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French Pages 298 Year 1999
LE PARI D E L A F R A N C H I S E Discours et écrits sur l'unité canadienne
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LE PARI DE LA FRANCHISE Discours et écrits sur l'unité canadienne Stéphane Dion
McGill-Queen's University Press Montréal & Kingston • London • Ithaca
© McGill-Queen's University Press 1999 ISBN 0-7735-2.039-2. (broché) Dépôt légal, 3ieme trimestre 1999 Bibliothèque nationale du Québec Imprimé au Canada sur papier sans acide. Publié simultanément en anglais sous le titre Straight Talk : On Canadian Unity ISBN 0-7735-1853-3 (cloth) ISBN 0-7735-1856-8 (paper) Nous reconnaissons l'aide financière du gouvernement du Canada par l'entremise du Programme d'Aide au Développement de l'Industrie de l'Édition (PADIÉ) pour nos activités d'édition. Nous remercions le Conseil des Arts du Canada de l'aide accordée à notre programme de publication.
Canada' Données de catalogage avant publication (Canada) Dion, Stéphane Le pari de la franchise : discours et écrits sur l'unité canadienne Publié aussi en anglais sous le titre : Sraight talk : on Canadian unity. ISBN 0-7735-2.039-2. (br.) I. Fédéralisme - Canada. 2. Relations fédéralesprovinciales (Canada) 3. Relations fédérales-provinciales (Canada) - Québec. I. Titre. FC98.056514 1999 32.1oz'o971 C99-900724-6 FI034.2.05614 1999
Ce livre a été mis en pages par Typo Litho Composition Inc. en 10/12 Sabon.
TABLE DES MATIERES
Avant-propos par Peter Russell / ix Introduction / xv
SECTION I L'ESPRIT DU FÉDÉRALISME Reprendre confiance dans le Canada / 3 Les cités et villes du Canada, les collectivités du Canada et l'espoir d'unité canadienne / 6 Discours prononcé devant le Conseil américain des études québécoises / 15 L'éthique du fédéralisme / 2,7 Nos deux fédérations : une évolution différente, des défis communs / 39 Le Canada: une fédération équitable / 48 SECTION 2
UN F É D É R A L I S M E EN É V O L U T I O N
Le fédéralisme : un système qui évolue / 63 Histoire et perspectives d'avenir de l'union sociale canadienne / 73 Modification à l'article 93 (éducation) de la Loi constitutionnelle de 1867 I 87 Modification à la clause 17 des Conditions de l'union de Terre-Neuve au Canada (écoles de Terre-Neuve) I 93 Le caractère décentralisé de la fédération canadienne / 100 Le déficit zéro : notre objectif à tous / 111 Ma praxis du fédéralisme / 123 Union sociale veut dire entraide canadienne 7 1 3 1
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TABLE DES MATIÈRES
SECTION 3
L ' I D E N T I T É C A N A D I E N N E ET LA SOCIÉTÉ Q U É B É C O I S E
Le Canada que nous avons en commun / 141 Les craintes au sujet du statut de « société distincte » sont sans fondement / 149 La demande du Québec est raisonnable / 152 La diversité canadienne et la reconnaissance du Québec / 154 Les communautés francophones hors-Québec : au coeur de l'idéal canadien / 162, Le renouveau et le rôle des Métis / 172 L'équilibre entre le respect de l'égalité et le respect de la diversité / 180 Sur l'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil québécois / 183 L'idéal canadien / 188 SECTION 4
LES D A N G E R S DE LA S É C E S S I O N EN D É M O C R A T I E
Discours sur une motion de l'Opposition / 199 Lettre à monsieur Lucien Bouchard, Premier ministre du Québec / 204 Lettre à monsieur Bernard Landry, Vice-Premier ministre et ministre d'État de l'économie et des finances du Québec / 208 Lettre à monsieur Bernard Landry, Vice-Premier ministre et ministre d'État de l'économie et des finances du Québec / 212 Pourquoi un Québécois désire que la Colombie-Britannique continue de faire partie de son pays / 214 Lettre à monsieur Jacques Brassard, ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes du Québec / 224 Au-delà du plan A et du plan B : les deux débats sur l'unité canadienne / 230 Lettre à monsieur Claude Ryan / 239 Le respect de la démocratie au Canada / 242
TABLE DES MATIÈRES
Les difficultés pratiques d'une sécession unilatérale /250 Déclaration en réaction à l'avis de la Cour suprême / 257 Lettre à monsieur Lucien Bouchard, Premier ministre du Québec / 261 La communauté internationale face au phénomène sécessionniste / 266
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AVANT-PROPOS
C'est avec plaisir que j'avoue être à l'origine du présent ouvrage. Au début de l'année 1996, peu de temps après que Stéphane Dion ait quitté son poste de professeur de science politique à l'Université de Montréal pour devenir ministre fédéral des Affaires intergouvernementales, j'ai commencé à recevoir un flot constant d'enveloppes gris terne affichant l'adresse imposante du Cabinet du Président du Conseil privé de la Reine pour le Canada et ministre des Affaires intergouvernementales. Des universitaires, des journalistes, des politiciens et des fonctionnaires partout au pays recevaient les mêmes enveloppes grises renfermant des copies des discours que Stéphane donnait ainsi que des lettres qu'il publiait dans le cadre de ses fonctions à titre de principal porte-parole du gouvernement Chrétien dans les dossiers de l'unité nationale et de la constitution. Leur contenu était loin d'être terne et lourd. Au début, lorsque je lisais les discours et les lettres de Stéphane, j'étais simplement curieux de savoir comment un bon ami et collègue universitaire s'adaptait à la vie politique. C'est en tant que fils du feu professeur Léon Dion, de l'Université Laval, un des plus grands chercheurs politiques du Canada, que j'avais fait la connaissance de Stéphane. Après qu'il soit revenu de Paris avec son doctorat et qu'il se soit joint au Département de science politique de l'Université de Montréal en 1984, j'ai eu l'occasion de mieux le connaître, tout d'abord par ses écrits universitaires sur l'administration publique, le nationalisme et la politique au Canada, puis par sa participation à l'Association canadienne de science politique, à titre de membre du conseil d'administration et de rédacteur adjoint de la Revue canadienne de science politique. Dans les années 1990, nous avons voyagé ensemble en Chine comme membres de l'équipe de la Société royale du Canada pour discuter de démocratie avec des universitaires de la Chinese Academy of Social Science. C'est dans les contacts que j'ai eus avec Stéphane que j'ai pu découvrir le grand talent et l'engagement de cet universitaire, un chercheur politique rigoureux jusqu'au bout des doigts et, de plus, un démocrate et un fédéraliste convaincu. J'étais curieux de constater
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comment ses talents et ses convictions se traduiraient dans sa performance comme acteur principal sur la grande scène politique canadienne. À la lecture du dossier toujours plus volumineux de ses écrits ministériels, j'ai découvert l'heureux mariage de la rigueur scientifique de Dion et de son amour passionné pour son pays. Dans sa contribution quotidienne au dossier qui est, depuis une génération, la principale préoccupation du milieu politique canadien, celui de l'unité nationale, Stéphane exposait sa vision du génie de ce pays, le Canada. Il m'est apparu de plus en plus clair qu'aucun autre personnage de la vie publique canadienne n'arrivait aussi bien que lui à articuler ce que les Canadiens avaient réalisé ensemble depuis la création de la fédération en 1867 et ce qu'ils étaient en mesure de réaliser ensemble à l'avenir. Sa contribution à la vie publique était, à mon avis, trop précieuse et trop considérable pour simplement servir à remplir les tiroirs de mon classeur. Elle méritait d'être publiée sous une forme qui soit à la fois plus accessible et durable. C'est ainsi, qu'en janvier 1998, j'ai écrit à Stéphane pour lui proposer de réunir, sous forme de livre, une sélection de ses discours et lettres et de les faire publier. Je me suis également porté volontaire pour entreprendre des démarches auprès de presses universitaires afin de leur présenter le projet. Stéphane trouvait qu'un tel ouvrage pourrait être utile à la condition qu'il soit publié en anglais et en français. Fort de son appui, je me suis adressé à plusieurs éditeurs de travaux universitaires et de travaux de recherche. J'avais la ferme conviction qu'une maison d'édition universitaire conviendrait bien pour publier la collection d'allocutions et d'écrits de Stéphane. Après tout, il ne s'agissait pas de vagues élucubrations livrées par un chef politique à la fin d'un souper et réunies pour l'occasion par son équipe de rédaction, avec une ou deux phrases de son propre cru. Dans les écrits de Stéphane, on peut en effet observer un esprit brillant appliqué aux affaires de l'État. Les arguments invoqués, les théories et la présentation des faits qui les étayent sont ceux d'un chercheur politique accompli et averti. Bien que leur objectif premier était, et demeure, de faire avancer la cause fédéraliste dans un sens politique populaire immédiat, ces documents présentent des idées et des positions qui méritent l'attention de ceux qui s'intéressent au débat sur l'unité nationale du Canada tant pour sa valeur théorique que politique. J'étais donc heureux que les presses McGill-Queen's acceptent de publier le recueil. Il n'est pas facile pour un universitaire de la vigueur intellectuelle de Stéphane Dion de faire le saut en politique. Les qualités mêmes que des universitaires comme moi-même admirent le plus dans sa performance sont parfois celles-là mêmes qui déplaisent au grand public ou à ses adversaires politiques. Des arguments clairs, logiques, appuyés sur une
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connaissance imposante des faits pertinents, peuvent impressionner les intellectuels, mais pour d'autres, particulièrement ceux qui embrassent la cause qu'il dénonce, le ton peut sembler professoral, voire arrogant. Ce n'est pas que le langage soit prétentieux. Les lecteurs constateront, en effet, que les discours et les lettres de Stéphane ne sont pas encombrés de jargon technique ni de termes nébuleux. C'est plutôt le ton très clair, analytique qu'il emploie pour réfuter sans détour les propositions mises de l'avant par le clan souverainiste, qui a cet effet si dévastateur. Pour ceux qui ont l'habitude des communications publiques de style plus rhétorique et moins cérébral, il donne l'effet d'une douche froide, ce qui n'est pas toujours agréable. Pour l'universitaire et l'intellectuel, le bond en politique est toujours un choix problématique. C'est la raison pour laquelle ils sont si peu nombreux à faire le saut et à y être invités à apporter leur contribution, et encore moins nombreux à y connaître du succès. Combien il est fascinant, pourtant, de suivre les progrès de celui parmi eux qui ose relever le défi, particulièrement lorsque ses réalisations comme professeur relèvent du domaine même de ses fonctions politiques. Le plus proche parallèle qu'on puisse établir avec Stéphane Dion est, sans doute, Pierre Trudeau. Les deux hommes ont été recrutés en politique par des premiers ministres libéraux désireux de mousser la popularité de leur gouvernement au Québec. En 1965, Lester Pearson invita Trudeau et ses compatriotes québécois, Jean Marchand et Gérard Pelletier, à se joindre au caucus libéral à Ottawa. En 1996, Jean Chrétien a lancé une invitation dans le même sens à Stéphane Dion et à Pierre Pettigrew. Dans les deux cas, Trudeau et Dion étaient des politiciens néophytes recrutés pour leurs compétences intellectuelles dans les dossiers de la constitution et de l'unité. Les deux hommes ont accepté l'invitation, mus, non par le désir de poursuivre une carrière en politique, mais par la conviction de pouvoir contribuer de façon significative à la préservation et au renforcement de la fédération canadienne. L'un et l'autre ont accepté de nager à contre-courant de l'opinion publique chez eux, au Québec. Au début, et de façon générale dans le cas de Trudeau, leurs idées sur le Canada et son avenir ont trouvé beaucoup plus de sympathisants au Canada anglais et à l'extérieur du Québec que parmi les Québécois francophones. Aussi frappant que puisse être le parallèle, les différences entre Trudeau et Dion sont autant intéressantes et révélatrices. Elles se situent dans le caractère, le contexte, et par-dessus tout, dans l'idée qu'ils se font du genre de communauté politique que peut être le Canada à son meilleur. Tant Trudeau que Dion étaient des universitaires reconnus, ayant à leur compte de nombreuses publications, mais leurs carrières ont suivi
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une évolution très différente. Trudeau était plongé dans l'action et le débat politiques longtemps avant de se lancer officiellement en politique en 1965. En plus d'être professeur de droit et universitaire, il exerçait le droit de façon active, était un homme de lettres et un des fondateurs d'une des plus grandes revues d'opinions, Cité Libre, et un activiste de la gauche. Dion, par contre, a fait un cheminement beaucoup plus défini, le seul en fait possible pour une personne de sa génération désireuse de poursuivre une carrière de professeur universitaire dans une discipline comme la science politique. De nos jours, devenir professeur permanent dans une grande université, c'est un peu comme entrer dans la prêtrise. Après avoir terminé un programme d'études supérieures exigeant menant à un doctorat, il faut aussitôt publier une série d'articles savants dans des grandes revues universitaires. Pour passer ces épreuves menant au monde universitaire, il faut presque vivre en reclus, ce qui laisse peu de place aux activités extérieures. Donc, contrairement à Trudeau, Dion a fait son entrée en politique avec beaucoup moins d'expérience de la vie publique, et il était habitué à un style de vie beaucoup plus conventionnel et tranquille. Il n'avait pas, et n'a pas non plus cultivé, le genre d'excentricité personnelle pouvant produire le charisme qui a joué un rôle déterminant dans le succès politique de Trudeau. Pour atteindre les objectifs politiques qu'il s'est fixés, Stéphane Dion doit se fier principalement sur la solidité et la clarté de son raisonnement. Dans une ère politique où, si souvent, on semble priser le style au détriment du contenu, la célébrité au détriment de l'intégrité, c'est un défi de taille. Des différences marquées distinguent ces deux hommes d'État érudits sur le plan de la formation intellectuelle. Trudeau, bien qu'il ait été avocat, s'inspirait surtout, dans ses écrits et dans ses allocutions, de sa solide formation en histoire et en philosophie politique occidentale. Le lecteur retrouvera les mêmes fondements en philosophie et en histoire dans les écrits de Dion, quoique davantage de Tocqueville et de son appréciation des cultures nationales, que des penseurs individualistes de doctrine libérale, comme Locke et Mill, qui ont inspiré Trudeau. Ce qui ressort toutefois, c'est la supériorité de Dion en science politique. Lorsqu'il aborde les questions de politiques sociale et économique, il évoque une infinité de détails techniques et statistiques, ce que l'on ne trouve pas dans les écrits de Trudeau. Dion est, si l'on veut, beaucoup plus que Trudeau, un mordu de la politique. Trudeau a commencé en politique à l'aube de la crise constitutionnelle, qui a débuté par la révolution tranquille au Québec. Dion, par contre, s'est lancé en politique après que ce soit écoulé le temps d'une génération de débat constitutionnel. Cette différence dans le contexte politique explique, à mon avis, l'approche très différente de ces deux hommes dans la définition et la réalisation de leurs projets politiques.
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Trudeau, un des intellectuels à la tête de la révolution tranquille du Québec, craignait qu'un nationalisme québécois borné, fondé sur l'ethnie ne s'empare des énergies démocratiques déchaînées par cette révolution. En assumant une position de dirigeant politique à Ottawa, Trudeau ne cherchait pas un compromis pour le nationalisme québécois. La tâche qu'il s'était donnée était plutôt de convertir les partisans de ce nationalisme à ce qui était, pour lui, une cause plus grande et plus légitime sur le plan moral, soit de faire du Canada une communauté politique dans laquelle les francophones pourraient s'épanouir sur un pied d'égalité avec les anglophones. C'est à cette fin et en vue d'une telle conversion que Trudeau s'est fait le maître d'oeuvre du changement constitutionnel. À l'époque où Stéphane Dion est arrivé à Ottawa, il était clair que le projet de conversion de Trudeau n'avait pas porté fruit. La « vision de Trudeau» a peut-être captivé les coeurs et les esprits du Canada anglais, mais elle n'a pas réussi à répondre aux aspirations constitutionnelles du Québec francophone. Dans la belle province, le nationalisme québécois est encore bien vivant et se porte bien. Le projet de Dion n'en est pas un de conversion, mais de réconciliation. Le lecteur pourra constater que, dans bon nombre des écrits réunis dans le présent ouvrage, Dion préconise et définit les conditions d'une réconciliation, une réconciliation du nationalisme québécois avec un État canadien multinational et très décentralisé. La perception qu'a Dion du Canada et de ce que nous, les Canadiens, pouvons être à notre meilleur, se rapproche davantage de la vision de George-Etienne Cartier et de la pensée d'Henri Bourassa, que de tout ce qu'a pu être la vision de Trudeau. Pour lui, nos identités multiples ne sont pas un problème qu'il faut régler en trouvant une nouvelle façon de nous définir, mais elles sont plutôt une « richesse collective incomparable ». Dion reconnaît sans hésitation aucune que le Québec, en tant que patrie d'un peuple fondateur et seule autorité législative en Amérique du Nord à majorité de langue française, doit occuper une place particulière au sein de la fédération canadienne. Là ne s'arrête pas toutefois la perception qu'il a du Québec. Il est conscient également que le Québec compte des minorités culturelles et ethniques qui l'enrichissent et qui détiennent des droits collectifs dont il faut tenir compte. Sa façon de percevoir le Canada comme une union de peuples qui, plutôt que d'être assimilés par une culture dominante, cherchent à s'enrichir les uns les autres de cette diversité même, est de portée beaucoup plus étendue que celle de Cartier ou de Bourassa, parce qu'elle fait une place aux revendications de reconnaissance et d'autonomie gouvernementale des peuples autochtones du Canada. La démarche conciliatoire au changement constitutionnel est tout autre que l'approche de quelqu'un qui veut convertir. Dion n'est pas un
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partisan du statu quo constitutionnel. Il n'est pas pour autant en faveur des mégachangements constitutionnels par lesquels nous tentons de régler d'un seul coup tous nos problèmes constitutionnels. Les modifications constitutionnelles effectuées sous sa direction, les ajustements graduels à la façon dont fonctionne notre fédération, les nouvelles ententes d'autonomie gouvernementale que le Canada négocie avec les peuples autochtones, la reconnaissance par Ottawa et par les premiers ministres provinciaux du Québec en tant que société distincte, qui font chacun l'objet d'analyses et de plaidoyers dans ses écrits, font partie et représente une croissance constitutionnelle graduelle et évolutive. Malheureusement, les Canadiens sont devenus tellement conditionnés à la suite d'une génération d'efforts choc que les détracteurs de cette approche peuvent sans conséquence en parler comme étant le statu quo. C'est ainsi que la voie qu'a choisie Dion en tant que réconciliateur de nos différences nationales n'est pas des plus faciles. Elle ne donne pas à espérer en une résolution grandiose de la question de l'unité nationale. Sa force de persuasion réside essentiellement dans son brillant intellect et non dans son charisme en tant que politicien. Aussi difficile que puisse être ce projet, l'avenir du Canada repose en très grande partie sur son succès. Car, si la majorité des Canadiens que nous sommes, francophones, anglophones, autochtones ou multiculturels, n'arrive pas un jour à saisir tout le génie de notre pays, comme le conçoit Stéphane Dion, nous ne méritons pas ce pays qu'est le Canada. Peter H. Russell Professeur à l'Université de Toronto Novembre 1998
INTRODUCTION
À l'invitation du Premier ministre Jean Chrétien, j'ai fait mon entrée au Cabinet fédéral le 2.5 janvier 1996, sans expérience politique directe, mais poussé par mes convictions sur l'unité canadienne et résolument décidé à les défendre en toute franchise, en toutes circonstances. Ces convictions se sont renforcées et précisées davantage au fil de mon dialogue avec les Canadiens. Elles ont guidé mon action comme ministre des Affaires intergouvernementales et irrigué mes écrits et mes discours sur l'unité nationale. Je les ai soumises au débat public aux quatre coins du pays, dans les deux langues officielles, même là où je savais pertinemment qu'elles allaient être impopulaires. Ce livre réunit certains de mes discours et de mes écrits, classés en quatre thèmes: l'esprit du fédéralisme, la pratique du fédéralisme, l'identité et la sécession. Chacune de ces quatre parties s'articule autour de l'une de mes convictions maîtresses touchant l'unité canadienne. L'esprit du fédéralisme La première des convictions que j'expose dans ce livre est que notre pays, le Canada, est d'abord et avant tout un principe d'entraide, l'un des meilleurs que l'esprit humain ait inventés. Or, ce n'est pas du tout ainsi que le Canada a le plus souvent été défini au cours des années qui ont précédé mon entrée en politique. On le percevait trop souvent comme une dispute constitutionnelle interminable, et c'est après des années d'une telle obsession constitutionnelle que les Québécois ont été appelés à se prononcer sur la souveraineté-partenariat le 30 octobre 1995. Il y avait un pays dans le monde où le débat sur l'unité était ramené à une discussion sèche sur la Constitution, et c'était le mien. Il était temps de dire et de démontrer, sans fard et sans complexe, que le fait d'être ensemble nous vaut l'une des meilleures qualités de vie qui soient. Ce qui constitue la principale force et la vraie grandeur du Canada est sa capacité de rassembler des populations différentes autour d'objectifs communs. Cet alliage de l'unité et de la diversité ne
XVI INTRODUCTION
saurait se maintenir sans le fédéralisme que nous avons inventé. Voilà pourquoi j'ai intitulé cette première partie « l'esprit du fédéralisme ». En somme, j'ai proposé un changement de perspective. Plutôt que de voir dans la menace séparatiste la preuve d'un échec de notre fédération, j'ai soutenu que cette dernière est un succès incontestable et que nous pourrons l'améliorer encore davantage quand nous aurons résolument décidé de rester unis. J'ai senti le besoin de traiter de l'esprit du fédéralisme en première partie, car de mes vues sur ce thème découle ma pensée sur les trois autres: la pratique du fédéralisme, l'identité et la sécession. En effet, notre culture fédérative I) aide nos gouvernements à s'adapter aux nouvelles conditions économiques et sociales, 2.) convie nos populations à réunir leurs identités au sein d'une société politique et 3 ) fonde notre citoyenneté sur un principe d'entraide que la sécession ne saurait briser sans nous faire commettre une grave erreur morale. Cette première partie regroupe six discours qui traitent tous, à leur façon, du fédéralisme d'ici et d'ailleurs. Elle s'ouvre sur la déclaration que j'ai faite au moment de ma nomination au Cabinet. Comme j'y expose les raisons de mon entrée en politique, cette déclaration initiale constitue en elle-même une introduction à tous les thèmes qui seront subséquemment abordés dans cet ouvrage. On trouvera ensuite un discours que j'ai prononcé devant la Fédération canadienne des municipalités, où j'ai fait valoir que le fédéralisme est un régime qui favorise les expériences au niveau local et encourage les gouvernements à s'en inspirer. Mes discours prononcés devant le Conseil américain des études québécoises et lors du colloque Ideas in Action organisé en l'honneur du professeur Peter Russell traitent de la capacité du régime fédéral de favoriser la cohabitation harmonieuse des cultures. Dans mon discours prononcé devant des hauts responsables d'États américains, à Cleveland, en Ohio, je compare l'expérience fédérale canadienne à l'expérience fédérale américaine, tandis que dans mon discours devant la Chambre de commerce de Calgary - ainsi que dans un discours semblable livré devant la Chambre de commerce de Trois-Rivières, (discours que je n'inclus pas ici) - je parle de la quête d'équité régionale propre au fédéralisme canadien. Un fédéralisme en évolution Si valable soit-il, notre fédéralisme est loin d'être parfait. Nous devons continuellement chercher à l'améliorer. Nous y parviendrons d'autant mieux que nous remettrons au centre de nos initiatives de réforme une valeur essentielle: la qualité des services aux citoyens. Voilà la deuxième conviction que j'expose dans cet ouvrage.
INTRODUCTION XV11
Pour améliorer notre fédération, il est nécessaire de poser un bon diagnostic sur son fonctionnement actuel. Je trouve inexacte cette croyance selon laquelle le Canada ne fonctionnera qu'au prix d'un bouleversement constitutionnel. Là encore, l'obsession constitutionnelle est une erreur, car, disons-le franchement, bien que sa Constitution puisse toujours être améliorée, le Canada « fonctionne » déjà admirablement quand on le compare aux autres pays. Elle est fausse aussi, cette autre croyance qui veut que notre système soit un carcan centralisateur contrôlé par le gouvernement fédéral. En fait, notre fédération est l'une des plus décentralisées qui soient. Mais le diagnostic inverse qui assimile notre décentralisation à une balkanisation est tout aussi erroné. En fait, seul un fédéralisme flexible et décentralisé peut faire tenir ensemble un pays aussi grand et aussi diversifié. L'amélioration de notre fédération ne passe pas par un parti pris aveugle et abstrait en faveur des provinces ou, à l'inverse, en faveur du gouvernement fédéral. Elle passe plutôt par une ré-évaluation constante et honnête de la capacité réelle de nos gouvernements d'offrir aux citoyens des services de qualité, adaptés aux réalités présentes et aux défis à venir. C'est ainsi que l'un des mythes auquel j'ai résolu de m'attaquer dans le débat sur l'unité est celui du soi-disant « statu quo ». Dans les faits, le fédéralisme canadien évolue constamment et des changements importants y ont été apportés ces dernières années, notamment depuis le discours du Trône du 27 février 1996, dans le but de mieux l'adapter aux besoins des citoyens. Cette deuxième partie s'ouvre sur un discours prononcé devant un auditoire de fonctionnaires fédéraux. Il souligne la souplesse et le dynamisme du fédéralisme canadien. Le second discours porte principalement sur les changements apportés à l'union sociale du Canada. Suivent mes deux interventions à la Chambre des communes qui ont lancé les débats sur les modifications constitutionnelles bilatérales aux systèmes d'éducation confessionnels du Québec et de Terre-Neuve. Le discours qui suit, prononcé à l'Université d'Ottawa, donne les grandes lignes d'au moins 17 changements importants mis en oeuvre ou entrepris au sein de la fédération, pour la plupart après le discours du Trône du 27 février 1996. On trouve ensuite un discours qui porte sur les avantages économiques du fédéralisme canadien et les coûts de l'incertitude politique. Le discours suivant traite des principes qui guident les initiatives de changement du gouvernement Chrétien pour rendre la fédération plus harmonieuse et plus efficace. Le dernier discours montre combien la prise en compte de ces mêmes principes, centrés sur la qualité des services aux citoyens, a conduit le gouvernement fédéral à négocier avec les provinces une amélioration de l'union sociale canadienne.
XV111 INTRODUCTION
L'identité canadienne et la société québécoise La question québécoise renvoie avant tout à l'identité, et non à la Constitution. Cette troisième conviction qui m'anime, j'ai senti le besoin de la dire et de la répéter, car elle touche au coeur même du débat sur l'unité canadienne. Ce qui rend tant de Québécois francophones perméables aux arguments indépendantistes, ce n'est ni le caractère supposément trop centralisé de notre fédération, ni sa prétendue balkanisation. C'est le sentiment que leur identité propre, leur langue et leur culture ne sont pas respectées ailleurs au Canada, qu'elles y sont vues comme un embarras et non comme des composantes intrinsèques de l'identité canadienne. Ils perçoivent la majorité anglophone comme une force d'assimilation et non comme une alliée. Voilà pourquoi la difficulté de faire reconnaître le Québec comme société distincte a profondément détérioré l'image du Canada auprès de nombreux Québécois. Face à la menace séparatiste, plusieurs citoyens des autres provinces - et du Québec - ont posé un faux diagnostic. Ils en ont déduit que si tant de Québécois francophones se laissaient séduire par le séparatisme, c'est que la société québécoise ne partageait pas les valeurs de tolérance et d'ouverture qui sont la marque du Canada. Certains ont pensé que c'était la xénophobie qui poussait une partie de la société québécoise au séparatisme. Voilà pourquoi le résultat serré du référendum du 30 octobre 1995 n'a pas du tout disposé le reste du pays à reconnaître le caractère distinct du Québec. Bien au contraire : plus le séparatisme paraît fort au Québec, moins les autres Canadiens voient dans la société québécoise une composante positive et essentielle de leur pays. Comment faire alors pour combattre ce sentiment de rejet mutuel? Il ne fallait certainement pas replonger dans l'obsession constitutionnelle et présenter la reconnaissance de la société distincte comme une condition sine qua non à l'unité canadienne. Il fallait plutôt démontrer aux Québécois et aux autres Canadiens combien ils ont besoin les uns des autres, leur faire valoir que le Canada qu'ils ont bâti ensemble est fondé sur un admirable principe d'entraide, que ce pays fonctionne et qu'on peut l'améliorer. Autrement dit, il s'imposait de leur redonner le goût du Canada. Deuxièmement, il fallait leur démontrer que la spécificité de la société québécoise est une composante essentielle du Canada et que la reconnaissance de cette spécificité est en phase avec les valeurs qui nous unissent de même qu'avec les autres réalités de notre pays. Troisièmement, il convenait de dédramatiser tout le débat sur la reconnaissance explicite du Québec comme société distincte dans la Constitution en démontrant combien il est absurde de faire dépendre l'unité du Canada de cet enjeu.
INTRODUCTION XIX
En d'autres termes, il s'agissait de sortir de cette fausse dichotomie qui oppose la notion de société distincte à celle de l'égalité des dix provinces. Le Québec est évidemment dans une situation distincte - ou unique - en Amérique du Nord. Les dix provinces sont égales dans le sens où il n'y a qu'un seul statut de province au Canada. Et ces deux notions - caractère unique du Québec et égalité des provinces - sont conciliables dès l'instant où l'on admet qu'égalité n'est pas synonyme d'uniformité au Canada. L'égalité doit aller de pair avec un profond respect pour tout ce qui compose la diversité canadienne : les provinces et les territoires, les réalités régionales, les peuples autochtones et métis, les deux langues officielles, le caractère multiculturel de la population. Et ce respect pour la diversité va aussi de pair avec le caractère unique de la société québécoise. Il me semble que c'est cela que les premiers ministres et les leaders territoriaux ont voulu exprimer par la déclaration de Calgary : un engagement à tirer le meilleur parti de la diversité canadienne, y compris du caractère unique de la société québécoise, dans le respect de l'égalité et de l'équité. J'ignore si un texte juridique inspiré des principes de la déclaration de Calgary trouvera un jour sa place dans la Constitution canadienne. De toute manière, l'essentiel dans cet enjeu n'est pas de nature constitutionnelle ou juridique à mon avis. On le constatera à la lecture de cette partie : ma visée était que les Canadiens des autres provinces et des territoires posent un geste de bonne volonté envers les Québécois et, par là, invitent ces derniers à faire de même. Il fallait combattre le rejet mutuel et favoriser le rapprochement. Voilà ce que j'ai voulu exprimer au fil des discours et des écrits consacrés à l'identité canadienne et à la société québécoise, dont certains se trouvent réunis dans la troisième partie de cet ouvrage. On y trouve d'abord un discours que j'ai prononcé en Colombie-Britannique sur les valeurs que nous partageons en tant que Canadiens. Dans les deux articles qui suivent, parus dans le Calgary Herald, je me porte à la défense de la société distincte : le premier était une réponse à un article dans lequel l'éditorialiste en chef, Peter Menzies, me reprochait de défendre un concept qui manquait d'originalité et qui ne recevait pas la faveur populaire, du moins dans l'ouest du pays; le deuxième était une réponse à une lettre ouverte dans laquelle le député réformiste Stephen Harper critiquait mon premier article. Le discours suivant a été prononcé devant des représentants des communautés juives, italiennes et helléniques de Toronto et de Montréal. Dans ce discours, j'affirme que la spécificité québécoise est non seulement compatible avec la diversité culturelle canadienne mais qu'elle en découle logiquement. Un autre discours, prononcé devant les membres de l'Institut franco-ontarien, met l'accent sur l'importance de la dualité linguistique comme valeur
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essentiellement canadienne et sur la contribution de cette dualité aux succès que connaît le Canada tant aux plans économique et social que sur la scène internationale. La même prise en compte de la diversité canadienne doit nous mener vers un meilleur respect des peuples autochtones et métis de ce pays, ai-je suggéré dans un discours prononcé devant le Métis National Council. Suit une lettre que j'ai écrite au rédacteur en chef du Financial Post en réponse à un article que leur chroniqueur Rafe Mair avait rédigé contre la déclaration de Calgary. Dans le discours suivant, prononcé à l'occasion d'un colloque consacré à l'harmonisation des lois fédérales avec le droit civil du Québec, j'aborde la richesse que représente le caractère bijuridique du Canada. Cette partie se termine par un discours prononcé à la Hebrew University of Jérusalem, dans lequel je traite des valeurs qui unissent les Québécois aux autres Canadiens et qui donnent au Canada son caractère universel. Les dangers de la sécession en démocratie II existe dans une province du Canada - la mienne - un gouvernement qui entend faire une sécession et qui annonce une procédure à cet effet. Il me semble que la simple politesse exige que l'on dise à ce gouvernement, en toute franchise, ce que l'on pense non seulement de son projet de sécession, mais aussi de la procédure par laquelle il entend la faire. Et si ce gouvernement ne répond aux objections qui lui sont faites que par des tentatives d'intimidation et en proférant des insultes, en ne cherchant qu'à discréditer ses interlocuteurs, il faut lui réitérer les mêmes objections, avec la même franchise, la même politesse. Voilà ce que j'estime avoir fait. Je n'ai pas été le seul, mais mon rôle ministériel m'a mis au centre de ce débat. Je crois profondément qu'une démarche sécessionniste est très difficile à concilier avec la démocratie. La démarche proposée par le gouvernement péquiste pose de ce point de vue des problèmes graves, dont nous devons discuter franchement, entre démocrates. Voilà ma quatrième conviction touchant l'unité canadienne que j'expose dans la dernière partie de cet ouvrage. Il me semble contradictoire, de la part d'un gouvernement, de prétendre pouvoir soustraire aux règles du droit une sécession qu'il ne pourrait concrétiser dans les faits qu'en ayant recours à des règles de droit. Il m'apparaît irresponsable, de la part d'un gouvernement, de prétendre faire l'indépendance sur la base d'une question référendaire confuse et d'une majorité serrée, sans s'assurer que la sécession est le choix très clairement exprimé par la population. Il me semble immoral, de la part d'un gouvernement, de vouloir imposer sa sécession à des
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populations qui indiqueraient très clairement qu'elles n'en veulent pas. Enfin, d'un simple point de vue pratique, il me paraît irréaliste, de la part d'un gouvernement, de penser briser unilatéralement un État démocratique moderne. Ces objections, je les ai formulées avant tout en tant que Québécois qui ne veut pas voir sa société divisée dans des circonstances sans précédent en démocratie. Car, si je suis fondamentalement contre la procédure de sécession proposée par le gouvernement péquiste, c'est parce que je suis profondément pour la société québécoise. Et je sais que les Québécois ne sont jamais si profondément divisés que quand on leur demande de renoncer au Canada. Si graves soient les difficultés qu'une tentative de sécession créerait entre le Québec et le Canada, les problèmes les plus complexes, j'en suis convaincu, se poseraient entre Québécois. De ce point de vue, la vraie question n'est pas de savoir si les Québécois peuvent décider de leur avenir : personne au Canada ne propose de les retenir contre leur volonté clairement exprimée. La vraie question est de savoir comment, par quelle procédure, des Québécois qui ne veulent plus du Canada pourraient le retirer à des Québécois qui veulent le garder. Nous ne devons surtout pas nous retrouver divisés sur un enjeu aussi grave dans la confusion, sans avoir suivi une procédure de décision claire, légale et juste pour tous. Je n'aurais pu mener ce débat sur les procédures de sécession sans l'appui ferme du Premier ministre Jean Chrétien. Mais je n'ai pas reçu le même appui de tous les fédéralistes. Certains m'ont ouvertement reproché d'avoir engagé le débat dans cette voie. C'est que j'ai enfreint deux règles d'or à leurs yeux. La première veut qu'il faut courtiser les nationalistes dits mous, leur dire ce qu'on croit qu'ils souhaitent entendre, c'est-à-dire leur tenir un discours qui fait la part belle à plusieurs thèses indépendantistes mais qui ne préconise pas pour autant l'indépendance. On pense que la mise en cause de ces thèses que l'on croit consensuelles risquerait de provoquer un backlash ou un ressac contre le fédéralisme. Je ne nie pas que cette règle a une apparence de logique. Les indécis, qui pourraient constituer l'élément décisif d'un référendum, sont des Québécois fiers de leur identité francophone, mais incertains face à la perspective de quitter le Canada. En insistant sur les risques d'une tentative de sécession, on craint de les blesser dans leur fierté et de les pousser vers le camp indépendantiste. La deuxième règle d'or consiste à ne jamais admettre en public que l'adversaire pourrait gagner. On craint qu'en parlant ouvertement de la possibilité d'une sécession, on en accroisse la probabilité dans les esprits. Pour un fédéraliste, discuter non seulement du pourquoi de la sécession, mais aussi de son comment, c'est pousser trop loin l'hypothèse de la défaite. Ainsi, quand j'énonce ouvertement l'hypothèse d'une
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victoire de mon adversaire, je lui donne de la crédibilité aux yeux de tout le monde, y compris de mes propres partisans, et j'accrois les risques de ma défaite. Du moins, telle le veut une règle traditionnellement admise en politique qui fait de l'admission de la possibilité de la défaite une self-fulfilling propbecy. Je crois que ces deux règles sont fausses. Admettre que je puisse perdre, c'est en même temps admettre que je puisse gagner. Et si je crois au bien-fondé de ma cause et de mes convictions, je ne devrais jamais avoir peur de clarifier l'enjeu sous toutes ses dimensions. La clarté et la franchise sont mes alliées, la confusion et l'ambiguïté mes adversaires. Quant aux indécis, ce ne sont pas des « mous », ce sont des citoyens tout à fait en mesure de réviser leur conception des choses pourvu qu'on ne craigne pas de leur présenter des arguments valables. Eux aussi sont sensibles à la franchise et au raisonnement. Bref, la double crainte du ressac et de la self-fulfilling propbecy doit cesser de nous inhiber. Cette partie débute par le premier discours que j'ai prononcé à la Chambre des communes, lequel a porté sur la conciliation difficile entre sécession et démocratie. On y retrouve ensuite les lettres au Premier ministre Lucien Bouchard et à ses ministres Bernard Landry et Jacques Brassard, rendues publiques. J'y ai inclus un discours prononcé en Colombie-Britannique contre l'utilisation de la menace de séparation comme outil de chantage. Dans mon discours prononcé devant le Cercle des journalistes de Montréal, je fais valoir qu'un même effort de clarification relie toutes les initiatives du gouvernement portant sur l'unité canadienne et que plutôt que d'un plan « A » et d'un plan « B », d'une ligne « molle » et d'une ligne « dure », il faut y voir le plan de la clarté. Le texte suivant contient ma réponse aux critiques que M. Claude Ryan et d'autres ont formulées à l'endroit de la décision du gouvernement Chrétien de porter les aspects juridiques d'une sécession unilatérale devant la Cour suprême. Après que cette dernière a rendu son avis, le 2o août 1998, j'ai dit combien je le trouvais admirable par une déclaration officielle dans les heures qui ont suivi, puis j'ai écrit au Premier ministre Bouchard pour l'inviter à accepter l'avis de la Cour dans son entier plutôt que d'en faire une lecture sélective, et enfin j'ai examiné, devant des diplomates étrangers, la possibilité que l'avis de la Cour inspire utilement d'autres pays qui connaissent des problèmes d'unité analogues à ceux du Canada. C'est sur ces réactions à l'avis rendu par la Cour suprême que se termine cette quatrième et dernière partie de l'ouvrage. Pourquoi ce livre? Les envolées patriotiques et les sobres analyses économiques ont leur place dans le débat sur l'unité canadienne et on en trouvera dans ce
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livre. Mais il y a d'autres questions qui n'avaient pas été assez débattues à mon avis, du moins par les politiciens et par le public en général, avant le référendum de 1995. Je pense aux questions de fond que la sécession soulève quant à la nature d'une société politique, notamment en ce qui a trait à la démocratie, à la citoyenneté, à l'État de droit, aux droits de la personne, à la nation, à la société, au peuple, à l'esprit fédéral, à l'identité, à l'autodétermination et à la solidarité. Nous avons trop souvent mis de côté ces questions de portée universelle. Notre tendance bien canadienne à la dévalorisation nous a souvent amenés à rabaisser notre débat sur l'unité, à n'y voir qu'une manie nationale plutôt lassante, présentant peu d'intérêt pour des étrangers. En réalité, nous sommes face à l'enjeu qui risque fort d'être le plus crucial au cours du prochain siècle: comment maintenir dans l'unité des États formés de populations différentes. J'espère avoir contribué à sortir certaines de ces questions du milieu universitaire pour les amener au centre de l'arène politique, là où il faut bien qu'elles soient débattues. Bien sûr, le discours politique est différent du discours universitaire. En politique active, j'ai dû apprendre à m'exprimer sur ces questions différemment que je ne le faisais en science politique. Ma carrière précédente m'avait plutôt habitué aux réflexions abstraites sur la théorie politique aussi bien qu'aux études truffées de notes en bas de page sur l'évolution des dépenses publiques et des effectifs de l'État (en tant que spécialiste en administration publique). Comme homme politique, je me suis efforcé d'exprimer mes convictions de façon concise et, je l'espère, intéressante, avec la passion de la raison, sans pour autant sacrifier la rigueur. Le lecteur pourra juger, à la lecture de ces discours, dans quelle mesure j'y suis arrivé. Quoi qu'il en soit, on ne pourra m'accuser d'avoir cherché à flatter mes auditoires. Oui, j'ai dit que si le Canada est divisible, le Québec l'est aussi. Oui, j'ai qualifié la loi 101 de grande loi canadienne. Je me suis bien sûr répété. Un discours politique contient nécessairement des idées centrales et des formules-chocs qui sont reprises tant et plus, mais chacun des textes réunis dans cet ouvrage ajoute aux autres. J'espère qu'à la lecture de ces discours et écrits, le lecteur aura une idée plus complète de mes opinions et de mes actions de même que de celles de l'ensemble du gouvernement touchant l'unité canadienne. Ce livre n'a pas de conclusion, car il est beaucoup trop tôt pour conclure. Mon espoir, on l'aura compris, n'est pas simplement que le Canada gagne un répit de quelques années. Il est que mes concitoyens décident résolument de rester ensemble. L'idée-force qui devrait nous en convaincre, celle qui est la plus souvent exprimée dans ce livre, est celle des identités plurielles. Dans ce monde global, quand on a la chance d'avoir différentes identités, on les accepte toutes. Quand on
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peut s'appuyer sur des concitoyens qui nous ouvrent à d'autres registres culturels, à d'autres expériences et à d'autres atouts que ceux-dont on dispose soi-même, on accepte leur aide et on leur offrela"nôtre. En cela réside la vraie grandeur du Canada. Le vrai choix, pour moi, n'est pas entre le Québec et le Canada. Il est entre être Québécois et Canadien, ou Québécois sans le Canada. Voilà pourquoi, fondamentalement, au delà de tous les coûts économiques bien réels de la séparation, le Canada restera uni, pourvu que nous ayons le courage de la franchise. Je veux remercier très chaleureusement le professeur Peter Russell, politologue à l'Université de Toronto, de m'avoir suggéré de réunir en un seul volume tous ces discours et écrits. C'est lui qui a conçu ce projet, en a pris l'initiative et l'a mené à terme. Je remercie aussi McGillQueen's University Press et les évaluateurs anonymes d'avoir vu dans le projet du professeur Russell une initiative d'intérêt pour le milieu universitaire. Qu'une presse universitaire publie mes écrits politiques et établisse ainsi un pont entre mes deux vies professionnelles revêt une grande importance pour moi. J'exprime ma gratitude à l'égard de toutes les autres personnes qui ont rendu ce projet possible: les recherchistes et rédacteurs compétents de mon Cabinet et du ministère des Affaires intergouvernementales qui m'ont été d'une aide précieuse à toutes les étapes de la confection de ces discours, mes collègues parlementaires qui m'ont initié à l'art de la politique comme complément à mes études de science politique, en particulier le Premier ministre Jean Chrétien, mes nombreux collègues universitaires qui ont continué de m'écrire, de me faire part de leurs idées et de les débattre avec moi.
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L esprit du fédéralisme
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Reprendre confiance dans le Canada C H A M B R E DES COMMUNES,
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Le Canada, exemple universel d'ouverture, de tolérance et de générosité, ne doit pas infliger au monde le spectacle de sa rupture. Sur tous les continents, des gouvernements hésitent à reconnaître à leurs minorités des droits et une autonomie, car ils leur prêtent, presque toujours à tort, des visées séparatistes. Le Canada, s'il se brisait, deviendrait le repoussoir des majorités inquiètes. De cette fédération défunte, il serait dit qu'elle est morte d'une surdose de décentralisation, de tolérance, de démocratie en somme. Sa fin servirait d'alibi à tout ce que le monde compte de partisans de la ligne dure face aux aspirations des minorités. Au lieu de répandre ainsi la méfiance entre majorités et minorités, il nous appartient au contraire d'illustrer la concorde de différentes populations au sein d'un même État. Si par malheur le Canada devait se scinder, nous, Québécois et Canadiens des autres provinces, serions bien sûr les premiers à en payer le prix. Au Québec, la majorité serait bien en peine d'obtenir de ses minorités l'adhésion enthousiaste qu'elle aura elle-même déniée au Canada. Jamais, elle ne pourrait leur offrir une autonomie aussi étendue que celle qu'elle avait jugée insuffisante pour elle-même, celle dont jouit actuellement le Québec à titre de province canadienne. Quant au reste du Canada, son unité sans le Québec serait loin d'être acquise. On ne connaît pas d'exemple d'une fédération qui ait survécu en étant sectionnée en son milieu. Le chômage et la pauvreté qui frappent le monde industrialisé ne permettent guère au Canada de s'imposer, en plus, les coûts de la désunion. Pour l'avenir de nos enfants, pour tous les Canadiens, nous devons préserver le Canada. C'est dans l'union, en restant ensemble, que nous pourrons rendre notre vie plus facile. Il y a à peine dix ans, l'unité canadienne était solide. La très grande majorité des Québécois ne voyaient plus dans la sécession un recours nécessaire. Pour consolider l'union canadienne, les gouvernements de
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l'époque ont entrepris une ronde constitutionnelle qui a mal tourné. Les uns ont dit reconnaissance, les autres ont compris privilège. Depuis, la considération que les Québécois et les autres Canadiens ont d'eux-mêmes et du Canada s'est détériorée au point que jamais la rupture n'a été aussi proche. Le plus triste est que c'est par dépit, par frustration, que de nombreux Québécois sont maintenant prêts à courir le risque de renoncer à un pays auquel ils se sentent pourtant attachés. Cette attitude les prépare très mal aux coûts et aux difficultés que la sécession leur infligera. Quant aux autres Canadiens, ils sont trop nombreux ceux qui se résignent, ceux qui, las ou exaspérés, ne veulent plus rien tenter pour préserver l'unité de leur pays. Il faut lutter contre ce défaitisme. Le moyen de réagir, nous l'avons. Il tient en deux forces qui font de notre fédération un système politique admirable : la dualité linguistique et la décentralisation. Les démocraties qui ont la fortune de compter plus d'une langue officielle, qui jouissent par là même d'une ouverture plus large sur l'univers des cultures, prévoient des aménagements particuliers afin d'aider leurs groupes linguistiques à cohabiter dans l'harmonie. Notre Loi sur les langues officielles, ainsi que la reconnaissance des droits linguistiques dans la Constitution, forment un modèle du genre. Il nous suffit de pousser plus loin, et de reconnaître comme une force, une chance pour le Canada, que dans cette Amérique anglophone, il existe une société qui fonctionne en français et qui prend les moyens pour continuer à le faire dans le respect de sa propre minorité linguistique. Les provinces canadiennes sont toutes distinctes les unes des autres, mais le Québec, avec sa culture francophone, introduit une distinction particulière qui doit être reconnue comme telle. Cette reconnaissance qui n'induit ni chambardement, ni privilège, offre pour garantie que dans les zones d'ombre de la Constitution, là où les règles demandent interprétation, il sera tenu compte de la spécificité québécoise. Notre deuxième force vient de ce que notre fédération s'appuie sur la décentralisation. Un Canada fort est plus qu'un gouvernement fédéral fort, c'est un ensemble fédératif fort. C'est une chance pour le Canada que ses provinces disposent d'une large autonomie qui favorise une émulation créatrice. C'est une province, la Saskatchewan, qui a pavé la voie à nos systèmes de santé publique. C'est grâce à la décentralisation si huit provinces sur dix ont retrouvé la voie de l'équilibre budgétaire en misant chacune sur ses propres ressources, ses propres stratégies. De même, une répartition des rôles plus claire entre les deux ordres de gouvernement, une collaboration plus efficace, une décentralisation plus intelligente et mieux conçue pour les citoyens, nous aideront à re-
L'ESPRIT DU FÉDÉRALISME 5 trouver la voie de l'unité comme l'a exprimé le Premier ministre Chrétien lors de son discours à Verdun, le 24 octobre dernier. Les Suisses ont le système municipal le plus puissant au monde et ils tirent de cette grande décentralisation un mobile de fierté, une raison supplémentaire de se sentir Suisses. De même, nous les Canadiens n'avons pas à craindre la décentralisation. Nous la connaissons suffisamment pour en faire notre alliée. Un gouvernement fédéral fort n'est pas à confondre avec un gouvernement centralisateur. Plus modeste, il n'en sera que plus efficace dans le rôle qui est le sien, et cela, les Canadiens le comprennent bien. Toutefois, ces même Canadiens n'accepteraient pas que les provinces se comportent comme dix républiques égoïstes. Le changement n'est possible que s'il s'appuie sur la solidarité canadienne. Ces valeurs et ces principes, je me suis efforcé d'en démontrer la pertinence comme universitaire et chercheur. Je les ai défendus sur la scène publique en tenant toujours le même discours dans les deux langues officielles. Le Premier ministre du Canada m'a invité à mieux les promouvoir en me joignant à son Cabinet. J'ai accepté cet honneur. Le Premier ministre Jean Chrétien est beaucoup critiqué dans son Québec natal. Mais moi, je le vois comme un leader qui sait s'entourer, écouter, décider et qui est ouvert au changement. Il m'a appelé à de hautes responsabilités malgré mon inexpérience politique. Je ferai tout pour lui donner raison. Le gouvernement fédéral est aussi le gouvernement des Québécois. Il est important que des Québécois continuent à y apporter leur culture et leurs talents, tant il est vrai qu'on appartient à une fédération non seulement pour en profiter, mais aussi pour l'aider de toutes ses forces. Je suis fier d'être Québécois et Canadien et je ferai tout ce que je peux pour montrer la belle complémentarité de ces deux appartenances. Je sais que nous serons nombreux à le faire, par l'action politique ou d'autres voies démocratiques. Ensemble, nous trouverons le chemin de la réconciliation. Les Québécois et les autres Canadiens doivent entrer unis et plus forts dans le prochain siècle.
Les cités et villes du Canada, les collectivités du Canada et l'espoir d'unité canadienne C A L G A R Y , L E 2, J U I N 1 9 9 6
On constate chez les Canadiens deux états d'âme qui, s'ils persistent, menacent l'avenir du Canada: le premier est l'indifférence; l'autre, le découragement. Nous devons nous libérer de l'un et de l'autre si nous voulons que le Canada survive. Après le référendum du 30 octobre 1995, bon nombre de citoyens, partout au Canada, sont retombés dans une apathie politique, bercés par l'illusion que la question de notre unité nationale se réglerait d'ellemême. Plusieurs d'entre nous se disent que d'autres s'occuperont du problème, que nous n'y pouvons rien de toute façon. Pour contrer cette passivité, je parcours le pays en criant bien haut que notre pays est en danger. Au même moment, d'autres Canadiens découragés affirment que la sécession du Québec est inévitable, que ni les gouvernements, ni les citoyens ne l'empêcheront. C'est donc pour contrer cette résignation, cette désespérance que je veux vous convaincre aujourd'hui que nous devons avoir foi en notre pays, que nous avons de bonnes raisons de croire en l'avenir du Canada. Et si je veux vous communiquer, à vous, mon message d'espoir, c'est que vous m'inspirez l'espoir. Vous représentez le niveau de gouvernement le plus rapproché de nos citoyens qui, dans leurs villes, dans leurs régions, sont le Canada. Vous êtes la voix de ces communautés qui forment le tissu même du Canada. Vous venez de là où les citoyens vivent, travaillent et réalisent leurs rêves ensemble, jour après jour. Voilà pourquoi je suis venu m'entretenir avec vous des raisons qui me permettent de croire que c'est dans les cités et villes du Canada que réside l'espoir d'unité de notre pays. Voilà pourquoi je suis si heureux d'avoir été invité à m'adresser à vous dans le cadre de cette importante conférence de la Fédération des municipalités canadiennes. Ce sont les collectivités du Canada, des petits villages de régions isolées aux grandes villes cosmopolites, qui cons-
Discours prononcé devant la Fédération canadienne des municipalités
L'ESPRIT DU FÉDÉRALISME 7 tituent la plus grande force du pays. Les politiciens de niveaux fédéral et provinciaux peuvent apprendre beaucoup en observant la force de nos collectivités. L'écrivain torontoise Jane Jacobs est l'auteure d'un livre bien connu et des plus perspicaces intitulé Citées and thé Wealth of Nations. Elle y défend efficacement la thèse voulant que la force économique d'un pays ne repose pas sur ses ressources naturelles ou sur les politiques économiques de son gouvernement central, mais que la source de richesse et de croissance d'un pays repose plutôt sur la vitalité de ses villes, de ses villages et de ses communautés qui sont le fondement même de la société et de son économie. On a dit que le Canada est un pays qui fonctionne en pratique mais pas en théorie. À titre de ministre des Affaires intergouvernementales, je dois relever le défi de convaincre les Canadiens que leur pays peut fonctionner quoi qu'en disent les théoriciens pessimistes. Vous, par ailleurs, à titre de maires, de conseillers, de gestionnaires, vous avez le privilège de parler au nom du citoyen et de sa collectivité, au nom donc, de ce Canada qui fonctionne si bien en pratique, même en périodes de difficultés économiques. Dans bien des cas, les problèmes auxquels le pays est confronté dans son ensemble sont, à bien des égards, semblables à ceux que règlent nombre de cités et villes avec succès depuis des années. Nos concitoyens des milieux ruraux ou des régions éloignées ont appris à gérer de maigres ressources et à survivre aux périodes de difficultés économiques. Nos grandes villes nous ont appris comment des populations d'origines et de langues différentes peuvent cohabiter harmonieusement, comment concilier l'unité et la diversité. Voilà deux leçons qui nous viennent des municipalités et dont peuvent s'inspirer les gouvernements fédéral et provinciaux losqu'ils font face au défi historique de l'unité de notre pays : adopter une approche concrète et pragmatique à la résolution de problèmes et se faire, comme les municipalités, rassembleurs pour unir entre elles les collectivités différentes. Une approche concrète aux problèmes Les gouvernements de niveaux soi-disant supérieurs ont beaucoup à apprendre de vous. Ainsi, nous devons résister à la tentation des solutions abstraites ou technocratiques, de faire appel aux symbolismes émotionnels plutôt qu'aux arguments concrets, d'imaginer que les changements constitutionnels sont une solution à toutes les difficultés. Nous devons plutôt nous inspirer de la sagesse pragmatique des gouvernements municipaux, des entreprises et des groupes communautaires à vocation locale, partout au Canada.
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II me semble que c'est précisément la façon que notre gouvernement a choisie pour répondre aux besoins concrets des municipalités canadiennes. Le programme d'infrastructures et les progrès accomplis en matière de lutte contre le crime et de sécurité publique ne sont que quelques exemples des mesures bénéfiques mises de l'avant par le gouvernement fédéral pour répondre aux besoins des citoyens et encourager les initiatives émergeant de la base. C'est d'ailleurs de cette même façon que nous devrions aborder nos problèmes d'unité nationale. Et c'est précisément ce que le gouvernement suggérait dans le discours du Trône de février dernier. Permettezmoi un exemple concret pour illustrer l'approche concrète que nous comptons suivre. Dans le discours du Trône, le gouvernement s'engageait à se retirer de la formation de la main-d'oeuvre de façon à éliminer les chevauchements et les dédoublements. Plusieurs provinces réclamaient depuis nombre d'années un plus grand contrôle sur la formation de leur main-d'oeuvre, souhaitant intégrer les programmes fédéraux et provinciaux de formation et d'intégration au marché du travail. Jeudi dernier, mon collègue Doug Young, ministre du Développement des ressources humaines, a communiqué aux provinces et aux territoires une proposition leur offrant la responsabilité de toutes les mesures actives d'emploi financées par le fonds d'assurance-emploi. Le gouvernement fédéral offre aux provinces pleine compétence sur les quelque deux milliards de dollars par année que le gouvernement fédéral dépense actuellement pour les mesures actives d'aide à l'emploi. Les provinces peuvent donc, si telle est leur volonté, gérer leurs propres programmes comme les subsides à l'emploi, les suppléments de revenu, des partenariats pour la création d'emplois de même que des services connexes au marché du travail, tels le counselling et le placement. Voilà un exemple du fédéralisme flexible et pratique à l'oeuvre. Nous réaffirmons ainsi notre solidarité avec les sans-emploi du Canada tout en respectant la subsidiarité qui permet à chaque province de créer des programmes régionaux qui répondent à des besoins régionaux. C'est en suivant votre exemple, en adoptant une approche concrète, que nous améliorerons notre fédération. Nous aurons ainsi un gouvernement fédéral fort dans ses champs de compétence, des gouvernements provinciaux forts dans leurs champs de compétence, des gouvernements municipaux et régionaux forts dans leurs champs de compétence, et un partenariat fort entre tous ces gouvernements. C'est dans cet esprit de fédéralisme concret et flexible que les ministres fédéral et provinciaux de l'Environnement, réunis vendredi dernier, en sont arrivés à des améliorations dans la gestion environnementale.
L'ESPRIT DU FÉDÉRALISME 9 C'est précisément l'esprit qui nous animera lors de la prochaine rencontre des premiers ministres, de façon à démontrer aux Québécois et à tous les Canadiens que le fédéralisme est un outil puissant pour améliorer leur bien-être. Réconcilier les différences Nous convenons donc que la première leçon à tirer de l'exemple des municipalités est l'avantage d'une approche concrète et pragmatique. La seconde nous enseigne comment nous pouvons réconcilier les diversités à l'intérieur d'une même entité dynamique. Permettez-moi d'entrée de jeu, une question très simple : Pourquoi le Canada mérite-t-il de survivre comme pays? L'économie est déjà une bonne raison de vouloir préserver l'unité canadienne, d'autant plus que les Nations Unies et la Banque mondiale classent le Canada aux premiers rangs des pays les plus riches du monde. Mais je ne crois pas que ce soit là la raison la plus importante. Ce n'est pas non plus parce que nous avons le plus beau drapeau, même s'il est reconnu et fort considéré partout dans le monde. Ce n'est pas non plus pour sa beauté à vous couper le souffle ou son immensité, non plus pour ces majestueuses montagnes Rocheuses qu'on aperçoit d'ici, même s'il est impossible de ne pas être ému devant tant de splendeur. Ce n'est pas non plus uniquement de ce qui est particulier et caractéristique de ce pays dont nous devrions le plus nous enorgueillir. Non, ce qui rend indispensable la survie de ce pays, c'est qu'il représente la réalisation des idéaux humains dont le monde entier rêve depuis le début des temps. Le Canada représente le meilleur exemple de ce que le monde doit devenir en termes de tolérance, d'ouverture et d'harmonie entre collectivités diverses. Le Canada est peut-être le pays où les êtres humains, de quelque origine qu'ils soient, ont les meilleures chances d'être traités en êtres humains. C'est pour cela que j'aime ce pays et que je ne veux pas le voir se déchirer. Comme le disait le Premier ministre dans son discours du 2,8 février 1996: «... il est évident que, lorsque le reste du monde regarde le Canada, il y voit l'avenir. Ou plutôt le meilleur espoir d'avenir pour le monde. Ensemble, érigeons ce modèle d'espoir pour l'avenir de l'humanité. Ensemble, bâtissons ce modèle d'espoir et de confiance. Un exemple pour l'humanité entière. »
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Nous avons bâti un pays qui reconnaît et célèbre la dualité linguistique, un pays qui reconnaît les vertus du multiculturalisme et le pouvoir de la diversité, un pays qui consacre la suprématie des droits individuels en même temps que l'importance de protéger les minorités. Et n'est-ce pas dans les grandes villes canadiennes que s'expriment le mieux ces grandes valeurs de tolérance, d'ouverture et de respect de la diversité? Des villes comme Toronto, Montréal, Calgary et Vancouver se sont toutes transformées en riches mosaïques culturelles dans lesquelles des citoyens issus de nombreuses sociétés et parlant différentes langues vivent dans l'harmonie. Les visiteurs américains ou européens sont toujours étonnés de constater avec quel bonheur nos villes ont su concilier la diversité. Les Canadiens sont fiers de leurs grandes villes, fiers de l'harmonie que l'on y trouve encore et ils demandent à leurs élus municipaux, provinciaux et fédéraux de les protéger du spectre de la discorde et de l'intolérance qui a défiguré tant d'autres belles villes de par le monde. Il faut que nos villes demeurent sécuritaires et harmonieuses. C'est justement en s'appuyant sur les grandes valeurs universelles de partage, de tolérance et d'accueil que nous y parviendrons. Car nulle part au monde ces belles valeurs ne se sont-elles mieux fusionnées à la culture collective qu'au Canada. C'est d'ailleurs ce que je disais en février dernier, dans mon premier discours à titre de ministre. J'étais dans la deuxième plus belle ville du Canada, Vancouver - je suis sûr que tous les maires ici présents s'accorderont à dire que Vancouver est la plus belle ville du Canada après la leur. Ce qui s'est accompli à Vancouver et dans La vallée du bas Fraser est une réalisation humaine unique en son genre. Nous connaissons tous l'histoire troublante et violente des relations entre les civilisations asiatique et européenne et combien ces cultures n'ont pu se comprendre mutuellement au cours des siècles. Rudyard Kipling disait même : « L'Orient est l'Orient, l'Occident est l'Occident et jamais ne se rejoindront-ils. » Et pourtant! Où, ailleurs dans le monde, sinon à Vancouver, Richmond et Surrey, existe-t-il une conjonction d'éléments qui contredit explicitement Kipling? Où, ailleurs dans le monde, voyons-nous des cultures d'origines européenne et asiatique travailler ensemble à créer une société de plus en plus riche ? C'est bien plus cette grande réussite humaine que la beauté des montagnes Rocheuses, qui explique ma détermination à laisser en héritage à ma fille un Canada qui inclut cette Colombie-Britannique exemplaire. Et c'est pourquoi Vancouver, Calgary, Montréal et toutes les municipalités que vous représentez, malgré les grandes distances géographiques qui les séparent, sont si proches par l'esprit et doivent rester dans
L'ESPRIT DU FÉDÉRALISME n le même pays afin qu'elles puissent s'aider à toujours poursuivre ensemble le même idéal humain. Et, à propos de Montréal, laissez-moi vous parler de cette grande métropole que j'habite avec ma famille. Tous les jours, je vois combien les citoyens, qu'ils soient anglophones, francophones ou allophones, coopèrent à la vie collective et aux projets de notre ville. Nous partageons l'amour de la vie culturelle de Montréal, de son patrimoine, de ses parcs et de ses espaces publics. Nous avons une vision commune de l'avenir économique de Montréal. Et au sein des organismes communautaires de tous ordres, différents groupes culturels coopèrent dans la plus grande harmonie. Malheureusement, la menace de sécession nuit à la vitalité de Montréal. L'économie de Montréal est en déclin. Trop de Montréalais quittent ou envisagent de quitter leur ville, la plupart avec peine et regret. Récemment, mes collègues Paul Martin et Martin Cauchon ont convenu avec monsieur Serge Ménard, ministre québécois responsable de Montréal, de faire front commun pour s'attaquer aux problèmes économiques de la ville. Voilà un heureux développement, d'autant plus que nous servons tous les mêmes concitoyens. Mais malgré tous nos efforts, il est indiscutable que d'ici à ce que les Québécois et les autres Canadiens aient résolument décidé de rester ensemble dans un Canada uni, la santé sociale et économique de Montréal sera toujours affaiblie par une incertitude politique nuisible et inutile. Montréal et le Québec dans son ensemble forment une société admirable dont tous les Canadiens peuvent être fiers. En dehors du problème de la sécession, il serait impossible de trouver un seul enjeu qui divise la société québécoise entre francophones et non-francophones. Même la question de la langue ne parvient plus à les dresser les uns contre les autres malgré les efforts tentés récemment par quelques esprits radicaux. J'ai l'honneur de représenter une circonscription de la région de Montréal, St-Laurent-Cartierville, où vivent dans l'harmonie une cinquantaine de communautés venues de partout à travers le monde. Cette ONU condensée, comme je l'appelle, est pleinement intégrée à la société québécoise et entend rester dans le Canada. À la Chambre des communes récemment, un député du Bloc Québécois me reprochait d'avoir été élu, et je reprends son expression « par la porte de côté». Lui, se vantait d'avoir été élu par «le peuple», dans une circonscription majoritairement francophone. Dans le Montréal et le Québec que nous aimons, que nous admirons partout au Canada, il n'y a pas d'électeur de la porte de côté. Nous sommes tous des citoyens de la grande porte. Ce sont ces grandes valeurs de solidarité et d'ouverture que les Québécois partagent avec
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les autres Canadiens. C'est pour elles surtout qu'ils affronteront ensemble, au sein du Canada uni, les formidables défis du xxi e siècle. En résumé - une approche concrète et pragmatique - la réconciliation des diversités culturelles - telles sont les leçons que je tire de l'expérience des municipalités pour nous aider à relever le défi de l'unité. Elles permettront un meilleur fonctionnement de la fédération et nous feront réaliser l'importance de reconnaître les multiples communautés qui peuplent notre pays, notamment la réalité québécoise. Les Canadiens de toutes les provinces doivent non seulement accepter mais célébrer l'effort admirable du Québec pour préserver sa société française dans une Amérique du Nord anglophone. Ils doivent promettre aux Québécois qu'ils les appuieront parce que la réalité francophone fait partie de l'idéal canadien. Voyons à nouveau ce que nous pouvons apprendre des communautés du Canada. Dans la plupart des cités et villes du Canada, il existe des quartiers qui sont à l'image d'un groupe culturel particulier. Il y a des quartiers portugais et italiens à Toronto, des quartiers chinois à Vancouver, des quartiers afro-canadiens à Halifax. Au Cap-Breton, on retrouve des communautés gaéliques tandis que des villes et villages de PAlberta affichent leurs souches française ou ukrainienne. Souvent, un conseil de ville voudra marquer les contributions historiques de ces communautés : on verra donc apparaître un nom de rue portugais à Toronto tandis qu'on baptisera d'un nom ukrainien un centre communautaire en Alberta. Des mesures de ce genre contribuent non seulement à célébrer l'héritage culturel d'un quartier mais elles peuvent aussi lui donner une personnalité unique et excitante dont pourront bénéficier le commerce et le tourisme. Evidemment, personne ne se plaint qu'en posant ces gestes, les administrations municipales diminuent en quoi que ce soit les droits fondamentaux des autres groupes culturels ou que les citoyens d'autres cultures ne seront pas bien accueillis dans ces quartiers. Tous reconnaissent au contraire que ce ne sont là que des mesures visant à reconnaître le patrimoine culturel et qu'elles seront un atout pour la vitalité de la communauté tout entière. À l'échelle du Canada, c'est précisément l'effet qu'aurait la reconnaissance de la spécificité du Québec. On reconnaîtrait ainsi le caractère culturel historique du Québec, unique par sa langue, sa culture et son Code civil. Et cela servirait à protéger et à promouvoir l'identité vibrante et dynamique du Québec, amenant ainsi les Québécois à participer avec plus de confiance à l'évolution du Canada. Reconnaître le Québec n'est pas une dangereuse abstraction constitutionnelle non plus qu'un symbole qui divise le pays. C'est une étape
L'ESPRIT DU FÉDÉRALISME 13 pragmatique fondée sur la tradition politique canadienne et la réalité de la collectivité québécoise. Conclusion Voilà donc ce que vous pouvez nous apprendre pour améliorer notre processus de réconciliation nationale. Il ne s'agit pas d'une stratégie radicale non plus que d'une réécriture complète de la Constitution. C'est une approche pratique, comme celle que vous utilisez comme maires et comme conseillers municipaux. Notre Premier ministre, Jean Chrétien, qui connaît peut-être mieux que quiconque les gens de ce pays, ne considère pas les questions d'unité comme des vues abstraites de l'esprit. Il croit plutôt aux réformes concrètes et pratiques. Il est ouvert à toute suggestion, dans la mesure où vous pouvez faire la preuve qu'elle est pratique, praticable, et qu'elle peut améliorer le bien-être des Canadiens. Et je pense que sur ces questions pratiques, nous trouverons de nombreux dénominateurs communs entre Canadiens, qu'ils soient francophones, anglophones, de l'Est, de l'Ouest, Autochtones ou immigrants plus récents. Dans nos villes et villages, nous avons su, nous les Canadiens, mieux que tant d'autres, réconcilier les différences et travailler ensemble à réaliser des projets communs. Et si nous appliquons la même sagesse à la grande collectivité canadienne, nous réussirons. Alors je vous en conjure, participez au débat des prochains mois, aidez-nous par des activités dans vos propres localités à élaborer des solutions pratiques qui nous permettront d'améliorer et de renforcer notre fédération. Nous avons besoin d'entendre nos maires, nos conseillers, tous ces élus locaux et régionaux qui savent rallier leur communauté, pour arriver à rassembler la grande communauté canadienne. Dites-nous comment vous êtes parvenus à concilier les diversités dans votre communauté. Dites-nous les initiatives, les idées qui ont marché dans vos cités et villes et qui pourraient inspirer les gouvernements fédéral et provinciaux. Incitez vos citoyens à connaître et à tendre la main à leurs compatriotes du reste du Canada par le jumelage de villes ou les échanges de jeunes, par exemple. Nous avons besoin de vous pour réconcilier les Québécois avec les autres Canadiens. Insistez auprès de vos élus provinciaux et fédéraux pour qu'ils prennent des risques au nom de leur pays. Tous les hommes et toutes les femmes politiques veulent laisser leur marque dans l'histoire; alors, dites-leur sans détour que l'histoire, c'est maintenant! L'unité canadienne ne peut être imposée du sommet. Un accord constitutionnel entre onze premiers ministres ne fera pas un pays plus uni.
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Nous ne pouvons nous réconcilier sur papier - nous devons nous réconcilier dans nos coeurs. Ce sont les communautés du Canada qui sont le coeur de notre pays. C'est là que doit se faire l'unité. Ensemble, nous pouvons renouveler et réaménager notre système fédéral. Ensemble, nous pouvons sauver le Canada, ce modèle de société pour l'humanité tout entière.
Discours prononcé devant le Conseil américain des études québécoises Q U É B E C , L E 19 O C T O B R E
1996
Le Conseil américain des études québécoises a tenu son premier congrès ici à Québec, en 1986; 80 personnes y ont pris part. Nous voici, dix ans plus tard, avec plus de 300 participants et près de 2,00 présentations portant sur les différents domaines socio-culturels de la société québécoise : l'histoire, la littérature et la poésie, le théâtre et le cinéma, l'économie et l'administration, les médias et, bien sûr, la politique. Je vous envie beaucoup de pouvoir contempler la société québécoise avec un regard étranger car, en effet, elle doit vous apparaître bien fascinante, notre société. Je remercie votre président, Richard Beach, de m'avoir invité à prendre part à ce « bouillon de culture ». Au moment où je vous parle, la pièce Les belles-soeurs, de Michel Tremblay, se joue en Roumanie; Céline Dion se produit aux Pays-Bas, les Ballets Jazz de Montréal sont en tournée en Allemagne; le Cirque du Soleil présente Alegria au Japon et lance Quidam aux États-Unis; la compagnie de danse Carbone 14 donne une série de représentations en Belgique; la troupe de danse moderne La La La Human Steps est en tournée en Grande-Bretagne. Jamais, la communauté artistique québécoise n'a-t-elle tant rayonné aux quatre coins du monde, sans compter toute la dynamique interculturelle qu'elle a développée au sein du Canada tout entier au cours des dernières décennies. Que vous soyez à Québec, Montréal, Toronto ou Vancouver, vous pouvez voir l'Orchestre symphonique de Montréal, une production de Robert Lepage ou de Denys Arcand ou un spectacle du groupe autochtone Kashtin. Musique, peinture, théâtre, littérature ... en avoir le temps, je décrirais à quel point la créativité québécoise s'étend à toutes les sphères de l'activité humaine, y compris à notre monde politique qui, comme vous le savez, a l'habitude de produire certaines des personnalités politiques les plus effervescentes du Canada. Je voudrais faire valoir aujourd'hui que cette créativité québécoise trouve une stimulation dans son appartenance au Canada et, qu'en retour, l'apport de la société québécoise enrichit le Canada. Je veux montrer que les Québécois et les autres Canadiens ont toutes les raisons de rester ensemble.
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L'attachement à l'identité québécoise et canadienne Je m'adresse à vous en tant que Québécois et Canadien très attaché à ses deux identités et qui ne veut jamais avoir à choisir entre elles. Je sais que c'est aussi le cas de la très grande majorité des Québécoises et des Québécois. Un sondage réalisé en février dernier indiquait que 2.1 % des Québécois sembleraient ne plus se reconnaître dans l'identité canadienne, mais que les autres, qui représentent la grande majorité, dosent comme ils l'entendent leur identité québécoise et leur identité canadienne1. Je vous avoue que si c'était l'inverse, si 79 % des Québécois disaient ne plus se définir comme Canadiens, je serais inquiet. Mais non, ils veulent rester Canadiens et ils ont raison de tenir au Canada, ce pays qu'ils ont si puissamment contribué à bâtir. Pourtant, de nombreux Québécois qui tiennent au Canada ont répondu affirmativement à la question que le gouvernement du Québec leur a posée, le 30 octobre 1995, qui se lisait comme suit: « Acceptez-vous que le Québec devienne souverain, après avoir offert formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique, dans le cadre du projet de loi sur l'avenir du Québec et de l'entente signée le 12. juin 1995? ».
Les Québécois ont rejeté, par une majorité de 50,6%, ce projet que leur proposaient, pour la deuxième fois en 15 ans, les leaders sécessionnistes. Il s'en est fallu de peu pour que le Québec et tout le Canada soient plongés dans une crise sérieuse à l'issue très incertaine. Si de nombreux Québécois qui tiennent au Canada ont voté lors de ce référendum dans le sens que désiraient les leaders sécessionnistes, c'est qu'ils n'avaient pas l'impression de voter pour une sécession. Ils voulaient affirmer leur identité québécoise, mais ne croyaient pas renoncer à leur identité canadienne. Cela n'a pas empêché le chef des forces sécessionnistes, premier ministre du Québec à l'époque, d'assimiler au soir de sa défaite leur vote à un appui à « l'indépendance » du Québec, terme qu'il n'avait jamais utilisé tout au long de la campagne référendaire! Un sondage réalisé à la toute fin de la campagne référendaire a révélé que près de 80 % des Québécois qui se proposaient de voter oui pensaient que, si le oui l'emportait, le Québec continuerait d'utiliser automatiquement le dollar canadien; près de 80 % croyaient que les liens économiques avec le Canada demeureraient inchangés, et 50 % croyaient qu'ils continueraient d'utiliser le passeport canadien. Plus de 2.5 % croyaient que le Québec continuerait d'élire des députés au Parlement fédéral2. Un autre sondage a même indiqué que près d'un électeur du oui sur cinq pensait qu'un Québec souverain pourrait rester une province du Canada3.
L'ESPRIT DU FÉDÉRALISME 17 Les leaders sécessionnistes accusent ceux qui leur rappellent ces chiffres de manquer de respect envers l'intelligence des électeurs québécois. C'est là bien sûr un argument fallacieux. Ce n'est évidemment pas la faute des électeurs si la stratégie des sécessionnistes a propagé la confusion. Une sécession est une décision trop grave pour être prise dans la confusion. On comprendra alors que le Premier ministre du Canada se soit engagé solennellement, dans le discours du Trône du zj février 1996, à ce que l'enjeu de la sécession soit posé dans toute sa clarté. Ceux qui, au Québec, appuient la sécession doivent comprendre que ce projet leur ferait perdre leur identité canadienne. Ils doivent trouver de bonnes raisons pour y renoncer. Ils doivent trouver encore de meilleures raisons pour arracher l'identité canadienne du coeur des nombreux Québécois qui y tiennent. Ils doivent songer au tort qu'ils feraient à leurs concitoyens des autres provinces canadiennes. Il leur faut aussi se rendre compte que la sécession, une fois réalisée, serait probablement irréversible et engagerait donc non seulement leurs contemporains, mais aussi les générations futures. Or, les raisons d'un choix aussi grave n'existent tout simplement pas. Voilà pourquoi nous sommes très confiants dans l'avenir d'un Canada uni. Le gouvernement du Canada, avec l'aide de tous les citoyens qui croient en leur pays, et en particulier des forces fédéralistes du Québec, s'applique avec plus de résolution que jamais à montrer à quel point les identités québécoise et canadienne se complètent et pourquoi il faut les accueillir toutes les deux au lieu de se sentir obligé de choisir entre elles. Alors le péril de la sécession sera écarté et les Québécois et les autres Canadiens auront retrouvé la voie de la réconciliation et de l'unité. Aucune des justifications avancées pour la sécession ne résiste à l'examen, qu'elles empruntent le registre linguistique et culturel, celui de la structure politique ou celui de l'économie. Une fédération bilingue unie autour des mêmes valeurs universelles La tentation sécessionniste n'a de prise que parmi les électeurs francophones du Québec. Les quelque 15 % d'électeurs québécois non francophones appuient massivement l'unité canadienne et ne voient aucune raison de choisir entre le Québec et le Canada. Il faut montrer aux francophones que le Canada ne menace en rien leur langue ni leur culture, au contraire. Le fait est que jamais depuis les débuts de la Confédération en 1867 le Québec n'a été aussi francophone qu'aujourd'hui. La proportion des Québécois en mesure de s'exprimer en français est de 94 % et n'a jamais été aussi élevée. Dans ma circonscription de l'île
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de Montréal, je dois souvent m'exprimer en anglais pour me faire comprendre des personnes âgées d'origine grecque, italienne ou juive, mais leurs petits-enfants, eux, m'adressent spontanément la parole en français. La progression du français au Québec est due en partie aux lois linguistiques canadiennes et québécoises mises en place dans les années 1960 et 1970. Ces lois sont maintenant largement acceptées, et si certaines mesures prévues dans la loi québécoise ont été invalidées par les tribunaux, aucune d'entre elles ne revêtait un caractère important. On pense notamment à la question de l'affichage commercial. La loi québécoise de 1977 imposait l'unilinguisme dans l'affichage commercial. La Cour suprême du Canada a jugé en 1988 qu'une politique de prédominance du français était tout à fait justifiée en ce domaine, mais qu'il ne fallait pas bannir les autres langues. Cette politique est aujourd'hui celle qui prévaut au Québec, et qui fait consensus avec l'appui de plus de 85 % des Québécois selon l'opinion publique4. Les lois linguistiques québécoises sont plus libérales que celles que l'on retrouve dans des démocraties plurilingues aussi irréprochables que la Suisse ou la Belgique. De temps en temps, des esprits radicaux cherchent à ranimer les tensions linguistiques au Québec, mais ils échouent toujours. La solidarité des Québécois francophones et non francophones est admirable. En fait, un seul enjeu peut les diviser sur des bases linguistiques et ethniques : celui de la sécession. La solidarité des autres Canadiens des provinces et territoires envers le bilinguisme et la spécificité linguistique et culturelle des Québécois est elle aussi solide. Les Québécois et les autres Canadiens appuient majoritairement le bilinguisme. L'échec des réformes constitutionnelles des dernières années, qui visaient entre autres à faire reconnaître le Québec comme société distincte dans la fédération, a malheureusement créé un sentiment de rejet mutuel tout à fait déplorable entre trop de Québécois et d'autres Canadiens. La vérité est que la grande majorité des Canadiens veulent reconnaître et célébrer cette caractéristique fondamentale de leur pays qui fait que l'une des dix provinces canadiennes, la deuxième en importance, est majoritairement francophone en cette Amérique du Nord massivement anglophone. Ainsi un sondage de mars 19965 montrait que 85 % des Québécois et 68 % des autres Canadiens étaient d'avis que « la Constitution du Canada devrait reconnaître que le Québec, tout en étant égal aux autres provinces, est différent notamment par sa langue et sa culture. » De même, 82. % des Québécois et 84 % des autres Canadiens estimeraient que «le Québec est une composante essentielle de l'identité canadienne». La grande majorité de mes concitoyens des autres provinces
L'ESPRIT DU FÉDÉRALISME 19 veulent reconnaître le Québec dans sa différence et veulent simplement qu'on les aide à trouver les mots pour exprimer tout l'appui qu'ils accordent à leurs concitoyens du Québec. En décembre 1995, le gouvernement du Canada a fait adopter à la Chambre des communes une résolution reconnaissant le caractère distinct de la société québécoise et une loi garantissant au Québec, ainsi qu'aux quatre autres grandes régions du Canada, qu'aucun changement constitutionnel les concernant ne se ferait sans leur accord. Le Premier ministre et le gouvernement du Canada poursuivent leurs efforts afin que ces mesures soient inscrites dans notre Constitution. Ce malentendu terrible autour de la reconnaissance de la spécificité québécoise a convaincu trop de Québécois et d'autres Canadiens que leurs valeurs étaient incompatibles. C'est là une fausse croyance, en fait c'est tout le contraire qui est vrai. La principale raison pour laquelle je suis si attaché à ma société québécoise est qu'elle est tout à fait imprégnée des mêmes grandes valeurs universelles qui me font aimer le Canada. Comme chercheur en science politique, j'ai été frappé de constater à quel point les Québécois et les autres Canadiens appuient avec la même force les grandes valeurs universelles de tolérance, de solidarité et de justice. Quand, exemple parmi tant d'autres, un sondage d'avril dernier a montré que 74 % des Canadiens hors-Québec étaient d'avis que «la diversité culturelle rend le Canada plus fort», il s'est trouvé 71 % de Québécois pour partager le même avis6. Quand une enquête internationale a comparé 118 villes de ce monde sur la base de 42 indices économiques, sociaux et environnementaux, on a vu apparaître Montréal dans le peloton de tête (jerang) en compagnie de Vancouver (2,e), Toronto (4 e ) et Calgary (ne)7. Nos métropoles canadiennes ont leurs difficultés, leurs problèmes de chômage et de pauvreté, et de grands défis les attendent. Mais elles ont su devenir des modèles de coexistence culturelle et elles offrent à leurs habitants une sécurité et une qualité de vie difficiles à retrouver ailleurs. Voilà une raison de plus pourquoi Montréal et Vancouver méritent de demeurer ensemble, dans un Canada uni, si proches par l'esprit malgré la distance géographique qui les sépare. Ces valeurs universelles de tolérance et de solidarité dans la diversité se sont enracinées au Canada en bonne partie parce que les Français et les Anglais ont dû apprendre à cohabiter ensemble, ce qui les a préparés à accueillir de nouveaux concitoyens venus de tous les coins du monde. Notre histoire n'a pas toujours été facile et, comme les autres pays, comporte ses pages sombres. Mais le résultat est le Canada d'aujourd'hui, cette création humaine admirable. Les Québécois et les autres Canadiens l'ont bâti ensemble, et c'est pourquoi ils n'y renonceront pas.
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Une fédération décentralisée en évolution L'esprit de tolérance des Canadiens les amène à comprendre, peut-être mieux que tout autre peuple, que l'égalité n'est pas synonyme d'uniformité. C'est cette compréhension des choses qui les a guidés dans l'établissement d'une fédération décentralisée toujours à la recherche d'un meilleur équilibre entre la solidarité de tous et le respect des différences de chacun. Le Canada n'aurait jamais pu survivre s'il n'avait pas été une fédération qui fait en sorte que les Terre-Neuviens peuvent être Canadiens à la façon de Terre-Neuve, que les gens du Manitoba peuvent être Canadiens à leur façon, que les gens du Québec peuvent être Canadiens à la façon québécoise. Les leaders sécessionnistes prétendent que le Canada est une fédération centralisée qui laisse au Québec trop peu d'autonomie. Ils affirment que notre fédération est figée et incapable d'évolution et présentent le gouvernement fédéral comme une sorte de puissance étrangère aux Québécois. La vérité est que l'une de nos grandes forces vient précisément de ce que notre fédération s'appuie sur la décentralisation. Les experts en fédéralisme comparé la classent parmi les plus décentralisées, aux côtés de la Suisse. À titre de province du Canada, le Québec jouit d'une autonomie que peuvent lui envier toutes les autres entités fédérées. La souplesse du fédéralisme canadien a aussi fait en sorte que des dispositions particulières distinguent le Québec des autres provinces dans des domaines aussi variés que le droit civil, la fiscalité, les relations internationales, le régime de retraite, les politiques sociales, l'éducation postsecondaire et l'immigration. Loin d'être figée et immobile, notre fédération est en constante évolution; elle n'a pas mené à un gonflement du gouvernement fédéral, bien au contraire. Au cours des quatre dernières décennies, on a assisté à une redistribution progressive et spectaculaire du pouvoir de taxer et de dépenser du gouvernement fédéral vers les gouvernements provinciaux. Ainsi par exemple, en 1950, pour chaque dollar de revenu perçu par les provinces, le gouvernement fédéral percevait 2,46 $; en 1994, il ne percevait plus que 0,96 $. Aujourd'hui, face au danger qui menace notre unité, il est plus que jamais nécessaire de montrer aux Québécois, ainsi qu'à tous les Canadiens, à quel point leur fédération peut bien les servir. Il nous faut un gouvernement fédéral plus efficace dans ses champs de compétences, des gouvernements provinciaux et territoriaux plus efficaces dans les leurs, des administrations autochtones mieux outillées pour servir leurs populations, et un solide partenariat unissant toutes ces institutions.
L'ESPRIT DU FÉDÉRALISME 21 C'est là un objectif largement partagé au Canada et c'est pourquoi le gouvernement fédéral a lancé dans son discours du Trône de février 1996 un vigoureux plan de réforme de la fédération. Cette réforme vise à clarifier les rôles dans des domaines aussi variés que les mines, les forêts, les loisirs, l'environnement, le logement social, l'union économique. Je m'en tiendrai ici à décrire brièvement trois réformes clés: le pouvoir fédéral de dépenser, la formation professionnelle et l'union sociale, des enjeux qui se posent aussi à vous, les Américains. Au chapitre du pouvoir de dépenser, le gouvernement fédéral s'est engagé, dans le discours du Trône de 1996, à ne plus utiliser son pouvoir de dépenser pour créer des nouveaux programmes cofinancés dans des domaines de compétence provinciale exclusive sans le consentement d'une majorité de provinces. Nous avons ainsi posé un geste important en vue de rendre plus harmonieuses et consensuelles les relations fédérales-provinciales. Cet engagement à limiter le pouvoir fédéral de dépenser n'a pas son équivalent dans les autres fédérations; il répond à une doléance historique de nos provinces voulant que le gouvernement fédéral a utilisé ses revenus pour s'ingérer trop directement dans leurs affaires, les obligeant ainsi à modifier leurs priorités pour satisfaire le gouvernement fédéral. Quant à la formation professionnelle, le gouvernement du Canada lance une réforme qui accorde aux provinces une autonomie beaucoup plus grande dans le domaine de la formation professionnelle et du développement de la main-d'oeuvre, une politique publique très importante dans la nouvelle économie mondiale, en leur offrant de gérer elles-mêmes les quelque deux milliards de dollars par année que le gouvernement fédéral dépense actuellement pour les mesures actives d'aide à l'emploi. Les premières ententes devraient se conclure sous peu. Enfin, l'union sociale canadienne est aussi en mutation. Les transferts financiers que le gouvernement fédéral effectue vers les provinces en matière de santé et de programmes sociaux accordent maintenant aux provinces plus de flexibilité dans la détermination des priorités et dans la conception des programmes pour répondre aux besoins locaux, tout en respectant les principes sur lesquels se fonde la grande solidarité canadienne. Le Premier ministre et les premiers ministres provinciaux ont formé un nouveau conseil fédéral-provincial sur le renouvellement de la politique sociale pour étudier la mise en place de mécanismes plus consensuels et plus efficaces et examiner de plus près les problèmes de pauvreté chez les enfants. Il est à noter que ces réformes importantes sont lancées avec une forte présence québécoise à Ottawa. Le Premier ministre est un Québécois, comme ce fut le cas lors de 2,6 des 2,8 dernières années. Le ministre des Finances est aussi actuellement un Québécois, ainsi que le Président
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du Conseil du Trésor, le ministre des Ressources humaines et le ministre des Affaires intergouvernementales. Le juge en chef de la Cour suprême se trouve à être aussi un Québécois, ainsi que la plus haute fonctionnaire du pays. L'ambassadeur du Canada aux États-Unis est un Québécois. On appartient à une fédération non seulement pour en profiter, mais aussi pour y apporter sa culture et ses talents. Les Québécoises et les Québécois contribuent au succès et à l'évolution de la fédération canadienne et il ne faudrait pas se priver de la synergie qu'ils créent au contact de leurs concitoyens des autres provinces. Le succès économique du Canada Les leaders sécessionnistes voient dans chaque difficulté conjoncturelle de l'économie canadienne une justification de leur projet. Le Canada est un pays en faillite, disaient-ils il y a quelques années devant le lourd endettement public de notre fédération. Mais les institutions canadiennes ont prouvé qu'elles étaient capables de faire face aux difficultés. En effet, le Canada a redressé ses finances au point que son déficit de l'an prochain sera l'un des moins importants de I'OCDE. De même, sept des dix provinces ont rétabli l'équilibre budgétaire ou font des surplus alors qu'elles étaient toutes déficitaires il y a quelques années. Les taux d'intérêt à court terme au Canada ont baissé de plus de quatre points et demi depuis le début de l'an dernier. L'année précédant l'entrée en fonction de notre gouvernement, le Canada affichait, en ce qui a trait aux besoins d'emprunt, les pires résultats de tous les pays du 0-7, à l'exception de l'Italie. En 1997, toujours d'après le même critère, le Canada obtiendra le meilleur résultat au sein du 0-7. Dans ses Perspectives de l'économie mondiale publiées récemment, le FMI prévoit que le Canada affichera, en 1997, la plus grande croissance des pays du G-J. Alors, les leaders sécessionnistes ont changé de cible. Lors du référendum d'octobre 1995, ils ont prétendu que le Canada anglais avait épousé une culture conservatrice incompatible avec les valeurs québécoises de justice sociale et de compassion. Ils ont promis qu'un oui au référendum servirait de rempart contre le vent froid des compressions budgétaires venu du Canada anglais et de levier pour un nouvel élan de social-démocratie québécoise. Le ménage des finances publiques a été opéré par le gouvernement fédéral et par la majorité des provinces, de quelque couleur politique qu'ait été leur gouvernement. Le même ménage s'impose aussi au Québec, l'une des provinces les plus endettées du Canada. Comme elle est aussi moins riche que la moyenne canadienne, elle reçoit l'aide de provinces plus fortunées. La solidarité canadienne s'exprime admirable-
L'ESPRIT DU FÉDÉRALISME 2,3 ment dans ce principe d'entraide entre les provinces riches et les provinces moins nanties par l'entremise des transferts du gouvernement fédéral; ce principe, plus poussé sans doute que dans les autres fédérations du monde, fait en sorte qu'actuellement, sept provinces reçoivent l'aide de trois provinces qui sont pour le moment plus fortunées : l'Ontario, l'Alberta et la Colombie-Britannique. Mais cette même Alberta, dans les années 1930, a été aidée par les autres provinces, y compris la mienne. C'est ça la grande solidarité canadienne. Les Québécois bénéficient actuellement de l'aide que leur apportent leurs concitoyens des provinces plus riches; un jour, ils seront en mesure à leur tour d'apporter une aide particulière à leurs concitoyens de provinces moins fortunées. Depuis quelques mois, le gouvernement du Québec, à l'instar des autres provinces, a entrepris un plan courageux de redressement de ses finances publiques. On peut envisager l'avenir avec optimisme grâce aux ressources de l'économie québécoise, à la culture propre aux Québécois, à la collaboration des gouvernements et à la solidarité de tous les Canadiens. Par exemple, le gouvernement fédéral a renforcé son appui aux entreprises et aux fonctionnaires québécois depuis la fermeture des délégations du Québec à Boston, Atlanta, Chicago et Los Angeles. Le gouvernement du Canada est aussi le gouvernement des Québécois, mais il est, en quelque sorte, aussi le gouvernement des chercheurs américains comme la plupart d'entre vous! L'ambassade du Canada à Washington et nos consulats à travers les États-Unis sont aussi à votre service. Le gouvernement du Québec peut réussir à redresser ses finances publiques malgré les coûts de l'incertitude politique liée à son projet insensé de sécession. Si je suis contre la sécession, ce n'est pas parce que je crois les Québécois incapables de gérer leur propre État indépendant. Je nous crois, les Québécois, appelés à un idéal plus grand: celui de continuer à améliorer cette superbe réussite économique et sociale qu'est le Canada; celui de lutter, aux côtés de tous nos concitoyens des autres provinces, contre les fléaux du chômage et de la pauvreté; celui de continuer à faire en sorte que les comparaisons faites par les organismes internationaux, notamment I'ONU et la Banque mondiale, continuent à placer les Québécois sur le podium dans tant de domaines de l'activité humaine. La solidarité qui unit les Québécois est exemplaire; c'est une force qui les grandit et qui nourrit la confiance en leur avenir économique et social. Mais leur solidarité est complétée non moins admirablement par celle qui les rattache à leurs concitoyens des provinces de l'Atlantique, de l'Ontario, de l'Ouest et du Grand Nord canadien. Les solidarités québécoise et canadienne se complètent merveilleusement et ce serait
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non seulement une absurdité économique, mais surtout une faute morale, que de ne pas les conserver toutes les deux, pour nous-mêmes et nos enfants. C'est ensemble qu'il nous faut affronter les formidables défis du xxie siècle. Conclusion Notre pays mérite de survivre et ses chances de réussite sont excellentes. Nous, Québécois et les autres Canadiens, resterons ensemble parce que nous avons réussi quelque chose d'irremplaçable sur cette planète. Nous pouvons être fiers de notre concorde linguistique et culturelle, de notre essor économique et de l'originalité de nos institutions. Nous devons améliorer notre fédération, et notre gouvernement a lancé en ce sens des initiatives importantes. Nous pouvons reconnaître en toute confiance la spécificité québécoise comme une caractéristique fondamentale de notre pays. Voilà ce que j'estime vous avoir démontré aujourd'hui. Je l'ai fait en soulignant les avantages du Canada plutôt que les risques de la sécession. Je n'ai rien dit ou presque du cortège d'incertitudes, du choc des légitimités, des perturbations économiques et sociales et de la somme des négociations pénibles auxquels nous serions confrontés si nous entreprenions de nous choisir entre concitoyens plutôt que de rester tous ensemble, au sein du Canada. Je n'ai pas mentionné encore le désaccord important qui nous oppose à propos du caractère légal ou non d'une déclaration unilatérale d'indépendance et de la demande de clarification qui a été adressée, à cet effet, à la Cour suprême. De la sécession, je dirai simplement qu'il ne faut pas la voir comme une opposition entre le Québec et le Canada, qui formerait deux blocs monolithiques. Si je m'oppose à la sécession, si je veux lutter contre elle avec toutes les forces que me donne la démocratie, c'est qu'elle déchirerait d'abord ma société, qu'elle opposerait les Québécois aux Québécois. La sécession, avec les incertitudes qu'elle engendre, est le type d'enjeu susceptible de plonger les populations les plus tolérantes dans l'intolérance. La sécession se définit par une rupture de solidarité entre concitoyens. C'est pourquoi, dans sa sagesse, le droit international n'étend aux peuples le droit à l'autodétermination dans sa forme extrême, c'est-à-dire le droit à la sécession, que dans les cas où la rupture de solidarité est manifeste : soit dans les cas d'occupation militaire ou d'exploitation coloniale. Les sécessions qui se sont produites à ce jour sont toujours nées de la décolonisation ou de la période trouble qui suit la dislocation d'empires autoritaires. Ce n'est pas un hasard si jamais une démocratie bien établie, ayant expérimenté dix années consécutives de
L'ESPRIT DU FÉDÉRALISME 2,5 suffrage universel, n'a connu de sécession. Une telle rupture de solidarité apparaît bien difficile à justifier en démocratie. Le Canada, exemple universel d'ouverture, de tolérance et de générosité, est le dernier pays au monde où il faudrait voir triompher la fragmentation identitaire. Vous, les Américains, le comprenez d'instinct. Voilà pourquoi vous préférez que le Canada reste uni, tout en vous gardant bien d'intervenir dans les affaires des Canadiens. Ce n'est pas seulement votre intérêt économique bien compris qui explique votre préférence pour l'unité canadienne. Vous, sur qui pèsent les responsabilités internationales les plus lourdes, appréhendez dans la brisure possible de cette grande fédération bilingue et multiculturelle le mauvais exemple qui serait donné au reste du monde, alors que les tensions identitaires font rage dans tant de points du globe. Selon le professeur Elazar, de l'Université Temple de Philadelphie, il y a dans le monde environ 3 ooo groupes humains qui se reconnaissent une identité collective. Or, on compte aujourd'hui 185 États reconnus à I'ONU, 86% d'entre eux étant multi-ethniques dans leur composition. La croyance voulant que toute population ayant ses caractéristiques propres doit avoir son État est terriblement fausse. Je ne veux pas la voir triompher dans mon pays. Elle est non seulement impraticable, mais elle constitue aussi une faute morale, car c'est en apprenant à faire cohabiter les cultures qui les composent que les États donnent à leurs populations la possibilité de grandir. La cohabitation des cultures au sein d'un même État aide les être humains à devenir de meilleurs citoyens en leur permettant de vivre l'expérience de la tolérance. Il serait vain et même destructeur d'essayer de faire en sorte que tout le monde soit majoritaire chez soi. Ce que l'on doit rechercher, c'est le moyen de faire cohabiter des cultures et des minorités confiantes et épanouies au sein d'une même structure politique. La présence et le rayonnement de la minorité québécoise au sein du Canada renforcent non seulement les Canadiens des autres provinces, mais aussi les Québécois eux-mêmes, grâce à la complémentarité de leur appartenance au Québec et au Canada. Les Québécois et les autres Canadiens n'ont pas le droit d'échouer. Ils doivent se rapprocher les uns des autres et se réconcilier. Ils doivent réussir non seulement pour eux-mêmes et leurs enfants, mais aussi, pourquoi pas, pour les autres habitants de cette pauvre planète, qui voient dans le Canada une source d'espoir et un pays béni des dieux. Le Président Truman ne disait rien d'autre quand il citait l'expérience canadienne en exemple pour tous les peuples de la terre : « La place éminente du Canada aujourd'hui est un hommage à la patience, à la tolérance et à la force de caractère de son peuple. Les réalisations notables du
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Canada en termes d'unité nationale et de progrès par des accommodements, par la modération et par la patience, méritent d'être étudiées avec profit par les nations soeurs. » [Traduction libre] Et sans vouloir en aucune façon me mêler de la campagne présidentielle américaine, laissez-moi terminer par cette citation du Président Clinton qui renferme, je pense, l'essentiel de ce que j'ai voulu vous dire aujourd'hui : « Dans un monde assombri par les conflits ethniques, qui déchirent littéralement des pays, le Canada constitue pour nous tous un pays modèle, où des gens de cultures diverses vivent et travaillent ensemble dans la paix, la prospérité et la compréhension. Le Canada a montré au monde comment trouver un juste équilibre entre la liberté et la compassion. »
NOTES
i 2, 3 4 5
CROP, février 1996 Léger & Léger, octobre 1995 Créatec +, octobre 1995 CROP, mai 1996 Environics, mars 1996
6 Ekos, avril 1996 7 Corporate Resources Group, 1995
L'éthique du fédéralisme U N I V E R S I T É DE T O R O N T O , LE 15 N O V E M B R E
1996
« Nul ne saurait apprécier plus que moi les avantages du système fédératif. J'y vois l'une des plus puissantes combinaisons en faveur de la prospérité et de la liberté humaines. J'envie le sort des nations auxquelles il a été permis de l'adopter. » Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique «Placés les uns à côté des autres comme de grandes familles, leur contact produira un heureux esprit d'émulation. La diversité des races contribuera, croyez-le bien, à la prospérité commune. » George-Etienne Cartier, Débats sur la Confédération, le 7 février 1865. «Pour mettre leur projet nationaliste à terme, les nationalistes du Québec auront à abandonner la pratique du respect mutuel et de la tolérance qui a été la condition essentielle pour que se réalise ce que les populations du Canada ont accompli ensemble comme citoyens d'un même État. » [Traduction] Peter H. Russell, « Can Quebeckers Be a Sovereign People ? »
L'oeuvre de Peter Russell va au coeur du débat canadien, en atteignant des valeurs au-delà des inévitables arguties constitutionnelles. Nous, Canadiens, ne voulons pas choisir entre la solidarité universelle et le respect des diversités culturelles. Nous tenons aux deux et nous les voulons fortement. « Je regarderais comme un grand malheur pour le genre humain que la liberté dût en tous lieux se produire sous les mêmes traits » I , a écrit Alexis de Tocqueville. Voilà bien le malheur qu'entend combattre l'idéal canadien. Les Canadiens savent que la quête de ce qui est vrai, juste et bon doit être plurielle, ils savent que c'est en tirant le meilleur parti de chaque culture, de chaque expérience individuelle, régionale ou historique, que l'on se rapproche de ce qu'il y a de meilleur dans la
Document présenté dans le cadre de la Conférence Ideas in Action en l'honneur du professeur Peter Russell
2.8
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civilisation. Les Canadiens savent que l'égalité n'est pas à confondre avec l'uniformité. Ou en tout cas, ceux d'entre eux qui ne le savent pas encore devraient lire et méditer l'oeuvre de Peter Russell. Cette double quête de l'universel et de la diversité culturelle, on la retrouve depuis la genèse de notre Confédération. Nous avons souvent dévié depuis, commis des erreurs et des injustices graves, mais le résultat est cette réalisation humaine admirable qu'est le Canada. Il suffit de comparer la pensée de George-Etienne Cartier avec celle de Peter Russell pour mesurer la constance de l'idéal canadien. Dans son fameux discours prononcé le 7 février 1865 à l'Assemblée législative sur le «Projet de Confédération des provinces de l'Amérique britannique du Nord», Cartier a énoncé les principes qui, encore aujourd'hui, définissent le Canada. Cartier insiste d'abord sur le respect des cultures, en empruntant les termes de son époque, ceux de «race» ou de «nation». Cartier identifie quatre «races» alors bien présentes : les Canadiens-Français, les Écossais, les Anglais et les Irlandais. Y en aurait-il eu d'autres tout aussi présentes qu'il les aurait certainement nommées, car sa pensée n'était en rien exclusive. Cartier commet cependant l'erreur grave d'oublier les Autochtones, faute que Peter Russell ne cessera de vouloir réparer. Cartier s'arrête aussi sur les confessions religieuses, catholiques et protestantes, rappelle que bien des catholiques ne sont pas Français, et en appelle là aussi à la tolérance et à l'union : « Dans notre confédération, il y aura des catholiques et des protestants, des Anglais, des Français, des Irlandais et des Écossais, et chacun, par ses efforts et ses succès, ajoutera à la prospérité, à la puissance, à la gloire de la nouvelle confédération1. »
Cartier assure que le gouvernement fédéral sera fort, en mesure de faire face à la menace américaine, menace qui à l'époque était militaire, en mesure aussi de mener à bien les grands projets communs. Les provinces, elles, seront capables d'exprimer la personnalité propre de leurs habitants. L'union avec de nouvelles provinces aidera le Québec, prédit-il, car sa province pourra ainsi varier les alliances au lieu d'être fondue dans une province-unie avec un Haut-Canada en croissance rapide. Et c'est ainsi que le Québec d'aujourd'hui s'allie tantôt avec l'Ontario quand il s'agit de la politique industrielle, avec les Prairies et l'Atlantique en matière de politique sociale, et avec les provinces de l'Ouest quand il s'agit de politique de commerce international. Enfin, Cartier voulait que le Canada soit une «nation politique», une nation solidaire qui transcende la race, la religion, l'histoire et la géographie. Il assurait que jamais les Français du Québec ne voudraient
L'ESPRIT DU FÉDÉRALISME 2.9 se désolidariser des autres Canadiens. Si l'on veut rechercher un contrat à la genèse de notre union fédérale, c'est bien celui-là, énoncé par Cartier, et qui inspire toute l'oeuvre de Peter Russell. Les Québécois de toutes origines ont puissamment aidé les autres Canadiens à réaliser cet idéal, ils ne doivent pas y renoncer. L'idéal canadien vise à garantir la nécessaire cohabitation des cultures au moyen d'une éthique du fédéralisme. C'est là l'idée que je vais développer dans le texte qui suit. Même si j'ai conçu ce texte en mettant mon nouveau chapeau, celui de ministre de la Couronne ayant la responsabilité de conseiller le Premier ministre sur l'unité canadienne, je crois être resté près de la rigueur universitaire incarnée par le professeur Russell.
i. La nécessaire cohabitation des cultures À l'heure où les aspirations identitaires sont plus fortes que jamais partout dans le monde, l'idée voulant que toute population ayant des caractéristiques qui lui sont propres devrait avoir son État est tout à fait fausse. « À chaque peuple son État » est une idée impraticable, il va sans dire. Mais c'est aussi une erreur morale car c'est en apprenant à faire cohabiter les cultures qui les composent que les États donnent à leurs populations la possibilité de grandir. La cohabitation des cultures au sein d'un même État aide les êtres humains à devenir de meilleurs citoyens en leur permettant de vivre l'expérience de la tolérance. Selon Daniel Elazar, il y a dans le monde environ 3000 ethnies ou tribus qui se reconnaissent une identité propre. Parmi les quelque 180 États politiquement «souverains» plus de 160 d'entre eux sont multiethniques dans leur composition3. L'idée de « un peuple, un État» ferait exploser la planète. On ne saurait trop méditer sur ce commentaire tiré d'un rapport du Secrétaire général des Nations Unies : « II reste que si chacun des groupes ethniques, religieux ou linguistiques prétendait au statut d'État la fragmentation ne connaîtrait plus de limite, et la paix, la sécurité et le progrès économique pour tous deviendraient toujours plus difficiles à assurer4. »
J'ai rencontré mon homologue d'Afrique du Sud, le ministre des Affaires intergouvernementales de cette toute nouvelle fédération. Il n'y a pas, là-bas, comme nous l'avons au Canada, deux langues officielles l'anglais et le français - qui sont aussi des langues internationales; il y a onze langues officielles, sans compter toutes sortes de langues auxquelles on a accordé un certain statut politique. L'Afrique du Sud sort de ce
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que l'être humain a inventé de pire pour l'être humain, le cauchemar de l'apartheid. C'est par la réconciliation et la recherche d'une harmonieuse cohabitation des cultures que ce pays, avec ses onze langues officielles, retrouvera progressivement les forces dont il a besoin pour relever les défis humains et socio-économiques qui l'attendent. La seule solution pour l'Afrique du Sud est l'unité, non pas la fragmentation. Et ce n'est sûrement pas le Canada, un pays béni des dieux, qui doit lui donner, ainsi qu'au reste du monde, l'exemple de la rupture. Il serait vain d'essayer de faire en sorte que tout le monde soit majoritaire chez soi. Ce que l'on doit rechercher, c'est le moyen de faire cohabiter des cultures et des minorités confiantes et épanouies au sein d'une même structure politique. La présence et le rayonnement de la minorité québécoise au sein du Canada renforcent non seulement les Canadiens des autres provinces, mais aussi les Québécois eux-mêmes, grâce à la complémentarité de leur appartenance au Québec et au Canada. Et sans vouloir me mêler de ce qui se passe à l'étranger, je crois quand même que c'est la même valeur universelle qui devrait être poursuivie pour les Écossais en Grande-Bretagne, ou pour les Catalans en Espagne. Le Canada, ce pays qui est devenu un exemple d'ouverture, de tolérance et de générosité, est le dernier pays au monde où il faudrait laisser triompher la fragmentation des identités. Ce serait d'autant plus regrettable que, si le Canada est aussi ouvert, tolérant et généreux aujourd'hui, c'est parce que les Français et les Anglais, dès leur départ, ont pris les moyens pour s'entendre et tirer parti, à la fois de leurs identités respectives et de la complémentarité de ces deux grandes cultures. Cela n'a pas toujours été facile; il y a des pages sombres dans notre histoire, mais il en est résulté cette riche société tolérante qu'est le Canada. Nos grandes métropoles - Montréal, Toronto, Vancouver - qui sont des modèles de coexistence, ont su éviter de devenir des villes racistes, comme on en voit trop souvent, et pour cette raison précise méritent de rester dans le même État, si proches par l'esprit, malgré la distance géographique qui les sépare. En fait, une enquête menée par le Corporate Resources Group de la Suisse, les classe parmi les zones métropolitaines où la qualité de vie est la meilleure au monde. Ainsi, Vancouver a fini deuxième, Toronto quatrième et Montréal septième. Ces villes canadiennes viennent avant Bruxelles, Londres, Oslo et Paris, et loin devant la ville américaine qui s'est le mieux classée, Boston, qui est arrivée trentième5. Ma circonscription de Saint-Laurent-Cartierville est un autre exemple de communauté plurielle et harmonieuse, une véritable ONU condensée avec plus de cinquante nationalités différentes et vivantes. J'y trouve toujours une inspiration car c'est ça, pour moi, Montréal; c'est ça, pour moi, le Québec; c'est ça, pour moi, le Canada,
L'ESPRIT DU FÉDÉRALISME 31 un idéal de cohabitation harmonieuse de cultures différentes au sein d'un même État. Je voudrais que les Espagnols regardent l'épanouissement de la Catalogne avec confiance, comme une force pour l'Espagne et non comme une menace à son unité. Je voudrais que les Britanniques aient le même sentiment envers l'Ecosse. Et je ne veux pas que mon pays, le Canada, serve d'exemple repoussoir pour les majorités inquiètes d'Espagne, du Royaume-Uni, ou d'ailleurs. Mon rêve c'est que le Congrès américain par exemple, au lieu de dire, comme on l'a entendu : « On ne veut pas créer des "Québec" aux États-Unis et donc on ne veut pas reconnaître des droits supplémentaires à notre minorité hispanophone » dise au contraire : « Inspirons-nous de ce qui se passe au Canada; les Québécois et les autres Canadiens cohabitent dans l'harmonie parce qu'ils s'acceptent en toute confiance. » Je voudrais que dans la Communauté européenne, on cesse de dire : « Attention, ne laissons pas trop d'autonomie à nos régions. » Je voudrais que l'on regarde le Canada comme une inspiration pour l'avenir, non seulement pour les Canadiens, mais aussi pour les autres êtres humains qui expérimentent la cohabitation des cultures au sein d'un même État. 2. L'éthique du fédéralisme II y a de nombreux moyens de faire cohabiter les populations; mais celui que je préconise et dont je vais discuter ici, c'est le fédéralisme. On dit souvent du fédéralisme qu'il est efficace. Dans ma société, au Québec, on le présente souvent sous l'angle de sa rentabilité, du fédéralisme rentable : « Québécois, restez dans le Canada parce que nous avons une fédération rentable », leur dit-on. Ce qui est très vrai, car quatre des cinq pays les plus riches au monde sont des fédérations : le Canada, les États-Unis, l'Allemagne et la Suisse6. Beaucoup de lecteurs connaissent sans doute les indicateurs de PONU ou de la Banque mondiale qui placent le Canada au sommet du palmarès dans tant de dimensions de l'activité humaine. Le Canada est une formidable réalisation humaine, un joyau sur cette planète, qui donne à ses habitants l'une des plus belles qualités de vie qui soient. Toutefois, nous avons des problèmes graves, trop de chômage, trop de pauvreté, surtout chez les enfants. Pour affronter ces problèmes, il faut nous appuyer sur nos forces au lieu de leur tourner le dos. Ces bons résultats internationaux ne sont pas le fruit du hasard; ils sont vraisemblablement attribuables au fait que notre fédéralisme est rentable pour tous les Canadiens. En fait le fédéralisme comme idéal universel, est plus que rentable; il a une éthique qui encourage la cohabitation des cultures.
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Plus que jamais, nous avons besoin de concilier le global et le local, ce que Tom Courchene de l'Université Queen's appelle la « glocalisation»; en d'autres termes, nous avons besoin de concilier une grande solidarité et les désirs d'autonomie. La conciliation, par le fédéralisme, de ces deux objectifs a bien servi l'humanité par le passé et sera plus nécessaire que jamais dans les années à venir. C'est Tocqueville, ce grand penseur libéral et prophète de la démocratie qui, dès le xix e siècle, a bien exprimé cette idée : « C'est pour unir les avantages divers qui résultent de la grandeur et de la petitesse des nations que le système fédératif a été créé. » 7 N'est-elle pas toujours aussi vraie, cette idée, à l'heure de la mondialisation des marchés et de la pression exercée en faveur de l'autonomie? Partout dans le monde, des pressions opposées s'exercent, d'un côté en faveur d'organisations politiques élargies et de l'autre en faveur d'organisations politiques plus petites, centrées sur leur dimension régionale. La demande pressante d'organisations élargies s'explique par une prise de conscience des forces de l'interdépendance mondiale et par le besoin d'exercer une influence accrue sur les décisions internationales. La recherche de petites unités politiques indépendantes s'explique par le besoin de rendre les gouvernements plus sensibles aux besoins des citoyens et à leurs attachements premiers : les liens linguistiques et culturels, l'appartenance à une religion, les traditions historiques et les coutumes sociales. C'est ce qui constitue les fondements d'une communauté. Le fédéralisme aide à concilier ces courants opposés. Il permet aux identités régionales de s'exprimer aux niveaux national et international. Par exemple, les francophones du Canada sont représentés au Commonwealth, tout comme les anglophones du Canada le sont dans la Francophonie. Et parce qu'ils sont ensemble, qu'ils forment un grand et riche pays, ils ont les uns et les autres accès au G-J, ce qu'ils ne pourraient pas faire si le Canada se fracturait. Les Canadiens de l'est du pays ont autant accès à l'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique (APEC) que les gens de l'Ouest ont accès à l'Organisation des pêches de l'Atlantique nord-ouest (OPANO). Mais en même temps, le Canada est une fédération où chaque province peut donner sa perspective propre et régler ses problèmes à sa façon. Nous avons vécu la situation où les dix provinces du Canada avaient des déficits budgétaires; chacune a trouvé sa façon à elle de s'en sortir et, aujourd'hui, vous en avez sept qui ont atteint l'équilibre budgétaire ou qui réalisent des surplus. La méthode du premier ministre du Nouveau-Brunswick n'a pas été la même que celle de l'Alberta et elle ne sera sans doute pas celle que le Québec inventera, avec sa société distincte, avec sa propre culture. Chaque province cherche ses forces en elle-même, ce qui n'empêche pas qu'elles s'entraident par la solidarité;
L'ESPRIT DU FÉDÉRALISME 33 et c'est quelque chose dont on a besoin plus que jamais : l'entraide par la présence de grands ensembles et l'inventivité par l'autonomie. Ce qui m'amène à vous en dire plus sur l'éthique du fédéralisme. Alan Cairns, une autorité canadienne reconnue en matière de fédéralisme, a démontré dans son oeuvre que les institutions ne nous permettent pas seulement d'accomplir des choses, elles favorisent aussi des principes moraux, elles contribuent à façonner notre vision du monde et de nous-mêmes. Les deux grands principes moraux que le fédéralisme encourage sont, à mon sens, la tolérance et la solidarité. La tolérance Le fédéralisme, en tant que philosophie publique, invite à la tolérance, qui s'exprime à travers notre capacité d'accepter les différentes manières d'agir. La tolérance fait appel à notre capacité d'accepter les diverses façons de contribuer à la vie en société. Charles Taylor parle de « diversité profonde » 8 : les citoyens ne conçoivent pas tous leur citoyenneté de la même façon. La tolérance, dans sa forme la plus fondamentale, donne aux gens la liberté d'être eux-mêmes pour mieux s'entraider les uns les autres. Certains disent qu'il faut être Canadiens tous de la même façon sinon notre pays est en danger. Je trouve que c'est une erreur. Les Suisses, par exemple, ont le système municipal le plus puissant au monde; ils tirent de cette grande décentralisation un mobile de fierté, une raison supplémentaire de se sentir Suisses. C'est la même chose au Canada, où nous avons des provinces fortes, comme l'ont bien démontré les travaux comparatifs de M. Ron Watts, de l'Université Queen's9. Certains Canadiens voient dans la décentralisation une menace et pensent que c'est la raison pour laquelle le pays risque l'éclatement. Je suis persuadé du contraire. Le Canada n'aurait jamais pu survivre s'il n'avait pas été une fédération qui fait en sorte que les gens de Terre-Neuve peuvent être Canadiens à la façon de Terre-Neuve, que les gens du Manitoba peuvent être Canadiens à leur façon, que les gens du Québec peuvent être Canadiens à la façon québécoise. Comme Peter Russell l'a fait observer, « La réalité de la citoyenneté canadienne est que, au niveau psychique, elle est extraordinairement hétérogène. Les Canadiens autochtones, les Canadiens québécois, les Canadiens qui s'identifient à une minorité linguistique, ethnique ou raciale, ainsi que les Canadiens qui aspirent à s'identifier à une nation canadienne unifiée ont vécu leur lien avec le Canada, du point de vue historique, de façons très différentes10. » [Traduction]
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Moi, qui suis un p'tit gars de Québec, habitant maintenant à Montréal, j'ai ma façon à moi d'être Canadien, je ne suis pas obligé de l'être comme quelqu'un de Winnipeg. Mais je sais, par instinct, que le fait de partager le même pays avec cette personne de Winnipeg fait d'elle et de moi de meilleurs êtres humains. Quand je suis dans ma circonscription de Saint-Laurent-Cartierville et que je parle à des personnes âgées d'appartenance juive, italienne ou grecque, je suis presque toujours obligé de leur parler en anglais parce qu'elles ont été insuffisamment intégrées à la société québécoise, pour toutes sortes de raisons historiques. Mais quand je parle à leurs petitsenfants de 18-19 ans, je peux leur parler en français; je peux leur parler en anglais, je peux même me risquer en espagnol. Ces jeunes-là s'expriment à la fois en français, en anglais et souvent dans une ou deux autres langues; ils sont donc merveilleusement outillés pour le siècle à venir. C'est ça Montréal, c'est ça le Québec d'aujourd'hui, et c'est ça le Canada : une société plurielle qui doit demeurer harmonieuse et tolérante. On dit parfois du fédéralisme qu'il ne peut fonctionner que dans une société homogène, ayant la même religion et la même langue. Ce n'est pas du tout mon avis. Le fédéralisme fonctionne dans une société homogène, mais il est nécessaire dans une société hétérogène, parce qu'il favorise la tolérance et c'est ce dont une société hétérogène a le plus besoin. Comme l'a fait remarquer le professeur Russell : « la pratique du respect mutuel et de la tolérance [...] a été la condition essentielle pour que se réalise ce que les populations du Canada ont accompli ensemble. » X I [Traduction] Et notons le parallèle avec la pensée de George-Etienne Cartier : « On a prétendu qu'il serait impossible de faire fonctionner la Confédération, à cause des différences de race et de religion. Ceux qui partagent cette opinion sont dans l'erreur. C'est justement à cause de cette variété de races et d'intérêts locaux que le système fédéral doit être établi et qu'il fonctionnera bien. » I Z
La solidarité Un professeur de l'Université de la Colombie-Britannique, Samuel LaSelva, a écrit dans un livre récent The Moral Foundations of Canadian Federalism : « L'esprit national canadien présuppose le fédéralisme canadien qui, à son tour, repose sur une forme complexe de fraternité qui peut favoriser l'émergence d'une société juste. »13 [Traduction]
L'ESPRIT DU FÉDÉRALISME 35 Je crois que La Selva indique ici que la structure institutionnelle du fédéralisme est porteuse d'un principe moral que j'appelle la solidarité. C'était l'idée de Cartier, qui disait que notre fédération devait être fondée sur les « intérêts et les sympathies » partagés entre les différentes communautés. La solidarité, que je définis comme étant le sens du bien commun et de la compassion à l'égard de nos concitoyennes et de nos concitoyens, nous permet d'agir ensemble, de consolider nos moyens et d'unir nos forces. La solidarité canadienne s'exprime admirablement dans le principe d'entraide entre les provinces riches et les provinces moins nanties par l'entremise des transferts du gouvernement fédéral; ce principe, probablement plus poussé que dans aucune autre fédération du monde, fait en sorte qu'actuellement, sept provinces reçoivent l'aide de trois provinces qui sont pour le moment plus fortunées : l'Ontario, l'Alberta et la Colombie-Britannique. Mais l'Alberta, dans les années 1930, a été aidée par les autres provinces, y compris la mienne. Et les Albertains savent qu'un jour peut-être, ils auront besoin de l'aide des Québécois. C'est ça la grande solidarité canadienne. Les Québécois bénéficient actuellement de l'aide que leur apportent leurs concitoyens des provinces plus riches; un jour, ils seront en mesure à leur tour d'apporter une aide particulière à leurs concitoyens de provinces moins fortunées. Voilà le vrai sens de la solidarité canadienne. C'est plus que de la tolérance; non seulement nous tolérons ce que sont les autres, mais nous voulons les aider à être ce qu'ils sont. Je veux aider les gens de TerreNeuve à être ce qu'ils sont. Je sais aussi qu'ils ne sont pas comme les gens de la Colombie-Britannique. Comme Québécois et Canadien, je veux que, eux aussi, m'aident à faire partie d'une société majoritairement francophone dans cette Amérique du Nord anglophone. La grande majorité des Québécois se sentent en même temps Québécois et Canadiens; mais trop d'entre eux croient qu'ils ont à choisir entre leur identité québécoise et leur identité canadienne. Et beaucoup d'entre eux, se sentant plus chez eux dans leur environnement québécois, sont donc enclins à choisir leur identité québécoise. Et pourquoi se sentent-ils obligés de choisir entre le Québec et le Canada? Parce qu'ils pensent que les autres Canadiens ne les acceptent pas dans leur différence. C'est un malentendu terrible qu'il faut dissiper afin de garantir l'unité de notre pays. C'est dans ce sens que s'inscrit la résolution présentée par notre gouvernement et adoptée par le Parlement concernant la reconnaissance du Québec comme société distincte au sein du Canada. C'est aussi le sens des efforts que le gouvernement du Canada entend poursuivre pour que les autres provinces puissent, en toute confiance, reconnaître la spécificité québécoise dans la Constitution canadienne.
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3. Conclusion: La flexibilité, la voie du renouvellement Le fédéralisme, a écrit Paul Gérin-Lajoie lorsqu'il était ministre de l'Éducation du Québec, a donné à des êtres humains un outil crucial qui leur a permis de coordonner les aspirations de différentes collectivités, en renforçant celles-ci et en leur donnant une plus grande influence. Toutefois, il reprochait au fédéralisme son côté insaisissable. « Ce qui rend le fédéralisme si difficile à décrire, » concluait-il, « c'est précisément ce qui en fait un instrument politique si précieux : sa flexibilité, sa polyvalence, son adaptabilité. »14 [Traduction]
II avait raison. Le fédéralisme canadien n'est pas le même que celui que l'on peut retrouver en Suisse ou en Belgique, car les contextes sont tout à fait différents, et les défis qui attendent les populations comme celles d'Afrique du Sud ou de l'Inde sont sans commune mesure avec ceux qui sont les nôtres dans les pays industrialisés. Mais partout le fédéralisme aide les êtres humains à mieux vivre ensemble. C'est pourquoi je suis convaincu que le fédéralisme est une solution valable pour nos sociétés humaines, une solution que nous devons préserver pour nous-mêmes et nos enfants, une solution qui doit servir d'exemple au monde entier. Toutefois, le régime fédéral canadien actuel n'est pas seulement différent de celui appliqué dans d'autres pays à l'échelle du globe. Le fédéralisme canadien d'aujourd'hui est aussi très différent de celui pratiqué il y a cinquante ans, et dans cinquante ans notre fédération aura beaucoup évolué. C'est d'ailleurs là l'une des forces des régimes fédéraux: ils sont suffisamment souples pour s'adapter et évoluer selon les nouveaux enjeux et les situations nouvelles. Grâce à sa souplesse, notre fédération peut répondre aux nouvelles aspirations des provinces, des régions et des cultures qui la composent. Cette adaptabilité fait partie de ce que Cari Friedrich a appelé un jour « l'esprit fédéral ». Il définissait cet esprit comme la capacité de faire des compromis et de s'adapter, lesquels sont des éléments de ce que j'ai appelé plus tôt la solidarité15. Le renouvellement du Canada fondé sur cet esprit est, comme le dit Peter Russell avec beaucoup de justesse, « conforme au génie politique canadien et aux formes de l'organisation politique qui seront les régulateurs au xxie siècle » [Traduction]. Il ajoute que la solution de rechange - c'est-à-dire nous morceler en nations-États homogènes - nous alignerait sur des forces qui sont en train de régresser16. Et admirons une dernière fois la force prémonitoire de Cartier : « Les nations sont formées maintenant par l'agglomération de divers peuples rassemblés par les intérêts et les sympathies. »17
L'ESPRIT DU FÉDÉRALISME 37 C'est dans cet esprit que le gouvernement fédéral travaille pour renouveler et moderniser la fédération. De concert avec ses partenaires, notre gouvernement s'efforce d'adapter la fédération aux nouveaux besoins de la population canadienne, en conformité avec les principes moraux qu'encouragé notre régime : la solidarité et la tolérance. À l'heure actuelle, notre régime fédéral subit d'énormes changements. Toutefois, les Canadiens ont aussi fait montre de créativité sur de nombreux plans au cours des dernières décennies, ne cessant jamais de renouveler la fédération selon les besoins intérieurs et les forces extérieures. Le régime fédéral, grâce à sa souplesse, peut être adapté aux besoins des générations de Canadiens qui se succéderont. Les changements que nous apportons aujourd'hui s'inscrivent dans un continuum, cela depuis les premiers jours de la Confédération jusque dans un avenir trop lointain pour pouvoir l'imaginer. J'ai la conviction que le Canada de demain héritera de certaines caractéristiques du Canada d'aujourd'hui : il sera fort, flexible, dynamique, généreux et uni. Et c'est heureux, étant donné que la cohabitation des cultures est nécessaire et, même, la seule possibilité viable, car ni l'assimilation culturelle ni la séparation culturelle ne sont acceptables sur le plan pratique ou moral. Le gouvernement du Canada est résolument tourné vers l'avenir. Depuis la lecture du discours du Trône en février 1996, nous avons mis de l'avant un plan pour réformer notre fédération. Nous nous y attacherons d'une façon qui consolidera notre précieux héritage des générations qui ont bâti notre pays jusqu'à ce jour. NOTES i Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Tome i, première édition historico-critique revue et augmentée par Eduardo Nolla, Librairie philosophique J. Vrin, Paris, 1990, p. Z45. 2, Joseph Tassé, Discours de Sir Georges Cartier Baronnet, Eusèbe Senécal & Fils, imprimeurs-éditeurs, Montréal, 1893, P- 4223 Daniel J. Elazar, Federalism and thé Way to Peace, Reflections Paper No. 13, Université Queen's, Kingston, 1994, p. 23. 4 Boutros Boutros-Ghali, Agenda pour la paix, Nations Unies, New York, i99Z,p. 10. 5 The Ottawa Citizen, le mercredi 18 janvier 1995, p. Az. 6 Programme des Nations Unies pour le développement, Rapport mondial sur le développement humain 1994, Economies, Paris, 1994, p. ni, Tableau annexe A5.2,.
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7 Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Tome i, première édition historico-critique revue et augmentée par Eduardo Nolla, Librairie philosophique J. Vrin, Paris, 1990, p. 123. 8 Charles Taylor, « Shared and divergent Values », dans Ronald L. Watts et Douglas M. Brown, éd., Options for a New Canada, University of Toronto Press, Toronto, 1991, p. 75. 9 Ronald. L. Watts, document non publié, 1996. 10 Peter H. Russell, «The Constitution, Citizenship and Ethnicity», dans Jean Laponce et William Safran, éd., Ethnicity and Citizenship : The Canadian Case, Frank Cass, London, 1996, p. 101. 11 Peter H. Russell, « Can Quebeckers Be a Sovereign People? », dans Canada Watch, 4: 38-9, novembre/décembre 1995, p. 38. 12. Joseph Tassé, Discours de Sir Georges Cartier Baronnet, Eusèbe Senécal & Fils, imprimeurs-éditeurs, Montréal, 1893, p. 416. 13 Samuel V. LaSelva, The Moral Foundations of Canadian Federalism : Paradoxes, Achievements, and Tragédies of Nationhood, McGill-Queen's University Press, 1996, p. xiii. 14 Paul Gérin-Lajoie, « Canadian Federalism and thé Future », dans Gordon Hawkins éd., Concepts of Federalism : Thirty-Fourth Couchiching Conférence, 1965, p. 6^. 15 Cari J. Friedrich, Trends of Federalism in Theory and Practice, Praeger, New York, 1968, p. 39. 16 Peter H. Russell, « Can thé Canadians Be a Sovereign People? », dans Canadian Journal ofPolitical Science, xxiv; 4 décembre 1991, p. 708. 17 Joseph Tassé, Discours de Sir Georges Cartier Baronnet, Eusèbe Senécal &c Fils, imprimeurs-éditeurs, Montréal, 1893, p. 4 2Z -
Nos deux fédérations : une évolution différente, des défis communs CLEVELAND, OHIO, LE IO DÉCEMBRE
1996
On ne peut imaginer les États-Unis et le Canada sous une forme autre que fédérative. Le fédéralisme a bien servi nos deux pays par le passé. Le fédéralisme est également la voie de l'avenir dans le contexte de la mondialisation et des pressions qui s'exercent en faveur d'alliances plus étendues d'une part, et d'une autonomie régionale accrue d'autre part. Le fédéralisme a toute la souplesse voulue pour concilier ces deux pressions, comme le reconnaissent de plus en plus de pays. En Europe, en particulier, mais également ailleurs dans le monde, des États-nations se regroupent en entités quasi fédérales pour répondre aux impératifs économiques mondiaux. Nous avons la chance, au Canada et aux ÉtatsUnis, de bénéficier d'un système fédéral que beaucoup de pays nous envient. Mais le fédéralisme est plus qu'un avantage économique, il constitue une éthique, un principe moral. De par leur structure même, les régimes fédéraux aident les humains un peu partout sur la terre à vivre plus harmonieusement. Cela est crucial dans un monde où l'on trouve, selon le professeur Daniel Elazar de l'Université Temple de Philadelphie, quelque 3 ooo groupes se reconnaissant une identité collective. Plus de 180 États souverains au plan politique existent présentement, dont plus de 160 sont multiethniques dans leur composition. La coexistence au sein d'un même État de voisins ayant des racines culturelles différentes enseigne la tolérance aux gens et, par conséquent, fait d'eux de meilleurs citoyens. Le poète anglais John Donne a dit un jour qu'aucun homme n'est une île. Son observation s'applique également aux cultures et aux peuples. On n'a rien à gagner en s'isolant des autres et en se laissant dominer par la crainte et l'incompréhension. Le fédéralisme nous permet d'unir nos forces pour réaliser des projets qui profiteront à tout le monde, mais il est suffisamment souple pour faciliter la pleine expression des identités régionales. En un mot, nous sommes gagnants sur tous les plans.
Discours prononcé devant le Council of State Governments
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II suffit d'un coup d'oeil rapide aux fédérations du monde pour voir qu'il n'y en a pas deux pareilles. Votre fédération est différente de la nôtre. Son évolution est différente de la nôtre. Mais comme c'est le cas avec tous les pays, nous avons certains défis communs à relever. Je vous entretiendrai d'abord du passé, en décrivant les contrastes dans l'évolution de nos deux fédérations. Puis, je discuterai de certains défis que nos deux fédérations ont à relever présentement. Je n'aurais pas pu trouver meilleure tribune que le Council of State Governments pour une discussion utile et stimulante sur ces sujets. Je vous remercie de m'avoir invité ici aujourd'hui. L'histoire de deux fédérations L'expérience de nos deux pays devrait faire réfléchir ceux qui croient que les constitutions sont l'alpha et l'oméga du développement d'une fédération. Même si nos deux constitutions, qui comptent parmi les deux plus anciennes au monde, n'ont guère changé dans leur forme écrite, nos deux fédérations ont évolué considérablement. Cela montre que des transformations importantes sont possibles sans changer un iota à la Constitution. Les constitutions évoluent - souvent de manière fondamentale - grâce aux interprétations juridiques, aux nouvelles conventions et à l'exercice (ou au non-exercice) des pouvoirs, plutôt que grâce uniquement à des modifications en bonne et due forme. Les États-Unis en sont un bel exemple, car ils ont évolué de manière spectaculaire au fil des années. Pourtant, parmi les quelque 9 100 modifications qui ont été proposées depuis 1789, 26 à peine ont été ratifiées. Au Canada, certains pouvoirs visant au départ à renforcer le rôle du gouvernement fédéral - tel que le pouvoir de désaveu et de réserve, qui a permis au gouvernement fédéral d'abroger des lois provinciales - sont tombés en désuétude, même s'ils ont souvent été utilisés au xixe siècle. De nos jours, les ententes intergouvernementales et de nouveaux mécanismes de concertation permettent une évolution appréciable sans nécessiter de modifications à notre constitution. Les constitutions fédérales ne sont donc pas des camisoles de force qui nuisent au changement - elles sont plutôt des cadres qui le favorisent. C'est la raison pour laquelle les États-Unis et le Canada ont été en mesure d'évoluer dans des directions très différentes. Les États-Unis sont devenus beaucoup plus centralisés avec le temps, en dépit d'une Constitution relativement décentralisatrice. Par contre, la Constitution du Canada était centralisatrice au moment de la Confédération, mais de nos jours nous avons une des fédérations les plus décentralisées qui soient. L'esprit de la Constitution américaine était décentralisateur : celle-ci accordait des pouvoirs limités au gouvernement national et confiait les
L'ESPRIT DU FÉDÉRALISME 41 pouvoirs résiduels aux États. Sous le pseudonyme de Publius, James Madison s'est senti obligé de démontrer qu'aucun des pouvoirs transférés au gouvernement fédéral n'était inutile ni abusif. En revanche, au moment de la Confédération en 1867, le partage des pouvoirs dans la Constitution canadienne avait une forte tendance centralisatrice, notamment par l'attribution au gouvernement fédéral du principal pouvoir résiduel, soit celui qui concernait « la paix, l'ordre et le bon gouvernement ». Les Pères de la Confédération canadienne ont voulu éviter ce qu'ils considéraient comme une cause principale de la guerre civile américaine: un gouvernement fédéral faible qui mettait l'accent sur l'autonomie des États. Ils voulaient aussi assurer la sécurité nationale ainsi que des communications et un développement économique à l'échelle du pays. Mais malgré son caractère centralisateur, la Loi constitutionnelle de 1867 accordait des pouvoirs importants aux provinces, par exemple dans les domaines de la langue, de l'éducation et du droit. Les fondateurs du Canada étaient convaincus de pouvoir bâtir un pays ayant un gouvernement central fort sans anéantir les cultures et les langues minoritaires, ni ce qui distinguait le Québec et les autres régions. Ils étaient persuadés que les Français et les Anglais pouvaient vivre côte à côte et travailler ensemble au renforcement de la nation. Ces convictions sont l'un des plus grands héritages qu'ils nous aient laissés. Au départ, la fédération du Canada était donc beaucoup plus centralisée que la vôtre. Aujourd'hui, pourtant, même s'il n'y a eu que quatre modifications au partage des pouvoirs, notre fédération est à bien des égards plus décentralisée que la vôtre. Voyons quelques indicateurs. Par exemple en 1991, les dépenses fédérales, après les transferts intergouvernementaux, représentaient 58,5 % du total des dépenses gouvernementales aux États-Unis tandis qu'au Canada elles s'élevaient à 40,8 %. En comparaison, en 1961, au Canada, le pourcentage était de 49,7 %. En outre, selon un spécialiste en fédéralisme comparé, le professeur Ron Watts de l'Université Queen's en Ontario, environ 80 % des transferts fédéraux aux États et aux administrations locales aux États-Unis sont des subventions conditionnelles. Au Canada, par contre, pas moins de 76 % sont maintenant inconditionnels. Comment expliquer ce paradoxe? Je crois que cinq facteurs socio-économiques et institutionnels peuvent ensemble apporter des éléments de réponse. Premièrement, alors que le partage des pouvoirs aux États-Unis définissait dès le départ plusieurs fonctions partagées, au Canada on insistait sur la démarcation entre les responsabilités exclusives de chaque ordre de gouvernement. Aux États-Unis, les pouvoirs fédéraux et les pouvoirs concurrents sont définis expressément, mais la Constitution
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laisse de vastes pouvoirs résiduels aux États sans les définir. Les tribunaux ont eu tendance à interpréter ce qui est « implicite » dans les pouvoirs fédéraux de manière aussi large que possible, ce qui, avec le temps, a contribué à une centralisation accrue. En revanche, au Canada, où les pouvoirs provinciaux et fédéraux sont définis explicitement dans la Constitution, les tribunaux interprètent plutôt étroitement certains pouvoirs fédéraux depuis la fin du xix e siècle, de manière à élargir la sphère de compétence provinciale. Plus tard, l'accent sur les compétences provinciales dans les domaines « de la propriété et des droits civils » a transformé ce pouvoir en une disposition résiduelle de remplacement. Deuxièmement, la situation de nos principaux groupes minoritaires n'est pas du tout la même. Dans votre pays, les minorités sont dispersées et aucun groupe n'est suffisamment concentré dans un État donné pour y former la majorité de la population. D'où le fait que vos minorités tendent à se tourner vers le gouvernement fédéral pour qu'il défende leurs intérêts. Au Canada, les francophones sont le plus important groupe minoritaire. Ils sont surtout concentrés au Québec, deuxième province en termes de population, où 83 % de la population est francophone. Les Québécois francophones ont une relation spéciale avec leur gouvernement provincial puisque c'est le seul gouvernement où la majorité des représentants élus sont francophones. Bien que le gouvernement du Québec ait parfois appuyé des mesures centralisatrices, il se fait généralement le grand défenseur de l'autonomie provinciale. Cette situation n'a pas d'équivalent aux États-Unis. Troisièmement, aux États-Unis, les pouvoirs exécutif et législatif sont séparés dans les deux ordres de gouvernement, tandis qu'au Canada, ces deux pouvoirs sont fusionnés dans le système centré sur l'exécutif qui caractérise le régime parlementaire. Par conséquent, aux ÉtatsUnis, les divisions entre le président et le Congrès ont attiré l'attention. Au Canada, le système s'est défini par les relations fédérales-provinciales bien davantage que par le partage des pouvoirs entre l'exécutif et le législatif. Quatrièmement, il y a 50 États américains mais seulement 10 provinces canadiennes. Cela signifie que chaque province a beaucoup plus d'influence sur le gouvernement fédéral qu'un État américain ne peut en avoir. Le fait que nos provinces sont moins nombreuses que vos États facilite également le consensus entre ordres de gouvernement, grâce à des mécanismes comme les conférences de premiers ministres, ainsi que les partenariats fédéraux-provinciaux. Ainsi, il est plus facile pour les provinces de former de fortes coalitions dans leur relation avec le gouvernement fédéral. Enfin, les rôles différents des États-Unis et du Canada sur la scène internationale ont eu des répercussions importantes sur le rôle de leur
L'ESPRIT DU FÉDÉRALISME 43 gouvernement fédéral respectif sur la scène nationale. Le rang de superpuissance des États-Unis et les dépenses militaires qui en découlent ont attiré l'attention sur le gouvernement central. Le Canada, par contre, est une puissance moyenne à l'échelle internationale. Notre gouvernement fédéral n'a donc pas attiré autant l'attention. Les défis communs Par le passé, le fédéralisme a bien servi les intérêts de nos deux pays. Il nous a aidés à devenir des chefs de file en matière de développement économique et à connaître un excellent niveau de vie. Ce n'est sûrement pas un hasard si quatre des cinq pays les plus riches au monde sont des fédérations: le Canada, les États-Unis, l'Allemagne et la Suisse. Il faut maintenant se demander si le fédéralisme va continuer de bien nous servir au xxi e siècle. Je suis persuadé que oui. Les régimes fédéraux ont précisément l'avantage d'être assez souples pour s'adapter et évoluer lorsque de nouvelles circonstances et de nouveaux défis l'exigent. Il est évident que nos fédérations font face à un certain nombre de défis. Je vous entretiendrai aujourd'hui de deux de nos principaux défis: premièrement, la nécessité de mettre de l'ordre dans les finances publiques tout en maintenant nos politiques sociales et deuxièmement, la nécessité de sauvegarder l'unité en nous adaptant à notre pluralisme culturel croissant. Le défi des finances et de la politique sociale C'est à tort qu'on a reproché au fédéralisme d'encourager les dédoublements et les chevauchements, et de gonfler les dépenses gouvernementales. Ce n'est tout simplement pas vrai. Une étude publiée par I'OCDE en 1985 concluait que les dépenses gouvernementales par rapport au PIB étaient en moyenne de quelque 7 % moins élevées dans les États fédérés que dans les États unitaires. De plus, aujourd'hui, vous retrouvez parmi les pays industrialisés les moins endettés des fédérations comme l'Australie et la Suisse. Le fédéralisme n'augmente pas le risque d'endettement, mais ne prémunit pas non plus les pays contre un tel fléau. Toutefois, si un État fédéral a un problème d'endettement, il peut y faire face grâce à la flexibilité inhérente au fédéralisme. Nos deux pays en sont un bon exemple. Aux États-Unis, en 1986, le taux du déficit fédéral par rapport au PIB était de 5,2. % mais tombera à 1,1 % en 1998. Pour ce qui est du Canada, le taux du déficit fédéral par rapport au PIB était de 7,2, % en 1985-1986, mais en 1997-1998, ce déficit ne représentera plus que
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2.% du PIB. Par rapport à nos besoins d'emprunt - l'unité de mesure employée aux États-Unis - notre budget sera équilibré en 1998-1999. Les taux d'intérêt à court terme au Canada se situent actuellement à 1,5 % au-dessous des vôtres. Dans certains cas, nos efforts ont aussi profité directement aux provinces. Ainsi, la baisse des taux d'intérêt entre janvier 1995 et juin 1996 a permis aux gouvernements provinciaux de réaliser des économies cumulatives d'environ 1,3 milliard de dollars. Par ailleurs, la souplesse de notre fédération a permis aux provinces de procéder comme elles l'entendaient pour réduire leur déficit budgétaire, et sept d'entre elles ont réussi à équilibrer leur budget ou à avoir un excédent. Les dirigeants de vos États et de nos provinces disent craindre que des compressions budgétaires nationales donnent lieu à du délestage: aux États-Unis par ce que vous appelez les mandats non financés, et au Canada par des réductions des paiements de transfert. Vous n'aurez pas de difficultés à trouver des premiers ministres provinciaux qui laissent entendre qu'il y a eu délestage. Mais laissez-moi vous dire qu'entre 1994-1995 et 1998-1999, les transferts tomberont de 10,5 % tandis que les dépenses des ministères fédéraux diminueront de 11,5 %. De plus, les provinces ont été prévenues un an à l'avance que de telles compressions seraient nécessaires. Les décisions concernant les compressions budgétaires sont difficiles, mais je peux vous assurer que malgré la nécessité de faire de telles compressions, le Premier ministre Jean Chrétien, le ministre des Finances Paul Martin et notre gouvernement avons choisi de réduire les dépenses de façon importante dans des domaines comme les transports, afin de préserver nos programmes sociaux. Nous nous assurons que ces compressions, lorsqu'elles s'avèrent nécessaires, sont justes pour toutes les provinces. Nous avons également répondu aux préoccupations manifestées au sujet de l'usage du pouvoir fédéral de dépenser, qui permet au gouvernement fédéral de verser des paiements aux gouvernements, institutions et particuliers même dans des domaines en dehors de ses champs de compétence. La répartition des responsabilités dans les fédérations touche le pouvoir législatif et non pas le pouvoir de dépenser. Le pouvoir fédéral de dépenser utilisé dans les champs de compétence des États membres existe dans toutes les fédérations. Au Canada, c'est le pouvoir fédéral de dépenser qui, par exemple, est à la source de notre système national de soins de santé, dont tous les Canadiens sont si fiers. Néanmoins, les provinces soutiennent que la décision unilatérale d'y recourir peut miner leur capacité de fixer leurs propres priorités et de les mettre en oeuvre. Nous avons donc annoncé cette année que le pouvoir fédéral de dépenser ne servirait plus à créer de nouveaux programmes cofinancés dans des domaines de compétence provinciale exclusive, sans le
L'ESPRIT DU FÉDÉRALISME 45 consentement de la majorité des provinces. Le gouvernement fédéral a pris de son propre chef la décision sans précédent de limiter son pouvoir de dépenser. Cette limitation reflète notre engagement à veiller à une meilleure coopération et à des relations plus harmonieuses entre le gouvernement fédéral et les provinces. Dans les deux pays, nous assistons à une redistribution des responsabilités et à une volonté de donner plus de latitude aux États et aux provinces. Vous avez eu chez vous un débat vigoureux quant à la réforme de l'aide sociale, où les États ont opté pour des approches nettement divergentes. Or, des deux côtés de la frontière, la population veut des garanties que les normes de base demeureront, et que les États et les provinces ne se mettront pas à rivaliser d'ingéniosité pour offrir les politiques les plus chiches. Au Canada, nous travaillons avec les provinces pour clarifier les rôles des différents ordres de gouvernement, pour trouver des façons innovatrices de mettre nos forces en commun et de bâtir de nouveaux partenariats. La formation professionnelle et la pauvreté chez les enfants sont deux domaines stratégiques où de réels progrès sont accomplis. D'ici 1999, nous aurons transféré la gestion de toute la formation professionnelle financée par le programme d'assurance-emploi aux provinces désireuses de relever ce défi. Entre-temps, le gouvernement fédéral poursuivra ses efforts pour faire de la mobilité des travailleurs canadiens un droit qui soit véritablement respecté, et continuera d'offrir certains services comme le système national d'information et d'échange sur le marché du travail. Vendredi dernier, nous annoncions la première entente dans ce domaine entre notre gouvernement et celui de la province de l'Alberta. Grâce à ces nouvelles ententes, nous assouplirons considérablement un domaine de politique publique qui joue un rôle crucial dans la nouvelle économie mondiale. La pauvreté chez les enfants est un deuxième domaine où les gouvernements canadiens sont en train de renouveler leur partenariat. Le Canada et les États-Unis sont les deux pays industrialisés où les taux de pauvreté des enfants sont les plus élevés, et je sais que nous cherchons tous sérieusement des moyens de s'attaquer à ce problème. Aux ÉtatsUnis, votre nouvelle loi sur la réforme de l'aide sociale confère aux États une souplesse accrue dans la gestion des programmes destinés aux familles pauvres, tout en encourageant la réinsertion des bénéficiaires dans le marché du travail. Au Canada, un conseil interministériel fédéral-provincial sur la politique sociale, créé cet été par les deux ordres de gouvernement, s'est entendu pour accorder la plus grande priorité aux prestations pour enfants. Les ministres songent à combiner la prestation fiscale fédérale pour enfants avec les prestations d'aide sociale provinciales pour les enfants dans un nouveau programme mixte.
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Le défi de l'unité et du pluralisme Comme les États-Unis, le Canada est un pays très multiculturel. Le pluralisme culturel deviendra une question de plus en plus présente pour les deux pays. Le Canada est également un pays bilingue où le français et l'anglais sont reconnus comme les langues officielles. Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, notre minorité la plus importante est concentrée dans une seule province, le Québec. Cette situation a engendré un défi supplémentaire, car elle a donné un élan à un mouvement sécessionniste. Il est important que je mette en perspective le référendum de 1995 sur la sécession du Québec. Je m'exprime en tant que Québécois et que Canadien, très attaché à ses deux identités. Je suis extrêmement fier de ce que les Québécois ont réalisé ensemble. Ils ont réussi à créer une société dynamique, florissante et principalement francophone sur un continent où l'anglais domine. Mais je suis aussi extrêmement fier de ce que les Canadiens - notre famille étendue - ont réalisé ensemble. Ils ont bâti une société où priment le respect de la diversité et la compassion. La vaste majorité des Québécois pensent comme moi : ils sont fiers de leurs deux appartenances. Ce que nous devons faire, en tant que gouvernement, c'est montrer aux Québécois qu'ils n'ont pas à choisir entre les deux identités auxquelles ils sont attachés. Nous devons leur montrer à quel point l'identité québécoise et l'identité canadienne se complètent l'une l'autre. En tant que gouvernement, nous devons en outre faire la démonstration que le fédéralisme répond bien aux besoins des Québécois. Nous devons aussi encourager les autres Canadiens à montrer à quel point le Québec est important pour leur identité canadienne. La preuve est facile à faire dans le premier cas. Nous travaillons à faire reconnaître par les Canadiens le caractère particulier du Québec dans la Constitution pour démontrer le second point. En attendant, le Parlement a adopté en décembre 1995 une motion reconnaissant «que le Québec forme au Canada une société distincte » de par sa « majorité d'expression française, [sa] culture qui est unique et [sa] tradition de droit civil ». Les Américains sont des amis du Canada. Une importante majorité d'Américains appuie l'unité du Canada. Et je sais que s'ils veulent un Canada uni, ce n'est pas uniquement pour des raisons économiques. Vous voulez un Canada uni parce que vous ne voulez pas que le Canada donne au monde un mauvais exemple, celui de la division, plutôt qu'un exemple positif, un exemple d'unité. Je sais, pour la même raison, que tous les Canadiens - les Albertains pas moins que les Québécois, les habitants de la Nouvelle-Ecosse pas moins que les Manitobains - doivent oeuvrer à la réconciliation. Il le faut non seule-
L'ESPRIT DU FÉDÉRALISME ment pour nous-mêmes et nos enfants, mais aussi pour les nombreux autres peuples du monde entier qui voient une source d'espoir dans le Canada. Beaucoup d'entre eux ne peuvent que rêver des avantages dont nous profitons grâce au fédéralisme canadien. Ils veulent que le Canada continue à véhiculer le bon message, à montrer au monde un modèle de cohabitation harmonieuse. Laissez-moi vous donner un exemple particulièrement à-propos, l'exemple d'un pays qui vient de signer une nouvelle Constitution aujourd'hui, événement important pour nous tous. Il s'agit de l'Afrique du Sud. À l'encontre du Canada, l'Afrique du Sud n'a pas deux langues officielles importantes au plan international, mais plutôt 11 langues officielles. De plus, contrairement au Canada, l'Afrique du Sud n'est pas reconnue comme un des pays au monde où on retrouve la meilleure qualité de vie. Ce pays sort de l'expérience odieuse de l'apartheid. Grâce à la réconciliation et à un effort de cohabitation harmonieuse des cultures, l'Afrique du Sud retrouvera graduellement la force nécessaire pour relever les défis humains et socio-économiques qui l'attendent. La seule solution pour les Sud-Africains c'est l'unité, pas le morcellement. Un pays béni des dieux comme le Canada devrait être un exemple non pas de rupture mais d'espoir pour l'Afrique du Sud. Conclusion Nos régimes fédéraux, qui nous ont si bien servis par le passé, font face à d'importants défis à l'aube du xxie siècle. Nos deux pays peuvent s'inspirer de ce qui se fait ailleurs pour répondre à ces défis. Par nos échanges commerciaux et tous nos autres types d'échanges, comme la rencontre d'aujourd'hui, nous pouvons partager idées, solutions et rêves. Le Canada est confronté à un défi unique : celui de la sécession. Certains prétendent que l'existence d'un mouvement séparatiste au Québec est la preuve que le Canada ne fonctionne pas. Je crois au contraire que le Canada fonctionne bien. Notre fédération fonctionne bien, elle peut être améliorée et sera améliorée si les Québécois et les autres Canadiens décident résolument de travailler ensemble. Et nous choisirons de rester ensemble parce que les forces de l'unité prévaudront. Je suis persuadé que nos deux partenaires fédéraux de TA LENA - votre pays et le Mexique - continueront de pouvoir compter longtemps sur un Canada fédéral uni comme partenaire. Il ne fait aucun doute dans mon coeur et mon esprit que le fédéralisme est la voie de l'avenir.
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Le Canada : une fédération équitable C A L G A R Y , LE 4 A V R I L 1997
L'Alberta est le pays de l'esprit pionnier au Canada. Cet esprit allie la détermination de vaincre les obstacles et le courage de reculer les frontières. Mais il est contrebalancé par un côté plus modéré. Les vaillants colons qui ont édifié la province savaient qu'il fallait s'entraider pour survivre aux conditions rigoureuses de cette région alors non colonisée du pays. Il fallait partager et faire en sorte que chacun soit traité avec équité. Cet aspect de l'esprit pionnier guide toujours les actions des Albertains : 39,6 % font du bénévolat, ce qui est plus que dans toute autre province canadienne. En janvier dernier, un article du Calgary Herald a retenu mon attention. Il avait pour titre « Calgarians united by their gentleness » (Les Calgariens unis par leur bonté). Son auteur, Peter Menzies, parlait du sens de l'équité et du partage des Canadiens - qui a incité des milliers de Calgariens à manifester leur sympathie et à donner des sous à la famille de Grayson Wolfe. Comme vous vous le rappellerez, les parents de Grayson faisaient face à des frais médicaux énormes qu'ils ne pouvaient régler. «D'instinct, les Calgariens savent que cela n'a pas de sens, » écrivait Menzies. « Dans notre coin de pays, il n'est pas nécessaire de se ruiner pour sauver la vie de son enfant. » II en va de même de notre fédération, qui est fondée sur l'équité - laquelle consiste à trouver un juste milieu entre notre foi dans l'initiative personnelle et le sens du partage. S'entraider aux heures difficiles, soutenir les entreprises des uns et des autres : c'est ce sens du partage qui fait que le Canada est plus que la somme de ses parties. À vrai dire, une grande majorité de Canadiens estiment avoir accompli quelque chose d'exceptionnel ensemble. Avec nos valeurs personnelles comme l'équité et le partage, nous avons édifié un pays qui incarne ces valeurs à l'extrême. C'est essentiel dans un pays aussi grand, qui a le bonheur de posséder de vastes ressources humaines et naturelles, mais qui doit néanmoins composer avec les difficultés que présentent la
Discours prononcé devant la Chambre de commerce de Calgary
L'ESPRIT DU FÉDÉRALISME 49 distance, la disparité et la diversité. Il est important que nous nous efforcions toujours de trouver le juste milieu entre l'autonomie personnelle - et celle de chacune des provinces — d'une part, et la nécessité de partager et de faire preuve d'équité, d'autre part. Les débats sur l'équité au Canada sont aussi vieux que notre fédération. Ils sont peut-être inévitables dans un pays qui est aussi profondément attaché à l'idéal du partage. Ainsi, la politique nationale imposant le tarif douanier en 1879, qui visait à développer le secteur manufacturier canadien dans son ensemble, à produire les recettes nécessaires à la construction des réseaux de transport nationaux et à favoriser le commerce est-ouest, était néanmoins largement perçue dans l'Ouest comme étant uniquement destinée à aider les fabricants de l'Ontario et du Québec. Le tarif du Nid-de-Corbeau, prisé des producteurs de blé des Prairies, était considéré, quant à lui, par les producteurs de boeuf du sud de l'Alberta, comme un frein au développement de l'industrie du bétail. Et puis il existe certaines politiques qui sont carrément mauvaises. Les politiciens libéraux, en commençant par ma collègue Anne McLellan, ministre des Ressources naturelles, seront toujours conscients des conséquences du Programme énergétique national. Ce programme est aussi un exemple de ce qui peut arriver lorsqu'un gouvernement n'a pas de représentants de toutes les régions du pays. Ces débats ont toujours cours aujourd'hui. Selon un sondage d'opinion réalisé en octobre dernier, seulement 30 % des Canadiens pensent que le gouvernement fédéral traite toutes les provinces sur un pied d'égalité. Les sondages démontrent que les Canadiens vivant à l'extérieur du Québec pensent que « la belle province » est mieux traitée que les autres, alors que les Québécois croient que l'Ontario est la province la mieux traitée. Cette situation est fort préoccupante, et je crois qu'il est de mon devoir de l'aborder en tant que ministre des Affaires intergouvernementales ayant une responsabilité particulière dans le dossier de l'unité nationale. La jalousie interrégionale est inhérente aux fédérations. Mais la situation que nous vivons, nous au Canada, est unique. Nous formons une fédération menacée d'éclatement et confrontée à une idéologie séparatiste qui favorise la méfiance, les divisions et l'envie entre citoyens. Quand un groupe de députés arrive à Ottawa avec le seul mandat de servir les intérêts de leur propre région, cela incite d'autres régions à élire des députés qui, à leur tour, défendent uniquement leurs intérêts. Nous perdons alors tout le sens d'une Opposition nationale vouée à la défense des intérêts du Canada dans son ensemble. Il est important que les partis politiques fédéraux soient capables de mettre en équilibre les différents intérêts régionaux. Sinon, les jalousies interrégionales continueront de s'intensifier. Et il est essentiel
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pour l'unité de notre pays que notre esprit de générosité triomphe de ces jalousies. Le Canada ne devrait pas être considéré comme une espèce de jeu à somme nulle parce qu'au sein du Canada, nous sommes tous gagnants. Si notre pays se démembrait en dix républiques repliées sur ellesmêmes, les Canadiens ne jouiraient plus des avantages énormes dont nous bénéficions ensemble aujourd'hui. Dans bien des provinces, le filet de sécurité sociale se relâcherait considérablement. Sans oublier que, sur la scène internationale, un Canada uni représente un atout important. Notre économie est assez florissante pour que nous puissions faire partie du 0-7. Dans le cadre des grandes négociations commerciales, nous sommes suffisamment de taille pour être invités à la table aux côtés de l'Union européenne, du Japon et des États-Unis. Nous sommes le plus important partenaire commercial des États-Unis. Le Canada joue de plus un rôle clé au sein de l'Organisation mondiale du commerce et dans d'autres forums internationaux. Ensemble, nous avons le privilège de faire partie de 1'APEC, du Commonwealth et de la Francophonie. Le Canada n'est pas un jeu à somme nulle. Chaque province a ses propres forces et sa propre identité qui ensemble forment un pays fort et diversifié. Aujourd'hui, l'Alberta est une province nantie, mais s'il arrivait un jour que le marché mondial ne joue plus en faveur de vos forces particulières, vous savez que vous pourriez alors compter sur l'aide d'autres provinces, tout comme vous leur venez en aide en ce moment. En réalité, il n'y a pas si longtemps, en 1986-1987, l'Alberta recevait 419 millions de dollars dans le cadre du Programme de stabilisation fiscale parce que ses revenus avaient diminué par rapport à l'année précédente - c'était la deuxième province à profiter de ce programme, la première étant la Colombie-Britannique. C'est cela le Canada. Et ce « régime d'assurance » qui caractérise notre pays stimule également la confiance des investisseurs. L'entraide favorise notre économie. Peut-être notre générosité est-elle plus manifeste aux moments tragiques lorsque, à l'instar de n'importe quelle famille, nous nous serrons les coudes instinctivement. Les gestes de solidarité posés à l'échelle du pays à la suite de la tornade qui a eu lieu à Edmonton en 1987 et, plus récemment encore, lors des inondations au Saguenay au Québec, en sont de bons exemples. Cet esprit de générosité et d'équité qui caractérise les Canadiens se retrouve dans le quatrième budget de Paul Martin. Ce budget se penche plus spécialement sur la nécessité de faire preuve d'équité envers les jeunes. Pour qu'il y ait équité entre les générations, nous devons rester fidèles à notre politique de responsabilité financière, mais investir de manière responsable et ciblée dans les générations à venir. Ainsi, à la
L'ESPRIT DU FÉDÉRALISME 5i suite des travaux du conseil ministériel fédéral-provincial-territorial sur la refonte de la politique sociale, nous avons annoncé une collaboration fédérale-provinciale portant sur la création d'une nouvelle prestation fiscale pour enfants de 6 milliards de dollars, d'ici juillet 1998. Nous avons augmenté l'aide fédérale à l'éducation supérieure et à la formation professionnelle de 275 millions de dollars et doublé le plafond des cotisations annuelles aux régimes enregistrés d'épargneétudes. Nous investissons aussi plus de deux milliards de dollars dans une stratégie emploi-jeunesse pour aider les jeunes Canadiens à échapper au cercle vicieux qu'est le « pas de travail, pas d'expérience - pas d'expérience, pas de travail ». Autre exemple parmi tant d'autres, nous avons convenu avec nos partenaires provinciaux, dont votre premier ministre, de relever peu à peu le taux de cotisation au Régime de pension du Canada (RPC) pour qu'il atteigne 9,9 % en 2,003, de façon à assurer sa viabilité et à ne pas imposer un fardeau supplémentaire aux jeunes générations. En fait, nos quatre budgets étaient guidés par une recherche d'équité pour les Canadiens d'aujourd'hui - ainsi que ceux de demain. Notre politique budgétaire rigoureuse s'accompagne d'un souci d'équité fiscale. Mon collègue Paul Martin a établi à cette fin un comité technique sur la fiscalité des entreprises. Ce comité examine des moyens d'accroître l'équité du régime fiscal, de simplifier la fiscalité des entreprises et de réduire ainsi les coûts et les tracasseries, et d'encourager la création d'emplois et la croissance économique. Nous avons un souci d'équité pour toutes les catégories de citoyens - les gens d'affaires, les minorités linguistiques, les Autochtones et les jeunes Canadiens. Mais, bien sûr, équité ne veut pas dire uniformité, et c'est pourquoi il est aussi équitable de reconnaître la spécificité du Québec. Après tout, si l'Amérique du Nord était un continent francophone, et l'Alberta sa seule composante majoritairement anglophone, il nous faudrait reconnaître également cette spécificité. Mais mon allocution d'aujourd'hui porte sur l'équité entre les différentes provinces et régions de notre pays. Je crois que notre fédération est équitable. Cela dit, elle est en constante évolution, et nous devrions toujours rechercher des moyens de l'améliorer et de la renforcer. Les jalousies interrégionales ne doivent pas nous empêcher de voir ce que le Canada a à offrir.
Equité interprovinciale Comment les Canadiens pensent-ils que leurs idéaux de partage et d'équité devraient agir sur le fonctionnement de notre fédération? Eh bien, d'après une étude des Réseaux canadiens de recherche en
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politiques publiques menée en 1995, seulement 10% des Canadiens sont d'avis que l'on devrait réduire ou éliminer les dépenses gouvernementales dans les régions plus pauvres, alors que 60 % estiment que les Canadiens sont en droit de s'attendre à un niveau de service minimal quel que soit l'endroit où ils habitent. 66% des Albertains pensent ainsi. De plus, un sondage CROP et Insight effectué en octobre 1996 révèle que 70 à 80 % des citoyens du pays sont d'accord avec le fait que le régime fédéral permet un partage de la richesse entre les provinces pauvres et les provinces riches. Nos valeurs de générosité et de partage sous-tendent notre fédération depuis sa fondation. Comme le disait George-Etienne Cartier, l'un des Pères de la Confédération, notre fédération est fondée sur la parenté des intérêts et des sympathies de nos diverses collectivités. Et comme le souligne le professeur Thomas Courchene, de l'Université Queen's, la notion de péréquation remonte à l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Il donne comme exemple les subventions spéciales alors accordées à la Nouvelle-Ecosse et au Nouveau-Bmnswick en raison de leurs besoins financiers précis. En 1937, un grand changement était proposé en matière d'équité interrégionale. Cette année-là, la Commission Rowell-Sirois recommandait que les arrangements de transferts fédéraux soient officialisés dans un régime de «subventions nationales de rajustement» destinées aux provinces les plus pauvres. En 1957, le Canada adoptait un programme de péréquation officiel axé sur ce principe. Bien que cela soit difficile à imaginer dans le contexte de l'économie florissante de l'Alberta d'aujourd'hui, votre province a été l'une des bénéficiaires durant les huit premières années d'existence du programme. En 1982,, on jugeait le principe de la péréquation assez important pour l'intégrer à l'article 36 de la Constitution afin de « donner aux gouvernements provinciaux des revenus suffisants pour les mettre en mesure d'assurer les services publics à un niveau de qualité et de fiscalité sensiblement comparables ». Nous avons réalisé beaucoup de choses ensemble. Toutefois, comme je l'ai dit plus tôt, nos réalisations ont toujours été accompagnées de débats sur l'équité, débats qui, à mon avis, se polarisent et se durcissent aujourd'hui en raison de l'absence d'un véritable parti national fédéral d'opposition. Les jalousies interrégionales des années 1990 Transportons-nous maintenant à la Chambre des communes, l'automne dernier. Notre gouvernement se trouve alors dans une étrange situation. Caricaturons : jour après jour, le Bloc Québécois se plaint du fait que lorsque les Lignes aériennes Canadien, dont le siège est à Calgary, ont
L'ESPRIT DU FÉDÉRALISME des difficultés, tout le monde se lance au secours de la compagnie. Par contre, d'après le Bloc, personne ne s'occupe d'Air Canada, dont le siège est à Montréal, parce que, comme d'habitude, le Québec est victime de la fédération. Le Bloc veut une seule ligne aérienne pour deux pays, tandis que nous voulons deux lignes aériennes pour un seul pays. Le Parti réformiste, lui, soutient que lorsqu'Air Canada est dans une mauvaise situation, nous nous lançons tous à son secours parce que le Québec est l'enfant gâté de la fédération. D'après les réformistes, nous ne sommes pas pressés d'aider les Lignes aériennes Canadien parce qu'il s'agit d'une société de l'Ouest et que l'Ouest y perd toujours au change. IMAGINONS QUE JE SUIS GILLES DUCEPPE ...
Imaginons pour un moment que je suis Gilles Duceppe, le chef du Bloc Québécois. Dans le document de travail du congrès du Bloc de 1997, intitulé Ensemble le défi, ça nous réussit, je vous dirai que, au cours des trois dernières décennies, le gouvernement fédéral a pris de nombreuses décisions qui ont eu une incidence négative sur l'économie du Québec. Que la ligne Borden a favorisé le développement des raffineries de pétrole en Ontario, au détriment du Québec. Que la décision du gouvernement fédéral de cesser d'obliger les transporteurs étrangers à assurer des liaisons avec l'aéroport international de Montréal à Mirabel pour leur permettre d'avoir accès à l'aéroport Pearson de Toronto a fait perdre au premier sa situation de plaque tournante internationale. Que le Pacte de l'automobile conclu avec les États-Unis en 1965 a permis de concentrer la fabrication de voitures en Ontario, au détriment du Québec. Et que le gouvernement fédéral s'est efforcé de favoriser le transport ferroviaire dans l'Ouest canadien tout en laissant les chemins de fer du Québec à l'abandon. Toujours dans la peau de Gilles Duceppe, je regarde le bilan du gouvernement Chrétien et je vous affirme que le projet de commission des valeurs mobilières nuira au rôle de Montréal en tant que centre financier. Que les frais imposés par la Garde côtière canadienne auront des effets négatifs sur la compétitivité des ports du Québec. Que la décision d'EACL de déplacer 2,6 postes de Montréal à Mississauga nuira à la position qu'occupé Montréal en tant que centre d'expertise nucléaire. Il est difficile de jouer le rôle de Gilles Duceppe. Il faut une imagination très fertile pour être chef du Bloc Québécois. Je vais donc maintenant revenir dans mon rôle de Stéphane Dion. Vous savez sans doute que la ligne Borden a été tracée afin d'établir une industrie pétrolière nationale offrant un débouché au pétrole brut de l'Ouest canadien. A-t-elle eu des effets négatifs sur le secteur de la pétrochimie québécoise? Pas du tout. Alors qu'à l'ouest de la vallée de l'Outaouais il fallait obligatoirement acheter le brut canadien à un prix
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plus élevé que sur les marchés internationaux, le Québec et l'est du Canada pouvaient continuer d'importer leur brut de l'étranger à prix moindre, ce qui leur donnait en réalité un avantage concurrentiel. Il est vrai que certaines raffineries montréalaises ont fermé leurs portes dans les années 1970 et 1980, mais cela s'est aussi produit ailleurs, en raison de facteurs économiques découlant de la crise du pétrole, et non pas à cause de la ligne Borden. La décision prise par le gouvernement fédéral en 1986 concernant les lignes aériennes internationales a-t-elle nui à l'aéroport de Mirabel? Une chose est sûre, les mesures coercitives qu'exerçait le gouvernement éloignaient les transporteurs visés non seulement de Montréal, mais du Canada dans son ensemble. Le meilleur moyen que peut prendre le gouvernement et les dirigeants locaux pour attirer les transporteurs internationaux est de leur faire valoir l'attrait et les éventuels avantages financiers d'un aéroport. Le Pacte de l'automobile ne précise pas où les constructeurs doivent installer leurs usines. Il s'agit plutôt d'un cadre visant à encourager la production au Canada. Le gouvernement fédéral a-t-il négocié un pacte afin de favoriser l'Ontario? Non, mais il n'exerce aucun contrôle sur la géographie économique américaine ni sur les décisions du secteur privé de s'installer à tel ou tel endroit, et le fait est que Détroit, la ville de l'automobile, est située tout près de la frontière sud de l'Ontario. De plus, le secteur québécois des pièces automobiles est florissant aujourd'hui - on n'a qu'à penser à l'usine de la General Motors à Sainte-Thérèse - alors que, sans le Pacte, le secteur canadien de l'automobile se serait beaucoup moins développé. Le gouvernement fédéral a-t-il favorisé le transport ferroviaire de l'Ouest au détriment de celui du Québec? Au cours de l'histoire, le gouvernement fédéral a investi des milliards de dollars dans la construction de divers types d'infrastructure des transports partout au Canada. Il a contribué ainsi de façon substantielle à l'expansion de l'économie canadienne et, traditionnellement, à l'essor du secteur manufacturier du Québec, par exemple. De nos jours, il n'est plus possible d'investir des milliards de dollars dans de nouvelles infrastructures des transports. L'heure est à la restructuration et à la modernisation dans ce secteur. La privatisation met aujourd'hui le CN et le CP sur un pied d'égalité, et le CN se positionne actuellement dans une perspective de croissance à long terme, ce qui fera d'elle une importante société de transport montréalaise. La Commission canadienne des valeurs mobilières est un organisme à participation volontaire et le Québec ne sera donc pas pénalisé s'il décide de ne pas y adhérer. Les entreprises ayant leur siège social au Québec et souhaitant réunir des capitaux ailleurs au Canada bénéficieraient en réa-
L'ESPRIT DU FÉDÉRALISME lité du guichet unique que constituerait une commission canadienne des valeurs mobilières. De plus, cet organisme national collaborerait avec les commissions provinciales afin d'améliorer la coordination des règles régissant les valeurs mobilières et d'en promouvoir l'harmonisation. L'argument voulant que Montréal y perdrait une large part de son secteur financier ne tient tout simplement pas. La politique de recouvrement des coûts de la Garde côtière nuira-telle aux ports du Québec? D'après une étude d'impact économique approfondie effectuée pour le compte du gouvernement fédéral, son incidence moyenne au cours des deux prochains exercices financiers serait minimale, soit un faible 0,09 % de la valeur des marchandises expédiées. De plus, le ministre des Pêches et des Océans collaborera étroitement avec les intervenants de ce secteur afin d'établir les principes qui régiront les structures régionales de frais et les niveaux de service. En outre, l'imposition des frais relatifs à l'ouverture des voies par les briseglace a été reportée jusqu'en 1998-1999, ce qui atténuera les répercussions sur les régions qui, comme le Québec, dépendent de ce service. Et il ne faut pas oublier que le principe du recouvrement des coûts vise à réduire le fardeau fiscal des contribuables canadiens tout en continuant d'assurer le fonctionnement sécuritaire et efficace des voies maritimes du pays. Le déplacement des 26 postes d'EACL de Montréal à Mississauga fait partie d'une grande restructuration interne visant à faire du Canada un chef de file mondial dans le domaine des réacteurs nucléaires. Cela nuira-t-il au secteur québécois du nucléaire? Pas du tout. En fait, le secteur québécois bénéficie de retombées de l'ordre de 100 à 150 millions de dollars à chaque vente d'un réacteur CANDU à l'étranger. C'est pourquoi il est dans l'intérêt du Québec de voir EACL devenir le plus concurrentiel possible. IMAGINONS QUE JE SUIS PRESTON MANNING ...
Maintenant que j'ai répondu brièvement aux doléances de M. Duceppe, imaginons que je suis Preston Manning. Je vous dirai que sept provinces sont à la remorque de l'Alberta et de la Colombie-Britannique en raison notamment de la péréquation et du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux. Que les libéraux fédéraux ne s'intéressent guère à l'Ouest ni ne le comprennent. Que, quand ça va mal, la Colombie-Britannique et l'Alberta doivent se débrouiller seules économiquement, mais que, quand ça tourne rondement, elles sont exploitées au profit de l'Est et du Centre canadiens. Que les programmes de développement régional du gouvernement exploitent également l'Ouest. Mais je dois vous préciser que la capacité du Parti réformiste de se faire du capital politique sur les jalousies interrégionales a été
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quelque peu amoindrie par l'aveu même de Preston Manning à un auditoire de Vancouver « que la véritable progression du Parti dépend de sa capacité à effectuer une percée importante en Ontario » [Traduction libre]. Mais, fait assez triste, cela n'a pas empêché le réformiste Monte Solberg de donner à entendre que l'aide fédérale aux sinistrés du Saguenay était mue par des visées politiques. En des termes particulièrement mal choisis, M. Solberg a soutenu en effet que «les vannes avaient été ouvertes au moment où il était temps de venir à la rescousse du Québec », mais que l'aide accordée aux sinistrés de sa circonscription avait été plutôt mince. Signalons, en passant, que l'aide financière fédérale aux sinistrés est fondée sur une formule préétablie. Les paiements de péréquation sont-ils justes? Les provinces moins bien nanties sont-elles un boulet pour PAlberta et la Colombie-Britannique, comme Preston Manning l'a soutenu dernièrement à Winnipeg? Ces paiements sont calculés d'après une formule énoncée dans la loi. À la base, les recettes qu'une province pourrait tirer à des taux d'imposition moyens nationaux sont comparées à une norme représentative (fondée sur les capacités du Québec, de l'Ontario, du Manitoba, de la Saskatchewan et de la Colombie-Britannique). Si le total des recettes qu'a pu tirer une province est inférieur à cette norme, les recettes par habitant sont ramenées au niveau de la norme au moyen des paiements de péréquation fédéraux. Pris hors contexte, les chiffres en cause peuvent sembler inéquitables. Par exemple, en 1996-1997, les Terre-Neuviens auraient reçu en moyenne 2 520 $ par personne grâce aux principaux transferts fédéraux de fonds et de points d'impôt, contre en moyenne i 469 $ au Québec et 816 $ en moyenne en Alberta. Mais pris dans leur contexte, ces chiffres révèlent que, en 1997, PAlberta viendrait en tête pour ce qui est du PIB par habitant avec 33 353 $, tandis que le PIB par habitant de Terre-Neuve se situerait à 17 785 $, soit deux fois moins que celui de PAlberta. Permettez-moi d'insister: le PIB par habitant de PAlberta est deux fois plus élevé que celui de Terre-Neuve et, pourtant, les Terre-Neuviens ne recevront que i 704 $ de plus par habitant en transferts fédéraux. Cela serait-il équitable pour les Terre-Neuviens, les Québécois et d'autres prestataires si ces paiements n'existaient pas? Je ne crois pas et, comme je l'ai indiqué plus tôt, la grande majorité des Canadiens ne le pense pas non plus. Prenons comme autre exemple le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, une enveloppe unique qui remplace le Régime d'assistance publique du Canada et le Financement des programmes établis. Ce transfert est-il équitable? Eh bien, en le restruc-
L'ESPRIT DU FÉDÉRALISME turant, nous avons tenu compte des suggestions du gouvernement albertain et d'autres afin qu'il soit plus équitable. La répartition des fonds entre les provinces sera donc rajustée graduellement afin de mieux tenir compte de la distribution de la population des provinces. Par exemple, nous nous sommes donnés jusqu'à l'exercice 2,002-2.003 pour réduire de moitié les disparités par habitant. Notre gouvernement a-t-il négligé les intérêts de l'Alberta, de la Colombie-Britannique et des autres provinces des Prairies? Vous vous rappellerez que, dans les années du gouvernement Mulroney, M. Manning avait fait campagne avec le slogan « thé West wants in » (l'Ouest veut sa part). Or, il y a longtemps qu'il ne l'a pas utilisé, car avec le gouvernement du Premier ministre Jean Chrétien, l'Ouest touche sa juste part. Et je puis vous assurer que la ministre des Ressources naturelles Anne McLellan et la leader du gouvernement au Sénat Joyce Fairbairn représentent cette région avec force au Cabinet, à l'instar de leurs collègues David Anderson, Lloyd Axworthy et Ralph Goodale. Les mesures prises par les deux ordres de gouvernement pour modifier le système d'imposition des sables bitumineux ont aidé les investisseurs actuels et ont dernièrement incité Shell à venir investir i milliard de dollars dans un nouveau projet. Je dois signaler qu'une étude réalisée en 1995 par l'Institut de recherche en politiques publiques révèle que, au chapitre des allégements fiscaux fédéraux, l'Alberta sort la grande gagnante en termes relatifs puisqu'elle jouit de presque 16% des allégements fiscaux accordés, alors que son économie représente moins de 11% du PIB. À l'échelon international, nous avons insisté avec virulence au cours des négociations commerciales multilatérales de l'Uruguay Round, conduites maintenant sous l'égide de l'Organisation mondiale du commerce, pour que soient réduites les subventions agricoles. Et notre gouvernement, fort de l'intérêt et de la solidarité de tous les Canadiens, appuie votre soumission pour accueillir l'Expo 2005. Votre ville sera, en retour, une vitrine de prestige pour l'ensemble du Canada. Le financement équitable de l'établissement des immigrants était un dossier particulièrement important pour la Colombie-Britannique. Le mois dernier, nous avons annoncé l'attribution à certaines provinces de fonds supplémentaires reflétant le nombre d'immigrants qu'elles accueillent. La Colombie-Britannique a donc reçu un supplément de 22,4 millions de dollars, l'Alberta 2,9 millions de dollars et le Manitoba 730 ooo $. À la suite de l'annonce, le premier ministre de la Colombie-Britannique Glen Clark a indiqué qu'ils avaient fait part de leurs griefs au gouvernement fédéral, et que le Premier ministre avait écouté. «Il nous a écoutés», a répété M. Clark, «et nous avons travaillé fort et nous avons réussi à régler plusieurs vieux problèmes. »
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[Traduction] Voilà un excellent exemple de notre approche consistant à régler graduellement les griefs régionaux, et de ce qui a été, comme l'a fait observer le premier ministre Clark, une victoire pour la ColombieBritannique et une victoire pour le Canada. L'Ouest a longtemps bénéficié de nombreuses mesures de développement, par exemple de subventions pour le transport du grain, ainsi que de fonds pour les lignes secondaires et l'achat de wagons-trémies. Et, comme je l'ai mentionné précédemment, la Colombie-Britannique et l'Alberta ont été les deux premières provinces à profiter du Programme de stabilisation fiscale. Le gouvernement fédéral a aussi consenti des sommes considérables pour la tenue d'événements uniques, notamment 2.00 millions de dollars pour les Olympiques à Calgary, 2.7,8 millions de dollars pour le Plan d'action du Fraser et des fonds au gouvernement de la Colombie-Britannique pour la tenue du Sommet de PAPEC de cette année. Autres griefs régionaux Bien sûr, d'autres régions ont aussi leurs griefs. J'en mentionnerai brièvement un ou deux. Ainsi, les provinces atlantiques disent parfois que la politique fédérale de développement industriel favorise le Canada central. Or, elles ont obtenu le programme des frégates, une aide dans le secteur des pêches et, par le truchement de l'Agence de promotion économique du Canada atlantique, un appui important pour les entreprises de la région. Certaines provinces atlantiques expriment des doutes concernant la formule utilisée actuellement pour les transferts de péréquation. Selon cette formule, les provinces moins nanties verront leurs paiements de péréquation diminuer quand les recettes tirées des ressources naturelles augmenteront. Pourtant, les transferts de péréquation peuvent être, et ont été, rajustés pour assurer une certaine marge de manoeuvre quand une province «moins riche» dépend beaucoup des ressources naturelles et donc, de recettes cycliques ou temporaires. Enfin, il ne faut évidemment pas oublier que les paiements de péréquation existent pour fournir un financement transitoire afin d'assurer des niveaux de service raisonnablement comparables, quel que soit le revenu provenant de l'économie locale injecté dans les coffres provinciaux, non pas pour garantir une source de revenu permanente. Pendant ce temps, l'Ontario s'est plainte comme la Colombie-Britannique au sujet du financement de l'établissement des immigrants. Elle recevra toutefois environ 35,3 millions de dollars supplémentaires cette année. Et, évidemment, il y a aussi les griefs interrégionaux. Dois-je mentionner la rivalité qui existe entre votre ville et la capitale de la province?
L'ESPRIT DU FÉDÉRALISME 59 En clair, l'équité est le grand principe à suivre. Ainsi, pas une seule province canadienne ne peut se plaindre d'être une laissée-pourcompte. Le Canada ne doit pas être considéré comme une sorte de chéquier que l'on peut répartir entre les provinces. Le Canada est une famille de provinces, de territoires et de populations ayant pour grand principe l'équité. Comme l'a indiqué le premier ministre Klein, « notre objectif doit être une Alberta forte dans un Canada fort et uni » [Traduction libre]. Votre ancien et très admiré trésorier provincial, Jim Dinning, a récolté tous les lauriers à l'échelle du pays pour avoir aidé votre premier ministre à assainir les finances de l'Alberta. Avec beaucoup d'éloquence, il a résumé ce que veut dire l'équité en disant que les Albertains croient en ce principe. Que manifestement on demandera, à l'occasion, aux mieux nantis de débourser plus que les démunis et que, selon lui, ce gouvernement ne croit pas en un fédéralisme de chéquier. Rappelant la situation de PAlberta dans les années 192.0, 1930 et 1940, M. Dinning a conclu que les Albertains sortent nettement gagnants de cette collaboration fédérale-provinciale. Conclusion En fait, tous les Canadiens, d'un océan à l'autre, y trouvent plus que leur compte de participer à la fédération. Le Canada est une fédération équitable. Il répond aux différents besoins de ses citoyens et des régions qui le composent, mais de façon juste. Le sentiment général qui se dégage, et dont nous pouvons être fiers, en est donc un d'équité. Bien sûr, il faut constamment veiller à ce que cette équité soit maintenue et à régler les griefs justifiés. Dans le dernier budget, le ministre Paul Martin a pris des mesures importantes pour répondre aux préoccupations des jeunes Canadiens. Et notre gouvernement continuera à s'attaquer graduellement à d'autres problèmes d'équité et à bâtir un avenir meilleur pour nous tous. Je suis persuadé que, en dépit des défis à relever, notre fédération abordera le xxie siècle forte et unie. Pourquoi? Entre autres parce que je crois à la générosité des Canadiens. Comme je l'ai déjà dit, les Albertains sont des Canadiens très généreux et ils contribueront de façon importante au mouvement de réconciliation nationale. Les Canadiens ne passent pas leur chemin dans l'indifférence totale. Notre générosité et notre esprit d'équité l'emporteront sur les jalousies interrégionales, et envers et contre tous ceux qui cherchent à exploiter ces jalousies pour se faire rapidement du capital politique. Pour le bien de notre pays, il le faut.
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SECTION 2
Un fédéralisme en évolution
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Le fédéralisme : un système qui évolue OTTAWA, LE Z5 AVRIL 1996
Fervent défenseur du fédéralisme, Alexis de Tocqueville voyait dans ce système « l'une des plus puissantes combinaisons en faveur de la prospérité et de la liberté humaine». Aussi, disait-il envier le sort des nations qui ont su adopter le fédéralisme. Eh bien, cet acte de clairvoyance est à la hauteur de la réputation de prophète de la démocratie qui est attribuée à de Tocqueville. Quatre des cinq pays les plus riches, en termes de PIB par habitant, sont des fédérations. Parmi elles figure le Canada. Pourtant ici au pays, on entend rarement les gens parler en bien de notre système fédéral. On l'accuse d'être lourd, inefficace et impossible à réformer. Mes recherches en tant qu'universitaire, de même que ma nouvelle expérience au sein du gouvernement, m'amènent à conclure cependant que plusieurs critiques portées à l'endroit du fédéralisme canadien relèvent davantage du mythe que de la réalité. Je voudrais donc profiter de la tribune qui m'est offerte aujourd'hui pour essayer de poser un diagnostic juste sur le fonctionnement de notre fédération. À l'heure où l'unité du Canada est menacée, il m'apparaît essentiel que nous soyons en mesure de circonscrire avec précision les éléments positifs de notre système fédéral, de même que les domaines où des améliorations doivent encore être apportées pour mieux servir les Canadiens et renforcer leur confiance dans leur système de gouvernement. En tant que cadres supérieurs de la fonction publique fédérale, vous êtes directement concernés par ces questions. Vous administrez les programmes gouvernementaux; vous devez constamment en faire plus avec moins. Vous savez mieux que quiconque ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Vous êtes un atout indispensable pour le gouvernement dans ses efforts visant à renouveler notre fédération. Et c'est
Discours prononcé devant l'Association professionnelle des cadres de la fonction publique du Canada (APEX)
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pourquoi je remercie tant I'APEX de m'avoir invité à parler du fonctionnement de la fédération. Les avantages du fédéralisme pour le Canada Je ne vous apprendrai pas grand-chose si je vous dis que la performance du Canada aux plans économique et social est parmi les meilleures au monde. - d'année en année, I'ONU classe le Canada au tout premier rang pour sa qualité de vie; - les Canadiens ont une espérance de vie parmi les plus élevées au monde et ils se classent au premier rang en ce qui concerne le pourcentage de la population qui fréquente l'école; - le Canada se classe parmi les cinq premiers pays de I'OCDE pour ce qui est du revenu par habitant et du PIB par habitant; - entre 1960 et 1990, le Canada arrive au deuxième rang des pays du G-7 pour la croissance économique et au premier rang pour le taux de création d'emplois; - le Canada se classe premier au sein du 0-7 et deuxième au sein de I'OCDE (derrière la Suède) pour ce qui est du plus faible taux de chômage de longue durée, c'est-à-dire le chômage qui s'étend sur une période de plus de douze mois. L'excellente performance du Canada ne saurait être le fruit du hasard. Notre système fédéral y est pour quelque chose. Si le fédéralisme a aidé le Canada à prospérer, c'est avant tout, d'après moi, parce qu'il s'agit d'un système souple et dynamique qui parvient à établir le juste équilibre entre deux principes fondamentaux : la solidarité et la diversité. Le principe de solidarité veut que le gouvernement agisse pour le bien commun de tous les citoyens et de toutes les régions, particulièrement les moins avantagées. Et le principe de la diversité mène à l'autonomie des citoyens, des institutions et des pouvoirs locaux. Si le Canada a atteint un niveau de démocratie, de liberté, d'équité et de prospérité à peu près sans égal au monde, c'est en grande partie parce que nous, Canadiens, avons eu l'intelligence de développer une pratique du fédéralisme qui reflète bien les idéaux de solidarité et de respect de la diversité. D'une part, nous avons mis sur pied un réseau de programmes sociaux et un régime de paiements de péréquation pour que tous les citoyens jouissent d'un bien-être comparable. Nous avons même inscrit ce principe de péréquation dans l'article 36 de la Loi constitutionnelle
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de 1982. Cet engagement à l'égard de la solidarité sociale n'a son pareil nulle part ailleurs dans le monde. D'autre part, la répartition constitutionnelle des pouvoirs, qui confère aux provinces des compétences exclusives dans des domaines aussi vitaux que la santé, l'éducation, les ressources naturelles et le bien-être social, illustre notre engagement à l'égard d'une grande autonomie locale. En fait, tant du point de vue des pouvoirs sectoriels que des pouvoirs de taxer et de dépenser, les provinces canadiennes sont de bien des façons plus fortes que les États américains, les Lànder allemands ou même les cantons suisses. Quand je parle de la sorte des avantages du fédéralisme pour le Canada, je ne m'adresse pas uniquement aux Québécois qui pourraient être tentés par l'aventure sécessionniste. Je m'adresse aussi à ceux qui croient que notre pays est surgouverné et qui rêvent d'un Canada unitaire. La centralisation des pouvoirs au sein d'un gouvernement national n'est pas la solution. Imaginez un instant le monstre bureaucratique que nous devrions mettre en place si nous n'avions qu'un seul ministère de l'éducation pour administrer toutes les écoles du pays, de St-Jean, Terre-Neuve à Victoria, Colombie-Britannique. L'importance de détruire les mythes Au cours de la dernière décennie, les gens qui croient au fédéralisme canadien, dont je suis, n'ont pas toujours fait les efforts nécessaires pour expliquer aux Canadiens les avantages de notre système. En laissant le champ libre à nos adversaires, nous avons permis que s'installent dans l'opinion publique plusieurs mythes et faussetés à propos de notre fédération. Permettez-moi de prendre quelques minutes pour regarder de plus près les principales critiques formulées à propos de notre fédération. Le Canada est-il vraiment surbureaucratisé et surgouverné? Si notre système de gouvernement était réellement lourd et inefficace, nos dépenses publiques, notre fardeau fiscal et la taille de notre secteur public, tous niveaux de gouvernement confondus, seraient plus élevés que les autres pays comparables, en particulier les pays unitaires. Or, ce n'est pas le cas. Nos dépenses publiques ne sont pas particulièrement élevées lorsqu'on les compare à la moyenne des pays de I'OCDE. Par exemple en 1993, les dépenses totales des administrations publiques au Canada
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représentaient 49,7 % du PIB au Canada. Ce pourcentage est à peu près identique au Canada et en Allemagne (49,7 % vs 49,4 %), et il est supérieur à celui du Canada dans plusieurs pays unitaires de POCDE, comme la France (54,8 %), les Pays-Bas (55,8 %), l'Italie (56,2%), la Norvège (57,1 %) et la Suède (71,8 %). La taille du secteur public au Canada n'est pas non plus anormalement élevée lorsqu'on la compare à la moyenne des pays de I'OCDE. Au début des années 1990, les employés du secteur public occupaient 20,6 % des emplois au Canada. Il s'agit là d'une proportion à peine supérieure à celle du Royaume-Uni (19,4%), et inférieure à celle de la France (2.2,6 %), du Danemark (30,5 %), de la Suède (31,9 %) et de la Norvège (32, %). Est-il nécessaire de rappeler que tous ces pays ont une structure unitaire? Enfin, le fardeau fiscal est plus léger au Canada que dans bon nombre de pays de I'OCDE. En 1993, l'ensemble des revenus perçus par les différents niveaux de gouvernement représentait 42 % du PIB au Canada. La part des revenus gouvernementaux dans le PIB était plus élevée qu'au Canada dans onze des dix-neuf pays de I'OCDE pour lesquels les données sont disponibles. Les comparaisons internationales mettent en évidence le fait que les États unitaires ne sont pas plus efficaces ni efficients que les systèmes fédéraux. D'une part, la centralisation qui caractérise les États unitaires entraîne la mise en place d'un appareil bureaucratique extrêmement lourd au sein du gouvernement national. D'autre part, les États unitaires ne peuvent fonctionner, eux non plus, sans créer différents niveaux d'administration gouvernementale. Les États unitaires ont eux aussi des instances régionales et locales, à la différence toutefois que ces instances ont beaucoup moins d'autonomie par rapport au gouvernement central qu'en ont les provinces canadiennes.
Les chevauchements et dédoublements de compétence coûtent-ils vraiment des milliards de dollars aux contribuables canadiens? En dépit des comparaisons internationales plutôt avantageuses pour le Canada, bien des Canadiens demeurent convaincus que les gouvernements fédéral et provinciaux dédoublent leurs activités dans une foule de domaines. En effet, n'avons-nous pas des ministères fédéral et provinciaux de la santé, de l'environnement, de l'agriculture, des ressources naturelles, des pêches et des transports? Plusieurs études ont montré qu'il y avait effectivement beaucoup de chevauchements de compétence entre Ottawa et les provinces. Par
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exemple, des chercheurs de l'École nationale d'administration publique du Québec, Germain Julien et Marcel Proulx, ont estimé que 60 % des programmes fédéraux chevauchent ceux du gouvernement du Québec. Une étude effectuée par le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada en 1991 concluait pour sa part que 66% des programmes fédéraux chevauchent au moins partiellement ceux des provinces. Pourtant, ce que toutes les études sur les chevauchements et dédoublements concluent, y compris les tristement célèbres études Le Hir du gouvernement du Québec, c'est que, dans la grande majorité des cas, l'intervention du fédéral et des provinces est complémentaire et non redondante. Par exemple, le gouvernement ne pourrait se retirer d'activités comme la gestion des parcs nationaux ou les services correctionnels sans que le service public ne soit considérablement affecté. Il est important de se rendre compte également que les chevauchements ne sont pas l'apanage de la fédération canadienne ni même des régimes fédéraux en général. Il s'agit d'une question qui concerne aussi les États unitaires. Laissez-moi vous donner un exemple qui a récemment été porté à mon attention. On fait beaucoup de cas actuellement des dédoublements au niveau des mesures d'aide à l'emploi. L'opposition officielle et le gouvernement du Québec parlent souvent de fouillis à cause de la centaine de mesures fédérales et provinciales qui sont actuellement mises en oeuvre au Québec. Soit dit en passant, la Réforme de l'assurance-emploi prévoit réduire le nombre de mesures fédérales de 35 à 5 uniquement. Or, on apprenait, dans un numéro récent du magazine français L'Express, qu'il y a présentement en France quelque 2 300 mesures différentes d'aide à l'emploi. Cette pléthore de programmes tiendrait au fait que les villes, les départements, les régions et le gouvernement central mettent en place leurs propres mesures en tenant plus ou moins compte de ce que les autres font déjà. Et dire qu'il y en a qui voudraient nous faire croire que nous sommes les seuls à avoir des problèmes de chevauchements!
Le fédéralisme canadien est-il vraiment un fédéralisme conflictuel où toute question fait l'objet d'inlassables disputes entre Ottawa et les provinces? Si les désaccords entre le gouvernement fédéral et les provinces sont souvent très médiatisés, il ne faudrait pas croire pour autant que notre fédération est le règne de la mésentente et du conflit. Beaucoup de questions sont réglées au quotidien, souvent à votre niveau, sans qu'il en soit question dans les médias.
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Le plus récent Répertoire des programmes et activités fédérauxprovinciaux, publié l'année dernière, contient pas moins de 457 programmes ou accords bilatéraux et multilatéraux entre Ottawa et les provinces. C'est donc dire que le gouvernement fédéral et les provinces parviennent à s'entendre et à coordonner leurs activités dans une foule de domaines. Grâce à votre appui, notre gouvernement a pris différentes mesures pour favoriser un partenariat renouvelé avec les provinces : -
l'Initiative visant à accroître l'efficacité de la fédération; le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux; le Programme national des infrastructures; les missions commerciales d'Équipe Canada; la réforme de l'assurance-emploi, et en particulier la partie II du projet de loi sur les mesures actives d'aide à l'emploi; - le retrait de certains champs de compétence provinciale, dont la formation professionnelle, le logement social, les mines, les forêts et les loisirs; - l'encadrement du pouvoir fédéral de dépenser dans des domaines de compétence provinciale exclusive. Le fédéralisme canadien est-il vraiment un système paralysé, incapable de se réformer? L'expérience des dernières décennies montre que le peu de changements constitutionnels n'a pas empêché la fédération d'évoluer considérablement sur tous les plans. Prenons par exemple l'Examen des programmes piloté par mon collègue Marcel Massé. Cet exercice a déjà donné des résultats impressionnants qui permettent un rééquilibrage des responsabilités entre le gouvernement fédéral, les provinces et le secteur privé. Malheureusement, ces réalisations sont trop souvent passées sous silence. D'ici 1998-1999, l'Examen des programmes permettra au gouvernement d'épargner quelque 19,z milliards de dollars et de réduire la taille de la fonction publique fédérale de plus de 45 ooo postes, soit de près de 2.0%. L'évolution importante de notre système fédéral ne s'est pas faite au profit d'une plus grande centralisation de la prise de décision à Ottawa. La tendance est nettement à une plus grande décentralisation. Différents indicateurs le confirment : - le nombre des employés fédéraux par rapport à la population active du pays a presque diminué de moitié depuis le début des années 1950;
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- en 1950, pour chaque dollar de revenu perçu par les provinces, le gouvernement percevait 3,30 $; en 1993, il ne percevait plus que 1,2.0 $; - de même, pour chaque dollar dépensé par les provinces en biens et services, le gouvernement fédéral dépensait 2,4 6 $ en 1960 et ne dépensait plus que 0,67 $ en 1993, ce qui représente une baisse de 76 % en 33 ans. Ainsi nous avons assisté, au cours des quatre dernières décennies, à une redistribution progressive et spectaculaire du pouvoir de taxer et de dépenser du gouvernement fédéral vers les gouvernements provinciaux. Comme vous pouvez le constater, le bilan que je dresse du fonctionnement de notre fédération est largement positif. Si notre régime fédéral nous a permis de relever les défis du passé, je suis convaincu qu'il s'agit également du meilleur système pour nous aider à relever ceux qui se présenteront à nous dans les prochaines années. Pourquoi le fédéralisme nous aidera à relever les défis qui se présentent à nous à l'aube du XXIesiècle Les forces de notre système fédéral, sa souplesse, son dynamisme, sa solidarité et sa capacité de respecter la diversité, nous ont bien servis jusqu'à maintenant et elles continueront de le faire plus que jamais au cours des prochaines années, si on leur en donne la chance. Partout dans le monde, nous voyons des pays et des organismes supranationaux, comme l'Union européenne, tenter d'établir un équilibre entre la solidarité et l'autonomie. À cet égard, le fédéralisme canadien a beaucoup à enseigner au reste du monde sur la façon d'équilibrer ces principes, et il nous aidera à nous adapter aux nouveaux défis mondiaux qui exigent plus que jamais cet équilibre. La mondialisation de l'économie fait en sorte que de plus en plus de décisions qui ont des répercussions importantes sur la vie des Canadiens se prennent à l'échelon international. L'appartenance à un pays du G-7, la participation à I'ALENA, au Commonwealth, à la Francophonie, à l'Organisation des États américains et à l'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique représentent un avantage considérable pour les Canadiens dans la défense de leurs intérêts sur la scène internationale. Sans l'union fédérale, nous perdrions plusieurs de ces atouts. Par ailleurs, la libéralisation des échanges au niveau international favorise une spécialisation des économies régionales. Le respect de la diversité et l'autonomie régionale propres à la fédération canadienne sauront également bien nous servir à ce chapitre.
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Au plan social, plusieurs phénomènes relativement nouveaux contribuent à transformer les défis que le Canada est appelé à relever. Le vieillissement de la population, l'augmentation du nombre de familles monoparentales, la précarisation de l'emploi, l'augmentation de la part de la population qui dépend des programmes de sécurité du revenu: voilà des questions qui préoccupent tous les Canadiens et qui nous obligent à revoir notre système de protection sociale. Encore une fois les principes de base de notre fédération, que sont la solidarité et l'autonomie locale, s'avéreront des avantages précieux. D'une part, la grande autonomie dont bénéficient les provinces en matière de politique sociale les aidera à trouver des solutions innovatrices adaptées à leurs besoins spécifiques. D'autre part, la solidarité canadienne permettra d'assurer à tous, peu importe la région du pays où ils vivent, l'accès à des services de niveau comparable. En outre, le fédéralisme favorise l'émulation entre les provinces et la dissémination des expériences fructueuses. Il s'agit là d'éléments clés pour assurer la mise en place de services publics efficaces. La société canadienne est de plus en plus bilingue et multiculturelle : - entre 1981 et 1991, le nombre de personnes qui déclaraient avoir une langue maternelle autre que l'anglais ou le français a progressé de 2,2, %, alors que la taille de la population canadienne augmentait d'à peine 13 % au cours de la même période; - par ailleurs, le nombre de personnes pouvant parler français n'a jamais été aussi élevé : selon les données du recensement de 1991, 32, % de la population canadienne, soit près de 9 millions de personnes, sont capables de s'exprimer en français; - au Québec, plus particulièrement, la situation du français a continué de progresser. 93,5 % des personnes vivant au Québec affirment parler le français couramment; il s'agit du taux de francisation le plus élevé depuis le début de la Confédération. Ces indicateurs sont le reflet du respect de la diversité propre à notre fédération. C'est grâce à ce principe que nous pourrons continuer d'affirmer la dualité linguistique et le caractère multiculturel de la société canadienne. C'est en s'appuyant sur la diversité que nous pourrons faire évoluer la fédération afin que les Canadiens de toutes les parties du pays s'y sentent plus à l'aise et mieux reconnus. Que faudra-t-il faire pour améliorer notre système fédéral? Je suis convaincu que le système fédéral saura livrer la marchandise si nous continuons de nous appuyer sur ce qui fait sa force : la solidarité
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et la diversité. Au niveau pratique, nos efforts devront être consacrés à trois tâches. Premièrement, nous devons poursuivre nos efforts pour rendre notre fédération plus efficace. Il est possible de mieux clarifier les rôles et les responsabilités du gouvernement fédéral et des provinces, notamment dans les domaines de compétence partagée comme l'environnement et l'agriculture. Cette clarification favorisera à la fois une meilleure imputabilité et une plus grande efficacité. Si nous devons chercher à minimiser les chevauchements inutiles, notre défi consiste aussi à bien gérer les chevauchements qui sont inévitables. Il faut s'assurer d'une part, qu'il existe une bonne complémentarité dans les interventions des différents niveaux de gouvernement et d'autre part, qu'il existe une collaboration productive entre les différents gouvernements. Deuxièmement, il faut chercher à rendre le fonctionnement de notre fédération plus harmonieux. Comme le gouvernement fédéral et les provinces partagent des champs d'intervention, une bonne collaboration est essentielle. Dans ces domaines où les chevauchements sont inévitables, l'action unilatérale n'est pas souhaitable. Dans la plupart des cas elle risque de créer des conflits, des dédoublements ainsi que des contradictions entre les politiques fédérales et provinciales. Pour qu'il y ait une bonne coordination des efforts fédéraux et provinciaux, il est essentiel que nous travaillions en partenariat. Ceci est vrai pour nous les élus, et ce l'est également pour vous de la fonction publique. C'est en travaillant ensemble avec les provinces que nous parviendrons à mieux servir la population, à rendre le fonctionnement de notre fédération plus harmonieux et, ultimement, à renforcer l'unité du pays. C'est pourquoi il m'apparaît essentiel qu'avant de voir le jour, toute nouvelle politique ou tout nouveau programme fédéral tienne compte de la dimension fédérale-provinciale et de la nécessité d'avoir une fédération plus harmonieuse. Les décisions susceptibles d'avoir des répercussions sur les opérations des gouvernements provinciaux devraient idéalement être prises de concert avec les provinces. Je ne peux que vous encourager à faire de la collaboration avec les provinces un de vos principaux critères d'excellence en tant que cadres supérieurs de la fonction publique fédérale. Enfin troisièmement, et j'en reviens à mon point de départ, nous devons détruire les trop nombreux mythes qui circulent à propos de notre fédération et de son fonctionnement. En tant que fonctionnaires fédéraux vous avez un rôle clé à jouer pour redonner confiance à nos concitoyens dans leurs institutions.
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Vous avez la responsabilité, que vous partagez avec les membres du gouvernement, de bien expliquer à la population canadienne ce que fait le gouvernement du Canada. Comme fonctionnaires, votre responsabilité consiste à expliquer clairement les programmes, services et activités dont vous avez la charge et à faire en sorte que les faits à propos de ceux-ci soient rétablis le cas échéant. Pour pouvoir porter un jugement juste sur leur système de gouvernement et sur leurs institutions, les Canadiens doivent disposer d'une information équilibrée. Trop souvent au cours de la dernière décennie, on ne leur a présenté qu'un seul côté de la médaille. Notre fédération a certes des problèmes, comme tous les pays en ont. De surcroît elle est menacée dans son unité. Alors, il est plus que temps de souligner les réalisations formidables de la fédération au niveau des droits démocratiques et individuels, de la liberté, de la solidarité sociale, de la prospérité économique et du respect de la diversité. Le Canada a des atouts considérables pour maintenir son rang privilégié au sein des nations. Notre régime fédéral en est un incontestablement. Sachons bien les utiliser et les améliorer. Posons sur notre fédération un diagnostic juste afin de lui administrer les bons remèdes.
Histoire et perspectives d'avenir de l'union sociale canadienne O T T A W A , L E l 8 N O V E M B R E 1996
Les défenseurs de l'unité canadienne au Québec et ailleurs ont été accusés, à raison parfois, de réduire les arguments en faveur du Canada à une simple justification économique. L'argument économique en faveur de l'unité canadienne est certes puissant, mais il est vrai qu'il ne rend pas compte de toute la réalité. Le Canada représente beaucoup plus que des balances commerciales et des taux d'intérêt, et les autres arguments doivent également avoir leur place. Aujourd'hui, plus d'une année après le traumatisme du dernier référendum, j'aimerais aborder un autre des plus importants arguments en faveur de l'unité canadienne, soit la force de l'union sociale canadienne. Un des arguments avancés par monsieur Bouchard au cours de la campagne référendaire de l'année dernière a été que le Canada avait abandonné ses traditions de promotion de la justice sociale et de générosité envers les personnes dans le besoin. Selon M. Bouchard, « un vent froid en provenance du Canada anglais » - de l'Alberta, de Queen's Park et d'Ottawa - était en train de rendre le Canada plus cruel et plus dur, et seul un Québec indépendant allait pouvoir maintenir des programmes sociaux généreux. Maintenant qu'il est devenu premier ministre, M. Bouchard se rend compte de la nécessité de réaliser lui aussi un équilibre entre le désir de maintenir le filet de sécurité sociale et le besoin d'être responsable des finances publiques. Nous pouvons donc mettre en doute la validité de son argument. Le redressement de notre situation économique n'est pas incompatible avec l'objectif de maintenir notre contrat social. L'un est en fait la condition essentielle à l'autre. Maintenant que le gouvernement fédéral, sous le leadership du Premier ministre Jean Chrétien et du ministre des Finances, Paul Martin, a accompli des progrès considérables vers l'assainissement des finances du pays, il consacrera de plus en plus d'attention au renouvellement de l'union sociale canadienne, en collaboration avec les gouvernements provinciaux. Les pourparlers sur l'union sociale avec les provinces, dirigés du côté
Discours prononcé devant le Canadian Club of Ottawa
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fédéral par mes collègues Pierre Pettigrew et David Dingwall, mèneront à une refonte des programmes sociaux du Canada au seuil du xxie siècle. Ces pourparlers consisteront non pas simplement à chercher à réduire les coûts ou à répartir différemment les pouvoirs entre les gouvernements, mais plutôt à axer tous les programmes gouvernementaux, fédéraux et provinciaux, sur un objectif commun, soit offrir des services publics de meilleure qualité qui répondront aux besoins réels des citoyens. Et les principes et valeurs qui guideront ce travail seront les mêmes qui ont orienté la création au Canada, au cours des dernières décennies, d'un des régimes d'avantages sociaux les plus généreux au monde. J'aimerais vous entretenir aujourd'hui des valeurs et des principes qui ont guidé la création de notre union sociale canadienne et examiner l'histoire de son évolution depuis la Confédération jusqu'à notre époque. Car il nous faut comprendre clairement la nature de nos convictions communes et nos origines pour être en mesure d'établir une union sociale renouvelée qui s'appuiera sur les forces du passé afin de répondre aux défis de l'avenir. Les valeurs de l'union sociale canadienne : solidarité et subsidiarité Quelles sont donc les valeurs fondamentales qui ont guidé les Canadiens et leurs gouvernements dans la création du généreux régime social de notre pays? À mon avis, si nous examinons l'histoire de l'évolution sociale du Canada, nous pouvons détecter deux principes actifs et la recherche constante d'un équilibre entre les deux. Il s'agit des principes de solidarité et de subsidiarité. J'ai parlé ailleurs de ces deux principes. Mais comme je pense qu'ils ont un rapport particulier avec l'aspect union sociale de la fédération canadienne, j'aimerais en exposer brièvement les origines et le sens. Cette terminologie est relativement nouvelle; elle est empruntée à des débats récents tenus au sein de la Communauté européenne. Mais il est juste de dire que l'évolution de l'union sociale canadienne fournit un des meilleurs exemples au monde de recherche d'un équilibre entre les principes de solidarité et de subsidiarité. En effet, comme le Bourgeois gentilhomme de Molière qui avait fait de la prose toute sa vie sans le savoir, le Canada applique inconsciemment ces deux principes depuis la Confédération. Le terme solidarité est surtout associé historiquement au mouvement syndical. On pense à l'hymne syndical « Solidarité pour toujours » ou à la lutte du syndicat Solidarité en Pologne. Être solidaire avec ses compatriotes signifie avoir de la compassion, en particulier pour les moins favorisés, et aider ceux qui sont dans le besoin. Cette attitude va au delà
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de la pitié ou de la charité : elle procède d'un sentiment de responsabilité mutuelle. Être solidaire signifie partager un sentiment d'appartenance commune et un souci du bien commun. La solidarité canadienne signifie que tous les citoyens de toutes les régions du pays ont le sentiment de faire partie d'un tout plus grand. Pour emprunter une autre expression au mouvement syndical, lorsque nous sommes solidaires avec les autres, « le tort fait à une personne touche toutes les autres ». Nous avons vu l'esprit de la solidarité canadienne à l'oeuvre au lendemain des inondations survenues dans la région du Saguenay, plus tôt cette année. L'élan de soutien bénévole et spontané manifesté envers les victimes de la part de citoyens ordinaires du Québec et de toutes les régions du Canada a prouvé magnifiquement que les Canadiens d'un océan à l'autre ont le sentiment d'appartenir à un tout, qu'ils ont en commun le sens de la solidarité. Lorsque les gouvernements prennent des mesures pour aider des citoyens et des régions dans le besoin, ils manifestent officiellement ce sentiment de solidarité entre concitoyens. Mais la solidarité, la croyance en la responsabilité mutuelle et le soutien des défavorisés, ne signifie pas que nous devons créer un État providence où le gouvernement central pourvoit à tous les besoins de la personne. En fait, la meilleure façon d'aider les autres consiste souvent à les laisser s'aider eux-mêmes. C'est pourquoi la solidarité doit être équilibrée par le respect du principe de subsidiarité. Le terme subsidiarité nous est moins familier; il tire son origine de la doctrine sociale catholique des années 1930, mais il est maintenant largement utilisé dans les débats sur la gestion des affaires publiques en Europe et ailleurs. Il signifie essentiellement que l'État doit respecter l'autonomie légitime des individus, des familles, des collectivités et des administrations locales et les aider à s'acquitter de leurs responsabilités propres, au lieu de prendre celles-ci en charge. Je reprends à ce propos la définition classique de Pie xi : « C'est un principe fondamental de philosophie sociale ... qu'on ne devrait pas enlever aux individus et confier à la collectivité ce qu'ils peuvent accomplir de leur propre initiative et grâce à leur propre travail. C'est également une injustice ... que de transférer à la collectivité supérieure et plus grande les fonctions qui peuvent être remplies par des organes subordonnés et de taille moindre. »
Ce principe de subsidiarité est devenu une notion clé dans la formation de la Communauté européenne. Le traité de Maastricht sur l'union européenne, conclu en 1991, dit ceci : « La Communauté n'intervient, conformément au principe de subsidiarité, que dans la mesure où les objectifs ne peuvent être réalisés de manière suffisante par
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les États membres et, en raison de l'importance et des effets de la mesure projetée, peuvent être mieux réalisés au niveau communautaire. » [Traduction]
À l'heure où la Communauté européenne est en train de se transformer d'une simple zone de libre-échange en une union économique, sociale et politique plus complète regroupant des pays souverains au sein d'institutions fédérales, les Européens débattent précisément la question à laquelle nous avons fait face au cours du dernier siècle tandis que nous, Canadiens, nous efforcions de créer une identité nationale forte dans le cadre d'une fédération avec des provinces fortes, à savoir, comment concilier un esprit de solidarité avec le respect de la subsidiarité. Au Canada, notre système fédéral est le principal moyen que nous avons utilisé pour concilier la solidarité avec la subsidiarité. Le fédéralisme nous permet d'avoir part à une citoyenneté commune comportant des buts et des objectifs nationaux communs; mais il signifie également que nous respectons l'autonomie et la diversité des composantes de la fédération, soit les provinces et les territoires. L'histoire de l'union sociale canadienne Le fédéralisme canadien est un système dynamique. Il a considérablement évolué au fil des ans, étant tantôt plus centralisé et tantôt plus décentralisé, mettant à certains moments l'accent sur la solidarité et, à d'autres, sur la subsidiarité. Il a été caractérisé non pas par le statu quo, ni par des constantes, mais plutôt par des changements incessants. Cela se vérifie au plus haut point dans le développement et l'évolution de notre union sociale canadienne. Permettez-moi d'en relater brièvement les différentes étapes, alors qu'au fil des ans les Canadiens se sont appliqués à agir de manière solidaire tout en respectant la subsidiarité. En 1867, le Canada ne disposait pas d'un système étendu de programmes sociaux. Les gouvernements s'occupaient principalement d'infrastructures publiques essentielles comme les chemins de fer et les services postaux. En vertu de VActe de l'Amérique du Nord britannique de 1867, l'éducation était un domaine de compétence provinciale exclusive, ce qui était particulièrement important pour le Québec afin de protéger son identité linguistique et religieuse distincte. Mais, dans l'ensemble, la prestation de services de santé, d'éducation et d'aide sociale ne relevait pas de l'État: elle était laissée aux particuliers, aux collectivités, aux organismes de bienfaisance et aux institutions religieuses, et les provinces ne jouaient qu'un rôle de surveillance dans ce domaine. Au fur et à mesure que l'économie canadienne se développait et prospérait, ce système semblait fonctionner assez bien. La subsidia-
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rite non seulement des provinces, mais aussi des collectivités locales, était pleinement respectée tandis qu'un esprit de solidarité incitait les citoyens d'un pays riche et florissant à appuyer généreusement et avec compassion le réseau de services sociaux administré à l'échelle locale. Mais lors de la Crise des années 1930, la situation économique et sociale a poussé nombre de gens à demander que le gouvernement prenne en charge certaines de ces fonctions sociales pour aider les personnes les plus nécessiteuses. La première demande, et la plus pressante, visait une forme quelconque d'assurance-chômage pour aider les citoyens perturbés par la crise économique. En 1935, le gouvernement conservateur de R.B. Bennett a essayé de réagir à la crise économique au moyen d'une loi de grande envergure sur l'emploi et l'assurance sociale. Mais plusieurs provinces s'y sont opposées et, en 1937, les tribunaux ont jugé que la loi outrepassait les pouvoirs fédéraux. Dès le départ, donc, il a fallu trouver un accommodement entre la solidarité et la subsidiarité dans la mise sur pied des programmes sociaux du Canada. Le gouvernement King a négocié avec les provinces et modifié la Constitution avec leur consentement unanime en 1940 pour permettre l'intervention fédérale dans le domaine de l'assurance-chômage, puis il a fait adopter la Loi sur l'assurance-chômage en 1941. D'autres initiatives sociales ont suivi un schéma de coopération entre les gouvernements fédéral et provinciaux et d'émulation entre les provinces pour aboutir avec le temps au réseau de programmes dont les Canadiens profitent aujourd'hui. Par exemple, la Saskatchewan a instauré l'assurance-hospitalisation en 1947. La Colombie-Britannique et l'Alberta lui ont emboîté le pas en 1949. Puis, en 1957, le gouvernement fédéral a offert de partager les coûts avec les provinces qui instituaient des programmes semblables et, dès 1959, les citoyens de toutes les provinces pouvaient se prévaloir de l'assurance-hospitalisation en cas d'urgence. C'est là un exemple remarquable de la flexibilité permise par le système fédéral pour réaliser un équilibre entre la solidarité et la subsidiarité au profit du bien commun de tous les Canadiens. La Saskatchewan a de nouveau fait oeuvre de pionnière en 1961 en instaurant Passurance-maladie universelle, et les autres provinces ont adhéré à un programme fédéral-provincial cofinancé au cours de la décennie qui a suivi. Le Régime de pension du Canada fournit un autre exemple d'émulation et de coopération fructueuses. L'Ontario a fait adopter en 1963 sa Loi sur les régimes de retraite, qui réglemente les contributions aux régimes de pension privés et les rend obligatoires. Le gouvernement fédéral a préconisé un programme national de pension géré par l'État en 1965. Le Québec a exprimé le désir de se doter d'un programme distinct, mais comparable, et, en 1967, le Régime de pension du Canada a
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été instauré à l'échelle du pays et, parallèlement, le Régime de rentes du Québec a été mis en oeuvre dans la province. Telle est l'histoire de la politique sociale au Canada: créativité et innovation au palier provincial menant à la coopération à l'échelle nationale, réalisation d'un habile équilibre entre les principes de solidarité et de subsidiarité. Nous devons faire appel aujourd'hui à cette même flexibilité et à cette même créativité au moment où les gouvernements commencent à réfléchir à la façon de réorienter les programmes sociaux du Canada pour le xxie siècle. Le Québec et l'évolution de l'union sociale Les démarches visant un examen complet des programmes sociaux sur les plans interprovincial et fédéral-provincial sont actuellement en cours. Le rapport présenté au printemps de cette année par le Conseil ministériel sur la refonte de la politique sociale comportait des suggestions intéressantes sur la politique sociale. La tribune fédérale-provinciale présidée par Pierre Pettigrew et Stockwell Day, ministre responsable de la famille et des services sociaux de l'Alberta, sera une bonne occasion de discuter de ces suggestions et d'autres propositions d'amélioration de notre union sociale. Malheureusement, le Québec a choisi de ne pas participer à part entière à ces efforts. Lors de la Conférence des premiers ministres provinciaux, à Jasper, le premier ministre Bouchard a tenté de justifier cette non-participation en se fondant sur les positions constitutionnelles traditionnelles du Québec. « La position historique des premiers ministres québécois a consisté à n'accepter aucune ingérence du gouvernement fédéral, ni des provinces, dans les champs de compétence du Québec, notamment dans les programmes sociaux » [Traduction], a-t-il dit. Mais l'examen des archives montre les faits sous un jour plus nuancé. Il est vrai que tous les gouvernements du Québec, indépendamment de leur affiliation politique, ont insisté sur le maintien de l'autonomie provinciale et la protection de la compétence constitutionnelle des provinces en matière de politique sociale. Mais il existe aussi une histoire de pragmatisme et de coopération constitutionnelle entre Ottawa et Québec en matière de politique sociale, histoire qui remonte aux années 1930, et qui vise à offrir les meilleurs services possibles aux citoyens. Par exemple, le premier ministre Duplessis avait accepté la nécessité d'un régime fédéral d'assurance-chômage en 1937 en raison de la durée et de l'importance de la Crise, déclarant que cela n'empiéterait pas sur la compétence de la province. En 1940, Adélard Godbout avait con-
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