. Son tissu cérébral était concentré dans une mince feuille sur les bords de son crâne. L'homme était marié, avait deux enfants et travaillait comme fonctionnaire, et avant cela, on n'avait jamais décelé la moindre anomalie chez lui. Les chercheurs ont pu identifier des structures cérébrales normales, telles que les lobes frontal, pariétal, temporal et occipital, mais elles avaient toutes une taille considérablement réduite 59 • Dans un cas similaire, en 2014, une femme chinoise de 24 ans a subi un scanner cérébral après s'être plainte de nausées et de vertiges. Le scanner a montré qu'il manquait la totalité du cervelet dans son cerveau. À sa place habituelle, on ne voyait qu'un espace rempli de liquide céphalorachidien.
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Le cervelet est généralement considéré comme la partie la plus importante du cerveau, contenant environ la moitié de ses neurones, il est donc difficile d'imaginer qu'une personne puisse fonctionner sans lui. Mais bien que la femme ait souffert de quelques affections mineures - par exemple, des troubles de l'élocution et une marche instable - elle avait par ailleurs mené une vie tout à fait normale. Elle était mariée, elle avait une fille et elle n'a jamais soupçonné qu'elle avait un problème sérieux 60 • Bien que ces cas soient rares, de nombreux cas similaires ont été découverts. Dans certains cas, on a même constaté que des personnes, qui avaient pourtant une grande partie de leur cerveau manquante, étaient plus intelligentes que la moyenne. Par exemple, un homme qui s'était fait enlever tout l'hémisphère gauche de son cerveau à l'âge de cinq ans (pour contrôler ses crises d'épilepsie) avait grandi en présentant des niveaux d'intelligence et de compétences linguistiques supérieurs à la normale 61 • Certaines personnes ont mené une vie normale avec à peine 5 % de la quantité normale de tissu cérébral62 • Si l'on part du principe que l'esprit est produit par le cerveau, cette étonnante flexibilité est difficile à expliquer. Comment le fonctionnement mental pourrait-il rester essentiellement le même en dépit de différences structurelles aussi massives? Imaginez un ordinateur fonctionnant exactement de la même manière avec seulement 5 % de ses circuits normaux, ou avec des parties essentielles de ses circuits numériques manquantes - ou un ordinateur endommagé pouvant spontanément déplacer des fonctions vers des parties non endommagées. Ces exemples sont certainement plus logiques si nous adoptons le point de vue spirituel selon lequel l'esprit nous parvient via le cerveau plutôt qu'à partir de lui. Bien que le cerveau soit manifestement fortement associé à l'activité
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mentale et joue un rôle essentiel dans sa mise en œuvre, il n'y a pas de lien de causalité direct ou une correspondance constante entre les états cérébraux et les états mentaux pour la simple raison que le cerveau ne produit pas directement d'activité mentale. Pour revenir à la métaphore que j'ai utilisée plus tôt dans ce chapitre, la musique de l'esprit arrive à travers le cerveau, et non de lui.
CHAPITRES
COMMENT L'ESPRIT PEUT CHANGER LE CERVEAU ET LE CORPS: DE NOUVELLES ÉNIGMES CONCERNANT L'ESPRIT ET LE CERVEAU
Le scientifique victorien T.H. Huxley - le grand-père de l'auteur Aldous Huxley, dont il aurait sûrement détesté les vues spirituelles - était le Richard Dawkins de son temps. Il partageait sa vision d'un monde sans esprit et mécanique avec la passion d'un fanatique religieux. Il a défendu la théorie de l'évolution de Darwin avec tant de ferveur qu'il a été surnommé « le bouledogue de Darwin ». (C'est en fait Huxley, et non Darwin, qui a inventé l'expression « la survie du plus apte »). Huxley était convaincu que la conscience n'était qu'un sous-produit du cerveau, le comparant à un sifflet à vapeur produit par un moteur de locomotive. Cela l'a amené à conclure que le sentiment qu'a l'être humain de posséder une volonté propre est une illusion, et que la conscience est « totalement incapable de modifier » le fonctionnement du corps de la même manière que le sifflet à vapeur ne peut pas altérer le fonctionnement du moteur. Comme le soulignait Huxley, « Avons-nous des raisons de croire qu'un sentiment, ou un état de conscience, est capable d'affecter directement le mouvement de la plus petite molécule de matière imaginable? »63
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D'un point de vue matérialiste, cela est tout à fait logique. Si l'esprit n'est qu'un produit de la matière, comment pourrait-il changer ou influencer la matière? Comment pourrait-il avoir un quelconque effet sur les molécules du corps et du cerveau? Pour utiliser une métaphore moderne, comment les images sur l'écran d'un ordinateur pourraient-elles changer le logiciel de l'ordinateur? Mais Huxley avait tort. En fait, l'esprit peut modifier la matière du cerveau et du corps de manière significative, ce qui remet encore plus en question l'hypothèse matérialiste selon laquelle l'esprit est produit par le cerveau.
Comment l'esprit peut changer le cerveau
Voilà une autre raison pour laquelle la neuroplasticité est si importante. Souvent - comme nous l'avons vu dans le dernier chapitre - elle se produit spontanément, en réponse à des lésions cérébrales. Mais elle se produit aussi souvent en réponse à une activité mentale, ou à un entraînement mental conscient. Il est plus difficile de devenir chauffeur de taxi à Londres que dans des villes comparables comme New York ou Berlin. Même après l'avènement de la navigation par satellite, les futurs taxis londoniens doivent encore passer un examen appelé « Connaissance » qui leur impose d'apprendre des centaines d'itinéraires à travers la ville, impliquant 2 5 000 rues et 20 000 points de repère. Le processus prend normalement au moins deux ans, et seule la moitié environ des candidats réussissent l'examen. Nous avons vu que la mémoire est associée à l'hippocampe, même si les souvenirs n'y sont pas réellement stockés (et même si cela concerne aussi d'autres zones du cerveau). La neuroscientifique Eleanor Maguire a passé plusieurs années à étudier le cerveau des chauffeurs de taxi londoniens, et en
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a conclu qu'ils ont de manière significative plus de matière grise dans leur hippocampe postérieur que la normale. Au début, ses études n'ont pas permis de savoir si cela était dû à leur formation ou si le processus de sélection favorisait simplement les candidats ayant des hippocampes plus gros que la normale. Cependant, des recherches plus approfondies ont permis de suivre l'évolution du cerveau des conducteurs au fil du temps et ont montré clairement que l'augmentation de la matière grise était le résultat de leur formation. Cela est probablement dû à la fois à un nombre croissant de connexions entre les cellules existantes et à la création de cellules entièrement nouvelles 64 . Des résultats similaires ont été obtenus avec des groupes d'étudiants en médecine, dont le cerveau a subi des modifications significatives au cours des semaines d'étude intensive précédant leurs examens 65 . Des études sur les effets de la méditation ont montré aussi que des changements neurologiques importants peuvent se produire dans une période de seulement huit semaines. Dans une étude réalisée en 2011, un groupe de 16 nouveaux méditants a été suivi par des examens de scanners cérébraux avant et après leur programme de méditation de huit semaines. Après avoir médité en moyenne 27 minutes par jour pendant ces huit semaines, les scanners ont montré une quantité nettement plus importante de matière grise dans de nombreuses régions du cerveau66. De même, une étude de 2017 a montré que la thérapie cognitive-comportementale (TCC) peut provoquer des changements neurologiques importants. En se concentrant sur un groupe de personnes souffrant de psychose, les chercheurs ont découvert qu'une cure de TCC de 12 semaines avait entraîné une augmentation des connexions dans les amygdales et les lobes frontaux, que les chercheurs associent à la pensée rationnelle 67 . Comment tout cela pourrait-il être possible si les phénomènes mentaux ne sont que le produit de l'activité cérébrale?
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Comment un épiphénomène pourrait-il changer la nature de la chose de base dont il n'est qu'un sous-produit? Dans le matérialisme, l'esprit est considéré comme l'ombre du cerveau. Et comment une ombre pourrait-elle changer l'objet dont elle est l'ombre? Ou, dans l'analogie de Huxley, comment un sifflet à vapeur pourrait-il changer la nature du moteur lui-même? On pourrait dire que certaines parties du cerveau ont simplement fait plus d'exercice et ont donc grandi comme un muscle. Mais ce n'est pas une analogie appropriée. Personne ne sait comment le cerveau génère de nouvelles cellules et établit de nouvelles connexions entre les cellules, mais cela ne ressemble certainement pas à la croissance musculaire, qui se produit par le biais d'une lésion et la réparation des fibres musculaires. La croissance musculaire n'implique certainement pas non plus une augmentation de l'interconnectivité entre les cellules. Et de toute façon, même si nous acceptons l'analogie avec l'exercice, cela ne change pas - ou n'explique pas - le fait que l'intention et l'activité mentales entraînent des changements structurels majeurs dans le cerveau, d'une manière qui laisse supposer que l'esprit est premier. Je ne dis pas que le cerveau n'affecte pas l'esprit. Ce serait absurde. Comme je l'ai mentionné en ce qui concerne la conscience, il est clair que lorsque le fonctionnement du cerveau est modifié par des drogues, l'expérience mentale subit des changements importants. Et il en va de même pour les lésions cérébrales, qui peuvent affecter profondément - et altérer - le fonctionnement mental d'une personne. Ce que je veux dire, c'est qu'il y a une relation à double sens entre l'esprit et le cerveau, et que l'esprit peut affecter le cerveau de manière profonde, tout comme le cerveau peut affecter l'esprit. Et comme je l'ai mentionné dans le dernier chapitre concernant la dépression, bien qu'il puisse y avoir des associations entre le fonctionnement neurologique et certains
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états mentaux (comme le montrent les exemples précédents de neuroplasticité), il y a certainement beaucoup de variations dans ces associations. Il se peut que cela dépende de la direction de la causalité. Lorsque le changement principal se produit au niveau du cerveau - par exemple, lorsque l'activité cérébrale est altérée par des drogues - il peut être possible d'identifier précisément une corrélation entre l'activité neurologique et l'expérience mentale. Mais lorsque le changement primaire se produit au niveau de l'esprit - par exemple, lorsqu'une personne est déprimée parce qu'une relation prend fin ou parce qu'elle est coincée dans un travail frustrant - il est alors plus probable qu'il n'y ait qu'une association générale, sans grande fiabilité ni uniformité.
Comment l'esprit peut changer le corps
La primauté de l'esprit est illustrée de façon encore plus surprenante par son étonnante capacité à modifier la forme et le fonctionnement du corps. L'exemple le plus courant est l'effet placebo. Ce phénomène a été constaté pour la première fois au milieu du xxe siècle, lorsque les scientifiques ont commencé à utiliser dans la recherche des essais contrôlés aléatoires en double aveugle. Cela signifiait qu'une procédure ou un traitement était réalisé avec deux groupes: un groupe qui recevait effectivement le traitement, et un autre - le « groupe témoin » qui recevait des substances inertes (aucun des deux groupes ne sachant lesquelles il avait reçues). Lors d'essais médicaux, les chercheurs ont commencé à constater que, pour une raison inconnue, les groupes témoin présentaient un certain effet: leurs symptômes s'étaient atténués ou la douleur avait disparu, alors qu'ils n'avaient en fait reçu aucun traitement. Dans certains cas, le groupe témoin montrait même des effets secondaires négatifs du traitement (ces effets sont
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connus sous le nom d'effets nocebo). Au cours de décennies de recherche, il a été démontré qu'un large éventail d'affections différentes bénéficient des placebos, notamment l'acné, la maladie de Crohn, l'épilepsie, les troubles de l'érection, les ulcères, la sclérose en plaques, l'arthrose, les rhumatismes et les colites. Au début, les scientifiques ont fait l'hypothèse que l'effet placebo n'était qu'un phénomène subjectif. Ils pensaient que les gens imaginaient simplement que leurs symptômes s'étaient améliorés, sans qu'il y ait eu de véritables changements physiologiques. (Même aujourd'hui, certains sceptiques le pensent.) Mais il est devenu évident que ce n'était pas le cas. Même si les patients sous placebo recevaient des substances inertes ne produisant aucun effet physiologique, des changements physiologiques réels et mesurables se produisaient. C'est ce qui ressort d'une étude réalisée en 1978, dans laquelle 40 patients ont reçu un placebo contre la douleur après un traitement dentaire. Peu de temps après, ils ont été divisés en deux groupes, dont l'un a reçu un autre placebo, tandis que l'autre a reçu du naloxène, une substance qui arrête la production d'endorphines antalgiques dans le cerveau. Le second groupe a fait état d'une douleur nettement plus importante que le premier groupe, ce qui suggère que le placebo initial a produit des modifications chimiques et que celles-ci ont été bloquées par la dose de naloxène. Cela semblait montrer que les placebos pouvaient provoquer les mêmes modifications chimiques que les médicaments réels 68 • Par la suite, la technologie d'imagerie cérébrale a permis de vérifier les effets physiologiques des placebos. Des études ont montré que, lorsqu'ils sont pris comme analgésiques, les placebos provoquent une diminution de l'activité des parties du cerveau associées à la douleur. Ils utilisent également plusieurs des mêmes neurotransmetteurs et des mêmes circuits neuronaux que les opioïdes et la marijuana. En d'autres termes, les placebos provoquent en fait la libération
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de substances chimiques internes au cerveau. En outre, les chercheurs ont découvert que les placebos pouvaient provoquer la libération de dopamine dans le cerveau lorsqu'ils étaient pris par des patients atteints de la maladie de Parkinson. D'autres études ont montré des changements neurologiques identiques liés à la dépression, l'anxiété et la fatigue, et d'autres changements physiologiques tels que la pression sanguine, le rythme cardiaque et l'activation du système immunitaire 69 (comme nous l'avons vu dans le dernier chapitre, il est également possible que les antidépresseurs fonctionnent en grande partie comme des placebos). Il est intéressant de noter que les recherches ont également montré que pour qu'un placebo fonctionne, il n'est peut-être même pas nécessaire de tromper les patients en leur faisant croire qu'ils prennent une substance active: les placebos fonctionnent encore même si nous savons que nous prenons du placebo. Dans une étude publiée en 2010, Ted Kaptchuk, professeur de médecine à Harvard, a comparé deux groupes de patients souffrant du syndrome du côlon irritable. Un groupe n'a reçu aucun traitement, tandis que l'autre groupe recevait des placebos. On a dit aux membres du second groupe qu'ils prenaient de faux médicaments, ce qu'on ne fait pas d'habitude; pour insister sur ce point, les flacons de pilules ont été étiquetés « pilules placebo ». Kaptchuk a été surpris de constater que, malgré cela, les membres du second groupe ont fait état d'un soulagement significatif de leurs symptômes. Cela semble bizarre, mais il est probablement significatif que l'équipe de Kaptchuk ait pris soin de préciser aux patients que les placebos ont souvent des effets curatifs.
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La chirurgie fictive
En 2004, un radiologue de la Clinique Maya dans le Minnesota - l'un des hôpitaux les plus prestigieux des ÉtatsUnis -, le Dr David Kallmes, a décidé de tenter une expérience inhabituelle. Depuis de nombreuses années, il pratiquait une opération appelée vertébroplastie, au cours de laquelle les fractures du dos sont guéries par l'injection d'un ciment médical. Cette procédure a toujours été couronnée de succès, soulageant les douleurs aiguës et permettant aux gens de marcher et de faire de l'exercice sans difficulté. Cependant, une chose a toujours intrigué le Dr Kallmes: il arrivait que l'opération tourne mal (par exemple, si du ciment était injecté dans la mauvaise vertèbre), mais les patients semblaient quand même aller mieux. Afin d'approfondir la question, le Dr Kallmes a mené un essai sur 131 patients, dont la moitié a subi une véritable vertébroplastie, tandis que les autres ont subi une fausse opération. Dans ce dernier cas, les patients ont été conduits en salle d'opération et anesthésiés, mais plutôt que de recevoir une injection de ciment, ils ont été simplement comprimés fortement dans le dos. Étonnamment, les résultats ont montré que les deux groupes ont bénéficié du même soulagement de la douleur et de la même amélioration fonctionnelle - c'està-dire en marchant, en montant les escaliers et en faisant d'autres formes d'exercice 70 • Voici un exemple d'un autre aspect bizarre de l'effet placebo connu sous le nom de « chirurgie fictive ». Il s'agit de situations où des chirurgiens font littéralement semblant de pratiquer une opération, en faisant tout ce qu'ils feraient normalement - par exemple, en pratiquant une incision, en tenant des instruments, en donnant des instructions à des collègues, puis en refermant l'incision - mais sans faire réellement d'intervention. Bien que cela semble défier le bon sens, de nombreux essais de chirurgie fictive ont donné des
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résultats positifs. Dans une étude finlandaise publiée en 2013, des fausses opérations chirurgicales ont été pratiquées sur des patients souffrant de déchirures des ligaments du genou et de douleurs intenses. Bien que les patients aient été anesthésiés, les chirurgiens ont suivi tout le rituel de l'opération dans les moindres détails, en passant des instruments et en émettant les sons normaux associés à une opération. Mais là encore, l'incision a été fermée sans qu'aucune opération chirurgicale n'ait été effectuée. Certains patients ont reçu un vrai traitement, et les résultats ont été comparés. Une fois de plus, aucune différence significative n'a été constatée entre les deux groupes. Les patients qui avaient subi une opération fictive ont fait état du même degré de soulagement de la douleur et d'une amélioration identique de leur état fonctionneF 1• Pet.1 de temps après cet essai, une autre équipe de chercheurs a publié une évaluation complète de tous les essais enregistrés de chirurgie fictive, et a trouvé 5 3 cas où elle était pratiquée parallèlement à des procédures chirurgicales normales. Les chercheurs ont constaté que la chirurgie fictive était bénéfique dans 74 % de ces cas - pour la moitié d'entre eux, elle était aussi bénéfique que la procédure réelle. Dans certains cas, elle a même été plus bénéfique que la procédure réelle 72 • Il n'est pas surprenant que l'une des conclusions tirées du succès de la chirurgie fictive conduise à penser qu'un grand nombre des opérations réalisées sont inutiles. Et en effet, depuis la publication de ces résultats, les compagnies d'assurance américaines sont moins disposées à financer des opérations chirurgicales telles que les vertébroplasties. Cependant, les résultats ne signifient évidemment pas que les véritables vertébroplasties ne fonctionnent pas, ou ne sont pas nécessaires - cela signifie seulement que les pouvoirs de guérison du subconscient peuvent simuler les effets de la procédure réelle.
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L'effet placebo en général est devenu si connu de nos jours que nous ne nous rendons plus compte peut-être à quel point il est vraiment surprenant. N'est-il pas incroyablement étrange que la guérison et le soulagement de la douleur puissent avoir lieu sans aucun traitement réel? La plupart des scientifiques ne semblent pas encore saisir toutes les implications de l'effet placebo: l'esprit humain a la capacité d'agir puissamment sur presque tous les aspects de notre physiologie, y compris sur la guérison de nombreuses affections et sur le soulagement d'un large éventail de symptômes. Or cela signifie que l'esprit est en fait premier par rapport à la partie physique de notre corps et de notre cerveau, et non pas un simple sous-produit de l'activité cérébrale. C'est peut-être la raison pour laquelle de nombreux scientifiques refusent de prendre en considération les implications de l'effet placebo: parce que ces implications posent problème au modèle matérialiste conventionnel que beaucoup d'entre eux ont adopté.
Guérison par l'hypnose
L'un des aspects étranges de l'effet placebo c'est qu'il ne fonctionne pas de manière consciente. Il ne suffit pas simplement de vouloir changer. Il ne suffit pas de simplement se dire: « J'aimerais ne plus être malade - je crois que je vais essayer de me guérir moi-même ». Le pouvoir de l'esprit de changer le corps ne peut être activé qu'à un niveau inconscient, par la croyance qu'un changement est en train de se produire (dans la plupart des cas, le soulagement de la douleur ou la guérison). La croyance semble révéler une étrange capacité de l'esprit à modifier les structures et les processus physiques du corps. Ces pouvoirs peuvent également être activés dans un état d'hypnose. Les suggestions d'un hypnotiseur peuvent se connecter à notre inconscient de la même manière que nos propres croyances.
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L'état hypnotique est encore mystérieux - il n'y a pas d'explication claire de ce qui se passe lorsqu'une personne est hypnotisée, ou en quoi cet état est différent de l'état de conscience normal. Mais l'aspect essentiel du processus semble être que, sous hypnose, l'ego conscient normal se retrouve bloqué. Les fonctions de l'ego, telles que la volonté et le contrôle, sont prises en charge par l'hypnotiseur. Et lorsque l'ego est en suspens, l'hypnotiseur a un accès direct à l'inconscient de la personne. C'est le principe de l'hypnothérapie - l'hypnotiseur peut travailler directement avec l'inconscient, en s'attaquant aux peurs et aux phobies qui y sont ancrées. Et par le même moyen, les suggestions d'un hypnotiseur peuvent entraîner des changements non seulement dans la forme et le fonctionnement du cerveau, mais aussi du corps dans son ensemble. L'hypnose est particulièrement efficace comme antalgique. Dans les années 1840, un médecin écossais vivant en Inde, James Esdaile, a commencé à utiliser l'hypnose pour soulager la douleur lors d'opérations. Dans la région de l'Inde où il habitait, de nombreux hommes développaient d'énormes tumeurs (pesant jusqu'à 45 kg) dans le scrotum - dues à une infection causée par une piqûre de moustique - et l'opération pour les enlever était si douloureuse que les hommes la repoussaient souvent pendant des années, ne la subissant qu'en dernier recours. Esdaile a commencé à utiliser la technique de l'hypnose (ou« mesmérisme »,comme il l'appelait) pour détendre les patients, afin qu'ils acceptent de se faire opérer. Et à sa grande surprise, il a constaté qu'ils ne ressentaient aucune douleur pendant l'opération. Esdaile a également remarqué que, dans certains cas, il n'y avait aucune douleur ou blessure après l'opération et que le processus de guérison était plus rapide avec cette méthode. Comme il l'a écrit, « il y a eu moins de problèmes de santé que dans des circonstances ordinaires. Il n'y a eu aucun décès parmi les cas opérés » 73 •
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La nouvelle s'est répandue que cet incroyable chirurgien pouvait enlever des énormes tumeurs en 20 minutes sans douleur ni séquelles, et bientôt les patients ont commencé à affluer à l'hôpital d'Esdaile, près de Calcutta. Esdaile a commencé à utiliser l'hypnose dans d'autres traitements, comme la chirurgie des yeux, l'ablation des amygdales, les tumeurs du sein et l'accouchement. Esdaile était convaincu que ses patients ne se contentaient pas de prétendre (à eux-mêmes et/ou à lui) qu'ils ne ressentaient aucune douleur - il notait qu'en plus de ne pas se tordre et gémir, les patients ne présentaient aucun des signes physiologiques de la douleur, comme des changements dans leur pouls et leurs pupilles. Au milieu du xrxe siècle, les taux de mortalité liés aux opérations étaient incroyablement élevés: 50 % des patients mouraient pendant ou après ces opérations. Mais dans les 161 cas d'opérations enregistrés par Esdaile, le taux de mortalité ne fut que de 5 %. Les causes de ces chiffres ne sont pas claires. Esdaile lui-même pensait que c'était dû au fait que des «fluides vitaux mesmériques » passaient de lui au patient, ce qui stimulait le processus de guérison. Cependant, il était probablement lié à une réduction de la perte de sang, et peut-être à une activation des mêmes capacités d'auto-guérison qui peuvent se produire avec un placebo. Il existe de nombreux cas d'hypnose utilisés par les médecins avant et après Esdaile, mais cette méthode a rapidement été supplantée par l'utilisation d'anesthésiques chimiques. Cependant, la pratique s'est poursuivie dans certains domaines de la médecine, en particulier la dentisterie. Au début du xxe siècle, l'hypnose était la principale méthode de gestion de la douleur utilisée par les dentistes, et la pratique est devenue presque universelle pour les dentistes pendant les deux guerres mondiales, lorsque les anesthésiques chimiques étaient rares et que les traumatismes faciaux étaient fréquents. Aujourd'hui encore, certains dentistes utilisent l'hypnose, notamment dans les cas où les antécédents
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médicaux d'une personne excluent l'utilisation d'un anesthésique. Des recherches récentes menées auprès de patients ayant subi une extraction dentaire sous hypnose ont montré qu'une « analgésie centrée sur l'hypnose » peut augmenter les seuils de douleur jusqu'à 220 %. Ces recherches ont également montré que pour 93 % des patients, il y a eu une réduction de la douleur et des hémorragies postopératoires 74 • (Cela rejoint la conclusion d'Esdaile selon laquelle les taux de mortalité ont très fortement diminué grâce à son utilisation de l'hypnose. Il est clair que l'hypnose réduit les pertes de sang et les hémorragies). Comme pour l'effet placebo, les recherches ont montré que l'effet antalgique de l'hypnose n'est pas simplement un phénomène subjectif; il entraîne aussi de réels changements physiologiques en plus de l'absence de douleur- par exemple, des rythmes lents du pouls et de la respiration, et des modifications de la réponse galvanique de la peau. Et là encore, comme pour l'effet placebo, l'imagerie cérébrale a révélé une diminution de l'activité dans les zones du cerveau associées à la douleur. Cela pourrait laisser penser que l'hypnose peut activer les mêmes substances chimiques endogènes du cerveau qui atténuent la douleur que celles de l'effet placebo. Cependant, cela ne semble pas être le cas. Plus tôt dans ce chapitre, j'ai parlé d'une expérience qui a montré que les effets d'atténuation de la douleur d'un placebo étaient annulés par le naloxène, qui bloque la libération d'opioïdes endogènes. Cependant, une expérience similaire a montré que, sous hypnose, le naloxène n'avait aucun effet, ce qui suggère que les opioïdes endogènes ne sont pas impliqués. Comme pour de nombreux aspects de l'hypnose, sa capacité à atténuer la douleur reste inexpliquée7 5 • L'hypnose s'est avérée efficace dans de nombreux autres domaines que la gestion de la douleur. Dans la première moitié du XIXe siècle, elle a été utilisée par les médecins comme traitement des maladies, et s'est révélée efficace contre des
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affections telles que l'épilepsie, la névralgie et les rhumatismes. Mais c'est dans le domaine des affections cutanées que son efficacité a été la plus grande. Chez les personnes très influençables, l'hypnose a été utilisée pour guérir rapidement les blessures et les brûlures, pour faire disparaître les verrues et les ampoules et pour contrôler les saignements des hémophiles. Inversement, les personnes très influençables peuvent produire des ampoules ou des marques de brûlure si un hypnotiseur leur dit que leur peau a été brûlée, ou si elles ont les yeux bandés et que l'hypnotiseur fait semblant de les toucher avec un tisonnier rouge ou un autre objet7 6 • L'hypnose peut également entraîner des modifications structurelles importantes du corps. Dans les années 1970, un certain nombre d'études (portant sur 70 femmes au total) ont montré que la suggestion d'un hypnotiseur pouvait permettre aux femmes d'augmenter la taille de leurs seins. Pendant la transe hypnotique, les femmes ont reçu toute une série de suggestions et de visualisations différentes. Par exemple, on leur demandait de visualiser l'aspect qu'elles voulaient avoir ou de ressentir des sensations de chaleur et de picotement dans leurs seins. Après 12 semaines, 85 % d'entre elles ont signalé une augmentation de la taille de leurs seins, d'une moyenne de 3 à 5 centimètres. Des études de suivi ont montré que l'augmentation de taille était permanente pour 81 % des femmes ayant développé des seins plus volumineux 77 • Même si les effets de l'hypnose demeurent inexpliqués, il semble clair que le processus implique les mêmes pouvoirs innés, d'auto-guérison et d'autorégulation qui sont exploités par l'effet placebo. L'hypnotiseur ne fait rien d'autre que de créer les conditions dans lesquelles ces pouvoirs peuvent être activés.
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Autres énigmes concernant l'influence de l'esprit sur le corps
Cette présentation des incroyables capacités d'auto-guérison des êtres humains pourrait apporter un peu de lumière sur des méthodes controversées telles que la guérison par la foi et l'homéopathie. D'un point de vue matérialiste, ces pratiques n'ont aucun sens. Les scientifiques matérialistes expriment souvent leur incrédulité face au fait que les homéopathes croient que des solutions inertes (diluées si fortement qu'il ne reste plus de molécules d'une substance active) peuvent entraîner la guérison. Mais c'est exactement ce qui se passe avec l'effet placebo, dont la plupart des matérialistes reconnaissent la réalité. Alors peut-être que ces méthodes sont elles aussi le résultat de l'effet placebo? Si une personne croit qu'une thérapie ou une technique peut la guérir, alors il y a une chance qu'elle soit guérie grâce à ses propres capacités d'auto-guérison. En disant cela, je ne veux pas dénigrer ces pratiques de guérison. Comme nous l'avons vu, l'effet placebo peut être extrêmement efficace. Il se peut que ces pratiques soient simplement des moyens différents de mobiliser la même capacité d'auto-guérison que l'effet placebo. Et en ce sens, elles peuvent être extrêmement précieuses. (Il est également possible que l'homéopathie et d'autres pratiques de guérison soient plus que des placebos, et qu'elles agissent par le biais de forces ou de phénomènes dont nous ne sommes pas conscients - et que nous ne découvrirons peut-être jamais). Si nous sommes capables, en tant qu'individus, d'influencer la forme et le fonctionnement de notre propre corps, peutêtre sommes-nous capables aussi d'influencer la forme et le fonctionnement du corps d'autres personnes - notamment par la guérison par la foi, et aussi la « guérison à distance » (par exemple, lorsqu'un certain nombre de personnes prient à distance pour le rétablissement d'une personne malade)?
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Mon sentiment est que cela est potentiellement possible, mais probablement beaucoup moins courant. Il y a une énorme différence entre être capable d'influencer notre propre fonctionnement physiologique - qui est intimement lié à notre propre activité mentale, et ne peut en être séparé - et être capable d'influencer le fonctionnement physiologique d'une autre personne, qui est beaucoup plus éloignée de nous. Il y a peut-être ici un lien avec le phénomène psi de la psychokinésie, qui consiste, pour une personne, à montrer sa capacité à influencer la forme et le fonctionnement d'objets matériels par une influence mentale. (Par exemple, lorsqu'une personne parvient à arrêter le tic-tac d'une horloge, ou à faire plier les aiguilles d'une montre sans intervention physique). Si l'esprit est premier par rapport à la matière, et qu'il l'imprègne, alors il est potentiellement possible que l'influence mentale puisse influencer la matière. Mais là encore, c'est probablement beaucoup moins courant que de provoquer des changements dans son propre corps - et probablement moins courant que de provoquer des changements dans le corps d'autres personnes également, en raison de l'absence de connexion intime entre les éléments matériels extérieurs à notre corps. Il existe tellement d'autres exemples de la manière dont les croyances peuvent affecter la forme et le fonctionnement du corps que l'on pourrait facilement en remplir un livre entier. Et comme je pense que les preuves que j'ai présentées sont déjà suffisamment convaincantes, je ne veux pas ennuyer le lecteur en le bombardant de données inutiles. Mais avant de terminer ce chapitre, permettez-moi de mentionner brièvement deux (ou trois, si l'on considère séparément la grossesse imaginaire) autres phénomènes qui, à mon avis, confèrent davantage de poids à l'argumentation que je présente. Tout d'abord, il est important de se pencher sur le contraire de la guérison: le fait de se rendre malade. Il va de soi que si les croyances et les suggestions inconscientes peuvent
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soulager la douleur et favoriser la guérison, elles devraient également pouvoir créer (ou augmenter) la douleur et provoquer la maladie. Si nous pouvons nous guérir nous-mêmes, nous pouvons sûrement aussi nous rendre malades? Le terme technique pour cela est la psychogenèse: la génération ou l'exacerbation de la maladie par des facteurs mentaux. Il existe évidemment un lien étroit avec le concept de maladie « psychosomatique », bien que les médecins aient tendance à limiter ce terme aux facteurs psychologiques qui influencent les maladies plutôt qu'à ceux qui les génèrent réellement. Les nocebos sont l'exemple le plus frappant de la psychogenèse. Les recherches menées dans le cadre d'essais contrôlés aléatoires sur des médicaments contre la maladie de Parkinson ont montré que près des deux tiers des patients ont éprouvé les effets secondaires négatifs d'un placebo. Pour dix pour cent des patients, ces effets étaient si graves qu'ils ne pouvaient pas continuer l'essai78 • Une autre étude a donné un exemple étonnant de la combinaison de l'effet du nocebo et du placebo lorsqu'on a demandé à des patients asthmatiques d'inhaler une substance inerte (une solution saline) dont on leur avait dit qu'elle était un allergène. Cela a entraîné une diminution significative de la capacité des voies respiratoires, ce qui a provoqué des crises d'asthme chez certains patients. Heureusement, les crises se sont atténuées lorsque la solution saline leur a été administrée à nouveau - mais cette fois, en leur disant qu'il s'agissait d'un antiallergène 79 • Un dernier exemple spectaculaire de l'effet nocebo concerne le cas d'un jeune Américain - dont la petite amie venait de mettre fin à leur relation - qui a décidé de se suicider alors qu'il participait à un essai clinique de médicaments. Il a pris 26 comprimés de ce qu'il croyait être des antidépresseurs, alors qu'en fait il s'agissait de placebos issus de l'essai. Il a été transporté d'urgence à l'hôpital, où les médecins ont constaté que sa tension artérielle était tombée à un niveau dangereusement bas. En urgence, on a dû lui administrer du liquide par intraveineuse
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pour rétablir sa tension artérielle à un niveau normal. Mais les médecins ont alors réalisé qu'il n'avait pris que des comprimés de placebo, et sa tension artérielle est vite revenue à la normale 80 • D'une manière plus générale, il est très probable qu'une proportion importante des maladies dont nous souffrons soient de nature psychogénique ou psychosomatique. Des études menées dans le monde entier ont montré qu'entre 25 % et 50 % des patients qui consultent un médecin présentent des « symptômes médicalement inexpliqués » causés par des facteurs psychologiques 81 • Cela correspond à la constatation mentionnée plus haut selon laquelle la guérison par hypnose fonctionne particulièrement bien avec les maladies de la peau. (Les autres maladies qui sont fortement psychosomatiques sont les ulcères d'estomac, les problèmes cardiaques et l'hypertension artérielle). L'un des phénomènes psychogènes les plus remarquables est la grossesse imaginaire (ou grossesse fantôme). De nos jours, les cas de grossesse imaginaire sont assez rares, grâce aux tests de grossesse, à l'amélioration des connaissances médicales et à la diminution de la pression sociale exercée sur les femmes pour qu'elles tombent enceintes. Mais dans les années 1940, on estimait qu'une grossesse sur 250 était fausse. Comme pour l'effet placebo, la grossesse imaginaire ne consiste pas seulement à ce qu'une femme se convainque qu'elle est enceinte; elle entraine un grand nombre de changements physiologiques identiques à ceux d'une grossesse réelle, notamment l'arrêt des règles pendant des mois, un estomac hypertrophié (qui se développe à peu près au même rythme qu'une grossesse normale), des seins douloureux qui sécrètent du colostrum (ou du prélait) et des nausées. Dans certains cas, de véritables hormones de grossesse sont libérées, telles que l'œstrogène et la prolactine. Il peut également y avoir des mouvements du fœtus, ressentis non seulement par la mère mais aussi par d'autres personnes, y compris les médecins 82 •
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Avant que les tests de grossesse n'existent, ces changements physiologiques étaient souvent si semblables à la grossesse réelle que les médecins ne pouvaient pas les distinguer. Une étude de 1951 sur les grossesses imaginaires, parue dans le Journal of the American Medical Association, a montré que les symptômes étaient si convaincants qu'ils « peuvent mettre à mal les capacités de diagnostic des médecins les plus compétents » 83 • Une étude portant sur 27 cas de grossesses imaginaires de 1937 à 1952 a montré que, dans chaque cas, au moins un médecin partageait la conviction de la femme qu'elle était enceinte 84 • Pour terminer cette étude sur la façon dont l'esprit peut influencer le corps, permettez-moi d'attirer votre attention sur un dernier phénomène étrange: la capacité à retarder la mort. Si nous sommes capables de changer l'état de notre corps, de guérir ou de générer des maladies, est-il possible que nous ayons le contrôle ultime sur notre corps en pouvant choisir le moment où son fonctionnement cesse? Il semble bien que ce soit le cas, dans certaines limites. Il est évident que nous ne pouvons pas retarder la mort indéfiniment. Mais si nous sommes en train de mourir, nous avons apparemment un certain contrôle sur le moment où la mort survient. En général, cela se produit en relation avec des événements comme les anniversaires, les fêtes, les événements culturels (comme Noël ou l'Aïd) ou l'arrivée d'un parent ou d'un ami. J'ai présenté certains exemples de ce phénomène sur les réseaux sociaux et j'ai reçu en retour un grand nombre de témoignages. Une personne m'a raconté par exemple que sa mère avait un cancer de stade quatre et qu'elle n'avait pas mangé (même par voie intraveineuse) depuis plus d'un mois. Les médecins étaient stupéfaits qu'elle soit encore en vie, mais elle leur a dit qu'elle attendait de revoir son fils d'Amérique (elle vivait en Europe). Une fois son fils arrivé, elle a dit aux médecins: « Je me laisserai aller dès qu'il sera parti ». Elle est morte quelques heures après sa visite. D'autres personnes
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m'ont raconté des histoires de gens qui attendent des événements tels que la naissance d'un petit-enfant, un mariage ou une remise de diplôme. Une de mes connaissances qui travaillait comme aumônier dans un hospice m'a dit qu'il voyait souvent des gens qui attendaient la dernière visite de leur meilleur ami, de leur amant, de leurs parents - ou la mort d'une autre personne malade (dans un cas, même la mort d'un chien). Il existe également des preuves empiriques de ce phénomène. Des études ont montré que les taux de mortalité diminuent avant les événements culturellement importants (comme Noël ou Pâques) et augmentent ensuite. Une étude de 1990 a montré que la mortalité chez les Chinois a diminué de 35 % au cours de la semaine précédant le festival de la lune des moissons et a atteint un pic du même ordre la semaine suivante 85 • Cela montre qu'une volonté forte peut avoir une influence sur le processus biologique de la mort. Les infirmières et autres soignants font souvent état de ce phénomène. Si une personne est proche de la mort et que des parents se rassemblent à son chevet, il n'est pas rare que celle-ci retarde le moment de son décès jusqu'à ce que les proches quittent la chambre. Comme me l'a dit une infirmière: «J'ai vu beaucoup de personnes s'accrocher jusqu'à ce qu'un parent bien-aimé puisse venir leur dire au revoir ou qu'une période particulière de l'année soit passée ». Mais le contraire se produisait aussi. .. Parfois, la personne s'éclipsait tranquillement, en l'absence de son soignant/parent. Une autre ex-infirmière m'a raconté: « Les exemples les plus courants dont j'ai été témoin sont ceux de personnes mourantes qui décident de mourir alors que leurs parents et amis ne sont pas là ». On ne sait pas très bien pourquoi les gens choisissent de décéder alors que leurs proches sont absents. Peut-être veulent-ils épargner à leurs proches ou à leurs soignants la douleur émotionnelle de les voir mourir, ou éviter le drame de leurs réactions émotionnelles.
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Implications
Tous les exemples que nous avons exammes dans ce chapitre montrent clairement que T.H. Huxley avait complètement tort lorsqu'il affirmait que l'esprit n'a pas le pouvoir de « modifier » le corps. Comme il ne fait aucun doute que cela se produit, nous devons vraiment en examiner les implications. L'une des implications est que nous avons beaucoup plus de contrôle sur notre propre santé, et sur notre propre corps, que ce que nous supposons habituellement. Nous disposons d'un énorme potentiel d'autorégulation et d'auto-guérison dont nous sommes à peine conscients. Bien sûr, cela a aussi des implications pour les professionnels de la santé. À l'heure actuelle - même face aux preuves nombreuses de l'influence de l'esprit résultant de l'effet placebo - la profession médicale est dominée par une conception matérialiste du corps en tant que machine. Mais il est évident qu'il faut tenir compte de l'influence des croyances et des intentions, surtout lorsqu'elles peuvent être exploitées pour obtenir un tel effet positif. Cela implique également l'importance du contexte et de la relation entre le praticien et le patient. Si le corps n'est qu'une machine, ces facteurs peuvent être considérés comme accessoires. Peu importe la façon dont un mécanicien s'y prend pour réparer votre voiture, ou si vous avez une bonne relation avec lui, tant que la voiture est réparée. Mais comme l'état mental d'un patient a une grande influence sur la santé de son corps, il est important que les professionnels de la santé soient attentifs au bien-être psychologique de leurs patients, et qu'ils entretiennent avec eux une relation positive. Et surtout, ils doivent faire un effort conscient pour exploiter les capacités innées d'auto-guérison de chaque patient. Dans un sens plus large, par rapport à la thèse de ce livre, il est important de considérer que tous les phénomènes que
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nous avons examinés au cours des deux derniers chapitres - tels que l'effet placebo, la guérison par hypnose, la psychogenèse, la grossesse imaginaire et la capacité à retarder la mort - ne peuvent être expliqués dans une perspective matérialiste. Pour un matérialiste, il s'agit simplement de phénomènes aberrants qui n'ont aucun sens et qui doivent être rejetés et écartés. Mais parce que leur existence ne peut être mise en doute, nous devons conclure que c'est le modèle matérialiste lui-même qui n'a aucun sens et qui devrait être rejeté. Cependant, d'un point de vue spirituel, ces phénomènes peuvent être expliqués. Ils prennent sens si nous faisons l'hypothèse que l'esprit est plus fondamental que la matière constituant le corps, et que l'esprit a donc la capacité de modifier l'état et le fonctionnement du corps. Du point de vue du panspiritisme, la conscience humaine est essentiellement un flux de l'énergie spirituelle de l'univers. Le cerveau canalise la conscience universelle dans nos propres êtres individuels. De cette façon, l'esprit peut être considéré comme un produit de la conscience-en-soi interagissant avec le cerveau. Avec ses milliards de neurones et ses interconnexions incroyablement complexes, le cerveau facilite les fonctions mentales telles que la mémoire, le traitement de l'information, la concentration, la cognition abstraite ou logique, etc. On peut dire qu'une fois canalisé, le cerveau permet d'organiser la conscience en diverses fonctions et processus psychologiques. L'essence de l'esprit n'est donc pas le cerveau, mais l'énergie spirituelle (ou conscience universelle). Le cerveau est simplement le facilitateur de l'esprit. N'oubliez pas qu'il ne s'agit pas d'une perspective dualiste. Je ne dis pas que le mental• et le corps - ou le mental et la matière - sont distincts. Je dis que le mental et le corps sont des aspects différents de la conscience, ou de l'espritb. a. En anglais b. En anglais
« «
mind spirit
» »
N.d.T. N.d.T.
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Mais le mental est une expression plus subtile et plus complète de l'esprit que la matière. C'est, pourrait-on dire, une expression de l'esprit d'un ordre supérieur. La matière a une conscience - puisqu'elle est imprégnée de conscience - mais elle n'est pas consciente en soi. Mais lorsque la matière est disposée de manière complexe et imbriquée - comme dans les cellules et les organismes - elle peut permettre la canalisation de la conscience, de sorte que les organismes deviennent individuellement conscients. Et plus un arrangement devient complexe et intriqué, plus sa conscience devient intense et étendue. Certains philosophes ont appelé ce processus « involution », ce qui signifie que plus l'évolution progresse, plus la conscience se mêle à la matière. Ainsi, à mesure que l'évolution progresse, il y a une spiritualisation croissante de la matière: les êtres vivants deviennent une expression plus complète de l'esprit et se rapprochent de la source d'où eux, et toutes les choses, proviennent. Mais le point vraiment important c'est que du fait que l'esprit est une expression plus subtile et plus complète de la conscience, il est premier par rapport à la matière et à la substance physique du corps.
Attentes
Il ne faut donc pas s'étonner qu'il n'y ait pas de correspondances exactes entre les états cérébraux et les états mentaux. Le fonctionnement du cerveau doit être très souple, car son rôle n'est pas de produire des états mentaux, mais de les faciliter. Il ne faut pas s'étonner que différentes fonctions mentales puissent se déplacer vers différentes parties du cerveau dans certaines circonstances, ou même que le cerveau puisse faciliter un fonctionnement mental normal en l'absence d'une grande quantité de tissu cérébral. Une fois que la canalisation de la conscience a eu lieu et qu'elle a été organisée
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en fonctions mentales, il y a place pour de la flexibilité. Il n'y a pas de dépendance stricte entre les différentes parties du cerveau (ou les réseaux neuronaux) et les processus ou fonctions psychologiques, même si certaines d'entre elles peuvent être communément reliées à ces derniers. Dans le même ordre d'idées, il ne faut pas s'étonner qu'il soit difficile de préciser l'emplacement exact d'une fonction mentale particulière. Dans les deux derniers chapitres, nous avons vu à plusieurs reprises que certaines fonctions sont associées à certaines parties du cerveau, mais nous devons nous rappeler que le cerveau fonctionne de manière holistique. En fait, chaque fonction fait intervenir de nombreuses parties différentes qui travaillent ensemble, même si une zone peut être prédominante. Encore une fois, c'est exactement ce que nous attendons d'un cerveau qui facilite l'esprit au lieu de le produire. Nous ne devrions pas non plus être surpris que les activités et les fonctions de l'esprit puissent modifier la structure de notre cerveau, et avoir un effet aussi puissant sur la santé et l'état du corps. Parce qu'il est premier et essentiel, l'esprit est beaucoup plus puissant que le modèle matérialiste le suppose. La substance physique de notre corps est elle-même une manifestation de la conscience universelle (ou esprit) et en est imprégnée, et elle est donc très sensible à l'influence de notre esprit individuel. Dans le prochain chapitre, nous allons poursuivre cette discussion en nous penchant sur un autre phénomène qui suggère - de façon encore plus spectaculaire - que l'esprit (ou la conscience) ne dépend pas du cerveau, et peut même continuer en l'absence d'activité cérébrale.
CHAPITRE 6
L'ÉNIGME DES EXPÉRIENCES DE MORT IMMINENTE
Il y a environ 1 5 ans, j'ai travaillé avec un professeur d'université appelé John, qui avait subi une greffe de cœur quelques années auparavant. Il avait souffert d'une maladie appelée cardiomyopathie•, une dégénérescence des parois des cavités cardiaques, qui avait causé la mort de son père à l'âge de 59 ans. John a été atteint de cette maladie à l'âge de 32 ans seulement, et sa vie a été sauvée par une unité de pointe de transplantation cardiaque dans un hôpital local. Pendant l'opération de transplantation, John a été surpris de se retrouver soudainement éveillé et alerte, contemplant son propre corps d'en haut. Il pouvait voir le chirurgien et les infirmières qui pratiquaient l'intervention et sentait par leur comportement qu'il y avait une urgence - il pouvait les voir se précipiter, l'air anxieux. Il a également été surpris d'entendre de la musique classique dans la salle d'opération. Il s'est senti flotter à une certaine distance de son corps, dans une obscurité qui lui semblait étrangement paisible, vers une lumière vive au loin. Puis il a rencontré son père décédé. Son père semblait surpris de le rencontrer et lui a dit: « Tu ne a. Cardiomyopathy en anglais nommé en français aussi syndrome du cœur brisé. N.d.T.
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devrais pas être ici - ce n'est pas encore ton heure ». Puis John se sentit redescendre vers son corps, et perdit conscience. Tout ce qu'il se rappelle ensuite, c'est qu'il était réveillé en pleine convalescence. Peu après, lorsque le chirurgien est arrivé pour voir s'il allait mieux, John lui a dit: «J'ai aimé la musique classique que vous avez passée dans la salle d'opération ». Le chirurgien fut étonné de constater que John était au courant de ce détail, car il était inconscient lorsqu'ils ont mis la musique en marche, et il est resté complètement inconscient pendant toute l'opération. John ne savait pas quoi penser de cette expérience. C'était un rationaliste, qui s'intéressait à la science et ne croyait pas aux absurdités du« new age ».Il avait bien essayé d'en parler à quelques amis et parents, mais ceux-ci l'ont pris pour un fou. Il m'a dit que j'étais la première personne à l'avoir pris au sérieux. « "C'est une expérience de mort imminente", lui ai-je dit. "Ça arrive à beaucoup de gens. Les gens meurent pendant une courte période - leur cœur s'arrête de battre, leur cerveau n'a plus d'activité, ils n'ont plus aucun des signes vitaux. Mais ils continuent à être conscients. Ils quittent leur corps, et rencontrent parfois des parents décédés" ».
J'ai donné à John un livre sur le sujet, mais j'ai malheureusement perdu le contact avec lui peu de temps après. J'espère que le livre l'a aidé à donner un sens à cette expérience, à l'accepter et à l'intégrer dans sa vie. (Malheureusement, j'ai découvert récemment que John était mort il y a plusieurs années, à la suite de complications liées à sa transplantation).
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L'expérience de Max
Un de mes étudiants, Max, a vécu une expérience similaire, bien que cela se soit produit alors qu'il était dans le coma et non sous anesthésie générale. À la fin de son adolescence, on a posé un mauvais diagnostique à Max et on lui a donné un médicament inapproprié, ce qui a provoqué une crise. (Les médecins ont expliqué plus tard qu'il s'agissait d'une réaction chimique à l'amitriptyline et au tramadol). Il a ensuite écrit sa thèse de troisième année sur les expériences de mort imminente, dans laquelle il a décrit en détail sa propre expérience, qui est si remarquable que je vais citer longuement son récit: «Ce qui a d'abord commencé par des douleurs intenses et aiguës se propageant à travers mon lobe frontal allait plus tard s'expliquer par le résultat d'une privation d'oxygène lors d'une série de crises. J'ai eu l'impression que ma tête était complètement submergée, et à ce moment-là, j'ai senti que ma vie allait prendre fin. Je n'ai repris conscience que quelques jours plus tard dans une unité de soins intensifs de l'hôpital. Cependant, pendant la période d'inconscience, alors que j'étais dans un coma provoqué par des médicaments, j'ai vécu toute une série d'expériences que je comprends maintenant comme étant synonymes et typiques des expériences de mort imminente. Ce qui s'est passé après mes violents maux de tête fut une expérience de sortie du corps, où je me suis observé simultanément de tous les coins de la chambre d'hôpital. Je voyais les médecins et les infirmières vérifier régulièrement mes signes vitaux et effectuer divers tests sur mon corps qui ne réagissait pas. Je les ai vus ajuster des fils attachés à ce que je ne peux décrire que comme un casque métallique relié à un moniteur et, ensuite,
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m'injecter une substance inconnue dans l'estomac. Je me souviens d'un sentiment immédiat de peur et de panique provoqué par la prise de conscience que, si je pouvais observer la scène, je ne pouvais agir ni communiquer avec les médecins ou amener mon corps à réagir. Je me sentais déconnecté de mon corps physique et, bien que je pouvais voir les médecins et les infirmières parler, je ne pouvais pas distinguer le sens de leurs mots, qui me parvenaient comme étouffés. Cela a ajouté à mon sentiment d'anxiété, car je ne pouvais pas briser les barrières de la langue, ni même donner un sens à l'expérience dans son ensemble. Alors que j'étais dans cet état, je fus soudainement submergé, absorbé et englouti par une lumière vive qui dominait la scène de la pièce. Elle a englouti à la fois mon moi physique et non physique. Je suis passé immédiatement de mes sentiments de panique et de peur à un état de paix profonde. Je ne pouvais plus ressentir mon moi physique; j'avais l'impression que mon corps n'était plus là. C'était comme si je n'étais plus présent. Je me sentais libéré de mes soucis et rempli d'un sentiment de tranquillité absolue. Je n'avais conscience que de l'intensité de la lumière, qui me remplissait de paix et de réconfort. C'est à ce moment-là que j'ai rencontré un visage familier, que j'ai réalisé être celui de mon arrièregrand-mère, qui est morte au début de mon enfance. Sa présence ne m'a pas paru surprenante. Elle m'a expliqué que cette expérience était particulière et que, comme dans un rêve lucide, j'aurai le contrôle de mon corps et pourrai reprendre conscience une fois que je serai prêt. Après ce qui m'a semblé être des années de conversation avec elle, je me suis senti prêt pour me réveiller et avant que je ne m'en rende compte, j'étais à
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l'hôpital et j'ai vu un homme dans ma chambre tirer les rideaux autour de mon lit et m'expliquer où j'étais. Bien que désorienté et confus, j'étais à nouveau pleinement conscient et maître de mon corps. Ma réaction immédiate a été de regarder où mon arrière-grand-mère s'était assise. Mon dernier souvenir est celui où elle m'a dit de ne pas avoir peur de l'obscurité dans mon œil, car j'étais en effet devenu aveugle de l'œil gauche. »
L'un des aspects les plus remarquables de cette expérience est que l'arrière-grand-mère de Max était grecque et ne parlait que cette langue, de sorte que, enfant, il n'avait jamais pu lui parler directement. (Son père assurait la traduction entre eux.) Elle lui parla aussi en grec pendant cette expérience, mais d'une manière ou d'une autre, Max a réussi à la comprendre. Le plus frappant est que son arrière-grand-mère lui a donné des informations sur ses grands-parents et son père, qu'il a ensuite vérifiées auprès de sa famille. Elle lui a décrit son enfance en Grèce, lui a raconté comment elle avait rencontré son arrière-grand-père et lui a parlé de leur vie commune, y compris de leurs souffrances pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Contrairement à John, l'expérience de Max a eu un impact puissant sur lui dès le début. Comme il le raconte: « Cette EMJ• a entraîné un changement dans ma vie qui m'a permis de me concentrer sur un nouvel ensemble d'objectifs, de valeurs et d'ouverture, que j'ai encore aujourd'hui ... [Elle] m'a conduit vers une perspective avec des buts plus élevés et vers une vérité personnelle et la reconnaissance et l'acceptation de la vie après la mort». Cela s'est manifesté par des changements importants dans son mode de vie. Avant la crise, il étudiait l'économie à l'université, mais ne se sentait plus capable de le faire désormais. Il voulait a. EMI: expérience de mort imminente. NDE en anglais (Near Death Expérience). N.d.T.
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maintenant explorer d'autres perspectives et comprendre l'esprit humain, ce qui l'a amené à suivre notre cursus universitaire. Avant son EMI, c'était un étudiant assez ordinaire qui aimait les relations sociales et ne pensait qu'à s'amuser. Maintenant, il trouvait son bonheur dans la réflexion, il aimait étudier et se sentait plus utile.
Qu'est-ce qu'une expérience de mort imminente?
Dans le langage courant, l'expression « expérience de mort imminente » (ou EMI) est parfois utilisée pour désigner toute expérience de mort imminente - que ce soit à la suite d'un accident, d'une overdose ou d'une maladie. Mais dans l'utilisation la plus stricte du terme, une expérience de mort imminente se produit lorsqu'une personne se retrouve cliniquement « morte » pendant une courte période - lorsque son cœur cesse de battre, que son cerveau ne montre aucun signe d'activité et que les autres « signes vitaux » attestent de la mort - et que, pourtant, cette personne affirme par la suite qu'elle a continué à être consciente. Cela peut se produire à la suite d'un arrêt cardiaque, par exemple. Pendant quelques secondes ou quelques minutes, une personne peut ne présenter aucun signe de vie biologique, et pourtant, lorsqu'elle est réanimée, elle raconte avoir vécu une série d'expériences inhabituelles. Les chercheurs ont découvert qu'il existe un « tronc commun » dans les expériences de mort imminente. Cela commence par un sentiment de séparation du corps (ou une expérience hors du corps), parfois avec un bourdonnement ou un sifflement. Ensuite, il y a généralement un voyage à travers un passage ou un tunnel sombre vers un lieu de lumière. Il en résulte un sentiment de sérénité et de bienêtre intense, un sentiment de calme et de plénitude, qui est souvent si agréable que certaines personnes sont réticentes
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à l'idée de retourner dans leur corps, et se sentent même déçues lorsqu'elles reprennent conscience. Souvent, les gens rencontrent des parents décédés (comme John et mon élève l'ont fait) ou des êtres de lumière. Dans une plus petite proportion de cas, il y a un « bilan de vie », dans lequel les événements importants de l'existence d'une personne sont revécus. Bien qu'il soit rare que toutes ces caractéristiques se retrouvent dans chacune des expériences de mort imminente, la plupart d'entre elles se produisent généralement. Tout au long de l'expérience, les gens ont le sentiment que leurs sens sont devenus plus aiguisés - tout ce qu'ils vivent a une qualité de réalité intense. Contrairement aux rêves ou aux hallucinations, cette expérience semble beaucoup plus réelle que notre expérience ordinaire. On a aussi souvent l'impression d'être en dehors du temps. Même si une personne peut n'être restée inconsciente que quelques secondes, elle peut vivre une succession complexe d'expériences qui semblent durer des heures. Il existe également un sentiment de connexion, ou d'unité. Le sentiment d'être une entité séparée, enfermée dans son propre espace mental, est remplacé par le sentiment de faire partie d'un réseau interconnecté, de partager une identité avec d'autres personnes ou avec le monde en général. Une enquête menée par l'un des principaux chercheurs britanniques sur les EMI, le psychologue Peter Fenwick, auprès de 300 personnes ayant vécu une EMI a montré que 88 % de ces personnes ont éprouvé des sentiments de sérénité et de joie pendant l'expérience. Une personne victime d'une crise cardiaque, qui contemplait d'en haut pendant que les ambulanciers essayaient de redémarrer son cœur et qui a ensuite traversé un tunnel en direction d'une lumière, a raconté: « Il n'y a aucun endroit comparable dans la réalité physique où l'on puisse vivre une telle prise de conscience totale. L'amour, la protection, la joie, le don, le partage et l'être que j'ai éprouvés dans la Lumière à ce moment-là ont été absolument bouleversants et purs
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dans leur essence »86 • Une femme qui a vécu une expérience de mort imminente pendant un accouchement a déclaré que l'aspect le plus frappant de l'expérience était « la paix absolue, l'unité, la complétude » 87 • La lumière que les gens aperçoivent dans les EMI est très différente du type de lumière que nous connaissons dans notre vie normale. Elle a une qualité extrêmement rayonnante, voire translucide. Elle devient de plus en plus brillante à mesure que la personne s'en approche, et pourtant, quelle que soit sa luminosité, elle ne fait pas mal aux yeux. En même temps, elle a une qualité accueillante et bienveillante. Comme l'a raconté une personne, « C'était de la pure conscience. Et cette lumière extrêmement brillante semblait me bercer. J'avais l'impression d'exister en elle, d'en faire partie et d'être nourri par elle, et ce sentiment devenait de plus en plus extatique, merveilleux et parfait » 88 • Il est important de mentionner que certains chercheurs utilisent une définition plus large que d'autres du terme « expérience de mort imminente », et incluent des expériences dans lesquelles une personne peut ne pas être cliniquement morte. Les expériences de coma telles que celle de Max en sont un exemple. Dans un coma, une personne peut ne pas présenter de signes biologiques de mort (ou même être en danger immédiat de mort) bien qu'elle puisse être considérée comme proche de la mort en ce sens qu'elle est profondément inconsciente, avec une activité neurologique très réduite et un fonctionnement biologique gravement altéré. Mais comme pour Max, ces personnes peuvent cependant ressentir certaines des caractéristiques essentielles de l'expérience de mort imminente, avec des expériences conscientes très intenses qui sont incompatibles avec leur très faible niveau d'activité cérébrale. (Le livre La preuve du paradis d'Eben Alexander décrit ce type d'EMI). Cette définition plus large inclut également les accidents tels que les chutes, lors desquelles on peut vivre certaines
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des caractéristiques essentielles des EMI pendant les quelques secondes qui séparent la chute du sol. En fait, la toute première étude sur les expériences de mort imminente s'était concentrée exclusivement sur les chutes. Elle a été réalisée par un alpiniste suisse du nom d'Albert Heim et publiée sous le titre de Notes sur les chutes mortelles en 1892•. Heim est tombé d'une falaise d'une hauteur de plus de 20 mètres; au cours de sa chute, il a ressenti un intense sentiment de bien-être et de calme, un ralentissement important du temps, une clarté intense de la perception et il a vu toute sa vie repassée devant lui. Au cours des années suivantes, il a recueilli 20 exemples d'expériences similaires auprès de ses collègues alpinistes. Cependant, même si nous utilisons ces définitions plus larges des EMI, les expériences sont certainement plus fréquentes pendant les périodes de mort clinique, en particulier après un arrêt cardiaque. En 2014, une étude internationale (dirigée par le Dr Sam Parnia de l'Université d'État de New York) portant sur plus de 2 000 patients victimes d'un arrêt cardiaque a été publiée. Il en ressort que 40 % des personnes interrogées ont déclaré avoir eu une certaine forme de conscience pendant la période où elles étaient cliniquement mortes, lorsque leur cœur avait cessé de battre et que leur cerveau avait cessé de fonctionner 89 • Dans une étude similaire réalisée en 2001 par le cardiologue néerlandais Pim van Lommel - qui a commencé à étudier les expériences après que tant de ses patients en aient parlé après la réanimation - 64 des 344 patients cardiaques ont fait état d'expériences de mort imminente 90 • Plus généralement, les recherches de Bruce Greyson ont montré que 10 à 20 % des patients qui sont proches de la mort vivent cette expérience 91 • Ainsi, comme je le disais à mon collègue John, les expériences de mort imminente ne sont pas rares. Une enquête a. Heim, A. ( 1892). Notizen über den Tod durch Absturz, Jahrbuch des Schweizer Alpenclub 27, 327-337. N.d.T.
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réalisée en 2001 en Allemagne a révélé que 4 % d'un échantillon de 2 000 personnes avaient connu une EMl92 •
Les conséquences des EMI
Les expériences de mort imminente ont si peu de sens dans le paradigme matérialiste que - comme pour mon collègue John - les gens ont parfois du mal à les comprendre et à les accepter. Les gens sont souvent réticents à en parler à leurs amis ou à leur famille, de peur d'être considérés comme des fous. Par exemple, dans un échantillon d'une centaine d'EMI, on a constaté que 57 % des personnes avaient peur de parler de leur expérience et que 27 % n'en avaient parlé à personne pendant plus d'un an 93 • Dans certains cas extrêmes, les gens peuvent même ressentir une telle résistance à l'expérience qu'ils la répriment complètement. Ce fut le cas d'une autre de mes connaissances, William Murtha, dont j'ai longuement évoqué l'expérience dans mon livre Emerger de l'ombre". William a vécu une expérience de mort imminente alors qu'il flottait à la dérive, à demi-inconscient, dans une mer glacée pendant environ une heure. Il a eu l'impression de quitter son corps, de ne faire plus qu'un avec tout, et il a alors pris conscience de ce qu'il a appelé une « présence supérieure » qui communiquait avec lui. Il s'est senti quitter son corps, s'est senti en harmonie avec tout, et a pris conscience de ce qu'il a appelé une « présence supérieure » qui communiquait avec lui. Il a aussi revu son existence défilée à travers les expériences les plus significatives de sa vie. Cependant, William manquait d'un cadre pour donner un sens à son expérience. La vision de l'amour et de la communion qu'il ressentait était aussi complètement a. Emerger de l'ombre - De l'épreuve à la transformation, Steve Taylor, Dauphin Blanc, 2012. N.d.T.
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opposée aux valeurs individualistes et concurrentielles à partir desquelles il vivait. Pendant les 18 mois suivants, William a donc simplement fait semblant que l'expérience n'avait pas eu lieu, et il a réagi en vivant d'une manière encore plus matérialiste et hédoniste qu'auparavant. Cependant, la résistance de William finit un jour par s'effondrer, alors qu'il buvait dans un bar un soir et qu'il entendit une voix dans sa tête qui lui disait: « Bill, ce n'est pas ce que tu es; tu ne devrais pas être ici » 94 • Il a réalisé qu'il avait fui ce qui s'était passé et, en un instant, tout changea. Son nouveau moi émergea et, à partir de ce moment, sa vie changea complètement. Il perdit le besoin d'accumuler de l'argent et des biens de consommation, et il se mit à ressentir du plaisir dans la tranquillité et l'inactivité. Peu de temps après, il vendit ses parts dans son entreprise et commença à mener une vie beaucoup plus lente et plus simple. Il ressentit un profond sentiment d'empathie et de compassion, et prit conscience de l'émerveillement et de la beauté de la vie quotidienne. C'est là un scénario normal. Une fois qu'une personne a accepté et intégré son EMI, elle subit une transformation profonde. En effet, l'un des aspects les plus frappants des expériences de mort imminente est leur effet à long terme: elles entraînent souvent un profond changement de valeurs et de perspective, qui lui-même conduit à des changements majeurs dans le mode de vie. Les gens deviennent souvent moins matérialistes et plus altruistes, moins orientés vers euxmêmes et plus compatissants. Ils ont souvent de nouveaux objectifs et leurs relations deviennent plus authentiques et plus intimes. Ils disent être plus sensibles à la beauté et apprécier davantage les choses de la vie quotidienne. Une personne qui a subi une EMI après une crise cardiaque a déclaré à la chercheuse Margot Grey: « Depuis lors, tout a été si différent ... Le ciel est si bleu et les arbres sont beaucoup plus verts; tout est tellement plus beau. Mes sens sont tellement plus aiguisés »95 • Les gens disent souvent qu'ils deviennent aussi plus intuitifs, et même
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parfois qu'ils développent des capacités psychiques. Une autre femme a confié à Margot Grey ce qu'elle ressentait: « un sens de l'amour très vif, la capacité de communiquer l'amour, la capacité de trouver de la joie et du plaisir dans les choses les plus insignifiantes qui me concernent ... J'avais /'impression d'avoir une conscience très élevée, je dirais presque des capacités télépathiques » 96 • L'un des effets les plus marquants des EMI est la perte de la peur de la mort. Du fait que les EMI ont une qualité de réalité si intense, la plupart des gens sont convaincus d'avoir réellement vécu la mort pendant une courte période. Par conséquent, ils deviennent certains qu'il y a une vie après la mort. Et puisque leur EMI a été une expérience heureuse - si heureuse que les gens sont parfois déçus de retourner dans leur corps-toute l'anxiété qu'ils pouvaient avoir à propos de la mort se dissout. Il est probable qu'une peur inconsciente de la mort est une source majeure de beaucoup de comportements humains pathologiques - tels que le matérialisme et la recherche de prestige - donc quand cette peur disparaît, elle a un effet majeur. Ainsi, la disparition de la peur de la mort contribue probablement de manière significative aux autres changements que j'ai déjà mentionnés, tels que l'abandon du matérialisme. Il est remarquable qu'une seule expérience puisse avoir un effet transformateur aussi profond et durable. Et cela est illustré par des recherches montrant que les personnes qui ont vécu des expériences de mort imminente à la suite de tentatives de suicide tentent très rarement de se suicider à nouveau. Cela contraste fortement avec le schéma habituel - en fait, une tentative de suicide antérieure est en général le meilleur indicateur d'un futur suicide réel. Le fait qu'elles aient des répercussions aussi profondes rend très improbable l'hypothèse que les EMI soient une hallucination générée par le cerveau. Les hallucinations n'ont absolument pas ce genre de conséquences pouvant transformer une personne. Elles sont généralement rapidement oubliées,
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avec le sentiment évident qu'il s'agit d'expériences délirantes, moins authentiques et moins fiables que la conscience ordinaire. Mais avec les expériences de mort imminente, on a clairement le sentiment que ce qui est vécu est plus réel et plus authentique que la conscience normale, et la vision de la réalité de la personne - ainsi que ses valeurs et son attitude face à la vie - sont complètement transformées.
Explication des EMI
D'un point de vue matérialiste, les expériences de mort imminente sont problématiques, c'est le moins qu'on puisse dire. Une fois que le cœur d'une personne a cessé de battre, le cerveau s'éteint dans les 15 à 20 secondes qui suivent. Comment une personne peut-elle donc continuer à être consciente pendant cette période? Et comment les personnes dans un coma profond - avec à peine des signes d'activité cérébrale - peuvent-elles avoir des expériences conscientes extrêmement intenses et complexes? Cela semble indiquer une absence de relation directe entre la conscience et le cerveau. Si la conscience peut se produire en l'absence d'activité cérébrale, alors il est difficile de voir comment elle pourrait être le produit de cette même activité. Elle doit être essentiellement indépendante du cerveau, et provenir d'une autre source. L'un des principes les plus fondamentaux du matérialisme - à savoir l'idée que la matière est première et donne naissance à l'esprit - est donc contredit. Pour cette raison, les scientifiques matérialistes ont déployé beaucoup d'efforts pour tenter d'expliquer les expériences de mort imminente en termes matérialistes. Tant d'explications différentes ont été proposées qu'il est impossible de les traiter toutes en détail, c'est pourquoi nous allons ici examiner certaines des plus importantes et évaluer leur validité.
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Les EMI sont-elles causées par une activité cérébrale non détectée?
De nombreuses EMI (comme celles qui suivent un arrêt cardiaque) semblent se produire lorsque le cerveau est éteint, mais pouvons-nous être sûrs que c'est vraiment le cas? Peutêtre y a-t-il une activité cérébrale à un niveau très faible qui est difficile à détecter. Mais cet argument est discutable d'un point de vue médical. Après un arrêt cardiaque, les réflexes du tronc cérébral disparaissent immédiatement et ne reviennent pas avant que le cœur n'ait redémarré. Alors comment un cerveau pourrait-il fonctionner sans montrer le moindre signe d'activité? Comme l'a fait remarquer Sam Parnia: « Il faut beaucoup d'imagination pour penser qu'il y a une zone cachée de votre cerveau qui entre en action alors que tout le reste ne fonctionne pas » 97 • Mais même s'il y avait une possibilité de fonctionnement cérébral de très faible niveau, il y a toujours un énorme défaut dans cet argument: si le cerveau n'a qu'un très faible niveau d'activité dans ces moments-là, comment le fonctionnement mental complexe d'une expérience de mort imminente pourrait-il survenir? Dans les modèles conventionnels de l'esprit et du cerveau, la cognition complexe, la perception sensorielle et la mémoire des EMI devraient être impossibles dans une situation où l'activité cérébrale est si limitée qu'elle en devient indétectable. Il ne s'agit pas seulement de conserver un niveau normal de fonctionnement mental dans ces moments-là - dans les EMI, la perception et la cognition deviennent en fait plus intenses que la normale. Comme nous l'avons vu, les gens disent souvent se sentir beaucoup plus alertes que la normale, avec une forme de conscience très claire et intense. Alors comment un niveau d'activité mentale plus élevé que la normale peut-il être généré par un niveau d'activité cérébrale aussi faible? C'est exactement l'inverse de ce à quoi on devrait s'attendre. S'il y avait une quelconque
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expérience consciente dans ces moments-là, elle devrait être faible, vague et confuse. Cet argument est encore plus pertinent pour les EMI vécues dans le coma. S'il y avait une relation directe entre le cerveau et l'esprit, on s'attendrait à ce que l'expérience consciente des patients dans le coma soit très limitée. Un niveau d'activité cérébrale aussi faible ne devrait donner lieu qu'à une expérience mentale très vague et confuse. Mais là encore, dans les EMI liées au coma, c'est le contraire qui semble se produire. On dirait même que moins le cerveau est capable de fonctionner correctement, plus l'expérience devient vive et intense. Cela s'applique également aux EMI qui se produisent sous anesthésie générale. Revenons à l'expérience de John au début de ce chapitre. Même si nous faisons l'hypothèse que l'expérience ne s'est pas produite lorsque le cerveau de John était éteint, elle aurait quand même dû se produire alors qu'il était profondément inconscient sous anesthésie générale. Cela s'applique à chaque EMI qui se produit dans une salle d'opération. Il devrait être impossible pour les personnes sous anesthésie générale d'avoir une expérience consciente et particulièrement le type d'expérience très vive et intense que les EMI entraînent. Comme le disent les auteurs de Irreducible Mind, l'opinion générale selon laquelle l'expérience consciente est produite par l'activité neurologique « doit être erronée, car autant sous anesthésie générale qu'en cas d'arrêt cardiaque, les conditions neuroélectriques spécifiques qui sont considérées comme nécessaires et suffisantes pour la conscience sont abolies - et pourtant une conscience, une pensée et une mémoire vives, voire accrues, peuvent encore survenir »98 • On pourrait avancer que de telles expériences ne se produisent pas réellement pendant la période d'inconscience, mais au moment où le patient se réveille et où l'anesthésie se dissipe. Mais le retour à la conscience, brumeux et confus, après une anesthésie est complètement différent de la clarté
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alerte de l'expérience de mort imminente. Cela s'applique également à la sortie du coma. L'éminent psychiatre Oliver Sacks a laissé entendre que l'EMI d'Eben Alexander ne s'était pas produite pendant qu'il était dans le coma, mais « alors qu'il sortait du coma et que son cortex retrouvait sa pleine fonction » 99 • Contrairement à la conscience claire et accrue qu' Alexander a décrit, le fonctionnement mental est généralement très confus et altéré, et il faut des jours pour revenir à la normale. Et il va sans dire que cette sortie normale et confuse à la fois de l'anesthésie et du coma n'a pas le même effet profond et transformateur que les EMI.
Les EMI sont-elles des effets neurologiques du « cerveau en train de mourir »?
Une explication des EMI qui a été avancée à maintes reprises est l'hypothèse du «cerveau en train de mourir». Elle s'apparente à l'argumentation d'Oliver Sacks, mais se concentre sur la période précédant la perte de conscience. Selon ce point de vue, les EMI sont des expériences inhabituelles qui se produisent peu de temps avant que le cerveau ne devienne inactif. Il s'agit d'une sorte d'hallucination générée par un cerveau en train de mourir. Cet argument repose notamment sur l'idée que l'anoxie cérébrale (un manque d'oxygène dans le tissu cérébral) est à l'origine de bon nombre des caractéristiques des EMI. Elle entraîne une « désinhibition corticale » et une activité cérébrale intense et incontrôlée. La vision du tunnel et de la lumière pourrait être expliquée en termes de désinhibition dans le cortex visuel du cerveau. Dans le même temps, l'intense sensation de bienêtre des EMI pourrait être causée par la libération d'endorphines lorsqu'on est proche de la mort. Cependant, ces explications posent de sérieux problèmes. On pourrait s'attendre à ce qu'une activité cérébrale intense
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et incontrôlée entraîne des expériences folles et chaotiques, mais les EMI sont généralement des expériences très sereines et bien coordonnées - certainement pas ce que l'on pourrait associer à la « désinhibition » et à la surstimulation. Comme le souligne Penny Santori, une chercheuse contemporaine sur les EMI - dont la perspective est éclairée par de nombreuses années de travail en tant qu'infirmière en soins intensifs -, le manque d'oxygène est associé à la confusion, l'irritabilité et la perte de mémoire. La clarté et la nature hautement ordonnée des EMI sont, selon elle, totalement incompatibles avec « un cerveau désorganisé avec un flux sanguin inexistant ou fortement réduit » 100 • On s'attendrait également à ce qu'une activité cérébrale non contrôlée entraîne un très large éventail d'expériences différentes, aussi variées et différentes que les rêves. Cependant, comme nous l'avons vu, la majorité des personnes qui déclarent une continuation de la conscience lors d'une EMI font état de la même expérience « essentielle ». Et une fois de plus, il ne fait absolument aucun doute que les expériences normales de manque d'oxygène n'ont aucun des effets transformationnels des EMI. Un autre argument important contre l'hypothèse du « cerveau en train de mourir» est que, comme nous l'avons vu, les EMI ne se produisent pas seulement lorsqu'une personne est en train de mourir. Elles peuvent se produire dans le coma ou lors d'une chute, alors que, biologiquement, on n'est pas du tout aux limites de la mort. Le « cerveau en train de mourir » ne peut pas être la cause des EMI dans ces situations, il est donc très peu probable que ce soit le cas pour les EMI dans des situations telles qu'un arrêt cardiaque.
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Perceptions véridiques
Cependant, le problème le plus épineux de l'hypothèse du cerveau mourant est peut-être que - comme nous l'avons vu avec John - il est fréquent que les gens fassent état de détails précis de ce dont ils ont été témoin alors qu'ils étaient visiblement inconscients. Cela serait évidemment impossible si l'expérience se produisait alors que le cerveau est en train de mourir, et de perdre conscience. Dans l'étude des expériences de mort imminente, on les appelle parfois perceptions « véridiques » - au sens d'authentiques. Ces perceptions véridiques sont probablement la preuve la plus convaincante que les EMI ne sont pas des hallucinations générées par le cerveau. Il existe de nombreux cas où les patients atteints d'EMI ont fourni des observations remarquablement précises, qui ont ensuite été vérifiées par les médecins présents lors des interventions. Les exemples sont si nombreux et si bien documentés qu'il est difficile de savoir lesquels choisir. (Une étude récente sur les EMI intitulée « Le moi ne meurt pas» contient plus de 100 cas). Je me concentrerai ici sur deux des cas les plus frappants que je connaisse. Le premier exemple est celui d'un habitant de la Nouvelle-Angleterre, Al Sullivan, qui a été opéré en urgence du cœur à l'âge de 56 ans. Pendant l'opération, il a repris conscience et s'est senti sortir de son corps. Il s'est vu couché sur une table, couvert de draps bleu clair. Il pouvait voir l'incision qu'on était en train de lui faire pour ouvrir sa cage thoracique, avec son cœur à l'intérieur. Sa poitrine était maintenue ouverte par des pinces métalliques. Al a reconnu le chirurgien qu'il avait rencontré avant l'opération, et qu'il a vu - à sa grande surprise - « battre » ses bras comme s'il essayait de voler. Le chirurgien était la seule personne à proximité de sa poitrine ouverte, tandis que deux autres chirurgiens étaient occupés à intervenir sur sa jambe. Cela a troublé Al, jusqu'à ce qu'il apprenne plus tard que les
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veines des jambes sont souvent utilisées dans les pontages cardiaques. Peu après, Al a pris conscience d'une puissante lumière jaune, a ressenti des sentiments intenses de joie et d'amour, et a vu des parents décédés. Lorsqu'il a pu parler après l'opération, Al a raconté son expérience à son cardiologue, Anthony LaSala. Le cardiologue se montra sceptique jusqu'à ce qu'Al parle du chirurgien qui avait agité ses coudes. C'était une habitude particulière du chirurgien, dont le nom était Hiroyoshi Takata. Lorsqu'il n'opérait pas, Takata posait ses paumes à plat sur sa poitrine et dirigeait ses assistants en pointant avec ses coudes. Il faisait cela pour éviter de toucher quoi que ce soit avec ses mains stériles. La Sala fut stupéfait qu' Al ait mentionné ce fait, et il en informa le chirurgien. En 1997, Bruce Greyson, spécialiste des EMI, est allé interroger Anthony LaSala et Hiroyoshi Takata sur ce cas. Tous deux ont confirmé que Takata avait l'habitude de battre des coudes pour donner des instructions, et LaSala a mentionné qu'il n'avait pas connaissance que d'autres chirurgiens aient cette habitude. LaSala a également confirmé que les yeux d' Al étaient scotchés pendant l'opération et qu'il y avait en plus un drap sur sa tête, de sorte qu'il n'aurait pas pu voir les mouvements du chirurgien même s'il avait été conscient. Une autre équipe d'enquêteurs a confirmé que Sullivan était profondément inconscient sous anesthésie au moment où le chirurgien faisait ses mouvements de battement. Plus tard, Hiroyoshi Takata lui-même a commenté l'incident, notant que bien qu'il ait entendu d'autres médecins parler de l'atténuation des effets de l'anesthésie pendant les opérations au point que les patients puissent entendre les conversations, « je n'en ai jamais rencontré une où le patient décrivait ces détails de l'opération comme s'il en voyait le déroulement. Franchement, je ne sais pas comment on peut expliquer ce cas. Mais puisque celas'est réellement produit, je dois l'accepter comme un fait » 101 •
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Dans le second cas, le médecin en soins intensifs Laurin Bellg a rapporté l'histoire d'une patiente appelée Naomi, qui a fait un arrêt cardiaque. L'équipe médicale a utilisé la RCP• et les chocs électriques pour tenter de redémarrer son cœur, mais sans succès - en fait, pendant ces interventions, Naomi a fait un second arrêt cardiaque. Puis l'équipe a découvert qu'elle avait une artère coronaire bloquée, qu'ils ont débloquée. Mais son cœur était trop faible pour pomper le sang, et ses poumons ne fonctionnaient pas correctement, et donc elle a dû être placée sous ventilation artificielle. C'est lorsque le Dr Bellg a décidé que Naomi pouvait être retirée de la ventilation artificielle que la patiente a fait état d'une expérience de mort imminente, et a décrit les événements qui se sont produits au cours des opérations médicales qu'elle avait subies. Tout d'abord, elle a décrit des scènes de la salle d'urgence, en disant au Dr Bellg: « J'ai tout vu. J'ai vu entièrement tout ... Au début, je n'arrivais pas à comprendre ce qui se passait, puis j'ai réalisé que j'étais au-dessus de mon corps en train de regarder les médecins s'agiter. Je les ai vus appuyer de haut en bas sur ma poitrine puis me mettre un tube respiratoire dans la bouche. J'ai vu que mes yeux étaient fermés et à quel point je me sentais molle avec un bras qui pendait du lit » 102 • Naomi a ensuite raconté qu'elle se trouvait dans une autre pièce, avec une grande lumière au-dessus de sa tête et avec une autre équipe médicale; elle a mentionné un incident précis où des membres de l'équipe de réanimation ont incliné son corps et ont glissé une grande planche plate sous elle. En faisant cela, elle a entendu le Dr Bellg dire « Holà, holà, holà, mes affaires », et l'a regardé attraper des objets médicaux qui sont presque tombés par terre. Naomi a été intriguée par la planche, mais le Dr Bellg a expliqué que son but était d'aider la circulation du sang pour rendre les compressions thoraciques plus efficaces. Comme a. Réanimation cardiopulmonaire. N.d.T.
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l'a fait remarquer le Dr Bellg à propos de ce cas: « Je suis restée stupéfait qu'elle ait été consciente de ce qui se passait et qu'elle m'ait vue réagir au changement de position en saisissant mes affaires pour les empêcher de tomber du lit alors que je savais, avec certitude, qu'elle était totalement inconsciente » 103 • On prétend parfois que ces témoignages pourraient être une construction mentale de ce que les gens s'attendent à voir pendant une opération, sur la base de comptes rendus qu'ils ont entendus ou d'émissions télévisées qu'ils ont vues. Cependant, ces récits contiennent des détails tellement précis - dont beaucoup étaient totalement inconnus des patients avant l'opération, comme la planche mentionnée par Naomi ou les chirurgiens travaillant sur la jambe de Al - que cela semble peu probable. En fait, cette hypothèse a été testée par les chercheurs d'EMI. Penny Sartori a demandé à un groupe de malades cardiaques qui avaient été réanimés sans avoir subi de EMI de décrire ce qu'ils pensaient être des procédures de réanimation, et les a comparées aux descriptions des patients ayant subi une EMI 104 • Un autre chercheur, le Dr Michael Sabom, a fait de même mais avec un groupe de malades cardiaques n'ayant pas été réanimés 105 • Dans les deux cas, les descriptions des groupes étaient beaucoup moins précises et crédibles que celles des patients ayant vécu une EMI. Certains membres des groupes sans EMI n'avaient aucune idée de la procédure de réanimation, tandis que d'autres semblaient avoir une image déformée de la procédure à cause des émissions de télévision. Sabom et Sartori ont tous deux conclu que l'exactitude des rapports des opérations de réanimation des patients ayant fait une EMI ne pouvait pas être expliquée en termes d'attente, de connaissance préalable ou de supposition. Il convient également de souligner que, comme le montrent les deux cas que j'ai cités, les rapports des patients ayant vécu une EMI parviennent souvent à convaincre les médecins de leur véracité. En fait, l'une des choses frappantes
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pour les chercheurs en EMI est que, dans de nombreux cas, ce ne sont pas des parapsychologues mais des médecins qui ont été convaincus de la réalité du phénomène, sur la base des récits de leurs patients. Le médecin mentionné dans le deuxième cas, Laurin Bellg, a entendu tant de témoignages d'EMI et a été tellement frappée par les détails précis que beaucoup d'entre eux contenaient, qu'elle les a rassemblés et publiés dans un livre intitulé Near Death in the ICU". Comme mentionné ci-dessus, la chercheuse britannique Penny Sartori a travaillé comme infirmière en soins intensifs pendant 17 ans, et a commencé à faire des recherches sur les EMI après que tant de ses patients en aient parlé. Il en va de même pour Pim van Lommel, chercheur néerlandais contemporain sur les EMI, qui a travaillé pendant 26 ans comme cardiologue. De même, l'un des chercheurs américains les plus renommés dans le domaine des EMI, le Dr Martin Sabom, est un cardiologue spécialisé dans la réanimation.
Autres explications possibles
Avant de nous tourner vers une interprétation spirituelle des EMI, examinons brièvement les autres explications matérialistes qui ont été avancées. Une des théories est que les EMI seraient le résultat d'une crise paroxystique des lobes temporaux en train de mourir, similaire aux crises d'épilepsie des lobes temporaux. Selon cette théorie, une crise paroxystique peut produire des expériences extracorporelles et des sensations d'extase. Mais les crises du lobe temporal entraînent souvent des distorsions permanentes et des sentiments de solitude et de tristesse, ce qui n'a rien à voir avec la clarté et le bien-être des expériences de mort imminente. En outre, a. Expériences proches de la mort dans les unités de soins intensifs (non traduit en français), Sloan Press, 2015.
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elles ne présentent pas les caractéristiques « essentielles » des EMI telles que le fait de revoir toute sa vie ou les rencontres avec des parents décédés. Selon une autre théorie, les EMI pourraient être dues à la libération de substances chimiques cérébrales du type de la kétamine pendant les périodes de stress intense. Comme les crises du lobe temporal, la kétamine peut produire la sensation d'être hors du corps, ainsi qu'un sentiment de bienêtre. Cependant, des études comparant les utilisateurs de kétamine et les survivants de EMI ont également constaté des différences significatives. Les groupes de personnes ayant connu une EMI étaient plus susceptibles de communiquer avec des parents décédés ou de voir une lumière vive, tandis que les groupes traités à la kétamine couraient beaucoup plus le risque de voir des images bizarres et effrayantes. Ces derniers avaient également le sentiment très fort d'avoir vécu une expérience illusoire - alors que, bien sûr, les groupes des EMI avaient le sentiment que leur expérience avait été plus vive que la normale. Les recherches suggèrent également que si la première expérience de kétamine d'une personne peut présenter certaines similitudes avec une EMI, avec les expériences ultérieures, les similitudes ont tendance à s' estomper. Et de plus, rien n'indique que des substances chimiques cérébrales comme la kétamine soient réellement libérées lorsqu'une personne est proche de la mort ou subit un stress intense 106 • Une autre théorie similaire qui affirme que les EMI sont causées par la libération d'une grande quantité de DMT" une drogue hallucinogène que notre corps produit naturellement - soulève également des problèmes. Normalement, notre corps ne produit que de petites quantités de DMT, mais la théorie soutient que lorsqu'une personne est proche a. La diméthyltryptamine ou DMT est une substance psychotrope puissante. N.d.T.
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de la mort, une grande quantité de DMT est soudainement libérée, ce qui crée l'expérience « psychédélique » de l'EMI. Cependant, il n'y a aucune preuve que le cerveau libère de la DMT lorsqu'une personne est proche de la mort. Et de toute façon, des études ont montré que seule une petite proportion des expériences sous DMT (lorsqu'elle est consommée comme une drogue) ont une ressemblance significative avec les EMI 107 • Selon d'autres hypothèses, les EMI seraient dues à de fortes concentrations de dioxyde de carbone, à une altération de l'activité de la sérotonine ou à un sommeil paradoxal. Toutes ces théories sont problématiques pour des raisons similaires: elles se caractérisent par l'absence de certaines des caractéristiques « essentielles » des EMI, par le manque d'un sentiment subjectif de réalité, par le fait qu'elles ne produisent pas d'effets qui transforment la personne, etc. En outre, toutes ces théories supposent que l'expérience de l'EMI se produit avant qu'une personne ne perde conscience, et donc elles ne peuvent évidemment pas expliquer les perceptions véridiques qui caractérisent souvent les EMI. Dans une perspective différente, il existe un certain nombre de théories psychologiques pour expliquer les EMI. La première est que les EMI seraient causées par un phénomène de dépersonnalisation. Dans des états de détresse et d'anxiété intenses - par exemple, lors de tortures ou de viols -les personnes racontent parfois qu'elles se sont dissociées de leur propre corps, en ayant le sentiment d'avoir perdu leur sens de l'identité et leur capacité à ressentir. Cela ressemble à un mécanisme de défense; ainsi, lorsqu'une personne est proche de la mort - ce qui se traduit généralement par un état de détresse et d'anxiété - elle utiliserait peut-être aussi cette stratégie, ce qui entraînerait une expérience de mort imminente. Cependant, les ressemblances entre la dépersonnalisation et l'expérience de mort imminente sont très limitées. Nous avons vu que les EMI se caractérisent par un fort
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sentiment de clarté et de vigilance, ce qui est tout à fait différent de la confusion et de l'irréalité de la dépersonnalisation. Et, encore une fois, la dépersonnalisation ne comporte pas certains éléments importants de la EMI, tels qu'une lumière vive ou la rencontre avec des parents décédés. Une autre théorie psychologique est celle du « modèle des attentes ». Ce modèle laisse entendre que les EMI sont une sorte de fantasme qui est créé comme une alternative aux situations stressantes ou dangereuses - et qui est basé sur l'opinion commune au sujet des EMI, ou sur des récits religieux ou spirituels qui sont similaires aux EMI. Cependant, il y a des raisons très solides pour lesquelles cette théorie n'est pas crédible. Tout d'abord, les personnes qui n'ont aucune connaissance préalable des EMI décrivent le même type d'expérience que les autres. Et lorsque des enfants sont victimes d'une EMI, ils présentent systématiquement les mêmes caractérist\ques que les adultes, même s'ils sont trop jeunes pour construire des attentes personnelles et culturelles. L'EMI n'est devenue populaire qu'au milieu des années 70, suite aux recherches pionnières du Dr Raymond Moody (publiées dans son livre La vie après la vie). En fait, l'expression « expérience de mort imminente » n'a été inventée qu'en 1975. Si l'attente était un facteur déterminant, on pourrait penser que les EMI signalées après 1975 seraient plus conformes au modèle de Moody, mais les études sur les EMI avant et après la publication de son livre n'ont montré aucune différence significative. Enfin, des études ont également montré que de nombreuses EMI diffèrent nettement des attentes des gens, et qu'elles peuvent être donc source de confusion et de désarroi. Les expériences de John et William, décrites plus haut, en sont des exemples. En fait, si les EMI étaient générées par des attentes culturelles, il n'y aurait aucune raison pour que des gens comme John et William - qui avaient accepté le paradigme matérialiste de la réalité - aient des EMI.
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Les EMI d'un point de vue spirituel
Même les universitaires qui privilégient les explications matérialistes des EMI admettent que les théories décrites plus haut sont problématiques. Par exemple, comme l'ont dit Harvey Irwin et Caroline Watt, « il est juste de dire qu'aucune théorie neurophysiologique ou psychologique actuelle des EMI n'est satisfaisante » 108 • Au chapitre 3, j'ai suggéré que lorsqu'il existe autant d'explications différentes et divergentes sur la cause d'un phénomène (en l'occurrence, sur la manière dont le cerveau pourrait produire la conscience), nous sommes en droit de penser que les hypothèses causales de base qui soustendent les différentes hypothèses sont erronées. Et cela s'applique encore plus aux EMI. La multiplicité des différentes théories est déconcertante, et on ressent presque un sentiment de désespoir devant certaines d'entre elles. On pourrait comparer cela à un écolier paresseux qui utilise des excuses sans fin pour expliquer pourquoi il n'a pas fait ses devoirs - aussi ingénieuses que soient ses excuses, leur nombre a pour effet global de diminuer leur crédibilité. Cela n'est pas différent non plus de la façon dont les chrétiens fondamentalistes nient les preuves de l'évolution ou d'autres découvertes scientifiques qui mettent en doute la vérité littérale de la Bible - par exemple, en croyant que les fossiles ne sont pas vraiment vieux de millions d'années mais qu'ils ont été mis là par Dieu lorsque le monde a été créé pour tester notre foi. Il y a une détermination à défendre une vision du monde, et un refus d'admettre des preuves qui semblent la contester. La façon la plus logique d'envisager les EMI est d'accepter qu'elles ne peuvent être expliquées dans des termes matérialistes. Comme la conscience elle-même, elles ne peuvent être appréhendées en termes d'activité cérébrale. Mais par contre, d'un point de vue spirituel, les EMI peuvent être expliquées facilement. Comme nous l'avons vu, la conscience est une qualité fondamentale de l'univers, et notre conscience
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individuelle (ou notre mental) naît lorsque cette conscience fondamentale est captée et canalisée par le cerveau. Notre sens de l'identité n'est donc pas directement produit par le cerveau, et par conséquent ne finit pas nécessairement lorsque le cerveau cesse de fonctionner. Il peut continuer en l'absence de tout signe d'activité physiologique ou neurologique - et, ce qui est tout aussi important, il peut fonctionner de manière très intense et organisée lorsque le fonctionnement neurologique se situe à un niveau très bas (comme dans un coma). Comme les éléments que nous avons examinés dans les chapitres 4 et 5, les EMI mettent en évidence une indépendance fondamentale entre l'esprit et le cerveau. Il est difficile d'examiner objectivement les expériences de mort imminente et d'arriver à une autre conclusion. C'est d'ailleurs la conclusion à laquelle sont parvenus la plupart des chercheurs sur les EMI. Comme l'a écrit Penny Sartori, « la conscience est première ... le cerveau assure la médiation de la conscience plutôt qu'il ne l'a créée » 109 • Ou, pour reprendre les termes plus descriptifs de Pim van Lommel: « la conscience, complète et sans fin, existe partout dans une dimension qui n'est pas liée au temps ou à l'espace, où le passé, le présent et le futur existent tous et sont accessibles en même temps » 110 • Une question potentiellement problématique ici est que, selon mon raisonnement, notre esprit individuel a besoin du fonctionnement du cerveau comme transmetteur. Notre esprit individuel ne devrait-il donc pas s'éteindre lorsque le cerveau cesse de fonctionner, de la même manière qu'une radio cesse d'émettre lorsque ses circuits sont défaillants? Une personne qui fait un arrêt cardiaque ne devrait-elle pas cesser d'être consciente? Il y a deux façons de voir cette question. Tout d'abord, les EMI qui provoquent un arrêt du cerveau ne durent jamais plus de quelques minutes en temps réel, donc il est possible que la conscience ne continue que pendant une courte période après la mort du cerveau, comme un écho. Peut-être
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que l'identité individuelle qui s'est formée par l'interaction de la conscience universelle avec le cerveau peut se maintenir pendant un certain temps sans le cerveau, mais se dissout ensuite lentement. La deuxième possibilité est qu'une fois que nos esprits individuels se sont formés, ils deviennent des structures permanentes qui peuvent continuer à exister sans le cerveau.
Y a-t-il une vie après la mort?
La discussion précédente soulève inévitablement une question qui découle de la discussion sur les NDE - sont-elles une preuve de vie après la mort? Pour de nombreux intellectuels, l'idée d'une vie après la mort est une absurdité. Elle est considérée comme une superstition pré-scientifique, comme la croyance aux fées ou à la sorcellerie. Il est sûrement aussi irrationnel de croire à une vie après la mort que de croire que le monde a été créé en sept jours ou que les maladies sont causées par des esprits malins. L'abandon de la croyance illusoire en la vie après la mort est certainement l'une des victoires chèrement gagnées du Siècle des Lumières et du dépassement des dogmes religieux. Cependant, il est important de dissocier l'idée d'une vie après la mort de tout contexte religieux. Les concepts de paradis ou de ciel dans les religions traditionnelles sont manifestement pleins de chimères et de vœux pieux. Il est probable qu'ils se sont développés - il y a de nombreux siècles, lorsque la vie était extrêmement brutale et dure pour la plupart des gens - comme une sorte de rêve illusoire pour compenser les souffrances qui remplissaient leur vie: une façon de se donner un peu d'espoir dans un monde apparemment sans espoir. Mais le rejet de ces conceptions d'une vie après la mort n'invalide pas complètement l'idée d'une vie dans l'au-delà.
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Il est tout à fait possible d'y croire sans être religieux. Du point de vue du matérialisme, la situation est claire: il ne peut y avoir de vie après la mort car il n'existe pas d'âme ou d'esprit pour survivre à la mort du corps. Notre esprit est simplement produit par le cerveau, donc quand le cerveau meurt, notre esprit meurt aussi. Cependant, si nous rejetons l'idée que l'esprit est simplement un produit du cerveau comme je le fais dans ce livre - alors l'idée d'une forme de vie après la mort devient envisageable. Malheureusement, une enquête approfondie sur la question de la vie après la mort dépasse la portée de ce livre. C'est un sujet tellement vaste qu'il nécessiterait un livre entier à lui seul - et il existe d'ailleurs des livres entiers sur le sujet. (Je recommande le livre de David Fontana, Is There an Afterlife ?') Le sujet n'est pas non plus tout à fait pertinent pour ce livre, puisque mon objectif principal est de montrer les limites de la vision matérialiste du monde, et de vous faire voir qu'une vision spirituelle du monde est une meilleure alternative. Mais laissez-moi essayer de résumer brièvement mon point de vue sur la question de l'au-delà. Les EMI sont parfois présentées comme une preuve qu'il existe une vie après la mort. Elles prouvent certainement que la conscience ne dépend pas entièrement du cerveau et qu'elle peut se poursuivre au-delà du cerveau et du corps. Mais comme je l'ai déjà dit, on ne sait pas très bien pendant combien de temps cette conscience se maintient. Il se peut que l'identité ou la conscience individuelle de la personne reste intacte juste pendant une brève période après la mort. Peut-être que l'identité se dissout lentement, perdant son lien avec la conscience essentielle de notre être, qui redevient alors une partie de la conscience universelle. Je trouve cette idée d'un cercle satisfaisante - c'est comme si nous a. Y a-t-il une vie après la mort? Editions 0 Books, 2005, non traduit en français. N.d.T.
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retournions chez nous, à la source d'où nous sommes nés. Cependant, d'un autre point de vue, les EMI apportent un certain fondement à l'idée que l'identité personnelle reste intacte et se poursuit indéfiniment après la mort. Le fait que lors d'une EMI des personnes rencontrent souvent des membres de leur famille décédés semble l'attester. Comme nous l'avons vu, il est très fréquent en effet que les gens rencontrent des parents ou des grands-parents (parfois aussi des arrière-grands-parents, comme dans le cas de mon élève Max) qui les informent que ce n'est pas encore leur heure de mourir, et qu'ils devraient retourner dans leur corps. Il peut s'agir d'hallucinations, bien sûr, mais - là encore, comme pour mon élève Max - il y a des cas où des parents décédés ont fourni des informations qui étaient inconnues de ces personnes et qui ont été vérifiées par la suite. Il y a aussi de nombreux cas où celui qui a vécu une expérience de mort imminente ne connaissait pas la personne qu'il a rencontrée, et son identité a été vérifiée par la suite par des proches. Il y a aussi des cas où celui qui a fait une EMI a rencontré un parent dont il ne savait pas encore qu'il était décédé. Ces exemples renforcent l'idée d'une survie post-mortem. Mais il existe également d'autres preuves. En fait, les partisans de l'idée d'une survie post-mortem se réfèrent généralement à trois sources de preuves différentes: premièrement, les preuves fournies par des médiums qui semblent être capables d'entrer en contact avec des personnes décédées; deuxièmement, les visions ou les rencontres avec les personnes décédées; et troisièmement, les cas de réincarnation apparente. La médiumnité est largement décriée de nos jours, et il est vrai qu'il existe de nombreux charlatans (et peut-être des individus qui se leurrent) utilisant des techniques pour faire croire à des gens crédules qu'ils sont en contact avec leurs parents décédés. Mais cela ne devrait pas invalider le champ entier de la médiumnité, pas plus que la discipline entière du yoga n'est invalidée par le fait que certains instructeurs
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de yoga sont des charlatans sans formation. Ces dernières années, un certain nombre d'expériences étroitement contrôlées - études en simple, double et même triple aveugle 111 ont été menées avec des médiums doués, qui ont donné des résultats positifs significatifs. Dans une expérience classique, on utilise une« personne relai»•. En d'autres termes, la véritable participante est isolée du médium; une autre personne interagit avec le médium et obtient des informations sur les « esprits désincarnés » (c'est-à-dire les personnes décédées) liées à la véritable participante. Ces informations (qui comprennent souvent des détails tels que l'apparence, la personnalité, les passe-temps et les intérêts de la personne décédée, ainsi que la cause du décès) sont notées. On donne ensuite à la vraie participante cette retranscription, ainsi qu'une deuxième transcription provenant d'une session différente, du même médium mais avec une autre participante. La personne doit alors simplement choisir la transcription qui provient des personnes décédées de son entourage. La procédure est répétée plusieurs fois au cours de différentes séances avec le même médium. De nombreuses études réalisées avec ce type de protocole ont montré un « taux de réussite » assez constant - et très significatif - de 75 % 112 • Comme l'ont écrit récemment un groupe de chercheurs, les résultats de ces études semblent suggérer que: « Certains médiums peuvent transmettre des informations fiables et spécifiques sur les parents décédés (appelés «esprits désincarnés») de personnes vivantes ... sans aucune connaissance préalable des participants ou des « esprits désincarnés», en l'absence totale de tout contact, et sans recourir à la fraude ou à la tromperie »rn. Une autre facette intéressante des preuves liées au médium est la gamme de capacités étonnantes dont certains « esprits désincarnés » ont fait preuve. L'un des cas les plus curieux est celui de l'esprit d'un grand maître d'échecs qui a joué - par a.
«
Proxi sitter
»
en anglais. N.d.T.
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l'intermédiaire d'un médium, bien sûr, qui n'était pas un joueur d'échecs - avec le grand maître d'échecs vivant Victor Korchnoi en 1985. À travers ce médium, cet esprit désincarné s'est présenté comme étant le grand maître hongrois, Geza Maroczy, un joueur célèbre qui est mort en 1950 et qui était classé troisième au monde dans sa jeunesse. La partie s'est poursuivie pendant 48 coups, et l'analyse des experts en échecs a permis de vérifier que les capacités de Maroczy étaient du niveau d'un grand maître (bien qu'il ait perdu). Les experts ont également attesté que son style de jeu était plutôt démodé et qu'il correspondait au style réel de Maroczy. En outre, 81 questions ont été posées au Maroczy « désincarné » sur la vie du Maroczy « réel », et 79 des réponses ont pu être authentifiées comme exactes 114 • Il existe différents types de visions ou de rencontres avec les défunts. On peut citer comme exemple les rencontres avec les proches lors des EMI, ou encore les « visions sur son lit de mort », lorsque les mourants voient des proches décédés. Les infirmières et autres soignants les entendent souvent décrire les proches, les appeler ou leur parler. Lorsque Penny Sartori a commencé à travailler comme infirmière aux soins intensifs, elle a été surprise de constater que ses collègues infirmières utilisaient cela comme un signe que la mort était proche: «Au fur et à mesure de ma carrière d'infirmière, j'ai réalisé que les appels que les patients lançaient à des personnes invisibles ou les conversations qu'ils avaient avec elles ou les gestes qu'ils leur faisaient annonçaient une mort prochaine et étaient généralement acceptés par de nombreuses infirmières avec lesquelles je travaillais » 115 • Les soignants distinguent généralement ces épisodes des hallucinations provoquées par les médicaments, en remarquant qu'ils surviennent souvent lorsque la conscience du patient est claire et que, contrairement aux hallucinations (qui provoquent souvent de l'anxiété et de l'agitation), ils procurent normalement un sentiment de calme et d'acceptation de la mort. Les recherches menées par Osis et Haraldsson
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ont montré que les patients étaient moins susceptibles d'avoir des visions sur leur lit de mort s'ils étaient sous médicaments ou si leur conscience était altérée par la maladie 116 • Et comme pour la rencontre avec des parents décédés pendant une NDE, il existe certains cas de patients qui voient une personne décédée dont ils ignoraient pourtant le décès récent. Dans la vie de tous les jours, il n'est pas rare non plus que des personnes récemment décédées se présentent à leurs proches avant que ces derniers ne soient au courant de leur décès. Une de mes amies s'est réveillée soudainement au milieu àe la nuit et a vu sa grand-mère (qui vivait à 240 kilomètres de là) se tenir au pied du lit. Elle a été choquée et lui a demandé: « Qu 'est-ce que tu fais ici, grand-mère?» Sa grandmère n'a pas répondu, puis elle a disparu. Plus tard dans la matinée, mon amie a reçu un appel téléphonique lui annonçant que sa grand-mère était morte la nuit précédente. Dans d'autres variantes de ces rencontres, on peut sentir le parfum d'une personne décédée, sentir son toucher et entendre sa voix, et même recevoir des communications de sa part par le biais d'appareils électroniques, tels que des ordinateurs, des radios ou des téléphones. Des études ont montré qu'entre deux tiers et trois quarts des personnes endeuillées ont le sentiment d'avoir senti la présence de leur conjoint décédé 117 • En ce qui concerne la réincarnation, il existe de nombreux cas bien documentés de jeunes enfants qui ont rapporté des détails spécifiques d'une vie antérieure qui ont été vérifiés par la suite par les enquêteurs. Le chercheur le plus éminent dans ce domaine est le Dr Ian Stevenson, psychiatre à l'école de médecine de l'université de Virginie, qui a passé une grande partie de sa vie à recueillir et à examiner de tels cas. Généralement, entre deux et quatre ans, ces enfants commencent à parler de leur vie antérieure, souvent en évoquant les événements qui ont conduit à leur mort, et parfois en utilisant le présent, comme si leur vie antérieure se poursuivait encore. Dans certains cas, M. Stevenson a pu identifier la personne
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que l'enfant prétendait être et vérifier les informations en parlant aux parents du défunt. Certains des éléments les plus frappants examinés par Stevenson concernaient des taches de naissance pigmentées. Un nombre important d'enfants qui prétendaient se souvenir de vies antérieures portaient des taches de naissance qu'ils expliquaient en termes de blessures de leur vie antérieure. Dans 49 cas, Stevenson a réussi à obtenir des documents médicaux de la personne décédée, et dans 43 de ces cas, des informations ont confirmé une correspondance entre les blessures et les marques de naissance 118 • Je pense qu'un examen impartial des preuves montrerait clairement ce n'est pas du tout irrationnel d'être ouvert à la possibilité d'une certaine forme de vie après la mort. Comme le disent les auteurs de Irreducible Mind•: « En regardant les choses avec impartialité, la plupart des personnes rationnelles concluraient, sur la base des preuves disponibles, que la survie sous une forme quelconque est au moins possible, et peut-être même une réalité empirique démontrée » 119 • Les auteurs notent également que, malheureusement, il n'existe pas une telle impartialité, en raison de la domination du paradigme matérialiste. Comme je l'ai indiqué précédemment, pour moi, la question n'est pas de savoir s'il y a une vie après la mort ou non, mais combien de temps l'identité individuelle survit après la mort. Et les faits donnent à penser que l'identité se poursuit indéfiniment.
Les EMI comme expériences spirituelles
Pour conclure ce chapitre, revenons brièvement sur les EMI. Leur véritable importance pour l'argumentation de ce livre est qu'elles apportent la preuve convaincante que la a. L'esprit irréductible, non traduit en français, publié en 2009. N.d.T.
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conscience n'est pas directement produite par le cerveau, mais qu'elle est plutôt une qualité essentielle de l'univers. Et il est important de souligner que cela est indiqué par le contenu des EMI, ainsi que par leur existence même. Dans les EMI, il est fréquent que les gens éprouvent un sentiment d'unité - le sentiment que toutes les choses sont interconnectées et qu'ils font partie de cette interconnexion. Les gens racontent aussi parfois qu'ils ont pris conscience que la réalité fondamentale du monde est l'amour, ou qu'il y a une sorte de force qui imprègne tout, avec des qualités de rayonnement et de félicité. Dans ces moments-là, il est possible qu'ils fassent directement l'expérience de l'esprit-force, comme les mystiques et les peuples indigènes ont pu le faire (voir notre chapitre 2). L'unité dont ils font l'expérience est l'essence commune de toutes choses, imprégnée de l'esprit-force. La lumière translucide qu'ils perçoivent est une qualité de rayonnement que l'esprit-force possède de façon innée. En ce sens, les EMI sont importantes parce qu'elles sont, en partie, des expériences spirituelles puissantes. Nous avons vu plus tôt que les EMI ont des effets transformateurs profonds, et à mon avis cela est dû à trois facteurs différents. Le premier facteur est que, quel que soit leur contenu, les EMI nous font frôler la mort. Elles sont un rappel puissant de la réalité de la mort, de la fragilité et de la nature temporaire de la vie, et par conséquent, elles apportent une nouvelle perspective et un nouveau sentiment de gratitude. Le deuxième facteur de transformation est que les EMI atténuent la peur de la mort, en partie parce qu'elles montrent que l' expérience de la mort peut être euphorique et libératrice et aussi parce qu'elles réussissent à convaincre les gens qu'il y a une vie après la mort. Et le troisième facteur de transformation et peut-être le plus important - est le contenu spirituel des EMI. La vision d'amour, de beauté et de connexion que les gens perçoivent - et le sentiment d'euphorie et d'unité qu'ils
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éprouvent - les changent de façon permanente. Ils sentent qu'ils ont vu la vérité essentielle des choses, une vision plus intense et plus complète de la réalité que ne le permet notre conscience normale. Bien que l'intensité initiale de cette vision puisse s'estomper, une partie de celle-ci reste avec eux et, par conséquent, ils ne verront plus jamais le monde ou la vie de la même manière. Ils vivent une expérience d'éveil spirituel. Et cela nous conduit naturellement au chapitre suivant, où nous aborderons plus en détail les expériences spirituelles.
CHAPITRE 7
L'ÉVEIL: L'ÉNIGME DES EXPERIENCES D'ÉVEIL
Il y a quelques années, alors que j'étais en vacances avec ma famille au Pays de Galles, j'ai décidé d'explorer la campagne autour de notre maison de location. J'ai franchi le portail et j'ai contemplé la vallée en contrebas, avec des champs en pente à perte de vue et des centaines de moutons sur les collines. Après quelques minutes de marche, en regardant les champs et le ciel, il s'est produit un changement dans ma perception, comme si quelqu'un avait appuyé sur un interrupteur. Tout ce qui m'entourait est devenu intensément réel. Les champs, les buissons, les arbres et les nuages semblaient être présents avec force, comme si une dimension supplémentaire leur avait été ajoutée. Ils semblaient plus vivants, plus riches et plus beaux. Je me sentais aussi en quelque sorte connecté à mon environnement. En regardant le ciel, j'ai senti que l'espace qui le remplissait était en quelque sorte le même « espace » que celui qui remplissait mon propre être. Ce qui était en moi, comme ma propre conscience, était aussi « là dehors ». Il y avait une chaleur de bien-être intense à l'intérieur de moi, et un sentiment puissant que « tout allait bien ». :Ëtre en vie dans le monde me semblait incroyablement « juste ».
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Voilà un exemple de ce que j'appelle une « expenence d'éveil ». En tant que psychologue, j'étudie de telles expériences depuis une dizaine d'années. Je définis une expérience d'éveil comme une expansion et une intensification temporaires de la conscience qui apporte des changements perceptifs, affectifs et conceptuels importants. D'après mes recherches, les trois caractéristiques les plus communes de ces expériences sont: une conscience accrue, des états affectifs positifs (y compris un sentiment d'exaltation ou de sérénité, un manque de peur et d'anxiété, et un sentiment de gratitude) et un sentiment de connexion (envers les autres personnes, la nature ou le monde entier en général). Cette dernière caractéristique se traduit par un dépassement de la séparation. Lorsque cela se produit, nous n'avons plus l'impression d'être « quelqu'un »qui vit entièrement à l'intérieur de notre propre esprit ou corps, avec le reste du monde « à l'extérieur », de l'autre côté. D'autres caractéristiques importantes sont l'amour et la compassion, le sentiment d'être intensément présent et un sentiment de calme intérieur ou de vacuité. Les expériences d'éveil procurent un sentiment intense de révélation et une conviction profonde. Comme pour les EMI, elles donnent le sentiment que, plutôt que d'être des hallucinations ou des illusions, elles sont plus réelles que la conscience normale. Nous avons l'impression que les filtres et les obstacles qui limitent notre conscience normale ont disparu, et nous avons donc une vision plus large et plus vraie du monde. C'est comme si nous voyions en trois dimensions plutôt qu'en deux, ou en couleur plutôt qu'en noir et blanc. En comparaison, notre conscience normale semble incomplète et même irréelle. On se dit: « Oui, c'est donc comme ça que les choses sont vraiment! » Lorsque l'expérience se termine, nous avons l'impression de nous être rendormis, c'est-à-dire que notre conscience est redevenue étroite et limitée. Cependant, les connaissances
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que nous avons acquises - y compris la conscience que cette réalité élargie est là, et donc toujours potentiellement accessible pour nous - peuvent nous réconforter et nous donner un nouveau sentiment de confiance et d'optimisme. Comme me l'a dit un des participants à mes recherches: « Ce moment m'a permis de jeter un regard sur l'autre côté et m'a ouvert à la certitude que je ne suis jamais séparé». Ou comme l'a dit une autre personne: « Savoir que c'est là (ou ici, devrais-je dire) est une grande libération ».
En dehors des religions et des spiritualités
On a toujours fait état d'expériences d'éveil tout au long de l'histoire, dans différentes cultures. Dans le passé, elles étaient - et sont souvent encore - qualifiées d'expériences spirituelles ou mystiques, et elles sont associées aux traditions spirituelles orientales et aux traditions mystiques occidentales. Cependant, dans le monde moderne, elles se produisent généralement en dehors du contexte de ces traditions, et sans être induites par des pratiques spirituelles. La grande majorité d'entre elles se produisent de manière inattendue au milieu des activités et des situations quotidiennes, chez des personnes qui ne connaissent pas ou peu la spiritualité ou la religion. C'est l'une des raisons pour lesquelles, plutôt que d'utiliser des termes plus traditionnels, je préfère utiliser les mots « expérience d'éveil », en insistant sur le fait que cette expérience est un phénomène psychologique tout à fait naturel, qui peut certes être interprété en termes spirituels ou religieux, mais qui n'a pas besoin de l'être. Les recherches montrent que les expériences d'éveil sont fréquentes. Une étude de 2008 a révélé que 80 % des 487 personnes interrogées ont déclaré avoir vécu des expériences d'extase profondes de nature religieuse, mystique ou esthétique120. Toutefois, comme pour les EMI, il semble y avoir une
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certaine ret1cence à discuter ouvertement des expenences d'éveil. Comme elles ne s'inscrivent pas facilement dans le paradigme matérialiste, et qu'elles sont traditionnellement associées à la spiritualité et à la religion, les expériences d'éveil sont plutôt taboues. Les gens ont peur d'en parler par crainte d'être considérés comme fous, ou comme des gens à l'esprit confus et irrationnels. Il y a quelques années, j'ai fait une conférence sur la psychologie transpersonnelle dans une librairie, et j'ai mentionné mes recherches sur les expériences d'éveil. À la fin de la soirée, une femme s'est approchée de moi, l'air légèrement troublé. Elle m'a demandé: « Vous savez les expériences que vous avez décrites plus tôt? Je suis athée, mais j'ai eu une expérience comme celle-là. Est-ce possible? » « Oui 1 ai-je répondu. Les expériences d'éveil n'ont pas besoin d'être reliées à la religion, ni même à la spiritualité. Si une personne religieuse a une expérience d'éveil, elle l'interprétera probablement en termes religieux. Mais les personnes non religieuses en ont aussi, et les interprètent d'une manière différente. Fondamentalement, c'estjuste un état de conscience élargi, que tout le monde peut expérimenter. » Elle a ensuite raconté une expérience d'éveil vécue pendant un voyage en train, alors qu'elle regardait par la fenêtre. Soudain, elle a éprouvé un sentiment de libération et de clarté. Le temps s'est arrêté et tout ce qu'elle regardait semblait vivant et beau. Elle était remplie d'un sentiment de sérénité, le sentiment que tout était en harmonie. Elle semblait très soulagée de pouvoir donner un sens à cette expérience, sans avoir à l'expliquer en termes religieux. Comme tant de gens dans notre culture, elle croyait qu'il n'y avait que deux alternatives métaphysiques possibles - soit la religion, soit le matérialisme scientifique - et que toute expérience ou phénomène qui ne s'accordait pas avec le matérialisme devait être classé comme religieux.
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Les facteurs déclencheurs des expériences d'éveil
Parfois, les expériences d'éveil semblent se produire spontanément, sans raison apparente. Mais, dans la plupart des cas, elles semblent être associées à certains facteurs déclenchants, ou à certaines activités ou situations. Au cours de mes recherches, j'ai découvert que trois facteurs déclencheurs majeurs se manifestent régulièrement, ainsi qu'une foule de facteurs moins importants. Le facteur déclencheur le plus courant des expériences d'éveil peut sembler déroutant a priori: ce sont les troubles psychologiques. J'ai constaté qu'environ un quart des expériences d'éveil se produisent dans des situations de stress, de dépression et de deuil. Par exemple, une femme a raconté à quel point elle avait été dévastée par la fin d'une relation de sept ans. Cependant, au milieu de cette souffrance, elle « a commencé à ressentir une clarté et une connexion avec tout ce qui existait ... J'étais dans un état de bonheur et d'acceptation si pur, que je n'avais plus peur de rien. De cette profondeur est née une telle compassion et une telle connexion avec tout ce qui m'entourait que je pouvais même sentir la douleur des fleurs que l'on cueillait » 121 • Un Américain m'a raconté une expérience d'éveil qui s'est produite pendant la guerre du Vietnam. Il transportait un marine blessé vers un hélicoptère qui attendait et: « quelque chose m'est arrivé. C'est en fait indescriptible, mais je vais essayer de le décrire. Je me suis littéralement ouvert. Je suis sorti de moimême. Je me suis étendu à l'infini. J'ai disparu. Cela n'a pas duré longtemps, mais c'est l'expérience la plus puissante que j'ai jamais vécue » 122 • Une autre personne a raconté qu'elle avait traversé une longue période de bouleversement intérieur dû à un trouble sur sa propre sexualité, qui a conduit à la rupture de son mariage. Mais là encore, au milieu de cette crise, lors de ses dernières vacances en famille en Tunisie, cette personne a vécu une expérience d'éveil au cours de laquelle: « Tout a cessé d'exister. J'ai perdu toute notion de temps. Je me suis perdu
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moi-même. J'ai eu le sentiment d'être totalement uni à la nature, avec un profond sentiment de paix. Je faisais partie de la scène. Il n'y avait plus de« moi» »123 • Le deuxième grand déclencheur des expériences d'éveil que m'ont montré mes recherches c'est le contact avec la nature. Comme pour mon expérience au début de ce chapitre, les gens mentionnent fréquemment des expériences d'éveil qui se sont produites alors qu'ils se promenaient dans la campagne, se baignaient dans des lacs ou contemplaient de belles fleurs ou des couchers de soleil. Par exemple, une femme a raconté une expérience d'éveil qui s'est produite lorsqu'elle nageait dans un lac, lorsqu'elle «se sentait complètement seule, mais faisant partie de tout. Je me sentais en paix ... Tous mes soucis ont disparu et je me suis sentie en harmonie avec la nature. Cela n'a duré que quelques minutes, mais je me souviens d'un sentiment de calme et d'immobilité qui m'apaise encore maintenant » 124 • Ce sont ce genre d'expériences extatiques de connexion avec la nature qui sont souvent décrites par des poètes romantiques tels que William Wordsworth et Percy Shelley. Le troisième déclencheur des expériences d'éveil, c'est la pratique spirituelle. Ce qui signifie principalement la méditation, mais inclut également la prière et les pratiques psycho-physiques telles que le yoga ou le tai chi. L'effet relaxant et apaisant de ces pratiques semble faciliter les expériences d'éveil. À ces trois facteurs déclenchants s'ajoutent plusieurs autres, un peu moins importants, comme le fait de regarder ou d'écouter des spectacles artistiques, la lecture (en particulier la littérature spirituelle), les activités créatives (comme la danse ou la musique), l'amour et le sexe. Seul un petit nombre d'expériences d'éveil sexuel m'a été rapporté, mais il est probable que les personnes sont réticentes à divulguer de telles expériences intimes, de sorte qu'en réalité, la fréquence de ces expériences est peut-être plus élevée. Curieusement, bien que les expériences d'éveil soient parfois communément
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associées à des drogues psychédéliques - comme le LSD, les « champignons magiques » ou l'ayahuasca - cela n'a pas été corroboré par ma recherche. Par exemple, dans une étude que j'ai menée sur 161 expériences d'éveil, seules huit se sont produites sous l'influence de psychédéliques 125 •
Différents degrés et types d'expériences d'éveil
Il existe plusieurs intensités d'expériences d'éveil, avec différentes caractéristiques apparaissant à ces différentes intensités. Une expérience d'éveil de faible intensité peut se traduire par un sentiment de conscience accrue, et par le fait que le monde qui nous entoure semble plus réel, avec des qualités d' « être-té » et de « vivacité ». Les expériences d'éveil d'intensité moyenne peuvent donner le sentiment que toutes les choses sont interconnectées, comme si elles étaient l'expression de quelque chose de plus fondamental, et qu'elles partageaient la même essence. Nous avons généralement le sentiment de faire aussi partie de cette unité, de sorte que nous perdons le sentiment d'être des individus séparés et isolés. Nous pouvons aussi ressentir un fort sentiment de compassion et d'amour pour les autres, en reconnaissant que nous partageons la même essence. Dans les expériences d'éveil de haute intensité, le monde matériel tout entier peut se dissoudre dans un océan de force spirituelle rayonnante et heureuse, que nous sentons être l'essence à la fois de l'univers et de notre propre être; nous pouvons avoir le sentiment que nous sommes littéralement l'univers. C'est l'équivalent de ce que la philosophie du yoga appelle le nirvikalpa samadhi, dans lequel la consciences' étend au -delà des limites du moi normal et nous perdons alors complètement le sentiment d'être un «moi». Nous ne sommes pas seulement un avec la réalité absolue, nous devenons vraiment cette réalité. Dans le mysticisme chrétien, le mystique
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allemand du XIVe siècle Maître Eckhart a décrit cela en termes d'union avec la « divinité », la source inconditionnelle d'où le monde entier - y compris Dieu lui-même - jaillit. Mes recherches ont montré qu'il existe une relation inverse entre l'intensité des expériences d'éveil et leur fréquence. En d'autres termes, plus elles sont intenses, moins elles sont courantes. Dans une étude récente portant sur 90 expériences d'éveil, mon co-auteur et moi-même avons constaté qu'il n'y en avait que 11 de « haute intensité ». Il s'agissait d'expériences dans lesquelles le temps, l'espace et l'identité personnelle se dissolvaient, ne laissant qu'un sentiment de fusion et d'unification à l'univers. Une personne a raconté avoir vécu une expérience de ce type lorsqu'elle était enfant, en sortant en courant par la porte d'entrée de sa maison: « Tout a fusionné. J'ai regardé le poteau télégraphique goudronneux devant la maison de mon ami, quatre portes plus loin. Il palpitait de vie et d'énergie; pareil pour la route. Je me suis regardé, j'étais constitué de la même énergie palpitante. Le temps a également fusionné » 126 • Une autre personne a expliqué comment elle se trouvait « dans l'univers et faite de l'univers, avec le temps et l'espace modifiés. Je savais que je pouvais être partout à la fois. Il n'y avait aucune notion de distance ou de passé et de présent ... Le sentiment de paix, de béatitude et d'unité est difficile à exprimer en mots. » 127 Outre la question de l'intensité des expériences d'éveil, il existe une distinction importante qui a été faite à l'origine par le philosophe britannique et spécialiste du mysticisme, Walter Stace. Cette distinction concerne les expériences mystiques extraverties et introverties. Comme leur nom l'indique, les expériences extraverties sont axées sur l'extérieur. Elles entraînent une vision différente du monde et une relation différente avec la nature et les autres personnes. Elles peuvent être accompagnées d'une intensification de la perception et d'un sentiment que les choses ne font qu'un. Toutes les expériences que nous avons examinées jusqu'à présent dans ce chapitre sont de ce type.
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Dans les expériences introverties, nous tournons notre attention dans l'autre direction, vers notre propre être, où nous pouvons avoir le sentiment d'être reliés à une partie plus profonde et plus authentique de nous-mêmes, et de vivre une expansion intérieure, ainsi qu'un sentiment de félicité et de plénitude. Si les expériences extraverties se produisent souvent spontanément, les expériences introverties sont plus familières aux méditants et aux contemplatifs, qui ont l'habitude de se retirer dans leur espace mental et d'atteindre un état de calme intérieur. Aux niveaux d'intensité les plus élevés, une expérience introvertie devient ce que le philosophe Robert Forman a appelé « un événement de conscience pure » 128 • C'est à ce moment-là que notre esprit devient complètement calme et vide et que nous perdons tout sens d'identité individuelle. Nous prenons conscience que l'essence spirituelle de notre être est la même que celle de l'ensemble de la réalité et nous éprouvons un sentiment indescriptible de béatitude et de liberté. L'une des Upanishad indiennes, la Mandukya Upanishad, la décrit comme un état qui est: « Au-delà des sens, au-delà de l'entendement, au-delà de toute expression ... C'est notre conscience unitaire, dans laquelle la conscience du monde et de la multiplicité est complètement effacée. C'est une paix ineffable. C'est le bien suprême. C'est /'Un sans le second. C'est le Soi. » 129 Cependant, il est important de noter qu'en fin de compte, il n'y a pas vraiment de distinction entre les expériences introverties et extraverties. Dans ce dernier cas, nous faisons l'expérience de l'unité à travers le monde de la forme; nous sentons une force spirituelle essentielle qui imprègne toutes les choses et les rassemble en une même unité. Dans les expériences introverties, nous faisons l'expérience de l'unité à travers notre propre être, en rencontrant l'esprit-force comme notre propre essence, et en réalisant qu'il est aussi l'essence de tout ce qui existe. C'est comme si nous arrivions à la même destination à partir d'un point de départ différent. Mais le point important est qu'à la plus haute intensité des
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expériences d'éveil, les notions d'intérieur et d'extérieur (ou d'introverti et d'extraverti) n'ont plus aucune signification.
Les conséquences des expériences d'éveil
J'ai déjà souligné qu'il existe certaines similitudes entre les expériences d'éveil et les expériences de mort imminente: les gens sont réticents à en parler et ces expériences apportent avec elles une révélation convaincante, qui semble plus réelle que la conscience ordinaire. En outre, les conséquences des expériences d'éveil sont très similaires - bien que peut-être pas aussi puissantes - que les expériences de mort imminente. Même si elles sont généralement de très courte durée - de quelques instants à quelques heures - les expériences d'éveil se traduisent souvent par un changement de vie. De nombreuses personnes décrivent les expériences d'éveil comme le moment le plus significatif de leur vie, entraînant un basculement de leur perspective sur la vie et de leurs valeurs. Dans notre récente étude portant sur 90 expériences d'éveil, nous avons constaté que leur conséquence la plus significative était un plus grand sentiment de confiance, d'assurance et d'optimisme. Une personne a déclaré que même si « toute cette expérience a été brève, elle a laissé un peu de connaissance et d'espoir ... elle m'a fait comprendre que notre vérité intérieure est toujours là pour nous » 130 • Une autre personne a vécu une expérience d'éveil puissante alors qu'elle souffrait d'une dépression intense. L'expérience n'a duré que quelques minutes, mais à la suite de cette expérience, elle a constaté que le sentiment de peur avait disparu de son estomac et qu'elle se sentait capable d'affronter la vie à nouveau, ce qui a conduit à une nouvelle phase positive dans sa vie. Comme elle l'a raconté: «J'ai regardé autour de moi et j'ai pensé à toutes les bonnes choses de ma vie et aux perspectives d'avenir. Je me suis sentie plus positive et plus résiliente » 131 • Ces changements d'attitude ont parfois
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entraîné des changements importants dans le mode de vie, tels que de nouveaux intérêts, de nouvelles relations et de nouvelles carrières. Le grand psychologue Abraham Maslow n'a pas étudié spécifiquement les expériences d'éveil, mais les a incluses dans une catégorie plus large, celle des « expériences de pic ». Mais ce que Maslow a écrit sur les expériences de pic en général s'applique également aux expériences d'éveil: «Mon sentiment est que si cela [l'expérience de pic] ne devait plus jamais se reproduire, la puissance de l'expérience affecterait de façon permanente l'attitude envers la vie. Un seul aperçu du paradis suffit à confirmer son existence » 132 • Il n'est pas surprenant que de telles similitudes existent entre les expériences d'éveil et les EMI car - comme nous l'avons vu à la fin du dernier chapitre - il s'agit en fait dans une large mesure de la même expérience. Ou, pour être plus précis, les EMI comprennent généralement des expériences d'éveil de haute intensité, en plus de leurs autres caractéristiques (telles qu'une expérience extracorporelle, des rencontres avec des parents décédés, un « bilan de vie », etc.). Un bien-être intense, un sentiment que tout est interconnecté et un sentiment d'unité avec le monde, que l'on retrouve dans les EMI, sont exactement les mêmes qualités que celles qui caractérisent les expériences d'éveil. En d'autres termes, lorsque la conscience continue après l'arrêt du cerveau, elle semble subir la même expansion et la même intensification que lors des expériences d'éveil. (Nous examinerons cela plus en détail dans un instant, notamment en ce qui concerne la luminosité ou la translucidité qui est souvent perçue à la fois dans les expériences d'éveil de haute intensité et dans les expériences de mort imminente).
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Interprétations matérialistes des expériences d'éveil
Si vous acceptez le paradigme métaphysique matérialiste, alors les expériences d'éveil doivent être expliquées en termes d'activité neurologique. Et pas seulement cela, elles doivent être expliquées par une activité neurologique aberrante. Une des caractéristiques du matérialisme consiste à avoir une foi naïve dans l'objectivité et la fiabilité de la conscience ordinaire. Le matérialisme fait l'hypothèse que, dans un état de conscience ordinaire, nous voyons le monde plus ou moins tel qu'il est, que les états de conscience non ordinaires (ou altérés) ne peuvent être qu'inauthentiques et que la vision du monde qu'ils nous font vivre ne peut être qu'illusoire. On pourrait appeler cela l'hégémonie de la conscience ordinaire - l'hypothèse selon laquelle la conscience ordinaire est supérieure à toute autre forme de conscience. De ce point de vue, les expériences d'éveil ne sont pas interprétées comme des états de conscience plus vastes, mais comme des hallucinations. Il y a certainement eu des tentatives pour expliquer certains aspects des expériences d'éveil en ces termes. Certains neuroscientifiques - tels que Michael Persinger et VS Ramachandran - ont prétendu que les expériences mystiques sont le résultat de la stimulation des lobes temporaux du cerveau 133 • Persinger a même affirmé pouvoir induire des expériences mystiques avec un « casque » - aujourd'hui appelé « casque Shakti » et disponible à l'achat - qui stimule les lobes frontaux d'une personne à l'aide de champs magnétiques. Une autre théorie, avancée par le médecin Andrew Newberg, est que les expériences mystiques d'unité se produisent lorsque la partie du cerveau responsable de notre sentiment d'être un individu et un moi limité (le cortex pariétal postérieur supérieur) devient moins active que la normale 134 • (Pour être juste envers Newberg, il ne prétend pas réellement que les expériences spirituelles sont causées par ce changement
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neurologique, mais seulement qu'il existe une corrélation. Néanmoins, d'autres ont interprété sa théorie en termes de causalité). Cependant, ces théories posent des problèmes similaires aux tentatives d'explication des EMI en termes matérialistes. En fait, le lien entre les zones du cerveau décrites précédemment et les expériences d'éveil est encore plus ténu que les explications neurologiques des EMI. L'un des éléments de preuve avancé par la théorie du lobe temporal est que les personnes qui ont des lésions du lobe temporal ont souvent des expériences mystiques; mais cela est très douteux. Comme nous l'avons vu dans le dernier chapitre, les lésions du lobe temporal entraînent davantage de sentiments d'anxiété et de désorientation que d'expériences spirituelles. Et avoir comme maladie de longue durée une épilepsie du lobe temporal conduit généralement à une existence pénible et douloureuse - l'atteinte typique du lobe temporal se caractérise par des tendances maniaco-dépressives, la dépression, une altération de la sexualité, de la colère, de l'hostilité et bien d'autres caractéristiques négatives 135 • Celles-ci sont si éloignées des caractéristiques positives des expériences d'éveil qu'il est difficile de voir comment il pourrait y avoir une quelconque relation entre elles. En outre, des études sur les patients atteints de lésions du lobe temporal n'ont pas montré que ces patients étaient particulièrement religieux ou enclins à la spiritualité. En fait, les études suggèrent que la fréquence de leur expérience religieuse se situe entre 1 % et 4 %, ce qui est incroyablement faible par rapport à la population générale 136 • Et de plus, il n'y a absolument aucune preuve que les lobes temporaux soient stimulés lors d'expériences mystiques ou spirituelles. Une très faible proportion des expériences d'éveil semble être associée à des changements physiologiques (dans un de mes livres précédents, S'éveiller de l'ombre, je les appelle des cas de « perturbation de l'homéostasie » ), mais cela est
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le plus souvent dû à des jeûnes, à la privation de sommeil, à des douleurs auto-infligées ou à des drogues psychédéliques. Un autre problème est que, si nous examinons de près le type d'expériences décrites par Persinger et Ramachandran, elles ont très peu de points communs avec les expériences d'éveil ou les expériences spirituelles ou mystiques. Ramachandran parle en fait d'expériences « surnaturelles », telles que des voyages de type chamanique vers d'autres mondes ou des régressions supposées vers des vies antérieures. Persinger affirme que son casque donne l'impression qu'une autre personne ou un autre être est présent, ou qu'il induit des visions de motifs géométriques lumineux. Mais, à part le fort sentiment de bien-être et la sensation de vigilance, ces récits ne correspondent à aucune des caractéristiques des expériences d'éveil dont nous avons parlé. Comme si ces problèmes ne suffisaient pas, ces théories sont également très discutables du point de vue de la recherche scientifique. Dans son analyse des recherches qui établissent un lien entre les expériences spirituelles ou religieuses et l'activité cérébrale, le psychologue expérimental Craig Aaen-Stockdale a relevé de nombreuses failles, notamment l'absence de groupes de contrôle et de reproduction réussie. Il a conclu que: « Les sceptiques sont, à mon avis, bien trop prompts à affirmer que Dieu est « tout entier dans le cerveau » (généralement le lobe temporal) alors qu'en fait, les preuves sont étonnamment faibles » 137 • Un autre problème lié aux recherches d' Andrew Newberg en particulier vient de son affirmation selon laquelle notre sens du moi - et notre sentiment d'avoir des limites - provient du lobe pariétal postérieur. D'autres neuroscientifiques ont été très critiques à l'égard de cette affirmation, et le consensus est plutôt que notre sentiment d'avoir des limites est en fait associée au lobe temporal tandis que notre sentiment du moi est principalement associé au lobe frontal1 38 •
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Nous devons donc conclure que les tentatives d'explication des expériences d'éveil (ou spirituelles/mystiques) en termes neuroscientifiques sont encore plus problématiques que les tentatives similaires d'explication des EMI - à tel point que, dans leur état actuel, elles peuvent être complètement écartées.
Interprétations panspiritistes
Il se pourrait que des explications neurologiques plus convaincantes des expériences d'éveil apparaissent dans le futur. Cependant, nous n'avons aucune raison d'attendre ces explications, car les expériences d'éveil peuvent être facilement expliquées dans le cadre du panspiritisme. L'impression qu'ont beaucoup de gens, lors des expériences d'éveil, de voir les filtres ou les restrictions tomber est, je crois, la clé pour comprendre ces expériences. D'un point de vue psychologique, c'est exactement ce qui se passe dans ces moments-là. Au chapitre 1, j'ai suggéré que les deux caractéristiques psychologiques les plus significatives de notre état de « sommeil » normal sont notre profond sentiment d'individualité et de séparation, et notre perception automatique et habituelle du monde phénoménal. Cependant, dans les expériences d'éveil, tout cela change. Nous perdons notre impression d'être séparés et nous nous connectons aux autres êtres humains, à la nature et au monde entier. En outre, notre perception devient plus intense et « désautomatisée », de sorte que le monde qui nous entoure devient plus vivant, plus beau et plus complexe. Cette transformation est due à des changements psychologiques, et non à des changements neurologiques. De nombreuses expériences d'éveil sont liées à des états de relaxation et de calme mental - par exemple, lorsqu'elles sont déclenchées par le contact avec la nature, par des pratiques
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spirituelles, des créations artistiques ou en regardant des spectacles artistiques. Ces activités induisent ce que j'ai appelé un état d' « énergie vitale intensifiée et apaisée ». Nous réduisons la quantité d'énergie que nous dépensons à travers des fonctions mentales telles que la cognition, la concentration et la perception. Par exemple, pensez à ce qui se passe lorsque vous vous asseyez pour méditer. Vous vous retirez des activités et des stimuli extérieurs, puis vous essayez d'apaiser votre bavardage mental en concentrant votre attention (par exemple, sur un mantra ou sur votre respiration). Ceci a pour conséquence de diminuer la consommation de votre énergie mentale et de l'intensifier à l'intérieur de vous. Le plus important est de calmer votre bavardage mental, incessant et agité, qui consomme une énorme quantité d'énergie. Le contact avec la nature ressemble aussi un peu à la méditation, dans la mesure où le paysage naturel nous permet de concentrer notre attention et de nous retirer de l'agitation, ce qui apaise notre esprit et intensifie notre énergie intérieure. L'intensification de l'énergie intérieure est très importante car elle signifie que nous n'avons plus besoin de percevoir de manière automatique notre environnement. Notre perception automatique habituelle est avant tout une mesure d'économie d'énergie. Il semble que nous ayons un mécanisme psychologique qui « coupe » l'attention que nous prêtons à la réalité de notre environnement, afin que nous ne dépensions pas d'énergie à le percevoir et que cette énergie puisse être économisée pour d'autres fonctions. Et lorsque notre énergie intérieure s'accroît, ce mécanisme n'a plus besoin de fonctionner. Notre perception est« désautomatisée » et notre environnement devient vivant et magnifique. Nous nous « réveillons » de notre long sommeil habituel. Et pendant que notre esprit est calme et immobile, notre sentiment habituel de séparation du monde s'efface. Ce sentiment de séparation est en grande partie entretenu par notre bavardage incessant,
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de sorte que lorsque ce bavardage s'estompe, la séparation disparaît également. (Voir mon livre S'éveiller t• pour une explication plus complète de ces processus). Mais comment expliquer les expériences d'éveil liées aux troubles psychologiques? Il est difficile de les interpréter en termes de relaxation et de tranquillité mentale, car elles se produisent généralement dans des états d'agitation mentale. C'est une question complexe, que je n'ai pas la place d'expliquer en détail ici, mais le point principal est que lorsque les gens sont dans un état de trouble psychologique, c'est souvent parce que leurs attaches psychologiques ont été rompues. En d'autres termes, les choses extérieures dont ils dépendent pour leur sentiment de bien-être et d'identité - comme les espoirs, les ambitions, les croyances, les possessions, le statut et les relations - leur ont été enlevées. Comme ces attachements construisent notre sentiment normal d'identité, nous vivons temporairement une perte de moi, ou ce que j'appelle la « dissolution de l'ego ». Cela entraîne une détresse, mais c'est aussi potentiellement libérateur, créant une nouvelle ouverture et une nouvelle plénitude intérieures. Les frontières normales de notre ego s'estompent, de sorte que nous transcendons la séparation. Et comme les attachements psychologiques consomment habituellement une grande partie de notre énergie intérieure, nous connaissons également une intensification de l'énergie vitale et une désautomatisation de la perception. (Voir mon livre Emerger de l'ombre- De l'épreuve à la transformationb pour une discussion plus complète). Une des façons de considérer notre état normal de « sommeil » est de le voir comme un état d'aliénation de l'esprit-force. Contrairement aux peuples premiers et aux a. Steve Taylor, S'éveiller! Pourquoi les expériences d'éveil surviennent-elles et comment les rendre permanentes? Le Dauphin Blanc, 2011. b. Steve Taylor, Emerger de l'ombre - De l'épreuve à la transformation, Le Dauphin Blanc, 2012.
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peuples indigènes, nous ne sommes pas capables de sentir l'esprit-force imprégner le monde, rendant toutes les choses naturelles (et artificielles) vivantes et sacrées. Et nous ne sommes pas capables non plus de ressentir notre propre connexion avec l'esprit-force; au contraire, nous nous percevons comme des individus séparés et autonomes, distincts du monde naturel. (Comme nous l'avons vu au chapitre 1, ces deux facteurs sont à l'origine de notre manière de traiter le monde naturel de manière imprudente et abusive: c'està-dire que nous ne pouvons pas sentir son caractère sacré et que nous ne nous sentons pas reliés à lui). Cependant, lorsque nous expérimentons le basculement psychologique décrit plus haut, nous ne sommes plus séparés de l'esprit-force. Les structures psychologiques qui nous en écartent sont éliminées - et nous retrouvons donc l'esprit-force et nous en ressentons les effets. Plus l'expérience est intense - c'est-à-dire plus nos limitations normales disparaissent - plus notre expérience de l'esprit-force est complète et directe. À des intensités d'éveil plus faibles, nous ne faisons peut-être pas l'expérience directe de l'esprit-force, mais nous sommes capables de sentir ses qualités de béatitude, d'harmonie et de rayonnement imprégner notre propre être et le monde lui-même. Nous ne ressentons peut-être pas directement l'unité essentielle de toutes choses, mais nous pouvons éprouver un fort sentiment de connexion avec les autres personnes et avec la nature, et prendre conscience de l'interconnexion des différents phénomènes. On pourrait comparer cela au soleil par une journée nuageuse. Vous ne pouvez pas voir le soleil directement, mais vous pouvez quand même voir sa lumière et sentir sa chaleur. Lorsque l'intensité de l'éveil est plus élevée, nous faisons l'expérience de l'esprit-force de manière totale et directe ou, pour reprendre la métaphore que je viens d'utiliser, nous découvrons le soleil lui-même. Nous faisons l'expérience directe de l'unicité fondamentale de l'univers, qui sous-tend
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et imprègne tout -y compris notre propre être - et qui remplit le monde de rayonnement. Nous faisons directement l'expérience de la conscience comme une qualité fondamentale de l'univers. C'est particulièrement vrai pour les expériences introverties de conscience pure. Nous découvrons que, dans le cœur de notre être, nous sommes l'esprit-force lui-même et nous devenons ainsi un avec l'essence de l'univers. Nous devenons illimités et nous expérimentons un sentiment de béatitude indescriptible. (À cet égard, il est important de se rappeler que, à proprement parler, il n'y a rien de transcendant dans l'esprit-force. Bien que j'aie parlé d'une « rencontre » avec lui, cela ne signifie pas que c'est quelque chose qui est autre que nous. Dans un sens, c'est une rencontre avec notre propre être - qui est en fin de compte indiscernable de l'être de toutes choses et de l'univers entier).
La nature de l'esprit-force
Un des aspects les plus importants des expériences d'éveil est que, du fait qu'elles sont une rencontre (à un degré plus ou moins intense) avec l'esprit-force, elles nous révèlent certaines qualités ou caractéristiques essentielles de l'esprit-force. Par exemple, les expériences d'éveil montrent que l'esprit-force possède des qualités naturelles de béatitude, d'harmonie ou d'amour, que nous pouvons ressentir à la fois en nous et imprégnant le monde. Ceci est également manifeste dans les comptes-rendus des expériences de mort imminente - comme nous l'avons vu, un bien-être intense et la conscience d'une qualité universelle d'amour sont des caractéristiques communes des EMI. Dans les Upanishads indiennes, on lit aussi que la nature de Brahman - et donc de la réalité elle-même - est sat-chitananda: « être-conscience-béatitude ». Les expenences d'éveil- et les expériences de mort imminente- le confirment.
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La béatitude est la nature de l'esprit-force, de la même façon que l'humidité est une qualité de l'eau. Les expériences d'éveil et les EMI montrent aussi clairement que l'esprit-force possède une qualité naturelle de luminosité. Dans les expériences d'éveil de faible intensité, cette luminosité est visible dans la vivacité et la fraîcheur des choses, qui paraissent être illuminées. Dans les expériences de plus forte intensité, les gens décrivent parfois la conscience d'une lumière translucide comme une qualité en soi, et peuvent la sentir pénétrer leur propre être et tout leur environnement. (L'analogie avec le soleil, sa chaleur et sa lumière est encore plus pertinente ici!) Cela peut se produire dans les expériences introverties et extraverties, c'est-à-dire que la lumière peut apparaître comme une qualité à la fois de notre propre être intérieur et du monde lui-même. (Encore une fois, c'est compréhensible puisque l'esprit-force est l'essence à la fois de notre propre être et du monde, de sorte qu'en fin de compte il n'y a pas de distinction entre eux). Dans un exemple (non publié) tiré de ma propre collection d'expériences d'éveil, une personne a raconté une expérience de lumière intérieure qui s'est produite alors qu'elle était en train de s'endormir, après avoir passé la soirée à lire un livre spirituel. Voici son récit: « j'ai été soudainement submergée par une lumière spirituelle qui a englouti mon être intérieur et m'a donné un sentiment de profonde félicité». Une autre personne a raconté qu'elle était d'humeur dépressive, quand soudain « il y a eu une fissure dans l'obscurité à l'intérieur de moi et la lumière blanche la plus éclatante a resplendi. C'était comme saluer un ami perdu de vue depuis longtemps que j'avais oublié mais que je savais connaître ... [J'ai] alors réalisé que ce n'était pas un ami mais MOI ». En termes extravertis, une personne a relaté une expérience qui s'est produite alors qu'elle était assise dans le parc de son quartier: « Tout d'un coup, les feuilles, les arbres, tout l'environnement est devenu lumineux ... La lumière touchait tout, tout était relié. C'était incroyable, indescriptible ».
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Ces descriptions sont très proches de celles de la lumière dans les expériences de mort imminente. Il est également très significatif que, dans toutes les traditions spirituelles, la réalité de base de l'univers - la conscience pure, Brahman, la divinité mystique chrétienne, ou le dharmakaya bouddhiste soit décrite comme possédant une luminosité brillante. Dans la philosophie du vedanta, le Brahman est souvent comparé au soleil: selon la Bhagavad Gita: « Si la lumière de mille soleils se levait soudainement dans le ciel, cette splendeur pourrait être comparée au rayonnement de !'Esprit suprême » 139 • De même, le texte mystique juif, le Zohar, décrit l'univers comme étant imprégné d'une lumière translucide (en fait, le mot Zohar peut être traduit par « splendeur » ou «brillance » ). Lestraditions spirituelles décrivent également notre être intérieur en ces termes. En termes hindous, la lumière du Brahman se manifeste en nous comme la lumière intérieure de l'atman. Comme le dit la Katha Upanishad: « La lumière de l'Atman, !'Esprit, est invisible, cachée dans tous les êtres. Elle est vue par les voyants du subtil, lorsque leur vision est claire et précise » 140 • Il semble donc probable que cette lumière translucide soit une qualité innée de l'esprit-force, dont nous faisons l'expérience de manière plus puissante et plus directe grâce à des degrés d'éveil de plus en plus élevés. Nous avons également vu que les expériences d'éveil de haute intensité - et aussi les expériences de mort imminente - ont une qualité d'intemporalité. D'une certaine manière, la totalité du temps semble se fondre dans le moment présent; le futur et le passé semblent devenir une partie du présent. Comme l'a dit Maître Eckhart 141 , notre âme: « ne sait [rien] d'hier ni d'avant-hier, de demain ni d'après-demain, car elle est dans l'éternité, ni hier ni demain, là où est un maintenant présent; ce qui était il y a mille ans et ce qui doit venir dans mille ans, cela est ici présent, et [aussi bien] ce qui est au-delà de la mer»". Cela a. Sermon 11, Traduction de G. Jarczyk et P.-J. Labarrière.
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signifie que l'esprit-force possède une qualité d'intemporalité, et que les notions de passé, de présent et de futur sont des constructions de l'esprit humain. Conclusion
Avant de terminer ce chapitre, il est important de mentionner que, bien que nous ayons parlé d'expériences d'éveil temporaires, l'éveil peut aussi devenir un état permanent et continu. En effet, le but premier de toutes les traditions spirituelles et mystiques est de« s'éveiller »de façon permanente. C'est le but des méthodes et des pratiques associées aux traditions spirituelles, telles que la voie octuple du bouddhisme, les huit branches du yoga, les voies du soufisme et de la Kabbale, et le monachisme chrétien. Toutes ces voies contiennent des pratiques et des conseils de vie destinés à transformer notre état d'être en défaisant les structures psychologiques qui limitent normalement notre conscience - plus précisément, en défaisant notre ego extrêmement limité et le mécanisme de « désensibilisation » qui rend notre perception automatique. Toutes les traditions spirituelles ont des expressions pour désigner cet état d'éveil permanent: dans l'hindouisme, c'est sahaja samadhi; dans le soufisme, c'est baqa (littéralement, « demeurer en Dieu ») ; dans le taoïsme, c'est ming; dans la Kabbale juive, c'est devekut; tandis que dans le mysticisme chrétien, il est parfois appelé déification ou théosis, etc. Il y a certainement des différences dans ces conceptions - les différentes traditions ont tendance à mettre l'accent sur différents aspects de l'éveil et à les interpréter de manière légèrement différente en fonction de leurs constructions métaphysiques et culturelles - mais les principes essentiels demeurent les mêmes. Ils font tous référence à un état permanent de conscience plus intense et plus vaste, dans lequel les caractéristiques des expériences de l'éveil temporaire sont établies sur une base stable.
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Cependant, comme pour les expériences d'éveil, cet état n'est en aucun cas réservé aux seules traditions spirituelles ou mystiques. Dans mes recherches, j'ai découvert qu'il n'est pas rare qu'un basculement permanent vers une conscience plus vaste se produise chez des personnes qui ne connaissent rien à la spiritualité. Cela se produit le plus souvent dans des situations de bouleversements psychologiques intenses. Dans mon livre Emerger de l'ombre, j'ai recueilli de nombreux exemples de ce phénomène chez des personnes qui ont souffert de stress intense et de dépression, chez qui on a diagnostiqué un cancer, qui ont connu un deuil ou ont vécu dans une dépendance, etc. De nombreux enseignants spirituels - tels que Jiddu Krishnamurti, Eckhart Talle et Byron Katie - ont également traversé des périodes de bouleversements intenses avant de connaître un moment d'éveil soudain. En d'autres termes, en plus d'être le déclencheur le plus fréquent des expériences d'éveil temporaire, les crises psychologiques intenses peuvent également déclencher un éveil permanent. On pourrait dire que tous ceux qui ont expérimenté ce basculement ont transcendé l'état normal d'aliénation de l'être humain d'aujourd'hui grâce à l'esprit-force et vivent maintenant en connexion constante avec Lui de manière consciente.
CHAPITRE 8
GARDER L'ESPRIT OUVERT: L'ÉNIGME DES PHÉNOMÈNES PSYCHIQlJES
Pour de nombreux universitaires et intellectuels contemporains, la croyance dans les phénomènes psychiques comme la télépathie, la prémonition et la clairvoyance a le même statut que la croyance dans l'au-delà - ou dans les fées ou les enlèvements extraterrestres. Ne devrions-nous pas - comme semblent le penser tant de nos collègues - abandonner ces absurdités irrationnelles? N'est-ce pas là une autre des victoires durement gagnées des Lumières: une compréhension rationnelle du monde, qui signifie que nous n'avons plus besoin de recourir à des explications surnaturelles? De telles explications sont nées de l'ignorance, et de nos jours nous n'avons plus besoin d'être ignorants. Si nous acceptions la réalité des phénomènes psychiques, cela signifierait le retour à un monde de superstition et de sorcellerie, où rien n'est aléatoire, et où les maladies et les malheurs sont causés par des esprits malins. Le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux" - qui est le manuel que les psychiatres américains utilisent pour diagnostiquer l'état de leurs patients - énumère a. The Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders également désigné par le sigle DSM est un ouvrage de référence publié par l' Association américaine de psychiatrie (American Psychiatrie Association ou APA) décrivant et classifiant les troubles mentaux. N.d.T.
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même la croyance en des phénomènes psychiques, tels que la clairvoyance et la télépathie, comme un des signes d'un trouble de la personnalité schizophrénique 142 • Dans ce chapitre, j'espère vous convaincre que cette vision des phénomènes psychiques est erronée. Il n'est pas du tout irrationnel d'accepter l'existence des phénomènes psychiques - en effet, je démontrerai qu'il y a tellement de preuves de leur existence et une base théorique si solide en leur faveur qu'il est en fait irrationnel de ne pas accepter leur existence. Ce n'est que du point de vue du matérialisme que les phénomènes psychiques semblent impossibles. Du point de vue du panspiritisme, ils n'ont rien d'anormaux Permettez-moi de commencer par clarifier ce que j'entends par phénomènes psychiques (ou psi, comme on les appelle souvent en abrégé), ce que je ferai en faisant une distinction. Il est utile en effet de distinguer les phénomènes paranormaux faibles et les phénomènes paranormaux forts. Il y a certains types de phénomènes paranormaux dont l'existence est plus douteuse que d'autres, parce qu'il n'y a pas beaucoup de preuves de leur existence - par exemple, les OVNI, les enlèvements par des extraterrestres, les fées, les maisons hantées, la possession démoniaque ou la sorcellerie - et on pourrait les appeler des phénomènes paranormaux faibles. D'autre part, il existe des types de phénomènes paranormaux qui ont été rigoureusement testés pendant de nombreuses décennies, et pour lesquels nous avons accumulé de nombreuses preuves. Leur existence a également un sens d'un point de vue théorique, notamment en ce qui concerne certaines des découvertes de la physique quantique. Ce sont ce que j'appelle des phénomènes paranormaux forts. Cette catégorie regroupe principalement des phénomènes parfois désignés sous le terme générique de perception extra-sensorielle, ou PES, tels que la télépathie, la prémonition et la clairvoyance (ou vision à distance). Je classerais également la psychokinésie - la capacité à influencer les systèmes physiques avec une
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intention mentale, parfois appelée « influence à distance » en tant un phénomène paranormal fort. Les phénomènes paranormaux forts et faibles sont souvent mis dans le même panier, ce qui permet de les rejeter tous en bloc - en jetant le bébé avec l'eau du bain, pourrait-on dire. Cependant, si l'on examine les phénomènes forts de la perception extrasensorielle à part, il est beaucoup plus difficile de les écarter. Et ce sont ces phénomènes que je vais examiner dans ce chapitre. En fait, je vais principalement me concentrer sur deux types de phénomènes paranormaux forts: la télépathie et la prémonition. Ceci pour des raisons essentiellement de place. Les phénomènes psi sont si vastes qu'il serait impossible d'en couvrir tous les aspects et j'ai choisi ces deux domaines en particulier parce qu'ils ont tous deux été étudiés avec une grande rigueur, pendant de nombreuses décennies. À partir du chapitre 3, chaque chapitre de ce livre a suivi le même schéma de base. Nous avons introduit une« énigme » particulière (par exemple, la conscience, les EMI ou les expériences spirituelles), puis nous avons examiné les tentatives d'explication du phénomène dans une perspective matérialiste. Les faiblesses de ces explications ont été mises en évi· dence, puis une autre explication panspiritiste a été suggérée. Depuis le début, j'ai essayé de montrer que l'explication panspiritiste est moins problématique et plus élégante et plus logique que l'explication matérialiste. Mais comme les phénomènes psi sont un sujet très controversé, ce chapitre a une structure différente. Le matérialisme ne met pas en doute l'existence des phénomènes que nous avons étudiés au cours des derniers chapitres, tels que la conscience, l'effet placebo, l'hypnose et les expériences de mort imminente. Il croit simplement qu'ils peuvent tous être expliqués en termes neurologiques ou physiologiques simples. Mais le matérialisme ne se contente pas de douter de l'existence des phénomènes psychiques, il les nie avec force.
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Le principal problème est que, contrairement aux autres phénomènes que nous examinons, les phénomènes psi ne peuvent pas être expliqués en termes matérialistes. Comme nous l'avons vu, il est facile de trouver des explications matérialistes possibles pour la conscience, les expériences de mort imminente et les expériences d'éveil (même si ces explications sont imparfaites). Mais ce n'est pas le cas de la télépathie ou de la prémonition. La seule option du matérialisme est de nier leur existence - ce qui signifie généralement rejeter les résultats positifs comme étant le résultat d'une fraude, d'une simple coïncidence ou de mauvaises pratiques de recherche. C'est probablement la raison pour laquelle les phénomènes psi sont si controversés - et mettent les matérialistes en colère bien plus que tout autre phénomène. Les autres phénomènes ne menacent pas nécessairement la vision matérialiste du monde, car ils peuvent être expliqués. Mais les phénomènes psi menacent la vision matérialiste du monde. L'un des arguments les plus couramment utilisés par les sceptiques est que les phénomènes psi enfreignent les lois de la physique. Comme nous le verrons bientôt, c'est un faux argument. Mais ce qui est certain, c'est que les phénomènes psi contreviennent - et donc sapent - les principes de base du matérialisme. Dans ce chapitre, mon principal objectif ne sera donc pas de proposer une explication alternative, mais de plaider en faveur de l'existence de l'PES - la télépathie et la prémonition en particulier. Ensuite, j'expliquerai pourquoi l'existence de ces phénomènes a un sens d'un point de vue spirituel (ou panspiritiste).
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Quelques exemples de prémonition
Des enquêtes ont montré qu'entre un quart et un tiers des personnes déclarent avoir vécu au moins une expérience précognitive, dont la plupart (environ 75 %, selon le pionnier de la recherche psi, le regretté JB Rhine) se produisent dans des rêves 143 • Un exemple bien connu est celui de John Godley, qui rêvait des noms de chevaux de course gagnants. Une nuit de 1946, alors qu'il était étudiant à l'université d'Oxford, Godley rêva qu'il lisait la liste des gagnants des courses de chevaux dans un journal et qu'il voyait les noms de Bindal et Juladdin. Le lendemain matin, il consulta un journal et découvrit que deux chevaux portant ces noms couraient ce jour-là. Avec un groupe d'amis, il décida de risquer un pari; les deux chevaux gagnèrent et le groupe empocha une grosse somme d'argent. Cela se produisit pour Godley à plusieurs reprises au cours des années suivantes. La quatrième fois qu'il eut un tel rêve, il fit une déclaration écrite de ses prédictions (impliquant à nouveau deux chevaux), dont plusieurs personnes furent témoins, qui fut scellée dans une enveloppe, affranchie par un fonctionnaire de la poste et mise sous clé jusqu'au jour de la course. Lorsque cette prédiction se réalisa, Godley devint célèbre dans le monde entier. Les rêves prémonitoires comportent souvent des prédictions de catastrophes. L'une des plus grandes catastrophes de l'histoire moderne de la Grande-Bretagne s'est produite en 1966, dans le village minier d' Aberfan au pays de Galles, lorsqu'un gigantesque glissement de charbon a dévalé le flanc d'une montagne et a englouti des maisons et une école, entraînant la mort de 144 personnes, dont 128 enfants. Un psychiatre qui a travaillé avec les villageois après la catastrophe, JC Barker, a découvert que 76 personnes avaient eu des prémonitions de l'accident. Certaines de ces prémonitions n'étaient que des sentiments d'anxiété intense - le sentiment que quelque chose de terrible allait arriver - mais
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d'autres consistaient en de véritables visions des événements. En tout, 36 personnes ont «vu » l'accident en rêve, et dans certains cas, les visions furent si vives que ces personnes se sont réveillées effrayées. On sait que des prémonitions ont poussé certaines personnes à annuler des réservations sur le Titanic; plus récemment, le scientifique Rupert Sheldrake, qui s'intéresse aux phénomènes psi, a découvert que de nombreuses personnes avaient eu des prémonitions de l'attaque terroriste du 11 septembre à New York 144 • L'un des exemples les plus frappants de ces « prémonitions de catastrophe » est celui de David Mandell, un conférencier à la retraite qui, dans les années 1990, a commencé à avoir des rêves frappants qui, selon lui, contenaient des visions de l'avenir. Comme il était artiste, il a commencé à peindre des scènes tirées de ces rêves. Puis il allait les faire photographier à sa banque locale sous une horloge électronique qui indiquait la date et l'année. Il a compris un jour qu'il avait des visions annonçant des catastrophes mondiales futures. Par exemple, un tableau montrait une attaque au gaz dans une station de métro, et dans ses notes accompagnant le tableau, Mandell mentionnait que cela aurait lieu à Tokyo, et il faisait référence à un « groupe secret » qui venait des « collines ». Cela semble être lié à l'attentat perpétré en 1995 par des membres de la secte religieuse Aum Shinrikyo, qui ont répandu du gaz sarin dans les métros de Tokyo, tuant 12 personnes. Le groupe vivait dans les collines à l'extérieur de Tokyo. Il y avait également une photo montrant le Concorde s'écrasant dans un aéroport, anticipant le crash de Paris en 2000. Mandell avait inclus un drapeau français sur la photo, indiquant qu'il connaissait l'endroit. Mais surtout, le 11 septembre 1996, il a photographié un tableau qui montrait deux tours en feu s'écrasant l'une contre l'autre et qui contenait également un contour de la tête de la statue de la Liberté et la silhouette d'un avion volant vers le bas. Mande Il acceptait avec plaisir d'être examiné par des
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scientifiques - il est passé avec succès au détecteur de mensonges, et les tests scientifiques des négatifs de ses photos n'ont montré aucun signe de falsification. Chris French, un enquêteur bien connu, sceptique des phénomènes psi, a mis au point un test pour vérifier l'exactitude des peintures: les peintures de Mandell ont été montrées à 20 personnes qui ont reçu ses propres interprétations ainsi que d'autres interprétations, et on leur a demandé de choisir celle qui convenait le mieux aux peintures. Dans 31 des 40 tableaux, les 20 personnes ont choisi l'interprétation de Mandell - un résultat que Chris French lui-même a déclaré être statistiquement très significatif1 45 • Hormis le cas de David Mandell, les exemples antérieurs sont anecdotiques et ne convaincront probablement pas les sceptiques à l'égard des phénomènes psi. Les scientifiques exigent, à juste titre, des preuves solides en utilisant des expériences étroitement contrôlées qui satisfont aux normes les plus strictes de la recherche scientifique. Heureusement, ces preuves sont également disponibles.
Preuves empiriques des phénomènes psi
En 2011, l'éminent psychologue Daryl Bern - actuellement professeur émérite à l'université Cornell - a publié un article intitulé Pressentir l'avenir dans une prestigieuse revue universitaire, le Journal de la personnalité et de la psychologie sociale. L'article décrit les résultats de neuf expériences, impliquant plus de 1 000 participants, dont huit ont montré des preuves significatives de précognition. À travers une variété de procédures différentes, Bern a constaté que ses participants semblaient être capables d' « anticiper » une information avant qu'elle n'apparaisse. Dans une expérience simple, on leur a montré une paire de rideaux sur un écran d'ordinateur et on leur a demandé de cliquer sur le rideau où ils
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pensaient qu'une image se trouverait. À ce moment-là, une image était générée de manière aléatoire, et avait autant de chances d'apparaître derrière l'un ou l'autre des rideaux. Il s'est avéré qu'un nombre important de participants ont choisi le bon rideau. Et comme aucune image n'était réellement présente au moment où les participants ont fait leur choix, cela a été considéré comme une preuve de prescience. Les rédacteurs du journal ont fait remarquer à juste titre que les conclusions de Bern « bouleversent notre compréhension traditionnelle de la causalité » 146 • Cependant, les sceptiques les plus influents des phénomènes psi ont été scandalisés et ont rejeté d'emblée les conclusions de Bern. Le psychologue Ray Hyman a décrit les résultats comme « de la pure folie ... une gêne pour toute la discipline » 147 • Le physicien Robert Park a appelé cela « une perte de temps ... cela conduit le public dans des directions étranges qui seront improductives » 148 • Le journaliste scientifique Jim Schnabel a caractérisé ces réponses comme étant une tentative de « supprimer les découvertes d'un collègue scientifique parce que ses découvertes menaçaient sa réalité » 149 • Bern a encouragé d'autres chercheurs à répéter ses expériences, et beaucoup l'ont fait au cours des années suivantes. Peut-être plus importante encore que les expériences initiales, une méta-analyse de 90 tentatives de réplication des expériences (impliquant 12 406 participants dans 33 laboratoires différents) a montré un résultat positif très significatif. Selon Bern, cela a fourni une « preuve décisive » pour son hypothèse expérimentale selon laquelle les êtres humains peuvent pressentir les événements futurs 150 • En fait, ces résultats ne surprennent pas ceux qui connaissent l'histoire de la recherche sur les phénomènes psi. Dès les années 1930, les chercheurs JB et Louisa Rhine ont découvert que des volontaires pouvaient deviner, avec un taux de réussite trois millions de fois supérieur au hasard, quelles cartes allaient être tirées au hasard d'un paquet 151 • Les
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chercheurs psi Charles Honorton et Diane C Ferrari ont analysé les résultats de 309 expériences de précognition à « choix forcé » publiées entre 1935 et 1977, impliquant plus de 50 000 participants et publiées dans 113 articles scientifiques. Ils ont constaté un taux de réussite très significatif (la probabilité était d'un sur 1024), qui l'emportait largement sur tout biais possible dû à des informations sélectives 152 • Une méta-analyse d'expériences de pressentiment plus récentes (mesurant la physiologie humaine avant la présentation d'images saisissantes), entre 1978 et 2010, a montré un résultat positif encore plus significatif! 53 • Les recherches menées auprès de personnes qui semblent avoir un « don » particulier pour la précognition (ou la clairvoyance ou la télépathie, car les phénomènes sont parfois difficiles à distinguer) ont également donné des résultats positifs très significatifs. Par exemple, un Néerlandais nommé Gerard Croiset a affirmé avoir des capacités psychiques, et a été examiné de manière très approfondie pendant 2 5 ans par des membres de la Société néerlandaise pour la recherche psychique. Un chercheur a mis au point un test simple qui a été répété plusieurs centaines de fois. Croiset a été emmené dans un lieu public, tel qu'un théâtre ou une salle de réunion, dans lequel un fauteuil était choisi au hasard. Croiset devait ensuite décrire la personne qui allait s'asseoir sur le fauteuil à une date donnée. Les descriptions données par Croiset étaient très précises, comprenant des détails tels que la couleur des cheveux et des yeux, l'âge, les vêtements, les marques inhabituelles éventuelles et des détails sur la personnalité, les intérêts et la vie privée de la personne. Les descriptions étaient enregistrées et conservées sous clé. Lors de la conférence ou de la représentation en question, les enregistrements étaient diffusés, puis la personne assise sur le fauteuil se levait et faisait des commentaires sur l'exactitude de ce qu'elle avait entendu. Les descriptions de Croiset étaient étonnamment précises. Au fil des ans, à mesure qu'il devenait
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plus connu, il a été testé par de nombreux autres chercheurs; et même avec des conditions expérimentales plus difficiles, Croiset a continué à obtenir de bons résultats. Les recherches sur la télépathie ont eu des résultats tout aussi frappants. L'une des expériences standard utilisées pour tester la télépathie est la procédure dite « Ganzfeld ». Elle est utilisée depuis les années 1970. Généralement, il y a un « récepteur » qui est privé de stimuli externes, portant des écouteurs et des balles de ping-pong coupées en deux sur les yeux. Un « émetteur » tente d'envoyer une image au récepteur, qui décrit ce qu'il reçoit (le cas échéant). Ensuite, on montre au récepteur quatre images et on lui demande de choisir celle qui a été « envoyée »pendant l'expérience. Évidemment, le taux de réussite attendu selon le hasard est de 25 %. Mais sur des milliers d'essais, le taux de réussite s'est révélé nettement plus élevé que ça. Une méta-analyse de plus de 3 000 essais de Ganzfeld qui ont eu lieu de 1974 à 2004 a montré un« taux de réussite» combiné de 32 %. Un taux supérieur de sept pour cent à celui du hasard peut ne pas sembler si impressionnant, mais sur un si grand nombre d'expériences, cela équivaut à une chance sur plusieurs milliards 154 • Il est intéressant de noter que les expériences de Ganzfeld avec des personnes créatives ont montré un taux de réussite nettement plus élevé que la normale. En 128 sessions de Ganzfeld avec des étudiants doués pour les arts à l'université d'Édimbourg, on a obtenu un taux de réussite de 47 %, avec une probabilité d'un sur 140 millions 155 • De même, dans une session avec 20 étudiants de premier cycle de la Juilliard School of performing arts de New York, les étudiants ont obtenu un taux de réussite de 50 % 156 • Une autre étude, menée principalement auprès de musiciens, a montré un taux de réussite de 41 % 157 • La théorie qui peut aider à expliquer ces résultats se base sur le fait que les capacités psychiques sont liées à des limites individuelles « mouvantes »
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qui permettent à certaines personnes d'être ouvertes à des influences et des énergies qui dépassent l'esprit conscient normal. Cela permettrait également aux gens de s'ouvrir à l'inspiration artistique - et potentiellement aussi aux expériences spirituelles. De nombreuses autres expériences de télépathie ont donné des résultats probants. Les expériences du scientifique Rupert Sheldrake ont démontré la réalité de la « télépathie téléphonique » et aussi que les chiens peuvent apparemment avoir un lien télépathique avec leurs propriétaires. Dans une longue série d'expériences avec un chien appelé Jaytee, Sheldrake a découvert qu'il restait assis près de la fenêtre pendant une partie importante du temps durant lequel son maître rentrait chez lui - 55 % du temps contre seulement 4 % pendant le reste de son absence 158 • (Nous discuterons de cette expérience plus tard, en relation avec sa tentative de reproduction par le chercheur sceptique Richard Wiseman). Comme les sceptiques des phénomènes psi le font souvent remarquer, il ne faut pas nécessairement accepter ces résultats au pied de la lettre. Il est possible que les résultats positifs de certaines expériences - en particulier les plus anciennes soient en partie dus à des facteurs tels qu'une méthodologie défectueuse, de mauvais contrôles ou même une fraude. Mais ces derniers temps, les protocoles des expériences psi sont devenus extrêmement rigoureux, en partie en réponse aux critiques des sceptiques. Les expériences psi contemporaines (comme celles de Daryl Bern) sont en fait plus rigoureuses que de nombreuses expériences dans d'autres domaines, car les chercheurs sont conscients de la nature controversée de leurs expériences et de la surveillance approfondie dont elles feront l'objet.
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