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French Pages 452 Year 1997
Le privilege parlementaire au Canada
Le privilege parlementaire au Canada Deuxieme edition J.P Joseph Maingot, c.r.
Chambre des communes et Les presses universitaire McGill-Queen's
® Chambre des communes 1997 ISBN 0-7735-1720-0
Depot legal, 3e trimestre 1997 Bibliotheque nationale du Quebec Toute reproduction d'une partie quelconque de ce volume par quelque precede que ce soit est strictement interdite sans 1'autorisation ecrite de 1'editeur. Imprime et relie au Canada Donnees de catalogage avant publication (Canada) Maingot, J.P Joseph, 1931Le privilege parlementaire au Canada 2eed. Traduction de : Parliamentary Privilege in Canada. Publie en collab. avec : Chambre des communes. Comprend des references bibliographiques et un index. ISBN 0-7735-1720-0 1. Canada. Parlement - Privileges et immunites. I. Canada. Parlement. Chambre des communes. II. Titre. KE4578.M35141997
342.71'055
C97-900669-4
J.P Joseph Maingot est anciennement legiste et conseiller parlementaire de la Chambre des communes, 1971-1982.
A I'honorable Gilbert Parent President de la Chambre des communes etaux anciens titulaires de cette charge
A la memoire de J. Gordon Dubroy ancien greffier adjoint de la Chambre des communes
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TABLE DES MATIERES
PREFACE CHAPITRE 1 Introduction Sous le regime frangais Sous le regime britannique Le fondement historique et constitutionnel du privilege parlementaire au Canada Objet de cet ouvrage — Les privileges de la Chambre des communes La situation des assemblies des provinces La situation des assemblies des territoires La liberte de parole a la Chambre des communes La liberte de parole dans les assemblies des provinces Les privileges et le droit penal Publication en dehors du Parlement Les deliberations du Parlement Autres privileges Les envois collectifs La competence en matiere de privilege CHAPITRE 2
Le privilege parlementaire — Aperc.u general Definition generate Une definition pratique Le caractere accessoire ou de subordination La subordination des droits des deputes aux regies de procedure de la Chambre La protection des personnes qui participent aux deliberations du Parlement L'atteinte au privilege L'outrage au Parlement
xxiii 1 1 1 3 5 5 6 6 7 7 8 8 9 9 9 11 12 13 13 13 14 14 14
viii
Le privilege parlementaire au Canada
Les privileges collectifs et les privileges individuels
15
L'origine du privilege
16
L'origine des privileges anglais
16
L'origine des privileges au Canada avant la Confederation
16
L'origine des privileges du Parlement du Canada
16
La distinction entre les privileges parlementaires anglais et canadiens avant 1867
18
La revendication des privileges par le President
18
Au Royaume-Uni • L'objectif premier des privileges anciens • La revendication des privileges au Royaume-Uni aujourd'hui
18 19
Au Canada • La revendication des privileges dans le Haut et le Bas-Canada en 1792 • La revendication des privileges au Canada en 1841 • La revendication des privileges en 1867 • Revendication des privileges a la Chambre des communes aujourd'hui • Les privileges existent independamment de toute revendication
19
19
19 20 20 20 20
Une Chambre ne peut creer aucun nouveau privilege
21
Le commencement des privileges des deputes
21
Quand devient-on offlciellement depute?
21
Quand cesse-t-on offlciellement d'etre depute?
23
CHAPITRE 3
Le privilege de la liberte de parole
25
Dans les premieres assemblies legislatives au Canada
25
La necessite de la liberte de parole
25
La signification de la liberte de parole
26
Les interventions a la Chambre des communes, au Senat ou dans un comite : declarations au cours des debats
27
Au Royaume-Uni • L'affaire Haxey (1396-1397)
27 27
Table des matieres
ix
• L'affaire Thomas Young (1451-1455) • L'affaire Strode (1512)
28 28
• Dillon c. Balfour
29
Au Canada • Dans les Chambres du Parlement • Roman Corp. c. Hudson's Bay Oil & Gas Co • Dans les assemblies legislatives des provinces La liberte de parole et le droit penal • Dans les assemblies legislatives des territoires
29 29 29 32 33 37
La protection des non-parlementaires
37
Les exceptions au privilege de la liberte de parole
37
Les comites siegeant en dehors de 1'enceinte
38
Le comite est une emanation de la Chambre
38
Le quorum constitue le comite
39
Les comites ne peuvent pas sieger en dehors du Canada
39
La situation en Grande-Bretagne
39
Conclusion
39
Les «annexes» au hansard
40
La publication des debats Le droit de controler la publication des debats
41 41
Le privilege parlementaire et le privilege juridique • L'affaire Abingdon (1794) • L'affaire Creevey (1813) • Wason c. Walter (1868)
43 44 44 44
La protection de la common law
45
Les publications a Fusage exclusif des membres du Parlement
48
• Lake c. King (1667) Les petitions
48 49
Les publications a 1'intention des electeurs
49
La publication des debats par radiotelediffusion — le hansard electronique
50
La situation du depute
51
x
Le privilege parlementaire au Canada
La situation des medias • Le debat transmis integralement fait 1'objet d'un privilege juridique absolu • Les extraits font 1'objet d'un privilege juridique limite En Grande-Bretagne
52 52 53 53
• La distinction entre le hansard ou les Debats et les rapports, documents ou proces-verbaux 54 • La common law protege les debats — La loi protege les documents
57
• Le fardeau de la preuve
57
Au Canada 58 • La protection de la common law pour les medias qui rendent compte des debats 59 • La defense prevue par la loi pour les medias qui rendent compte des debats
59
• Les medias peuvent faire un commentaire honnete
60
Conclusion
61
Les parlementaires doivent affirmer et proteger le privilege de la liberte de parole
CHAPITRE 4
La publication des documents parlementaires
62
65
L'origine histprique de la publication des documents parlementaires au Royaume-Uni
65
La situation au Royaume-Uni
65
• Stockdale c. Hansard
65
• La premiere poursuite judiciaire en 1836
66
• L'arret Stockdale c. Hansard declenche une enquete des Communes
66
• Le resultat de 1'enquete
66
• La deuxieme poursuite judiciaire
67
• L'arret sur la publication des deliberations et des debats
67
• Le Parliamentary Papers Act de 1840 du Royaume-Uni, consequence directe de 1'arret Stockdale c. Hansard
68
• Le rapport complet jouit d'une protection complete — Article 1 de la Loi
69
Table des matieres
xi
• La copie d'un rapport jouit d'une protection complete — Article 2 de la Loi 69 • L'extrait ou le resume du rapport jouit d'une protection limitee — Article 3 de la Loi 69 • La distinction entre le privilege prevu par la loi et le privilege de common law 70 Les documents de commande et les documents exiges par la loi 70 Conclusion 72 La situation au Canada 73 • Les articles 7 a 9 de la Loi sur le Parlement du Canada 73 L'absence de protection dans la legislation pour la radiotelediffusion des extraits de documents parlementaires — protection au niveau provincial 73 La protection n'est accordee que lorsque la Chambre ordonne la publication 73 • Les Journaux (ci-devant «Proces-verbaux» — voir supra, note 37) 75 Les rapports et documents 75 Les envois collectifs 77 CHAPITRE 5 Les deliberations du Parlement Le Bill of Rights de 1689 En guise de definition Un peu d'histoire Necessite d'un lien avec les deliberations de la Chambre ou d'un comite Les "deliberations* au sens parlementaire La distinction entre deliberations et interventions Mises aux voix, propositions d'amendements, questions orales et ecrites, avis, et presentations de petitions L'opinion des tribunaux Le parlementaire doit etre dans 1'exercice de ses fonctions parlementaires a 1'occasion des travaux de la Chambre ou d'un comite Les fonctions officielles ne se limitent pas a la participation aux deliberations du Parlement: • L'arret A.G. Ceylon c. de Livera
79 79 79 81 82 82 83 83 84 84 85 85
xii
Le privilege parlementaire au Canada
Les activites d'un depute, en sa qualite officielle, peuvent s'etendre au-dela des travaux parlementaires et ne font alors 1'objet d'aucune protection 86 • Une action ou conversation privee pendant les deliberations du Parlement, qui n'y est pas liee, n'en fait pas partie 87 • Roman Corp. c. Hudson's Bay Oil & Gas Co 87 • Dowson c. The Queen 91 Le depute qui repete a Pexterieur ce qu'il a dit a la Chambre ne jouit pas du privilege parlementaire 93 • VSzina c. Lacroix (1936) 94 • Stopforth c. Goyer (1978) 95 • Re Ouellet (1976) 95 • R. c. Bunting (1885) 97 L'opinion des Chambres du Parlement 97 • L'affaire Strauss 98 La jurisprudence exige un lien suffisamment precis entre les actions ou declarations et les activites du Parlement ... 100 Les reunions privees des membres du Parlement ne sont pas protegees par le privilege parlementaire 101 L'expression «deliberations du Parlement» ne doit pas etre restreinte au sens qu'elle avait en 1689 101 Bref historique 102 Un lien quelconque avec 1'activite parlementaire ne suffit pas 103 La protection des non-parlementaires pendant les deliberations 103 Resume et conclusion 104 CHAPITRE 6
La protection en dehprs du privilege parlementaire Le fardeau de la preuve incombe au membre du Parlement L'assistance aux electeurs qui se plaignent d'un fonctionnaire L'assistance aux electeurs dans la lutte centre les abus Communications aux deputes par des informateurs ou des electeurs Les membres du Parlement: sommaire Les electeurs : sommaire
Ill Ill 112 113 114 116 117
xiii
Table des matieres
CHAPITRE 7
Les deliberations du Parlement, la liberte de parole, la Loi sur les secrets officiels, le droit penal
L'Official Secrets Act (R.-U.) La Loi sur les secrets officiels du Canada Le droit penal Le droit penal et les reglements internes des Chambres du Parlement Conclusion
CHAPITRE 8
Les actes parlementaires comme elements de preuve
Introduction Les rapports, documents ou proces-verbaux Les Journaux de la Chambre Les Journaux sont admissibles comme preuve devant les tribunaux Les tribunaux reconnaissent egalement d'office 1'existence des regies ou usages distincts de la Chambre Les Journaux de la Chambre comme preuve • L'utilite eventuelle des inscriptions aux Journaux • Les actions des denonciateurs • Les poursuites au civil ou au penal La situation au Royaume-Uni • Chubb c. Salomons (1851) • Forbes c. Samuel (1913) • Tranton c. Astor (1917) • Les inscriptions aux Journaux doivent etre certiflees conformes a 1'original La situation au Canada • Les inscriptions aux Journaux peuvent attester, sans autre forme de preuve, les faits qui y sont mentionnes • Admissibilite des Journaux et des deliberations du Parlement comme preuve devant les tribunaux : resume de la situation au Canada • La situation au Canada en ce qui concerne la presentation comme preuve de documents deposes conformement a un ordre • La production comme preuve des documents deposes a la Chambre
119 119 121 123 124 125
129 129 129 130 132 132 133 133 133 133 134 134 135 135 135 136 136 137 138 139
xiv
Le privilege parlementaire au Canada
La production du Hansard ou de comptes rendus de comites devant les tribunaux a) Les Debats (le hansard) b) c)
Pour I 'interpretation des lois Autres usages de ces documents devant un tribunal (i) Le hansard a valeur de oui-dire (ii) Lapreuve qu'un depute a siege et vote (Hi) Les Debats commepreuve dans les proces au civil (iv) Les Debats comme preuve dans les proces au criminel
Apergu • L'utilisation des deliberations parlementaires et les exceptions prevues par la loi au Bill of Rights de 1689 Utilisation dans les actions en justice des Debats et des temoignages recueillis par les comites : resume de la situation Resume et conclusion Le privilege de I'imnmnite d'arrestation et les privileges connexes L'immunite d'arrestation Le privilege couvrait a 1'origine les biens personnels et les serviteurs des membres du Parlement, et protegeait ceux-ci centre les poursuites Les membres du Parlement ne sont pas proteges centre les procedures civiles, a 1'exception de 1'arrestation en matiere civile • Le privilege des membres des Assemblies du Haut et du Bas-Canada en 1791 • Le privilege est maintenu apres 1840 • L'immunite a ete integree aux privileges des membres des deux Chambres en 1867
139 139 140 143 144 145 145 148 149 151
152 153
CHAPITRE 9
La duree du privilege • Le commencement — 40 jours avant la session • L'immunite continue pendant 40 jours apres la fin de la session
157 157 159 159 160 160 161 161 161 161
Table des matieres
L'etendue du privilege • II est limite aux affaires civiles • L'exclusion des infractions penales • L'exclusion des infractions quasi penales L'outrage au tribunal • Les deputes sont proteges en cas d'outrage en matiere civile • Les deputes ne sont pas proteges en cas d'outrage criminel • La Chambre doit etre informee Le privilege de 1'exemption de 1'obligation de comparaitre comme temoin Le privilege de 1'exemption de 1'obligation de faire partie d'un jury L'extension du privilege a des non-parlementaires Les fonctionnaires de la Chambre des communes et du Senat Les temoins et autres personnes Resume : 1'immunite d'arrestation et questions connexes
CHAPITRE 10 La colline du Parlement et 1'enceinte des Chambres du Parlement La definition de «precincts» («enceinte») dans les dictionnaires La notion d'enceinte La situation geographique L'enceinte n'est pas un lieu d'asile La Bibliotheque du Parlement Les actes outrageants commis dans 1'enceinte un jour de seance sont considered comme ayant ete commis devant la Chambre La situation aux Communes du Royaume-Uni La situation au Canada La signification d'un acte de procedure civile pendant une seance de la Chambre pourrait constituer un outrage Le titre de propriete sur la colline du Parlement L'administration, 1'entretien et la gestion des edifices parlementaires
xv
162 162 162 163 163 163 164 165 165 166 166 166 167 167
169 169 169 170 170 172 172 173 174 174 175 176
xvi
Le privilege parlementaire au Canada
Chaque Chambre administre ses propres affaires La circulation et les infractions a la reglementation sur la colline du Parlement La police et 1'enceinte de la Chambre des communes La fonction de 1'enceinte du Parlement est «sacree» La police ne peut pas penetrer dans 1'enceinte en mission officielle sans autorisation Les terrains de la colline du Parlement ne font pas partie de 1'enceinte L'enceinte parlementaire au Royaume-Uni L'enceinte parlementaire en Nouvelle-Zelande L'enceinte parlementaire en Australie Acces a 1'enceinte
CHAPITRE 11 Les droits, privileges et pouvoirs collectifs du Senat et de la Chambre des communes Introduction Le pouvoir disciplinaire La competence de la Chambre sur ses membres est absolue et exclusive Le droit a la presence des deputes Le droit de controler la publication des debats et des deliberations Le droit de reglementer les affaires internes sans ingerence exterieure Deliberations internes La competence exclusive sur les droits exerces a 1'interieur de la Chambre et de ses comites Le droit d'assurer sa propre constitution Le droit de determiner si les deputes ont qualite pour sieger et voter a la Chambre des communes Le Senat Le droit de proceder a des enquetes et d'exiger la comparution de temoins et la production de documents Le droit de faire preter serment aux temoins Le droit de publier des documents contenant des propos diffamatoires La competence en matiere penale : le droit d'emprisonner pour outrage ou atteinte au privilege
177 177 178 178 179 180 182 182 183 183
187 187 188 189 189 190 191 193 193 195 196 198 198 200 201 201
Table des matieres
La competence n'est pas limitee aux deputes La competence n'est pas limitee aux actes commis dans 1'enceinte parlementaire Au Royaume-Uni Au Canada • Assemblee legislative de la Nouvelle-Ecosse, 1758,1829 • Assemblee du Bas-Canada, 1794 • Assemblee du Haut-Canada, 1812 • L'opinion des legistes de la Couronne en 1815 • McNab c. Bidwell (1830) (Haut-Canada) • Re Tracey et Duvernay (1832) (Bas-Canada) • Kielley c. Carson (1842) (Terre-Neuve) • Ex parte Lavoie (1855) • De 1867 a nos jours • Ex parte Cotte et Duvernay (9 fevrier 1875) • Ex parte Dansereau (17 fevrier 1875) • Ex parte Cotte et Duvernay (20 fevrier 1875) • Landers c. Woodworth (1878) • R. c. Bunting (1885) • Fielding c. Thomas (1896) • La situation des assemblies legislatives des provinces • La situation des assemblies des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon La necessite de la competence en matiere penale a) Au Royaume-Uni b) Au Canada La duree de I'emprisonnement Le mandat d'incarceration La protection accordee aux fonctionnaires de la Chambre qui executent ses ordres La sanction imposee aux deputes L'emprisonnement et 1'habeas corpus Au Royaume-Uni Au Canada • Les poursuites intentees par la Chambre des communes ou le Senat ou centre eux
xvii
201 202 203 206 207 207 207 208 208 209 209 211 211 213 213 213 213 214 214 215 215 216 216 216 217 217 219 221 222 222 223 225
xviii
Le privilege parlementaire au Canada
CHAPITRE 12 La procedure a la Chambre des communes concernant les atteintes au privilege et les outrages Introduction Quelques differences entre les usages du Royaume-Uni et canadiens L'etablissement de precedents a la Chambre des communes du Canada Le declenchement de la procedure en matiere de privilege Les debats sur la «question de privilege* : 1'experience canadienne La «question de privilege fondee a premiere vue» au sens parlementaire Le pouvoir exclusif de la Chambre de decider s'il y a eu outrage ou atteinte au privilege La question de privilege en comite L'usage canadien est plus souple que celui du Royaume-Uni Les faits allegues doivent se rapporter aux fonctions parlementaires d'un depute : les paroles ou les actes doivent constituer un outrage Cas ou la reponse se trouve dans les regies ou les usages de la Chambre Un rappel au Reglement n'est pas une question de privilege Le privilege concerne le depute en tant que tel, et non pas en sa qualite de ministre, de chef de parti, de whip ou de secretaire parlementaire Differences entre 1'atteinte au privilege et P«outrage» La distinction de May La distinction de Halsbury L'outrage ne peut pas etre codifie parce qu'indenombrable . . . . Les membres du Parlement ont le benefice du doute Exemple d'une «question de privilege* soulevee a la Chambre des communes Les actes ou comportements qui portent atteinte au privilege ou constituent un outrage L'ingerence dans les privileges des deputes L'ingerence dans les privileges collectifs
227 227 227 228 229 230 231 231 231 232 232 233 233 234 235 235 236 236 237 237 239 239 239
Table des matieres
C'est la Chambre qui juge ce qui est un outrage Voies de fait, menaces, contestations ou brutalites centre des deputes ou des fonctionnaires de la Chambre Les cas d'outrage lies aux petitions et autres documents L'entrave aux fonctions parlementaires d'un depute Critere : 1'entrave doit viser 1'activite parlementaire (deliberations) et faire appel a des moyens abusifs L'entrave a 1'action de personnes autres que les deputes et les fonctionnaires La corruption d'un depute dans 1'exercice de ses fonctions ... L'inconduite devant la Chambre ou un comite La desobeissance aux textes regissant les Chambres du Parlement ou aux regies ou ordres de la Chambre ou d'un comite L'entrave a 1'execution des ordres de la Chambre ou d'un comite La conduite du depute : plaintes centre des deputes a la Chambre des communes Conclusion La determination du droit de sieger et de voter L'outrage par deduction Publication de comptes rendus faux ou deformes des debats Publication prematuree ou irreguliere ou divulgation des deliberations de la Chambre des communes ou d'un de ses comites Critiques a 1'endroit des deputes et de la Chambre Les criteres devaluation L'outrage et 1'enceinte du Parlement Les voies de fait sur la personne d'un depute Les indiscretions Deux interets contradictoires L'administration de la justice dans 1'enceinte du Parlement La police doit obtenir 1'autorisation du President Les jours ou la Chambre ne siege pas La procedure de presentation d'une motion fondee sur une question de privilege
xix
239 241 243 244 245 246 247 249 250 251 251 256 258 258 258 260 261 267 267 267 268 268 268 269 270 271
xx
Le privilege parlementaire au Canada
Les conditions prealables La motion La procedure suivie lorsque la plainte n'est pas fondee sur un document ou sur des paroles La procedure suivie lorsque la plainte est fondee sur un document ou sur des paroles Quand la question de privilege vise un depute La preseance La motion peut etre modifiee et conserve la preseance jusqu'a la decision La procedure devant le Comite des privileges L'etude a la Chambre des rapports du Comite des privileges La convocation a la barre de la Chambre Si le president juge que la question de privilege n'est pas fondee a premiere vue
CHAPITRE 13 Le conflit de competence entre les tribunaux et les Chambres en matiere de privilege parlementaire Introduction Cadre du chapitre La situation au Royaume-Uni Le premier privilege invoque fut I'immumte d'arrestation • L'affaire Thorpe (1452) • L'affaire Ferrers (1542) Poursuites contre des deputes • Benyon c. Evelyn (1664) Poursuites contre des presidents d'election • Barnardiston c. Soame (1674) Les mandats du President et 1'habeas corpus • L'affaire du comte de Shaftesbury (1677) Execution d'un ordre de la Chambre par le President • L'affaire de sir William Williams (1684) Poursuites contre des fonctionnaires du Parlement • Jay c. Topham (1689)
271 272 275 276 278 279 279 279 281 282 282
283 283 283 284 286 286 286 287 287 287 287 288 288 288 288 289 289
Table des matieres
xxi
Poursuites decoulant d'elections • Ashby c. White (1703) • R. c. Paty (1704) Le point sur la question
289 289 290 291
Autres poursuites centre des fonctionnaires du Parlement • Burdett c. Abbot (1811)
292 292
Stockdale c. Hansard (1839) Les faits
294 294
L'arret 296 • La ratio decidendi 298 La situation actuelle au R.-U. 298 La situation du Canada 300 • Re Clark and A.G. Can. (1977) 302 a) La decision du tribunal 302 b) Debat sur Re Clark and A.G. Canada (1977) a la Chambre des communes 304 Deliberations internes 306 La defense des privileges de la Chambre des communes et du Senat devant les tribunaux du Canada 311 • De 1867 a nos jours 311 La situation actuelle au Canada en matiere de competence . . . . 312 CHAPITRE 14 La Charte canadienne des droits et libertes et le privilege parlementaire Introduction
317 317
Les dispositions de la Charte Le privilege parlementaire
319 320
L'arret N. B. Broadcasting co. c. Nouvelle-Ecosse (president de 1'Assemblee legislative)
321
Les decisions des tribunaux inferieurs
321
La decision de la Cour supreme du Canada
321
L'analyse du jugement majoritaire Le privilege en litige — le droit d'exclure les etrangers
323 327
Les autres privileges ou pouvoirs invoques a) La liberte de parole
329 330
xxii
Le privilege parlementaire au Canada
b) Le controle des debats internes • Le droit de controler la publication des debats et des deliberations L'importance de la retenue judiciaire
330 332 333
1. Les tribunaux etablissent 1'existence et la portee du privilege parlementaire, mais ils n'ont pas le pouvoir d'en regir 1'exercice
337
2. Tous les pouvoirs constitutionals conferes a 1'executif et au legislatif sont-ils soumis a la Charte et limites par elle?
344
3. La definition de la notion de «necessite»
345
4. Si la Charte s'appliquait
346
5. L'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867 est-elle la source du privilege parlementaire?
348
6. La liberte de parole aux termes de la Charte et la competence en matiere penale
349
7. La competence en matiere penale
350
Resume et conclusion
357
Resume
361
I. Competence en matiere penale
361
II. La retenue judiciaire
363
En bref
366
ANNEXE
369
BILL OF RIGHTS, 1689
371
PARLIAMENTARY PAPERS ACT, 1840
372
LOI CONSTITUTIONNELLE DE 1867
373
LOI CONSTITUTIONNELLE DE 1982
378
LOI SUR LE PARLEMENT DU CANADA
382
BIBLIOGRAPHIE
387
TABLE DE JURISPRUDENCE
393
INDEX
405
PREFACE II n'est certes pas faux de dire que le droit du privilege parlementaire n'a pas tellement evolue depuis la Confederation, mais avec ['adoption de la Charte canadienne des droits et libertes en 1982 — alors que 1'edition originale etait dejachez l'imprimeur — et latoute recente decision (1993) de la Cour supreme du Canada dans 1'affaire New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouuelle-Ecosse (President de I'Assemblee legislative) — qui traite notamment de 1'application de la Charte a I'Assemblee de la Nouvelle-Ecosse et a ses privileges — les conditions nous semblaient reunies pour une nouvelle edition. Avec cette decision, c'est la premiere fois que la Cour supreme se penchait sur la question du privilege parlementaire depuis pres de cent ans, et la toute premiere fois qu'elle etait saisie d'une question associant la Charte et le privilege parlementaire. En outre, depuis 1982, les presidents des deux Chambres du Parlement et de plusieurs assemblies provinciales avaient rendu des decisions qui ajoutaient a la jurisprudence. Dans 1'affaire New Brunswick Broadcasting, la Cour supreme distingue deux types de privilege parlementaire, ceux qui sont inherents de par la constitution, et les autres. Cette decision souleve plusieurs questions a propos de ce difficile probleme, auxquelles j'ai tente de repondre dans un nouveau chapitre (chapitre 14). Je saisis cette occasion pour remercier le President de la Chambre des communes, 1'honorable Gilbert Parent, car sans son intervention cette edition n'aurait pas vu le jour. II a fait en sorte que la Chambre me fournisse Paide fmanciere et materielle necessaire pour me permettre de mener ce projet a terme. Je tiens aussi a remercier le president adjoint, M. David Kilgour. II convient egalement de mentionner que, lorsque j'ai entrepris mon travail pour la deuxieme edition, la societe d'avocats Gowling, Strathy & Henderson a eu 1'obligeance de mettre sa bibliotheque a ma disposition pendant qu'on renovait celle de la Cour supreme du Canada. J'ai eu des entretiens preliminaires avec plusieurs membres du personnel parlementaire qui connaissent le domaine, ce qui m'a ete d'une grande utilite. II s'agit de Mme Diane Davidson, avocate generate de la Chambre, de Mme Sydney H. Fisher, conseillere juridique, et de MM. Marc Audcent, legiste adjoint a 1'epoque devenu depuis legiste et conseiller parlementaire au Senat, Charles Robert de la Direction des comites du
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Le privilege parlementaire au Canada
Senat, et J. (Jamie) Robertson du Service de la recherche de la Bibliotheque du Parlement. Dans mon travail de revision, j'ai beneficie de la collaboration efficace de la Direction des recherches pour le Bureau de la Chambre, et notamment de 1'aide de M. Terence Moore, qui a relu une premiere mouture des chapitres 1 a 13 et a fait des suggestions et des corrections utiles. Comme d'habitude, la Bibliotheque du Parlement a montre beaucoup d'empressement a repondre a mes nombreuses demandes, et plus particulierement le service de I'edifice La Promenade. Professeur adjoint a la Faculte de droit de 1'Universite d'Ottawa depuis plusieurs annees, j'ai eu 1'occasion de diriger la these de maitrise de Peter Bernhardt, The Contempt Power of the House of Commons, terminee en 1990, et celle de D.L. Munn, Parliamentary Privilege in Canada, achevee en 1992. Tant M. Bernhardt — qui est avocat general aupres du Comite permanent d'examen de la reglementation du Senat et de la Chambre des communes — que M. Munn m'ont ete d'un grand service en discutant avec moi divers aspects de la question. Malgre un emploi du temps tres charge (il est avocat a Vancouver), M. Munn a aimablement accepte de lire plus d'une version du chapitre 14, et m'a fait part de ses precieux commentaires. Avec 1'arret New Brunswick Broadcasting c. Nouvelle-Ecosse, il fallait jeter un regard neuf sur la jurisprudence. Si j'y suis arrive, c'est grace a la grande competence de David Dehler, avocat, chercheur et analyste, dont 1'esprit fin a vite fait d'exhumer de 1'antique jurisprudence les elements qui nous ont permis de confronter 1'interpretation traditionnelle du privilege parlementaire avec la Charte et la decision de la Cour supreme. Grace a cette nouvelle perspective, j'ai pu beaucoup mieux saisir cet «insaisissable» probleme. M. Dehler m'a egalement aide dans la redaction de certaines parties du chapitre 14. Avant sa retraite et sa mort prematuree en 1975, J. Gordon Dubroy avait ete pendant de nombreuses annees greffier au Bureau et, a compter de 1968, greffier adjoint de la Chambre. J'ai eu la chance de collaborer avec lui pendant mes annees a la Chambre des communes, ou j'ai pu observer ses competences, son devouement et son enthousiasme pour la procedure qui lui avaient merite une reputation enviable au Canada et dans le Commonwealth. Je suis done heureux de dedier cette deuxieme edition a sa memoire.
PREFACE
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Je tiens a remercier aussi Mme Claire Harris, pour sa precieuse collaboration. Elle a non seulement mis le manuscrit en entier sur ordinateur, mais les nombreux changements aussi. Cette nouvelle edition lui doit beaucoup. Je veux enfin exprimer ma gratitude au Service des publications et au Service de 1'index et des references de la Chambre des communes ainsi qu'a la Direction de la traduction parlementaire et de 1'interpretation (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), pour tout le travail qu'ils ont accompli aux dernieres etapes de la production de cette edition. J.R Joseph Maingot Le20juinl997
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CHAPITRE 1 Introduction
Le privilege parlementaire est une branche du droit parlementaire. II fait done partie du droit public general du Canada relatif aux coutumes, usages, regies de procedure, privileges et pouvoirs de chacune des Chambres du Parlement et de leurs membres.
Sous le regime frangais L'histoire des institutions parlementaires au Canada commence apres les annees 1750. Tant que le Canada est demeure une possession frangaise, ses habitants n'ont jamais ete represented par des assemblies legislatives et n'ont jamais exerce de controle sur les affaires purement locales1.
Sous le regime britannique De 1760 a 1763, dans ce qui est maintenant le Quebec, on constitue des conseils militaires pour appliquer la loi. Cependant, en regie generate, plutot que de recourir a ces tribunaux, les gens preferaient regler leurs differends entre eux. La Proclamation royale d'octobre 1763 amorga une nouvelle forme de gouvernement pour le territoire actuellement forme de 1'Ontario et du Quebec. Les lettres patentes par lesquelles le gouvernement fat constitue habilitaient le gouverneur a convoquer, de 1'avis et du consentement du conseil, des assemblies generates pour decreter les lois necessaires au maintien de la paix publique, au bon ordre et au bon gouvernement des colonies. Cependant, les personnes dument elues aux futures assemblies etaient obligees, avant d'occuper leur siege, de preter les serments d'allegeance et de suprematie du monarque, et de prononcer une declaration contre la transsubstantiation. Comme la population frangaise catholique romaine refusait de le faire, aucune assemblee ne s'est jamais reunie. Jusqu'en 1774, le gouvernement de toutes les parties du Canada avait ete cree par lettres patentes ou par d'autres actes de prerogative royale. En 1774, le Parlement de Grande-Bretagne constitua par une loi, le Quebec Act, le gouvernement du territoire qui comprend actuellement 1'Ontario et le Quebec. 1
Leur situation a cet egard etait analogue a celle des citoyens de la France metropolitaine, et tres differente de celle des colons anglais des futurs Etats-Unis d'Amerique.
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CHAPITRE1
La constitution de I'Acte de Quebec ne prevoyait pas d'assemblee elue2, mais plutot un conseil nomme qui, avec le consentement du gouverneur, avait le pouvoir de prendre des ordonnances pour la Police, le bonheur et bon gouvernement de la province et qui devaient etre soumises dans un delai de six mois au souverain3, celui-ci pouvant les approuver ou les annuler. L'epreuve du serment fut egalement abolie. La «coutume de Paris» devait s'appliquer en matiere civile, notamment a toutes les affaires de propriete, tandis que le droit anglais s'appliquait en matiere penale. L'un et 1'autre pouvaient etre modifies par le conseil du gouverneur. Le conseil nomme et ses membres jouissaient de tous les droits, immunites et pouvoirs necessaires a 1'exercice de leur fonction legislative4. On ne trouve trace d'aucune dissension au sein du conseil, sans doute parce que celui-ci se reunissait a huis clos apres que chaque membre eut prete le serment suivant: Je jure de garder privees et secretes toutes les questions qui seront traitees, debattues et resolues en conseil et de ne pas les reveler ni les publier, meme en partie5.
La Lot constitutionnelle de 1791 prevoyait la formation de deux provinces centrales du Canada (le Bas et le Haut-Canada) dotees chacune de leur assemblee legislative elue et d'un conseil legislatif nomme. Les provinces Maritimes ont etc creees et deyeloppees par des actes de prerogative royale jusqu'en 1867. La Nouvelle-Ecosse (qui comprenait le Nouveau-Brunswick jusqu'en 1784) a eu une assemblee elue en 1758. L'lle-du-Prince-Edouard a suivi en 1773 et, en 1784, le Nouveau-Brunswick a eu sa propre assemblee elue. Finalement, Terre-Neuve se vit accorder une assemblee elue en 1832. Dans tous les cas, 1'assemblee elue venait s'ajouter a un conseil nomme. C'est a partir de I'etablissement de ces assemblies et de ces conseils que nous pouvons entreprendre 1'etude du droit canadien des privileges, pouvoirs, droits et immunites des Chambres du Parlement et des assemblies provinciales, ainsi que de leurs membres.
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«.. .[E]t qu'il est actuellement tres desavantageux d'y convoquer une Assemblee...». Voir I'Acte de Quebec, 14 George III, ch. 83, article XII (R.-U). Reproduit dans L.R.C. (1985), Appendices. George III, ch. 83 (R.-U.). VoirKielley c. Carson (1842), 4 Moo. EC.C. 63,13 E.R. 225 (EC.) et les notes 6 a 10. Voir aussi Chenard & Co. c. Arrisol, [1949] A.C. 127 (EC.). Bourinot, Parliamentary Procedure and Practice, lre ed., Montreal, Dawson Brothers, 1884, p. 12. [Four eviter d'allonger les notes, une fois qu'un livre a ete cite au complet, les references subsequentes ne mentionnent que 1'auteur. Bien qu'il existe diverses editions de certains textes, les numeros d'edition ne figureront que lorsque 1'auteur aura utilise plus d'une edition. Voir la reference complete dans la bibliographic.]
Introduction
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Le fondement historique et constitutionnel du privilege parlementaire au Canada Des 1'etablissement au Canada de la premiere assemblee legislative en Nouvelle-Ecosse en 1758, la loi accorda a 1'assemblee et a ceux qui prenaient part a ses deliberations, tous les pouvoirs juges necessaires pour permettre a 1'assemblee et a ses membres de s'acquitter de leur mission legislative. C'est ainsi que les deputes jouissaient de la liberte de parole dans les debats et qu'ils etaient proteges centre toute arrestation liee a un litige au civil, car 1'assemblee avait droit en priorite a leur presence et a leur participation6. Selon une opinion ancienne, les assemblies avaient le pouvoir d'emprisonner 1'auteur d'un outrage commis en seance et qui avait perturbe ou interrompu leurs travaux7. Get usage s'est developpe dans le Bas et le Haut-Canada et s'est maintenu dans la province du Canada, mais en 1842, on estimait que les assemblies de la colonie n'avaient pas le pouvoir d'emprisonner 1'auteur d'un outrage commis en dehors de 1'assemblee8 et, en 1866, on considerait qu'elles n'avaient meme pas le pouvoir d'emprisonner 1'auteur d'un outrage commis en presence de 1'assemblee9. En d'autres termes, 1'assemblee devait disposer de pouvoirs de protection et de defense, et non pas du pouvoir de punir10. Au debut, les assemblies n'ont pu compter que sur leurs pouvoirs intrinseques parce qu'elles etaient des assemblies coloniales : 1'instrument juridique de leur creation, une proclamation royale ou un acte du Parlement britannique, ne leur octroyait pas ordinairement la meme immunite ou les memes pouvoirs que ceux de la Chambre des communes britannique, juges incompatibles avec leur etat de dependance. Ce n'est qu'en 189611 qu'un tribunal a confirme le pouvoir 6
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C'est ce qu'aurait declare le comte de Bathurst, le 30 decembre 1815. Voir Documents of the Canadian Constitution, Toronto, Oxford University Press, 1918 (sous la dir. de WEM. Kennedy, p. 297). Voir aussi A. Todd, Practices & Privileges of the Houses of Parliament, Toronto, Rogers J. Thompson, 1840, p. 15. Ibid. II semble qu'il n'y ait pas eu d'usage consacre a Terre-Neuve au moment ou la premiere cause a ete entendue en 1842. Par consequent, le Conseil prive a decide que 1'assemblee n'avait pas le pouvoir d'emprisonner 1'auteur d'un outrage qui n'avait pas ete commis en presence de 1'assemblee. Voir Kielley c. Carson, supra, note 4. En 1845, la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick decida que 1'assemblee n'avait pas le pouvoir d'arreter ni d'emprisonner 1'editeur d'un ecrit diffamatoire relatif a la conduite d'un depute et aux deliberations de 1'assemblee. Voir Hill c. Weldon (1845), 5 N.B.R. 1 (C.A.). Doyle c. Falconer (1866), L.R 1 PC. 328 (Dominique). Barton c. Taylor (1886), 11 App. Gas. 197, p. 203. Fielding c. Thomas, [1896] A.C. 600 (N.-E.). En 1876, la Nouvelle-Ecosse et le Manitoba se sont tous deux dotes d'une loi prevoyant les memes privileges que ceux dont jouissait la Chambre des communes du Canada; voir S.N.S. 1876, ch. 22; S.M. 1876, ch. 12. Des lois analogues adoptees en Ontario et au Quebec en 1870 avaient ete revoquees.
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CHAPITRE1
des assemblies provinciates de s'octroyer des privileges a peu pres identiques a ceux que 1'article 18 de la Lot constitutionnelle de 1867 accordait a la Chambre des communes du Canada. Ce tribunal a precise dans 1'arret Fielding c. Thomas que depuis 1865, les anciennes assemblies du Canada (comme celle de Nouvelle-Ecosse) possedaient en vertu de 1'article 5 de la Colonial Laws Validity Act de 186512 le pouvoir de legiferer sur leurs privileges13. Lord Halsbury a declare a propos de 1'article 5 : «le pouvoir semble suffisant pour l'objet», c'est-a-dire pour permettre a 1'assemblee d'une colonie de s'attribuer les privileges des Chambres du Parlement britannique. Si cela etait vrai pour la Nouvelle-Ecosse avant qu'elle devienne une province du Canada, ce 1'etait egalement pour toutes les autres colonies apres 1867 — a 1'exception de la Colombie-Britannique ou, jusqu'en 1870, seule une minorite des membres du conseil etait elue, ainsi que de Terre-Neuve qui a connu, entre 1933 et 1949, un regime de commission de gouvernement etabli par le Royaume-Uni. D'apres Fielding c. Thomas, 1'article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 (auparavant VActe de I'Amerique du Nord britannique) autorise 1'assemblee provinciate a modifier sa constitution, et les privileges parlementaires font partie de la constitution. En ce qui concerne les Chambres du Parlement, etant donne qu'aucun article de la Loi constitutionnelle de 1867 (y compris 1'article 91) ne prevoit que le Parlement peut modifier sa constitution, on a pu juger qu'il fallait une disposition specifique sur les privileges, immunites et pouvoirs des Chambres du Parlement, ce qui n'etait pas necessaire dans le cas des assemblies provinciales existantes. La Loi constitutionnelle de 1867^ prevoit que le Parlement peut prescrire ses propres privileges; en conformite avec cette disposition, la Loi sur le Parlement du Canada^5 enonce clairement que les privileges de la Chambre des communes du Royaume-Uni s'appliquent a chacune des Chambres du Parlement du Canada.
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28 & 29 Victoria, ch. 63 (R.-U). «5. L'assemblee legislative de chaque colonie a, et est reputee avoir eu a tout moment, les pleins pouvoirs dans les limites de sa competence legislative pour etablir des cours de justice, pour les abolir et les reconstituer, pour modifier leur composition et pour veiller a ce que justice y soit rendue. Chaque assemblee representative doit, a 1'egard de la colonie soumise a sa competence, avoir et etre reputee avoir eu en tout temps les pleins pouvoirs d'adopter des lois concernant la composition, les pouvoirs et les procedures d'une telle assemblee, pourvu que ces lois aient ete adoptees de la fagon et dans la forme exigees par les lois du Parlement, lettres patentes, decrets en conseil ou lois coloniales en vigueur a 1'epoque dans ladite colonie.» 30 & 31 Victoria, ch. 3, art. 18 (R.-U.) (telle qu'edictee par la Loi constitutionnelle de 1867, entree en vigueur le 7 avril 1982 — anciennement: Acte de I'Amerique du Nord britannique, 1867). L.R.C. (1985), ch. P-l, art. 4
Introduction
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Objet de cet ouvrage — Les privileges de la Chambre des communes Les privileges, immunites et pouvoirs des Chambres du Parlement et de leurs membres et, en particulier, ceux de la Chambre des communes, constituent 1'objet principal du present ouvrage, bien qu'il y soit aussi question des assemblies provinciales et territoriales et de leurs membres. Toutes les immunites dont jouissent la Chambre des communes et les deputes sont egalement reconnues au Senat et aux senateurs.
La situation des assemblies des provinces En ce qui concerne les provinces, la Loi constitutionnelle de 1867 prevoit16 que les assemblies provinciales ont le pouvoir exclusif de legiferer pour modifier la constitution de la province (sauf les dispositions relatives a la charge de lieutenant-gouverneur). Des questions telles que 1'independance de 1'assemblee face a des ingerences exterieures et la protection des deputes centre les insultes lorsqu'ils sont dans 1'exercice de leurs fonctions sont considerees comme faisant partie de la constitution de la province17. Par consequent, chaque assemblee provinciale aurait le pouvoir de prevoir par une loi une immunite a peu pres identique a celle des Communes du Canada, ce qu'ont d'ailleurs fait toutes les provinces18. En revanche, on peut douter que les assemblies provinciales soient egalement investies du pouvoir qu'ont les Communes d'accorder a leurs membres 1'immunite de 1'obligation de comparaitre comme temoins dans un proces au penal et la protection centre les poursuites penales pour des propos tenus au cours d'un debat. Telle etait, du moins, 1'opinion de la Cour d'appel de 1'Ontario en 1978 dans le renvoi Reference Re Legislative Privilege (voir infra, chapitre 3 — Le privilege de la liberte de parole); la Cour s'est fondee sur les limites de la competence constitutionnelle de 1'assemblee provinciale : seul le Parlement peut legiferer en matiere de droit penal et de procedure penale. En outre, dans 1'arret Fielding c. Thomas, lord Halsbury a fait remarquer que Farticle 5 de la Colonial Laws Validity Act de 1865 16
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Art. 45, 41. Fielding c. Thomas, supra, note 10, p. 610. Les quatre provinces Maritimes, a savoir la Nouvelle-Ecosse, le Nouveau-Brunswick, l'Ile-du-Prince-Edouard et Terre-Neuve, ont adopte des lois prevoyant les memes privileges que ceux de la Chambre des communes du Canada. La Colombie-Britannique a adopte les memes privileges que ceux des Communes britanniques en 1871. Trois autres provinces, a savoir 1'Ontario, le Manitoba et la Saskatchewan, ont prevu des dispositions de sauvegarde, c'est-a-dire que les lois enumerant leurs privileges ne doivent pas etre interpreters comme privant 1'assemblee ou les deputes de droits ou de privileges dont ils pourraient jouir ou se prevaloir, sous reserve qu'ils y soient habilites. L'Alberta a adopte des lois prevoyant les memes privileges que ceux des Communes britanniques, tandis que le Quebec a inscrit dans un texte de loi differents privileges et ce qui constitue leur violation (L.R.Q. 1993, 29, ch. A-23-1).
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CHAPITRE1
permettait aux assemblies pre-Confederation (telles que celle de la Nouvelle-Ecosse) de s'octroyer les privileges de la Chambre des communes britannique, et qu'en vertu de 1'article 88 de la Loi constitutionnelle de 1867, la constitution de 1'assemblee legislative de la province de Nouvelle-Ecosse devait, sous reserve des dispositions de cette loi, rester telle qu'elle existait a 1'epoque de 1'Union (1867), jusqu'a ce qu'elle soit modifiee sous 1'autorite de la loi. Par consequent, sur cette base du moins, il semble que les assemblees provinciales qui existaient au moment de 1'Union en 1867 soient habilitees a adopter des lois prevoyant des privileges identiques a ceux de la Chambre des communes a Ottawa.
La situation des assemblies des territoires En revanche, les assemblees legislatives du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest ont etc creees par des lois federates qui ne leur accordent que des immunites et pouvoirs limites, et ne les habilitent pas a s'octroyer des privileges ou immunites. Etant donne que ces assemblees ne peuvent pas modifier leur propre constitution et ne peuvent done pas s'octroyer des privileges, contrairement aux assemblees provinciales, elles doivent se fonder, dans ce domaine, sur la common law qui prevoit que 1'accessoire est assimile au necessaire, c'est-a-dire que les assemblees regoivent les privileges et immunites accessoires et necessaires a 1'execution de leur fonction legislative. Ce principe exclut le pouvoir d'emprisonner 1'auteur d'un outrage, mais il leur accorde neanmoins un grand nombre des privileges des assemblees provinciales, notamment le pouvoir d'imposer des mesures disciplinaires a leurs propres membres (de sorte que Kielley c. Carson s'appliquerait)19. En outre, une assemblee territoriale peut exclure un depute lorsqu'elle en a la competence en vertu d'une disposition legislative20. Par consequent, les privileges et les immunites dont jouissent les deputes des territoires ne sont pas les memes que ceux dont jouissent les membres du Parlement ou des assemblees legislatives provinciales.
La liberte de parole a la Chambre des communes Les deputes ont la meme liberte de parole que les membres de la Chambre des communes du Royaume-Uni. Cette liberte est decrite a TArticle 9 du Bill of Rights de 168921:
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Les membres elus des conseils municipaux ne jouissent pas de la meme liberte de parole que les membres des assemblees legislatives : leur privilege est limite, c'est-a-dire qu'ils ne sont libres de parler pendant les reunions du conseil sans s'exposer a des poursuites civiles que dans la mesure ou ils le font sans malveillance. Voir infra, chapitre 4. Chamberlist c. Collins (1962), 34 D.L.R. 2e ed., 414 (Norris, J.A.). 1 Will. & Mar. (2e sess.), ch. 2. art. 1 (R.-U.) [1689 selon le calendrier actuel].
Introduction
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L'exercice de la liberte de parole et d'intervention dans les debats et deliberations du Parlement ne peut etre conteste ni mis en cause devant un tribunal quelconque ni ailleurs qu'au Parlement. Cette disposition confere un privilege absolu en droit : lorsqu'un membre de 1'une des Chambres du Parlement parle ou prend part aux deliberations du Parlement, il est protege centre toute poursuite au civil ou au penal, y compris une poursuite intentee en vertu de la Lot sur les secrets of fields.
La liberte de parole dans les assemblies des provinces Du point de vue constitutionnel, il n'est pas certain que les provinces puissent appliquer integralement 1'Article 9 du Bill of Rights de 1689 a leur assemblee legislative. Si elles le pouvaient, leurs deputes jouiraient de la meme immunite que les membres du Parlement centre des poursuites penales et civiles lorsqu'ils prennent la parole ou participent aux deliberations de I'assemblee. Si les assemblies provinciales peuvent adopter des lois prevoyant pour elles-memes et leurs membres les memes privileges que ceux dont jouissent les deputes et la Chambre des communes du Canada, d'apres Fielding c. Thomas, «il suffit de dire que I'assemblee pourrait exonerer ses membres de toute responsabilite civile pour des actes ou des propos tenus devant elle, qu'elle puisse ou non les exonerer de leur responsabilite dans le cas d'une action penale22.»
Les privileges et le droit penal Les privileges des deputes federaux comprennent egalement le droit de ne pas se conformer a une assignation a comparaitre comme temoin dans un proces au penal, ce domaine echappant normalement a la competence legislative des provinces. Cependant, 1'evolution historique de cette immunite de comparution montre qu'elle n'a pas pour objet de faire obstacle aux decisions d'un tribunal, mais qu'elle vise simplement a eviter que les deputes puissent etre empeches d'assister aux seances et d'accomplir leur devoir au Parlement. Par consequent, bien que les assemblies provinciales ne puissent pas legiferer en matiere de droit penal ni de procedure penale, celles qui se sont attribue les privileges de la Chambre des communes du Canada ont neanmoins adopte la meme forme etendue de liberte de parole dans les debats, c'est-a-dire la liberte de ne pas etre cite comme temoin lors d'un 22
Supra, note 11, p. 613. N'eut ete 1'article 18 de la Lot constitutionnelle de 1867, des doutes analogues auraient pu surgir a propos du pouvoir du Parlement d'intervenir dans le domaine des droits civils lorsqu'il legifere sur le privilege. Voir Lefroy, Canada's Federal System, Toronto, Carswell, 1913, p. 159.
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CHAPITRE1
proces au penal, le droit de ne pas avoir a repondre de sa conduite au Parlement devant une juridiction penale et 1'immunite centre des poursuites penales pour des propos tenus au cours d'un debat. On a dit que «la validite de ces lois ne faisait pas le moindre doute»23. Cependant, les tribunaux ne sont pas unanimes sur ce point (voir chap. 4). II convient de noter toutefois, que du moment qu'un depute reconnait la competence d'un tribunal, civil ou penal, il est comme n'importe quel autre temoin, et il est tenu de repondre a toutes les questions au sujet d'une affaire qui n'a rien a voir avec des deliberations parlementaires. (voir aussi chapitre 4). Quelle que soit la portee du privilege parlementaire de la liberte de parole, il fait desormais partie de la Constitution (N.B. Broadcasting c. Nova Scotia Speaker — voir chapitre 14).
Publication en dehors du Parlement Si le depute jouit de toute la protection necessaire dans son travail parlementaire, il est neanmoins exact, en droit, de dire qu'en dehors de la Chambre, il parle et il public a ses risques et perils — on retrouvera cette affirmation a plusieurs reprises dans le present ouvrage. Pourtant, lorsqu'un depute s'occupe de choses etroitement et directement liees aux deliberations du Parlement, son activite donne lieu a un privilege absolu. Ainsi, la correspondance echangee avec un fonctionnaire de la Chambre sur une question a inscrire au Feuilleton releve sans le moindre doute des «deliberations du Parlement» et jouit a ce titre d'un privilege absolu, mais la correspondance deposee a la Chambre et qui n'a aucun lien avec ses deliberations ne beneficie pas de Pimmunite parlementaire du seul fait de son depot.
Les deliberations du Parlement Quand un membre du Parlement ou un depute d'une assemblee legislative participe-t-il aux «deliberations du Parlement» de sorte qu'il beneficie du privilege de 1'immunite parlementaire pour ce qu'il dit ou ce qu'il fait? En 197324, la Cour d'appel de 1'Ontario a decide que la publication d'un communique ou 1'envoi d'un telegramme relatant ce qu'un depute avait dit au Parlement constituait une extension des «deliberations du Parlement»; la cour a ajoute que de tels actes «n'etaient rien de plus ni de moins que 1'execution legitime et legale [...] de ses fonctions dans le cadre des deliberations parlementaires».
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A.B. Keith, Responsible Government in the Dominions, 2e ed., Oxford, Clarendon Press, 1928, vol. 1, p. 370. Roman Corp. c. Hudson's Bay Oil & Gas Co. (1973), (S.C.C.). R.C.S. 820, (1973) 36 D.L.R. (3d) 413, conf. 23 D.L.R. (3d) 292, conf. 18 D.L.R. (3d) 134 (S.C.C.).
Introduction
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Quelques annees plus tard, dans une affaire d'outrage au tribunal25 liee aux declarations d'un depute en dehors de la Chambre, la Cour superieure du Quebec a statue en sens inverse, estimant que les declarations faites en dehors de la Chambre ne donnaient pas lieu a I'immunite parlementaire. La Cour d'appel du Quebec a confirme cette decision. II faudra sans doute une decision de la Cour supreme du Canada pour regler le probleme, mais celle-ci a deja semble desavouer poliment la decision de la Cour d'appel de 1'Ontario dans Paffaire Roman et les declarations en dehors de la Chambre, en s'appuyant toutefois sur d'autres motifs (voir chapitre 5).
Autres privileges La loi prevoit egalement certaines exemptions dans le cas des deputes, car 1'organisme legislatif a un droit prioritaire en ce qui les concerne. Les deputes n'ont pas a faire partie d'un jury et ils sont proteges par 1'immunite d'arrestation dans les procedures civiles, de sorte qu'ils ne peuvent etre accuses d'outrage en matiere civile. Mais, bien qu'ils ne soient pas tenus de temoigner dans des poursuites civiles ou criminelles, ils sont considered au meme titre que tout autre plaideur s'ils sont poursuivis pour un prejudice civil ou une infraction penale.
Les envois collectifs Lorsque la Chambre ordonne la publication d'un «rapport, document ou proces-verbal», cette publication fait 1'objet d'un privilege juridique absolu26. Par contre, lorsque c'est un depute qui fait un envoi collectif, c'est lui qui le public a 1'intention de ses electeurs, et non la Chambre, qui n'en ordonne pas la publication, meme si son personnel en assure 1'impression. Le depute ne peut done pas invoquer le privilege parlementaire pour son contenu.
La competence en matiere de privilege Cette branche du droit pose un autre probleme: qui des tribunaux ou de la Chambre des communes (ou du Senat ou des assemblies provinciales, selon le cas) est competent pour connaitre des questions de 25
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Re Ouellet (N° 1) (1976), 67 D.L.R. (3d) 73, conf. 72 D.L. R. (3d) 95 (C.A. Que.). Dans 1'affaire Re Borowski (1971), 19 D.L.R. (3d) 537 (C.B.R., Man.), le ministre des Transports de la province du Manitoba a ete condamne pour outrage au tribunal pour des propos tenus dans son bureau a 1'interieur de 1'edifice de 1'Assemblee. Cependant, le moyen de defense du privilege parlementaire n'a pas ete invoque. L.R.C. (1985), ch. P-l, art. 7. En 1994, dans le Reglement, Proces-verbaux a ete remplace par Joumaux.
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CHAPITRE1
privilege? Le chapitre 13 est consacre a cette question. Certains deputes pensent que la Chambre peut encore definir ses propres privileges27, mais il serait plus juste de dire qu'elle peut seulement determiner les cas ou il est porte atteinte a ses privileges. Nous verrons que le privilege parlementaire fait partie du droit public general du Canada et que les tribunaux peuvent en connaitre et 1'interpreter comme ils peuvent le faire de tout autre domaine du droit28. Enfin, 1'adoption de la Charte canadienne des droits et libertes (la Charte) en 1982 a oblige a un reexamen de la question. C'est ainsi que le chapitre 14 est consacre a 1'examen de 1'impact de la Charte sur les privileges, pouvoirs et immunites de nos corps legislatifs.
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Voir le debat a la Chambre des communes concernant la decision du juge en chef Evans de la Haute Cour, dans I'arretfle Clark and A. G. Can. (1977), 81 D.L.R. (3d) 33, dans les Debats du 16 novembre 1977, chapitre 13.
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Loi sur le Parlement du Canada, supra, note 15, art. 4, 5, 6.
\\ CHAPITRE 2 Le privilege parlementaire — Apergu general
Le privilege parlementaire est un droit fondamental essentiel a 1'exercice de fonctions constitutionnelles. II s'applique a tout ce qu'un depute «peut dire ou faire en exergant ses fonctions dans le cadre des affaires parlementaires1». Dans tout pays regi par une constitution, les privileges, immunites et pouvoirs du corps legislatif, et les droits et immunites de ses membres revetent une importance primordiale. De toute evidence, aucune assemblee legislative non investie des pouvoirs voulus pour assurer sa protection et celle de ses membres et de ses fonctionnaires dans 1'exercice de leurs fonctions ne pourrait jouer son role efficacement ni preserver son independance et sa dignite2. Au plan juridique, un privilege est 1'exemption d'un devoir, d'une obligation, d'une charge ou d'une responsabilite auxquels d'autres sont soumis. L'article 18 de la Lot constitutionnelle de 1867 et 1'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada renvoient aux privileges de la Chambre des communes britannique en 1867 qui permettent de determiner en quoi consiste le privilege parlementaire3 au Senat et a la Chambre des communes : 18. Les privileges, immunites et pouvoirs que possederont et exerceront le Senat et la Chambre des communes, et les membres de ces corps respectifs, seront ceux presents de temps a autre par acte du Parlement du Canada, mais de maniere a ce qu'aucun acte du Parlement du Canada definissant tels privileges, immunites et pouvoirs ne donnera aucun privilege, immunite ou pouvoir excedant ceux qui, lors de la passation du present acte, sont possedes et exerces par la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande et par les membres de cette Chambre. 4.
Le Senat et la Chambre des communes, respectivement, ainsi que leurs membres respectifs, possedent et exercent
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O'Connor, juge d'appel, R. c. Bunting (1885), O.K. 524 (C.A.), p. 565. Bourinot, Parliamentary Practice & Procedure, 4e ed., p. 37. Parler de privilege «parlementaire» peut etre quelque peu trompeur dans la mesure ou ces droits et pouvoirs particuliers sont revendiques par chacune des deux Chambres, et Chambres non pas par le Parlement dans son ensemble.
2 3
12
CHAPITRE 2
a)
les memes privileges, immunites et attributions que possedaient et exergaient, lorsque a ete vote la Loi constitutionnelle de 1867, la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni, ainsi que ses membres, dans la mesure ou ils ne sont pas incompatibles avec ladite loi; et
b)
les privileges, immunites et attributions qui sont de temps a autre definis par une loi du Parlement du Canada, n'excedant pas ceux que possedaient et exergaient, respectivement, a la date de cette loi, la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni et ses membres.
Ces dispositions seront etudiees aux chapitres 4 a 11; le chapitre 12 examinera 1'usage actuel a la Chambre.
Definition generate Le privilege parlementaire qui forme une partie importante du droit et de la coutume du Parlement fait partie de la loi generale et publique du Canada4. Le privilege parlementaire est 1'indispensable immunite que le droit accorde aux membres du Parlement et aux deputes des dix provinces et des deux territoires pour leur permettre d'effectuer leur travail legislatif. C'est egalement Pimmunite que la loi accorde a tous ceux qui prennent part aux deliberations du Parlement ou d'une assemblee provinciale. II inclut en outre le droit, le pouvoir et 1'autorite en vertu desquels chaque Chambre du Parlement et chacune des 12 assemblies legislatives peut remplir les fonctions que lui assigne la Constitution. Finalement, chaque Chambre du Parlement et chaque assemblee legislative a 1'autorite et le pouvoir de mettre en oeuvre cette immunite et de preserver son integrite. Le corps legislatif a besoin de cette protection juridique ou de cette immunite pour s'acquitter de ses fonctions et pour defendre et consacrer son autorite et sa dignite. Si les membres du corps legislatif jouissent de ces droits et immunites, c'est que 1'assemblee n'est pas en mesure d'agir ni de fonctionner si elle ne peut pas compter sur la pleine participation de ses membres5.
4 5
Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. (1985), ch. P-l, art. 5. Telle est la definition invoquee par le juge Winkler dans Speaker of the Legislative Assembly of Ontario v. Leah Casselman and other persons obstructing access to, or egress from, the Legislative Precinct, Cour de justice de 1'Ontario (Division generale), 18 mars 1996, dossier n° 96 - MU - 1408, Toronto, et citee de la lre edition de 1982.
La definition d'Erskine May
On trouve a la page 69 de la 21e edition du Treatise on the Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament d'Erskine May la definition suivante : Le privilege parlementaire est la somme des droits particuliers a chaque Chambre, collectivement, parlant en tant que parties constitutives de la Haute Cour qu'est le Parlement et aux membres de chaque Chambre individuellement,
Le privilege parlementaire — Aperqu general
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Une definition pratique Lorsque quelqu'un entrave indument un depute dans 1'exercice de ses fonctions parlementaires — c'est-a-dire toute activite du depute qui est en rapport avec une affaire traitee a la Chambre —, cela releve du privilege parlementaire. Toute atteinte a 1'autorite de la Chambre constitue un outrage.
Le caractere accessoire ou de subordination Nous verrons que le caractere accessoire ou subordonne est un trait distinctif du privilege — c'est le moyen d'atteindre un objectif ou de s'acquitter d'une fonction. Pour exercer ses fonctions legislatives, une assemblee a absolument besoin de certains privileges, droits ou immunites, c'est-a-dire qu'elle ne peut pas travailler si elle ne les a pas.
La subordination des droits des deputes aux regies de procedure de la Chambre6 Si, comme nous aliens le voir, le depute jouit de toute 1'immunite necessaire pour s'acquitter de son travail parlementaire, ce privilege ou droit, notamment la liberte de parole, est neanmoins soumis aux
6
(Suite de la note 5) faute desquels il leur serait impossible de s'acquitter de leurs fonctions. Ces droits depassent ceux dont sont investis d'autres organismes ou particuliers. On est done fonde a affirmer que, bien qu'il s'insere dans 1'ensemble des lois, le privilege n'en constitue pas moins, en quelque sorte, une derogation au droit commun. La definition de Redlich Les privileges particuliers de la Chambre des communes britannique sont definis dans The Procedure of the House of Commons de Redlich (1908, vol. 1, p. 46): La somme des droits fondamentaux de la Chambre et de ses membres vis-a-vis des prerogatives de la Couronne, de 1'autorite des tribunaux ordinaires et des droits speciaux de la Chambre des Lords. La definition de Hatsell Les privileges du Parlement, selon Hatsell, dans Precedents of Proceedings in the House of Commons, 3e ed., London, T. Payne, 1976, vol. 1, p. 1, sont les droits qui lui sont «absolument indispensables pour exercer son autorite». II a deja ete signale qu'ils sont egalement subordonnes a la discipline de parti et meme a celle de 1'executif: «Je crois que la doctrine actuelle du privilege parlementaire repose sur un ensemble de faits presumes qui ne se sont pas vraiment produits et ce, depuis le regne de Guillaume III. Elle part du principe que le Parlement et 1'executif (la Couronne) sont deux entites opposees et largement independantes 1'une de 1'autre alors, qu'en fait, il y a entre les deux une interaction et des chevauchements tres importants. A mon avis, le cas de figure qui illustrerait ce fait — et j'insiste sur le fait que ce cas est purement hypothetique — serait celui ou le whip du gouvernement porterait atteinte au privilege d'un simple depute en usant, disons, de la force, du chantage ou de tout autre precede inadmissible a la Chambre. Voila exactement le genre d'usage du pouvoir de 1'executif centre lequel le privilege parlementaire a ete conc,u pour nous mettre a 1'abri. Evidemment, si c'est un membre de la majorite parlementaire qui y recourt, il est extremement difficile de s'en proteger en invoquant la doctrine du privilege parlementaire.» (Earl Russell, devant le Committee on Standards in Public Life(Comite Nolan), 23 fevrier 1995, Premier rapport, mai 1995, C.M. 2850, vol. II, p. 495, R.-U).
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CHAPITRE 2
coutumes et usages de la Chambre7. Par consequent, les pretendues atteintes au privilege invoquees par un depute et qui constituent en realite des plaintes relatives au non-respect des coutumes et usages de la Chambre sont, de par leur veritable nature, des rappels au Reglement8. Etant donne la nature du privilege, une veritable question de privilege ne devrait se poser que rarement a la Chambre. En regie generate, pour mettre le «privilege» en jeu, il faut une obstruction irreguliere, directe ou indirecte a Paccomplissement du travail parlementaire d'un depute, cela etant entendu par opposition a la simple expression de 1'opinion publique ou de critiques a propos des activites des deputes (il doit s'agir, par exemple, de menaces dirigees contre un depute du fait de ce qu'il a dit lors des debats, de reflexions meprisantes sur les deputes, d'allegations de conduite irreguliere pendant les deliberations du Parlement ou d'allegations de partialite de la part du president).
La protection des personnes qui participent aux deliberations du Parlement Finalement, toute personne qui participe aux deliberations du Parlement est revetue de la meme immunite qu'un depute et jouit pareillement de la protection de la Chambre.
L'atteinte au privilege Lorsqu'un particulier ou une autorite passe outre ou porte prejudice a 1'un de ces droits ou de ces immunites et que la question est posee a la Chambre des communes, 1'infraction est appelee «atteinte au privilege* et elle peut donner lieu aux sanctions imposees par le droit parlementaire en cas d'outrage.
L'outrage au Parlement La fac,on la plus appropriee de decrire 1'outrage au Parlement est de dire qu'il consiste en tout ce qui porte atteinte a 1'autorite de la Chambre. Comme cela se produit devant une cour superieure, celui qui, par ses actes ou ses paroles, desobeit ou manque ouvertement de respect a 1'autorite de la Chambre des communes ou du Senat ou a des ordres legitimes qui en emanent, peut etre accuse d'outrage a la Chambre des communes ou au Senat, selon le cas. Par consequent, nous verrons que les Chambres ont le pouvoir ou le droit de reprimer des actes qui, meme s'ils n'apparaissent pas comme des atteintes a un privilege particulier, portent prejudice a 1'autorite ou a la dignite du Parlement. Ces actes peuvent comprendre la desobeissance a des ordres legitimes des Chambres ou constituer des libelles diriges contre elles, leurs fonctionnaires ou leurs 7 8
Voir les Debats, 18 juin 1981, p. 10738. Voir le chapitre 12.
Lepri vilege parlementaire — Aperqu general
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membres. Bien que souvent qualifies d'«atteintes au privilege*, ces actes devraient de fagon plus exacte etre consideres comme des «outrages». On verra que 1'un des privileges de la Chambre en tant que corps constitue est le pouvoir de reprimer 1'outrage, et que la notion d'«outrage au Parlement» n'est pas restrictive. Au chapitre 13, on pourra toutefois constater que l'«atteinte» en question est portee a 1'attention de la Chambre au moyen d'une «question de privileges
Les privileges collectifs et les privileges individuels Les privileges individuels des senateurs et des deputes sont 1'immunite absolue dont ils ont besoin pour s'acquitter de leur travail parlementaire. Les privileges des Chambres sont les moyens indispensables a chacune d'elles pour s'acquitter efficacement de ses fonctions. Par consequent, 1'atteinte a un privilege quelconque constitue un outrage a la Chambre plutot qu'a 1'un de ses membres, car ce dernier n'aurait pas besoin de privileges s'il n'etait pas depute ou senateur. Cependant, les privileges individuels tels que la liberte de parole sont consideres comme appartenant avant tout au depute ou senateur, et seulement de fagon indirecte a la Chambre. Les privileges individuels sont la liberte de parole9, rimmunite d'arrestation en matiere civile10, 1'exemption de 1'obligation de faire partie d'un jury11, et le privilege relatif a 1'assignation a comparaitre comme temoin12. Dans la mesure ou le depute jouit du droit de ne pas etre empeche de faire son travail a la Chambre, toute atteinte a ce droit est assimilable a un outrage a la Chambre. Les privileges collectifs13 du Senat et de la Chambre des communes se composent du pouvoir de reprimer 1'outrage (ou juridiction penale), du droit de prescrire leur propre constitution, du droit de reglementer leurs affaires internes a Fabri de toute ingerence, ce qui inclut le droit de prendre des mesures disciplinaires centre leurs membres, le droit d'enqueter, le droit de convoquer des temoins (temoignages, documents et dossiers) et le droit d'etablir leur propre code de procedure. Nous verrons que, de fagon generate, les pouvoirs, droits, immunites et privileges de 1'assemblee elue et des deputes visent a permettre a ces derniers d'assister aux travaux de 1'assemblee sans etre deranges, et a permettre a 1'assemblee de s'acquitter de ses fonctions et de proteger 1'institution parlementaire centre toute atteinte.
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Voir le chapitre 3. Voir le chapitre 9. Ibid. Ibid. Voir le chapitre 11.
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CHAPITRE 2
L'origine du privilege Certains privileges sont uniquement fondes sur le droit et 1'usage parlementaires, tandis que d'autres ont ete definis par la loi. Pour le reste, c'est dans la common law qu'il faut chercher 1'origine des privileges parlementaires14.
L'origine des privileges anglais Les origines du privilege en Angleterre remontent a 1'epoque d'Edouard le Confesseur et celles de la competence du Parlement en matiere penale, a 1'epoque medievale, ou le Parlement etait avant tout une cour de justice, la Haute Cour du Parlement, et ou la juridiction supreme incombait a la Couronne et aux Lords temporels. L'entourage de la Couronne jouissait de sa protection — la paix du roi. Cette protection a ete revendiquee par les Communes separement jusqu'a ce que son affirmation entre dans 1'usage et qu'elle soit finalement integree au droit public general du pays. (Voir aussi le chapitre 11.)
L'origine des privileges au Canada avant la Confederation Faute d'avoir ete octroyes expressement par le Parlement du Royaume-Uni, les droits, pouvoirs et immunites des assemblies legislatives des colonies et de leurs membres se sont degages de la common law, c'est-a-dire qu'on leur a accorde 1'autorite et le pouvoir necessaires a la fonction legislative, a 1'exception notamment du pouvoir de reprimer 1'outrage15. Nous verrons que ce dernier n'est pas un prolongement juridique fortuit de 1'autorite legislative mais qu'il s'est developpe, dans le cas de la Chambre des communes britannique, a la faveur d'une coutume et d'un usage anciens. La Chambre des communes britannique, qui avait fait partie de 1'ancienne Haute Cour du Parlement, a conserve ce pouvoir apres la separation des deux Chambres du Parlement, en I'affirmant jusqu'a ce qu'il devienne partie integrante de la loi du pays. Elle l'a conserve en vertu de sa fonction judiciaire, c'est-a-dire qu'elle redevient la Haute Cour du Parlement lorsqu'elle est saisie d'une question d'outrage. Les Chambres du Parlement canadien sont investies du meme pouvoir en vertu de la loi16.
L'origine des privileges du Parlement du Canada Ainsi les droits, immunites et privileges du Senat, de la Chambre des communes et de leurs membres tirent leur origine a la fois de la common 14
15
16
Voir WEM. Kennedy, Documents of the Canadian Constitution, et Kielley c. Carson, supra, chap. 1. Kielley c. Carson, supra, note 4; revendication des privileges au Royaume-Uni, May, 21eed.,p. 69-70. Article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867 et art. 4 de la Loi sur le Parlement du Canada; voir appendice.
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law et du droit ecrit, en particulier de 1'article 18 de laLoi constitutionnelle de 186711, tel qu'il a ete modifie en 1875 : 18. Les privileges, immunites et pouvoirs que possederont et exerceront le Senat et la Chambre des communes et les membres de ces corps respectifs, seront ceux presents de temps a autre par acte du Parlement du Canada; mais de maniere a ce qu'aucun acte du Parlement du Canada definissant tels privileges, immunites ou pouvoirs ne donnera aucun privilege, immunite ou pouvoir excedant ceux qui, lors de la passation du present acte, sont possedes et exerces par la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande et par les membres de cette Chambre. A 1'origine, en 1867,1'article 18 etait formule ainsi: 18. Les privileges, immunites et pouvoirs que possederont et exerceront le Senat, la Chambre des communes et les membres de ces corps respectifs, seront ceux presents de temps a autre par acte du Parlement du Canada; ils ne devront cependant jamais exceder ceux possedes et exerces, lors de la passation du present acte, par la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande et par les membres de cette Chambre. L'article 4 de la Lot sur le Parlement du Canada a ete adopte en conformite avec l'article 18 : 4.
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Le Senat et la Chambre des communes, respectivement, ainsi que leurs membres respectifs, possedent et exercent a)
les memes privileges, immunites et attributions que possedaient et exergaient, lorsque a ete vote la Loi constitutionnelle de 1867, la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni, ainsi que ses membres, dans la mesure ou ils ne sont pas incompatibles avec ladite loi18; et
b)
les privileges, immunites et attributions qui sont de temps a autre deflnis par une loi du Parlement du Canada, n'excedant pas ceux que possedaient et exergaient, respectivement, a la date de cette loi, la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni et ses membres19.
38 & 39 Victoria, ch. 38 (R.-U). Adoptee en 1868 en tant que 31 & 32 Victoria, ch. 23, art. 1 (Can.). L'article 4 actuel, y compris le texte de 1'alinea 6) figure dans une loi canadienne dans S.R.C. (1886), ch. 2, art. 3. Cependant, on ne trouve dans aucune loi adoptee au Canada entre 1868 et 18861'enonce actuel de 1'alinea b) qui provient manifestement de 1'art. 18 de la Loi constitutionnelle de 1867.
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CHAPITRE 2
En consequence, alors que 1'article 18 tel qu'il a ete modifie en 187520 donnait au Senat et a la Chambre des communes le droit de definir leurs privileges sans tenir compte de ceux dont jouissaient les Communes britanniques en 1867, la definition que nous trouvons a 1'article 4 de laLoi sur le Parlement du Canada remonte, elle, a 1867, car 1'article 4 a ete adopte en 1868. Le pouvoir de definir ces privileges21 par une loi existe, mais pour determiner 1'etendue des pouvoirs, droits, immunites et privileges du Senat et de la Chambre des communes du Canada, il faut tout d'abord delimiter ceux dont jouissait la Chambre des communes britannique en 1867.
La distinction entre les privileges parlementaires anglais et canadiens avant 1867 En vertu de 1'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, et de 1'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada,le Senat et la Chambre des communes peuvent invoquer 1'autorite de la lex et consuetudeparliamenti qui comporte le pouvoir penal de reprimer 1'outrage, pierre angulaire du privilege parlementaire. Nous verrons qu'il s'agit la du trait distinctif des privileges dont jouissent les Chambres du Parlement du Canada et leurs membres depuis 1867 par rapport aux privileges parlementaires dont ont beneficie 1'Assemblee de Nouvelle-Ecosse en 1758, les Assemblies du Haut et du Bas-Canada et leurs deputes a partir de 1792,1'Assemblee de la province du Canada a partir de 1841 et, en fait, par rapport aux privileges dont jouissaient toutes les provinces avant de se joindre a la Confederation.
La revendication des privileges par le President Au Royaume-Uni La coutume de la requete que le President presente au debut de chaque legislature remonte a 1'Angleterre du XVIe siecle. Dans sa premiere edition22 May signale que les privileges de la Chambre des communes britannique tirent leur origine d'un usage qui s'est impose en tant que tel, et non pas par necessite juridique : Les Lords ont toujours joui des privileges [...] mais 1'usage qui prevaut aux Communes semblerait soumettre leurs privileges a la faveur royale. Au debut de chaque legislature, depuis la 6e legislature du regne d'Henri VIII, la coutume veut que le president: 'reclame humblement au nom des Communes et de leurs membres, la reconnaissance de leurs droits et privileges anciens et incontestables, notamment la protection centre 1'arrestation et les voies de fait sur
20
Supra, note 17.
21
Ibid.
22
1844.
Le privilege parlementaire — Apergu general
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leur personne23, leurs serviteurs24 et leurs biens25, la liberte de parole dans les debats, 1'acces aupres de Sa Majeste en tout temps convenable et 1'interpretation la plus favorable de toutes leurs deliberations26.'
• L'objectifpremier desprivileges anciens II est evident qu'a 1'origine, la revendication de ces droits et privileges, notamment la liberte de parole et la protection centre les arrestations, repondait au souci de ne pas s'attirer la defaveur royale. De meme, on verra que la liberte de parole n'a pas ete acquise pour eviter les actions en diffamation de la part des tiers leses, puisque la publication des debats de la Chambre etait interdite.
• La revendication des privileges au Royaume-Uni aujourd'hui La requete ci-dessus a change de forme plusieurs fois au Royaume-Uni jusqu'en 1892. Sa formulation actuelle est la suivante : Au nom et pour le compte des Communes, de reclamer humblement la reconnaissance de leurs droits et privileges anciens et incontestables, notamment la liberte de parole dans leurs debats, la protection centre les arrestations, 1'acces aupres de la personne de Sa Majeste en tout temps convenable et 1'interpretation la plus favorable de leurs deliberations27.
Au Canada • La revendication des privileges dans le Haut et le Bas-Canada en 1792 La revendication des privileges a 1'Assemblee du Bas-Canada etait tres vaste par sa forme et demandait: «de fagon generate, tous les privileges et libertes dont jouissent les Communes en Grande-Bretagne, notre mere patrie28.» Nous verrons qu'en realite, Passemblee ne jouissait pas de tels pouvoirs29. Dans le Haut-Canada, le President de 1'assemblee revendiquait a juste titre «la liberte des debats, 1'acces a la personne de Sa Majeste et la protection contre les arrestations30».
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25 26 27
28 29 30
Revendication maintenue jusqu'en 1866. Revendication maintenue jusqu'au 5 aout 1892, bien que cette protection ait ete niee par la loi au XVIII6 siecle. Revendication abandonnee depuis le 5 novembre 1852. Page 44. May, Treatise on the Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament,21e ed., sous la direction du juge en chef Boulton, Londres, Butterworths, 1989, p. 70-71. Lower Canada Journal (1792), p. 16. Chapitres 1,11. Upper Canada Journals, 18 septembre 1792, p. 5.
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CHAPITRE 2
• La revendication des privileges au Canada en 1841 Au moment de la creation de la Province du Canada en 1841, le President ne parlait plus de protection contre les arrestations et «[demandait] la reconnaissance de tous les droits et privileges [des deputes], notamment [...] la liberte de parole [...], 1'acces a lapersonne de Votre Excellence en tout temps convenable et que Votre Excellence veuille bien interpreter de la maniere la plus favorable leurs deliberations31».
• La revendication des privileges en 1867 Immediatement apres la Confederation, le President adoptait cette formule-ci: Si, dans 1'execution de ces devoirs, il m'arrive jamais de faire une erreur, je demande que la faute me soit imputee et non aux Communes, dont je suis le serviteur et qui, en vue de s'acquitter le mieux possible de leurs devoirs envers la Reine et le pays, reclament humblement, par ma voix, la reconnaissance de leurs droits et privileges incontestables, notamment la liberte de parole dans leurs debats ainsi que 1'acces aupres de la personne de Votre Excellence en tout temps convenable, et demandent que Votre Excellence veuille bien interpreter de la maniere la plus favorable leurs deliberations32.
• Revendication des privileges a la Chambre des communes aujourd'hui* La petition actuelle a la forme suivante : Si, dans 1'execution de ces devoirs, il m'arrive jamais de faire une erreur, je demande que la faute me soit imputee et non aux Communes, dont je suis le serviteur et qui, en vue de s'acquitter le mieux possible de leurs devoirs envers la Reine et le pays, reclament humblement, par ma voix, la reconnaissance de leurs droits et privileges incontestables, notamment la liberte de parole dans leurs debats ainsi que 1'acces aupres de la personne de Votre Excellence en tout temps convenable, et demandent que Votre Excellence veuille bien interpreter de la maniere la plus favorable leurs deliberations33.
• Les privileges existent independamment de toute revendication Quelles que puissent etre 1'origine et la cause de cet usage, et si considerable que puisse paraitre la concession faite a la Couronne, les privileges du Parlement du Canada sont neanmoins independants de la Couronne et ils existent independamment de la requete traditionnelle. C'est pourquoi, le President du Senat ne met pas en danger le sort du Senat ou de ses membres en ne formulant aucune requete a ce sujet, alors 31 32
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Journals of the Legislative Assembly of the Province of Canada, 15 juin 1841, p. 3. Journals, 1 novembre 1867, p. 2-3. * N.D.T. En anglais, il existe une tres legere difference entre le texte de 1867 et le texte actuel. Senat, Debats, 18 Janvier 1995, p. 3.
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que le President de la Chambre demande au gouverneur general de reconnaitre les privileges de la Chambre.
Une Chambre ne peut creer aucun nouveau privilege Les privileges echappent a I'emprise de la Couronne ou de tout pouvoir autre que celui du Parlement du Canada. Par consequent, la Chambre des communes, le Senat, ou la Couronne ne peuvent creer aucun privilege nouveau parce qu'un tel «privilege» ferait partie du droit public general du Canada, qui releve exclusivement de la competence legislative du Parlement. De meme, un privilege ne peut pas etre restreint ni abroge, si ce n'est par 1'adoption d'un texte legislatif a cet effet.
Le commencement des privileges des deputes Les privileges, droits et immunites d'un depute commencent au moment ou il devient officiellement depute34.
Quand devient-on officiellement depute35? Selon un principe general du droit parlementaire britannique et canadien, le candidat devient officiellement depute au moment ou le
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Bourinot, 4e ed., p. 42; Hatsell, vol. 1, p. 166. Aux fins de 1'indemnite de session, «une personne est reputee devenir [...] membre de la Chambre des communes le jour fixe la derniere fois pour 1'election d'un membre de la Chambre des communes a 1'egard du district electoral qu'elle represente» (Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. (1981), ch. P-l, par. 55(2)). On constate egalement que le privilege de la franchise postale pour un depute prend effet «a la date a laquelle un avis de son election a la Chambre des communes est donne par le directeur general des elections dans une livraison de la Gazette du Canada» (Loi sur la societe canadienne des pastes, L.R.C. (1985), ch. C-10, p. 35(5)). II existe une autre tres importante reference a cette question : 1'art. 50 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui prevoit que «la duree de la Chambre des communes ne sera que de cinq ans, a compter du jour du rapport des brefs d'election, a moins qu'elle ne soit plus tot dissoute par le gouverneur general». Ainsi, en ce qui concerne 1'election federate generale du 25 octobre 1993, les brefs d'election portaient la date du 8 septembre, ils fixaient la date du scrutin au 25 octobre et devaient avoir fait 1'objet d'un rapport le 15 novembre 1993. Le candidat qui, au soir de 1'election, a obtenu le plus grand nombre de voix, n'est pas encore depute. Le president d'elections doit attendre six jours apres la date du decompte officiel des voix avant de transmettre le bref d'election et le proces-verbal au directeur general des elections (Loi electorate du Canada, L.R.C. (1985), ch. E-2, p. 2, art. 189, 73). Au cas ou il regoit un avis de recomptage emis par un juge, le president d'elections doit de nouveau attendre le resultat du recomptage. De plus, cette loi prevoit egalement que «dans le cas d'un rapport premature, le directeur general des elections n'est pas cense 1'avoir regu avant le moment ou il aurait du le recevoir normalement» (par. 191(2)). II est done prevu que le rapport d'election ne puisse etre envoye avant que certains evenements se soient produits et pendant cette periode, la personne qui a recueilli le
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CHAPITRE 2
president d'elections etablit le rapport de son election36. Dans la pratique parlementaire, 1'inscription dans 1'edition speciale de la Gazette du Canada par le directeur general des elections du nom de la personne figurant dans le rapport marque le debut de la charge oflicielle du depute37. Des ce moment, selon la maxime de Coke, «tout citoyen est tenu de savoir quelles sont les personnes dont le nom figure sur la liste officielle de chaque Chambre, sous peine de 1'apprendre a ses depens38».
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(Suite de la note 35) plus grand nombre de voix n'est pas juridiquement membre de la Chambre des communes. Selon 1'ancien usage canadien, qui tirait son origine de 1'usage britannique, «au commencement d'une legislature, le rapport regu par le Grefiier de la Couronne faisait preuve de 1'election d'un membre» (Bourinot, 4e ed., p. 149; Anson, The Law and Custom of the Constitution, 4e ed., Oxford, Clarendon Press, 1911, vol. 1, p. 62-63). C'est ainsi que la personne elue etablissait sa qualite de depute. Une fois qu'elle avait prete serment, elle portait de plein droit le titre de depute (Anson, ibid.). Au Canada, une personne dument elue depute ne peut occuper son siege avant d'avoir prete le serment d'allegeance (Loi constitutionnelle de 1867, art. 128), c'est-a-dire qu'elle doit etre elue depute avant de preter serment. Cependant, 1'usage et les conventions veulent maintenant qu'un depute elu commence a beneficier de ce qui lui est normalement necessaire pour s'acquitter de ses fonctions des que le Greffier de la Chambre regoit 1'avis de son election du directeur general des elections. Ce que le Greffier regoit est un exemplaire de 1'edition ordinaire ou speciale de la Gazette du Canada dans laquelle le directeur general des elections est oblige de «donner avis du nom du candidat ainsi elu [...] suivant 1'ordre dans lequel il a re