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French Pages 346 [345] Year 1999
Dis
JEAN-MARIE SCHAEFFER Jamais l'humanité n'a consommé autant de fictions que de nos
jours, et jamais elle n’a disposé d’autant de techniques
différentes pour étancher cette soif d’univers imaginaires.
POURQUOI LA FICTION ?
En même temps, comme en témoignent les débats autour « réalités virtuelles », nous continuons à vivre à l'ombre
des
du soupçon platonicien : la mimèsis n'est-elle pas une vaine apparence, au
pire
un
au
mieux
leurre dangereux?
Pour répondre au soupçon antimimétique et mieux comprendre l’ attrait universel des fictions, il faut remonter au
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1E$e
*
fondement anthropologique du dispositif fictionnel. est une conquête
Pâére
un
rôle indispensable dans l’économie de
nos représentations mentales.
Quant
loin d’être des apparences illusoires
aux
ou des
univers fictifs,
constructions
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rapport
au réel.
Et cela vaut pour toute fiction. Les
œuvres
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d'art mimétiques ne s'opposent donc pas aux formes quotidiennes plus humbles de l’activité fictionnelle: elles en sont le
prolongement naturel.
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mensongères, ils sont une des faces majeures de notre
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relle indissociable de l’'humanisation, et que la compétence
fictionnelle joue
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Jean-Marie Schaeffer, directeur de recherche au CNRS, travaille dans le domaine de l'esthétique générale et de la théorie littéraire.
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ISBN 2.02.034708.3 / Imprimé
en
France 9.99
SET
III NNND | DID
CE LIVRE EST PUBLIÉ DANS LA COLLECTION
POËTIQUE DIRIGÉE PAR GÉRARD GÉNETTE
Introduction
Les exigences de l’information estivale étant ce qu’elles sont, le quotidien Libération daté du 26-27 juillet 1996 attirait le chaland grâce aux charmes d’une créature nommée Lara Croft. À côté d’une reproduction de la jeune femme « armée d’un Uzi, en bikini signé Gucci » et sous le titre « Une star virtuelle est née », on pouvait lire : « Bien roulée, intrépide, rusée, Lara Croft fait tourner la tête à des millions de terriens. Mythe sexuel déshabillé sur une multitude de sites Internet, elle ne risque pas de vieillir : Lara Croft est l'héroïne d’un jeu vidéo, Tomb Raider, au succès gigantesque : plus de 2 millions d’exemplaires vendus dans le monde dont 300 000 en France. Au-delà d'énormes enjeux économiques, cette créature de bits et de pixels, et l’engouement qu’elle suscite, sont des symptômes d’une nouvelle culture. » Selon les déclarations, deux pages plus loin, d’un responsable d’une firme spécialisée dans les trucages digitaux pour le cinéma, cette nouvelle culture la « cyberculture » allait être une « évolution comparable à la Renaissance ». Ce qui était frappant dans ce dossier, par ailleurs excellent, était de voir un jeu vidéo donc, séemblerait-il, un univers fictionnel interactif — élevé au statut de de la «cyberCulture », c’est-à-dire de l’ensemble des pratiques culturelles liées onererets Pas ENS UN aux médias numériques. Bien sûr, c’est moi qui emploie l’expresSion « univers fictionnel ». Dans les milieux de la « cyberculture » on parlerait plus volontiers de « réalité », afin de distinguer entre les univers numériques et les fictions «traditionñelles ». Les articles de Libération suggéraient en tout cas l’idée ‘d’un lien essentiel entre la révolution technologique du numérique et une révolution parallèle qui concernerait l’imaginaire —
—
—
—
—
symptôme SERRES
Ê
ISBN
2-02-034708-3
© Éditions du Seuil, septembre 1999 Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, esi ite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
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virtuelle
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CE LIVRE EST PUBLIÉ DANS LA COLLECTION
POËTIQUE DIRIGÉE PAR GÉRARD GÉNETTE
Introduction
Les exigences de l’information estivale étant ce qu’elles sont, le quotidien Libération daté du 26-27 juillet 1996 attirait le chaland grâce aux charmes d’une créature nommée Lara Croft. À côté d’une reproduction de la jeune femme « armée d’un Uzi, en bikini signé Gucci » et sous le titre « Une star virtuelle est née », on pouvait lire : « Bien roulée, intrépide, rusée, Lara Croft fait tourner la tête à des millions de terriens. Mythe sexuel déshabillé sur une multitude de sites Internet, elle ne risque pas de vieillir : Lara Croft est l'héroïne d’un jeu vidéo, Tomb Raider, au succès gigantesque : plus de 2 millions d’exemplaires vendus dans le monde dont 300 000 en France. Au-delà d'énormes enjeux économiques, cette créature de bits et de pixels, et l’engouement qu’elle suscite, sont des symptômes d’une nouvelle culture. » Selon les déclarations, deux pages plus loin, d’un responsable d’une firme spécialisée dans les trucages digitaux pour le cinéma, cette nouvelle culture la « cyberculture » allait être une « évolution comparable à la Renaissance ». Ce qui était frappant dans ce dossier, par ailleurs excellent, était de voir un jeu vidéo donc, séemblerait-il, un univers fictionnel interactif — élevé au statut de de la «cyberCulture », c’est-à-dire de l’ensemble des pratiques culturelles liées onererets Pas ENS UN aux médias numériques. Bien sûr, c’est moi qui emploie l’expresSion « univers fictionnel ». Dans les milieux de la « cyberculture » on parlerait plus volontiers de « réalité », afin de distinguer entre les univers numériques et les fictions «traditionñelles ». Les articles de Libération suggéraient en tout cas l’idée ‘d’un lien essentiel entre la révolution technologique du numérique et une révolution parallèle qui concernerait l’imaginaire —
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symptôme SERRES
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2-02-034708-3
© Éditions du Seuil, septembre 1999 Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, esi ite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
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r
INTRODUCTION
POURQUOI LA FICTION ?
—
d’années. Mais elle donne lieu à deux interprétations opposées. Le dossier consacré à Lara Croft est typique de l’interprétation
euphorique. S'y oppose une variante radicalement dysphorique, exposée elle aussi plus d’une fois dans le même quotidien. Son point de départ est le même la révolution numérique va faire entrer l’humanité dans une ère nouvelle, celle des« réalités virtüelles ». Maiselle en tire une conclusion tout à fait différente cette révolution annonce la fin de la réalité « vraie ». La « cyberculture » aboutira à la victoire des simulacres sur le réel, ou du moins à une indifférenciation des deux: nous allons entrer dans ge une ère caractériséeparlafin dü partage ontologique entre l’être (authentique) etl’apparence (illusoire). Le fait que ces deux positions résument l’essentiel des opinions échangées sur la place publique au sujet de la révolution « cybernétique » est révélateur. Manifestement, il nous est difficile de parler de la simulation numérique autrement qu’en termes extrêmes, soit dans la perspective enthousiasmée d’une conquête des espaces virtuels infinis, soit dans celle, opposée, de l’eschatologie d’une humanité condamnée à vivre dans le semblant et manipulée par des structures de pouvoir totalitaire la Orwell. Mais le point important est ailleurs bien que les deux versions
:
da
NON NN » DONS
humain. Nous assisterions actuellement à la naissance d’une nouvelle modalité d’être, la « réalité virtuelle » différente à la fois de la réalité « vraie » er des produits traditionnels de l’imaginaire humain, c’est-à-dire des fictions. En qualifiant Lara Croft de «star », donc en lui accordant le statut d’une actrice virtuelle plutôt que celui d’un « simple » personnage de fiction, le journal reprenait ce postulat à son compte. Cette conception de la révolution numérique n’est pas nouvelle: elle circule un peu partout depuis une bonne dizaine
:
:
à
s'opposent quant aux conséquences de la « cyberculture » pour l’avenir de l’humanité, elles s’accordent au niveau de leur. EUrS prémisses. Toutes les deux soutiennent que les réalités crééesgrâce aux techniques numériques possèdent un statut radicalement Ge, nouveau, irréductible à tout ce que l” humanité a connu jusqu’ic ici. Or, ces prémisses donnent lieu à des équivoques croisées. La, vision euphorique dé la révolution numérique, illustrée par le dossier consacré à Lara Croft, élève un banaljeu fictionnelau D
_—
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à
8
niveau d’une modalitéontologique supposée nouvelle, celle de la « réalité virtuelle ». La vision concurrente dénonce cette même « réalité virtuelle » comme « simulacre » et comme « semblant » autant de termes traditionnellement utilisés pour condamner. la fiction. Voilà qui est pour le moins étrange. Loin de moi l’idée de vouloir sous-estimer les bouleversements profonds que la révolution numérique et en l’occurrence le terme de « révolution » ne me semble pas trop fort entraînera (entraîne déjà) dans les domaines des sciences, des technologies, de l’information et de la communication. Cette puissance transformatrice du numérique est intimement liée au fait qu’il s’agit d’un outil généraliste, car, comme le souligne Claude Cadoz, la machine informatique a ceci d’exclusif qu’elle intervient à elle seule dans les trois domaines, celui de l’action, celui de l’observation et de la connaissance du réel, et celui de la communication! ». Par ailleurs, il n’y a guère de doute que l’utilisation des techniques numériques ouvre de nouvelles possibilités à la fiction. Ces nouvelles formes de fiction réarrangeront même peutêtre jusqu’à un certain point les relations traditionnelles entre la fiction et les autres formes d’interaction avec la réalité. Mais —
—
—
..
ne justifie les Présupposés implicites des deux thèses en présence, ni donc les scénarios historiques qu’elles
rien de tout cela
développent. Le scénario catastrophe est particulièrement peu convaincant. D'abord, l’idée même d’une possible victoire des simulacres sur la réalité me paraît absurde. Supposons pour un moment que l’humanité « décide » de ne plus distinguer entre le vrai et le faux, ou que l’évolution technologique l’amène un jour à confondre le réel et l’imaginaire (par exemple la copulation réelle avec le « cybersexe ») : si une telle chose arrivait, elle n’aboutirait pas à la naissance d’une société totalement aliénée mais, plus prosaïquement, à la disparition rapide de notre espèce envahissante. Ensuite, heureusement (ou malheureusement, du point de vue de la plupart des autres espèces), la révolution numérique n’a strictement rien à voir avec une quelconque victoire des simulacres sur la réalité ou sur la représentation véridique. Les techniques numériques don1.
Cadoz (1994), p. 72.
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INTRODUCTION
POURQUOI LA FICTION ?
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d’années. Mais elle donne lieu à deux interprétations opposées. Le dossier consacré à Lara Croft est typique de l’interprétation
euphorique. S'y oppose une variante radicalement dysphorique, exposée elle aussi plus d’une fois dans le même quotidien. Son point de départ est le même la révolution numérique va faire entrer l’humanité dans une ère nouvelle, celle des« réalités virtüelles ». Maiselle en tire une conclusion tout à fait différente cette révolution annonce la fin de la réalité « vraie ». La « cyberculture » aboutira à la victoire des simulacres sur le réel, ou du moins à une indifférenciation des deux: nous allons entrer dans ge une ère caractériséeparlafin dü partage ontologique entre l’être (authentique) etl’apparence (illusoire). Le fait que ces deux positions résument l’essentiel des opinions échangées sur la place publique au sujet de la révolution « cybernétique » est révélateur. Manifestement, il nous est difficile de parler de la simulation numérique autrement qu’en termes extrêmes, soit dans la perspective enthousiasmée d’une conquête des espaces virtuels infinis, soit dans celle, opposée, de l’eschatologie d’une humanité condamnée à vivre dans le semblant et manipulée par des structures de pouvoir totalitaire la Orwell. Mais le point important est ailleurs bien que les deux versions
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humain. Nous assisterions actuellement à la naissance d’une nouvelle modalité d’être, la « réalité virtuelle » différente à la fois de la réalité « vraie » er des produits traditionnels de l’imaginaire humain, c’est-à-dire des fictions. En qualifiant Lara Croft de «star », donc en lui accordant le statut d’une actrice virtuelle plutôt que celui d’un « simple » personnage de fiction, le journal reprenait ce postulat à son compte. Cette conception de la révolution numérique n’est pas nouvelle: elle circule un peu partout depuis une bonne dizaine
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s'opposent quant aux conséquences de la « cyberculture » pour l’avenir de l’humanité, elles s’accordent au niveau de leur. EUrS prémisses. Toutes les deux soutiennent que les réalités crééesgrâce aux techniques numériques possèdent un statut radicalement Ge, nouveau, irréductible à tout ce que l” humanité a connu jusqu’ic ici. Or, ces prémisses donnent lieu à des équivoques croisées. La, vision euphorique dé la révolution numérique, illustrée par le dossier consacré à Lara Croft, élève un banaljeu fictionnelau D
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niveau d’une modalitéontologique supposée nouvelle, celle de la « réalité virtuelle ». La vision concurrente dénonce cette même « réalité virtuelle » comme « simulacre » et comme « semblant » autant de termes traditionnellement utilisés pour condamner. la fiction. Voilà qui est pour le moins étrange. Loin de moi l’idée de vouloir sous-estimer les bouleversements profonds que la révolution numérique et en l’occurrence le terme de « révolution » ne me semble pas trop fort entraînera (entraîne déjà) dans les domaines des sciences, des technologies, de l’information et de la communication. Cette puissance transformatrice du numérique est intimement liée au fait qu’il s’agit d’un outil généraliste, car, comme le souligne Claude Cadoz, la machine informatique a ceci d’exclusif qu’elle intervient à elle seule dans les trois domaines, celui de l’action, celui de l’observation et de la connaissance du réel, et celui de la communication! ». Par ailleurs, il n’y a guère de doute que l’utilisation des techniques numériques ouvre de nouvelles possibilités à la fiction. Ces nouvelles formes de fiction réarrangeront même peutêtre jusqu’à un certain point les relations traditionnelles entre la fiction et les autres formes d’interaction avec la réalité. Mais —
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ne justifie les Présupposés implicites des deux thèses en présence, ni donc les scénarios historiques qu’elles
rien de tout cela
développent. Le scénario catastrophe est particulièrement peu convaincant. D'abord, l’idée même d’une possible victoire des simulacres sur la réalité me paraît absurde. Supposons pour un moment que l’humanité « décide » de ne plus distinguer entre le vrai et le faux, ou que l’évolution technologique l’amène un jour à confondre le réel et l’imaginaire (par exemple la copulation réelle avec le « cybersexe ») : si une telle chose arrivait, elle n’aboutirait pas à la naissance d’une société totalement aliénée mais, plus prosaïquement, à la disparition rapide de notre espèce envahissante. Ensuite, heureusement (ou malheureusement, du point de vue de la plupart des autres espèces), la révolution numérique n’a strictement rien à voir avec une quelconque victoire des simulacres sur la réalité ou sur la représentation véridique. Les techniques numériques don1.
Cadoz (1994), p. 72.
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POURQUOI LA FICTION ?
INTRODUCTION
nent certes naissance à des « réalités virtuelles », mais la « virtualisation » du monde n’est pas la même chose que sa fictionnalisation : le virtuel comme tel s’oppose à l’actuel et non pas à la réalité?; seule la fiction peut être dite s’opposer à la « réalité » (encore que lorsqu’on a dit cela, on n’a rien dit du tout). Enfin, contrairement à ce que présupposent les chantres tout autant
séquences filmiques n’influe pas sur son statut ce qui montre bienque la fiction numérique ne bouleverse pas le statut logique de la fiction (par rapport à la « réalité »), maïs se borne à mettre à notre disposition de nouvelles façons de fabriquer et de consommer des fictions (ce qui n’est déjà pas mal).
que les Cassandres de la révolution numérique, la virtualisation
n’est nullement une invention de l’ère numérique. Les « réalités Virtuelles » naissent avec les systèmes biologiques de représentation : route représentation mentale est une réalité virtuelle. Il y a donc bien un lien entre le virtuel et la fiction: étant une modalité particulière de la représentation, celle-ci est du même coup une forme spécifique du virtuel. Maïs en tant que forme spécifique, elle est précisément irréductible à Ia définition générale du virtuel. La thèse selon laquelle Ia révolution numérique signeraitla naissance d’une nouvelle modalité de l’imaginaire humain, statua
men
nn
selon
Diution
I:
numérique
s
l
à 308
un a
—
—
Julien Sorel), à travers une empreinte filmique (tel Indiana Jones) où graphiquement (tel Droopy). Âu niveau de son statut ontologique, Lara Croft n’est ni plus ni moins « virtuelle » que n’impemsess 22
ee
Del
Ÿ
men
porte quel autre personnage imaginaire, Le fait qu'ils ’agisse d’un personnage de fictionincarné dans une simulation numérique de
ra
NN
DIT
tairement différente de celle des fictionstraditionnelles, repose sur lamême confusion. Celle-ci est parfaitement illustrée par l’article de Libération lorsqu'il transfiguré le personnage de fiction qu’est Lara Croft en une « star virtuelle ». Car, si (provisoirement du moins) on laisse de côté le fait que Lara Croft est un personnage dejeu plutôt qu’un personnage de récit (différence qui pointe effectivement vers un aspect intéressant des fictions numériques), elle se distingue de ses ancêtres non numériques uniquement en ce qu’elle est « générée » par un code digital, alors que ceux-là étaient et sont toujours créés à travers le langage (tel
2. Voir Lévy (1995), p. 13 sg.
3. Pierre Lévy (op. cit., p.69) fait remonter la naissance des procédures de virtualisation à la naissance du langage: en fait, le langage n’est que le plus complexeef le dernier en date des systèmes représentationnels développés au cours de l’évôlution des espèces. Même le système représentationnel le plus primitif présuppose déjà une modélisation (et donc une virtualisation) du monde extérieur. em
ammn:crt
u
10
—
.
Mais pourquoi introduire un livre qui est censé traiter de la
cyberculture » ? N'est-ce pas se donner un point de départbien à propos ?? II me semble que. cette double objection äppélle une double réponse. D'abord, je ne sais pas si les réalités «
futile et peu sr ns ea
en ‘question relèvent du domaine du futile. Après tout, le partage ëntre le sérieux et le futile ne passe pas au même endroit pour tout le monde, comme en témoigne le fait que même la fiction littéraire, pourtant unanimement célébrée de nos jours, a dans le passé souvent été accusée de futilité. En second lieu, et c’est en réalité la seule chose qui importe, même si le diagnostic de futilité était acquis, il n’en resterait pas moins qu'aujourd'hui la question de lafiction est aussi celle desjeux vidéos et de la « cyberculture ». D'abord,est indéniable que les jeux vidéo sont en train de prendre uneplace de plus en plus grande dans l’imaginaire et donc dans la culture fictionnelle de nos enfants et petits-enfants, comme en témoigne notamment Îe fait que leur forme ludique originaire est de plus en plus souvent le point de départ pour des représentations fictionnelles au sens canonique du terme, par exemple de ëf s ilms ou des séries télé. Cela justifierait déjà leur prise en compte par quiconque se pose la question de la fiction. Mais il existe une raison plus profonde pour laquelle on ne saurait les ignorer. Je suis convaincu qu’on ne peut pas comprendre ce qu'est la fiction si on ne part pas des mécanismes fondamentaux du « faire-comme-si» de la feintise ludique et de la simulation imaginative dont la genèse s’observe dans les jeux de rôles et moe
il
—
—
—
—
les rêveries de la petite enfance. Or,les jeux vidéo mettent en œuvre les mêmes aptitudes pour pouvoir r jouer à_un jeu numérique, il faut être capable d’entrer dans un univers régi par la fein_tise ludique. Ils constituent doncune des portes d’entrée possibles “pour la question plus générale des relations entre 1Es jeux Tictions
:
nels et la fiction au senscanonique du terme. 11
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POURQUOI LA FICTION ?
INTRODUCTION
nent certes naissance à des « réalités virtuelles », mais la « virtualisation » du monde n’est pas la même chose que sa fictionnalisation : le virtuel comme tel s’oppose à l’actuel et non pas à la réalité?; seule la fiction peut être dite s’opposer à la « réalité » (encore que lorsqu’on a dit cela, on n’a rien dit du tout). Enfin, contrairement à ce que présupposent les chantres tout autant
séquences filmiques n’influe pas sur son statut ce qui montre bienque la fiction numérique ne bouleverse pas le statut logique de la fiction (par rapport à la « réalité »), maïs se borne à mettre à notre disposition de nouvelles façons de fabriquer et de consommer des fictions (ce qui n’est déjà pas mal).
que les Cassandres de la révolution numérique, la virtualisation
n’est nullement une invention de l’ère numérique. Les « réalités Virtuelles » naissent avec les systèmes biologiques de représentation : route représentation mentale est une réalité virtuelle. Il y a donc bien un lien entre le virtuel et la fiction: étant une modalité particulière de la représentation, celle-ci est du même coup une forme spécifique du virtuel. Maïs en tant que forme spécifique, elle est précisément irréductible à Ia définition générale du virtuel. La thèse selon laquelle Ia révolution numérique signeraitla naissance d’une nouvelle modalité de l’imaginaire humain, statua
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Diution
I:
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à 308
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Julien Sorel), à travers une empreinte filmique (tel Indiana Jones) où graphiquement (tel Droopy). Âu niveau de son statut ontologique, Lara Croft n’est ni plus ni moins « virtuelle » que n’impemsess 22
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tairement différente de celle des fictionstraditionnelles, repose sur lamême confusion. Celle-ci est parfaitement illustrée par l’article de Libération lorsqu'il transfiguré le personnage de fiction qu’est Lara Croft en une « star virtuelle ». Car, si (provisoirement du moins) on laisse de côté le fait que Lara Croft est un personnage dejeu plutôt qu’un personnage de récit (différence qui pointe effectivement vers un aspect intéressant des fictions numériques), elle se distingue de ses ancêtres non numériques uniquement en ce qu’elle est « générée » par un code digital, alors que ceux-là étaient et sont toujours créés à travers le langage (tel
2. Voir Lévy (1995), p. 13 sg.
3. Pierre Lévy (op. cit., p.69) fait remonter la naissance des procédures de virtualisation à la naissance du langage: en fait, le langage n’est que le plus complexeef le dernier en date des systèmes représentationnels développés au cours de l’évôlution des espèces. Même le système représentationnel le plus primitif présuppose déjà une modélisation (et donc une virtualisation) du monde extérieur. em
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Mais pourquoi introduire un livre qui est censé traiter de la
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en ‘question relèvent du domaine du futile. Après tout, le partage ëntre le sérieux et le futile ne passe pas au même endroit pour tout le monde, comme en témoigne le fait que même la fiction littéraire, pourtant unanimement célébrée de nos jours, a dans le passé souvent été accusée de futilité. En second lieu, et c’est en réalité la seule chose qui importe, même si le diagnostic de futilité était acquis, il n’en resterait pas moins qu'aujourd'hui la question de lafiction est aussi celle desjeux vidéos et de la « cyberculture ». D'abord,est indéniable que les jeux vidéo sont en train de prendre uneplace de plus en plus grande dans l’imaginaire et donc dans la culture fictionnelle de nos enfants et petits-enfants, comme en témoigne notamment Îe fait que leur forme ludique originaire est de plus en plus souvent le point de départ pour des représentations fictionnelles au sens canonique du terme, par exemple de ëf s ilms ou des séries télé. Cela justifierait déjà leur prise en compte par quiconque se pose la question de la fiction. Mais il existe une raison plus profonde pour laquelle on ne saurait les ignorer. Je suis convaincu qu’on ne peut pas comprendre ce qu'est la fiction si on ne part pas des mécanismes fondamentaux du « faire-comme-si» de la feintise ludique et de la simulation imaginative dont la genèse s’observe dans les jeux de rôles et moe
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:
nels et la fiction au senscanonique du terme. 11
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DID er
II
POURQUOI LA FICTION ?
INTRODUCTION
Quant à la « cyberculture » dans sa généralité, si les débats qu’elle provoque ne nous apprennent pas grand-chose sur la révolution numérique, ils nous renseignent (involontairement) sur ce qu’il en est de la question de la fiction en cette fin du xx°* siècle. Comme je l’ai indiqué, la « révolution numérique » n’a, en ellemême, aucun lien intéressant avec la question du « semblant », et donc de la fiction. Je ne veux pas suggérer par là que l’inquiétude que certains ressentent face au développement des médias numériques soit sans objet. De tout temps, les hommes ont mis leurs avancées technologiques au service des buts les plus divers, en sorte que les conséquences en ont été en général mitigées. Il faudrait être naïf pour croire qu’il pourrait en aller autrement dans le cas des techniques numériques. Mais ces risques, quels qu’ils soient, ne sauraient expliquer la virulence et le caractère souvent eschatologique des polémiques, ni leur polarisation sur une sup-
lités multiples des arts de la fiction. Cetteperspective m’amènera à (re)donner une place centrale à la notion de mimèsis. L’imitation, la ressemblance, la feintise, l'illusion, etc., sont des termes qui, actuellement du moins, ont plutôt mauvaise presse: les faits qu’ils désignent sont souvent décrétés incompatibles avec tout art « véritable » et les notions analytiques auxquelles ils correspondent sont censées être dépourvues de toute pertinence dans le domaine de Îa réflexion sur les arts. J’espère montrer que non seulement il s’agit de catégories indispensables, mais encore qu’elles désignent des procédés techniques ou des effets quijouent un rôle central dans d’innombrables activités artis-
VIIIDI
posée hégémonie des « simulacres ». La situation s’éclaire en revanche dès qu’on prend conscience du fait que l’ argumentation sur faquellerepose la vision dysphorique de l’avenir « cybernétique » est largement empruntée aux accusations traditionnellement formulées contre la fiction. Autrement dit, sous les dehors
A
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II III
d une mise en garde contre les dangers de la révolution numérique se cache tout bonnement l’antique problème de la fiction. Le débat actuel n’est donc que le dernier avatar d’un questionnement qui est récurrent dans la culture occidentale depuis la Grèce antique. Cela explique pourquoi il ne nous aide guère à évaluer ‘les dangers éventuels de la révolution numérique, mais nous en apprend en revanche effectivement beaucoup sur l’attitude ambivalente que nous continuons d’entretenirà l’égard de la création fictionnelle. En fait, il démontre qu’en ce qui concerne notre attitude face à la fiction, nous sommes toujours les contemporains de
Platon.
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IIDIIIVION
Lecontexte
que je viens d’esquisser délimite en creux lebut
:SUSCEpHIE de nous faire comprendre son rôle central dans la Culturehumaine, etqui du même coup explique l’importance anthropologique des arts mimétiques, en tant que ces arts sont aussi— dans des proportionscërtes Variableset selon des modaSOIT
12
—
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tiques. Ce faisant, je ne prétends pas faire œuvre novatrice: la voie que j’emprunterai a été ouverte par d’autres travaux auxquels j’aurai l’occasion de me référer au fil des pages. Il convient cependant de ne pas se méprendre sur la fonction que j’accorderai à la question de la mimésis. Tous les arts ne sont pas représentationnels : la catégorie ne saurait donc constituer le fondement d’une théorie générale des arts. Il serait tout aussi abusif d’identifier les arts de la représentation aux mécanismes mimétiques qu’ils mettent en œuvre. D’une part, le fait de représenter quelque chose ne peut jamais être réduit au fait d’imiter quelque chose, même dans les cas où la représentation passe par des mécanismes mimétiques. D’autre part, la fiction est une réalité « émergente », c’est-à-dire qu’il s’agit d’un fait intentionnel spécifique qui est irréductible à la simple addition de ses mécanismes de base. En revanche, je me propose de réaffirmer les
liens (réels, mais trop souvent
ROSE ES activités mimé-
dans la vie des êtres humains qui permet de comprendre pourquoi les arts de la représentation tendent si souvent (bien que pas toujours) à une exacerbation de l’effet mimétique. Seule üne compréhension adéquate des fondements anthropologiques des activités mimétiques peut nous éclairer sur le soubassement Ep Commun des arts mimétiques et nous indiquer la source primaire de l'attrait que depuis des tempsimmémoriaux ils necessent d'exercer sur les êtres humains. 2
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POURQUOI LA FICTION ?
INTRODUCTION
Quant à la « cyberculture » dans sa généralité, si les débats qu’elle provoque ne nous apprennent pas grand-chose sur la révolution numérique, ils nous renseignent (involontairement) sur ce qu’il en est de la question de la fiction en cette fin du xx°* siècle. Comme je l’ai indiqué, la « révolution numérique » n’a, en ellemême, aucun lien intéressant avec la question du « semblant », et donc de la fiction. Je ne veux pas suggérer par là que l’inquiétude que certains ressentent face au développement des médias numériques soit sans objet. De tout temps, les hommes ont mis leurs avancées technologiques au service des buts les plus divers, en sorte que les conséquences en ont été en général mitigées. Il faudrait être naïf pour croire qu’il pourrait en aller autrement dans le cas des techniques numériques. Mais ces risques, quels qu’ils soient, ne sauraient expliquer la virulence et le caractère souvent eschatologique des polémiques, ni leur polarisation sur une sup-
lités multiples des arts de la fiction. Cetteperspective m’amènera à (re)donner une place centrale à la notion de mimèsis. L’imitation, la ressemblance, la feintise, l'illusion, etc., sont des termes qui, actuellement du moins, ont plutôt mauvaise presse: les faits qu’ils désignent sont souvent décrétés incompatibles avec tout art « véritable » et les notions analytiques auxquelles ils correspondent sont censées être dépourvues de toute pertinence dans le domaine de Îa réflexion sur les arts. J’espère montrer que non seulement il s’agit de catégories indispensables, mais encore qu’elles désignent des procédés techniques ou des effets quijouent un rôle central dans d’innombrables activités artis-
VIIIDI
posée hégémonie des « simulacres ». La situation s’éclaire en revanche dès qu’on prend conscience du fait que l’ argumentation sur faquellerepose la vision dysphorique de l’avenir « cybernétique » est largement empruntée aux accusations traditionnellement formulées contre la fiction. Autrement dit, sous les dehors
A
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II III
d une mise en garde contre les dangers de la révolution numérique se cache tout bonnement l’antique problème de la fiction. Le débat actuel n’est donc que le dernier avatar d’un questionnement qui est récurrent dans la culture occidentale depuis la Grèce antique. Cela explique pourquoi il ne nous aide guère à évaluer ‘les dangers éventuels de la révolution numérique, mais nous en apprend en revanche effectivement beaucoup sur l’attitude ambivalente que nous continuons d’entretenirà l’égard de la création fictionnelle. En fait, il démontre qu’en ce qui concerne notre attitude face à la fiction, nous sommes toujours les contemporains de
Platon.
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IIDIIIVION
Lecontexte
que je viens d’esquisser délimite en creux lebut
:SUSCEpHIE de nous faire comprendre son rôle central dans la Culturehumaine, etqui du même coup explique l’importance anthropologique des arts mimétiques, en tant que ces arts sont aussi— dans des proportionscërtes Variableset selon des modaSOIT
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—
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tiques. Ce faisant, je ne prétends pas faire œuvre novatrice: la voie que j’emprunterai a été ouverte par d’autres travaux auxquels j’aurai l’occasion de me référer au fil des pages. Il convient cependant de ne pas se méprendre sur la fonction que j’accorderai à la question de la mimésis. Tous les arts ne sont pas représentationnels : la catégorie ne saurait donc constituer le fondement d’une théorie générale des arts. Il serait tout aussi abusif d’identifier les arts de la représentation aux mécanismes mimétiques qu’ils mettent en œuvre. D’une part, le fait de représenter quelque chose ne peut jamais être réduit au fait d’imiter quelque chose, même dans les cas où la représentation passe par des mécanismes mimétiques. D’autre part, la fiction est une réalité « émergente », c’est-à-dire qu’il s’agit d’un fait intentionnel spécifique qui est irréductible à la simple addition de ses mécanismes de base. En revanche, je me propose de réaffirmer les
liens (réels, mais trop souvent
ROSE ES activités mimé-
dans la vie des êtres humains qui permet de comprendre pourquoi les arts de la représentation tendent si souvent (bien que pas toujours) à une exacerbation de l’effet mimétique. Seule üne compréhension adéquate des fondements anthropologiques des activités mimétiques peut nous éclairer sur le soubassement Ep Commun des arts mimétiques et nous indiquer la source primaire de l'attrait que depuis des tempsimmémoriaux ils necessent d'exercer sur les êtres humains. 2
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| INTRODUCTION
Voilà du moins l’horizon idéal de ce livre. Mais proposer général est une chose, le remplir en est une autre. En l’occurrence, le chantier dépasse de loin les limites d’un livre et, j'ai bien peur, mes compétences. Mon programme effectif sera un cadre
Et donc beaucoup moins ambitieux. Parmi les multiples aspects du problème, je n’en retiendrai que cinq. S’ils sont loind’épuiser la question, 1ls me paraissent pourtant susceptibles d’en capter quelques points essentiels
:
La discussion autour de la « révolution numérique » montre que si l’on veut arriver à une compréhension positive de la mimésis et plus spécifiquement de ja fiction, convient d’abordde désamorcer l’argumentation antimimétique. Celle-ci est en effet si profondément ancrée dans notre tradition culturelle qu’elle marque T.
il
parfois même les théories des défenseurs de la fiction. C'est à des-
fiction » elle-même demeure insaisissable. D'où l’importance d’une clarification notionnelle. Elle devrait permettre de replacer la fiction dans le contexte global de nos manières de représenter le monde et d’interagir avec lui. On aura compris que cette analyse constituera un point névralgique de ce
nant que la notion de
«
travail,
en ce sens que toutes les considérations ultérieures en dépendront directement.
3. Beaucoup d’espèces animales ont développé des capacités mimétiques, et beaucoup sont capables de mettre les mécanismes rimétiques au service d’actes de feintise (sérieux). Par ailleurs, beaucoup d’espèces de mammifères sont capables”de découpler certaines activités motrices de leurs fonctions premières et d’en produire des simulacres ludiques: il suffit d’observer des chatons
ou des chiots se bagarrant entre eux ou avec leurs parents. Mais l'espèce humaine semble bien être la seule avoir développé une aptitudeà produire et à « consommer »des au sens Canonique du terme, c’est-à-dire des représentations fictionnelles. à
réfuter » la position de Platon (et de ses disciples). Mais on peut montrer sur quels présupposés(parfois iimplicites) elle repose, et on peut essayer de comprendre lesinquiétudes qui ont pu la motiver. Les présupposés de la position antimimétique sont liés à de
«
une
incompréhension profonde des activités mimétiques, comme
illusion mensongère. Du
D
même coup,
la fiction
se
trouve prise
dans le débat entre le philosophe et le’ sophiste, où elle ne peut qu’occuper la place du perdant : qui voudrait assumer la place du « méchant » sophiste ? Il n’en faudra pas moins essayer de comprendre les motifs d'inquiétude sous-jacents à la polémique, car sa virulence n’est sans doute pas réductible à la concurrence entre deux dispositifs discursifs, celui du philosophe et celui du sophiste. Mon hypothèse sera que ces inquiétudes ont pour partie un fonde-
fictions
Aristoteavait déjà noté que l’homme était l’animal imitateur par excellence et que c’était cette disposition naturelle qui était à la base de l’invention de la fiction : « Imiter est naturel aux hommes et se manifeste dès leur enfance (l’homme diffère des autres ani-
qu’il est très apte à l’imitation et c’est au moyen de celle-ci qu’il acquiert ses premières connaissances) 4. » Que la maux en ce
4. Aristote, Poétique, 48b. Je suis ici la traduction Hardy (1932). Dans leur traduction plus récente, Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot (1980) notent (p. 144-145) que, selon les contextes, les termes de mimèsis et mimeisthei désignent soit la représentation, soit la copie (F’imitation au sens du résultat). Dans
ment plus « obscur », lié à une conception particulière de la généalogie des activités de feintise, Or,cetteconception est susceptible de nous apprendre des choses importantes sinon sur ce qu’est la fiction,du moins sur ce qu'elle n’est pas. 2. Lanotion de fiction fait surgir immédiatement celles d’imitation, de feintise, de simulation, de simulacre, de représentation, de ressemblance, etc. Or, bien que toutes ces notions jouent un rôle important dans nos façons de parler de la fiction, elles sont rarement utilisées de manière univoque. Il n’est donc guère éton-
la plupart des contextes, y compris dans le passage cité, ils se décident pour la notion (générale) de « représentation ». Je ne suis évidemment pas qualifié pour intervenir dans le débat philologique, mais, du point de vue de la cohérence sémantique, leur traduction me semble dans ce cas précis— poser un problème. Dans la suite de la phrase, Aristote précise en effet que cette activité imiter ou représenter est notamment celle des premiers apprentissages. Du fait de la traduction qu'ils retiennent, Dupont-Roc et Lallot sont obligés de supposer que par là Aristote veut dire que les premiers apprentissages sont médiatisés par des représentations, par exemple par desimages. Cela me paraît une interprétation peu plausible, en tout cas beaucoup moins que celle en termes d’activités d’imitation. Contrairement à ce que soutiennent Dupont-Roc et Lallot, je ne vois pas non plus pourquoi la référence, quelques lignes plus loin, au fait que «si l’on aime à voir des images, c’est qu’en les regardant on apprend à connaître et on
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POURQUOI LA FICTION ?
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| INTRODUCTION
Voilà du moins l’horizon idéal de ce livre. Mais proposer général est une chose, le remplir en est une autre. En l’occurrence, le chantier dépasse de loin les limites d’un livre et, j'ai bien peur, mes compétences. Mon programme effectif sera un cadre
Et donc beaucoup moins ambitieux. Parmi les multiples aspects du problème, je n’en retiendrai que cinq. S’ils sont loind’épuiser la question, 1ls me paraissent pourtant susceptibles d’en capter quelques points essentiels
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La discussion autour de la « révolution numérique » montre que si l’on veut arriver à une compréhension positive de la mimésis et plus spécifiquement de ja fiction, convient d’abordde désamorcer l’argumentation antimimétique. Celle-ci est en effet si profondément ancrée dans notre tradition culturelle qu’elle marque T.
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parfois même les théories des défenseurs de la fiction. C'est à des-
fiction » elle-même demeure insaisissable. D'où l’importance d’une clarification notionnelle. Elle devrait permettre de replacer la fiction dans le contexte global de nos manières de représenter le monde et d’interagir avec lui. On aura compris que cette analyse constituera un point névralgique de ce
nant que la notion de
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travail,
en ce sens que toutes les considérations ultérieures en dépendront directement.
3. Beaucoup d’espèces animales ont développé des capacités mimétiques, et beaucoup sont capables de mettre les mécanismes rimétiques au service d’actes de feintise (sérieux). Par ailleurs, beaucoup d’espèces de mammifères sont capables”de découpler certaines activités motrices de leurs fonctions premières et d’en produire des simulacres ludiques: il suffit d’observer des chatons
ou des chiots se bagarrant entre eux ou avec leurs parents. Mais l'espèce humaine semble bien être la seule avoir développé une aptitudeà produire et à « consommer »des au sens Canonique du terme, c’est-à-dire des représentations fictionnelles. à
réfuter » la position de Platon (et de ses disciples). Mais on peut montrer sur quels présupposés(parfois iimplicites) elle repose, et on peut essayer de comprendre lesinquiétudes qui ont pu la motiver. Les présupposés de la position antimimétique sont liés à de
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incompréhension profonde des activités mimétiques, comme
illusion mensongère. Du
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même coup,
la fiction
se
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dans le débat entre le philosophe et le’ sophiste, où elle ne peut qu’occuper la place du perdant : qui voudrait assumer la place du « méchant » sophiste ? Il n’en faudra pas moins essayer de comprendre les motifs d'inquiétude sous-jacents à la polémique, car sa virulence n’est sans doute pas réductible à la concurrence entre deux dispositifs discursifs, celui du philosophe et celui du sophiste. Mon hypothèse sera que ces inquiétudes ont pour partie un fonde-
fictions
Aristoteavait déjà noté que l’homme était l’animal imitateur par excellence et que c’était cette disposition naturelle qui était à la base de l’invention de la fiction : « Imiter est naturel aux hommes et se manifeste dès leur enfance (l’homme diffère des autres ani-
qu’il est très apte à l’imitation et c’est au moyen de celle-ci qu’il acquiert ses premières connaissances) 4. » Que la maux en ce
4. Aristote, Poétique, 48b. Je suis ici la traduction Hardy (1932). Dans leur traduction plus récente, Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot (1980) notent (p. 144-145) que, selon les contextes, les termes de mimèsis et mimeisthei désignent soit la représentation, soit la copie (F’imitation au sens du résultat). Dans
ment plus « obscur », lié à une conception particulière de la généalogie des activités de feintise, Or,cetteconception est susceptible de nous apprendre des choses importantes sinon sur ce qu’est la fiction,du moins sur ce qu'elle n’est pas. 2. Lanotion de fiction fait surgir immédiatement celles d’imitation, de feintise, de simulation, de simulacre, de représentation, de ressemblance, etc. Or, bien que toutes ces notions jouent un rôle important dans nos façons de parler de la fiction, elles sont rarement utilisées de manière univoque. Il n’est donc guère éton-
la plupart des contextes, y compris dans le passage cité, ils se décident pour la notion (générale) de « représentation ». Je ne suis évidemment pas qualifié pour intervenir dans le débat philologique, mais, du point de vue de la cohérence sémantique, leur traduction me semble dans ce cas précis— poser un problème. Dans la suite de la phrase, Aristote précise en effet que cette activité imiter ou représenter est notamment celle des premiers apprentissages. Du fait de la traduction qu'ils retiennent, Dupont-Roc et Lallot sont obligés de supposer que par là Aristote veut dire que les premiers apprentissages sont médiatisés par des représentations, par exemple par desimages. Cela me paraît une interprétation peu plausible, en tout cas beaucoup moins que celle en termes d’activités d’imitation. Contrairement à ce que soutiennent Dupont-Roc et Lallot, je ne vois pas non plus pourquoi la référence, quelques lignes plus loin, au fait que «si l’on aime à voir des images, c’est qu’en les regardant on apprend à connaître et on
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POURQUOI LA FICTION ?
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POURQUOI LA FICTION ?
INTRODUCTION
fiction n’ait vu le jour qu’à un stade si tardif dans l’évolution du vivant n’est pas pour surprendre: la compétence fictionnelle nécessite l’apprentissage d’un ensemble d’attitudes intentionnelles d’une grande complexité(si grande qu’elle dépasse, semble-t-il, mêmeles de nos cousins, les grands singes). Autrement dit, Tepartage entre le fictif et le factuel est une conquête humaine, et ce au plan phylogénétique aussi bien qu’ontogénétique. Mais c’est bien d’une conquête de l’espèce humaine comme telle qu’il s’agit et non pas de celle d’une culture particu-
4. La fiction peut prendre de multiples formes. Une « bonne » — 3 "Do description doit être valable, sinon pour toutes ces formes (à l’impossible nul n’est tenu.….), du moins pour les plus importantes. Il faut notamment qu’elle rende compte des jeux fictionnels tout autant quedes fictions au sens canonique du terme. Et à l’intérieur de ces dernières, elle doit valoir pour le théâtre, la représentation graphique (tableau, bande dessinée...) et le cinéma, tout autant que pour les récits (verbaux). Mais en même temps, elle doit prendre en compte les modalités différentes selon lesquelles fa fictionnalité se conjugue dans ces différentes activités et formes artistiques. Un problème particulier est celui du statut des représentations visuelles (peinture,photographie), Chez Platon, la notion de mimèsis rassemble sous un même chapeau la fiction littéraire et la représentation picturale, les deux étant considérées comme relevant au même titre du domaine du « semblant ». Selon cette conception, qui a été très influente, un tableau figuratif serait une fiction du simple fait qu’il est une imitation (une représentation analogique) de la réalité plutôt qu’une perception de cette réalité, et non parce que ou : dans la mesure où il reposerait sur une feintise ludique. Je pense que sous cette forme non nuancée la thèse ne saurait se soutenir, maïs elle nous forcera à prendre toute [a mesure de fa complexité de la question deJa fiction dans Je domaine de Îa représentation visuelle. 5. Pourquoi les hommes s’adonnent-ils à des activités fictionnelles et pourquoi consomment-ils avec tant d’empressement les fictions créées par leurs congénères ? Les enquêtes causales dans le domaine des faits culturels (et plus largement des faits d’intentionnalité) sont en général difficiles à mener. Aussi meborneraï-je dans ce qui constituera le chapitre conclusif de ce livre à quelques réflexions de bon sens. La question faut-il le rappeler ? avait déjà été abordée par Aristote dans la Poétique. Depuis, nous
Sgm
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aptitudes
lière : toutes les communautés humaines connaissent des activités de fiction, ne fût-ce que sous la forme des jeux de feintise ludique (des enfants). Rnstet Or, s’il existe de bonnes analyses de la fiction verbale et de ses relations avec la feintise ludique, et, dans un moindre degré, de telle ou telle autre forme fictionnelle particulière (par exemple le théâtre ou le cinéma), la question générale de la fiction qui est fondamentalement celle de la compétence Apte
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Fictionnelleestparadoxalement moins explorée 6, —
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Le
suite.
andere
IMITER, FEINDRE, REPRÉSENTER ET CONNAÎTRE
-tudes dont elle résulte, étant entenduque chacune de ces activités -ou attitudes peutinvestir de nombreuses autres conduites” ‘humaines et s’y au service de buts qui n’ont rien à voir”
de ce que nous associons à la relation mimétique dans le domaine artistique, nous pourrions, selon les contextes, citer les énoncés les plus divers, par exemple : « Le roman imite la vie », « La photographie reproduit fidèlement son objet », « Un tableau abstrait est une peinture non représentationnelle », « L'image ressemble à la réalité », « L’imagerie virtuelle abolit la réalité et la remplace par son simulacre », « La fiction feint la réalité » et bien d’autres encore. À un moment ou un autre de l’histoire occidentale, dans un contexte ou un autre, la plupart des notions verbales intervenant dans ces phrases (« imiter », « reproduire », « représenter », «ressembler », « feindre »), mais aussi la plupart des noms communs (et notamment « fiction », « simulacre », « image ») ont fonctionné comme des synonymes de la mimésis. Ce n’est pas tout. Dans la mesure où ces différents termes ont transité par de
elets
:
ven,
d'un ensemble de pratiques dont Ies exemplifications les plus” fondamentales font partie intégrante de la vie de tous les jours# (activités projectives, jeux fictionnels, jeux de rôles, rêves, rêves ües, imaginations, etc.). Or, ces pratiques elles-mêmes — et doncs ‘& fortiori la fiction artistique résultentà de la combinaison d’un” ‘ensemble d’aptitudes cognitives, d’attitudes mentales oud’acti# Vités psychiques plus élémentaires. Ce sont précisément ces” Constituants élémentaires de la fiction que j'aimerais isoler danslé présent chapitre’ Pour ce faire, il me faudra parfois introduire es termes techniques et développer des considérations qui pourront paraître abstraites à certains lecteurs. Pour autant, j’essaierai —
norton
63
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| MIMËSIS
POURQUOI LA FICTION ?
mettre
‘avec Ceux que poursuit la création fictionnelle., Comment procèder afin de dégager les éléments pertinents ? La leçon que je tire pour ma part de la discussion des polémiques antimimétiques est que dans le domaine des arts la notion de mimésis est utilisée de manière tellement incohérente qu’il paraît peu probable qu’on puisse arriver à la clarifier par une analyse interne. Aussi, plutôt que d’essayer de démêler de l’intérieur cet écheveau embrouïillé, m’a-t-il paru préférable d’approcher la question de l’extérieur. Il se trouve en effet que les faits autour desquels gravite la notion de mimésis ne se rencontrent pas seulement dans les pratiques artistiques, mais aussi dans un grand nombre d’autres domaines, où ils sont pris en charge par des disciplines diverses, notamment l’éthologie, Ta psychologie du développement, les théories de l’apprentissage, la psychologie cognitive et l'intelligence artificielle. Certes, chacune de ces disciplines traite de phénomènes spécifiques. Mais de ce fait, les éléments que la conception artistique de la mimésis a tendance à confondre $”y présentent au contraire avec toute la clarté voulue.
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multiples contextes, nous pourrions facilement les distribuer autrement et dire, par exemple, « Le roman reproduit la vie » au lieu de« Le roman imite la vie », « La fiction représente la réalité» au lieu de « La fiction feint la réalité », ou encore « La photographie imite Fidélement Son objet » au Tieu de « La photographie reproduit fidélement son objet » autant de substitutions quisemblent indiquer que reproduire est la même chose qu 1miter, que feindre est la même chose que représenter, et ainsi de —
Or, une analyse élémentaire fait apparaître que beaucoup de ces relations supposées interchangeables sont en réalité irréductibles les unes aux autres, voire pour certaines d’entre elles —
telles les notions de «représentation » et de « simulacre » fncompatibles..On comprend mieux ainsi pourquoi la plupart des” débats autour des arts mimétiques où, de H0s JOUTS, AUTOUT-UES/ ‘réalités virtuelles, sont faussés, et pourquoi les âpres querelles déologiques concernant leur fonction sociale’et leurs fuels sur le public se fondent largement sur des présupposés dou7 feux. Si donc, à l'inverse, on veut rendre justice à la fictionselÿ compren fonction centrale dans Ta culture humaine, 1l faut d’abord essayer de $e faire une idée plus des difiéren” ciations pertinentes. C’est cette question que je me propose” aborder dans le présent chapitre* Il n’y seraCESR donc pas encore question de la fiction, mais uniquement des ‘activités ef des atti—
cohérente
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détour par les faits mimétiques non artistiques n’obéit pas seülement à des raisons heuristiques ou didactiques. À mes veux; 1la une justification plus profonde encore, qui découle du cadre” dans lequel j’aborde ici la question de la fiction. Ce cadre, je Ie” rappelle, repose sur la conviction que la fiction artistique est une” *6fme institutionnellement marquée et culturellement « évoluée »> Le
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IMITER, FEINDRE, REPRÉSENTER ET CONNAÎTRE
-tudes dont elle résulte, étant entenduque chacune de ces activités -ou attitudes peutinvestir de nombreuses autres conduites” ‘humaines et s’y au service de buts qui n’ont rien à voir”
de ce que nous associons à la relation mimétique dans le domaine artistique, nous pourrions, selon les contextes, citer les énoncés les plus divers, par exemple : « Le roman imite la vie », « La photographie reproduit fidèlement son objet », « Un tableau abstrait est une peinture non représentationnelle », « L'image ressemble à la réalité », « L’imagerie virtuelle abolit la réalité et la remplace par son simulacre », « La fiction feint la réalité » et bien d’autres encore. À un moment ou un autre de l’histoire occidentale, dans un contexte ou un autre, la plupart des notions verbales intervenant dans ces phrases (« imiter », « reproduire », « représenter », «ressembler », « feindre »), mais aussi la plupart des noms communs (et notamment « fiction », « simulacre », « image ») ont fonctionné comme des synonymes de la mimésis. Ce n’est pas tout. Dans la mesure où ces différents termes ont transité par de
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d'un ensemble de pratiques dont Ies exemplifications les plus” fondamentales font partie intégrante de la vie de tous les jours# (activités projectives, jeux fictionnels, jeux de rôles, rêves, rêves ües, imaginations, etc.). Or, ces pratiques elles-mêmes — et doncs ‘& fortiori la fiction artistique résultentà de la combinaison d’un” ‘ensemble d’aptitudes cognitives, d’attitudes mentales oud’acti# Vités psychiques plus élémentaires. Ce sont précisément ces” Constituants élémentaires de la fiction que j'aimerais isoler danslé présent chapitre’ Pour ce faire, il me faudra parfois introduire es termes techniques et développer des considérations qui pourront paraître abstraites à certains lecteurs. Pour autant, j’essaierai —
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dE
POURQUOI LA FICTION ?
MIMÈSIS
d'éviter tout jargon inutile et je tâcherai de donner des exemples concrets susceptibles de montrer que les faits en question font partie de Îa réalité commune, et que la complexité de certaines distinctions que je serai amené à introduire n’est que le reflet de
taines espèces de papillons et les protègent contre" d'éventuels prédateurs c’est-à-dire contre des oiseaux qui sont à la fois les prédateurs naturels des papillons et les proies naturelles des rapaces dont les ailes de papillon simulent les yeux. Il en va de même de l’homochromie passive du zèbre par rapport à sa niche écologique (les herbes de la steppe). D’autres leurres correspondentà des mécanismes réactionnels qui se déclenchent en interaction avec l’environnement. L'exemple le plus connu est celui de l’homochromie active des caméléons ou encore des turbots, deux espèces dont la coloration varie selon l’environnement dans lequel les animaux se trouvent’. Enfin, les leurres IS plus com-, plexes sont ceux qui investissent le niveau des comportements aw ‘SENS strict du terme: en produisant un:leurre comportemental; l'animal imite Sélectivement Jecomportement spécifique d’un’ autre animal, en généra} afin d’indüire en érreur son prédateur OU : :$a proie potentielle, Il existe ainsi des serpents non venimeux qui, forsqu’ils sont attaqués, imitent les postures d’une espèce venimeuse « afin » de tromper leur prédateur. Pärmistoutes-les.espèces animales connues, l’espèce humaine, —
2. Mimétismes
pe
:
Îles
plus complexes et les plus spéci-
” à)Lorsque le stés etles éthologues utilisent le terme aeirnitatiOn », is se réfèrent essentiellement aux faitsdemimé: mé i
)
Fépandts chez les plantes et dans
TE TEgne
animal, y compris bien
sûr chez l'homme. eurS effetssont’ artout Ts mêmes: dans “les relations internes à l'espèce, îls avantagent
les
l'animal imitateur ‘
{ou le groupe imitateur) par rapport à:ses congénères, la visée ‘pouvant là encore être soit agressive soit défensive. Îl faut rappe‘[er que les leurres les plus « primitifs » ne sont pas des faits comportementaux mais des caractéristiques phénotypiques sélectionnées au fil de l’évolution d’une espèce. C’est le cas, par exemple, 64
”
_—
nerai par les comportements -fiques à l'espèce humaïne
IMITER, FEINDRE, REPRÉSENTER ET CONNAÎTRE
des dessins en forme d’œil de rapace qui ornent les ailes de cer-
la complexité de cette réalité commune. Par ailleurs, certains des phénomènes analysés pourront paraître à première vue très éloignés de la question de la fiction. Je dois donc prier le lecteur de faire preuve d’un peu de patience : il apparaîtra au fil de l’analyse que la nébuleuse apparemment disparate des faits mimétiques constitue en réalité l’arrière-plan phylogénétique sans lequel on ne saurait comprendre la naissance de la compétence fictionnelle.
{Lorsqu'on essaie de dégager les significations de la notion, d’imitation telle qu’ellé est utilisée dans Tes divers travaux trai., tant des relations mimétiques, on découvre qu’elle définit au moins cinq types dephénomènes différents qui se distinguent, quant à leurs fonctions etquant à leur complexité /Je les regrouperai 1c1 en prenant comme fil conducteur leur complexité, c’està-dire que je partirai des phénomènes les plus élémentaires et les plus fargement répandus dans le champ du vivant, et que je termi-
:
plus développé le resistre des leurrescomporte, avec les at és espéces. et, ‘dans Tes rapports _entre hommes, Cette évolution a &t réndié Possible par au moins deux facteurs. D’unepart,Chez l’homme :Féventail des Teurres comportementaux n’est pas génétiquement, iest èlle qui :a
le
Inentaux,à la fois dansses relations
"ÎRE (contrairementà ce qui se passe par exemple chez le serpents qui adopte « automatiquement » le même comportement mimé-el tique lorsqu'il se trouve placé dans des circonstances identiques) Le répertoire mimétique peut donc être enrichi indéfiniment. par, pprentissagé social et individuel. D'autre part,l'homme dispose d’unplus grand nombre de registres d’interaction avec son envifonnement (humain ou non) que les autres espèces, etil possède, les compétences mentales nécessaires pour se servir de n #nporté lequel de ces registres afin de produire des leuïres. Dans les refations quel'homme entretient avec ses semblables, le registre le
,
,
2. Pour ces exemples et d’autres, voir Caillois (1938), P. 109-116, 133-136, Baudonnière (1997), p. 13-18.
ou encore
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MIMÈSIS
d'éviter tout jargon inutile et je tâcherai de donner des exemples concrets susceptibles de montrer que les faits en question font partie de Îa réalité commune, et que la complexité de certaines distinctions que je serai amené à introduire n’est que le reflet de
taines espèces de papillons et les protègent contre" d'éventuels prédateurs c’est-à-dire contre des oiseaux qui sont à la fois les prédateurs naturels des papillons et les proies naturelles des rapaces dont les ailes de papillon simulent les yeux. Il en va de même de l’homochromie passive du zèbre par rapport à sa niche écologique (les herbes de la steppe). D’autres leurres correspondentà des mécanismes réactionnels qui se déclenchent en interaction avec l’environnement. L'exemple le plus connu est celui de l’homochromie active des caméléons ou encore des turbots, deux espèces dont la coloration varie selon l’environnement dans lequel les animaux se trouvent’. Enfin, les leurres IS plus com-, plexes sont ceux qui investissent le niveau des comportements aw ‘SENS strict du terme: en produisant un:leurre comportemental; l'animal imite Sélectivement Jecomportement spécifique d’un’ autre animal, en généra} afin d’indüire en érreur son prédateur OU : :$a proie potentielle, Il existe ainsi des serpents non venimeux qui, forsqu’ils sont attaqués, imitent les postures d’une espèce venimeuse « afin » de tromper leur prédateur. Pärmistoutes-les.espèces animales connues, l’espèce humaine, —
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animal, y compris bien
sûr chez l'homme. eurS effetssont’ artout Ts mêmes: dans “les relations internes à l'espèce, îls avantagent
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{ou le groupe imitateur) par rapport à:ses congénères, la visée ‘pouvant là encore être soit agressive soit défensive. Îl faut rappe‘[er que les leurres les plus « primitifs » ne sont pas des faits comportementaux mais des caractéristiques phénotypiques sélectionnées au fil de l’évolution d’une espèce. C’est le cas, par exemple, 64
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IMITER, FEINDRE, REPRÉSENTER ET CONNAÎTRE
des dessins en forme d’œil de rapace qui ornent les ailes de cer-
la complexité de cette réalité commune. Par ailleurs, certains des phénomènes analysés pourront paraître à première vue très éloignés de la question de la fiction. Je dois donc prier le lecteur de faire preuve d’un peu de patience : il apparaîtra au fil de l’analyse que la nébuleuse apparemment disparate des faits mimétiques constitue en réalité l’arrière-plan phylogénétique sans lequel on ne saurait comprendre la naissance de la compétence fictionnelle.
{Lorsqu'on essaie de dégager les significations de la notion, d’imitation telle qu’ellé est utilisée dans Tes divers travaux trai., tant des relations mimétiques, on découvre qu’elle définit au moins cinq types dephénomènes différents qui se distinguent, quant à leurs fonctions etquant à leur complexité /Je les regrouperai 1c1 en prenant comme fil conducteur leur complexité, c’està-dire que je partirai des phénomènes les plus élémentaires et les plus fargement répandus dans le champ du vivant, et que je termi-
:
plus développé le resistre des leurrescomporte, avec les at és espéces. et, ‘dans Tes rapports _entre hommes, Cette évolution a &t réndié Possible par au moins deux facteurs. D’unepart,Chez l’homme :Féventail des Teurres comportementaux n’est pas génétiquement, iest èlle qui :a
le
Inentaux,à la fois dansses relations
"ÎRE (contrairementà ce qui se passe par exemple chez le serpents qui adopte « automatiquement » le même comportement mimé-el tique lorsqu'il se trouve placé dans des circonstances identiques) Le répertoire mimétique peut donc être enrichi indéfiniment. par, pprentissagé social et individuel. D'autre part,l'homme dispose d’unplus grand nombre de registres d’interaction avec son envifonnement (humain ou non) que les autres espèces, etil possède, les compétences mentales nécessaires pour se servir de n #nporté lequel de ces registres afin de produire des leuïres. Dans les refations quel'homme entretient avec ses semblables, le registre le
,
,
2. Pour ces exemples et d’autres, voir Caillois (1938), P. 109-116, 133-136, Baudonnière (1997), p. 13-18.
ou encore
65
POURQUOI LA FICTION ?
MIMÈSIS
plus riche en leurres est sans conteste celui des systèmes symboliques, et en premier lieu celui de la langue. Le mensonge un des usages indéracinables de la langue n’est en effet rien d’autre qu’un leurre linguistique, puisque mentir revient à émettre un acte de langage qui imite un compte-rendu sincère sans en être un, le but étant de tromper l’auditeur (ou le lecteur).
:
IMITER, FEINDRE, REPRÉSENTER ET CONNAÎTRE
terait d’une «contagion» motrice, du même type que celle” qui notre vie durant reste opératoire dans le cas du bâillement, par’ ‘exemple #11 faut ajouter qu'ici, à la différence du premier type d’activité mimétique que nous venons de rencontrer, la ressem-; blance entre l’acte reproduit et l’acte reproducteur n’a pas de5 fonction de « leurre »;
—
DD
—
‘On voit que la distance entre les deux extrémités du spectre des leurres est énorme, puisqu’à un pôle ils sont réalisés phéno;
génétiquement, alors qu’à l’autre,
typiquement et sélectionnés
extrême ils sont produits par une stratégie individuelle consciente} DA
CRT
sélectionnés par l’évolution culturelle et [a maturation psycho: l'individu. Mais, malsré ces différences, leur fônctiony st partout la même : S’agit toujours d’induire en erreur celui à
D
“et | logique de
NNNN D N NON ON
11
.qui-s’adresse le mimêmef Et si nous exceptons les cas, rares et i
ambigus, où on ment à quelqu'un «pour son bien » (par exemple parce qu’on pense que la vérité le ferait trop souffrir, ou parce qu'on à des raisons de croire qu'il « veut » qu’on lui mente)/ TE} imensonge et les autres leurres comportementaux hümains ont ‘exactement le méme effet que les mimétismes phénotypiques des,
;
DD
> DIN à
êtres vIVants IEs plus primitifs pour : autant qu’ils SONT uSSIs, 1157 ‘constituent. un avantage. pour celui qui les produit. En cela ils sey distinguent fondamentalement de la fiction, qui, nous Je verrons;; .ne repose pas sur une relation agonistique mais au contraire SUT/ “un principe de Coopération? b).Le:deuxième:type de phénomènesqu’on décrit en général# l'aide” du térmed’« imitation » est.situé à la de T'EMo; Jogie et de la psychologie. Il s’agit de la reproduction «en miroir e comportements moteurs élémentaires, reproduction fondée sur‘ ce qu’on appelle des mécanismes de déclenchement innés’ (Niko Tinbergen).;Ce type de comportement s’observe par exemple”
frontière
ide’
>
An
üverture
de
t; nt de ce comportement néo-natal résul3. Pour un résumé des expériences les plus importantes et pour graphie sélective, voir Eibl-Eibesfeldt (1984), p. 88-93.
DD T7
66
une
biblio-
:
serait que le bébé humain dispose dès sa naissance de la capacité d'élaborer une représentation mentale des mimiques d’autrui. Des recherches plus récentes tendent cependant à montrer que les réinstanciations en question ne sont pas sélectives : par exemple, lorsque la personne quise trouve en face du nourrisson avanceet recule un crayon devant sa bouche, le bébé réagit aussi par une protusion de la langue. Cette absence delien sélectif entre l’acte induit (la protusion de la langue) et l’acte inducteur a fait pencher la bafance en faveur d'une interprétation én térmes de réponse réflexe à un stimulus pauvrement différencié. La plausibilité de cette explication est encore renforcée par le fait que la réaction de protusion de la langue disparaît vers deux mois, en même temps que les réflexes moteurs néo-natals (par exemple la marche automatique) ‘. Si cette explication est correcte, on ne saurait parler d’activité mimétique au sens technique du terme, puisque le comportement reproduit n’est pas la cause suffisante du compor-
tement reproducteur. À première vue, ce point de détail paraît sans la moindre pertinence pour la question de la mimésis artistique. En fait, il s’avérera d’une grande utilité lorsqu’il s’agira d'étudier les relations entre activité mimétique (imitation) et relation de ressemblance (similitude). Dans les mécanismes de déclenchement innés, nous sommes en présence d’une relation de ressemblance entre diffé, rents Stimuli, mais sans que Cette relation soit causalement induite -par lé stimulus déclencheur (puisqu’un stimulus différent — Îer 4. Byrne et Russon (1998), p. 667-684. 5. Baudonnière (1997), p. 45-47.
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POURQUOI LA FICTION ?
MIMÈSIS
plus riche en leurres est sans conteste celui des systèmes symboliques, et en premier lieu celui de la langue. Le mensonge un des usages indéracinables de la langue n’est en effet rien d’autre qu’un leurre linguistique, puisque mentir revient à émettre un acte de langage qui imite un compte-rendu sincère sans en être un, le but étant de tromper l’auditeur (ou le lecteur).
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IMITER, FEINDRE, REPRÉSENTER ET CONNAÎTRE
terait d’une «contagion» motrice, du même type que celle” qui notre vie durant reste opératoire dans le cas du bâillement, par’ ‘exemple #11 faut ajouter qu'ici, à la différence du premier type d’activité mimétique que nous venons de rencontrer, la ressem-; blance entre l’acte reproduit et l’acte reproducteur n’a pas de5 fonction de « leurre »;
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‘On voit que la distance entre les deux extrémités du spectre des leurres est énorme, puisqu’à un pôle ils sont réalisés phéno;
génétiquement, alors qu’à l’autre,
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extrême ils sont produits par une stratégie individuelle consciente} DA
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sélectionnés par l’évolution culturelle et [a maturation psycho: l'individu. Mais, malsré ces différences, leur fônctiony st partout la même : S’agit toujours d’induire en erreur celui à
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NNNN D N NON ON
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.qui-s’adresse le mimêmef Et si nous exceptons les cas, rares et i
ambigus, où on ment à quelqu'un «pour son bien » (par exemple parce qu’on pense que la vérité le ferait trop souffrir, ou parce qu'on à des raisons de croire qu'il « veut » qu’on lui mente)/ TE} imensonge et les autres leurres comportementaux hümains ont ‘exactement le méme effet que les mimétismes phénotypiques des,
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êtres vIVants IEs plus primitifs pour : autant qu’ils SONT uSSIs, 1157 ‘constituent. un avantage. pour celui qui les produit. En cela ils sey distinguent fondamentalement de la fiction, qui, nous Je verrons;; .ne repose pas sur une relation agonistique mais au contraire SUT/ “un principe de Coopération? b).Le:deuxième:type de phénomènesqu’on décrit en général# l'aide” du térmed’« imitation » est.situé à la de T'EMo; Jogie et de la psychologie. Il s’agit de la reproduction «en miroir e comportements moteurs élémentaires, reproduction fondée sur‘ ce qu’on appelle des mécanismes de déclenchement innés’ (Niko Tinbergen).;Ce type de comportement s’observe par exemple”
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t; nt de ce comportement néo-natal résul3. Pour un résumé des expériences les plus importantes et pour graphie sélective, voir Eibl-Eibesfeldt (1984), p. 88-93.
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serait que le bébé humain dispose dès sa naissance de la capacité d'élaborer une représentation mentale des mimiques d’autrui. Des recherches plus récentes tendent cependant à montrer que les réinstanciations en question ne sont pas sélectives : par exemple, lorsque la personne quise trouve en face du nourrisson avanceet recule un crayon devant sa bouche, le bébé réagit aussi par une protusion de la langue. Cette absence delien sélectif entre l’acte induit (la protusion de la langue) et l’acte inducteur a fait pencher la bafance en faveur d'une interprétation én térmes de réponse réflexe à un stimulus pauvrement différencié. La plausibilité de cette explication est encore renforcée par le fait que la réaction de protusion de la langue disparaît vers deux mois, en même temps que les réflexes moteurs néo-natals (par exemple la marche automatique) ‘. Si cette explication est correcte, on ne saurait parler d’activité mimétique au sens technique du terme, puisque le comportement reproduit n’est pas la cause suffisante du compor-
tement reproducteur. À première vue, ce point de détail paraît sans la moindre pertinence pour la question de la mimésis artistique. En fait, il s’avérera d’une grande utilité lorsqu’il s’agira d'étudier les relations entre activité mimétique (imitation) et relation de ressemblance (similitude). Dans les mécanismes de déclenchement innés, nous sommes en présence d’une relation de ressemblance entre diffé, rents Stimuli, mais sans que Cette relation soit causalement induite -par lé stimulus déclencheur (puisqu’un stimulus différent — Îer 4. Byrne et Russon (1998), p. 667-684. 5. Baudonnière (1997), p. 45-47.
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&
| mouvement d’un crayon
MIMÉSIS
produit la même réaction). On ne saurait donc conclure automatiquement d’une relation de ressemblanceà une relation d’imitation: y peut ressemblerà x sans pour autant l’imiter. J’ai un peu honte d’énoncer une telle vérité de La Palice, mais dans les discussions portant sur la question de l’imitation, il arrive souvent qu’on l’oublie. ‘e). Un autre champ dans lequel on se sert de la notion d’« imitation» "est celui de l'étude éthologique des phénomènes dits
111
| DD NN NON ON NON ON À
POURQUOI LA FICTION ?
MIMÈSIS
C’est à la lumière de cette esquisse quelque peu cavalière de la question générale de la représentation qu’il convient de se pencher sur le problème plus particulier de la représentation par imitation. Parmi les moyens représentationnels développés par les hommes, il en existe en effet qui reposent sur des relations mimétiques, au sens où ils fonctionnent en exploitant des relations de similarité entre le signe et ce qu’il représente. Certaines formes de l’incarnation relèvent de cette représentation par imitation. C’est le cas du jeu de l'acteur, par exemple, qui imite celui que par ailleurs 1l représente (même si celui qu’il imite n’a lui-même qu'une existence fictionnelle). En revanche, ce n’est pas le cas de l'ambassadeur : il incarne le pays dont il est IE représentant sans que pour autant cette fonction de réprésentation implique la moindre relation mimétique.
«Contrairement à une croyance tenace, l’idée qu’il puisse exister,
dispositifs symboliques fonctionnant à travers des relations de:similarité, donc;comme représentations par imitation, ne pose pas deproblème particulier, En effet, dès lors que nous sommes capables de reconnaître des similarités entre objets du monde, on ne voit pas pourquoi nous serions incapables de fabriquer des entités qui ressembleraient à d’autres entités et de nous servir des premières pour transmettre des informations concernant les deuxièmes, de telle sorte que l’information transmise soit erchâssée dans la relation de ressemblance, c’est-à-dire que le signe nous informe sur la chose à laquelle il renvoie grâce à la relation de ressemblance qui le lie à elle ©. Autrement dit, pour exploiterdes
2
:
IMITER, FEINDRE, REPRÉSENTER ET CONNAÎTRE
amimétique et l’objet imité # Mais cette condition vaut pour tous des types de signes, puisqu’un signe ne fonctionne comme tel que ‘S’ilestréconnu comme signes a
idée selon laquelle la représentation parimitation poserait problème
un
particulier s’explique, me semble-t-il, par le fait que lors* qu'on parle de représentation mimétique on pense souvent que Tanalogie doit jouer directement entre fe représentant et Ie représenté , Certes, il est des cas où il en est ainsi. Ainsi l'incarnation
‘actantielle est fondée sur un lien de ressemblance directe entre la représentation (le jeu de l’acteur) et ce qui est représenté (par exemple Hamlet tuant Polonius). Cela ne signifie pas que dans des situations de ce genre la relation de ressemblance soit en elle-même déjà une relation de représentation. Pour qu’elle se transforme en relation de représentation, il doit exister une stipulation sociale qui la dote de cette fonction. Le jeu del’acteur ne représente donc pas :l’action de Hamlet parce qu’elle ressemble à cette action. En effet, da relaüon de similarité n’est pas la cause de la relation représenta -tionnelle mais son moyen, son instruments Mais un autre point est; “bien plus important : dans le domaine où la question de la ressem: blance et de l’analogie est le plus ardemment discutée,à savoir celui des signes visuels, la relation de ressemblance pertinente pour représentation par imitation n’est pas une relation directe entre le signe et cequ'il représente. Élle relie le signe aux modalités per: cepüves de prise de connaissance de ce qui est représenté, Une représentation figurative en deux dimensions ou une photographie _ne ressemblent pas directement aux objets qu’elles représentent, mais aux modalités de la perception visuelle à travers laquelle nous avons un accès direct aux objets enquestion &, Ea-conviction selon
la
_raif tre une condition suffisante de la représentation, Maïs il va plus loin
: refu-
ressemblance, il
62. Arthur Danto (1989, p. 130-135) est un des rares philosophes actuels à défendre la pertinence de la relation de ressemblance. Voir cependant aussi Currie (1995, p. 79-112).
Sant l'idée même d’une représentation par exclut en fait la simi-farité de la relation représentationnelle et n’y voit qu’un critère (fallacieux) de Fidélité ou de correction. -64. Pour une argumentation équilibrée de la pertinence de la notion d’analosgie dans fe domaine des représentations visuelles, voir Bellour (1999), p. 10-18, 65. « Ressembler à... » n’est donc pas ici synonyme de «être pareil à... », mais plutôt de « avoir l’air de. ». En anglais, la distinction est plus aisée à faire : « 10 look alike » n’est pas la même chose que « to be alike ».
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MIMÈSIS
C’est à la lumière de cette esquisse quelque peu cavalière de la question générale de la représentation qu’il convient de se pencher sur le problème plus particulier de la représentation par imitation. Parmi les moyens représentationnels développés par les hommes, il en existe en effet qui reposent sur des relations mimétiques, au sens où ils fonctionnent en exploitant des relations de similarité entre le signe et ce qu’il représente. Certaines formes de l’incarnation relèvent de cette représentation par imitation. C’est le cas du jeu de l'acteur, par exemple, qui imite celui que par ailleurs 1l représente (même si celui qu’il imite n’a lui-même qu'une existence fictionnelle). En revanche, ce n’est pas le cas de l'ambassadeur : il incarne le pays dont il est IE représentant sans que pour autant cette fonction de réprésentation implique la moindre relation mimétique.
«Contrairement à une croyance tenace, l’idée qu’il puisse exister,
dispositifs symboliques fonctionnant à travers des relations de:similarité, donc;comme représentations par imitation, ne pose pas deproblème particulier, En effet, dès lors que nous sommes capables de reconnaître des similarités entre objets du monde, on ne voit pas pourquoi nous serions incapables de fabriquer des entités qui ressembleraient à d’autres entités et de nous servir des premières pour transmettre des informations concernant les deuxièmes, de telle sorte que l’information transmise soit erchâssée dans la relation de ressemblance, c’est-à-dire que le signe nous informe sur la chose à laquelle il renvoie grâce à la relation de ressemblance qui le lie à elle ©. Autrement dit, pour exploiterdes
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IMITER, FEINDRE, REPRÉSENTER ET CONNAÎTRE
amimétique et l’objet imité # Mais cette condition vaut pour tous des types de signes, puisqu’un signe ne fonctionne comme tel que ‘S’ilestréconnu comme signes a
idée selon laquelle la représentation parimitation poserait problème
un
particulier s’explique, me semble-t-il, par le fait que lors* qu'on parle de représentation mimétique on pense souvent que Tanalogie doit jouer directement entre fe représentant et Ie représenté , Certes, il est des cas où il en est ainsi. Ainsi l'incarnation
‘actantielle est fondée sur un lien de ressemblance directe entre la représentation (le jeu de l’acteur) et ce qui est représenté (par exemple Hamlet tuant Polonius). Cela ne signifie pas que dans des situations de ce genre la relation de ressemblance soit en elle-même déjà une relation de représentation. Pour qu’elle se transforme en relation de représentation, il doit exister une stipulation sociale qui la dote de cette fonction. Le jeu del’acteur ne représente donc pas :l’action de Hamlet parce qu’elle ressemble à cette action. En effet, da relaüon de similarité n’est pas la cause de la relation représenta -tionnelle mais son moyen, son instruments Mais un autre point est; “bien plus important : dans le domaine où la question de la ressem: blance et de l’analogie est le plus ardemment discutée,à savoir celui des signes visuels, la relation de ressemblance pertinente pour représentation par imitation n’est pas une relation directe entre le signe et cequ'il représente. Élle relie le signe aux modalités per: cepüves de prise de connaissance de ce qui est représenté, Une représentation figurative en deux dimensions ou une photographie _ne ressemblent pas directement aux objets qu’elles représentent, mais aux modalités de la perception visuelle à travers laquelle nous avons un accès direct aux objets enquestion &, Ea-conviction selon
la
_raif tre une condition suffisante de la représentation, Maïs il va plus loin
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ressemblance, il
62. Arthur Danto (1989, p. 130-135) est un des rares philosophes actuels à défendre la pertinence de la relation de ressemblance. Voir cependant aussi Currie (1995, p. 79-112).
Sant l'idée même d’une représentation par exclut en fait la simi-farité de la relation représentationnelle et n’y voit qu’un critère (fallacieux) de Fidélité ou de correction. -64. Pour une argumentation équilibrée de la pertinence de la notion d’analosgie dans fe domaine des représentations visuelles, voir Bellour (1999), p. 10-18, 65. « Ressembler à... » n’est donc pas ici synonyme de «être pareil à... », mais plutôt de « avoir l’air de. ». En anglais, la distinction est plus aisée à faire : « 10 look alike » n’est pas la même chose que « to be alike ».
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DID NN
POURQUOI LA FICTION ?
MIMÉSIS
laquelle « la représentation iiconique imite la réalité» conviction qui sert de repoussoir facile aux positions conventionnalistes TÉsuppose donc qu’on identifie l’objet perçu et l’objet tout court. Cette identification, qui est celle du « réalisme robuste », est. fausse si on la prend au pied de la lettre ou si on adopte un point de vue —
—
:
NN
épistémologique rigoriste. Élle est en revanche tout à fait légitime du point de vue de sa valeur prédictive et pragmatique. Elle est en effet adaptée à la « niche cognitive » particulière est celle de l'humanité : sauf exceptions, traiter les images analogiques comme si elles imitaient la réalité, produit des résultats cognitifs corrects 6. De toute manière, qu’elle soit légitime ou non, elle est constituante denotre relationà la réalité. Tel étant le cas, on peut considérer que l'idée selon laquelle il y auraitune ressemblance directe entre la
qui
NN NN
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a
DID DIN DIN
représentation (graphique ou photographique) et l’objet représenté, bien que fechniquement incorrecte, n’est somme toute qu’un raccourci innocent, justifié par le faitque, du point de vue des contraintes naturelles dans Îe cadre desquelles l’humanité a évolué, il s’est avéré qu’en situation normale l’objet perçu etl’objet tout court peuvent être identifiés. La question de la similarité entre représentation graphique et perception visuelle doit aussi être distinguée de Îa thèse (remontant à Aristote) selon laquelle Ta percéption d’un objet ressémblerait à l’objet perçu, et plus généralement selon laquelle nos idées TT
:
IMITER, FEINDRE, REPRÉSENTER ET CONNAÎTRE
représenteraient les objets extérieurs par une relation de ressem= blance ou d’isomorphisme entre les deux Admettre l'existence de systèmes symboliques basés sur la relation de similarité n’im
tionnel » rallonge. le cycle reproductif:elle introduit du -même” coup'unediscontinuité temporelle relative entre les pratiques” d'hieretles pratiques d'aujourd'hui par exemple entre les récits des: ieillards et ceux des jeunes, entre l’art des maïtres et celui def disciples’ De ce fait, les activités se recristallisentà chaque génération, et ce sont ces cristallisations dans notre cas, les grandes formes fictionnelles qui deviennent l’enjeu d’une évolution consciente et finalisée (au niveau des individus qui s’y
mes
|
—
—
—
engagent). Les formes spécifiques que prend cette évolution sont bien sûr indissociables des autres aspects de la reproduction sociale. Par exemple, une culture orale se reproduit autrement qu’une culture de l'écrit, et cette différence concerne aussi le domaine des fictions, et en premier lieu celui des fictions verbales : on a souvent noté que l’idée même d'œuvre stable n’a guère d’application dans une culture à transmission orale. De même, une société dans laquelle la légitimation sociale du savoir-faire technique repose sur un apprentissage par immersion minétique se reproduit autrement qu’une société où le savoir-faire est légitimé comme savoir réflexif et théorisé (ce qui est le cas dans la société industrielle) : de nos jours, la peinture ne s’apprend plus à l’atelier mais à l’école, ce qui implique un mode de transmission très particulier des compétences de figuration mimétique (pour autant qu'une telle transmission soit encore considérée comme une finalité, ce qui ne semble plus guère être le cas). On ne saurait surestimer importance que de multiples facteurs de ce type ont sur le déve238
loppement même des arts (mimétiques ou autres). D'ailleurs, le fait qu’une pratique soit sensible aux autres aspects de la vie sociale est un indice de sa cristallisation et donc de son importance. Le degré de cristallisation (notamment institutionnelle) est même directement proportionnel à cette sensibilité, car elle est synonyme de visibilité sociale, et seul ce qui est visible peut devenir l’enjeu d’une interaction consciente (harmonieuse ou conflictuelle) avec les autres aspects de la vie. Comme l’objet de ce livre n’est pas de proposer une histoire des formes de la fiction, je me bornerai à donner un seul exemple de Ta multiplicité des facteurs qu’il faudrait prendre en compte si ôn voulait s’attelerà une telle tâche. Je prendrai le cas des œuvres de fiction qui s’adressent spécifiquement aux enfants. En règle générale, les œuvres fictionnelles pour enfants ne sont évidemment pas créées par des enfants mais par des adultes. Aussi leur évolution s’inscrit-elle dans une transmission verticale et un cycle de reproduction dont l’unité est la génération. Cela ne vaut pas seulement pour la création des œuvres, mais aussi pour leur réception : à l’exception de quelques rares œuvres ayant acquis un statut de classiques (par exemple Jules Verne ou Bécassine en France, Karl May ou Wilhelm Busch en Allemagne, etc.), les œuvres fictionnelles pour enfants se renouvellent d’une génération à l’autre, c’est-à-dire que les enfants ont d’autres lectures, voient d’autres —
.
films que leurs parents lorsqu'ils étaient jeunes. Par ailleurs, les formes de ces œuvres sont en général adaptées de formes adultes
:
tiques pour adultes semblent connaître des formes c
théâtrales spéspe
cialement destinées aux enfants, qu'il s 'agisse de spectacles de marionnettes ou de pièces à acteurs. Il n’est donc pas étonnant que les œuvres pour enfants partagent avec celles pour adultes une sensibilité extrême auxchangements qui affectent les conditions d'existence et de reproduction de Ja société globale. Par exemple, l'essor des livres d’imagespour.enfants n'est ConceVable que dans le cadredu développement de l’imprimerie (de la gravure): ceffe forme de fictionpour enfants, qui nousparaîtsi «naturelle », a été inconnuedurant la plus grande partie de l’évo-
lufionhumaine. De même, la fiction verbale(Ecrite) pour enfants
Le EE PE
na pu se
développer de manière conséquente qu’après l’alphabé239
POURQUOI LA FICTION ?
ou:autres) se
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ion. verticale, C'est-à-dire des générations, celui] €
DE QUELQUES DISPOSITIFS FICTIONNELS
transmis
queJeur cycle de reproduction est celui it l’ensemble des transmis*
c
sions. de [a société adulte’ La différence entre les
deux modes de reproduction n’est pas seulement celle entre cycle court et cycle fong, mais aussi celle entre recyclage continu et transmission par
héritage. Le’recyclage continu qui caractérise la reproduction des pratiques Tüdiques enfantines empêche toute cristallisation d’ un; Etat:passé, susceptible de se détacher de [a pratique présente EF
déi-pourrait. donc devenir l'objet d'un gave Füt-il ludique. méné:sur Cet état, que ce: soit pour. e réactiver ou pour letransfor“
Enrévänche,; laitransmission verticale parhéritage «« généra> tionnel » rallonge. le cycle reproductif:elle introduit du -même” coup'unediscontinuité temporelle relative entre les pratiques” d'hieretles pratiques d'aujourd'hui par exemple entre les récits des: ieillards et ceux des jeunes, entre l’art des maïtres et celui def disciples’ De ce fait, les activités se recristallisentà chaque génération, et ce sont ces cristallisations dans notre cas, les grandes formes fictionnelles qui deviennent l’enjeu d’une évolution consciente et finalisée (au niveau des individus qui s’y
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engagent). Les formes spécifiques que prend cette évolution sont bien sûr indissociables des autres aspects de la reproduction sociale. Par exemple, une culture orale se reproduit autrement qu’une culture de l'écrit, et cette différence concerne aussi le domaine des fictions, et en premier lieu celui des fictions verbales : on a souvent noté que l’idée même d'œuvre stable n’a guère d’application dans une culture à transmission orale. De même, une société dans laquelle la légitimation sociale du savoir-faire technique repose sur un apprentissage par immersion minétique se reproduit autrement qu’une société où le savoir-faire est légitimé comme savoir réflexif et théorisé (ce qui est le cas dans la société industrielle) : de nos jours, la peinture ne s’apprend plus à l’atelier mais à l’école, ce qui implique un mode de transmission très particulier des compétences de figuration mimétique (pour autant qu'une telle transmission soit encore considérée comme une finalité, ce qui ne semble plus guère être le cas). On ne saurait surestimer importance que de multiples facteurs de ce type ont sur le déve238
loppement même des arts (mimétiques ou autres). D'ailleurs, le fait qu’une pratique soit sensible aux autres aspects de la vie sociale est un indice de sa cristallisation et donc de son importance. Le degré de cristallisation (notamment institutionnelle) est même directement proportionnel à cette sensibilité, car elle est synonyme de visibilité sociale, et seul ce qui est visible peut devenir l’enjeu d’une interaction consciente (harmonieuse ou conflictuelle) avec les autres aspects de la vie. Comme l’objet de ce livre n’est pas de proposer une histoire des formes de la fiction, je me bornerai à donner un seul exemple de Ta multiplicité des facteurs qu’il faudrait prendre en compte si ôn voulait s’attelerà une telle tâche. Je prendrai le cas des œuvres de fiction qui s’adressent spécifiquement aux enfants. En règle générale, les œuvres fictionnelles pour enfants ne sont évidemment pas créées par des enfants mais par des adultes. Aussi leur évolution s’inscrit-elle dans une transmission verticale et un cycle de reproduction dont l’unité est la génération. Cela ne vaut pas seulement pour la création des œuvres, mais aussi pour leur réception : à l’exception de quelques rares œuvres ayant acquis un statut de classiques (par exemple Jules Verne ou Bécassine en France, Karl May ou Wilhelm Busch en Allemagne, etc.), les œuvres fictionnelles pour enfants se renouvellent d’une génération à l’autre, c’est-à-dire que les enfants ont d’autres lectures, voient d’autres —
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films que leurs parents lorsqu'ils étaient jeunes. Par ailleurs, les formes de ces œuvres sont en général adaptées de formes adultes
:
tiques pour adultes semblent connaître des formes c
théâtrales spéspe
cialement destinées aux enfants, qu'il s 'agisse de spectacles de marionnettes ou de pièces à acteurs. Il n’est donc pas étonnant que les œuvres pour enfants partagent avec celles pour adultes une sensibilité extrême auxchangements qui affectent les conditions d'existence et de reproduction de Ja société globale. Par exemple, l'essor des livres d’imagespour.enfants n'est ConceVable que dans le cadredu développement de l’imprimerie (de la gravure): ceffe forme de fictionpour enfants, qui nousparaîtsi «naturelle », a été inconnuedurant la plus grande partie de l’évo-
lufionhumaine. De même, la fiction verbale(Ecrite) pour enfants
Le EE PE
na pu se
développer de manière conséquente qu’après l’alphabé239
a
POURQUOI LA FICTION ?
tisation de masse de la population, cette condition valant indifféremment pour les histoires destinées à être lues aux enfants par les adultes et pour celles accessibles aux enfants en cours d’alphabétisation. Un autre facteur qui joue un rôle très grand est celui des inventions technologiques. Depuis la fin de la Seconde Guerre”
Mondiale, le développement des disques de vinyle, puis-deess Cassettes" a‘entrainé un dépérissement relatif des lectures à vive foixfaites par les adultes ou des enfants plus :âgés, aü profit de rer Técoute- solitaire de récits préenregistrés#:or, une fiction h racontée,
par ES neele: êre,
pee
une
sœur OÙun grand frère, où encore”
ra"autres quaiitésquiT'accroissemenf font peut-être
{bien TScelle-ci uisse avoir
entiel-des fictions télévisuelles (dessins: animés,sériess pOur” énfants).accessibles'aux:plus-jeunes: ainsi que ledéveloppement deChaînes-thématiques::spécialement. destinées aux enfants ont
entraîné:un changement encore plus considérable :.les fictions verbales qui,jusqu “alors; malgré les livres d'images et les bandes Jéssinées,‘avaient:été au centre. des fictions artistiques destinées aux-enfants:ont.commencé à perdre ce rôle aux dépens des fic“ fionstaudiovisuelles/ Il se pourrait que ce changement soit irréVErsible, puisque lé développement actuel des fictions numériques ne peut que renforcer ce déclin relatif des fictions verbales. Etpourtant;:toutes ces transformations profondes au niveau des’ és:d'acces: auxunivers:fictionnels sont contrebalancées par de.Continuité souvent étonnanteau niveau des thèmes directeurs: quéstructurent lesunivers fictionnels. Par exemple, du point de vue désscénarios, des sources d'intérêt, des conflits mis en scène, des tensions psychologiques exemplifiées, de l’atmosphère, etc., la distance entre les contes oraux d’autrefois et certains jeux vidéo actuels est bien moindre qu’il n’y paraît. Ces deux formes de fiction, si éloignées dans le temps, partagent d’ailleurs encore un autre trait remarquable. On sait que Îes contes ne sont devenus une littérature proprement enfantine qu'à une époque assez récente. Pendant très longtemps ilss’adressaient au contraire à l'ensemble de la communauté domestique (par exemple lors des veillées), chaque tranched’âge pouvant y trouver son _compte. 240
DE QUELQUES DISPOSITIFS FICTIONNELS
Celaexplique leur complexité herméneutique : un bon contedevait être à même d’être assimilé et apprécié à des niveaux de compréhension multiples, Laplupartdes jeux vidéo actuels s’adressent Eux aussi à un public indifférencié du point de vue del’àâge,ettun des critères de leur réussite (ou de leur échec) réside} de précisément dans Ïa capacité qu’ils ont (ou qu’ils n’ont Das) d'éveiller l'intérêt de classes d’âges différentes; le succés mondial de Mysrest certainement lié pour une grande part au fait que l’univers fictionnel que les joueurs peuvent_« engendrer » est susceptible de se déployer sur différents niveaux de complexité, adaptésà des âges
différents.
77 On peut étendre la double constatation de la variabilité formelle et de la constance thématique aux arts mimétiques en général. On souligne souvent, à raison, la grande diversité historique et culturelle des formes fictionnelles. Mais lorsqu’on regarde les univers fictionnels engendrés, ou plutôt les questions qui sont agitées dans ces univers, on est frappé par le fait que, au-delà des différences thématiques de surface, les problématiques sont souvent les mêmes, quelle que soit l'aire culturelle et quelle que soit l’époque historique. Ce point a été fortement souligné par Thomas Pavel pour le domaine de la fiction verbale « Partout et toujours, nous trouvons des ensembles thématiques plus ou moins complets, comprenant nos principaux soucis, sociaux ou existentiels. La naissance, l’amour, la mort, le succès et l’échec, le pouvoir et sa perte, les révolutions et les guerres, la production et la distribution des biens, le statut social et la moralité, le sacré et le profane, les thèmes comiques de l’inadaptation et de l’isolement, les fantaisies compensatrices, etc., traversent toute l’histoire de la fiction, des mythes les plus anciens jusqu’à la littérature contemporaine. Les changements de goût et d’intérêt ne
:
modifient que marginalement cet inventaire ?. » Cette: étorinänte stabilité _historique._et transculturellé de «1 anthropologie.Amagiy naire8 » développée par les représentations. Fictionnelles .est:un/ indice supplémentaire du lien étroit que les activités ictionnelles 7. Pavel (1988), p. 186.
8. Pour reprendre l’expression proposée par Claude Bremond et Thomas Pavel (Bremond et Pavel, 1998, p. 197).
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a
POURQUOI LA FICTION ?
tisation de masse de la population, cette condition valant indifféremment pour les histoires destinées à être lues aux enfants par les adultes et pour celles accessibles aux enfants en cours d’alphabétisation. Un autre facteur qui joue un rôle très grand est celui des inventions technologiques. Depuis la fin de la Seconde Guerre”
Mondiale, le développement des disques de vinyle, puis-deess Cassettes" a‘entrainé un dépérissement relatif des lectures à vive foixfaites par les adultes ou des enfants plus :âgés, aü profit de rer Técoute- solitaire de récits préenregistrés#:or, une fiction h racontée,
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DE QUELQUES DISPOSITIFS FICTIONNELS
Celaexplique leur complexité herméneutique : un bon contedevait être à même d’être assimilé et apprécié à des niveaux de compréhension multiples, Laplupartdes jeux vidéo actuels s’adressent Eux aussi à un public indifférencié du point de vue del’àâge,ettun des critères de leur réussite (ou de leur échec) réside} de précisément dans Ïa capacité qu’ils ont (ou qu’ils n’ont Das) d'éveiller l'intérêt de classes d’âges différentes; le succés mondial de Mysrest certainement lié pour une grande part au fait que l’univers fictionnel que les joueurs peuvent_« engendrer » est susceptible de se déployer sur différents niveaux de complexité, adaptésà des âges
différents.
77 On peut étendre la double constatation de la variabilité formelle et de la constance thématique aux arts mimétiques en général. On souligne souvent, à raison, la grande diversité historique et culturelle des formes fictionnelles. Mais lorsqu’on regarde les univers fictionnels engendrés, ou plutôt les questions qui sont agitées dans ces univers, on est frappé par le fait que, au-delà des différences thématiques de surface, les problématiques sont souvent les mêmes, quelle que soit l'aire culturelle et quelle que soit l’époque historique. Ce point a été fortement souligné par Thomas Pavel pour le domaine de la fiction verbale « Partout et toujours, nous trouvons des ensembles thématiques plus ou moins complets, comprenant nos principaux soucis, sociaux ou existentiels. La naissance, l’amour, la mort, le succès et l’échec, le pouvoir et sa perte, les révolutions et les guerres, la production et la distribution des biens, le statut social et la moralité, le sacré et le profane, les thèmes comiques de l’inadaptation et de l’isolement, les fantaisies compensatrices, etc., traversent toute l’histoire de la fiction, des mythes les plus anciens jusqu’à la littérature contemporaine. Les changements de goût et d’intérêt ne
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modifient que marginalement cet inventaire ?. » Cette: étorinänte stabilité _historique._et transculturellé de «1 anthropologie.Amagiy naire8 » développée par les représentations. Fictionnelles .est:un/ indice supplémentaire du lien étroit que les activités ictionnelles 7. Pavel (1988), p. 186.
8. Pour reprendre l’expression proposée par Claude Bremond et Thomas Pavel (Bremond et Pavel, 1998, p. 197).
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POURQUOI LA FICTION ?
DE QUELQUES DISPOSITIFS FICTIONNELS
à
NN
entretiennent avec l’existence humaine dans ses manifestations les: ‘plus fondamentales. Elle montre en même temps que Îlescondi-
NN
TND NON NN D
tions existentielles (psychologiques et affectives) de la condition humaine diffèrent peut-être moins d’une société et d’une époque à l’autre qu’on se plaît parfois à le penser. Müis si la-réalité:est'une, les manières dont nous la vivons: dônt:nous.en faisons l’expérience,sont aussi multiples que les sous lesquelles nous pouvons nous rapporter à elles Cette dynamique se retrouve aussi dans le domaine des fictions. rs je: nous accédIons: àPunivers.de Lolita à travers leroman de} NaboKoV'ou à travers le film de Kubrick, c’est toujours aux faits*
/
ités
FRESSeSdeommes quelques personnesc’est-à-dire plus ou moins recommandables :introduits,: à une modélisation en
änalogique d’un.ensemble d'événements dont, s'ils étaient réels” lé:heu:d’occurrence ne pourrait être que ce que nous appelons’ «la’réalité » {présente, passée ou future, terrestre ou autre, peu importe). Cette relation ne dépend pas du type de fiction, ni né varie selon la proximité ou l’éloignement historiques et culturels des faits mimés. Elle est constitutive du dispositif fictionnel lui-même, puisqu'il naît en tant qu'imitation ludique de ce qui par ailleurs est vécu, agi, perçu, etc., comme étant réel. Mais les modalités selon lesquelles nous accédons à Ta réalité sont multiples et irréductibles les unes aux autres. Pour autant que la fiction produit des mimèmes de ces modalités (dont elle se sert comme amorces mimétiques), cette même multiplicité se retrouvera au niveau des dispositifs fictionnels. Il est donc important de” retônnaîtreque la fictionpossède desmodes d’être très différents SION.les supports symboliques dans lesquels elle s’incarne: Verbal, ‘piècede. théâtre, art du mime, fiction radiophonique;
ci;
(parfois)photographie, cméma, dessin; dnimé:'installations (dans les arts plastiques), multimédia, systèmes/ GEnde dessinée, peinture,
RENE virtuelle.::"Etces
différences ne sont pas de.« simplès 5}
à NN
Gen ences:formelles.:En vertu du caractère indissociable univers fictionnel et de l’aspectualité à travers laquelle il vientde: à.’
4
ns
#
FA
l'existence,les différences au niveau des modalités d'immersion” AC donc du:type de feintise ludique) se traduisent par des expé-" fences fictionnelles irréductibles l’une à l’autre; Lorsque je lis Lolita, mon expérience est fort différente de celle que je fais
NN OT
242
lorsque je vois le film qui adapte ce roman. Et ces deux expériences ne sauraient être traduites l’une dans l’autre, même si les deux œuvres « racontent la même histoire ». Les modes d’intelligibilité des deux dispositifs fictionnels ne sont en effet pas les mêmes. Dans le premier cas, notre accès à l’œuvre est de nature verbale, alors que dans le deuxième cas il est de nature visuelle (et, plus largement, perceptive). Ces différences, irréductibles, sont tout simplement l’équivalent « ludique » de l’irréductibilité des différentes aspectualités grâce auxquelles nous avons accés à la « réalité réelle ». Se faire raconter un événement n'est pas la même chose que voir (percevoir) l’événement en train de se dérouler?. Et c’est parce que ces perspectives aspectuelles sont irréductibles l’une à l’autre dans la vie réelle qu’elles le sont aussi au niveau de leur usage comme vecteurs mimétiques.
2. Vecteurs et postures d’immersion ka
Toutes les fictions.ont en commun la même structureintentions nelle (celle de la feintise ludique partagée, lémême type-d’opéÿ tation (il s’agit. d'opérateurs cognitifs .mimétiques),les, mêmes” contraintescognitives. (L'existence d’unerelation: d'analogie:gloÿ Bale. Entre le modèle et ce qui-est modélisé).et.le-même:1yYpE d’univers (l’univers fictif est un añalogon de ce un autre est considéré comme étant « réel.» En:revanche:elles/ se distinguent par la façon dont elles nous permettent.d’accéder:ày univers, donc aussi par l’aspectualité de l'univers représenté,y cet c’est-à-dire par. la modalité selon laquelle l'univers.‘fictionnely
Send figure dans le processus d'immersion. mimétique IT importe donc de se faire une idée au moins approximative des dispositifs fictionnels les plus importants et de ce qui les différencie. Je ne me propose évidemment pas d’établir une typologie des arts mimétiques. Il s’agira uniquement de voir dans quelle mesure les analyses développées jusqu'ici sont susceptibles de mieux nous faire comprendre selon quelles modalités certains des arts mimétiques les plus importants mettent en œuvre
9,
Voir ici même p. 300 sg.
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entretiennent avec l’existence humaine dans ses manifestations les: ‘plus fondamentales. Elle montre en même temps que Îlescondi-
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lorsque je vois le film qui adapte ce roman. Et ces deux expériences ne sauraient être traduites l’une dans l’autre, même si les deux œuvres « racontent la même histoire ». Les modes d’intelligibilité des deux dispositifs fictionnels ne sont en effet pas les mêmes. Dans le premier cas, notre accès à l’œuvre est de nature verbale, alors que dans le deuxième cas il est de nature visuelle (et, plus largement, perceptive). Ces différences, irréductibles, sont tout simplement l’équivalent « ludique » de l’irréductibilité des différentes aspectualités grâce auxquelles nous avons accés à la « réalité réelle ». Se faire raconter un événement n'est pas la même chose que voir (percevoir) l’événement en train de se dérouler?. Et c’est parce que ces perspectives aspectuelles sont irréductibles l’une à l’autre dans la vie réelle qu’elles le sont aussi au niveau de leur usage comme vecteurs mimétiques.
2. Vecteurs et postures d’immersion ka
Toutes les fictions.ont en commun la même structureintentions nelle (celle de la feintise ludique partagée, lémême type-d’opéÿ tation (il s’agit. d'opérateurs cognitifs .mimétiques),les, mêmes” contraintescognitives. (L'existence d’unerelation: d'analogie:gloÿ Bale. Entre le modèle et ce qui-est modélisé).et.le-même:1yYpE d’univers (l’univers fictif est un añalogon de ce un autre est considéré comme étant « réel.» En:revanche:elles/ se distinguent par la façon dont elles nous permettent.d’accéder:ày univers, donc aussi par l’aspectualité de l'univers représenté,y cet c’est-à-dire par. la modalité selon laquelle l'univers.‘fictionnely
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Voir ici même p. 300 sg.
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SE
POURQUOI LA FICTION ?
DE QUELQUES DISPOSITIFS FICTIONNELS
des dispositifs fictionnels spécifiques. Ce sont donc ces disposi-
nation physique est la feintise ludique d’actes mentaux. La postüre d’immersion qui est créée par ce vecteur est celle de l’intériorité subjective. Prenons le fameux « monologue autonome » (Dorrit Cohn !) de Molly, qui clôt l’Ulysse de Joyce. Son vecteur d’immersion est bien une feintise d’actes mentaux, puisque le texte simule un flux de conscience (verbale). Notre réactivation mimétique des pensées de Molly rêvassant dans son lit nous assigne notre propre vie mentale comme posture d’immersion nous pensons les pensées de Molly. Il convient de noter que ces pensées ne peuvent être que des pensées verbales, pour la simple raison que «la mimésis verbale ne peut être que mimésis du verbe !! », On voit par là comment le choix d’un vecteur d’immersion commande l’aspectualité sous laquelle nous pouvons accéder à l’univers fictionnel. Ainsi, nous verrons que le cinéma, du fait de la spécificité de son vecteur d’immersion, est à même de mimer non seulement la pensée verbale (dès lors qu’il intègre des éléments de mimésis verbale) mais encore l’imagerie mentale (il ne s’en prive d’ailleurs pas: cf. les scènes oniriques chez Buñuel) 2. Bien qu’il existe des fictions littéraires homodiégétiques entièrement construites à l’aide du vecteur d'immersion de la simulation d’états mentaux verbaux, la majorité des récits qui y ont recours le font varier avec d’autres vecteurs. Le fait qu’on puisse le trouver aussi dans des fictions hétérodiégétiques, tel précisément l’Ulysse de Joyce, montre que la distinction des vecteurs d’immersion de nature verbale ne se superpose pas nécessairement à celle des grands partages narratifs. Un deuxième vecteur d’immersionest celui de la feintise illocutoire, c’est-à-dire de la feintise d’actes de langage. Pour
tifs qui me retiendront, plutôt que les arts qui s’en servent. Mon énumération ne prétend pas non plus être exhaustive. Enfin, l’affectation de tel ou tel art mimétique à tel ou tel dispositif fictionnel sera à prendre cum grano salis, pour des raisons que nous rencontrerons un peu plus loin. "our mon'analyse;je me servirai de deux notions: celle de-vec}
d'ersiOn sont lesfemntises ludiques, les’amorces PSN
s
;
es vecteurs 74
mimétiques?
4
N
que.leScréateurs de: fiction utilisent‘poür donner naissance à# Universfictionnel et quipermettent aux récepteurs de réactiver#
DON ON ÙN NN DIN
Sgen.cet:univers
4 Un, vecteur .d’immersion est:en/
Lespostures d'immersion sont les Perspectives? ‘immersion que nous assignent les vecteurs? Elles? TMinENT, J'aspectualité,. ou: la modalité particulière, sous”
liquelie
l
univers se: manifeste à nous du fait que nous y
GE
EtIE d multiples posturessd’immersion et à Chacune omeond
vecteur d’immersion, donc un type d’imitation-semblant, d’amorce mimétique, particulier. En répartissant les postures d'immersion selon un axe qui va de l’immersion purement mentale (celle qui est induite par un récit de fiction) jusqu’à l’immersion dans une situation intramondaine (celle de l’acteur de théâtre Ou, selon une modalité quelque peu différente, de quelqu’un qui «entre » dans un système de réalité virtuelle), on peut distinguer en première approximation, et sous réserve d'inventaire, Sept
un
\
VD
NN RD
dispositifs différents. Pour chacun des dispositifs, J'indiquerai le (ou les) type(s) d’art mimétique qui, là encore en première approximation, semblent en fai lus conséquent. nfin, pour simplifier la description, je me bornerai à l’immersion mimétique en situation de réception. Mais dans la mesure où, à une complication près dont je tiendrai compte, il y a une équivalence stricte entre la modalité de la situation d’immersion créatrice et celle de la situation d’immersion réceptive correspondante, cette limitation ne porte pas à conséquences. Lepremier vecteur d'immersion fictionnelle que nous rencontrons surl’axequi va de l’intériorité imaginative vers l’incarES
244
nes
ji
:
l'essentiel, tes actes feints
sont des actes de langage descriptifs,
Voir Cohn (1981), p. 245-300. Voir Genette (1972), p. 185-186. 12. Cela ne signifie pas, bien entendu, que le récit de fiction soit incapable de rendre compte de contenus mentaux non verbaux. Mais il ne peut le faire qu’à travers la voix d’un narrateur qui rapporte ces états mentaux, c’est-à-dire à travers ce que Dorrit Cohn appelle le « psycho-récit » : il ne peut pas mimer ces états eux-mêmes. Cohn note que le grand avantage du psycho-récit réside précisément dans le fait qu’il est même de prendre en compte les « mouvements 10. 11.
à
psychiques non verbalisés
»
(Cohn, 1981, p. 63).
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DE QUELQUES DISPOSITIFS FICTIONNELS
des dispositifs fictionnels spécifiques. Ce sont donc ces disposi-
nation physique est la feintise ludique d’actes mentaux. La postüre d’immersion qui est créée par ce vecteur est celle de l’intériorité subjective. Prenons le fameux « monologue autonome » (Dorrit Cohn !) de Molly, qui clôt l’Ulysse de Joyce. Son vecteur d’immersion est bien une feintise d’actes mentaux, puisque le texte simule un flux de conscience (verbale). Notre réactivation mimétique des pensées de Molly rêvassant dans son lit nous assigne notre propre vie mentale comme posture d’immersion nous pensons les pensées de Molly. Il convient de noter que ces pensées ne peuvent être que des pensées verbales, pour la simple raison que «la mimésis verbale ne peut être que mimésis du verbe !! », On voit par là comment le choix d’un vecteur d’immersion commande l’aspectualité sous laquelle nous pouvons accéder à l’univers fictionnel. Ainsi, nous verrons que le cinéma, du fait de la spécificité de son vecteur d’immersion, est à même de mimer non seulement la pensée verbale (dès lors qu’il intègre des éléments de mimésis verbale) mais encore l’imagerie mentale (il ne s’en prive d’ailleurs pas: cf. les scènes oniriques chez Buñuel) 2. Bien qu’il existe des fictions littéraires homodiégétiques entièrement construites à l’aide du vecteur d'immersion de la simulation d’états mentaux verbaux, la majorité des récits qui y ont recours le font varier avec d’autres vecteurs. Le fait qu’on puisse le trouver aussi dans des fictions hétérodiégétiques, tel précisément l’Ulysse de Joyce, montre que la distinction des vecteurs d’immersion de nature verbale ne se superpose pas nécessairement à celle des grands partages narratifs. Un deuxième vecteur d’immersionest celui de la feintise illocutoire, c’est-à-dire de la feintise d’actes de langage. Pour
tifs qui me retiendront, plutôt que les arts qui s’en servent. Mon énumération ne prétend pas non plus être exhaustive. Enfin, l’affectation de tel ou tel art mimétique à tel ou tel dispositif fictionnel sera à prendre cum grano salis, pour des raisons que nous rencontrerons un peu plus loin. "our mon'analyse;je me servirai de deux notions: celle de-vec}
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vecteur d’immersion, donc un type d’imitation-semblant, d’amorce mimétique, particulier. En répartissant les postures d'immersion selon un axe qui va de l’immersion purement mentale (celle qui est induite par un récit de fiction) jusqu’à l’immersion dans une situation intramondaine (celle de l’acteur de théâtre Ou, selon une modalité quelque peu différente, de quelqu’un qui «entre » dans un système de réalité virtuelle), on peut distinguer en première approximation, et sous réserve d'inventaire, Sept
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dispositifs différents. Pour chacun des dispositifs, J'indiquerai le (ou les) type(s) d’art mimétique qui, là encore en première approximation, semblent en fai lus conséquent. nfin, pour simplifier la description, je me bornerai à l’immersion mimétique en situation de réception. Mais dans la mesure où, à une complication près dont je tiendrai compte, il y a une équivalence stricte entre la modalité de la situation d’immersion créatrice et celle de la situation d’immersion réceptive correspondante, cette limitation ne porte pas à conséquences. Lepremier vecteur d'immersion fictionnelle que nous rencontrons surl’axequi va de l’intériorité imaginative vers l’incarES
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l'essentiel, tes actes feints
sont des actes de langage descriptifs,
Voir Cohn (1981), p. 245-300. Voir Genette (1972), p. 185-186. 12. Cela ne signifie pas, bien entendu, que le récit de fiction soit incapable de rendre compte de contenus mentaux non verbaux. Mais il ne peut le faire qu’à travers la voix d’un narrateur qui rapporte ces états mentaux, c’est-à-dire à travers ce que Dorrit Cohn appelle le « psycho-récit » : il ne peut pas mimer ces états eux-mêmes. Cohn note que le grand avantage du psycho-récit réside précisément dans le fait qu’il est même de prendre en compte les « mouvements 10. 11.
à
psychiques non verbalisés
»
(Cohn, 1981, p. 63).
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POURQUOI LA FICTION ?
DE QUELQUES DISPOSITIFS FICTIONNELS
puisque la plupart des fictions qui ont recours aulangage sont narratives, mais rien n’interdit la confection d’une fiction verbale qui consisterait entièrement en actes de langage déclaratifs ou interrogatifs feints. La posture d’immersion quicorrespond la feintise d’actes de langage descriptifs est celle de la « narrafion naturelle ». Nous accédons à l’univers fictionnel à travers la voix et plus largement la perspective d’un narrateur qui prétend nous raconter des faits réels, tel celui qui commence son récit par ces paroles : « Lucien Leuwen avait été chassé de l’École polytechnique pour s’être allé promener mal à propos, un jour qu’il était consigné, ainsi que tous ses camarades : c’était à l’époque d’une des célèbres journées de juin, avril ou février 1832 ou 1834. » Cette modalité d’accès à l’univers fictionnel est typiquement celle de la fiction verbale hétérodiégétique, encore que la situation se complique dès lors qu’il y a focalisation interne, c’est-à-dire dès lors que la narration adopte le point de vue d’un personnage qui se constitue ainsi en « Je-origine fictif » (Käte Hamburger) de l’univers mimétique F5, Un troisième vecteur d’immersion est celui de la substitution d'identité narrative. On le trouve dans une de là fiction Homodiégétique, plus précisément dans tous les textes où la feintise se situe en amont des actes de langage, au niveau de la figure du narrateur, comme c’est lecas dans une autobiographie fictive. La posture d’immersion qui correspond à ce vecteur est là encore celle de Ia « narration naturelle », avec cette différence que l’accent se déplace de l’acte narratif vers l'identité du narrateur. La VS rS 4 posture d'immersion induite par une substitution d’identité narrative est fort différente de celle induitepar_une feintise d’actes mentaux, même si les deuxphénomènes relèvent de la perspective homodiégétique (fût-elle enchâssée dans un récit hétérodiégétique comme chez Joyce). Cela confirme l’hypothèse que les différences pertinentes au niveau des techniques d’immersion ne se superposent pas toujours aux grands partages narratifs, une question sur laquelle je reviendrai plus loin. Le quatrième vecteur d'immersion nous fait passer des réactivations mimétiques purement mentalés induites par des mimèmes
verbaux au domaine des mimèmes qui relèvent de l’accès perceptifau monde. L'analyse correcte des vecteurs d’immersion fictionnelle utilisés par les arts mimétiques exploitant des représentations analogiques pose un problème particulier, dans la mesure où, en amont de la question de leur caractère fictif ou non, les images graphiques et les photographies sont toujours déjà des mimèmes, et donc sont toujours déjà intériorisées par unprocessus d'immersion D’où la difficulté de faire la part entre ce qui relève de l'immersion mimétique indissociable du support mimétique et ce qui relève de l’immersion proprement fictionnelle en tant que celle-ci se sert du support mimétique dans le cadre d’une feintise ludique partagée. Mais je préfère aborder cette question plus tard. Au point où nous en sommes, il suffit de dégager la distinction de principe qui sépare les mimèmes homologues des mimèmes fictionnels. Le vecteur d’immersion qui est utilisé par les fictions qui se servent du support graphique ou photographique est la feintise d’une représentation visuelle hoïño= logue. Autrement dit, la situation de feintisé ludique partagée nous amène à traiter une représentation visuelle fictionnéllé «comme si » elle était une représentation visuelle homologue, donc dénotationnelle. En revanche et c’est une des raisons de la difficulté qu’il y a à bien séparer lessituationsde fiction des situations de mimésis homologue dans le domaine de la peinture et de la photographie # —, la posture d'immersion fictionnelle est exactement la même que dans Îe cas d’un mimème visuel homofogue : il s’agit d’une immersion perceptive. 7Le cinquième vecteur d'immersion se distingue du quatrième uniquement (si l’on peut dire !) en ce qu’il a pour support l’image Mobile plutôt que l'image fixe. C’est le vecteur à travers lequel ägissent le cinéma et toutes les autres techniques fictionnelles qui se servent de l’image mobile. Là encore, la mimésis fictionnelle redouble un processus mimétique constitutif du flux imagé luimême, en l’occurrence l’immersion perceptive (visuelle, mais aussi en général auditive). Le vecteur d'immersion fictionnelle pertinent est la feintise Tudique partagée qui nous fait traiter le
à
D
ge
mg
4
partie
13.
mimétique.
—
——
14. Lamême chose vaut aussi pour le cinéma. Au sujet de la distinction entre les Mimèmes quasi perceplüfs et leur usage fictionnel, voirplus p. 290 sq.
loin,
Voir plus loin, p. 263 sq.
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POURQUOI LA FICTION ?
DE QUELQUES DISPOSITIFS FICTIONNELS
puisque la plupart des fictions qui ont recours aulangage sont narratives, mais rien n’interdit la confection d’une fiction verbale qui consisterait entièrement en actes de langage déclaratifs ou interrogatifs feints. La posture d’immersion quicorrespond la feintise d’actes de langage descriptifs est celle de la « narrafion naturelle ». Nous accédons à l’univers fictionnel à travers la voix et plus largement la perspective d’un narrateur qui prétend nous raconter des faits réels, tel celui qui commence son récit par ces paroles : « Lucien Leuwen avait été chassé de l’École polytechnique pour s’être allé promener mal à propos, un jour qu’il était consigné, ainsi que tous ses camarades : c’était à l’époque d’une des célèbres journées de juin, avril ou février 1832 ou 1834. » Cette modalité d’accès à l’univers fictionnel est typiquement celle de la fiction verbale hétérodiégétique, encore que la situation se complique dès lors qu’il y a focalisation interne, c’est-à-dire dès lors que la narration adopte le point de vue d’un personnage qui se constitue ainsi en « Je-origine fictif » (Käte Hamburger) de l’univers mimétique F5, Un troisième vecteur d’immersion est celui de la substitution d'identité narrative. On le trouve dans une de là fiction Homodiégétique, plus précisément dans tous les textes où la feintise se situe en amont des actes de langage, au niveau de la figure du narrateur, comme c’est lecas dans une autobiographie fictive. La posture d’immersion qui correspond à ce vecteur est là encore celle de Ia « narration naturelle », avec cette différence que l’accent se déplace de l’acte narratif vers l'identité du narrateur. La VS rS 4 posture d'immersion induite par une substitution d’identité narrative est fort différente de celle induitepar_une feintise d’actes mentaux, même si les deuxphénomènes relèvent de la perspective homodiégétique (fût-elle enchâssée dans un récit hétérodiégétique comme chez Joyce). Cela confirme l’hypothèse que les différences pertinentes au niveau des techniques d’immersion ne se superposent pas toujours aux grands partages narratifs, une question sur laquelle je reviendrai plus loin. Le quatrième vecteur d'immersion nous fait passer des réactivations mimétiques purement mentalés induites par des mimèmes
verbaux au domaine des mimèmes qui relèvent de l’accès perceptifau monde. L'analyse correcte des vecteurs d’immersion fictionnelle utilisés par les arts mimétiques exploitant des représentations analogiques pose un problème particulier, dans la mesure où, en amont de la question de leur caractère fictif ou non, les images graphiques et les photographies sont toujours déjà des mimèmes, et donc sont toujours déjà intériorisées par unprocessus d'immersion D’où la difficulté de faire la part entre ce qui relève de l'immersion mimétique indissociable du support mimétique et ce qui relève de l’immersion proprement fictionnelle en tant que celle-ci se sert du support mimétique dans le cadre d’une feintise ludique partagée. Mais je préfère aborder cette question plus tard. Au point où nous en sommes, il suffit de dégager la distinction de principe qui sépare les mimèmes homologues des mimèmes fictionnels. Le vecteur d’immersion qui est utilisé par les fictions qui se servent du support graphique ou photographique est la feintise d’une représentation visuelle hoïño= logue. Autrement dit, la situation de feintisé ludique partagée nous amène à traiter une représentation visuelle fictionnéllé «comme si » elle était une représentation visuelle homologue, donc dénotationnelle. En revanche et c’est une des raisons de la difficulté qu’il y a à bien séparer lessituationsde fiction des situations de mimésis homologue dans le domaine de la peinture et de la photographie # —, la posture d'immersion fictionnelle est exactement la même que dans Îe cas d’un mimème visuel homofogue : il s’agit d’une immersion perceptive. 7Le cinquième vecteur d'immersion se distingue du quatrième uniquement (si l’on peut dire !) en ce qu’il a pour support l’image Mobile plutôt que l'image fixe. C’est le vecteur à travers lequel ägissent le cinéma et toutes les autres techniques fictionnelles qui se servent de l’image mobile. Là encore, la mimésis fictionnelle redouble un processus mimétique constitutif du flux imagé luimême, en l’occurrence l’immersion perceptive (visuelle, mais aussi en général auditive). Le vecteur d'immersion fictionnelle pertinent est la feintise Tudique partagée qui nous fait traiter le
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14. Lamême chose vaut aussi pour le cinéma. Au sujet de la distinction entre les Mimèmes quasi perceplüfs et leur usage fictionnel, voirplus p. 290 sq.
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Voir plus loin, p. 263 sq.
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POURQUOI LA FICTION ?
DE QUELQUES DISPOSITIFS FICTIONNELS
à
flux imagé comme s’il était causé par ce qu’il donne à voir(ce qui est effectivement le cas dans un documentaire) : nous traitons ce que nous voyons comme si nous le voyions parce que cela a eu leu, alors qu’en réalité cela a eu lieu uniquement pour que nous le voyions. La Caméra n’a pas enregistré telle ou telle action parce qu'elle a eu lieu, maïs l’action a eu lieu pour que la caméra puisse fa donner à voir selon la modalité de la feintise ludique partagée. IT Faut noter que le vecteur d'immersion fictionnellé reste fondamentalement le même, qu’il s’agisse d’un enregistrement filmique effectif, d’un dessin animé ou d’un film construit à l’aide d’images de synthèse: cela tient au fait que l’immersion perceptive est induite par la phénoménologie du flux imagé plutôt que par la relation d’empreinte. Du point de vue de leur fonctionnement fictionnel, il n’y a pas de grande différence entre Bambi et Babe le cochon, bien que le premier soit un dessin animé et le second un film « réel ». Cela explique aussi la facilité avec laquelle nous acceptons des univers filmiques mixtes qui, à l’instar de Qui a tué Roger Rabbit ?, combinent les deux supports. Ce point est important, car il illustre l’abîme qui sépare la situation de feintise ludique partagée de celle de la feintise sérieuse : une feintise sérieuse se servant d’un flux imagé ne peut être efficace que pour autant qu’elle « détourne » des images indicielles (cinématographiques), car ce qui importe ce n’est pas qu’elle leurre notre mécanisme perceptif (à un niveau préattentionnel) : il faut qu’elle nous amène à entretenir des croyances erronées, en l’occurrence la croyance qu’elle nous donne à voir des événements réels. Pour y arriver, les leurres préattentionnels non seulement ne suffisent pas, mais encore sont à la limite superflus. Il faut plutôt qu’elle tire profit de ce que naguère, à propos de la photographie, javais proposé d’appeler le savoir de l’archè ! : la feintise (sérieuse) doit nous amener à croire que nous sommes face à une empreinte, donc face à une photographie ou un enregistrement filmique. Il n’en va pas de même dans le cadre d’une feintise ludique : pour autant qu’un dessin animé ou des images de synthèse sont à même d’induire la même posture d’immersion qu’un enregistrement filmique, ils font tout aussi bien l’affaire. Je ne ae
à
DR D D ON
NOD ND NN ON
ON OÙ DONS
15.
Ds
Voir Schaeffer (1987), p. 41 sq.
\
Un
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—
évidemment pas dire par là qu’ils sont interchangeables, notamment parce que l’enregistrement filmique peut sans doute développer des leurres perceptifs préattentionnels plus puissants que le dessin animé, du fait de son recours à des leurres hypernormaux. Mais cela ne change rien au fond de l’affaire. En ce qui concerne la posture d’immersion induite par ce vecteur, il s’agit, comme dans le cas des images graphiques et des photographies, d’une immersion perceptive. Les deux se distinguent cependant en ce que dans le cas des images fixes l’immersion est purement visuelle et non saturée par le mimème, alors que dans le cinéma elle est mimétiquement saturée et (du moins depuis l’invention du parlant) à la fois visuelle et auditive. Dans le cas d’une fiction cinématographique, je m’immerge dans un flux perceptif, dans une expérience perceptive au plein sens du terme. Dans le cas des images fixes en revanche, l’amorce visuelle non saturée (non seulement du fait de l’absence de mouvement à l’intérieur du cône visuel, mais aussi à cause de l’immobilité de ce cône lui-même) exige une intervention active de mon imaginaire pour que l’immersion accède à la durée et à la mobilité d’un véritable mimème visuel. À défaut d’être vivifiés ainsi imaginairement, « les êtres qu’engendre la peinture se tiennent debout comme s’ils étaient vivants, mais qu’on les interroge, ils restent figés dans une pose solennelle et gardent le silence ! ». Un sixième dispositif fictionnel se sert de la simulation d’événements intramondains comme vecteur d'immersion, Îl investit un espace réel qu’il peuple depersonnes physiques réelles, mais en dotant cet espace réel et cespersonnes réelles d’une fonction C’est évidemment la situation qui prévaut au théâtre. Il importe de noter que le vecteur d’immersion ici n'est pas la simulation d’un flux perceptif, mais une simulation d'événements. Bien que l’espace de fa scène soit un espace fictionnel, et quoique les décors soient des mimèmes, cet univers Hictionnel 6ccupe l'espace physique, il comporte des objets physiques et, bien entendu, est peuplé de personnes humaines réelles. Le spectateur de théâtre est dans une situation qui ressemble à celle décrite par Giono, sauf que dans le cas du théâtre, les deux veux
donc
mimétique.
16. Platon, Phèdre, 275 d,
in Platon (1989), p. 180.
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POURQUOI LA FICTION ?
DE QUELQUES DISPOSITIFS FICTIONNELS
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flux imagé comme s’il était causé par ce qu’il donne à voir(ce qui est effectivement le cas dans un documentaire) : nous traitons ce que nous voyons comme si nous le voyions parce que cela a eu leu, alors qu’en réalité cela a eu lieu uniquement pour que nous le voyions. La Caméra n’a pas enregistré telle ou telle action parce qu'elle a eu lieu, maïs l’action a eu lieu pour que la caméra puisse fa donner à voir selon la modalité de la feintise ludique partagée. IT Faut noter que le vecteur d'immersion fictionnellé reste fondamentalement le même, qu’il s’agisse d’un enregistrement filmique effectif, d’un dessin animé ou d’un film construit à l’aide d’images de synthèse: cela tient au fait que l’immersion perceptive est induite par la phénoménologie du flux imagé plutôt que par la relation d’empreinte. Du point de vue de leur fonctionnement fictionnel, il n’y a pas de grande différence entre Bambi et Babe le cochon, bien que le premier soit un dessin animé et le second un film « réel ». Cela explique aussi la facilité avec laquelle nous acceptons des univers filmiques mixtes qui, à l’instar de Qui a tué Roger Rabbit ?, combinent les deux supports. Ce point est important, car il illustre l’abîme qui sépare la situation de feintise ludique partagée de celle de la feintise sérieuse : une feintise sérieuse se servant d’un flux imagé ne peut être efficace que pour autant qu’elle « détourne » des images indicielles (cinématographiques), car ce qui importe ce n’est pas qu’elle leurre notre mécanisme perceptif (à un niveau préattentionnel) : il faut qu’elle nous amène à entretenir des croyances erronées, en l’occurrence la croyance qu’elle nous donne à voir des événements réels. Pour y arriver, les leurres préattentionnels non seulement ne suffisent pas, mais encore sont à la limite superflus. Il faut plutôt qu’elle tire profit de ce que naguère, à propos de la photographie, javais proposé d’appeler le savoir de l’archè ! : la feintise (sérieuse) doit nous amener à croire que nous sommes face à une empreinte, donc face à une photographie ou un enregistrement filmique. Il n’en va pas de même dans le cadre d’une feintise ludique : pour autant qu’un dessin animé ou des images de synthèse sont à même d’induire la même posture d’immersion qu’un enregistrement filmique, ils font tout aussi bien l’affaire. Je ne ae
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Voir Schaeffer (1987), p. 41 sq.
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évidemment pas dire par là qu’ils sont interchangeables, notamment parce que l’enregistrement filmique peut sans doute développer des leurres perceptifs préattentionnels plus puissants que le dessin animé, du fait de son recours à des leurres hypernormaux. Mais cela ne change rien au fond de l’affaire. En ce qui concerne la posture d’immersion induite par ce vecteur, il s’agit, comme dans le cas des images graphiques et des photographies, d’une immersion perceptive. Les deux se distinguent cependant en ce que dans le cas des images fixes l’immersion est purement visuelle et non saturée par le mimème, alors que dans le cinéma elle est mimétiquement saturée et (du moins depuis l’invention du parlant) à la fois visuelle et auditive. Dans le cas d’une fiction cinématographique, je m’immerge dans un flux perceptif, dans une expérience perceptive au plein sens du terme. Dans le cas des images fixes en revanche, l’amorce visuelle non saturée (non seulement du fait de l’absence de mouvement à l’intérieur du cône visuel, mais aussi à cause de l’immobilité de ce cône lui-même) exige une intervention active de mon imaginaire pour que l’immersion accède à la durée et à la mobilité d’un véritable mimème visuel. À défaut d’être vivifiés ainsi imaginairement, « les êtres qu’engendre la peinture se tiennent debout comme s’ils étaient vivants, mais qu’on les interroge, ils restent figés dans une pose solennelle et gardent le silence ! ». Un sixième dispositif fictionnel se sert de la simulation d’événements intramondains comme vecteur d'immersion, Îl investit un espace réel qu’il peuple depersonnes physiques réelles, mais en dotant cet espace réel et cespersonnes réelles d’une fonction C’est évidemment la situation qui prévaut au théâtre. Il importe de noter que le vecteur d’immersion ici n'est pas la simulation d’un flux perceptif, mais une simulation d'événements. Bien que l’espace de fa scène soit un espace fictionnel, et quoique les décors soient des mimèmes, cet univers Hictionnel 6ccupe l'espace physique, il comporte des objets physiques et, bien entendu, est peuplé de personnes humaines réelles. Le spectateur de théâtre est dans une situation qui ressemble à celle décrite par Giono, sauf que dans le cas du théâtre, les deux veux
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16. Platon, Phèdre, 275 d,
in Platon (1989), p. 180.
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POURQUOI LA FICTION ?
DE QUELQUES DISPOSITIFS FICTIONNELS
univers qui se superposent (celui de la réalité et celui de la fiction) occupent tous les deux le même espace, à savoir l’espace réel. Si le vecteur d’immersion du théâtre n’est pas constitué par la simulation d’un flux perceptif, il en découle que la posture d’immersion du spectateur n’est pas non plus celle d’une expérience pluri-perceptive. Dans le théâtre, je ne m’immerge pas dans un mimème qui simule une expérience perceptive, mais dans des événements et des actions. Certes, c’est à travers des actes perceptifs que je prends connaissance de ces actions et événements, mais ce ne sont pas ces actes qui constituent le vecteur d’immersion mimétique: ils sont tout ce qu’il y a de plus réel. Le vecteur d’immersion n’est pas constitué par le fait de voir et d’entendre des événements, mais par le fait d’assister à des événements. Pour le dire autrement: la feintise ludique n’investit pas un mimème quasi perceptif, mais les événements eux-mêmes. Bien évidemment, la fiction cinématographique exige aussi des actes perceptifs réels de la part du spectateur, mais ces actes réels
fictionnels qui se passent dans l’ espace tridimensionnel réel_et néanmoins fictionnel, et il les perçoit à travers l’ aspectualité de ses propres actes perceptifs réels et non pas à travers un mimème quasi perceptif(mis au service d’une feintise ludique partagée). D'ailleurs il peut décider librement de focaliser son attention visuelle sur tel ou tel personnage, sur telle ou telle partie de la scène, ce qui montre bien que son accès à l’univers fictif ne passe pas par une mimésis d’actes perceptifs. Dans le cas. du cinéma, on ne peut accéderà l’univers fictionnel qu’à travers l’aspectualité perceptive mimée par la caméra: lorsque le cinéaste ne me montre qu’un seul personnage, je n’ai aucun moyen de voir les autres ; d’où l’importance de la dialectique champ vs hors champ, qui n’existe pas au théâtre 8. Mais en même temps, comme le spectateur de cinéma, celui du théâtre est exclu des événements qui se déroulent devant lui, du moins pour autant que le contrat de feintise ludique partagée lui «interdit » d’intervenir en tant qu’« acteur ». Il reste donc à comprendre la spécificité de sa posture d’immersion comparée à celle, perceptive, du spectateur de cinéma. Je ne suis pas très sûr de la justesse de mon hypothèse, mais il me semble que la posture réelle dont la posture d’immersion du public de théâtre se rapproche le plus est celle d’un observateur (cela expliquerait peutêtre pourquoi le chœur antique, qui représentait en quelque sorte le spectateur à l’intérieur même de l’univers de la fiction, ne devait pas intervenir dans l’action, mais ne pouvait que la commenter). La posture d’immersion fictionnelle typique du théâtre
lui donnent accès qu'aux traces lumineuses sur l’écran. En revanche, pour avoir accès à l’univers mimétique, et donc aussi à
ne
l’univers fictionnel (au cas où le mimème cinématographique est fictionnel), il doit s’immerger dans l’expérience perceptive imitée par ces traces lumineuses. La -a_partie du spectateur qui se charge de « regarder le film » est assise dans un fauteuil et focalise son regard sur l’écran, mais la partie qui « voit l’histoire» celle qui est en situation, soit d’immersion mimétique (dans le cas d’un documentaire), soit d’immersion fictionnelle (dans le cas d’un film de fiction) est collée à la rétine artefactuelle de la caméra, son regard étant focalisé par et à travers la focalisation quasi perceptive du champ filmique ”. Au théâtre, en revanche, le spectateur perçoit réellement les événements physiques réels et néanmoins —
—
NON ON
NN
NNON
17. Cette description est évidemment unilatérale, puisqu'elle ne prend pas en compte les mimèmes sonores. Il faudrait par ailleurs distinguer ceux-ci de la bande-son dans sa globalité, puisque celle-ci comporte en général aussi un élément non mimétique, la musique, qui la plupart du temps ne fait pas partie de l’univers fictionnel lui-même, mais fonctionne comme un opérateur d’empathie
imiterait donc ludiquement une posture qui est loin d’être rare dans la vie de tous lesjours: cela va de l’enfant qui assiste, impuissant, aux querelles de ses parents, jusqu’au citoyen qui assiste, impuissant, à la dérive de son pays, en passant par le spectateur amusé
250
251
D
affective. Voir dans Jost (1987, p. 37-59) pour une analyse de la complexité des éléments sonores le cinéma de fiction.
18. Bien sûr, au cinéma, j’ai une certaine liberté de varier le point de focalisation de mon regard à l’intérieur du champ quasi perceptif, du moins pour autant que le cadre global du champ reste stable assez longtemps, c’est-à-dire pour autant qu’il s’agit d’un plan fixe. Dès qu’il y a des plans mobiles, mon regard a tendance à rester centré sur le point de fuite, parce que seul ce centrage de la focalisation me permet d’intégrer les transformations du champ dans la continuité d’une expérience visuelle mouvante.
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POURQUOI LA FICTION ?
DE QUELQUES DISPOSITIFS FICTIONNELS
univers qui se superposent (celui de la réalité et celui de la fiction) occupent tous les deux le même espace, à savoir l’espace réel. Si le vecteur d’immersion du théâtre n’est pas constitué par la simulation d’un flux perceptif, il en découle que la posture d’immersion du spectateur n’est pas non plus celle d’une expérience pluri-perceptive. Dans le théâtre, je ne m’immerge pas dans un mimème qui simule une expérience perceptive, mais dans des événements et des actions. Certes, c’est à travers des actes perceptifs que je prends connaissance de ces actions et événements, mais ce ne sont pas ces actes qui constituent le vecteur d’immersion mimétique: ils sont tout ce qu’il y a de plus réel. Le vecteur d’immersion n’est pas constitué par le fait de voir et d’entendre des événements, mais par le fait d’assister à des événements. Pour le dire autrement: la feintise ludique n’investit pas un mimème quasi perceptif, mais les événements eux-mêmes. Bien évidemment, la fiction cinématographique exige aussi des actes perceptifs réels de la part du spectateur, mais ces actes réels
fictionnels qui se passent dans l’ espace tridimensionnel réel_et néanmoins fictionnel, et il les perçoit à travers l’ aspectualité de ses propres actes perceptifs réels et non pas à travers un mimème quasi perceptif(mis au service d’une feintise ludique partagée). D'ailleurs il peut décider librement de focaliser son attention visuelle sur tel ou tel personnage, sur telle ou telle partie de la scène, ce qui montre bien que son accès à l’univers fictif ne passe pas par une mimésis d’actes perceptifs. Dans le cas. du cinéma, on ne peut accéderà l’univers fictionnel qu’à travers l’aspectualité perceptive mimée par la caméra: lorsque le cinéaste ne me montre qu’un seul personnage, je n’ai aucun moyen de voir les autres ; d’où l’importance de la dialectique champ vs hors champ, qui n’existe pas au théâtre 8. Mais en même temps, comme le spectateur de cinéma, celui du théâtre est exclu des événements qui se déroulent devant lui, du moins pour autant que le contrat de feintise ludique partagée lui «interdit » d’intervenir en tant qu’« acteur ». Il reste donc à comprendre la spécificité de sa posture d’immersion comparée à celle, perceptive, du spectateur de cinéma. Je ne suis pas très sûr de la justesse de mon hypothèse, mais il me semble que la posture réelle dont la posture d’immersion du public de théâtre se rapproche le plus est celle d’un observateur (cela expliquerait peutêtre pourquoi le chœur antique, qui représentait en quelque sorte le spectateur à l’intérieur même de l’univers de la fiction, ne devait pas intervenir dans l’action, mais ne pouvait que la commenter). La posture d’immersion fictionnelle typique du théâtre
lui donnent accès qu'aux traces lumineuses sur l’écran. En revanche, pour avoir accès à l’univers mimétique, et donc aussi à
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l’univers fictionnel (au cas où le mimème cinématographique est fictionnel), il doit s’immerger dans l’expérience perceptive imitée par ces traces lumineuses. La -a_partie du spectateur qui se charge de « regarder le film » est assise dans un fauteuil et focalise son regard sur l’écran, mais la partie qui « voit l’histoire» celle qui est en situation, soit d’immersion mimétique (dans le cas d’un documentaire), soit d’immersion fictionnelle (dans le cas d’un film de fiction) est collée à la rétine artefactuelle de la caméra, son regard étant focalisé par et à travers la focalisation quasi perceptive du champ filmique ”. Au théâtre, en revanche, le spectateur perçoit réellement les événements physiques réels et néanmoins —
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17. Cette description est évidemment unilatérale, puisqu'elle ne prend pas en compte les mimèmes sonores. Il faudrait par ailleurs distinguer ceux-ci de la bande-son dans sa globalité, puisque celle-ci comporte en général aussi un élément non mimétique, la musique, qui la plupart du temps ne fait pas partie de l’univers fictionnel lui-même, mais fonctionne comme un opérateur d’empathie
imiterait donc ludiquement une posture qui est loin d’être rare dans la vie de tous lesjours: cela va de l’enfant qui assiste, impuissant, aux querelles de ses parents, jusqu’au citoyen qui assiste, impuissant, à la dérive de son pays, en passant par le spectateur amusé
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affective. Voir dans Jost (1987, p. 37-59) pour une analyse de la complexité des éléments sonores le cinéma de fiction.
18. Bien sûr, au cinéma, j’ai une certaine liberté de varier le point de focalisation de mon regard à l’intérieur du champ quasi perceptif, du moins pour autant que le cadre global du champ reste stable assez longtemps, c’est-à-dire pour autant qu’il s’agit d’un plan fixe. Dès qu’il y a des plans mobiles, mon regard a tendance à rester centré sur le point de fuite, parce que seul ce centrage de la focalisation me permet d’intégrer les transformations du champ dans la continuité d’une expérience visuelle mouvante.
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n POURQUOI LA FICTION ?
DE QUELQUES DISPOSITIFS FICTIONNELS
du comique involontaire de la vie de tous les jours, le témoin plus moins honteux d’une altercation dans la rue, ou l’observateur désenchanté du spectacle de la vie, et qui, revenu de tout, ne voit dans la réalité comme telle qu’un spectacle plein de bruit et de fureur. Ces comparaisons valent ce qu’elles valent, mais elles permettent au moins de comprendre que l’« engagement » fictionnel du spectateur de théâtre se situe sans doute à un autre niveau que celui du spectateur de cinéma. Comme Christian Metz l’a bien noté, le spectateur de cinéma se réduit à un sujet perceptif : il n’est que perception. Son « interface » réactionnelle avec l’univers fictionnel est située au niveau des modalités perceptives : il est d’abord et avant tout comblé, pacifié, médusé, interloqué, tétanisé, agressé, etc., par ce qui se découvre, ou plutôt s’impose, à sa perception. Il n’en va pas de même du spectateur de théâtre. Il n’existe pas de transferts perceptifs au théâtre (et pour cause, puisqu'il n’y a pas de simulation perceptive), et le point de passage mental qui nous fait passer du contexte réel à l’univers fictionnel se situe en quelque sorte à un niveau cognitif plus «élevé » que celui des actes perceptifs (puisque, contrairement à ce qui se passe au cinéma, le traitement perceptif ne fait pas partie de l’univers fictionnel). L'interface réactionnelle privilégiée se situe au niveau d’attitudes intentionnelles plus « élaborées », en amont des réactions induites par l’acte perceptif lui-même : il s’agira par exemple de sentiments de gêne, de honte, d’enthousiasme, de fierté, de colère, de respect, etc. autrement dit, du type de réactions que nous sommes susceptibles de ressentir lorsque nous assistons à des événements réels (un événement est plus qu’une simple suite de perceptions). Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de zones d’intersection entre les deux situations. La plus manifeste est celle des réactions qui échappent au contrôle conscient, par exemple celles dues à l’empathie affective, comme les pleurs, ou encore les réactions de relâchement de tension, tel le rire. De même, ces différences au niveau des réactions liées à la spécificité des vecteurs d’immersion n’empêchent nullement que les traitements cognitifs de niveau plus élevé suivent largement les mêmes voies dans les deux types de fiction, puisque les univers fictionnels créés sont dans les deux cas des modélisations de situations intramondaines. Concrètement, la
compréhension d’un film de fiction exige évidemment aussi que les quasi-perceptions qui constituent l’interface entre le contexte réel et l’univers fictionnel soient interprétées en termes d’événements. Elles donneront donc lieu aussi à des réactions intentionnelles complexes du type de celles que j’ai énumérées en ce qui concerne le théâtre. Mais cela n’empêche pas que la zone de contact immédiat n’est pas la même dans les deux cas et que donc les réactions de base ne font pas partie de la même classe d'états mentaux intentionnels.
ou
NN NN
NON ON
SN ND s NON
—
OÙ
ON D DOUNONOD DONN TA
252
Je terminerai cette énumération par un septième et dernier dispositif fictionnel, celui dont le vecteur d'immersion réside dans une substitution d’identité physique. Il implique donc à la_ fois une identification personnifiante et une mimésis actantielle.
On se rappellerapeut-être le débat séculaire, remontant à Aristote, pour savoir ce qui était le plus important dans une pièce de théâtre, les caractères ou les actions. En fait, qui dit substitution d’identité physique dit extériorisation : elle ne peut donc qu'être actantielle (même si la majorité de ces actes sont éventuellement des actes de langage). Personnification et mimésis actantielle vont donc ensemble : le caractère ne peut devenir publiquement accessible qu’à travers les actions (fussent-elles purement verbales); les événements de leur côté ne peuvent être constitués en actions que pour autant qu’ils sont rapportés à un sujet doté d’intentionnalité (et donc d’intériorité). La posture d'immersion qui correspond à ce vecteur mimétique est celle de l’identification allosubjective mentale et comportementale. On aura sans doute déjà noté que ce vecteur et cette posture sont ceux des jeux fictionnels. Il est donc normal que dans le domaine des arts mimétiques, on les retrouve sous la forme de l’art de l’acteur. Comme les arts mimétiques classiques sont bâtis sur la distinction entre un pôle créateur et un pôle récepteur, ce vecteur d'immersion n’est en fait utilisé que par les créateurs de dispositifs fictionnels, sans qu’il lui corresponde un pôle réceptif c’est en cela qu’il constitue une exception à la règle de la correspondance entre immersion créative et immersion réceptive. À l'instar enfants —
19. Sans doute existe-t-il des cas intermédiaires, tel celui de la fiction radiophonique, où l’incarnation physique se limite à la voix.
253
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n
n POURQUOI LA FICTION ?
DE QUELQUES DISPOSITIFS FICTIONNELS
du comique involontaire de la vie de tous les jours, le témoin plus moins honteux d’une altercation dans la rue, ou l’observateur désenchanté du spectacle de la vie, et qui, revenu de tout, ne voit dans la réalité comme telle qu’un spectacle plein de bruit et de fureur. Ces comparaisons valent ce qu’elles valent, mais elles permettent au moins de comprendre que l’« engagement » fictionnel du spectateur de théâtre se situe sans doute à un autre niveau que celui du spectateur de cinéma. Comme Christian Metz l’a bien noté, le spectateur de cinéma se réduit à un sujet perceptif : il n’est que perception. Son « interface » réactionnelle avec l’univers fictionnel est située au niveau des modalités perceptives : il est d’abord et avant tout comblé, pacifié, médusé, interloqué, tétanisé, agressé, etc., par ce qui se découvre, ou plutôt s’impose, à sa perception. Il n’en va pas de même du spectateur de théâtre. Il n’existe pas de transferts perceptifs au théâtre (et pour cause, puisqu'il n’y a pas de simulation perceptive), et le point de passage mental qui nous fait passer du contexte réel à l’univers fictionnel se situe en quelque sorte à un niveau cognitif plus «élevé » que celui des actes perceptifs (puisque, contrairement à ce qui se passe au cinéma, le traitement perceptif ne fait pas partie de l’univers fictionnel). L'interface réactionnelle privilégiée se situe au niveau d’attitudes intentionnelles plus « élaborées », en amont des réactions induites par l’acte perceptif lui-même : il s’agira par exemple de sentiments de gêne, de honte, d’enthousiasme, de fierté, de colère, de respect, etc. autrement dit, du type de réactions que nous sommes susceptibles de ressentir lorsque nous assistons à des événements réels (un événement est plus qu’une simple suite de perceptions). Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de zones d’intersection entre les deux situations. La plus manifeste est celle des réactions qui échappent au contrôle conscient, par exemple celles dues à l’empathie affective, comme les pleurs, ou encore les réactions de relâchement de tension, tel le rire. De même, ces différences au niveau des réactions liées à la spécificité des vecteurs d’immersion n’empêchent nullement que les traitements cognitifs de niveau plus élevé suivent largement les mêmes voies dans les deux types de fiction, puisque les univers fictionnels créés sont dans les deux cas des modélisations de situations intramondaines. Concrètement, la
compréhension d’un film de fiction exige évidemment aussi que les quasi-perceptions qui constituent l’interface entre le contexte réel et l’univers fictionnel soient interprétées en termes d’événements. Elles donneront donc lieu aussi à des réactions intentionnelles complexes du type de celles que j’ai énumérées en ce qui concerne le théâtre. Mais cela n’empêche pas que la zone de contact immédiat n’est pas la même dans les deux cas et que donc les réactions de base ne font pas partie de la même classe d'états mentaux intentionnels.
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Je terminerai cette énumération par un septième et dernier dispositif fictionnel, celui dont le vecteur d'immersion réside dans une substitution d’identité physique. Il implique donc à la_ fois une identification personnifiante et une mimésis actantielle.
On se rappellerapeut-être le débat séculaire, remontant à Aristote, pour savoir ce qui était le plus important dans une pièce de théâtre, les caractères ou les actions. En fait, qui dit substitution d’identité physique dit extériorisation : elle ne peut donc qu'être actantielle (même si la majorité de ces actes sont éventuellement des actes de langage). Personnification et mimésis actantielle vont donc ensemble : le caractère ne peut devenir publiquement accessible qu’à travers les actions (fussent-elles purement verbales); les événements de leur côté ne peuvent être constitués en actions que pour autant qu’ils sont rapportés à un sujet doté d’intentionnalité (et donc d’intériorité). La posture d'immersion qui correspond à ce vecteur mimétique est celle de l’identification allosubjective mentale et comportementale. On aura sans doute déjà noté que ce vecteur et cette posture sont ceux des jeux fictionnels. Il est donc normal que dans le domaine des arts mimétiques, on les retrouve sous la forme de l’art de l’acteur. Comme les arts mimétiques classiques sont bâtis sur la distinction entre un pôle créateur et un pôle récepteur, ce vecteur d'immersion n’est en fait utilisé que par les créateurs de dispositifs fictionnels, sans qu’il lui corresponde un pôle réceptif c’est en cela qu’il constitue une exception à la règle de la correspondance entre immersion créative et immersion réceptive. À l'instar enfants —
19. Sans doute existe-t-il des cas intermédiaires, tel celui de la fiction radiophonique, où l’incarnation physique se limite à la voix.
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POURQUOI LA FICTION ?
DE QUELQUES DISPOSITIFS FICTIONNELS
ment pas de même des spectateurs : les spectateurs d’une pièce de théâtre ou d’un film ne s’immergent pas mimétiquement dans une identité actantielle autre, maïs dans un mimèmé pérceptif (cinéma)
événementiel (théâtre). En effet, s’ils sont spectateurs, c’est précisément parce qu’ils sont exclus de l’action (et du jeu). Le grand intérêt des fictions numériques si on accepte de les considérer, sinon comme un art constitué, du moins comme un art potentiel tient au fait qu’elles changent cette donne qui jusqu'ici était indissociable des arts mimétiques. En effet, dans les jeux
d'immersion
ou
dispositif
2° dispositif
3°
Simulation d’actes
Substitution d'identité
illocutoires
narrative
représentations mimétiques homologues
Narration naturelle
Narration naturelle
Perception visuelle
5° dispositif
6° dispositif
7°
Simulation de mimèmes quasi perceptifs
Simulation d'événements
Substitution
Expérience pluriperceptive
Position d’observateur
1®
Vecteur +
ND
qui jouent, les acteurs de théâtre et de cinéma feignent (ludiquement) une substitution d’identité actantielle. Il n’en va évidem-
Simulation d'actes mentaux verbaux
Posture
Intériorité
d'immersion
subjective verbale
—
dispositif
4° dispositif
Simulation de
—
ae
NENN ON D
d’aventures du genre Tomb Raider, je m'immerge fictionnellement dans une allosubjectivité agissante, puisque Lara Croftexécute les actions que je lui fais exécuter, en sorte que je peux adapter l’exclamation de Flaubert et m’écrier: « Lara Croft c’est moi ! » Les dispositifs de réalité virtuelle du moins pour autant —
Vecteur
d'immersion Posture
d'immersion
d'identité physique
qu’il soit licite d’extrapoler
= ON DIN DO DONTON
à partir de leur état embryonnaire actuel relèvent encore plus nettement de la même logique, puisque le vecteur d'immersion y est constitué par la feintise d’une constellation situationnelle réelle dans laquelle lejoueur se trouve projeté grâce à des amorces mimétiques qui traduisent ficfionnellement la direction de son regard (réel), qui exécutent fictionnellement les actions qui correspondent aux mouvementsde ses bras et qui lui font faire des déplacements fictionnels (dans un environnement virtuel) correspondant aux mouvements réels de ses jambes (le joueur se « déplace » sur un tapis roulant qui annule les conséquences de ses mouvements dans l’espace réel et qui agit donc comme un « frein moteur » empêchant que les actions fictionnelles n’aient des conséquences dans la réalité). Le joueur qui S’immerge dans un dispositif de réalité virtuelle est donc dans une situation proche de celle du joueur d’un jeu fictionnel « traditionnel », avec cette différence qu’il se meut dans une « réalité » largement imprévisible qu’il ne découvre qu’au fur et à mesure. Comme je l’ai dit, cette énumération ne prétend pas être exhaustive, et tout ce que j’ai avancé concernant les relations entre les divers dispositifs fictionnels et tel ou tel art mimétique doit être pris cum grano salis. Le petit tableau qui suit est donc à consommer avec modération :
dispositif
Identification allo-subjective actantielle
—
NT
254
L'analyse élémentaire que je viens de proposer a un certain nombre de limitations. Ainsi, et contrairement à ce qui est indiqué par le tableau, il peut arriver qu’un même dispositif fictionnel soit compatible avec des vecteurs (et donc despostures) d’immersion différentes, dès lors que ces vecteurs se servent du même support. sémiotique. J’ai dit par exemple que la fiction hétérodiégétique passait à travers le vecteur de la feintise d’actes de langage descriptifs, et que nous appréhendions l’univers fictionnel à travers la voix et plus largement à travers la perspective d’un narrateur. Mais en fait, la posture d’immersion de la narration naturelle se répartit entre deux vecteurs d’immersion, la simulation d’actes illocutoires et la substitution d’identité narrative, et les deux vecteurs d’immersion sont compatibles avec le récit fictionnel à la troisième personne ef le récit homodiégétique. Il me semble que cette possibilité est le signe que, du point de vue de la logique fictionnelle, Ta distinction entre le 2° et le 3° dispositif est sans doute une simple différence d’accentuation. En effet, comme Genette l’a montré, la simulation d’actes illocutoires qui caractérise la fiction hétérodiégétique implique automatiquement une non255
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POURQUOI LA FICTION ?
DE QUELQUES DISPOSITIFS FICTIONNELS
ment pas de même des spectateurs : les spectateurs d’une pièce de théâtre ou d’un film ne s’immergent pas mimétiquement dans une identité actantielle autre, maïs dans un mimèmé pérceptif (cinéma)
événementiel (théâtre). En effet, s’ils sont spectateurs, c’est précisément parce qu’ils sont exclus de l’action (et du jeu). Le grand intérêt des fictions numériques si on accepte de les considérer, sinon comme un art constitué, du moins comme un art potentiel tient au fait qu’elles changent cette donne qui jusqu'ici était indissociable des arts mimétiques. En effet, dans les jeux
d'immersion
ou
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2° dispositif
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Simulation d’actes
Substitution d'identité
illocutoires
narrative
représentations mimétiques homologues
Narration naturelle
Narration naturelle
Perception visuelle
5° dispositif
6° dispositif
7°
Simulation de mimèmes quasi perceptifs
Simulation d'événements
Substitution
Expérience pluriperceptive
Position d’observateur
1®
Vecteur +
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qui jouent, les acteurs de théâtre et de cinéma feignent (ludiquement) une substitution d’identité actantielle. Il n’en va évidem-
Simulation d'actes mentaux verbaux
Posture
Intériorité
d'immersion
subjective verbale
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4° dispositif
Simulation de
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NENN ON D
d’aventures du genre Tomb Raider, je m'immerge fictionnellement dans une allosubjectivité agissante, puisque Lara Croftexécute les actions que je lui fais exécuter, en sorte que je peux adapter l’exclamation de Flaubert et m’écrier: « Lara Croft c’est moi ! » Les dispositifs de réalité virtuelle du moins pour autant —
Vecteur
d'immersion Posture
d'immersion
d'identité physique
qu’il soit licite d’extrapoler
= ON DIN DO DONTON
à partir de leur état embryonnaire actuel relèvent encore plus nettement de la même logique, puisque le vecteur d'immersion y est constitué par la feintise d’une constellation situationnelle réelle dans laquelle lejoueur se trouve projeté grâce à des amorces mimétiques qui traduisent ficfionnellement la direction de son regard (réel), qui exécutent fictionnellement les actions qui correspondent aux mouvementsde ses bras et qui lui font faire des déplacements fictionnels (dans un environnement virtuel) correspondant aux mouvements réels de ses jambes (le joueur se « déplace » sur un tapis roulant qui annule les conséquences de ses mouvements dans l’espace réel et qui agit donc comme un « frein moteur » empêchant que les actions fictionnelles n’aient des conséquences dans la réalité). Le joueur qui S’immerge dans un dispositif de réalité virtuelle est donc dans une situation proche de celle du joueur d’un jeu fictionnel « traditionnel », avec cette différence qu’il se meut dans une « réalité » largement imprévisible qu’il ne découvre qu’au fur et à mesure. Comme je l’ai dit, cette énumération ne prétend pas être exhaustive, et tout ce que j’ai avancé concernant les relations entre les divers dispositifs fictionnels et tel ou tel art mimétique doit être pris cum grano salis. Le petit tableau qui suit est donc à consommer avec modération :
dispositif
Identification allo-subjective actantielle
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L'analyse élémentaire que je viens de proposer a un certain nombre de limitations. Ainsi, et contrairement à ce qui est indiqué par le tableau, il peut arriver qu’un même dispositif fictionnel soit compatible avec des vecteurs (et donc despostures) d’immersion différentes, dès lors que ces vecteurs se servent du même support. sémiotique. J’ai dit par exemple que la fiction hétérodiégétique passait à travers le vecteur de la feintise d’actes de langage descriptifs, et que nous appréhendions l’univers fictionnel à travers la voix et plus largement à travers la perspective d’un narrateur. Mais en fait, la posture d’immersion de la narration naturelle se répartit entre deux vecteurs d’immersion, la simulation d’actes illocutoires et la substitution d’identité narrative, et les deux vecteurs d’immersion sont compatibles avec le récit fictionnel à la troisième personne ef le récit homodiégétique. Il me semble que cette possibilité est le signe que, du point de vue de la logique fictionnelle, Ta distinction entre le 2° et le 3° dispositif est sans doute une simple différence d’accentuation. En effet, comme Genette l’a montré, la simulation d’actes illocutoires qui caractérise la fiction hétérodiégétique implique automatiquement une non255
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H
a
DD NN NN NN DV NN NN NN —
POURQUOI LA FICTION ?
DE QUELQUES DISPOSITIFS FICTIONNELS
identité entre auteur et narrateur 2, ce qui signifie que ce type de feintise est aussi toujours le lieu d’une substitution d’identité narrative, même si, à la différence de ce qui se passe dans la fiction homodiégétique (où l’auteur feint d’être un personnage-narrateur), la substitution concerne l’instance narrative extradiégétique ?!, Cela me semble confirmer l'hypothèse formulée plus haut, à savoir que les différences entre vecteurs d’immersion narrative ne se superposent pas aux grands partages narratifs. Un autre point que j’ai négligé tient au fait que tout acte narratif pose deux pôles : un narrateur et un destinataire. Il en découle que le lecteur peut, selon les cas, se poser en destinataire ou en narrateur. Quel que soit son choix, il devra évidemment réactiver le vecteur de la feintise d’actes de langage ou celui de la substitution d'identité narrative, parce que seuls ces vecteurs lui permettent d’entrer dans l’univers fictionnel, mais il a la possibilité, Soitde laisser résonner la voix narrative comme une voix qui S’adresse à lui, soit de se poser lui-même en voix narrative, soit enfin et c’est sans doute la situation [a plus commune d’osciller entre les deux pôles. Le choix qu’il fait est sans doute influencé entre autres par le style narratif du texte. On peut par exemple supposer qu’un récit qui met l’accent sur l’acte narratif plutôt que sur les événements racontés aura plutôt tendance à induire une identification avec la voix narrative. Mais on ne saurait exclure l’intervention d’idiosyncrasies : quelqu'un qui aime raconter des histoires, ou qui a des velléités de conteur, se glissera sans doute plutôt dans la peau du narrateur; à l’inverse, une personne qui adore qu’on lui raconte des histoires adoptera plutôt la position du destinataire. Une autre limitation de mon analyse concerne le cinéma. D'abord, je n’ai tenu compte que de son aspect visuel et non pas de son aspect verbal, c’est-à-dire des dialogues. Cela ne porte
guère à conséquence pour les films muets, qui, malgré les cartons intercalaires ou la présence d’un bonimenteur 2, font porter le poids essentiel de leur intelligibilité sur les modalités visuelle-
—
—
|
20. Voir Genette (1991), p. 82-88.
21. C'est-à-dire qu’en fait (comme cela ressort très bien des schémas proposés par Genette) la véritable différence entre fiction homodiégétique et fiction hétérodiégétique se situe au niveau des relations entre narrateur et personnage : dans le premier cas ils coïncident, alors que dans le deuxième cas le narrateur n’est pas un des personnages de l’univers diégétique.
256
logues que des images (comme on peut facilement s’en rendre compte lorsqu'on regarde un film dont la langue nous est inconnue et qui n’est pas sous-titré). Pourtant, il me semble que [a prise en compte des paroles ne change rien de fondamental quant au vecteur d'immersion, qui reste bien celui d’une expérience perceptive, en ce sens que les paroles elles-mêmes font partie du champ pluriperceptif dans lequel le spectateur s’immerge. Sauf exceptions (voix off), la parole dans [e cinéma parlant ne remplace pas la fonction narrative du carton (ou du bonimenteur) : en donnant aux personnages la possibilité d’expliciter les situations et les relations dans lesquelles ils se meuvent elle permet à la fiction cinématographique de se passer de la narration au sens technique du terme #. Un autre aspect dont je n’ai pas tenu compte, est le fait que la feintise perceptive qui instaure la fiction Ccinématographique peut prendre au moins deux formes, celle d'un champ perceptif « objectif » et celle d’un champ perceptif subjectif, ce dernier se subdivisant d’ailleurs lui-même en deux me
types différents selon que ce champ est exogène (perception senSible) où endogène (images mentales, par exemple des souvenirs ou des fantasmes). En effet, beaucoup de fictions cinématographiques font alterner des plans (ou des scènes entières) filmésen caméra subjective avec des séquences « objectives ». Dans le premier cas, le spectateur voit ce que voit [E personnage, ce qui signifie que la feintise est celle d’un acte perceptif intrafictionnel. Le spectateur se projette en quelque sorte dans l’expérience perceptive du personnage. Dans le cas d’un plan filmé selon le mode « objectif » en revanche, plutôt que de se projeter dans la perception d’un « autre », il introjecte une expérience perceptive impersonnelle c’est d’ailleurs précisément parce qu’elle est impersonnelle, parce que son point de vue est encore non occupé, —
22. Voir à ce propos Gaudreault et Jost (1990), p. 73-70. 23. Voir plus loin, p. 300 sg.
257
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POURQUOI LA FICTION ?
DE QUELQUES DISPOSITIFS FICTIONNELS
identité entre auteur et narrateur 2, ce qui signifie que ce type de feintise est aussi toujours le lieu d’une substitution d’identité narrative, même si, à la différence de ce qui se passe dans la fiction homodiégétique (où l’auteur feint d’être un personnage-narrateur), la substitution concerne l’instance narrative extradiégétique ?!, Cela me semble confirmer l'hypothèse formulée plus haut, à savoir que les différences entre vecteurs d’immersion narrative ne se superposent pas aux grands partages narratifs. Un autre point que j’ai négligé tient au fait que tout acte narratif pose deux pôles : un narrateur et un destinataire. Il en découle que le lecteur peut, selon les cas, se poser en destinataire ou en narrateur. Quel que soit son choix, il devra évidemment réactiver le vecteur de la feintise d’actes de langage ou celui de la substitution d'identité narrative, parce que seuls ces vecteurs lui permettent d’entrer dans l’univers fictionnel, mais il a la possibilité, Soitde laisser résonner la voix narrative comme une voix qui S’adresse à lui, soit de se poser lui-même en voix narrative, soit enfin et c’est sans doute la situation [a plus commune d’osciller entre les deux pôles. Le choix qu’il fait est sans doute influencé entre autres par le style narratif du texte. On peut par exemple supposer qu’un récit qui met l’accent sur l’acte narratif plutôt que sur les événements racontés aura plutôt tendance à induire une identification avec la voix narrative. Mais on ne saurait exclure l’intervention d’idiosyncrasies : quelqu'un qui aime raconter des histoires, ou qui a des velléités de conteur, se glissera sans doute plutôt dans la peau du narrateur; à l’inverse, une personne qui adore qu’on lui raconte des histoires adoptera plutôt la position du destinataire. Une autre limitation de mon analyse concerne le cinéma. D'abord, je n’ai tenu compte que de son aspect visuel et non pas de son aspect verbal, c’est-à-dire des dialogues. Cela ne porte
guère à conséquence pour les films muets, qui, malgré les cartons intercalaires ou la présence d’un bonimenteur 2, font porter le poids essentiel de leur intelligibilité sur les modalités visuelle-
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20. Voir Genette (1991), p. 82-88.
21. C'est-à-dire qu’en fait (comme cela ressort très bien des schémas proposés par Genette) la véritable différence entre fiction homodiégétique et fiction hétérodiégétique se situe au niveau des relations entre narrateur et personnage : dans le premier cas ils coïncident, alors que dans le deuxième cas le narrateur n’est pas un des personnages de l’univers diégétique.
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logues que des images (comme on peut facilement s’en rendre compte lorsqu'on regarde un film dont la langue nous est inconnue et qui n’est pas sous-titré). Pourtant, il me semble que [a prise en compte des paroles ne change rien de fondamental quant au vecteur d'immersion, qui reste bien celui d’une expérience perceptive, en ce sens que les paroles elles-mêmes font partie du champ pluriperceptif dans lequel le spectateur s’immerge. Sauf exceptions (voix off), la parole dans [e cinéma parlant ne remplace pas la fonction narrative du carton (ou du bonimenteur) : en donnant aux personnages la possibilité d’expliciter les situations et les relations dans lesquelles ils se meuvent elle permet à la fiction cinématographique de se passer de la narration au sens technique du terme #. Un autre aspect dont je n’ai pas tenu compte, est le fait que la feintise perceptive qui instaure la fiction Ccinématographique peut prendre au moins deux formes, celle d'un champ perceptif « objectif » et celle d’un champ perceptif subjectif, ce dernier se subdivisant d’ailleurs lui-même en deux me
types différents selon que ce champ est exogène (perception senSible) où endogène (images mentales, par exemple des souvenirs ou des fantasmes). En effet, beaucoup de fictions cinématographiques font alterner des plans (ou des scènes entières) filmésen caméra subjective avec des séquences « objectives ». Dans le premier cas, le spectateur voit ce que voit [E personnage, ce qui signifie que la feintise est celle d’un acte perceptif intrafictionnel. Le spectateur se projette en quelque sorte dans l’expérience perceptive du personnage. Dans le cas d’un plan filmé selon le mode « objectif » en revanche, plutôt que de se projeter dans la perception d’un « autre », il introjecte une expérience perceptive impersonnelle c’est d’ailleurs précisément parce qu’elle est impersonnelle, parce que son point de vue est encore non occupé, —
22. Voir à ce propos Gaudreault et Jost (1990), p. 73-70. 23. Voir plus loin, p. 300 sg.
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POURQUOI LA FICTION ?
qu’il peut la faire sienne. Il conviendrait donc de subdiviser la posture de l’expérience pluriperceptive en deux modalités, une modalité subjective et une modalité objective : dans le premier Cas, IE spectateur voit le monde à travers les actes mentaux, en l’occurrence perceptifs, d’un personnage, c’est-à-dire qu’il s’immerge dans une expérience perceptive qui est partieprenante de T'univers fictionnel, alors que dans le deuxième cas, la posture d’immersion qu’il est censé investir est celle de quelqu'un qui perçoit l’action fictive de l’extérieur #. Comme cela a été noté souvent, cette distinction est l'équivalent cinématographique de la distinction entre focalisation interne et focalisation externe dans le récit hétérodiégétique. La variabilité des modalités de la posture d'immersion est un des facteurs les plus importants de la richesse cognitive des fictions artistiques, puisqu'elle permet de créer des univers fictionnelsà perspectives (ou points d’accès) multiples. Il est d’autant Plus remarquable que cette aptitude existe dès l’enfance, comme le montrent par exemple les jeux fictionnels solitaires à rôles multiples, où l’enfant passe d’une personnification à une autre, voire alterne entre incarnation actantielle et posture narrative, c’est-àdire change en fait de vecteur d’immersion au cours même du jeu. La même variabilité s’observe dans les jeux fictionnels collectifs. Dans le cas des jeux des enfants huli. l’oscillation entre divers vecteurs d’immersion est particulièrement frappante : les enfants simulent une situation de narration (les séances narratives bi te), en même temps qu’ils miment des personnages, en sorte que « les locuteurs possèdent si àdouble identité d’actant ictif et de narrateur ». Le reste du présent chapitre sera consacré à la discussion de quelques problèmes relatifs aux dispositifs fictionnels particuliers que je viens de distinguer : la fiction verbale, le théâtre, les arts de la mimésis visuelle statique (peinture figurative, photographie), É
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24. Voir à ce propos Jost (1987, p. 29-30) qui oppose l’« ocularisation interne » (la caméra subjective) à l’« ocularisation zéro » (la caméra objective). Sur la distinction entre ocularisation interne (nous voyons ce que voit le personnage) et focalisation interne (nous savons ce que sait le personnage), voir Gaudreault et Jost (1990), p. 138-139. 25. Goldman et Emmison, op. cit., p. 29.
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DE QUELQUES DISPOSITIFS FICTIONNELS
le cinéma et les fictions numériques. Comme je l’ai déjà dit, cette liste est loin d’être exhaustive. Parmi les dispositifs fictionnels non pris en compte figure notamment l’opéra. La raison de son absence est sa complexité. L’inséparabilité de la diégèse fictionnelle, du chant et de la musique en fait un dispositif difficile à analyser. Cela vaut surtout pour la composante musicale, dans laquelle il est très difficile de faire la part des éléments purement formels, de la valeur indexicale de certaines constructions, de la valeur mimétique de certaines séquences et des valeurs d’expressivité 5, Une étude sérieuse de toutes ces questions dépasserait l’objet de ce travail et, autant l’avouer, mes compétences. En fait, ce qui suivra sera davantage une enfilade de réflexions incidentes d'importance et de longueur très inégales à propos de questions diverses qu’une étude en bonne et due forme des caractéristiques spécifiques des arts mimétiques abordés. Elles devraient néanmoins nous permettre de voir si les hypothèses parfois laborieuses que j’ai échafaudées jusqu'ici sont susceptibles ou non de nous aider à comprendre un peu mieux ce qu’il en est de la fiction dans les arts mimétiques. Elles nous donneront en tout cas l’occasion de faire l’expérience renouvelée des limitations de la classification que je viens d’esquisser dans cette section. —
—
—
3. Le
récit de fiction
De tous les dispositifs fictionnels, les plus amplement étudiés sont sans conteste ceux de la fiction verbale narrative (hétérodiégétique et homodiégétique). Il me semble même que s’il y a un domaine où les études littéraires ont montré qu’elles pouvaient développer des méthodes spécifiquement adaptées à leur objet et susceptibles de produire des connaissances cumulables, c’est bien celui-là. Cela explique d’ailleurs peut-être pourquoi ceux qui étudient d’autres formes de fiction s’inspirent si souvent des travaux consacrés à la narration verbale, souvent avec succès, parfois pour une raison que j’indiquerai plus loin avec des résultats plus mitigés. En tout cas, la complexité et la diversité des pro-
—
—
26. Voir par exemple Karbusicky (1990).
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qu’il peut la faire sienne. Il conviendrait donc de subdiviser la posture de l’expérience pluriperceptive en deux modalités, une modalité subjective et une modalité objective : dans le premier Cas, IE spectateur voit le monde à travers les actes mentaux, en l’occurrence perceptifs, d’un personnage, c’est-à-dire qu’il s’immerge dans une expérience perceptive qui est partieprenante de T'univers fictionnel, alors que dans le deuxième cas, la posture d’immersion qu’il est censé investir est celle de quelqu'un qui perçoit l’action fictive de l’extérieur #. Comme cela a été noté souvent, cette distinction est l'équivalent cinématographique de la distinction entre focalisation interne et focalisation externe dans le récit hétérodiégétique. La variabilité des modalités de la posture d'immersion est un des facteurs les plus importants de la richesse cognitive des fictions artistiques, puisqu'elle permet de créer des univers fictionnelsà perspectives (ou points d’accès) multiples. Il est d’autant Plus remarquable que cette aptitude existe dès l’enfance, comme le montrent par exemple les jeux fictionnels solitaires à rôles multiples, où l’enfant passe d’une personnification à une autre, voire alterne entre incarnation actantielle et posture narrative, c’est-àdire change en fait de vecteur d’immersion au cours même du jeu. La même variabilité s’observe dans les jeux fictionnels collectifs. Dans le cas des jeux des enfants huli. l’oscillation entre divers vecteurs d’immersion est particulièrement frappante : les enfants simulent une situation de narration (les séances narratives bi te), en même temps qu’ils miment des personnages, en sorte que « les locuteurs possèdent si àdouble identité d’actant ictif et de narrateur ». Le reste du présent chapitre sera consacré à la discussion de quelques problèmes relatifs aux dispositifs fictionnels particuliers que je viens de distinguer : la fiction verbale, le théâtre, les arts de la mimésis visuelle statique (peinture figurative, photographie), É
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24. Voir à ce propos Jost (1987, p. 29-30) qui oppose l’« ocularisation interne » (la caméra subjective) à l’« ocularisation zéro » (la caméra objective). Sur la distinction entre ocularisation interne (nous voyons ce que voit le personnage) et focalisation interne (nous savons ce que sait le personnage), voir Gaudreault et Jost (1990), p. 138-139. 25. Goldman et Emmison, op. cit., p. 29.
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le cinéma et les fictions numériques. Comme je l’ai déjà dit, cette liste est loin d’être exhaustive. Parmi les dispositifs fictionnels non pris en compte figure notamment l’opéra. La raison de son absence est sa complexité. L’inséparabilité de la diégèse fictionnelle, du chant et de la musique en fait un dispositif difficile à analyser. Cela vaut surtout pour la composante musicale, dans laquelle il est très difficile de faire la part des éléments purement formels, de la valeur indexicale de certaines constructions, de la valeur mimétique de certaines séquences et des valeurs d’expressivité 5, Une étude sérieuse de toutes ces questions dépasserait l’objet de ce travail et, autant l’avouer, mes compétences. En fait, ce qui suivra sera davantage une enfilade de réflexions incidentes d'importance et de longueur très inégales à propos de questions diverses qu’une étude en bonne et due forme des caractéristiques spécifiques des arts mimétiques abordés. Elles devraient néanmoins nous permettre de voir si les hypothèses parfois laborieuses que j’ai échafaudées jusqu'ici sont susceptibles ou non de nous aider à comprendre un peu mieux ce qu’il en est de la fiction dans les arts mimétiques. Elles nous donneront en tout cas l’occasion de faire l’expérience renouvelée des limitations de la classification que je viens d’esquisser dans cette section. —
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3. Le
récit de fiction
De tous les dispositifs fictionnels, les plus amplement étudiés sont sans conteste ceux de la fiction verbale narrative (hétérodiégétique et homodiégétique). Il me semble même que s’il y a un domaine où les études littéraires ont montré qu’elles pouvaient développer des méthodes spécifiquement adaptées à leur objet et susceptibles de produire des connaissances cumulables, c’est bien celui-là. Cela explique d’ailleurs peut-être pourquoi ceux qui étudient d’autres formes de fiction s’inspirent si souvent des travaux consacrés à la narration verbale, souvent avec succès, parfois pour une raison que j’indiquerai plus loin avec des résultats plus mitigés. En tout cas, la complexité et la diversité des pro-
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26. Voir par exemple Karbusicky (1990).
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blèmes abordés par les études consacrées au récit de fiction, de même que la sophistication des méthodes employées, sont telles, qu’une analyse générale de la fiction comme celle que je propose ici ne saurait guère y trouver de prise véritable. Aussi me borne-
baux, et la justification la plus forte de la définition pragmatique du récit fictionnel comme feintise verbale réside dans le fait qu’elle a établi clairement ce fait. Mais, d’un autre côté, on peut fort bien dire que « la fiction narrative imite la vie », si on entend par là qu’elle élabore des modélisations de situations et d’actions, ou que le lecteur, la lisant, imagine les situations décrites et les actions narrées. Car la finalité de la fiction verbale (qu’elle soit narrative ou dramatique), comme celle de n’importe quelle fiction, de même que le critère véritable de son succès et de son échec, résident bien dans la création d’un modèle d’univers. L’imitation-semblant n’est que l’amorce mimétique qui nous permet d’entrer dans cet univers, mais en dernière instance c’est toujours la plausibilité (pour un lecteur donné) de la modélisation fictionnelle qui décide du plaisir qu’il prend à sa lecture et du profit qu’il peut en retirer. Sous la forme du débat autour du « vraisemblable », la question de la relation entre imitation et modélisation a souvent été identifiée à celle de l’efficacité des opérateurs d’immersion mimétique : du même coup, la modélisation, c’est-à-dire la nature représentationnelle de la fiction, a été réduite à l’« effet de réel » conçu comme illusion et donc connoté en général négativement. Certes, la question des amorces mimétiques est importante, et les études consacrées aux « effets de réel » ont bien mis en évidence la complexité des opérateurs d'immersion mimétique, notamment dans la fiction réaliste et naturaliste. Mais le critère du vraisemblable, et plus généralement ceux du plausible, du possible, du concevable, etc., trouvent leur assise fondamentale au niveau de l’univers fictionnel élaboré, c’est-à-dire qu’ils ne relèvent pas seulement de l’efficacité des amorces mimétiques mais sont liés à la validité du modèle fictionnel (pour un lecteur donné), donc à la possibilité (ou l’impossibilité) dans laquelle il se trouve de tisser des liens d’analogie globale entre ce modèle et ce qu’est pour lui la réalité. Le deuxième point sur lequel les analyses développées ici pourraient peut-être jeter quelque lumière est un peu plus technique, mais aussi plus intéressant. J’ai défini la fiction comme feintise ludique partagée. Dans la mesure où cette définition prétend valoir pour tous les dispositifs fictionnels, elle devrait évi-
rai-je à deux réflexions incidentes. Le premier point concerne une question générale, ardemment débattue dans le passé (et qui resurgit parfois de nos jours), celle de la relation entre fiction littéraire et mimésis : est-ce que la fiction littéraire « imite » la vie ? La réponse naïve à cette question est de répondre par l’affirmative. On peut lui objecter qu’au sens technique du terme d’«imitation » un texte ne peut imiter que d’autres textes. Parfois cette objection, parfaitement valide, donne lieu à une interprétation qui, elle, me le paraît moins. Il arrive par exemple qu’on identifie la position naïve à ce qu’on appelle l’« illusion référentielle » et qu’on interprète l’objection technique comme si elle démontrait que dans les textes de fiction la relation d’« à-propos-de » laissait la place à des relations purement intertextuelles. En fait, cette interprétation de l’objection à la conception naïve partage avec cette dernière la même incapacité de distinguer entre l’imitation en tant que moyen d’immersion et la mimésis modélisante. Cette confusion, qui remonte au moins jusqu’à la Renaissance, a faussé la plupart des discussions consacrées à la question de savoir si la fiction littéraire était mimétique ou non. Comme le débat a été mis à toutes les sauces idéologiques possibles et imaginables, son enjeu a été perdu complètement de vue. D’où une fausse alternative, qui nous somme de choisir entre l’idée selon laquelle la fiction narrative serait un reflet, une reproduction de la réalité, et la thèse inverse qui y voit au contraire une sorte de construction se suffisant à elle-même et n’entretenant de liens qu’avec d’autres constructions fictionnelles ?7. Il suffit en fait d’accepter l’idée que l’imitation et la modélisation sont deux aspects définitionnels de toute fiction, et donc aussi de la fiction littéraire, pour que le débat se liquide de lui-même. Les seules choses qu’un écrivain puisse imiter au sens technique du terme, ce sont bien entendu des faits ver-
27. Pour une critique de cette conception,
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voir Danto (1993), p. 184-191.
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blèmes abordés par les études consacrées au récit de fiction, de même que la sophistication des méthodes employées, sont telles, qu’une analyse générale de la fiction comme celle que je propose ici ne saurait guère y trouver de prise véritable. Aussi me borne-
baux, et la justification la plus forte de la définition pragmatique du récit fictionnel comme feintise verbale réside dans le fait qu’elle a établi clairement ce fait. Mais, d’un autre côté, on peut fort bien dire que « la fiction narrative imite la vie », si on entend par là qu’elle élabore des modélisations de situations et d’actions, ou que le lecteur, la lisant, imagine les situations décrites et les actions narrées. Car la finalité de la fiction verbale (qu’elle soit narrative ou dramatique), comme celle de n’importe quelle fiction, de même que le critère véritable de son succès et de son échec, résident bien dans la création d’un modèle d’univers. L’imitation-semblant n’est que l’amorce mimétique qui nous permet d’entrer dans cet univers, mais en dernière instance c’est toujours la plausibilité (pour un lecteur donné) de la modélisation fictionnelle qui décide du plaisir qu’il prend à sa lecture et du profit qu’il peut en retirer. Sous la forme du débat autour du « vraisemblable », la question de la relation entre imitation et modélisation a souvent été identifiée à celle de l’efficacité des opérateurs d’immersion mimétique : du même coup, la modélisation, c’est-à-dire la nature représentationnelle de la fiction, a été réduite à l’« effet de réel » conçu comme illusion et donc connoté en général négativement. Certes, la question des amorces mimétiques est importante, et les études consacrées aux « effets de réel » ont bien mis en évidence la complexité des opérateurs d'immersion mimétique, notamment dans la fiction réaliste et naturaliste. Mais le critère du vraisemblable, et plus généralement ceux du plausible, du possible, du concevable, etc., trouvent leur assise fondamentale au niveau de l’univers fictionnel élaboré, c’est-à-dire qu’ils ne relèvent pas seulement de l’efficacité des amorces mimétiques mais sont liés à la validité du modèle fictionnel (pour un lecteur donné), donc à la possibilité (ou l’impossibilité) dans laquelle il se trouve de tisser des liens d’analogie globale entre ce modèle et ce qu’est pour lui la réalité. Le deuxième point sur lequel les analyses développées ici pourraient peut-être jeter quelque lumière est un peu plus technique, mais aussi plus intéressant. J’ai défini la fiction comme feintise ludique partagée. Dans la mesure où cette définition prétend valoir pour tous les dispositifs fictionnels, elle devrait évi-
rai-je à deux réflexions incidentes. Le premier point concerne une question générale, ardemment débattue dans le passé (et qui resurgit parfois de nos jours), celle de la relation entre fiction littéraire et mimésis : est-ce que la fiction littéraire « imite » la vie ? La réponse naïve à cette question est de répondre par l’affirmative. On peut lui objecter qu’au sens technique du terme d’«imitation » un texte ne peut imiter que d’autres textes. Parfois cette objection, parfaitement valide, donne lieu à une interprétation qui, elle, me le paraît moins. Il arrive par exemple qu’on identifie la position naïve à ce qu’on appelle l’« illusion référentielle » et qu’on interprète l’objection technique comme si elle démontrait que dans les textes de fiction la relation d’« à-propos-de » laissait la place à des relations purement intertextuelles. En fait, cette interprétation de l’objection à la conception naïve partage avec cette dernière la même incapacité de distinguer entre l’imitation en tant que moyen d’immersion et la mimésis modélisante. Cette confusion, qui remonte au moins jusqu’à la Renaissance, a faussé la plupart des discussions consacrées à la question de savoir si la fiction littéraire était mimétique ou non. Comme le débat a été mis à toutes les sauces idéologiques possibles et imaginables, son enjeu a été perdu complètement de vue. D’où une fausse alternative, qui nous somme de choisir entre l’idée selon laquelle la fiction narrative serait un reflet, une reproduction de la réalité, et la thèse inverse qui y voit au contraire une sorte de construction se suffisant à elle-même et n’entretenant de liens qu’avec d’autres constructions fictionnelles ?7. Il suffit en fait d’accepter l’idée que l’imitation et la modélisation sont deux aspects définitionnels de toute fiction, et donc aussi de la fiction littéraire, pour que le débat se liquide de lui-même. Les seules choses qu’un écrivain puisse imiter au sens technique du terme, ce sont bien entendu des faits ver-
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voir Danto (1993), p. 184-191.
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demment s’appliquer aussi au récit de fiction. Or, dans le domaine de l’analyse des récits, il existe en fait deux conceptions concurrentes, qui se séparent précisément sur cette question. Selon la première, développée notamment par John Searle et Gérard Genette, et que j’ai implicitement adoptée dans mon étude des vecteurs d’immersion fictionnelle, tout récit de fiction, qu’il soit hétérodiégétique ou homodiégétique, repose sur une feintise. Certes, elle n’est pas la même dans les deux cas : ainsi Searle distingue entre le récit à la troisième personne (hétérodiégétique) où l’auteur feint de faire des assertions véridiques, et le récit à la première personne (homodiégétique) où il feint d’être quelqu'un d’autre faisant des assertions véridiques #8. Contrairement à ce que supposent certaines interprétations paresseuses de la définition pragmatique de la fiction narrative, cette définition n’affirme donc pas que toute fiction verbale narrative repose sur une feintise d’actes de langage sérieux : stricto sensu, la thèse ne vaut que pour la fiction hétérodiégétique. La fiction homodiégétique repose certes aussi sur une feintise, mais elle porte non pas sur l’acte narratif lui-même, mais plutôt sur l’identité du narrateur. Je rappelle cependant qu’analysée dans la perspective de l’immersion mimétique, la différence entre les deux ne me paraît pas être absolue : la fiction hétérodiégétique mobilise aussi, au moins en puissance, le vecteur d’immersion de la substitution d’identité narrative. La conception concurrente, développée par Käte Hamburger (et acceptée notamment par Dorrit Cohn), nie que la fiction implique une feintise. Hamburger pose en fait une distinction radicale entre deux types d’usages ludiques (non factuels) du langage la fiction et la feintise. Selon elle, dans le domaine verbal ?, seuls le récit hétérodiégétique, le drame et la ballade narrative relèvent de la fiction ©. Ramenée à son noyau central, sa conception revient à affirmer que la fiction n’implique aucune
feintise, dans la mesure où elle n’imite aucun discours sérieux, c'est-à-dire, pour reprendre les termes introduits ici, qu’elle n’a pas recours à une amorce mimétique de type narratif. Elle constitue ce qu’on pourrait décrire comme une structure présentatrice autonome, sans narrateur et se construisant entièrement à travers les « Je-origine fictifs » que sont les personnages. Le récit homodiégétique en revanche relève de la feintise, au sens où il imite des « énoncés de réalité ». Autrement dit, dès qu’il y a des faits de mimésis formelle, nous nous trouvons dans le domaine de la feintise. À l’inverse, si le récit hétérodiégétique ne relève pas de la feintise, il faut évidemment que tout élément de mimésis formelle (c’est-à-dire d’imitation de narrations factuelles) en soit absent. Cette double contrainte explique pourquoi tous les indices linguistiques de fictionnalité étudiés par Hamburger et d’autres (notamment Roland Harweg et Ann Banfield) sont en même temps supposés être incompatibles avec les traits typiques des récits feints, donc avec les procédés de la mimésis formelle. La fictionnalité d’un récit à la troisième personne est inversement proportionnelle aux traces de mimésis formelle qui s’y trouvent. Je rappelle rapidement les indices les plus connus 3! : L'application à des personnes autres que l’énonciateur du récit de verbes qui décrivent des processus intérieurs (penser, réfléchir, croire, sentir, espérer, etc.). En dehors de la fiction, ces verbes s’appliquent surtout à la première personne, puisque nous n'avons accès qu’à notre propre intériorité. L'emploi du discours indirect libre et du monologue intérieur. Par des techniques différentes, on aboutit au même résultat que dans le premier cas : les personnages sont vus de l’intérieur. L'utilisation d’anaphoriques sans antécédents (Hemingway, par exemple, introduit souvent ses personnages directement par un pronom personnel). L'utilisation de verbes de situation (par exemple se lever, aller, être assis, entrer, etc.) dans des énoncés portant sur des événements éloignés dans le temps ou dont l’occurrence est laissée dans une indétermination relative. Le début de La Peau de cha-
:
28. Voir Searle (1982, p. 108, 112) et Genette (1991, p. 47-48 et 62). 29. Cette précision s’impose, puisque Hamburger considère que le cinéma relève lui aussi du « domaine logique de la fiction littéraire » (Hamburger, 1986, p. 197). 30. Pour le moment je laisse de côté le drame:(voir p. 271 sg.).
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31. Je me sers p. 318-320.
ici de mon entrée « Fiction » dans Ducrot et Schaeffer (1995),
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demment s’appliquer aussi au récit de fiction. Or, dans le domaine de l’analyse des récits, il existe en fait deux conceptions concurrentes, qui se séparent précisément sur cette question. Selon la première, développée notamment par John Searle et Gérard Genette, et que j’ai implicitement adoptée dans mon étude des vecteurs d’immersion fictionnelle, tout récit de fiction, qu’il soit hétérodiégétique ou homodiégétique, repose sur une feintise. Certes, elle n’est pas la même dans les deux cas : ainsi Searle distingue entre le récit à la troisième personne (hétérodiégétique) où l’auteur feint de faire des assertions véridiques, et le récit à la première personne (homodiégétique) où il feint d’être quelqu'un d’autre faisant des assertions véridiques #8. Contrairement à ce que supposent certaines interprétations paresseuses de la définition pragmatique de la fiction narrative, cette définition n’affirme donc pas que toute fiction verbale narrative repose sur une feintise d’actes de langage sérieux : stricto sensu, la thèse ne vaut que pour la fiction hétérodiégétique. La fiction homodiégétique repose certes aussi sur une feintise, mais elle porte non pas sur l’acte narratif lui-même, mais plutôt sur l’identité du narrateur. Je rappelle cependant qu’analysée dans la perspective de l’immersion mimétique, la différence entre les deux ne me paraît pas être absolue : la fiction hétérodiégétique mobilise aussi, au moins en puissance, le vecteur d’immersion de la substitution d’identité narrative. La conception concurrente, développée par Käte Hamburger (et acceptée notamment par Dorrit Cohn), nie que la fiction implique une feintise. Hamburger pose en fait une distinction radicale entre deux types d’usages ludiques (non factuels) du langage la fiction et la feintise. Selon elle, dans le domaine verbal ?, seuls le récit hétérodiégétique, le drame et la ballade narrative relèvent de la fiction ©. Ramenée à son noyau central, sa conception revient à affirmer que la fiction n’implique aucune
feintise, dans la mesure où elle n’imite aucun discours sérieux, c'est-à-dire, pour reprendre les termes introduits ici, qu’elle n’a pas recours à une amorce mimétique de type narratif. Elle constitue ce qu’on pourrait décrire comme une structure présentatrice autonome, sans narrateur et se construisant entièrement à travers les « Je-origine fictifs » que sont les personnages. Le récit homodiégétique en revanche relève de la feintise, au sens où il imite des « énoncés de réalité ». Autrement dit, dès qu’il y a des faits de mimésis formelle, nous nous trouvons dans le domaine de la feintise. À l’inverse, si le récit hétérodiégétique ne relève pas de la feintise, il faut évidemment que tout élément de mimésis formelle (c’est-à-dire d’imitation de narrations factuelles) en soit absent. Cette double contrainte explique pourquoi tous les indices linguistiques de fictionnalité étudiés par Hamburger et d’autres (notamment Roland Harweg et Ann Banfield) sont en même temps supposés être incompatibles avec les traits typiques des récits feints, donc avec les procédés de la mimésis formelle. La fictionnalité d’un récit à la troisième personne est inversement proportionnelle aux traces de mimésis formelle qui s’y trouvent. Je rappelle rapidement les indices les plus connus 3! : L'application à des personnes autres que l’énonciateur du récit de verbes qui décrivent des processus intérieurs (penser, réfléchir, croire, sentir, espérer, etc.). En dehors de la fiction, ces verbes s’appliquent surtout à la première personne, puisque nous n'avons accès qu’à notre propre intériorité. L'emploi du discours indirect libre et du monologue intérieur. Par des techniques différentes, on aboutit au même résultat que dans le premier cas : les personnages sont vus de l’intérieur. L'utilisation d’anaphoriques sans antécédents (Hemingway, par exemple, introduit souvent ses personnages directement par un pronom personnel). L'utilisation de verbes de situation (par exemple se lever, aller, être assis, entrer, etc.) dans des énoncés portant sur des événements éloignés dans le temps ou dont l’occurrence est laissée dans une indétermination relative. Le début de La Peau de cha-
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28. Voir Searle (1982, p. 108, 112) et Genette (1991, p. 47-48 et 62). 29. Cette précision s’impose, puisque Hamburger considère que le cinéma relève lui aussi du « domaine logique de la fiction littéraire » (Hamburger, 1986, p. 197). 30. Pour le moment je laisse de côté le drame:(voir p. 271 sg.).
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un bon exemple de cette technique : « Vers la fin du mois d’octobre 1829, un jeune homme entra dans le PalaisRoyal, au moment où les maisons de jeu s’ouvraient ?... » Dans un récit factuel, un tel énoncé paraîtrait peu plausible, l’utilisation d’un verbe de situation s’accommodant mal avec le caractère
dialogues. Voici par exemple comment Suétone décrit les derniers moments de l’empereur Domitien (je mets en évidence les lexèmes qui, selon la théorie de Hamburger, sont des indices de fictionnalité) : « La veille de sa mort, comme on lui offrait des truffes, il ordonna de les réserver pour le lendemain, en ajoutant : “Si toutefois il m’est permis d’en manger”, puis, se tournant vers ses voisins, il déclara “que le jour suivant la lune se teindrait de sang dans le verseau et qu’il se produirait un événement dont tout le monde parlerait dans l’univers entier”. Vers le milieu de la nuit, il fut pris d’une telle épouvante (ita est exterritus) qu’il sauta à bas de son lit. (...) Comme il grattait avec trop de force une verrue très enflammée qu’il avait au front, le sang se mit à couler et il dit : “Plaise aux Dieux que ce soit tout.” Alors, comme il demandait l’heure, au lieu de la cinquième qu’il redoutait (quam metuebat), on lui annonça intentionnellement la sixième. Mis en joie (laetum) par ces deux circonstances, et croyant le péril désormais passé (His velut transacto iam periculo), il s'empressait (festinantem) de partir pour faire sa toilette #... » Les dialogues sont par ailleurs aussi très répandus dans les récits ethnographiques, et cela déjà avant que les ethnologues ne se soient servis des techniques d’enregistrement sonore (seules susceptibles de légitimer leur utilisation, si on accepte les contraintes du modèle épistémologique de Hamburger). Un phénomène plus révélateur encore me semble être la présence dans des écrits relevant peu ou prou du « nouveau journalisme » de procédés tels l’usage d’anaphoriques sans antécédents, le style indirect libre et plus généralement les techniques de focalisation intérieure. Tous ces phénomènes montrent que la relation entre techniques narratives fictionnelles et factuelles n’est pas à sens unique. Cette interpénétration qui amène le discours factuel à emprunter des procédés formels au récit de fiction, tout autant que celui-ci en emprunte au discours factuel, est d’ailleurs un signe supplémentaire du fait que l’opposition entre le récit de fiction et le récit factuel ne doit pas être abordée dans les termes d’une épistémologie empiriste, mais d’un point de vue fonctionnel, donc pragmatique.
grin constitue
vague de la détermination de la situation. L'emploi massif de dialogues, surtout lorsqu'ils sont censés avoir eu lieu à un moment éloigné temporellement du moment d’énonciation du récit. L'emploi de déictiques spatiaux indexés à des tiers, et surtout la combinaison de déictiques temporels avec le prétérit et le plus-que-parfait. Dans le discours factuel, les déictiques spatiaux («ici », « là », etc.) ne peuvent être utilisés qu’en étant rapportés à l’énonciateur (« je »), alors que dans le récit fictionnel ils sont souvent rapportés à la troisième personne («Il s’avança sous les arbres : ici il faisait plus frais ») ; de même, ce n’est que dans le discours de fiction qu’un déictique temporel tel « aujourd’hui » peut être combiné avec le prétérit (« Aujourd’hui il faisait plus froid »), ou « hier » avec le plus-que-parfait (« Hier il avait fait froid »). La détemporalisation du prétérit : d’après Hamburger, dans un récit fictif (hétérodiégétique), le « prétérit » n’a plus comme fonction grammaticale de désigner le passé, comme en témoigne notamment l’usage agrammatical des déictiques temporels. Le personnage fictif se constitue en Je-origine fictif hic et nunc qui « réduit à néant la signification imperfective des verbes qui servent à le décrire ». En ce sens, le récit fictif hétérodiégétique est atemporel, en sorte que le « prétérit épique » est d’une certaine manière la signature de la fictionnalité dans le domaine narratif #. Comme Hamburger elle-même en convient, il s’agit là d’indices de fictionnalité plutôt que de critères stricts. D’un côté, en effet, les récits factuels ont parfois recours à certaines de ces techniques. Les historiens, et ce depuis l’Antiquité, se servent couramment de verbes d’attitude propositionnelle pour caractériser les états intentionnels de tierces personnes. De même, ils ont —
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32. C’est moi qui souligne. 33. Pour l’étude de ces indices et leur interprétation, voir Hamburger (1986), p. 72-124, Harweg (1968) et Banfield (1982).
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34, Suétone (1957), p. 97.
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un bon exemple de cette technique : « Vers la fin du mois d’octobre 1829, un jeune homme entra dans le PalaisRoyal, au moment où les maisons de jeu s’ouvraient ?... » Dans un récit factuel, un tel énoncé paraîtrait peu plausible, l’utilisation d’un verbe de situation s’accommodant mal avec le caractère
dialogues. Voici par exemple comment Suétone décrit les derniers moments de l’empereur Domitien (je mets en évidence les lexèmes qui, selon la théorie de Hamburger, sont des indices de fictionnalité) : « La veille de sa mort, comme on lui offrait des truffes, il ordonna de les réserver pour le lendemain, en ajoutant : “Si toutefois il m’est permis d’en manger”, puis, se tournant vers ses voisins, il déclara “que le jour suivant la lune se teindrait de sang dans le verseau et qu’il se produirait un événement dont tout le monde parlerait dans l’univers entier”. Vers le milieu de la nuit, il fut pris d’une telle épouvante (ita est exterritus) qu’il sauta à bas de son lit. (...) Comme il grattait avec trop de force une verrue très enflammée qu’il avait au front, le sang se mit à couler et il dit : “Plaise aux Dieux que ce soit tout.” Alors, comme il demandait l’heure, au lieu de la cinquième qu’il redoutait (quam metuebat), on lui annonça intentionnellement la sixième. Mis en joie (laetum) par ces deux circonstances, et croyant le péril désormais passé (His velut transacto iam periculo), il s'empressait (festinantem) de partir pour faire sa toilette #... » Les dialogues sont par ailleurs aussi très répandus dans les récits ethnographiques, et cela déjà avant que les ethnologues ne se soient servis des techniques d’enregistrement sonore (seules susceptibles de légitimer leur utilisation, si on accepte les contraintes du modèle épistémologique de Hamburger). Un phénomène plus révélateur encore me semble être la présence dans des écrits relevant peu ou prou du « nouveau journalisme » de procédés tels l’usage d’anaphoriques sans antécédents, le style indirect libre et plus généralement les techniques de focalisation intérieure. Tous ces phénomènes montrent que la relation entre techniques narratives fictionnelles et factuelles n’est pas à sens unique. Cette interpénétration qui amène le discours factuel à emprunter des procédés formels au récit de fiction, tout autant que celui-ci en emprunte au discours factuel, est d’ailleurs un signe supplémentaire du fait que l’opposition entre le récit de fiction et le récit factuel ne doit pas être abordée dans les termes d’une épistémologie empiriste, mais d’un point de vue fonctionnel, donc pragmatique.
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vague de la détermination de la situation. L'emploi massif de dialogues, surtout lorsqu'ils sont censés avoir eu lieu à un moment éloigné temporellement du moment d’énonciation du récit. L'emploi de déictiques spatiaux indexés à des tiers, et surtout la combinaison de déictiques temporels avec le prétérit et le plus-que-parfait. Dans le discours factuel, les déictiques spatiaux («ici », « là », etc.) ne peuvent être utilisés qu’en étant rapportés à l’énonciateur (« je »), alors que dans le récit fictionnel ils sont souvent rapportés à la troisième personne («Il s’avança sous les arbres : ici il faisait plus frais ») ; de même, ce n’est que dans le discours de fiction qu’un déictique temporel tel « aujourd’hui » peut être combiné avec le prétérit (« Aujourd’hui il faisait plus froid »), ou « hier » avec le plus-que-parfait (« Hier il avait fait froid »). La détemporalisation du prétérit : d’après Hamburger, dans un récit fictif (hétérodiégétique), le « prétérit » n’a plus comme fonction grammaticale de désigner le passé, comme en témoigne notamment l’usage agrammatical des déictiques temporels. Le personnage fictif se constitue en Je-origine fictif hic et nunc qui « réduit à néant la signification imperfective des verbes qui servent à le décrire ». En ce sens, le récit fictif hétérodiégétique est atemporel, en sorte que le « prétérit épique » est d’une certaine manière la signature de la fictionnalité dans le domaine narratif #. Comme Hamburger elle-même en convient, il s’agit là d’indices de fictionnalité plutôt que de critères stricts. D’un côté, en effet, les récits factuels ont parfois recours à certaines de ces techniques. Les historiens, et ce depuis l’Antiquité, se servent couramment de verbes d’attitude propositionnelle pour caractériser les états intentionnels de tierces personnes. De même, ils ont —
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POURQUOI LA FICTION ?
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32. C’est moi qui souligne. 33. Pour l’étude de ces indices et leur interprétation, voir Hamburger (1986), p. 72-124, Harweg (1968) et Banfield (1982).
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recours aux
34, Suétone (1957), p. 97.
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DE QUELQUES DISPOSITIFS FICTIONNELS
Si certains des indices de fictionnalité mis au jour par Hamburger correspondent à des techniques qui sont utilisées dans le domaine du récit factuel, il existe aussi, à l’inverse, de nombreux récits hétérodiégétiques non factuels qui non seulement s’abstiennent des indices de fictionnalité énumérés, mais ont recours au contraire à ce qu’en toute logique on devrait appeler des indices de « factualité ». C’est le cas de tous les procédés qui relèvent de la mimésis formelle. Pour des raisons compréhensibles, Hamburger ne s’intéresse pas à ces procédés. Ils mettent en effet à mal sa distinction « logique » entre fiction et feintise. Malheureusement (pour sa théorie), la plupart des récits hétérodiégétiques considérés comme fictionnels ont recours de façon plus ou moins importante à de tels procédés. Pour les raisons que l’on sait, le cas de Marbot n’est sans doute pas le meilleur exemple, mais il démontre pour le moins qu’un récit fictionnel hétérodiégétique peut, tout autant que la fiction homodiégétique, feindre au plus près des énoncés de réalité. Mais on n’a pas besoin d’aller chercher un exemple aussi peu représentatif. Avant la deuxième moitié du xIx® siècle, les récits hétérodiégétiques privilégiant systématiquement la focalisation interne car c’est bien à ce type d’aspectualité mimétique que correspond le modèle d’un récit engendré à partir de « Je-origine fictifs » sont pratiquement inexistants. De même, on ne compte pas le nombre de fictions à la troisième personne qui, au niveau de l'institution du cadre de feintise ludique, mobilisent le modèle du récit historique ou biographique. Certes, les récits fictionnels à focalisation externe stricte sont rares, mais on peut dire la même chose de la focalisation interne stricte. En réalité, la plupart des récits de fiction à la troisième personne mélangent les deux types de focalisation, ce qui, en toute logique, devrait amener les défenseurs de l’hypothèse hamburgerienne à soutenir que la plupart des récits non factuels sont des mélanges de fiction et de feintise. En fait, on peut aller plus loin : la plupart des récits hétérodiégétiques quels qu’ils soient, c’est-à-dire qu’ils soient fictionnels ou factuels, mélangent les deux perspectives. La raison de cet état de fait est très générale et n’a pas de lien particulier avec le problème de la fiction : nos relations avec autrui, la manière dont nous voyons nos congénères ne se limitent jamais à des notations béhavioristes, mais
mettent toujours en œuvre des attributions d’états mentaux c’est précisément du fait de cette attribution projective que j’ai en face de moi non pas simplement un corps physique qui me ressemble extérieurement, mais un autre être humain (ou un animal, pour autant que nous lui attribuons des états mentaux et donc le classons dans l’ensemble des entités qui relèvent de la notion d’« autrui »). Autrement dit, loin d’être réservée à la fiction, la focalisation interne est une de nos stratégies interprétatives les plus courantes dans la vie réelle. À l'inverse, l’hypothèse selon laquelle les récits homodiégétiques relèveraient uniquement de la feintise d’énoncés de réalité, doit elle aussi être nuancée. S’il est vrai que certaines narrations à la première personne recourent plus massivement à la mimésis formelle que les récits hétérodiégétiques (à condition, rappelonsle, qu’on se borne à la fiction hétérodiégétique du xix° et du XX°siècle), cela ne vaut pas pour toutes. Philippe Lejeune a par exemple montré que la fiction autobiographique préfère souvent focaliser sur l’expérience du personnage, alors que l’autobiographie factuelle privilégie généralement la voix du narrateur (fonctionnellement différent du personnage, même si les deux coïncident du point de vue ontique), et que les deux genres se distinguent souvent au niveau stylistique $. Une des raisons pour lesquelles la variante factuelle et la variante fictionnelle de l’autobiographie n’ont pas le même foyer de focalisation réside peutêtre dans le fait que l’immersion fictionnelle (dans le contexte de la création d’une fiction) a tendance à déporter la posture représentationnelle de l’écrivain de la narration des événements vers l’activation imaginante des événements narrés. Ce point a été relevé par Käte Hamburger, bien qu’elle en limite (à tort) la portée au récit hétérodiégétique : « la tendance à la mimèsis est bien l’élément principal de l’art épique, et non la narration comprise comme une attitude de conscience et comme situation se prenant elle-même comme but #. » Il est vrai que Hamburger sous-entend qu’il s’agit d’une nécessité interne à L’« art épique », ce qui est sans doute exagéré. Rien n’empêche un auteur de
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35. Lejeune (1981), p. 25-26. 36. Hamburger, op. cit., p. 171.
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DE QUELQUES DISPOSITIFS FICTIONNELS
Si certains des indices de fictionnalité mis au jour par Hamburger correspondent à des techniques qui sont utilisées dans le domaine du récit factuel, il existe aussi, à l’inverse, de nombreux récits hétérodiégétiques non factuels qui non seulement s’abstiennent des indices de fictionnalité énumérés, mais ont recours au contraire à ce qu’en toute logique on devrait appeler des indices de « factualité ». C’est le cas de tous les procédés qui relèvent de la mimésis formelle. Pour des raisons compréhensibles, Hamburger ne s’intéresse pas à ces procédés. Ils mettent en effet à mal sa distinction « logique » entre fiction et feintise. Malheureusement (pour sa théorie), la plupart des récits hétérodiégétiques considérés comme fictionnels ont recours de façon plus ou moins importante à de tels procédés. Pour les raisons que l’on sait, le cas de Marbot n’est sans doute pas le meilleur exemple, mais il démontre pour le moins qu’un récit fictionnel hétérodiégétique peut, tout autant que la fiction homodiégétique, feindre au plus près des énoncés de réalité. Mais on n’a pas besoin d’aller chercher un exemple aussi peu représentatif. Avant la deuxième moitié du xIx® siècle, les récits hétérodiégétiques privilégiant systématiquement la focalisation interne car c’est bien à ce type d’aspectualité mimétique que correspond le modèle d’un récit engendré à partir de « Je-origine fictifs » sont pratiquement inexistants. De même, on ne compte pas le nombre de fictions à la troisième personne qui, au niveau de l'institution du cadre de feintise ludique, mobilisent le modèle du récit historique ou biographique. Certes, les récits fictionnels à focalisation externe stricte sont rares, mais on peut dire la même chose de la focalisation interne stricte. En réalité, la plupart des récits de fiction à la troisième personne mélangent les deux types de focalisation, ce qui, en toute logique, devrait amener les défenseurs de l’hypothèse hamburgerienne à soutenir que la plupart des récits non factuels sont des mélanges de fiction et de feintise. En fait, on peut aller plus loin : la plupart des récits hétérodiégétiques quels qu’ils soient, c’est-à-dire qu’ils soient fictionnels ou factuels, mélangent les deux perspectives. La raison de cet état de fait est très générale et n’a pas de lien particulier avec le problème de la fiction : nos relations avec autrui, la manière dont nous voyons nos congénères ne se limitent jamais à des notations béhavioristes, mais
mettent toujours en œuvre des attributions d’états mentaux c’est précisément du fait de cette attribution projective que j’ai en face de moi non pas simplement un corps physique qui me ressemble extérieurement, mais un autre être humain (ou un animal, pour autant que nous lui attribuons des états mentaux et donc le classons dans l’ensemble des entités qui relèvent de la notion d’« autrui »). Autrement dit, loin d’être réservée à la fiction, la focalisation interne est une de nos stratégies interprétatives les plus courantes dans la vie réelle. À l'inverse, l’hypothèse selon laquelle les récits homodiégétiques relèveraient uniquement de la feintise d’énoncés de réalité, doit elle aussi être nuancée. S’il est vrai que certaines narrations à la première personne recourent plus massivement à la mimésis formelle que les récits hétérodiégétiques (à condition, rappelonsle, qu’on se borne à la fiction hétérodiégétique du xix° et du XX°siècle), cela ne vaut pas pour toutes. Philippe Lejeune a par exemple montré que la fiction autobiographique préfère souvent focaliser sur l’expérience du personnage, alors que l’autobiographie factuelle privilégie généralement la voix du narrateur (fonctionnellement différent du personnage, même si les deux coïncident du point de vue ontique), et que les deux genres se distinguent souvent au niveau stylistique $. Une des raisons pour lesquelles la variante factuelle et la variante fictionnelle de l’autobiographie n’ont pas le même foyer de focalisation réside peutêtre dans le fait que l’immersion fictionnelle (dans le contexte de la création d’une fiction) a tendance à déporter la posture représentationnelle de l’écrivain de la narration des événements vers l’activation imaginante des événements narrés. Ce point a été relevé par Käte Hamburger, bien qu’elle en limite (à tort) la portée au récit hétérodiégétique : « la tendance à la mimèsis est bien l’élément principal de l’art épique, et non la narration comprise comme une attitude de conscience et comme situation se prenant elle-même comme but #. » Il est vrai que Hamburger sous-entend qu’il s’agit d’une nécessité interne à L’« art épique », ce qui est sans doute exagéré. Rien n’empêche un auteur de
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mettre l’accent au contraire sur la narration comme acte (ainsi Sterne, Diderot, certaines variantes du Nouveau Roman, etc.). Mais il s’agit sans conteste d’une « pente naturelle », induite par la posture d’immersion fictionnelle comme telle : lorsqu’on adopte cette posture, l’acte narratif lui-même n’est que le vecteur et non pas le point d’arrivée de l’activité mentale. Il va de soi que des études du type de celle entreprise par Lejeune pour l’autobiographie devraient être consacrées aussi à d’autres paires textuelles, par exemple journal de fiction vs journal intime réel, récit épistolaire vs échange épistolaire réel, confessions fictives vs confessions non fictives, etc. Aussi longtemps qu’on reste dans le cadre de la littérature classique, il semble par ailleurs y avoir une différence générale valable pour toutes les paires en question. Elle concerne l’organisation narrative globale : les variantes fictionnelles (classiques) des genres homodiégétiques sont pratiquement toujours guidées en sous-main par la logique actantielle aristotélicienne. Ce trait est absent ou du moins très affaibli dans les genres non ludiques correspondants. Une exception notable sont les récits autobiographiques à fonction d’exemplum. Ainsi les confessions piétistes du xVInm° siècle possèdent en général un principe de structuration téléologique très fort, celui d’une découverte progressive de la vérité et de l’authenticité religieuse un modèle qui va se retrouver sous une forme « laïcisée » dans les romans d’apprentissage (souvent sous forme de fictions hétérodiégétiques). Il est vrai que dans la littérature moderne, cette différence tend à s’effacer quelque peu, ceci en faveur d’une mimésis formelle plus poussée, peut-être parce que beaucoup d’écrivains de fictions homodiégétiques veulent échapper au modèle actantiel aristotélicien en faveur de formes plus ouvertes et non téléologiques. Souvent on retient de la conception de Hamburger surtout le fait qu’elle refuse l’idée que la fiction hétérodiégétique possède un narrateur. Prise à la lettre, sa théorie peut paraître peu plausible. Mais à condition qu’on limite la portée de la thèse aux récits en focalisation interne et qu’on distingue entre la fonction narrative (Hamburger ne nie pas l’existence d’une telle fonction) et le narrateur comme figure, sa conception met le doigt sur un point important : en régime de focalisation interne stricte il n’y a —
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pas de marques sémantiques qui puissent être rapportées à une
hétérodiégétique du terme. Mais, une phrase ou un ensemble de phrases qui sont en régime de focalisation interne stricte peuvent être reformulées à la première personne avec maintien de l’équivalence sémantique. Il me semble qu’on peut donc considérer les passages à focalisation interne stricte comme étant en fait des séquences homodiégétiques indirectes, et plus précisément des séquences qui relèvent, non pas de l’imitation de la narration naturelle (sous la forme de la substitution d’identité narrative), mais de l’imitation d’états mentaux. On retrouve ainsi la pertinence de la distinction entre deux vecteurs d’immersion dans le domaine homodiégétique. L'hypothèse d’un état homodiégétique indirect s’accorde par ailleurs bien avec l’existence du discours indirect libre, qui représente les paroles intérieures d’un personnage tout en les transcrivant à la troisième personne. Le maintien de l’énonciation à la troisième personne en régime de focalisation interne stricte a peut-être notamment pour fonction de rendre plus fluides les passages d’une perspective à l’autre. Pour le dire autrement: le maintien de la troisième personne peut fort bien être considéré comme un indice du fait que la structure globale du texte est bien celle d’une narration; dans les passages à focalisation interne stricte elle ne ferait que marquer la place vide de l’acte narratif, en attendant qu’il soit de nouveau assumé par le passage à une des multiples variantes de focalisation mixte entre lesquelles la plupart des fictions hétérodiégétiques ne cessent d’alterner. Ce que Hamburger construit comme une opposition entre fiction et feintise peut donc se comprendre plus simplement en termes de postures d’immersion variables. Lorsque le récit passe en focalisation interne, le lecteur passe à la première posture d’immersion que nous avons analysée : celle où il s’identifie à l’aspectualité subjective sous laquelle l’univers fictionnel s’offre au héros. Lors de la lecture d’un passage en discours indirect libre, il adopte simultanément deux postures d'immersion (comme les enfants huli dans leurs jeux), celle de la narration naturelle et celle de l’identification mentale à l’intériorité du personnage. Lorsque le texte passe en focalisation externe, il adopte la posture de la narration naturelle, soit qu’il s’identifie à la voix
Jigure de narrateur comme Genette
au sens
l’a montré,
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mettre l’accent au contraire sur la narration comme acte (ainsi Sterne, Diderot, certaines variantes du Nouveau Roman, etc.). Mais il s’agit sans conteste d’une « pente naturelle », induite par la posture d’immersion fictionnelle comme telle : lorsqu’on adopte cette posture, l’acte narratif lui-même n’est que le vecteur et non pas le point d’arrivée de l’activité mentale. Il va de soi que des études du type de celle entreprise par Lejeune pour l’autobiographie devraient être consacrées aussi à d’autres paires textuelles, par exemple journal de fiction vs journal intime réel, récit épistolaire vs échange épistolaire réel, confessions fictives vs confessions non fictives, etc. Aussi longtemps qu’on reste dans le cadre de la littérature classique, il semble par ailleurs y avoir une différence générale valable pour toutes les paires en question. Elle concerne l’organisation narrative globale : les variantes fictionnelles (classiques) des genres homodiégétiques sont pratiquement toujours guidées en sous-main par la logique actantielle aristotélicienne. Ce trait est absent ou du moins très affaibli dans les genres non ludiques correspondants. Une exception notable sont les récits autobiographiques à fonction d’exemplum. Ainsi les confessions piétistes du xVInm° siècle possèdent en général un principe de structuration téléologique très fort, celui d’une découverte progressive de la vérité et de l’authenticité religieuse un modèle qui va se retrouver sous une forme « laïcisée » dans les romans d’apprentissage (souvent sous forme de fictions hétérodiégétiques). Il est vrai que dans la littérature moderne, cette différence tend à s’effacer quelque peu, ceci en faveur d’une mimésis formelle plus poussée, peut-être parce que beaucoup d’écrivains de fictions homodiégétiques veulent échapper au modèle actantiel aristotélicien en faveur de formes plus ouvertes et non téléologiques. Souvent on retient de la conception de Hamburger surtout le fait qu’elle refuse l’idée que la fiction hétérodiégétique possède un narrateur. Prise à la lettre, sa théorie peut paraître peu plausible. Mais à condition qu’on limite la portée de la thèse aux récits en focalisation interne et qu’on distingue entre la fonction narrative (Hamburger ne nie pas l’existence d’une telle fonction) et le narrateur comme figure, sa conception met le doigt sur un point important : en régime de focalisation interne stricte il n’y a —
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pas de marques sémantiques qui puissent être rapportées à une
hétérodiégétique du terme. Mais, une phrase ou un ensemble de phrases qui sont en régime de focalisation interne stricte peuvent être reformulées à la première personne avec maintien de l’équivalence sémantique. Il me semble qu’on peut donc considérer les passages à focalisation interne stricte comme étant en fait des séquences homodiégétiques indirectes, et plus précisément des séquences qui relèvent, non pas de l’imitation de la narration naturelle (sous la forme de la substitution d’identité narrative), mais de l’imitation d’états mentaux. On retrouve ainsi la pertinence de la distinction entre deux vecteurs d’immersion dans le domaine homodiégétique. L'hypothèse d’un état homodiégétique indirect s’accorde par ailleurs bien avec l’existence du discours indirect libre, qui représente les paroles intérieures d’un personnage tout en les transcrivant à la troisième personne. Le maintien de l’énonciation à la troisième personne en régime de focalisation interne stricte a peut-être notamment pour fonction de rendre plus fluides les passages d’une perspective à l’autre. Pour le dire autrement: le maintien de la troisième personne peut fort bien être considéré comme un indice du fait que la structure globale du texte est bien celle d’une narration; dans les passages à focalisation interne stricte elle ne ferait que marquer la place vide de l’acte narratif, en attendant qu’il soit de nouveau assumé par le passage à une des multiples variantes de focalisation mixte entre lesquelles la plupart des fictions hétérodiégétiques ne cessent d’alterner. Ce que Hamburger construit comme une opposition entre fiction et feintise peut donc se comprendre plus simplement en termes de postures d’immersion variables. Lorsque le récit passe en focalisation interne, le lecteur passe à la première posture d’immersion que nous avons analysée : celle où il s’identifie à l’aspectualité subjective sous laquelle l’univers fictionnel s’offre au héros. Lors de la lecture d’un passage en discours indirect libre, il adopte simultanément deux postures d'immersion (comme les enfants huli dans leurs jeux), celle de la narration naturelle et celle de l’identification mentale à l’intériorité du personnage. Lorsque le texte passe en focalisation externe, il adopte la posture de la narration naturelle, soit qu’il s’identifie à la voix
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narrative, soit qu’il se pose comme destinataire du récit. Bien sûr, pour que cette interprétation soit acceptable, il faut admettre que des séquences homodiégétiques (indirectes) peuvent être enchâssées dans une structure hétérodiégétique. Mais l’existence de telles situations dans les jeux ludiques dés enfants montre que ces changements de posture d’immersion font partie intégrante de la compétence fictionnelle. Il n’y a donc aucune raison de vouloir les exclure du domaine des fictions artistiques. Réinterprétée dans cette perspective, l'expression de « fonction narrative flottante », proposée par Hamburger, convient parfaitement. En ce sens, les techniques de la focalisation interne et notamment le discours indirect libre témoignent de l’inventivité des écrivains et de leur volonté de tirer profit des avantages de la variabilité des postures d’immersion, afin de rendre leurs univers fictionnels plus complexes et plus polyphoniques, fût-ce aux dépens de Ia rigueur épistémologique. Mais le contrat de feintise ludique partagée a précisément pour effet de disqualifier cette rigueur, puisque les modèles fictionnels ont pour but de maximiser la puissance modélisante au niveau de l’analogie globale, et non pas au niveau de l’homologie. Il me semble qu’en reformulant ainsi le problème de la feintise et de la narration, on peut échapper à l’opposition massive et peu plausible entre une fiction non narrée d’un côté, une feintise non fictionnelle de l’autre. Toute fiction narrative implique une feintise ludique partagée en vertu de laquelle l’auteur prétend rapporter des événements (2° dispositif), ou prétend être quelqu'un d’autre qui, soit rapporte des événements (3° dispositif), soit expérimente certains états mentaux (1° dispositif). À chacune de ces feintises ludiques partagées correspondent un vecteur mimétique et une posture d’immersion spécifiques. Mais rien n’exige qu’une œuvre entière adopte de part en part le même vecteur d’immersion, donc relève de part en part du même type de feintise. Toutes les combinaisons sont possibles, et cela parce que nous avons tous appris dès notre enfance à changer de postures d’immersion au cours de nos explorations fictionnelles. Le maintien strict durant toute une œuvre des contraintes d’un même vecteur d’immersion, donc la mise en œuvre d’un seul type de mimésis formelle, n’est qu’une des multiples options qui s’offrent au romancier.
La situation de la fiction théâtrale est intéressante, parce qu’elle correspond en fait à trois dispositifs fictionnels différents, selon qu’on l’aborde par le biais du texte, de la représentation scénique ou du jeu. On n’a pas toujours pris assez en compte cette diversité. Aïnsi le jeu (qui correspond au 7° dispositif fictionnel) est pratiquement toujours négligé dans les théories théâtrales, essentiellement me semble-t-il parce qu’elles s’intéressent uniquement au théâtre tel que nous le connaissons. Sauf exception, elles évacuent tout ce qui relève de la théâtralité rituelle et ludique. Or, dans ces deux contextes, la distinction entre acteurs et public ne correspond pas à celle du théâtre dans sa forme canonique. Dans la théâtralité rituelle, la distinction n’est que relative, dans la mesure où les mises en scène rituelles ménagent en général la possibilité pour les membres de l’assistance d’entrer à leur tour dans le « jeu » : ce processus est particulièrement répandu dans les séances de possession, où la contagion mimétique mise en lumière par Platon opère souvent à plein. Dans la théâtralité ludique, celle des jeux d’enfants par exemple, la distinction entre joueurs et public est même en général tout simplement inexistante. Contrairement aux théoriciens du théâtre, les anthropologues, à défaut de s’intéresser en profondeur aux jeux des enfants, accordent une grande attention aux activités rituelles. Aussi n’ont-ils pas manqué d’attirer l’attention sur leurs dimensions théâtrales. Malheureusement, cela les a parfois amenés à sous-estimer les différences entre la fiction théâtrale canonique et la théâtralité rituelle. Or, cette dernière le «théâtre vécu » (Leiris) est un point de passage instable entre la fiction théâtrale et les performances rituelles, plutôt qu’une figure canonique de la première. En effet, contrairement à celle-ci, le théâtre vécu, à l'instar des performances rituelles sans personnification, est finalisé en vue de son efficacité directe dans la vie réelle. Par ailleurs, la participation à un rituel communautaire au vrai sens du terme est rarement laissée à la discrétion des individus : celui qui n’y participe pas se place (ou est placé) en marge de la communauté. L'interprétation du statut de la fiction théâtrale à la
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La fiction théâtrale
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narrative, soit qu’il se pose comme destinataire du récit. Bien sûr, pour que cette interprétation soit acceptable, il faut admettre que des séquences homodiégétiques (indirectes) peuvent être enchâssées dans une structure hétérodiégétique. Mais l’existence de telles situations dans les jeux ludiques dés enfants montre que ces changements de posture d’immersion font partie intégrante de la compétence fictionnelle. Il n’y a donc aucune raison de vouloir les exclure du domaine des fictions artistiques. Réinterprétée dans cette perspective, l'expression de « fonction narrative flottante », proposée par Hamburger, convient parfaitement. En ce sens, les techniques de la focalisation interne et notamment le discours indirect libre témoignent de l’inventivité des écrivains et de leur volonté de tirer profit des avantages de la variabilité des postures d’immersion, afin de rendre leurs univers fictionnels plus complexes et plus polyphoniques, fût-ce aux dépens de Ia rigueur épistémologique. Mais le contrat de feintise ludique partagée a précisément pour effet de disqualifier cette rigueur, puisque les modèles fictionnels ont pour but de maximiser la puissance modélisante au niveau de l’analogie globale, et non pas au niveau de l’homologie. Il me semble qu’en reformulant ainsi le problème de la feintise et de la narration, on peut échapper à l’opposition massive et peu plausible entre une fiction non narrée d’un côté, une feintise non fictionnelle de l’autre. Toute fiction narrative implique une feintise ludique partagée en vertu de laquelle l’auteur prétend rapporter des événements (2° dispositif), ou prétend être quelqu'un d’autre qui, soit rapporte des événements (3° dispositif), soit expérimente certains états mentaux (1° dispositif). À chacune de ces feintises ludiques partagées correspondent un vecteur mimétique et une posture d’immersion spécifiques. Mais rien n’exige qu’une œuvre entière adopte de part en part le même vecteur d’immersion, donc relève de part en part du même type de feintise. Toutes les combinaisons sont possibles, et cela parce que nous avons tous appris dès notre enfance à changer de postures d’immersion au cours de nos explorations fictionnelles. Le maintien strict durant toute une œuvre des contraintes d’un même vecteur d’immersion, donc la mise en œuvre d’un seul type de mimésis formelle, n’est qu’une des multiples options qui s’offrent au romancier.
La situation de la fiction théâtrale est intéressante, parce qu’elle correspond en fait à trois dispositifs fictionnels différents, selon qu’on l’aborde par le biais du texte, de la représentation scénique ou du jeu. On n’a pas toujours pris assez en compte cette diversité. Aïnsi le jeu (qui correspond au 7° dispositif fictionnel) est pratiquement toujours négligé dans les théories théâtrales, essentiellement me semble-t-il parce qu’elles s’intéressent uniquement au théâtre tel que nous le connaissons. Sauf exception, elles évacuent tout ce qui relève de la théâtralité rituelle et ludique. Or, dans ces deux contextes, la distinction entre acteurs et public ne correspond pas à celle du théâtre dans sa forme canonique. Dans la théâtralité rituelle, la distinction n’est que relative, dans la mesure où les mises en scène rituelles ménagent en général la possibilité pour les membres de l’assistance d’entrer à leur tour dans le « jeu » : ce processus est particulièrement répandu dans les séances de possession, où la contagion mimétique mise en lumière par Platon opère souvent à plein. Dans la théâtralité ludique, celle des jeux d’enfants par exemple, la distinction entre joueurs et public est même en général tout simplement inexistante. Contrairement aux théoriciens du théâtre, les anthropologues, à défaut de s’intéresser en profondeur aux jeux des enfants, accordent une grande attention aux activités rituelles. Aussi n’ont-ils pas manqué d’attirer l’attention sur leurs dimensions théâtrales. Malheureusement, cela les a parfois amenés à sous-estimer les différences entre la fiction théâtrale canonique et la théâtralité rituelle. Or, cette dernière le «théâtre vécu » (Leiris) est un point de passage instable entre la fiction théâtrale et les performances rituelles, plutôt qu’une figure canonique de la première. En effet, contrairement à celle-ci, le théâtre vécu, à l'instar des performances rituelles sans personnification, est finalisé en vue de son efficacité directe dans la vie réelle. Par ailleurs, la participation à un rituel communautaire au vrai sens du terme est rarement laissée à la discrétion des individus : celui qui n’y participe pas se place (ou est placé) en marge de la communauté. L'interprétation du statut de la fiction théâtrale à la
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lumière du modèle de l’interaction dramatique développé par Erving Goffman, Victor Turner ou encore Clifford Geertz ”, ne me paraît pas moins problématique. Certes, l’interprétation des interactions sociales des individus en termes de rôles sociaux et de scripts dramatiques met au jour des aspects importants de nos conduites sociales. En revanche, la réimportation de ces catégories dans le domaine de la réflexion sur le théâtre me paraît plus problématique, parce qu’en les transposant au niveau des relations sociales les anthropologues ont précisément mis entre parenthèses le statut fictionnel des interactions théâtrales. Les « rôles » et les types de « drames sociaux » qu’ils étudient relèvent du mimétisme social (la compétence du « jeu » social repose en effet sur un apprentissage mimétique), mais non pas du mimétisme ludique. Ce dernier implique un décrochage pragmatique qui est inexistant dans ce qui est décrit sous le terme de « rôles sociaux ». Ainsi, lorsque Victor Turner propose d’analyser les processus dynamiques, selon lesquels se déroulent et se résolvent les conflits sociaux à l’intérieur des communautés humaines, à l’aide du modèle du « drame social 8 », il met en lumière un aspect important de la vie sociale. Mais lorsqu’on applique son analyse au théâtre *, on risque de sous-estimer le fait qu’en tant que dispositif fictionnel, donc en tant que fondé sur une feintise ludique partagée, le fait social que constitue le théâtre relève de la sphère coopérative et non pas de la sphère conflictuelle 4. De même, on risque de méconnaître la différence radicale de statut pragmatique entre un rôle social agi (dans un conflit réel) et un mimème de ce rôle (ce qui est le cas du jeu théâtral), même si, ainsi que Nathalie Heinich l’a montré, les modélisations fictionnelles mettent à notre disposition des « rôles » que nous pouvons réinjecter dans la vie sociale, c’est-à-dire que nous pouvons « jouer » (ou refuser de « jouer ») #. Malgré ces réserves, les ana-
DE QUELQUES DISPOSITIFS FICTIONNELS
lyses des anthropologues ont le grand mérite d’avoir réintroduit l’aspect du jeu théâtral dans les considérations sur la fiction théâtrale, et donc de nous aider à comprendre que le théâtre tel que nous le connaissons est en réalité la résultante de plusieurs dispositifs différents ayant chacun sa logique propre. La compréhension équitable des deux autres dispositifs fictionnels qui concourent à la fiction théâtrale, à savoir le texte et la représentation, a beaucoup souffert de l’opposition stérile entre ceux qui prétendent réduire le théâtre au texte et ceux qui, à l’inverse, veulent le réduire à sa réalité scénique. On trouve une forme particulièrement explicite de cette opposition dans le Cercle de Prague, qui de tous les courants du structuralisme littéraire est sans doute celui qui a accordé le plus d’attention au théâtre. Ainsi selon Otakar Zich, défenseur de la thèse scénocentriste, l’œuvre dramatique n’existe « réellement qu’à partir de sa réalisation scénique » et le texte n’en est qu’un substitut « imparfait et incomplet ». Jiri Veltrusky en revanche, adoptant un point de vue textocentriste, soutient que le texte « prédétermine » la représentation scénique et constitue une œuvre dramatique au plein sens du terme #. En France, c’est sans conteste le textocen-
trisme qui a été et demeure le plus répandu, peut--être à cause de l’influence de la théorie classique du théâtre qui accordait la primauté au texte. Il en est de même, bien qu’à un moindre degré, en Allemagne, où le poids de la conception nettement textocentriste défendue par le classicisme de Weimar (Goethe considérait que
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37. Goffman (1973), Turner (1974), Geertz (1980). 38. Turner (1974). 39. Voir Turner (1982). 40. Voir à ce propos Schechner (1988), p. 168. 41. Heinich (1996), p. 338-339. Voir ibid. pour une critique pertinente de la notion de rôle, en tant que modèle de description de l’expérience vécue : d’une
part, « jouer un rôle » implique un détachement « dont les conditions (...) ne sont qu’exceptionnellement réunies » ; d’autre part, la notion « est souvent soustendue par une conception essentialiste qui, derrière la superficialité et la contingence associées au “rôle”, présuppose l'existence d’un “moi” authentique » (p.339). En somme la notion de « rôle social », du moins si elle n’est pas maniée avec prudence, risque d’être le lieu d’une double méconnaissance du point de vue de la fiction, elle sous-estime la spécificité du décrochage pragmatique qui définit le jeu fictionnel; du point de vue des interactions réelles, elle surestime notre « détachement », donc sous-estime notre manque « de prise sur les éléments du réel qui composent les situations, et (...) les processus symboliques d’occupations des places » (ibid.). 42. Voir mon entrée « Énonciation théâtrale » dans Ducrot et Schaeffer (1995), p. 612.
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lumière du modèle de l’interaction dramatique développé par Erving Goffman, Victor Turner ou encore Clifford Geertz ”, ne me paraît pas moins problématique. Certes, l’interprétation des interactions sociales des individus en termes de rôles sociaux et de scripts dramatiques met au jour des aspects importants de nos conduites sociales. En revanche, la réimportation de ces catégories dans le domaine de la réflexion sur le théâtre me paraît plus problématique, parce qu’en les transposant au niveau des relations sociales les anthropologues ont précisément mis entre parenthèses le statut fictionnel des interactions théâtrales. Les « rôles » et les types de « drames sociaux » qu’ils étudient relèvent du mimétisme social (la compétence du « jeu » social repose en effet sur un apprentissage mimétique), mais non pas du mimétisme ludique. Ce dernier implique un décrochage pragmatique qui est inexistant dans ce qui est décrit sous le terme de « rôles sociaux ». Ainsi, lorsque Victor Turner propose d’analyser les processus dynamiques, selon lesquels se déroulent et se résolvent les conflits sociaux à l’intérieur des communautés humaines, à l’aide du modèle du « drame social 8 », il met en lumière un aspect important de la vie sociale. Mais lorsqu’on applique son analyse au théâtre *, on risque de sous-estimer le fait qu’en tant que dispositif fictionnel, donc en tant que fondé sur une feintise ludique partagée, le fait social que constitue le théâtre relève de la sphère coopérative et non pas de la sphère conflictuelle 4. De même, on risque de méconnaître la différence radicale de statut pragmatique entre un rôle social agi (dans un conflit réel) et un mimème de ce rôle (ce qui est le cas du jeu théâtral), même si, ainsi que Nathalie Heinich l’a montré, les modélisations fictionnelles mettent à notre disposition des « rôles » que nous pouvons réinjecter dans la vie sociale, c’est-à-dire que nous pouvons « jouer » (ou refuser de « jouer ») #. Malgré ces réserves, les ana-
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lyses des anthropologues ont le grand mérite d’avoir réintroduit l’aspect du jeu théâtral dans les considérations sur la fiction théâtrale, et donc de nous aider à comprendre que le théâtre tel que nous le connaissons est en réalité la résultante de plusieurs dispositifs différents ayant chacun sa logique propre. La compréhension équitable des deux autres dispositifs fictionnels qui concourent à la fiction théâtrale, à savoir le texte et la représentation, a beaucoup souffert de l’opposition stérile entre ceux qui prétendent réduire le théâtre au texte et ceux qui, à l’inverse, veulent le réduire à sa réalité scénique. On trouve une forme particulièrement explicite de cette opposition dans le Cercle de Prague, qui de tous les courants du structuralisme littéraire est sans doute celui qui a accordé le plus d’attention au théâtre. Ainsi selon Otakar Zich, défenseur de la thèse scénocentriste, l’œuvre dramatique n’existe « réellement qu’à partir de sa réalisation scénique » et le texte n’en est qu’un substitut « imparfait et incomplet ». Jiri Veltrusky en revanche, adoptant un point de vue textocentriste, soutient que le texte « prédétermine » la représentation scénique et constitue une œuvre dramatique au plein sens du terme #. En France, c’est sans conteste le textocen-
trisme qui a été et demeure le plus répandu, peut--être à cause de l’influence de la théorie classique du théâtre qui accordait la primauté au texte. Il en est de même, bien qu’à un moindre degré, en Allemagne, où le poids de la conception nettement textocentriste défendue par le classicisme de Weimar (Goethe considérait que
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37. Goffman (1973), Turner (1974), Geertz (1980). 38. Turner (1974). 39. Voir Turner (1982). 40. Voir à ce propos Schechner (1988), p. 168. 41. Heinich (1996), p. 338-339. Voir ibid. pour une critique pertinente de la notion de rôle, en tant que modèle de description de l’expérience vécue : d’une
part, « jouer un rôle » implique un détachement « dont les conditions (...) ne sont qu’exceptionnellement réunies » ; d’autre part, la notion « est souvent soustendue par une conception essentialiste qui, derrière la superficialité et la contingence associées au “rôle”, présuppose l'existence d’un “moi” authentique » (p.339). En somme la notion de « rôle social », du moins si elle n’est pas maniée avec prudence, risque d’être le lieu d’une double méconnaissance du point de vue de la fiction, elle sous-estime la spécificité du décrochage pragmatique qui définit le jeu fictionnel; du point de vue des interactions réelles, elle surestime notre « détachement », donc sous-estime notre manque « de prise sur les éléments du réel qui composent les situations, et (...) les processus symboliques d’occupations des places » (ibid.). 42. Voir mon entrée « Énonciation théâtrale » dans Ducrot et Schaeffer (1995), p. 612.
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les tragédies de Shakespeare étaient des chefs-d’œuvre littéraires mais qu’elles n’étaient pas représentables) a pendant longtemps déterminé la catégorisation de l’art dramatique #. En France, tous les théoriciens classiques du théâtre ont été textocentristes. On peut prendre le cas de d’Aubignac. À première vue, il semble défendre une conception équilibrée qui reconnaît une place égale aux deux dispositifs fictionnels, puisqu’il écrit : « Le Poème Dramatique est fait principalement pour être représenté par des gens qui font des choses semblables à celles que ceux qu'ils représentent auraient pu faire ; et aussi pour être lu par des gens qui, sans rien voir, ont présentes à l’imagination par la force des vers, les personnes et les actions qui y sont introduites comme si toutes les choses se faisaient véritablement
doute raison, lorsqu'il note que le théâtre classique français implique la « nécessaire résolution » du spectaculaire dans la lecture 4, Cette réduction « textualiste » est très bien résumée par La Ménardière, qui indique d’ailleurs en passant l’autorité antique qui légitime cette conception: « J’estime avec Aristote qu’un ouvrage est imparfait lorsque par la seule lecture faite dans un cabinet il n’excite pas les passions dans l’esprit de ses auditeurs et qu’il ne les agite point jusqu’à les y faire trembler ou leur arracher des larmes 47. »
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de la même façon qu’elles sont écrites 4. » Mais en choisissant la notion de « poème dramatique », il a en fait déjà pris une décision quant au lieu propre de la fiction théâtrale : le texte. Aussi n’est-il pas étonnant de le voir réduire la fiction dramatique au statut d’une modalité spécifique de la fiction verbale. Selon lui, le théâtre se distingue de la fiction narrative uniquement en ce qu’«il n’y a que les personnes introduites par le Poète qui parlent sans qu’il y prenne aucune part, et dans toute l’action Théâtrale il ne paraît non plus que si les Acteurs étaient en vérité ceux
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qu’ils représentent # ».. Aussi François Prodromidès a-t-il
sans
Dans les pays anglophones, c’est en général la conception scénocentriste qui prévaut. On la trouve par exemple chez Nelson Goodman , qui considère que, comme la musique, et contrairement à la littérature, l’art dramatique est un art à deux phases, l’œuvre dramatique n’existant pleinement que dans la performance théâtrale : « une œuvre dramatique ou musicale n'existe qu’exécutée #. » Ce qui signifie, exprimé en termes goodmaniens, que, contrairement aux textes des autres genres littéraires, le texte dramatique a pour concordants ses exécutions plutôt que les objets auxquels il réfère 50. En décidant que les concordants du texte dramatique sont ses exécutions, Goodman ...
46. Voir ibid., p. 425.
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47. La Ménardière, La Poétique (1639), p. 12, cité par Prodromidès (1997),
p.424. 43. On retrouve encore cette conception chez Käte Hamburger pour qui «la scène théâtrale n’a aucune influence sur l’existence littéraire et la valeur des
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» (Hamburger, 1986, p. 191), situation qu’elle oppose à celle de la transposition filmique de ces mêmes œuvres, qui, elle, est censée donner lieu à une œuvre nouvelle, le film précisément. Mais cette distinction n’a de sens que si on a décidé d’avance que la mise en scène théâtrale d’une pièce de théâtre n’est pas une œuvre (ce qui explique par exemple que pour elle les décors théâtraux ne font pas partie de l’œuvre théâtrale). Contrairement à ce que prétend Hamburger, la « forme créée par l’auteur, le dramaturge, reste inaltérée » non seulement dans le cas de la mise en scène théâtrale, mais tout autant dans le cas d’une transposition cinématographique. 44. Abbé d’Aubignac, La Pratique du théâtre (1657), cité par Prodromidès (1997), p. 425. J'ai tiré grand profit de cet article excellent qui met bien en évidence le parti pris textualiste de la théorie de la tragédie développée à l’âge
œuvres
classique. 45. Ibid.
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48. Pour une discussion plus approfondie de la conception de Goodman, voir Schaeffer (1992), p. 90. 49. Goodman (1984), p. 144. 50. En fait, l’analyse de Goodman est plus fine que je ne le laisse supposer ici, puisqu'elle tient compte du statut composite du texte : les dialogues consti-
tuent une quasi-notation, dans la mesure où leurs concordants sont les réalisations phonétiques du schéma scriptural; en revanche, les indications de scène sont des scripts, puisque leurs concordants de performance (les décors, les gestes, les mouvements) sont déterminés à travers la sémantique d’un langage naturel, sémantique qui est dense et ambiguë, donc non notationnelle : « Le texte d’une pièce, toutefois est un composé de partition et de script. Le dialogue est dans un système quasi notationnel, ayant des énonciations comme concordants. Cette partie du texte est une partition, et les exécutions qui concordent avec elle constituent l’œuvre. Les indications scéniques, les descriptions de décor, etc., sont des scripts dans un langage qui n’obéit à aucun des réquisits sémantiques pour la notationalité, et une exécution ne détermine pas de manière unique un tel script ou une classe de scripts coextensifs. » (Goodman, 1990, p. 249.)
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les tragédies de Shakespeare étaient des chefs-d’œuvre littéraires mais qu’elles n’étaient pas représentables) a pendant longtemps déterminé la catégorisation de l’art dramatique #. En France, tous les théoriciens classiques du théâtre ont été textocentristes. On peut prendre le cas de d’Aubignac. À première vue, il semble défendre une conception équilibrée qui reconnaît une place égale aux deux dispositifs fictionnels, puisqu’il écrit : « Le Poème Dramatique est fait principalement pour être représenté par des gens qui font des choses semblables à celles que ceux qu'ils représentent auraient pu faire ; et aussi pour être lu par des gens qui, sans rien voir, ont présentes à l’imagination par la force des vers, les personnes et les actions qui y sont introduites comme si toutes les choses se faisaient véritablement
doute raison, lorsqu'il note que le théâtre classique français implique la « nécessaire résolution » du spectaculaire dans la lecture 4, Cette réduction « textualiste » est très bien résumée par La Ménardière, qui indique d’ailleurs en passant l’autorité antique qui légitime cette conception: « J’estime avec Aristote qu’un ouvrage est imparfait lorsque par la seule lecture faite dans un cabinet il n’excite pas les passions dans l’esprit de ses auditeurs et qu’il ne les agite point jusqu’à les y faire trembler ou leur arracher des larmes 47. »
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de la même façon qu’elles sont écrites 4. » Mais en choisissant la notion de « poème dramatique », il a en fait déjà pris une décision quant au lieu propre de la fiction théâtrale : le texte. Aussi n’est-il pas étonnant de le voir réduire la fiction dramatique au statut d’une modalité spécifique de la fiction verbale. Selon lui, le théâtre se distingue de la fiction narrative uniquement en ce qu’«il n’y a que les personnes introduites par le Poète qui parlent sans qu’il y prenne aucune part, et dans toute l’action Théâtrale il ne paraît non plus que si les Acteurs étaient en vérité ceux
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qu’ils représentent # ».. Aussi François Prodromidès a-t-il
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Dans les pays anglophones, c’est en général la conception scénocentriste qui prévaut. On la trouve par exemple chez Nelson Goodman , qui considère que, comme la musique, et contrairement à la littérature, l’art dramatique est un art à deux phases, l’œuvre dramatique n’existant pleinement que dans la performance théâtrale : « une œuvre dramatique ou musicale n'existe qu’exécutée #. » Ce qui signifie, exprimé en termes goodmaniens, que, contrairement aux textes des autres genres littéraires, le texte dramatique a pour concordants ses exécutions plutôt que les objets auxquels il réfère 50. En décidant que les concordants du texte dramatique sont ses exécutions, Goodman ...
46. Voir ibid., p. 425.
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47. La Ménardière, La Poétique (1639), p. 12, cité par Prodromidès (1997),
p.424. 43. On retrouve encore cette conception chez Käte Hamburger pour qui «la scène théâtrale n’a aucune influence sur l’existence littéraire et la valeur des
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» (Hamburger, 1986, p. 191), situation qu’elle oppose à celle de la transposition filmique de ces mêmes œuvres, qui, elle, est censée donner lieu à une œuvre nouvelle, le film précisément. Mais cette distinction n’a de sens que si on a décidé d’avance que la mise en scène théâtrale d’une pièce de théâtre n’est pas une œuvre (ce qui explique par exemple que pour elle les décors théâtraux ne font pas partie de l’œuvre théâtrale). Contrairement à ce que prétend Hamburger, la « forme créée par l’auteur, le dramaturge, reste inaltérée » non seulement dans le cas de la mise en scène théâtrale, mais tout autant dans le cas d’une transposition cinématographique. 44. Abbé d’Aubignac, La Pratique du théâtre (1657), cité par Prodromidès (1997), p. 425. J'ai tiré grand profit de cet article excellent qui met bien en évidence le parti pris textualiste de la théorie de la tragédie développée à l’âge
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48. Pour une discussion plus approfondie de la conception de Goodman, voir Schaeffer (1992), p. 90. 49. Goodman (1984), p. 144. 50. En fait, l’analyse de Goodman est plus fine que je ne le laisse supposer ici, puisqu'elle tient compte du statut composite du texte : les dialogues consti-
tuent une quasi-notation, dans la mesure où leurs concordants sont les réalisations phonétiques du schéma scriptural; en revanche, les indications de scène sont des scripts, puisque leurs concordants de performance (les décors, les gestes, les mouvements) sont déterminés à travers la sémantique d’un langage naturel, sémantique qui est dense et ambiguë, donc non notationnelle : « Le texte d’une pièce, toutefois est un composé de partition et de script. Le dialogue est dans un système quasi notationnel, ayant des énonciations comme concordants. Cette partie du texte est une partition, et les exécutions qui concordent avec elle constituent l’œuvre. Les indications scéniques, les descriptions de décor, etc., sont des scripts dans un langage qui n’obéit à aucun des réquisits sémantiques pour la notationalité, et une exécution ne détermine pas de manière unique un tel script ou une classe de scripts coextensifs. » (Goodman, 1990, p. 249.)
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prend une position clairement scénocentriste qui s’inscrit pleinement dans la tradition anglophone pour laquelle l’art dramatique est du «theater » avant d’être de la « literature » (le désintérêt apparent de Shakespeare pour l’édition imprimée de ses œuvres est symptomatique de cette conception essentiellement théâtrale de l’art dramatique, surtout lorsqu’on le compare avec l’importance que les classiques français ont accordée à l’édition de leurs œuvres). Comme c’est souvent le cas dans des oppositions binaires, les faits donnent partiellement raison et donc partiellement tort aux deux conceptions. Autrement dit, la querelle n’a pas lieu d’être :
sont introduites, comme si toutes les choses se faisaient véritablement de la même façon qu’elles sont écrites ». Certes, à première vue il peut paraître étrange que le même d’Aubignac exprime des réticences quant à l’usage des didascalies. On aurait pu s’attendre au contraire à ce qu’il leur accorde une grande importance. En effet, dans la mesure où elles agissent comme des fantasy negotiations pour la scène mentale, elles sembleraient devoir faciliter cette présence à l’imagination des « personnes et (....) actions qui y sont introduites comme si toutes les choses se faisaient véritablement de la même façon qu’elles sont écrites ». La raison que donne d’Aubignac pour justifier sa réticence est intéressante : «.… ces Notes, interrompant la lecture, interrompent la suite des raisonnements et des passions; et divisant l'application de l’esprit des Lecteurs, dissipent les images qu’ils commençaient à former par l’intelligence des vers, refroidissent leur attention, et diminuent de beaucoup leur plaisir 5l. » Autrement dit, d’Aubignac pense que les didascalies risquent de contrecarrer l’immersion fictionnelle, parce qu’elles divisent notre attention. Ce que nous savons de la facilité avec laquelle même les enfants peuvent changer de posture attentionnelle, incline à penser que sa crainte était infondée. Ses réticences sont néanmoins intéressantes : elles montrent non seulement que c’est bien l’immersion fictionnelle qui est au centre de sa conception, mais encore qu’il traite l’immersion du lecteur comme l’équivalent virtuel de l’immersion actuelle induite par le dispositif fictionnel scénique et non pas comme l’équivalent d’une narration. Prodromidès attire l’attention sur un autre aspect de cette équivalence en notant que dans le théâtre il y a « une double absence structurelle de l’auteur : absent du corps de l’ouvrage en tant qu’“instance diégétique”, il l’est aussi du spectacle (...) où s’effectue le poème dramatique *? ». Il se pourrait donc que la position de d’Aubignac soit liée au fait que les didascalies introduisent un élément narratif, et donc potentiellement une voix narrative, ce qui, dans la perspective puriste qui est la sienne, risque de mettre en danger l’unicité du dispositif théâtral virtuel. Mais il n’est pas sûr que le lecteur lise
:
la fiction dramatique peut exister à la fois comme dispositif fictionnel textuel et comme dispositif théâtral, et chacune de ces formes est un état qui se suffit à lui-même. Cela signifie que les deux conceptions opposées sont indispensables pour comprendre le théâtre, à condition qu’on laisse tomber leur prétention à décrire le seul et unique état légitime de la fiction théâtrale. Je ne reviendrai plus ici à la question du théâtre comme représentation scénique, puisque je l’ai déjà analysée en tant que paradigme du 6° dispositif fictionnel, à savoir la simulation d’événements. Je m’attarderai en revanche un peu sur la question du vecteur d’immersion qui est mis en œuvre lors de la réception du théâtre comme texte. C’est un point sur lequel les analyses des théoriciens du théâtre classique français peuvent nous être utiles. Si on met entre parenthèses leur prétention à définir le dispositif théâtral comme tel, c’est-à-dire leur volonté de réduire la pluralité des dispositifs fictionnels théâtraux à celui qui est mis en œuvre lors de la lecture (et de l’écriture) des pièces, leurs analyses dégagent fort bien le fonctionnement de la fiction théâtrale à l’état textuel. Les éléments mis en évidence par leurs analyses montrent qu’il s’agit d’une variante particulière de notre vecteur n° 6, c’està-dire de la simulation d'événements intramondains. La spécificité du dispositif théâtral rextuel réside dans le fait que l’univers événementiel est activé sous une forme virtuelle, c’est-à-dire au niveau purement mental. D’Aubignac, dans le passage déjà cité, donne une définition parfaite de cette variante virtuelle de notre 6° dispositif : les lecteurs, « sans rien voir, ont présentes à l’imagination par la force des vers, les personnes et les actions qui y
51. D’Aubignac cité par Prodromidès (1997), p.431. (Je souligne.) S2. Ibid., p.427.
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prend une position clairement scénocentriste qui s’inscrit pleinement dans la tradition anglophone pour laquelle l’art dramatique est du «theater » avant d’être de la « literature » (le désintérêt apparent de Shakespeare pour l’édition imprimée de ses œuvres est symptomatique de cette conception essentiellement théâtrale de l’art dramatique, surtout lorsqu’on le compare avec l’importance que les classiques français ont accordée à l’édition de leurs œuvres). Comme c’est souvent le cas dans des oppositions binaires, les faits donnent partiellement raison et donc partiellement tort aux deux conceptions. Autrement dit, la querelle n’a pas lieu d’être :
sont introduites, comme si toutes les choses se faisaient véritablement de la même façon qu’elles sont écrites ». Certes, à première vue il peut paraître étrange que le même d’Aubignac exprime des réticences quant à l’usage des didascalies. On aurait pu s’attendre au contraire à ce qu’il leur accorde une grande importance. En effet, dans la mesure où elles agissent comme des fantasy negotiations pour la scène mentale, elles sembleraient devoir faciliter cette présence à l’imagination des « personnes et (....) actions qui y sont introduites comme si toutes les choses se faisaient véritablement de la même façon qu’elles sont écrites ». La raison que donne d’Aubignac pour justifier sa réticence est intéressante : «.… ces Notes, interrompant la lecture, interrompent la suite des raisonnements et des passions; et divisant l'application de l’esprit des Lecteurs, dissipent les images qu’ils commençaient à former par l’intelligence des vers, refroidissent leur attention, et diminuent de beaucoup leur plaisir 5l. » Autrement dit, d’Aubignac pense que les didascalies risquent de contrecarrer l’immersion fictionnelle, parce qu’elles divisent notre attention. Ce que nous savons de la facilité avec laquelle même les enfants peuvent changer de posture attentionnelle, incline à penser que sa crainte était infondée. Ses réticences sont néanmoins intéressantes : elles montrent non seulement que c’est bien l’immersion fictionnelle qui est au centre de sa conception, mais encore qu’il traite l’immersion du lecteur comme l’équivalent virtuel de l’immersion actuelle induite par le dispositif fictionnel scénique et non pas comme l’équivalent d’une narration. Prodromidès attire l’attention sur un autre aspect de cette équivalence en notant que dans le théâtre il y a « une double absence structurelle de l’auteur : absent du corps de l’ouvrage en tant qu’“instance diégétique”, il l’est aussi du spectacle (...) où s’effectue le poème dramatique *? ». Il se pourrait donc que la position de d’Aubignac soit liée au fait que les didascalies introduisent un élément narratif, et donc potentiellement une voix narrative, ce qui, dans la perspective puriste qui est la sienne, risque de mettre en danger l’unicité du dispositif théâtral virtuel. Mais il n’est pas sûr que le lecteur lise
:
la fiction dramatique peut exister à la fois comme dispositif fictionnel textuel et comme dispositif théâtral, et chacune de ces formes est un état qui se suffit à lui-même. Cela signifie que les deux conceptions opposées sont indispensables pour comprendre le théâtre, à condition qu’on laisse tomber leur prétention à décrire le seul et unique état légitime de la fiction théâtrale. Je ne reviendrai plus ici à la question du théâtre comme représentation scénique, puisque je l’ai déjà analysée en tant que paradigme du 6° dispositif fictionnel, à savoir la simulation d’événements. Je m’attarderai en revanche un peu sur la question du vecteur d’immersion qui est mis en œuvre lors de la réception du théâtre comme texte. C’est un point sur lequel les analyses des théoriciens du théâtre classique français peuvent nous être utiles. Si on met entre parenthèses leur prétention à définir le dispositif théâtral comme tel, c’est-à-dire leur volonté de réduire la pluralité des dispositifs fictionnels théâtraux à celui qui est mis en œuvre lors de la lecture (et de l’écriture) des pièces, leurs analyses dégagent fort bien le fonctionnement de la fiction théâtrale à l’état textuel. Les éléments mis en évidence par leurs analyses montrent qu’il s’agit d’une variante particulière de notre vecteur n° 6, c’està-dire de la simulation d'événements intramondains. La spécificité du dispositif théâtral rextuel réside dans le fait que l’univers événementiel est activé sous une forme virtuelle, c’est-à-dire au niveau purement mental. D’Aubignac, dans le passage déjà cité, donne une définition parfaite de cette variante virtuelle de notre 6° dispositif : les lecteurs, « sans rien voir, ont présentes à l’imagination par la force des vers, les personnes et les actions qui y
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l’immersion narrative. Comme je l’ai suggéré, il peut tout aussi bien les traiter comme des prescriptions des fantasy negotiations lui permettant de construire la scène de son théâtre virtuel. En fait, il me semble que le choix
qui prévaut lors de la lecture d’une pièce de théâtre, c’est-à-dire que nous neutralisons provisoirement l’aspectualité narrative pour adopter la posture d’immersion qui correspond à celle de la fiction dramatique. Il faut noter que les passages dans un sens ou dans l’autre sont d’autant plus faciles que la variante virtuelle du vecteur d'immersion n° 6 (l’immersion virtuelle dans une situation intramondaine) et l’immersion narrative ont toutes les deux le même support, à savoir notre activité imaginative. Voir dans le théâtre comme état textuel la variante virtuelle du 6° dispositif ne va cependant pas de soi. Ne devrait-on pas plutôt lui assigner le 3° dispositif ? Le support de l’état textuel de la fiction théâtrale est en effet purement verbal. Or, si on accepte le principe selon lequel les mots ne peuvent qu’imiter des mots, il semblerait qu’ils ne puissent pas opérer comme simulation d’événements intramondains. Ne devrait-on donc pas décrire le texte théâtral plutôt comme une variante particulière de la substitution d'identité narrative ? Le lecteur d’une pièce de théâtre adopterait l’identité narrative des personnages, la différence avec le récit homodiégétique résidant simplement dans le fait qu’il change sans cesse d’identité (en passant d’un personnage à l’autre). Je n’ai pas d’argument décisif qui permettrait d’exclure la possibilité d’une analyse en ces termes. Après tout, ce que je tente d’analyser ici, ce sont des attitudes intentionnelles ou psychologiques, donc des réalités éminemment plastiques et malléables, dont l'interprétation reste toujours assez hasardeuse. Pourtant, il me semble qu’on peut donner deux arguments en faveur de l’hypothèse que j’ai proposée. Le premier argument est purement négatif. La substitution d’identité qui caractérise la fiction homodiégétique est d’ordre narratif : la feintise n’est pas simplement énonciative, mais elle porte sur la figure d’un narrateur. Or les
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entre les deux attitudes dépend largement du type de didascalies. Par exemple, les didascalies souvent envahissantes des opéras de Wagner se prêtent en général à une posture d'immersion narrative, voire semblent exiger une telle posture. Je prendrai un seul exemple, emprunté au début de La Walkyrie. Il s’agit de l’entrée sur scène de Sieglinde, qui découvre la présence de Siegmund, étendu (comme il se doit pour un héros germanique) sur une peau d’ours : « Sieglinde entre par la porte qui mène à la pièce de derrière. D’après le bruit qu’elle avait entendu, elle croyait que son mari était rentré : découvrant un étranger étendu devant le foyer son visage exprime l’étonnement #. » On pourrait multiplier les exemples montrant que les didascalies de Wagner ont très souvent recours à des procédés de focalisation interne, notamment à des verbes d’attitude propositionnelle, à des verbes affectifs, etc. D'une manière plus générale, ses didascalies décrivent davantage l'univers fictionnel (lieux, personnages) que la manière dont cet univers est représenté. Bien entendu, le metteur en scène peut dériver des prescriptions scéniques à partir de ces descriptions narratives, mais manifestement Wagner les a écrites en grande partie en adoptant une posture d'immersion narrative. Je ne pense cependant pas que cette possibilité d’une narrativisation des didascalies, et donc l’éventualité que lors de la lecture d’une pièce de théâtre nous puissions passer momentanément de l’état d’immersion dans une simulation virtuelle d'événements intramondains à une posture d’immersion narrative, nécessite l’introduction d’une catégorie spéciale, puisque en tout état de cause ces changements ne sont que locaux et, surtout, ne sont que la contrepartie, dans le domaine du texte dramatique, d’un phénomène en sens inverse qui est très répandu dans le domaine de la fiction narrative. En effet, dès lors qu’une fiction narrative privilégie les dialogues sur les passages narratifs, la posture d’immersion de la narration naturelle a tendance à faire place à celle 53. Richard Wagner, Die Walküre, in Wagner (1966), t. IE, p. 75 (je traduis).
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personnages du texte théâtral ne sont pas des narrateurs (même s’il leur arrive de narrer des choses) mais des actants en interaction. Même si, lorsque nous accédons à la fiction théâtrale au niveau textuel, ces interactions se réduisent à des interactions verbales, c’est bien un espace d'interaction verbale qui est créé et non pas une posture narrative. Si on prolonge cette réflexion, elle aboutit à un deuxième argument, qui permet de comprendre comment une feintise purement verbale peut néanmoins être une fein279
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l’immersion narrative. Comme je l’ai suggéré, il peut tout aussi bien les traiter comme des prescriptions des fantasy negotiations lui permettant de construire la scène de son théâtre virtuel. En fait, il me semble que le choix
qui prévaut lors de la lecture d’une pièce de théâtre, c’est-à-dire que nous neutralisons provisoirement l’aspectualité narrative pour adopter la posture d’immersion qui correspond à celle de la fiction dramatique. Il faut noter que les passages dans un sens ou dans l’autre sont d’autant plus faciles que la variante virtuelle du vecteur d'immersion n° 6 (l’immersion virtuelle dans une situation intramondaine) et l’immersion narrative ont toutes les deux le même support, à savoir notre activité imaginative. Voir dans le théâtre comme état textuel la variante virtuelle du 6° dispositif ne va cependant pas de soi. Ne devrait-on pas plutôt lui assigner le 3° dispositif ? Le support de l’état textuel de la fiction théâtrale est en effet purement verbal. Or, si on accepte le principe selon lequel les mots ne peuvent qu’imiter des mots, il semblerait qu’ils ne puissent pas opérer comme simulation d’événements intramondains. Ne devrait-on donc pas décrire le texte théâtral plutôt comme une variante particulière de la substitution d'identité narrative ? Le lecteur d’une pièce de théâtre adopterait l’identité narrative des personnages, la différence avec le récit homodiégétique résidant simplement dans le fait qu’il change sans cesse d’identité (en passant d’un personnage à l’autre). Je n’ai pas d’argument décisif qui permettrait d’exclure la possibilité d’une analyse en ces termes. Après tout, ce que je tente d’analyser ici, ce sont des attitudes intentionnelles ou psychologiques, donc des réalités éminemment plastiques et malléables, dont l'interprétation reste toujours assez hasardeuse. Pourtant, il me semble qu’on peut donner deux arguments en faveur de l’hypothèse que j’ai proposée. Le premier argument est purement négatif. La substitution d’identité qui caractérise la fiction homodiégétique est d’ordre narratif : la feintise n’est pas simplement énonciative, mais elle porte sur la figure d’un narrateur. Or les
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les didascalies sur le mode de
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entre les deux attitudes dépend largement du type de didascalies. Par exemple, les didascalies souvent envahissantes des opéras de Wagner se prêtent en général à une posture d'immersion narrative, voire semblent exiger une telle posture. Je prendrai un seul exemple, emprunté au début de La Walkyrie. Il s’agit de l’entrée sur scène de Sieglinde, qui découvre la présence de Siegmund, étendu (comme il se doit pour un héros germanique) sur une peau d’ours : « Sieglinde entre par la porte qui mène à la pièce de derrière. D’après le bruit qu’elle avait entendu, elle croyait que son mari était rentré : découvrant un étranger étendu devant le foyer son visage exprime l’étonnement #. » On pourrait multiplier les exemples montrant que les didascalies de Wagner ont très souvent recours à des procédés de focalisation interne, notamment à des verbes d’attitude propositionnelle, à des verbes affectifs, etc. D'une manière plus générale, ses didascalies décrivent davantage l'univers fictionnel (lieux, personnages) que la manière dont cet univers est représenté. Bien entendu, le metteur en scène peut dériver des prescriptions scéniques à partir de ces descriptions narratives, mais manifestement Wagner les a écrites en grande partie en adoptant une posture d'immersion narrative. Je ne pense cependant pas que cette possibilité d’une narrativisation des didascalies, et donc l’éventualité que lors de la lecture d’une pièce de théâtre nous puissions passer momentanément de l’état d’immersion dans une simulation virtuelle d'événements intramondains à une posture d’immersion narrative, nécessite l’introduction d’une catégorie spéciale, puisque en tout état de cause ces changements ne sont que locaux et, surtout, ne sont que la contrepartie, dans le domaine du texte dramatique, d’un phénomène en sens inverse qui est très répandu dans le domaine de la fiction narrative. En effet, dès lors qu’une fiction narrative privilégie les dialogues sur les passages narratifs, la posture d’immersion de la narration naturelle a tendance à faire place à celle 53. Richard Wagner, Die Walküre, in Wagner (1966), t. IE, p. 75 (je traduis).
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personnages du texte théâtral ne sont pas des narrateurs (même s’il leur arrive de narrer des choses) mais des actants en interaction. Même si, lorsque nous accédons à la fiction théâtrale au niveau textuel, ces interactions se réduisent à des interactions verbales, c’est bien un espace d'interaction verbale qui est créé et non pas une posture narrative. Si on prolonge cette réflexion, elle aboutit à un deuxième argument, qui permet de comprendre comment une feintise purement verbale peut néanmoins être une fein279
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tise événementielle. Si ce qui est créé lors de la lecture d’une pièce de théâtre est un espace d’interaction verbale, alors la feintise verbale est en fait la feintise d’une interaction événementielle, bien que les événements se réduisent à des événements verbaux. Et si par ailleurs on admet que les didascalies sont, majoritairement du moins, lues sur le mode prescriptif (comme prescrivant des imaginations de lieux et d’actions) plutôt que descriptif, alors on voit bien comment en fait cette interaction événementielle mentalement simulée ne se limite même pas forcément à une interaction verbale, mais bien à une simulation virtuelle d’événements intramondains au sens le plus large du terme. Simplement, cette simulation implique des passages répétés entre la situation d’immersion fictionnelle et la prise en compte de fantasy negotiations qui, elles, sont bien sûr en dehors de l’univers
les autres personnages de l’attitude d’immersion mimétique et traiter leurs paroles selon la modalité des fantasy negotiations. Ainsi, je peux m'’identifier à Bérénice et construire l’univers fictionnel « à travers ses yeux », en interrompant mon processus d’immersion chaque fois qu’un autre personnage intervient: « Allons, Phénice./Alors Titus dirait “Ô ciel que vous êtes injuste” | Retournez, retournez vers ce Sénat auguste », etc. Je ne pense pas que ce soit une posture d’immersion particulièrement répandue, ni très satisfaisante. Mais il y a au moins une situation où elle semble s’imposer, à savoir celle de l’acteur qui apprend son rôle, le texte à la main, et sans avoir personne à sa disposition pour lui donner la réplique : il doit alors, à la fois s’immerger dans son personnage et en même temps tenir compte de ses interactions avec les autres personnages. En fait, ce qui est en cause dans ces redoublements (actuel/virtuel) n’est pas lié spécifiquement au théâtre. Tout vecteur d’immersion qui se sert d’un véhicule physique peut être redoublé par un vecteur purement virtuel, pour la toute simple raison que nous avons toujours la possibilité d’élaborer un mimème virtuel (mental, imaginaire, etc.) d’un fait actuel. Par exemple, si au lieu d’aimer simplement la fiction cinématographique, j’aime aussi l’art de la fiction cinématographique, la lecture d’un synopsis de film peut fort bien m’amener à imaginer non pas directement les événements représentés (situation qui rejoint la posture d'immersion canonique de la lecture d’un texte de théâtre), mais la représentation filmique de ces événements : j’imagine des plans cinématographiques, des mouvements de caméra et j’accède à l’univers fictionnel à travers la modalité virtualisée du vecteur d’immersion n° 5.
fictionnel. Que mon interprétation soit correcte ou non, elle montre, s’il était encore besoin, que mon tableau des postures d'immersion n’a qu’une valeur toute relative : il faut distribuer la fiction théâtrale soit entre le 3°, le 6° et Le 7° dispositif, soit entre le 6° et le 7°, mais dans ce dernier cas il faut introduire la possibilité d’une variante purement virtuelle du 6° vecteur. J’aurais dû d’autant plus tenir compte de la possibilité d’une telle dualité que dans le cas du 7° dispositif j’ai bien distingué entre deux formes : une forme actuelle et une forme virtuelle (j’avais donné l’exemple des dispositifs de réalité virtuelle). Or, pour compliquer un peu plus la situation, l’état textuel de la fiction théâtrale peut, du moins dans certains cas particuliers, donner lieu à une immersion fictionnelle qui passe par la variante virtuelle de ce 7° dispositif, c’est-à-dire du vecteur de la substitution d’identité physique. Lorsque je lis un texte dramatique, je ne suis pas obligé de construire l’univers dramatique sur le modèle d’une simulation d’événements s’offrant à un observateur; à la limite, je peux aussi m’identifier en imagination au héros ou à l’héroïne, et réactiver l’univers à travers l’aspectualité de la substitution virtuelle d’identité physique. Certes, dans la mesure où, contrairement à l’acteur réel, je ne peux pas compter sur la collaboration d’autres joueurs susceptibles d’interagir avec mon personnage, je dois, soit multiplier les substitutions virtuelles, soit, ce qui est plus économique, exclure en
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Malgré toutes ces complications, il me semble licite de continuer à considérer les trois dispositifs théâtraux énumérés au début comme les prototypes de la fiction théâtrale. Toutes les situations
d'immersion plus complexes que nous avons rencontrées correspondent à des contextes, sinon marginaux, du moins plus rares. Je conclurai donc ces remarques en résumant les traits essentiels des trois dispositifs en question : Le théâtre comme jeu possède le même cadre pragmatique que les jeux fictionnels des enfants, dont le jeu d’acteur est —
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tise événementielle. Si ce qui est créé lors de la lecture d’une pièce de théâtre est un espace d’interaction verbale, alors la feintise verbale est en fait la feintise d’une interaction événementielle, bien que les événements se réduisent à des événements verbaux. Et si par ailleurs on admet que les didascalies sont, majoritairement du moins, lues sur le mode prescriptif (comme prescrivant des imaginations de lieux et d’actions) plutôt que descriptif, alors on voit bien comment en fait cette interaction événementielle mentalement simulée ne se limite même pas forcément à une interaction verbale, mais bien à une simulation virtuelle d’événements intramondains au sens le plus large du terme. Simplement, cette simulation implique des passages répétés entre la situation d’immersion fictionnelle et la prise en compte de fantasy negotiations qui, elles, sont bien sûr en dehors de l’univers
les autres personnages de l’attitude d’immersion mimétique et traiter leurs paroles selon la modalité des fantasy negotiations. Ainsi, je peux m'’identifier à Bérénice et construire l’univers fictionnel « à travers ses yeux », en interrompant mon processus d’immersion chaque fois qu’un autre personnage intervient: « Allons, Phénice./Alors Titus dirait “Ô ciel que vous êtes injuste” | Retournez, retournez vers ce Sénat auguste », etc. Je ne pense pas que ce soit une posture d’immersion particulièrement répandue, ni très satisfaisante. Mais il y a au moins une situation où elle semble s’imposer, à savoir celle de l’acteur qui apprend son rôle, le texte à la main, et sans avoir personne à sa disposition pour lui donner la réplique : il doit alors, à la fois s’immerger dans son personnage et en même temps tenir compte de ses interactions avec les autres personnages. En fait, ce qui est en cause dans ces redoublements (actuel/virtuel) n’est pas lié spécifiquement au théâtre. Tout vecteur d’immersion qui se sert d’un véhicule physique peut être redoublé par un vecteur purement virtuel, pour la toute simple raison que nous avons toujours la possibilité d’élaborer un mimème virtuel (mental, imaginaire, etc.) d’un fait actuel. Par exemple, si au lieu d’aimer simplement la fiction cinématographique, j’aime aussi l’art de la fiction cinématographique, la lecture d’un synopsis de film peut fort bien m’amener à imaginer non pas directement les événements représentés (situation qui rejoint la posture d'immersion canonique de la lecture d’un texte de théâtre), mais la représentation filmique de ces événements : j’imagine des plans cinématographiques, des mouvements de caméra et j’accède à l’univers fictionnel à travers la modalité virtualisée du vecteur d’immersion n° 5.
fictionnel. Que mon interprétation soit correcte ou non, elle montre, s’il était encore besoin, que mon tableau des postures d'immersion n’a qu’une valeur toute relative : il faut distribuer la fiction théâtrale soit entre le 3°, le 6° et Le 7° dispositif, soit entre le 6° et le 7°, mais dans ce dernier cas il faut introduire la possibilité d’une variante purement virtuelle du 6° vecteur. J’aurais dû d’autant plus tenir compte de la possibilité d’une telle dualité que dans le cas du 7° dispositif j’ai bien distingué entre deux formes : une forme actuelle et une forme virtuelle (j’avais donné l’exemple des dispositifs de réalité virtuelle). Or, pour compliquer un peu plus la situation, l’état textuel de la fiction théâtrale peut, du moins dans certains cas particuliers, donner lieu à une immersion fictionnelle qui passe par la variante virtuelle de ce 7° dispositif, c’est-à-dire du vecteur de la substitution d’identité physique. Lorsque je lis un texte dramatique, je ne suis pas obligé de construire l’univers dramatique sur le modèle d’une simulation d’événements s’offrant à un observateur; à la limite, je peux aussi m’identifier en imagination au héros ou à l’héroïne, et réactiver l’univers à travers l’aspectualité de la substitution virtuelle d’identité physique. Certes, dans la mesure où, contrairement à l’acteur réel, je ne peux pas compter sur la collaboration d’autres joueurs susceptibles d’interagir avec mon personnage, je dois, soit multiplier les substitutions virtuelles, soit, ce qui est plus économique, exclure en
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Malgré toutes ces complications, il me semble licite de continuer à considérer les trois dispositifs théâtraux énumérés au début comme les prototypes de la fiction théâtrale. Toutes les situations
d'immersion plus complexes que nous avons rencontrées correspondent à des contextes, sinon marginaux, du moins plus rares. Je conclurai donc ces remarques en résumant les traits essentiels des trois dispositifs en question : Le théâtre comme jeu possède le même cadre pragmatique que les jeux fictionnels des enfants, dont le jeu d’acteur est —
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d’ailleurs le prolongement. Dans les deux cas, le vecteur d’immersion est celui de la substitution d’identité actantielle et la posture d’immersion celle d’une identification allosubjective (notre dispositif n° 7). La différence est que dans l’art théâtral, au sens canonique du terme, l’interaction des acteurs n’est pas le but ultime : ils jouent devant et pour un public, ce qui introduit des contraintes spécifiques qui ne sont pas internes à la constitution de l’univers fictionnel, mais découlent de la nécessité de rendre cet univers accessible à des personnes qui ne participent pas au jeu. Autrement dit, une partie des conventions proprement théâtrales ne sont pas des contraintes qui découlent directement du dispositif fictionnel du jeu dramatique, mais ont été mises au point pour faciliter l’immersion mimétique des spectateurs, tels les masques dans le théâtre antique (ou le théâtre nô), la scène à l'italienne, le développement de leurres hypernormaux au niveau des décors et de la scénographie, et bien d’autres 54. Au niveau de l’incarnation textuelle de l’art dramatique, le vecteur d’immersion est celui d’une simulation virtuelle d’événements intramondains, la posture d’immersion canonique étant la variante virtuelle de la posture d’observateur ou de témoin. La différence essentielle entre cette posture et celle de l’acteur consiste dans le fait que le lecteur imagine directement l’univers événementiel dont les personnes représentées ne sont que des éléments, alors que l’acteur imagine ce même univers vu et agi à travers un personnage (7° dispositif). Mais nous avons vu que le lecteur peut aussi activer le vecteur qu’utilise l’acteur, celui de la substitution d’identité actantielle (singulière ou multiple), avec cette différence que, dans son cas, elle est virtuelle et non pas actuelle (physiquement incarnée). Au niveau de la représentation scénique, le théâtre mobilise le même dispositif d'immersion que la lecture du texte dramatique. La différence entre les deux est simplement celle entre le
virtuel et l’actuel. Dès lors qu’on admet qu'aucun des deux dispositifs fictionnels n’a la priorité logique sur l’autre, on peut dire indifféremment soit que la réalisation scénique est l’actualisation de la fiction textuelle, soit que le texte théâtral est la virtualisation de l'actualité scénique. Dans la réalité, c’est évidemment toujours l’un ou l’autre qui est le cas. On admet ainsi en général que l’état textuel des pièces shakespeariennes est postérieur à leur état scénique, ce qui s’explique lorsqu'on se rappelle que Shakespeare était d’abord un chef de troupe et que le théâtre élisabéthain admettait une part d’improvisation; l’état scénique des tragédies classiques françaises en revanche est une actualisation d’un état textuel préexistant $5.
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5. Représentation visuelle et
fiction
Le problème de la fiction dans les arts visuels se pose de manière un peu particulière parce que depuis Platon nous vivons sur une conception syncrétique de la mimésis. Selon les contextes, le terme se réfère à la fiction au sens propre du terme ou à la représentation visuelle mimétique. Platon traite ainsi la littérature de fiction et la peinture sur un pied d’égalité, comme si la représentation visuelle était en elle-même déjà fictionnelle. C’est que pour lui la peinture est un semblant, et ce en un double sens : d’une part, ce qu’elle donne à voir n’est pas là où cela apparaît ; d’autre part, elle ne nous donne que l’apparence de l’objet et non pas sa nature. En vertu de la première caractéristique, il peut opposer la peinture à la perception, puisque dans la perception l’objet est effectivement là où il nous apparaît. Plus précisément, la perception présuppose la présence de l’objet qu’elle donne à voir puisqu'elle est causée par cet objet. Il n’en va pas de même pour une représentation picturale d’un objet. La peinture est donc un semblant parce qu’elle fonctionne selon les modalités de la
54. Le problème des leurres hypernormaux nécessiterait un chapitre à lui seul, notamment parce qu’ils ne sont pas synonymes d’imitation naturaliste. Ils se caractérisent toujours par des déformations, des exagérations qui sont tout le contraire de ce qu’on attend en général d’un mimème naturaliste. C’est dans ce cadre qu’il faudrait notamment étudier la versification théâtrale ou encore le rôle du chant dans l'opéra.
55. Il ne faut pas confondre la question de la priorité de l’un ou de l’autre dispositif fictionnel avec celle de la publication des textes : dans le théâtre classique, l'édition des textes suit en général leur représentation, ce qui signifie que le public a accès à l’état scénique avant de disposer de l’état textuel.
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d’ailleurs le prolongement. Dans les deux cas, le vecteur d’immersion est celui de la substitution d’identité actantielle et la posture d’immersion celle d’une identification allosubjective (notre dispositif n° 7). La différence est que dans l’art théâtral, au sens canonique du terme, l’interaction des acteurs n’est pas le but ultime : ils jouent devant et pour un public, ce qui introduit des contraintes spécifiques qui ne sont pas internes à la constitution de l’univers fictionnel, mais découlent de la nécessité de rendre cet univers accessible à des personnes qui ne participent pas au jeu. Autrement dit, une partie des conventions proprement théâtrales ne sont pas des contraintes qui découlent directement du dispositif fictionnel du jeu dramatique, mais ont été mises au point pour faciliter l’immersion mimétique des spectateurs, tels les masques dans le théâtre antique (ou le théâtre nô), la scène à l'italienne, le développement de leurres hypernormaux au niveau des décors et de la scénographie, et bien d’autres 54. Au niveau de l’incarnation textuelle de l’art dramatique, le vecteur d’immersion est celui d’une simulation virtuelle d’événements intramondains, la posture d’immersion canonique étant la variante virtuelle de la posture d’observateur ou de témoin. La différence essentielle entre cette posture et celle de l’acteur consiste dans le fait que le lecteur imagine directement l’univers événementiel dont les personnes représentées ne sont que des éléments, alors que l’acteur imagine ce même univers vu et agi à travers un personnage (7° dispositif). Mais nous avons vu que le lecteur peut aussi activer le vecteur qu’utilise l’acteur, celui de la substitution d’identité actantielle (singulière ou multiple), avec cette différence que, dans son cas, elle est virtuelle et non pas actuelle (physiquement incarnée). Au niveau de la représentation scénique, le théâtre mobilise le même dispositif d'immersion que la lecture du texte dramatique. La différence entre les deux est simplement celle entre le
virtuel et l’actuel. Dès lors qu’on admet qu'aucun des deux dispositifs fictionnels n’a la priorité logique sur l’autre, on peut dire indifféremment soit que la réalisation scénique est l’actualisation de la fiction textuelle, soit que le texte théâtral est la virtualisation de l'actualité scénique. Dans la réalité, c’est évidemment toujours l’un ou l’autre qui est le cas. On admet ainsi en général que l’état textuel des pièces shakespeariennes est postérieur à leur état scénique, ce qui s’explique lorsqu'on se rappelle que Shakespeare était d’abord un chef de troupe et que le théâtre élisabéthain admettait une part d’improvisation; l’état scénique des tragédies classiques françaises en revanche est une actualisation d’un état textuel préexistant $5.
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5. Représentation visuelle et
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Le problème de la fiction dans les arts visuels se pose de manière un peu particulière parce que depuis Platon nous vivons sur une conception syncrétique de la mimésis. Selon les contextes, le terme se réfère à la fiction au sens propre du terme ou à la représentation visuelle mimétique. Platon traite ainsi la littérature de fiction et la peinture sur un pied d’égalité, comme si la représentation visuelle était en elle-même déjà fictionnelle. C’est que pour lui la peinture est un semblant, et ce en un double sens : d’une part, ce qu’elle donne à voir n’est pas là où cela apparaît ; d’autre part, elle ne nous donne que l’apparence de l’objet et non pas sa nature. En vertu de la première caractéristique, il peut opposer la peinture à la perception, puisque dans la perception l’objet est effectivement là où il nous apparaît. Plus précisément, la perception présuppose la présence de l’objet qu’elle donne à voir puisqu'elle est causée par cet objet. Il n’en va pas de même pour une représentation picturale d’un objet. La peinture est donc un semblant parce qu’elle fonctionne selon les modalités de la
54. Le problème des leurres hypernormaux nécessiterait un chapitre à lui seul, notamment parce qu’ils ne sont pas synonymes d’imitation naturaliste. Ils se caractérisent toujours par des déformations, des exagérations qui sont tout le contraire de ce qu’on attend en général d’un mimème naturaliste. C’est dans ce cadre qu’il faudrait notamment étudier la versification théâtrale ou encore le rôle du chant dans l'opéra.
55. Il ne faut pas confondre la question de la priorité de l’un ou de l’autre dispositif fictionnel avec celle de la publication des textes : dans le théâtre classique, l'édition des textes suit en général leur représentation, ce qui signifie que le public a accès à l’état scénique avant de disposer de l’état textuel.
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perception sans remplir les conditions causales d’un acte perceptif. On peut même dire que sa présence présuppose l’absence de l’objet : l’objet peint ne saurait être là où nous le voyons (représenté), car s’il était là, sa représentation ne pourrait pas y être. En revanche, par la deuxième caractéristique fondée sur le couple apparence vs être —, la peinture se rapproche paradoxalement de la perception. En effet, cette dernière aussi ne nous donne accès qu’aux ombres de la réalité et non pas à cette réalité elle-même, c’est-à-dire aux Idées. En vertu de cette deuxième thèse, la peinture, tout en s’opposant à la perception, ne s’en situe pas moins dans une hiérarchie des rapports au vrai à l’intérieur de laquelle la perception elle-même n’est déjà qu’un mode déficient. C’est cette hiérarchie qui est illustrée par le célèbre exemple du triple lit: le lit réel (celui du charpentier), le lit tel qu’il nous apparaît dans la perception et qui imite le lit réel, et, enfin, le lit tel que nous l’offre le semblant pictural et qui imite ce qui déjà n’est qu’une imitation. Cette idée d'une fictionnalité intrinsèque ou d’un illusionnisme intrinsèque de la représentation visuelle mimétique n’a cessé de préoccuper la pensée occidentale jusqu’à ce jour : elle a été reprise par exemple à propos de la photographie (il suffit de relire les textes de Baudelaire), puis à propos du cinéma; et de nos jours, comme je l’ai indiqué au début de ce travail, elle est au fond d’une grande partie des débats consacrés à l'imagerie numérique. En ce qui concerne le cinéma, la thèse a été défendue notamment par Christian Metz, sous la forme d’une assertion concernant l’ontologie même du dispositif cinématographique: « Tout film est un film de fiction $. » Cela signifie que selon lui il faut poser, en deçà de la distinction entre fiction cinématographique et film documentaire, une fictionnalité constitutive du dispositif filmique lui-même : « Le propre du cinéma n’est pas l’imaginaire qu’il peut éventuellement représenter, c’est celui que d’abord il est, celui qui le constitue comme signifiant *7. » [1 n’est donc pas étonnant que Metz retrouve le vocabulaire platonicien : au
cinéma, « le perçu n’est pas réellement l’objet », il n’est que « son ombre, son fantôme, son double, sa réplique dans une nouvelle sorte de miroir ». Mais là où Platon traitait sur un pied d’égalité cette « fictionnalité » constitutive des dispositifs mimétiques et la fiction au sens courant du terme, Christian Metz distingue clairement entre les deux. Il note par exemple que la fictionnalité du théâtre n’est pas la même que celle qui définit le dispositif cinématographique : alors que dans le théâtre ce qui est perçu est réellement là, dans le cinéma « l’acteur, le “décor”, les paroles que l’on entend, tout est absent, tout est enregistré (comme une trace mnésique qui serait telle immédiatement, sans avoir été autre chose auparavant), et cela reste vrai même si l’enregistré n’est pas une “histoire”, et ne vise pas à l’illusion proprement fictionnelle. Car c’est le signifiant lui-même, et entier, qui est enregistré, qui est absence *.. » Selon cette conception, le théâtre, contrairement au cinéma, est donc fictif pour autant qu’il représente des faits imaginaires, mais non pas en vertu du dispositif théâtral lui-même.
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Prise au pied de la lettre, la thèse soutenue par Metz aboutirait la conclusion absurde que toutes les représentations mimétiques ou non sont fictionnelles. En effet, le critère de fictionnalité sur lequel elle se fonde est l’absence du représenté. Or, route représentation se caractérise par l’absence de ce qu’elle représente : c’est même là sa fonction, puisque son utilité dépend du fait qu’elle peut nous tenir lieu de ce dont elle est le signe. En faire le trait définitionnel de la fiction rendrait fictifs tous les signes, à part ceux utilisés par les académiciens de Laputo : on se rappellera que ces illustres savants, ayant découvert que les termes linguistiques n’étaient somme toute que des noms pour désigner les choses, avaient décidé que pour converser ils allaient utiliser comme signes les choses elles-mêmes dont ils voulaient s’entretenir. Le premier désavantage de ce critère de fictionnalité est donc qu’il est trop large : si tout usage des signes implique une fiction, on ne voit plus très bien comment nous pourrions encore distinguer cette fiction-là de celle qui est mise en œuvre à
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58. Ibid. 59. Ibid., p. 63.
56. Metz (1977), p. 63. 57. Ibid., p. 64.
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POURQUOI LA FICTION ?
DE QUELQUES DISPOSITIFS FICTIONNELS
perception sans remplir les conditions causales d’un acte perceptif. On peut même dire que sa présence présuppose l’absence de l’objet : l’objet peint ne saurait être là où nous le voyons (représenté), car s’il était là, sa représentation ne pourrait pas y être. En revanche, par la deuxième caractéristique fondée sur le couple apparence vs être —, la peinture se rapproche paradoxalement de la perception. En effet, cette dernière aussi ne nous donne accès qu’aux ombres de la réalité et non pas à cette réalité elle-même, c’est-à-dire aux Idées. En vertu de cette deuxième thèse, la peinture, tout en s’opposant à la perception, ne s’en situe pas moins dans une hiérarchie des rapports au vrai à l’intérieur de laquelle la perception elle-même n’est déjà qu’un mode déficient. C’est cette hiérarchie qui est illustrée par le célèbre exemple du triple lit: le lit réel (celui du charpentier), le lit tel qu’il nous apparaît dans la perception et qui imite le lit réel, et, enfin, le lit tel que nous l’offre le semblant pictural et qui imite ce qui déjà n’est qu’une imitation. Cette idée d'une fictionnalité intrinsèque ou d’un illusionnisme intrinsèque de la représentation visuelle mimétique n’a cessé de préoccuper la pensée occidentale jusqu’à ce jour : elle a été reprise par exemple à propos de la photographie (il suffit de relire les textes de Baudelaire), puis à propos du cinéma; et de nos jours, comme je l’ai indiqué au début de ce travail, elle est au fond d’une grande partie des débats consacrés à l'imagerie numérique. En ce qui concerne le cinéma, la thèse a été défendue notamment par Christian Metz, sous la forme d’une assertion concernant l’ontologie même du dispositif cinématographique: « Tout film est un film de fiction $. » Cela signifie que selon lui il faut poser, en deçà de la distinction entre fiction cinématographique et film documentaire, une fictionnalité constitutive du dispositif filmique lui-même : « Le propre du cinéma n’est pas l’imaginaire qu’il peut éventuellement représenter, c’est celui que d’abord il est, celui qui le constitue comme signifiant *7. » [1 n’est donc pas étonnant que Metz retrouve le vocabulaire platonicien : au
cinéma, « le perçu n’est pas réellement l’objet », il n’est que « son ombre, son fantôme, son double, sa réplique dans une nouvelle sorte de miroir ». Mais là où Platon traitait sur un pied d’égalité cette « fictionnalité » constitutive des dispositifs mimétiques et la fiction au sens courant du terme, Christian Metz distingue clairement entre les deux. Il note par exemple que la fictionnalité du théâtre n’est pas la même que celle qui définit le dispositif cinématographique : alors que dans le théâtre ce qui est perçu est réellement là, dans le cinéma « l’acteur, le “décor”, les paroles que l’on entend, tout est absent, tout est enregistré (comme une trace mnésique qui serait telle immédiatement, sans avoir été autre chose auparavant), et cela reste vrai même si l’enregistré n’est pas une “histoire”, et ne vise pas à l’illusion proprement fictionnelle. Car c’est le signifiant lui-même, et entier, qui est enregistré, qui est absence *.. » Selon cette conception, le théâtre, contrairement au cinéma, est donc fictif pour autant qu’il représente des faits imaginaires, mais non pas en vertu du dispositif théâtral lui-même.
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Prise au pied de la lettre, la thèse soutenue par Metz aboutirait la conclusion absurde que toutes les représentations mimétiques ou non sont fictionnelles. En effet, le critère de fictionnalité sur lequel elle se fonde est l’absence du représenté. Or, route représentation se caractérise par l’absence de ce qu’elle représente : c’est même là sa fonction, puisque son utilité dépend du fait qu’elle peut nous tenir lieu de ce dont elle est le signe. En faire le trait définitionnel de la fiction rendrait fictifs tous les signes, à part ceux utilisés par les académiciens de Laputo : on se rappellera que ces illustres savants, ayant découvert que les termes linguistiques n’étaient somme toute que des noms pour désigner les choses, avaient décidé que pour converser ils allaient utiliser comme signes les choses elles-mêmes dont ils voulaient s’entretenir. Le premier désavantage de ce critère de fictionnalité est donc qu’il est trop large : si tout usage des signes implique une fiction, on ne voit plus très bien comment nous pourrions encore distinguer cette fiction-là de celle qui est mise en œuvre à
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58. Ibid. 59. Ibid., p. 63.
56. Metz (1977), p. 63. 57. Ibid., p. 64.
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par les arts mimétiques. Car, et c’est là le deuxième désavantage de la thèse, l’idée du «tout-fictif 0 » ne saurait d’aucune façon s'intégrer à notre conception courante de la fiction, puisque ce qui définit cette dernière, à savoir la notion de feintise partagée, manque ici. S’il y a une fiction inhérente à l’image comme telle, alors c’est une fiction « à laquelle on ne saurait échapper f! ». Elle ne saurait opérer qu’à notre insu, puisque, lorsque nous regardons par exemple un film documentaire ou que nous contemplons une photographie, nous croyons tout au contraire que nous sommes en dehors du champ de la fiction. Une telle situation est à mille lieues de celle qui caractérise les dispositifs fictionnels consciemment utilisés comme tels. En fait, et c’est la raison pour laquelle je m’attarde tant sur ce point, lorsqu'on lit de plus près le texte de Metz, on découvre, comme Roger Odin l’a bien montré, -que la thèse est sans doute plus circonscrite. Il semble avoir voulu dire, non pas que toute représentation mimétique est fictionnelle, mais qu’elle le devient en proportion de sa saturation perceptive, c’est-à-dire qu’elle résulte de la relation entre la richesse de « ce qui est donné à percevoir et la présence ou l’absence du perçu lui-même ©? ». Plus la richesse perceptive propre au signe est grande, et plus l’absence de ce qui est représenté induit une fictionnalisation de ce signe, ce qui explique peut-être pourquoi, dans son texte, Metz ne parle que du cinéma et pas des images fixes : « La force fictivisante du cinéma tient à ce qu’il fait lever en masse la perception, mais pour la basculer aussitôt dans sa propre absence (qui est néanmoins le seul signifiant présent). » Bien que cette hypothèse ne soit pas explicitement proposée par Metz, sa position semble impliquer l’idée d’une sorte d’échelle de fictivité des représentations fondées sur l’imitation. Cette échelle irait de la peinture la plus schématique aux systèmes de réalité virtuelle les plus saturés du point de vue de la richesse perceptive, en passant par la photographie et par le cinéma.
Si tel est bien le véritable contenu de la thèse, elle perd son aspect paradoxal. Mais en même temps il apparaît qu’elle repose tout simplement sur une confusion entre la question de l’immersion mimétique et celle de la fiction. Plus précisément, les faits décrits par Metz relèvent de la distinction entre immersion partielle et immersion totale. Or, cette distinction est liée à celle des leurres préattentionnels et non pas à celle de la fiction. Par ailleurs, elle ne saurait être réduite à celle d’une échelle objective de richesse perceptive. Certes, on peut supposer qu’il existe des seuils au-delà desquels un leurre préattentionnel ne peut plus être bloqué au niveau du traitement cognitif conscient, en sorte qu’il aboutit à une croyance perceptive (erronée). C’est le cas du
60. Jost (1995), p. 165. Sa critique de la thèse de la fictionnalité intrinsèque du cinéma va dans le même sens que celle esquissée ici. 61. Odin (1996), p. 15. 62. Ibid., p. 10.
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trompe-l’œil lorsqu'il agit réellement comme illusion perceptive : « Le spectateur n’a pas à faire le premier pas de l’acceptation de l’œuvre en tant que représentation. Il est surpris et trompé dès le premier contact. Sa perception lui dicte que ce qu’il a devant les yeux fait partie intégrale de son monde environnant et sa réaction n’est pas d’accepter ce qu’il sait n’être qu’une illusion, mais de toucher pour vérifier la réalité 3. » De telles conditions sont en fait rarement réunies, ne serait-ce que parce qu’elles exigent que le trompe-l’œil s’intègre sans solution de continuité dans un environnement réel. Cela signifie que le simple fait d’encadrer une représentation « illusionniste » (au sens banal du terme) détruit déjà l’effet de trompe-l’œil. En fait, dans la plupart des situations, la distinction entre immersion partielle et immersion totale est sous-déterminée par le degré de mimétisme des stimuli « feints ». Autrement dit, dès lors que la force des leurres préattentionnels reste en dessous d’un certain seuil, le degré d’immersion est une variable contextuelle plutôt qu’une grandeur mesurable en termes d’intensité objective des stimuli mimétiques. Les premiers spectateurs des films des frères Lumière vivaient peut-être sur le mode de l’immersion totale un dispositif dont, d’un point de vue objectiviste, la richesse en stimuli mimétiques était bien plus faible que ne l’est celle du cinéma actuel, sans même parler des dispositifs de réalité virtuelle. Il faut en effet prendre en compte les effets d’accoutumance, susceptibles d’abou—
63. Milman (1992), p. 7.
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par les arts mimétiques. Car, et c’est là le deuxième désavantage de la thèse, l’idée du «tout-fictif 0 » ne saurait d’aucune façon s'intégrer à notre conception courante de la fiction, puisque ce qui définit cette dernière, à savoir la notion de feintise partagée, manque ici. S’il y a une fiction inhérente à l’image comme telle, alors c’est une fiction « à laquelle on ne saurait échapper f! ». Elle ne saurait opérer qu’à notre insu, puisque, lorsque nous regardons par exemple un film documentaire ou que nous contemplons une photographie, nous croyons tout au contraire que nous sommes en dehors du champ de la fiction. Une telle situation est à mille lieues de celle qui caractérise les dispositifs fictionnels consciemment utilisés comme tels. En fait, et c’est la raison pour laquelle je m’attarde tant sur ce point, lorsqu'on lit de plus près le texte de Metz, on découvre, comme Roger Odin l’a bien montré, -que la thèse est sans doute plus circonscrite. Il semble avoir voulu dire, non pas que toute représentation mimétique est fictionnelle, mais qu’elle le devient en proportion de sa saturation perceptive, c’est-à-dire qu’elle résulte de la relation entre la richesse de « ce qui est donné à percevoir et la présence ou l’absence du perçu lui-même ©? ». Plus la richesse perceptive propre au signe est grande, et plus l’absence de ce qui est représenté induit une fictionnalisation de ce signe, ce qui explique peut-être pourquoi, dans son texte, Metz ne parle que du cinéma et pas des images fixes : « La force fictivisante du cinéma tient à ce qu’il fait lever en masse la perception, mais pour la basculer aussitôt dans sa propre absence (qui est néanmoins le seul signifiant présent). » Bien que cette hypothèse ne soit pas explicitement proposée par Metz, sa position semble impliquer l’idée d’une sorte d’échelle de fictivité des représentations fondées sur l’imitation. Cette échelle irait de la peinture la plus schématique aux systèmes de réalité virtuelle les plus saturés du point de vue de la richesse perceptive, en passant par la photographie et par le cinéma.
Si tel est bien le véritable contenu de la thèse, elle perd son aspect paradoxal. Mais en même temps il apparaît qu’elle repose tout simplement sur une confusion entre la question de l’immersion mimétique et celle de la fiction. Plus précisément, les faits décrits par Metz relèvent de la distinction entre immersion partielle et immersion totale. Or, cette distinction est liée à celle des leurres préattentionnels et non pas à celle de la fiction. Par ailleurs, elle ne saurait être réduite à celle d’une échelle objective de richesse perceptive. Certes, on peut supposer qu’il existe des seuils au-delà desquels un leurre préattentionnel ne peut plus être bloqué au niveau du traitement cognitif conscient, en sorte qu’il aboutit à une croyance perceptive (erronée). C’est le cas du
60. Jost (1995), p. 165. Sa critique de la thèse de la fictionnalité intrinsèque du cinéma va dans le même sens que celle esquissée ici. 61. Odin (1996), p. 15. 62. Ibid., p. 10.
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trompe-l’œil lorsqu'il agit réellement comme illusion perceptive : « Le spectateur n’a pas à faire le premier pas de l’acceptation de l’œuvre en tant que représentation. Il est surpris et trompé dès le premier contact. Sa perception lui dicte que ce qu’il a devant les yeux fait partie intégrale de son monde environnant et sa réaction n’est pas d’accepter ce qu’il sait n’être qu’une illusion, mais de toucher pour vérifier la réalité 3. » De telles conditions sont en fait rarement réunies, ne serait-ce que parce qu’elles exigent que le trompe-l’œil s’intègre sans solution de continuité dans un environnement réel. Cela signifie que le simple fait d’encadrer une représentation « illusionniste » (au sens banal du terme) détruit déjà l’effet de trompe-l’œil. En fait, dans la plupart des situations, la distinction entre immersion partielle et immersion totale est sous-déterminée par le degré de mimétisme des stimuli « feints ». Autrement dit, dès lors que la force des leurres préattentionnels reste en dessous d’un certain seuil, le degré d’immersion est une variable contextuelle plutôt qu’une grandeur mesurable en termes d’intensité objective des stimuli mimétiques. Les premiers spectateurs des films des frères Lumière vivaient peut-être sur le mode de l’immersion totale un dispositif dont, d’un point de vue objectiviste, la richesse en stimuli mimétiques était bien plus faible que ne l’est celle du cinéma actuel, sans même parler des dispositifs de réalité virtuelle. Il faut en effet prendre en compte les effets d’accoutumance, susceptibles d’abou—
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distanciation progressive. Cette accoutud’ailleurs très rapide, comme le montre précisément
dans le cas des usages fictionnels des représentations mimétiques, l’immersion fictionnelle est l’immersion dans une relation qui elle-même est déjà d’ordre mimétique. Il suffit de comparer cette situation avec celle qu’on trouve par exemple dans la fiction verbale, pour que la situation s’éclaircisse. Comme toute fiction, la fiction verbale implique l’élabo-
à une capacité de
mance est
l’histoire du cinéma avec
me
—
ration d’amorces mimétiques susceptibles d’induire l’état d’immersion mimétique. Dans le cas le plus simple, par exemple celui d’une autobiographie imaginaire, l’amorce mimétique consiste dans une mimésis (« non sérieuse ») des conditions d’énonciation de l’autobiographie factuelle. Mais le dispositif imité, étant lui aussi verbal, ne possède pas lui-même le statut d’une représentation mimétique. En revanche, dans une fiction picturale (par exemple le tableau d’un paysage imaginaire), l’amorce mimétique repose sur la feintise ludique d’une représentation qui ellemême est déjà d’ordre mimétique (le tableau d’un paysage réel). On peut résumer les différences dans un petit tableau :
Support sémiotique Représentation mimétique
|
Langage
Modélisation factuelle
Modélisation fictionnelle
Immersion mimétique
Immersion fictionnelle
—-
Immersion fictionnelle
:
Ce tableau peut être complété par un deuxième qui tient compte des vecteurs d’immersion concernés (je limite arbitrairement le champ de la fiction verbale à un seul vecteur d’immersion) :
tee rm
Modélisation factuelle
Support sémiotique Représentation mimétique
Langage
nn
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menus
64. Gombrich (1956, rééd. 1987), p. 87, note la même chose à propos de la technique de la vision stéréoscopique (au cinéma). Il dit fort justement que la puissance de l’effet « naturaliste » dépend essentiellement d’une différence entre attente et expérience. En revanche, il ne semble pas prendre en compte la possibilité qu’il puisse exister un seuil neurophysiologique absolu au-delà duquel cette différence ne joue plus. 65. Faute de faire la part entre les deux plans, Odin (1996), partant pourtant d'une analyse intéressante des théories de Christian Metz, aboutit à une véritable tératologie théorique qui distingue entre une « fictivisation 1 » (mimèmes représentationnels), une fictivisation 2 (supposée être due à l’irréalisation du hic et nunc de la réalité par sa mise en récit), une fictivisation 3 (la fiction au sens courant du terme, c’est-à-dire la construction d’un univers imaginaire), sans oublier ce qu’il appelle la fictionnalisation (et qui, si j’ai bien compris, est une sorte de résultante des trois premiers processus) ! En fait, seul le troisième processus relève de la fiction.
me
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sa recherche perpétuelle de leurres préattentionnels plus puissants 64. La confusion entre immersion mimétique et fiction n’est cependant que la conséquence d’une confusion plus fondamentale, celle entre le plan de la modélisation mimétique comme telle et celui de la modélisation fictionnelle. Elle s’explique par le fait que les deux dispositifs opèrent par immersion perceptive. Pour sortir de la confusion il faut donc distinguer entre la représentation mimétique comme telle et les usages fictionnels de cette représentation $. En effet, comme nous l’avons vu à propos de multiples faits mimétiques, l’immersion mimétique n’est pas un phénomène spécifiquement lié à la fiction : il joue dans toute relation qui opère par mimèmes, par exemple dans l’apprentissage par immersion un processus qui n’a strictement aucun lien avec la fiction. Et il est apparu aussi que le trait caractéristique de la variante fictionnelle de l’immersion mimétique, donc ce qui la distingue de l’immersion dans des mimèmes homologues; c’est qu’elle opère à travers des amorces mimétiques qui relèvent d’une feintise. En principe, il ne devrait donc pas y avoir de confusion : l’usage fictionnel des représentations mimétiques imite leur usage homologue; mais comme cet usage homologue est déjà celui d’un dispositif mimétique, la fictionnalisation implique l’imitation fictionnelle d’une mimésis homologue. Ou, pour le dire en termes d’immersion
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Mimèmes homologues
Actes illocutoires
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Modélisation fictionnelle
Imitation de mimèmes homologues
Imitation d’actes illocutoires
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distanciation progressive. Cette accoutud’ailleurs très rapide, comme le montre précisément
dans le cas des usages fictionnels des représentations mimétiques, l’immersion fictionnelle est l’immersion dans une relation qui elle-même est déjà d’ordre mimétique. Il suffit de comparer cette situation avec celle qu’on trouve par exemple dans la fiction verbale, pour que la situation s’éclaircisse. Comme toute fiction, la fiction verbale implique l’élabo-
à une capacité de
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ration d’amorces mimétiques susceptibles d’induire l’état d’immersion mimétique. Dans le cas le plus simple, par exemple celui d’une autobiographie imaginaire, l’amorce mimétique consiste dans une mimésis (« non sérieuse ») des conditions d’énonciation de l’autobiographie factuelle. Mais le dispositif imité, étant lui aussi verbal, ne possède pas lui-même le statut d’une représentation mimétique. En revanche, dans une fiction picturale (par exemple le tableau d’un paysage imaginaire), l’amorce mimétique repose sur la feintise ludique d’une représentation qui ellemême est déjà d’ordre mimétique (le tableau d’un paysage réel). On peut résumer les différences dans un petit tableau :
Support sémiotique Représentation mimétique
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Modélisation factuelle
Modélisation fictionnelle
Immersion mimétique
Immersion fictionnelle
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Ce tableau peut être complété par un deuxième qui tient compte des vecteurs d’immersion concernés (je limite arbitrairement le champ de la fiction verbale à un seul vecteur d’immersion) :
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Modélisation factuelle
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64. Gombrich (1956, rééd. 1987), p. 87, note la même chose à propos de la technique de la vision stéréoscopique (au cinéma). Il dit fort justement que la puissance de l’effet « naturaliste » dépend essentiellement d’une différence entre attente et expérience. En revanche, il ne semble pas prendre en compte la possibilité qu’il puisse exister un seuil neurophysiologique absolu au-delà duquel cette différence ne joue plus. 65. Faute de faire la part entre les deux plans, Odin (1996), partant pourtant d'une analyse intéressante des théories de Christian Metz, aboutit à une véritable tératologie théorique qui distingue entre une « fictivisation 1 » (mimèmes représentationnels), une fictivisation 2 (supposée être due à l’irréalisation du hic et nunc de la réalité par sa mise en récit), une fictivisation 3 (la fiction au sens courant du terme, c’est-à-dire la construction d’un univers imaginaire), sans oublier ce qu’il appelle la fictionnalisation (et qui, si j’ai bien compris, est une sorte de résultante des trois premiers processus) ! En fait, seul le troisième processus relève de la fiction.
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sa recherche perpétuelle de leurres préattentionnels plus puissants 64. La confusion entre immersion mimétique et fiction n’est cependant que la conséquence d’une confusion plus fondamentale, celle entre le plan de la modélisation mimétique comme telle et celui de la modélisation fictionnelle. Elle s’explique par le fait que les deux dispositifs opèrent par immersion perceptive. Pour sortir de la confusion il faut donc distinguer entre la représentation mimétique comme telle et les usages fictionnels de cette représentation $. En effet, comme nous l’avons vu à propos de multiples faits mimétiques, l’immersion mimétique n’est pas un phénomène spécifiquement lié à la fiction : il joue dans toute relation qui opère par mimèmes, par exemple dans l’apprentissage par immersion un processus qui n’a strictement aucun lien avec la fiction. Et il est apparu aussi que le trait caractéristique de la variante fictionnelle de l’immersion mimétique, donc ce qui la distingue de l’immersion dans des mimèmes homologues; c’est qu’elle opère à travers des amorces mimétiques qui relèvent d’une feintise. En principe, il ne devrait donc pas y avoir de confusion : l’usage fictionnel des représentations mimétiques imite leur usage homologue; mais comme cet usage homologue est déjà celui d’un dispositif mimétique, la fictionnalisation implique l’imitation fictionnelle d’une mimésis homologue. Ou, pour le dire en termes d’immersion
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Il suffit d’avoir en mémoire ces statuts différents des supports dont se servent les dispositifs fictionnels pour comprendre que, malgré les apparences, la question de la fiction se pose exactement dans les mêmes termes en peinture, en photographie ou au cinéma, que dans les autres dispositifs fictionnels. Ce qui distingue les usages fictionnels des représentations visuelles mimétiques de leurs usages non fictionnels est l’existence d’un cadre pragmatique de feintise partagée et le fait que nous accédons à la modélisation à travers cette variante spécifique de l’immersion mimétique qu'est l’immersion fictionnelle. Une représentation mimétique n’est donc fictionnelle que pour autant qu’elle remplit ces deux conditions. Le critère de la feintise partagée implique notamment que la question de savoir si une représentation visuelle est fictionnelle ne saurait être résolue au simple niveau de la dénotation, ceci en vertu d’un principe déjà rencontré et qu’Arthur Danto a ramassé dans une proposition qui a le mérite de la brièveté et de la clarté : « Une fiction peut comporter des vérités historiques et une non-fiction des contrevérités historiques sans que les deux (...) se transforment en leurs contraires respectifs 6.» Par exemple, un tableau représentant une licorne (un animal qui, me dit-on, n’existe pas) aura un statut différent, selon que le peintre croira représenter un animal existant (ce qui semble avoir été le cas à certaines époques), ou qu’au contraire il le concevra comme une proposition ludique représentant un animal fabuleux. Dans le premier cas, la peinture ne sera pas fictionnelle, mais tombera dans la classe des représentations mimétiques à prétention homologue. Dans le deuxième cas en revanche, il s’agira d’une représentation fictionnelle. En fait, même si je représente une entité dont tout le monde (y compris moi-même) sait ou croit qu’elle n’existe pas, ma représentation n’est pas automatiquement fictionnelle : mon intention pourrait être par exemple de donner à voir la manière dont tout le monde se représente cette entité (par ailleurs inexistante). Cela dit, la question de la frontière entre représentations mimétiques homologues et représentations fictionnelles ne saurait être limitée au problème du statut des entités représentées. Dans la
tradition occidentale du moins, la majorité des tableaux ceux en tout cas qui s’inscrivent de près ou de loin dans le projet « naturaliste » ou « illusionniste » ne se bornent pas à proposer des mimèmes d’entités, mais transforment la surface picturale comme telle en mimème d’un espace défini à travers l’unicité d’un point de vue, donc en mimème d’un espace perceptif. Le tableau, plutôt que de se borner à représenter mimétiquement des entités (existantes ou inexistantes), mime une vue sur ces entités, autrement dit, invite le spectateur à une immersion quasi perceptive. Là encore, le fait qu’il invite à une telle immersion n’en fait pas automatiquement une fiction. Les tableaux de paysage de la peinture hollandaise du xvn° siècle invitent tous à une immersion quasi perceptive. Pourtant, une grande partie d’entre eux ne sont pas des fictions, mais des mimèmes à fonction homologue. Et là encore, ce qui importe, ce n’est pas leur plus ou moins grande exactitude effective, maïs leur statut pragmatique ou fonctionnel. Par exemple, bien que la Vue de Delft de Vermeer comporte des inexactitudes topographiques (rectification des irrégularités des toits, mise en évidence des lignes horizontales, etc.), elle n’est pas une fiction, mais bien une vue homologue : le fait que l’homologie ne soit que partielle ne change rien à l’affaire ; ce qui compte, c’est que la fonction du tableau est (ou du moins était à l’époque) celle d’une imitation homologue dans la tradition des vues topo-
66. Danto (1989), p. 232.
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graphiques 67. En revanche, la série des Saisons de Poussin constitue sans doute un ensemble d’œuvres fictionnelles. Là encore, le problème est indépendant de la question de savoir si tel ou tel élément est ou n’est pas copié d’après nature. Le point décisif est plutôt qu’on peut supposer que l’intention de Poussin n’était pas de donner une représentation homologue d’un paysage (profane ou sacré), mais de mimer une telle vue à fonction homologue (donc de s’en servir comme vecteur d’immersion) afin d’élaborer
modélisation fictionnelle complexe qui combine l’univers cyclique des saisons avec l’univers vectorisé de l’histoire (chaque
une
67. Voir à ce propos Ben Broos ef al. (1986), p. 355. La question de savoir si le tableau a été peint avec l’aide d’une chambre obscure n’est pas le critère déci-
sif pour savoir s’il s’agit d’une fiction.
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Il suffit d’avoir en mémoire ces statuts différents des supports dont se servent les dispositifs fictionnels pour comprendre que, malgré les apparences, la question de la fiction se pose exactement dans les mêmes termes en peinture, en photographie ou au cinéma, que dans les autres dispositifs fictionnels. Ce qui distingue les usages fictionnels des représentations visuelles mimétiques de leurs usages non fictionnels est l’existence d’un cadre pragmatique de feintise partagée et le fait que nous accédons à la modélisation à travers cette variante spécifique de l’immersion mimétique qu'est l’immersion fictionnelle. Une représentation mimétique n’est donc fictionnelle que pour autant qu’elle remplit ces deux conditions. Le critère de la feintise partagée implique notamment que la question de savoir si une représentation visuelle est fictionnelle ne saurait être résolue au simple niveau de la dénotation, ceci en vertu d’un principe déjà rencontré et qu’Arthur Danto a ramassé dans une proposition qui a le mérite de la brièveté et de la clarté : « Une fiction peut comporter des vérités historiques et une non-fiction des contrevérités historiques sans que les deux (...) se transforment en leurs contraires respectifs 6.» Par exemple, un tableau représentant une licorne (un animal qui, me dit-on, n’existe pas) aura un statut différent, selon que le peintre croira représenter un animal existant (ce qui semble avoir été le cas à certaines époques), ou qu’au contraire il le concevra comme une proposition ludique représentant un animal fabuleux. Dans le premier cas, la peinture ne sera pas fictionnelle, mais tombera dans la classe des représentations mimétiques à prétention homologue. Dans le deuxième cas en revanche, il s’agira d’une représentation fictionnelle. En fait, même si je représente une entité dont tout le monde (y compris moi-même) sait ou croit qu’elle n’existe pas, ma représentation n’est pas automatiquement fictionnelle : mon intention pourrait être par exemple de donner à voir la manière dont tout le monde se représente cette entité (par ailleurs inexistante). Cela dit, la question de la frontière entre représentations mimétiques homologues et représentations fictionnelles ne saurait être limitée au problème du statut des entités représentées. Dans la
tradition occidentale du moins, la majorité des tableaux ceux en tout cas qui s’inscrivent de près ou de loin dans le projet « naturaliste » ou « illusionniste » ne se bornent pas à proposer des mimèmes d’entités, mais transforment la surface picturale comme telle en mimème d’un espace défini à travers l’unicité d’un point de vue, donc en mimème d’un espace perceptif. Le tableau, plutôt que de se borner à représenter mimétiquement des entités (existantes ou inexistantes), mime une vue sur ces entités, autrement dit, invite le spectateur à une immersion quasi perceptive. Là encore, le fait qu’il invite à une telle immersion n’en fait pas automatiquement une fiction. Les tableaux de paysage de la peinture hollandaise du xvn° siècle invitent tous à une immersion quasi perceptive. Pourtant, une grande partie d’entre eux ne sont pas des fictions, mais des mimèmes à fonction homologue. Et là encore, ce qui importe, ce n’est pas leur plus ou moins grande exactitude effective, maïs leur statut pragmatique ou fonctionnel. Par exemple, bien que la Vue de Delft de Vermeer comporte des inexactitudes topographiques (rectification des irrégularités des toits, mise en évidence des lignes horizontales, etc.), elle n’est pas une fiction, mais bien une vue homologue : le fait que l’homologie ne soit que partielle ne change rien à l’affaire ; ce qui compte, c’est que la fonction du tableau est (ou du moins était à l’époque) celle d’une imitation homologue dans la tradition des vues topo-
66. Danto (1989), p. 232.
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graphiques 67. En revanche, la série des Saisons de Poussin constitue sans doute un ensemble d’œuvres fictionnelles. Là encore, le problème est indépendant de la question de savoir si tel ou tel élément est ou n’est pas copié d’après nature. Le point décisif est plutôt qu’on peut supposer que l’intention de Poussin n’était pas de donner une représentation homologue d’un paysage (profane ou sacré), mais de mimer une telle vue à fonction homologue (donc de s’en servir comme vecteur d’immersion) afin d’élaborer
modélisation fictionnelle complexe qui combine l’univers cyclique des saisons avec l’univers vectorisé de l’histoire (chaque
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67. Voir à ce propos Ben Broos ef al. (1986), p. 355. La question de savoir si le tableau a été peint avec l’aide d’une chambre obscure n’est pas le critère déci-
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DE QUELQUES DISPOSITIFS FICTIONNELS
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saison représente en même temps un événement biblique la représentation de l’hiver est ainsi en même temps une représentation du Déluge). Il faut préciser que si les tableaux sont fictionnels, ce n’est pas parce qu’ils représentent des épisodes bibliques en même temps que des faits climatiques, donc parce qu’ils combinent une réalité sacrée avec une réalité profane, ou des états de faits « mythiques » avec des états de faits « réels », mais uniquement parce que ou dans la mesure où Poussin invite le spectateur à entrer avec lui dans l’espace ludique d’une feintise partagée, c’est-à-dire de faire comme s’il se trouvait face à un mimème (homologue) d’une vue s’ouvrant sur le paysage glacé et nocturne du Déluge $. Il va de soi que des distinctions du même type doivent être faites en photographie. Il y a ainsi une différence de statut radicale entre un photomontage dont le but est de produire de fausses croyances chez ceux qui le contemplent et un photomontage qui est une proposition fictionnelle. On peut aussi aborder la différence à travers le problème de —
—
de —
l’immersion mimétique. La réception d’une représentation visuelle « analogique » relève dans tous les cas d’un processus d'immersion mimétique, puisqu'elle tire profit d’une relation de ressemblance entre nos schèmes de perception visuelle et la représentation. Mais comme cette immersion mimétique peut avoir pour objet deux types de modélisation, soit un modèle mimétique fondé sur une relation d’homologie locale et globale, soit un modèle fondé simplement sur une relation d’analogie globale, la frontière catégorielle entre les deux domaines est univoque. Par exemple, une photographie qui enregistre un champ de bataille est engrangée dans notre mémoire événementielle du monde; elle aboutit à des réactions qui sont celles que provoque notre accès à des informations inédites sur le monde; elle amène des prises de position qui sont des prises de position sur le monde, et ainsi de suite. En revanche, une reconstitution photographique fictionnelle d’un champ de bataille, à la manière des travaux de Jeff Wall par exemple, n’est pas engrangée dans notre mémoire
événementielle. Elle est traitée sur le mode d’une modélisation qui obéit à une logique d’analogie avec les événements réels dont elle présente un semblant . De même, nous ne traitons pas de-la même manière un portait pictural et un tableau de genre, alors même que dans bien des cas les personnes représentées dans le tableau de genre correspondent à des personnes réelles. C’est que nous partons de l’idée qu’un portrait pictural relève d’une modélisation mimétique homologue, alors qu’une scène de genre relève d’une modélisation fictionnelle. Nous pouvons évidemment nous tromper, puisque certains peintres peignent des portraits imaginaires, et que ce que nous prenons pour une scène de genre peut dans certains cas avoir été conçu comme modélisation homologue d’une scène croquée sur le vif. La dernière éventualité relève des états involontaires de fiction, alors que la première serait, à l’inverse, un état involontaire de « factualité ». Mais ces erreurs ne remettent pas en cause la distinction de principe : c’est bien parce que la distinction existe que nous pouvons commettre des erreurs.
Tout au long de ces remarques, j’ai traité la peinture et la photographie comme si elles avaient le même statut, ce qui n’est bien sûr pas le cas. La peinture relève de la mimésis iconique, alors que la photographie est un dispositif à la fois iconique et indiciel, c’est-à-dire qu’elle fait partie de la classe des représentations mimétiques dans lesquelles la représentation est causée par ce qu’elle représente. Cette différence au niveau de la relation que la représentation entretient avec ce qu’elle représente ne me semble cependant pas affecter de manière profonde la question de sa fictionnalité, précisément parce que cette dernière n’est pas justifiable d’une définition en termes sémantiques (ou référentiels). Une photo, qu’elle ait un statut fictionnel ou non, est toujours une empreinte: son statut d’empreinte est donc pragmatiquement inerte. Il faut distinguer par ailleurs entre une photo fictionnelle et une photo fictive, c’est-à-dire la fiction d’une photo. Il existe des fictions picturales certaines toiles hyperréalistes par exemple —
—
68. On pourrait développer des considérations analogues à propos des tableaux réunis par Baldine Saint Girons et Chrystèle Burgard dans l'exposition Le Paysage et la Question du sublime (Burgard, Saint Girons et al., 1997).
69. Voir Soulages (1998), pour une présentation stimulante des multiples dispositifs fictionnels susceptibles d’être développés dans le cadre de la photo-
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POURQUOI LA FICTION ?
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saison représente en même temps un événement biblique la représentation de l’hiver est ainsi en même temps une représentation du Déluge). Il faut préciser que si les tableaux sont fictionnels, ce n’est pas parce qu’ils représentent des épisodes bibliques en même temps que des faits climatiques, donc parce qu’ils combinent une réalité sacrée avec une réalité profane, ou des états de faits « mythiques » avec des états de faits « réels », mais uniquement parce que ou dans la mesure où Poussin invite le spectateur à entrer avec lui dans l’espace ludique d’une feintise partagée, c’est-à-dire de faire comme s’il se trouvait face à un mimème (homologue) d’une vue s’ouvrant sur le paysage glacé et nocturne du Déluge $. Il va de soi que des distinctions du même type doivent être faites en photographie. Il y a ainsi une différence de statut radicale entre un photomontage dont le but est de produire de fausses croyances chez ceux qui le contemplent et un photomontage qui est une proposition fictionnelle. On peut aussi aborder la différence à travers le problème de —
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l’immersion mimétique. La réception d’une représentation visuelle « analogique » relève dans tous les cas d’un processus d'immersion mimétique, puisqu'elle tire profit d’une relation de ressemblance entre nos schèmes de perception visuelle et la représentation. Mais comme cette immersion mimétique peut avoir pour objet deux types de modélisation, soit un modèle mimétique fondé sur une relation d’homologie locale et globale, soit un modèle fondé simplement sur une relation d’analogie globale, la frontière catégorielle entre les deux domaines est univoque. Par exemple, une photographie qui enregistre un champ de bataille est engrangée dans notre mémoire événementielle du monde; elle aboutit à des réactions qui sont celles que provoque notre accès à des informations inédites sur le monde; elle amène des prises de position qui sont des prises de position sur le monde, et ainsi de suite. En revanche, une reconstitution photographique fictionnelle d’un champ de bataille, à la manière des travaux de Jeff Wall par exemple, n’est pas engrangée dans notre mémoire
événementielle. Elle est traitée sur le mode d’une modélisation qui obéit à une logique d’analogie avec les événements réels dont elle présente un semblant . De même, nous ne traitons pas de-la même manière un portait pictural et un tableau de genre, alors même que dans bien des cas les personnes représentées dans le tableau de genre correspondent à des personnes réelles. C’est que nous partons de l’idée qu’un portrait pictural relève d’une modélisation mimétique homologue, alors qu’une scène de genre relève d’une modélisation fictionnelle. Nous pouvons évidemment nous tromper, puisque certains peintres peignent des portraits imaginaires, et que ce que nous prenons pour une scène de genre peut dans certains cas avoir été conçu comme modélisation homologue d’une scène croquée sur le vif. La dernière éventualité relève des états involontaires de fiction, alors que la première serait, à l’inverse, un état involontaire de « factualité ». Mais ces erreurs ne remettent pas en cause la distinction de principe : c’est bien parce que la distinction existe que nous pouvons commettre des erreurs.
Tout au long de ces remarques, j’ai traité la peinture et la photographie comme si elles avaient le même statut, ce qui n’est bien sûr pas le cas. La peinture relève de la mimésis iconique, alors que la photographie est un dispositif à la fois iconique et indiciel, c’est-à-dire qu’elle fait partie de la classe des représentations mimétiques dans lesquelles la représentation est causée par ce qu’elle représente. Cette différence au niveau de la relation que la représentation entretient avec ce qu’elle représente ne me semble cependant pas affecter de manière profonde la question de sa fictionnalité, précisément parce que cette dernière n’est pas justifiable d’une définition en termes sémantiques (ou référentiels). Une photo, qu’elle ait un statut fictionnel ou non, est toujours une empreinte: son statut d’empreinte est donc pragmatiquement inerte. Il faut distinguer par ailleurs entre une photo fictionnelle et une photo fictive, c’est-à-dire la fiction d’une photo. Il existe des fictions picturales certaines toiles hyperréalistes par exemple —
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68. On pourrait développer des considérations analogues à propos des tableaux réunis par Baldine Saint Girons et Chrystèle Burgard dans l'exposition Le Paysage et la Question du sublime (Burgard, Saint Girons et al., 1997).
69. Voir Soulages (1998), pour une présentation stimulante des multiples dispositifs fictionnels susceptibles d’être développés dans le cadre de la photo-
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POURQUOI LA FICTION ?
DE QUELQUES DISPOSITIFS FICTIONNELS
dont la fictionnalité est induite par le fait qu'elles feignent (ludiquement) d’être des photos. Il ne s’agit évidemment pas de fictions photographiques mais de fictions picturales d’images photographiques. Une fiction photographique doit être une photographie : elle accède à la fictionnalité non pas en cessant d’être une photographie, mais en se servant de la mimésis photographique homologue (et indicielle) comme vecteur mimétique mis au service d’une modélisation fictionnelle. On ne peut même pas dire qu’une photo devient fictionnelle dès lors que la situation photographiée a été provoquée pour être photographiée: la grande majorité des portraits photographiques sont des « portraits posés », au sens où la situation représentée a été créée pour être représentée; cela ne les transforme pas pour autant en fictions. Un portrait photographique ne devient fictionnel qu’à partir du moment où, par contrat explicite ou implicite, il est admis que la relation indicielle a une simple fonction d’amorce mimétique pour l’accès à un univers qui vaut sur le mode du « comme-si », même si de facto cette relation indicielle ne peut pas ne pas être aussi à cause du mode de fonctionnement matériel du dispositif photographique une modélisation homologue de ce qui fait fonction de support de l’univers fictionnel: Untitled # 228 de Cindy Sherman, qui la représente en Judith (c’est du moins ce que je suppose), est aussi une empreinte de Cindy Sherman. Simplement, le cadre de la feintise partagée qui instaure la photo en univers fictionnel met (provisoirement) entre parenthèses cette relation d’empreinte étant entendu qu’un des attraits de l’œuvre de Sherman réside dans le fait qu’elle nous invite en réalité à osciller sans cesse entre la posture d’immersion fictionnelle et l'attitude « référentialiste » canonique. L'exemple de Sherman montre aussi que le dispositif fictionnel d’une œuvre n’est pas nécessairement coextensif à l’œuvre comme telle un fait qui confirme la nécessité de distinguer entre dispositifs fictionnels et arts mimétiques. Si la distinction de principe entre ce qui est fictionnel et ce qui est « factuel » n’est pas plus compliquée dans le domaine des représentations mimétiques (visuelles) que dans celui des autres arts mimétiques, il n’en reste pas moins que le problème de savoir concrètement Si on se trouve face à un dispositif fictionnel ou non —
—
—
est souvent beaucoup plus
difficile
à résoudre dans le domaine
des représentations mimétiques, ou plutôt dans celui des images fixes (il n’en va en effet pas de même dans le cas du cinéma). C’est que le cadre pragmatique dans lequel l’image est censée
être reçue y demeure pratiquement toujours à l’état implicite, en sorte qu’on ne peut y accéder qu’à travers une reconstruction contextuelle plus ou moins aléatoire. Il n’est donc pas surprenant qu’on y trouve beaucoup d’états de fictionnalité, mais aussi de « factualité », involontaires, le récepteur décidant en fonction de ses propres idiosyncrasies ou, plus souvent, en fonction du type de réception privilégiée par l’époque ou le milieu dans lequel il vit. Par exemple, dans le cas des images graphiques, notre époque privilégie systématiquement une réception fictionnelle, alors que jusqu’au xvir siècle au moins la réception « factuelle » semble avoir été la plus répandue, à l’exception des tableaux représentant des scènes mythologiques la plupart des peintures religieuses notamment étaient abordées dans une perspective factuelle, au sens où par exemple de nombreux portraits de saints étaient effectivement traités comme des portraits homologues 2, Il est donc probable que notre façon d’aborder les tableaux figuratifs du passé les dote souvent d’une fictionnalité qui est uniquement attentionnelle. À l’inverse, dans le cas de la photographie, et du fait de la nature indicielle de l’empreinte photographique, nous avons tendance à aborder toutes les images comme des mimèmes homologues ce qui non seulement donne naissance dans certains cas à des états involontaires de « factualité », mais encore, comme François Soulages l’a montré de manière convaincante, nous empêche d’apprécier à leur juste titre des pratiques photographiques parfois fort intéressantes 71,
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70. Voir à ce propos Freedberg (1989). 71. Soulages (1998). Rétrospectivement, un des points faibles de Schaeffer (1987) me paraît être l’absence d’une prise en compte des usages fictionnels de la photographie. Je ne partage cependant pas l'hostilité de François Soulages à l'égard de ce qu’il appelle « la pratique impérialiste et l'idéologie dogmatique d’une photographie réalistique », dont l’origine se trouverait dans «un besoin de croire dans une réalité fixe et fixée à jamais, de croire dans le réel » (p.94 et 96).
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dont la fictionnalité est induite par le fait qu'elles feignent (ludiquement) d’être des photos. Il ne s’agit évidemment pas de fictions photographiques mais de fictions picturales d’images photographiques. Une fiction photographique doit être une photographie : elle accède à la fictionnalité non pas en cessant d’être une photographie, mais en se servant de la mimésis photographique homologue (et indicielle) comme vecteur mimétique mis au service d’une modélisation fictionnelle. On ne peut même pas dire qu’une photo devient fictionnelle dès lors que la situation photographiée a été provoquée pour être photographiée: la grande majorité des portraits photographiques sont des « portraits posés », au sens où la situation représentée a été créée pour être représentée; cela ne les transforme pas pour autant en fictions. Un portrait photographique ne devient fictionnel qu’à partir du moment où, par contrat explicite ou implicite, il est admis que la relation indicielle a une simple fonction d’amorce mimétique pour l’accès à un univers qui vaut sur le mode du « comme-si », même si de facto cette relation indicielle ne peut pas ne pas être aussi à cause du mode de fonctionnement matériel du dispositif photographique une modélisation homologue de ce qui fait fonction de support de l’univers fictionnel: Untitled # 228 de Cindy Sherman, qui la représente en Judith (c’est du moins ce que je suppose), est aussi une empreinte de Cindy Sherman. Simplement, le cadre de la feintise partagée qui instaure la photo en univers fictionnel met (provisoirement) entre parenthèses cette relation d’empreinte étant entendu qu’un des attraits de l’œuvre de Sherman réside dans le fait qu’elle nous invite en réalité à osciller sans cesse entre la posture d’immersion fictionnelle et l'attitude « référentialiste » canonique. L'exemple de Sherman montre aussi que le dispositif fictionnel d’une œuvre n’est pas nécessairement coextensif à l’œuvre comme telle un fait qui confirme la nécessité de distinguer entre dispositifs fictionnels et arts mimétiques. Si la distinction de principe entre ce qui est fictionnel et ce qui est « factuel » n’est pas plus compliquée dans le domaine des représentations mimétiques (visuelles) que dans celui des autres arts mimétiques, il n’en reste pas moins que le problème de savoir concrètement Si on se trouve face à un dispositif fictionnel ou non —
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est souvent beaucoup plus
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à résoudre dans le domaine
des représentations mimétiques, ou plutôt dans celui des images fixes (il n’en va en effet pas de même dans le cas du cinéma). C’est que le cadre pragmatique dans lequel l’image est censée
être reçue y demeure pratiquement toujours à l’état implicite, en sorte qu’on ne peut y accéder qu’à travers une reconstruction contextuelle plus ou moins aléatoire. Il n’est donc pas surprenant qu’on y trouve beaucoup d’états de fictionnalité, mais aussi de « factualité », involontaires, le récepteur décidant en fonction de ses propres idiosyncrasies ou, plus souvent, en fonction du type de réception privilégiée par l’époque ou le milieu dans lequel il vit. Par exemple, dans le cas des images graphiques, notre époque privilégie systématiquement une réception fictionnelle, alors que jusqu’au xvir siècle au moins la réception « factuelle » semble avoir été la plus répandue, à l’exception des tableaux représentant des scènes mythologiques la plupart des peintures religieuses notamment étaient abordées dans une perspective factuelle, au sens où par exemple de nombreux portraits de saints étaient effectivement traités comme des portraits homologues 2, Il est donc probable que notre façon d’aborder les tableaux figuratifs du passé les dote souvent d’une fictionnalité qui est uniquement attentionnelle. À l’inverse, dans le cas de la photographie, et du fait de la nature indicielle de l’empreinte photographique, nous avons tendance à aborder toutes les images comme des mimèmes homologues ce qui non seulement donne naissance dans certains cas à des états involontaires de « factualité », mais encore, comme François Soulages l’a montré de manière convaincante, nous empêche d’apprécier à leur juste titre des pratiques photographiques parfois fort intéressantes 71,
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70. Voir à ce propos Freedberg (1989). 71. Soulages (1998). Rétrospectivement, un des points faibles de Schaeffer (1987) me paraît être l’absence d’une prise en compte des usages fictionnels de la photographie. Je ne partage cependant pas l'hostilité de François Soulages à l'égard de ce qu’il appelle « la pratique impérialiste et l'idéologie dogmatique d’une photographie réalistique », dont l’origine se trouverait dans «un besoin de croire dans une réalité fixe et fixée à jamais, de croire dans le réel » (p.94 et 96).
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À NID DD NN
POURQUOI LA FICTION ?
DE QUELQUES DISPOSITIFS FICTIONNELS
les techniques de mimésis formelle par rapport au dispositif dis-
6. Le cinéma
NII NN ND
D ON
NN ON
Contrairement à ce qui se passe dans le champ des images fixes, l’identification du statut (fiction vs documentaire) d’un film ne pose pratiquement jamais de problèmes. La différence, me semble-t-il, est due à au moins trois raisons. En premier lieu, les films projetés en salle sont, à quelques rares exceptions près, tous des films de fiction. Ceci fait que, même en l’absence de toute information supplémentaire, le spectateur établit une sorte d’équivalence entre le fait de voir un film en salle et celui de voir une fiction. Cette raison ne joue évidemment pas dans le cas de la télévision. Y intervient un deuxième facteur, à savoir le fait que le cadrage pragmatique des films de fiction est particulièrement facile à identifier, notamment au niveau des éléments périfilmiques, tels le titre et le générique. Par exemple, la simple présence, dans le générique du film, de noms d’acteurs, suffit déjà à instaurer le cadre fictionnel. Une troisième raison relève de ce que Käte Hamburger a appelé, dans le domaine de la fiction verbale, les « indices de fictionnalité ». Le cinéma de fiction a développé tout un ensemble de techniques mimétiques spécifiques (notamment des leurres hypernormaux) qui, à l’instar des techniques de la fiction verbale à focalisation interne, fonctionnent comme des indices de fictionnalité très forts pour quiconque est familier des fictions cinématographiques. Ce dernier point est intéressant à un autre égard. Bien que du point de vue pragmatique la fiction cinématographique ait le statut d’une feintise ludique d’un mimème cinématographique homologue (l’enregistrement de faits réels), l’histoire du cinéma de fiction ne connaît que relativement peu d’exemples de films reposant sur la mise en œuvre d’une mimésis formelle du film documentaire. Le cinéma de fiction s’est plutôt attaché à perfectionner les possibilités d’immersion mimétique intrinsèques au dispositif cinématographique comme tel, c’est-à-dire tout ce qui relève de l’immersion perceptive. Le parallèle s’impose avec la fiction hétérodiégétique telle qu’elle s’est développée aux xIx° et xx° siècles. Sauf exceptions, cette dernière n’a elle aussi que rarement essayé de développer
ND)
296
cursif dont elle constitue une feintise ludique. Comme Käte Hamburger, Dorrit Cohn et d’autres encore l’ont bien montré, elle s’est surtout concentrée sur la complexification des techniques de focalisation intérieure. Or, je l’ai indiqué en passant, le récit factuel lui aussi a mis en œuvre de tout temps des éléments de focalisation interne, ceci pour la raison très générale que, dès lors que nous interprétons les comportements d’une entité dans une perspective anthropomorphe, nous ne pouvons pas ne pas lui attribuer des états mentaux, et donc la « voir » de l’intérieur. Autrement dit, sauf effort conscient et réflexif pour l’éviter, tout récit comporte des éléments de focalisation intérieure. On peut donc dire que la fiction à focalisation interne a « surdéveloppé » certains traits du récit comme tel. Bref, la fiction verbale hétérodiégétique moderne et la fiction cinématographique ont ceci en commun qu’elles ont surdéveloppé certains éléments génériques du dispositif qu’elles miment, jusqu’à en faire des « leurres hypernormaux » susceptibles de renforcer l’immersion mimétique bien qu’il ne s’agisse évidemment pas des mêmes types de leurres —
dans les deux cas 72.
Cette particularité de la fiction cinématographique s’accorde bien avec le fait qu’il arrive plus souvent aux films documentaires d’emprunter des techniques fictionnelles qu’aux fictions d’imiter des documentaires. Nanouk de Flaherty utilise ainsi toute une batterie de principes formels mis au point par la fiction cinématographique notamment au niveau de son organisation séquentielle qui est plutôt typique d’un film de fiction (manifestement, certaines des actions qu’entreprend Nanouk sont surdéterminées par le fait qu’elles sont destinées à s’intégrer dans le fil d’une «histoire »). Ce fait montre par ailleurs une fois de plus que dans le domaine des représentations analogiques, la distinction entre immersion mimétique et immersion fictionnelle ne se situe pas au niveau du processus d’immersion lui-même, mais au niveau du traitement cognitif ultérieur des univers intériorisés en état d’immersion. —
72. Cela montre encore une fois la nécessité qu’il y a à distinguer entre la mimésis formelle au sens naturaliste du terme et les leurres hypernormaux.
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les techniques de mimésis formelle par rapport au dispositif dis-
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Contrairement à ce qui se passe dans le champ des images fixes, l’identification du statut (fiction vs documentaire) d’un film ne pose pratiquement jamais de problèmes. La différence, me semble-t-il, est due à au moins trois raisons. En premier lieu, les films projetés en salle sont, à quelques rares exceptions près, tous des films de fiction. Ceci fait que, même en l’absence de toute information supplémentaire, le spectateur établit une sorte d’équivalence entre le fait de voir un film en salle et celui de voir une fiction. Cette raison ne joue évidemment pas dans le cas de la télévision. Y intervient un deuxième facteur, à savoir le fait que le cadrage pragmatique des films de fiction est particulièrement facile à identifier, notamment au niveau des éléments périfilmiques, tels le titre et le générique. Par exemple, la simple présence, dans le générique du film, de noms d’acteurs, suffit déjà à instaurer le cadre fictionnel. Une troisième raison relève de ce que Käte Hamburger a appelé, dans le domaine de la fiction verbale, les « indices de fictionnalité ». Le cinéma de fiction a développé tout un ensemble de techniques mimétiques spécifiques (notamment des leurres hypernormaux) qui, à l’instar des techniques de la fiction verbale à focalisation interne, fonctionnent comme des indices de fictionnalité très forts pour quiconque est familier des fictions cinématographiques. Ce dernier point est intéressant à un autre égard. Bien que du point de vue pragmatique la fiction cinématographique ait le statut d’une feintise ludique d’un mimème cinématographique homologue (l’enregistrement de faits réels), l’histoire du cinéma de fiction ne connaît que relativement peu d’exemples de films reposant sur la mise en œuvre d’une mimésis formelle du film documentaire. Le cinéma de fiction s’est plutôt attaché à perfectionner les possibilités d’immersion mimétique intrinsèques au dispositif cinématographique comme tel, c’est-à-dire tout ce qui relève de l’immersion perceptive. Le parallèle s’impose avec la fiction hétérodiégétique telle qu’elle s’est développée aux xIx° et xx° siècles. Sauf exceptions, cette dernière n’a elle aussi que rarement essayé de développer
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cursif dont elle constitue une feintise ludique. Comme Käte Hamburger, Dorrit Cohn et d’autres encore l’ont bien montré, elle s’est surtout concentrée sur la complexification des techniques de focalisation intérieure. Or, je l’ai indiqué en passant, le récit factuel lui aussi a mis en œuvre de tout temps des éléments de focalisation interne, ceci pour la raison très générale que, dès lors que nous interprétons les comportements d’une entité dans une perspective anthropomorphe, nous ne pouvons pas ne pas lui attribuer des états mentaux, et donc la « voir » de l’intérieur. Autrement dit, sauf effort conscient et réflexif pour l’éviter, tout récit comporte des éléments de focalisation intérieure. On peut donc dire que la fiction à focalisation interne a « surdéveloppé » certains traits du récit comme tel. Bref, la fiction verbale hétérodiégétique moderne et la fiction cinématographique ont ceci en commun qu’elles ont surdéveloppé certains éléments génériques du dispositif qu’elles miment, jusqu’à en faire des « leurres hypernormaux » susceptibles de renforcer l’immersion mimétique bien qu’il ne s’agisse évidemment pas des mêmes types de leurres —
dans les deux cas 72.
Cette particularité de la fiction cinématographique s’accorde bien avec le fait qu’il arrive plus souvent aux films documentaires d’emprunter des techniques fictionnelles qu’aux fictions d’imiter des documentaires. Nanouk de Flaherty utilise ainsi toute une batterie de principes formels mis au point par la fiction cinématographique notamment au niveau de son organisation séquentielle qui est plutôt typique d’un film de fiction (manifestement, certaines des actions qu’entreprend Nanouk sont surdéterminées par le fait qu’elles sont destinées à s’intégrer dans le fil d’une «histoire »). Ce fait montre par ailleurs une fois de plus que dans le domaine des représentations analogiques, la distinction entre immersion mimétique et immersion fictionnelle ne se situe pas au niveau du processus d’immersion lui-même, mais au niveau du traitement cognitif ultérieur des univers intériorisés en état d’immersion. —
72. Cela montre encore une fois la nécessité qu’il y a à distinguer entre la mimésis formelle au sens naturaliste du terme et les leurres hypernormaux.
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POURQUOI LA FICTION ?
Depuis les années soixante et soixante-dix on admet souvent comme une vérité d’évidence que le dispositif cinématographique peut (ou doit) être pensé à l’aide des catégories mises au point pour analyser le langage, c’est-à-dire qu’on traite l’organisation diégétique du film comme s’il s’agissait d’une sorte d’acte discursif. La thèse existe sous deux versions. Selon la version forte, la structure de l’œuvre cinématographique est strictement homologue à celle du discours verbal. Selon la version faible, la fiction cinématographique est organisée selon les mêmes modalités que le récit verbal, ce qui la rend accessible aux méthodes d’analyse qui ont fait leur preuve dans le domaine de celui-là. La version faible n’implique pas la version forte. Il faut donc les analyser a
NON ON NON ND DONNE
Du point de vue de la conception de la fiction que j’ai essayé de défendre, la question la plus importante dans le domaine de la fiction cinématographique est celle de son statut « sémiotique ».
séparément.
La version forte de la thèse est sous-jacente à toutes les analyses filmiques qui se servent de notions telles que l’« énonciation filmique », l’« énonciateur du film », la « phrase cinématographique », la « force illocutoire des propositions filmiques », etc. Roger Odin, par exemple, soutient que « la production d’une œuvre [cinématographique] constitue un acte illocutoire authentique », référable à un « Énonciateur de l’œuvre », qui doit être distingué de l’Énonciateur de la fiction, ce dernier étant « l’Énonciateur des énoncés » (cinématographiques,je suppose) F3. Si les termes en question sont censés être pris à la lettre, l’analyse est tout simplement fausse. Une œuvre cinématographique n’est certainement pas un acte illocutoire, car pour que quelque chose puisse être un acte illocutoire il faut d’abord que ce soit un acte de langage (verbal ou non) #. Il en va de même pour les notions d’Enonciateur, d’énoncé et ainsi de suite. Tenter d’appliquer des outils d’analyse de ce type au dispositif cinématographique, c’està-dire se proposer d’analyser « le travail que l’on fait lorsqu’on lit 73. Odin (1996, p. 9-19). Casetti (1983) parle lui aussi d’« énonciateur ». 74. Un acte illocutoire peut être réalisé c’est-à-dire un contenu et une attitude propositionnelles peuvent être exprimés par d’autres véhicules que la langue, par exemple des gestes ou des codes graphiques.
DE QUELQUES DISPOSITIFS FICTIONNELS
un
film F », c’est se tromper d’objet.
Se poser des questions de ce
genre revient en fait à se demander ce
qu’il
en
serait de la fiction
cinématographique si, au lieu d’être cinématographique, elle était un fait propositionnel. C’est exactement comme si on se demandait: « Que serait l’homme s’il était femme ? » ou « Que serait Dieu s’il était le Diable? ». Bien sûr, si la fiction cinématographique était un fait propositionnel, et plus spécifiquement un fait verbal, elle se donneraità lire, elle aurait un Énonciateur, elle serait la mise en œuvre d’actes de langage, etc. Malheureusement, il se trouve qu’elle n’est pas de nature langagière, mais de
:
a
nature sont faits visuelle pour être « Les vus films, %, » Évacuer commecette les autres différence typesrevient d’i à donner un objet d’analyse imaginaire. On pourrait m’objecter que je caricature la thèse en question : personne ne soutient que la fiction cinématographique est de
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nature linguistique, mais uniquement que son fonctionnement est homologueà celui du discours, ce qui justifie l” usage transposé des catégories linguistiques. Mais précisément, il n’existe pas de telle homologie. Le fait décisif qui ruine la thèse a d’ailleurs été très bien mis en évidence par Christian Metz, sans que lui-même en ait tiré, me semble-t-il, toutes les conséquences : c’est l’existence des transferts perceptifs. Le fait que la vision d’un film puisse induire des transferts perceptifs est une preuve expérimentale du fait qu’il opère au niveau de la perception. Si sa réception mettait en œuvre des compétences proprement propositionnelles, ou dérivées des compétences propositionnelles, les leurres préattentionnels qu’il serait susceptible de produire seraient d’un type fort différent de ceux qu’il produit réellement. Traiter le dis-
positif cinématographique comme s’il avait une organisation Syntagmatique à l’instar de la langue, ou comme si sa structure séquentielle était la transposition d’une structure propositionnelle (définissable en termes d’énonciation, d’actes de langage, etc.),
c’est tout simplement méconnaître le fait fondamental que nous
accédonsà l’univers filmiqueà travers une immersion perceptive, en sorte que si on veut y comprendre quoi que ce soit, c’est de là
—
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75. Ibid., p. 15. (Je souligne). 76. Currie (1995), p. 3. Voir aussi Deleuze (1985), p. 40.
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POURQUOI LA FICTION ?
Depuis les années soixante et soixante-dix on admet souvent comme une vérité d’évidence que le dispositif cinématographique peut (ou doit) être pensé à l’aide des catégories mises au point pour analyser le langage, c’est-à-dire qu’on traite l’organisation diégétique du film comme s’il s’agissait d’une sorte d’acte discursif. La thèse existe sous deux versions. Selon la version forte, la structure de l’œuvre cinématographique est strictement homologue à celle du discours verbal. Selon la version faible, la fiction cinématographique est organisée selon les mêmes modalités que le récit verbal, ce qui la rend accessible aux méthodes d’analyse qui ont fait leur preuve dans le domaine de celui-là. La version faible n’implique pas la version forte. Il faut donc les analyser a
NON ON NON ND DONNE
Du point de vue de la conception de la fiction que j’ai essayé de défendre, la question la plus importante dans le domaine de la fiction cinématographique est celle de son statut « sémiotique ».
séparément.
La version forte de la thèse est sous-jacente à toutes les analyses filmiques qui se servent de notions telles que l’« énonciation filmique », l’« énonciateur du film », la « phrase cinématographique », la « force illocutoire des propositions filmiques », etc. Roger Odin, par exemple, soutient que « la production d’une œuvre [cinématographique] constitue un acte illocutoire authentique », référable à un « Énonciateur de l’œuvre », qui doit être distingué de l’Énonciateur de la fiction, ce dernier étant « l’Énonciateur des énoncés » (cinématographiques,je suppose) F3. Si les termes en question sont censés être pris à la lettre, l’analyse est tout simplement fausse. Une œuvre cinématographique n’est certainement pas un acte illocutoire, car pour que quelque chose puisse être un acte illocutoire il faut d’abord que ce soit un acte de langage (verbal ou non) #. Il en va de même pour les notions d’Enonciateur, d’énoncé et ainsi de suite. Tenter d’appliquer des outils d’analyse de ce type au dispositif cinématographique, c’està-dire se proposer d’analyser « le travail que l’on fait lorsqu’on lit 73. Odin (1996, p. 9-19). Casetti (1983) parle lui aussi d’« énonciateur ». 74. Un acte illocutoire peut être réalisé c’est-à-dire un contenu et une attitude propositionnelles peuvent être exprimés par d’autres véhicules que la langue, par exemple des gestes ou des codes graphiques.
DE QUELQUES DISPOSITIFS FICTIONNELS
un
film F », c’est se tromper d’objet.
Se poser des questions de ce
genre revient en fait à se demander ce
qu’il
en
serait de la fiction
cinématographique si, au lieu d’être cinématographique, elle était un fait propositionnel. C’est exactement comme si on se demandait: « Que serait l’homme s’il était femme ? » ou « Que serait Dieu s’il était le Diable? ». Bien sûr, si la fiction cinématographique était un fait propositionnel, et plus spécifiquement un fait verbal, elle se donneraità lire, elle aurait un Énonciateur, elle serait la mise en œuvre d’actes de langage, etc. Malheureusement, il se trouve qu’elle n’est pas de nature langagière, mais de
:
a
nature sont faits visuelle pour être « Les vus films, %, » Évacuer commecette les autres différence typesrevient d’i à donner un objet d’analyse imaginaire. On pourrait m’objecter que je caricature la thèse en question : personne ne soutient que la fiction cinématographique est de
i
nature linguistique, mais uniquement que son fonctionnement est homologueà celui du discours, ce qui justifie l” usage transposé des catégories linguistiques. Mais précisément, il n’existe pas de telle homologie. Le fait décisif qui ruine la thèse a d’ailleurs été très bien mis en évidence par Christian Metz, sans que lui-même en ait tiré, me semble-t-il, toutes les conséquences : c’est l’existence des transferts perceptifs. Le fait que la vision d’un film puisse induire des transferts perceptifs est une preuve expérimentale du fait qu’il opère au niveau de la perception. Si sa réception mettait en œuvre des compétences proprement propositionnelles, ou dérivées des compétences propositionnelles, les leurres préattentionnels qu’il serait susceptible de produire seraient d’un type fort différent de ceux qu’il produit réellement. Traiter le dis-
positif cinématographique comme s’il avait une organisation Syntagmatique à l’instar de la langue, ou comme si sa structure séquentielle était la transposition d’une structure propositionnelle (définissable en termes d’énonciation, d’actes de langage, etc.),
c’est tout simplement méconnaître le fait fondamental que nous
accédonsà l’univers filmiqueà travers une immersion perceptive, en sorte que si on veut y comprendre quoi que ce soit, c’est de là
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75. Ibid., p. 15. (Je souligne). 76. Currie (1995), p. 3. Voir aussi Deleuze (1985), p. 40.
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qu’il faut partir. La
fiction cinématographique
77. Genette (1972), p. 67-273. 78. Pour se convaincre de la pertinence de la narratologie sur ce point, il suffit de lire les analyses de François Jost consacrées à ce qu’il appelle l’ocularisation et à ses liens (complexes) avec la focalisation. Voir Jost (1987). 79. Voir par exemple Gaudreault et Jost (1990).
80. Le fait que dans le cas du cinéma ma perception soit « contrainte » par le flux quasi perceptif du mimème filmique, ce qui n’est évidemment pas le cas au théâtre, ne suffit pas pour légitimer la thèse d’une instance narrative, ni même d’un « Grand Imagier », À quelques exceptions près, le spectateur de cinéma ne voit pas le film comme quelque chose que quelqu'un lui montrerait, mais comme un flux perceptif qui serait le sien propre.
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base de toute compréhension de la fiction cinématographique est une analyse correcte de ce qui se passe au niveau de la perception (visuelle et sonore) du film. « En fait, insistera-t-on, nous ne sommes toujours pas sortis de la caricature. Les termes d’“énonciation”, d’“actes de langage”, ne sont que des métaphores. Ils indiquent simplement qu’une fiction cinématographique raconte toujours une histoire, et qu’elle a donc une structure narrative. Cela justifie qu’on lui applique, métaphoriquement, les catégories qui ont fait leur preuve dans le domaine de la narration verbale : si “‘énonciation” vous gêne, vous n’avez qu’à parler de “narration”, et si ‘“‘énonciateur” vous donne de l’urticaire, libre à vous de le remplacer par “narrateur”. » Mais précisément, remplacer les catégories linguistiques par les catégories narratives revient à changer de problématique : comme je l’ai dit, les secondes n’impliquent pas les premières. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de liens entre les deux : simplement il se pourrait qu’une partie des catégories narratives soit applicable à la fiction cinématographique sans que pour autant on puisse la traiter comme l’équivalent visuel d’une narration verbale. Ce qui nous amène à la version faible de la thèse exposée plus haut. Je partirai du fait que la pertinence pour l’analyse de la fiction cinématographique de bon nombre des distinctions élaborées par la narratologie ne fait aucun doute. Ainsi, lorsqu’on prend la liste des catégories d’analyse proposées par Gérard Genette 77, on découvre vite que les problèmes liés à la distinction entre le temps de l’histoire et le temps du récit (questions d’ordre, de vitesse, et même, bien que dans une moindre mesure, de fréquence), la question des modalités de focalisation #8, ou encore le problème des niveaux narratifs, sont du même ordre dans le domaine de la narration verbale et dans celui de la fiction cinématographique ”. Comment en serait-il autrement, puisque toute
raconte une histoire » ? En fait, tout le problème tourne autour du sens qu’on donne à cette expression. Il me semble qu’en partant de la constatation juste qu’un film, comme un récit, « raconte une histoire », et que donc on peut l’analyser partiellement à l’aide des catégories qui conviennent au récit, on en conclut trop rapidement que la fiction cinématographique n’est qu’une transposition sémiotique de la structure du récit verbal. Une hypothèse à la fois plus simple et, à mon avis, plus plausible, est de considérer que les parentés entre les deux types de fiction ne sont pas dues au fait que la structure événementielle du film serait un transcodage de la structure narrative du récit verbal, mais au fait que la fiction cinématographique, comme la fiction verbale, organisent les événements en partant d’un fondement commun qui est celui de la logique actantielle. Cela est cohérent avec le fait que les catégories de la narratologie qui sont les plus adaptées à la fiction cinématographique sont celles qui relèvent, soit de la relation entre l’histoire (la séquence réelle ou supposée des événements) et le récit (la manière dont les événements sont présentés), soit celles qui concernent les relations temporelles entre l’acte narratif et l’histoire. On pourrait donc proposer l’hypothèse suivante : la structure de l’histoire est celle de la logique de l’action; le récit, conçu comme acte verbal endossé par un narrateur, est une des manières selon lesquelles on peut représenter cette logique; de même, l’acte narratif est une des activités qui permettent de structurer cette représentation des actions. Le cas du théâtre montre, s’il en était encore besoin, que le fait de « raconter une histoire » n’a pas besoin d’être pris en charge par un narrateur, mais qu’il peut tout aussi bien être représenté (en l’occurrence actantiellement) comme séquence d’événements #. Donc, le fait que bon nombre des catégories narratologiques puissent être appliquées à la fiction cinématographique «
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77. Genette (1972), p. 67-273. 78. Pour se convaincre de la pertinence de la narratologie sur ce point, il suffit de lire les analyses de François Jost consacrées à ce qu’il appelle l’ocularisation et à ses liens (complexes) avec la focalisation. Voir Jost (1987). 79. Voir par exemple Gaudreault et Jost (1990).
80. Le fait que dans le cas du cinéma ma perception soit « contrainte » par le flux quasi perceptif du mimème filmique, ce qui n’est évidemment pas le cas au théâtre, ne suffit pas pour légitimer la thèse d’une instance narrative, ni même d’un « Grand Imagier », À quelques exceptions près, le spectateur de cinéma ne voit pas le film comme quelque chose que quelqu'un lui montrerait, mais comme un flux perceptif qui serait le sien propre.
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base de toute compréhension de la fiction cinématographique est une analyse correcte de ce qui se passe au niveau de la perception (visuelle et sonore) du film. « En fait, insistera-t-on, nous ne sommes toujours pas sortis de la caricature. Les termes d’“énonciation”, d’“actes de langage”, ne sont que des métaphores. Ils indiquent simplement qu’une fiction cinématographique raconte toujours une histoire, et qu’elle a donc une structure narrative. Cela justifie qu’on lui applique, métaphoriquement, les catégories qui ont fait leur preuve dans le domaine de la narration verbale : si “‘énonciation” vous gêne, vous n’avez qu’à parler de “narration”, et si ‘“‘énonciateur” vous donne de l’urticaire, libre à vous de le remplacer par “narrateur”. » Mais précisément, remplacer les catégories linguistiques par les catégories narratives revient à changer de problématique : comme je l’ai dit, les secondes n’impliquent pas les premières. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de liens entre les deux : simplement il se pourrait qu’une partie des catégories narratives soit applicable à la fiction cinématographique sans que pour autant on puisse la traiter comme l’équivalent visuel d’une narration verbale. Ce qui nous amène à la version faible de la thèse exposée plus haut. Je partirai du fait que la pertinence pour l’analyse de la fiction cinématographique de bon nombre des distinctions élaborées par la narratologie ne fait aucun doute. Ainsi, lorsqu’on prend la liste des catégories d’analyse proposées par Gérard Genette 77, on découvre vite que les problèmes liés à la distinction entre le temps de l’histoire et le temps du récit (questions d’ordre, de vitesse, et même, bien que dans une moindre mesure, de fréquence), la question des modalités de focalisation #8, ou encore le problème des niveaux narratifs, sont du même ordre dans le domaine de la narration verbale et dans celui de la fiction cinématographique ”. Comment en serait-il autrement, puisque toute
raconte une histoire » ? En fait, tout le problème tourne autour du sens qu’on donne à cette expression. Il me semble qu’en partant de la constatation juste qu’un film, comme un récit, « raconte une histoire », et que donc on peut l’analyser partiellement à l’aide des catégories qui conviennent au récit, on en conclut trop rapidement que la fiction cinématographique n’est qu’une transposition sémiotique de la structure du récit verbal. Une hypothèse à la fois plus simple et, à mon avis, plus plausible, est de considérer que les parentés entre les deux types de fiction ne sont pas dues au fait que la structure événementielle du film serait un transcodage de la structure narrative du récit verbal, mais au fait que la fiction cinématographique, comme la fiction verbale, organisent les événements en partant d’un fondement commun qui est celui de la logique actantielle. Cela est cohérent avec le fait que les catégories de la narratologie qui sont les plus adaptées à la fiction cinématographique sont celles qui relèvent, soit de la relation entre l’histoire (la séquence réelle ou supposée des événements) et le récit (la manière dont les événements sont présentés), soit celles qui concernent les relations temporelles entre l’acte narratif et l’histoire. On pourrait donc proposer l’hypothèse suivante : la structure de l’histoire est celle de la logique de l’action; le récit, conçu comme acte verbal endossé par un narrateur, est une des manières selon lesquelles on peut représenter cette logique; de même, l’acte narratif est une des activités qui permettent de structurer cette représentation des actions. Le cas du théâtre montre, s’il en était encore besoin, que le fait de « raconter une histoire » n’a pas besoin d’être pris en charge par un narrateur, mais qu’il peut tout aussi bien être représenté (en l’occurrence actantiellement) comme séquence d’événements #. Donc, le fait que bon nombre des catégories narratologiques puissent être appliquées à la fiction cinématographique «
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n’implique pas qu’on doive en conclure que le film est un récit au sens technique du terme, c’est-à-dire la représentation d’une séquence actantielle prise en charge par un énonciateur (narrateur) 8! Rien ne s’oppose non plus à ce que la fiction cinématographique ait recours aux mêmes types de relations entre représentation filmique et histoire que celles utilisées par le récit (telles des prolepses, des analepses, des anisochronies, etc.) : en fait, on sait bien que le cinéma a emprunté beaucoup de techniques au récit de fiction, de même que le récit de fiction s’est inspiré de certaines techniques d’organisation développées par le cinéma. Que certaines manières d’organiser par exemple les relations entre le temps des événements représentés et le temps de la représentation aient été empruntées directement au récit de fiction (notamment les prolepses et les analepses) ne transforme pas la représentation filmique en narration, car les mêmes procédés (en tout cas les analepses) ont été repris dans certaines formes de théâtre moderne. Aucune de ces influences croisées n’implique que la fiction cinématographique soit un récit au sens technique du terme et donc qu’elle soit « narrée » par un narrateur: elles s’expliquent tout simplement par le fait que le récit de fiction comme la représentation cinématographique partent de la même base, la logique des actions, et ont le même but: construire des représentations fictionnelles convaincantes et intéressantes de l’action humaine. Mais les manières dont elles élaborent ces
narratif » ne correspond à rien de réel, sauf, bien sûr, lorsque le film comporte effectivement une figure de narrateur &. Car, si le narrateur n’est pas nécessaire à la construction d’une fiction cinématographique, celle-ci n’en est pas pour autant incompatible sage
telle
figure: rien n’interdit d’introduire
IN ONON
NO)
représentations, et donc les manières selon lesquelles le récepteur peut y accéder sont différentes : narration d’un côté, mimèmes perceptifs de l’autre. « Raconter une histoire » n’implique donc pas « être une narration » au sens technique du terme, c’est-à-dire un acte de langage endossé par un narrateur. Et en l’occurrence, l’analyse de la construction de l’action filmique (et de son mode de réception) en termes d’« énonciateur », de « narrateur », d’« auteur implicite », de « narrateur implicite », de « méga-narrateur », de « mes-
un narrateur, charge quelques scènes seulement ou le film entier. Dans tous ces cas, il est évidemment licite de se servir aussi des catégories narratologiques qui relèvent des déterminations spécifiques de l’instance narrative, c’est-à-dire que l’on peut selon les situations parler de narrateur hétérodiégétique ou intradiégétique, de niveaux de narration, de narration métadiégétique, etc. Encore convient-il de distinguer ces situations de celles où une scène est présentée comme étant l’expérience perceptive (perception sensible ou image mentale) d’un personnage. Ce cas de figure, celui de l’ocularisation interne (Jost), est certes apparenté à la focalisation narrative interne au sens où celle-ci représente l’univers à travers la subjectivité d’un personnage &, mais il ne s’inscrit pas pour autant dans une logique narrative : il s’agit d’une subjectivation perceptive et non pas d’une modalisation spécifique d’un récit. Pour en revenir au rôle de la narration dans les fictions cinématographiques, il me semble que les états filmiques à narrateur sont des états marqués par rapport à l’état non marqué qui est celui de l’absence de toute médiation de nature narrative. C’est d’ailleurs en cela que le passage d’une scène vue à travers les yeux d’un personnage à une scène vue en régime «normal» ne signifie pas que le spectateur change de focalisation narrative : il passe d’une immersion dans les états mentaux perceptifs (externes ou internes) d’un personnage à celle de l’immersion dans un univers perceptif « objectif ». Si la fiction narrative (verbale) et la fiction cinématographique sont irréductibles l’une à l’autre, c’est tout simplement parce qu’une description verbale d'événements (réels ou fictifs) n’est pas la même chose qu’une représentation quasi perceptive de ces
81. L'excellent travail de Garcia Barrientos (1991) montre d’ailleurs qu’une grande partie des catégories de la narratologie sont aussi pertinentes pour le théâtre. Personne n’en conclurait que le théâtre est un genre narratif, au sens où il y aurait une « instance racontante ».
280). Pour des critiques allant dans le même sens, voir Currie (1995, p.22583. Les deux techniques sont apparentées, mais non identiques. Voir, dans ce chapitre, note 24,
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avec une
qu’il prenne
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narratif » ne correspond à rien de réel, sauf, bien sûr, lorsque le film comporte effectivement une figure de narrateur &. Car, si le narrateur n’est pas nécessaire à la construction d’une fiction cinématographique, celle-ci n’en est pas pour autant incompatible sage
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représentations, et donc les manières selon lesquelles le récepteur peut y accéder sont différentes : narration d’un côté, mimèmes perceptifs de l’autre. « Raconter une histoire » n’implique donc pas « être une narration » au sens technique du terme, c’est-à-dire un acte de langage endossé par un narrateur. Et en l’occurrence, l’analyse de la construction de l’action filmique (et de son mode de réception) en termes d’« énonciateur », de « narrateur », d’« auteur implicite », de « narrateur implicite », de « méga-narrateur », de « mes-
un narrateur, charge quelques scènes seulement ou le film entier. Dans tous ces cas, il est évidemment licite de se servir aussi des catégories narratologiques qui relèvent des déterminations spécifiques de l’instance narrative, c’est-à-dire que l’on peut selon les situations parler de narrateur hétérodiégétique ou intradiégétique, de niveaux de narration, de narration métadiégétique, etc. Encore convient-il de distinguer ces situations de celles où une scène est présentée comme étant l’expérience perceptive (perception sensible ou image mentale) d’un personnage. Ce cas de figure, celui de l’ocularisation interne (Jost), est certes apparenté à la focalisation narrative interne au sens où celle-ci représente l’univers à travers la subjectivité d’un personnage &, mais il ne s’inscrit pas pour autant dans une logique narrative : il s’agit d’une subjectivation perceptive et non pas d’une modalisation spécifique d’un récit. Pour en revenir au rôle de la narration dans les fictions cinématographiques, il me semble que les états filmiques à narrateur sont des états marqués par rapport à l’état non marqué qui est celui de l’absence de toute médiation de nature narrative. C’est d’ailleurs en cela que le passage d’une scène vue à travers les yeux d’un personnage à une scène vue en régime «normal» ne signifie pas que le spectateur change de focalisation narrative : il passe d’une immersion dans les états mentaux perceptifs (externes ou internes) d’un personnage à celle de l’immersion dans un univers perceptif « objectif ». Si la fiction narrative (verbale) et la fiction cinématographique sont irréductibles l’une à l’autre, c’est tout simplement parce qu’une description verbale d'événements (réels ou fictifs) n’est pas la même chose qu’une représentation quasi perceptive de ces
81. L'excellent travail de Garcia Barrientos (1991) montre d’ailleurs qu’une grande partie des catégories de la narratologie sont aussi pertinentes pour le théâtre. Personne n’en conclurait que le théâtre est un genre narratif, au sens où il y aurait une « instance racontante ».
280). Pour des critiques allant dans le même sens, voir Currie (1995, p.22583. Les deux techniques sont apparentées, mais non identiques. Voir, dans ce chapitre, note 24,
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mêmes événements. Toute représentation verbale d’une chaîne d'événements et d’actions implique un acte narratif, parce que présenter verbalement des actions c’est narrer ces actions. À l’inverse, si dans la fiction cinématographique la posture narrative est l’exception et non pas la règle, c’est parce que la représentation quasi perceptive d’une séquence d’événements n’est pas un acte narratif, mais consiste dans le fait de mettre devant les yeux (et les oreilles) du spectateur une séquence d'événements. De même, si un récit verbal implique toujours un narrateur, c’est parce qu’il n’existe de représentation verbale qu’endossée par
énonciateur. En revanche, la représentation visuelle d’une suite d’événements n’a nul besoin d’être endossée par un sujet. Ou encore si un récit de fiction implique toujours l’existence d’une feintise narratoriale, c’est parce que, étant de nature verbale, il ne peut simuler, comme Gérard Genette l’a noté, que des actes verbaux, donc des actes de langage et donc une instance qui énonce ces actes. Dans les figurations qui tirent profit d’une représentation par imitation, la situation est fort différente : pour représenter des actions, il leur suffit de détourner une relation mimétique déjà existante, c’est-à-dire de la faire opérer dans le cadre d’une feintise ludique, selon une logique du semblant susceptible d’induire une immersion perceptive. Bref, le cas canonique de la fiction cinématographique est la représentation visuelle d’une séquence d’actions, étant entendu que cette séquence pourrait par ailleurs aussi être narrée verbalement. Dès lors qu’elle est filmée, elle se donne à voir et à entendre comme la représentation perceptivement accessible d’une séquence d’actions; dès lors qu’elle est racontée (au sens technique du terme), elle se donne à lire comme énoncée par un narrateur. Certes, dans le cas d’une fiction verbale comme dans celui d’une fiction ciné-
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matographique, nous avons affaire à une modélisation fictionnelle de situations intramondaines, et plus précisément d’une suite d’actions et d’événements vécus (en général) par des êtres humains, séquence construite de telle façon qu’elle soit intelligible pour un récepteur humain. Mais ce qui distingue les deux types de fiction, ce sont le vecteur et la posture d’immersion : une feintise d’actes narratifs dans le premier cas, une feintise d’actes perceptifs dans le deuxième. 304
DE QUELQUES DISPOSITIFS FICTIONNELS
Ceux qui défendent une conception strictement narrative du cinéma supposent souvent que la seule alternative réside dans la théorie de l’autonarration défendue par Hamburger. Robert Burgoyne note ainsi : « Sous prétexte que le cinéma est un moyen d'expression visuel plutôt que verbal, qui ne suppose pas de locuteur ou d’auditeur au sens littéral du terme, certains théoriciens soutiennent qu’il n’est pas vraiment besoin d’assigner une source narratrice à la représentation du monde fictionnel: les événements de celui-ci “se racontent eux-mêmes” tout simplement, selon l’expression d’Émile Benveniste #. » En fait, on peut fort bien admettre que l’auteur ou les auteurs d’un film racontent une histoire, ou que le film raconte une histoire (dans les deux cas au sens courant de l’expression « raconter une histoire »), sans pour autant devoir en conclure que le film est une narration, et que donc si on refuse l’idée d’un narrateur, on est condamné à admettre qu’il s’agit d’un récit qui se raconte lui-même. La logique de la compréhension filmique est celle de l’accès perceptif aux actions, situations et événements représentés visuellement et sur le plan sonore, et non pas celle de l’accès à un témoignage verbal rendant compte de ces actions, situations et événements. Quant à la question de savoir qui est à l’origine de ce que nous voyons, la réponse est simple: ce sont tous ceux qui ont collaboré à la confection du film de l’auteur du script au réalisateur et aux acteurs, en passant par le cameraman, l’ingénieur du son, le monteur et tout le personnel technique. Ce sont eux qui ont mis bout à bout un certain nombre de plans et de séquences, qui les ont montés en sorte qu’ils soient susceptibles d’être assimilés par le spectateur sur le mode de l’immersion fictionnelle dans un univers actantiel vécu selon des modalités perceptives. Mais ils restent en dehors de l’univers fictionnel et n’y délèguent pas non plus des représentants fictifs (auteur implicite, narrateur implicite, etc.), pour la simple raison que l’action cinématographique n’est pas (sauf dans des cas bien particuliers) un récit assumé par un narrateur, ou, pour le dire autrement, parce que la fiction cinématographique n’est pas une feintise d’actes de langage, maïs une feintise de nature perceptive. Ce n’est donc pas notre compétence —
84. Burgoyne (1991), p. 272.
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mêmes événements. Toute représentation verbale d’une chaîne d'événements et d’actions implique un acte narratif, parce que présenter verbalement des actions c’est narrer ces actions. À l’inverse, si dans la fiction cinématographique la posture narrative est l’exception et non pas la règle, c’est parce que la représentation quasi perceptive d’une séquence d’événements n’est pas un acte narratif, mais consiste dans le fait de mettre devant les yeux (et les oreilles) du spectateur une séquence d'événements. De même, si un récit verbal implique toujours un narrateur, c’est parce qu’il n’existe de représentation verbale qu’endossée par
énonciateur. En revanche, la représentation visuelle d’une suite d’événements n’a nul besoin d’être endossée par un sujet. Ou encore si un récit de fiction implique toujours l’existence d’une feintise narratoriale, c’est parce que, étant de nature verbale, il ne peut simuler, comme Gérard Genette l’a noté, que des actes verbaux, donc des actes de langage et donc une instance qui énonce ces actes. Dans les figurations qui tirent profit d’une représentation par imitation, la situation est fort différente : pour représenter des actions, il leur suffit de détourner une relation mimétique déjà existante, c’est-à-dire de la faire opérer dans le cadre d’une feintise ludique, selon une logique du semblant susceptible d’induire une immersion perceptive. Bref, le cas canonique de la fiction cinématographique est la représentation visuelle d’une séquence d’actions, étant entendu que cette séquence pourrait par ailleurs aussi être narrée verbalement. Dès lors qu’elle est filmée, elle se donne à voir et à entendre comme la représentation perceptivement accessible d’une séquence d’actions; dès lors qu’elle est racontée (au sens technique du terme), elle se donne à lire comme énoncée par un narrateur. Certes, dans le cas d’une fiction verbale comme dans celui d’une fiction ciné-
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matographique, nous avons affaire à une modélisation fictionnelle de situations intramondaines, et plus précisément d’une suite d’actions et d’événements vécus (en général) par des êtres humains, séquence construite de telle façon qu’elle soit intelligible pour un récepteur humain. Mais ce qui distingue les deux types de fiction, ce sont le vecteur et la posture d’immersion : une feintise d’actes narratifs dans le premier cas, une feintise d’actes perceptifs dans le deuxième. 304
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Ceux qui défendent une conception strictement narrative du cinéma supposent souvent que la seule alternative réside dans la théorie de l’autonarration défendue par Hamburger. Robert Burgoyne note ainsi : « Sous prétexte que le cinéma est un moyen d'expression visuel plutôt que verbal, qui ne suppose pas de locuteur ou d’auditeur au sens littéral du terme, certains théoriciens soutiennent qu’il n’est pas vraiment besoin d’assigner une source narratrice à la représentation du monde fictionnel: les événements de celui-ci “se racontent eux-mêmes” tout simplement, selon l’expression d’Émile Benveniste #. » En fait, on peut fort bien admettre que l’auteur ou les auteurs d’un film racontent une histoire, ou que le film raconte une histoire (dans les deux cas au sens courant de l’expression « raconter une histoire »), sans pour autant devoir en conclure que le film est une narration, et que donc si on refuse l’idée d’un narrateur, on est condamné à admettre qu’il s’agit d’un récit qui se raconte lui-même. La logique de la compréhension filmique est celle de l’accès perceptif aux actions, situations et événements représentés visuellement et sur le plan sonore, et non pas celle de l’accès à un témoignage verbal rendant compte de ces actions, situations et événements. Quant à la question de savoir qui est à l’origine de ce que nous voyons, la réponse est simple: ce sont tous ceux qui ont collaboré à la confection du film de l’auteur du script au réalisateur et aux acteurs, en passant par le cameraman, l’ingénieur du son, le monteur et tout le personnel technique. Ce sont eux qui ont mis bout à bout un certain nombre de plans et de séquences, qui les ont montés en sorte qu’ils soient susceptibles d’être assimilés par le spectateur sur le mode de l’immersion fictionnelle dans un univers actantiel vécu selon des modalités perceptives. Mais ils restent en dehors de l’univers fictionnel et n’y délèguent pas non plus des représentants fictifs (auteur implicite, narrateur implicite, etc.), pour la simple raison que l’action cinématographique n’est pas (sauf dans des cas bien particuliers) un récit assumé par un narrateur, ou, pour le dire autrement, parce que la fiction cinématographique n’est pas une feintise d’actes de langage, maïs une feintise de nature perceptive. Ce n’est donc pas notre compétence —
84. Burgoyne (1991), p. 272.
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POURQUOI LA FICTION ?
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dans le domaine de quelque « grande syntagmatique » (Christian Metz) narrative qui nous permet de comprendre un film. C’est, à l’inverse, notre compétence dans le champ de l’identification perceptive des événements et de la compréhension intentionnelle de la logique des actions (dont fait partie notre capacité à comprendre les actes de langage échangés) qui nous permet d’interpréter correctement les multiples conventions mises au point par le cinéma pour intégrer ces événements et ces actions dans la séquence d’une histoire bien (ou mal) ficelée.
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7. Fictions numériques
Au moment de présenter les polémiques actuelles concernant les médias numériques, j’avais laissé en suspens la question de savoir dans quelle mesure les fictions numériques sont susceptibles de se distinguer des fictions « traditionnelles ». Il est possible d’y répondre maintenant : dans la mesure où la définition de la fiction est d’ordre pragmatique, donc pour autant qu’elle correspond à une attitude intentionnelle spécifique et à un usage particulier des représentations, son statut ne dépend pas du support sémiotique utilisé. Quant à la thèse selon laquelle les médias numériques comme tels impliquent une «irréalisation du monde », l’analyse de la distinction entre dispositifs mimétiques et dispositifs fictionnels montre qu’elle confond le problème du statut des médias avec la question de leur usage éventuel pour produire des feintises ludiques. Ajoutons que pour autant qu’on se sert du support numérique dans une visée mimétique, on peut évidemment aussi l’utiliser pour produire des leurres ou des simulacres au service d’une feintise sérieuse. Mais ces problèmes ne concernent en rien le statut du support numérique lui-même. Pour se faire une idée juste des fictions numériques, il faut donc d’abord distinguer la question du support de celle de l’usage fictionnel de ce support. Il faut aussi se débarrasser d’une deuxième ambiguïté : l’expression « fiction numérique » est utilisée indifféremment pour désigner l’« incarnation » numérique de dispositifs fictionnels quelconques (verbaux ou mimétiques par exemple) et les fictions proprement numériques, c’est-à-dire celles où le dis306
DE QUELQUES DISPOSITIFS FICTIONNELS
positif fictionnel lui-même tire profit
des possibilités techniques du support numérique. Ce sont évidemment uniquement ces dernières qui me retiendront ici. J’essaierai d’abord de montrer en quel sens les fictions numériques sont effectivement des fictions au sens canonique du terme, c’est-à-dire en quel sens elles sont conformes à la définition de la fiction comme feintise ludique partagée et ne comportent pas un plus grand risque d’« irréalisation » du monde que les fictions prénumériques. Pour ne pas solliciter à nouveau la pauvre Lara Croft, je prendrai le cas d’un autre jeu électronique qui fait fureur au moment où j'écris ces lignes (et qui donc risque d’être oublié lorsque vous les lirez). Je veux parler du Tamagotchi, ce petit personnage qui sautille sur un écran minuscule, et qui est en fait un équivalent numérique des poupées et autres peluches « traditionnelles ». Comme il vise d’abord la clientèle enfantine, le Tamagotchi n’a pas manqué d’inquiéter les pédagogues (il est vrai qu’un pédagogue est toujours inquiet c’est un trait qui fait partie de sa définition) : les enfants, à force de s’immerger dans des interactions avec une entité purement « virtuelle », ne risquent-ils pas de perdre le contact avec la « réalité », voire de confondre les règles du monde « virtuel » avec celles du monde « réel » ? On peut noter d’abord que si un tel risque existe (ou existait), il n'est (ne serait) ni plus ni moins grand que dans le cas d’une poupée, d’un animal en peluche ou de n’importe quel autre support pour activités imaginatives. D’ailleurs, les pédagogues d’antan n'ont pas manqué de soupçonner les fictions prénumériques, par exemple le roman, voire les jeux fictionnels des enfants, de comporter des risques du même ordre. Sans remonter jusqu’à l’Émile de Rousseau, il suffit de rappeler que pour la pédagogue Maria Montessori par exemple le jeu imaginatif était une « tendance pathologique de la petite enfance », un « défaut de caractère » qu’il fallait décourager $. Et les romanciers du désenchantement n'ont pas manqué de tirer parti de ce soupçon pour distinguer leur propre entreprise de celle du romanesque merveilleux (par exemple Cervantès dans Don Quichotte) ou sentimental (ainsi Flaubert —
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85. Cité par Singer (1973), p. 76.
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dans le domaine de quelque « grande syntagmatique » (Christian Metz) narrative qui nous permet de comprendre un film. C’est, à l’inverse, notre compétence dans le champ de l’identification perceptive des événements et de la compréhension intentionnelle de la logique des actions (dont fait partie notre capacité à comprendre les actes de langage échangés) qui nous permet d’interpréter correctement les multiples conventions mises au point par le cinéma pour intégrer ces événements et ces actions dans la séquence d’une histoire bien (ou mal) ficelée.
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7. Fictions numériques
Au moment de présenter les polémiques actuelles concernant les médias numériques, j’avais laissé en suspens la question de savoir dans quelle mesure les fictions numériques sont susceptibles de se distinguer des fictions « traditionnelles ». Il est possible d’y répondre maintenant : dans la mesure où la définition de la fiction est d’ordre pragmatique, donc pour autant qu’elle correspond à une attitude intentionnelle spécifique et à un usage particulier des représentations, son statut ne dépend pas du support sémiotique utilisé. Quant à la thèse selon laquelle les médias numériques comme tels impliquent une «irréalisation du monde », l’analyse de la distinction entre dispositifs mimétiques et dispositifs fictionnels montre qu’elle confond le problème du statut des médias avec la question de leur usage éventuel pour produire des feintises ludiques. Ajoutons que pour autant qu’on se sert du support numérique dans une visée mimétique, on peut évidemment aussi l’utiliser pour produire des leurres ou des simulacres au service d’une feintise sérieuse. Mais ces problèmes ne concernent en rien le statut du support numérique lui-même. Pour se faire une idée juste des fictions numériques, il faut donc d’abord distinguer la question du support de celle de l’usage fictionnel de ce support. Il faut aussi se débarrasser d’une deuxième ambiguïté : l’expression « fiction numérique » est utilisée indifféremment pour désigner l’« incarnation » numérique de dispositifs fictionnels quelconques (verbaux ou mimétiques par exemple) et les fictions proprement numériques, c’est-à-dire celles où le dis306
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positif fictionnel lui-même tire profit
des possibilités techniques du support numérique. Ce sont évidemment uniquement ces dernières qui me retiendront ici. J’essaierai d’abord de montrer en quel sens les fictions numériques sont effectivement des fictions au sens canonique du terme, c’est-à-dire en quel sens elles sont conformes à la définition de la fiction comme feintise ludique partagée et ne comportent pas un plus grand risque d’« irréalisation » du monde que les fictions prénumériques. Pour ne pas solliciter à nouveau la pauvre Lara Croft, je prendrai le cas d’un autre jeu électronique qui fait fureur au moment où j'écris ces lignes (et qui donc risque d’être oublié lorsque vous les lirez). Je veux parler du Tamagotchi, ce petit personnage qui sautille sur un écran minuscule, et qui est en fait un équivalent numérique des poupées et autres peluches « traditionnelles ». Comme il vise d’abord la clientèle enfantine, le Tamagotchi n’a pas manqué d’inquiéter les pédagogues (il est vrai qu’un pédagogue est toujours inquiet c’est un trait qui fait partie de sa définition) : les enfants, à force de s’immerger dans des interactions avec une entité purement « virtuelle », ne risquent-ils pas de perdre le contact avec la « réalité », voire de confondre les règles du monde « virtuel » avec celles du monde « réel » ? On peut noter d’abord que si un tel risque existe (ou existait), il n'est (ne serait) ni plus ni moins grand que dans le cas d’une poupée, d’un animal en peluche ou de n’importe quel autre support pour activités imaginatives. D’ailleurs, les pédagogues d’antan n'ont pas manqué de soupçonner les fictions prénumériques, par exemple le roman, voire les jeux fictionnels des enfants, de comporter des risques du même ordre. Sans remonter jusqu’à l’Émile de Rousseau, il suffit de rappeler que pour la pédagogue Maria Montessori par exemple le jeu imaginatif était une « tendance pathologique de la petite enfance », un « défaut de caractère » qu’il fallait décourager $. Et les romanciers du désenchantement n'ont pas manqué de tirer parti de ce soupçon pour distinguer leur propre entreprise de celle du romanesque merveilleux (par exemple Cervantès dans Don Quichotte) ou sentimental (ainsi Flaubert —
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dans Madame Bovary). Quoi qu’il en soit, dans le cas du Tamagotchi, le risque de confusion ontologique ne saurait être plus grand que dans les fictions classiques, pour la simple raison que, contrairement à ce que prétendent ceux qui aiment se faire peur à peu de frais, il ne remplace pas l’animal de compagnie réel (ni, bien sûr, la sœur ou le frère), mais le traditionnel animal en peluche ou la poupée, donc des « êtres » tout aussi fictionnels que lui et dont il reprend la fonction. Parler de « jouet virtuel » ne fait
qu’entretenir la confusion : lorsqu’un enfant joue avec une pou« réelle », il ne joue pas non plus avec l’objet en porcelaine, en bois, en plastique ou en peluche qu’il tient dans ses mains, mais bien avec l’être « virtuel » (et plus précisément fictionnel) qu’il imagine tenir dans ses bras, en se servant des aspects mimétiques de l’objet matériel comme amorce fictionnelle. Que dans le cas du Tamagotchi le stimulus inducteur soit un personnage se déplaçant sur un petit écran, alors que dans celui d’une poupée ou d’une peluche il s’agit d’une imitation tridimensionnelle d’un corps d’enfant ou d’animal, ne change rien au fait que la fonction demeure la même la poupée ou la peluche tout comme le personnage sur l’écran sont des amorces mimétiques pour une activité de modélisation fictionnelle. Il y a plus : le seul trait important par lequel le Tamagotchi se distingue des poupées ou peluches traditionnelles est tel qu’il ne fait que rendre d’autant moins crédible la thèse du danger d’«irréalisation ». En effet, loin de libérer l’enfant davantage des contraintes « réelles » que ne le fait une poupée matérielle, il lui en impose davantage. Et cela est dû précisément au fait qu’il s’agit d’un jouet programmé : cette caractéristique réduit en effet singulièrement la diversité des jeux de rôles qu’on peut jouer avec lui. Dans le cas d’une poupée réelle, les limites des jeux fictionnels coïncident avec celles de l’imagination de l’enfant. Dans le cas du Tamagotchi, elles coïncident avec celles de l’imagination (en l’occurrence plutôt fruste) du concepteur du programme. Aussi, plus qu’une poupée réelle, le Tamagotchi est-il susceptible d’apprendre à l’enfant que ce qui caractérise la réalité par opposition au monde de l’imagination c’est que nous sommes obligés « de faire avec ». Certes, dans le cas présent la réalité avec laquelle doit compter l’enfant c’est l'imagination du
concepteur. Mais l’imagination, en tant qu’elle se cristallise dans des formes, est aussi une réalité. En ce sens, le compagnon virtuel limite davantage le règne du principe de plaisir que ne saurait le faire une poupée réelle » : lorsque le bonhomme a faim, il faut le nourrir, lorsqu’il est malade, il faut lui faire une piqûre ; ne pas obéir à ces injonctions qui sont celles du concepteur du jouet revient à diminuer sa durée de vie « virtuelle ». Et, contrairement à ce qui se passe avec un animal en peluche, on ne peut pas changer les règles du jeu selon les besoins du moment. Par exemple, on ne peut pas décréter que, puisqu'on n’a plus envie de jouer, eh bien, le Tamagotchi n’aura plus faim ou ne sera plus malade. En effet, si on ne fait pas les gestes requis, la drôle de bête « meurt ». D'ailleurs, même si on la soigne à la perfection, elle finira par mourir, puisque sa durée de vie est déterminée par l’horloge interne du processeur. Autrement dit, les comportements réels de l'enfant (le fait d’appuyer ou de ne pas appuyer sur tel ou tel bouton), ainsi que les contraintes réelles du programme élaboré par le concepteur ont des conséquences au niveau du monde imaginaire, et donc contraignent fortement les jeux imaginatifs. Lorsque l’enfant joue avec une poupée réelle, ces liens causaux sont beaucoup plus distendus. Arracher un bras ou un œil au nounours réel a certes en général aussi des conséquences au niveau du nounours imaginé, mais on peut toujours s’arranger pour exclure le handicap réel de la dynamique mimétique. Il n’en va pas de même dans le cas des contraintes imposées par le programmeur du Tamagotchi, car c’est lui qui est le véritable maître du jeu. Bref, loin de parler en faveur de la thèse d’une rupture fondamentale entre les jeux fictionnels prénumériques et les fictions « cybernétiques », le Tamagotchi montre que les jeux fictionnels numériques trouvent tout naturellement leur place dans le domaine « traditionnellement » réservé aux feintises ludiques. En général, on associe trois caractéristiques principales aux médias numériques, des caractéristiques qui jouent bien entendu aussi un grand rôle dans leur usage fictionnel : le multimédia, l’interactivité et l’immersion totale. L'aspect « multimédiatique » des fictions numériques tire profit du fait que le codage numérique est un support sémiotique universel et réversible : il est universel, puisque n’importe quel signal peut être numérisé; il est
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dans Madame Bovary). Quoi qu’il en soit, dans le cas du Tamagotchi, le risque de confusion ontologique ne saurait être plus grand que dans les fictions classiques, pour la simple raison que, contrairement à ce que prétendent ceux qui aiment se faire peur à peu de frais, il ne remplace pas l’animal de compagnie réel (ni, bien sûr, la sœur ou le frère), mais le traditionnel animal en peluche ou la poupée, donc des « êtres » tout aussi fictionnels que lui et dont il reprend la fonction. Parler de « jouet virtuel » ne fait
qu’entretenir la confusion : lorsqu’un enfant joue avec une pou« réelle », il ne joue pas non plus avec l’objet en porcelaine, en bois, en plastique ou en peluche qu’il tient dans ses mains, mais bien avec l’être « virtuel » (et plus précisément fictionnel) qu’il imagine tenir dans ses bras, en se servant des aspects mimétiques de l’objet matériel comme amorce fictionnelle. Que dans le cas du Tamagotchi le stimulus inducteur soit un personnage se déplaçant sur un petit écran, alors que dans celui d’une poupée ou d’une peluche il s’agit d’une imitation tridimensionnelle d’un corps d’enfant ou d’animal, ne change rien au fait que la fonction demeure la même la poupée ou la peluche tout comme le personnage sur l’écran sont des amorces mimétiques pour une activité de modélisation fictionnelle. Il y a plus : le seul trait important par lequel le Tamagotchi se distingue des poupées ou peluches traditionnelles est tel qu’il ne fait que rendre d’autant moins crédible la thèse du danger d’«irréalisation ». En effet, loin de libérer l’enfant davantage des contraintes « réelles » que ne le fait une poupée matérielle, il lui en impose davantage. Et cela est dû précisément au fait qu’il s’agit d’un jouet programmé : cette caractéristique réduit en effet singulièrement la diversité des jeux de rôles qu’on peut jouer avec lui. Dans le cas d’une poupée réelle, les limites des jeux fictionnels coïncident avec celles de l’imagination de l’enfant. Dans le cas du Tamagotchi, elles coïncident avec celles de l’imagination (en l’occurrence plutôt fruste) du concepteur du programme. Aussi, plus qu’une poupée réelle, le Tamagotchi est-il susceptible d’apprendre à l’enfant que ce qui caractérise la réalité par opposition au monde de l’imagination c’est que nous sommes obligés « de faire avec ». Certes, dans le cas présent la réalité avec laquelle doit compter l’enfant c’est l'imagination du
concepteur. Mais l’imagination, en tant qu’elle se cristallise dans des formes, est aussi une réalité. En ce sens, le compagnon virtuel limite davantage le règne du principe de plaisir que ne saurait le faire une poupée réelle » : lorsque le bonhomme a faim, il faut le nourrir, lorsqu’il est malade, il faut lui faire une piqûre ; ne pas obéir à ces injonctions qui sont celles du concepteur du jouet revient à diminuer sa durée de vie « virtuelle ». Et, contrairement à ce qui se passe avec un animal en peluche, on ne peut pas changer les règles du jeu selon les besoins du moment. Par exemple, on ne peut pas décréter que, puisqu'on n’a plus envie de jouer, eh bien, le Tamagotchi n’aura plus faim ou ne sera plus malade. En effet, si on ne fait pas les gestes requis, la drôle de bête « meurt ». D'ailleurs, même si on la soigne à la perfection, elle finira par mourir, puisque sa durée de vie est déterminée par l’horloge interne du processeur. Autrement dit, les comportements réels de l'enfant (le fait d’appuyer ou de ne pas appuyer sur tel ou tel bouton), ainsi que les contraintes réelles du programme élaboré par le concepteur ont des conséquences au niveau du monde imaginaire, et donc contraignent fortement les jeux imaginatifs. Lorsque l’enfant joue avec une poupée réelle, ces liens causaux sont beaucoup plus distendus. Arracher un bras ou un œil au nounours réel a certes en général aussi des conséquences au niveau du nounours imaginé, mais on peut toujours s’arranger pour exclure le handicap réel de la dynamique mimétique. Il n’en va pas de même dans le cas des contraintes imposées par le programmeur du Tamagotchi, car c’est lui qui est le véritable maître du jeu. Bref, loin de parler en faveur de la thèse d’une rupture fondamentale entre les jeux fictionnels prénumériques et les fictions « cybernétiques », le Tamagotchi montre que les jeux fictionnels numériques trouvent tout naturellement leur place dans le domaine « traditionnellement » réservé aux feintises ludiques. En général, on associe trois caractéristiques principales aux médias numériques, des caractéristiques qui jouent bien entendu aussi un grand rôle dans leur usage fictionnel : le multimédia, l’interactivité et l’immersion totale. L'aspect « multimédiatique » des fictions numériques tire profit du fait que le codage numérique est un support sémiotique universel et réversible : il est universel, puisque n’importe quel signal peut être numérisé; il est
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réversible, puisqu’un signal numérisé peut être retraduit dans son signal analogique d’origine %. Autrement dit, les supports numériques accèdent à une ubiquité sémiotique complète, puisqu'ils peuvent encoder indifféremment des signes linguistiques, iconiques ou phoniques et les combiner entre eux. Cette combinaison permet de regrouper en une seule œuvre des techniques fictionnelles liées à des médias différents, ce qui, en principe du moins, est susceptible de renforcer sa puissance mimétique. Quant à l’aspect interactif des fictions numériques, il est dû au fait que la matrice numérique peut être programmée afin de simuler par exemple un environnement perceptif et physique causalement lié aux actions réelles du récepteur. Le programme peut aussi simuler l’existence d’une personne qui relaie mes propres actions : c’est ce qui se passe dans le cas des jeux d’aventures où le joueur est représenté à l’intérieur de l’univers fictionnel par un personnage qui interagit avec d’autres personnages. Cette simulation « personnifiante » peut évidemment être intégrée dans la simulation d’un environnement perceptif et physique, ainsi dans certains dispositifs de « réalité virtuelle » où le joueur a un double virtuel qui « déambule » dans l’univers fictionnel et peut rencontrer des personnages fictifs. Les mondes fictionnels numériques sont donc à même d’accéder à une consistance très forte pour celui qui s’y engage, puisqu'il doit occuper la place que le programme lui prescrit et qu’il ne peut agir que dans le cadre des scénarios rendus possibles par ce même programme : plus que toute autre fiction, la fiction numérique se comporte comme si elle était un univers indépendant, une « réalité » imposant ses contraintes propres. Enfin, la simulation numérique permet de produire des effets d'immersion d’une efficacité inconnue jusqu'ici. Cela est lié d’abord au fait que, grâce à la puissance de plus en plus grande des processeurs, elle peut perfectionner les leurres hypernormaux au niveau de chacun des supports médiatiques pris individuellement. Le développement des dispositifs de réalité virtuelle témoigne éloquemment de cette volonté d’aboutir à des états psychologiques d’immersion totale. Par ailleurs, dans la mesure où
elle peut combiner librement différents supports d’information, elle peut tirer profit du mécanisme de la compensation perceptive grâce à laquelle la puissance d’immersion d’un support donné pallie la faiblesse d’un autre #7. Dans les systèmes de réalité virtuelle, les stimuli tactiles dus aux gants sensitifs viennent ainsi compenser le (relatif) manque de conviction mimétique des images de synthèse actuellement disponibles. Il s’agit là sans conteste de trois caractéristiques centrales des fictions numériques. Certes, aucune ne leur est absolument spécifique. Ainsi, la synthèse de plusieurs types de signes dans une même œuvre, donc la création d'œuvres multimédias, n’est nullement une invention de l’ère numérique. Les arts « traditionnels » sont en effet loin d’être tous des dispositifs «monomédia #8 ». Beaucoup sont fondés sur la combinaison de plusieurs supports sémiotiques et donc relèvent en droit du multimédia : c’est le cas, depuis des temps immémoriaux, du théâtre et du ballet; c’est le cas de [’opéra, dont le caractère « multimédiatique » avait même amené Richard Wagner à y voir l’œuvre d’art totale, un idéal grandiloquent qui resurgit de nos jours, précisément à propos des arts numériques ; c’est encore le cas, bien entendu, de cet art plus récent qu’est le cinéma; c’est enfin le cas d’un certain nombre d'œuvres non numériques dans le champ de l’art contemporain, par exemple les installations. L’interactivité elle non plus n’est pas une invention de l’ère des ordinateurs. Du moins n’en est-il pas ainsi pour toutes les formes d’interactivité. Tel qu’il est employé dans la littérature consacrée aux techniques numériques, le terme se réfère en effet à deux processus fort différents : d’un côté, l'interaction causale entre un sujet humain et un environnement physique simulé, de l’autre, la communication entre un sujet humain et le simulacre d’une entité douée d’intentionnalité. Le premier type d’interactivité semble effectivement être une inven-
tion de l’ère numérique : du moins ne connais-je aucun dispositif fictionnel prénumérique qui mette en œuvre des processus de ce 87. Coiffet, 1995, p. 40. Pour des expériences démontrant la possibilité pour stimuli sonores de compenser le manque d'immersion induit par des images à faible définition, voir Negroponte, 1995, p. 159. 88. Je reprends le terme à Schmuck, 1995, p. 6. des
86. Voir ici même p. 27-30.
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elle peut combiner librement différents supports d’information, elle peut tirer profit du mécanisme de la compensation perceptive grâce à laquelle la puissance d’immersion d’un support donné pallie la faiblesse d’un autre #7. Dans les systèmes de réalité virtuelle, les stimuli tactiles dus aux gants sensitifs viennent ainsi compenser le (relatif) manque de conviction mimétique des images de synthèse actuellement disponibles. Il s’agit là sans conteste de trois caractéristiques centrales des fictions numériques. Certes, aucune ne leur est absolument spécifique. Ainsi, la synthèse de plusieurs types de signes dans une même œuvre, donc la création d'œuvres multimédias, n’est nullement une invention de l’ère numérique. Les arts « traditionnels » sont en effet loin d’être tous des dispositifs «monomédia #8 ». Beaucoup sont fondés sur la combinaison de plusieurs supports sémiotiques et donc relèvent en droit du multimédia : c’est le cas, depuis des temps immémoriaux, du théâtre et du ballet; c’est le cas de [’opéra, dont le caractère « multimédiatique » avait même amené Richard Wagner à y voir l’œuvre d’art totale, un idéal grandiloquent qui resurgit de nos jours, précisément à propos des arts numériques ; c’est encore le cas, bien entendu, de cet art plus récent qu’est le cinéma; c’est enfin le cas d’un certain nombre d'œuvres non numériques dans le champ de l’art contemporain, par exemple les installations. L’interactivité elle non plus n’est pas une invention de l’ère des ordinateurs. Du moins n’en est-il pas ainsi pour toutes les formes d’interactivité. Tel qu’il est employé dans la littérature consacrée aux techniques numériques, le terme se réfère en effet à deux processus fort différents : d’un côté, l'interaction causale entre un sujet humain et un environnement physique simulé, de l’autre, la communication entre un sujet humain et le simulacre d’une entité douée d’intentionnalité. Le premier type d’interactivité semble effectivement être une inven-
tion de l’ère numérique : du moins ne connais-je aucun dispositif fictionnel prénumérique qui mette en œuvre des processus de ce 87. Coiffet, 1995, p. 40. Pour des expériences démontrant la possibilité pour stimuli sonores de compenser le manque d'immersion induit par des images à faible définition, voir Negroponte, 1995, p. 159. 88. Je reprends le terme à Schmuck, 1995, p. 6. des
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type. La deuxième forme qui est notamment celle du Tamagotchi ne fait jamais que varier un vieux principe qui est à la base de beaucoup de jeux imaginatifs, tel le jeu avec une poupée. Dans le cas de la poupée, comme dans celui de la simulation numérique, l’interactivité est en fait la mimésis fictionnelle d’une interaction réelle entre deux entités dotées d’intentionnalité (une maman et son bébé par exemple). De même que l’enfant, en imagination, dote sa poupée d’une personnalité, le programmeur dote son logiciel de propriétés qui miment les états intentionnels d’un être conscient ®. L’exacerbation de l’effet d'immersion elle non plus n’est pas une spécificité des fictions numériques : le perfectionnement des effets d’immersion qu’on recherche dans les dispositifs de réalité virtuelle ne fait que prendre la suite des développements dans le même sens qu’on a pu constater de tout temps dans les dispositifs fictionnels de tout ordre. En revanche, il n’y a pas de doute que ce qui singularise les fictions numériques c’est-à-dire, rappelons-le encore une fois, les fictions qui, au niveau de leur dispositif même tirent profit des techniques numériques c’est qu’elles mettent en œuvre conjointement toutes les techniques autrefois distribuées entre des dispositifs fictionnels différents. Même s’il faut rappeler que le degré psychologique d’immersion effectivement obtenu dépend en (grande) partie de facteurs pragmatiques (familiarité ou non avec une technique d’immersion donnée), et qu’il n’est donc pas un effet causal direct de la force des stimuli imités, il n’en reste pas moins que du point de vue de la diversité des moyens qui sont à la disposition de l’artiste pour créer ces effets d’immersion, les systèmes de réalité virtuelle dépassent de très loin tout ce que
l'humanité a connu à ce jour. À travers l’interactivité simulée des systèmes de réalité virtuelle, le sujet réel est appelé à devenir luimême un élément causal à l’intérieur du monde fictionnel : le monde virtuel qui s’offre à lui change en accord avec la direction qu’il imprime à son regard réel; il peut intervenir lui-même dans l'univers imaginaire, et ce grâce à des membres virtuels qui prolongent (ou représentent) ses membres réels et dépendent causalement d’eux. Cela nécessite la mise au point de dispositifs techniques beaucoup plus complexes que ceux utilisés jusqu’alors dans les fictions. On doit ainsi se servir d’un casque à deux écrans dont la superposition permet l'instauration d’un champ visuel virtuel en 3D. Il faut y ajouter un traqueur de tête, capable d’adapter le champ perceptif virtuel aux mouvements de tête du sujet. L’immersion sonore nécessite un véritable son en relief (3D) qui tient compte de la réflexion et de la réfraction des sons selon l’environnement, mais aussi selon la position de la tête par rapport à la source sonore (il faut notamment prendre en compte le fait que lorsqu'une source sonore se trouve dans une direction latérale, elle ne va pas avoir les mêmes caractéristiques spectrales pour les deux oreilles, puisque pour atteindre l’oreille opposée à la source sonore, les ondes sonores doivent traverser la tête, un phénomène d’absorption qui peut être modélisé mathématiquement à l’aide de ce qu’on appelle la fonction de transfert de tête). Au niveau tactile, il faut des gants de données susceptibles de transmettre des commandes à la main virtuelle, lui intimant de saisir par exemple une balle. Ces gants doivent aussi être dotés de retours d’efforts (déplacer une plume n’est pas la même chose que déplacer une boule de jeu de quilles) et de multiples retours haptiques, capables de transmettre à la main du sujet des sensations de forme et de volume de l’objet touché, mais aussi des sen-
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DODNON ON ON
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DE QUELQUES DISPOSITIFS FICTIONNELS
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POURQUOI LA FICTION ?
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89. Bien sûr, le support numérique permet aussi de développer considérablement les interactions réelles entre sujets humains, essentiellement par l’intermédiaire des réseaux en ligne (Internet). Mais cette question n’a strictement rien à voir avec celle de l’interactivité fictionnelle c’est-à-dire de la simulation par un algorithme d’un environnement causalement lié au sujet percevant, ou d’un système intentionnel qu’on trouve dans les jeux vidéo ou dans les systèmes de réalité virtuelle. Les échanges sur Internet ne sont pas des échanges simulés : ce sont des échanges réels qui se distinguent des autres modes de communication simplement en ce que les messages y transitent et y sont stockés (temporairement) sous une forme numérique. —
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sations de ses propriétés mécaniques ou élastiques, de sa tempésa texture, ainsi que la sensation du glissement de l’objet ou au contraire celle d’une prise stable %, Lors de l’analyse des vecteurs et postures d’immersion, j’avais traité les fictions numériques dans le cadre du 7° dispositif, plus précisément en tant qu’une des variantes de ce dispositif, c’est-à-
rature, de
90. Voir Coiffet, (1995), p. 15-30.
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type. La deuxième forme qui est notamment celle du Tamagotchi ne fait jamais que varier un vieux principe qui est à la base de beaucoup de jeux imaginatifs, tel le jeu avec une poupée. Dans le cas de la poupée, comme dans celui de la simulation numérique, l’interactivité est en fait la mimésis fictionnelle d’une interaction réelle entre deux entités dotées d’intentionnalité (une maman et son bébé par exemple). De même que l’enfant, en imagination, dote sa poupée d’une personnalité, le programmeur dote son logiciel de propriétés qui miment les états intentionnels d’un être conscient ®. L’exacerbation de l’effet d'immersion elle non plus n’est pas une spécificité des fictions numériques : le perfectionnement des effets d’immersion qu’on recherche dans les dispositifs de réalité virtuelle ne fait que prendre la suite des développements dans le même sens qu’on a pu constater de tout temps dans les dispositifs fictionnels de tout ordre. En revanche, il n’y a pas de doute que ce qui singularise les fictions numériques c’est-à-dire, rappelons-le encore une fois, les fictions qui, au niveau de leur dispositif même tirent profit des techniques numériques c’est qu’elles mettent en œuvre conjointement toutes les techniques autrefois distribuées entre des dispositifs fictionnels différents. Même s’il faut rappeler que le degré psychologique d’immersion effectivement obtenu dépend en (grande) partie de facteurs pragmatiques (familiarité ou non avec une technique d’immersion donnée), et qu’il n’est donc pas un effet causal direct de la force des stimuli imités, il n’en reste pas moins que du point de vue de la diversité des moyens qui sont à la disposition de l’artiste pour créer ces effets d’immersion, les systèmes de réalité virtuelle dépassent de très loin tout ce que
l'humanité a connu à ce jour. À travers l’interactivité simulée des systèmes de réalité virtuelle, le sujet réel est appelé à devenir luimême un élément causal à l’intérieur du monde fictionnel : le monde virtuel qui s’offre à lui change en accord avec la direction qu’il imprime à son regard réel; il peut intervenir lui-même dans l'univers imaginaire, et ce grâce à des membres virtuels qui prolongent (ou représentent) ses membres réels et dépendent causalement d’eux. Cela nécessite la mise au point de dispositifs techniques beaucoup plus complexes que ceux utilisés jusqu’alors dans les fictions. On doit ainsi se servir d’un casque à deux écrans dont la superposition permet l'instauration d’un champ visuel virtuel en 3D. Il faut y ajouter un traqueur de tête, capable d’adapter le champ perceptif virtuel aux mouvements de tête du sujet. L’immersion sonore nécessite un véritable son en relief (3D) qui tient compte de la réflexion et de la réfraction des sons selon l’environnement, mais aussi selon la position de la tête par rapport à la source sonore (il faut notamment prendre en compte le fait que lorsqu'une source sonore se trouve dans une direction latérale, elle ne va pas avoir les mêmes caractéristiques spectrales pour les deux oreilles, puisque pour atteindre l’oreille opposée à la source sonore, les ondes sonores doivent traverser la tête, un phénomène d’absorption qui peut être modélisé mathématiquement à l’aide de ce qu’on appelle la fonction de transfert de tête). Au niveau tactile, il faut des gants de données susceptibles de transmettre des commandes à la main virtuelle, lui intimant de saisir par exemple une balle. Ces gants doivent aussi être dotés de retours d’efforts (déplacer une plume n’est pas la même chose que déplacer une boule de jeu de quilles) et de multiples retours haptiques, capables de transmettre à la main du sujet des sensations de forme et de volume de l’objet touché, mais aussi des sen-
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89. Bien sûr, le support numérique permet aussi de développer considérablement les interactions réelles entre sujets humains, essentiellement par l’intermédiaire des réseaux en ligne (Internet). Mais cette question n’a strictement rien à voir avec celle de l’interactivité fictionnelle c’est-à-dire de la simulation par un algorithme d’un environnement causalement lié au sujet percevant, ou d’un système intentionnel qu’on trouve dans les jeux vidéo ou dans les systèmes de réalité virtuelle. Les échanges sur Internet ne sont pas des échanges simulés : ce sont des échanges réels qui se distinguent des autres modes de communication simplement en ce que les messages y transitent et y sont stockés (temporairement) sous une forme numérique. —
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sations de ses propriétés mécaniques ou élastiques, de sa tempésa texture, ainsi que la sensation du glissement de l’objet ou au contraire celle d’une prise stable %, Lors de l’analyse des vecteurs et postures d’immersion, j’avais traité les fictions numériques dans le cadre du 7° dispositif, plus précisément en tant qu’une des variantes de ce dispositif, c’est-à-
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90. Voir Coiffet, (1995), p. 15-30.
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POURQUOI LA FICTION ?
DE QUELQUES DISPOSITIFS FICFIONNELS
dire celui de l’identification allosubjective. Cette catégorisation semble bien convenir aux jeux numériques actuels, où le joueur se trouve face à un écran et où il s’identifie à un personnage fictif qui se déplace dans le monde fictionnel en accord avec les ordres que le joueur lui donne. Il n’est pas sûr que les systèmes de réalité virtuelle puissent être vraiment analysés dans les mêmes termes. J'avais notamment dit que le joueur qui s’immerge dans un dispositif de réalité virtuelle est dans une situation qui se rapproche de celle du joueur « traditionnel », en ajoutant que, à la différence de celui-ci, il se meut dans une « réalité » largement imprévisible qu’il ne découvre qu’au fur et à mesure. Cette différence est un indice qu’en réalité le dispositif fictionnel n’est sans doute pas le même. Ainsi, dans le cas du joueur virtuel, la posture d’immersion n’est pas vraiment celle d’une identification allosubjective : le sujet fictionnel qui se déplace dans l’univers virtuel est en fait un double du joueur réel. Le vecteur d’immersion n’est donc pas celui d’une substitution d’identité physique, mais celui d’une virtualisation de l’identité du joueur. Celui-ci n’est pas, contrairement au joueur « traditionnel », le créateur de l’univers dans lequel il s’immerge mimétiquement : il ne crée pas l’univers à travers son activité d'immersion mimétique. L’univers préexiste, et s’il peut y agir, c’est uniquement en tant qu’il se conforme aux contraintes que cet univers lui impose, à l’instar de celles que nous impose la réalité. La posture d’immersion dont il s’agit ici est donc irréductible à la fois à l’immersion perceptive (puisque la réalité virtuelle dans laquelle je me meus dépend en partie de mes propres actions, ce qui n’est pas le cas de l’immersion perceptive du dispositif cinématographique par exemple), à l’immersion dans une position d’observateur et à la substitution d’identité allosubjective. Pour lui rendre justice, il faudrait donc ajouter un 8° dispositif à ma classification : son vecteur serait la virtualisation de l’identité du joueur, et sa posture d’immersion celle de la réalité vécue. Cela dit, ce que je viens de décrire, plutôt que de refléter l’état actuel de l’utilisation fictionnelle des systèmes de réalité virtuelle, correspond encore largement à une simple vision d’avenir. Autrement dit, pour le moment, ce 8° dispositif n'existe lui-même qu’à l’état virtuel. Mais les fictions numériques se distinguent encore sur un autre
point des fictions traditionnelles, et cette caractéristique est déjà pleinement opérante aujourd’hui. Lorsque j’ai insisté sur le fait que Lara Croft et le Tamagotchi étaient des personnages de fiction qui ne se distinguaient en rien de Don Quichotte, de Julien Sorel ou de Droopy, j'ai précisé que je mettais provisoirement entre parenthèses le fait que les deux premiers étaient les personnages d’un jeu. Or ceci constitue une différence réelle, même si elle ne concerne pas le statut ontologique des personnages. En même temps, du fait de l’importance des contraintes représentationnelles qu’ils imposent au récepteur, les jeux fictionnels numériques sont plus proches des fictions artistiques, c’est-à-dire des représentations fictionnelles, que ne l’ont jamais été les jeux fictionnels traditionnels. Dès lors, ils ne s’adressent pas seulement au sens ludique du joueur, mais aussi à son attention esthétique. Ils combinent donc des traits qui sont typiques des jeux (notamment l’aspect de compétition et l’esprit agonistique) avec des traits typiques des œuvres de fiction (la création d’univers). La caractéristique qui leur permet d’accéder à ce statut hybride est le fait que les techniques numériques permettent de créer une œuvre-matrice qui à la fois propose un univers fictionnel et programme une réception interactive. Or, à partir du moment où ils s’adressent à l’attention esthétique tout autant qu’à l’esprit ludique, il semblerait qu’ils remplissent la condition nécessaire pour être reconnus aussi comme des œuvres de fiction. Avec cette différence que, tout en étant des œuvres, ils n’en restent pas moins aussi des jeux. C’est précisément là, me semble-t-il, que se situe la véritable nouveauté des fictions numériques : elles sont indifférentes au partage traditionnel entre jeux fictionnels et œuvres de fiction. Ou pour le dire autrement: elles réconcilient la fiction avec ses origines ludiques.
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dire celui de l’identification allosubjective. Cette catégorisation semble bien convenir aux jeux numériques actuels, où le joueur se trouve face à un écran et où il s’identifie à un personnage fictif qui se déplace dans le monde fictionnel en accord avec les ordres que le joueur lui donne. Il n’est pas sûr que les systèmes de réalité virtuelle puissent être vraiment analysés dans les mêmes termes. J'avais notamment dit que le joueur qui s’immerge dans un dispositif de réalité virtuelle est dans une situation qui se rapproche de celle du joueur « traditionnel », en ajoutant que, à la différence de celui-ci, il se meut dans une « réalité » largement imprévisible qu’il ne découvre qu’au fur et à mesure. Cette différence est un indice qu’en réalité le dispositif fictionnel n’est sans doute pas le même. Ainsi, dans le cas du joueur virtuel, la posture d’immersion n’est pas vraiment celle d’une identification allosubjective : le sujet fictionnel qui se déplace dans l’univers virtuel est en fait un double du joueur réel. Le vecteur d’immersion n’est donc pas celui d’une substitution d’identité physique, mais celui d’une virtualisation de l’identité du joueur. Celui-ci n’est pas, contrairement au joueur « traditionnel », le créateur de l’univers dans lequel il s’immerge mimétiquement : il ne crée pas l’univers à travers son activité d'immersion mimétique. L’univers préexiste, et s’il peut y agir, c’est uniquement en tant qu’il se conforme aux contraintes que cet univers lui impose, à l’instar de celles que nous impose la réalité. La posture d’immersion dont il s’agit ici est donc irréductible à la fois à l’immersion perceptive (puisque la réalité virtuelle dans laquelle je me meus dépend en partie de mes propres actions, ce qui n’est pas le cas de l’immersion perceptive du dispositif cinématographique par exemple), à l’immersion dans une position d’observateur et à la substitution d’identité allosubjective. Pour lui rendre justice, il faudrait donc ajouter un 8° dispositif à ma classification : son vecteur serait la virtualisation de l’identité du joueur, et sa posture d’immersion celle de la réalité vécue. Cela dit, ce que je viens de décrire, plutôt que de refléter l’état actuel de l’utilisation fictionnelle des systèmes de réalité virtuelle, correspond encore largement à une simple vision d’avenir. Autrement dit, pour le moment, ce 8° dispositif n'existe lui-même qu’à l’état virtuel. Mais les fictions numériques se distinguent encore sur un autre
point des fictions traditionnelles, et cette caractéristique est déjà pleinement opérante aujourd’hui. Lorsque j’ai insisté sur le fait que Lara Croft et le Tamagotchi étaient des personnages de fiction qui ne se distinguaient en rien de Don Quichotte, de Julien Sorel ou de Droopy, j'ai précisé que je mettais provisoirement entre parenthèses le fait que les deux premiers étaient les personnages d’un jeu. Or ceci constitue une différence réelle, même si elle ne concerne pas le statut ontologique des personnages. En même temps, du fait de l’importance des contraintes représentationnelles qu’ils imposent au récepteur, les jeux fictionnels numériques sont plus proches des fictions artistiques, c’est-à-dire des représentations fictionnelles, que ne l’ont jamais été les jeux fictionnels traditionnels. Dès lors, ils ne s’adressent pas seulement au sens ludique du joueur, mais aussi à son attention esthétique. Ils combinent donc des traits qui sont typiques des jeux (notamment l’aspect de compétition et l’esprit agonistique) avec des traits typiques des œuvres de fiction (la création d’univers). La caractéristique qui leur permet d’accéder à ce statut hybride est le fait que les techniques numériques permettent de créer une œuvre-matrice qui à la fois propose un univers fictionnel et programme une réception interactive. Or, à partir du moment où ils s’adressent à l’attention esthétique tout autant qu’à l’esprit ludique, il semblerait qu’ils remplissent la condition nécessaire pour être reconnus aussi comme des œuvres de fiction. Avec cette différence que, tout en étant des œuvres, ils n’en restent pas moins aussi des jeux. C’est précisément là, me semble-t-il, que se situe la véritable nouveauté des fictions numériques : elles sont indifférentes au partage traditionnel entre jeux fictionnels et œuvres de fiction. Ou pour le dire autrement: elles réconcilient la fiction avec ses origines ludiques.
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Conclusion
Élaborer des représentations mentales qu’on sait être « fausses », à d’autres des informations qui se présentent comme si elles portaient sur des choses réelles alors qu’elles sont tout bonnement inventées, ou encore s’intéresser à des récits, des représentations visuelles ou des actions dont on sait qu’il s’agit de « semblants » voilà autant de comportements qui, semblet-il, ne vont pas de soi. Telle est du moins la conviction de la position antimimétique. L'hypothèse qui m’a guidé ici était qu’il fallait plutôt supposer avec Aristote que, dès lors que la fiction existe, elle doit sa naissance à des « causes naturelles! ». Si par ailleurs on admet que dans l’ordre du vivant la causalité est fonctionnellement sélective, alors, si la fiction existe, il est probable qu’elle remplit une tâche dans la vie humaine, et plus précisément dans l’économie des représentations. Selon Aristote, je le rappelle, la première cause de la naissance de la mimésis est le fait qu’« imiter est naturel aux hommes et se manifeste dès leur enfance ». Le but principal de l’argumentation développée ici a été d’essayer de dégager la cause fonctionnellement sélective, susceptible d’expliquer pourquoi « imiter est naturel aux hommes ». Aristote avait indiqué encore une autre cause, responsable plus spécifiquement du développement de l’art poétique, à
communiquer
mn
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ON ON D NON NON ,
\
L’art poétique dans son ensemble paraît devoir sa naissance à deux (aitiai), toutes deux naturelles (phusikai). » Poétique, 48 b 5 (Aristote, 1980, p. 43). Bien sûr, Aristote ne s’occupe que de l’art poétique, mais il le traite 1. «
causes
NOUNOU
tant que modalité de la mimésis, et les causes qu’il énumère valent pour la mimésis comme telle à l’exception de la « tendance naturelle (...) à la mélodie et au rythme », qui ne concerne bien entendu que la variante poétique de la mimésis (mais aussi cet art majoritairement non mimétique qu’est la musique). en
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Conclusion
Élaborer des représentations mentales qu’on sait être « fausses », à d’autres des informations qui se présentent comme si elles portaient sur des choses réelles alors qu’elles sont tout bonnement inventées, ou encore s’intéresser à des récits, des représentations visuelles ou des actions dont on sait qu’il s’agit de « semblants » voilà autant de comportements qui, semblet-il, ne vont pas de soi. Telle est du moins la conviction de la position antimimétique. L'hypothèse qui m’a guidé ici était qu’il fallait plutôt supposer avec Aristote que, dès lors que la fiction existe, elle doit sa naissance à des « causes naturelles! ». Si par ailleurs on admet que dans l’ordre du vivant la causalité est fonctionnellement sélective, alors, si la fiction existe, il est probable qu’elle remplit une tâche dans la vie humaine, et plus précisément dans l’économie des représentations. Selon Aristote, je le rappelle, la première cause de la naissance de la mimésis est le fait qu’« imiter est naturel aux hommes et se manifeste dès leur enfance ». Le but principal de l’argumentation développée ici a été d’essayer de dégager la cause fonctionnellement sélective, susceptible d’expliquer pourquoi « imiter est naturel aux hommes ». Aristote avait indiqué encore une autre cause, responsable plus spécifiquement du développement de l’art poétique, à
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L’art poétique dans son ensemble paraît devoir sa naissance à deux (aitiai), toutes deux naturelles (phusikai). » Poétique, 48 b 5 (Aristote, 1980, p. 43). Bien sûr, Aristote ne s’occupe que de l’art poétique, mais il le traite 1. «
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tant que modalité de la mimésis, et les causes qu’il énumère valent pour la mimésis comme telle à l’exception de la « tendance naturelle (...) à la mélodie et au rythme », qui ne concerne bien entendu que la variante poétique de la mimésis (mais aussi cet art majoritairement non mimétique qu’est la musique). en
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CONCLUSION
savoir la sélection culturelle des imitations les plus réussies du point de vue de la modélisation aussi bien que de son aspectualité : « Puisque nous avons une tendance naturelle à la représentation, et aussi à Ja mélodie et au rythme (car il est évident que les mètres font partie des rythmes), ceux qui au départ avaient les meilleures dispositions naturelles firent peu à peu progrès et donnèrent naissance à la poésie à partir de leurs improvisations 2, » En extrapolant de la poésie à la mimésis comme telle, on voit que cette cause est celle de la diversification des dispositifs fictionnels selon leurs supports sémiotiques, ainsi que leur développement historique (thématique tout aussi bien que formel). La question de l’évolution historique, bien que très importante, ne fait pas partie de l’objectif de la présente enquête. En revanche, nous avons rencontré le problème de la diversification des dispositifs fictionnels, qui fait partie intégrante de la problématique générale de la fiction. Aristote avait cependant attiré l’attention sur un point supplémentaire. Si imiter est naturel aux hommes, il faut que cette donnée naturelle se traduise en une impulsion à agir. Il s’agit donc de comprendre sous quelle forme la tendance à l’imitation se manifeste au niveau de notre économie psychique. On connaît la réponse donnée dans la Poétique : « tous les hommes prennent plaisir aux imitations $. » Autrement dit, la motivation psycho-
logique directe qui nous pousse à nous adonner à des activités mimétiques ludiques est d’ordre hédoniste. Voilà une notion dont, c’est le moins qu’on puisse dire, il n’a pas été beaucoup question dans ces pages. Pourtant, le plaisir joue un rôle central dans nos usages de la fiction. Il est même le seul critère immanent selon lequel nous jugeons de la réussite ou de l’échec d’une œuvre fictionnelle. Aussi, si la question du plaisir pris aux fictions a été absente jusqu'ici, était-ce pour une simple raison de méthode : avant de s’interroger sur les usages de la fiction, il faut d’abord savoir ce qu’elle est. Bien sûr, insister sur l’importance du (dé)plaisir en tant que régulateur immanent de l’immersion fictionnelle ne nous dit pas encore de quel type de plaisir il s’agit. Par ailleurs, il ne faudrait pas confondre la question de la motivation immanente qui régule l’immersion mimétique avec le problème des fonctions de la fiction. Je crois qu’en fait on aurait intérêt à distinguer trois questions : celle du statut du dispositif fictionnel, celle de sa fonction immanente ou de sa visée, et celle de ses fonctions transcendantes éventuelles. L’essentiel de ce livre a été consacré à la tentative de répondre à la première question, et il n’est donc pas nécessaire d’y revenir en détail ici. Le problème n'est bien sûr pas nouveau : depuis qu’il existe des théories consacrées à la fiction, on n’a cessé de s’interroger quant à savoir si la fiction pouvait ou non avoir une portée cognitive. J’espère avoir réussi à convaincre le lecteur que la réponse à la question ne peut être que positive, c’est-à-dire que les fictions sont effectivement des opérateurs cognitifs. Mais il faut s’entendre sur la signification de cette affirmation. Il ne s’agit pas de dire que la fonction des fictions est d’ordre cognitif. En effet, la question ne concerne pas les usages des fictions ou leurs fonctions transcendantes mais leur statut intrinsèque : si le dispositif fictionnel est un opérateur cognitif, c’est parce qu’il
…
2. Ibid., 48 b 20-24.
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POURQUOI LA FICTION ?
3. Poétique, 48 b 8-9 (Aristote, 1932, p. 33). Les différents traducteurs de la Poétique ne sont pas d'accord quant à savoir quelles sont les « deux causes » dont parle Aristote. Selon Hardy (1932), il s’agit de la tendance naturelle à limitation et du fait que les hommes prennent plaisir aux imitations. Selon Dupont-Roc et Lallot, la deuxième cause serait en fait la disposition naturelle de l’homme pour la mélodie et le rythme quant au plaisir pris aux imitations, il ne s'agirait que d’un des aspects de la première cause, la tendance naturelle à l’imitation. La question me semble secondaire dans la mesure où, d’une manière ou d’une autre, il faut prendre en compte le fait qu’Aristote parle en réalité d’au moins trois aspects : La tendance naturelle à l’imitation; la traduction psychique de cette tendance, à savoir le fait que nous prenons plaisir aux imitations; la sélection naturelle des imitations les plus réussies. Dupont-Roc et Lallot insistent tout particulièrement sur « la tendance naturelle à la mélodie et au rythme » au point de considérer que c’est elle la deuxième cause de la naissance de la poésie à laquelle Aristote fait référence dans la première phrase du chapitre 1v.
Mais cette cause, outre qu'elle est particulière à La poésie, est non suffisante du point de vue de la définition de la mimésis comme telle er de la poésie. Eneffet, dans le premier chapitre de la Poétique, Aristote refuse explicitement de faire de l'usage des mètres un trait d’identification de la poésie : seules les œuvres verbales mimétiques relèvent de la poésie. Rappelons par ailleurs que l’on peut aussi se servir de la prose pour imiter (voir 47a30).
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CONCLUSION
savoir la sélection culturelle des imitations les plus réussies du point de vue de la modélisation aussi bien que de son aspectualité : « Puisque nous avons une tendance naturelle à la représentation, et aussi à Ja mélodie et au rythme (car il est évident que les mètres font partie des rythmes), ceux qui au départ avaient les meilleures dispositions naturelles firent peu à peu progrès et donnèrent naissance à la poésie à partir de leurs improvisations 2, » En extrapolant de la poésie à la mimésis comme telle, on voit que cette cause est celle de la diversification des dispositifs fictionnels selon leurs supports sémiotiques, ainsi que leur développement historique (thématique tout aussi bien que formel). La question de l’évolution historique, bien que très importante, ne fait pas partie de l’objectif de la présente enquête. En revanche, nous avons rencontré le problème de la diversification des dispositifs fictionnels, qui fait partie intégrante de la problématique générale de la fiction. Aristote avait cependant attiré l’attention sur un point supplémentaire. Si imiter est naturel aux hommes, il faut que cette donnée naturelle se traduise en une impulsion à agir. Il s’agit donc de comprendre sous quelle forme la tendance à l’imitation se manifeste au niveau de notre économie psychique. On connaît la réponse donnée dans la Poétique : « tous les hommes prennent plaisir aux imitations $. » Autrement dit, la motivation psycho-
logique directe qui nous pousse à nous adonner à des activités mimétiques ludiques est d’ordre hédoniste. Voilà une notion dont, c’est le moins qu’on puisse dire, il n’a pas été beaucoup question dans ces pages. Pourtant, le plaisir joue un rôle central dans nos usages de la fiction. Il est même le seul critère immanent selon lequel nous jugeons de la réussite ou de l’échec d’une œuvre fictionnelle. Aussi, si la question du plaisir pris aux fictions a été absente jusqu'ici, était-ce pour une simple raison de méthode : avant de s’interroger sur les usages de la fiction, il faut d’abord savoir ce qu’elle est. Bien sûr, insister sur l’importance du (dé)plaisir en tant que régulateur immanent de l’immersion fictionnelle ne nous dit pas encore de quel type de plaisir il s’agit. Par ailleurs, il ne faudrait pas confondre la question de la motivation immanente qui régule l’immersion mimétique avec le problème des fonctions de la fiction. Je crois qu’en fait on aurait intérêt à distinguer trois questions : celle du statut du dispositif fictionnel, celle de sa fonction immanente ou de sa visée, et celle de ses fonctions transcendantes éventuelles. L’essentiel de ce livre a été consacré à la tentative de répondre à la première question, et il n’est donc pas nécessaire d’y revenir en détail ici. Le problème n'est bien sûr pas nouveau : depuis qu’il existe des théories consacrées à la fiction, on n’a cessé de s’interroger quant à savoir si la fiction pouvait ou non avoir une portée cognitive. J’espère avoir réussi à convaincre le lecteur que la réponse à la question ne peut être que positive, c’est-à-dire que les fictions sont effectivement des opérateurs cognitifs. Mais il faut s’entendre sur la signification de cette affirmation. Il ne s’agit pas de dire que la fonction des fictions est d’ordre cognitif. En effet, la question ne concerne pas les usages des fictions ou leurs fonctions transcendantes mais leur statut intrinsèque : si le dispositif fictionnel est un opérateur cognitif, c’est parce qu’il
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2. Ibid., 48 b 20-24.
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3. Poétique, 48 b 8-9 (Aristote, 1932, p. 33). Les différents traducteurs de la Poétique ne sont pas d'accord quant à savoir quelles sont les « deux causes » dont parle Aristote. Selon Hardy (1932), il s’agit de la tendance naturelle à limitation et du fait que les hommes prennent plaisir aux imitations. Selon Dupont-Roc et Lallot, la deuxième cause serait en fait la disposition naturelle de l’homme pour la mélodie et le rythme quant au plaisir pris aux imitations, il ne s'agirait que d’un des aspects de la première cause, la tendance naturelle à l’imitation. La question me semble secondaire dans la mesure où, d’une manière ou d’une autre, il faut prendre en compte le fait qu’Aristote parle en réalité d’au moins trois aspects : La tendance naturelle à l’imitation; la traduction psychique de cette tendance, à savoir le fait que nous prenons plaisir aux imitations; la sélection naturelle des imitations les plus réussies. Dupont-Roc et Lallot insistent tout particulièrement sur « la tendance naturelle à la mélodie et au rythme » au point de considérer que c’est elle la deuxième cause de la naissance de la poésie à laquelle Aristote fait référence dans la première phrase du chapitre 1v.
Mais cette cause, outre qu'elle est particulière à La poésie, est non suffisante du point de vue de la définition de la mimésis comme telle er de la poésie. Eneffet, dans le premier chapitre de la Poétique, Aristote refuse explicitement de faire de l'usage des mètres un trait d’identification de la poésie : seules les œuvres verbales mimétiques relèvent de la poésie. Rappelons par ailleurs que l’on peut aussi se servir de la prose pour imiter (voir 47a30).
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POURQUOI LA FICTION ?
CONCLUSION
correspond à une activité de modélisation, et que toute modélisation est une opération cognitive. Cela est particulièrement apparent dans le domaine des fictions canoniques, puisque leur rapport au monde est de nature représentationnelle et que l’élaboration d’une représentation (comme processus mental ou opération publiquement accessible) est par définition une opération cognitive #. Mais l’analyse vaut tout autant pour les jeux fictionnels, puisque nous avons vu que route imitation ludique implique aussi une opération de modélisation mentale. La distinction entre statut (ou mode d’opération) et fonction (ou finalité) n’est guère mystérieuse, comme on peut le montrer en prenant l’exemple de la perception visuelle. La perception est, statutairement, un opérateur cognitif, puisqu’elle nous donne accès à la réalité dans laquelle nous vivons et qu’elle nous transmet des informations sur cette réalité. Mais, selon les contextes et selon les objets concernés, les fonctions que l’expérience visuelle peut remplir dans notre vie sont des plus diverses. Leur éventail va de la curiosité scientifique la plus détachée jusqu’au signal d’appétence le plus intéressé, en passant par un nombre indéfini de fonctions intermédiaires, dont la fonction esthétique. La comparaison entre les deux situations n’a pas pour but de suggérer que les dispositifs fictionnels ont la même amplitude fonctionnelle que la perception visuelle, mais uniquement que, dans leur cas aussi, il faut distinguer entre le type de relation au monde dont elles relèvent et la question des fonctions transcendantes qu’elles sont susceptibles
fictionnelles, qu’il s’agisse des jeux ou des œuvres d’art mimétiques (je ne veux évidemment pas dire par là que les usages des deux types d’activités fictionnelles sont les mêmes, mais uniquement que dans les deux cas il faut distinguer entre le mode d’opération intrinsèque et les usages). Le nombre de fonctions transcendantes que la fiction peut remplir est sans doute indéfini, et pour l’aborder sérieusement il faudrait un autre ouvrage. Cela vaut pour les fonctions collectives de la fiction, qui ne sauraient être étudiées qu’à travers des études empiriques circonstanciées 5, tout autant que pour les fonctions individuelles et, bien sûr, les interactions multiples entre ces deux niveaux fonctionnels 6. Je me bornerai à toucher quelques mots de ce qui me paraît être la fonction principale de la fiction au plan individuel, et plus précisément dans le cadre du développement psychologique de l’individu un problème qui a l'avantage de ne pas trop nous éloigner de la perspective génétique que j’ai privilégiée ici. Pour l’essentiel, j'aimerais attirer l’attention sur le fait qu’on ne saurait réduire la fonction de la fiction même lorsqu'il s’agit des simples rêveries diurnes à celle d’une compensation, d’un correctif de la réalité, ou d’une décharge pulsionnelle d’ordre cathartique. Il me semble en effet qu’une telle approche méconnaît l’importance de la fiction dans le développement de l’enfant, tout autant que dans la vie de l’adulte.
de remplir.
Par « fonctions transcendantes », j’entends l’ensemble des relations que les fictions sont susceptibles d’entretenir avec nos autres modes d’être, ou encore l’ensemble des manières dont elles peuvent interagir avec notre vie « réelle ». La question est donc celle des usages que nous pouvons faire des modélisations
—
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C’est Freud qui a été le défenseur le plus influent de la thèse selon laquelle l’activité imaginative naîtrait en tant qu’activité compensatoire. L'origine ultime des fictions se trouverait plus précisément dans le fait que le bébé, ne supportant pas l’absence de satisfaction immédiate, hallucinerait l’image de l’objet gratifiant (le sein de la mère). Au fil du développement, cette image hallucinée deviendrait la source d’une satisfaction pulsionnelle partielle. Le petit enfant apprendrait ainsi, d’une part, à ajourner la satisfaction réelle de ses pulsions, d’autre part, à donner des solutions imaginaires à des conflits qui ne peuvent être résolus
4. Seule une conception très restrictive de la cognition c’est-à-dire sa réduction à une relation perceptive directe avec des objets et des faits physiques et une méconnaissance des particularités de la connaissance par immersion mimétique permettent d’opposer la fiction à la connaissance. Pour un exemple d'une interprétation restrictive de ce type, qui limite la portée cognitive de la fiction à une fonction de reconnaissance, voir Shusterman (1995).
5. Voir par exemple le travail de Nathalie Heinich consacré à la représentation de la femme dans la fiction littéraire occidentale (Heinich, 1996). 6. Pour une étude anthropologique des relations entre fiction, imaginaire individuel et imaginaire collectif, voir Augé (1997).
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correspond à une activité de modélisation, et que toute modélisation est une opération cognitive. Cela est particulièrement apparent dans le domaine des fictions canoniques, puisque leur rapport au monde est de nature représentationnelle et que l’élaboration d’une représentation (comme processus mental ou opération publiquement accessible) est par définition une opération cognitive #. Mais l’analyse vaut tout autant pour les jeux fictionnels, puisque nous avons vu que route imitation ludique implique aussi une opération de modélisation mentale. La distinction entre statut (ou mode d’opération) et fonction (ou finalité) n’est guère mystérieuse, comme on peut le montrer en prenant l’exemple de la perception visuelle. La perception est, statutairement, un opérateur cognitif, puisqu’elle nous donne accès à la réalité dans laquelle nous vivons et qu’elle nous transmet des informations sur cette réalité. Mais, selon les contextes et selon les objets concernés, les fonctions que l’expérience visuelle peut remplir dans notre vie sont des plus diverses. Leur éventail va de la curiosité scientifique la plus détachée jusqu’au signal d’appétence le plus intéressé, en passant par un nombre indéfini de fonctions intermédiaires, dont la fonction esthétique. La comparaison entre les deux situations n’a pas pour but de suggérer que les dispositifs fictionnels ont la même amplitude fonctionnelle que la perception visuelle, mais uniquement que, dans leur cas aussi, il faut distinguer entre le type de relation au monde dont elles relèvent et la question des fonctions transcendantes qu’elles sont susceptibles
fictionnelles, qu’il s’agisse des jeux ou des œuvres d’art mimétiques (je ne veux évidemment pas dire par là que les usages des deux types d’activités fictionnelles sont les mêmes, mais uniquement que dans les deux cas il faut distinguer entre le mode d’opération intrinsèque et les usages). Le nombre de fonctions transcendantes que la fiction peut remplir est sans doute indéfini, et pour l’aborder sérieusement il faudrait un autre ouvrage. Cela vaut pour les fonctions collectives de la fiction, qui ne sauraient être étudiées qu’à travers des études empiriques circonstanciées 5, tout autant que pour les fonctions individuelles et, bien sûr, les interactions multiples entre ces deux niveaux fonctionnels 6. Je me bornerai à toucher quelques mots de ce qui me paraît être la fonction principale de la fiction au plan individuel, et plus précisément dans le cadre du développement psychologique de l’individu un problème qui a l'avantage de ne pas trop nous éloigner de la perspective génétique que j’ai privilégiée ici. Pour l’essentiel, j'aimerais attirer l’attention sur le fait qu’on ne saurait réduire la fonction de la fiction même lorsqu'il s’agit des simples rêveries diurnes à celle d’une compensation, d’un correctif de la réalité, ou d’une décharge pulsionnelle d’ordre cathartique. Il me semble en effet qu’une telle approche méconnaît l’importance de la fiction dans le développement de l’enfant, tout autant que dans la vie de l’adulte.
de remplir.
Par « fonctions transcendantes », j’entends l’ensemble des relations que les fictions sont susceptibles d’entretenir avec nos autres modes d’être, ou encore l’ensemble des manières dont elles peuvent interagir avec notre vie « réelle ». La question est donc celle des usages que nous pouvons faire des modélisations
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C’est Freud qui a été le défenseur le plus influent de la thèse selon laquelle l’activité imaginative naîtrait en tant qu’activité compensatoire. L'origine ultime des fictions se trouverait plus précisément dans le fait que le bébé, ne supportant pas l’absence de satisfaction immédiate, hallucinerait l’image de l’objet gratifiant (le sein de la mère). Au fil du développement, cette image hallucinée deviendrait la source d’une satisfaction pulsionnelle partielle. Le petit enfant apprendrait ainsi, d’une part, à ajourner la satisfaction réelle de ses pulsions, d’autre part, à donner des solutions imaginaires à des conflits qui ne peuvent être résolus
4. Seule une conception très restrictive de la cognition c’est-à-dire sa réduction à une relation perceptive directe avec des objets et des faits physiques et une méconnaissance des particularités de la connaissance par immersion mimétique permettent d’opposer la fiction à la connaissance. Pour un exemple d'une interprétation restrictive de ce type, qui limite la portée cognitive de la fiction à une fonction de reconnaissance, voir Shusterman (1995).
5. Voir par exemple le travail de Nathalie Heinich consacré à la représentation de la femme dans la fiction littéraire occidentale (Heinich, 1996). 6. Pour une étude anthropologique des relations entre fiction, imaginaire individuel et imaginaire collectif, voir Augé (1997).
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CONCLUSION
dans la réalité. D’après cette conception, la fiction remplit donc une fonction de satisfaction des désirs, la manière spécifique dont
propension significative à s’adonner à des jeux de feintise, des rêveries, des jeux de rôles, etc., on constate une baisse du niveau d’extériorisation agressive et une diminution de la tendance à passer à l’acte 7. On notera en premier lieu que le risque d’entrafnement (ici, le risque d’un passage à l’acte suscité par la représentation d’une action violente), dont Platon faisait tant de cas, n’est pas proportionnel à l’effet d’immersion, ni au temps passé à s’adonner à des activités imaginatives : les expériences en question suggèrent que, tout au contraire, il est inversement proportionnel au développement de la capacité imaginative. Le résultat des expériences ne s’accorde pas davantage avec la thèse de la catharsis. Si l’effet intrinsèque de la fiction était de nature cathartique, donc si elle nous permettait de nous « purger » de nos passions, alors l’exposition à des situations d’agressivité imaginaire devrait aboutir à une baisse d’agressivité chez tous les enfants. Le fait qu’il n’en soit pas ainsi, et que chez les enfants dont la compétence fictionnelle est déficiente on assiste au contraire à des passages à l’acte, semble montrer que l’effet principal de la compétence imaginante sur notre équilibre affectif ne réside pas dans une décharge d’agressivité (ou de n’importe quelle autre pulsion), mais tient au fait qu’elle nous permet de passer du traitement d’une situation réelle, caractérisée par une grande tension, à la posture d’immersion fictionnelle, qui en tant que telle est caractérisée par un abaissement de la tension psychologique : elle neutralise en effet les boucles réactionnelles directes entre l’individu et la réalité, et du même coup elle le libère (momentanément) de la nécessité d’une adaptation en temps réel aux contre-réactions de la « réalité » qui sont indissociables de toute interaction réelle, et plus particulièrement de toute expression affective. L’attention et l’autostimulation imaginatives, quel que soit leur contenu, permettent à l’individu de mettre en état de veille l’ensemble des mécanismes d’alerte qui seraient activés si, au lieu d’élaborer des représentations fictionnelles, il se trouvait confronté aux représentations exogènes qu’elles miment, et si, au lieu de mettre en scène ses affects sur le mode du « comme-si »
elle la remplit à savoir par une transposition imaginative permettant à l’enfant de maîtriser les situations conflictuelles et angoissantes. L'hypothèse met sans doute au jour une des sources de l’activité fictionnelle, de même qu’elle attire l’attention sur une des fonctions d’ordre affectif qu’elle est susceptible de remplir, non seulement chez les enfants, mais aussi chez les adultes. Il y a sans conteste des situations où les fictions remplissent une fonction compensatoire par rapport aux pressions d’une réalité désagréable, et un des mérites de Freud est d’avoir montré que cette fonction est loin d’être méprisable. De même, il nous arrive de nous servir des dispositifs fictionnels pour extérioriser des pulsions destructrices ou agressives que les contraintes de la vie sociale nous empêchent d’exprimer « dans la réalité », sauf à accepter d’en payer le prix dans cette même réalité. Mais comme toutes les théories monocausales, l’explication de la fiction en termes de décharge pulsionnelle élève en origine et fonction uniques ce qui n’est sans doute qu’un élément causal parmi d’autres. De manière plus spécifique, il est douteux que la variante freudienne de la théorie cathartique, c’est-à-dire la thèse selon laquelle le rôle de la fiction serait de nous fournir l’occasion pour des décharges pulsionnelles qui autrement devraient être réprimées, rende vraiment compte de la fonction majeure de la fiction dans l’équilibre de nos affects. Ainsi, on a pu montrer que lorsqu’on soumet des enfants à une situation réelle induisant chez eux de l’agressivité, et qu’ensuite on les expose à la représentation fictionnelle de comportements agressifs, les « cobayes » sont loin de réagir tous de la même manière à ce stimulus mimétique. On constate en réalité deux types de réactions opposées: les enfants peu imaginatifs (selon les critères de divers tests projectifs, notamment le Rorschach) réagissent par une augmentation de l’agressivité et ont tendance à passer à l’acte. La raison en est qu’ils ne savent vivre les situations qu’ils rencontrent qu’au seul niveau comportemental, c’est-à-dire qu’ils sont incapables de les transposer à un niveau imaginatif. À l'inverse, chez les enfants imaginatifs, c’est-à-dire ceux qui dans la vie courante ont une —
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7. Pour un compte-rendu de (1973), p. 126-128.
ces
expériences, voir Ephraim Biblow, in Singer
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dans la réalité. D’après cette conception, la fiction remplit donc une fonction de satisfaction des désirs, la manière spécifique dont
propension significative à s’adonner à des jeux de feintise, des rêveries, des jeux de rôles, etc., on constate une baisse du niveau d’extériorisation agressive et une diminution de la tendance à passer à l’acte 7. On notera en premier lieu que le risque d’entrafnement (ici, le risque d’un passage à l’acte suscité par la représentation d’une action violente), dont Platon faisait tant de cas, n’est pas proportionnel à l’effet d’immersion, ni au temps passé à s’adonner à des activités imaginatives : les expériences en question suggèrent que, tout au contraire, il est inversement proportionnel au développement de la capacité imaginative. Le résultat des expériences ne s’accorde pas davantage avec la thèse de la catharsis. Si l’effet intrinsèque de la fiction était de nature cathartique, donc si elle nous permettait de nous « purger » de nos passions, alors l’exposition à des situations d’agressivité imaginaire devrait aboutir à une baisse d’agressivité chez tous les enfants. Le fait qu’il n’en soit pas ainsi, et que chez les enfants dont la compétence fictionnelle est déficiente on assiste au contraire à des passages à l’acte, semble montrer que l’effet principal de la compétence imaginante sur notre équilibre affectif ne réside pas dans une décharge d’agressivité (ou de n’importe quelle autre pulsion), mais tient au fait qu’elle nous permet de passer du traitement d’une situation réelle, caractérisée par une grande tension, à la posture d’immersion fictionnelle, qui en tant que telle est caractérisée par un abaissement de la tension psychologique : elle neutralise en effet les boucles réactionnelles directes entre l’individu et la réalité, et du même coup elle le libère (momentanément) de la nécessité d’une adaptation en temps réel aux contre-réactions de la « réalité » qui sont indissociables de toute interaction réelle, et plus particulièrement de toute expression affective. L’attention et l’autostimulation imaginatives, quel que soit leur contenu, permettent à l’individu de mettre en état de veille l’ensemble des mécanismes d’alerte qui seraient activés si, au lieu d’élaborer des représentations fictionnelles, il se trouvait confronté aux représentations exogènes qu’elles miment, et si, au lieu de mettre en scène ses affects sur le mode du « comme-si »
elle la remplit à savoir par une transposition imaginative permettant à l’enfant de maîtriser les situations conflictuelles et angoissantes. L'hypothèse met sans doute au jour une des sources de l’activité fictionnelle, de même qu’elle attire l’attention sur une des fonctions d’ordre affectif qu’elle est susceptible de remplir, non seulement chez les enfants, mais aussi chez les adultes. Il y a sans conteste des situations où les fictions remplissent une fonction compensatoire par rapport aux pressions d’une réalité désagréable, et un des mérites de Freud est d’avoir montré que cette fonction est loin d’être méprisable. De même, il nous arrive de nous servir des dispositifs fictionnels pour extérioriser des pulsions destructrices ou agressives que les contraintes de la vie sociale nous empêchent d’exprimer « dans la réalité », sauf à accepter d’en payer le prix dans cette même réalité. Mais comme toutes les théories monocausales, l’explication de la fiction en termes de décharge pulsionnelle élève en origine et fonction uniques ce qui n’est sans doute qu’un élément causal parmi d’autres. De manière plus spécifique, il est douteux que la variante freudienne de la théorie cathartique, c’est-à-dire la thèse selon laquelle le rôle de la fiction serait de nous fournir l’occasion pour des décharges pulsionnelles qui autrement devraient être réprimées, rende vraiment compte de la fonction majeure de la fiction dans l’équilibre de nos affects. Ainsi, on a pu montrer que lorsqu’on soumet des enfants à une situation réelle induisant chez eux de l’agressivité, et qu’ensuite on les expose à la représentation fictionnelle de comportements agressifs, les « cobayes » sont loin de réagir tous de la même manière à ce stimulus mimétique. On constate en réalité deux types de réactions opposées: les enfants peu imaginatifs (selon les critères de divers tests projectifs, notamment le Rorschach) réagissent par une augmentation de l’agressivité et ont tendance à passer à l’acte. La raison en est qu’ils ne savent vivre les situations qu’ils rencontrent qu’au seul niveau comportemental, c’est-à-dire qu’ils sont incapables de les transposer à un niveau imaginatif. À l'inverse, chez les enfants imaginatifs, c’est-à-dire ceux qui dans la vie courante ont une —
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7. Pour un compte-rendu de (1973), p. 126-128.
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expériences, voir Ephraim Biblow, in Singer
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CONCLUSION
ludique, il les extériorisait effectivement8. Le problème des enfants qui réagissent par un passage à l’acte réside précisément dans le fait qu’ils ont des difficultés à accéder à l’état d’immersion fictionnelle, et donc au « comme-si », ce qui semble indiquer qu’ils ont mal négocié le virage développemental aboutissant à la sédentarisation des autostimulations mentales et à l’institution de la relation de feintise ludique partagée. Du même coup, les représentations fictionnelles violentes qu’on leur propose ne peuvent pas jouer chez eux le rôle qu’elles jouent chez les autres enfants au lieu de donner lieu à un recyclage imaginaire de l’agression, elles sont réinjectées directement dans des boucles réactionnelles. Il semble ainsi que ce qui importe pour le rôle des dispositifs fictionnels dans l’économie psychique affective, ce ne soit pas tant le contenu de la représentation imaginaire, que le fait même du passage d’un contexte réel à un contexte fictionnel. Une des fonctions principales de la fiction sur le plan affectif résiderait ainsi dans le fait qu’elle nous permet de réorganiser les affects fantasmatiques sur un terrain ludique, de les mettre en scène, ce qui nous donne la possibilité de les expérimenter sans être submergés par eux. L’effet de cette réélaboration fictionnelle n’est pas celui d’une purge, mais plutôt celui d’une désidentification partielle ©. Comme le note François Flahault à propos de la représentation fictionnelle de la « méchanceté », à partir du moment où c’est dans un espace de jeu que nous assumons nos affects, nous pouvons nous les approprier « en tant que semblant » : « Nous ne nous identifions plus pour de bon (c’est-à-dire sans le savoir) à notre fonds d’illimitation, nous continuons d’y être reliés, mais avec la distance et la désidentification qu’introduit la conscience que la fiction et le jeu ne sont pas la réalité !!, » Par rapport à l’adhésion identificatoire à nos propres affects, qui est un des traits les plus constants de notre mode d’existence hors fiction,
l’immersion fictionnelle est ainsi, paradoxalement, le lieu d’une désidentification. Ce qui montre, une fois de plus, à quel point l'interprétation de l’immersion fictionnelle en termes d’identifi-
:
sr —
DIN NY ON ON ND DO D
POURQUOI LA FICTION ?
8. Sur la question générale de la relation entre fiction et affects, voir Izard et Tomkins (1966). 9. Voir ici même p. 165 sq. 10. Voir à ce propos Mannoni {1985). 11. Flahault (1998), p. 67.
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cation est réductrice.
Mais la désidentification affective n’est qu’une forme particulière d’un processus plus général, qui est de l’ordre d’une distanciation. Toute fiction est le lieu d’une distanciation causée par le processus d’immersion fictionnelle. Nous avons vu qu’un de ses traits caractéristiques réside dans le fait qu’il s’agit d’un état mental scindé : il nous détache de nous-mêmes, ou plutôt il nous détache de nos propres représentations, en ce qu’il les met en scène selon le mode du « comme-si », introduisant ainsi une distance de nous-mêmes à nous-mêmes. Les affects ne sont qu’un des domaines où cette dynamique se manifeste: elle vaut tout autant pour les perceptions et les souvenirs. De même, le retraitement fictionnel des affects n’est qu’une forme particulière du recyclage des représentations qui est au fond de l’invention fictionnelle comme telle, et qui concerne les perceptions et les souvenirs au moins autant que les affects !2, Cela rejoint un fait plus général noté lors de l’analyse de l’ontogenèse de la compétence fictionnelle, à savoir que l'institution du territoire de la fiction facilite l’élaboration d’une membrane consistante entre le monde subjectif et le monde objectif, et qu’elle joue donc un rôle important dans cette distanciation originaire qui donne naissance conjointement au « moi » et à la « réalité ». En effet, en construisant des mondes imaginaires, l’enfant découvre que les représentations qu’il expérimente se divisent en deux classes distinctes : il y a d’un côté les contenus mentaux endogènes qui sont sous la dépendance de ses actes volitionnels, de l’autre les représentations d’origine exogène qui s’imposent à lui. L'activité mentale par autostimulation mimétique agit en quelque sorte à la manière d’un révélateur chimique: et, en l’occurrence, le précipité de l’autostimulation mimétique n’est autre que l’ensemble des représentations dont la cause efficiente est extérieure à l’activité consciente elle-même. Autrement dit, ces représentations qui s’imposent à l'enfant ne sont pas seulement les perceptions, mais 12.
Voir ici même p. 168-169 et 222-223.
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ludique, il les extériorisait effectivement8. Le problème des enfants qui réagissent par un passage à l’acte réside précisément dans le fait qu’ils ont des difficultés à accéder à l’état d’immersion fictionnelle, et donc au « comme-si », ce qui semble indiquer qu’ils ont mal négocié le virage développemental aboutissant à la sédentarisation des autostimulations mentales et à l’institution de la relation de feintise ludique partagée. Du même coup, les représentations fictionnelles violentes qu’on leur propose ne peuvent pas jouer chez eux le rôle qu’elles jouent chez les autres enfants au lieu de donner lieu à un recyclage imaginaire de l’agression, elles sont réinjectées directement dans des boucles réactionnelles. Il semble ainsi que ce qui importe pour le rôle des dispositifs fictionnels dans l’économie psychique affective, ce ne soit pas tant le contenu de la représentation imaginaire, que le fait même du passage d’un contexte réel à un contexte fictionnel. Une des fonctions principales de la fiction sur le plan affectif résiderait ainsi dans le fait qu’elle nous permet de réorganiser les affects fantasmatiques sur un terrain ludique, de les mettre en scène, ce qui nous donne la possibilité de les expérimenter sans être submergés par eux. L’effet de cette réélaboration fictionnelle n’est pas celui d’une purge, mais plutôt celui d’une désidentification partielle ©. Comme le note François Flahault à propos de la représentation fictionnelle de la « méchanceté », à partir du moment où c’est dans un espace de jeu que nous assumons nos affects, nous pouvons nous les approprier « en tant que semblant » : « Nous ne nous identifions plus pour de bon (c’est-à-dire sans le savoir) à notre fonds d’illimitation, nous continuons d’y être reliés, mais avec la distance et la désidentification qu’introduit la conscience que la fiction et le jeu ne sont pas la réalité !!, » Par rapport à l’adhésion identificatoire à nos propres affects, qui est un des traits les plus constants de notre mode d’existence hors fiction,
l’immersion fictionnelle est ainsi, paradoxalement, le lieu d’une désidentification. Ce qui montre, une fois de plus, à quel point l'interprétation de l’immersion fictionnelle en termes d’identifi-
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8. Sur la question générale de la relation entre fiction et affects, voir Izard et Tomkins (1966). 9. Voir ici même p. 165 sq. 10. Voir à ce propos Mannoni {1985). 11. Flahault (1998), p. 67.
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cation est réductrice.
Mais la désidentification affective n’est qu’une forme particulière d’un processus plus général, qui est de l’ordre d’une distanciation. Toute fiction est le lieu d’une distanciation causée par le processus d’immersion fictionnelle. Nous avons vu qu’un de ses traits caractéristiques réside dans le fait qu’il s’agit d’un état mental scindé : il nous détache de nous-mêmes, ou plutôt il nous détache de nos propres représentations, en ce qu’il les met en scène selon le mode du « comme-si », introduisant ainsi une distance de nous-mêmes à nous-mêmes. Les affects ne sont qu’un des domaines où cette dynamique se manifeste: elle vaut tout autant pour les perceptions et les souvenirs. De même, le retraitement fictionnel des affects n’est qu’une forme particulière du recyclage des représentations qui est au fond de l’invention fictionnelle comme telle, et qui concerne les perceptions et les souvenirs au moins autant que les affects !2, Cela rejoint un fait plus général noté lors de l’analyse de l’ontogenèse de la compétence fictionnelle, à savoir que l'institution du territoire de la fiction facilite l’élaboration d’une membrane consistante entre le monde subjectif et le monde objectif, et qu’elle joue donc un rôle important dans cette distanciation originaire qui donne naissance conjointement au « moi » et à la « réalité ». En effet, en construisant des mondes imaginaires, l’enfant découvre que les représentations qu’il expérimente se divisent en deux classes distinctes : il y a d’un côté les contenus mentaux endogènes qui sont sous la dépendance de ses actes volitionnels, de l’autre les représentations d’origine exogène qui s’imposent à lui. L'activité mentale par autostimulation mimétique agit en quelque sorte à la manière d’un révélateur chimique: et, en l’occurrence, le précipité de l’autostimulation mimétique n’est autre que l’ensemble des représentations dont la cause efficiente est extérieure à l’activité consciente elle-même. Autrement dit, ces représentations qui s’imposent à l'enfant ne sont pas seulement les perceptions, mais 12.
Voir ici même p. 168-169 et 222-223.
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CONCLUSION
aussi, à des degrés divers, les représentations induites par les affects, les souvenirs ou les rêves. Ces trois derniers types de contenus mentaux, bien que d’origine interne, sont en effet exogènes si on les considère du point de vue de l’activité consciente, puisqu'il s’agit de représentations que la conscience subit. En ce sens, elles ressemblent davantage aux perceptions qu’aux représentations construites par autostimulation consciente. Cela va de soi en ce qui concerne le rêve, mais cela vaut aussi, bien qu’à un moindre degré, pour les contenus mentaux induits par les stimuli affectifs et les souvenirs : le caractère irrépressible des constellations affectives et la fixité des souvenirs font que ces deux types de représentations ne sont pas vraiment les « nôtres » au sens où nous serions susceptibles de les maîtriser. Cela signifie que, plus le petit enfant s’exerce à construire des ensembles représentationnels qui miment, en les recyclant fictionnellement, des représentations exogènes (c’est-à-dire des représentations causalement
été la leur durant les premières années de notre vie. En ce sens, les arts de la fiction, et donc aussi les arts mimétiques pour autant qu’ils sont des arts de la fiction, sont le lieu d’une autosélection par l’espèce humaine des caractéristiques néoténiques de son profil affectif et cognitif. Ce faisant, la fiction nous donne la possibilité de continuer à enrichir, à remodeler, à réadapter tout au long de notre existence le socle cognitif et affectif originaire grâce auquel nous avons accédé à l’identité personnelle et à notre être-
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irréductibles à leur manifestation consciente), plus la partie stimuli que plus tard il apprendra à appeler « la réalité » (y compris celle des affects et des souvenirs) se cristallise par contraste en un univers indépendant et autonome un univers qui «est ce qu’il est » et qui a les moyens de le lui faire savoir lorsqu’il tente de le voir autrement qu’il n’est. Cette importance des activités imaginatives pour le développement du sens des réalités a été fortement soulignée par Singer : « Il se pourrait que chez les jeunes enfants la délimitation de la réalité elle-même dépende de leur capacité de s’engager dans des jeux de feintise (games of make-believe). (...) Il est même probable que l’imagination, en tant que partie d’une situation ludique, aide l’enfant à établir la différence entre ce qui relève des matériaux sensoriels directs et ce qui est un matériau extrait de la mémoire à long terme. La littérature scientifique suggère que des personnes davantage expérimentées dans le domaine de la rêverie (daydreaming) distinguent de manière plus efficace entre leurs propres illusions et des évédes
au-monde. Selon une légende pieuse (philosophique, hélas), le développement de l’être humain le mènerait de la confusion originelle des sentiments et des affects vers l’état de sujet rationnel. La fiction, par son existence même, témoigne du fait que notre vie durant nous restons redevables d’une relation au monde à l’existence, pour employer un terme quelque peu solennel beaucoup plus complexe, diversifiée et, somme toute, précaire. Mais elle fait plus que témoigner de ce fait: elle est un des lieux privilégiés où cette relation ne cesse d’être renégociée, réparée, réadaptée, rééquilibrée dans un bricolage mental permanent auquel seule notre mort mettra un terme. —
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nements sensoriels externes D,
»
Les formes que la fiction prend dans la vie adulte ne perdent jamais leurs attaches avec cette fonction développementale qui a 13. Singer (1973), p. 203.
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Tout cela la fiction le peut, et bien d’autres choses encore. À condition pourtant: il faut qu’elle plaise. Cela signifie que, quelles que soient ses éventuelles fonctions, elle ne saurait les remplir que si elle réussit, d’abord, à nous plaire en tant que fiction. Bref, pour remplir une fonction transcendante quelle qu’elle soit, il faut d’abord que la fiction soit à même de remplir sa fonction immanente. Par « fonction immanente » de la fiction, j’entends la fonction autotélique remplie par l’expérience fictionnelle, c’est-à-dire par notre immersion mimétique dans un univers fictionnel. Mon hypothèse est que la fiction n’a qu’une seule fonction immanente, et que cette fonction est d’ordre esthétique. Si tel est le cas, la question de savoir de quel type est le plaisir provoqué par la mimésis a trouvé sa réponse : il s’agit de la satisfaction esthétique. Plusieurs types d’arguments parlent en faveur de cette hypothèse. Il y a d’abord les arguments de fait. Pour autant qu’on le sache, dans toutes les cultures, dès lors qu’un art fonctionne comme dispositif fictionnel, son usage social relève de ce que une
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POURQUOI LA FICTION ?
CONCLUSION
aussi, à des degrés divers, les représentations induites par les affects, les souvenirs ou les rêves. Ces trois derniers types de contenus mentaux, bien que d’origine interne, sont en effet exogènes si on les considère du point de vue de l’activité consciente, puisqu'il s’agit de représentations que la conscience subit. En ce sens, elles ressemblent davantage aux perceptions qu’aux représentations construites par autostimulation consciente. Cela va de soi en ce qui concerne le rêve, mais cela vaut aussi, bien qu’à un moindre degré, pour les contenus mentaux induits par les stimuli affectifs et les souvenirs : le caractère irrépressible des constellations affectives et la fixité des souvenirs font que ces deux types de représentations ne sont pas vraiment les « nôtres » au sens où nous serions susceptibles de les maîtriser. Cela signifie que, plus le petit enfant s’exerce à construire des ensembles représentationnels qui miment, en les recyclant fictionnellement, des représentations exogènes (c’est-à-dire des représentations causalement
été la leur durant les premières années de notre vie. En ce sens, les arts de la fiction, et donc aussi les arts mimétiques pour autant qu’ils sont des arts de la fiction, sont le lieu d’une autosélection par l’espèce humaine des caractéristiques néoténiques de son profil affectif et cognitif. Ce faisant, la fiction nous donne la possibilité de continuer à enrichir, à remodeler, à réadapter tout au long de notre existence le socle cognitif et affectif originaire grâce auquel nous avons accédé à l’identité personnelle et à notre être-
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irréductibles à leur manifestation consciente), plus la partie stimuli que plus tard il apprendra à appeler « la réalité » (y compris celle des affects et des souvenirs) se cristallise par contraste en un univers indépendant et autonome un univers qui «est ce qu’il est » et qui a les moyens de le lui faire savoir lorsqu’il tente de le voir autrement qu’il n’est. Cette importance des activités imaginatives pour le développement du sens des réalités a été fortement soulignée par Singer : « Il se pourrait que chez les jeunes enfants la délimitation de la réalité elle-même dépende de leur capacité de s’engager dans des jeux de feintise (games of make-believe). (...) Il est même probable que l’imagination, en tant que partie d’une situation ludique, aide l’enfant à établir la différence entre ce qui relève des matériaux sensoriels directs et ce qui est un matériau extrait de la mémoire à long terme. La littérature scientifique suggère que des personnes davantage expérimentées dans le domaine de la rêverie (daydreaming) distinguent de manière plus efficace entre leurs propres illusions et des évédes
au-monde. Selon une légende pieuse (philosophique, hélas), le développement de l’être humain le mènerait de la confusion originelle des sentiments et des affects vers l’état de sujet rationnel. La fiction, par son existence même, témoigne du fait que notre vie durant nous restons redevables d’une relation au monde à l’existence, pour employer un terme quelque peu solennel beaucoup plus complexe, diversifiée et, somme toute, précaire. Mais elle fait plus que témoigner de ce fait: elle est un des lieux privilégiés où cette relation ne cesse d’être renégociée, réparée, réadaptée, rééquilibrée dans un bricolage mental permanent auquel seule notre mort mettra un terme. —
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nements sensoriels externes D,
»
Les formes que la fiction prend dans la vie adulte ne perdent jamais leurs attaches avec cette fonction développementale qui a 13. Singer (1973), p. 203.
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Tout cela la fiction le peut, et bien d’autres choses encore. À condition pourtant: il faut qu’elle plaise. Cela signifie que, quelles que soient ses éventuelles fonctions, elle ne saurait les remplir que si elle réussit, d’abord, à nous plaire en tant que fiction. Bref, pour remplir une fonction transcendante quelle qu’elle soit, il faut d’abord que la fiction soit à même de remplir sa fonction immanente. Par « fonction immanente » de la fiction, j’entends la fonction autotélique remplie par l’expérience fictionnelle, c’est-à-dire par notre immersion mimétique dans un univers fictionnel. Mon hypothèse est que la fiction n’a qu’une seule fonction immanente, et que cette fonction est d’ordre esthétique. Si tel est le cas, la question de savoir de quel type est le plaisir provoqué par la mimésis a trouvé sa réponse : il s’agit de la satisfaction esthétique. Plusieurs types d’arguments parlent en faveur de cette hypothèse. Il y a d’abord les arguments de fait. Pour autant qu’on le sache, dans toutes les cultures, dès lors qu’un art fonctionne comme dispositif fictionnel, son usage social relève de ce que une
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UN TN NON ON ON ON DONN NON
EN
POURQUOI LA FICTION ?
nous appelons
la relation esthétique. Cela ne signifie évidemment
pas que seules les pratiques fictionnelles puissent avoir une fonction esthétique « constituante », ni, bien sûr, que les arts de la représentation mimétique ne puissent avoir de fonction esthétique que pour autant qu’ils sont utilisés comme dispositifs fictionnels. En revanche, je crois qu’on peut soutenir sans grand risque de se tromper que dès lors qu’une forme d’art ou qu’un support représentationnel est utilisé selon la modalité fictionnelle, il est toujours lié à une visée esthétique. La question n’est pas de savoir si toutes les cultures qui ont développé des arts fictionnels possè-
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dent une catégorie spécifique pour penser la visée esthétique, mais si les usages sociaux et individuels des œuvres reconnues comme fictionnelles sont les mêmes que ceux que nous analysons à l’aide de la catégorie relation esthétique. C'est-à-dire qu’il faut se poser des questions du genre : dans quels contextes ces œuvres sont-elles créées et consommées ? est-ce que la décision de s’y intéresser ou pas est laissée à la discrétion de tout un chacun, ou correspond-elle à une contrainte sociale ? est-ce que les modalités selon lesquelles on se rapporte à elles sont libres, ou est-ce qu’elles sont prescrites ? Il me semble que si on posait ces questions (et d’autres du même type), on découvrirait effectivement que la fonction immanente des œuvres fictionnelles est de nature esthétique si on veut bien admettre qu’il y a conduite esthétique dès lors que nous nous engageons dans une relation cognitive avec les choses et que cette relation est réglée par le degré de satisfaction (plaisir ou déplaisir) immanent à cette relation 4. Au cours de la description phénoménologique de l’immersion mimétique, il était apparu qu’elle est un processus homéostatique, c’est-à-dire un processus qui se régule lui-même à l’aide de boucles rétroactives. J’avais fait remarquer notamment que dans l’autostimulation imaginative l’immersion fictionnelle se nourrit des attentes qu’elle se crée elle-même, que dans les jeux fictionnels collectifs elle s’entretient à travers l’effet de relance de la dynamique des tours de rôle ou de parole, et qu’en situation de réception elle est reconduite par la tension entre le caractère tou—
14. Pour cette à Schaeffer
définition de la conduite esthétique, je me permets de renvoyer
(1996), p. 163 sg.
328
CONCLUSION
jours incomplet de la réactivation imaginative et la complétude (supposée) de l’univers fictionnel proposé S. Ce qui manquait dans cette description, c'était le facteur susceptible de réguler cette homéostasie, donc susceptible de décider de la reconduction ou, éventuellement, de l’interruption de l’activité d'immersion. Si la fonction immanente à l’immersion fictionnelle est d’ordre esthétique, alors le régulateur recherché n’est autre chose que le degré de (dis)satisfaction immanent à la réactivation de la modélisation mimétique, donc le (dé)plaisir induit par l’attention esthétique. Un autre argument en faveur de l’hypothèse esthétique découle de l’analyse même du dispositif fictionnel, et plus précisément de l’analyse du cadre pragmatique grâce auquel il est institué comme dispositif fictionnel. Ce cadre délimite un espace ludique, et cela aussi bien au niveau des autostimulations imaginatives qu’à celui des dispositifs fictionnels publics. Par ailleurs, l’activité qui investit cet espace ludique est de nature représentationnelle, puisque les fictions sont des représentations (ou en tout cas si on prend en compte les jeux fictionnels impliquent toujours des représentations). Une fiction est donc un jeu avec des représentations, ou encore un usage ludique de l’activité représentationnelle. Or, l’activation ludique des facultés représentationnelles correspond à la définition même de la relation esthétique. Kant notamment considérait que c’était là le trait le plus décisif du fonctionnement esthétique des « facultés de connaître K ». En prenant la conception kantienne comme fil conducteur, on peut montrer que le parallélisme est très profond. Aïnsi selon cette conception, la relation esthétique est plus spécifiquement un libre jeu entre l’imagination et l’entendement. L’imagination, au sens que Kant donne à ce terme, est la faculté de schématisation il dit par exemple que l’imagination traite la nature comme un schème pour les Idées ! c’est-à-dire, en fait, ce que nous avons appelé ici la faculté de modélisation mentale. Par ailleurs, contrairement à la perception, l’imagination n’a pas comme condition de —
—
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15. 16. 17.
Voir ici même p. 184-185. Kant (1984), p. 42. Voir ibid., p. 102.
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la relation esthétique. Cela ne signifie évidemment
pas que seules les pratiques fictionnelles puissent avoir une fonction esthétique « constituante », ni, bien sûr, que les arts de la représentation mimétique ne puissent avoir de fonction esthétique que pour autant qu’ils sont utilisés comme dispositifs fictionnels. En revanche, je crois qu’on peut soutenir sans grand risque de se tromper que dès lors qu’une forme d’art ou qu’un support représentationnel est utilisé selon la modalité fictionnelle, il est toujours lié à une visée esthétique. La question n’est pas de savoir si toutes les cultures qui ont développé des arts fictionnels possè-
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dent une catégorie spécifique pour penser la visée esthétique, mais si les usages sociaux et individuels des œuvres reconnues comme fictionnelles sont les mêmes que ceux que nous analysons à l’aide de la catégorie relation esthétique. C'est-à-dire qu’il faut se poser des questions du genre : dans quels contextes ces œuvres sont-elles créées et consommées ? est-ce que la décision de s’y intéresser ou pas est laissée à la discrétion de tout un chacun, ou correspond-elle à une contrainte sociale ? est-ce que les modalités selon lesquelles on se rapporte à elles sont libres, ou est-ce qu’elles sont prescrites ? Il me semble que si on posait ces questions (et d’autres du même type), on découvrirait effectivement que la fonction immanente des œuvres fictionnelles est de nature esthétique si on veut bien admettre qu’il y a conduite esthétique dès lors que nous nous engageons dans une relation cognitive avec les choses et que cette relation est réglée par le degré de satisfaction (plaisir ou déplaisir) immanent à cette relation 4. Au cours de la description phénoménologique de l’immersion mimétique, il était apparu qu’elle est un processus homéostatique, c’est-à-dire un processus qui se régule lui-même à l’aide de boucles rétroactives. J’avais fait remarquer notamment que dans l’autostimulation imaginative l’immersion fictionnelle se nourrit des attentes qu’elle se crée elle-même, que dans les jeux fictionnels collectifs elle s’entretient à travers l’effet de relance de la dynamique des tours de rôle ou de parole, et qu’en situation de réception elle est reconduite par la tension entre le caractère tou—
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définition de la conduite esthétique, je me permets de renvoyer
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jours incomplet de la réactivation imaginative et la complétude (supposée) de l’univers fictionnel proposé S. Ce qui manquait dans cette description, c'était le facteur susceptible de réguler cette homéostasie, donc susceptible de décider de la reconduction ou, éventuellement, de l’interruption de l’activité d'immersion. Si la fonction immanente à l’immersion fictionnelle est d’ordre esthétique, alors le régulateur recherché n’est autre chose que le degré de (dis)satisfaction immanent à la réactivation de la modélisation mimétique, donc le (dé)plaisir induit par l’attention esthétique. Un autre argument en faveur de l’hypothèse esthétique découle de l’analyse même du dispositif fictionnel, et plus précisément de l’analyse du cadre pragmatique grâce auquel il est institué comme dispositif fictionnel. Ce cadre délimite un espace ludique, et cela aussi bien au niveau des autostimulations imaginatives qu’à celui des dispositifs fictionnels publics. Par ailleurs, l’activité qui investit cet espace ludique est de nature représentationnelle, puisque les fictions sont des représentations (ou en tout cas si on prend en compte les jeux fictionnels impliquent toujours des représentations). Une fiction est donc un jeu avec des représentations, ou encore un usage ludique de l’activité représentationnelle. Or, l’activation ludique des facultés représentationnelles correspond à la définition même de la relation esthétique. Kant notamment considérait que c’était là le trait le plus décisif du fonctionnement esthétique des « facultés de connaître K ». En prenant la conception kantienne comme fil conducteur, on peut montrer que le parallélisme est très profond. Aïnsi selon cette conception, la relation esthétique est plus spécifiquement un libre jeu entre l’imagination et l’entendement. L’imagination, au sens que Kant donne à ce terme, est la faculté de schématisation il dit par exemple que l’imagination traite la nature comme un schème pour les Idées ! c’est-à-dire, en fait, ce que nous avons appelé ici la faculté de modélisation mentale. Par ailleurs, contrairement à la perception, l’imagination n’a pas comme condition de —
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Voir ici même p. 184-185. Kant (1984), p. 42. Voir ibid., p. 102.
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satisfaction la présence effective de son objet: elle «est une faculté d’intuitionner même sans la présence de l’objet 8 ». Ou, pour reprendre les termes de Heidegger lisant Kant : « L’imagination peut (...) être nommée, en deux sens caractéristiques, une faculté formatrice. En tant que faculté d’intuition, elle est formatrice puisqu’elle procure [forme] une image (une vue). En tant que faculté non ordonnée à la présence d’un objet d’intuition, elle achève elle-même, c’est-à-dire crée et forme, les images !. » Il faut préciser encore que parmi les différentes modalités de la faculté d’imagination que Kant distingue, il y a «l’imagination poiétique » (dichtende Einbildungskraft). Or, la définition de celle-ci rejoint en fait la définition de la fiction, et plus précisément de l’autostimulation imaginative: « La faculté d’imagination poiétique institue (stiftet) une sorte de relation avec nousmêmes; bien qu’il ne s’agisse que d’apparitions du sens interne, elles sont formées en analogie avec celles du sens externe 2. » Bref, sous la forme de l’imagination poiétique, l’imagination kantienne est la faculté de « fictionnalisation ». Quant à l’entendement, on sait que selon Kant il s’agit de la faculté de catégorisation. Or, une des activités de catégorisation les plus fondamentales opérées par l’entendement est la distinction entre «la possibilité et la réalité des choses », c’est-à-dire la distinction entre ce qui est simplement pensé et ce à quoi correspond une réalité. L’entendement est donc, entre autres, la faculté qui est responsable de la modalisation de nos représentations, selon le type d’objectité (objet réel, simple possibilité) qui est posé par elles. Plus concrètement, l’entendement peut, en l’absence de toute intuition sensible, poser les objets selon la simple modalité du possible, c’est-à-dire comme « position d’une chose relativement à notre concept », « puisque nous pouvons toujours penser quelque chose, même s’il n’existe pas » 2!, Autrement dit, l’entendement est, entre autres, le lieu où s’institue la distinction pragmatique entre ce qui est posé comme réel et ce qui est simple18. Kant (1964), p. 466. 19. Heidegger (1981), p. 187.
CONCLUSION
ment posé comme possible. Si maintenant on admet, comme le fait Kant, que l’activité de schématisation (qui relève de l’imagination) et la détermination conceptuelle (qui relève de l’entendement) sont inséparables (puisque, toujours selon Kant, il n’existe pas d’intuition intellectuelle), on voit bien que le simple jeu de l’imagination et de l’entendement selon leurs principes internes est capable de poser un univers, qui certes n’existe que « relativement à notre concept », mais qui n’en peut pas moins être schématisé et pensé. Il est vrai que la modalité de la fictionnalité n’est pas superposable à celle du possible 2 et que la conception kantienne ne fait pas de place à la feintise ludique 3. I1 n’en reste pas moins que l’idée d’une représentation contrainte, non pas par les lois causales qui régissent la représentation perceptive, mais par les conditions constitutives de nos facultés représentationnelles,
délimite conjointement la spécificité de la modélisation fictionnelle et celle de la relation esthétique. Il y a donc effectivement une homologie très profonde entre le fonctionnement des dispositifs fictionnels et le type d’activité mentale qui caractérise la relation esthétique. Quelles sont les relations entre la relation esthétique et les fonctions transcendantes (éventuelles) remplies par les fictions ? Il me semble que dès lors qu’on admet que la relation esthétique est la fonction immanente de la fiction, c’est-à-dire qu’elle est constituante de l’immersion fictionnelle comme telle, il apparaît qu’elle est compatible avec n’importe quelle fonction transcendante. Je prendrai l’exemple de la fonction de divertissement, puisqu’on reproche souvent à la fiction du moins à ses formes les plus roturières de n’être qu’un divertissement. La conception du divertissement qui est au fond de ce reproche est en général celle, pascalienne, d’une occupation qui nous détourne de ce qui devrait nous préoccuper réellement (la mort, le Salut). Rien n’interdit évidemment de prendre le terme au sens banal, et moins dévalorisant, de délassement, d’agrément, de passe-temps, etc. Mais peu importe, puisque la notion me servira uniquement —
—
22. Voir ici même p. 207. 23. En revanche, nous venons de le voir, elle prend en compte l’autre source de la fiction, à savoir l’autostimulation imaginative.
20. Kant (1964), p. 484. 21. Kant (1984), p. 216.
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satisfaction la présence effective de son objet: elle «est une faculté d’intuitionner même sans la présence de l’objet 8 ». Ou, pour reprendre les termes de Heidegger lisant Kant : « L’imagination peut (...) être nommée, en deux sens caractéristiques, une faculté formatrice. En tant que faculté d’intuition, elle est formatrice puisqu’elle procure [forme] une image (une vue). En tant que faculté non ordonnée à la présence d’un objet d’intuition, elle achève elle-même, c’est-à-dire crée et forme, les images !. » Il faut préciser encore que parmi les différentes modalités de la faculté d’imagination que Kant distingue, il y a «l’imagination poiétique » (dichtende Einbildungskraft). Or, la définition de celle-ci rejoint en fait la définition de la fiction, et plus précisément de l’autostimulation imaginative: « La faculté d’imagination poiétique institue (stiftet) une sorte de relation avec nousmêmes; bien qu’il ne s’agisse que d’apparitions du sens interne, elles sont formées en analogie avec celles du sens externe 2. » Bref, sous la forme de l’imagination poiétique, l’imagination kantienne est la faculté de « fictionnalisation ». Quant à l’entendement, on sait que selon Kant il s’agit de la faculté de catégorisation. Or, une des activités de catégorisation les plus fondamentales opérées par l’entendement est la distinction entre «la possibilité et la réalité des choses », c’est-à-dire la distinction entre ce qui est simplement pensé et ce à quoi correspond une réalité. L’entendement est donc, entre autres, la faculté qui est responsable de la modalisation de nos représentations, selon le type d’objectité (objet réel, simple possibilité) qui est posé par elles. Plus concrètement, l’entendement peut, en l’absence de toute intuition sensible, poser les objets selon la simple modalité du possible, c’est-à-dire comme « position d’une chose relativement à notre concept », « puisque nous pouvons toujours penser quelque chose, même s’il n’existe pas » 2!, Autrement dit, l’entendement est, entre autres, le lieu où s’institue la distinction pragmatique entre ce qui est posé comme réel et ce qui est simple18. Kant (1964), p. 466. 19. Heidegger (1981), p. 187.
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ment posé comme possible. Si maintenant on admet, comme le fait Kant, que l’activité de schématisation (qui relève de l’imagination) et la détermination conceptuelle (qui relève de l’entendement) sont inséparables (puisque, toujours selon Kant, il n’existe pas d’intuition intellectuelle), on voit bien que le simple jeu de l’imagination et de l’entendement selon leurs principes internes est capable de poser un univers, qui certes n’existe que « relativement à notre concept », mais qui n’en peut pas moins être schématisé et pensé. Il est vrai que la modalité de la fictionnalité n’est pas superposable à celle du possible 2 et que la conception kantienne ne fait pas de place à la feintise ludique 3. I1 n’en reste pas moins que l’idée d’une représentation contrainte, non pas par les lois causales qui régissent la représentation perceptive, mais par les conditions constitutives de nos facultés représentationnelles,
délimite conjointement la spécificité de la modélisation fictionnelle et celle de la relation esthétique. Il y a donc effectivement une homologie très profonde entre le fonctionnement des dispositifs fictionnels et le type d’activité mentale qui caractérise la relation esthétique. Quelles sont les relations entre la relation esthétique et les fonctions transcendantes (éventuelles) remplies par les fictions ? Il me semble que dès lors qu’on admet que la relation esthétique est la fonction immanente de la fiction, c’est-à-dire qu’elle est constituante de l’immersion fictionnelle comme telle, il apparaît qu’elle est compatible avec n’importe quelle fonction transcendante. Je prendrai l’exemple de la fonction de divertissement, puisqu’on reproche souvent à la fiction du moins à ses formes les plus roturières de n’être qu’un divertissement. La conception du divertissement qui est au fond de ce reproche est en général celle, pascalienne, d’une occupation qui nous détourne de ce qui devrait nous préoccuper réellement (la mort, le Salut). Rien n’interdit évidemment de prendre le terme au sens banal, et moins dévalorisant, de délassement, d’agrément, de passe-temps, etc. Mais peu importe, puisque la notion me servira uniquement —
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22. Voir ici même p. 207. 23. En revanche, nous venons de le voir, elle prend en compte l’autre source de la fiction, à savoir l’autostimulation imaginative.
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comme exemple d’une fonction susceptible d’être, dans certains contextes et pour certaines personnes, l’enjeu transcendant de la fonction esthétique. Qui n’a pas dit un jour une phrase du genre : « J’ai envie (ou : j’ai besoin) de me divertir un peu. Allons voir un film! »? Ce qui est en cause dans de telles phrases, ce n’est pas la fonction immanente de l’immersion fictionnelle ellemême, mais la fonction transcendante que le récepteur accorde à cette immersion, et donc à l’attention esthétique. De même, le fait que je lise un roman pour me divertir ne signifie pas que ma lecture ne relève pas de l’attention esthétique, mais plutôt que je m'adonne à la relation esthétique afin de me divertir. C’est du moins de cette façon que j’interprète la distinction que Gérard Genette établit entre fonction de divertissement et visée esthétique #4, S’il s’agit d’une distinction plutôt que d’une opposition, c’est parce que les deux faits relèvent de deux niveaux différents : d’un côté, le type d’activité visée par une œuvre (en l’occurrence une attitude d’attention esthétique), de l’autre, la fonction transcendante (éventuellement) accordée par le récepteur à cette activité. Pour le dire autrement : l’attention esthétique accordée à une œuvre de fiction est une des multiples activités auxquelles il nous arrive de nous livrer afin de nous divertir. Cela ne veut pas dire que telle est la fonction des œuvres de fiction, ni que telle est la fonction de l’activité esthétique, mais simplement qu’il peut arriver que nous nous plongions dans une œuvre de fiction, donc que nous nous adonnions à une activité de type esthétique, parce que nous voulons nous divertir. La distinction est aussi pertinente lorsqu’on s’interroge sur la création des œuvres de fiction. Un créateur de fictions peut fort bien vouloir que sa fiction remplisse une fonction de divertissement peut-être parce qu’il pense (à tort ou à raison) que la plupart des gens qui s’intéressent aux fictions le font uniquement et toujours pour se divertir. Mais même si son seul but est que son œuvre remplisse cette fonction, il a néanmoins tout intérêt à la concevoir dans une visée esthétique, puisque pour le récepteur c’est la relation esthétique qu'il entretient avec la fiction dans le cadre du processus d’immersion fictionnelle qui va être la condition de satisfaction de la fonction
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VD
24. Genette (1997), p. 164-165.
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CONCLUSION
de divertissement. Steven Spielberg voulait sans doute que le public se divertisse en voyant Jurassic Park, mais encore fallait-il que le public trouvât du plaisir à regarder le film, c’est-à-dire à réactiver mimétiquement l’univers fictionnel. Donc, qu’il s’agisse de la création des fictions ou de leur réception, une œuvre ne peut remplir de manière satisfaisante la fonction de divertissement que si elle donne lieu à une relation esthétique satisfaisante. Et ce qui vaut pour la fonction de divertissement vaut pour n’importe quelle autre fonction transcendante : une œuvre de fiction ne peut remplir de manière satisfaisante une fonction transcendante quelconque que si elle plaît du point de vue de l’immersion fictionnelle, c’est-à-dire du point de vue de la forme spécifique de l'attention esthétique qui est constituante du fonctionnement des dispositifs fictionnels. Reste à savoir si cette description, si elle vaut pour les fictions canoniques, les œuvres de fiction, peut aussi être étendue aux jeux fictionnels. Il me semble que oui : dans la mesure ou tout jeu fictionnel implique une modélisation, il comporte aussi une composante représentationnelle; cette composante représentationnelle, cet univers fictionnel vécu sur le mode de l’immersion mimétique, est régulée par l’indice de (dis)satisfaction qui est inhérent à son déploiement même; or, une activité représentationnelle qui est régulée ainsi est une activité d’ordre esthétique. Les fantasy negotiations dont j’ai parlé à plusieurs reprises, et qui jouent un si grand rôle dans les fictions interactives des enfants, ont précisément pour but d’adapter continuellement l’univers fictionnel créé ludiquement au degré de (dis)satisfaction qu’il induit. D’où leur fonction souvent réparatrice : en réorientant le scénario, en complétant l’ameublement fictionnel de l’univers, etc., elles visent à rétablir un degré de satisfaction inhérente suffisant pour que les participants soient prêts à « continuer le jeu ». Bien sûr, dire que l’activité fictionnelle ludique comporte toujours une composante esthétique ne signifie pas que celle-ci doive être le critère unique qui décide de la reconduction ou de l’abandon du jeu. De même, il est nullement besoin qu’elle en constitue la motivation ni la fonction : simplement dès lors qu’il y a immersion mimétique dans un univers fictionnel il y a attention esthétique, puisque ce qui compte c’est la cohérence aspectuelle spéci333
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comme exemple d’une fonction susceptible d’être, dans certains contextes et pour certaines personnes, l’enjeu transcendant de la fonction esthétique. Qui n’a pas dit un jour une phrase du genre : « J’ai envie (ou : j’ai besoin) de me divertir un peu. Allons voir un film! »? Ce qui est en cause dans de telles phrases, ce n’est pas la fonction immanente de l’immersion fictionnelle ellemême, mais la fonction transcendante que le récepteur accorde à cette immersion, et donc à l’attention esthétique. De même, le fait que je lise un roman pour me divertir ne signifie pas que ma lecture ne relève pas de l’attention esthétique, mais plutôt que je m'adonne à la relation esthétique afin de me divertir. C’est du moins de cette façon que j’interprète la distinction que Gérard Genette établit entre fonction de divertissement et visée esthétique #4, S’il s’agit d’une distinction plutôt que d’une opposition, c’est parce que les deux faits relèvent de deux niveaux différents : d’un côté, le type d’activité visée par une œuvre (en l’occurrence une attitude d’attention esthétique), de l’autre, la fonction transcendante (éventuellement) accordée par le récepteur à cette activité. Pour le dire autrement : l’attention esthétique accordée à une œuvre de fiction est une des multiples activités auxquelles il nous arrive de nous livrer afin de nous divertir. Cela ne veut pas dire que telle est la fonction des œuvres de fiction, ni que telle est la fonction de l’activité esthétique, mais simplement qu’il peut arriver que nous nous plongions dans une œuvre de fiction, donc que nous nous adonnions à une activité de type esthétique, parce que nous voulons nous divertir. La distinction est aussi pertinente lorsqu’on s’interroge sur la création des œuvres de fiction. Un créateur de fictions peut fort bien vouloir que sa fiction remplisse une fonction de divertissement peut-être parce qu’il pense (à tort ou à raison) que la plupart des gens qui s’intéressent aux fictions le font uniquement et toujours pour se divertir. Mais même si son seul but est que son œuvre remplisse cette fonction, il a néanmoins tout intérêt à la concevoir dans une visée esthétique, puisque pour le récepteur c’est la relation esthétique qu'il entretient avec la fiction dans le cadre du processus d’immersion fictionnelle qui va être la condition de satisfaction de la fonction
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POURQUOI LA FICTION ?
CONCLUSION
fique de cet univers. Inutile d’ajouter que rien dans tout cela n'implique en quoi que ce soit que les jeux fictionnels sont des œuvres d’art : la relation esthétique définit un certain type de rapport à des objets qui, eux, peuvent avoir les statuts les plus divers. Reste le cas des fictions numériques, dont j’ai dit qu’elles combinaïent des traits ludiques avec des traits typiques d’œuvres fictionnelles. Elles sont évidemment liées aux jeux de rôles, et plus particulièrement aux jeux fictionnels des enfants. Mais alors que dans les jeux de rôles des enfants, le script fictionnel est négocié en temps réel par les joueurs, dans les fictions numériques il est fixé en amont, même s’il s’agit d’une structure à choix multiples et non pas, comme dans le théâtre par exemple, d’une intrigue imposée. Nous avons donc bien des œuvres (quoi qu’on pense de leur valeur), puisqu'il s’agit d’univers fictionnels proposés à l’appréciation du public. Mais la nouveauté des œuvres numériques, c’est que le récepteur est ici à la fois joueur (acteur) et spectateur: 1l adopte donc simultanément une posture d’action ludique et une posture d’attention esthétique ; il contemple et joue en même temps. Encore cette façon de décrire ce qui se passe introduit-elle une séparation artificielle entre les deux aspects: en fait, l’activité ludique, dans la mesure où elle opère selon le mode du « comme-si » dans un univers fictionnel qui se donne conjointement à découvrir et à transformer, est elle-même investie esthétiquement. Ce sur quoi porte la relation de (dé)plaisir
moment reste largement virtuelle. Peut-être. Maïs ce qui distingue le virtuel du fictionnel c’est précisément qu’il peut devenir actuel. Ce qui signifie et cela me permet de boucler la boucle que tous les espoirs sont permis à Lara Croft.
n’est plus simplement une attention (perceptive ou autre), mais une dynamique interactive simulée, c’est-à-dire accessible uniquement en tant qu’elle est agie fictionnellement, donc en tant qu’elle est médiatisée par des représentations fictionnelles. C’est la qualité (subjective) de cette dynamique, indissociablement agissante et attentionnelle qui devient l’objet véritable d’une appréciation globale dont l’appréciation esthétique fait constitutivement partie (du fait que l’univers agi ne vaut qu’en tant qu’univers simulé et donc apprécié au niveau de nos représentations mentales). Certes, on pourra rétorquer que la plupart des fictions numériques actuellement en circulation ne tirent guère profit de cette possibilité, même si elle est inscrite dans le dispositif fictionnel qu’elles mettent en œuvre. Pour beaucoup de lecteurs, cette description risque donc d’être celle d’une réalité qui pour le —
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POURQUOI LA FICTION ?
CONCLUSION
fique de cet univers. Inutile d’ajouter que rien dans tout cela n'implique en quoi que ce soit que les jeux fictionnels sont des œuvres d’art : la relation esthétique définit un certain type de rapport à des objets qui, eux, peuvent avoir les statuts les plus divers. Reste le cas des fictions numériques, dont j’ai dit qu’elles combinaïent des traits ludiques avec des traits typiques d’œuvres fictionnelles. Elles sont évidemment liées aux jeux de rôles, et plus particulièrement aux jeux fictionnels des enfants. Mais alors que dans les jeux de rôles des enfants, le script fictionnel est négocié en temps réel par les joueurs, dans les fictions numériques il est fixé en amont, même s’il s’agit d’une structure à choix multiples et non pas, comme dans le théâtre par exemple, d’une intrigue imposée. Nous avons donc bien des œuvres (quoi qu’on pense de leur valeur), puisqu'il s’agit d’univers fictionnels proposés à l’appréciation du public. Mais la nouveauté des œuvres numériques, c’est que le récepteur est ici à la fois joueur (acteur) et spectateur: 1l adopte donc simultanément une posture d’action ludique et une posture d’attention esthétique ; il contemple et joue en même temps. Encore cette façon de décrire ce qui se passe introduit-elle une séparation artificielle entre les deux aspects: en fait, l’activité ludique, dans la mesure où elle opère selon le mode du « comme-si » dans un univers fictionnel qui se donne conjointement à découvrir et à transformer, est elle-même investie esthétiquement. Ce sur quoi porte la relation de (dé)plaisir
moment reste largement virtuelle. Peut-être. Maïs ce qui distingue le virtuel du fictionnel c’est précisément qu’il peut devenir actuel. Ce qui signifie et cela me permet de boucler la boucle que tous les espoirs sont permis à Lara Croft.
n’est plus simplement une attention (perceptive ou autre), mais une dynamique interactive simulée, c’est-à-dire accessible uniquement en tant qu’elle est agie fictionnellement, donc en tant qu’elle est médiatisée par des représentations fictionnelles. C’est la qualité (subjective) de cette dynamique, indissociablement agissante et attentionnelle qui devient l’objet véritable d’une appréciation globale dont l’appréciation esthétique fait constitutivement partie (du fait que l’univers agi ne vaut qu’en tant qu’univers simulé et donc apprécié au niveau de nos représentations mentales). Certes, on pourra rétorquer que la plupart des fictions numériques actuellement en circulation ne tirent guère profit de cette possibilité, même si elle est inscrite dans le dispositif fictionnel qu’elles mettent en œuvre. Pour beaucoup de lecteurs, cette description risque donc d’être celle d’une réalité qui pour le —
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The ancient hypothesis of fiction
346
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NN D NN
Table
I. Qui
RE
........-:--::""°""°"""
21
peur de l’imitation? 1. Du loup imitateur au loup du virtuel, 21. 2. Platon I: du «faire» au « faire-comme-si », 34. 3. Platon Il: imiter et a
—
—
PE nd
ON ON NY VON
Introduction............
connaître, 42. 4. Les deux généalogies de l’imitation ludique, 51. 5, Platon malgré tout, 56. —
IL. Mimèsis :
Imiter, feindre, représenter et connaître
61 .....
1. D'un imbroglio séculaire, 61. 2. Mimétismes, 64. 3. De la ressemblance à l’imitation, 82. 4. De l’imitation à la feintise, 92. 5, De la représentation à la représentation mimétique, 103. 6. La mimésis comme moyen de connaissance, 118. -
—
—
_
__
JL,
La
fiction ..........-.-...ttttttttt tt?
133
1. Imitation, leurre, feintise et fiction, 133. 2. La phylogenèse de la fiction : de la feintise ludique partagée, 145. 3. L'ontogenèse de la compétence fictionnelle: de L’autostimulation mimétique, 165. 4, L'immersion fictionnelle, 179. 5. La modélisation fictionnelle : fiction et référence, 198. —
—
_
—
231
IV. De quelques dispositifs fictionnels
........-------::
1. Jeux, rêveries et art, 231. 2. Vecteurs et postures d'immersion, 243. 3. Le récit de fiction, 259. 4. La fiction théâtrale, 271. ion, 283. 6. Le cinéma, 296. 5. Représentation visuelle et ficti 7. Fictions numériques, 306. —
—
—
—
_
317
V. Conclusion
.......
D
UN
337
Bibliographie
......-.-...
D
D.
Dis
JEAN-MARIE SCHAEFFER Jamais l'humanité n'a consommé autant de fictions que de nos
jours, et jamais elle n’a disposé d’autant de techniques
différentes pour étancher cette soif d’univers imaginaires.
POURQUOI LA FICTION ?
En même temps, comme en témoignent les débats autour « réalités virtuelles », nous continuons à vivre à l'ombre
des
du soupçon platonicien : la mimèsis n'est-elle pas une vaine apparence, au
pire
un
au
mieux
leurre dangereux?
Pour répondre au soupçon antimimétique et mieux comprendre l’ attrait universel des fictions, il faut remonter au
ri
1E$e
*
fondement anthropologique du dispositif fictionnel. est une conquête
Pâére
un
rôle indispensable dans l’économie de
nos représentations mentales.
Quant
loin d’être des apparences illusoires
aux
ou des
univers fictifs,
constructions
pa
rapport
au réel.
Et cela vaut pour toute fiction. Les
œuvres
DDDDIINDI
d'art mimétiques ne s'opposent donc pas aux formes quotidiennes plus humbles de l’activité fictionnelle: elles en sont le
prolongement naturel.
css,
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mensongères, ils sont une des faces majeures de notre
É
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cultu-
relle indissociable de l’'humanisation, et que la compétence
fictionnelle joue
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On découvre alors que la fiction
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LEnTÊMR:
Jean-Marie Schaeffer, directeur de recherche au CNRS, travaille dans le domaine de l'esthétique générale et de la théorie littéraire.
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ISBN 2.02.034708.3 / Imprimé
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France 9.99
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