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French Pages 396 [398] Year 2023
COLLECTION MERCURE DU NORD La collection « Mercure du Nord » se veut le point de rencontre des chemins multiples arpentés par la philosophie de concert avec les sciences humaines et sociales, l’économie politique ou les théories de la communication. La collection est ouverte et se propose de diffuser largement des écrits qui apporteront une nouvelle texture aux défis majeurs d’aujourd’hui, passés au crible d’une nouvelle réflexivité : rouvrir en profondeur le débat sur le mégacapitalisme, sur la marchandisation et la médiatisation mondiales et tenter d’esquisser les contours d’une mondialisation alternative. La collection ne saurait atteindre son but qu’en accueillant des textes qui se penchent sur l’histoire sans laquelle les concepts véhiculés par notre temps seraient inintelligibles, montrant dans les pensées nouvelles les infléchissements d’un long héritage.
Titres parus
Rousseau Anticipateur-retardataire. Les grandes figures du monde moderne. L’autre de la technique. Comment l’esprit vint à l’homme ou l’aventure de la liberté. L’éclatement de la Yougoslavie de Tito. Désintégration d’une fédération et guerres interethniques. Kosovo : les Mémoires qui tuent. La guerre vue sur Internet. Charles Taylor, penseur de la pluralité. Mondialisation : perspectives philosophiques. La Renaissance, hier et aujourd’hui. La philosophie morale et politique de Charles Taylor. Analyse et dynamique. Études sur l’œuvre de d’Alembert. Le discours antireligieux au XVIIIe siècle Du curé Meslier au Marquis de Sade. Enjeux philosophiques de la guerre, de la paix et du terrorisme. Souverainetés en crise. Une éthique sans point de vue moral. La pensée éthique de Bernard Williams. L’antimilitarisme : idéologie et utopie. La démocratie, c’est le mal. Michel Foucault et le contrôle social. Tableaux de Kyoto. Images du Japon 1994-2004. La révolution cartésienne. Aux fondements théoriques de la représentation politique. John Rawls. Droits de l’homme et justice politique. Les signes de la justice et de la loi dans les arts. Matérialismes des Modernes. Nature et mœurs. Philosophies de la connaissance.
LA VISION NOUVELLE DE LA SOCIÉTÉ DANS L'ENCYCLOPÉDIE MÉTHODIQUE
Nous remercions le Conseil des arts du Canada de son soutien. We acknowledge the support of the Canada Council for the Arts.
Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec une aide financière pour l’ensemble de leur programme de publication.
Maquette de couverture : Laurie Patry
Dépôt légal 2e trimestre 2022 ISBN : 978-2-7637-5367-6 ISBN PDF : 9782763753683
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Avec le soutien du Centre Jean Pépin (UMR 8230 ENS de Paris-CNRS-PSL)
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encyclopédie méthodique
Une anthologie en plusieurs volumes
J. Boulad-Ayoub, P. Caye, M. Groult, dirs.
NICOLAS SYLVESTRE BERGIER
Dictionnaire de Théologie 2
PROSPECTUS AVERTISSEMENT CHOIX D'ARTICLES
abandon, adam, américains, amérique athée, athéisme, baptême. célibat, continence, certitude, démon, endurcissement, esclavage.fait, fanatisme, fatalisme. gentil, grâce, idole, idolâtre, infidèle, jésuites, jésus-christ, judaïsme, justice de dieu, magicien, magie, mal, miracle, missions étrangères, nègres, originel (péché), péché, rédempteur salut, satisfaction, servitude, sorcellerie, sorcier, sortilége, tolérance, intolérance TABLE ANALYTIQUE (Fac-similés)
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SYLVIANE ALBERTAN-COPPOLA, éd. LA VISION NOUVELLE DE LA SOCIÉTÉ DANS L'ENCYCLOPÉDIE MÉTHODIQUE
Volume V
CHARLES-JOSEPH PANCKOUCKE 1736-1798
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LE PROJET DE L'ENCYCLOPÉDIE MÉTHODIQUE
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éjà au temps où l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert touchait à sa fin, l’éditeur Charles-Joseph Panckoucke, avait l’ambition de l’améliorer. Dès 1768, il avait acheté les droits des futures éditions de l’ouvrage. Au début, il doit se contenter d’en publier une réimpression et de devenir l’actionnaire majoritaire du groupe d’éditeurs en charge du Supplément. Homme de goût, homme d’affaires avisé, correspondant de Voltaire, Panckoucke est bien introduit dans les cercles philosophiques et érudits grâce à son beau-frère, le journaliste Jean-Baptiste Suard. Il fut le « créateur du premier empire économique du livre en France1 » et devint, à la veille de la Révolution, le premier magnat de la presse en réunissant dans sa maison d’édition les principaux périodiques influents de Paris, du Mercure de France au Moniteur universel. Au cours des années 1770, les efforts d’édition de l’Encyclopédie se heurtent à des difficultés multiples avec le pouvoir. Le chancelier Maupeou n’est pas favorable aux philosophes, le clergé s’émeut à l’idée de voir réapparaître « ce monument de l’erreur et de l’irréligion ». Panckoucke trouve prudent de procéder à une première réédition hors de France et conclut un accord avec Cramer, l’éditeur de Voltaire à Genève, pour y continuer les travaux. Même là, la tâche n’est pas facile : les pasteurs n’ont 1. Roger Chartier et Henri-Jean Martin, Histoire de l’édition française, II, p. 770. 7
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pas oublié le célèbre article genève dû à la plume de d’Alembert, qui fit douter de leur croyance en la Trinité. D’autres éditions suivront, mais aussi des éditions rivales et des éditions pirates, les mœurs de l’édition de l’époque n’obéissant guère qu’à la loi de la jungle2 . Bien que le goût du temps fût aux dictionnaires et aux encyclopédies, le marché risquait d’être saturé3. En outre, le contenu commençait à être dépassé. Les idées évoluaient rapidement au cours de la deuxième moitié du xviiie siècle. Alors que l’Encyclopédie ne contenait pas d’entrée relative à l’opinion publique, des membres de l’élite intellectuelle tels que Voltaire ou Necker avaient développé la notion et faisaient appel au « tribunal de l’opinion publique » pour condamner les abus du pouvoir absolu. Le public cultivé avait acquis une voix qui se faisait entendre de plus en plus clairement à propos des lois ou des jugements impopulaires, des impôts abusifs, des ouvrages littéraires, de la politique en général. L’essor des communications favorisait la dissémination de l’information. Les routes et les moyens de transport s’amélioraient. Malgré le système compliqué des privilèges et des permissions et la sévérité intermittente de la censure, les livres et les périodiques se multipliaient4. Les événements du monde étaient suivis et commentés, en particulier la guerre d’Indépendance américaine. Les États-Unis devenaient le 2. Robert Darnton, « The Encyclopédie Wars in Prerevolutionary France », American Historical Review, vol. 78, 1973, p. 1331-1352. Pour le détail des entreprises de Panckoucke et la guerre commerciale qui sévit entre son groupe et De Felice, éditeur de l’Encyclopédie d’Yverdon, voir Robert Darnton, The Business of Enlightenment, p. 19-21. 3. Suzanne Tucoo-Chala, Charles-Joseph Panckoucke et la librairie française, 1736-1798, p. 326. 4. Claude Bellanger, Jacques Godechot, Pierre Guiral, Fernand Terrou, Histoire générale de la presse française, I, Des origines à 1814, chap. III, « L’essor de la presse ». 8
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symbole de la liberté. Même si l’Angleterre représentait l’ennemi héréditaire, les institutions de ce « peuple libre » étaient étudiées de près. La neutralité avec laquelle Montesquieu parlait des différentes formes de gouvernement était peu à peu abandonnée. L’article représentants de l’Encyclopédie, dû à la plume du baron d’Holbach, en avait donné le signal. Des philosophes aussi différents que lui et Rousseau n’hésitaient pas à proposer, ou du moins à décrire de façon favorable, des formes de gouvernement bien éloignées de la monarchie absolue. Les sciences aussi avançaient à grands pas. La fin des années 1770 et le début des années 1780 virent les expériences de Lavoisier sur l’hydrogène et l’oxygène, les travaux de Vicq d’Azir en anatomie comparée, les spectaculaires ascensions des frères Mongolfier, pour ne mentionner que ceux-là. Mais ce qu’on appelle maintenant les sciences humaines et sociales n’étaient pas immobiles. La philosophie s’était radicalisée avec la seconde génération des philosophes – celles du cercle holbachique – dont certains prêchaient, anonymement, mais fermement, l’athéisme. Si le droit était comme toujours en retard sur les mœurs et les idées, Louis XVI s’engageait lentement sur le chemin des réformes. Certaines assemblées provinciales avaient été créées apportant au peuple un semblant de représentation. Le roi désirait que des prisons plus salubres fussent bâties. Il avait adouci quelques peines et supprimé la torture destinée à provoquer les aveux des accusés. Surtout, une génération de jeunes juristes inspirés de Beccaria, désirait transformer profondément la justice pénale. D’autres, à la suite de Condorcet, voulaient plus d’égalité dans la famille et dans la société en général. Les théories d’économie politique, discipline revendiquant un domaine beaucoup plus large qu’à l’heure actuelle, agissaient sur la situation économique et y réagissaient à leur tour, au rythme des pénuries et des 9
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fluctuations du prix du blé. Les idées physiocratiques faisaient lentement place à celles d’Adam Smith. Il s’agissait donc d’offrir quelque chose de nouveau aux lecteurs, un ouvrage qui renouvellerait complètement le format de l’Encyclopédie et constituerait l’encyclopédie absolue. Comme le déclare le Prospectus, elle devrait « tenir lieu dans les cabinets des Savants et des Amateurs peu riches, d’une multitude d’autres livres dont l’acquisition partielle leur coûterait le centuple de cette Encyclopédie méthodique5 ». La devise commerciale de la nouvelle Encyclopédie qui veut constituer la « Bibliothèque complète et universelle de toutes les connaissances humaines » et dont l’usage serait journalier, résume bien son triple objectif éditorial : « texte excellent, belle édition et bon marché ». Panckoucke veut doter la Méthodique de caractères distinctifs par rapport à l’Encyclopédie de Diderot : tout d’abord, elle s’ouvre à des domaines jusqu’ici négligés (police, jeux, par exemple). L’organisation des connaissances, ensuite, est différente : chaque discipline ou matière est traitée entièrement à l’intérieur d’un seul dictionnaire pendant que les articles le composant sont répartis par ordre alphabétique, l’encyclopédie elle-même réunissant la collection des dictionnaires et donnant son unité à l’entreprise. Chaque dictionnaire devait pouvoir se lire comme un traité, grâce à l’indication que donnerait chaque auteur de l’ordre dans lequel les articles devaient être lus, ce qui a fait dire à Michel Porret que l’Encyclopédie méthodique était peut-être conçue comme la première encyclopédie interactive de l’histoire6. 5. Mercure de France, samedi 8 décembre 1781, p. 150 cité par Michel Porret dans « Savoir encyclopédique, encyclopédie des savoirs », dans Claude Blanckaert et Michel Porret (dir.), L’Encyclopédie méthodique (1782 – 1732), des Lumières au positivisme, p. 22. 6. Ibid, p. 35. 10
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Un Vocabulaire universel – qui ne fut jamais rédigé – devait servir de table d’orientation de lecture des Dictionnaires et, en même temps, d’index ou de « catalogue raisonné » des termes apparaissant dans tous les différents volumes. Enfin les auteurs, directeurs éditoriaux des Dictionnaires, sont des spécialistes, certes, mais choisis non pas tant pour le radicalisme de leurs vues ou leurs capacités de généralistes, mais pour leurs qualités de praticiens ou d’experts. Et redoublant ce dernier trait tout à fait nouveau, les sciences naturelles, techniques ou médicales l’emportent en nombre sur les sciences de l’homme. L’Encyclopédie méthodique tente, de 1782 à 1832, de résoudre le problème central de l’ordre, qui se pose à toute entreprise d’organisation encyclopédique des connaissances : quel ordre imposer au système pour accorder le projet universaliste à l’unité des savoirs ? Pour qu’une encyclopédie ne se confonde pas avec le seul amas de connaissances, il faut que les éléments rassemblés s’enchaînent selon les principes d’unité et d’exhaustivité. Cela suppose alors que le mode d’exposition comporte un principe de clôture garantissant l’unité, et un principe d’organisation garantissant l’exhaustivité. Diderot, qui s’était heurté immédiatement à ces difficultés, avait choisi, pour les lever, l’ordre alphabétique d’usage « plus commode et plus facile » pour le lecteur, ordre qui était d’ailleurs adopté à l’époque par toutes les encyclopédies européennes mais qu’il conjuguait, innovation dynamique, à un réseau de renvois. Panckoucke critique ce choix : [L]es matériaux qui la composent sont accumulés & confondus, & n’ont d’autre ordre que celui de l’alphabet. Les objets les plus disparates se touchent, se heurtent & se succèdent brusquement. Les parties de cet ensemble sont brisées & rejetées à des distances éloignées. La chaîne en est partout interrompue ; enfin il naît de ce mélange un désordre dans l’ordre des choses & dans les idées, qui
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la vision nouvelle de la société dans l'encyclopédie méthodique ségare le lecteur, & qui ne lui laisse aucun fil pour se guider dans ce vaste labyrinthe7.
Pour sa part, cherchant à concilier la liaison systématique et la dispersion qu’entraîne l’ordre alphabétique, il invente le concept de l’ordre par matières, de là par ailleurs le nom de méthodique qu’il donne à son encyclopédie. Il combine ce type de classement à l’ordre alphabétique qui revient à deux fois : pour chaque entrée ou article du dictionnaire qui traite de la matière en question, et, pour la succession des dictionnaires qui composent la Méthodique, d’« Agriculture » à « Théologie ». Ce choix n’est pas neutre. Les ordres dissemblables en vertu desquels s’organisent les connaissances dans l’une et l’autre encyclopédie renvoient, premièrement, sur le plan épistémologique, à deux approches de la vérité, celle-ci plurielle – « polyphonique » comme le dit joliment Jean Ehrard8 – celle-là linéaire ; et, deuxièmement, sur le plan culturel et politique, à deux figures différentes de lecteur : celui-ci loin d’être un savant enfermé dans son cabinet est un mondain, un homme pressé qui consulte plus qu’il ne lit, qui, par le système de renvois, non seulement peut virtuellement appeler toute l’encyclopédie par un seul article mais qui se fait aussi le complice des rapprochements subversifs ; celui-là obligé à un travail d’auto-instruction et de synthèse, invité, devant ce tableau visible de la connaissance s’offrant à lui et la nature interactive de la Méthodique, à opérer la fusion des sens diversifiés livrés par les dictionnaires spécialisés.
7. Prospectus, reproduit dans le tome I du Dictionnaire des Beaux-Arts, p. III, voir Charles-Joseph Panckoucke, Prospectus et Mémoires de l’Encyclopédie méthodique, vol. I, Prospectus général, textes présentés et annotés par Martine Groult, p. 45 (ci-après « Prospectus général »). 8. Jean Ehrard, « De Diderot à Panckoucke : deux pratiques de l’alphabet », dans Annie Becq (dir.), L’Encyclopédisme, p. 252. 12
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Panckoucke défendait comme suit le format qu’il avait choisi : Il est aisé de voir que la nouvelle Encyclopédie, arrangée de la manière que l’on vient de l’exposer, & distribuée en autant de dictionnaires que l’arbre des connaissances humaines a de branches essentielles & capitales, aura tous les avantages de l’ancienne Encyclopédie, sans en avoir les défauts. Elle formera le recueil le plus riche, le plus vaste, le plus intéressant, le plus complet & le mieux suivi qu’on puisse désirer, puisqu’elle réunira avec ordre ce que renferment de connaissances réelles plusieurs milliers de volumes, sans en copier aucun, dont la recherche serait pénible & souvent infructueuse, la lecture impossible & le prix énorme9.
L’éditeur devait produire un vocabulaire universel servant de table pour tout l’ouvrage. Cet index terminologique général devait permettre de répondre à d’Alembert qui avait condamné d’avance le format de Panckoucke parce que « une telle méthode aurait été sujette à des inconvénients considérables par le grand nombre de mots communs à différentes sciences et qu’il aurait fallu répéter plusieurs fois, ou placer au hasard10 ». L’index aurait permis de suivre ces mots communs dans les différentes disciplines et de découvrir les divers aspects d’une même question. Il avait pour but de « recueillir sous un seul grand arbre de la connaissance les tableaux analytiques de tous les traités11 ». Chaque dictionnaire devait, en effet, se terminer par une table analytique. Les tables de tous les dictionnaires devaient servir à la confection du vocabulaire universel. On voit que Panckoucke et Diderot ont essayé de résoudre de façon différente le problème du nombre d’expressions communes à plusieurs disciplines 9. Prospectus général, p. 48. 10. D’Alembert, Discours préliminaire de l’Encyclopédie, introduit et annoté par Michel Malherbe, p. 150. 11. Walter Tega, « La ‘folie’ de l’ordre alphabétique et l’‘enchaînement’ des sciences. L’encyclopédie comme système entre le XVIIIe et le XXe siècle », RDE, vol. 18-19, 1995, p. 148. 13
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sans jamais pouvoir y parvenir. Les renvois de l’Encyclopédie devaient servir à indiquer la liaison des matières et à déjouer la censure, mais ils sont incomplets et parfois trompeurs12 . Bien qu’imparfaits, ils avaient cependant la grande qualité de constituer un appel à la découverte, de provoquer le lecteur à la réflexion, voire à la transgression, de l’obliger à se poser des questions. Cet avantage est perdu dans l’Encyclopédie méthodique dans laquelle le problème des mots communs à plusieurs disciplines reste entier. Le vocabulaire final, l’index de l’ensemble de l’ouvrage dans lequel Panckoucke mettait tous ses espoirs13 ne pouvait être publié qu’après l’achèvement de l’ouvrage. Il ne le fut jamais. Échec déplorable. Le vocabulaire était la fondation même de l’œuvre de Panckoucke. Il lui attribuait le rôle relationnel que Diderot réservait aux renvois14. Il avait publié un Grand Vocabulaire françois en trente volumes, entre 1767 et 1774. Ce n’était pas seulement un dictionnaire de mots, mais aussi un
12. Voir Gilles Blanchart et Mark Olsen, « Le système de renvois dans l’Encyclopédie : une cartographie des structures de connaissances au XVIIIe siècle », RDE, vol. 31-32, 2002, p. 45-70 ; Florent Guénard, Francine Markovits et Mariafranca Spallanzani (dir.), Corpus, revue de philosophie, 51, 2007, « L’ordre des renvois dans l’Encyclopédie ». 13. Tous les dictionnaires de l’Encyclopédie méthodique ont la même première page de titre : Encyclopédie méthodique ou par ordre de matières Par une société de gens de lettres, de savants et d’artistes Précédée d ’un Vocabulaire universel, servant de Table pour tout l’Ouvrage, Ornée des portraits de MM. Diderot et d ’Alembert, premiers Éditeurs de l’Encyclopédie. 14. Martine Groult, « Les vocabulaires de Panckoucke », dans Claude Blanckaert et Michel Porret (dir.), L’Encyclopédie méthodique (1782-1732), p. 758. 14
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dictionnaire de choses15 qui témoigne déjà de ce que Suzanne Tucoo-Chala a appelé son « obsession encyclopédique16 ». Les mutations épistémologiques et culturelles que la Méthodique réalise par rapport à l’Encyclopédie de Diderot s’accompagnent d’autres ruptures qui définissent de même sa situation à l’aube de « l’âge positif ». Tels le didactisme de la Méthodique comme la pratique imposée par le plan d’organisation des connaissances qui s’appuient sur la réalité expérimentale d’un savoir en miettes tout autant que sur une vision préfigurant l’interdisciplinarité contemporaine ; ou encore le circuit étendu de « chaque science » traitée et dont le choix dépend de son « utilité » sociale ; ou enfin la qualité nouvelle d’expert, critère qui guide Panckoucke dans le choix de ses directeurs. Enfin sur un plan socio-culturel, ce nouveau modèle encyclopédique, plus pragmatique que spéculatif instauré par Panckoucke, homme d’a ffaires plutôt que « philosophe », vise l’accessibilité pour le plus grand nombre, et facilite la marche à suivre à un lecteur confronté à une fragmentation inévitable du savoir ; c’est ce que voudrait rattraper une Encyclopédie conçue comme une collection de Traités de science, voués selon les 15. Chaque tome de ce Vocabulaire, par « une Société de gens de lettres » annonçait l’objectif de contenir non seulement la définition de chaque mot avec ses diverses acceptions, mais encore les lois de l’orthographe, les principes généraux de la grammaire, les règles de versification et 3o La Géographie ancienne & moderne, le Blason ou l’Art héraldique; la Mythologie; l’Histoire naturelle des animaux, des plantes et des minéraux; l’exposé des Dogmes de la Religion, & des Faits principaux de l’Histoire Sacrée, Ecclésiastique et Profane. 4o Des détails raisonnés et philosophiques sur l’Économie, le Commerce, la Marine, la Politique, la Jurisprudence civile, Canonique & Bénéficiale; l’Anatomie, la Médecine, la Chirurgie, la Chimie, la Physique, les Mathématiques, la Musique, la Peinture, la Sculpture, la Gravure, l’Architecture, etc., etc. 16. Charles-Joseph Panckoucke et la librairie française. 1736-1798, p. 290 et s. 15
la vision nouvelle de la société dans l'encyclopédie méthodique
intentions de Panckoucke à «réformer les sciences humaines pour accomplir les Lumières ». Pour produire le nouvel ouvrage à partir de la première encyclopédie, Panckoucke et ses collaborateurs avaient imaginé un système ingénieux : […] on prit deux Encyclopédies in folio, & deux exemplaires des suppléments, on a fait couper tous les articles, & en réunissant ceux qui ont rapport au même objet, on a formé un nombre de parties principales ; chacune de ces grandes parties forme un dictionnaire séparé, qui, n’étant point confondu avec les autres, permet que l’homme de lettres, le savant chargé de sa rédaction, juge de l’imperfection de la nomenclature & des défauts de chacun des articles qui le composent ; […] Pour éviter le défaut d’ordre et de concert qui a régné dans la première édition de l’Encyclopédie, il était aussi nécessaire que les nouveaux rédacteurs s’étendissent & travaillassent sur un plan commun17.
Chaque rédacteur devait bien circonscrire l’objet dont il était chargé et bien connaître les limites dans lesquelles il devait se renfermer. Mais là se trouve une des plus grandes difficultés car [c]es limites ont été quelquefois difficiles à saisir parce qu’il y a des connaissances, comme celles des sciences économiques, qui embrassent tout ce que l’on veut, et dont le circuit n’a jamais été bien déterminé18.
À l’époque, en effet, la spécialisation des disciplines n’avait pas atteint le niveau actuel. Jean-Nicolas Démeunier, l’éditeur du Dictionnaire d’économie politique, la définit comme Tout ce qui appartient au gouvernement intérieur des sociétés, tout ce qui tend au bonheur des individus dont elles sont composées, comme la constitution fondamentale d’un État, ses institutions, civiles, morales et religieuses19.
17. Prospectus général, p. 50-51 18. Ibidem, p. 51. 19. Dictionnaire d’économie politique, IV, p. 814. 16
panckoucke et l'encyclopédie méthodique
Dans le prospectus du Dictionnaire de police et municipalités, l’auteur, Jacques Peuchet, définit la police « dans son ensemble, et sous tous les rapports qui la tienne au système social » comme « la réunion de tous les principes de paix, de tous les moyens d’ordre imaginés pour assurer et perfectionner la Société20 ». Il n’est donc pas surprenant que, dans le domaine qui nous intéresse – qui ne comprend ni les arts et les lettres, ni les sciences – de nombreux sujets soient susceptibles d’être abordés à la fois dans plusieurs dictionnaires. Ceci d’autant plus que chaque auteur a le souci d’être le plus complet possible et se lance allègrement dans des développements généraux et historiques traitant de la morale, de l’éducation ou de la religion quelle que soit la subtilité de leur lien avec son sujet. Panckoucke avait pourtant de sains principes de lexicographie, mais qui encourageaient l’exhaustivité. Les rédacteurs attaquent le projet avec un corpus soigneusement établi : Non seulement on s’est attaché particulièrement à compléter la nomenclature de chaque partie : mais afin de ne laisser échapper aucun des mots communs ou équivoques, on a d’abord dressé une table exacte de ces derniers mots, extraite de l’Encyclopédie, de son supplément, des Questions sur l’Encyclopédie, où il y en a un grand nombre, & de la table de ces noms, insérée dans le trentième volume du Grand Vocabulaire, dont la liste des mots est beaucoup plus considérable que celle d’aucun dictionnaire, & on a communiqué aux auteurs de l’Encyclopédie méthodique cette table des mots communs & équivoques, afin que chacun d’eux connût d’abord ceux qui étaient de son objet & de son plan. Avec toutes ces attentions, nous ne croyons pas qu’aucun mot de la langue puisse échapper dans cette Encyclopédie21.
20. Ce prospectus figure au début du troisième livre du Dictionnaire de Mathématiques. 21. Prospectus général, p. 53. 17
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Il fallait ensuite trier ces mots pour distinguer les mots principaux de l’art & de la science, les rapports et l’analogie qu’ils ont entre eux ; c’est par ce travail préliminaire, auquel chacun des rédacteurs s’est assujetti, qu’ils ont pu connaître sans se tromper, les mots qui n’exigent qu’une simple définition, & ceux, qui étant, pour ainsi dire, la clef de l’art ou de la science, doivent être traités avec l’étendue convenable, puisqu’une foule de mots leur sont subordonnés22 .
Chaque discipline était confiée à un éditeur. Panckoucke donne la liste de ceux-ci dans le Prospectus. Les éditeurs formaient leurs équipes de collaborateurs entre lesquels ils distribuaient la matière. Le résultat est un immense ouvrage comprenant des dictionnaires de valeur inégale, lesquels sont composés d’articles de valeur tout aussi inégale. Commencée en 1782, l’Encyclopédie méthodique compte quelques 200 volumes23. La publication s’étendra sur 50 années. Elle connaîtra d’innombrables difficultés : la Révolution vient balayer nombre d’institutions auxquelles sont consacrés des volumes parus avant les années 1790 ; les auteurs sont en retard ou disparaissent ; la maison Panckoucke traverse de graves crises financières24 et souffre des pénuries de papier pendant la Révolution et les guerres napoléoniennes ; les disciplines progressant plus vite que la rédaction, certains articles se trouvent périmés avant la fin de l’ouvrage. 22. Ibidem, p. 54. 23. Le nombre de volumes varie selon le traitement réservé par les auteurs aux demis volumes qui paraissaient séparément et selon la façon dont les planches étaient reliées. D’après une étude de Daniel Teysseire, « À propos de l’Encyclopédie méthodique, le quadruple inventaire de la Bibliothèque Mazarine », RDE, vol. 11, 1991, p. 149, il y aurait 157 volumes dits de textes et 53 volumes dits de planches. 24. Christabel P. Braunrot et Kathleen Hardesty Doig, « The Encyclopédie méthodique : an introduction », SVEC, vol. 327, 1995, p. 14. 18
panckoucke et l'encyclopédie méthodique
Non seulement Panckoucke et les divers éditeurs font-ils face à tous ces problèmes, mais l’époque connaît un tel tourbillon d’opinions opposées, de chocs entre les idées nouvelles et les opinions traditionnelles que l’inégalité des articles, lesquels ref lètent les vues d’auteurs différents, est pratiquement inévitable. Il arrive même assez souvent qu’un article modéré extrait de l’Encyclopédie soit complété par un supplément dû à la plume d’un auteur progressiste. Le caractère plus ou moins progressiste d’une contribution dépend aussi de la date à laquelle elle a été écrite. En 1782, début de la rédaction, la censure est encore vigilante. Le discours doit donc être indirect. « Le temps fera distinguer ce que nous avons pensé de ce que nous avons dit » , écrivait déjà d’Alembert à Voltaire25. Comme dans les éloges académiques, l’appel à la réforme pouvait prendre la forme de la dénonciation des abus passés, l’analogie avec le présent étant laissée à la perspicacité des lecteurs. Ou encore il pouvait dériver de la comparaison, sans commentaire, entre ce qui se fait en France et ce qui se fait dans d’autres pays, l’Angleterre ou la Suisse, par exemple, terres de liberté réelle ou supposée. Au fur et à mesure que la Révolution approche, la parole devient plus libre. L’arrêt du 5 juillet 1788 par lequel le roi convoquait les États généraux invitait tous les savants et les personnes instruites du royaume à adresser au Garde des sceaux « tous les renseignements et mémoires sur les objets contenus au présent arrêt ». S’il n’abolissait pas la censure, l’arrêt supprimait implicitement l’autorisation préalable. Puisque le roi demandait leur opinion à ses sujets, il aurait été contradictoire et impraticable de leur demander leur avis et, ensuite, de leur interdire de le publier. On voit par exemple une différence de ton assez nette entre les huit premiers tomes du Dictionnaire de jurisprudence (1782-1789) et les deux derniers qui forment le Dictionnaire de 25. Lettre du 12 juillet 1757, Œuvres compètes V, p. 51. 19
la vision nouvelle de la société dans l'encyclopédie méthodique
police et de municipalités (1789-1791). Ces inégalités mêmes ne sont pas sans intérêt parce qu’elles témoignent du choc des idées et de l’évolution rapide que connaît la période. Les Dictionnaires qui nous ont paru les plus appropriés pour illustrer la vision nouvelle de la société dans l’Encyclopédie méthodique sont sélectionnés en raison tant de leurs articles novateurs que des ressources humaines disponibles. La première série comprend trois volumes : Jurisprudence accompagné du Dictionnaire de police de Peuchet (E. Groffier et L Delia, éds.) ; l'Assemblée constituante de Peuchet (J. Boulad-Ayoub, éd.) ; Économie politique de Demeunier (P.-M. Vernes et J.BouladAyoub, éds.). Ils seront suivis de trois autres volumes dans cette actuelle 2 e série à laquelle se sont joints, comme codirecteurs de la publication, Pierre Caye26, Martine Groult, spécialiste renommée de la Méthodique (Laboratoire JeanPépin - CNRS) les Dictionnaires : i) de Philosophie ancienne et moderne du très partial Naigeon (Cl. Fauverge, éd.), ii) de Théologie du combatif Bergier, « l'évêque des Lumières » (S. Albertan-Coppola, éd.), et iii) d'Architecture de l'influent Quatremère de Quincy (M. Leoni, éd.). Nous avons écarté le Dictionnaire d’histoire, qui est surtout un dictionnaire biographique, ainsi que le Dictionnaire de commerce dans lequel l’abbé Baudeau s’est borné à reprendre celui de Savary en le corrigeant quelque peu, « intimement persuadé que la publication du grand dictionnaire du commerce de 26. Cette 2e série a pu voir le jour grâce à son aide financière. P. Caye, directeur du Laboratoire Jean-Pépin-CNRS, a conclu un protocole avec les Presses Universitaires de Laval et notre Chaire Unesco d'étude des fondements philosophiques de la justice et de la société démocratique. Il a réussi, de plus, à avoir la collaboration pour la dimension électronique de ARTFL (Université de Chicago) à qui l'on doit la publication on-line de la Grande Encyclopédie et des outils informatiques d'analyse et d'interrogation de textes qui l'accompagnent. 20
panckoucke et l'encyclopédie méthodique
M. l’abbé Morellet ferait désirer encore une refonte de celui qu’on nous avait chargé de revoir et de corriger27». Le Dictionnaire des finances a certainement un ton progressiste, mais la grande majorité des textes aux accents réformateurs sont tirés presque in extenso du Compte rendu au roi et De l’administration des finances de France de Necker. Le rédacteur principal du dictionnaire, Rousselot de Surgy, avait fait de son ouvrage « un monument en l’honneur du ministre disgracié28 ». Dans les Dictionnaires choisis, nous avons donné la préférence aux articles annonçant la révolution des idées, sinon la Révolution elle-même, en évitant ceux qui se bornaient à reproduire de larges extraits d’auteurs dont les ouvrages sont aisément disponibles, tels que ceux de Beccaria, Turgot, Necker… Nous avons modernisé l’orthographe et, dans la mesure du possible, la ponctuation, d’autant plus que les textes mêmes témoignent d’une évolution rapide aussi dans ce domaine. L’Encyclopédie méthodique a beau rester « l’entreprise la plus vaste du dix-huitième siècle », comme le souligne la fille de Panckoucke qui, prenant le relais de son père, la complète au bout de cinquante années, son gigantisme même l’a fait délaisser des lecteurs qu’elle visait29. Ce qui lui a fait défaut, pour l’empêcher d’apparaître aux yeux des chercheurs comme 27. Encyclopédie méthodique, Commerce, I, Avertissement, p. VI. Morellet avait travaillé pendant des années à un dictionnaire de commerce qu’il n’a jamais terminé. 28. Jean Égret, Necker ministre de Louis XVI, p. 197. 29. En son temps, elle était tout de même appréciée. François de Neufchâteau, qui accède au ministère de l’Intérieur en juillet 1797, voulait voir une bibliothèque dans chaque canton, dans laquelle devraient figurer au moins l’Encyclopédie méthodique, le cours d’agriculture de Rozier et les œuvres de Voltaire (Recueil des lettres circulaires, instructions, programmes, discours et autres actes publics, I, p. 164). 21
la vision nouvelle de la société dans l'encyclopédie méthodique
une vaine tentative d’accumulation descriptive du savoir, sont des instruments analytiques qui auraient permis à la fois de circuler aisément à l’intérieur de cette bibliothèque des connaissances et son utilisation critique. Pourtant, ce sont précisément ces carences, et le désir d’y pallier, qui nous ont incité à « revisiter » la Méthodique, du moins certains de ses dictionnaires. Nous entendons ainsi présenter au large public intéressé par le développement des sciences humaines, chercheurs, étudiants, publicistes, lecteurs, une sélection des articles qui ont le plus de résonance actuelle. En même temps, en éclairant les enjeux des débats d’alors, en situant le contexte politique et institutionnel de l’époque ainsi que le développement philosophique de ce moment historique pivot, nous espérons contribuer à une meilleure compréhension des polémiques d’aujourd’hui, de leurs sources et de l’évolution intervenue. Ces anthologies sous leur double forme, électronique et physique, auront une publication échelonnée selon un rythme annuel. Elles aideront à explorer les voies de passage, théoriques, culturelles et politiques rattachant les Lumières finissantes au positivisme naissant des débuts du xixe siècle. De plus, en combinant au format traditionnel, celui électronique qui reprend, en quelque sorte, les spécificités méthodologiques du grand œuvre de Panckoucke et accomplit le rêve du Vocabulaire universel, nos anthologies faciliteront l’interrogation des textes, au moyen de nouveaux outils informatiques de recherche, de même que les lectures transversales et les analyses comparatives indispensables pour apprécier la valeur des contenus épistémiques. Nous nous sommes assurés pour cet objectif du concours de l'équipe d'ARTFL, comme je l'ai déjà évoqué. Signalons que le Dictionnaire de l'Assemblée constituante figure déjà dans leur catalogue pendant que la confection du 22
panckoucke et l'encyclopédie méthodique
Vocabulaire rêvé par Panckoucke comme culmination de la Méthodique demeure à l'horizon de nos projets. Le projet tire son origine dans notre ambition de construire une encyclopédie virtuelle des révolutions, mettant à la disposition des chercheurs, des enseignants, des publicistes, les grands textes, la plupart inédits ou d’accès difficile, qui mettent en scène les grands moments décisifs de l’histoire ou encore qui ouvrent la voie à des mutations sociales et culturelles fondamentales. Ces textes sont accompagnés, sous leur forme électronique, d’outils méthodologiques de pointe d’analyse textuelle assistée par ordinateur, ce qui donne une valeur ajoutée par rapport tant à l’édition traditionnelle qu’aux éditions numérisées, sur format PDF. Le choix de traiter l’Encyclopédie méthodique vient s’ajouter à d’autres monuments littéraires et philosophiques dont nous avons entrepris également l’édition numérisée. Elle reste largement méconnue, voire décriée. Pourtant, l’ouvrage représente l’ultime contribution de l’encyclopédisme scientifique des Lumières. Outre son intérêt historique ressortissant au fait que la Méthodique synthétise un moment particulier des savoirs liant les mots et les choses, son statut de chaînon incontournable entre l’épistémè des Lumières et celle dont la Méthodique contribue elle-même à façonner les contours aux débuts du xixe siècle, impose à la communauté scientifique de réexaminer á nouveaux frais certaines de ses contributions à la valeur pérenne. Le projet de l’Encyclopédie méthodique s’articule, en amont, à celui de l’Encyclopédie de Diderot avec l’ambition explicite de le dépasser et de corriger ses imperfections, tandis qu’elle annonce, en aval, les Dictionnaires positivistes du xixe siècle, et, même par certains côtés, nos collections de Dictionnaires spécialisés sur un seul sujet. La Méthodique concrétise indéniablement le statut de médiateur qu’elle occupe, 23
la vision nouvelle de la société dans l'encyclopédie méthodique
au cœur du développement de l’encyclopédisme, sur une cinquantaine d’années-charnière, tant au niveau historique et culturel que scientifique. Aussi nous a-t-il semblé théoriquement séduisant et scientifiquement utile de chercher à compléter la connaissance inachevée de ce monument scientifique colossal, et, en même temps, à approfondir les médiations qu’enregistrent les Dictionnaires des Sciences de l’homme par le biais de ces anthologies et par les analyses qui accompagnent les textes que nous présentons et commentons. Ces médiations sont, en effet, nombreuses, comme on le verra, autant sur le plan philosophique entre le sensualisme condillacien et le positivisme naissant que sur le plan méthodologique entre l’ordre généraliste et « philosophique » de l’Encyclopédie de Diderot et d'Alembert et l’ordre spécialisé par matières de la Méthodique, ordre qui annonce nos Dictionnaires contemporains. Enfin, et surtout, au fil des articles présentés, on relèvera le contraste, sur le plan culturel et politique, entre l’élitisme des Encyclopédies et des Dictionnaires nés sous un régime monarchique et l’accessibilité et les ambitions démocratiques des Encyclopédies et des Dictionnaires postrévolutionnaires. Josiane Boulad-Ayoub, dir. g. publication
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LE DICTIONNAIRE DE L'ABBÉ BERGIER DANS L'ENCYCLOPÉDIE MÉTHODIQUE SUIVI DES DEUX PROSPECTUS
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n pourrait dire que Bergier fait entrer la loi divine dans l’Histoire. Dans le Dictionnaire de Théologie, l’abbé se veut d’abord être un grand historien de l’Histoire du Christianisme, ou selon l’époque de l’Histoire Ecclésiastique. Il se situe dans la grande Histoire et, notons également que ses dictionnaires sont publiés pendant la Révolution Française (3 vol. 1788-1790), mais avant la Terreur. C’est donc en tant qu’historien qu’il énonce dans le premier Prospectus1 de 1782 (voir ci-après) sept critiques sévères envers l’Encyclopédie. Toutefois, les critiques sont justes. Sans revenir sur nos travaux de recherche, il convient de rappeler que le changement de perspective entre le Prospectus de Diderot, publié en novembre 1750 pour lancer les souscriptions de l’Encyclopédie, et la version sept mois plus tard en juin 1751 du nouveau prospectus ou Discours préliminaire2 dans le vol. I, vise tout particulièrement la place de la Théologie dans l’ordre du savoir. A la suite des attaques du Père Berthier dans le Journal de Trévoux, les éditeurs Diderot et d’Alembert proposent un nouveau Système figuré des connaissances humaines qui présente une séparation de la Théologie ou Science de Dieu, des 1. Charles-Joseph Panckoucke, Prospectus et Mémoires de l’Encyclopédie méthodique, Vol. I « Prospectus Général » 1782, précédé de la Préface au Grand Vocabulaire Français, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2011. 2. Voir ces deux textes – « Les textes de la querelle » – dans Jean d’Alembert, Discours préliminaire, de l’Encyclopédie et Articles, introduits par la querelle avec le Journal de Trévoux, Paris, Champion, 1999 et 2011, reprise en Poche. 25
la vision nouvelle de la société dans l'encyclopédie méthodique
deux autres sciences que sont la Science de l’homme et la Science de la nature. Le progrès va se faire avec ces deux Sciences, sans la Théologie. Pire, il ne peut se faire qu’en dehors de la Théologie. Nous nous souvenons de la proposition de d’Alembert de ne pas attaquer la religion mais de construire deux maisons : une maison de la science de Dieu et une maison de la Science. On verra laquelle sera désertée, disait-il malicieusement… Bergier revient sur cette séparation qui a été traduite par l’évincement des théologiens de l’entreprise encyclopédique des Lumières. Il a donc raison d’évoquer la minceur et l’absence des articles de Théologie. La science de Dieu ne fait pas partie de l’Encyclopédie. Dans la mesure où l’Encyclopédie méthodique ne part pas des Sciences pour montrer leurs liaisons et par suite ne comporte aucune philosophie, mais a pour mission de présenter chaque science avec un maximum d’exhaustivité, l’abbé Bergier peut prendre sa revanche et, ainsi en tant qu’historien, rétablir la Théologie dans les connaissances humaines. Il se donne pour mission non seulement de fournir une vraie place à la Théologie mais aussi de la sortir des querelles du siècle précédent. L’ennemi de l’histoire ecclésiastique devient davantage la menace protestante que l’Encyclopédie. En effet, le milieu du xviie siècle a connu, pour reprendre l’expression de J. Grès-Gayer, une « Fronde ecclésiastique »3. Les controverses religieuses du grand siècle ont fortement bousculé la Faculté de Théologie de Paris. La Sorbonne du xviiie siècle qui censurera l’Encyclopédie, auparavant simple collège dépendant de la Faculté, connaît des fondations peu solides. Après l’incendie 3. Jacques M. Grès-Gayer, Le Jansénisme en Sorbonne, 1643-1656, Paris, Klincksieck, 1996, p. 280. Nous suivons cette étude pour replacer l’histoire ecclésiastique dans le contexte. Voir aussi du même auteur, Théologie et pouvoir en Sorbonne, La Faculté de théologie de Paris et la bulle Unigenitus, Paris, 1991. 26
le dictionnaire de l'abbé bergier dans l'encyclopédie méthodique
allumé par l’Augustinius de Jansénius, le siècle restera dans les querelles et le xviiie s’ouvrira sur fond de menace protestante. Cette menace reste présente dans l’histoire ecclésiastique élaborée par Bergier. Si elle ne peut être oubliée au siècle des Lumières, c’est bien parce qu’elle a été une véritable opposition qui a ébranlé l’autorité de l’Église et permis à la Compagnie de Jésus – qui sera condamnée par le Parlement le 6 août 1762 avant d’être dissoute – de s’imposer en élargissant le champ catholique vers l’opinion publique et le terrain politique4. Le 24 août 1572, jour de la Saint Barthélémy, s’éloigne mais la haine entre catholiques et protestants demeure. Ces derniers restent chez Bergier accouplés aux incrédules. Les uns ne croient pas, les autres croient mal. Les luthériens et les calvinistes constituent un mur qui empêche d’apercevoir le sens de Dieu caché sous l’écorce de l’Histoire. Or pour ouvrir ce chemin, il convient de rétablir la vérité de l’Histoire chrétienne – mais surtout catholique. La théologie se réfère à la foi dans les textes et non à l’interprétation des textes bibliques. Alors il faut retirer des réflexions théologiques la distinction entre l’Évangile et la loi divine, distinction sur laquelle s’appuyait Luther pour définir le théologien. En fait la question était posée : comment faire de la Théologie ? Les protestants avec Luther ont changé le cadre théologique que Bergier efface pour poser une Théologie chrétienne basée sur la construction de l’Histoire ecclésiastique où règne la loi divine.
4. « Dans la longue perspective, le combat sur le jansénisme a été une étape importante du cheminement de la Faculté de Paris, à la fois par les nombreux débats qu’il a suscités et les décisions graves qu’il a fait prendre. En expulsant Arnauld et les siens, la Faculté a certainement élargi l’arène de ses disputes, en les portant à la fois dans le domaine de l’opinion publique et sur le terrain de l’engagement politique », Ibid., p. 282. 27
la vision nouvelle de la société dans l'encyclopédie méthodique
Les présentations ou prospectus particuliers de chaque Dictionnaire rassemblées par Panckoucke dans les deux Prospectus, celui de 1782 et celui de 1789 ou Représentations5, sont des reprises exactes des discours préliminaires rédigés par les directeurs scientifiques des dictionnaires. Outre ces reprises dans les Divisions de l’Encyclopédie méthodique, Panckoucke recopie également des passages dans les annonces des Livraisons. Ainsi dans la 25e Livraison, qui comporte la première partie du tome premier du Dictionnaire de Théologie, on lit les pages cinq à huit (v-viij) de l’avertissement de Bergier dans lequel il est clairement dénoncé que depuis près de dix-huit cents ans la théologie chrétienne a été combattue tous les ans par « quelque secte de mécréans6 ». On constate alors que Bergier, théologien, écrit comme tous les autres : au milieu d’une foule d’ennemis. Quand paraît le dictionnaire l’abbé est aux prises avec les sociniens, les protestants, les déistes, les incrédules et…les révolutionnaires de 1789. Bergier ne lâche pas prise et continue le combat de ses maîtres en théologie que sont les pères de l’Église. On notera enfin les différences de présentation dans les Divisions de l’Encyclopédie méthodique. Dans le premier Prospectus, le dictionnaire est classé en n° 15 et il est question d’un « Dictionnaire théologique » en 2 vol. Toujours situé entre le Dictionnaire historique et le Dictionnaire de la philosophie, dans la Nouvelle Division, le Dictionnaire de Bergier devient dans le second Prospectus au n° 21, « Théologie » en 3 vol. Le lecteur trouvera ci-dessous ces deux présentations. Enfin, tout travail sur ces deux encyclopédies – Diderot et Panckoucke – est facilité par les multiples possibilités d’interrogation de ces 5. Ch.-J. Panckoucke, Prospectus et Mémoires de l’Encyclopédie méthodique, vol. II, 1789-1792, Paris, Classiques Garnier, 2013 6. Panckoucke, Prospectus et Mémoires de l’Encyclopédie méthodique, vol. I, op. cit., p. 206-207. 28
le dictionnaire de l'abbé bergier dans l'encyclopédie méthodique
textes offertes sur le site ARTFL de l’Université de Chicago (www.encyclopedie.uchicago.edu et https://encyclopedie. uchicago.edu/content/encyclopédie-méthodique) Martine Groult, dir. g. publication
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PROSPECTUS I. de 1782 Division de l’Encyclopédie méthodique XV. DICTIONNAIRE THÉOLOGIQUE par M. l’Abbé BERGIER, Confesseur de MONSIEUR frère du Roi, & Chanoine de Notre-Dame, deux volumes in-4°.
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our peu que l’on ait apporté attention à la lecture de l’Encyclopédie, on aperçoit que la partie théologique a été l’une des plus mal traitées, qu’elle n’est ni complète, ni exacte, ni orthodoxe . 29
la vision nouvelle de la société dans l'encyclopédie méthodique
I°. L’on a omis un grand nombre d’articles, qui sont non seulement essentiels à la Théologie, mais absolument nécessaires pour prévenir & corriger les erreurs dont cet ouvrage est rempli. 2°. L’on a placé sous le titre (Théologie) des termes qui appartiennent évidemment à une autre science, comme Jézides, secte de Mahométans, &c. 3°. L’on a rapporté à des sciences différentes, des termes synonymes ou corrélatifs qui concernent la même matière : par exemple, Clerc, Jurispru. Clergé, Hist. Ecclés. Flagellans, Hist. Mod. Flagellation, Hist. Ecclés. & Philos. &c. 4°. Il y a des doubles emplois. On a fait deux articles de plusieurs termes qui ne diffèrent que par la prononciation, ou qui sont évidemment synonymes, comme Dénombrement & Enumération, Métempsycose & Transmigration des âmes, &c. 5°. Il y en a de trop longs, dans lesquels on a placé des discussions inutiles, ou qui seroient mieux placées sous d’autres articles : Bible, Communion fréquente, &c.. sont dans ce cas. 6°. Un défaut beaucoup plus répréhensible est l’a ffectation de prendre dans des auteurs hétérodoxes la notion des dogmes, des lois, des usages de l’Eglise Catholique, de copier leurs déclamations contre les théologiens & contre les Pères de l’Eglise, de disculper les Hérésiarques & les Incrédules, d’aggraver les torts vrais ou prétendus des pasteurs, & des écrivains ecclésiastiques. Les articles Jésus-Christ, Immatérialisme, Pères de l’Eglise, &c., sont dans ce cas. Dans plusieurs autres on étale les objections des Hérétiques, & l’on supprime les réponses des théologiens catholiques. 7°. De ces divers défauts il en est résulté un plus grand, c’est que la doctrine de l’Encyclopédie est un tissu de contradictions. Les articles faits par des théologiens, surtout par M. Mallet, sont en général assez bien ; les autres, composés par des littérateurs 30
le dictionnaire de l'abbé bergier dans l'encyclopédie méthodique
mal instruits ou infidèles, ont été servilement copiés d’après les Controversistes Protestans ou Sociniens. Pour éviter ces inconvéniens dans la nouvelle Encyclopédie, rangée par ordre de matières, il faut suivre un plan mieux conçu. Le dictionnaire théologique doit renfermer non seulement le dogme, mais la critique sacrée, nécessaire pour l’intelligence de l’Ecriture Sainte, l’Histoire Ecclésiastique, qui nous apprend la manière dont le dogme a été attaqué & défendu, les lois des disciplines relatives au dogme, la liturgie ou les pratiques du culte extérieur, qui en sont l’expression & qui le mettent sous nos yeux ; la morale chrétienne, telle qu’elle est enseignée dans l’ancien & le nouveau Testament. Parmi les objets du dogme, il en est qui font partie de la Métaphysique ou de la Théologie naturelle ; le philosophe les présente tels qu’ils sont connus par la raison, le théologien doit les montrer tels qu’ils sont enseignés par la révélation. Ainsi, les articles, Dieu, Ame, Esprit, Création, Immatérialisme, Spiritualité, Immortalité, &c. doivent se trouver dans le dictionnaire philosophique, mais sous un aspect différent. De même, la Morale naturelle est du ressort de la Philosophie ; mais la Morale évangélique est une partie essentielle de la révélation ou de la doctrine de Jésus-Christ ; un théologien doit montrer qu’elle n’est point contraire à la Morale naturelle. La critique sacrée ne doit embrasser que ce qui a un rapport direct à la religion des Patriarches, des Juifs, des Chrétiens ; les livres saints qui la renferment, les dogmes, les lois, les usages religieux. Ce qui concerne les opinions, les lois, les coutumes civiles, politiques ou militaires, appartient plus directement à l’Histoire ancienne. Les noms des mois, des mesures, des habits des Hébreux, &c.., les rêveries des Rabbins, la Cabale, le Talmud, la Mischne, &c., sont étrangers à la Théologie. 31
la vision nouvelle de la société dans l'encyclopédie méthodique
Il en est de même de la Géographie ; il y a cependant des articles sur lesquels un théologien doit justifier le récit des livres saints contre les conjectures d’une fausse critique, tels que la formation du Lac Asphaltite ou mer-Morte, le miracle de Josué à Gabaon &c. L’Histoire Ecclésiastique ne doit point renfermer les religions fausses ; la croyance & les mœurs des Chinois, des Indiens, des Perses, des Grecs, des Romains, des Mahométans, sont plutôt du ressort de l’Histoire profane ou de la Philosophie, que de la Théologie. Les Ordres religieux & ce qui les concerne tiennent à l’Histoire Ecclésiastique ; les Ordres militaires n’y ont que très peu de rapport. C’est à la Jurisprudence Canonique de discuter les lois & les disciplines de l’Eglise, de les concilier avec les lois civiles ; mais lorsque les objets de discipline tiennent au dogme, comme la hiérarchie, les vœux, les pratiques du culte extérieur, un théologien ne peut se dispenser de les présenter sous cet aspect, d’en démontrer la sagesse & l’utilité. Il doit parler des conciles en ce qui touche le dogme, & laisser de côté la discipline, lorsqu’elle n’y a aucun rapport. On doit laisser au Grammairien le soin de donner le sens de tous les mots de notre langue ; cependant lorsqu’il s’en trouve qui ont un sens théologique différent de la signification commune, lorsqu’ils expriment un point de croyance ou de pratique religieuse, ils doivent avoir place dans le dictionnaire théologique. Une des principales attentions du rédacteur de ce dictionnaire sera donc de ne prendre dans les articles communs à plusieurs sciences, que ce qui concerne directement la partie, & de laisser le reste à ceux auxquels il appartient. Il aura soin de faire les articles qui manquent, de suppléer à ceux qui sont défectueux, de retrancher ce qui paroît inutile, de 32
le dictionnaire de l'abbé bergier dans l'encyclopédie méthodique
corriger ceux qui renferment des erreurs, sans attaquer toutefois directement aucun écrivain, sans prendre le ton de dispute ou de dissertation, & en supprimant tout reproche personnel. Puisqu’il est question de faire un dictionnaire françois, il paroît convenable de n’y point mettre de passages latins, mais de les traduire, d’écrire les mots hébreux en caractères ordinaires, de ne faire usage du grec que pour donner l’Etymologie des mots qui en sont dérivés. On se fera une loi de conserver en entier tous les articles qui paroissent bien faits, & ils sont en grand nombre, surtout ceux qui sont de M. Mallet, Théologien très instruit, judicieux & modéré. C’est un acte de justice de conserver à un auteur estimable tout l’honneur de son travail. Ce dictionnaire sera précédé d’un plan ou prospectus, dans lequel toute la nomenclature sera rangée selon l’ordre didactique ou selon la suite naturelle des idées.
2 PROSPECTUS. II. 1789 « Représentations » Division de l’Encyclopédie méthodique XXI. THÉOLOGIE par M. l’Abbé BERGIER, Confesseur de MONSIEUR frère du Roi, & Chanoine de Notre-Dame ; 3 volumes in-4°.
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environ deux mille cinq cens articles dont cet Ouvrage est composé, il y en a au moins une moitié qui manquoit dans l’Ancienne Encyclopédie, & qu’il a fallu faire. Un nombre presque égal contenoit une doctrine fausse ou suspecte, il fallu les corriger : Plusieurs renfermoient des 33
discussions inutiles ; on les a abrégé ; d’autres étoient incomplets, on y a ajouté ce qui a paru nécessaire. Voyez pour plus de détails l’avertissement du I. vol. ou le Prospectus de la 25. Livraison. Le 2. vol. de cet ouvrage paroîtra cette année, & le 3. en 1790.
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L’ABBÉ BERGIER POLÉMISTE. SA RÉFUTATION DES THÈSES MATÉRIALISTES AU XVIIIe SIÈCLE1
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ans son introduction à l’anthologie du Dictionnaire de Théologie qu’elle édite dans la collection « Vision nouvelle de la société dans l’Encyclopédie méthodique », Sylviane Albertan-Coppola remarque que « la théologie, contrairement à ce que pourrait laisser penser son caractère spéculatif, n’est pas chez Bergier absolument détachée des grandes questions politiques et sociales qui préoccupent les penseurs de son temps ». Bien plus, « l’évêque des Lumières », lors même qu’il est attentif à ne laisser passer aucune occasion de réfuter les idées matérialistes de ses amis Philosophes2 , 1. Nous présentons ici une version remaniée de notre communication au colloque de Besançon en décembre 1990, commémorant le bicentenaire du décès de Nicolas-Sylvestre Bergier. Les Actes ne furent jamais publiés. Cependant, deux années plus tard, je me suis inspirée de l’argumentation de cette communication dans mon article « Nature, raison, expérience.... Les enjeux idéologiques de la Réfutation du matérialisme dans l’apologétique chrétienne des Lumières », Dialogue, XXXI (1992), 19-32. 2. La Réfutation du Système de la nature marque la fin de la fréquentation par Bergier du salon du baron d’Holbach et de la coterie philosophique. Sitôt L’examen du matérialisme paru en janvier ou dans tous les premiers jours de février 1771, Bergier se trouva brouillé avec les Philosophes et rompit toute relation avec eux : voir Lettre du 3 juillet 1771, in Un théologien au siècle des Lumières, Bergier. Correspondance présentée par A. Jobert, Lyon, Centre André Latreille, 1987, p. 89. « Je crois vous avoir mandé que depuis la Réfutation du Système de la Nature, je suis brouillé avec les Philosophes et que j’ai absolument cessé de les voir. » À la veille de la Révolution, Bergier devait encore dénoncer le réveil de l’esprit philosophique, et, en parlant du Système de la Nature, les méfaits du « livre le plus terrible qui ait été fait depuis la création du monde ». 35
la vision nouvelle de la société dans l'encyclopédie méthodique
participe incontestablement de ce qu’on pourrait appeler l’esprit encyclopédiste. Il représente un des éléments les plus actifs du développement à travers les débats et les controverses du langage de la philosophie de la dernière génération des Lumières. Bien au fait des idées de la nouvelle philosophie et de ses progrès, sa réfutation d’une acuité exemplaire est soutenu par une plume vigoureuse qui ne le cède en rien aux plus acérés de ses contemporains. Une preuve indirecte de son importance polémique nous est peut-être donnée par l’ouvrage de d’Holbach et Naigeon parue en 1767 et dont un jeu de mots transparent lui attribue malicieusement la paternité : la Théologie portative ou dictionnaire abrégé de la religion chrétienne par M. l’abbé Bernier. Bergier conduit méthodiquement sa réfutation des thèses ontologiques, morales et politiques soutenues dans le Système de la Nature (1770), livre-fondement du matérialisme moderne. Ce n’est pas la première fois que l’apologiste chrétien ferraille contre pareils écrits dans lesquelles il reconnaît la main de l’auteur du Christianisme dévoilé. Il l’a déjà triomphalement critiqué en 1769 dans un gros livre de huit cents pages, L’apologie de la religion chrétienne qui s’achève sur la clairvoyante prophétie : « Nous avons de sûrs garants de nos espérances : tant que le sang auguste de Saint Louis sera sur le trône, il n’y a point de révolutions à craindre ni dans la Religion ni dans la Politique...». C’est avec les mêmes armes théorico-méthodologiques de ses adversaires Philosophes que l’abbé Bergier défend la religion chrétienne et qu’il s’oppose tantôt au déisme, façon Voltaire, tantôt au matérialisme du salon de Grandval et du cercle des amis de « l’athée vertueux »3. Du point de vue formel, les articles 3. Voir la lettre de Bergier à Trouillet du 5 février 1770, op.cit. p. 48-49. Bergier écrit notamment : « [...] J’ai profité de mes premiers moments pour lire deux livres nouveaux, L’idée du judaïsme [il s’agit en fait de L’esprit du judaïsme, une traduction et adaptation de A. Colins (1676-1729) par d’Holbach], et le Système de la nature [...] Le second est le système de 36
l'abbé bergier polémiste
de son Dictionnaire se trouvent fondés à partir de sa conception de la nature, de la raison et de l’expérience, ces catégories éminentes du siècle. Du point de vue du contenu, il est bien sûr évident que le Système de la Nature ne se confond pas avec sa Réfutation, et qu’au bout du compte, le lecteur éclairé, bien qu’il se trouve d’emblée sur un terrain familier à cause du langage, voire du vocabulaire conceptuel commun, est mis explicitement au pied du mur par le polémiste lui-même. La poursuite du bonheur, fin ultime de l’homme des Lumières, passe alors par le choix raisonné entre Dieu ou la Nature, la connaissance de leurs lois, le respect de leur autorité dans les pratiques morales et politiques, les branches de l’alternative se détaillant comme suit : ou bien, c’est le rêve prométhéen du « philosophe incrédule », la physique naturelle se trouve libérée de la métaphysique et de la Révélation, la morale naturelle de la religion, et la cité des individus du tyran couronné, ou bien les domaines que la science expérimentale et la « philosophie » moderne sont en train de l’athéisme ou du matérialisme, prouvé, étendu, développé, suivi dans toutes ses conséquences. Il est en deux volumes in-8°, bien imprimé, bien écrit, avec toute la chaleur et l’artifice possible. On y a mis le nom de Mirabaud, et l’on m’a dit l’anecdote qui peut faire au moins douter s’il n’est pas de lui : on l’a vu en manuscrit il ya plus de 15 ans. Si vous m’en demandez mon avis, je vous répondrai que c’est le livre le plus hardi et le plus terrible qui ait été fait depuis la création du monde. On peut le réfuter sans doute, puisqu’il n’est question que de démontrer que le mouvement n’est pas essentiel à la matière, et de suivre toutes les conséquences dans le même ordre que l’auteur a suivi celles du principe opposé; mais le faire avec autant d’art qu’il en a mis dans son livre, avec autant de netteté et sur un ton aussi imposant qu’il le fait, voilà ce que je soutiens très difficile et que je regarde comme une entreprise très hasardeuse. Il y en a déjà plus de 200 exemplaires répandus dans Paris à 2 louis pièce. Nos philosophes ont tressailli de joie en le lisant. Enfin, disent-ils, on verra si nous raisonnons si mal. Ce livre achèvera de tourner la tête à tous ceux qui croient raisonner. Les rois et les prêtres y sont traités de même, c’est-à-dire du haut en bas; il y a des tirades d’apostrophes dignes de Démosthène [...] Je vais le relire la plume à la main ». 37
la vision nouvelle de la société dans l'encyclopédie méthodique
déchiffrer, le monde qu’elles font connaître à l’homme nouveau pour lui permettre d’agir, continueront d’être d’abord assujettis aux lois de Dieu et à l’autorité absolue du Roi, son représentant légitime sur terre. Nous voudrions ici, tout en examinant le premier volume de L’examen du Matérialisme ou Réfutation du Système de la nature (1771) de l’abbé Bergier4, et tout en nous rapportant à quelquesuns des articles de son Dictionnaire de Théologie5, mettre en évidence quelques aspects de la méthode et de la dialectique de l’apologiste polémiste. Novateur, l’adversaire déclaré de la faction la plus radicale du « parti philosophique » met de l’avant des concepts communément reconnus, avalisés par les forces en présence mais pour les faire servir à des causes opposées. DIEU ET L’HUMANITÉ
Bergier dans l’Avertissement de sa Réfutation met rapidement au fait son lecteur : la cible qu’il vise, l’angle de son attaque, les fins qu’il entend poursuivre dans sa polémique contre l’auteur du Système de la Nature au nom de la cause qu’il défend : Dieu et l’humanité. Si le premier terme est attendu de la part d’un théologien qui ne confond pas dans sa discussion de « la nature des êtres » le Créateur et ses créatures, ni l’ordre hiérarchique traditionnel de cette relation, le second terme ressortit clairement au vocabulaire des enjeux conceptuels privilégiés des Lumières philosophiques, le « parti de l’humanité » pouvant se nommer indifféremment le « parti des philosophes ». Le polémiste signifie 4. L’édition que je suis est l’édition originale publiée à Paris, chez Humblot, 1771. 5. Je suis l’édition qu’emploie S. Albertan-Coppola, publiée à Liège, Société Typographique, 1789. Le Dictionnaire de théologie fixe des points de doctrine ; son objet principal est de faire la part entre les concepts dans un sens philosophique et le sens que revêt ces mêmes concepts ou d’autres points de doctrine selon la Révélation 38
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d’emblée au lecteur qu’à l’inverse d’un Diderot, par exemple, Dieu n’est pas la Nature6 pour l’Église et la Révélation mais bien le premier Être, créateur de tous les autres êtres. Cette distinction ontologique ne devrait pas pour autant entraîner selon lui une position obscurantiste contre le progrès de la science, des arts et des lettres Aussi sera-t-il de bonne guerre pour « l’abbé des Lumières » de disqualifier l’hypothèse directrice de son adversaire matérialiste, non point comme fausse, car depuis Newton et l’avènement de la science expérimentale, les contemporains ont appris qu’une hypothèse n’est pas un fait, mais comme peu « originale » malgré les prétentions de l’ouvrage à la nouveauté scientifique. Bergier identifie en effet les fondements ontologiques du Système comme devant tout au matérialisme de ses prédécesseurs, anciens et modernes : « c’est toujours l’hypothèse des Épicuriens et de Spinoza », écrit-il. Quant aux arguments pour défendre la déclinaison du matérialisme que l’on présente aujourd’hui, Bergier y retrouve un simple redoublement des procédés et des idées employés par les auteurs sous les noms desquels ont paru La Contagion sacrée et L’essai sur les préjugés. Aucunement innovateur donc, « ni pour le fond ni pour la forme », aucunement créateur, ce prétendu nouveau Système de la nature servirait-il au moins la cause du progrès dans ses conséquences anthropologiques et éthiques ? Parviendrait-il à renouveler les idées reçues à cet égard ? Non plus, car sa « morale » est la même que celle du livre de l’Esprit », paru il y a déjà 13 ans, en 1758. La référence à l’Esprit dont le style avait la 6. De L’Interprétation de la nature (1753), commence par la dédicace de Diderot « aux jeunes gens qui se disposent à l’étude de la philosophie naturelle » leur rappelant les trois principes de base de la nouvelle science expérimentale : « Aie toujours présent à l’esprit que la nature n’est pas Dieu, qu’un homme n’est pas une machine, qu’une hypothèse n’est pas un fait ». 39
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réputation d’être pesant et difficile, sert ainsi le dessein concerté du polémiste : discréditer le Système sans avoir l’air d’y toucher. Bref, répétitif, n’apportant rien de vraiment neuf ni au point de vue des idées, ni au point de vue de leur progrès, ennuyeux, procédant par invectives ou par absurdités, cet ouvrage qui se réclame de la Philosophie et du nouvel esprit scientifique est sans valeur pour défendre la cause de l’humanité et de la raison. LA BATAILLE DE L’OPINION
Bergier, pourtant, prend la peine de réfuter le Système. Il évalue très bien les dangers de ce livre promis quoiqu’on en ait à la plus grande circulation, et qui, comme le résume Voltaire prenant la mesure de la situation au moment de sa parution, « effraie tout le monde, et que tout le monde veut lire7 ». Or, la grande affaire, à cette époque, est d’agir sur l’Opinion pour emporter sa conquête... et la victoire de son parti dans les escarmouches continuelles qui agitent alors le monde des idées et des écrits. Loin de désigner une réalité floue dans la société française de ce dernier quart du xviiie siècle, le terme recouvre l’ensemble des personnes peuplant les institutions intellectuelles, académies, presse, édition, ainsi que, plus largement, tous ceux qui, pénétrés « d’esprit philosophique », sont à l’affût de tout ce qui paraît pour le lire, le commenter, et tenir son rang de « personne éclairée ». Le polémiste a déterminé exactement l’enjeu principal de la réplique. Il s’agira de disputer au mouvement Encyclopédiste, la tâche de « changer la façon commune de penser8», d’incliner de son côté « l’esprit de la révolution » que l’on prêche, en tentant 7. Voltaire, Correspondance, édition Besterman, Bibliothèque de la Pléiade, NRF-Gallimard, Paris, 1986, tome X, lettre n° 11890, à la marquise du Deffand, 8 août 1770, p. 367, 8. C’est la formule même de Diderot dans l’article ENCYCLOPÉDIE de l’Encyclopédie, révélant sans fards la mission profonde de ce dictionnaire au cœur de l’offensive des Philosophes. 40
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d’emporter le jugement favorable de cette fraction décisive des gens qui écrivent, qui lisent et qui pensent. Aussi conscient qu’un Voltaire ou qu’un Diderot du poids politique de l’Opinion pour faire et défaire un livre, aussi lucide sur les processus qui déterminent le magistère symbolique des Philosophes vis-à-vis du Pouvoir, l’abbé Bergier ne campe pas la Réfutation dans une arène théorique éloignée de celle du Système. C’est bien la même, avec son armature conceptuelle identique et le jeu similaire des catégories qui la peuplent. C’est à l’Opinion dont il est primordial, au point de vue politique, d’exprimer les orientations et d’en formuler les expressions, que s’adresse alors le champion de « Dieu et de l’humanité ». L’abbé se hissera lui aussi, « sur le cou du grand animal »9. Le polémiste procède avec subtilité. Tout en montrant qu’il n’est pas de son ressort « d’insister davantage sur les principes d’anarchie et d’indépendance que l’auteur a répandus dans son ouvrage, et sur les déclamations qu’il s’est permises contre le pouvoir souverain en général », renvoyant pareil soin « aux magistrats » qui ont par ailleurs déjà sévi, Bergier réussit du coup au moins trois choses. D’abord, il prend la précaution devant l’Opinion et sa propension à la fronde, de se distancer de l’appareil politique. Tout en rappelant à chacun des acteurs les bornes de leurs juridictions respectives, à l’auteur, une fonction théorique, au serviteur de l’État, un rôle politique10, il déjoue 9. Diderot écrit à Necker, le 12 juin 1775 : « L’opinion, ce mobile dont vous connaissez toute la force pour le bien et pour le mal, n’est à son origine que l’effet d’un petit nombre d’hommes qui parlent après avoir pensé et qui forment sans cesse, en différents points de la société, des centres d’instruction d’où les erreurs et les vérités raisonnées gagnent de proche en proche, jusqu’aux derniers confins de la cité, où elles s’établissent comme des articles de foi [...] nous sommes ce petit nombre de têtes qui, placées sur le cou du grand animal, traînent après elles la multitude aveugle de ses queues. » 10. L’abbé Bergier, à l’instar de ses concitoyens, était au courant des effets 41
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l’habituel reproche de collusion entre « le trône et l’autel » que les Philosophes adressait au clergé et que reprend sans relâche l’auteur du Système. Enfin, Bergier, tout en se défendant de venir avec sa Réfutation « exciter l’indignation publique », fait allusion, d’un côté, à la mise hors-la-loi du livre qu’il examine, de l’autre, il suggère le comportement que devrait adopter selon lui tout citoyen éclairé de l’époque : respectueux des lois, empreint de charité chrétienne qui le fera plaindre les « écrivains » (athées et matérialistes) « sans les craindre ni les haïr », habitué à juger selon les critères de la raison. Ainsi les « maximes » de tels écrivains ne pourront « faire aucune impression sur les esprits raisonnables. » Bergier va s’essayer à « être plus philosophe que les Philosophes » mais en se défaisant de la « passion et de l’humeur » que partagent les matérialistes, athées et incrédules. Bien au contraire, il procédera, affirme-t-il, avec l’impartialité et l’objectivité qui sont de mise dans tout examen sérieux. Il interrogera plus fidèlement que l’auteur du Système ne l’a fait, « la Nature, la raison, l’expérience », pour juger devant ce tribunal contraires au but poursuivi qu’avait entraîné le maladroit réquisitoire du procureur Séguier contre Le Système de la Nature. Le Réquisitoire résumait abondamment les thèses les plus brûlantes du Système et les mettait ainsi en évidence tout en ne parvenant à leur opposer qu’une critique verbale et superficielle; ce qui faisait que tous ceux qui n’avaient pu lire le Système, à la suite de son interdiction, pouvaient trouver dans le discours de Séguier, un abrégé commode de la doctrine condamnée ! Voir pour ces débats Paulette Charbonnel, « 1770-1771. Bruit et fureur autour d’un «livre abominable », le Système de la Nature», in Aspects du discours matérialiste en France autour de 1770, Université de Caën, UER des Sciences de l’homme, 1981, p. 73250. Par ailleurs Madame Charbonnel a établi que c’est l’abbé Bergier qui a fourni des matériaux au procureur Séguier pour son réquisitoire à la suite duquel le Parlement condamna au feu sept ouvrages anonymes, la plupart de d’Holbach ou de Voltaire. 42
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suprême de la philosophie des Lumières, de la vérité et de la validité de l’ouvrage incriminé. LES AFFRONTEMENTS AUTOUR DU CONCEPT-MAÎTRE DE NATURE
Le concept éminent de la doctrine d’ensemble des philosophes des Lumières et, à la fois, du Système de la nature, est bien celui de « Nature ». Aussi sera-ce à l’encontre du « principe fondamental du système » que l’abbé polémiste portera en premier lieu l’attaque pour désigner sans équivoque le point de rupture entre le camp des philosophes spiritualistes et le camp des athées. Pour les athées, la Nature signifie l’ensemble des êtres, « l’univers », et l’univers, pour l’auteur du Système, « n’est que de la matière et du mouvement » alors que « dans la croyance d’un Dieu, rectifie l’abbé Bergier dans l’article « NATURE », la nature est le monde tel que Dieu l’a créé, et les lois de la nature sont la volonté de ce souverain maître11 ». Même si l’on admet que le monde est fait d’une seule substance matérielle, Bergier, au nom du critère régnant de l’utile, fait alors écho à l’interrogation de la science moderne pour se demander en quoi ce postulat fondateur du matérialisme fera progresser la connaissance ? Contre la notion chrétienne de l’unité de Dieu et de ses attributs, les matérialistes lui substituent l’unité de la nature, éternelle et nécessaire. Or, comme s’efforce de le montrer le polémiste, laissant à la spéculation des Philosophes le soin de prouver l’existence de Dieu, la physique moderne, à la suite de son fondateur Newton auquel il réfère dûment, se cantonne dans l’élucidation du fonctionnement des lois de l’ordre physique. Avec la prudence et la modestie intellectuelle de la science bien faite, la physique se garde maintenant de toucher à l’origine de 11. Bergier, Dictionnaire de théologie, op. cit., tome II, p. 738-739. 43
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l’univers ou encore à la définition de l’essence de la matière et de ses propriétés. Bergier a parfaitement saisi que, dans une science véritablement débarrassée de la métaphysique, la question sera désormais celle du comment, et non plus celle du pourquoi. Si le matérialisme est impuissant à donner de la matière une définition satisfaisante alors même qu’il met cette notion à la base de sa construction, cet échec ne renvoie pas tant à la fausseté intrinsèque de ses prémisses, mais à leur manque de fertilité. C’est sur cet aspect très contemporain qu’insiste Bergier contre l’auteur du Système : Il n’était pas nécessaire d’être athée ni matérialiste pour faire les observations qu’il a réunies ; Descartes, Newton, Leibnitz et d’autres, les avaient déjà faites ; il n’a eu qu’à les rassembler. Quand on s’est persuadé que la matière et le mouvement sont éternels, et que Dieu n’existe pas, en est-on plus avancé pour découvrir les ressorts secrets de la Nature ? Jusqu’ici l’Académie des Sciences n’a pas cru que ce dogme fut nécessaire pour augmenter le dépôt de ses connaissances » (Réfutation..., op. cit., tome I, chapitre III, p. 55).
Ajoutant à cette vision moderne d’une science qui, libérée de l’hypothèque métaphysique, serait seulement préoccupée de la fécondité et de la cohérence de ses hypothèses, Bergier a soin de montrer pourquoi l’interprète du fonctionnement de la nature doit reconnaître dans sa recherche l’autorité du souverain Maître. Le Créateur de la nature lui a donné ses lois, celles-là même que le savant tente d’élucider. Les arguments qu’invoque le polémiste à l’appui de cette nécessité ressortissent principalement à deux ordres de raisons lesquels finissent par converger vers les mises au point que la théologie de l’époque a élaborées : la conception de la nature divine et de ses attributs entraîne, par suite, le rapport hiérarchique qui s’établit au bénéfice de la première entre vérité révélée par la religion et vérité cherchée par la science. Ainsi, étant donné l’existence d’une intelligence suprême, libre et volontaire, bienveillante et toute puissante, toute explication 44
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humaine doit lui déférer ultimement et la raison humaine être toujours subordonnée à cette raison supérieure. Le schème paradigmatique selon lequel procède l’abbé polémiste pourrait se décomposer comme suit : i) résumer (le plus succinctement possible et avec la plus grande netteté) les thèses du Système ; ii) en dégager immédiatement les conséquences (épistémologiques, ontologiques, morales ou politiques) tout en montrant la précipitation et la fragilité des chaînes de raisonnement incriminées ; iii) exiger au niveau des conditions de possibilité des hypothèses soutenues, l’énonciation des « raisons » de ce que l’on soutient ainsi que la cohérence et la solidité des définitions de départ : iv) relever alors les lacunes qui invalident sur ce plan logique, la théorie examinée ; v) demander ensuite au nom des canons méthodologiques de la nouvelle physique ou des sciences biologiques naissantes, la présence des observations et des expériences qui sont les seuls moyens de vérification empirique des hypothèses scientifiques. Bergier applique un tel schème tout au long de ses discussions des thèses matérialistes du Système relatives à la définition de la Nature-matière, des lois du mouvement, de la nécessité, de la nature (morale identifiée à celle physique) de l’homme, du sensualisme matérialiste et de l’anti-innéisme, de l’absence de la liberté chez l’homme, enfin des questions morales et politiques engagées par l’affirmation athéiste. Résumant l’essentiel de sa démarche critique, le polémiste écrit : Mais fût-elle la « foi justifiante » de l’auteur du Système assurant que la sagesse et le bonheur des hommes résultent de la définition de la Nature comme matérielle et de la mise en pratique de la vérité et du bien impliqués par cette définition cent fois plus salutaire, il faudrait savoir encore si elle est possible. Pour nous amener à une opinion, il faut des raisons et des preuves ; nous les cherchons en vain (Réfutation, op. cit., p. 15.) .
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Et de conclure : C’est à l’expérience même que nous nous sommes adressés pour nous former une idée claire et précise de ce que nous appelons l’ordre et le désordre, l’intelligence et le hasard. Nous avons prouvé... etc... nous avons démontré...etc... (Réfutation, op. cit., p. 385).
Telle est bien la leçon de Newton qui reconnaît avec modestie les limites de sa science dans la découverte qui a fait sa gloire, les lois de la gravitation12 . Bergier invoque encore l’exemple du prestigieux d’Alembert et de l’éthique qui devrait guider le « philosophe » d’aujourd’hui. D’Alembert montre l’inéluctabilité qu’il y a parfois de s’en référer à la volonté du Créateur. Distinguant après lui entre ignorance et résignation, il termine en enjoignant le chercheur à user activement de sa raison pour tirer un parti positif des limites que la raison divine impose à son investigation. Le polémiste de s’élever alors contre le superbe athée qui, affirmant la réalité du monde comme incréée et seulement matérielle, finit par égarer la marche conquérante de la philosophie sur des chemins stériles. Bien plus sophiste que savant, le matérialiste athée contrarie l’activité de la droite raison, celle qui ne craint pas quand il le faut d’admettre son ignorance. L’ATTAQUE CONTRE LES THÈSES ANTI CRÉATIONNISTES
La plus féroce des attaques du polémiste, mais la plus révélatrice peut-être de ses tactiques pour exploiter à son profit un exemple donné par son adversaire et le retourner comme 12. Bergier, Réfutation, op. cit., p. 30 : « les physiciens et Newton lui-même ont regardé la gravitation comme inexplicable... » Pourtant, poursuit Bergier, l’auteur du Système « entreprend de l’expliquer, décide sans raison et sans preuve que c’est un nisus, une force essentielle à la matière. Autant vaudrait-il dire une qualité occulte de l’ancienne Philosophie. Cette découverte est sans doute plus admirable que la modestie et la timidité de Newton. » 46
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un contre-exemple des plus convaincants, est sans doute celle qu’il assène à la thèse anti-créationniste du matérialisme athée. Celle-ci s’appuie sur la célèbre expérience de Needham13, de ses anguilles et du mélange d’eau et de farine qui semblait leur avoir donné naissance ((Réfutation, op. cit., p. 39-42). Cependant, contrairement au déiste Voltaire qui oppose dans sa Réponse au Système de la nature (1770)14, la théorie du fixisme à l’hypothèse transformiste, Bergier tient, du point de vue scientifique, une position ouverte pour s’attaquer à l’argumentation contre l’idée de création et à la formule ex nihilo nihil qui la résume, depuis Épicure. Ainsi il ne ridiculise nullement, comme le fait un Voltaire bien passéiste à cet égard, les expériences de Needham dont tout ce qui compte alors dans le monde philosophique se disputait à l’envie la signification scientifique, il ne s’élève pas non plus a priori contre l’idée transformiste, se contentant de renvoyer son lecteur aux précautions de Needham lui-même concernant les conclusions à tirer de ses observations15. Bergier dirige plutôt 13. C’est le collaborateur de Buffon, Daubenton, qui dans l’article « ANGUILLE » de l’Encyclopédie, décrit les expériences de Needham et les conclusions que celui-ci en tirait sur l’origine de la vie, les portant ainsi à l’attention du grand public éclairé, dès la parution du premier tome du dictionnaire des Philosophes. 14. Le titre complet du texte de Voltaire est Dieu, réponse au Système de la nature ; il a été repris, dans les Questions sur l’Encyclopédie, elles-mêmes fondues dans l’édition des Œuvres Complètes sous le titre de Dictionnaire philosophique, et y figure au cinquantième tome, p. 219-230 de l’édition de 1785, Paris, Imprimerie de la société littéraire typographique. 15. Réfutation, op. cit., p. 41-42 : « M. Needham a prévenu les fausses conséquences que les Matérialistes veulent tirer de ses expériences. Voyez les notes sur les Recherches de M. l’abbé Spalanzani.» Spallanzani, auquel Voltaire renvoie également au demeurant, avait pu observer que les spermatozoïdes étaient des organismes vivants mais il s’en tint toujours à la théorie oviste et à la fixité des espèces qu’impliquait cette théorie. 47
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ses attaques contre l’attitude anti-scientifique de l’auteur du Système lequel au lieu de déduire rigoureusement de ses propres principes concernant les lois invariables du mouvement, les lois de la génération « qui n’est que du mouvement », en infère le pouvoir qu’a la « matière de s’animer elle-même ». Il en arrive ainsi au nœud de sa polémique : montrer la contradiction fondamentale sur laquelle repose la thèse de la génération spontanée des germes défendue par le Système. Il procède tantôt par ironie, renvoyant les assertions de la « nouvelle philosophie » aux raisonnements « d’Aristote et de ses disciples » puisqu’ils offensent comme ces derniers la causalité moderne16, tantôt en montrant combien les contradictions dans les raisonnements que tire le matérialisme des découvertes faites par Needham à l’aide du microscope, instrument par excellence de la science expérimentale, sont aussi incomplets que ses procédés de vérification17. Enfin livrant la critique la plus dévastatrice il dénonce les prétentions de l’auteur du Système à promouvoir une philosophie matérialiste originale accordée aux découvertes scientifiques les plus récentes ainsi qu’aux débats du temps. « Le Lecteur apercevra aisément que l’opinion de l’Auteur n’est point différente de celle des Épicuriens qui faisaient naître les 16. Réfutation, op. cit., p. 40 : « Que savons-nous, dit Bergier en se moquant, si nous ne verrons pas un jour une nouvelle race d’hommes sortir de terre comme des champignons ?» 17. Réfutation, op. cit., p. 41 : « Lorsqu’à l’aide du microscope, on a découvert des animaux dans la farine humectée, a-t-on découvert aussi que leur germe n’existait ni dans l’eau ni dans la farine ? Voilà ce qu’il aurait fallu prouver. L’on n’a pas vu ce germe sans doute; mais on ne voyait pas non plus les animaux avant que le microscope les eût fait apercevoir : s’ensuit-il qu’il n’y étaient pas ? On nous dit que l’observateur attentif voit la Nature remplie de germes errants ; et il n’en verra point dans l’eau ni dans la farine ? Contradictions partout. » 48
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animaux du concours fortuit des atomes » (Réfutation, op. cit., p. 41), conclut Bergier en fournissant de surcroît la référence appropriée aux vers de Lucrèce ! Durcissant l’offensive, le polémiste va tenter d’expulser hors-laphilosophie le matérialiste et le moraliste athée. La question sousjacente qui se profile dans son œuvre apologétique, celle-là même qu’il relance à l’article « PHILOSOPHE, PHILOSOPHIE » de son Dictionnaire de théologie, demande bien « si les incrédules modernes méritent le nom de philosophes ? »18. Et le polémiste qui a indiqué sans relâche, tout au long de la Réfutation, pourquoi il faut répondre par la négative, passe maintenant sur le terrain d’application des idées philosophiques. Il pointe alors toutes les défaillances relatives à la mise en pratique morale et sociale des principes fondateurs du matérialisme. REJET DE L’ANTHROPOLOGIE MATÉRIALISTE
Ce qui scandalise encore plus Bergier que la définition de la Nature par la matière et le mouvement ou encore la nécessité et l’éternité que l’auteur du Système lui attribue comme propriétés, est sans doute le statut dévolu à l’homme sous les effets combinés du déterminisme universel et du monisme substantialiste. Ce qui vaut pour la marche de l’univers valant également pour l’homme, celui-ci serait une suite de causes et d’effets de la naissance à la mort, et ce qu’il fait et ce qu’il ressent seraient soumis au même déterminisme que les autres éléments de l’univers. Ravalé au niveau de « la brute », réduit « à l’état de simple machine » (Réfutation, op. cit., p. 111), dénonce le polémiste, le philosophe matérialiste nie en cet homme toute capacité de liberté, toute intentionnalité. À l’anthropologie traditionnelle appuyée à l’idée d’un Dieu créateur et bienveillant, le matérialiste oppose, en compagnie de ses amis athées de la dernière génération des 18. Bergier, Dictionnaire de théologie, op. cit., tome III, p. 201-202. 49
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Lumières, la nécessité qui régit toute action et montre dans l’organisation humaine, produit de la nature comme tous les autres êtres, le jeu de ce que Bergier assimile à la fatalité des Anciens. Un polémiste qui défend la cause de l’homme en même temps que celle de Dieu, ne peut manquer de partir de l’enseignement de la Révélation. Confortée par la ressemblance de l’homme à son Créateur, l’assertion-clé de la morale philosophique traditionnelle est bien celle de la liberté infinie de l’homme, image de la volonté-liberté divine et base réfléchie de la revendication politique du jour : liberté de penser, liberté de s’associer, liberté de résister et de démettre le Prince qui attenterait à cette liberté essentielle de l’homme. Si la liberté peut être dite naturelle et fonder la lutte des philosophes pour l’établissement des droits et des devoirs de l’homme nouveau, c’est, nous dit Bergier, qu’elle est fille d’une Nature qui renvoie elle-même à une puissance et à une intelligence transcendante. Non, s’élève le polémiste, la Nature n’est pas son propre maître, elle n’est ni « sourde » ou « aveugle », et « n’étant pas intelligente elle-même, comment pourrait-elle alors produire des êtres intelligents ? » (Réfutation, op. cit., p. 108). Bergier s’indigne : Que l’homme, cette machine si compliquée, si délicate, si faible et en même temps si puissante, où toutes les parties se répondent si parfaitement, sont si exactement faites les unes pour les autres, dont le jeu remplit d’admiration les plus habiles observateurs, dont toute la sagacité humaine n’a pu encore développer entièrement le mécanisme, soit la production d’une cause aveugle, privée de connaissance et d’industrie: Philosophes aveugles vous-mêmes, vous aurez beau le répéter jusqu’à la fin des siècles, l’humanité conjurée vous contredira tout d’une voix. Que l’homme expliqué prouve une intelligence, et l’homme formé ne le prouve point ?[...] Un matérialiste qui les [les parties du corps humain] attribue au hasard, compose une satire à la honte de la raison humaine (Réfutation, op. cit., p. 125). 50
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Le polémiste voit clairement ce qui est en jeu. Le matérialiste entend, tout comme avec le postulat métaphysique d’une Nature éternelle et auto-organisatrice, soustraire à l’autorité divine, et de là, à celle de la religion, le domaine de la science et, avec l’idée de la nécessité, conduire l’explication philosophique à se passer de Dieu, de la Providence ou d’une cause intelligente première, bref de toute orientation finaliste dans ses hypothèses. De même, avec la thèse ontologique du Système soutenant que l’être physique et l’être moral de l’homme ne font qu’un, avec l’identification subséquente des lois du monde moral et du monde physique sur laquelle se fondent la psychologie et la morale politique destinées à remplacer celles que l’on déclare caduques, ce que vise le matérialiste, dégage-t-il avec force, est la disparition pure et simple de toute option spiritualiste dans le domaine des sciences de l’homme. C’est pourquoi l’humanité conjurée dont l’abbé Bergier se fait le porte-drapeau doit rejeter dans le néant de la sophistique les entreprises d’une philosophie qui voudrait substituer le sensualisme au rationalisme, les observations de la médecine qui « guérirait les esprits en donnant la santé au corps » aux préceptes de la morale, et enfin qui se propose d’étendre les lois de la mécanique céleste à la vie sociale. Nier, comme le fait l’auteur du Système, le dualisme substantialiste, la puissance supérieure de l’esprit sur la matière, humilie l’homme comme « être pensant et libre » (Réfutation, op. cit., p. 132). En l’empêchant de donner en tant que tel toute sa mesure, le Système dégrade le programme de maîtrise et d’appropriation de la nature que s’est assignée en ce siècle la raison nouvelle. Finissant par mettre dans le même sac toutes les tendances de la Philosophie de son époque, emporté comme il l’est par le zèle du polémiste lequel a cette fois préséance explicite dans la Réfutation sur le débat purement philosophique, l’abbé Bergier somme avec véhémence l’interlocuteur. Mis en face 51
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des déviations qu’opère cette doctrine révoltante (Réfutation, op. cit., p. 100), celui-ci doit décider auprès de quelle instance il ira faire légitimer ses titres d’humain : sera-ce chez les Philosophes ou bien dans la Religion ? Rappelant à l’Homme à qui il s’adresse rhétoriquement les causes essentielles de sa distinction du reste de la création, sa raison et son libre-arbitre, Bergier l’exhorte : Vois dans quelles archives tu dois chercher tes titres, dans celles de la Philosophie ou dans celles de la Religion: l’une te déclare que tu es l’avorton de la Nature, destiné à être étouffé presqu’au moment de ta naissance ; l’autre t’apprend que tu es l’enfant du Créateur, l’héritier du Ciel, le citoyen de l’éternité. À ces deux langages, reconnais ta véritable mère : sois homme, crois en Dieu, et tu auras un père » (Réfutation, op. cit., p. 133).
Avec une conscience aiguë des renversements théoriques que suppose donc le « système de la fatalité » tel qu’il s’organise dans la pensée de l’auteur combattu, Bergier développe une contre-argumentation serrée qu’il mène simultanément sur le double plan de la logique et de l’appareillage conceptuel. Il met en évidence sur le premier registre, les inconséquences, les contradictions, les « chaînes d’absurdités » au moyen desquelles on soutient l’explication, les manquements aux critères de l’expérience et de l’utile, les abus de termes qui abondent dans les thèses de l’auteur du Système telle la définition de la liberté comme « nécessité renfermée au-dedans de nous-même » (Réfutation, op. cit. p. 261). En voici un échantillon : Portant sur la thèse de la sensibilité comme qualité universelle de la matière, thèse importante dans l’économie du Système car elle introduit aux propriétés du cerveau-matière et au jeu de la sensation dans la formation des perceptions et des idées, elle est de plus soutenue par «plusieurs Philosophes» [notamment par Diderot] dont Bergier sait l’influence, et partant le dommage que ceux-ci peuvent causer. La contestation de cette thèse est intéressante
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par l’intrication savante qu’elle présente des critères logiques et théoriques au nom desquels la réfutation est menée : Qu’on me pardonne l’expression ; voilà un chef d’œuvre de phébus et d’absurdité. 1° Si ces Philosophes prétendent seulement que toute matière peut, par une certaine combinaison, devenir susceptible de l’ébranlement nécessaire à la sensation, ils ne disent rien de nouveau : s’ils veulent autre chose, ils déraisonnent et ne s’entendent plus. 2° Si la sensibilité est essentielle à la matière, toute matière est sensible et sent toujours, indépendamment de l’organisation. 3° Dire qu’une force morte est en mouvement, c’est affirmer que le repos et le mouvement c’est la même chose. Puisque la sensation est une action, la sensibilité morte et non active est une contradiction. 4° Quel est l’obstacle qui empêche la matière d’être active et sensible, sinon l’inertie même qui lui est essentielle ? 5° Soutenir que l’âme humaine, qui est un esprit essentiellement actif, n’est pas plus capable de l’action de sentir, que la matière inerte et passive, c’est blesser le sens commun (Réfutation (op. cit. p. 159).
Sur le second registre, opposant cadre théorique à cadre théorique, le polémiste entreprend la dissolution méthodique des thèses de son adversaire matérialiste pour le rejeter aux marges de la philosophie, hors-raison. Bergier montre que la non-liberté de l’homme engage la question politique : les conséquences séditieuses d’une morale sans Dieu et d’une société sans religion. Poussant la botte, il entreprend de démontrer positivement combien fructueuse pour l’homme est l’alliance de la théologie et de la vraie philosophie (entendre non-matérialiste). Une axiologie dérivée de la Religion est tout autant que l’utile dont elle réajuste les objectifs, la condition indispensable à la réalisation du bonheur tel que le siècle le poursuit, de ce bonheur qui ne saurait être séparé du bien et de la vertu (au sens chrétien du terme) dans l’épanouissement harmonieux de la vie en société. CONTRE LE DÉTERMINISME UNIVERSEL
À partir de l’idée de création divine qu’il oppose à la thèse de l’éternité et de la nécessité de la Nature-matière, Bergier 53
la vision nouvelle de la société dans l'encyclopédie méthodique
s’attaque au déterminisme universel qui gouverne selon le Système tous les produits de la Nature. Tout en s’appuyant sur la théorie moderne de la causalité commune aux deux ontologies adverses, l’enjeu central est bien d’opposer à une indifférente mécanique de causes et d’effets, une volonté créatrice intelligente, cause première des effets que le savant observe et au-delà de laquelle on ne peut remonter. Et puisque tout effet demande une cause de même nature, il apparaît inconcevable aux yeux de Bergier qu’une cause privée d’intelligence, la matière, puisse produire une organisation intelligente telle que l’homme. Il s’ensuit, comme l’établit le polémiste au terme d’une discussion compacte, qu’il faut maintenir contre le monisme de l’auteur du Système la division du corps et de l’esprit, l’immortalité de l’âme et la supériorité de l’esprit sur le corps. Pour l’apologétiste, il n’existe qu’un seul être nécessaire, et cet être est Dieu. Aussi ne voit-il dans cette idée de la nécessité de la nature « qu’un verbiage emprunté à Spinoza » (Réfutation, op. cit. p. 91), et dans la définition du hasard comme un effet dont on ne discerne pas la cause, ne trouve-t-il que sophismes et jeux de mots. Il faut au contraire, dit-il, opposer le hasard « à l’intelligence, et non à la nécessité » (Réfutation, op. cit. p. 86). Quant à l’ordre du monde, il est le fait précisément d’une intelligence-Providence divine dont il manifeste « les lois constantes » (Réfutation, op. cit. p. 91), le désordre, pour sa part, étant lié à la contingence. L’argument-massue en faveur de la liberté métaphysique, tel qu’en convient largement à l’époque, est hérité de la tradition cartésienne : cette liberté traduit l’auto-mouvement de la conscience et de la volonté qui orientent le choix et l’action. Se référant aux définitions de d’Alembert (Réfutation, op. cit. p. 232233) dans les Mélanges, Bergier détermine le concept de liberté à l’instar du savant, comme une vérité de conscience, ajoutant immédiatement après que l’action libre (l’effet, donc) suppose 54
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toujours chez l’agent (la cause), une volonté, une réflexion, une délibération. Reprenant cette définition dans son Dictionnaire de Théologie, à l’article intitulé « LIBERTÉ NATURELLE OU LIBRE-ARBITRE », il associe la notion de liberté à celle de responsabilité qui logiquement la complète pour autoriser le système peines-récompenses de la justice humaine et, ensemble, de la morale d’un Dieu rémunérateur et vengeur. Bergier précise : la liberté est la puissance d’agir par réflexion, par choix, et non par contrainte ou par nécessité. Comme la liberté de l’homme est une vérité de conscience, elle se conçoit mieux par le sentiment intérieur que par aucune définition [...] Quand on dit que l’homme est libre, on entend non seulement que dans toutes les actions réfléchies, il est maître d’agir ou ne pas agir, mais qu’il est libre de choisir entre le bien et le mal moral, de faire une bonne œuvre ou de pécher, d’accomplir un devoir ou de le violer19.
C’est en effet un second argument traditionnel à l’époque qu’utilise Bergier lorsqu’il veut montrer les résultats pernicieux, sociaux et individuels, provoqués par la thèse de la non-liberté. On avait coutume d’arguer de l’amoralité et de la passivité à laquelle conduisait immanquablement une doctrine qui, niant le libre-arbitre, faisait disparaître du même coup toute notion de responsabilité. Bergier, ajoutant à la perspective volontariste qu’il partage avec la plupart de ses contemporains, sa dimension logique, dégage les effets rétrogrades qu’exerce sur les actions des hommes, une conception de la liberté qu’il fait équivaloir à la vieille doctrine de la fatalité. Les matérialistes identifient la liberté à une des formes de la nécessité puisque, cite-t-il, la liberté se transforme dans le Système en « la nécessité renfermée audedans de nous-mêmes ». Non seulement la raison et l’expérience démontrent le contraire (Réfutation, op. cit. p. 246), les hommes parviennent à se réformer, la société évolue, mais pis encore cette croyance en une nécessité qui nous gouvernerait entièrement 19. Bergier, Dictionnaire de Théologie, op. cit., tome II, p. 428-429. 55
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aboutit à faire de l’homme « un instrument passif » (Réfutation, op. cit. p. 263), incapable de progresser, ou de faire son bonheur (Réfutation, op. cit. p. 260). Se rencontrant avec l’argumentation de Frédéric II à ce sujet comme avec celle de Voltaire20, Bergier voit dans une morale qui serait fondée sur cette doctrine, la ruine de la société et des rapports entre les hommes. Si tout est mû par des causes nécessaires, les erreurs, les crimes sont involontaires et inévitables. Avec la disparition de la notion de responsabilité, les lois et la justice humaines seraient bien malvenues de les punir (Réfutation, op. cit. p. 248), observe le polémiste. De même, en matière de mœurs et d’éducation, si on ne peut plus distinguer le vice de la vertu, il devient inutile d’encourager les hommes à se corriger et à changer lois et règlements (Réfutation, op. cit. p. 251-252). Ni édifiante, ni utile, contraire à la « philosophie du sens commun », la morale de la non-liberté doit être condamnée. LA « BOUSSOLE » DE LA LOI DIVINE
Bergier oppose à l’auteur du Système le caractère à la fois chimérique et impraticable d’une morale qui, prétendant à la vertu, se passe des lois de Dieu et de la religion. De ce fait, elle se montre incapable à mettre cap sur le bonheur, cette fin de la société qu’elle propose aux hommes. Ce n’est, au contraire, répète le polémiste, qu’à la condition d’adopter une optique chrétienne et d’observer les lois de la religion que l’on pourra distinguer entre le vice et la vertu, la justice et l’injustice et, transcendant les intérêts égoïstes et le plaisir individualiste, pratiquer le bonheur terrestre en attendant de goûter au souverain Bien dans la vie éternelle. 20. Voir Frédéric II, Œuvres philosophiques, coll. Corpus des Œuvres de philosophie en langue française, Fayard, Paris, 1985, in Examen critique du Système de la Nature, p. 403-422, ainsi que Voltaire, Dieu, réponse au Système de la nature; op. cit. 56
l'abbé bergier polémiste
Bergier invoque la « boussole» de la loi divine et de l’enseignement de la religion, le Système, une pierre de touche abstraite : l’utilité sociale pour reconnaître une action vertueuse. Dans le Dictionnaire de Théologie, l’article « VERTU » nous renseigne sans ambages : [...] s’il n’y avait pas une loi naturelle qui nous est imposée par le Créateur, le mot vertu serait vide de sens. Il n’y aurait plus aucun motif constant et solide qui pût nous engager à faire le bien malgré l’impulsion de nos mauvais penchants. Il n’est pas besoin de force pour faire une action utile à nos semblables par le motif de notre intérêt présent, ou d’un avantage temporel certainement prévu, c’est une affaire de calcul et rien de plus. Les Philosophes qui ne veulent point reconnaître un Dieu législateur, rémunérateur et vengeur, et parlent sans cesse de vertu, sont ou de mauvais raisonneurs qui ne s’entendent pas eux-mêmes, ou des hypocrites qui veulent en imposer à des ignorants. N’assigner d’autre motif d’être homme de bien que les avantages qui sont attachés à la vertu dans cette vie, c’est la dégrader et la confondre avec l’amour-propre21.
Que la société ne peut subsister sans la vertu, nul n’en disconvient reconnaît Bergier, mais la véritable question n’est pas là. Le matérialiste athée ne sait qu’opposer un verbalisme creux lorsqu’il s’agit de savoir ce qu’est le bonheur. Si la vertu se réduit à un tempérament bien constitué pour la félicité des autres et le vice à une organisation malheureuse, l’idée du bonheur, à ce compte, varierait selon le tempérament et les mécanismes d’une nature aveugle. Il en résulte, conclut le polémiste, qu’il ne dépend donc pas plus de nous d’être vertueux que d’être heureux, que dans le matérialisme toute morale est anéantie, que nous sommes les jouets de la fatalité. C’est donc bien la Religion, et seulement elle, qui, contrairement à ce que déclame mensongèrement le philosophe athée, est l’amie du bonheur de l’homme dont elle ne condamne que les excès. C’est encore seulement la Religion et la morale 21. Bergier, Dictionnaire de Théologie, op. cit., tome III, p. 757. 57
la vision nouvelle de la société dans l'encyclopédie méthodique
qu’elle enseigne, qui donnant des motifs solides pour pratiquer la vertu, permet à l’homme d’atteindre sûrement le bonheur : à celui qui soumis à l’autorité de Dieu reconnaît qu’il tient de lui la vertu, la religion, console l’homme avec les promesses d’un bonheur éternel dans l’autre vie et, contrairement au système de la Fatalité, lui « donne les moyens d’agir dans toutes les circonstances et dans tous les temps » (Réfutation, op. cit. p. 359). Devant le schisme déclaré qui déchire la philosophie entre ceux qui font profession du déisme et les incrédules, le polémiste a montré tout au long de ses discussions comment on pouvait défendre à la fois la cause de Dieu et celle de l’homme, et employer plus fidèlement les armes de la philosophie que l’auteur du Système. La société à laquelle appelle la « sombre philosophie » de l’auteur n’a jamais existé et ne pourra heureusement jamais exister, elle serait, conclut Bergier qui semble rejoindre Voltaire22 décriant les dangers politiques de la « nouvelle philosophie », « un troupeau de tigres toujours prêts à fondre sur le plus faible, et qui finiraient par se dévorer les uns les autres » (Réfutation, op. cit. p. 262-263). Pour éviter cette funeste issue, il n’est qu’un seul chemin, exhorte le polémiste, en s’adressant, bouclant la boucle, aux « admirateurs enthousiastes des idées philosophiques » : Interrogez donc la Nature , consultez l’expérience, écoutez la raison (Réfutation, op. cit. p. 262-263).
Josiane Boulad-Ayoub, dir. g. publication
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22. Voltaire, Correspondance, op. cit., lettre n° 11986, à Condorcet et à d’Alembert, 11 octobre 1770, p. 438 : « la nouvelle philosophie amènera une révolution horrible si on ne la prévient pas. » 58
LE DICTIONNAIRE DE THÉOLOGIE, ENTRE CONSERVATISME ET MODERNITÉ
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L’
Un apologiste « très supérieur aux gens de son métier »
abbé Nicolas Sylvestre Bergier est l’un de ces religieux francs-comtois qui se sont distingués au siècle des Lumières comme défenseurs de la foi chrétienne. L’éloge de Grimm qui le place au-dessus du lot de ses pareils1 n’est pas immérité. Ordonné prêtre en 1743 et docteur en théologie en 1744, il débute comme simple curé de campagne à Flangebouche (1749-1765) dans le Doubs et comme principal du collège de Besançon (1765-1769). Il connaît ensuite une ascension fulgurante qui le conduira à être chanoine à Notre-Dame de Paris (1769-1771), avant de devenir confesseur à la cour de Versailles où il restera jusqu'à sa mort en 1790 2 . Plusieurs fois lauréat des prix d’Éloquence et d’Histoire de l’Académie de Besançon, il se fait d’abord connaître comme érudit par un ouvrage de philologie3 avant de se faire apprécier pour ses 1. Correspondance littéraire, VII, avril 1767. Voir aussi, dans son propre camp, l'éloge de Bergier par Sabatier de Castres : « Sa manière de réfuter les ouvrages impies réunit au mérite d'une logique très pressante, celui de l'ordre et de la netteté des idées » (Les Trois siècles de littérature, Paris, de Hansy, 1774, t. I, p. 137). 2. Sur la carrière de Bergier, nous renvoyons à notre étude, L’abbé NicolasSylvestre Bergier (1718-1790). Des Monts-Jura à Versailles, le parcours d’un apologiste du xviiie siècle, Paris, Champion, 2010. On peut consulter aussi la notice de Didier Masseau dans le Dictionnaire des anti-Lumières et des antiphilosophes, Paris, Champion, 2017, t. 1, p. 184-195. 3. Les Éléments primitifs des langues, découverts par la comparaison des racines de l’hébreu avec celles du grec, du latin et du français. Ouvrage dans lequel on examine la manière dont les langues ont pu se former et ce qu’elles peuvent avoir de commun, Paris, Brocas et Humblot, 1764, in-12. Bergier publiera par la 59
la vision nouvelle de la société dans l'encyclopédie méthodique
apologies du christianisme contre Rousseau, d’Holbach, Voltaire et autres incrédules. En 1765, il publie Le Déisme réfuté par lui-même, ou Examen des principes d'incrédulité répandus dans les divers ouvrages de Rousseau, qui lui vaudra les félicitations de plusieurs prélats ainsi que du prince de Clermont ; puis, en 1767, La Certitude des preuves du christianisme, ou Réfutation de l’Examen critique des apologistes de la religion chrétienne (attribué à Lévesque de Burigny). Récompensé par une pension sur l'évêché de Mende, il poursuit son combat apologétique en donnant contre d'Holbach, en 1769, l'Apologie de la religion chrétienne contre l’auteur du Christianisme dévoilé et quelques autres critiques, accompagnée d'une Suite de l’Apologie ou Réfutation des principaux articles du Dictionnaire philosophique [de Voltaire]. Il recevra pour cela par brefs les louanges des papes Clément XIII, puis Clément XIV, ainsi que le canonicat de Notre-Dame. Dès lors, pensions et bénéfices pleuvent sur cet infatigable champion de la foi, suffisamment ouvert pour fréquenter les Philosophes au salon de d'Holbach mais qui se brouillera avec eux après la parution en 1771 de son Examen du matérialisme, ou Réfutation du Système de la nature. Nommé confesseur de Mesdames, filles du roi – il confessera même Louis XVI et Marie-Antoinette pour les Pâques de 1776 –, il s'installe à Versailles mais, plus enclin à l'étude qu’aux mondanités, il se plaint à son beau-frère de la vie de château : Pour moi, je vis de mon côté comme j'ai toujours vécu, solitaire, occupé, dégoûté du monde et de ses absurdités, ne pensant qu'à ma besogne qui est sur ses fins, et à conserver le repos, après avoir perdu ma liberté » (lettre à Jaquin du 2 juin 17764). suite un ouvrage de mythologie, L’origine des dieux du paganisme et le sens des fables découvert par une explication suivie de quelques poésies d’Hésiode, Paris, Humblot, 1767. 4 part. en un vol. in-12. 4. Œuvres complètes de Bergier [...] publiées par M. l’abbé Migne [...], PetitMontrouge, J.-P. Migne, 1855, t. VIII, col. 1529, lettre XLIV. 60
le dictionnaire de théologie entre conservatisme et modernité
Ses efforts paieront puisqu’il publie, en 1780, un volumineux Traité historique et dogmatique de la vraie religion, avec la réfutation des erreurs qui lui ont été opposées dans les différents siècles5 et, en 1788-1790, dans l'Encyclopédie méthodique, un Dictionnaire de théologie6, qui sera complété par un Plan de la théologie7 (posth. 1831), visant à rétablir l’ordre logique de la lecture, perturbé par l’ordre alphabétique. Il faut ajouter à ces trois ouvrages de théologie un Tableau de la miséricorde divine8 (posth. 1821) et un audacieux traité sur la rédemption qui ne nous est pas parvenu mais dont nous connaissons les grandes lignes par la correspondance échangée avec l’abbé Trouillet. Auteur savant et rigoureux, l’abbé Bergier s’attire l’estime de ses adversaires mêmes. Grimm, on l’a vu, le désigne dans la Correspondance littéraire comme « un homme très supérieur aux gens de son métier, c’est-à-dire à ceux qui se battent pour la cause de l’Église contre tout venant. Il a de l’érudition et même de la critique » (VII, avril 1767). Et Diderot se vante auprès de son frère, l’abbé, de le fréquenter : « Vous connaissez apparemment
5. Paris, Moutard, 1780, 12 vol. in-12. 6. Encyclopédie méthodique. Théologie, Paris, Panckoucke et Liège, Plomteux, 1788-1790, 3 vol. in-4°. L’édition de Liège (Société typographique, 17891792, 8 vol. in-8°) portera le titre de Dictionnaire de théologie [...]. Extrait de l’Encyclopédie méthodique. 7. Plan de la théologie par ordre de matières, suivant lequel il est à propos de lire le Dictionnaire théologique, manuscrit autographe de Bergier, précédé d’une notice biographique et littéraire sur la vie et les ouvrages de l’auteur, et de plusieurs morceaux inédits ou peu connus, Besançon, Outhenin-Chalandre, 1831, 2 part. en un vol. in-8°. 8. Tableau de la miséricorde divine tiré de l’Écriture sainte, ou Motifs de confiance en Dieu pour la consolation des âmes timides, Besançon, J. Petit, 1821, in-12. 61
la vision nouvelle de la société dans l'encyclopédie méthodique
l’abbé Bergier, le grand réfutateur des Celses modernes. Eh bien, je vis d'amitié avec lui9» . Quand Bergier, en décembre 1780, est sollicité pour « participer à l’expurgation de l’Encyclopédie10 », sa première réaction est un sentiment d’« épouvante »11. Non seulement la réalisation d'un excellent dictionnaire de théologie lui paraît impossible, mais aussi il craint d’être inquiété pour les erreurs que contiendrait cette nouvelle Encyclopédie. Promesse lui ayant été faite de procéder par ailleurs à la correction des articles de littérature et de philosophie, il se rassure et ne tarde pas à « succombe[r] à la tentation12 » en signant avec Panckoucke dès janvier suivant. Il s'engage par contrat à remettre à l'éditeur quatre à cinq volumes in-quarto, dont un dès 1782 et un autre en 178313. 9. Correspondance, édit. G. Roth, puis J. Varloot, Paris, Éditions de Minuit, 1955-1970, t. X, p. 62. 10. Le choix de Panckoucke de recourir à Bergier a pu être motivé par la « reconnaissance institutionnelle » dont jouissait le théologien et le « gage apparent d’orthodoxie » qu’il représentait (Didier Masseau, « Un apologiste au service de l’Encyclopédie méthodique : Bergier et le dictionnaire de Théologie », dans L'Encyclopédie méthodique (1782-1832). Des Lumières au positivisme, dir. Claude Blanckaert et Michel Porret, Genève, Droz, 2006, chap. 4, p. 155 et 158). 11. Un théologien au siècle des lumières : Bergier. Correspondance avec l'abbé Trouillet (1770-1790), éd. Ambroise Jobert, Lyon, Centre André Latreille, 1987, p. 208. La simple vision des portraits de Diderot et d'A lembert associés à la théologie dans l'annonce de la nouvelle Encyclopédie fera de même frémir dans un premier temps l'abbé Barruel (Journal ecclésiastique, sept. 1788, p. 3-4). 12. Ibid., p. 213 (lettre du 15 janvier 1781). Sur la participation de Bergier à l’Encyclopédie méthodique, voir Didier Masseau, Les ennemis des Philosophes. L’antiphilosophie au temps des Lumières, Paris, Albin Michel, 2000, p. 352368. 13. Voir à la Bibiothèque historique de la Ville de Paris le contrat passé, le 10 janvier 1781, entre le libraire Panckoucke et l’abbé Bergier 62
le dictionnaire de théologie entre conservatisme et modernité
Aussi se met-il aussitôt au travail en établissant la nomenclature à partir des dix-sept volumes in-folio de l’Encyclopédie et en notant les noms à ajouter, changer ou supprimer. Il prévoit au moins quatre volumes in-quarto, dans lesquels il fondra le contenu de son Traité historique et dogmatique de la vraie religion et ses idées inédites sur la rédemption. A-t-il rédigé avec ardeur, comme il l'annonce à Trouillet le 15 janvier 1781, « des articles dans toutes les positions14 » ? Toujours est-il que, dès la fin du mois de mars, il dispose déjà de quatre cents articles prêts à copier. Il a effectivement trouvé largement matière dans son traité, ainsi que dans l'ouvrage en préparation sur la rédemption, à composer son dictionnaire mais il s’inquiète de la réaction du censeur, comme il s’en confie à son ami Trouillet. La réponse de son correspondant est immédiate : il faut absolument ôter de ses articles encyclopédiques tout ce qu'il a pu tirer de son système sur le salut. Pour le rassurer, Bergier l’assure qu’il n’en mettra que les principes sans en tirer les conséquences. Mais Trouillet, effrayé, lui enjoint de brûler son manuscrit sur la rédemption en lui reprochant d’en semer les principes dans son dictionnaire, ce qui ne manquera pas de réjouir les Philosophes, ennemis de la religion. C'est alors que Bergier dévoile sa ruse, il se contentera de renvoyer aux Pères de l’Église : […] j’y mettrai ce que les pères ont dit de la date, de la plénitude, de la généralité, de la rédemption, de la miséricorde de Dieu quand il punit en ce monde, de la grâce donnée à tous par les mérites de Jésus-Christ. Sont-ce là des hérésies ou des maximes scandaleuses ? Si on en tire les conséquences qui s'ensuivent naturellement, tant mieux ; si on ne les aperçoit pas, on ne me les imputera pas. (9 octobre 1781, p. 259).
Mettant à profit tout le temps libre dont il dispose, notamment l'éloignement de la Cour qu'autorise la fièvre maligne qu'il a (Ms C.P. 4005). 14. Un théologien au siècle des Lumières..., p. 213 (lettre du 15 janvier 1781). 63
la vision nouvelle de la société dans l'encyclopédie méthodique
contractée auprès de la comtesse de Provence, il avance à grands pas et, le 26 janvier suivant, il peut annoncer triomphalement qu’il vient d’achever le dernier article, ZWINGLIENS (p. 287). La rédaction du dictionnaire lui aura pris en tout environ treize mois. Mais la copie, à laquelle il doit ensuite s’atteler, va lui peser lourdement. Il se dit « accablé de travail » et avoue à plusieurs reprises que, s'il avait su, il n'aurait pas accepté de se charger du dictionnaire15, d’autant plus qu’il a à se plaindre de son censeur La Hogue qui ne laisse rien passer16. La remise des feuillets à l'imprimeur, qui commence en janvier 178617, exige de longues et patientes vérifications et le découragement guette l’auteur : en février 178818, il n'en est qu'à la lettre T et il prévoit déjà des additions et des errata ! En avril 1787, il commence la lettre S et doit livrer au libraire les lettres A et B pour l'impression19. Trouillet l’aide heureusement de ses corrections20. En mai 1789, il peut enfin crier Terre : il n’a plus qu’à revoir ce qui reste à imprimer, à rédiger son discours préliminaire21 et à 15. Ibid. Lettres des 30 juillet (p. 315) et 2 septembre 1782 (p. 317), du 20 février 1783 (p. 323). 16. Lettres du 2 janvier 1783 (p. 319), des 25 mai (p. 351), 14 novembre (p. 358) et 16 décembre 1785 (p. 361), des 17 janvier (p. 366) et 5 avril 1786 (p. 367), du 23 avril 1787 (p. 373). 17. Voir lettre à Trouillet du 17 janvier 1786 (p. 366). 18. Voir lettre à Trouillet du 22 février 1788 (p. 377). 19. Voir lettre à Trouillet du 23 avril 1787 (p. 373). 20. Voir lettre à Trouillet du 20 novembre 1788 (p. 382). 21. Il peine sur ce discours, qui finalement n’aboutira pas. Mais la plupart des rééditions du Dictionnaire de théologie comporteront, après l’Avertissement, une introduction intitulée « Dessein de la Providence dans l'établissement de la religion, origine et progrès de l'incrédulité », tirée du Traité de la vraie religion. 64
le dictionnaire de théologie entre conservatisme et modernité
préparer les errata des trois volumes22 . Mais il est soutenu tout au long de la rédaction du dictionnaire par les premiers échos de son œuvre : un libraire de Venise veut la faire traduire en italien à Padoue23, son éditeur propose de réimprimer à part le premier volume qui a été bien accueilli et à peine en est-il à la moitié du second que des lecteurs souhaitent déjà souscrire à son seul dictionnaire24. LA DÉFENSE DES EXCLUS DU SALUT
C ’est naturel lement à l ’article R ÉDEMPTEUR, RÉDEMPTION que le théologien va s'efforcer d'appliquer sa tactique qui consiste à glisser les principes de sa théorie du salut sans en tirer les conséquences, de façon à ne pas alerter son censeur, « docteur de Sorbonne rigoriste25 », et à s’appuyer sur la caution des Pères de l’Église pour affirmer l'universalité de la rédemption. En particulier, cet enfant chéri de l’Église qui l’a couvert d’honneurs va tâcher de défendre, autant que faire se peut, contre sa hiérarchie le salut des enfants morts sans baptême, ainsi que celui des infidèles qui n’ont pas connu la Révélation. Sans doute entre-t-il dans sa détermination une part de motivation personnelle. Comme beaucoup de familles de son temps, celle de Bergier a été fortement touchée par la mortalité infantile puisque, parmi les douze frères et sœurs de Nicolas Sylvestre, trois seulement survécurent26. Mais le combat 22. Voir lettre à Trouillet du 2 mai 1789 (p. 384). 23. Voir lettre à Trouillet du 13 octobre 1783 (p. 343). 24. Plutôt qu'à l’ensemble de l’Encyclopédie méthodique. Voir lettre à Trouillet du 2 mai 1789 (p. 384). 25. Lettre à Trouillet du 23 avril 1787 (p. 373). 26. Élisabeth (1721-1785) ; Christine Françoise (1729-1795) qui épousa Claude Jaquin, avocat à la cour (exerçant à Darney), avec lequel Nicolas Sylvestre entretient une correspondance suivie très éclairante pour les 65
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du théologien en faveur d'une conception extensive de la grâce résulte principalement, pensons-nous, de la confrontation avec les philosophes des Lumières qu'il a lus de très près et dont il a réfuté l'argumentation point par point dans ses apologies, à laquelle il faut ajouter sans doute la fréquentation à Paris de d'Holbach, Diderot et leurs amis. À les lire, à les entendre, il en retient l'idée que le principal obstacle à la foi chrétienne, dans les milieux philosophiques, est l’existence du mal. Comment la concilier avec la bonté et la toute-puissance de Dieu ? Soit Dieu a le pouvoir d’empêcher les souffrances infligées aux innocents – tels ceux qui périrent dans le récent tremblement de terre de Lisbonne – et il ne lève pas le petit doigt pour les sauver27, ce qui porte une forte atteinte à sa bonté. Soit il n’est pas indifférent comme le croit Voltaire au sort des humains mais il est incapable d’intervenir. Qu’en est-il alors de la toute-puissance qu'on lui attribue ? C'est dans ce cadre de pensée que s’inscrit le combat de Bergier contre une conception trop rigoriste du salut. Révulsé par les menaces des foudres de l’enfer brandies en chaire par nombre de ses confrères28, il a pleinement conscience des effets ravageurs de la sentence hors de l’Église point de salut qui heurte le sens de la justice des adversaires du christianisme et qui, chercheurs ; François Joseph (1732-1784), avocat au Parlement de Paris (sans exercer) et traducteur, qui introduit Nicolas Sylvestre chez les Philosophes dont il était familier. 27. « Le Dieu des chrétiens est un père qui fait grand cas de ses pommes, et fort peu de ses enfants », dira Diderot (Additions aux Pensées philosophiques, XVI). 28. « Quand j’entends tirer l’Écriture sainte par les cheveux dans tous les sermons, cela me donne des convulsions, j’enrage entre cuir et chair : aussi, à ma honte, je fuis les sermons tant que je puis. » (lettre à Trouillet du 13 avril 1779, p. 193). 66
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de plus, va à l’encontre de la miséricorde divine. C’est ce qu’il explique à l’abbé Trouillet : Ce que vous appelez l’objection de Voltaire est l’objection de tous les incrédules du monde, elle attaque le christianisme dans la racine et dans toutes ses branches : si on n'y répond pas de manière satisfaisante, il ne faut pas se mêler de défendre la religion. Tout système d'incrédulité tient de près ou de loin à la grande question de l’origine du mal et de la permission du péché. Si ce mal n’est pas avantageusement réparé, si nous avons tort de dire o felix culpa ! si Jésus-Christ n’est pas Salvator mundi, Redemptor mundi dans toute la force du terme, tout est perdu. Pour qu’il le soit, il n’est pas nécessaire qu’il ait ôté à l’homme le fatal pouvoir de se damner s’il le veut, mais qu’en vertu de la rédemption personne ne soit damné que par sa faute propre et personnelle29.
D’où les soins que Bergier apporte durant des années à la rédaction d'un Tableau de la miséricorde divine, qui ne paraîtra pas de son vivant, et à celle, plus audacieuse, d'un traité de la rédemption dont nous avons perdu la trace. L’a-t-il brûlé comme le lui a recommandé par prudence son ami Trouillet ? Quelqu’un l’aurait-il fait à sa place après sa mort ? On ne sait. En tout cas, c’est dans son dictionnaire que sont publiées ses idées sur la distribution pleine et universelle de la grâce, au prix de quelques accommodements, moyennant quelques ruses de méthode. Comment Bergier abordera-t-il dans ce contexte son article sur la rédemption ? Sans illusion, si l’on en juge par la confidence qui lui échappe à propos de passages sur les enfants morts sans baptême et le nombre des élus censurés par l’intraitable La Hogue qui l'a obligé à écrire contre sa conscience : « Je subirai la même ignominie aux mots Justice de Dieu, Rédemption, Sauveur etc. ; mais il faut avaler le calice jusqu’à la lie30 ». La virulence du vocabulaire, l’identification christique disent assez ce qu'il 29. Lettre à Trouillet du 18 mai 1781, p. 222. 30. Lettre à Trouillet du 5 avril 1786, p. 367. 67
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en coûte au théologien de mettre en veilleuse ses convictions profondes. En veilleuse mais pas en arrêt si l’on se réfère à l'article RÉDEMPTEUR, RÉDEMPTION qui, après avoir récusé les définitions restrictives données par les Pélagiens, Sociniens et Déistes qui bornent le salut à ceux qui croient en Jésus-Christ, affiche clairement l'opinion de l'auteur : « Nous soutenons au contraire l'espérance de l'immortalité » (III, 323)31. Il s’emploie ensuite à donner des preuves qu'il ne s'agit pas d'une interprétation arbitraire, en s'appuyant sur la lettre de l'Écriture. Le mot Goël qui désigne le rédempteur en hébreu s’emploie pour celui qui paie un prix pour racheter quelqu'un qui est tombé en esclavage ou a été condamné à mort. De même, quand Jésus dit qu'il est le rédempteur du monde, ce n’est pas à prendre dans un sens métaphysique ou figuré : il avait vraiment payé de sa vie le rachat du genre humain. C'est là que, appliquant la méthode qu’il a annoncée à Trouillet, Bergier se réfugie derrière les textes sacrés et les Pères de l’Église32 , pour répondre aux déistes et athées du XVIIIe siècle qui font remarquer le grand nombre d’hommes qui, vivant et mourant dans le péché, sont réprouvés à jamais : A cette assertion téméraire nous répondons qu’il n’appartient ni à nos adversaires, ni à nous, d’étendre ou de borner à notre gré le bienfait de la rédemption, nous ne pouvons en juger que par la manière dont l'Écriture Sainte et les Pères de l’Église en ont parlé ; or ils conspirent à nous en donner la plus haute idée. (III, 325a)
Mais si les théologiens qui limitent l’étendue de la grâce admettent volontiers que les Pères ont été universalistes durant les quatre premiers siècles, ils soutiennent que St Augustin ne 31. Dans les références au Dictionnaire de théologie de Bergier, les chiffres romains majuscules indiquent le tome, les chiffres arabes la page et le chiffre romain en minuscule la colonne. Il en ira de même pour les citations de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. 32. « C'est bien dans ce sens charnel que l'ont entendu les apôtres et leurs disciples immédiats, puis les Pères de l’Église » (III, 324a). 68
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regardait comme rachetés que les prédestinés. Bergier estime que le sentiment particulier de ce docteur de la grâce ne saurait prévaloir sur une tradition de quatre siècles mais, ne laissant rien au hasard, il prend soin d’examiner sa doctrine dans tous ses détails, en renvoyant au mot GRÂCE33. L’article RÉDEMPTEUR, RÉDEMPTION est donc expressément relié par Bergier à d’autres avec lesquels il forme une constellation. Sa pensée sur la rédemption est ainsi répartie entre plusieurs articles, pas seulement par effet de l’ordre alphabétique mais aussi par volonté d’en atténuer les risques. De la sorte, arrivé à l’article SALUT, il n’aura plus qu'à réitérer ses arguments : « comme c'est ici la plus consolante vérité qu'il y ait dans le Christianisme, que cependant il y a encore un bon nombre de Théologiens qui s’obstinent à la méconnaître, on ne doit pas nous savoir mauvais gré de ce que nous aimons à en répéter les preuves » (III, 432b), avant de rappeler qu'à RÉDEMPTEUR, RÉDEMPTION il a prouvé que ce bienfait s’étend à tous les enfants d’Adam mais à des degrés différents, qu'à GRÂCE il a cité de nombreux passages prouvant que ce don de Dieu est accordé à tous et qu’aux mots ABANDON, ENDURCISSEMENT, INFIDÈLE, JUDAÏSME il a démontré que Dieu n’a jamais refusé la grâce aux Juifs, ni aux Païens, ni aux grands pécheurs et qu’il est « le Sauveur du monde ou du genre humain sans exception » (III, 435a). La modernité de Bergier est donc paradoxalement de refuser le système nouveau de ceux qui, tournant le dos à la tradition patristique, « forgent un système inconnu à l’Antiquité » (III, 435b). Le progrès de sa démarche, si l’on peut dire, consiste à revenir à la source, au christianisme primitif34. 33. Pour les détails de son analyse, voir RÉDEMPTEUR, RÉDEMPTION, III, 326b-327b. 34. Ces constations rejoignent celles de Didier Masseau qui a perçu chez 69
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Le sort à proprement parler des enfants morts sans baptême qui tient tant à cœur au théologien sera réglé, quant à lui, dans la section VI de l’article BAPTÊME. Cet article repose sur l'opposition entre l'opinion des Scholastiques (Thomas, Bonaventure, Innocent III...), lesquels considèrent que la condamnation des enfants à la peine du dam35 n’est qu’une opinion théologique, et celle des Jansénistes qui le donnent pour un article de foi (I, 191a-b). Mais au lieu de développer les arguments des Scholastiques qui vont dans son sens, Bergier dresse un inventaire des preuves apportées par les théologiens les plus rigoristes, notamment St Augustin, afin de les ébranler : On ne peut pas nier que ces arguments ne soient très forts, ils prouvent invinciblement que les enfants morts sans Baptême sont exclus du bonheur éternel, et souffrent la peine du dam ; mais ils ne démontrent pas aussi certainement que ces enfants souffrent encore la peine du sens36. En voulant trop presser ces raisonnements, l'on s'expose à des inconvénients fâcheux, et l'on pourrait y en opposer d'autres qui ne paraîtraient pas moins concluants. Il n’y a donc aucune nécessité d’embrasser sur cette question le parti le plus rigoureux [...] (I, 190-191)
À l’appui, il cite la censure de l'Emile de Rousseau par la Sorbonne qui se réfère à St Thomas et fait valoir l’embarras de St Augustin sur cette question. Puis il en appelle à l’indulgence envers les théologiens qui prennent le parti de la douceur contre la rigidité de l’École, propre à susciter les attaques des incrédules.
Bergier une « hantise de la décadence », propre aux penseurs de la fin du xviie siècle, qui les pousse à revenir aux « temps fondateurs ». Voir à ce sujet Les ennemis des Philosophes, IV, 2 et 3. 35. La peine du dam est le « regret d’avoir perdu le bonheur éternel » (article ENFER du Dictionnaire de théologie, I, 656a). 36. La peine du sens est la « douleur causée par les ardeurs d’un feu qui ne s’éteindra jamais » (ibid.). 70
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Son dernier mot portera habilement sur l’indécision du dogme, en rapport avec les Conférences d’Angers sur les péchés37. La stratégie du théologien est manifeste. Après une phase de docilité au cours de laquelle il montre sa bonne volonté en prenant en considération les arguments de St Augustin contre l’extension de la grâce, il revient à la charge en s’abritant à la fois derrière l’autorité de la Sorbonne et celle des Pères de l’Église, au point que son article se mue en une compilation de citations et la série d’articles mis en réseau touchant au salut en une vaste redite. Faisant flèche de tout bois, il va même jusqu'à faire servir St Augustin à la preuve de sa propre opinion, en usant implicitement d'un argument a fortiori : si même St Augustin hésite à un moment sur cette question, c’est qu’elle n’est pas tranchée. Il ne manque pas, enfin, de renvoyer au Concile, qu’il invoque évidemment pour donner des gages de son orthodoxie. Plus loin, dans l'article ENFANT (I, 653b-654a), Bergier intégrera la question du sort éternel des enfants morts sans baptême dans une perspective plus large, qui est celle des devoirs réciproques des pères et des enfants, indiqués par la Révélation. C’est à propos de la punition des enfants pour le péché de leur père, qui indigne les Philosophes, qu’intervient une nouvelle mise au point. S’appuyant sur une maxime de l’Esprit des lois (livre VI, chap. XX), plusieurs penseurs des Lumières avaient souligné qu’il y avait là une injustice38. Bergier répond par une comparaison assez spécieuse à nos yeux – mais recevable par le 37. Les « conférences » étaient le fruit de réunions ecclésiastiques visant à fixer, sous l’autorité des évêques, des points de doctrine portant sur des sujets sensibles. La collection des Conférences d’Angers, commencée par François Babin en 1651, passait pour moliniste. 38. Cf. le chap. 18 du livre XII de l’Esprit des lois, qui porte sur le crime de lèse-majesté, et le chap. 20 du livre VI, qui traite « De la punition des pères pour leurs enfants ». 71
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lecteur contemporain – entre Dieu et le roi. Un souverain qui dépossède les enfants d’un noble rebelle déchu n'est pas injuste. A fortiori Dieu ne l’est pas. C’est même mettre un frein au crime que de punir quelqu’un dans ceux qui lui sont chers. A la vérité, un souverain qui mettrait des enfants à mort pour le crime de leur père serait cruel et tyrannique mais, si Dieu qui est le maître de la vie et de la mort le faisait, il ne serait pas injuste car il peut dédommager dans l’autre vie ceux qu’il prive de la vie présente pour le bien général de la société. Ainsi conclut Bergier. Quant aux articles ABANDON, ENDURCISSEMENT, GENTIL, INFIDÈLE, JUDAÏSME, JUSTICE DE DIEU, SATISFACTION qui font partie de cette constellation sotériologique39, ils n’interviennent que de manière indirecte certes dans le traitement de la question cruciale du salut, mais la pierre qu’ils apportent à l’édifice est loin d’être négligeable. Ainsi Bergier s’appuie dans un passage de l’article ABANDON sur l’usage de la langue pour récuser l’interprétation absolue que donnent certains théologiens aux textes de l’Écriture évoquant l’abandon de Dieu à l’égard de son peuple : on dit couramment qu’un père abandonne son enfant quand il ne veille plus sur lui avec autant de soin ou quand il délaisse son aîné au profit du cadet, mais ces expressions ne sont pas « absolument vraies », elles ne le sont que par comparaison (I, 3a). A l'article SATISFACTION, il retourne la notion dans tous les sens et lutte tous azimuts contre les philosophes et les hérétiques. Pour les dénoncer, il use souvent de l’expression « Quelques théologiens », manière de minimiser l'importance de leurs propos mais signale également qu’il ne laisse passer aucune objection dangereuse pour la foi. Il s'agit dans cet article de démontrer, contre l'avis des Sociniens qu'il qualifie de « sophistes subtils », « que la Rédemption du 39. La sotériologie est la partie de la théologie relative au salut et à la rédemption de l’humanité par le Christ. 72
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monde a été opérée par voie de satisfaction et non autrement ». Afin de s'acquitter de cette tâche, il relève de nombreux passages de l'Ancien puis du Nouveau Testament qui révèlent un Jésus non pas docteur ou intercesseur auprès des hommes mais victime qui « satisfait pour eux » (III, 451b), avant d'avancer pour preuve de la vérité de la croyance en la rédemption – non sans quelque entorse à la raison – les conséquences impies qui découlent de la doctrine des Sociniens. On voit à travers pareille distribution entre divers articles des points à réfuter comment l'auteur du Dictionnaire de théologie suit un ordre encyclopédique à part, inédit, alphabétique mais méthodique, de nature à former système avec l’ensemble du dictionnaire40 tout en étant rédigé au jour le jour comme en témoigne sa correspondance avec l'abbé Trouillet, où on le voit s'acquitter de sa tâche lettre par lettre et non thème par thème : l’abbé Bergier est en quelque sorte le diariste de la théologie. Quant aux articles GENTIL, INFIDÈLE, JUDAÏSME, ils se répondent afin de prouver que tous les hommes, même les Juifs et les Païens, bénéficient du salut offert par le Christ. Cette idée, martelée d’article en article, est abordée chaque fois sous un angle différent. Bergier rejette dans JUDAÏSME comme blasphématoire l’idée de Jansénius selon laquelle Dieu feignait de vouloir le salut des Juifs sans en avoir aucune envie (II, 368a). Dans GENTIL, il dénonce l’erreur qui consiste à croire que Dieu, occupé des seuls Juifs, n’accordait aucune grâce aux Païens ou Gentils et les laissait dans l’impossibilité de faire 40. Il répond de la sorte au souhait originel de Panckoucke qui, « par les tableaux d’analyse qui seront à leur tête », entend faire des dictionnaires de la Méthodique « autant de traités suivis et complets de chaque science ou art ; de sorte qu’on a tout à la fois l’Encyclopédie par ordre de matières et par ordre alphabétique ». Voir l'introduction de Martine Groult, dans Prospectus et Mémoires de l’Encyclopédie méthodique, vol. I, coll. « Lire le dix-huitième siècle », Publications de l'Université de Saint-Étienne, 2011, p. 22. 73
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leur salut (I, 91b), mais renvoie à INFIDÈLE pour sa réfutation. ENDURCISSEMENT va dans le même sens mais en ajoutant cette précision que, si Dieu ne prive pas absolument les infidèles de toute grâce, il ne leur en accorde pas autant qu’aux justes (I, 650a). Et c'est à l'entrée JUSTICE DE DIEU de l’article JUSTE qu’il se réserve de justifier, contre les incrédules, cette répartition inégalitaire de la grâce : Dieu nous a créés par pure libéralité, il ne nous devait rien, nous n'avons rien à attendre de lui que ce qu’il daigne nous donner. Sa « justice consiste à ne demander compte à chacun de nous que de ce qu’il a reçu » et à tenir les promesses qu’il nous a faites (II, 391a). À la vue de cette composition systémique et à la lecture de cet argumentaire soigneusement distribué, on peut ainsi considérer le Dictionnaire de théologie de Bergier comme un immense et subtil montage des données relatives au salut, qui occupe une place majeure dans l’ouvrage comme dans sa pensée. La question de la rédemption n’est cependant pas la seule qui préoccupe le théologien. Le salut pour tous n’est pas son seul combat. Il en est un autre important, passé presque inaperçu de la postérité, celui qui l’amène à se dresser contre les thèses esclavagistes au nom de l’humanité. UN THÉOLOGIEN ABOLITIONNISTE
En 2004, dans un article intitulé « L’abbé Bergier et l’esclavage des Noirs41 », Yves Bénot, spécialiste de la question coloniale au xviiie siècle, s’étonnait de trouver les lignes suivantes de Bergier en épigraphe d'un ouvrage contre l'esclavage du fameux Victor Schœlcher42 qui contribua à son abolition définitive sur le sol français en 1848 : « Il n’est pas possible, dit-on, de cultiver les îles 41. Dix-huitième siècle, n° 36, 2004, p. 401-404. 42. Voir Des colonies françaises. Abolition immédiate de l’esclavage, 1842 ; Paris, Éditions du CTHS, 1998. 74
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autrement que par des esclaves. Dans ce cas, il vaudrait mieux renoncer aux colonies qu’à l’humanité43. » Elles provenaient de l'article NÈGRES du Dictionnaire de théologie. Tentant de s'expliquer cette prise de position proche de celle des philosophes des Lumières, venant d'un représentant de ce qu'on nomme communément les Anti-Lumières 44, Y. Bénot invoquait le monogénisme biblique selon lequel tous les hommes descendent d’un même ancêtre, Adam, mais aussi le risque de perdre son salut, encouru aux yeux du théologien par celui qui tombe dans les abus de l'esclavage. Il faisait ressortir aussi la parenté entre les arguments de Bergier contre l'esclavage, en particulier les arguments raciaux et économiques, et ceux d’un Diderot ou d'un Raynal. Il pointait cependant une différence essentielle, résidant dans le fait que l'abbé ne tire aucune conséquence pratique de ses analyses par crainte d’entrer en conflit avec le pouvoir établi. Douze ans plus tard, dans la même revue, deux spécialistes des questions africaines, Patrick Graille et Andrew Curran, unissaient leurs compétences pour revenir sur le sujet en saluant la position abolitionniste de Nicolas-Sylvestre Bergier45, s’étonnant quant à eux que les spécialistes de l’apologétique aient négligé de mettre en avant ses thèses hétérodoxes sur la noirceur des Africains et l’infamie de la traite des Noirs. Les 43. La citation est approximative mais fidèle au sens. Dans l’article NÈGRES du Dictionnaire de théologie, on lisait : « On dit qu'il n'est pas possible de cultiver les Colonies à sucre autrement que par des Nègres. Nous pourrions répondre d’abord que dans ce cas il vaudrait mieux renoncer aux Colonies, qu’aux sentiments d’humanité » (II, 749a). 44. Terme remis en question à la fin du siècle dernier dans plusieurs études. Voir à ce sujet le numéro spécial de la revue Dix-huitième siècle portant sur « Christianisme et Lumières » (n° 34, 2002). 45. Qu’il ne faut pas confondre avec son frère François-Joseph raillé par Diderot dans Le Neveu de Rameau sous les traits du « gros Bergier » ou encore de « cette grosse citrouille de Bergier ». 75
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idées de l’abbé sur les Nègres et le sort fait aux esclaves, il est vrai, paraissent isolées au sein des gros pavés que sont un traité ou un dictionnaire de théologie. Pourtant, notaient ces deux critiques, les tables alphabétiques et analytiques de ce type d’ouvrages – et c’est particulièrement vrai de celles très minutieuses du Traité de la vraie religion et du Dictionnaire de théologie de Bergier – ne manquent pas de souligner ses remarques sur l’esclavage. Contextualisant les positions de l’abbé, ils rappelaient ensuite la tendance des dictionnaires à atomiser le savoir et à véhiculer des lieux communs, tendance à laquelle l’Encyclopédie méthodique n'échappe pas en dispersant les connaissances sur les Noirs à travers les dictionnaires d’histoire naturelle, de géographie, de médecine46. Celui d'économie politique contient même plusieurs articles sur le sujet, édités par les soins de Paule-Monique Vernes47. Bergier n'adopte pas les catégories raciales véhiculées par les autres dictionnaires – et celui de Diderot n'échappait pas à la règle48 – en suivant à la fois l’histoire biblique qui intégrait les Noirs à l'histoire de l'humanité en tant que descendants de Cham, fils de Noé, et l'histoire naturelle de Buffon qui faisait dépendre la couleur de la peau du climat, occasionnellement de la nourriture et des mœurs. Selon lui, aucune raison naturaliste, théologique, morale ni économique ne peut justifier un tel négoce 46. Dans l’esprit de Panckoucke, un Vocabulaire universel devait pallier cet inconvénient en rassemblant les connaissances éparpillées dans les dictionnaires particuliers. Voir M. Groult, op. cit., p. 9 et 22-23. 47. La Vision nouvelle de la société dans l’Encyclopédie méthodique, vol. III, Économie politique, par Paule-Monique Vernes avec la collaboration de Josiane Boulad-Ayoub, Presses de l’Université de Laval, 2013. Voir p. 205 et p. 479-488. 48. Voir en particulier l’entrée NEGRES, considérés comme esclaves dans les colonies de l’Amérique, portant la signature M. Le Romain, qui ne se démarque pas des présupposés raciaux issus des relations de voyage (Enc., XI, 80b-83b). 76
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humain49. Balayant avec ironie, à la manière d’un Montesquieu, les justifications des esclavagistes, il s'indigne de leur barbarie : « Il est donc fâcheux que les Européens, qui ont chez eux tant de douceur, d’humanité et de philosophie50, semblent être devenus brutaux et barbares, dès qu’ils ont passé la ligne, ou franchi l’océan » (II, 749b). Dans la même veine, il n’hésite pas, dans son traité51 comme dans son dictionnaire, à dénoncer l’hypocrisie de ceux – il vise Voltaire évidemment – qui déclament contre l’esclavage mais possèdent des intérêts dans la traite. Plutôt que de faire grief à Bergier comme Y. Bénot de n'avoir pas pris d'engagement politique pour mettre fin à l’esclavage, P. Graille et A. Curran lui rendent hommage pour avoir osé tacitement aller contre la politique du Royaume et ouvertement bravé la haute hiérarchie de l’Église qui tolérait cet affreux commerce : « En conséquence, il contribua de façon mineure et mesurée, mais éclairée et pluridisciplinaire, aux débats sur la liberté, l’égalité 49. En revanche, comme l'a montré Clorinda Donato, Bergier loue les missionnaires jésuites du Paraguay pour leur action civilisatrice. Elle voit dans cet éloge une manière de « donner un souffle nouveau au catholicisme à une époque où s'annoncent la fin des Lumières et celle des empires coloniaux » et attribue « à la modernité de ses sources et à l'introduction de la question du Nouveau Monde, si favorable à l'élargissement des horizons du savoir » le succès éditorial du Dictionnaire de théologie au siècle suivant. Voir « Le Nouveau Monde et l’apologie du catholicisme dans le Dictionnaire de théologie (1789-1790) de l’abbé Bergier », Tangence, n° 72, été 2003 : Transferts culturels entre l'Europe et l'Amérique du Nord aux xviiie et xixe siècles. Circulation des savoirs, réappropriations formelles, réécritures, édit. Hans-Jürgen Lüsebrink, p. 60 et 73. 50. Au sens évidemment d’amour de la sagesse mais il est permis d’y voir de la part de Bergier une pointe ironique à l’égard de ses adversaires philosophes dont la conduite n’est pas toujours conforme aux idées anti-esclavagistes qu’ils affichent. 51. Traité historique et dogmatique de la vraie religion, t. I, p. 567 ; t. XI, p. 498. 77
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et la fraternité entre Noirs, Blancs et métis qui, à l’aube de la Révolution, allaient s’intensifier52 ». Pour compléter cette mise en perspective judicieuse de la position de Bergier, il nous paraît nécessaire de souligner deux points. Dans son dictionnaire, qu’il compose en distinguant soigneusement les articles de théologie de l’Encyclopédie de Diderot des articles de métaphysique, morale, histoire, discipline, jurisprudence canonique53, il coule de source qu’il se doit d’aborder la question des Noirs et de l’esclavage d’un point de vue théologique. Il n’y a pas lieu, comme le fait Y. Bénot, de le lui reprocher. D'autre part, même s'il n'en parle pas dans sa correspondance, il est probable qu'il subit sur le sujet brûlant de l’esclavage comme sur d’autres la pression de son censeur. Une formule comme celle qu’il emploie dans l’article ESCLAVAGE, ESCLAVE pour botter en touche face à l’objection de l’adversaire, fort proche de celles dont il use à propos du salut pour signifier qu’il a les mains liées, nous incite en tout cas à le croire : « Mais l'esclavage, pris en rigueur, subsiste encore dans les colonies... Ce n’est point ici le lieu de discuter cette question de morale et de politique ; nous pourrons l’examiner au mot NÈGRES. C’est assez pour nous d’avoir montré ce que le Christianisme inspire et prescrit à ce sujet » (I, 671a). Et, dans l’article NÈGRES auquel il renvoie, il passera par le biais de l’examen critique d’une 52. Patrick Graille et Andrew Curran, « Un apologiste abolitionniste : l’abbé Bergier et les Nègres de 1767 à 1789 », Dix-huitième siècle, n° 48, 2016, p. 532. 53. C’est ce qu’il annonce dans son Avertissement (I, p. vii). Voir aussi le Prospectus général de 1782, dans lequel la théologie, fondée sur la révélation, est soigneusement distinguée de la philosophie qui aborde les mêmes « objets du Dogme », tels que Dieu, l’âme, l'esprit, la création, l’immatérialisme, la spiritualité, l’immortalité, en s’appuyant sur la raison. Reproduction par Martine Groult, avec une riche introduction explicative, dans l’ouvrage déjà cité, Prospectus et Mémoires de l’Encyclopédie méthodique, p. 108-110. 78
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dissertation de Chastellux, pour dénoncer l’esclavage, avant de conclure prudemment : Par ces observations, nous ne croyons point manquer de respect envers le gouvernement qui tolère ce commerce ; réfuter de mauvaises raisons, ce n’est point entreprendre de décider absolument une question : lorsqu’on en apportera de meilleures, nous nous y rendrons volontiers (II, 750a).
À cette pression extérieure s’ajoute sans doute une nécessité stratégique qui le pousse à justifier l’esclavagisme des Patriarches et de Moïse pour défendre l’Ancien Testament par une sorte d’historicisme, selon le mot d’Y. Bénot54. Il convient en effet de ne pas négliger les conditions d’écriture et le cadre énonciatif dans l’examen des textes, en particulier des textes critiques. La question des Noirs et de l'esclavage, mise en exergue par P. Graille et A. Curran après Y. Bénot, vient ainsi parfaire le profil d'un théologien, en avance dans certains domaines sur son temps, dessiné par l'historien du christianisme Jean Delumeau dans la préface de l'édition de sa correspondance avec l’abbé Trouillet55, même si, comme on le verra, il s’est montré par ailleurs plutôt fermé sur la question de la tolérance. Comme l'a justement souligné D. Masseau, son dictionnaire n'est pas « le bastion pur et dur d'une position conservatrice venant contrebalancer les positions les plus audacieuses des autres dictionnaires56 ». Comment se présente la critique de l’esclavage des Noirs dans le Dictionnaire de théologie ? Les articles ESCLAVAGE, ESCLAVE ; NÈGRES ; SERVITUDE forment clairement un ensemble pour Bergier, qui distribue soigneusement sa matière d’un article à l’autre. En témoigne le renvoi de l'article ESCLAVAGE, ESCLAVE qui explique que ce n'est pas le lieu 54. Art. cit., p. 402. 55. Jean Delumeau, Préface d’Un théologien au siècle des Lumières, p. 12. 56. Art. cit., p. 163. 79
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de traiter cette question de morale et de politique, laquelle est remise à l’article NÈGRES. Et dans SERVITUDE Bergier critiquera l'abus de langage des Philosophes qui confondent servitude et esclavage. Selon lui, les Hébreux étaient en servitude en Égypte et en Palestine après la mort de Josué mais pas véritablement esclaves : « Les Incrédules qui ont abusé de ce terme pour en conclure que les Hébreux ont toujours été esclaves, ont cherché à en imposer aux ignorants » (III, 501a). L’apologiste tient par ailleurs à répéter ce qu’il a dit à l’article ESCLAVAGE, ESCLAVE – auquel il renvoie –, à savoir que Moïse n'a pas péché contre le droit naturel en tolérant l'esclavage parmi les Israélites. Il ne pouvait, en l’état actuel de la société, l’abolir totalement mais il a fait en sorte d’adoucir la condition des esclaves, soumis en son temps à d’atroces cruautés57. Il dénonce également l’abus de langage qui consiste à prendre à la lettre les expressions « esclave du péché », « réduit en servitude sous la loi du péché », qui donnent à penser que « l’homme n’est pas libre, qu'il est assujetti à la nécessité de pécher, que Dieu lui impute des péchés dont il n’est pas le maître de s’abstenir » (ibid.). Allusion évidente à ce que Bergier nomme à la suite de Trouillet « l’objection de Voltaire58 », laquelle risque de détourner les fidèles du christianisme en donnant l'image d'un Dieu manquant soit de bonté soit de toute-puissance. Enfin, le théologien revient à son cheval de bataille sur le salut des enfants morts sans baptême en récusant l’idée que par le péché originel l’homme naît « esclave du démon » au sens où il ne pourrait y échapper. Pour ce faire, il se réfère au Concile de Trente, lequel limite le sens de cette 57. « Placé à la tête d’une nation qui devait conquérir des terres l’épée à la main, au milieu de peuples qui avaient des esclaves, dans un état de société où la liberté était nulle pour ceux qui n’avaient pas la propriété des terres, il ne pouvait supprimer absolument l’esclavage ; mais il fit des lois très sages pour l’adoucir » (ESCLAVAGE, ESCLAVE, I, 669a-b). 58. Lettre à Trouillet du 18 mai 1781, p. 222. Voir plus haut. 80
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expression à l’idée que par son péché Adam a encouru la mort et avec la mort la captivité sous la puissance du Démon. Être esclave du Démon, conclut-il, ne signifie donc rien d’autre que la nécessité de mourir : « Il est absurde de les entendre dans ce sens, qu'un enfant qui vient de naître est possédé du Démon tant qu’il n’est pas baptisé, et d’oublier que Jésus-Christ par sa mort a détruit l’empire et le pouvoir du Démon59 » (III, 501b). Tout est lié dans la pensée de Bergier, servitude et rédemption, esclavage et péché originel. Le dictionnaire n'est pas pour lui un moyen de distribuer par fragments des connaissances diverses mais de les disposer méthodiquement de façon à les mettre en lien les unes avec les autres. Son esprit systématique s’accorde assez bien avec le projet méthodique de l’Encyclopédie de Panckoucke. A cet égard, il importe de rapprocher les articles NÈGRES et ESCLAVAGE, ESCLAVE du Dictionnaire de théologie de l'article NÈGRES donné dans le Dictionnaire d’économie politique 60. Son auteur, Nicolas Démeunier, réfute aussi un par un comme Bergier les arguments des esclavagistes mais il se montre plus précis dans la description des conditions de vie effroyables des Noirs. En revanche, soucieux de la préservation des intérêts économiques des colons, il préconise non sans un certain paternalisme diverses mesures pour améliorer le sort des esclaves afin de les rendre plus productifs et féconds, et cherche comment se passer de l'esclavage sans « faire le sacrifice 59. Bergier renvoie à l’Épître aux Hébreux, chap. 2, v. 14. 60. Voir La Vision nouvelle de la société dans l’Encyclopédie méthodique, vol. III, Économie politique, par Paule-Monique Vernes avec la collaboration de Josiane Boulad-Ayoub, Presses de l'Université de Laval, 2013, p. 351370. Voir aussi p. 205 et p. 479-488 des extraits des Observations sur la Virginie (1781) de Thomas Jefferson, traduites de l’anglais par Morellet, dans lesquelles Nicolas Démeunier, rédacteur du Dictionnaire d'économie politique (1784-1788) a pu puiser, notamment dans l'article ESCLAVES NOIRS qui préconise l’abolition de l’esclavage. 81
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de productions que l'habitude nous a’ rendues si chères » et faire en sorte que ces denrées « cueillies par des mains libres » puissent être « consommées sans remords ». Allant plus loin, il imagine un plan d’affranchissement progressif et envisage même de faire cultiver les colonies par des Blancs61. On voit là toute la différence de point de vue, sur un sujet commun, entre deux dictionnaires de l'Encyclopédie méthodique. Ce que celle-ci gagne en spécialisation par rapport à l’Encyclopédie, elle le perd en synthèse. Les sujets ne sont plus nécessairement débattus sur un plan philosophique, au sens large qu’avait ce terme au xviiie siècle, dans toutes leurs implications, mais le plus souvent dans leur application à un domaine particulier. Il est frappant de voir Bergier aller d’emblée dans son dictionnaire au cœur du problème théologique posé par la définition de l’esclavage, en se démarquant du Dictionnaire de morale62 : De savoir si tout esclavage est contraire au droit naturel, c’est une question qui regarde directement les Philosophes moralistes. Mais comme les Patriarches ont eu des esclaves et n’en sont point blâmés, que Moïse s’est borné à rendre plus douce la condition des esclaves, sans supprimer absolument la servitude, qu’elle a subsisté et subsiste encore sous le Christianisme, les politiques incrédules de notre siècle ont déclamé à l’envi contre la religion, qui a permis ou toléré dans tous les temps cette infraction du droit naturel. Nous 61. Voir l’analyse de P.-M. Vernes (ibid., p. 206-207) et l’extrait qu’elle transcrit de l’article NÈGRES (p. 355, 368-370). 62. En réalité, dans l’Encyclopédie méthodique, les articles de morale sont donnés dans les tomes II à IV de Logique, Métaphysique (1786-1791), par Lacretelle. Par conséquent au cours de la même période que le dictionnaire de Bergier et celui de Naigeon. Il n’est pas exclu que des relations, plus ou moins directes, peut-être par éditeur interposé, aient été établies entre les trois auteurs en vue de la répartition des matières. Sur le Dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne (1791-1794) de Jacques-André Naigeon, voir l’anthologie publiée par Claire Fauvergue aux Presses de l’Université de Laval, coll. La Vision nouvelle de la société dans l’Encyclopédie méthodique, vol. IV, 2021. 82
le dictionnaire de théologie entre conservatisme et modernité sommes donc forcés d’examiner si leurs plaintes sont fondées, et s'ils ont raisonné sur des principes solides. (ESCLAVAGE, ESCLAVE, I, 668b)
En même temps qu’il poursuit sa tâche d ’auteur de dictionnaire, soucieux d’exactitude dans les définitions et de rigueur dans le choix de la nomenclature, l’abbé Bergier, troquant sa livrée de théologien pour celle d’apologiste, règle ses comptes en cette fin de siècle aux incroyants de tous bords avec lesquels il a guerroyé depuis plus de vingt-cinq ans. Cela fait de son dictionnaire, au-delà de son intérêt scientifique, un lieu de débat, reflet assez fidèle des querelles idéologiques de la seconde moitié du xviiie siècle. Bruissant des échos encore récents d’affrontements idéologiques incessants, il renseigne l’historien sur l’importance d’un concept, les enjeux d’une définition, les implications de l’emploi d’un mot. CONTRE LA TOLÉRANCE CIVILE
Au siècle des Lumières, la notion de tolérance fait partie, comme celle de l’esclavage, de ces termes galvaudés par des écrivains peu instruits, pressés ou partisans, dans un camp comme dans l’autre. Il n’est pas étonnant de la trouver en bonne place dans le Dictionnaire de théologie, dont l’auteur se donne pour tâche de rectifier les erreurs de ses prédécesseurs. Présente tout au long du parcours intellectuel de Bergier, de sa première apologie dirigée en 1765 contre le calviniste Rousseau à son traité historique qui dénonce en 1780 les persécutions dont ont été victimes les martyrs chrétiens, la question de la tolérance est traitée de manière incessante, mais indirecte et sporadique au fil de son œuvre. C'est seulement dans l'Encyclopédie méthodique en 1790 qu'il publie, à la fin de sa carrière, un article systématique sur le sujet. Conçu comme une réplique à l’appel à la tolérance, réclamée « à grands cris » par les premiers encyclopédistes au nom même de l ’Évangile, l ’article TOLÉRANCE, 83
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INTOLÉRANCE de Bergier est un article militant : « Si l’on nous accusait de trop charger ce tableau, nous sommes prêts à en montrer tous les traits dans leurs livres, surtout dans l’ancienne Encyclopédie, aux mots Tolérance, Intolérance, Persécution, etc. » (III, 647a-b). Sa portée dépasse celle d'un simple article de théologie pour prendre une dimension essentiellement politique. Si le théologien en effet, après avoir distingué quatre acceptions du mot « tolérance » (tolérance civile, tolérance ecclésiastique, charité fraternelle et indifférence à l’égard de toute religion), convient facilement de la nécessité de vivre en paix avec ses frères chrétiens de toute confession et même avec les Païens, à l'exemple de Jésus-Christ, il bute sur les conséquences de cette tolérance qui est « l’esprit même du christianisme » sur la société. Pareille douceur, recommandée aux particuliers, risquerait de porter gravement atteinte à l’ordre public si elle était pratiquée par les détenteurs de l’autorité, pasteurs comme magistrats ou souverains, auxquels il incombe de maintenir la paix sociale. Loin de « rendre la société civile heureuse et parfaite » (III, 647a), la liberté d’adopter la religion de son choix, voire de les refuser toutes – ce que Bergier appelle l’indifférence religieuse –, serait source de dangereux conflits plutôt que d’une concorde universelle. La tolérance civile est donc absolument exclue aux yeux du théologien, en raison des troubles sociaux et politiques qu'elle entraînerait. Les six vérités qu’il va s'efforcer d'établir au terme de cette première phase définitionnelle, préalablement à toute réfutation, ainsi que les treize arguments des adversaires du christianisme qu'il s’emploie ensuite à réfuter, auront tous pour noyau central la préservation de la société. Au préalable, Bergier affirme ainsi qu'une religion est nécessaire à la société et qu'il convient naturellement de soutenir celle qui est la plus avantageuse à l’État. Si Henri IV a pu légitimement accorder pour le bien du 84
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royaume l’exercice d’une nouvelle religion, Louis XIV pouvait tout aussi légitimement révoquer l’édit de Nantes parce que l'intérêt général l’exigeait. De même, les contre-arguments que Bergier oppose dans un second temps aux objections des incrédules au sujet de l’intolérance ont tous un fondement politique. La liberté de penser n'est pas, comme le prétendent ces derniers, de droit naturel en matière de religion car toute croyance religieuse implique des actions et « la puissance humaine a un droit incontestable sur nos actions ». Contrairement à ce qu’ils soutiennent, il n’est donc pas injuste de punir les erreurs comme des crimes, vu que nombre d'entre eux, non contents de penser pour eux-mêmes, veulent propager leurs opinions, ce qui risque d'affecter la société. Barbeyrac a beau prétendre que les hommes sont réunis en société pour leur bien-être temporel et que par conséquent la religion n'est pas du ressort de la puissance civile, la religion étant nécessaire au bien-être temporel de la société, il appartient à la puissance civile de la protéger (III, 649a-b). On pourrait continuer à égrainer toutes les réponses apportées dans l’article TOLÉRANCE, INTOLÉRANCE aux arguments des adversaires de l'Église en faveur de la tolérance, on s'apercevrait qu'elles reviennent toujours à la même idée : la tolérance produit des troubles et il est légitime que le bras séculier les réprime. « Les Princes et leurs officiers, affirme l'auteur, sont tenus de droit naturel à maintenir l'ordre, la tranquillité, l'union, la paix, la subordination parmi leurs sujets, à écarter, à réprimer et à punir tous ceux qui sous prétexte de religion cherchent à troubler la société » (III, 646a). Bergier va même, usant de la méthode de
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rétorsion chère à l’apologétique de son temps63, s’appuyer sur Bayle pour défendre le droit de répression des autorités civiles : Bayle à son tour convient que les Princes peuvent faire des lois coactives par politique en fait de Religion, Comment. Philos. 1. part. c. 6, p. 38 ; qu’il faut réprimer les factieux, 2 part. c. 6, p. 416 ; qu’il faut punir tous ceux qui troublent le repos public, quelle qu'ait été leur conscience, c. 9, p. 431. Ainsi voilà tous les grands principes des partisans de la tolérance renversés par eux-mêmes. (III, 649b)
Il défend la même idée dans deux entrées du Dictionnaire de théologie portant sur la liberté de conscience. CONSCIENCE (Liberté de), qui dépend de l’article CONSCIENCE, reconnaît qu'on ne peut forcer la conscience d'autrui mais reproche aux protestants d'avoir voulu professer avec éclat une religion autre que la religion dominante et aux incrédules de réclamer le droit d’insulter publiquement à cette religion (I, 420b). LIBERTÉ DE CONSCIENCE , qui relève de l’article LIBERTÉ NATURELLE ou LIBRE ARBITRE, souligne l’équivoque de l’expression « liberté de conscience » : Il y a bien de la différence entre la liberté que se donnent quelques citoyens de servir Dieu en particulier comme ils l’entendent, et la liberté que demande un parti nombreux d’établir dans le Royaume une religion nouvelle, de l’exercer publiquement, d’élever ainsi autel contre autel. La première ne gêne point la religion dominante et ne lui porte aucun préjudice ; la seconde est une rivalité qu’on lui oppose, une apostasie publique que l’on autorise, un piège que l’on tend à la curiosité des ignorants, un appât pour l’indépendance des libertins. (II, 434b)
63. Cette méthode qui consiste à réfuter les adversaires du christianisme en empruntant leurs propres arguments est illustrée dans Le Déisme réfuté par lui-même (1765) que l'apologiste publie contre J.-J. Rousseau. Mais nombre de titres d'apologies en témoignent également, telle que La religion vengée de l'incrédulité par l'incrédulité elle-même (1772) de l’évêque Jean-Georges Lefranc de Pompignan. 86
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Face à un Voltaire qui dans les Lettres anglaises voit dans la pluralité des religions une garantie de la paix civile et prône la liberté de penser, Bergier est en effet persuadé que la tolérance par l'État de toutes les religions met en péril la tranquillité publique. C'est que tolérer le protestantisme ouvrirait la voie au déisme qui, à son tour, permettrait à l'athéisme d’avoir libre cours : Dès que nous aurons accordé la tolérance aux Sociniens, de quel droit en exclurons-nous les Déistes ? La plupart disent qu’ils admettront volontiers l’Écriture, pourvu qu’il leur soit permis de l’entendre conformément au dictamen de la raison, comme font les Sociniens, et qu’on ne les force pas à y voir des mystères qui révoltent la raison ; ils ajoutent que contents de croire ce qu'ils comprennent, ils laisseront de côté ce qu'ils n'entendent pas, que dans le fond c'est déjà ainsi qu'en agissent un très grand nombre de Protestants. Les Athées à leur tour soutiennent que Dieu ne peut pas punir ceux qui suivent les lumières de la droite raison, puisque, suivant la maxime de leurs adversaires mêmes, l’erreur ne doit pas être punie comme un crime. Suivant une autre maxime, on ne doit empêcher personne de professer ce qu'il croit vrai, nous voilà donc réduits à tolérer la profession de l’Athéisme, à n’oser même prononcer sur le salut, ni sur la damnation des Athées, de peur de commettre une impiété. (III, 656a)
La position intransigeante de Bergier en matière de tolérance est donc en dernière analyse dictée par la crainte de l’athéisme ou plutôt de ses effets potentiellement néfastes sur la société. Les élans humanistes qui le poussent à refuser l’emploi de la force contre les hérétiques et les déistes – les mêmes qui le conduisent à déplorer l’esclavage – sont freinés par cette considération politique. Admettre les droits de la conscience errante64 serait 64. Bergier a une conception restreinte des droits de la conscience errante : lorsqu’elles ont pour cause des passions reconnaissables par leurs symptômes comme l’orgueil, la jalousie, l’ambition, la haine, les erreurs sont criminelles et punissables. « Il n’est donc pas vrai, quoi qu’en disent les mécréants, que les droits de la conscience erronée sont les mêmes que ceux de la conscience 87
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se condamner in fine à accepter l’athéisme avec les affreuses conséquences que cela aurait sur l’ordre public. L’épouvantail de l'athéisme est, semble-t-il, la clé de la fermeture en matière de tolérance de ce théologien prêt à affronter les positions radicales de l'Église de son temps dans d’autres domaines, tels que le salut ou l’esclavage. Si en se prononçant contre la tolérance civile et en affirmant la valeur d’exemple du châtiment65 Bergier s'inscrit dans une longue tradition d'intolérance, en même temps il est par son argumentation représentatif de son époque. Ce n'est pas au nom du salut qu'il défend l’intolérance mais au nom de l’utilité sociale. Il ne se demande pas si la tolérance est moralement recevable mais si elle est profitable ou dommageable à la société. Si ses conclusions sur ce point s'opposent à celles de Voltaire, il n'en demeure pas moins que sa réflexion repose sur les mêmes bases que les siennes, à savoir la tranquillité publique comme critère de vérité. Bernard Plongeron a jadis montré comment il n'est pas jusqu'à la théologie qui, à la fin du xviiie siècle, ne soit touchée par l’invasion du politique66. Selon l’historien, Bergier lui-même aurait posé, dans une brochure intitulée Quelle est la source de toute autorité (1789), « la triple équation qui va paralyser la «Théologie politique» pendant près de cinquante
droite ; cela n’est vrai que quand l'erreur est innocente et involontaire » (article PERSÉCUTEUR, III, 185a). 65. « Si le supplice ne sert de rien à celui qui le subit, il intimide ceux qui seraient tentés de suivre son exemple » (TOLÉRANCE, INTOLÉRANCE, III, 650a). 66. Il en va de même pour l’apologétique. Voir S. Albertan-Coppola, « L’apologétique catholique française à l’âge des Lumières », Revue de l’Histoire des Religions, avril-juin 1988, p. 151-180 ; D. Masseau, Les ennemis des Philosophes, III, « Le discours apologétique », p. 209-270. 88
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ans : démocratie = révolution = athéisme67 ». C’est ainsi que le théologien promeut dans l’Encyclopédie méthodique une vision de la société qui, si elle n’est pas progressiste, n’en est pas moins nouvelle et, à ce titre, a sa place dans la présente collection. La notion de tolérance est du reste nettement liée dans son esprit à celle d'autorité, comme en témoignent deux renvois de l'article TOLÉRANCE, INTOLÉRANCE. On connaît le scandale provoqué par l’entrée AUTORITÉ POLITIQUE de l’article AUTORITÉ de l'Encyclopédie qui a contribué en 1752 à l’interdiction de l'ouvrage, notamment à cause de l'entrée en matière provocatrice de Diderot : « Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres » (Enc., I, 898a). Bergier lui substitue, dans son Dictionnaire de théologie, une entrée AUTORITÉ CIVILE ET POLITIQUE dans laquelle il légitime les gouvernements en place par l’autorité divine et se prononce contre l'idée de contrat social : Dès qu’une société civile ou nationale est une fois formée, elle est obligée, de droit naturel, à conserver et à protéger toute créature humaine qui naît dans son sein ; elle en est censée la mère, de même que Dieu en est le premier père ; à son tour, chaque individu est, dès sa naissance, soumis aux lois de la société dans laquelle il reçoit le jour, autrement elle ne pourrait subsister. Dieu, qui ordonne à la société de le conserver, et de le protéger, parce qu'il est homme, lui commande, par réciprocité, d'obéir aux lois établies et à l'autorité qui gouverne ; sans cela il n’y aurait plus d’égalité ni de justice. Dieu, qui n'a pas consulté le corps de la société pour lui imposer ce devoir, n’a pas plus besoin du consentement de chaque particulier pour l’assujettir à cette obligation. Appeler cette réciprocité de devoirs un contrat réel ou présumé, un pacte social, c’est abuser du terme et brouiller, toutes les notions ; il n’y a ici ni liberté ni de part ni d'autre ; Dieu, bienfaiteur et père de l’humanité, a tout réglé et tout prescrit d’avance, et il aurait été absurde de laisser à chaque particulier une liberté destructive de la société. (I, 171a) 67. Théologie et politique au siècle des Lumières (1770-1820), Genève, Droz, 1973, p. 119. 89
la vision nouvelle de la société dans l'encyclopédie méthodique
C'est dans ce refus de la liberté particulière – « destructive de la société » – au nom de l'autorité du « Législateur suprême » que s’inscrit le rejet de la liberté de conscience par Bergier. L'abbé justifie de même, à l’entrée AUTORITÉ RELIGIEUSE OU ECCLÉSIASTIQUE68, l’autorité des pasteurs sur les simples par la puissance spirituelle donnée par Jésus-Christ aux apôtres et à leurs successeurs, qui « est ce que l'on nomme l'autorité de l’Église » (I, 173b). Un autre renvoi de l'article TOLÉRANCE, INTOLÉRANCE vient conforter la position de Bergier. Après avoir malicieusement reproché à ses adversaires leur intolérance à son égard dans leur combat passionné pour la tolérance, il renvoie à PERSÉCUTEUR, où il met en avant les persécutions dont ont été victimes pour leur religion – et non pour leurs crimes comme le prétendent certains incrédules – les premiers chrétiens et récuse l’emploi du terme de « persécuteurs » à propos des souverains qui ont puni les hérétiques s’opposant aux lois et à la religion établie (III, 184a). Dans la polémique entre chrétiens et philosophes sur la question de la tolérance, il semble donc que le langage joue un rôle essentiel. A plusieurs reprises dans son dictionnaire, Bergier accuse ses adversaires d'employer les mots de travers et de brouiller les notions : L'affectation de nos ennemis de brouiller toutes ces notions, démontre qu’ils décident les questions sans y rien entendre. (TOLÉRANCE, INTOLÉRANCE, III, 647a) Mais on abuse du terme lorsqu'on nomme persécuteurs les Princes qui ont employé les lois pénales pour réprimer des hérétiques séditieux (PERSÉCUTEUR, III, 184a) On voit d'abord l'équivoque de cette expression, et l’abus que les sectaires en ont fait (LIBERTÉ DE CONSCIENCE, II, 434b).
68. Cette entrée n’existait pas dans l’article AUTORITÉ de Diderot. 90
le dictionnaire de théologie entre conservatisme et modernité Les Incrédules qui ont abusé de ce terme pour en conclure que les Hébreux ont toujours été esclaves, ont cherché à en imposer aux ignorants (SERVITUDE, III, 501a)
Une telle insistance sur le vocabulaire utilisé est troublante, de même que l’accent mis sur les écarts : ceux qui abusent des termes sont donnés pour des dissidents qui se détachent de la voie commune – sectaires, séditieux ou encore brouilleurs de sens – pour manipuler la langue à leur profit, s’écarter de l’acception courante des mots, de la voix commune. Tout se passe comme si l’apologiste, sensibilisé par près de trente ans de controverses, touchait du doigt à travers l'usage des mots la révolution qui est en train de se faire dans les esprits au sujet de la tolérance. Les brouillages sémantiques, abus de langage, équivoques qu’il prête à ses adversaires ne sont autres que la traduction du fossé idéologique qui s'est creusé à petites touches, par le biais de déplacements, de glissements ou d’extensions de sens entre les deux camps. L'emploi nouveau de termes consacrés par la tradition est pour lui signe de fausseté et de malignité, alors qu’il est simplement le révélateur d’une pensée tâtonnante – celle des Lumières – s’efforçant d’élaborer les concepts de liberté de pensée, liberté d'expression et liberté de culte qui seront la base de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et de notre démocratie. Par la manière dont il interroge les mots de l’adversaire en lui demandant des comptes sur leur usage dévié, pour lui fallacieux, Bergier se révèle ainsi un témoin perspicace, on n’ose dire éclairé, de l’évolution des idées de son temps. La critique a déjà montré comment, en plein combat des Lumières, au milieu du siècle, les défenseurs du Trône et de l’Autel ont su, par la fréquentation assidue des écrits des Philosophes, mesurer la portée subversive de telle assertion ou, plus subtilement, le danger potentiel que représente une remarque apparemment anodine par les conséquences qui 91
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peuvent en résulter par enchaînement logique. Le janséniste Chaumeix, par exemple, en dépit de ses excès, a pu sur bien des points déceler la menace pour la religion contenue dans tel ou tel passage de l'Encyclopédie69. Les adversaires des Lumières sont ainsi à même de nous renseigner sur les jalons prudents posés peu à peu par les Philosophes – Voltaire en particulier, dont on connaît les audaces mais aussi les retenues stratégiques – pour favoriser le progrès des Lumières. Mais il semble qu’en cette fin de siècle, Bergier – et le dictionnaire, genre définitionnel, constitue un lieu privilégié pour cela – ait franchi un cran dans la vigilance apologétique. Ce ne sont plus seulement les assertions fautives ou susceptibles de déboucher sur une grave atteinte à la foi chrétienne qu’il épingle mais aussi les errements lexicaux à ses yeux inadmissibles, sémantiquement comme religieusement parlant. Nous l’avons déjà vu plus haut à propos du mot « abandon » ou encore « satisfaction », mais c’est la définition des termes relatifs à la tolérance qui paraît porter les enjeux les plus brûlants. Plus encore que pour tout autre objet de débat, la lutte autour de la tolérance s’apparente à une guerre des mots. LA PART DU SURNATUREL
D’après son étymologie, le terme « théologie » désigne un discours rationnel (logos) portant sur Dieu (theos). Si l’on en juge par le dictionnaire de Bergier, le Démon n’est pourtant pas exclu du champ d’étude de cette discipline. Il est même assez présent dans le Dictionnaire de théologie, notamment aux articles DÉMON ; DÉMONIAQUE ; MAGICIEN, MAGIE ; SORCELLERIE, SORCIER, SORTILÈGE ; mais aussi dans des articles comme CERTITUDE, FAIT et MIRACLE. C’est que son enjeu est d’importance en ce siècle de lumières. Non 69. Voir S. Albertan-Coppola, « Les Préjugés légitimes de Chaumeix, ou l’Encyclopédie sous la loupe d’un apologiste », Recherches sur Diderot et l’Encyclopédie, n° 20, avril 1996, p. 149-158. 92
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seulement la question du Démon rejoint celle de la superstition – croyance dans les sortilèges, paroles efficaces, amulettes, etc. – que certains protestants et Philosophes reprochent à l’Église catholique de favoriser en reconnaissant l’existence des esprits impurs, mais elle interfère d’une part avec le problème de l’existence du mal qui est central dans le débat des Lumières, d’autre part avec la question cruciale de la certitude que, depuis Houtteville70, un grand nombre d’apologistes fait reposer sur le rapport des témoins des faits miraculeux. L’explication des faits surnaturels n’est pas une mince affaire, son enjeu est considérable dans la défense de la religion et le théologien Bergier multiplie les exemples bibliques, se livre à maintes minuties, fait face à la moindre objection, afin d’éviter toute confusion entre Dieu et le Diable, afin de déterminer la part du Malin sans pour autant entamer la toute-puissance divine. Si le Démon pose problème à Bergier, ce n’est pas pour sa définition – il a tôt fait de le définir à partir de sa racine grecque comme un esprit, un génie, une intelligence – ni pour son existence qu’il donne pour une opinion universelle, appartenant aussi bien au peuple qu’aux philosophes antiques (Pythagoriciens, Platoniciens et même Orientaux). C’est très clairement à cause des difficultés qui ont été soulevées à son sujet par les ennemis de l’Église que ce terme apparaît problématique. D’après Bergier, c’est le constat dans la nature de phénomènes inexpliqués, dont certains paraissaient incompatibles avec les perfections divines, qui a poussé les peuples païens à « recourir à des gens intermédiaires plus puissants que l'homme, mais inférieurs à Dieu » (DÉMON, I, 509b) pour rendre compte de 70. Abbé Claude François Houtteville, auteur de La Religion chrétienne prouvée par les faits, Paris, G. Dupuis, 1722 ; rééd. 1740. Sur l’influence de son œuvre, voir Albert Monod, De Pascal à Chateaubriand, les défenseurs français du christianisme de 1670 à 1802, Paris, Alcan, 1916 ; rééd. Genève, Slatkine, 1970, p. 219-231. 93
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pareils événements. Croyance que les Juifs estimaient fondée sur les Livres saints (ils attribuaient au Démon les maladies terribles, telles que l'épilepsie, la frénésie, les convulsions) et le Nouveau Testament n’a pas démenti cette opinion. Jésus n’a-t-il pas fait sortir les démons des corps d’un troupeau de pourceaux71 et donné à ses apôtres le pouvoir de chasser ces esprits impurs72 ? Aussi les Pères de l’Église en ont-ils fait un argument apologétique : « ils ont fait valoir contre les Païens le pouvoir qu’avait tout Chrétien de chasser le Démon du corps des possédés, de déconcerter ses prestiges et les opérations des Magiciens, de les forcer même à confesser ce qu’il était » (I, 510a). Ainsi les articles MAGICIEN, MAGIE et SORCELLERIE, SORCIER, SORTILÈGE du Dictionnaire de théologie, et d’autres encore portant sur les pouvoirs surnaturels, sont tout entiers consacrés à distinguer les actions qui paraissent surnaturelles de celles qui, relevant de l’intervention de Dieu, le sont vraiment. Un passage de MAGICIEN, MAGIE résume très nettement la position de Bergier : Les Auteurs sacrés [...] répètent sans cesse que Dieu seul fait des miracles, que lui seul connaît l’avenir et peut le révéler, que de lui seul viennent les biens et les maux, les bienfaits et les fléaux de la nature. Si le Démon fait quelque chose, ce n’est jamais par les ordres d’un Magicien, mais par une permission expresse de Dieu. Ces vérités détruisent par la racine le prétendu pouvoir des Magiciens de toute espèce » (II, 520a).
On perçoit là toute la complexité pour un théologien du siècle des Lumières de la prise en compte du Démon et de son pouvoir. Ce qui constituait pour les premiers défenseurs du christianisme une force en raison de la « victoire éclatante » de Jésus et ses disciples sur le Démon devient au temps de Bergier une pierre d’achoppement. Ceux que l’auteur du Dictionnaire 71. Luc 8, 27-39 ; Marc 5,1-20 ; Mathieu, 8, 30. 72. Luc, 9, 1 ; Mathieu, 10, 1. 94
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de théologie appelle les « critiques modernes » – expression qui englobe sous sa plume philosophes et protestants – ont fait un crime aux Pères de l’Église (Justin, Tatien, Minutius Félix, Athénagore, Tertullien, Julius Firmicus, Origène, Synesius, Arnobe, Grégoire de Nazianze, Lactance, Jérôme, Augustin) d’être allés dans le sens des Païens par leurs représentations de démons sensibles aux charmes féminins et au fumet des victimes sacrificielles. Autrement dit, ils auraient accrédité la superstition en les présentant comme des êtres corporels. Mais comment, rétorque Bergier, auraient-ils pu nier l’existence d’un Esprit malin que toute l’Écriture atteste ? Comment en même temps admettre que Dieu lui permette, comme l’en accusent ses détracteurs, de nuire à ses créatures ? Face à ce dilemme, le théologien répond qu’il « n’est pas plus indigne de Dieu de punir les pécheurs, ou d’éprouver les justes par les opérations du Démon que de le faire par les fléaux de la nature ». Il relie ainsi la « question obscure » du Démon au débat contemporain sur l’existence du mal qui divise Chrétiens et Philosophes, à propos par exemple du tremblement de terre de Lisbonne de 1755 et sa cohorte de victimes innocentes, en récusant la capacité de la philosophie, dont les lumières sont « trop courtes », à décider ce que Dieu peut permettre. Au terme du raisonnement, le théologien revient à la question pour lui primordiale de la rédemption : « Depuis que Jésus-Christ a détruit, par sa mort, l’empire du Démon, il ne convient plus d’exagérer le pouvoir de cet esprit impur, surtout à l’égard d’un Chrétien consacré à Dieu par le Baptême, et soustrait ainsi à la puissance des ténèbres » (DÉMON, I, 511b). Par cette mise en relation des trois questions du démon, de l’existence du mal et du salut qui les conforte mutuellement, Bergier, s’il n’innove pas sur le fond de la croyance, propose une réponse apologétique nouvelle, adaptée aux interrogations de son temps. Dans son apologétique, la pierre du Démon qui 95
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faisait obstacle devient, sinon la pierre angulaire qui revient au Rédempteur car elle soutient tout l’ensemble, du moins une des pierres nécessaires à la construction de l’édifice argumentatif 73. Au-delà, l’existence du Démon pose au théologien le problème de la part du surnaturel dans le monde. Il importe éminemment pour la défense de la foi chrétienne de justifier les faits surnaturels sur lesquels celle-ci s’appuie. Dans l’article FAIT, Bergier opte résolument pour la preuve par les faits, diffusée par Houtteville au début du siècle. Elle lui paraît supérieure aux raisonnements, qui ne sont pas accessibles au peuple et ne produisent pas une aussi forte persuasion. Toute la question est dès lors de savoir, estime-t-il, « si les faits surnaturels ou les miracles sont susceptibles de la même certitude que les faits naturels, et peuvent être constatés par les mêmes preuves ». Tel est le nœud du débat qui s’est noué au milieu du siècle entre apologistes et Philosophes, et a été conduit au sein même de l’Encyclopédie de Diderot. La réponse, aux yeux de Bergier, est évidente. Un malade qui s’est senti guérir par un thaumaturge peut-il douter de la réalité de sa guérison ? Les témoins qui, d'après les Évangiles, ont vu un paralytique se lever à la parole de Jésus et rentrer chez lui en emportant son grabat74 ont-ils pu être trompés par leurs sens ? « A plus forte raison ceux qui avaient enseveli Lazare, qui avaient respiré l’odeur de son cadavre, et qui l’ont vu sortir du tombeau quatre jours après75, n’ont-ils pu être trompés par la déposition de leurs sens » (FAIT, II, 4a). Étonnamment, ce théologien éclairé – signe de l’évolution des mentalités ou de l’adaptabilité du 73. Cf. Éphésiens, 2, 20. 74. Matthieu, 9, 1-8 ; Marc, 2, 1-12 ; Luc 5,17-26 ; Jean, 5, 1-18. 75. Jean, 11, 1-54. 96
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résistant aux Lumières ? – donne au sens commun la préséance sur la raison, à la preuve par les sens la supériorité sur la preuve par le raisonnement. Il est vrai que cela ne l’empêche pas, par la suite, de s’employer à résoudre les objections aux miracles formées par les adversaires du christianisme. L’actualité antichrétienne l’impose. La critique plus « éblouissante » – au sens de source d’aveuglement – est selon lui celle de Hume qui, entre les deux expériences opposées que sont l’observation des lois de la nature et celle des témoins oculaires d’un fait surnaturel, donnait la préférence à la première, plus forte à ses yeux (Enquêtes sur l'entendement humain, Section X, des Miracles). Il s’agit tout simplement pour Bergier d’un sophisme reposant sur une équivoque et un abus du terme d’« expérience ». Une telle expérience est purement négative : ce n’est pas parce que nous n’avons jamais vu le cours de la nature changer que ce changement ne peut avoir lieu. « N'est-il pas absurde de vouloir qu'un simple défaut de connaissance de notre part l'emporte sur la connaissance positive et sur l'attestation formelle des témoins qui ont vu un miracle ? » (MIRACLE, II, 650a). D’autres déistes, qui ont affirmé que les preuves morales sont insuffisantes pour constater les faits surnaturels, ont confondu selon lui improbabilité avec impossibilité. Quant à l’auteur des Questions sur l’Encyclopédie, il n’est pas fondé à exiger des formalités juridiques pour constater un fait miraculeux produit publiquement, ou encore que ce soient les mêmes personnes qui entendent et voient s’accomplir une prophétie76. Sans entrer dans les détails de la réfutation par Bergier des objections de ses adversaires, on peut conclure que la tactique de l’apologiste consiste globalement à renvoyer la balle dans le camp adverse. Il fait remarquer, par exemple, que les incrédules 76. Voir articles MIRACLES et VÉRITÉ des Questions sur l’Encyclopédie (1770-1772) de Voltaire. 97
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en appellent aux sens pour nier la transsubstantiation mais refusent le recours à ces mêmes sens pour attester un miracle (II, 651a). De même, il assigne aux philosophes la tâche d’établir, contre les sceptiques, les règles de la certitude en cantonnant le rôle des théologiens à prouver que ces règles sont applicables aux faits surnaturels (CERTITUDE, I, 305a). De fait, l’article CERTITUDE de Bergier s’attache à distinguer certitude métaphysique, certitude physique et certitude morale. Par le sentiment intérieur un homme peut être métaphysiquement certain d’un miracle opéré sur lui-même, par leurs yeux ceux qui ont vu un paralytique marcher ont été physiquement certains du fait : « Ces témoins oculaires étaient donc certains du miracle, par le même raisonnement évident que faisait le paralytique […]. Le témoignage réuni de cette multitude de témoins oculaires donnait, à ceux qui n’avaient pas vu le miracle ni le paralytique, une certitude morale complète de ces mêmes faits » (CERTITUDE, I, 305b). Le théologien catholique s’oppose ainsi au philosophe et géomètre d’Alembert qui, dans le « Discours préliminaire » de l’Encyclopédie, excluait d’emblée cette troisième forme de certitude en ne retenant que la certitude physique, d'essence sensualiste et expérimentale, pour les corps naturels, et une certitude métaphysique propre aux sciences mathématiques et physico-mathématiques (Enc., I, p. v)77. Il réplique aussi à Diderot qui, dans un préambule ambigu ajouté à l'article CERTITUDE de Prades, s’il n’évacuait pas totalement la certitude morale, la fragilisait en calculant le degré de probabilité propre aux témoignages historiques au moyen de la méthode arithmétique du géomètre écossais Craig (Enc., t. II, 846b) 77. Voir à ce sujet Jean Haechler et Françoise Jouffroy-Gauja, « L’article CERTITUDE de l’Encyclopédie commenté par un souscripteur anonyme », Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie, n° 29, oct. 2000, p. 133. 98
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et, dans l’article FAIT, se montrait plus explicite en invitant le lecteur à se méfier des témoignages sur les faits surnaturels, transmis par la tradition, dont nous n’avons pas été témoins oculaires (Enc., VI, 383a-384b). Et surtout Bergier, par cette prise de position, contre Voltaire qui, dans l’article HISTOIRE, n’accordait aucune validité à la certitude morale donnant crédit à l’improbable, voire à l’impossible. Seules sont valables à ses yeux, en effet, la certitude géométrique, immuable et éternelle (les trois angles d'un triangle égalent deux droits), la certitude physique de mon existence, de mon sentiment (j'existe, je pense, je sens), et une autre certitude, fondée sur les apparences ou sur les rapports unanimes rendus par les hommes (l'existence de Pékin) mais qui ne concerne pas les faits surnaturels : il n’est aucune commune mesure entre la crédibilité d'un témoignage sur la résurrection d'un homme et celle d'une victoire militaire comme la bataille de Fontenoy (Enc., VIII, 224a)78. Pour Bergier, la certitude s’allie donc, avec des précautions certes mais sans grande difficulté, avec le surnaturel. Pour les philosophes de l’Encyclopédie, elle l’exclut totalement, elle lui est même antithétique. L’ANCIENNE ET LA NOUVELLE ENCYCLOPÉDIE
L’exemple de l’article CERTITUDE, tel qu’il apparaît à l’origine dans l’Encyclopédie et tel qu’il est repris dans la Méthodique, expose au grand jour le fossé idéologique qui sépare le dictionnaire chrétien de l’encyclopédie des Lumières. Le jésuite Feller n’est pas fondé à imputer à Bergier, au sujet de sa participation à l’Encyclopédie, « une espèce d’égards pour des erreurs accréditées et de composition avec quelques préjugés dominants79 ». Cet article constitue de bout en bout, on l’a 78. Cf. article CERTAIN, CERTITUDE de son Dictionnaire philosophique (1764). 79. François-Xavier de Feller, Biographie universelle, ou Dictionnaire historique des hommes qui se sont fait un nom…, Besançon-Paris, Outhenin-Chalandre 99
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vu, une réponse serrée aux objections des Philosophes sur la vérité des miracles bibliques, réparties dans l’article de Prades – préambule de Diderot compris – et ses satellites. Bergier les connaît bien pour s’être employé à les réfuter tout au long de sa carrière dans ses apologies. Il renvoie d’ailleurs explicitement aux Pensées philosophiques en s’adressant directement à Diderot pour récuser une des assertions de la pensée L : « Je suis plus sûr de mon jugement que de mes yeux » (I, 307a). Parmi les catégories d’articles donnés dans son dictionnaire, Bergier distingue dans son Avertissement les articles nouveaux – plus d’un quart – qui manquaient à la théologie ou n’avaient été traités que comme des articles de grammaire, les articles corrigés pour leur doctrine suspecte (près d’un quart de l’ensemble), les articles abrégés en raison d’inutiles longueurs ou au contraire complétés quand cela était nécessaire80. L’article CERTITUDE fait évidemment partie des articles corrigés. Il en va de même pour l’article TOLÉRANCE, INTOLÉRANCE entièrement refait par Bergier en opposition aux articles TOLÉRANCE (Ordre encyclop. Théolog. Morale, Politiq.) de Romilly et INTOLÉRANCE (Morale) de Diderot. Les désignants mêmes des deux articles de la première Encyclopédie indiquent clairement l’orientation de leur propos. Diderot se situe fondamentalement sur le terrain de la morale, tandis que Romilly élargit le champ à la théologie et à la politique. A la lecture, on s’aperçoit vite cependant qu’ils ont en commun d’afficher ouvertement fils, 1838-1839, t. I, p. 451, col. a. 80. Il mentionne également dans l’Avertissement du Dictionnaire de théologie les articles supprimés, qui sont pour la plupart des articles faisant double emploi dans l’Encyclopédie (à propos de l’arianisme par exemple). L’un des rôles de l’Encyclopédie méthodique, passé un peu inaperçu, serait donc de faire la toilette de cet « habit d’Arlequin » de l’aveu de son directeur même, composé dans la hâte et sous la tourmente, en rationalisant avec le recul que donne le temps sa nomenclature et la distribution de ses matériaux. 100
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leur volonté offensive. Diderot passe directement à l’attaque contre les superstitions mais juge nécessaire, pour éviter toute confusion, d’opérer une distinction immédiate entre deux sortes de tolérance, l’ecclésiastique et la civile (Enc., VIII, 843a). La suite de l’article sera constitué d’une juxtaposition de maximes dirigées contre les persécuteurs et de citations en faveur de la tolérance, habilement tirées de l’Écriture et des Pères, démarche confortée par le bref article INTOLÉRANT qui suit dans lequel Jaucourt invoque Dieu et la fraternité chrétienne81. Quant à Romilly, il relie d’abord tolérance et paix entre les hommes mais annonce aussitôt la couleur en déclarant que, « comme c’est surtout en matière de sentiment et de religion, que les préjugés destructeurs triomphent avec plus d’empire, et des droits plus spécieux, c’est aussi à les combattre que cet article est destiné » (Enc., XVI, 390a). Il se lance ensuite dans un examen pointu du rôle de la raison, avant de quitter les généralités pour démontrer « l’inutilité, l’injustice et les suites funestes de l’intolérance ». Il compte ainsi prouver « la justice et la nécessité de la vertu qui lui est opposée » (Enc., XVI, 391a). Quel parti va prendre Bergier face à cette attaque bi-frons, voire tri-frons si on compte Jaucourt ? Suivant sa méthode habituelle de mise en ordre logique, il rassemble et classe les objections de ses adversaires, celles de toujours, tirées de son expérience d’apologiste infatigable, et celles des deux – et même trois – encyclopédistes qui vont dans le même sens, de façon 81. Pour une meil leure appréhension des enjeu x de l ’ar ticle INTOLÉRANCE de Diderot, consulter en ligne le dossier critique de Pierre Chartier dans l’Edition Numérique, Collaborative et Critique de l’Encyclopédie (ENCCRE). On y trouvera une comparaison minutieuse entre le texte-source qui est une lettre à son frère abbé, datée de 1760, et l’article final donné à l’Encyclopédie. http://enccre.academie-sciences.fr/ encyclopedie/page/v8-p855/ 101
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à former un tout à réfuter méthodiquement82 . On peut ainsi reconnaître au fil de sa démonstration structurée certaines des critiques relayées par Romilly, d’autres mises en scène à sa manière théâtrale et polyphonique par Diderot. Mais la tâche étant apparemment trop lourde, Bergier finit par couper brutalement court, l’essentiel étant pour lui d’avoir atteint son but principal qui était d’empêcher le triomphe de l’athéisme en mettant au jour les conséquences funestes pour la société d’une tolérance universelle : « Nous ne finirions jamais, s’il nous fallait réfuter en détail toutes leurs fausses maximes ; nous avons assez fait voir qu’elles n’aboutissent qu’à autoriser la profession publique de l’Athéisme et de l’irréligion » (TOLÉRANCE, INTOLÉRANCE, III, 655b). Sans constituer une correction systématique des trois articles de l’Encyclopédie sur la tolérance, l’article de la Méthodique s’écrit par conséquent en relation constante avec ceux-ci. Un dialogue implicite se noue avec leurs auteurs, difficile pour nous à évaluer mais qui sous-tend sans nul doute toute la démonstration. Les développements de Bergier ne sont pas, sur un sujet aussi brûlant, des exposés autonomes83 et sereins, relevant de la pure science théologique, mais des textes de combat, en réponse à ceux non moins militants des encyclopédistes. De même, l’argumentation de l’article FATALISME du Dictionnaire de théologie est tout entière dirigée contre les opinions défendues par Morellet dans l’article FATALITÉ 82. Cette méthode, propre au traité et au dictionnaire, diffère de celle qu’il emploie dans ses apologies où il aborde généralement une par une les affirmations des auteurs qu’il réfute. 83. Même si le dictionnaire de Bergier, rédigé sur une période relativement brève, comporte une large part de recyclage de matériaux anciens, provenant en particulier de son Traité sur la vraie religion et reproduits presque tels quels, ce dont il ne se cache pas dans sa correspondance. Voir en particulier lettres à Trouillet du 15 janvier 1781 (p. 213) et du 11 juillet 1781 (p. 228). 102
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(Métaph.) de l’Encyclopédie, sans jamais le citer. En sens inverse, l’article FATALISME ET FATALITÉ DES STOÏCIENS (Histoire de la Philosophie ancienne et moderne) du dictionnaire de Naigeon s’inscrit en faux entre les lignes contre le providentialisme chrétien. Une note de l’auteur le confirme qui dénonce « l’absurdité de ceux qui prétendent prouver l’existence de Dieu par les merveilles de la nature » et récuse l’argument des causes finales fréquemment mis en avant par les théologiens pour accréditer la providence84. Une sorte d’intertextualité se dessine ainsi en creux, dans le fond conforme au vœu de Panckoucke85, entre l’ancienne et la nouvelle encyclopédie. Il est même des cas où la relation se joue explicitement à trois, comme celui de l'article JÉSUS-CHRIST. Il s'agit d'un article de l'Encyclopédie non signé mais attribué à Diderot86, repris par Naigeon dans le Dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne de l’Encyclopédie Méthodique avec un préambule s’attaquant au dictionnaire de Bergier, qualifié de « prêtre, d’une crédulité stupide », auquel il reproche de ne pas avoir composé « un dictionnaire purement historique des dogmes et de la croyance des chrétiens », « sans aucune réflexion critique ni apologétique », qui aurait pu fournir « un fort bon livre de mythologie » à l'intention de la postérité 87. On perçoit là le divorce total, 84. Voir l’anthologie de Claire Fauvergue, op. cit., p. 273. 85. Le projet de Panckoucke, d’après M. Groult (op. cit., p. 17), s’inscrit dans une structure déterminée qui comporte l’Encyclopédie, ses Suppléments, les Questions sur l’Encyclopédie de Voltaire, le 30e vol. du Grand vocabulaire Français. 86. Voir sur ce point Jacques Proust, Diderot et l’Encyclopédie, Paris, Colin, 1962 ; rééd. Genève, Slatkine, 1982. 87. Le préambule de Naigeon est reproduit dans l’anthologie d’articles extraits du Dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne par Claire Fauvergue, op. cit., p. 303-305. 103
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d’idéologie certes mais aussi de conception, qui sépare deux dictionnaires de la Méthodique, se réclamant tous deux de la vérité et de la science, tout en tombant dans la polémique. Différent est le cas de l’esclavage où, pour une fois, la pensée de Bergier n’est pas radicalement opposée à celle des Lumières. Si son article ESCLAVAGE s'emploie à justifier les patriarches et Moïse, accusés par « les politiques incrédules de notre siècle » d'avoir enfreint le droit naturel en possédant des esclaves, il rejoint sur certains points l’article de l’Encyclopédie du même nom, dû à Jaucourt88 : la volonté de Moïse d’adoucir la condition des esclaves, l’inhumanité des colons. L’article NÈGRES de Le Romain dans l’Encyclopédie se situe même en deçà de celui de Bergier dans la Méthodique, dans la mesure où, tiré du Dictionnaire du commerce de Savary, il examine froidement la question de l’esclavage en termes de rentabilité sans prise en compte du vécu des esclaves, alors que l’article NÈGRES de Bergier se présente comme un appel à l’humanité au nom de l’esprit évangélique. Il ne faut jamais oublier, en abordant l’Encyclopédie, son caractère polyphonique, au point d’attribuer à l’ouvrage une pensée uniforme. L’esprit de système, d’Alembert le dit bien dans le « Discours préliminaire », n’est pas celui des encyclopédistes, qui s’attachent plus à faire penser qu’à inculquer des idées toutes faites89. C’est en revanche celui de Bergier, conscient comme tous ses confrères apologistes, même s’il se montre ouvert sur certains points, que la moindre brèche 88. Sur l’antiesclavagisme de Jaucourt exprimé dans l’article ESCL AVAGE (Enc., V, 934a-939a), voir le dossier critique d’Alessandro Tuccillo dans l’ENCCRE (http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/ v5-1910-0). 89. A propos de l’art de réduire les phénomènes à un seul principe : « Cette réduction, qui les rend d’ailleurs plus faciles à saisir, constitue le véritable esprit systématique qu’il faut bien se garder de prendre pour l’esprit de système, avec lequel il ne se rencontre pas toujours » (Enc., I, p. vi). 104
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dans l’édifice chrétien risque d’emporter le tout. Les lumières philosophiques, comme l’a montré jadis Jean Deprun, agissent en faisceau de rayons pluriel, celles du christianisme proviennent d’une source unique venue du Ciel90. Nous ne nous attarderons pas sur le lien des articles du Dictionnaire de théologie avec les articles portant dans l’Encyclopédie le désignant Théologie (souvent abrégé en Théolog.), majoritairement issus de la plume de théologiens orthodoxes comme l’abbé Mallet, que Bergier estime91. Si ce dernier se démarque parfois de ses prédécesseurs, c’est sur des points particuliers, en relation avec la théorie du salut qu’il s’efforce d’instiller à petits doses, invisibles aux yeux du censeur, dans son dictionnaire. Ainsi, dans le domaine de la théologie, l’Encyclopédie de Panckoucke n’est pas seulement un complément, une mise à jour, un simple remaniement thématique de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, mais une réponse, une réplique serrée même, parfois terme à terme, aux idées audacieuses qu’elle véhicule. Sous la livrée du théologien consacré à la science de Dieu92 , l’apologiste Bergier combat pied à pied le f lot irrépressible de l’irréligion. Il n'est quasiment aucune notion, 90. Jean Deprun, « Les Anti-Lumières », Histoire de la philosophie, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. 2, 1973. 91. Voir lettre de Bergier à Trouillet, 8 déc. 1780, p. 208 ; Prospectus de l’Encyclopédie méthodique de 1782, inséré dans le Dictionnaire des Beaux-arts de Watelet, 1788, p. xxxv.
Cf. « Discours préliminaire » de d’Alembert, Enc., I, p. XLI. L’abbé Mallet y est donné pour l’auteur des articles de théologie. La Métaphysique, la Logique et la Morale y sont attribuées à l’abbé Yvon, avec l’aide de l’abbé Pestré. Prades y est cité avec Yvon en tant qu’hommes d’esprit et philosophes, auteurs d’un ouvrage sur la religion en préparation. 92. C’est ainsi qu’est désignée la théologie dans le Système figuré des connaissances humaines, arbre des connaissances qui classifie les disciplines au début de l’Encyclopédie. 105
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aucune affirmation qui ne soit dans ce Dictionnaire de théologie liée à la philosophie en la personne des incrédules, appelés les « Philosophes modernes ». L’auteur en est bien conscient qui avoue, dans l'Avertissement de l'ouvrage, qu'« il n'est presque pas un seul article qui ne soit un sujet de dispute » (I, p. v). Preuve de la difficulté qu’il y avait pour les hommes du XVIIIe siècle à séparer les deux disciplines, en dépit du choix de Panckoucke de leur consacrer deux dictionnaires distincts et du soin apporté par Bergier à la séparation des matières93. Le dictionnaire de Théologie n’est pas pour autant un dictionnaire autonome parmi tous les dictionnaires de l’Encyclopédie méthodique. Didier Masseau a montré qu’en dépit des écarts évidents qui séparent le dictionnaire d’Économie politique (par Démeunier et Grivel) et celui de Bergier, il existe d'étonnantes convergences entre les deux, notamment l'attention portée à la sociabilité en matière d'autorité et leur conception passéiste de l'éducation dans trois articles homologues (AUTORITÉ, DROIT NATUREL94, ÉDUCATION)95. La théologie, contrairement à ce que pourrait laisser penser son caractère spéculatif, n’est pas chez Bergier absolument détachée des grandes questions politiques et sociales qui préoccupent les penseurs de son temps. La « Table analytique pour diriger les lecteurs dans l’étude la théologie » qui clôt son ouvrage en témoigne qui s’ouvre sur une rubrique de « Théologie générale » fortement ancrée dans l’actualité philosophique et les matières 93. S. Albertan-Coppola, « La spécialisation dans l ’Encyclopédie méthodique : le cas de la théologie », Panckoucke et l’Encyclopédie méthodique. Ordre de matières et transversalité, dir. Martine Groult et Luigi Delia, Paris, Classiques Garnier, 2019, p. 245-254. 94. Le titre complet est DROIT NATUREL DE L’HOMME dans le dictionnaire d’Économie politique. 95. Art. cit., p. 162. 106
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juridiques, avant d’aborder l’étude des dogmes et l’examen des preuves de la religion catholique96. Une autre ombre plane sur ce dictionnaire de théologie constitué en apologie du christianisme, celle des protestants qui, si l'auteur catholique se garde de les confondre avec les incrédules, ont joué un rôle à ses yeux majeur quoique involontaire dans la montée de l’incrédulité à laquelle ils ont fourni des armes97. À bien des égards, le Dictionnaire de théologie de Bergierest une œuvre antiprotestante, bien plus que ses œuvres d’apologétique et même de théologie qui ont précédé. La date à laquelle il paraît, à l’extrême fin du siècle, permet à son auteur de mesurer l'évolution des idées impulsée par les docteurs de l’Église réformée au fil du siècle98. Les luthériens Mosheim et Brucker sont ainsi constamment cités, aux côtés des calvinistes Beausobre, Basnage, Le Clerc, Barbeyrac ou encore des anglicans Chillingworth et Bingham, en raison des opinions erronées de ces hérétiques que Bergier s’est donné pour mission de contrer dans son dictionnaire. En se dressant contre les protestants en tant que défenseur des Pères de l’Église dont ils déformeraient la pensée en renouvelant d'anciennes objections, Bergier outrepasse son rôle de théologien pour accéder, d’une certaine manière, à 96. Voir Didier Masseau, Les ennemis des Philosophes, p. 362. Cette Table est jointe en annexe au présent volume.. 97. Cf. « Avertissement » : « Nous ne sommes pas assez injustes pour accuser les Protestants d'avoir voulu, de propos délibéré, favoriser les ennemis du Christianisme ; mais il n’est pas moins vrai que, sans le vouloir, ils leur ont fourni presque toutes leurs armes ; c'est un événement que nous n’avons pas pu nous dispenser de faire remarquer une infinité de fois, parce que la chose est évidente. » (I, p. vi). 98. Cf. Rabaut Saint-Étienne qui écrivait à La Beaumelle : « on doit aux incrédules français la tolérance dont nous jouissons, nous, les protestants » (Correspondance générale de La Beaumelle, Oxford, Voltaire Foundation, t. XIV, 2018, p. 188). 107
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celui d’historien des idées. Son érudition biblique, sa longue fréquentation des Pères, sa lecture patiente et assidue des écrits de ses adversaires lui procurent, malgré ses convictions affirmées, une vision compréhensive – au sens globalisant du terme – de l'ensemble du débat. Même quand il juge une opinion inadmissible et dangereuse, il ne la masque pas, il ne la déforme pas volontairement, il choisit de l'exposer dans tous ses tenants et aboutissants pour mieux la réfuter. Cette attitude inclusive fait de son dictionnaire une sorte de réceptacle des idées du temps, dûment répertoriées, classées et mises en relation, conflictuelle ou consensuelle. À ce titre, il constitue un document précieux pour le chercheur contemporain. Tout en érigeant la théologie en science, comme le soulignait Didier Masseau, il se présente comme un témoin avisé des tensions intellectuelles de son temps : Le dictionnaire de Théologie confère à cette matière ingrate une marque de scientificité, l’ouvre avec prudence aux grands débats du siècle en la faisant dialoguer avec les positions philosophiques. À cet égard, le dictionnaire de Théologie représente un puissant révélateur des tensions multiples qui traversent la vie intellectuelle de la fin de l’Ancien Régime99.
Son adversaire Grimm a pu certes ironiser sur ce candide qui, trop sûr de la solidité de ses preuves, « expose les objections de ses adversaires dans toute leur force » avant de les réfuter de façon moins victorieuse qu’il ne le croit100. Néanmoins, la démarche laborieuse et obstinée de l’apologiste ne fut pas une vaine entreprise. Il semble que le haut niveau d’exigence intellectuelle auquel l’ont contraint les plus grands esprits du siècle en lui demandant raison de sa foi l’ait amené à penser le dogme catholique, à l’examiner avec la plus grande rigueur, à l’interroger même sur sa légitimité. En acceptant ainsi de rendre des comptes face au tribunal de la raison, il n’a ffaiblit pas la foi. 99. Art. cit., p. 167. 100. Correspondance littéraire, VII, 295, avril 1767. 108
le dictionnaire de théologie entre conservatisme et modernité
Au contraire, quelles que soient les failles de sa démonstration, il la conforte dans ses fondements, sans manquer pour autant de l’adapter autant que faire se peut à son époque. Si paradoxal que cela puisse paraître, tout en s’arrimant à la tradition et au canon de l’Église, ce théologien hors-pair renouvelle en profondeur, dans son intention ferme de la sauver du naufrage, peut-être pas tant la dogmatique catholique que ses bases. Il n'est pas étonnant de ce fait que le Dictionnaire de Théologie ait contribué, durant la plus grande partie du siècle suivant, au gré de ses nombreuses rééditions101, à former ce que F. Laplanche appelait « la science catholique102 ». Sylviane Albertan-Coppola, éditrice
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L'Abbé Bergier ((1718-1790), Musée de Besançon
101. Voir sur ce point S. Albertan-Coppola, « De 1788 à 1859, les métamorphoses du Dictionnaire de théologie de l’abbé Bergier », Ruptures et continuités. Des Lumières au Symbolisme, édit. France Marchal-Ninosque, PU de Nancy, 2004, p. 27-36. 102. François Laplanche, La Science catholique. L’Encyclopédie théologique de Migne (1844-1873) entre apologétique et vulgarisation, Paris, éd. du Cerf, 1992. 109
la vision nouvelle de la société dans l'encyclopédie méthodique
L'Avertissement et les articles sont reproduits à partir de : Encyclopédie méthodique. Théologie, Par M. l’abbé Bergier, Chanoine de l’Église de Paris, et Confesseur de Monsieur, Frère du Roi Tome premier A Paris, chez Panckoucke, Libraire, hôtel de Thou, rue des Poitevins ; A Liège, chez Plomteux, Imprimeur des États, M. DCC. LXXXVIII. Tome second A Paris, chez Panckoucke, Libraire, hôtel de Thou, rue des Poitevins ; A Liège, chez Plomteux, Imprimeur des États, M. DCC. LXXXVIII. Tome troisième A Paris, chez Panckoucke, Libraire, hôtel de Thou, rue des Poitevins M. DCC. XC. [la mention de Liège a disparu dans le tome III]
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avertissement
AVERTISSEMENT T. I, p. V-VIII
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i la partie théologique de l’Encyclopédie a tardé à paraître, nous espérons que le Public nous pardonnera ce retard, lorsqu’il sera instruit des difficultés que nous avons eues à vaincre, et de l’immensité du travail dont nous nous sommes trouvés chargés. D’environ deux mille cinq cents articles dont cet Ouvrage est composé, il y en a au moins un quart qui manquaient dans l’ancienne Encyclopédie, ou qui n’avaient été traités que comme des articles de Grammaire ; il a fallu les faire. Un nombre presque égal contenaient une doctrine fausse ou suspecte ; ils avaient été copiés dans des Écrivains hétérodoxes, ou faits par des Littérateurs qui, par leurs principes, favorisaient l’incrédulité ; il a fallu les corriger. Plusieurs renfermaient des discussions inutiles ; nous les avons abrégés. D’autres étaient incomplets ; nous y avons ajouté ce qui nous a paru nécessaire. Quelques-uns ont été retranchés comme superf lus. Nous n’avons pas vu, par exemple, où était la nécessité de faire vingt articles de l’Arianisme, parce que les partisans de cette hérésie ont porté autant de noms différents ; de distinguer homoousios et consubstantiel, dont l’un est la traduction de l’autre ; de parler du Dimanche des Palmes et de celui des Rameaux ; de changer une lettre pour placer corban et korban, chirotonie et keirotonie, au lieu de l’imposition des mains, purim et phurim, qui signifient les sorts ; de mettre des mots grecs ou hébreux au lieu des mots français qui y répondent. Ainsi, à presque tous les égards, notre travail doit paraître absolument neuf. Des trois parties qu’il embrasse, savoir, la Théologie dogmatique, la Critique sacrée, et l’Histoire Ecclésiastique, 111
la vision nouvelle de la société dans l'encyclopédie méthodique
la première est celle qui demande le plus d’attention, et qui renferme le plus de difficultés. Comme toute autre science, elle a son langage particulier, certaines expressions consacrées à exprimer les mystères, desquelles on ne peut se départir sans s’exposer à tomber dans l’erreur. On ne doit pas exiger d’un Théologien qu’il emploie d’autres termes plus clairs tirés du langage ordinaire, ni qu’il fasse comprendre évidemment des vérités que Dieu a révélées pour être crues sur sa parole, quoique nous ne puissions pas les concevoir. Depuis près de dix-huit cents ans que la Théologie chrétienne est formée, il ne s’est pas écoulé un seul siècle dans lequel elle n’ait été combattue par quelque secte de mécréants ; cette science est donc deveue très contentieuse. Comme elle consiste à savoir non seulement ce que Dieu a révélé, mais comment cette doctrine a été attaquée, et comment elle a été défendue, il n’est presque pas un seul article qui ne soit un sujet de dispute ; un Théologien écrit donc toujours au milieu d’une foule d’ennemis, et jamais ils ne furent en plus grand nombre que dans notre siècle. On ne doit pas être étonné de nous voir continuellement aux prises avec les Sociniens, avec les Protestants, qui ont renouvelé presque toutes les anciennes erreurs, avec les Déistes et les autres incrédules qui les ont copiés tous. Nos maîtres en Théologie sont les Pères de l’Église ; nous nous croyons obligés de suivre leur exemple. Or, ces Auteurs respectables ont écrit, chacun dans leur temps, contre les erreurs qui faisaient du bruit pour lors, et non contre celles dont le souvenir était à peu près effacé ; il est de notre devoir de les imiter. Nous ne sommes pas assez injustes pour accuser les Protestants d’avoir voulu, de propos délibéré, favoriser les ennemis du Christianisme ; mais il n’est pas moins vrai que, sans le vouloir, ils leur ont fourni presque toutes leurs armes ; c’est un événement que nous n’avons pas pu nous dispenser de faire 112
avertissement
remarquer une infinité de fois, parce que la choses est évidente. Si les Protestants se fâchent de se trouver continuellement dans notre ouvrage associés aux incrédules, ce n’est pas à nous qu’ils doivent s’en prendre, mais à leurs Docteurs. Chez les Luthériens, Mosheim et Brucker ; chez les Calvinistes, Beausobre, Basnage, le Clerc, Barbeyrac ; chez les Anglicans, Chillingworth et Bingham, sont ceux dont nous avons principalement consulté les Livres, parce que ce sont les derniers qui ont écrit, et qui paraissent avoir le plus de réputation. Ils ont cherché à donner une nouvelle tournure aux anciennes objections ; ils ont eu l’art de défigurer la plupart des faits de l’Histoire Ecclésiastique ; il n’est presque pas un seul des Pères de l’Église contre lequel ils n’aient formé des accusations ; ils ont donc imposé une nouvelle tâche aux Théologiens Catholiques, à laquelle nos meilleurs Controversistes n’ont pas pu satisfaire : nous avons donc été obligés de nous en charger ; et si nous n’avons pas répondu à tout, nous croyons du moins avoir fait le plus essentiel. En donnant une courte notice des ouvrages des Pères, nous avons tâché de faire leur apologie. Il en est de même des personnages de l’Ancien testament, dont l’Histoire Sainte a loué les vertus, et que les incrédules, en marchant sur les traces des Manichéens, se sont appliqués à noircir. Mais loin de chercher à multiplier les articles de critique sacrée, nous en avons supprimé un grand nombre. Il nous a semblé inutile de disserter sur des expressions que tout le monde entend, ou sur des termes qui n’ont rien d’extraordinaire, et de copier le Dictionnaire de la Bible. Il est plus nécessaire, sans doute, d’éclaircir les passages dont les hérétiques ou les incrédules ont abusé, ou qui sont un objet de dispute entre les Théologiens. Nous aurions voulu placer dès à présent le Discours préliminaire à la tête de ce premier volume ; mais comme ce doit 113
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être le résultat de tout l’ouvrage, il ne peut être fait que quand tous les articles seront achevés, et c’est la partie de notre travail qui nous paraît demander le plus grand soin. On doit comprendre qu’un Dictionnaire théologique, quelque exact qu’il puisse être, ne pourra jamais tenir lieu d’un Cours de Théologie complet, dans lequel on rassemble sur chaque question toutes les preuves et les réponses aux objections, où l’on fait voir la liaison que nos dogmes ont entre eux, de manière que l’un éclaircit et confirme l’autre. Ce serait une erreur de croire qu’avec le secours d’un Dictionnaire aussi abrégé, l’on peut devenir grand Théologien. Si celui-ci avait été destiné à paraître seul, il aurait nécessairement fallu le rendre plus étendu, y faire entrer plusieurs articles de métaphysique, de Morale, d’Histoire, de discipline, de Jurisprudence canonique, que nous avons dû laisser à ceux auxquels ils appartiennent. Il n’aurait pas été difficile non plus de le charger de citations ; mais il suffit d’avertir en général, que, pour la critique sacrée, les Prolégomènes de la Polyglotte d’Angleterre, la Philosophie sacrée de Glassius, les Dissertations et les Préfaces de la Bible d’Avignon, en 17 volumes in-4°, sont les principales sources où l’on a puisé. Pour l’Histoire Ecclésiastique, Fleury, Cave, Dupin, Tillemont, Dom Ceillier, sont les Auteurs qu’il aurait fallu citer continuellement. Nous n’avons pas hésité de copier plusieurs observations dans les Protestants desquels nous venons de parler, surtout dans Mosheim, lorsqu’elles nous ont paru vraies et dignes de l’attention du Lecteur. Pour la Théologie dogmatique, quand nous aurions mis à chaque article les noms de Pétau, de Tournely, de Witasse, de Lherminier, de Juénin, ou de quelques Auteurs plus modernes, le Lecteur n’en aurait pas été plus instruit ; ces ouvrages sont connus de tous les Théologiens, et les autres personnes ne sont pas tentées de les lire. 114
avertissement
Nous n’avons pas la vanité de croire que ce Dictionnaire est tel qu’il devrait être ; un seul homme, quelque laborieux qu’il soit, ne peut suffire à cette entreprise. Ceux qui viendront après nous pourront faire mieux ; il est plus aisé de voir les défauts d’un ouvrage déjà fait, que de les éviter en le composant. Nous prions sincèrement ceux qui prendront la peine de lire celui-ci de nous avertir des fautes dans lesquelles nous avons pu tomber, afin que nous puissions y remédier, ou dans l’errata, ou dans un supplément.
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UN CHOIX D'ARTICLES
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ABANDON, ADAM, AMÉRICAINS, AMÉRIQUE ATHÉE, ATHÉISME BAPTÊME CÉLIBAT, CONTINENCE, CERTITUDE DÉMON ENDURCISSEMENT, ESCLAVAGE FAIT, FANATISME, FATALISME GENTIL, GRÂCE IDOLE, IDOLÂTRE, INFIDÈLE JÉSUITES, JÉSUS-CHRIST, JUDAÏSME, JUSTICE DE DIEU MAGICIEN, MAGIE, MAL, MIRACLE, MISSIONS ÉTRANGÈRES NÈGRES ORIGINEL (péché) PÉCHÉ RÉDEMPTEUR SALUT, SATISFACTION, SERVITUDE, SORCELLERIE, SORCIER, SORTILÉGE TOLÉRANCE, INTOLÉRANCE
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choix d'articles
ABANDON T. I, p. 3a-5a
2 ABANDON. Il y a dans l’Écriture Sainte des passages qui semblent prouver que Dieu abandonne les pécheurs, et même des nations entières ; mais il en est d’autres qui nous assurent que Dieu est bon à l’égard de tous, qu’il a pitié de tous, qu’il n’a de l’aversion pour aucune de ses créatures, que ses miséricordes se répandent sur tous ses ouvrages, etc. Les premiers ne signifient donc pas que Dieu prive absolument de toutes grâces les pécheurs ou les nations infidèles, mais qu’il ne leur en accorde pas autant qu’à d’autres peuples, ou qu’il ne leur fait pas autant de bien qu’il leur en a fait autrefois. C’est un usage commun dans toutes les langues, d’exprimer en termes absolus ce qui n’est vrai que par comparaison. Ainsi, lorsqu’un père ne veille plus avec autant de soin qu’il le faisait autrefois, sur la conduite de son fils, on dit qu’il l’abandonne ; s’il témoigne au cadet plus d’a ffection qu’à l’aîné, on dit que celui-ci est délaissé, négligé, pris en aversion, etc. Ces façons de parler ne sont jamais absolument vraies ; personne n’y est trompé ; elles ne doivent pas nous surprendre davantage dans l’Écriture Sainte que dans le langage ordinaire. En effet, malgré les promesses formelles que Dieu avait faites aux Juifs de ne jamais les abandonner, ils ne manquaient pas de dire dans toutes leurs calamités : le Seigneur nous a délaissés, nous a oubliés. Voici ce que leur répond le Prophète Isaïe de la part de Dieu, c. 49, v. 14 : « Une mère peut-elle oublier son enfant, et manquer de tendresse pour le fruit de ses entrailles ? Quand elle pourrait le faire, je ne vous oublierais point ». L’abandon prétendu, dont se plaignaient les Juifs, consistait seulement en
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la vision nouvelle de la société dans l'encyclopédie méthodique
ce que Dieu ne les protégeait plus d’une manière aussi éclatante, et ne leur accordait plus autant de bienfaits qu’autrefois. Nous devons raisonner de même, et entendre de même l’Écriture Sainte, à l’égard des grâces de salut et des secours surnaturels. Dans l’article Grâce, § 3, nous prouverons, par l’Écriture Sainte, par les Pères de l’Église, par l’efficacité de la rédemption, qu’il n’est sous le ciel aucune créature que Dieu laisse manquer de grâce absolument et entièrement ; mais il n’en fait pas également et en même mesure à tous les hommes ; aux uns il en accorde de plus abondantes et de plus efficaces qu’aux autres, et c’est dans ce sens seulement que ceux-ci sont abandonnés en comparaison des premiers. Quelques accusateurs de la Providence ont affecté d’alléguer un passage du Livre des Proverbes, c. 1, v. 24, où la Sagesse dit aux pécheurs : « Je vous ai appelés et vous m’avez rebutée ; je vous ai tendu les bras, et aucun de vous ne m’a regardée... De mon côté, je rirai et j’insulterai à votre ruine, lorsque les maux que vous craigniez vous seront arrivés... Alors on m’invoquera, et je n’écouterai point ; on me cherchera, et on ne me trouvera pas... Mais celui qui m’écoutera reposera sans crainte ; il sera dans l’abondance, et n’aura plus de maux à redouter ». Nous ne voyons pas comment l’on peut conclure de là qu’il y a un moment fatal auquel Dieu n’écoute plus les pécheurs, les abandonne entièrement, leur refuse toute grâce, et les laisse périr. [...]
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choix d'articles
ADAM
T. I, p. 20a-23b
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ADAM. Nom du premier homme que Dieu a créé pour être la tige du genre humain. Adam est aussi en hébreu le nom appellatif de l’homme en général ; il paraît formé d’a augmentatif et de la racine dam, dom, élevé, supérieur ; il désigne le pricnipal et le plus fort individu de l’espèce. On peut voir dans les premiers chapitres de la Genèse toute l’histoire d’Adam, la loi que Dieu lui imposa, sa désobéissance, la peine à laquelle il fut condamné avec sa postérité. Cette narration, qui est fort courte, a fourni une ample matière aux conjectures des Commentateurs, aux disputes des Théologiens, aux erreurs des hérétiques, et aux objections des incrédules. Il est d’abord évident que le premier homme n’a pu exister que par création. Les anciens athées, qui disaient que les hommes étaient fortuitement sortis du sein de la terre, comme les champignons, les matérialistes modernes qui pensent que la naissance de l’homme a été un effet nécessaire du débrouillement du chaos, les savants physiciens qui ont calculé et fixé les époques de la nature, sans nous apprendre comment les hommes, les animaux et les plantes ont pu éclore d’un globe de verre enflammé dans son origine, sont aussi peu sages les uns que les autres. Leurs rêves sublimes disparaissent devant le récit simple et naturel de l’auteur sacré : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre... Il dit, que la lumière soit, et la lumière fut... Il dit, faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance, et l’homme fut fait à l’image de Dieu ». Gen. c. 1. Par ce peu de paroles l’homme apprend ce qu’il est, ce qu’il doit à Dieu et à soi-même, ce qu’il a lieu d’attendre de la bonté de son créateur. 119
la vision nouvelle de la société dans l'encyclopédie méthodique
Dieu est-il donc corporel aussi bien que l’homme ? On a répondu aux Marcionites, aux Manichéens, aux philosophes du quatrième siècle, aux incrédules du dix-huitième qui ont fait cette question, que la partie principale de l’homme n’est pas le corps, mais l’âme ; or cette âme est douée d’intelligence, de réflexion, de volonté, de liberté, d’action ; elle a le pouvoir de réprimer les appétits déréglés du corps, de penser au présent, au passé et à l’avenir, de communiquer aux autres par la parole ce qu’elle pense, de commander aux animaux, de faire servir à son usage la plupart des ouvrages du créateur, de la connaître, de l’adorer et de l’aimer ; c’est par là que l’homme ressemble à Dieu. Prégéreons-nous, comme certains philosophes, de ressembler aux animaux plutôt qu’à Dieu qui nous a faits ? La manière dont la formation de la femme est racontée dans l’Histoire Sainte, a donné lieu à quelques railleries froides et à des imaginations bizarres qui ne valent pas la peine d’être réfutées ; mais c’est une grande leçon donnée au genre humain. Dieu a voulu par là faire connaître à la femme la supériorité de l’homme de qui elle a été formée, à l’homme combien sa compagne doit lui être chère, puisqu’elle est une partie de sa propre substance, à tous les deux qu’ils doivent conserver entre eux l’union la plus étroite, de laquelle dépend leur bonheur et celui de leurs enfants. Mais en quel état se trouvaient ces deux créatures au moment de leur naissance, quelle était leur félicité dans l’état d’innocence, quelle aurait été leur destinée et celle de leurs enfants, si les uns ni les autres n’avaient pas péché ? Questions intéressantes mais sur lesquelles l’Écriture Sainte ne s’est expliquée qu’avec beaucoup de réserve. Elle nous apprend que Dieu a créé l’homme droit, Eccli. c. 7, v. 30, et dans la justice, Ephes. c. 4, v. 24 ; par conséquent non seulement exempt de vice, mais encore doué de la grâce sanctifiante qui le rendait agréable à Dieu. Elle nous dit qu’il a 120
choix d'articles
été créé immortel dans ce sens qu’il pouvait s’exempter de la mort en ne péchant pas ; la mort n’étant entrée dans le monde que par la jalousie du démon, Sap. c. 2, v. 23, et par le péché, Rom. c. 5, v. 12. Nous voyons aussi Eccli. c. 17, v. 6, que Dieu s’était plu à donner à nos premiers parents toutes sortes de connaissances, en créant dans eux la science de l’esprit, en remplissant leur cœur de sentiment, et leur faisant voir les biens et les maux. D’où il suit que l’état du premier homme avant son péché était un état très heureux, quoique son bonheur ne fût pas complet, puisqu’il pouvait perdre par sa désobéissance la justice dans laquelle il avait été créé, et tous les dons qui y étaient attachés. Un bonheur parfait devait être le fruit de sa persévérance libre dans le bien. Nous ne savons pas combien il aurait fallu qu’elle durât pour qu’Adam fût confirmé dans la justice, et ne pût désormais la perdre. S’il eût persévéré, ses enfants auraient eu en naissant la justice originelle dans laquelle il avait été créé ; mais chacun de ses descendants aurait été peut-être assujetti à des lois, exposé au danger de les violer, et de perdre, comme Adam, tous les privilèges de l’innocence ; c’est le sentiment d’Estius d’après S. Augustin, l. 2 Sentent. Dist. 20, §. 5. On pourrait encore agiter bien d’autres questions ; mais puisque l’Écriture se tait, n’imitons pas la curiosité téméraire de notre premier père, n’approchons pas de l’arbre de la science pour y chercher un fruit qui nous est défendu. Pourquoi, demandent les incrédules après les Manichéens, pourquoi imposer à l’homme une loi, et lui faire une défense, lorsque Dieu savait bien qu’elle serait violée ? Parce que l’homme créé libre était capable d’obéissance, et qu’il la devait à son créateur. C’est par son libre arbitre, autant que par son intelligence, que l’homme est distingué des animaux ; il était juste que Dieu exigeât de lui un témoignage de soumission, en 121
la vision nouvelle de la société dans l'encyclopédie méthodique
reconnaissance de la vie et des autres bienfaits qu’il lui avait accordés ; dans tous les états possibles il est de l’ordre que le bonheur parfait ne soit pas un don de Dieu purement gratuit, mais une récompense réservée à l’obéissance de l’homme et à la vertu : aucun des arguments des incrédules ne peut prouver le contraire : la prévoyance que Dieu avait de la désobéissance future d’Adam ne devait déroger en rien à cet ordre éternel infiniment juste et sage. En effet, dit S. Augustin, pourquoi Dieu ne devait-il pas permettre qu’Adam fût tenté et succombât ? Il savait que la chute de l’homme et sa punition serait pour ses défenseurs un exemple qui servirait à les rendre plus obéissants, que de cette race même pécheresse naîtrait un peuple de Saints qui, avec la grâce divine, remporteraient à leur tour sur le démon une victoire plus glorieuse ; si donc cet esprit malicieux a semblé prévaloir pour un temps par la chute de l’homme, il a été vaincu pour l’éternité par la réparation de l’homme. L. 1 contrà advers. leg. et proph. n. 21 et 23. De Civ. Dei, l. 14, c. 27. De Catechis. ru dib. c. 18. Lorsque les incrédules demandent encore pourquoi Dieu a interdit à notre premier père le fruit qui donnait la connaissance du bien et du mal, ils affectent de ne pas entendre de quelle connaissance il est question. Adam connaissait déjà le bien et le mal moral ; l’écriture nous apprend que Dieu la lui avait donnée, Eccli.c. 17, v. 6 ; autrement il aurait été aussi incapable de pécher que les enfants qui n’ont pas encore atteint l’âge de discrétion : mais il n’avait point encore la connaissance du mal physique, puisqu’il n’en avait éprouvé aucun ; il n’avait aucune idée de la honte et du remords que cause la conscience d’un crime. Il les sentit après son péché, il fut en état de comparer le bien-être et la douleur ; telle est la connaissance expérimentale de laquelle Dieu voulait le préserver. Il ne s’ensuit donc pas qu’il y ait eu un arbre dont le fruit avait la vertu de faire connaître le bien et le mal. 122
choix d'articles
C’est une nouvelle témérité de la part des incrédules, de soutenir qu’il y a eu de l’injustice à rendre Adam maître du sort de sa postérité. C’est la condition naturelle de l’humanité, et tel est l’ordre établi dans toutes les sociétés politiques. Un père, par sa mauvaise conduite, peut réduire à la misère ses enfants nés et à naître ; il peut les déshonorer d’avance par un crime ; il peut, dans les pays où l’esclavage est établi, les réduire à cette condition en vendant sa liberté. Il est du bien de la société que cela soit ainsi, afin d’inspirer aux pères plus d’horreur des crimes qui peuvent avoir pour leurs enfants des suites si terribles, et plus de reconnaissance aux enfants envers un père qui, par la sagesse de ses moeurs, les a mis à couvert de ce malheur. Dieu, continuent nos adversaires, pouvait prévenir le péché de l’homme par une grâce efficace, sans nuire à son libre arbitre ; s’il ne devait pas cette grâce à l’homme, du moins il la devait à lui-même et à sa bonté infinie. Ne donner à l’homme dans cette circonstance qu’un secours inefficace dont Dieu prévoyait l’unutilité, c’était plutôt lui faire du mal que du bien. Ce raisonnement, s’il était solide, prouverait que Dieu, en vertu de sa bonté infinie, ne peut donner à aucun homme une grâce dont il prévoit l’inefficacité, et ne peut permettre aucun péché ; mais il porte sur trois ou quatre suppositions fausses. La première, qu’un moindre bienfait comparé à un plus grand n’est plus un bien, mais un mal. La deuxième, que de deux bienfaits inégaux, Dieu se doit à lui-même d’accorder toujours le plus grand, ce qui va droit à l’infini. La troisième, que plus Dieu prévoit de résistance de la part de l’homme, plus il est obligé d’augmenter la grâce ; comme si la malice de l’homme était un titre qui lui donne droit aux grâces de Dieu. La quatrième, qu’il faut raisonner de la bonté de Dieu jointe à une puissance infinie, comme de la bonté de l’homme qui n’a qu’un pouvoir 123
la vision nouvelle de la société dans l'encyclopédie méthodique
très borné. Toutes ces absurdités n’ont pas besoin d’une plus longue réfutation. Une grâce inefficace, ou de laquelle Dieu prévoit l’inefficacité, est sans doute un moindre bienfait qu’une grâce dont il prévoit l’efficacité ; mais il est faux que la première soit un mal, un don inutile ou pernicieux, un piège tendu à l’homme, etc. Un secours qui donne à l’homme toute la force nécessaire pour le rendre maître de son choix et de son action, ne peut sous aucune face être envisagé comme un mal. Ce que l’Historien sacré dit de la tentation d’Ève et de ses suites, a fourni aux incrédules de quoi exercer leur malignité ; cette narration leur paraît renfermer plusieurs absurdités ; que le serpent soit le plus rusé de tous les animaux, qu’il ait eu une conversation suivie avec la femme et qu’elle se soit laissée tromper ; qu’il soit plus maudit que les autres animaux, pendant qu’il y a des peuples qui lui rendent un culte ; qu’il n’ait rampé sur son ventre que depuis ce temps-là, qu’il mange la terre, etc. Par ces réflexions mêmes, les censeurs de l’Histoire Sainte prouvent, ou que Moïse était un insensé, ou qu’il y a un sens caché sous l’écorce de cette Histoire. C’est ce que nous soutenons, et un célèbre incrédule l’a reconnu. « De la manière, dit-il, dont l’Historien raconte ce funeste événement, il paraît bien que son intention n’a pas été que nous sussions comment la chose s’était passée, et cela seul doit persuader, à toute personne raisonnable, que la plume de Moïse a été sous la direction particulière du Saint Esprit. En effet, si Moïse eût été le maître de ses expressions et de ses pensées, il n’aurait jamais enveloppé d’une façon si étonnante le récit d’une telle action ; il en aurait parlé d’un style plus humain et plus propre à instruire la postérité ; mais une force majeure, une sagesse infinie le dirigeait de telle sorte qu’il n’écrivait pas selon ses vues, mais selon les desseins cachés de la Providence ». Bayle, Nouv. Juin, 1686, art. 2, p. 592. 124
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Est-il vrai, d’ailleurs, que son récit renferme des absurdités ? 1°. Nous ne connaissons pas assez les différentes espèces de serpents pour savoir jusqu’à quel point ces animaux sont rusés et industrieux ; ceux qui entendent parler des castors pour la première fois, sont tentés de prendre pour des fables ce que l’on en raconte. 2°. Il est constant que ce fut le démon qui emprunta l’organe du serpent pour converser avec Ève, et cette femme n’avait pas encore assez d’expérience pour savoir si un animal était capable ou incpable de parler. 3°. Il n’est pas moins vrai qu’en général nous avons horreur des serpents, et qu’il n’y a qu’une longue habitude qui puisse accoutumer des peuples à demi sauvages à se familiariser avec quelques espèces de ces animaux. 4°. Si l’on en croit les Voyageurs et les Naturalistes, il y a des serpents ailés qui s’élèvent dans les airs ; il n’est donc pas certain que toutes les espèces aient toujours rampé sur leur ventre. On dit encore qu’il y en a qui sont d’une beauté singulière, et l’on en a vu de très apprivoisés. Enfin, si les serpents ne mangent pas la terre, ils semblent du moins avaler la poussière et les ordures en cherchant les insectes dont ils se nourrissent. Il n’y a donc rien d’absurde ni de ridicule dans la narration de Moïse. Une question plus importante, est de savoir si Dieu a puni trop rigoureusement le péché d’Adam, comme le supposent les incrédules. La faute, disent-ils, fut légère et le châtiment est terrible ; être condamné, pour toute cette vie, au travail et aux souffrances, éprouver sans cesse la révolte de la chair contre l’esprit, et des passions contre la raison, avoir continuellement sous les yeux la mort qu’il faut subir, et un supplice éternel dont nous sommes menacés, et cela, pour un prétendu crime, qui n’est dans le fond qu’une légère désobéissance, y a-t-il de la proportion entre le péché et la peine ? Nous répondons, en premier lieu, qu’il est absurde de vouloir juger de la grièveté de la faut d’Adam autrement que par le 125
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châtiment que Dieu en a tiré ; avons-nous assisté au conseil de Dieu, ou avons-nous vu ce qui s’est passé dans l’âme d’Adam, pour savoir jusqu’à quel point il a été criminel ou excusable ? La facilité de l’obéissance, dit Saint Augustin, est précisément ce qui, dans les circonstances, aggrave la faute d’Adam. En second lieu, les misères de cette vie, la concupiscence même, sont une suite de notre nature ; l’exemption de la mort, la soumission entière de la chair à l’esprit, était une grâce que Dieu ne devait point à nos premiers parents, ainsi que nous le prouverons à l’article NATURE PURE ; il a donc pu, sans injustice, en priver l’homme coupable et ses descendants. En troisième lieu, l’on n’est pas obligé de croire, puisque l’Église ne l’a pas décidé, que les enfants souillés du péché originel sont tourmentés par des supplices. Ils n’entreront pas dans le royaume du ciel, mais il n’est pas dit que le lieu où ils seront sera pour eux un lieu de tourments. Nous discuterons cette question au mot BAPTÊME. Les péchés actuels, qui font perdre la grâce, seront punis, il est vrai, par des supplices éternels ; mais ces péchés ne sont pas des châtiments de la faute d’Adam, ce sont des maux que nous nous faisons volontairement à nous-mêmes par des vices et des habitudes que nous avons contractés très librement, et dont il ne tiendrait qu’à nous de nous préserver. Enfin, quand on parle de la faute d’Adam et de la punition, il faudrait ne pas oublier la manière dont Jésus-Christ l’a réparée par la grâce de la rédemption. C’est en démontrant, par l’Écriture Sainte, l’excellence, la plénitude, l’universalité de cette grâce, que les Pères de l’Église ont répondu aux objections des Marcionites et des Manichéens, qu’ils ont prouvé aux Ariens la divinité de Jésus-Christ, qu’ils ont réfuté les Pélagiens, qui, dans leur système, réduisait à rien la rédemption, comme font encore aujourd’hui les Sociniens. 126
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Ils nous font remarquer d’abord, que la promesse de la rédemption est aussi ancienne que le péché. Avant de condamner Adam aux souffrances et à la mort, Dieu avait déjà lancé la malédiction contre le serpent, et lui avait dit : La race de la femme t’écrasera la tête. C’est, disent les Pères, en vertu de ctte promesse, et des mérites du Rédempteur, que Dieu n’a condamné Adam et sa postérité qu’à une peine temporelle ; ainsi la rédemption future a commencé d’opérer son effet, au moment même qu’elle a été promise. Voyez PROTOÉVANGILE , RÉDEMPTION. 2°. Ils nous représentent que les souffrances et la mort sont l'expiation du péché et un sujet de mérite en vertu de la passion du Sauveur ; d'où ils concluent que la condamnation de l'homme a été sous ce rapport un acte de miséricorde de la part de Dieu. Jésus-Christ, dit S. Paul, a ôté les amertumes de la mort, en nous assurant une résurrection semblable à la sienne. 1. Cor. c. 15, v. 55. Voyez MORT, SOUFFRANCE . 3° Ils observent que la grâce répandue avec abondance par Jésus-Christ nous rend victorieux de la concupiscence ; que par ce combat la vertu devient plus méritoire, et digne d’une récompense aussi grande que celle qui était destinée à notre premier père. Par ces différentes considérations, nos saints docteurs font comprendre la dignité à laquelle notre nature a été élevée par son union avec le Verbe Divin ; ils montrent la grandeur du mal par la puissance du remède. Selon l’Histoire Sainte, la pénitence d’Adam a été fort longue : il a vécu neuf cent trente ans, Gen. c. 5, v. 5. Dieu lui accorda cette longue vie, afin de perpétuer parmi ses descendants la certitude des grandes vérités dont il avait été témoin, ou qu’il avait reçues de la propre bouche de Dieu même. ; les hommes pouvaient-ils avoir un maître plus respectable et plus digne de foi ? Mais sans la promesse qui lui avait été faite d’un réparateur, il aurait été 127
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souvent tenté de se livrer au désespoir, en voyant le déluge de maux de toute espèce que sa faute avait fait tomber sur la terre. Aucun des Pères de l’Église n’a douté du salut d’Adam ; tous ont été persuadés qu’il a été sauvé par Jésus-Christ. Saint Augustin dit que c’est la croyance de l’Église, et l’on a taxé d’erreur Tatien et les Encratites qui ne voulaient pas admettre cette vérité. On a même cru, dans les premiers siècles, qu’Adam avait été enterré sur le Calvaire, et que Jésus-Christ avait été crucifié sur sa sépulture, afin que le sang versé pour le salut du monde, purifiât les restes du premier pécheur. Quoique cette tradition ne paraisse fondée que sur un passage de l’Écriture mal entendu, elle atteste toujours la haite idée qu’avaient nos anciens maîtres de l’étendue et de l’efficacité de la rédemption. Il paraît que certains Théologiens l’avaient profondément oubliée, lorsqu’ils ont dit, que le péché originel ou la chute d’Adam est la clé de tout le système du Christianisme, le premier anneau auquel tient toute la chaîne de la révélation ; il aurait fallu dire au moins, le péché originel effacé et pleinement réparé par Jésus-Christ. Sans le dogme fondamental de la rédemption, celui du péché originel pourrait nous inspirer de la crainte, des regrets, de la douleur, peut-être le désespoir ; il n’exciterait en nous ni reconnaissance, ni confiance, ni amour de Dieu, sentiments dans lesquels consiste la religion. Au mot PÉCHÉ ORIGINEL , nous ferons voir que la croyance de l'un de ces dogmes ne peut pas subsister sans celle de l'autre. Quelques Auteurs ont pensé que Platon avait eu connaissance de la chute d'Adam, et qu’il l’avait apprise par la lecture des livres de Moïse. Eusèbe, dans sa Préparation Évangélique, L. XII, c. 11, cite une fable tirée des Symposiaques de Platon, dans laquelle cette histoire semble être rapportée d’une manière allégorique ; mais cette allusion n’est ni fort sensible, ni absolument certaine. 128
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Au temps de Platon, les livres de Moïse n’étaient pas encore traduits en grec, et ce Philosophe n’avait point de connaissance de l’hébreu. On sait d’ailleurs que les Juifs ne montraient pas aisément leurs livres aux Païens. Il faut juger de même de la fable de Pandore, que quelques-uns ont prise pour une altération de l’histoire de la chute d’Adam.
2 AMÉRICAINS, AMÉRIQUE T. I, p. 60a-62a
2 Quelques incrédules avaient soutenu qu’il était impossible de concevoir comment l’Amérique s’est peuplée après le déluge ; d’où ils concluaient que ce fléau n’a pas été universel, et qu’il n’a pas submergé cette partie du monde. Mais depuis les nouvelles découvertes qui ont été faites par les navigateurs, il est démontré que depuis le Nord-Est de la Tartarie, le passage en Amérique n’est ni long ni difficle ; la ressemblance que l’on a remarquée entre les habitants de ces deux continents, achève de nous convaincre qu’ils ont une origine commune, que les Américains septentrionaux sont venus des extrémités orientales de l’Asie. M. de Guignes, dans son histoire des Huns, a prouvé qu’au cinquième siècle les Chinois ont commercé avec l’Amérique, et l’on a trouvé des débris de vaisseaux Chinois et Japonais sur les côtes de la Californie et de la mer du Sud : au dixième siècle, les Norvégiens découvrirent l’Amérique septentrionale et y envoyèrent une colonie qui fut oubliée dans les siècles suivants ; ce qui arriva pour lors a pu se faire de même dans les siècles précédents.
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L’Auteur des Études de la Nature, tome 2, p. 621, a rassemblé plusieurs observations qui concourent à prouver que la population de l'Amérique méridionale s'est faite par les îles de la mer du Sud ; que les habitants des extrémités méridionales de l'Asie ont pu, d'île en île, pénétrer aisément en Amérique. Les noirs que l'on y a trouvés en petit nombre ne sont donc pas indigènes ; ils y ont été transportés par hasard ou autrement des côtes méridionales de l'Afrique La question de la population de l'Amérique n'est plus une difficulté parmi les savants ; lorsque les incrédules affectent de la renouveller, ils ne font pas honneur à leur érudition. Ils n'ont pas parlé avec plus de prudence des missions qui ont été faites dans cette partie du monde, et des effets qui en ont résulté. De nos jours, on a peint ces missions sous les couleurs les plus noires ; on a soutenu et l'on a essayé de prouver que le fanatisme ou le zèle aveugle de la religion a été la vraie cause des cruautés que les Espagnols ont exercées sur les Indiens ; que douze ou quinze millions d'Américains ont été égorgés, le crucifix à la main, pour établir le Christianisme en Amérique. Pour réfuter complètement cette calomnie, il suffit d’établir un certain nombre de faits inconstestables, et tous avoués par les écrivains mêmes qui l’ont avancée. 1°. Il est constant que les premiers Espagnols qui ont découvert l’Amérique et ont commencé à y pénétrer, étaient la lie de leur nation, des aventuriers, des criminels échappés des prisons, des scélérats qui avaient mérité le supplice ; ils étaient conduits au-delà des mers par la soif de l’or, par l’attrait du brigandage, par l’espoir de l’impunité. Il est absurde d’attribuer à de pareils hommes un zèle de religion bien ou mal réglé ; la plupart n’avaient pas plus de religion que de mœurs. Quelques Moines qui les suivirent en qualité d’aumôniers de vaisseaux, 130
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n’étaient ni assez puissants, ni assez habiles pour réprimer la cruauté de ces malfaiteurs. 2°. Après avoir exercé leur caractère féroce sur les Américains, les Espagnols ont fini par se faire la guerre, par se déchirer et se dévorer les uns les autres ; ils ont traité les hommes de leur propre nation avec la même barbarie dont ils avaient usé à l’égard des Indiens. Ce n’est donc pas un zèle fanatique de religion qui a été le principe de leurs crimes. 3°. Loin d’avoir envie de contribuer à la conversion de ces malheureux peuples, les conquérants ont traversé tant qu’ils ont pu les travaux des missionnaires. Ceux-ci n’avaient pas plus tôt rassemblé un certain nombre d’Indiens, que les Espagnols venaient les enlever pour les faire travailler aux mines. Ils ont donc tourmenté les Américains, non pour les obliger à se convertir, mais pour les forcer à fouiller les métaux, à découvrir leurs trésors, à fournir de l’or. 4°. Le gouvernement d’Espagne a ignoré d’abord ces cruautés ; loin de les autoriser par aucun ordre, il avait recommandé de traiter les Indiens avec douceur ; il fut enfin éveillé par les plaintes que Barthélemi de las Casas, Évêque de Chiapa, vint porter au nom des Américains ; l’on envoya des Officiers et des Magistrats en Amérique pour réprimer le brigandage des Espagnols ; mais le mal était fait, il n’était plus possible de le réparer. 5°. Aucun tribunal ecclésiastique n’a justifié, approuvé, ni excusé la conduite des Espagnols. Lorsque le vertueux las Casas la rendit publique et en informa sa nation, un seul docteur, nommé Sépulvada, payé par les grands qui avaient de spossessions en Amérique, osa soutenir que la violence était permise contre les Indiens. Son ouvrage fut censuré par les universités de Salamanque et d’Alcala ; le conseil des Indes s’était opposé à l’impression, et le roi d’Espagne en fit saisir tous les exemplaires. Il est donc démontré que la soif insatiable de l’or, l’orgueil qui 131
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veut tout obtenir par la force, le ressentiment contre les Indiens dont on avait provoqué la cruauté, l’habitude de répandre le sang, ont été les seules causes des crimes commis en Amérique par les espagnols, et que le zèle fanatique de religion n’y est entré pour rien. Voyez Histoire d’Amérique, par M. Robertson. Des voyageurs désintéressés, des militaires, des navigateurs, ont rendu justice dans plusieurs ouvrages aux travaux, à la sagesse, au zèle pur et charitable de ceux qui ont établi les missions de la Californie, du Paraguay, des Moxes, des Chiquites, du Brésil, du Pérou : les calomnies des protestants et des incrédules qui les ont copiées, ne feront pas oublier l’éloge qu’en a fait l’auteur de l’Esprit des Lois. L. IV, c. 6. Il est fâcheux que la révolution arrivée en Europe, qui a rappelé les missionnaires, ait entraîné la chute de la plupart de ces établissements aussi honorables à l’humanité qu’à la religion. Mosheim, quoique Luthérien, avait parlé des Missions faites dans l’intérieur de l’Amérique, avec une certaine modération ; il avait même applaudi au moyen que ces missionnaires employaient pour convertir les sauvages. Rien, selon lui, n’était plus sage que de commencer par les civiliser, avant de les instruire et que d’en faire des hommes avant de vouloir en faire des Chrétiens. Il avait cependant cherché à empoisonner le motif des Missionnaires, en disant que ces prétendus Apôtres avaient moins pour but la propagation du Christianisme, que le désir de satisfaire leur avarice insatiable et leur ambition démesurée, et il citait pour preuve les sommes prodigieuses d’or qu’ils tiraient des différentes provinces de l’Amérique. Hist. Eccles. du dix-septième siècle, sect. 1, 6. 19. Mais son Traducteur, mécontent de cette modération, soutient que Mosheim n’était pas assez instruit ; que depuis ce temps-là il a été prouvé que les Jésuites n’avaient pas d’autre dessein que de se former au Paraguay une souveraineté indépendante des Cours d’Espagne et de Portugal, de dominer 132
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despotiquement sur les Indiens sous prétexte de religion ; que ce sont eux qui ont armé les Indiens, et qui les ont engagés à se révolter contre l’échange que ces deux Cours avaient fait entre elles d’une partie de ces Colonies ; que telle a été l’origine de la disgrâce que les Jésuites ont éprouvé en Espagne et en Portugal ; il cite en preuve une Relation publiée par la Cour de Lisbonne en 1758. Selon lui, Montesquieu, le savant Muratori, et d’autres qui ont fait l’apologie de ces Missionnaires, ont trahi la vérité, ou ils étaient mal informés. Pour rendre croyables les relations publiées contre la conduite des Missionnaires, il aurait fallu éclaircir plusieurs doutes qu’elles ont naturellement fait naître ; nous les proposons avec d’autant plus de confiance, que nous en avons puisé la plupart dans l’ouvrage d’un militaire que l’on ne peut pas accuser de prévention, soit en faveur de la religion catholique, soit à l’égard des Missionnaires et des Missions. De l’Amérique et des Américains, par le philosophe Ladouceur, Berlin, 1771. 1°. Il est difficile de comprendre comment des Jésuites Allemands avaient le courage de se dévouer aux Missions de l’Amérique, par l’attrait d’y établir une souveraineté temporelle de laquelle ils ne jouissaient pas, et dont tout l’avantage revenait à leur ordre ou à leur société en Europe. Car enfin on ne les accuse pas d’avoir eu au Paraguay, ou ailleurs, un train de Souverains ; d’y avoir étalé le faste, la magnificence, les commodités de la vie et les plaisirs d’une Cour européenne ou Asiatique. Ils y étaient Pasteurs, Catéchistes, Pères spirituels et temporels des Indiens ; ils supportaient tous les travaux du ministère ecclésiastique, souvent ils s’exposaient à être massacrés par les nouveaux sauvages qu’ils voulaient apprivoiser. On n’en a vu aucun revenir en Europe pour y jouir de la récompense que la société devait accorder par reconnaissance à ceux de ses membres qui la rendaient souveraine en Amérique. Les Officiers de la 133
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Compagnie anglaise des Indes, après avoir exercé en son nom la souveraineté sur les bords du Gange, sont empressés de venir dépenser en Angleterre le fruit de leurs concussions ; pas un seul jésuite n’a rapporté en Allemagne, ou ailleurs, la moindre partie des monceaux d’or qu’il avait amassés en Amérique pour le compte de sa société. Ou ces Missionnaires étaient conduits par les motifs de religion, ou c’étaient les plus vrais insensés qu’il y eût au monde. 2°. Si leur gouvernement était absolu, dur et tyrannique, comment les sauvages, originairement accoutumés à l’indépendance, consentaient-ils à le supporter ? Comment ne désertaient-ils pas, comme font les Nègres marrons rebutés de l’esclavage, pour retourner dans les forêts ? Les Missionnaires n’avaient-ils pas à leurs ordres une armée d’Européens, pour tenir les Indiens sous le joug malgré eux ? Si au contraire ce gouvernement était doux et paternel, nous ne voyons plus quel crime commettaient les Missionnaires, en tirant les Indiens de l’état sauvage pour leur faire goûter les avantages de la société civile, et en les amenant par ce bienfait au Christianisme. Il n’est défendu nulle part aux Prédicateurs de l’Évangile de réunir, quand ils le peuvent, le bien temporel d’un peuple à son salut éternel. 3°. On ne prouve point le droit qu’avaient les Rois d’Espagne et de Portugal d’assujettir à leurs lois des peuplades d’Indiens originairement indépendants, et d’en disposer comme d’un troupeau de bétail : on ne dit point pourquoi des Jésuites Allemands étaient obligés en conscience de soumettre à l’un ou l’autre de ces Rois, les sauvages qu’ils avaient civilisés, et qui n’avaient reçu de Madrid ni de Lisbonne aucun secours, aucun bienfait, aucune marque de protection. La manière dont ces Souverains ont traité leurs sujets, dans cette partie du monde, était-elle propre à exciter l’ambition de leur appartenir ? En 134
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supposant même que ce sont les Jésuites qui ont armé les Indiens, et les ont excités à défendre leur liberté, nous ne voyons pas encore en quoi ils se sont rendus coupables de sédition, de révolte, de trahison. Ou il faut accuser de ce crime les peuples des États-Unis de l’Amérique, ou il faut en absoudre les Indiens du Paraguay ; la cause de ceux-ci est même plus favorable, puisque jamais ils n’ont été sujets de l’Espagne ni du Portugal. 4°. Puisque les Jésuites, selon l’opinion de leurs accusateurs, ont toujours été aveuglément soumis et dévoués à la Cour de Rome, nous ignorons pourquoi celles de Lisbonne et de Madrid, même contentes de ces Missionnaires, n’ont pas porté d’abord leurs plaintes au Pape, et n’en ont pas obtenu un ordre positif qui enjoignît à ces derniers de soumettre leurs nouvelles peuplades à la domination de l’un ou l’autre de ces Rois. Ce parti n’eût-il pas été plus sage, que de mettre des armées en campagne et de dissiper le troupeau, en lui ôtant ses Pasteurs ? On sait que le mémoire, publié en 1758 par la Cour de Lisbonne, fut l’ouvrage du Marquis de Plombal, despote le plus absolu qui fut jamais, et dont la mémoire est aujourd’hui en exécration. Cette pièce n’est pas assez respectable pour opérer la condamnation des accusés, sans autre preuve. 5°. Une nouvelle énigme à expliquer, est la conduite des Missionnaires. Ils ont armé les Indiens pour la défense de leur liberté naturelle, mais ils n’ont pas eu recours aux armes pour se maintenir en possession de leur prétendue souveraineté ; ils ont obéi sans résistance au premier ordre qui leur a été donné de quitter leurs missions ; ils sont revenus en Europe, où ils étaient bien sûrs d’être maltraités, comme ils l’ont été en effet. Puisqu’on leur suppose des trésors, s’ils avaient gagné les Colonies anglaises, qu’aurait-on pu leur faire ? 6°. Nous ne demandons pas où sont aujourd’hui ces monceaux d’or que les Jésuites tiraient de l’Amérique, ce qu’ils sont devenus, 135
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comment ils ont disparu : mais s’il est vrai, comme on l’assure, que les Indiens, désolés d’être privés de leurs Pasteurs, se sont séparés et sont retournés dans leurs forêts, nous demandons ce qu’ont gagné les deux Puissances qui ont fait cette destruction, et quel avantage elles peuvent tirer d’un pays désert, dont les habitants ont mieux aimé redevenir sauvages que de subir leur joug. Que des Protestants et des Incrédules applaudissent à cette brillante expédition, nous n’en sommes pas étonnés ; c’est un effet de leur fureur anti-chrétienne ; mais lorsque des hommes, qui affectent du zèle pour la religion, semblent se réjouir de la destruction de plusieurs missions très nombreuses, on est tenté de leur demander s’ils croient en Dieu. Disons-le hardiment ; il n’est que trop prouvé par l’événement que les accusations formées contre les fondateurs de ces missions sont de pures visions et des calomnies ; l’on sent à présent la faute énorme que l’on a faite en y prêtant l’oreille : mais le mal est fait, et il ne sera pas réparé. Voyez JÉSUITES, MISSIONS.
2
ATHÉE, ATHÉISME T. I, p. 146b-150a
2 Nous entendons par Athéisme, non seulement le système de ceux qui n’admettent point de Dieu, mais encore l’opinion de ceux qui nient la Providence, parce qu’à proprement parler, un Dieu sans providence n’existe pas pour nous. C’est la réflexion que fait Cicéron contre les prétendus Dieux d’Épicure. Il est triste que ce soit aujourd’hui le sentiment dominant parmi les incrédules ; mais la multitude des ouvrages qui ont paru de nos
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jours pour établir cette doctrine désolante, ne prouve que trop le nombre de ses partisans. C’est aux Philosophes de réfuter les divers systèmes d’Athéisme, et de démontrer l’existence de Dieu par les preuves que la raison seule nous suggère ; le devoir d’un théologien est de faire voir que les auteurs sacrés ont très bien connu le caractère, les causes, les effets de l’Athéisme ; que le portrait qu’ils ont tracé des Athées de leur temps, convient à ceux d’aujourd’hui. Selon le Roi Prophète, Ps. 12, « l’insensé a dit dans son cœur, il n’y a point de Dieu. Ce langage est celui des hommes corrompus et pervers. Il n’en est pas un seul parmi eux qui fasse le bien. Leur bouche respire l’infection des tombeaux, leur langue exhale le poison des serpents ; ils cherchent à séduire par le mensonge ; la noirceur de leurs calomnies, l’amertume de leurs reproches, démontrent qu’ils seraient prêts à répandre le sang de leurs adversaires. Ils passent des jours tristes et malheureux ; jamais ils n’ont goûté la paix ; ils tremblent où il n’y a aucun sujet de frayeur. Le Seigneur est juste ; il se venge de ses insensés, pendant que le pauvre, soumis et tranquille, met son espérance en Dieu ». Longtemps avant David, Job avait remarqué que l’Athéisme est le vice des grands du monde, des hommes aveuglés par la prospérité, corrompus par l’opulence, perverti par l’usage immodéré des plaisirs. Ils ont dit à Dieu : « Retirez-vous de nous ; nous ne voulons ni recevoir vos leçons, ni connaître vos lois. Qui est le Tout-Puissant, pour que nous soyons ses adorateurs ; à quoi nous servirait de l’invoquer ? ... Mais Dieu leur rendra ce qu’ils méritent, et alors ils le connaîtront ». Job. c. 21. « Il viendra un temps, dit S. Paul, auquel les hommes ne pourront plus supporter une saine doctrine ; ils se choisiront des maîtres selon leur goût ; une curioisté effrénée, la démangeaison d’entendre quelque chose de nouveau, les détourneront de la vérité, et les feront courir après des fables ». II. Tim. c. 4, v. 3. 137
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La principale source de l’Athéisme, selon l’Écriture Sainte, est la corruption du cœur ; plusieurs Philosophes modernes en sont convenus, et l’expérience le prouve. Les Grecs étaient parvenus au comble de la prospérité par leurs victoires sur les Perses, lorsque leurs Philosophes se précipitèrent dans l’Épicuréisme. Rome était devenue la maîtresse du monde ; elle regorgeait des richesses de l’Asie, lorsque le luxe introduisit dans ses murs cette philosophie meurtrière. Les Juifs venaient d’être délivrés de la persécution des Rois de Syrie, étaient enrichis par le commerce d’Alexandrie, lorsqu’ils virent éclore parmi eux le Saducéisme, qui n’était qu’un Épicuréisme grossier. Faut-il qu’à notre tour la naissance de l’Athéisme vienne nous annoncer que nous touchons au plus haut point de prospérité auquel notre monarchie soit parvenue depuis sa fondation ? Mais le luxe, père de la corruption et de l’Athéisme, prépare la ruine des états et la décadence des nations ; ce qui est arrivé à celles dont nous venons de parler devrait nous faire trembler et nous rendre plus sages. 1. Quel motif pourrait engager un Athée à être vertueux ? Il sait à la vérité que le vice peut lui nuire ; mais il est aussi des circonstances où le vice autorisé par l’exempe peut devenir avantageux. Déjà nos Moralistes Athées nous avertissent que dans les sociétés corrompues il faut se corrompre pour devenir heureux, se mettre au ton des mœurs régnantes pour être estimé et applaudi. Il y a des hommes si mal constitués par la nature, que le vice est nécessaire à leur bonheur. Qu’importe que le vice puisse nuire, s’il peut aussi être utile ? L’événement dépend du hasard ; tout homme dominé par une passion est tenté d’en faire l’épreuve. Il n’a point de remors à craindre, dès qu’il se sent le courage de les étouffer. Les fautes les plus secrètes peuvent être dévoilées ; mais il s’est commis aussi plusieurs grands crimes dont on n’a jamais 138
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pu découvrir l’auteur. Dans les sociétés corrompues, les fautes sont si communes, que l’on n’y fait presque plus d’attention ; une dose suffisante d’effronterie tient lieu de probité. A force de raisonnements et de palliatifs, on parvient aujourd’hui à justifier les iniquités les plus criantes et à rendre toutes les réputations équivoques. La société sans doute est utile au bonheur d’un Athée ; mais comme tant d’autres, il peut jouir des avantages de la société sans y mettre beaucoup du sien ; ceux qui servent le plus efficacement leurs semblables ne sont pas les plus honorés ; les vertus les plus nécessaires sont ordinairement les plus obscures, et les devoirs les plus pénibles sont les moins récompensés. On dit que nous devons nous attacher à la patrie qui nous protège. Mais combien d’hommes profitent des bienfaits et de la protection de la patrie, en lui rendant de mauvais services, en lui insultant, en déclamant contre ses lois, en décriant son gouvernement, en exaltant jusqu’aux nues le mérite supérieur de ses ennemis ! Selon un axiome consacré parmi les Athées, une patrie qui ne nous rend point heureux, perd ses droits sur nous. Un homme, continue-t-on, doit se faire aimer. Où est cette nécessité pour un Athée ? Il lui suffit d’être craint, et que personne n’ose lui nuire. Qu’ai-je à faire, dira-t-il, de l’amitié d’un père, vieux, infirme, languissant, qu’il faut soigner et nourrir à mes dépens ? Que me rendra-t-il en échange de mon amitié ? Je conviens que l ’ingratitude éloignera de moi mon bienfaiteur, le fera peut-être repentir de ce qu’il a fait pour moi ; que m’importe, s’il n’est plus en état de me faire du bien, de se venger, ni de me faire essuyer des reproches ? J’avoue encore que la justice est nécessaire au maintien de toute association ; mais on peut profiter de l’association, sans contribuer à son maintien. On a prouvé doctement de nos jours 139
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que plusieurs vices sont pour le moins aussi nécessaires au maintien de la société que les vertus. D’ailleurs, la justice ne suffit point si l’on n’y ajoute la charité, l’humanité, la compassion pour les malheureux ; sur quoi peut être fondé pour moi le devoir de secourir un étranger, un inconnu qui souffre, mais qui ne me connaît point et que je ne reverrai jamais ? Il est faux que nul homme ne puisse être content de soi-même, quand il sait qu’il est l’objet de la haine publique. Plusieurs grands hommes l’ont encourue par leurs vertus et par le zèle le plus pur ; d’autres ont gagné la faveur publique par des crimes heureux : ceux-ci avaient-ils plus de droits d’être contents d’eux-mêmes que les premiers ? Toutes les maximes de morale des Athées sont donc fausses, lorsqu’on les examine en rigueur ; quand elles seraient vraies, le commun des hommes sets incapble de faire les réflexions, les calculs, les raisonnements nécessaires pour en sentir la vérité. Admettons un Dieu et une Providence, ces maximes deviendront des lois. Que le vice nous soit utile ou pernicieux dans ce monde, n’importe ; Dieu le défend, il le punira tôt ou tard. Quand le vice nous élèverait sur la terre au comble du bonheur, ce ne sera que pour quelques moments ; l’ivresse passagère qu’il nous causera sera suivie d’un malheur éternel. Que les hommes connaissent le crime ou ne le connaissent pas, cela est égal ; Dieu le connaît, le coupable n’échappera point à sa vengeance : les remords sont le premier supplice par lesquels il leur fait sentir sa justice. Que la société, que la patrie soient justes ou injustes, reconnaissantes ou ingrates à mon égard, Dieu m’ordonne de m’y attacher et de les servir, comme il leur ordonne de me protéger. Si elles manquent à leur devoir, cela ne me donne pas droit de 140
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violer le mien : Dieu est témoin de ma conduite, c’est à lui seul de me récompenser. Par la loi générale de la charité, Dieu commande à tous les hommes de s’aimer, de s’aider, de se rendre des services mutuels ; amis ou ennemis, concitoyens ou étrangers, bienfaiteurs ou rivaux, caractères auimables ou fâcheux, personne n’est excepté. Quand ils nous refuseraient leur amitié, nous serions encore obligés de nous rendre aimables, afin de ne pas les blesser. Tel est le langage de la religion, de nos livres saints, des justes de tous les siècles ; c’est celui de la raison et de la saine Philosophie. Lorsque les Athées s’obstinent à la méconnaître, nous n’avions pas tort de leur reprocher qu’ils sapent la morale par les fondements. Sans la croyance d’un Dieu souverain, législateur et vengeur, il n’est plus de lois, plus de devoirs ou d’obligations morales proprement dites, plus de vices ni de vertus. II. L’Écriture nous assure que les Athées n’ont jamais goûté la paix, qu’il n’est point pour eux de consolation ni de bonheur en ce monde ; ils ont pris eux-mêmes la peine de nous en convaincre. Que voyons-nous dans leurs livres ? 1°. Une affectation singulière de dégrader l’homme, de le réduire au niveau des brutes, afin de prouver qu’il n’est pas l’ouvrage d’un Dieu sage et bon. Ce n’est pas là le moyen de nous inspirer du courage, des sentiments nobles, l’héroïsme de la vertu, la satisfaction secrète que goûte une âme élevée à sentir ce qu’elle est. Cet avilissement volontaire quadre [sic] bien mal avec l’orgueil philosophique. 2°. Des plaintes amères sur les misères de l’humanité, sur les rigueurs d’une nature marâtre, sur les passions qui nous tourmentent, sur les crimes qui nous déshonorent, sur les fléaux qui couvrent la terre. Ils en concluent qu’une Providence 141
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bienfaisante ne se mêle point du gouvernement de ce monde. Ces sombres réflexions ne sont pas fort propres à nous rendre contents de notre sort. Lorsque les Athées peignent le genre humain, ils le représentent comme une société de malfaiteurs aveuglés, corrompus, forcenés par religion. Peut-on se féliciter de vivre dans une pareille compagnie, ou espérer d’y trouver jamais le bonheur ! 3°. Des blasphèmes contre la justice d’un Dieu vengeur, contre la sévérité avec laquelle on prétend qu’il punit le crime. Cette idée, disent-ils, inspire l’effroi, fait envisager Dieu comme un être odieux. A ce signe, il est difficile de reconnaître le calme d’une conscience pure, exempte de trouble et de remords. Ils se plaignent de ce que la vertu n’est pas heureuse sur la terre, et ils ne veulent point du bonheur d’une autre vie. Mais si la vertu n’a rien à espérer, ni dans ce monde, ni dans l’autre, où sera le motif de l’embrasser ? 4°. Des doutes jetés sur la perpétuité de l’ordre physique du monde. Nous ne savons pas, disent-ils, si une révolution subite ne replongera pas bientôt l’univers dans le chaos. Jamais la superstition la plus aveugle n’inspira une crainte aussi puérile et aussi absurde. Épicure pensait qu’il valait encore mieux être sous l’empire d’un Dieu le plus capricieux, que sous le joug d’une nécessité impitoyable que rien ne peut fléchir. Aujourd’hui ses Disciples, moins sensés que lui, préfèrent l’empire de la nécessité à celui de la Divinité. 5°. Des éloges prodigués à la fureur du suicide. Si c’est à ce terme que doit aboutir la suprême félicité des Athées, un homme raisonnable ne sera pas tenté de la leur envier. Il est bien absurde de nous promettre le bonheur ici-bas, si nous voulons abjurer l’idée d’un Dieu vengeur, et de vouloir prouver ensuite que si nous sommes dégoûtés de la vie, rien n’est mieux que de se détruire. 142
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6°. Des sophismes sans fin, pour démontrer qu’il n’y a aucune certitude dans nos connaissances ; qu’un scepticisme général est la seule Philosophie du sage. Mais si toutes nos opinions sont incertaines, l’Athéisme n’est donc pas un système invinciblement prouvé, et auquel on puisse se livrer avec une pleine sécurité. Douter s’il y a un Dieu, une Religion vraie, une autre vie, ce n’est pas être convaincu qu’il n’y en a point ; l’incertitude sur un objet aussi important ne peut pas être une situation douce et agréable. Les mécontentements du présent, l’incertitude sur l’avenir, des fureurs contre Dieu, des invectives contre les hommes, ne furent jamais les symptômes de la paix et du bonheur. Nous sommes donc forcés d’acquiescer à la sentence que Dieu a prononcée luimême par un Prophète : « Point de paix pour les impies », Isaïe, c. 48, v. 22 ; c. 57, v. 21. III. Le Psalmiste nous avertit que les Athées sont des hommes d’un mauvais caractère, dangereux, malfaisants, pernicieux à la société ; est-ce une accusation fausse ? Puisqu’il est démontré que la situation des Athées n’est ni tranquille, ni heureuse, c’est un trait de cruauté de leur part de vouloir communiquer aux autres le doute, l’inquiétude, le mécontentement, l’humeur qui les tourmentent. Qu’ils s’obstinent à vouloir y demeurer, c’est leur affaire ; mais pourquoi vouloir arracher à leurs semblables l’idée d’un Dieu qui les console, une religion qui les porte à la vertu, une espérance qui adoucit leurs peines ? A considérer la manière dont la plupart des hommes sont constitués, les Athées sont-ils sûrs que leurs principes, répandus dans le monde, n’augmenteront pas la quantité des crimes et le nombre des malfaiteurs ? Le moindre danger à cet égard devrait arrêter la main et fermer la bouche à tout homme sensé. Quand la vérité de la religion ne serait pas invinciblement démontrée, elle est du moins autorisée par les lois ; chez toutes 143
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les nations policées on a sévi contre ceux qui violent les lois en attaquant la religion. Parce qu’il plaît aux Athées de trouver ces lois injustes, il ne s’ensuit pas qu’elles le sont en effet, et que l’on ne doit pas punir ceux qui s’élèvent contre elles. Exiger dans ce cas une tolérance absolue, c’est autoriser tous les malfaiteurs à enfreindre toutes les lois qui les gênent. Accuser les vivants et les morts, noircir les motifs de toutes les vertus qui ont brillé dans le monde, fouiller dans tous les coins de l’Histoire pour trouver des reproches contre les personnages pour lesquels le genre humain a eu le plus de respect, sonner le tocsin contre ceux qui prêchent la religion ou la défendent, les peindre comme autant de fourbes ou de fanatiques ennemis de la société, attaquer les Souverains et les Gouvernements comme complices du même crime : voilà ce que les Athées ont fait de tout temps et font encore. Si tous ces excès ne sont pas punissables, quel a donc été l’objet de la police et de la législation ? C’est une imposture de leur part de prétendre que l’Athéisme n’influe en rien sur les mœurs, qu’un Athée peut être aussi vertueux qu’un homme qui croit en Dieu ; le contraire est démontré par leur propre conduite. Un Athée n’évite le crime qu’autant qu’il y est forcé par les lois ; il ne peut être homme de bien sans contredire continuellement tous ses principes. L’influence terrible que l’Athéisme peut avoir sur les mœurs du peuple n’est que trop prouvée par un fait arrivé de nos jours. Il y a environ dix ans qu’il s’était formé dans la Lorraine Allemande et dans l’Électorat de Trèves, une association des gens de la campagne qui avaient secoué tout principe de religion et de morale. Ils s’étaient persuadés qu’en se mettant à l’abri des lois ils pouvaient satisfaire sans scrupule toutes leurs passions. Pour se soustraire aux poursuites de la justice, ils se comportaient dans leurs villages avec la plus grande circonspection ; l’on n’y voyait aucun désordre ; mais ils s’assemblaient la nuit en 144
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grandes bandes, allaient à force ouverte dépouiller les habitations écartées, commettaient d’abominables excès, et employaient les menaces les plus terribles pour forcer au silence les victimes de leur brutalité. Un de leurs complices ayant été fait par hasard pour quelque autre délit, l’on découvrit la trame de cette confédération détestable, et l’on compte par centaine les scélérats qu’il a fallu faire périr sur l’échafaud. Lettres sur l’Hist. de la Terre et de l’Homme, par M. Duluc, 1779, tom. 4, Lettre 91, pag. 140. Ce fait fut annoncé dans le temps par les nouvelles publiques mais il ne fut pas assez remarqué ; s’il avait été question d’un événement peu favorable à la religion, nos Philosophes en auraient fait retentir le bruit dans l’Europe entière. Le sage Écrivain qui le rapporte, et qui en avait presque été témoin, observe avec raison que si l’Athéisme ne produit pas le même effet sur les hommes laborieux, timides, dont les passions sont douces, la société aurait tout à craindre des paresseux hardis, entreprenants, et dont les passions sont violentes, l’irréligion en ferait de vrais tigres. Il ne restait plus aux Athées qu’à vouloir cacher leur turpitude sous le masque de l’hypocrisie, à se prétendre animés par un zèle ardent pour le bien de l’humanité, à exiger des éloges et des récompenses pour le courage qu’ils ont montré : c’est par là que les Athées ont couronné leurs travaux. Ils diront sans doute que par ces réflexions nous cherchons à les rendre odieux, à exciter contre eux la sévérité des Magistrats. Non. L’Écriture les déclare insensés, nous souscrivons à cet arrêt. On ne punit point les hommes tombés en démence, mais on les met hors d’état de nuire. Le Roi Prophète remet à Dieu la vengeance de leurs fureurs : « Levez-vous, Seigneur ; jugez vousmême votre cause ; voyez les blasphèmes que l’insensé ne cesse de vomir contre vous ; remarquez et n’oubliez pas l’orgueil de ceux 145
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qui se déclarent vos ennemis, et cette audace qui s’augmente de jour en jour ». Ps. 73, v. 22. Instruits par les leçons de Jésus-Christ, encore plus parfaites que celles des anciens justes, nous ne demandons à Dieu que la conversion des incrédules. Nous ignorons pourquoi l’on a pris de nos jours tant de peine pour justifier Vanini, Athée célèbre, ou du moins pour l’excuser et pour faire paraître ses juges coupables de cruauté. Plusieurs de nos Philosophes ont trouvé bon de faire son apologie, mais l’intérêt personnel et la conformité de sentiment n’auraient-ils pas influé beaucoup dans cette charité singulière ? Il nous suffit d’observer que Vanini ne fut point livré au supplice précisément parce qu’il était Athée, mais parce qu’il prêchait l’Athéisme, et séduisait la jeunesse. Ces deux crimes sont très différents. Si les Athées gardaient pour eux seuls leur impiété, personne ne s’informerait de ce qu’ils pensent ; mais ces insensés veulent dogmatiser, communiquer aus autres le poison dont ils sont infectés : ce que l’on a droit de punir.
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BAPTÊME T. I, P. 190A-191B
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[...] VI. Quel est le sort éternel des enfants morts sans baptême ? Cette question paraît déjà suffisamment résolue par ce que nous venons de dire touchant la nécessité absolue de ce Sacrement pour obtenir le salut, et par les raisons dont on s’est servi au cinquième siècle pour réfuter les erreurs de Pélage. Dans les commencements, cet hérésiarque n’osa rien décider touchant le sort de ces enfants. Je sais bien, disait-il, où ils ne vont pas ; mais 146
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j’ignore où ils vont : quò non eant scio, quò eant nescio. Dans la suite, pour ne pas contredire formellement les paroles de JésusChrist, Joan. c 3, v. 5, il dit qu’à la vérité ces enfants n’entraient pas dans le royaume des cieux, mais qu’ils n’étaient pas non plus condamnés à l’enfer ; qu’ils avaient la vie éternelle par le mérite de leur innocence. S. Aug. l. 1, de pecc. meritis et remiss. c. 28, n. 55 ; Serm. 294, c. 1, n. 2 ; Epist. 156, etc. Il imaginait ainsi un lieu ou un état mitoyen entre la gloire du ciel et la damnation, dans lequel il plaçait ces enfants ; d’où il s’ensuivait qu’ils étaient sauvés de l’enfer sans avoir participé en rien aux mérites ni à la rédemption de Jésus-Christ. S. Augustin et les autres défenseurs de la foi catholique réfutèrent toutes ces vaines opinions ; ils prouvèrent, par l’Écriture sainte, par la tradition des quatre premiers siècles, par les exorcismes du Baptême, que tous les enfants d’Adam naissent souillés du péché originel, par conséquent privés de tout droit à la vie éternelle ; qu’ils ne peuvent être purifiés de ce péché que par l’application des mérites de Jésus-Christ et par le Baptême ; que s’ils meurent sans l’avoir reçu, ils sont damnés. Conséquemment, ils rejetèrent le lieu ou l’état mitoyen que Pne peuvent entrer dans le royaume des cieux, ni jouir de la vie éternelle ; qu’ainsiélage avait imaginé entre le royaume de Dieu et la damnation, état qu’il nommait la vie éternelle, et dans lequel il plaçait les enfants morts sans Baptême. Depuis cette époque, le sentiment commun des Théologiens est que non seulement ces enfants sont exclus du bonheur éternel, mais qu’ils sont condamnés aux tourments de l’enfer ; que cependant ils les souffrent dans un degré beaucoup moindre que les autres réprouvés. Malgré le nombre et l’autorité de ceux qui soutiennent ce sentiment, S. Thomas, S. Bonaventure, le pape Innocent III, et d’autres Théologiens scholastiques, très instruits de ce qui a été décidé contre les Pélagiens, ont jugé qu’à la vérité il est de 147
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foi que les enfants morts sans Baptême ne peuvent entrer dans le royaume des cieux ni jouir de la vie éternelle ; qu’ainsi ils éprouvent ce que l’on nomme la peine du Dam ; mais qu’il n’est pas de foi qu’ils souffrent aussi la peine du sens, ou les supplices de l’enfer ; que c’est seulement une opinion théologique, fondée sur de fortes preuves, de laquelle cependant il est très permis de s’écarter. Quelques-uns même sont allés jusqu’à dire que ces enfants jouissent d’une félicité naturelle qui les dédommage de la perte qu’ils ont faite du bonheur éternel acquis par les mérites de Jésus-Christ. Ç’a été l’opinion du Cardinal Sfrondate, dans le livre intitulé : Nodus prædestinationis dissolutus, dont plusieurs Évêques de France demandèrent au Souverain Pontife la condamnation en 1696. Personne ne s’est élevé avec plus de chaleur contre le sentiment mitigé des Scholastiques que les partisans de Jansénius. Comme il était de l’intérêt de leur système de persuader qu’un adulte même peut être coupable et punissable pour un péché qu’il ne lui était pas libre d’éviter, ils ont fait tout leur possible pour prouver que la condamnation des enfants morts sans Baptême aux supplices de l’enfer est un article de foi, et que l’on ne peut pas soutenir le contraire sans être hérétique. Nous ne prétendons pas favoriser leur entêtement, en rapportant fidèlement les preuves qui établissent le sentiment rigoureux des autres Théologiens. La plupart ont été employés par S. Augustin contre les Pélagiens, et son autorité y ajoute un nouveau poids. 1°. Les paroles de Jésus-Christ, Joan. c. 3, v. 5, sont claires : « Si quelqu’un n’est pas régénéré par l’eau et par le Saint-Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu ». L’expédient imaginé par Pélage, de distinguer le royaume de Dieu d’avec la vie éternelle, était absurde, puisque ces deux termes, dans l’Écriture Sainte, désignent également le bonheur éternel. Les Sociniens et les Protestants ne s’en tirent pas mieux, en disant que, dans plusieurs 148
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autres endroits, le royaume de Dieu, le royaume des Cieux, signifient le règne de Jésus-Christ sur son Église : ce n’est point ainsi qu’on l’entendait au temps de Pélage, ni avant lui ; les Pères ont donné constamment à ces paroles le même sens qu’a suivi le Concile de Trente, et ont entendu par là le bonheur éternel. 2°. S. Paul, Éphés. c. 2, v. 3, dit : « Nous étions par naissance enfants de colère ». Donc, dit S. Augustin, nous étions enfants de vengeance et de châtiment, masse de perdition et de damnation, à cause du péché originel. Rom. c. 5, v. 18, l’Apôtre dit que le péché d’un seul est pour la condamnation de tous, et que la justice d’un seul est pour la justification de tous. S’il n’est pas question là d’une condamnation à l’enfer, on ne peut plus dire, comme l’Écriture Sainte, que Jésus-Christ nous a sauvés de l’enfer, de la puissance des ténèbres, de la puissance du démon, etc. ; il faut prendre le terme de rédemption dans un sens métaphorique, comme font les Sociniens et les Pélagiens. 3° Ce même Apôtre dit, comme S. Pierre, que le Baptême nous sauve. De quoi nous sauve-t-il, sinon de l’enfer et du supplice éternel ? Donc quiconque n’a pas reçu ce Sacrement, n’est pas sauvé. 4°. Jésus-Christ, parlant du jugement dernier, ne fait mention que de deux places ; savoir, de la droite, où sont les justes qui sont envoyés à la vie éternelle, et de la gauche, où sont les méchants condamnés au feu éternel. Matt. c. 25, v. 33. Les enfants morts sans Baptême ne peuvent être placés à la droite : donc ils seront à la gauche, et subiront le sort des réprouvé : point de milieu. 5°. Les Conciles d’Afrique, les Papes Innocent Ier, Zozime, Célestin Ier, Sixte III, S. Léon et Gélate, qui ont condamné les Pélagiens ; le Concile général d’Éphèse, qui a confirmé cette condamnation, sont censés avoir approuvé la doctrine de S. Augustin : or, ce saint Docteur a toujours enseigné que les enfants morts sans Baptême sont damnés. 149
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6°. Ç’a été aussi le sentiment de tous les Pères Latins des siècles suivants et des Théologiens, jusqu’à la naissance des Scholastiques. Dans le second Concile de Lyon, qui est la quatorzième général, tenu l’an 1274, il est expressément décidé que les âmes de ceux qui meurent en péché mortel, ou avec le seul péché originel, descendent incontinent en enfer, pour y subir néanmoins des peines différentes ou inégales. Cette même décision est répétée mot pour mot dans le Concile de Florence, tenu l’an 1439, can. 4. C’est une condamnation formelle du sentiment des Scholastiques. 7°. Le Concile de Trente, sess. 5, dans son décret touchant le péché originel, déclare, can. 1, qu’Adam, par son péché, a non seulement perdu la sainteté et la justice originelle, mais qu’il a encouru la colère et l’indignation de Dieu, la mort et la captivité sous la puissance du démon ; can. 2, qu’il a transmis à tout le genre humain, non seulement la mort et les peines du corps, mais le péché qui est la mort de l’âme ; can. 3, que ce péché ne peut être ôté que par les mérites de Jésus-Christ, et qu’ils nous sont appliqués par le Baptême. Or, la mort de l’âme et la captivité sous la puissance du démon entraînent la damnation comme une conséquence nécessaire ; et il n’y a pas d’autre moyen que le Baptême par lequel les mérites de Jésus-Christ puissent être appliqués aux enfants. On ne peut pas nier que ces arguments ne soient très forts, ils prouvent invinciblement que les enfants morts sans Baptême sont exclus du bonheur éternel, et souffrent la peine du dam ; mais ils ne démontrent pas aussi certainement que ces enfants souffrent encore la peine du sens. En voulant trop presser ces raisonnements, l’on s’expose à des inconvénients fâcheux, et l’on pourrait y en opposer d’autres qui ne paraîtraient pas moins concluants. Il n’y a donc aucune nécessité d’embrasser sur cette question le parti le plus rigoureux ; aussi la Faculté de 150
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Théologie de Paris, dans la censure d’Émile, prop. 24 et suiv. édit. in-12, p. 90, a fait remarquer que l’Église catholique laisse la liberté de penser, avec S. Thomas, qu’on n’est point sujet à la peine du sens à cause du seul péché originel, mais que l’on est seulement privé de la vision intuitive de Dieu, qui est un don gratuit, surnanturel, auquel les créatures intelligentes n’ont, de leur nature, aucun droit. Ajoutons que S. Augustin a éprouvé les mêmes embarras que nous au sujet du sort des enfants, sans pouvoir se satisfaire lui-même. Epist. 28 ad Hieron. Et s’il n’ose les exempter de toute peine, il ne les assujettit qu’à la plus légère de toutes. Il ne se hasarde pas même à décider quelle sera la nature de cette peine, ni quel en sera le caractère et l’étendue. L. 5, Contra Jul. c. 5. Il n’ose assurer qu’elle sera pire que l’anéantissement, et qu’il eût mieux valu pour ces enfants n’avoir jamais été. Ibid. Aussi quelques Théologiens estiment, et Gonet entre autres, que la privation de la vision béatifique ne causera aucune douleur ni aucune tristesse à ces enfants infortunés. Cet état sera, en quelque sorte, un état mitoyen entre la récompense et le châtiment ; ce qui ne paraissait point impossible à S. Augustin lui-même. De lib. arb. l. 3, c. 23. Gonet s’appuie encore de l’autorité de S. Grégoire de Nazianze, de S. Grégoire de Nysse et de S. Ambroise. S. Thomas, in 2, dist. 39, q. 2. art. 2, semble insinuer cette façon de penser, et admettre un ordre de providence bienfaisante de la part de Dieu sur ceux même qu’il ne peut récompenser. Si l’on trouve mauvais que des Théologiens qualifient trop rigoureusement les sentiments rigides de l’école, lors même qu’ils ressemblent assez dans l’expression aux erreurs condamnées, ne devrait-on pas avoir le même ménagement pour certaines opinions plus douces, soutenues par des Théologiens respectables, et qui sont très propres à arrêter les incrédules qui se scandalisent de la prétendue dureté du sentiment contraire ? 151
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L’on ne doit néanmoins donner à ces opinions que la valeur qu’elles ont, d’avoir des partisans estimables, et se contenter de prouver par là que le sentiment contraire ne fait pas partie du dogme décidé, très indépendant de ces discussions d’école. Voyez Conférences d’Angers sur les péchés, 2e quest. art. 3.
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CÉLIBAT, CONTINENCE T. I, p. 280b-290a
2 CÉLIBAT, CONTINENCE, état de ceux qui ont renoncé au mariage par motif de religion L’histoire du célibat, considéré en lui-même, l’idée qu’en ont eue les peuples anciens, les lois qui ont été faites pour l’abolir, les inconvénients qui peuvent en résulter dans les circonstances où nous ne sommes point, sont des spéculations étrangères à l’objet de la Théologie. Nous devons nous borner à examiner si l’Église chrétienne a eu de bonnes raisons d’y assujettir ses ministres, et d’en autoriser le vœu dans l’état monastique, si les prétendus avantages qui résulteraient du mariage des Prêtres et des Religieux sont aussi certains et aussi solides qu’on a voulu le persuader de nos jours. [...] Les devoirs d’un Ecclésiastique, surtout d’un Pasteur, ne se bornent point à la prière et au culte des autels ; il doit administrer les Sacrements, surtout la pénitence, instruire par ses discours et par ses exemples, assister les malades. Il est le père des pauvres, des veuves, des orphelins, des enfants abandonnés ; son troupeau est sa famille ; il est le distributeur des aumônes, l’administrateur des établissements de charité, la ressource de tous les malheureux. Cette multitude de fonctions pénibles et difficiles est incompatible avec les soins, les embarras, les ennuis 152
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de l’état du mariage. Un Prêtre qui y serait engagé ne pourrait plus se concilier le degré de respect et de confiance nécessaire au succès de son ministère ; nous en sommes convaincus par la conduite des Grecs envers leurs Papas mariés, et des Protestatnts envers leurs Ministres. L’Église ne force personne à entrer dans les Ordres sacrés ; au contraire elle exige des épreuves, et prend toutes les précautions possibles pour s’assurer de la vocation et de la vertu de ceux qui y aspirent ; ceux qui s’y engagent le font par choix et de leur plein gré, à un âge auquel tout homme est censé connaître ses forces et son tempérament, longtemps après l’époque à laquelle il est habile à contracter mariage. S’il y a des fausses vocations, elles viennent de la cupidité et de l’ambition des séculiers, et non de la discipline ecclésiastique. A qui la continence est-elle pénible ? A ceux qui n’ont pas toujours été chastes, à ceux qu’infecte la déparavation actuelle des mœurs publiques. Il faut retrancher la cause, et la vertu rentrera dans tous ses droits. Lorsqu’il arrive des scandales, ils n’arrivent point de la part des Ouvriers accablés du poids des fonctions ecclésiastiques, mais des intrus que l’intérêt et l’ambition des familles font entrer dans l’Église malgré elle. On nous oppose l’intérêt politique de la société, les avantages qui résulteraient du mariage des Clercs, surtout l’accroissement de la population. Cette discussion ne devrait pas nous regarder, il faut cependant y satisfaire. 1°. Il est faux, toutes choses égales d’ailleurs, que la population soit plus nombreuse dans les pays où le célibat est proscrit. L’Italie, malgré le nombre des Ecclésiastiques et des Moines, est plus peuplée qu’elle n’était sous le gouvernement des Romains ; on peut le prouver non seulement par un passage de S. Ambroise, qui l’assurait déjà de son temps, mais par Pline le Naturaliste, qui avouait que sans les espèces de prisons qui renfermaient les 153
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esclaves, une partie de l’Italie aurait été déserte. S’il y a donc encore aujourd’hui des parties dépeuplées, elles le sont par la tyrannie du gouvernement féodal, et non par l’influence du célibat religieux. Lorsque la Suède était Catholique, elle était plus peuplée qu’elle n’est depuis qu’elle est devnue Protestante. Les cantons Catholiques de l’Allemagne ont autant d’habitants, à proportion, que les pays Protestants. Il en est de même des cantons de la Suisse et de l’Irlande en comparaison de l’Angleterre. On prétend que la France était plus peuplée, il y a deux siècles, qu’elle n’est aujourd’hui ; nous n’en croyons rien : cependant il y avait alors un plus grand nombre d’Ecclésiastiques et de Religieux qu’il n’y en a de nos jours. 2°. Il est absurde d’attribuer le mal à une cause innocente, lorsqu’il y en a d’autres qui sont odieuses et sur lesquelles il faudrait frapper. dans les grandes villes on compte plus de Célibataires voluptueux et libertins que de Prêtres et de Moines, et le nombre des prostituées excède de beaucoup celui des religieuses faut-il épargner le vice pour bannir la vertu ? Dans les campagnes le défaut de subsistance éloigne du mariage les deux sexes, ce n’est pas au célibat des Prêtres que l’on doit s’en prendre. Le luxe qui rend les mariages ruineux, la corruption des mœurs qui y porte l’amertume et l’ignominie, le faste, l’oisiveté, les prétentions des femmes, le préjugé de naissance qui fait éviter les alliances inégales, la multitude des domestiques et des artisans dont la subsistance est incertaine, le libertinage des enfants qui fait redouter la paternité, l’irréligion et l’égoïsme qui ne veulent souffrir aucun joug, etc. voilà les désordres qui, de tout temps, ont dépeuplé l’univers, contre lesquels il faut sévir avant de toucher à ce que la religion a sagement établi. 3°. Les Politiques qui se sont élevés contre le mariage des soldats, ont dit que l’État serait surchargé des veuves et des enfants qu’ils laisseraient dans la misère ; il le serait encore 154
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davantage par les veuves et les enfants des Ecclésiastiques. La plupart des Paroisses de la cmpagne ont bien de la peine à faire subsister un Curé seul, et on veut les charger de la subsistance d’une famille entière ; les pères qui ont un nombre d’enfants conviennent que sans la ressource de l’état ecclésiastique et religieux ils ne sauraient comment placer leurs enfants, et on veut la leur ôter. Il y aurait bien d’autres réflexions à faire sur les dissertations politiques des détracteurs du célibat ; mais nous y répondrons ci-après. [...] Pour ne rien laisser à désirer sur cette question tant rebattue, il nous reste à examiner si le changement de discipline sur ce point produirait des effets aussi avantageux qu’on le prétend. Dans les Annales politiques de 1782, n°. 21, il y a une lettre dont l’Auteur se propose de démontrer, par le calcul, que la suppression du célibat Ecclésiastique et Religieux serait une fausse politique, une puérilité indigne de l’attention d’un grand Législateur, et une innovation sans fruit pour la population. La haine, dit-il, la jalousie, la crédulité, l’enthousiasme réformateur, la rivalité des Philosophes avec le Clergé, ont exagéré jusqu’au ridicule le nombre des Ecclésiastiques et des Moines ; mais voici le résultat des dénombrements les plus exacts. Sur plus de dix millions d’habitants, l’Espagne compte cent soixante mille célibataires Religieux, dont un tiers forme le Clergé séculier ; c’est un et demi pour cent de la génération complète. En Italie, il y a quatorze millions et demi d’individus, et deux cent quatre-vingt mille Ecclésiastiques ; ce sont deux hommes par cent sur la totalité des habitants : mais plus de la moitié d’entre eux se trouvent dans le Royaume de Naples et dans
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les États du Pape ; le reste de l’Italie ne suppose qu’un soixantequinzième ou environ de sujets voués à la religion. Il faut observer que l’Italie a peu de grandes villes qui absorbent la population ; elle n’entretient point d’armées, ni de marine militaire. Un climat doux, un sol fertile, en diminuant les besoins, augmentent les subsistances. Les derniers calculs, faits sous l’administration de M. Necker, ont porté la population de la France à vingt-trois millions cinq cents mille habitants ; en y supposant deux cents mille célibataires religieux, comme l’ont fait les plus grands exagérateurs, c’est moins d’un centième de la nation. Il y a plus. Sur le total de six millions et plus de deux cent mille femmes propres au mariage, il y en a un million et quarante mille qui ne sont point mariées, et on ne peut compter que soixante et dix mille Religieuses ; c’est le quinzième des femmes célibataires. Sur la totalité des hommes, on doit en compter au moins un million qui pourraient être marié et ne le sont pas ; sur ce million il n’y a qu’environ cent trente mille Ecclésiastiques ou Religieux, ce n’est que le dixième. Rendez au monde, continue l’Auteur, tous les hommes enfermés dans les Monastères, ce sera soixante mille célibataires de moins sur un million. Mais tous n’auront pas les facultés, le penchant, la fortune, la vocation, nécessaires au lien conjugal. Les cadets de famille, les vieillards, les infirmes, ceux qui préférereont la liberté et l’indépendance du célibat au joug du mariage, etc. sont à retrancher ; et c’est au moins une moitié. Vous gagnerez donc, sur un million d’habitants, environ trente mille sujets, sur lesquels la mort, la pauvreté, l’abstinence forcée prendront leurs tributs : voilà à quoi se réduisent les romanesques visions des déclamateurs.
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La seule Capitale renferme plus de Domestiques qu’il n’y a de Religieux dans tout le Royaume ; le nombre des ces esclaves du luxe, dans toute l’étendue de la France, est un douzième de la population. Aux serviteurs le mariage est interdit comme nuisible à l’intérêt des maîtres : dans les femmes on tolère le libertinage et non la fécondité légitime. Le célibat forcé des domestiques est un foyer de désordres, celui des Ecclésiastiques est contraint dans ses penchants par la sainteté de son institut, par la crainte de la honte, par l’honneur du corps ; un Religieux a devant lui dix exemples de vertu pour un de dépravation. Deux cent cinquante mille Soldats ou Matelots sont enlevés sur la population, et l’on choisit les individus les plus capables des services civils. La débauche, les maladies honteuses empoisonnent les armées, tandis que la désertion les diminue. Comptez les mendiants, les Employés des fermes, les Rentiers, les Journaliers, la nuée des Gens de Lettres, mais surtout les Philosophes : l’esprit philosophique, qui n’est autre chose que l’esprit d’égoïsme, fut toujours antipathique du mariage. Voyez nos mœurs, nos Capitales, nos ménages ; observez le luxe dans ses gigantesques progrès, le concubinage impossible à réprimer, la puissance maritale et paternelle de jour en jour plus relâchée et plus insupportable, le ton et la conduite des femmes, flattezvous ensuite que la propagation de l’espèce va couvrir la terre, lorsque cinquante mille Moines auront renoncé au vœu du célibat. Il existe dans le Royaume deux fois autant de prostituées que de Religieuses ; lesquelles sont les plus funestes à la population ? Depuis 1766 jusqu’en 1775, le nombre des enfants trouvés à Paris est augmenté d’un tiers. La Noblesse des villes produit peu de mariages et encore moins d’enfants ; nos lois et nos usages ont candamné les cadets à l’indigence et au célibat : les Monastères ou les Ordres sont donc une ressource pour la Noblesse des deux sexes ; ils recueillent 157
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les célibataires produits par le désordre de la société, mais ils ne les engendrent pas. Il vaudrait donc mieux réduire notre état militaire, renvoyer la moitié des gens de livrée dans les campagnes, avoir deux tiers moins d’Avocats, de Procureurs, d’offices de finances, d’Huissiers, d’Auteurs, etc. et conserver les Moines. Cela est impraticable sans doute ; et c’est là le mot de tous les beaux plans de réforme qu’on nous étale dans les livres et que l’on prône dans les nouvelles publiques. Nous chérissons nos vices et nous en indiquons le remède. On déclame contre le luxe, lorsque le luxe ne peut plus être réprimé ; on disserte sur l’éducation, lorsque l’abus de la société efface de plus en plus les caractères ; on peuple les États dans des brochures, sans observer l’action irrésistible des mœurs et des usages sur les vraies sources de la population. L’Auteur des Recherches Philosophiques sur le célibat1, s’écrie : « Voyez les États Protestants, ils fourmillent de bras, et la Catholicité de déserts ». Vingt autres ont fait cette comparaison. Mais en Suisse, le plus peuplé des cantons est celui de Soleure, et il est Catholique ; il a des Ecclésiastiques, des Moines et des Religieuses ; si la Sicile est pleine de masures, c’est l’effet du gouvernement féodal, le plus atroce et le plus destructeur qu’ait inventé l’usurpation. Les Pays-Bas Catholiques, les riches Républiques d’Italie étaient-elles dépeuplées dans le quinzième et le seizième siècle ? Avaient-elles moins de prospérité que la Hollande ? La Prusse est-elle plus féconde en habitants que le Palatinat, et la Suède que la Lombardie ? La fertilité du sol, la position topographique et le gouvernement ont une toute autre force que les Couvents. 1. Abbé Jacques Gaudin, Recherches philosophiques et historiques sur le célibat des prêtres, Londres, 1783. 158
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Réformer et non pas détruire, telle doit être la maxime de tout homme qui spécule en politique. Changez des asiles inutiles en nhospices de la pauvreté, de l’âge, de la douleur, du repentir et de l’abnégation ; la société pourra y gagner, mais non sa population. L’amour du paradoxe n’inspire point cette opinion ; quand on se défend avec des chiffres, on ne peut guère être soupçonné d’imposture. Il nous paraît que cet Auteur ne craint pas d’être réfuté ; s’il se trompe, il est très à propos de démontrer son erreur. L’Auteur de l’article célibat, dans le Dictionnaire de jurisprudence, a copié les Diatribes de l’Abbé de Saint-Pierre, placées dans l’ancienne Encyclopédie, et il y a joint ce que les Protestants ont dit dans celle d’Yverdon. Nous ne pouvons nous dispenser de relever quelques-unes des contradictions de cet article. Après avoir soutenu que le célibat était proscrit chez les Juifs en vertu de la prétendue loi, croissez et multipliez, on nous assure qu’Élie, Élizée, Daniel et ses trois compagnons vécurent dans la continence. Voilà donc des Prophètes, des amis de Dieu, qui ont violé publiquement la loi de Dieu portée dès la création. L’on nous vante les lois que les Grecs et les Romains avaient faites contre le célibat, l’espèce d’infamie dont ils l’avaient noté, les privilèges qu’ils accordaient aux personnes mariées ; cependant l’on nous fait observer que tous les peuples ont attaché une idée de sainteté et de perfection à la continence observée par motif de religion ; il n’est donc pas vrai que toute espèce de célibat ait été noté d’infamie. D’un côté, on dit qu’il n’y a guère d’hommes à qui le célibat ne soit difficile à observer, que les célibataires doivent être tristes et mélancoliques ; de l’autre, on cite une harangue de Metellus Numidicus, adressée au peuple Romain, dans laquelle il avoue que c’est un malheur de ne pouvoir se passer de femmes ; que la nature a établi que l’on ne peut guère vivre heureux avec elles. Pour être heureux, il faudrait donc n’être ni marié ni 159
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célibataire. Un de ces oracles dit que, dans le Christianisme, la loi du célibat pour les Ecclésistiques, est aussi ancienne que l’Église, que Dieu l’a jugé nécessaire pour approcher plus dignement de ses autels ; un autre prétend que le célibat n’était que de conseil, et que malgré ce qu’en a pensé le Concile de Trente, la question que nous examinons est purement politique. Dans la même page on lit qu’en Occident le célibat était prescrit aux Clercs, et qu’il était libre dans l’Église latine ; il faut donc que celle-ci ne soit pas la même que l’Église d’Occident. Ce que disait l’Abbé de Saint-Pierre, que les Ministres Protestants sont aussi respectés du peuple que les Prêtres Catholiques, est absolument faux. Il est certain, par cent exemples, que les protestants sensés, même les Souverains, ont toujours témoigné plus de respect pour les Prêtres Catholiques dont ils connaissaient les mœurs, que pour leurs propres Ministres ; on sait d’ailleurs qu’en Angleterre le bas Clergé est très méprisé. Londres, tome 2, p. 241. Nous n’avons garde de blâmer ce qui est dit dans cet article contre le célibat volontaire ou forcé des séculiers ; mais les moyens que l’on propose pour y remédier sont à peu près impraticables, et ceux que l’Abbé de Saint-Pierre avait rêvés pour prévenir les inconvénients du mariage des Prêtres sont aburdes. Les ennemis du célibat Ecclésiastique et Religieux n’ont donc épargné, pour l’attaquer, ni les contradictions, ni les impostures ; en voici encore un exemple récent. Dans le Journal Encyclopédique, du 15 mars 1786, p. 509, on a placé une lettre d’Æneas Sylvius, qui devint Pape sous le nom de Pie II, l’an 1458, dans laquelle on prétend qu’il a justifié le libertinage de sa jeunesse, et dans laquelle il s’élève contre le célibat des Prêtres ; c’est la 15e du Recueil de ses lettres. Mais dans l’Année Littéraire de cette même année, n°. 15, un Savant a prouvé, 1°. que le Journaliste a traduit infidèlement la 160
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lettre d’Æneas Sylvius, et qu’il y a mis du sien les deux phrases les plus fortes contre le célibat des Prêtres. 2°. Que cette 15e lettre a été écrite dans la jeunesse de l’Auteur, longtemps avant qu’il fût engagé dans les Ordres sacrés. 3°. Que pendant son pontificat il a désavoué et rétracté ce qu’il avait écrit autrefois dans l’effervescence des passions. Dans sa lettre 395, adressée à Charles Cyprianus, il dit : Méprisez et rejetez, ô mortels, ce que nous avons écrit dans notre jeunesse au sujet de l’amour profane ; suivez ce que nous vous disons à présent. Croyez-en un vieillard plutôt qu’un jeune homme, un Pontife plutôt qu’un simple particulier, Pie II plutôt qu’Æneas Sylvius. 4°. Que Flaccus Illyricus, sur la foi de Platine et de Sabellicus, attribue mal à propos à ce Pape la maxime suivante, savoir, que le mariage a été interdit aux Prêtres pour de bonnes raisons, mais qu’il y en a de meilleures pour le leur rendre. Il est démontré au contraire qu’il n’y en a aucune de toucher à l’ancienne discipline, et que toutes sortes de raisons engagent à la conserver. Voyez VIRGINITÉ .
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CERTITUDE T. I, p. 305a-307b
2 Nous laissons aux Philosophes le soin de distinguer les différentes espèces de certitude, d’en établir les règles, de répondre aux objections des Sceptiques et des Pyrrhoniens. La seule question qui regarde directement les Théologiens, est de savoir si les règles de certitude sont applicables aux faits surnaturels comme aux autres ; si nous pouvons être aussi certains d’un miracle que nous le sommes d’un fait naturel ; si les mêmes preuves, qui suffisent pour nous convaincre de l’un, ne sont pas plus suffisantes pour nous faire croire l’autre. 161
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Malgré la multitude des sophismes par lesquels les incrédules ont embrouillé cette question, il nous paraît évident, 1°. que par le sentiment intérieur un homme sensé peut être métaphysiquement certain d’un miracle opéré sur lui-même, en avoir autant de certitude que de sa propre existence. Le paralytique de trente-huit ans, guéri par Jésus-Christ, avait cette certitude métaphysique de l’impuissance dans laquelle il avait été de marcher et de se mouvoir, du pouvoir qu’il en avait reçu de Jésus-Christ, et dont il faisait actuellement usage ; du passage subit qu’il avait fait du premier de ces états au second, sans remèdes, sans préparatifs, sans y avoir contribué lui-même en rien : ici l’illusion ne peut avoir lieu. Que ce passage ou ce changement fût surnaturel et miraculeux, c’est une conséquence évidente qu’il pouvait tirer, sans craindre d’y être trompé ; il n’est pas nécessaire d’être Philosophe, Médecin ou Naturaliste pour le sentir. On aura beau dire qu’il y a des rêves d’imagination, qui font sur nous la même impression que les faits réels ; que plusieurs personnes saines se sont crues malades ; que plusieurs malades se croient guéris sans l’être : il n’est arrivé à personne de rêver pendant trente-huit ans qu’il était paralytique, ou de croire qu’il marchait pendant qu’il était dans l’impuissance de se mouvoir. Entreprendra-t-on de nous prouver que jamais nous ne sommes absolument certains si nous sommes sains ou malades, impotents ou valides ? 2°. Ceux qui avaient vu ce paralytique pendant trente-huit ans ; qui avaient aidé à le porter et à le mouvoir ; qui le voyaient marcher et emporter son grabat, étaient, par le témoignage de leurs sens, physiquement certains de ces mêmes faits. L’illusion ne pouvait pas plus avoir lieu pour eux que pour le malade même. Un homme ne peut tromper tous les yeux, pendant trentehuit ans, par une paralysie feinte ; les yeux d’une multitude d’hommes ne peuvent être fascinés au point de leur faire croire 162
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qu’un homme marche et agit pendant qu’il est immobile, ou de leur faire prendre à tous, par un même homme, deux hommes différents. Où en serions-nous ? la société pourrait-elle subsister, si le témoignage de nos yeux, sur des faits aussi palpables, n’était pas physiquement certain, et pouvait nous induire en erreur ? On peut nous étonner un moment par des dissertations sur les artifices des fourbes, sur les prestiges des jongleurs, sur la ressemblance des visages, etc. Sans aucun effort de logique, nous sentons que les prestiges ne peuvent nous en imposer au point de nous rendre incertains si un homme, avec lequel nous vivons habituellement, est toujours lui-même et non un autre. Ces témoins oculaires étaient donc certains du miracle, par le même raisonnement évident que faisait le paralytique. 3°. Le témoignage réuni de cette multitude de témoins oculaires donnait, à ceux qui n’avaient pas vu le miracle ni le paralytique, une certitude morale complète de ces mêmes faits. Ils sentaient qu’un grand nombre de témoins, qui n’avaient aucune part ni aucun intérêt à ce miracle, ne pouvaient avoir formé contre eux le complot de tromper leurs concitoyens, pour le seul plaisir de mentir ; que tous ne pouvaient avoir eu les yeux fascinés et l’esprit saisi du même délire ; que la simplicité, l’uniformité, la constance de leur témoignage, était une preuve irrécusable contre laquelle le pyrrhonisme se trouvait désarmé. Si la déposition des témoins oculaires a donné aux contemporains une certitude morale du miracle, ce même témoignage, mis par écrit, sous les yeux des contemporains, et transmis aux générations suivantes, par une histoire qui a toujours été lue, connue et regardée comme incontestable, nous donne du fait la même certitude que nous avons de tous les autres faits passés, soit naturels, soit surnaturels.
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Il serait absurde de soutenir qu’un fait métaphysiquement certain pour celui qui l’éprouve, physiquement certain pour ceux qui le voient, moralement certain pour ceux qui le tiennent des témoins oculaires, ne peut pas l’être pour les générations suivantes ; le surnaturel du fait ne peut pas plus influer sur la narration des Historiens, que sur les yeux de ceux qui voient, et sur le sentiment intérieur de celui qui éprouve. C’est cependant la thèse qui a été soutenue de nos jours avec toute la gravité et toute la philosophie possibles. On a écrit et répété plus d’une fois qu’en fait de miracles, aucun témoignage n’est admissible ; que l’amour du merveilleux, la vanité d’avoir vu un prodige et de pouvoir le raconter, le fanatisme de religion, la crédulité du peuple en ce genre, rendent toute attestation suspecte ; que dès qu’il s’agit de religion, l’on ne peut plus compter sur la sincérité, le discernement, le bon sens d’aucun témoin. C’est comme si l’on avait dit que personne n’est croyable dans l’univers, excepté les athées et les incrédules. Par la même raison, il aurait encore fallu soutenir qu’à l’égard d’un fait surnaturel tous les sens nous trompent, et que le sentiment intérieur est fautif ; que quand un homme aurait éprouvé sur lui-même un miracle, il ne pourrait le savoir ni en être certain. C’est dommage que l’on n’ait pas encore poussé la philosophie jusque là. Les Théologiens ont répondu, que si les hommes étaient tels que les incrédules le prétendent, il serait fort surprenant que l’on ne vît pas éclore tous les jours de nouveaux miracles ; la vanité et la fourberie dans les uns, la crédulité et l’enthousiasme dans les autres, ne manqueraient pas de les accréditer ; cependant ils sont très rares ; lorsqu’on en publie, nous ne voyons pas qu’ils produisent de grands effets ; ceux que l’on a vantés, au commencement de ce siècle, n’ont pas eu un grand nombre de partisans. 164
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Mais, ou les incrédules prennent le change, ou ils veulent nous le donner. Que les hommes soient avides de miracles favorables aux opinions qu’ils ont embrassées, à la religion dans laquelle ils sont nés, on peut le supposer ; mais qu’ils soient enclins à forger ou à croire des prodiges contraires à leurs préjugés et à leur persuasion, c’est un paradoxe absurde. Essayez, si vous pouvez, de persuader à un Catholique que les hérétiques font des miracles, à un protestant qu’il s’en fait dans l’Église Romaine, à un Juif ou à un Turc qu’il y a des Thaumaturges parmi les Chrétiens ; vous verrez si l’amour du merveilleux, l’enthousiasme, la crédulité font beaucoup d’effet sur ces gens-là. Les Juifs, entêtés de leurs préjugés et de leurs espérances, n’étaient pas fort disposés à recevoir des miracles opérés pour les détromper ; ils faisaient comme nos incrédules, pour les croire ils voulaient les voir ; lorsqu’ils les avaient vus, ils les attribuaient à l’esprit de ténèbres. Les Païens, prévenus d’un profond mépris pour les Juifs, n’étaient pas fort enclins à croire que des Juifs opéraient des miracles, pour prouver la fausseté du Paganisme, et à s’exposer au plus grand danger en les admettant. Cependant les uns et les autres ont cédé à l’évidence de cette preuve, et plusieurs ont versé leur sang pour la confirmer. La vanité, la fourberie, l’amour du merveilleux, la crédulité, le fanatisme, ont-ils coutume d’aller jusque là ? Voilà donc un raisonnement auquel les incrédules ne répondront jamais : un miracle est susceptible de la certitude métaphysique pour ceux qui le sentent ; donc il est aussi susceptible de la certitude morale pour ceux auxquels il est rapporté, soit de vive voix, soit par écrit ; et surtout, lorsqu’il est encore prouvé par les effets desquels on ne peut pas douter. Il nous paraît que sur cette question les incrédules confondent deux choses très différentes, la répugnance qu’ils ont de croire un fait surnaturel, avec l’incertitude de ce même fait. Mais si la 165
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certitude des faits diminuait à proportion du degré d’opiniâtreté des incrédules, il n’y aurait plus rien de certain dans le monde. Proposez-leur un fait naturel inoui, qui est arrivé pour la première fois, mais qui leur est indifférent, ils le croient sans difficulté dès qu’il est prouvé. Racontez-leur un autre fait naturel, revêtu des mêmes preuves, mais qui choque leurs opinions et leur système, ils contesteront sur chacune des preuves, et soutiendront qu’il n’est pas certain. S’il s’agit d’un fait surnaturel, encore mieux prouvé, ils le rejettent sans examen ; ils déclarent que quand ils le verraient, ils ne le croiraient pas. Je suis plus sûr, dit l’un d’entre eux, de mon jugement que de mes yeux2 . Et moi je vous soutiens que vous êtres plus sûr de vos yeux que de votre jugement. Vous avez été Chrétien pendant une bonne partie de votre vie, vous jugiez donc que le Christianisme est prouvé. Vous y avez renoncé pour embrasser le Déisme, vous avez donc été persuadé que votre jugement vous avait trompé sur vingt questions. Après avoir soutenu le Déisme de toutes vos forces, vous avez passé à l’Athéisme et au Matérialisme ; vous avez donc reconnu que votre jugement était encore faux sur toutes les prétendues preuves du Déisme. Comptez, je vous prie, de combien d’erreurs vous le trouvez coupable. Citez-moi une seule occasion dans laquelle vos yeux vous aient trompé sur un objet mis à leur portée, par exemple, sur l’identité d’un personnage avec lequel vous avez habituellement vécu. Cette maxime même : je suis plus sûr de mon jugement que de mes yeux, est la démonstration complète de la fausseté de votre jugement. Une seconde question est de savoir si, en fait de miracles, la certitude morale, complète et bien établie, ne doit pas prévaloir à la prétendue certitude physique, qui n’est qu’une expérience négative, ou plutôt une pure ignorance. Nos Philosophes modernes l’ont prétendu, et l’on ne peut pas abuser des termes 2. Diderot, Pensées philosophiques (1746), L. 166
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d’une manière plus révoltante. Nous avons, disent-ils, une certitude physique absolue, une expérience infaillible de la constance du cours de la nature, puisque nous en sommes convaincus par le témoignage de nos sens ; c’est ainsi que nous savons que le soleil se lèvera demain, que le feu consume le bois, qu’un homme ne peut pas marcher sur les eaux, qu’un mort ne revient point à la vie, etc. La certitude morale, poussée au plus haut degré, ne peut pas prévaloir à une certitude physique sur laquelle nous sommes forcés de nous reposer dans toutes les circonstances de notre vie. Quelques réflexions suffisent pour démontrer la fausseté de cet argument. 1°. Il est faux que le témoignage de nos sens nous donne une certitude absolue de la constance du cours de la nature, si nous n’admettons pas une providence. Aussi les Matérialistes qui la nient, soutiennent gravement que nous ne sommes pas sûrs si le cours de la nature a toujours été et sera toujours tel qu’il est ; si dans quelques moments l’univers ne retombera point dans le chaos ; s’il ne naîtra point de ses débris un nouvel ordre de choses, et des générations qui n’auront rien de commun avec celles que nous connaissons, etc. C’est donc uniquement sur la sagesse et la bonté de la providence, que nous nous reposons touchant la constance des lois qu’elle a établies ; nous savons qu’elle n’y dérogera point sans raison et sans nous en avertir ; mais comment sommes-nous assurés qu’elle s’est ôtée à elle-même le pouvoir d’en suspendre le cours pendant quelques moments, pour un plus grand bien ; qu’elle ne l’a jamais fait, et qu’elle ne le fera jamais ? Quelle certitude nos sens et notre prétendue expérience peuvent-ils nous donner sur ce point ? 2°. Si c’était là une véritable certitude physique, ferme et invincible, il s’ensuivrait que celui qui est témoin oculaire d’un miracle ne doit pas y croire, ni se fier au témoignage de ses yeux ; que celui même qui éprouve en lui une guérison miraculeuse, 167
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ne peut s’en tenir au sentiment intérieur qui la lui atteste. Nos Sceptiques obstinés porteront-ils l’opiniâtreté jusque là ? En raisonnant comme eux, un Nègre est en droit de nier absolument tout ce qu’on lui dit de l’eau glacée sur laquelle un homme peut marcher ; ceux qui ont entendu parler de la renaissance des têtes des limaçons pour la première fois, étaient très bien fondés à traiter d’imposteurs les Physiciens qui attestaient ce phénomène. À plus forte raison, un aveugle-né, à qui tout ce que l’on dit des couleurs, d’un miroir, d’une perspective, paraît impossible et contradictoire, doit-il se raidir contre la certitude morale de tous ces phénomènes, fondée sur le témoignage constant et uniforme de tous ceux qui ont des yeux. 3°. Il est clair, par tous ces exemples, que ce qu’il plaît à nos Philosophes d’appeler expérience constante et certitude physique absolue, n’est dans le fond qu’un défaut d’expérience et une pure ignorance. Parce que nous n’avons jamais vu tel ou tel phénomène, s’ensuit-il que personne au monde ne l’a vu non plus, et que notre ignorance, sur ce point, doit prévaloir au témoignage positif de leurs yeux ? Voilà néanmoins l’absurdité sur laquelle on a fait, de nos jours, de savantes dissertations ; et c’est par là que d’habiles Protestants ont cru détruire toute certitude du miracle de la transsubstantiation. Aussi les incrédules, invinciblement réfutés sur toutes les objections qu’ils avaient faites contre la certitude des miracles, ont été forcés de soutenir qu’ils sont impossibles de se jeter dans l’hypothèse de la nécessité, de la fatalité, du matérialisme. Voyez FAITS, MIRACLES.
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DÉMON T. I, p. 509a-512a
2 Esprit, génie, intelligence ; le nom grec daímôn vient de daíô, connaître ; il signifie un être doué de connaissance ; ainsi ce terme n’a rien d’odieux dans son origine. Un préjugé universellement répandu chez tous les peuples a été de croire toute la nature animée, remplie de génies ou esprits qui en dirigeaient les mouvements. Comme on leur supposait une force et des connaissances supérieures à celles de l’homme, que l’on éprouvait de leur part du bien et du mal, on a cru que ces génies étaient les uns bons, les autres mauvais ; on a conclu qu’il fallait, par des respects, par des prières, par des offrandes, gagner l’a ffection des premiers, apaiser la colère et la malignité des seconds. De là le Polythéisme, l’Idolâtrie, les pratiques superstitieuses, la divination, etc. Voyez PAGANISME . Cette opinion ne fut pas seulement celle du peuple et des ignorants, mais celle des Philosophes, des Pythagoriciens, des Platoniciens, des Orientaux. Tous admirent des Dieux, des Génies, ou des Démons de plusieurs espèces, des esprits mitoyens entre la Divinité et l’âme humaine, les uns bons, les autres mauvais. Il paraît que ces Philosophes ne regardaient pas ces êtres comme de purs esprits, mais comme des intelligences revêtues au moins d’un corps aérien et subtil ; quelques-uns les croyaient mortels, d’autres les supposaient immortels, et on leur attribuait une nature et des inclinations à peu près semblables à celles des hommes. Sur un fait aussi obscur et auquel l’imagination avait la plus grande part, les opinions ne pouvaient pas être uniformes. On voyait dans l’univers une infinité de phénomènes, qu’il n’était pas possible d’expliquer par un mécanisme ; d’autre côté, l’on ne concevait pas que Dieu 169
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les produisît immédiatement par lui-même, quelques-uns ne s’accordaient pas avec ses divines perfections ; l’on était donc forcé de recourir à des gens intermédiaires plus puissants que l’homme, mais inférieurs à Dieu. Les Juifs trouvaient cette opinion fondée sur les livres saints ; l’on y voit la distinction d’esprit des deux espèces ; les uns bons et fidèles à Dieu sont nommés ses Anges ou les Messagers ; les autres méchants sont représentés comme les ennemis des hommes. À la vérité, Moïse n’en parle pas dans l’histoire de la création ; mais il nous apprend que la première femme fut engagée à désobéir à Dieu par un ennemi perfide, caché sous la forme du serpent. Gen. c. 3, v. 1. Dans le Deut. c. 32, v. 17, il dit que les Israélites ont immolé leurs enfants aux esprits méchants et malfaisants. Schedim, le Psalmiste, en dit autant, ps. 106, v. 37 ; toutes les anciennes versions traduisent ce terme Démons. Dans le livre de Job, c. 1, v. 12, Satan, ou l’ennemi auquel Dieu permet d’a ffliger ce saint homme, est un esprit malin ; le Prophète Zacharie, c. 3, v. 1 et 2, le nomme aussi Satan [...]. Quelques incrédules ont assuré que les Juifs n’avaient aucune idée des Démons avant d’avoir fréquenté les Chaldéens ; mais les livres de Moïse, celui de Job, ceux des Rois ont été écrits avant que les Juifs pussent consulter les Chaldéens, et dans un temps où ces deux peuples étaient ennemis déclarés. Job, c. 1, v. 17. Est-ce chez les Chaldéens que les Chinois, les Nègres, les Lapons, les Sauvages de l’Amérique ont puisé la notion des esprits bons ou mauvais ? Cette idée est commune à tous les peuples, elle ne leur est pas venue par emprunt, mais par l’inspection des phénomènes de la nature, et par la révélation primitive. Dans le Nouveau Testament, le nom du Démon est toujours pris en mauvaise part, excepté Act. c. 17, v. 18 ; partout ailleurs il signifie un esprit méchant, ennemi de Dieu et des hommes. Jésus-Christ et ses Apôtres lui attribuent les grands crimes, 170
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l’incrédulité des Juifs, la trahison de Judas, l’aveuglement des Païens, les maladies cruelles, les possessions et les obsessions. Ils le nomment le père du mensonge, le Prince de ce monde, le Prince de l’air, l’ancien serpent, Satan ou le Diable ; ils nous font entendre qu’il était l’objet du culte des Païens. I. Cor. c. 10, v. 20, etc. Jésus-Christ souffrit d’être tenté par le Démon, mais il le chassait du corps des possédés, et il donna le même pouvoir à ses Disciples ; il déclara que, par sa mort, le Prince de ce monde serait chassé et désarmé, etc. S. Pierre, S. Jude et S. Jean nous apprennent que les Démons sont des anges prévaricateurs que Dieu a chassés du ciel, qu’il a précipités dans l’enfer, où ils sont tourmentés, et qu’il les réserve pour le jour du Jugement. II. Petri, c. 2, v. 4 ; Judœ, v. 6 ; Apoc. c. 12, v. 9 ; c. 20, v. 2, etc. L’opinion des Juifs, qui attribuaient au Démon les maladies extraordinaires et terribles, comme l’épilepsie, la catalepsie, la frénésie, les convulsions des lunatiques, etc. n’était donc pas absolument mal fondée ; loin de la combattre, Jésus-Christ l’a plutôt confirmée, en commandant aux Démons de sortir des corps, en leur permettant de s’emparer d’un troupeau de pourceaux, en donnant à ses Disciples le pouvoir de les chasser, en attribuant à ces esprits impurs des discours et des actions qui ne pouvaient pas convenir à des hommes. Si cette persuasion des Juifs avait été une erreur, Jésus-Christ, sagesse éternelle, envoyé pour instruire les hommes, n’aurait pas voulu les y entretenir ; il aurait cherché plutôt à les détromper. Les Pères de l’Église ont fait remarquer qu’à la venue du Sauveur Dieu avait permis au Démon d’exercer son empire et sa malignité d’une manière plus sensible qu’auparavant, parce que la victoire éclatante que Jésus-Christ et ses Disciples devaient remporter sur lui, était le moyen le plus capable de confondre les Saducéens, de dissiper l’aveuglement des Païens, de leur apprendre que le Démon était
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l’ennemi de leur salut, et non une Divinité digne de leur culte. C’est en effet ce qui est arrivé. Aussi en faisant l’apologie du Christianisme, et en écrivant contre les Philosophes, les Pères de l’Église ont souvent insisté sur ce point ; ils ont fait valoir contre les Païens le pouvoir qu’avait tout Chrétien de chasser le Démon du corps des possédés, de déconcerter ses prestiges et les opérations des Magiciens, de les forcer même à confesser ce qu’il était. Nous ne voyons pas qu’aujourd’hui des défenseurs du Paganisme aient essayé de répondre à cet argument. Cependant l’on en fait aujourd’hui un crime aux Pères de l’Église ; ils ont cru comme les Païens, disent nos Critiques modernes, que les Démons étaient des êtres corporels, qu’ils recherchaient le commerce des femmes, qu’ils étaient avides de la fumée des victimes et des parfumes, que c’était pour eux une espèce de nourriture, qu’ils excitaient les persécuteurs à sévir contre les Chrétiens, parce que ceux-ci travaillaient à faire retrancher les sacrifices et les offrandes. Ainsi ont pensé S. Justin, Tatien, Minutius Félix, Athénagore, Tertullien, Julius Firmicus, Origène, Synesius, Arnobe, S. Grégoire de Nazianze, Lactance, S. Jérôme, S. Augustin, etc. Ce préjugé a fait conserver dans le Christianisme une partie des superstitions du Paganisme, les conjurations, les exorcismes, la confiance aux formules de paroles, conséquemment la théurgie, la magie, les sortilèges, les amulettes, etc. Cette plainte, qui retentit dans les écrits des plus habiles Protestants, est-elle sensée ? 1°. La divination, les sortilèges, la magie, la confiance aux paroles efficaces, la croyance aux enchantements et aux amulettes, régnaient parmi les Païens avant la naissance du Christianisme ; on les retrouve encore chez les nations ignorantes et barbares, d’un bout de l’univers à l’autre. Ce ne sont certainement ni les Philosophes Platoniciens, ni les Pères de l’Église qui les y ont 172
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fait éclore ; ainsi la conjecture de nos savants Critiques est fausse à tous égards. Les Pères se sont opposés de toutes leurs forces à tous ces abus, ils en ont fait rougir les Philosophes de leur temps ; c’est donc une injustice et une absurdité de prétendre que les Pères ont contribué à les entretenir; nous soutenons au contraire qu’ils ne pouvaient mieux s’y prendre pour les déraciner. 2°. En effet, que devaient-ils faire ? Fallait-il soutenir, comme les Épicuriens, les Saducéens et les Matérialistes, que les Démons sont des êtres imaginaires ; que, s’il y en a, ils n’ont aucun pouvoir, qu’ils ne peuvent agir ni sur les hommes, ni sur la nature ? Il fallait donc contredire l’Écriture Sainte, blâmer la conduite de JésusChrist et des Apôtres, s’exposer à la dérision des Philosophes, qui avaient puisé dans les écrits des Anciens leur croyance sur l’existence et sur la nature des Démons, et qu’il était impossible de réfuter par des arguments philosophiques. Nos savants Disputeurs y auraient encore moins réussi que les Pères. Le plus court était donc de s’en tenir aux leçons et aux exemples de Jésus-Christ et des Apôtres, qui ont exorcisé, chassé et confondu les Démons, puisqu’encore une fois les Philosophes n’ont pu rien opposer à ce fait incontestable. Si c’est une superstition, ce ne sont pas les Pères qui en sont les auteurs, mais Jésus-Christ et les Apôtres. Aussi les incrédules, meilleurs Logiciens que les Protestants, ne s’en prennent pas aux Pères de l’Église, mais à Jésus-Christ lui-même ; et c’est ainsi qu’en toutes choses les Protestants sont les précepteurs des incrédules. Mosheim, dans ses notes sur Cudworth, C. 5, §. 82, fait vainement tous ses efforts pour prouver que ce qu’il dit contre les Pères ne favorise point les incrédules. Lui-même, §. 84 et 89, est forcé d’avouer qu’il n’y a aucune raison démonstrative qui prouve que jamais Dieu n’a permis au Démon de rendre aucun oracle, ni faire aucun prodige, pour confirmer les Païens dans leur fausse religion. Donc il a tort de blâmer les Pères. 173
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3°. Supposons que les Pères ont mal raisonné sur les passages de l’Écriture Sainte, où il est question des opérations corporelles des Démons, qu’ils ont eu tort d’attribuer à ces esprits des corps légers, les goûts et les inclinations de l’humanité. Cette erreur, purement spéculative sur une question très obscure, ne déroge à aucun dogme de la foi chrétienne. Il ne s’ensuit pas que les Démons sont, par leur nature, des êtres matériels, ou sortis du sein de la matière, mais qu'ils ont besoin d'être revêtus d'un corps subtil, lorsque Dieu leur permet d'agir sur les corps. 4°. Nous savons très bien que dans toutes les questions philosophiques, ou autres, il y a un milieu à garder ; mais nous ne voyons pas que les Protestants l'aient mieux trouvé que les Pères. Sur la fin du dernier siècle, Becker, Ministre Protestant, fit un livre intitulé le Monde enchanté, où il entreprit de prouver que les esprits ne peuvent agir sur les corps, que tout ce que l’on dit de leurs apparitions, de leurs opérations, de la magie, des sorciers, des possédés, etc., sont ou des délires de l’imagination, ou des fables forgées par des imposteurs pour tromper les ignorants ; que le Démon, depuis sa chute, est renfermé dans les enfers, d’où il ne peut sortir pour venir tenter ni tourmenter les hommes. Cet Auteur fut non seulement censuré par le Consistoire d’Amsterdam, et interdit de ses fonctions, mais réfuté par plusieurs Protestants. On lui fit voir qu’il tordait le sens des passages de l’Écriture Sainte pour les ajuster à son système, qu’il accusait d’imposture les personnages les plus respectables, que ses principes touchant l’influence des esprits sur les corps allient droit au Matérialisme. Cela n’a pas empêché que Becker ne trouvât des imitateurs et des défenseurs, soit en Hollande, soit en Angleterre. Si les Pères ont donné dans l’excès opposé, ils sont beaucoup plus excusables que tous ces raisonneurs,
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qui se jouent de l’Écriture Sainte comme il leur plaît. Nous examinerons leurs raisons dans l’article suivant3. On objecte que Dieu ne peut pas permettre aux Démons de nuire à des créatures qu’il destine au bonheur. Il ne peut pas, sans doute, leur laisser une liberté absolue et sans bornes, telle que les Païens l’attribuaient à leurs prétendus Dieux ou Démons ; il restreint cette liberté et ce pouvoir comme il lui plaît, il donne à l’homme, par sa grâce, les forces nécessaires pour combattre et pour vaincre. Il n’est pas plus indigne de Dieu de punir les pécheurs, ou d’éprouver les justes par les opérations du Démon, que de le faire par les fléaux de la nature. En général, les lumières de la Philosophie sont trop courtes pour savoir ce que Dieu peut ou ne peut pas permettre ; c’est à lui de nous apprendre ce qu’il fait, et ce que nous devons croire. Depuis que Jésus-Christ a détruit, par sa mort, l’empire du Démon, il ne convient plus d’exagérer le pouvoir de cet esprit impur, surtout à l’égard d’un Chrétien consacré à Dieu par le Baptême, et soustrait ainsi à la puissance des ténèbres ; cette imprudence est capable de produire deux effets pernicieux, l’un de persuader aux imaginations faibles que le démon les obsède ; l’autre de leur faire conclure que leurs péchés ne sont pas libres... « Chacun, dit S. Jacques, est tenté par sa propre convoitise... Résistez au Démon, et il s’enfuira ». Ch. 1, v. 14 ; ch. 4, v. 7. [...] La rêverie de l’Anglais Gale, qui a prétendu que l’idée du Démon, et de ses opérations, a été formée sur la notion de Messie, est trop absurde pour qu’elle vaille la peine d’être réfutée. Dans l’histoire de la chute de l’homme, l’Écriture fait mention du tentateur, avant de parler du fils de la femme qui doit lui écraser la tête. Les Juifs ont eu la notion des génies ou esprits, soit bons, soit mauvais, dès qu’ils ont commencé à connaître les prétendus 3. L’article suivant est l’article DÉMONIAQUE (t. I, p. 512a-515b). 175
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Dieux de leurs voisins, et ces êtres réels ou fantastiques n’avaient aucun rapport au Messie. Les divinités cruelles auxquelles ces Juifs, devenus Païens, immolaient leurs enfants, n’étaient certainement pas amies des hommes, on ne pouvait les envisager autrement que comme des Démons malfaisants, ni leur offrir ces sacrifices abominables par un autre motif que par la crainte de leur colère. On ne doit pas faire plus de cas du reproche des incrédules modernes, qui ont dit qu’en admettant un ou plusieurs Démons, appliqués à traverser les desseins de Dieu, et à nuire aux hommes, on adopta l’erreur des Manichéens, et que le Manichéisme est ainsi la base de toutes les religions. Les Manichéens supposaient deux principes éternels, incréés, indépendants, l’un bon, l’autre mauvais ; ce dernier n’a aucune ressemblance avec les esprits créés de Dieu, qui sont devenus méchants par leur faute, que Dieu punit, et dont il réprime le pouvoir comme il lui plaît. Dissert. sur les bons et les mauvais Anges, Bible d’Avignon, tome 13, p. 255.
2 ENDURCISSEMENT T. I, p. 649a-650b
2
On peut citer un grand nombre de passages de l’Écriture sainte, dans lesquels il est dit que Dieu endurcit les pécheurs. Exode, c. 10, v. 1. Dieu dit : « J’ai endurci le cœur de Pharaon et des Égyptiens, afin de faire des miracles sur eux, et d’apprendre aux Israélites que je suis le Seigneur ». Nous lisons dans Isaïe, c. 33, v. 17 : « Vous avez endurci votre cœur, afin de nous ôter la crainte de vos châtiments ». Dans l’Évangile de S. Jean, c. 12, v. 40, il est dit que les Juifs ne pouvaient pas croire, parce que, selon la parole d’Isaïe, Dieu avait aveuglé leurs yeux et endurci leur cœur, afin qu’ils ne fussent pas convertis. Saint Paul conclut, 176
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Rom. c. 9, v. 18, que Dieu a pitié de qui il veut et endurcit qui il lui plaît. Fondé sur ces divers passages, S. Augustin soutient, contre les Pélagiens, que l’endurcissement des pécheurs est un acte positif de la puissance de Dieu. Lorsque Julien lui répond que les pécheurs ont été abandonnés à eux-mêmes par la patience divine, et non poussés au péché par sa puissance, Saint Augustin persiste à soutenir qu’il y a eu un acte de patience et un acte de puissance, contrà Julian. l 5, c. 3, n. 15. S’il y a, disent les incrédules, un blasphème horrible, c’est d’enseigner que Dieu est la cause du péché ; telle est cependant la doctrine de Moïse, des Prophètes, de l’Évangile, de S. Paul, des Pères de l’Église : il n’y manque rien pour être un article de foi du Christianisme, comme l’a soutenu Calvin. C’est à nous de démontrer le contraire ; 1°. dans plusieurs autres endroits, l’Écriture enseigne que dieu ne veut point le péché, Ps. 3, v. 5 ; qu’il le déteste, Ps. 44, v. 8 ; qu’il est la justice même, et qu’il n’y a point en lui d’iniquité, Ps. 91, v. 16 ; qu’il n’a commandé à personne de mal faire, n’a donné lieu de pécher à personne, ne veut point augmenter le nombre de ses enfants impies et pervers. Eccl. c. 15, v. 21, etc. Le sens équivoque du mot endurcir, peut-il obscurcir des passages aussi clairs ? 2°. Moïse répète plusieurs fois que Pharaon lui-même endurcit son propre cœur. Exode, ch. 7, v. 26, etc. Jérémie reproche les mêmes crimes aux Israélites, c. 5, v. 3 ; c. 7, v. 26, etc. Moïse les exhorte à ne plus faire de même. Deut. c. 10, v. 16 c. 15, v. 7. David, Ps. 94, v. 8 : l’Auteur des Paralipomènes, liv. 2, ch. 30, v. 8 : S. Paul, Heb. c. 3, v. 8 et 15 ; c. 4, v. 7, font la même leçon à tous les pécheurs ; elle serait absurde, si Dieu lui-même était l’auteur de l’endurcissement. 3°. C’est le propre, non seulement de l’hébreu, mais de toutes les langues, d’exprimer comme cause, ce qui n’est qu’occasion. 177
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On dit d’un homme qui déplaît, qu’il donne de l’humeur, qu’il fait enrager ; d’un père trop indulgent, qu’il pervertit et perd ses enfants ; d’une femme aimable, qu’elle rend un homme fou, etc. souvent c’est contre leur intention ; ils n’en sont donc pas la cause, mais seulement l’occasion. De même, les miracles de Moïse et les plaies de l’Égypte, étaient l’occasion et non la cause de l’endurcissement de Pharaon ; la patience de Dieu produit souvent le même effet sur les pécheurs ; Dieu le prévoit, le prédit, le leur reproche ; ce n’est donc pas lui qui en est la cause directe. Il pourrait l’empêcher sans doute ; mais l’excès de leur malice n’est pas un titre pour engager Dieu à leur donner des grâces plus fortes et plus abondantes. Il les laisse donc s’endurcir, il ne les en empêche point ; c’est tout ce que signifie le terme endurcir. Quand il est question de crimes, de fléaux, de malheurs, le peuple se console en disant, Dieu l’a voulu ; cette façon de parler populaire signifie seulement que Dieu l’a permis, ne l’a pas empêché. 4°. Loin de réfuter cette réponse, S. Augustin l’a donnée et répétée dix fois. Il dit que Pharaon s’endurcit lui-même, et que la patience de Dieu en fut l’occasion, Lib. de grat. et lib. arb. n. 45. Lib. 83, quœst. q. 18 et 24. Serm. 57, n. 8. In Ps. 104, n. 7. « Dieu, dit-il, endurcit, non en donnant de la malice au pécheur, mais en ne lui faisant pas miséricorde, Epist 194 ad Sixtum, c. 3, n. 1 ». Ce n’est donc pas qu’il lui donne ce qui le rend plus méchant, mais c’est qu’il ne lui donne pas ce qui le rendrait meilleur. Lib. 1 ad Simplic. q. 2, n. 15 ; c’est-à-dire, une grâce aussi forte qu’il la faudrait pour vaincre son obstination dans le mal ». Tract. 53 in Joan, n. 6 et suiv. En cela même consiste l’acte de puissance que Dieu exerce pour lors ; cette puissance ne brille nulle part avec plus d’éclat que dans la distribution qu’elle fait de ses grâces, en telle mesure qu’il lui plaît. « Pélage, dit-il, nous répondra ; peut-être, que Dieu ne 178
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force personne au mal, mais qu’il abandonne seulement ceux qui le méritent, et il aura raison ». Lib. de nat. et grat., c. 23, n. 25. C’est par ces passages qu’il faut expliquer ce qui paraîtrait plus dur dans d’autres endroits des ouvrages de ce Père. Sous ses yeux même, les Évêques d’Afrique ont décidé que Dieu endurcit, non parce qu’il pousse l’homme au péché, mais parce qu’il ne le tire pas du péché, ann.423 Epist. Synod. c. 11. Lorsqu’on objecte à S. Prosper, que, selon S. Augustin, Dieu pousse les hommes au péché, il répond, que c’est une calomnie : « Ce ne sont pas là, dit-il, les œuvres de Dieu, mais du diable ; les pécheurs ne reçoivent pas de Dieu l’augmentation de leur iniquité, mais ils deviennent plus méchants par eux-mêmes » ; ad Capit. Gallor. Resp. 11 et Sent. 11. Longtemps auparavant, Origène avait expliqué, dans le même sens, les passages de l’Écriture que nous objectent les incrédules ; S. Bazile et S. Grégoire de Nazianze recueillirent ce qu’il en avait dit. Philocal. c. 24 et suiv. S. Jean Chrysostome confirma cette doctrine en expliquant l’Épître de S. Paul aux Romains, et S. Jérôme la suivit dans son Commentaire sur Isaïe, c. 63, v. 17. Tous les Pères l’ont soutenue contre les Marcionites et contre les Manichéens ; ils ont enseigné constamment que Dieu laisse endurcir le pécheur, non en lui refusant toute grâce, mais parce qu’il ne lui donne pas une grâce aussi forte et aussi efficace qu’il le faudrait pour vaincre son obstination dans le péché. Voyez S. Irénée, contrà Hœr l. 4, c. 29 ; Tertull. adv. Marcion. l. 2, c. 14, etc. Si quelques Théologiens modernes, qui se paraient du nom d’augustiniens, l’ont entendue autrement, leur entêtement ne prouve pas plus que celui de Calvin. Par-là, nous voyons en quel sens il est dit, dans les Livres saints et dans les écrits des Pères, que Dieu abandonne les pécheurs, qu’il délaisse les nations infidèles, qu’il livre les impies à leur sens réprouvé, etc. cela ne signifie point que Dieu les prive absolument 179
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de toute grâce, mais qu’il ne leur en accorde pas autant qu’aux justes ; qu’il ne leur donne pas autant de secours qu’il l’a fait autrefois, ou qu’il ne leur donne pas des grâces aussi fortes qu’il le faudrait pour vaincre leur obstination. En effet, c’est un usage commun dans toutes les langues d’exprimer, en termes absolus, ce qui n’est vrai que par comparaison ; ainsi lorsqu’un père ne veille plus avec autant de soin qu’il le faisait autrefois, et qu’il le faudrait, sur la conduite de son fils, on dit qu’il l’abandonne, qu’il le livre à lui-même ; s’il témoigne à l’aîné plus d’a ffection qu’au cadet, on dit que celui-ci est délaissé, négligé, pris en aversion, etc. Ces façons de parler ne sont jamais absolument vraies ; et personne ne s’y est trompé, parce que l’on y est accoutumé. Une preuve que tel est le sens des Écrivains sacrés, c’est que dans une infinité d’endroits ils nous disent que Dieu est bon à l’égard de tous, qu’il a pitié de tous, qu’il n’a de l’aversion pour aucune de ses créatures, que ses miséricordes se répandent sur tous ses ouvrages, etc. Les pécheurs les plus endurcis ne sont pas exceptés. [...]
2 ESCLAVAGE, ESCLAVE T. I, p. 668b-670a
2 De savoir si tout esclavage est contraire au droit naturel, c’est une question qui regarde directement les Philosophes moralistes. Mais comme les Patriarches ont eu des esclaves et n’en sont point blâmés, que Moïse s’est borné à rendre plus douce la condition des esclaves, sans supprimer absolument la servitude, qu’elle a subsisté et subsiste encore sous le Christianisme, les politiques incrédules de notre siècle ont déclamé à l’envi contre la religion, 180
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qui a permis ou toléré dans tous les temps cette infraction du droit naturel. Nous sommes donc forcés d’examiner si leurs plaintes sont fondées, et s’ils ont raisonné sur des principes solides. I. Le premier besoin de l’homme est la vie et la subsistance. Si, pour se les procurer, il se trouve réduit à renoncer à sa liberté, nous ne croyons pas qu’il commette un crime. Si un maître ne peut, sans nuire grièvement à ses propres intérêts, lui assurer la vie, la subsistance, la protection, que sous condition d’un service perpétuel, nous ne voyons pas où est l’injustice de l’exiger, ni en quoi cette convention réciproque blesse le droit naturel. Dans l’état des familles errantes et nomades, lorsqu’il n’y avait point encore de société civile établie, un serviteur ne pouvait changer de maître sans s’expatrier ; un maître ne pouvait congédier ses esclaves sans ruiner sa famille. L’esclavage était donc une suite inévitable de la société domestique ; mais il était adouci par les avantages de cette société. Un esclave pouvait être l’héritier de son maître qui n’avait pas d’enfants. Gen. c. 15, v. 2. La liberté civile n’est devenue un bien que depuis qu’elle a été protégée par les lois, et que les moyens de subsistance sont multipliés ; avant cette époque, la liberté absolue était un mal pour tout homme qui n’avait pas une famille, des troupeaux, des serviteurs, des pâturages. Il serait absurde de soutenir que l’esclavage domestique était pour lors contraire au droit naturel. Nous ne blâmerons donc point Abraham, ni les autres Patriarches, d’avoir eu des esclaves ; et nous ne pouvons pas douter qu’ils ne les aient traités avec toute l’humanité possible. Job proteste qu’il n’a jamais de rendre justice à ses serviteurs et à ses servantes, lorsqu’ils la lui demandaient, parce qu’il a toujours craint le jugement de Dieu, c. 31, v. 13. II. Moïse donna des lois aux Hébreux pour réunir ce peuple en société civile et nationale. On sait quel était alors le droit 181
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des gens dans l’état de guerre, c’était de tout égorger. Lorsqu’on ôtait la liberté à un prisonnier, au lieu de lui ôter la vie, faisaiton un acte de cruauté ? Si aujourd’hui nous étions en guerre avec une nation sauvage qui eût massacré tous nos prisonniers, nous croirions-nous obligés, par la loi naturelle, à lui renvoyer les siens ? Si, au lieu de les égorger par représailles, on les réduisait à l’esclavage, auraient-ils le droit de se plaindre ? Nous nous croirions obligés, sans doute, par les lois de l’humanité, à ne pas rendre leur condition insupportable, à l’adoucir autant que pourrait le comporter leur naturel farouche ? Voilà ce que fit Moïse. Placé à la tête d’une nation qui devait conquérir des terres l’épée à la main, au milieu de peuples qui avaient des esclaves, dans un état de société où la liberté était nulle pour ceux qui n’avaient pas la propriété des terres, il ne pouvait supprimer absolument l’esclavage ; mais il fit des lois très sages pour l’adoucir. Exode, c. 21, v. 1 et suiv. Lévit., c. 25, v. 40, etc. Nous soutenons que l’esclavage était moins dur chez les Juifs que chez toute autre nation connue ; il serait aisé d’en faire la comparaison. Qu’auraient fait de mieux en pareil cas, nos Philosophes, vengeurs des droits de l’humanité ? Quand on veut disserter contre l’esclavage, il ne faut pas argumenter sur une idée de la liberté, telle que nous la connaissons aujourd’hui ; elle n’a existé nulle part dans le monde avant la naissance du Christianisme, et il est absurde de trouver mauvais que Moïse ne l’ait pas établie chez les Juifs, dans des siècles où l’état physique et moral du genre humain tout entier s’y opposait. Trouve-t-on, parmi les Juifs, aucun exemple de la barbarie avec laquelle les Grecs et les Romains, ces deux nations si éclairées et si polies, traitaient leurs esclaves ? À Athènes, les esclaves affranchis étaient encore appelés citoyens bâtards. Les Romains se seraient crus déshonorés, s’ils 182
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avaient mangé avec un esclave ; pour l’admettre à leur table, ils étaient obligés de l’a ffranchir. III. Lorsque Jésus-Christ parut sur la terre, les droits de l’humanité n’étaient pas mieux connus qu’au siècle de Moïse. Les Philosophes, au lieu de les éclaircir, les avaient rendus plus obscurs. Les Grecs avaient décidé que parmi les hommes, les uns naissent pour la liberté et les autres pour l’esclavage ; que tout était permis contre les barbares, c’est-à-dire, contre tout homme qui n’était pas Grec ; dans la seule ville d’Athènes, il y avait quatre cent mille esclaves pour vingt mille citoyens. A Rome, la condition des esclaves n’était guère différente de celle des bêtes de somme : on frissonne en lisant la manière dont ces malheureux étaient traités. Voyez les Mémoires de l’Acad. des Inscript. tome 63, in-12, p. 102. Tel était le droit commun de toutes les nations dans les siècles de la Philosophie. Si Jésus-Christ, par ses lois, avait attaqué de front ce droit prétendu, il aurait autorisé la résistance des Empereurs et des autres Souverains à l’Évangile ; aujourd’hui nos Philosophes l’accuseraient d’avoir attenté au droit public de tous les peuples. Le divin Législateur fit mieux ; par ses maximes de charité, de douceur, de fraternité entre les hommes, il disposa les esprits à sentir que l’esclavage, tel qu’il était pour lors, blessait la loi naturelle. On voit, par la lettre de S. Paul à Philémon, ce que dictait la morale évangélique sur ce point essentiel, combien est éloquent le langage de l’humanité dans la bouche de la charité chrétienne ; un esclave baptisé acquérait le droit de fraterniser avec son maître. « Que chacun, dit S. Paul, demeure dans l’état dans lequel il a été appelé à la foi. Étiez-vous esclave ? Ne vous en affligez pas ; mais si vous pouvez devenir libre, profitez de l’occasion. I. Cor. c. 7, v. 20. Après le Baptême, il n’y a plus Juif ni Gentil, ni maître ni esclave ; vous êtes tous un seul corps en Jésus-Christ. 183
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Galat., ch. 3, v. 27. Esclaves, obéissez à vos maîtres temporels avec crainte et simplicité de cœur, comme servant Dieu et non les hommes... Et vous, maîtres, traitez de même vos esclaves, en vous souvenant que vous avez dans le ciel un Seigneur qui est votre maître et le leur, et qu’il n’y a de sa part aucune acception de personnes ». Éphés. c. 6, v. 5. Cela n'a pas empêché un Philosophe de nos jours4 d’écrire qu’il n’y a, dans l’Évangile, pas une seule parole qui rappelle le genre humain à la liberté primitive pour laquelle il semble né ; qu’il n’est rien dit, dans le Nouveau Testament, de cet état d’opprobre et de peine auquel la moitié du genre humain était condamnée ; que l’on ne trouve pas un mot, dans les Écrits des Apôtres et des Pères de l’Église, pour changer des bêtes de somme en citoyens, comme on commença de le faire parmi nous vers le treizième siècle. Probablement ce Philosophe n’avait jamais lu le Nouveau Testament, puisqu’il ignorait les paroles de S. Paul, que nous venons de citer, et le nom de frère que Jésus-Christ donne à tous les hommes. À la vérité, ce divin maître n’a pas disserté sur le droit naturel comme les Philosophes, mais il l’a fait sentir, en nous rendant tous enfants de Dieu par le Baptême. Les belles maximes de Sénèque et des autres Stoïciens, sur l’humanité due aux esclaves, n’avait rien opéré ; Jésus-Christ, en apprenant aux hommes que Dieu est le père de tous, a changé les idées et les mœurs des maîtres du monde. En effet, Constantin devenu chrétien, sentit la nécessité des affranchissements, pour repeupler un Empire dévasté par des guerres continuelles, et il comprit en même temps que le don de la liberté serait plus précieux, lorsqu’il serait consacré par des motifs de religion ; il autorisa les affranchissements faits à l’Église en présence de l’Évêque ; 4. Il s’agit de Voltaire. Voir l’article ESCLAVES des Questions sur l’Encyclopédie. 184
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mais cet usage subsistait déjà parmi les Chrétiens, puisqu’il en est fait mention dans la lettre de S. Ignace à S. Polycarpe, n. 4. Voyez la note de Cotelier sur cet endroit. Bientôt le Baptême donna aux esclaves la liberté civile aussi bien que la liberté spirituelle des enfants de Dieu. Dès ce moment la législation fut occupée à modérer le pouvoir des maîtres sur les esclaves, et les églises devinrent un asile pour ceux d’entre ces malheureux qui étaient maltraités injustement par leurs maîtres. Histoire de l’Acad. des Inscript. tome 19, in-12, pag. 212 et 217, Mém. tome 63, pag. 120. Les affranchissements per vindictam, ou par la baguette de Préteur, ne se firent plus dans les Temples des faux Dieux, mais à l’Église auprès des autels, in sacro sanctis Ecclesiis, et alors les affranchis et leur postérité étaient sous la protection de l’Église. Dictionnaire des Antiquités, au mot Affranchissement. En recommandant l’humanité aux maîtres, l’Église respecta leurs droits ; les anciens canons défendent d’élever un esclave à la cléricature, ou de le recevoir dans un Monastère sans le consentement de son maître. Bingham, Orig. Eccles. l. 4, c. 4, §. 23 ; l. 7, c. 3, §. 2. Malgré ces sages ménagements, la politique de Constantin a été blâmée par nos Philosophes ; mais leur privilège est de ne jamais s’accorder avec eux-mêmes. Une des bonnes œuvres les plus communes parmi les Chrétiens, fut de tirer leurs frères de la servitude, et d’acheter leur liberté. Plusieurs poussèrent l’héroïsme de la charité jusqu’à se rendre eux-mêmes esclaves pour en délivrer d’autres ; S. Clément de Rome nous l’apprend, Epist. I ad Cor. n. 7. S. Paulin de Nole en est un exemple. Les Évêques crurent ne pouvoir faire un plus saint usage des richesses des Églises, que de les consacrer au rachat des esclaves S. Exupere de Toulouse vendit jusqu’aux vases sacrés pour satisfaire à ce devoir de charité. 185
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L’histoire a conservé le souvenir des pieuses profusions que fit Sainte Bathilde, Reine de France, et Régente du royaume, pour racheter des esclaves, et du zèle dont elle fut animée pour l’extinction de l’esclavage. Il était impossible que des exemples aussi frappants n’eussent pas des imitateurs. Cependant l’on ose écrire de nos jours que le Christianisme n’a contribué en rien à l’extinction ni à l’adoucissement de l’esclavage. Les effets de la charité chrétienne auraient été plus prompts et plus sensibles, si l’interruption des Barbares n’avait changé tout à coup le droit public et les mœurs de l’Europe. Mais l’espèce de servitude qu’ils introduisirent était beaucoup plus douce et plus supportable que l’esclavage domestique usité chez les Grecs et les Romains ; c’est pour cela même qu’il a inspiré moins de compassion, qu’il a subsisté plus longtemps, et qu’il y en a encore des restes aujourd’hui. Lorsque nos Philosophes ont écrit que l’esclavage dure encore en Pologne et même en France, que les Ecclésiastiques et les Monastères ont des esclaves sous le nom de main-mortables, ils se sont joués des termes et de la crédulité de leurs lecteurs. Qu’est-ce que la main-morte ? C’est un contrat par lequel un Seigneur a cédé des fonds à un colon, sous condition, 1°. d’un cens ou redevance annuelle en denrées, en argent, ou en travail ; 2°. que le colon ne pourra vendre ni aliéner ces fonds sans le consentement du Seigneur, et sans lui payer les droits de lods et vente ; 3°. que si le colon vient à mourir sans héritiers communs en biens avec lui, sa succession appartiendra au Seigneur. Où est l’iniquité et la dureté de ce contrat ? Il gêne la liberté du colon, cela est incontestable ; mais c’est une grande question de savoir si la liberté absolue est un bien pour ceux qui manquent d’intelligence, d’activité et de conduite : nos Philosophes ne sont pas assez sages pour la décider sans appel. Il est bon de savoir qu’un colon main-mortable est toujours le maître de s’affranchir ;en cédant au Seigneur les 186
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fonds qu’il tient de lui, et le tiers des meubles, il a le droit de se pourvoir par-devant le juge, et de se faire déclarer franc sujet du Roi. Plusieurs Seigneurs Polonais ont offert la liberté à leurs serfs, et ceux-ci l’ont refusée. A quoi servent donc les diatribes de nos Philosophes ? Mais l’esclavage, pris en rigueur, subsiste encore dans les colonies... Ce n’est point ici le lieu de discuter cette question de morale et de politique ; nous pourrons l’examiner au mot NÈGRES . C'est assez pour nous d'avoir montré ce que le Christianisme inspire et prescrit à ce sujet. Dès que le commerce apprend aux hommes à ne plus adorer d'autre Dieu que l'argent, et que le philosophisme vient encore renforcer cette disposition, nous pouvons prédire que la servitude ne recevra ni adoucissement ni diminution. L'on sait que quelques-uns de nos Philosophes, qui ont le plus déclamé contre la traite des Nègres, ont fait eux-mêmes valoir leur argent par ce commerce, tant la philosophie inspire d'humanité. Un Auteur Anglais a fait sur ce sujet une réflexion très sage. Il est étonnant, dit-il, qu'un peuple qui parle avec tant de chaleur de la liberté politique, ne fasse aucun scrupule de réduire une partie des habitants de la terre à un état où ils sont non seulement privés de toute propriété, mais encore de toute espèce de droits. Le hasard n'a peut-être jamais produit de combinaison plus propre à tourner en ridicule un système grave, noble, généreux, et à faire voir combien peu les hommes sont dirigés dans leur conduite par des principes philosophiques. Observ. sur les Comm. de la société, par Millar5. Voyez SERVITUDE .
2 5. John Millar, Observations sur les commencements de la société, traduit de l’anglais d’après la seconde édition, Amsterdam, Arkstée et Merkus, 1773.
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FAIT T. II, p. 2b-4b
2 Une grande question entre les défenseurs de la religion et les incrédules, est de savoir s’il est convenable à la nature de l’homme que la religion soit fondée sur des preuves de fait plutôt que sur des raisonnements abstraits. Nous le soutenons ainsi. 1°. Cette question est décidée par la conduite que Dieu a suivie dans tous les siècles. Dès la création, Dieu n’a point attendu que nos premiers pères apprissent, par leurs raisonnements, à le connaître et à l’adorer ; il les a instruits lui-même par une révélation immédiate ; ainsi l’attestent nos livres saints. Cette révélation est un fait qui ne peut être prouvé que comme tous les autres par des monuments. Dieu a renouvelé aux Juifs cette révélation par Moïse, à toutes les nations, par Jésus-Christ ; il est absurde d’exiger que ces trois faits soient prouvés par des raisonnements spéculatifs, et d’y opposer des arguments de cette espèce. Les Déistes, qui rejettent la révélation et les faits qui la prouvent, qui veulent faire de la religion un système philosophique, sous le nom de religion naturelle, veulent opérer un prodige qui n’a jamais existé depuis le commencement du monde. Qu’ils nous citent un peuple qui soit parvenu, par leur méthode, à se faire une religion vraie et raisonnable. 2°. Nos devoirs de société, nos droits et nos intérêts les plus chers ne portent que sur la certitude morale, sur des preuves de fait. Il ne nous est pas démontré que notre naissance est légitime, que tel homme est notre père, que tel autre est notre Souverain, que tel héritage nous appartient, etc. Nous ne sommes cependant pas tentés d’en douter ; notre conduite, fondée sur la certitude morale, est prudente et sage. Sur ce point, le Philosophe n’est pas plus privilégié que le commun des ignorants. Or, il est nécessaire 188
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que nous apprenions la religion comme nous apprenons nos devoirs de société, par l’éducation et dès l’enfance ; donc ces deux espèces de devoirs doivent être fondés sur les mêmes preuves. 3°. La religion est faite pour les ignorants aussi bien que pour les savants, pour le peuple comme pour les Philosophes ; le peuple, peu accoutumé aux raisonnements spéculatifs, n’est certainement pas capable de suivre une chaîne de démonstrations métaphysiques, de se faire un système philosophique de religion. Mais l’homme le plus ignorant peut, sans effort, se convaincre d’un fait quelconque, en avoir la plus ferme persuasion, même en porter un témoignage irrécusable. C’est donc par des faits qu’il doit être convaincu de la vérité de sa religion. 4°. Les preuves de fait produisent une persuasion plus inébranlable, sont sujettes à moins de doutes et de disputes que les raisonnements abstraits. Où sont les vérités démontrées qui n’aient pas été attaquées par des Philosophes ? Une maxime, dictée par le bon sens, est qu’il y a de l’absurdité à disputer contre les faits, à les attaquer par des arguments spéculatifs. Les démonstrations prétendues par lesquelles les Philosophes prouvaient l’impossibilité des antipodes, ont-elles pu tenir contre le fait de leur existence ? Vingt erreurs semblables, fondées sur des raisonnements, ont été détruites par un seul fait bien constaté. Puisque la foi doit exclure le doute et l’incertitude, elle doit être appuyée sur des faits. 5°. Dieu, ses attributs, ses desseins, sa conduite, sont nécessairement incompréhensibles ; si Dieu nous en révèle quelque chose, il est impossible que ce ne soient pas des mystères. Comment les prouverions-nous par le raisonnement, dès que nous ne les concevons pas ? Un Philosophe, qui voudrait prouver à un aveugle-né, par des raisonnements métaphysiques, l’existence des couleurs, d’un miroir, d’une perspective, se couvrirait de ridicule ; cet aveugle lui-même serait insensé, s’il 189
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ne croyait pas la réalité de ces phénomènes sur le témoignage de ceux qui ont des yeux. 6°. L’on sait par expérience à quoi ont abouti les raisonnements des Philosophes de tous les siècles en matière de religion ; les uns ont professé l’Athéisme, les autres ont confondu Dieu avec l’âme du monde ; ceux-ci ont méconnu son unité et ont confirmé le Polythéisme, ceux-là ont approuvé toutes les superstitions de l’idolâtrie, ont regardé comme des Athées ceux qui ne voulaient admettre qu’un Dieu. Remettre les hommes dans la même voie, c’est vouloir évidemment les reconduire aux mêmes égarements. Si aujourd’hui les Philosophes modernes raisonnent mieux que les anciens sur ces grandes questions, à qui en sont-ils redevables, sinon à la révélation, dont le flambeau les a éclairés dès l’enfance ? Il est à remarquer que la révélation de chacun des dogmes du Christianisme en particulier est aussi un fait, qu’ainsi nous pouvons nous en convaincre par la même voie par laquelle nous sommes informés du fait général de la révélation. Les Apôtres, instruits et envoyés par Jésus-Christ, ont-ils enseigné ou non le dogme de la présence réelle, par exemple ? Voilà certainement un fait duquel peuvent déposer tous ceux qui ont entendu prêcher les Apôtres. Or, il y a sept Apôtres desquels nous n’avons aucun écrit ; cependant ils ont fondé des Églises, et y ont établi des Pasteurs pour enseigner aux fidèles la doctrine de Jésus-Christ. Le témoignage de ces Pasteurs n’a-t-il pas été aussi digne de foi que celui des disciples formés par S. Paul, ou par tel autre Apôtre qui a écrit ? Si donc les Églises fondées par les Apôtres sans écriture ont déposé que leur fondateur leur avait enseigné clairement et formellement le dogme de la présence réelle, ce dogme n’est-il pas aussi certainement révélé, que s’il était couché en termes clairs et précis dans les écrits de S. Paul ? Nous ne voyons pas que les Églises fondées par S. Thomas, par S. André, 190
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par S. Philippe, etc. se soient crues obligées d’aller consulter les autres, et de leur demander les écrits de leurs fondateurs. Les Protestants, qui refusent de déférer à l’autorité de la tradition, retombent dans le système des Déistes ; toutes les objections qu’ils font contre le témoignage des Docteurs de l’Église peuvent se tourner, et ont été tournées en effet, par les Déistes, contre l’attestation des témoins qui déposent du fait général de la révélation. Voyez TRADITION. Une autre question est de savoir si les faits surnaturels ou les miracles sont susceptibles de la même certitude que les faits naturels, et peuvent être constatés par les mêmes preuves. C’est demander en d’autres termes si un homme qui voit opérer un miracle est moins sûr de ses yeux que celui qui voit arriver un phénomène ordinaire, ou s’il est moins capable de rendre témoignage de l’un que de l’autre. Il est singulier que l’entêtement des incrédules soit poussé au point de former sérieusement cette question. 1°. Il est évident qu’un homme qui a éprouvé en lui-même un miracle, qui, se sentant malade et souffrant, s’est senti guéri subitement à la parole d’un Thaumaturge, est aussi certain de sa maladie et de sa guérison subite qu’il l’est de sa propre existence. Il y aurait de la folie à soutenir que cet homme a pu être trompé par le sentiment intérieur, ou qu’il n’est pas admissible à rendre témoignage de ce qui s’est passé en lui. 2°. Ceux qui ont vu et porté eux-mêmes un paralytique incapable de se mouvoir depuis trente-huit ans, et qui, à la parole de Jésus-Christ, l’ont vu emporter son grabat et retourner chez lui, n’ont certainement pas pu être trompés par le témoignage de leurs yeux. Il en est de même de ceux qui ont vu Jésus-Christ et S. Pierre marcher sur les eaux, cinq mille hommes rassasiés par cinq pains, une tempête apaisée par un mot, etc. A plus forte raison ceux qui avaient enseveli Lazare, qui avaient respiré l’odeur 191
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de son cadavre, et qui l’ont vu sortir du tombeau quatre jours après, n’ont-ils pu être trompés par la déposition de leurs sens. Dans ces cas, et autres semblables, si les témoins sont en grand nombre, s’ils n’ont pu avoir aucun intérêt commun d’en imposer à personne, s’ils étaient même intéressés par divers motifs à douter des faits, et si cependant ils en ont rendu un témoignage uniforme, il y auarit autant d’absurdité à le rejeter que s’ils avaient attesté des événements naturels. De savoir si ce sont là des miracles, ou des phénomènes naturels, ce ne sont point les témoins qui en décident, mais le sens commun de ceux auxquels ils sont ainsi attestés. On nous objecte qu’en fait de miracles tout témoignage quelconque est suspect, que l’amour du merveilleux, la vanité d’avoir vu et de raconter un prodige, l’intérêt de la religion à laquelle on est attaché, le zèle toujours accompagné de fanatisme, etc., sont capables d’altérer le bon sens et la probité de tous les témoins. Mais nos adversaires oublient les circonstances des faits et le caractère des témoins dont nous venons de parler. Ceux qui ont vu les miracles de Jésus-Christ étaient Juifs, et ces miracles n’ont pas été faits pour favoriser le Judaïsme ; plusieurs de ces témoins étaient prévenus contre Jéus-Christ, contre sa doctrine, contre sa conduite. Ceux qui ont vu les miracles des Apôtres n’étaient pas Chrétiens, mais Juifs ou Païens ; ce sont ces miracles mêmes qui ont vaincu leurs préjugés, leur zèle de religion, leur incrédulité. Quel intérêt, quel motif de vanité, de zèle ou de fanatisme, a pu les aveugler, étouffer en eux le bon sens ou la probité ? C’est comme si on disait que l’amour du merveilleux, le zèle de religion, le fanatisme, disposent un Calviniste en faveur des miracles d’un Thaumaturge catholique.
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Les Déistes posent encore pour principe qu’en fait de miracles, aucun témoignage ne peut contrebalancer le poids de l’expérience, qui nous convainc que l’ordre de la nature ne change point. Ils veulent nous en imposer par un mot. L’expérience est sans doute la déposition constante et uniforme de nos sens. Que nous apprend-elle ? Que nous n’avons jamais vu de miracles, que jamais, par exemple, nous n’avons été témoins de la résurrection d’un mort. Mais si, à ce moment, elle arrivait sous nos yeux, serions-nous fondés à juger que nos sens nous trompent, parce que jusqu’à présent ils ne nous avaient rien attesté de semblable ? La prétendue expérience du passé n’est dans le fond qu’une ignorance, un défaut de preuves et d’expérience, plutôt qu’une expérience positive. Elle devient nulle toutes les fois que nous voyons un phénomène que nous n’avions jamais vu. Voyez EXPÉRIENCE . Il en est de même du témoignage de ceux qui nous affirment qu’ils ont vu un fait duquel nous n’avons jamais été témoins nousmêmes. Soutenir que nous n’en devons rien croire, c’est prétendre que notre ignorance doit l’emporter sur les connaissances et sur les expériences des autres, que le témoignage d’un aveugle né, en fait de couleurs, est plus fort que l’attestation de ceux qui ont des yeux. Quand on fait l’analyse des raisonnements des incrédules, on est étonné de leur absurdité. Voyez MIRACLE .
2 FANATISME T. II, p. 4a-9b
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On a nommé d’abord fanatiques les prétendus Devins, qui se croyaient inspirés par les Dieux pour découvrir les choses 193
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cachées et pour prédire l’avenir, et qui se donnaient pour tels. Il est probable qu’on leur donnait ce nom, parce qu’ils rendaient ordinairement leurs oracles dans les Temples des Dieux, appelés Fana. Aujourd’hui l’on entend par fanatique un homme qui se croit inspiré de Dieu dans tout ce qu’il fait par zèle de religion, et par fanatisme, le zèle aveugle pour la religion, ou une passion capable de faire commettre des crimes par motif de religion. C’est l’épouvantail dont se servent les incrédules pour faire peur à tous ceux qui sont tentés de croire en Dieu. Selon leur avis, il est impossible d’avoir une religion sans être fanatique, et le fanatisme a été la source de tous les malheurs de l’univers. On ne doit pas s’en prendre à nous, si nous sommes forcés de faire un article fort long pour réfuter les sophismes, les impostures, les calomnies qu’ils ont accumulées, et qu’ils ont répétées dans tous leurs ouvrages, sur les effets, sur les causes, sur les remèdes du fanatisme. I. Ils disent que le fanatisme est l’effet d’une fausse conscience qui abuse de la religion et l’asservit au déréglement des passions. Soit. Par cette définition même, il est clair que ce sont les passions qui produisent la fausse conscience, l’abus de la religion, le fanatisme, et les maux qu’il produit. C’est déjà un trait de malignité et de mauvaise foi de confondre la religion avec l’abus que l’on en fait, d’attribuer à la religion les effets des passions, et d’appeler fanatisme toute espèce de zèle pour la religion. Voilà donc chez nos adversaires mêmes une fausse conscience qui abuse de la philosophie, et l’asservit au déréglement de leurs passions ; c’est le fanatisme philosophique qui veut guérir le fanatisme religieux. [...] II. Des Philosophes qui raisonnent si mal sur les effets du fanatisme, seront-ils plus habiles pour en découvrir les causes ? Ces causes, disent-ils, sont l’obscurité des dogmes, l’atrocité de la 194
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morale, la confusion des devoirs, l’usage des peines diffamantes, l’intolérance et la persécution. Déjà nous avons fait voir que les vraies causes du fanatisme sont les passions humaines, et qu’il n’y en a point d’autres ; n’importe, il faut suivre les visions de nos adversaires jusqu’à la fin. Comme il y a eu des fanatiques dans le Christianisme même, il faut que la maladie soit venue de l’obscurité de nos dogmes, de l’atrocité de la morale évangélique, de ce que l’Évangile a confondu les devoirs, etc. Cependant ses censeurs ont avoué dans des moments de calme qu’il ne faut pas rejeter sur la religion les abus qui viennent de l’ignorance des hommes ; que le Christianisme est la meilleure école d’humanité ; qu’il ordonne d’aimer tous les hommes, sans excepter même les ennemis, etc. Sont-ce là les dogmes obscurs, la morale atroce, la confusion des devoirs qui engendrent le fanatisme ? [...] III. Mais apprenons à connaître les remèdes qu’ils ont trouvés contre le fanatisme. Le premier est de rendre le Monarque indépendant de tout pouvoir ecclésiastique, et de dépouiller le Clergé de toute autorité. Cette sublime politique est établie en Angleterre, et depuis cette époque le fanatisme n’a jamis été si commun, l’on n’a pas oublié les torrents de sang qu’il y a fait répandre. Il n’est aucun peuple du monde qui soit plus disposé à se mutiner contre ses Magistrats pour cause de religion. Nous en avons vu un exemple à l’occasion de l’abolition du serment du Test 6, et sans la guerre qui était allumée pour lors, ce feu aurait bien pu causer un incendie. 6. Tous les fonctionnaires et officiers anglais devaient prêter le serment du Test qui avait pour but d’exclure les catholiques des charges administratives. 195
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Le second est de nourrir l’esprit philosophique ce grand pacificateur des États, qui a toujours fait tant de bien à l’humanité, qui a rendu si heureux les peuples chez lesquels il a régné. Cependant l’histoire nous apprend que cet esprit, après avoir fait éclore l’irréligion chez les Grecs et les Romains, y étouffa le patriotisme et les vertus civiles, prépara de loin la chute de ces républiques, ouvrit la porte au despotisme des Empereurs, relâcha tous les liens de la société. Mais c’est un malheur qu’il faut oublier pour l’honneur de l’esprit philosophique. Sans doute il n’est pas à craindre chez nous, parce que nos Philosophes ont beaucoup plus d’esprit, de bon sens et de sagesse que ceux qui ont brillé dans la Grèce et à Rome. Le troisième remède est de ne point punir les incrédules. Cela va de suite ; nous avons dû prévoir qu’en veillant aux intérêts du genre humain, ces profonds politiques n’oublieraient pas les leurs, et prétendraient du moins à l’immunité ; c’est même un trait de modestie de leur part de ne pas exiger des récompenses. [...] Le quatrième est de ne punir les fanatiques que par le mépris et le ridicule. Pour cette fois, nous sommes de leur avis ; nous pensons que le ridicule et le mépris dont les Philosophes incrédules commencent d’être couverts, est le remède le plus efficace pour guérir leur fanatisme anti-religieux, que bientôt ils seront réduits à rougir de leurs emportements et de l’indécence de leurs écrits. Quand ils n’auraient jamais fait autre chose que leurs diatribes contre le fanatisme, c’en serait assez pour les noter d’un ridicule ineffaçable. Quis tulerit Gracchos de seditione querentes7 ? Ils disent que le fanatisme a fait beaucoup plus de mal dans le monde que l’impiété. Quand cela serait, il ne s’ensuivrait rien. Les incrédules impies, presque toujours détestés, ont eu 7. Juvénal, Satires, II : « Mais qui supporterait sans indignation / Un Gracchus qui se plaint d’une sédition ? » 196
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rarement assez de crédit et de force pour bouleverser les États ; mais ce n’est pas faute de volonté. Les invectives que la plupart ont vomies contre les Souverains, contre les lois, contre les Magistrats, démontrent qu’il n’a pas tenu à eux de faire naître, chez une nation très paisible, la sédition et la révolte. Le fait qu’ils avancent est faux d’ailleurs : « Si l’Athéisme, dit un Auteur très connu8, ne fait pas verser le sang des hommes, c’est moins par amour pour la paix que par indifférence pour le bien ; comme que tout aille, peu importe au prétendu sage, pourvu qu’il reste en repos dans son cabinet. Ses principes ne font pas tuer les hommes, mais ils les empêchent de naître, en détruisant les mœurs qui les multiplient, en les détachant de leur espèce, en réduisant toutes leurs affections à un secret égoïsme, aussi funeste à la population qu’à la vertu. L’indifférence philosophique ressemble à la tranquillité de l’État sous le despotisme ; c’est la tranquillité de la mort : elle est plus destructive que la guerre même. » Le mal est encore plus grand, lorsque de prétendus Philosophes joignent à l’incrédulité absolue le fanatisme le mieux caractérisé, prêchent le suicide, autorisent les enfants à se révolter contre leurs pères, attaquent la sainteté du mariage, blâment la compassion envers les pauvres, veulent tout détruire, sous prétexte de tout réformer ; s’ils étaient les maîtres, ils remettraient le genre humain au moment du déluge universel. Dans les articles TOLÉRANCE, INTOLÉRANCE, GUERRES DE RELIGION, etc. nous serons obligés de répondre de nouveau à leurs clameurs, et à leurs faux raisonnements.
2 8. Jean-Jacques Rousseau, Émile, livre IV, « Profession de foi du Vicaire savoyard ». 197
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FATALISME, FATALITÉ T. II, p. 9b-12b
2 Le fatalisme consiste à soutenir que tout est nécessaire, que rien ne peut être autrement qu’il est ; conséquemment que l’homme n’est pas libre dans ses actions, que le sentiment intérieur qui nous atteste notre liberté est faux et trompeur. C’est aux Philosophes de réfuter ce système absurde ; mais il est si diamétralement opposé à la religion, et il a été soutenu de nos jours avec tant d’opiniâtreté, que nous ne pouvons nous dispenser de faire à ce sujet quelques réflexions. 1°. Les défenseurs de la fatalité n’ont aucune preuve positive pour l’établir ; ils n’argumentent que sur des équivoques, sur l’abus des termes cause, motif, nécessité, liberté, etc. ; sur une fausse comparaison qu’ils font de l’être intelligent et actif, avec les êtres matériels et purement passifs. Ce sont des sophismes dont le plus faible Logicien est capable de voir l’illusion, et qui ne tendent qu’à établir un Matérialisme grossier. 2°. Il suffit d’avoir l’idée d’un Dieu pour comprendre que, dans l’hypothèse de la fatalité, la providence ne peut avoir lieu ; l’homme, conduit comme une machine, ou du moins comme une brute, n’est plus capable de bien ni de mal moral, de vice ni de vertu, de châtiment ni de récompense. Plusieurs Fatalistes ont été d’assez bonne foi pour convenir qu’un Dieu juste ne peut récompenser ni punir des actions nécessaires. En cela ils ont été plus sensés que les Théologiens qui ont soutenu que, pour mériter ou démériter, il n’est pas besoin d’être exempt de nécessité, mais seulement de coaction. 3°. Ici la révélation confirme les notions du bon sens. Elle nous dit que Dieu a fait l’homme à son image ; où serait la ressemblance, si l’homme n’était pas maître de ses actions ? Elle 198
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nous apprend que Dieu a donné des lois à l’homme, et qu’il n’en a point donné aux brutes. Il a dit au premier malfaiteur : « Si tu fais bien, n’en recevras-tu pas le salaire ? Si tu fais mal, ton péché s’élèvera contre toi ». Il lui a donc donné sa conscience pour juger. Le témoignage de la conscience serait nul, si nos actions venaient d’une fatalité à laquelle nous ne fussions pas libres de résister. Dieu seul serait la cause de nos actions bonnes ou mauvaises, c’est à lui seul qu’elles seraient imputables. Or l’Écriture nous défend d’attribuer à Dieu nos crimes, parce qu’il a laissé à l’homme le pouvoir de se conduire et de choisir le bien et le mal, Eccli. c. 15, v. 11. Peut-il y avoir un choix où il n’y a pas de liberté ? Moïse, en donnant aux Israélites des lois de la part de Dieu, leur déclare qu’ils sont les maîtres de choisir le bien ou le mal, la vie ou la mort. Deut. c. 30, v. 19, etc. 4°. Le sentiment intérieur qui est le souverain degré de l’évidence, réclame hautement contre les sophismes des Fatalistes. Nous sentons très bien la différence qu’il y a entre nos actions nécessaires et indélibérées, qui viennent de la disposition physique de nos organes, et dont nous ne sommes pas les maîtres, et les actions que nous faisons par un motif réfléchi, par choix, avec une pleine liberté. 5°. Depuis plus de deux mille ans que les Stoïciens et leurs copistes argumentent sur la fatalité, ont-ils étouffé parmi les hommes le sentiment et la croyance de la libeté ? Eux-mêms contredisent par leur conduite la doctrine qu’ils établissent dans leurs écrits ; comme tous les autres hommes, ils distinguent les actions libres d’avec les actions nécessaires, un crime d’avec un malheur. Si leurs principes n’étaient qu’absurdes, on pourrait les excuser ; mais ils tendent à étouffer les remords du crime, à confirmer les scélérats dans leur perversité, à ôter tout mérite à la vertu, à désespérer les gens de bien ; c’est un attentat contre 199
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les lois et contre l’intérêt général de la société : on est en droit de le punir. L’absurdité des réponses que les Fatalistes donnent aux démonstrations qu’on leur oppose, en font encore mieux sentir la solidité. Ils disent : tout a une cause, chacune de nos actions en a donc une ; et il y a une liaison nécessaire entre toute cause et son effet. Pure équivoque. La cause physique de nos vouloirs est la faculté active qui les produit ; l’âme humaine, principe actif, se détermine elle-même, et si elle était mue par une autre cause, elle serait purement passive, et il faudrait remonter de cause en cause jusqu’à l’infini. La cause morale de nos actions est le motif par lequel nous agissons ; mais il est faux qu’entre une cause morale et son effet, entre un motif et notre action, il y ait une liaison nécessaire ; aucun motif n’est invincible, ne nous ôte le pouvoir de délibérer et de nous déterminer. Si l’on dit qu’un motif nous meut, nous pousse, nous détermine, nous fait agir, etc., c’est un abus des termes qui ne prouve rien ; en parlant des esprits, nous sommes forcés de nous servir d’expressions qui ne conviennent rigoureusement qu’à des corps. Selon les Fatalistes, pour qu’une action soit moralement bonne ou mauvaise, il suffit qu’elle cause du bien ou du mal à nous ou à nos semblables ; toute action, soit libre, soit nécessaire, qui est nuisible, doit donc causer du remords, est digne de blâme ou de châtiment. Principe faux à tous égards. C’est l’intention, et non l’effet, qui rend une action moralement bonne ou mauvaise. Un meurtre involontaire, imprévu, indélibéré, est un cas fortuit, un malheur, et non un crime ; il peut causer du regret et de l’a ffliction, comme tout autre malheur ; mais il ne peut produire un remords, il ne mérite ni blâme, ni châtiment. Ainsi en jugent tous les hommes. 200
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Cependant les Fatalistes persistent à soutenir que, sans avoir égard à la liberté ou à la fatalité, l’on doit punir tous les malfaiteurs, soit pour en délivrer la société, comme on le fait à l’égard des enragés et des pestiférés, soit pour qu’ils servent d’exemple. Or l’exemple, disent-ils, peut influer sur les hommes, quoiqu’ils agissent nécessairement ; lorsque le crime a été fortuit et involontaire, l’exemple de la punition ne servirait à rien ; mais on enveloppe quelquefois les enfants, quoiqu’innocents, dans la punition de leur père, afin de rendre l’exemple plus frappant. Il n’est pas aisé de compter toutes les circonstances absurdes de cette doctrine. Il s’ensuit, 1°. que quand on expose un pestiféré à la mort, afin d’éviter la contagion, c’est une punition. 2°. Que si la punition d’un crime involontaire pouvait servir d’exemple, elle serait juste. 3°. Que celui qui a fait du mal, en voulant et en croyant faire du bien, est aussi coupable que le malfaiteur volontaire, parce qu’il a porté un préjudice égal à la société. 4°. Que toute peine de mort est injuste, puisqu’on peut mettre la société à couvert de danger en enchaînant les criminels ; l’exemple en serait plus continuel et plus frappant. 5°. Que Dieu ne peut pas punir les méchants dans l’autre vie, parce que leur supplice ne peut plus servir à purger la société, ni à donner l’exemple, puisque l’on ne voit pas leurs tourments ; que Dieu ne peut pas même les punir en cette vie, à moins qu’il ne nous déclare que leurs souffrances sont la peine de leurs crimes, et non l’épreuve de leur vertu. 6°. Enfin, chez quels peuples, sinon chez les Barbares, punit-on des enfants innocents ? Partout ils souffrent de la peine infligée à leur père ; mais c’est un malheur inévitable et non une punition. Au sentiment intérieur de notre liberté, les Fatalistes répondent que nous nous croyons libres, parce que nous ignorons les causes de nos déterminismes, les motifs secrets de nos vouloirs. Mais si les causes de nos actions sont imperceptibles et 201
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inconnues, qui les a révélées aux Fatalistes ? Nous distinguons très bien les causes physiques de nos désirs involontaires, comme de la faim, de la soif, d’un mouvement convulsif, etc., d’avec la cause morale de nos actions libres et réfléchies. A l’égard des premières, nous n’agissons pas, nous souffrons ; dans les secondes, nous sommes actifs, nous nous déterminons et nous sentons très bien que nous sommes les maîtres de céder ou de résister au motif par lequel nous agissons. Sur ce point, le plus profond Métaphysicien n’en sait pas plus que l’ignorant le plus grossier. Lorsque nous représentons aux Fatalistes que les lois, les menaces, les éloges, les récompenses, seraient inutiles aux hommes, s’ils étaient déterminés nécessairement dans toutes leurs actions ; tout au contraire, répliquent-ils, à des agents nécessaires il faut des causes nécessaires, et si elles ne les déterminaient pas nécessairement, elles seraient inutiles ; l’on châtie avec succès les animaux, les enfants, les imbéciles, les furieux, quoiqu’ils ne soient pas libres. Il nous paraît qu’un agent nécessaire est une contradiction. Dans nos actions nécessaires, à proprement parler, nous ne sommes point actifs, mais passifs ; la volonté n’a point de part aux actions ou aux mouvements qui nous arrivent dans le sommeil, dans le délire, dans une agitation convulsive ; ce ne sont point là des actions humaines. Il est faux qu’un motif soit inutile dès qu’il ne nous détermine pas nécessairement. L’exemple des animaux ne prouve rien, puisque le ressort secret de leurs actions nous est inconnu ; mais nous avons le sentiment intérieur des motifs par lesquels nous agissons, et du pouvoir que nous avons d’y acquiescer ou d’y résister. Quant aux enfants, aux imbéciles, aux furieux, ou ils ont une liberté imparfaite, ou ils n’en ont point du tout ; dans le premier cas, les menaces, les punitions, etc., sont encore à leur égard un motif ou une cause morale ; dans le second, le châtiment seul 202
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peut agir physiquement sur leur machine, et les déterminer nécessairement ; mais nous soutenons que, dans ce cas, ils n’ont point le sentiment intérieur de leur liberté tel que nous l’avons. Loin de convenir des pernicieux effets de leur doctrine, les Fatalistes soutiennent qu’elle inspire au Philosophe la modestie et la défiance de ses vertus, l’indulgence et la tolérance pour les vices des autres. Malheureusement le ton de leurs écrits ne montre ni modestie, ni tolérance ; mais laissons de côté cette inconséquence. Si le Fatalisme nous empêche de nous prévaloir de nos vertus, il nous défend aussi de rougir ou de nous repentir de nos crimes ; il nous dispense d’estimer les hommes vertueux, d’avoir de la reconnaissance pour nos bienfaiteurs ; nous pouvons plaindre les malfaiteurs comme des hommes disgraciés de la nature ; mais il ne nous est pas permis de les détester, ni de les blâmer, ou encore moins de les punir. Morale détestable, destructive de la société, et qui doit couvrir d’opprobre les Philosophes de notre siècle. Eux-mêmes ont fourni des armes pour les attaquer, leurs propres aveux suffisent pour les confondre. Les uns sont convenus que dans le système de la fatalité il y aurait contradiction que les choses arrivassent autrement qu’elles n’arrivent ; les autres, que, malgré tous les raisonnements philosophiques, les hommes agiront toujours comme s’ils étaient libres, et en demeureront persuadés. Ceux-ci ont avoué que l’opinion de la fatalité est dangereuse à proposer à ceux qui ont de mauvaises inclinations, qu’elle n’est bonne à prêcher qu’aux honnêtes gens ; ceux-là que, sans la liberté, le mérite et le démérite ne peuvent avoir lieu. Quelques-uns sont tombés d’accord qu’en niant la liberté on fait Dieu auteur du péché et de toute la turpitude morale des actions humaines ; plusieurs ont soutenu qu’un Dieu
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juste ne peut punir des actions nécessaires ; les hommes en ontils donc plus de droit que Dieu ? Si le dogme de la liberté humaine était moins important, les Philosophes se seraient moins acharnés à le détruire ; mais il entraîne une suite de conséquences fatales à l’incrédulité. Il sape le Matérialisme par la racine ; dès qu’il est démontré, toute la chaîne des vérités fondamentales de la religion se trouve établie. En effet, puisque l’homme est libre, son âme est un esprit ; la matière est essentiellement incapable de spontanéité et de liberté ; si l’âme est immatérielle, elle est naturellement immortelle ; un âme spirituelle, libre, immortelle, n’a pu avoir que Dieu pour auteur, elle n’a pu commencer d’exister que par création. L’homme né libre est un agent moral, capable de vice et de vertu ; il lui faut des lois pour le conduire, une conscience pour le guider, une religion pour le consoler, des peines et des récompenses futures pour le réprimer et pour l’encourager ; une autre vie est donc réservée à l’âme vertueuse souvent affligée et souffrante sur la terre. Ce n’est donc pas en vain que nous supposons en Dieu une providence, la sagesse, la sainteté, la bonté, la justice ; sur ces augustes attributs porte la destinée de notre âme. le plan de religion tracé dans nos livres saints est le seul vrai, le seul d’accord avec lui-même, avec la sagesse de Dieu, et avec celle de l’homme ; la Philosophie, qui ose l’attaquer, ne mérite que de l’horreur et du mépris. Plusieurs Critiques Protestants ont voulu persuader que les anciens Philosophes et les hérétiques, qui ont admis la fatalité ou la nécessité de toutes choses, ne l’ont pas poussée aussi loin qu’on le croit communément, et que l’on prend mal le sens de leurs expressions. Probablement leur motif a été d’excuser Luther, Calvin et les autres Prédestinateurs rigides qui ont ressuscité le dogme de la fatalité. Quoi qu’il en soit, il est bon d’examiner leurs raisons. 204
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Suivant le Traducteur de l’Histoire Ecclésiastique de Mosheim, tome 1, note p. 35, par le destin les Stoïciens entendaient seulement le plan de gouvernement que l’Être suprême a d’abord formé, et duquel il ne peut jamais s’écarter, moralement parlant ; quand ils disent que Jupiter est assujetti à l’immuable destinée, ils ne veulent dire autre chose sinon qu’il est soumis à la sagesse de ses conseils, et qu’il agit toujours d’une manière conforme à ses perfections divines. La preuve en est dans un passage célèbre de Sénèque, L. de Provid., c. 5, où ce Philosophe dit : « Jupiter luimême, formateur et gouverneur de l’univers, a écrit les destinées, mais il les suit ; il a commandé une fois, il ne fait plus qu’obéir ». Mais un savant Académicien9, qui a fait une étude particulière de l’ancienne Philosophie, a montré que ce langage pompeux des Stoïciens n’est qu’un abus des termes, et qu’ils l’ont affecté pour en imposer au vulgaire. Suivant les principes du Stoïcisme, Jupiter, ou l’âme du monde, en a écrit les lois, mais sous la dictée du destin, c’est-à-dire d’une cause dont il n’est pas le maître, et qui l’entraîne lui-même dans ses révolutions. Mém. de l’Acad. des Inscript., tome 57, in-12, p. 206. En les écrivant, il obéissait plutôt qu’il ne commandait, puisque, suivant les Stoïciens, cette nécessité universelle assujettit les Dieux aussi bien que les hommes. Dans cette hypothèse, si Jupiter est formateur du monde, il n’a pas été le maître de l’arranger autrement qu’il n’est. On ne conçoit pas en quel sens il le gouverne, étant gouverné lui-même par la loi irrévocable du destin, ni en quoi consiste la prétendue sagesse de ses conseils. Où la nécessité règne, il ne peut y avoir ni sagesse, ni folie, puisqu’il n’y a ni choix, ni délibération. C’est donc une absurdité d’attribuer des perfections divines à 9. Abbé Le Batteux, Neuvième Mémoire sur le Principe de actif de l’Univers. Idées des Stoïciens sur la nature de Dieu et du Destin, dans Mémoires de littérature tirés des registres de l’Académie Royale des Inscriptions et Belles-Lettres, depuis l’année 1761 jusqu’en l’année 1763, tome 57, Paris, Panckoucke, 1773. 205
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un être dont la nature n’est pas meilleure, que si elle n’avait ni intelligence, ni volonté. Aussi les Épicuriens et les Académiciens, qui ont disputé contre les Stoïciens, n’ont pas été dupes de leur verbiage. D’autre côté, Beausobre prétend qu’aucun des anciens Philosophes, ni même aucune secte d’hérétiques n’a supposé que les volontés humaines étaient soumises à une puissance étrangère. Hist. du Manich., tome 2, l. 7, c; 1, §. 7. S’il entend qu’aucune secte n’a osé l’affirmer positivement, il peut avoir raison ; s’il veut dire qu’aucune n’a posé des principes desquels cette erreur s’ensuivait évidemment, il se trompe, ou il veut nous en imposer. En effet, suivant la remarque du Savant que nous avons cité, le très grand nombre de ceux qui soutenaient la fatalité croyaient que tous les défauts et les maux de ce monde, et le destin lui-même, venaient de la nature éternelle de la matière, de laquelle Dieu n’avait pas pu corriger les imperfections. De même la plupart des hérétiques attribuaient les vices et les fautes de l’homme aux inclinations vicieuses du corps, ou de la portion de matière à laquelle l’âme est unie. Or, si Dieu même n’a pas pu corriger les défauts de la matière, comment l’âme pourraitelle réformer les penchants vicieux du corps, ou y résister ? Dans cette hypothèse, il est évident que les actions mauvaises de l’homme ne sont pas libres ; conséquemment il y aurait de l’injustice à l’en punir. Ce n’est pas ici le lieu de réfuter les fausses notions de la liberté que Beausobre a données, ni d’expliquer en quoi consiste la nécessité imposée par la concupiscence, de laquelle S. Paul a parlé, ni de montrer la différence essentielle qu’il y a entre le sentiment de S. Augustin et celui des Manichéens. Nous le ferons au mot LIBERTÉ.
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GENTIL T. II, p. 90b-91b
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GENTIL. Les Hébreux nommaient Goyim, nations, tous les peuples de la terre, tout ce qui n’était pas Israélite. Dans l’origine, ce terme n’avait rien de désobligeant ; mais dans la suite, les Juifs y attachèrent une idée désavantageuse, à cause de l’idolâtrie et des vices dont toutes les nations étaient infectées. Lorsqu’ils furent convertis à l’Évangile, ils continuèrent à nommer Gentes, nations, les peuples qui n’étaient encore ni Juifs, ni Chrétiens. S. Paul est appelé l’Apôtre des Gentils ou des nations, parce qu’il s’attacha principalement à instruire et à convertir les Païens. Plusieurs Juifs, entêtés des privilèges de leur nation, des promesses que Dieu leur avait faites, de la loi qu’il lui avait donnée, furent révoltés de ce que les Gentils étaient admis à la foi, sans être assujettis aux cérémonies du judaîsme. Il fallut un décret des Apôtres assemblés à Jérusalem, pour décider qu’il suffisait de croire en Jéus-Christ pour être sauvé, Act. c. 15, v. 5 et suiv. Mais, malgré cette décision, plusieurs persévérèrent dans leur sentiment, et furent nommés Juifs Ébionites ; c’est contre eux principalement que S. Paul écrivit son Épître aux Galates. Les prophètes qui avaient annoncé la conversion et le futur salut des Gentils, n’avaient donné à entendre, en aucune manière, qu’ils seraient assujettis au Judaïsme ; au contraire, ils avaient prédit, qu’à la venue du Messie, il y aurait une nouvelle alliance, Jérém. c. 31 ; une nouvelle loi, Isaïe, c. 42, v. 4 ; un nouveau sacrdoce, c. 66, v. 21 ; de nouveaux sacrifices, Malach. c. 1, v. 10 ; que ceux du temple de Jérusalem cesseraient absolument, Dan. c. 9, v. 27, etc. C’était donc de la part des Juifs un entêtement très mal fondé de prétendre que la loi de Moïse avait été donnée pour tous les 207
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peuples et pour toujours, qu’il ne pouvait y avoir de salut sans l’observation des cérémonies légales. Les Juifs d’aujourd’hui qui persévèrent dans ce préjugé, sont encore plus inexcusables que leurs pères ; dix-sept siècles, pendant lesquels Dieu a rendu leur loi impraticable, devraient enfin les détromper. Quand on connaît l’antipathie qui régnait entre les Juifs et les Gentils, on comprend combien il a été difficile de les accoutumer à fraterniser ensemble ; c’est cependant le prodige que le Christianisme a opéré. Les Censeurs anciens et modernes du Judaïsme ont beaucoup insisté sur le caractère insociable des Juifs, sur le mépris et l’aversion qu’ils avaient pour les étrangers ; ils ont conclu que ce travers venait des principes même de la religion juive. C’est un faux préjugé qu’il est aisé de dissiper. 1°. L’aversion des Juifs pour les Païens n’éclata qu’après la dévastation de la Judée par les Rois d’Assyrie, après la persécution que les Juifs essuyèrent de la part des Antiochus à cause de leur religion. Il est naturel de regarder de mauvais œil des ennemis qui nous ont fait beaucoup de mal. La haine augmenta par les avanies et les vexations que les Juifs éprouvèrent de la part des Gouverneurs et des soldats Romains. Tacite convient que c’est ce qui excita les Juifs à la révolte ; mais il n’en avait pas été de même autrefois. Les Israélites laissèrent subsister dans la Palestine un très grand nombre de Chananéens ; David, malgré ses victoires, ne leur déclara point la guerre ; Salomon se contenta de leur imposer un tribut, II. Reg. c. 9, v. 2. Sous son règne, on comptait dans la judée plus de cent cinquante mille étrangers Prosélytes, II. paralip. c. 2, v. 17. Alors cependant les Juifs y étaient les maîtres ; ils étaient dans un commerce habituel avec les Tyriens, les Égyptiens, les Iduméens, etc. 2°. Moïse leur avait ordonné de traiter les étrangers avec beaucoup d’humanité, parce qu’eux-mêmes avaient été étrangers 208
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en Égypte, Exode, c. 22, v. 21 ; Lévit. c. 19, v. 33 ; Deutér. c. 10, v. 19, etc. Les Prophètes leur répètent la même leçon, Jérém. c. 7, v. 6, etc. David félicite Jérusalem de ce que les Chaldéens, les Tyriens, les Éthiopiens s’y sont rassemblés, et ont appris à connaître le Seigneur, Ps. 86. Salomon prie Dieu d’exaucer les vœux des étrangers qui viendront le prier dans son Temple, III. Reg. c. 8, v. 41, etc. Il n’est donc pas vrai que les Juifs aient puisé dans leur religion, ni dans leurs lois, l’aversion qu’ils avaient pour les Gentils. Ils haïssaient encore davantage les Samaritains, quoique ces derniers fissent, jusqu’à un certain point, profession du Judaïsme. D’autres raisonneurs, très mal instruits, se sont persuadés que, selon les principes du Judaïsme et du Christianisme, Dieu, occupé des seuls Juifs, abandonnait absolument les païens ou les Gentils, ne leur accordait aucune grâce, les laissait dans l’impossibilité de faire leur salut. C’est une erreur que nous réfuterons au mot INFIDÈLE . '2
GRÂCE T. II, p. 112b et 117b-121b
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GRÂCE, en général, est un don que Dieu accorde aux hommes par pure libéralité, et sans qu’ils aient rien fait pour le mériter, soit que ce don regarde la vie présente, soit qu’il ait rapport à la vie future. De là les Théologiens distinguent d’abord les grâces dans l’ordre naturel d’avec celles qui concernent le salut. Par les premières, on entend tout ce qui nous vient du Créateur, la vie, la conservation, les bonnes qualités de l’âme et du corps, comme un esprit juste, un goût naturel pour la vertu, des passions calmes, 209
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un fond d’équité et de droiture, etc. Mais ce ne sont point là des grâces proprement dites, quoique ce soient des bienfaits qui méritent notre reconnaissance. Les Pélagiens faisaient cette équivoque, en appelant grâces les dons naturels. On entend par grâces, dans l’ordre du salut, tous les secours et les moyens qui peuvent nous conduire à la vie éternelle ; et c’est principalement de celles-ci que parlent les Théologiens, lorsqu’ils traitent de la grâce. Dans ce sens, ils la définissent en général, un don naturel que Dieu accorde gratuitement, et en vue des mérites de Jésus-Christ, aux créatures intelligentes, pour les conduire au salut éternel. [...] III. Distribution de la grâce. Confesser avec l’Église universelle que la grâce intérieure et prévenante est nécessaire à tous les hommes, pour toute bonne œuvre, même pour former de bons désirs, et prétendre néanmoins que Dieu ne la donne pas à tous, c’est bâtir d’une main et détruire de l’autre. De là il s’ensuivrait que la rédemption des hommes par Jésus-Christ a été très imparfaite, que ce divin Sauveur n’est pas mort pour tous, et que Dieu ne veut pas les sauver tous ; erreurs qui détruisent l’espérance chrétienne, et attaquent l’article le plus fondamental du Christianisme. Dans les articles INFIDÈLES et JUDAÏSME , nous ferons voir que Dieu leur a toujours donné des grâces ; au mot ENDURCISSEMENT, nous avons prouvé que Dieu ne refuse point toute grâce aux pécheurs endurcis : nous devons montrer ici qu’il en accorde à tous les hommes sans exception, quoiqu’avec beaucoup d’inégalité. L’Écriture Sainte, les Pères, la tradition, seront nos guides ; ceux qui osent encore aujourd’hui combattre cette vérité, ne les ont certainement pas consultés. Pour commencer par l’ancien Testament, nous lisons, Ps. 144, v. 8 : « Le Seigneur est miséricordieux, indulgent, patient, 210
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rempli de bonté, bienfaisant à l’égard de tous ; ses miséricordes sont répandues sur tous ses ouvrages ». Sap. c. 11, v. 27 « Seigneur, vous pardonnez à tous, parce que tous sont à vous, et que vous aimez les âmes » C. 12, v. 1 : « Que votre esprit, Seigneur, est bon et doux à l’égard de tous ! Vous corrigez ceux qui s’égarent, vous les avertissez et leur montrez en quoi ils pèchent, afin qu’ils renoncent à leur perversité, et qu’ils croient en vous. v. 13. Vous avez soin de tous, pour démontrer que vous jugez avec justice ». Si dans ces passages il n’est question que de grâces temporelles, ou de grâces extérieures de salut, voilà un langage bien captieux. Dieu jugera-t-il avec justice, s’il ne nous donne pas la force de faire ce qu’il commande ? « Ne nous dites point, Dieu me manque ; ne faites point ce qu’il défend... Il a mis devant l’homme la vie et la mort, le bien et le mal ; ce qu’il choisira lui sera donné... Le Seigneur n’a commandé et ne donne lieu à personne de mal faire ». Eccli. c. 15, v. 11. Dieu me manque, per Deum abest, signifie évidemment, Dieu me laisse manquer de grâce et de force ; selon l’Auteur sacré, c’est un blasphême. S. Augustin a réfuté par ce passage, ceux qui rejettent sur Dieu la cause de leurs péchés. L. de grat. et lib. arb. c. 2, n. 3. Dans le nouveau Testament, S. Jean, c. 1, v. 9, appelle le Verbe divin, la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde. Par cette lumière, tous les Pères sans exception entendent la grâce. Ils appliquent au Verbe divin ce que le Psalmiste dit du soleil, que personne n’est privé de sa chaleur., Ps. 18, v. 7. C’est ce qu’a fait en particulier S. Augustin, non seulement en expliquant ce psaume, et dans ses traités sur S. Jean, Tract. 1, n°. 18 ; Tract. 2, n. 7 ; mais dans neuf ou dix autres de ses ouvrages. L. 22 contrà Faustum, c. 13 ; de Genesi contrà Manich. l. 1, c. 3, n°. 6 ; Retract. l. 1, c. 10 ; Epist. 140, n° 6 et 8 ; Epist. 102, q. 2. In Ps. 93, n° 4 ; Serm. 4, 78, 183, etc. Il ne faudra pas l’oublier. 211
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Suivant S. Paul, Dieu n’a jamais cessé de se rendre témoignage à lui-même par les bienfaits de la nature ; il a donné à tous ce qu’il fallait pour le chercher et le connaître. Act. c. 14, v. 6 ; c. 17, v. 25 et 27. Or, ce qu’il fallait est principalement la grâce. Nos adversaires conviennent aisément que les Pères des quatre premiers siècles ont admis la grâce universelle ; sans cela ces saints Docteurs n’auraient pas pu réfuter solidement Celse, Julien, Porphyre, les Marcionites et les Manichéens. Lorsque Celse objecte que Dieu devait envoyer son Fils et son Esprit à tous les hommes, au lieu de le faire naître dans un coin de l’univers, Origène lui répond, l. 6, n. 78, que « Dieu n’a jamais cessé de pourvoir au salut du genre humain, que jamais il ne s’est rien fait de bien parmi les hommes, qu’autant que le Verbe divin est venu dans les âmes de ceux qui étaient capables, du moins pour un temps, de recevoir ses opérations ». L. 4, n°. 28, il avait prouvé la distribution générale de la grâce par les passages de l’Écriture que nous avons cités. S. Cyrille a donné la même réponse à Julien qui renouvelait la même objection, l. 3, p. 108, 110 et suiv. Tertullien n’en avait point allégué d’autres aux Marcionites, Adv. Marcion. l. 2; c. 27. À son tour, S. Augustin l’employa contre les Manichéens ; mais des Théologiens entêtés prétendent qu’il a changé d’avis en écrivant contre les Pélagiens. Rien n’est plus faux. Il avait dit aux Manichéens, L. 3 de Lib. arb., c. 19, n. 53 : « Dieu présent partout se sert de ses créatures pour ramener celui qui s’égare, pour enseigner celui qui croit, et consoler celui qui espère, pour exciter les désirs, animer les efforts, exaucer les prières, etc. » Les pélagiens voulurent se prévaloir de ces paroles ; S. Augustin les répéta : « J’ai exhorté, dit-il, l’homme à la vertu, mais je n’ai point méconnu la grâce de Dieu ». L. de nat. et grat. c. 67, n. 81 ; Retract. l. 1, c. 9. En effet, le secours extérieur des créatures n’exclut point l’opération intérieure de la grâce divine. 212
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Il avait dit, L. 1 de Genesi contrà Manich. c. 3, n. 5 : « La lumière céleste est pour les cœurs purs de ceux qui croient en Dieu et s’appliquent à garder ses commandemnts ; tous le peuvent, s’ils le veulent, parce que cette lumière éclaire tout homme qui vient en ce monde ». Dans ses rétractations, l. 1, c. 10, il répète : « Tous le peuvent, s’ils le veulent ; mais Dieu prépare la volonté des hommes et l’anime du feu de la charité, afin qu’ils le puissent ». Si tous le peuvent, donc Dieu prépare la volonté de tous. Même doctrine, Serm. 4, n. 6 et 7 ; Serm. 183, n. 5 ; L. de pec. meritis et remis. c. 25, n. 37. « Dieu aide par la grâce la volonté de l’homme, afin de ne pas lui commander en vain ». L. de grat. et lib. arb. c. 4, n. 9. Or Dieu commande à tous, donc il aide la volonté de tous ; et s’il y avait une circonstance dans laquelle il ne leur accordât aucune grâce, il leur commanderait en vain. Le Concile de Trente, Sess. 6, c. 11, a consacré cette maxime du saint Docteur : « Dieu ne commande pas l’impossible ; mais en commandant il vous avertit de faire ce que vous pouvez, de demander ce que vous ne pouvez pas, et il vous aide, afin que vous le puissiez ». L. de nat. et grat. c. 43, n. 50. Les Pères de l’Église postérieurs à S. Augustin l’ont copié, et lui-même a fait profession de suivre ceux qui l’avaient précédé. Aujourd’hui certains Théologiens osent encore écrire que la grâce générale accordée à tous les hommes, est une imagination des Scholastiques. D’autres ont poussé l’audace plus loin ; ils ont dit que cette grâce prétendue est une erreur des Pélagiens, que S. Augustin l’a combattue de toutes ses forces, Epist. 186 ad Paulin. Les semi-Pélagiens l’avaient adoptée, et Fauste de Riez voulait la prouver par les passages de l’Écriture Sainte que nous avons allégués ci-dessus. Epist ad Vital. 217, n. 16, S. Augustin enseigne comme un dogme catholique que la grâce n’est pas donnée à tous ; et le deuxième Concile d’Orange l’a ainsi décidé contre les semi-Pélagiens. 213
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[...] IV. Résitance à la grâce. Peut-on résister à la grâce intérieure, et y résiste-t-on souvent en effet ? Pour résoudre cette question, il devrait suffire de nous interroger nous-mêmes, et de consulter notre propre conscience. Qui de nous ne s’est pas senti plus d’une fois inspiré de faire une bonne œuvre qu’il a négligée, ou de résister à une tentation à laquelle il a succombé ? Toutes les fois que cela nous est arrivé, la conscience nous l’a reproché comme une faute ; nous avons senti que ce n’était pas la grâce qui nous avait manqué, mais que nous avions résisté à la grâce avec une pleine liberté. À qui n’est-il pas arrivé de résister quelquefois aux remords de sa conscience ? Ces remords sont certainement une grâce et une grâce très intérieure. Rien n’est donc plus faux que la proposition de Jansénius : On ne résiste jamais à la grâce intérieure dans l’état de nature tombée. Ce fait n’est pas moins certain par l’Écriture Sainte. La sagesse éternelle dit aux pécheurs : je vous ai appelés et vous avez résisté, Prov. c. 1, v. 24. Le Psalmiste les compare à l’aspic, qui se bouche les oreilles pour ne pas entendre la voix de l’enchanteur, Ps. 57, v. 5 et 6. Il suppose donc que Dieu leur parle. Selon Job, ils ont dit à Dieu : retirez-vous, nous ne voulons point connaître vos voies, c. 21, v. 14. Dieu avait promis par Jérémie, c. 31, v. 33, d’écrire sa loi dans l’esprit et dans le coeur des fidèles ; S. Paul les en a fait souvenir, Hebr. c. 8, v. 20, et c. 10, v. 16. Cela ne peut se faire que par la grâce intérieure. Cependant les fidèles même violent encore la loi de Dieu ; donc ils résistent à la grâce. Jésus-Christ dit à Jérusalem : j’ai voulu rassembler tes enfants, et tu n’as pas voulu, Matt. c. 23, v. 37. S. Étienne fait aux Juifs le même reproche, Act. c. 7, v. 51 : « Vous résistez toujours au S. Esprit, comme ont fait vos pères ». S. Paul cite les paroles d’Isaïe, c. 65, v. 2 : j’ai étendu tout le jour les bras vers un peuple incrédule et rebelle, Rom. c. 10, v. 21. Il dit, II. Cor. c. 6, v. 1 : « Nous vous exhortons à ne 214
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pas recevoir la grâce de Dieu en vain ». S. Augustin conclut de ce passage que l’homme, en recevant la grâce, ne perd pas pour cela sa volonté, c’est-à-dire, sa liberté, suivant son style, ce qui se fait nécessairement se fait par nature, et non par volonté, L. de duab. animab. c. 12, n. 17. Epist. 166, § 5, etc. S. Paul répète les paroles du Psalmiste : « Si vous entendez aujourd’hui la voix de Dieu, n’endurcissez pas vos cœurs, Hebr. c. 3, v. 7. La terre qui reçoit la rosée du ciel... et qui ne produit que des ronces et des épines, est réprouvée et prête à être maudite ; mais nous avons de vous de meilleures espérances », c. 6, v. 7. L’Apôtre suppose donc que l’on peut recevoir la rosée de la grâce, et cependant ne produit aucun fruit, résister à la voix de Dieu, et s’endurcir contre elle. [...]
2
IDOLE, IDOLATRE, IDOLATRIE T. II, p. 237a-250b
'2 Le grec eidolôn est évidemment dérivé d’eido, je vois des yeux du corps ou de l’esprit ; conséquemment idole signifie en général, image, figure, représentation ; dans un sens plus propre, c’est une statue ou une image qui représente un Dieu, et idolâtrie est le culte rendu à cette figure. Dans le sens théologique et plus étendu, c’est le culte rendu à tout objet sensible, naturel ou factice, dans lequel on suppose un faux Dieu. Ainsi les peuples grossiers, qui avant l’invention de la peinture et de la sculpture, ont adoré les astres et les éléments en eux-mêmes, en les supposant animés par des Esprits, des Intelligences, des Génies qu’ils prenaient pour des Dieux, n’ont pas été moins idolâtres que ceux qui ont adoré les simulacres de ces mêmes divinités, faits par la main des hommes. Les Parsis ou les Guèbres, qui adorent le soleil et le feu, non seulement comme symboles de la divinité, mais comme 215
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des êtres vivants, animés, intelligents, doués d’intelligence, de volonté et de puissance, sont Idolâtres, selon toute la force du terme. Voyez PARSIS. Il en est de même des Nègres, qui adorent des fétiches, ou des êtres matériels, auxquels ils attribuent une intelligence, une volonté et un pouvoir surnaturel. Comme l’idolâtrie suppose nécessairement le Polythéisme, ou la pluralité des Dieux, et que l’une ne va jamais sans l’autre, il faut examiner, 1°. ce que c’était que les Dieux des Païens ou des Idolâtres ; 2°. comment le Polythéisme et l’idolâtrie se sont introduits dans le monde ; 3°. en quoi consitait le crime de ceux qui s’y sont livrés ; 4°. à qui était adressé le culte rendu aux idoles ; 5°. quelle a été l’influence de l’idolâtrie sur les mœurs des nations ; 6°. si le culte que nous rendons aux saints, à leurs images, à leurs reliques, est une idolâtrie. Il n’est aucune de ces questions que les Protestants et les incrédules n’aient tâché d’embrouiller, et sur laquelle ils n’aient posé des principes absolument faux ; il est important d’en établir de plus vrais. Nous n’argumenterons pas comme eux sur des conjectures arbitraires, mais sur des faits et sur des monuments. I. Qu’était-ce que les Dieux des Polythéistes ? Il est certain, par l’histoire sainte, que Dieu s’est fait connaître à nos premiers parents en les mettant au monde, qu’il a daigné converser avec Adam et avec ses enfants, et qu’il a honoré de la même faveur plusieurs des anciens Patriarches, en particulier Noé et sa famille. Tant que les hommes ont voulu écouter ces respectables personnages, il était impossible que le polythéisme et l’idolâtrie pussent s’établir parmi eux. Adam a instruit sa postérité pendant 930 ans ; plusieurs de ceux qui l’avaient vu et entendu ont vécu jusqu’au déluge, suivant le calcul du texte hébreu. [...] Mais après la confusion des langues, lorsque les familles furent obligées de se disperser, plusieurs, uniquement occupés de leur subsistance, oublièrent les leçons de leurs pères et la 216
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tradition primitive, tombèrent dans un état de barbarie et dans une ignorance aussi profonde que si jamais Dieu n’eût rien enseigné aux hommes. L’Auteur de l’Origine des Lois, des Arts et des Sciences10, tome 1, introd. p. 6, et l. 2, p. 151, a prouvé ce fait par les témoignages des anciens les mieux instruits. Dans cet état de l’enfance des nations, le Polythéisme et l’idolâtrie ne pouvaient pas manquer de naître. On le comprendra dès que l’on voudra faire attention à l’instinct, ou à l’inclination générale de tous les hommes, qui est de supposer un esprit, une intelligence, une âme, partout où ils voient du mouvement ; jamais aucun n’a pu se persuader qu’un corps fût capable de se mouvoir, ni que la matière fût un principe de mouvement. Ainsi les enfants, les ignorants, les personnes timides, croient voir ou entendre une âme, un esprit, un lutin dans tous les corps qui se remuent, qui font du bruit, qui produisent des effets ou des phénomènes dont elles ne conçoivent pas la cause. Comme tout est en mouvement dans la nature, il a fallu placer des esprits ou des génies dans toutes ses parties, et il n’en coûtait rien pour les créer. Aussi les sauvages en mettent dans tout ce qui les étonne et ils les appellent des manitoux. [...] S’il y a dans l’univers des corps dans lesquels on ait dû imaginer d’abord des intelligences, des génies ou des Dieux, c’est surtout dans les astres ; la régularité de leurs mouvements, vrais ou apparents, l’éclat de leur lumière, l’influence de leur chaleur sur les productions de la terre, leurs différents aspects, les pronostics que l’on en tire, etc. sont étonnants, sans doute ; comment concevoir tout cela, sans les supposer animés, conduits par des esprits intelligents et puissants, qui disposent de la fécondité ou de la stérilité de la terre, de la disette ou de 10. Antoine-Yves Goguet et Alexandre-Conrad Fugère, De l’Origine des Lois, des Arts et des Sciences et de leurs progrès chez les anciens peuples, Paris, Desaint et Saillant, 1758, 3 vol. in-4°. 217
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l’abondance ? La première conséquence qui se présente à l’esprit des ignorants, est qu’il faut leur adresser des vœux, des prières, des hommages, leur rendre un culte et les adorer. Aussi est-il certain, par le témoignage des Auteurs sacrés et profanes, que la plus ancienne de toutes les idolâtries est le culte des Astres, surtout chez les Orientaux, auxquels le ciel offre pendant la nuit le spectacle le plus brillant et le plus magnifique. Mém. de l’Acad. des Inscript. tome 42, in-12, p. 173. Voyez ASTRES. Le même préjugé qui a fait peupler le ciel d’esprits, de génies, ou de Dieux prétendus, portait également les hommes à les multiplier de même sur la terre, puisque tout y est en mouvement aussi bien que dans le ciel, et que les divers éléments y exercent constamment leur empire. C’est sans doute, ont dit les raisonneurs, un génie puissant, logé dans les entrailles de la terre, qui lui donne sa fécondité, mais qui la rend stérile quand il lui plaît, qui tantôt fait prospérer les travaux du laboureur, tantôt le prive du fruit de ses peines. C’en est un autre qui dispose à son gré des vents favorables qui rafraîchissent l’atmosphère, et des souffles brûlants qui dessèchent les campagnes. [...] Ainsi ont raisonné tous les peuples privés de la révélation, ou par leur faute, ou par celle de leurs pères, et nous verrons bientôt que les Philosophes même les ont confirmés dans cette erreur. Si nous pouvions parcourir tous les phénomènes de la nature, nous n’en trouverions pas un duquel il ne résulte du bien ou du mal, qui ne fournisse aux savants et aux ignorants des sujets d’admiration, de reconnaissance, et de crainte ; sentiments desquels sont évidemment nés le Polythéisme et l’idolâtrie ; mais d’autres causes y ont contribué, nous les exposerons ci-après. [...] II. Comment le Polythéisme et l’idolâtrie se sont-ils introduits dans le monde ? Cela paraît d’abord difficile à concevoir, quand on fait attention que, suivant l’Écriture Sainte, Dieu s’était 218
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révélé aux hommes dès le commencement du monde, et que les Patriarches, instruits par ces divines leçons, avaient établi parmi leurs descendants la connaissance et le culte exclusif d’un seul Dieu. Sans doute la con fusion des langues et la dispersion des familles n’effacèrent point dans les esprits les idées de religion dont ils avaient été imbus dès l’enfance ; comment se sont-elles altérées ou perdues au point de disparaître presque entièrement de l’univers, et de faire place à un chaos d’erreurs et de superstition ? Cela ne serait pas arrivé, sans doute, si chaque père de famille avait exactement rempli ses devoirs, et avait transmis fidèlement à ses enfants les instructions qu’il avait reçues lui-même. Mais la paresse naturelle à tous, l’amour de la liberté toujours gênée par le culte divin et par les préceptes de la morale, le mécontentement contre la Providence qui ne leur accordait pas assez à leur gré les moyens de subsistance, un fond de corruption et de perversité naturelle, firent négliger à la plupart le culte du Seigneur. De pères aussi peu raisonnables, il ne put naître qu’une race d’enfants abrutis. Ainsi commença l’état de barbarie, dans lequel les anciens Auteurs ont représenté la plupart des nations au berceau. Les hommes devenus sauvages et stupides se trouvèrent incapables de réfléchir sur le tableau de la nature, sur la marche générale de l’univers ; ils ne virent plus que des Génies, des Esprits, des manitous, dans les objets dont ils étaient environnés. À la vérité, il n’en a pas été de même chez toutes les nations. Il est impossible que dans la Chaldée et la Mésopotamie, contrées si voisines de la demeure de Noé, les descendants de Sem aient entièrement perdu la connaissance des arts et du culte divin pratiqués par ces deux Patriarches ; le Polythéisme et l’idolâtrie n’ont donc pas pu naître chez eux d’ignorance et de stupidité. Cependant l’histoire nous apprend que le culte d’un seul Dieu ne s’y est conservé pur que pendant 150 ou 200 ans, tout au plus, 219
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depuis la dispersion. Nous lisons dans le livre de Josué, c. 24, v. 2, et dans celui de Judith, c. 5, v. 7, que le Polythéisme s’était déjà introduit chez les ancêtres d’Abraham dans la Chaldée ; mais nous n’y voyons les premiers vestiges d’idolâtrie que deux cents ans plus tard, à l’occasion des Téraphim ou Idoles de Laban, Gen. c. 31, v. 19 et 30. Il faut que ce désordre soit provenu d’une autre cause que du défaut de lumière. Nous pouvons raisonner de même à l’égard de l’Égypte. Les petits-enfants de Noé n’auraient jamais osé habité ce pays, noyé pendant trois mois chaque année sous les eaux du Nil, s’ils n’avaient connu et pratiqué les arts de premier besoin, à l’exemple de leur aïeul ; le nom de Mitsraïm, que l’Écriture leur donne, atteste qu’ils savaient creuser des canaux, faire des chaussées et des levées de terre, pour se mettre à couvert des eaux, et cet art en suppose d’autres. Le vrai Dieu était connu chez eux du temps d’Abraham, Gen. 12, v. 17 ; et du temps de Joseph, c. 41, v. 38 et 39. On ne l’avait pas encore entièrement oublié au temps de Moïse, Exode, c. 1, v. 17 et 21 : mais les Égyptiens étaient déjà livrés pour lors à la superstition la plus grossière, puisqu’ils rendaient un culte aux animaux, c. 8, v. 26. Ce n’étaient cependant pas des Barbares ; ils avaient un gouvernement et des lois. Voyez EGYPTIENS. Par une bizarrerie encore plus singulière, chez toutes les nations connues, le Polythéisme et l’idolâtrie une fois établis, loin de diminuer avec le temps, n’ont fait qu’augmenter ; plus ces nations ont été civilisées et polies, plus elles ont été superstitieuses. Dieu sans doute a voulu humilier et confondre la raison humaine, en laissant les peuples s’aveugler et se pervertir, à mesure qu’ils faisaient des progrès dans les arts, dans les lettres et dans les sciences. Ce phénomène nous étonnerait davantage, si nous ne voyons pas les Juifs, environnés des leçons, des bienfaits, des miracles du Seigneur se livrer avec fureur à l’idolâtrie et y 220
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retomber sans cesse, et dans le sein même du Christianisme, des hommes pénétrés de lumière de toutes parts, se plonger dans l’impiété et dans l’Athéisme. Disons donc hardiment que ce sont les passions humaines qui ont été la cause du Polythéisme chez tous les peuples, comme elles ont été la source des erreurs et de l’irréligion dans tous les temps. [...] III. En quoi a consisté le crime des Polythéistes et des Idolâtres ? Ce que nous avons dit jusqu’ici doit déjà le faire comprendre ; mais il est bon de l’exposer en détail. 1°. Le culte des Païens n’était adressé qu’à des êtres imaginaires, forgés à discrétion par des hommes peureux et stupides. Les prétendus démons ou génies, maîtres et gouverneurs de la nature, tels que Jupiter, Junon, Neptune, Apollon, etc., n’existaient que dans le cerveau des Païens. Soit qu’on les crût tous égaux et indépendants, soit qu’on les supposât subordonnés à un être plus grand qu’eux, c’était outrager sa providence, que d’imaginer qu’il n’avait pas seulement daigné créer le genre humain, et qu’il n’en prenait aucun soin ; qu’il abandonnait le sort des hommes au caprice de plusieurs esprits bizarres et vicieux, souvent injustes et malfaisants, qui ne tenaient aucun compte de la vertu de leurs adorateurs, mais seulement des hommages extérieurs qu’on leur rendait. C’était un abus inexcusable d’établir pour eux un culte pompeux, pendant que le Créateur, souverain Maître de l’univers, n’était adoré dans aucun lieu. 2°. Il y avait de l’aveuglement à nommer des Dieux ces êtres fantastiques, à les revêtir des attributs incommunicables de la Divinité, tels que la toute-puissance, la connaissance de toutes choses, la présence dans tous les lieux et dans tous les symboles consacrés à leur honneur ; pendant qu’on leur attribuait d’ailleurs 221
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toutes les passions et tous les vices de l’humanité, qu’on les peignait comme protecteurs du crime, que l’on mettait sur leur compte les fables et les aventures les plus scandaleuses. S. Augustin n’a pas eu tort de soutenir aux Païens que si ce qu’ils racontaient de leurs Dieux était vrai, Platon et Socrate méritait beaucoup mieux les honneurs divins que Jupiter. 3°. Non seulement les idoles étaient, pour la plupart, des nudités honteuses, mais elles représentaient des personnages infâmes, Bacchus, Vénus, Cupidon, Priape, Adonis, le dieu Crepitus, etc. Plusieurs étaient des monstres, tels qu’Anubis, Atergatis, les Tritons, les Furies, etc. Les autres montraient les Dieux accompagnés des symboles du vice ; Jupiter avec l’aigle qui avait enlevé Ganymède ; Junon avec le paon, figure de l’orgueil ; Vénus avec des colombes, animaux lubriques ; Mercure avec une bourse d’argent volé, etc. 4°. C’était une opinion folle de croire qu’en vertu d’une prétendue consécration, ces démons ou génies venaient habiter dans les statues, comme l’assuraient gravement les Philosophes ; que par le moyen de la théurgie, de la magie, des évocations, l’on pouvait animer un simulacre et y renfermer le Dieu qu’il représentait. C’était néanmoins la croyance commune ; nous le prouverons ci-après. 5°. Un nouveau trait de démence était de mêler encore dans le culte de pareils objets des cérémonies non seulement absurdes, mais criminelles, infâmes, cruelles ; l’ivrognerie, la prostitution, les actions contre nature, l’effusion du sang humain. Voilà ce qu’ont reproché aux Païens l’Auteur du livre de la Sagesse, dans l’endroit que nous avons cité ; les Pères de l’Église, témoins oculaires de tous ces faits ; les Auteurs profanes les mieux instruits, et même les Poètes. On dira, sans doute, que dans l’état de barbarie, d’ignorance, de stupidité, dans lequel la plupart des peuples étaient tombés, 222
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ils étaient incapables de sentir l’énormité des crimes qu’ils commettaient, ni l’injure qu’ils faisaient à Dieu, puisqu’ils ne le connaissaient pas ; qu’à tout prendre, ils ont été plus dignes de pitié que de colère et de châtiment. Mais nous avons fait voir que c’est par leur faute qu’ils sont tombés dans l’état de barbarie, que Dieu les avait suffisamment instruits, non seulement par les lumières de la raison et par le spectacle de la nature, mais par des leçons de vive voix, pendant un grand nombre de siècles. D’ailleurs nous ne savons pas jusqu’à quel point Dieu, par des grâces intérieures, a voulu suppléer aux secours naturels qui manquaient aux peuples barbares, ni jusqu’à quel point ils se sont rendus coupables en y résistant ; Dieu seul peut en juger ; et puisque les livres saints les condamnent, ce n’est point à nous de les absoudre. Quant à ceux qui ont connu d’abord le vrai Dieu, ou qui ont pu le connaître, et qui se sont livrés à l’idolâtrie par l’impulsion de leurs passions, leur crime est évidemment sans excuse. [...] Par ce chaos d’erreurs universellement suivies, on voit l’importance et la nécessité du dogme de la création ; sans ce trait de lumière, la nature de Dieu, l’essence des esprits, l’origine des choses, sont une énigme indéchiffrable ; les plus grands génies de l’univers y ont échoué. Mais Dieu a dit : que la lumière soit, et la lumière fut. Ce mot sacré, qui au commencement dissipa les ténèbres du monde, nous éclaire encore ; il nous apprend à raisonner. Dieu a opéré par le seul vouloir : donc il est éternel, seul être existant de soi-même, pur esprit, immortel, immuable, tout-puissant, libre, indépendant ; point de nécessité en lui que la nécessité d’être. Les esprits et les corps, les hommes et les animaux, tout est l’ouvrage de sa volonté seule ; la conservation et le gouvernement du monde ne lui coûtent pas plus que la création ; il n’a besoin ni d’une âme du monde, ni de lieutenants, 223
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ni de ministres subalternes ; c’est outrager sa grandeur et sa puissance que d’oser imaginer ou nommer d’autres Dieux que lui ; il est seul, et il ne donnera sa gloire à personne. Isaïe, ch. 48, v. 11. On comprend, en second lieu, l’énergie du nom que l’Écriture donne à Dieu, lorsqu’elle l’appelle le Dieu du Ciel, le Dieu des armées célestes. Non seulement c’est lui qui a créé ces globes lumineux qui roulent sur nos têtes, mais c’est lui qui, par sa volonté seule, et sans leur avoir donné des âmes, dirige leur cours, pour l’utilité de toutes les nations de la terre. Deut. c. 4, v. 19. Les astres ne sont donc ni des Dieux, ni les arbitres de nos destinées ; ce sont des flambeaux destinés à nous éclairer, et rien de plus ; il y aurait donc de la folie à les adorer. On voit enfin la sagesse et la nécessité des lois par lesquelles Dieu avait défendu l’idolâtrie avec tant de sévérité. C’est que cette erreur une fois admise, il était impossible d’arrêter le torrent d’erreurs et de désordres qu’elle traînait à sa suite. Elle avait tellement le pouvoir d’aveugler et d’abrutir les hommes, que les meilleurs génies de l’antiquité, qui avaient passé leur vie à réfléchir et à méditer, n’en ont pas senti l’absurdité, ou n’ont pas eu le courage de s’y opposer ; mais les conséquences en ont été encore plus pernicieuses aux mœurs qu’à la Philosophie : nous le verrons ci-après. IV. À qui était adressé le culte rendu aux Idoles ? Il ne devrait pas être nécessaire de traiter cette question, après ce que nous avons dit jusqu'ici, et après avoir prouvé que le culte rendu aux Idoles ne pouvait, en aucun sens, se rapporter au vrai Dieu ; mais nous avons affaire à des adversaires qui ne se rendent point, à moins qu’ils n’y soient forcés par des preuves démonstratives : or, nous en avons à leur opposer. Suivant leur opinion, les Écrivains sacrés ont eu tort de reprocher aux Païens qu’ils adoraient le bois, la pierre, les métaux. Ps. 113 et 134 ; Baruch, c. 6, Sap. c. 15, v. 15, 224
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etc. L’intention des Païens, disent-ils, n’était pas d’adresser leur culte à l’Idole devant laquelle ils se prosternaient, mais au dieu qu’elle représentait ; jamais ils n’ont cru qu’une statue fût une divinité. C’est à nous de prouver le contraire. Tout le monde connaît la supercherie dont les Prêtres Chaldéens se servirent pour persuader au Roi de Babylone que la statue de Bel était une divinité vivante, qui buvait et mangeait les provisions que l’on avait soin de lui offrir tous les jours ; l’histoire en est rapportée dans le livre de Daniel, c. 4. Diogène Laerce, dans la Vie de Stilpon, l. 2, nous apprend que ce Philosophe fut chassé d’Athènes, pour avoir dit que la Minerve de Phidias n’était pas une divinité. Nous lisons dans Tite-Live que Herdonius s’étant emparé du Capitole, avec une troupe d’esclaves et d’exilés, le Consul Publius Valerius représenta au peuple que Jupiter, Junon, et les autres Dieux et Déesses, étaient assiégés dans leur demeure, l. 3, c. 17. Cicéron, dans ses Harangues contre Verrès, dit que les Siciliens n’ont plus de Dieux dans leurs villes auxquels ils puissent avoir recours, parce que Verrès a enlevé tous les simulacres de leurs temples. Act. 4, de signis. En plaidant pour Milon, et parlant de Clodius, il dit : « Et vous, Jupiter Latin, vengeur du crime, du haut de votre montagne, vous avez enfin ouvert les yeux pour le punir ». Il était donc persuadé que Jupiter résidait au Capitole, dans le temple et dans la statue qui y étaient érigés. Pausanias, liv. 3, ch. 16, parlant de celle de Diane Taurique, auprès de laquelle les Spartiates fouettaient leurs enfants jusqu’au sang, dit qu’il est comme naturel à cette statue d’aimer le sang humain, tant l’habitude qu’elle en a contractée chez les Barbares s’est enracinée en elle. [...]
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Il est donc incontestable que, suivant la croyance générale des Païens, soit ignorants, soit Philosophes, les idoles étaient habitées et animées par le dieu prétendu qu’elles représentaient et auquel elles étaient consacrées ; donc le culte qu’on leur rendait leur était directement adressé, non comme à une masse de matière insensible, mais comme à un être vivant, sanctifié et divinisé par la présence d’un Esprit, d’un Génie, ou d’un Dieu. Si ce n’est pas là une idolâtrie, dans toute la rigueur du terme, nous demandons à nos adversaires ce que l’on doit entendre sous ce nom. [...] V. Funestes conséquences du Polythéisme et de l’idolâtrie à l’égard des mœurs et de l’ordre de la société. [...] Vainement on dit que, malgré cette dépravation, le Paganisme n’avait cependant pas anéanti la morale, et que les Philosophes en donnaient de très bonnes leçons. Sans avouer l’excellence prétendue de la morale des Philosophes Païens, que nous avons examinée à l’art. MORALE , nous voudrions savoir quel effet elle pouvait produire, lorsque la religion, le culte, l’exemple, donnaient des leçons toutes contraires. Les hommes pouvaient-ils être coupables, en imitant la conduite des Dieux qu’ils adoraient ? Les Philosophes, d’ailleurs, n’enseignaient pas le peuple, et l’on savait que leur conduite était souvent très peu conforme à leurs préceptes ; ils n’avaient aucun caractère, aucune mission divine, aucune autorité capable d’en imposer au peuple, et ils disputaient entre eux sur la morale comme sur toutes les autres questions. Quand on se rappelle avec quelle licence la morale de Socrate fut jouée sur le théâtre d’Athènes, on peut juger si les Philosophes étaient de puissants réformateurs. Cicéron, Sénèque, Lactance, S. Augustin, ont fait voir que la religion païenne n’avait aucun rapport à la morale, que ces deux choses étaient inconciliables ; Bayle l’a prouvé à son tour ; il a montré que les Païens devaient 226
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commettre plusieurs crimes par motif de religion. Contin. des Pensées div., §. 53, 54, 126 et suiv. En effet, indépendamment des exemples que nous en fournit l’Écriture sainte, on sait ce qu’était la religion chez les Grecs et les Romains, et en quoi ils la faisaient consister, dans de pures cérémonies, la plupart absurdes ou criminelles. Dans les nécessités publiques, on vouait aux Dieux des victimes et des sacrifices, jamais des actes de vertu. Pour apaiser les Dieux, on célébrait les jeux du cirque, on ordonnait des combats de gladiateurs, on représentait dans des pièces dramatiques les aventures scandaleuses des Dieux, on promettait à Vénus un certain nombre de courtisanes ; les fêtes de cette divinité n’auraient pas été bien célébrées, si l’on ne s’y était pas livré à l’impudicité ; ni celles de Bacchus, si l’on n’avait pas pris du vin avec excès. Celles de la Déesse Flora étaient encore plus licencieuses. Mais la frénésie des idolâtres éclatait surtout dans les sacrifices où l’on immolait aux Dieux les captifs pris à la guerre ; presque jamais un Général Romain n’obtint l’honneur du triomphe sans qu’il fût suivi du meurtre des vaincus qu’il avait traînés à son char. Des Dieux pouvaient-ils donc être si avides de sang humain ? N’eût-il pas été possible d’en imaginer de moins cruels ? On sait combien de milliers de Chrétiens furent victimes de cette religion sanguinaire ; au milieu de l’ivresse des spectacles, les Païens forcenés s’écriaient : livrez les Chrétiens aux bêtes : Christianos ad leonem, Tertull. Il était impossible qu’une pareille religion, si l’on ose encore la nommer ainsi, contribuât au bonheur des hommes ; elle ne pouvait servir qu’à les rendre malheureux ; et il est vrai de dire avec S. Paul, que les Païens trouvaient en eux-mêmes le juste salaire de leurs erreurs et de leurs crimes. Dès que l’on supposait le monde peuplé de divinités bizarres, de gémissements des morts, de spectres et de fantômes, du pouvoir des Magiciens, 227
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des enchantements des sorcières ! Voyez le Philopseudes de Lucien. [...] Les Pères de l’Église n’ont donc pas eu tort de soutenir qu’une religion aussi folle, aussi cruelle, aussi contraire au bon sens et au bien-être de l’homme, ne pouvait avoir été introduite dans le monde que par l’esprit infernal. Mais, dira-t-on peut-être, la plupart de ces absurdités se sont renouvelées dans le sein même du Christianisme pendant les siècles d’ignorance. Soit : elles y avaient rapportées par les Barbares du Nord, idolâtres, grossiers et brutaux. Mais la religion réclamait toujours contre tous les abus ; à force de vigilance et de zèle, les Pasteurs en empêchaient la contagion. Jamais l’Église n’a cessé de proscrire, par ses lois, toute espèce de superstition, et enfin le mal a cessé avec l’ignorance : chez les Grecs et les Romains, il a fait des progrès à mesure que ces peuples ont avancé dans les sciences humaines ; après deux mille ans de durée, il était aussi enraciné que jamais, et il est encore au même degré que chez toutes les nations qui ne connaissent point l’Évangile. Aujourd’hui nos Philosophes se vantent d’avoir dissipé l’ignorance et les préjugés ; mais sans les lumières du Christianisme, auraient-ils eu plus de pouvoir que les Sages d’Athènes et de Rome ? Les uns ni les autres n’ont su détruire la superstition qu’en professant l’Athéisme ; c’est un remède pire que le mal : pour nous, nous sommes sûrs d’éviter toutes les erreurs et tous les excès, en nous tenant aux leçons de la religion. VI. Le culte que nous rendons aux Saints, à leurs images, à leurs reliques, est-il une idolâtrie ? C’est le reproche que nous font continuellement les Protestants, et ç’a été là un des principaux motifs de leur schisme ; a-t-il quelque apparence de vérité ? [...] Nous soutenons que le respect, l’honneur, la vénération, que Dieu ordonne d’avoir pour toutes ces choses, est un vrai culte, un culte religieux, et qu’il fait partie de la religion ; les 228
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Protestants ne peuvent soutenir le contraire, sans pervertir toutes les nations et abuser de tous les termes. Or, nous avons fait voir que les Païens n’avaient et ne pouvaient avoir aucune idée d’un culte subordonné et relatif. Ils ne reconnaissaient point un Dieu suprême, duquel les autres fussent seulement les Lieutenants et les Ministres ; jamais ils n’ont rêvé que Jupiter, ou tel autre Dieu, avait pour supérieur l’Esprit éternel formateur du monde, et qu’il lui devait compte de son administration, et qu’il n’avait auprès de lui qu’un simple pouvoir d’intercession. Cette idée même n’est venue dans l’esprit d’aucun Philosophe antérieur au Christianisme ; à plus forte raison n’a-t-elle pas pu entrer dans la tête du commun des Païens, qui n’avaient aucune notion d’un Dieu suprême, à qui les Philosophes n’ont jamais révélé ce dogme, qui regardaient tous les Dieux comme à peu près égaux, qui s’adressaient à eux directement et uniquement dans leurs besoins, et qui attribuaient à eux seuls le pouvoir d’accorder les bienfaits qu’on leur demandait. Il y a donc de la part des Protestants un entêtement impardonnable à comparer le culte que nous rendons aux Saints avec celui que les Païens rendaient à leurs Dieux prétendus, à soutenir que Dieu a défendu ce culte par ces paroles : Vous n’aurez point d’autres Dieux que moi. De simples intercesseurs sont-ils donc des Dieux ? La Loi n’ajoute point : Vous ne rendrez à un autre personnage qu’à moi aucune espèce de respect, d’honneur, ni de culte religieux, par considération pour moi. Voyez SAINTS. Nous n’insisterons point sur la différence qu’il y a entre le caractère que nous attribuons aux Saints et celui que les Païens prêtaient à leurs Dieux, entre les pratiques par lesquelles nous honorons les premiers, et celles dont usaient les Païens dans le culte de leurs idoles. Nous honorons dans les Saints les dons et les grâces de Dieu, les vertus héroïques et surnaturelles, les services spirituels et temporels qu’ils ont rendus à la société, la 229
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gloire et le bonheur dont Dieu les a récompensés. Les Païens respectaient et célébraient dans les Dieux, des vices, ses crimes, des forfaits, des actions dont les hommes doivent rougir ; les adultères et les incestes de Jupiter, l’orgueil et les traits de jalousie de Junon, les impudicités de Vénus, les fureurs et les vengeances de Mars, les vols de Mercure, les friponneries de Laverne, l’humeur satirique de Momus, etc. ; ils divinisaient des personnages qui auraient mérité d’expirer sur la roue. Autant ce culte absurde et impie contribuait à pervertir les mœurs, autant celui que nous rendons aux Saints doit servir à les purifier et à les rendre irrépréhensibles. '2
INFIDÈLE T. II, p. 323a-325b '2 INFIDÈLE, homme qui n’a pas la foi. On nomme ainsi ceux qui ne sont pas baptisés, et qui ne croient point les vérités de la religion chrétienne ; dans ce sens, les Idolâtres et les Mahométans sont infidèles. Les Théologiens en distinguent de deux espèces ; ils nomment infidèles négatifs ceux qui n’ont jamais entendu ni refusé d’entendre la prédication de l’Évangile, et infidèles positifs, ceux qui ont résisté à cette prédication et ont fermé les yeux à la lumière. Voyez l’article suivant. Un hérétique est différent d’un infidèle, en ce que le premier est baptisé, connaît les dogmes de la foi, les altère ou les combat ; au lieu que le second ne les connaît pas, n’a pas pu ou n’a pas voulu les connaître. Quelques Théologiens ont soutenu que toutes les actions des infidèles étaient des péchés, et que toutes les vertus des 230
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Philosophes étaient des vices. Si cela était vrai, plus un Païen ferait de bonnes œuvres morales, plus il serait damnable. C’est une erreur justement condamnée par l’Église dans Baïus et dans ses partisans. Elle tenait à une autre opinion dans laquelle ils étaient, savoir, que Dieu n’accorde aucune grâce intérieure aux infidèles pour faire le bien, et que la foi est la première grâce ; nouvelle erreur condamnée de même. Il est de notre devoir de réfuter l’une et l’autre. Dans l’article GRÂCE, § 2, nous avons déjà prouvé que Dieu donne des grâces intérieures à tous les hommes, sans exception ; c’est une conséquence de ce que Dieu veut les sauver tous, et de ce que Jésus-Christ est mort pour tous : nous avons à prouver que Dieu en donne nommément aux Païens, aux infidèles. 1°. Il est dit dans plusieurs endroits de l’Écriture Sainte, que Dieu a opéré des miracles en faveur de son peuple sous les yeux des nations infidèles, afin que ces nations apprissent qu’il est le Seigneur, et de peur qu’elles ne fussent tentées de douter de sa puissance ou de sa bonté. Exode, c. 7, v. 5 ; c. 9, v. 27 ; c. 14, v. 4 et 18. Ps. 78, v. 6 ; 113, v. 1. Ezéch., c. 20, v. 9, 14, 22 ; c. 36, v. 20 et suiv. Tob, c. 13, v. 4. Eccli., c. 36, v. 2, etc. Il est prouvé par l’Histoire Sainte que ces prodiges ont fait impression sur plusieurs infidèles, sur un nombre d’Égyptiens qui s’unirent aux Juifs, Exode, c. 13, v. 38 ; sur Rahab, Josué, c. 2, v. 9 et 11. Dieu a-til refusé des grâces à ceux pour lesquels il a opéré des miracles ? 2°. L’Écriture nous atteste que Dieu a eu les mêmes desseins en punissant ces nations coupables, que c’est pour cela qu’il n’a pas exterminé entièrement les Égyptiens et les Chananéens. L’Auteur du livre de la Sagesse lui dit à ce sujet : « Vous les avez épargnés parce que c’étaient des hommes faibles... En les punissant par degrés, vous leur donniez le temps de faire pénitence... Vous avez soin de tous, pour démontrer la justice de vos jugements... et parce que vous êtes le Seigneur de tous, 231
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vous pardonnez à tous, etc. » Sap. c. 11, v. 24 et suiv. c. 12, v. 8 et suiv. De quoi pouvait servir cette miséricorde extérieure, si Dieu n’y ajoutait pas des grâces ? 3°. Dieu n’a pas rejeté le culte des Païens, lorsqu’ils le lui ont adressé. Salomon dit que Dieu écoutera leurs prières, lorsqu’ils l’adoreront dans son Temple, III. Reg. c. 8, v. 41. David les y invite tous, Ps. 95, v. 7. Il félicite Jérusalem de ce que les étrangers se sont rassemblés et ont appris à connaître le Seigneur, Ps. 86. Nous en voyons des exemples dans la Reine de Saba et dans Naaman. Il y avait dans le Temple un parois [sic] destiné exprès pour les Gentils. Ces infidèles adoraient-ils le Seigneur sans aucune grâce ? 4°. Dieu n’a point désapprouvé les prières que les Juifs lui ont adressées pour les Rois de Babylone, Jérém. c. 29,v. 7 ; Baruch, c. 1, v. 10 et suiv. c. 2, v. 4 et 15. Et par ces prières, les Juifs demandaient à Dieu, non seulement la prospérité de ces Princes, mais que Dieu leur inspirât la douceur, la bonté, la justice. Il n’a point réprouvé les présents et les sacrifices que les Rois de Syrie lui faisaient offrir à Jérusalem. Machab. l. 2, c. 3, v. 2 et 3. Lorsque S. Paul recommande de prier pour les Rois et pour les Princes, il entend que l’on demande à Dieu, non seulement leur conversion mais la grâce d’être justes et pacifiques, puisqu’il ajoute : « afin que nous menions une vie paisible et tranquille, avec piété et avec la plus grande pureté 7. 1. Tim. c. 2, v. 2. 5°. Nous voyons en effet que Dieu a souvent inspiré aux infidèles des sentiments et des actions de piété, de justice, de bonté. Lorsque Esther parut devant Assuérus, il est dit que Dieu tourna l’esprit du Roi à la douceur, Esther, c. 14, v. 13 ; c. 15, v. 11. Il est dit ailleurs que Dieu mit dans l’esprit de Cyrus de publier l’édit par lequel il faisait à Dieu hommage de ses victoires, Esdr. c. 1, v. 1 ; que Dieu tourna le cœur de Darius à aider les Juifs pour la construction du Temple, c. 6, v. 22 ; qu’il avait inspiré 232
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au Roi Artaxerxès le dessein de contribuer à l’ornement de ce lieu saint, c. 7, v. 27. C’étaient donc des bonnes œuvres inspirées par la grâce. [...] 6°. Dieu a fait aux infidèles des grâces auxquelles ils ont résisté. Selon la pensée de Job, ils ont dit à Dieu : « Retirez-vous de nous, nous ne voulons pas connaître vos voies. Qui est le Tout-Puissant, pour que nous le servions ? Ils ont été rebelles à la lumière, etc. ». Job, c. 21, v. 14 ; c. 24, v. 13 et 23. S. Paul entend dans le même sens ces paroles d’Isaïe : « J’ai été trouvé par ceux qui ne me cherchaient pas ; je me suis montré à ceux qui ne m’appelaient pas, etc. » Rom, c. 10, v. 20. 7°. Dieu a pardonné les péchés aux infidèles lorsqu’ils ont fait pénitence, à Nabuchodonosor, Dan, c. 4. v. 24, 3&, 33 ; aux Ninivites, Jon, c. 3, v. 10 ; ; aux Rois Achab et Manassès, qui étaient plus criminels que les infidèles, III, Reg. c. 21, v. 29 ; IV. Reg. c. 21 ; II, Paral. c. 33. Ont-ils été pénitents sans avoir été touchés de la grâce ? 8°. Dieu a récompensé les bonnes actions des Païens et leur obéissance à ses ordres ; témoin les sages-femmes d’Égypte, la courtisane Rahab ; Achior, chef des Ammonites ; Nabuchodonosor et son armée ; Ruth, femme moabite, etc. S. Augustin, parlant des Rois Païens et idolâtres, dit que plusieurs ont mérité de recevoir du ciel la prospérité, les victoires, un règne long et heureux ; que la prospérité des Romains a été une récompense de leurs vertus morales, De civ. Dei, l. 5, c. 19 et 24. Nous savons très bien que ces récompenses temporelles ne servaient de rien pour le salut ; mais elles prouvent que les actions pour lesquelles Dieu les accordaient n’étaient pas des péchés ; Dieu est aussi incapable de récompenser un péché, que d’engager l’homme à le commettre. 233
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9°. Selon S. Paul, « lorsque les Gentils qui n’ont pas la loi (écrite) font naturellement ce qu’elle prescrit, ils font eux-mêmes leur propre loi, et lisent les préceptes de la loi gravés dans leur cœur ». Rom. c. 2, v. 14. C’est-à-dire, selon l’explication de S. Augustin, que dans ces gens-là, « la loi de Dieu, qui n’est pas entièrement effacée par le crime, est écrite de nouveau par la grâce ». De spirit. et litt., c. 28, n. 48. S. Prosper l’entend de même. « La loi de Dieu, dit-il, est conforme à la nature ; et lorsque les hommes l’accomplissent, ils le font naturellement, non parce que la nature a prévenu la grâce, mais parce qu’elle est réparée par la grâce ». Sent. 258. Origène avait déjà fait le même commentaire, in Epist. ad Rom. l. 2, n. 9, l. 4, n. 5. Si nous voulions rassembler toutes les réflexions que les Pères de l’Église ont faites sur les textes de l’Écriture que nous avons cités, il faudrait faire un volume entier ; mais il suffit d’alléguer des faits incontestables. Lorsque les Juifs prétendirent que tous les bienfaits de Dieu avaient été réservés pour eux, que les Païens n’y avaient eu aucune part, ils furent réfutés par S. Justin, Dial. cum Tryph. n. 15. Apol. I, n. 46. Les Marcionites disaient de même, que Dieu avait abandonné les Païens ; S. Irénée, S. Clément d’Alexandrie, Tertullien, s’élevèrent contre cette erreur. Elle fut renouvelée par le Philosophe Celse ; Origène lui opposa les passages que nous avons cités, en particulier ceux du livre de la Sagesse, Contrà Cels. l. 4, n. 28. Les Manichéens y retombèrent ; ils furent foudroyés par S. Augustin. Les Pélagiens soutinrent que les bonnes actions des Païens venaient des seules forces de la nature ; le saint Docteur prouva que c’était l’effet de la grâce, L. 4, contrà Julian. c. 3, n. 16, 17, 32, etc. L’Empereur Julien objecta que, selon nos livres saints, Dieu n’avait eu soin que des Juifs, et avait délaissé les autres nations ; S. Cyrille répéta les passages de l’Écriture et les faits qui prouvent le contraire, L. 3, contrà Jul. p. 106 et suiv. Il est trop tard au dix-huitième siècle 234
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pour ramener parmi les Chrétiens l’esprit judaïque, et pour faire revivre des erreurs écrasées cent fois par les Pères de l’Église. On dira peut-être que l’intention de ces Pères aura été seulement de prouver que Dieu n’a point refusé aux Païens les secours naturels pour faire le bien, et non de démontrer que Dieu leur a donné des grâces intérieures surnaturelles. Outre que le contraire est évident, par les expressions mêmes de l’Écriture et des Pères, il ne faut pas oublier le principe d’où sont partis les Théologiens que nous réfutons. Ils disent que, depuis la dégradation de la nature humaine par le péché originel, l’homme ne possède plus rien de son propre fond, n’a plus de forces naturelles, ne peut faire autre chose que pécher ; lorsque Dieu lui accorde des secours pour éviter le mal et faire le bien, en quel sens ces secours sont-ils encore naturels ? Selon l’Écriture et les Pères, c’est le verbe divin qui opère dans tous les hommes, non seulement comme créateur de la nature, mais comme réparateur de son ouvrage, dégradé par le péché ; il est donc faux que cette opération puisse être appelée naturelle dans aucun sens : c’est une conséquence de la grâce générale de la rédemption. Lorsque ces mêmes Théologiens ont avancé que la supposition d’une grâce générale accordée à tous les hommes, est une des erreurs de Pélage, ils en ont imposé grossièrement. Cet hérétique, pour faire illusion, appelait grâce les forces de la nature, parce qu’elles sont un don de Dieu. C’est en ce sens qu’il disait que cette grâce est générale. S. Aug. Epist. 106, ad Paulin. L. de grat. Christi, c. 35, n. 38 et suiv. Il n’admettait point d’autre grâce de Jésus-Christ que la doctrine, les leçons, les exemples, de ce divin Maître, S. Aug. L. 3, Op. imperf. n. 114. Selon lui, il était absurde de penser que la justice de Jésus-Christ profite à ceux qui ne croient pas en lui, L. 3, de pecc. meritis et remiss. c. 2, n. 2. Conséquemment il disait que dans les Chrétiens seuls le librearbitre est aidé par la grâce, Epist ad. Innoc. Append. August. 235
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p. 270. Il pensait donc, comme Baïus et ses partisans, que la foi est la première grâce. Comment aurait-il admis qu’une grâce intérieure surnaturelle est donnée à tous les hommes, lui qui soutenait qu’elle n’est nécessaire à personne, qu’elle détruirait le libre-arbitre, et que cette prétendue grâce est une vision ? Ce n’est pas le seul article de la doctrine de Pélage que ces Théologiens ont travesti.
2 JÉSUITES T. II, p. 260a-261a
2 Ordre de Religieux fondé par S. Ignace de Loyola, Gentilhomme espagnol, pour instruire les ignorants, convertir les infidèles, défendre la foi catholique contre les hérétiques, et qui a été connu sous le nom de Compagnie ou Société de Jésus. Il fut approuvé par Paul III, en 1540, et confirmé par plusieurs Papes postérieurs ; l’institut en fut déclaré pieux par le Concile de Trente, sess. 25 de Reform., c. 16. Il a été supprimé par un bref de Clément XIV, du 31 Juillet 1773. Pendant deux cent trente ans, elle a rendu à l’Église et à l’humanité les plus grands services, par les missions, par la prédication, par la direction des âmes, par l’éducation de la jeunesse, par les bons ouvrages que ses membres ont publiés dans tous les genres de sciences. On peut consulter la Bibliothèque de leurs Écrivains, donnée par Alégambe, et ensuite par Sotuel, en 1676, in-folio ; et depuis, quel supplément n’aurait-on pas à y ajouter ! Cette Société n’existe plus... Nous souhaitons sincèrement qu’il se forme dans les autres Corps séculiers ou Réguliers, des Missionnaires tels que ceux qui ont porté le Christianisme au 236
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Japon, à la Chine, à Siam, au Tonquin, aux Indes, au Pérou, au Paraguay, à la Californie, etc. ; des Théologiens tels que Suarès, Pétau, Sirmond, Garnier ; des Orateurs tels que Bourdaloue, Larue, Segaud, Griffet, Neuville ; des Historiens qui égalent d’Orléans, Longueval, Daniel ; des Littérateurs qui effacent Rapin, Vanières, Commires, Jouvency, etc. etc. Nous souhaitons surtout que bientôt on ne s’aperçoive plus du vide immense qu’ils ont laissé pour l’éducation de la jeunesse, et que les générations futures soient, à cet égard, plus heureuses que celle qui suit immédiatent leur destruction.
2 JÉSUS-CHRIST T. II, p. 261a-266b
2 Quand on n’envisagerait Jésus-Christ que comme l’auteur d’une grande révolution survenue dans le monde, comme un législateur qui a enseigné la morale la plus pure et établi la religion la plus sage et la plus sainte qu’il y ait sur terre, il mériterait encore d’occuper la première place dans l’histoire, et d’être représenté comme le plus grand des hommes. Mais aux yeux d ’un Chrétien, Jésus-Christ n’est pas seulement un envoyé de dieu, c’est le Fils de Dieu fait homme, le Rédempteur et le Sauveur du genre humain. Il est du devoir d’un Théologien de prouver que cette croyance est bien fondée, que ce divin personnage s’est fait voir sous les traits les plus capables de démontrer sa divinité, et de convaincre les hommes, qu’il était envoyé pour opérer le grand ouvrage de leur salut. Nous avons donc à examiner, 1°. le caractère personnel de Jésus-Christ, et la manière dont il a vécu parmi les hommes ; 2°. la preuve principale de sa mission divine, qui sont ses miracles. 237
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On trouvera les autres preuves, ou motifs de crédibilité, à l’art. CHRISTIANISME , et nous établissons directement sa divinité au mot FILS DE DIEU. I. Annoncé par une suite de prophéties pendant quarante siècles, attendu chez les Juifs et dans tout l’Orient, prévenu par un saint précurseur, précédé par des prodiges, Jésus paraît dans la Judée, et prêche l’avènement du royaume des cieux. Sa naissance a été marquée par des miracles ; mais son enfance a été obscure et cachée : il est issu du sang des Rois ; mais il ne tire aucun avantage de cette origine ; il déclare que son royaume n’est pas de ce monde. Il prouve sa mission, et confirme sa doctrine par une multitude de miracles ; il multiplie les pains, guérit les malades, ressuscite les morts, calme les tempêtes, marche sur les eaux, donne à ses Disciples le pouvoir d’opérer de semblables prodiges : il les fait sans intérêt, sans vanité, sans affectation ; il refuse d’en faire pour contenter la curiosité ou pour punir les incrédules : on les obtient de lui par des prières, par la confiance, par la docilité. Les miracles des imposteurs ont pour but d’étonner et de séduire les hommes ; ceux de Jésus-Christ sont tous destinés à les secourir et à les sanctifier. Sa doctrine est sublime, ce sont des mystères qu’il faut croire ; mais un Dieu qui enseigne les hommes ne doit-il leur apprendre que ce qu’ils peuvent concevoir ? Il n’argumente point, il ne dispute point comme les Philosophes ; il ordonne de croire sur sa parole, parce qu’il est Dieu. [...] Les mystères qu’il annonce ne sont point destinés à étonner la raison, mais à toucher le cœur ; un Dieu en trois personnes, dont chacune est occupée de notre sanctification, un Dieu fait homme pour nous racheter et nous sauver, qui se donne à nous pour victime et pour nourriture de nos âmes, un Dieu qui ne permet le péché que pour mieux éprouver la vertu, qui n’attache ses grâces qu’à ce qui réprime les passions, qui punit en ce monde, non pour se faire craindre, 238
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mais pour sauver ceux qu’il châtie. Est-il surprenant que cette doctrine forme des Saints ? La morale de Jésus-Christ est pure et sèvère, mais simple et populaire ; il n’en fait pas une science profonde et raisonnée ; il la réduit en maximes, la met à portée des plus ignorants, la confirme par ses exemples. Doux et affable, indulgent, miséricordieux, charitable, ami des pauvres et des faibles, il n’affecte ni une éloquence fastueuse, ni un rigorisme outré, ni des mœurs austères, ni un air réservé et mystérieux ; il promet la paix et le bonheur à ceux qui pratiqueront ses préceptes : il n’a en vue que la gloire de Dieu son père, la sanctification des hommes, le salut et le bonheur du monde. Patient jusqu’à l’héroïsme, modeste et tranquille dans les opprobres et les souffrances, il les supporte sans faiblesse et sans ostentation ; il ne cherche point à braver ses ennemis, mais à les toucher et à les convertir. Couvert d’outrages, crucifié entre deux malfaiteurs, il meurt en demandant grâce pour ses accusateurs, ses juges et ses bourreaux ; il laisse au ciel le soin de faire éclater son innocence par des prodiges ; si un Dieu a pu se faire homme, c’est ainsi qu’il devait mourir, et puisque Jésus-Christ est mort en Dieu, il devait ressusciter. Mais sorti du tombeau, il ne va point se montrer à ses ennemis ; il avait assez fait pour les convertir ; il n’entreprend point de les forcer : il veut que la foi soit raisonnable, mais libre ; ce n’est point par des opiniâtres qu’il avait résolu de réformer l’univers. [...] Grands génies, savants dissertateurs, montrez-nous dans l’histoire du monde quelque chose qui resssemble à la personne, à la conduite, au ministère de Jésus-Christ. Des historiens qui ont su peindre un Homme-Dieu sous des traits aussi singuliers et aussi majestueux, n’ont été ni des imbéciles ni des imposteurs ; ils n’avaient point de modèle, et ils n’étaient pas assez habiles 239
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pour le forger. Un envoyé de Dieu, qui a rempli si parfaitement tous les caractères d’une mission divine, n’est lui-même ni un fourbe ni un fanatique. Puisqu’il a dit qu’il était le Fils de Dieu, il l’est véritablement. Si nous comparons ce divin maître aux autres fondateurs de religions, quelle différence ! La plupart de ceux-ci ont confirmé le Polythéisme et l’idolâtrie, parce qu’ils les ont trouvés généralement établis. Quelques-uns ont peut-être adouci la férocité des mœurs ; mais ils n’en ont pas diminué la corruption. Plusieurs étaient ou des Conquérants qui inspiraient la crainte, ou des Souverains respectés ; ils ont employé la force, l’autorité ou la séduction pour se faire obéir. Jésus-Christ n’a eu de l’ascendant sur les hommes que par sa sagesse, par ses vertus, par ses miracles ; son ouvrage ne s’est accompli que lorsqu’il n’était plus sur la terre. Confucius a pu, sans prodige, rassembler les préceptes de morale des Sages qui l’avaient précédé, et se faire un grand nom chez un peuple encore très ignorant ; mais il n’a pas corrigé la religion des Chinois, déjà infectée de Polythéisme par le culte qu’ils rendaient aux esprits et aux ancêtres : sa doctrine n’a pas empêché l’idolâtrie du Dieu Fo de s’introduire à la Chine et d’y devenir la religion populaire. Les Philosophes Indiens, quoique partagés en divers systèmes, se sont réunis pour plonger le peuple dans l’idolâtrie la plus grossière, ont mis une inégalité odieuse et une haine irréconciliable entre les différentes conditions des hommes. Les prétendus Sages de l’Égypte y ont laissé établir un culte et des superstitions qui ont rendu cette nation ridicule aux yeux de toutes les autres. Zoroastre, pour réformer l’idolâtrie des Chaldéens et des Perses, y a substitué un système absurde, a multiplié à l’infini les pratiques minutieuses, a inondé de sang la Perse et les Indes, pour affermir ce qu’il appelait l’arbre de sa loi. Les Philosophes et les Législateurs de la Grèce n’ont pas osé toucher aux fables ni aux superstitions déjà anciennes dans 240
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cette contrée ; ils ont été plus occupés de leurs disputes que de la réforme des erreurs et de la correction des mœurs. Mahomet, imposteur, voluptueux et perfide, a favorisé les passions des Arabes, pour parvenir à réunir dans sa tribu l’autorité religieuse et le pouvoir politique. Toute la sagesse de ces hommes si vantés n’a consisté qu’à faire servir à leurs desseins ambitieux les erreurs, les vices qui dominaient dans leur pays et dans leur siècle. La plupart n’ont subjugué que des nations ignorantes et barbares. Jésus-Christ a fondé le Christianisme au milieu de la philosophie des Grecs et de l’urbanité romaine ; il n’a épargné aucun vice, n’a fomenté aucune erreur ; il a refusé le titre de Roi, lorsqu’un peuple, nourri par sa puissance, voulait le lui donner. Pour savoir s’il a contribué au bonheur de l’humanité, nous invitons les détracteurs du Christianisme à comparer l’état des nations qui adorent Jésus-Christ avec celui des Païens anciens et des infidèles d’aujourd’hui. Qu’ils nous disent s’ils auraient mieux aimé vivre à la Chine, aux Indes, chez les Perses, parmi les Égyptiens, dans les républiques de la Grèce ou de l’Italie, que chez les peuples policés par l’Évangile. Jamais ils n’auront fait ce parallèle, jamais ils n’oseront le tenter. Auraient-ils reçu l’éducation, les connaissances, les mœurs douces et polies dont ils s’applaudissent, s’ils étaient nés ailleurs ? Partout où la foi chrétienne s’est éatblie, elle y a porté plus ou moins promptement les mêmes avantages ; partout où elle a cessé de régner, la barbarie a pris sa place : telle est la triste révolution qui s’est faite sur les côtes de l’Afrique et dans toute l’Asie, depuis que le Mahométisme s’y est élevé sur les ruines du Christianisme. Le plus léger sentiment de reconnaissance doit donc suffire pour nous faire tomber aux pieds de Jésus-Christ, et rendre hommage à sa divinité. Vrai soleil de justice, il a répandu la lumière de la vérité et allumé le feu de la vertu ; aucun peuple, 241
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aucun homme n’est demeuré dans les ténèbres de l’erreur et dans la corruption du péché, que ceux qui ont refusé de s’instruire et de se convertir. Avec toutes leurs disputes, les Philosophes n’ont pas corrigé les mœurs d’une seule bourgade ; par la voix de douze pêcheurs, notre divin Maître a changé la face de la meilleure partie de l’univers. [...] Lorsque les incrédules ont été obligés de s’expliquer sur l’opinion qu’ils avaient conçue de ce divin Législateur, ils n’ont pas été peu embarrassés. Tant qu’ils ont professé le Déisme, ils ont affecté d’en parler avec respect ; ils ont rendu justice à la sainteté de sa doctrine et de sa conduite, à l’importance du service qu’il a rendu à l’humanité ; quelques-uns en ont fait un éloge pompeux : s’ils ne l’ont pas reconnu comme Dieu, ils l’ont peint du moins comme le meilleur et le plus grand des hommes. Mais comment concilier cette idée avec la doctrine qu’il a prêchée ? Il s’est attribué constamment le titre et les honneurs de la divinité ; il veut que l’on honore le Fils comme on honore le Père. Joan. c. 5, v. 23. Lorsque les Juifs ont voulu le lapider, parce qu’il se faisait Dieu, loin de dissiper le scandale, il l’a confirmé, c. 10, v. 33. Il a mieux aimé se laisser condamner à la mort que de renoncer à cette prétention. Matt. c. 26, v. 63. Après sa résurrection, il a souffert qu’un de ses Apôtres le nommât Mon Seigneur et mon Dieu. Joan. c. 20, v. 28. Suivant l’expression de S. paul, il n’a point regardé comme une usurpation de s’égaler à Dieu. Philipp. c. 2, v. 6. Si Jésus-Christ n’est pas véritablement Dieu dans toute la rigueur du terme, voilà une conduite abominable, plus criminelle que celle de tous les imposteurs de l’univers. Non seulement Jésus a usurpé les attributs de la divinité, mais il a voulu que ses Disciples fussent, comme lui, victime de ses blasphèmes ; il n’a pas daigné prévenir ni l’erreur dans laquelle son Église est encore aujourd’hui, ni les disputes que ses discours devaient 242
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nécessairement causer. Il n’y a donc pas de milieu : ou Jésus-Christ est Dieu, ou c’est un malfaiteur qui a mérité le supplice auquel il a été condamné par les Juifs. Dans le désespoir de sortir jamais de cet embarras, les incrédules, devenus athées, ont pris le parti extrême de blasphémer contre Jésus-Christ, de le peindre tout à la fois comme un imbécile fanatique et comme un imposteur ambitieux. Ils se sont appliqués à noircir sa doctrine, sa morale, sa conduite, les prédicateurs dont il s’est servi et la religion qu’il a établie. Mais le fanatisme n’inspira jamais des vertus aussi douces, aussi patientes, aussi sages que celles de Jésus-Christ. Un ambitieux ne commande point l’humilité, le détachement de toutes choses, le seul désir des biens éternels, ne se résout point à la mort pour soutenir une imposture. Aucun fanatique, aucun imposteur n’a jamais ressemblé à Jésus-Christ. D’ailleurs quiconque croit un Dieu et une Providence ne se persuadera jamais que Dieu s’est servi d’un fourbe insensé pour établir la plus sainte religion qu’il y ait sur terre, et la plus capable de faire le bonheur de l’humanité. Un fanatique en démence est incapable de former un plan de religion tout différent du Judaïsme dans lequel il avait été élevé, un plan dans lequel le dogme, la morale et le culte extérieur se trouvent indissolublement unis, et tendent au même but, un plan qui dévoile la conduite que Dieu a tenue depuis le commencement du monde, qui unit ainsi les siècles passés et les siècles futurs, qui fait concourir tous les événements à un seul et même dessein. Aucune religion fausse ne porte ces caractères. Enfin un homme dominé par des passions vicieuses n’a jamais montré un désir aussi ardent de sanctifier les hommes, d’établir sur la terre le règne de la vertu. Un faux zèle se trahit toujours par quelque endroit ; celui de Jésus-Christ ne s’est démenti en rien. En deux mots, si Jésus-Christ est Dieu-Homme, tout est 243
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d’accord dans sa conduite ; s’il n’est pas Dieu, c’est un chaos où l’on ne peut rien comprendre. [...] II. Comme nous donnons pour signe principal de la mission de Jésus-Christ les miracles qu’il a opérés, nous devons indiquer, du moins en abrégé, les preuves générales de ces miracles. La première est le témoignage des Apôtres et des Évangélistes. Deux de ceux qui en ont écrit l’histoire se donnent pour témoins oculaires, les deux autres les ont appris de ces mêmes témoins. S. Pierre prend à témoin de ces miracles les Juifs rassemblés à Jérusalem le jour de la Pentecôte. Act. c. 2, v. 22 ; c. 10, v. 37. Ils ont donc été publiés dans la Judée même, peu de temps après, et sur le lieu où ils ont été opérés, en présence de ceux qui les ont vus, ou qui en ont été informés par la notoriété publique, et qui avaient intérêt de les contester, s’il eût été possible. Ces miracles sont encore confirmés par les témoignages de l’Historien Joseph, de Celse, de Julien, des Gnostiques, etc. Il faut se raidir conte l’évidence même pour soutenir, comme les incrédules, que les miracles de Jésus n’ont été vus que par ses Disciples ; que les Juifs ne les ont pas vus, puisqu’il n’y ont pas cru ; que ces faits n’ont été écrits qu’après la ruine de Jérusalem, lorsqu’il n’y avait plus de témoins oculaires. Ces miracles ont été vus non seulement par tous les habitants de la Judée qui ont voulu les voir, mais par tous les Juifs de l’univers qui se trouvaient à Jérusalem aux principales fêtes de l’année. Parce que la plupart de ces témoins n’ont pas cru la mission, la qualité de Messie, la divinité de Jésus-Christ, il ne s’ensuit pas qu’ils n’ont pas cru les miracles qu’ils avaient vus : il s’ensuit seulement qu’ils n’en ont pas tiré les conséquences qui s’ensuivaient. Ce sont deux choses fort différentes. Plusieurs de ceux qui ont avoué formellement ces miracles, soit parmi les Juifs, soit parmi les païens, n’ont pas embrassé pour cela le Christianisme. Ces faits ont été 244
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certainement écrits avant la ruine de Jérusalem, puisque les trois premiers Évangiles, les Actes des Apôtres et les Épîtres de S. Paul ont paru avant cette époque. Seconde preuve. Non seulement les Juifs n’ont point contesté ces miracles dans les temps qu’on les a publiés, mais plusieurs les ont formellement avoués. Les uns les ont attribués à la magie et à l’intervention du démon ; les autres à la prononciation du nom de Dieu que Jésus avait dérobée dans le temple. Si les Juifs en étaient disconvenus, Celse qui les fait parler, Julien, Porphyre, Hiéroclès, n’auraient pas manqué d’alléguer cette réclamation des Juifs ; ils ne les en accusent pas. Les Compilateurs du Talmud auraient allégué ce témoignage de leurs ancêtres ; tout au contraire ils avouent les miracles de Jésus-Christ, Galatin, de Arcanis Cathol verit., l. 8, c. 5. Orobio, Juif très instruit, fidèle à suivre la tradition de sa nation, n’a pas osé jeter du doute sur ce fait essentiel. Troisième preuve. Les Auteurs païens qui ont attaqué le Christianisme, ont agi de même, sans nier les miracles de JésusChrist ; ils ont dit qu’il les a faits par magie, que d’autres que lui en ont fait de semblables ; que cette preuve ne suffit pas pour établir sa divinité et la nécessité de croire en lui. Il aurait été bien plus simple de les nier absolument, si cela était possible. Quatrième. Plusieurs anciens hérétiques, contemporains des Apôtres, ou qui ont paru immédiatement après eux, ont attaqué des dogmes enseignés dans l’Évangile ; mais nous n’en connaissons aucun qui en ait contredit les faits ; les sectes mêmes qui ne convenaient pas de la réalité des faits, avouaient qu’ils s’étaient passés, du moins en apparence ; ils ne taxaient point les Apôtres de les avoir forgés. Il y a eu des apostats dès le premier siècle ; S. Jean nous l’apprend : aucun n’est accusé d’avoir publié que l’histoire évangélique était fausse. Il y en avait parmi ceux que 245
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Pline interrogea, pour savoir ce que c’était que le Christianisme, et ils ne lui découvrirent aucune espèce d’imposture. 5°. Une preuve plus forte de la vérité des miracles de JésusChrist est le grand nombre de Juifs et de Païens convertis par les Apôtres et par les Disciples du Sauveur. Quel motif a pu les engager à croire en Jésus-Christ, à se faire baptiser, à professer la foi chrétienne, à braver la haine publique, les persécutions et la mort, sinon une persuasion intime de la vérité des faits évangéliques ? C’est la preuve principale sur laquelle insistent les Apôtres. [...] 6°. Comme la résurrection de Jésus-Christ est le plus grand de ses miracles, les Apôtres, non contents de la publier, la mettent dans le Symbole ; ils en établissent un monument en célébrant le Dimanche. Selon S. Paul, elle est représentée par la manière dont le baptême est administré. On lisait l’Évangile dans toutes les assemblées chrétiennes, et l’Évangile en parle comme d’un fait indubitable. Il était donc impossible d’être chrétien sans la croire, et personne ne l’aurait crue, si elle n’avait pas été invinciblement prouvée. Toutes ces preuves auraient besoin d’être traités plus au long ; mais ce n’est pas ici le lieu. Les incrédules se contentent de nous objecter que les prétendus miracles de Zoroastre, de Mahomet, d’Apollonius de Thyane, et de quelques autres imposteurs, ne sont pas moins attestés que ceux de Jésus-Christ, et ne sont pas crus avec moins de fermeté par leurs sectateurs. Ils nous en imposent évidemment. 1°. Ces prétendus miracles ne sont rapportés par aucun témoin oculaire ; aucun de ceux qui les ont écrits n’ont osé dire, comme S. Jean : « Nous vous annonçons et nous vous attestons ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons entendu nous-mêmes, ce que nous avons examiné avec attention, et ce que nous avons touché de nos mains ». I. Joan. c. 1, v. 1. 246
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2°. La plupart de ces prodiges sont en eux-mêmes ridicules, indignes de Dieu, ne pouvaient servir qu’à favoriser l’orgueil du Thaumaturge, à étonner et effrayer ceux qui les auraient vus ; ceux de Jésus-Christ ont été des actes de charité destinés à l’avantage temporel et spirituel des hommes, à soulager leurs maux, à les éclairer, à les tirer de l’erreur et du désordre, à les mettre dans la voie du salut. 3°. Ce ne sont point les prétendus miracles des imposteurs qui ont fait adopter leur doctrine ; il est prouvé que la religion de Zoroastre et celle de Mahomet se sont établies par la violence, et il y avait longtemsp que le Paganisme subsistait, lorsque les faiseurs de prestiges ont paru dans le monde. Au contraire ce sont les miracles de Jésus-Christ et ceux des Apôtres qui ont fondé le Christianisme. 4°. Aucun de ces Thaumaturges supposé n’a été prédit, comme Jésus-Christ, plusieurs siècles auparavant par une suite de Prophètes qui ont annoncé aux hommes ses miracles futurs. Aucun des faux miracles n’ont été avoués par les sectateurs d’une religion différente. Si quelques Pères de l’Église sont convenus des prodiges allégués par les Païens, d’autres les ont niés et réfutés formellement. Aucun imposteur célèbre n’a pu donner à ses Disciples, comme a fait Jésus-Christ, le pouvoir d’opérer des miracles semblables aux siens. Voilà des différences auxquelles les incrédules ne répliqueront jamais. L’on a pu adopter de fausses religions par entêtement pour certaines opinions, par une estime aveugle pour le fondateur, par docilité pour les préjugés nationaux, par intérêt, par ambition, par libertinage ; la religion chrétienne est la seule qui n’a pu être embrassée que par conviction de la vérité des faits, par la certitude de la mission divine de son auteur, et par son amour pour la vertu. 247
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Une question très importante parmi les Théologiens, est de savoir si Jésus-Christ est mort pour tous les hommes sans exception ; s’il est, dans un sens très réel, le Sauveur et le Rédempteur de tous., comme l’Écriture Sainte nous en assure. Voyez SALUT, SAUVEUR. Chez toutes les nations chrétiennes, la naissance de JésusChrist est l’époque de laquelle on date les années, et qui sert de base à la chronologie. La manière la plus sûre et la plus commode de la fixer, est de supposer, comme les anciens Pères de l’Église, que Jésus-Christ est né dans l’année de Rome 749, la quarantième d’Auguste, la cinquième avant l’ère commune, sous le consulat d’Auguste et L. Cornelius Sulla. Il entrait dans sa trentième année lorsqu’il fut baptisé ; il fit ensuite quatre pâques, et fut crucifié le 25 de Mars, la trente-troisième année de son âge, la vingt-neuvième de l’ère commune, sous le consulat des deux Gémines. Par conséquent Jésus-Christ mourut la quinzième année de Tibère, à compter du temps auquel cet Empereur commença de régner seul, ou la dix-huitième depuis qu’Auguste l’eut associé à l’Empire. Voyez Vie des Pères et des Martyrs, tom. 5, note, pag. 635 et suiv. Dans la Bible d’Avignon, tome 13, p. 104, il y a une Dissertation dans laquelle l’Auteur adopte un calcul différent de celui-ci. Il suppose que Jésus-Christ est né deux ans seulement avant le commencement de l’ère commune, et qu’il est mort la trente-troisième année de cette ère. Ce n’est point à nous d’examiner lequel de ces deux sentiments est le mieux fondé. Il est bon de savoir que cet usage de compter les années depuis la naissance de Jésus-Christ, n’a commencé en Italie qu’au sixième siècle ; en France, au septième, et même au huitième, sous Pépin et Charlemagne : les Grecs s’en sont rarement servis dans les actes publics ; les Syriens n’ont commencé à en user qu’au dixième siècle. 248
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2 JUDAÏSME T. II, p. 363a-371a
2 JUDAÏSME, religion des Juifs. Dieu l’a donnée à ce peuple par le ministère de Moïse, vers l’an du monde 2513, selon le calcul du texte hébreu ; elle a duré 1550 ans, jusqu’à la ruine de Jérusalem et la dispersion des Juifs. Les livres de Moïse contiennent les dogmes, la morale, les cérémonies de cette religion. À l’art. MOÏSE , nous ferons voir que ce Législateur avait prouvé sa mission divine par des signes incontestables. Ici nous traiterons brièvement des différentes parties de la religion qu’il a établie. I. Les dogmes qu’il a enseignés aux Juifs étaient les mêmes que ceux qui avaient été révélés aux Patriarches leurs aïeux. Ce peuple adorait un seul Dieu, créateur, souverain Seigneur de l’univers, dont la Providence gouverne toutes choses, législateur suprême, rémunérateur de la vertu et vengeur du crime. Toutes les lois, toutes les pratiques du Judaïsme, tendaient à inculquer ces grandes vérités. [...] II. La morale du Judaïsme est enfermée en abrégé dans le Décalogue ; c’est encore celle des patriarches, puisque c’est la loi naturelle écrite. Voyez DÉCALOGUE . Mais Moïse l'avait rendue plus claire, en avait facilité la connaissance et l'exécution par les différentes lois qui prescrivaient aux juifs leurs devoirs envers Dieu et envers le prochain. [...] III. Mais pourquoi tant de lois cérémonielles ? pourquoi un culte extérieur si minutieux et si grossier ? Les Hébreux n'étaient pas en état d'en pratiquer un plus parfait, et il n'y en avait point
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alors dans le monde. Quand on l'examine de près, on en voit la sagesse et l'utilité. [...] IV. D'autres Écrivains ont prétendu que le Judaïsme n’était pas une religion, mais seulement une constitution politique. Ou nous n’entendons plus les termes, ou une loi qui prescrit une croyance, une morale, un culte extérieur que Dieu exige et qu’il daigne agréer, doit être nommé une religion. Pour donner plus de relief au Christianisme, est-il donc nécessaire de déprimer le Judaïsme ? Non sans doute : celui-ci a été l’ouvrage de la sagesse divine, et Dieu savait ce qui convenait dans les circonstances où il lui a plu de l’établir. [...] V. Sous prétexte de mieux faire comprendre combien les leçons de Jésus-Christ et des Apôtres étaient nécessaires au genre humain, le Clerc, dans son Hist. Ecclés., prolég. sect. 1, c. 8, s’est avisé de soutenir qu’un Juif pouvait très difficilement prouver aux Païens la vérité et la divinité de sa religion, et que nous ne pouvons y réussir nous-mêmes que par le témoignage de Jésus-Christ et des Apôtres, dont la mission divine nous est certainement connue. [...] L’espèce de dissertation qu’il fait sur ce sujet ne peut donc aboutir qu’à confirmer les Sociniens dans l’idée désavantageuse qu’ils ont et qu’ils donnent de la religion juive, et à fournir des armes aux incrédules pour attaquer la révélation. Quoique le Clerc déclare et proteste que ce n’est point là son dessein, il n’est pas moins vrai qu’il a produit cet effet, puisque les objections qu’il prête à un Païen pour embarrasser un Juif qui aurait voulu en faire un prosélyte, ont été la plupart copiées par les incrédules de nos jours. Il prétend d’abord qu’un Juif ne pouvait prouver sans beaucoup de difficulté l’antiquité des livres de Moïse, ou leur
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authenticité, ni la vérité de l’histoire de tout l’ancien Testament, ni la divinité ou l’inspiration de tous ces écrits. Cependant les plus habiles Écrivains de notre siècle, même chez les Protestants, ont prouvé que Moïse est véritablement l’Auteur du Pentateuque ; que ce livre est par conséquent plus ancien que toutes les histoires profanes : nous l’avons prouvé nous-mêmes au mot PENTATEUQUE , et nous ne craignons pas que les incrédules, endoctrinés par le Clerc, viennent à bout de renverser nos preuves. Nous avons démontré nous-mêmes la vérité de l’histoire juive au mot HISTOIRE SAINTE . Quant à la vérité ou à l’inspiration des livres de l’Ancien Testament, en général, nous convenons qu’elle ne peut être solidement prouvée que par le témoignage de Jésus-Christ et des Apôtres ; mais nous soutenons aussi contre le Clerc et contre les Protestants, que nous ne pouvons être certains de ce témoignage que par celui de l’Église : car enfin nous les défions de nous citer dans le nouveau testament un passage de Jésus-Christ ou les Apôtres aient déclaré que tous les livres de l’ancien, placés dans le canon, sont inspirés et parole de Dieu. Voyez ÉCRITURE SAINTE , §. 1 et 2. Les Païens, dit le Clerc, ne pouvaient croire aisément la cration du monde et celle de l’homme, le péché de nos premiers parents, le déluge universel, l’arche qui renfermait tous les animaux, etc. Mais nous avons fait voir que, malgré l’avis de ce critique et de tous les Sociniens, le dogme de la création est démontré, que l’histoire de la chute de l’homme ne renferme rien d’incroyable, que le déluge universel est encore attesté par toute la face du globe, que les miracles de Moïse sont prouvés de manière incontestable, etc. Il en est de même de tous les autres faits historiques, contre lesquels les incrédules se sont élevés, et qui, au jugement de notre Critique, devaient révolter ou scandaliser les Païens. Il ne convenait guère à un Savant, qui faisait profession du Christianisme, de vouloir nous persuader que les objections 251
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des anciens Auteurs païens, tels que Celse, Julien, Pophyre, etc., contre le Judaïsme, étaient très redoutables ; que tout considéré, un Juif, quelque habile qu’il fût, était incapable d’y répondre ; qu’ainsi un Païen était, à le bien prendre, dans une ignorance invincible à l’égard de la notion et du culte d’un seul Dieu. Il ne sert à rien de dire que Dieu avait donné la loi de Moïse pour les Juifs seuls ; du moins il n’avait pas réservé pour eux seuls les grandes vérités sur lesquelles ces lois étaient fondées, et que Dieu avaient révélées depuis le commencement du monde ; l’unité de Dieu, la création, la Providence divine, générale et particulière, l’immortalité de l’âme, les peines et les récompenses d’une autre vie, la venue future d’un Rédempteur pour le salut de tout le genre humain, etc. Or toutes les nations dont les Juifs étaient environnés ne pouvaient parvenir à la connaissance de toutes ces vérités par un moyen plus facile et plus sûr que par l’histoire dont les Juifs étaient dépositaires, et par la tradition constante qu’ils avaient reçue de leurs pères, dont la chaîne remontait jusqu’au premier âge du monde. De là, sans doute, est venue la multitude des prosélytes qui avaient embrassé le Judaïsme dans les siècles de la prospérité de cette nation : il est probable que le nombre en eût été plus grand dans le temps de la venue du Sauveur, sans les persécutions continuelles que les juifs essuyèrent de la part des Grecs et des Romains. On ne nous persuadera jamais que tous ces honnêtes Païens avaient changé de religion sans aucun motif solide de persuasion. Notre Critique a encore plus tort d’avancer que la plupart des rites judaïques étaient empruntés des Païens ; que ceux-ci ne pouvaient pas les juger plus saints ni plus respectables chez les juifs que chez eux. Nous avons prouvé la fausseté de cet emprunt au mot LOI CÉRÉMONIELLE. Avant l’abus que les Païens avaient fait des cérémonies religieuses, pour honorer de fausses divinités, les Patriarches, ancêtres des juifs, les avaient employés au culte 252
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du vrai Dieu. La plupart de ces rites se sont trouvés les mêmes chez des nations qui ne pouvaient avoir eu ensemble aucune relation, parce qu’ils ont été dictés par un instinct naturel, aussi bien que par la révélation primitive ; ainsi l’emprunt supposé par le Clerc et par les incrédules, est un soupçon sans fondement. Ce Critique trop hardi a eu tort de dire, ibid. sect. 3, c. 3, §. 14 : « Ces rites ressemblent tellement à ceux des Païens, que si nous ne savions pas, par l’Évangile, que Dieu, en les ordonnant, a voulu se proportionner à la faiblesse d’un peuple grossier, et ne les a institués que pour peu de temps, nous aurions peine à y reconnaître les traits de la sagesse divine ». 1°. L’on ne peut pas appeler peu de temps une durée de quinze cents ans. 2°. Il est prouvé par les Prophètes, aussi bien que par l’Évangile, que l’ancienne alliance en promettait une nouvelle. 3°. Nous serions en état de prouver que toutes les lois cérémonielles étaient très sages, eu égard aux circonstances ; que la plupart étaient directement contraires aux usages des Païens, et tendaient à préserver les Juifs de l’idolâtrie. Comme les autres Sociniens, il assure qu’il n’est fait mention de l’immortalité de l’âme et de la vie future dans les livres des Juifs, que d’une manière très obscure et très équivoque ; que si les derniers Écrivains Juifs en ont parlé plus clairement, ils avaient reçu cette connaissance des Poètes et des Philosophes Grecs, surtout des Platoniciens. Au mot AME , §. 2, nous avons fait voir, par de bonnes preuves, que ce dogme essentiel a été cru, non seulement par Moïse et par les anciens Juifs, mais par les Patriarches, leurs aïeux et leurs instituteurs : il est prouvé d’ailleurs que cette croyance de la vie future s’est retrouvée chez les Sauvages de l’Amérique, chez les insulaires de le mer du Sud, chez les Nègres et chez les Lapons ; ce ne sont certainement pas les philosophes Platoniciens qui l’ont portée dans ces divers climats. 253
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Enfin, puisque le Clerc convient qu’en vertu des lumières que nous avons reçues par l’Évangile, nous sommes en état de réfuter victorieusement les objections des Païens, il y a du ridicule à supposer que les Juifs ne pouvaient pas y satisfaire avec le secours de la révélation primitive, faite aux Patriarches longtemps avant celle que Dieu donna par Moïse. Il est certain, au contraire, que celle-ci fut donnée non seulement pour les Juifs, mais afin que les nations qui étaient à portée d’en prendre connaissance pussent renouer par ce moyen la chaîne de la tradition primitive, que les ancêtres de ces nations avaient laissé rompre par une négligence très blâmable. Il est donc évident que le Censeur du Judaïsme en a très mal connu l’esprit et la destination.
2 JUSTICE DE DIEU T. II, p. 391a-393a
2 JUSTICE DE DIEU, perfection par laquelle Dieu accomplit les promesses qu’il a faites à ses créatures, récompense la vertu et punit le crime. La justice de l’homme consiste à rendre à chacun ce qui lui est dû ; elle suppose des droits et des devoirs mutuels entre les hommes, une loi suprême qui leur défend de se nuire réciproquement, et qui leur ordonne de se secourir au besoin les uns les autres. Cette notion ne peut convenir à la justice divine. Lorsque Dieu nous a créés, il ne nous devait rien, pas même l’existence ; tout ce qu’il nous a donné est une libéralité pure de sa part ; nous n’avons droit d’attendre de lui que ce qu’il a daigné nous promettre ; la seule loi qui puisse l’obliger est sont ses perfections infinies. La justice de Dieu ne consiste donc point à nous accorder telle ou telle mesure de dons naturels, ou de grâces de salut, ni à les distribuer également à tous les hommes ; quand on y regarde 254
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de près, cette égalité est impossible, et ne pourrait tourner au bien général du genre humain : mais cette justice consiste à ne demander compte à chacun de nous que de ce qu’il a reçu, et à tenir fidèlement les promesses que Dieu nous a faites. Voyez INÉGALITÉ . Jésus-Christ nous donne dans l'Évangile la véritable idée de la justice divine, par la parabole des talents, Matt. ch. 25 ; Luc, ch. 19. Le père de famille confie à chacun de ses serviteurs telle portion de ses biens qu’il lui plaît ; lorsqu’il leur fait rendre compte, il récompense chacun d’eux à proportion du profit qu’il a fait ; il punit le serviteur paresseux et infidèle qui a enfoui son talent, et n’en a fait aucun usage. Ainsi, Dieu distribue à son gré les dons de la nature et de la grâce ; la portion qu’il en donne à tel homme ou à tel peuple ne porte aucun préjudice à celle qu’il a destinée aux autres ; il ne s’est engagé par aucune promesse à mettre entre eux une égalité parfaite, et ils n’ont aucun droit d’exiger plus ou moins : au jour du jugement, il doit rendre à chacun selon ses œuvres, récompenser ou punir du bon ou du mauvais usage que l’on aura fait de ses dons ; il l’a promis, et il ne peut manquer à sa parole, Num. c. 23, v. 19 ; II. Pet. c. 3, v. 4 et 9, etc. Dieu, dit S. Augustin, n’exige point ce qu’il n’a pas donné ; il a donné à tous ce qu’il exige d’eux, in Ps. 49, n. 15. Dieu a fait non seulement des promesses, mais des menaces, pour nous apprendre qu’il est le vengeur du crime, aussi bien que le rémunérateur de la vertu ; mais rien ne l’oblige à exécuter toutes ses menaces, parce qu’il peut pardonner quand il lui plaît. Il dit : « J’aurai pitié de qui je voudrai, et je ferai miséricorde à qui il me plaira ». Exode, c. 33, v. 19. S. Paul a répété ces paroles, Rom. c. 9, v. 15, et les Pères de l’Église les ont développées. « Dieu est bon, dit S. Augustin, Dieu est juste ; parce qu’il est bon, il peut sauver une âme sans mérites ; parce qu’il est juste, il n’en 255
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peut damner aucune sans qu’elle l’ait mérité ». Contrà Jul. l. 3, c. 18, n. 35. [...] Pélage osa décider qu’au jour du jugement les pécheurs ne seront pas pardonnés, mais condamnés au feu éternel. S. Jérôme et S. Augustin s’élevèrent contre cette témérité, et la taxèrent d’erreur ; on trouvera leurs paroles au mot JUGEMENT
DERNIER.
Quand on dit : la justice de Dieu exige que le crime soit puni, l’on entend qu’il le soit ou en ce monde ou en l’autre, par des peines passagères, ou par un supplice éternel ; et ce n’est point à nous de juger en quel cas Dieu ne peut et ne doit plus pardonner. Il ne faut pas en conclure que les menaces de Dieu ne sont ni sincères, ni redoutables, que les pécheurs peuvent les braver impunément, et compter toujours sur une miséricorde infinie : Dieu, quoique toujours le maître de faire grâce, a déclaré cependant qu’il punirait ; Jésus-Christ nous assure que les méchants iront au feu éternel, et les justes à la vie éternelle, Matt. c. 25, v. 46 ; mais il n’a pas décidé quel doit être le degré de méchanceté de l’homme pour que la miséricorde divine ne puisse plus avoir lieu. À le bien prendre, la justice de Dieu fait partie de sa bonté ; s’il ne punissait jamais, ce monde ne serait plus habitable ; les gens de bien seraient les victimes de l’impunité accordée aux méchants. C’est ce que les Pères de l’Église ont répondu aux Marcionites et aux Manichéens, qui appelaient cruauté la sévérité avec laquelle Dieu a souvent puni les pécheurs dans les premiers âges du monde. [...] La justice de Dieu n’exige point que le crime soit toujours puni en ce monde, encore moins que la vertu y soit toujours récompensée ; il est selon l’ordre, au contraire, que la vie 256
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présente soit un état de liberté et d’épreuve, que le mérite ait lieu avant la récompense, et que le crime précède le châtiment ; une conduite contraire serait absurde, et incompatible avec la nature de l’homme. 1°. Si Dieu récompensait la vertu sur le champ dans cette vie, il ôterait aux justes le mérite de la persévérance, du courage, de la confiance en lui ; il bannirait du monde les exemples de vertu héroïque et de patience ; il rendrait l’homme esclave et mercenaire ; il étoufferait en lui toute énergie. S’il punissait le crime dès qu’il est commis, il retrancherait aux pécheurs le temps et les moyens de faire pénitence ; cette conduite serait trop rigoureuse à l’égard d’un être aussi faible, aussi inconstant, aussi variable que l’homme : il est de la bonté et de la sagesse divine de l’attendre à pénitence jusqu’au dernier soupir ; ainsi Dieu en agit ordinairement. II. Petri., c. 3, v. 9. 2°. Souvent une action que les hommes jugent louable est réellement digne de punition, parce qu’elle a été faite par un motif criminel ; souvent un délit qui semble mériter des châtiments est pardonnable, parce qu’il a été commis par surprise et par erreur : Dieu serait donc obligé de récompenser de fausses vertus, et de punir des fautes excusables, pour se conformer aux idées trompeuses des hommes. Est-il expédient à la société que, par la conduite de la justice divine, tous les crimes secrets, les pensées, les désirs, les intentions viceuses, soient publiquement connues ? Y a-t-il quelqu’un de nous qui soit intéressé à le désirer ? Alors il n’y aurait plus de conscience ni de remords ; le vice ne serait plus censé qu’une maladie, et nous n’en serions plus honteux, dès que personne n’en serait exempt. 3°. Pour que le pécheur fût puni et le juste récompensé sur la terre autant qu’ils le méritent, il faudrait que leur vie fût éternelle ici-bas. Quand les peines de ce monde pourraient suffire pour punir tous les crimes, la félicité dont l’homme peut y jouir n’est 257
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certainement pas assez parfaite pour être un digne salaire de la vertu. 4°. Les souffrances des justes sont souvent l’effet d’un fléau général dans lequel ils se trouvent enveloppés, la prospérité des pécheurs une conséquence de leurs talents naturels et des circonstances dans lesquelles ils sont placés ; il faudrait donc que Dieu fît continuellement des miracles, pour exempter les premiers d’un malheur général, et pour frustrer les seconds du fruit de leurs talents. Ce plan de providence ne serait ni juste ni sage. Les incrédules raisonnent donc très mal, lorsqu’ils prétendent que le cours de ce monde ne prouve ni la justice de Dieu, ni l’existence d’une autre vie ; que puisque Dieu peut être injuste ici-bas, et y souffrir le désordre qui y règne, il n’est pas fort sûr que tout sera réparé dans une vie à venir. Dès qu’il est démontré que Dieu, être nécessaire, est souverainement heureux et puissant, il est nécessairement bon et juste ; il ne peut avoir aucun motif d’être injuste et méchant. Il le serait si les choses demeuraient éternellement telles qu’elles sont ici-bas ; il ne l’est point, s’il y a des peines et des récompenses futures. Alors les épreuves temporelles des justes et la prospérité passagère des pécheurs ne sont plus une injustice ni un désordre qui demandent réparation ; il est dans l’ordre, au contraire, que les premiers méritent par la patience la récompense éternelle qui leur est promise, et que les seconds aient du temps pour éviter par la pénitence le supplice éternel dont ils sont menacés. La justice divine n’est donc point blessée, lorsque dans un fléau général Dieu enveloppe les innocents avec les coupables, les enfants avec les adultes, parce qu’il peut toujours dédommager dans l’autre vie ses créatures des peines temporelles qu’elles ont souffertes dans celle-ci. [...] 258
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Une autre accusation de ces hérétiques, répétée par les incrédules, est la menace que Dieu fait aux Juifs de punir les enfants du péché de leur père, Exode, c. 20, v. 5 ; Lévit. c. 26, v. 39 ; Deut. c. 5, v. 9. S. Augustin fait remarquer qu’il est question là de punition temporelle, et non d’un châtiment éternel : « Nous voyons dans l’Écriture, dit-il, des hommes frappés de mort pour les péchés d’autrui ; mais personne n’est damné pour un autre », ibid., l. 1, c. 16, n. 30. Au mot ENFANT, nous avons fait voir qu’il n’y a point d’injustice dans cette conduite de la Providence. Dieu, Législateur suprême, souverain Maître du siècle futur aussi bien que du siècle présent, ne peut donc être assujetti à toutes les règles de justice auxquelles les hommes doivent se conformer, parce qu’il est doué d’une prévoyance et d’une puissance que les hommes n’ont point. Vainement on dira qu’il n’y a donc aucune ressemblance, aucune analogie entre la justice divine et la justice humaine ; que nous abusons des termes en nommant justice en Dieu ce que nous appelons injustice de la part des hommes. Un Roi n’est point astreint à toutes les lois de justice qui obligent les particuliers ; il a droit de venger les crimes, ses droits sont inaliénables, la prescription n’a pas lieu contre lui, souvent il se trouve juge dans sa propre cause, etc. : il n’en est pas de même de ses sujets ; conclura-t-on qu’un Roi est injuste dans ces différents cas ? Entre la justice de Dieu et celle des hommes, il y a, non une ressemblance parfaite, mais une analogie sensible. De même que par la loi divine les hommes sont obligés à tenir fidèlement leur parole et leurs engagements, à respecter leurs droits mutuels ; ainsi Dieu, en vertu de ses perfections infinies, accomplit fidèlement ses promesses et maintient constamment l’ordre moral qu’il a établi. Il ne peut donc mentir, se contredire, nous tromper, punir un innocent ou l’a ffliger sans le dédommager, 259
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laisser un coupable impuni pour toujours, priver pour jamais la vertu de sa récompense : il est la vérité même, fidèle à ses promesses, juste dans ses vengeances, saint et irrépréhensible dans toute sa conduite : les méchants doivent le craindre, les bons espérer en lui et l’aimer. Soit qu’il récompense, qu’il punisse ou qu’il pardonne, il le fait pour le bien général de l’univers. Quand même il nous serait impossible de concilier certains événements avec les idées qu’il nous a données de sa justice, nous aurions encore tort d’en conclure qu’il est injuste, puisqu’il est démontré qu’il ne peut pas l’être : il s’ensuivrait seulement que nous ignorons les circonstances, les raisons et les motifs de sa conduite. Voyez PROVIDENCE.
2 MAGICIEN, MAGIE T. II, p. 516a-523b
2 On appelle magie l’art d’opérer des choses merveilleuses, et qui paraissent surnaturelles, sans l’intervention de Dieu, et Magicien celui qui exerce cert art. Il en est souvent parlé dans l’Écriture Sainte ; la magie y est sévèrement défendue ; les Magiciens y sont représentés comme odieux à Dieu et aux hommes ; l’Église a prononcé contre eux des anathèmes, et ils sont punis par les lois civiles. Quelle idée devons-nous en avoir ? qu’y a-t-il de réel ou d’imaginaire, de naturel ou de surnaturel dans leurs opérations ? sont-ce des fourberies humaines, ou des prestiges du Démon ? Si nous consultons les écrits des Philosophes modernes sur ce sujet, nous y apprendrons peu de chose. Pour s’épargner la peine de discuter la question, ils l’ont supposée décidée selon leurs préjugés ; ils n’ont pas distingué suffisamment les différentes espèces de magie, comme les charmes, la divination, 260
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les enchantements, les évocations, la fascination, les maléfices, les sorts ou sortilèges : toutes ces pratiques sont différentes, et demandent chacune un examen particulier. Si nous leur en demandons l’origine, ils disent que tout cela est venu de l’ignorance ; mais l’ignorance n’est qu’un défaut de connaissance ; une négation ne produit rien, et il nous faut des causes positives. Ils prétendent que de nos jours la Philosophie, ou la connaissance de la nature, a réduit à rien le pouvoir du Démon et celui des Magiciens ; ils se trompent. Si la magie est très rare parmi nous, elle y a été commune autrefois, et on l’exerce encore ailleurs pourquoi y a-t-on cru ? pourquoi ne devons-nous plus y croire ? Voilà ce que des Philosophes auraient dû nous apprendre. Ils jugent que ce qui en est dit dans l’Écriture Sainte, dans les Pères de l’Église, dans les Conciles, dans les exorcismes, a contribué à nourrir le préjugé des peuples, et la croyance aux opérations du Démon ; c’est une fausseté que nous avons à détruire. Ainsi nous devons examiner, 1°. l’origine de la magie, et ce qu’en ont pensé les Philosophes ; 2°. ce qui en est dit dans l’Écriture Sainte et dans les Pères de l’Église ; 3°. les raisons pour lesquelles l’Église a dû employer les bénédictions et les exorcismes pour dissiper les prestiges des Magiciens; 4°. si l’accusation de magie, intentée contre plusieurs sectes hérétiques, a été une pure calomnie. I. L’origine de cet art funeste est la même que celle du Polythéisme ; c’en est une conséquence inévitable, plusieurs Auteurs l’ont fait voir ; Bayle, Rép. aux quest. d’un Prov., 1re part., c. 36 et 37 ; Brucker, Hist. de la Philos., tome I, l. 2, c. 2, §. 12 ; Hist. de l’Acad. des Inscript., tome 4, in-12, page 34, etc. [...] II. Trouverons-nous dans l’Écriture Sainte ou dans les Pères de l’Église quelque chose qui ait contribué à entretenir parmi les fidèles le préjugé des Païens et la confiance à la magie ? 261
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Dans tout l’Ancien Testament, nous ne voyons aucun exemple d’opération magique dont nous soyons forcés d’attribuer l’effet au Démon. Lorsque Moïse fit des miracles en Égypte, il est dit que les Magiciens de Pharaon firent de même par leurs enchantements ; ils imitèrent donc les miracles de Moïse au point d’en imposer aux yeux des spectateurs ; mais y eut-il réellement du surnaturel dans leurs opérations ? Rien ne nous oblige de le supposer ; le récit de l’Écriture semble prouver le contraire. [...] Les Auteurs sacrés [...] répètent sans cesse que Dieu seul fait des miracles, que lui seul connaît l’avenir et peut le révéler, que de lui seul viennent les biens et les maux, les bienfaits et les fléaux de la nature. Si le Démon fait quelque chose, ce n’est jamais par les ordres d’un Magicien, mais par une permission expresse de Dieu. Ces vérités détruisent par la racine le prétendu pouvoir des Magiciens de toute espèce. À la vérité, les incrédules font aujourd’hui consister la philosophie à nier l’existence même du Démon, et par conséquent toutes ses prétendues opérations ; mais nous leur demandons sur quelle preuve positive ils fondent ce dogme important, comment ils démontrent l’impossibilité des événements dont les Auteurs sacrés font mention ? Voilà sur quoi ils ne nous ont pas encore satisfaits. Un ignorant peut nier les faits avec autant d’opiniâtreté que le plus habile de tous les Philosophes. Le Nouveau Testament fait mention de plusieurs opérations de l’esprit malin, mais auxquelles les Magiciens n’avaient aucune part [...]. III. [...] Au quatrième siècle, les nouveaux Platoniciens remplirent le monde des prétendues merveilles de leur théurgie ; c’était, comme nous l’avons déjà remarqué, une vraie magie, et l’on sait les abominations auxquelles elle donna lieu ; nos Philosophes modernes n’ont pas osé les nier ; plusieurs sectes d’hérétiques faisaient profession de magie ; il fallait 262
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donc augmenter alors la sévérité des lois. Constantin, devenu Chrétien, avait rigoureusement proscrit la magie goëtique, ou toutes les opérations qui tendaient à nuire à quelqu’un ; mais il n’avait établi aucune peine contre les pratiques superstitieuses destinées à faire du bien. Après le règne de Julien, qui avait été lui-même infatué de la théurgie, les Empereurs furent forcés d’être plus sévères, et de défendre absolument tout ce qui tenait à la magie. L’Église fit de même. Le Concile de Laodicée, tenu l’an 366 ; celui d’Agde, en 506 ; le Concile in Trullo, l’an 692 ; un Concile de Rome, en 721 ; les Capitulaires de Charlemagne, et plusieurs Conciles postérieurs ; le Pénitentiel Romain, etc. ont frappé d’anathème et ont soumis à une pénitence rigoureuse tous ceux qui auraient recours à la magie, de quelque espèce qu’elle fût ; il a souvent fallu renouveler ces lois, parce que cette peste publique n’a cessé de renaître de temps en temps. [...] Lorsque les incrédules prétendent que les progrès de la philosophie, dans notre siècle, ont réduit à rien le pouvoir du Démon et celui des Magiciens, que personne ne croit plus, ils se vantent mal à propos d’un exploit auquel ils n’ont aucune part, et ils imitent en cela le caractère jongleur des Magiciens. Sont-ce des Philosophes qui sont allés instruire les habitants des Alpes, du Mont-Jura, des Cévennes et des Pyrénées ? Ce sont les Ministres de la religion, et ceux-ci n’adopteront jamais les principes des Philosophes incrédules. L’unique moyen d’extirper entièrement la magie serait d’étouffer les passions qui l’ont fait naître ; l’incrédulité n’a pas ce pouvoir. Déjà nous avons remarqué que les Épicuriens, quoique très impies, ne furent cependant pas exempts de superstition. Il ne serait pas impossible de citer des Athées qui ont cru à la magie sans croire en Dieu. Bayle a prouvé que, dans le système 263
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d’Athéisme de Spinoza, ce rêveur ne pouvait nier ni les miracles, ni la magie, ni les Démons, ni les enfers. Dict. crit. Spinoza. Nous ajoutons que si les Philosophes venaient jamais à bout de la révolution qu’ils se flattent déjà d’avoir opérée, ils rendraient un très bon service aux Théologiens ; ils leur aideraient à inculquer une grande vérité, savoir que le pouvoir du Démon a été détruit par la croix de Jésus-christ, qu’il n’en a plus aucun sur des Chrétiens consacrés à Dieu par le Baptême, à moins qu’euxmêmes ne veuillent le lui accorder. Voyez sur ce sujet un passage de S. Clément d’Alexandrie, au mot DÉMON. [...] IV. Plusieurs sectes d'hérétiques ont été accusées de pratiquer la magie, en particulier les Basilidiens et d’autres sectes de Gnostiques, les Manichéens, et les Priscillianistes leurs descendants ; on supposait que Manès avait appris cet art odieux des Mages de Perse, disciples de Zoroastre. Beausobre, protecteur déclaré de tous les hérétiques, a entrepris de les justifier contre ce reproche des Pères de l’Église ; il soutient que c’est une pure calomnie, qui n’a aucun fondement, Hist. du Manich. l. 1, c. 6, §. 10 ; l. 4, c. 3, §. 19 ; l. 9, c. 13. [...] La question est de savoir quelle idée les Manichéens avaient des Esprits ou Génies. Ils en admettaient de deux espèces, les uns bons, les autres mauvais ; mais ils ne les regardaient point comme des créatures de Dieu. Ils disaient que les bons sont coéternels à Dieu, et que les mauvais sont sortis du sein de la matière. Hist. du Manich. l. 5, c. 6, §. 13 ; l. 6, c. 1, §. 1. jamais ils n’ont représenté les bons Génies comme de simples Ministres des volontés de Dieu, comme nous considérons les Anges. Puisqu’ils invoquaient ces Génies, et désiraient d’être en commerce avec eux, ils ne pouvaient rapporter à Dieu les respects, la confiance, la reconnaissance qu’ils témoignaient aux Génies ; c’était donc une impiété ; et nous ne voyons pas pourquoi l’on ne devait pas la taxer de magie. [...] 264
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Dès qu’il était avéré que les premiers Chrétiens faisaient des miracles, par le nom de Jésus-Christ, par le signe de la Croix, par la récitation des Évangiles, Origène contre Celse, ibid., il n’est pas étonnant que les Païens les ait accusés de magie. Puisque l’on a formé le même reproche contre les Manichéens, il faut donc qu’ils aient fait quelques prodiges apparents, ou qu’ils se soeint vantés d’en faire, et qu’ils aient promis d’en apprendre le secret ; dans ce cas, ils ont mérité le nom de Magiciens, le blâme des Pères de l’Église et les châtiments décernés contre ce crime par les lois impériales. Pour être censé Magicien, il n’était pas nécessaire d’avoir conversé réellement avec les Démons, ni d’avoir fait des prestiges par leurs secours ; il suffisait de l’avoir tenté, d’avoir invoqué leur assistance, ou d’avoir enseigné aux autres ces pratiques abominables. S. Paul lui-même a décidé que quiconque prenait part aux sacrifices des Païens participait à la table des Démons, I. Cor. c. 10, v. 21. Donc toute relation avec eux était un culte qu’on leur rendait. Les Pères de l’Église n’ont donc pas eu tort de taxer de magie les héértiques coupables de ce crime, et Beausobre les a fort mal justifiés. Voyez SORCIERS.
2 MAL T. II, p. 533a-538b
2 Nous avons eu, et aurons encore plus d’une fois occasion de remarquer que la question de l’origine du mal a été, dans tous les temps, l’écueil de la raison humaine. Comment un Dieu créateur, tout-puissant, souverainement bon, a-t-il pu produire du mal dans le monde ? Telle est la difficulté à laquelle il faut satisfaire. Il n’en est aucune qui n’ait donné lieu à un plus grand nombre d’erreurs. Elle a contribué beaucoup à faire imaginer plusieurs Dieux ou Génies, artisans et gouverneurs du monde, dont les 265
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uns étaient bons et les autres mauvais, et qui avaient mis chacun leur part dans la construction de l’univers. À la naissance de la Philosophie chez les Orientaux, les raisonneurs réduisirent ces Dieux ou Génies à deux, dont l’un avait fait le bien, l’autre le mal. Chez les Grecs, les Philosophes se partagèrent. Les Stoïciens atrribuèrent le mal à la fatalité, à la nécessité de toutes choses, à l’imperfection essentielle d’une matière éternelle ; Dieu, qu’ils envisageaient comme l’âme du monde, était, selon leurs idées, dans l’impuissance d’y remédier. Platon et ses disciples en rejetèrent la faute sur la maladresse et l’impuissance des Dieux inférieurs qui avaient formé et gouvernaient le monde ; cela ne disculpait pas le Dieu souverain de s’être servi d’ouvriers incapables de mieux faire. Les Épicuriens attribuèrent tout au hasard, soutinrent que les dieux, endormis dans un parfait repos, ne se mêlaient point des choses d’ici-bas. De ces différentes opinions sont nées, dans la suite, les diverses hérésies qui ont affligé l’Église. La difficulté de la question paraissait augmentée, depuis que la révélation avait fait connaître le mal survenu dans le monde par la chute du premier homme. Comment se persuader que Dieu, qui avait laissé tomber la nature humaine, ait eu assez d’a ffection pour elle pour s’incarner, souffrir et mourir, afin de la relever et de la sauver ? Presque tous attaquèrent la réalité de l’Incarnation. Les Valentiniens renouvelèrent le Polythéisme de Platon, multiplièrent à discrétion les Éons ou Génies gouverneurs du monde. Les Marcionites, et ensuite les Manichéens, les réduisirent à deux principes, l’un bon et auteur du bien, l’autre méchant par nature et cause du mal. Plusieurs renouvelèrent la fatalité des Stoïciens, et crurent comme eux la matière éternelle. Pélage, pour ne pas donner dans les excès des Manichéens, soutint que les maux de ce monde sont la condition naturelle de l’homme, et non la peine du péché originel. Pour répondre 266
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aux Manichéens, qui objectaient la multitude des crimes dont le monde est rempli, il prétendit qu’il ne tenait qu’à l’homme de les éviter tous, et de faire constamment le bien, sans avoir besoin d’aucun secours surnaturel. Les Prédestinatiens et leurs successeurs crurent trancher le noeud de la difficulté, en attribuant tout à la puissance arbitraire de Dieu, sans se mettre en peine de la concilier avec sa bonté. De ce chaos d’erreurs sont sortis, dans ces derniers temps, les divers systèmes d’incrédulité ; et, dans le fond, ce ne sont que les vieilles opinions ramenées sur la scène. On a renouvelé de nos jours toutes les objections des Épicuriens et toutes celles des Manichéens contre la Providence divine, soit dans l’ordre de la nature, soit dans l’ordre de la grâce ; Bayle s’est appliqué à les faire valoir. Les Sociniens, révoltés contre les blasphèmes des Prédestinateurs, sont redevenus Pélagiens. Les Déistes ont principalement argumenté sur l’épargne avec laquelle Dieu a distribué les dons de la grâce et les lumières de la révélation ; ils n’ont pas vu qu’ils faisaient cause commune avec les Athées, qui se plaignent de ce que Dieu n’a pas assez prodigué aux hommes les bienfaits de la nature. Les Indifférents, qui sont le très grand nombre, incapables de débrouiller ce chaos, ont conclu qu’entre le Théisme et l’Athéisme, entre la religion et l’incrédulité, c’est le goût seul, et non la raison, qui décide. La question de l’origine du mal, si terrible en apparence, est-elle donc réellement insoluble ? Elle ne l’est point, quand on prend la précaution d’éclaircir les termes, et que l’on y attache une idée nette et précise. C’est ce que les Philosophes n’ont fait ni dans les siècles passés, ni dans le siècle présent ; nous espérons de le démontrer : mais il faut voir auparavant de quelle manière la difficulté a été résolue par les anciens justes, qui ont été les premiers Philosophes et les premiers Théologiens. 267
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À proprement parler, cette question fait tout le sujet du livre de Job ; et, de l’aveu des Savants, ce livre a près de quatre mille ans d’antiquité. L’erreur des amis de Job était de penser qu’un Dieu bon et juste ne peut affliger les hommes, à moins qu’ils ne l’aient mérité par leurs crimes. Job réfute ce faux préjugé ; c’est un juste souffrant qui fait l’apologie de la Providence. [...] Mais les Philosophes ne sont pas satisfaits de ces réponses ; c’est à nous de prouver qu’elles sont solides, et qu’elles résolvent pleinement la difficulté. En premier lieu, l’on distingue des maux de trois espèces ; le mal que l’on peut appeler métaphysique, ce sont les imperfections des créatures ; le mal physique, c’est la douleur, tout ce qui afflige les être sensibles et les rend malheureux ; le mal moral, c’est le péché et les peines qu’il traîne à sa suite. Si les imperfections des créatures et leurs péchés ne les faisaient pas souffrir, un Philosophe ne les envisagerait pas comme des maux. Le mal physique ou la douleur est le principal objet des plaintes ; Dieu, sans doute, aurait rendu les créatures plus parfaites, s’il avait voulu les rendre plus heureuses. Un Auteur Anglais a fait voir que les deux dernières espèces de maux dérivent de la première, et que, dans le fond, tout se réduit à l’imperfection des créatures. Écrits publiés pour la fond. de Boyle11, tom. 5, p. 205, etc. En second lieu, on s'obstine à prendre le bien et le mal dans un sens absolu, au lieu que ce sont des termes purement relatifs, et qui ne sont vrais que par comparaison. Le bien paraît un mal, lorsqu’on le compare à ce qui est mieux, parce qu’alors il renferme 11. Voir Défense de la religion tant naturelle que révélée contre les infidèles et les incrédules, extraite des écrits publiés pour la Fondation de Mr. Boyle, par les plus habiles gens d’Angleterre, et traduite de l’anglais de Mr. Gilbert Burnet, t. 1 à 5, La Haye, P. Paupie, 1738-1742 ; t. 6, La Haye, J. Neaulme, 1744. 268
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une privation ; et il paraît un mieux, quand on le compare à ce qui est plus mal. Ainsi, quand on dit qu’il y a du mal dans le monde, cela signifie seulement qu’il n’y a pas autant de bien qu’il pourrait y en avoir. Quand on demande pourquoi il y a du mal, c’est comme si l’on demandait pourquoi Dieu n’y a pas mis un plus grand degré de bien ; et la question ainsi proposée fait déjà tomber par terre la moitié des objections. En troisième lieu, l’on compare la bonté de Dieu, jointe à un pouvoir infini, avec la bonté de l’homme, dont le pouvoir est très borné ; c’est une comparaison fausse. Un homme n’est pas censé bon, à moins qu’il ne fasse tout le bien qu’il peut ; il est absurde, au contraire, que Dieu fasse tout le bien qu’il peut, puisqu’il en peut faire à l’infini. L’infini actuel est une contradiction, puisqu’une puissance infinie ne peut jamais être épuisée. Les divers degrés de bien que Dieu peut faire forment une chaîne infinie. Qui fixera le degré auquel la bonté divine doit s’arrêter ? Voyez BON, BONTÉ. Il est bien singulier que ces deux sophismes, entés l'un sur l'autre, aient tourné toutes les têtes philosophiques, depuis Job jusqu'à nous. Les Pères de l'Église ont mieux raisonné ; Tertullien, dans ses livres contre Marcion et contre Hermogène ; S. Augustin, dans ses écrits contre les Manichéens ; Théodoret, dans son traité de la Providence, ont très bien saisi le point de la question ; ils n'ont pas été dupes d'une double équivoque. Ils ont posé pour principe que le mal n’est que la privation d’un plus grand bien, et qu’en raisonnant toujours sur le mieux, nous ne trouverons jamais le point auquel il faudra nous fixer. Faisons donc l’application de ce principe aux trois espèces de maux que l’on reproche à la Providence. Tout être créé est nécessairement borné, par conséquent imparfait ; le mal métaphysique est donc essentiellement inséparable des ouvrages du Créateur. Quelque parfaite que soit une créature, Dieu peut en augmenter à l’infini les perfections ; 269
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à cet égard, elle éprouve toujours une privation. Au contraire, quelque imparfaite qu’on la suppose, dès qu’elle existe, elle a reçu quelque degré de bien ou de perfection, quelque qualité qu’il lui est bon d’avoir. Il n’en est donc aucune dont l’existence puisse être envisagée comme absolument mauvaise, comme un mal pur et positif ; aucune n’est imparfaite, que par comparaison avec un autre être plus parfait ; la perfection absolue n’est qu’en Dieu. Si une créature quelconque a lieu de se plaindre, parce qu’il en est d’autres auxquelles Dieu a fait plus de bien, elle a lieu aussi de se féliciter et de le remercier, puisqu’il en est d’autres auxquelles il en a fait moins. Où est donc ici le fondement des plaintes et des murmures ? Pour ne parler que de nous, on convient aussi que tout homme est content de soi ; il n’est donc pas aisé de concevoir en quelle sorte il peut être mécontent de Dieu. Prétendre qu’un Dieu bon n’a pas pu donner l’être à des créatures imparfaites, c’est soutenir que parce qu’il est bon, il n’a pu rien créer du tout. Le parfait absolu est l’infini. Dieu pouvait, sans doute, créer l’espèce humaine plus parfaite qu’elle n’est, puisque, dans le nombre des individus, les uns sont moins imparfaits que les autres ; mais si l’espèce entière n’a aucun sujet de se plaindre de la mesure des dons qu’elle a reçus, comment chaque individu peut-il être mécontent de la portion qui lui est échue ? Aussi Bayle a été forcé de passer condamnation sur l’article du mal métaphysique ; il est convenu qu’il n’y aurait rien à objecter contre la bonté de Dieu, si l’imperfection des créatures ne les rendait pas mécontentes et malheureuses. Mais si ce que nous appelons malheur ou souffrance est une suite inévitable de l’imperfection de l’espèce, comment l’un peutil fonder un mécontenetement plus juste que l’autre ? Passons donc à la notion du mal physique ou du malheur. Nierez-vous, me dira-t-on, qu’un instant de douleur, même la 270
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plus légère, soit un mal réel, positif et absolu ? Oui, je le nie, parce qu’il est absurde de séparer cet instant d’avec le reste de notre existence habituelle qui est un bien ; cet instant, considéré sur la totalité de la vie, n’est que la privation d’un bien-être continuel, ou d’un bonheur habituel plus parfait. Un instant de douleur légère est sans doute préférable à une douleur plus vive et plus longue ; si l’on dit qu’il s’ensuit seulement que l’un est un moindre mal que l’autre, j’en conclus de même qu’un bien-être habituel, coupé par un instant de douleur, est un moindre bien que s’il était constant, mais que ce n’est point un mal positif ni un malheur absolu. Dans une question aussi grave, il est bien ridicule d’argumenter sur des mots. Un Écrivain très sensé et très instruit12 vient de soutenir avec raison qu’il n’y a pas un seul des maux de la vie qui ne soit un bien à plusieurs égards ; il n’en est donc aucun qui soit un mal pur et absolu. Études de la Nat. tome 1, p. 605. Un autre13 a très bien fait voir que les besoins de l’homme sont le principe de ses connaissances, de ses plaisirs, le fondement de la vie sociale et de la civilisation : nulle volupté, dit-il, sans désir, et nul désir sans besoin. Le plus stupide des peuples serait celui dont tous les besoins seraient satisfaits sans aucun travail. Origène faisait déjà ces observations, contra Cels. l. 4, n. 76, et il les confirmait par un passage du livre de l’Ecclésiastique, c. 39, v. 21 et 26. Soutiendra-t-on qu’un homme qui a vécu quatre-vingts ans, et qui n’a éprouvé dans toute sa vie qu’une douleur légère, a été malheureux, qu’il a droit de se plaindre, que ce seul instant forme une objection invincible contre la bonté infinie de Dieu ? Bayle a osé avancer ce paradoxe, et tout incrédule est forcé de l’adopter. Qui de nous, en pareil cas, ne se croirait pas très heureux et 12. Bernardin de Saint-Pierre. 13. Rabaut Saint-Étienne, Lettres à M. Bailly sur l’Histoire primitive de la Grèce, Paris, Debure, 1787, lettre VI. 271
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obligé de bénir la Providence ? Entre le bonheur parfait et absolu, qui est l’état des Saints dans le ciel, et le malheur absolu, qui est le supplice des damnés, il y a une échelle immense d’états habituels, qui ne sont bonheur ou malheur que par comparaison, et il n’est aucun de ces degrés dans lequel Dieu ne puisse placer une créature sensible sans déroger à sa bonté infinie. Voyez BONHEUR. [...] Le mal moral semble d’abord former une plus grande difficulté. Comment un Dieu bon a-t-il pu donner à l’homme la liberté de pécher, ou le pouvoir de se rendre éternellement malheureux ? Il ne pouvait lui faire un don plus funeste, surtout sachant très bien que l’homme en abuserait. Mais il n’est pas vrai que la liberté soit seulement le pouvoir de pécher et de se rendre malheureux, c’est aussi le pouvoir de faire le bien et de s’assurer un bonheur éternel ; un de ces deux pouvoirs n’est pas moins essentiel à la liberté que l’autre. Une nature impeccable, une volonté déterminée invinciblement au bien, serait sans doute meilleure qu’une liberté telle que la nôtre ; mais il ne s’ensuit pas que celle-ci est un mal, un don pernicieux et funeste par lui-même. Entre le meilleur et le mal, il y a un milieu, qui est le bien ; c’est encore la réponse de S. Augustin. Il s’ensuit seulement que le libre arbitre est une faculté imparfaite. Dieu aide la volonté de l’homme par des grâces plus ou moins puissantes et abondantes, ce sont toujours des bienfaits ; l’abus que l’homme en fait n’en change point la nature ; il ne faut pas confondre le don avec l’abus ; celui-ci est libre et volontaire, il vient de l’homme et non de Dieu. [...] Pour que les difficultés soient pleinement résolues, Bayle exige que l’on concilie ensemble un certain nombre de vérités 272
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théologiques, avec plusieurs maximes de philosophie qu’il y oppose. Les premières sont, 1, que Dieu infiniment parfait ne peut rien perdre de sa gloire ni de sa béatitude ; 2, qu’il a par conséquent créé l’univers très librement et sans en avoir besoin ; 3, qu’il a donné à nos premiers parents le libre arbitre, et les a menacés de la mort s’ils lui désobéissaient ; 4, qu’en punition de leur désobéissance, il les a condamnés, eux et leur postérité, à la damnation, aux souffrances de cette vie, à la concupiscence et à la mort ; 5, qu’il n’a délivré de cette proscription qu’un petit nombre d’hommes et les a prédestinés au bonheur éternel ; 6, qu’il prévoit tous les péchés et peut les empêcher comme bon lui semble ; 7, que souvent il donne des grâces auxquelles il prévoit que l’homme résistera, et ne donne point celles auxquelles il prévoit que l’homme consentirait. Les maximes philosophiques sont, 1, que la bonté seule a pu déterminer Dieu à créer le monde ; 2, que cette bonté ne serait pas infinie, si l’on pouvait en concevoir une plus grande ; 3, que par cette bonté même il a voulu que toutes les créatures intelligentes trouvassent leur bonheur à l’aimer et à lui obéir ; 4, qu’il ne peut donc pas permettre que ses bienfaits tournent à leur malheur ; 5, qu’un être malfaisant est seul capable de faire des dons par lesquels il prévoit que l’homme se perdra ; 6, que permettre le mal que l’on peut empêcher, c’est ne pas se soucier qu’il se commette ou ne se commette pas, ou souhaiter même qu’il se commette ; 7, que quand tout un peuple est coupable de rébellion, ce n’est point user de clémence que de pardonner à la cent millième partie, et de faire mourir tout le reste, sans en excepter même les enfants. Bayle s’efforce de prouver ces trois dernières maximes, par les exemples d’un bienfaiteur, d’un Roi, d’un Ministre d’État, d’un père, d’une mère, d’un Médecin, etc. Rép. aux quest. d’un Prov., 1re part. c. 144 ; Œuvr., tome 3, p. 796. 273
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Quoique plusieurs des vérités théologiques supposées par Bayle, demandent des explications, surtout la 5e, qui regarde la prédestination, nous n’y toucherons pas ; mais nous soutenons que la plupart de ses maximes philosophiques sont captieuses et fausses. La 2e est de ce nombre ; la bonté de Dieu est infinie en ellemême, mais elle ne peut pas l’être dans ses effets, parce que l’infini actuel, hors de Dieu, est une contradiction. Nous ne pouvons estimer la bonté de l’homme que par ses effets, au lieu que la bonté infinie de Dieu se démontre par la notion d’être nécessaire, existant de soi-même. Voyez INFINI. La 4e est encore fausse ; un homme, s’il est bon, doit faire tout ce qu’il peut pour empêcher qu’un bienfait ne tourne au malheur de quelqu’un, même par la faute de celui qui le reçoit ; au contraire, il est absurde que Dieu fasse tout ce qu’il peut, puisqu’il peut à l’infini ; une autre absurdité est de vouloir qu’il redouble ses grâces à mesure que l’homme est plus disposé à y résister. La 5e, qui compare Dieu à un être malfaisant, pèche par le même endroit, aussi bien que la 6e et la 7e. Toutes portent sur une comparaison fautive entre la bonté de Dieu et celle des créatures ; Bayle n’en allègue point d’autre preuve. Or il a reconnu formellement lui-même le faux de toutes ces comparaisons ; il déclare en propres termes « qu’il n’admet point pour règle de la bonté et de la sainteté de Dieu les idées que nous avons de la bonté et de la sainteté en général ; ... de sorte que nos idées naturelles ne peuvent point être la mesure de la bonté et de la sainteté divine, et de la bonté et de la sainteté humaine ; que n’y ayant point de proportion entre le fini et l’infini, il ne faut point se permettre de mesurer à la même aune la conduite de Dieu et la conduite des hommes ; et qu’ainsi ce qui serait incompatible avec la bonté et la sainteté de l’homme, est compatible avec la bonté et la sainteté de Dieu, quoique nos faibles lumières ne puissent apercevoir cette 274
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compatibilité ». Il ajoute, avec raison, que cette déclaration est conforme aux principes des Théologiens les plus orthodoxes. Rép. à M. le Clerc, §. 5, Œuvr., tome 3, p. 997. Pourquoi donc Bayle s’obstine-t-il à ramener cette comparaison pour étayer tous ses arguments ? Ce n’est pas à tort que Leibnitz lui a reproché un anthropomorphisme continuel. Dès que l’on éclaircit les termes, il est aisé de répondre au raisonnement d’Épicure : ou Dieu peut empêcher le mal et ne le veut pas, ou il le veut et ne le peut pas ; dans le premier cas, il n’est pas bon ; dans le second, il est impuissant. Nous répondons qu’il y a des maux que Dieu ne peut pas, d’autres qu’il ne veut pas empêcher, et qu’il ne s’ensuit rien contre sa puissance infinie ni contre sa bonté, parce que la puissance de Dieu ne consiste point à faire des contradictions, ni sa bonté à faire tout ce qu’il peut. C’est donc injustement que les Sceptiques, ou incrédules indifférents, prétendent qu’entre les preuves de l’existence de Dieu et d’une Providence, et les objections tirées de l’existence du mal, c’est le goût seul et non la raison qui décide ; que le choix de la Religion ou de l’Athéisme dépend uniquement de la manière dont un homme est affecté. 1°. Quand cela serait vrai, le goût pour la vertu, qui détermine un homme à croire en Dieu, est certainement plus louable que le goût pour l’indépendance, qui décide un Philosophe à l’Athéisme ; il en résulte déjà que ce dernier est un mauvais cœur. 2°. Les preuves positives de l’existence de Dieu et d’une Providence, sont démonstratives et sans réplique, au lieu que les objections tirées de l’existence du mal ne sont fondées que sur des équivoques et de fausses comparaisons. 3°. Quand ces objections seraient insolubles, c’est un inconvénient commun à tous les systèmes, soit de religion, soit d’incrédulité ; or il est absurde de rejeter un système prouvé par des démonstrations directes, quoique sujet à des difficultés insolubles, pour en embrasser un qui n’a point de preuve que 275
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ces difficultés mêmes, et dans lequel on est forcé de dévorer des absurdités et des contradictions. À l’article MANICHÉISME, nous examinerons les différentes réfutations que l’on a faites des sophismes de Bayle. Le Clerc, King, Jaquelot, Laplacette, Leibnitz, le Père Malebranche, Jean Clarke et d’autres, ont écrit contre lui ; mais les uns se sont fondés sur des systèmes arbitraires et sujets à contestation, les autres ont mêlé à la question principale beaucoup de choses accessoires qui l’ont souvent fait perdre de vue. Quelques-uns ont enseigné des erreurs, aucun ne s’est appliqué à démêler les équivoques sur lesquelles Bayle n’a cessé d’argumenter ; c’est ce qui lui a donné plusieurs fois une apparence de supériorité sur ses adversaires. Cependant après avoir longtemps disputé, il a été forcé de se rétracter dans ses derniers ouvrages. Voyez OPTIMISME . Nos Philosophes n’ont pas seulement pu convenir entre eux sur la quantité de mal qu’il y a dans le monde. Bayle et ses copistes ont décidé qu’il y a plus de mal que de bien ; la plupart des autres ont soutenu qu’il y a plus de bien que de mal ; quelques-uns ont pensé qu’il y a une égale quantité de l’une et de l’autre. Si on voulait écouter les Athées et les Épicuriens, tout est mal dans l’univers ; si nous en croyons les Optimistes, au contraire, tout est bien. Comment pourraient s’accorder ensemble des disputeurs qui ne sont pas encore convenus de ce qu’ils entendent par bien et mal ? Telle fut déjà l’origine des anciennes disputes entre les Stoïciens et les autres Philosophes, sur la nature du bien et du mal. Un des principaux sujets des plaintes de nos adversaires, est l’inégalité avec laquelle Dieu distribue aux créatures sensibles les biens et les maux ; nous y avons répondu dans l’article INÉGALITÉ . Pourquoi les objections tirées de l’existence du mal paraissentelles difficiles à résoudre ? Pour plusieurs raisons ; la première, 276
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c’est que l’on argumente sur l’infini, notion qui induit aisément en erreur, à moins que l’on n’y regarde de près. La seconde, est que ces objections sont proposées dans le langage ordinaire que tout le monde entend ou croit entendre ; mais ce langage est un abus continuel des termes bien, mal, bonheur, malheur, bonté, malice ; on les prend dans un sens absolu, au lieu que ce sont des termes de comparaison ; pour éclaircir les difficultés, il faut les réduire à toutes les précisions du langage philosophique, à laquelle peu de personnes sont accoutumées, et de laquelle les incrédules ont grand soin de se dispenser. En troisième lieu, on voudrait pouvoir donner aux objections une réponse directe tirée des notions de la bonté humaine, et c’est justement l’application de ces notions à la bonté divine qui est la source de tous les sophismes.
2 MIRACLE T. II, p. 647a-659a
2 Dans le sens exact et philosophique, un miracle est un événement contraire aux lois de la nature, et qui ne peut être l’effet d’une cause naturelle. Toutes les définitions que l’on a données des miracles reviennent à celle-là, quoique les Philosophes et les Théologiens aient varié dans les termes dont ils se sont servis. Jamais on n’a tant écrit sur cette importante matière que dans notre siècle ; elle serait assez éclaircie, s’il n’y avait pas toujours des raisonneurs intéressés, par système, à l’embrouiller. On peut le réduire à quatre questions : 1°. Un miracle est-il possible ? 2°. Si Dieu en faisait un, pourrait-on le discerner d’avec un fait naturel ? et le prouver ? 3°. Les miracles peuvent-ils servir à confirmer une doctrine et une religion ? 4°. Dieu en a t-il fait véritablement pour 277
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servir de témoignage à la révélation ? On comprend que nous sommes forcés d’abréger toutes ces questions. I. Un miracle est-il possible ? Personne ne peut en douter, dès qu’il admet que c’est Dieu qui a créé le monde, et qu’il l’a fait avec une pleine liberté, en vertu d’une puissance infinie. En effet, dans cette hypothèse, qui est la seule vraie, c’est Dieu qui règle l’ordre et la marche de l’univers, tels qu’ils sont ; c’est lui qui a établi la liaison que nous apercevons entre les causes physiques et leurs effets, liaison de laquelle nous ne pouvons point donner d’autre raison que la volonté de Dieu ; c’est lui qui a donné aux divers agents tel degré de force et d’activité qu’il lui a plu : tout ce qui arrive est un effet de cette volonté suprême, et les choses seraient autrement, s’il l’avait voulu. Cet ordre qu’il a établi est connu aux hommes par l’expérience, c’est-à-dire par le témoignage constant et uniforme de leurs sens ; témoignage qui est le même depuis six mille ans. Les détails de cet ordre sont ce que nous nommons les lois de la nature, parce que c’est l’exécution de la volonté du souverain arbitre de toutes choses. Ainsi il est constant, par l’expérience, que quand un homme est mort, c’est pour toujours ; telle est donc la loi de la nature : s’il arrive qu’un homme ressuscite, c’est un miracle, puisque c’est un événement contraire au cours ordinaire de la nature, une dérogation à la loi générale que Dieu a établie, un effet supérieur aux forces naturelles de l’homme. De même il est constant, par l’expérience, que le feu appliqué au bois le consume ; ainsi, lorsque Moïse vit un buisson embrasé qui ne se consumait point, il eut raison de penser que c’était un miracle, et non l’effet d’une cause naturelle. Mais Dieu, en réglant de toute éternité qu’un homme mort le serait pour toujours, que le bois serait consumé par le feu, ne s’est pas ôté à lui-même le pouvoir de déroger à ces deux lois, de rendre la vie à un homme mort, de conserver un buisson au 278
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milieu d’un feu, lorsqu’il le jugerait à propos, afin de réveiller l’attention des hommes, de les instruire, de leur intimer des préceptes positifs. S’il l’a fait à certaines époques, il est clair que cette exception à la loi générale avait été prévue et résolue de Dieu de tout éternité, aussi bien que la loi ; qu’ainsi, la loi et l’exception pour tel cas, sont l’une et l’autre l’effet de la sagesse et de la volonté éternelle de Dieu, puisqu’avant de créer le monde, Dieu savait ce qu’il voulait faire, et ce qu’il ferait dans toute la durée des siècles. Lorsque, pour prouver l’impossibilité des miracles, les Déistes disent que Dieu ne peut pas changer de volonté, défaire ce qu’il a fait, déranger l’ordre qu’il a établi ; que cette conduite est contraire à la sagesse divine, etc., ou ils n’entendent pas les termes, ou ils en abusent. C’est très librement, et sans aucune nécessité, que Dieu a établi tel ordre dans la nature ; il pouvait le régler autrement, il ne tenait qu’à lui de décider que du corps d’un homme mort et mis en terre il renaîtrait un homme, comme d’un gland semé il renaît un chêne ; la résurrection n’est donc pas un phénomène supérieur à la puissance divine. Quand il ressuscite un homme, il ne change point de volonté, puisqu’il avait de toute éternité résolu de le ressusciter, et de déroger ainsi à la loi générale. Cette exception ne détruit point la loi, puisque celle-ci continue à s’exécuter, comme auparavant, à l’égard de tous les autres hommes. Une résurrection ne porte donc aucune atteinte à l’ordre établi, ni à la sagesse éternelle dont cet autre est l’ouvrage. De même que l’ordre civil et l’intérêt de la société exigent que le Législateur déroge quelquefois à une loi, et y fasse une exception dans un cas particulier, le bien général des créatures exige aussi quelquefois que Dieu déroge à quelqu’une des lois physiques, en faveur de l’ordre moral, pour instruire et corriger les hommes, pour leur intimer des lois positives, etc.
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Cela n’est pas nécessaire, disent les Déistes : Dieu n’est-il pas assez puissant pour nous faire connaître, sans miracle, ce qu’il exige de nous ? Prouvera-t-on qu’il lui est plus aisé de ressusciter un mort que de nous éclairer ? Nous répondons que rien n’est impossible ni difficile à une Puissance infinie ; qu’il est donc absurde d’argumenter sur ce qui est plus facile ou difficile à Dieu. Mais nous supplions nos adversaires de nous dire de quel moyen Dieu doit se servir pour nous imposer une loi positive ; de quelle manière Dieu a dû s’y prendre pour donner une religion vraie à Adam et aux Patriarches, aux Juifs, aux Païens, pour tirer de l’idolâtrie toutes les nations qui y étaient plongées. Lorsqu’ils l’auront assigné, nous nous chargeons de leur prouver que ce moyen quelconque sera un miracle. En effet, l’ordre de la nature, que Dieu a établi, n’est point d’instruire immédiatement par lui-même chaque homme en particulier, mais de l’instruire par l’organe des autres hommes, par des faits, par l’expérience, par la réflexion. Ainsi, en voulant que Dieu instruise chaque individu par une révélation ou une inspiration particulière, ils exigent réellement un miracle pour chacun, mais miracle très suspect, qui favoriserait l’illusion et le fanatisme, ou qui ressemblerait à l’instinct général auquel nous ne sommes pas les maîtres de résister. Aussi tous ceux qui ont nié la possibilité des miracles, ont été forcés de soutenir l’impossibilité d’une révélation. Les Athées et les Matérialistes, qui disent que l’ordre de la nature et ses lois sont immuables, puisque c’est une suite de la nécessité éternelle et absolue de toutes choses, ne sont pas plus raisonnables. Outre qu’il est absurde d’admettre un ordre sans une intelligence qui ordonne, des lois sans Législateur, et une nécessité dont on ne peut donner aucune raison, il l’est encore de borner, sans aucune cause, la puissance de la nature. Lorsque Spinoza a dit que, s’il pouvait croire à la résurrection de Lazare, il 280
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renoncerait à son système, Bayle lui a fait voir qu’il déraisonnait ; puisque, selon Spinoza, la puissance de la nature est infinie, de quel droit pouvait-il regarder comme impossible aucun des événements merveilleux rapportés dans l’Écriture Sainte ? Dict. crit. Spinosa. R. Un Matérialiste plus moderne a senti cette inconséquence ; mais il ne l’a évitée que par une contradiction. Il dit que nous ne savons pas si la nature n’est point occupée à produire des êtres nouveaux, si elle ne rassemble pas des éléments propres à faire éclore des générations toutes nouvelles, et qui n’auront rien de commun avec celles qui existent à présent. Syst. de la nat. Ière part., c. 6, p. 86. Ainsi, selon ce Philosophe14, tout est nécessaire, et tout peut changer. Par la même raison, nous ne savons pas si, du temps de Moïse, la nature n’a pas fait éclore toutes les plaies de l’Égypte, la séparation des flots de la mer Rouge, la mâne du désert, etc., et si, du temps de Jésus-Christ, elle n’a pas opéré toutes les guérisons, les résurrections et les autres prodiges dont nous soutenons qu’il est l’auteur. Il y a plus de bon sens et de liaison dans les idées des nations les plus stupides. Les peuples même qui ont cru que plusieurs Dieux ou Génies avaient concouru à la formation du monde, ont pensé aussi que ces mêmes intelligences le gouvernaient ; ils ont conclu qu’elles pouvaient en changer l’ordre et la marche quand elles le jugeaient à propos, par conséquent opérer des miracles à leur gré ; et c’est pour cela même qu’ils leur ont adressé leurs vœux et rendu leurs hommages. [...] II. Peut-on discerner certainement un miracle d’avec un fait naturel, et le prouver ? Il est assez étonnant que nous soyons obligés de discuter scrupuleusement deux questions aussi aisées à résoudre ; mais il n’est aucun objet sur lequel les incrédules aient poussé plus loin l’entêtement et les contradictions. Pour 14. D’Holbach, Système de la nature (1770). 281
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distinguer sûrement, disent-ils, un miracle d’avec un fait naturel, il faudrait connaître toutes les lois de la nature, et savoir jusqu’où s’étendent ses forces ; or, nous ne savons ni l’un ni l’autre : donc nous ne pouvons jamais décider si tel événement est l’effet d’une loi de la nature, ou si c’est une exception. Nous répondons que, par une expérience de six mille ans, la nature nous est assez connue, pour savoir qu’un mort ne peut ressusciter en vertu d’aucune loi de la nature ; qu’ainsi toute résurrection est une exception ou un miracle. Il en est de même des autres faits que l’Histoire Sainte nous donne pour des événements miraculeux. Par une inconséquence grossière, les incrédules soutiennent, d’un côté, que Dieu ne peut pas déroger à une loi de la nature ; de l’autre, ils supposent que Dieu a établi des lois opposées ; l’une, par laquelle il a décidé qu’un mort l’est pour toujours ; l’autre, par laquelle il a réglé qu’un mort peut, sans miracle, être rendu à la vie. Les Athées, il est vrai, ne peuvent mettre aucune borne aux forces de la nature ; ils sont obligés de les supposer infinies, puisqu’ils ne peuvent assigner aucune cause qui les ait limitées. Pour nous, qui admettons un Créateur intelligent et sage, une Providence attentive et bienfaisante, nous sommes très assurés que les forces de la nature sont bornées, et que ses lois sont constantes parce que Dieu les a établies pour le bien des créatures sensibles et intelligentes. Il est d’ailleurs évident que l’ordre moral porte sur la constance de l’ordre physique : si les lois de la nature pouvaient changer, nous ne serions plus assurés de rien ; il n’y aurait plus de certitude dans la règle de nos devoirs. Nous sommes donc absolument certains que Dieu n’a point établi des lois physiques, opposées l’une à l’autre ; qu’il ne changera point l’ordre de la nature, tel qu’il nous est connu, que les miracles ne deviendront jamais des effets naturels. 282
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Conséquemment nous sommes assurés que Dieu ne donnera jamais à aucun agent naturel le pouvoir de troubler et de changer l’ordre physique du monde et le cours ordinaire de la nature ; que les esprits, bons ou mauvais, n’ont point ce pouvoir, encore moins les magiciens et les imposteurs, et nous prouverons que cela n’est jamais arrivé. Entre les différents événements rapportés dans l’Histoire Sainte, il en est dont le naturel saute aux yeux de tout homme de bon sens, et sur lesquels il n’est besoin ni de dissertation, ni d’examen. Qu’un malade guérisse par des remèdes, lentement, en reprenant des forces peu à peu, c’est la marche de la nature ; qu’il guérisse subitement à la parole d’un homme, sans conserver aucun reste ni aucun ressentiment de la maladie, c’est évidemment un miracle. Qu’un Thaumaturge, par sa parole, ou par un simple attouchement, rende la vie aux morts, la vue aux aveugles nés, l’ouïe aux sourds, la voix aux muets, la force et le mouvement aux paralytiques, marche sur les eaux, calme les tempêtes, sans laisser aucune marque d’agitation sur les flots, rassasie cinq mille hommes avec cinq pains, etc., ce n’est certainement pas là des œuvres naturelles ; pour en décider, il n’est pas nécessaire d’être Médecin, Philosophe ou Naturaliste ; il suffit d’avoir la plus légère dose de bon sens. Lorsque les circonstances peuvent laisser quelque doute sur le surnaturel d’un fait, c’est le cas de suspendre notre jugement, et de ne pas affirmer témérairement un miracle. Mais voici un argument auquel les incrédules ne répondront jamais. S’il est impossible de discerner certainement un miracle d’avec un fait naturel, pourquoi rejetez-vous les événements de l’Histoire Sainte, qui vous paraissent miraculeux, pendant que vous admettez, sans difficulté, ceux dans lesquels il n’y a rien que de naturel ? Vous ne voulez pas croire les premiers, parce que ce sont des miracles, et vous soutenez en même temps que, si ces 283
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faits sont arrivés, on n’a pas pu savoir certainement que c’étaient des miracles : peut-on se contredire d’une façon plus grossière ? Il s’agit de savoir, en second lieu, si un miracle peut être constaté, si l’on peut en prouver la réalité. Ici nouvelle contradiction de la part des Déistes ; c’en est une, en effet, d’avouer d’une part, que Dieu peut faire des miracles, et de soutenir, de l’autre, que Dieu n’est pas assez puissant pour les rendre tellements sensibles et reconnaissables, que personne ne puisse en douter raisonnablement : dans ce cas, à quoi serviraient les miracles ? Toute la question se réduit à savoir si un miracle est ou n’est pas un fait sensible, si le surnaturel du fait empêche que la substance du fait ne puisse tomber sous les sens ; il y aurait de la folie à le soutenir. Déjà, dans les articles FAIT et CERTITUDE , nous avons démontré qu’un miracle est susceptible des mêmes preuves qu’un fait naturel quelconque ; qu’il peut être métaphysiquement certain pour celui qui en a été témoin oculaire ; qu’il peut donc être moralement certain pour les autres par le témoignage irrécusable de ceux qui l’ont vu, et de celui qui l’a éprouvé. Nous ne répéterons point les raisons que nous en avons données ; mais il nous reste des objections à résoudre. La plus éblouissante au premier coup d’œil, est celle que Hume a traitée fort au long dans son dixième essai sur l’entendement humain, où il s’est proposé de prouver qu’aucun témoignage ne peut constater l’existence d’un miracle. Un miracle, dit-il, est un effet ou un phénomène contraire aux lois de la nature ; or, comme une expérience constante et invariable nous convainc de la certitude de ces lois, la preuve contre le miracle, tirée de la nature même du fait, est aussi entière qu’aucun argument que l’expérience puisse fournir. Elle ne peut donc être détruite par aucun témoignage quel qu’il puisse être. En effet, la foi que nous ajoutons à la déposition des témoins oculaires est aussi fondée sur l’expérience, c’est-à-dire, sur la connaissance que nous avons 284
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que ce témoignage est ordinairement conforme à la vérité. Si donc ce témoignage tombe sur un fait miraculeux, il se trouve deux expériences opposées, dont l’une détruit l’autre, ou du moins dont la plus forte doit prévaloir à la plus faible. Or, comme il est beaucoup plus probable que des témoins se trompent ou veulent tromper, qu’il ne l’est que le cours de la nature est interrompu, l’on doit plutôt s’en tenir à la première supposition qu’à la seconde. De là D. Hume conclut qu’un miracle, quelque attesté qu’il soit, ne mérite aucune croyance. Pour peu que l’on y fasse attention, l’on verra que ce sophisme ne porte que sur une équivoque et sur l’abus du terme d’expérience. En effet, en quoi consiste l’expérience ou la connaissance que nous avons de la constance du cours de la nature ? En ce que nous ne l’avons jamais vu changer, si nous n’avons jamais été témoins d’aucun miracle ; mais s’ensuit-il que ce changement est impossible, parce que nous ne l’avons jamais vu ? Ce n’est donc ici qu’une expérience négative, si l’on peut ainsi parler, un simple défaut de connaissance, une pure ignorance. D. Hume l’a reconnu lui-même dans son quatrième essai, où il avoue que nous ne pouvons prouver, a priori, l’immutabilité du cours de la nature. N’est-il pas absurde de vouloir qu’un simple défaut de connaissance de notre part l’emporte sur la connaissance positive et sur l’attestation formelle des témoins qui ont vu un miracle ? Si l’argument de Hume était solide, il prouverait que quand nous voyons, pour la première fois, un fait étonnant, nous devons récuser le témoignage de nos yeux, parce qu’alors il se trouve contraire à notre prétendue expérience passée ; que nous devons même nous défier du sentiment intérieur, lorsque nous éprouvons en nous-mêmes un symptôme que nous n’avions jamais senti. Ce sophisme attaque donc de front la certitude physique et la certitude métaphysique, aussi bien que la certitude morale. Voyez EXPÉRIENCE . 285
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En second lieu, est-il vrai que nous nous fions au témoignage humain seulement, parce que nous avons reconnu, par expérience, que ce témoignage est ordinairement conforme à la vérité ? Il n’en est rien ; nous nous y fions par un instinct naturel qui nous fait sentir que, sans cette confiance, la société humaine serait impossible. Nous nous y fions dans l’enfance avec plus de sécurité que dans l’âge mûr ; et plus nous devenons vieux et expérimentés, plus nous devenons défiants. Mais cette défiance, poussée à l ’excès, serait aussi déraisonnable que celle des incrédules. Lorsqu’un fait sensible et palpable, naturel ou miraculeux, est attesté par un grand nombre de témoins, qui n’ont pu avoir un intérêt commun d’en imposer, qui n’ont pas pu même user ensemble de collusion, qui paraissent d’ailleurs sensés et vertueux, il est impossible que leur témoignage soit faux ; nous y déférons alors avec une entière certitude, en vertu de la connaissance intime que nous avons de la nature humaine. Ce n’est ici ni une simple présomption, ni une expérience purement négative, ou une ignorance, mais une connaissance positive et réfléchie. Dans ce cas, il est absurde de dire qu’il est plus probable que les témoins se sont trompés ou ont voulu tromper, qu’il ne l’est que le cours de la nature est interrompu ; pour que l’un ou l’autre de ces inconvénients aient lieu, il faudrait que le cours de la nature humaine fût changé. Nous avons donc alors un témoignage tel que Dieu l’exige, un témoignage de telle nature, que sa fausseté serait plus miraculeuse que le fait qu’il doit établir. Dieu peut avoir de sages raisons d’interrompre, pour un moment, l’ordre physique et le cours de la nature ; mais il ne peut en avoir aucune de renverser l’ordre moral et la constitution de la nature humaine : le premier de ces miracles n’a rien d’impossible ; le second serait absurde et indigne de Dieu. [...] 286
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III. Les miracles peuvent-ils servir à confirmer une doctrine, et à prouver la divinité d’une religion ? L’on n’en avait pas douté, avant qu’il y eût des Déistes ; et il a fallu, de leur part, un travers singulier d’esprit pour soutenir le contraire. En effet, puisque c’est Dieu qui, par sa toute-puissance, a réglé le cours de la nature, a établi l’ordre physique du monde tel qu’il est, lui seul a le pouvoir de le suspendre, d’y déroger, même pour un instant, d’arrêter l’effet de la moindre des lois dont il est l’auteur. Il n’a certainement donné à aucune créature la puissance de déranger son ouvrage, de troubler la tranquillité des hommes, pour l’utilité desquels Dieu a fait les choses telles qu’elles sont. Vu la confiance que les hommes ont eu, de tout temps, à la constance de la marche de l’univers, et l’étonnement que leur ont toujours causé les miracles vrais ou apparents, leur sort, pour ce monde et pour l’autre, serait à la discrétion des mauvais esprits ou des imposteurs auxquels Dieu aurait donné le pouvoir d’opérer des prodiges supérieurs aux forces de la nature ; sa sagesse et sa bonté s’y opposent. Aussi s’en est-il expliqué lui-même très clairement ; après avoir fait souvenir les Hébreux des prodiges qu’il a opérés en leur faveur, il leur dit : « Voyez par là que je suis le seul Dieu, et qu’il n’y en a point d’autre que moi. », Deut. C. 32, v. 39. [...] C’est aussi à la vue du premier des miracles de Jésus-Christ que ses Disciples crurent en lui, Joan. c. 2, v. 11. [...] S. Pierre déclare que Jésus-Christ est le Fils de Dieu, qu’il est ressuscité, qu’il faut croire en lui pour être sauvé, que lui est ses collègues ont sont des témoins fidèles ; et il le prouve par le miracle qu’il venait d’opérer, en guérissant un homme impotent depuis sa naissance, Act. c. 3, v. 13 et suiv. [...] Mais, répliquent les Déistes, il y a dans l’Écriture Sainte d’autres passages qui semblent opposés à ceux-là, et qui enseignent le contraire. Il est dit que les Magiciens de Pharaon 287
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imitèrent les miracles de Moïse, fecerunt similiter, Exode, c. 7, v. 11, 22, etc. Moïse défend aux Juifs d’écouter un faux Prophète, quand même il ferait des miracles, Deut. c. 13, v. 1. Dieu permet à l’esprit de mensonge de se placer dans la bouche des Prophètes, III. Reg., c. 22, v. 22. Il lui permet d’affliger Job par des fléaux, qui sont de vrais miracles, Job c. 1, v. 12. Il dit : « Lorsqu’un Prophète se trompera et parlera faussement, c’est moi qui l’ai trompé ; je mettrai la main sur lui, et je l’exterminerai », Ezech. c. 14, v. 9. [...] Jésus-Christ prédit qu’il viendra de faux Christs et de faux Prophètes, qui feront de grands prodiges et des miracles capables de tromper même les élus, Matt. c. 24, v. 24. S. Paul prédit la même chose de l’Antechrist, II. Thess. c. 2, v. 9. [...] Réponse. Nous soutenons qu’aucun de ces passages ne prouve le contraire de ceux que nous avons cités. 1°. À l’article M AGIE , §. 2, nous avons fait voir que les Magiciens d’Égypte ne firent que des tours de souplesse, qu’ils n’imitèrent que très imparfaitement les miracles de Moïse, qu’il était très aisé de distinguer, dans cette occasion, l’opération divine d’avec les prestiges de l’art : ainsi, lorsque l’Histoire Sainte dit qu’ils firent de même, cela ne signifie pas une imitation parfaite et à laquelle on pût être innocemment trompé. 2°. Moïse n’a jamais supposé qu’un faux Prophète pût faire des miracles ; il dit « S’il s’élève au milieu de vous un Prophète ou un homme qui dise qu’il a eu un songe, et qui prédise un signe ou un phénomène ; si ce qu’il a prédit arrive, et qu’il vous dise : allons adorer les Dieux étrangers, vous n’écouterez point ce Prophète ou ce rêveur, parce que c’est le Seigneur votre Dieu qui vous éprouve, afin que l’on voie si vous l’aimez ou non de tout votre cœur et de toute votre âme... Ce Prophète ou ce conteur de songes sera mis à mort ». Annoncer un phénomène naturel qui arrive ce n’est pas faire un miracle. Moïse prévient ici les Israélites contre la stupidité 288
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des idolâtres, qui adoraient les astres, et qui prenaient les phénomènes du ciel pour des signes de la saveur ou de la colère de ces prétendues divinités, Deut. c. 4, v. 19. 3°. Il est évident que ce qui est dit des faux Prophètes, III. Reg., c. 22, v. 22, est une expression figurée, très commune en hébreu ; l’esprit menteur n’est point un personnage ou un démon, mais l’esprit menteur du Prophète lui-même. Lorsque l’Auteur sacré ajoute que c’est Dieu qui a mis cet esprit dans la bouche des Prophètes d’Achab, cela signifie seulement que Dieu a permis qu’ils se trompassent et voulussent tromper, et qu’il ne les en a pas empêchés. C’est un hébraïsme qui a été remarqué par tous les Commentateurs, Glassius, Philolog. sacra, col. 814, 871. Nous avons donné des exemples de cette manière de parler en français à l’art. HÉBRAÏSME , n. 11. Voyez PERMISSION. 4°. Le sens est le même dans Ezéchiel, c. 14, v. 9, où il est dit que Dieu a trompé un faux Prophète, et qu’il le punira ; pourrait-il justement punir un homme qu’il aurait trompé lui-même ? [...] 5°. Les fléaux dont Job fut affligé furent des miracles sans doute ; mais rien ne nous force de les attribuer à l’opération immédiate du Démon, plutôt qu’à celle de Dieu, ni de prendre à la lettre ce qui est dit de Satan [...]. 6°. Jésus-Christ ne dit point que les faux Christs feront des miracles, mais qu’ils donneront ou qu’ils montreront des signes et des grands prodiges. [...] En second lieu, Jésus-Christ ne dit point absolument que les élus ou les fidèles y seront trompés ; mais qu’ils le seront, si cela se peut faire, après avoir été prévenus et avertis, comme il les prévient en effet. Voilà pourquoi il ajoute : Je vous ai prédit ce qui doit arriver. Après un pareil avertissement, personne ne pouvait plus y être trompé que ceux qui voulaient l’être.
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On doit entendre de même ce que S. Paul dit de l’Antechrist, II. Thess. c. 2, v. 3. [...] IV. Y a-t-il eu effectivement de smiracles ? Si cela est indubitable, toutes les autres questions sont résolues ; il s’ensuit que les miracles ne sont ni impossibles ni indignes de Dieu, ni inutiles ; qu’ils prouvent quelque chose, et qu’ils peuvent être prouvés ; or, à moins d’être Athée, Matérialiste ou Pyrrhonien, on est forcé d’en admettre. Les Athées même conviennent que la création est le plus grand des miracles, et que quiconque admet celui-là, ne peut raisonnablement nier la possibilité des autres ; à moins de soutenir l’éternité de la race des hommes, on est obligé d’avouer que le premier individu n’a pu commencer d’exister que par miracle. Le déluge universel est attesté par l’inspection du globe entier ; c’est incontestablement un autre miracle ; toutes les hypothèses forgées par les Philosophes pour en combattre la réalité, ou pour l’expliquer naturellement, sont aussi frivoles les unes que les autres. Aux articles JÉSUS-CHRIST, A PÔTRES , MOÏSE , nous prouvons la vérité des miracles qu’ils ont opérés. [...] Ils ont donc le plus grand tort d’objecter que si Moïse avait fait autant de miracles qu’on le dit, les Égyptiens ne se seraient pas obstinés à poursuivre les Hébreux, et que ceux-ci ne se seraient pas si souvent révoltés contre lui ; que si Jésus-Christ et les Apôtres avaient opéré des miracles si fréquents et si éclatants, il ne serait pas resté un seul incrédule parmi les Juifs, ni parmi les Païens. L’opiniâtreté des incrédules d’aujourd’hui ne nous fait que trop sentir de quoi ceux d’autrefois ont été capables. Un miracle, quelque éclatant qu’il soit, ne convertit point les hommes sans une grâce intérieure qui les rende dociles ; et il n’est aucune grâce à laquelle des cœurs endurcis ne puissent résister. Lorsqu’un miracle opère un grand nombre de conversions, ce 290
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changement des esprits et des cœurs doit nous surprendre autant que le surnaturel du miracle, et que l’interruption du cours de la nature. Voyez la Dissertation sur les miracles, Bible d’Avignon, t. 2, p. 25.
2
M ISSIONS ÉTRANGÈRES T. II, p. 663b-669a
2 On appelle ainsi les établissements formés dans les pays infidèles pour amener les peuples à la connaissance du Christianisme. La commision que Jésus-Christ a donnée à ses Apôtres, d’instruire et de baptiser toutes les nations, s’étend à tous les siècles ; aussi le zèle apostolique n’a jamais cessé dans l’Église catholique, et il y durera tant qu’il y aura sur la terre des infidèles et des mécréants à convertir, puisque Jésus-Christ a promis d’être avec ses envoyés jusqu’à la consommation des siècles. Dans les temps même les moins éclairés, le zèle pour la conversion des infidèles a produit d’heureux effets, et il s’est révéillé à la renaissance des Lettres. [...] Ce zèle, quoique très conforme à l’ordre donné par JésusChrist et à l’esprit apostolique, n’a pas trouvé grâce aux yeux des Protestants. Incapables de l’imiter, ils ont pris le parti de le rendre odieux ou du moins suspect ; ils en ont empoisonné les motifs, les procédés et les effets ; les incrédules, toujours instruits à cette école, ont encore enchéri sur leurs reproches. Ils ont dit que la plupart des Missionnaires sont des moines dégoûtés du cloître, qui vont chercher la liberté et l’indépendance dans les pays éloignés ; ou des hommes d’un caractère inquiet, 291
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qui, mécontents de leur sort en Europe, se flattent d’acquérir plus de considération dans les climats lointains. En faisant semblant de louer les Papes de la constance de leur zèle, ils ont fait entendre que ces Pontifes ont toujours eu pour objet d’étendre leur domination spirituelle et temporelle, plutôt que de gagner des âmes à Dieu ; que les Missionnaires eux-mêmes ne paraissent pas avoir eu un autre motif ; que c’est ce qui les a rendus justement suspects à la plupart des Gouvernements. Ils ont ajouté que ces émissaires des Papes, loin de prêcher le pur et parfait Christianisme, n’ont enseigné que les erreurs, les superstitions, les pratiques minutieuses de l’Église Romaine ; qu’ils n’ont corrigé leurs prosélytes d’aucun vice, et ne leur ont inspiré aucune vertu réelle ; qu’à proprement parler, leur prétendue conversion n’a consisté qu’à quitter une idolâtrie pour en reprendre une autre ; que les convertisseurs, non contents d’employer l’instruction et la persuasion, comme les Apôtres, ont eu recours aux impostures, aux faux miracles, aux fraudes pieuses de toute espèce, souvent aux armes, à la violence, aux supplices ; que l’on a vu naître entre eux des disputes et des divisions qui ont scandalisé l’Europe entière, et ont indisposé les infidèles contre le Christianisme. Ces Censeurs ont conclu qu’il n’est pas étonnant que la plupart de ces missions aient produit fort peu de fruit, et n’aient souvent abouti qu’à exciter du trouble et des séditions. Enfin, ils ont soutenu et décidé qu’il n’est pas permis d’aller prêcher le Christianisme aux infidèles contre le gré et sans l’aveu des Souverains, d’attaquer une religion dominante, et confirmée par les lois d’une nation, à moins que l’on ne soit revêtu, comme les Apôtres, d’une mission extraordinaire et du don des miracles. Ainsi ont parlé des Missionnaires catholiques des différents siècles Mosheim, dans son Histoire Ecclésiastique ; Fabricius, dans son ouvrage intitulé : Salutaris lux Evangelii orbi Exoriens, 292
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ch. 32 et suiv., où il cite plusieurs Auteurs Protestants qui ont été de même avis. Mais rien n’est plus singulier que la manière dont ces savants Écrivains ont pris la peine de se réfuter eux-mêmes. Comme les Catholiques avaient souvent reproché aux Protestants leur peu de zèle à étendre la religion chrétiennes dans les pays où ils s’étaient rendus les maîtres, nos deux Critiques font un étalage pompeux des tentatives et des efforts que les Anglais, les Hollandais, les Suédois, les Danois, ont fait pour propager le Christianisme dans les Indes et dans tous les lieux où ils ont des établissements de commerce. Là-dessus, nous prenons la liberté de leur demander, 1°. s’il est plus juste et plus conforme à l’esprit du Christianisme d’aller avec des armées et du canon former des établissements de commerce dans les pays infidèles, malgré les Souverains, que d’y envoyer des missionnaires désarmés pour catéchiser leurs sujets ; 2° si le pur Christianisme que les Convertisseurs Protestants ont prêché a produit de plus grands effets que la doctrine catholique, si leur zèle a été plus pur, et si leur vie a été beaucoup plus apostolique que celle des Missionnaires de l’Église Romaine ; 3°. s’ils ont commencé par mettre l’Écriture Sainte à la main de leurs prosélytes, ou s’ils se sont bornés à les instruire de vive voix, comme font nos Missionnaires ; si la foi de ces Néophytes Protestants a été formée selon les principes et la méthode que les Protestants soutiennent être la seule légitime. Il est évident, et ces Critiques l’ont bien senti, que la méthode qu’ils prescrivent est aussi impraticable à l’égard des infidèles qu’à l’égard des enfants ; que les premiers, qui ne savent pas lire, et qui n’entendent que leur langue maternelle, seront incapables toute leur vie de lire l’Écriture Sainte, soit dans le texte, soit dans les versions ; qu’ils sont donc forcés de s’en tenir à la parole de celui qui les instruit, et qu’il n’est pas fort aisé de deviner sur quel motif leur foi peut être fondée. Conséquemment nous demandons 293
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encore si cette foi peut suffire pour le salut d’un Indien ou d’un Iroquois, pourquoi une foi semblable ne suffit pas pour le salut d’un simple fidèle de l’Église Romaine. D’où nous concluons que c’est cette contradiction même entre le principe fondamental du Protestantisme et la méthode dont il faut se servir pour convertir les infidèles, qui a dégoûté les Protestants des missions, et les a engagés à calomnier les Missionnaires Catholiques. On sait, en effet, que leurs pompeuses missions, entreprises uniquement par politique et par ostentation, n’ont pas eu jusqu’ici de brillants succès ; que presque toutes sont tombées ou très négligées ; que souvent ils ont fait des plaintes du peu de zèle et de l’indolence de leurs Ministres, et que plusieurs d’entre eux, tels que Salmon, Gordon, les Auteurs de la Bibliothèque anglaise, etc. sont convenus de cette tache de leur religion. [...] Il n’est pas fort difficile de voir pourquoi les missions des derniers siècles n’ont pas produit autant de fruit qu’elles semblaient en promettre. Les Européens se sont rendus odieux dans les trois autres parties du monde par leur ambition, leur rapacité, leur orgueil, leur libertinage, leur cruauté ; tous conviennent que lorsqu’on a une fois franchi l’Océan, on ne connaît plus d’autre religion que le commerce, ni d’autre Dieu que l’argent. Sur ce point, les Nations Protestantes sont tout aussi coupables que les Nations Catholiques. Quelle confiance peuvent donner les infidèles à des Missionnaires arrivés d’un pays qui ne leur semble avoir produit que des monstres ? Les Missionnaires, asservis aux intérêts de la Nation qui les protège, se sont trouvés souvent impliqués, sans le vouloir, dans les contestations et les mauvais procédés de leurs compatriotes. Voilà ce qui a fait le mal, et il durera tant que les missions seront dépendantes des peuples de l’Europe uniquement occupés des intérêts de leur commerce. 294
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Les Apôtres, dégagés de ces entraves, n’étaient obligés de ménager ni de favoriser personne ; ils instruisaient des nationaux, et leur donnaient ensuite le soin d’enseigner et de convertir leurs compatriotes. On a senti enfin la nécessité de les imiter, d’élever des Chinois et des Indiens pour en faire des missionnaires. C’est le seul moyen de réussir ; mais il ne convient pas à ceux qui ont fait la plus grande partie du mal de triompher aujourd’hui des pernicieux effets qu’il a produits. Il est cependant faux que les missions en génral aient été aussi infructueuses que le prétendent les Protestants ; l’État de l’Église Romaine dans toutes les parties du monde, qu’eux-mêmes ont eu soin de publier, est une preuve authentique du contraire. M. de Pagès, dans ses voyages autour du monde, terminés en 1776, atteste, comme témoin oculaire, le succès des missionnaires français en Amérique, la douceur et la pureté des mœurs qu’ils y font régner. Il dit que la religion catholique a fait beaucoup de progrès dans la Syrie, à Damas et dans le sud-ouest des montagnes, où les hérétiques et les schismatiques faisaient autrefois le plus grand nombre ; qu’elle s’est aussi étendue en Égypte parmi les Cophtes. « J’ai vu par moi-même, dit-il, les peines et les travaux des missionnaires, en Turquie, en Perse, dans les Indes, pays qui fourmillent de Chrétiens peu instruits. Les missions ont fait des progrès admirables dans les royaumes de Pégu, Siam, Cambodia, Cochinchine, et même à la Chine, par le moyen des sujets Chinois que l’on instruit en Italie... L’Espagne seule a fait plus de Chrétiens en Amérique et en Asie, qu’elle ne possède de sujets en Europe ». M. Anquetil, dans son voyage des Indes, compte deux cent mille Chrétiens à la seule Côte de Malabar, dont les trois quarts sont catholiques. De tous les missionnaires, ceux que l’on a le plus maltraités, sont les Jésuites, et les incrédules n’ont pas manqué de recueillir et de commenter tous les reproches qu’on leur a faits. Il n’est 295
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point d’impostures, de fables, de calomnies que l’on n’ai vomies contre leurs missions du Paraguai et de la Chine ; on n’a pas même épargné S. François-Xavier. On a dit qu’il était d’avis que l’on ne parviendrait jamais à établir solidement le Christianisme chez les infidèles, à moins que les auditeurs ne fussent toujours à la portée du mousquet. L’on a cité pour garant de cette anecdote le Père Navarrette, qui était, dit-on, son confrère. L’Auteur qui a recueilli cette fable ignorait que Navarrette était Jacobin, et non Jésuite, ennemi déclaré des Jésuites, et non leur confrère ; que le second volume de son ouvrage sur la Chine fut supprimé par l’Inquisition d’Espagne, et que l’on n’a pas osé publié le troisième. Il résulte de là que ce Religieux n’avait pas écrit par un zèle fort pur. Ce qu’il dit de S. François-Xavier, si cependant il l’a dit, est prouvé faux par les lettres et par la conduite de ce saint Missionnaire. Baldéus, Auteur Protestant, a rendu une pleine justice au zèle, aux travaux, aux vertus de ce même Saint. Apol. pour les Cathol., tome 2, c. 14, p. 268. Lorsque l’Auteur de l’Histoire des établissements des Européens dans l’Inde15, a fait l’apologie des missions des Jésuites du Paraguai, au Brésil, à la Californie, les Philosophes, ses confrères, ont dit que c’était un reste de prévention et d’attachement pour la Société de laquelle il avait été membre. Mais Montesquieu, M. de Buffon, Muratori, Haller, Frézier, Officier du Génie, un autre Militaire qui a pris le nom de Philosophe Ladouceur, etc. n’ont jamais été Jésuites ; ils ont cependant fait l’éloge des missions du Paraguai, et les deux derniers y avaient été ; ils en parlaient comme témoins oculaires. M. Robertson, dans son histoire de l’Amérique ; M. de Pagès, dans ses voyages autour du monde, publiés récemment, tiennent le même langage. 15. Abbé Guillaume-Thomas Raynal, Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes (1770). 296
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Un trait de la fourberie des incrédules, a été de nous peindre l’état des peuples de l’Inde, de la Chine, et même des Sauvages, non seulement comme très supportable, mais comme heureux et meilleur que celui des nations chrétiennes, afin de persuader que le zèle des Missionnaires, loin d’avoir pour objet le bonheur de ces peuples, ne tendait dans le fond qu’à les asservir et à les rendre malheureux. Mais depuis que l’on a comparé ensemble les relations des divers Voyageurs, que l’on a vu, par les livres originaux des Chinois, des Indiens, des Guèbres ou Parsis, la croyance, les mœurs, les lois, le gouvernement des peuples divers, on a mis au grand jour l’ignorance, la prévention, la mauvaise foi de nos Philosophes incrédules ; on a mieux compris l’énormité du crime des Protestants, qui, non contents de négliger les missions, auxquelles ils sentent bien qu’ils ne sont pas propres, ont encore cherché à les décrier et à les rendre odieuses. Cette considération n’a pas empêché un Voyageur très moderne d ’adopter sur ce point les idées et le langage philosophiques. Suivant son avis, on peut douter si les Missionnaires sont animés par le désir de rendre éternellement heureuses les nations idolâtres, ou par le besoin inquiet de se transporter dans des pays inconnus pour y annoncer des vérités effrayantes. Ceux de la Chine, dit-il, n’ont pas été entièrement désintéressés ; pour compensation des fatigues et pour dédommagement des persécutions auxquelles ils s’exposaient, ils ont envisagé la gloire d’envoyer à leurs compatriotes des relations étonnantes, et des peintures d’un peuple digne d’admiration. L’on sait d’ailleurs que cette classe d’Européens borne ses connaissances aux vaines subtilités de la scholastique, et à des éléments de morale subordonnés aux lois de l’Évangile, et aux vérités révélées. Voyages de M. Sonnerat, publiés en 1784. Sans examiner si des motifs aussi frivoles peuvent servir de compensation et de salaire aux Missionnaires, nous demandons 297
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à cet Écrivain scrutateur des cœurs, si notre religion est la seule qui enseigne des vérités effrayantes, si les Chinois, les Indiens, les Parsis, les Mahométans ne croient pas aussi bien que nous une vie à venir, et un enfer pour les méchants. Quel peut donc être pour les Missionnaires l’avantage de leur annoncer l’enfer, cru par les Chrétiens, au lieu de celui que croient les infidèles ? Nous ne le concevons pas. Si ces Missionnaires eux-mêmes croient une vie à venir, ils peuvent donc avoir pour motif de leurs voyages et de leurs travaux l’espérance de mériter le bonheur éternel pour eux-mêmes, et de mettre en état leurs prosélytes de l’obtenir. Mais ceux qui ne croeient rien s’imaginent que tout le monde leur ressemble, et que les Missionnaires prêchent des vérités effrayantes sans y croire. Si tous les Missionnaires de la Chine avaient fait et publié des relations, l’on pourrait penser que tous ont eu l’ambition d’étonner leurs compatriotes ; mais les trois quarts des Missionnaires n’en ont point fait et n’ont eu part à aucune ; on ne se souvient pas seulement de leurs noms en Europe ; où est donc la gloire qu’ils ont envisagée pour récompense ? On nous regarderait comme des insensés, si nous disons que les Négociants, les Navigateurs, M. Sonnerat lui-même, ne sont allés aux Indes et à la Chine que pour avoir le plaisir de nous étonner par leurs relations, ou de contredire ceux qui avaient écrit avant eux. Est-il vrai que les Missionnaires n’aient montré dans leurs relations point d’autres connaissances que celle de la scholastique, et de la morale de l’Évangile ? Ce sont eux qui les premiers nous ont fait connaître les pays qu’ils ont parcourus, et les nations qu’ils ont instruites. Notre Voyageur, qui a bien senti que ce reproche qu’il fait aux Missionnaires en général ne pouvait regarder les Jésuites, a trouvé bon de leur attribuer des motifs 298
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odieux ; c’est une calomnie, et rien de plus. Au mot TARTARE , nous parlerons en particulier des missions faites en Tartarie.
2 NÈGRES T. II, p. 746b-750a
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Ces peuples donnent lieu à deux questions qui tiennent à la Théologie ; il s’agit de savoir, 1°. si les Nègres ont une origine différente de celle des Blancs ; 2°. si la traite des Nègres, et l’esclavage dans lequel on les retient pour le service des colonies de l’Amérique, est légitime. I. L’Écriture Sainte nous apprend que tous les hommes sont nés d’un seul couple, que tous ont par conséquent la même origine : d’où il s’ensuit que la différence de couleur, qui se trouve dans les divers habitants du monde, vient du climat qu’ils habitent, et de leur manière de vivre. Cela paraît prouvé par la dégradation insensible de couleur que l’on remarque en eux, à proportion qu’ils sont plus ou moins éloignés ou rapprochés de la zone torride. En général, les peuples de nos provinces méridionales sont plus basanés que nous, mais ils le sont beaucoup moins que les habitants des côtes de Barbarie, et ceuxci sont moins noirs que ceux de l’intérieur de l’Afrique. Cette variation est à peu près la même dans les deux hémisphères. On n’en est pas étonné, quand on remarque la différence de teint qui règne entre les habitants d’un même climat ou d’un même village, dont les uns vivent plus renfermés, les autres sont plus exposés, par leur travail, aux ardeurs du soleil ; entre le teint d’une même personne pendant l’hiver et pendant l’été. On prétend même qu’il est prouvé par expérience que des Blancs transplantés en Afrique, sans avoir mêlé leur sang avec 299
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les Nègres, ont contracté insensiblement la même couleur et les mêmes traits du visage ; que des Nègres, au contraire, transportés dans les pays septentrionaux, se sont blanchis par degrés, sans avoir croisé leur race avec les Blancs. C’est l’opinion des plus habiles Naturalistes, en particulier de M. de Buffon, de MM. Paw, Scherer, etc. D’autres Philosophes beaucoup moins instruits, mais qui se sont fait un point capital de contredire l’Écriture Sainte, soutiennent que ces expériences sont fausses ; que les blancs ne peuvent jamais devenir parfaitement noirs ; que les Nègres conservent de race en race leur couleur et leurs traits, dans quelque climat qu’ils soient transplantés. Ils ont prétendu prouver l’impossibilité de ces transmutations parfaites, par l’examen du tissu de la peau des Nègres. Selon quelques-uns, la cause de la noirceur de ceux-ci est une espèce de réseau, semblable à une gaze noire, qui est placé entre la peau et la chair ; ils ont appelé ce tissu une membrane muqueuse. D’autres ont dit que c’est une substance gélatineuse, qui est répandue entre l’épiderme et la peau ; que cette substance est noirâtre dans les Nègres, brune dans les peuples basanés, et blanche dans les Européens. Mais puisque la membrane, le réseau, la substance qui séparent l’épiderme d’avec la chair, se trouvent dans tous les hommes, il s’agit de savoir pourquoi elle est blanche dans les uns, noire dans les autres, et de prouver que, sans croiser les races, ces substances ne peuvent changer de couleur ; voilà ce que nos savants Dissertateurs n’ont pas fait. Puisqu’elles ne sont que brunes dans les peuples basanés, leur couleur peut donc se dégrader : donc elles peuvent passer du blanc au noir, ou au contraire. Les uns citent des expériences, les autres le nient ; auxquels devons-nous croire ? En attendant que tous se soient accordés, il nous est permis de penser que tous les hommes, blancs ou 300
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noirs, rouges ou jaunes, sont enfants d’Adam, comme l’enseigne l’Écriture Sainte. Quelques Écrivains ont imaginé que les Nègres sont la postérité de Caïn, que leur noirceur est l’effet de la malédiction que Dieu prononça contre ce meurtrier ; qu’il faut ainsi entendre le passage de la Genèse, c. 4, v. 15, où il est dit que Dieu mit un signe sur Caïn, afin qu’il ne fût pas tué par le premier qui le rencontrerait. De là un de nos Philosophes incrédules a pris l’occasion de déclamer contre les Théologiens. Avec un peu de présence d’esprit, il aurait vu que la Théologie, loin d’approuver cette vaine conjecture, doit la rejeter. Nous apprenons, par l’Histoire Sainte, que le genre humain tout entier fut renouvelé, après le déluge, par la famille de Noé ; or, aucun des fils de Noé n’était descendu de Caïn, et ne s’était allié avec sa race. Pour supposer que cette race maudite subsistait encore après le déluge, il faut commencer par prétendre que le déluge n’a pas été universel, et contredire ainsi l’Histoire Sainte. Il y aurait donc moins d’inconvénient à dire que la noirceur des Nègres vient de la malédiction prononcée par Noé contre Cham son fils, dont la postérité a peuplé l’Afrique, Gen. c. 10, v. 13. Mais, selon l’Écriture, la malédiction de Noé ne tomba pas sur Cham, mais sur Chanaan, fils de Cham, c. 9, v. 13 : or, l’Afrique n’a pas été peuplée par la race de Chanaan, mais par celle de Phut. L’une de ces imaginations ne serait donc pas mieux fondée que l’autre. II. La traite des Nègres, et leur esclavage sont-ils légitimes ? Cette question a été discutée dans une Dissertation imprimée en 1764. L’Auteur soutient que l’esclavage en lui-même n’est contraire ni à la loi de la nature, puisque Noé condamna Chanaan à être esclave de ses frères, qu’Abraham et Jacob ont eu des esclaves ; ni à la loi divine écrite, puisque Moïse, en faisant des lois en faveur des esclaves, ne condamne point l’esclavage ; ni à la loi évangélique, puisque celle-ci n’a donné aucune atteinte 301
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au droit public établi chez toutes les Nations. En effet S. Pierre et S. Paul ordonnent aux esclaves d’obéir à leurs maîtres, et aux maîtres de traiter leurs esclaves avec douceur. Le Concile de Gangres a frappé d’anathème ceux qui, sous prétexte de religion, enseignaient aux esclaves à quitter leurs maîtres, et à mépriser leur autorité. Plusieurs autres Décrets des Conciles supposent qu’il est permis d’avoir des esclaves, d’en acheter et de les vendre. Au treizième siècle, l’esclavage a été supprimé, non par les lois ecclésiastiques, mais par les lois civiles. Il ajoute qu’en transportant des Nègres en Amérique, on ne rend pas leur sort plus mauvais, puisqu’ils ne seraient pas moins esclaves dans leur pays, et qu’ils y seraient encore plus maltraités ; au lieu que dans les Colonies ils sont protégés par des lois faites en leur faveur : ils y trouvent d’ailleurs la facilité d’être instruits de la religion chrétienne, et de faire leur salut. L’Auteur distingue quatre sortes d’esclaves ; 1. ceux qui ont été condamnés pour des crimes à perdre leur liberté ; 2. ceux qui ont été pris à la guerre ; 3. ceux qui sont nés tels ; ceux qui sont vendus par leurs pères et mères, ou qui se vendent eux-mêmes. Il ne voit dans ces différentes sources d’esclavage aucune raison qui rende illégitime la traite des Nègres. Il convient des abus qui naissent très souvent de l’esclavage, mais il observe que l’abus d’une chose innocente en elle-même ne prouve pas qu’elle soit contraire au droit naturel ; on peut réprimer l’abus et laisser subsister l’usage légitime. Le Philosophe qui a fait un traité de la félicité publique16 ne condamne pas non plus absolument l’esclavage des Nègres, mais il ne l’approuve pas positivement. « Quoiqu’on ne puisse assez gémir, dit-il, de ce que l’avarice a conservé parmi les peuples de 16. François-Jean de Chastellux, De la Félicité publique ou Considérations sur le sort des Hommes dans les différentes époques de l’Histoire (1772). 302
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l’Occident ce que la barbarie et l’ignorance ont établi et maintenu dans l’Orient, nous observerons pourtant, 1°. que l’esclavage n’est plus connu chez les Chrétiens, si ce n’est dans les colonies ; 2°. que les esclaves sont tous tirés d’une nation très sauvage et très brute qui vient elle-même les offrir à nos Négociants ; 3°. que si la raison et la philosophie s’écrient qu’il fallait traiter le Nègre comme l’Européen, il est cependant vrai que la grande dissemblance de ces malheureux avec nous, rappelle moins les sentiments d’humanité, et sert à entretenir le préjugé barabare qui les tient dans l’oppression ; 4°. que si ces esclaves ont été traités avec une cruauté très condamnable, l’expérience a souvent prouvé que jamais la douceur et les bienfaits n’ont pu ôter à cette nation son caractère lâche, ingrat et cruel. Il y a même tout lieu de croire que, si les esclaves des colonies avaient été des Européens, ils seraient déjà rentrés dans leurs droits de citoyen, comme les serfs de notre gouvernement féodal ont peu à peu recouvré la liberté civile. Enfin le nombre des esclaves est bien moins considérable de nos jours, puisque sur cent millions de Chrétiens qui existent à présent, on ne compte assurément pas un million d’esclaves, au lieu que sur un million de Grecs il y avait plus de trois millions de ces infortunés ». On voit aisément qu’aucune de ces raisons n’est sans réplique ; elles tendent plutôt à excuser l’esclavage des Nègres qu’à le justifier ; après mûre réflexion, nous ne pouvons nous résoudre à les approuver, et il nous paraît que l’on peut y en opposer de plus solides. Au mot E SCLAVE , nous avons fait voir, 1°. que sous la loi de nature et dans l’état de société purement domestique l’esclavage était inévitable, et qu’il n’entraînait point alors les mêmes inconvénients que dans l’état de société civile ; l’exemple des Patriarches ne prouve donc rien dans la question présente. 2°. Nous avons observé qu’il n’était pas possible à Moïse de le 303
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supprimer entièrement, que les lois qu’il fit en faveur des esclaves étaient plus douces et plus humaines que celles de toutes les autres nations ; l’on ne peut donc encore tirer avantage de la loi de Moïse. 3°. Jésus-Christ et les Apôtres auraient commis une très grande imprudence en réprouvant absolument l’esclavage, puisqu’il était autorisé par le droit public de toutes les nations ; mais les leçons de charité universelle, de douceur et de fraternité qu’ils ont données à tous les hommes, ont contribué pour le moins aussi efficacement à l’adoucissement et à la suppression de l’esclavage, qu’auraient pu faire des lois prohibitives. C’est l’irruption des Barbares qui a retardé cette heureuse révolution ; tant que le même droit public a subsisté, les Conciles n’ont pu faire que ce qu’ils ont fait. Mais à présent ce droit abusif ne subsiste plus, l’esclavage a été supprimé en Europe par tous les Souverains ; la question est de savoir si, après la réforme de cet abus en Europe, il a été fort louable d’aller le rétablir en Amérique, si on peut encore l’envisager des mêmes yeux qu’au dixième et au douzième siècle, si l’état des Nègres dans les colonies n’est pas cent fois plus malheureux que n’était celui des serfs sous le gouvernement féodal. Le principe posé par l’Auteur de la dissertation, savoir, que depuis le péché originel l’homme n’est plus libre de droit naturel, nous semble très ridicule. Nous savons très bien que c’est en punition du péché d’Adam que l’homme est sujet à être tyrannisé, tourmenté et tué par son semblable ; mais enfin les Européens naissent coupables du péché originel aussi bien que les Nègres : il faut donc que les premiers commencent par prouver que Dieu leur a donné l'honorable commission de faire expier ce péché aux habitants de la Guinée, et qu'ils sont à cet égard les exécuteurs de la justice divine. Lorsque les Nègres, révoltés de l'esclavage, usent de perfidie et de cruauté envers leurs maîtres, 304
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ils leur font aussi porter à leur tour la peine du péché de notre premier père. Avant que la fureur du commerce maritime, et l'avide jalousie, n'eussent fasciné les esprits et perverti tous les principes, on n'aurait pas osé mettre en question s'il était permis d'acheter et de vendre des hommes pour en faire des esclaves. C'est encore une mauvaise excuse de dire que les Nègres esclaves chez eux seraient plus maltraités qu’ils ne le sont dans nos colonies. Il ne nous est pas permis de leur faire du mal, de peur que leurs compatriotes ne leur en fassent encore davantage. Nous persuadera-t-on que c’est par un motif de compassion et d’humanité que les Négociants Européens font la traite des Nègres ? Il y a un fait qui passe pour certain, c’est qu’avant l’établissement de ce commerce, les nations Africaines se faisaient la guerre beaucoup plus rarement qu’aujourd’hui, que le motif le plus ordinaire de leurs guerres actuelles est le désir de faire des prisonniers, pour les vendre aux Européens. C’est donc à ces derniers que ces nations malheureuses et stupides sont redevables des fléaux qui les accablent, et des crimes qui se commettent chez elles. Avant de savoir si nous avons droit de les acheter, il faut examiner si quelqu’un a le droit naturel de les vendre. Il n’est pas question de nous fonder sur le droit injuste et tyrannique qui est établi parmi ces peuples, mais sur les notions du droit naturel, tel que la religion nous le fait connaître. S’il n’y avait point d’acheteurs, il ne pourrait y avoir de vendeurs, et ce négoce infâme tomberait de lui-même. Nous espérons que l’on n’entreprendra pas l’apologie des Négociants Turcs, qui vont acheter des filles en Circassie pour en peupler les sérails de Turquie. On dit qu’il n’est pas possible de cultiver les Colonies à sucre autrement que par des Nègres. Nous pourrions répondre d’abord que dans ce cas il vaudrait mieux renoncer aux Colonies, qu’aux 305
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sentiments d’humanité ; que la justice, la charité universelle et la douceur, sont plus nécessaires à toutes les nations que le sucre et le café. Mais tout le monde ne convient pas de l’impossibilité prétendue de se passer du travail des Nègres ; plusieurs témoins dignes de foi assurent que si les Colons étaient moins avides, moins durs, moins aveuglés par un intérêt sordide, il serait très possible de remplacer avantageusement les Nègres par de meilleurs instruments de culture, et par le service des animaux. Lorsque les Grecs et les Romains faisaient exécuter par leurs esclaves ce que font chez nous les chevaux et les bœufs, ils imaginaient que l’on ne pouvait pas faire autrement. L’on ajoute que les Nègres sont naturellement ingrats, cruels, perfides, insensibles aux bons traitements, incapables d’être conduits autrement que par des coups. Si cela était vrai, ce serait un sujet de honte pour la nature humaine, qu’il fut plus difficle d’apprivoiser les Nègres que les animaux ; dans ce cas, il fallait laisser cette race abominable sur le malheureux sol où elle est née, et ne pas infecter de ses vices les autres parties du monde. Mais n’y a-t-il pas ici une dose de l’orgueil des Grecs et des Romains ? Ils déprimaient les autres peuples, ils les nommaient barbares pour avoir droit de les tyranniser. Nous avons interrogé sur ce point des Voyageurs, des Missionnaires, des possesseurs de Colonie ; tous ont dit qu’en général les maîtres qui traitent leurs esclaves avec douceur, avec humanité, qui les nourrissent suffisamment et ne les surchargent point de travail, ne s’en trouvent que mieux. Il est donc fâcheux que les Européens, qui ont chez eux tant de douceur, d’humanité et de philosophie, semblent être devenus brutaux et barbares, dès qu’ils ont passé la ligne, ou franchi l’océan. Puisque l’on convient que l’esclavage entraîne nécessairement des abus, qu’il est très difficile à un maître d’être juste, chaste, humain envers ses esclaves, il y a bien de la témérité de la part 306
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de tout particulier qui s’expose à cette tentation, et qui, pour augmenter sa fortune, n’hésite point de risquer la perte de ses vertus. Quant au zèle prétendu pour la conversion des Nègres, il y a plusieurs faits capables de le rendre fort suspect. Quelques Voyageurs ont écrit que plusieurs nations Européennes, qui ont des établissements sur des côtes de l’Afrique, traversent tant qu’elles le peuvent les travaux et les succès des Missionnaires, de peur que si les Nègres devenaient Chrétiens, ils ne voulussent plus vendre d’esclaves. Il y en a qui disent que certaines autres nations établies en Amérique ne se soucient plus de faire instruire et baptiser leurs Nègres, parce qu’elles se font scrupule d’avoir pour esclaves leurs frères en Christ. Voilà du zèle qui ne ressemble guère à celui des Apôtres. Nous savons que des Chrétiens faits esclaves par des infidèles ont réussi autrefois à convertir leurs maîtres, et même des peuples entiers ; mais nous ne voyons point d’exemples de Chrétiens qui aient réduit des infidèles en servitude, afin de les convertir. Ce n’est pas assez qu’un dessein soit louable, il faut encore que les moyens soient légitimes. Il y a des missions de Capucins et d’autres Religieux dans la Guinée, dans les Royaumes d’Oviero, de Bénin, d’Angola, de Congo, de Loango et du Monomotapa. Voilà le véritable zèle ; mais il n’en est pas ainsi des marchands d’esclaves. Si les premiers ne font pas beaucoup de fruit, c’est que ces malheureux peuples doivent être prévenus contre la religion des Européens par la conduite odieuse de ceux qui les professent. On se souvient des préjugés terribles qu’inspira aux Américains contre le Christianisme la barbarie des Espagnols. Les dissertations qui ont pour objet de justifier la traite des Nègres, ressemblent un peu trop aux diatribes par lesquelles le docteur Sépulvéda voulait prouver que les Espagnols avaient le droit de réduire les Américains en servitude, pour les faire 307
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travailler aux mines, et de les traiter comme des animaux ; il fut condamné par l’université de Salamanque, et il méritait de l’être. Nous ne faisons guère plus de cas des déclamations de nos Philosophes, depuis qu’il est constant que quelques-uns qui affectaient le plus de zèle pour l’humanité faisaient valoir leur argent en le plaçant dans le commerce des Nègres. Par ces observations, nous ne croyons point manquer de respect envers le gouvernement qui tolère ce commerce ; réfuter de mauvaises raisons, ce n’est point entreprendre de décider absolument une question : lorsqu’on en apportera de meilleures, nous nous y rendrons volontiers. Les gouvernements les plus équitables et les plus sages sont souvent forcés de tolérer des abus, lorsqu’ils sont universellement établis, comme l’usure, la prostitution, les pilleries des traitants, l’insolence des nobles, etc. Comment lutter contre le torrent des mœurs, lorsqu’il entraîne généralement tous les états de la société ? On ne peut pas oublier qu’il fallut surprendre la religion de Louis XIII, pour le faire consentir à l’esclavage des Nègres, et lui persuader que c’était le seul moyen de les rendre Chrétiens. On s’était déjà servi d’un pareil artifice pour séduire les deux Souverains de Castille, Ferdinand et Isabelle, et pour arracher d’eux des édits peu favorables aux Américains. Voyez AMÉRICAINS.
2 ORIGINEL (Péché) T. III, p. 54a-57b
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L'on entend sous ce terme le péché avec lequel nous naissons tous, et qui tire son origine du péché de notre premier Père Adam. Voyez ADAM. La première chose nécessaire à un Théologien est de savoir précisément quelle est la doctrine et la foi Catholique sur ce point ; 308
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le Concile de Trente l’a clairement exposée, Sess. 5. Il décide, Can. 1, qu’Adam par son péché a perdu la sainteté et la justice, a encouru la colère de Dieu, la mort, la captivité sous l’empire du démon. Can. 2, qu’il a transmis à tous ses descendants, non seulement la mort et les souffrances du corps, mais le péché qui est la mort de l’âme. Can. 3, que ce péché propre et personnel à tous, ne peut être ôté que par les mérites de Jésus-Christ. Can. 6, que la tache de ce péché est pleinement effacée par le baptême. De là les Théologiens concluent que les effets et la peine du péché originel, sont 1°. la privation de la grâce sanctifiante, et du droit au bonheur éternel, double avantage dont Adam jouissait dans l’état d’innocence. 2°. le dérèglement de la concupiscence, ou l’inclination au mal. 3°. l’assujetissement aux souffrances et à la mort ; trois blessures desquelles Adam était exempt avant son péché. D’où s’ensuit la nécessité absolue du baptême pour y remédier. Voyez BAPTÊME . Le dogme Catholique ne s’étend pas plus loin. Holden, De resol. fidei, l. 2, c. 5. Plusieurs hérétiques l’ont combattu et rejeté, les Cathares ou Montanistes, vers l’an 256, enseignèrent qu’il n’y avait point de péché originel, et que le baptême n’est pas nécessaire. Environ l’an 412, Pélage soutint que le péché d’Adam lui a été purement personnel, et n’a point passé à sa postérité, qu’ainsi les enfants naissent exempts de péché, et dans une parfaite innocence ; que la mort à laquelle nous sommes sujets n’est point la peine du péché, mais la condition naturelle de l’homme ; qu’Adam serait mort, quand même il n’aurait pas péché ; enfin que la nature humaine est encore aussi saine, aussi forte, aussi capable de faire le bien, qu’elle l’était dans l’homme tel qu’il est sorti des mains de Dieu, Pélage trouva un adversaire redoutable dans S. Augustin ; il fut condamné dans plusieurs Conciles d’Afrique, par les Papes Innocent I et Zozime, et enfin par le Concile général d’Éphèse.
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En 596, un synode des Nestoriens, en 640, les Arméniens, en 796, les Albanois renouvelèrent l’erreur de Pélage, et c’est encore aujourd’hui le sentiment de la plupart des Sociniens. Calvin a prétendu que les enfants des infidèles baptisés naissent dans un état de sainteté, qu’ainsi le baptême ne leur est pas donné pour effacer en eux aucun péché. Le Clerc, les Ministres La Place et Le Cène ont nié formellement le péché originel. Au contraire, Flacius, Luthérien rigide, soutenait que le péché originel est la substance même de l’homme. Mosheim, Hist. Ecclés. seizième siècle, sect. 3, 2e part. c. 1, §. 33. On conçoit bien que ce dogme ne pouvait pas manquer de déplaire aux incrédules de notre siècle, ils ont répété contre cet article de foi la plupart des objections des hérétiques anciens et modernes. Mais cette triste vérité est clairement enseignée dans l’Écriture Sainte. Job, c. 14, v. 4, dit à Dieu : « Qui peut rendre pur l’homme né d’un sang impur, sinon vous seul » ? Le Psalmiste, Ps. 50, v. 7, « J’ai été conçu dans l’iniquité, et formé en péché dans le sein de ma mère » S. Paul, Rom. c. 5, v. 12 : « De même que par un homme le péché est entré dans le monde, et la mort par le péché, ainsi la mort a passé dans tous les hommes, en ce que tous ont péché... Et de même que la condamnation est pour tous, par le péché d’un seul, ainsi la justification et la vie sont pour tous, par la justice d’un seul », qui est Jésus-Christ. II Cor., c. 5, v. 14, « Si un seul est mort pour tous, donc tous sont morts ; or Jésus-Christ est mort pour tous ». I Cor., c. 15, v. 21 « La mort est venue par un autre homme ; de même que tous meurent en Adam, ainsi tous seront vivifiés en Jésus-Christ ». Nous ne savons pas ce que répondaient les Pélagiens aux passages de Job et du Psalmiste ; mais à celui de l’Épître aux Romains, ils répliquaient que, selon l'Apôtre, le péché et la mort sont entrés dans le monde par Adam, parce que tous les hommes ont imité le péché d'Adam, et sont morts comme lui ; que dans 310
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ce sens la condamnation est tombée sur tous par son péché, et tous sont morts en Adam. Comment. de Pélage sur l’Ép. aux Rom. L’absurdité de cette explication saute aux yeux. 1° Comment Adam a-t-il pu être imité par les pécheurs, qui ne l’ont pas connu, et qui n’ont jamais ouï parler de lui ? En quoi son péché a-t-il pu influer sur les leurs ? 2°. Peut-on dire dans ce sens que la condamnation est pour tous par son péché, et que tous meurent en lui ? 3°. Il s’ensuit que la justice de Jésus-Christ n’influe sur la nôtre que par l’exemple ; qu’il est mort pour nous seulement dans ce sens qu’il nous a montré le modèle d’une mort sainte et courageuse. C’est ainsi que l’entend Pélage dans son Comment. sur la 1re Ép. aux Cor., c. 15, v. 22. Et telle est encore la manière impie et absurde dont les Sociniens expliquent la rédemption. Toute l’Église Chrétienne en fut scandalisée au cinquième siècle, et il ne fut pas difficile à S. Augustin de foudroyer cette doctrine. Le saint Docteur la réfuta victorieusement par l’Écriture Sainte et par la tradition ; il apporta en preuve du dogme catholique les passages des Pères, qui dans les siècles précédents avaient professé clairement la croyance du péché originel, la dégradation de la nature humaine par le péché, la nécessité de la rédemption et du baptême pour l’effacer, et toutes les conséquences que Pélage affectait de nier. Toutes ces vérités se tiennent, l’on ne peut en attaquer l’une, sans donner atteinte aux autres. Il insista principalement sur ces paroles de S. Paul : Si un seul est mort pour tous, donc tous sont morts ; or Jésus-Christ est mort pour tous : il fit voir que l’Apôtre prouve l’universalité de la mort spirituelle et temporelle de tous les hommes, par l’universalité de la mort de Jésus-Christ et de la rédemption pour tous sans exception. Voyez RÉDEMPTEUR, SAUVEUR. [...] Il serait trop long de rapporter et de réfuter toutes les objections des Pélagiens ; les Pères de l’Église y ont suffisamment 311
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répondu ; nous nous bornerons à résoudre celles qui ont été renouvelées de nos jours par les incrédules. Ils disent en premier lieu que le dogme du péché originel ne peut se concilier avec la justice de Dieu, encore moins avec sa bonté ; on ne concevra jamais que Dieu ait voulu confier à nos premiers parents le sort éternel de leur postérité, surtout en prévoyant que l’un et l’autre violeraient la loi qui leur serait imposée, et rendraient malheureux le genre humain tout entier ; l’on comprend encore moins que Dieu puisse punir par un supplice éternel un péché qui ne nous est ni libre, ni volontaire. Cela se conçoit très bien quand on veut faire attention à la constitution de la nature humaine. Comme les enfants ne peuvent pourvoir à leur sort par eux-mêmes, il est naturel que leur destinée dépende de leurs pères et mères. Un père inhumain peut laisser périr ses enfants, par une mauvaise conduite il peut les réduire à la pauvreté, par un crime il peut les déshonorer et les couvrir d’opprobre pour jamais ; soutiendra-t-on que par justice et par bonté Dieu devait constituer autrement la nature humaine ? Le plan de la Providence est encore plus aisé à comprendre, quand on se souvient que Dieu, en prévoyant le péché d’Adam et ses suites funestes, résolut de les réparer abondamment par la rédemption de Jésus-Christ. Il ne faut jamais séparer ces deux dogmes, l’un est intimement lié à l’autre. Voyez RÉDEMPTION. Rien ne nous oblige de croire que Dieu punit par le supplice éternel de l'enfer le péché originel ; il est très permis de penser que ceux qui meurent coupables de ce seul péché, sont seulement exclus de la béatitude surnaturelle et surabondante, qui nous a été méritée par Jésus-Christ. On ne prouvera jamais que Dieu a dû par justice destiner la nature huamine à un degré de félicité aussi parfait et aussi sublime : la justice même des hommes peut 312
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sans blesser aucune loi, priver les enfants d’un père coupable des avantages de pure grâce qui lui avaient été accordés. Quant aux souffrances de cette vie, nous avons fait voir à l’article Mal, qu’il est faux que notre état sur terre soit absolument malheureux, et que Dieu par justice ait dû nous accorder ici-bas un plus haut degré de bonheur. Voyez ÉTAT DE NATURE . En second lieu, les Pélagiens disaient aussi bien que les incrédules, si tous les enfants naissent objets de la colère divine, si avant de penser ils sont déjà coupables, c'est donc un crime affreux de les mettre au monde ; le mariage est le plus horrible des forfaits, c'est l'ouvrage du diable, ou du mauvais principe, comme le soutenaient les Manichéens. On leur répond que Dieu lui-même a institué et béni le mariage, et qu'il n'en a point interdit l'usage à l'homme après son péché ; cet usage est donc innocent et légitime. Les enfants naissent coupables, non en vertu de l'action qui les a mis au monde, mais en vertu de la sentence prononcée contre Adam : un enfant né en légitime mariage n'est pas moins taché du péché originel qu'un enfant adultérin conçu par un crime. Lorsqu'un homme était condamné pour crime à l'esclavage, cette tache passait à ses enfants, non par l'action de les mettre au monde, mais par la force de l'arrêt qui l'avait condamné. Du moins, répliquent nos adversaires, le baptême efface le péché originel, un enfant baptisé ne devrait donc plus être sujet à la concupiscence ni aux souffrances. Cela serait vrai, si le baptême en effaçant la trace du péché, en détruisait aussi tous les effets ; mais en nous rendant la grâce sanctifiante, et le droit à la béatitude éternelle, il nous laisse le penchant au mal et la nécessité de souffrir et de mourir, parce que l’un et l’autre rendent la vertu plus méritoire et digne d’une plus grande récompense.
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En troisième lieu, les incrédules ont accusé Origène et S. Clément d’Alexandrie d’avoir nié le péché originel. Si cela était, il serait fort étonnant que les Pélagiens qui avaient cherché si attentivement dans les Pères ce qui pouvait les favoriser, n’eussent pas cité deux des plus célèbres. La vérité est que ni l’un ni l’autre n’ont pensé comme les Pélagiens. S. Clément d’Alexandrie, Strom., l. 3, c. 16, disputait contre Tatien et d’autres hérétiques qui condamnaient le mariage et soutenaient que la procréation des enfants est un crime. Il cite ce passage de Job, c. 14, v. 4 et 5, selon la version des Septante : Personne n’est exempt de souillure quand même il n’aurait vécu qu’un seul jour [...]. Origène, son disciple, est encore plus positif. « On baptise les enfants, dit-il, pour remettre les péchés. Quels péchés ? En quel temps les ont-ils commis ? Ou quelle raison peut-il y avoir de baptiser les enfants, sinon le sens de ce passage : Personne n’est exempt de souillure quand même il n’aurait vécu qu’un seul jour ? Parce que le baptême efface les souillures de la naissance ; c’est pour cela que l’on baptise les petits enfants ». Il cite ailleurs les paroles de David, et en tire les mêmes conséquences. Hom. 14, in Luc. Tract. 9 in Matt. Homil. 8, in Levit., etc. Sur le quatrième liv. contre Celse, n° 40, les Éditeurs ont ajouté les passages de S. Justin et de S. Irénée, plus anciens qu’Origène et que S. Clément d’Alexandrie. Par là on voit avec quelle témérité nos critiques incrédules ont osé avancer que le péché originel n’était pas connu avant S. Augustin, et que l’on ne baptisait pas les petits enfants pendant les deux premiers siècles de l’Église. Ils objectent enfin, d’après les Pélagiens, qu’il y aurait de la cruauté de la part de Dieu de punir par des peines aussi terribles une faute aussi légère que celle d’Adam. Sans recourir aux raisons par lesquelles S. Augustin a fait voir la grièveté de la faute d’Adam, nous nous contentons de 314
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répondre que ce n’est ni aux incrédules ni à nous de juger jusqu’à quel point elle a été griève ou légère, punissable ou pardonnable ; que le moyen le plus sage d’estimer l’énormité de la faute, est de considérer la sévérité du châtiment, puisque nous n’avons que très peu de connaissance de la manière dont elle a été commise. S. Augustin lui-même est convenu qu’il n’était pas assez habile pour concilier la damnation des enfants morts sans baptême, avec la justice divine, Serm. 294, de bapt. parvul., n. 7. Si l’on nous demande en quoi consiste formellement la tache du péché originel, comment et par quelle voie elle se communique à notre âme, nous répondrons humblement que nous n’en savons rien, parce que, comme le dit S. Augustin, L. de morib. Eccles., c. 22, il est aussi difficile d’en connaître la nature, qu’il est certain qu’il existe : Hoc peccato nihil est ad prœdicandum notius, nihim ad intelligendum secretius. Il nous paraît bien plus important de représenter et de répéter que cette plaie de la nature humaine a été guérie par Jésus-Christ : que, comme dit S. Paul, « Où le péché avait abondé, la grâce a été surabondante, que si tous les hommes ont été condamnés à la mort, pour le péché d’un seul, le don de Dieu s’est répandu beaucoup plus abondamment par la grâce de Jésus-Christ ; que, comme c’est par le péché d’une seul que tous les hommes sont tombés dans la condamnation, ainsi c’est par la justice d’une seul que tous les hommes reçoivent la justification et la vie » : Rom. c. 5, v. 15, etc. Lorsque les incrédules viennent nous fatiguer par des objections, nous pouvons nous borner à leur répondre avec S. Augustin : « Quoique je ne puisse pas réfuter tous leurs arguments, je vois cependant qu’il faut s’en tenir à ce que l’Écriture nous enseigne clairement, savoir, qu’aucun homme ne peut parvenir à la vie et au salut éternel, sans être associé avec Jésus-Christ, et que Dieu ne peut condamner injustement 315
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personne, ou le priver injustement de la vie et du salut ». L. 3 de pecc. meritis et emiss., c. 4, n. 7. Le Clerc dont le socinianisme perce au travers de tous ses déguisements, s’est élevé avec aigreur contre saint Augustin, non seulement dans ses remarques sur les ouvrages de ce saint Docteur, mais encore dans son Hist. Eccles., an. 180, §. 30-33, et ailleurs. Il l’accuse d’avoir forcé le sens de tous les passages de l’Écriture et des anciens Pères, qu’il a cités contre les Pélagiens. Selon lui les premiers Docteurs de l’Église n’ont pas été assez maladroits, en écrivant contre les Gnostiques, les Valentiniens et les Marcionites, pour enseigner un dogme qui aurait fait triompher ces hérétiques. Soutenir, dit-il, que les méchants sont damnés, parce qu’ils n’ont pas pu vaincre la corruption de la nature, et parce qu’ils n’ont pas reçu de Dieu les secours nécessaires pour en venir à bout ; qu’au contraire, les bons sont sauvés, parce que Dieu les a excités au bien par des grâces irrésistibles ; que des enfants innocents naissent sous un ordre de Providence, qui leur rend le péché et la damnation inévitables ; n’aurait-ce pas été donner aux Gnostiques le droit de conclure que le genre humain avait été créé par un être aveugle et méchant ? Mais ce Critique travestit la doctrine de S. Augustin et de l’Église Catholique, à la manière de Luther et de Calvin. Dans quel ouvrage S. Augustin a-t-il enseigné les blasphèmes qu’il lui prête ? Le saint Docteur a constamment soutenu que malgré la corruption de la nature l’homme a conservé son libre arbitre et qu’il en jouit encore ; que Dieu ne refuse à aucun pécheur, pas même au plus endurci les grâces nécessaires pour vaincre ses passions et pour se sauver ; que la grâce donnée aux justes n’est point irrésistible ; que souvent même ils y résistent. Enfin ce Père n’a pas voulu décider positivement quel est le sort éternel des enfants morts sans baptême. Nous avons prouvé tous ces 316
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faits dans divers articles de ce Dictionnaire. Voyez BAPTÊME , §. 6 ; GRÂCE , §. 3 et 4 ; RÉDEMPTION, etc. En reprochant à S. Augustin de tordre le sens des passages dont il se sert, Le Clerc lui-même emploie tous les détours de l’art sophistique pour pervertir le sens des textes les plus clairs de l’Écriture et des Pères, en particulier de S. Irénée, Hist. Eccles., Ibid. Il ne serait pas difficile de lui faire voir que le dogme du péché originel a été de tous temps et depuis les Apôtres la doctrine constante de l’Église, et qu’il ne favorise en aucune manière le système impie des Gnostiques ; et S. Augustin lui-même a répondu plus d’une fois à cette objection des Pélagiens. Si l’on veut connaître les opinions des Juifs et des Mahométans sur ce point de doctrine, on peut consulter la Dissertation de D. Calmet, Bible d’Avignon, tome 15, p. 331.
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PÉCHÉ T. III, p. 150a-155a
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Ce mot dans l’Écriture Sainte a divers sens ; 1°. il signifie une transgression de la loi divine, soit en matière grave, soit en matière légère. C’est dans ce sens que nous en parlerons ci-après. 2°. il désigne la peine du péché, Gen., c. 4, v. 7, « si tu fais mal, ton péché s’ensuivra » ; c’est-à-dire, tu en porteras la peine : c. 20, v. 9, Abimelech dit à Abraham : « vous avez attiré sur nous un grand péché », c’est-à-dire un grand châtiment. 3°. il signifie un vice, un défaut ; la concupiscence est appelée un péché, parce que c’est un effet du péché d’Adam, un vice de la nature, qui nous porte au péché ; ainsi l’explique S. Augustin. Levit., c. 12, v. 6 et 8 ; c. 14, v. 19, les impuretés légales sont appelées des péchés. 4°. il exprime la victime offerte pour l’expiation du péché ; II. Cor., c. 5, v. 21, il est dit que Dieu a fait péché pour nous, c’est-à-dire 317
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victime du péché, celui qui ne connaissait pas le péché. Osée, c. 4, v. 8, « ils mangeront les péchés du peuple », c’est-à-dire les victimes. S. Jean, dans sa 1re Épître, c. 5, v. 6, parle d'un péché qui est à la mort : il paraît que c’est l’idolâtrie, parce que la loi de Moïse condamnait à la mort l’homme coupable de ce crime ; et l’Apôtre finit sa lettre, en exhortant les fidèles à s’en préserver. Le péché, ou le blasphème contre le Saint Esprit est l’outrage que fait au Saint Esprit un homme, qui, contre sa conscience, attribue à l’opération du démon des miracles qui sont évidemment les effets de la puissance divine, c’est le comble de l’impiété : Jésus-Christ dit que ce crime ne sera remis ni en ce monde ni en l’autre, Matt., c. 12, v. 31 ; S. Augustin dit que c’est l’impénitence finale ou la persévérance obstinée dans le péché jusqu’à la mort, Retract., l. 1, c. 19, etc. S. Fulgence a pensé de même, l. de fide ad Petrum, c. 3. Le péché pour l’expiation duquel S. Paul dit qu’il ne reste plus de victime, est l’apostasie, Hebr., C. 10, v. 26. Voyez la Bible d’Avign., tome 13, p. 350. Avant de parler des différentes espèces de péché, il y a une ou deux questions à résoudre touchant le péché en général. Les incrédules demandent d’abord en quel sens nos péchés peuvent offenser Dieu ; nous leur avons répondu au mot OFFENSE . Une difficulté plus considérable est de savoir si Dieu peut être dans aucun sens la cause du péché, s’il peut faire tomber un homme dans le péché, afin de le punir de quelques autres péchés qu’il a commis. Plusieurs passages de l’Écriture Sainte semblent le supposer, ainsi II. Reg., c. 12, v. 11, Nathan dit à David, de la part de Dieu : « Je vous punirai par votre propre famille », et bientôt après arriva la révolte d’Absalon, son fils, c. 16, v. 10. David, insulté par Semei, dit : « laissez-le faire, Dieu lui a ordonné de m’injurier ». III, Reg., c. 12, v. 15, nous lisons que Dieu avait pris en aversion Roboam, afin d’accomplir les malheurs que le Prophète Ahias avait prévus. Ibid., c. 22, v. 21, 318
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un esprit malin dit au Seigneur : Je serai un esprit menteur dans la bouche des prophètes, Dieu lui répons : Va et fais. Job, c. 12, v. 24, dit que Dieu change le cœur des Princes et les trompe ; qu’il les jette dans l’erreur. Ps. 104, v. 25, le Psalmiste prétend que Dieu changea le cœur des Égyptiens, pour qu’ils eussent de la haine contre son peuple. Dans Isaïe, c. 63, v. 17, les Israélites disent au Seigneur : « Pourquoi nous avez-vous égarés hors de vos voies ? Vous avez endurci notre cœur, afin que nous ne vous craignissions plus ». Dans Ézéchiel, c. 14, v. 9, le Seigneur dit lui-même : « Lorsqu’un Prophète se trompera, c’est moi qui l’ai trompé ». On voit la même chose dans plusieurs endroits du Nouveau Testament. Matt. c. 6, v. 13, Jésus-Christ apprend à ses disciples à dire à Dieu : ne nous induisez point en tentation, cette prière suppose que Dieu peut nous y induire et nous porter au mal. S. Mathieu dans tout son Évangile suppose que plusieurs crimes sont arrivés, afin d’accomplir ce que les Prophètes avaient prédit ; comme le meurtre des innocents, l’incrédulité des Juifs, les outrages faits à Jéus-Christ, etc. Rom., c. 1, v. 26, S. Paul prétend que Dieu a livré les Philosophes à des passions honteuses et à un sens réprouvé ; ibid., c. 5, v. 20, il dit que la loi ancienne est survenue, afin que le péché fût abondant. II Thess., c. 2, v. 10, il prédit que Dieu enverra aux pécheurs une opération d’erreur, afin qu’ils croient au mensonge, etc. [...] Aux mots CAUSE et ENDURCISSEMENT, nous avons déjà expliqué une partie des passages que nous venons de citer ; mais sur une matière aussi importante, nous ne devons pas craindre de répéter, puisque nous avons tant d’adversaires qui renouvellent les mêmes objections. 1°. Nous avons fait voir que souvent l’Écriture Sainte représente comme cause ce qui n’est qu’occasion, et semble 319
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attribuer à un dessein formel ce qui arrive contre l’intention même de celui qui agit ; nous avons montré en même temps que ce n’est point là un hébraïsme, ou une façon de parler particulière aux écrivains sacrés, mais un usage commun à toutes les langues, même à la nôtre. Ainsi, lorsque nous lisons que Dieu aveugle et endurcit les pécheurs, qu’il agit sur leur cœur pour les rendre méchants, cela signifie seulement que sa patience et ses bienfaits sont pour eux une occasion d’ingratitude, d’aveuglement et d’endurcissement ; ainsi la prospérité que Dieu accorda aux israélites en Égypte, servit à exciter la jalousie des Égyptiens, et à leur inspirer de la haine contre son peuple ; c’est dans ce sens que Dieu tourna leur cœur, pour y mettre ce sentiment ; ainsi l'a expliqué S. Augustin lui-même, Enarr. in ps. 104, v. 25. Une preuve que c’est là le sens, c’est que Dieu se plaint en pareil cas de la malice et de l’ingratitude des hommes. Isaïe, c. 43, v. 24, il dit aux Juifs : « Vous m’avez fait servir à vos iniquités », c’est-à-dire, vous vous êtes servi de mes propres bienfaits, pour m’offenser. Dieu pourrait-il s’en plaindre, si ç’avait été son dessein ? Lorsque nous disons qu’un bienfaiteur fait des ingrats, nous n’entendons pas qu’il inspire l’ingratitude de propos délibéré. [...] 2°. Nous avons observé que, dans toutes les langues, on dit qu’un homme fait tout le mal qu’il laisse faire, lorsqu’il pourrait l’empêcher ; et que l’Écriture Sainte s’exprime de même à l’égard de Dieu ; ainsi, il est dit que Dieu aveugle, endurcit, trompe, égare les hommes, lorsqu’il les laisse se tromper, s’égarer, s’aveugler, s’endurcir, et cela signifie seulement qu’il ne les empêche point, lorsqu’il pourrait le faire, en leur donnant des grâces plus fortes et plus abondantes. Par conséquent, au lieu de lire dans Isaïe, c. 63, v. 17, vous nous avez égarés, etc., il faut lire : « Vous nous avez laissés nous égarer et endurcir notre cœur, de manière que nous ne vous craignons plus. La preuve de ce sens est dans l’Écriture même, Deut. c. 10, v. 16, et c. 15, v. 7 ; Moïse dit aux Israélites : 320
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« vous n’endurcirez point vos cœurs » ; et le Psalmiste, ps. 94, v. 8 : « N’endurcissez point vos cœurs, comme ont fait vos pères ». Après avoir dit que Dieu endurcissait Pharaon, l’Historien sacré ajoute que Pharaon aggravait ou appesantissait son propre cœur, Exode, c. 8, v. 15. [...] Après avoir cité les paroles de S. Paul, Dieu les a livrés à un sens réprouvé, S. Augustin ajoute : « tel est l’aveuglement de l’esprit ; quiconque y est livré, est privé de la lumière intérieure de Dieu, mais non entièrement, tant qu’il est en cette vie » ; Enarr. in Ps. 6, n. 8. Cette restriction est remarquable, elle prouve que S. Augustin n’a pas pensé qu’un pécheur fût jamais entièrement privé de la grâce. 3°. Nous avons encore remarqué que dans le langage des livres saints, comme dans le nôtre, délaisser, négliger, oublier, abandonner, ne se disent pas toujours dans un sens absolu, mais par comparaison ; Dieu est censé abandonner quelqu’un lorsqu’il ne lui accorde pas autant de grâces qu’il le faisait autrefois, ou qu’il ne lui en donne pas autant qu’il en distribue à d’autres ; ou qu’il ne lui en donne pas d’aussi puissantes qu’il le faudrait pour vaincre sa résistance ; et l’Écriture dit que Dieu hait, rejette, réprouve ceux qu’il punit ainsi. Dans ce sens, Dieu parlant de la postérité de Jacob et de celle d’Ésaü, dit, Malach., c. 1, v. 2 : « J’ai aimé Jacob, et j’ai haï Ésaü ». Voyez HAINE, HAÏR. [...] 4°. S’il restait quelque doute sur le vrai sens de toutes ces façons de parler, il serait levé par les passages clairs et formels de l’Écriture Sainte, qui déclare que Dieu ne hait aucune de ses créatures, qu’il est bon, miséricordieux, indulgent pour tous les hommes, et qu’il fait du bien à tous, qu’il en a pitié comme un père pour ses enfants, etc. Ce saint livre répète cent fois que Dieu n’est point cause du péché, qu’il le déteste au contraire, qu’il le défend et le punit, qu’il ne donne lieu de pécher à personne, qu’il n’égare et n’induit en erreur qui que ce soit, qu’il est saint, juste, 321
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irrépréhensible dans ses jugements, incapable par conséquent de condamner et de punir des péchés dont il serait lui-même l’auteur. Nous avons cité ailleurs la plupart de ces passages. Vainement les incrédules répliquent que nos livres saints sont donc un tissu de contradictions ; ils ne le sont pas plus que nos discours communs et ordinaires. S’il fallait retrancher du langage toutes les équivoques, les métaphores, les expressions figurées, les idées sous-entendues, les termes impropres, etc., nous serions condamnés à un silence absolu. Souvent c’est le ton, l’inflexion de la voix, le geste, l’air du visage qui détermine le sens de ce que nous disons ; ce discours manque dans les livres. Mais si nous étions aussi familiarisés avec le style des Écrivains sacrés qu’avec celui de nos concitoyens, et surtout avec le langage populaire, nous ne trouverions pas plus de difficulté à entendre les uns que les autres. 5°. Nous avons aussi disculpé plus d’une fois S. Augustin des erreurs que les hérétiques se sont obstinés de tout temps à lui attribuer ; et nous venons de voir qu’il a expliqué dans le même sens que nous les passages de l’Écriture Sainte, qui semblent faire le plus de difficultés. Il est donc juste de faire à son égard ce qu’il a fait à l’égard des Écrivains sacrés. Dès qu’il s’est une fois expliqué clairement lorsqu’il instruisait de sang froid, pourquoi insister sur quelques expressions moins exactes qui lui sont échappées dans la chaleur de la dispute ? [...] Au mot PÉNITENCE, nous prouverons qu'il n'est aucun péché, si grief qu’il puisse être, qui ne puisse être effacé et remis par le Sacrement de Pénitence.
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RÉDEMPTEUR, RÉDEMPTION T. III, p. 322b-327b
2 RÉDEMPTEUR, RÉDEMPTION. Dans l’Écriture Sainte, comme dans le style ordinaire, Rédemption et rachat sont synonymes ; Rédempteur, est celui qui rachète. Or l'hébreu Goël, Rédempteur, se dit de celui qui rachète ou qui a droit de racheter l’héritage vendu par un de ses parents, ou de le racheter lui-même de l’esclavage lorsqu’il y est tombé ; de celui qui rachète une victime dévouée au sacrifice, ou un criminel condamné à mort. Les Juifs appelaient Dieu leur Rédempteur, parce qu’il les avait tirés de l’esclavage de l’Égypte et ensuite de la captivité de Babylone ; ils rachetaient leurs premiers-nés, en mémoire de ce que Dieu les avait délivrés de l’ange exterminateur. L’Écriture nomme aussi Rédempteur du sang celui qui avait droit de venger le meurtre d’un de ses parents, en mettant à mort le meurtrier. Nous lisons de même dans le Nouveau Testament que JésusChrist est le Rédempteur du monde, qu’il a donné sa vie pour la rédemption de plusieurs, ou plutôt pour la rédemption de la multitude des hommes, Matth. c. 20, v. 28 ; qu’il s’est livré pour la rédemption de tous, 1 Tim. c. 2, v. 6 ; que nous avons été achetés par un grand prix, 1 Cor. c. 6, v. 20 ; que notre rachat n’a point été fait à prix d’argent, mais par le sang de l’Agneau sans tâche qui est Jésus-Christ, 1 Petr. c. 1, v. 18. Les bienheureux lui disent dans l’Apocalypse, c. 5, v. 9, vous nous avez rachetés à Dieu par votre sang. S. Paul explique en quoi consiste cette rédemption en disant que c’est la rémission de péchés, Ephes. c. 1, v. 7. Or, payer un prix pour ceux que l’on sauve de la mort ou de l’esclavage, et obtenir leur liberté par des prières, ce n’est pas la même chose ; les Sociniens ont très grand tort de ne vouloir admettre la rédemption que dans ce dernier sens. 323
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Déjà le prophète Isaïe avait dit en parlant du Messie, c. 53, v. 5. « Il a été froissé pour nos crimes, le châtiment qui doit nous donner la paix est tombé sur lui, et nous avons été guéris par ses blessures... v. 6 ; Dieu a mis sur lui l’iniquité de nous tous... v. 8 ; je l’ai frappé pour le péché de mon peuple... v. 10 ; s’il donne la vie pour le péché, il verra une postérité nombreuse... v. 12 ; je lui donnerai un riche partage, il aura les dépouilles des ravisseurs, parce qu’il s’est livré à la mort, et qu’il a porté les péchés de la multitude ». Il est étonnant que, malgré des passages si clairs, nous soyons encore obligés de chercher en quel sens Jésus-Christ est le Rédempteur du monde et en quoi consiste cette rédemption. Les Pélagiens qui niaient la propagation du péché originel dans tous les hommes, étaient réduits par nécessité de système à prendre cette rédemption dans un sens métaphorique ; suivant leur opinion, Jésus-Christ est le Rédempteur des hommes, parce qu’il les a tirés des ténèbres de l’ignorance par ses leçons, et de la corruption des mœurs par ses exemples, parce qu’il leur pardonne leurs péchés actuels ; parce qu’il les excite à la vertu, à la sainteté, à gagner le ciel par ses promesses, par ses menaces, etc. Les Sociniens et les Déistes, qui renouvellent l’erreur des Pélagiens, entendent aussi comme eux la rédemption, ils disent que Jésus-Christ a racheté les hommes de leurs péchés en les leur pardonnant par le pouvoir qu’il en avait reçu de Dieu, qu’il est mort pour nous et qu’il a été notre victime, parce qu’il a confirmé par sa mort la doctrine qu’il avait enseignée, parce qu’il nous a donné en mourant l’exemple de la parfaite obéissance par laquelle nous pouvons mériter le ciel, et parce qu’il a demandé à Dieu pour nous le courage de l’imiter. Quelques-uns sont allés jusqu’à dire qu’il s’est offert à Dieu comme victime d’expiation, que par cette oblation il a prié son père de pardonner et d’accorder la vie éternelle à tous les pécheurs 324
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qui se repentiraient, qui croiraient en lui, et qui conformeraient leur vie à ces préceptes, Le Clerc, Hist. Eccles. proleg. sect. 3, c. 3, § 8. Suivant cette doctrine, Jésus-Christ est notre Rédempteur par intercession et non par satisfaction ; le bienfait de la rédemption se trouve bornée à ceux qui croient en Jésus-Christ. Il suffit de comparer ce langage avec celui de l’Écriture Sainte, pour voir que ces sectaires font violence à tous les termes. Nous soutenons, au contraire, que Jésus-Christ est le Rédempteur du monde, dans tous les sens et dans toute l’énergie que les écrivains sacrés attachent à cette qualité, qu’au prix de son sang il a racheté pour nous l’héritage éternel perdu par le péché d’Adam, que devenu homme par l’incarnation, il a racheté ses frères de l’esclavage du Démon dans lequel ils étaient tombés par ce même péché ; qu’il les a sauvés de la mort éternelle qu’il avait méritée et à laquelle ils étaient dévoués comme autant de victimes ; qu’enfin il a été le vengeur de la nature humaine, qu’il a mis à mort le meurtrier de cette même nature en détruisant l’empire du Démon, et en nous rendant l’espérance de l’immortalité. Ce n’est point ici une interprétation arbitraire, comme celle des hétérodoxes, nous en donnons les preuves. 1° Il n’est pas croyable qu’en enseignant un Dogme, qui est l’article fondamental du Christianisme, Jésus-Christ et ses Apôtres aient parlé aux Juifs en style énigmatique, aient pris les termes de Rédempteur et de rédemption dans un sens tout différent de celui que leur ont donné les écrivains de l’ancien Testament ; par cet abus du langage, ils auraient tendu aux fidèles pour tous les siècles un piège d’erreur inévitable. Dans l’ancienne loi, la rédemption ou le rachat des premiersnés, consistait en ce que l’on payait un prix pour les revoir ; donc la rédemption du genre humain consiste en ce que Jésus-Christ a payé un prix pour sauver les hommes coupables et dignes de la mort éternelle. 325
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2°. Jésus-Christ et les Apôtres se sont clairement expliqués d’ailleurs. En instituant l’Eucharistie, le Sauveur dit à ses disciples : « ceci est mon sang, le sang d’une nouvelle alliance qui sera répandu pour la multitude en rémission des péchés. ». Or lorsqu’il s’agisssait de sceller une alliance par le sang d’une victime, il n’était question ni de confirmation d’une doctrine, ni d’exemple, ni d’intercession ; il en s’agissait encore moins, lorsque c’était un sacrifice pour le péché : donc ce n’est point en ce sens que Jésus-Christ a donné son sang pour nous. [...] 3°. Nos adversaires ont beau rejeter la preuve que nous tirons de la tradition, un homme sensé ne se persuadera jamais que des dissertateurs du seizième ou du dix-huitième siècle, entendent mieux l’Écriture Sainte que les Pères de l’Église instruits, ou par les Apôtres, ou par leurs disciples immédiats. S. Barnabé, dans sa Lettre, §. 7 et suiv., compare Jésus-Christ aux victimes de l’ancienne Loi, et son sacrifice sur la Croix à celui du bouc immolé sur l’autel pour les péchés du peuple. S. Clément, dans sa première Épître, §. 16, lui explique le 53e chapitre d’Isaïe que nous avons cité. S. Ignace écrit aux Smyrniens, n. 7, que l’Eucharistie est la chair de notre Sauveur Jésus-Christ qui a souffert pour nos péchés. S. Justin, dans sa 1re Apologie, n. 50 et suiv., lui applique le 53e chapitre d’Isaïe, d’un bout à l’autre ; dans son Dial. avec Tryphon, il dit que l’Agneau Pascal, dont le sang préservait les maisons des Hébreux de l’Ange exterminateur, et que les deux boucs offerts pour les péchés du peuple étaient des figures de Jésus-Christ, qu’il a été lui-même l’oblation ou la victime pour tous les pécheurs qui veulent faire pénitence, n. 40. Nous citerons ci-après les Pères des siècles suivants. 4°. Une des raisons par lesquelles les anciens Pères ont prouvé aux hérétiques la Divinité de Jésus-Christ, est qu’il fallait un Rédempteur dont les mérites fussent infinis, pour satisfaire à la 326
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justice divine, et racheter le genre humain. Ainsi le dogme de la Divinité du Sauveur, et celui de la rédemption, prise dans le sens rigoureux, sont intimement liés ensemble ; l’un ne peut pas subsister sans l’autre. Voilà pourquoi les Sociniens, qui rejettent le premier, ne veulent pas admettre le second, mais aussi, à proprement parler, ils ont cessé d’être Chrétiens. La faiblesse de leurs objections les rend inexcusables. Ils soutiennent en premier lieu, que la rédemption, telle que nous la concevons, serait contraire à la justice Divine, puisqu’il n’est pas juste qu’un innocent souffre et meure pour des coupables. Un roi passerait pour cruel s’il livrait son fils à la mort, pour expier le crime de ses sujets rebelles. Nous répliquons qu’il n’y aurait ni injustice ni cruauté, si ce fils s’offrait lui-même pour victime, s’il était sûr de ressusciter trois jours après sa mort, d’être élevé au plus haut degré de gloire pour l’éternité, de recevoir les hommages de tous les hommes, de leur inspirer par son exemple des vertus héroïques et un profond respect pour l’autorité de son Père. Voilà ce qu’a fait Jésus-Christ, et ce qui s’est ensuivi de son sacrifice. En second lieu, nos adversaires prétendent qu’il aurait été plus digne de la bonté infinie de pardonner simplement au repentir des coupables, que d’exiger une satisfaction rigoureuse. C’est d’abord un trait de témérité de leur part, de vouloir savoir mieux que Dieu lui-même, ce qui était convenable à une bonté infinie. Or Jésus-Christ nous fait remarquer que la rédemption a été de la part de Dieu l’effet d’une bonté infinie à l’égard des hommes : Dieu, dit-il, a aimé le monde jusqu’à donner son Fils unique etc. Si les Sociniens croient véritablement à Jésus-Christ, comment osent-ils le contredire ? Quant aux Déistes et aux Athées qui raisonnent de même, on leur a répondu, il y a plus de quinze cents ans, qu’il est absurde de trouver à dire à un mystère qui a éclairé, converti et sanctifié le monde ; que le chef-d’œuvre de 327
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la sagesse divine a été de concilier dans ce mystère l’excès de sa bonté avec les intérêts de sa justice, de pardonner aux hommes d’une manière qui n’autorise point la licence de pécher, etc. Si Jésus-Christ, disent-ils encore, avait fait un rachat proprement dit, c’est au démon qu’il aurait dû payer le prix de cette rédemption, puisque c’est sous son empire que le genre humain était retenu captif, cette idée seule fait horreur. Aussi soutenons-nous qu’elle est fausse. Quand il s’agit de racheter la vie d’un criminel condamné à mort, ce n’est ni au geôlier, ni à l’exécuteur de la justice qu’il faut payer la rançon ; mais à celui qui a droit de punir ou de faire grâce : donc c’est à Dieu seul qu’a dû être payé le prix de la rédemption du genre humain ; et il n’a reçu pour rançon que ce qu’il avait donné lui-même. Enfin nos adversaires objectent que la prétendue rédemption de laquelle nous faisons tant de bruit, se réduit à peu près à rien, puisque malgré la valeur infinie du prix payé par le Rédempteur, le très grand nombre des hommes vivent dans le péché, meurent dans l’impénitence, sont réprouvés et damnés pour jamais. A cette assertion téméraire nous répondons qu’il n’appartient ni à nos adversaires, ni à nous, d’étendre ou de borner à notre gré le bienfait de la rédemption, nous ne pouvons en juger que par la manière dont l’Écriture Sainte et les Pères de l’Église en ont parlé ; or ils conspirent à nous en donner la plus haute idée. 1° Suivant le langage des Auteurs sacrés et des Pères, la rédemption est aussi ancienne que le péché d’Adam ; elle a commencé à produire son effet au moment même de la condamnation du coupable. Dans la malédiction lancée contre le tentateur, Dieu lui dit : la race de la femme t’écrasera la tête ; c’était une promesse de la rédemption ; en effet Dieu condamne nos premiers parents, non à une peine éternelle, mais à la mort et aux souffrances dans cette vie. Dans l’Apocalypse, c. 13, v. 8, Jésus-Christ appelé l’agneau immolé dès l’origine du monde, parce 328
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que son sacrifice a commencé dès lors à produire son effet ; dès ce moment, dit S. Augustin, le sang de Jésus-Christ nous a été accordé, l. 3 de Lib. arbit. c. 25, n. 76. De là les Pères ont conclu que la sentence prononcée contre Adam a été un trait de miséricorde de la part de Dieu, plutôt qu’un acte de justice rigoureuse ; et c’est ainsi qu’ils ont réfuté les Marcionites, les Manichéens, Celse et Julien, qui prétendaient que Dieu avait puni d’une manière trop rigoureuse le péché de notre premier Père. Nous pourrions citer à ce sujet St Irénée, St Théophile d’Antioche, Tertullien, Origène, St Méthode de Tyr, St Hilaire de Poitiers, St Cyrille de Jérusalem, St Ephrem, St Basile, St Épiphane, St Grégoire de Nysse, St Ambroise de Nazianze, St Jean Chrysostome, St Augustin, St Cyrille d’Alexandrie, St Léon, etc.. Le Père Pétau a rassemblé un grand nombre de leurs passages. 2°. Ces mêmes Docteurs de l’Église, toujours appuyés sur l’Écriture Sainte, soutiennent que la rédemption a été non seulement entière et complète, mais surabondante ; qu’elle a pleinement réparé les effets du péché, qu’elle nous a rendu de plus grands avantages que ceux que nous avions perdus. En effet, Jésus-Christ nous fait entendre dans l’Évangile qu’il a vaincu le fort armé, et qu’il lui a enlevé ses dépouilles, conformément à la prophétie d’Isaïe, Luc, c. 11, v. 12. [...] Armés de ces saintes vérités, les Pères qui ont confondu les mêmes hérétiques et les Incrédules, dont nous avons parlé qui prétendaient que Dieu n’avait pu sans déroger à sa bonté et à sa justice, permettre le péché d’Adam ; ces saints Docteurs ont répondu que Dieu ne l’aurait pas permis, en effet, s’il ne s’était pas proposé de rendre la condition de l’homme meilleure par la rédemption, c’est ce que disent formellement S. Jean Chrysostome, ad stagir, l. 2, n. 2, et suiv. St Cyrille, Glaphyr in 329
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Genes. l. 1. adv. Julian. p. 92 et 94. St Augustin, de genesi ad litt., l. 11, c. 11, n. 15. [...] 3° Les écrivains sacrés témoignent que la grâce de la rédemption est générale, s’étend à tous les hommes sans exception, de même que le péché ; et c’est aussi le sentiment unanime des Pères. Conséquemment ils enseignent ; 1°. que Dieu veut sincèrement le salut de tous les hommes, que par ce motif il a donné son fils pour victime de leur rédemption. 2° Que ce Divin Sauveur s’est offert lui-même à la mort dans ce dessein, et qu’il a répandu son sang pour tous sans exception. 3°. Que par ses mérites, tous les hommes ont reçu et reçoivent des grâces de salut, plus ou moins, et que personne n’en est absolument privé. V. SALUT, SAUVEUR, GRÂCE , §. 3, etc. [...]
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SALUT, SAUVER, SAUVEUR T. III, p. 432a-435a
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Dans l’Écriture sainte, comme dans les Auteurs profanes, le salut signifie 1°. la santé, la conservation, la prospérité, l’exemption de tout mal. 2° La victoire sur les ennemis, 4 Reg. c. 13, v. 17, sagitta salutis, est une flèche qui sera un gage de la victoire. Luc, c. 1, v. 71, salutem ex inimicis nostris, l’avantage d’être délivrés de nos ennemis. 3°. La louange rendue à Dieu, Apoc. c. 19, v. 1, salus et gloria Deo nostro, louange et gloire à notre Dieu. 4°. Le salut est l’action de saluer, c’est-à-dire, de souhaiter à quelqu’un la santé et la prospérité ; S. Paul exhorte les fidèles à se saluer les uns les autres par un saint baiser, salutate invicem in osculo sancto. 5°. L’abondance des grâces du Seigneur, Luc, c. 9, v. 9. Le 330
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salut est venu aujourd’hui dans cette maison ; et c. 1, v. 69, cornu salutis, est la source des grâces qui conduisent au salut éternel. 6°. Enfin, le salut éternel est le bonheur du Ciel. C’est un dogme de la Foi chrétienne que nous ne pouvons obtenir ce salut que par Jésus-Christ. Act., c. 4, v. 11, et c’est pour nous le procurer qu’il est venu sur la terre. Mais une grande question parmi les Théologiens est de savoir en quel sens Dieu veut sauver tous les hommes ; en quel sens Jésus-Christ en est le Sauveur, pendant que tous ne sont pas sauvés. On demande si cette volonté de Dieu, si souvent attestée dans les Saintes écritures, est sincère, produit quelque effet, ou si c’est une simple velléité de laquelle il ne résulte rien ; conséquemment il s’agit de savoir si Jésus-Christ a voulu réellement le salut de tous les hommes, s’il est mort pour tous ; de manière que tous, sans exception, aient quelque part au prix de sa mort. Enfin, si, en vertu de son sacrifice, tous les hommes reçoivent des grâces et des secours par lesquels ils seraient conduits au salut, s’ils étaient fidèles à y correspondre. Déjà, au mot Rédemption, nous avons fait voir que, suivant nos livres saints, ce bienfait s’étend à tous les enfants d’Adam sans exception, quoique tous n’en ressentent pas également les effets. Au mot Grâce, § 3, nous avons cité un grand nombre de passages qui prouvent qu’en vertu des mérites de Jésus-Christ ce don de Dieu est accordé à tous, quoique tous ne le reçoivent pas en même abondance. Mais comme c’est ici la plus consolante vérité qu’il y ait dans le Christianisme, que cependant il y a encore un bon nombre de Théologiens qui s’obstinent à la méconnaître, on ne doit pas nous savoir mauvais gré de ce que nous aimons à en répéter les preuves. Nous apporterons, 1°. celles qui concernent la volonté de Dieu ; 2°. celles qui regardent le dessein de Jésus-Christ dans la rédemption ; 3°. la distribution de la grâce ; 4°. nous examinerons le sentiment des Pères de 331
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l’Église, particulièrement de S. Augustin ; 5°. nous répondrons aux objections. [...] III. Enfin c’est par les effets que nous pouvons juger de la volonté de Dieu et de celle de Jésus-Christ ; or au mot GRÂCE , § 3, nous avons prouvé que ce don de dieu est accordé à tous les hommes sans exception, mais plus abondamment aux uns qu’aux autres, de manière cependant qu’aucun homme ne pèche pour avoir manqué de grâce. En effet l’auteur de l’Ecclésiastique, c. 15, v. 11, ne veut point que les pécheurs disent Dieu me manque, per Deum abest, c’est comme s’ils disaient Dieu me laisse manquer de grâce et de force ; le Seigneur, leur répond-il, ne donne lieu de pécher à personne, v. 21, nemini dedit spatium peccandi. Or Dieu y donnerait lieu, s’il laissait manquer l’homme du secours qui lui est absolument nécessaire pour s’abstenir de pécher. De même, Sap. c. 12, v. 13, l’auteur dit à Dieu : « vous avez soin de tous, afin de démontrer que vous jugez avec justice, v. 19 ; par votre conduite, vous avez appris à votre peuple qu’il faut être juste et humain, et vous avez donné la plus grande espérance à vos enfants, etc. ». Or si Dieu punissait des péchés commis pour avoir manqué de grâce, il ne démontrerait pas sa justice, et il ne nous apprendrait pas à être justes, et il ne nous donnerait aucun lieu d’espérer en sa miséricorde. Pour ébranler notre confiance, quelques Théologiens nous répètent sans cesse que Dieu ne nous doit rien. Qu’importe dès qu’il consent à nous donner ce qu’il ne nous doit pas ? Il nous doit ce qu’il nous a promis. « Dieu, dit S. Augustin, serm. 158, n. 2, est devenu notre débiteur, non en recevant quelque chose de nous, mais en nous promettant ce qu’il lui a plu ; Dieu, dit S. Paul, 1 Cor. c. 10, v. 13, est fidèle à ses promesses ; il ne permettra pas que vous soyez éprouvé au-dessus de vos forces, mais il vous 332
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fera tirer avantage de la tentation ou de l’épreuve même, afin que vous puissiez persévérer ». Dans toute l’Écriture Sainte Dieu prend le nom de Père à l’égard de ses créatures et veut qu’on le lui donne, Jésus-Christ nous apprend à le nommer ainsi, afin d’exciter notre confiance ; pour témoigner encore plus de bonté aux Juifs, il leur faisait dire par le Prophète Isaïe, c. 49, v. 14, « cette nation dit : le Seigneur m’a délaissée ; il ne se souvient plus de moi ; une mère peut-elle oublier son enfant et n’avoir plus de tendresse pour le fruit de ses entrailles ? Quand elle pourrait le faire, je ne l’imiterais pas ». Depuis que Dieu a daigné nous donner son fils unique pour Médiateur et pour Sauveur, sans doute les entrailles de sa miséricorde ne se sont pas endurcies à l’égard des hommes. Or un père paraîtrait-il fort tendre si après avoir donné des lois à son fils, il lui refusait les secours et les moyens nécessaires pour les accomplir ? Il est bien étrange que l’on ose prêter à Dieu une conduite que l’on n’oserait pas attribuer à un homme, en supposant que Dieu nous commande le bien, et que souvent il ne nous donne pas la grâce sans laquelle nous ne pouvons pas le faire. Vraiment on répliquera qu’il n’y a point de comparaison à faire entre les droits de Dieu et ceux de l’homme ; nous répondons qu’il n’est point ici question des droits de Dieu, mais de sa conduite de laquelle il daigne nous rendre témoignage : c’est lui-même qui se compare à l’homme, et qui veut que sa providence nous apprenne à être justes et humains. Il n’y a plus lieu d’argumenter sur la grandeur infinie de Dieu, lorsqu’il veut bien se rabaisser jusqu’à nous, et nous servir de modèle ; le respect n’est plus qu’une hypocrisie, lorsqu’il est poussé plus loin que Dieu ne le veut. Or il atteste qu’il est plus tendre, plus libéral, plus miséricordieux que le meilleur des pères, et que la mère la plus sensible, donc c’est ainsi qu’il agit. 333
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Les écrits du Nouveau Testament nous en donnent une idée non moins consolante. Nous n’y lisons pas que Dieu, notre Sauveur, est le Dieu de toute consolation, non qu’il a fait éclater la sévérité et ses droits souverains, mais qu’il a fait paraître sa bonté et son humanité, Tit. c. 3, v. 4, qu’en nous donnant son fils unique, il nous a donné tout avec lui, Rom. c… 8, v. 32 ; que nous devons être miséricordieux, patients, indulgents pour nos frères, leur tout accorder et tout pardonner, comme Dieu a fait à notre égard, Coloss. c. 3, v. 3. ce langage est bien différent de celui des Théologiens qui nous enseignent que Dieu toujours irrité du péché originel, non seulement est en droit de nous refuser la grâce, mais que souvent il nous la refuse en effet. S. Jean, c. 1, v. 9, appelle le Verbe Divin la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde. Il n’est point question là de la lumière, de l’intelligence que Dieu a donnée à tous les hommes ; jamais celle-ci n’est appelée dans l’Écriture la vraie lumière du monde, Joan, c. 8, v. 12 ; c. 9, v. 5, etc. il s’agit de la lumière à laquelle S. Jean-Baptiste rendait témoignage, pour faire naître la foi, c. 1, v. 8. donc c’est de la lumière surnaturelle de la grâce. Ainsi l’ont entendue tous les Pères, en particulier S. Augustin, non seulement en expliquant cet endroit de S. Jean, Tract. 1 in Joan. n. 18. Tract. 2, n. 7, mais dans dix ou douze autres de ses ouvrages, Retract. l. 1, c. 10, etc. Voyez GRÂCE , § 3. Le prophète Malachie, c. 4, v. 2, appelle le Messie le soleil des Justices, S. Luc, c. 1, v. 78, dit que ce soleil s’est levé sur nous du haut du Ciel, pour éclairer ceux qui sont dans les ténèbres et les ombres de la mort. Conséquemment les Pères appliquent au Verbe Divin ce que le Psalmiste a dit du soleil, que personne n’est privé de sa chaleur, S. Augustin a fait de même ; or la chaleur du soleil de justice est évidemment la grâce. S. Paul, Rom. c. 5, v. 15, compare la distribution de la grâce à la communication du péché d’Adam, « si par le péché d’un tel, 334
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dit-il, la multitude des hommes sont morts, à plus forte raison la grâce de Dieu, et le don qu’un seul homme qui est Jésus-Christ, nous fait de cette grâce, sont-ils abondants sur cette multitude ». Ou cette comparaison n’est pas juste, ou il faut croire qu’aucun des enfants d’Adam n’est privé de la grâce. Ici la grâce en général n’est point la justification, celle-ci n’est accordée qu’à ceux « qui reçoivent l’abondance de la grâce, des dons de Dieu et de la justice » ; ibid., v. 17 ; donc S. Paul parle de la grâce actuelle accordée à tous pour faire le bien. Suivant l’Apôtre « la grâce a été surabondante là où le péché était abondant » v. 21 ; or celuici était abondant chez tous les hommes et dans l’univers entier, donc il en est de même de la grâce. Aux mots Abandon, Endurcissement, Infidèles, Judaïsme, 6 54, nous avons prouvé que Dieu n’a refusé jamais, et ne refuse encore la grâce ni aux Juifs, ni aux Païens, ni aux grands pécheurs, ni aux pécheurs endurcis ; donc elle n’est refusée à personne, et puisqu’elle n’est pas accordée autrement que par les mérites de Jésus-Christ, c’est à bon droit qu’il est nommé le Rédempteur et le Sauveur du monde ou du genre humain sans exception. [...]
2 SATISFACTION T. III, p. 450b-451b
2 SATISFACTION, est l’action de payer une dette ou de réparer une injure ; un débiteur satisfait son créancier, lorsqu’il lui rend ce qu’il lui devait ; celui qui en a offensé un autre, le satisfait en réparant l’injure qu’il lui a faite. Lorsque le paiement est égal à la dette, et la réparation proportionnée à l’injure, la satisfaction est rigoureuse, et proprement dite ; elle ne le 335
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serait pas dans le cas où le créancier voudrait par pure bonté se contenter d’une somme moindre que celle qui lui est due, et où l’homme offensé consentirait, par un motif de compassion, à pardonner l’injure qu’il a reçue, pour une légère réparation. Il y a une dispute importante entre les Catholiques et les Sociniens, pour savoir si Jésus-Christ a satisfait à la Justice divine pour la Rédemption du genre humain, et en quel sens. Les Sociniens conviennent en apparence que Jésus-Christ a satisfait à Dieu pour nous, mais ils abusent du terme satisfaction, en le prenant dans un sens impropre et métaphorique. Ils entendent par là que Jésus-Christ a rempli toutes les conditions qu’il s’était imposées lui-même pour opérer notre salut ; qu’il a obtenu pour nous une rémission gratuite de la dette que nous avions contractée envers dieu par nos péchés ; qu’il s’est imposé à luimême des peines pour montrer ce que nous devons souffrir pour obtenir le pardon de nos crimes ; qu’il nous a fait voir par son exemple, et par ses leçons, le chemin qu’il faut tenir pour arriver au Ciel ; enfin qu’en mourant avec résignation à la volonté de Dieu, il nous a fait comprendre que nous devons accepter la mort de même pour expier nos péchés. Il est évident que ce verbiage est un tissu de contradictions qui se réfute par lui-même. 1°. Si l’une des conditions que JésusChrist s’est imposée pour opérer notre salut, a été de mourir pour nous, il s’ensuit qu’en subissant la mort, il a porté la peine que nous méritions ; or voilà précisément ce que c’est que satisfaire. 2°. Comment peut-on appeler gratuite la rémission de nos dettes, dès qu’il a fallu que Jésus-Christ mourût pour l’obtenir, et qu’il faut encore que nous souffrions et nous mourions nous-mêmes, pour obtenir le pardon ? 3°. Si Jésus-Christ n’est pas mort en qualité de notre répondant, de notre caution, de victime chargée de nos péchés, il est mort injustement ; alors son exemple ne peut nous servir de rien, sinon à nous faire murmurer contre la Providence, 336
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qui a permis qu’un innocent fût mis à mort sans l’avoir mérité. 4°. Dans ce cas, quel sujet avons-nous d’espérer qu’après que nous aurons accepté avec résignation les souffrances et la mort, Dieu daignera encore nous pardonner ? 5°. Pour prouver que JésusChrist n’a pas pu être notre victime, les Sociniens objectent qu’il y aurait de l’injustice à punir un innocent pour des coupables, et ils supposent que Dieu a permis la mort de Jésus-Christ, quoiqu’il ne fût ni coupable, ni victime pour des coupables. Ces sophistes subtils avouent encore que Jésus-Christ est le Sauveur du monde, mais par ses leçons, par ses conseils, par ses exemples, et non par le mérite ou l’efficacité de sa mort. En confessant que Jésus-Christ est mort pour nous, ils entendent qu’il est mort pour notre avantage, pour notre utilité, et non parce qu’il est mort à notre place, en supportant la peine que nous devions porter pour nos péchés. Ils oublient que JésusChrist est non seulement le Sauveur, mais encore le Rédempteur du monde, or sous ce mot nous avons fait voir qu’appeler la mort de Jésus-Christ, ainsi envisagée, une Rédemption, un rachat, c’est abuser grossièrement des termes, et prêter aux écrivains sacrés un langage insidieux qui serait un piège d’erreur. Pour réfuter tous ces subterfuges, nous disons, conformément à la croyance catholique, 1°. Que Jésus-Christ a satisfait à Dieu son père proprement et rigoureusement pour mes péchés des hommes, en lui payant pour leur rachat un prix non seulement équivalent, mais encore surabondant, savoir, le prix infini de son sang. 2°. Qu’il est leur Sauveur, non seulement par ses leçons, ses conseils, ses promesses, ses exemples, mais par ses mérites et par l’efficacité de sa mort. 3°. Qu’il est mort non seulement pour notre avantage, mais au lieu de nous, à notre place, en supportant une mort cruelle, au lieu du supplice éternel que nous méritions. En effet, le péché étant tout à la fois une dette que nous avons contractée envers la justice divine, une inimitié entre 337
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Dieu et l’homme, une désobéissance qui nous rend digne de la mort éternelle, Dieu est à tous ces égards et par rapport à nous, un créancier à qui nous devons, une partie offensée qu’il faut apaiser, un juge redoutable qu’il est question de fléchir. La satisfaction rigoureuse doit donc être tout à la fois le paiement de la dette, l’expiation du crime, le moyen de fléchir la justice divine. Comme nous étions pour nous-mêmes incapables d’une pareille satisfaction, nous avions besoin, 1°. d’une caution qui se chargeât de notre dette, et qui l’acquittât pour nous, 2°. d’un médiateur qui obtînt grâce pour nous, 3° d’un Prêtre et d’une Victime qui se substituât à notre place et expiât nos péchés par ses souffrances. Or c’est ce que Jésus-Christ a complètement fait, ainsi l’enseignent les livres saints. [...]
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SERVITUDE T. III, p. 500b-501b
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Ce terme, dans l’Écriture Sainte, ne doit pas toujours être pris à la rigueur pour l’esclavage proprement dit ; souvent il signifie seulement l’état d’un peuple tributaire et assujetti à un autre. L’état des Israélites en Egypte est communément appelé servitude ; Dieu leur ordonne de traiter leurs esclaves avec humanité, en se souvenant qu’ils ont été eux-mêmes esclaves, servi, en Égypte. De même ils ont nommé servitudes les temps où ils furent assujettis par quelques-uns des peuples de la Palestine, après la mort de Josué. Néanmoins dans ces différentes circonstances ils n’étaient pas réduits à l’esclavage domestique, dépouillés de toute propriété, exposés à être vendus à des étrangers, etc. pendant qu’ils étaient les plus maltraités en Égypte, ils possédaient la contrée de Gessen, où ils étaient exempts des fléaux que Moïse faisait tomber sur les Égyptiens ; 338
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Exode, c. 9, v. 26, etc. Lorsque par une victoire ils avaient secoué le joug des Philistins, des Moabites, ou des Chananéens, toute servitude cessait. Les Incrédules qui ont abusé de ce terme pour en conclure que les Hébreux ont toujours été esclaves, ont cherché à en imposer aux ignorants. Quant à la servitude domestique ou à l’esclavage proprement dit, nous avons prouvé ailleurs que Moïse n’a point péché contre le droit naturel, lorsqu’il l’a toléré parmi les Israélites. Voyez ESCLAVAGE . On ne doit pas prendre non plus à la rigueur les passages de l’Écriture Sainte, dans lesquels il est dit que par la concupiscence l’homme est esclave du péché, captif, ou réduit en servitude sous la loi du péché, etc. S. Paul, qui se sert de ces expressions, nous déclare que par esclavage et servitude il entend une obéissance volontaire. « Ne savez-vous pas, dit-il, Rom., c. 6, v. 6, que vous vous rendez esclaves de celui à qui vous vous présentez pour obéir, ou du péché pour en recevoir la mort, ou de la justice pour en suivre les mouvements ? ... À présent délivrés du péché, vous êtes devenus esclaves de la justice ; c. 7, v. 23. Je vois dans mes membres une loi qui combat contre celle de mon esprit et qui me captive sous la loi du péché... J’obéis donc (servio) par l’Esprit à la Loi de Dieu, et par la chair à la loi du péché, etc. ». Ceux qui ont conclu de là que l’homme n’est pas libre, qu’il est assujetti à la nécessité de pécher, que Dieu lui impute des péchés dont il n’est pas le maître de s’abstenir, etc., ont étrangement abusé des termes. On doit donc entendre dans le même sens que S. Paul ce que disent communément les Théologiens, que par le péché originel l’homme naît esclave du Démon. Cette expression ne se trouve point dans l’Écriture Sainte, et le Concile de Trente a seulement décidé qu’Adam par son péché a encouru la mort, et avec la mort la captivité sous la puissance de celui qui a eu l’empire de la mort, 339
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c’est-à-dire du Démon ; sess. 5, de pecc. Orig., can. 1. Or ces mêmes paroles dans S. Paul, Hebr., c. 2, v. 14, ne signifient rien autre chose que la nécessité de mourir. Il est absurde de les entendre dans ce sens, qu’un enfant qui vient de naître est possédé du Démon tant qu’il n’est pas baptisé, et d’oublier que Jésus-Christ par sa mort a détruit l’empire et le pouvoir du Démon ; ibid.
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SORCELLERIE, SORCIER, SORTILÉGE T. III, p. 522a-523b
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Ces termes signifient ordinairement la même chose que Magie et Magicien, voyez ces deux mots, mais le nom de Sorcier se prend dans trois sens différents. L’on entend par là, 1°. ceux qui devinent les choses cachées, qui découvrent les auteurs d’un vol, ou les trésors enfouis, qui se vantent de connaître l’avenir, etc., et alors ce terme est synonyme à celui de Devin. Voyez DIVINATION. 2°. Ceux qui opèrent des choses surprenantes et qui paraissent surnaturelles, dans le dessein de faire du mal, comme d’exciter des orages, de causer des maladies aux hommes ou aux animaux, par des paroles, par des cérémonies, par des pratiques superstitieuses. Dans ce sens, la sorcellerie est la même chose que la Magie noire et malfaisante ; un sort, un sortilège signifient un Maléfice. 3°. Le peuple entend par Sorciers ceux qui ont le pouvoir de se transporter dans les airs pendant la nuit pour aller dans des lieux écartés adorer le Diable, et se livrer aux excès de l’intempérance et de l’impudicité. On sait que cette erreur n’a aucun fondement, que le prétendu Sabbat des Sorciers est l’effet d’un délire et d’un dérèglement de l’imagination causé par certaines drogues desquelles se servent les malheureux qui veulent se procurer ce délire. Ce fait est prouvé par des expériences irrécusables. Malebranche, Recherches de la Vérité, 340
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t. 1, l. 2, c. 6. Parmi tous les faits rassemblés par les divers auteurs qui ont écrit sur ce sujet, il n’y en a aucun de bien avéré, et qui prouve qu’il y a eu un pacte réel et effectif entre le Démon et les prétendus Sorciers. Ce qui entretient la crédulité populaire sont les récits de quelques particuliers peureux qui se trouvant égarés la nuit dans les forêts, ont pris pour le Sabbat les feux allumés par les bûcherons et les charbonniers, et les cris qu’ils leur ont entendu faire, ou qui s’étant endormis dans la peur, ont cru entendre et voir le Sabbat dont ils avaient l’imagination frappée. Quelques Philosophes incrédules, conduits par leur seule prévention, se sont persuadés que ces sortes d’erreurs sont venues des idées que la Religion nous donne du Démon, de ses opérations, de son pouvoir sur les hommes, des possessions et obsessions, de l’efficacité des exorcismes, etc. Aux mots Magicien et Magie, nous avons fait voir que cela est faux, qu’il n’y a rien dans l’Écriture Sainte, dans les Pères de l’Église, dans les lois des Conciles, ni dans les rites ecclésiastiques qui ait pu servir à autoriser ce préjugé ; qu’au contraire les Pasteurs et les Docteurs Chrétiens n’ont rien négligé pour le détruire. Les faits que l’on tire de l’Écriture Sainte, comme les prestiges des Magiciens de Pharaon, la Pythonisse d’Endor, les maris de Sara fille de Raguel tués par le Démon, les fléaux envoyés au saint homme Job par cet Esprit infernal, les possessions dont il est parlé dans l’Évangile, etc., ne prouvent point qu’il y ait jamais eu de convention réelle entre l’esprit de ténèbres et ceux qui avaient recours à lui, et qu’il ait pu agir au gré de ces derniers. Au contraire l’Écriture Sainte suppose et enseigne formellement que le démon ne peut agir que par une permission expresse de Dieu ; il n’est donc au pouvoir d’aucun homme d’avoir commerce, quand il lui plaît, avec l’ennemi du genre humain. Elle nous apprend d’ailleurs que son empire a été détruit par Jésus-Christ. 341
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Les anciens Pères de l’Église, en particulier les Apologistes du Christianisme, ont écrit dans un temps où le Paganisme et l’Idolâtrie subsistaient encore, où la Magie était en usage, où les Philosophes mêmes, surtout les nouveaux Platoniciens, la pratiquaient sous le nom de Théurgie. Ce n’était pas là un moment favorable pour discuter tous les faits, pour en rechercher les causes, pour en démontrer l’illusion. La Philosophie régnante, loin de donner quelques lumières sur ce sujet, n’était propre qu’à entretenir l’erreur et à la rendre incurable. Les Pères, sans contester les faits, se sont bornés à soutenir que s’il y avait quelque chose de réel dans les opérations des Magiciens ou des Sorciers, cela ne pouvait venir que du Démon : peut-on faire voir qu’ils raisonnaient mal ?
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TOLÉRANCE, INTOLÉRANCE T. III, p. 646a-655b
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TOLÉRANCE, INTOLÉRANCE, en fait de Religion. Il n’est peut-être pas de termes dont on ait abusé davantage, depuis plus d’un siècle, que de ces deux mots ; il n’en est aucun qui ait donné lieu à d’aussi violentes déclamations. Il faut donc commencer par en fixer, s’il est possible, les différentes significations. 1°. Dans un État où il y a une Religion dominante, qui est censée faire partie des lois, on appelle tolérance civile et politique la permission que le gouvernement accorde aux sectateurs d’une Religion différente d’en faire l’exercice plus ou moins public, d’avoir des assemblées particulières et des Pasteurs pour les gouverner, de faire des règlements de police et des discipline, et sans encourir aucune peine. On comprend que cette tolérance peut être plus ou moins étendue, suivant les circonstances, 342
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suivant qu’elle paraît plus ou moins compatible avec l’ordre public, avec la tranquillité, le repos, la prospérité de l’État, et l’intérêt général des sujets. Soutenir que chez une Nation policée, toute Religion quelconque doit être également permise, qu’aucune ne doit être dominante ou plus favorisée qu’une autre, que chaque particulier doit être le maître d’en avoir une, ou de n’en point avoir ; c’est une absurdité que l’on a osé soutenir de nos jours, et que nous réfuterons ci-après. 2°. Parmi les différentes sociétés Chrétiennes, on appelle tolérance ecclésiastique, religieuse, ou théologique, la profession que fait une secte de croire que le membres d’une autre secte peuvent faire leur salut, sans renoncer à leur croyance ; que l’on peut sans danger fraterniser avec eux, et les admettre aux mêmes pratiques de Religion. Ainsi les Calvinistes ont offert plus d’une fois la tolérance théologique aux Luthériens, mais ceux-ci ne l’ont pas acceptée ; les uns et les autres l’ont toujours refusée aux Sociniens, avec lesquels ils n’ont jamais voulu entrer en communion. Quelques Protestants modérés sont convenus que l’on peut faire son salut dans la Religion catholique, la plupart soutiennent le contraire. On leur a fait voir qu’ils n’ont aucun principe fixe, ni aucune raison solide pour affirmer ou pour nier la possibilité du salut dans une société Chrétienne plutôt que dans une autre, qu’ils en raisonnent suivant le degré de prévention et d’aversion qu’ils ont conçue contre telle ou telle société particulière, et selon l’intérêt du moment ; puisqu’ils n’ont jamais eu sur ce point un langage ni une conduite uniformes. 3°. L’on entend souvent par tolérance en général, la charité fraternelle et l’humanité qui doivent régner entre tous les hommes, surtout entre tous les Chrétiens, de quelque Nation, et de quelle société qu’ils soient. Cette tolérance est l’esprit même du Christianisme, aucune autre religion ne commande aussi rigoureusement la paix, le support mutuel, la charité universelle. 343
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Jéus-Christ l’a prêchée aux Juifs à l’égard des Samaritains, même à l’égard des Gentils ou Païens, et il leur en a donné l’exemple. Il a ordonné à ses disciples de souffrir patiemment la persécution, et non de l’exercer contre qui que ce soit. Les Apötres ont répété ces mêmes leçons, et les premiers Chrétiens les ont fidèlement suivies ; leurs propres ennemis leur ont rendu cette justice, nous l’avons fait voir ailleurs ; c’est par trois siècles de douceur, de patience, de charité, et non par la force, qu’ils ont vaincu enfin et subjugué les persécuteurs. Mais de ce que cette conduite est rigoureusement commandée aux particuliers, il ne s’ensuit pas que la même chose est ordonnée aux chefs des sociétés, aux Pasteurs, aux Magistrats, aux Souverains, à tous ceux qui sont revêtus de l’autorité civile ou ecclésiastique. Les princes et leurs officiers sont tenus de droit naturel à maintenir l’ordre, la tranquillité, l’union, la paix, la subordination parmi leurs sujets, à écarter, à réprimer et à punir tous ceux qui sous prétexte de Religion cherchent à troubler la société. [...] 4°. Dans le style des Incrédules, la tolérance est l’indifférence à l’égard de toute Religion. Sans s’embarrasser de savoir si toutes sont également vraies ou également fausses, si l’une est plus avantageuse que l’autre à la société civile, il dit qu’on doit les regarder tout au plus comme de simples lois nationales, qui n’obligent qu’autant qu’il plaît au gouvernement de les protéger et aux sujets de s’y soumettre ; que le meilleur parti est de n’en rendre aucune dominante, et de mettre entre elles une parfaite égalité. D’autres plus hardis ont soutenu qu’il n’en faut aucune, que toutes sont fausses et pernicieuses, que pour rendre la société civile heureuse et parfaite, il faut en bannir toute espèce de culte, et toute notion de la divinité ; que si l’on permet au peuple de croire et d’adorer un Dieu, il faut du moins que ceux qui gouvernent se gardent bien de favoriser un culte au détriment 344
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de l’autre, que tout particulier doit être le maître d’avoir une Religion ou de n’en point avoir. Conséquemment, en demandant à grands cris la tolérance pour eux-mêmes, ils ont entendu avoir la liberté de déclamer et d’écrire contre toute Religion, de professer hautement le Déisme, l’Athéisme, le Matérialisme, le Scepticisme, suivant leur goût ; d’accumuler les impostures, les calomnies, les injures grossières pour rendre odieux le Christianisme, ceux qui le professent, ceux qui le défendent ou le protègent. Pour prouver que ce privilège leur appartenait de droit naturel, ils ont commencé par s’en mettre en possession, ils n’ont épargné ni les prêtres, ni les Magistrats, ni les Ministres, ni les Souverains. Enfin pour comble de sagesse ils ont soutenu gravement que tous ceux qu’ils attaquent sont obligés de droit divin de le souffrir, ils ont tiré les leçons de l’Évangile, ils en ont conclu que tous ceux qui se sont opposés à leurs attentats sont des persécuteurs. Si l’on nous accusait de trop charger ce tableau, nous sommes prêts à en montrer tous les traits dans leurs livres, surtout dans l’ancienne Encyclopédie, aux mots Tolérance, Intolérance, Persécution, etc. Tel a été le progrès des principes, des conséquences, des raisonnements des Prédicateurs de la tolérance ; les Protestants les avaient posés, les Incrédules n’ont fait que les répéter et en suivre le fil, et il les a conduits à l’excès dont nous venons de parler. Bayle les a étalés avec beaucoup d’art dans son Commentaire philosophique sur ces paroles de l’Évangile, contrains-les d’entrer ; Barbeyrac les a compilés assez mal adroitement dans son Traité de la Morale des Pères, c. 12, §. 5 et suiv. Nos Philosophes plagiaires les ont copiés dans l’un ou dans l’autre, l’auteur du Traité sur la tolérance n’a fait que les ressasser ; tous se sont vantés d’avoir fermé pour toujours la bouche aux Intolérants. [...] 345
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Quel jugement pouvons-nous donc porter de l’entêtement de nos adversaires ? Il n’y a dans leurs écrits ni bonne foi ni bon sens. Ils disent que l’intolérance est une passion féroce qui porte à haïr et à persécuter ceux que l’on croit être dans l’erreur ; ils prétendent que cette passion est plus violente chez les Chrétiens que les Païens, chez les Catholiques que chez ceux qu’on nomme Hérétiques, chez les Ministres de la Religion que chez les laïques. Nous prouvons au contraire que cette passion ainsi conçue a existé chez toutes les nations Païennes sans exception, qu’elles se sont persécutées les unes les autres sans autre motif que la différence de Religion ; que la nôtre au contraire nous ordonne de conserver la paix avec tous les hommes, Matt. c. 5, v. 9 ; Rom. c. 12, v. 18 ; de faire du bien même à ceux qui nous haïssent, Matt. c. 5, v. 44, etc., et l’on ne prouvera jamais qu’une nation Chrétienne en ait attaqué une autre uniquement pour cause de Religion. En second lieu, nous sommes en état de faire voir que les Catholiques n’ont usé de représailles ni envers les Ariens, ni envers les Hussites, ni à l’égard des Calvinistes mêmes, lorsque ceux-ci ont consenti à demeurer en paix, que jamais nous n’avons poussé contre eux la haine et la cruauté aussi loin qu’ils l’ont poussée contre nous, qu’actuellement encore nous serions très fâchés d’avoir à leur égard les mêmes sentiments d’animosité et d’aversion qu’ils montrent contre nous dans toutes les occasions. Bayle a prouvé sans réplique que les lois portées contre les Catholiques dans la plupart des pays Protestants sont plus dures et plus rigoureuses qu’aucune de celles que les princes catholiques ont publiées contre les Protestants. Avis aux réfugiés, etc. En troisième lieu, il est constant que les Ministres de la Religion Catholique n’ont jamais cru qu’il leur fût permis de haïr ni de persécuter ceux qui sont dans l’erreur ; c’est un trait de malignité d’appeler haine et persécution les mesures qu’ils ont 346
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prises pour se mettre à couvert des attentats des Hérétiques. Mais puisqu’on la pousse jusqu’à empoisonner les motifs de leur charité et de leur zèle à convertir les infidèles et les barbares, on peut bien encore noircir leurs intentions lorsqu’ils font les mêmes efforts à l’égard des mécréants rebelles à l’Église. Il est arrivé plus d’une fois à des Ecclésiastiques d’être insultés par des Protestants à cause de leur habit ; nous ne voudrions pas faire la même avanie à leurs Ministres. Il ne convient guère à des hommes toujours dominés par la passion de prêcher la tolérance, le meilleur moyen de l’inspirer aux autres serait de commencer par l’exercer, mais jusqu’à présent il ne paraît pas que nos adversaires aient compris cette vérité ; à la manière dont ils s’y prennent, on dirait qu’ils ont plus envie de nous aigrir que de nous persuader. Voyez PERSÉCUTEUR. Ils posent pour maxime que tout moyen qui excite la haine, l’indignation et le mépris est impie ; si cela est vrai, ils sont eux-mêmes coupables d’impiété, puisqu’ils font tout ce qu’ils peuvent pour nous inspirer ces passions contre eux ; mais c’est une fausseté. Souvent le zèle le plus pur, la charité la plus douce a excité la haine et l’indignation d’un Hérétique violent et furieux, la plupart s’offensent du bien même qu’on voudrait leur faire. Ils disent que tout moyen qui relâche les liens d’affection naturelle, qui éloigne les pères des enfants, qui sépare les frères d’avec les frères, qui divise les familles, est impie ; cela est encore faux : Jésus-Christ a prédit que son Évangile produirait ce funetse effet, non par lui-même, mais par l’opiniâtreté des incrédules, et cela est arrivé en effet ; il ne s’ensuit pas pour cela que la prédication de l’Évangile est une impiété. Ils ajoutent que punir l’erreur comme un crime est encore une impiété ; nous leur répondons pour la dixième fois que cela n’est jamais arrivé, et qu’il leur est impossible d’en citer un seul exemple parmi les Catholiques. Ils disent que quiconque veut décider du salut ou de la damnation de 347
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quelqu’un est un impie, nous répétons qu’il n’y a point d’impiété à répéter ce que Jéus-Christ a dit ; or il a dit que quiconque ne croira pas à l’Évangile sera condamné, Marc, c. 16, v. 16. Nous ne finirions jamais, s’il nous fallait réfuter en détail toutes leurs fausses maximes ; nous avons assez fait voir qu’elles n’aboutissent qu’à autoriser la profession publique de l’Athéisme et de l’irréligion, et d’autres l’ont fait sans nous. L’on a démontré que les prédicateurs de la tolérance n’ont aucun principe certain, ni aucune règle, pour fixer le point où elle doit s’arrêter, que la tolérance est une inconséquence, si elle n’est pas générale et absolue, qu’elle est due à tous les mécréants sans exception, ou qu’elle n’est due à personne. Si on la doit à tous ceux qui prennent l’Écriture Sainte pour règle de Foi, c’est une injustice de ne pas tolérer les Sociniens qui font profession de s’y tenir. Si on dit qu’il ne faut pas tolérer ceux qui nient des articles fondamentaux, les Sociniens soutiennent qu’aucun des articles qu’ils rejettent n’est fondamental, et qu’on ne peut pas leur prouver le contraire par l’Écriture Sainte. Aussi un très grand nombre de Protestants ont trouvé ces raisons si solides, qu’ils sont devenus Sociniens eux-mêmes. Dès que nous aurons accordé la tolérance aux Sociniens, de quel droit en exclurons-nous les Déistes ? la plupart disent qu’ils admettront volontiers l’Écriture, pourvu qu’il leur soit permis de l’entendre conformément au dictamen de la raison, comme font les Sociniens, et qu’on ne les force pas à y voir des mystères qui révoltent la raison ; ils ajoutent que contents de coire ce qu’ils comprennent, ils laisseront de côté ce qu’ils n’entendent pas, que dans le fond c’est déjà ainsi qu’en agissent un très grand nombre de Protestants. Les Athées à leur tour soutiennent que Dieu ne peut pas punir ceux qui suivent les lumières de la droite raison, puisque, suivant la maxime de leurs adversaires mêmes, l’erreur ne doit pas être punie comme un crime. Suivant une autre 348
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maxime, on ne doit empêcher personne de professer ce qu’il croit vrai, nous voilà donc réduits à tolérer la profession de l’Athéisme, à n’oser même prononcer sur le salut, ni sur la damnation des Athées, de peur de commettre une impiété. Ainsi les Déistes et les Athées ont rétorqué contre les Protestants toutes les raisons sur lesquelles ceux-ci exigent la tolérance pour eux, sans vouloir l’accorder aux autres ; et nous n’avons vu dans les écrits des Protestants aucun argument qui prouve l’injustice de cette rétorsion. Nous ne sommes donc pas surpris de ce que tous nos incrédules ont tant vanté les diatribes de Bayle et de Barbeyrac sur la tolérance, ils y ont trouvé leur propre apologie. Mais Bayle est convenu ailleurs qu’il n’est point de question qui fournisse autant de raisons pour et contre, il sentait que les siennes n’étaient pas sans réplique ; il avoue qu’il faut autre chose que des raisons pour retenir les peuples dans la Religion, par conséquent une autorité, des lois coactives et des peines. Dict. crit. Lubiénietzki. Rem. E et G.
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est avec regret que, dans son dictionnaire, l’abbé Bergier, conscient de l’impact de ce genre à la mode, se plie à l’ordre alphabétique pour exposer son système de théologie. Il précise bien dans son Avertissement « qu’un Dictionnaire théologique, quelque exact qu’il puisse être, ne pourra jamais tenir lieu d’un Cours de Théologie complet, dans lequel on rassemble sur chaque question toutes les preuves et les réponses aux objections, où l’on fait voir la liaison que nos dogmes ont entre eux, de manière que l’un éclaircit et confirme l’autre » (I, p. vii). On ne saurait, estime-t-il, devenir un grand théologien à l’aide d’un tel abrégé. Esprit méthodique, il juge bon de compléter cet ouvrage par un Plan de la théologie par ordre des matières, suivant lequel il est à propos de lire le Dictionnaire théologique1, lequel restera manuscrit jusqu’en 1831. Cette démarche coïncide avec le projet de l’éditeur qui prévoyait au début de chaque dictionnaire « un Discours préliminaire et un Tableau d’analyse pour indiquer l’ordre dans lequel tous les mots doivent être lus, comme si chaque Dictionnaire n’était qu’un traité didactique 2 ». Comme l’explique Martine Groult, dans l’esprit de Panckoucke, le discours préliminaire devait exposer les principes de chaque science et la situer « dans l’ordre sémantique des matières de la 1. Le sous-titre indique : manuscrit autographe de Bergier, précédé d’une notice biographique et littéraire sur la vie et les ouvrages de l’auteur, et plusieurs morceaux inédits ou peu connus, Besançon, Outhenin-Chalandre, 1831, 2 part. en 1 vol. in-8°. 2. Panckoucke et l’Encyclopédie méthodique. Ordre de matières et transversalité, M. Groult et L. Delia dir., Paris, Classiques Garnier, 2019, p. 130 qui reprend un passage du Prospectus Général publié dans le Vol. I cité ci-dessous, p. 54-55. 350
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Méthodique ». Il appartenait ensuite au tableau analytique de transformer le dictionnaire en traité en prescrivant un ordre de lecture des articles3. Dans le Dictionnaire de théologie, la « Table analytique pour diriger les lecteurs dans l’étude de la théologie » – annoncée dans le Prospectus comme devant être placée en tête du dictionnaire4 – se situe en fait à la fin du troisième et dernier volume. Elle s’ouvre sur une « Étude préliminaire ou Introduction à la Théologie. Théologie générale ». La première partie, qui suit, se subdivise en Religion chrétienne, son objet (1e division), Religion, ses mystères et ses dogmes (2e division), Sacrements et secours de la religion chrétienne (3e division), Morale de la religion chrétienne, vertus qu’elle enseigne (4e division), Preuves de la religion chrétienne (5e division). La seconde partie, consacrée à l’Église catholique, comporte à son tour cinq divisions : Propagation de l’Église catholique, Gouvernement et ministres de l’Église catholique, Culte et liturgie de l’Église catholique, Ennemis de l’Église catholique, Défenseurs de l’Église catholique par leurs écrits. Rien de surprenant dans cet ordre des matières qui rejoint globalement le plan des traités apologétiques de Bergier et de la plupart de ses confrères. Ce n’est qu’après avoir établi la vérité du dogme catholique par les preuves de la religion chrétienne qu’il en vient à l’Église catholique, à la fois en tant qu’émanation de la Révélation et preuve de celle-ci par son développement universel. Ce sont les préalables à l’exposition des deux premières parties, nommés Théologie générale, qui retiennent notre attention par 3. Voir Martine Groult, Prospectus et Mémoires de l’Encyclopédie méthodique, vol. I, coll. « Lire le dix-huitième siècle », Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2011, p. 23. 4. « Ce dictionnaire sera précédé d’un plan ou prospectus, dans lequel toute la nomenclature sera rangée selon l’ordre didactique ou selon la suite naturelle des idées ». Voir le Prospectus général de 1782, édité par M. Groult, ibid., p. 110. 351
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leur ancrage dans le contexte intellectuel du temps, notamment la sous-partie sur les Droits généraux qui confirme la modernité du discours de Bergier. Elle porte successivement sur le Droit, la Société civile, la Liberté politique, le Commerce, les Arts, la Philosophie. Ces thèmes très actuels, qui constituent les objets majeurs des débats entre Philosophes et Chrétiens au siècle des Lumières, témoignent de l’élaboration par Bergier d’une nouvelle théologie adaptée à son temps. La rubrique Droit concerne ainsi le droit naturel et le droit des gens qui sont au cœur des discussions politiques (on songe spécialement à l’article DROIT NATUREL de Diderot dans l’Encyclopédie), de même que le pacte social ou contrat social qui apparaît dans la rubrique Société civile (en réponse évidente, entre autres contractualistes, à Rousseau)5. Significativement, la rubrique dédiée à la Liberté politique, laquelle agite les consciences au siècle des Lumières, est particulièrement fournie, avec des articles tels que Liberté de penser, Liberté de conscience, Liberté de la presse, ou encore Autorité. On note que le Commerce et les Arts ont leur place dans ce dictionnaire de théologie, le premier pour disculper les Pères de l’Église d’avoir considéré le commerce comme contraire à l’esprit chrétien, les seconds pour défendre le christianisme contre l’accusation d’avoir contribué à la dégradation des arts, sous l’angle des sciences humaines, des belles-lettres et des sciences (Bergier renvoie dans la Table à l’article GALILÉE)6. Chacun des articles appartenant à la catégorie des Droits 5. Sur les débats contemporains suscités par ces sujets, voir Luigi Delia et Éthel Groffier, Jurisprudence, La Vision nouvelle de la société dans l’Encyclopédie méthodique, Presses de l’Université de Laval, vol. I : Jurisprudence, 2012. 6. Sur la conception qu’a Bergier de l’influence civilisatrice du christianisme, on peut consulter notre article, « Barbarie et christianisme : un enjeu apologétique au siècle des Lumières », Dix-huitième siècle, n° 52 : Barbaries, sauvageries ? (édit. S. Leoni et alii), 2020, p. 49-61. 352
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généraux que nous venons de citer commence par un paragraphe qui affiche ouvertement l’engagement de Bergier dans la lutte contre les accusations et les revendications des Philosophes modernes, autour desquels est centrée toute sa théologie. Cette inscription dans les débats contemporains est encore plus flagrante dans la dernière rubrique de cette « Étude préliminaire ou Introduction à la Théologie. Théologie générale », à savoir Philosophie, qui se réfère aux articles ANTHROPOPHAGES, SAUVAGE , BAR BAR ES, NÈGRES, ESCLAVE, SERVITUDE, AFFRANCHI. Autant de sujets brûlants dont nous savons l’importance dans le combat des Lumières et sur lesquels nous avons pu examiner la réponse mesurée de Bergier. Comme le souligne Didier Masseau, dans le dictionnaire de Bergier, « l’étude des dogmes et les preuves traditionnelles de la religion chrétienne ne sont jamais isolées d’une réflexion métaphysique 7 et [...] les mystères (Articles de foi, Trinité) ne sont traitées qu’après avoir répondu au questionnement philosophique du siècle8 ». Un ordre des matières conforme à la dimension apologétique du Dictionnaire de théologie, clairement assumée par l’auteur dans son Avertissement qui justifie par les attaques incessantes des mécréants le fait que « cette science [soit] devenue très contentieuse » et « consiste à savoir non seulement ce que Dieu a révélé, mais comment cette doctrine a été attaquée, et comment elle a été défendue » (I, p. vi). Ce ne sera pas en revanche l’ordre suivi par Bergier dans son Plan de la théologie, dont le « Corps de 7. En dépit de la volonté affichée par Bergier dans son Avertissement de laisser la métaphysique au dictionnaire auquel elle appartient, pour s’en tenir à la seule théologie (I, p. vii). La métaphysique trouvera sa place dans le dictionnaire de Logique et métaphysique (par Pierre-Louis de Lacretelle), Paris, Panckoucke et Plomteux, 1786-1791, 4 vol. 8. Didier Masseau, Les ennemis des Philosophes. L’antiphilosophie au temps des Lumières, Paris, Albin Michel, 2000, p. 362. 353
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la Théologie » part, tel un catéchisme, de « Dieu en lui-même » (I) pour aboutir à « Dieu, dernière fin de toute chose » (VI), en passant par Dieu créateur et conservateur (II), Dieu législateur, rémunérateur et vengeur (III), Dieu rédempteur et sauveur (IV), Dieu sanctificateur (V). La comparaison entre les deux plans de lecture permet de mesurer l’incidence centripète du genre du dictionnaire sur la matière théologique et surtout l’influence du projet encyclopédique de Panckoucke qui amène Bergier, malgré qu’il en ait, à marcher sur les pas de l’Encyclopédie de Diderot, avec laquelle ses articles sont en dialogue constant. Sylviane Albertan-Coppola, éd.
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BIBLIOGRAPHIE
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LE DICTIONNAIRE DE THÉOLOGIE ET SES PRINCIPALES RÉÉDITIONS
Encyclopédie méthodique. Théologie, par M. l’abbé Bergier, Chanoine de l’Église de Paris, et Confesseur de Monsieur, Frère du Roi, Paris, Panckoucke ; Liège, Plomteux, 1788-1790. 3 vol. in-4°. Dictionnaire de théologie, par M. l’abbé Bergier, Chanoine de l’Église de Paris, et Confesseur de Monsieur, Frère du Roi. Extrait de l’Encyclopédie méthodique [...], Liège, à la Société typographique, 1789-1792. 8 vol. in-8°. Dictionnaire de théologie, par M. l’abbé Bergier, Chanoine de l’Église de Paris, et Confesseur de Monsieur, Frère du Roi. Seconde édition, revue, corrigée avec le plus grand soin, et enrichie de plusieurs nouveaux articles de M. Bergier lui-même, Besançon, Out-Chalandre et Charles Deis, 1830. 8 vol. in-8° et un volume de Supplément. Dictionnaire de théologie par l’abbé Bergier. Nouvelle Édition, considérablement augmentée de Notes extraites des plus célèbres Apologistes de la Religion, Besançon, Outhenin-Chalandre ; Paris, Méquignon Junior et Paris, Gaume frères, 1839. 8 t. en 4 vol. in-8°. Dictionnaire de théologie par l’abbé Bergier. Édition enrichie de notes extraites des plus célèbres apologistes de la religion, par Mgr Gousset, Archevêque de Reims, augmentée d'articles nouveaux, par Mgr Doney, Evêque de Montauban, Besançon, OutheninChalandre fils, 1843. 6 vol. in-8°. Dictionnaire de théologie par l’abbé Bergier, édition précédée d’un Éloge historique de l'auteur, par le baron de Sainte-Croix, du Plan de la théologie et augmentée d’un grand nombre d’additions au texte 381
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de Bergier, d’articles nouveaux sur les erreurs récentes, intercalées à leur ordre alphabétique, d’une nomenclature biographique des principaux théologiens et de leurs ouvrages théologiques, depuis le huitième siècle jusqu’à nos jours, Lille, L. Lefort, 1844. 3 vol. in-4°. Dictionnaire de théologie dogmatique, liturgique, canonique et disciplinaire, mis en rapport avec les progrès des sciences actuelles, annoté et augmenté par M. Pierrot, ancien Professeur de Philosophie et de Théologie au Grand Séminaire de Verdun. 4 vol. in-4°. T. II des Œuvres complètes de Bergier [...], publiées par M. l›abbé Migne, Petit-Montrouge, 1859. Dictionnaire de théologie approprié au mouvement intellectuel de la seconde moitié du xixe siècle, par l’abbé Le Noir. Édition revue et corrigée d’après les indications de plusieurs théologiens romains, Paris, Vivès, 1873-1882. 12 vol. in-8°. AUTRES ŒUVRES DE BERGIER
Discours qui a remporté le prix d’éloquence de l’Académie de Besançon, par M. Bergier [...] (Combien les mœurs donnent de lustre aux talens), Besançon, Fantet, 1763. In-8°, 28 p. Les Elémens primitifs des langues, découverts par la comparaison des racines de l’hébreu avec celles du grec, du latin et du françois. Ouvrage dans lequel on examine la manière dont les langues ont pu se former et ce qu’elles peuvent avoir de commun. Par M. Bergier, Docteur en théologie, curé dans le Diocèse de Besançon, Paris, Brocas et Humblot, 1764. In-12, iv-354 p. Le Déisme réfuté par lui-même, ou Examen des principes d’incrédulité répandus dans les divers ouvrages de M. Rousseau, en forme de lettres. Par M. Bergier, Docteur en Théologie, Curé dans le Diocèse de Besançon, Paris, Humblot, 1765. 2 part. en 1 vol. in-12. L’Origine des dieux du paganisme et le sens des fables découvert par une explication suivie de quelques poësies d’Hésiode. Par M. Bergier, Docteur en Théologie, Principal du Collège de Besançon, 382
bibliographie
Associé à l’académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de la même ville, Paris, Humblot, 1767. 4 part. en 2 vol. in-12. La Certitude des preuves du christianisme, ou Réfutation de l’ « Examen critique des apologistes de la religion chrétienne ». Par M. Bergier, Docteur en Théologie, Chanoine de l’Eglise de Paris, de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Besançon, et de la Société Royale de Nancy, Paris, Humblot, 1767. 2 vol. in-12. Apologie de la religion chrétienne, contre l’auteur du « Christianisme dévoilé » et contre quelques autres critiques. Par M. Bergier, Docteur en Théologie, Associé à l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Besançon, et Correspondant de l’Académie Royale des Inscriptions et Belles-Lettres, et Suite de l’Apologie ou Réfutation des principaux articles du « Dictionnaire philosophique », Paris, Humblot, 1769. 2 vol. in-12. Examen du matérialisme, ou Réfutation du « Système de la Nature ». Par M. Bergier, Docteur en Théologie, Chanoine de l’Eglise de Paris, de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Besançon, Paris, Humblot, 1771. 2 vol. in-12. Réponse aux « Conseils raisonnables », pour servir de supplément à la « Certitude des preuves du christianisme », par le même auteur, 1768 [insérée à partir de 1771 dans les rééditions de La Certitude des preuves du christianisme]. Traité historique et dogmatique de la vraie religion, avec la réfutation des erreurs qui lui ont été opposées dans les différens siècles, par M. l’abbé Bergier, chanoine de l’Eglise de Paris, Paris, Moutard, 1780. 12 vol. in-12 ; rééd. 1784-1785. Principes de métaphysique [par Bergier] et de morale [par Bouchaud] à l’usage des élèves de l’Ecole royale militaire, Paris, Nyon l’aîné, 1780. 2 part. en 1 vol. in-12.
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TABLE DES MATIÈRES
2 Le projet de l'Encyclopédie méthodique.........................................................7 Le Dictionnaire de l'abbé Bergier dans l'Encyclopédie méthodique suivi des Deux Prospectus..............................................................................25 Prospectus I. de 1782........................................................................................29 Prospectus. II. 1789 « Représentations » XXI. Théologie..........................33 L’Abbé Bergier polémiste. Sa réfutation des thèses matérialistes au xviiie siècle.....................................35 Le Dictionnaire de théologie, entre conservatisme et modernité.................59 La défense des exclus du salut ................................................................65 Un théologien abolitionniste ..................................................................74 Contre la tolérance civile .........................................................................83 La part du surnaturel ...............................................................................92 L’ancienne et la nouvelle Encyclopédie ..................................................99 Avertissement...........................................................................................111 Un choix d'articles...........................................................................................116 abandon................................................................................................. 117 adam........................................................................................................ 119 américains, amérique.......................................................................129 athée, athéisme ................................................................................. 136 baptême..................................................................................................146 célibat, continence........................................................................... 152 certitude.............................................................................................. 161 démon..................................................................................................... 169 endurcissement.................................................................................. 176 esclavage, esclave.............................................................................. 180 fait.......................................................................................................... 188 fanatisme.............................................................................................. 193 fatalisme, fatalité............................................................................ 198 gentil.....................................................................................................207 grâce.......................................................................................................209 393
la vision nouvelle de la société dans l'encyclopédie méthodique idole, idolatre, idolatrie............................................................... 215 infidèle..................................................................................................230 jésuites..................................................................................................236 jésus-christ..........................................................................................237 judaïsme.................................................................................................249 justice de dieu.....................................................................................254 magicien, magie...................................................................................260 mal...........................................................................................................265 miracle...................................................................................................277 missions étrangères.........................................................................291 nègres....................................................................................................299 originel (Péché)....................................................................................308 péché.......................................................................................................317 rédempteur, rédemption.................................................................323 salut, sauver, sauveur.....................................................................330 satisfaction......................................................................................... 335 servitude .............................................................................................338 sorcellerie, sorcier, sortilége.....................................................340 tolérance, intolérance..................................................................342
Table Analytique ......................................................................................350 Bibliographie ..............................................................................................381
Le Dictionnaire de théologie et ses principales rééditions................. 381 Autres œuvres de Bergier......................................................................382 Études sur Bergier.................................................................................385
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Titres parus (suite) La vision nouvelle de la société dans l'Encyclopédie méthodique. Volume I Jurisprudence La vision nouvelle de la société dans l'Encyclopédie méthodique. Volume II Assemblée constituante La vision nouvelle de la société dans l’Encyclopédie méthodique. Volume III Économie politique. Suivi des Observations de Jefferson sur la Virginie. Rationalité pénale et démocratie L’homme est né libre... Raison, Politique, Droit. Mélanges en l’honneur de P.-M Vernes. Réflexions sur l’Université. Le devoir de vigilance L’art de lire des philosophes modernes. Progrès et action collective. Portrait du méliorisme aux États-Unis. Avec une préface de James K. Galbraith. La démocratie entre institution et critique . Vers Deleuze. Nature, pensée, politique. . Le peuple dans la pensée du jeune Gramsci, Le rayonnement de la pensée italienne, avril La Cacocratie ou la démocratie assassinée par le mensonge, Penser sans absolu. Douze essais sur le nihilisme La vision nouvelle de la société dans l’Encyclopédie méthodique. Volume IV Dictionnaire de philosophie ancienne et moderne
Voir: http://www.pulaval.com/collection/mercure-nord-42.html