Perspectives historico-esthétiques dans l’œuvre de Fernando Liuzzi [1 ed.]
 9783737008419, 9783847108412

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Passages – Transitions – Intersections

Volume 4

General Editors: Paola Partenza (University of Chieti-Pescara, Italy) Andrea Mariani (University of Chieti-Pescara, Italy)

Advisory Board: Gianfranca Balestra (University of Siena, Italy) Barbara M. Benedict (Trinity College Connecticut, USA) Gert Buelens (University of Ghent, Belgium) Jennifer Kilgore-Caradec (University of Caen, and ICP, France) Esra Melikoglu (University of Istanbul, Turkey) Michal Peprn&k (University of Olomouc, Czech Republic) John Paul Russo (University of Miami, USA)

Alessandro Giovannucci

Perspectives historico-esth8tiques dans l’œuvre de Fernando Liuzzi

V& R unipress

Bibliographic information published by the Deutsche Nationalbibliothek The Deutsche Nationalbibliothek lists this publication in the Deutsche Nationalbibliografie; detailed bibliographic data are available online: http://dnb.d-nb.de. ISSN 2365-9173 ISBN 978-3-7370-0841-9 You can find alternative editions of this book and additional material on our website: www.v-r.de French revision of the text: Sophie Lheureux  2018, V& R unipress GmbH, Robert-Bosch-Breite 6, 37079 Gçttingen, Germany / www.v-r.de All rights reserved. No part of this work may be reproduced or utilized in any form or by any means, electronic or mechanical, including photocopying, recording, or any information storage and retrieval system, without prior written permission from the publisher.

/ Sara, musique et r8sistance

Sommaire

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Chapitre 1: Notes biographiques sur Fernando Liuzzi . . . . . . . . . . . 1.1. Liuzzi, le milieu culturel de son 8poque et les matrices de son esth8tique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Chapitre 2: Fernando Liuzzi: Esth8tique de la musique . . . . 2.1. Esth8tique “kreisl8rienne” . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2. Une question d’esth8tique musicale chez Anatole France 2.3. Opinions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.4. Musique latine et musique allemande . . . . . . . . . . 2.5. Tristan et Isolde comme poHme dramatique . . . . . . . 2.6. Ariane et Barbe-bleue de M. Maeterlinck et P. Dukas . . 2.7. Ernest Bloch . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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27 30 32 37 42 50 54 58

Chapitre 3: Fernando Liuzzi entre h8r8dit8 formaliste et influence de Croce . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.1. Notes sur Eduard Hanslick et sur Vom Musikalisch-Schönen . . . . 3.2. Liuzzi, l’h8r8dit8 croc8enne et Vom Musikalisch-Schönen . . . . . .

61 61 72

Appendice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Regia Accademia di Santa Cecilia . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Bibliographie . . . . . . . . . . . l. Œuvres de Fernando Liuzzi 2. Ouvrages consult8s . . . . 3. Ptudes de caractHre g8n8ral

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Chapitre 1: Notes biographiques sur Fernando Liuzzi

Fernando Liuzzi est n8 le 19 d8cembre 1884 en Italie / Senigallia, dans la r8gion d’Ancine, dans une famille d’origine juive. En 1890, la famille Liuzzi d8m8nage / Bologne et Fernando grandit alors dans un environnement culturel parmi les plus stimulants de l’8poque. Il s’inscrit au lyc8e musical “Padre Martini” que dirige Giuseppe Martucci, concertiste et compositeur aux œuvres empreintes d’influences de Brahms et de Wagner. Martucci, personnage renomm8 de la vie musicale italienne de l’8poque et brillant enseignant1. Chef d’orchestre et organisateur d’8v8nements musicaux: c’est lui d’ailleurs qui dirige la premiHre repr8sentation de Tristan et Isolde de Richard Wagner2 au Th8.tre Communal de Bologne le 2 Juin 1888. Liuzzi suit aussi les cours de piano et de composition de Guido Alberto Fano3. Celui-ci s’est form8 en Allemagne4 ce qui a probablement contribu8 / la d8cision successive de Liuzzi de se rendre / Munich pour approfondir ses 8tudes. f l’Universit8 de Bologne, Liuzzi suit le cours de litt8rature italienne de Giosu8 Carducci / la Facult8 de Lettres. Sa passion pour la litt8rature sera toujours pr8sente dans sa vie et dans ses œuvres. Carducci est / l’origine de son int8rÞt pour la musique antique sous toutes ses formes. En 1903, Giovanni Pascoli succHde / Carducci / l’Universit8. Liuzzi met en musique La cunella en 1914 pour chant et piano sous le titre, Ninna nanna. En 1904, Liuzzi perfectionne ses 8tudes de composition / l’Acad8mie Royale de Santa Cecilia / Rome, avec comme professeur Stanislao Falchi5. L’ann8e sui1 Parmi ses 8lHves les plus marquants, citons Ottorino Respighi et Alfredo Casella. 2 Liuzzi aussi analysera Tristan et Isolde au troisiHme chapitre de L’Estetica della musica. 3 Guido Alberto Fano (Padoue, 1875 – Udine, 1961), pianiste et compositeur, 8lHve de Martucci. Enseignant au lyc8e musical “Padre Martni” et directeur des conservatoires de Parme, Naples, Palerme et professeur de piano au conservatoire de Milan. 4 En 1897, Fano 8tudie en Allemagne (Ratisbonne, Nuremberg, Bayreuth et Munich) et rencontre Richard Strauss. En 1904, il est / Berlin pour une s8rie de concerts de piano. 5 Stanislao Falchi (Terni, 1851 – Rome, 1922), compositeur et professeur. Il enseigne le chant choral et la composition au lyc8e musical Santa Cecilia / Rome qu’il dirige de 1902 / 1915.

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Notes biographiques sur Fernando Liuzzi

vante, il part environ une ann8e / Munich pour y 8tudier la composition / “l’Akademie der Tonkunst” d’abord avec Max Reger6 et ensuite avec Felix Mottl7. Il entre ainsi en contact avec les courants les plus proches de Wagner et avec ceux plus enclins / la musique baroque et antique. ParallHlement Liuzzi fait des 8tudes de philosophie et suit les cours de Theodor Lipps / l’universit8 di Munich. Le s8jour / Munich marque une 8tape importante dans sa formation intellectuelle. En 1908, il obtient le diplime de composition au Conservatoire Royal de Parme et l’ann8e suivante il termine sa ma%trise en lettres / Bologne avec pour thHse, “I codici musicali conservati nella Regia Biblioteca universitaria di Bologna” (Les codes musicaux conserv8s / la BibliothHque royale universitaire). En 1910, il est chef d’orchestre pour des r8pertoires symphoniques et d’op8ra au th8.tre Royal de Turin oF il travaille comme remplaÅant de Vitale, Mugnone et Serafin. Toujours la mÞme ann8e il devient professeur d’harmonie et de contrepoint au conservatoire de Parme, chaire qu’il occupera jusqu’en 1917. De 1912 / 1914, Liuzzi est professeur de composition au conservatoire de Naples. En 1913, il fait partie des fondateurs de “l’Association des musicologues italiens”, oF il est secr8taire du comit8 technique. La mÞme ann8e il 8pouse Paola Forti dont il aura deux enfants: Franco (1915) et Lucetta (1916). En 1914, il compose Berceuse (piano et voix), Canzoncina d’Aprile (piano et voix), Dopo la pioggia (piano et voix), Ninna nanna (piano et voix), Novelletta (piano), PrimavHre divine (piano et voix) et, l’ann8e suivante, il compose Deux morceaux pour piano et violon, Six chants / une voix (piano et voix), Tre canti popolari serbi (piano et voix), Tre pezzi per pianoforte, Canticum in assumptione Mariae virginis (baryton et organon). En mars 1917, il dirige au Th8.tre des Piccoli de Rome son conte musical, L’augellin bel verde d’aprHs un texte de Carlo Gozzi. La mÞme ann8e et jusqu’en 1923, il est nomm8 professeur d’harmonie et de contrepoint au conservatoire de Florence, dirig8 / l’8poque par Ildebrando Pizzetti. En 1918, il devient membre avec Casella, Pizzetti et Castelnuovo Tedesco du conseil de direction des “Amis de la musique”, une association qui promeut la culture musicale / Florence. En 1928, il fonde “l’Orchestre Stabile de Florence” et plus tard en 1933, “Mai en musique / Florence”. Au cours de la premiHre 8dition de cette initiative, le 26 mai 1933, des musiques de Liuzzi sont jou8es. 6 Max Reger (Brand, 1873 – Leipzig, 1916), organiste et compositeur. Professseur dans divers conservatoires allemands, Reger est un personnage sui generis dans le panorama musical de l’8poque. Peu influenc8 par Wagner, son langage musical est une tentative d’associer les formes baroques aux formes classiques. 7 Felix Mottl (Vienne, 1856 – Munich, 1911), chef d’orchestre et compositeur. Chef d’orchestre 8clectique, il s’int8resse particuliHrement / la musique romantique et baroque. Assistant de Wagner au premier festiva de Bayreuth, il dirige plusieurs op8ras de Wagner en Angleterre (1894) et aux Ptats-Unis (1903).

Notes biographiques sur Fernando Liuzzi

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En 1920, il compose Tre canti popolari greci (piano et voix) et commence sa carriHre de critique en publiant en 1921, Opera e dramma in Pizzetti dans la revue de Turin “Il pianoforte”. L’ann8e suivante il compose Tre piccoli canti italiani per voce con accompagnamento di pianoforte. En 1923, il est nomm8 enseignant d’histoire de la musique d’abord / l’Universit8 de Florence puis / celle de P8rouse et publie l’essai Un nuovo frammento di musica greco-cristiana (1923). En 1924, il compose la Sonata per violino et pianoforte et publie Busoni e la sua visione dell’arte dans la revue “L’esame” en hommage au compositeur italien disparu peu avant. La mÞme ann8e il publie sa recherche th8orico-esth8tique la plus importante: l’Estetica della musica, qu’il d8die / Theodor Lipps. Il publie en 1925, Innovatori dell’arte scenica et devient en 1926 professeur d’esth8tique et d’histoire de la musique / l’Universit8 La Sapienza de Rome oF il dirige l’institut d’histoire de la musique, il 8crit l’essai Il wagneriano Shaw et, en 1927, Jazz e anti-jazz, Interpretazione dell’eroica, et Musica e storia della cultura. En 1928, il fait cours de “Estetica e stilistica musicale” / l’Acad8mie Santa Cecilia et / l’Institut des Studi Romani. La mÞme ann8e, il est parmi les fondateurs de l’Universit8 Populaire de Bologne et commence sa collaboration, en qualit8 de critique musical au Giornale del Mattino de Bologne. Il compose les musiques de scHne pour Dafni e Cloe et l’Ercole amante de Cavalli, publie les essais Il canto greco Ossirico e la prima innodia cristiana et Estetica e stilistica musicale. En 1929, Liuzzi approfondit ses recherches sur les hymnes religieux chr8tiens du Moyen-.ge et publie L’espressione musicale nel dramma liturgico. Ses recherches s’enrichissent et il s’ int8resse aux rapports entre la musique flamande et la musique italienne, au style de composition de Palestrina (Classicit/ del Palestrina e romanticismo fiammingo) et de Bach (A due secoli dalla “Passione secondo Matteo” di G. S. Bach). Liuzzi collabore avec l’Enciclopedia italiana di scienze, lettere ed arti (en 8crivant les voix Bach, Beethoven, Brahms, Drame liturgique, Haendel, Lauda, Mendelssohn, Passion, Repr8sentations Sacr8es, Troubadours et trouvHres). En 1930, il compose le poHme symphonique Gaiola e Marechiaro et r8alise une r8vision de la Passion de Bach. Il publie diff8rents essais: Il gusto barocco e la polifonia romana, Drammi musicali dei secoli Xl–XIV le vergini savie e le vergini folli, Due frammenti dell’Eneide musicati in Roma nel seicento, Eredit/ del Palestrina e polifonia barocca, Melodie italiane inedite del duecento, I canti dei popoli e un istituto internazionale per la musica popolare. Liuzzi continue ses 8tudes sur la musique sacr8e du Moyen ffge et, en 1931, publie des 8tudes sur la naissance de la musique lyrique italienne: Laudi cantate nella commemorazione del Beato Angelico, Profilo musicale di Jacopone da Todi,

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Notes biographiques sur Fernando Liuzzi

Ballata e lauda: alle origini musicali della lirica musicale italiana, I primi canti per la Nativit/ e I’infanzia del Cristo. L’ann8e suivante il s’occupe de l’arrangement d’une version sc8nique de la Cantata del caffH de Bach et publie les essais suivants: Notazione musicale del sec. XI in un manoscritto dell’Eneide, Melodie per un mistero italiano del duecento, Casella e il teatro musicale, Una lauda duecentesca per S. Antonio, L’antico e il nuovo nella musica italiana, Introduzione alla lirica vocale di Beethoven et La passione nelle intonazioni del laudario 91 di Cortona sec.13. Il participe au IIIHme CongrHs National des arts et traditions populaires / Trente (1934) oF il pr8sente une relation intitul8e Della raccolta dei canti popolari. En 1935, il publie pour la Libreria di Stato La lauda e i primordi della melodia italiana, en deux volumes et en 1936, il arrange et 8labore une nouvelle version des musiques du drame moyen.geux Sponsus le vergini savie e le vergini folli. En 1937, il publie les articles Musica e poesia del trecento italiano nel codice Vaticano Rossigno 215 et I comici dell’arte e la musica italiana in Francia, il arrange les Laudi francescane et effectue une reconstruction des musiques originales de l’Edipo re de Andrea Gabrieli. Liuzzi ajoute une sixiHme voix absente dans la version originale de 1855, et l’œuvre sera ex8cut8e dans l’antique th8.tre romain de Sabratha dans le Tripolitain. En 1938, Liuzzi publie les articles Un “Cantare” del secolo XV sulla Passione, Il dramma delle vergini folli e l’uffizio liturgico orientale di S. Agata, Le relazioni musicali tra Fiandra e Italia nel secolo XV et Orazio nella tradizione musicale latina del medioevo. Il dirige la bibliothHque d’histoire de la musique de l’Universit8 La Sapienza de Rome. Il effectue un voyage en France pour 8crire son I musicisti italiani in Francia dalle origini al secolo XVII. f cause de l’entr8e en vigueur des lois raciales, cette œuvre, qui pr8voyait quatre volumes, est interrompue et toutes les copies dont dispose Liuzzi sont confisqu8es. Il perd aussi tous ses droits civils et toutes les positions qu’il a occup8es jusque-l/. En 1938, l’Orchestre du Mai musical de Florence lui commissionne une version moderne de L’Amfiparnaso de Orazio Vecchi (1597). L’œuvre va en scHne et est bien accueillie du public mais le nom de Liuzzi ne figure pas parmi les auteurs / cause de ses origines juives. En 1939, il est / Bruxelles en tant que Professeur invit8 / l’Pcole des Hautes Etudes de Belgique. Toujours la mÞme ann8e il est invit8 aux Etats-Unis pour participer au premier congrHs de l’American Musicological Society. f l’occasion il pr8sente Note su le barzellette e Le canzoni a ballo del Quattrocento italiano. Liuzzi visite la “Casa italiana of the Columbia university”, il est professeur / la “Columbia University summer school”. Une crise cardiaque l’oblige / quitter les Etats-Unis pour rentrer en Italie. Il meurt le 6 octobre 1940 d’un infarctus / Florence.

Notes biographiques sur Fernando Liuzzi

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Son mariage avec Paola Forti est l’un des 8vHnements qui a le plus transform8 le cours de sa vie. Il l’8pouse en 1913 et elle aussi, est d’origine juive descendante d’une riche famille toscane. La famille Forti, originaire de la ville de Prato poss8dait des terres et une industrie lainiHre florissante. Toute la famille vivait, r8unie, dans la grande demeure de Usigliano de Lari dans la r8gion de Pise. Cette famille, estim8e depuis toujours de ses concitoyens, vit au moment oF les pers8cutions raciales et politiques (Lucetta, la fille de Liuzzi 8tait mari8e au d8put8 Amendola) frappent les Forti – Liuzzi et tous leurs biens. Mais Liuzzi n’est pas le seul musicien de la famille, une autre des filles Forti, Clara a 8pous8 Mario Castelnuovo-Tedesco, compositeur qui repr8sente, gr.ce / ses 8crits autobiographiques, la source d’informations biographiques la plus riche sur Liuzzi8. Les 8crits de Castelnuovo-Tedesco permettent de reparcourir quelques 8tapes du processus qui ont permis / la musique et / la musicologie de devenir des disciplines autonomes et reconnues dans les milieux intellectuels de l’8poque. f l’8poque, / Florence, et partout en Italie mÞme, la “Voce” est sans aucun doute la revue la plus influente qui compte, parmi ses collaborateurs, de nombreux intellectuels italiens parmi les plus influents: Castelnuovo-Tedesco cite, entre autres, Battistelli, Pizzetti, Davico ainsi que Liuzzi. Ce dernier est souvent pr8sent8 comme l’un des sp8cialistes les plus estim8s ce qui, sans oublier le l’estime entre les deux beaux-frHres, ne fait que renforcer la thHse que Liuzzi repr8sente un point de r8f8rence pour le monde musicologique de l’8poque. D’ailleurs mÞme les chercheurs aux id8es divergentes n’h8sitent pas / dire que “Liuzzi est l’un de nos critiques les plus s8rieux et les plus pond8r8s”.9 Liuzzi aussi estime Castelnuovo-Tedesco, en tant que jeune compositeur ind8pendant / la forte personnalit8: il est 8tonnant de voir un artiste pr8coce, pourvu d’une esth8tique d’exception et accueilli, dHs ses d8buts, avec admiration dans les files de l’avant-garde, sa p8riode pol8mique a 8t8 trHs brHve, / 22 ans on peut dire qu’elle 8tait termin8e. Et c’est une pol8mique plus apparente que r8elle, plus par sympathies personnelles envers un groupe de musiciens intelligents, cultiv8s, courageux et de chercheurs audacieux que pour des alliances effectives avec ceux-ci dans des techniques d’action ou de r8action / outrance.10

f son tour, le compositeur florentin d8die / Liuzzi des propos 8logieux dans son autobiographie:

8 J.Wesby (a cura di), Una vita di musica. Mario Castelnuovo-Tedesco, Fiesole, Pditions Cadmo, 2005. 9 Giacomo del Valle de Paz, Critica del Jazz, “Il pensiero musicale”, VII, 1929, p. 19. 10 F. Liuzzi, Mario Castelnuovo-Tedesco, “Solaria”, novembre 1927, pp. 60–61.

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Notes biographiques sur Fernando Liuzzi

Il 8tait gai et expansif. Il avait le go0t de vivre. Une certain plaisir / parler de faÅon color8e, […] c’8tait (plus qu’un talent sp8cifiquement musical), un esprit multiforme, cultiv8 et trHs agr8able. Il trouva v8ritablement son chemin quand, les dix derniHres ann8es de sa vie, il se consacra aux 8tudes historico-musicales esth8tiques: sa vaste pr8paration philosophico-litt8raire lui facilita le passage du Conservatoire / l’Universit8; et, pour lui furent institu8es des chaires d’histoire de la musique. Il 8tait d8j/ un critique fin et brillant; et son intuition vraiment g8niale lui fit faire des 8tudes et des d8couvertes qui, je le crois, resteront […] et c’est / son enseignement qu’on doit si, aujourd’hui en Italie, l’8tude de l’histoire de la musique, / l’Universit8, a atteint un niveau qui n’a rien / envier aux autres nations.11

Les noms de Castelnuovo-Tedesco et Liuzzi sont associ8s d8montrant encore une fois leurs influences respectives comme dans la fondation ce qui est encore aujourd’hui un des 8vHnements musicaux les plus importants d’Italie: le Mai Musical de Florence. Comme le raconte Castelnuovo-Tedesco, le fondateur de la manifestation, le riche industriel Alberto Eut le bon sens (et la modestie) de s’entourer d’hommes plus experts que lui ayant des connaissances musicales et techniques. DHs le d8but, l’association eut un conseil de direction dont je fis partie avec Pizzetti, Consolo, Liuzzi, le marquis Piccollellis et d’autres.12

Dans deux compositions de Castelnuovo-Tedesco, Shakespeare Songs et il Girotondo dei golosi, on retrouve 8galement la pr8sence de Liuzzi, comme le d8montre la d8dicace que le compositeur florentin d8die / ses neveux, les enfants de Liuzzi. Castelnuovo-Tedesco nous fournit 8galement deux informations trHs utiles sur Liuzzi: la premiHre concerne une collaboration artistique entre eux, qui aboutit / Canzone di Usigliano13, la seconde nous informe d’un livret de Liuzzi d’aprHs Romanzo di Dafni e Cloe, Sur les traces de Luigi Morselli14. Le s8jour am8ricain de Liuzzi est 8galement document8 dans les pages de Castelnuovo: Liuzzi 8tait venu lui-aussi / New York dans l’espoir de s’y installer avec sa famille; son intelligence et sa profonde culture lui avaient permis de conqu8rir de nombreuses sympathies dans le domaine musicologique. Mais l’hiver pr8c8dent il avait 8t8 frapp8 d’une grave attaque cardiaque et notre ami m8decin, Mario Volterra ne m’avait pas cach8 qu’il 8tait fragile et qu’il n’aurait probablement pas surv8cu / un second hiver am8ricain. Je r8ussis donc / le convaincre de prendre le dernier bateau qui partait de New York pour qu’il finisse ses jours auprHs des siens. En effet, il passa sereinement l’8t8 11 12 13 14

J. Wesby, op.cit., pp. 128–129. Ivi, p. 167. La Canzone di Usigliano, piano et voix (1923), vers de Fernando Liuzzi, in8dit. J. Wesby, op. cit, p. 171.

Liuzzi, le milieu culturel de son époque et les matrices de son esthétique

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avec eux / Usigliano pour s’8teindre dans une clinique de Florence oF il avait 8t8 transport8.15

1.1. Liuzzi, le milieu culturel de son époque et les matrices de son esthétique Il est int8ressant de commencer par illustrer le rapport de Liuzzi avec le monde acad8mique et avec certains des chercheurs les plus importants de son temps. Sa carriHre est en effet extrÞmement rapide et brillante, / tel point qu’en quelques ann8es seulement, il occupe – et souvent en mÞme temps – les riles de professeur, musicologue, chef d’orchestre, critique musical et membre actif de diverses associations pour la promotion de la musique. Fernando Liuzzi est sans aucun doute l’une des figures de pointe de la musicologie italienne / ses d8buts; il suffit de dire que, lorsqu’en 1926 fut institu8e pour la premiHre fois dans le panorama universitaire de notre pays la chaire d’Histoire de la musique, celle-ci lui est assign8e. Sa premiHre pr8occupation est d’instituer le premier fonds musical de la bibliothHque de la Facult8 de Lettres. Ce n’est pas un hasard si Pierluigi Petrobelli dans Le grandi scuole della Facolt/, reconna%t, en reparcourant l’histoire de la bibliothHque que: L’histoire de la bibliothHque d’Histoire de la Musique est intimement li8e / celle de la chaire d’Histoire de la Musique, institu8e en 1926 (et confi8e / Fernando Liuzzi). Et / celle de l’Institut d’Arch8ologie qui formait avec l’Histoire de la Musique un Institut unique. Liuzzi fut priv8 en1938 de toute fonction / la suite des lois raciales, […] la premiHre section de la bibliothHque d’Histoire de la Musique remonte / juin 1938 avec les premiers achats de Liuzzi.16

f Rome Liuzzi tient – du 30 avril au 4 juin 1928 – un cours d’“Esth8tique et de Stylistique musicale” sur lequel il est int8ressant de s’attarder afin de comprendre sa conception de l’enseignement et des m8thodes qu’il utilise. Il s’agissait d’un cours dont le but 8tait “d’int8grer, d’un point de vue technique, l’exposition historique ou historico-philologique”17 des faits musicaux. Les arguments que Liuzzi entend affronter dans ce cycle de six cours – drame liturgique, hymnes sacr8s, Lauda, – sont tous li8s au monde de la musique sacr8e m8di8vale, son terrain d’8tudes favori. Mais l’8l8ment que nous d8sirons mettre en 8vidence est d’ordre m8thodologique. En effet, Liuzzi, montrant son apti15 Ivi, p. 333. 16 P. Petrobelli, Le grandi scuole della Facolt/, Rome, Universit8 “La Sapienza” – Facult8 de Lettres et Philosophie, 1996, p. 40I. 17 F. Liuzzi, Corso superiore di Estetica e stilistica musicale. In “Annuario della Regia Accademia di Santa Cecilia”, V–VI, 1928, p. 6. Voir Appendice.

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Notes biographiques sur Fernando Liuzzi

tude / l’8tude concrHte des ph8nomHnes musicaux informe ses 8tudiants que “quelques leÅons seront agr8ment8es d’auditions musicales auxquelles la Soci8t8 polyphonique a d8j/ assur8 le concours dirig8e par Mons. Casimiri.”18 Durant le premier cours Liuzzi explique les raisons qui l’ont pouss8 / accepter cette responsabilit8: Je suis prÞt / l’accepter non seulement parce que j’ai confiance en mes forces mais surtout parce que je d8sire participer le mieux possible / une œuvre de culture et d’8ducation artistique digne de notre temps, destin8e / tendre la main aux jeunes pour les guider vers une vision et une notion de l’art au-del/ du simple h8donisme acoustique, au-del/ des applications ext8rieures de la virtuosit8 technique.19

L’id8e que Liuzzi entend d8fendre est celle d’une science esth8tique suivie d’une 8tude historique approfondie, l’activit8 artistique en effet: d8passe les limites du go0t du jour parce que l’art, comme toute activit8 de l’esprit, tend / dominer le temps, en se lanÅant vers le futur, mais il y parvient seulement s’il se base sur l’exp8rience que seul le temps lui-mÞme peut lui fournir, […] et s’il essaie de confronter les valeurs de toute nouvelle expression aux expressions du pass8.20

Cette conception provient du fait que l’art est “faire”, c’est “cr8er”, “exprimer” un comportement de la conscience transform8 en imagination. Ces concepts fondamentaux de “cr8ation” et d’“imagination” impliquent d’autres concepts: le concept de vitalit8 et d’originalit8. L/ oF il n’y a pas d’originalit8, il n’y a pas d’imagination, l/ oF il n’y a pas de vie il n’existe pas de cr8ation. […] La loi universelle de l’art consiste en un rapport entre conscience, immagination et expression.21

AprHs avoir affirm8 l’id8e que l’art constitue une fonction vitale de l’Þtre humain qui tire sa force de l’originalit8 et de la cr8ativit8 de nature fantastique, Liuzzi peut alors d8limiter le terrain d’action de l’histoire de l’art: une histoire de l’art est, et devra Þtre surtout l’8valuation, c’est / dire la synthHse critique, et donc le contact imm8diat avec les œuvres, l’exploration directe et intrinsHque de leurs fibres essentielles. L’8num8ration des œuvres et la biographie des artistes qui constituent habituellement la richesse de la litt8rature historico-musicale diffuse en Italie jusqu’ici ne sont rien d’autre qu’un instrument plus ou moins int8ressant, plus ou moins 8rudit, pour s’efforcer de comprendre l’art.22

Cette m8thodologie d’8tudes – bas8e essentiellement sur la conception esth8tique croc8enne et sur l’8tude approfondie des sources – Liuzzi l’avait d8j/ 18 19 20 21 22

Ibidem. Ivi, p. 9. Ivi, p. 10. Ibidem. Ivi, p. 10.

Liuzzi, le milieu culturel de son époque et les matrices de son esthétique

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appliqu8e, dans ses cours d’esth8tique et d’Histoire de la musique / La Sapienza, en examinant les processus qui ont abouti / la formation du patrimoine musical italien. C’est lui-mÞme qui le met en 8vidence: Appel8 / occuper cette chaire […] pour commencer, j’ai r8solument affront8 le problHme, pour ainsi dire, patrimonial de la musique italienne, et 8largit le cercle bien audel/ des limites traditionnelles, pour y inclure de nombreuses manifestations jusqu’ici appr8ci8es du haut Moyen-ffge, avec un critHre qui ne peut nous satisfaire comme patrimoine national incontrilable de la culture 8cl8siastique. Pour ce faire, j’ai recherch8 les fondements de notre art aussi bien dans la tradition classique latine […] que dans les influences m8lodiques orientales et grecques, lesquelles, convergeant vers Rome, ont constitu8 d’autres origines de la musique latino-chr8tienne qui a grandi pendant un mill8naire et d’oF, provient l’art musical italien proprement dit.23

La discipline de la philologie et de l’ex8gHse des r8f8rences se r8vHlent trHs importantes pour Liuzzi qui affirme avoir “profit8 largement des aides que l’histoire et la philologie m’offraient sous forme de t8moignages d’8crivains antiques de critique moderne, de recherches et de d8ductions linguistiques et m8triques”.24 Liuzzi ne s’est cependant pas limit8 / une 8tude strictement scientifico-documentaire de la musique. Dans son œuvre, la perspective esth8tique est toujours pr8sente au mÞme rythme que l’8tude objective, puisque les approches esth8tique et stylistique se r8vHlent irr8ductiblement compl8mentaires. Le chercheur devra ainsi d8finir les relations et la consanguinit8 d’une œuvre d’art avec son 8poque, essayer de s’insinuer dans la structure mentale et morale d’une 8poque historique pour retrouver les stimuli qui touchHrent tour / tour le sentiment des artistes. Il faudra, comme je l’ai 8voqu8, ajouter / cette recherche la voix vivante et parlante de l’art lui-mÞme: il faut se mettre en tÞte / tÞte avec l’œuvre d’art et en analyser la virginit8 plus ou moins grande, la sinc8rit8, la singularit8, la puissance effective d’exprimer un 8tat de conscience et d’imagination. Tout ceci, sans d8laisser la vision historique qui lie les moments de la vie et de la pens8e, c’est l’exploration des qualit8s de l’art, et par cons8quent une recherche d’esth8tique et de style. C’est l’histoire de la vie et de la culture, avec l’ensemble des 8l8ments sociaux, moraux et intellectuels qui concourent / orienter la conscience de l’artiste dans une orientation particuliHre, cela nous r8vHlera “ce qu’” il a voulu exprimer […] la recherche esth8tique et stylistique nous r8v8lera, / son tour, “comment” – par quels moyens et jusqu’/ quel point – cette volont8 s’est r8alis8e.25

Mais qu’entend-on exactement par “esth8tique”? AprHs avoir affirm8, comme Lipps que l’esth8tique est une discipline qui “s’organise et se confond avec 23 Ivi, p. 11. 24 Ivi, p. 12. 25 Ibidem.

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l’exp8rience intellectuelle et morale”,26 Liuzzi aborde une argumentation visant / d8limiter le terrain et / en 8claircir les objectifs. Il faudrait traiter cette discipline en 8vitant d’attribuer le therme “esth8tique” / une facilit8 molle de se complaire dans une vague contemplation, ou / la pr8ciosit8 admiratrice de caprices flous d’ornements ou en g8n8ral, au “sensibilisme” dil8ttantiste et semi voluptueux attis8 par des finesses apparentes de forme, c’est-/-dire / des ph8nomHnes dans l’ensemble de caractHre ambigu et superficiel.

mais en mÞme temps sans en donner l’interpr8tation oppos8e, purement philosophique, qui entend le concept d’esth8tique comme science du “beau” ou de l’expression en abstrait, qui 8labore des pens8es et des jugements sur la nature de l’art et veille / en d8terminer et / limiter le domaine th8orique dans lequel l’art se produit, se reflHte et se classe parmi les activit8s g8n8rales de l’esprit.27

Liuzzi r8fute ces deux d8finitions, selon lui l’esth8tique se caract8rise plutit comme 8tant: la loi universelle de l’art, consistant en un rapport entre conscience, imagination et expression dont la nature essentielle ne varie pas selon les moyens que l’imagination choisit pour interpr8ter la cr8ation des sentiments et pour en concr8tiser l’image.28

Ces affirmations font 8cho de l’id8e croc8enne de l’unit8 de l’exp8rience artistique / laquelle Liuzzi ajoute sa conviction selon laquelle les diverses activit8s artistiques conserveraient des traits distinctifs nets, d’ordre formel. Que ce soient les proportions de l’architecture, ou les contours, les couleurs et les volumes de la peinture et de la sculpture, ou les mots et la m8trique de la po8sie, ou les m8lodies et les harmonies, les rythmes et les timbres de la musique, la qualit8 potentielle qu’ils ont de satisfaire les 8lans de l’.me vers une r8v8lation sensible est unique et c’est la mÞme pour tous, de la mÞme faÅon que toutes les langues civiles r8pondent au besoin d’interpr8ter l’organisation logique de la pens8e. Certes, mais ce caractHre unique n’exclut pas l’existence de concepts esth8tiques sp8cifiques / tous les arts.29

La discipline esth8tique recouvre aussi un autre rile important, qui est celui de servir de “cadre g8n8ral” en mesure d’ordonner l’activit8 de critique et d’ex8gHse car : En d8pit de sa partie la plus abstraite, l’esth8tique est et reste une organisation de la critique car le propre de l’esth8tique est de poser des cadres de valeurs id8ales auxquels 26 27 28 29

Ivi, p. 10. Ivi, p. 13. Ibidem. Ivi, p. 14.

Liuzzi, le milieu culturel de son époque et les matrices de son esthétique

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recourir parce qu’/ la fin, parmi les diff8rentes manifestations de l’art, aucune comme la musique […] n’a 8t8 aussi strictement li8e / l’esth8tique de son propre temps.30

Selon Liuzzi, toute composition musicale conserve, int8rieurement, tous les 8l8ments et toutes les connotations qui ont contribu8 / sa naissance, qu’ils soient de caractHre historique ou psychologique. Pour les analyser, il faut cependant utiliser exclusivement des moyens d’analyse formelle car il est n8cessaire que ce soit l’art lui-mÞme / nous confesser, de sa propre voix, la parent8 spirituelle qui le lie / tel ou tel autre courant d’aspirations et d’id8es. Et il faut plus encore que cette confession de l’art se fasse / travers des valeurs purement, exclusivement artistiques. [..] L/ oF, en somme, les id8es apparaissent au stade de thHses, avec une valeur et une intention pratique, nous ne pourrons pas, esth8tiquement parlant, en tenir compte du tout. La reconnaissance de l’art comme miroir de la vie, active ou contemplative, ne peut, ne doit Þtre faite qu’/ travers les valeurs de la forme.31

L’analyse stylistique devient ainsi, dans l’esth8tique de Liuzzi, un passage oblig8 pour la connaissance correcte de l’œuvre musicale, qui s’exprime selon des valeurs de “pure audibilit8”. Liuzzi entend transmettre cette conviction personnelle / ses 8tudiants, quand il affirme que l’analyse stylistique est: la raison principale, le but et la m8thode de ce cours. f partir du concept g8n8ral, abstrait, de la musique, jusqu’/ la connaissance concrHte, intrinsHque de l’œuvre d’art. Examiner une œuvre, ou l’ensemble des œuvres d’un artiste ou d’un cycle historique, en constater, expliquer, “revivre” les raisons du chant dans les maniHres, dans les qualit8s du chant mÞme. En 8tudier l’essence lyrique dans sa forme, et / travers la forme qui signifie en appr8cier, en justifier, en synth8tiser les valeurs – de m8lodie, d’harmonie, de timbre, de structure – dans leur consistance vraiment musicale. L’ensemble de ces valeurs et leur organisation est pour nous le style: indicateur / la fois de la r8alit8 et de l’id8alit8 de l’œuvre d’art.32

L’expression stylistique serait strictement li8e / l’expression lyrique, notion de style croc8en, et en repr8senterait une sorte de “version concrHte”, en effet “l’expression stylistique est expression tangible, contrilable, d8finitive du lyrisme”33. Cette correspondance entre le plan formel et le plan expressif est la seule garantie d’authenticit8 que l’activit8 artistique reconnaisse et / laquelle elle doit son succHs ou non: puisque la v8ritable immortalit8 d’une œuvre d’art est donn8e par ceci: qu’elle r8ponde parfaitement, lyriquement / un besoin de l’esprit; qu’elle porte en elle l’empreinte de celui qui l’a exprim8e; qu’elle soit une cr8ature vivante, n8e du rapport f8cond entre l’esprit et l’imagination. C’est / cette condition que l’œuvre d’art reste intacte dans le 30 31 32 33

Ivi, p. 15. Ivi, p. 17. Ivi, p. 18. Ibidem.

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Notes biographiques sur Fernando Liuzzi

temps, comme le jour oF elle fut cr88e. Quand la conscience / son point le plus 8lev8 de maturit8 se manifeste en synthHse immaginative, plus rien ne la d8truit. Elle est 8ternelle.34

Malgr8 cet int8rÞt envers la dimension de la forme, Liuzzi n’est pas promoteur d’une esth8tique de type formaliste, puisque l’8l8ment spirituel continue / d8tenir le rile de facult8 principale de la production artistique. Liuzzi en personne admet que, dans l’analyse stylistique le chercheur devra Þtre guid8 par l’objectif de ramener la sensibilit8 des auditeurs au sens originel et authentique, li8 / la forme. Du reste, tout ce qui provient du domaine artistique est un enrichissement pour la vie, l’art est une source in8puisable de vie. Je pense que, tout comme l’art, l’histoire n’est efficace que si elle est rev8cue moment par moment pleinement, sinon ce n’est qu’une actualit8 d’8tat d’.me. D’ailleurs toute d8couverte, toute assimilation fournie par le domaine de l’art est un enrichissement de la vie, […] l’art est une matrice de vie in8puisable.35

La carriHre universitaire de Liuzzi ne se d8roule pas exclusivement en Italie. Son activit8 de chercheur l’emmHne dans divers pays comme l’Allemagne, la France, la Belgique et les Ptats-Unis. Et c’est justement aux Ptats-Unis que Liuzzi a l’occasion de participer / un 8v8nement international important: le premier CongrHs de l’“American Musicological Society”. Celui-ci se d8roule le premier septembre 1939, quatre ans aprHs sa fondation et / quelques jours du d8but de la Seconde Guerre Mondiale, circonstance qui empÞche quelques chercheurs de se rendre sur le continent am8ricain. Malgr8 cela le congrHs a lieu et permet aux intervenants de se rencontrer et de se confronter sur diff8rents thHmes li8s / la recherche musicologique. Le compterendu de ces journ8es, dont il n’existe pas de traces officielles, est cit8 dans un article de Richard Crawford36 qui cite, entre autres, Edward J. Dent, Knud Jeppesen, Otto Gombosi, Alfred Einstein, Curt Sachs, et bien entendu Fernando Liuzzi. Crawford tient / pr8ciser que tous les discours ont en commun un vif int8rÞt li8 aux aspects pratiques de la vie musicale en essayant d’8tablir une connexion entre le monde de la musicologie pure et celui de la performance. Le colloque, en effet, est accompagn8 d’un grand nombre de concerts vari8s. Il est possible d’8couter des musiques allant du r8pertoire musical contemporain am8ricain (Ives, Gottschalk) au r8pertoire du Moyen-.ge (Dufay, Obrecht), / celui de la musique populaire am8ricaine (gr.ce aux chants recueillis par Alan Lomax), / 34 Ibidem. 35 Ivi, p. 20. 36 R. Crawford, The American Musicological Society 1934–1984. An Anniversary Essay, 1984, (http://www.ams-net.org/resources/Anniversary_Essay.pdf).

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celui du jazz et du musical. Les journaux de l’8poque37 parlent d’un 8v8nement de grande importance, capable d’int8resser un large public au monde de la recherche musicale 8galement gr.ce / aux discours importants comme ceux de Jeppesen, Sachs et de Liuzzi. Ernest Ferand38, auteur de l’unique article consacr8 / Liuzzi,39 8tait probablement pr8sent parmi le public. Ils ont sans doute fait connaissance durant la tourn8e de Liuzzi en Italie en tant que directeur de la compagnie de ballet Hellerau-Laxenmburg. C’est le r8cit de Ferand qui nous informe du thHme de la relation que Liuzzi fait / New York, Notes su le barzellette e le canzoni a ballo du Quattrocento italien qu’il expose en franÅais. D’aprHs Ferand, qui nous d8montre combien Liuzzi jouissait d’une solide r8putation / l’8tranger, cette conf8rence repr8sente un des moments d’int8rÞt majeur de tout le colloque. On retrouve l’envergure internationale de Fernando Liuzzi, au-del/ de l’enseignement en Belgique et en Am8rique, dans l’8change 8pistolaire avec Charles Van den Borren40 et Edward J. Dent41. Ces deux illustres chercheurs, membres du conseil de direction de l’“International Musicological Society”42, s’int8ressent / la musique italienne antique et baroque, fondent des “ensembles” musicaux et publient des recherches et des biographies de musiciens italiens43. L’œuvre de Liuzzi, en somme, repr8sentait une source importante pour les chercheurs, surtout 8trangers, afin d’obtenir une connaissance pr8cise du monde musical italien de la fin du Moyen-ffge jusqu’/ la naissance de l’Ppoque baroque. Liuzzi est en effet parmi les premiers chercheurs italiens / manifester un grand int8rÞt pour la philologie, et en g8n8ral pour l’8tude de la litt8rature antique. Cette sensibilit8 provient de ses 8tudes de litt8rature / l’Universit8 de Bologne, sous la direction d’abord de Giosu8 Carducci et ensuite de Giovanni Pascoli. La rencontre avec ces deux personnages de la litt8rature italienne a laiss8 chez Liuzzi des empreintes fondamentales, telles qu’un style d’8criture pr8cis et une certaine approche de l’analyse textuelle. Par contre, ses connaissances philosophiques, qui se consolideront plus tard 37 “HeraldTribune” (NewYork), “DailyWorker” (NewYork). 38 Ernest Ferand (Budapest, 1887 – B.le, 1972), musicologue hongrois, il s’int8resse essentiellement / la p8dagogie musicale et / l’improvisation. 39 F. Ferand, In memoriam. Fernando Liuzzi, “Musical Quarterly”, XXVIII, 1942, pp. 494–504. 40 C. Van Den Borreen (Bruxelles, 1874 – Bruxelles, 1966), musicologue, professeur d’histoire de la musique / l’Universit8 de LiHge et membre de l’International Musicological Society (IMS). 41 Edward J. Dent (Ribston 1876 – Londres, 1957), musicologue et directeur de l’IMS de 1931 / 1949. 42 Association di musicologues n8e en 1927 ayant pour objectifs d’instituer un centre de documentation et de simplifier les contacts internationnaux entre les chercheurs. 43 f noter l’important ouvrage de Edward J. Dent, Alessandro Scarlatti, “Journal of Royal Music Association”, XXX, 1903, pp. 75–90.

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Notes biographiques sur Fernando Liuzzi

dans sa vision personnelle de l’esth8tique musicale, sont / attribuer aux cours de Theodor Lipps / Munich. Si, d’un point de vue biographique les modalit8s et motivations de ce voyage accompli par un Liuzzi d’/ peine dix-neuf ans restent obscures, d’un point de vue m8thodologique, Liuzzi int8gre et comprend parfaitement la pens8e de Lipps. Dans son Essenza dell’arte e valore estetico nel pensiero de Theodor Lipps44 publi8 dans la “Rivista di Filosofia”, Liuzzi retrace la pens8e de son ma%tre, sous8valu8e injustement dans le domaine de la sp8culation esth8tique / tel point qu’ une 8corce dure et froide semble s8parer irr8m8diablement les lecteurs de la chaleur intime […] et les principes fondamentaux, telles des racines enterr8es sous un 8norme enchevÞtrement de branches, n’expriment pas leur propre suc vital avec une f8condit8 antique. […] Ceux qui ont essay8 d’entrer en contact avec Lipps / travers ses longs volumes, ont d0 admettre avoir beaucoup travaill8 et peu compris.45

Cette incompr8hension serait due, selon Liuzzi, au langage de Lipps qui prÞte facilement au malentendu et / l’ambigüit8. Certes l’expression de Lipps est d’une limpidit8 impeccable. Certes dans chaque phrase apparait une id8e, une faÅon de voir ou de sentir qui modifie, retourne, contraste, illumine ou annule ce qui pr8cHde, ce qui, / son tour, est destin8 / en subir les effets. Tout ceci […] peut produire l’impression d’une r8alit8 qui se brise en une s8rie ind8finie de fragments minuscules, et y perd ou disperse sa propre unit8.46

Le rapport entre psychologie et esth8tique – que Lipps d8finit comme “l’exp8rience que l’esthHte ressent en et sur lui-mÞme […] sera d’autant plus pr8cieuse qu’une 8ducation psychologiquement raffin8e l’aura rendu capable de s’adresser / lui-mÞme des questions int8ressantes”47 – selon Liuzzi: a 8galement fini par 8veiller l’impression d’un subjectivisme arbitraire et par 8touffer certains des concepts fondamentaux qui sont rest8s confus / la majorit8 des lecteurs et, en tout cas, beaucoup moins valoris8s qu’ils n’auraient d0 l’Þtre. 48

En raison de cette “myopie ex8g8tique” la plupart des chercheurs, se limitant / consid8rer Lipps comme le porte-drapeau de l’esth8tique psychologique et ignorant l’apport que le philosophe allemand a apport8 / la d8finition des concepts d’activit8 et d’interpr8tation artistique, n’a pas 8t8 capable d’en comprendre le sens sous toutes ses nuances.

44 F. Liuzzi, Essenza dell’arte e valore estetico nel pensiero di Theodor Lipps, “Rivista di filosofia” IV, 1924, pp. 17–45. 45 Ivi, p. 18. 46 Ivi, p. 19. 47 T. Lipps, Aesthetik, in Kultur der Gegenwart, vol. IV (Systematische Philosophie), Berlin 1907. 48 F. Liuzzi, Essenza dell’arte e valore estetico nel pensiero di Theodor Lipps, cit., p. 20.

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On a beaucoup parl8 en effet de Lipps comme psychologue, comme modificateur et d8fenseur du principe de la Einfühlung, comme observateur trHs raffin8 du sujet int8ress8 par le ph8nomHne esth8tique. Mais on a n8glig8 les id8es g8n8rales qu’il avait de l’objet esth8tique en soi, de l’artiste cr8ateur et de l’activit8 cr8atrice. Qui s’est arrÞt8, par exemple, sur l’unit8 de forme et de contenu dans l’œuvre d’art, que Lipps affirme? Et pourtant cette formule, mÞme 8labor8e de faÅon diff8rente est l’un des fondements de la pens8e croc8enne et constitue donc ind8niablement, un lien commun entre les deux philosophes.49

Les pens8es de Lipps et de Croce ne seraient donc pas si 8loign8es, elles seraient mÞme en partie conciliables. Ce sera exactement la position de Liuzzi. La discipline esth8tique et d’une certaine faÅon celle de Croce est en effet: la science du beau. Un objet est “beau” parce qu’il 8veille en nous un sentiment particulier, celui que nous indiquons comme “sentiment de la beaut8”. En tout cas, la beaut8 indique la capacit8 de l’objet de susciter en nous un effet particulier.50

Prenant acte de la nature particuliHre du “beau”, les fonctions de l’esth8tique de Lipps deviennent trois: psychologiques, psychologiques appliqu8es et normatives: la premiHre pr8voit l’analyse du sujet qui jouit de l’art, car une esth8tique efficace doit Þtre en mesure d’8tudier les mouvements psychiques d8rivant de la contemplation du “beau”. La deuxiHme, psychologique appliqu8e doit en revanche: analyser les objets beaux tels qu’ils nous sont offerts par la nature et par l’art, et dans le but d’expliquer esth8tiquement la qualit8 commune de ces objets, en les consid8rant, eux aussi, d’un point de vue psychologique. C’est l/ que s’applique le principe de la Einfühlung.51

Il en 8merge ainsi une troisiHme analyse, celle que Liuzzi considHre comme la plus inh8rente / la sphHre esth8tique et qui a 8t8 la plus critiqu8e par les d8tracteurs de Lipps. f cit8 de ces deux fonctions, en voici une troisiHme, non plus descriptive ou illustrative, mais normative. AprHs avoir connu les processus et les lois du fait esth8tique, il est naturel qu’en d8coule une norme pour le fait lui-mÞme. Mais les artistes et les amis de l’art refusent, en g8n8ral, ce dernier point qu’ils considHrent comme une intrusion inopportune.52

Cette m8fiance envers la “normativit8 esth8tique” de Lipps n’a, selon Liuzzi, pas lieu d’Þtre puisqu’en r8alit8, bien loin d’en miner la libert8, elle se limite /

49 50 51 52

Ivi, p. 20. Ivi, p. 21. Ivi, p. 22. Ibidem.

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Notes biographiques sur Fernando Liuzzi

reconna%tre les conditions et les moments oF l’art est vraiment art, et / en prendre acte. Comme toute forme de l’activit8 humaine, l’art aussi doit Þtre avant tout caract8ris8 par un propre but que Lipps 8nonce comme la production volontaire du beau.53

D’aprHs Lipps et Liuzzi, l’art serait donc un acte accompli volontairement par un “moi cr8ateur” qui a su: produire quelque chose qui a de la valeur en soi; contenant un je ne sais quoi qui enrichit, amplifie et exalte notre personnalit8, notre .me. Cette valeur en-soi doit Þtre, donc, le “contenu” de l’intention artistique; qui doit vouloir l’artiste en tant qu’artiste. Et l’œuvre d’art a de la valeur parce qu’en la contemplant nous pouvons nous rendre compte que l’artiste a 8t8 anim8 d’une telle intention qu’il a eu la force de la r8aliser. 54

Cette affirmation permet de mieux sp8cifier ce que Lipps veut dire par “valeur esth8tique”, notion qu’il ne faut pas comprendre comme la jouissance d8rivant de la simple contemplation. En effet: une chose peut avoir de la valeur pour ce qu’elle suscite, produit, rend possible quelque chose d’agr8able en soi. Une telle valeur est une valeur d’utilit8. Mais la valeur esth8tique est une “valeur propre” (Eingenwert); La jouissance esth8tique, une jouissance imm8diate de cette valeur.55

Dans diff8rents passages Liuzzi essaie d’“arrondir” certaines th8ories de Lipps pour les faire co"ncider avec celles de Benedetto Croce, comme dans le cas oF l’“empathie” (Einfühlung) est indiqu8e comme l’8l8ment capable de garantir l’unit8 des arts – ind8pendamment des diff8rences formelles qui les distinguent – selon une conception enracin8e chez Croce et ses adeptes. En effet: il est temps de reconna%tre cet 8l8ment, cette donn8e commune qui nous avait 8chapp8 jusqu’ici qui vaut / la fois comme norme de la valeur esth8tique et comme raison et finalit8 de la production artistique dans chacune des formes oF l’art se manifeste. La finalit8 ultime et g8n8rale de l’art est de promouvoir en nous un enrichissement non pas de connaissances ou d’activit8 intellectuelle, mais de cette activit8 psychique capable de la plus intime coparticipation, de la v8ritable sympathie, chaque art utilisant, naturellement, les moyens qui lui sont propres. […] C’est donc, selon Lipps, dans la capacit8 de susciter une telle 8nergie sympathique que r8side sp8cifiquement la valeur esth8tique.56

C’est en vertu d’argumentations de ce genre que Liuzzi peut soutenir des id8es typiquequement croc8ennes telles que la valeur esth8tique comme valeur absolue et interne / l’œuvre, la “n8cessit8” d’une cr8ation artistique d’Þtre exprim8e sous une forme d8termin8e et sous aucune autre, le refus de toute esth8tique h8doniste 53 54 55 56

Ivi, p. 23. Ivi, p. 35. Ivi, p. 24. Ivi, p. 31.

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– puisque chez Lipps “les termes de valeur artistique et de valeur esth8tique ne co"ncident pas”57 – et la forme et le contenu sont inextricablement li8s, car: Se demander si l’œuvre agit gr.ce au contenu ou gr.ce / la forme n’a aucun sens. L’un n’est pas possible, ni mÞme pensable sans l’autre; l’action des deux est n8cessaire.58

f la fin de son 8tude, Liuzzi r8sume les quatre id8es-cl8s exprim8es par Lipps pouvant Þtre consid8r8es comme le contenu v8ritable de sa conception esth8tique: 1. Identit8 des concepts de “beau” et de “valeur esth8tique”; 2. Appartenance de la valeur esth8tique / l’objet (valeur esth8tique comme “valeur propre” / l’objet); 3. Concept unique de l’art; 4. Unit8 de forme et de contenu59

Dans le panorama esth8tique proche de Lipps, Liuzzi mentionne Herder, Hegel, Vischer et Croce. Avec ce dernier, Lipps partagerait une m8fiance envers deux courants de la recherche esth8tique: celui de l’empirisme psycho-physique sur base naturaliste et celui tendant au mysticisme, visant / d8finir une sorte de “m8taphysique du beau”. Lipps et Croce seraient en revanche sur des positions “sagement empiriques et raisonnablement normatives”. Liuzzi 8voque 8galement les divergences entre les deux penseurs, lorsque Lipps indique la valeur esth8tique comme une valeur 8thique, cette affirmation fait de lui la cible de la critique croc8enne selon laquelle “[chez Lipps], l’activit8 esth8tique est priv8e de toute valeur propre en recevant une valeur de la moralit8 par extension”.60 Selon le philosophe allemand, le cœur de l’exp8rience artistique serait dans la personnalit8 du destinataire: moi, j’ai d8j/ d8fini la sympathie esth8tique en disant que nous, nous sentons nousmÞmes dans l’œuvre d’art, pas simplement tels que nous sommes maintenant, mais tels que nous pourrions Þtre. Nous y exp8rimentons un moi id8al. f condition de rencontrer dans l’œuvre d’art la personnalit8 ou au moins l’8cho vibrant / l’unisson avec nos propres possibilit8s et nos implusions vitales. Uniquement si cet 8l8ment humain positif nous parvienne objectif, pur et lib8r8 de tous les int8rÞts r8els situ8s hors de l’œuvre d’art. Mais la valeur de la personnalit8 est une valeur 8thique. Toute jouissance artistique, toute jouissance esth8tique en g8n8ral est donc la jouissance d’une valeur morale comme objet de l’intuition esth8tique.61 57 58 59 60

Ivi, p. 36. Ivi, p. 37. Ibidem. B. Croce, Estetica come scienza dell’espressione e linguistica generale, Milan, Adelphi, 1990, p. 522. 61 T. Lipps, op. cit., p. 44.

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Notes biographiques sur Fernando Liuzzi

Liuzzi n’approuve pas la critique croc8enne envers l’esth8tique de Lipps et affirme librement que Lipps n’a non seulement jamais ni8 la valeur de l’exp8rience esth8tique en faveur de l’exp8rience 8thique, mais qu’il est parvenu / r8unir ces deux valeurs, dans le respect de leur autonomie: Lipps reconna%t au fait esth8tique en soi toute ind8pendance possible, et donc une valeur propre et sp8cifique. Il effectue plutit la r8union des deux valeurs en ne privant pas le fait esth8tique de son caractHre propre, et n’influenÅant en aucune faÅon sur la maniHre qu’il a de se produire, de se manifester et d’agir sur notre .me.62

62 F. Liuzzi, Essenza dell’arte e valore estetico nel pensiero di Theodor Lipps, cit, p. 45.

Chapitre 2: Fernando Liuzzi: Esthétique de la musique

L’Esth8tique della musica publi8e en 1924 par la Soci8t8 8ditrice anonyme “La Voce” de Florence pr8sente les aboutissements les plus pertinents de l’activit8 de Fernando Liuzzi en tant que penseur musical. En effet, bien que Liuzzi ait d8j/, depuis 1917, commenc8 son activit8 de critique et d’expert d’esth8tique dans des quotidiens et dans des revues, son travail dans le domaine scientifique s’8tait limit8 / la r8daction d’essais et d’articles. Ce n’est qu’en 1924 que Liuzzi d8veloppe son activit8 de th8oricien et publie, en quelques mois, deux essais, Essenza dell’arte e valore estetico nel pensiero di Theodor Lipps et Estetica della musica. Ces deux œuvres sont en quelque sorte compl8mentaires. Toutefois, notre analyse se concentrera principalement sur l’Estetica della musica car cette œuvre est le t8moignage le plus complet et le plus organique de la pens8e critique de Liuzzi. En outre la publication de cet essai est un moment cl8 dans son parcours en tant que sp8cialiste de faits artistiques. En observant la vie active de Liuzzi, on remarque en fait que 1924 est l’ann8e / partir de laquelle son activit8 de composition laisse progressivement la place / l’activit8 acad8mique. Jusque-l/ Liuzzi fait surtout des cours dans des conservatoires et en 1924, sa carriHre subit une m8tamorphose en se transformant en enseignement / l’universit8 en tant que titulaire de chaires d’esth8tique et d’histoire de la musique. L’autobiographie de Mario Castelnuovo-Tedesco63 t8moignent de ce cheminement vers la carriHre universitaire, car le musicien, beau-frHre de Liuzzi, d8crit sa solide pr8paration culturelle, sa rigueur scientifique et ses r8sultats atteints dans le domaine th8orique. L’Estetica della musica a comme sous-titre Studi e saggi car elle n’appara%t pas comme un trait8 syst8matique. Liuzzi en effet n’a pas 8crit une œuvre organique unitaire qui, s’articulant en divers chapitres (th8oriques, historiques, et de r8futation) entend illustrer au lecteur ce qu’est l’esth8tique de la musique. C’est 63 J. Wesby, Una vita di musica, op cit.

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plutit un recueil d’8crits originaux d’oF d8duire les id8es esth8tiques qui forment la base de sa pens8e. Il ne s’agit pas d’une œuvre / l’interpr8tation difficile – Liuzzi exprime clairement ses th8ories – mais l’Estetica della musica est une œuvre qui n’entend pas initier, endoctriner ou divulguer au lecteur des v8rit8s musicales pr8sum8es comme c’8tait souvent le cas dans la litt8rature esth8tique de l’8poque. Liuzzi n’essaie pas et n’essaiera pas de faire du pros8lytisme d’une part, parce qu’il refuse de juger la validit8 d’une id8e / partir de sa popularit8 et d’autre part, parce qu’il se m8fie et se m8fiera toujours des “8coles” ou des courants. D’aprHs lui, un chercheur, un artiste mÞme sera d’autant plus efficace s’il r8ussit / faire son travail de faÅon exclusivement personnelle, c’est lui-mÞme et son int8riorit8 qui analysent sans l’influence des modes momentan8es et des prises de position id8ologiques. Cette recherche d’autonomie et de libert8 cr8atrice garantit certes l’originalit8 de Liuzzi, mais le rend parfois trop hostile envers des courants et des mouvements qui ont ind8niablement compt8 dans la transformation de l’art contemporain: Tout artiste manifestant une id8e ou une orientation technique avec le go0t de la nouveaut8, se retrouve imm8diatement entour8 d’une foule d’adeptes qui en imite la maniHre et, comme on dit, la fait 8voluer. Il en a 8t8 ainsi pour les Parnassiens comme pour les Symbolistes, les Impressionnistes, etc…. Mais les nouvelles formes aussi se cristallisent vite en formules et l’id8e qui devait 8largir l’horizon de l’art, en r8alit8 le restreint pour devenir rapidement le centre d’un petit cercle qui lui tourne autour.64

L’analyse de la composition de l’Estetica della musica d8voile d’autres 8l8ments de la personnalit8 intellectuelle de Liuzzi. En observant simplement le sommaire, il est facile de se rendre compte / quel point Liuzzi 8tait 8clectique et capable de traiter de probl8matiques diverses. L’œuvre se compose de huit chapitres qui, en r8alit8, sont huit essais autonomes, consacr8s chacun d’entre eux / un argument diff8rent, sans que le caractHre argumentatif ne s’en ressente. Liuzzi a juxtapos8 des 8crits qui vont de la pol8mique esth8tique (Un quesito di estetica musicale in Anatole France) / la critique litt8raire (Estetica “kreisleriana” da E.T.A. Hoffmann / Robert Schumann), en passant par la critique musicale (Ariane et Barbe-bleue de M. Maeterlinck et P. Dukas) et le trait8 th8orique pur (Visibilit/ e udibilit/), montrant ainsi ses capacit8s de journaliste, de savant et de musicologue. Bien s0r, au premier abord l’Estetica della musica peut sembler une sorte de m8li-m8lo de recueil de pures donn8es h8t8rogHnes: et pourtant, il existe bien un fil conducteur, un “lien id8ologique” anim8 de deux 8l8ments. 64 F. Liuzzi, Estetica della musica, p. 232.

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Le premier est de caractHre stylistico-formel: Liuzzi maintient toujours le mÞme systHme dans l’8criture et dans l’approche des questions. Sur le plan lexical, le registre est toujours de haut niveau, mÞme dans les boutades et dans les moments critiques les plus .pres. La connaissance des arguments trait8s est toujours approfondie et substantielle. La structure argumentative des articles, quant / elle, est trHs riche et r8currente. En g8n8ral, Liuzzi informe le lecteur sur les motifs qui l’ont pouss8 / r8diger l’article. Ces motifs sont toujours “externes” et li8s / des 8v8nements ou / des occasions tels que des r8impressions, des red8couvertes ou des pol8miques particuliHrement int8ressantes et anim8es. C’est l/ que Liuzzi pr8sente la th8orie et l’auteur sur lequel il entend r8aliser sa critique et essaie d’en 8tablir la pens8e de la faÅon la plus objective possible. Pour ce faire, il cite beaucoup et commente afin que le lecteur parvienne / la compr8hension exacte des id8es exprim8es. AprHs cette phase pr8liminaire, Liuzzi commence la partie oF il r8fute le discours, presque toujours / l’aide d’une s8rie de questions qui mettent l’accent sur les apories et sur les passages les plus fragiles d’un point de vue th8orique. Dans cette partie Liuzzi expose son acuit8 et sa rigueur de chercheur en mettant en 8vidence les affirmations douteuses et les th8orisations captieuses ou tautologiques. AprHs avoir conclu cette pars destruens, Liuzzi ne manque pas de souligner les 8ventuelles qualit8s de l’auteur analys8 montrant combien les meilleures id8es ont, en tout cas, contribu8 de maniHre th8orique ou pratique / l’8volution du monde artistique. Le second 8l8ment-cl8 qui permet / l’Estetica della musica d’Þtre une entit8 complHte et unitaire se situe dans les id8es esth8tiques, dans leur r8currence et dans leur constance / “appara%tre”. Cet 8l8ment est d8terminant puisque, si le livre en 8tait d8pourvu, nous nous trouverions face / une simple exposition de faits, d’auteurs et de th8ories qui feraient de l’Estetica della musica un simple recueil d’histoire de la musique et d’id8es musicales. Chaque essai exprime les th8ories de Liuzzi sur la nature de la musique et sur la science qui, mieux que toute autre, en permettrait l’8tude, autrement dit, l’esth8tique. Dans cette œuvre, les convictions et les espoirs qu’il nourrit pour le monde de l’art et de la musique 8mergent d8crivant la pens8e esth8tique de Liuzzi. Les parties suivantes pr8sentent une synthHse des th8matiques li8es plus ou moins directement / la philosophie de l’art dans l’Estetica della musica. Pr8cisons, au pr8alable, que selon notre approche les huit chapitres n’ayant pas tous le mÞme int8rÞt, notre analyse ne sera pas uniforme. Le premier chapitre, par exemple, Visibilit/ e udibilit/ dans lequel Liuzzi 8tablit les rapports entre la th8orie de la visibilit8 pure de Konrad Fidler, les 8tudes de Eduard Hanslick et la pens8e de Croce, n8cessite un int8rÞt majeur car c’est sans aucun doute, le

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chapitre est le plus approfondi d’un point de vue esth8tique et le plus r8v8lateur de la th8orie id8ologique de Liuzzi. La pertinence du chapitre Visibilit/ e udibilit/ fera donc l’objet d’une 8tude s8par8e 8tant le point central de notre recherche.

2.1. Esthétique “kreislérienne” Ce chapitre de l’ Estetica della musica affronte ce qui est, pour un chercheur en esth8tique du d8but du vingtiHme siHcle, un sujet incontournable: le romantisme. Liuzzi s’inspire de la r8cente r88dition de Biografia frammentaria del direttore d’orchestra Giovanni Kreisler de E.T.A. Hoffmann et aprHs en avoir fait une analyse perspicace, il 8tend la recherche jusqu’/ impliquer le mouvement romantique dans son ensemble. Pour commencer, c’est le personnage de Giovanni Kreisler qui est analys8 au niveau psychologique. Mais pour Liuzzi, cette proc8dure est st8rile si elle ne s’8tend pas aussi / l’auteur / cause de la nature fortement autobiographique de l’art romantique, en effet: “Giovanni Kreisler se s8pare du cerveau de Hoffmann comme Minerve arm8e du cerveau de Jupiter.”65 AprHs avoir 8tabli ce rapport direct personnage-auteur, Kreisler est pr8sent8, en vertu de sa faÅon de vivre et d’entendre le monde, comme l’artiste romantique par excellence: l’homme dont l’analyse repr8sente un moyen s0r pour la compr8hension des id8aux qui ont anim8 le mouvement romantique. Preuve en est que les 8l8ments formant la personnalit8 de Kreisler sont aussi les fondements du Sturm und Drang: la tempÞte, le tourment, le d8sir mystique, l’envie d’exp8rimenter tout ce qu’il y a d’extra-mondain. Les id8es esth8tiques de Kreisler-Hoffmann adhHrent aussi / la pens8e romantique et Liuzzi, qui ne sait, ni ne veut renoncer / cette spiritualisation radicale des faits esth8tiques, pr8sente 8galement dans le systHme croc8en, ne peut s’empÞcher d’en partager les passages relatifs / l’art musical. Comme premier exemple, on pourrait citer l’aversion envers la musique / programme qui, de par sa nature d8monstrative et narrative, aurait le grand d8faut d’entraver la libert8 cr8atrice de l’artiste. Qu’on le veuille ou non, un programme quelconque est toujours un barrage, puisque l’artiste doit le suivre, un barrage et donc une limite et une entrave / l’imagination, une violation de la libert8 inconditionnelle qui lui incombe.66

65 F. Liuzzi, Estetica della musica, op. cit., p. 61. 66 Ivi, p. 99.

Esthétique “kreislérienne”

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Une autre carence du “programme” en musique est de d8naturer, jusqu’/ 8clipser, l’8l8ment que Liuzzi retient comme pr8dominant du point de vue musical: la m8lodie. La m8lodie, selon Liuzzi, est en effet la structure portante de la musique, qui contient un je ne sais quoi capable de rendre une composition unique et de la mettre en contact, sans m8diation, avec le monde int8rieur de l’auditeur. Ceci est possible gr.ce / la nature particuliHre de la m8lodie: elle est l’id8e qui s’est faite valeur concrHte sans pour autant perdre ses connotations et ses privilHges d’“id8alit8”. L’8l8ment m8lodique, pour Liuzzi, est le “don magique”: “le don 8manant du haut par des mains invisibles, le thHme musical, la m8lodie, l’id8e palpable et form8e”.67 Liuzzi craint que le musicien, voulant suivre rigoureusement le programme, soit pr8dispos8 / concevoir des thHmes musicaux li8s / des fins descriptives ou explicatives, perdant ainsi le contact avec le monde purement musical et spirituel pour 8chouer dans le mare magnum de l’extra-musical et donc de l’extran8it8 au fait esth8tique. Liuzzi applique le mÞme discours, visant / sauvegarder la libert8 de l’art musical, / la po8sie en musique, un domaine min8 par la puissance expressive du mot. L/, le danger est que la musique devienne un accessoire superpos8 / une expression d8j/ conclue, du point de vue formel aussi, et en tant que tel, impossible / d8velopper ult8rieurement. En suivant cette ligne de pens8e, Liuzzi nie la possibilit8 de mettre en musique des œuvres de poHtes qui sont surtout parvenus / tendre vers “l’universalit8”68 consid8rant plus adapt8s des textes moins 8labor8s et moins d8finis capables de garantir / la musique un propre espace expressif. Liuzzi s’exprime clairement sur le rapport qui doit exister entre cr8ation musicale et cr8ation po8tique: “L’association de la musique et de la po8sie fonctionne lorsque celle-ci reste dans une condition pour ainsi dire “virtuelle”.” Pour conclure, Liuzzi juge utile de rendre justice / ce qu’il considHre comme un “8norme malentendu”, responsable d’avoir rendu la connaissance du ph8nomHne romantique difficile et ambigüe: le rapport entre art et vie. Quant / cette th8matique, Liuzzi 8tablit deux tendances: la premiHre, appel8e romantique pure, tire des stimuli de la vie de l’artiste et puis les r88labore de faÅon po8tique pour les restituer en œuvres d’art bas8es sur l’exp8rience, ceci se concr8tise en une “exigence, dans l’esprit, d’une pleine lyricit8 n8e d’un humus d’exp8riences humaines, mais harmonis8e et d8nu8e d’int8rÞt envers elles”. La seconde tendance, celle qui serait / l’origine du malentendu, est celle qui pr8tendrait le passage exp8rience-œuvre d’art ex abrupto, sans l’intervention de capacit8s lyriques et spirituelles. Liuzzi s’oppose clairement / cette th8orie 67 Ivi, p. 107. 68 Liuzzi cite / ce propos HomHre, Eschyle, Sophocle, Virgile, Dante, Shakespeare, Goethe.

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justement parce qu’elle est priv8e de tous les 8l8ments renvoyant / la facult8 d’imagination, de fantaisie et d’int8riorit8 sur lesquelles se base la pens8e croc8enne et qui contribuent / d8finir l’art en tant que tel et / en faire l’expression humaine la plus 8lev8e et la plus universelle.

2.2. Une question d’esthétique musicale chez Anatole France Ce chapitre qui suit Visibilit/ e Udibilit/ est celui oF l’auteur a expos8 le plus ouvertement son credo esth8tique. L’occasion na%t d’une pol8mique n8e en France entre l’8crivain Anatole France et le musicologue Pierre Lasserre, auteur de la Philosophie du go0t musical69 que Liuzzi critique durement lui niant toute valeur scientifique ou de v8rit8. La probl8matique qui anime ce d8bat est un “classique” de la musicologie de l’8poque: si le beau musical r8side dans l’œuvre en tant que telle ou s’il est soumis au changement des go0ts et des modes. Liuzzi d8clare d’embl8e ne prendre parti pour aucun des deux rivaux mais s’il conteste mod8r8ment Anatole France en tant que personne inexperte des faits musicaux, il attaque par contre Lasserre avec virulence le consid8rant comme un amateur. La premiHre erreur commise par le sp8cialiste franÅais est, / son avis, de ne s’Þtre jamais occup8 d’esth8tique dans sa Philosophie, mais seulement d’histoire de la musique. Ceci parce que Lasserre aurait complHtement 8cart8 l’“8l8ment spirituel” et son 8volution au profit d’une th8orie consid8rant le d8veloppement musical comme une pure succession de formes au fil des siHcles: En effet le premier problHme pos8 par Lasserre ne repose que sur des consid8rations empiriques d’historicit8 formelle, / savoir d’ext8riorit8s technico-stylistiques.70 Une autre d8faillance du penseur franÅais est qu’il est convaincu que les go0ts du temps et le passage des modes reflHtent sur la production artistique. Alors, mÞme si Liuzzi est prÞt / affirmer, une chose d’ailleurs ind8niable, que les go0ts changent et se transforment au fil des 8poques, il est tout aussi cat8gorique lorsqu’il affirme que cela ne concerne absolument pas la sphHre artistique car : la musique est un art, c’est-/-dire une activit8 de l’esprit et non pas un cri animal inarticul8; qui est une connaissance intuitive de l’individuel et du concret et non pas une connaissance rationnelle d’ensemble et de l’abstrait comme l’arithm8tique; et que donc, puisque cela est incontestable, les r8volutions du go0t et les vicissitudes du sentiment ne la touchent ni plus ni moins.71

69 P. Lasserre, Philosophie du go0t musical, Paris, Grasset, 1922. 70 F. Liuzzi, Estetica della musica, cit., p. 135. 71 Ivi, p. 128.

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Le dernier argument que Liuzzi utilise pour discr8diter Lasserre est la critique du modus operandi de la musicologie franÅaise qu’il accuse de malhonnÞtet8 intellectuelle, de c8cit8 et d’aversion envers les grandes d8couvertes de la musicologie de l’8cole allemande et en partie italienne car : dans l’orientation globale de l’esth8tique franÅaise contemporaine, qui se reflHte en partie chez Lasserre, il y a la tendance / mettre ou / remettre en valeur des concepts et des points de vue qui, / nous, semblent vulgaires et superficiels ou carr8ment contraires / des v8rit8s d8sormais bien connues. Celles-ci, si elles ont 8t8 d8couvertes et d8montr8es en Allemagne, il n’y a pas de guerre digne / les jeter aux oubliettes; et si, quelques-unes d’entre elles, comme c’est le cas, sont d’origine italienne, et donc d’alliance morale, elles devraient faire partie de toute culture honnÞte mÞme chez nos voisins intellectuels.72

Liuzzi cite 8galement les inspirateurs majeurs de la musicologie franÅaise et leurs id8es principales – d8montrant ainsi une bonne connaissance – pour souligner leurs caract8ristiques n8gatives. Dans le domaine esth8tique, Liuzzi, impr8gn8 des convictions surtout croc8ennes, prend comme cibles principales toutes les doctrines se basant sur le positivisme ou sur le psychologisme, des courants qui avaient encore le vent en poupe en France. Parmi les “positivistes” Liuzzi, bien qu’avec quelques r8serves, attaque Charles Lalo coupable / travers ses tentatives de sociologie de la musique d’avoir complHtement d8plac8 l’int8rÞt de l’œuvre d’art en tant que telle / son contexte73. Cette conception du problHme pour un chercheur int8ress8 au rapport entre œuvre et “esprit” cr8ateur est 8videmment inacceptable, 8galement / cause de l’8crasement subi par l’“individualit8”, concept cl8 de la cr8ation artistique dans la perspective de Croce. Mais au fond, toutes les critiques / Lasserre et / Lalo sont adress8es / l’ensemble du systHme de pens8e positiviste et pr8cis8ment / sa d8clinaison franÅaise. N’oublions pas, qu’au d8but du XXe siHcle en France, le positivisme repr8sentait encore la structure portante du monde culturel; il s’agissait certainement d’un positivisme tardif, ou mieux d’un post-positivisme qui cependant n’avait pas perdu de son influence. Les principes fondamentaux de la tradition positiviste – l’exaltation de la m8thode scientifique, la possibilit8 de l’appliquer dans tous les domaines du savoir 8taient extrÞmement en contraste avec les id8es qui dominaient / l’8poque dans le milieu intellectuel italien. Croce et ses adeptes, r8solument antipositivistes, sont convaincus que cette m8thode de penser est incapable d’expliquer la r8alit8, surtout celle concernant le monde de l’art. Liuzzi partage totalement cette position et le d8montre dans la critique qu’il 72 Ivi, p. 124. 73 Charles Lalo, Esquisse d’une esth8tique musicale scientifique, Paris, Alcan, 1908.

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adresse / Lasserre, dont les th8ories principales se retrouvent chez Hippolyte Taine qui peut Þtre consid8r8 comme le pHre de l’esth8tique positiviste. D’aprHs ses th8ories, l’œuvre d’art serait exclusivement d8termin8e par des facteurs naturels. L’art repr8senterait en tout et pour tout un produit de la nature, que l’on peut donc exclusivement expliquer / travers une 8tude scientifique, tel un chimiste 8tudiant des 8l8ments avant de les faire r8agir. L’aspect sentimental, le g8nie, l’inspiration, l’invention fantastique et tous les facteurs contribuant / former l’aspect “spirituel”, le cœur de l’esth8tique croc8enne – mais aussi de Liuzzi – sont chez Taine essentiellement 8trangers au processus de la production artistique. Ayant des positions de matrice naturaliste et d8terministe, le penseur franÅais avait soutenu en effet que tout ce qui se d8roule dans la psychologie d’un individu n’est rien d’autre qu’une s8rie de processus chimico-m8caniques. Ces derniers n’ influencent en rien l’artiste, puisqu’ils d8rivent d’un tout autre ordre: h8r8ditaire, appartenant au milieu social et / celui li8 au “moment” historique. Plus tard, Lasserre, avec ses th8ories sur le go0t et la mode partagera la mÞme vision. Et cette conception de l’art, vue comme quelque chose d’externe, qui “fait pression” sur l’artiste, fournira / Liuzzi les instruments de sa pol8mique. Celui-ci, en effet, accuse Lasserre et ses pr8d8cesseurs de n’Þtre jamais vraiment entr8s dans le domaine de l’esth8tique – en tant que, selon la pens8e croc8enne, science qui s’occupe des rapports entre Þtre humain et fait artistique – mais de s’Þtre limit8s / en 8tudier “les contours”. La perspective de Croce se retrouve, chez Lasserre, complHtement renvers8e. Ce n’est pas l’artiste, l’individu, qui, au moyen d’une pr8disposition personnelle, r8alise une œuvre capable d’impressionner le public, mais c’est le public qui, de par ses inclinations – d8termin8es par des facteurs historiques et sociaux – exige un art qui soit, pour ainsi dire, “sur mesure”. Cette perte de libre arbitre de l’individu en faveur de la masse constitue un des points de d8part de la science sociologique, qui avait, en France, fait ses premiers pas avec un autre penseur dont Liuzzi ne partage pas les id8es: Pmile Durkheim74. Selon les th8ories de ce dernier, le tissu de connexion qui rend la soci8t8 unie seraient les us et coutumes commun8ment – et donc socialement – accept8s. Ce serait donc la collectivit8 qui fait de l’individu ce qu’il est, influenÅant sa subjectivit8 de maniHre d8terminante. D’aprHs Durkheim l’organisation de l’appareil de production et le culte religieux qui, dans notre soci8t8, occupent des places de premier plan, auraient faÅonn8 notre modHle de vie au point de devenir eux-mÞmes, notre modus vivendi. 74 Pmile Durkheim (Ppinal, 1858 – Paris, 1917), sociologue franÅais form8 / l’8cole du positivisme, consid8r8 comme l’un des fondateurs de la sociologie moderne.

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Les th8ories de ce penseur ont eu une influence consid8rable et ont 8t8 d8velopp8es dans de nombreux domaines. Charles Lalo a certainement 8t8 l’un des premiers sp8cialistes / rechercher une correspondance entre les lois sociologiques, interpr8t8es dans la perspective de Durkheim, et la perception esth8tique individuelle d’une œuvre d’art. Dans son Esquisse d’une esth8tique musicale scientifique, Lalo fait co"ncider la valeur esth8tique avec la valeur sociale affirmant clairement que: “chez l’individu isol8 et pour ainsi dire absent de la vie sociale, les termes “art” et, peut-Þtre par cons8quent, “beau” n’ont aucun sens. La valeur esth8tique est une valeur sociale”.75 Cette conception est l’antithHse de celle de Liuzzi, centr8e sur la cr8ation personnelle et sur l’id8e qu’il existe ce je ne sais quoi spirituel, capable de rendre chaque œuvre originale et parfaitement autonome. Mais si Lalo et ses adeptes sont critiqu8s pour leur recherche bas8e sur des donn8es exclusivement tangibles, si ce n’est carr8ment statistiques, d’autres chercheurs, ayant entrepris des chemins oppos8s en se concentrant sur la n8gation de la pens8e logique en faveur de l’irrationnel et du subconscient, sont aussi condamn8s. Les critiques sont encore plus f8roces contre ces penseurs que Liuzzi considHre comme influenc8s par l’intuitionnisme de Bergson. En outre l’accusation d’avoir construit des convictions sur un territoire, comme le territoire psychologique sur lequel il est impossible d’8riger un quelconque systHme scientifique mais simplement des th8ories faramineuses et apor8tiques, est sans appel. Au nom de l’inconscient de l’appr8hension des qualit8s, / travers l’apoth8ose de la sensation et la glorification de l’arbitraire, de l’incontrilable, on en a entendu de belles!76

Il est facile de voir combien Liuzzi s’oppose / ces systHmes de pens8e trop ou trop peu “techniques”, une conviction qui se reflHte pleinement dans l’id8e qu’il a eu de la faÅon de construire une esth8tique: l’esth8tique ne devra Þtre ni purement sentimentale, / savoir 8trangHre aux conditions et des moyens physiques de l’art, ni simplement technique reconduisant chaque aspect de l’art / des curiosit8s de m8tier.77

L’esth8tique selon lui est destin8e / un domaine beaucoup plus 8lev8 et r8v8lateur de l’.me humaine, capable de rechercher les rapports / premiHre vue invisibles entre l’esprit, comme l’entend Croce, et sa concr8tisation intuitive dans une œuvre d’art. D’ailleurs, c’est Liuzzi en personne qui affirme: “L’esth8tique 75 Ch. Lalo, op. cit., p. 29. 76 F. Liuzzi, Estetica della musica, cit., p. 155. 77 Ivi, p. 136.

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est une science de l’activit8 intuitive de l’esprit et des rapports entre cette activit8 et l’expression dans une œuvre d’art”. Mais l’influence croc8enne se perÅoit davantage quand le discours se d8place sur la diff8rence entre la continuit8 historique et l’esth8tique. Liuzzi croit, en superposant sa pens8e / celle de Croce que, tandis que dans une perspective historique il est parfaitement l8gitime de parler d’une succession de moments, pr8par8s chacun d’entre eux par celui qui le pr8cHde en une succession lin8aire et n8cessaire, on ne peut en dire autant pour le devenir esth8tique qui, au contraire, progresse par des moments auto-conclusifs et juxtapos8s: les cycles progressifs. L’histoire des produits esth8tiques pr8sente des cycles progressifs, ayant chacun pour centre un propre problHme, par rapport auquel seuls ces cycles peuvent Þtre progressifs. Ainsi ils se pr8sentent / nous, qui les observons de loin, dans une perspective qui nous permet d’en embrasser la ligne g8n8rale comme historicit8 et donc d’avertir un ph8nomHne de continuit8 l/ oF celui-ci, intrinsHquement, n’existe absolument pas.78

Un effet de cette affirmation est la diff8rence fondamentale qui divise l’esth8tique de l’histoire de l’art. La diff8rence r8siderait exclusivement dans la faÅon dont on d8cide d’analyser le langage d’une œuvre d’art: on pourra la relier au monde de l’esprit, entrant ainsi dans le domaine esth8tique ou bien, / son contexte et s’occuper ainsi de recherche historique. C’est en le consid8rant sous cet aspect [le langage], c’est / dire dans ses relations avec l’esprit cr8ateur et dans ses vertus expressives qu’il fait partie de l’esth8tique; alors qu’en saisir des points communs dans l’abstrait par rapport au d8roulement d’un cycle est une fonction m8thodologique de l’histoire de l’art.79

Ainsi, selon Liuzzi, sans exp8rience spirituelle pas d’exp8rience artistique, et par cons8quent rien que l’esth8tique ne puisse 8tudier. L’esprit devient donc garant de l’activit8 artistique et une force capable de modeler la matiHre (qu’elles soient des couleurs, des sons ou autre), pour donner vie / des images qui, bien que concrHtes, portent les signes d’une pr8sence spirituelle imm8diatement compr8hensible. Ce concept de la cr8ation musicale comme fonction de l’esprit qui modHle en une matiHre appropri8e des images concrHtes par lesquelles on exprime, des images qui, / leur tour, sont perceptibles elles-mÞmes et dans leur rapport et donc capables d’Þtre contempl8es et appr8ci8es par ceux qui les 8coutent.80

De l/, / aborder la nature du beau musical, il n’y a qu’un pas, et Liuzzi commence par lib8rer le terrain de la th8orie qui voudrait le “beau” comme une simple 78 Ivi, p. 141. 79 Ivi, p. 142. 80 Ivi p. 134.

Opinions

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imitation de la nature: dans ce but il utilise la th8orie de la “mesurabilit8” exprim8e par Eduard Hanslick dans Vom Musikalisch-Schönen. mÞme si on admet l’hypothHse du “beau naturel”, il demeure ind8niable que la musique est, avec l’architecture, des arts qui ne trouvent dans la nature aucun modHle / imiter. Une succession de sons mesurables (qualit8, jusqu’ici, n8cessaire / la musique) ne se rencontre pas dans la nature: les ph8nomHnes qui s’y manifestent manquent de proportion intelligible81

Mais si le beau musical n’est ni une imitation de la nature ni une satisfaction du go0t courant, et donc un beau formel, alors qu’est-ce que c’est? Liuzzi nous r8pond: les images musicales concrHtes, autrement dit une forme musicale conclue ayant son propre sens, dans lequel l’esprit peut se refl8ter. Encore une fois, l’8l8ment spirituel, cr8ateur et fructueux de l’œuvre d’art est sollicit8, pour sauver la nature du beau de toute “tentation” formelle ou technico-mat8rialiste, mais sans la rendre pour autant un mystHre accessible / une 8lite. La musique est un langage, autrement dit une expression, qui repose non pas sur des sons consid8r8s en eux-mÞmes ou de faÅon abstraite (nombres) mais sur les images musicales concrHtes dans lesquelles ce langage peut Þtre faÅonn8. Il faut donc, pour cr8er une beaut8, que les sons prennent une forme musicale, / savoir une forme reconnue, finie, sensible, perceptible par l’esprit comme une entit8 concrHte.82

L’esprit est donc plac8 / la base de la discipline esth8tique, 8tant un 8l8ment caract8risant et en mÞme temps, une condition sine qua non pour l’activit8 artistique et pour l’existence mÞme du beau. Il faut que les sons soient pos8s et en mÞme temps ni8s comme un multiple, pour Þtre exprim8s comme unit8, comme synthHse. Et pour que cela advienne, un acte cr8atif de l’esprit est n8cessaire, tout autant synth8tique, reconnu et concret. Voil/ le processus cr8atif non seulement de la musique mais de l’art en g8n8ral; c’est le processus par lequel s’exprime intuitivement la beaut8, qui est dans l’esprit et non pas dans l’alphabet ou dans le son ou encore dans la couleur consid8r8s de faÅon abstraite.83

2.3. Opinions Le quatriHme chapitre d8nonce l’absence de r8flexion dans la culture musicale italienne concernant les problHmatiques mettant en cause la nature de l’activit8 artistique. L’esth8tique musicale est pr8sent8e comme une science peu pratiqu8e, peu appr8ci8e et difficile car mÞme parmi la plupart des musiciens: 81 Liuzzi, Estetica della musica in “Un quesito di estetica musicale in Anatole France”, p. 133. 82 Ivi p. 133. 83 Ivi, p. 134.

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l’immense majorit8 n’arrive pas / se poser les problHmes de l’art sous un 8clairage de pens8e vaste et direct qui les illumine logiquement, comme il le faut pour pouvoir les dominer d’un point de vue philosophique et artistique. Ainsi, quand nous essayons de critiquer, ils sont si chancelants dans la discussion th8orique g8n8rale et bien souvent aussi dans la pratique concrHte concernant un genre ou un produit artistique que nous les voyons fuir pour se r8fugier pr8cipitamment dans le cercle tautologique.84

En d8finitive, selon Liuzzi, peu savent de quoi ils parlent quand il s’agit de “musique” tandis que la majorit8 se limite / exprimer des id8es incongrues et approximatives du point de vue th8orique. Il identifie deux cat8gories dans cette grande masse “d’in-esthHtes”. Le premier groupe est celui des conservateurs, prÞts / sacrifier tout d8bat artistico-philosophique sur l’autel du sentiment et ouvertement hostiles / l’entr8e, sous toute forme, de l’8l8ment rationnel dans l’analyse des faits artistiques: en matiHre d’esth8tique musicale il est inutile de raisonner parce qu’ en musique, le seul / raisonner et a infailliblement raison, c’est le cœur (le sentiment, le pathos).85

Pour les conservateurs, l’art est le rHgne du cœur, du sentiment et donc tout discours affrontant l’argument sous un autre angle est destin8 / l’8chec, il n’est donc pas 8tonnant que Liuzzi les prenne comme cible dans ses critiques les plus .pres. Ces “bien-pensants traditionnels” sont d8crits comme des personnes tout / fait anachroniques qui vivent dans la nostalgie de la grande musique italienne, regrettant le manque de sens m8lodique et le triomphe du chaos cacophonique dans la musique contemporaine. Pourtant, si Liuzzi condamne sans appel les conservateurs, il se montre bien plus indulgent envers les audacieux. Ces derniers en effet unissent / quelques d8fauts – des id8es fragmentaires et peu d8finies – au moins deux grandes qualit8s. La premiHre est, sans aucun doute, d’Þtre li8s solidement / la r8alit8 de leur 8poque et d’Þtre oppos8s / tout pass8isme nostalgique et immobiliste. La seconde est, la ferme volont8 d’Þtre personnellement les architectes – par des compositions, des th8ories, des pol8miques – du changement de mentalit8 et des rHgles musicales. Liuzzi passe alors au crible certaines des positions esth8tiques des audacieux en pr8sentant le portrait de celui qu’il d8finit l’audacieux par excellence: Alfredo Casella. Celui-ci a en effet publi8 l’article MatiHre et timbre86 dans la “Revue musicale” et d8velopp8 ce que Liuzzi d8finit comme une thHse hardie mÞme si elle est relat8e de maniHre claire et convaincante; cette thHse hardie, trHs chHre 84 F. Liuzzi, Estetica della musica, cit. p. 162. 85 Ivi, p. 160. 86 Republi8 en italien dans “Musica d’oggi” (Milan, Ricordi, 1921).

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aux audacieux indique le timbre comme la conquÞte la plus significative du langage musical du XXe siHcle. Dans son essai, Casella exprime quelques consid8rations fondamentales sur le timbre musical. Celui-ci doit Þtre consid8r8, d8sormais, comme un paramHtre musical totalement 8quivalent aux paramHtres classiques de la m8lodie, de l’harmonie et du rythme. Cette possibilit8 pour le timbre d’appartenir aux 8l8ments constitutifs de la construction musicale et, dans certains cas, de les supplanter d8riverait du fait que ceux-ci auraient 8puis8 le potentiel expressif. Casella affirme en effet que le cycle diatonique sur lequel repose la musique occidentale cultiv8e n’est pas illimit8 et que mÞme les combinaisons de sons les plus hardies, ne pouvant se baser que sur douze notes, sont destin8es / s’8puiser. Dans cette optique, le timbre devrait remplacer l’harmonie, instrument d8sormais consum8 et inutilisable aux fins de la cr8ation musicale. Il est clair que l’approche de Casella est en net contraste avec les conceptions les plus conventionnelles de la composition musicale ce qui le pousse, en tant qu’audacieux, / remettre en discussion toutes les rHgles de la composition musicale. Dans son texte il arrive mÞme / craindre la mort du rythme, un 8l8ment extra-musical selon lui, au profit du timbre qui pourrait, au contraire, vanter une nature profond8ment diff8rente de tous les autres facteurs musicaux. Cette diff8rence r8siderait dans le fait que le timbre n’est pas une grandeur quantitative mais qualitative; la m8lodie, l’harmonie et le rythme sont des grandeurs bas8es sur des rapports mesurables math8matiquement, tandis que le timbre est une “faÅon d’Þtre” de la musique qu’on ne peut limiter / des formules de calcul. C’est l/ l’8l8ment cl8 du discours pour Casella, et la musique devrait Þtre recentr8e sur ces valeurs qualitatives qui repr8sentent le point le plus 8lev8 dans l’8volution de la sensibilit8 musicale occidentale. Pour contraster cette s8rie de convictions, Liuzzi s’appuie sur les passages de la pens8e croc8enne qui entendaient affirmer la supr8matie ontologique de l’art au-del/ des moyens techniques n8cessaires / sa r8alisation. Cet aspect de l’esth8tique de Croce est certainement celui qui, plus que tous les autres, a contribu8 / la mise au ban de la philosophie de l’art, / l’horizon pratique et analytique qui, au contraire, formait souvent la base des doctrines esth8tiques dans de nombreux pays europ8ens. Et en fait, c’est justement le refus de s’occuper de l’analyse technique et des faits “ext8rieurs” de l’activit8 artistique qui deviendra le trait caract8ristique de l’esth8tique italienne. Liuzzi partage complHtement ces convictions lorsqu’il affirme que la cr8ation artistique est un acte dans lequel entrent en jeu exclusivement l’artiste-cr8ateur et son imagination inspiratrice. Ces 8l8ments sont donc les seuls / caract8riser l’art pur et vrai et il est clair que les moyens techniques restent exclus du processus productif de la cr8ation. Selon Liuzzi, le timbre est une innovation / l’importance ind8niable, mais exclusive-

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ment fonctionnelle / l’8volution de la technique artistique et non pas / l’activit8 artistique proprement dite. Celle-ci r8pond seulement / l’int8riorit8 de l’artiste – l’esprit – et a pour fonction d’assembler les moyens techniques en une syntaxe expressive, une syntaxe faite de m8lodie, de rythme, d’harmonie et de timbre aussi. Les timbres “ne sont ni discours et encore moins po8sie, ils le deviennent quand ils sont choisis, positionn8s et agenc8s par une exigence sup8rieure logique ou une esth8tique.”87 Liuzzi poursuit le d8bat avec une rapide discussion sur la nature qualitative du timbre, visant / redimensionner l’enthousiasme de Casella. Cette pura qualit/, pour utiliser les mots de Casella, ne serait rien d’autre qu’un impair puisque le timbre est l’8l8ment musical le moins autonome. Liuzzi affirme que la perception purement musicale de la qualit8 d’un son d8termin8 est pratiquement impossible. Ceci parce que l’auditeur tend toujours / associer les caract8ristiques acoustiques d’un instrument / un certain 8tat d’.me ou / une situation intimement v8cue, accordant ainsi une majeure influence au facteur psychologique, diminuant le champ de la perception musicale absolue. En se perdant dans un d8dale de souvenirs, l’efficacit8 du timbre, en tant qu’8l8ment constitutif et “pur” de l’exp8rience artistique, s’att8nue. Je dirais mÞme que, dans la plupart des cas, la perception du timbre n’est certainement pas purement qualitative, car la perception n’agit pas esth8tiquement comme une qualit8 pure de son, mais elle tire son efficacit8 d’associations intuitives et d8sormais habituelles (je cite toujours les formes les plus classiques et les plus familiHres: hautbois = vie et milieu pastoral; clarinette = douceur affectueuse; les cuivres = combattivit8, 8lan, colHre.88

En d8finitive, Liuzzi voit le timbre comme un paramHtre musical encore trop vulgairement li8 au monde du concret, voire de l’extramusical, et donc incapable d’atteindre une dimension de spiritualit8 qui, au contraire, est propre aux autres 8l8ments musicaux / commencer par la m8lodie. La m8lodie est la synthHse du reflet du comportement de l’esprit, elle est l’expression imm8diate, suprÞme mÞme, quant aux possibilit8s humaines, d’8tats dont l’absolue intimit8 refuse tout contact avec les 8l8ments externes […] tandis que le timbre mÞme de par ses qualit8s, n’est pas parvenu / autant, ou s’il y parvient c’est de faÅon imm8diate, par association d’id8es.89

Toutefois, / l’8poque les th8ories de Casella sur le timbre s’inscrivaient dans un mouvement plus ample, dans une tendance importante du d8veloppement de la musique d’avant-garde du vingtiHme siHcle. Arnold Schönberg, dans son Ma87 F. Liuzzi, Estetica della musica, cit., p. 175. 88 Ivi, p. 177. 89 Ivi, p. 178.

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nuale di armonia de 1911 critiquait d8j/ la faÅon “traditionnelle” d’entendre la r8alit8 musicale, avec ses diff8rents paramHtres. Selon le compositeur autrichien, et Casella, le systHme harmonique en vigueur est erron8 ou pour le moins insuffisant, parce qu’incapable d’absorber des ph8nomHnes qui existent bien, ou il les m8prise ou les d8finit commes des exceptions, des formations harmoniques accidentelles, un amas inutile.90

Mais ces carences du systHme harmonique cultiv8 occidental d8rivent d’une incapacit8 inh8rente / la nature du systHme lui-mÞme: celle de ne pas r8ussir / comprendre que le son a “trois ou mÞme plus de dimensions”. Les trois qualit8s qui concourent / constituer le son comme nous l’entendons sont la hauteur, le timbre et l’intensit8. Schönberg et les autres compositeurs de l’Pcole viennoise d8noncent l’excessive importance que la hauteur a revÞtu dans l’imaginaire musical occidental. L’8tude et la valorisation autonome du timbre se situent / un stade quasiment embryonnaire. Cette situation empÞche en fait aux compositeurs de pouvoir disposer de cet 8l8ment selon des rHgles pr8cises comme dans le cas des enchainements harmoniques. L’analyse du timbre […] se trouve donc / un stade beaucoup plus 8l8mentaire et flou except8 l’8valuation esth8tique des harmonies dont il a 8t8 question jusqu’/ pr8sent. N8anmoins les compositeurs continuent d’aligner et d’opposer les accords selon leur sensibilit8 […] si les efforts de mesurer cette seconde dimension avaient conduit / un r8sultat appr8ciable, nous ferions peut-Þtre des distinctions plus pr8cises […] le fait est que, notre int8rÞt envers les timbres est de plus en plus r8el.91

Schönberg entend r8pondre / ces nouvelles exigences de composition car il est convaincu que “le son se manifeste au moyen du timbre […] le timbre est donc le tout”92, il 8labore une technique de composition qui prendra le nom de Klangfarbenmelodie. Ce proc8d8, qui sera amplement utilis8 par les deux autres “Viennois” Berg et Webern, consiste / composer des m8lodies en utilisant le timbre comme paramHtre fondamental. Ce ne seront pas tant les hauteurs des notes, li8es entre elles par des hi8rarchies harmoniques, / changer, donnant lieu au discours musical, mais leurs timbres. Le discours musical devient donc qualitatif, selon Schönberg: s’il est possible de produire, en utilisant diff8rents timbres par la hauteur, des dessins musicaux que nous appelons m8lodies, / savoir des successions de sons qui, de par leurs rapports, d8terminent la sensation d’un discours logique, il doit aussi Þtre possible d’obtenir des timbres de l’autre dimension – de ce que nous appelons seulement 90 A. Schönberg, Manuale di armonia, Milan, Net, 2002, p. 406. 91 Ivi, p. 528. 92 Ibidem.

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“timbres” – des successions qui, de par leur rapport, g8n8rent une logique 8quivalente / celle qui nous satisfait dans la m8lodie constitu8e par les hauteurs.93

L’Pcole de Vienne utilisera souvent la Klangfarbenmelodie – comme dans les Sei pezzi per grande orchestra op.6 di AntonWebern – avec des r8sultats appr8ciables pour l’8mancipation du timbre musical dans la pratique de composition. Toutefois, vu la difficult8 avec laquelle les id8es de Schönberg sont parvenues / se frayer un chemin, il est probable que Liuzzi ne connaisse ni ces compositions ni le Manuale di armonia mÞme si les th8ories audacieuses d’Alfredo Casella s’inscrivent dans cette lign8e.

Malgr8 son d8saccord envers les id8es du compositeur, Liuzzi affiche dans son article une grande estime envers Casella se limitant / l’accuser de s’Þtre laiss8 d8vier dans son raisonnement par un systHme de pens8e au faible fondement scientifique et en partie nocif: l’intuitionnisme de Bergson. Liuzzi, Croce et ses fidHles s’opposent hostilement / cette th8orie, comme / toutes les th8ories de matrice psychologique. f cet 8gard, Liuzzi adhHre totalement / l’orthodoxie croc8enne et censure .prement la figure du penseur franÅais, il critique chez Bergson la n8gation du rile fondamental dans le processus de connaissance de l’activit8 logico-rationnelle entra%nant la cr8ation d’un systHme gnos8ologique bas8 sur la sensation superficielle et sur des intuitions de nature incertaine et obscure. Ce manque de rigueur et une certaine inspiration mystique forment, aux yeux de Liuzzi, des obstacles insurmontables et capables d’invalider toute bonne initiative esth8tique essayant d’expliquer l’activit8 artistique dans son sens le plus profond, / savoir comme produit du mariage entre esprit cr8ateur et matiHre. Et pour mieux d8montrer ses convictions, Liuzzi r8itHre, / la fin de son 8crit, le parcours que devrait suivre un chercheur / la fois s8rieux et motiv8: souhaiter / notre art une destin8e magnifique et progressive – que, moi, je m’obstine pourtant / pr8tendre d8pendant, non pas de la matiHre mais de l’esprit – et, en d8sirant une conscience esth8tique cultiv8e d’abord, avec s8rieux et m8thode, et enfin, si possible, avec personnalit8.94

2.4. Musique latine et musique allemande Dans ce cinquiHme paragraphe, l’auteur de l’Estetica della musica confirme de faÅon claire, comme pr8cedemment soulign8 dans la partie biographique, son respect envers le monde de la r8flexion philosophique de l’8cole allemande et la 93 Ibidem. 94 F. Liuzzi, Estetica della musica, cit., p. 182.

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connaissance approfondie qu’il en poss8dait. Le texte est bas8 sur une conf8rence d’Ettore Romagnoli, / laquelle Liuzzi a assist895, ayant pour but d’instruire le public sur les apparent8s, les divergences et les m8rites sp8cifiques de la musique latine et allemande. Liuzzi appara%t comme un chercheur libre et ouvert, attentif au panorama de la musicologie internationale comprenant avec subtilit8 les m8rites des th8ories 8trangHres 8vitant ainsi des sectarismes id8ologiques et nationalistes, ce qui 8tait plutit rare en temps de guerre. Liuzzi veut rester loin de ces grondements de tambours pseudo-patriotiques qui, / l’occasion de cette guerre autrement plus grave et plus s8vHre, nous assourdissent les oreilles tous les jours avec la pr8tention insupportable d’exercer l’inaptitude la plus grossiHre et l’inexp8rience critique envers des personnes ayant travaill8 dur et produit beaucoup, pour mettre en 8vidence et en valeur – en pensant que le moment 8tait arriv8. La faÅade ennuyeuse de l’ignorance endimanch8e.96

AprHs s’Þtre lib8r8 des sympathies de campanilisme et de divers nationalismes, Liuzzi commence / exposer celles qui, selon lui, caract8risent les p8culiarit8s de la faÅon de faire et d’entendre la musique du peuple allemand et du peuple latin, oF pour “latin” Liuzzi entend “italien”. Soulignons que le texte commence imm8diatement, de par sa structure comparative, / revÞter la physionomie d’un duel, oF Liuzzi, qui n’a pourtant pas l’intention de jouer le rile d’arbitre, prend, dHs le d8but, parti pour la d8fense de la musique italienne; cette attitude ne l’empÞche pourtant pas de reconna%tre et d’8num8rer les nombreuses qualit8s de la musique allemande. Le premier banc d’essai est la grande musique instrumentale, point de force de la production des Pays germaniques. Liuzzi admet sans r8serves que les musiques de Haydn ou de Mozart sont encore aujourd’hui capables d’exercer leur force sur les auditeurs et qu’elles y parviennent davantage que celles des compositeurs italiens; Mais cela est d0 au fait que la production de musique allemande la plus importante: s’est d8roul8e dans des conditions historiques – culturelles et environnementales – profond8ment modifi8es et modernis8es par la R8volution franÅaise – et bien entendu nous, nous ressentons de faÅon plus directe l’efficacit8 8motive de la musique pure allemande consid8r8e psychologiquement comme la plus proche, en tant qu’interprHte plus imm8diate des mouvements de notre .me, comme plus appropri8e dans les formes et dans la technique aux orientations de notre 8poque.97

Par cons8quent il est clair que 95 Il s’agit de la conf8rence Musica latina e musica germanica, tenue par Ettore Romagnoli le 17 Novembre 1916 au Lyc8e musical de Bologne. 96 F. Liuzzi, Estetica della musica, cit., p. 186. 97 Ivi, p. 188.

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La musique pure allemande, plus moderne que la nitre au moins d’un siHcle (Haydn est n8 en 1732, Mozart en 1756) compos8e au cours du temps sous des r8percussions historiques absolument modernes et inspir8e de tendances litt8raires dont l’8cho ne s’est pas encore 8teint en nous, est donc constitu8e d’8l8ments sentimentaux et intellectuels non loin de nous; encore maintenant mÞme en devenir. Ou il y a peu de temps encore – partie int8grante et vivante de notre culture.98

Toutefois ces affirmations ne doivent pas laisser penser que la production italienne dans ce domaine soit insignifiante ou n8gligeable. Liuzzi affirme trHs vite que la production instrumentale italienne, aujourd’hui m8connue / cause du d8calage temporel irr8cup8rable, est riche en 8l8ments uniques et inaccessibles. le flou m8lodique de Corelli et de Francesco Maria Veracini, le caractHre incisif et rythmique et la gr.ce inimitable de Domenico Scarlatti, la grandeur fantaisiste et la noblesse de Vivaldi, l’expression p8n8trante de Tartini, l’8l8gance tour / tour affectueuse et rÞveuse de Luigi Boccherini.99

Et ce sont justement ces connotations typiquement italiennes qui auraient faÅonn8 les musiques qui se sont affirm8es par la suit car, en effet: Les couleurs claires et simples de notre classicisme musical ni ne p.lissent ni n’affaiblissent les affections trHs pures inspirant des m8lodies parfaites qui naquirent italiennes, s’affirmHrent italiennes, se diffusHrent et d8voilHrent en triomphant le mot italien aux peuples lontains, jusqu’/ des frontiHres m8connues, apportant un rayon d’or de notre soleil / travers les territoires, traversant, avec des ailes musicales et l8gHres, des ciels froids et brumeux, des horizzons encore sem8s de barbaries.100

Cette conception, selon laquelle les 8l8ments les plus importants de la production musicale allemande seraient d’origine italienne, appara%t aussi, aprHs Liuzzi, dans la recherche de Fausto Torrefranca. L’objectif principal de Le origini italiane del romanticismo musicale, r8dig8es dans un style fortement pol8mique et parfois injurieux, est d’identifier, parmi les compositeurs italiens ou parmi ceux qui s’inspirHrent de l’italianit8, les v8ritables innovateurs de l’art musical des XVIIIe et XIXe siHcles. Selon Torrefranca, cette supr8matie de la musique italienne aurait 8t8 ni8e et injustement critiqu8e par les compositeurs et les critiques allemands. Les raisons de cette hostilit8 seraient / rechercher dans “l’orgueil allemand qui d8forme l’8quilibre des perceptions”101. Mais ce sens excessif de l’orgueil est d’ordre exclusivement pratique et r8side dans la jalousie que les compositeurs allemands 8prouvent envers leurs collHgues italiens et dans la crainte que la vie musicale allemande – d’un point de vue 8conomique et mat8riel – ne devienne une “succursale” italienne: 98 99 100 101

Ivi, p. 189. Ivi, p. 189–90. Ivi, p. 189. F. Torrefranca, Le origini italiane del romanticismo musicale, Turin, F.lli Bocca, 1930, p. 308.

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Il faut se rendre / l’8vidence que l’unique sentiment pr8sent dans les .mes musicales du d8but du XVIII e siHcle allemand, est pr8cis8ment l’animosit8 envers les Italiens. Celle-ci, justement parce qu’elle d8passe de peu la sphHre pratique et ob8it / des impulsions esth8tiques encore peu claires, donne lieu / un nationalisme musical de nature .pre et brutale et qui insiste sur son fond 8conomique, comme toute manifestation d’orgueil allemand; parce que les Allemands ont aussi de l’orgueil.102

Les “impulsions esth8tiques encore peu claires” pr8sentes dans la mentalit8 allemande seraient dues, selon Torrefranca, au fait que “nous nous trouvons face / une Allemagne esth8tiquement encore en formation et trHs rustre d’un point de vue litt8raire”.103 C’est ce qui explique le grand succHs, en Allemagne, des musiciens italiens et de leur “importation” qui eut un ascendant dans le d8veloppement de la musique allemande. La barbarie litt8raire, unie / une certaine barbarie musicale […] expliquent esth8tiquement et justifient historiquement l’invasion de l’art et des artistes italiens survenue en Allemagne / partir de la moiti8 du XVIIIe siHcle.104

Au fil de sa recherche, Torrefranca entend d8terminer l’8l8ment qui, plus que tout autre, a permis aux Italiens de dominer le devant de la scHne musicale et d’universaliser des formes comme la sonate, le concert, la symphonie. Il s’agit de la “galanterie”, ou mieux du soi-disant “style galant” de la seconde moiti8 du XVIIIe siHcle, que Torrefranca d8finit ainsi: “Galant signifie, selon moi, pas une galanterie scolastique, en somme, c’est l’italianit8; c’est la libert8 et l’inspiration ce qui comprend toutes les caract8ristiques des temps nouveaux”.105 La “galanterie” serait en somme cette capacit8 qui permet / un certain musicien de poss8der un grand talent uni / la capacit8 de l’utiliser de faÅon / contribuer au progrHs g8n8ral – historique – de la musique et non pas / des fins uniquement de virtuosit8. Gr.ce / leur Þtre “galants”, les Italiens sont devenus le phare du renouveau musical europ8en et ce, en vertu de deux m8rites essentiels selon lesquels le fait de s’Þtre pr8cis8ment retrouv8s / l’avant-garde de la musique europ8enne vers la moiti8 du dix-huitiHme siHcle: d’un cit8 l’extraordinaire mouvement du rythme et le sens de la modulation rythmique que nous avons mis en valeur, de l’autre, l’intensification du sens de la dissonance qui, / son tour, se divise en deux: le sens de l’intervalle chromatique (la m8lodie) et le sens de l’accord chromatique (l’harmonie).106 102 103 104 105 106

Ivi, p. 288. Ivi, p. 313. Ibidem. Ivi, p. 335. Ivi, p. 299.

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Toutefois Torrefranca, bien qu’ayant pri position, ne peut ne pas admettre que le siHcle suivant, le siHcle romantique, marquera de maniHre nette le d8placement du cœur musical d’Europe de l’Italie / l’Allemagne. Les raisons de cette mutation sont, selon Torrefranca, fondamentalement deux: La premiHre serait due au fait que la musique italienne, trHs pr8sente en Allemagne, constituait une sorte de “Humus musical” trHs puissant, capable d’influencer et d’inspirer les compositeurs locaux. La seconde raison, cons8quence de la premiHre, est d8termin8e par deux aptitudes sp8cifiques du peuple allemand: Nachahmung et Fleiss. Nachahmung est selon Torrefranca la “capacit8 d’imiter” et Fleiss, “la diligence, l’8tude, typiquement latin”. Les Allemands auraient donc r8ussi / arracher aux Italiens leur supr8matie dans la musique instrumentale en vertu d’une grande capacit8 d’imitation, d’unit8 et de discipline. La th8orie, que l’auteur des Origini italiane del romanticismo musicale entend d8montrer ici, est que la grande construction musicale romantique de nationalit8 allemande repose sur des fondements italiens. En effet: il faudra un nouvel effort pour que finalement, aprHs 1775, un style allemand d8riv8 du nouveau style italien […] s’affirme, peu / peu, chez Haydn, Mozart et mÞme Bach, qui a renouvel8 son art, de son essence, sous l’influence des Italiens!107

Les plus grands compositeurs allemands – qui ont en effet renouvel8 la musique instrumentale, ouvrant la voie au ph8nomHne musical romantique, sont d’aprHs Torrefranca certainement de bons musiciens, mais qui ont eu l’avantage de pouvoir remodeler, selon leurs inclinations personnelles, les techniques de composition de l’8cole italienne. Il s’agit de traits techniques provenant de l’art italien et mis en valeur gr.ce / un style d’ex8cution particulier. Sans aucun doute ce qui est simplement technique se r8v8lera plus tard, chez d’autres auteurs (Haydn, Mozart, Beethoven), une tournure pleine de force expressive, mais cela ne veut pas dire qu’ils aient cr88 une nouvelle musicalit8. Ils ne firent qu’insister sur des 8l8ments propres / l’art italien – dans l’atmosphHre de leur 8ducation – et pr8cis8ment sur les 8l8ments qui convenaient le plus / la psych8 allemande. Ce ne sont pas des innovateurs: ce sont, pour ainsi dire, “des s8lectionneurs”: ils adaptent une musicalit8 8trangHre / leur psych8 germanique.108

C’est ainsi que Torrefranca conclut la question. Par contre, Liuzzi – bien que d8montrant la sup8riorit8 de la musique italienne sur la musique allemande, l’8crit avec la tranquillit8 de toujours, sans tomber dans le piHge d’id8ologies de nationalisme ou de th8orisations intellectuellement incorrectes. Du reste le texte 107 Ivi, p. 363. 108 Ivi, p. 365.

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de Torrefranca est de type purement comparatif et vise / d8montrer au lecteur une thHse expos8e dHs le d8but. Liuzzi, toujours prÞt / accueillir ce qui arrive d’ailleurs, entend comprendre oF sont les diff8rences entre les deux styles de musique et non pas les mettre en comp8tition. N’oublions pas le grand respect que Liuzzi nourrit envers tous ces produits artistiques et philosophiques allemands, s’8tant lui-mÞme form8 en Allemagne. La diffamation et l’attaque frontale, en outre, ne lui appartiennent pas. MÞme l’id8e de Torrefranca d’une musique allemande calqu8e sur la musique italienne – / l’exception de la dramaturgie wagn8rienne, comme nous le verrons plus tard – 8tait complHtement absente chez Liuzzi 8tant dispos8 / reconna%tre le g8nie de la musique allemande. Par contre, le passage oF Liuzzi concorde avec Torrefranca est celui sur la libert8, le g8nie typique de la musique italienne, en opposition / la construction rationnelle de la musique allemande. Toutefois en poursuivant et en voulant maintenir sa position impartielle, la construction argumentative de Liuzzi devient de plus en plus impr8cise: aprHs avoir risqu8 d’admettre que la valeur d’une œuvre d’art est d8termin8e par le contexte qui l’a produite, ce qui aurait repr8sent8 une totale h8r8sie dans le panorama esth8tique italien, voici se profiler / l’horizon un vieil ennemi contre lequel Liuzzi, afin de sauvegarder l’autonomie de la musique italienne, devra maintenant se montrer plus indulgent: la qualit8. La diff8rence entre les deux types d’art, italien et allemand, est une diff8rence de qualit8 et non pas de quantit8, c’est une diff8rence inh8rente / la diversit8 des esprits.109

Il n’y aurait donc aucun antagonisme, mÞme si ce sera Liuzzi lui-mÞme / d8clarer plus tard la musique italienne gagnante, car les deux mondes musicaux jouissent d’une valeur propre capable de les rendre conclus, efficaces, mais diff8rents, donc incapables d’Þtre en comp8tition. Mais tout cela est possible exclusivement, et l/ Liuzzi doit faire un saut logique, puisque les esprits italien et allemand sont diff8rents. Tout de suite aprHs, Liuzzi trouve remHde / cette affirmation en sp8cifiant que, par “esprit”, il n’entendait pas parler de l’“esprit” dans un sens croc8en, qui est, par d8finition, au-del/ de l’histoire et de la contingence, mais plutit d’une tendance: les Italiens et les Allemands agissent et r8agissent d’une certaine maniHre parce que leur esprit est soumis / diverses tendance qui sont des tendances / base non seulement esth8tique mais ethnique.110 Le malentendu est alors dissip8, mÞme s’il reste la sensation que, l’espace d’un instant, Liuzzi l’historien ait pris l’avantage sur le Liuzzi esth8tique niant des donn8es extratemporelles, comme l’esprit, le produit artistique, au profit de 109 F. Liuzzi, Estetica della musica, cit. p. 192. 110 Ivi, p. 194.

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th8ories vein8es d’historisme positiviste, pour ne pas dire de sociologie de la musique. Quoiqu’il en soit, / cause des diff8rentes tendances dont nous venons de avons parler, les compositeurs sont amen8s / 8crire d’une faÅon plutit que d’une autre et comme la base de ces tendances est ethnique, voici que: les Allemands peuvent certes se d8clarer comme 8tant les principaux repr8sentants modernes de la race aryenne. L’expression insistante et volontaire, la quadrature rythmique, la grandeur du style architectural et constructif leur appartiennent donc: et / nous, M8diterran8ens, la sobri8t8 classique, l’eurythmie libre, la douceur corale.111

Cette tendance, qui de fait d8livre aux Italiens, la supr8matie de la m8lodie et, aux Allemands, la supr8matie harmonique, se reflHte aussi dans la musique vocale. Liuzzi compare les deux principaux repr8sentants de la production lyrique: Wagner et Verdi: Au premier, il reproche d’avoir donn8 vie, avec ses convictions esth8tiques, / un drame en musique excessivement compliqu8 et pauvre en 8lans passionn8s tendant de maniHre exclusive / la m8ditation et vou8 / la compr8hension rationnelle d’une histoire qui doit Þtre comprise, et non pas partag8e. Verdi, au contraire, peut vanter une communication directe avec son public, bas8e sur la communion sentimentale entre son public et lui, un public dont il traduit, en musique, les espoirs, les joies et les douleurs: Voil/ le v8ritable Verdi, notre Verdi: celui qui vibre sympathiquement, dans le sens le plus pur du mot, avec l’.me de ses frHres et de ses cr8atures, celui qui souffre, jouit et chante.112

Liuzzi fournit ensuite une autre preuve qui, / ses yeux, fait de Verdi un compositeur plus efficace que Wagner : le fait que l’artiste italien mette toujours au centre de son œuvre l’individu et la profondeur de son .me, tandis que dans le monde wagn8rien, peupl8 de cr8atures mythologiques et de forces mystiques, l’8l8ment humain se transfigure et s’8crase perdant toute consistance. Richard Wagner […] tente, non sans effort, de faire assumer aux cr8atures d’un monde irr8el les passions de la r8alit8. L’op8ra italien par contre, incarn8 par Giuseppe Verdi, est recherche et cr8ation de vie et repr8sente – comme le voulut Eschyle – l’.me humaine: elle en recherche la profondeur, elle en exprime – / la fois interprHte et consolante – l’amour et la douleur.113

DHs lors, Liuzzi essaie de d8finir quels 8l8ments de la musique italienne, s’agissant l/ d’un processus / sens unique, sont entr8s dans le patrimoine musical allemand. Au-del/ des 8l8ments typiques de la musique instrumentale italienne 8voqu8s 111 Ivi, p. 193. 112 Ivi, p. 198. 113 Ivi, p. 200.

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pr8c8demment – chez Vivaldi, Boccherini, etc – la musique allemande est aussi redevable envers la musique latine des th8ories dramaturgiques d’origine grecque, que Wagner aurait utilis8 dans ses tentatives de r8forme de l’op8ra lyrique. En se r8f8rant au systHme des leitmotivs […] l’invention d’une telle formule, le ma%tre de Leipzig ne la doit pas / lui-mÞme mais / un autre ma%tre antique incomparable de la trag8die: Eschyle. Dans les Suppliantes, le chœur accentue le caractHre des personnages ou r88voque des m8moires ou murmure des pr8sages ou encore 8clate en invocations / la divinit8. Le secret des leitmotivs, n’est-il pas ici? Leur fonction, n’est-elle pas identique?114

Une autre raison confirmant la supr8matie italienne n’est rien d’autre que l’envers de la th8orie qui consid8rait les compositeurs allemands plus modernes que leurs collHgues italiens. Cette modernit8 offusquerait, pour le moment, le jugement esth8tique puisque les brumes de la mode et du go0t musical n’ont pas encore eu le temps de se dissiper autour de l’œuvre musicale allemande, donc la vocation esth8tique r8sulte encore inutilisable et le jugement reste suspendu, voire annul8. Par contre, la musique italienne peut se vanter d’une tradition antique universellement reconnue et en mesure de conserver aujourd’hui encore ses valeurs esth8tiques pr8cieuses restent – et resteront – pour t8moigner des qualit8s musicales intimes de nos origines. Malgr8 la disparition, au fil du temps, de la valeur de modernit8 – ou de contemporan8it8 – appartenant aujourd’hui / la musique allemande; d’ici un siHcle, une fois ses esprits pass8s et ses formes totalement transcend8es, qui sait si elles […] ne seront pas mieux […] appr8ci8es et savour8es?115

Pour conclure, Liuzzi r8itHre la conviction, pr8cedemment analys8e, de la supr8matie de la m8lodie. Celle-ci serait l’8l8ment musical par excellence, et le fait que la musique italienne soit surtout une musique m8lodique – comme le fut d8j/ celle de l’8poque classique – l’anoblit davantage la mettant sur un plan nettement sup8rieur au regard de la musique allemande, et, / cet 8gard, semble-t-il, au regard de tout autre musique. La voix des autres (les Italiens) est – ou, du moins, l’a 8t8 – la m8lodie pure, une fleur de la musique dont les Grecs entendirent l’essence divine et qu’ils appelHrent par le mÞme mot (nkmos) qui signifiait loi.116

114 Ivi, p. 197. 115 Ivi, p. 190. 116 Ivi, p. 200.

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2.5. Tristan et Isolde comme poème dramatique R88labor8 / partir d’un article publi8 en 1922117, le cœur de ce chapitre est l’analyse de Tristan et Isolde de Richard Wagner. Pour affronter l’argument Liuzzi d8voile sa pr8paration litt8raire due / ses 8tudes universitaires / Bologne et son excellente connaissance de la langue allemande, fruit d’un s8jour en Allemagne. Liuzzi et grand nombre de ses collHgues affichent un comportement d’amour et de haine envers le compositeur allemand et, si le chapitre pr8c8dent illustre combien son œuvre 8tait la cible de nombreuses critiques, les pages de ce sixiHme chapitre nous pr8sentent un Wagner bien diff8rent. D’une part, si Liuzzi ne peut s’empÞcher de critiquer Wagner en tant que th8oricien responsable d’avoir promu une esth8tique confuse et inacceptable dans son ensemble, d’autre part il ne peut nier qu’il s’agit l/ d’un artiste g8nial, cr8ateur d’œuvres d’une beaut8 incomparable. Et, dans la production wagn8rienne, Tristan occupe un rile de premier plan; cette supr8matie d8coule de la rivalit8 de diff8rents facteurs tous analys8s par Liuzzi. Le premier 8l8ment pass8 au crible est le texte po8tique, d’une importance fondamentale puisque “l’art qui donne au Tristan sa beaut8 prodigieuse est d8j/ dans le poHme dramatique avant mÞme d’Þtre dans la vague musicale divine”.118 Le texte du Tristan, riche en r8f8rences et proc8d8s expressifs provenant du monde magique et myst8rieux de la premiHre po8sie d’aire germanique, enthousiasme particuliHrement Liuzzi. L’utilisation fr8quente de l’allit8ration est une figure de style que Liuzzi qualifie comme 8tant intimement li8e / la langue allemande, car c’est un privilHge sp8cifique de la langue allemande que d’offrir de nombreuses possibilit8s allit8ratives, ce qui est largement pratiqu8 dans la po8sie germanique primitive (Chant de Hildebrand, Heliand, Chants magiques de Merseburg).119

Mettre l’accent sur les aspects de l’allit8ration de la cr8ation esth8tique montre combien Liuzzi connaissait bien les th8ories musicologiques qui s’8taient d8velopp8es en Italie au cours des ann8es pr8c8dentes. En effet, il est fort probable que Liuzzi 8tait / connaissance des 8tudes sur l’allit8ration musicale de Fausto Torrefranca, parues sous forme d’articles dans la “Rivista musicale italiana” en 1907120, dans lesquels l’allit8ration est pr8sent8e comme le cœur primordial de la cr8ation musicale. En effet:

117 118 119 120

Revue, “Il pianoforte”, Turin, III, 1922, pp. 10–14. F. Liuzzi, Estetica della musica, cit. p. 211. Ivi, p. 213. Plus pr8cis8ment, il s’agit de trois essais de F. Torrefranca: L’allitterazione musicale, “Rivista musicale italiana”, XIV, 1907, pp. 168–186; Le origini della musica, in “Rivista mu-

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le ph8nomHne coordinateur de la musique est la r8p8tition, l’.me et la raison de la musique c’est la connexion entre geste, rythme percussif – et pour lui, accentuation vocale – et hauteur ou singularit8 de notes […] Aucune œuvre musicale ne se soustrait / cette n8cessit8 intime de la r8p8tition.121

En dehors de cette logique de la r8p8titivit8, aucun type de cr8ation musicale n’est possible. La r8p8titivit8 est pour Torrefranca “l’inspiration” qui met en mouvement le processus de cr8ation musicale et, en tant que telle, elle doit s’appliquer / tous les paramHtres de composition. L’allit8ration en effet peut Þtre de type m8lodique, rythmique et aussi harmonique. Pour retrouver les origines de la pratique musicale, il faudrait en effet imaginer que les premiers sons – “la premiHre musique” – que les hommes ont produit, 8tait de type allit8rativo-vocal, fix8s successivement en styles fondamentaux du discours musical, comme pour l’intervalle de seconde: nous avons vu quelles pouvaient Þtre rationnellement les origines de la m8lodie: deux notes seulement doivent avoir constitu8 les premiers rudiments de chant; et rappelonsnous que le cas de deux seules notes l’une / cit8 de l’autre est le plus fr8quent dans l’8locution ordinaire et que de celui-ci la cadence est une amplification .[…] l’intervalle m8lodique primitif fut probablement de seconde.122

Selon cette “ligne 8volutive” cet intervalle suivit vraisemblablement une 8volution s’8largissant / l’intervalle de tierce et / celui de quinte: sur lequel finalement s’affirma le sentiment tonal tant pour le langage que pour le chant.123

f cet 8gard, pr8cisons qu’avec ces deux affirmations, Torrefranca n’a pas l’intention de construire une th8orie musicale bas8e exclusivement sur des 8l8ments formels. L’utilisation de l’allit8ration n’est pas en fait une fin en soi, elle est sans valeur esth8tique autonome et ne doit pas Þtre comprise comme “la simple r8p8tition d’une seule note”.124 La r8p8tition doit plutit Þtre comprise comme une m8thode – et avec le mat8riel – qui sert de base / la construction d’une composition. L’aide que la r8p8tition peut fournir au travail du musicien r8side dans l’importance que revÞt ce proc8d8 dans la construction d’un des 8l8ments portants d’une composition: le thHme. Inutile de dire qu’une allit8ration vocale doit Þtre consid8r8e non seulement en soi mais en relation / l’importance qu’elle est amen8e / assumer dans le d8veloppement th8-

121 122 123 124

sicale italiana” XIV, 1907, pp. 555–594; L’allitterazione e lo sviluppo della tonalit/, “Rivista musicale italiana” XIV, 1907, pp. 863–875. F. Torrefranca, Le origini della musica, cit., pp. 590–591. F. Torrefranca, L’allitterazione e lo sviluppo della tonalit/, cit., p. 864. Ivi, p. 873. Ivi, p. 169.

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matique de la composition, et qu’ un thHme allit8ratif est plus facile / reconna%tre et / mod8rer que tout autre.125

Mettre l’accent sur la centralit8 du thHme est un aspect trHs important pour la musicologie de l’8poque et, comme nous le verrons par la suite, occupait d8j/ une place consid8rable dans Vom Musikalisch-Schönen de Eduard Hanslick. Torrefranca n’h8site pas / fournir des exemples de ce lien 8troit entre des processus psychiques et des processus de r8p8tition, en citant, c’est l/ le pourquoi de cette digression, le cas de Wagner. Le compositeur de Leipzig “fit une utilisation intensive et expressive de l’allit8ration” / cause de sa particuliHre “psych8 exquis8ment sensible.”126 D’ailleurs Torrefranca affirme: la r8forme wagn8rienne, en quoi consiste t-elle sinon en une forme singuliHre de r8p8tition (recours aux leitmotivs) visant / une œuvre particuliHre de suggestion sonore et intellectuelle, conceptuelle aussi, si l’on veut?127

Il est particuliHrement int8ressant de remarquer combien l’œuvre de Wagner est 8tudi8e sous un angle semblable par deux chercheurs, souvent sur des positions distantes, comme Torrefranca et Liuzzi. Cette similitude est due au fait que tous deux ont mis l’accent sur l’aspect po8tico-textuel plus que sur l’aspect musical. Liuzzi s’int8resse aussi / d’autres caract8ristiques du texte po8tique wagn8rien et effectue une analyse subtile du choix lexical, bas8e sur la succession d’expressions de sentiment pur, lib8r8e des contraintes logiques et syntaxiques128et sur l’utilisation r8currente d’exclamations et d’interjections qui ont pour effet d’initier l’auditeur / l’atmosphHre mystique de l’œuvre: Chacune de ces exclamations ou interjections constitue pour elle-mÞme comme un degr8 conquis dans l’8chelle de la transformation psychique: tour / tour, l’.me est de plus en plus immerg8e dans le monde mystique auquel elle aspire, jusqu’/ ce que, enfin, l’extase soit atteinte, la lumiHre d’une v8rit8 transcendante mais aussi sensible soit conquise.129

Comme on peut constater, les mots d’ordre capables de satisfaire les “besoins croc8ens” sont tous pr8sents: l’.me et son souffle mystique, l’art comme moyen d’atteindre l’extase, la recherche d’une v8rit8 transcendante mais en mÞme temps sensible. Ne soyons donc pas surpris, si Liuzzi est d8sormais dispos8, aprHs l’avoir l8gHrement “domestiqu8”, / voir d’un œil positif le monde wagn8rien qui, il y a peu, 8tait consid8r8 comme irr8el et eccessivement n8buleux. 125 126 127 128 129

Ivi, p. 172. F. Torrefranca, L’allitterazione musicale, cit., p. 182. F. Torrefranca, Le origini della musica, cit. p. 590. F. Liuzzi, Estetica della musica, cit., p. 213. Ivi, p. 216.

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AprHs cette analyse que nous pourrions d8finir comme formelle (malgr8 les diff8rentes 8valuations philosophiques), Liuzzi commence / examiner les principales id8es qui ont inspir8 Wagner dans la composition de Tristan. Selon lui, la th8matique fondamentale serait l’annulation de l’Þtre humain dans le nonÞtre: “face / la crise extrÞme, / la mort d’Isolde, le concept de Schopenhauer de renoncement / l’Þtre rena%t”.130 Mais Wagner n’est pas, comme Schopenhauer, le symbole du renoncement, parce qu’en lui domine la volont8 d’expression et, chaque 8vHnement, chaque id8e se traduit par un acte cr8atif et donc dynamique, par la r8alisation artistique d’un concept tel que le bonheur suprÞme dans la mort, par sa volont8 de sentir, de jouir et d’exprimer le non-Þtre, de lui donner forme, en somme de le faire passer de n8gatif / positif, Wagner finit pas se trouver aux antipodes de Schopenhauer.131

Selon Liuzzi, l’artiste est en mesure de rendre “Þtre” mÞme le non-Þtre / travers la cr8ation artistique, au-del/ donc de la sp8culation rationnelle, avec pour seule fin ultime, l’extase; l’art ne doit reculer devant aucun obstacle mÞme celui d’exprimer l’inexprimable. L’artiste, observe id8alement Liuzzi, ne doit “renoncer” / aucun d8fi cr8atif et il est d’autant plus appr8ciable quand il a r8ussi / d8velopper l’horizon communicatif de la cr8ation: c’est l/ le m8rite fondamental de Wagner. Chez Wagner, l’artiste prend l’ascHte par la main. Autrement dit Wagner, pour une prodigieuse transition psychologique, cr8e / lui-mÞme une r8alit8 du non-Þtre: il s’immerge donc avec toutes ses 8nergies fantastiques et sensitives dans cette sphHre pr8logique de laquelle naquirent, autrefois dans l’Orient ancien et dans la GrHce, des mystHres et des rites dionysiaques, des formes d’extase r8elle, c’est-/-dire v8cue avec toutes les facult8s de perceptions et de sensitivit8.132

Selon Liuzzi l’action cr8atrice de l’artiste s’adresse exclusivement / la sphHre esth8tique, et c’est seulement / l’int8rieur de celle-ci qu’elle peut y trouver la place qui lui revient. Les fruits de l’activit8 artistique sont certes sensibles et appartiennent totalement / la sphHre du r8el, mais l’instrument purement rationnel ne peut pas, seul, les expliquer avec efficacit8. Un sp8cialiste donc voulant arriver / l’essence de l’œuvre d’art – “plus qu’/ la simple discussion, plus qu’/ la parade vaine des opinions”133 – devra veiller /:

130 131 132 133

Ivi, p. 208. Ibidem. Ivi, p. 209. Ivi, p. 206.

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8clairer l’amour avec la lumiHre de l’intelligence, interpr8ter sans d8composer, sans d8truire l’unit8 substantielle, sans ne rien perdre du rythme magique qui mesure, tel un souffle, l’organicit8 vivante de l’œuvre d’art.134

L’intelligence devient ainsi une arme / double tranchant / utiliser avec extrÞme attention. L’œuvre d’art est un ensemble de forme et d’esprit, et l’intelligence doit l’interpr8ter comme telle sans la d8naturer et sans la mutiler, sinon elle court le risque d’en rompre les liens internes subtils et d’en 8garer le sens. C’est avec ces id8es que Liuzzi, qui est 8galement un excellent philologue, entend nous dire que l’art peut Þtre entendu dans une certaine mesure comme un organisme vivant qui, bien qu’il puisse Þtre 8tudi8 et pleinement analys8, supporte mal le bistouri. Ce qui vient d’Þtre dit pour l’œuvre d’art vaut 8galement pour les doctrines et les convictions esth8tiques, car : une hypothHse esth8tique, une th8orie plus ou moins inh8rente / un fait esth8tique vaut parce qu’elle est sentie, aim8e, partag8e intuitivement et non rationnellement. Ceux qui veulent la d8composer et fouiller pour v8rifier, ne ramasseront que de la poussiHre.135

Le chercheur se doit de ne pas compromettre “l’inviolabilit8 inerme de l’art” et pour ce faire, en pr8sentant les id8es esth8tiques des autres, il se doit de “les offrir comme un credo” sur la base de l’intuition et non pas de la rationalit8. Comme on peut le constater, l’influence de Croce continue / Þtre clairement palpable et Liuzzi qui aspirait pourtant / une certaine autonomie dans le domaine de la critique et de la recherche historique ne parvient pas ou en partie, ne veut pas s’en affranchir complHtement.

2.6. Ariane et Barbe-bleue de M. Maeterlinck et P. Dukas L’avant-dernier chapitre de l’Estetica della musica est celui qui, plus que tous les autres, aborde la critique militante, puisqu’il s’agit d’une critique musicale / tous les effets,136 sur la structure, sur les m8rites et sur le destin d’une œuvre en particulier : Ariane et Barbe-bleue, compos8e par Paul Dukas sur un texte de Maurice Maeterlinck. Comme commencer, Liuzzi choisit de s’attarder sur l’auteur qu’il d8finit comme un: “PoHte de forme exquise, aux concepts subtils et fragiles mais non superficiels, / la sensibilit8 ardente mais fine.”137 Ces belles qualit8s personnelles deviennent encore plus efficaces car Maeterlinck: 134 135 136 137

Ibidem. Ivi, p. 220. “Giornale del mattino”, Bologne 17 et 18 Avril 1911. F. Liuzzi, Estetica della musica, cit., p. 226.

Ariane et Barbe-bleue de M. Maeterlinck et P. Dukas

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met en œuvre, avec une rare comp8tence, quelques-unes des tendances les plus singuliHres de l’art contemporain: l’analyse extrÞme des sensations et de leurs reflets dans le domaine psychique, l’attention amoureuse aux valeurs esth8tiques et l’expression d8licatement raffin8e de celles-ci – et aussi – la vision de l’.me humaine sous un voile de formes symboliques.138

Nous retrouvons ici une des valeurs artistiques / laquelle Liuzzi accorde le plus d’importance, / savoir la capacit8 de l’artiste de p8n8trer complHtement dans l’.me humaine mais sans jamais la minimiser. Les analyses psychologiques doivent Þtre certes pr8sentes, mais toujours faites avec grande finesse parce que c’est Le travail de l’artiste qui veut repr8senter chaque mystHre sans le divulguer, qui veut d8voiler chaque pli secret et fragile sans en arracher une bribe, qui essaie de p8n8trer chaque recoin sombre et d’en interpr8ter le secret sans que trop de lumiHres vives ne perturbent l’intimit8 sacr8e de l’.me.139

AprHs avoir attribu8 les justes m8rites au poHte, Liuzzi nous pr8sente le compositeur de Ariane et Barbe-bleue: Paul Dukas. AprHs une brHve biographie, il nous propose une analyse sur la faÅon dont il a mis en musique les vers de Maeterlinck. Ptant donn8 que l’action dramatique est principalement de nature statique, le compositeur franÅais a lui aussi choisi pour sa musique un caractHre presque suspendu, en effet: dans le conte de Barbe-bleue, comme l’a mis en scHne Maeterlinck , il n’y a pas de drame en action, la musique dont l’a revÞtue Dukas, n’a pas non plus, en grande partie, de caractHre de drame imm8diat et direct.140

Ce rapport entre musique et expression verbale fait en sorte que les compositions de Dukas, aprHs avoir abandonn8 toute intention descriptive, soient parfaitement inh8rentes au texte et qu’elles r8pondent au moindre stimulus po8tique en le traduisant imm8diatement en musique. [la musique] est plutit l’interpr8tation constamment fidHle, et donc trHs changeante dans ses formes, de chaque mot, de chaque geste, de chaque mouvement mÞme l8ger de l’.me. Toute la sensibilit8 psychique instable qui, sous la transparence l8gHrement voil8e du texte de Maeterlinck vibre sans cesse, se reflHte dans la musique de Dukas avec une telle rapidit8 exquise qu’elle suscite l’image du jeu agile et vari8 avec lequel les rayons lumineux se reflHtent / travers un prisme.141

138 139 140 141

Ibidem. Ivi, p. 226. Ivi, p. 231. Ibidem.

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Mais ne nous dupons car Liuzzi transforme, peu aprHs, ces 8loges en d8faut parce que cette technique de composition a d8j/ 8t8 explor8e, voire invent8e par un autre compositeur franÅais. Cette rapidit8 de r8action musicale au moindre stimulus, mÞme si elle d8note chez le musicien des facult8s d’intelligence singuliHres, ne provient pourtant pas de son temp8rament personnel, mais plutit de l’8cole / laquelle Dukas appartient et dont il a, de toute 8vidence, accept8 les courants et les pr8ceptes esth8tiques dans leur conformit8 psychologique comme dans la tendance formelle: de l’8cole – il faut juste ajouter – qu’elle a, pour principal repr8sentant, Claude Debussy.142

Nous voyons ici r8appara%tre l’aversion de Liuzzi envers toute forme d’“8cole”, une entit8 capable de priver l’artiste, d8pourvu de forte personnalit8, de tout 8l8ment original, rendant alors son travail rien de plus qu’un simple exercice de style. Quant / l’8cole franÅaise, nous savons que Liuzzi l’accusa toujours d’Þtre, bien que techniquement excellente, “l8gHre” et totalement d8pourvue des 8l8ments fondamentaux pour faire de la musique. La premiHre de ces faiblesses serait d’instaurer, dans la musique vocale, un rapport trop superficiel avec le texte car : quant au texte, le son ne s’en empare pas, il ne le bouscule pas: il l’effleure, le caresse, le traduit sans rythme, avec une exactitude scrupuleuse satisfait d’en augmenter d’intensit8 le sens.143

La musique dans l’orchestration franÅaise serait donc trop timidement soumise aux exigences du texte finissant ainsi par devenir un simple accompagnement, renonÅant ainsi / s’imposer comme protagoniste au travers d’8lans th8matiques et surtout m8lodiques. Concernant la forme aussi, la partie du chant n’est pratiquement qu’un r8citatif: m8lodieux en g8n8ral, mais sans cycle r8current, sans th8matique. Ce n’est qu’/ certains moments, oF l’expression litt8raire s’exalte en intensit8 lyrique […] que la ligne vocale s’8lHve pour elle-mÞme prenant alors un rythme ample et large, presque arioso oF le chant semble un instant durant, comme au bon vieux temps, de nouveau se r8jouir de lui-mÞme. Mais ce ne sont que des moments 8ph8mHres.144

Selon Liuzzi, Debussy et ses adeptes ont sacrifi8 la chantabilit8 spontan8e et imm8diate de faire de la musique pour r8duire la composition / un simple jeu, certes subtil, d’orchestration “abstraite”. Les seuls m8rites de Dukas sont ceux d’avoir, parfois, d8rog8 / l’orthodoxie franÅaise r8ussissant ainsi / exprimer quelques-unes de ses inclinations personnelles. La plus importante d’entre elles r8side dans le sens agogique de Ariane et 142 Ibidem. 143 Ivi, p. 234. 144 Ibidem.

Ariane et Barbe-bleue de M. Maeterlinck et P. Dukas

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Barbe-bleue. Le rythme orchestral en effet, justement parce qu’il reflHte la pens8e de Liuzzi, nous est pr8sent8 en termes 8logieux: Dans la cr8ation de la mesure nette, exacte, bien proportionn8e et constante, en suivant ses implusions 8l8mentaires avec un vaste et calme silence jusqu’/ en d8duire des cadences amples et rondes qui s’unissent dans un cycle harmonieux, c’est l/, selon nous, l’un des aspects essentiels si ce n’est peut-Þtre le plus saillant, organique et m8lodieux de la nature de Paolo Dukas. Tout le reste est, plus ou moins, acquis et r8fl8chi […] Par contre, lorsqu’il entre en contact avec un noyau rythmiquement inf8cond, l’expression et l’extension spontan8e de sa personnalit8 cr8atrice se ressentent alors imm8diatement.145

Mais quel a 8t8 le destin de Ariane et Barbe-bleue? Pas vraiment heureux apparemment, et Liuzzi ne tarde pas / nous fournir son explication. Un facteur, sans aucun doute trHs important de cette descente rapide dans le rHgne des œuvres oubli8es, serait / attribuer / l’id8e erron8e et superficielle des deux auteurs sur la nature du th8.tre: “Pour Maeterlinck, le th8.tre est po8sie et moralit8; pour Dukas il est po8sie et moralit8 plus plaisir esth8tique”.146 Par cons8quent leur travail devient froid et manquant de cette vitalit8 intense et intime qui, pour Liuzzi, semble le seul aboutissement de toute œuvre d’art, mÞme de l’art dramatique qu’il d8finit comme “tout ce qui, de la scHne, communique, outre une illusion de vie, la chaleur, l’8motion, la spontan8it8 de la vie.”147 Une œuvre d’art bien faite dans la forme ne suffit pas pour s’imprimer dans le cœur de celui qui la regarde, un pas suppl8mentaire doit Þtre fait. Maeterlinck et Dukas ont œuvr8 dans une condition de d8tachement du cœur de leur cr8ation, alors que, d’aprHs Liuzzi, ce qui a rendu immortelles les œuvres des grands ma%tres de l’op8ra lyrique – Wagner, Verdi, Bizet – est d’avoir fait ce pas de plus. Ainsi, Liuzzi entend r8affirmer, comme dans l’Estetica della musica, le rile central de l’intuition dans l’interpr8tation de l’œuvre d’art. Pour comprendre correctement les faits artistiques, il faut s’en remettre / l’unit8 form8e par l’instinct, l’intuition et l’imagination qui, seule peut faire vivre r8ellement et sensiblement l’exp8rience artistique et la rendre ind8l8bile / l’esprit, un proc8d8 interdit aux esth8tiques bas8es exclusivement sur des aspects formels ou ext8rieurs. f la prouesse de l’artiste, / l’int8grit8, et / la distinction de l’artiste, s’accompagne, telle une lueur cr8atrice, une lymphe f8condante tel un ferment inlassablement ardent, la

145 Ivi, p. 237. 146 Ivi, p. 239. 147 Ivi, p. 240.

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vertu de l’instinct sp8cifique: de cet instinct qui, seul, transforme la fiction en intuition de vie et donc cr8e une forme de vie dans tous les sens du mot.148

2.7. Ernest Bloch Le dernier chapitre de l’Estetica della musica est complHtement consacr8 / l’œuvre et au portrait du compositeur Ernest Bloch. En parlant des cr8ations du musicien juif, Liuzzi se construit en fait une v8ritable aition pour informer le lecteur de la m8thodologie correcte que le musicien devrait adopter face / son devoir de cr8ateur. Comme nous le savons, Liuzzi aussi 8tait juif et ses origines se perÅoivent clairement dans cet essai oF apparaissent, aussi bien une bonne connaissance des textes litt8raires et sacr8s li8s / la tradition juive, qu’une connaissance pr8cise de la situation actuelle du peuple juif. Selon Liuzzi la musicalit8 repr8sente un aspect fondamental de la culture juive, mais sans jamais oublier qu’il s’agit d’une musicalit8 8manant de l’intimit8 de l’.me humaine et qui en chante la nature, les angoisses, les tensions. Ce processus de perte progressive de l’identit8, selon Liuzzi, est d0 aux dynamiques de standardisation culturelle que le peuple juif a subies / cause de sa condition de peuple apatride, et donc oblig8 d’accepter le modus vivendi des pays d’accueil. Ce peuple bris8, dispers8, d8sormais absorb8 par l’amour juste et total aux nouvelles terres, par le respect conscient envers les nouvelles civilisations, ce peuple qui n’a pas conserv8 de son h8r8dit8 bien lointaine, telle une chose vivante […] le sens du chant originel.149

Aux yeux de Liuzzi le renoncement de la part de son peuple au chant est plus grave de ce que l’on peut penser et implique la perte de toute la culture juive, parce que les Juifs ne peuvent se repr8senter qu’/ travers la musique et la parole mise en musique: Tout peuple, du reste, n’est jamais pleinement lui-mÞme que dans son art: et le peuple d’Isra[l, si ce n’est la po8sie et la musique, n’eut aucun autre art.150

Mais tous les espoirs ne sont pas perdus, vu que Liuzzi ne tarde pas / nous pr8senter un compositeur qui pr8serve encore en lui l’antique esprit de son peuple: Emest Bloch. Ce huitiHme chapitre nous illustre le parcours musical de ce

148 Ivi, p. 241. 149 F. Liuzzi, Estetica della musica, cit., p. 247. 150 Ibidem.

Ernest Bloch

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compositeur comme s’il s’agissait de la lutte de l’esprit d’un peuple pour 8merger de l’oubli et r8cup8rer sa force originelle. Liuzzi commence par illustrer tout en commentant les œuvres de Bloch par ordre chronologique, pour nous montrer avec exactitude l’8volution du parcours du musicien. Ses premiHres œuvres – Macbeth, PoHmes juifs, Psaumes – pr8sentent in nuce les 8l8ments, aucun d’entre eux techniques, qui pour Liuzzi sont la dot indispensable pour Þtre un artiste valable: Pour la premiHre fois dans cette œuvre certes incomplHte (Macbeth) et purifi8e de maniHre inachev8e, se r8v8la / moi l’audace et la puissance intime de l’artiste. Je vis quelqu’un dont le moi 8tait loin et profond, dont l’imagination 8manait d’une realit8 rappel8e avec une insistance singuliHre du haut d’un long silence obscur ; et mÞme s’ il ne se m8prenait pas sur son propre sentiment, et donnait de la viande et du sang / ses fantasmes, il savait exprimer son style avec une force de suggestion si droite et si imp8rieuse en s’imposant / l’.me d’autrui comme s’impose le visage assombri d’une v8rit8 douloureuse / retrouver.151

Bloch peut donc compter sur les 8l8ments fondamentaux chez un compositeur qui veut exprimer en musique des valeurs d’int8riorit8 et Liuzzi, quant / lui, ne peut que souscrire pleinement le travail d’un musicien qui base son art sur des cat8gories comme la puissance int8rieure, sur l’imagination qui ne se m8prenait pas sur son propre sentiment et donnait de la viande et du sang / ses fantasmes int8rieurs. Toutes ces caract8ristiques sont n8cessaires pour exprimer un art sincHre et empreint de spiritualit8, / condition de ne pas succomber aux tentations technico-formalistes contraires / l’expression personnelle, erreur que Bloch, selon Liuzzi, commet par exemple quand il se plie au “modernisme” de la polytonalit8. En d8finitive, le portrait de Ernest Bloch est positif notamment parce que ce musicien r8pond / tous les mots d’ordre de l’esth8tique de Liuzzi. Le premier, et peut-Þtre le plus important est de voir la supr8matie absolue du sentiment en musique. La musique pour Liuzzi est le sentiment lib8r8 de toute contingence qui se chante elle-mÞme dans une cr8ation libre, sans aucun rapport avec des sp8culations abstraites et des donn8es universelles puisque l’art n’est: pas conceptuel mais lyrique, pas contingent ni illustratif mais cr8atif au sens le plus pur du mot; il est le sentiment mÞme.152

Dans cette vision lyrico-sentimentale de la musique, le seul rile que la technique musicale peut recouvrir dignement est celui de moyen expressif personnel de l’artiste. Le compositeur se doit de poss8der une bonne pr8paration technique, 151 Ivi, p. 248. 152 Ivi, p. 252.

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mais celle-ci, au moment de l’acte de cr8ation, doit devenir presque “involontaire” et doit s’adapter, presque comme un vÞtement invisible, / la volont8 expressive (sentimentale) de l’artiste. Bloch incarne parfaitement l’id8e de Liuzzi car : sa technique ne pr8sente pas de caractHres “voulus” ni d’archa"sme, ni de modernit8, mais simplement des caractHres “n8cessaires” de libert8. […] la technique de Bloch est admirable de pr8cision et de richesse; et, r8pondant / la profondeur du sentiment chez le compositeur, elle est purement personnelle, p8n8trante et r8v8latrice. Mais c’est, en mÞme temps, une technique absolument d8sint8ress8e, / savoir, ne traitant que l’expression et ne voulant pas Þtre pour elle-mÞme, ni d8monstrative ni pol8mique; ce n’est, en somme, ni une technique partisane, ni une technique de battaille, d’8cole ou de r8volution.153

C’est seulement ainsi que, en 8quilibre entre volont8 et correspondance aux besoins int8rieurs du musicien, la technique musicale cesse d’Þtre un obstacle et devient “instrument expressif du sentiment”, r8alisant ainsi le processus, vital pour l’expression artistique, pour lequel “sentiment, volont8 et repr8sentation se fondent en […] un art conscient et puissant”.154

153 Ivi, p. 257. 154 Ibidem.

Chapitre 3: Fernando Liuzzi entre hérédité formaliste et influence de Croce

3.1. Notes sur Eduard Hanslick et sur Vom Musikalisch-Schönen Eduard Hanslick est n8 le 11 septembre 1825 / Prague. Fils de Joseph Adolf (enseignant de musique, biblioth8caire, assistant d’esth8tique / l’Universit8 de Prague) et de Lotte Kisch, une 8lHve de piano de son pHre, Juive convertie au catholicisme. Hanslick h8rite de ses parents la passion pour le th8.tre, la litt8rature et 8videmment la musique. Il 8tudie le piano avec son pHre et commence / composer et / r8aliser divers Lieder et compositions pour piano. En 1843 il s’inscrit / la Facult8 de Droit de l’Universit8 de Prague sans abandonner ses int8rÞts artistiques. Il 8tudie la composition avec Vaclav Jan Tomasek (1774–1850) au conservatoire de Prague. Ce personnage qui est, par ailleurs, l’enseignant de Schubert et de Schumann, influence consid8rablement le jeune Hanslick de par son envergure internationale – il a des contacts avec Paganini, Clara Schumann, Clementi – et pour son style de composition impr8gn8 de lyrisme et de diatonisme, domin8 par la production de m8lodies pour piano. Pendant les ann8es universitaires, Hanslick rencontre le philosophe Robert Zimmermann et collabore, gr.ce / son amiti8 avec l’historien August Wilhelm Ambros, / la revue de Prague “Ost und West”. Les 8crits de Friedrich Theodor Vischer, la Geschichte der Musik de Kiesewetter et la Asthetik der Tonkunst de Ferdinand Hand sont les œuvres qui l’influencent le plus / l’8poque. En 1846 Hanslick d8m8nage / Vienne pour terminer ses 8tudes, mais aussi pour poursuivre son activit8 de critique. La premiHre revue avec laquelle il collabore est la “Wiener Musikzeitung”, puis en 1848, il passe au prestigieux “Wiener Zeitung” en tant que critique. Cette position le conduit dans les principaux th8.tres d’Europe pour assister aux manifestations les plus importantes, ce qui lui permet de conna%tre personnellement quelques-uns des artistes les plus c8lHbres de l’8poque comme Liszt, Schumann et Berlioz. En 1849 Hanslick obtient sa ma%trise / l’Universit8 de Droit tout en continuant / 8crire pour le “Wiener Zeitung”, il s’installe / Klagenfurt pour d8buter sa

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carriHre de fonctionnaire aux finances qui durera jusqu’en 1852, quand il est entre au MinistHre de la Culture de Vienne. En 1854 il publie Vom Musikalisch-Schönen: ein Beitrag zur Revision der Ästhetik der Tonkunst (Du Beau musical: essai de r8forme de l’esth8tique musicale). Suite au succHs de cette œuvre, le principal quotidien viennois la “Presse” (appel8e, / partir de 1864, “Neue freie Presse”), l’embauche comme critique. Deux ans plus tard, en 1856, l’Universit8 de Vienne le nomme Privatdozent d’histoire et d’esth8tique musicale et accepte son Vom Musikalisch-Schönen comme Habilitationschrift. DHs lors, sa carriHre universitaire se consolide toujours plus, il devient membre de la Commission nationale des examens pour la classe de musique, professeur extraordinaire en 1861 et enfin, professeur ordinaire de 1870 / 1895. C’est pendant cette p8riode qu’il devient ami de Johannes Brahms, compositeur qui incarne son id8al esth8tique, du c8lHbre chirurgien viennois Theodor Billroth (esth8ticien et partisan passionn8 de Brahms), et qu’il se marie avec la chanteuse Sophie Wohlrnutb en 1876. Les ann8es qui suivent, Hanslick continue son ascension jusqu’/ devenir Conseiller de l’Empereur en 1886 et / faire partie d’innombrables Commissions d’Ptat / la culture institu8es par le MinistHre. En 1895, il abandonne sa chaire de professeur universitaire pour se consacrer / la r8vision de ses œuvres principales, et dans une moindre mesure / la critique musicale. Il meurt / Baden le 6 ao0t 1904. Son œuvre la plus connue est Du Beau musical. Celle-ci a eu un succHs ph8nom8nal et lui a assur8 la notori8t8 avec ses dix 8ditions de son vivant. Le chercheur viennois avait l’habitude de soumettre ses œuvres / des corrections et des approfondissements continus. Du Beau musical a suivi le mÞme principe. La deuxiHme 8dition pr8sente d8j/ diff8rentes modifications, en particulier dans les parties consacr8es / la pr8sence et au rile des sentiments en musique et, si la troisiHme de 1865 pr8sente un changement dans la m8thodologie, la quatriHme 8dition de 1874 montre de claires influences dues aux r8centes 8tudes de psychologie et de physiologie de la musique. En 1881, lors de la sixiHme 8dition, Hanslick r8pond aux critiques que son trait8 avait suscit8es surtout de la part des sp8cialistes les plus convaincus de la primaut8 du sentiment en musique. Du Beau musical en effet attise une longue s8rie de d8bats sur les id8es principales soutenues dans ce trait8. Hanslick, critique et pol8miste habile, ne s’est jamais soustrait / ces querelles, ainsi s’explique la nature changeante et “expansive” de l’œuvre qui, / la dixiHme et derniHre 8dition en 1902, a doubl8 le nombre de ses pages par rapport / la premiHre 8dition. Les temps de la pol8mique s’8tant 8coul8s, les efforts des chercheurs se sont dirig8s vers l’interpr8tation et la reconstruction des matrices de la pens8e de Hanslick. Le premier personnage cit8 / ce propos, est Johann Friedrich Herbart (1776–1841). Philosophe, psychologue et chef de file de la pens8e formaliste. Mais

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mÞme si ce penseur a influenc8 clairement les th8ories de Hanslick croire que, ces deux hommes avaient des id8es identiques dans le domaine musical, serait une conclusion h.tive. En effet les convergences, d’ailleurs tardives, se limitent / la n8gation de l’action pr8pond8rante du sentiment en musique en faveur d’une esth8tique plus scientifique, comme le souligne Antonio Serravezza: D’autre part ce n’est que dans la sixiHme 8dition de son essai (1881) que Hanslick introduit une longue citation de Herbart au soutien de la pol8mique contre l’esth8tique du sentiment et qu’il se d8clare en d8saccord avec les autres thHses du philosophe concernant la musique.155

Parmi les sources d’inspiration, Emmanuel Kant est souvent cit8 avec sa Critique de la facult8 de juger. Dans ce c8lHbre trait8 le philosophe allemand soutient, entre autres, l’id8e que le beau artistique est subjectif et incommunicable, perÅu gr.ce / la sensation pure. Le beau est un jeu de l’imagination et de l’intellect, il s’agit de non-conceptualit8 pure. Exactement comme la musique. Le rapport avec Hegel est en revanche plus compliqu8. Si Hanslick est dispos8 / soutenir avec Hegel que la musique est incapable d’exprimer des sentiments particuliers, il est tout aussi prÞt / s’opposer aux passages dans lesquels le philosophe qualifie la musique de pur vecteur de la manifestation de l’esprit, entit8 m8tahistorique, impersonnelle et v8ritable contenu de l’activit8 artistique. Du Beau musical permet / Hanslick de poser la pierre angulaire de l’8difice esth8tico-musical qui se constituera / partir de sa r8flexion. Nombreux seront les chercheurs qui – en accord ou en d8saccord – devront se confronter. Parmi les penseurs avec lesquels Hanslick a une assonance majeure, on ne peut ne pas citer Robert Zimmermann. Avec lui et avec Helmholtz, il partage l’id8e de fonder une esth8tique qui refuse tout type de r8sidu sentimental, capable d’accueillir les d8couvertes les plus r8centes du monde scientifique. En particulier les 8tudes de Helmholtz, contenues dans Lehre von den Tonempfindungen (1863), sont salu8es avec enthousiasme par Hanslick en vertu des liens qu’elles instituent entre musique, esth8tique, et sciences naturelles. Il accueille en outre positivement “le besoin d’une connaissance aussi objective que possible des choses se fait sentir dans tous les domaines du savoir : il doit n8cessairement s’appliquer / la recherche du beau.”156 Il ne faut cependant pas croire que Hanslick d8fende une esth8tique sensationniste et naturaliste, parce que comme le rappelle Serravezza: Hanslick reconna%t la port8e historique du progrHs enregistr8 dans ce domaine, oF il r8vHle l’affirmation de valeurs cognitives proches de celles qui doivent guider la “r8155 A. Serrravezza, Musica e scienza nell’et/ del positivismo. Bologne, Il Mulino, 1996, p. 101. 156 E. Hanslick, Du Beau musical, traduction et pr8sentation d’A. Lissner, Paris, Hermann Pditeurs, 2012, p. 63.

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vision” de l’esth8tique musicale. Il n’a cependant pas l’intention de tirer des sciences naturelles une base pour la th8orie esth8tique. En r8alit8, son programme ne voit dans ces sciences qu’un modHle […]. Elles sont alli8es dans un processus de renouvellement qui doit investir tous les domaines du savoir et non des sources de connaissance pour l’interpr8tation des ph8nomHnes artistiques.157

Parmi les nombreuses raisons ayant impos8 Du Beau musical comme œuvre cl8 pour la naissance d’une esth8tique strictement musicale, il y a aussi celle d’avoir introduit des thHmes qui, bien que pr8sents dans les versions pr8c8dentes, n’avaient jamais trouv8 une organisation conceptuelle claire. Le terme Gefühl en est un exemple, il peut Þtre traduit par “sentiment” mais sera remplac8 par la suite par le mot Stimmung que nous pourrions d8finir par “8tat d’.me”. Chez Hanslick, comme nous le montre Ottokar Hostinsky’, les deux concepts sont intimement li8s, en effet: par Gefühl on entend plus ou moins un contenu repr8sentatif d8fini, l/ oF Stimmung d8finit seulement un certain 8tat de notre int8riorit8 d8termin8 par la tranquillit8 ou par le mouvement. La Stimmung est donc plutit le comment, le cit8 formel de notre sentiment et, en tant que tel il se place en opposition au contenu repr8sentatif qui est / la base du Gefühl, / la question du quoi du sentiment.158

L’8tude hanslickienne du sentiment et de sa vitalit8 influence aussi en partie le c8lHbre esth8tologue Theodor Vischer. Celui-ci oriente ses recherches vers la d8couverte du processus en vertu duquel les processus dynamico-sentimentaux se manifestent. Ce processus est identifi8 dans le processus rythmique, puisque la nature des sentiments est essentiellement vou8e au mouvement. Ces mouvements sont suscit8s, / leur tour, par d’autres mouvements dans une sorte “d’effet domino” qui ne fait que r8affirmer la centralit8 de la vitalit8 dans la sphHre du sentiment. Cette id8e, que nous pourrions d8finir rythmico-psychologique, se retrouve dans l’œuvre de Th8odor Billroth qui a tent8 d’harmoniser les principes de l’esth8tique formaliste avec les connaissances les plus r8centes de la physiologie. Selon Billroth, le rythme serait l’8l8ment pr8dominant de la musique, / cause d’une s8rie de processus organiques. Billroth, un des m8decins les plus c8lHbres de son 8poque, s’appuie sur les th8ories les plus r8centes dans le domaine de la recherche sur les zones c8r8brales du cerveau humain, et il le fait en essayant d’illustrer la faÅon dont tous les paramHtres de la cr8ation musicale sont en r8alit8 des sollicitations que l’organisme reÅoit et r8interprHte. Billroth partage l’id8e hanslickienne de l’as8manticit8 de la musique, chaque cr8ation musicale serait en r8alit8 un produit qui est une fin est en soi, g8n8r8 par 157 A. Serrravezza, op. cit., p. 103. 158 Ivi, p. 131–132.

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l’instinct ludique pr8sent dans la nature humaine. Toutes les modifications 8ventuelles et toutes les implications sentimentales, mn8moniques, ou de tout autre type doivent Þtre consid8r8es comme extra-musicales, priv8es de valeur esth8tique. Le personnage de Theodor Billroth nous montre combien Hanslick 8tait int8ress8 au monde de la physiologie et de la psychologie sans toutefois leur d8l8guer le rile principal qui incombe / l’esth8tique dans l’analyse des faits artistiques. Pour d8montrer cette impossibilit8 Hanslick utilise les recherches d’un des physiologistes les plus illustres de l’8poque: Hermann Lotze. Celui-ci nie la possibilit8 de d8terminer, / travers des processus physiologiques, la nature des sentiments esth8tiques. Ils nous sont pr8sent8s comme un territoire impraticable pour la recherche physiologique, en effet: “la connaissance de ce qui se passe dans les nerfs ne suffit pas / expliquer les ph8nomHnes musicaux; il faudrait aussi savoir comment cela agit sur l’.me et de quelle faÅon elle le perÅoit.”159 Selon Lotze, l’unique lien certain entre la musique et l’int8riorit8 de l’auditeur serait fourni par le son, capable de rappeler les contenus 8motifs inh8rents / la sphHre du souvenir, du plaisir et du sentiment chez l’auditeur : le son “est destin8 dHs le d8but / exprimer une existence spirituelle, int8rieure, et en particulier une existence en activit8 continue, agit8e, vivante.”160 Sur le mÞme territoire austro-germanique, Friedrich von Hausseger est un penseur qui a, par contre, une position clairement anti-hanslickienne. Il a 8t8 la voix la plus influente des cercles wagn8riens et, dans ses œuvres, il soutient que la musique ne doit pas Þtre 8tudi8e avec la m8thode formaliste, bas8e sur des donn8es r8elles, mais au contraire en ayant recours aux facult8s de l’int8riorit8, la seule source – et en mÞme temps destinataire – de la cr8ation musicale. La musique devient la “voix” du compositeur, de son monde int8rieur qui se traduit en sons et parvient ainsi / jeter un pont entre sa volont8 cr8atrice de nature 8motive, et celle du b8n8ficiaire. Cette volont8 expressive est irr8ductible chez l’Þtre humain et repr8sente un 8lan, une impulsion / l’action. Et la science esth8tique doit admettre cette nature 8motivo-dynamique du processus musical car “l’essence de chaque Þtre est mouvement ou, au moins l’impulsion au mouvement.”161 f l’8poque oF Hauseger 8crit, entre les XIXe et XXe siHcles, la tendance / consid8rer de faÅon psychologique de nombreux aspects li8s / l’interpr8tation des œuvres d’art s’affirme et Hanslick fait partie de ce processus. Le formalisme 159 H. Lotze, Geschichte der Ästhetik in Deutschland, Munich, Cotta, 1868, p. 280. 160 Ivi, p. 482. 161 F. von Hausegger, Die Musik als Ausdruck, Vienne, Konege, 1885, p. 37.

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est vu comme une th8orie / soumettre / la psychologie et celles de Hanslick, devenues d8sormais un v8ritable substrat th8orique de la discipline esth8tique, sont consid8r8es comme les premiHres / avoir mis l’accent sur l’importance des processus psychiques dans l’interpr8tation musicale. Encore une fois, l’id8e de Hanslick de la “dynamique des sentiments” repr8sente une des raisons constantes Du Beau musical dans la pens8e esth8tique mÞme / des dizaines d’ann8es de distance. En 1876, Vorschule der Aesthetik de Gustav Theodor Fechner t8moigne en effet de l’empreinte Du Beau musical. Fechner, penseur proche de l’8cole psychologiste, reconna%t dans la musique deux facteurs principaux, un d’ordre direct et un autre indirect. Au premier appatiennent tous les paramHtres strictement musicaux, tels que le rythme, la m8lodie, la dynamique. Tous ces 8l8ments assembl8s constituent l’andamento de la musique que Fechner d8finit Stimmung dans le sens de dynamique sentimentale non d8finie, priv8e de modifications d8termin8es de l’.me (Gefühle). Les facteurs indirects sont, par contre, tous ceux de nature extramusicale: il s’agit de ph8nomHnes physiques ou associationnistes sentimentaux qui, tout en ayant un effet important sur l’8tat d’.me de l’auditeur, sont sans aucune retomb8e sur le plan esth8tique. Mais celui que l’on peut retenir comme le fondateur de l’esth8tique de matrice psychologique est Hermann Siebeck, un penseur qui r8ussit / associer les id8es de Hanslick / celle de l’esth8tique de l’empathie, comme on peut le constater dans ce passage: La beaut8 de la composition musicale est, comme le dit justement Hanslick, de nature typiquement musicale soit une beaut8 qui, ind8pendamment d’un contenu d’origine externe et sans aucun besoin de celui-ci, r8side uniquement dans les sons et dans leur analogies artistiques. Le v8ritable contenu de la musique consiste en des “formes sonores en mouvement”; pourtant celles-ci dans l’intuition […] apparaissent comme des analoga, des traits de caractHres d’un organisme sonore individuel vivant, qui surgissent imm8diatement et n8cessairement de l’int8riorit8 du tout, oF se composent ensemble, et repr8sentent ainsi, dans la sphHre de la musique, un analogon de la personnalit8 qui se manifeste. Cette d8termination devrait inclure la pens8e, par ailleurs, fond8e de Hanslick, selon lequel “les formes qui s’8laborent / partir de sons, ne sont pas vides, mais bel et bien remplies; elles ne sont pas les lignes d8limitant un vide mais l’esprit qui s’expose depuis son int8riorit8”. Cet analogon de la substance personnelle et rien d’autre est le contenu de l’œuvre musicale.162

Les formes sonores existent donc de faÅon autonome, tels des Þtres ayant une vie ind8pendante, pourvu qu’elles soient “remplies” par la subjectivit8 du sujet qui 162 H. Siebeck, Das Wesen der ästhetischen Anschauung. Psychologische Untersuchungen zur Theorie des Schönen und der Kunst, Berlin, Dümmler, 1875, p. 155.

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les conna%t. Pourtant, ce transfert ne peut avoir lieu que quand l’objet / conna%tre pr8sente une nature constitutive capable d’accueillir le sujet qui les connait. Par contre, les premiers chercheurs essentiellement franÅais et s’occupant des aspects sociologiques de la musique, repoussent in toto les convictions de Hanslick en se plaÅant dans une optique de rupture totale. Ainsi, dans ce bref ex cursus, Du Beau musical, ayant 8t8 interpr8t8 sous diff8rents angles, a contribu8 de faÅon significative au d8bat esth8tico-musical. Il convient toutefois de ne pas oublier que Hanslick entendait principalement exposer deux id8es qu’il retenait fondamentales. La premiHre – la plus argument8e – est de type n8gatif: la musique n’exhibe aucun sentiment et n’a pas de contenu. Bien entendu l’art musical, pour Hanslick, suscite bien s0r des 8motions chez les auditeurs, mais elles ne sont / consid8rer fondamentalement que comme “accidentelles”, occasionnelles ne constituant pas une v8ritable exp8rience esth8tique. La seconde thHse en revanche est d’ordre positif: le beau, dans un morceau de musique, est de nature sp8cifiquement musical et repose exclusivement sur la compr8hension de la construction architectonique musicale que l’imagination du musicien a sugg8r8e. En vertu de cette approche si 8loign8e des conceptions romantico-sentimentales les plus en vogue / l’8poque, Hanslick est souvent indiqu8 comme le pHre de la science esth8tique moderne dans le domaine musical, anim8 par l’exigence de lib8rer l’8tude de la musique de tout r8sidu de sentimentalisme et de contenu. C’est dans cette optique qu’il faut interpr8ter les pol8miques que le penseur bohÞme a eu avec certains des principaux compositeurs de son temps. Il critique l’enthousiasme de Liszt pour le poHme symphonique et pour la musique / programme, v8ritable cheval de Troie pour l’entr8e de l’extramusical dans les th8.tres et salles de concert. Il reproche / Wagner, avec lequel il entretient un rapport haineux, l’asservissement de la musique au texte et / l’action dramatique et l’invention du leitmotiv vu comme la tentative nuisible d’introduire des 8l8ments de contenu s8mantiques dans la trame sonore. Hanslick ne fait pas mystHre de sa d8sapprobation envers les esth8tiques du sentiment et essaie de fonder les bases d’une esth8tique nouvelle et d’une nouvelle critique musicale, comme l’observe Enrico Fubini: Hanslick parle de musique en tant que sp8cialiste et fin connaisseur de toutes ses probl8matiques, cela est d8j/ suffisant en soi pour donner / ses 8crits un ton complHtement diff8rent: ce n’est plus une attitute litt8raire, un enthousiasme l8gHrement rh8torique et ing8nu. Chez Hanslick on trouve la concision du technicien, la froideur analytique du chercheur, la pr8cision de langage de celui qui est habitu8 / examiner des problHmes bien d8finis.163 163 E. Fubini, L’estetica della musica dal Seicento a oggi, Turin, Einaudi, 2001, p. 195.

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Mais ce modus operandi repr8sente davantage une envie de donn8es concrHtes / analyser, contre les mysticismes fumeux et sans conclusions, qu’une v8ritable appartenance aux r8centes 8tudes naturalistes de physiologie du son, une m8thode rigoureuse mais inadapt8e / expliquer les causes de l’action de la musique sur l’organisme humain parce que: Si la psychologie n’a jamais pu percer / jour la puissance magn8tique que certains accords, certaines tonalit8s et certaines m8lodies impriment dans l’organisme entier de l’homme, c’est qu’il s’agit l/ avant tout d’une excitation sp8cifique des nerfs. Les progrHs scientifiques triomphants de la physiologie n’ont pas davantage contribu8 / r8soudre ce problHme de faÅon d8finitive.164

AprHs cette pr8misse m8thodologique, Hanslick commence son exposition en expliquant ce qu’il faut entendre par “beau” en musique: le beau n’a absolument aucune finalit8 car il est pure forme, laquelle forme peut bien Þtre employ8e, en fonction de son contenu, aux fins les plus diverses, mais n’a en ellemÞme aucune autre finalit8 qu’elle-mÞme. Que de l’observation du beau naissent des sentiments agr8ables chez celui qui contemple ne concerne pas le beau en tant que tel.165

AprHs avoir d8fini la nature autonome du “beau”, il nous indique la facult8 / travers laquelle le beau peut Þtre compris: l’imagination. Evidemment Hanslick ne parle pas d’errance libre de l’imagination, mais il suggHre plutit une nuance particuliHre d’“imagination”, bien ancr8e au fait artistique dans son caractHre concret: L’imagination n’est n8anmoins pas seulement contemplation du beau mais encore contemplation accompagn8e de raison, donc de repr8sentations et de jugements, et cela bien s0r avec une telle rapidit8 que chaque processus ne peut esp8rer parvenir jusqu’/ notre conscience; on finit alors par commettre l’erreur de croire que ce qui en v8rit8 d8pend de la m8diation de multiples op8rations psuchiques se produirait instantan8ment.166

La musique, donc, n’a d’autres fins qu’elle-mÞme. Et elle n’exprime qu’ellemÞme. Mais alors, si on veut chercher le contenu d’une œuvre musicale, oF le trouverons-nous? Hanslick r8pond – en s’associant / Helmholtz et Herbart – “dans la forme”. En effet le contenu de la musique est la forme elle-mÞme. Par forme il ne faut pas comprendre la simple succession des notes d’un morceau, mais la logique qui les sous-tend et les dispose de faÅon syntaxique: Si chacun peut certes d8signer l’effet produit par une œuvre en fonction de son individualit8, il n’en demeure pas moins qu’il n’y a d’autre contenu que les formes sonores 164 E. Hanslick, op.cit., p. 151. 165 Ivi, p. 66. 166 Ivi, p. 68.

Notes sur Eduard Hanslick et sur Vom Musikalisch-Schönen

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perÅues par l’oreille; de fait, la musique ne parle pas seulement / travers des sons, elle n’8nonce que des sons.167

Cette “belle forme” n’a de sens que musicalement en mouvement et donc seulement si elle s’inscrit dans une logique de composition qui fait correspondre / chaque dynamique du morceau une dynamique int8rieure qui cependant exprimera le sous-mouvement int8rieur de l’auditeur dans son individualit8, pas de tous. Elle le fera de faÅon g8n8rique, sans jamais exprimer de sentiment pr8cis. L’id8e de mouvement chez Hanslick est centrale, la musique en effet ne doit pas Þtre comprise comme un vecteur d’8motions d8termin8es, mais comme dynamique pure: La musique est capable de reproduire le mouvement d’un processus physique selon ses moments: rapide, lent, fort, faible, ascendant, descendant. Le mouvement n’est cependant qu’une propri8t8, un moment du sentiment: non le sentiment lui-mÞme.168

Hanslick d8plore le fait qu’ “/ ce jour, le concept de mouvement ait 8t8 particuliHrement n8glig8 dans les recherches sur l’essence et l’action de la musique; c’est selon nous le plus important et le plus f8cond”. Les concepts de forme et de mouvement dans Du Beau musical n’apparaissent jamais s8par8s. Hanslick affirme mÞme que “des formes sonores en mouvement, tel est le contenu de la musique”169 Pour expliquer comment la musique r8ussit / exprimer le beau d’une faÅon asentimentale et uniquement formelle, le penseur bohÞme a recours / ce qui deviendra une m8taphore de l’esth8tique musicale: l’arabesque. Dans l’arabesque nous voyons clairement les 8l8ments structurels – lignes, intersections, courbes – se combiner et susciter en nous des sensations de pur plaisir. Mais “l’arabesque musicale” a une autre caract8ristique fondamentale, celle d’Þtre continuellement en mouvement. Imaginons maintenant une arabesque, non pas sans vie et sans mouvement, mais qui prend naissance devant nos yeux en une auto-formation continu8e. Comme les lignes 8paisses ou fines s’entrelacent, comme d’une simple courbure elle s’8lHvent en une hauteur majestueuse puis retombent, s’8largissent, se rejoignent et surprennent / chaque fois le regard par une parfaite alternance de repos et de tension! Le tableau est d8j/ plus noble et plus 8lev8. Si nous pensons plus avant encore cette vivante arabesque comme profusion active d’un esprit artiste qui, inlassablement, r8pand l’entiHre pl8nitude de son imagination dans les artHres de ce mouvement: l’impression ressentie ne se rapproche-t-elle pas en quelque maniHre de celle de la musique?170 167 168 169 170

Ivi, p. 199. Ivi, p. 84. Ivi, p. 112. Ivi, pp. 112–113.

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La musique, dans la conception hanslickienne, est donc un jeu, une succession de formes en mesure d’8veiller chez l’auditeur des dynamiques int8rieures mais aussi 8ph8mHres. Dans cet autre passage, Hanslick offre une autre m8taphore capable d’8clairer la nature volatile de l’art musical: Nous avons tous, dans notre enfance, pris plaisir au jeu contrast8 des formes et des couleurs du kal8idoscope. La musique, quoiqu’/ un degr8 de ph8nom8nalit8 incomparablement plus 8lev8e, est un kal8idoscope. Elle apporte, dans une alternance en perp8tuel d8veloppement, de belles formes et couleurs, qui passent doucement de l’une / l’autre ou contrastent violemment, toujours li8es entre elles et pourtant toujours nouvelles, se retranchant en elles-mÞmes et remplies d’elles-mÞmes. La diff8rence principale est que le kal8idoscope sonore appara%t / l’oreille comme l’8manation directe d’un esprit artiste cr8ateur, tandis que celui fait pour l’œil n’est qu’un jouet au m8canisme ing8nieux.171

Selon Hanslick, la musique est exclusivement une succession de sons, organis8s par “l’esprit cr8ateur” de l’artiste en formes dynamiques. Le seul passage oF Hanslick s’8loigne de la n8gation intransigeante de l’id8e de contenu est celui oF il explique que, parmi ces formes musicales en mouvement, il y en a une capable de s’imposer sur les autres s’8levant ainsi au rile de “contenu”: il s’agit du thHme. Le thHme musical repr8sente le r8sum8 de chaque composition musicale et, en lui sont pr8sentes toutes les caract8ristiques fondamentales, r8unies et ins8parables du morceau. Il n’y a pas en musique de contenu opposable / une forme, car elle n’a aucune forme en dehors de son contenu. Examinons cela de plus prHs. Le thHme de chaque composition, c’est l’unit8 musicale des id8es qui y sont d8velopp8es, unit8 ind8pendante et qui esth8tiquement r8siste / toute division. Les d8terminations primitives que l’on attribue / la musique comme telle doivent toujours d8j/ pouvoir se d8celer au niveau du microcosme musical qu’est le thHme. […] Ce sont le thHme ou les thHmes. La forme et le contenu ne s’y laissent plus du tout s8parer.172

Ainsi selon Hanslick, les formes musicales privil8gi8es sont les formes symphoniques ou en tout cas les formes instrumentales, domin8es par la pr8sence d’un ou plusieurs thHmes. Mais le thHme se nourrit principalement de m8lodie et c’est sur ce principe qu’il fonde sa hi8rarchie des 8l8ments de la construction musicale. En effet alors que l’harmonie constituerait la base et le rythme, l’architecture, la m8lodie repr8senterait l’image fondamentale de la beaut8 musicale. La compr8hension lucide et analytique devient le viatique indispensable pour pouvoir parvenir / la compr8hension de la musique et / la jouissance qu’elle apporte. C’est seulement en suivant le d8roulement d’un morceau dans chacun 171 Ibidem. 172 Ivi, pp. 203–205.

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de ses passages que l’esprit et non le sentiment de l’auditeur est en mesure d’en saisir la beaut8 – la forme musicale, l’arabesque – et d’en jouir. Hanslick marque ainsi la diff8rence substantielle avec Herbart et les formalistes “orthodoxes” et fait appel, de maniHre inattendue, / l’“esprit”. Dans le sixiHme et avant-dernier chapitre du Beau musical, l’esprit est qualifi8 de garant unique de la jouissance esth8tique: Sans activit8 spirituelle, il n’existe aucune jouissance esth8tique possible. Cette forme d’activit8 de l’esprit est particuliHrement propice / la musique, dans la mesure oF ses productions ne se proposent pas tout d’une piHce, immuables, mais se d8ploie pour l’auditeur dans la succession; elles exigent de lui non qu’il s’attarde sur tel ou tel point ou qu’il s’interrompe pour s’interroger, mais qu’il les accompagne inlassablement d’une constante vigilance.173

L’esprit, dans l’acception hanslickienne, n’a aucun rapport avec l’esprit de matrice id8aliste, prÞt / se manifester dans les affaires des hommes, mais un esprit humain et presque “c8r8bral”: une activit8 dynamique. Dans ce passage appara%t la pr8occupation typique de Hanslick d’8lever tous les 8l8ments relatifs au monde de la musique / un niveau conscient et “professionnel”, 8galement dans le domaine de l’8coute oF a domin8 pendant longtemps la tendance / l’approche pathologique. Selon Hanslick cette faÅon de “sentir” la musique de faÅon “passive”, ne permet pas d’arriver au “beau” puisque celui-ci r8side dans la logique de connexion des diff8rents 8l8ments d’une composition. Et, si l’auditeur est incapable de saisir le beau, alors il manquera l’8l8ment de base de la musique: l’esprit qui est un composant essentiel de la musique. En insistant sur la beaut8 musicale, nous n’avons pas exclu le contenu spirituel mais l’avons au contraire suppos8. Car il n’existe pas de beaut8 sans participation de l’esprit. En consid8rant les formes comme ce qu’il y a d’essentiel dans le beau musical, nous avons d8j/ indiqu8 que le contenu spirituel est en rapport trHs 8troit avec ces formes sonores. […] Les formes qui s’8laborent / partir de sons, ne sont pas vides, mais bel et bien remplies; elles ne sont pas les lignes d8limitant un vide mais l’esprit qui s’expose depuis son int8riorit8.174

Mais toutes ces 8vocations au monde de l’int8riorit8 et de l’impalpable n’empÞchent pas, selon Hanslick, que le travail du chercheur se d8veloppe de faÅon rigoureuse et scientifique. Et puisqu’un morceau na%t toujours d’un acte spirituel – le compositeur qui suit son chant int8rieur – la sp8cificit8 de la discipline esth8tique devient celle de mettre en 8vidence, ce que Hanslick appelle, le fondement psychologique sur lequel pose le ph8nomHne musical. 173 Ivi, p. 174. 174 Ivi, p. 115.

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La “justification philosophique de la musique” devrait donc commencer par chercher, pour chaque 8l8ment musical, les d8terminit8s spirituelles auxquelles il s’attache et interroger la nature de ce rapport.175

Le rile de l’esth8tique pour Hanslick est 8vident. Cette discipline doit exclusivement s’occuper des donn8es exprim8es par l’œuvre musicale et des connexions que ces donn8es 8tablissent avec les fonctions spirituelles de l’auditeur. Hanslick accomplit ainsi un des actes fondateurs les plus importants dans l’histoire de l’esth8tique, en d8limitant le champ d’action et en la rendant autonome par rapport / d’autres disciplines comme l’histoire de l’art en particulier qui considHre l’esth8tique comme un secteur : Il faut bien ici conserver / l’esprit qu’une telle mise en perspective des sp8cialit8s artistiques avec le contexte historique relHve de l’histoire de l’art, et aucunement de l’esth8tique. La mise en relation de l’histoire de l’art et de l’esth8tique peut bien appara%tre n8cessaire d’un point de vue m8thodologique, chacune de ces deux sciences n’en doit pas moins conserver strictement sa propre nature contre le risque d’empiHtement r8ciproque.176

Et ce sera sur la base de ces id8es – l’esth8tique comme discipline autonome, la correspondance entre valeurs formelles et spirituelles – que s’orienteront les recherches de Liuzzi.

3.2. Liuzzi, l’hérédité crocéenne et Vom Musikalisch-Schönen Ce chapitre aborde le thHme principal de cette recherche: la comparaison entre Fernando Liuzzi et l’h8ritage hanslickien. Pour d8finir cette comparaison nous nous baserons sur le premier chapitre dell’Estetica della musica, intitul8 Visibilit/ e udibilit/, oF Liuzzi approfondit la comparaion entre Hanslick et la tradition formaliste. Ces pages d8butent par l’exposition d’une th8orie sur les arts figuratifs, qui, / l’8poque, suscitait autant d’enthousiasme que de critiques enflamm8es: la th8orie de la “pure visibilit8” (reine Sichtbarkeit) de Konrad Fiedler177. Ce dernier fait ses recherches qui seront objet d’8tudes surtout dans son pays d’origine: il est donc probable que Liuzzi, durant ses 8tudes en Allemagne, ait pu se former une connaissance approfondie de l’œuvre de Fiedler. Les r8flexions de Fiedler se r8fHrent principalement au monde des arts visuels et donnent la premiHre impulsion au mouvement esth8tico-critique qui se d8175 Ivi, p. 123. 176 Ivi, p. 129–130. 177 Konrad Fiedler (Oederan, 1841 – Munich, 1895) savant et th8oricien de l’art allemand, consid8r8 comme un des membres fondateurs de la “th8orie de la pure visibilit8”.

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veloppe dans les pays de zone germanique dans la seconde moiti8 du XIX e siHcle sous le nom de pure visibilit8. Ce courant – un des plus influents de son 8poque – pourrait Þtre d8fini comme une m8thode de lecture critique de l’œuvre de d’art, bas8e sur la reconnaissance des sch8mas visuels et formels inh8rents / l’œuvre elle-mÞme. Dans la th8orie de la pure visibilit8 le fondement de l’art serait repr8sent8 par la perception objective / laquelle doit suivre la repr8sentation d’un sujet d8termin8. Ce sujet, selon les id8es purement visibles, serait la nature. Mais la “nature” perÅue et repr8sent8e est complHtement diff8rente de la “nature” dans son acception scientifique, parce que ce n’est pas le r8sultat d’une “8tude”, mais de la projection de la conscience subjective de l’artiste. Les lois de l’art sont r8gl8es par le principe de visibilit8, le rile de la critique et de l’histoire de l’art, selon la perspective de la pure visibilit8, serait donc l’analyse des formes et de leur transformation dans le temps, ces 8l8ments 8tant les seuls sur lesquels baser une recherche rigoureuse. Le rapport entre la r8alit8 objective, en effet, n’est plus n8cessaire puisque la forme de l’œuvre d’art n’est pas une reproduction, mais une production cr8ative. Ces convictions – que Fiedler affirme en premier – sont appliqu8es par diff8rents artistes comme Adolf von Hildebrand178, Hans von Mar8es179 et Gottfried Semper180. Sur un plan th8orique 8galement quelques artistes – provenant de l’Pcole de Vienne – ont donn8 suite / la pens8e de Fiedler. Parmi eux, citons Alo"s Riegl181 et Max Dvorˇ#k182 qui, aprHs avoir initialement choisi le courant historico-philologique de la pure visibilit8, s’orientent ensuite vers des positions id8alistiques. Mais le th8oricien qui a contribu8 le plus au d8veloppement des id8es de Fiedler est sans aucun doute Heinrich Wölfflin183. Ce dernier adopte les th8ories de Fiedler relatives / l’ind8pendance du contenu dans l’analyse esth8tique d’une œuvre d’art, et s’approprie aussi de la conviction que la forme artistique doit Þtre comprise comme un medium contenant l’univers – historique et psychologique – de l’artiste. Wölfflin affirme que l’œuvre d’art est fondamentalement une activit8 for178 Adolf Ritter von Hildebrand (Marburg, 1847 – Munich, 1921) sculpteur allemand parmi les plus influents de son 8poque. 179 Hans von Mar8es (Elberfeld, 1837 – Rome, 1887), peintre allemand repr8sentant du courant id8aliste de la peinture allemande dans le troisiHme quart du XIXe siHcle. 180 Gottfried Semper (Altona, 1803 – Zurich, 1979), architecte, c’est l’un des plus importants repr8sentants de l’historicisme romantique allemand, mais aussi l’un des tout premiers fonctionnalistes, et un grand th8oricien de l’architecture. 181 Alo"s Riegl (linz, 1858 – Vienne, 1905), historien d’art autrichien, membre de l’8cole de Vienne. 182 Max Dvorˇ#k (Raudnitz, 1987 – Znojmo, 1921) historien d’art tchHque et membre de l’8cole viennoise d’histoire de l’art. 183 Heinrich Wölfflin (Winterthur, 1864 – Zurich, 1945), historien de l’art suisse.

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mative, et par cons8quent, elle ne peut Þtre comprise et appr8ci8e que si on l’analyse de prHs, en tant que production qui tire son 8lan du monde du r8el devenant par la suite une cr8ation qui obtient ainsi son propre souffle, un “espace”. La notion d’espace pour Wölfflin co"ncide avec celle de l’art, et dans les pages de son Kunstgeschichtliche Grundbegriffe (“Concepts fondamentaux de l’histoire de l’art”), se trouve l’8laboration d’une v8ritable ph8nom8nologie des modes de perception de l’espace, oF il d8crit la faÅon correcte – de nature plastique/picturale – de comprendre la cr8ation artistique. Mais les id8es de Fiedler n’appartiennent pas seulement au domaine figuratif. On constate, en effet, des filiations plus ou moins directes de sa pens8e dans d’autres domaines, puisque la pure visibilit8 est l’une des composantes du formalisme, qui a connu beaucoup de succHs dans la zone germanique entre les XIXe et XXe siHcles. Dans le domaine musical, Robert Zimmermann184, cr8ateur d’une esth8tique formaliste, pr8cedemment 8voqu8 en parlant de Hanslick, est un adepte de Herbart et un adversaire des id8es de contenu de Hegel. Zimmermann entend affirmer que la philosophie est la discipline qui produit et 8tudie les id8es. Ces id8es sont les formes – les modHles – de la connaissance et de l’action humaine et c’est la r8flexion philosophique qui doit les d8terminer. Evidemment il y a plusieurs typologies d’id8es, caract8ris8es par diverses fonctions et finalit8s, assimil8es cependant par leur nature normative. Celles de type esth8tique pr8sident la morale et l’activit8 artistique. Mais selon Zimmermann, c’est seulement en suivant une optique de type formaliste que l’esth8tique peut r8ussir dans ce qui est sa v8ritable finalit8: d8finir les id8es – les concepts modHle – qui pr8sident / la production et / la r8ception artistique. Pour accomplir ce passage, cet 8claircissement, il est n8cessaire de reconduire l’œuvre artistique / son aspect formel, en abandonnant tout 8l8ment de type subjectif, empirique ou de contenu. Les rapports formels, ainsi, deviennent l’unique cause du plaisir esth8tique. Les formes de la pens8e, les id8es, doivent trouver leur correspondant dans les formes artistiques, dans les 8l8ments qui les constituent en tant que tels. Zimmermann affirme – en accord substantiellement avec Fiedler – que le contenu d’une œuvre, sa valeur esth8tique, doit Þtre identifi8 avec sa forme, et le “beau” esth8tique se r8sume au plaisir que “la belle forme” a r8ussi / susciter chez le destinataire. L’op8ration consistant / r8unir deux penseurs plutit diff8rents, comme Zimmermann et Fiedler, se justifie car ils partagent tous deux la mÞme id8e de forme et ont les mÞmes ambitions pol8miques. La “pure visibilit8” de Fiedler nie que l’art puisse Þtre, en aucune maniHre, une 184 Robert Zimmermann (Prague, 1824 – Vienne, 1898), philosophe autrichien, professeur / l’universit8 de Prague et de Vienne, auteur de Allgemeine Aesthetik als Formwissenschaft (1865).

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imitation de formes pr8existantes, il s’agirait au contraire d’une cr8ation libre; le d8but et la fin de l’activit8 artistique est la cr8ation de formes qui, autrement, n’existeraient pas. L’art analyse le r8el et le transforme en exp8rience artistique, mais sa recherche est complHtement diff8rente de la recherche scientifique, en effet: elle ne part pas de la pens8e, de l’effet de l’esprit pour descendre / la forme et / la figure, mais, au contraire elle monte de l’informe et du non-figur8 / la forme, / la figure: c’est dans l’accomplissement de ce parcours que r8side tout son sens.185

Fiedler affirme en outre / propos du concept de “forme” que “c’est l’ensemble de la nature repr8sent8 selon les lois de notre facult8 de repr8sentation visive”.186 Toute consid8ration d’ordre pratico-finaliste est 8trangHre / la pure visibilit8. L’horizon 8thique et affectif lui sont totalement 8trangers puisque seule l’esth8tique fournit le fond pour tous les jugements concernant l’art. L’art vit dans des mondes conceptuels 8loign8s du r8el, mÞme s’ils tirent de celui-ci tout le mat8riel n8cessaire. Le processus de cr8ation na%t en effet quand l’artiste parvient / trouver dans le monde qui l’entoure les 8l8ments de “pure visibilit8” et qu’il r8ussit / en faire un produit artistique. L’ensemble des id8es de Fiedler a, selon Liuzzi, une grande valeur mais exclusivement en tant qu’ instrument de recherche; il s’agirait fondamentalement d’une m8thode critique capable de guider le savant d8sireux d’approfondir le cit8 formel d’une œuvre d’art. Le travail artistique n’a rien / voir avec la production de concepts, mais avec la production tout court. L’artiste est pouss8 par la n8cessit8, pour ainsi dire, de “produire la production”, toute autre valeur identifi8e dans un objet artistique est / consid8rer comme “ajout8e” par le destinataire, comme 8tant 8tranger / la cr8ation artistique et donc inesth8tique. Dans Visibilit/ e udibilit/ Liuzzi entend consid8rer les 8l8ments sonores pour ce qu’ils sont dans leurs relations, ind8pendamment du contexte psychologique et 8motif en suivant le mÞme proc8d8 utilis8 par la “pure visibilit8” pour les 8l8ments visuels tels que les lignes, les formes, les couleurs et ainsi de suite. En effet la th8orie de la “pure visibilit8”, pr8voit pour l’analyse d’une œuvre d’art, “l’exclusion des proc8d8s psychologiques et descriptifs, n8cessairement empiriques pour s’en tenir exclusivement / une recherche de type gnos8ologique”.187 Selon Fiedler donc, et en restant dans le monde des arts figuratifs, dans l’analyse d’un tableau, il ne faudrait prendre en consid8ration que les 8l8ments

185 Konrad Fiedler, Aforismi sull’arte, Milan, TEA, 1994, p. 39. 186 Ivi, p. 170. 187 F. Liuzzi, Estetica della musica, cit., p. 8.

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“ext8rieurs” – telles que les lignes, la couleur, le trait – et ne baser notre jugement que sur ces 8l8ments, 8liminant toute 8valuation du contenu. Liuzzi partage naturellement cette conception, ne pouvant se dispenser d’approuver un systHme th8orique aussi anti-psychologique. L’activit8 artistique, selon Fiedler, est fondamentalement intellectuelle et productive capable de modeler le monde de l’ind8termin8 dans celui du d8termin8, du monde des choses / celui du produit. Mais si cette force intellectuelle a la capacit8 de transformer le monde sensible, elle n’a pas celle de le conna%tre, et dans ce but, elle doit c8der le pas / la perception. Alors comment concilier la pens8e intellectuelle, active donc, et la contemplation? Le seul individu capable de r8aliser cette synthHse est l’artiste qui, gr.ce / “un don sp8cial de sa nature” est en mesure de transformer la perception du r8el en expression. L’artiste est celui qui sait voir de faÅon fructueuse en saisissant les 8l8ments “purement visibles” du monde qui l’entoure et en les transformant en “formes complHtement d8termin8es, accessibles, sensiblement d8montrables” c’est-/-dire en œuvre d’art.188 Ces 8l8ments, 8tant extrapol8s du monde de la nature et asservis / la volont8 expressive humaine, ont subi une m8tamorphose qualitative et sont devenus exclusivement des valeurs artistiques. Cette “mutation” th8oris8e par Fiedler pour mettre la cr8ation artistique / l’abri de l’obligation d’exprimer ou d’imiter le beau, et Liuzzi cite / ce propos son ma%tre / penser, Th8odor Lipps et la thHse selon laquelle le concept de beau et celui de l’art devraient Þtre nettement divis8s. Il faut observer ici que les id8es propos8es par Konrad Fiedler trouvent leur place 8galement dans les pages de l’Esth8tique de Benedetto Croce. Celui-ci ne manque pas de mettre en lumiHre certains aspects du courant de la pure visibilit8 qu’il considHre positifs. Le premier aspect est constitu8 par le fait que “Fiedler a privil8gi8 le caractHre activiste de l’art qu’il compare au langage”189. Fiedler, r8p8tant que l’œuvre de l’artiste est un acte humain et qu’il met aux cit8s du langage, fonde de fait une esth8tique expressive en mesure de rejeter toute tendance passive et contemplative. Croce entend donc souligner combien dans la “pure visibilit8”, la contemplation et la production, gr.ce au travail de l’artiste, sont les actes d’un unique processus qui trouve son origine dans la sensation, pour ensuite aboutir / l’expression. La fonction de l’artiste, selon la conception croc8enne comme dans celle de Fiedler, est celle de voir “productivement” et de maniHre autonome, r8ussissant ainsi / exprimer l’intuition dans sa forme imm8diate. 188 Ivi, p. 9. 189 B. Croce, op. cit., p. 532.

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Mais la possibilit8 de rendre “purement visible” l’intuition croc8enne ne survient que si l’on admet, avec Fiedler, que le “processus spirituel et le processus corporel ne sont qu’un”. En effet, la finalit8 de l’art n’est pas d’imiter le monde de la nature mais de se l’approprier. Et ce processus n’est pas la capacit8 “exceptionnelle d’hommes exceptionnellement dou8s, mais l’activit8 de tout instant de l’homme.”190 C’est pourquoi Fiedler, selon Croce, commet une erreur lorqu’“il conÅoit la facult8 artistique comme 8tant diff8rente et exceptionnelle par rapport au langage quotidien.”191 Liuzzi aussi partage le concept fiedlerien de “pure visibilit8”, au point d’entrer en conflit avec l’auctoritas de Croce qui, bien que consid8r8 comme le penseur moderne par excellence, aurait mal interpr8t8 certains aspects de cette th8orie. La premiHre m8prise serait, selon Liuzzi, l’accusation faite par Croce de angustia sensistica fisiologica192. Selon lui, Fiedler aurait accord8 / la cr8ation artistique un rile trop important au cit8 sensationniste d8l8guant / l’œil un rile intuitif et cr8ateur qui, pour Croce, appartient / l’esprit. Liuzzi intervient sur ce point et, d’aprHs le processus de “crocianisation” qu’il utilise pour r88valuer les th8ories d’autrui, explique qu’en r8alit8: si le principe de l’art figuratif n’est ni la beaut8, ni le concept, ni l’imitation, ni non plus le sentiment mais plutit la visibilit8, et si l’organe de celle-ci est l’œil, l’œil de l’artiste concentr8 / voir et voyant de faÅon productive, il est clair que cet œil – dans la mesure oF c’est celui qui “met en relief l’essentialit8 / savoir l’organicit8 typique et id8al de l’objet” et en produit la connaissance – ne doit pas Þtre consid8r8 dans ses limites habituelles d’organe du sens mais doit Þtre identifi8 avec l’esprit.193

Les th8ories de Fiedler, aprHs cette adaptation, deviennent acceptables et se pr8sentent mÞme comme un enrichissement de l’esth8tique n8o-id8aliste 8labor8e par Croce, d8cid8ment pauvre en r8f8rences concrHtes aux processus sensoriels. Mais si cette premiHre pol8mique de Liuzzi ne montre qu’un effort d’assimilation de la pure visibilit8 / l’orthodoxie de Croce, la seconde est d8cid8ment plus int8ressante et r8vHle l’originalit8 de l’approche de Liuzzi / l’esth8tique de Croce. La th8orie de la pure visibilit8 tracerait, d’aprHs Croce, un foss8 profond et irr8m8diable dans l’unit8 artistique n8cessaire, s’int8ressant uniquement au domaine des arts figuratifs. Liuzzi, en critiquant cette position, se r8vHle pour ce qu’il est: un chercheur partag8 entre l’h8r8dit8 de la pens8e de Benedetto Croce et l’adh8sion aux positions du “formalisme spiritualis8” th8oris8 par Hanslick. 190 191 192 193

Ivi, p. 533. Ivi, p. 534. Ivi, p. 11. Ibidem.

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Liuzzi se trouve dans la position, philosophiquement d8licate et probl8matique, de devoir concilier l’id8e d’une esth8tique g8n8rale valable pour toutes les formes d’art avec celle d’une esth8tique strictement musicale, autonome et sp8cifique. Ainsi Liuzzi, tout en partageant l’id8e de Croce d’une esth8tique unitaire (r8sultat de la foi en l’unit8 de cat8gorie des arts) est prÞt / admettre que: si l’activit8 esth8tique, / savoir l’art en g8n8ral, n’est qu’une, l’esprit pratique prend toutefois diff8rentes formes; lesquelles seront bien entendu, dans leur essence la plus concrHte et la plus d8termin8e, des œuvres d’art distinctes, mais elles peuvent l8gitimement se rassembler au-del/ de tout aspect formel, simplement par ce qui leur est assign8 gr.ce / la faÅon 8l8mentaire et sp8cifique de se repr8senter ; cette faÅon r8ellement, mÞme si seulement de faÅon pratique, les d8finit en les constituant en po8sie, en peinture, en musique et ainsi de suite.194

Ainsi Croce n’aurait pas exactement tenu compte dans son systHme, du fait que les diff8rentes disciplines artistiques – peinture, musique, et po8sie – sont bien entendu envahies par le mÞme esprit, mais ext8rieurement leur diversit8 est telle qu’elles les rend autonomes et dignes chacune d’entre elles d’Þtre approfondies selon leur langage sp8cifique, et donc de postuler / une esth8tique propre. Croce insiste trop, selon nous, dans la n8gation de tout fondement spirituel / la reconnaissance des diff8rents arts et dans sa volont8 de rel8guer la distinction entre musique, po8sie, peinture, architecture dans l’enclos des abstractions empiriques ou du pur nominalisme. Nous ne croyons pas possible de taxer d’arbitraire absolu le fait de consid8rer la faÅon dont les arts se manifestent ind8pendamment les uns des autres; autrement il faudrait aussi condamner comme empirisme arbitraire et abstrait toute exposition historique particuliHre de la po8sie, de la musique, des arts figuratifs etc. pour n’accorder une l8gitimit8 qu’ / une histoire g8n8rale de l’activit8 artistique dans toutes ses manifestations: ce qui conduirait / une confusion in8vitable et / d’absurdes interf8rences.195

La pr8occupation de Liuzzi, n’est clairement pas de construire un systHme philosophique coh8rent et inattaquable mais plutit celle de faciliter le parcours / des 8tudes esth8tiques sp8cialistes claires et ponctuelles. La pens8e croc8enne visait, comme nous le savons, / affirmer la centralit8 du processus spirituel dans la cr8ation artistique et son reflet important dans l’œuvre de l’esprit mÞme. Mais ce “reflet” se produit, selon Liuzzi, de maniHre complexe. Chaque œuvre d’art est un miroir d8formant, et pour r8tablir la nettet8 de l’objet refl8t8 – qui serait l’esprit mÞme – une recherche et une m8thodologie sp8cifiques sont n8cessaires puisque chaque discipline artistique, chaque “miroir” d8forme l’esprit de faÅon particuliHre. Ce sera donc le sp8cialiste, dans le cas de la musique le musicologue, le seul en 194 Ivi, p. 12. 195 Ivi, p. 12, n. 1.

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mesure de r8tablir l’image originelle de l’esprit incarn8 dans l’œuvre d’art. L’inclination / la critique, / l’8tude bas8e sur des donn8es r8elles sera toujours pr8sente chez Liuzzi aux cit8s de convictions th8orico-esth8tiques, constituant une caract8ristique de sa position. AprHs ces consid8rations d’ordre m8thodologique, l’essai Visibilit/ e udibilit/ continue, justifiant ainsi son titre, avec le parallHle entre l’activit8 sp8culative de Fiedler et celle de Hanslick. Liuzzi en effet, d8cide de se servir du modHle offert par la th8orie de la “pure visibilit8” pour donner une nouvelle interpr8tation / la pens8e d’un savant qui, bien que s’8tant occup8 de musique, pourrait Þtre proche de ce type d’esth8tique: Eduard Hanslick. Liuzzi r8vHle une proximit8 substantielle d’intentions entre Fiedler et Hanslick en appliquant une sorte de “propri8t8 transitive des sens” substituant l’œil par l’oreille, il entend illustrer comment la “pure visibilit8” peut devenir une “pure audibilit8”. Benedetto Croce dans ses Essais d’esth8tique s’int8resse 8galement / Eduard Hanslick en s’appuyant sur Du Beau musical et affirme que: “beau” et “forme” sont interpr8t8s d’une certaine faÅon par les adeptes de Herbart et d’une faÅon bien diff8rente par Hanslick. Une sym8trie, des rapports purement acoustiques, des plaisirs de l’oreille ne constituent pas, selon lui, un beau musical; les math8matiques sont inutiles / l’esth8tique de la musique. Le beau musical est spirituel et significatif; il a des pens8es, certes, mais des pens8es musicales.196

Ainsi le beau artistique s’identifie avec l’esprit. Mais le terme “esprit” selon la pens8e croc8enne a une acception bien d8finie – recouvrant un rile de premier plan dans l’activit8 esth8tique – et ne doit pas Þtre entendu dans son acception la plus commune. L’“esprit” est la piHce ma%tresse, la force capable de garantir le d8roulement de toutes les activit8s humaines, artistiques ou pas, et sa capacit8 d8rive du fait qu’il est capable de revÞtir de nombreuses formes. L’8thique, la logique, l’esth8tique – et tant d’autres – selon Croce ne seraient rien d’autres que des formes de l’“esprit”. Ces formes de l’esprit seraient les v8ritables “ressorts” responsables de l’action humaine: ce sont des activit8s qui ont pour but d’atteindre un objectif et elles sont accompagn8es pour ce faire par ce que Croce considHre comme l’activit8 premiHre et fondamentale de l’homme: le sentiment. f cet 8gard il est opportun d’8tablir une l8gHre digression afin de d’approfondir le sens que ce terme fondamental recouvre dans la philosophie de Croce, et pour mieux comprendre ce qu’entendaient les chercheurs italiens en esth8tique – y compris Liuzzi – quand ils parlaient de “sentiment”. Croce affirme que ce mot, se rapportant / un concept souvent au centre de la r8flexion philosophique, compte plusieurs sens qui se sont stratifi8s au cours des siHcles. Dans ses Essais d’esth8tique, il en expose au moins deux: 196 B. Croce, op. cit., p. 530.

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le mot sentiment est l’un des mots aux multiples sens de la terminologie philosophique; et nous avons d8j/ eu l’occasion de le rencontrer une fois parmi ceux qui d8signent l’esprit dans sa passivit8, la matiHre ou le contenu de l’art, donc comme synonyme d’impressions; et une autre fois pour d8signer le caractHre alogique et anhistorique du fait esth8tique, c’est-/-dire l’intuition pure, forme de v8rit8 qui ne d8finit aucun concept ni ne forme aucune r8alit8.197

Croce considHre ces deux d8finitions comme 8tant inefficaces parce qu’elles n’ont pas su approfondir la question restant ainsi parmi les th8ories qui veulent le sentiment comme contenu de l’activit8 artistique ou comme sa cons8quence sur l’.me humaine. Dans les pages des Essais d’esth8tique, Croce le d8clare d’embl8e, le terme “sentiment” doit Þtre compris tout autrement car il: ne nous concerne dans aucune de ces deux acceptions, ni dans d’autres qui lui sont donn8es pour d8signer d’autres formes de connaissance de l’esprit, mais seulement quand le sentiment est entendu comme une activit8 sp8ciale de nature non cognitive, ayant ses piles, positif et n8gatif, dans le plaisir et dans la douleur.198

Cette connotation particuliHre du sentiment, si diff8rente de celles habituellement en vogue dans le domaine philosophique, serait / la base de l’incompr8hension qui a d8clench8 l’incapacit8 de situer le sentiment dans sa sphHre d’appartenance: celle de la vie pratique. Ce n’est pas par hasard si la nature particuliHre activistique du sentiment: a toujours mis en grande difficult8 les philosophes qui ont donc tent8 de la nier en tant qu’activit8 ou de l’attribuer / la nature en l’excluant de l’esprit. Mais ces solutions sont parsem8es de telles difficult8s qu’elles sont inacceptables pour ceux qui les ont examin8es avec attention. Que pourrait donc Þtre une activit8 non spirituelle, une activit8 de la nature, quand nous n’avons d’autre connaissance de l’activit8 si ce n’est que comme spiritualit8, et de la spiritualit8 si ce n’est comme activit8, et nature, c’est dans ce cas, par d8finition, le mat8riel purement passif, inerte, m8canique?199

D’aprHs Croce, cette question a une r8ponse bien d8finie, le sentiment est certes une activit8 mais de nature 8conomique. Par 8conomie, selon la pens8e croc8enne, c’est la sphHre qui relHve de la pratique pure. Tout ce qui existe est “8conomique” – ou est accompli – dans un horizon purement factuel et libre de toute pr8occupation de caractHre 8thique. C’est dans cette perspective que se situe le sentiment car : l’activit8 du sentiment, si c’en est une, n’est pas nouvelle; et a d8j/ sa place dans le systHme que nous avons 8bauch8, mÞme si elle porte un autre nom, / savoir activit8 8conomique. L’activit8 que l’on dit appartenir au sentiment, n’est autre que la plus 8l8mentaire et fondamentale activit8 pratique, que nous avons distingu8e de la forme 197 Ivi, p. 95. 198 Ibidem. 199 Ivi, p. 96.

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8thique et consiste dans l’app8tition et la volition de toute fin individuelle, lib8r8e de toute d8termination morale.200

Ajoutons que lorsque Croce qualifie le sentiment d’activit8, il le fait dans le sens le plus concret du terme: celui d’un acte, de l’action concrHte d’un sujet: d’autre part la n8gation du caractHre d’activit8 au sentiment est 8nergiquement d8mentie justement par ces piles du plaisir et de la douleur, qui y apparaissent et montrent l’activit8 dans son caractHre concret et pourrions nous dire, dans son fr8missement.201

Ce que l’auteur des Essais d’esth8tique entend soutenir de par ces argumentations est que le sentiment n’est pas simplement une activit8 mais, une activit8 autonome. Il s’agit d’une cat8gorie de l’esprit en soi, donc – pour rester dans un domaine esth8tique – les th8ories visant / d8montrer l’interd8pendance entre exp8rience sentimentale et esth8tique seraient / revoir, car Il r8sulte que […] l’activit8 esth8tique, tout comme les activit8s 8thiques et intellectuelles, n’est pas un sentiment: une thHse incontestable, sachant que le sentiment a d8j/ 8t8, implicitement et involontairement, entendu comme une volition 8conomique.202

Les r8cents courants esth8tiques de l’8poque qui auraient “faÅonn8 une cat8gorie de sentiments esth8tiques apparents, ne d8rivant pas de la forme / savoir des œuvres d’art en tant que telles, mais de leur contenu” ne seraient pas acceptables non plus.203 Le sentiment ne repr8senterait pas un 8tat d’.me ni quelque chose d’imputable / des causes externes mais plutit / l’8lan commun / tous les aspects de l’action humaine. Croce n’entend absolument pas rompre les liens avec les autres “activit8s spirituelles”. Au contraire si l’activit8 du sentiment, dans le sens d8sormais 8tabli, ne doit pas Þtre remplac8e par toutes les autres formes de l’activit8 spirituelle, il n’est pas dit qu’elle ne puisse pas les accompagner. Elle les accompagne mÞme, n8cessairement, parce qu’elles sont toutes en 8troite relation et entre elles et avec la forme volitive 8l8mentaire; d’oF chacune d’entre elles a les volitions individuelles parallHles et les plaisirs et les douleurs volitives, qui se disent du sentiment.204

Le sentiment appara%t donc comme le tissu connecteur des diverses formes spirituelles. En tant qu’activit8 pure, il peut s’appuyer sur – et en mÞme temps soutenir – toute activit8 humaine, car le sentiment est l’activit8 par excellence. 200 201 202 203 204

Ibidem. Ibidem. Ivi, p. 97. Ivi, p. 103. Ivi, p. 97.

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Dans la conception croc8enne, l’activit8 sentimentale est quelque chose de neutre: c’est le “comment”, la faÅon dont l’Þtre humain s’exprime dans ses capacit8s vari8es et dans ses envies. Le sentiment est comme un r8cipient vide / remplir / chaque instant, c’est ce qui explique toute cette confusion sur sa v8rible nature, voil/ pourquoi une analyse conclusive et complHte est impossible. Le sentiment r8sulte ainsi inconnaissable en soi, Croce choisit donc de mettre l’accent sur le cit8 utilitaire, donnant ainsi / son esth8tique une valeur ultra8thique. Ses id8es chevauchent le monde de la moralit8 appliqu8e au sentiment rendant la distinction entre sentiments “l8gitimes” et “ill8gitimes” priv8e de l8gitimit8, parce que li8e / la sphHre morale d8pendant de la mentalit8 de l’8poque. Le seul horizon dans lequel il est possible de situer le sentiment est – l’horizon 8conomique – au lieu de la distinction entre “bon” et “mauvais” celle entre “utile” et “inutile”. Ainsi le concept de “sentiment” occupe une place importante dans l’id8ologie croc8enne et Liuzzi l’utilisera pour tenter de cr8er une contigu"t8 entre les th8ories de Hanslick et celles de Croce. Dans ses Essais d’esth8tique, Benedetto Croce pr8sente Du Beau musical dans ces termes: le suc de son livre est la n8gation de la possibilit8 de s8parer, en musique, la forme et le contenu. [….] Des observations qui t8moignent toutes d’une p8n8tration subtile de la nature de l’art, mÞme si elles ne sont pas toujours formul8es avec rigueur ni mises / bout dans un systHme.205

Liuzzi, comme nous l’avons vu, reprendra substantiellement ces consid8rations dans Visibilit/ e udibilit/ adoptant aussi la critique de manque de syst8maticit8 de la pens8e hanslickienne. N8anmoins selon Liuzzi les points communs entre Hanslick et Croce seraient nombreux la pens8e de Hanslick finit par Þtre plus moderne que celle de Fiedler et des Fiedleriens: nous pourrions dire presque moderne par excellence: en effet elle tend, sauf erreur, / la diffusion trHs r8cente de la pens8e de Benedetto Croce.206

Croce repr8sente pour Liuzzi la modernit8 de la pens8e esth8tique, preuve en est qu’il est prÞt / accorder une place importante / Hanslick dans l’histoire de la pens8e esth8tique seulement quand celui-ci anticipe des id8es croc8ennes, comme l’unit8 de forme et de contenu, l’intraduisibilit8 du langage musical et la simultan8it8 du processus imaginatif et expressif. Benedetto Croce lui-mÞme est prÞt / reconna%tre / Du Beau musical diverses qualit8s: l’analyse des th8ories hanslickiennes est au chapitre dix-huit de ses Essais d’esth8tique intitul8 Psicologismo estetico e altri indirizzi recenti. Croce 205 Ivi, p. 531. 206 F. Liuzzi, Estetica della musica, cit., p. 43.

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situe donc Hanslick parmi les psychologistes, et le fait, au nom de quelques convictions que nous analysons tout de suite. Il convient tout d’abord de sp8cifier que Croce ne propose pas, dans son ensemble, une 8valuation positive des th8ories li8es au psychologisme. Il s’agirait en effet d’un courant de pens8e coupable d’une excessive “consid8ration h8doniste, psychologique et moraliste de l’art” de laquelle d8coulerait un “manque d’intelligence pour l’imagination cr8atrice”.207 Croce entend par conception h8doniste un modHle de pens8e r8ducteur, et comme tel, inacceptable. R8ducteur parce qu’il tend / r8duire les formes vari8es de l’esprit – dont les agencements sont complexes – exclusivement / la dichotomie plaisir-douleur. Dans l’h8donisme, et dans les doctrines qui le pr8conisent, Croce voit le sacrifice de la logique, de l’8thique et de l’esth8tique sur l’autel de la pure recherche du plaisir et entend s’y opposer. En effet: l’h8donisme consiste / r8duire toutes les formes de l’esprit / une seule qui perd ainsi son caractHre distinctif et devient quelque chose de myst8rieux, ressemblant vraiment aux “t8nHbres oF toutes les vaches sont noires”. AprHs avoir accompli cette r8duction, cette mutilation, les H8donistes, naturellement, ne voient que, dans toute activit8, le plaisir et la douleur ; et entre le plaisir de l’art et celui d’une bonne digestion, entre le plaisir d’une bonne action et celui de respirer l’air pur / pleins poumons, ils ne trouvent aucune diff8rence substantielle.208

L’h8donisme s’expose ainsi au risque de confondre le plaisir avec le beau et de finir dans le pur sensualisme, car : la conception h8doniste de l’art se pr8sente sous plusieurs formes, dont une des plus antiques considHre le beau comme l’agr8able de la vue et de l’ou"e, / savoir comme des sens soi-disant sup8rieurs.209

Au cours des siHcles les courants de pens8e qui ont eu une conception h8doniste de l’art ont 8t8 nombreuses et de typologies vari8es, mais elles ont toutes 8t8 incapables d’indiquer le v8ritable contenu de l’activit8 esth8tique: reconna%tre le beau qui ne se situe pas dans le plaisir plus ou moins grand transmis par une œuvre d’art au b8n8ficiaire, mais dans “l’expression”, raison pour laquelle Croce affirme Þtre: adversaire de l’h8donisme en g8n8ral, / savoir de la th8orie qui, se fondant sur le plaisir et la douleur qui sont intrinsHques / l’activit8 8conomique et donc ins8parables de toute autre forme d’activit8s, confond contenant et contenu et ne reconna%t pas d’autre processus que le processus h8doniste; nous nous opposons donc / l’h8donisme en 207 B. Croce, op.cit, p. 517. 208 Ivi, p. 97. 209 Ivi, p. 105.

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particulier esth8tique qui considHre, sauf toutes les autres activit8s, au moins l’activit8 esth8tique comme une simple affaire de sentiment et confond l’agr8able de l’expression, qui est le beau, avec l’agr8able tout court.210

Croce inclut parmi les doctrines h8donistes celle du psychologisme, bas8e sur le principe – que nous expliquerons par la suite – de la Einfühlung, qui avait trouv8 en Theodor Lipps son principal exposant. Le psychologisme, chez Croce “esth8tique du sympathique” propose une th8orie selon laquelle le b8n8ficiaire 8prouverait d’autant plus de plaisir d’une œuvre d’art que si elle avait un rapport avec son propre v8cu. Par “v8cu” il faut comprendre la somme des exp8riences v8cues par un individu, son 8ducation, son style de vie, en un mot son bagage psychologique. Selon les psychologistes, nous irions tous, en quelque sorte, / la recherche de “miroirs artistiques” en mesure, de par leur conformation, de nous refl8ter comme nous nous voyons. Les critiques de Benedetto Croce envers cette conception sont nombreuses: le psychologisme, comme nous pouvons le lire dans les pages de ses Essais D’esth8tique, serait: une 8cole grossiHre qui considHre l’Esth8tique comme la science du sympathique, de ce avec quoi nous sympathisons, qui nous attire, nous procure du plaisir et de l’admiration. Mais le sympathique n’est rien d’autre que l’image ou la repr8sentation de ce qui pla%t. Et en tant que tel, c’est un fait complexe r8sultant d’un 8l8ment constant qui est l’8l8ment esth8tique de la repr8sentation, et d’une variable qui est l’agr8able dans ses apparitions infinies naissant de toutes les diff8rentes classes de valeur.211

Ce qui pla%t, selon Croce, n’est pas forc8ment un 8l8ment esth8tique d8terminant, et de ce malentendu – s8parer l’activit8 artistique de son effet – serait n8e l’id8e que la forme et le contenu d’une œuvre d’art seraient deux entit8s s8par8es. Cette scission entre la production et la jouissance de produits artistiques est, selon la pens8e croc8enne, complHtement artificielle et incite / affirmer qu’il existe une: finalit8 de l’art, qui dans l’Esth8tique de l’expression est inconcevable, tandis que dans l’Esth8tique du sympathique elle trouve une signification ind8niable et demande une solution. Une telle solution ne peut avoir que deux formes: une de nature n8gative et l’autre, restrictive. La premiHre […] envisage l’art comme une 8bri8t8 des sens et pourtant non seulement inutile mais aussi nocive: Il faut donc, selon cette th8orie, en lib8rer avec force et diligence l’.me humaine qu’elle perturbe. La seconde solution, que nous appellerons p8dagogique ou utilitaire et moraliste, admet l’art seulement parce qu’il particpe / la moralit8; puisqu’il aide avec un plaisir innocent l’œuvre de ceux qui s’adressent / la v8rit8 et au bon.212 210 Ibidem. 211 Ivi, p. 107. 212 Ivi, p. 109.

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Ce faisant, l’esth8tique de matrice psychologique prend des connotations 8thiques et morales, sortant de ce que Croce indique comme le territoire de la v8ritable esth8tique franchissant sur celui – esth8tiquement nul – de la psychologie. Ce support / la discipline psychologique provoque, selon Croce, une perte de rigueur sp8culative et ainsi une impossibilit8 de raisonnement scientifique sur les faits artistiques. Puisque la discipline naturaliste qui a pour t.che de construire des types et des modHles de la vie spirituelle de l’homme, c’est la psychologie, ces concepts [plaisir et douleur] ne relHvent ni de l’Esth8tique ni, en g8n8ral, de la philosophie, mais doivent Þtre renvoy8s, pr8cis8ment, / la psychologie. Comme toutes les autres constructions psychologiques, il en va de mÞme pour ces concepts qu’il est impossible de d8finir rigoureusement.213

Dans sa recherche de l’origine de la naissance des id8es psychologistes, Croce n’h8site pas / dire qu’il s’agit de r8percussions – plus ou moins directes – de la philosophie id8aliste, en effet “/ l’8volution ou l’involution des adeptes de Herbart chez les physiologistes du plaisir esth8tique correspondit une 8volution ou une involution analogue d’id8alistes qui s’arrÞtHrent au psychologisme.”214 Croce cite Theodor Lipps comme le fondateur d’une v8ritable esth8tique de provenance psychologique qui a particuliHrement influenc8 la formation intellectuelle de Fernando Liuzzi. L’orientation purement psychologique et associative devient 8vidente pour Theodor Lipps et son 8cole. Lipps critique et rejette les th8ories esth8tiques: a) du jeu; b) du plaisir ; c) de l’art en tant que reconnaissance de la vie r8elle mÞme si agr8able; d) de l’8motivit8 et de l’effervescence passionnelle; e) du syncr8tisme jusqu’/ l’art, avec celles du jeu et du plaisir, se voit attribuer une suite d’autres intentions. La th8orie qu’il avance est […] que le beau artistique est ce qui procure de la sympathie. “L’objet de la sympathie est une jouissance objectiv8e de soi, transpos8e sur autrui et donc projet8e en lui. Nous nous sentons dans les autres et nous les ressentons en nous. Dans les autres nous nous sentons heureux, libres, agrandis, 8lev8s, ou tout le contraire. Le sentiment esth8tique de sympathie est non seulement un moyen de la jouissance esth8tique mais aussi la jouissance esth8tique mÞme. Toute jouissance esth8tique se fonde, en d8finitive, uniquement et simplement sur la sympathie.”215 Mais ces id8es ne satisfont pas Croce qui voit dans cette d8pendance “des autres” et dans cette comp8n8tration entre beau et agr8able une menace pour l’autonomie de la discipline esth8tique, qui ne devant plus 8tudier le beau – entendu comme expression – devient une sorte de “baguette de sourcier” pour 213 Ivi, p. 114. 214 Ivi, p. 518. 215 Ivi, p. 521.

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la recherche de valeurs positives et 8thiques: “L’activit8 esth8tique est, de cette maniHre, priv8e de toute valeur propre, car de ce fait elle en a reÅu une de la moralit8.”216 Toutefois la pens8e de Croce sur les psychologistes, en particulier sur Groos et Lipps n’est pas complHtement n8gative. En effet “les recherches comme celles de Groos, et en partie, […] du jeune Lipps, ont contribu8 / maintenir la recherche esth8tique dans le domaine de l’analyse interne”.217 Ces savants en somme – tout en restant bien 8loign8s de la “v8rit8” – ont eu le m8rite de s’occuper avec rigueur de faits artistiques, replaÅant la disciple esth8tique dans le domaine de ses comp8tences sp8cifiques 8liminant ainsi les intrusions subies de la part d’autres disciplines. f ce propos – de par son action clarificatrice et ponctuelle – Croce nous pr8sente Eduard Hanslick dans un chapitre consacr8 au psychologisme parce que de nombreux chercheurs de son 8poque, y compris les psychologistes, reprennent et utilisent certaines de ses formulations et autres m8taphores c8lHbres. La premiHre d’entre elles est sans aucun doute celle des formes sonores en mouvement, expression qui s’avHre extrÞmement efficace pour les chercheurs qui n’ont pas l’intention de soutenir l’id8e que la musique n’exprime rien et encore moins l’id8e selon laquelle la musique ne serait rien d’autre que le vecteur pr8f8rentiel pour l’expression de sentiments d8termin8s. Les formes sonores en mouvement sont un excellent “cheval de Troie” en mesure de contenir quelque chose, mais de nature purement dynamique et musicale, pas n8cessairement attenantes / la sphHre du sentiment. L’approche que Hanslick manifeste envers la psychologie contribue, selon Croce, / rendre assimilables les recherches de Hanslick / celles des psychologistes, comme aussi la tentative – plus de nom que de fait – de lib8rer le terrain de tout r8sidu de type m8taphysique et id8aliste. Le dernier 8l8ment commun est le concept de Stimmung. Ce concept aurait 8t8 d8fendu efficacement dans Du Beau musical, et successivement gr.ce / sa grande diffusion aurait conflu8 dans le concept strictement psychologique de Einfühlung. N’oublions pas l’estime de Croce envers Hanslick, mÞme s’il ne manque pas de souligner les apories Du Beau musical. Le penseur bohÞme, pourtant reconnu comme l’un des plus g8niaux de son 8poque, nous est pr8sent8 comme 8tant incapable de construire une esth8tique complHte. Les penseurs les plus remarquables dans le domaine esth8tique furent ceux qui essayHrent de construire des th8ories particuliHres sur l’art. Et puisque, comme nous le savons, les lois et les th8ories philosophiques particuliHres sur l’art ne sont pas con216 Ivi, p. 522. 217 Ivi, p. 525.

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cevables, les id8es pr8sent8es par ces penseurs ne devaient Þtre (et ne sont rien d’autre) que des conclusions g8n8rales d’Esth8tique. Parmi eux il faut mentionner le fin critique bohÞme Edouard Hanslick qui publia en 1854 Du Beau musical, plusieurs fois r88dit8 et traduit dans plusieurs langues. Hanslick lutte contre Richard Wagner et en g8n8ral contre la pr8tention de retrouver dans la musique des concepts, des sentiments, et d’autres contenus.218

Cette carence – ne pas avoir 8t8 en mesure de fonder une esth8tique syst8matique, g8n8rale et organique – est due, d’aprHs Croce, / l’incapacit8 hanslickienne de concevoir l’unit8 cat8gorielle des arts. Hanslick formule: des observations t8moignant toutes d’une profonde p8n8tration de la nature de l’art, mÞme si elles ne sont pas toujours formul8es avec rigueur ni enchain8es en systHme. La conviction que celles-ci se rapportaient / des caractHres sp8cifiques de la musique et non / ce qui est universellement commun et constitutif de toute forme d’art, a empÞch8 Hanslick d’aller plus loin.219

Croce d8montre avoir bien compris Du Beau musical mÞme quand il en exprime le contenu en le r8sumant / l’extrÞme. Les principales th8matiques attribu8es / cette œuvre sont la n8gation de la capacit8 de la musique / exprimer des sentiments bien d8termin8s, et l’id8e que “le beau musical” r8side dans la “belle forme musicale”. Ces th8matiques 8tant fondamentalement li8es / une vision anti-m8taphysique, Croce ne peut que les appr8cier avec sympathie. Mais il met en garde ses lecteurs contre la tentation de consid8rer Hanslick comme un penseur incapable de concevoir tous les niveaux “invisibles” et “spirituels” pr8sents dans la cr8ation artistique. Il ne faut pas non plus 8tiqueter de faÅon trop rapide Hanslick comme un penseur purement formaliste, car : l’unique finalit8 de la musique (c’est le principe soutenu par Hanslick) est la forme, le beau musical. Affirmation que soutenaient 8galement les fidHles de Herbart. Mais ils interprHtent “beau” et “forme” trHs diff8remment. Hanslick soutient que la sym8trie, les rapports purement acoustiques, les plaisirs de l’oreille ne sont pas, selon lui, le beau musical. La math8matique n’apporte rien / l’Esth8tique de la musique. Le beau musical est spirituel et porteur de sens; il a des pens8es certes, mais des pens8es musicales.220

Croce r8ussit alors – en se r8f8rant au cit8 spirituel par ailleurs minoritaire dans Du Beau musical – / trouver des id8es acceptables de la pens8e hanslickienne qui en soutenant l’importance de l’union spirituelle et formelle dans la cr8ation artistique, aboutit / la “n8gation de s8parer, dans la musique, la forme et le contenu”.221 218 219 220 221

Ivi, p. 528–529. Ivi, p. 531. Ivi, p. 530. Ivi, p. 531.

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Liuzzi aussi s8lectionne les th8ories qui lui correspondent le mieux de l’essai Hanslickien et elles deviennent le thHme central de Visibilit/ e udibilit/. La premiHre des th8ories est celle qui attribue / toute discipline artistique une esth8tique correspondante. Hanslick est cit8 comme l’opposant le plus acharn8 / l’id8e de Schumann (mais aussi de Croce), selon laquelle la diversit8 entre les diff8rentes disciplines artistiques serait uniquement bas8e sur le choix de travailler sur une matiHre diff8rente, le compositeur allemand affirmait en effet que “l’esth8tique d’un art est semblable / celle d’un autre, seul le mat8riau est diff8rent.”222 Hanslick conteste r8solument, par exemple, que si on remplaÅait les sons par des mots, une symphonie pourrait se transformer en poHme, et c’est justement pour cette conviction que Hanslick est consid8r8 comme l’un des fondateurs de la science esth8tique musicale moderne. Une autre id8e cl8 du systHme hanslickien, qui en repr8sente le cœur, est celle que la musique n’exprime aucun sentiment. L’art musical, selon le penseur bohÞme, ne repr8sente ni n’exhibe rien et encore moins un contenu sentimental. L’unique “objectif” d’un morceau musical est celui de nous pr8senter une forme bien d8finie que l’auditeur qui la perÅoit / travers l’imagination, considHre plus ou moins “belle”. S’agissant d’une pol8mique anti-psychologiste et anti-contenu, Liuzzi pourrait Þtre d’accord mais les premiHres divergences se manifestent quand la r8flexion se d8place sur le rile de l’imagination. Pour Hanslick l’imagination est “l’8tat actif de la pure contemplation”, oF par “contemplation” on entend l’8coute attentive et lucide qui est / la base du systHme hanslickien. L’imagination est une capacit8 importante pour l’interpr8tation musicale parce qu’elle est la seule capable de mettre en contact les sensations de l’auditeur avec son versant rationnel. Toutefois selon Liuzzi la d8finition de l’imagination propos8e par Hanslick est en substance erron8e. Dans Du Beau musical en effet, on entend attribuer la mÞme importance, dans le processus cognitif de la musique, / la raison et au sentiment, des capacit8s qui trouveraient leur point de rencontre dans l’imagination. Il est clair que […] ce genre d’8quilibre parfait oF la pens8e et le sentiment se retrouveraient face l’un / l’autre, / leurs places lat8rales tandis que l’imagination court et vole librement, n’est pas tel / priver Hanslick de l’accusation d’amenuisement du sentiment lui-mÞme.223 D’aprHs Liuzzi, Hanslick porte ainsi atteinte / la supr8matie du sentiment et 222 Citation de G. Guanti, Estetica musicale. La storia e le fonti, Milan, La Nuova Italia, 1999, p. 186. 223 F. Liuzzi, Estetica della musica, cit., p. 33.

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n8glige le rile de l’imagination qui n’est pas une facult8 autonome, mais une d8termination du sentiment lui-mÞme. Le cœur du problHme […] est rest8 inconnu: et c’est justement pour avoir voulu distinguer l’imagination du sentiment. De l’imagination, il en a fait un laboratoire en soi, isol8 et froid, oF les 8l8ments imaginatifs devraient se produire et se connecter sans que rien n’intervienne dans leurs veines pour inspirer un 8l8ment chaud d8clencheur de vie.224 L’imagination et la fantaisie dans la pens8e hanslickienne sont d8natur8es car elles sont perÅues comme des facult8s agissant en dehors du sentiment, ce qui, par contre, est pour Liuzzi le “ciment” du processus artistique. Mais Hanslick a r8duit ainsi de faÅon drastique le rile du sentiment parce que, selon Liuzzi, il n’a su en saisir ni le v8ritable sens ni l’importance. Cela serait d0 / la circonstance que, quant au sentiment il n’en a pas distingu8 l’8tat brut, pratique, imm8diat – la simple 8motionalit8 en somme que l’art veut justement 8loign8 de lui – de cette forme sup8rieure, transmise, qui fait appel au d8sint8rÞt et / l’universalit8, qui devient et donne des connaissances, qui – qu’on appelle contemplation avec Ruskin ou lyricit8 avec Croce – constitue le souffle, la sHve, la spiritualit8 intime et n8cessaire de l’œuvre d’art.225

C’est la critique fondamentale que Liuzzi formulera envers Hanslick, les autres critiques 8tant de simples cons8quences logiques comme le fait d’avoir n8glig8 la dimension sentimentale de l’exp8rience esth8tique. Liuzzi affirme que le systHme hanslickien est incapable d’interpr8ter l’art comme un produit spirituel, ainsi ne pouvant “parvenir / identifier la qualit8 du sentiment qui s’est r8v8l8e Þtre de l’art”, il appara%t clairement “combien l’esth8tique th8orique atteste de ne pas pouvoir l’accepter complHtement”.226 Du Beau musical devient ainsi une œuvre para-esth8tique parce qu’elle s’adresse exclusivement aux valeurs formelles de pura udibilit/, et Liuzzi, / ce propos, cite Croce quand il affirme que Hanslick, tout comme Fiedler, fait partie des savants qui: pour r8agir (et c’8tait la bonne r8action) contre la doctrine de l’art comme affaire de sentiment, ils finirent par trancher les liens de l’art avec le sentiment poursuivant leur m8thode fallacieuse qui 8tait d’isoler l’art de toutes les autres formes de l’esprit, la menaÅant ainsi de la faire mourir, par d8sir mÞme de la faire vivre une vie abstraitement pure.227

224 225 226 227

Ibidem. Ivi, p. 34. Ivi, p. 35. B. Croce, Nuovi saggi di estetica, a cura di Mario Scotti, Naples, Bibliopolis, 1991, pp. 250– 251.

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Il existe une autre raison pour laquelle la construction hanslickienne ne peut Þtre admise parmi les th8ories esth8tiques et il s’agit de son caractHre incomplet. En effet “la pens8e de Hanslick dans ses possibilit8s est encore / d8velopper. LuimÞme l’a plus ou moins laiss8e / l’8tat d’8bauche et dans une forme pour ainsi dire virtuelle”.228 Hanslick aurait donc renonc8 / “construire la th8orie philosophique de la musique que lui-mÞme d8sirait”229, mais pour quelles raisons? Selon Liuzzi, ce renoncement est d0 / une r8flexion approfondie sur l’impossibilit8 de s8parer le contenu de la forme, / savoir le fondement de sa pens8e musicale. On pourra en effet penser, supposons-le, comme des abstractions ou des “genres” stylistiques / travers lesquels le langage musical r8vHle ses propres phases cognitives: m8lodie […] simultan8it8 de m8lodies […] d8veloppement th8matique (sonate, symphonie, etc.); mais comment en sch8matiser le contenu? Face / l’obstacle difficilement surmontable, Hanslick, sans l’avoir confess8, a d0 l.ch8 prise.230

En niant tout contenu dans la musique, le systHme hanslickien ne se concentre que sur les purs aspects formels n8gligeant tout ce qui ne relHve pas de la dimension “pratique” de la communication musicale. Liuzzi, convaincu que le sentiment est la v8ritable racine de l’art231, voit 8videmment une restriction dans cette faÅon d’entendre l’art, d’autant plus que Hanslick, aprHs avoir banni le sentiment du monde artistique, est incapable de le substituer avec d’autres valeurs fondamentales: Du Beau musical n’a aucun 8nonc8 positif; il n’y a, pour Þtre pr8cis, que le pr8sentiment.232 Ce pr8sentiment est la notion de “thHme musical”, qu’indique Hanslick comme unique contenu de la musique. Les thHmes musicaux sont les 8l8ments m8lodiques qui constituent le cœur d’un air musical lui permettant de se diff8rencier de tout autre. Liuzzi est perplexe envers cette th8orie que Hanslick n’a pas su complHtement d8velopper parce qu’il aurait d0 admettre que la diff8rence, entre les thHmes et donc entre les morceaux de musique, est spirituelle et non pas formelle. Mais si l’auteur de l’Estetica della musica juge le systHme hanslickien substantiellement imparfait, il ne manque pas de mettre en valeur certains aspects positifs qui ont contribu8 / la naissance de la musicologie moderne. D’aprHs Liuzzi, Hanslick aurait 8t8 le promoteur de l’id8e d’une musique autonome, munie d’une propre esth8tique et capable de s’exprimer avec un propre langage intelligible. L’art musical est un moyen d’expression universel et, / 228 229 230 231 232

F. Liuzzi, Estetica della musica, cit., p. 36. Ivi, p. 41. Ivi, p. 42. Ivi, p. 28 Ivi, p. 38.

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condition d’en poss8der les cl8s d’interpr8tations, accessibles / tous les Þtres humains puisque dot8s d’esprit. Il convient cependant de rappeler que lorsque Hanslick parle de “langage” il n’entend pas celui de de la communication verbale qui se base sur des dynamiques complHtement diff8rentes: La diff8rence essentielle et capitale est la suivante: dans le langage, le son n’est qu’un signe, / savoir un moyen en vue d’exprimer quelque chose de parfaitement 8tranger / ce moyen, tandis que dans la musique, le son est la chose mÞme, il est / lui-mÞme son propre but.233

Le gouffre entre langage et musique est ainsi 8tabli et ce gouffre est profond: la musique non seulement est lib8r8e de toute expression verbale et de ses significations mais elle est intraduisible, du fait de “l’impossibilit8 de d8crire la musique avec des mots”.234 De la pens8e hanslickienne, Liuzzi appr8cie 8galement l’id8e de l’ins8parabilit8 entre “ce qu’” exprime la musique et “comment” elle l’exprime; d’aprHs Liuzzi, Hanslick “a devin8 l’unicit8 et l’ins8parabilit8 de forme et de contenu”.235 Les id8es musicales repr8sentent l’aspect formel d’un morceau mais, puisque la musique n’exprime rien d’autre qu’elle-mÞme, le contenu aussi en vertu du principe que “les lois de la beaut8 pour chaque art sont indissociables des sp8cificit8s de son mat8riel et de sa technique”.236 Tout en admettant chez Hanslick certaines inspirations proches de Herbart, Liuzzi entend ici prendre position contre les chercheurs qui d8finirent trop rapidement Hanslick comme un formaliste et ce faisant il imite de nouveau nouveau le modHle croc8en. Cette interpr8tation de Liuzzi des id8es hanslickienne a 8t8 partag8e environ dix plus tard par Massimo Mila, un chercheur qui adopte un comportement semblable envers Du Beau musical. MÞme si Mila est habituellement cit8 parmi les chercheurs d’extraction croc8enne, ses 8crits d8notent quelques points de d8saccords avec les positions n8o id8alistes les plus orthodoxes. En t8moigne l’importance que Mila accorde aux th8ories de Hanslick qui ont exerc8 une influence consid8rable au premier chapitre de son important recueil sur l’esth8tique: L’Esperienza musicale e l’Estetica. Ce chapitre s’intitule Hanslick pour et contre et Mila s’exprime de maniHre explicite, et somme toute positive, / l’8gard du penseur bohÞme. En r8alit8 il ne faut pas penser / une simple adh8sion de Mila aux id8es de Hanslick. Son essai en effet reflHte exactement le titre qu’il porte illustrant objectivement la pens8e de Hanslick avec ses qualit8s et ses d8fauts. Mila pr8sente 233 234 235 236

E. Hanslick, op.cit., p. 136. Ivi, p. 199. F. Liuzzi, Estetica della musica, cit., p. 38. E. Hanslick, op. cit., p. 64.

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Du Beau musical comme une œuvre incontournable, comme “la contribution la plus importante aux doctrines esth8tiques”, et Mila admet vouloir s’en occuper afin d’8claircir certains malentendus. Il y aurait dans la compr8hension de la pens8e hanslickienne trop d’incompr8hensions et de d8formations. Il faudrait au contraire adopter une perspective plus historique, en mesure de situer correctement l’œuvredans son contexte. En effet, “traditionnellement il est situ8 dans le contexte de son temps et il est compris comme une r8action pol8mique / des exag8rations romantiques et id8alistes”.237 Il est int8ressant de voir que Liuzzi et Mila, deux “indisciplin8s” pour ainsi dire de l’esth8tique alors h8g8monique, 8voquent la pens8e de Hanslick de la mÞme maniHre. Tous deux ont comme objectif de r8tablir une interpr8tation correcte, sans 8quivoques ni instrumentalisations, et accordent / Hanslick et / la “pure audibilit8” une grande valeur sur le plan analytique. Le lien le plus fort entre la position de Mila et celle de Liuzzi est et restera (sauf l’int8rÞt envers la musique d’avant-garde qui, chez Mila, deviendra de l’enthousiasme) d’avoir trouv8 dans Du Beau musical les mÞmes qualit8s et les mÞmes d8fauts. Le premier des aspects positifs que Mila entend illustrer concerne le fait que Hanslick peut Þtre consid8r8 comme celui qui a pos8 les fondements d’une esth8tique purement musicale, bas8s sur des 8l8ments li8s / des valeurs exclusivement musicales et non pas emprunt8es / d’autres arts ou / la sphHre sentimentale: d’aprHs Hanslick l’unit8 de l’art est un mythe dangereux. Chaque art s’explique par sa technique. La musique n’est pas en mesure d’exprimer des sentiments, mis / part, leur intensit8 dynamique variable. […] Du Beau musical ne consiste donc pas dans l’expression de sentiments, ni, encore moins dans les sentiments et les rÞveries que la musique peut susciter chez les auditeurs, il consiste plutit en un systHme harmonieux de rappels, de sym8tries, de contrastes 8quilibr8s qui donnent une norme et une proportion / l’“arabesque” musicale.238

Mila partage clairement les observations de Hanslick, en net contraste avec les esth8tiques romantiques visant / d8montrer “l’indiff8rence” des arts. Hanslick d8saprouve la notion selon laquelle la division des diff8rentes activit8s artistiques n’aurait pas lieu d’Þtre puisque chaque œuvre d’art est “faite” de sentiments et s’adresse au sentiment. La doctrine de Hanslick, r8sum8e ainsi, se pr8sente donc comme un moment typique de r8action antiromantique avant l’heure, Hanslick a anticip8 au beau milieu du XIXe siHcle (partageant les excHs th8oriques) la r8action aux exag8rations sentimentales de l’esth8tique romantique en revendiquant, comme le feront les musiciens du XXe siHcle, le droit de la musique / n’Þtre rien d’autre qu’elle-mÞme, libre de toutes les 237 M. Mila, L’esperienza musicale e l’estetica, Turin, Giulio Einaudi editore, 2001, p. 13. 238 Ivi, p. 14–15.

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intrusions historiques, psychologiques et morales et litt8raires. […] Revoir les positions de Hanslick avec ses erreurs de r8actionnaire, ses v8rit8s de philosophe vif et p8n8trant, signifie ainsi r8tablir un point final contre l’expansion d’une grave erreur telle que la notion de l’art unique, total et indiff8renci8.239

Hanslick aurait ainsi soulev8 une question, celle de l’autonomie de la musique qui se serait r8v8l8e centrale dans la sp8culation esth8tique du siHcle suivant. Toutefois dans ses argumentations, selon Mila, il aurait 8t8 trop s8vHrement “r8actionnaire”. Cette intransigeance, / laquelle Hanslick aboutit dans sa pol8mique antiromantique, l’aurait pouss8 / identifier la musique et l’art en g8n8ral avec la technique. Dans cette perspective, la caract8ristique esth8tique du fait artistique – et le rapport d’empathie qu’il instaure avec le b8n8ficiaire – finissent par Þtre complHtement 8cart8s, en effet: Hanslick comble la mesure quand il intitule sHchement le second chapitre de son essai: L’“expression des sentiments” n’est pas le contenu de la musique; et il se trompe quand le d8sir d’affirmer l’existence d’un beau exclusivement musical le pousse / nier ce qui 8tait d8j/ 8vident / nombre de ses contemporains: l’unicit8 fondamentale de l’essence artistique, et donc de toute science esth8tique.240

Mais Mila veut nous mettre en garde contre des interpr8tations trop exp8ditives de la pens8e de Hanslick, car en analysant complHtement Du Beau musical il est possible de trouver de nombreuses sources d’inspiration que l’auteur a utilis8 pour son œuvre y compris celles qu’il entend critiquer : Toutefois l’identification paradoxale de toute art avec sa technique n’est pas d8pourvue, chez Hanslick, de saines contradictions et de regrets. Il faut comprendre son naturalisme scientifique anti-h8g8lien, non pas comme un principe oppos8 et 8tranger / la philosophie de l’id8alisme, mais plutit comme une de ses filiations: la r8action anti-h8g8lienne est pour Hanslick le signe mÞme de la trace puissante laiss8e par Hegel dans la pens8e de son 8poque; une autorit8 / laquelle les meilleurs parmi les h8g8liens mÞmes essaient de r8agir pour affirmer leur propre originalit8. H8g8lien et id8aliste / son d8pit, telle est la position qu’il convient de r8server / Hanslick, anti-h8g8lien et naturaliste par parti pris, pour le besoin d’affirmer librement sa propre personnalit8.241

L’analyse des rapports de Hanslick avec l’id8alisme que propose Mila est personnelle et originale (nous sommes en 1934). Hanslick n’aurait pas pris position, contrairement / ce qu’il formulait, en contradiction avec Hegel et ses fidHles, mais dans une optique de continuit8. Du Beau musical ne se serait pas soustrait / l’influence id8aliste puissante, au contraire il en repr8senterait une r8affirmation. De cette volont8 anti-romantique de r8bellion / la “domination” du sentiment 239 Ibidem. 240 Ibidem. 241 Ibidem.

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d8coulerait un autre passage de l’esth8tique hanslickienne que Mila d8clare inacceptable: l’absence du facteur humain dans le processus artistique. Ce concept – l’art comme produit d’un homme, d’un artiste – est d8terminant chez Mila. Selon lui, en effet, l’art est une expression de sentiments, mais Par “sentiments”, / exprimer dans l’art, les Romantiques entendirent, et beaucoup continuent encore / entendre certaines abstractions conventionnelles, fix8es dans une rigidit8 immuable comme: l’amour, la haine, l’espoir, la terreur, la piti8, le regret, la tendresse, la douceur et ainsi de suite. Pr8tendre que l’art doive exprimer de tels concepts abstraits, d8termin8s et pr8existants est aussi absurde que pr8tendre qu’il exprime une bataille, une 8poque historique, une atmosphHre champÞtre, le chant du rossignol et le murmure du ruisseau. Dans ce cas il serait impossible d’expliquer la diversit8 infinie, in8puisable des œuvres d’art.242

Le sentiment ne laisserait donc aucune place / des stylisations de type sch8matique puisque l’expression suit uniquement les impulsions de la personnalit8 cr8atrice de l’artiste. Le processus sentimental ne doit pas Þtre compris selon le sens commun. Le mÞme mot “sentiments” en effet: est peut-Þtre un terme suscitant trop de malentendus, il induit justement / une telle restriction de sens qui, en 8loignant l’attention du critique de la r8alit8 universelle unique de l’œuvre d’art, / savoir la qualit8 humaine du cr8ateur, favorise la cristallisation de concepts abstraits et ind8termin8s – amour, haine, tristesse, peur, etc. – qui pHsent sur le fait artistique comme des r8sidus mat8riels incapables de transfigurations.243

Mila n’entend pas ici nier que la musique ait des r8percussions sur le plan sentimental et qu’elle soit en mesure de susciter des r8actions 8motives chez l’auditeur et il ne fait pas non plus une “apologie rationaliste” en soutenant que, dans la naissance d’une composition, les modifications de l’8tat d’.me ne jouent aucun rile. Seuls les sentiments sont priv8s de rile direct dans la cr8ation musicale: c’est en effet l’artiste, par son travail, qui ajoute ce “je ne sais quoi” qui rend l’œuvre humaine et donc artistique. Certes, 8galement l’amour, la haine, la peur, etc., peuvent constituer le noyau vital cr8ateur de l’œuvre d’art, mais toujours en relation avec la personnalit8 humaine de l’artiste qui les accueille, les modifie, les intensifie et les caract8rise dans un accomplissement unique et inimitable; l’amour, la haine et la peur ne peuvent jamais Þtre entendus dans une abstraction vide, suspendus en l’air comme des planHtes abandonn8es […] Rien qui ne soit humain peut Þtre 8tranger / l’œuvre d’art; toute situation, de la plus th8.trale / la plus recherch8e, de la plus banale / la plus folle et / la plus 8trange, peut devenir objet d’art, ou mÞme encore peut devenir de l’art [..] / condition 242 Ivi, p. 16. 243 Ibidem.

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que, en pr8misse, il y ait une participation humaine, qu’elle ait 8t8 dans l’homme, qu’elle ait 8t8 v8cue, ressentie, subite par un homme.244

C’est / la lumiHre de cette r8flexion que Mila exprime la premiHre de ses critiques sur la pens8e hanslickienne. En effet, la centralit8 de l’activit8 humaine dans le processus de cr8ation-r8ception d’objets artistiques s’arrÞte chez Hanslick / un stade embryonnaire: ce point crucial de la question, Hanslick l’effleure, mais ne le d8veloppe pas complHtement, quand il 8voque que “les sentiments ne se trouvent pas dans l’.me / l’8tat isol8 d’une maniHre telle qu’un art, / qui la repr8sentation des autres activit8s de l’esprit serait interdite, pourrait les faire surgir”, et il ne voit pas la cons8quence que ce ne sont pas les diff8rents sentiments abstraits qui sont l’objet de l’œuvre d’art, mais plutit, dans une gamme infinie et sans cesse renouvel8e d’8tats d’.mes, l’humanit8 du monde spirituel de l’artiste; ce dernier est le personnage que Hanslick oublie totalement dans son essai au dessus d’une “œuvre d’art” illusoire et anonyme.245

Selon Mila, ayant mal compris le sens du terme “sentiment” l’interpr8tant, dans une optique excessivement formaliste, comme une abstraction trop stricte et conventionnelle246, Hanslick, dans ses consid8rations, est rest8 en-deÅ/ de l’interpr8tation du sentiment comme qualit8 humaine de l’œuvre d’art, ind8pendamment de son sujet, c’est ce qui a empÞch8 Hanslick de parvenir / une vision moderne de l’art. La mÞme n8cessit8 de combattre l’erreur de th8oriciens romantiques l’a assujetti dans leur mÞme ordre d’id8es.247

Cette interpr8tation inexacte du sentiment est l’entrave la plus grande de la pens8e hanslickienne qui, sinon, l’aurait conduit selon Mila, / Þtre le pr8curseur de ce qui deviendra, par la suite, l’esth8tique de l’expression: on n’affranchit probablement pas la pens8e de Hanslick supposant que, l/ oF il aurait pu combl8 le malentendu romantique entre “sentiment” et “sujet” de l’œuvre musicale, il aurait adh8r8 / une esth8tique de l’expression.248

Le processus de “crocianisation”, que nous avons d8j/ eu l’occasion d’illustrer, est appliqu8 au plus haut degr8. Hanslick serait arriv8 en substance / pr8coniser ce que Benedetto Croce aurait th8oris8, un demi-siHcle plus tard, dans ses Essais d’esth8tique. Ce qui induit Mila / parler de cette “parent8”, mÞme 8loign8e, est le contenu des pages que Hanslick ajoute au fil des r88ditions Du Beau musical. Ces “ajouts” revÞtent tous le caractHre d’ouvertures / un processus spirituel – non senti244 245 246 247 248

Ivi, p. 17. Ibidem. Ivi, p. 19. Ivi, p. 18. Ibidem.

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mental – que Hanslick introduit pour att8nuer le ton formaliste des premiHres 8ditions. f la fin de son essai, Mila cite ces passages visant / amoindrir l’approche formaliste et en fait le fondement – surtout concernant la fonction du sentiment – d’une sorte d’“enrilement” de Hanslick dans la lign8e des savants ayant contribu8 / une esth8tique de l’expression. C’est le cas du “beau” en musique quand Mila nous informe que Hanslick affirmait solennellement “En tant que cr8ation d’un esprit qui pense et qui ressent, une composition musicale int8resse donc la pens8e et le sentiment. Cette valeur spirituelle intrinsHque nous l’exigerons de toute œuvre d’art musicale; cependant elle ne doit se situer que dans la constitution mÞme des sons”. Et peu avant il avait dit: “Sans activit8 de l’esprit, il n’y a pas de plaisir esth8tique”. Devant de telles affirmations il convient d’Þtre prudent et de ne pas sur8valuer les exag8rations anti sentimentales auxquelles Hanslick s’abandonne ailleurs par n8cessit8 de r8action et enfin, il faut accueillir avec r8serve la qualification de “pure audibilit8” que l’on veut donner / sa th8orie.249

Mila, s’associant / la position prise par Liuzzi quelques ann8es auparavant, reconna%t d’autres m8rites / Hanslick. Il le d8crit comme celui qui a eu la capacit8 de “d8truire sans piti8 l’esth8tique musicale fond8e sur les sentiments que la musique suscite chez les auditeurs, d8montrant l’in8vitable pluralit8 antiscientifique de telles impressions subjectives […] et c’est aujourd’hui, la v8rit8 actuelle”.250 Par ailleurs, Hanslick aurait eu la vertu d’avoir fond8 une esth8tique musicale scientifique et sp8cialis8e, interdite aux “profanes”, car : Hanslick apprend / aborder la musique suivant un domaine scientifique s8vHre et orgueilleux, aux musiciens et non pas aux amateurs; avec un sarcasme / la maniHre de Heine, il bafoue ces derniers et raille leurs miHvreries, leur incertitude et leur plilistinisme bienveillant et bourgeois. Il manifeste dans ses recherches et ses nombreuses analyses, une capacit8 peu commune d’adh8rer / l’œuvre musicale avec une sensibilit8 profonde et attentive.251

En d8finitive la lecture de Mila Du Beau musical considHre tous les aspects positifs et n8gatifs que nous avons examin8s. L’œuvre de Hanslick confirme Þtre limit8e d’un point de vue philosophico-sp8culatif mais extrÞmement importante comme instrument pratique pour analyser la nature du ph8nomHne musical, ainsi mÞme si, “inacceptable dans l’ensemble, Du Beau musical reste une 8tape de la pens8e esth8tique dont il faut tenir compte encore aujourd’hui: la pertinence de son approche n’a pas disparu”.252 249 250 251 252

Ibidem. Ibidem. Ibidem. Ivi, p. 19.

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Le point de vue de Mila reprend exactement la d8marche de Liuzzi sur la “question” hanslickienne. Exactement dix ans avant Mila, Liuzzi nous pr8sentait la pens8e de Hanslick comme un moyen influent pour analyser l’œuvre musicale et Liuzzi d8clarait vouloir reprendre les th8ories du penseur bohÞme, en les corrigeant l/ oF il s’av8rait n8cessaire, pour des raisons bien pr8cises Notre ambition n’est pas de reconstruire une th8orie achev8e mais de proposer une approche modeste pour attirer l’attention et, en mÞme temps, soumettre quelques id8es fondamentales de Hanslick / une r8vision critique. Quelques comparaisons et quelques points de vue de caractHre g8n8ral / partir desquels pouvoir s’orienter de faÅon pratique et choisir avec conscience la voie / suivre. Le jugement critique des œuvres d’art 8mergera ainsi spontan8ment au cours de cette 8tude et pourra presque constituer une pierre de touche avec laquelle tester, sur le terrain solide de l’exp8rience, le bien-fond8 des choses dites.253

Aucun doute donc sur le rile que Liuzzi attribue au systHme hanslickien qui doit uniquement Þtre entendu comme une orientation pratique dont la fonction est de guider le jugement critique / la compr8hension de l’œuvre d’art. Liuzzi considHre avec int8rÞt les id8es de Hanslick non pas tant d’un point de vue esth8tique mais plutit d’un point de vue analytique: Car le fait que la musique soit un langage esth8tique ne peut aboutir / la pr8tention absurde que chacune de ses manifestations soit digne du nom d’art, il reste donc / d8terminer comment s’orienter dans l’8valuation relative du beau. Deux voies se pr8sentent: ou celle des cat8gories, qui aboutirait / des modHles formels et stylistiques des “valeurs auditives”; ou celle des qualifications, qui aboutirait / une int8riorisation ou / une spiritualisation du ph8nomHne artistique.254

Ces deux voies ne sont rien de plus que la voie “objective” de Hanslick bas8e sur l’8tude de l’objet musical et la voie “spirituelle” de Croce, centr8e sur la r8action suscit8e par l’œuvre d’art dans l’esprit du b8n8ficiaire de celle-ci. Liuzzi cette fois ne prend pas partie, se soustrayant ainsi / l’orthodoxie croc8enne, il affirme mÞme que: Choisir l’une ou l’autre voie reste une ardente discussion: quoi qu’il en soit, en ce qui concerne la musique, non seulement il faut parcourir ces deux voies mais mÞme les construire.255

Ce que Liuzzi souhaite n’est rien d’autre qu’une science musicologique moderne, susceptible d’analyser l’activit8 artistique dans sa manifestation technico-pratique sans en nier cependant les racines, la nature spirituelle. Toutefois, ce processus n’aura pas lieu si l’on ne d8barrasse pas le terrain de ces th8ories qui, 253 F. Liuzzi, Estetica della musica, cit., pp. 6–7. 254 Ivi, p. 45. 255 Ibidem.

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Fernando Liuzzi entre hérédité formaliste et influence de Croce

selon Liuzzi, entravent le d8veloppement de la discipline esth8tique. Combattre ces convictions: Pourra Þtre, / l’avenir, une trHs belle aventure; la seule peut-Þtre pouvant lib8rer l’histoire de la musique des mille r8sidus “affectifs”, des nombreux pr8jug8s arbitraires et des empirismes acad8miques qui l’encombrent aujourd’hui: la seule qui illumine d’une lumiHre pure et directe les v8ritables faits artistiques et parvienne / exprimer une bonne fois pour toutes des concepts fiables sur les valeurs fondamentales de la forme (et non pas “des formes”) et du style.256

Cette op8ration d’8claircissement sur la nature de l’activit8 artistique est rendue d’autant plus n8cessaire que: Aujourd’hui aprHs que la plus grande des exp8riences artistiques du pass8 – l’exp8rience romantique – a sillonn8 son cycle; […] aprHs la rare joie de quelques chefsd’œuvre, nous avons 8t8 afflig8s d’une ph8nom8nologie de la musique aride et entach8e, alourdie d’“intentions”, incrust8e de virtuosit8s, abondant de tout, sauf de chant.257

Liuzzi ajoute que la source / laquelle l’artiste doit recourir pour trouver ce chant est la vie / percevoir Non pas dans l’incidence tumultueuse, in8gales et, en tout cas, caduques des exp8riences mat8rielles, mais dans la lib8ration et la d8livrance de celles-ci dans l’esprit de l’artiste pour rena%tre en essentialit8 et en universalit8.258

Mais si les exp8riences filtr8es par l’esprit, constituent la base de l’expression de l’artiste, ce qui permet / l’œuvre d’art d’exister est, selon Liuzzi, la forme. La vie autonme en art ne peut Þtre que la forme: la forme qui s’identifie / l’id8e, qui en est la substance mÞme, qui na%t donc de l’.me de l’artiste avec sa concr8tisation personnelle, avec sa typicit8 sp8cifique, portant en elle tout le secret des ses possibilit8s expressives. Dans ce sens, la forme est la respiration et le pouls, c’est l’.me et la force de l’art; celui qui nous offre la pleine jouissance de lui-mÞme, la mesure unique et indispensable de la valeur esth8tique, le contact 8lev8 et f8cond avec l’esprit cr8ateur.259

La forme assume ainsi le rile de “r8cipient” de toutes les valeurs musicales, garantissant le lien entre l’id8e et l’objet dans lequel celle-ci s’est imprim8e. Liuzzi, tout en continuant / adh8rer aux concepts croc8ens de l’id8e de forme comme signification spirituelle260 de la musique, se rapproche de faÅon cons8quente de Hanslick, qui conclut ainsi son Du Beau musical: 256 257 258 259 260

Ivi, p. 46. Ivi, p. 47. Ibidem. Ivi, p. 48. E. Hanslick, op. cit., p. 209.

Liuzzi, l’hérédité crocéenne et Vom Musikalisch-Schönen

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Car ce n’est pas du sentiment ind8termin8 (auquel on ramHne, au mieux, un tel contenu) que se d8duit sa signification spirituelle, mais bien de la belle configuration d8termin8e de sons, libre cr8ation de l’esprit / partir d’un mat8riau / potentialit8 spirituelle.261

261 Ibidem.

Appendice

Regia Accademia di Santa Cecilia Corso superiore di Estetica e stilistica musicale tenuto da Fernando Liuzzi

Prelezione e Sommario

Estratto dall’Annuario dal 18 Luglio 1927 al 30 Giugno 1928 (V–VI) (CCCXLIII–CCCXLIV)

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Alla met/ di aprile 1928 l’Accademia di Santa Cecilia diramava la seguente circolare: Quanti s’interessano alle sorti dell’arte musicale italiana debbono avere avvertito con compiacenza che un movimento diretto ad espandere e ad elevare la cultura artistica nazionale si H venuto pronunziando fra noi in questi ultimi tempi, tanto nel campo pratico relativo alle esecuzioni di musica da camera, sinfonica e drammatica, le cui manifestazioni, specialmente a Roma, si sono notevolmente intensificate, quanto nel campo degli studi estetici e storici, nel quale pure si hanno segni di un opportuno risveglio. A siffatto movimento, che riscuote il favore del Governo Nazionale e dei massimi esponenti della cultura, la Regia Accademia di S. Cecilia desidera portare un contributo fattivo e concreto, dando impulso ad alcune forme superiori di studio che possano utilmente armonizzarsi con le manifestazioni pratiche alle quali essa gi/ si trova associata. A tal fine sono intercorsi accordi tra il Presidente dell’Accademia, on. Senatore Conte Di San Martino, e le LL. EE. il Ministro e il Sottosegretario di Stato per la Pubblica Istruzione; e allo studio dei relativi problemi intende un’apposita commissione composta, oltre che dello stesso Conte Di San Martino, del Rettore della Regia Universit/, dei Direttori Generali dell’Istruzione Superiore, delle Belle Arti e delle Accademie, del Direttore delle Antichit/ e Belle Arti del Governatorato di Roma e di due Accademici. Come espressione di questa attivit/ accademica si istituiranno alcuni corsi specializzati, in campi e su argomenti che per la base di preparazione richiesta, e per lo scopo di superiore cultura musicale a cui mirano, trascendono la normale attivit/ didattica dei Conservatori. Sia che tali corsi si rivolgano a forme speciali o superiori di composizione, o di direzione d’orchestra, o di interpretazione dell’alta letteratura concertistica, o di esegesi storica e stilistica destinata ad illuminare criticamente i diversi aspetti della produzione musicale, essi non potranno a meno di costituire una seria e valida integrazione alla cultura di coloro la cui attenzione H richiamata dall’una o dall’altra di codeste discipline. Ad iniziare la traduzione in atto di questo proposito, la Regia Accademia affida fin da ora al Maestro Dott. Fernando Liuzzi, docente di Storia della Musica nella R. Universit/ di Roma, il corso di Estetica e stilistica musicale avente lo scopo di integrare, da un punto di vista tecnico, l’esposizione storica, o storico filologica che H parte principale del corso universitario. Le lezioni del Prof. Liuzzi, in considerazione del gi/ avanzato anno accademico, devono limitarsi fino al prossimo giugno al numero di sei, ma avranno negli anni seguenti svolgimento piF vasto, in concordanza al corso che allo stesso insegnante H affidato nell’Universit/ di Roma.

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Esse si svolgeranno nella sede dell’Istituto di Santa Cecilia nell’ordine seguente: 1) Luned' 30 aprile, ore 17 – Parole introduttive del Presidente dell’Accademia Senatore Conte Di San Martino, e prelezione: Estetica e stilistica musicale. 2) Luned' 7 maggio, ore 17 – Dramma liturgico: caratteri generali. 3) Luned' 14 maggio, ore 17 – Dramma liturgico: elementi musicali. 4) Luned' 21 maggio, ore 17 – Lirica musicale profana del Medio Evo: suoi elementi classici e sue relazioni con la vita contemporanea. 5) Luned' 28 maggio, ore 17 – Innodia sacra latina e Lauda. 6) Luned' 4 giugno, ore 17 – Dall’arte trovadorica all’ars nova fiorentina. Alcune delle lezioni saranno opportunamente corredate da audizioni musicali, alle quali H gi/ assicurato il concorso della Signora Rachele Maragliano Mori e della Societ/ Polifonica Romana diretta da Mons. Raffaele Casimiri. Possono iscriversi tutti coloro che si trovano in possesso di un diploma di magistero rilasciato da Regi Conservatori o Istituti pareggiati. A questi iscritti sar/ data facolt/ di sostenere un esame sulla materia svolta, in presenza di apposita commissione, per ottenere un certificato accademico del profitto dimostrato. La tassa di iscrizione e di esame H di Lire 30. Le iscrizioni si ricevono presso la Segreteria della R. Accademia di S. Cecilia, Via Vittoria, 6. Hanno diritto all’iscrizione gratuita gli studenti del corso tenuto dal Prof. Liuzzi nella Regia Universit/. La Regia Accademia invita ad assistere alle dette lezioni i propri Accademici, i Professori del Regio Conservatorio di S. Cecilia e i Patroni dei concerti, il cui abbonamento comprenda anche la Sala Accademica di S. Cecilia. ----------------

INAUGURAZIONE DEL CORSO L’inaugurazione del corso ebbe luogo il luned' 30 aprile, alle ore 17. Il Conte Di San Martino presentk con parole di alto elogio il Prof. Liuzzi all’eletto uditorio che gremiva la “Sala dei medaglioni” nella sede dell’Istituto. Egli rilevk poi come il corso stesso rappresentasse il coronamento di una tenace opera perseguita da lunghi anni dall’Accademia di Santa Cecilia per la superiore coltura degli artisti, quale base per la piF ampia esplicazione e il raffinamento delle doti artistiche individuali. Accennk inoltre al proposito dell’Accademia d’iniziare altri corsi superiori di specializzazione tecnica, secondo gli accordi gi/ presi col Ministero della Pubblica Istruzione.

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Il discorso fu accolto da vivissimi applausi. Dopo di che il Prof. Liuzzi lesse la seguente prelezione. PRELEZIONE Ringrazio il Senatore Conte Di San Martino e con lui il Consiglio dell’insigne Accademia di Santa Cecilia per l’onorevole incarico, che mi H stato affidato, di inaugurare i Corsi accademici di cultura musicale superiore. Del ckmpito che mi attende, e che l’on. Presidente con perfetta chiarezza ha tracciato nelle parole che si H compiaciuto premettere a questa prima lezione, io conosco le difficolt/. Ad affontarle mi persuade non tanto la fiducia nelle mie forze, quanto il desiderio di concorrere, come meglio io possa, ad un’opera di cultura e di educazione artistica in tutto degna del nostro tempo: destinata cioH a porger la mano ai giovani per innalzarli ad una visione e ad una nozione dell’arte, alla quale si dedicano, piF ampia di quella normalmente consentita dai programmi di scuola, e rispondente alle esigenze della coscienza moderna. ð infatti inclinazione ormai pronunziata nel nostro spirito quella di rendersi conto della natura e dell’ufficio dell’arte da un punto di vista dal quale si possa agevolmente spaziare al di sopra del semplice edonismo acustico, al di sopra delle esteriori applicazioni del virtuosismo tecnico, in cui gli elementi originati da una legittima ricerca di espressione rapidamente si materializzano e si cristallizzano, e di l/ anche dai limiti in cui praticamente si circoscrive, in massima, il gusto dei nostri giorni. Dico di l/ da questi limiti, perch8 l’arte, come ogni processo attivo dello spirito, tende s' a soggiogare il tempo, lanciandosi verso il domani, ma non puk validamente impegnarsi nella lotta con l’avvenire se non fondandosi sull’esperienza che solo puk fornirle il tempo medesimo, concretato nelle voci espresse via via per soddisfare alla sempre rinnovata sete di bellezza: se non cercando insomma di commisurare alle espressioni del passato, richiamate alla mente in sintesi chiara e feconda, i valori d’ogni nuova visione e d’ogni nuova espressione. Questa inclinazione dello spirito mira dunque a riconoscere nell’arte, per quanto lontanamente nelle epoche e nei luoghi possa essersi manifestata, una voce profonda, indistruttibile della conoscenza. E mira a fermare codesta voce, a definirla, a possederla come momento gi/ intensamente vissuto, che si riflette nella nostra vita attuale e delle proprie relazioni come ambiente storico in cui s’H formata. Cos' il contatto coll’arte si spoglia delle contingenze e dei vincoli che la scuola e il mestiere inevitabilmente impongono, per compiersi con migliore serenit/ in condizioni di spirito piF aperte e accoglienti: rivolte cioH soltanto ad accertare e accettare i valori semplici, autentici, effettivi, che l’anima umana ha plasmato nel suo sforzo millenario di definirsi entro l’arduo simbolo della forma, e a difendere codesti valori, come conquiste sacre, contro tutto cik che di

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equivoco, di torbido, di corrotto, le decadenze periodiche vi hanno sovrapposto. Arte, come H stato detto, H “fare”, H “creare”, H “esprimere” un atteggiamento della coscienza trasfigurato in fantasia. Ora questi concetti fondamentale, di “creazione” e di “fantasia”, implicano altri concetti che stanno, come scolte vigili, alle soglie dell’arte: il concetto di vititalit/ e quello di originalit/. Dove non H originalit/ non H fantasia; dove non sorge vita non c’H creazione. Una storia dell’arte non si costituisce dunque se non nel riconoscimento assiduo, integro, documentato, dei momenti nei quali, attraverso una determinata espressione – cioH la virtF d’una forma in cui la fantasia si concreta – originalit/ e vitalit/ dell’intuizione si manifestano. A questa stregua la storia dell’arte H, e dovr/ essere, soprattutto valutazione, cioH sintesi critica, e quindi contatto immediato con le opere, esplorazione diretta e intrinseca dello loro fibre essenziali. L’enumerazione delle opere e la biografia degli artisti, che di solito costituiscono tutta la ricchezza della letteratura storio-musicale finora diffusa in Italia, non sono in realt/ che un corredo piF o meno interessante, piF o meno erudito, a codesto sforzo fondamentale di comprensione dell’arte. *** Gi/ da due anni, come H noto, la storia della Musica, nel suo svolgimento precipuamente nazionale, H oggetto di insegnamento, per incarico istituito dal Ministero della Pubblica Istruzione, nella R. Universit/ di Roma. Chiamato a reggere questa cattedra, mi sono proposto di corrispondere alla fiducia, riposta in me adeguando il mio insegnamento alle esigenze scientifiche e didattiche di un corso universitario. Anzitutto ho affrontato risolutamente il problema, per cos' dire, patrimoniale della musica italiana, allargandone la cerchia assai di l/ dei limiti consueti, per comprendervi, come credo legittimo, molte delle manifestazioni altomedioevali stimate finora, con criterio che non puk soddisfarci, retaggio nazionalmente incontrollabile della cultura ecclesiastica. A tal fine ho ricercato i fondamenti dell’arte nostra da un lato nella tradizione classica latina – che ha certo contribuito con spunti, con ritmi, con predilette strutture liriche alla formazione musicale dell’alto medioevo – da altro lato in quegli afflussi melodici orientali ed ellenistici i quali, convergendo verso Roma in un molteplice apporto di espressioni profane e sacre, dalla citarodia all’orchestica, dal salmo all’inno, hanno costituito altre radici della gran pianta musicale latino-cristiana, che H fiorita rigogliosamente durante un millennio e dalla quale H sorta a sua volta, come ramo maestro, l’arte musicale italiana propriamente detta. Oltre a questo sguardo, animato pur nella sua necessaria rapidit/ da un desiderio di fondata chiarezza circa le origini della musica nostra, ho cercato di scoprire e lumeggiare i rapporti tra gli aspetti piF caratteristici dell’espressione

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musicale e gli altri aspetti dell’arte – poesia, arti figurative, architettura – e del pensiero e dei riti e del vivere civile, che storicamente vi s’accompagnano. E in relazione cos' al mio primo intento di proiettar qualche luce sulla remota vita musicale classica e cristiana d’Italia, come all’altro di coordinare ogni dato musicale specifico al quadro generale sincrono della vita e della cultura, ho profittato largamente dei sussidi che storia e filologia mi offrivano, sotto forma sia di testimonianze di scrittori antichi, sia di critica moderna, sia di ricerche e deduzioni linguistiche e metriche; tentando anche, con la scorta di autori competenti, i dominii gelosi della liturgia. Debbo dire che a svolgere il corso di storia della musica secondo i criteri qui esposti, mi H stata e mi H non solo di stimolo, ma di inestimabile presidio morale la sede stessa ove il corso ha luogo: l’Universit/, in cui la preparazione culturale degli ascoltatori H in massima tale da consentire uno spiegamento di mezzi critici, un’ampiezza di discussione, un’abbondanza e una variet/ di citazioni e di raffronti, di cui sarebbe vano, altrove, aggravare menti non preparate a riceverli. Tuttavia, anche se edificata con la scorta di un metodo che aspiri a definire le relazioni e la consanguineit/ d’un’opera d’arte col proprio tempo, che cerchi d’insinuarsi nel tessuto mentale e morale di un periodo storico per ritrovar gli stimoli che commossero di volta in volta il sentimento e la fantasia degli artisti, la storia dell’arte non H completa. Occorre, come ho accennato, aggiungere a questa ricerca la voce viva e parlante dell’arte stessa: occorre mettersi a tu per tu coll’opera d’arte e inquisirne la maggiore o minore verginit/, la sincerit/, la singolarit/, la potenza effettiva di esprimere un dato di coscienza e di fantasia. Tutto cik, senza esulare dalla visione storica che lega l’uno all’altro i momenti della vita e del pensiero, H esplorazione della qualit/ dell’arte, H dunque ricerca estetica e di stile. La storia della vita e della cultura, col complesso degli elementi sociali morali e intellettuali che concorrono ad orientare verso una determinata direzione la coscienza dell’artista, ci dir/ “che cosa” egli abbia voluto esprimere, e in quale rapporto, se di acquiescenza o di contrasto, se di dipendenza o di rinnovamento, egli si trovi rispetto al mondo che lo circonda: l’indagine estetica e stilistica a sua volta ci dir/ “come” – per quali vie e fino a qual punto – quella volont/ di espressione si sia realizzata. Ma la parola “estetica” H un termine non felicemente duttile, la cui odierna popolarit/ non va disgiunta dalle piF diverse interpretazioni, alcune delle quali, a tutto suo sc/pito, eccessivamente banali. Ponendo questa parola nel titolo stesso del nostro corso, a noi conviene non essere fraintesi, n8 quanto a banalit/, n8 quanto ad assoluto rigore di significato. Sul primo punto H facile trovare accordo: nessuno vorr/ credere, io penso, che qui s’intenda riferire il termine di “estetica” a quella molle facilit/ di compiacersi di una vaga contemplazione, o alla preziosit/ ammiratrice di sottili e l/bili capricci d’artefici, o in genere al sensibilismo dilettantesco e semivoluttuoso

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stimolato da alcune appariscenti raffinatezze di forma, cioH a fenomeni, in complesso, di carattere ambiguo e superficiale. Ma anche l’interpretazione opposta, puramente filosofica, che assume il concetto di estetica come scienza del “bello” o dell’espressione in astratto, che elabora pensieri e giudizi intorno alla natura dell’arte e mira a determinare e circoscrivere il campo teoretico in cui l’arte si produce, si riflette e si classifica tra le attivit/ generali dello spirito – anche questa, sebbene formalmente ineccepibile e degna del rango di disciplina filosofica, non risponde, da sola, all’assunto che ci sta innanzi. Si sa bene che il bisogno spirituale da cui l’uomo H sospinto all’attivit/ dell’arte H fondamentalmente uno, e che quindi la legge universale dell’arte consiste in un rapporto tra coscienza e fantasia ed espressione la cui natura essenziale non varia a seconda dei mezzi che la fantasia elegge ad interpretare il determinarsi dei sentimenti e a concretarne l’immagine. Siano, codesti mezzi, le linee e le proporzioni dell’architettura, o i contorni, i colori, i piani e i volumi della pittura e della scultura, o i vocaboli e i metri della poesia, o le melodie ed armonie, i ritmi e i timbri della musica, la qualit/ potenziale che essi hanno di soddisfare allo slancio dell’anima verso una rivelazione sensibile H una sola, ed H la stessa per tutti, al modo stesso che tutte le lingue civili rispondono all’ufficio d’interpretare l’organizzazione logica del pensiero. Cik si d/ per ammesso: ma questa unicit/ fondamentale dell’estetica, giusta premessa all’indagine filosofica sull’arte, non esclude l’esistenza di elementi e di concetti estetici particolari alle singole arti. Restando uno il processo logico, variano ad esempio nelle diverse lingue, per propriet/ inerenti alla tecnica di ciascun linguaggio, i costrutti sintatici, la cui apparenza formale sar/ bens' di grammatica, ma il cui fondamento espressivo H di natura estetica. Cos', quando dal considerare l’attivit/ estetica in generale discendiamo all’/mbito pratico delle varie manifestazioni dell’arte, troviamo che la qualit/ o essenza specifica dei diversi mezzi formali d/ luogo a concetti di natura innegabilmente estetica e che tuttavia si applicano ciascuno ad un’arte singola, che anzi sono irriducibili l’uno all’altro. Cos' H un concetto estetico, ma specifico alla pittura, il concetto di forma-colore; cos' H estetico, ma proprio dell’architettura, il concetto di lineeforze; cos' H per la musica quello, per dirne uno, di melodia. E se questi concetti, cos' enunciati, sono anckra astrazioni, ciascuna delle quali H insufficiente ad abbracciare la complessa concretezza dell’arte, H tuttavia possibile definirli in modo che essi possano costituire – sotto un aspetto non gi/ freddamente dogmatico, anzi pronto a coordinarsi con la libert/ e la singolarit/ del prodotto artistico – una guida efficace a riconoscere e ad apprezzare certi fondamentali orientamenti e valori dell’arte stessa. Il nostro contatto con un’arte ben precisata nelle proprie qualit/, nei propri mezzi ed aspetti, H dunque troppo vivo ed intrinseco per consentirci di ricondurne sistematicamente i singoli fenomeni alla sfera astratta e impassibile

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dell’estetica generale. Questa non esiste se non come sistema, come forma di conoscenza coordinata a un indirizzo speculativo del pensiero: considera dunque non nei caratteri pratici, non secondo una prospettiva storica o una discriminazione nazionale o altre contingenze, ma con puro interesse mentale, cioH teoreticamente ed in assoluto, il fatto dell’arte. Con criterio piF pratico, a noi converr/ invece accostarci di preferenza a quel limite in cui, restringendosi alla peculiarit/ di un’arte – che nel caso nostro H la musica – l’estetica collima con la critica. E perch8, si puk chiedere, non fare un passo ancora e non portarsi nel campo della critica pura e semplice? Perch8, anche a prescindere dalla sua parte piF astratta, estetica H e resta tuttavia sistemazione della critica, alla quale offre coordinamento e organicit/ di principii; perch8 H proprio dell’estetica, ripercorsa nel suo svolgimento storico, il porgere i quadri di valori ideali a cui riferire e commisurare di volta in volta i valori concreti dell’arte che la critica esplora ed accerta; perch8 infine, tra le varie manifestazioni dell’arte, nessuna come la musica, nelle sue differenti fasi, dalla greca alla bizantina, dalla latina medioevale all’italiana del rinascimento, dalla secentesca barocca all’ottocentesca romantica, nessuna H stata cos' strettamente legata e cos' insistentemente riferita all’estetica del proprio tempo. ……… Fino dalla remota antichit/, infatti, la musica ha impegnato a fondo il pensiero filosofico: ben piF della pittura e della scultura, in alcuni momenti piF della poesia stessa, essa H apparsa privilegiata interprete del modo morale. Per Pitagora, per Platone, per Aristotele, pei neoplatonici come Plotino, pei neopitagorici come Filone, la speculazione musicale H stata un veicolo, un punto di passaggio e di paragone tra le leggi supreme del cosmo, tra le basi del sistema sociale e politico, tra le facolt/ superiori dell’animo e la forma concreta, precisa, tecnica, assunta dalla musica. Altri, come i sofisti, come gli epicurei, negano alla musica questa funzione di rappresentare l’ordine dell’universo, dello Stato, dell’anima: affermano l’indipendenza e l’indifferenza etica dell’arte, combattono, con spirito tutto moderno, per la “pura forma”. Il dibattito, che dura per secoli, H appassionato, nutrito, a volte aspro, sempre interessante. La chiesa cristiana, co’ suoi padri e dottori, da S. Girolamo a S. Agostino, da Boezio a Cassiodoro, torna al concetto etico della musica trasmesso dai classici greci, lo fonde col senso mistico della melodia, con la trascendente comunione nel canto venutale dall’oriente, riconosce e strenuamente conferma alla musica la facolt/ di esprimere la gloria del mondo celeste, l’umilt/, l’aspirazione, la solidariet/ del mondo umano. Nella Riforma, nella Controriforma, i valori etici e sociali della musica entrano di nuovo in campo: con Lutero da un lato, con S. Filippo Neri dall’altro, essi ricevono un’investitura quasi di supremo vincolo spirituale tra

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uomo e uomo, tra creatura e Dio. Col movimento razionalista del sei e settecento sono invece i valori formali o i valori psicologici che prevalgono, affermandosi gli uni nella musica strumentale, gli altri – con la cosidetta “imitazione degli affetti” – nella musica drammatica. Con la corrente romantica infine, e piF ancora con l’idealismo filosofico dell’ottocento, si torna ad affidare alla musica la missione di rappresentare sia l’uomo nella sua totalit/ di pensiero e d’azione, sia l’elemento cosmico, universale, immanente o trascendente, sia “la volont/” primordiale, lo spirito che si afferma indipendentemente dalla natura o, nella concezione pessimistica, contro la natura stessa. Ebbene, questo lungo flusso di pensiero che si concentra sulla musica, e ne scruta e ne svolge e ne esalta e ne amplifica le qualit/ essenziali, portandole dai piF riposti e oscuri recessi della coscienza ai vertici della mente e della fede, non H semplice esercitazione intellettuale, non si confina in fredda solitudine: anzi H tutt’altro che sterile ai fini dell’arte concreta. Non H sterile, perch8 tra Pitagora ed Aristotele stanno Eschilo e Pindaro, perch8 accanto ad Agostino, a Boezio, a Cassiodoro comincia a fluire la melodia ambrosiana e quella che si dir/ gregoriana; perch8 all’intellettualismo cavalleresco dell’et/ feudale si forma la lirica dei trovatori e dei trovieri. Non H sterile, se al soffio della cultura umanistica fiorisce l’arte musicale nuova dei fiorentini e si elabora la tecnica contrappuntistica del quattrocento; se alla riforma e alla controriforma rispondono Schütz e Bach, Palestrina e Carissimi; se alla teoria estetica degli “affetti” s’ispira il dramma musicale dalla culla fiorentina ai fasti veneziani, romani, europei. Non H sterile, infine, perch8 all’altezza morale di Kant e all’appassionata giovanile invocazione musicale di Wackenroder risponde sinfonicamente Beethoven, perch8 a fianco di Arturo Schopenhauer s’alza Riccardo Wagner, perch8 al romanticismo italiano, idealista e ardente, si tempra Giuseppe Verdi. Questa teoria di relazioni – e non H che un accenno – H eloquente e imponente: questo traboccare nell’arte di un ideale estetico maturato nelle vigilie e nelle battaglie del pensiero, H prezioso alla musica. E sia pure che in qualche caso – non perk sempre – il rapporto tra l’arte e un indirizzo filosofico o culturale sia inconscio – sebbene meglio si dovrebbe dire spontaneo: – ma se inconscio puk essere per l’artista, nel momento in cui obbedisce ad un impulso creativo, chiaro e presente deve rendersi invece a chi voglia ricostruire con piena comprensione la storia dell’arte. Ora come riconosceremo noi l’esistenza e la forma di codeste relazioni? Come constateremo nell’arte il riflesso sentimentale e fantastico d’un pensiero, di un mondo morale? Come un dato “a priori”, come un mero parallelismo di tempo e di luogo, no: cik sarebbe dogmatico, non critico, spesso anche effettivamente falso. Bisogna che sia l’arte stessa a rivelarci, a confessarci, con la sua propria voce, la parentela spirituale che la lega a questa o a quella corrente d’aspirazioni e d’idee. PiF

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anckra, bisogna che questa confessione dell’arte sia fatta a traverso valori puramente, squisitamente artistici, perch8 sia valida e piena: non gi/ perch8 l’arte si professi preghiera, o insegnamento, o propaganda o applicazione di concetti, dei quali eventualmente debba sopportare il peso. Ove insomma le idee compariscano allo stato di tesi, con valore o con intenzione pratica, non potremo tenerne, esteticamente parlando, alcun conto. Il riconoscimento dell’arte come specchio di vita, attiva o contemplativa, non puk, non deve avvenire che a traverso i valori della forma. Siamo con cik alla ragione centrale, allo scopo e al metodo di questo corso. Dal concetto generale, astratto, della musica, portarci alla conoscenza concreta, intrinseca dell’opera d’arte. Presa in esame un’opera, o un gruppo di opere d’un artista o di un ciclo storico, constatarne, spiegarne, “riviverne” le ragioni del canto nei modi, nelle qualit/ del canto stesso. Studiarne l’essenza lirica nella forma e a traverso la forma: il che significa apprezzarne, giustificarne, sintetizzarne i valori – di melodia, d’armonia, di timbro, di struttura – nella loro attuazione nuda, nella loro consistenza veramente musicale. Il complesso di questi valori, la loro organizzazione come processo, la loro organicit/ come risultato, H per noi lo stile: indice ad un tempo della realt/ e dell’idealit/ dell’opera d’arte. Sullo stile, nessuna pregiudiziale dottrinaria o tecnica, nessun dogma. Come qui non si vuole imporre un’estetica sistematicamente rigida, cos' non si presumer/ migliore o peggiore “a priori” nessun indirizzo stilistico. Cik non H nostro ckmpito. A noi importa che un’opera d’arte, nella sua espressione stilistica – ch’H l’espressione tangibile, controllabile, definitiva, della sua liricit/ – dimostri come e quanto soddisfa alla funzione rappresentatrice di un momento dello spirito: con pieno rispetto, da parte nostra, alla relativit/ del principio estetico che l’ha ispirata, fornitole da un elemento che noi non possiamo sopprimere: la sua posizione storica. Poich8 l’immortalit/ vera di un’opera d’arte H data da questo: ch’essa risponda in pieno, liricamente, ad un bisogno dello spirito; che porti in s8, come rassomiglianza filiale, l’impronta dello spirito che l’ha espressa; che sia creatura viva, nata dall’amplesso fecondo tra spirito e fantasia. A questo patto, se anche la storia nel suo corso perenne ha travolto, ha superato un grado del pratico divenire umano, l’opera d’arte emerge intatta dal tempo, come nel giorno in cui fu creata. Quando la coscienza in suo punto di piena maturit/ si manifesta in sintesi fantastica, quando cioH ha trovato una voce d’arte in cui totalmente e limpidamente si risolve, nulla piF la distrugge. Essa H eterna, e la voce, la forma in cui vive, in cui se ne conserva e se ne rivela il palpito, H, nel rigoroso senso della parola, “insuperabile”. ………

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Per la ricerca a cui ho accennato, e che dovendo portarsi sul vivo dell’arte richiede negli uditori una pronta accessibilit/ alla trattazione tecnica, nessuna sede potrei pensar migliore di quest’Accademia, per tante ragioni musicalmente insigne. Non ci si aspetter/, s’intende, che nel breve giro di pochi mesi – e neppure di alcuni anni – si possa dar fondo all’immensa materia che c’interessa. Un corso come questo che oggi si apre non H, in sostanza, se non un’indicazione di metodo: nel metodo sar/, o potr/ essere, il suo valore, nel metodo stesso il suo frutto: in quanto stimolando, piF anckra che soddisfacendo, delle esigenze di pensiero, aprir/ l’/dito ad una visione piF ricca, piF fervida, piF vasta e comprensiva di cik che la parola “arte” rappresenta nel patrimonio spirituale umano. Pertanto, nei ristretti limiti di tempo che mi sono concessi quest’anno, non potrk uscire dalla cerchia di pochi argomenti. Dedicando alcune lezioni al Dramma liturgico, riuscirk appena a dar conto di quel fenomeno complesso, vasto, ricco di suggestioni profonde e musicalmente quasi ignoto, che H stata l’espressione drammatica religiosa nel medioevo. Espressione a cui concorrono tutte l’energie artistiche di secoli oscuri – poesia, canto, decorazione, arte scenica – quasi sospinte da una volot/ di risveglio, di libero ed ampio respiro: espressione, come si vedr/, ingenua e ardita, ieratica e appassionata, severa e soave; a cui la fede d/ l’alito, la scrittura sacra le figure e i simboli, l’esperienza psicologica variet/ e amplificazione d’affetti e di gesti, ma a cui poesia e musica sopratutto conferiscono il palpito umano e l’ancor verde freschezza, che precorre di secoli, senza essergli forse inferiore in fatto di intensit/ e propriet/ di recitazione cantata, il dramma musicale del cenacolo fiorentino. Altrettanto sintetica dovr/ essere la trattazione degli altri temi, ciascuno dei quali offrirebbe materia ad un vasto esame. Dall’inno sacro latino, sonante ancora nella sua strofe d’accenti classici appena asserviti e addolciti alla spiritualit/ nuova, alla romanica sequenza dai periodi melodici progredienti a coppie come monaci in processione, dal gotico “conductus” coi melismi lanciati al cielo come le nervature de’ pilastri e le rapide arcate delle cattedrali cui dentro echeggiava, alla lauda rustica e pia, quadrata e grave, primo esempio di melodia sulla lingua d’Italia, ecco, tra sant’Ambrogio e san Francesco, un correr di nove secoli, da raccogliere, da comprimere in pochi saggi. Da ultimo, con uno sguardo alla melodia profana, ai canti d’amore e di gesta, alle tracce liriche d’Orazio, all’epiche di Virgilio e di Stazio punteggiate di neumi ambigui nelle pergamene millenarie, giungeremo alle soglie d’un’arte piF lieta e snella: la melodia francoprovenzale del dugento, e l’“ars nova fiorentina” fiorita ai giorni del Boccaccio, del Sacchetti e di Francesco Landino. Ho fede che, anche nella parca misura di questo primo impianto, il nostro lavoro non sar/ vano. Nel presentare pagine ignote o mal note, mi guider/ il proposito di ricondurle all’efficienza originaria, al significato autentico, proiettandole in una luce che mi studierk di mantenere esatta, senza retorici

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entusiasmi e senza riserve pedanti, desideroso sopratutto di orientare verso la loro forma, e verso la ragione storica del loro apparire, la sensibilit/ degli uditori, onde s’approfondisca in intendimento e in amore. Poich8 io penso che, al pari dell’arte, la storia non H efficace se non H rivissuta momento per momento con pienezza d’animo, se non si risolve in attualit/ dello spirito. D’altronde ogni scoperta, ogni assimilazione fornita dal terreno dell’arte H arricchimento di vita. Il senso che ne abbiamo, e tanto piF quanto la voce dell’arte H remota, H di illuminazione giovanile, primaverile. Come quando in primavera si vede rinverdire la terra e teneramente rifiorire gli steli e i rami: i fiori che nascono sono sempre gli stessi, ma l’animo prova ogni volta la grata meraviglia della vita che si rinnova e avverte entro di s8 la potenza germinatrice della natura riflettersi in brillantata freschezza di sensazioni e persuaderlo dell’eternit/ del respiro terrestre, cos' l’arte H inesauribile datrice di vita, e la sua primavera H perenne. E come i fiori del prato sono piF schietti e roridi dei faticati fiori di serra, e il loro canto di forme e di colori H piF lieto, cos' tra i fiori dell’arte sono spesso i semplici, i liberi, i candidi, quelli in cui canta piF magicamente la giovinezza dell’anima. Per questo io mi rivolgo volentieri, e comincerk col rivolgermi anche ora, a forme d’arte apparentemente umili, in confronto alla complessit/ tecnica d’oggi: a musiche lontane, entrate ormai nel riposo del tempo. Ma avverto: la loro lontananza, la loro pace, non sia illusoria. Spesso, una lunga elaborazione umana le ha prodotte. Un substrato di cultura, un travaglio aspro della coscienza, una fede, un pensiero, una volont/, vi ha sobbollito, vi ha fermentato sotto per secoli. Poi, in un canto improvviso, il groppo travagliato si scioglie, l’orizzonte si apre, la melodia sale al cielo, nitida, pura, soave: il curvo pensiero H diventato limpido spirito, l’anelante coscienza s’H fatta arte. Questa elaborazione, questo processo intenso, lungo, paziente, di preparazione; questo raccoglimento, questa sintesi di tutte le energie attive che la vita ci suscita dentro e d’intorno, questa mirabile sofferenza affrontata per spremere dalle radici dell’anima, dal nodo della mente, il fiore intatto, sereno, dell’arte, questo H il segreto, questo il silenzioso valore che, se potessi, io vorrei trasfondere nei giovani d’oggi, negli artisti di domani. ………

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SOMMARIO DELLE LEZIONI SUCCESSIVE 7 maggio Il dramma liturgico medioevale Caratteri generali. Il teatro religioso tra il sec. X8 e il XIII8 e la sua espressione musicale. – Il dramma liturgico come sintesi artistica del medioevo. Inizii, derivazioni, progresso e valore di tale sintesi. – I passi drammatici della liturgia cristiana: elaborazione psicologica e lirico-drammatica delle narrazioni evangeliche e bibliche. – Differenti specie del dramma liturgico musicale. – Parallelo tra il teatro religioso del medioevo e il teatro greco.

14 maggio Testi e musiche di drammi liturgici Argomenti di vari drammi e loro fonti. – Descrizione della messa in scena e dei costumi. Le didascalie per l’azione scenica nei drammi medioevali e in particolare nel Processionario A di Cividale. Lettura musicale (col concorso della Signora Rachele Maragliano-Mori). 1) Le Vergini savie e le Vergini folli (sec. XI), per intero. 2) La Resurrezione (sec. XII), diversi frammenti. 3) L’Apparizione in Emmaus (sec. XII) frammenti e scena fra GesF e Tomaso.

21 maggio Analisi musicale dei drammi La musica latino-cristiana e le sue forme principali – Impianto del “carattere” musicale nel dramma liturgico – Melodie assegnate ai singoli personaggi o gruppi corali – Sviluppo tematico di nuclei gregoriani – Uso “simbolico” dei temi gregoriani – Inni e sequenze – Melodie neolatine a forma strofica, loro caratteri di tonalit/, di ritmo, di period – Drammi “farciti” nel testo e nella musica – Partecipazione degli strumenti – Omofonia del coro e sua funzione drammatica analoga a quella del coro greco.

28 maggio La lirica sacra medioevale nei suoi caratteri poetici e musicali Fonti semitiche ed ellenistiche del canto cristiano – L’innodia alessandrina e l’inno del papiro di Ossirinco – Innodia latina da Ilario di Poitiers a Gregorio Magno – Metro e accento – Melodia sillabica e strofica degl’inni – Caratteri delle melodie arcaiche.

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4 giugno Dall’arte trovadorica all’ars nova fiorentina Sguardo riassuntivo sulla musica latino-cristiana fino al sec. XII – Albori d’arte musicale nazionale – Canti dei trovatori e trovieri – La Lauda umbro-toscana, suoi caratteri e sua espressione melodica – Ballate madrigali e caccie dell’“ars nova”. Lettura musicale ed illustrazione delle ultime due lezioni (col concorso della Signorina Laura Pasini): 1) Graduale: Benedicta es tu, Maria (Missa in Concep. Immac. B. M. V. ). 2) Inno: Ave Maris Stella (Venanzio Fortunato, sec. VI). 3) Tropo: Quae novtas, quae bonitas (Anon., sec. XI). 4) Conductus: Beata viscera (Perotinus Magnus, sec. XII). 5) Lauda: Gloria in cielo e pace in terra (Ms. 91 Acc. Cortona, sec. XIII). 6) Francesco Landino (1325–1397) – Madrigale: A’ miei dolci sospir (a tre voci; cod. laurenziano 87, Firenze). Delle melodie di Trovatori e di Trovieri, da Marcabrun a Thibaut de Champagne, il prof. Liuzzi ha dato numerosi saggi in due lezioni del suo corso universitario (3 e 10 maggio 1928). Le melodie stesse furono interpretate dalla Signora Rachele Maragliano-Mori. ………

Bibliographie

l.

Œuvres de Fernando Liuzzi

1 codici musicali della Biblioteca Universitaria di Bologna, “La rinascita musicale”, I, I909, pp. 87–94. Opera e dramma in Pizzetti, “Il pianoforte”, Il, 1921, pp. 225–232. Un nuovo frammento di musica greco-cristiana, “La cultura musicale”, II, 1923, pp. 74–80. Ancora un problema di estetica musicale, “L’esame”, III, 1924, pp. 484–492. Essenza dell’arte e valore estetico nel pensiero di Theodor Lipps, “Rivista di Filosofia”, IV, 1924, pp. 17–45. Estetica della musica, Societ/ Anonima Editrice La Voce, Florence, 1924. Ferruccio Busoni e la sua visione dell’arte, “L’esame”, III, 1924, pp. 484–492. Innovatori dell’arte scenica, “Il pianoforte”, I, 1925, pp. 11–14. Spiritualit/ del direttore d’orchestra, “L’Esame”, IV, XI–XII, 1925, pp. 3–7. Classicit/ del Palestrina e romanticismo fiammingo, “Annuario della Reale Accademia di S.Cecilia”, 1926, pp. 166–173. Il wagneriano Shaw, “Il pianoforte”, VII, 1926, pp. 148–152. Interpretazione dell’Eroica, “NuovaAntologia”, CCLII, 1927, pp. 190–202. Jazz e anti-jazz, “Nuova Antologia”, CCLI, 1927, pp. 70–76. Mario Castelnuovo-Tedesco, “Solaria”, II, 1927, pp. 60–66. Musica e storia della cultura, “Nuova Antologia”, CCLVI, 1927, pp. 51–63. Corso superiore di estetica e stilistica e stilistica musicale, “Annuario della Regia Accademia di S. Cecilia”, CCCXLIII–CCCXLIV, 1928, pp. 1–25. Il canto greco di Ossirinco e la primitiva innodia cristiana, “La rassegna Musicale”, I, 1928, pp. 337–351. A due secoli dalla Passione secondo Matteo di G. S. Bach, “Nuova Antologia”, CCLXVIII, 1929, pp. 409–420. L’espressione musicale del dramma liturgico, “Studi Medioevali”, II, fasc. I, 1929, pp. 1–36. Drammi musicali nei secc. XI–XIV, “Studi Medioevali”, III, fasc. I, 1930, pp. l-28. Due frammenti dell’Eneide musicati in Roma nel Seicento, “Roma”, I, 1039, pp. 496–504. I canti dei popoli e un istituto internazionale per la musica popolare, “Nuova Antologia”, CCLXXIV, 1930, pp. 3–10. Il gusto barocco e la polifonia romana, “Annuario della Reale Accademia di S. Cecilia”, 1930, pp. 1–26.

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Bibliographie

Ballata e lauda alle origini della lirica musicale italiana, “Annuario della Reale Accademia di S. Cecilia”, 1931, pp. 1–18. I primi canti italiani per la Nativit/ e l’infanzia di Cristo, “L’Illustrazione Vaticana”, II, 1931, pp. 32–37. Laudi cantate nella commemorazione del Beato Angelico, “Memorie Domenicane” XLVIII, 1931, pp. l5–28. Profilo musicale di Jacopone da Todi, “Nuova Antologia”, 1931, pp. 271–294. Casella e il teatro musicale, “Nuova Antologia”, II, 1932, pp. 3–8. Introduzione alla lirica vocale di Beethoven, “Annuario della Reale Accademia di S. Cecilia”, 1932, pp. 345–351. L’antico e il nuovo nella musica italiana, “Scuola e cultura”, VIII, 1932, pp. 513–520. Melodie per un mistero italiano del Duecento, “Scenario”, VII, 1932, pp. 1–15. Notazione musicale del sec. XI in un manoscritto dell’Eneide, “Studi Medioevali”, V, 1932, pp. 1–14. Una lauda duegentesca per S. Antonio, “Studi Francescani” IV, 1932, pp. 498–501. Della raccolta dei canti popolari. Relazione tenuta al III Congresso Nazionale di Arti e Tradizioni Popolari, Trento, Settembre 1934, a c. di F. Liuzzi e G. Nataletti, Rome, Edizioni dell’OND. Una lauda pasquale inedita del Trecento, “L’Italia letteraria”, X, 1934 (perdue). La lauda e i primordi della melodia italiana, 2 voll., Istituto Poligrafico dello Stato, Roma, 1934. La Passione nelle intonazioni del Laudario di Cortona, De Sanctis, Roma, 1935. 1 comici dell’arte e la musica italiana in Francia, “Annuario dell’Accademia Pontificia Romana”, I, 1937, pp. 42–51. Musica e poesia nel Trecento nel Codice Vaticano Rossi 215, “Accademia Pontificia Romana di Archeologia”, XIII, 1937, pp. 518–523. Un nuovo schedario di bibliografia musicale romana presso l’Istituto di Studi Romani, “Roma”, V, 1937, pp. 93–96. Il Dramma delle Vergini e L’Uffizio liturgico di S. Agata, “Atti del IV Congresso dell’Istituto di Studi Romani”, 1938, pp. 89–93. Le relazioni musicali tra Fiandra e Italia nel sec. XV , pubblicazione a cura dell’lnstitut Historique Belge, Rome 1938, (exemplaires inconnus). Orazio nella tradizione musicale latina del Medioevo, “Roma” II, 1938, pp. 113, 119. Un “cantare” del sec.XV sulla Passione, “Rivista Italiana del Dramma”, I, 1938, pp. 3–22. I Musicisti in Francia (l’opera del genio italiano all’estero), vol. l, Edizioni d’arte Danesi, Rome, 1946.

2.

Ouvrages consultés

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