Nouveaux mémoires historiques sur la Guerre de Sept Ans: Tome 2 [Reprint 2022 ed.] 9783112665763, 9783112665756


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French Pages 283 [564] Year 1803

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Table of contents :
OUVRAGES
CHAPITRE-PREMIER. Coup-d'oeil historique et politique sur la situation de l'Europe y au commencement de tannée 1759
CHAPITRE II. Campagne des Alliés contre les Français, en 1759
CHAPITRE III. Coup-d'oeil sur les opérations des armées Prussiennes et Autrichiennes, au commencement de la campagne de 1759 a jusqu'à l'arrivée des Russes
CHAPITRE IV. Campagne des Prussiens contre les Russes , jusquii la bataille de Cunersdorf, livrée le 12 août 1759
CHAPITRE V. Considérations sur la situation de Frédéric, après la bataille de Cunersdorf. — Conquête de Dresde. — Mésintelligence entre Soltihow et Daun. — La campagne admirable du prince Henri sauve le Roi et l'Etat
CHAPITRE VI. Retraite des Russes en Pologne, Le roi de Prusse prend le chemin de la Saxe. Affaires de Maxen et de Meissen en novembre 1759
CHAPITRE VII. Introduction au tableau de la campagne de 1760
CHAPITRE VIII. Affaire de Landshut, le 23 juin 1760.— Défaite du général Fouquet
CHAPITRE IX. Campagne en Saxe. Siège de Dresde, au mois de juillet de Vannée 1760
CHAPITRE X. Campagne des Prussiens contre les Autrichiens et les Russes en Silésie. Bataille de Liegnitz, le i5 août 1760. Les Russes s'emparent de Berlin
CHAPITRE XI. L'armée de VEmpire fait la conquête de la Saoce. — Bataille de Torgau, le 3 novembre 1760
CHAPITRE XII. Campagne des Alliés contre les Français, en 1760
CHAPITRE XIII. Relations politiques des puissances belligé rantes, avant l'ouverture cicj la campagne de 1761
CHAPITRE XIV. Campagne du duc Ferdinand de Brunsvio contre les Français, en 1761
CHAPITRE XV. Campagne du Roi de Prusse contre les Autrichiens et les Russes en Silésie. Laudon s'empare de Schweidnitz, le 3o septembre 1761, par un coup de main
CHAPITRE XVI. Considérations sur les campagnes des Prussiens en Saxe et en Poméranie, dans le cours de l'année 1761. — Prise de Colberg, le 16 décembre même année
CHAPITRE XVII. Rapports politiques des Puissances belligérantes , avant l'ouverture de la campagne de 1762
CHAPITRE XVIII. Campagne de 1762 en Silésie. Affaire de Rcichenbach. Prise de Schweidnitz le 9 octobre 1762
CHAPITRE XIX, Campagne en Saxe. Bataille de Freibcrg le 29 octobre 1762
CHAPITRE XX. Aperçu de la campagnc des Alliés contre les Français, en 1762. — Bataille de Wilhelmsthal. — Paix séparée de l'Angleterre et de la France
CHAPITRE XXI. Considérations sur l'issue de la guerre de sept ans et sur la paix générale
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Nouveaux mémoires historiques sur la Guerre de Sept Ans: Tome 2 [Reprint 2022 ed.]
 9783112665763, 9783112665756

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NOUVEAUX M É M O I R E S H I S T O R I Q U E S SUR

LA GUERRE DE SEPT ANS; PAR M. DE

RETZOW,

Ancien capitaine au service de Prusse. Traduits

de

Vallemand.

Suum cuique decus posteritas socordiam

eorum

potentiel aevi

credunt

extingui

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libet, posse

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memoriam. ANNALES DE T A C I T E ,

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rependit.

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Liv. I V , Chap. X X X V .

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BERLIN,

Chez H I M B U R G , Libraire ;

A Chez

P A R I S ,

T R S U X X E I

et

W

1803.

I I I I Z ,

libraires.

N O U V E A U X M É M O I R E S H I S T O R I Q U E S SUR

LA GUERRE DE SEPT ANS. TOME II.

OUVRAGES MILITAIRES,

HISTORIQUES , GEOGRAPHIQUES

ET

TOPOGRAPHIQUES , Extra ils du Catalogue O à Paris , quai

Voltaire

de TREUTTEL

et WuRTZ.

n°. 2 , et à Strasbourg,

'

libraires

Grand'rue

.

'

,

n°. l5. Cours de mathématiques à l'usage des élèves de l'artillerie, par Bezout; 4 vol. gr. in-8. an I I , édit. orig. Examen maritime théorique et p r a t i q u e , par Don Juan , 2 vol. in-4. 1783. Géographie de Biisching, nouvelle édition o r i g i n a l e , revue, corrigée et augmentée, 14 tomes formant 16 vol. in-8. Histoire des quatre dernières campagnes de Turenne ; de 1672 à 1675 , enrichie de cartes et plans , par Beaurain, in-fol. 2 vol. dont un de p l a n c h e s , 1782. Histoire de la rampagne des Prussiens en H o l l a n d e , en 1787, par M. de Pfau , traduite de l ' a l l e m a n d , avec plans et cartes, 1 gros vol. in-4. 1790. Histoire de F r a n c e , depuis la révolution de 1789, écrite d'après les mémoires et manuscrits contemporains . recueillis dans les dépôts civils et militaires, par le cit. F. E. Toulongeon , ( membre de l'Institut national ) avec cartes et plans, tomes 1 à 4 , g r . i n - 8 . , de l'imprimerie de Didot jeune, an I X et X I I . — La même , format in-^r tomes 1 et 2. —• Du même ouvrage, la seconde livraison, séparément, formant les tomes 3 et 4 de l'éditiou in-8. et le t o m e s de l'édition in-4. avec cartes et plans. Histoire de la guerre de Hongrie en 1 7 1 6 , 1717 et 1 7 1 8 , par le comte de Schmettau, in-8. 1788. Idées d'un militaire pour la disposition des troupes confiées aux jeunes officiers dans la défense et l'attaque des petits postes, par M . Fossé; 1 vol. grand in-4., de l'imprimerie de Didot l'aîné, avec 11 pl. en. couleur, i 7 8 3 i p a p . fin d'Auvergne. — Papier fin cl'Annonay. Instruction m i l i t a i r e , ou partie de la science de l'officier , concernant la géométrie relative à la guerre da

( 2 ) c a m p a g n e , a v e c des tangentes et 14 p l a n c h e s , par M . F o s s é , 2 vol. i n - 8 . , 1788. Journal d'un v o y a g e en Prusse et en Allemagne , fait en 1 7 7 3 , par J . A . H . G u i b e r t , de l'académie franç a i s e , ( a u t e u r de l'Essai général de tactique)-, ouv r a g e posthume , publié par la v e u v e , précédé d'une notice historique sur la v i e de Guibert, par F . E . T o u l o n g e o n , 2 vol. in-8. avec g r a v u r e s , an X . .Lettre sur la cainpague du général Macdonald dans les G r i s o n s , 1800 et 1 8 0 1 , par P h . S é g u r , officier de l'ét a t - m a j o r , in-8. an X . Lettres et M é m o i r e s de G u s t a v e - A d o l p h e , de ses m i nistres et de ses généraux , sur les guerres des S u é dois , in-8. 1790. L e t t r e s sur la v i e et le règne de Frédéric I I , roi de P r u s s e , par J . C h . L a v e a u x , 3 v o l . in-8. avec portrait. 1789. M é m o i r e s sur la dernière guerre entre la F r a n c e et l ' E s p a g n e , dans les P y r é n é e s occidentales, par le cit. B * * , a v e c utie Carte m i l i t a i r e , in-8. an X . Mémorial topographique et militaire du dépôt général de la guerre, publié par ordre du m i n i s t r e , i n - 8 . 1 e r . I I e . I I I e . et I V e . v o l . , aven fig. an X I . C e t o u v r a g e se c o n t i n u e .

Œ u v r e s complètes de Frédéric I I , roi de P r u s s e , i o v o l . in-8. sur beau papier, avec portraits , 1788 ; éd. originale sans cartons ministériels. — Sur grand papier vélin anglais. P r é c i s des évènemens m i l i t a i r e s , ou Essai h i s t o r i q u e sur la guerre présente ( par le général M a t h i e u D u m a s ) , avec cartes et plans. Campagne de 1799 5 ouvrage c o m p l e t , formant douze numéros, ou 2. gros v o l . in-8., ans V I I I et I X . P r é c i s sur la défense, relative au serrrceTle c a m p a g n e , à l'usage de l'officier d'infanterie , par F o s s é , i n - 1 8 . , an X. Recueil des principaux, traités d'alliance, de p a i x , de trêves, de n e u t r a l i t é , de commerce , de l i m i t e s , d*é( iiange , e t c . , conclus par les puissances de l ' E u r o p e , tant entr'elles qu'avec les puissances et étflts dans d'autres parties du m o n d e , depuis 1761 jusqu'à présent , par M . Mai tens , 7 v o l . in-8. et 2 v o l . de supplément , ensemble 9 vol. in-8. 1791 à 1802. Pecueil ( nouveau ) des traités de paix , d ' a m i t i é , d'alliance , de iie^liulitc et autres, conclus entre la R é -

( 3 ) publique française et les différentes puissances de l'Europe depuis 1792 jusqu'à la paix générale, avec plusieurs autres pièces qui pourront servir d'éclaircissement au moderne droit des gens reconnu dans l'Europe, 4 vol, petit i n - 8 . , i8o3.

Cartes. Atlas nouveau de la Suisse, l e v é par W e i s s , en seize grandes feuilles, sur une échelle d'environ 18 lignes par lieue. Carte nouvelle du théâtre de la guerre en I t a l i e , par Bâcler D a l b e , 3o grandes feuilles sur papier pâte vélin , publiées en trois livraisons. — D u m ê m e o u v r a g e , la continuation et le complém e n t , savoir : le royaume de N a p l e s , la S i c i l e , la Sardaigne et Malte; 20 feuilles de la m ê m e échelle , divisées en 2 livraisons, an X L — Ladite carte complète , en 5 livraisons. Carte nouvelle du T y r o i , d'après A n i c h e t H u b e r , publiée par ordre du ministre de la guerre, en 6 grandes feuilles. Carte du cours du R h i n depuis Basle à Spire, en 3 petites feuilles, à lisières enluminées. Carte des environs de M u n i c h , réduite sur celle faite par ordre de l'électeur, très-bien gravée; une petite feuille. Carte du théâtre de la guerre entre les R u s s e s , les Turcs et les Autrichiens, par Bonne et Lattré , en 8 peliies feuilles, formant réunies 2 feuilles grand aigle. Carte géographique de la Grec«, ancienne et moderne, avec les dénominations anciennes et nouvelles , 1111e feuille. Carie de l'Indostan, par R e n n e l , gravée d'après l'original , par Tardieu, 4 grandes feuilles. Plan de Gibraltar, savoir : d e l à ville et du .promontoire , du détroit , de la baye , et deux vues ; 5 feuilles. Ouv.rag:e s o u s p r e s s e pour paraître en an XII ( octobre j 8o3. )

vendémiaire

A l l a s m i l i t a i r e , pour servir à l'histoire de la d e r n i è r e guerre e n t r e la F r a n c e et les puissances coalisées de l ' E u r o p e , Piemiére Livraison] composée j". d'une

( 4 ) I n t r o d u c t i o n h i s l o n q u e ; 2 ° . d'un J o u r n a l g é n é r a l des opérations militaires, prises dans leur e n s e m b l e ; 3°. d ' u n J o u r n a l s p é c i a l d e s m o n v e m e u s d e - c h a q u e a r m é e en particulier ; 40. d e cartes et plans ( a u n o m b r e d e 1 7 ) i n d i q u a n t les p o s i t i o n s et m o u v e m e n s r e s p e c t i f s d e s a r m é e â p e n d a n t les d e u x premières c a m p a g n e s , o u d e p u i s l e c o m m e n c e m e n t d e la g u e r r e j u s q u ' à la fin d e j u i l l e t 1 7 ^ 4 ; u n v o l . g r a n d i n - 4 . Les cartes et plans militaires faisant partie de cette p r e m i è r e livraison , sont : I o . Carte générale du t h é â t r e tic la g u e r r e , entre la F r a n c e et les puissances coalisées , dans les années 1792 , 179^ et 1794. 2°. C a r t e des opérations d® l ' a r m é e d u INord , d u 29 avril a u 3o octobre 1792. 3°. C a r t e 4e la c a m p a g n e de 1792 ( en C h a m p a g n e ) , depuis le 22 a o û t j u s q u ' a u 2 J octobre 1792. 4°. Carte c o m p r e n a n t : I a . la c a m p a g n e dans la B e l g i q u e , p a r le général D u m o u r i e r , et sa retraite en F r a n c e , du 1 n o v e m b r e 1792 au 5 avril 1793 ; 2 ° . les opérations de l ' a r m é e d u N o r d , des A r d e n n e s et de la Moselle , et de S a m b r e et M e u t e , d u 5 avril 1793 au 28 juillet 1794. 5 ° . Expédition en H o l l a n d e , p a r le général D u m o u r i e r , en f é vrier et m a r s 1793. 6°. C a r t e de la c a m p a g n e d ' e n t r e S a a r e et M o s e l l e , p a r le g é n é r a l ' B e u r n o n v i l l e , du 8 n o v e m b r e au 25 d é c e m b r e T792. f " . C a r t e p o u r les a r m é e s du R h i n , de R h i n e t Moselle , depuis le m o i s d e m a i 1 7 9 » , j u s q u ' a u 28 juillet 1794. 8°. U n e petite carte p o u r l'expédition d u général C u s t i n e , s u r la rive droite du R h i n , en 1792. 9*. C a r t e p o u r l ' a r m é e des Alpes et d ' I t a l i e , j u s q u ' a u 38 juillet »794i o ° . C a r t e p o u r l ' a r m é e des P y r é n é e s orientales , d u 20 m a r s • 1793 , j u s q u ' à u 2 8 juillet 1794. I I o . Carte p o u r l ' a r m é e des Pyrénées occidentales , d u 20 m a r s 1793 , j u s q u ' a u 28 juillet 1794. 12°. P l a n de l'affaire de V a l r a y , d u 20 septembre 1792. i 3 ° . P l a n de la bataille de Jemmappe,TÍOTrníe le 6 n o v e m b r e I 7 g a . 1 4 o . P l a n de la bataille de N e r w i u d e , d o n n é e le 8 m a r s 1793. i 5 ° . P l a n de la bataille .le H o n d s c h o o t t , d o n n é e le 8 septembre 1793. 16°. P l a n de la bataille de F l e u r u s , donnée le 20 juin 1794. 17e*. P l a n p o u r la reprise de T o u l o n . Ces diverses Cartes et Plans militaires sont dressés par le cit. Schneider, ingénieur-topographe du Dépôt général de la guerre à Paris , et gravés ai>ec le plus grand sQin par le cit. P.-F. Tardieu.

MÉMOIRES HISTORIQUES SUR

L A G U E R R E DE S E P T ANS. C H A P I T R E - P R E M I E R .

Coup-cÎœil historique et politique sur la situation de l'Europe y au commencement de tannée 1759.

J-/A campagne de 1758 n'apporfa aucun chan-> gement marqué à la situation respective des puissances belligérantes sur le continent. L a fortune avait plus ou moins favorisé leurs o p é rations, compassées de part et d'autre avec une prudence,un art et uu courage à-peu-près é g a u x ; des tours d'escrime plus ou moins heureux avaient alternativement décidé de la réputation m i l i taire des combattans, tandis que les méprises, les passions, l'influence dés intrigues et des mauvais conseils avaient déjoué plus d'une fois des entreprises dont le succès paraissait i m manquable. Témoin de ces bisarres fluctuai tions , on était tenté de croire qu'elles entraient dans les plans impénétrables d'une providenc«

Tome II.

A,

3

GUERRE

DE

SEPT

ANS.

attentive à balancer le succès des armes et à tenir jusqu'à ce moment en équilibre les puissances qui se disputaient la victoire. L a lutte , assez égale sur le continent, l'était beaucoup moins sur les mers qui avaient été le théâtre d'exploits plus féconds en conséquences importantes. Les escadres Anglaises q u i , depuis le commencement dé cette guerre, avaient montré si peu d'activité, s'élaienl glorieusement signalées dans le cours de l'année précédente. Elles avaient remporté des triomphes honorables dans les quatre parties du globe , depuis l'époque où le véritable intérêt de la nation l'avait emporté sur les animosités particulières des membres du Parlement, et depuis qu'un homme d'un mérite aussi consommé que Pitt se trouvait à la tête des affaires. On ne put s'empêcher de voir avec étonnement le triomphe de la concorde et du génie sur le vertige des factions. Jusqu'alors des incidens malheureux , ou lîmpériùe de ceux auxquels on avait confié le commandement des flottes , avaient fait échouer presque toutes les expéditions, même les plus coûteuses. L'année îj52> fut pour les Anglais l'époque des plus brillans succès. L a victoire les accompagna par-tout, et la France commença à se ressentir de leurs conquêtes au delà des mers. Ils avaient chassé les Français, en Afrique, de tous leurs forts et de tous leurs

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etablissemens sur les côtes de la Guinée et sur les bords du Sénégal. Ces conquêtes avaient délivré le commerce de la métropole des entraves que sa rivale avait mis jusqu'alors en Afrique. L e commerce exclusif de la poudre d'or, et surtout celui de la gomme, dont ils tiraient un si grand parti pour la fabrication des toiles peintes et imprimées, était pour eux d'un prix inestimable. Lord Clive faisait égaillent la loi en Apié. Ses artifices et sa b r a voure valurent à la nation autant de conquêtes que son insatiable avidité lui procura de trésors à lui-même. On venait d'exécuter, dans l'Amérique septentrionale , ce que lord Laudon n'avait pas eu le courage d'y tenter en malgré la grande supériorité de ses forces. L'amiral Boscaven avait heureusement conduit le général Ancherst sur la côte du Cap-Breton. C e dernier y avait conquis Louisbourg ; grâces à la valeur du général W o l f , il s'était emparé de l'île entière, et avait ainsi préparé, pour l'année suivante , la conquête du Canada. I l n'y eut que l'expédition de lord Anson, contre le port de Saint-Malo et sur les côtes de Bretagne , qui fut moins brillante : elle ne fut pas à la vérité tout-à-fait infructueuse ; cependant 011 ne la poussa point avec une vigueur proportionnée aux frais énormes qu'elle avait occasionnés. On ne s'en cacha point à Londres. A ^

4 G Û E R R E DE S I P T ANS. et l'on n'épargna .pas aux Ministres les satires que l'on se plait à leur prodiguer dans leS débats du Parlement. Fox appliqua à cette expédition la fable de la montagne qui accouche d'une souris. Il dit : « que l'on avait cassé des 3) fenêtres à coups de gui nées. « Tant de succès enflammèrent l'activité des Anglais. Malgré les sommes très-considérables que la guerre avait déjà coûtées à la nation, on accorda sans difficulté 3 pour la campagne suivante, un subside de douze millions trois cent mille livres sterling, et l'on offrit même aux ministres plus d'argent qu'ils n'en voulaient. L'enthousiasme et les l'ichesses de la nation contribuaient, de concert avec l'accord si rare des esprits dans le Parlement, à faciliter les entreprises, même les plus hardies; et c'est au génie de Pitt que l'on était redevable de ces précieux avantages. Dans un pays où chaque citoyen a le droit d'énoncer librement ses opinions , et où l'on a contume de censurer vivement toutes les opérations du ministère, ce grand homme sut enchaîner tous les membres du Parlement par la chaleur desori éloquence. 11 n'avait qu'à exposer ses maximes et ses vues politiques dans la Chambre-haute, l'on y souscrivait presque unanimement ; et la chambre basse lui accordait, sans difficulté , toutes les «ommes qu'il demandait. C'était aux yeux de sa

C A M P A f t N ï

DE

1759.'

5

nation et de l ' E u r o p e un p r o d i g e inoui ( 1 ) . S a prédilection pour la guerre c o n t i n e n t a l e , v o i l à le seul article sur lequel on n'était pas g é n é r a l e m e n t de son avis à L o n d r e s . L e s A n g l a i s p r é f é r é , de tout t e m s , les g u e r r e s

ont

maritimes

qui tournent directement a leur p r o f i t , aux expéditions sur le continent , dont leurs

Alliés

seuls retirent tout l'avantage. M a i s Pitt réussit à triompher aussi de ce préjugé national. Il sou-

(1) Combien les choses ont changé de face en A n g l e terre, depuis l'époque dont nous parlons! Pitt ne demandait alors "que treize millions de livres sterling, pour subvenir aux frais d'une carrtpagne ! Son fils en demande aujourd'hui v i n g t - s i x à v i n g t - h u i t ! On offrait au père plus d'argent qu'il n'en voulait; aujourd'hui l'on a peine à «e procurer les sommes strictement nécessaires , malgré les conditions onéreuses auxquelles on emprunte. Les nobles principes du père lui avaient attiré la confiance de la nation, qui accédait, sans difficulté , à toutes ses propositions. L'héritier de son nom, qui l'est aussi de son éloquence et de sa fermeté, pour s'être trop laissé dominée par les préjugés et par les petitesses de l'envie, s'est vu, réduit à s'assurer les suffrages de la majorité à force d'intrigues, et par des moyens de corruption, Cependant l'Angleterre n'avait qu'u i ennemi à vaincre dans la guerre d'alors, comme dans celle dont nous retraçons le souvenir; elle n'a point aujourd'hui de troupes à entretenir sur le Continent. Elle a fait autant de conquêtes que durant la guerre de sept ans, et la destruction de l'empiro de Tippo-Saïb lui a valu un prodigieux accroissement do richesses.

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6

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DE

ST. P T

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tint courageusement, à tous ceux qui combattaient son opinion, « que c'était en Allemagne » qu'il fallait conquérir l'Amérique septentrio» nale ; » et l'événement a prouvé qu'il n'avait pas tort. Aussi l'on ne se contenta point de continuer à entretenir en Allemagne le corps auxiliaire de douze mille hommes , qu'on avait promis depuis la bataille de Crefelt. On eut soin de le recruter, et l'on paya, avec la plus scrupuleuse exactitude, les subsides accordés au roi de Prusse, ainsi que la solde des troupes HanoVriennes, Hessoises et Brunsvicoises. Plus l'Angleterre acquérait de gloire } et plus on voyait celle de laFrance s'éclipser insensiblement. L'état politique dece royaumeétaitaussidéplorable que celui des finances, totalement dérangées. L'abbé Bernis avait obtenu le ministère et le chapeau de cardinal , ainsi que nous l'avons rapporté dans le volume précédent, pour avoir favorisé l'alliance avec l'Autriche. L e moment où il adopta des plans plus sages, devint l'époque de sa chùtè. 11 avait sacrifié jadis les intérêts de sa patrie à ceux de son ambition. En signant le traité d« Versailles/en 1756-, il n'avait eu d'autre intention que de complaire à la marquise de Pompadour, .gt de s'assurer sa protection. Des réflexions plus*mûres, et l'expérience de deux campagnes malheureuses „ lui avaient enfin ouvert les yeux sur celte démarche impo-

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litique et inconsidérée. 11 s'était convaincu que tous les avantages de l'alliance étaient du côlé de l'Autriche j tandis que la France était bien éloignée d'y trouver son compte. Il calculait les dépenses énormes que l'on avait faites pour mettre la Suède et la Russie en activité, et pour continuer une g u e r r e , q u i , loin de valoir des conquêtes aux Français , n'avait été signalée pour e u x , jusqu'alors, que par une suite de r e vers douloureux. Comme on se voyait déjà réduit à payer au taux de sept pour cent l'intérêt des capitaux que les besoins de l'Etat forçaient a emprunter, comme déjà les assureurs demandaient soixante-dix pour cent,Bernis sentit que la continuation de la guerre écraserait finalement la nation sous le fardeau d'une dette exorbitante, et toutes ces considérations lui faisaient desirer ardemment la paix. Il commença donc à négocier, pour cet effet, très-secrètement à Londres, n'aspirant qu'à rompre les nœuds d'une alliance si peu naturelle, et si visiblement onéreuse. Malgré tout le mystère qu'il mit dans sa négociation , il ne put la dérober longtems à la sagacité de la Pompadour. Il lui sembla que c'était empiéter sur sa toute-puissance, que d'enl a m e r , à son insu, une négociation pareille, tandis que l'on savait que c'était elle q u i , par complaisance pour Marie-Thérèse, voulait la guerre. Êlle en fut piquée au vif. F i i r e de son influeuca

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DE

SEPT

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généralement reconnue , et flattée des caresses que l'Impératrice lui prodigait à pleines mains, elle résolut de précipiter le Cardinal du faîte des grandeurs où sa protection l'avait élevé. Il tomba en disgrâce au moment où il eût enfin démêlé les véritables intérêts de son pays ; on le chassa du ministère, pour avoir déplu à la favorite; et comme s'il se fût rendu coupable de haute-trahison , on l'exila dans son évêché d'Aix. On lui donna pour successeur le duc de Choiseul, envoyé de France à la cour de Vienne. L a disgrâce de Bernis fut pour le nouveau Ministre une forte leçon , et il se garda bien d'articuler ce mot de paix si indignement proscrit par la Pompadour. Ne s'embarrassant guères de l'issue des évènemens, il prit exactement le contre-pied des projets du Cardinal, et signala son entrée au ministère par la conclusion d'une alliance plus étroite encore que celle qui subsistait déjà entre l'Autriche et la France. Rien n'était plus contraire aux intérêts de la Nation française; la teneur du nouveau traité attestait évidemment l'influence de la maison d'Autriche sur les délibérations du cabinet de Versailles; il fallut d'incroyables efforts pour remplir les engagemens que ce traité imposait à Louis X V ; mais tout cela n'empêcha point son impérieuse maîtresse d'en triompher hautement. Non contente d'être vouée plus que jamais à l'Autriche,

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elle aurait aimé à éterniser la guerre pour faire montre de sa puissance en distribuant dans les armées les rôles principaux au gré de ses c a prices. L e duc de Choiseul était précisément l'homme qu'il lui fallait. C'était lui qui avait proposé l'alliance avec l'Autriche ; son caractère ardent et le désir ambitieux de maîtriser la F r a n c e , dont son âme était dévorée, le disposaient à céder aveuglément aux moindres v o lontés de la Marquise. Autant elle ne pouvait se passer de ses services, autant les intérêts et l'ambition du Ministre lé tenaient enchaîné au char de sa protectrice, ( i ) L'inconséquence et (i) L'ambition de l'orgueilleux Choiseul ne connaissait point de bornes ; les intrigues et les cabales étaient son élément. A peine la paix de Versailles eût-elle terminé la guerre en 1 7 6 2 , qu'il la déclara aussitôt aux Jésuites. Le crédit illimité qu'il avait sur l'esprit de son faible Monarque lui présageait , dans cette guerre bisarre , u n triomphe facile ; mc.is il eut à combattre les préjugés du Dauphin et de la Dauphine, qui protégèrent puissamment les Jésuites. Ce ne fut qu'après la mort du Prince, de son épouse et de la Pompadour , évènemens qui se suivirent de près, qu'il parvint à son but. Aussi les partisans du Ministère n'ont-ils pas réussi à purger sa mémoire de« soupçons,que ces évènemens firent naître; soupçons d'autant plus fondés, que c'était un homme capable des plus grandes noirceurs et assez indifférent sur les moyens, pourvu qu'il parvînt à son but : témoin, son projet inconséquent et vain f de faire sauter la banque de Londres. Sa

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la légèreté de ceux qui tenaient à celte époque le timon des affaires, passe toute vraisemblance. On ne suivait aucun principe fixe ni dans l'administration des finances, ni dans la législation, ni relativement aux traités, ni dans la conduite des entreprises militaires. L'édifice de l'Etat commençait à menacer ruine,, parce que l'on prenait plaisir à en miner sourdement la base , ceux qiii gouvernaient sous un monarque indolent et faible , n e cherchant qu'à satisfaire les vues de leur ambition et de leur intérêt personnel. Cette monarchie jadis si puissante, qui, du tems de Louis XIV,faisait la loi à l'Europe, et dont le revenu annuel montait à cent millions , offrait de plus en plus le spectacle d'une décadence frappante par son contraste avec le rôle que la France jouera toujours, du moment où ses finances seront sagement administrées. L'on pouvait même prévoir dès-lors les révolutions qui depuis ont bouleversé l'Empire f r a n çais y dont les ennemis se gardaient bien de confier à des maîtresses et à un Choiseul l'adchûte fut aussi singulière que l'avait été son élévation à la dignité de premier ministre. Il avait été redevable de ca nomination à une favorite habile, dont les volontés furent constamment la règle des siennes. Une autre maîtresse qui valait moins que la Pompadour , la comtesse D u b a r y , occasionna sa disgrâce, parce qu'il ne fut point taaître de déguiser le mépris qu'elle lui inspirait.

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ïiiinistration des affaires. En Amérique, laFrance avait perclu le Cap-Breton, et se voyait menace'e de perdre égoJement le Canada. Les Généraux qui commandaient aux Indes oinentales des armées assez considérables de terre et de m e r , n'avaient été rien moins qu'heureux. Le général Lally s'était vu forcé de lever le siège de Tanschur et celui de Madras. L'amiral Asche fut deux fois battu par les Anglais. Tous ces revers tenaient au défaut d'argent et de munitions , ainsi qu'à toutes les mesures vicieuses qui r é vélaient la désorganisation intérieure de l'Etat, dont l'Angleterre savait profiter habilement. Mais autant Pitt comptait sur la réussite de ses projets tendans à ruiner la France, autant l'Autriche se flattait-elle d'écraser le roi de Prusse dans cette nouvelle campagne : les conjonctures semblaient favoriser cet espoir. L'année 1758 avait été moins désastreuse que la précédente pour les armes Autrichiennes. Frédéric n'était parvenu qu'avec beaucoup de peine et par de continuels efforts de génie,à prévenir sa ruine totale. Si tous les vastes projets de Daun avaient échoué, il ne fallait s'en prendre ni aux méprises du cabinet de Vienne, ni à la mauvaise constitution des armées. Ces dernières étaient, au contraire, sous plus d'un rapport, en meilleur état que les troupes Prussiennes. Celles-ci avaient, en grande partie, perdu l'élite des

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braves soldats qui avaient signalé leur valeur dans les trois premières campagnes. L'armée Autrichienne, au contraire, avait été composée au commencement de celte guerre, de l'écume de la nation. L a cour de Vienne venait d'ailleurs de resserrer son alliance avec la France , et de concert avec elle, on ne négligeait rien pour enflammer l'activité du cabinet de Pétersbourg. Quelque brillante que fût cette perspective, il y avait néanmoins de grands obstacles à surmonter du côté des finances. L'argent, ce puissant ressort de la guerre, commençait à manquer. Trois campagnes ruineuses avaient épuisé le riche trésor de la maison de Médicis, et l'on s'était vu dans la nécessité de recourir a des i m positions onéreuses. Il fallut en venir à des emprunts considérables et faire circuler des papiers publics à gros intérêts, ce qui était pour l'Etat et pour la nation une très-grande charge. Marie-Thérèse aurait difficilement trouvé moyen de subvenir aux frais de la guerre , si l'empereur François I e r -, son époux , ne lui avait avancé les millions qu'il amassait avec toute l'industrie et toutes les sollicitudes d'un banquier. Telle fut la source où l'Impératrice puisa les moyens de recruter et d'entretenir ses nombreuses armées; mais François ne se piquait pas de désintéressement, et le négociant le plus adroit n'eût pas mieux calculé ses intérêts et ses profits, qu'il ne le faisait toutes

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Jes fois qu'il se chargeait de quelque livraison considérable pour l'armée. La bonne intelligence de Marie-Thérèse avec ses Alliés , jointe aux grands préparatifs dont elle s'occupait avec tant d'ardeur, nourrissaient dans son âme l'espoir d'une campagne heureuse. Elle se flattait surtout de voir la Russie seconder ses opérations avec un redoublement d'activité dont elle se promettait l'exécution* des articles secrets du traité de Pétersbourg. On s'occupait, de concert avec le Ministère français, à aigrir de plus en plus l'animosité d'Elisabeth contre le roi de Prusse. Pour la tirer de son indolence toujours croissante, on lui représentait sans cesse qu'elle devait à l'honneur de ses armes de venger l'affront qui avait terni leur gloire dans la plaine de Zorndorf ; que, pour cet effet, il fallait nécessairement mettre sur pied une armée plus nombreuse, dont l'on, combinerait les opérations avec celles des troupes Autrichiennes. Tel était le langage que les Envoyés de France, d'Autriche et ceux du roi de Pologne tenaient à P é tersbourg. Ils ne négligeaient aucun moyen de déterminer l'Impératrice à continuer la guerre, et s'empressaient d'autant plus à gagner ses favoris , que l'Angleterre s'efforçait à cette époque de détacher la Russie de l'Autriche. Le chevalier Keilh était chargé de cette négociation. La Erance et l'Autriche demandaient des armées et

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du sang pour prix des subsides qu'elles payaient à la Russie ; et l'Angleterre lui promettait les mêmes sommes sans exiger autre chose de sa part, sinon qu'elle renonçât simplement à l'alliance Autrichienne. Elisabeth accueillit cette offre avec dédain, quelque avantageuse quelle fût pour l'Etat. Cédant aux mouvemens de sa haine personnelle pour F r é d é r i c , et aux instigations de ses favoris vendus aux ennemis de c e P r i n c e , elle promit de continuer à seconder puissamment leurs opérations. Elle recruta et augmenta son armée, en confia le commandement au général Soltikow et lui ordonna d'agir toujours de concert avec les Généraux autrichiens. Elle équipa en même tems une flotte. L e traité avec les Anglais étant rompu, elle craignit qu'ils n'envoyassent dans la Baltique une puissante escadre qui menacerait le port de K r o n s chlot, et ordonna en conséqueuce à ses Envoyés aux cours de Stockholm et de Copenhague, de négocier avec ces Cours un traité d'alliance, en vertu duquel elles s'engageassent à fermer aux navires étrangers le passage du Sund. Ce traité fut conclu sans la moindre difficulté. L a Suède y trouvait son propre avantage, et les subsides de la France y déterminèrent le Danemarc. C e pendant les appréhensions des Puissances du Nord étaient prématurées. Malgré les pressantes spllicitations du roi de Prusse, les Anglais ne

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jugèrent point à propos d'envoyer une flotte dans ces parages, le profit qui pouvait leur revenir d'une expédition pareille ne leur paraissant point proportionné aux frais qu'elle occasionnerait. L e roi de Pologne avait pris une part trèsactive aux intrigues si habilement conduites à Pétersbourg. Lahaîne que les Polonais lui portaient ainsi qu'à son favori B r ü h l , contribuait de plus en plus à lui faire détester le séjour de Varsovie ; il desirait ardemment de voir arriver le moment où il recouvrerait ses états héréditaires. Indépendamment de ces considérations, un intérêt de famille l'engagea à aller faire sa cour à l'Impératrice. L e ci-devant duc de Courlande, Biron , venait de tomber en disgrâce, et des raisons politiques avaient décidé l'Impératrice à l'exiler , avec toute sa famille, en. Sibérie. Il n'y avait aucune aparence qu'il pavvînt à recouvrer la bienveillance d'Elisabeth , et le roi de Pologne crut devoir saisir ce moment pour mettre son troisième fils, le prince Charles, en possession de la Courlande. Pour cet effet, il fallait s'assurer de l'intervention et-de l'assistance de la Russie. Auguste vint la solliciter, et l'Impératrice, flattée de nommer des souverains à son gré , consentit à sa demande. Alors le roi de Pologne donna l'investiture de la Courlande à son fils, avec une pompe qui se ressentait des anciens goûts fastueux de ce

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m o n a r q u e , bien qu'il se vit obligé , poux' les satisfaire dans cette occasion j de recourir à la libéralité de quelques Seigneurs polonais. Les Suédois et les Princes de l'Empire dem e u r è r e n t à la vérité fidelles à leurs engagem e n s , mais ils continuèrent à ne jouer sur le théâtre de la guerre que des rôles très-subalternes. L e P o r t u g a l , l'Espagne, la Hollande et l'Italie persistèrent à être simples spectateurs des grands évènémens qui occupaient alors l'attention de l'Europe entière. Des troubles intérieurs régnaient en Portugal à cette époque. L'ordre des Jésuites , qui avait eu de tout tems de nombreux établissemens dans ce r o y a u m e , ainsi qu'en Espagne , s'était considérablement répandu en Amérique -, d e puis la découverte de cette partie du globe. L e s missionnaires que la société y envoya , pour travailler à la conversion des peuplades infidelles qui avaient échappé à la barbarie des Espagnols et des P o r t u g a i s , y gagnèrent par la douceur autant de partisans que les premiers conquérans de l'Amérique s'étaient fait d'ennemis par leur cruauté. L a familiarité , la persuasion , quelques petits présens avaient insensiblement effacé de la mémoire d e ces peuples le souvenir des traitemens inhumains qu'une insatiable cupidité avait fait essuyer jadis à leurs ancêtres. Les

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Les successeurs cîe ces premiers missionnaires demeurèrent fidelles a un syslênie dont l'expérience avait si bien prouvé la sagesse« Ils avaient réussi à former au Paraguay, sur les bords du fleuve des Amazones, de l'Uraguay et du Maragonn, des colonies qui avaient échangé leur an* cien genre de vie purement animal ^ contre les avantages de l'industrie et de la Sociétés Les Jésuites avaient si bien su se concilier la confiance de ces nouveaux convertis $ qu'ils les comblaient de distinctions et de présens ^ n'entreprenant rien sans les consulter. Cette disposition favorable des naturels du pays et l'attention avec laquelle les Jésuites les défendaient contre les oppressions des Gouverneurs européens, étendirent peu à peu le pouvoir de la Société sur les Néophytes, et même sur lespeuplades Indiennes encore sauvages. Ce pouvoir engendra bientôt l'orgueil et là. cupidité. Les naturels du pays étant trop p a resseux pour échanger avec avantage les fruits de leur travail, toutes les productions du sol passèrent insensiblement entre les mains des Jésuites. Ils en firent un très-grand commerce en Europe* et çe commerce leur valut des ri* chesses considérables. Bientôt iis songèrent à fonder en Amérique un empire indépendant de la métropole. Le grand éloignement, le crédit dont la Société jouissait daiis les cabinets dô

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M a d r i d e t d e L i s b o n n e , joints à la mauvaise organisation de l'Espagne et du P o r t u g a l , leur permirent de concevoir et d'exécuter sans difficulté ce grand projet. Ils y travaillaient depuis p l u sieurs années ; mais la paresse des habitans , la discipline sévère des Jésuites et le genre de vie uniforme auquel ils astreignirent leurs sujets , avait fait de leurs établissemens une république de moines , plutôt qu'une association politique sagement organisée. Cependant ils n'abandonnèrent pas le dessein qu'ils avaient formé. Des discussions ils en vini'ent aux voies de fait. Ils déclarèrent la guerre aux Espagnols et aux P o r t u g a i s , et qui plus e s t , ils eurent le b o n heur de les battre. Ceux-ci durent appréhender les suites que des révoltes de ce genre pourraient entraîner après elles. II. était naturel qu'ils cherchassent à faire rentrer ces nouveaux républicains dans l'obéissance, et le roi de Portugal fut le p r e mier qui leur opposa une résistance vigoureuse. U n e sage politique lui conseillait de soustraire son royaume au pouvoir que le Clergé y avait successivement usurpé, et de n ' a b a n d o n n e r , ni sa conscience ni le gouvernement des affaires, aux directions d'une société ambitieuse, qui avait l'audace d'empiéter sur ses droits. Mais , n e voulant point manquer au Pape dans une affaire qui concernait le C l e r g é , et se piquant

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d'user de la plus grande m o d é r a t i o n , dans un moment où il était si pleinement autorisé à n'employer que des voies de f a i t , il se c o n tenta d'éloigner de la C o u r son confesseur, celui d e l à reine et tous les Jésuites, choisissant, dans les autres o r d r e s , des Ecclésiastiques pour les r e m p l a c e r . i l fit notifier en même tems au P a p e , par son envoyé à R o m e , les entreprises des Jésuites en A m é r i q u e ( i ) , le priant de faire intervenir son autorité et sa puissance apostolique , pour réformer les abus qui s'étaient introduits dans Société, et pour mettre un terme à ses usurpations et à ses révoltes. M a i s C l é ment X I I I ne se montra point disposé à acquiescer aux demandes si légitimes de Joseph. P e u de tems a p r è s , le R o i , qui avait une intrigue secrète avec une r e l i g i e u s e , fut blessé au bras de deux coups de f u s i l , en revenant un soir du e o u v e n t , dans la voiture de son valet-d'echambre. Cet événement fit beaucoup de sensation à la Cour , el l'on fit les perquisitions les plus exactes pour découvrir le prétendu régicide. L e soupçon tomba d'abord sur le duc d ' A v e i r a s , puis sur les Jésuites. On découvrit que les coups

( i ) L e m é m o i r e i m p r i m é q u ' i l fit p r é s e n t e r à la c o u r d e

R o m e était intitulé : Relation blique tre-mer

que les Jésuites appartenantes

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ont fondee à l'Espagne

dans et au

concernant les

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Répu-

provinces

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Portugal,

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de fusil avaient été tirés par deux domestiques du Duc ; Tet quant aux Jésuites, on crut., en conséquence de leur révolte en Amérique et de l'expulsion des confesseurs du Roi et de la R e i n e , qu'ils avaient eu le dessein de venger, par un régicide, l'affront fait à leur ordre, auquel l'histoire impute plus d'un forfait de ce genre. Quelque fondé que ce soupçon parût, d'après ce qui venait de se passer en Amérique , ét d'après la théorie assez connue de l'Ordre sur le régicide, quelque intelligence qui semblât régner entr'eux et le duc d'Aveiras; quelque précipitation que l'on mît à confisquer leurs biens et à les chasser peu de tems après du Portugal et du B r é s i l , il est cependant prouvé q u e , s'ils méritaient à d'autres égards le traitement qu'ils éprouvèrent, ils étaient néanmoins innocens du régicide qu'on leur imputa. Ni eux , ni le D u c , ni les Grands du Royaume qui furent mis à mort en même lems que l u i , n'avaient songé à attenter aux jours du Monarque. Ce fut une simple méprise qui faillit lui coûter la v i e , et de vils inlrigans se prévalurent de cet événement pour faire croire au Roi qu'il existait contre lui une conjuration, dont il fallait punir sévèrement, les auteurs. On a singulièrement défiguré cette aventure qui fit tant de bruit en Europe dans le tems, et qui engagea dans la suite plu-

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sieurs Princes catholiques à chasser les Jésuites de leurs Etals. Frédéric II la rapporte aussi d'après les faux bruils qui circulaient alors (1). Ce ne fut qu'après la mort de celui qui fut le principal auteur du supplice des prétendus régicides, que l'on découvrit la fausseté de ces bruits. Nous croyons devoir présenter à nos lecteurs ce fait singulier dans son vrai jour. Il est prouvé que le duc d'Aveiras avait aposté les deux domestiques à son service pour tirer sur la voiture où le Roi fut blessé ; mais ce n'était point au Monarque qu'il en voulait. L e coup devait tomber sur Pedro T a x e i r a , son valet-de-chambre, que l'on soupçonnait de vouloir attenter à la vie du Duc. Ce fut sur la voiture du valet-de-chambre, que l'on tira; elle était absolument sans escorte, et le moment où elle fut attaquée, était précisément celui où le R o i avâit coutume de présider son Conseil. Ces circonstances suffiraient pour prouver que le Duc n'avait point eu le dessein d'assassiner le R o i , quand même lé fait ne serait pas attesté par d'autres témoignages dignes de foi. L e malheur voulut que le Roi profitât du moment où on le croyait occupé ailleurs, et se servît de la voiture de son valet-de-chambre pour aller voir (1) V o y e z

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posthumes de

Frédéric

Prusse , t o m . I I I , p a g , 3 o 3 .

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II,

roi de

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sa maîtresse ; e t , par un malheur plus grand e n core j l'un des coups de fusil le blessa au bras. Ce fut le marquis de P o m b a l , premier minisire et favori du R o i , qui découvrit l'auteur de cet atten'at. 11 n'ignora pas que l'attentat avait été dirigé contre le valet-de-chambre et non contre le R o i ; mais son orgueil démesuré l'engagea à profiter dé cette circonstance pour se debarrasser du duc d'Aveiras et de la famille de T a v o r a , dont Je crédit offusquait son ambition. Il n'eut pas beaucoup de peine à persuader un monarque effrayé, que ses jours avaient été menacés; et il sut donner tant de vraisemblance au prét e n d u c o m p l o t , que tout le monde y ajouta foi. D e cette m a n i è r e , il fut le véritable auteur des supplices que l'on fît éprouver à des personnes d e la première distinction, et qui étaient entièr e m e n t innocentes du crime do it on les accu-, s a i t ; et ce f u t aussi par-là que Pombal prépara les persécutions que les Jésuites essuyèrent en Portugal,et qui finirent par leur bannissement d u Royaume. Les biens de l'Ordre et ceux des personnes qui périrent sur 1 echafaud furent confisqués au profit de la Couronne, et l'on a calculé dans le tems , qu'ils montaient au tiers de la valeur de tout le royaume. Peut-être que P o m b a l v o u l u t , en enrichissant ainsi le trésorp u b l i c , laver la honte d'un f o r f a i t , dont le souvenir ternit la réputation qu'il s'est justement

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acquise par les services essentiels qu'il a rendus à sa pairie. Telle fut l'issue d'un événement qui a été totalement dénaturé durant la vie de Pombal. C'est depuis sa mort que l'on a prouvé, par des témoignages authentiques, l'innocence si généralement méconnue du duc d'Aveiras et des illustres victimes de sa conjuration prétendue. C'est ainsi que très-souvent les intrigues des cabinets sont impossibles à démêler jusqu'à la mort des personnages qui les ont conduites. En Espagne, l'on s'attendait d'un jour à l'autre à la mort du Roi. Ce Prince était inconsolable d'avoir perdu son épouse, exemple d'amour conjugal assez rare sur le trône ! L a douleur qu'il en ressentit altéra sa santé, dérangea même son esprit , et il était à présumer que sa mort prochaine ou son inaptitude au gouvernement occasionnerait dans peu, en Espagne, la révolution dont le germe se trouvait dans le traité de paix conclu à Aix-la-Chapelle en 1748. Les Espagnols ne prirent donc aucune part à la guerre actuelle , voulant se tenir prêts aux évènemens qu'ils avaient lieu de prévoir. L a Hollande paraissait décidée à persister dans sa neutralité, bien qu'elle fût peu respectée et de fait peu respectable. Cette République n'agissait point d'après un système invariable» L'intérêt personnel présidait à toutes ses d é B 4

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marches ; c'est poui'quoi el!e indisposa l'Anglet e r r e , sans r e n d r e à la France des services essentiels. Ses vaisseaux favorisaient sous main le c o m m e r c e français , et les corsaires Anglais s'en emparaient ouvertement. Les Etats-Généraux se plaignirent de cette violation de la n e u tralité ; mais on ne fît aucune attention à leurs plaintes. On tira les choses en l o n g u e u r , jusqu'à ce que la conquête des Colonies françaises par Jes Anglais , termina la discussion, en détruisant l'objet même sur lequel elle roulait. L'Empire Ottoman , au contraire , commença & cette époque à se donner un relief nouveau et à influer plus qu'à l'ordinaire sur les évènemens qui se passaient en Europe. Musiapha III était m o n t é sur le trône après la mort du pacifique O s m a n 111. Le nouveau Sultan , h o m m e peu éclairé et naturellement craintif, eut l'honneur de voir les cours de 1 E u r o p e , celles même qui jusqu'alors avaient eu peu de relations avec la Porte j, rechercher son amitié, Ainsi le roi de Prusse tâcha de l'engager à rompre avec l ' A u t r i c h e ; il prodiga les présens et les moyens de c o r r u p t i o n , et cependant une année presque entière s'écoula avant que M. de R e x i n , son envoyé à Constantinople, pût obtenir audience. On s'empressa de tous côtés à traverser sa négociation qui ne réussit p o i n t , les Turcs étant trop çonsciencieux pour violer la foi des traités.

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L e tems durant lequel ils s'étaient engagés, en 1 7 3 g , par le traité de Bellegrade, à ne point attaquer la maison d'Autriche, n'était point encore écoulé, et l'on essaya vainement de les déterminer à 11e point tenir parole. Il est v r a i , d'un autre côté, que les cours de Vienne et de V e r sailles furent plus prodigues de libéralités pour porter les Turcs à la p a i x , que Frédéric ne l'avait été pour les décider à la guerre. Ce Monarque se vit donc encore réduit à n'avoir d'autre ressource que ses propres forces, toutes les tentatives qu'il fil pour se procurer des secours étrangers étant demeurées infructueuses. L e Divan ayant été sourd à ses propositions , il fallut renoncer à l'espoir d'occuper ailleurs les troupes Autrichiennes, en opérant, au moyen des T u r c s j une diversion du côté de la Hongrie. L'Angleterre s'était refusée de même à envoyer une flotte dans la Baltique > pour piettre la Pome'ranie prussienne à l'abri des descentes et des invasions, dont les arméniens de la R u s s i e , de la Suède et du Danemarc la menaçaient. D'un autre c ô l é , Frédéric avait eu le bonheur de maintenir, durant la dernière c a m p a g n e , l'équilibre de puissance qui subsislait, à l'époque de son ouverture, entre ses ennemis et lui. A l'exception du royaume de Prusse et de quelques provinces de "Weslphalie , il était maître encore de ses Etats héréditaires. 11 l'était également de

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la Saxe entière. Il occupait aussi le duché de Mecklenbourg et la Poméranie suédoise , jusqu'aux bords de Stralsund. Les contributions et les fournitures qu'il tirait de ces divers pays , ainsi que des principautés d'Anhalt ( i ) , étaient assez considérables pour le dédommager des revenus que ses ennemis lui avaient enlevés, ou qu'il avait été, pour mieux dire, obligé de leur abandonner. Les provinces furent obligées de lui fournir en recrues, en chevaux, en appro•visionnemens de magasins , tout ce dont il avait besoin pour la nouvelle campagne. L e duc de Mecklenbourg setant placé à la tète des Princes qui mirent Frédéric au banc de l'Empire, les Prussiens commencèrent, dans le cours de cette année, et continuèrent, durant les années suivantes , à traiter ses sujets avec une rigueur (2) dont ils ont longtems ressenti les (1) Voici comment les réquisitions furent entre les quatre principautés d'Anhalt. Zerbst eut à fournir 180,000 écus, 1000 recrues. Côthen. 80,000 — 400 — Bernbourg ~ — 100,000 •— 800 — Dressan -— — — —

réparties 5oo chev« 3oo — 800 — 200 —

En totalité 36o,ooo écus. 2 , 2 0 0 recr. 1800 chev, (3,) D'après le mémoire qui m'a été fourni par un des Membres des Etats de cette province , les contributions, livraisons et frais d'exécution que le duché de Mecklenfcourg-Sclrwerin el Gustrow eut à payer aux Prussiens

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suites déplorables. Quelques innocens qu'ils fussent de l'imprudence de leur maître, ils en furent bien cruellement punis. L e Duc s'était imagine que le roi de Prusse, auquel il avait d'ailleurs voué une haine personnelle , succomberait infailliblement sous le poids de ses nombreux ennemis. L e s états du duc de MecklenbourgStrelitz furent aussi très - maltraités pendant quelque tems ; mais le roi d'Angleterre ayant épousé une princesse de cette maison, la province s'en ressentit, et les Généraux prussiens la ménagèrent beaucoup plus que le duché de Mecklenbourg-Schwerin où ils se permirent plus de cruautés que l'on n'eût pu en faire ess u y e r en pays ennemi, à une province conquise. Outre ces différentes ressources que Frédéric sut se procurer, il eut soin d'envoyer, en divers lieux, des Officiers enrôleurs, qui s'acquittèrent avec succès de leur commission, l'armée Prussienne étant renommée pour l'exactitude avec d u r a n t la g u e r r e , m o n t e n t , y c o m p r i s t o u s l e s i n t é r ê t s e t d é p e n s , à la s o m m e de d i x - s e p t m i l l i o n s , s o m m e q u i e x » c è d e , en q u e l q u e f a ç o n , la v a l e u r d u d u c h é ; c a r , en la r é partissant entre 35oo arpens , chaque arpent a dû payer 4 , 8 5 6 é c u s ; or l e p r i x d ' a c h a t d ' u n a r p e n t n e m o n t e p a s si h a u t , d a n s les c o n t r é e s m ê m e les p l u s f e r t i l e s d e l ' A l l e m a g n e . L e l e c t e u r t r o u v e r a à la fin d e c e v o l u m e u n » spécification

détaillée

Mecklenbourg,

des

contributions

payées

p a r le

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laquelle 011 y paie la solde aux gens de guerre. L e prix d'enrôlement était de dix écus par tête. Ces dix écus n'en valaient que cinq en argent de bon aloi. Pour une somme si modique , le R o i se procura un nombre très-considérable de r e c r u e s , et les enrôleurs ne laissèrent pas de f a i r e de grands profils. Sans doute qu'il y avait «ne prodigieuse différence entre ces nouvelles levées et les guerriers choisis auxquels Frédéric f u t redevable de ses premières victoires; il sut néanmoins inspirer à ces mercenaires étrangers un enthousiasme pour sa personne, égal à celui dont les anciens soldats de l'armée se montraient animés en toute occasion, et ses Officiers s'entendaient parfaitement à les dresser. D'un autre côté, l'argent ne lui manquait pas. Sans compter les opérations au moyen desquelles il avait su multiplier ses ressources pécun i a i r e s , l'Angleterre avait renouvelé , en date du 1 Décembre 1 7 5 8 , le traité par lequel elle s'engageait à lui payer six cent quatre-vingt mille livres sterling par an. Ayant donc pris «le la sorte ses mesures avec beaucoup de prud e n c e , il attendait, du sort, l'issue d'une guerre dont il desirait ardemment le ternie. Telle était la face des affaires en Europe, lorsqu'aux premiers rayons du printems, les g u e r riers se préparèrent de tous côtés à reparaître sur l'arène, et à exécuter les plans d'opérations

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qu'on avait médités de part et d'autre. Les armées qui allaient encore se disputer la victoire se ressentaient plus ou moins de la constitulion politique des puissances belligérantes, du caractère personnel des monarques et de leurs ministres, et de l'état de leurs finances. Les spectateurs de cette lutte mémorable en présageaient l'issue d'après des calculs politiques, où ils pesaient, d'un côté, le véritable intérêt des parties belligérantes, de l'autre, les passions qui leur servaient de mobiles. L a prudence consommée de l'un des partis leur semblait un gage infaillible de ses succès, tandis qu'ils trouvaient dans les préjugés , dans les intrigues et dans la défiance rc>ciproque qui signalait l'autre parti, le garant assuré de sa ruine. Si ces calculs furent plus ou moins démentis par l'événement, l'histoire de cette campagne nous montrera l'insolence et la fierté se préparant à elles-mêmes leur juste châtiment, et la sagesse se ménageant, jusques dans les plus grands malheurs, des ressources inattendues.

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des Alliés contre en 1759.

ANS.

II. les

Français,

régnait encore ; indépendamment des obstacles que la saison rigoureuse o p posait aux grandes opérations militaires, les fatigues d u n e campagne de dix mois exigeaient absolument qu'on laissât aux g u e r riers quelque repos, lorsque ce repos fut troublé par divers incidens qui obligèrent différens corps à s ébranler. Ces incidens furent en partie occasionnés par le hasard, en partie par les plans d'opérations projetées dans les cabinets, en partie par la circonspection des généraux 5 et ces derniers se virent obliges, malgré eux , d'exposer quelques divisions de leui's armées aux rigueurs de la saison, pour prévenir, autant que possible , Jes dangers dont ils se voyaient menacés de loin. Après que les différentes armées eurent pris leurs quartiers d'hiver, les chefs s'étaient occupés à pourvoir à leur sûreté.Quelques-uns d'entre eux avaient réussi à se camper assez avantageusement, pour n'avoir aucune atiaque à re-r douter durant le cours de l'hiver j d'autres avaient L ' h i v e r

CAMPAGNE

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fait avec l'ennemi des conventions, en vertu desquelles on s'était engagé réciproquement à ne poiat s'inquiéter avant le mois de mars. Le prince Soubise était le seul des Généraux français, dont la position n j fût pas tout-à-fait sûre. Après s ètre retiré de la Hesse, il avait hiverné dans le comté de H a n a u , sur les bords du Mein ; il n'avait aucun poste retranché qui assurât sa communication avec l'armée du nïaréchal Contades qui avait gagné le Bas-Rhin. Faute d'un poste pareil, il manquait aussi d'un lieu où il-eût pu établir, en toute sûreté, son magasin principal. M a r b o u r g , Giessen et quelques châteaux fortifiés, qui se trouvaient sur la ligne des postes occupés par Soubise, n'étaient point assez tenables pour empêcher un capitaine aussi entreprenant que l'était le duc Ferdinand, de réitérer l'entreprise qu'il avait autrefois exécutée, avec tant de succès, contre Clermont ; mais Soubise ne voulait point s'exposer à ce danger de peur de flétrir ses lauriers de Sangerhausen et de Lulterberg, en se laissant surprendre dans ses quartiers. Il songea donc à s'emparer de Francfort. Cette ville fortifiée, sur les bords du Mein, lui paraissait propre à y établir son magasin p r i n cipal, et à favoriseï', dans la suite, ses opérations ultérieures. Mais l'entreprise qu'il méditai! était de nature à être exécutée par ruse, plutôt qtie de vive force. On ne pouvait s'emparer d'une

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ville libre impériale, sans attenter aux droits dâ l'Empire , et sans alarmer p a r - l à tout le Corpa germanique. Il n'y avait, sans doute, aucune ré-» sistance à craindre de la part du Chef de l ' E m pire ; il était a p r e s u m e r , au contraire , que François I er . approuverait une démarche f a v o rable aux intérêts de son épouse. On pou-» vaitappréhender, cependant, que la bonne intel* ligence qui régnait entre la France et l'Empire, lie souffrît de l'empressement avec lequel ceux des Princes allemands qui voyaient de mauvais œil le traité de Pétersbourg, ne manqueraient pas de peindre à leurs Co-Eta(s l'occupation de Francfort, des couleurs les plus sombres. Cependant les lois de la guerre, et l'intérêt du cabinet d e Versailles triomphèrent de ces considérations. Soubise chercha donc à effectuer par ruse ce qu'il répugnait à exécuter de force. Pour cet e f f e t , il demanda aux magistrats de Francfort la permission de faire passer par leur ville un régiment d'infanterie ; elle lui fut accordée sans difficulté. On ouvrit les portes, et le régiment de Nassau entra , le 2 j a n v i e r , à F r a n c f o r t ; dix bataillons suivirent de p r è s , et ce corps considérable s'empara , sans trouver la moindre r é sistance , de la ville, des ouvrages destinés à la défendre, et de toute l'artillerie qui s'y trouvait. L a célérité et l'ordre avec lequel ce coup fut f r a p p é , étourdit les bourgeois et la milice de la ville j

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ville j au point que l'approche des Français et l'occupation de Francfort, fut l'ouvrage d'un seul et même instant. Soubise s'efforça de dorer la pilule aux habitans, à force de politesses , de bonne discipline et de magnificence. Il établit son quartier - général à Francfort, et ne viola point la promesse qu'il avait faite de respecter la constitution de la ville, la liberté des cultes et les propriétés individuelles. La sagesse de sa conduite lui valut la plus grande confiance de la part des habitans, et confirma la bonne opinion que l'on avait de son désintéressement. Ce désintéressement était le plus beau trait de son caractère. Il était si consciencieux, qu'il versa dans la caisse militaire toutes les contributions qu'il avait levées dans la Hesse , ne se permettant pas de s'en approprier la moindre partie. Il se distinga p a r - l à très-honorablement de ses collègues, et particulièrement du duc de Richelieu. Il y a toute aparence que ce désintéressement contribua autant queses différens avec le duc de Bi oglio, à son rappel et à sa nomination au minislère, qui eurent lieu peu de tems après. L'occupation de Francfort, qui devint la meilleure place d'armes des Français, fut pour eux et pour leurs alliés de la plus haute importance. Elle assura communication avec L*s troupes de l'Empire qui hivernaient enFra c >nie, ave«

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l'armée Autrichienne qui occupait la partie occidentale de la Bohême , et avec celle du maréchal de Coutades dans les contrées du Bas-Rhin. Les Français furent à même de tenter avec moins de risque la conquête de la Hesse et du pays d'Hanovre; et supposé même que cette entreprise vînt à échouer, elles avaient la facilité de se réfugier à Francfort, et de se rallier sous le canon de cette place. Tous ces avantages étaient si grands, que la France et l'Autriche résolurent, d'un commun accord, de se donner la main, pour aider l'armée Française à agir plus vigoureusement en Saxe , à l'ouverture de la campagne. On s'y décida avec un double empressement , lorsqu'on apprit que les troupes Prussiennes commençaient à se montrer en Thuringe, et que même elles s'avançaient déjà jusqu'à Langensalza. Ce n'était , à la vérité , qu'un détachement de quatre cents chevaux, destiné à faire payer des contributions arriérées j niais les Généraux ennemis crurent y voir l'avant-garde d'un corps considérable, qui, de concert avec les troupes des Alliés, cantonnées dans la Hesse , méditait quelque entreprise contre les quartiers d'hiver de l'armée d'Empire. D après cette supposition, on ordonna au général Arberg de se mettre en marche des frontières de la Bohême, à la tête de huit régimens , et de s'avancer avec une partie des contingens de

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l'Empire , jusqu'à Erfurth et Eisenach, pendant que le duc de Broglio, qui avait pris à la place de Soubise, le commandement en chef de l'armée du M e i n , ferait quelques démonstrations du côté de Marbourg. Ces opérations attirèrent l'attention du duc Ferdinand de Brunsvic, et du prince Henri de Prusse. L e premier craignait pour le prince d'Ysenbourg , lequel hivernait dans la Hesse avec un corps peu considérable ; le second ne pouvaitpermettràaux Autrichiens et aux troupes de l'Empire, de s'étendre et de s'élablir dans la Thuringe. Ils résolurent dotic , l'un et l'autre, de s'opposer aux progrès ultérieurs des ennemis, et de les forcer à se retirer promptement. Cette expédition fut confiée par le Duc au prince héréditaire de Brunsvic, et par le prince Henri au général Knoblauéh. Ils s'en acquittèrent tous deux d'une inanière honorable. L é PrinCe héréditaire chassa les Autrichiens et les contingent de l'Empire du territoire de la Hesse , et occupa Hersfeldt. Knoblauch conquit Erfutli au moyen d'une capitulation, en vertu de laquelle la forteresse du Petersberg fut déclarée neutre. Malgré la profondeur des neiges qui rendait les routes presque impraticables, il poursuivit les généraux ennemis Guasco et Riedesel, à travers la forêt de Thuringe, jusqu'à Umeuau , pendant que le lieutenant-colonel Kleist pénétra, aved C 2

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ses hussards, jusques dans 1 evêclié de Fulda , et imposa au Prince e'vêque, dans sa résidence g une contribution de douze mille florins. Ces excursions forcées furent en quelque façon les préludes et les préliminaires de la campagne de 1759. Malgré le succès dont elles f u r e n t coui'onnées, on n'en retira cependant point tout l'avantage que l'on aurait pu s'en p r o m e t t r e , si l'on y avait été mieux préparé et si la saison, moins r i g o u r e u s e , eût permis de les pousser avec plus de vigueur. Elles ne furent donc p r o p r e m e n t que des palliatifs, au moyen desquels o n gagna du t e m s , en forçant les ennemis à ajourner l'exécution de leurs projets. Ceux-ci , n é a n m o i n s , étaient trop intéressés à réaliser leur plan d'opération } pour ne pas s'empresser à profiter pour cet effet du premier m o m e n t opportun. A u s s i , à peine les Prussiens eurentils quitté Erfurth et la contrée a d j a c e n t e , que les troupes de l'Empire se remirent aussitôt en m o u v e m e n t , occupèrent de nouveau cette ville et en firent leur place d'armes. Le général Arberg se rapprocha en même tems des frontières de la H e s s e , repoussa les Alliés de Vacha et de H e r s f e l d t , s'empara du château de Friedwald , et assura de cette manière sa communication et celle des troupes de l'Empire avec les Français. Cette communication donnait aux deux a r mées Françaises tme prépondérance qu'elles

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n'avaient pas eu jusqu'alors sur celle des Alliés et le duc Ferdinand se trouvait dans une situa-* tion "beaucoup plus embarrassante qu'à l'ouverture de la dernière campagne. Supposé qu'il eut voulu réitérer la tentative qui lui avait si bien réussi l'année précédente contre Clermont ; les circonstances avaient bien changé. L'activité des Généraux et la sévérité de Belle-Isle avaient rétabli la discipline dans l'armée Française. L'habileté de ses chefs lui avait fait reprendre courage, et le maréchal de Contades avait si habilement réparti et si bien posté son armée du Bas-Rhin , que l'on eût rencontré les plus grandes difficultés à passer ce fleuve. De p l u s , il y avait beaucoup plus à craindre que l'année d'auparavant pour la Hesse et pour ,1e pays d'Hanovre. L'armée du Mein était beaucoup plus nombreuse et bien mieux organisée 5 elle avait lés plus grandes facilités pour menacer ces provinces, de concert avec les troupes Autrichiennes et celles de l'Empire. Elle avait y d'ailleurs, à sa tête ce même duc de Broglio, auquel Soubise avait été redevable de deux victoires. Si le Duc se décidait,au contraire,à repousser Broglio des bords du M e i n , on avait lieu d'appréhender que l'armée du Bas - Rhin 11e se frayât une route à travers la Westphalie et ne forçât le Duc à se retirer promptement, en l'exposant à perdre d'un côté plus qu'il n'au~ G 5

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rait gagne de l'autre. C'étaient les Allies q u i , dans les deux cas , avaient les plus grands périls à c o u r i r , paice qu'il était à présumer que* les ennemis, réunissant leurs forces, feraient les plus grands efforts pour les repousser de la "Westphalie et de la Hesse jusqu'au delà des rives du Weser. Or , c'est à quoi le duc Ferdinand ne pouvait absolument point s'exposer, à moins qu'il ne voulût se borner à une guerre purement défensive, C e dernier parti lui semblait aussi désavantageux que déshonorant, à la tête d'une excellente armée que sept mille Hessois venaient de renforcer, et qui comptait, par conséquent, soixante mille combattans. L a prudence lui ordonnait donc , d«jns ces conjonctures , d'aller à la rencontre de Tune ou l'autre des armées Françaises, et de battre l'une p o u r triompher ensuite plus aisément de la seconde» Telle fut aussi la résolution qu'il prit, conformément au système de Frédéric, son maître et son modèle dans l'art de la guerre. L'appli* cation de ce système lui avait très-bien réussi jusqu'alors. Malgré les obstacles qu'il était f a cile de prévoir, de quelque côté qu'il c o m m e t çât à exécuter son plan, il crut devoir profiter de l'absence du maréchal deContades pouratta^ quer Broglio. Iî était vraisemblable que cette circonstance ne permettrait pas aux Généraux de l'armée du Bas-Rhin de prendre des mesures

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décisives et vigoureuses ; et il se flattait ainsi de réussir à frapper quelque coup heureux, avant que les Français se trouvassent en état de passer le Rhin et de faire eij Allemagne des progrès ultérieurs. Pour cet effet il laissa vingt-cinq mille hommes dans le pays de Munster, sous les ordres du général anglais Sackville et du général hanovrien Sporken, et rassembla le reste de son armée dans la Hesse. Mais,avant de rien entreprendre contre B r o glio, il fallut commencer par repousser les troupes Autrichiennes et celles de l'Empire qui s'étaient établies dans Tévêché de Fulda et qui auraient pu profiter de son expédition contre l'armée Française pour essayer d'envahir Cassel et le pays d'Hanovre. Pour faciliter les opérations du D u c , il fallait que le prince Henri vînt du côté de la Saxe faire une diversion en F r a n c o nie. Il s'y prêta volontiers et détacha sept mille hommes sous les ordres des généraux Knoblauch et Linstadt. Ils devaient forcer le cordon e n nemi dans le pays de Bareilh , au même instant où les Alliés attaqueraient du côté de la Hésse. Cette opération fut très-heureusement exécutée, et la ligne des quartiers d'hiver de l'armée A u trichienne et de celle de l'Empire ayant été rompue, elles se retirèrent jusqu'à Bamberg. Après cette expédition, aussi courte qu'elle fut heureuse , lé prince héréditaire de Bruns-? C 4

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guerre

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vie, qui avait commandé le corps des Allies, retourna à l'armée, et les Prussiens reprirent le chemin de la Saxe. Leur soudaine aparition et leurs sages manœuvres avaient produit l'effet que l'on s'en était promis. Les généraux ennemis Arberg, Brown et Campitelli venaient d'être repoussés avec perte jusques dans le fond de la Franconie, et le duc Ferdinand se trouvait maître d'exécuter librement son projet. Il se hâta de l'accomplir, sans laisser aux ennemis le terris de reprendre courage, et avant que le corps du comte Saint-Germain , qu'on attendait à l'armée Française , pûty arriver. Le Duc avait suivi le Prince héréditaire jusqu'à Fulda. Ce fut là qu'il .consomma les préparatifs de son expédition , après quoi il se mit en marche sur trois colonnes, et l'armée passa la nuit sous les armes près Windeken. Broglio put aisément conclure de ces divers mouvemens du Duc, qu'il allait être attaqué à son tour, qu'on essaierait de surprendre ses quartiers d'hiver et surtout de lui enlever Francfort. C'était, à l'époque dont nous retraçons l'histoire , l'un des plus faibles Généraux français, et il se garda bien d'imiter la sécurité qui avait été jadis si funeste à Clermont. Pour être averti à temsde l'approche des Alliés, il avait établi en avant de la premiere ligne de ses quartiers une chaîne de postes, au delà de laquelle il avait même

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1 75g.

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1

placé , pour plus de sûreté, ses troupes légères à une distance de huit à neuf milles. Leur retraite successive fut le signal de l'arrivée des Alliés , dont Brogliofut à peine averti assez tôt pour faire tous les préparatifs nécessaires pour accueillir le duc Ferdinand. Résolu d'en venir à une affaire de poste, il choisit le terrein situé entre le bourg de B e r g e n , près Francfort, et les hauteurs escarpées et boisées aux environs du v i l lage de Wilbel.Ce terrein très-coupé et de m é diocre étendue, convenait parfaitement à une armée de vingt-cinq mille hommes, et la disposition de Broglio pour s'y défendre, fit honneur à ses talens. Son ordre de bataille était n e u f , et s'écartait en plusieurs points des méthodes anciennes. Il choisit pour la troupe des différentes armes et pour son artillerie, le local le plus favorable à leurs opérations, et cacha avec tant d'art les soutiens des divers points sur lesquels il devait s'attendre à être attaqué, qu'il put se flatter de se maintenir dans un poste si avantageux , en dépit des plus grands efforts de l'ennemi ( i ) . L a savante position des ennemis frappa le duc Ferdinand, lorsqu'il s'approcha de Bergen, (i) Voyez

la

description

détaillée de ce poste , ainsi

q u e d e l a b a t a i l l e , d a n s l'Histoire

de la guerre

p a r Tempelhof,

33.

tom. III, p. 2 7 ,

de sept

ans}

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le 13 avril, sur cinq colonnes. Il contempla avec etonnement une contrée où la nature s'était plu à former un poste militaire , qui aurait été infiniment avantageux , quand même le? Généi'al français n'aurait pas eu l'art d'en profiter. Il a d m i r a d'autant plus la sagesse des mesures de Broglio, que ses ennemis ne lui avaient guères donné jusqu'alors le spectacle d'une disposition militaire aussi digne d'éloges. L a victoire lui paraissant infiniment douteuse, il balança d ' a b o r d s'il attaquerait ou s'il prendrait le parti de se retirer. La retraite lui parut déshonorante , et jugeant , d'après tout ce qui s'offrait dans ce m o m e n t à ses regards, qu'il ne serait pas impossible de conquérir le bourg de Bergen , quelque nombreux que fût le détachement qui l'occupait, il résolut de faire une tentative pour e n chasser l'ennemi et pour se frayer la route d e Francfort. Il espéra que la bravoure de ses troupes faciliterait l'attaque. 11 crut que , s'il réussissait à s'emparer de Bergen, l'aile gauche des ennemis serait hors d'état, de lui opposer •une résistance ultérieure , et que de cette m a n i è r e , le Général français perdrait tout l'avantage actuel de sa position. Mais le Duc se trompait en ne regardant le poste de Bergen q u e comme le point d'appui de l'aile gauche des ennemis, et en se faisant une trop faible idée 4e la résistance que le local y opposerait à son

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attaque. Celte attaque dut échouer contre les murailles, les haies et les fossés qui entouraient le b o u r g , contre une batterie placée au centre de la ligne, et surtout entre quinze bataiilons que Broglio avait placés en colonne pour être à même d'en de'lacher des régimens de troupes fraîches au secours de Bergen. Aussi la b r a voure des Hessois ne put-elle triompher de tant d'obstacles, et le prince d'Ysenboui'g qui les. commandait fît dans cette occasion à la patrie l'honorable sacrifice de ses jours. Cette tentative infructueuse convainquit le Duc , qu'en dépit de tous ses efforts il ne réussirait point à forcer le poste de Bergen. Ce fut alors seulement qu'il en apprécia tous les avantages ; et l'art avec lequel les Français avaient su masquer leur position , lui prouva combien leur tactique se ressentait de l'habileté de leurs nouveaux chefs. 11 prit donc avec beaucoup de prudence le parti de ne pas s'exposer à de plus grands dangers, la perle qu'il-avait essuyée jusqu'alors étant assez légère. L'e'dcsordre que cet échec avait occasionné parmi les troupes repoussées par l'ennemi , était encore aisé à réparer. Ce qui facilitait d'ailleurs la retraite du D u c , c'est qu'il n'avait point, comme Frédéric , à K o l l i n , commis l'imprudence d'exposer la plus grande partie de son armée au feu des ennemis, et d'agraver par-là sa déroute. Il n'avait em-

F o u q u e t , que l'on ne consente à se laisser » étrangler par l'ennemi. « Il lui envoya cependant un renfort de huit mille hommes, et de quelques gros canons, lui ordonnant de se mettre en marche. Fouquet obéit; mais ^ ainsi qu'il en avait prévenu le Roi , il ne trouva pas les moindres vestiges d'un magasin à Troppau ni à Jagernberg , et il lui fut impossible de pénétrer au delà des rives de la Morava. Il y trouva de V i l l e , posté avec toutes ses forces, et avec une nombreuse artillerie, sur des hauteurs e s carpées. Ce poste était trop avantageux et trop bien choisi pour que Fouquet se hasardât à l'attaquer. Il y aurait e u , selon lui, un excès de témérité

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témérité à passer le fleuve sous les yeux de l'ennemi, pour sacrifier, peut-être en pure perte, un grand nombre d'hommes. Il se retira donc à Troppàu, sans avoir rien effectué, et de là il alla camper près Lëobschutz. Le Roi fut fâché , sans doute , du peu de succès de cette entreprise ; content de la docilité de Fouquet, il eut néanmoins la générosité de consoler lui-même le Général, qui appréhendait d'avoir encouru sa disgrâce. « Il est impossible, mon a m i , lui « écrivit-il, que tout réussisse toujours au gré » denosvœux; cependant il n'en faut pas moins » tenter la fortune ; elle nous sourit quelquém fois au moment où nous nous y attendons le M moins; mais souvent l'inconstante déesse nous » tourne le dos, après nous avoir perfidement » joué (i). » L'histoire de Frédéric nous offre plusieurs exemples de sa magnanimité envers ses amis; Plus des traits de ce genre sont rares, plus ils font honneur à un monarque. C'est dans le silence du cabinet, et en se nourrissant des principes d'une seine philosophie, que Frédéric avait su donner à son âme cette trempe énergique , qui lui permettait de conserver la plus constante égalité d'âme , et la plus aimable (i) Correspondance entre S. M. le roi de Prusse et M. de la Motte-Fouçfuet, général d'infanterie, en 17^9, Lettre XII.

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gaité, jusqu'au sein même des plus grands revers. Mais l'histoire compte-t-elle beaucoup de souverains d'un tel caractère ? t e ; prince Henri fut plus heureux en Bohême qu'on ne l'avait été dans la Haute-Silésie. Le» circonstances étaient, sans doute, beaucoup plus favorables à ses desseins qu'elles ne l'avaient été aux opérations de Fouquet ; et l'entreprise du Prince était aussi de plus grande conséquence. Il neut en tête que quatorze mille hommes , commandés par Gemmingen. Ce corps n'était pas suffisant pour défendre les frontières de Bohême depuis Peters"\valde jusqu'à E g e r , et pour couvrir en même tems les grands magasins établis sur les- bords de l'Elbe et de l'Eger. Daun croyait^sans doute,n'avoir rien à craindre du côté de la Saxe, et voilà ce qui l'avait engagé à concentrer toutes ses forces sur la frontière de S i l é s i e , pour s'y opposer avec vigueur aux entreprises du Roi. Mais autant Daun avait eu tort d e dégarnir trop les frontières de la B o h ê m e , autant te prince Henri sut profiter habilémént de cette faute* Indépendamment des circonstances heureuses qui secondèrent ses opérations, on « e : saurait trop admirer et la sagesse de ses dispositions, et l'art avec lequel il en concerta l'exécution. 11 y mit tout le secret, toute l'activité et toute la célérité qui pouvaient seuls décider du succès.

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Il rassemble, sans que l'on s'en aperçoive , un corps de seize mille h o m m e s , formant deux divisions. Celle qu'il a dessein de commander lui -même se rend aux environs de Giesshubel ; le général Hülsen se met à la tète de la seconde, qui a pris le chemin des montagnes, dites Ertz~ gebirge. L'une et l'autre p a s s e n t , le i5 a v r i l , les frontières de Saxe. L e Prince pénètre en Bohême par Peterswalde et par Pöplitz ; ses deux avant-gardes repoussent les postes avancés de 1" ennemi , s'avancent jusqu'à Leutmentz par Aussig et par L o w o s i t z , abîment tous les m a gasins qu'elles rencontrent sur la route, mettent le feu aux bateaux qui navigent sur l'Elbe, et marchent ensuite sur B u d d i n , où l'on avait é t a bli un magasin très - considérable de fourages. Elles s'en emparent et se mettent en devoir d e le détruire ; mais l'arrivée du général G e m m i n jgen, qui a v a i t , en attendant, rallié ses troupes repoussées par les Prussiens, ne leur en laisse pas le tems. Elles mettent alors le feu à ce g r a n d m a g a s i n , et la ville entière devient accidentellement la proie des flammes. Hülsen, d'un autre côté, arrive à P a s b e r g ; il y trouve des retrattchemens ménagés fort à propos, et bien gardés. S a cavalerie tourrie cë poste, à la faveur des forêts du voisinage. L e général autrichien Reinhart , craignant d'être c o u p é , se retire à Commetau. L e colonel prusF a

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sien Belling l'y rencontre, tombe sur son infan-. terie, la disperse ; e t , secondé par le reste de la cavalerie Prussienne qui vole à son secours , il force le Général autrichien à se rendre à discrétion, avec cinquante-deux Officiers et dix-huit cents hommes. Après ce coup heureux, Hulsen ctmtinue sa marche ; il envoie son avant-garde à ' S a a t z , où elle ruine le plus considérable de tous les magasins autrichiens dans cette contrée; de là,, elle f a i t , dans la même intention , des excursions à Brix et à Worwiezahn. On termina glorieusement, dans l'espace de cinq jours , cette expédition importante. L a précision des mesures projetées par le Prince, le concert et la bravoure avec lesquels ces mesures furent exécutées , lui firent d'autant plus d'honneur, qu'il signala encore , dans cette occasion , ses talens militaires, et qu'il eut le bonheur de détruire un nombre si considérable de magasins, que l'on aurait pu en tirer de quoi sustenter , durant cinq mois, une armée de cinquante mille hommes , et vingt-cinq mille chevaux pendant ùri mois ( x ). Outre ces provisions , l'ennemi • (I) I / o n détruisit trois grands magasin» et neuf dépôts ftioins considérables. On y trouva six mille muids de farine, cent quarante-six mille huit cents portions de pains de deux livres ; cinq mille sept cents mtììds d'avoine, et six mille huit cents quintaux de foin. D'après les prix cou-

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perdit au delà de deux mille liommes. Le plan d'opérations qu'il méditait pour reconque'rir la Saxe fut singulièrement dérangé par - là ^ et l'aparition inopinée des Prussiens en Bohême, lit une forte impression sur l'esprit du feld-maréchalDaun. I l se repi'ochait de n'avoir pas pris assez de précautions pour la conservation des magasins destinés aux troupes de l ' E m p i r e , et il s'attendait, d'après ce qui venait de se p a s s e r , voir l'armée du Roi pénétrer bientôt en Bohême. Les démonstrations par lesquelles Frédéric avait Cherché à attirer son attention, pendant les deux expéditions dont nous venons de parler , le c o n firmaient dans cette opinion. L e R o i , ayant toujours été jusqu'ici le premier a t t a q u a n t , " les conjectures de Daun n'étaient pas destituées d e f o n d e m e n t , et sa circonspection naturelle l'engagea bientôt à se tenir prêt à tout événement. Il détacha cependant le général Beck , à la tête de douze mille hommes , du côlé de J u n g Buntzlau , pour tâcher de prévenir à tems les suites de sa négligence en s'opposant aux progrès ultérieurs du prince Henri. Mais , quelque diligence que fît le général Beck , le coup était frappé lorsqu'il arriva, et le Prince avait déjà repassé les frontières de Bohême. rans à cette époque , de ces différentes denrées , on les évaluait environ à la somme d'un demi-million.

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Cette première expédition du prince Henri n'était qu'un simple prélude de celle qu'il avait dessein de faire en Franconie ; prélude d'autant plus indispensable, qu'en s'éloignant si fort de là S a x e , on l'exposait au plus grand danger , attendu qu'on la laissait absolument dénuée de tout moyen de défense, en s'avançant jusqu'à B a m b e r g et Wurtzbourg. L'expédition de Franconie, dont on se promettait de grands avant a g e s , aurait donc été absolument inexécutable, si l'on n'avait réduit l'armée Autrichienne à l'inaction, en détruisant ses magasins en Bohême. Cette expédition était indispensablement nécessaire pour prévenir à tems tous les désastres qui menaçaient à la fois et l'armée du Prince, et celle des Alliés. Après la malheureuse bataille de Bergen, le duc Ferdinand se vit forcé d'évacuer insensiblement la Hesse^ pour se tenir sur la défensive contre les Français qui s'avançaient avec toutes leurs forces. Ils avaient réussi à rétablir la communication , jusques-là interrompue , enire l'armée de Broglio et les troupes de l'Empire , renforcées par un corps auxiliaire Autrichien. Ils engagèrent le Duc de Deux-Ponts à marcher en avant, de concert avec eux ; et les mouvemens combinés des Français et des troupes de l'Em pire annonçaient quelque grand dessein de leur part. On ne savait point encore de quel coté îàr-

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mée d'Empire dirigerait sa marche ; mais autant que l'on pouvait deviner lesplans d'opérations des^ ennemis , celte armée paraissait destinée à observer le prince Henri , de concert avec le corps Autrichien, commandé par Gemmingen, et à tenter la conquête de la S a x e , supposé que le Prince détachât, comme l'on s'y attendait, une partie de son armée contre les Russes. On destinait ces derniers à ouvrir la campagne ; et la cour de Vienne ne voulant point courir seule les risques de l'offensive, se vit néanmoins obligée de faire quelques démonstrations, tendantes à seconder, les opérations de ses Alliés, sans courir elle-même de trop grands hasards. L e corps de Dohna , que le roi de Prusse avait dessein d'opposer aux Russes., étant trop faible pour leur tenir tête., il avait résolu qu'une partie de l'armée de son frère allât joindre ce corps, du moment où le général Fermor s'approcherait des frontières de la Silésie ou de la Marche. L e prince Henri vit donc qu'il était absolument nécessaire de frapper quelque grand coup, pour retarder, autant qu'il serait possible, les opérations des ennemis , afin de mettre provisoirement la Saxe à couvert des dangers qui la menaceraient, si l'on se voyait obligé de la dégarnir presque entièrement. L e meilleur moyen de parvenir à ce but était de concentrer toutes ses forces, pour aller surprendre, en

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Franconie, les Autrichiens et les troupes de l'Empire , ruiner leurs magasins, et les mettre, pour quelques m o i s , dans l'impossibilité de form e r quelque grande entreprise. L e Prince n'ayant à craindre, au moins du côté de la Bohême, que de simples incursions, depuis la destruction des magasins Autrichiens, il rassembla son armée aux environs de Zwickau. Son but était de marcher à la rencontre du duc de Deux-Ponls qui concentrait ses forces sur la frontière du Voigtland, et de le forcer j s'il était possible, à évacuer la Franconie. L'on avait concerté cette entreprise avec le duc Ferdinand. Ce dernier était aussi très-intéressé à ce que l'on repoussât les contingens de l'Empire, qui faisaient mine de favoriser les entreprises des Français; il se prêta donc volontiers à détacher de la H e s s e , le Prince héréditaire , a(in q u e , marchant à la tête de douze mille h o m m e s , il s'approchât de l'évêché de Wurtzbourg , et menaçât les ennemis de les attaquer à dos. L a plus grande partie des troupes de l'Empire cantonnait encore aux environs de Culmbach ; mais les généraux Haddick , Maquire et Ried , campaient déjà près Mônchsberg* près Asch , et en deçà de la forêt, dite Frankcnivnld. Le camp de Monchsberg avait été fortifié avec beaucoup de soin , et paraissait destiné à servir de point de ralliement a toute l'armée, pour

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pénétrer de là dans les montagnes, nomme'es Erlzgcbirge. Aussi le prince Henri dirigea-t-il principalement son attention de ce côté ; et autant on avait eu sujet d'admirer sa disposition pour entrer en Bohême, autant signala-t-il ses talens et sa sagesse dans cette marche vers la Franconie. Tout l'éussit au gré de ses vœux. A l'approche de l'armée du Prince q u i , marchant sur trois colonnes, prenait différentes directions, et au moment où le Prince héréditaire se m o n tra inopinément près Königshofen , les ennemis quittèrent les postes qu'ils occupaient. H a d dick et Ried prirent la f u i t e , se retirant vers Culmbach ; et à peine Maquire aperçut-il l'avantgarde du général Fink ^ qu'il quitta son poste près Asch / et le château de Sorge , opérant sa retraite-vers E g e r , à la faveur de la forêt, dite Spittclwald. Le prince Henri poursuivit la d i vision de Haddiek , atteignit son arrière-garde , fit le général Riedesel prisonnier avec huit cents hommes , et envoya le général Platen au délit de Bareith, pour fermer au général Maquire , poursuivi par Fink, le chemin du Fichtelberg. Si l'on avait pu exécuter ce plan, si bien imaginé, le Général autrichien était perdu sans ressource; mais le hasard voulut qu'il reçût à tems l'ordre de prendre , au lieu de la route de Bareith, celle de Nuremberg • ce qui prévint Sa ruine infaillible.

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Knoblauch avait, en attendant, poursuivi le général Ried à travers le Franken\vald ; et ce dernier précipitant sa retraite vers Culmbach , Knoblauch eut la hardiesse de s'engager dans la route très-périlleuse de Steinwiese , pour gagner les hauteurs de K r o n a c h , entreprise téméraire qui aurait pu lui devenir très - funeste, si la fortune ne s'était déclarée pour lui. En effet rien n'eût été plus facile à l'ennemi, que d'écraser, sans résistance , tout le corps de K n o b lauch , du sommet des rochers et des hautés montagnes, couvertes de bois, qui bordent le défilé, situé entre Steinwiese et Geiern; d'ailleurs il s'était tellement éloigné de l'armée , qu'uu général entreprenant, et qui aurait bien connu le local, n'aurait pas manqué de lui couper toute communication avec l'armée, et de l'abîmer entièrement. Ce ne fut que la précipitation du général Ried qui favorisa une entreprise beaucoup trop audacieuse, comme il est à présumer que cette précipitation influa aussi sur la résolution que Haddick prit de continuer sa retraite jusques vers Bamberg; mais les troupes de l'Empire ne s'y arrêtèrent pas longtems: à l'approche des Prussiens, elles décampèrent promptement, mirent le feu au grand magasin de Bamberg, marchèrent du côté de Nuremb e r g , où elles se postèrent très-avantageusement sur les bords de la Rednitz.

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L e prince Henri les poursuivit au delà de Bareith, et les provisions que l'on avait pu sauver des flammes, lors de l'incendie du magasin de B a m b e r g , lui servirent à sustenter son a r lïiée. L'ennemi ayant été obligé d'abandonner encore , dans sa retraite, quelques dépôts moins considérables, le Prince ordonna au général Knoblauch d'en faire perquisition , de les détruire, et de marcher à la rencontre des ennemis jusqu'à "Wurtzbourg. D'autres détachemens eurent ordre de faire des courses jusqu'aux e n virons de Forchheini, pour alarmer les troupes de l'Empire. Elles se préparèrent effectivement à pousser leur retraite jjlus loin. Déjà elles envoyaient leurs bagages du côté des rives du Danube, et il est très-vraisemblable que le duc de Deux-Ponts ne se serait pas même cru en S i ù r e t é dans son camp fortifié, près N u r e m b e r g , du moment où le Prince aurait attaqué les corps postés en avant du camp ; mais la prudence ne permit point à ce dernier de s'éloigner davantage du pays qu'il avait à couvrir. 11 était parvenu du moins au premier but de son expédition de Franconie, en détruisant les magasins de l'ennemi, en le repoussant jusques dans le H a u t - P a l a t i n a t , et en le réduisant, pour quelques tems, à l'inaction. S'il avait manqué le second but qu'il se proposait , et qui était de battre l'armée de l'Empire, ce n'est pas qu'il

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n'eût épuisé, mais, en vain, les manœuvres les plus savantes pour l'obliger à faire ferme. Satisfait d'avoir, au moins en partie, accompli ses desseins , et sur la nouvelle des excursions que les Autrichiens se permettaient dans le Ertzgeb i r g e , il ramena son armée en Saxe, après avoir levé de fortes contributions dans l'évêché de Bamberg. Ces contributions furent payées en partie en numéraire, en partie en papier, que l'Émpereur annulla,à la vérité,de sa pleine puissance. Sur ces entrefaites, le Général autrichien Brentano avait occupé Zwickau, et faisait déjà des courses jusqu'à Chemnitz, Altenbourg et Penig ; mais les généraux Schenkendorf et Fink l'obligèrent bientôt à se retirer. Ainsi l'on mit à chasser les ennemis du Ertzegebirge,moins de tems qu'il ne leur en avait fallu pour s'en empar e r ; et, dans le court espace de trois semaines , le prince Henri termina une expédition infiniment honorable pour l u i , et. dont le succès était j pour Frédéric d'une plus haute importance que ne l'aurait été le gain d'une balaille. En effet, la perte d'une bataille n'empêche point un Général entreprenant de profiter des forces qui lui restent pour venger sa défaite ; mais toute opération importante devient impossible après la destruction totale des magasins d'une armée. Sans la glorieuse issue de cette belle

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expédition du Prince , le Roi n'aurait pas été à même de f o r m e r , contre les Russes, les e n treprises que la fortune , il est v r a i , ne daigna pas seconder. Aussi le Prince se hâta—t—il d'envoyer , par la Basse-Lusace , à l'armée du comte D o h n a , neuf mille hommes , commandés par le général H u l s e n , pendant que Fink marchait s u r Dresde avec quatre mille h o m m e s , pour observer les mouyemens de l'armée de Daun. Tandis que les évènemens, dont nous venons de présenter un détail a b r é g é , se passaient en Franconie , le Roi s'était efforcé d'occuper l'attention de D a u n , pour seconder les opéi'ations d u P r i n c e , son frère. 11 parvint à son b u t , m o y e n n a n t quelques démonstrations sur la frontière de Bohême. Daun craignant de se voir attaq u é , d e m e u r a , avec sa circonspection ordinaire, dans l'inaction la plus complète, au lieu de tenter courageusement une diversion en Saxe, pour s'emparer de Dresde , qui n'était défendue que par une garnison très-faible, et dénuée de tout soutien. L e m o m e n t était singulièrement p r o pice pour c o n q u é r i r , par un coup de main , cette place d ' a r m e s , dont la perte eût entraîné , pour les Pi'ussiens, les suites les plus fâcheuses. Quoique le magasin de Daun , à Leutmeritz , eût été d é t r u i t , il n'était pas impossible de procurer, à la rigueur, les moyens les plus indispensables de subsistance, à un corps de dix à douze

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mille hommes ; on pouvait, à l'aide d'une marche retrograde } s'approcher secrettcment de Dresde , et un général entreprenant aurait aisément réussi à s'en rendre maîlre. Les munitions abondantes de guerre, et les quatre millions en argent comptant que Ion y aurait trouvés, auraient bien compensé la perte de quelques milliers d'hommes sacrifiés à cette entreprise. Supposé même qu'elle eût manqué, l'on pouvait espérer du moins qu'elle forcerait le prince Henri à abandonner son projet d'expédition en Franconie. Loin de tenter ce coup brillant, Daun détacha simplement quelques milliers d'hommes en Lusace , sous les ordres du général W e h l a . Cette excursion, qui semblait menacer la Marche plutôt que la S a x e , était absolument insignifiante. 11 paraît que ce fut simplement une démonstration destinée à complaire aux Russes, pour les engager à accélérer leurs opérations. L e Roi fit marcher, de son côté, quelques divisions de son armée vers les bords de la Queiss; le comte Dohna détacha du Mecklenbourg deux mille hommes vers Berlin , et Wehla se vit obligé à se retirer à Z/ittau. Les Russes n'ayant point encore passé la Vistule,Daun ne voulait point commencer les opérations qu'il méditait. Quoiqu'il fit mine de tomber sur la Silésie , et qu'il fit approcher, pour cet effet, quelques corps considérables des fron-

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tières de celte province, ce netaient que de fausses démonstrations. Frédéric avait trop de sagacité pour ne pas s'en apercevoir. Voici comment il s'exprime à ce sujet, dans une lettre à Fouquet. « On me marque, dans ce moment, » mais je ne vous garantis pas la nouvelle, que » Daun a reçu de sa Cour l'ordre exprès de pé» nétrer, atout prix, en Silésie, et qu'il a en» voyé, pour cet effet, au général Laudon, près » Trautenau , un renfort de quinze mille hom» mes. La chose me paraît invraisemblable ; » d'un côté, parce que tous ses grenadiers sont » encore près de leurs régimens : o r , il n'aurait >) pas manqué de les faire avancer tous , et à » peine auraii-it cru en avoir assez, s'il avait » dessein d'attaquer mes postes ; d'un autre côté, » parce que Lascy n'est point encore venu r e » connaître notre position. Tant que je n'enten» drai point prononcer sur nos frontières le » nom de cet h o m m e , l'on ne me persuadera » point que l'enhemi a sérieusement dessein de » m'attaquer. » On voit combien Frédéric avait étudié le caractère des Généraux autrichiens, combien il connaissait leurs principes, et comment il savait calculer et prévoir leurs opérations. Cette précieuse sagacité est la première qualité d'un grand capitaine; elle le préserve de méprises, toutes les fois qu'il ne se laisse point aveugler par les préjugés de l'égoïsme ou

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de la passion. Ce qui prouve encore que le Roi était persuadé qu'il n'avait rien à craindre-de la grande armée Autrichienne, c'est que de Ville s'étant avancé avec toutes ses forces, jusqu'à Neustadt, après la tentative infructueuse des Prussiens, contre les magasins de Moravie, le Roi affaiblit de douze mille hommes son armée , marcha vers N e i s s e , se flattant qu'après avoir opéré sa jonction avec F o u q u e t , il réussirait à Lattre le Général autrichien. Mais celui-ci fut trop circonspect, pour courir les hasards d'une bataille; il se garda bien de s'aventurer daws la plaine, et déjoua de cette manière le projet du Roi. Quelques mois s'écoulcrent ainsi , sans que l'on formât, de part ni d'autre, de grandes entreprises. On se bornait à s'observer réciproquement sur les frontières de Silésie et de Bohême« L e s succès du prince H e n r i , en Bohême et en Franconie , avaient mis pour quelques tems la Saxe à l'abri de toute invasion; mais peu à peu les mouvemens des Russes commençaient à menacer la nouvelle Marche et la partie de la Silésie , qui est située en deçà de l'Oder. L e R o i crut donc qu'il était tems de s'opposer à eux . les différentes divisions de leur armée n'étant point encore réunies , et s'approchant à pas lents de la Vistule, il pensa quil aurait le tems de fournir un pendent à la glorieuse expédition du Prince,

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Prince , son frère , s'il ordonnait au comte Dohna d'entrer en Pologne, et de détruire, pour la seconde fois, le magasin de Posen, qui n'e'tail encore que faiblement gardé. L'armée de Dohna avait laissé, vers le milieu du mois de mai, les Suédois enfermés à Stralsund et dans l'île de Ilugen , pour se rapprocher de l'Oder. Le général Kleist était demeuré seul en Poméranie , à la tête de cinq mille hommes t pour couvrir la province, et l'on voulait détacher de l'armée de Silésie environ six mille hommes, que Wobersnow devait conduire à Posen. Quelque bien calculée que fût cette entreprise , et quelque retard qu'elle eût apporté à la marche desTlusses, si elle avait réussi, l'incursion inopinée de Wehla, dans la Haute-Lusace, engagea cependant Frédéric à faire marcher , du côté de Naumbourg, sur la Queiss , le général Wobersnow , qui s'était avancé déjà jusqu'à Gloiiau , afin de fermer le chemin de la Bo~ u hême au corps de Wchla , qui avait pénétré jusqu'à Spreniberg. Il fallut donc renoncer au dessein de détruire le magasin de Posen, de concert avec Dohna ; et ce dernier étant trop faible pour tenter une diversion en Pologne y avant d'avoir attiré à soi le corps que Hulseu lui amenait de Saxe, il fit halte près Landsberg. sur la Waithe. Fermor eut de cette manière le tems de rasTome IL G '

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sembler toutes ses forces près P o s e n , et d'y dresser un camp très-avantageux. Ce général ayant demandé à l'Impératrice la permission de résigner le commandement en chef, el de servir sous les ordres de son successeur, le feldmarécbal Soltikow se mit à la tète de l'armée. La ntodeste générosité de Fernior est vraiment sans exemple, et l'on ignore quels furent les motifs secrets de sa conduite. Elle avait été en aparence lout-à-fait irréprochable durant la dernière campagne ; on a donc peine à s'expliquer sa grande indifférence pour les distinctions honorables , dont les militaires ont coutume d'être si jaloux. Le Roi parlant de la supposition que Dohna aurait p u , en accélérant sa marche, pénétrer en Pologne , et battre séparément les colonnes encore isolées de l'armée Russe, fut très-mécontent de sa conduite. Il y a cependant lieu de douter qu'il eût été aussi facile que le Roi se l'imaginait, de s'opposer, avec un corps de vingt - six mille hommes 3 à l'armée Russe, de soixante et dix mille combattans. Quoique ses colonnes fussent encore isolées, elles n'auraient pas eu beaucoup de peine à se réunir. Quoiqu'il en soit, le Roi crut devoir associer à Dohna un général, dont le courage triomphât de ses irrésolutions. 11 fît choix, pour cet effet, de Wobersnow, homme d'un caractère ardent et intré-

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g d'un côté, les circonstances n'avaient obligé le roi de Prusse à se tenir sur la défensive, au commencement de cette campagne; si, de l'autre, la cour de Vienne n'avaU été décidée à n'y rien entreprendre , sans le concours de ses Alliés, les grandes armées n'auraient pas joui du repos qui leur f u t accordé durant quelques mois. Ce repos allait expirer, et dès la fin du mois de j u i n , divers mouvemens annonçaient, des deux côtés , et surtout de la part du feld - maréchal D a u n , le prochain retour des hostilités. Aussitôt qu'il put calculer, avec certitude, le moment où les Russes arriveraient à Pose,n>

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il se mit en marche, prit le chemin de la HauteLusace, et alla occuper un camp très-avantageux près Mark - Lissa. Le général Harsch demeura , avec douze mille hommes, près K ö nigshof, pour couvrir la Bohême, et de Ville lui amena de la Haute-Silésie un corps à-peuprès de la même force. Haddik concentra, près Aussig, celui qu'il commandait, et Gemmingen dirigea sa marche vers Zittau , d'où Wehla s'étendit jusqu'à Bautzen, Görlitz et Rothenbourg. Ce fut dans cette position que Daun attendit le retour du colonel Botta, qu'il avait envoyé à Posen pour concerter avec lefeld-maréchal Soltikow la jonction d'un corps auxiliaire Autrichien avec l'armée Russe. Ces divers mour vemens engagèrent les Prussiens à en faire d'analogues. Le Roi se campa , avec beaucoup d'avantage, près Schmotzseifen, etFouquetalla occuper à sa place le poste près Landshut. L e prince Henri quitta le Ertzgebirge, et se r a p procha de Dresde, pour observer les mouvemens du général Haddik. Gemmingen ayant passé l'Elbe près Leutrneritz, Fink alla camper près Dresde, du côté opposé à celui où le Prince s était posté. En attendant, l'armée Russe s'était ébranlée de la manière convenue, pour atteindre l'Oder et la ville de Francfort, où devait s'opérer la jonetion. Soltikow prit si bien ses mesures, qu'il G 3

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gagna toujours une marche sur les Prussiens, durant la route entière. 11 parvint d'autant plus aisëment à son but, que Dohna n'essaya point de lui opposer une résistance vigoureuse. Après son expédition infructueuse de Posen, il avait repassé la Warthe , pour procurer du pain à son armée ; après quoi il remonta la rive gauche de ce fleuve, dans l'intention d'observer les Russes. Sollikow profita de cet intervalle pour conduire secrètement son armée àTornova^ pendant que le général Toltleben attaqua, avec ses troupes légères, l'avant-garde des Prussiens, aux environs de Przikowa, et les occupa assez longtems pour laisser à l'armée le tems d'arriver au lieu où elle avait dessein d'établir son camp. L e Général prussien se vit jeté par-là dans une situation très - embarrassante ; sa provision de pain était presque épuisée, faute de briques ( i ) on ( i ) L e s fours de c a m p a g n e de l'armée Prussienne sont composés de cercles de fer que l'on attache à vis sur u n e p l a q u e ovale et très-large du m ê m e m é t a l , de manière qu'ils offrent le squélette d'un four ordinaire. On se sert d e briques pour revêtir les intervalles qui se trouvent entre les cercles de fer et pour construire le foyer. 11 faut très-peu de tems pour dresser des fours de ce genre , s u p p o s é que l'on trouve d'abord les briques dont on a besoin. Mais ce n'est p a s le cas en Pologne, où les maisons sont construites de bois et d'argile, et où les manteaux de çheminée massifs sont très-rares même dans les villes,

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11'avait pu construire les fours de la boulangerie, et Dohna fut obligé de se mettre tout de suite en marche vers Gasimirz, pour reprendre les devans sur les Russes. Arrivé e n c e lieu, il se trouva vis-à-vis de leur armée, et leur aile gauche pai'aissant mal appuyée, Wobersnow proposa de traverser, à jour tombant, le défilé de Casimirz , de tourner la gauche de l'ennemi, et de l'attaquer à la pointe du jour. Dohna agréa, à la vérité, cette proposition , mais il différa de l'exécuter jusqu'au lendemain , allégant qu'il était absolument nécessaire de laisser quelques momens de repos aux troupes excédées de fatigue. Mais il perdit, de cette manière, un tems précieux, Solliitow tétant mis en marche le même jour , pour tourner de nouveau l'aile droite des Prussiens, et se camper sur une chaîne de collines qui s'étend jusqu'à Wildzinna. S'il était parvenu à son but, Dohna aurait été obligé de se replier sur la Warthe ou sur l'Oder; ce qui aurait ajouté considérablement à l'embarras où le jetait la disette toujours croissante de vivres , sans compter les facilités que cette position eût apportées aux opérations ultérieures des ennemis. Ce jour que le Général prussien voulait consacrer au repos, fut donc marqué > pour l u i , par les pressentimens les plus sinistres. 11 lui importait extrêmement de s'emparer des collines susmentionnées , avant que les. G 4

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Russes parvinssent à s'en rendre maîtres; il fallut donc y marcher sans le moindre délai. On eût le bonheur d'y a r r i v e r , au moment même oùl'avant-gardedes ennemis était en pleine marche pour gagner le pied des collines. Il y eut alors , de part et d'autre, une forte canonnade, donc que je me hâte de prévenir les desseins » de mes ennemis. J e vous donne le c o m m a n » dement de l'armée qui a été jusqu'ici sous les » ordres de Dohna , et pour ne point exciter la » jalousie de plusieurs lieutenans-généraux d e » cette armée qui ont sur vous l'avantage d e » l'ancienneté , je vous n o m m e Dictateur dans » ce moment critique, à l'exemple des Romains. » Vous allez nie représenter moi-même. Tous » les ordres que vous donnerez seront censés » émanés de ma bouche. J'ai appris à vous con» naître à Leuthen , et je suis persuadé que , » digne émule de plus d'un dictateur r o m a i n , » vous allez changer la face des affaires sur les

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rives de l'Oder. J e vous ordonne donc d'attaquer les Russes, p a r - t o u t où vous les trouvercz, de les battre c o m p l è t e m e n t , et d'empêcher ainsi leur jonction avec les Autrichiens. Parlez incessamment. Efforcez-vous de m é riter, par votre bravoure, la continuation de mes bonnes grâces, et réjouissez-moi bientôt par la nouvelle d'une victoire éclatante. » Le Roi se livrait aux plus douces espérances; il se félicitait d'avoir pris à tems une résolution dont il se promettait beaucoup. « Je suis très» mécontent de la conduite inhabile du comte » Dohna, écrivit-il au prince Henri. Il a man« » qué les occasions favorables de battre les » Russes. Sa pusillanimité a abattu le courage » de mestroupes.il ne fait que des pas en arrière. » Soltikow s'approche de l'Oder, et sa jonction » avec les Autrichiens , qui sont en pleine m a r » che pour Francfort, menace visiblement mes » Etats. J'ái donc cru devoir prendre une réso» lution vigoureuse, et ainsi que jadis le peuple » Romain, j'ai nommé mon général de W e d e l » dictateur , pour commander l'armée, et ré» p a r e r , par un tour de force, la mauvaise « situation de mes affaires. » Mais le Prince ne partagea point les espéi'ances que le choix du nouveau dictateur inspirait à son frère. Moins enthousiaste que lui des Anciens, mais démêlant avec beaucoup de sagacité, et le caractère

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des généraux, et la véritable situation des a f faires , il craignit qu'elles n'eussent une issue Bien différente de celle que le Roi présageait avec tant d'assurance. Quelque mécontent que Frédéric fût de Dohna, il n'accompagna cependant sa disgrâce d'aucuns reproches. Dans la lellre qu'il lui adressa , il ne parle que de la nécessité d'envoyer le général W e d e l à l'armée, pour l'y représenter lui-même, attendu que les circonstances ne permettaient pas qu'il s'y rendit en personne. On voit p a r - l à que Frédéric savait tres-bien , quand il le voulait , pardonner, avec indulgence, les méprises involontaires de ses Généraux, et ne point s'en prendre à leur incapacité ( t ) . W e d e l se mit en route le jour même où D o h n a , après avoir reçu la lettre dont nous venons de parler, demanda au Roi la permission de quitter l'armée." Un bataillon de grenadiers et deux cents chasseurs , commandés par ( l ) Le Roi écrivit de sa propre main, au bas delà lettre adressée à Dohda : cc Vous êtes trop malade pour de3) meurer chargé du commandement en chef. Vous ferez » bien de vous rendre à Berlin , ou en quelque autre lieu, » pour y rétablir votre santé. » Est-il possible de montrer plus d'indulgence à quelqu'un dont on croit avoir les plus légitimes sujets de se plaindre? Ou bien l'idée de mettre en scène un dictateur de nouvelle création tempérait-elle le couroux du Roi ?

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le colonel Podewils, allèrent à la rencontre de Wedel jusqu'à Tschicherzig, pour le mettre à l'abri des Cosaques, qui infestaient la contrée. Ce témoignage de bienveillance et de respect le flatta beaucoup, et il eut en même tems le plaisir de voir les cavaliers qui l'escortaient, découvrir des fourrageurs Russes, dont cent cinquante furent faits prisonniers. Ils le précédèrent à son entrée au camp près Zullichau, de sorte que l'arrivée du nouveau Dictateur fut accompagnée de tout l'appareil d'un triomphe. 11 y fut très - sensible ; car c'était un homme bouffi de vanité , et il regarda cet événement heureux comme un présage infaillible de ses succès ; mais cette douce illusion ne fut qu'un rêve trompeur j le Dictateur se précipita trop et fut battu. Dès le lendemain, 23 juillet, W e d e l alla r e connaître la position des Russes près Babimost. Il ne put découvrir qu'une partie de leur camp, et il prit ce qu'il voyait pour l'aile gauche de l'armée. Le terrein étant très-boisé, il ne put démêler ce qui se passait à l'aile droite ; mais il conclut du repos qui régnait dans le camp des ennemis , qu'il ne s'était opéré aucun changement dans leur position. Bientôt il s'aperçut de sa méprise : ce qu'il avait pris pour l'aile gauche, n'était que le corps destiné à escorter les bagages. Les différentes divisiojas de l'armée Russe

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Russe s'étaient mises en marche pour Grossen dès la pointe du jour. Vers midi l'on aperçut les tètes de leurs colonnes, à une petite dis-; tance du village de Palzig, et Wedel qui avait ordre « d'attaquer les Russes par-tout où il les » trouverait, » crut devoir exécuter cet ordre à la l e t t r e , au lieu d'en saisir l'esprit. L'Arme'e Russe traversait la plaine dans l a quelle le village de Palzig est situé. Entre cette plaine et le camp Prussien, près Zullichau, coule un ruisseau, qui se jette dans l ' O d e r , et dont les rivages marécageux sont bordés de hauteurs. Ce ruisseau fait tourner un moulin appartenant au village de K a y , et c'était là que se trouvait le seul chemin qui conduisit à la plaine. Le défilé que le moulin , le marais et les hauteurs f o r m e n t , est si étroit, qu'il faut beaucoup de tems à une armée pour le traverser; quant à la grosse artillerie, il était absolument impossible de l'y faire passer. Telle était la nature du terrein sur lequel les deux armées se rencontrèrent. Les gens de l'art auront peine à comprendre« qire W e d e l ait pu commettre l'inconséquence de choisir un local aussi désavantageux pour marcher à l'ennemi. Ils ne concevront pas qu'un militaire parvenu au plus haut g r a d e , et qui n'était rien moins que novice dans son a r t , ait pu se p r o m e t t r e , avec

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la plus grande assurance ^ le succès d'une entreprise si hasardeuse. Quoiqu'il en soit, "Wedel résolut de tenter la fortune, et pour surcroît d'imprudence , il fit attaquer les Russes par des brigades détachées , avanl de s'être rangé en bataille sur la plaine, en deçà du défilé. L'intrépide Manteuffel, qui commandait l'avant-garde, eut, à la vérité j le bonheur de mettre quelques bataillons Russes en désordre ; mais des troupes fraîches étant venues l'attaquer, et lui-même ayant été dangereusement blessé, sa division se retira en confusion. Une seconde attaque, dirigée par le général Hulsen, fut encore plus malheureuse , parce que les Russes avaient eu le tems de se former et de pointer leurs canons contre lui. On fit attaquer l'ennemi à gauche et à revers par la cavalerie ; mais cette tentative réussit aussi peu que les attaques de l'infanterie, faute de soutien. Il semble que la mauvaise réussite de ces premiers essais aurait dû ouvrir les yeux au Dictateur prussien, et l'empêcher de répandre du sang en pure jierte. Cependant, loin de renoncer à une entreprisejtrop mal concertée dès l'origine, pour que le succès n'en fût pas entièrement impossible, il s'obstina à renouveler le combat, jusqu'à ce qu'il eût exposé successivement toutes ses brigades au feu des ennemis ; mais Soltikow ayant trouvé moyen de former

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ttne grande ligne, les brigades isolées de Wedel se trouvèrent toujours dépassées par cette ligue, et furent battues l'une après l'autre. L e coucher du soleil termina enfin ces combats qui s'étaient succédés sans interruption depuis quatre heures après-midi, et les Prussiens repassèrent, à la faveur des ténèbres, le défilé près du moulin de K a y . Les Russes ne les poursuivirent point, et leur permirent même, le lendemain, de passer l'Oder aussi tranquillement qu'ils les avaient laissés s'éloigner du champ de bataille. On est tenté de croire que Soltikow était décidé simplement à repousser les attaques des Prussiens , mais qu'il ne voulait point les écraser. L a chose eût été très - facile dans cette occasion , ainsi qu'après la bataille de Cunersdorf ; et cependant il n'en fit rien. Il y a donc aparence que l'on ne se trompait pas à l'époque dont nous parlons , en recourant, pour expliquer la conduite des Russes, à l'influence secrète du Grand-Duc et aux ménagemens q u e les Généraux prévoyant la mort prochaine d'Elisabeth , avaient pour lui. Une seconde assertion, également vraisemblable, c'est que les Russes n'étaient rien moins que disposés à se sacrifier, eux seuls, pour la maison d'Autriche. Il était de leur intérêt queleurs Alliés partageassent avec eux le fardeau de la guerre ; et cette considération politique sert particulièrement à H 2

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expliquer la conduite de Soltikow après la bataille de Cunersdorf. Les maîtres de l'art ont blâmé, avec raison, l'impardonnable précipitation avec laquelle le Dictateur prussien mena ses brigades isolées à la boucherie. Des témoins oculaires m'ont assuré même : « que si Wedel avait commencé v par former son infanterie eh deçà du défilé , » s'il avait ensuite tiré beaucoup à gauche, si » tâchant de gagner le flanc gauche des en» nemis , il avait concentré toutes ses forces » pour attaquer ^ cette manœuvre lui aurait » valu une victoire semblable à celle du Roi » près Rossbach. Les circonstances et la direc» tion de la marche étaient absolument les mê» mes , au rapport de ces personnes , dans » l'une et l'autre de ces rencontres; et si le Roi » n'eût point de défilé à passer près Rossbach, » les obstacles que le local opposa aux opéra» tions de Wedel étaient bien compensés par » la lenteur qui caractérise les évolutions des i> armées Russes. Le genre de combat que 5> Wedel choisit, fut d'autant plus funeste à » son armée, qu'il se trouva dans l'impossi» bilité d'employer sa grosse artillerie, tandis » que l'ennemi n'aurait eu qu'à le vouloir pour » écraser „ sous le feu de ses nombreuses bat» teries , les brigades qui venaient s'y exposer » l'une après l'autre. »

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La perte des Prussiens dans cette journée monta à huit mille h o m m e s , tant morts que blessés et prisonniers. Cette perte fut encore agravée par la mort du général Wobersnow. Il fut tué à la tête de sa brigade, et l'Etat eut lieu de regretter un homme qui se distingait singulièrement par sa bravoure personnelle , par ses talens et par sa fermeté , qualités qui lui avaient concilié l'estime du Roi et la bienveillance de l'armée (1). (1) W a r n e r y , dans son ouvrage intitulé : Campagnes de Frédéric I I , roi de Prusse, p a g . 3oO, fait un portrait d u général W o b e r s n o w , qui n'est rien moins q u e flatté. Il dit que c'était u n j o u e u r , u n i v r o g n e , u n b r u t a l , u n libertin. Est-il permis de flétrir aussi injustement la m é moire d'un h o m m e , qui méritait l'estime du public, e t avait su se concilier celle de son m a î t r e ? J'ai connu p e r sonnellement M. de W o b e r s n o w , je l'ai b e a u c o u p f r é quenté , et m'étant fait u n devoir de p e i n d r e au n a t u r e l , et avec la plus grande impartialité , dans cet é c r i t , les personnages qui ont p a r u sur la scène d u r a n t la g u e r r e d e sept a n s , je crois devoir justifier publiquement, des i m putations qu'on lui a f a i t e s , un homme qui s'est sacrifié pour la cause de son Roi. Il n'était ni j o u e u r , ni ivrogne. Jamais il ne brutalisa p e r s o n n e , à moins q u e l'on n o veuille taxer de brutalité , l'austérité et la fermeté avec laquelle il donnait ses ordres. Il n'était rien moins q u ' u n débauché crapuleux , bien qu'il aimât les femmes. Ce r e proche , dont les plus grands hommes n'ont pas t o u j o u r s su se g a r a n t i r , n'autorise point le portrait infidelle q u a W a r n e r y s'est plu à tracer. Ce fut avec W o b e r s n o w qu»

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La nouvèlle de l'affaire malheureuse de Palzig fit sur l'esprit du Roi une impression d'autant plus douloureuse, qu'il avait compté sur les talens et sur les succès de Wedel. 11 croyait avoir trouvé en lui un second Winterfeldt; mais son attente fut cruellement trompée, et il s'aperçut qu'en donnant à W e d e l le titre imposant de dictateur ,, il n'avait pas été maître de lui donner les talens et l'énergie nécessaires pour justifier son choix. Ce général poussait, sans doute , sa bravoure jusqu'à l'héroïsme ,et il en avait donné des preuves en plus d'une rencontre ; mais il n'avait encore jamais commandé une armée , pas môme un corps détaché. O r , l'on sait que l'intrépidité et le courage personnel ne sont pas les seules qualités d'un bon capitaine. Aussi se disait-on à l'oreille, que Frédéric se reprochait d'avoir confié,dans une occasion si importante, le commandement à un homme qui n'avait point encore prouvé qu'il en fût digne , et q u i , par sa précipitation, fit perdre au Roi la fleur de son infanterie , et contribua même à déranger les affaires plus qu'elles ne l'étaient à l'époque Frédéric concerta les moyens de ranimer l'enthousiasmede son armée , avant la bataille de Leuthen, et il suggéra àu Roi, comme nous l'avons rapporté, la phrase énergique qui termina le discours éloquent que Frédérie adressa, «laits cette occasion, à ses Officiers,

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de sa nomination. L e Roi se trouvait effectivement réduit à la situation la plus critique. Il paraissait impossible d'empêcher pour lors la jonction des Russes et des Autrichiens. Les Marches de Brandebourg et Berlin étaient exposées au plus grand danger , depuis que les Russes s'étaient rendus maîtres de Crossen et des passages de l'Oder , ayant même occupé F r a n c f o r t , où ils firent prisonnier un bataillon de milice qui était en garnison dans cette ville , et qui ne s'était pas retiré à tems. Haddik et L a u d o n , destinés à joindre les Russes, xavec une armée de trente-six mille hommes, avaient quitté la Haute-Lusace,etsemblaient diriger leur marche en partie sur G u b e n , en partie sur Sommerfeld , pour se rendre à Francfort, où l'on était c o n venu , dès l'origine, d'opérer la jonction des deux armées. Les circonstances ne permettant point au R o i de marcher avec des forces suffisantes au secours de ses provinces héréditaires, menacées de la plus formidable invasion, il n'y avait pas un moment à perdre pour prévenir leur entière dévastation. Pour cet effet , il fallait de toute nécessité s'efforcer d'empêcher la jonction des ennemis , et tenter quelque coup décisif. L e Roi se rappela q u e , depuis le commencement de la guerre et dans les époques les plus critiques , sa présence avait toujours fait pencher H 4

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la balance en faveur de ses armées. Il résolut donc de marcher vers les rives de l ' O d e r , à la tête de dix-huit mille hommes ^ et d'écraser les Russes avant l'arrivée du corps auxiliaire Autrichien. L e prince H e n r i que les projets manifestes de Laudon et de H a d d i k avaient engagé à s'avancer jusqu'à Camentz et Kônigswartha , eut ordre de laisser le général Fink avec neuf mille hommes pour couvrir D r e s d e , et de se m et. Ire très-promptement en marche pour Sagan avec le reste de son armée. II. devait y être joint par le duc de W u r t e m b e r g , posté près Burau avec un corps d'observation. Le Roi m a n d a le Prince son frère , pour lui r e m e t t r e le commandement en chef de l'armée de Silésie, campée près Schmockserfen. Frédéric était fermement résolu de venger l'affront que ses armes avaient essuyé à Palzig , par une déroute totale des ennemis ; mais la journée de Z/orndorf lui ayant prouvé que le soldat Russe savait porter l'intrépidité jusqu'à la démence , il s'attendait à une grande effusion de sang. Peut-être même quelque seçret pressentiment lui fit-il croire qu'il allait sacrifier sa vie dans cette nouvelle lutte ; c a r , avant de p a r t i r , il fit son testament, et ayant n o m m é le prince H e n r i , tuteur de l'héritier de la Couronne , qui n'avait point encore atteint l'âge de majorité ; il lui déclara « q u e , supposé qu'il

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» vînt à mourir ou à être fait prisonnier, son » intention expresse était que cette circonstance » n'engageât point le Prince à conclure une paix » honteuse pour la maison de Brandebourg. » Les personnes qui furent instruites de ces détails , ne purent se défendre de la plus vive émotion , en voyant le Monarque si généreusement résigné à sacrifier ses jours à la défense de la patrie, dans un moment où il était permis de désespérer de son salut. Tout le monde fît des vœux ardens pour le succès de son entreprise, et l'on admira unanimement la constance philosophique du grand homme. Telle était son inébranlable fermeté, lorsqu'il partit pour Sagan , où il arriva la nuit du 3o juillet. Il y apprit que les Généraux autrichiens marchaient en partie sur G u b e n , en partie sur Sommerfeld. Aussitôt il se mit en m a r c h e , à la tête de l'armée, passa le Boher près Christiansladt, espérant qu'il trouverait encore les ennemis près Sommerfeld ; mais ils surent échapper habilement à sa vigilance. Laudon joignit H a d dik près Guben, pourvut en hâte ses vingt mille hommes de pain et de fourrages, et vola , sans bagages, à L i n d a u , se jeter entre les bras des Russes. Haddik, retardé par les bagages et par les charriols chargés de munitions , protégea la marche de Laudon , jusqu'à ce qu'il pût réussir lui-même à joindre l'armée Russe. Mais i l n'y

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parvint point, le Roi s'e'tant approché de l u i , à une si petite distance-, qu'il crut ne devoir son» ger qu'à sa propre sûreté. Il se retira donc à Spremberg, mais sans pouvoir empêcher l'avant» garde Prussienne de s'emparer d'une partie de ses bagages, de quatre canons et de cent charriots de munition. L'escorte tomba également au pouvoir des Prussiens. L e R o i , qu'un intérêt majeur empêcha de poursuivre le corps de Haddik, laissa les Autrichiens se retirer en paix, et continua sa marche sur Muhlrose , s'estimant heureux d'avoir au moins empêché leur jonction avec les Russes. Les troupes battues à Palzig se joignirent à lui à Muhlrose. Wedel avait été oblige de les employer à observer la marche de S o l t i l o w , sur la rive de l'Oder, pour s'opposer à l u i , supposé qu'il eût fait mine de passer le fleuve. Autant 2e Roi avait comblé le Dictateur d'éloges , en l'envoyant à l'armée de Dohna , autant le général eut ensuite de reproches à essayer. L e Roi alla même jusqu'à défendre à son armée toute communication avec l'armée battue, quoique cette dernière n'eût pas mérité cet affront. Son but était peut-être d'empêcher que les régimens qu'il amenait de Silésie, ne se laissassent décourager par la peinture qu'on leur ferait de la bravoure intrépide des Russes. On aurait tort de blâmer cette mesure de prudence, quelque hu-

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miliante qu'elle fût pour ceux qui en étaient les victimes innocentes. Cependant, loin de murmurer d'un traitement si cruel, l'armée de W e d e l se flatta qu'elle réussirait à se justifier sous les yeux du Monarque; et quoiqu'affligée du mépris qu'il lui témoignait, elle le suivit patiemmerrt, et après avoir passé le canal de Frédéric-Guillaume , on alla camper près Borschen. Ce fut là que le R o i attendit le général F i n i , qu'il avait appelé de T o r g a u , où Fink s'était rendu pour faire tête aux troupes de l'Empire. Frédéric avait besoin de ce renfort pour se mesurer avec les ennemis , si supérieurs en nombre, qu'il allait combattre. Sur ces entrefaites, Soltikow était arrivé à Francfort avec toute son armée. Il éprouva une joie extrême à la vue du corps auxiliaire Autrichien. Il admira surtout la cavalerie, et sut gré à Daun de l'en avoir si bien pourvu, vu que la sienne n'était guères en état de seconder suffisamment ses opérations. Les deux généraux s'embrassèrent comme des frères. Soltikow fît à Laudon des complimens très-flatteurs, sur l'ai t avec lequel il avait su tromper la vigilance du roi de Prusse ; mais il lui insinua en même lenis, qu'après s'êlre avancé jusques sur les bords de l'Oder, après avoir battu les Prussiens à Palz i g , et se voyant tous les jours menacés d'une vengeance éclatante de la part du R o i , il avait

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lieu de souhaiter ardemment qu'il plût à Dauni de marcher aussi en avant de son côté, pour travailler , de concert avec l u i , au plan d'opérations dont Ton était convenu. Laudonqui connaissait très - bien la politique du cabinet de Vienne , à l'égard de ses Alliés , chercha à tranquilliser Soltikow , en l'assurant que Haddik était de nouveau en route pour le joindre , et que la grande armée Autrichienne marchait actuellement du côté de la Haute-Lusace. Quoique Soltikow eût l'air d'ajouter foi à cette déclaration , ni l u i , ni ses Généraux n'y firent pas grand fond. L e souvenir des évènemens de la campagne précédente était trop récent, et nous verrons, dans la suite , comment la politique astucieuse de la cour de Vienne, détermina les Russes à reprendre bientôt, et malgré tous leurs s u c c è s , le chemin de la Pologne. Cependant, Soltikow et Laudon délibérèrent sur les mesures qu'il convenait de prendre pour s'opposer d'un commun accord aux desseins du Roi. L'armée Russe se campa entre Francfort et Cunersdorf, de manière que l'aile droite fut postée sur la montagne, nomm ée Muhlberg, qui est située près du village de Cunersdorf, l'aile gauche s'e'tendant par les montagnes, dites Judenbcrgc , jusqu'à la grande digue de l'Oder. L e s Autrichiens demeurèrent dans leur camp près le faubourg de Francfort, nommé Damm-

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déric. Autrement, et si les ennemis avaient fait leur devoir, a u r a i t - i l pu leur tenir tète avec une armée battue , et qui ne montait qu'à vingtquatre mille hommes, après tous les renforts qu'elle avait reçus? Aussi cette révolution inattendue du sort j fit - ell sur lame du R o i une impression , dont il n'était pas difficile de s'apercevoir. Ceux qui l'avaient vu au camp prèsFurstenwald, ne le reconnaissaientpassurleshauteurs de Zobelwitz. 11 s'était montré singulièrement affable depuis la malheureuse journée de C u nersdorf, il avait même été jusqu'à consulter quelques-uns de ses Officiers sur les meilleurs moyens de se tirer d'un si mauvais pas. L e colonel d'artillerie M o l l e r , et le capitaine-ingénieur Marquart, étaient ceux aux lumières et aux conseils desquels il semblait s'en rapporter avec le plus de confiance. Encouragés l'un et l'autre par les témoignages de bienveillance que le Monarque leur prodigait, ils avaient fait les plus grands efforts pour combler ses vœux. Marquart s'était surtout distingué par le projet ingénieux qu'il avait c o n ç u , relativement aux marches de l'armée vers Sagan ( i ) . Mais à peine (ij Marquart avait incontestablement des droits à la r e connaissance du R o i , p o u r avoir c o n ç u le projet de. ces marches aussi savantes que périlleuses, qu'il fallut e x é c u ter dans le voisinage des Russes, et qui conduisirent l'armée

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Frédéric f û t - i l arrivé aux environs de G l o g a u , à peine fût-il en état de défendre l a S i l é s i e , qu'il r e c o m m e n ç a à s'envisager c o m m e le g r a n d M o n a r q u e , auquel l'univers prodigait l'encens. Autant il avait montré d affabilité, lorsque son sort était i n c e r t a i n , autant il se hâta de reprendre un ton impérieux v i s - à - v i s de ceux qui avaient pris la part la plus active à ses desseins secrets. Il saisit toutes les occasions de les h u milier , de peur qu'ils ne s'imaginassent que leur d u R o i , de la B a s s e - L u s a c e , a u x r i v e s d u B o b e r . C e p e n d a n t oVloUer e t l u i v i r e n t l e u r h a u t e f a v e u r c e s s e r d u m o m e n t o ù l'on n'eut plus besoin de leurs services. Marquart a y a n t d e m a n d é , q u e l q u e t e m s a p r è s , et p e u a v a n t sa m o r t , la p e r m i s s i o n d e f a i r e i m p r i m e r u n t r è s - b o n o u v r a g e sur le coup-d'œil

militaire,

qu'il avait c o m p o s é p e n d a n t les quar-

tiers d'hiver, le Roi lui r é p o n d i t , avec b e a u c o u p de d u r e t é , « q u ' i l f e r a i t m i e u x de s ' a p p l i q u e r à t r a c e r l e s c a m p s , m a u l i e u d ' é c r i r e sur l e c o u p - d ' œ i l m i l i t a i r e . » P l u s i e u r s t r a i t s d e c e g e n r e m ' o n t p r o u v é q u ' a u t a n t le g r a n d F r é d é r i c p o s s é d a i t l'art d ' i n t é r e s s e r t o u t le m o n d e à ses m a l h e u r s , e t de r a n i m e r , d a n s l e s r e v e r s , l e z è l e et l ' a c t i v i t é d e ses o f f i c i e r s , a u t a n t il r é p u g n a i t à p a r t a g e r a v e c

qui

q u e c e f û t la g l o i r e d e ses

cet

succès. On pardonnera

é g o ï s m e a u g r a n d - h o m m e , si l'on v e u t b i e n n e p a s o u b l i e r q u ' i l ¿fiait h o m m e . C e p e n d a n t p l u s d ' u n s e r v i t e u r fidelle d u R o i e n a s o u f f e r t , et l e m é p r i s a s o u v e n t é t é le p a r t a g e d e c e u x q u i a v a i e n t les titres les p l u s i n c o n t e s t a b l e s à sa r e c o n n a i s s a n c e . L e s p a n é g y r i s t e s dé F r é d é r i c se s o n t

bien

g a r d é de r e l e v e r des t r a i t s p a r e i l s • mais la p o s t é r i t é a d r o i t d ' e n être i n s t r u i t e .

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zèle patriotique avait influé sur le succès de ses opérations. T a n t il était jaloux de sa gloire ! Soltikow ne fut pas peu surpris, lorsqu'ayant fait une reconnaissance , il découvrit que les Prussiens lui avaient fermé le chemin d e G l o gau. Comme il n'avait pas l'intention d'assiéger cette forteresse , les convois de vivres qu'il attendait de Pologne s'approchant, et la nouvelle lui étant venue que le Roi venait d'attirer un renfort à s o i , toutes ces raisons lui parurent assez plausibles pour se décider à passer l'Oder près Carolath. Aussitôt Frédéric s'avança vers Glogau , à la tète de son armée. L'ennemi ayant continué sa marche l'élrograde, le Roi passa également l ' O d e r , il alla camper près Sophieni h a l , et détacha quelques divisions de son a r m é e , pour mettre le plat-pays à couvert des ravages affreux que les Cosaques y faisaient. Les affaires en demeurèrent l à , et à l'exception de quelques petites escarmouches , l'on n'en vint à aucune entreprise de conséquence L'on y était également intéressé de part et d'autre. Frédéric desirait a r d e m m e n t le p r o m p t départ des Russes, pour p r e n d r e le chemin de la Saxe , et pour achever de la reconquérir. C'est pourquoi il se garda d'opposer le m o i n d r e obstacle à la retraite de l'armée Russe. Soltikow , d'un autre c ô t é , n'aspirait qu'à p r e n d r e ses quartiers d'hiver. Seulement Montalembert

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le retenait d'un jour à l'autre par ses pressantes sollicitations , jusqu'à ce qu'enfin il reçut de Pétersbourg l'ordre exprès de diriger ses opérations contre Breslau. Il fallut obéir. L e platpays souffrit alors .extrêmement. L a garnison Prussienne de Herrensladt ayant refusé , avec beaucoup d'opiniâtreté , d'évacuer cette ville , les Russes la réduisirent en cendres. D'autres villes auraient infailliblement éprouvé le même sort, si Soltikçw n'avait reçu la nouvelle positive que le feld-miaréchal Daun se disposait à se retirer en Bohème. Alors il n'y eut plus moyen d'arrêter Soltikow; il se mit incessamment en marche pour la Pologne. Laudon se sépara d'avec lui. 11 tourna du côté de Kalisch ; de là il marcha le long des frontières de Silésie , toujours dans le voisinage du corps deFouquet, et gagna la Moravie par ï e t s c h e n , ayant eu beaucoup de difficultés à vaincre dans ce long détour. L e R o i , qui était tourmenté de la goutte dans fce m o m e n t , ne poursuivit point les ennemis ; il partagea, au contraire, son armée en différens corps. 11 envoya huit mille hommes à Trachenberg,sous les ordres du général Gablentz, pour observer la marche de Laudon sur la frontière de Silésie. Le général Mayer conduisit un corps de cinq mille hommes à Hirschberg et à Landshul pour occuper les montagnes, pendant que jFouquet poursuivrait l'armée de Laudon et cou-

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Vrirait la Haute - Silésie. L e reste de l'armée Prussienne repassa l'Oder, et le général Hulsen se mit en marche pour la Saxe avec treize mille hommes, jusqu'à ce que l'entière convalescence du Roi lui permît de le rejoindre. Aussitôt que Daun apprit la retx-aite des Russes en Pologne et la marche du Roi vers les bords de l'Elbe, il se hâta de quitter son camp près Schilda, pour se replier sur Dresde. Cependant il ne se pressa point ; car , il ne recula d'abord que jusqu'à Heinitz et posta le général Brentano aux environs de Rosswein, pour couvrir son flanc gauche. L e prince Henri le poursuivit jusqu'à L o m a t s c h , et envoya le général Fink à Mutschen avec dix mille hommes, pour observer le corps de Brentano. Ce fut vers ce tems que Hulsen passa l'Elbe près Hirschstein avec le corps qu'il amenait des rives de l'Oder. L e prince Henri se trouva alors à même de tourner avec plus de sûreté le flanc gauche de l'armée Autrichienne, de lui fermer le chemin de Friedberg, et de tenter des incursions en B o h ê me , afin de forcer, par ces manœuvres savantes, le feld-maréchal Daun à précipiter sa retraite. Il envoya* donc uri renfort de cinq mille hommes a:u général Fink , et lui ordonna de repousser le corps de Brentano. Fink passa la M u l d e , près Dôbeln, et occupa Rosswein. Brentano se relira à Nossen ; et voyant les Prussiens

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marcher .à lui , il se rangea en bataille. On se, canonna vivement de part et d'autre. L e général W u n s c h , qui commandait l'avant-garde Prussienne, renvoyait jusqu'à Nossen, une division de Croates, qui couvrait le flanc gauche des Autrichiens et attaquait la ville de Nossen, au moment où Daun parut sur le champ de bataille. Aussitôt Daun ordonna à tout ce corps et à l'aile gauche de son armée de se replier sur Deutsch-Bora. Fink se campa près Siebenlehn, vis-à-vis l'aîle gauche de la grande armée Autrichienne. L e colonel Kleist délogea les troupes de l'Empire de Freiberg et les poursuivit jusqu'à Dippoldiswalda. Ces divers incidens et la manière dont le général Fink s'était posté, alarmèrent Daun. Il décampa dès le lendemain , pour se retirer jusqu'à W i l s d r u f , et le prince Henri eut l'honneur de, l'avoir décidé à cette résolution par une simple manœuvre très - savante. C'eût été un bonheur pour l'armée Prussienne, que ce Prince fût demeuré maître de diriger les opérations au gré de sa profonde sagesse. Mais le sort en avait autrement décidé. Des évènemens fâcheux et que tout bon Prussien voudrait pouvoir effacer des annales du Brandebourg, occasionnèrent à l'Armée une perte considérable, et l'obligèrent à soutenir une campagne d'hiver, tandis que , si l'on avait consulté davantage les

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règles de la prudence, elle aurait hiverné tranquillement , e t , selon toutes les aparences, reconquis Dresde. L'on trouve les contradictions les plus frappantes et la plus grande partialité dans toutes les relations que l'on a publiées jusqu'ici des évènemens singuliers qui terminèrent la campagne de Saxe, en 175g. Avant de les rapporter, je crois donc faire plaisir à mes lecteurs en leur communiquant quelques réflexions propres à éclairer leur jugement. Le Roi arriva de Glogau à Hirsclistéin le jour même où Daun faisait les préparatifs de sa retraite à Wilsdruf. Le prince Henri alla à sa rencontre et-le mit au fait de l'état des affaires. Ils étaient encore occupés à conférer ensemble , lorsque l'on vint annoncer des postes avancés que l'armée Autrichienne venait de se mettre en marche sur huit colonnes pour continuer sa retraite. L e Roi parut surpris de cette nouvelle. « Ah , ah ! » s'écria-t-il en trahissant son amourpropre par cette exclamation j « ils sentent que » je ne suis pas loin • mais aussi je vais traiter » Daun en diable et demi. » Aussitôt il ordonna au général W e d e l de se mettre en marche avec le corps campé près Hirschstein , et qu'il voulait conduire lui-même à la poursuite de l'ennemi. 11 chargea le prince Henri de se mettre en marche avec toute l'armée. L e Priftce eut

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le courage de lui représenter: « que cette pour» suite vigoureuse de l'ennemi n'aboutirait q u à » sacrifier beaucoup de monde. J e suis intime* » ment c o n v a i n c u , ajouta-t-il, que D a u n n'as» pire qu'à évacuer décemment la Saxe pour » aller prendre ses quartiers d'hiver en Bohême. » Si tel est son p l a n , et les avis secrets que » j'ai reçus ne me permettent point d'en d o u t e r , » il ne manquera pas d'abandonner Dresde ; » attendu que ce serait une grande inconse» quence d'y laisser une garnison , séparée de V la grande armée par les m o n t a g n e s , et q u i , )> n'ayant aucun secours à espérer, ne pourrait » échapper à la captivité. J e prie donc V o t r e » Majesté de ne rien p r é c i p i t e r , et il me pa» raît qu'il faut se borner à faire e x é c u t e r , par » des corps détachés, quelques démonstrations » tendantes, d'un c ô t é , à presser la retraite de » Daun , et dé l'autre, à lui fournir un prétexte » honorable dont il puisse se servir pour la « colorer, o). M a l g r é la grande sagesse de ces représentations du Prince , le R o i n'y fit aucune attention ; et quoique le Prince poussât enfin la générosité jusqu'à le conjurer de différer seu-? l e m e n t d e v i n g t - quatre heures l'exécution de son dessein rien ne put l'engager à changer d'avis. L u i - m ê m e se mit à la tète du corps de W e d e l , et il atteignit , près de K o g i s , l'arrière-garde de l'ennemi. O n se battit avec beaucoup d'acliaiv ne nu: ut

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nement, la perte fut très-grande des deuxcôtés, et surtout du côté des Autrichiens. Cet heureux événement ranima le courage et les espérances du Roi. Après tant de revers, le moindre retour de bonheur donnait un nouvel essor à l'activité de son âme. C'est l'effet naturel des malheurs , lors même que ceux qui les ont éprouvés ont lieu de s'en plaindre jusqu'à un certain point «à eux-mêmes. Il y a doue aparence que Fr -déric se flattait de terminer cette campagne comme celle de l'jS'j , par un coup d éclat. Pour se venger sur Daun des revers precédens , il méditait, sans doute , de lui fermer le passage ordinaire des montagnes qui conduisent en Bohême , pour le forcer à repasser l'Elbe, et à gagner ses quartiers d'hiver à travers les rocs les plus impraticables et les plus escarpés. Ce plan était, sans doute , très-vaste, et son exécution eût abîmé l'armée Autrichienne, en la réduisant à périr de disette dans la saison la plus l'igoureuse, au sein des contrées incultes et stériles où l'on voulait la confiner. Mais ou manqua de prudence dans le choix des moyens destinés à réaliser ce plan gigantesque. Les suites qui en résultèrent furent bien différentes de celles que l'on s'en promettait. L'on préparait la ruine de Daun , et il prit lui - même des mesures bien désastreuses pour les Prussiens! Tome II.

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J'ai été. témoin oculaire de ce grand événement. Cependant, je ne déciderai point si le projet que le Roi exécuta d'une manière si extraordinaire, était de nature à pouvoir réussir, à moins que le Général autrichien, se trouvant à la tête d'une grande armée, n'eût entièrement perdu la tête. J e ne déciderai pas non plus si le meilleur moyen de chasser entièrement les Autrichiens de la Saxe et d'y remettre les choses sur l'ancien pied, n'eût pas été de laisser le prince Henri maître de continuer les belles manœuvres, dont le succès avait été jusqu'alors si brillant. — Quelque circonspect et quelque peu entreprenant que fût le feld-maréchal Daun, il y avait cependant, dans son armée , des Généraux dont il suivait les conseils et qui avaient assez d'expérience et de talens pour triompher quelquefois de ses irrésolutions (i). Après l'affaire de K r ö g i s , le Roi ordonna au général Fink de marcher à Dippoldiswalda. Fink, initié dans les savans mystères du prince Henri, et partageant son opinion sur les mesures de prudence que les circonstances exigeaient, (i) On prétend que ce futLascy qui fit goûter surtout à Daun le projet d'enlever le corps de Fink, en lui prouvant qu'il était très-exécutable, et en s'efforçant à combattre les objections et les appréhensions du Feld-Marcchal.

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trouva cette marche trop précipitée. Il s e r e n d r t l u i - m ê m e chez le R o i pour essayer de lui faire changer de sentiment ; niais le Roi lui ordonna-, très-impérieusement, d'obéir et même de pousser jusqu'à Maxen. Quoique Fink ne pût a b s o lument entrevoir les avantages que l'on croyait retirer d'une position si périlleuse, ¡1 fut obligé d'obéir; il employa cependant la précaution de faire o c c u p e r , par quatre bataillons, le poste de Dippoldiswalda , afin de se ménager un point sur lequel il pût se retirer , si des forces supérieures l'obligeaient à reculer. L a position de F i n k , à Maxen , inquiéta Daun. C o m m e elle pouvait lui devenir faneSte en lui fermant le chemin de la B o h è m e , il crut d e voir prendre sans délai Tes mesures que sa s û reté exigeait. Il rappela son armée de W i l s druf et la campa près Dresde, au delà du P l a n e a scher-Grund. C'est un poste très - avantageux pour une armée pourvue c o m m e l'était alors l'armée Autrichienne, de toutes les choses nécessaires à sa subsistance. L e nature a tait les frais de ce poste, et il ne reste à l'art que fort peu de chose à faire pour le rendre inexpugnable. Il opposa , en même l e m s , deux divisions au corps de Fink. L'une , commandée par le général Sincère , fut postée sur la route de Dippoldiswalda; l'autre, sur le chemin de P i r n a , était sous les ordres du général Brentano. L ' a r m é e

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de l'Empire se trouvait près Cotta , sur la grande route de Bohême. Le Roi se campa à Wilsdruf et ordonna au général Ziethen de s'avancer jusqu'à Kesselsdorf. Telle était la position des Autrichiens et des Prussiens près Dresde. Daun et le Roi se trouvaient en face l'un de l'autre. Ils n'étaient séparés que par le Planischer-Grund, arrosé par les eaux de la Weiseritz. Le corps du général Fink était à la vérité posté à dos de l'ennemi j mais il était comme enclavé entre la division de Sincère, celle de Brenlano et l'armée de l'Empire. Ce qui rendit sa position plus hasardeuse encore, c'est que, par ordre exprès du Jtoi,, il avait été obligé d'attirer à soi la garnison qu'il avait si sagement laissée à Dippoljdiswalda. De cette manière, sa communication avec Freiberg, d'où il tirait ses vivres, et avec l'armée du R o i , était devenue très-incertaine, et l'ennemi pouvait aisément l'attaquer du côté de Dippoldiswalda. Il fit rapport de sa situation au R o i , mais il n'en reçut point de réponse , son rapport étant vraisemblablement tombé entre les mains des troupes légères qui l'environnaient de toutes parts en très-grand nombre. Daun ayant, enfin, triomphé de toutes ses irrésolutions, prit le parti d'attaquer et il conduisit cette expédition avec tant d'habileté, que lé Roi n'ayant absolument rien tenté pour sau-

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ver F i n k , ce dernier ne put échapper au danger éminent qui le menaçait. Daun se mit en marche par Dippoldisvvalda et Reingartsgrimm a ; il tourna le flanc des Prussiens, posté sur la hauteur de M a x e n , et après les avoir* attaqués très-vigoureusement, malgré le désavantage du tei-rein, il.empôrta ce poste. Brentano attaqua , eu même tems, le centre du camp Prussien, et les troupes de l'Empire occupant très-soigneusement tous les défilés qui conduisent , par Dahna et Rurkertswalde, au passage du Rother-Wasser, la ruide du corps de Fink é t a i t , de tout point, inévitable. Ce Général se crut o b l i g é , par différentes r a i s o n s , à garder son poste; il fit donc l'impossible pour s'y maintenir. Mais sa bravoure et la valeur de ses troupes échouèrent contre la grande supériorité des ennemis. Aussitôt qu'ils se virent maîtres des hauteurs de Maxen, ils enfoncèrent son corps et le repoussèrent jusqu'à Folkenhajn et Bloschwitz, où il se vit cerné de tous côtés. Alors Fink rassembla les débris de son infanterie, et prit la résolution de se faire jour à travers l'ennemi en forçant le passage du Rother-Wasser. Mais il n'avait pas assez de monde pour pénétrer à travers les défilés que l'ennemi faisait garder par beaucoup de troupes. C o m m e la cavalerie n'avait pas souffert autant que l'infanterie, il fut décidé que Wunsch tenterait O 3

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d'echapper à la vigilance du corps de Brenlano , pour aller rejoindre , par des détours , l'armée du Roi. Il l'entreprit effectivement à la faveur des ténèbres. Dans l'espoir du succès de cette tentative ,Fink s'efforça d'obtenir, pour son i n fanterie , une capitulation honorable. Il chargea, l e général Robentisch de la négocier. Celui-ci se rendit chez Daun avant la pointe du jour ; mais Daun ne voulut entendre à d'autres conditions qu'à recevoir les Prussiens prisonniers de guerre ; il prétendit même que l'on rappelât la cavalerie qui venait de s'évader. Finit représenta en vainque Wunsch commandait un corps séparé ; le G énéral autrichien persista dans sa demande ; il fallut rappeler la cavalerie et la comprendre dans la capitulation , Finit n'étant plus dans une situation à obtenir des conditions , bien moins à en prescrire. Celait la première fois qu'une armée Prussienne essuyait un revers de ce genre. 11 fournissait un pendant au sort que les Saxons avaient éprouvé à Lilienstein, et ce rapprochement ajouta à la sensation qu'un événement si extraordinaire fil en Europe. Il est indubitable que Frédéric et Fink eurent des torts l'un et l'autre dans cette rencontre. Les plus grands torts sont, néanmoins, du côté de Frédéric: tout ce qu'on peut reprocher à F i n i , c'est d'avoir poussé l'obéissance et les scrupules trop loin , tandis qu'a-

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vec un peu plus de résolution , il aurait pu prévenir la catastrophe dont il fut la victime. Qu'il me soit permis de soumettre encore quelques observations sur un fait si remarquable, à l'examen et au jugement de mes lecteurs. Frédéric attendit de la fortune , dans cette occasion , ce qu'à moins d'un miracle il ne pouvait s'en promettre. Quoi de plus hasardeux en effet que de poster le corps de Fink à dos de l'ennemi, sans placer en même tems à mi-chemin et en lieu bien sùr une autre division assez forte pour entretenir la communication de Fink avec l'armée ! Cette fauté paraît plus grave enrcore, quand on songe à l'ordre qu'il donna à ce Général d'attirer à soi la garnison qu'il avait eu la prudence de laisser à Dippoldiswalda. L e corps qu'il commandait se vit exposé de cette manière, sans ressource, au danger d'être investi . Sur la nouvelle de la marche des ennemis , le Roi a d r e s s a , à la vérité, à Fink un ordre, moyennant lequel il le laissait absolumentmaître de se déterminer à son gré , d'après les circonstances ; mais les paroles que le Roi ajouta de sa propre main au bas de cette lettre, étaient de nature qu'un homme d'honneur , qui connaissait la façon de penser de son maitre, n'avait d'autre parti à prendre que de b r a v e r j jusqu'à la dernière extrémité., le sort auquel il se voyait

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exposé ( x ) . L e général Diereke , posté non loin de M e i s s e n , sur les rocs elevés qui b o r d e n t , de ce côté, la rive droite de l ' E l b e , et le général Z i e t h e n avaient i n f o r m é , l'un et l'autre , le R o i d e la m a r c h e des Autrichiens à Maxen. O n prétend nicme que Z i e t h e n l'assura q u e , selon toute aparence , presque la moitié de l'armée Autrichienne s'était mise en m a r c h e , à en juger p a r la solitude qui régnait dans le c a m p ; ajoutant qu'il conseillait, en c o n s é q u e n c e , au R o i de faire quelques démonstrations contre le c a m p , fussent-elles même fausses,pour engager D a u n , dont on connaissait la circonspection, à renonc e r à son entrepsise et à ne s'occuper que de l a sûreté de son poste principal. M a i s le R o i ne fil aucune attention à ces rapports et à ces conseils. Il est très-vraisemblable même qu'il ne s'attendit point à une entreprise aussi,hardie de la part de son adversaire , et s'imagina tout au plus q u e F i n k aurait à soutenir quelque légère attaque de Sincère ou des troupes de l'Empire. 11 n'env o y a le général Hülsen à son secours, à la tête de huit mille h o m m e s , que le 20 n o v e m b r e , jour même où Fink fut attaqué. M a i s les ( i ) « Il faudra s'escarmoucher avec Sincère on avec les »3 troupes de l'Empire. « T e l l e s étaient les paroles du postscriptum, qui contrastaient singulièrement avec la t e n e u r de la lettre.

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chemins étaient si mauvais que Hulsen ne put arriver que le lendemain aux environs de D i p poldiswalda. Ayant appris que Fink venait de capituler, il se retira du côté Freiberg. Fink , qui fut averti plus promptement et plus sûrement que le R o i , du danger qui le menaçait , aurait pu se tirer à tems d'un si mauvais pas ; et le conseil de guerre le plus rigoureux ne l'aurait point condamné s'il avait mieux aimé se sacrifier lui-même au courroux de son M a î t r e , que d'exposer quinze mille hommes à la mort ou à la captivité. Les circonstances plaidaient trop en sa faveur, pour que Ton ne se fut pas empressé à l'absoudre. Mais il craignit de perdre entièrement les bonnes grâces du R o i , auquel il avait déjà eu le malheur de déplaireC'est pourquoi il obéit ponctuellement à yes ordres, comptant sans doute aussi que le R o i ferait plus d'attention à sa position , et tâcherait, de son côté, de traverser l'entreprise de Daun , qu'il avait les plus fortes raisons de ne pas envisager d'un œil indifférent. Quoiqu'il en soit des motifs qui déterminèrent Fink , il aurait fait beaucoup plus sagement de se retirer à tems. Mais ayant pris le parti de se maintenir dans son poste, on a sujet de lui reprocher de n'avoir pas persisté davantage à occuper les chemins creux de Reinharlsgrirnma et des environs, à travei's lesquels il fallait que l'ennemi passât

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pour l'attaquer. 11 aurait opposé par-là aux Autrichiens des obstacles, agravés par la neige et la glace qui couvraient les montagnes escarpées qu'ils avaient à traverser. L'on prétend même que Daun , jugeant qu'il serait impossible de gravir ces montagnes, voulut renoncer à une expédition qui lui paraissait inexécutable. On ajoute qu'il aurait effectivement pris ce parti sans la persévérance du major Fabri, qui triompha surtout lorsqu'il trouva que ces montagnes n'étaient point occupées par les Prussiens. C'est ainsi qu'un concours singulier de circonstances de tout genre décide souvent des succès ou des malheurs de la guerre ; et les talens même d'un général aussi habile que l'était Finie, ne le mettent point à l'abri des méprises et des mesures précipitées , qui sont presque inévitables quand on se voit aux prises, ainsi que l u i , avec des périls de tout genre (1). ( i ) Même après la paix de Hubertsbourg, ce général ent à esstiyer les mortifications dont le Roi se plut à l'accabler, pour se venger de l'affaire de Maxen qu'il ne lui pardonnait p a s , quoique les plus grands torts ne fussent certainement pas du côté de F i n t . Lorsqu'il revint de sa c a p t i vité , et que l'on annonça son retour au Roi, Frédéric le fit inviter h dîner. « C e n'est pas vous, mais le ministre d'Etat » comte de Fink que j'ai fait inviter , lui dit le R o i , au » moment où il l'aperçut. » Fink fut obligé de se retirer de l'appartement dufyji,et tous ceux qui étaient présens

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Daun reprit incessamment le chemin de son camp près Dresde, où il rentra triomphant, et suivi de douze mille prisonniers Prussiens. Encouragé par ce premier succès si brillant, il résolut d'enlever aussi le corps du général Diereke , posté sur les bords de l'Elbe. 1,1 chargea Beck de cette expédition. Beck s'avança contre les Prussiens, qui occupaient les montagnes près Zaschwitz, mais il trouva leur position trop avantageuse pour les attaquer. D i e r e k e , qui n'avait nulle envie de fournir un pendant à la malheureuse affaire de Maxen, résolut de passer l'Elbe durant la nuit; mais il n'y réussit qu'en partie. L'Elbe charriait, ce qui ne permettait pas de rétablir le pont près Meissen, et rendait le passage, en bateaux et en prames, très-difficile. Deux mille cinq cents hommes environ eurent le bonheur d'échapper. Le reste du corps et le général Diereke lui-même tombèrent au pouvoir des ennemis, qui se prévalurent de la circonstance pour les envelopper. Après deux revers aussi accablans, et le Roi ne conservant plus guères que trente-six mille hommes, il y avait lieu de présumer qu'il n m a r c h a n t sur trois c o l o n n e s , passa la R o d e r et la Pulsnitz et alla é t a b l i r son c a m p près Q u o l s dorf. Aussitôt D a u n o r d o n n a à L a s c y de s'ébranl e r , d'observer la m a r c h e des Prussiens et de sê c a m p e r aussi près,d'eux qu'il le pourrait sans danger. L u i , de son c ô t é , suivit le R o i , et o c cupa le poste a v a n t a g e u x de H a r t a . F r é d é r i c , ayant réussi à m e t t r e l'ennemi e n m o u v e m e n t , résolut d ' a t t a q u e r , sans d é l a i , l e c o r p s de L a s c y . P o u r c a c h e r son d e s s e i n , i l envoya tout son b a g a g e du côté de la f o r ê t , R 2

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près Schweidnitz, et fit répandre le bruit qu'il allait prendre la route de Hoyerswerda. Cette ruse produisit l'effet que l'on s'en promettait. Daun se persuada que le Roi était décidé à marcher en Silésie , et il se hâta de s'assurer du chemin qui conduit de Bautzen à Gôrlitz. En attendant, l'armée du Roi tourna à droite, pour attaquer l'aîle gauche de L a s c y , posté près Leichtenberg. Lascy n'attendit pas qu'on vînt l'attaquer, niais se replia, avec la plus grande précipitation , sur l'armée de Daun. Frédéiûc , voyant donc ses ennemis échapper à la vengeance qu'il méditait, pour laver l'humiliante défaite de Landshut, tira de nouveau à gauche et se campa près le cloître de Marienstern. Aussitôt que le Roi eut dirigé sa marche de ce côté, Lascy s'avança , de nouveau } jusqu'à Bisehofswerda. D a u n , constamment occupé a devancer les Prussiens, vola vers Reichenbach, ayant laissé le général Ried près Bautzen, pour entretenir la communication avec le corps de Lascy. Sur la nouvelle que le Roi venait de se camper au même endroit où il avait établi son camp après la bataille de Hochkirch et d'où il était parti alors pour exécuter sa marche savante en Silésie, Daun quitta incessamment Reichenbach. Il continua sa marche ,, sans accorder un seul jour de repos à son armée, jusqu'à ce qu'après avoir passé la Queiss, près

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N a u m b o u r g , il eût posé son camp près Ottendorf. Ayant ainsi opéré sa jonction avec Laudon et fermé le chemin de la Silésie au R o i , Daun avait atteint son b u t , et ce fut alors seulement qu'il crut pouvoir entreprendre, sans aucun r i s q u e , le siège de Glatz. 11 en chargea le général Harsch. Cependant, le corps de Lascy se trouva alors exposé au plus grand danger.' Ce corps était destiné à côtoyer le Roi et à l'observer, et il était déjà en marche pour Bautz e n , lorsque L a s c y , apprit que l'armée Prussienne était dans le voisinage , qu'elle occupait Bautzen, et que Ried lui avait échappé en se retirant à Weissenbourg. Jusques-làFrédéric s'était encore flatté, peutêtre de gagner les devans sur D a u n , ne fut-ce que d'une journée de m a r c h e , attendu qu'il avait pris la même route qu'en 1708. Mais il perdit tout espoir d'atteindre les Autrichiens , lorsqu'il apprit que leur grande armée s'approchait déjà des rives delà Queiss. A l'instant même il renonça au projet de passer la Sprée, près Leichnam ; il ordonna à ses colonnes de tirer à droite et vers Bautzen. Lascy se trouvait entièrement coupé au moyen de cette manœuvre rapide, et le Roi résolut de tomber avec toutes ses forces sur l u i , pour assiéger ensuite Dresde et parvenir ainsi à l'un des buts qu'il s'était proposé dans son plan d'opérations. R 5

26a G U E R R E DE S E P T ANS. Lascy voyant que les Prussiens lui avaient fermé le chemin de Bautzen, s'arrêta près RothJNauselitz , d'où il fit inquiéter sans relâche, par ses uhlans , les postes avancés des Prussiens. Dans la double intention de les réprimer et de faire en même tems une reconnaissance , Jje Roi se mit à la tête du piquet et marcha à la rencontre des uhlans. 11 ordonna , en même tems, au général Ziethen de le suivre avec deux régimens de dragons et trois cents liussards. M a i s , sans imiter le sang-froid que le prince Henri avait montré l'année précédente', clans une rencontre du même genre, il n'eut pas la patience d'attendre que ce petit détachement fût rassemblé, et courut, à la tête du piquet, attaquer les uhlans. Il réussit, à la vérité , à les repousser jusqu'au village de Gôdau, Aussitôt la cavalerie de Lascy s'ébranla pour soutenir ses postes avancés. Ne voyant devant soi qu'une très-petite troupe, elle l'attaqua, la renversa sans difficulté, et elle en aurait eu bon marché, si les dragons de Normann n'étaient accourus pour délivrer le piquet. Renforcée par les dragons légers de Saxe , la cavalerie Autrichienne fit une seconde attaque où elle renversa les Prussiens. Heureusement pour ceuxci , qui risquaient d'essuyer une perte très-considérable, le régiment de Czettritz arriva à tems pour comprimer l'impétuosité des ennemis. Fré-

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pas lieu de s'étonner si les Russes se retirent » incontinent à Militsch, après avoir passé la

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» Bartsch, atlendu qu'ils n'ont aucun secours » à espérer de la part des Autrichiens. » M a l gré son mécontentement, Soltikow fut assez complaisant pour établir des ponts sur l'Oder, près Auras et Leubus ; il fit même passer le fleuve à un corps destiné à empêcher la jonction du Roi et du Prince, et à poursuivre les Prussiens, supposé qu'ils vinssent à être battus. Pour satisfaire en quelque façon ses Alliés , Daun se vit enfin dans la nécessité de hasarder un combat décisif. Il aurait bien mieux, aimé l'accepter que le présenter ; mais à force de scrupules , de reconnaissances et de préparatifs , il décida Frédéric à prendre la résolution hardi« de tourner l'aîle gauche de l'armée Autrichienne^ et de rétablir, s'il était possible, sa communication avec Schweidnitz. Il n'est pas facile de décider si le Roi se flatta effectivement de gagner cette forteressé avant d'avoir épuisé sa petite provision de vivres qui ne suffisait plus qu'à substenter son armée pendant quelques jours, ou s'il espéra, au moyen de cette marche , allarmer les Autrichiens , relativement à la sûreté de leurs magasins et à leur communication avec la Bohême. V u la grande proximité des ennemis et la supériorité de leurs forces, qui les mettait à même de prendre les devans sur l u i , toutes ces espérances étaient assez chi-, xnériques. Il est plus vraisemblable que danç une

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Une situation aussi critique que la sienne l'était alors, il avait un troisième dessein, celui de tenter toutes les ressources imaginables, d'amuser son puissant adversaire , d'épier le moment d'attaquer un de ses corps détachés, et « d'imi» ter, « comme il le dit lui-même ( i ) , « la »> conduite d'un partisan qui varie sa position » toutes les nuits, pour se dérober aux coups » qu'une armée pourrait lui porter, s'il man» quait d'activité et de vigilance. » Il compta sans doute aussi sur le caractère de Daun, en prenant ce parti. Il l'avait soigneusement étudié : l'expérience de trois campagues lui avait prouvé que ce n'était point un homme de résolution, et qu'il fallait toujours beaucoup de tenis et de longs préparatifs avant de former une entreprise. Sa conduite, dans cette occasion , prouva que le RoM avait bien jugé : toutes les fois que Frédéric prenait une nouyelle position , Daun en faisait unie reconnaissance at r tentive et dressait un plan d'attaque pour Je lendemain ; mais le Roi lui échappait durant la nuit, et au moment où il arrivait pour exécuter Ses plans , il ne trouvait que le canip dont l'ennemi venait de sortir. Le Roi voulant exécuter son dessein, partit le soir de Liegaitz, et dirigea sa marche du (1) Œuvres posthumes de Frédéric, tom. I V , pag. 9 8 ,

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côté de Hohendorf. Y étant arrivé à la pointe du jour, il apprit que Lascy était posté près Prausnitz, derrière le Katzbach. Au lever de l'aurore, il aperçut que son corps s'étendait sur les hauteurs, depuis Goldberg jusqu'à Niedergrain. Pour continuer sa marche , il fallait repousser ce corps, mais il était trop avantageusement posté pour que l'on osât hasarder de passer ici le Katzbach: Lascy sentit lui-même qu'appuyé par la grande armée, il lie courait aucun Risque dans ce poste qui dominait sur tous les passages du fleuve, aussi ne leva-t-il point son camp. Fi'édéric tira donc du côté de Goldberg, et il réussit non-seulement à y passer lé fleuve, mais encore à s'emparer d'une partie des bagages ennemis, que l'on croyait en pleine •sûreté dans ce lieu. La marche inattendue des -Prussiens obligea Lascy à se retirer sur la route de Jauer. Le Roi se mit. en grande diligence à le poursuivre ; mais le terrein fort coupé ne lui permit pas de s'avancer plus loin que Seichau. Dans ces entrefaites, l'armée de Daun élait accourue au secours du corps de Lascy ; mais le trouvant en sûreté , elle se posta derrière la Neisse , et oecupa , en même tems, les hauteurs prè's Hermsdorf, au moyen de quoi elle fermait entièrement au Roi le chemin de Schweidnitz par Jauer. Laudon, de son côté, se posta aux lieux que la grande armée venait de quitter.

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Frédéric se vit donc de' nouveau dans l'impossibilité de gagner Schweidnitz; ayant poussé si loin, il voulut tenter de se rendre à Landshut parles montagnes, pour arriver de là à Schweidnitz ; maïs les espions qu'il détacha , trouvèrent tous les passages occcupés par le corps de Beck j et Daun , allarmé par l'aparition des Prussiens près Seichau, avait envoyé le général Lascy à Bolkenhayn, ce qui fit échouer le dessein du Roi. Les corps postés en avant de la Neisse occupèrent la position que Lascy venait d'abandonner , et Daun rangea toute son armée en bataille pour protéger leur marche. Les Prussiens en conclurent qu'il se disposait à lés attaquer , et le camp de Seichau ayanf"plus d'un côté faible, le Roi se retira sur quelques hau« teurs situées en deçà, se préparant à opposer aux ennemis une résistance vigoureuse. Mais Daun se borna à faire, avec beaucoup d'appareil, une simple reconnaissance. Frédéric voyant qu'il ne pourrait veinir à bout de son projet, résolut de lever son camp Vers le soir, et de repasser le Katzbach. L a proximité de l'ennemi rendait cette marche trèspérilleuse , et elle aurait pu entraîner après elle les suites les plus fâcheuses, la colonne que le duc de Holstein conduisait, s'étant écartée durant la nuit du chemin qu'elle devait suivre, et s'étant mêlée daus la marche des autres colon,*

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n é s , où Ton ne put rétablir l'ordre qu'à la pointe du jour suivant. Daun aurait eu bon marché des Prussiens, s'il avait eu as&ez de résolution pour profiter d'un moment si favorable. M a i s , quoiqu'il fût instruit de leur d é p a r t , il ne daigna pas faire la moindre démonstration contre e u x , et se borna à détacher quelques croaies et quelques hussards } q u i , se glissant dans les forêts, firent quelques prisonniers, et prirent 4 e u x canons trop mal attelés pour suivre l'armée. L e Roi se mit en m a r c h e de g r a n d matin vers L i e g n i t z , et regagna , sans perte , $on ancien c a m p , quoique L a u d o n f î t j o u e r , avec vivacité , contre l u i , les batteries qu'il avait dressées près Kossendau et Dohnau. L'armée Autrichienne opéra également sa retraite et r e prit , ainsi que les corps détachés, ses anciennes positions derrière le Katzbach. Ce fut ainsi que plusieurs jours s'écoulèrent en marches savantes, sans que l'on en vînt à aucune entreprise de conséquence. Tout à-coup 011 parut méditer un dénftuement prochain.Daun sentit qu'il était tems e n f i n , de tenir sa p r o m e s s e , et de frapper un coup décisif. 11 n'y avait guères m o y e n de différer e n c o r e , Soltikow ayant eu la complaisance de faire passer l'Oder à un corps de vingt mille h o m m e s , sous les o r d r e s de Czerttitschew, pour couvrir les derrières d e L a u d o n , aux sollicitations duquel il avait cédé»

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Daun fit donc la disposition d'une attaque générale. Son but principal était d'investir, de toutes parts, l'armée Prussienne campée prcs Liegnitz, de lui fermer le chemin de l'Oder, et même la retraite sur Glogau. Pour cet effet,-l'armée et ses corps détachés devaient s'ébranler, au déclin du j o u r , pour arriver de grand matin, le jour suivant, à leur destination. Lascy avait ordre de tourner la droite des Prussiens. Laudon était destiné à passer le Katzbach près Furthniuhle , et h prendre le Roi à revers, en se postant sur les hauteurs de Pfaffendorf, pendant que Daun attaquerait en ligne oblique son aîle droite. Quant à Frédéric, sa situation devenait de jour en jour plus critique. Son armée n'avait du pain que pour trois jours, et il était par conséquent absolument nécessaire de songer à l'approvisionner. L e chemin de Breslau était fermé. Il lie lui restait donc autre chose à faire que d'envoyer tous ses fourgons à Glogau, pour y chercher du pain , de faire une tentative pour marcher sur Parchwitz , et supposé qu'il ne réussît point à gagner Breslau par la rive gauche de l'Oder, de passer ce fleuve, et d'y rétablir à tout prix sa communication avec le prince Henri. L'ordre de partir , le 14 de grand matin, avait été donné en conséquence à l'armée ; mais vu la proximité des ennemis, et l'absolue nécessité de leur cacher ses desseins, le Roi changea T 5

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d'avis, et ordonna que l'on ne se mît en marche que vers le soir. Divers mouvemens dans le c a m p e n n e m i , une reconnaissance surtout que Daun fit, selon sa coutume , et la nouvelle q u e Czernitschew venait de passer l'Oder , firent croire au R o i que l'on se proposait de l'attaquer avec des forces très-supérieures aux siennes, et que l'on ne songeait à rien moins qu'à l'écraser. C'est à quoi il ne pouvait s'exposer, d'autant plus que sa position de L i e g n i t z , et surtout celle de l'aile.droite, n'était rien moins qu'avantageuse. C o m m e il avait d'ailleurs formé déjà le dessein d'échapper encore à son formidable adversaire , il donna aussi de son côté tous les ordres r e latifs à la retraite au delà des bords du SchvrarlZ' wasser. M a i s , pour prévenir les méprises et [les désordres qu'une marche nocturne pouvait aisément occasionner , il alla lui-même reconnaître les hauteurs de Pfaffendorf, avec tous ses G é néraux , pour leur indiquer les postes qu'ils devaient occuper durant la nuit. Les b a g a g e s et la réserve passèrent vers le soir le Schwartzwasser, et à l'entrée de la nuit l'armée se mit en marche sur quatre colonnes, pour occuper la position qui lui avait été assig n é e , entre les m o n t a g n e s , dites PJ^olfsberg et Glasberg. L e passage du Schwartzwasser s'exécuta très-heureusement ; mais l'obscurité de la nuit occasionna quelques désordres daus la ma-

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nière dont 011 se posta. Us furent augmentés par les changemens que le Roi apporta à son ordonnance primitive , pour l'adapter davantage à la position des ennemis , autant qu'il put en juger du sommet des montagnes, d'après les feux de leur camp. Le colonel Kleist et le major D y herrn , aides - de - camp du R o i , se donnèrent beaucoup de peine pour rétablir l'ordre. L e silence profond, qui a coutume de présager en guerre les grands évènemens,régnait dans l'armée. Une partie des guerriers attendait avec impatience le lever de l'aurore, les autres d o r maient sous les armesr. L e Roi s'étant enveloppé de son manteau , é^ait assis près d'un petit f e u , au milieu de ses soldats , et il sommeillait , comme jadis Alexandre, avant la bataille d'Arbèle. L'armée devait, à la première pointe du jour, continuer sa marche vers Màrschwitz ; mais avant même le lever de l'aurore , le major H u n d , qui avait fait une reconnaissance, vint avertir le Roi que les ennemis s'approchaient, et qu'ils n'étaient plus qu'à la distance de quatre cents pas. C'était le corps de Laudon qui était en pleine marche pour gagner les hauteurs de Pfaffendorf, et prendre à revers les Prussiens que l'on croyait encore dans leur ancien camp près Liegnilz. Conformément aux ordres de D a u n 3 Laudon T 4

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avait passé, durant la n u i t , le Katzbach près Furthmuhle et Pohlschildern.Sur la nouvelle que le bagage prussien se trouvait au sommet du T o p f e r b e r g , il avait espéré le surprendre et s'en e m p a r e r , ainsi que du détachement qui en avait la garde ; et pour mieux couvrir sa m a r che , il s'avançait sans a v a n t - g a r d e . A la tête de sa r é s e r v e , pourvue d'un grand n o m b r e de canons , et qui avait devancé ses colonnes, il se pressait d ? aller faire une si bonne capture. Quelle ne fut pas sa surprise , lorsqu'il trouva les hauteurs sur lesquelles il comptait s'étendre» déjà occupées par l'infanterie Prussienne, et lorsqu'il essuya une décharge meurtrière de mousquetterie! Cependant il ne se décontenança p o i n t , et se comporta, au contraire, en m i l i taire habile. N'étant plus à même de se r e t i r e r , il rangea sa réserve avec beaucoup de célérité, dressa ses batteries, et attaqua très-vigoureusement les petites hauteurs défendues par les Prussiens ; mais il fut repoussé et obligé de se replier sur ses colonnes qui étaient encore assez éloignées. Surprise de la décharge inattendue d'artillerie et dé mousquetterie , elles attendaient les ordres ultérieui's de Laudon , et la colonne qui devait traverser Panten , et c o n tinuer ensuite sa m a r c h e , s'était même arrêtée dans ce village qu'elle se contenta d'occuper. Cette circonstance heureuse permit à la seconde

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ligne Prussienne de s'étendi*e davantage , et d'ouvrir un passage à fa cavalerie qui avait pris les devans, et qui alla alors se poster derrière l'infanterie. Pendant ce tems, Laudon avait fait avancer un renfort d'infanterie qu'il tira de la colonne du milieu, et il renouvela son attaque ; mais le terrein qu'il occupait ne lui permit de faire qu'un front de cinq bataillons, et les Prussiens attaquèrent cette ligne qui fut aussi renversée. La cavalerie de son aîle droite fut plus heureuse ; elle culbuta les dragons Prussiens de l'aile gauche et les poursuivit avec beaucoup de vivacité j mais arrêtée par un régiment de cavalerie qui accourut à toute bride , elle fut rechassée à son tour et dispersée dans les marais de Schonborn. Laudon s'efforça alors de remettre en ordre son infanterie battue; il fît avancer des bataillons de troupes fraîches et lira à droite pour tourner l'aile gauche des Prussiens. Ceux-ci firent une manœuvre opposée , qui déjoua de nouveau les desseins de Laudon. 11 hasarda, à la vérité, une nouvelle attaque, mais elle fut aussi infructueuse que les précédentes. La cavalerie du Roi profita de ce moment ; elle fondit sur les b a taillons ennemis et en fît un horrible carnage. Après tant d'attaques réitérées et toujours malheureuses, et Laudon ayant perdu b e a u coup d'hommes et de canons, il était a présumer

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qu'entièrement découragé, il songerait à la retraite ; mais les revers qu'il venait d'éprouver ne firent qu'augmenter son courage. Il fit des efforts incroyables pour regagner le terrein perdu. Sa cavalerie s étant ralliée, réussit à enfoncer quelques bataillons Prussiens; mais ce même régiment de Bernbourg j que le Roi avait traité si cruellement à Dresde, réprima l'impétuosité de la cavalerie Autrichienne et y occasionna un désordre si grand, qu'elle fut dispersée , se précipita sur l'infanterie et l'entraîna dans sa fuite vers les bords du Katzbach. Tandis que les affaires en étaient à ce point à l'aîle gauche des Prussiens, l'aîle droite demeura immobile sur les hauteurs entre Humraeln et Pfaffendorf. Les généraux Ziethen et Wedel la commandaient, et elle était destinée à faire tête à la grande armée ennemie, dont on apercevait les colonnes en deçà de Liegnitz. Mais l'aile gauche ayant été obligée de tirer constamment à gauche pour empêcher l'ennemi de la tourner, il y avait au centre de la ligne un grand vide qui n'était rempli que par une division du régiment, dit Vieuoc-Brunsvic. La colonne ennemie postée derrière Panten, aurait pu profiter de cette circonstance et rendre l'issue du combat très-douteuse , si les Généraux qui la commandaient avaient su montrer plus de résolution. Mai« ils se bornèrent à tomber

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sur la division du régiment de Brunsvic , qu'ils firent prisonnière. Ils laissèrent au général Wedel le tems de remplir le vide du centre, en y postant sept bataillons. Ils n'opposèrent qu'une iaible résistance au colonel, aujourd'hui feldmaréchal Mollendorf, q u i , à la tête de deux divisions , seulement d'un bataillon des Gardes, chassa les Autrichiens du village et y mit le feu. Alors la déroule de ces derniers fut générale. Laudon, protégé par une batterie de plusieurs canons qu'il avait établie à Binowitz , se retira cependant en bon ordre au delà du Katzb a c h , après avoir laissé plus de dix mille hommes , tant morts que blessés, sur le champ de bataille. Les Prussiens firent fix mille prisonniers et s'emparèrent de quatre - vingt - deux canons. L a victoire du Roi aurait été plus brillante encore , si les circonstances lui avaient permis de poursuivre l'armée de Laudon après l'avoir battue j mais celle de Daun étant arrivée près Liegnitz, il élait à présumer qu'elle livrerait aux Prussiens une nouvelle attaque. Daun s'était approché durant la nuit, en vertu de sa disposition, des bords du Kalzbach; s'attendant à trouver encore les Prussiens dans leur ancien camp, il fit attaquera la petite pointe du jour le village de Schimmelnitz par ses croates. Ils s'étonnèrent de le trouver abandonné, et cependant ils ne se hasardèrent pas à pousser plu»

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loin, jusqu'à ce que le silence qui régnait dans toute la contrée leur prouva que les Prussiens l'avaient quittée. L e général Ried porta cette -nouvelle de grand matin à D a u n , qui fut stupéfait d'apprendre que l'ennemi qu'il se propo« sait d'écraser lui avait échappé. Cette circonstance imprévue l'obligea à changer ses mesures. Il résolut d'abord de mai'chcr au secours de L a u d o n , supposé qu'il en fût venù aux mains avec l'enuemi. U ignorait et la bataille qui s'était livrée, et l'échec que Laudon avait reçu ; un vent contraire et très-impétueux l'avait empêché d'entendre même le bruit du gros canon. Il ordonna donc à son armée de passer incessamment le K a t z b a c h ; mais il fallut du tems pour établir les ponts , si bien que l'avant-garde ne déboucha Liegnitz qu'à cinq heures du m a tin } et lorsque la bataille était déjà perdue. Unë épaisse fumée que Daun aperçut de loin , lui fit penser qu'on venait de se battre. Il ne sut donc quel parti prendre, et ses irrésolutions augmentèrent lorsqu'il trouva l'aîle droite des Prussiens rangée en ordre de bataille derrière le Schwaitzwasser. Enfin , il fit occuper Liegnitz parle corps du général Ried , ordonna à trente escadrons de passer le Schwartzwasser, se préparant à les suivre avec toute son armée , pendant que Lascy passerait le ruisseau plus haut, pour prendra

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le Roi à revers. Mais ces premiers mouvemens ne réussirent point au gré des vœux du F e l d maréchal. L'événement lui prouva, d'une m a nière bien cruelle, que c'était une manœuvre inconsidérée de faire, passer le ruisseau à trente escadrons , sous les yeux d'une infanterie trèsavantageusement postée. Au moment oix Ziethen les aperçut, il fit jouer sur eux toute sa crosse arlillerie. La cavalerie Autrichienne ne o put même en venir à se ranger, et prit la fuite avec la plus grande précipitation. L a s c y , de son côté, chercha vainement un pont. Il était impossible d'en établir, à moins d'élever des chaussées dans cette contrée marécageuse; et l'o.n n'était rien moins que préparé à une opération d'ailleurs très-lente. Une partie de ses hussards seulement trouva un gué au dessus de .Ober-R_ustern , et l'ayant..traversé, elle attaqua' vigoureusement les bagages du Roi près Hummeln. Mais le capitaine Prittwitz, qui les escortait à la tête de la compagnie de grenadiers des Gardes, repoussa leurs attaques , et il sauva de cette manière tout l'équipage de campagne et plusieurs effets précieux du Roi. A l'approche de l'ennemi, le ministre d'Angleterre, Mitchel et M. Eichel, conseiller intime du R o i , se crurent perdus, et ils se hâtèrent de détruire tous les papiers de conséquence dont ils étaient d é positaires.

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L a contenance des Prussiens, la déroute de Laudon et les obstacles insurmontables qui s'opposaient aux opérations de L a s c y , prouvèrent à Daun que son plau était entièrement inexécutable., et il se décida à reprendre son ancienne position. Au moment de sa retraite, le Roi se vengea de l'empressement avec lequel Daun avait célébré, dans le camp de Reichenbach , la déroute de Fouquet. Il ordonna de même à ses troupes de faire, en réjouissance, une triple décharge. Elle humilia l'orgueil des Autrichiens, très-mécontens de leur Général, et procura au Roi la satisfaction de p u n i r , dans ce j o u r , le vainqueur de L a n d s h u t , et de payer au Feldmaréchal ses réjouissances en même monnaie. L a bataille de Liegnitz fait époque dans l'histoire de la guerre de sept ans. Soit que l'on eu envisage les causes, les détails ou les suites, elle est digne de figurer à côté de celles de Leuthen et de Torgau. Elle fut tout aussi meurtrière , tout aussi honorable pour le R o i , &t n'influa pas moins que ces deux autres batailles > à donner aux affaires une tournure aussi avantageuse qu'inattendue. L'on trouve néanmoins-, dans les écrits du tems, des jugemens si opposés sur cette bataille et sur la conduite des Génér a u x , que je me crois obligé de soumettre à l'examen du p u b l i c , quelques observations tendantes à rectifier ces jugemens.

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Il est incontestable que la situation du R o i , avant la bataille de Liegnitz, était fort critique et beaucoup plus fâcheuse même que celle où il setait trouvé antérieurement à la bataille de Leuthen. 11 est vrai qu'à cette dernière époque ses armées avaient été battues; il est vrai que deux forteresses de Silésie étaient tombées a u pouvoir des. ennemis, et qu'ils lui opposaient une armée tout aussi nombreuse que celle qui attaqua à Liegnitz. Mais, alors, il revenait de la Saxe en vainqueur ; la gloire de ses triomphes le devançait, et l'orgueil téméraire de ses ennemis lui présageait des triomphes nouveaux. D'ailleurs, la saison des combats était prête à finir, et supposé même qu'il eût été b a t t u , sa défaite n'eût pas entraîné après elle des suites bien graves. Alors, au contraire, Daun agissait avec la plus grande circonspection ; il choisissait toujours des postes inexpugnables , pour couper au Roi toute communication avec ses principaux magasins et avec l'armée de son Frère, et il se gardait constamment de donner prise sur soi. Il n'y avait donc pas moyen de songer à hasarder ici quelque entreprise audacieuse, dans le genre de celle que l'on avait osé tenter à Leuthen. Sans compter que Daun fut bien éloigné de montrer une témérité pareille à celle du prince Charles de Lorraine , Ja campagneli'étaitqu'à moitié écoulée ; soixante

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mille Russes étaient dans le voisinage , et si îe R o i venait à être b a t t u , la ruine de son a n n é e , et celle du prince H e n r i devenait aussi infaillible que la perte de la Sile'sie. T e l était aussi le but que D a u n se p r o p o s a i t , et nous avons indiqué les moyens qu'il employa pour y pax^venir. L a catastrophe la plus funeste aurait consommé les malheurs de F r é d é r i c , s'il n'avait su échapper^ à ses ennemis avec la plus haute p r u d e n c e , et si un hasard heureux ne lui avait procuré les moyens d'enchaîner la fortune après tant de revers. J e dis un hasard heureux ; c'est p o u r répondre à l'asserlion, tout-à-fait dénuée de f o n d e m e n t des Autrichiens, q u i , pour excuser le mauvais succès de leur entreprise, prétendirent que le Roi avait été averti par trahison des projets de D a u n , et a v a i t , en conséquence, opposé toutes ses forces à Laudon. Il est vrai que la veille de la b a t a i l l e , u n Officier déserteur des Autrichiens vint au quartier-général et voulut à toute force parler au Roi ; mais, c o m m e il était pris de v i n , on ne put le lui présenter; lors m ê m e qu'on eût employé toutes sorte« de moyens pour le faire revenir promptement de son ivresse , on ne put tirer de. lui autre chose , sinon « que », toute l'armée de D a u n était en mouvement. » L e Roi fît d'autant moins d'attention à sa déposition , qu'il avait déjà précédemment résolu de passer le Schwartzrwasser pendant la n u i t , et de

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de marcher, à la pointe du j o u r , du côté de Parchwitz ou de Steïnau - sur - l'Oder. L a position même qu'il fit prendre à son armée durant la nuit, prouve qu'il ignorait absolument la marche de L a u d o n , et qu'il n'était nullement préparé à l'accueillir ; car cette position était simplement provisoire et avait pour but de s'opposer à la grande armée Autrichienne, postée derrière le Katzbach. Ce fut donc fortuitement que le Roi apprit, par le major Hund , l'approche des ennemis ; comme aussi il donna une belle preuve de sa présence d'esprit en prenant sur le champ une résolution > qu'il sut exécuter t sans donner le moindre avantage à Daun , dont il n'était pas difficile de prévoir alors l'arrivée très-prochaine. Sans la vigilance attentive de Hund , ce brave officier de hussards , qui rendit au R o i , par sa reconnaissance, un service si essentiel, il aurait pu aisément se retrouver dans une situation tout aussi critique qu'à Hochkirch. Laudon a été blâmé de même avec la,plus grande injustice par les envieux qui jalousaient le bonheur de ses armes. Ils lui ont reproché t comme une faute très - g r a v e , d'en être venu aux mains, sans attendre que l'armée de Daun vînt appuyer son attaque. Mais ce fut le hasard qui en décida, comme il décida des opérations du Roi. D'après ses instructions , Laudon devait lui couper la retraite, en occupant les hauteurs Tome IL V.

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de Pfaffendorf. Pour parvenir à ce but, il se vit dans la nécessité d'accélérer sa marche, à raison du détour qu'il avait à faire. Il l'accéléra encore davantage , lorsqu'il apprit que les bagages Prussiens se trouvaient sous une escorte trèsfaible sur la rive gauche du Schwartzwasser. L e désir d'arriver à tems pour faire une si bonne capture , l'engagea à devancer rapidement ses colonnes à la tête de sa réserve , qu'il croyait très-suffisante pour porter ce coup. Sa surprise fut extrême , quand il se trouva inopinément vis-à-vis des Prussiens ; mais l'obscurité nie lui permettant pas de distinguer s'il avait en face l'armée entière , ou une simple division détachée , il crut qu'il pourrait réussir encore à gagner les hauteurs. D'ailleurs une retraite précipitée, sous les yeux et sous le canon de l'ennemi, lui paraissant dangereuse, il résolut, en capitaine habile et actif, de profiter, par un coup hardi, de l'occasion qui se présentait, sans laisser aux Prussiens le tems de se rànger tout-à-fait en ordre de bataille. S'il ne réussît point, il faut d'autant moins l'en blâmer, qu'il rencontra une multitude d'obstacles auxquels il ne pouvait guères s'attendre ; et le hasard l'ayant engagé dans un combat, il crut qu'il serait honteux de s'y soustraire, sans avoir au moins essayé la résistance qu'il pourrait opposer à l'aide des deux premières colonnes qu'il

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fit aller à l'ennemi. D'ailleurs la position des Prussiens manquant encore d'un point d'appui bien sûr , n'était rien moins qu'inexpugnable, et Laudon pouvait se flatter que Daun et Lascy soutiendraient son attaque. Aussi est-il très-vraisemblable qu'un succès moins brillant aurait couronné les efforts de la seconde ligne des Prussiens , si les Généraux qui marchaient à la tête des autres colonnes Autrichiennes eussent montré la même activité que Laudon. Désespéré d'être la victime des évènemens fortuits qui avaient déjoué la disposition de Daun, Laudon ne se retira au delà du K a t z b a c h , qu'au moment où il vit l'espoir du secours qu'il attendait de la grande armée déçu , et ses propres forces entièrement épuisées. Sa défaite inspira un intérêt général. L a C o u r , le public et l'armée le plaignirent et l'excusèrent ; ses ennemis couverts ne purent s'empêcher de compatir euxmêmes à son sort. M a i s , si l'échec qu'il reçut à Liegnitz ne porta aucune atteinte à sa réputation , il ne laissa pas de faire une impression fâcheuse sur plusieurs Généraux , et d'influer dans la suite sur le mauvais succès de quelques opérations de l'armée, où l'on désapprouvait généralement, quoiqu'en secret, la conduite de Daun dans cette occasion (1). ( 0 L'Auteur de l'ouvrage sur Les rapports qui subsistent

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Même après la déroute de Laudon , Daun joint à Lascy, avait sans doute encore des forces entre l'Autriche et la Prusse, raconte à ce sujet une anecdote remarquable. Il était employé , à l'époque dont nous parlons, dans le cor^ps du général Beck, lequel avait ordre de faire la plus grande diligence possible pour joindre Czernitschew à Neumark. Beck avait choisi l'Auteur de l'ouvrage que nous citons i c i , pour l'envoyer au Général russe, afin de lui annoncer l'arrivée prochaine des Autrichiens. ce Pendant que l'on choisissait le9 çavaliers les » mieux montés pour en composer la petite troupe qui » devait m'accompagner ; ce ( je cite les propresparoles de cet auteur, voyez tom. I I I , p. 2 1 9 de l'ouvrage susmentionné. ) » le général Beck me fit entrer dans une maison » de p a y s a n , où il me donna ses instructions relative» ment à ma mission, me chargeant de lui faire promp» tement rapport des dispositions où je trouverais Czer» nitschcw. Nous conférions ensemble, lorsque nous vî» mes entrer le colonel de cavalerie de B . , qui venait du » quartier-général de Daun , et qui nous avait porté la » nouvelle délaillée d e l à déroute de Laudon. Eh bien! » s'écria Beck, que dit-on de M. de Laudon ? — Que le » maréchal en a fait présent à M. de Lascy, répondit le » colonel, Beck n'aimait pas Laudon, qui n'avait, selon » lui, d'autre mérite que celui d'un bon capitaine de gre» nadiers. Cependant il parut touché de son malheur. Sa T> bravoure aurait mérité, dit-il, un sort plus heureux, et si r> Daun continue à faire à ses favoris des présens de ce » genre t ils pourront nous coûter cher, ainsi qu'à Vlmpéra» trice. Comme je n ai aucune envie de faire, aux dépens » de notre honneur, les frais d'un tel présent, je suis résolu » à ne point accélérer la marche de mon corps. Ce corps » n'est pas, sans doute, ausn important que celui de Lan-

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supérieures de beaucoup à celles du Roi ; cepen^ dant il y aurait de l'injustice à lui reprocher de 11'avoir pas su en profiter plus qu'il ne le fît. Pour apprécier sa conduite, il faut peser les circonstances du moment. Si Frédéric avait persisté à demeurer dans son camp, ici comme à Hoclikirch , la ruine de son armée devenait également infaillible, Quoique la méthode d'attaquer sur plusieurs points à la fois par des corps détachés soit sujette, en plus d'une rencontre , à de très-grands inconvéniens Daun avait cependant calculé sa disposition près Liegnitz, avec la même sagesse qu'à Hochkirch, et son armée étant ici beaucoup plus nombreuse qu'elle ne l'avait été à Hochkirch, la catastrophe eût été doublement funeste au Roi. Mais les Prussiens surpris à Hochkirch dans les bras du sommeil, et qui ne durent alors leur salut qu'à l'arrivée du corps de R e t z o w , et à l'extrême modération » don, mais je prévois,

d'un coté , que Czernitschew

aura

» pris le parti le plus sage , et aura passé ï Oder « Auras ; et » je suis sûr de l'autre , que si, contre toute attente, » opérens notre jonction 13 de fournir

t

nous aurons, lui et moi,

nous

l'honneur

un pendant à la malheureuse histoire de Lau-

» don. Après tout, puisque les affaires ne vont point comme » elles devraient aller,

qu'elles

» ront. Dites à Czernitschew

aillent

comme elles

pour-

qu* je suis en marche pour le

» renforcer. L'événement prouva que Beck ne se trompai? » point dans ses jugeruens , et que sa conduite, dans cette » occasion , f a t très-sage. »

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de Daun , avaient inopinément changé leur position près Liegnitz. Celle qu'ils venaient de prendre était beaucoup plus avantageuse que le camp où Daun comptait les surprendre. Le Schwartz"wasser couvrait leur front, ils étaient maîtres des hauteurs du sommet desquelles leur grosse artillerie dominait sur tous les passages de ce ruisseau , dont tous les bords sont marécageuxLa tentative , sans doute un peu inconsidérée , de faire passer le Schwartz-wasser à sa cavalerie, avait convaincu Daun de tous les dangers d'une attaque sur ce point. Lascy n'avait pu remplir sa destination , Laudon avait été repoussé avec perte. En fallait-il davanlage pour décider un capitaine naturellement aussi circonspect que Daun à épargner une effusion, tout-à-faït inutile , de sang, et à renoncer à tout projet d'attaques ultérieures ? En se montrant près Liegnitz , il avait empêché le Roi de poursuivre et d'écraser entièrement l'armée de Laudon. D'ailleurs il ne renonça point à l'espoir de fermer le chemin "de Breslau aux Prussiens, en dépit de leur victoire. Comptant que le corps de Czernitschew se trouvait encore en deçà de l'Oder, il ordonna au général Beck de marcher sans délai sur Neumark , et d'y opérer sa jonction avec les Russes, pendant qu'il le suivrait avec son armée. Il douta d'autant moins du succès de celte opération, que, d'après son calcul, il fal-

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lait au moins un jour aux Prussiens pour mettre en sûreté le grand nombre de prisonniers, de canons et de blessés qui étaient tombés erç leur pouvoir. De cette manière il se flattait de reprendre les devans sur eux, et de leur enlever le fruit de leur victoire. Mais l'événement démentit son calcul. Frédéric n'était point homme à se contenter d'un demi-succès et à abandonner une entreprise, avant qu'elle fût entièrement consommée. Il ordonna à son armée de marcher incessamment sur Parchwitz. A peine v i t - i l l'armée ennemie repasser le Katzbach , qu'il se mit aussitôt à la tête des troupes qui venaient de remporter la victoire. L'aîle gauche de son armée demeura dans le poste qu'elle occupait, et ne s'ébranla que le soir sur plusieurs colonnes, à la suite du Roi. On confia à l'une de ces colonnes la garde des prisonniers , des canons enlevés à l'ennemi, et des charriols sur lesquels ou transporta ies blessés. On usa indistinctement de la plus grande humanité envers ces derniers. L'on emporta même tous les fusils qui se trouvèrent sur le champ de bataille, chaque cavalier et chaque valet d'armée ayant été tenu d'en emporter un. La célérité avec laquelle on exécuta de cette manière le départ de l'armée , fait beaucoup d'honneur aux officiers qui furent chargés d'y présider. Au bout de quelques heures il ne reste

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sur le champ de bataille d'autres traces du combat , que les cadavres, dont on abandonna la sépulture aux paysans. Le Roi arriva à Parchwitz le jour même où la bataille avait été livrée. Nauendorf, qui s'y trouvait posté avec un petit corps, se retira, ne jugeant point à propos de disputer aux Prussiens le passage du Katzbacb. Comme il était cependant à craindre que le corps de Czernitschew, posté en deçà de l'Oder, ne fermât encore au Roi le chemin de Breslau, il eut recours à un stratagème. A force de libéralités, il engagea un paysan à se charger d'une lettre pour le prince Henri. Le paysan eut ordre de se rendre aux postes avancés des Russes, de se laisser prendre par eux , et de leur livrer la lettre, sous prétexte de sauver sa -vie. Cette lettre renfermait la nouvelle de la déroute effective des Autrichiens ; mais on y joignit le faux avis que le Roi marchait vers les rives de l'Oder, pour attaquer les Russes, de concert avec le Prince, et selon qu'ils en étaient convenus. On n'a point appris dans le tems si le paysan réussit à s'acquitter heureusement de sa commission , et si Czernitsehew fut décidé, par ce faux avis, à passer l'Oder, ou s'il prit ce parti sur la nouvelle de la victoire des Prussiens j et de leur marche sur Parchwitz, que ses patrouilles lui annoncèrent vers le soir. Quoiqu'il en soit,

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mée de Soltikow se retira , et rompit les ponts sur lesquels elle avait passé l'Oder. Alors Frédéric vola à Neumark. 11 rencontra dans sa marche le corps deNauendorf, et l'avantgarde de celui de Beck. Il les repoussa , et les obligea à ne songer qu'à leur propre sûreté. Il aperçut de loin la grande armée Autrichienne, marchant sur plusieurs colonnes; et il ne savait si ce n'était pas peut-être celle de Czernitschew, postée à N e u m a r k , pour y attendre l'arrivée des Alliés. Il fut très-indécis, dans ce moment-, sur l e parti qu'il prendrait : supposé qu'il ne réussît point à empêcher la jonction des deux a r m é e s , il fallait courir encore le risque assez grand d'une seconde bataille pour gagner Br.eslau. Ce but manqué , il fallait se retirer à G l o g a u , l'armée n'ayant plus de pain que pour un jour. Mais la fortune s'était réconciliée avec Frédéric. Il apprit bientôt, par un Officier autrichien envoyé à Soltikow, et qui avait été fait prisonnier par les Prussiens , que ses appréhensions étaient destituées de fondement. Pénétré de la joie la plus vive , à l'idée qu'après tant de fatigues et tant d'efforts, il touchait enfin au b u t , et rassuré sur la subsistance de son armée, il se campa près Neumark ; il envoya aussitôt à Breslau les prisonniers , les blessés et tous les trophées qui attestaient sa victoire. Il fit jeter un pont sur l ' O d e r , près

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Auras, pour rétablir sa communication avec le prince Henri y et accorda à son armée quelques momens de r e l â c h e , dont elle avait grand besoin après tant de travaux. C'est ainsi que la victoire de Liegnitz , et surtout l'activité avec laquelle le Roi sut en profiter, le retira de la situation la plus critique où il se fût trouvé durant le cours de cette campagne. Tout le plan d'opérations que ses ennemis n'avaient pu exécuter en deux mois, fut entièrement déjoué dans l'espace de deux jours, l a Silésie se trouva à couvert. Daun ayant n é gligé de prendre diverses^ïiesures politiques et militaires, dont il aurait pu tirer le plus grand p a r t i , et voyant tous ses projets renversés, se retira du côté de Striegau avec toute son armée, y compris ses corps détachés. Il fut stupéfait , lorsqu'il apprit que le R o i l'avait devancé à Neumark. Avec plus d'activité, il aurait pu,sans doute, l'en empêcher, et cependant il s'en prit uniquement à Czernitschewv L a retraite de ce dernier lui servit à colorer la sienne, et il alla même jusqu'à se plaindre amèrement de cette retraite , selon l u i , très-précipitée. Czernitschew fut aussi piqué de ce reproche que Soltikow était mécontent de la conduite des Autrichiens. Ce dernier ne cacha point son déplaisir au marquis de Monlalenibert. 11 lui rappela ce qu'il lui avait déjà dit à P é -

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tersbourg, concernant l'issue de cette campagne (1). Son mécontentement était d'autant plus excusable, qu'indépendamment de toutes les chose^extraordinaires qui s'étaient passées, il n'avait, depuis plusieurs jours, aucune nouvelle de l'armée Autrichienne. Daun n'avait pas jugé à propos de l'instruire à tems de la bataille de Liegnitz, et surtout du projet qu'il avait formé de fermer encore le chemin de Breslau au Roi , en agissant de concert pour cet effet avec le corps de Czernitschew ; c'est pourquoi ce dernier s'était vu dans la nécessité de quitter la rive gauche de l'Oder à l'approche des Prussiens , pour ne s'occuper que de sa propre sûreté. Au lieu de marcher en hâte sur Neumark avec toute son armée ^ Daun s'était campé près Rummernig ; et quoique Soltikow eût encore poussé la complaisance jusqu'à lui promettre de faire rétablir le pont rompu, et de tenir le corps de Czernitschew prêt à. le joindre, si les circonstances l'exigeaient, le Général en chef de l'armée Russe ne fut pas peu étonné, lorsqu'il reçut la nouvelle que c'étaient les Prussiens et (1) te L e m a r é c h a l d e S o l t i k o w m ' a dit hier , % n g r a n d e » ç o n f i d e n c e , qu'il v o y a i t a v e c p e i n e q u e c e t t e c a m p a g n e » n e serait p a s p l u s d é c i s i v e q u e les p r é c é d e n t e s . Il p r é » t e n d q u ' e l l e se p a s s e r a à s'étaler de tous les cotes, sans » rien entreprendre de part ni d'autre. » V o y e z la Correspondance de Montalemlerl, Tom, II, Lettre LX1I.

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non les Autrichiens qui venaient de gagner Neumark. Cette nouvelle acheva de l'irriter. Il avait sujet d'appréhender que le Roi et le prince Henri ne réunissent leurs forces pour l'attacher au moment où il n'avaitaucun secours à attendre des Alliés. Il perdit toute confiance en Daun , et pour échapper au péril e'minent qui le m e naçait , il résolut de se retirer provisoirement par Militsch , au delà des marais de K a n o y w a , jusqu'à ce que l'on eût concerté un nouveau plan d'opérations. Voilà comment Daun indisposa Soldltow, et il en coûta beaucoup dans la suite de l'engager à seconder les opérations des Autrichiens. L a défiance qu'ils lui inspiraient avait poussé des racines trop profondes, et ce ne fut que conditionnellement qu'ils convinrent dans la suite d'agir de concert pour exécuter les nouvelles entreprises que l'on forma. Montalembert, que nous avons déjà eu plus d'une occasion de faire connaître à nos lecteurs, fut le premier qui dressa un nouveau plan d'opérations. Cet h o m m e , à la f o i s , très-prudent et très-actif, savait apprécier le caractère du roi de Prusse. Il sentait qu'après sa jonction avec le prince H e n r i , ce Monarque serait à même de déconcerter toutes les entreprises de ses ennemis en Silésie. Il crut donc qu'il était essentiel d'aviser , avant toutes choses , aux moyens de séparer de nouveau les deux armées

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Prussiennes. Si l'on parvenait à ce b u t , Daun reprenait sa prépondérance, et il ne dépendait que de lui de terminer heureusement la campagne.MontalembertfîtdoncproposeràSoltikow, par le Général autrichien Blanquet, employé dans l'armée Russe , de marcher le long des rives de l'Oder en la descendant, de menacer Glogau d'un siège , et de hasarder une incursion dans la Marche. Soltikow parut goûter celle proposition ; mais il déclara qu'il ne s'y prêterait que si Daun engageait expressément son honneur par rapport aux mesures qu'il aurait à prendre de son côté. Les deux Généraux firent donc une convention dans les formes , et Soltikow promit de détacher un corps d'armée du côté de Berlin, dès qu'il aurait pourvu à la subsistance de ses troupes. Mais, à peine les Russes eurent-ils poussé leur marche par Franckenberg et Herrenstadt , jusqu'au delà des rives de la Bretsche, que Soltikow tomba dangereusement malade. Cependant il ne confia à aucun de ses Généraux le commandement en chef de l'armée. Cette circonstance retarda l'exécution du nouveau plan. Les Généraux russes étaient trop prudens ou trop timides pour aventurer aucune démarche, avant de connaître les dispositions du nouveau Général en chef, que lç cabinet de Pétersbourgjugerait à propos de nommer. Tout ce que Mou-

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talembert put obtenir d'eux , fut que l'armée continuerait à côtoyer, quoique très-lentement, les rives de l'Oder jusqu'à Francfort, pour faciliter au nouveau Général en chef l'invasion de la Marche. Daun déclara > de son côté , qu'il était résolu à terminer la campagne par la prise de Schweidnitz. Soit qu'il eût pesé ou non les difficultés de cette entreprise presqu'inexécutable, à moins de battre auparavant les Prussiens , il se borna à la projeter. Le Roi ne lui laissa pas le tems d'en essayer l'exécution. La retraite des Russes, la mésintelligence des deux Généraux qu'il était facile de deviner, la maladie de Soltikow, furent autant de circonstances dont Frédéric conclut qu'il n'avait plus beaucoup à craindre de ses ennemis durant cette campagne. Il attira donc à soi la plus grande partie de l'armée du prince Henri, et ne laissa que le général Goltz à la tête d'environ douze mille hommes. pour observer les Russes. Goltz les suivit, et passa l'Oder aux environs de Kôben , pour établir son camp sous le canon de G l o gau. Son arrière-garde fut attaquée dans cette occasion, p a r l e général Tottleben , et elle essuya une perte légère , Goltz n'ayant point réglé sa marche avec assez d'intelligence. Les renforts que Frédéric venait de recevoir faisant monter son armée à cinquante mille hommes, il résolut d'aller à la rencontre des

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quatre-vingt-dix mille hommes commandés par Daun. Celui-ci était posté sur la montagne, dite Pitschenberg, entre la rivière de Schweidnita et celle de Striegaw. Lascy couvrait sa droite , Laudon sa gauche , et le corps de troupes légères du général Brentano occupait le Zobtenberg, montagne où l'on avait élevé de grands retranchemens et qui couvrait le front de l'armée. Cette position assez étendue fermait aux Prussiens le chemin de Schweidnitz^ et Daun était à même de se porter de son camp sur tous les points menacés d'une attaque. Cependant le Roi sut parvenir à son but par de savantes manœuvres „ dont le succès fut d'autant plus brillant, que Daun manqua de résolution pour prévenir à tems les desseins de son adversaire. Rien n'eût été plus facile, attendu qu'il pouvait marcher toujours en ligne droite, pendant que les Prussiens étaient obligés à décrire un demi-cercle. Il est vrai que leurs démonstrations du côté du Zobtenberg lui firent croire qu'ils se proposaient de gagner Schweidnitz par la grande route qui conduit de Breslau à cette ville. 11 se disposa en conséquence à défendre le poste du Zobtenberg, jusqu'à la dernière «xtrémité. Non content de la faire occuper par Lascy, il détacha encore plusieurs divisions de son armée , pour appuyer le corps de Lascy. Mais Frédéric, ne voulant point hasarder l'at-

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taque d'un poste inexpugnable, le tourna dans l'intention de marcher sur Schweidnitz par la plaine de Reichenbach. Il exécuta cette opération avec une prudence consommée. Il se campa sous les yeux de l'ennemi entre Grunau et Ptscheideritz , pour exciter l'attention de Lascy , et pendant que ce dernier se croyait menacé d'une attaque, le Roi décampa vers le soir. A dix heures, son avant-garde avait gagné déjà le défilé de Langenseifersdorf, et par conséquent la plaine de Reichenbac, d'où le Roi s'avança sans délai vers Röltschen et de là vers Schweidnitz. Cette belle inarche occasionna de grands mouvemens dans l'armée ennemie. Elle abandonna non-seulement le Zobtenberg , mais aussi,tous les postes qu'clleavaitoccupés jusquesl à , pour prendre üne nouvelle position derrière Schweidnitz au pied des montagnes, laquelle s'étendait de Burkersdorf jusqu'à Hohenfriedberg. Jusques-là, Daun avait été la dupe des marches ingénieuses et rapides du R o i , et le siège de Schweidnitz devenait impossible, supposé que le Feld - maréchal eût effectivement formé le dessein de l'entreprendre, ce qu'il est assez difficile de décider. Mais de ce moment il recommença à signaler ses talens pour la guerre de postes, à laquelle il s'entendait si bien. Les montagnes la favorisaient singulièrement. L e

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Roi eut beau essayer les manœuvres les plus hardies et les plus sages pour le tourner, tantôt adroite, tantôt à gauche, et pour l'alarmer sur le transport de ses vivres et sur sa communication avec la Bohême , toutes ces tentatives furent infructueuses : plus Frédéric montrait d'acharnement et même de témérité, plus Daua redoublait d'attention pour déjouer toutes ses entreprises. Les deux armées passèrent plusieurs jours à marcher d'abord en avant, puis en arrière ; ces marches occasionnèrent de petites escarmouches et de fortes canonnades, jusqu'à ce qu'enfin les armées s'enfoncèrent si bien dans les montagnes, qu'elles se trouvèrent placées l'une vis-à-vis de l'autre dans des postes- inexpugnables, et o ù j de part et d'autre, l'on ne jugeait pas à propos de hasarder des attaques. Elles demeurèrent, durant-quelques semaines, dans ces positions où l'art vint au secours de la nature pour les fortifier. Fatiguées même d e la petite guerre, où l'on aurait sacrifié tous les jours des hommes en pure perte, elles finirent par demeurer fièrement, l'une en présence de l'autr,edans l'inaction la plus complet.e Frédéric se flattait que l'approche de l'hiver obligerait les Autrichiensà quitter les montagnes, et Daun comptait sur les opérations des Russes. Cet espoir du Feld-maréchal ayant été trompé à raison du mécontentement que ses procédés Tome IL X

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avaient inspiré aux Russes, il se trouva dans une sityiation de jour en jour plus embarrassante. Ses magasins étant à la distance de quelques milles, il fallait faire transporter les vivres , très-péniblement, par des chemins détestables ; tandis que les Prussiens se trouvaient dans le voisinage de Schweidnitz. Il y allait de sa réputation de terminer cette campagne d'une manière si peu glorieuse. Supposé qu'il se vît obligé même à se retirer en Bohême , celte retrai te , spt»s les ye\jx de l'ennemi, était fort périlleuse. Il lui importait donc infiniment d'engager les Russes à faire une diversion qui occupât ailleurs les forces du Roi. Il avait déjà entièrement essayé de les déterminer à faire le siège de Glogau, en promettant de leur fournir les munition» ainsi que l'artillerie nécessaire, et d'envoyer Lascy à la tête de quarante mille hommes pour couvrir le siège. Les Russes avaient accédé à cette proposition ; mais les marches savantes de Frédéric ayant empêché Daun de tenir sa promesse, il avait chargé le général Blanquet de porter l'armée Russe à passer l'Oder, près Sleinau, et à occuper les rives du Katzbach, espérant de retenir par-là ses Alliés en Silésie, et d'obliger 1(3 Rqi à prendre des mesures relatives à la sûreté de Breslau. Laudon avait même promis aux Russes, supposé qu'ils prêtassent l'oreille ^ux prières de D a u n , de tourner l'aîle droite

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des Prussiens avec un corps de vingt-cinq mille hommes et d'aller joindre les troupes Alliéer. Mais leurs Généraux n'avaient point goûté ce projet. Fermor, auquel Soltikow avait provisoirement confié le commandement en chef durant sa maladie, était aussi peu disposé que Czernitschew à entrer dans les vues de Daun. On les avait noircis l'un et l'autre auprès de l'impératrice Elisabeth , par des imputations dont ils avaient été extrêmement irrités. Ils n'étaient pas non plus étrangers aux intrigues et awc factions de la Cour, qui avaient souvent influé sur leurs déterminations. Le Ministère autrichien s'en était plaint à Pétersbourg; cette circonstance n'était rien moins que propre à leu,r inspirer beaucoup d'empressement à ser« vir la cause de leurs Alliés. L'on ne s'étonner^ donc point de leur obstination à rejeter un plan qjii sç. trouvait en contradiction avec celui qu'ils venaient d'adopter et dont ils avaient commencé déjà à préparer l'exécution. Fermor sa,isit avec joie cette occasion de venger des injures per* sonnelles, sans s'exposer lui-même à la moin« dre responsabilité. Il feignit de s'intéresser vivement au succès des entreprises projetées j mais il fit semblant de n'avoir pas bien compris la proposition relative au passage de l'Oder et à l'occupation des rives du Katzbach. Laudon n'avait, pas déclaré expressément si l'on rçnonX 3.

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çait au plan d'assiéger Glogau. Fermor insista donc sur ce- premier plan, et promit d'en presser l'exécution , du morne ai où la grosse artillerie etles quarante mille hommes destinés à couvrir le siège arriveraient à son armée. Il savait très - bien que Daun était hors d'élat de tenir sa promesse et de se passer du corps de Laudon. De cette manière, la jonction des Autrichiens et des Russes n'eut point lieu, et ces derniers se défiaient beaucoup trop de leurs Alliés pour desirer sérieusement leurs secours, jusqu'à c e qu'enfin, après beaucoup de négociations, le cabinet de Pétersbourg sanctionna l'invasion d e la Marche. Quelque exprès que fussent les ordres donnés à F e r m o r , relativement à cette expédition, s a répugnance extrême à agir dé concert avec les Autrichiens le porta à la différer. 11 déclara donc qu'il ferait marcher son armée sur Crossen, le long d-es l'ives de l'Oder , voulant détacher d e Crossen un corps d armée vers Berlin. Cette manière d'aller au but par un détour , prouve le déplaisir que Fermor ressentait de se voir forcé à obéir aux ordres de sa Cour. Cependant Montalembert ayant représenté . avec beaucoup de sagesse , q u e la marche projetée permettrait aû général prussien Goltz, posté près G l o g a u , de gagner Berlin avant les Russes , par Guben et Beeskow ; et D a u n , qui se trouvait, ainsi que

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nous l'avons vu , dans la situation la plus critique, ayant joint ses sollications pressantes à celles de Montalembert, Fermor détacha vers Berlin le général Tottleben, à la tète de trois mille hommes de troupes régulières et de toutes les troupes légères. Celui-ci marcha en grande diligence par Guben et Beeskow. Czernitschew le suivit, avec l'avant-gai d e , jusqu'aux bords de la Sprée. L'armée gagna Guben en trois marches j et le général Romautzow conduisit une division détachée du côté de Crossen, pour assurer la communication avec les magasins et couvrir le transport des convois. Ce plan d'opérations causa la joie la plus vive au feld-maréchal Daun ; et pour ôter aux Russes tout prétexte de s'en écarter, il ordonna à Lascy de les suivre avec un corps de quinze mille hommes et de diriger également sa marche sur Berlin par la Lusace. Il espérait que l'invasion de la Marche contraindrait le Roi à s'éloigner de lui „ après quoi il pourrait prendre ses mesures en conséquence de celles d'un adversaire dont la proximité lui était si fort à charge et qui l'avait tenu en quelque façon enchaîné dans les montagnes. Mais Frédéric trompa son espoir. Quoiqu'alarmé du péril qui menaçait sa résidence , il crut que l'incursion dont ses ennemis venaientde former le projet n'entraînerait, pas après elle des suites plus fâcheuses que celle X 5

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guerre

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de Haddick, en 1757. Il comptait sur l'espace de vingt-quatre milles que l'armée Russe avait à franchir, en partant de Carolath pour se rendre à Berlin, à travers un pays où ils trouveraient si peu de ressources pour leur subsistance. Il connaissait, d'ailleurs, la mésintelligence qui régnait entre les deux armées, et se flattait toujours de trouver des moyens d'obliger les Autrichiens à se retirer en Bohême. O r , supposé qu'il eût le bonheur d'y réussir, c'eût été le meilleur moyen de faire échouer l'entreprise de ses ennemis, et les Russes n'auraient pas manqué de prendre en hâte le chemin de la Pologne. 11 se décida donc à braver encore , pour le moment, tous les périls, pour parvenir à son but. Il ne songea à sauver Berlin, que lorsqu'après des tentatives réitérées, il vit Daun ne se laisser décontenancer ni par ses manœuvres, même les plus hardies, ni par les avantages qu'il lui donna de propos délibéré ; mais lui opposer toujours des manœuvres aussi bien imaginées qu'habilement exécutées, et jouer à propos dans cette occasion ce rôle de Fabius, qui convenait si bien à son caractère et au plan général de ses opérations. On avait comparé Daun, très-mal à,propos, en plus d'une rencontre j au fameux temporiseur Romain ; ici la comparaison était juste , et c'était le moment de consulter les règles d'une saine politique,

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plus que la simple théorie de l'art militaire. Daun eut raison de ne rien précipiter avant die savoir le parti que ses Allies prendraient, et de se poster, en attendant, au pied des montagnes où il ne risquait rien à accepter le c o m b a t , quoique décidé à ne point le présenter, sans pourtant l'éviter. 11 couvrait la Bohême , d e meurait en même tëms à portée de S c h w e i d nitz et enlravaitles opérations du R o i , au point que Frédéric fut obligé de se contenter d'avoif rétabli sa communication avec Scheweidnitz (1). (l) Plusieurs écrivains , et entr'autres Warnery, dans ses Campagnes

de Frédéric

I I , roi

de Prusse

, pag. 3ç5 ,

ont

blâmé quelques-unes des manœuvres qui se firent dan» cette occasion, et ils ont imputé de grandes fautes à Daun, aussi bien qu'à Frédéric. Ils reprochent, par exemple, à ce dernier, sa position très-aventurée près Baumgarten, dont ils prétendent que Daun aurait dû profiter pour enfermer, avec des forces aussi supérieures que les siennes, toute l'armée Prussienne dans les montagnes. Mais ces reproches paraîtront peu fondés , si l'on considère que la marche , sans doute périlleuse, du Roi vers Baumgarten, était en partie une tentative destinée à opérer la retraite des Autrichiens en Bohême, en partie un piège tendu à Daun, afin de le porter à séparer son a r m é e , p o u r lui fermer ensuite le chemin quand il voudrait retourner sur ses p a s , et pour battre ainsi ses corps détachés. De cette manière, Daun fit très-bien de garder sa position si bien enchaînée, par où il empêcha le Roi de pénétrer plus avant dans les montagnes, et c'eût été de sa part une grande faute de morceler son armée, dans l'intention d'enfermer les Prus-

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L a persévérance opiniâtre de Frédéric et de Daun favorisa néanmoins l'expédition des Russes dans la Marche. L e corps de cinq mille hommes, commandé par Pottleben, s'avança en trèsgrande diligence vers Berlin, par Guben , Beesi o w et Wuslerhausen, et occupa les montagnes, dites RoUberge, situées à une très-petite distance de la porte de Berlin, nommée porte de Cotbus. L a division du comte Czernitschew, destinée à appuyer Tottleben le suivit de près. Elle se campa près Furstenwalde et le reste de l'armée Russe côtoyant la rive droite de l'Oder, gagna L o s s o w , situé à un mille de Francfort. Berlin , dont l'enceinte est entourée en partie de simples palissades, n'avait pour toute défense que quinze cents hommes, tirés des regimens de garnisons. L e général Rochow commandait dans la ville. Il s'y trouvait aussi quelques Généraux blessés et encore malades. L a petite garnison était entièrementinsuffisante pour défendre une ville d'une si grande étendue. Rochow fut donc d'avis de se tirer d'affaire comme il l'avait fait lors de l'incursion de H a d dik , une résistance opiniâtre ne pouvant qu'em-

siens. Ces derniers n'eussent pas manqué de tomber avec toutes leurs forces, comme à Liegnitz, sur quelqu'un des corps isolés, dont la défaite les eût peut-être conduits au but principal qu'ils se proposaient.

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pirer le sort de la capitale. Mais il se vit obligé de céder au zèle patriotique des généraux L e h wald et Ziethen ^ qui prétendaient que l'on pourrait l'éussir à se défendre contre le corps peu nombreux de Tottleben. L'on éleva d o n c , en grande hâte, des remparts de terre devant les portes de la ville , et l'on y plaça des canons de trois livres. L'on dressa, des deux côtés des portes, des échafaudages en bois , et on les couvrit de planches, pour faire des décharges de niousquetterie sur l'ennemi, et l'on envoya des exprès à T e m p l i n , pour prier le prince de Wurtemberg d'accourir au secours de la c a pitale. Tottleben , au moment de son arrivée, somma la ville de se rendre, et sur la réponse négative qu'on lui fit, il la bomborda de boulets rouges et de grenades. Les flammes éclatèrent à divers endroits , mais elles furent bienlôt éteintes et l'on repoussa les attaques qu'il fit du côté des portes de Colbus et de Halle. Les fortes charges que les Russes furent obligés de donner à leurs canons, pour atteindre jusqu'à la v i l l e , les avait mis hors d'état de servir, et Tottleben fut effrayé, lorsqu'il vit l'avant-garde du corps de Wurtemberg se montrer aux environs de la porte de Halle. Il crut qu'un autre corps Prussien pourrait lui tomber à d o s , et il s'empara de la ville de Côpenick, pour assurer sa communication avec

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Czernitschew , et afin de se pourvoir d'un nouveau transport d'artillerie et de munitions. Sur ces enlrefaites, le prince de Wurtemberg était arrivé avec cinq mille hommes, à la grande satisfaction des Berlinois, après avoir fait onze milles en deux jours. On s'empressa de fournir à ce corps de troupes tous les rafraichissemens et tous les moyens de subsistance dont il avait besoin. Le Prince ayant repoussé jusqu'à Côpenick la cavalerie que Tottleben avait laissée aux portes de Berlin, et le corps du général Hulsen, obligé tout récemment à quitter la Saxe, s'étant également approché de Berlin, on crut la ville sauvée. Czernitschew était arrivé ce jourlà même à Côpenick, et cette circonstance engagea le prince de Wurtemberg à établir son camp de l'autre côté de Berlin, devant la porte de Landsberg, Hulsen s'étant campé devant celle de Halle. Czernitschew vint jusqu'au village de Lichtemberg à la rencontre du Prince. Les deux corps en vinrent à une canonnade qui dura pendant toute la journée, sans amener aucun résultat décisif. Tottleben reparut alors avec un renfort de deux mille hommes du côlé de la porte de Halle, et bombarda de nouveau la ville. Mais à l'approche du corps de Hulsen , il se replia sur le général Lascy, qui n'était plus qu'à deux milles de Berlin. On s'attendait à un combat décisif. D'un côté

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lé prince de W u r t e m b e r g avait résolu d'attaquer les Russes, et il avait demandé pour cet effet à Hulsen un renfort de deux mille cinq cents hommes. L a s c y , d'un autre côté, avait fait prier Czernitschew d'attaquer de concert avec lui. Ce dernier y avait quelque répugnance, craignant que Hulsen ne traversât Berlin durant la n u i t , et ne tombât sur lui avec des forces supérieures aux siennes, après s'être joint au prince de Wurtemberg. Nous avons vu que cette appréhension n'était pes entièrement dénuée de fondement. Aussi Czernitschew était-il sur le point de se retirer pour la seconde fois à Côpenick, lorsqu'il en fut détourné par Montalembert, qui déploya toute son éloquence pour hâter la réussite de son projet favori. Il représenta au Général russe, qu'avec l'assurance du corps auxiliaire Autrichien, la prise de Berlin était plus facile qu'on ne le pensait ; que les Russes en se retirant exposeraient Lascy au danger d'être attaqué par toutes les forces de l'ennemi, que c'était donc le moment d'attaquer les Prussiens, si l'on ne voulait pas voir échouer entièrement une entreprise dont le succès était presque indubitable. Les généraux Panin et Elmpst n'étaient pas de l'avis du m a r . quis deMontalembert. Cet avis l'emporta néanmoins , et il fut décidé, de concert avçc Lascy 3 que l'on attaquerait le lendemain.

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Mais on ne fut point dans le cas d'exécuter cette résolution. A l'approche du corps de L a s c y , les Généraux prussiens, qui n'avaient que quatorze mille hommes à leur disposition, ne jugèrent pas à propos de s'engager dans une lutte trop inégale avec l'ennemi, dont les forces montaient à plus de trente mille hommes. Le succès d'une bataille était d'autant plus douteux, que le sort de la capitale en dépendait. Risquer une défaite presque inévitable ^ à raison de la grande prépondérance de l'ennemi, c'était exposer Berlin aux traitemens les plus rigoureux, tandis qu'au moyen d'une capitulation , l'on pouvait se flatter d'obtenir des conditions plus douces. L e s Généraux prussiens se retirèrent donc durant la nuit du côté deSpandau, et ils laissèrentRochow maître de capituler avec Tottleben. C e l u i - c i n o m m a , pour traiter des articles de la capitulation , le brigadier Bachmann, auquel il confia dans la suite le commandement dans Berlin. On convint aisément des conditions du traité, la garnison de Berlin se rendit à discrétion, et les Russes entrèrent dans la ville. L a s c y fut très - irrité , lorsqu'il apprit que Berlin s'était rendu aux Russes. Il fit chasser aussitôt la garde Russe qui occupait la porte de H a l l e , la remplaça par une garde Autrichienne, et menaça de protester contre la validité de la capitulation, s'il n'en partageait pas tous les

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avantages avec les Russes. Cetle prétention occasionna quelques difïerens. Tottleben ayant déclaré qu'il renvoyait au général Fermor d'en décider, Czernitsehew appaisa les Autrichiens, en leur faisant payer quatre-vingt mille écus sur le présent accordé à la garnison Russe , lors de son entrée à Berlin. Il consentit également que les Autrichiens occupassent trois portes de la ville. Mais ils ne se contentèrent point de ce qu'ils avaient obtenu, ils entrèrent dans la ville, et s'établirent dans le quartier de la Frédéricstadt, où ils se permirent les plus grands excès. Autant la discipline des Russes fut exemplaire, autant e u t - o n sujet de se plaindre des Autrichiens , de façon que Tottleben fut obligé de renforcer la garnison Russe pour rétablir l'ordre et pour opposer de9 mesures de violence à celles dont les Autrichiens usaient. Barlin fut condamné à payer quatre millions d'écus en o r , à titre de contribution, et deux cent mille écus comme un présent à la garnison ennemie. On eut beau protester , en assurant qu'il était impossible de payer une somme si considérable. Les habitans étaient dans le dernier désespoir, ne sachant comment satisfaire les prétentions de Tottleben , jusqu'à ce qu'enfin un riche négociant, nommé Gotzkowsly, p r o posa, avec beaucoup de sagesse et de générosité ? des expédiens, auxquels Berlin fut redevable

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de son salut. Il sacrifia,de ses propres moyens , des sommes considérables, pour se concilier l'amitié et la confiance du Général russe ; et quoique ce dernier ne voulût d'abord se relâcher en rien de ses demandes, Gotzkowsky sut enfin l'y déterminer, en profitant, avec beaucoup d'art, de la prédilection singulière que Tottleben avait pour une ville où il s'était fait beaucoup d'amis durant le séjour qu'il y avait fait autrefois , et dont il conservait un souvenir trèsagréable. Au lieu des quatre millions qu'il avait exigés , il se contenta de quinzecent mille écus, à titre de contribution, et sans, insister sur le paiement en or , il consentit à accepter les mauvaises espèces d'argent qui circulaient alors. O n paya tout de suite cinq cent mille écus de contributions , et un présent de deux cent mille, écus à la garnison. Les marchands, donnèrent des lettres-de-change pour le reste de la somme, sous la garantie de Gotzkowsky. L e patriotisme qu'il signala dans cette occasion, et en diverses, autres rencontres, lui valut dans la suite beaucoup de chagrins et d'embarras. Il eut beaucoup de désagrémens et de périls à essayer de la part du général F e r m o r , le Roi ayant défendu aux marchands de payer les lettres-de-change qu'ils avaient signées. Les. Juifs de Berlin auxquels Gotzkowsky épargna la contribution énorme qu'on voulait leur imposer, et npmmément les.

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deux plus riches banquiers de cette nation t Itzig et Ephraim, le payèrent de la plus noire ingratitude. Les grandes entreprises qu'il forma, ou qu'il se vit plutôt obligé de former durant la guerre, dérangèrent ses affaires et la perte d'une fortune , dont il avait fait un si noble usage, fut la récompense de son patriotisme (1). Malgré tous les ménagemens dont Tottleben usa sous main pour la capitale du roi de Prusse, il se crut obligé, cependant, en vertu des ordres qu'il avait reçus, et pour empêcher que Lascy ne l'accusât de partialité, de causer le plus grand dommage possible à l'ennemi commun. 11 fit donc ruiner la fonderie royale des canons , les édifices où l'on travaillait à la monnaie , les moulins à poudre et toutes les fabriques dont les travaux étaient relatifs aux besoins de l'armée. Il fit vider l'arsenal, ayant ordonné que l'on détruisît et que l'on jetât dans la rivière tout ce que l'on ne pourrait emporter. Il s'empara de tous les magasins etde toutes les caisses î-oyales. Il fit emmener tous les chevaux qui pouvaient encore servir. La grande fabrique de draps pour l'armée, la manufacture d'or et d'argent n'auraient pas (J) Gotzkowsly a publié lui-même un mémoire où il détaille les faits dont nous avons présenté ici une esquisse rapide. Ce mémoire est fait pour inspirer le plus yif inté* set aux âmes généreuses et sensibles,

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été 'épargnées , si Gotzlowsîiy n'avait affirmé par serment qu'elles n'appartenaient point au R o i , mais qu'elles étaient affectées à l'entretien de la maison d'orphelins, établie à Postdam. On envoya dans celte ville des cosaques pour y ravager la fabrique d'armes ; mais le général Esterhazy, qui occupait Postdam , protégea cette fabrique et sauva tous les chef-d'œuvres précieux de l'art que Frédéric y avait rassemblé dans ces châteaux. Ce Général pensait trop noblement pour imiter la férocité bru'ale avec laquelle les Autrichiens et les Saxons dévastaient les châteaux et les jardins de Schônhausen et de Charlottembourg, près Berlin. Leur conduite contraste singulièrement avec ccllc des prétendus barbares du N o r d , titre que l'on se plaisait à prodiguer aux Russes et qui convenait tout au plus à quelques hordes qui marchaient à la suite de leur armée. Les Autrichiens prouvèrent dans cette occasion à quel point leur haîne nationale pour les Prussiens était profondément enracinée, etles Saxons auraient montré moins d'empressement à suivre leur exemple, s'ils n'avaient pas cru l'électorat entièrement soustrait an pouvoir de Frédéric. L'événement démentit bientôt cet orgueilleux espoir, et la Saxe eut plus que jamais à souffrir des horreurs de la guerre. Au reste, la capitale et ses environs furent délivrés des ennemis, au moment où ils apprirent

ïj6o. 557 rerit que le Roi marchait à son recours. Ils se retirèrent alors, avec la plus grande célérité, du côté de Francfort et de la Saxe. Czernitschew et Tottleben firent onze milles en deux jours. Lascy marcha précipitamment sur Torgau, sans accorder un seul jour de repos à ses troupes. Le Roi ayant enfin perdu tout espoir d'engager Daun à se retirer en Bohême, avait Renforcé les garnisons de Breslau et de Schweidnilz, et volait vers les frontières delà Marche. J1 prît la l'oute de .Guben, voulant marcher de là sur Francfort, dans l'espoir de séparer de la grande armée Russe le corps qui s'élait avancé jusqu'à Berlin. Mais aussitôt qu'il reçut la nour velle positive que ce corps avait quitté la capitale pour rejoindre Fernior et repasser l'Oder avec l u i , tandis que Lascy s'était retiré à Torgau, il conduisit, sans délai j son armée à Lubben. Daun traversa, en diligence, la Lusacé, pour se rendre à Torgau. Laudon demeura en Silésie. Toujours entreprenant et toujours actif, il espéra de réussir à s'emparer de la forteresse très-mal défendue de Cosel, aussi aisément qu'il avait conquis Glatz. Le Roi se détermina, en conséquence, à envoyer en Silésie, à la têle de douze mille hommes , le général Goltz , qui s'était joint à lui durant sa marche sur Berlin. Lui-même se hâta de gagner, à la tête de son a r m é e , les rives de l'Elbe. Tome IL Y C A M P A G N E

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L'armée de VEmpire fait la conquête de la Saoce. — Bataille de Torgau, le 3 novembre 1760.

Lorsque le Roi avait pris la route de la Silésie, après l'a levée du siège de Dresde, il avait laissé le général Hülsen , près Meissen, avec un corps d'environ douze mille h o m m e s , pour couvrir la Saxe. Hülsen a v a i t , en face de son arm é e , celle de l'Empire, qui campait derrière le Planenscher-Grund. Elle était de trente-cinq mille h o m m e s , y compris huit à neuf mille Autrichiens; et cependant, la cour d e V i e n n e ne la croyait pas suffisante pour obliger la petite armée Prussienne à évacuer la Saxe. Elle pria donc le duc de W u r t e m b e r g , dont la petite armée avait été l'année précédente à la solde de la F r a n c e , de concourir à la délivrance de la S a x e , en envoyant, à l'armée de l'Empire, un renfort de quelques milliers d'hommes. L e Duc s'y montra disposé ; mais n'ayant pas voulu commander dans l'armée Française sous les ordres de B f o g l i o , il exigea de même qu'on ne le soumît point à ceux du duc de Deux-Ponis,

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mais qu'on le laissât maître de diriger à son gré les opérations de ses troupes. Il fut assez généreux, d'un autre côté, pour ne point demander de subsides, se réservant néanmoins de lever, pour son compte, les contributions que ses troupes feraient payer à l'ennemi. On lui accorda sa d e m a n d e e t il sut en tirer parti. Dans sa marche très-lente , par Schmalkalde, Muhlhausen, le comté de Holstein et le cercle de la Saale , il leva des contributions énormes dans les proyinces du landgrave de Hesse et du roi de Prusse , et il n'arriva en Saxe que vers le milieu du mois de septembre. Pendant ce lems , le duc de Deux-Ponls, qui commandait l'armée de l'Empire , avait tâché d'obliger», par ses manœuvres, Hillsen à sortir de son camp près Meissen, mais les précautions et la lenteur extrême dont il usa , prouvèrent qu'il se défiait de ses forces, malgré leur grande prépondérance. L e front du camp Prussien, couvert par la profonde vallée où coule la Triebse , était inexpugnable ; mais le flanc droit n'était pas suffisamment à l'abri d'une attaque. Il résolut donc de le tourner, en s'établissant près des Katzerrhâuser et en cherchant à gagner dé là la montagne, dite Tomitzerberg, qui dominait sur ce poste. Mais les Prussiens prirent les devans et se maintinrent dans leur position jusqu'à ce que le prince de Stollberg eût tiré Y 2

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plus loin avec la réserve des ennemis qu'il conduisit à Ziegenhain. Hülsen craignit que, pour l'empêcher de gagner Torgau, on ne lui disputât le passage du Ketzerbach. Il passa donc ce ruisseau durant la nuit, et se campa, le jour suivant, près Strehlen. L'ennemi ne l'inquiéta point dans sa marche ; mais à peine eût-il dressé son camp , que toute l'armée de l'Empire £arut et se posta, entre Risa et le Heideberg, près Weida. L e camp de Strehlen, quoique fameux par la position que le prince Henri y avait prise l'année précédente , ne convenait nullement à un corps aussi faible que celui de Hülsen. Il était dominé, de front et en flanc, par différentes hauteurs, et l'on pouvait aisément le tourner par'Oschatz et Dahlen. Hülsen n'ignorait pas ces inconvéniens ; mais comme il lui importait beaucoup de gagner du tems, il résolut de ne décamper qu'au moment où les opérations ultérieures de l'ennemi l'y forceraient, ce qui arriva bientôt. L e duc de Deux - Ponts forma le. projet d'attaquer ici les Prussiens. On ne saurait blâmer sa disposition, mais l'exécution n'y répondit pas et fut extrêmement fautive, il ordonna au prince Stoilberg et au général Kleefeldt 3 appuyé par le corps des grenadiers de Guasco de tourner l'aile droite de Hülsen et le reste des troupes de l'Empire se rangea en bataille vis-à-vis 1«

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front du camp. Ces manœuvres s'exécutèrent durant la nuit avec un ordre et une ponctualité, qui firent honneur au Général ennemi ; et les Prussiens auraient peutvêtre été surpris , si la mauvaise position que lé prince de Stollberg avait £rise n'avait engagé le brave colonel K-leist à demander au général Hulsen la permission de l'y attaquer durant la nuit. Il apperçut à cette occasion les grands mouvemens qui se faisaient dans le camp des ennemis. Ces mouvemens l'obligèrent à abandonner son entreprise ; mais il rapporta incessamment à Hulsen ce qu'il avait observé. Déjà le prince de Stollberg était arrivé au pied de la montagne, dite LeidnitzerJVindmuhlenberg et située sur les derrières de l'aile droite du camp Prussien , lorsqu'un bataillon de grenadiers de cette aîle, détaché par le général Braun qui la commandait, arriva à tems pour s y poster et pour déconcerter l'ennemi. L e général Guasco parut au même instant sur le Ottenberg. On se canonna réciproquement, mais sans effet durant une heure. Enfin le prince Stollberg s'avança , Kleefeldt se disposant à attaquer le Windmuhlenberg et Guasco à m e nacer le Durrenberg auquel laîle droite des Prussiens était adossée. Braun qui avait eu la présence d'esprit d'occuper le Windmuhlenberg, fît avancer encore deux bataillons et cinq esca-

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drons dans le vallon situé entre ces deux montagnes 5 mais la prépondérance des ennemis ayant forcé les grenadiers à abandonner la montagne , et à se retirer dans la forêt qui se trouve derrière celte h a u t e u r , le prince de Stollberg établit son artillerie sur le sommet de la m o n t a g n e , il la fit jouer avec beaucoup de vivacité, pendant que Kleefeldt s'approchait de la forêt. Braùn y fît défiler les bataillons postés dans lë vallon , pour marcher au secours des g r e n a diers; et l'on vit s'engager alors un combat trèsv i f , où l'ennemi et surtout son infanterie montra beaucoup de résolution. Mais l'aîle droite de l'ennemi n'étant pas suffisamment en sûrçté, le m a j o r de Marschall profita de cette circonstance, il tomba sur elle avec ses dragons , et il détruisit presqu'entièrement huit compagnies de grenadiers et un régiment Hongrais. E n couragé par cet heureux sùccès, Braun attaqua le corps de Kleefeldt dans la f o r ê t , et le dispei'sa à l'aide de sa cavaleine. L e colonel Kleist qui se tenait en e m b u s c a d e , se mit à la poursuite des ennemis avec ses dragons et ses hussards ; mais, arrivé dans la plaine, il vit toute la cavalerie de Stollberg et de Kleefeldt en pleine marche pour pi'endre le corps de Hülsen à revers. 11 forma aussitôt sa l i g n e , et donna avec tant de vivacité sur les têtes des colonnes ennemies, qû'il les r e n v e r s a , obligea la cavalerie qui los

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suivait à prendre la f u i t e , fit un grand n o m b r e de prisonniers et dispersa le reste de la troupe. Ce coup heureux décida du succès de la bataille. Au lieu de soutenir l'attaque de Kleefeldt et de se glisser dans le vide occasionné dans la ligne Prussienne par l'usage que Braun avait été obligé de faire des bataillons postés entre les deux montagnes, le prince de Stollberg et Guasco demeurèrent simples spectateurs du combat. L e u r consternatiou fut même si grande, qu'ils se retirèrent t o u t - à - f a i t , laissant ainsi les Prussiens maîtres de se maintenir dans leur poste. L e prince de D e u x - P o n t s demeura aussi avec son armée hors de la portée du canon, se flattant , sans doute , qu'en faisant attaquer l'aîle droite des Prussiens, il obligerait Hulsen à décamper , et qu'il n'aurait alors qu'à le suivre. Si ce général put se maintenir quelques heures encore sur le champ de b a t a i l l e , il en fut redevable autant à la bravoure de ses troupes secondée par ses talens, qu'à l'irrésolution des ennemis. Mais aussitôt que ces derniers reprirent courage et continuèrent leur marche à gauche jusqu'à Schônau , Hulsen prit une position p l u s concentrée près Strehlen , et il occupa le défilé de Schirnitz qu'il avait à passer pour se rendre à T o r g a u . Il se mit en marche l'aprèsmidi sur deux colonnes, et il établit un c a m p , faiblement retranché , entre la montagne nomY

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niée Rathsweinberg, tout près de Torgau et l'étang , dit Grosser-Teich. L e duc de Deüx-Ponts tröuVa cette position trop bonne pour essayer d'en chasser Hülsen de vive force ; mais il eSpéra de l'engager à là quitter j en le menaçant de lui couper toute communication avec la Marche. Pour cet effet,il rassembla son armée à Strehlen , jeta des ponts sur l'Elbe près Droslow, et se campa près Tschad au sur la rive droite de ce fleuve. Le général L u zitislj qui s'était occupé jusques-là à lever des contributions dans la ville de Halle et dans le cercle de la Saale , s'avança en attendant vers Bilterfeld par Eulenbourg. Hülsen ne s'alarma point de tous ces mouvemens ; il se contenta de changer sa position , étant allé s'établir le long des rives de l'Elbe; et pour s'opposer aujt incursions des ennemis dans la Marche,' il détacha à Jessen par Wittenberg , le lieutenantcolonel Röhl avec cinq escadrons de dragons , accompagnés du bataillon franc de Salenmon , qu'il fit venir de Leipsic. Au reste , ces incursions dans la Marche ne l'inquiétaient pas beaucoup. 11 ne lui paraissait pas vraisemblable que l'armée de l'Empire s'éloignerait beaucoup de ses magasins pour se rendre dans des contrées où elle n'en trouvait point, d'autant plus qu'elle avait à craindre que l'on ne tombât sur sa ligne d'opération , et qu'on ne lui coupât sa commu-

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nication avec Dresde. Le Général prussien ne faisant donc point mine de quitter son poste , le duc de Deux-Ponts repassa l'Elbe, rentra dans sa première position, et toute cette manœuvre n'aboutit qu'à lui faire perdre un tems qu'il aurait pu mieux employer à raison de la supériorité de ses forces. On s'observa réciproquement jusqu'à ce qu'enfin le duc de Wurtemberg, après avoir terminé ses incursions très-lucratives , se détermina à prendre le chemin de la Saxe. Luzinsky alla le joindre avec sa troupe , et ils marchèrent vers Domitsch etPratsch , où ils établirent des ponts sur l'Elbe. L'armée de l'Empire se mit aussitôt en mouvement, elle chassa les postes avancés des Prussiens de Neiden, de Siptiz et de Zinna, et posa son camp très-étendu entre Grosswig et le bois près Vogelsang. Comme il était à présumer que le duc de Wurtemberg et L u 7-insky passeraient l'Elbe et. s'avanceraient sur Torgau , il paraissait évident que le dessein de l'ennemi était d'enfermer de tous côtés le corps de Hulsen , en lut faisant éprouver le sort que F i n i avait essuyé à Maxen. C'est à qtroi Je Général prussien ne pouvait s'exposer. Avec un corps aussi peu nombreux que le sien , il avait bravé assez longtems les forces supérieures de l'ennemi, et résisté durant l'espace de deux mois presqu'entiers à l'armée

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de l'Empire. Espérant donc qu'il pourrait réussir encore à surprendre, à l'improviste, sur la rive droite de l'Elbç le corps de Wurtemberg et de LuzinsVy, pour se frayer ainsi la route de Wittenberg , il résolut de passer le fleuve sur deux colonnes. Cette résolution était très-adaptée aux circonstances, et Hulsen se décida surtout à la prendre , lorsqu'il reçut la nouvelle, qui n'était pas entièrement fondée , que les ennemis venaient de passer l'Elbe près Domitsch. Mais son extrême précipitation et le peu d'intelligence qu'il montra dans cette occasion , contribua , en quelque façon , à éclipser la réputation que sa conduite précédente lui avait faite. Au lieu de prendre toutes les précautions si nécessaires quand on veut passer un fleuve sous les yeux de ,l'ennemi, au lieu- de se. mettre en marche de nuit, ainsi qu'on a coutume de le faire en pareil cas , il s'ébranla en plein jour. Cela occasionna quelques désordres dans la colonne qui devait traverser le pont de bateaux avec son bagage , tout le monde se pressant de le passer à la fois. L'ennemi e u t , de cette manière le tems de )oindre la colonne Prussienne ; e t , comme après avoir passé le fleuve sans perte considérable , elle continua en grande diligence sa marche sur Rosenfeld, on perdit une grande partie des pontons , les travailleurs employés à les enlever et à les transporter ayant été ef-

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frayes par le grand feu des croates qui s'étaient glissés derrière l'étang, dit Elbteich, et ayant abandonné les pontons pour sauver leur vie j sans que l'escorte qui leur avait été donnée pût réussira les retenir. Peu s'en fallut que lasecoude colonne qui traversait Torgau ne fut coupée , ce qui serait infailliblement arrivé, si l'on n'ar vait eu le bonheur d'éleindre le feu qui prit au pont couvert de cette ville. Un nouvel incendie ayant entièrement consumé ce beau pont, la garnison de deux mille hommes qui était absolument dénuée de tout soutien, tomba au pouvoir des ennemis. Quand on se rappelle la bravoure que Hulsen avait montrée à Kollin, où il ne lui manqua que d'être mieux appuyé pour disperser entièrement l'armée de Daun , quand on voit comment il sut remplir parfaitement sa destination à l'époque dont nous parlons, et entraver si longtems les opérations des troupes de l'Empire en Saxe, on ne comprend pas qu'un homme de ce mérite ait^pu commettre les fautes si graves que nous venons de relever. La chose _ serait vraiment inexplicable, si la malheureuse aventure de Finji à Maxen , et la sévérité avec laquelle le Roi punit tous ceux qui y avaient .été impliqués , n'avait fait sur les Généraux prussiens une impression assez f o r t e , pour les engager à éviter à tout prix un sort pareil à celui de FinL Il est

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donc très-vraisemblable que Hülsen crut n'avoir pas un çioment à perdre, estimant qu'il pourrait, ce jour-là même, être enfermé par l'ennemi. La fausse nouvelle que le corps entier de Wurtemberg et de Luzinsky avait passé l'Elbe, l'engagea sans doute à se précipiter beaucoup $rop, d'api-ès les conseils de gens versés, il est v r a i , dans la théorie de l'art, mais dont l'imagination se créa des monstres, bien que le danger ne fût point aussi pressant qu'ils le pensaient. Hülsen avait incontestablement beaucoup de bravoure personnelle , et il en a donné, dans plus d'une occasion, des preuves éclatantes ; mais il n'avait pas cette finesse de tact, à l'aide de laquelle le capitaine que la nature a doué de ce don aussi précieux qu'il est l'are , sait apprécier promptement les plus petites nuances des évèpemens, et distinguer toujours le vrai du vraisemblable. Voilà peut-être ce qui l'engagea, dans la circonstance critique où il se trouvait alors, à suivre les timides conseils, de ceux qui lui exagéraient les dangers de sa situation. Un Winterfeldt ,%m Fouquet, un Wunsch auraient, sans contredit, opposé plus de fermeté à des conseils de ce genre. Hülsen se reprocha luimême sa retraite précipitée, puisque du moment où il arriva à Wittenberg, il forma la résolution inébranlable de ne plus faire un pas en arrière , à quelque extrémité que les chose»

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dussent en venir. Mais des circonstances qu'il lui était impossible de prévoir l'obligèrent à changer d'avis. Les Prussiens ayant passé la nuit près Rosenfeld, ils marchèrent sur Lichtenberg, dans l'intention d'attaquer les corps ennemis dont ou prétendait qu'ils avaient passé l'Elbe. Ce fut là que Hulsen s'aperçut de son erreur , voyant que mcme les petits détachemens de troupes légères qui avaient traversé le fleuve, venaient de le repasser déjà. Alors il essaya de détruire le pont près Domitsch ; mais cette entreprise ne réussit point, les bords élevés de l'Elbe ayant soustrait le pont à la portée de la grosse artillerie. Après une canonnade réciproque t o u t - à - f a i t inutile , Hulsen se retira du côté de Jessen, et il alla camper au delà des rives de l'Elster. L'armée de l'Empire passa également l'Elbe près Domitsch. Depuis qu'elle avait vu les Prussiens se retirer de Torgau, elle avait senti son courage redoubler, et elle semblait se disposer à passer l'Elster près Grossdorf. Cette opération eût pu couper à Hulsen sa communication avec Wittenberg, il partit donc de Jessen, se rapprocha de Wittenberg , et se campa de manière , que son aile droite se trouvât postée souS le canon des remparts de cette ville, l'aîle gauche étant adossée contre les vignobles près Teuchel. L'armée de l'Empire passa l'Elster, et se posta sur la rive

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gauche de l'Elbe près Prata , vis-à-vis de W i t tenberg. Elle re'solut d'achever la conquête de la S a x e , en coupant aux Prussiens la retraite sur Berlin. L a chose eût été exécutable sans effusion de s a n g , si l'on eût fait, dès le matin, ce que l'on renvoya jusqu'au soir. Mais fiers de leurs succès, les Généraux de l'Empire crurent devoir couronner leurs opérations en repoussant de vive force le général Hülsen de Wittenberg. Pour cet effet, ils rangèrent leurs armée en bataille sur les hauteurs de Trajun. L e corps de Luzinsky était posté sur trois lignes en avant de l'armée. , et sa destination était de livrer à l'aîle gauche des Prussiens une attaque, secondée par une multitude de gros canons. Hülsen, demeurant fîdelle à sa résolution , se prépara à la résistance la plus vigoureuse, et il renforça^avec beaucoup d'intelligence, son aile gauche , à mesure que Luzinsky l'attaquait à différentes reprises et sur divers points. Toutes les tentatives de ce dernier étant demeurées infructueuses, il se vit obligé de renoncer à son dessein, et il suivit l'armée de l'Empire, laquelle> sans prendre aucune part au c o m b a t , continua sa marche sur la grande route de Wittenberg à B e r l i n , jusques vers les hauteurs de Schmitkendorf et de Mochau où elle se campa. L e duc de Wurtemberg ne voulant pas demeurer simple spectateur des opé-

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rations de Luzinslcy , chercha à les'seconder en canonnant très-vivement, de la rive gauche de l'Elbe , une forêt située à dos des Prussiens, et dans laquelle il croyait qu'ils avaient posté beaucoup d'infanterie. Mais ses boulets ne renversèrent que des sapins, attendu qu'il ne se trouvait pas un seul Prussien dans la forêt. Non content de cet exploit, il ordonna même à sa cavalerie légère de passer l'Elbe , pour prendre Hülsen à revers; mais le colonel Kleist, observant avec beaucoup de vigilance tous les mouvemens de l'ennemi, tomba sur cette cavalerie avec tant d'impétuosité, qu'elle gagna promptement les bords du fleuve, où plusieurs cavaliers périrent, en cherchant à se soustraire au glaive des dragons Prussiens. Hülsen demeura donc maître du champ de bataille. Mais sa provision de vivres étant pres^. que épuisée, et sur la nouvelle que les Russes marchaient du côté de Berlin, il résolut de voler au secours de la résidence. La grande route lui était fermée ; il fallut donc prendre un détour par Koswig, Roslau, Beltzig et Belitz , après avoir laissé le général Salenmon à Wittenberg, avec ordre de s'y défendre. C'est ainsi que l'armée de l'Empire réussit à s'emparer de la Saxe entière, à l'exception de la seule forteresse de Wittenberg. Elle conduisit cette entreprise avec beaucoup d'intelligence x- et on ne peut lui r e -

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procher que d'y avoir apporté trop de circonspection , eu égard à la prépondérance de ses forces. Au reste, ce fut une expédition d'autant plus glorieuse pour elle, que les Autrichiens, avec des forces bien supérieures, avaient inutilement tenté, dans le cours de l'année dernière, la conquête de la Saxe. L'électorat ne demeura cependant pas longtems au pouvoir des troupes de l'Empire. L e s Russes et les Autrichiens s'étant retirés de Berlin , le Roi ayant dirigé sa marche du côté de L u b b e n , et Daun du côté de T o r g a u , les affaires changèrent bientôt de face. L a Saxe redevint le théâtre de la guerre , et ce malheureux pays en éprouva plus que jamais toutes les rigueurs. 11 était de la plus haute importance pour le R o i de le reconquérir. L'hiver approchait, et à moins çle se résigner à hiverner dans son propre p a y s , il fallait tenter l'impossible pour recouvrer une province, dont la possession lui avait valu de si grands avantages, et dont il pouvait moins que jamais se passer. D'ailleurs les Russes n'a-» vaient pas poussé leur retyaite fort loin , et d'après les avis authentiques qui parvinrent au R o i , ils voulaient, avant de continuer leur marche rétrograde, attendre si les Autrichiens réussiraient à demeurer maîtres de la Saxe. On prévoyait aisément que dans ce cas l'armée Russe ce déciderait à prendre ses quartiers d'hiver dans

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la Marche. Il était donc d'autant plus essentiel de porter aux Autrichiens un coup décisif, que le sort de la Prusse en dépendait. Mais, pour frapper ce coup avec succès , il fallait que Frédéric redoublât de sagesse dans la disposition et dans l'exécution de ses plans. O r , il avait de grandes difficultés à vaincre. Il se trouvait sur la rive droite de l'Elbe. En perdant la Saxe, il avait perdu tous ses magasins dans cette province, lesquels étaient approvisionnés pour la campagne entière. L'armée était sur le point de manquer de pain, et faute de magasins dans le voisinage, il fallait pourvoir à sa subsistance aux dépens du pays qu'elle traversait. L e R o i , pour se venger des excès que l'on s'était permis dans ses états et dans ses châteaux, ordonna que l'on eût soin de se procurer abondamment tout ce dont l'armée avait besoin, sans user de grands ménagemens poui* lès sujets de l'Electeur. Ils eurent donc beaucoup à souffrir, et les malheureux paysans expièrent encore , dans cette occasion , la férocité et l'insolence des troupes de leur Souverain. L'armée de l'Empire fit de grands préparatifs pour dis» puter aux Prussiens le passage de l'Elbe. Elle se trouvait en communication avec Daun et Lascy, qui venaient d'opérer leur jonction. Pour reconquérir la Saxe, ainsi que le Roi en avait pris la ferme résolution, il fallait donc chasser Tome IT. Z

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les troupes de l'Empire des Lords de l'Elbe ; il fallait t i r e r , de M a g d e b o u r g , les vivres et les denrées de première nécessité, puis battre les Autrichiens ou les forcer à la retraite par des marches savantes. O r , les deux c h o s e s , par où il était indispensable de c o m m e n c e r , n'étaient r i e u moins que faciles à effectuer. L e s préparatifs des troupes de l'Empire semblaient a n noncer qu'elles avaient dessein d'opposer au R o i une résistance sérieuse, et cependant la sûreté des convois que l'on devait expédier de M a g d e b o u r g exigeait absolument que le R o i fut maître de l'Elbe. Mais le génie de F r é d é r i c sut prévoir et prévenir tous les dangers. Il o r donna au prince de W u r t e m b e r g , qui était posté à Z i e s a r , de se rendre à Magdebourg et de côtoyer ensuite la rive gauche de l'El-be, dans la double intention de m e n a c e r les d e r rières de l'armée de l'Empire et de protéger les convois que l'on transporterait,sur l'Elbe , à Dessau. D a n s cette m a r c h e , l'avant-garde du P r i n c e rencontra une division des troupes que le D u c son frère avait conduites à l'armée du duc de Deux-Ponts. Cette division était postée près K o t h e n , et destinée à couvrir les petits corps qui mettaient le pays de Magdebourg et de H a l berstadt à contribution. L e colonel K l e i s t la surprit à la tête de ses hussards et de ses dragons francs ; il en fît un grand c a r n a g e , prit

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deux canons', et dispersa tellement toute la division , que le duc de W u r t e m b e r g ne jugea plus à propos de continuer à courir les dangers de la g u e r r e m a i s reprit d i r e c t e m e n t , avec sa petite a r m é e , le chemin de son pays. Cependant le Roi était arrivé à la tête de son armée aux environs de C o s w i g , et il se p r é parait à passer l'Elbe. L'armée de l'Empire avait supposé que les Prussiens tenteraient le passage du fleuve du côté de W a r t e n b o u r g ou de Elster ; et c'est là qu'elle avait préparé la résistance la plus vigoureuse. Elle fut donc très-surprise de voir le Roi tirer vers la p r i n cipauté d'Anhalt. L'approche du prince d e W u r t e m b e r g lai causa aussi beaucoup d'alarmes. Elle quitta donc les bôrds de l'Elbe, se retira à Duben , puis à Leipsic ; après quoi les Prussiens passèrent l'Elbe et opérèrent, près J o n i l z , leur jonction avec le prince de W u r temberg. Après avoir exécuté la première partie d e 6on plan , avec autant d'habileté que debonheiîr, il ne restait plus au Roi qu'à en réaliser la s e conde p a r t i e , en x-epoussant Daun de la Saxe.: Mais cette opération exigeait plus d'art et plus d'efforts que celles dont nous venons de parler. On se trouvait dans l'alternative ou bien d'engager, par de savantes m a n œ u v r e s , le F e l d jïxaréchal à se r e t i r e r , ou bien d'employer Z a

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force pour le repousser. La marche du Général autrichien sur Eulenbourg parut au-Roi une excellente occasion de démêler ses véritables desseins. 11 marcha donc lui - même du côté de Duben, en partie pour pénétrer davantage les projets de Daun, en partie pour s'assurer d'une place d'armes où. il pût établir un petit magasin absolument nécessaire pour le succès de ses opérations ultérieures. Il choisit, pour cet effet, Duben, et y envoya quatre mille hommes, sous les ordres du général Sydow. Mais il y a toute aparence que Daun avait marché sur Eulenbourg, simplement pour couvrir là retraite des troupes de l'Empire et leur donner la main, si elles avaient besoin de secours ; car l'aparition des Prussiens à Duben le fît incessamment changer de dessein. Il regagna les bords de l'Elbe aussipromptement quilles avait quittés , s'enferma dans le fameux camp retranché près Torgau, et posta le corps de Lascy près Schilda. Sur cette nouvelle, Frédéric prit sans délai la route de Eulenbourg, et il envoya, en même tems, le général Linden, à la tète de sept mille hommes du côté de Leipsic, pour reconquérir celte ville. Linden y réussit. Le duc deDeux-Ponts ayant appris que les Prussiens marchaient sur Eulenbourg, s'étaitdécidé à quitter les bords de la Pleisse, et le général Kleefeldt qui occupait en-

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core L e i p s i c en s o r t i t à la faveur d'un brouillard , sur la s o m m a t i o n q u e L i n d e n lui fit de se rendre à discrétion. L e R o i c o n c l u t , d e la retraite d u feldm a r é c h a l D a u n , vers T o r g a u , q u e , p o u r venir à b o u t d e son e n t r e p r i s e , il se verrait finalem e n t oblige' d'attaquer la g r a n d e a r m é e Autrichienne ; m a i s cette attaque était d'autant plus périlleus e , qu'en la hasardant le R o i c o m p r o mettait la sûreté d e son m a g a s i n d e D u b e n , le seul qu'il eût. A v a n t d e risquer une entrep r i s e aussi d a n g e r e u s e , il résolut d o n c de s'app r o c h e r d e s rives de l'Elbe , afin d e mettre D a u n à l'épreuve et d'approfondir ses desseins. Il fit d o n c m a r c h e r son a r m é e vers Sehilda. S e s colonnes rencontrèrent en c h e m i n divers postes a v a n c é s d e l ' e n n e m i , q u i se replièrent tous sur T o r g a u . L e R o i en conclut q u e D a u n , j u g e a n t c e poste i n e x p u g n a b l e , était d é c i d é à s'y m a i n t e n i r , et il résolut de l'y attaquer incessamment. L e s G é n é r a u x prussiens ayant été d a n s le cas d e se poster , à différentes reprises , d u r a n t cette g u e r r e , aux environs d e T o r g a u , le R o i connaissait assez b i e n cette contrée. 11 apprit q u e l'aîle droite des Autrichiens s'appuyait derrière les é t a n g s , p r è s G r o s s w i g , que le centre couvrait les v i g n o b l e s ,de Siptitz , et que l'aîle g a u c h e se terminait au delà de Z i n n a , en tirant vers l é t a n g n o m m é G-rosser-'Feich. L e prince H e n r i s'était d é f e n d u , l'année p r é c é d e n t e , d a n s Z 5

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cette position, contre la grande armée Autrichienne. Daun n'avait pas eu le courage de l'y attaquer avec des forces très - supérieures aux siennes. L a nature a formé , dans ce l i e u , un'e chaîne de h a u t e u r s , laquelle est entourée d'étangs et de fossés m a r é c a g e u x , de façon que l'on ne peut attaquer l'armée qui s'y poste , ni d e f r o n t , ni en flancs. D a u n avait une armée b e a u c o u p plus nombreuse et une artillerie beauc o u p plus formidable que ne l'avaient été et l'artillerie et l'armée du prince H e n r i , lorsqu'il occupa ce poste durant la campagne précédente. 11 avait donc pu le rendre doublement inattaq u a b l e , quoique d'un autre côté le terrein où se trouvait une armée si nombreuse manquât de profondeur, et fût beaucoup trop resserré pour la déployer avantageusement. Frédéric n'ignorait pas combien il était facile que tout son a r t , et la bravoure consommée de ses troupes, échouât contre les obstacles presque insurmontables qu'il allait rencontrer sur un terrein fortifié par la nature et parfaitement bien défendu. Du m o i n s , le local de la position Autrichienne n e permettait-il point au R o i d'appliquer ici sa méthode favorite en attaquant les flancs de l'ennem i j dont il n'y avait guères moyen de s'approcher avec avantage. Cependant il fallait se battre , pour pi'évenir, au moyen d'une v i c t o i r e , les catastrophes accablantes dont le Roi se voyait

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menacé. Sa situation élait affreuse, et l'on aurait peine à en décrire tous les embarras, V a i n c r e ou m o u r i r , telle était sa devise dans ce moment. Sa force d'âme servit néanmoins de contre-poids à tous les périls qui l'entouraient. Le dépit que ses revers précédens lui inspiraient, l'aiguillonnait puissamment à se venger des implacables ennemis qu'il avait plus que jamais sujet de haïr. Il épuisa donc toutes les ressources de son génie pour inventer les meilleurs moyens de parvenir à son b u t , et de rétablir ses affaires. Toutes ces considérations le déterminèrent à s'écarter ici de son système ordinaire d'attaq u e , et à partager son armée en deux corps différens, destinés, l'un à prendre l'ennemi à r e v e r s , l'autre à s'avancer contre les hauteurs de Grosswig , pour attaquer l'aîle droite et le centre des Autrichiens. Des témoins oculaires prétendent que le succès de la bataille aurait été plus prompt et moins douteux , si le R o i en était demeuré à cette première disposition, moyennant laquelle il y aurait eu plus de liaison entre les deux corps isolés de son armée. Ils le blâment d'avoir apporté un changement, durant la m a r c h e , à celle disposition primitive, en ordonnant à Z/iethen, qui devait attaquer du côté de Grosswig avec vingt bataillons et cinquante-deux escadrons, de diriger sonattaquevers les hauteurs de Siptitz, et par conséquent à une Z 4

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plus grande distance du point sur lequel le R o i se proposait d'agir. 11 est possible que cette critique soit fondée ; mais le Roi ayant pris le parti d'attaquer, à la fois, les ennemis de front et à revers par des corps détachés , espérant d'effectuer ainsi leur déroute complète, il était à présumer qu'en exécutant les deux attaques à la fois , on réussirait à mettre dans le plus grand désordre les lignes Autrichiennes qui avaient si peu d'intervalle. On pouvait se flatter de remporter ainsi une victoire non moins éclatante que celle de Leuthen. L e dessein de Frédéric était vaste , mais l'événement ne répond pas toujours à des projets de ce g e n r e , et la méthode si belle , si destructive mais si hasardeuse en même tems d'attaquer l'ennemi avec des corps détachés, n'a réussi dans cette guerre qu'au duc Ferdinand de Brunsvic dans la journée de Crefeld. L e R o i s'en promettait, sans doute i c i , des avantages plus considérables encore que ceux qui en revinrent au Duc dans celte journée mémorable , vu les grands obstacles que la proximité de l'Elbe, et la nature d'un terrein extrêmement coupé, aurait opposé à la fuite des Autrichiens , dont la ruine eût été entière et sans ressource. Cepeudaut, quelques incidens imprévus sur lesquels on n'avait point compté, et qui viennent assez ordinairement traverser des entreprises de ce genre , avaient

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déjà enlevé la victoire au R o i , lorsqu'un hasard heureux le laissa soudain maître du champ de bataille. L e local favorisait singulièrement l'exécution de son dessein. L a grande forêt de Domitz e n tourait tellement le camp Autrichien, que le R o i put y dérober tous ses mouvemens à l'enn e m i , et l'empêcher de découvrir le vrai point d'attaque qu'il avait choisi. Près du village de N e i d e n , situé à dos de l'ennemi , la forêt de Domitz avoisine une plaine , laquelle , quoique coupée , s'étend jusqu'aux rives de l'Elbe. C'est là que le R o i se proposait de ranger en bataille l'aîle gauche de son a r m é e , et d'attaquer les ennemis à d o s , en profitant, pour cet effet, du seul côté faible de leur position , pendant que Ziethen exécuterait de son côté les opérations dont il était chargé. L e 3 novembre l'armée Px'ussienne sortit de bon m a t i n , et sur quatre colonnes, de son camp prèsLangen-Reichenbach. Elle dirigea sa marche du côtc de la forêt de Domitz ; mais le chemin que l'aile gauche avait à faire pour arriver à la plaine de Neiden étant de quelques heures plus long que celui par lequel Ziethen devait gagner Siptitz , en prenant la grande roule de Leipsic et Ja Butterstrasse , Ziiethen avait ordre de faire halte dans la forêt, jusqu'à ce qu'il apprît que le Roi eût engagé le combat,

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L'avant - garde du Roi r e n c o n t r a , dans sa m a r c h e , l'arrière-garde du général Ried , qui d e ses postes avancés près M o l r e h n e se retira d'abord à W i l d e n h a i n , puis à W e i d e n b a i n , enfin à Grosswig , se repliant sur la réserve comm a n d é e par le prince de Lowenstein. L e régim e n t de dragons de Saint - Ignon fut moins heureux ; il occupait un poste avancé dans la f o r ê t , et l'on avait vraisemblablement oublie d e le rappeler. 11 se vit tout-à-coup cerné par les colonnes Prussiennes, attaqué par les h u s sards , et obligé de se r e n d r e en grande p a r t i e , ainsi que son chef. Cet événement heureux enf l a m m a le courage des Prussiens , ils se rappelèrent le sort à - p e u - p r è s pareil que les détachemens avancés de la cavalerie Saxonne avaient éprouvé à Leuthen ^ et ils prirent à bon augure ce qui venait d'arriver aux dragons Autrichiens. Les ennemis , au contraire , furent vivement frappés de ce qui se passait dans la forêt, d'autant plus qu'ils n'en pouvaient avoir qu'une connaissance imparfaite. Daun ne démêlant point encore les véritables desseins du R o i , éprouvait les plus grandes agitations. Ignorant de quel côté on l'attaquerait, il demeura inébranlable dans sa position; mais,lorsqu'il vit les têtes des premières colonnes Prussiennes se diriger vers la lisière de la f o r ê t , du côté de N e i d e n , il en conclut, avec raison, que le Roi en voulait à ses

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dév'rières. 11 changea aussitôt, en grande hâte, sa position. Au moyen d'une contre-marche, il appuya sa droite au village de Zinna, et il posta sa gauche en crochet sur les hauteurs de Siptitr. Le corps de Lascy, qui ^ dès le matin , s'était retiré de Cosswig vers l'étang, dît GrosscrTeich, se posta entre Zinna et le faubourg de Torgau. O n retira toutes les petites divisions avancées de l'armée, et l'on s'en servit pour couvrir les flancs (1). On voulait transporter au delà de l'Elbe l'artillerie de réserve qui se trouvait placée derrière le camp; mais on n'en eut pas le tems, et Daun en posta très-bien une grande partie en avant de son nouveau front. Cet incident y rassembla au delà de deux cents canons et obus. Le Roi était en pleine m a r c h e , les.tètes de ses colonnes n'avaient point encore atteint la plaine de Neiden, lorsque le corps du général Ziethcn , qui s'avançait vers T o r g a u , sur la (I) Je prie ceux de mes lecteurs qui voudront se faire une idée bien juste de ces positions, et de tous les mouvemensdes deux armées, dans cette journée mémorable, de consulter le plan très-exact de la bataille de Torgau , qui se trouve dans le quatrième volume de l'Histoire de la guerre de sept ans, par Tempeîhof; le but que je me propose dans cet ouvrage, ne me permettant pas, ainsi que je l'ai observé plus d'une fois, d'entrer dans un détail trop minutieux des évènemens que je rapporte.

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grande route de Leipsic , rencontra un poste avance des Autrichiens, précisément à l'endroit où la Butterstrasse converge avec la route d e Leipsic. Les Autrichiens firent mine de s'y défendre, mais Ziethen les ayant attaqués avec vigueur, ils se retirèrent du côté du GrosserT e i c h , et abandonnèrent leurs canons. Cette affaire occasionna une décharge très-vive d'artillerie et de mousquetterie, et le Roi en conclut que Ziethen avait déjà commencé son attaque. 11 en fut d'autant plus alarmé, que l'infanterie du R o i , à l'exception des grenadiers, n'était point encore arrivée, et que toute la colonne "de cavalerie, commandée par le duc de H o l stein, était extrêmement en arrière (i). Imagi(i) Le Roi, dans ses œuvres p o s t h u m e s , a t t r i b u a ce délai au flegme i m p e r t u r b a b l e d u d u c de Holstein. Ce p r i n c e avait beaucoup de b r a v o u r e , il avait donné des preuves d e ses talens à l'armée des Alliés , et Frédéric lui fait ici u n reproche injuste. Ce ne f u t point sa négligence, mais u n cas fortuit qui r e t a r d a son arrivée sur le champ de bataille. La forêt de Dömitz est coupée p a r différentes laies désignées chacune par quelque lettre de l'alphabet. Le chasseur qui conduisait la colonne d u général H ü l s e n , se t r o m p a de l e t t r e , et s'embarrassa dans la colonne de car v a l e r i e , précisément à l'instant où le Roi c o m m e n ç a .la première a t t a q u e . Hülsen s'en a p e r ç u t , et crut devoir accélérer sa m a r c h e , afin d'arriver à lems avec la première ligne de l'infanterie p o u r soutenir le Roi. Il en p r é v i n t le D u c , et le pria d'ordonner à sa cavalerie de faire halte j u s -

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nant que Ziethen avait donné sur les ennemis, ou qu'ils l'avaient attaqué , le Roi plein de confiance en la bravoure de son corps de grenadiers, crut devoir livrer le premier choc, sans attendre le reste de son infanterie. A la tête des quinze bataillons qu'il avait sous sa main , il traversa le ruisseau marécageux , dit Steinmuhlenbach ; les postes avancés , postés près V o g e l s a n g , et qui s'étaient retirés très-précipitamment, ayant négligé d'en rompre les ponts. Il rangea ces troupes sur trois lignes , dont il couvrit la gauche par le régiment de hussards de Ziethen , qui n'était plus complet, n'ayant point d'autre cavalerie à sa disposition. Comme il fallait néanmoins aller à l'ennemi , sous le feu qu'à ce qu'il fût sorti du bois. Le Duc y consentit, attendu que l'infanterie était plus nécessaire que la cavalerie pour la première attaque ; et il ne se dégagea à travers la forêt, qu'au moment où le capitaine Anhalt vint lui communiquer de bouche, et en termes très-peu ménagés, l'ordre que le Roi lui donnait d'avancer. Cette circonstance fit perdre au Duc les bonnes grâces du Roi. Cependant la précipitation avec laquelle Frédéric attaqua, sans attendre le soutien nécessaire ; le désordre occasionné par la colonne do Hulsen . les sollicitations pressantes de ce dernier, l'épaisseur de la forêt que toutes les colonnes avaient à traverser, sont autant de circonstances suffisantes pour justifier le délai du Duc. Il répara d'aillçurs très-bien cette faute prétendue , par sa conduite dans la journée de Torgau, et surfout en faisant prisonniers plusieurs bataillons Autrichiens.

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de ses cartouches, dix bataillons furent écrase's à l'instant même où ils se mirent en marche. U n e batterie de grosse artillerie qui les a c c o m pagnait , eut le même sort. L e s artilleurs qui devaient servir le canon, ne purent pas même en venir à le charger ; officiers, valets de train et chevaux ayant été tués ou blessés sur l'heure, ainsi que les canonniers. L'effet de la nombreuse artillerie Autrichienne fut presque sans exemple. L e Roi même ne put s'empêcher d'en témoigner sa surprise à ceux qui l'entouraient. « Avez-vous jamais v u , leur d i t - i l , pareil feu » d'enfer ? » L'intrépidité que les Prussiens montrèrent en est d'au!ant plus digne d'éloges; ils allèrent avec la plus grande tranquillité à la rencontre de ce feu meut trier , et leur destruction trop prompte ne leur laissa pas même la satisfaction d'avoir vu l'ennemi. L e s carabiniers Autrichiens profitèrent du carnage occasionné par le canon, et ils tombèrent sur les petits détachemens de grenadiers qui prenaient la fuite. Quelquesrégimens même d'infanteriejSe croyant sûrs de la victoire, quittèrent les hauteurs d e Siptitz, et se mirent à poursuivre les Prussiens. Mais alors la troisième ligne du R o i , s'avançant de concert avec la première de l'armée , marcha à la rencontre des Autrichiens, les renversa, et s'empara même de l'une des hauteurs , en face desquelles on se battait. Daun essaya d'en dé-

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loger les P r u s s i e n s , en faisant marcher c o n t r e eux quelques r> gimens tires de sa réserve; mais les Prussiens conservèrent leurs avantages, jusqu'à ce que l'on vil accouru' la cavalerie e n n e m i e , qui perça leur flanc gauche , lequel était à d é c o u v e r t , et les obligea ainsi à se retirer. L a première ligne de l'armée du l l o i étant battue, se r e tira de nouveau vers la f o r ê t , et perdit une partie de ses canons. Mais ie désordre se mit p a r m i les Autrichiens qui la poursuivirent , surtout au moment où la se'conde ligne des Prussiens marcha sur eux avec la plus grande résolution. Cette brave infanterie repoussa tout ce qui s'opposait à elle y mais n'ayant point de cavalerie pour la s o u t e n i r , elle ne put empêcher celle des Autrichiens, qui s'avançait en f o r c e , d e donner sur les bataillons, et d'obliger aussi parlà cette seconde ligne à regagner la f o r ê t , au moment même où le duc de Holstein s'approchait de l'Elbe , avec le plus grand flegme , et ne faisait aucune démonstration pour sauver l'infanterie. Heureusement que le colonel D a l w i g montra plus de résolution. A la tète du régiment de Spàn , qu'il commandait 3 cet habile officier s'éloigna de la colonne du P r i n c e , tomba sur les Autrichiens , et fit prisonniers deux rc'gimens presque entiers. U n grand n o m b r e de cavaliers et de dragons vinrent bientôt le j o i n dre. Non - seulement ils renversèrent entière-

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ment la cavalerie Autrichienne qui était venue ail secours de l'infanterie, mais ils donnèrent aussi sur l'aîle v droite des ennemis, qui n'était point appuyée , firent prisonniers les quatre premiers régimens de cette aîle , desquels il n'échappa qu'un petit nombre d'hommes; et ils auraient assurément profilé de ces avantages, si l'aparilion d'une nombreuse cavalerie Autri-' chienne ne les avait obligés a faire halte. Ce fut ainsi que l'on se disputa alternativement la victoire de ce côté. Il y a touteâparence que si', conformément à sa destination, la cavalerie du R o i s'était montrée à tems dans la plaine de N e i d e n , les Autrichiens n'auraient point remporté les avantages dont ils furent redevables à la grande supériorité de leui's canons et de leur cavalerie. A tout prendre , l'infanterie du Roi était entièrement battue dans ce moment; d'un autre côté, les Prussiens avaient renversé la première ligne de l'ennemi. Cependant la victoire semblait être à D a u n , attendu que les Prussiens n'étaient guères en état de livrer une nouvelle attaque de conséquence, que la seconde ligne Autrichienne n'avait pas encore tiré un seul coup , et que la nuit approchait. Daun , se croyant vainqueur , se fit transporter à T o r g a u , pour que l'on pensât là blessure dont il avait été atteint dans la bataille, et il dépêcha un courier à Vienne pour y porter la nouvelle de son

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son triomphe. Mais la fortune qui avait si cruellement abandonné le Roi , vint tout-à-coup se ranger sous ses drapeaux et termina , par un heureux soir, cette journée si lugubre. Après que le général Ziethen eut repoussé le posle avancé qu'il rencontra dans la forêt, au lieu de se rendre à Siptitz , par la Butterstrasse, conformément à la disposition , il marcha droit à travers la forêt, et au moment où il en sortit, il se rangea en bataille , appuyant son aîle droite à la canardière de l'étang, dit Grosser-Teich. Mais, lorsqu'il entendit la canonnade du côté du R o i , il fit marcher en avant sa seconde ligne, et la plaça à l'aîle gauche de la première, vrai-' semblablement dans le dessein d'attirer sur soi l'attention de l'ennemi. Il y a partage d'opinion sur les motifs qui engagèrent Ziethen à s'écarter1 de la disposition primitive. La résistance opiniâtre du poste qu'il rencontra lui fît vraisemblablement croire que ce poste se sentait bien soutenu. l l j c r u t , en conséquence , que l'ennemi n'étant pas éloigné, il serait dangereux de s'arrêter longtenis avec cinquante-deux escadrons dans une forêt où il ne pourrait en tirer aucun parti s'il venait à être attaqué. 11 se hâta donc de gagner la plaine, pour être à même de dé^ ployer son corps et de s'en servir avec succès pour une attaque. Le raisonnement de Ziethen était juste, et ce général aussi expérimenté que Tome II. Aa

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prudent,devant présumer qu'il allait se trouver entre deux feux, on ne saurait le blâmer d'avoir préféré le certain à l'incertain. Toujours est-il vrai que , de cette manière, son arrivée à l'endroit où il devait seconder l'attaque du Roi, fut retardée de quelques heures. Nous avons vu les conséquences fâcheuses qui résultèrent de ce délai. L a bataille aurait été moins sanglante et la victoire plus prompte si Ziethen avait pu attaquer en mêmë tems que Frédéric. L e fait suivant vient à l'appui de cette observation. Lorsque les cinq bataillons qui formaient l'arrière-garde de la colonne de cavalerie du Roi furent arrifés sur le champ de bataille , il fît marcher, à travers la forêt, un de ces bataillons , accompagné de quelques-uns de ceux qui venaient d'être battus , et que l'on était parvenu à rallier pour attaquer de nouveau les Autrichiens qui se renforçaient sur la hauteur. Cela se passa au moment même où le corps de Ziethen parut sur les hauteurs, en avant de Siptitz, et s'empara d'un retranchement qui défendait l'entrée de ce village. L a nouvelle attaque du R o i , entreprise avec des forces si peu considérables, et dont, en d'autres circonstances, on n'aurait pas eu lieu d'espérer le succès, réussit néanmoins, parce que Daun fut obligé de songer à prévenir le danger qui le menaçait de la part de Ziethen. Les Autrichiens furent repous^

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Ses et obligés d'abandonner les hauteurs, où les Prussiens se maintinrent assez longtems p o u r laisser à plusieurs régimens dispersés le tems d e les rejoindre. Cet avantage f u t d'autant plus précieux, que quelques Généraux habiles du corps de Ziethen remarquèrent l'obligation où Daun. s'était trouvé de dégarnir assez considérablement son aîle gauche pour renforcer sa droite» Ils s'aperçurent en même tems que la digue construite entre lesf étangs,dits Schafteiche n'était plus occupée par l'ennemi. Aussitôt deux colonnes, marchant tout près l'une de l'autre, sur un espace fort r e s s e r r é , traversèrent la digue de CQnserve , s'étendirent ensuite à droite et à g a u c h e , gravirentla h a u t e u r , et attaquèrent le village de Siptitz. Lascy leur opposa u n e partie de son c o r p s , et l'on vit s'engager u n combat très-vif. Cependant les Prussiens se m a i n tinrent sur les hauteurs dont ils s'étaient e m p a rés. Le reste du corps de Zielhen put alors s'avancer sans difficulté , et opérer sa jonction avec les bataillons du Roi qui tentaient une dernière attaque. De cette m a n i è r e , les Prussiens demeurèrent maîtres de ce champ de bataille, q u i l s avaient si douloureusement arrosé de leur sang. Ce dernier choc eut lieu dans les ténèbres , entre sept et huit heures du soir -, ce qui occasionna , d é p a r t et d ' a u t r e , plus d'un désordre inévitable. Ainsi, des bataillons entiers de l'arAa a

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niée Autrichienne s'étant écartés de la route qu'ils devaient prendre en se retirant, tombèrent au pouvoir des Prussiens. Ceux-ci ^ de leur côté, tirèrent, par méprise , les uns sur les autres. On avait a l l u m é , dans la forêt de Dornitz, des feux innombrables, autour desquels les soldats et les blessés de l'une etde l'autre armée étaient fraternellement et paisiblement étendus. L'on ignorait encore auquel des deux partis la victoire appartiendrait, et l'ou résolut unanimement d'attendre jusqu'au lendemain ce que le sort en aurait décidé. Telle fut l'issue de cette bataille fameuse. L a singularité des circonstances de détail qui l'accompagnèrent, l'acharnement réciproque avec lequel on se batLit, les flots de sang qu'elle fit couler, et les résultats qu'elle e m m e n a , lui a s surent un rang distingué entre les combats les plus remarquables qui signalèrent la guerre de sept ans. Ce qu'il y eut encore de singulier, c'est qu'après la bataille les deux armées demeurèrent tout près l'une de l'autre, et que les deux capitaines quis'e'taient disputés la victoire furent blessés. L e Roi avait eu la poitrine effleurée d'un coup de feu , et il se fit conduire au village d'Elsnitz, où il passa la nuit dans l'église du lieu. 11 n'apprit que fort tard la nouvelle des succès de Zielhen. Aussitôt il songea à rallier son armée, et à la faire ranger en ordre de ba-

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taille, résolu de recommencer la bataille dès la pointe du jour sur un terrein où tout l'avantage était alors de son côté. Il espérait de disperser entièrement les Autrichiens. Mais Daun ayant été instruit à neuf heures du soir du malheureux sort de son armée, et ses généraux lui ayant repi'ésenté l'impossibilité de rallier cette nombreuse armée durant la n u i t , il ordonna que l'on se retirât en traversant les ponts d e bateaux établis sur l'Elbe. On exécuta cette retraite dans un si grand silence, et avec tant d'ordre , que les Prussiens ne s'en aperçurent point, et furent très - étonnés le lendemain de n e trouver aucune division de l'armée ennemie en deçà du fleuve. Ils dressèrent donc leur camp sur ce champ de bataille jonché de cadavres et de blessés, et le général Hülsen s'avança vers Torgau, que les ennemis avaient abandonné. L'armée Autrichienne , commandée par le général O'donell , se retira le long de la rive droite de l'Elbe. Le corps de Lascy marcha sur la rive gauche pour gagner Dresde , et rejoignit la grande armée derrière le Planenscher-Grund. Le Roi poursuivit O'donell et Lascy , après quoi il fit cantonner son armée au delà des bords de la Triebse. Dès que l'armée de l'Empire eut abandonné les montagnes du Erzgebirge pour aller hiverner en Franconie, Hülsen occupa ces montagnes, et les deux armées prirent peu do Aa 5

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tems après leur quartier d'hiver ,en vertu d'une convention. L a même chose arriva en Silésie } l'approche du général prussien Goltz ayant engagé Laudon à renoncer au projet de s'emparer de la forteresse de Cosel. L a bataille de Torgau décida du succès de la campagne de 1760. Frédéric avait eu les plus grands revers à essuyer durant le cours de cette campagne ; il avait perdu la Saxe enlière, ce xnagasin précieux et dont il ne pouvait se passer; ses ennemis croyaient l'avoir conduit sur le penchant de sa ruine ; la bataille qui devait décider de son sort semblait perdue , lorsque tout» à-coup la fortune se plut à le relever. Ses ennemis abandonnent, à la faveur des ténèbres ,, Tin champ de bataille où ils s'étaient si bien défendus. Découragés et poursuivis, ils regagnent le petit coin de la Saxe où ils avaient passé l'hiver d'aupnravant, et ils éprouvent le mortel déplaisir d'avoir prodigué leur argent et leurs efforts en pure perte. 11 est vrai que la journée de Torgau coûta au Roi quatorze mille hommes, tant morts que blessés, et la fleur de son infanterie; mais la perte de ses ennemis ne fut pas moins considérable , et il eut l'avantage de recouvrer la partie de la Saxe , que ses ennemis pavaient pu lui enlever, dans le cours de l'année précédente, en dépit de leurs forces et de leurs succès,

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Les armées jouirent alors de quelques instans de repos en Saxe et en Silésie. Cependant, les Russes continuaient encore à dévaster la nouvelle Marche et la Poméranie. Les Cosaques et les hordes indisciplinées qui marchaient à la suite de l'armée Russe se p e r m i r e n t , à l'égard des habitans de ces malheureuses provinces , des excès de tout genre et les cruautés les plus r é voltantes. Les Eci'ivains du tems 'n'en parlent qu'avec la plus juste indignation. J ' é p a r g n e à la sensibilité de mes lecteurs le détail de ces atrocités , je m e b o r n e à payer un tribut de r e c o n naissance à la m é m o i r e de Frédéric qui se hâta de remédier à tous ces désordres, au m o m e n t où la paix fut conclue. M a i s , à l'époque dont nous p a r l o n s , il se trouvait dans l'impossibilité de mettre ces provinces à l'abri des v e n g e a n ces que les Russes y exerçaient , p o u r se d é d o m m a g e r du succès imparfait de leur e x p é dition dans la Marche. Il fut également impossible d'empêcher le général Tottleben de passer l'Oder avec un corps de troupes légères, et d e pénétrer dans la M a r c h e U k e r a i n e , qu'il m i t au pillage. Cependant le général W e r n e r qui commandait l'armée opposée aux Suédois , marcha enfin contre ces hordes sauvages, et les obligea à repasser l ' O d e r , sans pouvoir néanmoins leur enlever le butin dont elles étaient chargées. 11 profita, pour cet effet, du m o m e n t Aa 4

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où la bataille de Torgau décida les Russes à regagner la Pologne. Le feld-maréchal Butturiin que la Cour avait nommé pour remplacer ¡Soltikow, auquel l'état de sa santé ne permettait pas de commander l'armée, arriva au quar* tier-général (d'Arneswalde, précisément au moment où l'on y apprit ce qui venait de se passer en Saxe. On s'était flatté à Pétersbourg que l'armée Russe pourrait infailliblement hiverner dans la Marche. Mais Butturlin sentit que la chose était impossible, d'autant plus que le Roi venait de détacher contre les Russes un corps de six mille hommes, sous les ordres du prince d e Wurtemberg. On exagérait les forces du P r i n c e , et le Général russe ordonna à son ar-> mée de se mettre en marche sur P o s e n , et de prendre derrière la W a r t h e des quartiers où elle pourrait hiverner en toute sûreté. Totlleben continuait e n c o r e , à la vérité, ses incur-* sions en Poméranie mais le prince de W u r r temberg l'en chassa bientôt ; après quoi les Prussiens allèrent hiverner dans le Mecldenbourg.

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Campagne des Alliés en

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contre les

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L e s préparatifs de la France semblaient présager une campagne brillante. L e cabinet de Versailles y destinait cent cinquante mille hommes qui formaient deux armées, et une réserve commandée par le prince Xavier de Saxe. Deux généraux très-habiles étaient à la tète des armées Françaises. L e comte Saint-Germain commandait trente mille hommes au Bas - Rhin , et le commandement en chef de l'armée d'Allemagne avait été confié au duc de Broglio. On avait rappelé Contades , pour le punir d'avoir perdu la bataille de Minden, et parce que le procès occasionné par cette bataille, entre Broglio et lui, avait été décidé à l'avantage de son rival qui avait de puissantes protections à la Cour. L'arniéè des Alliés était d'un tiers plus faible , mais elle était composée de troupes d'élite, et Ferdinand la commandait. L'ouverture de la campagne fut re lardée pav

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les difficultés que les Français éprouvèrent à approvisionner une armée très - nombreuse. L a Hesse étant entièrement épuisée, les Alliés eurent plus de peine encore à se procurer des moyens de subsistance. L e duc Ferdinand ne put se camper près Fritzlar que vers la fin de m a i , et ses corps avancés étaient postés près Herschfel , Kirchhain et Amönebourg. Marhourg, Dillenbourg et Ziegenhain étaient autant de places fortes qui couvraient le front de son armée , et le corps du général Spörken, qui avait hiverné en Westphalie , se rassemblait aux environs de Dülmen. Ces mouvemens déterminèrent le duc de Broglio à rassembler également son armée entre Hanau et Francfortsur-le-Mein. Alors les troupes légères commencèrent les escarmouches insignifiantes de la petite guerre, où l'avantage fut néanmoins du côté des Alliés. Enfin , les armées s'ébranlèrent. L e duc de Broglio voulait s'emparer de la Hesse, et terminer la campagne par la conquête du pays d'Hanovre , entreprise que ses forces majeures l'autorisaient à former, mais que le duc Ferdinand déjoua, par son habileté à contrecarrer les plus belles et les plus savantes manœuvres de son adversaire. Broglio balança d'abord s'il menacerait l'aile gauche ou l'aîle droite des ennemis , pour les forcer à repasser le Weser. En

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attaquant leur g a u c h e , il s'exposait à perdre sa communication avec le Mein. Il conservait, au c o n t r a i r e , celle qui subsistait entre son armée et celle du B a s - R h i n , en menaçant la droite des Alliés. Il prit donc ce dernier parti. P o u r cet effet, il ordonna à Saint-Germain de passer le R h i n près Dusseldorf, et de se camper près Dortmund. L a grande armée Française passa l'Olnj aux environs de H o m b o u r g , et elle é t a blit son camp près Schweinsbourg. Le duc Ferdinand attira aloi'6 à soi tous ses corps d é t a chés -, il alla à la rencontre de l'ennemi jusqu'à N e u s t a d t , et il l'aurait a t t a q u é , s'il n'avait trouvé sa position inexpugnable. Il retourna donc à Ziegenhain , et se campa derrière les rives de la Schwalm. Broglio le suivit de p r è s , et s'empara de M a r b o u r g ^ o ù il ne trouva qu'une faible résistance. 11 fît une tentative du m ê m e genre contre Fritzlar , où les Alliés avaient u n magasin et le dépôt de leurs munitions ; mais cette tentative é c h o u a , grâces à l'habileté du général L u c k n e r qui se distinga dans cette occasion. Les deux armées se trouvaient alors à une très-petite distance l'une de l'autre, mais elles étaient eu même tems postées si avantageusem e n t , qu'elles n'osèrent, ni de part ni d ' a u t r e , hasarder une attaque. D'ailleurs, Broglio n'avait point encore suffisamment pourvu ses magasins,

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dont il tirait les approvisionnemens du Palatinat» et des bords fertiles du Rhin. Aussitôt qu'il en fut venu à bout, il procéda à l'exécution ultérieure de son plan d'opérations. Le comte de SaintGermain eut ordre de joindre la grande armée qui marcha sur Frankenberg , et dont l'avantgarde était destinée à occuper les chemins creux qui conduisent à la plaine de Korbach , où la jonction devait s'opérer. Broglio avait si habilement masqué sa marche, que le duc Ferdinand n'en reçut la nouvelle qu'au moment où les têtes des colonnes avaient déjà gagné beaucoup de terrein. Mais le dessein des ennemis étant manifeste, il fit occuper en grande diligence les hauteurs près Sachsenhausen et K o r bach, et se mit incessamment en marche du même côté sur six colonnes. Le passage de l'Eder avait un peu retardé la marche des Français vers Janninghausen , et le comte de Saint-Germain était encore à la distance d'une journée. Cependant il importait beaucoup à Broglio de s'emparer de Korbach , pour y attendre l'attaque des Alliés ; il donna donc à S a i n t - G e r m a i n l'ordre d'accélérer sa marche. Ce dernier arriva enfin avec une partie de son corps, qui fut renforcé par un détachement de l'armée, et posté derrière un bois dont on fit occuper l'issue par une troupe d'infanterie l é gère. Le prince héréditaire de Brunsvic setant

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approché de K o r b a c h avec l'avant - g a r d e , il attaqua cette infanterie légère, et l'obligea à lui céder une partie du bois ; mais les brigades postées derrière le bois l'en délogèrent b i e n t ô t , et il perdit dix canons. Pour ne point en venir aux mains avec toute l'armée ennemie que l'on voyait s'ébranler , il se retira dans un si bel o r d r e , que les ennemis n'osèrent l'inquiéter. D u r a n t ce combat , le général Sporken que l'on voulait couper réussit à se glisser en avant près de l'armée Française, et à joindre le d u c Ferdinand à Sachsenhausen. L e Prince héréditaire avait été légèrement blessé à K o r b a c h , ce qui ne l'empêcha pas de venger avec éclat le petit échec qu'il venait d e recevoir. 11 surprit, peu de jours après, le g é néral Glaubitz près E m s d o r f , dispersa tout son corps , lui fit deux mille quatre cents prisonn i e r s , et lui enleva cinq canons. Il s'était proposé en même tems de détruire le magasin des ennemis à Mai'bourg; mais ce magasia fut sauvé par la vigilance du général Stainville, posté pi'ès M a r b o u r g , et Broglio donna depuis ce tems plus de soin à surveiller sa communication avec les magasins. Celui de Marbourg était d'ailleurs à six milles du Prince héréditaire,, et par conséquent la surprise qu'il avait méditée était assez difficile à exécuter. Sur ces entrefaites, les Français s'étaient aussi

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emparés de Dillenbourg, où ils avaient trouvé une résistance très-opiniâtre. Ils tirèrent alors plus à gauche , jusqu'aux bords de la D i m e l , et Broglio résolut de forcer le duc Ferdinand à quitter sa position, qui s'étendait depuis l'Eder jusqu'à la D i m e l , les corps de son armée ayant été répartis sur divers points. Broglio dirigea principalement son attention contre la division du général Spôrken, postée à Yolkmarsen. Il ordonna au comte Chabot , au chevalier Du Muy ( i ) et au comte Broglio, frère du Maréchal, d'attaquer Spôrken en flanc et de front, en faisant marcher à la fois contre lui les trois divisions qu'ils commandaient, pendant que le baron Klosen observerait les corps des généraux Kielmannsegge et Wangenheim, le prince Xa( i ) Du M u y v e n a i t d ' ê t r e choisi p o u r c o m m a n d e r e n chef le c o r p s qui avait été jusques-là sous les o r d r e s j d e Saint-Germain. L e r e f u s q u ' o n avait fait à ce d e r n i e r de l u i a c c o r d e r le b â t o n de "maréchal, et le déplaisir q u e lui causaient les i n t r i g u e s de Broglio , l'avaient engagé à q u i t t e r le service de F r a n c e . S a i n t - G e r m a i n était à c e t t e é p o q u e u n des meilleurs g é n é r a u x de l'armée f r a n ç a i s e . E n b u t t e a u x persécutions d ' u n e cabale p u i s s a n t e , il alla de Paris à C o p e n h a g u e , où il f u t accueilli avec distinction. Mais il m é c o n t e n t a les Danois p a r les réformes qu'il v o u l u t i n t r o d u i r e dans leur a r m é e . Il n ' y réussit p o i n t , e t l'on r e j e t a des p l a n s qu'il avait dressés sans avoir u n e connaissance suffisante d u c a r a c t è r e n a t i o n a l , ni m ê m a de la l a n g u e des Danois.

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vier devant menacer Fritzlar, et l'armée principale tenir le camp du Duc en respect. Spòrteli se voyant attaqué de tous côtés, fit une très-belle retraite sur Wolfshagen , où le duc Ferdinand rassembla toute l'armée, après quoi il continua sa retraite, et alla se poster sur la Dimel, entre Cassel et Liebenau. Broglio parvint donc à son b u t , et il s'efforça non-seulement de couper aux Alliés leur communication avec Paderborn et Lippstadt, mais encore de les renfermer dans le petit coin de la Hesse , où la Dimel se jette dans le Weser. Il voulait les mettre dans l'alternative , ou bien de hasarder un combat dans des circonstances très-peu favorables., ou bien de repasser le W e s e r . Dans cette intention, il se campa près Y o l t m a r s e n , posta la réserve du prince Xavier près Nauembourg , fît assiéger la forteresse de Ziegenhain par Stainville , et ordonna à Du Muy de côtoyer la rive gauche de la D i m e l , en descendant ce fleuve, pour s'établir près Warbourg. Ces mouvemens de l'armée Française jetèrent le duc Ferdinand dans le plus grand embarras. Il répugnait par différentes raisons à risquer un combat. Passer le Weser c'eût été perdre sa communication avec la Wcstphalie , avec ses forteresses et ses magasins. En se décidant, au contraire, à passer l a - D i m e l pour couvrir la Westphalie , il exposait la Hesse ;, et se mettait

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hors d'état de garantir le pays d'Hanovre d'une incursion. Cependant il fallait prendre un parti quelconque.Heureusement qu'il fut engagé, par une opération de Breglio même , à choisir la résolution qu'on le vit exécuter avec tant de sagesse, et d'une manière si glorieuse. Persuadé que Du Muy ne permettrait point aux Alliés de passer la Dimel, et qu'ils se verraient par conséquent forcés de traverser le W e s e r , Broglio marcha sur Cassel, à la tête de son armée, voulant s'emparer de cette ville pour achever la conquête de la Hesse. Il avait dirigé , jusqu'à ce m o m e n t , ses opérations avec beaucoup de sagesse ; mais en prenant le parti de marcher sur Cassel, il fît une faute, dont le duc Ferdinand s'empressa de le punir. L a bravoure et les talens que le Duc signala dans cette rencontre , le tirèrent de la situation critique où il se trouvait, et il dérangea , pour quelque tems , le plan d'opérations des armées Françaises. Broglio, en prenant la route de Cassel, s'était éloigné de Du M u y , à la distance d'une journée entière.Fier de la supériorité de ses forces, et de la bonté de sa disposition, il ne tomba pas même sur 1 idée qu'il exposait Du Muy à êti-e battu sans soutien. T e l fut néanmoins le sort que ce général éprouva. L e duc Ferdinand n'avait songé ,, jusques-là, qu'à s'assurer .des rives de la Dimel , pour rester en communication avec la W e s t phalie_,

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phalie, et pour demeurer maître de diriger ensuite ses opérations ultérieures d'après les circonstances ; mais à peine aperçut-il la faute de son adversaire , qu'il résolut d'en profiter. Déjà le général Spôrken avait passé la Dimel près Liehenau, avec un corps de huit mille hommes, et s'était campé près Korbeke. Le Prince héréditaire eût ordre de le suivre durant la nuit avec sept mille hommes. Pour empêcher que l'ennemi ne se doutât de sa marche, en apercevant des lacunes dans les diver-s camps des Alliés, le Duc remplit ces lacunes par d'autres régimens, autant que la chose fut possible. Vers le soir il se mit lui-même en marche à la têté de l'armée, et passa le fleuve. Aussitôt que la tête de l'armée eut atteint I& hauteur de Korbeke „ le Prince héréditaire et Spôrken s ébranlèrent sur deux colonnes. Elles étaient destinées à se porter , au moyen d'un détour , de manière à se trouver à dos de l'ennemi et vis-à-vis son flanc gauche* Elles devaient l'attaquer du sommet de quelques hauteurs qu'il n'avait point occupées , pendant que l'armée principale le menacerait de front, Du Muy cependant ne manqua point de vigilance: dès qu'il fut instruit des mouvemens de l'ennemi contre son flanc gauche, il se hâta de le renforcer et surtout d'occuper la hauteur située à dos de sa position. Le Prince héréditaire t Tome IL Bb

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à la tête de quelques centaines de grenadiers Anglais, s'empara néanmoins de cette hauteur, au moment même où toute une brigade Française en gagnait le pied. L e feu inattendu des Anglais déconcerta d'abord les Français ; ils continuèrent cependant l'attaque avec la plus grande bravoure ; mais ils se virent bientôt arrêtés par deux bataillons Anglais , accourant au secours des grenadiers. L e combat devint alors très-vif : trois brigades étant survenues pour appuyer les assaillans , les Alliés auraient été repoussés, si le général Zastrow ne s'était avancé à la tête de la seconde colonne. L'ennemi qui poussait son attaque avec beaucoup de vigueur , fut alors repoussé , et les Alliés demeurèrent maîtres de la hauteur. La cavalerie Anglaisé qui précédait l'armée du'Duc, arriva au grand trot sur le champ de bataille et décida la défaite des ennemis. Du Muy se voyant environné de tous côtés, se hâta de gagner , non sans beaucoup de désordre , les ponts qu'il avait établis sur la Dimel. Sa cavalerie se précipita dans le fleuve pour le traverser à la nage : une partie de l'infanterie voulut imiter cet exemple, mais cette tentative coûta la vie à un grand nombre d'hommes. L e corps du colonel Fischer qui occupait Varbourg } situé en face du camp, eut surtout beaucoup à souffrir dans cette rencontre : abandonné par les

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Français, réduits à prendre la fuite , il fut attaqué par la légion Britannique, chassé de War* b o u r g et cruellement maltraité par la cavalerie Anglaise qui tomba sur lui. Du Vîuj tâcha d e rallier , sur la rive droite d e l a Diniel, ses troupes battues ; mais l'artillerie Anglaise ayant été très-bien servie, ne lui permit point de f o r m e r ses r a n g s , et le Duc ayant ordonné au général G r a m b y de passer le fleuve à la tête de sept mille hommes , Du M u y prit incessamment le parti de se retirer sur Wolkmarsen. Les Français p e r d i r e n t , à la bataille de W a r bourg, six mille hommes, tant morts que blessés, et douze canons. L'occupation.de Cassel, dont ils s'emparèrent ce jour-là m ê m e , sans y avoir trouvé beaucoup de résistance, ne les d é d o m magea que très-faiblement d'une perte si considérable, L e duc Ferdinand voyant l'impossibilité de défendre à la fois la Hesse et la Westphalie , avait ordonné au général K i e l m a n s e g g e , posté dans un camp retranché près Cassel „ de se retirer par Munden dans le pays d'Hanovre, supposé que l'ennemi vînt à le r e pousser. Ce général exécuta l'ordre du Duc sans avoir essuyé la moindre perte , quoique poursuivi de près par le prince X a v i e r , q u i occupa Gôttingue , Nordheim et Einbeck. Ces évènemens avaient enlièi'ement changé la situation des deux a r m é e s , mais ils s'étaient ' Bb a

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terminés à l'avantage des Alliés. L a sagesse et l'intrépidité de leur chef avait changé soudain , par un coup heureux , la face des affaires. Il put alors se poster , en toute sûre lé ^ le long de la rive droite de la Dimel ; et quoique Broglio fût allé se camper vis-à-vis de l u i , il réussit néanmoins à le tenir dans l'inaction d u r a n t la saison même la plus favorable aux opérations militaires. Stainville avait ^ à la v é r i t é , réussi à s'emparer de la petite forteresse de Ziegenhain qui fit une belle défense. Il est vrai encore que les Français se trouvaient pour lors maîtres de la Hesse entière. Cependant le changement des circonstances et les ohstacles de tout genre qu'ils r e n c o n t r è r e n t , ne leur permirent aucune entreprise de c o n séquence , ni contre le flanc gauche , ni contre l'aîle droite des Alliés. L e W e s e r , H a m e l n et M u n d e n couvraient leur gauche ; Munster et Lippstadt défendaient leur droite. Si Broglio avait donc voulu détacher des corps par le "Weser ou la D i m e l , pour tourner les Alliés , il aurait été forcé de faire marcher son armée pour appuyer ces corps , et il se serait exposé £ar-là à perdre sa communication avec Cassel et avec ses magasins. Ce fut ainsi que trois campagnes de suite prouvèrent combien le plan favori du Ministre français de marcher par la Hesse à la con-

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quête de l'électorat d'Hanovre était mal imagine'. D e plus , la jalousie qui re'gnait entre Broglio et Saint-Germain, engagea le premier à une démarche très-fausse. Au lieu de faire marcher Saint - Germain du côté de la Hesse , il aurait dû le détacher directement de W e s e l pour conquérir Munster et Lippstadt. Il aurait obligé par-là le duc Ferdinand à partager ses. forces , et la grande armée Française aurait pu tirer plus de parti de sa prépondérance. L e plan que Broglio adopta nous explique, au contraire, comment cent cinquante mille Français, réduits à lutter contre la disette dans un pays aussi épuisé que la Hesse l'était alors, et sans cesse occupés à mettre leurs magasins en sûreté, virent toutes leurs opérations entravées, et furent arrêtés dans leur position près Cassel, par l'infatigable activité du Duc et du Prince héréditaire. Broglo fit, à la vérité , quelques démonstrations tendantes à interrompre la communication des Alliés avec Lippstadt, et le Princc Xavier s'avança jusqu'à Einbeck. Mais le Duc s'opposa aux démonstrations de Broglio, en se postantprès Kloster-Dahlheim et près Meerhorf; et le Prince héréditaire s'étant montré inopinément dans la forêt de Solingen , Luckner s'étant emparé de Nordheim, Kielmansegge s'étani avancé de Hameln à Beverungen, le prince Xayier fut obligé de se retirer et même d'e'va.Bb 5

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euer Göttingue , pour demeurer en communication avec l'armée principale. Au moment où les Français quittèrent les bords de la Dimel, le Duc posta le Prince héréditaire avec un corps nombreux près Brune en deçà du fleuve. Ce poste est situé sur la grande route de Cassel , et; le Prince héréditaire eut ordre de pousser de nouveau ses incursions jusques vers les bords de l'Eder , et d'inquiéter, autant qu'il serait possible , les fourrageurs ennemis. Broglio se vit force p a r - l à de donner à ses fourrageurs une escorte de huit à dix mille hommes. 11 avisa donc aux moyens de chasser le Prince héréditaire de son poste. Stainville et Du Muy furent chargés de celte expédition ; mais la vigilance du Prince trompa l'espoir des Français. Il n'était plus dans son camp lorsqu'ils s'approchèrent. Ne voulant pas s'exposer à être battu par des ennemis supérieurs en forces , il avait opéré sa retraite à tems, et ayant passé la D i m e l , il s'était posté près W a r b o u r g . Quelques jours après , ce p r i n c e , toujours actif , enleva le brigadier Nordmann , posté à Z i e r e n berg , avec les volontaires de Clermont et du Dauphiné , sans laisser à la grande armée campée derrière Zierenberg le tems'de prévoir et de prévenir son dessein. L e colonel Fersen et le major Bulev/ ayant fait aussi une incursion du côté de Marbourg ? ils détruisirent

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la boulangerie établie dans cette ville ; mais, Stainville qui se dislinga constamment par sa vigilance, les atteignit dans leur retraite, et il aurait entièrement abîmé ce petit corps, si la nuit n'avait terminé le combat qu'il lui livra , de manière que Ferzen et Bulew purent se replier sur le corps du Prince héréditaire qui volait à leur secours. Ces escarmouches n'amenaient cependant aucun résultat décisif, et Broglio , qui voulait prendre ses quartiers d'hiver dans la Hesse et même, si la chose était possible, dans une partie de l'électorat d'Hanovre, crut devoir s'étendre à tout prix sur la rive droite de la Werra. Pour cet effet il fallait repousser auparavant, au delà du Weser , le corps de Wangenhein, posté près Uslar. Le prince X a v i e r , qui campait entre la W e r r a et la Leine, et qui avait mis Gôttingue en état de défense, n'avait pas des forces suffisantes pour venir à bout de cette expédition, sans le secours de l'armée. Broglio sentit donc qu'il était absolument nécessaire de se rapprocher de lui. Il quitta en conséquence les bords de laDimel et alla occuper un camp très-avantageux entre Cassel et Winteriasten. Il fît occuper en même tems les rives de la W e r r a et de la Fulda, ainsi que les passages pi'ès Munden et TVitzenliausen, se voyant de cette façon pliis Bb 4 '

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en état de pénétrer dans le pays d'Hanovre et d'exécuter ainsi son plan favori, Ce mouvement engagea le duc Ferdinand à repasser la Dimel. Il se campa près Hofgeism a r , fît avancer le corps de Wangenheim de Uslar vers les rives de la W e r r a , e t il essaya, mais inutilement, d'emporter Munden d'assaut. B r o g l i o , de son côté, envoya au prince Xavier tin renfort de vingt-cinq mille h o m m e s , à la tête desquels il se mit lui-même pour repousser "Wangenheim. Celui-ci, se voyant menacé par des forces supérieures, se retira dans le meilleur o r d r e , et passa le Weser près Mambeck. Son arrière-garde seulement en vint aux mains avec l'avant-garde de l'ennemi ; mais n'essuya qu'une perte assez légère, malgré la vivacité du combat. Ce premier succès n'était rien moins que décisif; cependant, il procura au Général ennemi l'ayantage d'avoir à sa disposition une plus grande étendue de pays. Il put tirer ses vivres du district d'Eichsfelde, des principautés de Gotha et d'Eisenach , d'une partie de la Franconie et de la Thuringe. Pour être plus à même de demeurer maître de ces pays durant l'hiver qui approchait, il renforça les ouvrages destinés à mettre la ville de Gôttinguejen état de défense. Broglio avait, à la vérité, gagné du terrein 5 J1 se flattait de réussir à éloigner encore davan-»

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tage les Allies des bords du W e s e r , et de pénétrer alors dans l'intérieur du pays d'Hanovre. Mais cet espoir fut entièrement déçu. Le duc Ferdinand connaissait trop l'importance de sa position sur la D i m e l , pour ne pas s'y défendre jusqu'à la dernière extrémité. Il venait de recevoir d'Angleterre un renfort de dix mille hommes ; il concentra son a r m é e , et il empêcha par-là , son adversaire d'affaiblir la sienne et d'en détacher des corps séparés, d'autant plus que Broglio méditait dans ce moment un nouveau plan. L a constance inattendue des Alliés traversant ses projets , et sentant la nécessité d'en pousser l'exécution avec plus de vigueur,il revintà l'idée que l'on avait conçue dès l'ouverture d e l à c a m p a g n e , et dont il s'était écarté en rappelant le corps de Saint-Germain du Bas-Rhin. 11 apprécia alors les suites pernicieuses decette mesure si fausse que lapassion lui avait dictée. Pour réparer en quelque façon sa f a u t e , et pour améliorer sa situation, il résolut de rassembler uil corps près Wesel. Ce c o r p s , composé des garnisons qui se trouvaient encore en Flandres ou sur les bords du Rhin , ainsi que d'une division de son a r m é e , était destiné à marcher du côté de la Westphalie , sous les ordres du marquis de Castries. La.saison la plus favorable aux opérations militaires était écoulée ..et l'on ne pouvait plus

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se promettre de cette expédition les avantages qu'elle aurait procurés si on l'avait entreprise plutôt. Broglio se flatta néanmoins de réussir à faire quelques progrès en Westpha-lie, s'il avait soin d'occuper ailleurs, et dans des contrées plus prochaines, l'attention des Alliés. Mais le duc Ferdinand fut à peine instruit de ce nouveau p r o j e t , qu'il résolut de prévenir l'ennemi et de tenter l u i - m ê m e une diversion au Bas-Rhin, dans l'espoir de forcer même Broglio, s'il était possible, à quitter la position où il était. 11 confia l'exécution de son dessein au Prince héréditaire , qui se mit en marche vers les bords du R h i n , à la tête de quinze mille hommes. L'armée de Ferdinand décampa et repassa la D i m e l , pour être à même de protéger les opérations du P r i n c e , et d'observer ce qui se passerait sur les rives du Weser. Le Prince héréditaire passa le Rhin avec la plus grande célérité; il disposa quelques détachemens Français qui se rassemblaient dans le pays de Clèves, et bloqua Wesel. Le marquis de Castries traversa le "Westerwald avec la même rapidité pour se joindre aux troupes qui l'attendaient sur la rive gauche du Rhin , et avoir de cette m a nière sous ses ordres une armée de vingt mille hommes. La ville de Wesel^ dont le Prince héréditaire avait déjà commencé le blocus, n'était dé-

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fendue que par une garnison de deux mille cinq cents hommes. L'artillerie de la place , assez n o m b r e u s e , était mal servie ; et si le comte de la Lippe avait pu suivre le Prince avec plus de rapidité pour lui a m e n e r la grosse artillerie de siège, il y a toute aparence qu'il se serait emparé de W e s e l avant l'arrivée des Français qui accouraient an secours de cette place. Ils sentaient combien il leur importait d'en d e m e u r e r maîtres. La perte de cette place d'armes aurait interrompu la communication avec les PaysBas et la libre navigation du Rhin. Castries s'approcha donc , en très-grande diligence, du canal d'Eugène. Le Prince marcha courageusement à sa rencontre avec les troupes qui lui restaient , après avoir détaché de son armée le corps qui Moquait Wesel. 11 réussit d'abord à traverser le canal et à surprendre les Français de nuit» Mais il trouva une résistance si vigoureuse, qu'il crut devoir se retirer et lever le siège. U n e c r u e subite du Rhin avait malheureusement séparé ses p o n t s , e t il fallut du tems pour les rétablir. L e Prince'fit preuve d'héroïsme dans ce m o ment : il étonna l'ennemi en se rangeant en bataille. On acheva le rétablissement des ponts > et l'on passa le ileuve très-heureusement et sans le moindre délai. Aussitôt Caslries le passa fièr e m e n t de son côté et se campa entre W e s e l et Schornbeck sur la Lippe. Cette rivière se-

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parait les deux c o r p s , q u i d e m e u r è r e n t tranquillement l'un vis-à-vis de l ' a u t r e , jusqu'à ce que l'approche de la mauvaise saison obligea le Prince à se retirer plus avant dans l'intérieur de la Westphalie et à suivre enfin l'exemple de son adversaire, qui prit ses quartiers d'hiver sur la rive gauche du Rhin. Pendant que ces évènemens se passaient au B a s - R h i n , les deux grandes armées s'observaient réciproquement avec l'attention la plus soutenue. Dans l'espoir d'inquiéter le Duc sur le sort du pays d ' H a n o v r e , Broglio avait fait chasser L u c k n e r de N o r d h e i m , et détaché Stainville pour faire des incursions dans le pays de Brunsvic et d'IIalberstadt. Le duc Ferdinand ne prit point le change: il envisageait la Dimel c o m m e l'axe sur laquelle toutes ses opérations devaient t o u r n e r , s'il voulait réussir à couvrir à la fois la Westphalie et l'électorat d ' H a n o vre. Aussi les Français quittèrent - ils lé pays d'Halberstat au m o m e n t où le roi de Prusse reparut en Saxe. Stainville se retira jusqu'à Gotha. U n e tentative que le duc Ferdinand "fit alors de reconquérir Gotlingue é c h o u a , divers incidens et surtout l'approche de l'hiver en ayant traversé l e succès. Les deux armées se décidèrent, immédiatement après, à prendre leurs quartiers d'hiver. Ainsi finit la campagne des Français i a contre les Alliés 5 campagne où les premiers

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elaieat demeurés si loin d'effectuer les grandes choses qu'ils avaient annoncées. Les Alliés se virent obligés à la vérité d'évacuer la Hesse eteependant, ils s'opposèrent à tous les progrès ultérieurs des ennemis, malgré leurs forces supérieures, grâces à la bravoure et à la prudence consommée du duc Ferdinand. Si le rôle qu'il joua en 1 7 5 9 fut plus brillant, c'est que les circonstances lui avaient été bien plus favorables qu'elles ne le furent dans la campagne dont nous venons de tracer l'esquisse. E n 1769 la seule bataille de Minden fut suilîsante pour faire rentrer la Hesse en son pouvoir. L a conduite de Contades et la jalousie qui régnait entre les Généraux de son a r m é e , favorisa les opérations de Ferdinand. M a i s , e u 1760 , l'arme'e Française vit enfin à sa tête un général digne de la commander. 11 rétablit la discipline et se c o n c i l i a , par la sagesse de ses dispositions , la confiance du soldat. U n aussi bon général se trouvant à la tête de cent cinquante mille guerr i e r s , était à même de mettre à profit la grande supériorité de ses moyens. Il en aurait tiré beaucoup plus d'avantages encore, s i , jalousant son rival Saint - G e r m a i n , que le Ministre de la guerre destinait à commander au Bas-Rhin une armée séparée, il n'était pas tombé sur la malheureuse idée d'attirer aussi celte armée à s o i , pour pénétrer, par la H e s s e , dans le pays d'Ha-

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novre, ce qu'il avait si souvent essayé, et toujours en vain. S'il l'essaya encore cette année , ce fut uniquement pour satisfaire sa vanité, qui lui faisait ambitionner de ne partager avec personne le commandement en chef des armées Françaises. Cependant il priva , de cette manière j la patrie des services d'un général trèshabile ; il exposa la grande armée à souffrir de la disette dans le pays de H e s s e , et finalement il manqua son but. Il faut convenir d'un autre côté q u e , si les circonstances ne permirent point au duc Ferdinand de disputer aux Français le passage de l'Ohm, il s'acquit néanmoins beaucoup de gloire dans la journée de W a r b o u r g et par la sagesse avec laquelle, sans passer le "Weser, il déjoua les desseins de Broglio et mit l'éleclorat d'Hanovre à l'abri de toute attaque. Quant à la non réussite de l'expédition de W e s e l , les circonstances que nous avons rapportées suffisent pour l'expliquer. Personne ne fut plus à plaindre dans cette rencontre que le Prince héréditaire. Il risqua sa réputation au tribunal du public, qui prononce toujours sur le mérite des généraux d'après l'événement. On lui doit cependant la justice qu'il se tira avec honneur d'un fort mauvais p a s , ayant eu à combattre à la fois, et les élémens et les forces majeures de l'ennemi, qu'il sut pourtant réduire à l'inaction.

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Relations politiques des puissances rantes, avant l'ouverture cicj la de 1761.

belligt* campagne

C I N Q ans étaient révolus déjà depuis le commencement d'une guerre où les plus grandes Puissances de l'Europe se trouvaient i m p l i quées. Elle avait dévoré déjà d'immenses trésors et des hommes par milliers, lorsque les p e u p l e s , toujours victimes de l'ambition et des querelles des r o i s , commencèrent enfin à sentir le poids accablant des fardeaux qu'ils avaient à porter. L a nation Française fut la première à s'apercevoir, avec sa sagacité naturelle , de l'obsurdité d'une guerre où elle ne combattait que pour l'intérêt de la maison d'Autriche, ennemie jurée de la France. L a perte d e plusieurs colonies dans les deux I n d e s , l'interruption du c o m m e r c e , l'accroissement des impôts occasionnés par la guerre et par les folles prodigalités de la C o u r , inspiraient à la partie la plus sensée de la nation le désir ardent de la paix , désir qu'elle manifestait ouvertement. Quelque légitimes que fussent les plaintes que le

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peuple déposait aux pieds du trône , et de quelques vives couleurs qu'il peignît la misère p u blique , les cabales des courtisans et des ministres en détournèrent néanmoins l'attention du M o n a r q u e . D'un côté , l'alliance si impolitique avec l'Autriche avait engagé la France dans u n labyrinthe dont il n'était pas facile de se t i r e r ; de l'autre , Frédéric avait soulevé contre lui les passions et la haîne personnelle des ministres(i). L e désordre extrême des finances et l'anéantissement de la marine obligea cependant le Cabinet de Versailles à songer au moins à quelques palliatifs pour soulager l'Etat. De tout tems les rois de France avaient affecté, dans le m a l h e u r , le langage de la m o d é r a t i o n , pour se tirer d'embarras à force d'intrigues. Tel fut aussi le parti que la Cour prit dans ce moment. Louis X V (i) Frédéric se délassait,au sein des lettres, des fatigues d e la guerre, IL e n t r e t e n a i t u n e correspondance avec Voltaire , d'Alembert et quelques autres littérateurs célèbres. Son goût naturel p o u r la poésie lui ispirait sou^v e n t d e s satyres où il se d é d o m m a g e a i t de tout le mal q u e ses ennemis lui f a i s a i e n t , en ne les m é n a g e a n t guères. C o m m e il avait déjà anciennement enflammé le c o u r r o u x d'Elisabeth par une pièce de vers où il s'était permis d'irriter Marie-Thérèse par un calembourg très-mordant , il Venait d'adresser de m ê m e à Voltaire u n e épître sanglante contre Choiseul. Voltaire eut l'indiscrétion d'en faire p a r t au ministre, qui ne p a r d o n n a point cet o u t r a g e a Frédéric.

adressa

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adressa à ses Alliés une déclaration tendante à leur inspirer des sentimens pacifiques. « La m France, leur dit-il, s'efforce depuis plusieurs » années, de concert avec ses Alliés, à pré» venir l'accroissement de puissance de la mai» son de Brandebourg ; mais tous ces efforts » demeurent infructueux. Une guerre intermi» nable ne sert qu'à ravager les plus belles pro» vinces de l'Allemagne. L'état des finances ne » permettant plus de subvenir aux frais énor» mes de cette guerre , il serait tems de re» noncer aux conquêtes et à tous les projets » d'agrandissement, pour ne songer qu'à con» dure une paix acceptable. >> Cette déclaration fit sur les Puissances alliées une impression proportionnée à la situation politique où chacune d'elles se trouvait à cette époque. L'affaiblissement progressif de la santé d'Elisabeth lui inspirait la plus grande indifférence pour les affaires. Aux approches de la mort, l'homme devient, d'ordinaire , insensible aux intérêts même qui l'affectaient jadis le plus vivement. L'impératrice de Russie ne se serait donc vraisemblablement point opposée à un accommodement, si son apathie même n'avait ajouté à sa condescendance pour ses favoris et pour ses ministres. Ces hommes vendus à l'Autriche représentaient à leur Souveraine qu'elle Tome II Cc

4 plan que j'avais dressé, écrivit-il à son confï)> dent Boureet, je vois que l'armée de Soubise » ne quittera les bords du Rhin que vers la fin « de j u i n , et j'en conclus que toute cette c a m » pagne sera infructueuse. » On ne peut s'empêcher d'admirer la sagacité du Ministre , qui sentait la nécessité d'ouvrir de bonne heure la campagne, et d'en pousser les opérations avec vigueur , pour appuyer les négociations qui n'étaient point encore rompues à cette époque. Quelque prudence que le Ministère français Dd 5

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se flattât d'avoir mis dans le choix des généraux et dans les instructions qu'il leur avait données , et malgré toute la condescendance avec laquelle il accueillit leurs représentations , il eut cependant le chagrin de voir les passions traverser ce concert d'opérations qu'il leur avait si fortement recommandé. L'on n'avait point jugé à propos de confier à un seul général une armée de cent soixante mille h o m m e s , qui devait agir a la fois sur différens points. P o u r ménager l'amourpropre des deux Généraux en c h e f , on avait mis chacun d'eux à la tète d'une armée séparée, en les invitant à ne rien entreprendre sans se consulter mutuellement. L'on avait même été jusqu'à circonscrire exactement, pour chacun d'eux , la sphère où il aurait seul à commander. Mesure ï a r e m e n t applicable , souvent très-dangereuse, et q u i , malgré tout le succès que l'on s'en p r o m e t t a i t , fit échouer le plan d'opération des a r mées Françaises. Si Louis X V , à l'exemple de Frédéric I I , s'était mis à la tête de ses troupes , si l u i - m ê m e avait distribué les rôles à ses génér a u x , cette campagne aurait pu être très-déciçive. Mais quel concert pouvait-on attendre de deux capitaines qui ne cherchaient qu'à se contrecarrer m u t u e l l e m e n t , aucun d'eux ne voulant partager avec l'autre la gloire des succès? Soubise était un h o m m e essentiellement orgueilleux. Respectable par sa brayoure et p a r

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son désintéressement, il était, du reste, aussi obstiné , aussi présomptueux qu'emporté. Ses lumières et ses talens n'étaient point proportionnés à la vaste étendue de ses projets. L a Cour de Versailles , dont il était le f a v o r i , avait nourri dans son àme ambitieuse cette manie de commander les armées qui le possédait. L e s fautes qu'il commit à Rossbach obligèrent ses protecteurs à le destituer. Mais ils étaient p a r venus, à force d'intrigues , à le mettre de n o u veau à la tête d'une grande armée. Il triomphait de voir en quelque façon , soumis à ses o r d r e s , le général même auquel il avait été obligé de faire place deux ans plutôt. J a l o u x par caractère , Broglio envisageait de mauvais œil le mérite de ses riyaux. Du x'este, il entendait bien la l a c t i q u e i l était entreprenant quand l'intérêt de sa gloire personnelle l'aiguill o n n a i t , et l'armée Française comptait à celte époque peu de généraux aussi habiles que lui. Son amour-propre et sa condescendance extrême pour son f r è r e , dont il suivait les conseils avec beaucoup trop de facilité , l'entraînèrent cependant plus d'une fois à commettre des fautes trèsgraves. L e procès que la bataille de Minden lui attira, avait été décidé à son avantage, parce qu'il n'avait pas Soubise pour anlagoniste, et parce que Contades avait eLé malheureux. Sa conduite en 1 7 6 0 , lorsqu'il se trouva à la tête Dd 4

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d'une armée, éclipsa la gloire du vainqueur de Bergen, et si on lui laissa le commandement en 1761 ^ ce fut uniquement parce que l'on avait résolu de le partager entre deux chefs. Tels étaient les généraux qui devaient pour lors rétablir l'honneur des armées Françaises et influer, par leurs succès, sur celui des négociations, Mais ils ne remplirent point l'attente de la Cour. Leur désunion permit, au contraire , à Ferdinand de s'opposera toutes les tentatives des armées Françaises et de résister à leurs forces de moitié supérieures aux siennes. Les Généraux français n'étaient point encore d'accord sur les mesures à prendre pour exécuter de concert les ordres de la Cour. 11 s'établit entr'eux uue correspondance où ils discutèrent longuement les raisons que chacun d'eux allégait à l'appui de son opinion. L e prince de Soubise voulait gagner Munster par la rive gauche de la Lippe. Broglio' pi'oposait de côtoyer la rive droite. 11 fallut en appeler aux décisions de la Cour, qui s'aperçut alors de la ¡mésintelligence qui régnait entre les deux généraux, et en prévit les conséquences funestes. Les Ministres ne surent eux-mêmes à quel avis ils devaient se ranger, et les ordres qu'ils envoyèrent à leurs généraux furent aussi ambigus que l'avaient été les rapports de ces derniers, On leur prescrivit de chasser les Alliés

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delà Westplialie, de conquérir Munster, Lippstadt etHameln ; mais on s'exprimait en ternies si vagues, relativement au détail des opérations, que chacun des deux capitaines put les interpréter à son gré. L'avis de Soubise l'emporta néanmoins. Il devait, en conséquence, s'avancer jusqu'à Sôst avec son armée ; Broglio , passer la Dimelavec la sienne, s'approcher de Soubise et opérer, selon les circonstances, sa jonction avec lui. On crut, de cette manière, engager le duc Ferdinand à quitter la Westplialie, plutôt que de s'exposer à voir les deux armées réunies l'écraser sans ressource ; après quoi l'on se flattait d'entreprendre , avec moins de risque, les sièges que l'on méditait. Si la Cour de Versailles désirait ardemment la conquête de la Westphalie , Ferdinand n'était pas moins convaincu de la nécessité de s'y maintenir et des malheurs dont la perte de cette province aurait été la source pour les Alliés, Pour que leur armée ne se trouvât point forcée à l'évacuer et à défendre simplement le pays d'Hanovre et de Brunsvic, il fallut songer de bonne heure à prévenir une extrémité si fâcheuse, Ferdinand n'avait que quatre-vingt mille hommes à opposer à cent soixante mille Français. Les armées Françaises n'étaient, sans doute, pas encore assez rapprochées l'une de l'autre pour agir de concert sur un seul et même point.

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Mais il ne fallait pas leur laisser le tems de se réunir. Le Duc crut doue qu'il était de sa prudence ^ au moment où les Français s'ébranler a i e n t , d a l l e r avec toutes ses forces à la rencontre de l'une des armées et de l a b a t t r e , s'il était possible , pour réduire la seconde à l'inaction. A peine l'armée ennemie du Bas-Rhin se rassemblat-elle près W e s e l et D u s s e l d o r f , et celle de Broglio aux environs de Cassel, que F e r d i n a n d concentra la sienne près Neuhans. Il posta le Prince héréditaire à M u n s t e r , et le général Spòrken à W a r b o u r g sur l a Dimel. Après quoi il attendit tranquillement la direction que les Finançais donneraient à leurs mouvemens. A l'instant où l'armée de Soubise s'ébranla, il se m i t en marche pour l'attaquer, sans laisser à B r o glio le tems de le joindre, après avoir passé la Dimel. Eflfectivement, le Duc pritlesdevans sur Soubise, dont le camp était encore à U n n a , lorsque F e r d i n a n d établit le sien près W e r l a . 11 aurait infailliblement attaqué le Général français, s'il n e l'avait trouvé dans un poste extrêmement avantageux. Moyennant une marche non i n t e r r o m p u e de trente-six h e u r e s , il conduisit insensiblement son armée dans la plaine de Dortm u n d où elle se trouvait à dos de l'armée Française. Mais quelques-unes de ses colonnes ayant été retardées par les mauvais c h e m i n s , cette manœuvre hardie ne réussit qu'imparfaitement.

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Elle alarma cependant Soubise et l'engagea à décamper. Alors les deux armées manœuvrèrent l'une vis-à-vis de l'autre , jusqu'à ce qu'enfin celle de Soubise alla se poster près Sôst, et celle des Aliiés au confluent du Sallzbach et de l'Asse. Ces camps étaient de nature que chacune des deux armées fut jalouse de demeurer dans le sien et ne voulut point attaquer , au risque de perdre l'avantage de sa position. Cependant Broglio avait passé la Dimel et repoussé le corps du général Sporken. S a marche sur Paderborn avait pour but de menacer le duc Ferdinand à revers et de le déterminer ainsi à repasser la Lippe. Mais, comme il ne se laissa point décontenancer, Broglio se contenta d'opérer sans difficulté sa jonction avec Soubise. Ils méditaient l'un et l'autre, dans ce moment, le projet de frapper un coup décisif. Avec moins de circonspection et plus d'harmonie, ils auraient infailliblement pu parvenir à leur but. Mais, à force de reconnaissances ils trahirent leur dessein. Une de ces reconnaissances occasionna même un combat assez vif où Broglio et les Alliés se disputèrent, avec la plus grande chaleur, le village de Villingshausen. Les Alliés et les Français en furent alternativement repoussés, jusqu'à ce que la nuit vint séparer les combattans. L e duc Ferdinand renouvela l'attaque le lendemain matin, chassa les Fran-

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çais du village, et les obligea à se replier, après avoir perdu cinq mille h o m m e s , sur leur camp d e Auslingshausen. L'armée de Soubise qui n'avait pris qu'une part très-faible à cette alî'aire , se retira également ^ et l'on demeura ainsi, de p a r t et d'auirejdans les positions où I on se t r o u vait antérieurement à cette bataille. 11 y a toute a p a r e n c e , du moins si l'on s'en rapporte au témoignage d'un Ecrivain f r a n çais ( i ) , que Broglio engagea ce combat prém a t u r é uniquement pour enlever à Soubise l'honneur de battre les Alliés. Il était entièrem e n t contraire au plan dont l'on était c o n t e n u avec ce d e r n i e r , de les attaquer ce jour-là, et la reconnaissance que l'on devait faire dans le voisinage de l'ennemi était, destinée simplement à déterminer avec plus d'exactitude les points sur lesquels on pourrait lrvrer l'attaque. « B r o g l i o , » dit l'auteur que nous citons, « a v a i t engagé le » combat avec beaucoup trop de c h a l e u r , et il » eut sujet de s'en repentir b i e n t ô t , ayant été » obligé de demander du secours à son collè» gue. Quelque surprise et quelque déplaisir }> que cette attaque inattendue causât à Soubise, » il était cependant sur le point de faire m a r » cher la réserve sous les ordres du prince de » C o n d é , et de prendre lui-même sur l'heure, ( i ) Gallerie des Aristocrates militaires. Article Soubise.

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» toutes les mesures dont on était convenu pour » le lendemain 5 mais les généraux Dumesnil » et Voyer l'empêchèrent d'exécuter celte ré» solution généreuse. Ils Ini représentèrent que, » s'il prenait part au combat et s'il battait l'en» nemi, tout l'honneur de la victoire revien» drait au Maréchal qui avait engagé le com» bat sans l'en prévenir et sans son concours; » que l'on ne pourrait, au contraire , lui repro» cher son inaction si le Maréchal venait à » être battu ; et que, dans ce cas, tout le blâme » en tomberait sur Broglio, dont les procédés, » dans cette occasion, démasqueraient le ca» ractère envieux ; d'où ils concluaient que le » meilleur parti à prendre élait de le laisser » dans l'embarras où il s'était volontairement » jeté. » Soubise se laissa aveugler par ces perfides conseils, et il demeura simple spectateur de la défaite de Broglio, qui s'en plaignit amèrement. En supposant même que l'auteur de la Gallerìe des Aristocrates militaires charge o

un peu trop le tableau qu'il nous présente il n'en demeure pas moins vrai que les caractères des deux Généraux contrastaient assez pour donner lieu à expliquer leur conduite par de semblables motifs. Bourcet ( 1 ) , lui-même, tout en ménageant davantage ses expressions, fait une ( 1 ) V o y e z ses Mémoires historiques, etc. tome. II, p. 9 2 .

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critique très-sensée de la conduite des deux Généraux français dans cette rencontre. Le combat de Villingshausen changea extrêm e m e n t la face des affaires. L'échec que les Français y avaient reçu n'était pas fort consid é r a b l e , et cependant il fit une très-grande impression sur les Généraux français qui s'étaient promis de leur jonction les plus grands a v a n tages, et qui ne doutaient plus de la prochaine déroute des Alliés, s'occupant déjà des préparatifs qu'il faudrait bientôt faire pour assiéger les forteresses de Westphalie. Ils se faisaient des reproches l'un à l'autre, et chacun d'eux cherchait à présenter sa conduite au Ministère dans le jour le plus favorable. Choiseul, qui en démêla les vrais motifs, les censura vivem e n t , et leur ordonna expressément, de la part du R o i , d'attaquer une seconde fois les Alliés, pour ne pas p e r d r e , à des diversions inutiles, un tems précieux ; mais cet ordre n'était plus exécutable, attendu que les deux armées s'étaient déjà séparées lorsqu'il arriva de V e r sailles. L a perte qu'elles avaient essuyée à Villingshausen n'était pas de très-grande conséquence pour de6 armées si nombreuses. Elles en i m p o saient assez au duc F e r d i n a n d ,, pour ne pas lui permettre de quitter la position avantageuse où il s'était maintenu. Il aurait donc suffi qu'elles

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demeurassent réunies pour faire , avec plus de succès, de nouvelles tentatives. M a i s les deux Généraux français n'étaient pas plus d'accord sur ce point qu'ils ne l'étaient en général sur le plan d'opérations projeté à Versailles. Soubise voulait que l'on se concentrât en niasse près Paderborn, pour gagner de là les sources de la Lippe e t d e l ' E m s . Broglio, au contraire, qui n'avait consenti qu'à regret à la jonction, soupirait après le moment où les armées se se'pareraient de nouveau. Persistant dans son opinion qu'il fallait, par une diversion dans l e pays d'Hanovre , attirer le duc Ferdinand au delà des bords du W e s e r , il proposa à Soubise de lui donner un renfort de trente mille homm e s , et de s'occuper, avec le reste de l'armée du B a s - R h i n , à retenir les Alliés dans leur camp près Hohenofer et à couvrir la Hesse , pendant q u e , de son côté, il se porterait du côté du W e s e r et au delà de ses rives. D'après les ordres de la C o u r , il était permis aux généraux de renforcer l'une des armées aux dépens de l'autre, dans le cas où ils voudraient entreprendre un siège; mais il était positivement statué qu'ils n'auraient recours à une mesure de ce genre qu'après avoir remporté une victoire et réduit les ennemis à la défensive. O r , les choses n'en étaient pas à ce point; les A l l i é s , au contraire, venaient de v a i n c r e , et

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cependant Soubise accepta la proposition que Broglio lui faisait : il lui accorda un renfort de trente mille hommes,commandés par Du Muy. Lui-même prit le chemin des montagnes situées derrière la Ruhr, pendant que Broglio se préparait à gagner les bords du Weser. L a nouvelle de la séparation des armées causa la plus grande surprise aux Ministres. Ils reprochèrent avec beaucoup d'amertume aux Généraux leur désobéissance, dont ils prévoyaient les conséquences fâcheuses. Alarmés de ces reproches , les Généraux ne surent à quoi se décider. Une nouvelle jonction était devenue presque impossible ,, le duc Ferdinand s'étant posté trèsavantageusement entre les deux armées, et n'attendant que leurs mouvemens ultérieurs pour les traverser. Ils tâchèrent donc de justifier de leur mieux le parti qu'ils avaient pris. Les Ministres , cédant aux circonstances et se laissant entraîner par la rodomontade de Broglio, approuvèrent enfin leur conduite, quoique Choiseul continuât à augurer très-mal du succès de la campagne. Il ne se trompa point, et l'extrême condescendance du ministère, pour les généraux qui ne consultaient que leurs passions , fit avorter les grands desseins que l'on s'était proposé d'exécuter en Allemagne. On se borna j durant le reste de la campagne , à des marches et à des contre-marches qui n'aboutissaient

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boutissaient à rien.°Soubise menaça, à la vérité, Munster, mais il fut obligé de renoncer au dessein de s'en emparer , le Prince héréditaire de Brunsvic l'ayant prévenu. Il lit néanmoins tout ce qui était en son pouvoir pour seconder, par différentes petites expéditions, les opérations de Broglio. Celui-ci ne croyant pas ses forces suffisantes, quoiqu'il eût quatre-vingt mille hommes à sa disposition, Soubise eut la complaisance de lui envoyer un nouveau renfort de dix mille hommes, sous les ordres du général Lévis. Mais les entreprises de Broglio, au delà du Weser , ne réussissant point au gré de ses vœux , il repassa le Rhin , vers la mi-novembre , pour prendre ses quartiers d'hiver. Broglio avait passé le Weser près Höxter, dans l'intention de menacer le pays d'Hanovre et d'y transporter le théâtre de la guerre. Le duc Ferdinand le suivit jusques sur la rive gauche du Weser; mais il se garda bien de quitter la Westp'halie , et d'exposer ses magasins établis dans cette province. Tout ce qu'il put faire d'abord pour la défense du pays d'Hanovre, fut de détacher, au delà du Weser, les troupes légères du général Luckner, etun petit corps sous les ordres du prince Frédéric-Auguste de Brunsvic. Ce dernier corps était destiné à occuper la ville d Hanovre. Le Duc lui-même demeura immobile près Höxter, s'efforçant d'arrêter Broglio dans la carTome II. Ee

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rière épineuse où il venait de s'engager trèsimprudemment. Entraver la communication des ennemis avec Gôttingue qui était leur principale place d'armes, et menacer la Hesse d'une invasion , tels étaient les deux moyens à l'aide desquels on pouvait espérer de faire manquer le projet de Broglio. L e D u c essaya d'employer l'un et l'autre de ces moyens , par où il réussit au moins à retarder la marche des ennemis du côté de l'électoral d'Hanovre et du duché de Brunsvic; car, à peine le général Wangenheim se montra-t-il au delà du W e s e r , que Broglio en fut très - alarmé ; et lorsqu'il apprit que les Alliés s'approchaient des frontières de la Hesse, il déiaclia incessamment une partie de son armée au secours du comte Stainville, et l u i - m ê m e se rendit à Cassel. L e duc Ferdinand ne se proposait pas de pousser cette entreprise avec vigueur. Il voulait simplement donner le change à l'ennemi, et avoir l'air d'attaquer. Aussi reprit-il sa première position du moment où il apprit que les F r a n çais s'étaient mis en marche pour la Hesse. Broglio n'ayant donc plus rien à appréhender de ce c ô t é , retourna à Eimbeck , y rassembla son armée et se disposa de nouveau à exécuter son plan favori. Déjà le comte de Lusace s'était emparé de Wolfenbuttel , et Brunsvic aurait e'prouvé le même sort, si le prince Frédéric-

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Auguste n'avait donné une belle preuve de ses talens, en se jetant dans la résidence du Duc son père, pour la défendre. Cette circonstance , l'approche des généraux Wangenheim et Luck11er, ainsi qu'une nouvelle marche de Ferdinand du côté de la Hesse,alarmèrent Tes Français. L e comte de Lusace leva le blocus de Brunsvic, et il évacua même Wolfenbuttel, pour se replier sur l'armée, qui de Jandersheim se préparait à reprendre le chemin de la Hesse. L e mois d'octobre se passa ainsi en marches et en contre-marches, jusqu'à ce que Ferdinand, n'ayant plus rien à craindre de Soubise, pût prendre des mesures plus vigoureuses pour s'opposer aux progrès ultérieurs des ennemis dans le pays d'Hanovre. Alors il passa te Weser, Broglio concentra son armée près Eimbeck, et l'on s'attendait à une bataille décisive. Mais les deux Généraux avaient leurs bonnes raisons de ne point s'y engager. Ils attendirent donc l'approche de l'hiver pour prendre sans danger leurs quar-> tiers , qu'ils disposèrent à-peu-près comme ils l'avaient été l'année d'auparavant. Ainsi se termina une campagne, dont la Cour de Versailles s'était promis de si grands avantages , et à laquelle elle avait consacré dés sommes si considérables. Elle n'en retira ni gloire ni profit. Sans avoir gagné un pouce de terre, les armées Françaises arrivèrent aux Ee a

456 GUERRE DE SEPT ANS. quartiers d'hiver dans l'état le plus déplorable. Le duc Ferdinand , au contraire , eut l'honneur de s'être maintenu contre des forces très-supérieures dans la situation où il s'était trouvé à l'ouverture de la campagne.

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XV.

Campagne du Roi de Prusse contre les Autrichiens et les Russes en Silésie. Laudon s'empare de Schweidnitz, le 3o septembre 1761, par un coup de main.

L e roi de Prusse avait été obligé d'épuiser toutes ses ressources dans la campagne précédente , pour résister à ses formidables ennemis. Quelques efforts qu'il fît en 1761, il ne se trouva point en état de leur opposer des forces proportionnées à celles qu'ils employaient contre lui. Cent vingt mille Russes et Autrichiens menaçaient à la fois la Silésie. Le Roi n'avait que einquante-huit mille hommes pour la défendre. Le prince Henri devait se maintenir en Saxe avec trente-deux mille hommes contre Daun et tes troupes de l'Empire. Onze mille hommes, sous les ordres du prince de Wurtemberg,

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étaient destinés a combattre en Poméranie les armées Suédoise et Russe. Il serait difficile assurément d'imaginer une situation plus critique, et il n'est pas étonnant que l'Europe entière fixât avec surprise ses regards sur Frédéric. Réduit par - tout à la défensive , il ne songea qu'aux moyens, sinon de déjouer, du moins d'entraver les desseins de ses ennemis, et de retarder leurs progrès alarmans. Le récit succinct des opérations de Frédéric en Silésie mettra nos lecteurs à même d'admirer la sagesse avec laquelle le grand-homme, secondé par la fortune, sut se tirer d'une position aussi embarrassante, et prévenir sa ruine si vraisemblable. A la fin de la campagne précédente, le général prussien Goltz , qui devait couvrir les frontières de la Silésie, à la tête d'un corps de vingt mille hommes, avait fait avec Laudon une convention par laquelle ils s'étaient réciproquement engagés à ne pas s'inquiéter dans leurs quartiers d'hiver. Le prince de Bernbourg avait, à la vérité, violé cette convention en surprenant le poste avancé des Autrichiens à Silberberg, pour tirer des recrues du comté de Glatz. Laudon aussi s'était permis d'enfreindre la convention, en enlevant la garnison Prussienne de Frankenstein ; et il y avait lieu de croire que ces hostilités troubleraient le repos des armées. Mais elles n'eurent aucunes suites ultérieures j Ee 3

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les deux généraux étant également intéressés à les p r é v e n i r , G o l t z , à raison de la faiblesse d u corps qu'il c o m m a n d a i t , et L a u d o n , parce qu'on lui avait expressément ordonné d'attendre l'arrivée des Russes , pour commencer les o p é r a tions , et pour les pousser v i g o u r e u s e m e n t , en réunissant ses forces aux leurs. M a i s l'activité de L a u d o n et son caractère entreprenant ne lui permirent point de s'en tenir scrupuleusement à cet ordre. Après les deux actes hostiles dont nous avons p a r l é , la convention avait été p r o l o n g é e , et quoiqu'elle dût expirer seulement le 26 mai il en fixa le terme au 18 avril, l i s e flattait, sans d o u t e , de s u r prendre Goltz dans ses quartiers de cantonnem e n t , de les isoler et d'écraser ensuite son c o r p s , c o m m e il avait détruit l'année précédente celui de Fouquet. A v a n t même que la convention fût e x p i r é e , il avait concentré les corps des généraux Bethlem e t D r a s k o w i t z , e t il avait fait approcher des frontières de Silésie ceux de ses régimens qui cantonnaient en Bohême. Mais ces divers mouveniens n'échappèrent point à la vigilance de Goltz. Craignant d'éprouver un sort pareil à celui de F o u q u e t , il^vait rassemblé en diligence son corps aux environs de S c h w e i d n i t z , et il l'avait posté de manière à pouvoir défendre tous les passages qui conduisaient à la plaine. Laudon voyant donc son attente t r o m p é e , alla camper

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près Waldenbourg ; et quoiqu'il fît toutes sortes de démonstrations qui semblaient annoncer une attaque prochaine, il n'osa pas néanmoins se hasarder à livrer, contre les ordres exprès de la C o u r , des combats dont l'issue lui paraissait trop incertaine; et l'ôn vit régner de celte manière dans les deux armées un repos aparent. Gependaut le Roi ayant appris que le Autrichiens avaient accéléré le terme de la convention , il redoubla de diligence pour gagner la Silésie. A la tcte de trente-trois bataillons, de soixante-trois escadrons, et de huit batteries de gros canons, il passa l'Elbe près Strehlen , et vola au secours de Goltz. Sa marche fut prodigieusement rapide. 11 fit trente et un niilles eu dix jours. L'armée n'eut, durant cette marche , qu'un seul jour de repos, et cependant elle en supporta gaînient les fatigues, parce que l'on avait eu soin de pourvoir abondamment à sa subsistance dans tous les lieux où elle passa. Frédéric savait que celte précaution est indispensable pour encourager le soldat allemand aux entreprises les plus pénibles. Aussi l'employa-l-il toujours avec succès dans plusieurs de ses campagnes. Aussitôt qu'il fut arrivé à Schweidnitz, il attira à soi une partie du corps de Goltz, et posta son armée de manière à opposer les plus grands obstacles aux progrès de l'ennemi, qui Ee 4

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n'avait point encore reçu les renforts très-considérables que Daun devait lui envoyer. Goltz marcha incessamment avec le reste de son corps à GIogau,pour y observer les mouvemens des Russes. Il avait à peine douze mille hommes à sa disposition. Encore fallut-il en détacher deux mille grenadiers , sous les ordres du général T h a d d e n , pour renforcer le prince de W u r temberg , qui s'était campé près Colberg en Poméranie* Un corps de dix mille hommes était, sans dou te , trop faible pour tenir tête à c i n quante mille Russes; mais ces derniers étaient encore trop occupés des préparatifs de leur cam* pagne, pour risquer avec promptitude quelque grande entreprise. L'on avait tracé à tout événement un camp retranché près Glog'aj.1.. Gqltz et le. prince de W u r t e m b e r g avaient ordre de se donner la m a i n , selon que les circonstances l'exigeraient, jusqu'à ce que le Roi ou le prince Henri fussent en état d'aller au secours de l'un ou de l'autre. Telles étaient les positions que les Prussiens avaient choisies, pour résister à tous les e n nemis dont ils se voyaient entourés. Tant que l'on ne sut point avec certitude de quel côté l'armée Russe dirigerait ses opérations, on demeura de part et d'autre dans l'inaction la plus complète. L'on était également intéressé des deux côtés à n'en point sortir. L a petite guerre

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des postes avances et des partisans, tant en Saxe que dans les montagnes de Silesie, était absolument insignifiante 3 et destince simplement à occuper le public. Les succès y f u r e n t alternatifs. Cependant les Russes seiant ébranlés vers la fin de j u i n , on commença à prévoir des évènernens plus importans. Le feld-maréchal Butturlin avait ordonné à son armée de se rassembler près Posen. Cependant les quatre divisions , dont elle était composée j se trouvaient encore tellement séparées, que Goltz proposa au Roi de lui envoyer des renforts , à l'aide desquels il pourrait attaquer ces divisions isolées , et prévenir en les dispersant les progrès ultérieurs des Russes. D'après les ordres exprès du R o i , on avait fait des tentatives du même genre dans les campagnes précédentes, mais elles avaient toujours été infructueuses. Frédéric se flatta peut-être que Goltz , e n qui il avait beaucoup de confiance, v i e n drait à bout de ce que Dohna n'avait pu effectuer avant sa disgrâce. 11 accepta la proposition de Goltz , et pour le mettre à même d'exécuter une entreprise qui attestait sa bravoure , il envoya huit mille h o m m e s à G l o g a u , sous les ordres du général Schmettau. Mais Goltz mourut le jour même où il devait commencer ses opérations, et l'armée Prussienne p e r d i t , par son décès, l'un de ses meilleurs généraux.

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Cet incident inattendu fit échouer l'entreprise de Goltz. L e Roi confia , à la vérité, au lieutenant-géjiéral Ziethen , le commandement de la petite armée rassemblée près G l o g a u , et celui-ci, sans perdre de tems, ordonna à cette armée de se mettre en marche. Mais les jours durant lesquels Gollz avait compté venir à bout de son dessein étaient écoulés. Toute l'armée Russe élait rassemblée déjà dans le camp près Czeinpin, et elle avait occupé les défilés qui traversent les marécages de Zartsch et deDeutschGross. Ziethen ne put donc pénétrer au delà d e Kosten , parce que trouvant toutes les divisions Russes réunies, il ne jugea point à propos de passer la rivière d'Obra, dont les bords sont marécageux , et parce que la multitude de cosa-* ques qui infestaient la contrée ne lui permit pas de s'instruire exactement des mouvemens de Butturlin. Cependant l'on s'aperçut enfin qu'il semblait diriger sa marche du côté de Breslau. Frédéric crut peut-être que la mort subite de Goltz ayant fait échouer le plan de' ce général , et les circonstances ne permettant plus de l'exécuter „ il valait mieux se tenir simplement sur la défensive, vis-à-vis les Russes ; ou b i e n , apprenant que l'on s'attendait, d'un jour à l'autre , au décès de l'impératrice Elisabeth, il s'imagina que Butturlin aurait égard aux dispositions connues du Grand-Duc, et ne pousserai^

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pas ses opérations avec beaucoup de vivacité. Quoiqu'il en soit, il ordonna à Ziethen de ramener son armée à Breslau, de la diviser en deux corps et d'occuper deux camps différens au delà des bords de l'Oder. L'un de ces corps, commandé par Ziethen, était destiné ou bien à défendre la forteresse de B r i e g , supposé que les Russes l'assiégeassent, ou bien à rejoindre l'armée principale, si les circonstances l'exigeaient. Quant au corps que Goltz avait autrefois commandé, le Roi le confia au général Knoblauch, et v il le consacra à la défense de Breslau. Sur ces entrefaites, il s'opéra aussi des changemens dans la position des armées qui occupaient les montagnes. L'approche des Russes détermina enfin Laudon à s'ébranler aussi de son côté. Les Prussiens occupant les rives de l'Oder, il se décida à opérer sa jonction avec les R u s ses dans la Haute-Silésie. Pour cet éffet il y établit de grands magasins, y envoya des renforts au général Bethlem, et il donna à connaître,par les mouvemens de son aîle droite, qu'il se proposait de couper au Roi sa communication avec la Neisse. Rien ne l'aurait empêché alors de donner la main aux Russes , qui devaient passer l'Oder aux environs d'Oppeln. Il ne s'agissait donc que d'exécuter heureusement ce- dessein. Laudon s'y prit très-bien, et il aurait infailli-

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blement atteint son b u t , s'il n'avait été induit en erreur par les faux rapports de Brentano , auxquels il ajouta plus de foi qu'à ceux du g é néral Luzynski , quoique ces derniers fussent seuls conformes à la vérité (i). Quelque soin que les ennemisprissent de cacher leur véritable dessein au R o i , il le démcla cependant , et il se hâta d'en prévenir l'exécution. L e s deu$ armées aspiraient également à s'emparer des hauteurs de Gross-A ossen,poste si important que celle des deux qui aurait le bonheur d'être la première à le gagner,pouvait compter infailliblement sur le succès de ses opérations ultérieures. ( i ) Brentano et Luzynski avaient ordre d'observer attentivement,chacun de sôn coté, les mouvemens des Prussiens. Ils détachèrent' i'un et Vautre de fortes patrouilles pour le« reconnaîtrei Malheureusement l'officier employé par Brentano s'acquitta de sa commission avec autant de négligence , que celui dont Luzynski se servit montra de sagesse et d'activité. Les relations des deux généraux lurent donc entièrement c'ontiadictoires,et la prédilection de Laudon pour Brentano l'engagea à s'en rapporter à celle de ce dernier. Luzynski qui était sûr de son f a i t , lie réprima poiut p.sisez les môuvemens d'orgueil auxquels il est si facile de s'abandonner , quand on a fait son devoir. Mais il éprouva le sort -auquel doivent s'attendre tous ceux qui se permettent de critiquer la conduite de leurs supérieurs. Ces derniers pardonnent d'autant moins les critiques , qu'elles sont plus fondées, et Luzynski fut c i i l é de l'armée de Laudon à celLe de l'Empire.

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Frédéric et Laudon dirigèrent donc tous deux leur marche vers ce point décisif. Au moyeu d'une manœuvre Irès-hasardeuse, mais exécutée avec autant d'art que de rapidité, Frédéric y parvint avec les Autrichiens. ïl dispersa les personnes qu'il y trouva occupées à tracer le camp, et il y en eut plusieurs qui tombèrent en son pouvoir. Laudon, voyant que les Prussiens avaient tourné son flanc droit et qu'ils ne lui permettraient pas de continuer impunément sa marche , l'énonça à son dessein, et le Roi eut le bonheur de rétablir ainsi sa communication avec la Neisse, Il fallut alors dresser un nouveau plan pour opérer la jonction avec l'armée Russe- Laudon voulut essayer dans la Basse-Silésie ,, ce qu'il n'avait pu effectuer dans la Haute ; et la fortune le favorisa. Il envoya le général Carawelly à l'armée Russe qui s'était avancée à pas de tortue jusqu'à Namslan. Ce général devait engager Butturlin à passer l'Oder, près Leubus, et à se joindre aux Autrichiens au pied des montagnes. L e Général russe accepta d'autant plus volontiers cette proposition, qu'il y yoyait le double avantage de se rapprocher des convois dé vivres qu'il attendait de Pologne et de ralentir ses opérations. Ce plan était de nature que Frédéric ne pouvait guères imaginer qu'on l'adopterait. Cela

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était absolument hors d'aparence. Laudon n'avait point de magasins considérables dans la partie de la Bohême qui avoisine les montagnes de Silésie; il avait fait, au contraire, de grands approvisionnemens dans la Haute-Silésie. L'armée Autrichienne n'avait presque fait qu'un pas en arrière, et six mille Russes avaient insensiblement joint le corps de Bethlem qui venait de recevoir des renforts. Toutes ces circonstances confirmèrent l'opinion du R o i , qui pensait que Laudon cherchait à attirer son attention , pour mettre Bethlem à même de gagner Oppeln par une marche forcée, pendant que les Russes tiraient du même côté le long de la rive droite de l'Oder. Cette conjecture fit croire à Frédéric qu'il était absolument nécessaire de i'epousser Bethlem des environs de Schellenwalde, pour empêcher, de cette manière, la jonction présumée. L'armée Prussienne passa la Neisse sur dift férens ponts de bateaux, et les corps de Ziethen et de Knoblauch q u i , pendant la marche du R o i sur G r o s s - N o s s e n , s'étaient avancés jusqu'aux bords de la Neisse, suivirent l'armée. Elle passa la nuit près Lindewiese et poussa son avant-garde jusqu'à Schellenwalde. L e Roi tira le lendemain, avec onze mille hommes ^ du côté de Neustadt, où le corps de Ziethen vint le joindre. L e reste de l'armée demeura à Op-

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persdorf, sous les ordres du comte de W i e d , pour observer les raouveniens de Laudon. Cet habile général, dont l'intention était en partie de soutenir au besoin le corps de Bethlem, en partie d'occuper le R o i dans cette contrée, pour laisser aux Russes le tems de gagner Leubus, passa également la Neisse, et se campa près Barsdorf. 11 réussit effectivement à engager le R o i , par ce stratagème,à ramener du côté de Oppersdorf, la plus grande partie de l'armée rassemblée à Neustadt,en abandonnant à Ziethen le soin de chasser le général Draskowitz, posté près Jàgerndorf. De plus, une reconnaissance que Laudon fit avec un appareil imposant du côté du camp Prussien, détermina le R o i à attirer a soi Ziethen > auquel.Draskowitz avait échappé. Laudon se conduisit dans cette occasion avec une sagesse digne des plus grands éloges. Pour donner la main aux Russes, il se vit obligé de retourner, sur ses pas à travers les montagnes. Il fallut aussi , en tâchant de donner le change au R o i , user de la plus grande circonspection, afin de ne pas s'exposer à être attaqué, peut-être battu , ou du moins forcé à abandonner encore ce nouveau plan d'opérations. Or , voilà ce qu'il fit avec beaucoup d'art et beaucoup de prudence. Sans doute que le grand nombre de troupes légères qu'il avait à sa disposition et qui l'aidaient

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à masquer tous ses mouvemens, lui rendit des services essentiels. Elles l'aidèrent à dérober ses intentions au R o i , qui ne put empêcher pour le moment la jonction de ses ennemis, après l'avoir traversée avec tant de succès dans la HauteSilésie. L e s Russes étaient aussi ébranlés de leur côté ; mais leur marche fut très^lente (i). Quelque dépité que Laudon fût de cette lenteur, et avec quelque impatience qu'il désirât de se rapprocher des Russes , il évita cependant avec le plus grand soin de donner prise sur s o i , attendu que toute l'armée Prussienne était rassemblée dans la plaine de Strehlen. Il ne sortit point des montagnes. L e s corps avancés de Janns et de Brentano furent les seuls qui se montrèrent, pour empêcher le Roi de découvrir les mouve-1 mens de son adversaire. L e s causaques qui parcouraient la contrée, masquèrent également ceux des Russes, et tous les détachemens que le Roi envoya à la découverte, ne purent lhi donner des nouvelles certaines de ce qui se passait. L'armée de Latidon semblait s'être éclipsée , et Czernitschew donna lieu à toutes sortesCi) ce Les Russes, dit M. de Tempelhof, mirent douze » jours à se rendre de Namslem à Leubus , ce qui fait » un mille par jour. « Voyez Hisioire de la guerre de sept ans , t o m , V . p .

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de conjectures en attaquant Breslau. Jusques-là, le Roi s'était imaginé que les Russes n'ayant point réussi à pas er l'Oder à Ojipeln , en tenteraient le passage à Ohiau. Les démonstrations de L a u d o n , du côté de Munsterberg , étaient venues à l'appui de cette supposition , et Frédéric s'était posté en cousjquence à Strehlen pour y traverser la jonction des deux armées. Alors il crut que Butturlin se proposait de côioyer l O d e r pour gagner Glaugau , et qu'il ferait quelque tentative contre cette forteresse ; celle qu'il avait faite de surprendre Breslau ayant été déjouée par la soudaine anarition du corps de Knohlauch. L'art avec lequel les ennemis cachaient leurs desseins au R o i , le jetait dans le plus grand embarras. Les rapports de ses généraux étaient a m b i g u s , et il se vit obligé d'abandonner au hasard le succès des moyens qu'il employa pour parvenir a son but. II ne démêla le véritable dessein des ennemis qu'au moment où le commandant de Schweidnitz lui notifia que les Autrichiens avaient dressé un camp très-étendu entre Bogendorf et Hohenfriedberg. Il reçut en même tems la nouvelle provisoire que les Russes se préparaient à passer l'Oder près Leuben. Alors seulement il se convainquit que les ennemis se proposaient d'efleetuer leur jonction dans îa Basse-Silésie; mais il n'en douta presque plus, Tome IL Ff

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lorsqu'il apprit que les Autrichiens venaientd'occuper J a n e r etStrigau. Il crut qtie Laudon allait quitter le pied des ntonlagnes et tirer du côté de la plaine pour donner la main à ses Allies. Son désir le plus ardent fut de s'y rencontrer et de mettre à profit l'une des manœuvres auxquelles son armée était le plus exercée, en l'attaquant en pleine marche ou du moins au moment où il ne s'y attendrait pas. 11 marcha donc sur Kantçn et se posta de manière à ne pas douter du succès de l'opération qu'il méditait. Mais Laudon était beaucoup trop circonspect pour s'exposer à quelque grand danger en faveur des Russes. Il ne quitta point les montagnes , prétendant que la jonction des deux armées s'y opérât, et trompant ainsi l'attente du R o i , Frédéric partait de l idée que le Général autrichien se trouvait dans l'obligation de marchera la rencontre des Russes, sous peine de leur rendre ses intentions suspectes. 11 s'avança donc jusqu'aux hauteurs de J e m k a u , espérant de trouver Laudon aux environs de Janer. 11 lit moins d'attention aux mouvemens des Russes dont une division de douze mille hommes avait déjà passé l'Oder et s'approchait de Parchwitz. Cette insouciance tenait., sans doute ^ au système qu'il avait adopté de n'attaquer les troupes Russes qu'à la dernière extrémité , et lorsqu'il s'y voyait absolument forcé. Heureusement B u l l u r l i n , de son côte',

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ne demandait pas mieux que de n'ctre point attaqué. Il n'est donc pas étonnant que lesPrus» siens n'aient eu à essuyer que de légères escarmouches de la part des Cosaques ; et Laudon s'étant destiné à ne point sortir de son camp , il n'y eut pas moyen d'empêcher la jonction des deux armées. Cependant le R o i s'était avancé avec une partie de son armée jusqu'à JNicolstadt, tandis que les Russes marchaient sur Klemmeritz. L e s Prussiens accueillirent les Cosaques, et la cavalerie Russe destinée à couvrir cette marche, avec des silves de grosse artillerie , qui décidèrent Laudon à marcher avec quarante escadrons au secours de ses Alliés qu'il croyait en danger. L a cavalerie légère des Prussiens qui marchait à la tête de leur avant - garde , rencontra aux environs de Strachwitz une partie de la colonne de Laudon. T r o i s régimens de cuirassiers Autrichiens furent renversés en un clin d'œil. U n régiment de dragons Prussiens s'étant aventuré avec trop de chaleur, se vit entouré par les cavaliers ennemis et par les Cosaques. Obligé de se faire jour l'épée à la m a i n , ce régiment essuya une grande perte. L e R o i accourut avec un petit détachement d'infanterie, et son artillerie ayant été très-bien s e r v i e , il contraignit les Autrichiens à se replier sur l'armée Russe. Ff a

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Laudon et Butturlin se prodiguèrent des démonstrations d'amitié, qui ne parlaient pas du cœur. Ils se défiaient l'un de l'autre. Laudon était mécontent de la lenteur des Russes. Butturlin , persuadé qu'il avait fait tout ce que sa situation lui avait permis de faire en faveur des Autrichiens, ne pardonnait pas à Laudon de l'avoir abandonné à son sort et au danger d'être attaqué et battu ; danger auquel il n'aurait effectivement pas échappé si le Roi avait été disposé à se mesurer avec les Russes. On blâmait L a u d o n , même dans l'armée A u t r i chienne , d'avoir montré si peu d'activité et surtout de n'avoir point profité du moment où il aurait été si facile d'attaquer les divisions isolées des Prussiens. Cette assertion était d'autant plus fondée, qu'en supposant même Butturlin peu porté à seconder puissamment ses Alliés , la présence seule des Russes aurait suffi pour occuper le Roi d'un côté , tandis que les Autrichiens auraient p u , de l'autre, tomber sur lui avec toutes leurs forces. Si Laudon ne tenta point cette entreprise dont le succès aurait vraisemblablement été très-décisif, ce ne fut ni par pusillanimité ni par impéritie. 11 venait de prouver ses talens par des marches très-savantes , et l'on sait qu'il était incontestablement de tous les Généraux autrichiens le plus entreprenant. Il y a donc aparence q u e , se souvenant de la b a -

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taille de L i e g n i t z , il n'osa braver la tactique des Prussiens et le génie de Frédéric. Ce qui est cependant plus vraisemblable encore, c'est qu'il fut obligé de céder à la maxime favorite du Cabinet de V i e n n e , toujours disposé à rejeter sur ses Alliés le fardeau de la guerre. ButLurlin prouva qu'il interprétait ainsi la conduite de L a u d o n ,' analogue à celle des Généraux a u t r i O chiens dans les campagnes précédentes ; car il exigea impérieusement que toute l'armée A u trichienne vînt à lui j supposé qu'elle eût effectivement dessein d'effectuer la jonction projetée. Q u e l q u e répugnance que Laudon eût à quitter les m o n t a g n e s , il fut néanmoins o b l i g é de s'y résoudre. 11 marcha donc sur trois colonnes vers J a u e r , pendant que B e c k , jusqu'alors posté près Zittau , se rendit à Liegnitz , par Goldbcrg. C e fut là que la jonction effective des deux armées s'opéra enfin. C o m m e elles se trouvaient alors assez r a p p r o chées pour se donner la main , la situation du R o i en devint très-critique. Il avait devant soi les R u s s e s e t les Autrichiens à sa gauche. S'ils l'eussent attaqué de concert avec intelligence et avec v i g u e u r , ils auraient pu lui porter u n coup très-sensible. Il était dans une situation à-peu-près semblable à celle où il s'était trouvé antérieurement à la bataille de L i e g n i t z , e x cepté que la route de Schweidnitz lui était e n Ff 5

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core ouverte. En supposant même que ses ennemis ne profitassent point de la grande supériorité de leurs forces pour l'attaquer dans les postes qu'il occupait, ils pouvaient du m o i n s , sans beaucoup de difficultés , assiéger Sehweidn i l z , pour commencer ainsi la conquête de la Silésie , s'y ménageant une place d'armes. L e Roi sentit donc la nécessite de se rapprocher d'une fortei'esse regardée à juste tilre comme la clef de cette province qui , depuis l'année 1 7 4 2 , est, pour l'Autriche et pour la Prusse, une pomme de discorde. Dans celte intention il résolut de g a g n e r , par une marche forcée, le poste extrêmement avantageux de K.untzend o r f , avant que Laudon put s'y établir de nouveau. C'était une résolution très-hardie. Le désespoir l'inspira à Frédéric , et s'il lui avait été possible de l'exécuter, ii en aurait retiré beaucoup de fruit. L'armée Autrichienne, séparée de ses magasins , aurait été réduite à l'impossibilité de pourvoir à la subsistance des Russ e s , et ces derniers auraient eu un prétexte pour repasser l'Oder, afin de se rapprocher de leurs propres magasins. Mais quelque h a r d i e , .quelque adaptée aux circonstances que fût cette entreprise du R o i , quelque honneur qu'elle eût fait à ses talens militaires, elle ne fut point couronnée de succès. L a vigilance soutenue de Laudon prévint les Prussiens ; et lorsque la

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tète de leurs c o l o n n e s a p p r o c h a des m o n t a g n e s , elles les virent déjà o c c u p é e s p a r l'ennemi. F r é d é r i c n'avait plus d'autre parti à p r e n d r e que de poster ses troupes aussi a v a n t a g e u s e m e n t qur'il serait p o s s i b l e , afin d'empêcher les Autri-* chiens d'assurer S c h w e i d n i t z et p o u r mettre e n m ê m e lems Breslau à c o u v e r t des sentreprises d e l'armée Russe. L e R o i choisit p o u r s'y poster l a c o n t r é e située entre B u n t z e l w i t z et T s e h e c h e n . Il s'y retrancha a v e c b e a u c a u p d'art, et ne n é g l i g e a aucune p r é c a u t i o n p o u r s'y maintenir à f o r c e de v i g i l a n c e . C e c a m p retranché ressemblait e n q u e l q u e façon h une f o r t e r e s s e , dont le c a n o n d é f e u d a i t si b i e n les trois points sur lesquels l e R o i aurait pu être a t t a q u é , q u e les A u t r i c h i e n s eussent p a y é cher la m o i n d r e tentative de l'emporter d'assaut ( i ) . L e R o i , Ziiethen et R a m i n se c h a r g è r e n t c h a c u n de d é f e n d r e l'un de ces trois points. P o u r é v i t e r u n e , surprise dans le g e n r e de c e l l e de H o c h l u r c h on o r d o n n a a u x soldats de d o r m i r le jour et de passer l a nuit sous les armes. F r é d é r i c ayant pris ces s a g e s m e s u r e s , il en a b a n d o n n a le succès h la f o r t u n e , L a u d o n vit les Prussiens se retrancher tous ( I ) V o y e z u n e d e s c r i p t i o n détaillée de ce c a m p , a c c o m p a g n é e d ' u n p l a n t r è s - e x a c t d a n s l'Histoire de la g u e r r s d e sept a n s , p a r Tempelhofy

t o m . V , p. i a 4 ,

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GUERRE DE SEPT .A If S.

les jours davantage , et quand il se fut bien convaincu du dessein qu'ils avaient formé de s'emprisonner en quelque sor'.e dans leur nouveau camp, il se hasarda enfin à quitter les montagnes et à se montrer dans la plaine. Il attira les Russes à soi. Les deux armées réunies bloquèrent pour ainsi dire le camp du Roi ; mais après des reconnaissances trèf-attentives,' elles ne jugèrent point à propos de l'attaquer pour le moment. Cependant Laudon se persuada enfin qu'il ne serait pas impossible de forcer les retranchemens des Prussiens. La conquête de Schweidnitz était à ce prix. La saison la plus favorable aux opérations militaires était presque écoulée sans que l'on en eût profité; les deux armées se trouvaient réunies; l'inaction du Général autrichien lui eût attiré des reproches de la part du Ministère de Vienne, et il n'y avait plus de tems à perdre si l'on voulait accomplir les grands desseins que l'on avait formés à l'ouverture de cettecampagne.il fallait hasarder quelque coup décisif pour tirer parti de la présence des Russes, qui auraient même infailliblement quitté dans peu la Silésie s'ils avaient vu que l'espoir de la conquérir était chimérique. C'était d'aiileurs l'unique moyen de seconder les opérations de Daun et des troupes de l'Empire, opérations intimement liées à celles de l'armée Autrichienne

CAMPAGNE

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en Silesie. D'après ces considérations, Laudon communiqua au général Buttui'lin le projet qu'il venait de former. Butturlin y fit de fortes o b jections. O assembla un conseil de guerre pour y proposer, y analyser et y discuter le projet et la disposition d'une attaque où les deux armées devaient agir de concert. Mais la plus grande indécision fut le résultat de cette assemblée. Les avis s'étaient trouvés partagés. Les Généraux russes avaient déclaré que l'attaque projetée leur paraissait inexécutable. Selon eux , « il n'était pas nécessaire de déloger les Prus» siens d'un poste que la disette les forcerait » bientôt d'abandonner. La prudence exige » plutôt, » disaient-ils, « qu'on s'attache à les y » cerner de tous côtés. On obtiendra, sans « faute j de cette manière, un avantage qu'il « faudrait acheter bien cher, supposé même » que l'on eût le bonheur de remporter la vieil toire. » En un m o t , l'éloquence de Laudon échoua contre l'obstination de Butturlin , qui était décidé à ne rien hasarder, et qui persista dans l'opinion qu'il ne fallait point attaquer le camp Prussien. « Il était vrai, » dit Frédéric , dans ses OEuvrcs posthumes ( 1 ) ,