Ruth 9789042948327, 9789042948334, 9042948329

Avec ses quatre chapitres, le livre de Ruth est un des plus courts de la Bible. C'est aussi un des plus aimes et de

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Table of contents :
PERSPECTIVE CAVALIÈRE DE L’ENSEMBLE DU LIVRE DE RUTH
RUTH ET BOAZ SE RENCONTRENT
RUTH ET BOAZ FONT REVENIR LA VIE EN ISRAËL
L’ensemble du livre
INDEX DES AUTEURS CITÉS
TABLE DES MATIÈRES
Recommend Papers

Ruth
 9789042948327, 9789042948334, 9042948329

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pontificia universitas gregoriana rhetorica biblica et semitica

Avec ses quatre chapitres, le livre de Ruth est un des plus courts de la Bible. C’est aussi un des plus aimés et des plus commentés. Il raconte comment une étrangère est devenue l’arrière-grand-mère du roi David. Selon toute vraisemblance, cette histoire aurait été écrite en réaction contre la politique de purification ethnique d’Esdras et Néhémie qui, au retour d’exil, avaient exigé que les juifs renvoient leurs épouses étrangères. Après 2 500 ans, ce livre ne manque donc pas d’être très actuel. La composition de cet écrit n’est pas spéculaire (ABB’A’), comme une très large majorité des commentateurs le prétend. Elle est concentrique, comme tant d’autres textes bibliques et sémitiques. Le point focal de la construction est le moment où Noémi, la bellemère de Ruth, apprend que l’homme qui a si bien accueilli Ruth venue glaner dans son champ, s’appelle Boaz : c’est un proche parent, un de ceux qui ont le droit et le devoir de les « racheter ». Le récit bascule alors vers une solution qui mettra fin au veuvage de Ruth et débouchera sur la naissance d’un fils, Obed, le grand-père de David. Une même attitude est commune à chacun des quatre personnages majeurs de cette nouvelle : la discrétion, le retrait qui attend que l’autre manifeste son désir avant d’y répondre et de s’engager. Respect d’autrui, de sa liberté et de sa dignité. Telle est la conduite de Noémi, de Ruth sa belle-fille, de Boaz aussi qui finira par épouser Ruth, accueillant son désir de donner un fils et héritier à son mari défunt. Telle est aussi la conduite du Dieu d’Israël, qui ne s’impose pas, laisse toute sa place aux hommes, tout en se tenant prêt à intervenir quand il le faudra et qu’ils en auront manifesté le désir.

Roland Meynet  Ruth

Roland Meynet, Ruth, Peeters, Leuven 2022

Roland Meynet

RUTH

L’Auteur : Roland Meynet, jésuite, est professeur émérite de théologie biblique à l’Université Grégorienne de Rome.

PEETERS-LEUVEN

PEETERS

103125_RBS 36_Meynet_cover.indd All Pages

01/12/2021 12:42

RUTH

Roland Meynet

RUTH Rhetorica Biblica et Semitica XXXVI

PEETERS leuven – paris – bristol, ct 2022

SOCIÉTÉ INTERNATIONALE POUR L’ÉTUDE DE LA RHÉTORIQUE BlBLIQUE ET SÉMITIQUE

Il existe de nombreuses sociétés savantes dont l’objet est l’étude de la rhétorique. La plus connue est la « Société internationale pour l’histoire de la rhétorique ». La RBS est la seule : • qui se consacre exclusivement à l’étude des littératures sémitiques, la Bible essentiellement, mais aussi d’autres, des textes musulmans par exemple ; •  qui s’attache par conséquent à inventorier et à décrire les lois particulières d’une ­rhétorique qui a présidé à l’élaboration des textes dont l’importance ne le cède en rien à ceux du monde grec et latin dont la civilisation occidentale moderne est l’héritière. Il ne faudrait pas oublier que cette même civilisation occidentale est héritière aussi de la tradition judéo-chrétienne qui trouve son origine dans la Bible, c’est-à-dire dans le monde sémitique. Plus largement, les textes que nous étudions sont les textes fondateurs des trois grandes religions monothéistes, judaïsme, christianisme et islam. Une telle étude scientifique, condition première d’une meilleure connaissance mutuelle, ne saurait que contribuer au rapprochement entre ceux qui se réclament de ces diverses traditions. La RBS promeut et soutient la formation, les recherches et les publications :

• surtout dans le domaine biblique, tant du Nouveau que de l’Ancien Testament ; • mais aussi dans celui des autres textes sémitiques, en particulier ceux de l’islam ; • et encore chez des auteurs nourris par les textes bibliques, comme saint Benoît et Pascal.

Pour cela, la RBS organise

• les années paires un colloque international dont les actes sont publiés dans la présente

collection ; année des séminaires de formation à sa méthodologie, en différentes langues.

• chaque

La RBS accueille et regroupe d’abord les chercheurs et professeurs universitaires qui, dans diverses institutions académiques, travaillent dans le domaine de la rhétorique biblique et sémitique. Elle encourage de toutes les manières les étudiants, surtout de ­doctorat, dans l’apprentissage de sa technique propre. Elle est ouverte aussi à tous ceux qui s’intéressent à ses activités et entendent les soutenir. Société internationale pour l’étude de la Rhétorique Biblique et Sémitique Pontificia Università Gregoriana — Piazza della Pilotta, 4 — 00187 Roma (Italie) Pour plus de renseignements sur la RBS, voir : www.retoricabiblicaesemitica.org.

ISBN 978-90-429-4832-7 eISBN 978-90-429-4833-4 D/2022/0602/7

A catalogue record for this book is available from the Library of Congress. © 2022, Peeters, Bondgenotenlaan 153, B-3000 Leuven, Belgium No part of this book may be reproduced in any form or by any electronic or mechanical means, including information storage or retrieval devices or systems, without prior written permission from the publisher, except the quotation of brief passages for review purposes.

Rhetorica Biblica et Semitica Beaucoup imaginent que la rhétorique classique, héritée des Grecs à travers les Romains, est universelle. C’est en effet celle qui semble régir la culture moderne, que l’Occident a répandue sur l’ensemble de la planète. Le temps est désormais venu d’abandonner un tel ethnocentrisme : la rhétorique classique n’est pas seule au monde. La Bible hébraïque, dont les textes ont été écrits surtout en hébreu mais aussi en a­ raméen, obéit à une rhétorique bien différente de la rhétorique gréco-romaine. Il faut donc reconnaitre qu’il existe une autre rhétorique, la « rhétorique hébraïque ». Quant aux autres textes bibliques, de l’Ancien Testament et du Nouveau, qui ont été soit traduits soit rédigés directement en grec, ils obéissent largement aux mêmes lois. On est donc en droit de parler non seulement de rhétorique hébraïque, mais plus largement de « rhétorique biblique ». En outre, ces mêmes lois ont ensuite été reconnues à l’œuvre dans des textes akkadiens, ougaritiques et autres, en amont de la Bible hébraïque, puis dans les textes arabes de la Tradition musulmane et du Coran, en aval de la littérature biblique. Il faut donc admettre que cette rhétorique n’est pas seulement biblique, et l’on dira que tous ces textes, qui appartiennent à la même aire culturelle, relèvent d’une même rhétorique qu’on appellera « rhétorique sémitique ». Contrairement à l’impression que ressent inévitablement le lecteur occidental, les textes de la tradition sémitique sont fort bien composés, à condition toutefois de les ­analyser en fonction des lois de la rhétorique qui les gouverne. On sait que la forme du texte, sa disposition, est la porte principale qui ouvre l’accès au sens. Non pas que la ­composition fournisse, directement et automatiquement, la signification. Cependant, quand l’analyse formelle permet d’opérer une division raisonnée du texte, de définir de manière plus objective son contexte, de mettre en évidence l’organisation de l’œuvre aux différents niveaux de son architecture, se trouvent ainsi réunies les conditions qui permettent d’entreprendre, sur des bases moins subjectives et fragmentaires, le travail d’interprétation.

Introduction Le premier des cinq rouleaux, le Cantique des cantiques, est lu à la synagogue durant la fête de Pâques. Ruth, le deuxième, l’est sept semaines plus tard, soit après cinquante jours, durant la fête des Semaines ou Pentecôte. Cependant, son récit lie les deux fêtes, puisqu’il commence au début de la moisson des orges, quand, le lendemain de Pâques, on en offre au temple la première gerbe (Lv 23,15-20), et il s’étend jusqu’à la fin de la moisson des blés à Pentecôte. Quoique tardive, la situation liturgique du livre dans le cycle des fêtes d’Israël est bien établie. En revanche, sa place dans le canon biblique varie. Dans la bible hébraïque, il se trouve dans la troisième et dernière partie, les Écrits, après les Proverbes. Ce dernier livre s’achève avec l’éloge de « la femme de valeur » (Pr 31,10-31), et c’est ainsi que Ruth sera qualifiée par Boaz, son futur époux (Rt 3,11) ; ce qui était une manière de relier les deux livres. Dans la Septante, suivie par la Vulgate, et donc dans les bibles catholiques, le livre de Ruth est placé parmi les livres historiques, après celui des Juges. En effet, il commence ainsi : « Il arriva, aux jours où jugeaient les Juges... » (1,1). Racontant l’histoire de l’arrière-grand-mère de David, le livre de Ruth assure en quelque sorte le passage entre celui des Juges qui répète à l’envi : « En ce temps-là, il n’y avait pas de roi en Israël » (Jg 17,8 ; 18,1 ; 19,1 ; 21,25) et les livres de Samuel qui rapportent l’accession au trône du roi David1. Une approche « canonique » s’attachera à lire le livre de Ruth dans le corpus, dans l’un ou l’autre des deux corpus où il a été placé. À l’intérieur des Écrits, il fait partie d’un sous-ensemble, celui des megillôt, les cinq rouleaux, qui furent liés aux grandes fêtes d’Israël : le Cantique des cantiques pour Pâques, Ruth pour les Semaines ou Pentecôte, les Lamentations pour le 9 du mois d’Ab, anniversaire de la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor, Qohélet pour les Tentes et Esther pour Purim. L’approche « historique », quant à elle, s’intéresse à l’époque où le livre a été rédigé, avec ses problèmes et ses préoccupations particulières. Si le livre de Ruth se situe lui-même « aux jours où jugeaient les Juges », avant l’an mille, sa langue trahit une époque tardive, après le retour de l’exil à Babylone, au temps d’Esdras et Néhémie, durant la deuxième moitié du 5e siècle. Racontant l’histoire de Ruth la Moabite, ancêtre du roi David, ce livre prendrait parti, de manière libérale, dans la querelle des mariages mixtes dénoncés par Esdras et Néhémie (Esd 9–10 ; Ne 10,31 ; 13,23-27), au terme de laquelle les juifs durent renvoyer leurs épouses

1 Sur cette question, voir, par ex., Sonnet, 11-19 ; W. KRISEL, « The Place of Ruth in the Hebrew Canon : A New Hypothesis ».

8

Ruth

étrangères2. Faisant descendre le saint roi David d’une Moabite, une étrangère appartenant à un peuple honni, le livre de Ruth se démarquerait de la position officielle d’Esdras et Néhémie qu’elle critiquerait ainsi. Le livre de Ruth étant un récit, une « nouvelle », il a donné lieu à bien des analyses narratologiques, très stimulantes3. Celles-ci, comme les autres, tracent un plan du livre, sa « structure »4. L’immense majorité des auteurs divise le livre en quatre parties dont les limites correspondent à celles des quatre chapitres. Marjo Korpel passe en revue vingt commentaires ou articles publiés entre 1955 et 20005. Plusieurs considèrent que les cinq — ou les six ou les sept — premiers versets introduisent le livre et que les cinq derniers, c’est-à-dire la généalogie, en constituent la conclusion. Tel est, par exemple, le schéma de Bertman6 : A 1,1-5 B 1,6-22 C 2,2-23 C’ 3,1-18 B’ 4,1-17 A’ 4,18-22

Ce que Korpel qualifie de « construction concentrique »7 est en réalité une composition spéculaire, c’est-à-dire dépourvue de centre8 ; à moins de supposer que l’ensemble des chapitres 2 et 3 constitue le centre du livre. Il faut dire que, bien souvent, le plan adopté par les auteurs est affirmé, mais n’est guère justifié. À l’intérieur de chacune des quatre grandes parties, les subdivisions varient beaucoup d’un auteur à l’autre. C’est qu’elles ne sont pas établies selon des critères bien définis. Certains divisent chaque partie en trois sous-parties. Ainsi Porten : A.BC / DEF / DEF / BC.A, le schéma indiquant que les deux parties centrales (les chapitres 2 et 3) sont parallèles et que les parties extrêmes se correspondent9. Parmi toutes les études de structure qui divisent le livre en quatre parties correspondant à ses quatre chapitres, la plus détaillée et systématique est sans conteste celle de Korpel, The Structure of the Book of Ruth. Elle est fondée sur les divisions des anciens manuscrits. Le texte y est disséqué à six niveaux de composition successifs : 2 Voir Sonnet, 20-25. Sur les différentes positions regardant l’époque de composition de Ruth, voir, par ex., Grossman, 9-22. 3 Entre autres, Wénin, 5-6 ; Block, 616-621 ; Grossman, 22-30 ; Sonnet, 31-42. 4 Wénin, 7-8 ; Block, 621 ; Grossman, 27 ; Sonnet, 31-32. 5 Myers, Bertman, Witzenrath, Sacon, Porten, Sasson, Bar-Efrat, de Moor, Hongisto, Hubbard, Frevel, Gow, Zenger, Bush, Nielsen, Wünch, Linafelt, Sakenfeld, Zakovitch et Smelik (Korpel, The Structure of the Book of Ruth, 5-28). 6 S. BERTMAN, « Symmetrical Design in the Book of Ruth », 167 ; de même, Trible, 843 ; Grossman, 27 ; Sonnet, 31-32. 7 Korpel, 1. 8 Voir mon Traité de rhétorique biblique, troisième édition, 2021, 138-141. 9 Korpel, 11 ; de même Wendland, 32 ; Hubbard, 74-75 ; Bush, v ; Nielsen, 1-2.

Introduction

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1. 2. 3. 4. 5.

le « pied » (foot ; dans notre méthodologie de la RBS, le « terme ») ; le « colon » (notre « membre ») comprend un ou plusieurs pieds ; le « vers » (line) comprend un colon ou plusieurs cola ; la « strophe » comprend un ou plusieurs vers ; le « paragraphe » (en poésie « canticle » ou « stanza ») comprend une ou plusieurs strophes ; 6. les « unités macrostructurales » comprennent un ou plusieurs paragraphes (en poésie sont distingués les niveaux successifs des « sub-cantos », puis des « cantos », puis des « cantata ») ; enfin les chapitres et les livres. Pour chacun des quatre chapitres, sont d’abord analysés les cola, puis les lines, puis les strophes (chacune correspond à un verset), puis les canticles et enfin les macrostructures, c’est-à-dire les « sub-cantos ». Certains distinguent des transitions entre les quatre parties. Ainsi Lacocque qui dit reprendre Rendtorff10 : Le plan du livre est très simple. Il suit les péripéties du récit jusqu’à son dénouement ainsi que le passage des personnages de lieu en lieu : 1,1-6 1,7-18 1,19-22 2,1-17 2,18-23 3,1-15 3,16-18 4,1-12 4,13-17 4,18-20

Introduction : le veuvage de Naomi en Moab 1re section : Naomi retourne au pays. Ruth s’attache à elle transition : arrivée à Bethléem 2e section : rencontre de Ruth avec Boaz (le champ de Boaz) transition : dialogue Ruth – Naomi 3e section : Naomi imagine une marche à suivre/succès (l’aire de battage) transition : dialogue Ruth – Naomi 4e section : scène de jugement (la porte de la ville de Bethléem) dénouement : la naissance d’un fils ; fin de la tristesse de Naomi Généalogie de David11.

Les changements de lieu sont effectivement une des marques de composition, mais ce ne sont évidemment pas les seules. Peu nombreux sont ceux qui sont d’avis que le livre de Ruth est de composition concentrique. André Wénin adopte la composition spéculaire habituelle, mais il entrevoit un centre qui articule les deux chapitres centraux : Deux scènes se suivent là, à la jonction des deuxième et troisième épisodes. L’une (2,18-23) est rétrospective et dresse le bilan de la rencontre entre Ruth et Boaz aux champs. L’autre (3,1-6) anticipe ce qui va suivre, à savoir le tête-à-tête nocturne entre l’homme et la femme12.

10

R. RENDTORFF, The Old Testament. An Introduction, Philadelphia 1985, 259. Ce plan était déjà celui de Gunkel (voir Vílchez Líndez, 16). 11 Lacocque, 25. 12 Wénin, 26 (déjà 8.14) ; de même, A.B. LUTER – R.O. RIGSBY, « An Adjusted Symmetrical Structuring Of Ruth ».

10

Ruth

En 1985, Leif Hongisto voyait une composition concentrique dans le premier chapitre où les versets 11-13 forment le centre de la construction, encadré par quatorze éléments qui se répondent en miroir13. Pour l’ensemble du livre, ce sont les huit premiers versets du chapitre 3 qui en constituent le « pivotal point », encadré par vingt éléments qui se répondent, deux à deux, de chaque côté du centre14. Dans les deux cas, l’analyse se limite à deux niveaux, celui de l’ensemble et celui de ses éléments constitutifs. Ces éléments sont de dimensions très variables : pour l’ensemble du livre, d’un demi-verset à neuf et même à onze. L’étude de la composition d’un texte n’a pas d’autre but que de le mieux comprendre, dans l’articulation de ses composantes, suivant les tensions qui les animent. C’est pourquoi elle doit être conduite de façon rigoureuse, suivant une méthodologie assurée. Tel est le but du présent commentaire, qui sera mené selon les procédures bien connues de l’analyse rhétorique biblique15. Quelle que soit la méthodologie utilisée pour l’étude d’un texte, la question de sa visée, de son objectif se pose : Quelles intentions avait l’auteur du livre de Ruth, tandis qu’il écrivait ? Fournir au lecteur un modèle de piété familiale, un exemple à imiter dans la personne de Ruth ? Revendiquer l’honneur des ancêtres du plus grand roi d’Israël ? Refuser une législation xénophobe sur le mariage ? Assurer la thèse théologique de la Providence divine sur le peuple d’Israël ou sur ses membres les plus pieux ? Étendre la miséricorde et la bonté du Seigneur à tous les peuples et à tous les hommes, sans aucune distinction ? Ou simplement divertir avec une histoire bien racontée ? Tels sont, avec beaucoup d’autres semblables, les objectifs proposés par les commentateurs au cours du temps. Dans la plupart des cas, on propose plus d’une intention, ou on en propose une principale et d’autres secondaires16.

Pour la critique historique, l’objectif du livre est lié à l’époque de sa rédaction. Cela est clair et c’est pourquoi Katharine Sakenfeld intitule le premier point de son introduction : « Date et objectif ». Si, en effet, on tient que Ruth fut composé au temps de la monarchie, sa visée devait être d’exalter la dynastie davidique ou même de la défendre contre certaines critiques ; tout le récit prend son sens en définitive par la généalogie finale, vers laquelle il converge. Si l’on tient, au contraire, que le livre fut écrit après le retour de l’exil à Babylone, on dira que sa visée était de contester, comme on l’a déjà dit, la politique rigoriste d’Esdras et Néhémie qui avaient décidé que les juifs devaient se séparer de leurs épouses étrangères17. Avant ces objectifs idéologiques ou politiques, il faut signaler l’opinion de ceux qui excluent ce genre de motivations : Ruth est une nouvelle dont l’objectif 13

Hongisto, 22. Voir le schéma, Hongisto, 23. 15 Exposées dans mon Traité de rhétorique biblique. 16 Vílchez Líndez, 21-22 ; voir aussi Larkin, 52-56. 17 Voir, par ex., Nielsen, 28-29. 14

Introduction

11

est tout simplement le plaisir de raconter et, pour l’auditeur ou le lecteur, d’entendre une belle histoire18. Beaucoup sont d’avis qu’il n’est pas possible d’envisager un but unique pour ce livre : « revendiquer un objectif unique pour notre rouleau, comme d’ailleurs pour tout texte littéraire du Proche-Orient ancien, serait tout à fait présomptueux, voire totalement insensible »19. Chaque lecteur sera donc sensible à tel ou tel aspect du texte. Grossman en expose cinq : 1. La généalogie du roi David. 2. Un message moral – l’importance du Hesed, la bonté. 3. L’encouragement à observer la loi du lévirat et du rachat. 4. Une polémique contre l’opposition d’Esdras au mariage avec des étrangères. 5. La justification des origines moabites de Ruth – et de la dynastie davidique20.

Après quoi, il propose un objectif capable d’unifier tous ces éléments disjoints : la compassion envers l’Autre21. Pour Lacocque, le terme central qu’est le ḥesed « est une ouverture sur une interprétation de la Loi qui dépasse sa lettre ». Il résume sa position par la formule suivante : « Dieu est plus grand que sa Loi »22. Pour Sonnet, sa « Conclusion théologique » se focalise sur « le Dieu caché » : « le personnage de Dieu [...] s’y trouve comme retiré dans les coulisses de l’action »23. Voilà donc qui laisse une grande liberté à chaque commentateur, à chaque lecteur. Pour ne pas appesantir inutilement le volume, j’ai renoncé à noter chaque fois les références aux œuvres consultées24.

18

Telle serait la position de H. Gunkel, suivi par plusieurs ; voir, par ex., Grossman, 11. Sasson, 232. 20 Grossman, 13-18. 21 Grossman, 18-22. 22 Lacocque, 34-38. 23 Sonnet, 171. 24 Les commentaires utilisés sont essentiellement ceux de Block, Bush, Grossman, Hubbard, Joüon, Korpel, Lacocque, Nielsen, Sakenfeld, Sasson, Sonnet, Vílchez Líndez, Wénin. 19

12

Ruth Remerciements

Sylvaine Reboul a bien voulu relire mon manuscrit. Son acribie a permis de corriger bien des erreurs. Qu’elle en soit vivement remerciée25.

25

Elle me pardonnera d’avoir adopté l’orthographe « modernisée » en 1990, « recommandée » par l’Académie française. Le lecteur ne s’étonnera donc pas de lire « maitre » au lieu de « maître », « interpelé » au lieu d’« interpellé », « relai » au lieu de « relais ».

SIGLES ET ABRÉVIATIONS

AB ABD AJBI al. ATD AUSS AYB BJ CAT CEv chap. ed. EstBib JBL JETS Joüon JSOT.S

Anchor Bible Anchor Bible Dictionary Annual of the Japanese Biblical Institute alii, autres Das Alte Testament Deutsch Andrews University Seminary Studies The Anchor Yale Bible Bible de Jérusalem Commentaire de l’Ancien Testament Cahiers Évangile Chapitre edidit, ediderunt Estudios Biblicos Journal of Biblical Literature Journal of the Evangelical Theological Society P. Joüon, Grammaire de l’hébreu biblique, Rome 1923 Journal for the Study of the Old Testament. Supplement series litt. littéralement NCBC New Century Bible Commentary NICOT New International Commentary on the Old Testament nt. Note Or Orientalia Osty La Bible, trad. É. Osty, Paris 1973 OTL Old Testament Library p. page(s) par ex. par exemple RBS Société internationale pour l’étude de la Rhétorique Biblique et Sémitique RBSem Rhetorica Biblica et Semitica (Peeters) RhBib Rhétorique biblique (Cerf) RhSem Rhétorique sémitique (Lethielleux, Gabalda) SANT Studien zum Alten und Neuen Testament SBS Stuttgarter Bibelstudien Traité 2007.2012 R. Meynet, Traité de rhétorique biblique, RhSem 4, Paris 2007 ; 2e éd. revue et corrigée, RhSem 12, Pendé 2013 Traité 2021 R. Meynet, Traité de rhétorique biblique. 3e édition revue et augmentée, RBSem 28, Leuven 2021 TOB Traduction Œcuménique de la Bible trad. traduction UBS United Bible Societies

14 v. vol. VT WBC ZBK.AT

Ruth verset(s) volume(s) Vetus Testamentum Word Biblical Commentary Zürcher Bibelkommentar. Altes Testament

Les commentaires ne sont cités que par le nom de l’auteur (ou des auteurs) en minuscules, suivi des numéros de page(s). Ex. : Sonnet, 171 ; Nielsen, 28-29. Les abréviations des livres bibliques sont celles de La Bible de Jérusalem (BJ).

LEXIQUE DES TERMES TECHNIQUES

1. TERMES QUI DÉSIGNENT LES UNITÉS RHÉTORIQUES Il arrive souvent, dans les ouvrages d’exégèse, que les termes « section », « passage », mais surtout « morceau », « partie »..., ne soient pas utilisés de façon univoque. Voici la liste des termes qui désignent les unités textuelles à leurs niveaux successifs. LES NIVEAUX « INFÉRIEURS » (OU NON AUTONOMES) À part les deux premières (le terme et le membre), les unités de niveau inférieur sont formées de une, deux ou trois unités du niveau précédent. TERME

le terme correspond en général à un « lexème », ou mot qui appartient au lexique : substantif, adjectif, verbe, adverbe.

MEMBRE

le membre est un syntagme, ou groupe de « termes » liés entre eux par des rapports syntaxiques étroits. Le « membre » est l’unité rhétorique minimale ; il peut arriver que le membre comporte un seul terme (le terme d’origine grecque est « stique »).

SEGMENT

le segment comprend un, deux ou trois membres ; on parlera de segment « unimembre » (le terme d’origine grecque est « monostique »), de segment « bimembre » (ou « distique ») et de segment « trimembre » (ou « tristique »).

MORCEAU

le morceau comprend un, deux ou trois segments.

PARTIE

la partie comprend un, deux ou trois morceaux.

LES NIVEAUX « SUPÉRIEURS » (OU AUTONOMES) Ils sont tous formés soit d’une, soit de plusieurs unités du niveau précédent. PASSAGE

le passage — l’équivalent de la « péricope » des exégètes — est formé d’une ou de plusieurs parties.

SÉQUENCE

la séquence est formée d’un ou de plusieurs passages.

SECTION

la section est formée d’une ou de plusieurs séquences.

LIVRE

enfin le livre est formé d’une ou de plusieurs sections.

16

Ruth

Il est quelquefois nécessaire d’avoir recours aux niveaux intermédiaires de la « sous-partie », de la « sous-séquence » et de la « sous-section » ; ces unités intermédiaires ont la même définition que la partie, la séquence et la section. VERSANT

ensemble textuel qui précède ou qui suit le centre d’une construction ; si le centre est bipartite, le versant correspond à chacune des deux moitiés de la construction.

2. TERMES QUI DÉSIGNENT LES RAPPORTS ENTRE LES UNITÉS SYMÉTRIQUES SYMÉTRIES TOTALES CONSTRUCTION PARALLÈLE

figure de composition où les unités en rapport deux à deux sont disposées de manière parallèle : A B C D E | A’B’C’D’E’. Quand deux unités parallèles entre elles encadrent un élément unique, on parle de parallélisme pour désigner la symétrie entre ces deux unités, mais on considère l’ensemble (l’unité de niveau supérieur) comme une construction concentrique : A | x | A’. Pour « construction parallèle », on dit aussi « parallélisme » (qui s’oppose à « concentrisme »).

CONSTRUCTION SPÉCULAIRE

figure de composition où les unités en rapport deux à deux sont disposées de manière antiparallèle ou « en miroir » : A B C D E | E’D’C’B’A’. Comme la construction parallèle, la construction spéculaire n’a pas de centre ; comme la construction concentrique, les éléments en rapport se correspondent en miroir. Quand la construction ne comprend que quatre unités, on parle aussi de « chiasme » : A B | B’A’.

CONSTRUCTION CONCENTRIQUE

figure de composition où les unités symétriques sont disposées de manière concentrique : A B C D E | x | E’D’C’B’A’, autour d’un élément central (cet élément peut être une unité de l’un quelconque des niveaux de l’organisation textuelle). Pour « construction concentrique », on peut aussi dire « concentrisme » (qui s’oppose à « parallélisme »).

CONSTRUCTION ELLIPTIQUE

figure de composition où les deux foyers de l’ellipse articulent les autres unités textuelles : A | x | B | x | A’.

Lexique des termes techniques

17

SYMÉTRIES PARTIELLES TERMES INITIAUX

termes ou syntagmes identiques ou semblables qui marquent le début d’unités textuelles symétriques ; l’« anaphore » de la rhétorique classique.

TERMES FINAUX

termes ou syntagmes identiques ou semblables qui marquent la fin d’unités textuelles symétriques ; l’« épiphore » de la rhétorique classique.

TERMES EXTRÊMES termes ou syntagmes identiques ou semblables qui marquent les extrémités d’une unité textuelle ; l’« inclusion » de l’exégèse traditionnelle. TERMES MÉDIANS

termes ou syntagmes identiques ou semblables qui marquent la fin d’une unité textuelle et le début de l’unité qui lui est symétrique ; le « mot-crochet » ou « mot-agrafe » de l’exégèse traditionnelle.

TERMES CENTRAUX termes ou syntagmes identiques ou semblables qui marquent les centres de deux unités textuelles symétriques. Pour plus de détails, voir R. MEYNET, Traité de rhétorique biblique, RhSem 4, Paris 2007 ; 2e éd. revue et corrigée, RhSem 12, Pendé 2013 ; 3e édition revue et augmentée, RBSem 28, Leuven 2021. PRINCIPALES RÈGLES DE RÉÉCRITURE – à l’intérieur du membre, les termes sont généralement séparés par des blancs ; – chaque membre est généralement réécrit sur une seule ligne ; – les segments sont séparés par une ligne blanche ; – les morceaux sont séparés par une ligne discontinue ; – la partie est délimitée par deux filets ; il en va de même pour les sous-parties. – à l’intérieur du passage, les parties sont encadrées (sauf si elles sont très courtes, comme une introduction ou une conclusion) ; les éventuelles sousparties sont disposées dans des cadres contigus ; – à l’intérieur de la séquence ou de la sous-séquence, les passages, réécrits en prose, sont disposés dans des cadres séparés par une ligne blanche ; – à l’intérieur de la séquence, les passages d’une sous-séquence sont disposés dans des cadres contigus. Sur les règles de réécriture, voir Traité, 2007.2011, chap. 5, 283-344 (sur la réécriture des tableaux synoptiques, voir chap. 9, 471-506) : 3e éd. 2021, 215269 ; 297-432.

PERSPECTIVE CAVALIÈRE DE L’ENSEMBLE DU LIVRE DE RUTH

Le livre de Ruth est organisé en trois sections : A : NOÉMI ET RUTH

REVIENNENT

DE LA MORT EN MOAB

B : RUTH ET BOAZ SE RENCONTRENT C : BOAZ ET RUTH

FONT REVENIR LA VIE

1,1-22 2,1–3,18

EN ISRAËL

4,1-22

La première section ne comprend qu’une seule séquence, et de même la dernière. Plus développée, la section centrale en comprend trois : B1 : RUTH VA GLANER

dans le champ

de Boaz

B3 : NOÉMI CONSEILLE RUTH

B4 : RUTH VA DORMIR

aux pieds

2,1-17

2,18-22

de Boaz

3,1-18

NOÉMI ET RUTH REVIENNENT DE LA MORT EN MOAB La section A Rt 1,1-22

22

La première section (Rt 1)

La première section est de la taille d’une seule séquence qui s’organise en trois sous-séquences. Les sous-séquences extrêmes ne comprennent qu’un seul passage. NOÉMI QUITTE

LES CHAMPS DE MOAB

AVEC SES DEUX BELLES-FILLES

LA DISCUSSION ENTRE NOÉMI ET SES DEUX BELLES-FILLES

NOÉMI ARRIVE

À BETHLÉEM

AVEC SA BELLE-FILLE RUTH

1,1-7

8-17

18-22

La sous-séquence centrale, au contraire, comporte trois passages. Les deux belles-filles refusent de se séparer de Noémi NOÉMI INSISTE POUR QU’ELLES RETOURNENT CHEZ ELLES Ruth décide de s’attacher au peuple et au Dieu de Noémi

8-10 11-14 15-17

1. NOÉMI QUITTE LES CHAMPS DE MOAB AVEC SES DEUX BELLES-FILLES La première sous-séquence : 1,1-7 La première sous-séquence ne comprend qu’un seul passage. TEXTE 1,1 Et il fut aux jours du juger des Juges et il fut une famine dans le pays et s’en alla un homme de Beth Léhem de Juda pour séjourner aux Champs de Moab lui et sa femme et ses deux fils. 2 Et le nom de l’homme Élimélek et le nom de sa femme Noémi et le nom de ses deux fils Mahlôn et Kilyôn, Éphratéens de Beth Léhem de Juda, et ils vinrent aux Champs de Moab et ils furent là. 3 Et mourut Élimélek l’homme de Noémi et elle resta elle et ses deux fils. 4 Et ils prirent pour eux des femmes moabites, le nom de la première Orpha et le nom de la deuxième Ruth, et ils résidèrent là environ dix années. 5 Et moururent aussi les deux Mahlôn et Kilyôn et elle resta la femme sans ses deux enfants et sans son homme. 6 Et se leva elle et ses belles-filles et elle retourna des Champs de Moab car elle avait entendu aux Champs de Moab qu’avait visité Yhwh son peuple pour donner à eux du pain. 7 Et elle sortit du lieu dans lequel elle était là-bas et ses deux belles-filles avec elle et elles s’en allèrent sur la route pour retourner vers le pays de Juda. V.1AB

: « ET IL FUT »

Beaucoup de récits (Gn 6,1 ; 14,1) et même de livres entiers (Jos 1,1 ; Jg 1,1 ; 2S 1,1) commencent avec cette formule, comparable aux nôtres : « Il était une fois... », « C’était au temps de... ». On traduit généralement par « Il advint », « Il arriva ». Ici, la traduction est plus littérale pour respecter le rapport entre « il fut » (1a.b) et « ils furent » (2g) qui font inclusion pour la première partie. V. 1CD

: « S’EN ALLA UN HOMME DE BETH LÉHEM DE JUDA POUR SÉJOURNER... »

Il serait possible de considérer que « de Beth Léhem de Juda » est complément d’origine de « un homme » ; toutefois, ce syntagme étant parallèle à « aux Champs de Moab », le premier est le lieu que l’homme quitte pour rejoindre l’autre. Beth Léhem (bêt leḥem, « la Maison du pain ») est écrit en deux mots, non seulement pour respecter le rythme, mais aussi pour mieux manifester le rapport avec « du pain » (leḥem) en 6e. « Les Champs de Moab », c’est-à-dire le territoire de Moab, comme Juda est dit à la fin du passage « la terre (ou le pays) de Juda » (7e: ’ereṣ yehûdâ). En Dt 1,5 ; 28,69 Moab est appelé « la terre de Moab ». V. 2E

: « ÉPHRATÉENS »

Cet adjectif qualifie non seulement les deux fils, mais aussi leurs parents.

24 V. 6

La première section (Rt 1) : « ELLE, ELLE... ELLES »

Au verset 6, les verbes « se leva », « retourna », « avait entendu » sont au singulier, alors que le sujet comprend non seulement Noémi, mais aussi ses deux belles-filles, ce qui a pour effet de souligner que c’est leur belle-mère qui a l’initiative. Au dernier verset, tandis que les deux premiers verbes, « elle sortit » et « elle était là-bas », sont eux aussi au singulier, le dernier, « elles s’en allèrent », est au pluriel, comme pour marquer, en finale, leur décision commune.

COMPOSITION LA PREMIÈRE PARTIE (1,1-2) : 1,1 ET IL FUT : ET IL FUT

aux jours une famine

du juger dans le pays

- et s’en alla - DE BETH

UN HOMME LÉHEM

DE JUDA

AUX CHAMPS

DE MOAB

ET SA FEMME

et ses deux

.. pour séjourner .. lui

des Juges

fils.

············································································································· - 2 Et le nom DE L’HOMME Élimélek

- et le nom

DE SA FEMME

Noémi

. et le nom . Mahlôn . Éphratéens

de ses deux et Kilyôn, DE BETH

fils

AUX CHAMPS

DE MOAB

.. et ils vinrent .. ET ILS FURENT

LÉHEM

DE JUDA,

là.

Le second morceau commence par donner les noms des personnages anonymes du premier morceau, « l’homme » (1c.2a), de sa « femme » (1f.2b) et de leurs « deux fils » (1f.2cd). À la fin du premier morceau, ils s’en vont « pour séjourner aux Champs de Moab » (1ef) ; à la fin du deuxième morceau, ils y arrivent et y habitent (2fg). Le deuxième morceau insiste sur l’origine de la famille d’Élimélek, « Éphratéens de Bethléem de Juda » (1d.2e). LA DEUXIÈME PARTIE (1,2-5) Les morceaux extrêmes sont parallèles : en termes initiaux, « meurent » tour à tour le père (3a) et les deux fils (5a). Noémi reste d’abord avec ses deux fils (3bc), puis sans eux (5bc) ; à noter que eux qui sont dits au début « les deux fils » d’Élimélek (3c) sont appelés « les deux enfants » de Noémi à la fin (5c). Aux noms des deux parents, « Élimélek » et « Noémi » (3a), correspondent les noms de leurs deux enfants, « Mahlôn » et « Kilyôn » (5a).

Séquence A : 1,1-22 + 3 ET MOURUT :: et elle resta .. et ses deux

Élimélek elle fils.

l’homme

25 de Noémi

··················································································································

+ 4 Et ils prirent - le nom - et le nom

pour eux de la première de la deuxième

: et ils résidèrent : environ dix

là années.

des femmes Orpha Ruth,

moabites,

··················································································································

+ 5 ET MOURURENT :: et elle resta .. sans ses deux

aussi les deux la femme enfants

Mahlôn

et Kilyôn

et sans son homme.

Entre-temps, les deux fils s’étaient mariés avec des Moabites (4abc), mais, sans que ce soit explicité, on comprend qu’ils n’eurent pas d’enfants durant le long temps de leur mariage, « environ dix années » (4de). LA TROISIÈME PARTIE (1,6-7) : 6 Et se leva : ET ELLE RETOURNA

ELLE

ET SES BELLES-FILLES

DES CHAMPS

DE MOAB

. car elle avait entendu . qu’avait visité . pour donner

aux Champs Yhwh à eux

de Moab son peuple du pain.

··········································································································

- 7 Et elle sortit - dans lequel - ET SES DEUX

du lieu elle était BELLES-FILLES

.. et elles s’en allèrent .. POUR RETOURNER

sur la route VERS LE PAYS

là-bas AVEC ELLE DE JUDA.

Aux deux membres du premier segment du premier morceau (6ab) répondent les membres finaux des deux segments du second morceau (7c.7e) ; Noémi et ses deux belles-filles s’en « retournent » « des Champs de Moab » (6b), leur point de départ, « le lieu dans lequel elle était là-bas » (7ab), pour « retourner » « vers le pays de Juda », le point d’arrivée qu’elles visent (7e). Le deuxième segment du premier morceau (6cde) donne la raison pour laquelle elles se mettent en « route » (7d). La mention finale du « pain » (leḥem) évoque évidemment le nom de la ville où elles vont, Bêt-leḥem, « la maison du pain » ; la sonorité des trois termes du membre final souligne ce rapport : lātēt lāhem lāḥem, « pour donner à eux du pain ».

26

La première section (Rt 1)

L’ENSEMBLE DU PASSAGE (1,1-7) : 1,1 Et il fut : et il fut

aux jours

où jugeaient

UNE FAMINE

DANS LE PAYS

- ET S’EN ALLA - DE BETH

UN HOMME LÉHEM

DE JUDA

.. POUR SÉJOURNER .. lui

AUX CHAMPS et SA FEMME

DE MOAB et ses deux

les Juges

fils.

················································································································· - 2 Et le nom de L’HOMME Élimélek

- et le nom

de SA FEMME

Noémi

. et le nom . Mahlôn . Éphratéens

de ses deux et Kilyôn, DE BETH

fils

.. et ils vinrent .. et ils furent

AUX CHAMPS

DE MOAB

LÀ.

+ 3 Et mourut :: et elle resta .. et ses deux

Élimélek elle fils.

LÉHEM

L’HOMME

DE JUDA,

de Noémi

··················································································································

+ 4 Et ils prirent - le nom - et le nom

pour eux de la première de la deuxième

: et ils résidèrent : environ dix

LÀ années.

DES FEMMES

moabites,

Orpha Ruth,

··················································································································

+ 5 Et moururent :: et elle resta .. sans ses deux : 6 Et se leva : ET ELLE RETOURNA

aussi les deux

Mahlôn

et Kilyôn

LA FEMME

enfants

et sans SON HOMME.

elle

et ses belles-filles

DES CHAMPS

DE MOAB

. car elle avait entendu . qu’avait visité . pour donner

AUX CHAMPS

DE MOAB

Yhwh à eux

son peuple

- 7 Et elle sortit - dans lequel - et ses deux

du lieu elle était belles-filles

.. ET ELLES S’EN ALLÈRENT .. POUR RETOURNER

sur la route

DU PAIN. ·················································································································

VERS LE PAYS

LÀ-BAS avec elle DE JUDA.

Les parties extrêmes s’opposent. Dans la première, Élimélek « s’en alla » « de Bethléem de Juda » (1cd) « pour séjourner aux Champs de Moab » (1e) ; dans la

Séquence A : 1,1-22

27

dernière, Noémi « retourna des Champs de Moab » (6b) et, avec ses belles-filles, « elles s’en allèrent » « pour retourner vers le pays de Juda » (7de). C’était à cause de « la famine » qu’Élimélek avait quitté Beth Léhem (« la maison du pain » (1d.e), c’est parce que Yhwh a donné « du pain » à son peuple (6e) que Noémi y retourne. Les deux occurrences de « le pays » (1b.7e) font inclusion. La partie centrale rapporte la mort du père (3) et de ses deux fils (5), ainsi que leur mariage avec deux femmes moabites (4) ; aux extrémités sont les noms des personnages que présentait la première partie, « l’homme » (1c.2a.3a.5c) « Élimélek » (2a.3a), « sa femme » (1f.2b.5b) « Noémi (2b.3a) et leurs « deux fils/ enfants » (1f.2c.3c.5ac), « Mahlôn » et « Kilyôn » (2d.5a). « Là » est repris à la fin de la première partie (2g) et au centre de la partie centrale (4d). Les noms des belles-filles, « Orpha » et « Ruth », se trouvent ainsi au centre du passage (4bc). CONTEXTE UNE FAMINE AUX TEMPS DES JUGES Ce temps fut celui des infidélités répétées des fils d’Israël, sanctionnées par un châtiment divin, lequel provoque le repentir et la conversion, avant qu’un juge soit envoyé par le Seigneur pour sauver le peuple. La famine et la stérilité sont les premiers châtiments qui frappent ceux qui auront abandonné le Seigneur : 1

Or donc, si tu obéis vraiment à la voix de Yhwh ton Dieu, en gardant et pratiquant tous ces commandements que je te prescris aujourd’hui, Yhwh ton Dieu t’élèvera audessus de toutes les nations de la terre. [...] 4 Bénis seront le fruit de tes entrailles, le produit de ton sol, le fruit de ton bétail, la portée de tes vaches et le croît de tes brebis. 5 Bénies seront ta hotte et ta huche. [...] 15 Mais si tu n’obéis pas à la voix de Yhwh ton Dieu, ne gardant pas ses commandements et ses lois que je te prescris aujourd’hui, [...] 17 Maudites seront ta hotte et ta huche. 18 Maudits seront le fruit de tes entrailles et le fruit de ton sol, la portée de tes vaches et le croît de tes brebis (Dt 28,1-5.15-18 ; voir aussi Lv 26).

En quittant Bethléem, Élimélek entend échapper au châtiment de la famine, mais peut-être aussi au retour vers son Dieu. MOAB Les Moabites sont les descendants de Moab, fils de la relation incestueuse de la fille ainée de Lot avec son père (Gn 19,31-37). Moab est ennemi d’Israël, car il lui a refusé « le pain » quand il sortait d’Égypte : 4

L’Ammonite et le Moabite ne seront pas admis à l’assemblée de Yhwh ; même leurs descendants à la dixième génération ne seront pas admis à l’assemblée de Yhwh, et cela pour toujours ; 5 parce qu’ils ne sont pas venus à votre rencontre avec le pain et l’eau quand vous étiez en route à la sortie d’Égypte, et parce qu’il a soudoyé Balaam

28

La première section (Rt 1) fils de Béor pour te maudire [...] 7 Jamais, tant que tu vivras, tu ne rechercheras leur prospérité et leur bonheur (Dt 23,4-7).

ÉPOUSER DES ÉTRANGÈRES La loi interdit catégoriquement aux fils d’Israël d’épouser des étrangères : 1

Lorsque Yhwh ton Dieu t’aura fait entrer dans le pays dont tu vas prendre possession, des nations nombreuses tomberont devant toi. [...] 3 Tu ne contracteras pas de mariage avec elles, tu ne donneras pas ta fille à leur fils, ni ne prendras leur fille pour ton fils. 4 Car ton fils serait détourné de me suivre ; il servirait d’autres dieux ; et la colère de Yhwh s’enflammerait contre vous et il t’exterminerait promptement (Dt 7,1-4).

LA STÉRILITÉ DES MÈRES D’ISRAËL Il n’est pas dit qu’Orpha et Ruth étaient stériles. Toutefois, après dix ans de mariage, elles n’ont toujours pas d’enfant. La stérilité des deux couples rappelle celle de chacune des quatre mères d’Israël, Sara, Rebecca, Léa et Rachel, qui ne durent finalement d’enfanter qu’à l’intervention du Seigneur (Gn 11,30 ; 17,4-6 ; 25,21 ; 29,31 ; 30,2.9.17). LES NOMS PROPRES On a déjà signalé le jeu de mots entre « Beth-léhem » qui signifie « la Maison du pain », et le don du « pain » après la famine. Les noms des personnages, eux aussi, ne sont pas privés de signification. Celui d’« Élimélek » est un nom théophore transparent : il signifie « mon Dieu (est) roi ». Celui de sa femme, « Noémi », pourrait l’être lui aussi, dans la mesure où l’on considère que le yod final serait l’abréviation de Noémiyyah, « la grâce, la douceur de Dieu », ou « la gracieuse de Dieu » ; si, au contraire, le yod est interprété comme pronom suffixe de première personne singulier, le nom signifierait « ma douce, ma gracieuse ». Ce qui est sûr, c’est que Noémi jouera sur le sens de son nom quand, à la fin de la section, elle arrivera à Bethléem : aux femmes qui l’accueillent en prononçant son nom, elle dit qu’il vaudrait mieux l’appeler « Amère » : « Ne m’appelez pas Noémi, appelez-moi Amère, car Shaddaï a été très amer avec moi » (1,20). « Amère » s’oppose à « Douce » ou « Gracieuse ». Quant aux noms des deux fils, celui de « Mahlôn », l’époux de Ruth, semble venir de la racine ḥlh, « être malade », et celui de « Kilyôn » de la racine klh, « être fini ». En effet, en dix ans de mariage, ils n’ont pu donner d’enfant à leur épouse, et ils ne tardent pas à mourir. Le nom d’« Orpha » viendrait de la racine ‘rp, qui signifie « la nuque », ce qui annoncerait qu’elle la montrera quand elle se détournera pour quitter Noémi. Pour « Ruth », le rapport le plus probable est avec la racine rwh, qui signifie « abreuver jusqu’à plus soif », ce qui donne donc l’idée de satiété. Cependant, ces étymologies ne s’imposent pas toutes de la même façon.

Séquence A : 1,1-22

29

INTERPRÉTATION LE RÈGNE DE LA MORT Si Élimélek et sa famille quittent leur ville de Bethléem, c’est pour échapper à la famine et donc à la mort. Il n’y a plus de pain à la « Maison du pain » ; pour sauver leur vie, ils vont chercher leur subsistance hors de leur patrie, au-delà du Jourdain, dans un pays étranger, celui que la Loi avait condamné pour toujours parce qu’il avait refusé « le pain » aux fils d’Israël. Ce faisant, il s’éloigne de celui qui est son Dieu. Il ne tardera pas à mourir et de même ses deux fils, après dix ans de mariage infécond. La famille est marquée par la mort. Seule Noémi en réchappe avec ses deux belles-filles, mais sans descendance, sans avenir, victime elle aussi de la mort. LA VISITE DE YHWH Dans la dernière partie, un nouveau personnage intervient, dont le nom n’avait pas été prononcé auparavant. Si le narrateur ne dit pas quelle fut la cause de la famine qui avait chassé Élimélek de Bethléem, on sait au contraire qui est celui qui visite son peuple pour lui donner du pain : c’est « Yhwh », le Dieu d’Israël. C’est ce même Dieu qui, autrefois, par la main de Joseph, avait nourri son peuple. Celui-ci avait fini par venir s’installer en Égypte où il vécut 430 ans (Ex 12,40). L’ESPÉRANCE DE NOÉMI Avec son mari et leurs deux fils, Noémi avait trouvé du pain dans les Champs de Moab ; mais ce pain-là n’avait pas sauvé son mari et leurs deux fils de la mort. Dès qu’elle a entendu que la famine avait pris fin dans son pays de Juda, « elle se lève » pour y retourner. C’est que c’est une autre sorte de pain qu’elle y recevra : un don de Yhwh. Rentrée à Bethléem, elle y retrouvera avec le pain, celui qui le donne, son Dieu, et ceux à qui il le donne, son peuple.

2. LA DISCUSSION ENTRE NOÉMI ET SES BELLES-FILLES La deuxième sous-séquence : 1,8-17 La deuxième sous-séquence comprend trois passages : Les deux belles-filles refusent de se séparer de Noémi NOÉMI INSISTE POUR QUE SES BELLES-FILLES RETOURNENT CHEZ ELLES Ruth décide de s’attacher au peuple et au Dieu de Noémi

8-10 11-14 8-10

30

La première section (Rt 1)

A. LES DEUX BELLES-FILLES REFUSENT DE SE SÉPARER DE NOÉMI Le premier passage : 1,8-10 TEXTE 1,8 Et dit Noémi à ses deux belles-filles : « Allez, retournez (chaque) femme à la maison de sa mère ; que fasse Yhwh avec vous fidélité comme vous avez fait avec les morts et avec moi ; 9 que donne Yhwh à vous et trouvez du repos (chaque) femme à la maison de son homme. » Et elle embrassa elles et elles élevèrent leurs voix et pleurèrent. 10 Et elles dirent à elle : « Non, avec toi nous retournerons vers ton peuple. » V. 8C

: « (CHAQUE) FEMME »

Litt., « une femme à la maison de sa mère ». Comme le masculin, le terme a une valeur distributive1. V. 9AB : « QUE DONNE [...] ET TROUVEZ

»

Le jussif initial, « que donne », n’est pas suivi par un substantif complément d’objet ; l’impératif qui suit, « et trouvez », peut être considéré remplir cette fonction. Le sens serait : « Que Yhwh vous donne de trouver... ». V. 10B : «

NON, AVEC TOI... »

Le kî initial a une valeur emphatique qui pourrait être rendu par « oui », « certes », « assurément ». À l’invitation de Noémi qui veut renvoyer ses bellesfilles chez leur mère, s’oppose leur détermination de retourner avec elle « vers son peuple » ; d’où la traduction de kî par « Non ».

COMPOSITION La première partie (8-9c) rapporte des paroles que Noémi adresse à ses bellesfilles, la deuxième partie dit leur réaction et leur réponse (9d-10). Dans le discours de Noémi, les deux derniers segments commencent par un jussif dont le sujet est « Yhwh » (8d.9a), mais les segments extrêmes se correspondent, d’abord par les impératifs de 8b et 9b, et surtout par leurs derniers membres : elle leur souhaite d’abord de retourner dans la maison de leur mère (8c), puis de se remarier, trouvant du repos dans la maison de leur mari (9c). Dans la deuxième partie, les deux belles-filles commencent par réagir aux baisers de Noémi, qui veut prendre congé d’elles, par leurs cris et leurs pleurs (9de) ; puis elles déclarent vouloir l’accompagner (10).

1

Joüon, 147d.

Séquence A : 1,1-22 + 1,8 Et dit

Noémi

à ses deux

31 belles-filles :

·······················································································································

: « Allez, : (chaque) femme

à la maison

de sa mère ;

- que fasse - comme

Yhwh vous avez fait

avec vous avec les morts

- 9 que donne .. et trouvez : (chaque) femme

Yhwh du repos à la maison

à vous de son homme. »

= Et elle embrassa = et elles élevèrent

elles leurs voix

et pleurèrent.



10

Et elles dirent :: « Non, avec toi

RETOURNEZ

fidélité et avec moi,

à elle : NOUS RETOURNERONS

vers ton peuple. »

D’une partie à l’autre, le syntagme final, « vers ton peuple » (10b), s’oppose aux membres finaux des segments extrêmes du discours de Noémi, « à la maison de sa mère/de son homme » (8c.9c). Les deux occurrences de « retourner » (8b.10b) font inclusion.

INTERPRÉTATION L’ALTERNATIVE Selon Noémi, il n’est qu’une issue possible pour Orpha et Ruth : le retour chez leur mère en vue d’un remariage avec des hommes de leur pays. Mais ses belles-filles ne l’entendent pas de cette oreille et, dans les plaintes et les larmes, elles déclarent ne pas vouloir la quitter ; au contraire, elles entendent rejoindre son peuple et s’agréger à lui. Entre deux retours, elles préfèrent celui qu’a choisi leur belle-mère. LA FIDÉLITÉ Au centre de son discours, Noémi invoque la « fidélité » de Yhwh sur ses belles-filles (8de). La fidélité divine répondra à celle que ces femmes ont accordée à leur mari et à leur belle-mère. Et pourtant, elles n’ont pas été fidèles au Dieu d’Israël, avec lequel elles n’étaient pas entrées en alliance, comme c’était le cas de Noémi, de son mari et de leurs deux fils. Yhwh n’est pas leur dieu, mais, par deux fois, leur belle-mère attire sur ces deux étrangères la bénédiction qu’Abraham devait appeler sur toutes les familles des nations.

32

La première section (Rt 1)

B. NOÉMI INSISTE POUR QUE SES BELLES-FILLES RETOURNENT CHEZ ELLES Le deuxième passage : 1,11-14 TEXTE 1,11 Et dit Noémi : « Retournez, mes filles, pourquoi allez-vous avec moi ? Ai-je encore des fils dans mes entrailles et ils seraient pour vous des hommes ? 12 Retournez, mes filles, allez, car je suis trop-vieille pour être à un homme. Si je disais : Il y a pour moi de l’espoir, même si j’étais cette nuit à un homme et même si j’enfantais des fils, 13 est-ce que pour eux vous patienteriez jusqu’à ce qu’ils aient grandi ? Est-ce que pour eux vous vous abstiendriez sans être à un homme ? Non, mes filles, car c’est amer pour moi beaucoup, trop pour vous, car est sortie contre moi la main de Yhwh. » 14 Et elles élevèrent leurs voix et elles pleurèrent encore ; et embrassa Orpha sa belle-mère et Ruth s’attacha à elle. V. 12C

: « SI JE DISAIS [...] MÊME SI [...] ET MÊME SI... »

Le kî par lequel commence la phrase est l’équivalent de ’im (« si) », même s’il peut conserver une nuance temporelle2. Il introduit les trois verbes de 12cde ; c’est pourquoi la traduction le répète chaque fois. Cette accumulation de trois conditionnelles souligne l’irréalité d’un tel enchainement : espoir illusoire d’une femme trop vieille pour avoir encore quelque « espoir », d’avoir « cette nuit » une rencontre, enfin que celle-ci lui fasse enfanter deux fils. V. 13F : « CAR C’EST AMER POUR MOI BEAUCOUP, TROP POUR VOUS»

On pourrait comprendre que l’amertume de Noémi est plus grande que celle de ses belles-filles : « c’est amer pour moi plus que pour vous ». Il semble au contraire que Noémi ne veut pas faire peser sa grande amertume sur elles, d’où la traduction de min par « trop pour »3. COMPOSITION La première partie rapporte le long discours que Noémi adresse à ses bellesfilles, tandis que la courte seconde partie dit leur réaction. Après une très courte sous-partie narrative (11a), les paroles de Noémi se développent en deux sous-parties parallèles : deux questions sont suivies par une conclusion motivée par « car » (12ab ; 13efg). Dans la première sous-partie, les deux morceaux sont marqués par des termes initiaux identiques (11b.12a) et les deux occurrences des « homme(s) » jouent le rôle de termes finaux (11e.12b). « Aller » est repris en 11c et 12a. Le premier morceau de la deuxième sous-partie (12c-13d) envisage toute une série d’éventualités plus irréelles les unes que les autres. Après les trois conditionnelles initiales (12cde), les deux questions de l’apodose qui commencent de 2 3

Joüon, 167f.i. Joüon, 141i.

Séquence A : 1,1-22

33

la même façon sont complémentaires : auraient-elles la patience (13ab) de rester si longtemps sans mari (13cd) ? Dans les segments extrêmes, les deux occurrences de « être à un homme » se répondent : il s’agit d’abord de l’éventuel mari de Noémi (12d), puis de celui de chacune de ses belles-filles (13d). Le deuxième morceau constitue la réponse négative de Noémi. Alors qu’à la fin de la première sous-partie, la raison avancée par Noémi (12b) est purement humaine, à la fin de la deuxième sous-partie, elle est redoublée : son amertume (13f) est à son tour motivée par une action divine (13g), ce qui constitue une surprise finale. + 11 Et dit

Noémi :

: « Retournez, : pourquoi

MES FILLES,

allez-vous

avec moi ?

- Ai-je encore - et ils seraient

DES FILS

dans mes entrailles DES HOMMES ?

pour vous

············································································································ = 12 Retournez, MES FILLES, allez,

– CAR je suis trop-vieille .. Si je disais : .. même si j’étais .. et même si 13

pour être

À UN HOMME

Il y a pour moi cette nuit j’enfantais

de l’espoir,

– est-ce que pour eux :: jusqu’à ce qu’

vous patienteriez ils aient grandi ?

– Est-ce que pour eux :: sans

vous vous abstiendriez être

= 14 Et elles élevèrent = et elles pleurèrent

leurs voix encore ;

À UN HOMME DES FILS,

À UN HOMME ? ··············································································································· = Non, MES FILLES, – CAR c’est amer pour moi beaucoup, trop pour vous, – CAR est sortie contre moi la main de Yhwh ».

– et embrassa + et Ruth

Orpha s’attacha

sa belle-mère à elle.

Dans la deuxième partie, les deux segments s’opposent : tandis que les deux belles-filles crient et pleurent également (14ab), leur choix s’oppose radicalement (14cd).

34

La première section (Rt 1)

CONTEXTE LA LOI DU LÉVIRAT Si un homme marié meurt sans enfant, son frère ou son plus proche parent doit épouser la veuve pour susciter une descendance au défunt. Le premier fils né de cette union héritera des possessions du mort (Dt 25,5-10). En évoquant l’impossibilité qu’elle puisse engendrer d’autres fils, Noémi fait référence à cette loi. Ses belles-filles ne peuvent pas compter que leur belle-mère puisse donner des frères à leurs maris défunts qui deviendraient leurs lévirs.

INTERPRÉTATION UNE SEULE SOLUTION Selon Noémi, il n’existe qu’une seule solution pour ses belles-filles : elles doivent retourner dans leur famille et se remarier avec des hommes de leur peuple. Elles ne peuvent espérer qu’un frère de leur mari relève la maison du défunt. Leur belle-mère n’a pas d’autre fils et elle est trop vieille désormais pour en avoir à nouveau ; et même si cela était, ses belles-filles ne sauraient attendre si longtemps, au risque de ne plus pouvoir engendrer elles-mêmes. L’avenir est complètement bouché de ce côté-là. DEUX CHOIX OPPOSÉS Orpha se rend aux raisons de sa belle-mère : elle crie et pleure, mais elle finit par l’embrasser et retourne chez sa mère. On ne sait pas ce qu’elle deviendra, mais on a toute raison de penser et d’espérer qu’elle refera sa vie avec un compatriote moabite. Quant à Ruth, elle ne veut rien entendre des arguments de Noémi et demeure ferme dans sa décision de lui rester fidèle. Autant la conduite de sa belle-sœur semble raisonnable, autant la sienne est surprenante et même énigmatique. UN PERSONNAGE INATTENDU La mention de « la main de Yhwh », à la fin du long discours de Noémi, surprend. Non seulement on ne s’y attendait pas, mais surtout on se demande quelle peut bien en être la signification. Tout le malheur évoqué par Noémi, le fait que l’avenir est irrémédiablement compromis de son côté, qu’elle ne pourra plus avoir ni mari ni enfant, que ses belles-filles ne peuvent rien espérer d’elle, tout cela est l’œuvre de Yhwh. Est-ce là un simple constat ? Une accusation ? Il se pourrait que ce soit l’admission d’une faute particulièrement grave, pour avoir mérité un tel châtiment.

Séquence A : 1,1-22

35

C. RUTH DÉCIDE DE S’ATTACHER AU PEUPLE ET AU DIEU DE NOÉMI Le troisième passage : 1,15-17 TEXTE 15

Et elle dit : « Voici, est retournée ta belle-soeur vers son peuple et vers ses dieux ; retourne derrière ta belle-sœur. » 16 Et dit Ruth : « Ne me presse pas de t’abandonner pour retourner de derrière toi, car vers où tu iras j’irai et là-où tu dormiras je dormirai. Ton peuple mon peuple et ton Dieu mon Dieu. 17 Là où tu mourras je mourrai et là je serai enterrée ; qu’ainsi fasse Yhwh à moi et ainsi qu’il ajoute si la mort sépare entre moi et entre toi. » V. 15C

: « VERS SES DIEUX »

Le nom divin ’ĕlōhîm est une forme plurielle. Quand il s’agit du Dieu d’Israël, il est considéré comme un pluriel de majesté pour un singulier. Ici, il peut être compris soit comme un singulier désignant la divinité principale de Moab, Kemosh, soit comme le pluriel du panthéon moabite. Le contraste entre les deux peuples et leurs religions invite à traduire par un pluriel. V. 16FG

: « TON PEUPLE, MON PEUPLE ET TON DIEU, MON DIEU »

Deux phrases nominales, sans indication de temps. Pour éviter de prendre parti pour le présent ou pour le futur, la traduction a évité d’ajouter la copule. COMPOSITION + 15 Et elle dit : . « Voici, . VERS SON PEUPLE .. RETOURNE = 16 Et dit : “Ne me presse pas : POUR RETOURNER – car vers où .. et là-où

est retournée ET VERS SES DIEUX DERRIÈRE

ta belle-soeur ; ta belle-sœur. »

Ruth : de t’abandonner DE DERRIÈRE TOI,

tu iras tu dormiras

j’irai je dormirai.

······················································· MON PEUPLE MON DIEU. ·······················································

• TON PEUPLE • ET TON DIEU – 17 Là où .. et là : qu’ainsi fasse : si la mort

tu mourras

je mourrai

je serai enterrée ; Yhwh à moi sépare

et ainsi entre moi

qu’il ajoute et entre toi.

36

La première section (Rt 1)

+ 15 Et elle dit : . « Voici, . VERS SON PEUPLE .. RETOURNE = 16 Et dit : “Ne me presse pas : POUR RETOURNER – car vers où .. et là-où

est retournée ET VERS SES DIEUX DERRIÈRE

ta belle-soeur ; ta belle-sœur. »

Ruth : de t’abandonner DE DERRIÈRE TOI,

tu iras tu dormiras

j’irai je dormirai.

······················································· MON PEUPLE MON DIEU. ·······················································

• TON PEUPLE • ET TON DIEU – 17 Là où .. et là : qu’ainsi fasse : si la mort

tu mourras

je mourrai

je serai enterrée ; Yhwh à moi sépare

et ainsi entre moi

qu’il ajoute et entre toi.

Dans la première partie, Noémi invite Ruth à « retourner » (15d) comme sa belle-sœur « est retournée » (15b). Le long discours de Ruth se développe en trois morceaux organisés de manière concentrique. Les segments extrêmes commencent par des volitifs, dont le sujet est d’abord Noémi (16b), « Yhwh » à la fin (17c) ; « abandonner » et « séparer » appartiennent au même champ sémantique. Le deuxième segment et l’avant-dernier sont complémentaires, l’un concernant le temps de la vie (16de), l’autre de la mort (17ab) ; la succession chronologique est du même ordre : « aller » (de jour) est suivi par « dormir » (de nuit), « mourir » suivi par « être enterrée ». Dans le dernier morceau, les occurrences de « mourir » et « mort » font inclusion (17a.d). Le morceau central ne compte qu’un seul segment, qui est le plus court de tous (16fg). Le « Dieu » dont il est question à la fin de ce morceau est appelé « Yhwh », Dieu d’Israël, à la fin du troisième (17c). Les deux parties sont liées pas les trois occurrences de « retourner » (15b.d ; 16c) et par celles, opposées, de « son peuple et ses dieux » (15c) et « ton peuple, mon peuple et ton Dieu, mon Dieu » (16fg). À l’impératif final de Noémi, « retourne » (15d) répond l’impératif initial de Ruth, « Ne me presse pas » (16b).

Séquence A : 1,1-22

37

CONTEXTE « TU SERAS MON PEUPLE ET JE SERAI TON DIEU » La déclaration de Ruth, « Ton peuple, mon peuple et ton Dieu, mon Dieu » (16fg) fait penser à la formule d’alliance : « Vous serez mon peuple et moi, je serai votre Dieu » (Jr 30,22 ; voir aussi 24,7 ; 31,23 ; Ez 36,28). « QU’AINSI ME FASSE YHWH ET AINSI QU’IL Y AJOUTE, SI... » Cette formule de serment est classique. Éli demanda à Samuel : « Quelle est la parole qu’il (Yhwh) t’a dite ? Ne me cache rien ! Que Dieu te fasse ce mal et qu’il ajoute encore cet autre si tu me caches un mot de ce qu’il t’a dit. » (1S 3,17).

INTERPRÉTATION À LA VIE, À LA MORT Par son mariage avec Kilyôn, Orpha avait contracté un engagement qui n’aura duré qu’une dizaine d’années. Libéré de ce lien par la mort de son époux et par l’insistance de sa belle-mère, elle retourne dans son peuple. Pour Ruth, au contraire, le lien du mariage l’a fait entrer dans sa belle-famille dont elle n’entend pas sortir. Avec la seule qui reste de cette famille, c’est à la vie, à la mort, non seulement avec la personne de Noémi, mais avec tout son peuple et par conséquent aussi avec leur Dieu. RUTH ENTRE DANS L’ALLIANCE DU DIEU D’ISRAËL La déclaration d’adhésion au peuple et au Dieu d’Israël que prononce Ruth est intégrée dans le contexte d’une promesse qui regarde le futur : « Où tu iras, j’irai et où tu dormiras, je dormirai... ». Et l’on serait tenté de la mettre, elle aussi, au futur : « Ton peuple sera mon peuple et ton Dieu sera mon Dieu ». Toutefois, Ruth achève sa réponse à Noémi avec un serment où elle invoque non pas Kémosh, le dieu majeur du peuple de Moab, mais celui de « Yhwh », le Dieu d’Israël. C’est donc qu’elle le considère déjà comme son Dieu.

38

La première section (Rt 1)

D. LA DISCUSSION ENTRE NOÉMI ET SES DEUX BELLES-FILLES L’ensemble de la deuxième sous-séquence : 1,8-17 COMPOSITION * 8 Et Noémi dit à ses deux belles-filles : « Allez, RETOURNEZ chaque femme dans la maison de sa mère ; QUE YHWH FASSE FIDÉLITÉ avec vous, comme vous avez fait avec LES MORTS et avec moi ; 9 QUE YHWH VOUS DONNE de trouver du repos chaque femme dans la maison de son mari. » = Et elle les EMBRASSA ET ELLES ÉLEVÈRENT LA VOIX ET PLEURÈRENT et elles lui dirent : « Non, avec toi NOUS RETOURNERONS vers ton peuple. »

10

* 11 Et Noémi dit : « RETOURNEZ, mes filles, pourquoi allez-vous avec moi ? Ai-je encore des fils dans mes entrailles qui seraient pour vous des maris ? 12 RETOURNEZ, mes filles, allez, car je suis trop vieille pour être à un mari, car si je disais il y a pour moi de l’espoir, même si j’étais cette nuit à un mari et même si j’enfantais des fils, 13 est-ce que pour eux vous patienteriez jusqu’à ce qu’ils aient grandi ? Est-ce que vous vous abstiendriez sans être à un mari ? Non, mes filles, car c’est très amer pour moi, trop pour vous, car LA MAIN DE YHWH EST SORTIE CONTRE MOI. » 14

ET ELLES ÉLEVÈRENT LA VOIX ET PLEURÈRENT encore ; et Orpha EMBRASSA sa belle-mère, mais Ruth s’attacha à elle. *

15

Et elle dit : « Voici que ta belle-sœur derrière ta belle-sœur. »

EST RETOURNÉE

vers son peuple et vers ses dieux ;

RETOURNE

= 16 Et Ruth dit : « Ne me presse pas de t’abandonner pour RETOURNER de derrière toi, car où tu iras j’irai et où tu dormiras je dormirai. Ton peuple est mon peuple et ton Dieu est mon Dieu. 17 Là où TU MOURRAS JE MOURRAI et là je serai enterrée ; QUE YHWH ME FASSE AINSI ET AINSI QU’IL Y AJOUTE si LA MORT nous sépare, moi et toi. »

Dans les passages extrêmes, le discours de Noémi suscite une réponse verbale, de la part de ses deux belles-filles au début (10), de Ruth seulement à la fin (16-17). Les deux occurrences de « vers ton/son peuple » jouent le rôle de termes médians (10.15). À « les morts » de 8b correspondent « mourir » et « la mort » (17). Les deux premières parties sont liées par les occurrences de « mari(s) » (litt., « homme » : 9a ; 11b.12b.c.13c), mais surtout par les termes finaux : 9 : Et elle les EMBRASSA et elles élevèrent la voix et pleurèrent 14 : Et elles élevèrent la voix et pleurèrent encore ; et Orpha EMBRASSA sa belle-mère.

« Retourner » revient dans les trois passages (8a.10 ; 11a.12a ; 15a.b.16a) et de même la mention des actions de « Yhwh » (8b.9a ; 13cd ; 17ab).

Séquence A : 1,1-22

39

INTERPRÉTATION L’ÉPREUVE DU DÉSIR Au Proche-Orient, quand on est invité à un repas ou simplement à prendre un café, on remercie. Si l’invitation est répétée, on réitère le remerciement. Quand elle revient une troisième fois, c’est que ce n’est pas seulement de la courtoisie, mais une véritable invitation ; et il serait inconvenant de refuser, comme il serait tout à fait malpoli d’accepter dès la première fois. Deux refus courtois représentent la manière normale de vérifier ou de mettre à l’épreuve le désir de l’autre. Il en va de même entre Noémi et ses belles-filles. Elle les invite une première fois à la quitter pour rentrer dans leur famille, mais elles refusent de manière catégorique. Elle y revient une deuxième fois en explicitant longuement les raisons de sa requête. Quand Orpha l’a quittée, elle invite une troisième fois Ruth à s’en retourner chez sa mère. Mais Ruth refuse définitivement. Sa bellemère ne peut alors qu’accepter sa décision. LE DIEU DE NOÉMI Noémi évoque l’action de son Dieu par trois fois. Elle accompagne l’ordre adressé à ses belles-filles de retourner chez leur mère de deux invocations à Yhwh ; elle lui demande instamment de récompenser leur fidélité passée et de les bénir pour l’avenir. À la fin de sa deuxième intervention, la raison finale et définitive de son argumentation est que Yhwh a levé sa main contre elle. Ainsi, même si le Dieu d’Israël l’a abandonnée, elle lui demande d’être favorable à ses belles-filles, elles qui ne font pas partie du peuple élu, mais appartiennent à un peuple non seulement étranger, mais aussi ennemi. L’attitude de Noémi est aux antipodes de la jalousie. Le Dieu qu’elle adore n’est pas seulement le Dieu d’Israël, c’est celui qui gouverne tous les peuples par son amour et sa fidélité. LE DIEU DE RUTH Le serment par lequel s’achève la sous-séquence crée la surprise. C’est en effet Ruth la Moabite, l’étrangère, qui invoque le nom de Yhwh, le Dieu d’Israël. Elle le prend à témoin de sa fidélité indéfectible à sa belle-mère : même la mort ne saurait les séparer. La mort de Mahlôn, son mari, n’avait pu la détacher de sa belle-mère. Il en ira de même pour la mort de l’une ou de l’autre ; elles resteront ensemble et elles seront enterrées au même lieu. Sa fidélité est garantie par celle de celui qui est devenu son Dieu.

40

La première section (Rt 1)

3. NOÉMI ARRIVE À BETHLÉEM AVEC SA BELLE-FILLE RUTH La troisième sous-séquence : 1,18-22 La troisième sous-séquence ne comprend qu’un seul passage. TEXTE 18

Et elle vit qu’obstinée elle pour aller avec elle et elle cessa de parler à elle. 19 Et elles allèrent les deux jusqu’à leur arriver à Beth Léhem. Et il fut à leur arriver à Beth Léhem et un tumulte de toute la ville à cause d’elles. Et elles dirent : « Est-ce celle-ci Noémi ? » 20 Et elle dit à elles : « N’appelez pas moi Noémi, appelez-moi Amère car a été amer Shaddaï avec moi beaucoup. 21 Moi, pleine je m’en suis allée et à vide m’a fait-retourner Yhwh. Pourquoi appelez-vous moi Noémi et Yhwh a témoigné contre moi et Shaddaï a fait du mal à moi ? » 22 Et retourna Noémi et Ruth la Moabite sa belle-fille avec elle qui retournait des Champs de Moab ; et elles, elles arrivèrent à Beth Léhem au début de la moisson des orges. V. 20BC : «

NOÉMI – AMÈRE »

À son nom qui signifie « gracieuse », « douce » (voir p. 28), Noémi dit devoir être appelée d’un autre nom dont le sens lui est directement opposé. V. 20-21

: « SHADDAÏ » – « YHWH »

Ces deux noms divins sont répétés en chiasme (20d.21b / 21d.21e) dans la bouche de Noémi. C’est la seule fois où « Shaddaï » est utilisé, par deux fois, dans le livre de Ruth, tandis que « Yhwh » y revient dix-huit fois. Ce nom divin, dont l’origine et le sens sont incertains, revient neuf fois dans la Torah, dont six précédé de « El », deux fois dans les Psaumes et quatre fois dans les prophètes postérieurs, mais pas moins de trente et une fois dans Job. La situation de Noémi, qui a perdu tous les membres de sa famille, la rend semblable à Job qui, lui aussi, a perdu tous ses enfants (Jb 1,18-19). La première occurrence de « El Shaddaï » se trouve en Gn 17,1-2 ; c’est sous ce nom que Dieu se présente à Abraham : « Je suis El Shaddaï, marche en ma présence et sois parfait. J’institue mon alliance entre moi et toi, et je t’accroîtrai extrêmement » (aussi Ex 6,3). Ailleurs aussi, ce nom est lié à une promesse de fécondité (Gn 28,3 ; 34,11 ; 48,3-4 ; 49,25).

Séquence A : 1,1-22

41

COMPOSITION : 1,18 Et elle vit : pour aller : et elle cessa

qu’obstinée avec elle de parler

à elle.

- Et elles allèrent - jusqu’à LEUR ARRIVER

les deux À BETH

LÉHEM.

. Et il fut . et un tumulte

À LEUR ARRIVER de toute la ville

19

elle

À BETH

LÉHEM

à cause d’elles.

= Et elles dirent : .. « Est-ce celle-ci + 20 Et elle dit

NOÉMI ? » à elles :

····················································

moi moi Shaddaï

NOÉMI, Amère avec moi

pleine m’a fait-retourner

je m’en suis allée Yhwh.

appelez-vous a témoigné a fait du mal

moi contre moi à moi ? »

NOÉMI

- 22 Et retourna - et Ruth - qui retournait

NOÉMI la Moabite des Champs

sa belle-fille de Moab ;

avec elle

.. et elles, .. au début

ELLES ARRIVÈRENT de la moisson

À BETH

LÉHEM

:: « N’appelez pas – appelez– car a été amer 21

:: Moi, – et à vide :: Pourquoi – et Yhwh – et Shaddaï

beaucoup.

des orges.

Les trois segments de la première partie suivent l’ordre chronologique. Les deux derniers segments sont liés par la répétition de « leur arriver à Beth Léhem » en termes médians. Dans la deuxième partie, Noémi répond longuement à la courte question étonnée des femmes de Bethléem. Deux trimembres encadrent un bimembre où est explicitée concrètement l’action de Dieu dont les segments extrêmes disent qu’il a été amer (20d), qu’il a témoigné contre elle et lui a fait du mal (21de) : il l’a fait revenir « à vide » (21b). Les trois segments peuvent être dits parallèles : elle ne doit plus être appelée « Noémi » (20b.21c) qui « pleine » s’en était allée (21a), mais « Amère » (20c) qui, à cause du Seigneur (20d.21b.21de), « à vide » revient (21b). Les deux noms de Dieu, « Shaddaï » et « Yhwh » (20d.21b), sont repris, en sens inverse, dans les deux derniers membres du troisième segment (de). La partie commence par la question des femmes de Bethléem (19f) et

42

La première section (Rt 1)

s’achève avec la question que Noémi leur adresse (21cde), nouvel exemple de la loi de la question au centre. On notera les sept occurrences du pronom de première personne du singulier, régulièrement distribuées (20bcd.21a. 21cde). : 1,18 Et elle vit : pour aller : et elle cessa

qu’obstinée avec elle de parler

à elle.

- Et elles allèrent - jusqu’à LEUR ARRIVER

les deux À BETH

LÉHEM.

. Et il fut . et un tumulte

À LEUR ARRIVER de toute la ville

19

elle

À BETH

LÉHEM

à cause d’elles.

= Et elles dirent : .. « Est-ce celle-ci + 20 Et elle dit

Noémi ? » à elles :

··················································

moi moi Shaddaï

Noémi Amère avec moi

pleine m’a fait-retourner

je m’en suis allée Yhwh.

appelez-vous a témoigné a fait du mal

moi contre moi à moi ? »

Noémi

- 22 Et retourna - et Ruth - qui retournait

Noémi la Moabite des Champs

sa belle-fille de Moab ;

avec elle

.. et elles, .. au début

ELLES ARRIVÈRENT de la moisson

À BETH

LÉHEM

:: « N’appelez pas – appelez– car a été amer 21

:: Moi, – et à vide :: Pourquoi – et Yhwh – et Shaddaï

beaucoup.

des orges.

Dans la dernière partie, le premier segment insiste sur l’origine moabite de Ruth (22bc). Les noms des points de départ et d’arrivée des deux femmes, « les Champs de Moab » et « Beth Léhem » se trouvent en termes médians. Le second segment précise le temps de leur arrivée, « au début de la moisson des orges ». Les parties extrêmes, qui sont de récit, reprennent « arriver » et « Beth Léhem » (19bc.22d).

Séquence A : 1,1-22

43

CONTEXTE « LE SEIGNEUR A DONNÉ, LE SEIGNEUR A REPRIS... » La déclaration centrale de Noémi, « Moi, pleine je m’en suis allée et à vide m’a fait retourner Yhwh », est fort différente de celle de Job : « Yhwh avait donné, Yhwh a repris : que le nom de Yhwh soit béni ! » (Jb 1,20). Pour elle, l’action de Dieu ne concerne que le malheur ; elle oublie complètement le don initial du Seigneur.

INTERPRÉTATION UNE QUESTION INCRÉDULE La question que posent les femmes de Bethléem n’est pas adressée à Noémi. Comme si elles n’osaient pas lui parler, tellement elles sont surprises et étonnées. Certes, elles la reconnaissent, puisqu’elles prononcent son nom, mais leur question trahit leur incompréhension. On devine qu’elles sont stupéfaites de la voir revenir sans son mari ni ses deux fils, mais avec une jeune femme qui leur est totalement inconnue. NOÉMI RÉPOND Noémi a-t-elle entendu la question, ou l’a-t-elle devinée ? Quoi qu’il en soit, elle y répond. Les femmes ont bien raison de poser une telle question, car elle n’est plus la Noémi qu’elles ont connue, comblée d’un mari et de leurs deux fils. Elle s’en retourne complètement vide, veuve, sans enfants ni petits-enfants. C’était « Noémi » qui les avait quittées, celle qui revient est « Amère ». UN MALHEUR DE DIEU Par quatre fois Noémi attribue à Dieu la cause de son malheur. Comment interpréter une telle insistance ? Est-ce une accusation ? Il est vrai qu’elle ne voit la main de Dieu que dans son mal et qu’elle a oublié que si elle était Noémi la douce, la gracieuse, c’était grâce à ses dons. Toutefois, il faut sans doute se garder d’accuser trop vite cette malheureuse. Il ne semble pas qu’elle se rebelle ou se résigne devant la volonté d’un dieu tout-puissant et malfaisant ; ses paroles sont l’humble aveu d’une totale incompréhension. Une telle série de douleurs, leur accumulation systématique ne sauraient trouver d’autre explication que dans le dessein de la divinité. C’est une manière de dire l’immensité incommensurable et inexplicable du malheur. Si Shaddaï est le Dieu qui avait promis aux pères la fécondité, comment a-t-il permis, comment a-t-il voulu la priver de tout ce qui faisait sa plénitude, son mari, ses fils, leur descendance ?

44

La première section (Rt 1)

4. NOÉMI ET RUTH REVIENNENT DE LA MORT EN MOAB L’ensemble de la séquence A : 1,1-22 COMPOSITION 1,1 Et il arriva aux jours du jugement des Juges qu’il arriva une famine dans le pays. Et s’en alla un homme de BETHLÉEM de Juda séjourner aux CHAMPS DE MOAB, lui et sa femme et ses deux FILS. 2 Le nom de l’homme Élimélek et le nom de sa femme Noémi et le nom de ses deux FILS Mahlôn et Kilyôn, Éphratéens de BETHLÉEM de Juda et ils vinrent aux CHAMPS DE MOAB et ils furent là. 3 Et Élimélek l’homme de Noémi MOURUT et elle resta elle et ses deux FILS. 4 Et ils prirent pour eux des femmes MOABITES ; le nom de la première était Orpha et le nom de la deuxième Ruth et ils résidèrent là environ dix années. 5 Et MOURURENT aussi les deux Mahlôn et Kilyôn ; et elle, la femme, resta sans ses deux enfants et sans son homme. 6 Et elle se leva, elle et ses belles-filles et elle RETOURNA des CHAMPS DE MOAB car elle avait entendu aux CHAMPS DE MOAB que YHWH avait visité son peuple pour leur donner du pain. 7 Et elle sortit du lieu dans lequel elle était là-bas et ses deux belles-filles avec elle et elles s’en allèrent sur la route pour RETOURNER vers le pays de Juda. 8

Et Noémi dit à ses deux belles-filles : « Allez, RETOURNEZ chaque femme à la maison de sa mère ; que fasse YHWH avec vous fidélité, comme vous avez fait avec LES MORTS et avec moi ; 9 que YHWH vous donne de trouver du repos chaque femme à la maison de son homme. » Et elle les embrassa et elles élevèrent leurs voix et elles pleurèrent 10 et elles lui dirent : « Non, avec toi NOUS RETOURNERONS vers ton peuple. » 11

Et Noémi dit : « RETOURNEZ, mes filles, pourquoi allez-vous avec moi ? Ai-je encore des FILS dans mes entrailles qui seraient pour vous des hommes ? 12 RETOURNEZ, mes filles, allez-vous-en car je suis trop vieille pour être à un homme, car si je disais qu’il y a pour moi de l’espoir, même si j’étais cette nuit à un homme et même si j’enfantais des FILS, 13 est-ce que pour eux vous patienteriez jusqu’à ce qu’ils aient grandi ? Est-ce que vous vous abstiendrez d’être à un homme ? Non, mes filles, car C’EST TRÈS AMER pour moi, trop pour vous, car la main de YHWH est sortie contre moi. » 14 Et elles élevèrent leurs voix et elles pleurèrent encore ; et Orpha embrassa sa bellemère et Ruth s’attacha à elle. 15

Et elle dit : « Voici EST RETOURNÉE ta belle-soeur vers son peuple et vers son dieu ; RETOURNE derrière ta belle-sœur. » 16 Et Ruth dit : « Ne me presse pas de t’abandonner pour RETOURNER de derrière toi, car vers où tu iras j’irai et où tu dormiras je dormirai ; ton peuple est mon peuple et ton Dieu est mon Dieu. 17 Là où TU MOURRAS JE MOURRAI et là je serai enterrée. Qu’ainsi me fasse YHWH et ainsi qu’il y ajoute si LA MORT nous sépare moi et toi. » 18

Et elle vit qu’elle était obstinée pour aller avec elle et elle cessa de lui parler. 19 Et elles allèrent les deux jusqu’à arriver à BETHLÉEM et à leur arrivée à BETHLÉEM ce fut un tumulte de toute la ville à cause d’elles. Et elles dirent : « Est-ce là Noémi ? » 20 Et elle leur dit : « Ne m’appelez pas Noémi, appelezmoi AMÈRE car SHADDAÏ A ÉTÉ TRÈS AMER avec moi. 21 Moi, pleine je m’en suis allée et à vide YHWH m’a FAIT-RETOURNER. Pourquoi m’appelez-vous Noémi, alors que YHWH a témoigné contre moi et que SHADDAÏ m’a fait du mal ? » 22 Et Noémi RETOURNA et Ruth LA MOABITE sa belle-fille avec elle qui RETOURNAIT des CHAMPS DE MOAB ; et elles, elles arrivèrent à BETHLÉEM au début de la moisson des orges.

Séquence A : 1,1-22

45

Les sous-séquences extrêmes (1-7 ; 18-22) ne comptent qu’un seul passage, tandis que la sous-séquence centrale (8-17) en comporte trois. Les titres donnés aux sous-séquences et aux passages dont la sous-séquence centrale est formée entendent mettre en valeur leurs rapports essentiels : NOÉMI QUITTE LA DISCUSSION

LES CHAMPS DE MOAB

AVEC SES DEUX BELLES-FILLES

ENTRE NOÉMI

ET SES DEUX BELLES-FILLES

Les deux belles-filles refusent de se séparer de Noémi

1,1-7

(8-17) 8-10

NOÉMI INSISTE POUR QU’ELLES RETOURNENT CHEZ ELLES

11-14

Ruth décide de s’attacher au peuple et au Dieu de Noémi

15-17

NOÉMI ARRIVE

À BETHLÉEM

AVEC SA BELLE-FILLE RUTH

18-22

Aux niveaux supérieurs, la traduction peut être moins littérale. LES RAPPORTS ENTRE LES SOUS-SÉQUENCES EXTRÊMES Ce sont les seules où reviennent les noms de « Bethléem » (deux fois : 1b.2c ; 19b bis), de « les Champs de Moab » (2c.6a ; 22ab), de « moabite(s) » (3b.22a). LES RAPPORTS ENTRE LES DEUX PREMIÈRES SOUS-SÉQUENCES Les deux premières sous-séquences sont liées par les reprises de « homme(s) » (1b.2b.3a.5b ; 9a.11b.12b.c), « femme(s) » (1b.3b.5b ; 8a.9a), « fils » (1b.2b.3 ; 11b.12c), « mourir/mort » (3a.5a ; 8b.17a.b), « peuple » (6b ; 10b.15a.16b bis). LES RAPPORTS ENTRE LES DEUX DERNIÈRES SOUS-SÉQUENCES Reviennent « être amer/Amère » (13b ; 20b). LES RAPPORTS ENTRE LES TROIS SOUS-SÉQUENCES – « belle(s)-fille(s) (6a.7b ; 8a ; 22a) ; – « retourner » dans chacun des cinq passages (6a.7c ; 8a.10b.11a.12a.15a.b. 16a ; 21b.22a bis, soit douze fois) ; « retourner des Champs de Moab » revient dans les passages extrêmes, avec Noémi la première fois (6a) et avec Ruth la deuxième fois (22ab) ; – le nom et les actions de « Yhwh » – « Shaddaï » (6b ; 8b.9a.13c.17b ; 20b. 21bc ter), dans les cinq passages de la séquence ; « Shaddaï » n’apparait que deux fois, et seulement dans le dernier passage (20b.21c).

46

La première section (Rt 1)

INTERPRÉTATION LA MORT Toute la séquence se trouve sous le signe de la mort. C’est d’abord pour ne pas mourir de faim qu’Élimélek quitte Bethléem avec sa femme et ses deux fils. Pensant avoir sauvé sa vie aux Champs de Moab, il ne tarde pourtant pas à mourir. La mort poursuit aussi ses deux fils qui, après une dizaine d’années de mariage, n’ont toujours pas d’enfant et finissent pas mourir eux aussi. Noémi invite alors ses belles-filles à fuir la mort : retournant dans leur peuple, elles pourront s’y remarier et transmettre la vie. Quant à elle, elle reste du côté de la mort. Cela transparait dans ses paroles quand elle dit : « comme vous avez fait avec les morts et avec moi » (8b). Son sein est mort comme son cœur. Orpha choisit la vie assurée que lui promet sa belle-mère. Ruth, quant à elle, évoque la mort, par deux fois (17), mais c’est la mort qui scellera toute une vie qu’elle partagera avec Noémi. Sans savoir ce qui adviendra et comment, elle choisit aussi la vie car elle a compris que c’était la vie que sa belle-mère désirait en retournant à Bethléem. LE RETOUR À LA VIE Il est question de « retourner », de façon lancinante, tout au long de la séquence. Après la mort de son mari et de ses deux fils, Noémi décide de « retourner des Champs de Moab » « vers le pays de Juda » (6a.7c). Après plus d’une dizaine d’années d’exil, elle s’en revient d’où ils étaient venus, à Bethléem. De manière complémentaire, Noémi invite ses belles-filles à « retourner, chacune dans la maison de sa mère » (8a) ; quittant leur belle-mère, elles s’en retourneraient chez elles, d’où elles étaient venues. C’est ce que, finalement, Orpha décide de faire (14). Noémi insiste alors pour que Ruth « retourne derrière [sa] belle-sœur » (15). Mais celle-ci ne veut pas en entendre parler : elle refuse de « retourner de derrière [elle] » (16). « Retourn[ant] des Champs de Moab » (22), elle suit la conduite de Noémi (8). Elle quitte non seulement son peuple pour entrer dans un autre peuple, mais aussi ses dieux pour trouver refuge sous les ailes de Yhwh, le Dieu unique. LE RETOUR AU SEIGNEUR Le nom de « Yhwh » apparait la première fois quand le narrateur signale que si Noémi a décidé de s’en retourner des Champs de Moab, c’est qu’elle a entendu parler d’un bienfait de Dieu en faveur de son peuple, le don du pain après la famine. Il faudra attendre la fin de son discours central à ses belles-filles (13c) et surtout la fin du récit (20-21) pour apprendre qu’elle attribue son immense malheur à « la main de Yhwh ». Le Seigneur n’est donc pas seulement celui qui fait du bien, mais aussi celui qui cause le mal. Or, ce mal voulu par Dieu est le châtiment, la punition, le remède d’un mal commis par l’homme. Le narrateur ne se prononce pas, mais il accumule des faits que le lecteur, qui connait la loi,

Séquence A : 1,1-22

47

histoire et préceptes, ne peut pas ne pas reconnaitre comme de graves fautes de la part des personnages : en fuyant la famine, Élimélek pense échapper à la correction et à la conversion, il trouve refuge chez l’ennemi loin de son Dieu ; ses fils épouses des étrangères, contrevenant gravement à la loi divine. La mort et la stérilité seront le fruit inéluctable de telles infidélités. Toutefois, le châtiment ne vise pas la mort, mais le retour du pécheur à la vie et à celui qui seul est capable de la donner. D’instinct, Noémi comprend qu’elle doit retourner. LA FIDÉLITÉ AU-DELÀ DE LA MORT Si Élimélek et ses fils furent infidèles à leur peuple et à leur Dieu, Noémi reconnait qu’au contraire ses belles-filles n’ont pas manqué à la fidélité due à leur mari et à leurs beaux-parents (8b). Malgré les objurgations de sa belle-mère, malgré l’abandon de sa belle-sœur, Ruth reste obstinément fidèle à Noémi qu’elle refuse d’abandonner. Elle sera la seule de tous à tenir jusqu’au bout. Audelà de la mort des trois hommes du clan, elle s’engage même par un serment solennel à rester fidèle à sa belle-mère au-delà même de la mort. Une telle fidélité ne pouvait rester sans effet. À la fidélité de Ruth, le Seigneur ne pourra pas ne pas répondre par une fidélité qui ne s’est jamais démentie.

RUTH ET BOAZ SE RENCONTRENT La section B Rt 2,1–3,18

50

La deuxième section (Rt 2–3) La deuxième section comprend trois séquences :

B1 : DE JOUR,

RUTH

RENCONTRE

BOAZ

DANS SON CHAMP

B2 : NOÉMI CONSEILLE RUTH

B3 : DE NUIT,

RUTH

REJOINT

2,1-17

2,18-22

BOAZ

SUR SON AIRE

3,1-18

I. DE JOUR, RUTH RENCONTRE BOAZ DANS SON CHAMP Séquence B1 : 2,1-17 Cette séquence compte six passages organisés en trois sous-séquences : BOAZ

FAIT LA CONNAISSANCE

LE DIALOGUE

BOAZ

ENTRE BOAZ

PREND GRAND SOIN

DE RUTH

2,1-7

ET RUTH

8-13

DE RUTH

14-17

A. BOAZ FAIT LA CONNAISSANCE DE RUTH La première sous-séquence : 2,1-3 Cette sous-séquence comprend deux passages : RUTH

VA GLANER

DANS LE CHAMP

DE BOAZ

2,1-3

BOAZ

SE RENSEIGNE

SUR L’IDENTITÉ

DE RUTH

4-7

1. Ruth va glaner dans le champ de Boaz : 2,1-3 TEXTE 2,1 Et à Noémi (était) un parent de son homme, homme puissant en valeur, de la famille d’Élimélek, et son nom (était) Boaz. 2 Et dit Ruth la Moabite à Noémi : « Je voudrais-aller au champ et glaner les épis derrière celui auquel je trouverai-grâce à ses yeux. » Et elle dit à elle : « Va, ma fille. » 3 Et elle alla et vint et elle glana au champ derrière les moissonneurs. Et elle eut de la chance : la parcelle de champ (était) à Boaz, lequel (était) de la famille d’Élimélek. V. 1A

: « HOMME PUISSANT EN VALEUR »

On peut traduire, mais trop platement, par « homme fort riche ». Substantif ou adjectif, le deuxième terme se dit d’un grand homme, d’un homme de valeur, d’un héros. Quant à ḥayil, il indique aussi bien le pouvoir que les richesses. V. 3D

: « ET ELLE EUT DE LA CHANCE »

Les deux mots sont de même racine, litt., « et sortit son sort ».

52

La deuxième section (Rt 2–3)

COMPOSITION DU PASSAGE – 2,1 Et à Noémi .. homme

(était) un parent puissant

– DE LA FAMILLE .. et son nom

D’ÉLIMÉLEK (était) BOAZ.

+ 2 Et dit

Ruth

. « Je voudrais-aller AU CHAMP . et GLANER les épis . derrière celui auquel

de son homme, en valeur,

la Moabite

à Noémi :

je trouverai-grâce

à ses yeux. »

························································································································

:: Et elle dit .. « Va,

à elle : ma fille. »

– 3 Et elle alla .. et ELLE GLANA .. derrière

les moissonneurs.

– Et elle eut .. la parcelle .. lequel (était)

DE CHAMP DE LA FAMILLE

et vint AU CHAMP

de la chance : (était) à BOAZ D’ÉLIMÉLEK.

Les deux segments de la première partie sont parallèles : dans les premiers membres, « de la famille d’Élimélek » précise « un parent de son homme », et les seconds membres qualifient le parent, par son rang social (1b), et enfin par son nom (1d). Dans la dernière partie, le deuxième segment précise dans quel « champ » Ruth est allée glaner. À la fin des parties extrêmes reviennent, de manière croisée, « de la famille d’Élimélek » et « Boaz ». Au centre, le dialogue entre Ruth et Noémi. À la fin des paroles de Ruth, « celui auquel je trouverai-grâce à ses yeux » (2d) ne sera autre que « Boaz » « de la famille d’Élimélek ».

CONTEXTE LA MANNE Le verbe lqṭ signifie « ramasser », « recueillir ». Il est employé neuf fois dans le récit du don de la manne en Ex 16. Le peuple qui avait faim reçoit gratuitement sa nourriture quotidienne de la main de Dieu.

Séquence B1 : 2,1-17

53

UNE LOI POUR LA MOISSON La Loi prévoit de laisser glaner la moisson et grappiller la vigne à ceux qui en ont besoin, « le pauvre et l’étranger » : 9

Lorsque vous récolterez la moisson de votre pays, vous ne moissonnerez pas jusqu’à l’extrême bout du champ. Tu ne glaneras pas ta moisson, 10 tu ne grappilleras pas ta vigne et tu ne ramasseras pas les fruits tombés dans ton verger. Tu les abandonneras au pauvre et à l’étranger. Je suis Yhwh votre Dieu (Lv 19,9-10 ; voir aussi 23,22).

INTERPRÉTATION « UN HOMME DE LA FAMILLE D’ÉLIMÉLEK » D’emblée est présenté le parent du mari de Noémi dont il va être désormais question. Avant d’entendre son nom, on apprend que c’est un notable de haut rang. Le narrateur semble jouer sur le sens du mot « homme », repris en contiguïté : l’homme parent du mari de Noémi ne pourrait-il pas lui aussi devenir un mari ? DEUX PAUVRESSES En belle-fille accomplie, Ruth demande à Noémi la permission d’aller glaner. Étant donné leur situation de femmes seules et sans homme, il est clair qu’elles doivent prendre les moyens de se nourrir. Ce n’est certes pas pour passer le temps que la plus jeune propose d’aller glaner comme font les pauvres qui n’ont pas d’autre moyen pour assurer leur subsistance. Les deux femmes connaissent la loi qui oblige les propriétaires de laisser glaner les besogneux au temps de la moisson. LE HASARD FAIT BIEN LES CHOSES Le sort a voulu que Ruth ait été conduite justement dans le champ d’un parent de son beau-père, un homme considéré, aisé. Il ne moissonne pas lui-même, il a recours à des moissonneurs, ses employés. Le sort fait décidément bien les choses. Le narrateur est fort discret, mais le lecteur ne peut guère s’empêcher de penser que derrière lui pourrait se cacher celui dont Noémi avait dit qu’elle avait entendu dire qu’il avait visité son peuple en lui donnant du pain (1,6).

54

La deuxième section (Rt 2–3)

2. Boaz se renseigne sur l’identité de Ruth : 2,4-7 TEXTE 4

Et voici Boaz vint de Beth Léhem et dit aux moissonneurs : « Yhwh (soit) avec vous ! » Et ils dirent à lui : « Que te bénisse Yhwh ! » 5 Et dit Boaz à son jeune-homme qui était préposé sur les moissonneurs : « À qui est la jeune-femme celle-ci ? » 6 Et répondit le jeune-homme qui était préposé sur les moissonneurs et il dit : « Une jeune-femme moabite elle (est) qui est revenue avec Noémi des Champs de Moab. 7 Et elle a dit : “Je voudrais-glaner et je recueillerais entre les gerbes derrière les moissonneurs.” Et elle est venue et elle est-debout depuis le matin et jusqu’à maintenant ; ceci est son repos dans la maison un peu. » V. 4A

: « BOAZ »

Le sens du nom est « en lui la force ». V. 5A.6C : « JEUNE-HOMME – JEUNE-FEMME

»

Le terme na‘ar, qui peut signifier « jeune-combattant », signifie surtout « jeune-homme ». On a rendu son féminin par « jeune-femme », pour conserver le rapport avec « serviteur », et non par « jeune-fille » car, étant veuve, Ruth n’est plus une jeune-fille. Il eût été possible de traduire par « ouvrier/ouvrière ». V. 5C

: « À QUI EST LA JEUNE-FEMME CELLE-CI ? »

Une femme étant toujours sous la puissance d’un homme, père, frère, mari ou même fils, il est naturel que pour l’identifier on demande « à qui » elle est. V. 7B

: « JE RECUEILLERAIS ENTRE LES GERBES »

Le dernier terme est introduit par la préposition be. Certains comprennent : « pour (faire) des gerbes »1. D’autres croient qu’elle veuille se servir dans les gerbes elles-mêmes ; et c’est pourquoi, devant une requête aussi impudente, le responsable des moissonneurs ne lui aurait pas permis de glaner, en attendant l’arrivée du maitre2. Il semble plus naturel de penser qu’elle demande la faveur de passer juste après que les moissonneurs ont lié les gerbes, avant même qu’ils les aient emportées ; normalement, les glaneuses devaient attendre que la récolte ait été enlevée pour ne ramasser que ce qui avait été oublié sur le champ et ne pas être accusées d’avoir chipé des épis dans les gerbes3. V. 7D

: « ELLE EST VENUE ET ELLE EST RESTÉE-DEBOUT... »

« Elle est restée-debout » à travailler jusqu’à maintenant.

1

Par ex., Meschonnic, 67 ; Block, 656. Voir, par exemple, le long développement de Grossman, 145-156. 3 Voir Joüon, Ruth, 60. 2

Séquence B1 : 2,1-17 V. 7F

55

: « CECI EST SON REPOS DANS LA MAISON UN PEU »

Cette phrase est dite la plus difficile du livre4. La solution la plus probable est de considérer que le dernier membre s’oppose aux deux précédents ou leur est complémentaire : après avoir glané depuis le matin, maintenant elle se repose un peu dans la cabane qui procure un peu d’ombre aux travailleurs quand ils sont trop fatigués. « La maison » peut être une construction en dur, mais aussi un simple abri, cabane, hutte ou même tente. COMPOSITION DU PASSAGE + 2,4 Et voici + et il dit - « Yhwh

VINT

Boaz AUX MOISSONNEURS :

de Beth

Léhem

(soit) avec vous ! »

··················································································

= Et ils dirent - « Que te bénisse + 5 Et dit + qui était préposé : « À qui (est)

à lui : Yhwh ! » À SON JEUNE-HOMME

Boaz SUR LES MOISSONNEURS

:

LA JEUNE-FEMME

celle-ci ? »

= 6 Et répondit = qui était préposé

LE JEUNE-HOMME SUR LES MOISSONNEURS et il dit : ··············································································

: « UNE JEUNE-FEMME moabite : qui est revenue avec Noémi

elle (est) des Champs

de Moab.

7

.. Et elle a dit : “Je voudrais-glaner .. et je recueillerais entre les gerbes .. derrière LES MOISSONNEURS.” : Et ELLE EST VENUE : depuis : ceci (est)

et elle est-debout le matin son repos

et jusqu’à maintenant ; dans la maison un peu. »

Dans la première partie, Boaz et ses moissonneurs se saluent avec les formules habituelles5. Comme il est fréquent, la partie centrale contient la seule question du passage (5c). La réponse du chef des moissonneurs occupe toute la dernière partie : Ruth est identifiée essentiellement par son pays d’origine (« moabite » « des Champs de Moab »), mais aussi parce qu’elle est « avec Noémi ». Le second segment rapporte ce qu’elle a dit (7abc), le troisième ce qu’elle a fait (def). 4 5

Holmstedt, 116-117 ; Hubbard, 150. Ce sont celles qui sont aujourd’hui encore en usage dans le Proche-Orient arabe.

56

La deuxième section (Rt 2–3)

« Jeune-homme » et « jeune-femme » sont repris dans les deux dernières parties (5a.c ; 6a.c), ainsi que « qui était préposé sur les moissonneurs » (5b.6b). On pourra noter que les deux occurrences de « venir » font inclusion (4a.7d).

INTERPRÉTATION DIEU PREMIER SERVI ! Ce sont, bien sûr, les salutations d’usage que Boaz échange avec ses moissonneurs. Rien que de très banal, et pourtant, si le narrateur tient à le rapporter, ce n’est sans doute pas sans raison. Deux fois nommé, « Yhwh » est le personnage au nom duquel les protagonistes de la scène se saluent. Ainsi le récit se trouve mis en sa présence, comme sous sa protection. UNE INCONNUE ! Les salutations à peine échangées avec les moissonneurs, Boaz ne demande pas comment ils vont, si la moisson procède bien. Son œil repère immédiatement une jeune femme qu’il n’a jamais vue. Dans un village comme Bethléem, tout le monde se connait, ne serait-ce que de vue. Boaz connait donc tous ceux qui travaillent dans son champ, aussi bien les femmes que les hommes. UNE ÉTRANGÈRE DANS SA MAISON ! La jeune femme inconnue se repose à l’ombre. Connaissant sa situation, le lecteur sera peut-être porté à sourire, y voyant une sorte d’anticipation de la suite des évènements... On comprend cependant la surprise de Boaz et son désir de savoir qui est entré, pour ainsi dire, sous son toit. Un observateur d’aujourd’hui pourrait croire que c’est, de la part du maitre, de la simple curiosité. Dans le monde qui est le sien, il se doit de connaitre tous ceux qui travaillent pour lui. « DEPUIS LE MATIN » Quand Boaz arrive de Bethléem sur son champ, il y a déjà longtemps que ses moissonneurs ont commencé leur travail. Étant un personnage important, il a sans doute été longuement occupé à la porte de la cité pour régler, avec les autres notables, les inévitables problèmes qui leur sont soumis. La jeune femme, elle aussi, s’était mise au travail « depuis le matin ». Et si elle se repose un peu, c’est qu’elle a déjà glané depuis des heures. Le chef des moissonneurs peut témoigner qu’elle a bien mérité de faire cette courte pause à l’ombre d’un soleil qui est désormais bien haut.

Séquence B1 : 2,1-17

57

3. Boaz fait la connaissance de Ruth : 2,1-7 COMPOSITION DE LA SOUS-SÉQUENCE 2,1 Et Noémi avait un parent de son mari, un homme puissant en valeur, de la famille d’Élimélek, et son nom était Boaz. 2 Ruth la Moabite dit à Noémi : « JE VOUDRAIS-ALLER au champ et GLANER les épis derrière celui aux yeux duquel je trouverai-grâce. » Elle lui dit : « Va, ma fille. » 3 Et elle alla et vint et elle glana au champ derrière les moissonneurs. Et elle eut de la chance : la parcelle de champ était à Boaz qui était de la famille d’Élimélek. 4

Et voici que Boaz vint de Bethléem et dit aux moissonneurs : « Yhwh soit avec vous ! » Et ils lui dirent : « Que Yhwh te bénisse ! » 5 Boaz dit à son jeune-homme qui était préposé sur les moissonneurs : « À qui est cette jeune-femme ? » 6 Le jeune-homme préposé sur les moissonneurs répondit et dit : « C’est une jeunefemme moabite qui est revenue avec Noémi des Champs de Moab. 7 Elle a dit : “JE VOUDRAIS-GLANER et recueillir entre les gerbes derrière les moissonneurs.” Et elle est venue et elle est-debout depuis le matin et jusqu’à maintenant ; elle se repose un peu dans la maison. »

Ruth demande la permission de glaner d’abord à sa belle-mère (2a), puis au serviteur préposé sur les moissonneurs (7b). Elle a l’intention de glaner « derrière celui aux yeux duquel [elle] trouverai[t] grâce » (2ab), c’est-à-dire un homme qui moissonnerait seul son champ, mais elle glane en fait « derrière les moissonneurs » (3a.7b). Le chef des moissonneurs dit que Ruth est « moabite » (6b), ce que le narrateur n’avait pas omis de mentionner (2a). On pourra remarquer qu’à la fin de chaque passage, il est dit que Ruth « alla et vint » (3a), qu’« elle est venue » (7bc). INTERPRÉTATION DÉCIDÉE ET RESPECTUEUSE Ruth prend l’initiative, mais elle sait respecter les convenances qui s’imposent. Elle n’hésite pas à dire ses intentions à sa belle-mère, mais elle le fait en lui demandant sa permission, ce que celle-ci accepte aussitôt. Elle se conduira de même avec le responsable de la moisson de Boaz. Et celui-ci ne manquera pas de le rapporter à son maitre, comme une marque de courtoisie qu’elle n’a pas manqué de respecter, bien que ce fût son droit de venir glaner où elle voulait. UNE CHANCE INOUÏE Le narrateur commence son récit en parlant de Boaz et en précisant que c’est non seulement un parent d’Élimélek, le mari de Noémi, mais aussi un riche propriétaire. Il semble bien que Ruth n’en sache rien, puisqu’elle entend aller glaner derrière un homme qui moissonnera lui-même son champ et qui voudra

58

La deuxième section (Rt 2–3)

bien l’accepter. Or, la voilà qui se trouve dans un champ où plusieurs moissonneurs travaillent sous la direction d’un contremaitre. Elle aura donc beaucoup plus d’épis oubliés à recueillir que si elle avait glané derrière un seul homme, comme elle avait imaginé devoir le faire.

B. LE DIALOGUE ENTRE BOAZ ET RUTH La sous-séquence centrale : 2,8-13 La sous-séquence est de la taille d’un passage. TEXTE 2,8 Et dit Boaz à Ruth : « N’as-tu pas entendu, ma fille ? Ne va pas glaner dans un champ autre et aussi ne t’éloigne pas de celui-ci et ainsi attache-toi à mes jeunes-femmes ; 9 tes yeux (soient) sur le champ lequel ils moissonnent et tu iras derrière elles. N’ai-je pas ordonné aux jeunes-hommes de ne pas te toucher ? Et si tu as soif tu iras aux récipients et tu boiras de ce que puisent les jeunes-hommes. » 10 Et elle tomba sur la face et se prosterna à terre et elle dit à lui : « Pourquoi ai-je trouvé grâce à tes yeux que tu me considères et moi (je suis) une étrangère ? » 11 Et répondit Boaz et il dit à elle : « Raconter on a raconté à moi tout ce que tu as fait pour ta belle-mère après la mort de ton homme et tu as abandonné ton père et ta mère et le pays de ta naissance et tu es allée vers un peuple que tu ne connaissais ni d’hier ni d’avanthier. 12 Que te paie Yhwh ton action et que soit ta récompense entière de la part de Yhwh, le Dieu d’Israël, lequel tu es venue t’abriter dessous ses ailes. » 13 Et elle dit : « J’ai trouvé grâce à tes yeux, mon seigneur, car tu me consoles et car tu parles au cœur de ta domestique et moi je ne suis pas comme une de tes domestiques. » V. 8B

: « N’AS-TU PAS ENTENDU, MA FILLE ? »

La plupart pensent qu’il s’agit d’une question rhétorique, signifiant en réalité : « Écoute-bien, ma fille »6. Toutefois, le parallélisme avec la question de 9cd inviterait plutôt à comprendre que Boaz demande à Ruth si elle entend bien ce que, en s’adressant à elle, il ordonne à ses serviteurs. V. 10E : « QUE TU ME CONSIDÈRES ET MOI (JE SUIS) UNE ÉTRANGÈRE

»

« Considérer » et « étrangère » sont de la même racine (nkr). On pourrait rendre le jeu de mots ainsi : « que tu me connaisses, alors que je suis une inconnue ». V. 13Q. « J’AI TROUVÉ GRÂCE À TES YEUX

»

Le verbe peut être compris comme un indicatif ou comme un cohortatif. L’indicatif semble s’imposer car déjà en 10, Ruth avait constaté qu’elle avait trouvé grâce aux yeux de Boaz ; elle ne saurait souhaiter maintenant cette faveur. 6

Joüon, Ruth, 51 ; Block, 659.

Séquence B1 : 2,1-17

59

COMPOSITION DU PASSAGE LA PREMIÈRE PARTIE : 2,8-10 + 2,8 Et dit

Boaz

à Ruth :

··················································································

– « N’as-tu pas

entendu,

ma fille ?

: Ne va pas : et aussi - et ainsi

glaner ne t’éloigne pas attache-toi

dans un champ autre de celui-ci à mes jeunes-femmes ;

. 9 tes yeux (soient) - et tu iras

sur le champ derrière elles.

lequel

ils moissonnent

···························································································································

– N’ai-je pas – de ne pas : Et si tu as soif - et tu boiras .. 10 Et elle tomba .. et se prosterna = et elle dit - « Pourquoi - que tu me considères

ordonné te toucher ?

aux jeunes-hommes

tu iras de ce que

aux récipients puisent

les jeunes-hommes. »

sur sa face à terre à lui : ai-je trouvé et moi (je suis)

grâce à tes yeux une étrangère ? »

Dans la première sous-partie, les deux morceaux qui rapportent les paroles de Boaz sont parallèles. Les premiers segments (8b ; 9cd) se réfèrent aux consignes données par Boaz à ses employés, les segments successifs détaillent ce que Ruth doit faire : ne pas changer de « champ », suivre ses « jeunes-femmes » (8c-9b) et boire ce qu’auront puisé « les jeunes-hommes » (9ef). Dans la réponse de Ruth, le dernier terme, « étrangère », s’oppose en quelque sorte à « jeunes-femmes » (8e ; pronominalisé en 9b) et « jeunes-hommes » (9c.f) ; on pourra noter la reprise de « tes yeux » (9a.10d).

60

La deuxième section (Rt 2–3)

LA DEUXIÈME PARTIE : 2,11-13 + 2,11 Et répondit + et il dit

Boaz à elle :

···················································

- « Raconter - tout ce que - après

on a raconté tu as fait la mort

à moi pour ta belle-mère de ton homme

: et tu as abandonné : et le pays

ton père de ta naissance,

et ta mère

.. et tu es allée .. lequel

vers un peuple tu ne connaissais

ni d’hier

ni d’avant-hier.

··························································································································· - 12 Que te paie YHWH ton action

- et que soit - de la part de .. lequel .. t’abriter

ta récompense YHWH

entière le Dieu

tu es venue dessous

ses ailes. »

grâce et car tu parles je ne suis pas

à tes yeux, au cœur comme une

d’Israël

= 13 Et elle dit : :: « J’ai trouvé :: car tu me consoles – et moi,

MON SEIGNEUR,

de ta domestique ; de tes domestiques. »

Les deux morceaux des paroles de Boaz sont parallèles : il mentionne d’abord ce que Ruth a fait (11), puis il appelle la récompense de Yhwh que ces actions méritent (12). « Ton action » (12a) renvoie à ce que Ruth « a fait » pour sa bellemère (11d) ; à la fin des deux morceaux, le fait qu’elle soit venue vers Yhwh (12de) est complémentaire du fait qu’elle ait quitté son pays pour aller vers un autre peuple (11f-i). Dans la deuxième sous-partie, Ruth insiste sur la bonté de Boaz (13bc), alors qu’elle ne se juge pas digne d’être comptée parmi ses « domestiques » (13d). La conduite de Boaz envers Ruth semble correspondre à la récompense de Yhwh (12abc), d’autant plus que les noms de « mon seigneur » (’ădōnî) et de « Yhwh » (qu’on prononce ’ădōnāy) sont en rapport paronomastique. L’ENSEMBLE DU PASSAGE La deuxième partie est la réponse de Boaz à la question que Ruth pose à la fin de la première partie (10de). Les deux parties sont parallèles : aux paroles de Boaz succède une réponse courte de Ruth (10.13). Ces deux réponses commencent de la même façon avec « j’ai trouvé grâce à tes yeux » et s’achèvent de manière semblable : Ruth souligne qu’elle est « étrangère » et pas comme une des « domestiques » de

Séquence B1 : 2,1-17

61

Boaz. On notera la différence entre « jeunes-femmes » (8bc) et « domestiques » (13d) ; « domestique(s) » à la fin (13) s’oppose à « ma fille » au début (8a). 2,8 Et Boaz dit à Ruth : « N’as-tu pas entendu, ma fille ? Ne va pas glaner dans un autre champ et aussi ne t’éloigne pas de celui-ci et ainsi attache-toi à mes jeunesfemmes ; 9 que tes yeux soient sur le champ qu’ils moissonnent et tu iras derrière elles. N’ai-je pas ordonné aux jeunes-hommes de ne pas te toucher ? Et si tu as soif tu iras aux vases et tu boiras de ce que puisent les jeunes-hommes. » 10

Et elle tomba sur sa face, se prosterna à terre et lui dit : « Pourquoi AI-JE TROUVÉ GRÂCE À TES YEUX pour que tu me considères, MOI QUI SUIS UNE ÉTRANGÈRE ? » 11

Et Boaz répondit et lui dit : « On m’a beaucoup raconté tout ce que tu as fait pour ta belle-mère après la mort de ton mari ; tu as abandonné ton père et ta mère et le pays de ta naissance pour aller vers un peuple que tu ne connaissais ni d’hier ni d’avant-hier. 12 Que Yhwh te paie ton action et que ta récompense soit entière de la part de Yhwh, le Dieu d’Israël, sous les ailes duquel tu es venue t’abriter. » 13

Et elle dit : « J’AI TROUVÉ GRÂCE À TES YEUX, mon seigneur, car tu me consoles, car tu parles au cœur de ta domestique ; ET MOI, JE NE SUIS PAS COMME UNE DE TES DOMESTIQUES. »

INTERPRÉTATION « POURQUOI ? » Avec Ruth, le lecteur s’étonnera sans doute d’une telle bienveillance de la part de Boaz. Certes, ce que le contremaitre lui a dit de son humilité et de son ardeur au travail ne pouvait que mettre Boaz dans de bonnes dispositions, mais pas à ce point. Le ton est donné quand, d’entrée de jeu, il l’appelle « ma fille ». Ce ne serait qu’une formule insignifiante s’il ne se comportait pas envers elle comme un père. Il l’adopte, en quelque sorte, en lui recommandant de s’attacher à son champ et à ses ouvrières, en la protégeant contre toute possible initiative déplacée, en veillant à ce qu’elle ne manque de rien. Ce n’est plus une étrangère, elle fait partie de la famille. LE PASSÉ GARANT DU FUTUR En réalité, Boaz ne fait qu’entériner une situation de fait. Toute la conduite de Ruth a manifesté qu’elle avait choisi de faire partie de la famille de Noémi. La chose a dû faire du bruit à Bethléem pour que Boaz ait été mis au courant dans le détail de tout ce que cette Moabite avait fait pour sa belle-mère. Sacrifiant tout pour elle, elle était devenue son seul soutien. Et si elle n’a pas hésité à venir glaner comme n’importe quelle pauvresse, il est bien clair qu’elle ne le fait pas

62

La deuxième section (Rt 2–3)

seulement pour elle-même, mais aussi et avant tout pour celle dont elle a pris la charge, comme une fille se doit de le faire pour sa vieille mère. YHWH GARANT DE LA VIE Ruth, la Moabite, ne se contente pas de se conduire comme une fille pour la mère de son défunt mari. Ayant choisi de s’agréger à son peuple, au lieu de rejoindre sa mère comme l’a fait Orpha, elle est venue s’abriter sous les ailes du Dieu d’Israël, comme le font les poussins sous les ailes de leur mère. Son engagement dépasse les limites de la famille, pour atteindre avec tout le peuple son Dieu. C’est pourquoi Boaz appelle sur elle la bénédiction que lui a value son action. Aucun autre ne pourrait lui assurer une pleine récompense, car c’est à ses yeux qu’elle a trouvé grâce. Elle n’est plus ni étrangère ni domestique, mais fille de Dieu.

C. BOAZ PREND GRAND SOIN DE RUTH La dernière sous-séquence : 2,14-17 La sous-séquence comprend deux courts passages : BOAZ

S’OCCUPE

DU REPAS

DE RUTH

2,14-15a

BOAZ

FACILITE

LE TRAVAIL

DE RUTH

15b-17

1. Boaz s’occupe du repas de Ruth : 2,14-15a TEXTE 14

Et Boaz lui dit au temps de manger : « Approche-toi ici et mange de ce pain et trempe ton morceau dans le vinaigre. » Et elle s’assit à côté des moissonneurs et il présenta à elle du grain-rôti et elle mangea et se rassasia et eut-en-surplus ; 15 et elle se leva pour glaner.

V. 14A : « AU TEMPS DE MANGER

»

La Septante, suivie par la Vulgate, met ce syntagme dans la bouche de Boaz7 ; la ponctuation massorétique est plus naturelle. V. 14D

: « LE VINAIGRE »

Pur ou dilué, le vinaigre servait de boisson acidulée, mais aussi d’une sorte de condiment pour donner du gout au pain. 7

Voir Joüon, Ruth, 57-58.

Séquence B1 : 2,1-17 V. 14F : « IL PRÉSENTA

63

»

Ce verbe est un hapax, dont le sens est donc discuté : « présenter », « offrir », « faire un tas ».

COMPOSITION + 2,14 Et il dit + au temps : « Approche-toi .. et MANGE - et trempe

à elle de MANGER : ici de ce pain ton morceau

Boaz

dans le vinaigre. »

···································································································

: Et elle s’assit .. et il présenta - et ELLE MANGEA = 15 et elle se leva

à côté à elle et se rassasia

des moissonneurs du grain-rôti et eut-en-surplus ;

pour GLANER.

Le premier morceau rapporte l’invitation de Boaz, le deuxième le repas luimême. Les trois impératifs vont en crescendo : « s’approcher », « manger » et même « tremper » le pain dans le condiment du « vinaigre ». Le trimembre par lequel commence le second morceau est parallèle au trimembre final du premier morceau. Non seulement elle s’approche (14c), mais elle s’assied (f) ; « parmi les moissonneurs » précise le sens de « ici » ; non seulement elle est invitée à manger « du pain » (d), mais elle reçoit de la main même de Boaz « du grain rôti » (g) ; non seulement elle pourra tremper son morceau de pain dans le vinaigre (e), mais mangera à satiété et en aura en plus (h). Aux extrémités, après le « temps de manger » (14b) revient le temps de « glaner » (15a). INTERPRÉTATION DONNER À MANGER Ce que Ruth est invitée à manger, c’est évidemment ce que Boaz a préparé pour ses moissonneurs, pain et vinaigre. Le maitre est ainsi présenté, indirectement, comme un père qui nourrit sa maisonnée. La Moabite se trouve appelée à prendre place dans la grande famille de Boaz. C’est un geste très fort, qui dépasse toute la bienveillance à laquelle elle aurait pu s’attendre. Mais ce n’est pas tout. Non seulement elle mange et boit comme tous les autres, mais elle reçoit en outre un traitement de faveur que lui réserve le maitre de la moisson, le « grain rôti » qu’il lui offre personnellement. La satiété vient clore le repas, comme il se doit pour un repas de fête. Se levant pour glaner, elle repart recueillir ce qui lui permettra de nourrir à son tour sa belle-mère.

64

La deuxième section (Rt 2–3)

2. Boaz facilite le travail de Ruth : 2,15b-17 TEXTE 15b

Et Boaz ordonna à ses jeunes-hommes disant : « Aussi entre les gerbes elle glanera et vous ne la maltraiterez pas ; 16 et aussi tirant vous tirerez pour elle des javelles et vous les laisserez et elle glanera et vous ne la gronderez pas. » 17 Et elle glana dans le champ jusqu’au soir et elle battit ce qu’elle avait glané et il y eut comme un épha d’orge. V. 15-16

: « GERBES » ET « JAVELLES »

Le mot traduit par « javelles » est un hapax dont le sens est donné par le contexte. Le travail de la moisson comprend plusieurs opérations successives, normalement confiées à des personnes différentes, surtout si le champ à moissonner est vaste et si, par conséquent, les moissonneurs sont nombreux. Il y a d’abord ceux qui manient la faucille et laissent à terre ce qu’ils ont coupé ; viennent alors ceux ou celles qui recueillent les tiges dans leurs bras pour en faire des javelles qu’ils posent à terre ; c’est alors le tour des lieurs qui mettent ensemble le nombre de javelles suffisant pour former une gerbe qu’ils lient solidement. Les gerbes sont enfin transportées en lieu sûr, généralement près de l’aire à battre8. V. 17C

: « UN ÉPHA »

L’épha est une unité de mesure de capacité pour les matières sèches qui équivaut à quarante-cinq litres9. On le traduit généralement par « mesure ».

COMPOSITION + 2,15b Et ordonna - « Aussi entre les gerbes : 16 et aussi tirant : et vous les laisserez

Boaz

à ses jeunes-hommes

ELLE GLANERA

et vous ne la maltraiterez pas pour elle des javelles et vous ne la gronderez pas. »

vous tirerez

disant :

ET ELLE GLANERA ····························································································································· 17 ET ELLE GLANA dans le champ jusqu’au soir et elle battit ce que ELLE AVAIT GLANÉ

.. .. .. et il y eut

comme un épha

d’orge.

Boaz commence par confirmer ce que, à sa demande, son contremaitre avait accepté qu’elle fasse (15c) ; mais il va plus loin encore en demandant à ses 8

C’est ainsi que l’on procédait dans certaines campagnes françaises jusqu’après la Seconde Guerre mondiale : des hommes fauchaient, les femmes et les enfants faisaient les javelles, d’autres hommes liaient les gerbes avec un lien de fil de fer. 9 Selon la « Table des mesures et des monnaies » de la Bible de Jérusalem (1998), 2178 et selon la « Table des poids et mesures » de la TOB Ancien Testament (1980), 2249.

Séquence B1 : 2,1-17

65

moissonneurs de tirer des javelles quelques épis et de les abandonner discrètement pour qu’elle puisse glaner davantage (16ab). La deuxième partie montre comment Ruth va jusqu’au bout, glanant jusqu’au soir et battant ce qu’elle avait récolté. « Glaner » revient deux fois dans chaque partie.

CONTEXTE ABRAHAM ET SES TROIS BOISSEAUX DE FARINE Aux chênes de Mambré, Abraham reçoit la visite de trois hommes auxquels il offre l’hospitalité. Il leur dit : « Que j’aille chercher un morceau de pain et vous vous réconforterez le cœur avant d’aller plus loin » (Gn 18,5), mais il demande à son épouse Sara : « Prends vite trois boisseaux de farine, de fleur de farine, pétris et fais des galettes » (6). Trois boisseaux font un épha, quarante-cinq litres, ce qui va bien au-delà d’un simple « morceau de pain ».

INTERPRÉTATION AU-DELÀ DE LA LOI La loi prévoit que les glaneurs ne recueillent que ce qui a échappé aux moissonneurs. Et c’est sans doute pour cela qu’ils doivent attendre que le champ soit totalement libre, les gerbes ayant été portées ailleurs. Or la loi est débordée quand on permet à Ruth de glaner entre les gerbes. Elle l’est encore davantage quand Boaz ordonne à ses moissonneurs d’abandonner sciemment quelques épis supplémentaires en les tirant des javelles avant que les gerbes soient liées. GÉNÉROSITÉ PARTAGÉE Les personnages rivalisent de générosité. Boaz qui tient à confirmer la décision confiante et généreuse de son contremaitre qui laisse Ruth glaner entre les gerbes, qui ira jusqu’à augmenter la récolte de la glaneuse en laissant tomber pour elle des épis déjà ramassés par ses moissonneurs. Ruth, quant à elle, n’est pas en reste de générosité, travaillant du petit matin jusqu’au soir avant de battre ce qu’elle a glané. C’est qu’elle pense à sa belle-mère qui n’a pas d’autre ressource pour vivre. On peut penser que Boaz n’a pas seulement le souci de la jeune Moabite, mais aussi de celle pour laquelle elle travaille si dur.

66

La deuxième section (Rt 2–3)

3. Boaz prend grand soin de Ruth : 2,14-17 COMPOSITION DE LA SOUS-SÉQUENCE 2,14 Boaz lui dit au temps de manger : « Approche-toi ici et mange de ce pain et trempe ton morceau dans le vinaigre. » Elle s’assit à côté des moissonneurs et il lui présenta du grain-rôti et elle mangea et se rassasia et elle en eut en surplus ; 15 et elle se leva pour glaner. Boaz ordonna à ses jeunes-hommes disant : « Aussi entre les gerbes elle glanera et vous ne la maltraiterez pas ; 16 et aussi des javelles vous tirerez pour elle des épis et vous les abandonnerez et elle glanera et vous ne la gronderez pas. » 17

Et elle glana dans le champ jusqu’au soir et elle battit ce qu’elle avait glané et il y eut environ un épha d’orge.

Au temps du repas (14-15a) succède celui du travail (15b-17). Dans les deux passages, aux paroles de Boaz (14ab ; 15b-16) succèdent des parties de récit. Un même « et qui plus est » marque les deux passages. Dans le premier, non seulement Ruth est invitée à partager le repas avec les moissonneurs, mais encore Boaz lui prépare du grain-rôti ; dans le second, non seulement elle pourra glaner entre les gerbes, mais les moissonneurs iront jusqu’à tirer des épis des javelles pour augmenter sa récolte. Par ailleurs, les deux passages s’achèvent sur l’abondance, celle du repas, « et elle en eut en surplus » (14d) et celle de la récolte, « environ un épha d’orge » (17b).

Séquence B1 : 2,1-17

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INTERPRÉTATION UNE MESURE DÉMESURÉE En Orient, qui lance une invitation prépare non seulement tout ce qui est nécessaire, de sorte que ses hôtes ne risquent pas de manquer, il en fait beaucoup plus, trois fois trop. On sert son invité jusqu’à ce qu’il dise qu’il n’en peut plus, qu’il est rassasié. C’est ainsi que Boaz traite Ruth, comme une invitée qui doit être comblée : « et elle en eut de trop ». La laissant ensuite glaner entre les gerbes, le maitre de la moisson va déjà au-delà du nécessaire, mais quand il demande à ses moissonneurs de laisser par terre des épis qu’ils auront tirés des javelles, il passe la mesure. Il se montre ainsi le digne fils d’Abraham en poussant l’hospitalité due à l’étranger au-delà de toute mesure. DONNER LA VIE Ce fils d’Abraham se conduit comme un père qui a soin de nourrir ses enfants. Invitant la Moabite à s’asseoir à côté de ses moissonneurs, il la fait entrer dans sa maisonnée. Il lui donne à manger et à boire ce qu’il a préparé pour tous ; il y ajoute même le grain rôti, comme pour fêter l’évènement. Quand ensuite il donne des consignes de grande largesse à ses moissonneurs, il manifeste qu’il n’a pas oublié que Ruth ne glane pas seulement pour elle, mais aussi pour sa belle-mère, la veuve de son parent Élimélek. Elle aussi fait partie de sa famille et il ne saurait manquer de subvenir largement à ses besoins.

68

La deuxième section (Rt 2–3)

D. DE JOUR, RUTH RENCONTRE BOAZ DANS SON CHAMP COMPOSITION DE LA SÉQUENCE B1 La séquence s’organise en trois sous-séquences ; les sous-séquences extrêmes comprennent chacune deux passages, tandis que la sous-séquence centrale n’en comporte qu’un seul : BOAZ

FAIT LA CONNAISSANCE

DE

RUTH (1-7)

RUTH

VA GLANER

DANS LE CHAMP

DE BOAZ

2,1-3

BOAZ

SE RENSEIGNE

SUR L’IDENTITÉ

DE RUTH

4-7

LE DIALOGUE ENTRE BOAZ ET RUTH BOAZ

PREND GRAND SOIN

DE

8-13 RUTH (14-17)

BOAZ

S’OCCUPE

DU REPAS

DE RUTH

14-15a

BOAZ

FACILITE

LE TRAVAIL

DE RUTH

15b-17

Séquence B1 : 2,1-17

69

LES RAPPORTS ENTRE LES SOUS-SÉQUENCES EXTRÊMES 2,1 Noémi avait un parent de son mari, homme puissant en valeur, de la famille d’Élimélek, et son nom était Boaz. 2 Ruth la Moabite dit à Noémi : « JE VOUDRAIS ALLER AU CHAMP ET GLANER LES ÉPIS derrière celui aux yeux duquel je trouverai grâce. » Et elle lui dit : « Va, ma fille. » 3 Elle alla et vint et elle glana au champ derrière les moissonneurs. Et elle eut de la chance : la parcelle de champ était à Boaz qui était de la famille d’Élimélek. 4

Et voici que Boaz vint de Bethléem et dit aux moissonneurs : « Yhwh soit avec vous ! » Et ils lui dirent : « Que Yhwh te bénisse ! » 5 Boaz dit à son jeune-homme qui était préposé sur les moissonneurs : « À qui est cette jeune femme ? » 6 Le jeune-homme préposé sur les moissonneurs répondit et dit : « C’est une jeunefemme moabite qui est revenue avec Noémi des Champs de Moab. 7 Elle a dit : “JE VOUDRAIS GLANER ET RECUEILLIR ENTRE LES GERBES derrière les moissonneurs.” Et elle est venue et elle est debout depuis le matin et jusqu’à maintenant ; elle se repose un peu dans la maison. » [...] 14

Boaz lui dit au temps de manger : « Approche-toi ici et mange de ce pain et trempe ton morceau dans le vinaigre. » Et elle s’assit à côté des moissonneurs et il lui présenta du grain-rôti et elle mangea et se rassasia et elle en eut en surplus ; 15 et elle se leva pour glaner. Boaz ordonna à ses jeunes-hommes disant : « ELLE GLANERA AUSSI ENTRE LES GERBES et vous ne la maltraiterez pas ; 16 et aussi des javelles vous tirerez pour elle des épis et vous les abandonnerez et elle glanera et vous ne la gronderez pas. » 17 Et elle glana dans le champ jusqu’au soir et elle battit ce qu’elle avait glané et il y eut environ un épha d’orge.

Alors que dans la première sous-séquence Ruth glane « derrière les moissonneurs » (3a.7b), dans la dernière elle s’assit « à côté des moissonneurs » (14c). Ce qu’elle avait demandé au serviteur préposé sur les moissonneurs, glaner « entre les gerbes » (7ab), est confirmé dans la dernière sous-séquence par Boaz (15b).

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La deuxième section (Rt 2–3)

LES RAPPORTS ENTRE LA SOUS-SÉQUENCE CENTRALE ET LES DEUX AUTRES 2,1 Noémi avait un parent de son mari, homme puissant en valeur, de la famille d’Élimélek, et son nom était Boaz. 2 Ruth la Moabite dit à Noémi : « Je voudrais aller au champ et GLANER les épis derrière celui AUX YEUX DUQUEL JE TROUVERAI-GRÂCE. » Et elle lui dit : « Va, MA FILLE. » 3 Elle alla et vint et ELLE GLANA au champ derrière les moissonneurs. Et elle eut de la chance : la parcelle de champ était à Boaz, qui était de la famille d’Élimélek. 4

Et voici que Boaz vint de Bethléem et dit aux moissonneurs : « YHWH soit avec vous ! » Et ils lui dirent : « Que YHWH te bénisse ! » 5 Boaz dit à son jeune-homme qui était préposé sur les moissonneurs : « À qui est cette jeune femme ? » 6 Le jeune-homme préposé sur les moissonneurs répondit et dit : « C’est une jeunefemme moabite qui est revenue avec Noémi des Champs de Moab. 7 Elle a dit : “JE VOUDRAIS GLANER et recueillir entre les gerbes derrière les moissonneurs.” Et elle est venue et elle est debout depuis le matin et jusqu’à maintenant ; elle se repose un peu dans la maison. » 8

Boaz dit à Ruth : « N’as-tu pas entendu, MA FILLE ? Ne va pas GLANER dans un autre champ et aussi ne t’éloigne pas de celui-ci et ainsi attache-toi à mes jeunesfemmes ; 9 tes yeux soient sur le champ qu’ils moissonnent et tu iras derrière elles. N’AI-JE PAS ORDONNÉ AUX JEUNES-HOMMES de ne pas te molester ? Et si tu as soif, tu iras aux récipients et tu boiras de ce que puisent les jeunes-hommes. » 10 Et elle tomba sur la face et se prosterna à terre et lui dit : « Pourquoi AI-JE TROUVÉ GRÂCE À TES YEUX pour que tu me considères, moi qui suis une étrangère ? » 11

Boaz répondit et lui dit : « On a beaucoup raconté tout ce que tu as fait pour ta belle-mère après la mort de ton mari ; TU AS ABANDONNÉ ton père et ta mère et le pays de ta naissance et tu es allée vers un peuple que tu ne connaissais ni d’hier ni d’avant-hier. 12 Que YHWH te paie ton action et que ta récompense soit entière de la part de YHWH, le Dieu d’Israël, sous ses ailes duquel tu es venue t’abriter. » 13 Et elle dit : « J’AI TROUVÉ GRÂCE À TES YEUX, mon seigneur, car tu me consoles, car tu parles au cœur de ta domestique et moi je ne suis pas comme une de tes domestiques. » 14

Boaz lui dit au temps de manger : « Approche-toi ici et mange de ce pain et trempe ton morceau dans le vinaigre. » Et elle s’assit à côté des moissonneurs et il lui présenta du grain-rôti et elle mangea et se rassasia et elle en eut en surplus ; 15 et elle se leva pour GLANER. Boaz ORDONNA À SES JEUNES-HOMMES disant : « ELLE GLANERA aussi entre les gerbes et vous ne la maltraiterez pas ; 16 et aussi des javelles vous tirerez pour elle des épis et VOUS LES ABANDONNEREZ et ELLE GLANERA et vous ne la gronderez pas. » 17 Et ELLE GLANA dans le champ jusqu’au soir et elle battit ce qu’ELLE AVAIT GLANÉ et il y eut environ un épha d’orge.

Séquence B1 : 2,1-17

71

Les rapports entre les deux premières sous-séquences Dans le premier passage, Ruth se propose d’aller glaner « derrière celui aux yeux duquel [elle] trouvera grâce » (2b) et à la fin des deux parties de la sousséquence centrale, elle reconnait « avoir trouvé grâce » aux yeux de Boaz (10b.13a). Noémi appelle Ruth « ma fille » (2c), et de même Boaz (8a). Au début du deuxième passage, le nom de « Yhwh » revient deux fois dans le dialogue entre Boaz et ses moissonneurs (4ab) et deux fois aussi dans les paroles que Boaz adresse à Ruth dans la deuxième partie de la sous-séquence centrale (12ab). Les rapports entre les deux dernières sous-séquences Dans la première partie de la sous-séquence centrale, Boaz dit à Ruth : « N’aije pas ordonné aux jeunes-hommes de ne pas te molester ? » (9b), et dans le deuxième passage de la dernière sous-séquence, il « ordonna à ses jeuneshommes » de ne pas la maltraiter et de ne pas la gronder (15b-16). « Abandonner » revient en 11b et 16ab.

INTERPRÉTATION RUTH A TROUVÉ GRÂCE AUX YEUX DE SON SEIGNEUR Quand Ruth dit à sa belle-mère son intention d’aller glaner, elle espère trouver grâce aux yeux de quelque paysan qui moissonnerait son champ. La chance lui sourit car elle se retrouve sur le champ d’un grand propriétaire pour lequel travaillent moissonneurs et ouvrières sous la direction d’un contremaitre qui dirige le travail de l’ensemble de la troupe. Celui-ci lui fait bon accueil et lui permet même de glaner « entre les gerbes ». Quand vient le maitre, il pose les yeux sur cette jeune femme qu’il ne connait pas et il s’informe aussitôt à son sujet. Ayant appris de qui il s’agit, il se montre on ne peut plus favorable. Les espérances de Ruth sont comblées bien au-delà de toute attente. BOAZ ET SES MOISSONNEURS SERONT BÉNIS DU SEIGNEUR Quand Boaz et ses moissonneurs se saluent, ils le font au nom de « Yhwh », leur Seigneur, le Dieu d’Israël. Le lecteur pourrait penser qu’il ne s’agit là que de formules toutes faites qui n’ont donc aucune pertinence ; mais si le narrateur s’est cru obligé de rapporter littéralement leurs paroles, ce ne peut être un simple détail insignifiant, comme pour faire couleur locale. Dans le contexte du récit, ces vœux prennent une dimension pour ainsi dire prémonitoire : ce qui va se passer se révèlera pour Boaz une bénédiction du Seigneur et rejaillira sur toute sa maisonnée, à commencer par ses moissonneurs.

72

La deuxième section (Rt 2–3)

RUTH TROUVE GRÂCE AUX YEUX DU SEIGNEUR La chance, ou plutôt la Providence, a voulu que Ruth trouve grâce aux yeux de Boaz. Quand, au terme de leur dialogue, Boaz appelle sur elle une récompense pleine et entière de la part de Yhwh pour ce qu’elle a fait, le lecteur réalise que leur dialogue a atteint son aboutissement. La bénédiction que Boaz a reçue, il la reverse en quelque sorte sur Ruth. C’est le même Seigneur qui les bénit l’un et l’autre, l’un par l’autre. En trouvant grâce aux yeux de Boaz, la Moabite a trouvé grâce complètement aux yeux du Seigneur, le Dieu d’Israël.

II. NOÉMI CONSEILLE RUTH Séquence B2 : 2,18-23 Cette séquence ne compte qu’un seul passage. TEXTE 2,18 Et elle emporta et elle alla à la ville et vit sa belle-mère ce que elle avait glané ; et elle fit-sortir et elle donna à elle ce que elle avait eu-en-surplus de son rassasiement. 19 Et dit à elle sa belle-mère : « Où as-tu glané aujourd’hui et où as-tu travaillé ? Que soit qui t’a considérée béni ! » Et elle rapporta à sa belle-mère lequel elle avait travaillé avec lui et elle dit : « Le nom de l’homme lequel j’ai travaillé avec lui aujourd’hui Boaz. » 20 Et dit Noémi à sa belle-fille : « Béni lui de Yhwh lequel n’a pas abandonné sa fidélité pour les vivants et pour les morts. » Et dit à elle Noémi : « Proche de nous l’homme, de nos goëls lui. » 21 Et dit Ruth la Moabite : « Et aussi il a dit à moi : “Avec les jeunes-hommes lesquels à moi tu t’attacheras jusqu’à ce que s’achève toute la moisson laquelle à moi. » 22 Et dit Noémi à Ruth sa belle-fille : « Bien, ma fille, que tu sortes avec ses jeunes-femmes et on ne te malmène pas dans un champ autre. » 23 Et elle s’attacha aux jeunes-femmes de Boaz pour glaner jusqu’à l’achèvement de la moisson des orges et de la moisson des blés ; et elle habitait avec sa belle-mère. V. 18B : « ET ELLE VIT SA BELLE-MÈRE »

Quelques manuscrits, ainsi que la Vulgate et la Syriaque, lisent : « et elle fitvoir à sa belle-mère »1. Ainsi, le sujet de tous les verbes de 18 est le même. Il semble préférable de suivre le texte massorétique. V. 18E : « CE QUE ELLE AVAIT EU-EN-SURPLUS DE SON RASSASIEMENT

»

La préposition min a ici une valeur temporelle : « après son rassasiement ». Les deux termes, « avoir-en-surplus » et « rassasiement » sont ceux de 2,14h. V. 19D

: « QUI T’A CONSIDÉRÉE »

C’est le même verbe que celui de 2,10 : « Pourquoi ai-je trouvé grâce à tes yeux pour que tu me considères... ? » V. 20BC : «

BÉNI LUI DE YHWH LEQUEL N’A PAS ABANDONNÉ SA FIDÉLITÉ »

La phrase est ambiguë, l’antécédent de « lequel » pouvant être « lui », c’est-àdire Boaz, ou « Yhwh », même s’il parait plus normal que l’antécédent soit le plus proche du pronom relatif. Il n’est pas impossible que l’ambiguïté soit intentionnelle ; quoi qu’il en soit, le choix est laissé au lecteur. 1 Plusieurs modernes adoptent cette lecture facilitante : Bush, 133 ; Block, 670 ; Grossman, 174 ; de même Osty.

74

La deuxième section (Rt 2–3)

COMPOSITION : 2,18 Et elle emporta : et vit - ce que

et elle alla sa belle-mère ELLE AVAIT GLANÉ ;

à la ville

: et elle fit-sortir - ce que

et elle donna elle avait eu-en-surplus

à elle de son rassasiement.

+ 19 Et dit - « Où - et où : Que soit

à elle

sa belle-mère :

as-tu glané as-tu travaillé ? qui t’a considérée

aujourd’hui

BÉNI ! » ·······························································································································

= Et elle rapporta - lequel = et elle dit :

à sa belle-mère elle avait travaillé

avec lui

:: « Le nom - lequel :: Boaz. »

de l’homme j’ai travaillé

avec lui

+ 20 Et dit

Noémi

à sa belle-fille :

lui n’a pas abandonné et pour les morts. »

de Yhwh sa fidélité

. « BÉNI . lequel . pour les vivants

aujourd’hui

···························································································

+ Et dit - « Proche - de nos goëls = 21 Et dit

à elle

Noémi :

de nous lui. »

l’homme,

Ruth

la Moabite :

- « Et aussi il a dit .. “Avec les jeunes-hommes lesquels à moi .. jusqu’à ce que s’achève toute

à moi : TU T’ATTACHERAS la moisson

laquelle à moi”. »

·······························································································································

+ 22 Et dit

Noémi

. « Bien, . que tu sortes . et on ne te malmène pas

à Ruth

sa belle-fille :

ma fille, avec ses jeunes-femmes dans un champ autre. »

: 23 ET ELLE S’ATTACHA : jusqu’à l’achèvement : et de la moisson

aux jeunes-femmes de la moisson des blés ;

- et elle habitait

avec sa belle-mère.

de Boaz des orges

POUR GLANER

Séquence B2 : 2,18-23

75

Dans la première partie, Noémi voit d’abord tout ce que sa belle-fille a glané (18abc) ; après quoi (18de), Ruth donne aussi à Noémi ce qui était resté après qu’elle se fut rassasiée de la main de Boaz (voir 2,14h). Dans la deuxième partie, Noémi commence par demander à Ruth « où » elle a glané et travaillé, après quoi elle bénit celui qui l’a laissé faire. Dans le second morceau, Ruth ne répond pas à la question du « où », mais dévoile le nom de celui avec lequel elle a travaillé. La partie centrale rapporte deux paroles adressées par Noémi à sa belle-fille : elle bénit d’abord cet homme, puis en donne la raison : il fait partie de ceux qui ont droit de rachat sur elles. Comme si Noémi lui avait coupé la parole par son intervention (20), Ruth reprend son rapport et ajoute (« aussi ») ce que lui a dit Boaz (21) ; dans sa réaction, Noémi corrige, pour ainsi dire, sa belle-fille, en changeant « avec les jeunes-hommes » (21c) par « avec ses jeunes-femmes » (22c). Alors que Ruth insiste en finissant sur toute la durée de la moisson, sa belle-mère se montre préoccupée qu’on ne la malmène pas. Dans la dernière partie, le trimembre initial dit ce que Ruth fait de jour, l’unimembre final ce qu’elle fait de nuit. Les parties extrêmes sont les seules qui soient de récit ; ce sont les seules où revienne « glaner ». — Les deuxième et avant-dernière parties se correspondent de manière spéculaire : aux extrémités les paroles de Noémi, entre deux celles de Ruth. « Avec » revient deux fois dans chaque partie (19f.i ; 21c.22c)2 — La partie centrale se distingue des autres du fait que c’est un seul personnage qui parle. — « Béni » revient dans la deuxième et la troisième partie, la première fois comme un souhait (19d), la deuxième fois au contraire comme une constatation (20b) ; « homme » est repris en 19h et 20f. — Dans les deux dernières parties, « elle s’attacha aux jeunes-femmes » (23a) rappelle « avec les jeuneshommes lesquels à moi tu t’attacheras » (21c), mais « aux jeunes-femmes » de 23a reprend « avec ses jeunes-femmes » de 22c ! « Toute la moisson (21d) est ensuite précisée par « la moisson des orges et la moisson des blés » (23bc).

CONTEXTE GOËL Quand un membre de la famille se trouve dépourvu, son plus proche parent a le droit et le devoir de « rachat », de « rédemption » (ge’ûlâ), il est son « goël ». Si l’homme en difficulté se voit contraint de vendre son champ, son goël a le devoir de le lui racheter pour que le champ ne sorte pas de la famille (Lv 25,2528) ; s’il est réduit en esclavage, son goël se doit de le racheter (Lv 25,47-55) ; il doit aussi le défendre et le venger, le goël étant alors appelé « le goël du sang » (traduit par « vengeur » ou « vengeur du sang » : Nb 35,9-29 ; Jos 20). 2

En 23d, la préposition traduite par « avec » est différente des précédentes : ’et au lieu de ‘im.

76

La deuxième section (Rt 2–3)

LA MOISSON DE L’ORGE ET CELLE DU BLÉ La moisson de l’orge commence à Pâques (Lv 23,5-14). À la fête des Semaines, sept semaines plus tard (soit cinquante jours, d’où le nom de Pentecôte), s’achève la moisson du blé (Lv 23,15-21). LA FIDÉLITÉ La bénédiction prononcée par Noémi au centre du passage rappelle celle du serviteur à qui Abraham avait demandé d’aller chercher une femme pour son fils Isaac ; quand il apprend qui est Rébecca, la jeune fille qui l’avait si bien accueilli à la source, il s’écrie : « Béni Yhwh, Dieu de mon maître Abraham, qui n’a pas abandonné sa fidélité et sa loyauté envers mon maître ; moi sur la route m’a conduit Yhwh à la maison du frère de mon maitre ! » (Gn 24,27).

Un peu plus tard, le serviteur rappelle cette bénédiction et poursuit en faisant appel à la « fidélité » des parents de Rébecca : 48

« Je me suis prosterné et j’ai adoré Yhwh, et j’ai béni Yhwh, Dieu de mon maitre Abraham, qui m’avait conduit par un chemin de loyauté prendre pour son fils la fille du frère de mon maître. 49 Maintenant, si vous êtes disposés à faire fidélité et loyauté envers mon maître, déclarez-le-moi » (Gn 24,48-49).

À la fidélité de Dieu répond celle des hommes.

INTERPRÉTATION SURABONDANCE Quand Ruth rentre en ville, elle apporte non seulement la mesure d’orge qu’elle a glanée durant le premier jour où elle a travaillé, mais aussi ce qui lui restait du grain rôti que lui avait généreusement offert l’homme dans le champ duquel elle avait travaillé. Cela pour ce qui venait d’arriver. La conclusion de la séquence résume, en deux phrases, ce qui se passera durant tout le temps des moissons, entre le début de la moisson des orges et la fin de celle des blés. Durant tout ce long temps, Ruth est admise à glaner dans les champs de Boaz, et l’on sait dans quelles conditions privilégiées. Ce qu’elle aura récolté suffira amplement, grâce à la générosité de son protecteur, à ses besoins et à ceux de sa belle-mère. « Nous sommes venus dans le feu et dans l’eau et tu nous as fait sortir dans la surabondance » (Ps 66,12).

Séquence B2 : 2,18-23

77

« AVEC » QUI ? Quand Noémi demande à sa belle-fille « où » elle a travaillé, Ruth ne lui répond pas que c’était dans le champ de Boaz, mais que c’était « avec lui ». C’est bien sûr un raccourci, mais qui laisse transparaitre combien les deux personnages avaient été proches : vraiment, Boaz l’avait « considérée ». Lorsque, par la suite, Ruth rapporte ce que Boaz lui avait dit, le lecteur pourra s’étonner que ce soit « avec les jeunes-hommes » qu’elle fut invitée à s’attacher. Effectivement, il lui avait recommandé de s’attacher à ses « jeunes-femmes » (2,8). Comment interpréter ce changement ? Comme un lapsus peut-être, qui révèlerait que la jeune femme pourrait espérer trouver un mari parmi les serviteurs de Boaz. Quoi qu’il en soit, Noémi semble vouloir, discrètement, remettre les choses au point : c’est « avec les jeunes-femmes » qu’elle sortira. Et, tant que durera la moisson, elle continuera à habiter « avec sa belle-mère ». LA FIDÉLITÉ Toute la séquence est focalisée sur la « fidélité ». C’est d’abord celle de « Yhwh », le Dieu d’Israël, qui se manifeste non seulement « pour les vivants », mais aussi « pour les morts », c’est-à-dire pour Élimélek et pour Mahlôn et Kilyôn, comme pour Noémi et Ruth. Quand ensuite Noémi ajoute que Boaz est un de ceux qui ont droit de rachat, elle fait appel à ceux qui devraient montrer eux aussi leur fidélité aux morts et aux vivantes, et de ce fait au Seigneur qui a donné la loi du lévirat. La « fidélité » étant un terme de l’alliance, on comprend qu’elle regarde aussi bien les rapports entre les hommes que ceux qui les lient avec leur Dieu.

III. DE NUIT, RUTH REJOINT BOAZ SUR SON AIRE Séquence B3 : 3,1-18 Cette séquence compte cinq passages organisés en trois sous-séquences : LA REQUÊTE

BOAZ

LE CADEAU

ADRESSÉE

À BOAZ

ACCEPTE

LA REQUÊTE DE RUTH

PRÉSENTÉ

PAR BOAZ

PAR LES DEUX VEUVES

SOUS CONDITION

AUX DEUX VEUVES

3,1-9

10-14a

14-17

A. LA REQUÊTE ADRESSÉE À BOAZ PAR LES DEUX VEUVES La première sous-séquence : 3,1-9 Cette séquence comprend deux passages : RUTH EST ENVOYÉE

PAR SA BELLE-MÈRE

À LA RENCONTRE

DE BOAZ

RUTH DEMANDE

À BOAZ

DE LA PRENDRE SOUS SON AILE

3,1-5 6-9

1. Ruth est envoyée par sa belle-mère à la rencontre de Boaz : 3,1-5 TEXTE 3,1 Et dit à elle Noémi sa belle-mère : « Ma fille, ne dois-je pas chercher pour toi un repos lequel soit bon pour toi ? 2 Et maintenant n’est-il pas Boaz notre parent lequel tu as été avec ses jeunes-femmes ? Voici que lui vannera sur l’aire des orges cette nuit ? 3 Tu te laveras et te parfumeras et tu mettras ton manteau sur toi et tu descendras sur l’aire ne sois pas reconnue par l’homme jusqu’à son achèvement de manger et de boire. 4 Et il sera dans son coucher et tu connaitras l’endroit lequel il couchera là et tu viendras et tu découvriras ses jambes et tu te coucheras ; et lui révélera à toi ce que tu devras-faire. » 5 Et elle dit à elle : « Tout ce que tu dis à moi, je ferai. »

80

La deuxième section (Rt 2–3)

V. 1B

: « NE DOIS-JE PAS »

Cet inaccompli comporte une nuance de devoir1. V. 2D

: « CETTE NUIT »

Dans le sens de « ce soir », car on vanne quand souffle le vent d’ouest et ce vent cesse la nuit. « Cette nuit » anticipe peut-être le temps de l’action principale. V. 3B

: « TON MANTEAU »

Le ketib est au singulier, le qeré au pluriel. Il semble que les massorètes aient voulu éviter que l’on comprenne que Noémi demandait à Ruth de ne porter qu’un seul vêtement. V. 3C.4C

: « ET TU DESCENDRAS » [...] « TU TE COUCHERAS »

Selon le ketib, « et je descendrai » [...] « je me coucherai ». Possibles lapsus de la part de Noémi qui trahirait son désir d’être à la place de Ruth. V. 4C

: « TU DÉCOUVRIRAS SES JAMBES »

Le terme margelôt ne se retrouve qu’en Dn 10,6 où il est complémentaire de « ses bras » : Voici : Un homme vêtu de lin, les reins ceints d’or pur, 6 son corps avait l’apparence de la chrysolithe, son visage, l’aspect de l’éclair, ses yeux comme des lampes de feu, ses bras et ses jambes comme l’éclat du bronze poli, le son de ses paroles comme la rumeur d’une multitude.

Le terme de même racine, raglayim, « les (deux) pieds », est quelquefois un euphémisme pour désigner les parties intimes de l’homme (Ex 4,25 ; Is 7,20). Si on excluait la visée sexuelle de cet acte, on devrait se demander quelle autre fonction il pourrait bien revêtir2. COMPOSITION La première partie est la longue recommandation de Noémi à sa belle-fille, à quoi correspond la très brève réponse de Ruth en deuxième partie (5). Les paroles de Noémi s’organisent en trois morceaux. Le premier comprend deux questions parallèles. « Ne dois-je pas » et « n’est-il pas » traduisent le même mot hébreu, hălō’ (« est-ce que ne pas »), les seconds membres sont des relatives introduites par le même pronom. Le « repos » du premier segment est explicité par « Boaz notre parent » dans le second segment. Le deuxième morceau dit d’abord ce que fera Boaz (2cd), puis ce que devra faire Ruth jusqu’à 1 2

Joüon, 113m. De même pour la fin de 4 : « ce que tu devras faire ». Sur les débats concernant ce point, voir, par ex., Grossman, 206, n. 21.

Séquence B3 : 3,1-18

81

la fin du repas : se préparer avec soin (3abc), mais sans être reconnue (de). Dans le troisième morceau, le premier segment a pour sujet Ruth, le second Boaz. « Coucher » revient dans chaque membre du trimembre initial (4abc). « Ne sois pas reconnue » et « tu connaitras » (3d.4a) agrafent les deux derniers morceaux. Les derniers segments des deux parties sont parallèles : non seulement le verbe « faire » est repris en finale (4e ; 5c), mais aussi « tu dis à moi » correspond à « déclarera à toi » dans les premiers membres. + 3,1 Et dit

à elle

Noémi

sa belle-mère :

: « Ma fille, : lequel

ne dois-je pas soit bon

chercher pour toi pour toi ?

un repos

- 2 Et maintenant - lequel

n’est-il pas tu as été

Boaz notre parent avec ses jeunes-femmes ?

····················································································································

. Voici que . sur l’aire

lui des orges

vannera cette nuit.

.. 3 Tu te laveras .. et tu mettras .. et tu descendras

et te parfumeras ton manteau sur l’aire ;

sur toi

. NE SOIS PAS RECONNUE . de manger

par l’homme et de boire.

jusqu’à son achèvement

···················································································································· - 4 Et il sera dans son coucher ET TU CONNAITRAS l’endroit

- lequel - et tu viendras

il couchera et tu découvriras

: et lui : ce que

déclarera

= 5 Et elle dit . « Tout ce que . JE FERAI. »

TU DEVRAS-FAIRE.

là ses jambes

et tu te coucheras ;

à toi »

à elle : tu dis

à moi,

CONTEXTE LES FILLES DE LOT Quand Lot s’enfuit de Sodome avant que la ville fut détruite, il prit avec lui sa femme et ses deux filles ; ses gendres refusèrent de les suivre. Restées seules avec leur père, elles l’enivrèrent et couchèrent avec lui pour lui susciter une descendance. « L’aînée donna naissance à un fils et elle l’appela Moab ; c’est l’ancêtre des Moabites d’aujourd’hui » (Gn 19,37), dont Ruth fait partie.

82

La deuxième section (Rt 2–3)

TAMAR ET JUDA Tamar épousa le premier fils de Juda qui mourut sans enfant ; le deuxième fils la prit selon la loi du lévirat, mais il mourut lui aussi sans enfant. Juda refusa de donner à sa bru son troisième fils par crainte de le voir mourir à son tour. Alors, Tamar se déguisa en prostituée, se couvrant d’un voile pour ne pas être reconnue, et séduisit son beau-père dont elle devint enceinte (Gn 38). Boaz appartient à la lignée de Tamar et Juda, à la septième génération : 4

Tamar, la belle-fille de Juda, lui enfanta Péretz et Zérah. [...] Fils de Péretz : Heçrôn et Hamul. [...] 9 Fils de Heçrôn : lui naquirent Yerahméel, Ram, Kelubaï. 10 Ram engendra Amminadab, Amminadab engendra Nahshôn, prince des fils de Juda, 11 Nahshôn engendra Salma et Salma engendra Boaz. 12 Boaz engendra Obed, et Obed engendra Jessé. 13 Jessé engendra Éliab son premierné, Abinadab le second, Shiméa le troisième, 14 Netanéel le quatrième, Raddaï le cinquième, 15 Oçem le sixième, David le septième (1Ch 2,4-15). 5

INTERPRÉTATION « UN REPOS » Telle est la préoccupation essentielle de Noémi. C’étaient déjà les premiers mots qu’elle avait adressés à ses deux belles-filles aux Champs de Moab après la mort de leurs maris : « Allez, retournez [...] que Yhwh vous donne de trouver du repos, chacune dans la maison de son mari » (1,9). Une veuve, surtout si elle est encore jeune, doit absolument se remarier, sous peine de se trouver sans ressources et sans défense. « La veuve et l’orphelin » ne sont-ils pas la réalité et le symbole du pauvre et de l’opprimé ? L’accueil que Boaz avait réservé à Ruth au début de la moisson des orges pouvait laisser espérer à Noémi une conclusion heureuse de la rencontre de sa belle-fille avec cet « homme de valeur » (2,1). Or, à part un glanage fructueux, rien d’autre ne s’est passé. Il n’est donc pas étonnant que, sept semaines plus tard, la fin des moissons étant arrivée, Noémi soit plus que jamais préoccupée de trouver un « repos » pour sa belle-fille, et un bon repos. DE GRANDS EXEMPLES Noémi n’est pas sans ressources. La situation dans laquelle elle se trouve avec sa belle-fille ne manque pas de précédents dans l’histoire du peuple d’Abraham. Ruth, pour commencer, a de qui tenir, elle, descendante de Moab dont la mère n’hésita pas à enivrer son père et à recourir à l’inceste avec son père pour susciter une descendance à sa famille. Boaz, de son côté, est le descendant de Péretz que Tamar engendra de son beau-père Juda, en se faisant passer pour

Séquence B3 : 3,1-18

83

prostituée, parce qu’il refusait de lui donner son troisième fils pour susciter une descendance à son ainé. Elle avait eu le courage de risquer ainsi sa vie pour obéir à la loi. Et Juda avait dû reconnaitre que sa belle-fille avait été plus juste que lui. Noémi prend à son tour le risque que Boaz, oubliant l’exemple de son illustre ancêtre, chasse Ruth ou, pire sans doute, la traite comme une prostituée. LA GRANDE INCONNUE Le jeu de la séduction imaginé par Noémi repose sur la feinte de celle qui devra connaitre sans être connue. Enveloppée de son manteau censé la protéger contre le froid de la nuit, elle aura bien soin de ne pas se faire reconnaitre par Boaz, condition première pour que le stratagème de la surprise puisse fonctionner. Une fois que le maitre aura bien festoyé, sera repu et pris de boisson, il ne sera pas difficile pour Ruth de connaitre l’endroit où il ira se coucher. Quand elle se sera couchée à son côté, ayant pris soin de le découvrir, les rôles s’inverseront : c’est lui qui lui fera connaitre ce qu’elle devra faire. Noémi et Ruth peuvent certes l’imaginer, l’espérer, mais elles ne peuvent en aucun cas le savoir. Elles doivent faire confiance. L’OBÉISSANCE La situation est paradoxale. Toute cette courageuse initiative de Noémi est finalement ordonnée à mettre leur destin entre les mains de celui qu’elle veut mettre au pied du mur et contraindre à une décision. Alors, Ruth devra faire ce que Boaz lui dira. En attendant ce moment décisif et inconnu, elle s’en remet en toute confiance à ce que lui ordonne sa belle-mère. Lui obéissant et promettant ainsi d’obéir à Boaz, Ruth ne se montre pas passive, comme on pourrait l’imaginer ; elle donne sa disponibilité entière à un projet qu’elle adopte en toute lucidité, bien consciente des risques que cela implique, mais confiante en celle qui l’appelle sa fille et qu’elle considère comme sa mère. RETROUVAILLES D’ABRAHAM ET DE LOT Abraham avait dû se séparer de son neveu Lot, car « le pays ne suffisait pas à leur installation commune : ils avaient de trop grands biens pour pouvoir habiter ensemble. [...] Abram s’établit au pays de Canaan et Lot s’établit dans les villes de la Plaine ; il dressa ses tentes jusqu’à Sodome » (Gn 13,6.12). Boaz est un descendant de Juda, fils de Jacob, petit-fils d’Abraham. Ruth descend de Moab, fils incestueux de Lot et de sa première fille. Abraham et Loth, fils de son frère Harân, ont pour père et grand-père Térah, un étranger, un païen venu de Ur en Chaldée. Ainsi, Abraham et Lot se retrouvent mystérieusement réunis par le mariage de Boaz et de Ruth. Une manière de faire entendre, peut-être, que les étrangers font partie de la même famille.

84

La deuxième section (Rt 2–3)

2. Ruth demande à Boaz de la prendre sous son aile : 3,6-9 TEXTE 3,6 Et elle descendit à l’aire et elle fit comme tout ce que avait ordonné sa belle-mère. 7 Et mangea Boaz et il but et fut bien son cœur et il vint se coucher à l’extrémité du tas ; et elle vint en secret et elle découvrit ses jambes et elle se coucha. 8 Et il fut au milieu de la nuit et il frissonna l’homme et il se retourna et voici une femme était couchée à ses jambes. 9 Et il dit : « Qui toi ? » Et elle dit : « Moi Ruth ta servante et tu dois-étendre ton aile sur ta servante car goël toi. » V. 6

: « COMME TOUT... »

La formule est classique pour dire que les ordres ont été exécutés exactement (Gn 6,22 ; 7,5). V. 8

: « IL SE RETOURNA »

Le verbe est rare, en Jg 16,29 il signifie « tâter », en Jb 6,18 « se détourner ». D’après le contexte, « se retourner » est le sens le plus probable. V. 9

: « TA SERVANTE ET TU DOIS-ÉTENDRE »

Jusqu’ici, Ruth était comptée comme une des « jeunes-femmes » employées de Boaz qu’elle accompagnait quand elle glanait (2,5.6.8 ; voir p. 54) ; elle se présente elle-même à Boaz comme sa « domestique » (šipḥâ ; 2,13). Ici, elle utilise ’ămâ, dont le sens est discuté : certains considèrent que c’est un simple synonyme de šipḥâ, les deux termes étant utilisés comme féminin de ‘ebed, « esclave » (Ex 12,16 ; 20,17), d’autres lui reconnaissent un sens plus élevé, celui de la femme qui pourrait espérer devenir l’épouse ou la concubine d’un homme. Le parfait inverti (weqataltí) peut avoir la nuance modale de « devoir ».

COMPOSITION À une partie de récit (6-8) succède une courte partie de dialogue (9). Ruth fait exactement (7-8) ce que lui avait ordonné sa belle-mère (6). Les deux premiers segments du second morceau sont liés par « et il vint »/« et elle vint » (7c.d), les deux derniers sont marqués par « ses jambes » et « se coucher » qui jouent le rôle de termes finaux. Dans la deuxième partie, à la courte question de Boaz qui demande à la femme couchée à ses pieds son identité, Ruth répond d’abord en déclinant sa propre identité, mais y ajoute celle de son interlocuteur : il est « goël ». Aux extrémités de sa réponse, « moi » et « toi » se répondent. On pourra noter une opposition entre « découvrir ses jambes » (7e) et « étendre ton aile » (9e).

Séquence B3 : 3,1-18 + 3,6 Et elle descendit + comme tout ce qu’

à l’aire avait ordonné

85

et elle fit sa belle-mère.

··································································································

– 7 Et mangea – et fut bien – et il vint

Boaz son cœur se coucher

:: et elle vint :: et elle découvrit

en secret ses jambes

et elle se coucha.

au milieu l’homme une femme

de la nuit et se retourna était couchée

8

.. Et il fut .. et il frissonna .. et voici

et il but à l’extrémité

du tas ;

à ses jambes.

+ 9 Et il dit : : « Qui

TOI ?

»

··························································

= Et elle dit : .. « MOI – et tu dois-étendre – car goël

Ruth ton aile TOI. »

ta servante sur ta servante

CONTEXTE « ÉTENDRE SON AILE » En 9e, le ketib a le singulier, le qeré le pluriel comme plusieurs manuscrits, ce qui renvoie à 2,12 : « le Dieu d’Israël, sous les ailes duquel tu es venue t’abriter. » Au singulier, il se retrouve en Ez 16,8 : litt. « j’ai étendu mon aile sur toi » que l’on traduit habituellement « j’étendis sur toi le pan de mon manteau », en ajoutant « de mon manteau » (BJ), comme en 1S 15,27 ; 24,5.6.12 où « l’aile » est celle du « manteau ». Il s’agit en tout cas de protéger, ce qui est le rôle du goël (voir p. 75).

INTERPRÉTATION UNE SURPRISE BIEN MENÉE Le contraste est saisissant entre les deux personnages qui se rencontrent sur l’aire. Bien que le narrateur rapporte surtout les actions de Boaz (7abc.8ab) et passe rapidement sur celles de Ruth (7de), c’est la femme qui, « en secret », mène le jeu, et sans que l’homme s’en rende compte. Rendu gai par un repas bien arrosé, celui-ci ne tarde pas à sombrer dans l’inconscience du sommeil, tandis que, lucidement, la femme met son projet à exécution exactement comme sa belle-mère le lui avait ordonné. On ne sait pas si elle a pu trouver le sommeil

86

La deuxième section (Rt 2–3)

comme lui ou si, au contraire, elle est restée éveillée, attendant l’issue de sa manœuvre. Le fait est qu’elle répond du tac au tac à la question qui lui est posée, sans que Boaz ait eu besoin de la réveiller. Sa torpeur fait penser à celle de l’adam qui, ouvrant les yeux après l’intervention divine, est surpris de découvrir la femme. RUTH DÉCOUVRE BOAZ Au milieu de la nuit, Boaz découvre une femme à ses pieds, mais il ne la reconnait pas et doit lui demander qui elle est. Elle lui découvre aussitôt son nom, mais au lieu de lui accoler sa nationalité de « Moabite », comme cela avait été fait systématiquement jusqu’alors, elle ajoute « ta servante ». Ainsi, son lien avec son origine et son passé laisse la place à celui qu’elle entend contracter avec cet homme dans l’avenir. Elle n’avait pas hésité à découvrir ses pieds quand il était inconscient. Maintenant qu’il est bien réveillé, elle lui découvre, ou lui rappelle, son identité de goël, non sans avoir commencé par l’inviter à en assumer le devoir. Elle n’avait découvert ses pieds que pour être couverte par ses ailes.

Séquence B3 : 3,1-18

87

3. La requête adressée à Boaz par les deux veuves : 3,1-9 COMPOSITION DE LA SOUS-SÉQUENCE 3,1 Et Noémi SA BELLE-MÈRE lui dit : « Ma fille, ne dois-je pas chercher pour toi un repos qui soit bon pour toi ? 2 Et maintenant Boaz n’est-il pas notre parent, lequel tu as été avec ses jeunes-femmes ? Voici qu’il bat sur L’AIRE des orges cette nuit ? 3 Tu te laveras et te parfumeras et tu mettras ton manteau sur toi et tu descendras sur l’aire ; ne sois pas reconnue par l’homme avant qu’il ait achevé de MANGER ET DE BOIRE. 4 Et quand il ira se coucher, tu connaitras l’endroit où il couchera et tu viendras et TU DÉCOUVRIRAS SES PIEDS et tu te coucheras ; et il te déclarera ce que tu devras faire. » 5 Et elle lui dit : « Tout ce que tu me dis, je le ferai. » 6

Et elle descendit à L’AIRE et fit tout comme lui avait ordonné SA BELLE-MÈRE. 7 Et Boaz MANGEA ET BUT et son cœur fut bien et il vint se coucher à l’extrémité du tas ; et elle vint en secret et ELLE DÉCOUVRIT SES PIEDS et elle se coucha. 8 Et il arriva au milieu de la nuit que l’homme frissonna et se retourna et voici qu’une femme était couchée à SES PIEDS. 9 Et il dit : « Qui es-tu ? » Et elle dit : « Je suis Ruth, ta servante ; tu étendras ton aile sur ta servante car tu es goël. »

Les deux occurrences de « sa belle-mère » (1a.6) remplissent la fonction de termes initiaux ; « tout ce que tu me dis, je le ferai » (5) et « elle fit tout comme lui avait ordonné sa belle-mère » (6) de termes médians ; les deux seules déclarations de Ruth (5.9) de termes finaux. Sont repris « aire » (2b.6), « nuit » (2b.8b), « manger et boire » (3c.7b), « découvrir ses pieds » (4c.7c) ; « (se) coucher » revient trois fois dans chaque passage (4b bis.c ; 7b.c.8b).

INTERPRÉTATION « CE QUE TU DEVRAS FAIRE » Ruth peut paraitre passive, complètement aux ordres de sa belle-mère. Il est vrai que Noémi ne lui demande pas son avis et, même si elle commence par lui poser deux questions, elle n’attend pas de réponse. Elle se contente de lui dire ce qu’elle devra faire. Ruth ne discute pas, ne demande rien, elle acquiesce de manière laconique. Cependant, alors que sa belle-mère avait prévu que Boaz lui aurait dit ce qu’elle aurait à faire, les choses ne se passent pas du tout de cette manière : au contraire, c’est elle qui lui dit ce qu’il doit faire. C’est « la servante » qui dicte au maitre son devoir !

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La deuxième section (Rt 2–3)

B. BOAZ ACCEPTE LA REQUÊTE DE RUTH SOUS CONDITION : 3,10-14A Cette sous-séquence est de la taille d’un passage. TEXTE 3,10 Et il dit : « Bénie toi de Yhwh, ma fille : tu as bien-fait ta fidélité dernière plus que la première de ne pas aller derrière les jeunes-gens soit pauvre et soit riche. 11 Et maintenant, ma fille, ne crains pas : tout ce que tu as dit je (le) ferai pour toi car elle sait toute la porte de mon peuple que femme de valeur toi. 12 Et maintenant, oui, en vérité, oui, racheteur moi mais aussi il y a un racheteur plus proche que moi. 13 Repose-toi cette nuit. Et il sera au matin s’il rachète, bien, il rachètera ; et si il ne désire pas te racheter et je te rachèterai, moi, est vivant Yhwh. Couche-toi jusqu’au matin. 14 Et elle se coucha à ses pieds jusqu’au matin. V. 11C

: « TOUTE LA PORTE DE MON PEUPLE »

Tous ceux qui se tiennent à la porte de la ville, c’est-à-dire les notables qui sont appelés à juger en ce lieu de passage où tous pouvaient les voir et les entendre. V. 12A : « OUI, EN VÉRITÉ, MAIS OUI, RACHETEUR MOI

»

« Oui » traduit kî ; après le deuxième kî, le ketib ajoute ‘im qu’on pourrait rendre par « mais ». La phrase semble heurtée, ce qui peut être interprété de différentes manières ; ce qui est sûr, c’est l’insistance que Boaz met sur cette affirmation centrale. « Racheteur » traduit l’hébreu gō’ēl. Jusqu’ici, ce terme avait été simplement translittéré par « goël » (2,20 ; 3,9 ; voir p. 75) ; dorénavant, mis en rapport avec le verbe de même racine, il doit être rendu par un mot de la même famille, « racheteur », « racheter ». V. 13F : « EST VIVANT YHWH »

Boaz confirme sa promesse par une formule de serment (par ex., 1S 14,39.45) que l’on rend souvent par : « par le Dieu vivant », ou par « par la vie du Seigneur ». COMPOSITION Le passage est encadré par deux courtes phrases de récit (10a.14a). Le long discours de Boaz s’organise en trois parties. La première concerne Ruth (10b11), la seconde Boaz (12), la troisième ce que Ruth devra faire jusqu’au matin en attendant la suite (13). Dans la première partie, le premier morceau concerne le passé de Ruth, le second, introduit par « et maintenant », vise son avenir. Les deux occurrences de « ma fille » jouent le rôle de termes initiaux (10b.11a), celles du pronom « toi » de termes extrêmes (10b.11d).

Séquence B3 : 3,1-18

89

+ 10 Et il dit : + « Bénie

TOI

de YHWH,

MA FILLE

: tu as bien-fait : de ne pas : soit pauvre

ta fidélité aller et soit riche.

dernière derrière

plus que la première les jeunes-gens

:

····························································································································

+ 11 Et maintenant,

MA FILLE,

ne crains pas :

.. tout ce que .. car elle sait .. que femme

tu as dit toute la porte de valeur

je (le) ferai pour toi de mon peuple TOI.

.. 12 Et maintenant, oui, en vérité, - mais aussi il y a + 13 Repose-toi

oui, RACHETEUR MOI un RACHETEUR plus proche

que moi.

cette nuit.

····························································································································

- Et il sera - s’IL RACHÈTE,

au matin bien,

: et si : et JE TE RACHÈTERAI, : est vivant

MOI,

IL RACHÈTERA ;

il ne désire pas TE RACHETER YHWH.

····························································································································

14

+ Couche-toi

jusqu’au matin. »

Et elle se coucha

à ses pieds

jusqu’au matin.

De la taille d’un unimembre, les morceaux extrêmes de la dernière partie sont des impératifs suivis d’un complément de temps (13a.13g). Le morceau central envisage les deux termes de l’alternative, le rachat par le goël le plus proche (13bc) ou par Boaz (def). La courte partie centrale (12) assure le passage entre la première et la troisième partie : le premier membre rappelle la promesse de 11b, mais annonce aussi le deuxième terme de l’alternative de 13def, le deuxième membre annonce le premier terme de l’alternative de la dernière partie (13bc). « Et maintenant » revient dans les deux premières parties (11a.12a), « moi » dans les deux dernières (12a.13e) et surtout « racheteur » et « racheter » (12a.b. 13c bis.d.e), « Yhwh » aux extrémités (10b.13f) ; on notera aussi que « tu as bien-fait » (10c) et « bien » (13c) sont de même racine. L’unimembre final de récit (14a) reprend le dernier membre du discours de Boaz (13g).

90

La deuxième section (Rt 2–3)

INTERPRÉTATION LA FIDÉLITÉ DE RUTH Les premiers mots que Boaz prononce sont pour bénir et louer Ruth pour sa « fidélité ». Celle-ci est double : la première fut de s’attacher à sa belle-mère au point de tout quitter pour elle, pour son peuple et pour son Dieu. Elle avait renoncé à retourner chez les siens pour trouver un mari, comme Noémi le lui conseillait. Espérait-elle en trouver un à Bethléem, de la famille du défunt, pour relever son nom ? L’histoire ne le dit pas, mais ce qu’elle dit, c’est qu’elle a renoncé à chercher un époux parmi les jeunes-hommes de sa génération, parmi les serviteurs de Boaz avec qui elle a travaillé durant la moisson. Elle s’est tournée au contraire vers un homme de la génération de sa belle-mère, qui aurait donc l’âge de son père. Mais il est un de ses goëls, et la bienveillance généreuse qu’il lui a témoignée à elle et, indirectement, à sa belle-mère, l’a portée à entrer de plain pied dans la stratégie que celle-ci avait imaginée. Cette double fidélité n’en est en réalité qu’une seule que l’on devine : la fidélité au défunt dont la descendance doit absolument être relevée, selon la loi du Dieu d’Israël. LA FIDÉLITÉ DE BOAZ À la fidélité obstinée de Ruth répond celle du proche parent de son mari. En réalité, sa fidélité est, elle aussi, double. Elle s’était manifestée dès le début de la moisson des orges et s’était maintenue tout au long jusqu’à la fin de la moisson des blés : il avait pour ainsi dire adopté la Moabite comme sa propre « fille », lui interdisant d’aller glaner chez un autre, la favorisant de toutes les manières. Tout cet intérêt qu’il prenait pour elle ne pouvait pas laisser insensible la jeune femme ainsi que sa belle-mère. Il s’était en quelque sorte déclaré. Maintenant, il ne peut que répondre positivement à la demande claire de Ruth, ce qu’il n’hésite pas à faire sans ambages. Ainsi, sa fidélité première ira jusqu’au bout de sa logique, jusqu’au rachat et au mariage. Toutefois, sa fidélité à la loi de Dieu lui fera céder la place, s’il le faut, à celui qui est plus proche parent que lui de la veuve. SOUS LE REGARD DU SEIGNEUR L’invocation de la bénédiction de Yhwh par laquelle commence le discours de Boaz en est la clé de lecture. À la fin, le serment prononcé au nom du Dieu vivant scelle l’engagement du goël. Le personnage divin est ainsi convoqué par Boaz pour bénir celle qui deviendra son épouse et pour donner la vie. Ruth peut donc désormais dormir en paix aux pieds de celui qui veillera sur elle jusqu’au matin.

Séquence B3 : 3,1-18

91

C. LE CADEAU PRÉSENTÉ PAR BOAZ AUX DEUX VEUVES La dernière sous-séquence : 3,14b-18 Cette séquence comprend deux passages : RUTH EST RENVOYÉE

PAR BOAZ

AVEC UN DON

DE SIX ORGES

RUTH TRANSMET

À NOÉMI

LE CADEAU

DES SIX ORGES

3,14b-15 16-18

1. Ruth est renvoyée par Boaz avec un don de six orges : 3,14b-15 TEXTE 3,14b Et elle se leva avant que reconnaisse un homme son prochain et il dit: « Ne soit pas connu qu’est venue la femme à l’aire. » 15 Et il dit: « Présente le châle lequel sur toi et tiens lui. » Et elle tint lui et il mesura six orges et il chargea sur elle. Et il vint à la ville. V. 15F : « SIX ORGES

»

La mesure n’est pas précisée. Ce ne peut être que ce que la femme était capable de porter. Quoi qu’il en soit, le chiffre « six » signifie certainement l’abondance du don. V. 15H

: « ET IL VINT À LA VILLE ».

Quelques manuscrits et certaines versions ont le féminin : « et elle vint ».

COMPOSITION : 3,14b Et elle se leva : et il dit :

avant que « Ne soit pas connu

reconnaisse qu’EST VENUE

···········································································

+ 15 Et il dit : - « Donne - lequel - et tiens

le châle sur toi lui. »

.. Et elle tint .. et il mesura .. et il chargea

lui six sur elle.

orges

···········································································

: Et IL VINT

À LA VILLE.

un homme son prochain la femme À L’AIRE. »

92

La deuxième section (Rt 2–3)

: 3,14b Et elle se leva : et il dit :

avant que « Ne soit pas connu

reconnaisse qu’EST VENUE

un homme son prochain la femme À L’AIRE. »

···········································································

+ 15 Et il dit : - « Présente - lequel - et tiens

le châle sur toi lui. »

.. Et elle tint .. et il mesura .. et il chargea

lui six sur elle.

orges

···········································································

: Et IL VINT

À LA VILLE.

Le premier morceau met en parallèle ce que fait Ruth et ce que pense Boaz. « Reconnaitre » (nkr) et « connaitre » (yd‘) appartiennent au même champ sémantique ; « homme » et « femme » se trouvent en même position. Le dernier morceau, de récit, peut être dit renvoyer au premier membre du morceau initial : à l’action de la femme correspond celle de l’homme. Les termes finaux s’opposent : « à l’aire » (14c) – « à la ville » (15h), précédés de « venir ». Le morceau central rapporte d’abord ce que Boaz demande à Ruth (15bcd) puis comment il remplit son châle (15efg).

INTERPRÉTATION LE SECRET PARTAGÉ La nuit touchant à sa fin, l’homme comme la femme manifestent leur volonté commune que leur rencontre reste secrète. Il ne faut pas qu’elle puisse être reconnue par quiconque, et c’est pourquoi elle se lève à nuit encore noire. Lui non plus ne veut pas qu’on sache qu’elle est venue à l’aire. Leur accord est complet sur ce point. Chacun s’en ira de son côté avant qu’il fasse jour. LE PARTAGE DE LA SEMENCE Il serait impensable de laisser partir quelqu’un, un invité ou un visiteur, les mains vides. Ce geste habituel, tout à fait commun, prend ici une valeur symbolique qui n’a pas échappé à la plupart des lecteurs. L’orge récolté servira pour la plus grande part à la nourriture, mais une partie moindre sera mise de côté pour la semence. Le don que Boaz fait à Ruth est une annonce, à peine voilée, de ce qui devrait arriver si l’homme pouvait faire valoir son droit de rachat.

Séquence B3 : 3,1-18

93

2. Ruth transmet à Noémi le cadeau des six orges : 3,16-18 TEXTE 3,16 Et elle vint chez sa belle-mère et elle dit : « Qui es-tu, ma fille ? » Et elle raconta à elle tout ce que avait fait pour elle l’homme. 17 Et elle dit: « Ces six orges-là il m’a donnés car il a dit à moi : “Ne va pas à vide chez ta belle-mère”. » 18 Et elle dit : « Demeure, ma fille, jusqu’à ce que tu saches comment tombera l’affaire, car ne se taira pas l’homme avant que s’achève l’affaire aujourd’hui. » V. 16C

: « QUI ES-TU ? »

Le pronom fait difficulté, car Noémi a bel et bien reconnu sa belle-fille, puisqu’elle l’appelle, comme en 2,2.22, « ma fille ». Elle veut savoir « qui » elle est devenue. Cette question fait écho à celle de Boaz en 3,9. V. 18D.F

: « LA CHOSE »

Dābār signifie « parole », mais aussi « affaire », « chose ».

COMPOSITION + 16 Et elle vint + et elle dit : : « Qui

chez sa belle-mère es-tu,

MA FILLE

= Et elle raconta - tout ce que

à elle avait fait pour elle

L’HOMME.



····················································································································

= 17 Et elle dit : - « Ces six - car il a dit - “Ne va pas

orgesà moi : à vide



il m’a donnés

chez ta belle-mère”. »

····················································································································

+ 18 Et elle dit : .. « Demeure, .. jusqu’à ce que .. comment

tu saches tombera

MA FILLE,

l’affaire,

: car ne se taira pas – avant que s’achève

L’HOMME l’affaire

aujourd’hui. »

Dans le premier morceau, à la question de Noémi sur « l’identité » de sa bellefille, celle-ci répond en lui rapportant ce que lui a fait « l’homme ». Le morceau central concerne le cadeau que Boaz a fait parvenir à Noémi. La réponse finale de Noémi ne fait aucune mention des six mesures d’orge, mais correspond au

94

La deuxième section (Rt 2–3)

seul premier morceau : après ce que Boaz « a fait » (16e), Ruth est invitée à attendre ce qu’il fera. Noémi est convaincue que « l’affaire » sera conclue « aujourd’hui » même. + 16 Et elle vint + et elle dit : : « Qui

chez sa belle-mère es-tu,

MA FILLE

= Et elle raconta - tout ce que

à elle avait fait pour elle

L’HOMME.



····················································································································

= 17 Et elle dit : - « Ces six - car il a dit - “Ne va pas

orgesà moi : à vide



il m’a donnés

chez ta belle-mère”. »

····················································································································

+ 18 Et elle dit : .. « Demeure, .. jusqu’à ce que .. comment

tu saches tombera

MA FILLE,

l’affaire,

: car ne se taira pas – avant que s’achève

L’HOMME l’affaire

aujourd’hui. »

Les deux premiers morceaux sont encadrés par « chez sa/ta belle-mère » (16a.17d). Chaque fois que Noémi s’adresse à sa belle-fille, elle l’appelle « ma fille » (16c.18b) ; « l’homme » revient dans les derniers segments des morceaux extrêmes (16e.18e).

INTERPRÉTATION « PAS À VIDE » Le passage est focalisé sur les paroles de Ruth qui rapporte celles de Boaz. Comme ces mots de l’homme n’avaient pas été mentionnés au moment du don des « six orges », l’attention du lecteur en est d’autant plus piquée. Le propos de Boaz est court, mais le mot central, « à vide », résonne fort : il avait été prononcé par Noémi à son arrivée à Bethléem : « Moi, pleine je m’en étais allée et à vide m’a fait retourner Yhwh » (1,21). Cette fois-ci, le vide est comblé pour elle. Et l’on comprend bien que ce ne sont pas les six orges qui la rempliront, mais ce qu’ils symbolisent.

Séquence B3 : 3,1-18

95

QUAND DIRE C’EST FAIRE « Ce que l’homme lui avait fait » (16e). Voilà une expression du narrateur qui pourrait prêter à confusion. L’homme lui aurait-il donc « fait des choses », comme on dit ? Or, le récit de ce qui s’est passé durant la nuit sur l’aire ne rapportait qu’un échange de paroles entre Boaz et Ruth. Mais il est des paroles qui sont des actes, celles qu’on appelle « performatives ». Et c’est peut-être pour cela que pour désigner ce qui va se passer, c’est le mot dābār qui a été choisi à la fin, et par deux fois : la « chose », c’est une « parole » donnée et qui va se réaliser, qui est « à faire ». Étant promise, et qui plus est « par la vie de Yhwh », elle se fera, inéluctablement.

3. Le cadeau présenté par Boaz aux deux veuves : 3,14b-18 COMPOSITION DE LA SOUS-SÉQUENCE 3,14b Et elle se leva avant qu’un homme reconnaisse son prochain et il dit : « NE SOIT PAS CONNU que la femme est venue à l’aire. » - 15 Et il dit : « Présente le châle qui est sur toi et tiens-le. » - Et elle le tint et il mesura SIX ORGES et les chargea sur elle. ET IL VINT à la ville. 16

ET ELLE VINT chez sa belle-mère et celle-ci dit : « Qui es-tu, ma fille ? » Et elle lui raconta tout ce que l’homme avait fait pour elle. - 17 Et elle dit : « Ces SIX ORGES-là il m’a donnés, - car il m’a dit : “Ne va pas à vide chez ta belle-mère”. » 18

Et elle dit : « Demeure, ma fille, jusqu’à ce que TU SACHES comment tombera l’affaire, car l’homme ne se taira pas avant que s’achève l’affaire aujourd’hui. »

Les deux passages sont focalisés sur le don des « six orges » (15b.17a). Ils sont agrafés par les termes médians « Et il vint », « Et elle vint » (15c.16a). On pourra aussi noter la reprise de « homme » (14b.16b.18b) et de « connaitre » (14c.18a).

CONTEXTE LA TOTALITÉ À SEPT Pour assurer Abimélek de sa sincérité, Abraham lui fait un cadeau : 28

Abraham mit à part sept brebis du troupeau, 29 et Abimélek lui demanda : « Que font là ces sept brebis que tu as mises à part ? » 30 Il répondit : « C’est pour que tu acceptes de ma main ces sept brebis, afin qu’elles soient un témoignage que j’ai bien creusé ce puits. » (Gn 21).

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La deuxième section (Rt 2–3)

Très souvent, six n’est qu’une sorte de préparation à sept qui représente la totalité ; l’exemple le plus connu est celui de la semaine où les six jours de travail ne trouvent leur complétude que par le septième jour, le sabbat (Ex 20,811). Entre tant d’autres exemples, Élisée s’étend sept fois sur l’enfant de la Shunamite pour le réchauffer et le rendre à la vie (2R 4,35) ; il ordonne à Naaman de se baigner sept fois dans le Jourdain pour être guéri (2R 5,10.14 ; voir aussi Nb 23,1-4.14.29-30). « Il y a six choses que hait Yhwh, sept qui lui sont en abomination » (Pr 6,16-19).

INTERPRÉTATION UN DON DE BON AUGURE « Dites-le avec des fleurs ! » Il n’y a pas que le langage des fleurs, les chiffres aussi peuvent parler. Ruth l’aura sans doute compris ; en tous cas, elle ne manque pas de préciser à sa belle-mère que le don reçu de Boaz est de « six orges ». On pourra, bien entendu, s’étonner que la mesure ne soit pas indiquée et supputer ce qu’elle a bien pu être, mais là n’est pas la question. C’est le « six » qui importe. Pour que le don soit complet, il manque le septième. En fait, le six n’est là que pour annoncer ce septième, mais celui-ci est suspendu à la décision de celui qui a la priorité pour racheter la veuve. UN DON POUR LES DEUX VEUVES Les six orges ont été donnés à Ruth dans son châle et chargés sur son dos. Le présent est pour elle mais, selon les paroles du donateur transmises à Noémi, il est aussi pour elle. Il est donc loisible de penser que le don en tant que tel constitue aussi un message : il a deux destinataires. Le septième promis sera lui aussi pour les deux veuves. Ce n’est pas seulement Ruth qui est revenue « à vide » des Champs de Moab ; les deux veuves sans enfants seront comblées en même temps quand la mesure du don sera pleine.

Séquence B3 : 3,1-18

97

D. DE NUIT, RUTH REJOINT BOAZ SUR SON AIRE COMPOSITION DE LA SÉQUENCE B3 Cette séquence compte cinq passages organisés en trois sous-séquences : LA REQUÊTE

ADRESSÉE

À

BOAZ

PAR LES DEUX VEUVES

(1-9)

RUTH EST ENVOYÉE

PAR SA BELLE-MÈRE

À LA RENCONTRE DE BOAZ

RUTH DEMANDE

À BOAZ

DE LA PRENDRE

BOAZ

ACCEPTE

LE CADEAU

PRÉSENTÉ

LA REQUÊTE DE

PAR

3,1-5

SOUS SON AILE

6-9

RUTH SOUS CONDITION

10-14a

BOAZ AUX DEUX VEUVES (14B-18)

RUTH EST RENVOYÉE

PAR BOAZ

AVEC UN DON

DE SIX ORGES

RUTH TRANSMET

À NOÉMI

LE CADEAU

DES SIX ORGES

3,14b-15 16-18

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La deuxième section (Rt 2–3)

LES RAPPORTS ENTRE LES SOUS-SÉQUENCES EXTRÊMES 3,1 Noémi, sa BELLE-MÈRE, lui dit : « Ma fille, ne dois-je pas chercher pour toi un repos qui soit bon pour toi ? 2 Et maintenant Boaz n’est-il pas notre parent lequel tu as été avec ses jeunes-femmes ? Voici qu’il vanne sur l’aire des ORGES cette nuit. 3 Tu te laveras et te parfumeras et tu mettras ton manteau sur toi et tu descendras sur l’aire ; ne sois pas connue par L’HOMME avant qu’il ait achevé de manger et de boire. 4 Et quand il ira se coucher, tu connaitras l’endroit où il couchera là et tu viendras et tu découvriras ses pieds et tu te coucheras ; et lui TE DÉCLARERA ce que tu devras faire. » 5 Et elle lui dit : « Tout ce que tu me dis, je le ferai. » 6

Et elle descendit à l’aire et fit tout comme ce que avait ordonné sa BELLE-MÈRE. 7 Boaz mangea et but et son cœur fut bien et il vint se coucher à l’extrémité du tas ; et elle vint en secret et elle découvrit ses pieds et elle se coucha. 8 Et il arriva au milieu de la nuit que L’HOMME frissonna et se retourna et voici qu’une femme était couchée à ses pieds. 9 Il dit : « Qui es-tu ? » Et elle dit : « Je suis Ruth, ta servante ; tu étendras ton aile sur ta servante, car tu es racheteur. »

[...] 14b

Et elle se leva avant qu’un HOMME reconnaisse son prochain et il dit : « Ne soit pas connu que la femme est venue à l’aire. » 15 Et il dit : « Présente ton châle qui est sur toi et tiens-le. » Et elle le tint et il mesura six ORGES et il les chargea sur elle. Et il vint à la ville. 16

Et elle vint chez sa BELLE-MÈRE et celle-ci dit : « Qui es-tu, ma fille ? » Et ELLE LUI tout ce que L’HOMME avait fait pour elle. 17 Et elle dit : « Ces six ORGES-là il m’a donnés, car il m’a dit : “Ne va pas à vide chez ta BELLE-MÈRE.” » 18 Et elle dit : « Demeure, ma fille, jusqu’à ce que tu connaisses comment tombera l’affaire, car L’HOMME ne se taira pas avant que s’achève l’affaire aujourd’hui. » DÉCLARA

Ne sont relevées ici que les reprises propres à ces deux sous-séquences : – « belle-mère » deux fois (1a.6 ; 16a.17b) ; – « aire » (2b.3b.6a ; 14c) ; – « orges » (2b ; 15b.17a) ; – « homme » (3c.8b ; 14b.16b.18b) ; – « déclarer » (4c ; 16ab).

Séquence B3 : 3,1-18

99

LES RAPPORTS ENTRE LES TROIS SOUS-SÉQUENCES 3,1 Noémi, sa belle-mère, lui dit : « MA FILLE, ne dois-je pas chercher pour toi un repos qui soit bon pour toi ? 2 Et maintenant Boaz n’est-il pas notre parent lequel tu as été avec ses jeunes-femmes ? Voici qu’il vanne sur l’aire des orges cette nuit. 3 Tu te laveras et te parfumeras et tu mettras ton manteau sur toi et tu descendras sur l’aire ; 4 NE SOIS PAS CONNUE par l’homme avant qu’il ait achevé de manger et de boire. Et quand il ira se coucher, TU CONNAITRAS l’endroit où il couchera là et tu viendras et tu découvriras SES PIEDS et tu te coucheras ; et lui te déclarera ce que tu devras FAIRE. » 5 Et elle lui dit : « Tout ce que tu me dis, JE LE FERAI. » 6

Et elle descendit à l’aire et FIT tout comme ce que avait ordonné sa belle-mère. 7 Et Boaz mangea et but et son cœur fut bien et il vint se coucher à l’extrémité du tas ; et elle vint en secret et elle découvrit SES PIEDS et elle se coucha. 8 Et il arriva au milieu de la nuit que l’homme frissonna et se retourna et voici qu’une FEMME était couchée à SES PIEDS. 9 Il dit : « Qui es-tu ? » Et elle dit : « Je suis Ruth, ta servante ; tu étendras ton aile sur ta servante, car tu es racheteur. » 10

Et il dit : « Bénie sois-tu de Yhwh, MA FILLE : tu as bien-fait ta fidélité dernière plus que la première de ne pas aller derrière les jeunes-gens, soit pauvre et soit riche. 11 Et maintenant, MA FILLE, ne crains pas : tout ce que tu dis, JE LE FERAI pour toi car toute la porte de mon peuple CONNAIT que tu es une FEMME de valeur. 12 Et maintenant, oui, en vérité, mais oui, je suis racheteur, mais il y a aussi un racheteur plus proche que moi. 13 Repose-toi cette nuit. Et si au matin il rachète, bien, il rachètera ; et s’il ne désire pas te racheter, je te rachèterai, moi, par la vie de Yhwh. Couche-toi jusqu’au matin. » 14 Et elle se coucha à SES PIEDS jusqu’au matin. 14b

Et elle se leva avant qu’un homme RECONNAISSE son prochain et il dit : « NE SOIT PAS que la FEMME est venue à l’aire. » 15 Et il dit : « Présente ton châle qui est sur toi et tiens-le. » Et elle le tint et il mesura six orges et il les chargea sur elle. Et il vint à la ville. CONNU

16

Et elle vint chez sa belle-mère et celle-ci dit : « Qui es-tu, MA FILLE ? » Et elle lui déclara tout ce que l’homme AVAIT FAIT pour elle. 17 Et elle dit : « Ces six orges-là il m’a donnés, car il m’a dit : “Ne va pas à vide chez ta belle-mère.” » 18 Et elle dit : « Demeure, MA FILLE, jusqu’à ce que TU SACHES comment tombera l’affaire, car l’homme ne se taira pas avant que s’achève l’affaire aujourd’hui. »

– Le vocatif « ma fille » (1a ; 10a.11a ; 16a.18a) ; – « connaitre » (3c.4b ; 11b ; 14bc bis.18a), dont deux fois « ne pas être connu » (3c ; 14b) ; – « faire » (4c.5 ; 11a ; 16b ; – « femme » (8b ; 11b ; 14c) ; – surtout « faire » et « tout » : « Tout ce que tu me dis, je le ferai » (5), « tout ce que tu dis, je le ferai pour toi » (11a), « tout ce que l’homme avait fait pour

100

La deuxième section (Rt 2–3)

elle » (16b), à quoi il faut ajouter « ce que tu devras faire » (4c) et « elle fit tout comme... » (6). En finale, « six » s’oppose à « tout ». 3,1 Noémi sa belle-mère lui dit : « MA FILLE, ne dois-je pas chercher pour toi un repos qui soit bon pour toi ? 2 Et maintenant Boaz n’est-il pas notre parent lequel tu as été avec ses jeunes-femmes ? Voici qu’il vanne sur l’aire des orges cette nuit. 3 Tu te laveras et te parfumeras et tu mettras ton manteau sur toi et tu descendras sur l’aire ; 4 NE SOIS PAS CONNUE par l’homme avant qu’il ait achevé de manger et de boire. Et quand il ira se coucher, TU CONNAITRAS l’endroit où il couchera là et tu viendras et tu découvriras SES PIEDS et tu te coucheras ; et lui te déclarera ce que tu devras FAIRE. » 5 Et elle lui dit : « Tout ce que tu me dis, JE LE FERAI. » 6

Et elle descendit à l’aire et FIT tout comme ce que avait ordonné sa belle-mère. 7 Et Boaz mangea et but et son cœur fut bien et il vint se coucher à l’extrémité du tas ; et elle vint en secret et elle découvrit SES PIEDS et elle se coucha. 8 Et il arriva au milieu de la nuit que l’homme frissonna et se retourna et voici qu’une FEMME était couchée à SES PIEDS. 9 Il dit : « Qui es-tu ? » Et elle dit : « Je suis Ruth, ta servante ; tu étendras ton aile sur ta servante, car tu es racheteur. » 10

Et il dit : « Bénie sois-tu de Yhwh, MA FILLE : tu as bien-fait ta fidélité dernière plus que la première de ne pas aller derrière les jeunes-gens, soit pauvre et soit riche. 11 Et maintenant, MA FILLE, ne crains pas : tout ce que tu dis, JE LE FERAI pour toi car toute la porte de mon peuple CONNAIT que tu es une FEMME de valeur. 12 Et maintenant, oui, en vérité, mais oui, je suis racheteur, mais il y a aussi un racheteur plus proche que moi. 13 Repose-toi cette nuit. Et si au matin il rachète, bien, il rachètera ; et s’il ne désire pas te racheter, je te rachèterai, moi, par la vie de Yhwh. Couche-toi jusqu’au matin. » 14 Et elle se coucha à SES PIEDS jusqu’au matin. 14b

Et elle se leva avant qu’un homme RECONNAISSE son prochain et il dit : « NE SOIT PAS que la FEMME est venue à l’aire. » 15 Et il dit : « Présente ton châle qui est sur toi et tiens-le. » Et elle le tint et il mesura six orges et il les chargea sur elle. Et il vint à la ville. CONNU

16

Et elle vint chez sa belle-mère et celle-ci dit : « Qui es-tu, MA FILLE ? » Et elle lui déclara tout ce que l’homme AVAIT FAIT pour elle. 17 Et elle dit : « Ces six orges-là il m’a donnés, car il m’a dit : “Ne va pas à vide chez ta belle-mère.” » 18 Et elle dit : « Demeure, MA FILLE, jusqu’à ce que TU SACHES comment tombera l’affaire, car l’homme ne se taira pas avant que s’achève l’affaire aujourd’hui. »

Séquence B3 : 3,1-18

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Outre les termes communs aux trois sous-séquences, les rapports sont très nombreux entre les deux premières sous-séquences : – « nuit » (2b.8b ; 13a) ; – « (se) coucher » (4b bis.c.7b.c.8b ; 13b.14a) ; – « ses pieds » (4c.7c.8c ; 14a) ; – « racheteur/racheter » (9b ; 12a.b.13quart) ; à « tu es racheteur » (9b) répond « je suis racheteur » (12a).

INTERPRÉTATION « MAIS OUI, JE SUIS RACHETEUR, MAIS... » Le récit bascule au centre de la séquence, « au milieu de la nuit ». Après avoir entendu Boaz déclarer sans ambages qu’il ferait pour Ruth tout ce qu’elle avait dit, après l’avoir confirmé en affirmant qu’effectivement il est goël, il ajoute qu’il n’est pas le seul et même qu’il n’est pas le premier. Tout reste donc suspendu à la décision de cet autre racheteur qui a la priorité sur lui. En attendant, il faut chercher à dormir le reste de la nuit. Et, avant le lever du jour, ce sera le cadeau des six orges qui laissent espérer être complétés par une autre semence, « par le Dieu vivant ». AU NOM DE YHWH Le passage central est encadré par le nom de Yhwh. C’est d’abord sa bénédiction que Boaz invoque — ou constate — sur la femme qui est venue se coucher à ses pieds pour lui demander de la racheter. C’est enfin le serment qui scelle la promesse qu’il lui fait si le premier ayant-droit renonçait à exercer son droit et son devoir de rachat. Comme les deux chérubins qui veillent sur l’arche d’alliance, ces deux mentions du Nom couvrent de leurs ailes l’alliance qui est conclue entre Boaz et Ruth.

IV. RUTH ET BOAZ SE RENCONTRENT COMPOSITION DE LA SECTION B Les trois séquences se distinguent par les lieux, par les temps et par les personnages. Dans les séquences extrêmes, après un premier passage qui relate un dialogue entre Noémi et Ruth, la scène se passe en dehors de leur maison, dans le champ de Boaz d’abord durant une journée (B1), sur son aire ensuite durant une nuit (B3) ; les personnages principaux sont Ruth et Boaz. La séquence centrale (B2) articule les deux autres : Ruth retrouve sa belle-mère chez elle, dans la ville, au soir du premier jour, et elles s’entretiennent de ce qui vient de se passer et de ce qui devrait advenir. Les séquences extrêmes sont nettement plus développées que la séquence centrale : B1 : 1 976 signes espaces compris B2 : 744 B3 : 1 755

1

LES RAPPORTS ENTRE LES SÉQUENCES EXTRÊMES Les séquences B1 et B3 sont parallèles entre elles. De taille semblable, elles sont de même composition concentrique : les sous-séquences extrêmes comprennent chacune deux passages, tandis que la sous-séquence centrale est de la taille d’un seul passage. De jour, Ruth rencontre Boaz sur son champ (2,1-17) BOAZ FAIT LA CONNAISSANCE DE RUTH (1-7)

De nuit, Ruth rejoint Boaz sur son aire (3,1-18) LA REQUÊTE ADRESSÉE À BOAZ PAR LES VEUVES (1-9)

- Ruth va glaner dans le champ de Boaz (1-3) - Boaz se renseigne sur l’identité de Ruth (4-7)

- Ruth est envoyée par Noémi vers Boaz (1-5) - Ruth demande à Boaz de la racheter (6-9)

BOAZ ACCUEILLE RUTH COMME SA FILLE (8-13)

BOAZ ACCEPTE DE RACHETER RUTH (10-14a)

BOAZ PREND GRAND SOIN DE RUTH (14-17) - Boaz s’occupe du repas de Ruth (14-15a) - Boaz facilite la récolte de Ruth (15b-17)

LE CADEAU DE BOAZ AUX DEUX VEUVES (14B-18) - Boaz renvoie Ruth avec six orges (14b-15) - Ruth transmet à Noémi les six orges (16-18)

1 Le compte est fait sur la translittération du texte hébreu, sans les numéros des versets (le tétragramme étant translittéré par « Yhwh »).

L’ensemble de la section

103

Les premiers passages mettent en scène Noémi et Ruth. Dans l’un (2,1-3), Ruth demande à sa belle-mère d’aller glaner au champ de qui l’acceptera, dans l’autre (3,1-5), Noémi demande à sa belle-fille d’aller rejoindre Boaz sur l’aire. Ces deux passages ont en commun : « Noémi », « parent », « Boaz » et « ma fille ». 2,1 NOÉMI avait un PARENT de son mari, homme puissant de valeur, de la famille d’Élimélek, et son nom était BOAZ. 2 Ruth la Moabite dit à Noémi : « Je voudrais aller au champ et glaner les épis derrière celui aux yeux duquel je trouverai-grâce. » Et elle lui dit : « Va, MA FILLE. » 3 Elle alla et vint et elle glana au champ derrière les moissonneurs. Et elle eut de la chance : la parcelle de champ était à Boaz qui était de la famille d’Élimélek. 3,1 NOÉMI, sa belle-mère, lui dit : « MA FILLE, ne dois-je pas chercher pour toi un repos qui soit bon pour toi ? 2 Et maintenant BOAZ n’est-il pas notre PARENT lequel tu as été avec ses jeunes-femmes ? Voici qu’il vanne sur l’aire des orges cette nuit. 3 Tu te laveras et te parfumeras et tu mettras ton manteau sur toi et tu descendras sur l’aire ; ne sois pas reconnue par l’homme avant qu’il ait achevé de manger et de boire. 4 Et quand il ira se coucher, tu connaitras l’endroit où il couchera là et tu viendras et tu découvriras ses pieds et tu te coucheras ; et lui te déclarera ce que tu devras faire. » 5 Et elle lui dit : « Tout ce que tu me dis, je le ferai. »

Dans les deuxièmes passages, Boaz pose une question sur l’identité de Ruth, la première fois à son contremaitre (2,5), la deuxième fois à la femme couchée à ses pieds (3,9). La première fois, le contremaitre la définit par rapport à son origine, à son passé ; la deuxième fois, Ruth se présente comme la « servante » de Boaz et vise son avenir de rachetée. 4

Et voici que BOAZ vint de Bethléem et dit aux moissonneurs : « Yhwh soit avec vous ! » Et ils lui dirent : « Que Yhwh te bénisse ! » 5 BOAZ dit à son jeune-homme qui était préposé sur les moissonneurs : « À QUI EST CETTE JEUNE FEMME ? » 6 Le jeune-homme préposé sur les moissonneurs répondit et dit : « C’est une jeune-femme moabite qui est revenue avec Noémi des Champs de Moab. 7 Elle a dit : “Je voudrais glaner et recueillir entre les gerbes derrière les moissonneurs.” Et elle est venue et elle est debout depuis le matin et jusqu’à maintenant ; elle se repose un peu dans la maison. » 6

Et elle descendit à l’aire et fit tout comme ce que avait ordonné sa belle-mère. 7 Et BOAZ mangea et but et son cœur fut bien et il vint se coucher à l’extrémité du tas ; et elle vint en secret et elle découvrit ses pieds et elle se coucha. 8 Et il arriva au milieu de la nuit que l’homme frissonna et se retourna et voici qu’une femme était couchée à ses pieds. 9 Et il dit : « QUI ES-TU ? » Et elle dit : « Je suis Ruth, ta servante ; tu étendras ton aile sur ta servante, car tu es racheteur. »

104

La deuxième section (Rt 2–3)

Les sous-séquences centrales ont en commun d’être essentiellement des discours de Boaz adressés à Ruth, appelée « ma fille » (2,8 ; 3,10.11). Boaz appelle la faveur de « Yhwh » sur Ruth (2,12 : 3,10). À Ruth qui se dit « étrangère » et « pas comme une de [s]es domestiques » (2,10.13), Boaz réplique qu’elle est « une femme de valeur » (3,11). 2,8 Boaz dit à Ruth : « N’as-tu pas entendu, MA FILLE ? Ne va pas glaner dans un autre champ et aussi ne t’éloigne pas de celui-ci et ainsi attache-toi à mes jeunesfemmes ; 9 tes yeux soient sur le champ qu’ils moissonnent et tu iras derrière elles. N’ai-je pas ordonné aux jeunes-hommes de ne pas te molester ? Et si tu as soif, tu iras aux récipients et tu boiras de ce que puisent les jeunes-hommes. » 10 Et elle tomba sur la face et se prosterna à terre et lui dit : « Pourquoi ai-je trouvé grâce à tes yeux pour que tu me considères, moi qui suis une étrangère ? » 11 Boaz répondit et lui dit : « On a beaucoup raconté tout ce que tu as fait pour ta bellemère après la mort de ton mari ; tu as abandonné ton père et ta mère et le pays de ta naissance et tu es allée vers un peuple que tu ne connaissais ni d’hier ni d’avant-hier. 12 Que YHWH te paie ton action et que ta récompense soit entière de la part de YHWH, le Dieu d’Israël, sous ses ailes duquel tu es venue t’abriter. » 13 Et elle dit : « J’ai trouvé grâce à tes yeux, mon seigneur, car tu me consoles, car tu parles au cœur de ta domestique et moi je ne suis pas comme une de tes domestiques. » 3,10 Et il dit : « Bénie sois-tu de YHWH, MA FILLE, tu as bien-fait ta fidélité dernière plus que la première de ne pas aller derrière les jeunes-gens, soit pauvre et soit riche. 11 Et maintenant, MA FILLE, ne crains pas, tout ce que tu dis, je le ferai pour toi car toute la porte de mon peuple connait que tu es une femme de valeur. 12 Et maintenant, oui, en vérité, oui, je suis racheteur, mais il y a aussi un racheteur plus proche que moi. 13 Repose-toi cette nuit. Et si au matin il rachète, bien, il rachètera ; et s’il ne désire pas te racheter, je te rachèterai, moi, par la vie de YHWH. Couche-toi jusqu’au matin. » 14 Et elle se coucha à ses pieds jusqu’au matin.

L’ensemble de la section

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Les avant-derniers passages sont courts. Dans l’un, Boaz « offrit » à Ruth « du grain-rôti » (2,14), dans l’autre « il mesura six orges » pour elle (3,15). En termes médians à distance, « et elle se leva ». 2,14 Boaz lui dit au temps de manger : « Approche-toi ici et mange de ce pain et trempe ton morceau dans le vinaigre. » Et elle s’assit à côté des moissonneurs ET IL LUI OFFRIT 15 DU GRAIN-RÔTI et elle mangea et se rassasia et elle en eut en surplus ; ET ELLE SE LEVA pour glaner. 3,14b ET ELLE SE LEVA avant qu’un homme reconnaisse son prochain et il dit : « Ne soit pas connu que la femme est venue à l’aire. » 15 Et il dit : « Présente ton châle qui est sur toi et tiens-le. » Et elle le tint ET IL MESURA SIX ORGES et il les chargea sur elle. Et il vint à la ville.

Les derniers passages sont de longueur analogue. Dans l’un, grâce à la générosité de Boaz, Ruth récolte « un épha d’orges » (2,17), dans l’autre elle reçoit de lui « six orges » (3,17). 2,15b Boaz ordonna à ses jeunes-hommes disant : « Elle glanera aussi entre les gerbes et vous ne la maltraiterez pas ; 16 et aussi des javelles vous tirerez pour elle des épis et vous les abandonnerez et elle glanera et vous ne la gronderez pas. » 17 Et elle glana dans le champ jusqu’au soir et elle battit ce qu’elle avait glané et il y eut environ un épha d’ORGES. 3,16 Et elle vint chez sa belle-mère et celle-ci dit : « Qui es-tu, ma fille ? » Et elle lui déclara tout ce que l’homme avait fait pour elle. 17 Et elle dit: « Ces six ORGES-là il m’a donnés, car il m’a dit : “Ne va pas à vide chez ta belle-mère.” » 18 Et elle dit : « Demeure, ma fille, jusqu’à ce que tu saches comment tombera l’affaire, car l’homme ne se taira pas avant que s’achève l’affaire aujourd’hui. »

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La deuxième section (Rt 2–3)

Autres rapports entre les deux séquences : 2,1 Noémi avait un parent de son mari, HOMME puissant DE VALEUR, de la famille d’Élimélek, et son nom était Boaz. 2 Ruth la Moabite dit à Noémi : « Je voudrais aller au champ et glaner les épis derrière celui aux yeux duquel je trouverai-grâce. » Et elle lui dit : « Va, 3 MA FILLE. » Elle alla et vint et elle glana au champ derrière les moissonneurs. Et elle eut de la chance : la parcelle de champ était à Boaz qui était de la famille d’Élimélek. 4

Et voici que Boaz vint de Bethléem et dit aux moissonneurs : « Yhwh soit avec vous ! » Et ils lui dirent : « Que Yhwh te bénisse ! » 5 Boaz dit à son jeune-homme qui était préposé sur les moissonneurs : « À qui est cette jeune femme ? » 6 Le jeunehomme préposé sur les moissonneurs répondit et dit : « C’est une jeune-femme moabite qui est revenue avec Noémi des Champs de Moab. 7 Elle a dit : “Je voudrais glaner et recueillir entre les gerbes derrière les moissonneurs.” Et elle est venue et elle est debout depuis le matin et jusqu’à maintenant ; elle se repose un peu dans la maison. » 8

Boaz dit à Ruth : « N’as-tu pas entendu, MA FILLE ? Ne va pas glaner dans un autre champ et aussi ne t’éloigne pas de celui-ci et ainsi attache-toi à mes jeunesfemmes ; 9 tes yeux soient sur le champ qu’ils moissonnent et tu iras derrière elles. N’ai-je pas ordonné aux jeunes-hommes de ne pas te molester ? Et si tu as soif, tu iras aux récipients et tu boiras de ce que puisent les jeunes-hommes. » 10 Et elle tomba sur la face et se prosterna à terre et lui dit : « Pourquoi ai-je trouvé grâce à tes yeux pour que tu me considères, moi qui suis UNE ÉTRANGÈRE ? » 11 Boaz répondit et lui dit : « On a beaucoup raconté tout ce que tu as fait pour ta belle-mère après la mort de ton mari ; tu as abandonné ton père et ta mère et le pays de ta naissance et tu es allée vers un peuple que tu ne connaissais ni d’hier ni d’avant-hier. 12 Que Yhwh te paie ton action et que ta récompense soit entière de la part de Yhwh, le Dieu d’Israël, sous ses AILES duquel tu es venue t’abriter. » 13 Et elle dit : « J’ai trouvé grâce à tes yeux, mon seigneur, car tu me consoles, car tu parles au cœur de TA DOMESTIQUE et moi je ne suis pas comme une de TES DOMESTIQUES. » 14

Boaz lui dit au temps de manger : « Approche-toi ici et mange de ce pain et trempe ton morceau dans le vinaigre. » Et elle s’assit à côté des moissonneurs et il lui présenta du grain-rôti et ELLE MANGEA et se rassasia et elle en eut en surplus ; 15 et elle se leva pour glaner. Boaz ordonna à ses jeunes-hommes disant : « Elle glanera aussi entre les gerbes et vous ne la maltraiterez pas ; 16 et aussi des javelles vous tirerez pour elle des épis et vous les abandonnerez et elle glanera et vous ne la gronderez pas. » 17 Et elle glana dans le champ jusqu’au soir et elle battit ce qu’elle avait glané et il y eut environ un épha d’ORGES.

L’ensemble de la section

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3,1 Noémi sa belle-mère lui dit : « MA FILLE, ne dois-je pas chercher pour toi un repos qui soit bon pour toi ? 2 Et maintenant Boaz n’est-il pas notre parent lequel tu as été avec ses jeunes-femmes ? Voici qu’il vanne sur l’aire des orges cette nuit. 3 Tu te laveras et te parfumeras et tu mettras ton manteau sur toi et tu descendras sur l’aire ; ne sois pas reconnue par l’homme avant qu’il ait achevé de manger et de boire. 4 Et quand il ira se coucher, tu connaitras l’endroit où il couchera là et tu viendras et tu découvriras ses pieds et tu te coucheras ; et lui te déclarera ce que tu devras faire. » 5 Et elle lui dit : « Tout ce que tu me dis, je le ferai. » 6

Et elle descendit à l’aire et fit tout comme ce que avait ordonné sa belle-mère. 7 Et Boaz mangea et but et son cœur fut bien et il vint se coucher à l’extrémité du tas ; et elle vint en secret et elle découvrit ses pieds et elle se coucha. 8 Et il arriva au milieu de la nuit que l’homme frissonna et se retourna et voici qu’une femme était couchée à ses pieds. 9 Et il dit : « Qui es-tu ? » Et elle dit : « Je suis Ruth, TA SERVANTE ; tu étendras ton AILE sur TA SERVANTE, car tu es racheteur. » 10

Et il dit : « Bénie sois-tu de Yhwh, MA FILLE, tu as bien-fait ta fidélité dernière plus que la première de ne pas aller derrière les jeunes-gens, soit pauvre et soit riche. 11 Et maintenant, MA FILLE, ne crains pas, tout ce que tu dis, je le ferai pour toi car toute la porte de mon peuple connait que tu es une FEMME DE VALEUR. 12 Et maintenant, oui, en vérité, mais oui, je suis racheteur, mais il y a aussi un racheteur plus proche que moi. 13 Repose-toi cette nuit. Et si au matin il rachète, bien, il rachètera ; et s’il ne désire pas te racheter, je te rachèterai, moi, par la vie de Yhwh. Couche-toi jusqu’au matin. » 14 Et elle se coucha à ses pieds jusqu’au matin. 14b

Et elle se leva avant qu’un homme reconnaisse son prochain et il dit : « Ne soit pas connu que la femme est venue à l’aire. » 15 Et il dit : « Présente ton châle qui est sur toi et tiens-le. » Et elle le tint et il mesura six orges et il les chargea sur elle. Et il vint à la ville. 16

Et elle vint chez sa belle-mère et celle-ci dit : « Qui es-tu, MA FILLE ? » Et elle lui déclara tout ce que l’homme avait fait pour elle. 17 Et elle dit: « Ces six orges-là il m’a donnés, car il m’a dit : “Ne va pas à vide chez ta belle-mère.” » 18 Et elle dit : « Demeure, MA FILLE, jusqu’à ce que tu saches comment tombera l’affaire, car l’homme ne se taira pas avant que s’achève l’affaire aujourd’hui. »

– « Ma fille » (2,2.8 ; 3,1.10.11.16.18) ; – « jeunes-femmes » (2,8 ; 3,2) ; – les synonynes traduits par « domestique(s) » (2,13bis), « servante » (3,9), ainsi que « étrangère » (2,10) ; – « homme [...] de valeur » (2,1) et « femme de valeur » (3,11) ; – « aile(s) » (2,12 ; 3,9).

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La deuxième section (Rt 2–3)

LES RAPPORTS ENTRE LA SÉQUENCE CENTRALE ET LES DEUX AUTRES 2,1 Noémi avait un parent de son mari, homme puissant de valeur, de la famille d’Élimélek, et son nom était Boaz. 2 Ruth la Moabite dit à Noémi : « Je voudrais aller au champ et glaner les épis derrière celui aux yeux duquel je trouverai-grâce. » Et elle lui dit : « Va, MA FILLE. » 3 Elle alla et vint et elle glana au champ derrière les moissonneurs. Et elle eut de la chance : la parcelle de champ était à Boaz qui était de la famille d’Élimélek. Et voici que Boaz vint de Bethléem et dit aux moissonneurs : « YHWH soit avec vous ! » Et ils lui dirent : « Que YHWH te BÉNISSE ! » 5 Boaz dit à son jeune-homme qui était préposé sur les moissonneurs : « À qui est cette jeune femme ? » 6 Le jeune-homme préposé sur les moissonneurs répondit et dit : « C’est une jeune-femme moabite qui est revenue avec Noémi des Champs de Moab. 7 Elle a dit : “Je voudrais glaner et recueillir entre les gerbes derrière les moissonneurs.” Et elle est venue et elle est debout depuis le matin et jusqu’à maintenant ; elle se repose un peu dans la maison. » 4

8

Boaz dit à Ruth : « N’as-tu pas entendu, MA FILLE ? Ne va pas glaner dans un autre champ et aussi ne t’éloigne pas de celui-ci et ainsi attache-toi à mes jeunes-femmes ; 9 tes yeux soient sur le champ qu’ils moissonnent et tu iras derrière elles. N’ai-je pas ordonné aux jeunes-hommes de ne pas te molester ? Et si tu as soif, tu iras aux récipients et tu boiras de ce que puisent les jeunes-hommes. » 10 Et elle tomba sur la face et se prosterna à terre et lui dit : « Pourquoi ai-je trouvé grâce à tes yeux pour que TU ME CONSIDÈRES, moi qui suis une étrangère ? » 11 Boaz répondit et lui dit : « On a beaucoup raconté tout ce que tu as fait pour ta BELLE-MÈRE après la mort de ton mari ; ton père et ta mère et le pays de ta naissance et tu es allée vers un peuple que tu ne connaissais ni d’hier ni d’avant-hier. 12 Que YHWH te paie ton action et que ta récompense soit entière de la part de YHWH, le Dieu d’Israël, sous ses ailes duquel tu es venue t’abriter. » 13 Et elle dit : « J’ai trouvé grâce à tes yeux, mon seigneur, car tu me consoles, car tu parles au cœur de ta domestique et moi je ne suis pas comme une de tes domestiques. » 14

Boaz lui dit au temps de manger : « Approche-toi ici et mange de ce pain et trempe ton morceau dans le vinaigre. » Et elle s’assit à côté des moissonneurs et il lui présenta du grain-rôti et elle mangea et SE RASSASIA ET ELLE EN EUT EN SURPLUS ; 15 et elle se leva pour glaner. Boaz ordonna à ses jeunes-hommes disant : « Elle glanera aussi entre les gerbes et vous ne la maltraiterez pas ; 16 et aussi des javelles vous tirerez pour elle des épis et vous les et elle glanera et vous ne la gronderez pas. » 17 Et elle glana dans le champ jusqu’au soir et elle battit ce qu’elle avait glané et il y eut environ un épha d’ORGES.

2,18 Et elle emporta et elle alla à la ville et sa BELLE-MÈRE vit ce qu’elle avait glané ; et elle fitsortir et lui DONNA ce qu’ELLE AVAIT EU EN SURPLUS de SON RASSASIEMENT. 19 Et sa BELLE-MÈRE lui dit : « Où as-tu glané aujourd’hui et où as-tu travaillé ? Que soit BÉNI celui qui T’A CONSIDÉRÉE ! » Et elle rapporta à sa BELLE-MÈRE avec qui elle avait travaillé et dit : « Le nom de l’homme avec lequel j’ai travaillé aujourd’hui, c’est Boaz. » 20 Et Noémi dit à sa belle-fille : « Qu’il soit BÉNI de YHWH qui sa FIDÉLITÉ pour les vivants et pour les morts. » Et Noémi lui dit : « L’homme est proche de nous, c’est un de nos RACHETEURS. » 21 Et Ruth la Moabite dit : « Et il m’a aussi dit : “Avec les jeunes-hommes qui sont à moi tu t’attacheras jusqu’à ce que s’achève toute la moisson qui est à moi”. » 22 Et Noémi dit à Ruth sa belle-fille : « Ce sera BIEN, MA FILLE, que tu sortes avec ses jeunes-femmes et qu’on ne te malmène pas dans un autre champ. » 23 Et elle s’attacha aux jeunes-femmes de Boaz pour glaner jusqu’à l’achèvement de la moisson des ORGES et de la moisson des blés ; et elle habitait avec sa BELLE-MÈRE.

Rapports de la séquence centrale avec les deux autres – « belle-mère » (2,11 ; 2,18.19bis.23 ; 3,1.6.16.17) ; – « ma fille » (2,2.8 ; 2,22 ; 3,1.10.11.16.18) ;

L’ensemble de la section

109

3,1 Noémi sa BELLE-MÈRE lui dit : « MA FILLE, ne dois-je pas chercher pour toi un repos qui SOIT BON pour toi ? 2 Et maintenant Boaz n’est-il pas notre parent lequel tu as été avec ses jeunesfemmes ? Voici qu’il vanne sur l’aire des ORGES cette nuit. 3 Tu te laveras et te parfumeras et tu mettras ton manteau sur toi et tu descendras sur l’aire ; ne sois pas reconnue par l’homme avant qu’il ait achevé de manger et de boire. 4 Et quand il ira se coucher, tu connaitras l’endroit où il couchera là et tu viendras et tu découvriras ses pieds et tu te coucheras ; et lui te déclarera ce que tu devras faire. » 5 Et elle lui dit : « Tout ce que tu me dis, je le ferai. » 6

Et elle descendit à l’aire et fit tout comme ce que avait ordonné sa BELLE-MÈRE. 7 Et Boaz mangea et but et son cœur FUT-BIEN et il vint se coucher à l’extrémité du tas ; et elle vint en secret et elle découvrit ses pieds et elle se coucha. 8 Et il arriva au milieu de la nuit que l’homme frissonna et se retourna et voici qu’une femme était couchée à ses pieds. 9 Et il dit : « Qui es-tu ? » Et elle dit : « Je suis Ruth, ta servante ; tu étendras ton aile sur ta servante, car tu es RACHETEUR. » Et il dit : « BÉNIE sois-tu de YHWH, MA FILLE, TU AS BIEN-FAIT ta FIDÉLITÉ dernière plus que la première de ne pas aller derrière les jeunes-gens, soit pauvre et soit riche. 11 Et maintenant, MA FILLE, ne crains pas, tout ce que tu dis, je le ferai pour toi car toute la porte de mon peuple connait que tu es une femme de valeur. 12 Et maintenant, oui, en vérité, oui, je suis RACHETEUR, mais il y a aussi un RACHETEUR plus proche que moi. 13 Repose-toi cette nuit. Et si au matin IL RACHÈTE, BIEN, IL RACHÈTERA ; et s’il ne désire pas te RACHETER, je te RACHÈTERAI, moi, par la vie de YHWH. Couche-toi jusqu’au matin. » 14 Et elle se coucha à ses pieds jusqu’au matin. 10

14b

Et elle se leva avant qu’un homme reconnaisse son prochain et il dit : « Ne soit pas connu que la femme est venue à l’aire. » 15 Et il dit : « Présente ton châle qui est sur toi et tiens-le. » Et elle le tint et il mesura six ORGES et il les chargea sur elle. Et il alla à la ville. 16

Et elle vint chez sa BELLE-MÈRE et celle-ci dit : « Qui es-tu, MA FILLE ? » Et elle lui déclara tout ce que l’homme avait fait pour elle. 17 Et elle dit: « Ces six ORGES-là il m’A DONNÉS, car il m’a dit : “Ne va pas à vide chez ta BELLE-MÈRE.” » 18 Et elle dit : « Demeure, MA FILLE, jusqu’à ce que tu saches comment tombera l’affaire, car l’homme ne se taira pas avant que s’achève l’affaire aujourd’hui. »

– « jeunes-femmes » (2,8 ; 2,22.23 ; 3,2) ; – « orges » (2,17 ; 2,23 ; 3,2.15.17) ; – « Yhwh » (2,4bis.12bis ; 2,20 ; 3,10.13) ; – « bénir/béni(e) » (2,4 ; 2,19.20 ; 3,10). Rapports de la séquence centrale avec la première séquence – « avoir en surplus – rassasier/rassasiement » (2,14 ; 2,18) ; – « considérer » (2,10 ; 2,19) ; – « s’attacher à » (2,8 ; 2,21.23) ; – « abandonner » (2,11.16 ; 20). Rapports de la séquence centrale avec la dernière séquence – « donner » (2,18 ; 3,17) ; – « fidélité » (2,20 ; 3,10) ; – « racheteur(s)/racheter » (2,20 ; 3,9.12bis.13quart) : – termes de la racine « bien » (2,22 ; 3,1.7.10.13) ; – « avec les jeunes-hommes » (2,21) et « derrière les jeunes-gens » (3,10). – « et elle/il alla à la ville » (2,18 ; 3,15).

110

La deuxième section (Rt 2–3)

INTERPRÉTATION « LE SEIGNEUR N’A PAS ABANDONNÉ SA FIDÉLITÉ » Au centre de la section résonne une double déclaration de Noémi qui illumine toute la situation, le futur comme le passé. La fidélité du Seigneur est « pour les vivants et pour les morts ». Pour ceux qui ont quitté hier cette vie sans laisser de semence derrière eux, pour ceux qui aujourd’hui n’ont d’autre souci que de relever le nom des défunts. Aux morts d’hier viendra en aide le racheteur de demain. C’est le Seigneur Yhwh, Dieu d’Israël, qui manifeste ainsi sa fidélité. Telle est la vision de Noémi, telle est sa foi. Elle comprend alors que la « chance » qui avait conduit Ruth dans le champ de Boaz (2,3) était en fait l’œuvre cachée du Seigneur. S’il s’est montré fidèle jusqu’ici, elle ne pourrait douter qu’il la poursuive jusqu’à son achèvement. Et c’est sans doute pourquoi elle conseille à sa belle-fille de ne pas s’attacher aux jeunes hommes, mais de rester avec les jeunes femmes de Boaz sans s’éloigner dans un autre champ que celui du racheteur. FIDÉLITÉ MUTUELLE Il n’y a pas que Dieu qui est fidèle. Au centre de la dernière séquence, Boaz louera Ruth pour sa double fidélité, celle d’hier et celle d’aujourd’hui. La première manifestation de sa fidélité est celle que Boaz avait reconnue au centre de la première séquence : c’est ce qu’elle avait fait pour sa belle-mère après la mort de son mari, quand elle avait abandonné père et mère pour entrer dans le peuple d’Israël en se mettant sous les ailes de son Dieu. La deuxième fidélité, qui surpasse la première, est celle qu’elle a mise en œuvre en n’allant pas derrière les jeunes gens, mais en se réfugiant sous l’aile de son goël. Sa fidélité à la loi du Dieu qu’elle a choisi l’a portée à rester fidèle à son mari et à sa bellemère en venant se coucher aux pieds de Boaz pour lui demander de partager sa fidélité. ÉCHANGE DE BÉNÉDICTION Ce n’est sans doute pas un hasard que « la chance » qui sourit à Ruth (2,3) soit immédiatement suivie par l’échange de saluts au nom de « Yhwh » entre Boaz et ses moissonneurs (2,4). Ces salutations, somme toute très ordinaires, n’auraient pas été rapportées si elles n’avaient aucun rôle dans le récit. Il n’est pas insensé de penser qu’elles sont la clé de lecture de toute la section. Preuve en est que la bénédiction adressée à Boaz par ses moissonneurs sera reprise en écho de manière systématique et dans les lieux stratégiques de la composition. Au centre de la section, Noémi bénira par deux fois celui qui a considéré sa belle-fille et qui est un de ses goëls. Au centre de la dernière séquence, ce sera Boaz qui bénira Ruth au nom du Seigneur pour sa deuxième fidélité, comme, au centre de la première séquence, il avait appelé sur elle pour sa première fidélité la récompense de celui dont on comprend que c’est le personnage principal de l’histoire.

L’ensemble de la section

111

« NE DOIS-JE PAS CHERCHER ? » Les semaines ont passé depuis « le début de la moisson des orges » (1,22). Durant tout le temps de la moisson, Ruth a continué à glaner, tout en habitant chez sa belle-mère. Et voici que s’achèvent et la moisson des orges et la moisson des blés (2,23). Et rien d’autre ne s’est passé... Alors, Noémi comprend qu’elle doit intervenir. « Les cieux sont les cieux de Yhwh, mais la terre, il l’a donnée aux fils d’Adam » (Ps 115,16). L’histoire de son peuple ne manque pas de lui fournir des exemples d’initiatives qui ont porté leurs fruits de justice. Elle suivra celui de Tamar. Et bien lui en prendra. Dieu ne peut agir sans la collaboration humaine. Sa fidélité passe par la nôtre.

RUTH ET BOAZ FONT REVENIR LA VIE EN ISRAËL La section C Rt 4,1-22

114

La troisième section (Rt 4)

La dernière section est de la taille d’une seule séquence qui s’organise en trois sous-séquences. UNTEL

TOUS

ACCEPTE

DE RACHETER

DE L’ENGAGEMENT DE

SONT TÉMOINS

LES FEMMES DONNENT

LE CHAMP

SON NOM

AU FILS

D’ÉLIMÉLEK

BOAZ

DE NOÉMI

La généalogie de David

4,1-4

5-12

13-17 18-22

Les sous-séquences extrêmes comprennent chacune un seul passage, tandis que la sous-séquence centrale en comporte trois : Untel

refuse

de susciter

BOAZ ACQUIERT

LE CHAMP

Les hommes félicitent celui qui appelle

le nom du mort sur son héritage ET LA FEMME

DU MORT

un nom

dans Bethléem

4,5-8 9-10 11-12

1. UNTEL ACCEPTE DE RACHETER LE CHAMP D’ÉLIMÉLEK La première sous-séquence : 4,1-4 La première sous-séquence comprend un seul passage. TEXTE 4,1 Et Boaz monta à la porte et il s’assit là ; et voici le racheteur passe dont avait parlé Boaz. Et il dit : « Avance, assieds-toi ici, Un Tel. » Et il s’avança et s’assit. 2 Et il prit dix hommes parmi les anciens de la ville et il dit : « Asseyez-vous ici. » Et ils s’assirent. 3 Et il dit au racheteur : « La pièce de champ laquelle (est) à notre frère Élimélek (la) vend Noémi qui 4 Et moi j’ai dit, est retournée des champs de Moab. je découvrirai ton oreille disant : Acquiers devant ceux qui sont assis et devant les anciens de mon peuple. Si tu veux-racheter, rachète et, si tu ne rachètes pas, dis-(le) à moi que je sache car il n’y a pas sinon toi pour racheter et moi (je suis) derrière toi. » Et il dit : « Moi je rachète. » V. 1A

: « LA PORTE »

Lieu de passage de tous entre la ville et l’extérieur, la porte est le lieu où se traitent les affaires, où se rend la justice. La porte est munie de bancs pour qu’on puisse s’asseoir. V. 1G

: « UN TEL »

Cette expression (pelōnî ’almōnî) est utilisée pour garder l’anonymat d’un lieu (1S 21,3 ; 2R 6,8) ou d’une personne (Dn 8,13 sous la forme d’un mot-valise, palmônî). V. 4B

: « JE DÉCOUVRIRAI TON OREILLE »

L’expression signifie « révéler », « faire savoir » (voir 1S 9,15 ; Jb 36,10.15). V. 4F

: « ET SI TU NE RACHÈTES PAS

Le ketib a la troisième personne, le qeré la deuxième. De nombreux manuscrits hébreux, la Septante et la Syriaque suivent le qeré. On peut penser que la troisième personne pourrait être une trace de ce que Boaz s’était dit à lui-même.

116

La troisième section (Rt 4)

COMPOSITION + 4,1 Et Boaz + ET IL S’ASSIT

monta là ;

à la porte

– et voici – dont

LE RACHETEUR

avait parlé

passe Boaz.

·······························································································

+ Et il dit : : « Avance, : Un - Et il s’avança

ASSIEDS-TOI

ici,

Tel. » ET IL S’ASSIT.

·······························································································

+ 2 Et il prit + PARMI LES ANCIENS + et il dit : : « ASSEYEZ-VOUS

dix

hommes

DE LA VILLE

ici. »

- ET ILS S’ASSIRENT. + 3 Et il dit

AU RACHETEUR : ······································································

.. « La pièce . laquelle (est) .. (la) VEND . qui est retournée + 4 Et moi + Je découvrirai .. “ACQUIERS .. ET DEVANT

de champ à notre frère

Élimélek

Noémi

des champs

de Moab.

j’ai dit : ton oreille

disant :

devant LES ANCIENS

CEUX QUI SONT ASSIS DE MON PEUPLE”.

··················································································································· : Si TU VEUX-RACHETER, RACHÈTE

- et si TU NE RACHÈTES PAS, - dis-(le)

à moi

que je sache

: car il n’y a pas - et moi (je suis)

sinon toi derrière toi. »

POUR RACHETER

···················································································································

= Et il dit : :: « Moi

JE RACHÈTE.

»

Séquence C : 4,1-22

117

Dans la première partie, les personnages sont mis en place ; dans la deuxième, Boaz expose l’affaire à traiter et, dans la troisième, il demande au racheteur quelle est sa décision. Le premier morceau de la première partie (1a-d) présente les deux protagonistes, Boaz et le racheteur. Les deux morceaux suivants sont parallèles : l’invitation à s’asseoir est lancée au racheteur (1e-h), puis aux dix anciens (2). Les paroles de la partie centrale comprennent deux bimembres ; leurs premiers membres sont la principale, les seconds membres des relatives. Boaz commence par l’objet, qui appartient à Élimélek, et finit par le verbe dont le sujet est Noémi. Les deux occurrences de « champ(s) » font inclusion. Dans le premier morceau de la dernière partie, Boaz prononce le discours qu’il avait préparé à l’avance. Alors que dans le premier morceau, il invite, à l’impératif, le racheteur à « acquérir » le champ, dans le morceau suivant, il envisage qu’il ne veuille pas. Les deux segments sont parallèles : dans leurs premiers membres (4e.h), le racheteur accepte, dans les derniers membres (fg.i), il se positionne comme second. Dans le dernier morceau, la décision positive du racheteur. « Racheteur » se trouve au début des deux premières parties (1c.3a). À « vendre » dans la deuxième partie (3d) correspond « acquérir »1 au début de la partie suivante (4c). Entre les parties extrêmes, « ceux qui sont assis » et « les anciens de mon peuple » (4cd) rappellent « dix hommes » et « les anciens de la ville » (2ab). CONTEXTE « DIX HOMMES » En cas de jugement où est en jeu la peine capitale, la loi prévoit qu’un seul témoin à charge ne suffit pas (Nb 35,30), mais qu’il en faut davantage : « Un seul témoin ne peut suffire pour convaincre un homme de quelque faute ou délit que ce soit ; quel que soit le délit, c’est au dire de deux ou trois témoins que la cause sera établie » (Dt 19,15 ; voir aussi 17,6). LE PATRIMOINE EST INALIÉNABLE La loi prévoit que les propriétés rurales ne doivent pas sortir de la famille. Ainsi, Nabot refuse de céder sa vigne au roi Achab qui veut la lui acheter ou la lui échanger contre un autre terrain : « Yhwh me garde de te céder l’héritage de mes pères ! » (1R 21,3). En cas de vente, le goël doit racheter le champ pour éviter qu’il soit aliéné : « Si ton frère tombe dans la gêne et vend de sa propriété, son plus proche parent ayant droit de rachat viendra racheter ce qu’a vendu son frère » (Lv 25,25 ; trad. Osty). 1 Il eût été plus naturel de traduire qānāh par « acheter », mais il fallait distinguer nettement ce verbe de « racheter » qui n’est pas de même racine (gā’al).

118

La troisième section (Rt 4)

INTERPRÉTATION UN ACTE D’IMPORTANCE La mise en scène ne manque pas d’étonner par son côté solennel. Il semble que Boaz veuille ainsi souligner l’importance de l’affaire qu’il entend soumettre à l’attention des personnages convoqués. Si, au lieu de se contenter de deux ou trois témoins comme le recommande la loi, il en retient dix, c’est que la chose est fort sérieuse à ses yeux ; et, par un pareil nombre, il veut aussi leur laisser entendre qu’il ne s’agit pas d’une question de peu de poids. « UN BOUT DE CHAMP » La surprise est redoublée quand on entend Boaz annoncer qu’il ne s’agit que d’un lopin de terre mis en vente. Et le lecteur est d’autant plus étonné qu’il n’a jamais été question de ce champ jusqu’ici. Il est vrai que l’importance n’est pas due au champ lui-même, mais à son propriétaire et à celle qui le met en vente. Les témoins comprennent évidemment que cette propriété ne pourra pas sortir de la famille d’Élimélek. Comme ce dernier est mort, ainsi que ses deux fils, il faudra qu’un parent l’acquière pour qu’elle ne sorte pas de la famille. DE ACQUÉRIR À RACHETER Boaz commence, très habilement, par se présenter comme entièrement désintéressé. Dès qu’il a su que Noémi mettait le champ de son défunt mari en vente, il a pensé en avertir au plus tôt le plus proche parent d’Élimélek. Cela dit, il tient à préciser que, s’il n’a pas la priorité, il vient néanmoins en second et se tient prêt, le cas échéant. Et il le fait en passant de « acquérir » à « racheter », insistant à quatre reprises sur ce verbe qui ne laisse aucun doute sur la qualité de goël du plus proche parent. L’affaire doit être intéressante, car « Untel » n’hésite pas à accepter de se porter acquéreur de la parcelle de terre d’Élimélek.

Séquence C : 4,1-22

119

2. TOUS SONT TÉMOINS DE L’ENGAGEMENT DE BOAZ La deuxième sous-séquence : 4,5-12 La deuxième sous-séquence comprend trois passages : Untel

refuse

de susciter

BOAZ ACQUIERT

LE CHAMP

Les hommes félicitent celui qui appelle

le nom du mort sur son héritage ET LA FEMME

DU MORT

un nom

dans Bethléem

4,5-8 9-10 11-12

A. UNTEL REFUSE DE SUSCITER LE NOM DU MORT SUR SON HÉRITAGE Le premier passage : 4,5-8 TEXTE 4,5 Et dit Boaz : « Au jour où tu acquerras le champ de la main de Noémi et de Ruth la Moabite, la femme du mort tu acquerras pour susciter le nom du mort sur son héritage. » 6 Et dit le racheteur : « Je ne peux pas racheter pour moi de peur de détruire mon héritage ; rachète pour toi, toi, mon rachat car je ne peux pas racheter. » 7 Et cela (était) autrefois en Israël pour le rachat et pour l’échange pour confirmer toute chose que retire un homme sa sandale et la donne à son prochain et cela (était) le témoignage en Israël. 8 Et dit le racheteur à Boaz : « Acquiers pour toi. » Et il retira sa sandale. V. 5D

: « ET DE RUTH »

Selon le texte massorétique, « et de Ruth » est complément de « tu acquerras », au même titre que « de la main de Noémi » ; « de la main de » (miyyad) et « de » (mē’ēt) semblent être synonymes, comme en Lv 25,14-15 : « 14 Si tu fais une vente à ton prochain ou si tu achètes de la main de ton prochain, qu’aucun de vous ne lèse son frère. 15 C’est en tenant compte des années depuis le jubilé que tu achèteras de ton prochain... ». Toutefois, la Vulgate a fait du membre 5d le complément du verbe suivant : « aussi Ruth la Moabite qui fut la femme du mort tu devras acquérir ».

120

La troisième section (Rt 4)

COMPOSITION + 5 Et dit

Boaz :

. « Au jour où . de la main . et de

TU ACQUERRAS de Noémi Ruth

la Moabite,

.. la femme .. pour susciter

du mort le nom

TU ACQUERRAS du mort

= 6 Et dit

le champ

LE RACHETEUR

:

– « Je ne peux pas – de peur de détruire

RACHETER MON HÉRITAGE

;

:: RACHÈTE :: car je ne peux pas

pour toi,

sur SON HÉRITAGE. »

pour moi toi,

MON RACHAT

RACHETER. » ························································································

=

· 7 Et cela (était) - pour LE RACHAT - pour confirmer

autrefois et pour l’échange toute chose

en Israël

- que RETIRE - et la donne · et cela (était)

un homme à son prochain le témoignage

SA SANDALE

en Israël.

························································································ 8 Et dit LE RACHETEUR à Boaz :

:: « ACQUIERS - ET IL RETIRA

pour toi. » SA SANDALE.

La première partie rapporte les paroles de Boaz, la seconde la réponse de son interlocuteur, « le racheteur ». Les deux segments du discours de Boaz joignent l’acquisition de la femme du mort à celle du champ. À la fin des segments extrêmes, « le champ » représente « l’héritage » du défunt qui ne reviendra pas au goël, mais à la descendance que Ruth donnera à son premier mari. Dans la deuxième partie, les paroles du racheteur encadrent une intervention du narrateur qui rapporte l’antique coutume « en Israël » (7a.f) de confirmer un acte (7abc) par le don de la sandale (def). Dans le premier morceau, « je ne peux pas » revient en tête des membres extrêmes ; les premiers membres des deux segments sont les principales qui s’opposent, les seconds segments sont des subordonnées, finale d’abord (6c), causale ensuite (6e). Dans le dernier morceau, le racheteur réitère brièvement l’invitation qu’il fait à Boaz de « racheter » – « acquérir » pour lui (6d.8b), confirmant sa demande en retirant sa sandale (8c). « Héritage » agrafe les deux parties (5f.6c) ; « acquérir » revient aux extrémités (5b.e ; 8b). On peut noter un jeu de mots entre deux termes qui reviennent chacun deux fois : « héritage » (naḥălâ : 5f.6c) et « sandale » (na‘al : 7d.8c).

Séquence C : 4,1-22

121

CONTEXTE DEUX LOIS CONJOINTES La loi du rachat (ge’ûlâ) est une chose (voir p. 75), celle du lévirat (ou du yibbûm, de yābām, « beau-frère ») une autre (voir p. 34). La première regarde les biens, le goël devant assister un parent en difficulté, la deuxième concerne la personne de celui qui est mort sans enfant dont le « beau-frère » doit épouser la veuve pour susciter une descendance au défunt. Selon la loi du beau-frère ou du lévirat, l’héritage d’un homme mort sans enfant ne passait pas à celui qui avait le droit et le devoir de racheter la veuve. Il passait au premier fils qui naitrait de cette nouvelle union : 5

Lorsque des frères habitent ensemble et que l’un d’eux meurt sans avoir de fils, la femme du défunt ne pourra pas appartenir au-dehors à un étranger ; son beau-frère ira vers elle, la prendra pour femme et remplira envers elle son devoir de beau-frère. 6 Et le premier-né qu’elle enfantera relèvera le nom du frère défunt ; ainsi son nom ne sera pas effacé d’Israël (Dt 25,5-6).

C’est pour cette raison qu’Onân, le deuxième fils de Juda, ne voulut pas donner de descendance à son frère aîné mort sans enfant : 8

Juda dit à Onân : « Va vers la femme de ton frère, remplis avec elle ton devoir de beau-frère et assure une postérité à ton frère. » 9 Cependant, Onân savait que la postérité ne serait pas sienne et, chaque fois qu’il s’unissait à la femme de son frère, il laissait perdre à terre pour ne pas donner une postérité à son frère. 10 Ce qu’il faisait déplut à Yhwh, qui le fit mourir lui aussi (Gn 38,8-10).

Dans le second Isaïe, Dieu est présenté comme le goël d’Israël, son « racheteur » ou « rédempteur », qui le rachète de l’esclavage : Ainsi parle Yhwh, le rédempteur et le Saint d’Israël, à celui dont l’âme est méprisée, honnie de la nation, à l’esclave des tyrans : des rois verront et se lèveront, des princes se prosterneront, à cause de Yhwh qui est fidèle, du Saint d’Israël qui t’a élu (Is 49,7).

Il est aussi dépeint comme goël qui rachète la veuve sans enfant : 1

Crie de joie, stérile, toi qui n’as pas enfanté ; pousse des cris de joie, des clameurs, toi qui n’as pas mis au monde, car plus nombreux sont les fils de la délaissée que les fils de l’épouse, dit Yhwh. [...] tu ne te souviendras plus de l’infamie de ton veuvage. 5 Ton créateur est ton époux, Yhwh Sabaot est son nom, le Saint d’Israël est ton rédempteur (Is 54,1-5).

122

La troisième section (Rt 4)

LA SANDALE Le narrateur précise que le don de la sandale pour confirmer un accord était, « autrefois » pratiqué en Israël, ce qui veut dire qu’au temps où le livre a été composé, ce n’était plus le cas. Selon une autre tradition, quand un frère refusait de prendre pour épouse la veuve de son frère défunt qui n’avait pas eu d’enfant, c’était la femme qui déchaussait son beau-frère : 9

sa belle-sœur s’avancera vers lui sous les yeux des anciens, lui ôtera sa sandale du pied, lui crachera au visage et prononcera ces paroles : « Ainsi fait-on à l’homme qui ne relève pas la maison de son frère », 10 et le nom dont on l’appellera en Israël sera : « Maison du déchaussé » (Dt 25,9-10).

INTERPRÉTATION « JE NE PEUX PAS » On ne sait rien de l’homme qui a la préséance pour exercer son droit de rachat, ni son nom ni l’état de sa fortune. Il n’y a pas de raison de penser qu’il soit égoïste, comme Onân. On peut au contraire comprendre qu’il n’a pas les moyens : la somme qu’il devrait débourser pour acheter le champ diminuerait son héritage, le détruirait tout entier, à l’en croire. Et ce serait pour lui en pure perte, puisque ledit champ irait au premier fils qu’il susciterait à la femme du défunt. Cela dit, il n’est pas exclu qu’il ne veuille pas s’engager dans une affaire qui ne lui rapportera rien et qu’il ne soit pas mécontent que Boaz ait manifesté son désir de racheter et le champ et la femme du défunt. LA SANDALE RETIRÉE Quoi qu’il en soit des modalités concrètes du rite évoqué par le narrateur, le symbolisme de la sandale est clair. Poser son pied sur quelque chose, ou sur quelqu’un, est une manière d’en prendre possession. En retirant sa sandale et en la donnant à Boaz, le goël prioritaire signifie qu’il renonce à acquérir le champ appartenant à Élimélek. Par ce même geste, il abandonne aussi le droit et le devoir qu’il avait d’épouser la veuve. En effet, elle n’était pas chaussure à son pied.

Séquence C : 4,1-22

123

B. BOAZ ACQUIERT LE CHAMP ET LA FEMME DU MORT Le deuxième passage : 4,9-10 TEXTE 4,9 Et dit Boaz aux anciens et à tout le peuple : « Témoins vous (êtes) aujourd’hui, que j’acquiers tout ce qui (était) à Élîmelek et tout ce qui (était) à Kilyôn et Mahlôn de la main de Noémi ; 10 et aussi Ruth la Moabite, la femme de Mahlôn, j’acquiers pour moi comme femme, pour susciter le nom du mort sur son héritage et ne sera pas retranché le nom du mort d’avec ses frères et de la porte de son lieu. Témoins vous (êtes) aujourd’hui. » V. 9D.10C

: « J’ACQUIERS »

L’accompli est ici un présent d’action instantané2. V. 10F : « LA PORTE DE SON LIEU

»

« La porte » signifie, par métonymie, l’assemblée qui siège à la porte de la ville.

COMPOSITION 4,9 Et dit aux anciens + « TÉMOINS

Boaz et à tout

le peuple :

VOUS (êtes)

AUJOURD’HUI,

············································································································

: que J’ACQUIERS : et tout ce qui (était) : de la main

tout ce qui (était) à Kilyôn de Noémi ;

.. 10 et aussi Ruth .. la femme .. J’ACQUIERS

la Moabite de Mahlôn pour moi

comme femme,

= pour susciter = et ne sera pas retranché = d’avec

le nom le nom

du mort du mort

sur son héritage

ses frères

et de la porte

de son lieu.

à Élîmelek et Mahlôn

············································································································

+ TÉMOINS

2

Joüon, 112f.

VOUS (êtes)

AUJOURD’HUI.

»

124 4,9 Et dit aux anciens + « TÉMOINS

La troisième section (Rt 4) Boaz et à tout

le peuple :

VOUS (êtes)

AUJOURD’HUI,

············································································································

: que J’ACQUIERS : et tout ce qui (était) : de la main

tout ce qui (était) à Kilyôn de Noémi ;

.. 10 et aussi Ruth .. la femme .. J’ACQUIERS

la Moabite de Mahlôn pour moi

comme femme,

= pour susciter = et ne sera pas retranché = d’avec

le nom le nom

du mort du mort

sur son héritage

ses frères

et de la porte

de son lieu.

à Élîmelek et Mahlôn

············································································································

+ TÉMOINS

VOUS (êtes)

AUJOURD’HUI.

»

Les paroles de Boaz sont encadrées par une proposition identique (9b.10g). Dans le long morceau central, les deux premiers segments disent la double acquisition de Boaz, des possessions d’Élimélek et de ses deux fils (9def) et de Ruth (10abc) ; le troisième segment (def) donne la raison d’une telle acquisition : « le nom du mort » (10de), c’est-à-dire de « Mahlôn » (9e.10b), fils d’Élimélek, sera relevé « sur son héritage » (10d), à savoir « tout ce qui (était) » à Élimélek et à ses deux fils (9de). On pourra remarquer que les deux occurrences de « tout ce qui » (9de) sont précédées par « tout le peuple » dans le segment introductif (9b) ; noter aussi le rapport paronomastique entre « Mahlôn » (maḥlôn) et « héritage » (naḥălâ).

Séquence C : 4,1-22

125

INTERPRÉTATION L’ACTE DE RACHAT Les paroles que prononce Boaz en présence des anciens constituent l’acte de rachat par lequel il acquiert en même temps ce qui appartient à Élimélek et à ses fils et celle qui fut l’épouse de Mahlôn, Ruth la Moabite. La date est précisée, les motivations aussi : ce n’est pas pour lui-même qu’il conclut sa double acquisition, c’est au bénéfice des défunts dont l’héritage et la position sociale seront ainsi relevés. LES TÉMOINS Boaz attire l’attention des témoins avant de parler, par une phrase nominale qu’on pourrait traduire au futur : « Vous allez être témoins ». En concluant, il répète la même phrase qu’il serait possible de mettre au passé, puisque l’acte est désormais scellé par une parole solennelle et publique qui l’engage devant « tout le peuple ». Il importait aussi que les noms de chacun des protagonistes soient prononcés, aussi bien les morts, Élimélek, Kilyôn et Mahlôn, que les vivants, Noémi et Ruth. Avec Boaz qui les évoque, ce sont six personnes qui sont ainsi présentes, le septième qui fera atteindre la complétude étant le fils espéré.

126

La troisième section (Rt 4)

C. LES HOMMES FÉLICITENT CELUI QUI APPELLE UN NOM DANS BETHLÉEM Le troisième passage : 4,11-12 TEXTE 4,11 Et ils dirent tout le peuple qui était à la porte et les anciens : « Témoins ! Que donne YHWH à la femme qui vient dans ta maison comme Rachel et comme Léa qui bâtirent les deux la maison d’Israël. Et fais une valeur en Ephrata et appelle un nom en Beth Léhem. 12 Et que soit ta maison comme la maison de Péretz que enfanta Tamar à Juda de la semence que donnera YHWH à toi de cette jeune-femme. » V. 11DE

: « QUE DONNE YHWH À LA FEMME [...] COMME RACHEL »

La formule signifie « que Yhwh rende la femme qui vient dans ta maison comme Rachel », ou « que Yhwh lui donne (d’être) comme Rachel ». V. 11H

: « APPELLE UN NOM EN BETH LÉHEM »

Différentes corrections ont été proposées pour fournir un sens à cette phrase énigmatique. Les deux membres du segment sont parallèles. Le nom de « Bethléem » correspond à son autre, « Ephrata »3, et « un nom » à « une valeur ». Le problème est de savoir de quel « nom » il s’agit et donc aussi de quelle « valeur » ; celui de Boaz lui-même ou celui du rejeton des défunts à venir. Les deux segments qui encadrent le segment central donnent à comprendre que « nom » et « valeur » sont ceux de celui qui est espéré et qui est l’enjeu de tout le récit.

COMPOSITION Le discours des témoins s’organise en deux morceaux. Le premier est réduit à un seul terme (11b). Dans le second, les segments extrêmes sont des trimembres, le segment central un bimembre nettement plus court. Le premier et le troisième segment se correspondent de manière spéculaire : dans les membres extrêmes, se retrouvent « donner » dont le sujet est « Yhwh », et « cette jeune-femme » renvoie à « la femme ». Les autres membres comparent Ruth aux matriarches Rachel et Léa, et la « maison » de Boaz à celle du fils de Juda. « Maison » revient deux fois dans chaque segment. Au centre, la « valeur » et le « nom » que Boaz suscitera à Bethléem d’Ephrata sont ceux de la « semence », de la descendance qui sera donnée par Boaz et Ruth aux défunts.

3

Voir Gn 35,19 ; 48,7 ; Mi 5,1.

Séquence C : 4,1-22 4,11 Et dirent

tout le peuple

qui (était)

127

à la porte et les anciens :

:: « TÉMOINS ! ··················································································································· YHWH la femme qui vient dans TA MAISON

– QUE-DONNE .. comme Rachel .. qui - Et fais - et appelle

et comme Léa bâtirent les deux

LA MAISON

une valeur en Ephrata un nom en Beth

Léhem.

12

.. Et que soit TA MAISON .. que enfanta – de la semence que

comme LA MAISON Tamar DONNERA

d’Israël.

de Péretz à Juda YHWH à toi

de cette jeune-femme. »

CONTEXTE RACHEL ET LÉA À elles deux, par l’entremise aussi de leurs servantes, Léa et Rachel furent les mères des douze tribus d’Israël. Rachel est nommée avant sa sœur ainée Léa, peut-être parce que c’était la préférée de Jacob, plus probablement parce que c’était la deuxième ; en effet, c’est souvent le cadet qui est préféré à l’ainé, comme ce fut le cas pour Jacob, et comme ce le sera aussi pour David, le dernier de sept fils, « le plus jeune » (1S 16,6-13). Il est peut-être une autre raison pour laquelle Rachel a la précédence ; « 19 Rachel mourut et fut enterrée sur le chemin d’Éphrata — c’est Bethléem. 20 Jacob dressa une stèle sur son tombeau ; c’est la stèle du tombeau de Rachel, qui existe encore aujourd’hui » (Gn 35,19-20). Ephrata et Bethléem sont nommés immédiatement après les noms de Rachel et Léa. JUDA ET TAMAR C’est la première fois que sont nommés Péretz et ses parents Juda et Tamar, auxquels il était cependant fait allusion auparavant (voir p. 82).

INTERPRÉTATION UN TON ÉPIQUE Alors que Boaz avait demandé à dix hommes d’être les témoins de l’affaire qu’il voulait traiter avec le premier placé pour le rachat du champ d’Élimélek et de la veuve de son fils, voici qu’au moment crucial, c’est « tout le peuple » qui est pris à témoin avec les anciens et même avant eux. Il est évidemment possible

128

La troisième section (Rt 4)

de comprendre que « tout le peuple » désigne simplement les nombreux badauds qui se sont arrêtés pour assister à la scène. Mais on peut penser que le narrateur a voulu donner une dimension pour ainsi dire épique à son récit. En effet, il laisse entendre ainsi que cette affaire, qu’on pourrait croire familiale, concerne en réalité « tout le peuple ». Et c’est sans doute pourquoi il est fait appel ensuite à la tribu de « Juda », et même à toute « la maison d’Israël ». L’INTERVENTION DE DIEU LUI-MÊME Ce ne sont pas seulement les noms prestigieux de Rachel et Léa, d’Israël, de Juda et Tamar qui se trouvent convoqués pour les vœux que tout le peuple avec ses anciens présentent aux époux. C’est avant tout « Yhwh », le Dieu d’Israël, qui conduit le cortège et qui le conclura. Comme cela avait été le cas avec les mères d’Israël, non seulement Léa et Rachel, mais aussi Rébecca et Sara, c’était le Seigneur qui avait mis un terme à leur stérilité pour leur donner une descendance. TEL FILS, TEL PÈRE Le fils que Boaz suscitera au défunt mari de Ruth sera le fils légal de Mahlôn, mais il ressemblera à l’« homme de valeur » dont il sera la semence. Si la « valeur » et le « nom » que tout le peuple lui souhaite de faire se lever en Bethléem sont ceux de l’enfant attendu, sa valeur et son nom ne sauraient manquer de rejaillir sur celui qui lui aura transmis avec la vie l’héritage de ses pères.

Séquence C : 4,1-22

129

D. TOUS SONT TÉMOINS DE L’ENGAGEMENT DE BOAZ L’ensemble de la deuxième sous-séquence : 4,5-12 COMPOSITION DE LA SOUS-SÉQUENCE dit : « LE JOUR où TU ACQUERRAS le champ et de , TU ACQUERRAS LA FEMME du MORT POUR SUSCITER le nom du MORT sur son héritage. » 6 Le racheteur dit : « Je ne peux pas racheter pour moi de peur de détruire mon héritage ; toi, rachète pour toi mon rachat, car je ne peux pas racheter. » 7 C’était autrefois la coutume en ISRAËL pour le rachat et pour l’échange que, pour confirmer toute chose, un homme retire sa sandale et la donne à son prochain et c’était le témoignage en ISRAËL. 8 Le racheteur dit à : « ACQUIERS pour toi. » Et il retira sa sandale. 4,,5

dit aux anciens et à tout le peuple : « Vous êtes témoins AUJOURD’HUI, que J’ACQUIERS tout ce qui était à Élîmelek et tout ce qui était à Kilyôn et Mahlôn q ; 10 et aussi LA FEMME de Mahlôn, JE L’ACQUIERS pour moi comme FEMME, POUR SUSCITER le nom du MORT sur son héritage et le nom du MORT NE SERA PAS RETRANCHÉ d’avec ses frères et de LA PORTE de son lieu. Vous êtes témoins AUJOURD’HUI. 9

11

Tout le peuple qui était À LA PORTE et les anciens dirent : « Nous sommes témoins ! Que Yhwh donne à LA FEMME qui vient dans ta maison d’être comme Rachel et comme Léa qui, à elles deux, bâtirent la maison d’ISRAËL. Fais une valeur en Ephrata et APPELLE un nom à Bethléem. 12 Que soit ta maison comme la maison de Péretz que Tamar enfanta à Juda, que Yhwh te donne une descendance de cette jeune-femme. »

LES RAPPORTS ENTRE LES DEUX PREMIERS PASSAGES – Les deux passages commencent par « Boaz dit » ; – « le jour » (5a) annonce les deux occurrences de « aujourd’hui » (9a.10e) ; – « acquérir » revient trois fois dans le premier passage (5a.b.8) et deux dans le second passage (9b.10a) ; – « femme » (5b ; 10a.b) ; – « de la main de Noémi » (5a ; 9c) et « Ruth la Moabite (5ab ; 10a) ; – « mort » deux fois dans chaque passage (5b bis ; 10c.d) ; – « pour susciter le nom du mort sur son héritage » (5b ; 10c). LES RAPPORTS ENTRE LES DEUX DERNIERS PASSAGES – En termes initiaux, « les anciens » et « tout le peuple » (9a ; 11a) ; – en termes médians, « la porte » (10d ; 11a). LES RAPPORTS ENTRE LES PASSAGES EXTRÊMES – « Israël » (7b.d ; 11c) ; – « donner » (7c ; 11b.12b).

130

La troisième section (Rt 4)

LES RAPPORTS ENTRE LES TROIS PASSAGES – « femme » (5b ; 10a.b ; 11b) ; – « témoignage/témoins » en termes médians (7c et 9a ; 10e et 11b). – quatre syntagmes lient les trois passages : + pour susciter LE NOM du mort sur son héritage (5b) + pour susciter LE NOM du mort sur son héritage (10c) = LE NOM du mort ne sera pas retranché d’avec ses frères et de la porte de son lieu (10d) = Fais une valeur en Ephrata et appelle UN NOM à Bethléem (11d)

À « le nom du mort » répond à la fin « une valeur » et « un nom » ; « sur son héritage » s’étend ensuite à « Bethléem » « Ephrata », que prépare « d’avec ses frères et de la porte de son lieu ».

INTERPRÉTATION LA RELÈVE DU NOM Ni Kilyôn ni Mahlôn n’ont pu donner de fils à leur épouse. Élimélek, leur père, se trouve sans descendance. Leur nom doit être relevé. Leur plus proche parent y renonce, pour ne pas léser son propre héritage, mais celui qui vient après lui s’engage à acquérir non seulement « le champ » d’Élimélek, mais aussi « tout ce qui était » à lui et à Mahlôn. Ce faisant, il rachète encore, et surtout, Ruth la Moabite, la veuve sans enfant, « pour susciter le nom du mort sur son héritage » (5.10). Son nom sera relevé, pas seulement sur « le champ » de son héritage, mais dans son lieu où il pourra avec ses frères siéger à la porte de sa ville. Dans les vœux que les anciens et tout le peuple présentent à Boaz, le « nom » qu’ils lui souhaitent de susciter à Bethléem, la « valeur » qu’il devra faire en Ephrata, seront ceux du fils qui naitra de l’union entre Ruth et son lévir. Ce nouveau nom entrera dans l’histoire des patriarches, de Rachel et Léa, de Tamar et Juda, de tout Israël. TOUS TÉMOINS L’affaire du rachat revêt une importance considérable si l’on considère le nombre de personnes appelées à témoigner. Le premier personnage n’est autre que celui qui a renoncé à exercer son droit de lévir. Son témoignage était d’autant plus important qu’il ne pouvait pas se limiter à une simple déclaration verbale ; il fallait, selon la coutume en Israël en ce temps-là, qu’il retire sa sandale et la donne à celui qui prendrait sa place. Ayant reçu ce témoignage solennel, Boaz en appelle non seulement aux dix anciens qu’il avait requis, mais à tous les anciens présents et même à tout le peuple réuni à la porte. Par deux fois, avant la proclamation de son engagement et après, il les somme officiellement de se déclarer témoins, ce qu’ils ne manquent pas de faire, scellant leur témoignage par des vœux qui, par deux fois, prennent Yhwh à témoin.

Séquence C : 4,1-22

131

3. LES FEMMES DONNENT SON NOM AU FILS DE NOÉMI La troisième sous-séquence : 4,13-17 TEXTE 4,13 Et prit Boaz Ruth et elle fut à lui pour femme. Et il vint vers elle et donna Yhwh à elle une grossesse et elle enfanta un fils. 14 Et elles dirent les femmes à Noémi : « Béni Yhwh lequel ne t’a pas fait manquer un goël aujourd’hui et sera appelé son nom en Israël ; 15 et il sera pour toi faisant retourner la vie et soutenant ta vieillesse car ta belle-fille laquelle t’aime l’a enfanté laquelle est bonne pour toi plus que sept fils. » 16 Et prit Noémi l’enfant et le mit sur sa poitrine et elle fut à lui pour gardienne. 17 Et elles l’appelèrent les voisines d’un nom disant : « A été enfanté un fils à Noémi. » Et elles appelèrent son nom Obed, lui (est) le père de Jessé, père de David. V. 14

: « ET SERA APPELÉ SON NOM EN ISRAËL »

Le possessif « son » peut avoir comme référent le substantif le plus proche, « un racheteur », mais il peut aussi renvoyer à « Yhwh » ; l’ambiguïté doit sans doute être respectée (voir p. 73). V. 15A : « LA VIE

»

C’est le seul emploi de nepeš dans le livre de Ruth. Ce terme peut être rendu par « gorge », « souffle », « âme ». Ici, s’opposant à distance à « mort », il est traduit par « vie ». V. 16B : « SA POITRINE

»

On pourrait aussi traduire par « entre ses bras » (voir Gn 16,5). C’est un geste d’adoption. V. 16C

: « GARDIENNE »

Ce terme ne signifie pas « nourrice », car c’est évidemment Ruth qui allaite l’enfant. La BJ traduit par « prit soin de lui », Osty par « l’éleva » et la TOB par « elle devint sa mère nourricière ». La présente traduction a voulu préserver le parallélisme avec 13b.

132

La troisième section (Rt 4)

COMPOSITION + 4,13 ET PRIT + et elle fut à lui - Et il vint - et donna - et ELLE ENFANTA 14

Et elles dirent

Boaz

Ruth

pour femme. vers elle YHWH UN FILS.

à elle

les femmes

à Noémi :

une grossesse

························································································

- « Béni - lequel - et SERA APPELÉ

YHWH ne t’a pas fait manquer SON NOM

. 15 et il sera . et soutenant .. car ta belle-fille .. laquelle est

d’un goël en Israël ;

aujourd’hui

pour toi ta vieillesse

faisant retourner

la vie

laquelle bonne pour toi

t’aime plus que sept

L’A ENFANTÉ FILS. »

Noémi sur sa poitrine pour gardienne.

L’ENFANT

- 17 ET ELLES L’APPELÈRENT - « A ÉTÉ ENFANTÉ

les voisines

D’UN NOM

UN FILS

à Noémi. »

- ET ELLES APPELÈRENT - lui (est) - père

SON NOM

Obed, de Jessé,

+ 16 ET PRIT + et le mit + et elle fut à lui

le père de David.

disant :

La première partie rapporte la naissance du fils de Boaz et de Ruth, la dernière partie l’adoption de ce fils par Noémi. Au centre, les paroles adressées à Noémi par les femmes. Dans la première partie, le mariage de Boaz et Ruth (13ab) débouche sur l’enfantement d’un fils donné par Yhwh (13cde). Dans le deuxième morceau de la partie centrale, le premier segment est une bénédiction de Yhwh pour ce qu’il a fait en faveur de Noémi (14bcd), le second annonce ce que fera le goël pour Noémi (15ab), le troisième ce qu’a fait pour elle sa belle-fille (cd). La dernière partie commence par l’adoption de l’enfant par Noémi (16). Cette adoption est ensuite confirmée par « les voisines » (17ab) ; outre le premier nom donné à l’enfant, « fils de Noémi », elles lui donnent son nom propre « Obed », grand-père de David (17cde). Les parties extrêmes sont parallèles entre elles. Les premiers membres des segments initiaux commencent par le même verbe et ont la même construction syntaxique ; leurs derniers membres (13b.16c) sont eux aussi de même construction syntaxique. Au deuxième segment de la première partie correspondent les

Séquence C : 4,1-22

133

deux derniers segments de la dernière partie : « A été enfanté un fils à Noémi » (17b) répond à « et elle enfanta un fils » (13e). Le nom de « Yhwh » agrafe les deux premières parties (13d.14b). À la fin des membres du dernier segment de la deuxième partie (15cd), « l’a enfanté » et « fils » rappellent les deux derniers termes de la première partie, « elle enfanta un fils » (13e). Dans la partie centrale, « et sera appelé son nom » (14d) annonce les deux occurrences de « Et elles appelèrent son nom » dans la troisième partie (17a.c). « Enfanter » et « fils » reviennent dans les trois parties (13e.15cd.17b).

CONTEXTE « SEPT FILS » Avec sept fils, les parents sont comblés. Ainsi de Job : « Sept fils et trois filles lui étaient nés » (Jb 1,2 ; 42,13). De même dans le Cantique d’Anne : « La femme stérile enfante sept fois, mais la mère de nombreux enfants se flétrit » (1S 2,5).

INTERPRÉTATION L’ŒUVRE DE YHWH L’enfant qui vient de naitre est fils de Boaz et de Ruth. Cependant, le narrateur prend bien soin de préciser que, si Boaz « vint vers elle », c’est le Seigneur qui lui donna d’être enceinte. Ainsi en avait-il été pour les mères d’Israël et pour Anne, femme d’Elqana. C’est aussi à Yhwh que les femmes de Bethléem attribuent ce qui arrive aujourd’hui à Noémi : les premiers mots qu’elles prononcent (14bc) ne sont autres qu’une bénédiction adressée au Dieu d’Israël. Le nom qui sera appelé en Israël (14d) sera indissociablement celui du fils de Ruth et celui de Yhwh qui lui a donné d’être enceinte et d’enfanter. LES NOMS DE L’ENFANT C’est seulement à la fin du récit qu’est prononcé le nom propre de l’enfant qui vient de naitre : « Obed », aussitôt complété par les noms de ses descendants, de son fils, « Jessé », et en finale de son petit-fils, « David ». Cependant, les voisines lui avaient déjà donné un premier nom, son nom d’ascendance, « fils de Noémi ». Mais ce n’est pas tout : le nom par lequel il sera appelé en Israël sera celui de « goël » (14cd). En effet, c’est lui qui rachètera Noémi, qui la fait revenir à la vie, elle que la mort avait frappée par le décès de son mari et de ses deux fils ; c’est lui qui la soutiendra dans sa vieillesse, qui veillera sur elle jusqu’à ses derniers jours.

134

La troisième section (Rt 4)

« TA BELLE-FILLE L’A ENFANTÉ » On pourrait avoir l’impression que Ruth, elle qui pourtant a donné naissance à son fils, est mise de côté par « les femmes » et « les voisines », Noémi prenant toute la place. Comme s’il avait fallu que l’arrière-grand-mère de David fût juive, la Moabite devant s’effacer devant elle. Cependant, le discours des femmes s’achève par une louange sans réserve de Ruth, une louange qui l’unit indissociablement au goël qu’elle a donné à sa belle-mère. Le verbe « aimer » n’apparait pas ailleurs dans le livre, comme s’il avait été réservé pour cette occasion. Noémi, qui avait été privée de fils, qui n’a cessé d’appeler Ruth « ma fille », se voit maintenant comblée par sa belle-fille dont la bonté vaut mieux pour elle que sept fils. C’est là en fait le plus beau compliment qu’elle ait pu recevoir.

4. LA GÉNÉALOGIE DE DAVID : 4,18-22 COMPOSITION 4,18 Et celles-ci

les engendrements de PÉRETZ : ················································································· : Péretz : 19 et Hesrôn : et Ram

engendra engendra engendra

Hesrôn Ram Aminadab

: 20 et Aminadab : et Nahsôn : 21 et Salmôn

engendra engendra engendra

Nahsôn Salma Boaz

: et Boaz : 22 et Obed : et Jessé

engendra engendra engendra

OBED Jessé David.

Six générations relient Boaz à Péretz (18b-21a) et trois de plus aboutissent à David (21b-22)4. Obed, l’enfant qui vient d’être engendré, est relié à son ancêtre Péretz : les deux personnages ont en commun d’avoir pour mère une étrangère, Tamar et Ruth, dont le sort est également lié au lévirat.

CONTEXTE Cette généalogie résume celle du premier livre des Chroniques (voir p. 82). Elle est purement patrilinéaire et Ruth n’y est pas nommée. En revanche, Matthieu la mentionnera : 4 La plupart des commentaires comptent dix générations à cause du total de dix noms de Péretz à David (par ex., Nielsen, 95 ; Block, 734 ; Grossman, 328 ; Sonnet, 23).

Séquence C : 4,1-22 2

Abraham Isaac Jacob 3 Juda Pharès Esrom 4 Aram Aminadab Naasson 5 Salmon Boaz Jobed 6 Jessé

engendra engendra engendra engendra engendra engendra engendra engendra engendra engendra engendra engendra engendra

135

Isaac, Jacob, Juda et ses frères, Pharès et Zara, de Tamar, Esrom, Aram, Aminadab, Naasson, Salmon, Boaz, de Rahab, Jobed, de Ruth, Jessé, le roi David (Mt 1,2-6).

Les trois femmes nommées dans la généalogie de Mt ont en commun d’être des étrangères. Rahab, qui n’est pas nommée dans les généalogies de l’Ancien Testament, est la prostituée de Jéricho qui accueillit les espions d’Israël et, pour cela, eut la vie sauve et fut intégrée au peuple (Jos 2 ; 6). Quant à Tamar, la belle-fille de Juda, elle aussi semble d’origine cananéenne, comme Shua, son épouse (Gn 38,2).

INTERPRÉTATION UNE GÉNÉALOGIE SANS FEMME On s’étonnera de voir le livre appelé « de Ruth » s’achever sur une généalogie d’où son nom a été gommé, de même que celui de Tamar qui lui ressemble à bien des égards. Et pourtant, le rôle des femmes dans le livre de Ruth est de tout premier plan : sans la Moabite et sans Noémi, sa belle-mère, rien ne se serait passé. Sans leurs initiatives déterminées et réitérées, tout se serait arrêté aux tombeaux des Champs de Moab. La généalogie du Premier livre des Chroniques n’avait certes pas nommé Ruth, mais elle avait tout de même fait la part belle à Tamar. LA GÉNÉALOGIE DU ROI Ce dépouillement, ce caractère hiératique de la généalogie est dû, sans doute, au fait qu’elle n’est, en réalité, que le prolongement, la coda dont la fonction est de souligner le dernier mot, le dernier nom propre du récit, et le fait résonner à rebours jusqu’à la dixième génération. Comme si le destin, ou plutôt la vocation de Ruth ne tendait, à travers les vicissitudes de son histoire, qu’à préparer, qu’à rendre possible la venue du roi par excellence, celui qu’attendait la génération des Juges à laquelle elle appartenait. « En ce temps-là, il n’y avait pas de roi en Israël » (Jg 17,8 ; 18,1 ; 19,1 ; 21,25). La gloire de Ruth sera à jamais d’être l’arrière-grand-mère du roi tant attendu.

136

La troisième section (Rt 4)

5. BOAZ ET RUTH FONT REVENIR LA VIE EN ISRAËL L’ensemble de la séquence C : 4,1-22 COMPOSITION La séquence compte cinq passages organisés en trois sous-séquences ; les sous-séquences extrêmes ne comptent qu’un seul passage, tandis que la sousséquence centrale en comporte trois : UNTEL

ACCEPTE

DE RACHETER

LE CHAMP

D’ÉLIMÉLEK

4,1-4

TOUS SONT TÉMOINS DE L’ENGAGEMENT DE BOAZ (5-12) Untel

refuse

BOAZ ACQUIERT

de susciter LE CHAMP

le nom du mort sur son héritage ET LA FEMME

Les hommes félicitent celui qui appelle

LES FEMMES

DONNENT

SON NOM

9-10

DU MORT

un nom

AU FILS

dans Bethléem

DE

4,5-8

NOÉMI

La généalogie de David

11-12

13-17 18-22

LES RAPPORTS ENTRE LES TROIS SOUS-SÉQUENCES – « Boaz » (1a bis ; 5a.8b.9a ; 13a) et « Noémi » (3a ; 5a.9b ; 14a.16a.17b) ; – « racheteur/racheter » (1a.3a.4b ter.4c.d ; 6a bis.6b ter.7b.8a ; 14a). LES RAPPORTS ENTRE LES DEUX PREMIÈRES SOUS-SÉQUENCES – « champ » (3a ; 5a) ; – « Élimélek » (3a ; 9b) ; – « acquérir » (4a ; 5a.b.8b ; 9a.10a) ; – « porte » (1a ; 10c.11a) ; – « anciens » (2b.4b ; 9a.11a) ; – « le peuple » (4b ; 9a.11a) ; – « frère(s) (3a ; 10c). Les rapports sont étroits entre les deux premiers passages de la séquence. La scène rapporte les deux temps du dialogue entre Boaz et Untel. Ce dernier accepte d’abord de racheter le champ (4d : « Moi je rachète »), mais dans un deuxième temps se désiste en faveur de Boaz (8b : « Acquiers pour toi »).

Séquence C : 4,1-22

137

4,1 monta À LA PORTE et il s’assit là ; et voici que passe LE RACHETEUR dont avait parlé et il dit : « Avance, assieds-toi ici, Untel. » Il s’avança et s’assit. 2 Et il prit dix hommes parmi les anciens de la ville et dit : « Asseyez-vous ici. » Et ils s’assirent. 3 Il dit au RACHETEUR : « La pièce de champ qui est à la vend, elle qui EST RETOURNÉE des champs de Moab. 4 Et moi j’ai dit, je t’informerai en disant : “ACQUIERS devant ceux qui sont assis et devant les anciens de mon peuple”. Si TU VEUX RACHETER, RACHÈTE, mais si TU NE RACHÈTES PAS, dis-le moi que je le sache, car il n’y a pas sinon toi pour RACHETER et moi je viens après toi. » Et il dit : « Moi JE RACHÈTE. » dit : « LE JOUR où TU ACQUERRAS le champ de la main de et de la Moabite, TU ACQUERRAS LA FEMME du MORT POUR SUSCITER le nom du MORT sur son héritage. » 6 LE RACHETEUR dit : « Je ne peux pas RACHETER pour moi de peur de détruire mon héritage ; toi, RACHÈTE pour toi MON RACHAT car je ne peux pas RACHETER. » 7 C’était autrefois la coutume en ISRAËL pour LE RACHAT et pour l’échange que, pour confirmer toute chose, un homme retire sa sandale et la DONNE à son prochain et c’était le témoignage en ISRAËL. 8 LE RACHETEUR dit à : « ACQUIERS pour toi. » Et il retira sa sandale. 5

dit aux anciens et à tout le peuple : « Vous êtes témoins AUJOURD’HUI que J’ACQUIERS tout ce qui était à et tout ce qui était à Kilyôn et Mahlôn de la main de ; 10 et aussi la Moabite, LA FEMME de Mahlôn, JE L’ACQUIERS pour moi comme FEMME, POUR SUSCITER le nom du MORT sur son héritage et le nom du MORT NE SERA PAS RETRANCHÉ d’avec et de LA PORTE de son lieu. Vous êtes témoins AUJOURD’HUI. 9

11

Tout le peuple qui était À LA PORTE et les anciens dirent : « Nous sommes témoins ! Que Yhwh DONNE à LA FEMME qui vient dans ta maison d’être comme Rachel et comme Léa qui, à elles deux, bâtirent la maison d’ISRAËL. Et fais une valeur en Ephrata et APPELLE un nom à Bethléem. 12 Que soit ta maison comme la maison de Péretz que Tamar enfanta à Juda, que Yhwh te DONNE une descendance de cette jeune-femme. » 13

Et

prit

et elle fut SA FEMME. Il vint vers elle et Yhwh lui DONNA une grossesse et elle

enfanta un fils.

LES FEMMES dirent à : « Béni Yhwh qui ne t’a pas fait manquer d’UN RACHETEUR AUJOURD’HUI et SERA APPELÉ son nom en ISRAËL ; 15 et IL FERA RETOURNER ta vie et soutiendra ta vieillesse, car ta belle-fille qui t’aime l’a enfanté, elle qui pour toi est meilleure que sept fils. » 16 prit l’enfant et le mit sur sa poitrine et elle fut ppour lui sa gardienne. 17 Les voisines L’APPELÈRENT d’un nom disant : « A été enfanté un fils à . » Et elles APPELÈRENT son nom Obed, qui fut le père de Jessé, qui fut le père de DAVID. 14

18

Tels furent les engendrements de Péretz : Péretz engendra Hesrôn, 19 Hesrôn engendra Ram, Ram engendra Aminadab, 20 Aminadab engendra Nahsôn, Nahsôn engendra Salma, 21 Salmôn engendra Boaz, Boaz engendra Obed, 22 Obed engendra Jessé et Jessé engendra DAVID.

138

La troisième section (Rt 4)

LES RAPPORTS ENTRE LES DEUX DERNIÈRES SOUS-SÉQUENCES 4,1 monta À LA PORTE et il s’assit là ; et voici que passe LE RACHETEUR dont avait parlé et il dit : « Avance, assieds-toi ici, Untel. » Il s’avança et s’assit. 2 Et il prit dix hommes parmi les anciens de la ville et dit : « Asseyez-vous ici. » Et ils s’assirent. 3 Il dit au RACHETEUR : « La pièce de champ qui est à la vend, elle qui EST RETOURNÉE des champs de Moab 4 Et moi j’ai dit, je t’informerai en disant : “ACQUIERS devant ceux qui sont assis et devant les anciens de mon peuple”. Si TU VEUX RACHETER, RACHÈTE, mais si TU NE RACHÈTES PAS, dis-le moi que je le sache, car il n’y a pas sinon toi pour RACHETER et moi je viens après toi. » Et il dit : « Moi JE RACHÈTE. » dit : « LE JOUR où TU ACQUERRAS le champ de la main de et de la Moabite, TU ACQUERRAS LA FEMME du MORT POUR SUSCITER le nom du MORT sur son héritage. » 6 LE RACHETEUR dit : « Je ne peux pas RACHETER pour moi de peur de détruire mon héritage ; toi, RACHÈTE pour toi MON RACHAT car je ne peux pas RACHETER. » 7 C’était autrefois la coutume en ISRAËL pour LE RACHAT et pour l’échange que, pour confirmer toute chose, un homme retire sa sandale et la DONNE à son prochain et c’était le témoignage en ISRAËL. 8 LE RACHETEUR dit à : « ACQUIERS pour toi. » Et il retira sa sandale. 5

dit aux anciens et à tout le peuple : « Vous êtes témoins AUJOURD’HUI que J’ACQUIERS tout ce qui était à et tout ce qui était à Kilyôn et Mahlôn de la main de ; 10 et aussi la Moabite, LA FEMME de Mahlôn, JE L’ACQUIERS pour moi comme FEMME, POUR SUSCITER le nom du MORT sur son héritage et le nom du MORT NE SERA PAS RETRANCHÉ d’avec et de LA PORTE de son lieu. Vous êtes témoins AUJOURD’HUI. 9

11

Tout le peuple qui était À LA PORTE et les anciens dirent : « Nous sommes témoins ! Que Yhwh DONNE à LA FEMME qui vient dans ta maison d’être comme Rachel et comme Léa qui, à elles deux, bâtirent la maison d’ISRAËL. Et fais une valeur en Ephrata et APPELLE un nom à Bethléem. 12 Que soit ta maison comme la maison de Péretz que Tamar enfanta à Juda, que Yhwh te DONNE une descendance de cette jeune-femme. » 13

Et

prit

et elle fut SA FEMME. Il vint vers elle et Yhwh lui DONNA une grossesse et elle

enfanta un fils.

LES FEMMES dirent à : « Béni Yhwh qui ne t’a pas fait manquer d’UN RACHETEUR AUJOURD’HUI et SERA APPELÉ son nom en ISRAËL ; 15 et IL FERA RETOURNER ta vie et soutiendra ta vieillesse, car ta belle-fille qui t’aime l’a enfanté, elle qui pour toi est meilleure que sept fils. » 16 prit l’enfant et le mit sur sa poitrine et elle fut ppour lui sa gardienne. 17 Les voisines L’APPELÈRENT d’un nom disant : « A été enfanté un fils à . » Et elles APPELÈRENT son nom Obed, qui fut le père de Jessé, qui fut le père de DAVID. 14

18

Tels furent les engendrements de Péretz : Péretz engendra Hesrôn, 19 Hesrôn engendra Ram, Ram engendra Aminadab, 20 Aminadab engendra Nahsôn, Nahsôn engendra Salma, 21 Salmôn engendra Boaz, Boaz engendra Obed, 22 Obed engendra Jessé et Jessé engendra DAVID.

– « Femme(s) » (5b.10a bis.11b ; 13a.14a); – « le jour » et « aujourd’hui » (5a.9a.10c ; 14a) ; – « Israël » (7b.c.11c ; 14b) ; – « Ruth » (5a.10a ; 13a) ; – « enfanter/enfant » (12a ; 13b.15b.16a.17b) ; – « donner » (7c.11b.12b ; 13a) ; – aux quatre syntagmes déjà signalés (voir p. 130) s’ajoute un cinquième dans la dernière sous-séquence :

Séquence C : 4,1-22

139

+ pour susciter LE NOM du mort sur son héritage (5b) + pour susciter LE NOM du mort sur son héritage (10c) = LE NOM du mort ne sera pas retranché d’avec ses frères et de la porte de son lieu (10d) = Fais une valeur en Ephrata et appelle UN NOM à Bethléem (11d) = « et sera appelé SON NOM en Israël »

Il s’agit toujours du « nom » — du mort jusqu’au centre, puis de l’enfant qui vient de naitre. Noter l’élargissement depuis « son héritage », à savoir son champ, jusqu’à « Bethléem » et même tout « Israël ». Les rapports entre les deux derniers passages du corps de la séquence sont très étroits. En effet, ces passages sont complémentaires : dans l’un, les hommes présentent leurs vœux à Boaz au moment où il prend Ruth pour épouse ; dans l’autre, ce sont les femmes qui félicitent Noémi au moment de la naissance de l’enfant. Les deux passages commencent avec des suites semblables : « Yhwh », « donne », « femme », « venir », « maison » (bêt) – « bâtir » (bānāh) – « fils » (bēn) qui sont de même racine (11bc.13). À « maison », « bâtir », « Beth » du premier passage (11b.c bis.d.12a bis) correspond « fils » dans le suivant (13b. 15b.17b) ; appartenant au même champ sémantique, « enfant » et « enfanter » (12a ; 13b.15b.16a.17b). Le nom de « Yhwh » revient deux fois dans chaque passage (11b.12b ; 13a. 14a). « Nom » est repris quatre fois (11d ; 14b.17b bis), « appeler » de même (11c ; 14b.17b bis), « Israël » une fois dans chaque passage (11c ; 14b). On notera les deux suites semblables qui se trouvent au centre de chaque passage : « appelle un nom en Bethléem » (11cd) et « son nom sera appelé en Israël » (14b). LES RAPPORTS ENTRE LES SOUS-SÉQUENCES EXTRÊMES À « qui est retournée des Champs de Moab » (3b) répond « il fera retourner ta vie » (15a). LES RAPPORTS ENTRE LA GÉNÉALOGIE ET LE CORPS DE LA SÉQUENCE Les termes de même racine (yld), « enfanter/enfant » – « engendrer », lient les deux dernières sous-séquences et la généalogie (12a ; 13b.15b.16a.17b ; dix fois en 18-20) ; les deux occurrences de « David » remplissent la fonction de termes finaux pour le corps de la séquence (17c) et la généalogie (22).

INTERPRÉTATION UNE MANIÈRE DE VÉRIFIER LES MOTIVATIONS DU GOËL En deux temps, Boaz mène à bien son projet. Et il le fait dans le strict respect des lois, mais avec la plus grande habileté. Pour Untel, l’acquisition d’un nouveau terrain, qui lui revient de droit, est alléchante, et il n’hésite pas à déclarer

140

La troisième section (Rt 4)

qu’il est preneur : ainsi, ce bien ne sortira pas de la famille et du clan d’Élimélek, mais il agrandira son propre patrimoine. Dans un deuxième temps, Boaz lui fait remarquer que, s’il acquiert le terrain, il devra aussi épouser la jeune veuve pour relever le nom du défunt ; et le terrain fera partie de l’héritage du fils ainé qu’il aura donné à la Moabite. Ce qui change complètement la donne, puisqu’il achèterait un terrain qui, au bout du compte, ne lui appartiendrait pas. D’où son désistement en faveur de celui qui vient après lui. UNE MANIÈRE DE SOULIGNER LA VALEUR DE BOAZ Même si on peut comprendre l’attitude de Untel et l’excuser, imaginant qu’il ne dispose pas d’une fortune comparable à celle de Boaz, il n’en est pas moins vrai que le contraste entre les deux hommes est flagrant. L’initiative de Boaz et aussi la manière dont il s’est positionné comme second dans l’ordre de priorité ont clairement laissé entendre qu’il avait la ferme intention de faire son devoir de goël et de lévir. Tout se passe comme si la figure anonyme d’Untel n’avait d’autre fonction de faire ressortir la générosité et la magnanimité de Boaz. Toute sa conduite a révélé comment il était un « homme de valeur ». UN NOM ET DES NOMS Outre le fait que le terme « nom » revienne quatre fois dans les deux derniers passages, il est remarquable que les noms propres y sont accumulés : Rachel, Léa, Israël, Péretz , Tamar, Juda ; Boaz, Ruth, Noémi, Obed, Jessé et enfin David. Six dans chaque passage, douze en tout, depuis le lointain passé des patriarches jusqu’au roi à venir. Comme une grande fresque historique où les personnages présents jouent leur rôle décisif d’articuler passé et futur. Accompagnant ces douze personnages humains, Le Nom, hashem, « Yhwh », invoqué deux fois dans chaque passage. La « valeur » que Boaz est appelé à faire en Ephrata, le « nom » qu’il devra appeler en Bethléem est celui du fils que Dieu lui a donné, cet enfant qui vient de naitre, qui sera le goël de Noémi dont le nom sera appelé en Israël. Cependant, ce nom sera toujours lié dans la mémoire du peuple à ceux qui l’ont porté dans leur désir, Ruth en premier lieu, avec Noémi sa belle-mère et Boaz son époux. Et puis, la gloire de ce nom, de tous ces noms, sera due aussi à celui dont ils auront préparé la venue, David, dont le nom ne pouvait manquer de venir sceller toute l’histoire et le livre de Ruth. DU CHAMP D’ÉLIMÉLEK À L’ISRAËL DE DAVID À la porte de Bethléem, tout commence avec la question du rachat d’une « pièce de champ » (3) appartenant à Élimélek et que sa veuve Noémi met en vente. Cependant, très vite l’affaire prend davantage d’ampleur : celui qui acquerra « le champ » (5) devra aussi racheter la femme du défunt pour relever son nom sur son héritage. Cela n’intéresse plus celui qui avait la préséance, car ce serait au détriment de son propre héritage. Boaz prend alors la relève et « le champ » laisse pour ainsi dire la place à « tout ce qui était à Élimélek et tout ce

Séquence C : 4,1-22

141

qui était à Kyliôn et Mahlôn » (9). Au centre de la séquence, « l’héritage » du mort s’étend à « ses frères » et à « la porte de son lieu » (10d). Et à partir de là, son nom sera invoqué sur sa ville de « Bethléem » (11d) et enfin sur toute la terre d’« Israël » (14b). Ainsi, le destin de celui qui, à cause de la famine, avait quitté son pays et était mort aux Champs de Moab, qui n’avait laissé en héritage qu’un lopin de terre, revêt une dimension nationale, Élimélek devenant l’ancêtre du roi David qui règnera sur tout Israël. LE NOM DU MORT EST RELEVÉ Un nom reste en suspens, celui d’Élimélek dont les deux fils, Kyliôn et Mahlôn, sont morts comme lui aux Champs de Moab, sans laisser d’enfant. La malédiction de mourir sans descendance serait comble si personne ne se présentait pour relever le nom du mort. Le plus proche parent d’Élimélek s’y refuse, mais Boaz, qui venait en second, s’engage à racheter la veuve de Mahlôn pour susciter une descendance au défunt et relever le nom d’Élimélek. L’enfant qui nait de l’union de Boaz et de Ruth prend alors le relai, devenant pour Noémi, sa grand-mère, le goël qui la soutiendra jusque dans sa vieillesse. Un nom est donné à cet enfant, mais ce n’est ni son père ni sa mère, ni même Noémi, sa grand-mère qui le choisissent ; ce sont les femmes, les voisines, comme si cette affaire dépassait les limites de la famille pour s’étendre à tout le peuple de Bethléem. Obed, le nom du nouveau-né, n’est cependant pas le dernier du récit ; il semble n’être que le trait d’union qui rattache Juda et Tamar à leur lointain descendant, le roi David dont le nom résonne par deux fois en finale. Il révèle ainsi quelle était la visée profonde de tout le livre de Ruth.

RUTH L’ensemble du livre

A. COMPOSITION QUELQUES DONNÉES QUANTITATIVES Le livre de Ruth est organisé en trois sections. Les sections extrêmes sont de longueur très proche1. La section centrale (4 475) est aussi longue que l’ensemble des sections extrêmes (2 200 + 2 286 = 4 486). A : Noémi et Ruth reviennent de la mort en Moab B : Ruth et Boaz se rencontrent C : Boaz et Ruth font revenir la vie en Israël

1,1-22

2 200

2,1–3,18

4 475

4,1-22

2 286

Tandis que les sections extrêmes sont de la mesure d’une seule séquence, la section centrale en comprend trois. Les séquences extrêmes (B1 et B3) sont de longueur analogue. La séquence centrale (B2) est nettement plus courte : elle représente le cinquième du total des deux séquences qui l’encadrent.

B1 : Ruth va glaner dans le champ de Boaz

B3 : Noémi conseille Ruth

B4 : Ruth va dormir aux pieds de Boaz

2,1-17

2,18-22

3,1-18

1 976

744

1 755

1 Les comptes sont faits sur le texte hébreu translittéré, en nombre de signes espaces compris, sans les numéros des versets, avec le texte des qeré (le tétragramme est translittéré Yhwh).

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Ruth

1. LES RAPPORTS ENTRE LES SECTIONS EXTRÊMES (A ET C) DEUX COMPOSITIONS IDENTIQUES 1,1 Et il fut aux jours du jugement des Juges et il fut une famine dans le pays. Et s’en alla un homme de Bethléem de Juda séjourner aux Champs de Moab lui et sa femme et ses deux FILS. 2 Et LE NOM de l’homme Élimélek et LE NOM de sa femme Noémi et LE NOM de ses deux FILS Mahlôn et Kilyôn Éphratéens de Bethléem de Juda et ils vinrent aux Champs de Moab et ils furent là. 3 Et MOURUT Élimélek, l’homme de Noémi, et elle resta elle et ses deux FILS. 4 Et ils prirent pour eux des femmes moabites ; LE NOM de la première Orpha et LE NOM de la deuxième Ruth et ils résidèrent là environ dix ans. 5 Et MOURURENT aussi les deux Mahlôn et Kilyôn ; et elle, la femme, resta sans ses deux ENFANTS et sans son homme. 6 Et se leva elle et ses belles-filles et ELLE RETOURNA des Champs de Moab car elle avait entendu aux Champs de Moab que YHWH avait visité son peuple pour leur donner du pain. 7 Et elle sortit du lieu dans lequel elle était là-bas et ses deux belles-filles avec elle et elles s’en allèrent sur la route pour RETOURNER vers le pays de Juda. Et Noémi dit à ses deux belles-filles : « Allez, RETOURNEZ chaque femme à la maison de sa mère ; que fasse YHWH avec vous fidélité, comme vous avez fait avec les MORTS et avec moi ; 9 que YHWH vous donne de trouver du repos chaque femme à la maison de son homme. » Et elle les embrassa et elles élevèrent leurs voix et elles pleurèrent 10 et elles lui dirent : « Non, avec toi NOUS RETOURNERONS vers ton peuple. » 8

Et Noémi dit : « RETOURNEZ, mes filles, pourquoi allez-vous avec moi ? Ai-je encore des FILS dans mes entrailles et ils seraient pour vous des hommes ? 12 RETOURNEZ, mes filles, allez-vous-en car je suis trop vieille pour être à un homme, car si je disais il y a pour moi de l’espoir, même si j’étais cette nuit à un homme et même si J’ENFANTAIS des FILS, 13 est-ce que pour eux vous patienteriez jusqu’à ce qu’ils aient grandi ? Est-ce que vous vous abstiendrez sans être à un homme ? Non, mes filles, car c’est très amer pour moi trop pour vous car la main de YHWH est sortie contre moi. » 14 Et elles élevèrent leurs voix et elles pleurèrent encore ; et Orpha embrassa sa belle-mère et Ruth s’attacha à elle. 11

Et elle dit : « Voici EST RETOURNÉE ta belle-soeur vers son peuple et vers son dieu ; RETOURNE derrière ta belle-sœur. » 16 Et dit Ruth : « Ne me presse pas de t’abandonner pour RETOURNER de derrière toi, car vers où tu iras j’irai et où tu dormiras je dormirai ; ton peuple sera mon peuple et TON DIEU sera MON DIEU. 17 Là où TU MOURRAS JE MOURRAI et là je serai enterrée. Qu’ainsi me fasse YHWH et ainsi qu’il y ajoute, si LA MORT nous sépare moi et toi. » 15

18

Et elle vit qu’elle était obstinée pour aller avec elle et elle cessa de lui parler. 19 Et elles allèrent les deux jusqu’à arriver à Bethléem et ce fut à leur arrivée à Bethléem un tumulte de toute la ville à cause d’elles. Et elles dirent : « Est-ce là Noémi ? » 20 Et elle leur dit : « NE 21 M’APPELEZ PAS Noémi, APPELEZ-MOI Amère car SHADDAÏ a été très amer avec moi. Moi, pleine je m’en suis allée et à vide YHWH m’a FAIT-RETOURNER. Pourquoi M’APPELEZ-VOUS Noémi alors que YHWH a témoigné contre moi et que SHADDAÏ m’a fait du mal ? » 22 Et Noémi RETOURNA et Ruth la Moabite sa belle-fille avec elle qui RETOURNAIT des Champs de Moab ; et elles, elles arrivèrent à Bethléem au début de la moisson des orges.

Le corps de chacune des deux séquences compte cinq passages organisés de même en trois sous-séquences ; les sous-séquences extrêmes sont de la taille d’un passage, tandis que les sous-séquences centrales comprennent trois passages et sont de composition concentrique.

L’ensemble du livre

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4,1 Boaz monta à la porte et il s’assit là ; et voici que passe le racheteur dont avait parlé Boaz et il dit : « Avance, assieds-toi ici, Untel. » Il s’avança et s’assit. 2 Et il prit dix hommes parmi les anciens de la ville et dit : « Asseyez-vous ici. » Et ils s’assirent. 3 Il dit au racheteur : « La pièce de champ qui est à notre frère Élimélek, Noémi la vend, elle qui EST RETOURNÉE des Champs de Moab 4 Et moi j’ai dit, je t’informerai en disant : “Acquiers devant ceux qui sont assis et devant les anciens de mon peuple”. Si tu veux racheter, rachète, mais si tu ne rachètes pas, dis-le moi que je le sache, car il n’y a pas sinon toi pour racheter et moi je viens après toi. » Et il dit : « Moi, je rachète. »

5

Boaz dit : « Le jour où tu acquerras le champ de la main de Noémi et de Ruth la Moabite, tu acquerras la femme du MORT pour susciter LE NOM du MORT sur son héritage. » 6 Le racheteur dit : « Je ne peux pas racheter pour moi de peur de détruire mon héritage ; toi, rachète pour toi mon rachat car je ne peux pas racheter. » 7 C’était autrefois la coutume en Israël pour le rachat et pour l’échange que, pour confirmer toute chose, un homme retire sa sandale et la donne à son prochain et c’était le témoignage en Israël. 8 Le racheteur dit à Boaz : « Acquiers pour toi. » Et il retira sa sandale. 9

Boaz dit aux anciens et à tout le peuple : « Vous êtes témoins aujourd’hui que j’acquiers tout ce qui était à Élîmelek et tout ce qui était à Kilyôn et Mahlôn de la main de Noémi ; 10 et aussi Ruth la Moabite, la femme de Mahlôn, je l’acquiers pour moi comme femme, pour susciter LE NOM du MORT sur son héritage et LE NOM du MORT ne sera pas retranché d’avec ses frères et de la porte de son lieu. Vous êtes témoins aujourd’hui. 11

Tout le peuple qui était à la porte et les anciens dirent : « Nous sommes témoins ! Que YHWH donne à la femme qui vient dans ta maison d’être comme Rachel et comme Léa qui, à elles deux, bâtirent la maison d’Israël. Et fais une valeur en Ephrata et APPELLE UN NOM à Bethléem. 12 Que soit ta maison comme la maison de Péretz que Tamar ENFANTA à Juda, que YHWH te donne une descendance de cette jeune-femme. » 13

Et Boaz prit Ruth et elle fut sa femme, il vint vers elle et YHWH lui donna une grossesse et ELLE ENFANTA UN FILS. 14 Les femmes dirent à Noémi : « Béni YHWH qui ne t’a pas fait manquer d’un racheteur aujourd’hui et SERA APPELÉ SON NOM en Israël ; 15 et il FERA-RETOURNER TA VIE et soutiendra ta vieillesse, car ta belle-fille qui t’aime L’A ENFANTÉ, elle qui pour toi est meilleure que sept FILS. » 16 Noémi prit L’ENFANT et le mit sur sa poitrine et elle fut pour lui sa gardienne. 17 Les voisines L’APPELÈRENT d’UN NOM disant : « A ÉTÉ ENFANTÉ UN FILS à Noémi. » Et ELLES APPELÈRENT SON NOM Obed, qui fut le père de Jessé, qui fut le père de David. 18

Tels furent les ENGENDREMENTS de Péretz : Péretz ENGENDRA Hesrôn, 19 Hesrôn ENGENDRA Ram, Ram ENGENDRA Aminadab, 20 Aminadab ENGENDRA Nahsôn, Nahsôn ENGENDRA Salma, 21 Salmôn ENGENDRA Boaz, Boaz ENGENDRA Obed, 22 Obed ENGENDRA Jessé et Jessé ENGENDRA David.

148

Ruth

RAPPORTS ENTRE LES PREMIÈRES SOUS-SÉQUENCES 1,1 Et il fut aux jours du jugement des Juges et il fut une famine dans le pays. Un HOMME de Bethléem de Juda s’en alla séjourner aux Champs de Moab lui et sa femme et ses deux fils. 2 Le nom de L’HOMME était ÉLIMÉLEK et le nom de sa femme NOÉMI et le nom de ses deux fils Mahlôn et Kilyôn, Éphratéens de Bethléem de Juda, et ils vinrent aux Champs de Moab et ils furent là. 3

ÉLIMÉLEK L’HOMME de NOÉMI, MOURUT et elle resta elle et ses deux fils. 4 Ils prirent pour eux des femmes moabites ; le nom de la première était Orpha et le nom de la deuxième Ruth et ILS RÉSIDÈRENT là environ dix ans. 5 Et MOURURENT aussi les deux Mahlôn et Kilyôn ; et elle, la femme, resta sans ses deux enfants et sans son HOMME.

Et se leva elle et ses belles-filles et ELLE RETOURNA des Champs de Moab car elle avait entendu aux Champs de Moab que Yhwh avait visité son PEUPLE pour leur donner du pain. 7 Et elle sortit du lieu dans lequel elle était là et ses deux belles-filles avec elle et elles s’en allèrent sur la route pour RETOURNER vers le pays de Juda. 6

4,1 Boaz monta à la porte et IL S’ASSIT là ; et voici que passe LE RACHETEUR dont avait parlé Boaz et il dit : « Avance, assieds-toi ici, Untel. » Il s’avança et s’assit. 2 Et il prit dix HOMMES parmi les anciens de la ville et dit : « Asseyez-vous ici. » Et ils s’assirent. 3

Il dit au RACHETEUR : « La pièce de champ qui est à notre frère ÉLIMÉLEK, NOÉMI la vend, elle qui RETOURNA des Champs de Moab.

4

Et moi j’ai dit, je t’informerai en disant : “Acquiers devant ceux qui sont assis et devant les anciens de mon PEUPLE”. Si tu veux RACHETER, RACHÈTE, mais si TU NE RACHÈTES PAS, dis-le moi que je le sache, car il n’y a pas sinon toi pour RACHETER et moi je viens après toi. » Et il dit : « Moi, JE RACHÈTE. »

L’ensemble du livre

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Dans les deux sous-séquences, il est question d’« Élimélek » (1,2a.3a ; 4,3a) et de « Noémi » (1,2b.3a ; 4,3b), elle dont il est dit qu’elle « retourna des Champs de Moab » (1,6a ; 4,3b). « Ils résidèrent là » (1,4c) et « il s’assit là » (4,1a) traduisent le même verbe (yšb). Dans la première sous-séquence du premier chapitre, à « ils résidèrent là » correspondent « ils furent là » (1,2c) et « elle était là » (1,7a) ; dans la première sous-séquence du dernier chapitre, à « il s’assit là » font écho « assieds-toi ici » et « s’assit » (1b), « asseyez-vous ici » et « ils s’assirent » (2b) et « ceux qui sont assis » (4b). On pourra aussi noter les reprises de « Champs de Moab » et « champ » (1,1b.2c.6a.b ; 4,3b.c), de « homme(s) » (1,1b.2a.3a.5c ; 4,2b), de « peuple » (1,6b ; 4,4b). Plus important, le rapport entre la mort d’Élimélek (1,3) et de ses deux fils (5a) et le rachat (sept fois en 4,1a.3a.4bc ter.c.d). Noémi se retrouvant seule sans son mari et sans ses deux fils disparus sans enfant, il faut qu’un goël se présente pour exercer son devoir de rachat.

150

Ruth

RAPPORTS ENTRE LES DEUXIÈMES SOUS-SÉQUENCES 1,8 Et Noémi dit à ses deux belles-filles : « Allez, retournez chaque femme à la MAISON de sa mère ; que fasse YHWH avec vous fidélité, comme vous avez fait avec les MORTS et avec moi ; 9 que YHWH vous donne de trouver du repos chaque femme à la MAISON de son homme. » Et elle les embrassa et elles élevèrent leurs voix et elles pleurèrent 10 et elles lui dirent : « Non, avec toi nous retournerons vers ton PEUPLE. » 11

Et Noémi dit : « Retournez, mes filles, pourquoi allez-vous avec moi ? Ai-je encore des fils dans mes entrailles et ils seraient pour vous des hommes ? 12 Retournez, mes filles, allez-vous-en car je suis trop vieille pour être à un homme, car si je disais il y a pour moi de l’espoir, même si j’étais cette nuit à un homme et même si J’ENFANTAIS des fils, 13 est-ce que pour eux vous patienteriez jusqu’à ce qu’ils aient grandi ? Est-ce que vous vous abstiendrez sans être à un homme ? Non, mes filles, car c’est très amer pour moi trop pour vous car la main de YHWH est sortie contre moi. » 14 Et elles élevèrent leurs voix et elles pleurèrent encore ; et Orpha embrassa sa belle-mère et Ruth s’attacha à elle. 15

Et elle dit : « Voici est retournée ta belle-soeur vers son PEUPLE et vers SON DIEU ; retourne derrière ta belle-sœur. » 16 Et dit Ruth : « Ne me presse pas de t’abandonner pour retourner de derrière toi, car vers où tu iras j’irai et où tu dormiras je dormirai ; ton PEUPLE sera mon PEUPLE et TON DIEU sera MON DIEU. 17 Là où TU MOURRAS JE MOURRAI et là je serai enterrée. Qu’ainsi me fasse YHWH et ainsi qu’il y ajoute, si LA MORT nous sépare moi et toi. »

4,5 Boaz dit : « Le jour où tu acquerras le champ de la main de Noémi et de Ruth la Moabite, tu acquerras la femme du MORT pour susciter le nom du MORT sur son héritage. » 6 Le racheteur dit : « Je ne peux pas racheter pour moi de peur de détruire mon héritage ; toi, rachète pour toi mon rachat car je ne peux pas racheter. » 7 C’était autrefois la coutume en Israël pour le rachat et pour l’échange que, pour confirmer toute chose, un homme retire sa sandale et la donne à son prochain et c’était le témoignage en Israël. 8 Le racheteur dit à Boaz : « Acquiers pour toi. » Et il retira sa sandale. 9

Boaz dit aux anciens et à tout LE PEUPLE : « Vous êtes témoins aujourd’hui, que j’acquiers tout ce qui était à Élîmelek et tout ce qui était à Kilyôn et Mahlôn de la main de Noémi ; 10 et aussi Ruth la Moabite, la femme de Mahlôn, je l’acquiers pour moi comme femme, pour susciter le nom du MORT sur son héritage et le nom du MORT ne sera pas retranché d’avec ses frères et de la porte de son lieu. Vous êtes témoins aujourd’hui. 11

Tout LE PEUPLE qui était à la porte et les anciens dirent : « Nous sommes témoins ! Que YHWH donne à la femme qui vient dans ta MAISON d’être comme Rachel et comme Léa qui, à elles deux, bâtirent la MAISON d’Israël. Et fais une valeur en Ephrata et appelle un nom à Bethléem. 12 Que soit ta MAISON comme la MAISON de Péretz que Tamar ENFANTA à Juda, que YHWH te donne une descendance de cette jeune-femme. »

L’ensemble du livre

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Les reprises lexicales sont relativement nombreuses : – « Noémi » (1,8a.11a ; 4,5a.9c) et « Ruth » (1,14b.16a ; 4,5a.10a) ; – « Yhwh » et « Dieu » (1,8b.9a.13d.15a.16c bis.17b ; 4,11b.12b) ; – « femme » (1,8a.9a ; 4,5b.10a.b.11b) ; – « maison » (1,8a.9a ; 4,11b.c.12a bis) ; – « mort(s)/mourir » (1,8b.17a.b.c ; 4,5b bis.10b.c) ; – « peuple » (1,10b.15a.16c bis ; 4,9a.11a) ; – « enfanter » (1,12c ; 4,12a). Dans le passage central de la première sous-séquence (1,11-14), Noémi tente de convaincre ses belles-filles de retourner dans leur famille, car elle est désormais incapable d’enfanter des fils, frères de leur défunt mari qui deviendraient leurs lévirs pour relever le nom des morts (voir p. 34). Au cœur de la sousséquence centrale de la dernière séquence (4,9-10), Boaz s’engage à acquérir tout ce qui appartenait à Élimélek et à ses deux fils et à épouser Ruth, pour devenir son goël et son lévir. Des deux belles-filles de Noémi, l’une, Orpha, qui avait dans un premier temps décidé de la suivre, finit par l’abandonner, tandis que l’autre, Ruth, persévère dans sa résolution et s’attache à sa belle-mère. Des deux possibles goëls, l’un, « Untel », qui avait d’abord décidé de racheter le champ de Noémi, finit par abandonner la partie, refusant de racheter la femme du mort, tandis que l’autre, Boaz, va jusqu’au bout de son projet ; il rachète tout ce qui était à Élimélek et à ses fils et il épouse la veuve de Mahlôn, pour relever son nom.

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Ruth

RAPPORTS ENTRE LES DERNIÈRES SOUS-SÉQUENCES 1,18 Et elle vit qu’elle était obstinée pour aller avec elle et elle cessa de lui parler. 19 Et elles allèrent les deux jusqu’à arriver à Bethléem et ce fut à leur arrivée à Bethléem un tumulte de toute la ville à cause d’elles. Et elles dirent : « Est-ce là Noémi ? » 20 Elle leur dit : « NE M’APPELEZ PAS Noémi, 21 APPELEZ-MOI Amère car SHADDAÏ a été très amer avec moi. Moi, pleine je m’en suis allée et à vide YHWH m’a FAIT-RETOURNER. Pourquoi M’APPELEZ-VOUS Noémi alors que YHWH a témoigné contre moi et que SHADDAÏ m’a fait du mal ? » 22

Et Noémi retourna et Ruth la Moabite sa belle-fille avec elle qui retournait des Champs de Moab ; et elles, elles arrivèrent à Bethléem au début de la moisson des orges. 4,13 Et Boaz prit Ruth et elle fut sa femme, il vint vers elle et YHWH lui donna une grossesse et elle enfanta un fils. 14

Les femmes dirent à Noémi : « Béni YHWH qui ne t’a pas fait manquer d’un racheteur aujourd’hui et SERA APPELÉ son nom en Israël ; 15 et il FERA-RETOURNER ta vie et soutiendra ta vieillesse, car ta belle-fille qui t’aime l’a enfanté, elle qui pour toi est meilleure que sept fils. »

16

Noémi prit l’enfant et le mit sur sa poitrine et elle fut pour lui sa gardienne. 17 Les voisines L’APPELÈRENT d’un nom disant : « A été enfanté un fils à Noémi. » Et ELLES APPELÈRENT son nom Obed, qui fut le père de Jessé, qui fut le père de David. 18

Tels furent les engendrements de Péretz : Péretz engendra Hesrôn, 19 Hesrôn engendra Ram, Ram engendra Aminadab, 20 Aminadab engendra Nahsôn, Nahsôn engendra Salma, 21 Salmôn engendra Boaz, Boaz engendra Obed, 22 Obed engendra Jessé et Jessé engendra David.

L’ensemble du livre

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Le nom de « Yhwh » revient deux fois dans chacune des deux sous-séquences (1,21b.c ; 4,13a.14a) ; dans la première, il est accompagné de celui de « Shaddaï » (1,20b.21c) et a fait du mal à Noémi ; dans la dernière, son nom est béni pour l’enfant qu’il a donné à Ruth et à sa belle-mère. Le nom de « Ruth » n’apparait qu’une seule fois dans chaque sous-séquence (1,22a ; 4,13a), tandis que celui de « Noémi » revient plusieurs fois (1,19d.20a. 21b.22a ; 4,14a.16a.17b). « Faire-retourner » est repris dans chaque sous-séquence, mais leurs compléments s’opposent : la première fois « à vide » (1,21b), la deuxième « ta vie » (4,15a). Dans les deux cas, des femmes interviennent qui échangent avec Noémi. Trois fois dans chaque sous-séquence revient le verbe « appeler » (1,20a.b.21b ; 4,14b. 17b.c). Au début, il s’agit du nom de « Noémi », la gracieuse, qui devrait être remplacé par celui d’« Amère », à la fin, de celui de l’enfant de Ruth, qui sera appelé fils de Noémi et « Obed ».

UNE INCLUSION VOILÉE Le nom du premier personnage mentionné, Élimélek (1,2), signifie « Mon Dieu est roi » ; et le dernier personnage nommé est le roi David (4,17.22). Le premier ferait signe au dernier d’une extrémité du livre à l’autre. Aux dix années passées aux Champs de Moab (1,4) répondent les dix noms de la généalogie finale (4,17-18) ; ainsi, à un temps de stérilité et de mort succède un temps de retour à la vie (4,15), une période de « générations », après qu’un enfant a été donné par Dieu à Boaz et à Ruth.

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Ruth

2. LES RAPPORTS ENTRE LA SECTION CENTRALE ET LES DEUX AUTRES ENTRE LA SECTION A ET LA SÉQUENCE B1 1,1 Et il fut aux jours du jugement des Juges et il fut une famine dans le pays. Et s’en alla un homme de Bethléem de Juda séjourner aux CHAMPS DE MOAB lui et sa femme et ses deux fils. 2 Et le nom de l’homme Élimélek et le nom de sa femme Noémi et le nom de ses deux fils Mahlôn et Kilyôn Éphratéens de Bethléem de Juda et ils vinrent aux CHAMPS DE MOAB et ils furent là. 3 Et mourut Élimélek l’homme de Noémi et elle resta elle et ses deux fils. 4 Et ils prirent pour eux des femmes moabites ; le nom de la première Orpha et le nom de la deuxième Ruth et ils résidèrent là environ dix ans. 5 Et moururent aussi les deux Mahlôn et Kilyôn ; et elle, la femme, resta sans ses deux enfants et sans son homme. 6 Et se leva elle et ses belles-filles et ELLE RETOURNA des CHAMPS DE MOAB car elle avait entendu aux CHAMPS DE MOAB que Yhwh avait visité son peuple pour leur donner du PAIN. 7 Et elle sortit du lieu dans lequel elle était là-bas et ses deux belles-filles avec elle et elles s’en allèrent sur la route pour retourner vers le pays de Juda. 8

Et Noémi dit à ses deux belles-filles : « Allez, retournez chaque femme à la maison de sa mère ; que fasse YHWH avec vous fidélité, comme vous avez fait avec les morts et avec moi ; 9 que YHWH vous donne de trouver du repos chaque femme à la maison de son homme. » Et elle les embrassa et elles élevèrent leurs voix et elles pleurèrent 10 et elles lui dirent : « Non, avec toi nous retournerons vers ton peuple. » 11

Et Noémi dit : « Retournez, mes filles, pourquoi allez-vous avec moi ? Ai-je encore des fils dans mes entrailles et ils seraient pour vous des hommes ? 12 Retournez, mes filles, allez-vous-en car je suis trop vieille pour être à un homme, car si je disais il y a pour moi de l’espoir, même si j’étais cette nuit à un homme et même si j’enfantais des fils, 13 est-ce que pour eux vous patienteriez jusqu’à ce qu’ils aient grandi ? Est-ce que vous vous abstiendrez sans être à un homme ? Non, mes filles, car c’est très amer pour moi trop pour vous car la main de Yhwh est sortie contre moi. » 14 Et elles élevèrent leurs voix et elles pleurèrent encore ; et Orpha embrassa sa bellemère et Ruth s’attacha à elle. 15

Et elle dit : « Voici est retournée ta belle-soeur vers son peuple et vers son dieu ; retourne derrière ta belle-sœur. » 16 Et dit Ruth : « Ne me presse pas de T’ABANDONNER pour retourner de derrière toi, car vers où tu iras j’irai et où tu dormiras je dormirai ; ton peuple sera mon peuple et ton Dieu sera mon Dieu. 17 Là où tu mourras je mourrai et là je serai enterrée. Qu’ainsi me fasse YHWH et ainsi qu’il y ajoute, si la mort nous sépare moi et toi. » 18

Et elle vit qu’elle était obstinée pour aller avec elle et elle cessa de lui parler. 19 Et elles allèrent les deux jusqu’à arriver à Bethléem et ce fut à leur arrivée à Bethléem un tumulte de toute la ville à cause d’elles. Et elles dirent : « Est-ce là Noémi ? » 20 Et elle leur dit : « Ne m’appelez pas Noémi, appelezmoi Amère car Shaddaï a été très amer avec moi. 21 Moi, pleine je m’en suis allée et à vide YHWH m’a fait-retourner. Pourquoi m’appelez-vous Noémi alors que YHWH a témoigné contre moi et que Shaddaï m’a fait du mal ? » 22 Et Noémi retourna et Ruth la Moabite sa belle-fille avec elle qui RETOURNAIT des CHAMPS DE MOAB ; et elles, elles arrivèrent à Bethléem au début de la moisson des ORGES.

L’ensemble du livre

155

2,1 Noémi avait un parent de son mari, homme puissant en valeur, de la famille d’Élimélek, et son nom était Boaz. 2 Ruth la Moabite dit à Noémi : « Je voudrais aller au champ et glaner les épis derrière celui aux yeux duquel je trouverai-grâce. » Et elle lui dit : « Va, ma fille. » 3 Elle alla et vint et elle glana au champ derrière les moissonneurs. Et elle eut de la chance : la parcelle de champ était à Boaz qui était de la famille d’Élimélek. 4

Et voici que Boaz vint de Bethléem et dit aux moissonneurs : « YHWH soit avec vous ! » Et ils lui dirent : « Que YHWH te bénisse ! » 5 Boaz dit à son jeune-homme qui était préposé sur les moissonneurs : « À qui est cette jeune femme ? » 6 Le jeune-homme préposé sur les moissonneurs répondit et dit : « C’est une jeune-femme moabite qui EST RETOURNÉE avec Noémi des CHAMPS DE MOAB. 7 Elle a dit : “Je voudrais glaner et recueillir entre les gerbes derrière les moissonneurs.” Et elle est venue et elle est debout depuis le matin et jusqu’à maintenant ; elle se repose un peu dans la maison. » 8

Boaz dit à Ruth : « N’as-tu pas entendu, ma fille ? Ne va pas glaner dans un autre champ et aussi ne t’éloigne pas de celui-ci et ainsi attache-toi à mes jeunes-femmes ; 9 tes yeux soient sur le champ qu’ils moissonnent et tu iras derrière elles. N’ai-je pas ordonné aux jeunes-hommes de ne pas te molester ? Et si tu as soif, tu iras aux récipients et tu boiras de ce que puisent les jeunes-hommes. » 10 Et elle tomba sur la face et se prosterna à terre et lui dit : « Pourquoi ai-je trouvé grâce à tes yeux pour que tu me considères, moi qui suis une étrangère ? » 11 Boaz répondit et lui dit : « On a beaucoup raconté tout ce que tu as fait pour ta belle-

mère après la mort de ton mari ; TU AS ABANDONNÉ ton père et ta mère et le pays de ta naissance et tu es allée vers un peuple que tu ne connaissais ni d’hier ni d’avant-hier. 12

Que YHWH te paie ton action et que ta récompense soit entière de la part de YHWH, le Dieu d’Israël, sous ses ailes duquel tu es venue t’abriter. » 13 Et elle dit : « J’ai trouvé grâce à tes yeux, mon seigneur, car tu me consoles, car tu parles au cœur de ta domestique et moi je ne suis pas comme une de tes domestiques. » 14

Boaz lui dit au temps de manger : « Approche-toi ici et mange de ce PAIN et trempe ton morceau dans le vinaigre. » Et elle s’assit à côté des moissonneurs et il lui présenta du grain-rôti et elle mangea et se rassasia et elle en eut en surplus ; 15 et elle se leva pour glaner. Boaz ordonna à ses jeunes-hommes disant : « Elle glanera aussi entre les gerbes et vous ne la maltraiterez pas ; 16 et aussi des javelles vous tirerez pour elle des épis et vous les ABANDONNEREZ et elle glanera et vous ne la gronderez pas. » 17 Et elle glana dans le champ jusqu’au soir et elle battit ce qu’elle avait glané et il y eut environ un épha d’ORGE.

– Reviennent les noms propres d’« Élimélek » (1,2a.3a ; 2,1a.3b), de « Noémi » (1,2a.3a.8a.11a.19d.20a.21b.22a ; 2,1a.2a.6b), de « Bethléem » (1,1b.2b.19b bis. 22b ; 2,4a), de « Ruth » (1,4b.14b.16a.22a ; 2,2a.8a), « Yhwh » (1,8b.9a.17b.21b bis ; 2,4a.b.12a bis). « Moabite(s) » (1,4b.22a ; 2,2a.6b) ; – « retourner » « des Champs de Moab » (1,6a.22ab ; 2,6b) ; – « orges » en termes finaux (1,22b ; 2,17b) ; – « abandonner » (1,16a ; 2,11b.16a) ; – « pain » (1,6b ; 2,14a). Surtout, le récit fait à Boaz en 2,11 au centre de B1 renvoie à ce qui est arrivé dans la section A, en particulier à 1,16.

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ENTRE LA SÉQUENCE B3 ET LA SECTION C 3,1 Et Noémi sa belle-mère lui dit : « Ma fille, ne dois-je pas chercher pour toi un repos qui soit bon pour toi ? 2 Et maintenant Boaz n’est-il pas notre parent lequel tu as été avec ses jeunesfemmes ? Voici qu’il bat sur l’aire des orges cette nuit ? 3 Tu te laveras et te parfumeras et tu mettras ton manteau sur toi et tu descendras sur l’aire ; ne sois pas reconnue par l’homme avant qu’il ait achevé de manger et de boire. 4 Et quand il ira se coucher, tu connaitras l’endroit où il couchera là et tu viendras et tu découvriras ses pieds et tu te coucheras ; et lui te déclarera ce que tu devras faire. » 5 Et elle lui dit : « Tout ce que tu me dis, je le ferai. » 6

Et elle descendit à l’aire et fit tout comme ce qu’avait ordonné sa belle-mère. 7 Et Boaz mangea et but et son cœur fut bien et il vint se coucher à l’extrémité du tas ; et elle vint en secret et elle découvrit ses pieds et elle se coucha. 8 Et il arriva au milieu de la nuit que l’homme frissonna et se retourna et voici qu’une femme était couchée à ses pieds. 9 Et il dit : « Qui es-tu ? » Et elle dit : « Je suis Ruth, ta servante ; tu étendras ton aile sur ta servante, car tu es RACHETEUR. » 10

Et il dit : « Bénie sois-tu de YHWH, ma fille, tu as bien-fait ta fidélité dernière plus que la première de ne pas aller derrière les jeunes-gens, soit pauvre et soit riche. 11 Et maintenant, ma fille, ne crains pas, tout ce que tu dis, je le ferai pour toi car toute la porte de mon peuple connait que tu es une femme de valeur. 12 Et maintenant, oui, en vérité, mais oui, je suis RACHETEUR, mais il y a aussi un RACHETEUR plus proche que moi. 13 Repose-toi cette nuit. Et si au matin IL RACHÈTE, bien, IL RACHÈTERA ; et s’il ne désire pas te RACHETER, je te RACHÈTERAI, moi, par la vie de YHWH. Couche-toi jusqu’au matin. » 14 Et elle se coucha à ses pieds jusqu’au matin. 14b

Et elle se leva avant qu’un homme reconnaisse son prochain et il dit : « Ne soit pas connu que la femme est venue à l’aire. » 15 Et il dit : « Présente ton châle qui est sur toi et tiens-le. » Et elle le tint et il mesura six orges et il les chargea sur elle. Et il vint à la ville. 16

Et elle vint chez sa belle-mère et celle-ci dit : « Qui es-tu, ma fille ? » Et elle lui déclara tout ce que l’homme avait fait pour elle. 17 Et elle dit: « Ces six orges-là il m’a DONNÉS, car il m’a dit : “Ne va pas à vide chez ta belle-mère.” » 18 Et elle dit : « Demeure, ma fille, jusqu’à ce que tu saches comment tombera l’affaire, car l’homme ne se taira pas avant que s’achève l’affaire AUJOURD’HUI. »

– Les noms propres « Noémi » (3,1a ; 4,5a.9c.14a.16a.17b), « Boaz » (3,2a ; 4,1 bis.5a.9a.13a), « Ruth » (3,9a ; 4,5a.10a.13a), « Yhwh » (3,10a.13b ; 4,11b.12b. 13a.14a) ; – « Racheteur/racheter » revient sept fois en B3 (3,9b.12a.b.13a bis.13b bis) et quatorze fois dans la section C (4,1a.3a.4b ter.4c.d.6a bis.6b ter.7b.14a), sans compter les quatre occurrences du synonyme « acquérir » (4,5a.b.9b.10a) ; – « au jour/aujourd’hui » (3,18b ; 4,5a.9a.10c.14b) ; – « donner » (3,17a ; 4,7c.11b.12b.13a). Ce que Boaz avait promis à Ruth au centre de B3 (3,12-13), il le fait ponctuellement le lendemain (4,1-10).

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4,1 Boaz monta à la porte et il s’assit là ; et voici que passe le RACHETEUR dont avait parlé Boaz et il dit : « Avance, assieds-toi ici, Untel. » Il s’avança et s’assit. 2 Et il prit dix hommes parmi les anciens de la ville et dit : « Asseyez-vous ici. » Et ils s’assirent. 3 Il dit au RACHETEUR : « La pièce de champ qui est à notre frère Élimélek, Noémi la vend, elle qui est retournée des champs de Moab. 4 Et moi j’ai dit, je t’informerai en disant : “ACQUIERS devant ceux qui sont assis et devant les anciens de mon peuple”. Si tu veux RACHETER, RACHÈTE mais si TU NE RACHÈTES PAS, disle moi que je le sache, car il n’y a pas sinon toi pour RACHETER et moi je viens après toi. » Et il dit : « Moi JE RACHÈTE. » 5

Boaz dit : « LE JOUR où TU ACQUERRAS le champ de la main de Noémi et de Ruth la Moabite, TU ACQUERRAS la femme du mort pour susciter le nom du mort sur son héritage. » 6 Le RACHETEUR dit : « JE NE PEUX PAS RACHETER pour moi de peur de détruire mon héritage ; toi, RACHÈTE pour toi mon RACHAT car JE NE PEUX PAS RACHETER. » 7 C’était autrefois la coutume en Israël pour LE RACHAT et pour l’échange que, pour confirmer toute chose, un homme retire sa sandale et la DONNE à son prochain et c’était le témoignage en Israël. 8 Le racheteur dit à Boaz : « Acquiers pour toi. » Et il retira sa sandale. 9

Boaz dit aux anciens et à tout le peuple : « Vous êtes témoins AUJOURD’HUI, que tout ce qui était à Élîmelek et tout ce qui était à Kilyôn et Mahlôn de la main de Noémi ; 10 et aussi Ruth la Moabite, la femme de Mahlôn, JE L’ACQUIERS pour moi comme femme, pour susciter le nom du mort sur son héritage et le nom du mort ne sera pas retranché d’avec ses frères et de la porte de son lieu. Vous êtes témoins AUJOURD’HUI. J’ACQUIERS

11

Tout le peuple qui était à la porte et les anciens dirent : « Nous sommes témoins ! Que YHWH DONNE à la femme qui vient dans ta maison d’être comme Rachel et comme Léa qui, à elles deux, bâtirent la maison d’Israël. Et fais une valeur en Ephrata et appelle un nom à Bethléem. 12 Que soit ta maison comme la maison de Péretz que Tamar enfanta à Juda, que YHWH te DONNE une descendance de cette jeune-femme. » 13

Et Boaz prit Ruth et elle fut sa femme, il vint vers elle et YHWH lui DONNA une grossesse et elle enfanta un fils. 14 Les femmes dirent à Noémi : « Béni YHWH qui ne t’a pas fait manquer d’un RACHETEUR 15 AUJOURD’HUI et sera appelé son nom en Israël ; et il fera retourner ta vie et soutiendra ta vieillesse, car ta belle-fille qui t’aime l’a enfanté, elle qui pour toi est meilleure que sept fils. » 16 Noémi prit l’enfant et le mit sur sa poitrine et elle fut pour lui sa gardienne. 17 Les voisines l’appelèrent d’un nom disant : « A été enfanté un fils à Noémi. » Et elles appelèrent son nom Obed, qui fut le père de Jessé, qui fut le père de David. 18

Tels furent les engendrements de Péretz : Péretz engendra Hesrôn, 19 Hesrôn engendra Ram, Ram engendra Aminadab, 20 Aminadab engendra Nahsôn, Nahsôn engendra Salma, 21 Salmôn engendra Boaz, Boaz engendra Obed, 22 Obed engendra Jessé et Jessé engendra David.

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3. LA FONCTION DE LA SÉQUENCE CENTRALE B2 A 1,6 : YHWH avait visité son peuple pour leur DONNER du pain. 1,8.9 : que fasse YHWH avec vous FIDÉLITÉ, comme vous avez fait avec LES MORTS et avec moi ; 9 que YHWH vous DONNE de trouver du repos chaque femme à la maison de son homme. » 1,16.17 : Ton peuple sera mon peuple et TON DIEU sera MON DIEU. Qu’ainsi me fasse YHWH et ainsi qu’il y ajoute, si la mort nous sépare moi et toi. » 1,20-21 : « Ne m’appelez pas Noémi, appelez-moi Amère car SHADDAÏ a été très amer avec moi. 21 Moi, pleine je m’en suis allée et à vide YHWH m’a fait-retourner. Pourquoi m’appelez-vous Noémi, alors que YHWH a témoigné contre moi et que SHADDAÏ m’a fait du mal ? »

B1 2,4 : dit aux moissonneurs : « YHWH soit avec vous ! » Et ils lui dirent : « Que YHWH te BÉNISSE ! » 2,12 : Que YHWH te paie ton action et que ta récompense soit entière de la part de YHWH, le DIEU d’Israël, sous ses ailes duquel tu es venue t’abriter. » B2 2,19 : BÉNI celui qui t’a considérée ! » 20 Et Noémi dit à sa belle-fille : YHWH « BÉNI lui de qui n’a pas abandonné sa FIDÉLITÉ pour les vivants et pour LES MORTS. » Et Noémi lui dit : « Proche de nous l’homme, c’est un de nos RACHETEURS. » B3 3,10 : « BÉNIE toi de YHWH, ma fille, tu as bien-fait ta FIDÉLITÉ dernière plus que la première de ne pas aller derrière les jeunes-gens, soit pauvre et soit riche. 3,13 : je te RACHÈTERAI, moi, par la vie de YHWH.

C 4,11 : Que YHWH DONNE à la femme qui vient dans ta maison d’être comme Rachel et comme Léa qui à elles deux bâtirent la maison d’Israël. 12 Que soit ta maison comme la maison de Péretz que Tamar enfanta à Juda, que YHWH te DONNE une descendance de cette jeune-femme. » 4,13 : et YHWH lui DONNA une grossesse et elle enfanta un fils. 4,14 : « BÉNI YHWH qui ne t’a pas fait manquer d’un RACHETEUR aujourd’hui et sera appelé son nom en Israël. »

La double déclaration de Noémi (2,20) se trouve non seulement au centre du passage (voir p. 74), mais aussi de tout le livre. Elle en constitue le tournant2. – Le terme « racheteur » apparait pour la première fois et il reviendra en force par la suite. C’est le moment où Noémi réalise qu’un goël semble prêt à se lever pour susciter le nom des morts.

2 C’est la première des sept lois de Lund : « Le centre est toujours le tournant (the turning point » (N.W. LUND, Chiasmus in the New Testament, 40).

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– La « fidélité » de Yhwh « pour les vivants et pour les morts » répond à celle que Noémi reconnait à ses belles-filles dans la première section : « que fasse Yhwh avec vous fidélité, comme vous avez fait avec les morts et avec moi » (1,8). Dans la séquence B3, ce sera Boaz qui louera la fidélité de Ruth qui surpasse la première : « Bénie sois-tu de Yhwh, ma fille, tu as bien-fait ta fidélité dernière plus que la première de ne pas aller derrière les jeunes-gens, soit pauvre et soit riche » (3,10). Ainsi la « fidélité » ne se trouve que dans les deux premières sections. – Les bénédictions ne se trouvent que dans les deux dernières sections. Celle de Boaz (2,20), préparée par celle du verset précédent (« Que soit béni celui qui t’a considérée ! »), rappelle celle que les moissonneurs de Boaz lui ont adressée dans la séquence précédente : « Que Yhwh te bénisse ! » (2,4), mais annonce surtout les suivantes, celle que Boaz adresse à Ruth : « Bénie sois-tu de Yhwh, ma fille, tu as bien-fait ta fidélité dernière plus que la première » (3,10), et dans la dernière section, celle que les femmes de Bethléem adressent à Yhwh : « Béni Yhwh qui ne t’a pas fait manquer d’un racheteur aujourd’hui et sera appelé son nom en Israël » (4,14). De même que la bénédiction prononcée par Noémi au centre du livre unit la fidélité de Yhwh à celle de l’homme (voir p. 73), ainsi la dernière bénédiction unit le nom de Yhwh à celui du racheteur ; leurs deux noms seront appelés ensemble sur Israël (voir p. 131). Aux quatre actions négatives que Noémi attribue à Yhwh/Shaddaï à la fin de la première section (1,20-21) répondent les quatre actions positives de Yhwh à la fin de la dernière section (4,11-14). Aux trois occurrences de « donner » (4,11.12.13) s’ajoute la négation de son contraire dans la bénédiction finale : « Béni Yhwh qui ne t’a pas fait manquer d’un racheteur » (14). À cette dernière bénédiction correspond la bénédiction centrale, elle aussi avec la négation du contraire de la « fidélité » : « Béni lui de Yhwh qui n’a pas abandonné sa fidélité » (2,20). Par ailleurs, le centre (2,20) est lié non seulement à la fin (4,11-14), mais aussi au début où se retrouve deux fois le don de Dieu (1,6-9). On peut dire que les premières paroles de Noémi au centre renvoient à ce qui précède et que les suivantes préparent ce qui suit. Le tableau ci-dessus a aussi voulu réunir toutes les occurrences des noms divins : « Yhwh » (17 fois), « Shaddaï » (2 fois), « Dieu » (3 fois comme nom du Dieu d’Israël), ce qui fait un total de 22, le nombre des lettres de l’alphabet, un nombre de totalité traditionnel, celui qu’utilisent les poèmes acrostiches alphabétiques. À titre de comparaison, les noms propres les plus cités sont : – Ruth : 12 fois – Boaz : 20 – Noémi : 21.

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B. INTERPRÉTATION DEUX FEMMES AU CŒUR DU RÉCIT ET D’AUTRES Le livre porte le nom de Ruth, mais Ruth est inséparable de Noémi, sa bellemère. Elle s’est attachée à elle à la vie à la mort : « là où tu iras, j’irai ; là où tu mourras, je mourrai » (1,16-17). Elles se trouvent réunies au moment crucial, au centre du livre, dans la maison où elles habitent ensemble. Elles sont seules, en un lieu clos, mais elles évoquent bien d’autres personnages qui sont donc présents eux aussi. C’est d’abord celui qui a « considéré » Ruth en lui permettant de glaner de manière si abondante et qui lui a même donné tellement de nourriture qu’elle a pu en rapporter à sa belle-mère. Noémi ne sait pas de qui il s’agit, mais constate sa générosité étonnante. Elle s’empresse alors de questionner sa belle-fille ; « ...c’est Boaz ! » « C’est un de nos racheteurs ! » Voilà donc une possible ouverture sur un futur d’espérance. Cependant, avant même de parler de Boaz le racheteur, Noémi se tourne vers « Yhwh » pour le bénir. Elle reconnait ainsi que la rencontre entre Ruth et Boaz n’était pas le fruit du hasard (2,3), mais était due à celui qui veille « sur les vivants et sur les morts ». Et voici évoqués ceux qui ne sont plus, mais dont la pensée n’a cessé d’accompagner, depuis les Champs de Moab, les deux femmes durant cette nuit où elles se sont retrouvées, après une longue journée de glanage au champ de Boaz et avant une autre nuit sur son aire. Ces deux femmes, bien qu’elles ne soient pas de la même génération, ont en commun d’être veuves, et veuves sans enfant. Avant la présente nuit, les morts, Élimélek, le mari de Noémi, et leurs deux fils, Kilyôn et Mahlôn ; après cette nuit, la lueur d’un espoir vers lequel elles sont tendues, la naissance d’un enfant pour elles et pour leurs morts. Deux femmes unies maintenant à la mort à la vie. LA DISCRÉTION DE NOÉMI Quand Noémi apprend que c’est Boaz qui a « considéré » sa belle-fille de si belle façon, elle comprend qu’une porte pourrait s’ouvrir pour que le nom des morts soit relevé. Étant donné son âge, elle dont les deux garçons sont morts après dix ans de mariage, il semble tout à fait improbable qu’elle puisse espérer être épousée par un goël. Pensant à Ruth, elle utilise pourtant le pluriel : « L’homme est proche de nous ; c’est un de nos racheteurs. » On peut voir là une marque de retenue, de discrétion. Et quand sa belle-fille ajoute que Boaz l’a invitée à s’attacher à ses jeunes-gens, elle la corrige avec délicatesse : ce sera bien qu’elle sorte avec les jeunes femmes... Telle est la conduite habituelle de Noémi. Quittant les Champs de Moab, elle avait tenu à laisser ses belles-filles libres de la suivre ou de la quitter. Quand Orpha est partie, elle insiste pour que Ruth en fasse autant. Elle met à l’épreuve son désir, mais une fois celui-ci affirmé, elle s’incline. Durant toute la longue période des moissons de l’orge puis du blé, elle restera discrète, attendant patiemment que la chose murisse. Et

L’ensemble du livre

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c’est seulement au dernier moment, celui du vannage de l’orge, qu’elle interviendra pour débloquer la situation, pour que Ruth manifeste son désir auprès de son racheteur. LA DISCRÉTION DE RUTH Quand sa belle-mère informe Ruth que Boaz est « un de leurs racheteurs », celle-ci répond d’une manière qui ne laisse pas de surprendre : Boaz lui aurait dit de s’attacher à ses jeunes hommes durant tout le temps de la moisson. Le lecteur n’en avait pas entendu parler jusqu’ici et il peut se demander si Ruth n’a pas fait un lapsus... Préfèrerait-elle trouver un mari parmi ces jeunes-là, plutôt que d’épouser quelqu’un qui pourrait être son père ? C’est évidemment possible, mais il n’est pas interdit de penser qu’elle veuille se tenir en retrait, cédant la place à sa belle-mère qui a la précédence sur elle. Et pourtant, Ruth est une femme d’initiative qui sait ce qu’elle veut. Elle l’a montré en suivant Noémi, en proposant d’aller glaner, en demandant de le faire entre les gerbes. Mais quand Boaz lui témoigne son intérêt, elle ne manque pas de souligner qu’elle n’est qu’une étrangère, moins qu’une de ses domestiques. Comme elle s’était montrée obéissante en allant glaner avec les jeunes femmes, elle fera tout ce que lui dira sa belle-mère et se rendra discrètement sur l’aire Boaz pour s’étendre à ses pieds et lui demander de la couvrir de son aile. LA DISCRÉTION DE BOAZ Boaz n’est pas en reste sur les deux femmes en ce qui concerne la discrétion. Certes, il n’a pas ménagé ni ses compliments ni ses faveurs pour la Moabite qui était retournée des Champs de Moab avec sa belle-mère, sa parente. Si Ruth ignorait qu’il fut un de ses goëls, lui, le savait fort bien. Et l’intérêt qu’il lui avait manifesté dès leur première rencontre laissait entendre, au moins pour le lecteur, qu’il pouvait avoir des vues sur cette jeune femme de valeur. Et pourtant, tout au long des cinquante jours de la moisson, il reste sur la réserve et ne se déclare pas. Comme Noémi l’avait fait avec Ruth sur le chemin du retour à Bethléem, il met à l’épreuve leur désir. Il patientera jusqu’à la dernière nuit. Mais une fois fixé, il n’hésite pas à s’engager. Le lendemain, il prend l’initiative de convoquer Untel, mais, encore une fois, il commence par se tenir discrètement à sa place, derrière lui ; puis il mettra à l’épreuve son désir qui n’allait pas plus loin que la parcelle du champ d’Élimélek. Alors, il peut s’engager, solennellement, devant tout le peuple. LA DISCRÉTION DE DIEU Le livre est le livre de Ruth. Curieusement, de tous les personnages principaux, c’est le nom de Ruth qui est le moins cité, et de loin : douze fois seulement, alors que celui de Boaz l’est vingt fois, juste avant Noémi vingt et une fois. Eh bien, le personnage qui l’emporte sur tous les autres est celui qui ne

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se voit pas, dont on parle mais qui n’intervient pas, ou si peu : Dieu lui-même. Son nom, trois de ses noms, « Yhwh », « Shaddaï » et « Élohim », reviennent vingt-deux fois. Discrétion quand même, puisqu’il n’est cité qu’une fois de plus que Noémi, deux fois de plus que Boaz. La première fois qu’il est nommé, c’est presque au début, mais de manière très indirecte : Noémi « avait entendu, aux Champs de Moab, que Yhwh avait visité son peuple pour leur donner du pain ». On ne sait pas qui l’a dit, on peut même se demander si c’est vrai. En tout cas, Noémi y croit qui se met aussitôt en chemin pour retourner au pays de Juda. Ensuite, il est invoqué, par Noémi, qui appelle sa protection sur ses belles-filles qu’elle renvoie chez elles, par Ruth ensuite, qui dit son adhésion au Dieu d’Israël et le prend à témoin de sa détermination à s’attacher à lui comme à sa bellemère. Quand Noémi l’accuse d’être sorti contre elle (1,13), d’avoir été amer avec elle, de l’avoir fait retourner à vide, de lui avoir fait du mal (20-21), Dieu ne réagit pas, il se tient en retrait, discrètement, il patiente. Boaz et ses moissonneurs se saluent en son nom (2,4), le maitre de la moisson appelle la récompense du Dieu d’Israël sur la Moabite (12). Quand, au centre du livre, Noémi bénit Boaz au nom de Yhwh, on ne sait pas qui elle loue au juste, de Dieu ou de Boaz, pour n’avoir pas abandonné sa fidélité (20), comme si Dieu s’effaçait devant l’homme. Sur l’aire, quand Boaz aura entendu la requête de Ruth découverte à ses pieds au milieu de la nuit, au nom de Yhwh il la bénit pour la nouvelle manifestation de sa fidélité (3,10). Puis il scelle sa promesse de la racheter « par la vie de Yhwh » (13). Au dernier acte, quand Boaz s’est engagé devant témoins à prendre Ruth pour femme, tous de souhaiter aux nouveaux époux une fécondité de Yhwh (4,11-12). Et c’est alors seulement que, selon le narrateur, Yhwh intervient pour « donner une grossesse » à Ruth, passant sous silence l’action de son homme. Il était intervenu tout au début pour donner du pain à son peuple, maintenant il intervient une deuxième fois pour donner un fils, et à travers lui, un roi à son peuple. Et l’on comprend que, pour la première fois, ce soit Yhwh qui soit béni par les femmes de Bethléem : « Béni Yhwh qui ne t’a pas fait manquer d’un goël aujourd’hui » (14). Et elles ajoutent : « et sera appelé son nom en Israël ». Le nom du racheteur et celui de Yhwh, indissociablement. Dieu ne se cache pas, certes, mais il se laisse trouver, il laisse transparaitre son visage à travers celui de ceux qui le représentent.

Conclusion Contrairement à l’opinion la plus largement répandue, le livre de Ruth n’est pas de composition spéculaire, le dernier chapitre répondant au premier, et le troisième au second. Comme tant d’autres textes du Premier Testament et du Nouveau, ce livre est construit de manière concentrique. Les limites entre les quatre chapitres ne coïncident pas toutes avec les grandes unités littéraires du livre. Il est vrai que les chapitres extrêmes (1 et 4), qui sont de longueur analogue et de composition très semblable, se correspondent. Toutefois, il n’en va pas de même pour les deux autres chapitres qui forment la section centrale du livre, ou section B : le chapitre 2 est beaucoup plus long (2 720 signes) que le chapitre 3 (1 755 signes)1. La fin du deuxième chapitre (2,18-22) constitue une séquence (B2) encadrée par deux autres séquences de longueur et de composition semblables qui sont strictement parallèles entre elles, B1 (2,1-17) et B3 (3,1-18). La séquence B2 est donc le cœur du livre, le point où le récit bascule quand Noémi découvre que l’homme dans le champ duquel Ruth est allée glaner et où elle a été très bien accueillie est un de leurs goëls, un de ceux qui ont droit de rachat sur elles. On ne s’étonnera pas que le livre de Ruth soit de composition concentrique. Tant d’autres livres le sont eux aussi. Pour ne mentionner que ceux qui ont été étudiés selon les procédures de l’analyse rhétorique biblique et sémitique : l’épitre aux Hébreux, l’évangile de Luc, Amos, la lettre de Jacques, la lettre aux Galates, la première lettre de Jean, l’évangile de Marc, le Psautier, le Cantique des cantiques, Qohélet, les Lamentations. S’il est vrai que le centre d’une composition concentrique en représente la clé de lecture, comme on a pu le constater si souvent dans d’autres textes, on comprendra facilement qu’il était nécessaire de le découvrir et de l’établir de la façon la plus rigoureuse possible. La troisième des cinq « règles herméneutiques » que j’ai proposées2 — c’est-à-dire la règle centrale ! — consiste à « partir du centre », pour voir comment celui-ci articule les autres parties du texte, à la manière dont la branche centrale de la ménorah, le chandelier à sept branches, assure l’articulation et la cohérence des six autres branches. Une telle règle herméneutique n’est pas incompatible avec le « bond interprétatif » dont parlent certains artisans du texte, ce que Léo Spitzer appelle le « déclic3 », « pour dire qu’il y a, sinon un véritable abime à franchir entre l’ensemble des diverses techniques ou des opérations exégétiques et l’acte

1

Voir p. 137. Traité 2007.2013, 551-590 ; Traité 2021, 477-516. 3 L. SPITZER, Études de style, 67. 2

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interprétatif, du moins un saut à opérer »4. Pour ma part, j’ai préféré parler du « don de l’interprétation » : « La Bible nous révèle que c’est Dieu qui donne l’interprétation, et l’expérience le confirme »5. Arrivé au terme de l’analyse, j’ai d’abord écrit un premier paragraphe d’interprétation de l’ensemble du livre. Puis s’est produit le « déclic », tout à fait inattendu. S’est imposé à moi tout d’un coup, à partir de la séquence centrale, le fait qu’une même attitude marquait la conduite des quatre principaux personnages du récit, Noémi et Ruth, Boaz et enfin Dieu lui-même. Cette attitude fondamentale est celle de la discrétion, du retrait, du respect de l’autre qui lui accorde l’espace et le temps de manifester son désir profond, avant d’y répondre avec détermination et générosité. Tsimtsoum, mot hébreu, du verbe letsamtsem qui signifie « contracter », « concentrer ». [...] Le tsimtsoum [...] désigne pour nous le modèle de l’être en mouvement, sortant du principe d’identité pour laisser place à l’altérité d’autrui et l’altérité de soi. [...] Une image : Dieu se retire de lui-même, en lui-même, pour laisser place à l’Autre, à la création et à la créature. Capacité matricielle de Dieu ou Rahmanout, de Rehem en hébreu, « matrice » — dont les lettres écrivent aussi le mot Mahar qui veut dire « demain »6.

4

Traité 2007.2013, 551 ; Traité 2021, 477. Voir le chapitre intitulé « Le don de l’interprétation » dans Traité 2007.2013, 623-625 ; Traité 2021, 545-557. 6 M.-A. OUAKNIN, Tsimtsoum, 15. 5

Bibliographie des ouvrages mentionnés

BAR-EFRAT, S., « Some observations on the Analysis of Structure in Biblical Narrative », VT 30 (1980) 154-173. ———, Narrative Art in the Bible, JSOT.S 70, Sheffield 1989. BERTMAN, S., « Symmetrical Design in the Book of Ruth », JBL 86 (1965) 165168. BLOCK, D.I., Judges-Ruth, The New American Commentary, Nashville (TN) 1999. BOVATI, P. – MEYNET, R., Le Livre du prophète Amos, RhBib 2, Paris 1994. BUSH, F., Ruth, Esther, WBC 9, Dallas (TX) 1995. CAMPBELL, E.F., Ruth: a New Translation with Introduction and Commentary, AB 7, Garden City (NY) 1975. CHISHOLM, R.B., A Commentary on Judges and Ruth, Kregel Exegetical Library, Grand Rapids (MI) 2013. DE MOOR, J.C., « The Poetry in the Book of Ruth (I) », Or 55 (1984) 262-283. ———, « The Poetry in the Book of Ruth (II) », Or 55 (1986) 16-46. FREVEL, C., Das Buch Rut, Neuer Stuttgarter Kommentar. Altes Testament 6, Stuttgart 1992. GOW, M.D., The Book of Ruth: its Structure, Theme and Purpose, Leicester 1992. GRAY, J., Joshua, Judges, Ruth, London 1967 ; NCBC, Grand Rapids (MI) 1986. GROSSMANN, J., Ruth: Bridges and Boundaries, Das Alte Testament im Dialog : An Outline of an Old Testament Dialogue 9, Bern 2015. GUNKEL, H., « Ruth », in ID., Reden und Aufsätze, Göttingen 1913. HOLMSTEDT, R.D., Ruth. A Handbook of the Hebrew Text, Baylor Handbook on the Hebrew Bible, Waco (TX) 2010. HONGISTO, « Literary Structure and Theology in the Book of Ruth », AUSS 23 (1985) 19-28. HUBBARD, R.L., The Book of Ruth, NICOT, Grand Rapids (MI) 1988. JOÜON, P., Grammaire de l’hébreu biblique, Rome 1923. ———, Ruth. Commentaire philologique et exégétique, Subsidia biblica 9, Roma 21993.

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Ruth

KÖHLMOOS, M., Ruth, ATD 9,3, Göttingen 2010. KORPEL, M.C.A., The Structure of the Book of Ruth, Pericope 2, Assen 2001. KOT, J., La Lettre de Jacques. La foi, chemin de la vie, RhSem 2, Paris 2006. KRISEL, W., « The Place of Ruth in the Hebrew Canon : A New Hypothesis », EstBib 79 (2021) 63-76. LACOCQUE, A., Le livre de Ruth, CAT, Genève 2004 ; Ruth : A Continental Commentary Minneapolis (MN) 2004. LARKIN, K.J.A., Ruth and Esther, OTG, Sheffield 1996. LINAFELT, T., Ruth, Berit Olam: Studies in Hebrew Narrative and Poetry, Collegeville (MN) 1999. LUND, N.W., Chiasmus in the New Testament. A Study in Formgeschichte, Chapel Hill 1942 ; reprint, Chiasmus in the New Testament. A Study in the Form and Function of Chiastic Structures, Peabody (MA) 1992. LUTER, A.B. – RIGSBY, R.O., « An Adjusted Symmetrical Structuring Of Ruth », JETS 39 (1996) 15-31. MESCHONNIC, H., Les Cinq Rouleaux : Le Chant des Chants, Ruth, Comme ou les Lamentations, Paroles du Sage, Esther, Paris 1986. MEYNET, R., L’Évangile de Luc, RhSem 8, Pendé 32011. ———, L’Évangile de Marc, RhSem 16, Pendé 2014. ———, Le Psautier. Cinquième livre (Ps 107–150), RBSem 16, Leuven 2017. ———, Le Psautier. Troisième livre (Ps 73–89), RBSem 19, Leuven 2019. ———, Le Psautier. Deuxième livre (Ps 42/43–72), RBSem 20, Leuven 2019. ———, Le Psautier. Quatrième livre (Ps 90–106), RBSem 23, Leuven 2020. ———, Le Psautier. L’ensemble du Livre des Louanges, RBSem 24, Leuven 2020. ———, Le Cantique des cantiques, RBSem 25, Leuven 2020. ———, La Lettre aux Galates. Deuxième édition revue, RBSem 26, Leuven 2020. ———, Comment ? Les Lamentations de Jérémie, RBSem 34, Leuven 2021. ———, Qohélet, RBSem 31, Leuven 2021. ———, Traité de rhétorique biblique, Paris 2007 ; Pendé 2013 ; troisième édition revue et amplifiée, RBSem 28, Peeters, Leuven 2021. MEYNET, R. : voir BOVATI, P. MYERS, J.M., The Linguistic and Literary Forms of the Book of Ruth, Leiden 1955. NICCACCI, A. – PAZZINI, M., ed., Il rotolo di Rut : analisi del testo ebraico, Studium biblicum franciscanum. Analecta 51, Milano 2008.

Bibliographie

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Ruth

ZAKOVITCH, Y., Das Buch Ruth : Ein jüdischer Kommentar, SBS 177, Stuttgart 1999. ZENGER, E., Das Buch Ruth, ZBK.AT 8, Zürich 21992.

INDEX DES AUTEURS CITÉS Bar-Efrat : 8 Bertman : 8 Block : 8, 11, 54, 58, 73, 134 Bush : 8, 11, 73 de Moor : 8 Frevel : 8 Gow : 8 Grossman : 8, 11, 54, 73, 80, 134 Gunkel : 9, 11 Holmstedt : 55 Hongisto : 8, 10 Hubbard : 8, 11, 55 Joüon : 11, 13, 30, 32, 54, 58, 62, 80, 123, 169 Korpel : 8, 11 Krisel : 7 Lacocque : 9, 11 Larkin : 10 Linafelt : 8 Lund : 158, 169 Luter : 9 Meschonnic : 54

Meynet : 13, 17 Myers : 8 Nielsen : 8, 10, 11, 14, 134 Osty : 13, 73, 117, 131 Ouaknin : 164 Porten : 8 Rendtorff : 9 Rigsby : 9 Sacon : 8 Sakenfeld : 8, 10, 11 Sasson : 8, 11 Smelik : 8 Sonnet : 7, 8, 11, 14, 134 Spitzer : 163 Trible : 8 Vílchez Líndez : 9, 10, 11 Wendland : 8 Wénin : 8, 9, 11, 178 Witzenrath : 8 Wünch : 8 Zakovitch : 8 Zenger : 8

INDEX DES RÉFÉRENCES BIBLIQUES

Gn 6,1 : 23 Gn 6,22 : 84 Gn 7,5 : 84 Gn 11,30 : 28 Gn 14,1 : 23 Gn 16,5 : 131 Gn 17,1-2 : 40 Gn 17,4-6 : 28 Gn 18,5 : 65 Gn 19,31-37 : 27 Gn 19,37 : 81 Gn 21,28-30 : 95 Gn 24,27 : 76 Gn 24,48-49 : 76 Gn 25,21 : 28 Gn 28,3 : 40 Gn 29,31 : 28 Gn 30,2.9.17 : 28 Gn 34,11 : 40 Gn 35,19-20 : 127 Gn 35,19 : 126 Gn 38 : 82 Gn 38,2 : 135 Gn 38,8-10 : 121 Gn 48,3-4 : 40 Gn 48,7 : 126 Gn 49,25 : 40

Lv 23,15-20 : 7 Lv 23,5-14 : 76 Lv 23,22 : 53 Lv 25,14-15 : 119 Lv 25,25-28 : 75 Lv 25,25 : 117 Lv 25,47-55 : 75 Lv 26 : 27 Nb 23,1-4.14.29-30 : 96 Nb 35,9-29 : 75 Nb 35,30 : 117 Dt 1,5 : 23 Dt 7,1-4 : 28 Dt 17,6 : 117 Dt 19,15 : 117 Dt 23,4-7 : 28 Dt 25,5-10 : 34 Dt 25,5-6 : 121 Dt 25,9-10 : 122 Dt 28,1-5.15-18 : 27 Dt 28,69 : 23 Jos 1,1 : 23 Jos 2 : 135 Jos 6 : 135 Jos 20 : 75

Ex 4,25 : 80 Ex 6,3 : 40 Ex 12,16 : 84 Ex 12,40 : 29 Ex 16 : 52 Ex 20,8-11 : 96 Ex 20,17 : 84

Jg 1,1 : 23 Jg 16,29 : 84 Jg 17,8 : 7, 135 Jg 18,1 : 7, 135 Jg 19,1 : 7, 135 Jg 21,25 : 7, 135

Lv 19,9-10 : 53 Lv 23,15-21 : 76

1S 2,5 : 133 1S 3,17 : 37

172

Ruth

1S 9,15 : 115 1S 14,39.45 : 88 1S 15,27 : 85 1S 16,6-13 : 127 1S 21,3 : 115

Ps 66,12 : 76 Ps 115,16 : 111

2S 1,1 : 23 1R 21,3 : 117

Is 7,20 : 80 Is 49,7 : 121 Is 54,1-5 : 121

2R 4,35 : 96 2R 5,10.14 : 96 2R 6,8 : 115

Jr 24,7 : 37 Jr 30,22 : 37 Jr 31,23 : 37

1Ch 2,4-15 : 82

Ez 16,8 : 85 Ez 36,28 : 37

Pr 6,16-19 : 96 Pr 31,10-31 : 7

Esd 9–10 : 7 Ne 10,31 : 7 Ne 13,23-27 : 7

Dn 8,13 : 115 Dn 10,6 : 80 Mi 5,1 : 126

Jb 1,2 : 133 Jb 1,18-19 : 40 Jb 1,20 : 43 Jb 6,18 : 84 Jb 36,10.15 : 115 Jb 42,13 : 133

Mt 1,2-6 : 135

TABLE DES MATIÈRES Introduction ................................................................................................. Sigles et abréviations ................................................................................... Lexique des termes techniques ....................................................................

7 13 15

PERSPECTIVE CAVALIÈRE DE L’ENSEMBLE DU LIVRE DE RUTH

19

NOÉMI ET RUTH REVIENNENT DE LA MORT EN MOAB La section A : Rt 1,1-22

21

1. Noémi quitte les Champs de Moab avec ses deux belles-filles La première sous-séquence : 1,1-7 ............................................................

23

2. La discussion entre Noémi et ses belles-filles La deuxième sous-séquence : 1,8-17 ........................................................

29

A. Les deux belles-filles refusent de se séparer de Noémi Le premier passage : 1,8-10 .............................................................. B. Noémi insiste pour que ses belles-filles retournent chez elles Le deuxième passage : 1,11-14 ......................................................... C. Ruth décide de s’attacher au peuple et au Dieu de Noémi Le troisième passage : 1,15-17 .......................................................... D. La discussion entre Noémi et ses deux belles-filles L’ensemble de la deuxième sous-séquence : 1,8-17 ..........................

30 32 35 38

3. Noémi arrive à Bethléem avec sa belle-fille Ruth La troisième sous-séquence : 1,18-22 ......................................................

40

4. NOÉMI ET RUTH REVIENNENT DE LA MORT EN MOAB L’ensemble de la section A : 1,1-22 .........................................................

44

RUTH ET BOAZ SE RENCONTRENT La section B : Rt 2,1–3,18 ......................................

49

I. DE JOUR, RUTH RENCONTRE BOAZ DANS SON CHAMP Séquence B1 : 2,1-17 ................................................................................

51

174

Ruth

A. Boaz fait la connaissance de Ruth La première sous-séquence : 2,1-3 ........................................................ 1. Ruth va glaner dans le champ de Boaz : 2,1-3 ................................. 2. Boaz se renseigne sur l’identité de Ruth : 2,4-7 ............................... 3. Boaz fait la connaissance de Ruth : 2,1-7 .........................................

51 51 54 57

B. Le dialogue entre Boaz et Ruth La sous-séquence centrale : 2,8-13 ........................................................

58

C. Boaz prend grand soin de Ruth La dernière sous-séquence : 2,14-17 ...................................................... 1. Boaz s’occupe du repas de Ruth : 2,14-15a ..................................... 2. Boaz facilite le travail de Ruth : 2,15b-17 ....................................... 3. Boaz prend grand soin de Ruth : 2,14-17 ........................................

62 62 64 66

D. De jour, Ruth rencontre Boaz dans son champ L’ensemble de la séquence B1 ..............................................................

68

II. NOÉMI CONSEILLE RUTH Séquence B2 : 2,18-23 .............................................................................

73

III. DE NUIT, RUTH REJOINT BOAZ SUR SON AIRE Séquence B3 : 3,1-18 ...............................................................................

79

A. La requête adressée à Boaz par les deux veuves La première sous-séquence : 3,1-9 ......................................................... 1. Ruth est envoyée par sa belle-mère à la rencontre de Boaz : 3,1-5 .. 2. Ruth demande à Boaz de la prendre sous son aile : 3,6-9 ................ 3. La requête adressée à Boaz par les deux veuves : 3,1-9 ..................

79 79 84 87

B. Boaz accepte la requête de Ruth sous condition : 3,10-14a ................

88

C. Le cadeau présenté par Boaz aux deux veuves La dernière sous-séquence : 3,14b-18 .................................................... 1. Ruth est renvoyée par Boaz avec un don de six orges : 3,14b-15 .... 2. Ruth transmet à Noémi le cadeau des six orges : 3,16-18 ............... 3. Le cadeau présenté par Boaz aux deux veuves : 3,14b-18 ..............

91 91 93 95

D. De nuit, Ruth rejoint Boaz sur son aire L’ensemble de la séquence B3 ................................................................

97

IV. RUTH ET BOAZ SE RENCONTRENT L’ensemble de la section B .......................................................................

102

Table des matières

175

RUTH ET BOAZ FONT REVENIR LA VIE EN ISRAËL La section C : Rt 4,1-22 ..................................

113

1. Untel accepte de racheter le champ d’Élimélek La première sous-séquence : 4,1-4 ...........................................................

115

2. Tous sont témoins de l’engagement de Boaz La deuxième sous-séquence : 4,5-12 .......................................................

119

A. Untel refuse de susciter le nom du mort sur son héritage Le premier passage : 4,5-8 ................................................................... B. Boaz acquiert le champ et la femme du mort Le deuxième passage : 4,9-10 ............................................................. C. Les hommes félicitent celui qui appelle un nom dans Bethléem Le troisième passage : 4,11-12 ............................................................ D. Tous sont témoins de l’engagement de Boaz L’ensemble de la deuxième sous-séquence : 4,5-12 ...........................

129

3. Les femmes donnent son nom au fils de Noémi La troisième sous-séquence : 4,13-17 .......................................................

131

4. La généalogie de David : 4,18-22 ............................................................

134

5. BOAZ ET RUTH FONT REVENIR LA VIE EN ISRAËL L’ensemble de la section C : 4,1-22 .........................................................

136

RUTH L’ensemble du livre ....................................

143

Conclusion .................................................................................................. Bibliographie ............................................................................................... Index des auteurs cités ................................................................................ Index des références bibliques ....................................................................

163 165 169 171

119 123 126

RHÉTORIQUE BIBLIQUE Collection dirigée par Roland Meynet et Pietro Bovati 1.

ROLAND MEYNET, L’Évangile selon saint Luc. Analyse rhétorique, Éd. du Cerf, Paris 1988.

2.

PIETRO BOVATI – ROLAND MEYNET, Le Livre du prophète Amos, Éd. du Cerf, Paris 1994.

3.

ROLAND MEYNET, Jésus passe. Testament, jugement, exécution et résurrection du Seigneur Jésus dans les évangiles synoptiques, PUG Editrice – Éd. du Cerf, Rome – Paris 1999.

RHÉTORIQUE SÉMITIQUE Collection dirigée par Roland Meynet avec Jacek Oniszczuk 1.

ROLAND MEYNET, L’Évangile de Luc, Lethielleux, Paris 2005.

2.

TOMASZ KOT, La Lettre de Jacques. La foi, chemin de la vie, Lethielleux, Paris 2006.

3.

MICHEL CUYPERS, Le Festin. Une lecture de la sourate al-Mâ’ida, Lethielleux, Paris 2007.

4.

ROLAND MEYNET, Traité de rhétorique biblique, Lethielleux, Paris 2007.

5.

ROLAND MEYNET, Appelés à la liberté, Lethielleux, Paris 2008.

6.

ROLAND MEYNET, Une nouvelle introduction aux évangiles synoptiques, Lethielleux, Paris 2009.

7.

ALBERT VANHOYE, L’Épître aux Hébreux. «Un prêtre différent», Gabalda, Pendé 2010.

8.

ROLAND MEYNET, L’Évangile de Luc, Gabalda, Pendé 20113.

9.

MICHEL CUYPERS, La Composition du Coran, Gabalda, Pendé 2012.

10. ROLAND MEYNET, La Lettre aux Galates, Gabalda, Pendé 2012. 11. ROLAND MEYNET, Traité de rhétorique biblique, Gabalda, Pendé 20132. 12. ROLAND MEYNET – J. ONISZCZUK, Exercices d’analyse rhétorique, Gabalda, Pendé 2013. 13. JACEK ONISZCZUK, La première lettre de Jean, Gabalda, Pendé 2013. 14. ROLAND MEYNET, La Pâque du Seigneur. Passion et résurrection de Jésus dans les évangiles synoptiques, Gabalda, Pendé 2013. 15. MICHEL CUYPERS, Apocalypse coranique. Lecture des trente-trois sourates du Coran, Gabalda, Pendé 2014. 16. ROLAND MEYNET, L’Évangile de Marc, Gabalda, Pendé 2014.

RETORICA BIBLICA collana diretta da Roland Meynet, Pietro Bovati e Jacek Oniszczuk EDIZIONI DEHONIANE ROMA 1.

ROLAND MEYNET, Il Vangelo secondo Luca. Analisi retorica, ED, Roma 1994.

2.

PIETRO BOVATI – ROLAND MEYNET, Il libro del profeta Amos, ED, Roma 1995.

3.

ROLAND MEYNET, «E ora, scrivete per voi questo cantico». Introduzione pratica all’analisi retorica. 1. Detti e proverbi, ED, Roma 1996. EDIZIONI DEHONIANE BOLOGNA

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ROLAND MEYNET, Una nuova introduzione ai Vangeli sinottici, EDB, Bologna 2001.

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ROLAND MEYNET, La Pasqua del Signore. Testamento, processo, esecuzione e risurrezione di Gesù nei vangeli sinottici, EDB, Bologna 2002.

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TOMASZ KOT, La fede, via della vita. Composizione e interpretazione della Lettera di Giacomo, EDB, Bologna 2003.

7.

ROLAND MEYNET, Il Vangelo secondo Luca. Analisi retorica, seconda edizione, EDB, Bologna 2003.

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GIORGIO PAXIMADI, E io dimorerò in mezzo a loro. Composizione e interpretazione di Es 25–31, EDB, Bologna 2004.

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ROLAND MEYNET, Una nuova introduzione ai Vangeli sinottici, seconda edizione rivista e ampliata, EDB, Bologna 2006.

10. ROLAND MEYNET, Trattato di retorica biblica, EDB, Bologna 2008. 11. JACEK ONISZCZUK, La Prima Lettera di Giovanni, EDB, Bologna 2008. 12. ROLAND MEYNET – JACEK ONISZCZUK, ed., Retorica biblica e Semitica 1. Atti del primo convegno RBS, EDB, Bologna 2009. 13. ROLAND MEYNET, Chiamati alla libertà, EDB, Bologna 2010. 14. ALBERT VANHOYE, L’epistola agli Ebrei. «Un sacerdote differente», EDB, Bologna 2010. 15. JACEK ONISZCZUK, La passione del Signore secondo Giovanni (Gv 18–19), EDB, Bologna 2011. 16. ROLAND MEYNET – JACEK ONISZCZUK, ed., Retorica biblica e Semitica 2. Atti del secondo convegno RBS, EDB, Bologna 2011. 17. ROLAND MEYNET, La lettera ai Galati, EDB, Bologna 2012. 18. GERMANO LORI, Il Discorso della Montagna, dono del Padre (Mt 5,1–8,1), EDB, Bologna 2013.

RHETORICA SEMITICA Series directed by Roland Meynet ESPAÑOL 1. R. MEYNET, Llamados a la libertad, Convivium Press – G&B Press, Miami – Rome 2008. 2. A. VANHOYE, Un sacerdote diferente. La epístola a los Hebreos, Convivium Press – G&B Press, Miami – Rome 2011. 3. R. MEYNET, Una nueva introducción a los Evangelios Sinópticos, Convivium Press – G&B Press, Miami – Rome 2012. ENGLISH 1. R. MEYNET, Called to Freedom, Convivium Press – G&B Press, Miami – Rome 2009. 2. M. CUYPERS, The Banquet. A Reading of the Fifth Sura of the Qur’an, Convivium Press – G&B Press, Miami – Rome 2009. 3. R. MEYNET, A New Introduction to the Synoptic Gospels, Convivium Press – G&B Press, Miami – Rome 2010. 4. A. VANHOYE, A Different Priest. The Epistle to the Hebrews, Convivium Press – G&B Press, Miami – Rome 2011 (Association of Catholic Publishers Finalist for 2012: «Excellence in Publishing Awards»).

RETORICA BIBLICA E SEMITICA Collection dirigée par Roland Meynet et Jacek Oniszczuk 1.

JACEK ONISZCZUK, Incontri con il Risorto in Giovanni (Gv 20–21), G&B Press, Roma 2013.

2.

ROLAND MEYNET – JACEK ONISZCZUK, Esercizi di analisi retorica, G&B Press, Roma 2013.

3.

ROLAND MEYNET – JACEK ONISZCZUK, ed., Studi del terzo convegno RBS. International Studies on Biblical and Semitic Rhetoric, G&B Press, Roma 2013.

4.

ROLAND MEYNET, Luke: the Gospel of the Children of Israel, G&B Press, Roma 2015.

5.

ROLAND MEYNET – JACEK ONISZCZUK, ed., Studi del quarto convegno RBS. International Studies on Biblical and Semitic Rhetoric, G&B Press, Roma 2015.

6.

ROLAND MEYNET, Les huit psaumes acrostiches alphabétiques, G&B Press, Roma 2015.

7.

ROLAND MEYNET, Le fait synoptique reconsidéré, G&B Press, Roma 2015.

8.

ROLAND MEYNET, Il vangelo di Marco, G&B Press, Roma 2016.

RHETORICA BIBLICA ET SEMITICA Collection dirigée par Roland Meynet, Jacek Oniszczuk († 2017) et Francesco Graziano 9.

ROLAND MEYNET, Les psaumes des montées, Peeters, Leuven 2017.

10. MICHEL CUYPERS, Le Festin. Une lecture de la sourate al-Mâ’ida, deuxième édition, Peeters, Leuven 2017. 11. ROLAND MEYNET – JACEK ONISZCZUK, ed., Studi del quinto convegno RBS. International Studies on Biblical and Semitic Rhetoric, Peeters, Leuven 2017. 12. ROLAND MEYNET, Le Psautier. Cinquième livre (Ps 107–150), Peeters, Leuven 2017. 13. JACEK ONISZCZUK, Incontri con il Risorto in Giovanni (Gv 20–21), 2° edizione, Peeters, Leuven 2018. 14. ROLAND MEYNET, Il vangelo di Marco, Peeters, Leuven 2018. 15. JACEK ONISZCZUK (†), «Se il chicco di grano caduto in terra non muore...» (Gv 11– 12), Peeters, Leuven 2018. 16. ROLAND MEYNET, Le Psautier. Premier livre (Ps 1–41), Peeters, Leuven 2018. 17. MASSIMO GRILLI – † JACEK ONISZCZUK – ANDRÉ WÉNIN, ed., Filiation, entre Bible et cultures. Hommage à Roland Meynet, Peeters, Leuven 2019. 18. FRANCESCO GRAZIANO – ROLAND MEYNET, ed., Studi del sesto convegno RBS. International Studies on Biblical and Semitic Rhetoric, Peeters, Leuven 2019. 19. ROLAND MEYNET, Le Psautier. Troisième livre (Ps 73–89), Peeters, Leuven 2019. 20. ROLAND MEYNET, Le Psautier. Deuxième livre (Ps 42/43–72), Peeters, Leuven 2019. 21. PIETRO BOVATI – ROLAND MEYNET, Il libro del profeta Amos. Seconda edizione rivista, Peeters, Leuven 2019. 22. FRANCESCO GRAZIANO, La composizione letteraria del Vangelo di Matteo, Peeters, Leuven 2020. 23. ROLAND MEYNET, Le Psautier. Quatrième livre (Ps 90–106), Peeters, Leuven 2020. 24. ROLAND MEYNET, Le Psautier. L’ensemble du Livre des Louanges, Peeters, Leuven 2020. 25. ROLAND MEYNET, Le Cantique des cantiques, Peeters, Leuven 2020. 26. ROLAND MEYNET, La Lettre aux Galates. Deuxième édition revue, Peeters, Leuven 2021. 27. ROLAND MEYNET, La Pâque du Seigneur. Passion et résurrection de Jésus dans les évangiles synoptiques. Troisième édition revue, Peeters, Leuven 2021. 28. ROLAND MEYNET, Traité de rhétorique biblique. Troisième édition revue et amplifiée, Peeters, Leuven 2021. 29. ROLAND MEYNET – JACEK ONISZCZUK, Exercices d’analyse rhétorique biblique. Deuxième édition revue, Peeters, Leuven 2021. 30. FRANCESCO GRAZIANO – ROLAND MEYNET – BERNARD WITEK, ed., Studi del settimo convegno RBS. International Studies on Biblical and Semitic Rhetoric, Peeters, Leuven 2021.

31. ROLAND MEYNET, Qohélet, Peeters, Leuven 2021. 32. ROLAND MEYNET, The Psalter: Book One (Ps 1–41), Peeters, Leuven 2021. 33. ROLAND MEYNET, The Psalter: Book Two (Ps 42/43–72), Peeters, Leuven 2021. 34. ROLAND MEYNET, Comment ? Les Lamentations de Jérémie, Peeters, Leuven 2021. 35. ROLAND MEYNET, The Psalter: Book Three (Ps 73–89), Peeters, Leuven 2021. 36. ROLAND MEYNET, Ruth, Peeters, Leuven 2022.